Le monde grec 9782200630409, 2200630409

Cet ouvrage a pour but de présenter, sur un mode accessible et synthétique, les mondes grecs du IIe millénaire au IVe si

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French Pages 320 [335] Year 2020

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Le monde grec
 9782200630409, 2200630409

Table of contents :
Titre
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Table des matières
Avertissement
Introduction
I. Préambule géographique : la Grèce et le bassin égéen
II. Préambule historique : les premiers temps de la Grèce
III. Préambule culturel : peuples et langues
Partie 1 Le monde égéen du bronze au fer
Chapitre 1 La Crète du IIe millénaire
I. Une civilisation urbaine et palatiale
II. Royauté, aristocratie et peuple : une société hiérarchisée
III. Un peuple de marins et de commerçants
IV. La religion minoenne
V. Minos entre mythe et histoire
■ À retenir
Chapitre 2 Mycènes « riche en or »
I. Tombes et palais
II. Les sociétés mycéniennes
III. Vers la fin du monde mycénien
■ À retenir
Chapitre 3 Vers l’archaïsmeLe monde grec des XIIe-VIIIe siècles
I. Débats autour des siècles obscurs
II. Le monde homérique : guerre et société
■ À retenir
Partie 2 Le monde grec archaïque
Chapitre 4 Cité et aristocratie en Grèce archaïque (VIIIe-VIIe siècles)
I. La « renaissance du VIIIe siècle » : un nouveau cadre politique et militaire
II. Oligarchies et aristocraties archaïques : pouvoir politique et pratiques sociales
■ À retenir
Chapitre 5 « Comme des grenouilles autour d’un étang » Monde grec et diasporas (VIIIe-VIe siècles)
I. Pourquoi partir ?
II. Espaces et temporalité des diasporas
III. Acteurs et modalités des expéditions
IV. Les relations avec la métropole
■ À retenir
Chapitre 6 Des sociétés en crise ? Législateurs et tyrans dans les cités grecques archaïques
I. Crises foncières et crises sociales dans les cités archaïques
II. L’expérience tyrannique
■ À retenir
Partie 3 Guerre et paix dans le monde grec classique
Chapitre 7 Les guerres médiques (499-479)
I. Les origines du conflit
II. La première guerre médique (490)
III. La deuxième guerre médique (481- 479)
IV. Le bilan des guerres médiques
■ À retenir
Chapitre 8 L’empire de la chouette Gloire et chute d’Athènes (478-403)
I. Le retrait spartiate et la mise en place de la ligue de Délos
II. L’apogée d’Athènes : la « pentékontaétie » (478-431)
III. La guerre du Péloponnèse et la chute d’Athènes (431-403)
■ À retenir
Chapitre 9 Les hégémonies au IVe siècle De Lysandre de Sparte à Denys II de Syracuse (404-344)
I. En Grèce continentale, la valse des hégémonies (404-356)
II. Regard sur les Grecs d’Occident : Syracuse de Gélon à Timoléon (485-344)
■ À retenir
Chapitre 10 Philippe, Alexandre et les cités grecques (356-323)
I. Philippe II de Macédoine : de la menace à la puissance
II. Alexandre le conquérant
■ À retenir
Partie 4 Politique, société et économie dans les cités grecques
Chapitre 11 La démocratie athénienne à l’époque classique
I. Citoyens et non-citoyens
II. L’antichambre de la démocratie : l’isonomie clisthénienne
III. Les institutions démocratiques de l’Athènes classique
■ À retenir
Chapitre 12 Famille, sexualité et éducation dans l’Athènes classique
I. Unions et désunions dans l’Athènes classique
II. Légitimité et citoyenneté : un long processus de reconnaissance
III. La formation des futurs citoyens
■ À retenir
Chapitre 13 La cité spartiate aux temps archaïque et classique
I. Territoire et peuplement
II. La société spartiate de Lycurgue
III. La hiérarchie des statuts
IV. Les institutions spartiates
■ À retenir
Chapitre 14 Mortels et Immortels. Les pratiques religieuses dans le monde grec
I. Une religion polythéiste
II. Honorer les dieux : sites, offrandes et acteurs du culte
III. Les différentes échelles du culte
■ À retenir
Chapitre 15 L’économie des cités grecques à l’époque classique
I. L’exploitation et la mise en valeur du territoire
II. Le monde de l’artisanat
III. Monnaie et finances dans les cités grecques
■ À retenir
Méthodologie
Les sources de l’histoire grecque
Notices biographiques des principaux auteurs grecs
Chronologie générale
Rappel méthodologique
Sujets corrigés
Cahier photos

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Le monde grec

DE MINOS À ALEXANDRE

Aurélie Damet

LE MONDE GREC DE MINOS À ALEXANDRE (1700-323 AV. J.-C.)

Cours complet Méthodologie Atlas en couleurs

© Armand Colin, 2020 Armand Colin est une marque de Dunod Éditeur 11, rue Paul Bert 92240 Malakoff ISBN : 978-2-200-63040-9

Table des matières Avertissement 7 Introduction 9 I. Préambule géographique : la Grèce et le bassin égéen 9 II. Préambule historique : les premiers temps de la Grèce 11 III. Préambule culturel : peuples et langues 12

Partie 1 Le monde égéen du bronze au fer 17 Chapitre 1

La Crète du IIe millénaire 19 I. Une civilisation urbaine et palatiale 20 II. Royauté, aristocratie et peuple : une société hiérarchisée 22 III. Un peuple de marins et de commerçants 23 IV. La religion minoenne 25 V. Minos entre mythe et histoire 27



■ À retenir 28

Chapitre 2

Mycènes « riche en or » 30 I. Tombes et palais 31 II. Les sociétés mycéniennes 36



III. Vers la fin du monde mycénien 41 ■ À retenir 43

Chapitre 3

Vers l’archaïsme Le monde grec des xiie-viiie siècles 45 I. Débats autour des siècles obscurs 45



II. Le monde homérique : guerre et société 49 ■ À retenir 58

3

Le monde grec de Minos à Alexandre (1700-323 av. J.-C.)

Partie 2 Le monde grec archaïque 61 Chapitre 4

Cité et aristocratie en Grèce archaïque (viiie-viie siècles) 63 I. La « renaissance du viiie siècle » : un nouveau cadre politique et militaire 63 II. Oligarchies et aristocraties archaïques : pouvoir politique et pratiques sociales 67



■ À retenir 74

Chapitre 5

« Comme des grenouilles autour d’un étang » Monde grec et diasporas (viiie-vie siècles) 76 I.

Pourquoi partir ? 77

II. Espaces et temporalité des diasporas 79 III. Acteurs et modalités des expéditions 81

IV. Les relations avec la métropole 84 ■ À retenir 85

Chapitre 6

Des sociétés en crise ? Législateurs et tyrans dans les cités grecques archaïques 86 I. Crises foncières et crises sociales dans les cités archaïques 87



II. L’expérience tyrannique 91 ■ À retenir 98

Partie 3 Guerre et paix dans le monde grec classique 101 Chapitre 7

Les guerres médiques (499-479) 103 I. Les origines du conflit 104 II. La première guerre médique (490) 108 III. La deuxième guerre médique (481- 479) 111



4

IV. Le bilan des guerres médiques 114 ■ À retenir 116

Table des matières

Chapitre 8

L’empire de la chouette Gloire et chute d’Athènes (478-403) 118 I. Le retrait spartiate et la mise en place de la ligue de Délos 119 II. L’apogée d’Athènes : la « pentékontaétie » (478-431) 122



III. La guerre du Péloponnèse et la chute d’Athènes (431-403) 130 ■ À retenir 138

Chapitre 9

Les hégémonies au ive siècle De Lysandre de Sparte à Denys II de Syracuse (404-344) 141 I. En Grèce continentale, la valse des hégémonies (404-356) 141 II. Regard sur les Grecs d’Occident : Syracuse de Gélon à Timoléon (485-344) 145



■ À retenir 153

Chapitre 10 Philippe, Alexandre et les cités grecques (356-323) 156 I. Philippe II de Macédoine : de la menace à la puissance 157

II. Alexandre le conquérant 165 ■ À retenir 172

Partie 4 Politique, société et économie dans les cités grecques 175 Chapitre 11 La démocratie athénienne à l’époque classique 177 I. Citoyens et non-citoyens 178 II. L’antichambre de la démocratie : l’isonomie clisthénienne 185

III. Les institutions démocratiques de l’Athènes classique 189 ■ À retenir 197

Chapitre 12 Famille, sexualité et éducation dans l’Athènes classique 205 I. Unions et désunions dans l’Athènes classique 206 II. Légitimité et citoyenneté : un long processus de reconnaissance 214

III. La formation des futurs citoyens 217 ■ À retenir 221

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Le monde grec de Minos à Alexandre (1700-323 av. J.-C.)

Chapitre 13 La cité spartiate aux temps archaïque et classique 223 I. Territoire et peuplement 224 II. La société spartiate de Lycurgue 228 III. La hiérarchie des statuts 234

IV. Les institutions spartiates 242 ■ À retenir 245

Chapitre 14 Mortels et Immortels. Les pratiques religieuses dans le monde grec 247 I. Une religion polythéiste 248 II. Honorer les dieux : sites, offrandes et acteurs du culte 253

III. Les différentes échelles du culte 257 ■ À retenir 269

Chapitre 15 L’économie des cités grecques à l’époque classique 271 I. L’exploitation et la mise en valeur du territoire 272 II. Le monde de l’artisanat 276

III. Monnaie et finances dans les cités grecques 282 ■ À retenir 290

MÉTHODOLOGIE Les sources de l’histoire grecque293 Notices biographiques des principaux auteurs grecs296 Chronologie générale305 Rappel méthodologique315 Sujets corrigés319

ATLAS

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Avertissement

Toutes les dates s’entendent avant Jésus-Christ. Sauf mention contraire, les traductions des textes grecs sont celles de la Collection des Universités de France (Les Belles Lettres, Paris). Sauf mention contraire, les dessins réalisés à partir des décors de vases grecs sont de François Lissarrague (abrégé FL).

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Introduction

I. Préambule géographique : la Grèce et le bassin égéen La Grèce balkanique ou Grèce d’Europe est un pays où prédomine la montagne, qui occupe plus des trois quarts de la surface et qui ne laisse la place qu’à quelques plaines littorales. Parmi les massifs principaux se trouvent : –– la chaîne du Pinde, au nord-ouest (max. 2 637 m) ; –– l’Olympe, entre Macédoine et Thessalie (max. 2 918 m) ; –– le Parnasse en Grèce centrale (max. 2 457 m) ; –– le Taygète, entre la Laconie et la Messénie (max. 2 404 m).

Au nord de la Grèce, la région de Macédoine est encadrée à l’est par le massif des Rhodopes et au sud par l’Olympe. Elle bénéficie d’espaces de plaine, en Bottiée et en Piérie. La chaîne du Pinde scinde la Grèce en deux parties, selon un axe nord/sud. L’Épire, l’Acarnanie, l’Étolie se situent à l’ouest de cet axe et constituent des régions assez isolées. La Thessalie occupe une vaste plaine à l’est du Pinde. Au sud de la Thessalie se trouve la Béotie, avec la plaine de Thèbes. Plus au sud se déploie la région de l’Attique où la cité d’Athènes occupe une plaine entourée de petites montagnes (Hymette, Pentélique, Parnès). En empruntant l’isthme de Corinthe, on débouche sur la vaste péninsule du Péloponnèse, très montagneuse mais qui bénéficie aussi de plaines fertiles, en Élide et en Messénie (ouest), en Laconie (sud), en Argolide (est), en Achaïe (nord).

Voir la carte de l’Attique p. 187. Voir la carte du Péloponnèse dans l’atlas final.

La mer Égée comporte de nombreuses îles, aussi très montagneuses, dont la Crète qui la délimite au sud. Parmi les îles des Cyclades, on trouve Naxos, Paros et Délos. Au nord de l’Égée se trouve la grande île de Thasos qui a 9

Le monde grec de Minos à Alexandre (1700-323 av. J.-C.)

Voir la carte du bassin égéen p. 119.

Voir la carte de la côte ionienne p. 105.

la particularité d’exploiter une annexe continentale, la Pérée, située en Thrace. Au nord-ouest de la mer Égée, des îles constituent l’archipel des Sporades (Skiathos, Skyros) tandis que Rhodes appartient à l’ensemble du Dodécanèse, au sud-est. Les îles de Lesbos, Chios et Samos se succèdent le long de la côte asiatique. La côte d’Asie Mineure présente un relief assez accidenté. Elle est inégalement favorisée et les régions du nord et l’Ionie centrale sont plus prospères que les espaces méridionaux, exposés fréquemment aux inondations. La mer, comme la montagne, est omniprésente : mer Égée mais aussi mer Ionienne (entre Grèce d’Europe et Italie du Sud) et Propontide (petite mer intérieure entre mer Égée et mer Noire). Les reliefs de la Grèce

MER NOIRE MASSIF DES RHODOPES Propontide

MA SS

Mont Olympe

IF

DU PI

ND E

Mont Parnasse

MER ÉGÉE

Mont Hymette

du sif e as èt M Tay g

MER IONIENNE

Ma ss i f d u Pa r n on

MER DE CRÈTE 0

100 km

Mont Ida

MER DE LYBIE

10

Introduction

II. Préambule historique : les premiers temps de la Grèce C’est au nord-ouest de la Grèce, en Épire, que l’on trouve les plus anciennes traces matérielles d’occupation humaine. Datées de 40000 av. J.-C., elles appartiennent à la période dite paléolithique. L’ère néolithique s’ouvre en 6500 : elle est caractérisée par les débuts de l’agriculture, la sédentarisation des populations, le développement du tissage et de la céramique.

L’âge du bronze commence vers 3200 : son appellation indique que cette époque est marquée par l’usage du bronze, un alliage obtenu à partir de l’étain et du cuivre. Le premier âge du bronze (3200-2200) se caractérise par la densification de l’occupation humaine dans toute l’aire égéenne et par la production d’objets d’orfèvrerie et d’outillage.

Vase globulaire à deux anses de Dimini (Thessalie), 5500-5000 (Musée National Archéologique, Athènes).

Entre 2700 et 2200, quatre aires culturelles sont distinguées par les archéologues en mer Égée. Il ne s’agit pas d’une classification reposant sur des peuples mais sur la cohérence des ensembles matériels mis à jour par les fouilles : –– l’Helladique ancien s’épanouit en Grèce centrale et dans le Péloponnèse (Orchomène, Thèbes, Tirynthe, Lerne) ; –– le Cycladique ancien couvre les îles des Cyclades (Mélos, Théra, Siphnos, Kéos, Syros) ; –– le Minoen ancien occupe l’île de Crète et de Cythère ; –– la culture maritime de Troie couvre une partie de l’Asie Mineure (Troie, Lemnos, Lesbos, Smyrne).

Un facteur d’unité entre ces différentes aires culturelles est la technique de construction de l’habitat. Les maisons sont faites de murs de briques érigés sur un socle en pierre sèche et elles ne sont constituées alors que d’une seule pièce de forme rectangulaire. L’ensemble du monde égéen du IIIe millénaire est marqué par un développement des échanges : des figures cycladiques ont été retrouvées sur le continent grec, des vases cycladiques ont été exhumés à Troie, des vases minoens se retrouvent dans les Cyclades ou sur la côte anatolienne. La Sicile et l’Italie du Sud ont aussi produit des objets en métal et en os de facture égéenne, prouvant ainsi l’existence de réseaux d’échanges assez lointains.

Fleur en or de Mochlos (Crète), 2750-2300 (Musée Archéo­logique, Héraklion).

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Le monde grec de Minos à Alexandre (1700-323 av. J.-C.)

La rupture chronologique de 2200 correspond à la destruction de nombreux sites en mer Égée comme dans les régions du Levant ou d’Égypte. L’ère qui s’ouvre ensuite est une période de transition, marquée notamment par la Crète des premiers palais (voir le chapitre 1).

III. Préambule culturel : peuples et langues Figurine cycladique, 2500‑2300 (Musée d’Art et d’Histoire, Genève).

Sur l’importance des Héraclides et des Doriens pour l’identité spartiate, voir p. 224.

« Anciennement [l’Achaïe] était tenue par les Ioniens, rameau ethnique issu des Athéniens. (…) Les Athéniens furent en mesure d’envoyer dans le Péloponnèse une colonie d’Ioniens. À la région qu’ils occupèrent, ces nouveaux venus donnèrent un nom tiré du leur : au lieu d’Aigialos elle fut appelée Ionie. (…) Après le retour des Héraclides, ils en furent chassés par les Achéens et revinrent à Athènes, où ils organisèrent sous la direction des Codrides la migration ionienne en Asie » (Strabon, VIII, 7, 1).

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De Tyrtée (viie) à Pausanias (iie ap. J.-C.), en passant par Hérodote (ve), des récits mettent en scène les divers mouvements de population qui ont façonné le monde grec. Ces traditions littéraires ne sont pas toujours confortées par l’archéologie mais elles témoignent de la volonté des Grecs eux-mêmes d’expliquer le peuplement des différentes régions.

Ainsi, deux générations après la guerre de Troie (xiie ?), les Doriens, habitants d’une ancienne Doride située dans la région du Parnasse, seraient descendus dans le Péloponnèse accompagnés des héritiers d’Héraklès, les Héraclides. Les Arcadiens auraient résisté aux Doriens mais les Achéens auraient été chassés d’Argolide, de Laconie et de Messénie. Ils auraient alors trouvé refuge au nord du Péloponnèse, dans une région qui s’appelle désormais l’Achaïe. Ce territoire d’Achaïe était auparavant occupé par un autre peuple, les Ioniens : ces derniers se seraient alors réfugiés à Athènes, d’où ils venaient initialement, et certains seraient ensuite partis pour peupler la côte d’Asie Mineure. Sur le plan linguistique, jusqu’au ive siècle, trois grands groupes dialectaux coexistent, que les Grecs eux-mêmes ont identifiés : l’ionien, le dorien et l’éolien. La langue n’est pas le seul facteur d’unité culturelle qui repose aussi sur le partage de certaines institutions et de certaines divinités : –– en Thessalie, en Béotie et en Éolide, les Grecs parlent l’éolien ; –– les Ioniens parlent un dialecte répandu en Attique et dans les cités ioniennes d’Asie Mineure. Ils ont en commun la fête des Anthestéries et la fête des phratries appelée Apatouries (voir p. 216). Dans les cités ioniennes, la population est répartie en quatre tribus dont les noms réapparaissent souvent (Géléontes, Aigikoreis, Argadeis, Hoplètes) ;

Introduction

–– le dialecte dorien est répandu dans le Péloponnèse (sauf au nord où domine le dialecte achéen), en Crète, dans les colonies doriennes de Grande-Grèce et de Sicile, et en Doride d’Asie Mineure. Dans les cités doriennes, la population est souvent répartie dans trois tribus (Hylleis, Dymanes, Pamphyloi) et le dieu Apollon Karnéios est une divinité récurrente du panthéon.

Lorsque les Grecs s’installent sur les rives orientales de la mer Égée à partir du xie siècle, ce qui est bien attesté par l’archéologie, le même découpage nord/sud des régions dialectales s’observe : l’Éolide au nord, l’Ionie au centre et la Doride au sud.

Sur la région ionienne, voir p. 104.

Les dialectes grecs à l’époque classique THRACE

MACÉDONIEN ILLYRIEN

Lemnos

Épire

Larissa

Dodone

Corcyre

Propontide

Chalcidique

Thessalie

Lesbos

Ambracie

Leucade

Delphes

Eubée

Thèbes

Céphalonie

Zante

Béotie

Achaïe Élide Olympie

Chalcis

Arcadie

Mer Ionienne

Smyrne Chios

Ionie

Andros

Argolide

Samos

Éphèse Milet

Épidaure

CARIEN

Cyclades

Messénie

Pylos

Mer Égée

Attique

LYDIEN

Éolide

Skyros

Mégare Athènes Corinthe

Argos

Pergame

Naxos

Sparte

Laconie

Doride

Cos

Rhodes

Mer de Crète

Chypre

Crète

D i a l e c te s g re c s à l’é p o qu e c l assi qu e Groupe occidental

Groupe central

Groupe oriental

Dorien

Éolien

Attique

Grec nord-occidental

Arcado-chypriote

Ionien

0

50 km

Achéen

13

Le monde grec de Minos à Alexandre (1700-323 av. J.-C.)

Voir la carte de la colonisation archaïque dans l’atlas final.

Sur l’opposition entre Grecs et Barbares, voir p. 115.

Le « peuple grec » est ainsi difficile à identifier et il est le résultat de nombreuses vagues de migrations successives. Certaines caractéristiques linguistiques et culturelles ont façonné des groupes dont l’identité s’affirme en fonction des tensions conjoncturelles. Ainsi, l’opposition entre les Ioniens et les Doriens s’exacerbe à l’époque classique dans le cadre des conflits entre Athènes et Sparte. Par exemple, selon Thucydide, les Athéniens « Ioniens d’origine », auraient combattu « les Doriens de Syracuse » lors de l’expédition de Sicile (415-413). C’est une façon de rappeler qu’à l’époque archaïque de nombreuses cités siciliennes ont été fondées par des colons doriens venus de Corinthe, de Mégare et de Rhodes. Quelques décennies auparavant, Hérodote proposait une définition bien plus unitaire de la culture grecque. L’historien rappelait alors que l’hellénicité (to hellenikon) c’était partager « le même sang, la même langue, les mêmes lieux de culte et de sacrifice, des coutumes similaires ». Mais le contexte politique et militaire était alors tout autre : il s’agissait d’afficher l’unité culturelle du monde grec face à l’ennemi barbare d’alors, les Perses. BIBLIOGRAPHIE Ch. Jacob, Géographie et ethnographie en Grèce ancienne, Paris, 2017. J.-C. Poursat, La Grèce préclassique. Des origines à la fin du vie siècle, Paris, 1995. J.-C. Poursat et al. (éd.), Les civilisations égéennes du Néolithique et de l’Âge du bronze, Paris, 2008. N. Richer, Atlas de la Grèce classique. ve-ive siècle av. J.-C., l’âge d’or d’une civilisation fondatrice, Paris, 2017.

14

PARTIE 1

CHAPITRE 1 LA CRÈTE DU IIe MILLÉNAIRE

19

CHAPITRE 2 MYCÈNES « RICHE EN OR »

30

CHAPITRE 3 VERS L’ARCHAÏSME LE MONDE GREC DES XIIe-VIIIe SIÈCLES45

LE MONDE ÉGÉEN DU BRONZE AU FER

La Crète du IIe millénaire

CHAPITRE

1

PLAN DU CHAPITRE I. Une civilisation urbaine et palatiale II. Royauté, aristocratie et peuple : une société hiérarchisée III. Un peuple de marins et de commerçants IV. La religion minoenne V. Minos entre mythe et histoire

Au IIe millénaire s’épanouit en Crète une civilisation brillante, marquée par la maîtrise des mers et l’édification de grands ­complexes palatiaux, aujourd’hui visibles sur les sites de K ­ nossos, de Phaistos ou de Malia, fouillés dès le début du xxe siècle. L’écriture crétoise résistant encore au déchiffrement, c’est avant tout l’archéologie (céramiques, fresques, vestiges ­architecturaux) qui livre des renseignements précieux sur la Crète dite « minoenne », du nom du roi Minos qui y aurait régné aux temps héroïques. L’histoire crétoise de l’âge du bronze continue à s’écrire, avec la découverte et l’exploitation récentes de nouveaux établissements, comme le port de Kommos (1976) ou le site de Galatas (1992). La Crète minoenne

MER DE CRÈTE Maleme La Canée Platyvola

Haghia Pelagia

Kalami Stylos

MONTAGNES BLANCHES

Amnisos Vrysinas

Sklavokambos Tylissos

Nirou Khani Skoteino

Phaistos

Saktouria Haghia Triada

Palais Petit palais Villas Tombes ou sites secondaires Grottes sacrées Sanctuaires de sommet

Malia

Knossos Eileithyia Armenoi MONT IDA PLATEAU DE Iouktas Archanes Monastiraki LASSITHI Vathypetro Ida Kamares Myxorrouma Psychro MONT Apodhoulou DIKTE Galatas Arkalokhori Kommos

PLAINE DE LA MESSARA

Platanos

Inatos

Kato Syme

Mochlos

Palaikastro Kamaizi

Gournia Praisos Vasiliki

Petsofa

Zou

Zakros

Myrtos Pyrgos

Lebena

MER DE LYBIE

0

20 km

19

Partie 1 Le monde égéen du bronze au fer

I. Une civilisation urbaine et palatiale 1. Périodisations crétoises Théra correspond à l’île actuelle de Santorin

On envisage traditionnellement l’histoire des palais crétois en deux temps, celui des premiers palais, entre 2200 et 1700, et celui des seconds palais, entre 1700 et 1375. La coupure de 1700 correspond à la destruction des premiers palais et des habitations alentour. Si on a d’abord privilégié la piste de l’éruption volcanique de Théra pour expliquer ce premier effondrement, il est désormais admis que des difficultés internes au monde minoen en seraient responsables. Des indices de préparation défensive (murs de terrasse, réserves, tours carrées) pourraient indiquer l’existence de tensions entre les différents palais. La crise est au demeurant de courte durée. En effet, les palais se reforment très vite, plus beaux, plus grands, et les fouilles initiées en 1900 par l’archéologue anglais A. J. Evans ont ainsi dégagé quatre complexes principaux : Phaistos au sud (8 300 m2), Knossos (13 000 m2) et Malia au nord (10 000 m2), Zakros à l’est (3 250 m2), ce dernier site ayant été découvert en 1962. Ces quatre palais deviennent alors, entre 1700 et 1375, les centres majeurs de la civilisation crétoise.

Les différents temps de la Crète Lorsque A. J. Evans commence à fouiller Knossos en 1900, il établit une datation qu’il nomme « minoenne ». Il distingue trois périodes permettant de dater les objets et les vestiges, le Minoen Ancien (3000‑2000), le Minoen Moyen (2000‑1650) et le ­Minoen Récent (1650‑1050), avec des subdivisions (I, II et III). C’est à l’archéologue grec N. Platon que l’on doit un autre système de datation qui distingue le prépalatial (3000‑1950), le protopalatial (1950‑1700), le néopalatial (1700‑1450) et le post­ palatial (1450‑1050), en fonction de l’évolution architecturale des palais crétois. Un pithos est un grand vase de stockage. Voir p. 279.

2. Les palais Le terme « palais » recouvre un ensemble d’imposantes bâtisses mêlant plusieurs « quartiers » spécifiques et fonctionnels : des zones d’habitation, des espaces de stockage et d’administration, des salles d’apparat, des lieux de culte et des ateliers d’artisans. À Malia, dans le quartier Mu, on a ainsi dégagé les ateliers de potiers, de fondeurs et de graveurs de sceaux, ainsi que des greniers à grains. Dans les magasins du palais de Malia, où s’alignent des dizaines de pithoi, des rigoles suggèrent le stockage de vin, d’huile ou d’eau. À Phaistos, les fouilles ont révélé l’existence de silos qui bordent une chaussée dallée du palais.

Un pithos de Malia.

20

Les complexes palatiaux sont ordonnés selon un plan géométrique et présentent les mêmes pièces caractéristiques et récurrentes : une cour ­rectangulaire et centrale, orientée nord-sud, de grandes salles dallées et éclairées selon

1 La Crète du IIe millénaire

un ingénieux système de puits de lumière et agrémentées de colonnades (­polythyron), des bassins lustraux aux niveaux inférieurs, accessibles par quelques marches et destinés à des ablutions. Les palais peuvent s’élever sur plusieurs étages, comme à Knossos qui en compte cinq, reliés par de larges escaliers de pierre. Centre politique et économique, placé au cœur de l’espace urbain, le palais crétois est desservi par des rues bordées de fontaines et de maisons. Il s’agit ainsi de véritables villes, avec leurs nécropoles. Les îlots d’habitation sont séparés par de petites places qui aèrent l’espace urbain, doté par ailleurs d’un système d’évacuation des eaux. L’absence de véritables fortifications laisse supposer une absence de dangers. Le contraste est frappant entre les palais crétois, ouverts, et les fortifications massives des sites mycéniens du continent grec, comme Mycènes et Tirynthe.

Le polythyron ou « hall minoen » est une large pièce ouvrant sur plusieurs côtés grâce à des baies multiples séparées par des piliers. Caractéristique de l’architecture minoenne, le polythyron sert à la réception et à l'apparat. Sur la citadelle de Tirynthe, voir p. 34.

Plan du palais de Knossos (d’après Th. Fyfe et Ch. C.T. Doll) A. Cour centrale B. Esplanade ouest 1. Entrée du palais 2. Quartier domestique 3. Magasins 4. « Théâtre » 5. ­Corridor des processions 6. Véranda 7. Propylées 8. Escaliers 9. Salle du trône 10. Quartier cultuel 11. Salle à piliers 12. Maisons privées

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Partie 1 Le monde égéen du bronze au fer

Mari est une puissante cité du Proche-Orient ancien, située sur la rive droite de l’Euphrate et établie vers 2900. Le palais de la ville y occupait deux hectares et était composé d’environ 500 pièces.

Il est difficile d’expliquer l’origine des palais crétois : l’emprunt à la civilisation mésopotamienne voisine et au palais de Mari n’épuise pas le faisceau des hypothèses. Le passage d’une société de bourgs prospères à la forme urbaine et palatiale peut aussi provenir d’une évolution locale, due à la transformation de la société, à l’accroissement démographique et aux progrès économiques. On compte donc aujourd’hui, parmi les historiens, les tenants de l’imitation et ceux du développement spontané, dit aussi théorie de « l’émergence ».

II. Royauté, aristocratie et peuple : une société hiérarchisée 1. Quel modèle politique ? Si l’on peut saisir aujourd’hui l’organisation spatiale des palais, le modèle politique résiste encore aux interprétations. La Crète a-t‑elle été gouvernée par un roi, par un roi-prêtre, par plusieurs rois ou par un conseil aristocratique ? Comme l’avançait A. J. Evans, ébloui par ses vestiges, Knossos a-t‑il été le palais principal d’une dynastie royale qui aurait séjourné temporairement à Phaistos, Zakros et Malia ? Ou bien les quatre palais sont-ils des centres régionaux indépendants ? Un document égyptien datant du règne de ­Thoutmosis III (1479‑1425) évoque le « roi du pays des Keftiou », identifié à la Crète. Mais cette source n’est confortée par aucune représentation de figure royale ni par un autre document précisant les compétences d’un éventuel et unique souverain. En l’absence de sources, il demeure donc difficile de trancher sur la nature exacte du pouvoir crétois : –– selon une première hypothèse, chaque palais aurait exercé une influence politique, économique et sociale sur une zone géographique délimitée, dont il gérait les ressources. Ainsi Knossos, situé au nord, aurait dominé la Crète centrale et ses vallées verdoyantes ; Malia serait lié au plateau du Lassithi ; le palais de Phaistos aurait contrôlé la plaine de la Messara, au sud ; –– certains historiens penchent pour un système plus centralisé et organisé de la façon suivante, du moins pour l’époque néopalatiale. Knossos aurait unifié l’île et exercé une sorte d’hégémonie. Phaistos, Zakros et Malia auraient constitué des centres régionaux secondaires. Des sites comme Galatas et Petras seraient des centres régionaux tertiaires ou « petits palais ». Le reste du territoire était maillé de fermes et de villages. Plusieurs indices font aussi de Knossos un modèle architectural pour les autres grands complexes et le lieu d’innovations artistiques (décor des fresques, styles céramiques, vases en pierre sculptée). 22

1 La Crète du IIe millénaire

Quoi qu’il en soit, les trois sites de Knossos, de Malia et de Phaistos concentrent la majorité des documents archivistiques qui permet­tent d’établir que les palais centralisent la production des denrées alimentaires et des objets artisanaux. Grâce à des scellés sur argile que l’on retrouve sur des coffres, des jarres ou des portes de magasins, les Crétois contrôlent les entrées et les sorties des produits. Bureaux, ateliers, entrepôts, participent de cette gestion, ainsi que les sceaux et les tablettes utilisés pour les comptes administratifs. Ces tablettes d’argile sont écrites en « linéaire A », encore indéchiffré.

Les Crétois utilisent deux écritures, le hiéroglyphique crétois et le linéaire A.

2. L’aristocratie crétoise La présence d’une aristocratie crétoise est bien attestée. Une partie réside dans les palais mais aussi dans de grandes résidences urbaines situées en dehors des limites palatiales et dans des « villas » plus isolées, liées à un territoire agricole (ainsi à Tylissos, à Myrtos Pyrgos, à Nirou Khani). Cette aristocratie a autorité sur la population nombreuse de petits artisans et de petits commerçants, ainsi que sur la population rurale de paysans vivant de l’agriculture et de l’élevage. Ces hauts dignitaires ont laissé dans leurs demeures des traces de leur distinction sociale, des objets précieux et ciselés par des artisans spécialisés. Dans la région de la Messara, près de Phaistos, la villa de Haghia Triada s’illustre ainsi par sa fresque du Chat guettant un oiseau, ses vases en stéatite à décor sculpté (dont le « vase des moissonneurs » et le « rhyton des boxeurs ») et ses nombreuses figurines de bronze. Pour honorer les commandes des élites, il a fallu s’approvisionner en partie en dehors de la Crète.

Tablette en linéaire A.

La stéatite est une roche minérale tendre, facile à travailler.

III. Un peuple de marins et de commerçants 1. La maîtrise des mers Dans le cadre de leurs échanges outre-mer, les Crétois ont laissé plusieurs types de traces matérielles qui témoignent de leur zone d’influence culturelle et économique :

Voir la carte de la Méditerranée minoenne dans l’atlas final.

–– une production céramique que l’on retrouve à Naxos, Télos, Iasos, et bien plus loin encore à Milet, Beyrouth, Ugarit et même dans la vallée du Nil ; –– des textes en linéaire A retrouvés à Kéos et à Théra, sur des tablettes, ou à Milet, sur des vases ; –– des poids en plomb et en pierre découverts à Milet, Théra ou Kéos ;

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Partie 1 Le monde égéen du bronze au fer

–– des traces d’établissements minoens attestés à Milet et à Cythère, notamment à Kastri qui offre aux Crétois un relais vers les côtes du P ­ éloponnèse où leur poterie gagne la Laconie et l’Argolide. Il est possible que les Crétois se soient aussi établis à Mélos, à Théra et à Kéos mais on peine encore à identifier des maisons ou des quartiers spécifiquement minoens. Le style des vases crétois est dit « de Kamarès », d’après la grotte située sur le mont Ida : volutes et spirales y côtoient poulpes, nautiles et poissons. À partir de 1700, les décors se précisent, avec l’apparition d’hippocampes et d’étoiles de mer. Autre source iconographique précieuse figurant probablement une cérémonie liée à l’ouverture de la période de navigation en avril, « la fresque de la flottille » atteste ­l’existence d’une véritable marine crétoise. Petits et grands navires se déploient dans cette Vase à étrier trouvé à Gournia, mer ­picturale qui orne un mur de la « ­maison vers 1500. ouest » du site d’Akrotiri, au sud de l’île de Théra. Les bagues-cachets, retrouvées parmi les riches trésors des sites de Knossos ou de Zakros, comportent aussi des effigies de bateaux, où l’on distingue des mâts, des voiles, des rames et des gouvernails. Des bateaux apparaissent encore sur les vases de Mélos ou d’Égine. Même dans leurs tombes, les Crétois s’entourent de navires, petites maquettes travaillées avec soin jusqu’aux détails des ­éperons et des haubanages.

Le pêcheur, fresque d’Akrotiri.

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Les boxeurs, fresque d’Akrotiri.

1 La Crète du IIe millénaire

Akrotiri, ville des Cyclades L’éruption volcanique sur l’île de Théra a permis de préserver les vestiges du site ­d’Akrotiri, enseveli sous des couches de cendre et de pierre ponce. C’est un peu la « Pompéi égéenne », à ceci près qu’aucun reste humain n’a été ­découvert à Akrotiri : les habitants ont pu fuir avant la catastrophe, alertés par un séisme. Les débats de‑ meurent sur la date du cataclysme, qui oscille entre 1630 et 1520. Les fouilles ont permis de ­dégager un espace urbain avec un habitat dense et des rues dallées. Les maisons sont de tailles diverses et certaines présentent un étage et plusieurs pièces, où l’on entreposait ­d’importantes denrées ­alimentaires et où la production textile est attestée. Le site d’Akrotiri a livré plusieurs fresques qui ornent les murs des étages résidentiels : outre celle de la ­flottille, « la cueilleuse de safran », « le pêcheur » et « les boxeurs » sont remarquables.

2. Importations et commerce Les maigres ressources de l’île, riche en bois mais en pauvre en métaux (argent, cuivre, étain, plomb), ont poussé les Crétois à acheter ailleurs ce qui leur manquait, tout en diffusant leur propre production et, parfois, en s’installant durablement. Lors de la période néopalatiale, les ports crétois connaissent un véritable essor : les sites de Trypiti, Lébéna ou Kommos drainent les flux de marins, de marchands et de navires qui transportent les matières brutes nécessaires aux artisans locaux. Ces derniers ont en effet manié l’obsidienne de Mélos et d’Antiparos, l’étain de Beyrouth, l’argent d’Ionie, l’émeri de Naxos, afin de confectionner armes d’apparat, bijoux précieux, cachets gravés et toutes sortes d’objets de prestige qui circulent dans les palais et les villas.

Un document mésopotamien du palais de Mari, détruit vers 1760, révèle la présence d’un marchand crétois à Ugarit, sur la côte syrienne, où il négocie l’achat d’étain. L’obsidienne est une roche d’origine volcanique à base de silice. L’émeri est une roche métamorphique.

Il est probable que le développement du commerce ait été avant tout une initiative du pouvoir palatial. Le site de Zakros serait une fondation portuaire de Knossos, où affluent des importations précieuses comme le marbre, le cuivre ou le porphyre. Les maisons d’artisans de Malia, à la fois locaux de travail et d’habitation situés à proximité immédiate du palais, confortent l’hypothèse de travailleurs au service d’un centre dont ils dépendent.

IV. La religion minoenne Si l’on arrive à dégager des lieux de culte, au sein des palais, dans des sanctuaires urbains ou des sites naturels comme des grottes et des sommets montagneux, le panthéon minoen nous échappe. A. J. Evans voyait dans la figure récurrente de la déesse aux bras levés (sceaux, statuettes), accompagnée de serpents et d’oiseaux, une incarnation de la « Grande Mère ». Cette théorie est aujourd’hui abandonnée et on ne sait guère à

La déesse aux serpents, (Musée archéologique, Héraklion).

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Partie 1 Le monde égéen du bronze au fer

quelle(s) divinité(s) les Crétois consacrent leurs offrandes. La seule certitude est que le panthéon crétois est surtout féminin.

Un rhyton est un vase à boire en forme de corne, représentant souvent une tête d’animal.

Sur les libations, voir p. 254.

Lors de la période protopalatiale, peu de sanctuaires construits ont été localisés, si ce n’est à Phaistos et à Malia. C’est en revanche de cette époque que datent les rites accomplis dans les grottes de Kamarès, près de Phaistos, et de Psychro, dans le Lassithi. Les sanctuaires des sommets, composés d’un espace en plein air aménagé, permettent de réunir les populations environnantes et de Rhyton apulien, ive siècle marquer le territoire. On y a retrouvé (Musée Saint-Raymond, Toulouse). des vestiges d’autels et de nombreux dépôts d’offrandes votives sous la forme de figurines de terre cuite aux formes humaines et animales, comme sur le site du mont Iouktas près de Knossos, à Akrotiri ou encore à Cythère. Parmi les offrandes récurrentes, on trouve des petites statuettes représentant les adorateurs de la divinité, cambrés et posant une main sur leur front. D’autres objets constituent des marqueurs rituels : des cornes de consécration, des rhytons utilisés pour les libations, des coquillages, des haches à double tranchant et des ancres de pierre. Les objets rituels sont entreposés dans de petites pièces dédiées lorsqu’ils ne sont pas utilisés. Leur caractère portatif suggère que les cultes ne dépendent pas forcément d’un lieu fixe. Cependant, les sanctuaires religieux se multiplient lors de l’époque néopalatiale, signes de l’apparition possible d’un clergé officiel, voire d’une administration religieuse indépendante qui possède des territoires et une activité économique propre.

Fresque de Knossos représentant une taurokathapsie, 1400.

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1 La Crète du IIe millénaire

Enfin, la fréquence du taureau dans l’iconographie crétoise, en particulier à Knossos, suggère que cet animal est lié aux rituels. Il est figuré dans des scènes de captures et de jeux, chevauché par des jeunes filles et des jeunes garçons, mais on le consomme aussi probablement, sans qu’on puisse affirmer pour autant qu’une partie de l’animal ait été consacrée aux divinités. La prouesse athlétique de la taurokathapsie, où il faut sauter entre les cornes d’un taureau, se déroule dans les cours centrales des palais : à Phaistos et à Malia, on a ainsi repéré des aménagements architecturaux permettant de protéger les spectateurs des mouvements de la bête.

V. Minos entre mythe et histoire On ne peut guère évoquer la Crète sans dire un mot sur son roi légendaire, Minos. Il est intéressant de noter que Minos est rattaché à deux phénomènes historiques et maritimes : la colonisation et la thalassocratie (« la domination sur la mer »). Une première séquence mythologique concerne Minos et l’architecte Dédale. Dédale est en effet impliqué dans la naissance du Minotaure, un être mi-homme, mi-taureau, que la reine Pasiphaé a engendré. Tombée amoureuse d’un taureau, l’épouse de Minos a demandé à Dédale de fabriquer une vache en bois pour qu’elle puisse s’accoupler avec l’animal. Dédale, grand artisan et architecte, construit ensuite un labyrinthe pour abriter le Minotaure. Mais le roi Minos continue à nourrir de la rancœur contre Dédale qui s’enfuit de Crète. Selon Hérodote et Diodore, Minos part à la poursuite de Dédale jusqu’en Sicile. Les marins crétois accompagnant Minos finissent par s’y installer, peuplant la côte iapyge aux abords de Tarente et de Brindisi. Ces fondations légendaires ont pu légitimer a posteriori l’implantation grecque historique en Italie du Sud et en Sicile, au cours de l’époque archaïque. Minos et ses compagnons font ainsi figures de « pré-colonisateurs » (voir le chapitre 5 sur la colonisation). Audelà de la légende, une dizaine de sites dispersés entre Paros, Corfou, la Sicile ou encore le golfe saronique ont porté le nom de Minoa ou de Minoia, témoignages lexicologiques du lien entre le roi crétois et l’aventure coloniale. À l’époque classique, la légende du roi Minos est instrumentalisée à des fins de propagande athénienne. En effet, depuis le début du ve siècle, l’histoire du héros athénien Thésée est agrémentée d’un nouvel épisode où il acquiert une nouvelle filiation. Traditionnellement présenté comme le fils du roi Égée, il devient désormais le fils de Poséidon. Parti délivrer les Athéniens du joug crétois qui leur impose de sacrifier au Minotaure sept garçons et sept filles d’Athènes, Thésée est défié par Minos qui lui intime de plonger dans la mer afin d’y récupérer un anneau. Cette nouvelle épreuve initiatique est passée avec succès par le jeune héros. Au fond des mers, Thésée rencontre l’épouse de son père Poséidon, Amphitrite. Elle lui remet alors une couronne, signe

Rhyton en pierre à tête de tau‑ reau (Knossos), 1500 (Musée Archéologique, Héraklion).

Statère d’argent de Knossos figurant un labyrinthe, 320-270.

« La nef à sombre proue portant Thésée, inébranlable au choc des armes, et deux bandes de sept jouvenceaux éclatants, enfants de l’Ionie, fendait la mer de Crète » (Bacchylide, Ode XVII, v. 1-4). 27

Partie 1 Le monde égéen du bronze au fer

Thésée et le minotaure. Médaillon d’une coupe attique, 440‑430 (British Museum, Londres).

Voir le chapitre 8.

de pouvoir et de souveraineté. L’histoire peut être ainsi interprétée : Thésée l’Athénien, fils du dieu de la mer Poséidon, l’emporte sur Minos le ­Crétois et incarne la nouvelle puissance d’une Athènes qui se tourne vers la mer. L ­ ’épisode est mis en vers par le poète Bacchylide et le plongeon de Thésée est figuré dans le sanctuaire qui lui est dédié sur l’Agora athénienne, dans les années 470 (voir p. 252).

Athènes peut rivaliser avec la puissance ­maritime de Crète : toutes deux sont, pour les Anciens, des thalassocraties. Dans sa Guerre du Péloponnèse, l’historien Thucydide dresse un parallèle sans équivoque entre la cité d’Athènes et la Crète de Minos. Le roi y est décrit comme « le plus ancien personnage connu par la tradition qui ait eu une flotte et conquis la maîtrise des mers ; il établit sa domination sur les Cyclades et installa dans la plupart les premières ­colonies. (…) Il travailla, dans toute l’étendue de son pouvoir, à purger la mer des pirates pour mieux assurer la rentrée de ses revenus ». Thucydide applique à la Crète minoenne les caractéristiques de l’empire d’Athènes tel qu’il s’exerce au ve siècle dans le cadre de la ligue de Délos. Or, il est avéré que les Crétois ont créé en mer Égée non un empire politique et militaire conquérant mais un espace économique et culturel dynamique, qui disparaît au tournant du xive siècle. Les grands palais s’effondrent vers 1450, à l’exception de Knossos dont la destruction est datée de 1375. On a pu avancer prudemment l’hypothèse d’une alliance entre le palais de Knossos et les Mycéniens pour expliquer le maintien tardif du site cnossien. Dans l’incendie qui ravage le dernier palais crétois, des tablettes écrites en mycénien (en « linéaire B ») ont été cuites par les flammes. Elles attestent bien la présence des Mycéniens en Crète à la chute des palais, tandis que le continent grec comptait déjà des implantations mycéniennes depuis le xviie siècle.

À retenir nnLe linéaire A n’a pas encore été déchiffré. nnLa civilisation minoenne est organisée autour d’une nouvelle structure centralisa‑

trice, le palais, qui cumule un rôle économique et un rôle politique.

28

1 La Crète du IIe millénaire

nnLe système social est organisé autour d’une élite dirigeante et de populations

­urbaines et rurales, mais le mode de gouvernance est encore méconnu.

nnC’est une civilisation maritime qui a développé de nombreux échanges en mer

Égée, sans toutefois établir de domination sur des territoires.

nnLes légendes crétoises ont servi à expliquer la localisation de certaines implan‑

tations grecques en Méditerranée archaïque. Elles ont aussi été instrumentali‑ sées par les Athéniens dans le cadre de la valorisation de leur empire maritime à l’époque classique.

LES DATES ESSENTIELLES 2200‑1700 : période des premiers palais Entre 1630 et 1520 : éruption volcanique sur l’île de Théra (Santorin) 1700‑1375 : période des seconds palais 1450 : destruction des palais (sauf Knossos) 1375 : destruction de Knossos

BIBLIOGRAPHIE J.-N. Corvisier, Les Grecs et la mer, Paris, 2008. A. Farnoux, Cnossos, l’archéologie d’un rêve, Paris, 1993. B. Le Guen (dir.), M. C. D’Ercole et J. Zurbach, Naissance de la Grèce. De Minos à Solon, Paris, 2019. « La Crète. 5000 ans d’histoire », Dossiers d’archéologie, 382, juillet/août 2017. M. Mastorakis et M. Van Effenterre, Les Minoens, Paris, 1991. J.-C. Poursat, La Grèce préclassique. Des origines à la fin du vie siècle, Paris, 1995. J.-C. Poursat, L’art égéen, 2 tomes, Paris, 2008. J.-C. Poursat et al. (éd.), Les civilisations égéennes du Néolithique et de l’Âge du bronze, Paris, 2008. C. Shelmerdine (éd.), The Greek Companion to The Aegean Bronze Age, ­Cambridge, 2010.

29

CHAPITRE

2

PLAN DU CHAPITRE I. Tombes et palais II. Les sociétés mycéniennes III. Vers la fin du monde mycénien

Mycènes « riche en or »

L’ancienneté des fouilles du site de Mycènes et l’aura de son roi ­Agamemnon expliquent l’appellation traditionnelle de « ­mycénienne » pour caractériser l’époque située entre 1600 et 1100 et dont l’apogée se situe entre 1450 et 1180. Si la civilisation minoenne est avant tout centrée sur l’île de Crète, le modèle culturel et politique mycénien s’épanouit non seulement sur les territoires précédemment occupés par les Crétois (comme les archipels des Cyclades et du Dodécanèse) mais aussi en Grèce continentale où quelque 400 sites mycéniens, pour la plupart simples bourgades, ont été localisés. Deux régions connaissent un essor spectaculaire, l’Argolide (autour de Mycènes) et la Messénie (autour de Pylos). On a retrouvé sur ces sites une céramique identique, de grandes sépultures et, sur certains d’entre eux, un système palatial complexe, déjà observé en Crète. Cependant, l’importance accrue de la guerre constitue une différence avec le monde minoen. Derrière l’uniformité culturelle et matérielle des sites mycéniens se développent une multitude de micro-états sur lesquels Mycènes n’a jamais eu d’autorité suprême. De nombreuses informations ont été livrées par des tablettes ­ ’argile inscrites en alphabet dit « linéaire B », que l’on a retrouvées d en masse sur les sites de Mycènes, au nord-est du Péloponnèse, mais aussi de Pylos, de Tirynthe, de Thèbes et de Knossos. Les ruines du palais crétois recèlent en effet la plus ancienne tablette, datée de 1400. Initialement en brique crue sur laquelle les comptables retranscrivent au stylet les activités du palais, ces tablettes ont été cuites accidentellement au cours de divers incendies qui ont frappé les sites. Les données conservées concernent ainsi l’année précédant leur combustion. En 1953, le déchiffrement de ces tablettes en linéaire B a dévoilé les arcanes de la bureaucratie des palais, sa hiérarchie et le contrôle des productions. En revanche, la trame événementielle de cette époque mycénienne nous échappe encore, faute de sources.

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2 Mycènes « riche en or »

Le déchiffrement des tablettes en linéaire B Entre 1952 et 1956, l’architecte M. Ventris et le philologue J. Chadwick, ancien em‑ ployé des services secrets de la marine britannique, collaborent afin de déchiffrer l’écri‑ ture des Mycéniens et proposent une traduction du système graphique du linéaire B.

Une tablette en linéaire B trouvée à Knossos.

I. Tombes et palais 1. Les grandes sépultures Les marqueurs les plus anciens de la civilisation mycénienne ne sont pas les citadelles et les palais : ce sont les grandes tombes collectives, comme celles dégagées à Mycènes par H. Schliemann, en 1876, puis par des archéologues grecs, I. Papadimitriou et G. Mylonas, en 1952. Les deux cercles de tombes à fosses, dits Cercle A (datant de 1600‑1500) et Cercle B (datant de 1650‑1550) précèdent ainsi de plusieurs siècles l’érection du palais de Mycènes (1450) et de son mur d’enceinte (1300). Ces tombes, cavités rectangulaires creusées dans la roche, sont incluses dans un grand tertre circulaire, un tumulus, ceint d’une rangée de pierres destinées à éviter les glissements. Ce type d’inhumation était inconnu du monde crétois et cycladique et ce sont de véritables trésors que les archéologues découvrent lors de leurs fouilles. On parle ainsi d’un « art des tombes à fosse », différent de l’art crétois qui s’est épanoui sur les fresques palatiales. L’inventaire de ces tombes témoigne de la richesse et du pouvoir des défunts, ainsi que de leur position élevée dans la société : on a affaire à une véritable aristocratie. Par exemple, dans la tombe IV du cercle A, trois hommes et deux femmes ont été inhumés. À leur côté sont entreposés pas moins de deux couronnes, huit diadèmes, trois masques en or, cinq vases en or, onze vases en argent et vingt-deux vases en bronze. Mais aussi de multiples épées et poignards, des bagues en or et en argent, ainsi que mille perles d’ambre. Au total, la seule tombe IV du cercle A recèle sept kilos d’or. Mycènes est bien une civilisation « riche en or », comme le chantait Homère. La spécificité du matériel de Mycènes réside dans les masques funéraires en or et les stèles sculptées, figurant des motifs guerriers ou animaliers, des éléments que l’on ne 31

Partie 1 Le monde égéen du bronze au fer

retrouve pas dans les autres tombes, comme celles de Pylos. Globalement, une grande partie des artéfacts funéraires exalte les valeurs guerrières des élites défuntes, que ce soit les stèles ou les poignards ouvragés.

Scène de combat, empreinte d’un cachet mycénien.

Outre ces tombes à accès vertical, l’originalité de l’architecture funéraire mycénienne s’illustre par l’édification de grandes tombes monumentales, dites tombes à chambres ou à tholos, à accès horizontal. Les premières tombes de ce type sont creusées dans la région de Pylos, dans le Péloponnèse, et sont aménagées à flanc de colline. Elles comportent un couloir d’accès (un dromos) et une entrée avec une porte. Ces tombes à chambre témoignent de l’importance des usages funéraires pour distinguer socialement les familles. À Mycènes, la tombe à tholos désignée comme le « Trésor d’Atrée » est ainsi particulièrement imposante, même si son contenu a disparu car elle a été pillée dès l’Antiquité.

Masque funéraire en or dit « masque d’Agamemnon » (Musée National Archéologique, Athènes).

L’entrée du « Trésor d’Atrée » (Mycènes).

Mycènes et les Atrides Sur le site de Mycènes, l’archéologue allemand H. Schliemann a donné à certaines tombes et à leur trésor des noms puisés dans les récits homériques, pensant avoir découvert le royaume des « Atrides ». Atrée est le père d’Agamemnon, qui est le roi de Mycènes dans l’Iliade. Clytemnestre est l’épouse d’Agamemnon et Égisthe est l’amant de la reine. Ainsi, un télégramme daté de 1876 et envoyé par H. Schliemann au roi de Grèce contient les mots suivants : « J’ai découvert les sépulcres ­d’Agamemnon, de Cassandre, d’Eurymédon et de leurs camarades, tous tués, pendant le repas, par Clytemnestre et son amant Égisthe ».

2. L’essor des palais mycéniens ■■ Un

modèle, plusieurs palais L’ère mycénienne atteint son apogée entre 1450 et 1180. Au cours de cette période, plusieurs grands palais voient le jour, sur les sites de Mycènes, mais aussi de Pylos ou de Tirynthe. Les marqueurs du pouvoir ne sont plus

32

2 Mycènes « riche en or »

exclusivement les grandes tombes de l’époque précédente et on observe une baisse de la construction des tholoi. Parmi les sites mycéniens, Mycènes et Tirynthe (Argolide), Pylos (Messénie), Orchomène (Béotie), Iolcos (Thessalie), Athènes (Attique) peuvent être qualifiés précisément de « palais » à la tête d’un royaume. On peut définir le palais mycénien selon les termes de J. ­Zurbach  : « au sens premier, un bâtiment ou un ensemble de bâtiments servant de résidence au souverain et à ceux qui lui sont rattachés, d’entrepôt, de caserne, de centre de gouvernement et de gestion. C’est aussi une institution, dotée de fonctionnaires et de prérogatives politiques, administratives, économiques ». Concernant les sites de Gla ou d’Argos, on en fait davantage des « citadelles » mycéniennes, c’est-à-dire des sites de moindre importance que les palais. Les royaumes mycéniens

Épire

Iolcos Thessalie

Thermon

Phocide

Étolie Gol fe d e

Teichos Dymaion

Cor

inth e

Eutresis

ie upl Na de lfe Go

Pylos

Attique Athènes

Tirynthe Argolide

Argos

Messénie

Thèbes

Salamine

Mycènes

Mer Ionienne

Mer Égée

Gla

Béotie

Aigeira Élide

Eubée

Orchomène

Menelaion Laconie

Cyclades

Mer de Myrto

Mer Méditerranée

Cythère Royaumes mycéniens Palais mycéniens

0

50 km

Citadelle ou site important Autre site

d’après C. d’Ercole et J. Zurbach, Naissance de la Grèce, Paris, 2019, p.145.

33

Partie 1 Le monde égéen du bronze au fer

■■ Architecture

Voir ci-contre.

et territoires des palais Si les palais crétois se distinguaient par la présence de polythyra, les palais mycéniens s’organisent autour d’un megaron, à savoir une pièce centrale où cohabitent trois espaces. Un porche à deux colonnes précède un vestibule qui débouche sur un espace de forme carrée, la salle du trône. Au centre, un grand foyer circulaire est entouré de quatre colonnes et le trône se trouve à droite de l’entrée. Outre le megaron, les palais mycéniens sont composés des quartiers d’habitations, d’espaces de stockage et d’archives, ainsi que d’ateliers et de pièces dédiées aux cultes.

Un mur dit « cyclopéen » est composé de gros blocs non travaillés et calés par de petites pierres.

Le palais cumule ainsi un rôle politique, religieux et économique. Comme le suggère déjà l’étude des armes funéraires, le palais mycénien a aussi un rôle militaire. En ceci, il diffère des palais minoens et cette fonction justifie l’érection de citadelles bâties sur des acropoles, puis fortifiées à l’aide de murs dits « cyclopéens » et comportant des espaces de refuge, des bastions et des tours. Les tablettes elles-mêmes confortent l’aspect militaire de la société mycénienne : la quasi-moitié des idéogrammes est dévolue à la gestion des armes et des chevaux, aux chars, aux armures et aux pointes de flèches.

Mur cyclopéen (Tirynthe).

Si l’Iliade d’Homère présente Agamemnon, roi de Mycènes, comme une figure ayant autorité sur les autres chefs de guerre, il ne faut pas se méprendre sur les rapports entre les différents centres mycéniens historiques. Mycènes n’a jamais dominé l’ensemble des autres palais. Certes, les vestiges de Mycènes prouvent que le site était particulièrement impressionnant, mais le site de Tirynthe c­ omporte aussi des remparts massifs et l’éclat des ivoires et de l’orfèvrerie de Thèbes n’a rien à envier à celui de Mycènes. Quant aux tablettes de Pylos ou de Knossos, elles n’évoquent jamais Mycènes. En revanche, ces mêmes tablettes présentent le territoire sous le contrôle de Pylos : le royaume est divisé en deux provinces, la « proche » et la « lointaine », qui comporte respectivement neuf et sept districts. 34

2 Mycènes « riche en or »

Plan de Pylos (Messénie)

Au centre du palais, on distingue le megaron.

■■ La

Crète mycénienne Vers 1450, des guerriers venus du continent accostent en Crète et s’emparent du palais de Knossos. Datées d’avant 1400, les tablettes en linéaire B retrouvées dans la « salle des tablettes aux chars » prouvent que les Mycéniens sont déjà présents avant la destruction du palais de Knossos en 1380 et qu’ils fournissent une partie de l’élite palatiale. Le complexe est cependant vite reconstruit, avec le remaniement notable de la salle du trône selon les critères architecturaux mycéniens : on y ajoute un foyer central et on déplace le trône à droite de ­l’entrée. Cœur de la civilisation minoenne précédente, la Crète est désormais intégrée 35

Partie 1 Le monde égéen du bronze au fer

à l’aire d’influence mycénienne, jusqu’en 1200 où le palais de Knossos est ­abandonné. L’aristocratie mycénienne importe ses pratiques funéraires. Dans les environs de Knossos, on a ainsi dégagé des tombes à chambre de guerriers reprenant la tradition continentale, avec armes, vases, bijoux et sceaux. La question se pose encore de savoir si ces Mycéniens qui arrivent en Crète en 1450 ont déjà élaboré sur le continent leurs systèmes d’écriture, de ­gouvernement et d’administration ou s’ils les ont créés sur place afin de gérer le territoire conquis. Les tablettes de Knossos mentionnent dans tous les cas les régions crétoises désormais soumises au contrôle du palais créto-mycénien : la région de Malia, le plateau de Lassithi, et, à l’ouest, la région de La Canée. Les palais proprement dits de Phaistos, de Zakros et de Malia sont abandonnés.

II. Les sociétés mycéniennes 1. La hiérarchie sociale du monde des tablettes Le déchiffrement des tablettes en linéaire B, dont la majorité provient de Knossos (3 500 fragments), de Pylos (environ 900 tablettes), de Mycènes, de Tirynthe, de Thèbes et de La Canée, a révélé une série de renseignements archivistiques, mais non datés, inventoriant les biens du palais et les productions diverses, ainsi que les acteurs impliqués dans l’organisation et l’économie des territoires. Cependant, le tableau de la société mycénienne demeure incomplet car tout ce qui n’est pas sous le contrôle des palais échappe pour l’instant aux historiens. D’après les tablettes : –– au sommet de la hiérarchie, un souverain, nommé wa-na-ka (wanax), a autorité sur un secteur peuplé d’artisans et de fonctionnaires palatiaux. Ce souverain possède des terres désignées par le terme téménos. Il est à noter que nous ne possédons actuellement aucun nom d’un souverain mycénien. Deux théories coexistent aujourd’hui. L’une soutient qu’il y avait un roi à la tête de chaque royaume (ainsi un roi de Pylos, un roi de Knossos, un roi de Thèbes). L’autre théorie insiste sur l’existence d’un grand royaume mycénien et d’un wanax unique ; –– une autre figure récurrente, le ra-wa-ke-ta (lawagetas ou « ­conducteur du laos ») possède aussi des terres appelées téménos. Le lawagetas cumulerait des fonctions militaires et religieuses, difficiles à cerner précisément, et pourrait avoir autorité, avec le roi, sur la classe des guerriers ; –– ces deux premiers personnages du royaume donnent leur nom à des « gens du roi » (wa-na-ka-te-ro) et à des « gens du lawagetas » (­ra-wa-ke-si-jo), le plus souvent des artisans à leur service direct (­foulons, armuriers, potiers mais aussi bergers), rétribués soit en nature 36

2 Mycènes « riche en or »

(en rations alimentaires), soit en terres. Par exemple, dans les comptes de Pylos, des ouvrières palatiales, peut-être des esclaves, désignées par des noms féminins ethniques (les « Lemniennes » et les « Milésiennes »), reçoivent, avec leurs enfants, des rations de blé et de figues ; –– des préfets et des sous-préfets occupent la tête de districts, tandis que le damakoro, désigné par le wanax, pourrait étendre son autorité sur une province, comme l’une des deux régions constituant le territoire de Pylos ; –– parmi les élites influentes de la société mycénienne, on compte encore des collecteurs, des dignitaires religieux, des suivants du roi et des chefs locaux importants, les qa-si-re-we. Le terme qa-si-re-u a donné le terme grec basileus, « roi », même si dans les tablettes mycéniennes le qa-si-re-u est un person­nage dont le rang est nettement moins élevé que le souverain ; –– un conseil d’anciens, désigné par le terme geronsiai, apparaît aussi dans les tablettes ; –– les scribes forment un groupe à part et ont les capacités techniques pour retranscrire les inventaires et les registres fonciers sur tablettes, des documents qui servent à gérer les prélèvements opérés par le palais ; –– le « damos » est une autre grande structure institutionnelle des royaumes mycéniens. Le terme renvoie à la communauté rurale, ou comme le résume J. Zurbach, « une entité locale autonome douée de certains pouvoirs juridiques, soumise à certaines obligations et marquée sans doute par une hiérarchie sociale interne ». Le damos est avant tout une entité administrative locale à vocation agricole. Il possède des terres cultivables et gère un cheptel confié à du personnel lui appartenant, des bouviers. Certes palatiales, les sociétés mycéniennes sont en effet des sociétés rurales très organisées.

2. Des sociétés rurales : l’exemple de Pylos L’estimation démographique du territoire sous le contrôle de Pylos est de 50 000 personnes ; il s’agit d’une formation territoriale prospère et ­organisée. L’étude de la structure foncière des royaumes mycéniens dépend avant tout de la documentation fournie par ce royaume de Pylos, en particulier le ­district dit de Pa-ki-ja-ne. Quelque 200 tablettes de Pylos donnent ainsi accès à des informations précises sur la gestion des terres. On y apprend le nom, le métier ou le statut du détenteur du lopin ; le nom, le métier ou le statut du particulier ou de l’institution qui a alloué la terre ; et la superficie des terrains concernés. Le palais de Pylos semble avoir joué un rôle important de garant de la régularité des relations foncières entre les différents membres de la communauté. Les scribes enregistrent non seulement les parcelles avec leur superficie et leur détenteur, notamment à des fins fiscales, mais ils notent aussi les conflits qui peuvent surgir autour des terres. Ainsi une tablette contient-elle les traces d’un différend entre une prêtresse et la communauté rurale : 37

Partie 1 Le monde égéen du bronze au fer

« E-ri-ta, la prêtresse, détient (la superficie suivante), et elle prétend la détenir comme e-to-ni-jo pour la divinité ; la communauté de son côté affirme qu’elle la détient comme une tenure en o-na-to sur des terres ke-ke-me-na : (superficie équivalant à) telle quantité de semence : 374,4 litres » (PY Ep 704.5‑6). D’après l’étude des tablettes de Pylos, il existe deux sortes de terres : –– des lots dits kekemena kotona qui correspondent à des terres allouées à des individus par la communauté rurale, cette dernière ayant une vraie personnalité juridique. Par exemple, la tablette PY Eb 915 [+] Eb 1348 rapporte que « Ko-so-ma-to, esclave de la divinité, détient en o-na-to une [parcelle] ke-ke-me-na de la part du damos (pour une superficie équivalant à) [telle quantité de semence : 9,6 litres] » ; –– des parcelles dites kotona kitimena, détenues par des « te-re-ta » (­telestai), ce dernier terme ayant une valeur autant sociale que foncière. Il pourrait s’agir de terres faisant l’objet d’une appropriation personnelle. Outre des types de terres, il existe aussi différents types de tenure, c’est-àdire d’occupation du terrain. Des individus pouvaient posséder en « o-na-to » les parcelles, c’est-à-dire en avoir l’usufruit, jouir des revenus qu’elles prodiguent mais sans être propriétaires. Un autre type de tenure, « l’e-to-ni-jo », semble avoir été plus avantageux, probablement dégagé de certaines obligations, voire renvoyant à une de forme de propriété complète. La complexité du régime foncier de Pylos et les difficultés liées à la traduction des termes expliquent finalement la coexistence de plusieurs interprétations. Les spécialistes ne s’accordent pas sur l’opposition entre « kekemena » et « kitimena ». Si certains voient dans ces expressions des formules juridiques concernant les formes de la possession foncière (« publique » et « privée »), d’autres y reconnaissent des expressions techniques décrivant l’usage agricole des terrains, à savoir « cultivés » (kitimena) ou « en jachère » (kekemena). D’autres enfin y décèlent une opposition entre terres « habitées » (kitimena) et terres « abandonnées » (kekemena).

3. Économie, échanges et productions ■■ Les

circuits commerciaux Les Mycéniens se sont insérés dans les circuits commerciaux de la Méditerranée afin d’exporter leurs productions et d’importer les matières premières nécessaires à la fabrication des objets de prestige commandés par l’élite de la société. Mycènes exporte par exemple du kyanos (une pâte de verre utilisée par les joailliers et les armuriers), Pylos des objets en bronze et du lin, Knossos de la laine. Il est possible que la destruction de l’île Théra, l’actuelle Santorin, suite à une éruption volcanique, ait permis aux Mycéniens de rejoindre l’espace économique contrôlé jusqu’alors par les Minoens et les habitants des Cyclades.

38

2 Mycènes « riche en or »

La présence mycénienne est attestée par la découverte de céramiques typiques aux motifs qui peuvent emprunter aux Crétois (poulpes et nautiles) mais aux lignes davantage géométriques. C’est le cas à Chypre, à Ugarit (Syrie), à Byblos et à Sidon (Liban) ou encore à El Amarna (Égypte).

Rhyton de style mycénien trouvé dans le port d’Ugarit (Louvre, Paris).

Jarre à étrier, 1200‑1100 (MET, New-York).

De nombreux échanges sont en effet attestés entre les Mycéniens et les régions d’Égypte, du Proche-Orient ou encore de l’Anatolie. Dans la tombe IV fouillée à Mycènes, un vase en argent en forme de cerf confirme l’existence de contacts avec les Hittites. Quant à la tombe Rho du cercle B, c’est l’influence syrienne qui est décelable. Des plaques de faïence rectangulaires portant le nom du pharaon Aménophis III, trouvées à Mycènes, témoignent encore des échanges avec l’Égypte, tout comme les œufs ­d’autruche. En Crète, un cartouche de Thouthmosis III, découvert à Katsambas, et deux scarabées d’Aménophis III, trouvés à Knossos et La Canée, confirment ces relations. L’archéologie sous-marine, par la fouille des épaves, permet d’affiner la nature des échanges. Par exemple, le bateau échoué sur la côte sud de ­l’Anatolie, à Ulu Burun, provient probablement du Proche-Orient. L’épave date de 1300 et a livré des stocks de cuivre, de bronze, d’étain et d’ivoire, ainsi que des vases syriens, chypriotes et mycéniens. Le commerce du cuivre et de l’étain est le moteur essentiel des échanges : c’est surtout l’île de Chypre qui produit le cuivre, tandis que l’étain provient d’Afghanistan et d’Europe atlantique. Ils sont convoyés jusqu’en Grèce continentale par l’intermédiaire des îles méditerranéennes et des ports syriens. Quant à l’ivoire, il provient d’Afrique ou d’Asie.

Voir la carte de la Méditerranée mycénienne dans l’atlas final.

Les contacts ont aussi été nombreux entre les Mycéniens et la ­Méditerranée occidentale, grâce à deux voies maritimes importantes, l’une partant de Cythère et l’autre de Corinthe, et rejoignant la mer tyrrhénienne, plus précisément les îles éoliennes (Lipari) et le golfe de Naples (île de Vivara). On a ainsi retrouvé de la céramique mycénienne sur plusieurs sites italiens et siciliens. 39

Partie 1 Le monde égéen du bronze au fer

■■ Les

productions locales Parmi les secteurs de production locale, le textile est particulièrement bien renseigné sur les tablettes de Knossos. Le décompte des moutons à laine atteint les 100 000 têtes de bétail, réparties dans les différentes régions de Crète. Outre les bêtes, les tablettes mentionnent les collecteurs, les bergers, les ouvrières et les fermiers et donnent des indications chiffrées sur le nombre de pièces de tissu produites. L’élevage et la production textile sont aussi mentionnés dans les tablettes de Mycènes et de Pylos. Dans ce dernier palais, le dynamisme du secteur métallurgique se traduit par la mention de 400 forgerons, recensés dans les ateliers et les localités voisines.

Dague mycénienne (Musée National Archéologique, Athènes).

D’autres produits apparaissent dans les tablettes, comme le lin, nécessaire à la fabrication des voiles, le térébinthe, un arbuste utilisé dans la fabrication d’huile parfumée, ou encore le bois, pour les navires et les chars. Il ressort ainsi de ces sources une organisation administrative et fiscale rigoureuse. Un système de prélèvements perçus en nature (animaux, grains, peaux de bêtes, fromage) est appliqué aux différents produits ; le tout est contrôlé grâce à l’application de sceaux. Comme on l’a vu, les prélèvements opérés par les palais, en fonction des superficies des parcelles, s’appuient sur les cadastres élaborés par les scribes.

4. La religion mycénienne Les tablettes mycéniennes évoquent de nombreuses divinités que l’on retrouve dans les cultes postérieurs de la religion grecque : Zeus, Héra, Poséidon, ­Dionysos, Hermès, Artémis, Arès, Ilithyie (déesse de l’accouchement) et les Érinyes (déesses de la vengeance). Plus originales, les versions féminines de Zeus et de Poséidon, à savoir Diwia et Posidaia, sont aussi présentes dans les tablettes. Il demeure cependant difficile de savoir à quelles divinités sont consacrés les sanctuaires. Les tablettes nous renseignent en revanche sur les différentes offrandes faites au nom du palais, à savoir l’huile parfumée, les grains, le miel, les épices ou encore des pièces de tissu. Des fêtes ont été identifiées, ainsi la fête du vin nouveau, la fête du trône ou les Théophoria. 40

2 Mycènes « riche en or »

D’après les tablettes mycéniennes, l’encadrement des rituels est assuré par des prêtres et des prêtresses. On trouve la mention d’un hieroworgos (prêtre sacrificiel), d’un sphageus (sacrificateur), de gardiens du feu mais aussi d’une prêtresse « porteuse de clé » (district de Pa-ki-ja-ne, à Pylos). Il existe en outre des « esclaves de la divinité », toujours à Pylos, qui sont rattachés à la Potnia, qui signifie « maîtresse », une divinité sans nom précis attestée aussi dans les documents cnossiens. Plusieurs éléments matériels indiquent une utilisation religieuse des megara. Ainsi, sur le site de Tirynthe, un autel a été mis à jour, situé dans la cour à portique devant le megaron. À Mycènes, ce sont les fragments d’un autel, une table d’offrandes et une bassine-alabastre fichée dans le sol, dans le porche du megaron, qui nous renseignent sur l’organisation des rites. Enfin, à Pylos, des tables d’offrandes ainsi qu’un système de dépressions circulaires dans le sol, situées près du trône et utilisées pour les libations, indiquent là encore la présence de rites religieux dans le megaron.

Triade mycénienne, terre cuite, xiiie siècle (Louvre, Paris).

Quelques sanctuaires ont été fouillés (à Tirynthe, à Kéos ou à Mycènes) et on peut aujourd’hui parler de « fragments d’économie sacrée », c’est-à-dire des traces d’activités économiques menées au nom d’un temple ou d’un dieu. Ces temples possèdent vraisemblablement des terres et des revenus autonomes, mais il existe une subordination administrative du temple au palais.

III. Vers la fin du monde mycénien Vers 1200, le système palatial mycénien disparaît, dans un contexte g­ énéral de troubles en Méditerranée orientale. En effet, au même moment, on note la naissance de conflits entre les Hittites et l’Égypte. Dans le Levant, les incursions des « Peuples de la Mer » se font plus nombreuses. De grandes villes, comme Hattusa (royaume hittite) ou Ugarit, sont détruites. C’est finalement tout un système commercial centralisé, caractéristique de l’âge du bronze, qui disparaît. Plus localement, on a pu imputer l’effondrement des palais à divers cataclysmes naturels (séismes, sécheresses, épidémies ou inondations). La rigidité bureaucratique a aussi été incriminée, ainsi que le système politique et économique trop centralisé, qui se serait montré incapable de s’adapter aux tensions internes.

Voir la carte de la Méditerranée mycénienne dans l’atlas final.

Dans les inscriptions égyptiennes, les Peuples de la Mer sont des envahisseurs venant des rives de la Méditerranée.

Cependant, les palais mycéniens ne sont pas fragilisés tous au même moment et le déclin est long et progressif. Si de puissants séismes ravagent les sites de Mycènes et de Tirynthe vers le milieu du xiii e  siècle, le site de Pylos est vraisemblablement détruit dès 1300. Mycènes traverse une ­deuxième phase critique à la fin du xiiie siècle et le site d’Iria (côte sud de ­l’Argolide) est atteint, lui, au début du xiie. Un point commun relie ces sites, 41

Partie 1 Le monde égéen du bronze au fer

Plan de Tirynthe (milieu du xiiie siècle) A. Porte B. Poternes C. Megaron D. Cour intérieure E. Cour extérieure F. Propylées G. Casemates

La porte des Lionnes (Mycènes).

à savoir le renforcement des fortifications et leur remaniement constant, signe d’une menace extérieure pouvant relever de rivalités entre les différents États mycéniens ou de dangers plus lointains. Ainsi, la citadelle de Mycènes est-elle consolidée afin de sécuriser l’accès à la fontaine souterraine. À Tirynthe, la citadelle basse est remaniée à l’aide de murs cyclopéens protégeant les citernes. À Athènes, l’Acropole est aussi fortifiée et reliée à un point d’eau souterrain. En Crète, on ne décèle pas de destructions généralisées mais un abandon des sites, comme celui de Malia, et la disparition de l’écriture en linéaire B.

42

2 Mycènes « riche en or »

À retenir nnLa civilisation mycénienne est une civilisation palatiale mais les premiers

­marqueurs sont les grandes tombes monumentales.

nnLa guerre et les tensions semblent plus présentes que dans la civilisation ­minoenne,

en témoignent les forteresses et les artéfacts funéraires.

nnLes territoires mycéniens sont fortement hiérarchisés et l’organisation rurale peut

être étudiée grâce aux tablettes de Pylos, en Messénie.

nnLa religion mycénienne évoque des divinités connues des âges postérieurs, comme

Zeus ou Héra.

nnLes palais mycéniens ont connu des échanges intenses avec la Méditerranée orien‑

tale et occidentale ; ils disparaissent au moment d’une déstabilisation g­ énérale de la Méditerranée orientale.

LES DATES ESSENTIELLES 1650/1550 : tombes du Cercle B de Mycènes 1600/1500 : tombes du Cercle A de Mycènes Vers 1450 : premiers documents en linéaire B à Knossos (Crète) 1450/1325 : construction des palais de Tirynthe, de Mycènes, de Pylos et de Thèbes Vers 1380 : destruction du palais de Knossos 1375/1325 : réaménagement du palais de Knossos Vers 1300 : fortification de Mycènes Vers 1300 : épave d’Ulu Burun Vers 1250 : renforcement des remparts des citadelles de Mycènes et de Tirynthe Vers 1200 : destruction des grands centres mycéniens Vers 1200 : destruction d’Ugarit (Syrie) et d’Hattusa (royaume hittite)

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Partie 1 Le monde égéen du bronze au fer

BIBLIOGRAPHIE E. Cline (dir.), The Oxford Handbook of the Bronze Age Aegean (ca.  3000‑ 1000 BC), Oxford, 2010. B. Le Guen (dir.), M. C. D’Ercole et J. Zurbach, Naissance de la Grèce. De Minos à Solon, Paris, 2019. « Les Mycéniens. Des Grecs du IIe millénaire », Dossiers d’archéologie, 195, juillet/août 1994. J.-C. Poursat, La Grèce préclassique. Des origines à la fin du vie siècle, Paris, 1995. J.-C. Poursat et al. (éd.), Les civilisations égéennes du Néolithique et de l’Âge du bronze, Paris, 2008. J.-C. Poursat, L’art égéen. Tome 2 : Mycènes et l’art mycénien, Paris, 2008. C.  Shelmerdine (éd.), The Greek Companion to The Aegean Bronze Age, ­Cambridge, 2010. J.  Zurbach, Les hommes, la terre et la dette en Grèce c. 1400-c.  500 a.C., ­Bordeaux, 2017.

44

CHAPITRE

3

PLAN DU CHAPITRE I. Débats autour des siècles obscurs II. Le monde homérique : guerre et société

Vers l’archaïsme Le monde grec des xiie-viiie siècles Au début des années 1970, deux ouvrages anglo-saxons ont proposé l’étude de la période située entre la fin du xiiie et le début du viiie siècle ; il en ressortait le constat d’une civilisation grecque en déclin, après l’éclat des siècles mycéniens. C’est à ces deux ­monographies, The Dark Age of Greece d’A. Snodgrass (1971) et The Greek Dark Ages de V. ­Desborough (1972), que l’on doit ­l’appellation de « siècles ­obscurs ». S’il est vrai que le monde grec connaît une ­certaine régression, les historiens et les archéologues sont aujourd’hui plus ­optimistes sur cette époque et ses atouts. C’est de la fin de cette période que datent les poèmes homériques, une œuvre essentielle de la culture grecque antique qui dépeint une société guerrière et aristocratique, entre ­histoire et légende.

I. Débats autour des siècles obscurs 1. Un déclin généralisé ? Plusieurs éléments confirment la thèse d’une certaine régression sociale, économique et culturelle. Malgré le manque cruel de documentation concernant ces quatre siècles, il en ressort que la production de céramique chute et que l’écriture disparaît, ce linéraire B qui a servi à établir les comptes minutieux des palais mycéniens désormais évanouis. On note aussi la raréfaction des bâtiments en pierre, exception faite de la région crétoise. Signe de l’évolution et de la simplification des techniques funéraires, les grandes tombes collectives des siècles précédents laissent place à de petites tombes individuelles. Corrélativement, la démographie enregistre une baisse significative : des régions, comme la Laconie et la Messénie, se dépeuplent.

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Partie 1 Le monde égéen du bronze au fer

Sur les échanges du monde mycénien, voir p. 38.

A. Schnapp-Gourbeillon, Aux origines de la Grèce, xiii e-viii e siècles avant notre ère. La Genèse du politique, Paris, 2002.

La tradition antique relie ces déplacements de populations au « retour des Héraclides », voir p. 12 et p. 224.

Statuette d’un centaure, trouvée dans la nécropole de Lefkandi (Musée Archéologique, Érétrie).

La pratique de l’agriculture régresse, pour laisser place à l’élevage. Dans certaines régions, comme celle de Nichoria en Messénie, l’étude des pollens a démontré que la culture des oliviers a été abandonnée pendant trois siècles. Un des marqueurs de la chute des transactions commerciales est la disparition temporaire du bronze, dont les composantes doivent être importées. Comme on l’a vu, à l’époque mycénienne, l’étain provient d’Iran et le cuivre majoritairement de Chypre. Suite au tarissement des échanges, le fer, qui ne demande pas d’alliage, se répand et supplante le bronze qui connaît un renouveau au viiie siècle. Pour la période 1050‑800, on parle ainsi d’« âge du fer ».

2. Des régions encore prospères et dynamiques Dans un ouvrage daté de 2002, A. Schnapp a fait le point sur l’étude de ces siècles obscurs depuis la parution des ouvrages de Snodgrass et de Desborough. Grâce aux découvertes archéologiques, il est désormais admis que la période située entre le xiie et le viiie siècle n’est pas celle d’un effondrement généralisé du monde grec. Malgré la chute des palais, la civilisation mycénienne perdure encore au moins un siècle. En outre, des régions restent prospères, comme l’Attique, la presqu’île d’Eubée ou l’Asie mineure, des territoires qui demeurent ouverts sur la Méditerranée. Des mouvements migratoires marquent le début de la période, notamment vers le Péloponnèse et l’Asie Mineure. Certes les grandes tombes, symboles de l’éclat mycénien, ne sont plus aussi nombreuses. Mais en 1981, à Lefkandi, dans la région eubéenne, les archéo­ logues mettent à jour un bâtiment de 50 mètres de long, composé d’une base de pierres, de murs en brique crue et de colonnades de bois, le tout revêtu d’un toit. Cet édifice abrite une sépulture grandiose, datée de la fin du xe siècle et décomposée en plusieurs secteurs. Quatre cadavres de chevaux reposent dans une des fosses. Au sud de celle-ci, une double-fosse abrite le squelette d’une femme inhumée et une amphore contenant les restes d’un homme incinéré, probablement un chef de la communauté (un basileus). Les deux individus ont été enterrés avec de nombreux objets : des bijoux en or, une épée et un couteau en fer. Les fouilles de la ville elle-même révèlent un dynamisme ­certain, notamment la mise à jour du cimetière attenant à la grande tombe principale. En effet, à côté de celle-ci, un ensemble de sépultures s’ajoute pendant deux siècles. Elles contiennent aussi des bijoux en or témoignant de relations avec Chypre et le Levant. Les richesses de Lefkandi tranchent ainsi nettement avec les hypothèses pessimistes de Snodgrass. Par ailleurs, la réduction générale du nombre de tombes pendant le haut archaïsme (ixe-viiie siècles) ne serait pas, selon I. Morris, une preuve de la chute démographique. Il envisage que seuls certains groupes privilégiés et aristocratiques aient eu droit à des sépultures formelles, contrairement aux défunts modestes de la communauté.

46

3 Vers l’archaïsme. Le monde grec des xiie-viiie siècles

Le basileus de l’âge du fer Les sociétés de l’âge du fer sont organisées en petites communautés villageoises où une famille dirigeante émerge, celle du roi-chef-basileus. D’après les fouilles, la ­maison du chef se distingue nettement des autres habitations par sa taille et son agencement, comme l’attestent les vestiges de Nichoria (Messénie) ou de Lefkandi (Eubée). Selon certains archéologues, la résidence du basileus servait à la fois de lieu d’habitation mais aussi de lieu de culte. Le basileus et sa famille auraient ainsi concentré les pou‑ voirs politiques et religieux dans les communautés réduites de l’âge du fer. À partir du viiie siècle, lorsque les royautés sont abolies et que la cité-État se met en place, les lieux de culte ne sont plus ces maisons de chefs, mais des temples édifiés à part.

Fosse sud de l’édifice de Toumba (à droite la femme inhumée, à gauche l’amphore contenant les restes de l’homme incinéré).

La nécropole de Toumba (Lefkandi).

47

Partie 1 Le monde égéen du bronze au fer

Autre exemple de région dynamique dans cette période post-mycénienne, Athènes et l’Attique où l’agriculture se maintient et la production d’une nouvelle céramique se développe, dite protogéométrique. Appelé ainsi afin de le distinguer de l’art « géométrique » et plus élaboré des siècles suivants, le protogéométrique est marqué par une technique non-figurative, employant losanges, carrés, cercles et lignes. Caractéristiques de ce renouveau artisanal, le compas, la brosse multiple et des tours de potier plus rapides témoignent aussi d’un certain développement technique. Amphore protogéométrique, 950‑900 (British Museum, Londres).

Dates

Correspondance d’après le style céramique attique

1050‑900

Protogéométrique

900‑850

Géométrique ancien

850‑760

Géométrique moyen

On retiendra aussi Tirynthe, dont le palais avait été partiellement détruit à la fin du xiiie et qui connaît un nouvel essor, visible dans l’extension de sa ville basse.

Voir la carte p. 19.

Enfin, malgré l’effondrement de ses palais, la Crète conserve des îlots de prospérité, comme la ville de Karphi fondée au xiie et qui s’épanouit pendant quatre siècles. Karphi figure parmi ces villes-refuges qui témoignent davantage d’un transfert de population que d’une dépopulation pure et simple. Établie en hauteur, sur un piton de plus de 1300 m d’altitude, Karphi a probablement été fondée par des habitants de Malia. Autres marqueurs de dynamisme, de nombreux lieux de culte apparaissent en Crète durant la période postpalatiale, tandis que certains sanctuaires déjà existants sont toujours fréquentés, à l’instar de la caverne de l’Ida, de Psychro ou du site de Kato Symi. Ce grand sanctuaire a en effet fonctionné de l’époque minoenne à l’époque romaine ; les bâtiments qui le composent ont été entretenus et même reconstruits pendant la période des « âges obscurs ».

3. Un nouvel alphabet Entre 800 et 750, un alphabet de 24  lettres employant consonnes et voyelles apparaît. Il s’agit d’un emprunt à l’alphabet phénicien que les Eubéens, particulièrement en contact avec les ­Phéniciens à Chypre et en Syrie, auraient introduit dans le monde grec. 48

Tableau de l’alphabet grec

3 Vers l’archaïsme. Le monde grec des xiie-viiie siècles

Contrairement au linéaire B que seule une poignée de scribes mycéniens maîtrisait, ce nouvel alphabet est désormais à la portée de tous. Les premières attestations de son emploi sont des inscriptions individuelles, comme la coupe de Nestor.

La coupe de Nestor Il s’agit d’une petite coupe rhodienne trouvée dans la tombe d’un enfant de douze ans, sur le site de Pithécusses (golfe de Naples). Datée entre 725  et 700, la coupe comporte l’inscription sui‑ vante : « La coupe de Nestor est c­ ommode pour y boire, mais quiconque boira dans saisi par le cette coupe sera aussitôt ­ ­désir d’Aphrodite à la belle c­ouronne ». Les spécialistes hésitent encore à attri‑ buer la coupe à un propriétaire du nom Coupe de Nestor, 725‑700 de Nestor ou à en faire une allusion au (Musée Archéologique, Pithécusses). personnage homérique, roi de Pylos. Il pourrait s’agir d’une formule magique aux effets aphrodisiaques, la coupe à boire renvoyant au contexte de la sociabilité du banquet. La sépulture de l’enfant comporte par ailleurs de nombreux cratères pour mélanger le vin, vases aussi liés au banquet. Mais l’enfant n’ayant probablement pas encore goûté aux plaisirs de l’amour et du vin, cette offrande est aussi interprétée comme permettant au défunt de devenir un adulte dans l’au-delà. On procède de même avec les petites filles, enterrées parfois avec des vases de mariage, même si elles n’en ont pas encore atteint l’âge.

Au début de son utilisation, le sens de l’écriture est à la fois de gauche à droite et de droite à gauche selon une technique appelée «­boustrophédon». Le débat demeure sur les raisons économiques, administratives et culturelles qui ont poussé les Grecs à élaborer ce nouvel alphabet. Une hypothèse contextuelle est qu’il aurait servi à la mise par écrit de l’un des plus grands poèmes de la civilisation grecque, l’épopée homérique.

II. Le monde homérique : guerre et société 1. Homère et ses poèmes Les deux œuvres monumentales de l’Iliade (plus de 15 000 vers) et de l’Odyssée (environ 12 000 vers) ont très tôt constitué la base de l’éducation littéraire des jeunes Grecs. C’est en effet dans ces deux opus attribués au poète Homère que s’effectue l’apprentissage de la lecture. 49

Partie 1 Le monde égéen du bronze au fer

Un aède récite des poèmes, avec un accompagnement musical.

Homère en aède. Œuvre de Ph. L. Roland, 1812 (Louvre, Paris).

Un rhapsode est un récitant de poème, sans accompagnement musical. « Hipparque importa dans ce pays-ci les épopées d’Homère et il obligea les rhapsodes à les réciter de bout en bout aux Panathénées, en se succédant les uns aux autres, ainsi qu’ils le font aujourd’hui encore » (Platon, Hipparque, 228b). Sur le tyran Hipparque, voir p. 94.

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Homère aurait été un aède aveugle chantant ses vers accompagnés du son de la phorminx (ancêtre de la lyre). On ignore son origine exacte. Peut-être est-il venu de Smyrne, peut-être de Chios ou d’Argos. On n’est guère mieux renseigné sur l’époque précise à laquelle Homère aurait vécu : l’historien Hérodote place Homère vers 850. Quant à Thucydide, il précise simplement que le poète aurait vécu bien longtemps après la guerre de Troie. Des individus appelés les Homérides et qui revendiquent de descendre du poète, ont, eux, calculé qu’Homère aurait composé son œuvre vers 750, au moment où les Grecs adoptent un nouvel alphabet emprunté aux Phéniciens. Il est en effet difficilement envisageable que des poèmes d’une telle ampleur aient pu être transmis par la seule voie orale, mais le débat demeure sur la date exacte de leur mise par écrit. Si lors de leur c­ omposition les poèmes épiques sont destinés à un public restreint de l’élite sociale, à partir de la fin du viiie siècle ils sont désormais déclamés dans de grandes fêtes religieuses et publiques par des rhapsodes. Il faut en revanche attendre le iiie siècle pour que les textes homériques soient compilés et organisés sous la forme que nous connaissons, découpés en « chants ». Ce travail a été accompli par deux grammairiens, Zénodote et ­Aristarque, qui ont séjourné dans la grande bibliothèque d’Alexandrie et ont unifié le texte d’Homère, après avoir réuni et consulté plusieurs versions provenant de diverses cités du monde grec.

L’Iliade et l’Odyssée L’Iliade conte « la colère d’Achille », un des héros grecs, appelés Achéens dans le récit, et qui fait partie de l’expédition lancée par le roi de Mycènes Agamemnon contre la ville de Troie. En effet, Agamemnon entend laver l’honneur de son frère Ménélas dont l’épouse Hélène a été enlevée par le prince troyen Pâris. Lorsque le récit commence, la guerre dure déjà depuis dix ans et les deux héros, Achille et Agamemnon, se dis‑ putent la possession d’une captive de guerre. S’ensuit la description de quelques jours de la guerre de Troie, avec des passages restés célèbres comme les funérailles de Patrocle (chant XXIII), le grand ami d’Achille, ou la mort d’Hector, prince de Troie et dont le corps est outragé par Achille (chant XXII). L’histoire de l’Odyssée est ­centrée sur Ulysse, roi d’Ithaque, qui connaît les plus grandes difficultés pour rentrer dans sa patrie après la fin du conflit entre Achéens et Troyens. Il ne lui faut pas moins de dix ans pour retrouver sa femme Pénélope, son fils Télémaque Pénélope et Télémaque (?) devant le métier à tisser. Dessin et son palais, au terme de péri‑ péties qui l’amènent à voyager d’A. Furtwängler d’après un skyphos attique, 440 (Chiusi).

3 Vers l’archaïsme. Le monde grec des xiie-viiie siècles

dans des contrées lointaines et hostiles où habitent divers groupes d’individus plus ou moins monstrueux, comme les Cyclopes, les Lotophages ou les Lestrygons. En creux, dans ces rencontres avec l’altérité, se dessinent les valeurs et les coutumes du monde grec, l’hospitalité, la commensalité ou la consommation de viandes cuites et de pain. Arrivé enfin à Ithaque, Ulysse doit ruser pour déloger les « prétendants », des notables usurpateurs qui ont tenté, en son absence, de s’emparer du pouvoir et de sa femme, Pénélope. Cette dernière est devenue, dans la culture grecque classique, le modèle héroïque de la femme fidèle, attendant Ulysse nuit et jour, pendant vingt ans.

2. Quelle historicité pour le monde homérique ? ■■ Homère

et les tablettes mycéniennes On a longtemps pensé que les personnages d’Homère évoluaient dans ce qui aurait été l’époque mycénienne. L’archéologue H. Schliemann, lorsqu’il dégage les somptueuses tombes de Mycènes, pense avoir découvert les vestiges du palais d’Agamemnon, de Clytemnestre ou d’Égisthe, héros de l’épopée homérique. Mais après le déchiffrement des tablettes mycéniennes, le doute s’empare des historiens. En 1954, l’helléniste américain M. Finley publie un ouvrage, Le Monde d’Ulysse, qui remet en cause l’adéquation entre les vers d’Homère et les palais mycéniens. Pour Finley, la société homérique n’est pas celle de la civilisation mycénienne mais renvoie à la fin des « âges obscurs ». Les preuves sont nombreuses : des tombes à tholos caractéristiques du monde mycénien, aucune trace dans l’Iliade. Les rites funéraires sont alors différents, mêlant crémation et inhumation. On ne voit, chez Homère, aucun scribe ni aucune bureaucratie palatiale, là encore des éléments distinguant la période mycénienne. De même l’usage du fer, présent dans l’épopée mais peu connu des Mycéniens, confirme la nécessité de distinguer nettement l’époque mycénienne et la société homérique. Pour d’autres historiens, l’organisation de l’armée homérique qui préfigure la phalange hoplitique, la tenue d’assemblées annonciatrices des futurs rassemblements politiques dans les cités naissantes, ou encore la cartographie maritime de l’Odyssée, témoin de la connaissance du monde grec en expansion, tous ces éléments penchent pour une société homérique qui correspondrait en partie à la fin du haut-archaïsme (viiie siècle). Homère serait ainsi le témoin d’un monde en transition.

Voir p. 31.

Voir p. 66.

Globalement, la structure socio-politique de la communauté homérique est beaucoup moins complexe que le système palatial mycénien. L’Iliade et ­l’Odyssée évoquent des rois (des basileis), comme Agamemnon, Ulysse ou Priam, qui possèdent des terres appelées téménos et qui sont assistés d’un conseil d’autres basileis, des aristocrates influents. L’ensemble gouverne un peuple, le dèmos. La maison homérique est un modèle d’autosuffisance et d’autarcie, sise dans une

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Partie 1 Le monde égéen du bronze au fer

plaine ou dans une île, bien loin du palais mycénien et de son économie fondée sur la centralisation. Les échanges ne sont cependant pas absents de la société homérique, qui valorise l’hospitalité et les pratiques de don et de contre-don, ainsi que l’a étudié l’historienne É. Scheid. On trouve dans la société homérique des esclaves et des travailleurs sans terre. Ainsi, dans l’entourage du héros Ulysse, on compte de nombreux esclaves liés à la gestion des troupeaux : Eumée est porcher, Mélanthios est chevrier et Philoitios est bouvier. Dans l’oikos (la maisonnée), des troupes de femmes esclaves sont occupées à la production textile ou à la transformation des grains. Cette population servile est issue soit d’achats individuels de prisonniers de guerres, soit de razzias de groupes féminins. ■■ Homère, la

guerre de Troie et les archives hittites Concernant la ville de Troie, qui a donné son nom au célèbre conflit entre les Achéens et les Troyens rapporté par l’Iliade, l’archéologue H. Schliemann avait d’abord fait un amalgame entre ses lectures d’Homère et ses trouvailles archéologiques sur le site de la colline d’Hissarlik, dans l’actuelle Turquie. Alors qu’il exhume, à partir de 1870, ce qu’il appelle le « Trésor de Priam », il pense avoir découvert la Troie d’Homère et les bijoux d’Hélène dans cet inventaire de quelque huit mille objets en or, en argent et en bronze (boucles d’oreilles, diadèmes, vases, bagues). Cependant, il s’avère que ce « Trésor de Priam » est en fait le témoignage d’une brillante civilisation du Bronze Ancien, établie autour de 2500. Les fouilles menées depuis cent cinquante ans ont permis d’affirmer que Troie a bien existé mais que son site a connu de nombreuses occupations successives pendant près de 3 000 ans : le site d’Hissarlik comprend neuf niveaux de fouilles (on parle ainsi de Troie I, Troie IV ou encore de Troie IX). Selon Hérodote, la guerre de Troie a eu lieu de 1280 à 1270. Selon Thucydide, de 1210 à 1200. Et selon Ératosthène, de 1194 à 1184.

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La guerre de Troie a-t‑elle eu lieu ? Pour les Anciens, c’est un fait établi. Ainsi Thucydide (I, 11) écrit-il : « La guerre de Troie elle-même, la plus célèbre des expéditions d’autrefois, apparaît en réalité inférieure à ce qu’on en a dit et à la renommée qui lui a été faite par les poètes ». Le débat demeure en revanche chez les historiens contemporains et il est intéressant de noter les apports récents au débat. L’archéologue M. O. Korfmann (1942‑2005), en travaillant d’après les archives de Bogazköy/Hattusa, l’ancienne capitale des Hittites, a proposé une thèse inédite sur les rapports entre l’ancienne ville de Troie et les Hittites. Selon l’archéologue, les documents hittites évoquent bien la ville de Troie sous le nom de Wilusa, traduit en grec par Ilias/Ilion, autre nom de Troie. En outre, ces documents contiennent aussi des noms d’individus repris ensuite par Homère. Ainsi un certain Attarsija aurait été un souverain mycénien régnant vers 1400 ; en grec, son nom est traduit par « Atrée », le père d’Agamemnon. Autre exemple de la concordance entre les noms de la documentation hittite et les personnages homériques : le frère du roi des Achéens/Mycéniens (que les Hittites appellent Ahhiyawa), auquel le roi hittite Hattusili II (1265‑1240) écrit, se prénomme Tawaglawa. Ce nom est traduit par les linguistes « Eteokles ». Dans la mythologie grecque, Étéocle est un des fils d’Œdipe et de Jocaste, et on le retrouve chez Homère.

3 Vers l’archaïsme. Le monde grec des xiie-viiie siècles

Selon M. O. Korfmann, l’exploitation de la documentation hittite pourrait considérablement renouveler l’approche de l’histoire de Troie et du degré d’historicité de l’Iliade. Troie aurait bien existé et certains noms de héros grecs ou troyens chantés par Homère ne sont pas le produit de l’imagination du poète mais renvoient à d’anciens personnages historiques. En outre, la source d’eau décrite par Homère dans l’Iliade (XXII, v. 153‑157) correspondrait aux vestiges dégagés par l’équipe de M. O. Korfmann dans le quartier ouest de la ville basse d’Hissarlik. Cette même source était déjà évoquée comme un témoin divin dans un traité signé entre le roi hittite Muwatalli II (1295‑1271) et le roi de Wilusa/Troie, Alaksandu/Alexandre.

Les Hittites ont établi un empire puissant en Asie Mineure entre le xive et le xiie siècle. Leur royaume principal se trouve dans la région du Hatti en Anatolie.

Les royaumes en Méditerranée orientale au xiiie siècle MER NOIRE Kaska Troie Thèbes Mycènes Pylos

Hattusa

Wilusa

Tirynthe

Hatti

Haballa Seha Mira Apasa (Éphèse)

Kizzuwatna Karkemiš

Millawanda (Milet)

Halab

Ura

Ahhiyawa

Ugarit

Cnossos Alasiya

Byblos

MER MÉDITERRANÉE

Tyr

Sidon

Meggido Jérusalem

d’après C. d’Ercole et J. Zurbach, Naissance de la Grèce, Paris, 2019, p.183.

Memphis

Empire hittite (zone centrale) Royaumes vassaux de l’Empire hittite

Égypte

Monde mycénien

Thèbes

E

Capitale

UG RO

Royaumes vassaux de l’Égypte

200 km

R ME

Égypte (nouvel Empire)

0

À la fin de l’âge du bronze, Troie/Wilusa serait ainsi un petit royaume qui entretient des relations diplomatiques avec la grande fédération des royaumes d’Asie Mineure contrôlée par les Hittites. C’est une ville puissante, fortifiée et dotée d’un port ; elle est bien placée pour le contrôle des routes maritimes, à l’entrée des Dardanelles. À cette époque, les Mycéniens, les Égyptiens, les 53

Partie 1 Le monde égéen du bronze au fer

Babyloniens, les Assyriens et les Hittites se partagent le contrôle du bassin méditerranéen : le peuple qui tient le pays de Wilusa a la voie libre vers la mer Noire. Si elle a eu lieu, la guerre de Troie a eu un intérêt commercial évident. On sait que les Hittites et les Mycéniens se sont déjà affrontés, lors de la destruction de la ville de Milet (Millawanda en langue hittite) par le roi Mursili II (1318‑1290). Quant à Wilusa/Troie/Ilion, elle est détruite à la fin du IIe millénaire, vers 1190, et ne revit qu’à partir de l’époque hellénistique. Ainsi que le résume J.  K.  Davies, « avec l’Iliade, nous avons affaire à une création littéraire qui reflète une tradition orale reposant sur un fait historique ». Les affrontements entre Mycéniens et Hittites au cours du xiiie siècle ont pu former le noyau historique de l’épopée homérique. De fait, la guerre est bien au cœur des poèmes d’Homère mais elle y est traitée selon un angle critique, un aspect récemment mis en lumière par les historiens.

3. Guerre et société dans l’Iliade. Les valeurs du monde homérique ■■ Le

pillage et la gloire Si le roi Agamemnon a réussi à mobiliser de nombreux alliés dans le but de réparer l’affront fait à son frère Ménélas, l’appât du butin est une motivation non dissimulée des combattants, outre la vengeance. Il n’est pas question de conquérir un nouveau territoire mais bien de piller les contrées jouxtant la cité de Troie. Pendant le long siège de la cité, les Achéens lancent ainsi de courtes expéditions afin de s’enrichir. Le butin recherché comprend du bétail et des objets précieux, mais aussi des captives et des captifs dont on peut tirer profit par la vente. La quête du butin ne se fait pas dans un esprit individualiste : tout ce qui est pris est remis au milieu du groupe des combattants. Le partage est alors codifié et hiérarchisé. Les grands chefs reçoivent les parts d’honneur (le geras), comme le sont les captives Briséis et Chryséis, respectivement attribuées à Achille et à Agamemnon. Une fois les grands héros comblés, le reste des soldats se partage les prises de guerre. La quête des héros n’est pas seulement matérielle : en faisant la guerre, ils cherchent aussi la gloire (le kléos), seul rempart contre l’oubli des anonymes. Achille a appris de la bouche de sa mère, Thétis, qu’un double destin s’offre à lui : le choix d’une vie courte mais glorieuse, en mourant au combat, ou bien le choix d’une longue existence, parmi les siens, mais sans laisser de souvenir impérissable aux générations futures. Achille fait le choix de succomber sous les murs de Troie, en héros. Mais, avant d’acquérir gloire et butin, encore faut-il mener le combat ; l’Iliade consacre une large partie de ses vers à décrire la guerre, les armes et les combattants.

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3 Vers l’archaïsme. Le monde grec des xiie-viiie siècles

■■ Figures

de héros et piétaille sans nom Les armes des grands héros ont certes une fonction protectrice indispensable à leur survie, mais ils sont aussi des objets de prestige, présentés avec minutie. Si la description de l’armement de Pâris occupe ainsi huit vers, ­l’objet qui accroche toute l’attention du lecteur/auditeur est le bouclier d’Achille auquel sont dédiés pas moins de cent trente vers. Forgé par le dieu artisan Héphaïstos, le bouclier est magnifiquement décoré. La bordure extérieure est occupée par le fleuve Océan. Les astres, le soleil et la lune sont aussi représentés. Au centre du bouclier, diverses occupations humaines, comme le siège d’une ville, une scène de jugement ou les travaux des champs, ­symbolisent le temps de la guerre et de la paix. Outre un bouclier, le guerrier homérique possède un casque surmonté, pour les grands héros, d’un panache travaillé. Hector est ainsi souvent nommé « Hector au casque étincelant », un accessoire qui lui sauve la vie lorsque le Grec Diomède tente de l’atteindre de sa javeline.

Héphaïstos remet les armes d’Achille à Thétis. Médaillon d’une coupe attique, 490‑480 (Altes Museum, Berlin).

Reconstitution du bouclier d’Achille par le sculpteur J. Flaxman (1821).

Pour ce qui est de l’organisation des assauts, il ne faut guère chercher dans l’Iliade des scènes de concertation stratégique : ce sont avant tout les exploits individuels des héros qui sont mis en avant, des grands chefs qui font davantage confiance à leur appréciation personnelle de la situation militaire plutôt que de s’en remettre à une tactique collective. L’issue des combats est souvent déterminée par les coups de force des héros, parfois chaotiques, et non par les manœuvres des troupes. Agamemnon sème ainsi la terreur et la mort parmi les Troyens, comme « le feu dévastateur qui s’abat sur le bois épais ». Mais l’esprit individualiste s’efface dès lors que l’un des héros est en danger : Ajax exfiltre Ulysse, blessé, ainsi que son ami Teucros. Le geste qui consiste alors à protéger le compagnon blessé avec les boucliers couvrants des soldats préfigure la solidarité hoplitique. Si ces grands chefs s’affrontent avant tout par le choc de leurs épées, les troupes qui les

Voir p. 66.

55

Partie 1 Le monde égéen du bronze au fer

secondent sont associées aux diverses armes de jets maîtrisées alors, pierres, flèches et javelots. ■■ Les

valeurs et les rituels de l’aristocratie guerrière Les duels de héros peuvent prendre un tour hors du commun : Ajax et ­Hector s’affrontent une journée durant. À la tombée de la nuit, les hérauts séparent les deux hommes qui se quittent en ayant chacun offert à l’autre un présent digne du respect qu’il lui inspire. Hector offre ainsi à Ajax une épée à clous d’argent, tandis qu’il reçoit une ceinture de pourpre. Les affrontements entre héros de l’aristocratie guerrière sont ritualisés autour de valeurs partagées : l’honneur (la timè), le respect, la mise en avant de la belle naissance, l’esprit d’agôn (la lutte, la compétition). Avant de commencer le combat, les héros égrènent le nom de leurs ancêtres, s’inscrivant dans des lignées de guerriers prestigieux. C’est ainsi que Diomède et Glaucos se rendent compte que leurs aïeux ont noué un pacte d’hospitalité. Alors qu’ils s’apprêtent à s’affronter, les voilà qui finalement échangent leurs armes et partent en découdre avec d’autres ennemis. L’issue des duels est parfois funeste : de nombreux héros meurent au combat, plongeant leur camp dans une tristesse audible et mise en scène. Aux éclats de joie de l’ennemi répondent les lamentations et les cris des proches du défunt. Puis, à la douleur succède la vengeance. Ajax, meurtri d’avoir perdu son ami Antimaque, s’en prend au Troyen Imbrios qu’il décapite de rage et dont il fait rouler la tête jusqu’aux pieds d’Hector. Le temps des larmes cède rapidement le pas à un rituel bien particulier et nécessaire, les funérailles.

Sur les rites funéraires, voir p. 260.

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Si, pour la piétaille anonyme, la crémation puis l’inhumation dans des tombes collectives sont de mise, les héros se distinguent encore dans la mort avec des funérailles à la hauteur de leur renommée. Les funérailles de Patrocle, le compagnon d’Achille, sont restées célèbres pour leur éclat et leur démesure. Le corps du héros, après avoir été lavé, parfumé et exposé selon les coutumes, est brûlé sur un bûcher où, dans une composition inédite, se mêlent des bêtes sacriAchille et Patrocle. Médaillon ficielles, des chevaux, des chiens, d’une coupe attique, 500 (Altes Museum, Berlin). des jarres d’huile et de miel. Après l’exposition du mort, sa crémation et sa mise au tombeau, de grands jeux funéraires clôturent les funérailles des héros. Dans ces joutes sportives réservées à l’élite, l’esprit de la guerre demeure, celui de l’agôn, l’émulation-compétition qui anime les guerriers-athlètes.

3 Vers l’archaïsme. Le monde grec des xiie-viiie siècles

Parmi les épreuves, on trouve la course de char, la lutte, ou encore le combat en armes. Quant au « terrible jeu du pugilat », il engendre une violence égale à celle des combats militaires. Assailli par les coups d’Épéos, le héros Euryale est évacué par ses compagnons de l’arène, en sang et évanoui. ■■ « Les

revers de la guerre » (P. Payen) Si les vers homériques dessinent une société aristocratique tout occupée aux choses de la guerre, il faut y voir aussi une critique larvée de la violence induite par les affrontements. L’excellence guerrière mise en scène dans le poème est indissociable d’exactions sanglantes. Achille, à qui est donnée Briséis comme prise de guerre, a massacré toute la famille de la jeune fille : son époux, ses parents, ses frères, ses oncles maternels. La maison d’Andromaque est aussi décimée par le héros : elle peut déplorer la mort de son père et de ses sept frères. Achille est certes un grand héros mais le poète rappelle qu’il ne pense « qu’au meurtre, au sang, aux douloureux sanglots des hommes ». Un penchant morbide pour la violence et la destruction auquel le fils de Thétis s’adonne au point de chercher à outrager le cadavre d’Hector. Le prince troyen Hector n’échappe pas non plus à l’incarnation d’un certain « héroïsme dégradé », selon l’expression de P. Payen. Hector, qui a vaincu Patrocle, ne l’a pas vraiment combattu mais achevé au sol. Les dernières paroles d’un Patrocle mourant renvoient ainsi Hector au statut de piètre combattant : « Qui donc t’a donné la victoire ? ». Ces mots rappellent enfin que, derrière les exploits et les échecs des hommes, il y a aussi la volonté des dieux, eux-mêmes responsables par leur soutien à l’un des deux camps de la guerre meurtrière qui déchire Achéens et Troyens.

La violence de guerre. Ajax saisissant Cassandre, réfugiée comme suppliante auprès d’une statue. Médaillon d’une coupe attique, 440 (Louvre, Paris).

Zeus à Arès : « Je te hais plus qu’aucun des dieux qui vivent sur l’Olympe, car tu ne rêves que discordes, guerres et combats » (Iliade, V, v. 872‑873).

Achille et le cadavre d’Hector. Médaillon d’une coupe attique, 490‑480 (Louvre, Paris).

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Partie 1 Le monde égéen du bronze au fer

À retenir nnL’époque qui court de la fin du

xiie au début du viiie siècle est certes marquée par un déclin relatif mais certaines régions restent dynamiques et l’alphabet fait son apparition à la fin de la période.

nnLa société homérique serait historiquement composite : le souvenir de la Troie des xiiie-xiie siècles, documentée

par les archives hittites, côtoie des marqueurs de la fin du haut-archaïsme comme la colonisation ou les communautés politiques.

nnAu cœur de l’épopée homérique, la guerre est traitée en clair-obscur : elle apporte

la gloire mais aussi la misère et la violence.

LES DATES ESSENTIELLES 1280‑1270 ou 1210‑1200 ou 1194‑1184 : guerre de Troie Fin du xe siècle : tombe de Lefkandi (Eubée) 800/750 : élaboration de l’alphabet grec 850/750 : Homère ? l’Iliade et l’Odyssée

BIBLIOGRAPHIE M.  R.  Bachvarova, From Hittite to Homer. The Anatolian Background of ­Ancient Greek Epic, Cambridge, 2016. F. Bertholet et D. van Mal-Maeder (éds.), Le Cheval de Troie. Variations autour d’une guerre, Gollion, 2007. D. Bouvier, « Lieux et non-lieux de Troie », Études de lettres, 1‑2, 2010, p. 9‑38. M. Finley, Le monde d’Ulysse, Paris, 2012 (1954). « Homère. Le nouveau visage du poète », hors-série L’Histoire, janvier-mars 2019. P. Judet de La Combe, Homère, Paris, 2017. B.  Le Guen (dir.), M.  C.  D’Ercole et J.  Zurbach, Naissance de la Grèce. De Minos à Solon, Paris, 2019. P. Payen, Les revers de la guerre en Grèce ancienne : histoire et historiographie, Paris, 2012. É. Scheid, Les origines de la cité grecque. Homère et son temps, Paris, 2017. A.  Schnapp, Aux origines de la Grèce (xiiie-viiie  siècles avant notre ère). La ­genèse du politique, Paris, 2002.

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PARTIE 2

CHAPITRE 4 CITÉ ET ARISTOCRATIE EN GRÈCE ARCHAÏQUE (VIIIe-VIIe SIÈCLES)63 CHAPITRE 5 « COMME DES GRENOUILLES AUTOUR D’UN ÉTANG » MONDE GREC ET DIASPORAS (VIIIe-VIe SIÈCLES)76 CHAPITRE 6 DES SOCIÉTÉS EN CRISE ? LÉGISLATEURS ET TYRANS DANS LES CITÉS GRECQUES ARCHAÏQUES86

LE MONDE GREC ARCHAÏQUE

62

CHAPITRE

4

PLAN DU CHAPITRE I. La « renaissance du viiie siècle » : un nouveau cadre politique et militaire II. Oligarchies et aristocraties archaïques : pouvoir politique et pratiques sociales Sur les diasporas, voir le chapitre 5.

Cité et aristocratie en Grèce archaïque (viiie-viie siècles) Le viiie siècle est marqué par l’apparition d’un nouveau type de vie en communauté : la cité. Ce modèle politique et social s’épanouit et se diffuse notamment par le biais des « diasporas », ces vastes mouvements de population et d’installation à la suite desquels les Grecs s’implantent tout autour de la Méditerranée. L’étude de l’émergence de la cité bénéficie de l’apport de la documentation archéologique et des sources textuelles (Hérodote, Thucydide, Plutarque). Une innovation technique accompagne le mouvement de création des nouvelles communautés politiques : l’adoption de la phalange hoplitique qui combine un nouvel esprit et un nouvel équipement. Une des caractéristiques de ces cités archaïques est d’être fortement inégalitaires. Y domine une élite terrienne qui a supplanté les royautés en de nombreuses régions. Cette aristocratie entretient ses valeurs, entre performances athlético-militaires et banquets, pour l’étude desquels l’iconographie céramique et la poésie (Pindare) constituent des sources précieuses.

I. La « renaissance du viiie siècle » : un nouveau cadre politique et militaire 1. L’émergence de la cité C’est au viiie siècle que se définit une nouvelle communauté politique, la cité ou polis. Il s’agit d’une entité autonome organisée autour d’un territoire assez circonscrit et en adéquation avec le relief compartimenté de la Grèce, où se succèdent de petites plaines côtières 63

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bordées de montagnes. On peut schématiquement décomposer le territoire d’une cité grecque selon la tripartition suivante : –– l’asty ou le centre urbain, le plus souvent délimité par une fortification ; –– la chôra ou l’espace agricole, où vivent et travaillent les populations rurales ; –– les eschatiai ou le territoire des marges et des confins forestiers et montagneux.

Sur la Grèce du Nord, voir p. 157.

Le modèle de la polis s’épanouit d’abord en Grèce méridionale et égéenne, où se développe une agriculture sédentaire. Dans les régions septentrionnales, comme en Macédoine ou en Épire, mais aussi en Acarnanie et dans le nord du Péloponnèse, les populations, davantage nomades, vivent non en poleis mais en ethnè ou « peuples », et pratiquent le pastoralisme dans de vastes espaces favorisant la transhumance. Expliquer précisément les raisons de l’apparition des cités demeure difficile mais on retiendra deux phénomènes, l’un élaboré par les Anciens dès ­l’Antiquité, le synœcisme, et l’autre dégagé par les historiens contemporains, l’importance du fait religieux. ■■ Le

synœcisme Après la disparition des palais mycéniens et la dispersion des populations, le viiie siècle est marqué par un net renouveau démographique. Entre 750 et 700, on note ainsi l’augmentation significative du nombre de sépultures dans les régions d’Argos et d’Athènes. Cet accroissement démographique s’accompagne d’un rassemblement des populations.

Sur les maisons de chefs, voir p. 47.

Ce phénomène est appelé « synœcisme » (« le fait d’habiter ensemble ») par les Grecs eux-mêmes. Il s’agit non à proprement parler d’une modification des structures de l’habitat mais de l’émergence d’une nouvelle centralisation politique. Le centre politique n’est plus le palais mycénien ou « la maison du chef » mais l’Agora, un espace ouvert et commun à tous, au milieu de la cité. Les premières agoras seraient apparues entre 725 et 700, à Syracuse et à Mégara Hyblaia, en Sicile. Les synœcismes sont parfois reliés à des héros mythologiques, qui deviennent ainsi des référents identitaires importants pour les nouvelles communautés. À Athènes, le synœcisme aurait eu lieu en deux temps, selon les traditions divergentes véhiculées par les sources anciennes. Le premier roi légendaire, Kékrops, aurait réuni les douze cités primitives de l’Attique en une « dodécapole », d’après le Pseudo-Apollodore (Bibl. III, 14, 1-2). L’historien Thucydide, quant à lui, attribue au seul Thésée l’unification politique de la région athénienne.

Monnaie de Cyzique représentant Kékrops, le roi mi-homme, mi-serpent (ve siècle).

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Thésée et l’unité politique athénienne « Mais lorsque Thésée devint roi, cet homme avisé, qui fut aussi un souverain puissant, réorganisa tout le gouvernement du pays et imposa notamment la dissolution des conseils et des gouvernements locaux, qui furent regroupés pour former la cité actuelle avec un seul conseil et un seul prytanée. C’est ainsi qu’il unifia l’ensemble de l’Attique. Chacun conserva la jouissance de ses propriétés comme par le passé, mais tous durent se soumettre à une seule autorité politique, à cette cité qui, réunissant désormais tous les habitants de l’Attique, devint un État considérable », Thucydide, II, 15. Selon Thucydide, les Athéniens célèbrent la fête des Synoikia afin de commémorer le synœcisme.

Un autre exemple de synœcisme est celui de la cité de Mégare, située en Mégaride, une région qui relie l’Attique au Péloponnèse. Plutarque (Questions grecques, 17, 295b-c) évoque ainsi cinq villages antérieurs à l’unification politique, au viiie siècle : Mégara, Héraia, Piraia, Kynosoura et Tripodiskos. On peut encore évoquer le cas de Sparte, où les quatre villages de Pitanè, Mésoa, Kynosoura et Limnai se rassemblent pour former une entité politique unifiée (vers 760).

et cité Le développement de cultes en l’honneur de héros ou de divinités protectrices est aussi lié à l’émergence de la cité : les communautés se retrouvent désormais en des lieux sacrés afin de célébrer des figures qui les unissent. À partir du viie siècle, les constructions de temples en pierre se multiplient. Les sanctuaires et les temples marquent le territoire et permettent, par les processions rituelles et récurrentes, de s’approprier l’espace. Ainsi, les espaces sacrés se développent non seulement dans le cœur des cités, mais aussi à leur périphérie, voire à leurs confins ; on parle alors de sanctuaires extra-urbains, situés dans la chôra ou à la limite des eschatiai, à la lisière des zones de culture.

Sur le synœcisme spartiate, voir p. 225.

■■ Religion

Par exemple, l’Heraion d’Argos est situé aux confins du territoire de la cité : il symbolise la limite de l’espace à défendre, un rôle symbolique et stratégique illustré par les nombreux ex-voto militaires qu’on y a retrouvés. De même, la cité de Pérachora (golfe de Corinthe) ou celle de Samos comptent des temples extra-urbains dédiés à Héra, datant du milieu du viie siècle. Les sanctuaires périphériques peuvent tout autant servir des cultes partagés par deux cités voisines ou, au contraire, être l’objet de tensions entre elles.

« C’est en termes cultuels, par l’essor des rites et le début d’identification des sanctuaires autour des divinités présidant à cette mise en ordre, que la société émergente manifeste sa cohésion nouvelle et prend ses décisions collectives, donc politiques à long terme ; l’espace cultuel qui se dessine alors constitue le premier espace civique » (F. de Polignac, La naissance de la cité grecque, p. 155).

Voir l’exemple spartomessénien, p. 226.

Lors de l’essaimage des cités grecques dans les territoires outre-mer, le développement des sanctuaires et des cultes helléniques est un phénomène majeur dans l’appropriation des territoires d’installation et dans l’affirmation de la culture grecque partagée par les colons. Ainsi, de nombreux temples

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extra-urbains ont été repérés dans les cités de Grande-Grèce ou de Sicile, comme à Géla, Sélinonte, Agrigente et Métaponte.

2. (R)évolution hoplitique Voir p. 48.

Le viiie siècle, on l’a vu, est le temps de la réapparition de l’écriture. À côté de cette révolution culturelle, un autre changement notable affecte l’organisation de la communauté : la révolution hoplitique. Par ce terme, on entend l’apparition progressive d’une nouvelle forme de combat et de ­combattant, un nouveau système de défense de la cité qui se développe d’abord à Argos, à Corinthe et à Sparte. La révolution hoplitique est analysée comme une conséquence de la reprise démographique du viiie siècle. Les communautés, plus nombreuses, ont dû s’organiser efficacement pour acquérir et défendre les nouveaux territoires nécessaires à leur survie. Tous les citoyens ne peuvent cependant pas financer l’achat du coûteux armement ; l’armée hoplitique supplante certes la cavalerie, encore plus élitiste et sélective (l’entretien d’un cheval est onéreux), mais tant que les cités ne fournissent pas la panoplie militaire, le statut de fantassin lourd n’est pas accessible à tous.

Casque corinthien issu de la tombe de Denda, 500 (Staatliche Antikensammlungen, Munich).

D’après les sources archéologiques, c’est vers 720 qu’apparaissent les premiers casques dits « corinthiens » qui assurent une protection optimale de la nuque et du visage. La céramique dévoile l’armement complet des « hoplites », nom donné aux fantassins lourdement armés qui constituent la phalange hoplitique : au casque s’ajoutent la cuirasse, les jambières, l’épée courte, la lance et le bouclier.

L’hoplon Le bouclier (hoplon) est fait de bois, de couches de peaux et de bronze. Il est largement décoré, notamment sur sa face externe qui reproduit des motifs animaliers réels ou légendaires (fauves, oiseaux, griffons, chimères), des objets (coupes ou trépieds), et même de grands yeux dits « prophylactiques », aux vertus protectrices. De forme circulaire et convexe, le bouclier comporte deux lanières intérieures, qui facilitent sa prise en mains. Le soldat passe son avantbras gauche dans le porpax puis saisit de sa Bouclier votif avec une Gorgone, Olympie. main l’antilabè, une poignée en cuir placée sur le rebord interne. Le large diamètre du bouclier (entre 90 cm et 1 m) permet de protéger son porteur mais aussi le voisin de rang ; il s’agit ainsi d’un moyen de protection élaboré pour un cadre collectif.

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La phalange hoplitique est l’illustration de l’esprit de solidarité et d’appartenance à un groupe. Loin des exploits individuels portés par l’aristocratie homérique, il s’agit d’exalter la discipline collective exercée par des soldats maîtres d’eux-mêmes et qui ne se laissent plus mener par la fureur guerrière (menos). Afin de déployer l’armée hoplitique, le terrain recherché est celui d’une vaste plaine où prennent place deux lignes de soldats, comportant chacune quatre à huit rangs de profondeur, prêts à supporter un choc frontal avec l’adversaire. L’encadrement des hoplites est assuré par des officiers veillant à ce qu’aucun élément ne sorte du rang, risquant de fragiliser l’équilibre d’ensemble et de créer une brèche. Seule faille dans cette nouvelle configuration défensive, l’armée hoplitique a tendance à se déporter vers la droite.

Voir p. 55.

Détail du « vase de Chigi », vie siècle (Musée national étrusque, Rome).

II. Oligarchies et aristocraties archaïques : pouvoir politique et pratiques sociales Lors de la formation des nouvelles communautés civiques, au viiie siècle, le pouvoir n’est plus détenu par le roi-chef-basileus mais par des familles dont les membres sont de grands propriétaires terriens. Même si, faute de sources, le passage est historiquement difficile à déterminer dans la plupart des cités, les monarchies sont ainsi renversées, à l’exception de Sparte qui présente une forme de gouvernement « mixte » inédit dans le monde grec (voir p. 242). Le terme d’aristocratie n’apparaît pas tel quel dans les sources textuelles : elles évoquent en revanche les « bons » (agathoi) ou les « meilleurs » (aristoi) qui occupent une position sociale, économique et politique dominante les distinguant du reste du peuple, les kakoi (les « vilains » ou les « méchants »).

Voir les élégies de Théognis, p. 298.

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La naissance, la richesse et un mode de vie luxueux et ostentatoire confèrent à l’aristocratie ses marques de distinction.

Sur les Géomores, voir p. 147.

Voir le chapitre 6 sur la tyrannie.

Hérodote (V, 92) : « La constitution politique de la cité de Corinthe était telle que je vais dire : une oligarchie dont les membres, appelés Bacchiades, gouvernaient la ville, mariant leurs filles et prenant femmes entre eux ».

La trière est un navire comportant trois rangs de rameurs. Elle remplace alors le pentécontère, bateau de cinquante rameurs disposés sur deux rangs.

Le style orientalisant emprunte à l’Assyrie, la Phénicie et l’Égypte des motifs animaliers, comme le griffon, le lion ou le sphinx, et des motifs végétaux comme le lotus et la palmette.

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Ces quelques familles s’arrogeant l’exercice du pouvoir forment ce qu’on appelle une oligarchie (d’oligos, « peu »), incarnée notamment par une nouvelle institution-clé, un Conseil (dit Boulè) à l’accès restreint. Pour certaines cités, seuls les noms de ces oligarques en place nous sont parvenus, sans beaucoup d’autres détails. En Eubée, à Chalcis et à Érétrie, ce sont les Hippobotes ou « Éleveurs de chevaux ». À Syracuse, en Sicile, ce sont les Géomores. À Mégara Hyblaia, les riches sont appelés les Pakheis, les « Gras ». On est cependant un peu mieux renseignés sur l’Athènes et la Corinthe archaïques.

1. Corinthe et les Bacchiades À Corinthe, du milieu du viiie siècle au milieu du viie siècle, c’est le clan des Bacchiades qui domine la vie politique avant que la tyrannie ne vienne concurrencer le pouvoir de ces aristocrates. La royauté corinthienne a été elle-même l’apanage des Bacchiades, puis a été remplacée par une oligarchie familiale après des luttes de succession. Forte de 200 familles, la caste oligarchique des Bacchiades détient le monopole d’une charge nommée « polémarque » ; elle pratique aussi l’élection annuelle, en son sein, d’un « prytane ». Les Bacchiades assurent la transmission de leurs privilèges par l’hérédité et le mariage entre soi, dit endogamique. La richesse de cette aristocratie est à la fois foncière et commerciale. Elle provient notamment de la possession des meilleures terres du territoire de Corinthe, sans en avoir cependant le monopole exclusif, mais aussi du contrôle du marché extérieur de la cité. En effet, d’après Strabon, les Bacchiades perçoivent le montant de taxes prélevées sur les différentes transactions commerciales, les échanges de produits et l’exportation des denrées agricoles. Les Bacchiades sont en effet liés à une période florissante de la Corinthe archaïque, dont la situation géographique est stratégique, grâce à l’exploitation de l’isthme. Du temps des Bacchiades, on retiendra ainsi l’apparition de la céramique à figures noires et du style protocorinthien orientalisant, l’essor de la technique navale avec l’emploi des premières trières, mais aussi l’expansion coloniale. En effet, les fondateurs de Syracuse (vers 750, Sicile) et de Corcyre (706, mer Ionienne), respectivement Archias et Chersikrates, sont membres des Bacchiades.

Détail d’une aryballe proto-corinthienne, 670-630 (Getty Museum, Los Angeles).

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2. L’Athènes du

viie siècle

À Athènes, les familles aristocratiques sont désignées sous le terme d’Eupatrides, les « bien-nés ». Elles monopolisent l’accès à la magistrature suprême, l’archontat ; neuf archontes partagent ainsi l’exercice réel du pouvoir avec l’Aréopage, un conseil aristocratique formé des archontes sortis de charge. La grande majorité du dèmos, le peuple, n’a aucun pouvoir de décision. Les grandes familles entrent fréquemment en conflits, comme l’illustre l’épisode cylonien, renseigné par Hérodote, Thucydide et Plutarque. Vers 632/631, un aristocrate du nom de Cylon, connu pour ses exploits olympiques, tente de s’emparer du pouvoir. Il est aidé de quelques compagnons et de renforts envoyés par Théagène, tyran de Mégare et beau-père de Cylon. Leur entreprise échoue et Cylon et ses partisans trouvent refuge dans l’enceinte sacrée de l’Acropole. Mégaclès, un archonte appartenant à la grande famille des Alcméonides, les en déloge violemment malgré leur statut de suppliants. Le massacre des Cyloniens, symptôme des relations tendues entre grandes familles et de la tentation du coup de force tyrannique par quelques-uns, constitue en outre une souillure qui vaut aux Alcméonides un exil forcé. Le deuxième épisode marquant de l’Athènes du viie siècle est le rôle législatif joué par Dracon, en 621-620 : les mesures de Dracon sont à replacer dans le mouvement général de codification des lois qui touche les cités du viie siècle. L’importance des grandes familles n’est pas uniquement sociale et politique ; elle est aussi judiciaire car elles ont le monopole du règlement des conflits. En établissant une série de lois désormais partagées par tous, Dracon prive l’aristocratie d’une partie de ses privilèges et brise les solidarités familiales au profit d’une justice commune. Cependant ces réformes judiciaires, qui concernent avant tout le droit criminel, ne réduisent en rien les inégalités économiques qui structurent la société athénienne, perceptibles dans l’état de dépendance subi par de nombreux citoyens.

Parmi les archontes, l’un est en charge de l’armée, le polémarque. Un autre donne son nom à l’année, l’éponyme. Un autre conserve l’appellation de roi-basileus, sans être plus important que les autres.

Un suppliant réfugié dans un sanctuaire est, selon les normes de la religion grecque, protégé par la divinité du lieu. Toute violence à son encontre est un sacrilège. C’est aussi du viie siècle que datent deux autres législations, celle de Sparte (la « Rhètra », voir p. 242) et la loi de Dréros (Crète) sur la rotation des charges, qui est le plus ancien décret civique attesté par l’épigraphie. Voir le chapitre 6.

La loi de Dracon sur l’homicide En 409, les Athéniens retranscrivent la loi de Dracon sur le meurtre, qui demeure encore aujourd’hui la seule partie conservée du texte. C’est donc grâce à cette inscription d’époque classique que l’on connaît la teneur du document archaïque, qui établit une distinction novatrice entre meurtre volontaire et meurtre involontaire. « Premier axôn : Même (?) si quelqu’un commet un meurtre non intentionnel, qu’il soit exilé. Que les basileis [les neuf archontes ou l’archonte roi] jugent le coupable[…] ou celui qui a inspiré le meurtre. Que les éphètes [51 juges] rendent le jugement. Que le pardon soit accordé, si (le) père, (le) frère et (les) fils (de la victime), (s’accordent) tous ensemble. Autrement (la voix) d’un (seul) opposant prévaudra. S’il n’y a aucun de ceux-là, que le pardon soit accordé par les parents jusqu’aux cousins, si tous y agréent. Autrement (la voix) d’un (seul) opposant prévaudra. S’il n’existe même

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pas un de ces parents, que le meurtre a été involontaire et que les cinquante et un éphètes déclarent qu’il a (bien) été involontaire, que le meurtrier puisse être rappelé si dix membres de la phratrie l’acceptent ; que les cinquante et un les désignent par rang de noblesse. Que les meurtres antérieurs soient soumis à cette loi. Que la proclamation contre le meurtrier soit prononcée sur l’Agora par les parents jusqu’aux cousins. Que concourent à la poursuite les cousins, les fils de cousins, les gendres, le beau-père, les beaux-frères et les membres de la phratrie (de la victime) » (Traduction M.  Lajeunesse, Représentations, fonctions et statuts des parents dans les lois grecques des époques archaïque et classique : analyse des documents épigraphiques, thèse de doctorat, Montréal, 2014, p. 227-228).

3. Des pratiques aristocratiques ■■ Le

banquet « Boire ensemble », c’est ce que révèle l’étymologie du symposion que l’on traduit par « banquet ». Il s’agit d’une pratique de sociabilité majeure des Grecs de l’époque archaïque, où il s’inscrit pleinement dans l’identité aristocratique masculine. Le banquet est en effet un des marqueurs de l’élite des cités, au même titre que la chasse, l’élevage de chevaux ou la participation aux grands concours panhelléniques, comme les Concours Olympiques. Il est probable que les banqueteurs aient été aussi des compagnons d’armes et, outre des exploits militaires, ces aristocrates partagent des moments agréables de convivialité, très codifiés.

Dionysos et un satyre jouant de l’aulos. Médaillon d’une coupe attique, 480 (Altes Museum, Berlin).

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Le banquet rassemble un groupe d’hommes socialement homogène dans un lieu bien défini duquel les épouses de citoyens sont exclues. La salle dédiée au symposion est équipée de banquettes, les klinai, sur lesquelles les convives s’allongent par deux. Les fouilles de cités comme Olynthe, Chios ou encore Andros ont révélé des salles contenant entre sept et quinze banquettes, agrémentées, selon l’iconographie, de coussins confortables. La vaisselle de banquet se compose de nombreux vases aux usages bien définis : des cratères pour mélanger la boisson, des coupes à vin, des rhytons (vases à boire en forme de tête d’animal ou d’homme), posés à terre ou sur les tables. Le fond des coupes se dévoile lorsque les convives en boivent les dernières gouttes. On y voit des scènes d’ébriété joyeuse, mises en abîme du moment présent, ou des images renvoyant aux mythes alors connus de tous, comme Philomèle et Procnè égorgeant le jeune Itys ou Zeus enlevant Ganymède. Nombreuses sont

4 Cité et aristocratie en Grèce archaïque (viiie-viie siècles)

aussi les figurations de scènes érotiques et du dieu du vin, Dionysos, accompagné de son cortège de satyres lubriques et de ménades. Banqueter, pour les Grecs, c’est partager un double moment : d’abord celui où l’on mange une viande sacrifiée selon les règles, puis celui où l’on boit. Mais avant de consommer quoi que ce soit, les banqueteurs doivent s’acquitter de certains rituels en l’honneur des dieux, notamment purifier l’espace de commen­salité et offrir des libations, consistant à répandre sur le sol un liquide. Chaque banquet a un « chef », un symposiarque, qui doit veiller au bon déroulement du repas et s’acquitter du mélange réglementaire pour la boisson, à savoir ¼ de vin pour ¾ d’eau. Les Grecs ne boivent en effet jamais de vin pur, un privilège de Dionysos. Outre les plaisirs du palais, les banqueteurs s’adonnent à de nombreuses réjouissances.

Sur le sacrifice, voir p. 254.

Les vases nous renseignent ainsi sur un jeu d’adresse particulièrement prisé des convives : le ­cottabe. Le but est d’envoyer les dernières gouttes de vin d’une coupe dans un vase placé à proximité ou dans la coupe d’un autre convive. De nombreux chants, des échanges de plaisanteries et des récitations de poésies rythment le déroulé du banquet. L’ambiance musicale est assurée par les joueurs et les joueuses d’aulos, une flûte à deux anches. L’esprit de compétition et d’émulation, l’agôn, ne quitte pas les convives qui sont invités à improviser les meilleurs vers possibles. Ce lien fort entre pratique poétique et pratique symposiaque est tangible dans les œuvres des poètes Alcée, Anacréon et Pindare, dont les productions sont destinées avant tout à être chantées lors des banquets. « Maintenant, place à l’ivresse ! Que chacun boive, même malgré lui : Myrsilos est mort ! » (Alcée, fragment 332, voir p. 297 sur Alcée et Pindare).

Scène de banquet. Médaillon d’une coupe attique, 460 (Louvre, Paris).

Un jeune homme plonge une cruche dans un cratère et tient une coupe à boire. Dessin de FL d’après une coupe attique, 480 (Louvre, Paris).

Outre sa dimension alimentaire et ludique, le banquet est aussi un espace érotique où évoluent des prostituées payées pour l’occasion. Dans le cadre de l’éducation homo-érotique, les jeunes amants, les éromènes, sont aussi conviés à participer avec leurs érastes à ces moments de partage.

Sur la prostitution, voir p. 212. Sur les pratiques homo-érotiques, voir p. 219.

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Sur le syssition, voir p. 228. Sur le lien entre citoyenneté et commensalité à Athènes, voir p. 183 et p. 255.

On notera que, dans la cité spartiate oligarchique, les repas revêtent un caractère obligatoire. Les citoyens incapables de fournir leur quote-part aux banquets quotidiens (les « syssities ») sont exclus du groupe des co-mangeurs et, corrélativement, ils perdent leur citoyenneté. Le lien entre politique, citoyenneté et banquet est ainsi fort à Sparte, une combinaison fonctionnelle que l’on retrouve à l’époque classique dans l’Athènes démocratique, mais sous d’autres formes. ■■ La

culture de l’agôn : Olympie et ses concours L’identité des aristocrates se nourrit de l’esprit de compétition et d’émulation que la langue grecque nomme l’agôn et que le héros Hippoloque résume ainsi à son fils Glaucos : « Toujours être le meilleur et surpasser les autres » (Homère, Iliade, VI, 208). Avec le développement de la phalange hoplitique, l’excellence guerrière n’est plus l’apanage d’une élite restreinte ; cette dernière a trouvé dans la pratique sportive une nouvelle voie de distinction et de gloire. L’aristocratie guerrière est désormais supplantée par une aristocratie de loisirs, selon l’analyse de l’historien O. Murray. La participation aux joutes athlétiques et l’entraînement dans les gymnases et les palestres constituent ainsi des pratiques partagées par l’élite des sociétés archaïques puis classiques.

Héraut : messager officiel.

Horkos est le dieu du serment.

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C’est au viiie siècle, peut-être en 776, qu’apparaissent les premiers grands concours, à Olympie. Diverses histoires circulent sur leur origine. Selon Pindare, le héros Héraklès aurait célébré par des concours le succès du ménage des écuries d’Augias, récurées grâce au cours de l’Alphée qui borde Olympie. Mais on dit aussi que c’est pour Pélops, héros local qui obtient la main de la princesse Hippodamie à l’issue d’une course de chars, qu’on établit des compétitions sportives. Afin que les athlètes et leur public affluent sans encombre vers la région de l’Élide, puis dans l’Altis, l’enceinte sacrée de Zeus et d’Héra, trois hérauts parcourent le monde grec et annoncent la tenue prochaine des concours, ainsi que la « trêve sacrée ». Le respect de cette trêve est encadré par un règlement conservé dans le temple d’Héra à Olympie : aucune armée ne doit fouler le sol de l’Élide et tout contrevenant est frappé d’une amende. Arrivés à bon port, soit par route, soit par bateau porté par l’Alphée alors navigable, les concurrents logent tout près du sanctuaire, dans une hôtellerie, tandis qu’une foire et un océan de tentes se déploient aux abords du domaine olympique. Les sportifs doivent d’abord prêter serment dans le Bouleutérion, sous l’œil sévère de Zeus Horkios statufié. Celui qui se soustraie aux règles s’attire les foudres des dieux et des juges des concours, les hellanodices, secondés par les « mastigophores », prompts à faire usage de leur fouet. Après avoir essuyé les coups de verges, les tricheurs doivent verser une amende réinvestie dans la fabrication de statues de Zeus, les Zanes, qui jalonnent l’accès au stade et sur lesquelles on inscrit, bien en évidence, le nom des fautifs.

4 Cité et aristocratie en Grèce archaïque (viiie-viie siècles)

À l’époque archaïque, les Messéniens, les Spartiates et les Crotoniates se distinguent particulièrement parmi les vainqueurs. C’est une immense popularité qui attend les grands athlètes. Les épinicies, ou odes victorieuses, sont composées par les grands poètes du genre, Simonide de Céos (556-468), Bacchylide de Céos (516-451) et Pindare (518-438). Elles célèbrent le succès d’illustres concurrents, comme le tyran Hiéron de Syracuse, vainqueur en 476 et en 468 à la course de char olympique. Autre grand vainqueur célèbre, Milon de Crotone (Calabre) commence sa carrière en remportant, en 540, le titre de meilleur lutteur junior. Érigé en quasi-héros, Milon est honoré d’une statue à la hauteur de sa gloire olympique, six fois célébrée : il l’aurait portée lui-même jusque dans l’enceinte sacrée d’Olympie, qui abrite des centaines de statues de vainqueurs. Parmi les sports pratiqués, on compte le pugilat, le pancrace, la course de stade, la course en armes, le pentathlon (lancer de disque et de javelot, saut, course et lutte) et les courses hippiques, où s’élancent quadriges, biges et chevaux montés. Les six jours de compétition alternent épreuves, rites sacrificiels et banquets en l’honneur de Pélops et d’Achille, mais surtout de Zeus. C’est encore dans ce cadre de piété diffuse que les vainqueurs reçoivent pour prix de leur effort une couronne de rameaux d’oliviers sauvages, qu’on dit rapportés du pays des Hyperboréens par Héraklès à Olympie.

Copie romaine en bronze du Discobole de Myron, 120 ap. J.-C. (Glyptotek, Munich).

Voir la biographie de Pindare, p. 297.

Parmi les athlètes fameux figure Théagène de Thasos (ve siècle), pugiliste et pancratiste aux mille trois cents victoires et honoré par une statue sur l’Agora de sa cité.

Un bige est un char à deux roues attelé de deux chevaux.

Pancratistes. Amphore panathénaïque, 500 (Met, New York).

Le corps athlétique est lentement ciselé par de longs mois de régime et d’exercice, pour être mis à l’épreuve avant même le début des concours : une marche de deux jours, couvrant les cinquante-sept kilomètres entre Élis et Olympie, permet aux concurrents sélectionnés de quitter leur dernier lieu 73

Partie 2 Le monde grec archaïque

Le strigile, racloir utilisé par les athlètes pour éliminer sur la peau la poussière mêlée à l’huile.

Les concours d’Olympie et de Delphes ont lieu tous les quatre ans (ils sont « pentétériques »). Les concours de Némée et de Corinthe ont lieu tous les deux ans (ils sont « triétériques »). L’exploit visé par les athlètes est d’être vainqueurs aux quatre concours d’une même période. Voir la carte des sanctuaires p. 265.

d’entraînement et de pénétrer dans le temple des compétitions, grouillant de milliers de spectateurs. C’est dans le plus simple appareil que les sportifs exhibent alors leur talent : la nudité athlétique est une valeur partagée de l’hellénisme antique. Selon Pausanias, le coureur Orsippos aurait été le premier à laisser tomber son pagne, pour être plus à l’aise. Thucydide désigne quant à lui les Spartiates comme introducteurs de la nudité et de l’usage de l’huile corporelle dans les stades. Les Concours d’Olympie ne constituent pas la seule grande célébration sportive du monde grec. Avec les Concours Pythiques de Delphes (582), les Concours Isthmiques de Corinthe (581) et les Concours de Némée (573), ils forment la « période » pendant laquelle se succèdent ces quatre compétitions. C’est pourquoi aujourd’hui on peut lire encore, parmi les odes triomphales de Pindare, les Olympiques, les Pythiques, les Néméennes et les Isthmiques. Si Olympie est le cadre de joutes athlétiques, les arts musicaux et poétiques sont aussi à l’honneur à Delphes, site d’un dieu artiste, Apollon à la lyre. La participation à ces grands concours, dits « panhelléniques », est un des ciments de l’identité grecque. Elle est partagée par la diaspora dispersée depuis l’époque archaïque autour de la Méditerranée, qui aime se retrouver rituellement dans la célébration de valeurs religieuses et agonistiques communes.

À RETENIR nnLes cités grecques apparaissent au

viiie siècle : des

gieux et militaires expliquent leur émergence.

facteurs démographiques, reli-

nnUn nouveau type de guerre, la guerre hoplitique, émerge progressivement et se

distingue de l’héroïsme individuel de l’épopée homérique.

nnLes cités archaïques sont des oligarchies où seules quelques grandes familles

monopolisent le pouvoir et la richesse, notamment terrienne.

nnLes élites partagent un même mode de vie autour de pratiques distinctives comme

le banquet ou la participation aux concours panhelléniques prestigieux.

74

4 Cité et aristocratie en Grèce archaïque (viiie-viie siècles)

LES DATES ESSENTIELLES 800-750 : apparition des principaux sanctuaires du monde grec (Delphes, Dodone, Délos) 800-650 : développement des cultes héroïques 776 : premiers Concours Olympiques (Olympie) Vers 760 : synœcisme spartiate 750-650 : oligarchie des Bacchiades (Corinthe) 725 : apparition du style orientalisant (Corinthe) 725-700 : premières agoras à Syracuse et Mégara Hyblaia (Sicile) Vers 720 : apparition de l’armement hoplitique Vers  650 : « loi de Dréros » sur la rotation annuelle des magistratures (Crète) 632/631 : échec de la prise du pouvoir par Cylon et exil des Alcméonides (Athènes) 621/620 : législation criminelle de Dracon (Athènes) 582 : premiers Concours Pythiques (Delphes) 581 : premiers Concours Isthmiques (Corinthe) 573 : premiers Concours Néméens (Némée)

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75

CHAPITRE

5

PLAN DU CHAPITRE I.

Pourquoi partir ?

II. E spaces et temporalité des diasporas III. A  cteurs et modalités des expéditions IV. L es relations avec la métropole

Voir la carte de la colonisation archaïque dans l’atlas final.

76

« Comme des grenouilles autour d’un étang » Monde grec et diasporas (viiie-vie siècles) « Je suis persuadé que la terre est immense et que nous, qui l’habitons du Phase aux colonnes d’Héraklès, nous n’en occupons qu’une petite partie, répandus autour de la mer comme des fourmis ou des grenouilles autour d’un étang, et que beaucoup d’autres peuples habitent ailleurs en beaucoup d’endroits semblables » (Platon, Phédon, 109b). Comme des grenouilles autour d’un étang, c’est ainsi que le philosophe Socrate se figure ces milliers de Grecs qui, à l’époque archaïque, ont pris la mer pour fonder de nouvelles cités. Ces communautés politiquement indépendantes de leurs cités d’origine sont désignées par le terme apoikiai (apo = « loin de » et oikia = « maison »). Plusieurs hypothèses expliquent ce phénomène de diaspora qui s’est réalisé en deux temps et selon des modalités techniques et religieuses bien renseignées. Des centaines de colonies sont ainsi fondées en Méditerranée et en mer Noire, entre le viiie et le vie siècle. Si Cyrène, Syracuse, Marseille, Tarente ou Mégara Hyblaia sont aujourd’hui des sites d’implantation bien localisés, la plupart des colonies demeurent mal connues. L’archéologie donne des renseignements précieux mais pas toujours faciles à interpréter ; quant à l’étude des « récits de fondation », elle doit prendre en considération le contexte de leur écriture souvent postérieur aux fondations elles-mêmes.

5 « Comme des grenouilles autour d’un étang ». Monde grec et diasporas (viiie-vie siècles)

I. Pourquoi partir ? 1. Manque de terres et tensions économiques Au viiie siècle, le monde grec continental enregistre une nette reprise démographique. L’augmentation de la population a pour conséquence directe une pression foncière : beaucoup de citoyens ont du mal à acquérir un lopin et ce manque de terres est désigné par le terme de stenochôria, littéralement « l’espace resserré », insuffisant pour répondre au besoin de la communauté. En outre, une succession de mauvaises récoltes, entraînant son flot de disettes, a pu aussi convaincre des communautés d’envoyer des colons en quête de terre fertile. Une telle situation de crise frumentaire semble être à l’origine de la fondation de Rhégion (730), en Italie du Sud, et de Cyrène (631), en Libye. Témoin vers 680 de la colonisation de Thasos, le poète Archiloque de Paros évoque dans ses vers « la misère de tous les Grecs » qui se sont joints au groupe de colons de Paros, eux-mêmes taxés de « crève-la-faim ». Ce n’est pas un hasard si, dans les récits de fondation des colonies, une des premières tâches du chef d’expédition (l’oikiste) est de s’emparer de terres cultivables, soit par la négociation, soit par les armes, et de les distribuer à ses compagnons. Deux régions demeurent ainsi à l’écart de la colonisation, la Béotie et la Thessalie, des territoires où l’agriculture bénéficie de meilleures conditions et offre une possibilité d’autarcie alimentaire. Cependant, les problèmes liés à la terre ne doivent pas être lus uniquement sous l’angle de la pression démographique et du déficit quantitatif et qualitatif des terres cultivables. Il est aussi probable que les difficultés foncières résultent de l’accaparement par les plus riches des terres disponibles, laissant ainsi démunie une partie de la population des cités. Inégalitaires, certaines cités archaïques ont trouvé dans le mouvement diasporique un moyen d’écarter des groupes potentiellement revendicatifs car laissés-pour-compte. Les causes des départs sont aussi sociales et politiques.

« Rhégion a été fondée par des Chalcidiens, dont on raconte qu’ils avaient été prélevés sur leur nation à raison d’un sur dix à cause d’une disette, sur le conseil d’un oracle, pour être voués à Apollon et que, par la suite, ils quittèrent Delphes et vinrent s’installer à cet endroit avec d’autres compatriotes enrôlés au passage » (Strabon, VI, I, 6). « Pendant sept ans par la suite, il ne plut pas à Théra, et, pendant ce temps, tous les arbres qu’ils avaient dans l’île, à l’exception d’un seul, séchèrent. Les Théréens consultèrent l’oracle ; la Pythie répondit par l’ordre déjà donné d’envoyer une colonie en Libye » (Hérodote, IV, 150151).

En miroir, certaines cités nouvellement fondées l’ont été dans un esprit délibérément égalitaire : c’est le principe d’isomoiria ou « d’égalité des lots ». D’après les fouilles de Mégara Hyblaia, en Sicile, les colons ont reçu chacun deux lots de terre, un dans le centre urbain et l’autre dans la chôra, le territoire agricole de la cité. C’est aussi le cas lors de la fondation de Métaponte, vers 700, en Italie du Sud.

2. Crises internes et menaces extérieures Parmi les colonies établies dans un climat de tension sociale et politique, la fondation de Tarente en 706 fournit un bon exemple. Ainsi, selon la tradition portée par Antiochos de Syracuse et Éphore de Cumes, Tarente aurait été établie par un groupe venant de Sparte, les Parthéniens. Si les sources ne s’accordent

Monnaie de Métaponte. L’épi symbolise la fertilité du site.

77

Partie 2 Le monde grec archaïque

Les Hilotes sont les esclaves de Sparte, voir p. 237.

pas sur le statut de ces Parthéniens, elles insistent sur leur exil suite aux troubles qu’ils auraient suscités à Sparte. Soit enfants issus de femmes spartiates et d’Hilotes, soit enfants issus de femmes spartiates et d’individus de rang inférieur, les Parthéniens sont exclus du groupe fermé des citoyens, les Homoioi. Revendiquant davantage de droits, ils deviennent de potentiels rebelles. Un autre récit de fondation, celui de Syracuse, évoque le rôle d’Archias, un membre du clan des Bacchiades de Corinthe, parti vers 734 après avoir été banni de sa cité suite à une accusation de meurtre. Au-delà de l’aventure personnelle d’Archias, ce type de récit anecdotique et individuel illustre les relations tendues au sein des familles aristocratiques dirigeantes et entre elles.

Sur la tyrannie, voir p. 91.

Il n’est pas anodin que ces histoires soient liées aussi à des sociétés ayant connu la tyrannie, comme à Corinthe ; l’arrivée des tyrans s’est souvent accompagnée de l’exil d’une partie des possédants, cumulant antérieurement pouvoir et terres. Ainsi, les conflits internes aux cités archaïques laissent craindre l’apparition de la guerre civile, la stasis, et l’émigration d’une partie des populations potentiellement séditieuses a permis d’endiguer la crise latente. Des communautés entières ont aussi été chassées par une menace extérieure. Par exemple, les Ioniens de Colophon (Asie Mineure) ont fui à l’arrivée des Lydiens et se sont installés dans le golfe de Tarente vers 650-640, selon Strabon. Et lorsque les Perses conquièrent l’Asie Mineure en 547/6, ils déclenchent une vague d’émigration vers les colonies déjà existantes. Les Phocéens abandonnent leur ville pour s’installer dans leurs apoikiai, en Méditerranée occidentale, notamment Alalia. Quant aux habitants de Téos, ils partent fonder de nouvelles cités en Thrace égéenne, comme Abdère, en 544.

3. Des objectifs commerciaux : l’antécédence des emporia Parmi les objectifs commerciaux qui ont pu motiver les expéditions maritimes, la quête des minerais (étain, cuivre, fer) est souvent évoquée par les historiens contemporains. La Grèce continentale est en effet assez pauvre en minerais nécessaires à la métallurgie du bronze et du fer. Une « route des métaux » a même été identifiée : elle part du Péloponnèse et, par la technique du cabotage, longe la côte illyrienne, puis la côte italique jusqu’à la botte, passe le détroit de Messine, la baie de Naples et arrive en Espagne. Une seconde route aboutit en Syrie, en Phénicie et en Égypte. Les échanges commerciaux se font non seulement dans le cadre de fondations en bonne et due forme, les apoikiai, mais aussi par l’intermédiaire des emporia. Par emporion, on entend un simple comptoir côtier de négoce. Il s’agit d’une place de commerce dont l’existence a été rendue possible par la présence d’autochtones avec lesquels les Grecs ont voulu nouer des contacts. L’emporion est donc dès le départ un modèle d’échanges mais aussi de mixité :

78

5 « Comme des grenouilles autour d’un étang ». Monde grec et diasporas (viiie-vie siècles)

on y trouve un mélange de communautés, comme à Pithécusses (Phéniciens et Eubéens). Avant d’être une apoikia, Pithécusses a probablement d’abord été un comptoir. Al-Mina est aussi un emporion qui s’est développé à l’embouchure de l’Oronte, en Syrie du Nord. Il est fréquenté dès la fin du ixe par les Eubéens qui y commercent avec les Phéniciens : c’est peut-être là que les Eubéens empruntent aux Phéniciens leur technique d’écriture.

Sur l’invention de l’alphabet grec, voir p. 48.

Situé en Égypte, dans le delta du Nil, Naucratis est un cas particulier d’emporion : il s’agit d’un comptoir où les Grecs vivent en communauté séparée dans une concession donnée par le pharaon Amasis (r. 570-526). S’y côtoient des Phocéens, des Rhodiens, des Mytiléniens, des Samiens ou encore des Éginètes. La population des emporia diffère probablement de celle des apoikiai car elle est avant tout constituée de marchands et de commerçants.

II. Espaces et temporalité des diasporas Lorsque les Grecs essaiment en Méditerranée, un autre peuple les a déjà bien devancés. Les Phéniciens occupent en effet, depuis le xe siècle, la région de Chypre et les rives sud de la Méditerranée. Parmi les villes phéniciennes, la plus fameuse est alors Carthage, sur la côte tunisienne, fondée selon la tradition en 814 par des colons de Tyr venus de Phénicie. Laissant les territoires déjà abordés par les Phéniciens, les Grecs s’installent en diverses régions de la Méditerranée, en deux temps.

Voir la carte  de la colonisation archaïque dans l’atlas final.

1. La première vague d’implantation : 775-675 Lors de cette première vague de départs, seules quelques cités se lancent dans l’aventure outre-mer, en particulier Chalcis et Érétrie, situées en Eubée, ainsi que Corinthe, Mégare et Sparte. Les espaces d’implantation sont aussi limités, à savoir la Sicile et l’Italie du Sud où l’afflux de colons grecs explique le nom désormais donné à cette région, la « Grande Grèce ». La première installation, datée de 775, se trouve sur la petite île d’Ischia, dans le golfe de Naples : il s’agit de Pithécusses où a été trouvée la coupe de Nestor.

Sur la coupe de Nestor, voir p. 49.

2. La deuxième vague d’implantation : 675-550 Lors de cette deuxième vague de départs, le phénomène se complexifie. Les cités de départ sont nombreuses et la colonisation touche de régions aussi diversifiées que le nord de l’Égée (Potidée, colonie corinthienne établie vers 600), le Pont-Euxin (Olbia, Sinope ou Apollonia du Pont fondées par la cité ionienne de Milet, respectivement en 647, 631 et 611), l’extrême Occident (Marseille fondée par Phocée en 600) et l’Afrique (Cyrène fondée par Théra en 631). 79

Partie 2 Le monde grec archaïque

Cependant, les fondations en Afrique du Nord sont peu nombreuses, du fait de la présence des Égyptiens et des Phéniciens. Certaines colonies fondent à leur tour des colonies, appelées alors « secondaires ». Marseille est ainsi la métropole de Rhodè ; Cyrène fonde Barcè ; ou encore Sinope fonde Trapézonte. Tableau des principales fondations coloniales Date Vers 750 Vers 750 Vers 750 Vers 750 730 720 710 Peu après 729 706 706 689 685 Vers 680 Vers 680 660 654 avant 650 651 647 631 631 611 Vers 600 600 600 Vers 600 580 Vers 565 Vers 560 Vers 560 560 Vers 500

80

Métropole Eubéens Chalcis et Kymè Corinthe Mégare Chalcis Achéens Achéens Naxos Corinthe Sparte Rhodes et Crète Mégare Paros Milet Mégare Phocée Chios Mégara Hyblaia Milet Théra Milet Milet Sybaris Phocée Corinthe Samos Géla et Rhodiens de Camira Phocée Milet Cyrène Mégariens et Béotiens Sinope

Colonie Pithécusses (Italie du Sud) Cumes (Italie du Sud) Syracuse (Sicile) Mégara Hyblaia (Sicile) Rhégion (Italie du Sud) Sybaris (Italie du Sud) Crotone (Italie du Sud) Catane (Sicile) Corcyre (Adriatique) Tarente (Italie du Sud) Géla (Sicile) Chalcédoine (Détroit du Bosphore) Thasos (Thrace) Cyzique (Propontide) Byzance (Détroit du Bosphore) Lampsaque (Propontide) Maronée (Thrace) Sélinonte (Sicile) Olbia (Pont-Euxin) Cyrène (Libye) Sinope (mer Noire) Apollonia du Pont (Pont-Euxin) Poseidonia (Italie du Sud) Marseille (Méditerranée occidentale) Potidée (Thrace) Samothrace (mer de Thrace) Agrigente (Sicile) Alalia (Corse) Amisos (Pont-Euxin) Barcè (Afrique du Nord) Héraclée (Pont-Euxin) Trapézonte (Pont-Euxin)

5 « Comme des grenouilles autour d’un étang ». Monde grec et diasporas (viiie-vie siècles)

III. Acteurs et modalités des expéditions 1. Les acteurs de la fondation : cité, oikiste et divinité Même si certains récits de fondation mettent en lumière des individus particuliers, la décision de fonder une colonie est prise par la communauté politique d’origine qui décide du départ d’une partie de ses membres. Cependant le contingent envoyé outre-mer est placé sous l’autorité d’un chef d’expédition appelé « oikiste ». Ainsi, Phalanthos est l’oikiste de Tarente ; Battos est celui de Cyrène ; Hippoclès de Kymè et Mégasthène de Chalcis sont les oikistes de Cumes. Les oikistes sont souvent des membres de l’aristocratie de leur cité d’origine. Hérodote livre les détails de la fondation de Cyrène, en Libye, par des Théréens conduits par Battos : « les Théréens décidèrent qu’on ferait partir, à raison d’un frère sur deux désigné par le sort, des hommes pris dans tous les districts, qui étaient au nombre de sept, et qu’ils auraient Battos pour chef » (Histoires, IV, 153). Une autre source, une inscription du ive siècle, reprend probablement le texte contemporain de la fondation, en 631 : ce « serment des fondateurs » insiste lui aussi sur l’égalité de traitement des familles de Théra et l’aspect coercitif de la décision imposée par la cité. Chaque famille doit envoyer un de ses fils dans l’expédition, dans un contexte frumentaire tendu, sous peine d’encourir de lourdes sanctions : « Quiconque refusera de s’embarquer malgré l’ordre de départ donné par la cité sera passible de mort et ses biens confisqués ; quiconque lui apportera approbation et protection, que ce soit un père à son fils ou un frère à un frère, subira la peine prévue pour le réfractaire » (SEG IX, 3). Une fois arrivé à destination, l’oikiste a pour lourde tâche d’organiser l’installation des colons : « (Les Phéaciens) avaient naguère habité la vaste Hypérie,/au voisinage des Cyclopes arrogants/qui les persécutaient, étant plus forts./De là, Nausithoos semblable aux dieux les emmena/ jusqu’en Schérie, très loin des hommes mange-pain ;/il fortifia leur ville, éleva des maisons,/distribua la terre et bâtit des temples aux dieux » (Homère, Odyssée, VI, v. 4-10). Après avoir transféré sur place le culte de la divinité poliade de la cité-mère, l’oikiste endosse le rôle de fondateur-géomètre et répartit les lots de terre. Son œuvre achevée, l’oikiste renonce à son autorité au profit des magistrats nouvellement institués dans la cité. À sa mort, il peut être assimilé à un héros fondateur et recevoir un culte. Enterré sur l’Agora de la cité nouvelle, il reçoit des sacrifices annuels et constitue désormais un référent identitaire fort pour les colons.

Une divinité poliade est une divinité qui protège une cité qui lui rend un culte spécifique.

Voir p. 262 sur la divinité poliade.

C’est par exemple le cas de Battos, le fondateur de Cyrène, seul oikiste à l’origine d’une dynastie, les Battiades, qui règne jusqu’en 440. D’après Pindare, Battos, à sa mort, devient un « héros vénéré » et a son tombeau sur l’Agora. On peut aussi citer Miltiade, à Chersonèse de Thrace. Hérodote rapporte ainsi qu’« à sa mort, les habitants de Chersonèse instituèrent en son honneur des 81

Partie 2 Le monde grec archaïque

Un hérôon est un sanctuaire-tombeau consacré à un héros.

Sur la consultation à Delphes, voir p. 267.

sacrifices auxquels a droit tout fondateur de cité » (VI, 38). Les traces matérielles confirment l’existence des cultes aux oikistes grâce aux hérôa identifiés sur les agoras des colonies. C’est sous le nom d’« archégète », de fondateur, que l’oikiste est désormais honoré, un adjectif qui est aussi réservé à Apollon, une divinité au cœur des diasporas. En effet Apollon est étroitement associé au choix de la destination et de l’oikiste, lorsqu’une cité décide de fonder une apoikia. Selon les récits de fondation, la métropole envoie d’abord à Delphes des représentants consulter Apollon, qui révèle le nom du chef d’expédition et des sites propices à l’installation. On retrouve ensuite Apollon dans les panthéons locaux des colonies, comme à Cyrène (Libye) ou à Phasis (Colchide). Le sanctuaire de Delphes est devenu un lieu privilégié d’échanges d’informations pratiques en tout genre, utiles aux marins et voyageurs. Apollon lui-même, selon l’Hymne homérique à Apollon, est un dieu fondateur. L’hymne raconte comment il établit son sanctuaire à Delphes, après avoir délogé l’occupant précédent, le serpent Pythô.

Sur le rôle d’Apollon et de la Pythie de Delphes, voir les citations d’Hérodote et de Strabon, p. 77.

Symboliquement, obtenir la caution d’Apollon est la meilleure des légitimités pour fonder une colonie. Il faut bien garder à l’esprit que la plupart des récits narrant les consultations du dieu à Delphes avant la création de la colonie sont des récits produits après la fondation, dans une perspective de justification. Le sanctuaire panhellénique de Delphes y gagne alors en prestige, s’imposant comme le sanctuaire des diasporas.

2. Navires et navigation Les navires utilisés par les colons nous sont connus grâce aux représentations figurées et aux épaves mises à jour par l’archéologie sous-marine. Les côtes françaises, italiennes et espagnoles ont ainsi livré quatorze épaves caractéristiques de la technique dite des « bateaux cousus », qui consiste à assembler des planches de bois avec des ligatures végétales. À l’époque archaïque, une seconde technique vient supplanter les bateaux cousus : grâce à des tenons chevillés dans des mortaises, les navires sont désormais plus solides. C’est selon ce procédé qu’Ulysse édifie son radeau lorsqu’il quitte la demeure de Calypso, au chant V de l’Odyssée.

Scène de naufrage. Dessin d’après un cratère eubéen trouvé à Pithécusses, 725-700.

82

Deux grands types de navires coexistent : les navires ronds, dotés d’une voile, sont particulièrement utilisés dans le commerce, tandis que les navires longs sont plutôt destinés à la guerre. Entre la fin du viiie et le début du viie siècle, dans la région ionienne, apparaissent les « dières », des bateaux à deux rangs de rameurs, bientôt supplantés, à l’époque classique, par des « trières », à trois rangs de rameurs. À l’époque archaïque, lors de ces voyages, il n’existe pas encore de carte marine ou d’instrument de navigation. Les marins interprètent les phénomènes

5 « Comme des grenouilles autour d’un étang ». Monde grec et diasporas (viiie-vie siècles)

naturels et s’orientent grâce à la position du soleil, aux constellations et à l’observation des promontoires sur les côtes. Ces derniers servent de points de repère indispensables, d’autant qu’ils sont souvent dotés d’un sanctuaire visible au loin. C’est le cas du Cap Sounion, en Attique, avec son temple de Poséidon, et du Panionon, sur le cap Mycale, face à Samos. Les distances sont mesurées en journées de navigation, avant que ne se généralise la mesure en stades.

3. Le rapport avec les autochtones Les récits de fondation évoquent le problème crucial des rapports entre les apoikoi arrivés à destination et les populations locales, qui se déclinent selon deux modèles. Ou bien les colons doivent affronter les autochtones afin de s’établir durablement et acquérir la terre nécessaire à leur survie, ou bien ils sont accueillis plutôt favorablement et établissent un « contrat » avec eux. La fondation de Tarente relève du premier type de rapport : Phalantos et ses compagnons doivent affronter les Iapyges. De même, le poète Archiloque, participant à la colonisation de Thasos par des colons de Paros, rapporte les combats menés contre « ces chiens de Thraces ».

Un stade équivaut à 600 pieds de longueur. Le pied grec utilisé dans le bâtiment est de 294296 mm alors que le pied olympique mesure 320 mm. « Phalanthos fut envoyé à Delphes consulter l’oracle sur l’éventualité d’une fondation de colonie. Le dieu lui répondit :“Voici : de Satyrion je te fais le cadeau, et je t’accorde encore de peupler les parages de la grasse Tarente et d’être le fléau, qui doit sur 1’lapygien exercer ses ravages” » (Strabon, VI, 3, 2).

D’autres récits rapportent comment certaines populations locales ont été réduites en esclavage et soumises aux nouveaux arrivants. Par exemple, lors de la fondation de Syracuse, les Corinthiens ont chassé les Sicules d’Ortygie et ont assujetti les Kyllyriens, travaillant désormais sur les terres confisquées. Ou encore les Béotiens et les Mégariens, lors de la fondation d’Héraclée du Pont, ont asservi les locaux connus sous le nom de Mariandyniens. Les traces archéologiques confirment parfois la violence de l’installation : en Sicile et en Italie du Sud, les sites indigènes détruits par incendie dont la date correspond à l’installation de colons sont nombreux. À l’inverse, certains groupes de colons se sont heurtés à la résistance des autochtones : Diodore de Sicile rapporte ainsi l’échec cinglant des Cnidiens menés par l’oikiste Pentathlos qui ont tenté de s’installer en Sicile vers 580 et qui ont été repoussés par les Carthaginois. Le deuxième modèle de contact, que l’on a pu appeler « phocéen », est celui de l’entente et de l’accord. Selon l’auteur Justin, les Phocéens installés à Marseille ont établi un contrat avec les Gaulois des alentours, scellé par une union matrimoniale. Ce faisant, les Phocéens auraient exporté leur modèle d’entente avec les dynastes locaux d’Asie Mineure, auxquels ils s’alliaient par le biais de mariages mixtes, ce qui leur permettait d’acquérir des terres. Certaines sources évoquent aussi l’octroi de terres aux arrivants par les rois locaux. Selon Thucydide, le roi des Sicules, Hyblon, aurait concédé aux colons venus de Mégare l’espace où s’est édifiée Mégara Hyblaia, dont le nom même est un hommage au souverain. Il faut cependant être prudent sur ce deuxième modèle qui laisse sceptique les spécialistes ; si l’installation a pu se faire parfois 83

Partie 2 Le monde grec archaïque

sans heurt, les cités fondées n’ont pas été à l’abri d’attaques ultérieures. Marseille a été ainsi la proie des Ligures peu après sa fondation.

IV. Les relations avec la métropole 1. Entre indépendance et emprunts culturels Jusqu’à l’époque hellénistique, il n’existe pas de langue grecque unifiée mais des dialectes comme l’ionien, le dorien ou l’éolien. Voir p. 13.

Dans leurs bagages, les colons emportent les dieux, les mœurs, la langue, le calendrier et les institutions de leur métropole. Tout cet ensemble est nommé « nomima » par les Grecs et il permet aux colons de partager un héritage culturel initial. Lors de la fondation, le feu de la cité d’origine sert à allumer le nouveau foyer de l’apoikia, créant symboliquement un lien fort et religieux entre les deux communautés. Abdère et sa métropole Téos célèbrent ainsi les mêmes fêtes ; les mêmes institutions se retrouvent dans les deux cités, comme les timouques (principaux magistrats), ainsi que les subdivisions civiques (sous le nom de phylè et de génos). Thasos a le même calendrier que sa cité-mère, Paros. L’historien I. Malkin évoque aussi une « Méditerranée spartiate » : les cités de Sparte, de Théra (d’origine spartiate selon les récits de fondation), de Cyrène (fondation de Théra), d’Euhesperides (fondation de Cyrène), de Tarente (fondation de Sparte) et d’Héraclée (fondation de Tarente) ont en commun les institutions de l’éphorat et de la royauté ainsi que le culte d’Apollon Karnéios. La cité fondée est bien indépendante politiquement mais les liens demeurent entre « cité-fille » et « cité-mère », notamment lorsque l’apoikia fonde elle-même une colonie, dite « secondaire ». Par exemple, lorsque Zancle fonde Rhegion, l’oikiste provient de Chalcis, qui est la métropole de Zancle. De même, Mégara Hyblaia demande un oikiste à Mégare, sa métropole, lorsqu’elle fonde Sélinonte. Ou encore Corcyre, fondation de Corinthe, qui fait de même lors de la fondation d’Épidamne en Illyrie.

2. Neutralité, entraide et rivalités

Sur Corcyre et Athènes, voir p. 131.

84

Les rapports entre les métropoles et les apoikiai oscillent entre indifférence, solidarité et conflits. Ainsi, les Tarentais n’ont reçu aucune aide des Spartiates lors de leur affrontement avec les Iapyges. Lorsque Sybaris et Crotone se déchirent (511-510), les Achéens du Péloponnèse, à l’origine des deux cités, n’interviennent pas. En revanche, lorsque la cité de Phocée est prise par les Perses en 546, les habitants trouvent refuge dans les fondations phocéennes, comme Alalia, en Corse, et Marseille. Corinthe et Corcyre ont connu des relations houleuses : après une bataille navale entre les deux camps (664) rapportée par Thucydide, les deux cités se réconcilient puis s’opposent à nouveau, en 433. Corcyre rejoint le camp athénien malgré les injonctions de Corinthe, alors proche de Sparte, un élément déclencheur dans la guerre du Péloponnèse.

5 « Comme des grenouilles autour d’un étang ». Monde grec et diasporas (viiie-vie siècles)

À RETENIR nnLes diasporas de l’époque archaïque ont connu deux temps forts (775-675 et

675-550).

nnLes Grecs se sont installés tout autour de la Méditerranée, hormis dans les terri-

toires déjà occupés par les Phéniciens.

nnLa création d’une apoikia est une décision collective prise au sein de la cité-­

mère même si les récits de fondation mettent en avant la figure particulière de l’oikiste-fondateur.

nnApollon de Delphes est la divinité principale des diasporas. nnLes raisons du départ sont multiples : aléas climatiques, pression démographique,

inégalités de la possession terrienne, tensions politiques, quête de terres fertiles et de matières premières.

nnLes communautés nouvelles, indépendantes politiquement, conservent cependant

des liens symboliques, culturels et diplomatiques avec leurs cités-mères.

LES DATES ESSENTIELLES : VOIR LE TABLEAU p. 80

BIBLIOGRAPHIE A. Avram, Les diasporas grecques du viiie siècle à la fin du iiie siècle av. J.-C., Paris, 2012. M. C. d’Ercole, Histoires méditerranéennes. Aspects de la colonisation grecque de l’Occident à la mer Noire (viiie-ive siècles av. J.-C.), Paris, 2012. M. Gras, La Méditerranée archaïque, Paris, 1995. I. Malkin, Un tout petit monde. Les réseaux grecs de l’Antiquité, Paris, 2018. L. Sève (dir.), « Les diasporas grecques du viiie à la fin du iiie av. J.-C. », Pallas, 89, 2012.

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CHAPITRE

6

PLAN DU CHAPITRE I. Crises foncières et crises sociales dans les cités archaïques II. L’expérience tyrannique

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Des sociétés en crise ? Législateurs et tyrans dans les cités grecques archaïques L’accroissement démographique, la multiplication des échanges commerciaux, l’essaimage en Méditerranée, la codification des lois, autant de symptômes qui révèlent le dynamisme de l’époque archaïque. Cependant, comme le laissent entendre les poèmes d’Hésiode, en Béotie, ou de Théognis, à Mégare, les c­ ommunautés des viie-vie siècles sont traversées par des ­tensions : l’angoisse des paysans redoutant la mauvaise récolte et l’endettement, les clivages sociaux, la méfiance envers les plus riches qui détiennent les terres et le pouvoir. Ces déséquilibres économiques et sociaux ébranlent les cités, prêtes à sombrer dans la guerre civile, la stasis. Dans ce climat de discorde entre groupes antagonistes mais aussi de rivalités entre pairs puissants, les cités archaïques sont le laboratoire d’expériences politiques menées par les figures du législateur et du tyran. L’étude de cette vie politique intense est possible grâce à une documentation textuelle variée, combinant la poésie (Hésiode, Théognis de Mégare, Solon) et l’histoire (Hérodote, Aristote, Nicolas de Damas, Plutarque).

6 Des sociétés en crise ? Législateurs et tyrans dans les cités grecques archaïques

I. Crises foncières et crises sociales dans les cités archaïques 1. La vie rurale en Béotie archaïque : le témoignage d’Hésiode Pour l’étude de la société grecque archaïque, notamment la précarité de la vie rurale, l’historien possède une source précieuse, le poème Les Travaux et les Jours. Composée par Hésiode au début du viie siècle, cette œuvre de 828 vers a pour cadre un petit village de Béotie où l’univers quotidien des paysans est celui de l’unité domestique, l’oikos (la maison, la maisonnée), qui tend à un idéal d’autarcie, même si la navigation et le commerce sont envisagés en complément de l’activité agricole. « Ayez d’abord une maison, une femme et un bœuf de labour », conseille Hésiode aux vers 405-406. L’écriture des Travaux et les Jours est liée à un contexte familial conflictuel : Hésiode est fâché avec son propre frère, ce « grand bêta » de Persès. Hésiode rapporte que son père, fuyant la pauvreté, a quitté Kymé, sa cité d’origine située en Éolide (Asie Mineure), pour s’installer en Béotie, à Askra, une petite communauté villageoise dépendant de Thespies. À la mort du père de Persès et d’Hésiode, les deux frères partagent son patrimoine en deux parts et Persès gaspille rapidement son héritage. Il prétend en réclamer davantage à son frère ; comme Hésiode refuse, Persès le menace d’en référer aux basileis, une élite aristocratique qui concentre le pouvoir politique et judiciaire à Thespies. Mais le poète n’a pas confiance en ces basileis et leurs « sentences torses » et il souhaite que le différend fraternel se résolve en dehors des tribunaux, sous l’égide de la justice de Zeus. Échaudé par sa propre expérience fraternelle et conflictuelle et ayant expérimenté le partage en division, Hésiode conseille d’abord de n’avoir qu’un seul enfant. Il reconnaît cependant que les fratries nombreuses produisent aussi une main-d’œuvre utile à l’économie de la maison. Dans tous les cas, l’équilibre économique de la petite propriété familiale est fragile et constamment menacé, autant par les mauvaises récoltes que par les querelles patrimoniales.

« Puisses-tu n’avoir qu’un fils pour nourrir le bien paternel – ainsi la richesse croît dans les maisons – et mourir vieux en laissant ton fils à ta place. Mais à plusieurs enfants, Zeus peut aisément aussi donner une immense fortune : plusieurs font plus d’ouvrage, plus grand est le profit » (Hésiode, Les Travaux et les Jours, vers 376-380).

Dans Les Travaux et les Jours, Hésiode propose à son frère un manuel de savoir-vivre qui doit lui éviter de choisir un mauvais style de vie : on peut qualifier cette œuvre de poésie didactique. Le poète propose à la fois un sermon public et un avertissement privé, destiné autant aux basileis garants de la justice qu’à Persès. Les basileis doivent rendre une justice droite (Dikè) sous l’égide de Zeus, et Persès doit renoncer aux conflits successoraux pour se consacrer à la bonne Éris (Querelle) qui engendre l’émulation et au travail honnête. Si Persès le premier, mais aussi l’ensemble des hommes, ne s’en tiennent pas à cette conduite, le 87

Partie 2 Le monde grec archaïque

temps des humains est menacé de déliquescence par le règne de la démesure, l’hybris, ainsi qu’Hésiode le met en scène dans le « mythe des âges ».

Hésiode et le mythe de l’âge de fer Le « mythe des âges » propose une comparaison entre le temps du poète et un nostalgique passé mythique où la race humaine était exempte de maux et de soucis. Hésiode découpe le temps en séquences métalliques : or, argent, race des héros, bronze et fer. L’âge de fer est celui dans lequel le poète vit, cette société de petits paysans et de gouvernants privilégiés. Temps de l’humain, l’âge de fer est marqué par la présence complémentaire de biens et de maux, de la justice et de la démesure. Hésiode prévient ses lecteurs des dangers qui guettent les hommes si l’injustice l’emporte : « Mais Zeus fera périr à son tour cette race d’hommes éphémères. À peine nouveau-nés ils auront les tempes grises. Pas de ressemblance du père aux enfants, des enfants au père. Pas d’amitié entre l’hôte et son hôte, entre compagnon et compa­gnon. Et le frère ne sera pas aimé comme il l’était autrefois. Ils offenseront leurs parents dès qu’ils les verront vieillir. Ils les insulteront, avec des paroles mauvaises, ne sachant pas, malheureux, que les dieux voient. Jamais aux parents vieillis ils ne rendront ce qu’ils leur doivent » (Hésiode, Les Travaux et les Jours, v. 180-187). La déliquescence de l’âge de fer est liée au non-respect de la justice et elle se traduit par un mépris des relations fondamentales. Les hommes ne pratiquent plus la philoxenia (l’hospitalité), ils maltraitent leurs parents et ils délaissent leurs frères. Alors que ceux qui vivent dans une cité juste ont des enfants qui leur ressemblent, une société injuste est une société de la dissemblance entre pères et enfants.

2. Problèmes de la terre et statuts serviles ■■ Le

compromis de Solon dans l’Athènes archaïque L’Athènes archaïque est une société profondément inégalitaire. L’un des symptômes de ce déséquilibre socio-économique est la coexistence de plusieurs types d’individus défavorisés et au statut précaire, notamment suite à un endettement : –– certains Athéniens sont « asservis pour dettes ». Ils travaillent au service de leurs créditeurs pour rembourser ce qu’ils leur doivent mais leur condition est temporaire, même si la dette peut peser sur plusieurs générations tant qu’elle n’est pas soldée ; –– d’autres sont « esclaves pour dettes ». Ces individus ont été réduits en esclavage et ils ne se distinguent pas des autres esclaves. Certains ont ainsi été vendus à l’étranger, exilés de leur patrie d’origine ; –– enfin, il existe le statut dit d’« hectémore ». Leur nom fait référence à un partage des fruits de la terre en six parts, dont l’hectémore ne possède

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6 Des sociétés en crise ? Législateurs et tyrans dans les cités grecques archaïques

probablement qu’une part. Le propriétaire fournit la terre, les outils, les animaux de trait, les semences et l’accès à l’eau ou les moyens de stockage, tandis que l’hectémore apporte son travail. Archonte en 594/593, Solon se pose alors en arbitre et tente de résoudre la crise aiguë qui frappe Athènes, où les tensions sociales laissent peser la menace de la guerre civile (la stasis) : –– Solon abolit les dettes des paysans et interdit qu’un citoyen athénien, même très pauvre, puisse se voir privé de liberté et réduit à l’état servile pour cause d’endettement. C’est ce que les sources ont appelé « la levée du fardeau » (en grec seisachtheia). Dorénavant, il existe une frontière nette entre citoyens libres et esclaves. Les seuls esclaves désormais présents à Athènes ne peuvent être que des étrangers, des « esclaves-marchandises ». Une autre conséquence de cette réforme a été le retour d’Athéniens pauvres et sans terre à Athènes, qui avaient été vendus antérieurement comme esclaves ou qui s’étaient exilés. On imagine aisément qu’ils aient alors revendiqué de récupérer leurs terres hypothéquées et confisquées par leurs anciens maîtres. Cependant, Solon ne procède pas à un nouveau partage des terres et des fortunes, ainsi qu’il l’explique lui-même dans ses poèmes ; –– Solon aurait procédé à une répartition des citoyens athéniens en quatre classes censitaires, selon leur fortune : les thètes (les citoyens pauvres sans terre), les zeugites qui peuvent acheter l’armement hoplitique, les hippeis qui ont les moyens de posséder un cheval et les pentacosiomédimnes, les plus riches. Aujourd’hui encore, la fonction, voire l’existence, des « classes soloniennes » fait débat chez les historiens ; –– Solon aurait réaffirmé le droit des plus pauvres à participer à l’assemblée des citoyens et à un nouveau tribunal populaire, l’Héliée, sur lequel cependant l’ensemble des historiens ne s’accorde pas. Il aurait aussi créé le Conseil des Quatre-Cents. Solon édicte enfin que les lois doivent être les mêmes pour les riches et pour les pauvres. Alors que trop d’Athéniens ont été vendus « illégalement » à l’étranger, Solon affirme l’existence d’une justice désormais impartiale que chacun peut saisir afin de faire appel d’un jugement, indépendamment de son niveau de fortune. Au ive siècle, selon les analyses du philosophe Aristote, les différentes mesures de Solon en faveur de l’intégration des plus humbles citoyens font de lui « le père fondateur de la démocratie athénienne » (Cl. Mossé).

Sur les esclaves voir p. 183. « Pour le reste, je n’ai rien fait à la légère : il ne me plaît pas d’agir avec la violence de la tyrannie, ni que, de la grasse terre de la patrie, vilains et nobles aient une part égale » (Solon, fragment 34 W, 7-9).

Les pentacosiomédimnes sont de grands propriétaires terriens et disposent d’une production agricole minimale de 500 médimnes (mesures) de blé.

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Partie 2 Le monde grec archaïque

Les poèmes de Solon Pour connaître l’œuvre législative de Solon, les historiens sont tributaires de sources postérieures comme la Constitution des Athéniens attribuée à l’école aristotélicienne, mais aussi de poèmes que Solon lui-même aurait rédigés et qui demeurent difficiles à interpréter. « De cela pourrait témoigner pour moi au tribunal de Chronos la très grande, très noble, mère des dieux olympiens, la Terre Noire, dont j’ai, moi, autrefois, arraché les bornes fichées de tous côtés ; autrefois esclave, la voilà libre. J’ai ramené à Athènes, dans leur patrie fondée par les dieux, bien des gens qui avaient été vendus, certains au mépris de toute règle, les autres selon les règles, et d’autres qui s’étaient exilés réduits à une terrible nécessité, et qui ne parlaient plus la langue de l’Attique, tellement ils avaient erré en tous lieux. Quant à ceux qui étaient restés là, dans les liens d’une servitude honteuse, tremblants devant la mauvaise humeur de leurs maîtres, je les ai libérés (Fr. 36W, v. 8-15, traduction M. J. Werlings, Le dèmos avant la démocratie) ».

Les mesures initiées par Solon, qui touchent par ailleurs des domaines aussi variés que le droit familial, les funérailles ou la répression de l’injure, ne suffisent pas à rétablir la concorde dans la société athénienne. Les plus riches ont été lésés par l’abolition des dettes et les plus pauvres réclament toujours le partage des terres. Les tensions demeurent donc entre les possédants et les plus modestes, auxquelles s’ajoutent des tensions entre grandes familles. En 560, c’est finalement un tyran, Pisistrate, qui s’impose. Dans ses poèmes, c’est précisément ce qu’avait redouté Solon, à savoir qu’un type particulier d’homme politique, le tyran, ne flatte les revendications du dèmos et ne prenne alors le pouvoir. ■■ Hilotes

Sur la société spartiate, voir en détail le chapitre 13.

Sur les Kyllyriens, voir p. 147.

90

et Pénestes L’Athènes pré-solonienne n’a pas été la seule société à connaître des difficultés foncières et des populations au statut précaire et dépendant. Une des manifestations visibles des déséquilibres économiques et statutaires du monde grec archaïque est la présence d’un esclavage qu’on appelle hilotique, d’après le nom des esclaves de Sparte. En effet, dans la cité spartiate, les Hilotes constituent un ensemble de dépendants appartenant à un maître (despotès), mais dont la possession est encadrée et régulée strictement par la cité spartiate qui interdit la vente à l’étranger de ces travailleurs. Les Hilotes, rattachés à un lopin de terre qu’ils cultivent, le klèros, doivent verser au Spartiate pour lequel ils travaillent une redevance prélevée sur la récolte. L’asservissement en masse de populations, afin de créer une force de travail efficace, n’est pas l’apanage de Sparte. On retrouve ce phénomène en Thessalie, avec les Pénestes travaillant pour les plus riches citoyens et recevant une ration alimentaire en échange de leur travail, mais aussi en Crète et dans les colonies grecques d’Italie du Sud, de Sicile (où les Kyllyriens exploitent les terres des Géomores de Syracuse) et de mer Noire.

6 Des sociétés en crise ? Législateurs et tyrans dans les cités grecques archaïques

II. L’expérience tyrannique 1. Qu’est-ce qu’un tyran ? Le terme tyrannos pourrait provenir de Lydie où il aurait signifié « maître » ou « chef ». La première occurrence se trouve chez un poète archaïque actif au viie siècle, Archiloque de Paros, qui a été mercenaire dans les régions d’Asie Mineure. Le terme « tyran » renvoie à l’exercice du pouvoir par un seul individu qui, contrairement à un roi légitime, obtient et conserve le pouvoir par la force. Dans les théories politiques du ive siècle, chez Platon ou chez Aristote, la tyrannie apparaît comme une forme dégénérée de monarchie. L’absence de légitimité dynastique se traduit par le difficile maintien des tyrannies sur plus de deux générations et par leur fin violente. Si le tyran devient un épouvantail politique à l’époque classique, notamment à Athènes, il ne faut pas oublier que ce régime a aussi initié de nombreuses réformes, autant dans le domaine économique et religieux qu’urbanistique. Le plus souvent, les tyrans s’appuient sur le peuple pour accéder et se maintenir au pouvoir, tout en neutralisant par l’exil ou par des alliances les grandes familles aristocratiques de la cité. La tyrannie entretient en effet un rapport ambigu avec l’aristocratie : elle en provient mais elle s’y oppose aussi avec violence. Ainsi que le résume l’historienne C. de Oliveira Gomes, la « tyrannie est le signe même de l’impuissance de l’aristocratie à gouverner les cités en un temps où montent les tensions dues aux inégalités sociales ». La tyrannie aurait proposé une alternative aux cités minées par l’impasse politique où se seraient égarées les « chefferies aristocratiques ». Selon Aristote, tous les tyrans sont des chefs du peuple (des « démagogues ») qui luttent contre l’oppression de l’élite. Cependant, les tyrans ont continué à arborer les mêmes valeurs que l’aristocratie traditionnelle qu’ils défient par leur pouvoir : la réputation, la performance, le prestige, et ce dans leurs cités comme dans le cadre élargi des grands sanctuaires panhelléniques. Si de nombreuses cités archaïques ont connu la tyrannie, Sparte se distingue ; la cité péloponnésienne élabore même une vraie politique anti-­tyrannique. Selon les traits de sa constitution, elle délègue à un collège renouvelé de magistrats, les éphores, le monopole de la surveillance des citoyens. Contrairement aux grands travaux menés par les tyrans, Sparte ignore la monumentalisation de son espace. Et, plus encore, les Spartiates ont été d’une précieuse aide dans la chute de la tyrannie à Athènes, en 510. C’est précisément sur les tyrans d’Athènes du vie siècle, mais aussi ceux de Corinthe au viie siècle, que l’on est le mieux renseigné.

Voir par exemple le tyran Hiéron de Syracuse et les concours d’Olympie, p. 73.

Sur l’éphorat, voir p. 244.

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Partie 2 Le monde grec archaïque

2. Les Kypsélides de Corinthe Sur les Bacchiades, voir p. 68.

L’avènement du premier tyran de Corinthe, Kypsélos, intervient dans un contexte politique et militaire précis. Au poids pesant de l’oligarchie des Bacchiades s’ajoute l’échec subi par les Corinthiens en 664 lors de la première grande bataille navale de l’histoire où Corcyre, cité fondée par Corinthe, l’emporte sur sa métropole. Géographiquement plus proches, les cités de Mégare et d’Argos se développent, portant ombrage à Corinthe. Amenés à défendre leur patrie contre les menaces extérieures, les paysans, dont certains sont endettés, en viennent à réclamer davantage de considération dans un système où les Bacchiades monopolisent depuis des décennies les charges politiques principales. En outre les Bacchiades échouent à maintenir la puissance de Corinthe hors-les-murs et prélèvent à leur profit des taxes sur les échanges commerciaux. Entre 660 et 620, Kypsélos, Bacchiade par sa mère, accède à la charge de polémarque, réservée à la caste dirigeante.

Kypsélos : l’enfant et le coffre L’historien Thucydide (V, 92) rapporte comment la mère de Kypsélos, Labda, fille d’un Bacchiade mais souffrant de boiterie, a été donnée en mariage à un homme n’appartenant pas au clan. De cette union naît un enfant qui, selon un oracle de Delphes, régnerait sur Corinthe, « puissant et féroce comme un lion », et qui, telle « une pierre roulante s’abattra(it) sur les hommes régnants et soumettra(it) Corinthe à sa justice ». Les Bacchiades ont vent de cet oracle et, inquiets, veulent éliminer l’enfant. Mais ­Labda le cache dans un coffre (une kupselê, qui donne son nom à l’enfant sauvé) et il échappe au complot. Kypsélos, arrivé à l’âge adulte, reçoit confirmation de son destin par un oracle de Delphes et s’empare du pouvoir. Polémos signifie « guerre ».

Ainsi que son étymologie l’indique, le polémarque a à voir avec la direction d’affaires militaires ; c’est ainsi que Kypsélos utilise cette magistrature pour s’emparer du pouvoir avec le soutien du peuple en armes, les hoplites. De nombreux artisans et commerçants, qui ont refusé de payer les contributions demandées par les Bacchiades, ont été poursuivis devant un tribunal qui les a déférés au polémarque ; la figure de Kypsélos apparaît comme un rempart contre les exigences inégalitaires de l’oligarchie. Kypsélos se fait alors appeler « roi » (basileus) mais donne à son pouvoir un caractère coercitif et autoritaire qui prend pour cible l’aristocratie des Bacchiades. Certains d’entre eux sont assassinés, d’autres sont exilés et leurs terres confisquées. Kypsélos met alors en place certaines mesures économiques. D’après l’Économique attribué à l’école d’Aristote, il aurait levé un impôt d’un dixième, probablement sur les récoltes, et ce pendant dix ans. Cet impôt aurait permis d’aider les plus modestes et aurait financé les départs vers de nouvelles colonies, ainsi que la construction de trières et l’édification de l’enceinte fortifiée de

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6 Des sociétés en crise ? Législateurs et tyrans dans les cités grecques archaïques

Corinthe. S’inscrivant dans la compétition culturelle entre tyrans, Kypsélos aurait aussi investi une partie de l’impôt dans l’édification du Colosse d’Olympie, une grande statue en or de Zeus. La politique foncière de Kypsélos est encore débattue ; s’il a confisqué une partie des lopins des anciens oligarques, la question se pose de leur redistribution. Selon J. Zurbach, la tradition favorable à Kypsélos véhiculée par Hérodote ou Nicolas de Damas s’explique par une politique de redistribution. Kypsélos aurait aussi favorisé la création de nouvelles colonies, à Leucade, à Anactorion et à Ambracie, situées en Adriatique, dont les oikistes ont été ses trois fils.

Sur l’oikiste, chef d’expédition, voir p. 81.

Ces nouvelles implantations corinthiennes, stratégiques par leur emplacement pour le contrôle de la route de l’isthme, ont été utiles pour exiler de potentiels opposants au tyran mais aussi pour expatrier des paysans modestes en quête de meilleures conditions de vie. La politique territoriale de Kypsélos a ainsi permis de résoudre en partie les difficultés agraires de Corinthe, tout en assurant la sécurité de la navigation et l’approvisionnement en métaux précieux, nécessaires à la fabrication de la monnaie. On date en effet l’apparition des premières pièces à Corinthe des années 600. Kypsélos est ainsi considéré comme un « bon tyran », en miroir inversé de son fils Périandre qui lui succède après trente ans d’un règne dont les bornes chronologiques exactes nous échappent précisément.

Une hypothèse chronologique est la suivante : Kypsélos (657625), Périandre (625-585) et Psammétique (585-583). Une autre chronologie basse fait coïncider le règne de Kypsélos et l’apparition de la monnaie, et place la dynastie des trois Kypsélides entre 620/610 et 550/540.

Une légende noire de Périandre (Hérodote et Aristote) a en effet brossé le portrait d’un despote nécrophile, violent et paranoïaque au point de s’entourer d’une garde de trois cents hommes. En bon entrepreneur, Périandre met cependant à profit ses années de tyrannie pour améliorer les infrastructures de la cité corinthienne : il aurait ainsi édifié un nouveau temple, agrandi le port et mis en place le diolkos. Une autre mesure est aujourd’hui réexaminée dans le sens d’une amélioration de la structure agraire de la cité corinthienne : en maintenant la petite paysannerie sur les terres de la chôra, Périandre a empêché un fort exode rural et un déséquilibre fatal pour sa cité. Ainsi, selon J. Zurbach, le programme foncier des tyrans de Corinthe, redistribution et législation, explique en grande partie la stabilité politique de la cité corinthienne entre le vie et le ive siècle.

Le diolkos est un chemin de halage dallé qui permet aux navires d’utiliser la voie terrestre pour passer du golfe de Corinthe au golfe Saronique.

Le neveu de Périandre, du nom de Psammétique, succède à son oncle, le temps d’un court règne. Nicolas de Damas nous apprend ainsi que « le peuple détruisit les maisons des tyrans, confisqua leurs biens, jeta le cadavre de Kypsélos-Psammétique par-delà la frontière, sans sépulture, viola les tombeaux de ses ancêtres et en vida les ossements » (fragment 60). Le pouvoir tyrannique des Kypsélides finit en effet par cristalliser un double mécontentement, celui des plus aisés, visés par leurs mesures, mais aussi celui du peuple corinthien qui n’a guère vu d’amélioration notable dans la crise persistante de leur cité depuis la chute des Bacchiades, même si les tyrans l’ont momentanément différée grâce aux échanges avec le monde égéen

Buste de « Périandre, fils de ­Kypsélos, corinthien  », copie romaine d’un original du ive siècle (Rome).

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Partie 2 Le monde grec archaïque

et l’Asie mineure. Parmi les symptômes de ce déclin, la céramique corinthienne cède le pas à la concurrence athénienne, à partir des années 550.

L’artisanat corinthien Si l’époque des Bacchiades est marquée par l’apparition du style orientalisant et de la nouvelle technique de céramique à figures noires (voir p.  68), l’époque des Kypsélides voit l’essor de la production de petits vases destinés à contenir de l’huile parfumée. Corinthe se spécialise en effet dans l’extraction de l’essence d’iris, une plante importée d’Illyrie (Albanie actuelle) par le biais de ses fondations situées sur la côte adriatique, Apollonia et Épidamne.

Fragment d’une plaquette de Penteskouphia, 575-550 (Louvre, Paris).

La maîtrise du travail artisanal par les Corinthiens est confortée par la documentation archéologique issue des fouilles du sanctuaire extra-urbain de Penteskouphia, à 2,5 km au sud-ouest de Corinthe. On y a retrouvé de nombreuses plaquettes (des pinakes) en argile blanche qui ont été produites entre le viie et le début du ve siècle. Plusieurs plaquettes sont décorées de scènes liées au travail de l’argile : l’extraction, le tournage par le potier et la cuisson dans des fours dédiés (sur l’artisanat céramique, voir en détail p. 278).

3. Les Pisistratides d’Athènes « Pisistrate ayant pris le pouvoir, gouverna plutôt en bon citoyen qu’en tyran ». Présenté ainsi dans la Constitution des Athéniens (XVI, 2), le premier tyran d’Athènes s’éloigne de la tradition classique qui a façonné une image négative de cette forme de pouvoir personnel qu’est la tyrannie. Les Pisistratides, soit Pisistrate et ses fils Hipparque et Hippias, ont singulièrement marqué la cité d’Athéna au vie siècle et ont laissé un souvenir nuancé de leur règne. Pour en reconstituer la teneur, il faut faire confiance à des auteurs postérieurs, tels Hérodote, Thucydide et l’école d’Aristote. ■■ L’arrivée

au pouvoir Trois tentatives ont été nécessaires à Pisistrate pour imposer définitivement sa tyrannie (561-527). Après les réformes de Solon, les Athéniens sont désormais protégés de l’esclavage pour dettes qui menaçait les paysans appauvris de l’Attique. Mais les tensions politiques resurgissent, déchirant les grandes familles en quête de la magistrature suprême, l’archontat. Signe de ces temps

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6 Des sociétés en crise ? Législateurs et tyrans dans les cités grecques archaïques

troublés de la période post-solonienne, certaines années sont sans archonte : c’est l’« anarchie ». Face à deux compétiteurs de renom, Lycurgue et Mégaclès, Pisistrate apparaît alors comme le troisième homme, soutien du peuple/dèmos face aux ambitions des aristoi, « les meilleurs ». Stéréotype du tyran « démagogue », Pisistrate tente une première prise de pouvoir qui se solde par un exil de dix ans, selon Aristote. Un premier retour, mis en scène avec la complicité d’un Mégaclès opportuniste qui lui offre sa fille en mariage, lui permet de se présenter aux Athéniens sous des atours héroïques. D’après Hérodote, il revient dans la ville accompagné d’une jeune femme déguisée en Athéna guerrière et montée sur un char, lui-même s’assimilant dans cette procession au héros Héraklès. Ce deuxième règne tourne vite court. Mégaclès lui retire son soutien, probablement excédé par le désintérêt du tyran pour sa fille : déjà père de deux fils, il est possible que Pisistrate n’ait pas voulu diviser leur héritage en se mariant et en ayant un autre enfant. Plus globalement, afin d’asseoir son autorité, Pisistrate a pu vouloir rogner les privilèges des grandes familles et a cristallisé ainsi contre lui une opposition assez forte pour l’obliger à quitter Athènes de nouveau. Ce n’est qu’après avoir rassemblé des troupes en Eubée et remporté une victoire contre ses adversaires, près du temple attique d’Athéna Pallénis (en 547 ?), que Pisistrate établit durablement sa tyrannie et ce jusqu’à sa mort en 527. Ce sont ensuite ses deux fils, Hipparque et Hippias, qui reprennent le flambeau jusqu’en 510. ■■ La

politique des Pisistratides Si Pisistrate bénéficie d’une assez bonne réputation dans les sources classiques, c’est notamment parce qu’il n’a pas éliminé systématiquement ses adversaires politiques, comme les familles prestigieuses des Alcméonides ou des Philaïdes. On sait que ces dernières, entre deux exils, ont eu accès à l’archontat, signe d’une cohabitation relative. Grâce à sa richesse tirée du mont Pangée et de la colonisation de la région de Rhaikelos (golfe thermaïque), Pisistrate a pu aussi financer une armée personnelle, utile face à des rebelles potentiels.

Hérodote rappelle que Pisistrate n’aurait pas touché aux institutions préexistantes, comme le conseil aristocratique de l’Aréopage, l’archontat et l’assemblée. D’après la Constitution des Athéniens (XVI, 3), Pisistrate « avançait de l’argent aux pauvres pour leurs travaux, si bien qu’ils gagnaient leur vie en cultivant la terre ». Le temps des Pisistratides est ainsi marqué du sceau de la prospérité : signes tangibles de cet « âge d’or » économique, les premières chouettes athéniennes sont frappées à cette époque, à l’effigie de l’animal d’Athéna.

Sur la monnaie athénienne, voir p. 283.

La céramique attique à figures noires connaît un essor inédit : le quartier des potiers, au nord d’Athènes, produit à l’exportation des milliers de vases. La politique internationale de Pisistrate permet de nouer des rapports privilégiés avec des régions qui seront, un siècle plus tard, des bases de l’empire 95

Partie 2 Le monde grec archaïque

athénien. Pisistrate soutient ainsi la tyrannie de son ami Lygdamis à Naxos, île égéenne ; il s’empare de Sigée dans l’Hellespont, sur la « route du blé », et favorise les aventures de l’aristocrate Miltiade en Chersonèse de Thrace. ■■ La

ville d’Athènes sous les Pisistratides Pisistrate et ses fils remodèlent les contours de la ville d’Athènes. Malgré le « vent hypercritique » (selon l’expression de l’archéologue R. Étienne) qui souffle sur les réalisations des tyrans d’Athènes, trois domaines ont été assurément touchés par leurs initiatives :

Korè découverte sur l’Acropole d’Athènes, 530 (Musée de l’Acropole, Athènes).

Sur la procession des Panathénées, voir p. 262.

Femmes à la fontaine. Détail d’une hydrie attique, 510-500 (Met, New-York).

–– les Pisistratides sont à l’origine de plusieurs édifices religieux, un « programme » de construction valorisant surtout Zeus et Athéna. Dès le règne de Pisistrate, l’Acropole connaît un remodelage certain. Athéna est honorée dans deux nouveaux édifices à l’emplacement encore débattu. Dans l’« ancien temple » se trouve la statue en bois d’Athéna, le xoanon, dont la tunique est changée tous les quatre ans lors des Grandes Panathénées. Cette fête serait une innovation de Pisistrate qui aurait aussi mis en place les Concours Panathénaïques, peut-être en 566. L’Acropole se couvre d’offrandes et de statues, comme les korai, innovations sculpturales de l’époque archaïque représentant des jeunes filles vêtues d’une tunique. Le tyran Hippias lance un grand chantier sur l’Agora pour l’édification d’un temple à Zeus Olympien, qui n’est cependant pas achevé ; –– un nouveau système d’adduction d’eau est mis en place, en témoignent « la fontaine aux neuf bouches » de l’Agora, l’Ennéakrounos, et le réseau de canalisations en terre cuite qui draine les eaux du mont Hymette. Ce faisant, Pisistrate s’inscrit dans la tradition édilitaire des tyrans, comme à Mégare (fontaine de Théagène, tyran entre 630 et 600), puis à Samos (aqueduc souterrain d’Eupalinos édifié sous le règne de Polycrate, tyran de 528 à 522) ; –– les tyrans remodèlent le lien entre la ville et la campagne. Un autel des douze dieux est édifié sur l’Agora et sert désormais de point de référence pour exprimer les distances entre le centre urbain et les bourgades rurales. Sur les routes attiques sont dressés des « piliers hermaïques », arborant une tête d’Hermès et un phallos en érection, et dispensant au voyageur des informations topographiques agrémentées de maximes à portée moralisante. Le dialogue platonicien de l’Hipparque en livre ainsi deux exemples, destinés, selon Socrate, à « faire l’éducation des campagnards » : « marche dans des sentiments de justice » et « ne trompe pas ton ami ». ■■ La

Hermès de Siphnos, 520 (Musée National Archéologique, Athènes).

96

fin de la tyrannie Au mois de juillet 514, deux amants du nom d’Harmodios et d’Aristogiton assassinent Hipparque, lors des Panathénées. Selon Hérodote (V, 56), le matin de sa mort, le tyran voit en songe un homme qui l’interpelle ainsi : « endure, lion, d’un cœur endurant, les maux inendurables qui te frappent ; il n’est pas

6 Des sociétés en crise ? Législateurs et tyrans dans les cités grecques archaïques

un homme qui, commettant l’injustice, échappe au châtiment ». En refusant d’écouter les interprètes venus l’avertir du danger qui le menace, Hipparque fait preuve d’un orgueil coupable, un défaut traditionnel dénoncé dans les portraits de tyran des sources classiques. Hipparque succombe alors sous les coups des « tyrannoctones », vite maîtrisés et mis à mort. Thucydide relaie une autre version du meurtre d’Hipparque : Harmodios et Aristogiton auraient été mus moins par la volonté de libérer Athènes du joug tyrannique que par une histoire de cœur contrariée. Le jeune Harmodios aurait décliné les avances d’Hipparque qui, furieux d’avoir été éconduit, aurait humilié sa sœur lors d’une procession religieuse. Par vengeance, Aristogiton et Harmodios décident d’en finir avec Hipparque. Il faut cependant attendre 510 pour que les Spartiates prêtent mains fortes aux aristocrates athéniens décidés à chasser le dernier tyran, Hippias. Hippias trouve alors refuge auprès du Grand Roi Darius ier, qu’il conseille lors des guerres médiques opposant les Grecs et les Perses.

Sur les guerres médiques, voir le chapitre 7.

À la suite de l’exil d’Hippias, les luttes entre factions aristocratiques reprennent. Mais cette fois-ci, l’homme qui met fin à ces dissensions en 508/507, un certain Clisthène, pose les bases d’un nouveau régime, la démocratie.

Sur Clisthène, voir p. 185.

Honorer les tyrannicides Dès la chute de la tyrannie, Harmodios et Aristogiton deviennent des symboles politiques, ce dont témoignent plusieurs marques d’honneur. Peu après 510, un premier groupe statuaire en bronze, réalisé par le sculpteur Anténor et placé en pleine Agora, rend hommage à Harmodios et Aristogiton. En 480, lors du pillage de la cité athénienne, le roi perse Xerxès s’en empare et l’emporte à Suse. Pour remplacer l’œuvre d’Anténor, les sculpteurs Kritios et Nésiotès édifient en 477/476 un second groupe en bronze, de nouveau sur l’Agora et connu notamment par des copies romaines (voir ci-contre). Les tyrannicides sont en outre honorés dans les banquets par le biais de chansons composées à leur gloire, comme le « chant d’Harmodios ». Ils reçoivent aussi des sacrifices annuels effectués sur leurs tombes au nom de la cité démocratique, au Céramique.

Les tyrannoctones, copies en marbre des bronzes de Kritios et Nésiotès, c. 475 (Musée Archéologique, Naples).

97

Partie 2 Le monde grec archaïque

À RETENIR nnLes Travaux et les Jours du poète béotien Hésiode constituent un témoignage pré-

cieux sur la vie rurale de l’époque archaïque.

nnDans un contexte de tensions économiques et sociales caractéristiques des cités

archaïques et dues notamment à l’inégal accès à la terre, des hommes politiques ont émergé et ont tenté d’apporter des solutions à la crise.

nnCertains de ces hommes apparaissent comme des législateurs, à l’instar de Solon

à Athènes. La principale réforme de Solon est d’avoir aboli l’esclavage pour dettes des citoyens athéniens.

nnDe nombreuses tyrannies se sont aussi imposées dans les cités en crise, comme à

Corinthe (Kypsélides) et à Athènes (Pisistratides).

nnLa tyrannie, pouvoir d’un seul, est considérée comme un gouvernement illégitime

qui s’impose et se maintient par la force. Les tyrans ont cependant développé des programmes économiques et architecturaux.

LES DATES ESSENTIELLES Vers 700 : Hésiode compose Les Travaux et les Jours 657 ?-583 ? ou 620 ?-540 ? : tyrannie des Kypsélides à Corinthe Vers 650-vers 510 : tyrannie des Orthagorides à Sicyone (Achaïe) Vers 640-630 : instauration d’une tyrannie à Mégare par Théagène 625-570 : apogée de la production céramique corinthienne Vers 610 : instauration d’une tyrannie à Milet par Thrasybule 600-550 : premières frappes monétaires à Corinthe et à Athènes 594/593 : archontat de Solon Vers 580 : instauration d’une tyrannie à Mytilène par Pittacos 566 : réorganisation des Panathénées à Athènes 561-527 : tyrannie de Pisistrate à Athènes 534 : instauration des Grandes Dionysies et premier concours de tragédies 527-510 : tyrannie d’Hipparque et d’Hippias à Athènes 514 : assassinat d’Hipparque par Harmodios et Aristogiton 510 : Hippias est chassé d’Athènes et se réfugie chez les Perses 509-508 ? : statue des tyrannoctones par Anténor sur l’Agora d’Athènes 508/507 : réformes de Clisthène (Athènes)

98

6 Des sociétés en crise ? Législateurs et tyrans dans les cités grecques archaïques

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99

PARTIE 3

CHAPITRE 7 LES GUERRES MÉDIQUES (499-479)

103

CHAPITRE 8 L’EMPIRE DE LA CHOUETTE GLOIRE ET CHUTE D’ATHÈNES (478-403)

118

CHAPITRE 9 LES HÉGÉMONIES AU IVe SIÈCLE DE LYSANDRE DE SPARTE À DENYS II DE SYRACUSE (404-344)141 CHAPITRE 10 PHILIPPE, ALEXANDRE ET LES CITÉS GRECQUES (356-323)

156

GUERRE ET PAIX DANS LE MONDE GREC CLASSIQUE

102

CHAPITRE

7

PLAN DU CHAPITRE I. Les origines du conflit II. La première guerre médique (490) III. La deuxième guerre médique (481- 479) IV. Le bilan des guerres médiques

Les guerres médiques (499-479) Le ve siècle s’ouvre sur une confrontation militaire majeure, les guerres médiques, dont l’issue remodèle l’équilibre géostratégique en mer Égée. Athènes, puissance moyenne à l’époque archaïque, sort en effet triomphante de ce conflit entre Grecs et Perses, au détriment de Sparte qui se retire dès 478 sur son pré carré du Péloponnèse. L’étude des guerres médiques bénéficie d’une source dense, premier récit d’histoire : l’œuvre d’Hérodote, Historia, relate avec précision l’affrontement qui a opposé le puissant empire perse et une poignée de cités grecques.

Hérodote, premier historien Hérodote est surnommé par l’auteur romain Cicéron le « père de l’histoire ». C’est un Grec d’Asie Mineure, né à Halicarnasse vers 485, mais qui a longtemps vécu à Athènes. Son œuvre, Histoires, a été écrite dans les années 440-420. Comme il le précise lui-même dès les premières lignes, « Hérodote d’Halicarnasse présente ici les résultats de son enquête, afin que le temps n’abolisse pas les travaux des hommes, et que les grands exploits accomplis soit par les Grecs, soit par les Barbares ne tombent pas dans l’oubli ; et il donne en particulier la raison du conflit qui mit ces deux peuples aux prises ». La démarche historienne est bien à l’œuvre dans la volonté d’expliquer les raisons qui ont amené les Grecs et les Perses à s’affronter lors des guerres médiques. Afin d’établir la véracité des faits, Hérodote voyage beaucoup, recueillant et confrontant de nombreux témoignages, même s’il relaie encore des récits teintés de merveilleux. En effet, la démarche d’Hérodote n’est pas encore celle de Thucydide, qui délaisse, dans sa Guerre du Péloponnèse, toute explication irrationnelle. En outre, le souci d’objectivité d’Hérodote doit être nuancé à la lumière du contexte d’écriture de ses Histoires. Rédigées en pleine gloire d’Athènes,

103

Partie 3 Guerre et paix dans le monde grec classique

elles cherchent aussi à expliquer comment la cité est devenue aussi puissante au ve  siècle. Si le fil directeur de cet ouvrage en neuf livres est constitué par le récit des guerres médiques, l’auteur procède à de nombreuses digressions, comme une longue étude sur l’Égypte ou sur le peuple scythe. C’est ce qui fait des Histoires un ouvrage autant d’ethnographie et de géographie que d’histoire ; Hérodote décrit minutieusement les peuples qu’il rencontre, leurs mœurs et leurs croyances.

I. Les origines du conflit 1. L’ennemi : l’empire perse

Les sources grecques évoquent les Perses par le terme Mêdoi, le conflit des guerres médiques par le terme Mêdika et le fait de collaborer avec les Perses par le terme mêdismos (« médisme »).

À l’époque classique, les Grecs opèrent un amalgame entre deux peuples, les Perses et les Mèdes, alors que ces derniers ont été soumis par les premiers. En effet, en 550, le roi Cyrus le Grand (559-530) défait le roi Astyage, chef de la confédération des Mèdes qui a elle-même, soixante ans auparavant, conquis les villes royales assyriennes. Le roi Cyrus établit ainsi son empire autour de ces deux peuples, Mèdes et Perses, qui partagent depuis le ixe siècle une même langue et une même culture. Cyrus le Grand devient alors le premier roi de la dynastie achéménide. Suite à cette unification, le Grand Roi se lance dans une politique de conquêtes qui l’amène à contrôler de vastes espaces à l’est, en Inde, mais aussi à l’ouest, dans la région dite d’Ionie (sur l’actuelle côte turque), peuplée depuis la haute époque archaïque par de nombreux Grecs vivant en cités.

L’Asie Mineure à l’époque archaïque Voir p. 12.

À partir du xie siècle, les Grecs s’installent sur les rives de l’Asie Mineure (ou Anatolie). On y distingue trois régions marquées par un peuplement et un dialecte spécifiques. Au nord du fleuve Hermos, on trouve l’Éolide, terre des Éoliens venus de Béotie et de Thessalie : Lesbos, Ténédos, Kymé, figurent parmi les implantations é­ oliennes. Au sud du fleuve Méandre, les Doriens peuplent la Doride, en particulier l’île de Rhodes, l’île de Kos et la cité de Cnide. Entre ces deux régions, des ressortissants de l’Attique et de l’Eubée s’installent dans la région dite ionienne, l’Ionie. Les Ioniens ont participé aux fondations d’apoikiai, entre 650 et 550, notamment les Milésiens et les Phocéens. La plupart des cités sont d’abord gouvernées par des oligarchies aux mains de ­familles prétendant descendre d’illustres héros, comme les Penthilides de Mytilène. Puis, à partir du vie siècle, des tyrannies se mettent en place, comme celle Polycrate de Samos. Douze cités se sont organisées pour fonder la ligue ionienne : Milet, Priène,

104

7 Les guerres médiques (499-479)

Myonte, Éphèse, Colophon, Téos, Lébédos, Phocée, Clazomènes, Érythrées, et les îles de Chios et de Samos. Elles ont notamment un culte en commun, celui de Poséidon Hélikonios, célébré dans le sanctuaire du Paniônion, près du Cap Mycale. Mais il s’agit avant tout d’une organisation religieuse qui n’a guère eu d’efficacité politique ou militaire face à la domination perse.

Les cités d’Asie Mineure et les Cyclades Sigée Ilion (Troie) Hamaxitos

Assos

Méthymne Antissa Lesbos Érésos Mytilène MER ÉGÉE

Psyra

Andros

Icaria

Ténos

Sériphos Paros

Pergame que Caï

Myrina Kymè Her Phocée m os Smyrne Sardes

Chios Érythrées Chios Clazomènes Téos Lébédos Colophon Éphèse éandr e Samos

Eubée

Syros

Adramyttion

Cap Mycale

Milet

Délos

Ios

Alabanda

Priène

Euromos Halicarnasse

Naxos

Mélos

Nysa

M

Lemnos

Amorgos

Cos

Cos

Cnide (vers 370)

Ancienne Cnide

Camiros

Rhodes

Théra Rhodes

Lindos

Carpathos MER DE CRÈTE

0

40 km

105

Partie 3 Guerre et paix dans le monde grec classique

C’est précisément en 546 que l’Ionie passe sous domination perse. Si les Ioniens continuent à vivre dans leurs cités, ils sont cependant soumis à l’autorité de tyrans grecs qui font office de relais auprès du pouvoir régional perse incarné par un « satrape », localisé à Sardes, en Lydie. Ce dignitaire perçoit au nom du roi perse le tribut versé par les cités grecques, en signe de soumission. Dans les inscriptions perses, les sujets grecs des Grands Rois apparaissent sous la dénomination de Yauna, à côté d’autres peuples soumis comme les Thraces et les Scythes. C’est notamment au financement de la marine perse que sert le tribut exigé par le Grand Roi ; Cyrus met en place une flotte dont les bâtiments sont assemblés dans les grands chantiers royaux et dont les rameurs proviennent des populations progressivement assujetties.

Relief de Darius Ier (Persépolis).

Les rois Cambyse (530-522) et Darius  Ier (522-486) continuent la politique de conquêtes initiée par Cyrus. À l’orée du ve siècle, l’empire perse est un immense territoire, contrôlé par deux capitales, Suse et Persépolis, et qui s’étend de la Libye actuelle à la vallée de l’Indus, en passant par l’Asie Mineure, l’Égypte, le Proche-Orient et la Mésopotamie. Fort de ses ressources militaires et financières, le Grand Roi apparaît comme un souverain puissant face aux petites cités grecques d’Ionie. Pourtant, elles finissent par manifester leur désir d’émancipation.

2. 499-494 : la révolte de l’Ionie En 499, sous le règne du roi Darius Ier, éclate à Milet une révolte contre la domination perse. Milet est alors la cité grecque la plus puissante et la plus florissante de la région ionienne ; Hérodote (V, 28) nous précise qu’elle est « au faîte de sa fortune, […] le joyau de l’Ionie ». C’est en effet un centre économique majeur, mais aussi un centre culturel et scientifique. Grâce à « l’école milésienne », Milet excelle depuis le vie siècle dans la philosophie de la nature, la science, la géométrie analytique, la géographie ou encore l’ethnographie, autour de figures comme Thalès, Anaximandre ou Anaximène. Au moment de la révolte, Milet est gouvernée par le tyran Aristagoras. Ce dernier tente de conquérir l’île voisine de Naxos, dans l’espoir de gagner en popularité auprès du Grand Roi perse et d’asseoir son autorité dans sa cité même, où règne alors un climat de dissension. Son expédition est cependant un échec ; redoutant l’ire du Grand Roi, Aristagoras décide de lancer une révolte contre la domination perse. Il renonce à sa propre tyrannie et aide à l’expulsion des tyrans des autres cités. Aristagoras a en effet bien saisi que le gouvernement tyrannique est assimilé à la domination étrangère. Il accorde aux Milésiens l’isonomie (l’égale répartition des droits politiques) et part en Grèce continentale chercher du renfort pour combattre les Perses, conscient des forces qu’ils peuvent potentiellement mobiliser. 106

7 Les guerres médiques (499-479)

Outre cette explication politique, mais assez personnelle et centrée sur ­ ristagoras, certains historiens ont avancé l’hypothèse d’un déclin économique A des cités ioniennes, qui les auraient poussées à s’affranchir de la tutelle perse. Le monnayage abondant mis à jour par l’archéologie laisse cependant penser que c’est davantage du côté de la quête de liberté qu’il faut chercher les motivations profondes des Ioniens révoltés. En outre, l’échec de l’expédition de Darius en 513 contre les Scythes a révélé aux Ioniens alors enrôlés la fragilité relative de l’armée perse. Quoi qu’il en soit, l’appel lancé par les Ioniens ne rencontre qu’une faible adhésion : Sparte refuse de participer à une expédition maritime aussi lointaine. Seuls les Athéniens et les Érétriens acceptent de venir en aide aux Ioniens, envoyant vingt-cinq trières au printemps 498. Érétrie est une alliée de Milet depuis un conflit l’opposant à Chalcis, la guerre lélantine (710-650). Quant aux Athéniens, ils sont unis aux Ioniens par une parenté légendaire liée aux mouvements de peuplement de l’âge du fer. Ils se méfient en outre des manigances de leur dernier tyran, Hippias, qui a trouvé refuge chez les Perses lors de son exil forcé, en 510.

Obole d’argent de Milet, 510-494.

Sur les Athéniens et les Ioniens, voir p. 12. Sur Hippias, voir p. 97.

En 498, les Ioniens, sous le commandement du frère d’Aristagoras, ­ haropinos, et aidés de leurs alliés continentaux, s’emparent de la ville de C Sardes, capitale de la Lydie et siège de la satrapie perse. Sardes est incendiée et le temple de la déesse Cybèle est détruit. Mais les Perses reprennent rapidement le contrôle des opérations militaires ; en 497, ils sont victorieux à Chypre et ils remportent, en 494, un succès décisif contre les Ioniens et leurs alliés, lors de la bataille navale de Ladè. La cité de Milet, d’où la rébellion est partie, est rasée et les populations sont en grande partie déportées ou massacrées. Cependant, le reste de l’Ionie est épargné par la répression, Darius ne souhaitant probablement pas anéantir une région payant le tribut. Mais les Perses comptent bien, selon Hérodote, venger l’incendie sacrilège de Sardes et ils s’organisent pour châtier les coupables, Athènes et Érétrie.

La destruction de Milet est un choc pour les Grecs. À Athènes, une tragédie est composée par le poète Phrynichos pour commémorer cet événement dramatique, La prise de Milet. Selon Hérodote, la représentation de la pièce, en 493, suscite une vive émotion dans le public athénien et « le théâtre fondit en larmes ».

Ruines du temple de Cybèle à Sardes, d’après J.-Ph. Girault de Prangey et E. Deshayes, 1851.

107

Partie 3 Guerre et paix dans le monde grec classique

Les guerres médiques

0

80 km

Doriscos M

MACÉDOINE Th lfe Go

Potidée

Thasos t. A th os

er m aïq ue

Larissa

Sestos

Lemnos

THESSALIE Cap Artemision (480)

Thermopyles (480) ETOLIE

PHOCIDE

Eubée

Corinthe Argos

Sardes

Erétrie

Thèbes

Marathon (490) Karystos

Platées (479)

ACHAÏE

Lesbos

Salamine (480)

Chios

Samos

Athènes Égine

Cap Mycale (479) Milet

Délos

Sparte

Naxos

Paros

LACONIE Mélos

Théra

Cythère

Rhodes

Empire perse en 493 États vassaux de la Perse en 492

Bataille perdue par les Grecs

Expédition perse de 490

États neutres

Bataille indécise

Expédition perse de 481-480 (armée de terre)

Bataille gagnée par les Grecs

Expédition perse de 481-480 (flotte)

États en guerre contre la Perse États ralliés à la Perse en 490

Naxos Ville prise par les Perses en 490

Flotte grecque (480-479)

II. La première guerre médique (490) En 507, les Athéniens envoient des émissaires à la cour perse pour demander une protection face à l’ingérence des Spartiates qui soutiennent le camp anti-clisthénien d’Isagoras (voir p. 185).

108

1. L’avancée des Perses Si les Perses entendent bien réparer l’affront de l’incendie de Sardes par les Athéniens et les Érétriens, ils souhaitent aussi châtier Athènes pour avoir enfreint, par sa participation à la révolte ionienne, l’accord de 507 par lequel la cité d’Athéna avait prêté allégeance au Grand Roi. Au-delà de ces deux cités de l’Attique et de l’Eubée, l’enjeu pour les Perses peut avoir été aussi de maîtriser la région égéenne, dont ils ont constaté le soutien potentiel qu’elle représente pour les Ioniens.

7 Les guerres médiques (499-479)

L’expédition perse qui est ainsi montée à partir de 492 compte une flotte de 20 000 hommes, secondée par une importante cavalerie. Le nouveau satrape Mardonios, gendre de Darius, se lance alors dans une extension de l’hégémonie perse ; il commence par conquérir la région thrace, qui devient une satrapie de l’empire. Il obtient aussi la soumission de la région de Macédoine. Dans la suite logique de ce processus de conquête, en 491, les Perses envoient dans de nombreuses cités grecques des messagers réclamant « la terre et l’eau », une expression signifiant leur demande d’allégeance à la dynastie achéménide. Si Égine et beaucoup d’insulaires rallient le camp perse, Athènes, Sparte, Érétrie, Platées et bien d’autres cités refusent de se soumettre.

Selon Hérodote (VII, 133137), « alors que Darius avait envoyé des hérauts pour le même motif, les Athéniens les avaient jetés dans le barathron (le gouffre où l’on jetait les condamnés à mort), les Spartiates dans un puits, les invitant à y prendre de la terre et de l’eau pour les porter au Roi ».

Devant cette résistance et l’échec relatif de Mardonios, dont la flotte a été décimée par une tempête au large du Mont Athos, le roi Darius relève ­Mardonios de ses fonctions et nomme Datis et Artaphernès comme généraux. Une nouvelle flotte de 600 navires (chiffre peu probable avancé par Hérodote) quitte l’Asie Mineure au printemps 490. À l’été, les Perses prennent les îles de Naxos et de Samos, puis fondent sur la région d’Eubée où se situe Érétrie.

Les tablettes de Persépolis mentionnent des groupes de travailleurs provenant de Milet et d’Érétrie, villes prises par les Perses en 494 et 490.

La cité, ancienne alliée des Ioniens révoltés, subit un sort dramatique : après sept jours de résistance, Érétrie capitule et la population est réduite en esclavage, les temples sont pillés et incendiés. Forts de leur succès et comptant sur une armée gonflée par les populations soumises progressivement, les Perses débarquent dans la plaine de Marathon, où ils comptent bien réduire l’armée athénienne à néant.

2. 490 : Marathon bataille Le site de la baie de Marathon est stratégique : l’anse permet à une flotte conséquente d’y mouiller et la plaine adjacente est a priori propice aux manœuvres de la cavalerie. Le choix du lieu est soufflé à l’oreille de Darius par l’ancien tyran d’Athènes, Hippias, réfugié chez le Grand Roi. Embarqué sur un des navires qui accostent à Marathon, il compte bien sur la victoire perse pour rétablir son pouvoir, tout en restant un allié de Darius et de son peuple.

Tablette issue du lot des « tablettes de fortifications » de Persépolis.

■■ La

Les Athéniens ont préparé l’arrivée des Perses ; ils ont demandé de l’aide à Sparte, considérée alors comme la cité la plus puissante du monde grec. Mais les Spartiates sont retenus par une fête importante en l’honneur d’Apollon, les ­Karneia, qui les empêche de partir avant la pleine lune et retarde leur arrivée. Finalement, seuls les Platéens de Béotie viennent en aide aux Athéniens.

En 496, l’élection à l’archontat du Pisistratide Hipparque est symptomatique d’une certaine dissension dans la cité athénienne. Il y demeure encore des partisans de l’ancienne tyrannie qui s’opposent aux défenseurs de la jeune démocratie clisthénienne (voir p. 185).

Le marathon de Marathon Le terme contemporain de « marathon » est lié à deux anecdotes. Selon Hérodote, le coureur Philippidès aurait mis 36 heures pour parcourir les 240 kilomètres d’Athènes à Sparte, avant la bataille. Selon Plutarque, le stratège Miltiade aurait envoyé un messager annoncer la victoire aux Athéniens. Après 42 km au pas de course, il serait mort d’épuisement. 109

Partie 3 Guerre et paix dans le monde grec classique

Le stratège Miltiade a été chassé de ses terres situées en Thrace, suite à l’avancée perse. En outre son propre père, Cimon, a été tué par les tyrans d’Athènes. Cela constitue un double motif personnel pour le général athénien de s’opposer et aux Perses et aux tyrans.

Ainsi, neuf jours après l’arrivée des Perses, 9  000  Athéniens, sous le c­ ommandement du stratège Miltiade et secondés de 1 000 Platéens, affrontent pas moins de 20 000 combattants. La cuirasse des hoplites résiste alors aux traits des archers perses et l’armée grecque encercle bientôt l’ennemi par les ailes. Malgré l’infériorité numérique, les Grecs remportent la victoire, profitant notamment du terrain marécageux empêchant la cavalerie perse de charger. Vaincus à Marathon, les Perses reprennent la mer et contournent l’Attique par le Cap Sounion afin d’atteindre la rade de Phalère, alors port d’Athènes. Ils abandonnent cependant le projet de débarquer, probablement parce que les troupes de Miltiade, secondées par des Spartiates enfin arrivés sur place, les ont devancés. Les Perses repartent et laissent derrière eux le souvenir de Marathon qui constitue cependant une défaite sans conséquence pour leur empire et un épiphénomène de leur histoire. Finalement, leur mission de départ semble accomplie. Les Perses ont regagné toutes les cités grecques d’Ionie entrées en rébellion, ils ont soumis de nouvelles contrées, notamment les Cyclades (Naxos et Paros) et le nord de l’Égée (Thrace, Abdère, Thasos), et ont châtié Érétrie. ■■ Athènes

La tombe des 192 Athéniens à Marathon.

« En effet, seuls parmi les Grecs, nous avons engagé un combat singulier contre le Perse et nous l’avons emporté, en triomphant de 46 peuples. Cet exploit ne nous donne-til pas le droit d’occuper la place en question ? » (Hérodote, IX, 27).

Voir le plan d’Athènes dans l’atlas final.

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et la victoire En revanche, du côté grec et surtout athénien, la victoire de Marathon a un retentissement considérable. Selon Hérodote, les Athéniens reçoivent d’ailleurs les éloges des Spartiates arrivés le lendemain de la bataille et qui, après avoir satisfait leur curiosité de « voir des Mèdes » en allant sur le site de ­Marathon, s’en retournent chez eux non sans féliciter les Athéniens pour leur bravoure et leur exploit. Toujours d’après la tradition hérodotéenne, les Perses ont perdu 6 400 hommes et les Athéniens, 192. Les Athéniens morts à ­Marathon sont enterrés sur place, dans une tombe collective située sous une colline de neuf mètres de haut, encore visible aujourd’hui, le soros. Ces combattants de Marathon, les « Marathonomaques » comme les appellera le poète comique Aristophane, deviennent, face au joug perse, les héros défenseurs de la liberté des Grecs et des valeurs de la jeune démocratie athénienne. Les Athéniens peuvent d’ailleurs encore arguer de leur exploit à ­Marathon, lors de la bataille de Platées en 479, afin d’obtenir une place d’honneur dans les rangs du combat. Désormais, les Athéniens offrent à Artémis 500 chèvres tous les ans, le 6 du mois de Boédromion (fin août-fin ­septembre), jour de Marathon. Pour remercier aussi Héraklès, dans le sanctuaire duquel les A ­ théniens ont campé avant la bataille, ils instituent des jeux en son honneur, à Marathon. À Athènes, selon l’auteur Pausanias, la victoire de Marathon est célébrée, dans les années 475-450, par la réalisation d’une grande fresque aujourd’hui disparue, qui aurait représenté la bataille dans un des p ­ ortiques de l’Agora, la stoa poikilè.

7 Les guerres médiques (499-479)

S’y seraient déployés l’armée athénienne, des Perses fuyants et les forces divines venues seconder les Athéniens, à savoir Athéna et les héros Thésée et Héraklès. Enfin la monnaie athénienne, sur la face dite « droit », arbore une Athéna ceinte désormais d’une couronne d’olivier, symbole de la victoire. La victoire de Marathon n’enraye cependant pas les tensions ­ olitiques internes à Athènes ; en témoigne la première utilisation de p l’ostracisme contre les partisans de la tyrannie, en 488/487.

Tétradrachme athénien du ve siècle.

Les Perses, eux, n’ont pas dit leur dernier mot et, dix années plus tard, après avoir maté en 486 une révolte en Égypte, c’est une armée forte de plusieurs centaines de milliers d’hommes qui s’apprête à déferler sur la Grèce.

Sur l’ostracisme, voir p. 191.

III. La deuxième guerre médique (481- 479) La deuxième guerre médique, contrairement à la première, est menée par le Grand Roi en personne, Xerxès, fils de Darius Ier à qui il succède en 486. Là encore, Hérodote cherche probablement à exagérer le mérite des Grecs vainqueurs et avance une mobilisation que les historiens contemporains invitent à nuancer. Aux trois millions de soldats évoqués par l’auteur des Histoires, on substitue aujourd’hui un contingent de quelque 200 000 soldats perses, ce qui reste bien supérieur à ce que les cités grecques peuvent réunir.

1. La première campagne : 481-480 ■■ La

ligue hellénique de Corinthe Le grondement de la menace perse a persuadé les Grecs de s’organiser. En 481, dans le sanctuaire de Poséidon à Corinthe, un congrès réunit les cités ; y est fondée une ligue défensive prête à s’opposer à l’ennemi. Cette alliance militaire (une « symmachie ») ne revêt cependant pas le caractère panhellénique espéré ; seules trente et une cités grecques y adhèrent et délèguent à Sparte « l’hégémonie ». Par ce terme, les Grecs entendent le commandement des forces communes et la direction de la guerre. Le choix de Sparte comme hègémôn s’explique notamment par la réputation de ses phalanges redoutables. En outre, les Spartiates sont déjà à la tête d’une autre ligue, celle du Péloponnèse.

« Les morts furent ensevelis à l’endroit même où ils avaient péri, avec les soldats tombés avant le départ des alliés renvoyés par Léonidas ; sur leur tombe une inscription porte ces mots : Ici, contre trois millions d’hommes ont lutté jadis Quatre mille hommes venus du Péloponnèse » (Hérodote, VII, 228, à propos des Thermopyles).

Sparte et la ligue du Péloponnèse Formulation contemporaine, la ligue du Péloponnèse est désignée, dans les sources grecques, par l’expression « les Lacédémoniens et leurs alliés ». La ligue se constitue

111

Partie 3 Guerre et paix dans le monde grec classique

Sur la bataille de Chéronée, voir p. 163.

Sur la ligue de Délos, voir p. 121. Sur la paix de Nicias, voir p. 134.

progressivement au vie siècle pour une durée assez remarquable puisqu’elle disparaît en 338, après la victoire de Philippe II de Macédoine. Progressivement, toutes les cités-États du Péloponnèse y adhèrent à l’exception de la région de l’Achaïe et d’Argos, ennemie séculaire de Sparte. Il s’agit d’une alliance assez informelle qui, contrairement à la ligue de Délos, ne comporte ni conseil, ni ­magistrat spécifique. Aucun tribut n’est exigé des membres et ces derniers jouissent de leur liberté et de leur autonomie. Par exemple, lors de la paix de Nicias de 421, plusieurs cités de la ligue du Péloponnèse refusent de suivre Sparte dans les tractations avec Athènes : Corinthe, Élis, Mégare et Thèbes.

Parmi les absents de la ligue de Corinthe, on compte les Thessaliens et les ­ ébains, qui choisissent de « médiser ». Situés au nord de la Grèce et donc confronTh tés les premiers à l’avancée perse, ils ont basculé, de gré ou de force, dans le camp de Xerxès. Argos, grande cité du Péloponnèse, refuse elle aussi d’adhérer à la ligue de Corinthe, mais en raison de son hostilité séculaire à l’égard de sa voisine, Sparte. ■■ L’avancée

perse et les Thermopyles Côté perse, en juin 480, l’armée franchit l’Hellespont, l’actuel détroit des ­Dardanelles. Les milliers de soldats empruntent un ingénieux pont de bateaux que le roi a fait construire : le défi technique est constitué par la présence d’un bras de mer, apportant son lot de courants et de tempêtes. Les hommes de Xerxès s’y reprennent d’ailleurs à deux fois avant de finaliser l’ouvrage qui permet aux troupes d’entrer sur le continent européen. La flotte perse, forte de 1 200 bâtiments, suit quant à elle la côte thrace où les villes ont reçu l’ordre d’organiser le ravitaillement de l’armée de Xerxès. Le génie militaire des Perses continue à se déployer sur leur chemin : ils font construire des routes, en Thrace et en Macédoine, et percent un canal à travers la péninsule du mont Athos, en Chalcidique. Au mois de septembre 480, les Perses arrivent au passage dit des ­ ermopyles, un étroit défilé montagneux entre la Thessalie et la Grèce c­ entrale. Th Les y attendent plusieurs milliers de Grecs sous le commandement du roi spartiate Léonidas : 3 100 Péloponnésiens, 1 000 Phocidiens, 1 000 Locriens, 700 Thespiens et 400 Thébains. Ils sont bientôt congédiés par Léonidas qui pressent un désastre lorsqu’il apprend que les Perses ont contourné les troupes grecques grâce à un sentier que les Phocidiens n’ont pas réussi à défendre.

Statue contemporaine (1968) du roi Léonidas (Sparte).

112

300 soldats spartiates menés par Léonidas résistent encore trois jours aux troupes de Xerxès, avant que tous ne succombent dans l’assaut. Leur bravoure et leur détermination, malgré la défaite, érigent la bataille des Thermopyles en symbole de l’héroïsme spartiate. Selon Hérodote, les 300 ont été enterrés sur place et leur tombeau porte l’inscription : « Passant, va dire aux Lacédémoniens que nous reposons ici pour avoir obéi à leurs lois ».

7 Les guerres médiques (499-479)

■■ Salamine

Après les Thermopyles, les Perses ont la voie libre vers l’Attique. Le 21 ­septembre 480, les Athéniens ont quitté leur cité non sans en avoir longtemps débattu à l’Assemblée. D’après Hérodote, ils ont été convaincus par le stratège ­Thémistocle d’abandonner la ville, à la suite des paroles de la Pythie de Delphes, qui a prédit aux Athéniens leur salut grâce à un « rempart de bois ». Certains y voient une allusion aux palissades de l’Acropole. Mais d’autres, dont Thémistocle, l’interprètent comme une métaphore des trières athéniennes.

Voir p. 267 sur Delphes et p. 199 sur Thémistocle.

Cette dernière analyse l’emporte : tandis que la population civile est évacuée vers Trézène, les hommes rejoignent la flotte grecque stationnée près de l’île de Salamine, située en face d’Athènes. Le 27 septembre, l’armée perse entre dans une Athènes déserte ; la ville est prise et incendiée, notamment l’Acropole, réplique dévastatrice de l’incendie de la Sardes achéménide que les Athéniens ont saccagée dix-huit ans auparavant. Mais si Xerxès peut s’enorgueillir d’avoir ravagé la cité d’Athéna, c’est une cuisante défaite qui l’attend deux jours plus tard, dans la rade de Salamine. Le Grand Roi, installé sur son trône temporairement planté sur un promontoire de l’île, assiste, sous ses yeux, à la débâcle de son camp. Du côté grec, les navires stationnés au large de Salamine sont en majorité athéniens même si le commandant en chef, du nom d’Eurybiade, est spartiate. Athènes bénéficie depuis peu d’une flotte financée par l’exploitation des mines argentifères du Laurion, un massif de l’Attique. En 483/482, Thémistocle a réussi à persuader ses concitoyens de renoncer à la redistribution individuelle des revenus du Laurion au profit de la construction collective d’une flotte de guerre d’abord destinée à combattre Égine, une île voisine très prospère. Ces deux cents trières produites dans les arsenaux athéniens ont été à l’origine de la grande victoire navale de Salamine, le 29 septembre 480.

Sur les mines du Laurion, voir p. 272.

En effet, après une fausse rumeur de retrait des forces grecques, ruse ­orchestrée par Thémistocle, la flotte perse s’engouffre dans l’étroit chenal qui sépare l’île de Salamine des côtes attiques. Trop nombreux pour le site, les navires perses s’entrechoquent et se gênent mutuellement. Ils subissent bientôt l’assaut des troupes grecques qui remportent la victoire. On doit au poète Eschyle, lui-même combattant à Salamine, une description du combat : « Tout d’abord, l’afflux des vaisseaux perses permet de résister. Mais leur multitude s’amasse dans une passe étroite, ils ne peuvent plus se prêter mutuellement secours, ils s’entrechoquent de leurs éperons de bronze, ils brisent des bordées entières de rames. Non sans adresse, les bateaux grecs les encerclent, les frappent, culbutent les coques. La mer disparaît sous la masse des épaves et des cadavres. Les morts s’entassent sur les rochers des rivages » (Les Perses, v. 413-420). Après Salamine, Xerxès Détail d’un bas-relief attique représentant des regagne alors l’Asie et laisse sur place son rameurs sur une trière (Musée de l’Acropole, gendre Mardonios continuer la guerre. Athènes). 113

Partie 3 Guerre et paix dans le monde grec classique

2. La deuxième campagne : 479 En juin 479, après avoir vainement tenté de faire entrer Athènes dans le camp perse, Mardonios ébranle ses troupes depuis la Thessalie qu’il a rejointe à l’hiver 480/479. Après avoir envahi de nouveau l’Attique, les troupes perses affrontent, en septembre 479 à Platées, les contingents grecs menés par le général ­spartiate Pausanias. Là encore, les Perses sont défaits par des phalanges hoplitiques bien organisées et Mardonios est tué lors des combats. Afin de célébrer leur victoire, les Grecs font ériger, à Delphes, une colonne surmontée d’un trépied en or. Sur la colonne sont gravés les noms des trente et une cités formant la ligue de Corinthe. La victoire de Platées est suivie de celle du Cap Mycale, en face de l’île de Samos. Les navires perses y subissent l’assaut de la flotte alliée menée par le roi spartiate Léotychidas II et où s’illustre, côté athénien, le stratège Xanthippe, père de Périclès. Ce même Xanthippe prend l’initiative d’aller chasser les Perses de Sestos, en Chersonèse de Thrace, une région convoitée depuis longtemps par les Athéniens. Cette entreprise victorieuse et autonome, économiquement intéressée, préfigure en quelque sorte les futures expéditions menées dans le cadre de l’hégémonie athénienne.

Reconstitution du trépied de Platées.

IV. Le bilan des guerres médiques Les guerres médiques et leur lot de victoires grecques n’ont guère remis en cause la puissance et l’étendue de l’empire achéménide. Elles ont juste mis un coup d’arrêt aux prétentions occidentales des Perses. La lutte contre les Perses n’a pas été le fait d’une résistance unanime de tout le monde grec : –– les Ioniens révoltés n’ont pu compter que sur les Athéniens et les Érétriens ; –– à Marathon, seuls les Athéniens et les Platéens ont repoussé le débarquement des troupes de Datis et d’Artaphernès ; –– enfin, la ligue constituée en 481 à l’issue du Congrès de Corinthe n’a réuni que trente et une cités. Les guerres médiques ne se sont donc pas déroulées dans un esprit strictement panhellénique et des cités comme Thèbes ont même rejoint le camp ennemi.

Les noms des trente et une cités de la ligue de Corinthe.

114

Finalement, Athènes est la cité qui sort triomphante du conflit même si les Spartiates ont laissé le souvenir encore vivace de leur sacrifice aux ­Thermopyles. La cité athénienne, grâce aux victoires de Marathon (490) et de Salamine (480), a démontré l’efficacité de son infanterie lourde comme de sa marine, instrument de sa thalassocratie naissante.

7 Les guerres médiques (499-479)

À Athènes, en termes de politique intérieure et d’idéologie, se dessinent d’ailleurs autour des souvenirs de Marathon et Salamine deux types de ­démocraties, et ce pendant toute l’époque classique. Les historiens comme les ­philosophes (Platon) ou les poètes athéniens (Aristophane) opposent ainsi : –– la démocratie modérée des hoplites qui a repoussé l’ennemi à ­Marathon. Elle est représentée par la classe censitaire des zeugites, ces propriétaires terriens qui ont les moyens d’acheter les hopla. Dans la vie politique ­athénienne d’après-guerre, cette démocratie modérée s’incarne dans la figure de Cimon, le fils du stratège Miltiade vainqueur à Marathon ; –– la démocratie plus radicale des rameurs, ces Athéniens modestes qui n’ont pas les moyens de se procurer l’armement hoplitique et qui ont servi dans les cales des trières victorieuses à Salamine. Une assimilation s’opère désormais entre la victoire de Salamine et « le peuple des rameurs » ­composé de ces citoyens pauvres, les thètes de la quatrième classe censitaire. Parmi les hommes politiques qui cherchent à donner davantage de poids aux plus pauvres Athéniens au cours du ve  siècle, on trouve ­Thémistocle, Éphialte, Périclès et Cléon. Plutarque résume ainsi ce phénomène de « descente vers la mer » : « Dès lors, [­Thémistocle] amena insensiblement la cité à se tourner et à descendre vers la mer, en lui montrant qu’avec son infanterie elle n’était pas même de taille à tenir tête à ses voisins, tandis qu’avec la force de sa marine elle pourrait repousser les barbares et dominer la Grèce. Des solides ­fantassins qu’ils étaient, il fit, dit Platon, des matelots et des gens de mer, et il s’attira ce reproche : “­Thémistocle, disait-on, a ôté aux citoyens la lance et le bouclier, et réduit le peuple athénien au banc et à la rame” » (Vie de Thémistocle, IV, 4).

Sur les classes censitaires soloniennes voir p. 89.

Voir les biographies des hommes politiques, voir p. 198.

Sur le plan culturel, il est indéniable que les guerres médiques ont largement contribué à figer une image stéréotypée du « Barbare ». À l’origine, le terme désigne celui qui ne parle pas grec. Mais, après le conflit, le terme tend à définir désormais celui dont les mœurs et les valeurs diffèrent de la culture grecque. Les Perses incarnent alors un contre-modèle de despotisme et ­d’arbitraire, mais aussi de luxe excessif (que le grec nomme truphè), face au monde des cités grecques luttant pour la liberté (l’eleutheria) et la justice. Le Grand Roi, assimilé à un despote régnant sur des peuples esclaves, fait montre d’un orgueil démesuré, que les Grecs appellent hybris. L’épisode relatant la colère de Xerxès, fouettant la mer après une tempête qui emporte le premier pont de bateaux édifié pour traverser le détroit de l’Hellespont, serait un des nombreux exemples de cette arrogance coupable.

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Partie 3 Guerre et paix dans le monde grec classique

L’hybris de Xerxès « Déjà le passage était établi, quand survint une violente tempête qui mit en pièces et disloqua tout ce qui était fait. Lorsque Xerxès en fut informé, il ordonna, furieux, de frapper l’Hellespont de trois cents coups de fouet et de jeter dans la mer une paire d’entraves. Même, j’ai entendu dire qu’avec les exécuteurs de ces ordres, il aurait envoyé encore des gens pour marquer au fer l’Hellespont. Ce qui est sûr, c’est qu’il enjoignit qu’en le flagellant on prononçât ces paroles b­ arbares et insensées : “Onde amère, le maître t’inflige cette punition parce que tu l’as offensé sans avoir souffert de lui aucune offense. Et le Roi Xerxès te franchira, que tu le veuilles ou non. Certes, il est bien juste que personne ne t’offre de sacrifices, à toi qui n’es qu’un fleuve bourbeux et saumâtre”. Voilà comment il fît châtier la mer ; et, à ceux qui avaient présidé à la construction des ponts sur l’Hellespont, il fit trancher la tête » (Hérodote, VII, 35-36).

La production céramique reprend aussi ce système d’opposition binaire. Le soldat grec est figuré avec son armure, ses hopla, tandis que le Perse (ou le Scythe) brandit son arc, « l’arme des lâches » (Euripide, Héraklès, v. 160), qui lui permet d’atteindre son adversaire à distance, là où le fantassin lourd a le courage du face-à-face. Un hoplite et un archer perse. Détail d’une amphore attique, 480 (Met, New York).

Globalement, ce procédé « d’ethnicité oppositionnelle », pour reprendre l’expression de l’historien J. Hall, a permis aux Grecs (et surtout aux Athéniens) de se donner une unité culturelle et politique en miroir inversé des valeurs incarnées par les Perses. Cependant, les rapports entre Grecs et Perses ont été plus complexes qu’une simple opposition militaire et culturelle. Les frontières entre les deux mondes sont perméables ; nombreux sont les Grecs qui ont vécu à la cour du Grand Roi, avant et après les guerres médiques. Par exemple, le roi spartiate Démarate ou le tyran athénien Hippias ont trouvé refuge chez les Perses.

En 491, le roi Cléomène fait déposer le roi Démarate, l’accusant d’illégitimité par la naissance (il y a deux dynasties co-régnantes à Sparte, voir p. 242). Démarate est remplacé par Léotychidas II et il se réfugie chez les Perses, où il devient conseiller du Grand Roi. Aux Thermopyles, Démarate est aux côtés de Xerxès (Hérodote, VII, 209).

On compte aussi de nombreux artisans et artistes, comme l’architecte samien Mandrocles, qui a supervisé la construction d’un pont sur le Bosphore pour Darius  Ier, ou le sculpteur phocidien Téléphanès, qui a travaillé pour Darius Ier et Xerxès, à la cour royale. On peut encore citer un certain Pytharcos, qui a laissé son nom sur le graffiti d’une carrière de pierres, près de Persépolis, dont il a obtenu la concession.

À RETENIR nnLes guerres médiques ont pour origine la révolte des cités grecques de la région

ionienne contre l’empire perse.

nnLa première guerre médique (490) est une victoire pour les Athéniens qui re-

poussent les Perses lors de la bataille de Marathon.

116

7 Les guerres médiques (499-479)

nnLes cités grecques s’organisent en 481 dans le cadre de la ligue de Corinthe et

repoussent de nouveau les Perses lors des victoires de Salamine, de Platées et du Cap Mycale (480-479).

nnLe conflit n’a cependant pas unifié les cités grecques, dont certaines se sont ral-

liées aux Perses.

nnLes guerres médiques ont construit une opposition culturelle entre les Grecs et les

Barbares autour des notions de liberté/servitude, tempérance/excès, justice/arbitraire.

LES DATES ESSENTIELLES 546 : la région ionienne passe sous domination perse 499-494 : révolte de l’Ionie contre les Perses 498 : incendie de la ville de Sardes 494 : bataille navale de Ladè 490 : première guerre médique. Bataille de Marathon 483/482 : loi navale de Thémistocle 481 : congrès de Corinthe et formation de la ligue hellénique 481-479 : deuxième guerre médique Juin 480 : les Perses franchissent l’Hellespont Septembre 480 : batailles des Thermopyles et de Salamine Septembre 479 : batailles de Platées et du Cap Mycale

 BIBLIOGRAPHIE P. Briant, Histoire de l’empire perse. De Cyrus à Alexandre, Paris, 1996. P. Briant, Darius, les Perses et l’Empire, Paris, 2001. P. Brun, La bataille de Marathon, Paris, 2009. P. Green, Les Guerres médiques, Paris, 2008. F. Hartog, Le miroir d’Hérodote. Essai sur la représentation de l’autre, Paris, 1980. D.  Lenfant (dir.), Les Perses vus par les Grecs. Lire les sources classiques sur ­l’empire achéménide, Paris, 2011. E. Lévy, La Grèce au v e siècle. De Clisthène à Socrate, Paris, 1995. F.  Lissarrague, L’autre guerrier. Archers, peltastes, cavaliers dans l’imagerie ­attique, Paris, 1990. P. Payen, La guerre dans le monde grec (viiie-ier siècles av. J.-C.), Paris, 2018.

117

Chapitre

8

PLAN DU CHAPITRE I. Le retrait spartiate et la mise en place de la ligue de Délos II. L’apogée d’Athènes : la « pentékontaétie » (478-431) III. La guerre du Péloponnèse et la chute d’Athènes (431-403)

L’empire de la chouette Gloire et chute d’Athènes (478-403) En 478/477, Athènes profite du retrait spartiate pour s’ériger en nouvelle puissance du monde grec et prendre la tête d’une nouvelle alliance offensive, la ligue de Délos, dont le but initial est de chasser les Perses hors de la mer Égée. Au départ égalitaire, la ligue de Délos devient un instrument au service des prétentions hégémoniques d’Athènes. Les mécontentements se multiplient, autant au sein de la ligue de Délos que parmi les autres cités, comme Corinthe et Sparte. En 431 éclate la guerre du Péloponnèse qui se solde, en 404, par la défaite cuisante d’Athènes et par l’anéantissement de son empire. L’histoire de l’empire d’Athènes bénéficie de l’apport de nombreux témoignages épigraphiques et textuels, comme les œuvres historiques de Thucydide (La guerre du Péloponnèse), de ­Xénophon (Les Helléniques) et de Plutarque (Vie de Périclès, Vie de Nicias…) et les pièces comiques d’Aristophane (Les Acharniens, La Paix…).

La chouette d’Athéna en armes. Œnochoé attique, 410 (Louvre, Paris).

118

8 L’empire de la chouette. Gloire et chute d’Athènes (478-403)

La ligue de Délos

Mer Noire

Méthone

Stagire Olynthe

Maronée

Thasos 465-463

Eion 476

Lemnos

I

e enn Ioni Mer

Oreos 446

Leucade

Eubée

LOCRIDE

Céphallénie Zacynthe

Athènes Salamine Égine 456 Hydra

Cité (date de prise de contrôle)

II

District hellespontin

III

District ionien

IV

District carien

V

District des îles

Kéos

Érythrées Clazomènes III

Andros

Éphèse

Samos 440

Priène

Mykonos

Milet

Délos Naxos Paros 468 Siphnos

Iasos Halicarnasse

Camiros IV

Cythère

Mer de Crète

Cnide

Cos

Théra

Territoire athénien District thrace

Carystos 469-468

Klas

Cyzique

Kymè Phocée

Melos

Rébellion contre Athènes (date)

I

Chios Chios

Amorgos

Clérouquie (Date)

Territoire des cités alliées

Mytilène 428

V

Astakos

Assos

Lesbos

Skyros 476/475

Chalcis 446 Érétrie

Propontide

Ténédos

Corcyre

Mer Égée

Proconnèse

Lampsaque Abydos

Imbros

Toroné

Mendè

II

Chersonèse

Samothrace

Potidée 432

Byzance

Périnthe

Abdère

Amphipolis 436

Rhodes

Rhodes

Lindos

Karpathos

Crète

0

80 km

I. Le retrait spartiate et la mise en place de la ligue de Délos 1. L’affaire Pausanias « Les Athéniens reçurent ainsi l’hégémonie du plein gré des alliés, à cause de l’hostilité qui régnait contre Pausanias » (Thucydide, I, 96, 1). En 479, les trente et une cités fédérées dans la ligue de Corinthe, dont Sparte est alors hègémôn, remportent deux victoires décisives contre les Perses. Sur mer, le roi spartiate Léotychidas II et la flotte alliée triomphent au Cap Mycale. Sur terre, le général spartiate Pausanias, qui n’est pas roi mais régent, ­commande les troupes victorieuses lors de la bataille de Platées.

Le fils de Léonidas Ier, Pleistarchos, est encore mineur à la mort de son père, tombé lors de la résistance héroïque des 300 aux Thermopyles. C’est donc son cousin Pausanias qui assure la régence, le temps de sa minorité. 119

Partie 3 Guerre et paix dans le monde grec classique

Malgré ses succès militaires, Pausanias est mis en cause dans plusieurs affaires qui entachent sa réputation : Sur Thèbes et le médisme, voir p. 112.

Sur le trépied de Platées, voir p. 114.

–– selon Hérodote et Diodore de Sicile, on l’accuse d’avoir ordonné la mise à mort des Thébains ayant amené leur cité à médiser, sans qu’ils aient été jugés ; –– selon Thucydide, les cités grecques victorieuses à Platées auraient consacré un trépied dans le grand sanctuaire de Delphes, afin de célébrer leur succès militaire et de remercier les dieux pour l’issue de la bataille. Pausanias y aurait d’abord fait graver son seul nom, s’appropriant ainsi une victoire collective au profit de sa gloire personnelle ; –– en 478, alors qu’il commande la flotte grecque à Byzance, il aurait adopté un comportement violent envers les troupes alliées et leurs chefs. Ces derniers se plaignent auprès des Spartiates des excès de Pausanias. Cumulant attrait pour le pouvoir personnel, brutalité arbitraire mais aussi soupçons d’entente avec les Perses, Pausanias est finalement dépeint sous les traits d’un tyran potentiel. Il est alors rappelé à Sparte afin de fournir des explications. Acquitté, faute de preuves suffisantes, Pausanias tombe sous le coup d’une seconde accusation d’entente avec l’ennemi perse ; il se réfugie alors dans le temple d’Athéna Khalkioïcos, sur l’acropole de Sparte. Les Spartiates l’y emmurent vivant et Pausanias meurt de faim, à une date encore débattue, peut-être en 471/470. Derrière cette succession de péripéties, il est possible que la légende noire de Pausanias soit en partie le résultat d’une entreprise de discrédit orchestrée par ses adversaires politiques. Aussi bien les Athéniens, qui veulent l’hégémonie, que les alliés péloponnésiens et les Spartiates conservateurs, hostiles au programme maritime de Pausanias, ont des raisons de vouloir écarter le régent. Pausanias aurait été partisan d’une politique extérieure spartiate offensive, appuyée sur une flotte renforcée. En effet, en 480, les Spartiates n’ont pu aligner que 10 trières sur les 271 présentes au Cap Artémision d’Eubée et 16 sur les 378 de Salamine.

Sur les institutions spartiates, voir p. 242. Sur la société spartiate, voir p. 234.

120

Selon Diodore de Sicile (XI, 50), la question de l’engagement maritime a longtemps suscité le débat dans la cité spartiate. En 475, un géronte du nom d’Hétoimaridas réussit à convaincre ses concitoyens de ne pas disputer l’hégémonie maritime aux Athéniens, alors à la tête de la ligue de Délos depuis 478/477. Les partisans du repli de Sparte sur son pré carré du Péloponnèse, où elle doit déjà maintenir une certaine cohésion entre ses milliers d’esclaves et de Périèques et sa poignée de citoyens, l’emportent donc. Sparte décide de ne pas poursuivre l’effort de guerre commun contre les Perses, laissant le champ libre aux Athéniens.

8 L’empire de la chouette. Gloire et chute d’Athènes (478-403)

2. Les débuts de la ligue de Délos En 478/477, la ligue de Délos nouvellement fondée s’organise selon les principes suivants : –– selon Thucydide, le but de la ligue de Délos est « de ravager le pays du Roi en représailles pour les torts subis » et de « libérer les Grecs du Mède ». C’est une symmachie offensive ; –– Athènes exerce l’hégémonie, au sens où elle assure la direction militaire des opérations sans qu’il n’y ait, au départ, de relation hiérarchique induite. Les cités qui adhèrent à la confédération délienne sont indépendantes et conservent leur autonomia. Les alliés sont aussi considérés comme isopsèphoi : chaque cité a le droit de vote dans les réunions qui rassemblent les membres de la ligue en un Conseil, le synedrion. Ce dernier se tient régulièrement, au moins une fois par an, dans le sanctuaire d’Apollon situé sur l’île de Délos ; –– la flotte de la ligue est financée par le versement du phoros, une contribution en argent ou en nature. Lors de la fondation de la symmachie, dix-sept cités fournissent des marins, des soldats et des trières. Après 450, seules trois îles sur les quelque deux cents membres de la ligue conservent ce mode de contribution en nature : Chios, Samos et Lesbos. Dès la mise en place de la ligue, la flotte est ainsi essentiellement athénienne, ainsi que les marins et les hoplites embarqués. Le premier phoros aurait été de 460 talents, une somme fixée et répartie par l’homme politique athénien Aristide, à la satisfaction générale. Le montant demandé tient compte des ressources de chaque cité (produits de la terre et du sous-sol, revenus fiscaux). La gestion des finances de la ligue est aussi entre les mains de magistrats Artémis et Apollon à Délos. Leur mère, Léto, athéniens, les hellénotames. a accouché sur l’île en s’appuyant sur un palmier, Jusqu’en 454, le trésor de la ici représenté. Détail d’un cratère attique, 450 ligue est entreposé sur l’île de (Musée Archéologique, Madrid). Délos et le phoros est remis probablement au moment des fêtes d’Apollon qui s’y déroulent.

Tout comme « la ligue du Péloponnèse » (voir p. 111), « la ligue de Délos » est une expression contemporaine. Les sources grecques évoquent « les Athéniens et leurs alliés ».

On ne connaît pas le nombre exact de cités qui ont adhéré à la ligue, à dominante ionienne. Parmi les membres figurent la plupart des îles des Cyclades (sauf Mélos et Théra, qui sont doriennes), l’Eubée (sauf Carystos), Thasos, Rhodes, des cités de Propontide (Byzance), Lesbos, Chios et Samos. Voir la biographie d’Aristide, p. 199.

Dans les premières années de la ligue, les expéditions menées par Athènes et ses alliés ciblent les positions des Perses en mer Égée, jusqu’à les en chasser durablement. Cependant, certaines opérations servent davantage les intérêts athéniens. Athènes transforme la symmachie initialement égalitaire et librement consentie en instrument au service de sa puissance grandissante. 121

Partie 3 Guerre et paix dans le monde grec classique

II. L’apogée d’Athènes : la « pentékontaétie » (478-431) C’est aux commentateurs antiques de Thucydide que l’on doit le terme « pentékontaétie » qui désigne les cinquante années séparant la fin des guerres médiques (478) du début de la guerre du Péloponnèse (431). Cette période correspond à la mise en place de l’empire athénien, qui se confond alors avec la ligue de Délos. Tout en renforçant à l’extérieur son emprise sur les alliés, Athènes connaît de nombreux chantiers intérieurs qui façonnent sa puissance.

1. L’Athènes des « cinquante glorieuses » : éclat et grands travaux ■■ Les

aménagements militaires et commerciaux Athènes se dote de nouvelles infrastructures portuaires et de nouvelles fortifications pour résister à de potentielles incursions ennemies. Le projet global remonte à Thémistocle qui est à l’initiative des travaux du nouveau port d’Athènes, le Pirée. Le port du Pirée au ive siècle

APHRODISION

Carrière

Porte d’Eétioneia CHOMA

U

UD R S

M

D OR R N MU G N LO

Porte de la ville

LO NG

Mur de Thémistocle Port tranquille

Sanctuaire de Zeus

ÉÉTIONEIA DIAZEUGMA

PORT DE CANTHAROS Emporion

Phare ALKIMOS

Carrière Tombe de Thémistocle Phare

Carrière

Deigma (Lieu de vente sur échantillon)

Arsenal de Philon

Borne de Théâtre l’Emporion M ur

de Th ém ist oc le

Théâtre

Agora

MOUNYCHIE

PORT DE ZÉA

PORT DE MOUNYCHIE

Asclépieion Sérangeion

Temple d’Artémis Mounychia PHRÉATTYS

ACTÉ

Golfe de Salonique Mur de Conon

Cales sèches d’après G. Steinhauer repris par R. Etienne, Athènes, espaces urbains et histoire, Paris, 2004, p.100.

122

0

500 m

8 L’empire de la chouette. Gloire et chute d’Athènes (478-403)

Dans le cadre de la thalassocratie athénienne, les infrastructures portuaires assurent la construction des navires, leur entretien et leur remisage pendant la mauvaise saison, tout en pourvoyant au ravitaillement de la population. L’aménagement du Pirée, dont le tracé est confié à Hippodamos de Milet, aboutit à distinguer trois espaces. Le Kantharos ou « Grand Port » combine un usage militaire et commercial tandis que les rades de Zéa et de Mounychie ont une vocation militaire. Ce nouveau port est protégé par une muraille et l’ensemble est relié à la ville d’Athènes par une double fortification appelée les Longs Murs, achevés entre 459/458 et 456/455 puis réaménagés vers 445. Ils sont financés en partie par le butin de la victoire de l’Eurymédon contre les Perses (voir ci-après), tout comme la nouvelle enceinte de l’Acropole. La conurbation ainsi formée entre Athènes et son port du Pirée en fait un ensemble inexpugnable et ravitaillé par la mer.

reconstruction de l’Acropole, entre mythe et politique C’est sous l’impulsion du stratège Périclès que les Athéniens entreprennent de reconstruire leur Acropole dévastée par l’invasion perse de 480. L’ensemble ainsi réalisé offre un complexe religieux mêlant prouesses artistiques, hommages aux divinités tutélaires d’Athènes et propagande politique.

Hippodamos de Milet (ve siècle) est un architecte connu pour la diffusion du « plan en damier » ou « plan hippodaméen » de type orthogonal. Il est associé à l’urbanisme du Pirée, de Milet, de Rhodes ou encore de Thourioi.

Voir la carte de l’Attique, p. 187.

■■ La

Le bâtiment le plus imposant du programme architectural est le Parthénon, un grand trésor édifié entre 447 et 433 sous la responsabilité des architectes Ictinos et Mnésiclès. De forme périptère, il possède huit colonnes en façade et quinze colonnes latérales et est édifié en marbre du Pentélique. Le Parthénon abrite la statue chryséléphantine d’Athéna Parthénos, œuvre du sculpteur Phidias. Du haut de ses 11,5 mètres, bouclier à ses pieds et tenant une Victoire ailée dans sa main droite et une lance dans l’autre, Athéna Parthénos célèbre la puissance de l’Athènes péricléenne. Parmi les autres décorations remarquables, les frontons du Parthénon figurent la naissance d’Athéna (à l’est) et la lutte entre Athéna et Poséidon (à l’ouest). Les métopes sculptées représentent la défaite d’êtres en marge de la civilisation, comme les Géants, les Centaures et les Amazones. Ces allégories figuratives font d’Athènes une cité juste luttant contre les forces du chaos et du monde sauvage, rappelant les exploits des guerres médiques. Quant à la frise qui court à l’intérieur de l’édifice, elle propose deux cents figures humaines et animales rassemblées dans ce qui serait, selon l’interprétation dominante, la procession des Panathénées, la fête principale des Athéniens.

Sur l’incendie de l’Acropole, voir p. 113.

Périptère : entouré de colonnes. Sur l’architecture des temples, voir p. 253. Chryséléphantine : en or et en ivoire.

Métope : espace sculpté sur une frise décorative.

Sur les Panathénées, voir p. 262.

En 432, l’entrée monumentale de l’Acropole, dite « Propylées », est achevée sous la direction technique de Mnésiclès. La guerre du Péloponnèse ralentit la poursuite des travaux. Il faut attendre 424 pour l’achèvement du temple d’Athéna Nikè et 406 pour la fin des travaux de l’Érechthéion. Ce dernier 123

Partie 3 Guerre et paix dans le monde grec classique

Sur la lutte entre Athéna et Poséidon et sur l’autochtonie, voir p. 252 et 262.

bâtiment, élevé sur les ruines d’un ancien temple archaïque d’Athéna, abrite non seulement la statue de culte d’Athéna Polias mais il rassemble aussi les cultes dédiés aux acteurs de deux mythes importants dans l’identité athénienne, la lutte entre Athéna et Poséidon et l’autochtonie. Plan de l’Acropole

1. Temple d’Athéna Nikè ; 2. Monument d’Agrippa ; 3. Propylées ; 4. Pinacothèque ; 5. Enclos d’Artémis Brauronia ; 6. Enclos d’Athéna Ergané ; 7. Chalcothèque ; 8. Enclos de Zeus Polieus ; 9. Parthénon ; 10. Autel d’Athéna ; 11. Vieux temple d’Athéna ; 12. Erechtheion ; 13. Pandroseion ; 14. Maison des Arréphores ; 15. Statue d’Athéna Promachos D’après R. Ginouves, L’Art grec, Paris, 1964, p. 110.

2. Le recul des Perses Dès 476/475, les Athéniens et leurs alliés, menés par le stratège athénien Cimon, assiègent Éion, une place forte perse située sur les marges de la Macédoine. Le succès de l’entreprise permet aux Athéniens de s’implanter dans une région riche en bois et en minerais. En outre, l’emplacement est stratégique car situé

124

8 L’empire de la chouette. Gloire et chute d’Athènes (478-403)

sur la route des céréales qui mène au royaume du Bosphore, un des greniers à blé du monde grec. Les Athéniens ne peuvent pas compter sur les seules ressources de l’Attique pour les nourrir et importent une grande partie de leur blé. Cette première victoire à Éion est un succès contre les Perses mais elle sert aussi directement les intérêts économiques d’Athènes. Vers 467/466, la flotte de la ligue remporte une bataille décisive contre les Perses, à l’embouchure du fleuve Eurymédon, en Pamphylie. Cimon et les alliés s’emparent ainsi de deux cents navires perses.

Dessin d’après une cruche attique, vers 460 (Hambourg). L’inscription sur la vase est : « Je suis Eurymédon (mais) toi tu penches en avant » (Dessin de Ph. Kobusch).

En revanche, la campagne d’Égypte, menée entre 459 et 454, est un désastre. Les Athéniens y soutiennent un soulèvement contre le joug perse et l’entreprise se solde par la perte de 90 trières du côté de la confédération délienne et plus de 18 000 disparus. Les Athéniens et leurs alliés s’entendent finalement avec les Perses, lors de la Paix de Callias, en 449. Le statut juridique de cet accord fait encore débat mais on admet que, par cette convention, les Athéniens s’engagent à ne plus attaquer le territoire du Grand Roi et à se retirer d’Égypte et de Chypre. Les Perses, eux, reconnaissent l’autonomie des cités grecques d’Asie. Dès lors, la justification du maintien de la ligue de Délos est difficile. L’ennemi commun perse est neutralisé et certaines cités souhaitent alors quitter la confédération. Cependant, les Athéniens ne comptent pas renoncer à leur hégémonie devenue une domination sur leurs alliés, une archè qui se manifeste sous plusieurs formes.

3. Les manifestations de l’emprise athénienne L’évolution des rapports entre Athènes et ses alliés se traduit, dans la terminologie thucydidéenne, par le changement de statut des alliés. D’abord ­symmachoi, « compagnons de combat », ils deviennent hypèkooi, « sujets ». Si l’historien athénien évoque une transformation progressive de l’hégémonie en archè, les historiens contemporains insistent aujourd’hui sur le caractère précoce et impérialiste des manœuvres athéniennes, et ce dès les premières années de la ligue de Délos. Forte d’une flotte financée par le phoros, Athènes met rapidement en place une thalassocratie. La plupart des cités contribuant au phoros sous forme monétaire, elles se retrouvent relativement désarmées.

Une thalassocratie est une puissance reposant sur la domination des mers. Voir p. 27.

125

Partie 3 Guerre et paix dans le monde grec classique

Les mots de l’empire Selon l’historienne J. de Romilly, « il n’y a pas de mot grec pour désigner ­l’impérialisme ; il y en a seulement un pour désigner le fait de dominer, ou l’ensemble des peuples dominés, c’est le mot archè ». L’historien M.  Finley définit ainsi le terme d­ ’empire : « l’exercice durable, par un État, d’une autorité, ou d’un pouvoir, ou d’un contrôle, sur un ou plusieurs États ou communautés ou peuples ».

■■ Le

contrôle des territoires Dès le début de la ligue de Délos, une partie des expéditions s’éloignent de l’objectif premier, la lutte contre les Perses. Certaines opérations servent les intérêts économiques d’Athènes et d’autres sont des interventions destinées à forcer des cités soit à entrer, soit à rester dans la symmachie. En 476/475, Cimon s’empare de l’île de Skyros. Tout en respectant un objectif de la ligue, celui d’éradiquer la piraterie endémique en mer Égée, Cimon permet là encore aux Athéniens de contrôler l’un des relais de la route du blé. Peu de temps après, la cité de Carystos est contrainte d’entrer dans la ligue car elle a aidé les Perses pendant les guerres médiques. Thucydide évoque aussi le cas de la cité de Naxos « qui avait fait défection : les Athéniens l’assiégèrent et l’amenèrent à composition : ce fut la première cité alliée asservie contrairement à la règle » (vers 470).

Voir la carte de la ligue de Délos p. 119.

Sur la population de l’Attique, voir p. 184.

« Calcule simplement, non avec des cailloux, mais avec tes doigts, le tribut qui nous revient au total des cités alliées ; puis compte, en outre et à part, les impôts et les nombreux centièmes, les consignations, mines, marchés, ports, rentes, confiscations. En tout, cela nous fait environ 2 000 talents » (Aristophane, Les Guêpes, v. 655-660). 126

Concrètement, la présence athénienne se traduit par la mise en place de garnisons, comme à Chéronée, en Eubée, à Cyzique ou à Byzance. Le système des clérouquies permet aussi de contrôler des cités potentiellement rebelles (Naxos, Skyros, Chalcis, Érétrie…). Des lots de terre sont confisqués sur place et attribués à des Athéniens qui s’installent et surveillent le territoire. Ces clérouques peuvent désormais prétendre au cens minimal pour être hoplites, bénéficiant ainsi d’une ascension sociale. Athènes favorise aussi l’installation de colonies (Bréa, Histiée, Potidée, Égine ou encore A ­ mphipolis). Selon Chr. Pébarthe, ce sont ainsi 9 000 colons et clérouques a­ théniens qui sont dispersés dans l’empire, pour une population citoyenne estimée à 50 000 hommes en 431. ■■ Une

emprise économique ? Vers 447, le décret de Cleinias réorganise et optimise la perception du phoros au sein de la ligue qui est désormais divisée en cinq districts : l’Ionie, la Thrace, l’Hellespont, les îles et la Carie. Selon Plutarque, la perception du phoros aurait permis à Athènes d’embellir ses temples, ce qui aurait déclenché la colère des alliés. Concrètement, les grands travaux de reconstruction de l’Acropole auraient été financés en partie par la ligue, notamment à partir du transfert de son trésor depuis Délos à Athènes même, en 454, sous prétexte de le soustraire à d’éventuels dangers en mer Égée. Cependant, les historiens contemporains ont nuancé le degré d’implication des alliés dans le financement du chantier. En effet, Athènes a ses propres ressources minières et fiscales et c’est en

8 L’empire de la chouette. Gloire et chute d’Athènes (478-403)

fait seulement 1/60e du phoros, ce qu’on appelle l’aparchè, qui aurait intégré directement les caisses athéniennes. Grâce à de grandes inscriptions recueillies sous le nom de Listes du tribut athénien, on connaît les montants des prémices offertes par les cités à Athéna en guise d’aparchè, à partir de 454. Le versement du phoros se fait désormais à Athènes, selon une mise en scène politico-religieuse bien orchestrée. Les ambassadeurs alliés se déplacent non seulement tous les quatre ans lors des Grandes Panathénées, où ils apprennent le montant exigé et où ils doivent fournir des bêtes de sacrifice, mais ils assistent aussi aux Grandes Dionysies, lors desquelles ils remettent les sommes dues.

Sur les fêtes athéniennes, voir p. 261.

Le débat demeure autour du décret de Cléarque dont la datation varie entre 449, les années 420 ou l’année 414/3. Ce décret impose aux membres de la ligue de Délos l’utilisation de la monnaie mais aussi du système de mesures et de poids athéniens. Cette unification monétaire n’est pas une simple ingérence qui ne sert que les intérêts athéniens. Le décret aurait aussi facilité les échanges dans l’espace économique de la ligue. Si on lie ce décret à la période où Athènes perçoit en lieu et place du phoros une taxe de 5 % sur les échanges de ses alliés, il aurait simplifié la perception des sommes dues, et il daterait ainsi de l’année 414/3. Une autre donnée témoignant du contrôle qu’Athènes a pu avoir sur l’économie égéenne est l’évolution des échanges entre la Crète et le Péloponnèse. Pour Chr. Pébarthe, la chute des importations Liste des années 439-432 vers l’île de Minos s’explique, pour les (Musée épigraphique, Athènes). années 460-400, par un embargo que les Athéniens ont mis en place sur le commerce péloponnésien. Grâce à sa flotte, Athènes est en mesure d’interdire ou de permettre l’accès à la mer Égée. ■■ Ingérence

judiciaire et surveillance administrative Les cités de la ligue de Délos sont surveillées grâce à une présence régulière de personnel athénien : selon Aristote, il y aurait autant de magistrats à l’intérieur qu’à l’extérieur d’Athènes, soit 700. Mais ces derniers se concentrent probablement dans les cités potentiellement rebelles et, selon les sources, ce sont les archontes, les episkopoi (surveillants), les phrourarques (chefs de ­garnison) et les hérauts. Il existe aussi des ­magistrats spécialement dédiés à la surveillance de la région des détroits, les hellespontophylakes. 127

Partie 3 Guerre et paix dans le monde grec classique

Athènes intervient en outre dans les affaires judiciaires de ses alliés : comme on peut le lire dans le décret relatif à la cité de Chalcis (IG  I3 40, 446/445), les procès pouvant entraîner des condamnations graves comme ­l’atimie, la mort ou l’exil sont jugés à Athènes. Sur le plan politique, Athènes n’a pas systématiquement imposé le modèle démocratique dans les cités de la ligue de Délos. On notera cependant que la démocratie s’établit à Érythrées, à Milet, à Colophon, à Chalcis et à Samos, après une intervention athénienne.

4. Révoltes et sécessions : l’empire contre-attaque L’emprise s’exerçant dès les premières années de la ligue de Délos, certains membres cherchent à quitter la confédération, entraînant une répression violente de la part des Athéniens. ■■ La

Sur la révolte des Hilotes, voir p. 239.

révolte de Thasos (465-463) En 465, les Thasiens émettent le souhait de sortir de la ligue de Délos. Ils contestent en effet les prétentions athéniennes sur les revenus miniers de Thasos qui contrôle alors, sur le littoral thrace, l’exploitation des mines de Scap­ théniens tèsylè. Cimon riposte et, après avoir coulé 33 navires thasiens, les A viennent à bout de la cité insulaire en 463. L’aide demandée aux Spartiates est restée lettre morte, à cause d’un violent séisme en Laconie et d’une révolte servile qui mobilisent toute leur attention. La capitulation est coûteuse : Thasos doit raser ses fortifications, livrer sa flotte, payer une lourde indemnité de guerre et abandonner aux Athéniens ses comptoirs et ses mines de Thrace.

■■ La

révolte de l’Eubée (446) En juin 446, c’est la région eubéenne qui se rebelle contre l’oppression athénienne, en refusant de payer le phoros. Périclès prend la tête d’une expédition punitive et il parvient à soumettre l’île. Des clérouques athéniens sont installés à Érétrie et peut-être à Chalcis, qui livre en outre des otages. Quant à la cité d’Histiée qui a longtemps résisté aux troupes de Périclès, ses habitants sont expulsés et une colonie athénienne, Oréos, est installée sur son territoire. L’Eubée, relais précieux sur la route du blé en provenance du Pont-Euxin, est ainsi sous contrôle athénien, ainsi que l’attestent les deux décrets concernant Érétrie et Chalcis (IG I3 39-40).

■■ La

révolte de Samos (440) L’affaire de Samos, en 440, illustre là encore la cruauté dont les Athéniens, et Périclès au premier chef, ont pu faire preuve face aux alliés. Les Samiens, à la suite d’un conflit initial avec la cité de Milet, ont quitté la ligue de Délos ; à l’issue d’une guerre coûteuse en talents (1400) et en hommes, Athènes met au pas les insulaires. L’historien Douris de Samos (v. 350-v. 270) se fait l’écho des tortures

128

8 L’empire de la chouette. Gloire et chute d’Athènes (478-403)

infligées de part et d’autre. Alors que les prisonniers samiens sont marqués au visage d’une proue de navire, les prisonniers athéniens reçoivent une chouette en guise de tatouage. Dans les deux cas, les symboles renvoient aux monnaies respectives des belligérants. Selon V. Azoulay, il est possible que ces marquages s’expliquent par le refus des Samiens d’appliquer le décret de Cléarque sur l’usage imposé des monnaies, poids et mesures athéniens, si on opte pour la datation haute (voir ci-dessus). Le souvenir des cruautés de guerre ne s’arrête pas là. Après avoir exigé des Samiens défaits qu’ils abattent leurs murailles, livrent leur flotte et remboursent les frais liés au conflit, Périclès aurait traité l’élite des Samiens avec une grande violence. Douris de Samos rapporte en effet que les généraux et les marins de Samos auraient été torturés sur l’Agora de Milet, attachés à des planches dix jours durant, avant d’être achevés à coups de bâtons et laissés sans sépulture. Cette tradition hostile à Périclès le dépeint ainsi sous les traits d’un homme impie et cruel. Mais en agissant ainsi, Périclès n’a fait que poursuivre l’attitude d’un Cimon envers les alliés récalcitrants et, après lui, le stratège Cléon en fera de même.

Sur la monnaie, voir p. 282.

Monnaie de Samos frappée à Messine (493-489), représentant une proue de navire samien, la Samaina.

5. Athènes, une « tyrannie » consentie ? En entravant l’indépendance et la liberté de certains de ses alliés, Athènes a modifié sensiblement la nature des relations au sein de la ligue. La qualification de « tyrannie », au sens d’un pouvoir violent, illégitime et arbitraire, apparaît plusieurs fois sous la plume de Thucydide. Les Corinthiens, au congrès de la ligue du Péloponnèse réuni en 432, se plaignent de la « tyrannie » des Athéniens auprès des Spartiates (I, 122). Périclès lui-même avoue que l’empire « constitue entre nos mains [celles des Athéniens] une tyrannie dont l’acquisition semble injuste mais l’abandon dangereux » (II, 63).

Sur la tyrannie archaïque, voir p. 91.

Cependant, on insiste également aujourd’hui sur le fait que la confédération délienne a trouvé un intérêt dans la mise en place de l’empire athénien. ­L’auteur Diodore de Sicile évoque « les plus grands dommages » comme « les plus grands services » que les Athéniens auraient apportés à leurs alliés, notamment les insulaires. Les bénéfices tirés par les membres de la ligue de Délos sont de plusieurs ordres : –– la protection militaire. Les cités alliées sont protégées par Athènes ­moyennant le versement d’une contribution modeste, le phoros, dont le montant est cependant revu à la hausse en 425/4. Cette augmentation correspondrait à la fois à la réaction des Athéniens dans le contexte du début de la guerre du Péloponnèse qu’il faut financer, mais aussi à la capacité augmentée de contribution des alliés, économiquement plus prospères. Pour les cités des Cyclades, la protection opérée par Athènes leur permet d’éviter d’avoir à financer eux-mêmes une défense coûteuse, notamment l’achat de bois nécessaire aux navires de guerre. Comme l’analyse 129

Partie 3 Guerre et paix dans le monde grec classique

G. ­Bonnin, « les Cycladiens se sont, quasiment sans discontinuité depuis l’époque archaïque, retrouvés sous la protection d’une puissance maritime, le plus souvent exogène : Naxiens, Samiens, puis Achéménides et enfin Athéniens » ; –– la police des mers opérée par la flotte de la ligue permet de créer un espace sécurisé placé sous l’autorité d’Athènes. En éradiquant la ­piraterie en mer Égée, comme lors de l’expédition contre les Dolopes de Skyros en 476, les Athéniens ont créé une « Pax Atheniensis » (G. Bonnin) favorable aux flux d’approvisionnement et au développement du commerce. Même si le port principal de la mer Égée est le site du Pirée, à Athènes, les échanges se multiplient dans tout l’espace égéen. Ainsi, l’empire d’Athènes s’est maintenu par la coercition et l’usage de la force mais également par l’acceptation des alliés, notamment les îles des Cyclades. Cette acceptation n’est pas un simple renoncement mais aussi une « appréciation objective des intérêts apportés par l’empire » (G. Bonnin). Il n’en demeure pas moins que l’empire a provoqué non seulement le mécontentement de certains alliés mais aussi l’inquiétude de cités extérieures à la confédération délienne, redoutant l’inexorable montée en puissance d’Athènes.

III. La guerre du Péloponnèse et la chute d’Athènes (431-403) 1. Causes immédiates et causes profondes Pour l’historien Thucydide, deux phénomènes ont déclenché la guerre du Péloponnèse. Sur le long terme, les manifestations de la puissance ­athénienne depuis 478 ont cristallisé un lourd ressentiment contre Athènes. Et, à partir de 435, une série de conflits locaux entraîne l’ouverture des hostilités entre la ligue de Délos, menée par Athènes, et la ligue du Péloponnèse, menée par Sparte. ■■ La

Sur les Hilotes, voir p. 239.

détérioration des relations entre Athènes et Sparte Les rapports avec la cité spartiate s’altèrent dès les années 460. Après le tremblement de terre en Laconie, en 464, les Spartiates font appel aux ­Athéniens afin de mater les Hilotes ayant profité du chaos pour s’insurger. Thucydide rapporte que le contingent athénien conduit en 462 par Cimon, dont les sympathies politiques envers le régime spartiate sont bien connues, est congédié. Il est possible que les Athéniens aient finalement manifesté une certaine empathie pour les Hilotes asservis, ce qui leur aurait attiré la défiance des Spartiates. Suite à ce renvoi des troupes athéniennes, les rapports entre les deux cités continuent à se dégrader :

130

8 L’empire de la chouette. Gloire et chute d’Athènes (478-403)

–– les Argiens, ennemis de longue date des Spartiates, se rapprochent d’Athènes, à partir de 462/461 ; –– en 461, ce sont les Mégariens, ennemis de Corinthe, qui nouent une alliance avec les Athéniens. Ces derniers fortifient Mégare grâce à l’élaboration de Longs Murs, entre la ville et le port de Nisaia ; –– puis, en 458, les Athéniens s’emparent de la cité de Naupacte où ils aident les Hilotes révoltés contre Sparte à s’installer ; –– en 457, à Tanagra, en Béotie, les Spartiates et les Athéniens en viennent aux armes, dans une bataille qui se solde par une victoire spartiate ; –– si en 455 les Athéniens arrivent à ravager le port de Sparte, Gytheion, ils sont défaits de nouveau à Coronée en 447 par les Béotiens, alliés des Spartiates. À l’issue de ces escarmouches successives, qu’on a pu appeler « première guerre du Péloponnèse », Sparte et Athènes concluent une trêve durant ­l’hiver 446/445. D’après cette « paix de trente ans », les deux cités s’engagent à respecter leurs zones d’influence respectives, à ne pas intervenir dans les affaires de la confédération voisine et à avoir recours à un arbitrage en cas d’affrontement. Selon Plutarque, Périclès aurait proposé, dès 448/447, la tenue d’un congrès panhellénique statuant sur la sécurité des mers comme sur la reconstruction des temples incendiés par les Perses, mais les Spartiates s’y seraient opposés. Signe de leur hostilité aux projets athéniens, les Spartiates ne participent pas, en 444/443, à la fondation de Thourioi, en Italie du Sud. Cette nouvelle cité est fondée non loin des ruines de Sybaris, détruite par Crotone en 448/447. Les Sybarites ont envoyé des ambassadeurs à Sparte et à Athènes afin qu’ils se joignent à l’entreprise de refondation. Sparte refuse mais Périclès prête dix navires et invite les cités qui le souhaitent à se joindre au projet, qui prend ainsi des atours panhelléniques sous une direction athénienne. On compte ainsi, parmi les nouveaux arrivants à Thourioi, des Béotiens, des Eubéens, des Insulaires, des Péloponnésiens (non doriens) et des Athéniens, ces derniers constituant le groupe principal.

« Beaucoup de monde répondit à cet appel et quand ils eurent connaissance d’un oracle d’Apollon, qui leur disait de fonder une ville dans un site où ils habiteraient en “buvant de l’eau modérément, mangeant du pain immodérément”, ils firent voile vers l’Italie et, parvenus à Sybaris, ils se mirent en quête du site que le dieu les avait invités à coloniser » (Diodore de Sicile, XII, 10).

L’historien Hérodote prend part au voyage et s’installe à Thourioi.

■■ Les

trois affaires (435-432) En dépit de la trêve, dès 435, trois conflits localisés opposent les Athéniens et certains alliés de Sparte, déclenchant la guerre : –– tout d’abord, en 435, Corcyre entre en guerre contre Corinthe et fait appel aux Athéniens qui concluent une alliance défensive. La bataille des îles Sybota, en 433, est remportée par Corinthe mais l’approche de la flotte athénienne met un terme à l’assaut ; –– dans un second temps, Athènes demande à la cité de Potidée d’accepter non seulement une augmentation du phoros mais aussi de 131

Partie 3 Guerre et paix dans le monde grec classique

« Et alors, courroux de Périclès : notre Olympien lance éclairs et tonnerres, met la Grèce en marmelade, fulmine des décrets rédigés en style de chanson à boire : Interdits de séjour sont les gens de Mégare, sur terre et au marché, sur mer et sous le ciel ! » (Aristophane, Les Acharniens, 530-534, trad. V.-H. Debidour).

rompre ses relations avec Corinthe dont elle est une colonie. Devant le refus de Potidée, les Athéniens assiègent la cité, qui bénéficie du soutien spartiate ; –– enfin, en 432, un décret athénien exclut les Mégariens des ports de l’empire et du marché de l’Attique. Athènes démontre qu’elle peut affamer certaines cités et en contraindre d’autres à entrer dans son orbite. En 432, au congrès de la ligue du Péloponnèse tenu en Laconie, les alliés de Sparte exigent que cette dernière sorte de son attentisme. La guerre aura bien lieu, Athènes refusant d’abroger le décret contre Mégare comme les Spartiates le lui demandent.

2. De la guerre d’Archidamos à la paix de Nicias (431-421) ■■ Les

Voir la carte de la guerre du Péloponnèse dans l’atlas final.

Voir la carte de l’Attique, p. 187.

stratégies adoptées Les dix premières années de la guerre prennent traditionnellement le nom du roi spartiate Archidamos qui pourtant, d’après Thucydide, a tenté de raisonner ses compatriotes et d’empêcher l’affrontement avec Athènes. Périclès établit dès le début de la guerre une stratégie particulière : il convainc les habitants des bourgs de l’Attique d’abandonner les terres de la chôra et de se réfugier derrière les Longs Murs. L’idée est de faire d’Athènes une île imprenable et ravitaillée par le port du Pirée. La flotte doit aussi servir à opérer des raids sur les côtes ennemies du Péloponnèse. Dans cette stratégie toute maritime, Périclès enjoint aux ­Athéniens d’éviter l’affrontement hoplitique avec les Spartiates, mieux entraînés.

Les forces en présence Au début de la guerre et selon les estimations, les Péloponnésiens et leurs alliés disposent de 40 000 à 100 000 combattants dont 1 600 cavaliers et d’une centaine de navires. Dans le camp attico-délien, on peut compter sur 300 trières mais seulement 13 000 hoplites, 16 000 réservistes et 1 200 cavaliers.

Côté lacédémonien, la tactique classique opérée est celle de la razzia. Entre 431 et 425, les Spartiates et leurs alliés ravagent tous les ans les campagnes ­attiques, espérant ébranler la forteresse athénienne en détruisant les récoltes. Mais les difficultés viennent rapidement d’ailleurs. La promiscuité et l’entassement de la population au sein des Longs Murs favorisent la propagation d’une épidémie de typhus qui décime un tiers de la population athénienne. Périclès perd sa sœur et ses deux fils légitimes, avant de succomber lui-même, en 429, à la maladie. Selon Thucydide, « ce qui contribua à les éprouver (…) fut le rassemblement effectué des campagnes vers la ville : [la maladie] éprouva surtout les 132

8 L’empire de la chouette. Gloire et chute d’Athènes (478-403)

réfugiés. En effet, comme il n’y avait pas de maisons et que les gens vivaient dans des cabanes que la saison rendait étouffantes, le fléau sévissait en plein désordre : des corps gisaient (…), les uns sur les autres ; il y en avait qui se roulaient par terre, à demi morts, sur les chemins et vers toutes les fontaines » (II, 52, 1-2). Au même moment, un autre drame se noue à Platées, fidèle alliée d’Athènes ; la cité est assiégée par les Lacédémoniens et les Thébains, qui finissent par raser la ville et massacrer sa population.

Voir p. 179 sur l’octroi exceptionnel de la citoyenneté athénienne aux réfugiés platéens.

Les oraisons funèbres En 430, à l’issue de la première année de guerre, Périclès prononce une oraison funèbre rapportée par Thucydide (II, 37-41) et déclamée devant le peuple athénien réuni au Céramique, dans le cimetière public d’Athènes. C’est là que les soldats sont enterrés, dans un tombeau collectif où dix cercueils correspondant aux dix tribus clisthéniennes contiennent leurs ossements. D’après Thucydide, « pendant toute la guerre, chaque fois que cela se trouvait, on appliqua l’usage ». Invention de l’Athènes classique, l’oraison funèbre a une double finalité : elle glorifie les morts tombés au combat pour la patrie tout en faisant l’éloge du régime démocratique et de la supériorité d’Athènes. Outre celle prononcée par Périclès, on a aussi conservé les oraisons de Lysias, de Démosthène et d’Hypéride. Platon, dans son Ménéxène, propose un pastiche d’oraison funèbre (voir p. 213). ■■ Les

années Cléon (429-422) Après la mort de Périclès, le stratège qui domine la vie politique a­ thénienne est Cléon. Jusqu’à sa disparition, en 422, il manifeste une volonté sans faille de maintenir l’autorité d’Athènes au sein de la ligue comme d’en découdre avec les Spartiates.

Voir la biographie de Cléon, p. 200.

Ainsi, lorsqu’en 429 la principale cité de l’île de Lesbos, Mytilène, entre en rébellion contre Athènes, Cléon prend la tête d’une expédition punitive semblable à celles que Cimon et Périclès ont déjà menées avant lui au sein de l’empire. D’après Thucydide (III, 37-48), une partie des Athéniens incarnés par un certain Diodote est partisane d’une politique du pardon. Mais Cléon prône la nécessité d’un châtiment exemplaire contre la cité rebelle et demande la mise à mort de tous les habitants afin d’en faire un exemple pour les autres membres de l’empire. Finalement, seuls les responsables de la défection sont châtiés ; les terres de Mytilène sont confisquées au profit de clérouquies athéniennes, puis exploitées par la population locale. Le nom de Cléon est aussi lié à l’épisode de la prise de l’îlot de Sphactérie, en 425. Situé en face de la baie de Pylos, au sud-ouest de la péninsule du Péloponnèse, Sphactérie est le lieu d’un coup de théâtre inattendu : la flotte athénienne réussit à y encercler 120 citoyens-soldats spartiates. Sparte, en proie depuis plusieurs décennies au phénomène oliganthropique, propose la

Sur l’oliganthropie spartiate, voir p. 235.

133

Partie 3 Guerre et paix dans le monde grec classique

paix afin de récupérer ses hoplites. Mais les Athéniens, confiants, préfèrent en faire des otages et obtiennent ainsi l’arrêt des invasions récurrentes de l’Attique. Cette reddition temporaire de Sparte porte un coup au mythe de l’irréductibilité de ses fantassins, prêts à mourir au combat plutôt que de renoncer. Athènes, galvanisée par sa victoire, en profite pour exiger un triplement du phoros. Le théâtre des opérations se déporte alors en Thrace. Un nouveau chef militaire spartiate, Brasidas, réussit à s’emparer de la ville d’Amphipolis, stratégique pour les intérêts athéniens dans la région. Les combats sont longs et, en 422, Cléon et Brasidas tombent sous les murs de la cité. L’historien Thucydide, lui-même stratège pendant les opérations, est condamné pour n’avoir pas pu empêcher la prise d’Amphipolis. Il quitte Athènes et c’est au cours de son exil qu’il écrit sa fameuse Guerre du Péloponnèse.

3. La paix armée et le désastre de l’expédition de Sicile (421-413) ■■ La

paix de Nicias : une paix armée (421-416) La disparition de Cléon et Brasidas, les deux « fauteurs de guerre » comme les qualifie Thucydide, est propice à des pourparlers. Les Athéniens sont fragilisés par la défection de cités au nord de l’Égée et par la perte des ressources minières de Thrace. Les Spartiates, de leur côté, comptent réintégrer à leur maigre corps civique les prisonniers détenus à Athènes. En 421, Sparte et Athènes signent ainsi la paix de Nicias, du nom du principal négociateur athénien. Les Athéniens restituent les otages spartiates et renoncent aux possessions acquises dans le Péloponnèse. Les Spartiates, quant à eux, doivent rétrocéder les cités prises depuis 424, dont Amphipolis. Mais ni Thèbes ni Corinthe ni Mégare ne souhaitent arrêter les hostilités contre Athènes, fragilisant de fait une paix qu’elles refusent de signer. Par ailleurs, ni Pylos ni Amphipolis ne sont finalement rendues à leur camp d’origine. Malgré la signature de la paix de Nicias, les expéditions reprennent, toujours selon un double mouvement. Une partie des conflits concerne Athènes et son empire, qu’elle cherche à maintenir et à renforcer, et une autre partie des combats oppose Athéniens et Spartiates. Ainsi, en 418, les Argiens, secondés par un petit contingent athénien, sont défaits à Mantinée par les Spartiates. En 416, l’île de Mélos, qui n’appartient pas à la ligue de Délos, est contrainte d’y entrer alors qu’elle souhaite rester neutre. La longue discussion entre Méliens et Athéniens est retranscrite par ­ ucydide (V, 85-113). Les Athéniens y affirment, avec un aplomb sans faille, Th la loi du plus fort, et devant le refus des Méliens assiégés, ils massacrent les hommes et réduisent en esclavage les femmes et les enfants.

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8 L’empire de la chouette. Gloire et chute d’Athènes (478-403)

■■ L’expédition

de Sicile (415-413) L’année suivante, en 415, les Athéniens entreprennent une expédition en Sicile qui les mène au désastre. C’est un tournant majeur dans la guerre du Péloponnèse. Le champ politique est alors occupé par deux figures antagonistes. Nicias, l’artisan de la paix de 421, est partisan de maintenir l’empire tel quel et incarne le parti de la prudence. En face se dresse un jeune aristocrate, Alcibiade, neveu de Périclès. Alcibiade convainc ses concitoyens de l’Assemblée de s’engager en Sicile où la petite cité d’Égeste, en conflit avec Sélinonte et Syracuse, a fait appel aux ­Athéniens. Alcibiade fait miroiter à ses congénères la conquête d’une contrée riche en blé qui permettrait en outre d’étendre l’empire d’Athènes à l’ouest. Ainsi, au printemps 415, les Athéniens votent l’envoi de 134 trières et de 27 000 hommes vers la Sicile, sous le commandement des stratèges Alcibiade, Nicias et Lamachos.

Mais, très vite, Alcibiade est rappelé à Athènes. On lui demande en effet de s’expliquer sur la récurrence de son nom dans les témoignages recueillis autour de deux affaires de sacrilèges qui bouleversent Athènes depuis le printemps 415. La première concerne les statues du dieu Hermès : ces piliers ithyphalliques aux vertus protectrices ont été mutilés aux carrefours et aux seuils des maisons. En outre, un deuxième scandale religieux s’agrège au premier. Lors de leurs dépositions, des esclaves attestent de la tenue, dans certaines maisons ­aristocratiques, de parodie des Mystères d’Éleusis, une célébration dont les rites ne doivent pas être dévoilés par les adeptes, sous peine de sacrilège. C’est dans ce cadre judiciaire que le nom d’Alcibiade revient. Alcibiade, craignant un procès pour impiété dont l’issue pourrait lui être fatale, fausse compagnie à l’escorte qui le ramène de Sicile à Athènes. Il se réfugie à Sparte.

Buste d’Alcibiade, copie romaine d’après un original du ive siècle (Rome).

Voir les biographies de Nicias et d’Alcibiade, p. 200. Sur les piliers hermaïques, voir p. 96.

Sur les Mystères d’Éleusis, voir p. 269.

Alcibiade, transfuge temporaire, prodigue alors quelques précieux conseils stratégiques aux Spartiates : –– il les convainc de se mêler de l’affaire de Sicile et d’envoyer une flotte aider les Syracusains contre Athènes. Le spartiate Gylippe prend alors la tête du contingent lacédémonien dépêché outre-mer ; –– il conseille en outre aux Spartiates de s’installer au nord d’Athènes, à Décélie. Après l’avoir fortifiée, les Spartiates en font une base de contrôle du territoire athénien, qu’ils recommencent à ravager.

Voir la carte de l’Attique p. 187.

Triptolème, le héros d’Éleusis, et Korè, fille de Déméter. Médaillon d’une coupe attique, 470 (Louvre, Paris).

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Partie 3 Guerre et paix dans le monde grec classique

Sur les Latomies, voir p. 149 et 272.

La situation en Sicile se détériore rapidement du côté athénien. Dès 413, la défaite est cuisante. Les stratèges Nicias et Démosthène (qui a remplacé Alcibiade) sont mis à mort et des milliers de soldats du camp athénien sont enfermés dans les carrières de pierre de Syracuse, les Latomies, où ils agonisent des jours durant.

4. La guerre d’Ionie et la chute d’Athènes (413-403) « Battus partout et de toutes les manières, éprouvés du malheur sans aucun ménagement sous quelque rapport que ce fût, c’était, comme on dit, le désastre à son comble : infanterie, navires, rien qui n’eût péri ! et sur tant d’hommes partis, bien peu revinrent au foyer » (Thucydide, VII, 87, à propos de l’expédition de Sicile).

Sur le misthos et les institutions démocratiques, voir p. 189.

■■ Athènes, une

cité fragilisée Au lendemain de l’échec en Sicile, les Athéniens accumulent les difficultés : –– l’empire se porte mal et de nombreuses cités ont profité du désastre sicilien pour faire défection ; –– les rentrées monétaires s’amenuisent à cause du nombre réduit d’alliés s’acquittant du phoros et de la désorganisation de l’exploitation des mines du Laurion. En effet, les Spartiates ont favorisé la fuite de milliers d’esclaves qui y travaillent. En 413, les Athéniens substituent alors au phoros une taxation de 5 % sur les échanges maritimes ; –– les Spartiates entreprennent de se rapprocher des ennemis d’hier, les Perses. Ces derniers leur fournissent désormais le financement nécessaire à la construction d’une flotte, moyennant à terme une reconnaissance de leur suzeraineté sur l’Asie Mineure. Cette flotte permet aux Spartiates de gêner considérablement le ravitaillement d’Athènes, en attaquant Lampsaque, Byzance et l’Eubée ; –– en 411, les difficultés extérieures fragilisent la démocratie. Elle est renversée au profit d’un gouvernement oligarchique, les Quatre-Cents, qui réduisent le nombre de citoyens à 5 000, suspendent les misthoi et l’institution du Conseil de la Boulè. L’oligarchie ne tient cependant que quelques mois avant que la démocratie ne soit rétablie, dès 410. La restauration doit beaucoup à la résistance du peuple des marins athéniens stationnés à Samos et qui refusent la révolution oligarchique ourdie en territoire attique. Alcibiade, finalement rallié aux démocrates athéniens, après avoir quitté Sparte et tenté sa chance auprès des Perses, reprend son rôle de stratège et amène la flotte athénienne à la victoire navale de Cyzique (410). La route du blé est de nouveau ouverte et les quelques succès maritimes des Athéniens réaniment leur confiance.

■■ Lysandre. La

Sur la navarchie spartiate, voir p. 245.

136

victoire spartiate et l’ivresse du pouvoir Cependant, à partir de 407, un nouveau général se distingue dans le camp spartiate. Il s’agit de Lysandre, le chef de la flotte spartiate (navarque) qui reprend les accords avec les Perses et plus particulièrement avec Cyrus le Jeune, fils du roi Darius II. Les Spartiates l’emportent à Notion en 407/406. Les A ­ théniens résistent encore et, en 406, sont victorieux au large des îles Arginuses.

8 L’empire de la chouette. Gloire et chute d’Athènes (478-403)

L’éclat de la victoire est cependant entaché par la condamnation à mort des stratèges athéniens par l’Assemblée, accusés d’avoir abandonné à la mer les corps des soldats tombés à l’eau. En 405, Lysandre anéantit la flotte athénienne à Aigos Potamos et bloque de nouveau la route du blé vers le Pirée. Athènes, acculée, affamée, est défaite. D’après Plutarque, le général victorieux Lysandre, loin de rendre aux cités ioniennes leur liberté, leur impose des gouvernements autoritaires et cruels, appelés des « décarchies ». Ces groupes de dix gouverneurs, à la botte de Lysandre, sèment la terreur dans les cités fraîchement débarrassées du joug ­athénien. Quant à Lysandre, il présente les signes d’un comportement répréhensible aux yeux des Spartiates, déjà vus avec le régent ­Pausanias au lendemain des guerres médiques.

Sur Pausanias, voir p. 119.

Outre les exactions des décarchies, les Spartiates lui reprochent son orgueil démesuré dont témoignent les monuments personnels érigés à Delphes, les chants de victoire en son honneur et les fêtes de Samos qui portent désormais son nom (les Lysandreia). Plus généralement, la victoire spartiate pose de nouveau la question du rapport de Sparte à la mer. L’ambition maritime de Lysandre, partisan d’un empire spartiate prenant la place de l’archè athénienne vaincue, rencontre là encore de vives oppositions dans sa cité.

Sur le programme économique et impérialiste de Lysandre, voir p. 285.

■■ Le

traité de paix de 404 Tandis que Lysandre savoure sa victoire, les Athéniens redoutent le pire. En effet, rapporte Xénophon, « les gens ne pleuraient pas seulement sur le sort des disparus, mais bien plutôt sur leur propre destin : ils auraient à subir, ­pensaient-ils, les traitements qu’ils avaient infligés aux gens de Mélos, (…) à ceux d’Histiée, de Skionè, de Toronè, d’Égine, et à beaucoup d’autres Grecs » (Helléniques, II, 2, 3). Du côté des alliés de Sparte réunis au congrès de la ligue du Péloponnèse, Corinthe et Thèbes souhaitent l’anéantissement d’Athènes. Les Athéniens doivent finalement leur salut au souvenir des guerres médiques et à leurs exploits contre les Barbares mais aussi à la stratégie spartiate, qui se méfie de la puissance thébaine au nord de l’Attique.

Les clauses du traité de 404 entérinent la chute de l’empire d’Athènes : elle doit détruire ses Longs Murs, symbole de sa puissance et de sa résistance, livrer sa flotte et évacuer les clérouquies. Ce sont non seulement des centaines de citoyens chassés des possessions athéniennes de l’ancien empire qui reviennent, mais aussi les « bannis », dont l’accueil à Athènes est exigé par les Spartiates. Ces bannis ne sont autres que les partisans du régime oligarchique éphémère des Quatre-Cents ; à la faveur de leur rapatriement, la démocratie est à nouveau ébranlée.

137

Partie 3 Guerre et paix dans le monde grec classique

■■ La

Voir les biographies de Théramène et de Critias, p. 201.

tyrannie des Trente Pendant l’année 404 et jusqu’en janvier 403, Athènes est ainsi gouvernée par un groupe d’oligarques soutenu par Lysandre et passé à la postérité sous le nom des Trente tyrans, tant ils s’illustrent par leurs exactions arbitraires et leur cruauté. Parmi eux, on retiendra Théramène et Critias. Le premier est un ancien des Quatre-Cents et il a négocié la paix avec les ­Spartiates. Le second, neveu de Platon et ancien disciple de Socrate, est resté dans les mémoires comme le plus violent, au point d’éclipser la fraction modérée menée par Théramène. Pourchassant les démocrates, assassinant sans procès de nombreux ­ théniens mais aussi des métèques, les Trente ensanglantent la cité comme A l’ont fait ailleurs les décarchies de Lysandre. La résistance s’organise cependant depuis les points de refuge des démocrates menés par Thrasybule, déjà artisan de la restauration de 410. Après d’âpres combats autour des forteresses de Phylè et de Mounychie, Athènes retrouve sa démocratie sur les bases d’une amnistie générale qui réconcilie les deux camps, exception faite des Trente et de ceux qui les ont directement secondés comme magistrats, les Onze et les Dix. L’intervention des Spartiates et de leur roi Pausanias, qui redoutent la politique trop personnelle de Lysandre en Attique, favorise aussi la restauration de la démocratie qui emprunte alors une voie modérée :

Sur le métèque patriote Lysias, voir p. 182.

Sur la loi de Périclès, voir p. 214.

Sur Socrate, voir p. 218.

–– trop généreux, le décret de Thrasybule sur l’octroi de citoyenneté aux étrangers et aux esclaves ayant combattu contre les oligarques est cassé par Archinos, sous prétexte d’un vice de forme ; –– la proposition de Phormisios sur la restriction de la citoyenneté aux seuls propriétaires terriens n’est pas retenue car jugée trop oligarchique. Elle aurait en effet écarté 5 000 personnes ; –– les Athéniens réactivent la loi de Périclès qui exige d’avoir un père et une mère athéniens pour être citoyen. En 399, et malgré l’amnistie, le philosophe Socrate fait les frais de la rancœur encore tenace des Athéniens. Derrière une accusation d’impiété et de corruption de la jeunesse, c’est aussi le maître d’Alcibiade, le transfuge sacrilège des années 410, et de Critias, l’oligarque sanguinaire de 404-403, qui est condamné à mort.

À RETENIR nnLa ligue de Délos est fondée au lendemain des guerres médiques, en 478, dans le

but initial de chasser les Perses de mer Égée.

nnLes Athéniens transforment peu à peu la ligue en instrument de leurs prétentions

hégémoniques, tout en cherchant à contrôler la route du blé, indispensable à leur ravitaillement.

138

8 L’empire de la chouette. Gloire et chute d’Athènes (478-403)

nnLes alliés de la ligue de Délos ont pu aussi tirer certains avantages de l’empire

athénien : un espace économique sécurisé et une protection militaire.

nnMais les mécontentements au sein des alliés de la ligue comme la méfiance de

cités comme Sparte, Corinthe ou Thèbes débouchent sur la guerre du Péloponnèse (431-404).

nnSparte, après avoir construit une flotte financée par les Perses, réussit à vaincre la

thalassocratie athénienne, en 405.

nnÀ la fin de la guerre, Athènes perd sa puissance et son empire. La démocratie est

momentanément renversée.

nnLoin d’être libérées par les Spartiates, certaines cités alliées subissent les excès

des gouvernements mis en place par le général spartiate Lysandre.

LES DATES ESSENTIELLES 478/477 : mise en place de la ligue de Délos 478-431 : la pentékontaétie 476/475 : prise d’Éion et de Skyros Vers 470 : révolte de Naxos contre Athènes 467/466 : bataille de l’Eurymédon 465-463 : révolte de Thasos contre Athènes 457 : bataille de Tanagra 454 : défaite d’Athènes en Égypte. Transfert du trésor de la ligue de Délos à Athènes (?) 449 : paix de Callias 449 ou vers 420 ou 414/413 : décret de Cléarque 447 : bataille de Coronée 446/445 : paix de trente ans 446 : révolte de l’Eubée contre Athènes 440 : révolte de Samos contre Athènes 433 : bataille des îles Sybota 432 : décret athénien contre Mégare. Congrès de la ligue du Péloponnèse 431-404 : guerre du Péloponnèse 429 : mort de Périclès. Révolte de Mytilène contre Athènes 425 : bataille de Pylos 424-422 : expédition spartiate en Thrace. Prise d’Amphipolis. Mort de Brasidas et de Cléon 421 : paix de Nicias 415 : scandale des doubles sacrilèges (Athènes)

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Partie 3 Guerre et paix dans le monde grec classique

415-413 : expédition de Sicile 411-410 : gouvernement des Quatre-Cents (Athènes) 407/406 : bataille de Notion 406 : bataille des Arginuses 405 : bataille d’Aigos Potamos 404 : capitulation d’Athènes. Oligarchie des Trente tyrans 403 : restauration démocratique à Athènes

 BIBLIOGRAPHIE V. Azoulay, Périclès. La démocratie athénienne à l’épreuve du grand homme, ­Paris, 2016. G.  Bonnin, De Naxos à Amorgos. L’impérialisme athénien vu des Cyclades à l’époque classique, Bordeaux, 2015. G.  Bonnin et E. Le Quéré, Pouvoirs, îles et mer. Formes et modalités de ­l’hégémonie dans les Cyclades antiques, 2014. P.  Brun, Impérialisme et démocratie à Athènes : inscriptions de l’époque classique, Paris, 2005. J.  Christien, « Sparte et le concept de symmachie », dans N.  Birgalias et  al. (eds.), The Contribution of Ancient Sparta to political Thought and Practice, Athènes, 2007, p. 63-77. R. Étienne, Athènes, espaces urbains et histoire. Des origines à la fin du iiie siècle après J.-C. Paris, 2004. V. D. Hanson, La guerre du Péloponnèse, Paris, 2008. B.  Holtzmann, L’Acropole d’Athènes. Monuments, cultes et histoire du sanctuaire d’Athéna Polias, Paris, 2003. Ph. Lafargue, Cléon, le guerrier d’Athéna, Bordeaux, 2013. Chr.  Pébarthe, « Quand Athènes dominait le monde grec : l’empire oublié (477-404) », dans F. Hurlet (dir.), Les empires : Antiquité et Moyen Âge. Analyse ­comparée, Rennes, 2008, p. 33-55. Chr.  Pébarthe, « L’empire athénien est-il toujours un empire comme les autres ? », Dialogues d’histoire ancienne, Supplément 5, 2011, p. 57-88.

140

Chapitre

9

PLAN DU CHAPITRE I. En Grèce continentale, la valse des hégémonies (404-356) II. Regard sur les Grecs d’Occident : Syracuse de Gélon à Timoléon (485-344)

Sur Philippe de Macédoine et les cités grecques, voir le chapitre suivant.

Les hégémonies au ive siècle De Lysandre de Sparte à Denys II de Syracuse (404-344) Le ve siècle s’achève sur la défaite athénienne et la disparition de la ligue de Délos. S’ouvre alors une période marquée par une succession de courtes hégémonies où Sparte, Thèbes et Athènes s’imposent tour à tour sans qu’aucune des cités n’arrive à l’emporter définitivement. Dans un premier temps, les Perses s’érigent en arbitres des conflits incessants qui déchirent le monde grec et fournissent aux différents belligérants des moyens financiers, soutenant d’abord les Athéniens puis les Spartiates. Dans la seconde moitié du ive siècle, les tensions permanentes entre cités grecques favoriseront les manœuvres de ­Philippe II de Macédoine. En 404, tandis que l’empire d’Athènes s’effondre, une autre cité maritime gagne en puissance au point de créer une zone hégémonique durable : la Syracuse sicilienne, restée célèbre au ive siècle pour ses deux dynastes autoritaires, Denys l’Ancien et Denys le Jeune. Ce premier ive  siècle est bien renseigné par les œuvres de ­Xénophon (Helléniques, Anabase), de Diodore de Sicile (Bibliothèque historique) et de Plutarque (Vie de Lysandre, Vie d’Agésilas, Vie de Pélopidas, Vie de Timoléon).

I. En Grèce continentale, la valse des hégémonies (404-356) 1. L’hégémonie spartiate et la « paix du Roi » À la fin de la guerre du Péloponnèse, le navarque Lysandre favorise l’installation de gouvernements oligarchiques dans une partie des 141

Partie 3 Guerre et paix dans le monde grec classique

Voir p. 136.

Sur la tyrannie des Trente, voir p. 138.

cités libérées de la domination athénienne : ces décarchies suscitent rapidement l’hostilité. En outre, les Spartiates eux-mêmes préfèrent rappeler Lysandre : ses succès militaires le rendent un peu trop arrogant et il a été l’initiateur de régimes de terreur qui entachent la réputation de Sparte. C’est donc aux rois spartiates, et avant tout au roi Agésilas II, que la direction des affaires militaires est rendue. Cette tension entre Lysandre et les rois est palpable dans le dénouement de la crise des Trente à Athènes, en 403. Alors que Lysandre rassemble à Éleusis une troupe de mercenaires prête à en découdre avec les démocrates athéniens, le roi spartiate Pausanias s’interpose, avec l’aval des éphores, afin de mettre un terme aux agissements trop personnels de Lysandre. En effet, il aurait souhaité faire d’Athènes « sa chose », selon Xénophon. Les Grecs se retrouvent ensuite mêlés aux affaires perses qui agitent la fin du siècle : Cyrus le Jeune tente de prendre le pouvoir en s’opposant à son frère, Artaxerxès II, roi des Perses. Soutenu par les Spartiates et plusieurs milliers de mercenaires, Cyrus le Jeune est cependant défait et tué à la bataille de Counaxa, en 401.

Xénophon et les Dix-Mille Dans son Anabase, Xénophon raconte en détail le retour difficile des mercenaires grecs dans leur patrie. Xénophon lui-même a participé à cette expédition des « DixMille », comme général. Une partie des mercenaires survivants de cette expédition, ainsi que Xénophon, rejoignent les Spartiates lors de la campagne d’Asie de 396.

Vers 399, une conspiration a lieu à Sparte, fomentée par les populations aux droits politiques limités. Voir p. 241.

D’un point de vue diplomatique, l’implication des Spartiates dans le conflit dynastique entraîne une dégradation des rapports avec les Perses, qui s’intensifie à la mort de Cyrus. Les Spartiates, auréolés du prestige de leur victoire contre Athènes en 404, sont sollicités par les cités grecques d’Asie mineure, de nouveau menacées par la puissance perse incarnée par le satrape Tissapherne. En 400, Sparte dépêche Thibron en Asie, avec une armée de 1 000 Néodamodes, 4 000 Péloponnésiens et 300 cavaliers athéniens. Très peu de citoyens spartiates participent aux campagnes militaires, du fait d’une oliganthropie inquiétante. Plusieurs opérations, menées entre 400 et 394 par Thibron, puis Derkylidas et Agésilas II, combinent un objectif de politique extérieure et un objectif de politique intérieure : défendre l’indépendance des Grecs d’Asie Mineure et éloigner les populations potentiellement rebelles du territoire spartiate. Mais c’est sans compter la ruse des Perses qui viennent en aide aux cités hostiles à Sparte. Agésilas et son armée sont contraints de rentrer en Grèce continentale où un conflit éclate en 395 ; la guerre de Corinthe.

Voir la biographie de Conon, p. 202.

Elle oppose Sparte à ses anciens alliés, Thèbes et Corinthe, secondés par Athènes et par Argos. Dès 395, la bataille d’Haliarte, en Béotie, se solde par la mort de Lysandre. En 394, la défaite spartiate de Cnide contre la flotte perse, menée par Conon l’Athénien, entraîne la perte de la maîtrise des mers :

Sur les Néodamodes, voir p. 240. Sur l’oliganthropie spartiate, voir p. 235.

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9 Les hégémonies au ive siècle. De Lysandre de Sparte à Denys II de Syracuse (404-344)

onze ans après la victoire d’Aigos-Potamos, Sparte n’exerce déjà plus d’emprise en mer Égée et les oligarchies implantées par Lysandre s’effondrent. Côté terre, les Spartiates maintiennent leur puissance, en étant vainqueurs à Némée puis à Coronée, en 394, contre les Thébains et les Athéniens.

Voir la carte de la guerre de Corinthe dans l’atlas final.

L’ingérence perse dans les affaires des Grecs s’illustre en 393 par le financement octroyé aux Athéniens afin de reconstruire les Longs Murs et la muraille du Pirée, détruits en 404 suite à la défaite. Mais ces mêmes Perses, voyant finalement d’un mauvais œil la cité athénienne s’affirmer après la reprise du contrôle de Thasos, de Byzance et d’une partie de la Macédoine et de l’Ionie, décident finalement d’aider les Spartiates. Ces derniers attaquent en 387 le port du Pirée et gênent le ravitaillement en blé d’Athènes depuis l’Hellespont. Finalement, lassés par ces conflits incessants, les Grecs concluent en 386 la paix du Roi, dite aussi paix d’Antalcidas, nom du principal négociateur spartiate. Les Spartiates y confirment leur hégémonie relative et les Perses leur mainmise sur les cités d’Asie Mineure et l’île de Chypre.

2. La seconde confédération athénienne En 377, les Athéniens reconstituent une alliance, la seconde confédération athénienne, connue par une source épigraphique, le décret d’Aristotélès, et par les détails apportés par Diodore de Sicile. Reconnaissant les erreurs de la ligue de Délos, Athènes promet le respect de la liberté et de l’autonomie des alliés, le principe de l’adhésion volontaire, l’absence de tribut et de garnisons, et la non-confiscation des terres des alliés. On retrouve un Conseil, le ­synedrion, dans lequel Athènes n’est pas représentée. Cependant, les propositions émanant du synedrion sont ensuite soumises à l’Assemblée athénienne. Les cités de Chios, Thèbes, Rhodes, Byzance et Mytilène se détachent de Sparte et y adhèrent dès 377 ; la confédération comptera jusqu’à une soixantaine de membres. La Ligue est d’abord fondée dans une perspective anti-spartiate : elle remporte ainsi les batailles navales de Naxos en 376 et d’Alyzeia en 375. Mais c’est finalement contre Thèbes que l’hostilité grandit, alors qu’elle tente d’affirmer sa propre hégémonie.

3. La courte hégémonie thébaine et la fin de la confédération athénienne En 379, menés par Pélopidas, les Thébains renvoient de leur cité la ­garnison péloponnésienne installée depuis 382 sur la Cadmée, la citadelle de Thèbes, et reforment la ligue béotienne qu’ils ont dû dissoudre suite à la paix du Roi. Les forces militaires de la confédération béotienne sont placées sous le commandement de sept béotarques, dont quatre thébains. Forte d’une armée réorganisée par le général Épaminondas et d’une alliance reconstituée, Thèbes remporte en 371 une bataille décisive contre les Spartiates, à Leuctres, en Béotie.

Sur les excès de l’impérialisme athénien, voir p. 125. Voir la carte de l’alliance dans l’atlas final.

« […] Si quelqu’un des Hellènes ou des Barbares habitant du continent ou insulaire, mais non soumis au Roi, veut être l’allié des Athéniens et des alliés, qu’il puisse l’être, tout en étant libre et autonome, et régi par la constitution qu’il voudra, sans recevoir de garnison, sans être soumis à un gouvernement, sans payer de tribut, aux mêmes conditions que les gens de Chios, les Thébains et les autres alliés […]. » (extrait du décret d’Aristotélès, IG II2, 43).

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Partie 3 Guerre et paix dans le monde grec classique

« Quelques-uns prétendent que cette unité était composée d’érastes et d’éromènes, et l’on rapporte à ce propos un mot plaisant de Pamménès :“[…] Dans les périls, on ne se soucie guère des gens de sa tribu ou de sa phratrie, tandis qu’une troupe formée de gens qui s’aiment d’amour possède une cohésion impossible à rompre et à briser” » (Plutarque, Vie de Pélopidas, 18, 2-3).

Lors de cette bataille, les troupes d’élite thébaines ne sont pas disposées sur l’aile droite, comme c’est traditionnellement le cas, mais sur l’aile gauche afin de faire face aux meilleurs soldats de l’armée péloponnésienne, c’est-à-dire les Spartiates. En outre, cette aile gauche thébaine est beaucoup plus profonde qu’à l’accoutumée, comprenant 50 rangs menés par le « bataillon sacré » formé de couples d’amants. La défaite est dramatique pour les Spartiates, qui perdent 400 des leurs alors que le corps civique ne comptait plus que 1 000 citoyens à la veille de l’affrontement. En 369, Athéniens et Lacédémoniens concluent la paix, tandis que les ­ ébains continuent à exercer une forte pression sur les Spartiates. Ils envaTh hissent la Laconie et libèrent la région de Messénie, qui constitue environ la moitié du territoire de Sparte.

La libération de la Messénie et la refondation de Messène Suite à la libération de la Messénie par les Thébains, les Spartiates perdent le contrôle d’une grande région fertile soumise depuis le viie siècle, où cohabitent des esclaves dits « Hilotes » et de nombreux libres non-citoyens, les « Périèques » (voir p. 239). Une partie de ces populations désormais libérées du joug spartiate fonde, avec l’aide du général thébain Épaminondas, la nouvelle cité de Messène. Sur le territoire spartiate, voir p. 225.

« Le sentiment national » des Messéniens s’est déjà exprimé en 464, lors de la révolte de la région durement matée par les Spartiates. En 369, les Messéniens retrouvent une capitale, d’abord appelée Ithômè : la cité est en effet bâtie en contrebas du mont Ithôme et devient une immense place forte ceinte d’une muraille de 9 km de long. Aux populations de Messénie s’ajoutent des habitants venus de Sicile et de Cyrénaïque, anciens Messéniens dont les ancêtres ont quitté le Péloponnèse suite aux guerres de l’époque archaïque contre Sparte.

Profitant du meurtre de Jason de Phères en 370, les Thébains multiplient les incursions en Thessalie. En 367, une nouvelle paix commune arbitrée par le roi perse entérine le transfert de l’hégémonie à Thèbes. Les Athéniens continuent cependant leurs campagnes et prennent Samos aux Perses, en 366-365. En 362, à Mantinée, Sparte est défaite mais l’illustre Épaminondas meurt au cours ­ énophon de la bataille qui met un terme à la courte suprématie de Thèbes. X ­commente ainsi l’issue indécise du conflit : « Mais la divinité fit que les deux partis dressèrent un trophée comme s’ils l’avaient emporté sans qu’aucun d’eux n’empêchât l’autre de le faire, (…) enfin que chacun, bien que proclamant sa victoire, n’eut de toute évidence davantage de territoire, de cités et d’autorité qu’avant la bataille. L’incertitude et le désordre devinrent plus grands dans l’ensemble de la Grèce » (Helléniques, VII, 5, 26).

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9 Les hégémonies au ive siècle. De Lysandre de Sparte à Denys II de Syracuse (404-344)

Le tagos thessalien Depuis 374, Jason de Phères est le tagos de Thessalie. Chef suprême de l’armée, il réussit à mobiliser pas moins de 30 000 hommes sous ses ordres. Jason aspire à mener une politique expansionniste et hégémonique mais il est assassiné suite à une conjuration de jeunes aristocrates, en 370. Pour l’orateur athénien Isocrate, il fait partie des figures qui auraient pu potentiellement mener une action panhéllenique en fédérant les Grecs contre l’ennemi perse.

Quant à Athènes, elle adopte de nouveau un comportement brutal envers ses alliés de la seconde confédération. Des insurrections sont réprimées violemment comme à Kéos. Athènes met en place une levée forcée de contributions et implante des clérouquies. En 357, une partie des cités de la seconde confédération fait défection : Rhodes, Kos, Chios et Byzance. Elles sont soutenues par Mausole de Carie, un satrape perse. Commence alors la « guerre des alliés » qui culmine en 356/355 lors d’un affrontement à Embata, dont la localisation précise est incertaine (près d’Érythrées, en Asie Mineure, ou vers l’Hellespont). Selon Diodore de Sicile, lors de cette bataille navale, les cités coalisées contre Athènes alignent 100 trières. Côté athénien, 120 navires sont sous le commandement de Charès, Iphicrate et Timothée. Les désaccords entre les trois stratèges aboutissent à la défaite athénienne et, à leur retour, Iphicrate et Timothée sont poursuivis en justice. Aucune des trois cités d’Athènes, de Sparte ou de Thèbes n’arrive finalement à imposer son hégémonie sur le long terme. L’empire perse est un acteur déterminant sur l’échiquier géopolitique du monde grec, et ce depuis la fin de la guerre du Péloponnèse. Grâce à ses promesses de subsides, qui se caractérisent concrètement par le financement des flottes, des mercenaires ou des fortifications, il influence nettement le jeu diplomatique et l’équilibre entre les cités grecques. Les Perses sont garants de chaque nouvelle paix commune entre les belligérants grecs ; la « paix du Roi » de 386 est ainsi renouvelée en 375-374, en 371 et en 366. C’est finalement un autre espace bien plus vaste qu’une cité, le royaume de Macédoine, qui finit par s’ériger en puissance dominante face à l’immense voisin achéménide.

Voir la biographie des stratèges Iphicrate et Timothée, p. 202.

Voir le chapitre suivant.

II. Regard sur les Grecs d’Occident : Syracuse de Gélon à Timoléon (485-344) Installés depuis l’époque archaïque, les colons grecs ont fait de l’Italie du Sud et de la Sicile un espace prospère qui, au ve siècle, a attisé les convoitises des deux puissances athénienne et carthaginoise.

Sur la diaspora grecque, voir le chapitre 5.

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Partie 3 Guerre et paix dans le monde grec classique

En 415, alors que la cité d’Égeste fait appel à Athènes pour l’aider dans sa lutte contre Syracuse, Alcibiade convainc ses concitoyens d’intervenir en leur faisant notamment miroiter la mainmise sur un territoire aux milles richesses. Plan de Syracuse LÉON Héxapylon

EURYALE

ÉPIPOLES

Euryale

TÉMÉNITÈS 0

1 km

Portique Théâtre ACHRADINE Sanctuaire d’Apollon Téménitès TYCHÉ

Premier développement urbain Au

VIIe

NÉAPOLIS

s. av. J.-C.

An apo s

Temple

Citadelle royale (Denys Ier) Temple d’Athéna Fontaine Aréthuse

Temple d’Artémis

ORTYGIE

Latomies (carrières) Nécropole

Temple d’Apollon

GRAND PORT

Mur de Gélon

Mur de Denys 1er au IVe s. av. J.-C.

PETIT PORT

Agora

Au Ve s. av. J.-C.

Nouveau mur nord

Temple de Déméter et de Corè

Temple de Zeus Olympien

Autre bâtiment Aqueduc Marais

d’après L.M. Günther, «Syrakusai» dans Der Neue Pauly, 12, 2, Stuttgart et Weimar, 2002, col. 1161-1162

PLÈMMYRION

1. Syracuse, une ville dynamique La cité syracusaine a été fondée en 734-733 par des colons corinthiens, sous la conduite d’Archias. Les atouts du site sont nombreux : l’îlot d’Ortygie constitue un abri facile à défendre, sur lequel les colons s’installent d’abord. En outre, l’existence d’une rade facilite les activités maritimes. Deux sites se développent ainsi de part et d’autre d’Ortygie, le petit port de Lakkios au nord et, au sud, le grand port, face à la péninsule du Plemmyrion. L’expansion urbaine gagne rapidement la terre ferme et, à l’époque classique, les habitants se répartissent entre les quartiers d’Achradine où se situe l’Agora, de Tychè et de Neapolis. Ces zones sont aménagées selon un plan de voirie régulier, autour de grandes rues. Plusieurs murs et murailles sont érigés pour délimiter et protéger la ville et le plateau des Épipoles ; le mur de Gélon (tyran de 485 à 478), puis la grande 146

9 Les hégémonies au ive siècle. De Lysandre de Sparte à Denys II de Syracuse (404-344)

muraille de 27 km édifiée sous le tyran Denys l’Ancien, au début du ive siècle. S’ajoute un complexe fortifié imposant, l’Euryale, au nord-ouest du territoire. Signe de son dynamisme, Syracuse fonde elle-même des colonies secondaires au sud-est de la Sicile : Éloro (fin viiie), Akrai (664), Casmenai (644) et ­Camarine (début vie). Cette vitalité ne doit cependant pas occulter la structure conflictuelle des rapports sociaux sur le territoire de Syracuse : les meilleures terres sont accaparées à l’époque archaïque par les premiers colons propriétaires, les Géomores, qui ne laissent aux nouveaux arrivants que les parcelles les plus pauvres. Des dépendants ruraux indigènes et asservis lors de l’arrivée des Grecs, les ­Kyllyriens, travaillent la terre pour le compte des Géomores. Tout au long de l’époque classique, les tensions entre les Géomores et le peuple demeurent. L’expansion urbaine de Syracuse s’accompagne de la construction d’édifices religieux consacrés à Artémis, Apollon, Zeus, Athéna, ou encore Déméter et Koré. La fontaine Aréthuse, sur la rive sud d’Ortygie, conserve le souvenir d’une légende liant Syracuse et la Grèce balkanique. Pausanias rapporte ­qu’Aréthuse était une jeune nymphe, poursuivie par les ardeurs du dieu-fleuve Alphée, qui borde Olympie. Afin de lui échapper, elle emprunta un tunnel sous-marin entre l’Élide et la Sicile, où elle jaillit sous la forme d’une fontaine, à Ortygie. Alphée l’aurait suivie et on disait ainsi que les eaux d’Olympie coulaient aussi en Sicile. Syracuse acquiert un rôle politique et militaire majeur au ve  siècle, en ­combattant victorieusement contre les Carthaginois à Himère (480), contre les Étrusques à Cumes (474) et contre les Athéniens (415-413).

2. Entre « tyrannie » et démocratie Des Deinoménides (485-465) à Denys le Jeune (367-344), les méthodes utilisées pour se maintenir au pouvoir et consolider la puissance syracusaine sont identiques chez les dirigeants, quel que soit le type de gouvernement : déplacement de population, destruction de cités rivales, (re)fondation de cités, incorporation de neopolitai, anciens étrangers et esclaves, au corps civique. La définition précise du type de pouvoir instauré par les Deinoménides et détenu ensuite par les Denys (405-344) reste incertaine : la magistrature du « stratège autokratôr » est le point commun entre tous, et elle devient, sous la plume de Diodore de Sicile et Plutarque, une tyrannie. Les dynastes syracusains pratiquent aussi des arrangements matrimoniaux leur permettant de renforcer leur pouvoir, à l’intérieur comme à l’extérieur de la cité. Mais ces mariages peuvent aussi être sources de conflits, comme l’illustrent les rapports entre les deux lignées familiales de Denys l’Ancien.

Revers d’un décadrachme d’argent de Syracuse portant la figure d’Aréthuse, 400.

Selon Hérodote, la bataille d’Himère a eu lieu le même jour que celle de Salamine. Après la victoire, le tyran Gélon édifie le temple d’Athéna, au cœur de l’îlot d’Ortygie. Sur l’expédition de Sicile, voir p. 135.

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Partie 3 Guerre et paix dans le monde grec classique

■■ Les

La cour du souverain Hiéron exerce un fort attrait culturel et des poètes aussi prestigieux qu’Eschyle, Simonide, Bacchylide et Pindare y séjournent.

« En ce qui concerne l’expédition de Sicile, ne revenez pas sur votre vote, en pensant que vous allez combattre une puissance considérable. Les villes y ont une population nombreuse, mais ce n’est qu’un pêle-mêle d’individus de toute provenance. Elles s’accommodent facilement de changer de constitution ou d’en recevoir du dehors. Aussi nul n’y connaît le sentiment patriotique » (Thucydide, VI, 17).

Sur l’ostracisme, voir p. 191.

Deinoménides Jusqu’en 465, Syracuse est gouvernée par la famille des Deinoménides : Gélon (r. 485-478), Hiéron (r. 478-466) et Thrasybule (r. 466-465), tous fils de ­Deinoménès. La politique de Gélon est marquée par des violentes guerres entraînant des mouvements de population. Il détruit la cité de Camarine dont il déporte les habitants à Syracuse, qui accueille en outre les oligarques de Mégara Hyblaia et la moitié de ceux de Géla. Hiéron, quant à lui, déporte les Naxiens et les Cataniens à Léontinoi, refonde Catane qu’il renomme Aitna et qu’il peuple en faisant venir des colons du Péloponnèse. Il place à la tête de cette nouvelle communauté son fils Deinoménès. Ces déplacements forcés de population ont largement contribué à la puissance syracusaine. Mais ils constituent aussi un des arguments avancés par le stratège Alcibiade en 415 pour décrédibiliser les Siciliens ; le manque ­d’homogénéité « ethnique » ne peut être qu’une faiblesse du point de vue d’un Athénien attaché au patriotisme « autochtone » (voir p. 252). ■■ La

parenthèse démocratique (465-408) Lorsque Hiéron meurt en 467, son frère Thrasybule lui succède. Selon ­Aristote et Diodore de Sicile, des intrigues visant à lui opposer le fils de Hiéron entraînent finalement une vaste révolte et les Syracusains démocrates en profitent pour chasser Thrasybule. Les cités siciliennes qui gravitent dans l’orbite de Syracuse se libèrent de son joug et, parallèlement, bannissent les tyrans qui les gouvernent. À Syracuse, les démocrates dotent la cité d’un régime ­isonomique, en 465. On y retrouve une assemblée ouverte à tous les citoyens qui débattent et votent les lois, un conseil qui prépare le travail des magistrats et un collège de stratèges. Le contrôle des élites est assuré par une procédure semblable à ­l’ostracisme athénien, le pétalisme : il est mis en place en 454 suite à une tentative de restauration de la tyrannie. Tout comme les tyrans du début du siècle, les démocrates utilisent aussi la déportation comme assise de leur pouvoir. En 466, les mercenaires qui ont reçu de Gélon le droit de cité perdent leur accès aux fonctions publiques et sont exilés en masse, après une révolte avortée. La menace carthaginoise, qui reparaît en 408, a raison du démocrate ­ ioclès qui est banni. Dans la nouvelle lutte contre Carthage, un jeune Sicilien D se fait entendre et se présente comme l’homme de la situation : Denys, dont les origines restent obscures.

■■ Les

Dionysii (405-345)

Denys l’Ancien

Sur la tyrannie archaïque, voir p. 91.

148

En 405, Denys l’Ancien rétablit à son profit la tyrannie et prend le titre de « stratège autokratôr », après avoir exécuté ses adversaires et confisqué leurs biens. Denys pourvoit en lots de terre ses mercenaires ainsi que les Kyllyriens à qui il a octroyé la citoyenneté. Pouvant rétribuer facilement en terre et en

9 Les hégémonies au ive siècle. De Lysandre de Sparte à Denys II de Syracuse (404-344)

argent des mercenaires, Denys n’a guère de difficulté à enrôler des troupes pour mater toute révolte interne contre son pouvoir, comme en 404-403. En mobilisant 60 000 paysans, Denys entreprend l’immense chantier de la fortification du plateau des É ­ pipoles, en 399-398 ; cette politique de grands travaux s’inscrit dans la lignée de celle des tyrans de l’époque archaïque (voir p. 96). Étant maître de la cité de Syracuse, Denys met en place, à la suite à de nombreuses victoires, une zone d’hégémonie qui s’étend en Grande Grèce, jusqu’à Crotone, avec pour relais continental de son pouvoir la deuxième tête de son empire, Locres. Il peut compter sur de nombreux mercenaires, sur une flotte de 400 navires et sur une maîtrise renforcée de la poliorcétique.

On appelle Oreille de Denys, selon l’expression du peintre Caravaggio, la prison artificielle creusée dans les Latomies, les carrières de pierre de Syracuse, dont l’acoustique exceptionnelle aurait permis au tyran de surprendre toutes les conversations, sans être vu ni entendu.

L’art du siège selon Denys On désigne par poliorcétique l’art d’assiéger les villes. Denys de Syracuse fait venir de nombreux techniciens dans sa cité, qui mettent au point des innovations comme les tours de siège mobiles ou les catapultes. Selon Diodore, en 397 à Motyè, « il fit avancer contre les murailles ses tours montées sur roues, à six étages, qu’il avait faites construire égales à la hauteur des maisons » (Bibliothèque historique, XIV, 51). Parmi les catapultes élaborées par les ingénieurs de Denys figurent les premières oxybèles, sortes de grandes arbalètes permettant d’envoyer à vitesse soutenue des flèches de 800 g capables de percer une ligne d’hommes (à gauche). Autre innovation, le lithobolos, permettant de projeter des grosses pierres (à droite).

En 404 et 402, Denys attaque ainsi Léontinoi, Catane où il établit des mercenaires, et Naxos, qui est détruite. Si les habitants de Léontinoi, qui s’étaient prudemment rendus, sont déplacés à Syracuse où ils reçoivent le droit de cité, les Cataniens et les Naxiens sont, eux, réduits en esclavage et vendus. Aux assauts militaires, Denys associe les stratégies matrimoniales, afin de consolider sa puissance : il épouse Doris, la fille d’un riche aristocrate de Locres ainsi qu’Aristomachè, une fille de l’élite syracusaine.

Tour de siège

Entre 399 et 392, Syracuse affronte de nouveau Carthage ; à l’issue de la paix de 392, les Carthaginois reconnaissent l’autorité de Syracuse sur la zone d’Himère à Géla. En 389, Denys s’empare de Caulonia, en Grande Grèce ; il cède le territoire de la cité aux Locriens, alliés de Syracuse, et transfère les Cauloniens à Syracuse, où ils reçoivent eux aussi la citoyenneté. En 388, il vient ainsi à bout de la ligue italiote, symmachie créée en 393 et comprenant la plupart des cités de Grande Grèce. En 387, Denys obtient la soumission de Rhegion, où il fait bâtir un somptueux palais : le voilà maître du détroit de Messine. Denys renforce la défense de sa zone hégémonique en érigeant un mur courant de la

149

Partie 3 Guerre et paix dans le monde grec classique

mer Tyrrhénienne à la mer Adriatique. En 378/377, Denys soumet Crotone. Cependant, à l’issue d’une nouvelle guerre contre Carthage entre 383 et 373, cette dernière récupère une partie des possessions perdues ; les deux puissances se partagent la Sicile, de part et d’autre du fleuve Halykos.

Sur la guerre de Corinthe, voir p. 142.

Signe de la reconnaissance outre-mer de sa puissance, Athènes qualifie Denys d’« archonte de Sicile », dans un décret honorifique datant de 393. Suite à l’envoi d’une ambassade menée par Conon à Syracuse, les Athéniens ont négocié avec Denys en espérant qu’il ne soutienne pas les Lacédémoniens au début de la guerre de Corinthe. Mais, au sein des Athéniens, Denys est très loin de faire l’unanimité. L’orateur Lysias lui-même, syracusain d’origine, prononce aux Jeux Olympiques de 388 un discours appelant les Grecs à s’unir non seulement contre le Grand Roi perse mais aussi contre le tyran de Sicile, qu’une propagande négative présente comme une menace pour la liberté des cités grecques ; il a déjà détruit Naxos et Rhégion. Denys, de son côté, se méfie de la renaissance athénienne et de sa flotte qui pourrait compromettre ses projets maritimes. En 387, Denys envoie finalement vingt navires aux Spartiates afin de seconder le navarque Antalcidas, posté dans l’Hellespont. L’empire de Denys de Syracuse Adria

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Territoires occupés par Carthage en 387 Cités italiennes alliées de Denys 1er après 379 Comptoirs installés par Denys

IAPYGES Peuples alliés de Denys

D’après M.-C. Amouretti et F. Ruzé, Les sociétés grecques et la guerre, 1999, p.15.

150

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Empire de Denys

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9 Les hégémonies au ive siècle. De Lysandre de Sparte à Denys II de Syracuse (404-344)

Denys le Jeune

Denys le Jeune succède à son père en 367, année où Denys l’Ancien meurt alors qu’il célèbre sa victoire au concours de tragédies d’Athènes. Denys le Jeune est l’aîné des quatre fils de Denys l’Ancien et il est né de son mariage avec la Locrienne Doris. Afin d’éviter toute querelle avec l’autre branche familiale, issue de son union avec Aristomachè de Syracuse, Denys l’Ancien a arrangé l’union de Denys le Jeune avec une des filles d’Aristomachè, Sophrosynè. Denys le Jeune pacifie les rapports avec les anciens ennemis intérieurs de son père, qui sont amnistiés, mais aussi avec les cités siciliennes et italiotes passées sous hégémonie syracusaine. Il allège ainsi leur tribut. D’autres tensions viennent cependant troubler son règne. Le navarque Dion, le frère ­d’Aristomachè qui officie déjà sous Denys l’Ancien, entre en conflit avec le nouveau tyran. Denys le Jeune l’exile ; Dion trouve refuge à Athènes, où il fréquente l’Académie de Platon, non sans avoir réussi à convaincre une partie des grandes familles de Syracuse de passer à l’opposition.

En 367, Denys l’Ancien remporte le prix du meilleur poète pour sa tragédie La rançon d’Hector, présentée aux fêtes des Lénéennes.

Sur l’Académie de Platon, voir p. 219.

Les rapports s’enveniment entre les deux hommes au point de déclencher une guerre civile à Syracuse ; Denys est défait et s’exile à Locres. Il envoie cependant des renforts à son fils Apollocratès qui tient encore l’îlot ­d’Ortygie. Mais, en 355, Dion arrive à s’en emparer et devient stratège autokratôr pour une courte année, puisqu’il est assassiné en 354 ; il n’emporte l’adhésion ni des plus riches qu’il soumet à l’impôt, ni des plus pauvres à qui il refuse une redistribution de terres. S’ensuit une période troublée où le successeur de Dion, l’Athénien Callipos, est renversé par les fils de Denys l’Ancien et d’Aristomachè, eux-mêmes éliminés par Denys le Jeune en 346. Retiré dans la forteresse d’Ortygie, Denys le Jeune est délogé par ­Timoléon et ses mercenaires. Envoyé de Corinthe, la métropole de Syracuse, Timoléon a débarqué en Sicile en 345 à la suite des plaintes de Syracusains modérés et à l’appel d’Hiketas, tyran de Leontinoi et ancien ami de Dion. Battu et exilé, Denys finit sa vie dans cette même Corinthe. Timoléon fait démolir la forteresse d’Ortygie, symbole du pouvoir tyrannique, et organise le retour des exilés ainsi qu’une redistribution de terres. Le pouvoir est confié à une oligarchie modérée. Timoléon déloge en outre les tyrans à la tête des cités dans l’orbite de Syracuse. À l’échelle sicilienne, la tyrannie de Denys l’Ancien, si elle a permis le développement de la puissance syracusaine, a entraîné le dépeuplement et la destruction de plusieurs cités, qui ne se repeuplent qu’à partir de 345 et l’arrivée de Timoléon, grâce à l’afflux de colons de Grèce et d’Italie. Syracuse, délivrée des tyrans, est désormais à la tête d’une ligue sicilienne regroupant des cités libres, comme en témoigne la monnaie frappée par les cités adhérentes, illustrée d’un Zeus Éleutherios, « libérateur ». Quant à Timoléon, qui meurt en 337, il est honoré à sa mort comme un refondateur de Syracuse et bénéficie, comme les oikistes de l’époque archaïque, d’une tombe sur l’Agora (voir p. 81).

Hémidrachme de Syracuse, portant la figure de Zeus Éleutherios et les attributs de Zeus, le foudre et l’aigle.

151

Partie 3 Guerre et paix dans le monde grec classique

3. Philosophie et politique : les aventures de Platon en Sicile

« Mais quand, au cours d’une conversation sur la tyrannie, Platon soutint que ne pouvait être considéré comme le bien suprême ce qui était dans l’intérêt du seul tyran, à moins que ce dernier ne se distinguât par sa vertu, il offensa Denys. En colère, Denys lança en effet :“Tu parles comme un petit vieux”, et Platon rétorqua :“Et toi, comme un tyranneau” » (Diogène Laërce, Vie de Platon, 18-19, trad. L. Brisson – Pochothèque).

Une des particularités de Syracuse est d’avoir accueilli à trois reprises le philosophe athénien Platon, en 388-387, en 366 et en 361-359. Alors qu’il a déjà parcouru l’Égypte et la Cyrénaïque, Platon débarque à Syracuse, « pour voir l’île et ses cratères », rapporte Diogène Laërce. Il se lie d’amitié avec Dion, frère d’Aristomachè et beau-frère de Denys l’Ancien. Convaincu par les idées politiques et philosophiques de Platon reposant sur les notions de justice, de vertu et de tempérance, Dion l’introduit à la cour du tyran. Platon tente alors de convaincre son hôte Denys l’Ancien d’instaurer un gouvernement juste, en lieu et place de son pouvoir autocratique servant ses seuls intérêts. Mais la tentative de conversion de Denys, que Platon perçoit comme un tyran débauché et vivant dans le luxe, en roi-philosophe maître de ses passions échoue lamentablement. Selon Diogène Laërce, après un dialogue houleux entre les deux hommes, Platon est renvoyé en Grèce continentale, embarqué de force sur un navire spartiate. Lorsque le bateau accoste à Égine, Platon est vendu comme esclave ; c’est grâce au philosophe Anniceris de Cyrène, qui le reconnaît et l’achète, que Platon recouvre la liberté. Malgré ses mésaventures, lorsque Dion demande à Platon de retenter l’expérience philosophico-politique avec Denys le Jeune, le philosophe accepte de revenir à Syracuse, pour conseiller le souverain. Rapidement, Denys le Jeune se méfie de Dion et de Platon, les suspectant de comploter contre lui ; Dion se réfugie à Athènes, alors que Denys retient un moment Platon dans la citadelle d’Ortygie, avant de le laisser repartir. Lors d’un troisième et dernier voyage, Platon tente en vain d’obtenir de Denys le rappel de son ami Dion à S­ yracuse. Dion réussit à s’emparer de Syracuse grâce à l’intervention d’Archytas de Tarente, lui-même stratège-philosophe-mathématicien d’obédience pythagoricienne. Mais le règne de Dion se termine dès 354, alors qu’il est assassiné par un disciple de Platon, Callippos. La mise en application du projet politique platonicien est donc un échec. Comme il le théorise dans la République, Platon est persuadé que seul un gouvernant s’adonnant à la philosophie peut mener une politique juste. « Le genre humain ne mettra pas fin à ses maux avant que la race de ceux qui, dans la rectitude et la vérité, s’adonnent à la philosophie n’ait accédé à l’autorité politique ou que ceux qui sont au pouvoir dans les cités ne s’adonnent véritablement à la philosophie », écrit-il dans sa Lettre VII, une des deux missives de Platon que l’on considère aujourd’hui comme authentiques.

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9 Les hégémonies au ive siècle. De Lysandre de Sparte à Denys II de Syracuse (404-344)

Les Pythagoriciens Pythagore (580-495) a fondé à Crotone une communauté particulière, mélange de société savante, de groupement politique et d’association religieuse, dont les membres mettent en commun tous leurs biens. Aristocratique et élitiste mais acceptant les femmes et les étrangers, le groupe n’ouvre son enseignement qu’à ceux qui en sont jugés dignes. Après une période probatoire, les nouveaux disciples s’élèvent dans la hiérarchie stricte de l’initiation où règne le secret. Les Pythagoriciens suivent un régime spécifique. Certains pratiquent un végétarisme pur, d’autres ont une consommation carnée modérée afin de ne pas s’exclure totalement de la pratique sacrificielle qui rassemble souvent la communauté civique (voir p. 254). Les Pythagoriciens se sont particulièrement illustrés dans les mathématiques et l’astronomie. Pythagore est encore connu pour son fameux théorème. Philolaos de Crotone (470-390) démontre que la Terre n’est pas une sphère immobile mais qu’elle tourne autour d’un feu central. Archytas de Tarente (435-347) est un grand mathématicien, doué en astronomie, géométrie, mécanique et musique. Des communautés pythagoriciennes se sont développées à Tarente, à Métaponte, à Caulonia, à Catane ou encore à Syracuse.

À RETENIR nnAprès la guerre du Péloponnèse, Sparte impose son hégémonie jusqu’à sa défaite

à Leuctres, en 371.

nnLes Athéniens reconstituent une ligue, en 377. Cette seconde confédération est

censée avoir été mise en place avec le souci d’éviter les erreurs de la ligue de Délos. Mais Athènes est finalement vaincue lors de la guerre des alliés, à Embata, en 356/355.

nnLes Thébains exercent aussi une période d’hégémonie entre la victoire de Leuctres

et la mort d’Épaminondas, en 362.

nnDans la lutte entre les cités grecques, les Perses apportent leur soutien aux diffé-

rents protagonistes et profitent du contexte pour réaffirmer leur souveraineté sur l’Asie Mineure.

nnSyracuse est aux mains de Denys l’Ancien et de son fils Denys le Jeune entre 405

et 344. Leur tyrannie s’illustre par la mise en place d’un empire couvrant la moitié de la Sicile et le sud de l’Italie.

nnLa Sicile est délivrée des tyrans grâce à l’intervention de Timoléon, envoyé de

Corinthe en 345.

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Partie 3 Guerre et paix dans le monde grec classique

LES DATES ESSENTIELLES

Monde grec oriental 404/403 : Lysandre en Égée et en Asie Mineure 401/400 : expédition des Dix-Mille 398 : Conon, amiral athénien de la flotte perse 396/395 : Agésilas en Asie 395 : début de la guerre de Corinthe. Bataille d’Haliarte. Mort de Lysandre 394 : batailles de Némée, de Coronée et de Cnide 393 : reconstruction des Longs Murs et de la flotte d’Athènes 387/385 : la flotte spartiate contrôle la route du blé thrace 386 : paix du Roi 382 : prise de la Cadmée thébaine par les Spartiates 379 : libération de Thèbes 378 : alliance entre Thèbes et Athènes 377-355 : deuxième confédération athénienne 371 : bataille de Leuctres 370/369 : invasion de la Laconie par les Thébains. Libération de la Messénie 362 : bataille de Mantinée. Mort d’Épaminondas 356/355 : bataille d’Embata

Monde grec occidental 485 : Gélon tyran de Syracuse 480 : bataille d’Himère 478 : Hiéron Ier tyran de Syracuse 465 : guerre civile à Syracuse. Instauration d’un régime isonomique 416 : guerre entre Syracuse et Égeste 415-413 : expédition de Sicile menée par les Athéniens 409-406 : les Carthaginois prennent Himère, Sélinonte et Agrigente 405 : Denys l’Ancien s'empare du pouvoir à Syracuse 404-377 : constitution de l’empire de Denys l’Ancien en Sicile et en Italie du Sud 399-393, 383-373, 368/367 : guerres entre Syracuse et Carthage 367 : mort de Denys l’Ancien. Son fils Denys le Jeune lui succède au pouvoir 357 : anarchie à Syracuse 354 : mort de Dion 345-344 : Timoléon envoyé par Corinthe. Abdication de Denys le Jeune

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9 Les hégémonies au ive siècle. De Lysandre de Sparte à Denys II de Syracuse (404-344)

 BIBLIOGRAPHIE P. Brulé et R. Descat (dir.), Le monde grec aux temps classiques, tome 2 : Le ive siècle, Paris, 2004. P. Carlier, Le ive siècle grec jusqu’à la mort d’Alexandre, Paris, 1995. J. Christien et F. Ruzé, Sparte. Histoire, mythes, géographie, Paris, 2017. M. Finley, La Sicile antique, Paris, 1985. H.  Van Effenterre, Les Béotiens, aux frontières de l’Athènes antique, Paris, 1989.

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Chapitre 

10 PLAN DU CHAPITRE I. Philippe II de Macédoine : de la menace à la puissance II. Alexandre le conquérant

« L’agresseur n’est-il pas notre ennemi ? notre spoliateur ? un barbare ? » (Démosthène, Troisième Olynthienne, 17).

Philippe, Alexandre et les cités grecques (356-323) À l’époque classique, une approche athénocentrée fait de la ­Macédoine une région située hors du champ de la culture grecque des cités. Mais, contrairement aux dires de Thucydide ou de Démosthène, la Macédoine n’est pas peuplée de « Barbares » ; les populations y parlent un dialecte qu’on rapproche aujourd’hui du béotien, du ­thessalien et de l’épirote. Au ive siècle, comme la Thessalie et l’Épire, la Macédoine connaît une réorganisation politique qui s’inscrit dans le dynamisme nouveau touchant la Grèce du Nord. Avec Philippe II, la Macédoine s’impose désormais comme une puissance régionale qui, peu à peu, étend ses prétentions sur la Grèce centrale et sur le nord de la mer Égée. On est particulièrement bien renseignés sur les réactions suscitées à Athènes par la politique et par la figure de Philippe II. Si certains, comme Isocrate, voient dans le roi macédonien un chef pouvant porter un projet panhellénique contre le voisin perse, d’autres, comme Démosthène, estiment que Philippe II lui-même est une menace pour la liberté des Grecs. En 338, les cités grecques coalisées contre ­Philippe II sont finalement vaincues et sommées d’adhérer à une nouvelle ligue dont l’objectif est d’affronter les Perses. Alexandre le Grand, fils de Philippe II, entre alors en scène : son périple oriental permet la soumission de l’empire a­ chéménide, non sans opposition à l’intérieur de son propre camp. Car la mainmise sur l’empire perse s’accompagne d’une politique d’intégration des populations vaincues, notamment de l’aristocratie iranienne. Lorsqu’Alexandre meurt brusquement, en 323, à juste trente-trois ans, le monde grec a changé : ses frontières se sont dilatées jusqu’à l’Indus, posant le problème à venir de la gestion d’un tel espace. Alexandre a modifié sensiblement l’image du pouvoir, ouvrant ainsi la voie aux souverains hellénistiques.

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10 Philippe, Alexandre et les cités grecques (356-323)

Les sources abondent concernant les figures de Philippe et d’Alexandre. Les discours anti-macédoniens de Démosthène, certes très partiaux, fournissent des détails précis sur les différentes campagnes de Philippe et sur son inéluctable montée en puissance. L’entourage d’Alexandre a livré des témoignages qui n’ont malheureusement survécu qu’à l’état fragmentaire. Des auteurs postérieurs en ont cependant repris le contenu : Clitarque d’Alexandrie (iiie siècle), Diodore de Sicile (ier siècle), Quinte-Curce (ier siècle ap. J.-C.), Plutarque et Arrien (iie siècle ap. J.-C.), et Justin (iiie siècle ap. J.-C.).

Parmi les proches d’Alexandre qui ont écrit son histoire, on compte ainsi Callisthène d’Olynthe ; Charès de Mytilène, son « grand chambellan » ; Eumène de Cardia, son premier secrétaire ; Aristobule de Cassandreia, architecte dans l’armée macédonienne ; Néarque le Crétois, ami et navarque.

I. Philippe II de Macédoine : de la menace à la puissance 1. La Grèce centrale et la Grèce du Nord Comme la Thessalie, l’Épire et l’Acarnanie, la Macédoine a conservé une organisation villageoise et territoriale en peuples (ethnè au pluriel, ethnos au singulier). Selon les régions, le ciment fédérateur est constitué : –– par la fréquentation de sanctuaires communs comme celui de Thermos pour les Étoliens de Grèce centrale ;

Voir la carte des sanctuaires, p. 265.

–– ou par l’autorité d’une figure monarchique. En Macédoine, le roi est issu de la dynastie des Argéades et, en Épire, de la dynastie des Éacides. Dans les premières décennies du ive siècle, la plupart des ethnè se structurent en État fédéral. La mise en place de ces différentes fédérations s’explique par les tensions géostratégiques de l’époque ; l’efficacité des opérations militaires dépend d’une certaine centralisation. Dès 370, on compte ainsi la fédération des Molosses en Épire, celle des Étoliens en Grèce centrale, ou encore celle des Arcadiens, au nord du Péloponnèse. Elles reprennent en partie le modèle de la confédération béotienne, centrée sur Thèbes, qui repose sur le principe d’autonomie des différents membres adhérents, la proportionnalité de la représentation et des charges, ainsi que la subdivision en districts et la tenue d’un conseil fédéral. Ainsi, en Thessalie, il existe des circonscriptions militaires et quatre districts, qui désignent les polémarques, sous le commandement suprême d’un tagos.

Voir la carte du Péloponnèse dans l’atlas final.

Sur le tagos thessalien, voir p. 145.

2. La Macédoine à l’avènement de Philippe II ■■ L’organisation

territoriale et politique Les Macédoniens sont un peuple assez hétérogène, vivant au nord de la ­Thessalie, entre la Thrace et l’Épire. La région de Macédoine, riche en matières premières (or, bois, argent, blé) est constituée de deux zones géographiques

157

Partie 3 Guerre et paix dans le monde grec classique

complémentaires : la partie montagneuse du Pinde est peuplée de pasteurs transhumants et la zone de plaine de Piérie est habitée par des agriculteurs ­ acédoniens sédentaires. En Haute-Macédoine, on trouve les principautés des M Élimiotes, des Macédoniens Tymphéens, des Macédoniens Orestes et des ­Macédoniens L ­ yncestes. Le relais du pouvoir royal y est assuré par des souverains locaux. Le Vieux Royaume de Macédoine est composé de la plaine de Piérie et de la plaine d’Émathie, autour du fleuve Axios. Le roi Alexandre Ier (r.  498-454) a conquis la Basse Péonie, la Mygdonie, l’Anthémonte et la ­Crestonie, à l’est de l’Axios. Les grandes familles, qui constituent l’élite de la société, fournissent les « compagnons du roi », l’aristocratie guerrière des hétairoi. Ces derniers sont assez proches du souverain au point de l’accompagner autant dans ses repas qu’à la chasse et à la guerre. À l’époque de Philippe II, il y a ainsi 1 800 cavaliers hétairoi. Certains compagnons du roi forment un conseil informel que le roi consulte, pour des questions militaires et stratégiques. Le roi macédonien tire sa légitimité de l’Assemblée des Macédoniens, qui constitue un contrepoids au groupe restreint des compagnons. L’assemblée des citoyens-soldats acclame le nouveau roi lors de sa prise de fonction et elle intervient notamment dans les procès dont l’enjeu est la peine capitale. Il n’existe pas de constitution qui régisse les rapports entre le roi et ses sujets, mais un ensemble de pratiques et de règles non écrites auxquelles le roi doit se conformer pour être légitime et maintenir son autorité. En fonction de l’importance accordée à l’Assemblée, simple organe consultatif ou actrice active des décisions, les historiens contemporains caractérisent la monarchie macédonienne d’absolue ou de contractuelle. Depuis le règne d’Archélaos (413-399), la cour du roi est installée à Pella, la nouvelle capitale du royaume, dans la plaine centrale de Macédoine, au débouché du fleuve Loudias. Pella devient un pôle culturel attractif : contrairement à la réputation que l’orateur athénien Démosthène a forgée à des fins ­d’anti-propagande, l’aristocratie macédonienne, loin d’être un ramassis de ­Barbares, y parle le grec et la cité de Pella attire de nombreux artistes. Le poète Euripide d’Athènes, le musicien Timothée de Milet ou le peintre Zeuxis ­d’Héraclée y ont ainsi séjourné.

Statère d’argent de Pella, vers 400. Sur l’avers, une tête d’Apollon. Sur le revers, un cheval avec l’inscription « Archélaos ».

158

L’ancienne capitale, Aigai-Vergina, abrite les sépultures royales. C’est aussi là que le roi macédonien rend un culte à Héraklès Patrôos (« ancestral »), héros tutélaire des Argéades et marqueur de leur appartenance à la culture grecque. La région macédonienne se développe au gré des travaux entrepris sous ­Archélaos, qui modernise les voies de communication ainsi que les infrastructures portuaires. Philippe II poursuit cette entreprise de modernisation.

10 Philippe, Alexandre et les cités grecques (356-323)

La région macédonienne PÉ ONIE on

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■■ Philippe II, de

la régence à la royauté C’est dans un contexte tendu que Philippe II devient roi de Macédoine. Au nord, le peuple des Illyriens menés par Bardylis ier constitue une menace pressante. En 359, ils envahissent la Macédoine et défont le roi Perdiccas III, qui meurt avec 4 000 de ses soldats.

Philippe II est né en 382. Il est le 3e fils d’Amyntas III et d’Eurydice, fille du roi des Macédoniens Lyncestes.

Philippe II devient régent du royaume de Macédoine, pour le compte de son neveu Amyntas qu’il écarte assez vite du pouvoir, et se fait proclamer roi par l’Assemblée du peuple. Philippe II réussit à repousser les Illyriens, grâce à ses talents militaires et diplomatiques ; il épouse en effet, en 358, la princesse Audata d’Illyrie. La famille royale macédonienne pratiquant la ­polygamie, ­Philippe consolide ses liens avec la région voisine d’Épire en contractant aussi une union avec Olympias, fille du roi Néoptolémos d’Épire et future mère d’Alexandre. Il est en outre marié à la veuve de son frère Perdiccas, Phila.

Polygamie et amphimétrisme Philippe  II a eu sept épouses, qui ont toutes le même statut. Les enfants nés de ces mariages sont ainsi concurrents pour succéder à leur père, ce qui peut créer de fortes tensions qu’on appelle « amphimétriques ». Dans un système familial dit « ­amphimétrique », les enfants sont nés d’un même père mais de mères différentes. Les épouses de Philippe sont : –– Phila, macédonienne, veuve de Perdiccas III –– Audata-Eurydice (358), illyrienne, mère de Kynnanè

159

Partie 3 Guerre et paix dans le monde grec classique

–– Philinna de Larissa (358), thessalienne, mère de Philippe III Arrhidée (r. 323-317) –– Olympias (357), épirote, mère de Cléopâtre de Macédoine et d’Alexandre III le Grand (r. 336-323) –– Nikésipolis de Phères (353), thessalienne, mère de Thessalonique –– Méda (339) –– Cléopâtre (338), macédonienne, mère d’Europe

Sur Iphicrate et l’armée, voir p. 202.

Aux alliances matrimoniales stratégiques, Philippe II ajoute l’atout d’une armée macédonienne des plus efficaces. Ainsi que le résume lui-même Démosthène dans l’une de ses diatribes enflammées contre Philippe II, l’armée macédonienne n’est pas qu’un bloc d’hoplites lourdement armés mais une composition mixte de « troupes légères, cavalerie, archers, mercenaires, tel est le genre d’armée qui le suit partout » (Troisième Philippique, 49). Finalement, l’armée de Philippe II ne fait que généraliser des pratiques militaires que les Grecs ont déjà éprouvées : la cavalerie est un élément essentiel de l’armée thébaine ou thessalienne, et le recours à l’infanterie légère, celle des peltastes, a montré son efficacité dès 390 à la bataille de Lechaion, sous les ordres du stratège athénien Iphicrate. L’armée macédonienne, très mobile et calquée en partie sur la troupe d’élite thébaine du « bataillon sacré », est dotée d’un équipement plus léger et manie la fameuse sarisse, la lance macédonienne. Philippe II en a accru la taille qui passe ainsi de 2 à 4,5 m, dans le but stratégique de rendre la phalange inaccessible. Philippe II délaisse aussi l’usage de la coûteuse cuirasse métallique, ce qui permet d’enrôler davantage de Macédoniens. L’infanterie lourde est recrutée sur une base territoriale, pour des campagnes à durée déterminée, mais Philippe y adjoint un groupe de soldats professionnels calqués sur les cavaliers hétairoi (« compagnons ») : les pezétairoi ou « compagnons à pieds », un groupe d’environ 3 000 hommes.

Archer scythe

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Peltaste

10 Philippe, Alexandre et les cités grecques (356-323)

Enfin, ainsi que le rappelle M. Hatzopoulos, Philippe II a pu mener à bien son entreprise de conquête parce qu’il a fait de sa région, la Macédoine, « une base solide unie sous son sceptre ». Afin de renforcer ­l’homogénéité de son royaume, Philippe procède à de nombreuses fondations et refondations de villes, peuplées grâce à des transferts de populations. Par exemple, des habitants de Mygdonie sont envoyés comme colons le long de la frontière nord du royaume, en P ­ arorbélie. La frontière occidentale est renforcée par l’installation de colons venus d’Eordée, qui s’établissent sur les marches illyriennes. L’auteur Justin commente ainsi ces déplacements de population : « Philippe, à l’instar des pasteurs qui changent à chaque saison le pâturage de leurs troupeaux, déplace des nations entières et peuple, au gré de son caprice, ou dépeuple des contrées. (…) Parmi ces peuples, les uns furent placés sur les frontières, pour les défendre contre l’ennemi, d’autres relégués aux extrémités du royaume ; des troupes de prisonniers de guerre allèrent repeupler les villes ; et ainsi de tant de nations diverses se forma un seul peuple, un seul royaume » (VIII, 5-6).

3. Philippe II et les cités grecques : ingérence et conquête ■■ L’avancée

macédonienne Afin d’assurer la sécurité de son territoire, Philippe procède à des expéditions visant d’abord à stabiliser les frontières de la Macédoine, tout en les repoussant. Il met en place des zones tampons, protégées par des colonies militaires. En 357/356, la ville de Philippes est fondée en Thrace, dans une zone stratégique, non loin des mines d’or du Pangée et sur la route de Byzance et de l’Asie Mineure. En mettant la main sur Amphipolis (357), Potidée et Pydna (356), Méthonè (354) et sur la zone minière du Pangée, Philippe chasse les Athéniens de la région.

Voir la carte de l’expansion macédonienne dans l’atlas final.

Les États-tampons créés à l’est jusqu’à la région des détroits finissent par être réunis dans une « stratégie de Thrace ». Philippe II renforce aussi ses alliances diplomatiques. Ainsi, le frère de son épouse Olympias, Alexandre le Molosse, est placé sur le trône d’Épire, en 342. Philippe continue à utiliser la polygamie à des fins stratégiques et successorales par un nouveau mariage avec Méda, fille de Cothélas, roi des Gètes, un peuple thrace du Bas-Danube (339). Mais c’est aussi par son ingérence dans les conflits entre cités grecques que Philippe II réussit à imposer sa présence et sa puissance. Suite à l’appel des Larissiens de Thessalie, en 353, Philippe II prend part à la troisième « guerre sacrée ». Il en profite pour devenir « archonte de Thessalie », une région qui est désormais sous son contrôle.

Les guerres sacrées Les Grecs ont connu quatre guerres dites « sacrées », entre 600 et 338. L’usage du terme « sacré » ne signifie pas qu’il y ait une dimension religieuse ou spirituelle dans 161

Partie 3 Guerre et paix dans le monde grec classique

ces conflits mais que l’un des protagonistes est l’amphyctionie pyléo-delphique, c’est-à-dire l’association de peuples et de cités qui gèrent en commun le sanctuaire de Delphes (voir p. 267). Si les motifs initiaux de conflit peuvent être liés à la piété, il s’agit en fait d’affrontements politiques qui dépassent largement le seul cadre de la Phocide, où se situe Delphes, et qui rendent compte des alliances et des hostilités du moment : « Ils prononcèrent un grave serment, s’engageant à ne pas cultiver eux-mêmes la terre sacrée et à ne le permettre à aucun autre, mais à venir au secours du dieu et de la terre sacrée avec leur main, leur pied, leur voix et de toute leur force » (Eschine, Contre Ctésiphon, 109-110).

–– la 1re guerre sacrée aboutit à la destruction de la cité de Kirrha, accusée de taxer les voyageurs qui se rendent à Delphes. Entre 600 et 590 les forces thessaliennes, aidées d’Athènes et de Sicyone, viennent régler le sort de Kirrha et, afin de protéger le sanctuaire contre ses voisins, l’amphyctionie se met en place ; –– la 2e guerre sacrée (448-447) éclate alors que les Phocidiens s’emparent du sanctuaire de Delphes et font appel à Athènes ; Sparte s’en mêle et impose son autorité sur le sanctuaire ; –– la 3e guerre sacrée (356-346) débute lorsque les Phocidiens prennent de nouveau le sanctuaire, en représailles des amendes que l’amphyctionie menée par les Thébains leur a infligées pour avoir empiété sur les terres d’Apollon. Cette fois-ci, Sparte et Athènes aident les Phocidiens contre les Thébains et les Thessaliens. Sollicité par les Thessaliens de Larissa, Philippe II de Macédoine s’immisce dans le conflit à l’issue duquel il prend le siège des Phocidiens dans l’amphyctionie ; il préside même les Jeux Pythiques en 346 ; –– la 4e guerre sacrée a lieu en 339-338 : toujours sur fond d’accusation de mise en culture de terres sacrées, les Athéniens et les Thébains s’allient contre ­l’amphyctionie menée par Philippe  II. Mais les deux cités sont défaites à Chéronée.

■■ Démosthène

La Propontide est l’ancien nom de la mer de Marmara, petite mer qui relie la Méditerranée et la mer Noire.

et Philippe Les manœuvres de Philippe en Thrace et en Propontide, lors de l’année 352, inquiètent les Athéniens qui, depuis l’époque de Périclès, ont multiplié les alliances avec les rois thraces afin de sécuriser leur approvisionnement en blé et en bois. C’est dans ce contexte tendu que l’orateur et homme politique ­athénien Démosthène prononce sa Première Philippique, en 351, afin d’attirer l’attention de ses compatriotes sur le danger qu’incarne Philippe pour les Grecs. En 349, Philippe II s’en prend à la confédération de Chalcidique et réserve un sort terrible à la cité d’Olynthe : la ville est détruite en 348 et ses habitants sont vendus comme esclaves. Là encore, Démosthène a tenté de rendre sensibles les Athéniens au sort des Olynthiens, lors de discours enflammés à ­l’Assemblée. En 346, une ambassade athénienne est envoyée à Pella pour négocier une trêve avec Philippe II : les débats aboutissent à « la paix de Philocrate », du nom de l’un des ambassadeurs athéniens, une paix qui entérine avant tout les succès récents du roi macédonien.

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Dans les rangs de l’Assemblée athénienne, deux camps politiques s’affrontent autour de la question macédonienne : –– l’orateur Démosthène est à la tête du parti anti-macédonien. Il ne manque jamais l’occasion de critiquer les différentes expéditions de Philippe II, que ce soit en Eubée, en Épire ou dans le Péloponnèse, autant de campagnes motivées, selon Démosthène, par une insatiable soif de conquêtes. Contrairement à l’orateur Eubule qui prône une politique défensive, Démosthène soutient l’envoi de troupes contre Philippe, quitte même à s’allier avec les Perses. Il a ainsi écrit et prononcé quatre Philippiques et trois Olynthiennes, entre 351 et 341 ; –– certains Athéniens ont une vision différente du souverain ­macédonien, notamment Isocrate et Eschine. Isocrate pense que les Grecs doivent cesser leurs querelles internes et, sous le commandement de Philippe II, se lancer dans une expédition panhellénique contre les Perses. Eschine, le grand adversaire de Démosthène, penche aussi pour une politique de collaboration avec le souverain macédonien. Les années 340 sont ainsi marquées, à Athènes, par une série de conflits politico-judiciaires qui mettent aux prises Démosthène et Eschine, et leur entourage, avec pour arrière-plan la question macédonienne : –– Démosthène accuse Eschine de corruption, à la suite de l’ambassade auprès de Philippe II, en 346 ; –– en 345, Timarque, un ami de Démosthène, est la cible des attaques d’Eschine et est condamné pour s’être prostitué dans sa jeunesse. Selon la loi athénienne, les prostitués n’ont pas le droit de parole à l’Assemblée. Timarque est frappé d’atimie et Eschine neutralise ainsi un soutien politique de Démosthène ;

Voir les biographies de Démosthène et d’Eschine p. 203.

Voir la biographie d’Eubule p. 203.

Voir la biographie ­d’Isocrate, p. 302.

« Ce qui me frappe, c’est que tous aujourd’hui, – à commencer par vous, – oui, tous lui concèdent ce qui, de tout temps, a fait le sujet de toutes les guerres en Grèce. Quoi donc ? Le droit de mutiler et de détrousser à son gré tous les Grecs l’un après l’autre, celui d’attaquer les villes et de les réduire en esclavage » (Démosthène, IIIe Philippique, 22). Sur l’atimie, voir p. 178.

–– en 343, l’orateur Philocrate, allié d’Eschine, est condamné à mort par contumace pour avoir négocié avec Philippe II la paix qui porte son nom. Entre 346 et 340, parallèlement à ces dissensions internes à la cité a­ thénienne, les relations entre Philippe II et Athènes se détériorent rapidement, malgré la paix de Philocrate. Les Athéniens réussissent à passer des accords avec des cités et des régions de plus en plus méfiantes vis-à-vis des intentions de Philippe : l’Eubée, Byzance, Mégare, ou encore Corinthe, figurent parmi les membres d’une nouvelle coalition anti-macédonienne menée par Athènes. Athènes soutient en outre Thèbes contre Philippe  II, dans le cadre de la ­ uatrième guerre sacrée. En août 338, à Chéronée, Philippe et son armée q affrontent les Thébains et les Athéniens. Philippe se tient en première ligne de l’aile droite, tandis que son jeune fils de 18 ans, Alexandre, est à la tête de la cavalerie des hétairoi, face au contingent thébain. Les Macédoniens l’emportent ; les pertes sont très lourdes du côté athénien et thébain et le bataillon sacré est décimé.

Alexandre, né en 356, a eu pour précepteur le philosophe Aristote, que Philippe fait venir à Pella entre 343 et 340.

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Partie 3 Guerre et paix dans le monde grec classique

■■ Philippe,

Sur la ligue de 481, voir p. 111.

hègémôn des Grecs En 338, suite à la défaite des Grecs contre Philippe, une paix commune est établie. En 337, le roi macédonien réunit les cités grecques à Corinthe lors d’un grand congrès panhellénique où se met en place une nouvelle alliance, la ligue de Corinthe. Son nom rappelle non sans hasard la ligue qui a repoussé les Perses lors de la deuxième guerre médique. Ce ne sont ni les Spartiates, qui refusent de s’associer à cette nouvelle ligue, ni les Athéniens, mais bien le vainqueur de ­Chéronée, Philippe de Macédoine, qui endosse alors le rôle d’hègémôn des Grecs. Chaque cité membre doit prêter un serment de fidélité au roi macédonien et à ses successeurs. Toute révolution interne est prohibée : il est ainsi interdit aux cités membres de la ligue de Corinthe de procéder à un quelconque partage de terres, de libérer des esclaves, d’abolir les dettes ou de changer de constitution. Même si le principe d’autonomie des cités et des peuples y est proclamé, la ligue de Corinthe devient une chambre d’enregistrement des décisions royales, notamment celle prise par Philippe II de déclarer la guerre aux Perses, afin de les châtier des sacrilèges commis lors des guerres médiques. Profitant de la crise successorale qui frappe la dynastie achéménide, Philippe II entend bien mettre un pied à l’Est ; la finalité précise de son projet demeure cependant inconnue. Peut-être le roi macédonien a-t-il voulu s’en tenir à la côte occidentale de l’Asie mineure ; peut-être son ambition a-t-elle été de s’emparer de l’empire perse. Côté grec, des figures comme Isocrate voient dans la conquête de l’Asie un moyen de régler le problème des mercenaires errants que l’on pourrait enrôler et fixer sur un nouveau territoire, riche de butin et de promesses. Mais Philippe  II ne peut mener à bien son Buste en ivoire plan ; il est assassiné, en juillet 336, dans des cirde Philippe II (Vergina). constances obscures. Peut-être a-t-il succombé à un complot familial, son épouse Olympias souhaitant favoriser l’ascension de son fils Alexandre, dans le contexte polygamique et conflictogène de la dynastie. Alexandre, qui s’est débarrassé de ses principaux rivaux, lui succède sur le trône de Macédoine, après avoir gagné sa légitimité par une acclamation officielle de l’armée, comme le veut la coutume. C’est un général apprécié par les soldats, qui a déjà fait ses preuves en conduisant la cavalerie à Chéronée. Après avoir maté Thèbes, qui est rasée et dont la population est réduite en esclavage pour s’être révoltée à la mort de Philippe II, Alexandre débarque en Asie, en 334. Fichant dans le sol asiatique son javelot, il affiche sa volonté de devenir maître des richesses et du territoire perses.

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II. Alexandre le conquérant 1. L’empire perse mis au pas Alexandre et son armée conquièrent en trois temps l’immense territoire achéménide : d’abord la façade méditerranéenne, puis les capitales de l’empire, enfin les satrapies orientales. ■■ La

confrontation entre Alexandre et Darius (334-330) L’armée menée par Alexandre remporte dès juin 334 une victoire sur les bords du fleuve Granique, qui lui permet de s’emparer des satrapies de Lydie et de Phrygie, où un riche butin renfloue les caisses macédoniennes. Un an plus tard, c’est à la frontière entre la Cilicie et la Syrie, à Issos, qu’Alexandre défait l’armée perse menée par le roi Darius III Codoman. Continuant son avancée vers le sud, Alexandre soumet, en 332, les villes phéniciennes. Arrivé en Égypte, il est bien accueilli par la population qui lui décerne alors le titre de pharaon ; en 332/331, Alexandre fonde sur la terre égyptienne la ville d ­ ’Alexandrie. Son aventure é­ gyptienne prend une dimension religieuse inédite : le roi traverse le désert jusqu’à l’oasis de Siwah, site du sanctuaire oraculaire du dieu Ammon, assimilé à Zeus par les Grecs. Là, Alexandre est désigné comme le « fils de Zeus » : c’est un tournant dans la culture grecque où jusqu’alors aucun mortel n’a reçu un tel titre, de son vivant. Après avoir quitté l’Égypte, Alexandre ne tarde pas à affronter de nouveau l’armée perse, numériquement bien supérieure, mais dont l’hétérogénéité ne résiste pas à l’efficacité de la phalange macédonienne. Darius Alexandre à la bataille d’Issos. est une nouvelle fois battu à GauDétail d’une fresque de Pompéi. gamèles, en octobre 331. Le roi perse s’enfuit et meurt assassiné par les hommes du satrape de Bactriane, Bessos, qui se fait alors proclamer Grand Roi. Les Macédoniens lui forgent une réputation d’usurpateur, exploitée par Alexandre pour continuer ses expéditions. Il prétend en effet venger le meurtre de Darius et poursuivre Bessos. Fort de ses victoires et de son aura, Alexandre entre dans les différentes capitales de l’empire perse ; Babylone, Suse, Persépolis. Il y devient maître de richesses immenses, lui permettant de financer l’enrôlement de nouveaux mercenaires et de contenter ses vétérans. À Persépolis, en représailles du sac 165

Partie 3 Guerre et paix dans le monde grec classique

Sur l’incendie de l’Acropole en 480, voir p. 113.

de l’Acropole d’Athènes par les Perses en 480, Alexandre incendie le palais royal, ­l’Apadana, édifié au ve siècle par Darius et Xerxès. Mais l’expédition d’Alexandre n’emporte pas la satisfaction générale. Si les succès du roi macédonien s’inscrivent dans le but affiché initialement par la ligue de Corinthe, à savoir punir les Perses des sacrilèges commis pendant les guerres médiques, la volonté d’Alexandre de poursuivre la conquête des territoires perses attise la méfiance de son entourage. Ce dernier s’inquiète de son pouvoir personnel toujours grandissant et de son attrait pour les coutumes perses. ■■ La

Reconstitution de l’Apadana

de Persépolis (dessin Ch. Chipiez) conquête des satrapies orientales et la triple contestation (330-327) Avant de s’engager dans la conquête des hautes satrapies orientales, Alexandre attend l’issue du conflit suscité par les Spartiates en Grèce continentale, sous le commandement du roi Agis III. Ce dernier, en 331-330, tente de s’opposer à la puissance macédonienne mais il est finalement vaincu par le général macédonien Antipatros et ses troupes, lors de la bataille de ­Mégalopolis, en Arcadie.

Ainsi rassuré sur la situation à l’ouest, Alexandre reprend la route avec son armée. Entre 330 et 327, si Alexandre mène victorieusement ses différentes expéditions, trois affaires illustrent les graves tensions entre lui et une partie de la noblesse macédonienne : l’exécution de Philotas et de Parménion, le meurtre de Kleitos et l’affaire de la proskynèse. Parménion, compagnon d’armes de Philippe  II, est un des premiers à exprimer ses doutes sur les motivations profondes d’Alexandre, et ce même avant l’arrivée en Égypte. Il paie cher son insoumission : Alexandre fait torturer et mourir son fils Philotas, sous couvert d’une fausse accusation de c­ omplot contre sa personne. En 330, Parménion lui-même meurt assassiné par des hommes d’Alexandre, alors qu’il commande la garnison d’Ecbatane. À partir de 330, Alexandre ne tolère plus la contestation émanant de « Vieux Macédoniens », selon l’expression de P. Briant. Il n’accorde sa confiance qu’à ses plus fidèles généraux, Cratère, Héphestion ou Perdiccas, mais aussi à ­l’aristocratie iranienne qui a toujours été un élément structurant de l’empire perse. De fait, Alexandre l’associe stratégiquement à son entreprise de conquêtes : sur douze satrapies conquises et organisées entre 331 et 327, onze sont d’abord attribuées à des Iraniens. 166

10 Philippe, Alexandre et les cités grecques (356-323)

Prétendant venger le roi Darius assassiné par Bessos, Alexandre s’enfonce toujours plus à l’est. Son armée, renforcée de Perses qui se sont ralliés à sa cause, poursuit Bessos en Drangiane, une région qui passe sous contrôle macédonien grâce à la fondation d’une nouvelle colonie gréco-macédonienne, nommée elle aussi Alexandrie. Il fait de même en Arachosie, où une troisième ­Alexandrie s’érige à l’emplacement de l’actuelle Kandahar, en Afghanistan. En 329, Alexandre lance ses hommes dans la difficile conquête des régions orientales de Bactriane et de Sogdiane. Après une révolte massive matée dans le sang et ponctuée de destructions et de massacres, Alexandre soumet les deux zones. Cependant, à l’hiver 328/327, Alexandre se dispute violemment avec un de ses plus proches amis, Kleitos. Ce dernier, frère de la nourrice royale, est un commandant de cavalerie qui a toujours combattu auprès du roi. Lors d’un banquet, Kleitos reproche amèrement à Alexandre de s’approprier les mérites des différentes victoires, occultant le rôle de son père Philippe et des autres généraux. Il lui rappelle que la monarchie macédonienne n’est pas un gouvernement personnel et absolu mais un pouvoir de type contractuel où le peuple a un droit de parole. C’en est trop pour Alexandre qui, d’un coup de lance, met un terme à la conversation et à l’existence de Kleitos. Un an plus tard, à Bactres, c’est l’affaire dite de la proskynèse qui cristallise les oppositions à Alexandre. Ce dernier souhaite en effet que tous les ­Macédoniens le saluent désormais en s’inclinant devant lui, selon l’usage des Perses face à leur Grand Roi. Pour les Grecs et les Macédoniens, c’est en demander un peu trop : la proskynèse est non seulement réservée à l’adoration des dieux et non des mortels, mais elle a toujours été en outre un marqueur de la servitude orientale. Par ailleurs, imposer le même protocole aux Macédoniens et aux Perses entraîne l’effacement des distinctions entre vaincus et vainqueurs. Le neveu d’Aristote, Callisthène d’Olynthe, devient alors le porte-parole de l’opposition culturelle et accuse Alexandre de violer la loi non écrite des Macédoniens et leurs coutumes. La riposte d’Alexandre ne se fait pas attendre : prétextant de son implication dans un complot avorté contre lui, le roi macédonien fait arrêter et emprisonner Callisthène.

« Loin de céder, Kleitos somma Alexandre de dire devant toute la compagnie ce qu’il entendait par-là, ou bien de ne pas inviter à sa table des hommes libres ayant leur franc-parler et de ne fréquenter que des Barbares et des esclaves, qui se prosterneront devant sa ceinture perse et sa tunique à bande blanche. Alexandre, ne pouvant plus maîtriser sa colère, prend l’une des pommes qui étaient sur la table, la lui lance et l’en frappe, puis cherche son épée » (Plutarque, Vie d’Alexandre, 51). Sur l’opposition entre Grecs et Barbares, voir p. 115.

■■ La

conquête de l’Inde et le retour (327-325) Partant de Bactres, Alexandre rejoint la plaine de l’Indus et entre dans la région actuelle du Pakistan, que les Anciens nommaient Inde ou Gandhara. Lors d’une confrontation à l’est de l’Hydaspe, les troupes d’Alexandre défont l’armée du roi Pôros et ses effrayants éléphants, au prix de très lourdes pertes. La lassitude pointe chez les Macédoniens, qui refusent d’avancer encore plus à l’est, vers la plaine du Gange inconnue des Grecs. Alexandre descend alors le cours de l’Hydaspe et de l’Indus jusqu’à la mer, non sans mal ; de violents combats contre les populations locales ponctuent

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Partie 3 Guerre et paix dans le monde grec classique

l’avancée de l’armée jusqu’à la ville deltaïque de Pattala, en 325. Là, la flotte reprend le chemin de l’Occident, sous le commandement de Néarque, tandis qu’Alexandre emprunte avec son armée la voie terrestre. La traversée du désert de Gédrosie se solde par de nombreuses pertes humaines. Dans plusieurs régions, l’éloignement d’Alexandre a entraîné une certaine autonomisation des généraux et des satrapes qui s’octroient des prérogatives royales et, pour certains, oppriment les populations locales. Au retour du roi Alexandre, ils paient cher leur désir d’indépendance, leurs infidélités et leurs exactions. En 325, Alexandre opère une purge et remanie le commandement des satrapies ; les stratèges de Médie, Sitalcès et Cléandre, sont exécutés, ainsi que les satrapes de Carmanie, de Gédrosie et de Perside.

L’affaire d’Harpale Harpale est le trésorier d’Alexandre. En 325, alors que le roi revient de ses aventures orientales, Harpale quitte brusquement Babylone, craignant d’être châtié pour son train de vie luxueux. Il emporte avec lui 5 000 talents, des mercenaires et des navires. Il trouve refuge d’abord en Cilicie puis se présente avec ses vaisseaux au Pirée, le port d’Athènes, avec qui il entretient de bons rapports depuis qu’il a envoyé à la cité un convoi de blé. D’abord réticents, les Athéniens finissent par l’accueillir mais l’emprisonnent et mettent sous séquestre son pécule. Démosthène et une partie des ­Athéniens sont conscients du danger de garder à Athènes Harpale, coupable de trahison envers Alexandre. Ils décident alors de relâcher volontairement sa surveillance, espérant sa fuite. Après le départ d’Harpale, seule une partie de l’argent qu’il a apporté est retrouvée : on accuse alors Démosthène, Démade et d’autres orateurs de corruption.

■■ Du

rescrit de Suse à la mort du roi (324-323) En 324, Alexandre oblige l’ensemble des cités grecques à rappeler leurs bannis, sans aucune concertation. Depuis qu’Alexandre a dissous les forces armées des différents chefs militaires de son empire, lors de la purge de 325, une grande partie des mercenaires s’est installée au Cap Ténare, dans le P ­ éloponnèse. Alexandre souhaite ainsi faciliter le retour, dans leurs cités respectives, de ces mercenaires dangereusement concentrés au même endroit. Par la même occasion, Alexandre veut s’assurer d’avoir des anciens soldats qui lui soient dévoués dans les cités où ils reviennent. Cependant, cette mesure contrevient au principe d’autonomie auparavant promulgué lors de la mise en place de la ligue de Corinthe. Les Grecs ont assisté au départ d’Alexandre en hègémôn de cette ligue, fondée par son père Philippe II. C’est un souverain tout-puissant, un Grand Roi, qu’ils voient revenir de ses expéditions lointaines.

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10 Philippe, Alexandre et les cités grecques (356-323)

Au retour des exilés, Alexandre aurait ajouté une autre exigence, celle d’être honoré comme un « dieu invincible », de son vivant. Une telle demande suscite là encore de nombreuses protestations dans les cités grecques, à Athènes, à Chios ou en Étolie, mais aussi en Macédoine. Là, le régent Antipatros voit d’un mauvais œil l’évolution du rapport au pouvoir d’Alexandre, mais aussi la place grandissante de l’aristocratie iranienne. En 324 ont lieu les « noces de Suse », où 90  compagnons d’Alexandre doivent épouser les filles de hauts dignitaires perses, un signal fort envoyé aux Macédoniens. Alexandre souhaite une collaboration entre les deux peuples que 10 000 mariages entre Macédoniens et jeunes femmes indigènes ont déjà illustrée, tout comme la création d’un nouveau corps de l’armée, les Épigones. Il s’agit de 30 000 Iraniens entraînés aux techniques militaires macédoniennes et qui constituent une nouvelle phalange. Dans ce contexte tendu, une révolte macédonienne (la « sédition d’Opis ») éclate alors mais Alexandre fait, comme à son habitude, assassiner les meneurs et réussit à imposer une réconciliation ; les vétérans m ­ acédoniens repartent finalement bien lotis. Le roi ne rentre pas en Macédoine et s’installe, en 323, à Babylone où, au mois de juin, il meurt à 33 ans, emporté par une maladie brutale, peut-être le paludisme. Certaines sources penchent pour un empoisonnement orchestré par le fils d’Antipatros, alors en conflit avec Alexandre.

Opis se situe au nord de Babylone.

2. Le règne d’Alexandre, un tournant historique ? Le jeune Alexandre, en quelques années, est devenu roi des Macédoniens, hègémôn des Grecs et successeur des Achéménides ; il a en outre été reconnu comme un fils de Zeus, lors de son passage en Égypte. Pour les historiens, interpréter le règne d’Alexandre demeure difficile en raison de l’élaboration, dès son vivant, d’une véritable légende autour de son personnage. La documentation propose un portrait contrasté du roi : à la fois conquérant ambitieux et général hors pair, il a su, avec diplomatie, intégrer l’élite perse à son projet. Mais il est aussi colérique et violent, et les populations locales comme ses plus proches collaborateurs ont fait les frais de sa brutalité. Au-delà de l’homme, il est certain que les treize années qui séparent l’avènement de la mort d’Alexandre ont durablement marqué le monde grec. ■■ L’exportation

de l’hellénisme Sur le plan territorial tout d’abord, au cours des conquêtes d’Alexandre, le modèle de la cité a été exporté dans des contrées lointaines. Alors que le phénomène colonial archaïque est avant tout cantonné aux espaces côtiers, la fondation de nouvelles villes est désormais continentale. Selon les sources anciennes, Alexandre aurait été à l’origine de la fondation de soixante-dix cités, dont vingt dans les hautes satrapies de l’ancien empire perse. 169

Partie 3 Guerre et paix dans le monde grec classique

Les Séleucides auraient fondé une soixantaine de villes dont Séleucie, Antioche, Laodicée et Apamée.

On présente Alexandre comme un « roi-fondateur », un basileus ktistès, qui fait appel à des colons-mercenaires gréco-macédoniens pour peupler ces nouvelles villes, dont l’implantation répond à la volonté royale de contrôler des territoires nouvellement conquis. Ainsi, contrairement aux fondations archaïques, les nouvelles cités n’ont pas de métropole spécifique et le roi endosse le rôle de l’oikiste. Dans ce domaine, Alexandre ouvre la voie aux rois qui lui succéderont à l’époque hellénistique, dont les règnes sont aussi marqués par des entreprises de fondation. Lors de la fondation de nouvelles cités, les éléments marquants de la culture grecque sont importés. En 329-327, sur le site d’Aï-Khanoum (Afghanistan), les Grecs ont érigé un palais avec portiques et colonnades, un sanctuaire héroïque, un théâtre, un gymnase et une fontaine publique. Même si l’objectif premier des fondations alexandrines est militaire et stratégique, elles participent de la diffusion de l’hellénisme. On parle ainsi de « transferts culturels ».

Sur cette opposition culturelle, voir p. 115.

Avant le règne d’Alexandre, dans le discours grec, une opposition majeure structure le bassin oriental de la Méditerranée : la Grèce libre des cités contre le despotisme barbaro-perse. En empruntant des usages à la cour perse et en intégrant l’aristocratie iranienne, Alexandre a permis de dépasser ce clivage spatio-culturel. Il aurait ouvert la voie au syncrétisme hellénistique, même si la collaboration avec les élites perses peut être aussi analysée comme une politique pragmatique. ■■ Un

nouveau type d’hégémonie et de pouvoir L’ascension fulgurante de Philippe  II puis les conquêtes d’Alexandre ont démontré que désormais l’hégémonie n’est plus l’affaire d’une cité mais d’un roi et d’un royaume. Cependant, si Alexandre a mis en place un empire au gré de son avancée orientale, il n’a guère eu le temps d’organiser concrètement l’espace conquis. Dès sa mort, ses successeurs se déchirent et se partagent les territoires. Dans ces nouvelles configurations spatiales que seront les États monarchiques hellénistiques, les cités grecques ne disparaissent pas mais leur autorité est désormais relative en matière de politique extérieure.

Sur Lysandre, voir p. 137.

Alexandre/Héraklès. Tétradrachme d’argent frappé à Memphis (332-323).

170

Alexandre inaugure dans un autre domaine, en donnant à son pouvoir une dimension religieuse inédite. Alors que les Grecs ont connu, à l’époque de Lysandre de Sparte, la mise en place d’un culte personnel à l’initiative de certaines cités, Alexandre aurait lui-même demandé que les cités grecques lui rendent des honneurs divins. Ce faisant, il aurait ouvert la voie aux souverains hellénistiques, dont certaines dynasties sont bien marquées par le culte du souverain (Lagides et Séleucides). La question de la divinisation d’Alexandre demeure cependant débattue. Certaines séquences de l’expédition orientale du roi, comme celle de l’oasis égyptienne de Siwah, rapprochent bien Alexandre d’une personnalité divinisée. Mais les historiens contemporains demeurent sceptiques sur l’exigence formulée en 324 par Alexandre lui-même. L’assimilation d’Alexandre à un héros est dans tous les cas relayée par la frappe et la circulation de monnaies représentant le roi sous les traits d’Héraklès, dont la famille des Argéades prétend descendre.

Les expéditions d’Alexandre

10 Philippe, Alexandre et les cités grecques (356-323)

171

Partie 3 Guerre et paix dans le monde grec classique

À RETENIR nnÀ partir de son avènement, en 359, Philippe modernise le royaume de Macédoine,

notamment l’armée.

nnGrâce à des stratégies matrimoniales et à de nombreuses victoires militaires, il

étend l’influence macédonienne jusqu’en Thrace, à l’est, et jusqu’en Thessalie, au sud.

nnPhilippe II profite des dissensions entre cités grecques, notamment lors des guerres

sacrées, pour s’infiltrer dans le jeu géopolitique et imposer son hégémonie.

nnÀ Athènes, il rencontre l’opposition farouche de l’orateur Démosthène. nnEn 338, Philippe et son armée remportent la victoire de Chéronée contre les cités

grecques coalisées.

nnDans le cadre de la ligue de Corinthe, les Grecs et les Macédoniens menés par

Alexandre, roi en 336, se lancent dans la conquête de l’empire perse.

nnEn l’espace de treize ans, Alexandre le Grand met en place un immense empire,

de l’Égypte à l’Indus.

nnLe règne d’Alexandre marque un tournant dans l’histoire du monde grec et dans

l’exercice du pouvoir, sur le plan politique, religieux et territorial.

LES DATES ESSENTIELLES 359 : avènement de Philippe II 357/356-354 : fondation de Philippes. Prise d’Amphipolis, de Potidée, de Pydna et de Méthonè (Thrace) 356-346 : troisième guerre sacrée 353 : campagnes en Thessalie 349-348 : guerre d’Olynthe. Annexion de la Chalcidique 346 : paix de Philocrate 339 : quatrième guerre sacrée 338 : bataille de Chéronée 337 : instauration de la ligue de Corinthe 336 : mort de Philippe II. Avènement d’Alexandre 335 : révolte et destruction de Thèbes 334 : bataille du Granique 333 : prise d’Issos 332-331 : révolte de Sparte. Conquête de la Phénicie et de l’Égypte 331 : bataille de Gaugamèles 329-327 : conquête des satrapies orientales

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10 Philippe, Alexandre et les cités grecques (356-323)

327-325 : campagne en Inde et retour 324 : affaire d’Harpale. Rescrit de Suse sur le retour des bannis. Noces de Suse. Sédition d’Opis 323 : mort d’Alexandre 323/322 : révolte des Grecs contre les Macédoniens. Guerre lamiaque

BIBLIOGRAPHIE Alexandre le Grand, Histoire et dictionnaire, Paris, 2004. P. Briant, Alexandre le Grand, Paris, 1994. P. Briant, Alexandre le Grand : de la Grèce à l’Inde, Paris, 2005. P.  Brulé et R.  Descat (dir.), Le monde grec aux temps classiques, tome  2 : Le ive siècle, Paris, 2004. P. Brun, Démosthène : rhétorique, pouvoir et corruption, Paris, 2015. P. Carlier, Le ive siècle grec jusqu’à la mort d’Alexandre, Paris, 1995. J.-N. Corvisier, Philippe II de Macédoine, Paris, 2002. M. Hatzopoulos, Macedonian Institutions Under the Kings: A historical and ­epigraphic study, Athènes, 1996. M. Hatzopoulos, « Alexandre en Perse : la revanche et l’empire », ZPE, 116, 1997, p. 41-52. C. Mossé et al. Le monde grec et l’Orient, tome 2 : Le ive siècle, Paris, 1993. C. Mossé, Alexandre le Grand : la destinée d’un mythe, Paris, 2001.

173

PARTIE 4

CHAPITRE 11 LA DÉMOCRATIE ATHÉNIENNE À L’ÉPOQUE CLASSIQUE

177

CHAPITRE 12 FAMILLE, SEXUALITÉ ET ÉDUCATION DANS L’ATHÈNES CLASSIQUE

205

CHAPITRE 13 LA CITÉ SPARTIATE AUX TEMPS ARCHAÏQUE ET CLASSIQUE223 CHAPITRE 14 MORTELS ET IMMORTELS. LES PRATIQUES RELIGIEUSES DANS LE MONDE GREC

247

CHAPITRE 15 L’ÉCONOMIE DES CITÉS GRECQUES À L’ÉPOQUE CLASSIQUE

271

POLITIQUE, SOCIÉTÉ ET ÉCONOMIE DANS LES CITÉS GRECQUES

CHAPITRE

11 PLAN DU CHAPITRE I. Citoyens et non-citoyens II. L’antichambre de la démocratie : l’isonomie clisthénienne III. Les institutions démocratiques de l’Athènes classique

La démocratie athénienne à l’époque classique Il est aujourd’hui reconnu que les Athéniens ont mis en place un nouveau régime politique appelé à un grand destin, la démocratie, soit le pouvoir du dèmos, le peuple des citoyens. ­Plusieurs décennies ont été nécessaires pour donner aux institutions de l’Athènes classique leur caractère démocratique. La place grandissante des citoyens les plus pauvres dans l’effort de guerre maritime, la contestation des pouvoirs du conseil aristocratique de l’Aréopage, la mise en place des indemnités journalières, autant d’évolutions qui jalonnent et influencent l’histoire de la démocratie athénienne, dont les prémices sont posées avec les réformes de Clisthène, en 507. Néanmoins, la démocratie n’a pas toujours fait l’unanimité et elle compte ses détracteurs, assez influents pour renverser le régime à deux reprises, en 411 et en 404. La démocratie a aussi ses limites, dans la mesure où l’accès aux institutions politiques dans lesquelles s’exprime la souveraineté du dèmos, assemblées, tribunaux et conseils, est réservé à 30 à 50 000 citoyens de pleins droits. Sur les rouages, les acteurs et l’histoire de la démocratie athénienne, la documentation foi-

Stèle de la Démocratie couronnant le Peuple, 337/336 (Musée de l’Agora, Athènes).

177

Partie 4 Politique, société et économie dans les cités grecques

sonne : historiens (Hérodote, Thucydide, Xénophon), philosophes (Platon, Aristote), orateurs (Lysias, Eschine ou encore Démosthène) et poètes (Eschyle, Aristophane) livrent de nombreuses informations, tout comme l’épigraphie (décrets votés par l’Assemblée et ostraka).

I. Citoyens et non-citoyens 1. Les citoyens

Sur la loi de Périclès, voir p. 214.

La citoyenneté est d’abord liée à la naissance : pour être un citoyen athénien, il faut être né de parents eux-mêmes athéniens, depuis la loi de 451 instaurée par Périclès. Cependant, la naissance ne suffit pas et le père doit aussi reconnaître son enfant et le présenter aux différents sous-groupes civiques (phratries et dèmes) lors de rites successifs, aux cours des premiers jours et à l’adolescence. Le détail de ce long processus de reconnaissance familiale et civique est détaillé au chapitre 12. Être citoyen procure de nombreux droits et privilèges exclusifs : –– le droit de propriété terrienne ; –– le droit de se présenter aux différentes magistratures et de siéger dans les différentes institutions démocratiques (assemblée, tribunaux, conseils) ;

Sur la diobélie et le théôrikon, voir p. 288.

–– le privilège de percevoir les différentes indemnités versées au citoyen : les misthoi pour ceux qui siègent à l’Assemblée, à l’Héliée et à la Boulè, ainsi que la diobélie et le théôrikon, versés à ceux qui assistent aux fêtes civiques. Les citoyens bénéficient aussi de distributions exceptionnelles de denrées. Un citoyen peut perdre ses droits : on parle alors d’atimie. Une condamnation de justice peut ainsi retirer à un citoyen son droit de prendre la parole à l’assemblée, d’être candidat à une magistrature ou de fréquenter les sanctuaires de la cité. L’atimie est une dégradation civique, qui peut être totale ou partielle, selon que le citoyen perd tout ou une partie de ses droits. Elle s’accompagne parfois de la confiscation des biens du condamné. Parmi les atimoi, on compte les débiteurs qui n’ont pas payé leurs impôts,

178

Stèle du décret octroyant la citoyenneté athénienne aux Samiens, 403 (Musée épigraphique, Athènes).

11 La démocratie athénienne à l’époque classique

les prostitués, les déserteurs, les fils qui maltraitent leurs parents ou qui dilapident le patrimoine paternel, ceux qui ont été condamnés trois fois pour faux témoignage ou encore les individus qui ont fait des propositions de loi jugées contraires à la constitution. En creux, on devine ainsi les obligations attendues du bon citoyen : défendre sa cité, payer ses impôts, respecter la loi, les dieux et les parents, faire preuve de maîtrise de soi.

Voir l’exemple de Timarque p. 163.

Les Athéniens ont exceptionnellement octroyé la citoyenneté ou à une communauté entière, ou à des individus qu’ils jugent méritants. Selon l’état actuel de nos connaissances, cinq groupes et soixante et un particuliers ont ainsi reçu la citoyenneté athénienne à l’époque classique. Les réfugiés de Platées, dont la cité est dévastée par les Thébains en 427, se voient accorder le statut de citoyens de l’Attique pour les remercier de leur longue fidélité à Athènes. Alliés d’Athènes pendant la guerre du Péloponnèse, les Platéens étaient aussi présents en 490 pour repousser les Perses dans la plaine de Marathon. Parmi les particuliers, on peut citer Ménon de Pharsale, fait citoyen en 476 et qui a aidé les Athéniens lors du siège d’Éion. On peut aussi citer le banquier Pasion, ancien esclave, affranchi puis fait citoyen pour « services rendus à la cité ».

Sur Pasion, voir p. 287.

2. Quelle citoyenneté pour les femmes ? Des études récentes ont réévalué le rôle imparti aux femmes de citoyens dans la communauté civique. Alors que l’on a longtemps décrit la cité athénienne comme un « club d’hommes », selon l’expression de P. Vidal-Naquet, on insiste aujourd’hui sur la participation active des épouses de citoyens dans deux domaines : la religion et la transmission de la citoyenneté. En effet, les filles et les épouses de citoyens prennent part aux différents cultes civiques. Une fête est réservée aux seules épouses légitimes, les Thesmophories. En outre, les épouses peuvent prétendre au rôle de prêtresse, une archè (magistrature) qui leur confère un pouvoir relatif dans le cadre de leur fonction. On a ainsi pu parler de « citoyenneté cultuelle » pour qualifier cet investissement dans les affaires religieuses de la cité, dès lors qu’on admet que la citoyenneté grecque se fonde aussi sur la participation aux grands rituels communautaires. D’ailleurs, une épouse de citoyen peut être frappée « d’atimie cultuelle » lorsqu’elle est condamnée pour adultère : il lui est interdit de paraître en public lors des fêtes et des cérémonies de la cité. Concernant la transmission de la citoyenneté, les mères deviennent un maillon essentiel à partir de la loi de Périclès de 451. Afin de donner naissance à des enfants pouvant arguer de la citoyenneté, elles doivent être ellesmêmes astai (au singulier, astè), c’est-à-dire « athéniennes » au sens territorial et ancestral, et avoir un père athénien.

Femme à l’autel portant une corbeille de sacrifice. Médaillon d’une coupe attique, 490 (Toledo Museum of Arts).

Sur les prêtrises, voir p. 256.

Sur l’adultère, voir p. 210.

Les orateurs utilisent parfois le terme politis (« citoyenne »), féminin de politès (« citoyen »).

179

Partie 4 Politique, société et économie dans les cités grecques

Sur la domination masculine et la misogynie, voir p. 207-208.

Si ces éléments permettent de nuancer la condition féminine longtemps cantonnée à celle de l’exclusion totale de la cité, il faut cependant se garder de faire des citoyennes les égales de leurs maris. Outre d’être culturelle, la dissymétrie entre citoyens et citoyennes est politique, juridique et économique : –– les épouses de citoyens ne participent pas aux réunions de la Boulè et de l’Ekklèsia, là où se discute le destin politique et militaire de la cité, et elles ne siègent pas dans les différents tribunaux ;

Sur la tutelle, voir p. 206.

–– dès lors qu’elles souhaitent présenter une requête judiciaire ou effectuer une transaction économique, elles ont besoin de la médiation d’un homme, le kurios, qui est leur représentant-garant-tuteur. Ce kurios est d’abord leur père ou leur frère, puis leur mari : il incarne juridiquement l’impossible indépendance féminine ; –– à Athènes, les femmes n’héritent pas (contrairement à Sparte) et la dot qui est leur est attribuée au moment du mariage est gérée par le mari puis par le fils ; –– enfin, l’idéal du citoyen-soldat est masculin : si les femmes peuvent aider à la construction de remparts et à la défense de leur cité en cas de siège, elles ne font pas la guerre offensive des hommes, celle de la phalange et des trières.

Maternité et guerre. Dessin de FL d’après un lécythe attique, 450 (Altes Museum, Berlin).

Ainsi, comme le résume V.  Azoulay : « la citoyenneté, loin d’être toute d’une pièce, s’apparente plutôt à un faisceau de droits, de devoirs et de privilèges, dont seuls [certains] hommes possèdent la plénitude ».

3. Des libres non-citoyens : les métèques d’Athènes ■■ Définition

et devoirs des métèques Le grammairien Aristophane de Byzance (iiie siècle) définit ainsi le métèque : « Est métèque quiconque, venu d’une ville étrangère, habite dans la cité, acquittant une taxe en vue de certains besoins déterminés de la cité. Pendant un certain nombre de jours il est appelé “étranger de passage”, et n’est pas soumis aux taxes ; s’il dépasse le délai fixé, il devient alors métèque et acquitte les taxes ». Le bouleute est membre du  Conseil de la Boulè, l’héliaste ou « dikaste » est membre du tribunal de l’Héliée.

Le statut de métèque a été probablement créé à Athènes dans la première moitié du ve siècle. Libre mais non-citoyen, un métèque ne peut être ni magistrat, ni bouleute, ni héliaste, ni membre de l’Ekklèsia. Il a en outre un garant, un prostatès. Ce dernier, qui est un citoyen athénien de plein droit, le représente, par exemple lorsqu’il souhaite porter une affaire en justice. L’archontepolémarque demeure le magistrat de référence pour la plupart des affaires judiciaires concernant les métèques. Les métèques sont soumis à un impôt spécial, le métoikion, d’un montant de 12 drachmes par an pour les hommes et de 6 drachmes par an pour les femmes. La somme n’est pas en soi élevée mais elle marque le statut de métèque

180

11 La démocratie athénienne à l’époque classique

et a donc une valeur symbolique. Les Athéniens considèrent que le métèque qui se soustrait au paiement du métoikion est passible de poursuite pour usurpation de la citoyenneté. Les métèques ne sont pas soumis uniquement à des taxes spéciales. Les plus riches métèques, comme les plus riches citoyens, s’acquittent en effet à partir de 428 du paiement de l’impôt de l­’eisphora et ils doivent aussi financer des liturgies. En ce sens, ils sont aussi intégrés à la communauté civique par la fiscalité, qui à la fois les singularise et les associe.

Sur les liturgies, voir p. 289.

Sauf exception, les métèques n’ont pas le droit de propriété terrienne, réservé aux citoyens. Ils ne peuvent donc pas tirer leurs revenus de l’exploitation des terres ; ils sont ainsi essentiellement commerçants, artisans et banquiers. Autre restriction notable, les métèques ne peuvent pas épouser une Athénienne. Plus précisément, à partir de la loi de Périclès de 451, les enfants dont l’un des parents est d’origine extra-athénienne ne peuvent pas prétendre à la citoyenneté. À partir des années 380, la loi se durcit et il devient désormais interdit aux Athéniens de contracter une union avec une étrangère sous peine d’une lourde amende. Un atelier de forgeron d’après une amphore attique, 510 Les Athéniens peuvent octroyer des privilèges à des (MFA, Boston). métèques qu’ils jugent méritants : l’isotélie (l’égalité fiscale et donc la suppression du métoikion), l’enktèsis (l’accès à la propriété), l’épigamie (le droit d’épouser une Athénienne). Par exemple, en 338, après avoir combattu avec les Athéniens à Chéronée, les Acarnaniens exilés sont accueillis à Athènes. Selon l’inscription IG II2 237, ils reçoivent « jusqu’à ce qu’ils rentrent, le droit de posséder une maison pour ceux qui habiteront à Athènes, ainsi que l’exemption du métoikion ; comme demandeurs ou comme défendeurs, ils obtiendront justice comme les Athéniens ; et pour les eisphorai qui viendraient à être levées, ils les verseront avec les Athéniens ».

■■ Poids

démographique et fonctions des métèques Il est difficile de dénombrer les métèques, à partir du moment où seuls les adultes payant le métoikion sont repérables (voir les estimations p. 184). La population métèque n’a pas été stable tout au long de l’époque classique et a évolué en fonction du contexte militaire et économique. Si les métèques sont de plus en plus nombreux dans l’Athènes florissante de Périclès, il est certain que la guerre du Péloponnèse et la tyrannie des Trente, qui a particulièrement maltraité les métèques, ont provoqué leur départ. En revanche, à partir de 350 et la mise en place de la politique pacifiste d’Eubule, favorable aux métèques, leur nombre a crû. C’est notamment de l’époque d’Eubule que datent les dikai emporikai : il s’agit d’actions judiciaires

Sur Eubule, voir p. 203.

181

Partie 4 Politique, société et économie dans les cités grecques

spécifiques qui ont trait au grand commerce et qui intéressent particulièrement les affaires des métèques.

Sur les sophistes, voir p. 218.

La population métèque ne constitue pas un groupe homogène : il y a tout d’abord les métèques d’origine grecque, provenant d’autres cités, et ceux issus de contrées « barbares », comme les Lydiens, les Phrygiens ou les Syriens évoqués par Xénophon. En outre, ils occupent toutes les strates sociales de l’Athènes classique : les comptes du chantier de l’Érechthéion évoquent la présence de métèques architectes, secrétaires, gardiens, sculpteurs, modeleurs sur cire, charpentiers, peintres et manœuvres. À ces artistes et artisans, s’ajoute une élite intellectuelle, celle des « sophistes », tel Protagoras d’Abdère, Gorgias de Léontinoi ou Prodicos de Kéos. Il y a ainsi des métèques pauvres et des métèques riches, comme ceux de la famille du logographe Lysias.

La famille de Lysias : des métèques patriotes L’orateur Lysias est le fils de Képhalos, un Syracusain établi à Athènes au milieu du ve siècle. Ami de Périclès et fréquentant l’élite athénienne, Képhalos est l’un des protagonistes du dialogue de Platon, la République, où il invite Socrate dans sa maison, au Pirée, et discute avec lui. Son fils Lysias est né vers 445 et passe son enfance à Athènes. En 425, il rejoint Thourioi, une colonie fondée par Athènes. Il revient à Athènes en 412 et ne quitte plus la cité, sauf lors de son court exil dû aux persécutions des Trente, qui s’en prennent aux métèques fortunés afin de les dépouiller. En effet, la famille de Lysias est riche  et s’acquitte de nombreuses liturgies. K­ éphalos possède au Pirée une fabrique de boucliers où travaillent 120 esclaves et ­Plutarque rapporte que lors de la restauration démocratique de 403, Lysias a fourni 2 000 drachmes et 200 boucliers. Lors de la tyrannie des Trente, le frère de Lysias, ­Polémarque, est assassiné. Lysias raconte cette tragédie familiale dans un réquisitoire, le Contre ­Ératosthène. Métèque patriote, Lysias aurait enrôlé pas moins de 300 hommes pour aider les démocrates à reprendre la cité. Thrasybule aurait ainsi proposé qu’on lui octroie la citoyenneté, ce qui n’aboutit pas ; Lysias reste seulement isotèle (voir p. 138).

Sur la chorégie, voir p. 289.

Même s’ils ne sont pas citoyens, les métèques apparaissent donc comme des membres actifs de la communauté civique athénienne. Ils travaillent, paient des impôts, participent aussi à l’effort de guerre comme rameurs ou hoplites et sont aussi présents lors de certaines fêtes athéniennes, comme les Lénéennes où ils peuvent être chorèges et choreutes. Dans une métaphore agricole, ­Aristophane évoque ainsi le grain de blé et désigne les citoyens et les métèques comme respectivement la fine fleur et le son, alors que les étrangers non-résidents sont assimilés à la balle du blé, soit la partie inutile. Mais, intégré en partie à la cité, le métèque souffre de nombreuses restrictions, même dans les moments d’intégration : les hiérarchies statutaires

182

11 La démocratie athénienne à l’époque classique

demeurent. En témoigne la fête athénienne des Héphaïsteia : les métèques y participent, comme les citoyens, mais ils reçoivent une part de viande plus petite que celles des citoyens et qui, de plus, est crue. Ils doivent rentrer chez eux pour la cuire et la consommer, sans participer au banquet qui clôture la fête. Le statut d’étranger résident n’est pas propre à l’Athènes classique ; on le retrouve par exemple dans l’île de Rhodes, où selon Diodore de Sicile, le recensement de 304 fait état de 6 000 citoyens, 1 000 étrangers domiciliés et 1 000 étrangers de passage, tous en état de porter les armes. Dans d’autres cités, on sait qu’il existait le statut de parèque ou de synèque, sans avoir beaucoup d’informations.

4. Les esclaves Les maîtres possèdent leurs esclaves comme des biens. Les esclaves sont ainsi inclus, dans les testaments et les inventaires de fortune, au milieu des meubles et des bijoux. Le maître peut louer son esclave, le donner en gage, le vendre et le livrer à la torture dans le cadre des procès. Les esclaves-marchandises sont achetés sur des marchés spécialisés comme ceux de Délos, de Thasos ou d’Athènes. Ils sont approvisionnés par la piraterie, la guerre mais aussi par de véritables circuits d’exportation d’esclaves en masse, provenant de Lydie, de Syrie, de Thrace ou encore de Carie. Les esclaves n’ont aucun droit politique et presque aucune existence juridique. Le maître est légalement responsable des actions de Un atelier de sculpture d’après une coupe attique, 490 son esclave. La seule protection octroyée aux (Altes Museum, Berlin). esclaves est l’asylie, offerte par les sanctuaires : un esclave réfugié dans la demeure d’un dieu peut lui demander assistance. Ce sont ensuite les autorités du sanctuaire qui statuent à son sujet et engagent parfois des négociations avec le maître. À Athènes, le sanctuaire dédié à Thésée, le Theseion, est le lieu d’accueil de ces Voir p. 252 sur le Theseion. esclaves suppliants. Les esclaves sont présents dans tous les secteurs économiques : ils aident aux champs, ils assistent les artisans dans leurs ateliers, ils travaillent dans les mines, dans les maisons de passe ou sur les chantiers, ils s’affairent dans les banques. Leurs conditions de vie et de travail sont cependant très variables. Certains esclaves gagnent la confiance de leurs maîtres au point d’assurer la gestion de leurs différentes affaires, notamment dans la banque et dans

Sur le secteur bancaire, voir p. 286 ; sur la prostitution servile, voir p. 212.

183

Partie 4 Politique, société et économie dans les cités grecques

la prostitution, mais aussi dans la parfumerie ou dans le secteur minier. Ces « esclaves casés » sont ainsi affectés à l’exploitation d’un bien ; en échange, ils versent chacun à leur maître une rente régulière et fixe, l’apophora, et peuvent conserver et accumuler ensuite le reste des revenus. La catégorie des « esclaves publics » est aussi remarquable : à Athènes, ils vérifient l’authenticité des monnaies, recensent les biens des sanctuaires ou font office de police municipale, incarnée par la patrouille des archers scythes armés d’arcs et de fouets. L’affranchissement s’opère de plusieurs façons. Soit le maître rend la liberté à son esclave de son vivant, soit il l’affranchit par testament. L’esclave lui-même, s’il a réuni une somme suffisante, peut racheter sa liberté, ce qui ne le fait pas accéder à la citoyenneté. L’affranchi reste lié à son ancien maître qui devient un prostatès ou « représentant ». L’affranchi conserve en outre des obligations envers cet ancien maître, qu’on appelle la paramonè : il doit rester auprès de lui ou s’occuper de ses vieux jours. La catégorie athénienne des choris oikountès, « ceux qui vivent à part », semble appartenir au groupe des affranchis sans qu’ils soient astreints à la paramonè. Dans la cité athénienne, l’accès aux institutions démocratiques concerne ainsi un pourcentage très faible de la population totale de l’Attique. Il demeure cependant impossible de donner des chiffres fiables et précis de la proportion respective de chaque catégorie statutaire. Seules des estimations sont possibles.

La population de l’Attique Concernant le ve siècle, des informations sont fournies par Thucydide (II, 13, 6-9) qui donne les chiffres suivants à propos des forces assignées à la défense de la cité en 431 : –– 13 000 hoplites dans l’infanterie active –– 16 000 hoplites qui surveillent les Longs Murs et occupent les forts de l’Attique –– 1 200 cavaliers –– 1 600 archers –– 300 trières en état de prendre la mer et qui peuvent embarquer au total 60 000 marins Cependant, ces chiffres ne peuvent pas être utilisés tels quels pour calculer la population citoyenne car, dans tous ces corps d’armée, combattent aussi des esclaves, des métèques et des alliés dont on ignore la proportion. La tendance actuelle, chez les historiens contemporains, est de considérer que la population citoyenne masculine d’Athènes en 431 se situe entre 50 000  et 60 000 individus. Suite à l’épidémie de typhus qui sévit au début de la guerre du

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11 La démocratie athénienne à l’époque classique

Péloponnèse, la population s’effondre, un phénomène qui perdure avec les longues années de conflit. Les estimations pour le ive  siècle, selon l’historien contemporain M. Hansen, font état de 20 000 citoyens en 403 et 30 000 citoyens au ive siècle. Concernant la fin du ive  siècle, on dispose du décompte entrepris en 317 par ­Démétrios de Phalère : 21 000 Athéniens, 10 000 métèques et 400 000 oiketai, ces derniers comprenant les femmes et les enfants des citoyens mais aussi les esclaves vivant dans les oikoi, les maisons. Les esclaves ont donc probablement constitué entre 30 et 50 % de la population de l’Attique. Concernant le groupe des métèques, outre l’information donnée par le recensement de Démétrios de 317, plusieurs estimations ont été proposées pour les périodes précédentes. Athènes aurait compté entre 12 000 et 15 000  hommes métèques au milieu du ve siècle, 25 000 en 431, autour de 40 000 dans les années 320, des fluctuations s’expliquant par les guerres et par les politiques plus ou moins favorables aux métèques. Un autre moyen de connaître le rapport numérique entre citoyens et non-citoyens est la répartition propre à l’eisphora : on sait qu’un sixième de cet impôt est payé par les métèques et le reste par les citoyens.

II. L’antichambre de la démocratie : l’isonomie clisthénienne 1. Clisthène versus Isagoras La chute de la tyrannie en 510 est marquée par le retour des rivalités traditionnelles entre différents groupes aristocratiques qui briguent les principales magistratures, notamment l’archontat. Deux hommes émergent dans ce conflit de pouvoir : Clisthène et Isagoras.

Sur la tyrannie à Athènes, voir p. 91.

Clisthène est membre de la grande famille des Alcméonides, qui a activement participé à la vie politique athénienne depuis la fin du viie siècle. Pendant la tyrannie des Pisistratides, les Alcméonides ont été tantôt alliés du pouvoir, tantôt exilés et en disgrâce. Grâce à l’aide des Spartiates qu’ils persuadent d’intervenir, les Alcméonides reviennent à Athènes à la chute d’Hippias. L’opposant de Clisthène, Isagoras, est assez mal connu mais il appartient à l’élite sociale des Eupatrides, les « biens-nés ». Si Isagoras est élu à l’archontat en 508/507, Clisthène finit cependant par emporter l’adhésion populaire en proposant de donner la souveraineté au peuple (dèmos) et de mettre en place l’isonomie. L’isonomie est un principe qui s’oppose à la tyrannie tout juste disparue : en théorie, il s’agit de proposer aux Athéniens une égale distribution du pouvoir de décision, de commandement et de jugement. Le corps civique est en outre

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Partie 4 Politique, société et économie dans les cités grecques

augmenté de nouveaux citoyens, qui se fondent dans l’ancien ensemble grâce à un redécoupage de l’Attique.

2. Clisthène et l’Attique : un nouveau découpage Les propositions et les réformes de Clisthène ont un aspect territorial, partie prenante du projet isonomique. Les Athéniens sont désormais tous répartis dans de nouvelles subdivisions, les dèmes, qui peuvent correspondre à des quartiers urbains comme à des petits villages. Un citoyen athénien décline son identité selon la formule suivante : « un tel, fils d’un tel (patronyme), du dème de (démotique) », tel « Périclès, fils de Xanthippe, du dème de Cholarges ». Tout citoyen est désormais inscrit sur le registre du dème de son père à 18 ans. Si on ne connaît pas le nombre exact de dèmes (entre 100 et 150), plusieurs dèmes forment une trittye. Il existe trois types de trittyes : les trittyes de la côte (zone de la paralie), les trittyes de l’intérieur (zone de la mésogée), et les trittyes urbaines (zone de l’asty, comprenant aussi le Pirée). Trois trittyes, une de chaque zone, forment enfin une tribu. Érechtée, Égée, Kékrops, Pandion, Léo, Acamas, Oineus, Hippothoon, Ajax, Antiochos.

Il y a désormais dix tribus à Athènes, qui empruntent leurs noms à dix héros athéniens. Ces dix personnages se retrouvent statufiés sur l’Agora d’Athènes, sous la forme du « monument aux héros éponymes » : la base du groupe statuaire sert à afficher les documents officiels, comme les ordres du jour de l’Assemblée.

Athènes, Agora, monument des héros éponymes.

Le nouveau système clisthénien permet de brasser, au sein des tribus, des territoires éloignés et des populations différentes aux activités diverses, mais 186

11 La démocratie athénienne à l’époque classique

aussi de briser les anciens liens clientélaires hérités de l’époque archaïque. En outre, le système clisthénien des dix nouvelles tribus sert désormais de base pour le recrutement et le fonctionnement des institutions démocratiques, ainsi que de l’armée athénienne. Si le dème devient l’élément central de la nouvelle citoyenneté clisthénienne, la réforme ne touche pas aux phratries, qui continuent à être des groupes d’appartenance indispensables à l’accès à la citoyenneté.

Sur les phratries, voir p. 205.

L’Attique PARNÈS

PANAKTON ❚ ❚ ÉLEUTHÈRES

▲ ▲ 1412 m.

❚ PHYLÈ

DÉCÉLIE ❚ ❚

MARATHON ❍

▲ PENTÉLIQUE

❍ ACHARNES

ÉLEUSIS ❍

❚ RHAMNONTE

APHIDNA ❍

▲ 1109 m.

❍ CHOLARGOS PALLÈNE ❍

ATHÈNES

GARGETTOS ❍ ❍ PAIANIA ❍

HYMETTE

❍ SALAMINE

❍ LE PIRÉE

PHALÈRE

▲ 1027 m.

AIXONE ❍

GOLFE

PHRÉARROI ❍

LAURION

SARONIQUE



ÉGINE

1000 m. 500 m. 200 m. 0 m.

0



Dèmes



Forteresses

❚❍ THORIKOS SOUNION ❚❍

Cap Sounion

10 km

Dans P. Brun, Le monde grec à l’époque classique, 4e éd., Paris, 2020, p. 18.

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Partie 4 Politique, société et économie dans les cités grecques

« Alors à la tête du peuple, la quatrième année après la chute des tyrans, sous l’archontat d’Isagoras, tout d’abord [Clisthène] répartit tous les citoyens en dix tribus aux lieu de quatre, dans l’intention de les mélanger afin qu’ils soient plus nombreux à participer au politique », (Ps.-Aristote, Constitution des Athéniens, 21).

Même si l’historien Hérodote dépeint Clisthène comme un tyran en puissance qui aurait manipulé le peuple pour l’emporter sur son rival, on admet aujourd’hui que Clisthène clôture en un sens la liste des grands législateurs de l’époque archaïque et ouvre parallèlement la voie à la démocratie classique. Il faut cependant attendre la mise en place d’une série de mesures radicales, au milieu du ve siècle, pour favoriser réellement l’activité politique des plus pauvres et pour enrayer le poids politique des plus riches, encore largement dominants dans le régime clisthénien. Le passage de l’isonomie à la démocratie a nécessité une transformation des institutions athéniennes, dont il faut à présent expliquer les rouages.

L’Agora d’Athènes à la fin du ve siècle. (D’après N. Siron, Témoigner et convaincre. Le dispositif de vérité dans les discours judiciaires de l’Athènes classique, Paris, 2019, p. 148) 1. Stoa Poikilè, 2. Autel, 3. Stoa basileios, 4. Stoa de Zeus Eleutherios, 5. Autel des Douze Dieux, 6. Héphaïsteion, 7. Nouveau Bouleutèrion, 8. Ancien Bouleutèrion (Mètrôon et archives), 9. Tholos, 10. Stratègeion (?), 11. Monument des héros éponymes, 12. Aiakeion, 13. Stoa sud, 14. Fontaine sud-est, 15. Atelier monétaire, 16. Tribunal (?).

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11 La démocratie athénienne à l’époque classique

III. Les institutions démocratiques de l’Athènes classique 1. La Boulè ou le Conseil des Cinq-Cents Clisthène aurait également modifié l’ancien Conseil des Quatre-Cents mis en place par Solon, pour le remplacer par un Conseil des Cinq-Cents ou Boulè. Les 500 bouleutes, âgés de plus de trente ans, sont recrutés par tirage au sort à raison de 50 par tribu. Dans chaque tribu, des listes d’élus par dème ont été préalablement préparées. La Boulè incarne l’isonomie voulue par Clisthène : la charge est annuelle et un citoyen ne peut pas être bouleute deux fois de suite, ce qui favorise l’alternance. Le Conseil se réunit tous les jours, sauf lors des fêtes annuelles, et cumule de nombreuses compétences : –– sa prérogative principale est de préparer le travail législatif de l’Assemblée ; il examine les projets de loi avant que ceux-ci puissent être votés. Ainsi les décrets commencent-ils toujours par la phrase « Il a plu au conseil (boulè) et au peuple (dèmos) » ; –– il assure la gestion des sanctuaires, l’organisation des fêtes et s’occupe de la mise en chantier des trières et des constructions publiques ; –– il gère la plupart des affaires financières ; –– il joue un rôle important dans la politique étrangère, notamment en recevant et en envoyant des ambassades ; –– enfin, le Conseil a des compétences judiciaires. Il examine les magistrats lors de leur entrée en charge et reçoit les dénonciations les concernant. À chaque prytanie, c’est-à-dire tous les 35/36 jours, cinquante bouleutes d’une même tribu deviennent « prytanes » : ils incarnent la permanence des institutions et une partie d’entre eux siège jour et nuit dans le Prytanikon, appelé aussi Tholos, sur l’Agora. Les prytanes tirent au sort tous les jours un épistate des prytanes, qui préside les séances de l’Assemblée et veille à la régularité des votes. À partir d’une date incertaine (après 451 et avant 411), les bouleutes sont rétribués pour leur charge et reçoivent une indemnité, le misthos bouleutikos, de cinq oboles par jour de séance et d’une drachme pour les prytanes.

2. L’Ekklèsia : l’assemblée de tous les citoyens ■■ Composition

et convocation Tout homme citoyen peut venir siéger sur les bancs de l’Ekklèsia, exception faite de ceux qui sont frappés d’atimie. Athènes est une démocratie directe : il n’y a pas de principe de représentativité et le dèmos assemblé est souverain.

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Partie 4 Politique, société et économie dans les cités grecques

Voir le plan d’Athènes dans l’atlas final.

Les citoyens se déplacent donc en personne sur le lieu de rassemblement de l’Assemblée, la Pnyx, une des collines d’Athènes située en face de l’Acropole. Au sein de l’Assemblée athénienne, les tendances politiques ne sont pas encadrées par des partis structurés. Il existe en revanche des « hétairies », des groupes informels de citoyens dont les intérêts convergent et qui peuvent soutenir un de leurs membres, lors des débats, des élections ou d’un ostracisme. La colline de la Pnyx peut accueillir 8 000 personnes (6 000 avant les aménage­ ments opérés vers 400), soit une petite fraction des citoyens. En fonction des opérations militaires, le nombre de présents varie, mais aussi la nature des décisions votées, ce qui peut entraîner l’adoption de décisions plus ou moins favorables au peuple selon le jeu politique mené par les citoyens présents. Par exemple, en 461, alors que le stratège Cimon est parti aider les S­ partiates avec 4 000 hoplites athéniens issus des couches sociales aisées, l’homme politique Éphialte en profite pour faire voter une réforme démocratisant les institutions. En 411, au contraire, c’est l’absence de la frange la plus populaire des citoyens, les marins stationnés à Samos, qui permet de faire passer des décrets instituant l’oligarchie. L’Assemblée est composée en majorité de marchands, d’artisans, de salariés et d’agriculteurs. Certains viennent d’assez loin, comme les habitants du Pirée ou d’Acharnes, éloignés respectivement de 10 et 7 km de la Pnyx. Il semblerait que l’absentéisme et le manque de ponctualité aient incité à la mise en place, au début du ive siècle, du misthos ekklésiastikos, une indemnité versée à ceux qui assistent à la réunion de l’Assemblée. Seuls les 6 000 premiers arrivés en bénéficient. Ce chiffre de 6 000 correspond au quorum de votants nécessaire pour le vote de certaines décisions, comme un octroi exceptionnel de citoyenneté ou un ostracisme, consistant à bannir temporairement un citoyen de la cité (voir en détail ci-dessous).

Le démagogue est littéralement celui qui mène le dèmos. Étymologiquement, il s’agit donc de celui qui emporte la conviction de la majorité. Sous la plume d’auteurs conservateurs comme Aristophane ou Aristote, le mot prend le sens d’individu manipulant les foules au profit de son ambition personnelle, comme Cléon.

190

À l’époque d’Aristote, l’Assemblée est convoquée quatre fois par prytanie, soit quarante fois par an : il y a une assemblée principale et trois assemblées ordinaires. L’ordre du jour de la séance est affiché quatre jours à l’avance, sur le piédestal du monument des dix héros éponymes, situé sur l’Agora. Les débats commencent très tôt, au lever du jour, après avoir préalablement effectué un sacrifice et purifié l’enceinte de l’Assemblée. Un héraut ouvre la séance par la formule : « Qui veut prendre la parole ? ». En effet, les citoyens athéniens bénéficient, outre du principe d’isonomie, du privilège de l’isègoria, l’égalité du droit à la parole. À partir des sources textuelles et épigraphiques, M. Hansen a isolé et identifié 368 citoyens qui ont proposé des décrets ou pris la parole à l’Assemblée, entre 403 et 322. Les discours des grands orateurs prennent des atours différents. Grâce à Thucydide, Périclès est connu pour ses longues argumentations prononcées selon un style « à l’ancienne », avec dignité et la main glissée sous le manteau. Sous la plume moqueuse d’Aristophane, Cléon s’illustre au contraire par son style vociférant et démagogique, n’hésitant pas à se débrailler : « Coquin, canaille de braillard, ton audace emplit toute la contrée et toute l’Assemblée, et

11 La démocratie athénienne à l’époque classique

les finances et les greffes et les tribunaux. Ô remueur de fange et, dans notre Cité entière, fauteur de profonds désordres, toi qui as complètement assourdi notre Athènes à force de crier et de guetter du haut de nos roches (la Pnyx) les tributs comme on guette les thons » (Aristophane, Les Cavaliers, v. 305‑312). Les séances de l’Ekklèsia sont rarement calmes. La foule des citoyens ne reste pas impassible mais se manifeste bruyamment, entre cris et rires, applaudissements et huées, exerçant ainsi une forme de contrôle du dèmos sur l’élite politique. Au ive siècle, les désaccords entre Eschine et Démosthène, à propos de la Macédoine, s’incarnent dans des prises de paroles enflammées et agressives. La parole des intervenants est cependant encadrée par l’existence d’une procédure judiciaire appelée graphè paranomôn. Cette dernière permet d’intenter une action contre l’auteur d’une proposition de décret ou d’une action politique jugée illégale. L’auteur peut encourir une amende, l’atimie mais aussi la peine de mort. ■■ Les

compétences de l’Assemblée L’Assemblée a pour mission de voter des propositions déjà approuvées par la Boulè, les probouleumata : le vote se fait à mains levées. Au ve siècle, les ­Athéniens ne différencient pas décret et loi. En revanche, à partir de la restauration démocratique de 403, le vote des lois est réservé à un collège de nomothètes et les décrets votés en assemblée doivent être compatibles avec les lois, sous peine de graphè paranomôn. L’Assemblée traite aussi des questions d’approvisionnement et de défense et elle élit tous les ans les dix stratèges.

« Pour ce que j’ai à dire de toi et des tiens, je n’ai que l’embarras du choix. […] Que ta mère, grâce à ses mariages en plein jour dans la boutique voisine du héros Calamitès, a élevé la belle statue et l’excellent acteur de dernier ordre que tu es ? Mais tout le monde le sait, même si je n’en parle pas » (Démosthène s’adresse à Eschine, Sur la Couronne, 129).

Ses compétences judiciaires, accrues suite à la réforme d’Éphialte, lui permet­tent de traiter les cas de haute trahison par la procédure de l’eisangélie, et ce jusqu’au milieu du ive siècle : il s’agit de la dénonciation d’un citoyen ou d’un magistrat qui menace les intérêts de l’État. Au ive siècle, le rôle de l’Assemblée évolue : le vote des lois est confié à des commissions de nomothètes et les compétences judiciaires sont désormais du ressort quasi exclusif de l’Héliée. Les prytanes n’assurent plus le décompte des suffrages mais laissent la place à neuf proèdres, choisis parmi les b ­ ouleutes qui n’exercent pas la prytanie. ■■ L’ostracisme

Institué au lendemain des réformes de Clisthène, l'ostracisme tire son nom de l’usage de petits tessons de céramique, les ostraka, sur lesquels on grave le nom de la personne que l’on souhaite ostraciser. Le vote s’opère en deux temps : à la sixième prytanie, l’Assemblée vote d’abord à main levée sur le p ­ rincipe de l’ostracisme. Si une majorité se dégage, une a­ ssemblée extraordinaire se réunit ensuite à la huitième p ­rytanie, sur  l’Agora. Les citoyens se présentent avec leurs tessons et votent à bulletins secrets.

Ostraka portant les noms de Cimon, ­Thémistocle, ­Aristide et Périclès et de leurs pères respectifs.

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Partie 4 Politique, société et économie dans les cités grecques

L’homme dont le nom cumule le plus de suffrages est banni pour une durée théorique de dix ans. L’ostracisme a été utilisé pour prévenir tout retour de la tyrannie et pour écarter un homme politique devenu trop influent. C’est aussi le moyen privilégié pour évincer un adversaire politique. Sa première application date de 488/487 et frappe Hipparque, fils de C ­ harmos, apparenté aux Pisistratides, la famille des tyrans athéniens du vie siècle. ­Thémistocle, Cimon, Périclès ont aussi été frappés d’ostracisme, le dernier banni étant Hyperbolos, un rival d’Alcibiade chassé d’Athènes en 417. Dans cette procédure, il ne faut pas ignorer la manipulation potentielle des votants, notamment dans le laps de temps qui sépare les deux assemblées, où les adversaires politiques peuvent faire campagne. Lors de l’ostracisme de Thémistocle, en 472, des dizaines de tessons pré-gravés ont été distribuées aux Athéniens. Les inscriptions des ostraka révèlent que les Athéniens ne se contentent pas d’indiquer un nom : l’homme politique peut être aussi insulté. Sur des ostraka trouvés lors des fouilles du Céramique et de l’Agora d’Athènes, on peut lire « Mégaclès, fils d’Hippokratos, nourrisseur de chevaux (hippotrophos, sousentendu un aristocrate méprisant le peuple) », « Thémistocle, fils de Néoklès, enculé (katapugon) », ou encore « Cimon, fils de Miltiade, prends Elpiniké et tire-toi ! ». Cimon a été en effet accusé, selon les rumeurs, de coucher avec sa sœur. Le comportement et les mœurs des élites, autant que leur action politique, sont ainsi contrôlés et stigmatisés par le peuple.

Sur le pétalisme, voir p. 148.

L’ostracisme existe aussi à Milet, à Argos, à Mégare et à Syracuse. Dans cette dernière cité, on utilise comme supports d’écriture des feuilles d’olivier, d’où le nom de pétalisme.

La démocratie, le gouvernement des ignorants ? On doit à un auteur anonyme un violent pamphlet contre la démocratie, appelé la Constitution des Athéniens. Rédigé dans le dernier quart du ve siècle, cet opuscule est attribué depuis la fin du xixe à un « Vieil Oligarque ». Certains historiens y voient cependant la plume de Critias, partisan de l’oligarchie et meneur des Trente tyrans. L’auteur de la Constitution des Athéniens argumente longuement sur la bêtise du peuple qui règne en démocratie. « C’est chez le peuple qu’on trouve le plus d’ignorance, de désordre, de méchanceté : la pauvreté les pousse à l’ignominie, ainsi que le manque d’éducation et l’ignorance qui, chez certains, naît de l’indigence » (I, 5). L’ignorance du peuple, le principe de majorité et le mode de désignation des ­magistrats, qui ferait fi des qualités et des compétences, sont au centre des critiques émises par les adversaires de la démocratie, comme le philosophe Socrate. Ce ­dernier, critiquant le tirage au sort, aurait affirmé que « c’est folie de choisir avec une fève les magistrats d’un État, tandis que personne ne voudrait employer un pilote désigné par une fève, ni un architecte, ni un joueur de flûte » (Xénophon, Mémorables, I, 2, 9).

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11 La démocratie athénienne à l’époque classique

Dans la même veine critique, Socrate déplore qu’on laisse les passagers d’un ­navire commander au détriment du capitaine, le seul à maîtriser l’art de la navigation. Au ve siècle, les oligarques ont réussi à renverser la démocratie à deux reprises, en 411‑410 et en 404‑403. Au ive siècle, l’opposition à la démocratie reste cantonnée aux cercles intellectuels, comme celui de l’Académie de Platon.

3. Les tribunaux ■■ L’Héliée :

le grand tribunal populaire L’Héliée est constituée de 6 000 Athéniens de plus de trente ans, tirés au sort à raison de 600 par tribu clisthénienne, tous les ans. À partir de 403, selon un ­système d’attribution aléatoire des procès grâce à une machine ­appelée ­klèrôtèrion, les jurés n’apprennent que le matin même les affaires qu’ils doivent juger : ainsi ils ne peuvent pas être corrompus par les prévenus. Le nombre ­d’héliastes retenus dans le vivier des 6 000 varie en fonction de la peine e­ ncourue et de l’importance de l’affaire, qui peut relever du droit privé comme du droit public. Les jurés tirés au sort sont répartis en tribunaux appelés dikastèria et siègent dans un bâtiment à l’emplacement encore non identifié, peut-être en bordure de l’Agora.

Un klèrôtèrion (Musée de l’Agora, Athènes).

L’absence de ministère public oblige les citoyens à s’impliquer en personne dans leurs procès : non seulement ils doivent initier eux-mêmes les actions en justice mais les plaignants prononcent ensuite en personne leurs discours devant le tribunal, pouvant être secondés par des témoins ou des co-plaidants (des « synégores »). Les plus riches citoyens font appel à des ­logographes pour rédiger leurs discours : Lysias, Isée ou encore Démosthène ont ainsi mis leur talent rhétorique au service de nombreux clients. Afin d’éviter un engorgement de plaintes diffamatoires, les Athéniens ont prévu que le plaignant, s’il n’emporte pas un certain nombre de suffrages, soit condamné à une lourde amende. Après avoir entendu les parties, les jurés votent avec des jetons en bronze : ces petits disques possèdent soit une tige creuse, pour la condamnation, soit une tige pleine, pour l’acquittement. On compte deux principaux types de procès : les causes privées (les dikai), où seule la partie lésée peut intenter une action, et les causes publiques (les graphai), où n’importe quel citoyen peut défendre l’intérêt commun. À Athènes, l’adultère (voir  p.  210), les mauvais traitements envers les parents, l’impiété ou la désertion sont considérés comme des atteintes aux intérêts de la cité et sont juridiquement traités par le biais de graphai.

Voir le cas de Socrate, p. 218.

Jetons de vote, c. 300 (Musée de l’Agora, Athènes).

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Partie 4 Politique, société et économie dans les cités grecques

« Et le plus agréable de tout, j’avais oublié : c’est quand je rentre à la maison avec mon indemnité (misthos), et qu’alors à mon arrivée tout le monde me fait risette à cause de l’argent, et que pour commencer, ma fille me lave et me parfume les pieds, et qu’elle se blottit contre moi en me baisicottant, en m’appelant papichon, et en essayant de me soutirer mes sous ; et que ma petite femme m’apporte avec des cajoleries une galette soufflée. […] Moi, ça me fait jubiler » (Philocléon dans Aristophane, Les Guêpes, v. 605-612, trad. V.-H. Debidour).

La création du premier misthos, une mesure démocratique décriée La première indemnité journalière, ou misthos, est instaurée par Périclès, entre 462 et 451. Cette mesure démocratique permet aux plus pauvres d’être dikaste (juré), tout en recevant une obole, une somme qui compense en partie une journée de travail. ­L’esprit de la mesure de Périclès est aussi de s’éloigner des pratiques de clientélisme. Aristote et Plutarque expliquent que Périclès, avec son misthos, ­s’oppose à son rival Cimon qui a l’habitude d’offrir des repas aux citoyens de son dème et qui laisse ses propriétés accessibles à tous. Le misthos gomme les liens personnels au profit d’une redistribution assurée par la cité. Le pouvoir de ces juges est mal perçu par les adversaires de la démocratie. ­L’Héliée est en effet vue comme la scène privilégiée d’une certaine lutte des classes, les ­citoyens pauvres ayant un pouvoir sur le destin de prévenus parfois fortunés. Dans la pièce Les Guêpes (422), Aristophane, volontiers conservateur, campe des juges ­obnubilés par la rétribution du misthos, augmenté à trois oboles par Cléon en 424. Le  fils de la comédie, Vomicléon, s’inquiète pour son père, du nom de ­Philocléon (« qui aime Cléon ») et qui est frappé de la maladie de juger.

Les juges athéniens doivent prêter un serment solennel, au début de leur mandat. Le texte est connu par Démosthène, dans son Contre Timocratès. Selon le serment, non seulement l’héliaste s’engage à protéger la démocratie et à ne recevoir aucun pot-de-vin, mais il jure de voter conformément aux lois et aux décrets du peuple des Athéniens et de la Boulè et d’écouter de la même oreille les deux parties. L’héliaste jure par Zeus, Poséidon, Déméter, et, par des imprécations, il appelle l’extermination sur lui et sa maison au cas où il enfreindrait l’un des termes du serment, mais toutes sortes de bienfaits s’il le respecte.

Justice et puissance divine Lors d’un procès, les plaignants peuvent se tourner vers les divinités. Les archéo­ logues ont ainsi retrouvé de nombreuses tablettes de malédiction, en plomb, ­appelées ­katadesmoi. Ces lamelles sont gravées et parfois enterrées dans le but d’empêcher un adversaire judiciaire de gagner en le « liant », c’est-à-dire en entravant sa parole, ainsi que ses faits et gestes. Par exemple, cette tablette judiciaire trouvée en Attique, contre un certain Phérénikos : Face A : Hermès Chthonien et Hékate Chthonienne Face B : « Faites que Phérénikos soit lié devant Hermès Chthonien et devant Hékate Chthonienne. Je lie la fille de Phérénikos, Galênê, à Hermès Chthonien et Hékate ­Chthonienne, je la lie aussi. Et juste comme ce plomb est sans valeur et froid, faites que cet homme et sa propriété soient sans valeur et froids, ainsi que ceux qui sont

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11 La démocratie athénienne à l’époque classique

avec lui et qui lui ont parlé et l’ont conseillé à mon sujet. Faites que Thersilochos, Oinophilos, Philôtios et ­ tous les autres partisans de Phérénikos soient liés devant Hermès Chthonien et Hékate Chthonienne. Que de même soient l’esprit et l’âme de Phérénikos, sa langue, ses projets, les choses qu’il fait ou les choses qu’il est en train de projeter à mon égard. Puisse chaque chose être contraire pour lui et pour ceux ­complotant et agissant avec… » (­traduction M. ­Martin, Magie et ­magiciens dans le monde grécoromain, Paris, 2005, p. 238).

Un katadesmos du ive siècle, Athènes, photo École Française d’Athènes (inv. 47913).

■■ L’Aréopage

et la réforme d’Éphialte L’Aréopage tire son nom de la colline d’Arès, située à l’ouest de l’Acropole et au sud de l’Agora : c’est là que se tiennent les réunions du conseil des Aréopagites. Il s’agit d’un tribunal constitué des seuls archontes sortis de charge, membres à vie ; il est donc fermé aux deux classes censitaires des plus modestes citoyens, les zeugites et les thètes.

Sur les classes censitaires à Athènes, voir p. 89.

Cette caractéristique aristocratique explique qu’Éphialte, un homme politique dont on sait peu de chose hormis son engagement démocratique fort, décide en 462/461 de s’attaquer aux prérogatives de ce conseil élitiste, bastion du traditionalisme et qui joue un rôle important dans la vie politique athénienne après les guerres médiques. Profitant de l’absence du démocrate modéré Cimon et de la frange aisée des soldats-citoyens, Éphialte fait voter par ­l’Assemblée athénienne le transfert des principales prérogatives de l’Aréopage aux instances démocratiques de la Boulè et de l’Héliée. Ces dernières s’occupent désormais du contrôle des magistrats, des procédures d’eisangélie, du respect de la constitution et de la plupart des actions judiciaires. L’Aréopage ainsi dépouillé ne conserve que le traitement de quelques procès privés et spécifiques : les procès pour homicide et blessure avec préméditation, les incendies criminels et les empoisonnements ayant entraîné la mort. La réforme d’Éphialte constitue un véritable tournant dans l’histoire de la démocratie athénienne, une révolution institutionnelle dont on peut mesurer l’effet à l’aune du destin d’Éphialte : il est assassiné très peu de temps après le vote de sa proposition. Dans l’Athènes classique, les assassinats politiques sont rares et liés à des contextes de soubresauts constitutionnels, comme les épisodes oligarchiques de 411‑410 et de 404‑403. 195

Partie 4 Politique, société et économie dans les cités grecques

La politique de démocratisation des institutions promue par Éphialte se poursuit en 457 lorsque l’archontat devient désormais accessible aux zeugites, qui peuvent ainsi rejoindre l’Aréopage.

4. Les magistratures Les magistratures sont pour la plupart annuelles et collégiales. Elles sont tantôt électives, tantôt tirées au sort. On ne peut exercer deux fois la même magistrature, sauf si elle est élective. Il est parfois demandé d’avoir une fortune minimale, comme pour l’archontat fermé à la seule classe des thètes à partir de 457, ou un âge minimal, souvent trente ans. Les magistrats sont étroitement contrôlés : ils subissent un examen d’entrée appelé docimasie et une reddition de compte à la fin de leur charge. Les principaux magistrats d’Athènes ont d’abord été les archontes, déjà présents dans l’Athènes archaïque, mais ces derniers sont supplantés à partir de 501 par les stratèges, élus par l’Assemblée. Les dix archontes sont élus jusqu’en 487, puis tirés au sort : –– l’archonte-éponyme donne son nom à l’année, instruit les affaires judiciaires en lien avec le droit de la famille et s’occupe des fêtes des Thargélies et des Grandes Dionysies ; –– l’archonte-roi est un des principaux dignitaires religieux de la cité : il organise les fêtes anciennes, comme les Anthestéries et les Lénéennes. Il instruit en outre les affaires d’impiété et préside l’Aréopage ; –– le polémarque, magistrat d’abord militaire, a perdu de son pouvoir au profit des stratèges et conserve des attributions religieuses et judiciaires : il organise les fêtes en lien avec les divinités guerrières et les hommages aux morts pour la patrie, et il instruit les affaires concernant les métèques, les étrangers résidant à Athènes ; –– on compte aussi six thesmothètes qui assurent un rôle judiciaire important (ils instruisent de nombreux procès) et qui examinent les lois ; –– un secrétaire des thesmothètes permet d’atteindre le chiffre de dix, dans le cadre des dix nouvelles tribus clisthéniennes.

Copie romaine du buste de « ­Périclès, fils de ­Xanthippe, Athénien  » (Rome).

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La stratégie, élective, associe d’abord le commandement militaire et la conduite des affaires politiques. Au ve siècle, les stratèges, en plus de commander les forces athéniennes, peuvent présider les séances de l’Héliée dès lors que le procès concerne la loi militaire ; ils assistent aussi aux séances de la Boulè. Leur rôle dans la gestion quotidienne de la démocratie est perceptible dans l’expression qui désigne, dans les sources grecques, ce que nous appelons « hommes politiques », à savoir rhètores kai stratègoi, « les orateurs et les stratèges ». Des hommes comme Thémistocle, Aristide, Cimon, Périclès, Cléon, Nicias et ­Alcibiade ont cumulé la charge de stratège (Périclès quinze fois entre 443 et 429) et celle d’orateur impliqué dans le débat et l’action politiques.

11 La démocratie athénienne à l’époque classique

Un changement net s’opère au ive siècle : les stratèges montent rarement à la tribune et les orateurs célèbres tels Démosthène, Démade ou Hypéride n’ont jamais revêtu la stratégie (cf. le tableau en annexe ci-après). On explique cette évolution par la spécialisation des techniques militaires comme de l’art oratoire qui demandent un investissement important des individus.

À RETENIR nnL’isonomie clisthénienne a posé les bases de la démocratie athénienne (508/507). nnLa réforme d’Éphialte est un tournant majeur dans la démocratisation des institu-

tions (462/461).

nnLes institutions principales de la démocratie athénienne sont l’Assemblée du

peuple, la Boulè et l’Héliée. Entre 462 et le début du ive  siècle, trois indemnités journalières, les misthoi, sont mises en place pour ces mêmes institutions.

nnL’ostracisme a été institué pour prévenir le retour de la tyrannie. C’est aussi un ins-

trument de contrôle des élites politiques par le peuple et un instrument d’éviction des adversaires politiques.

nnLes magistratures principales sont la stratégie et l’archontat. nnAu

ve siècle, l’opposition à l’idéologie et au régime démocratiques se concrétise dans la mise en place, à deux reprises, de gouvernements oligarchiques : les Quatre-Cents (411‑410) et les Trente (404‑403).

nnLa citoyenneté athénienne est composée de droits et de devoirs (politiques, éco-

nomiques, militaires et religieux) que seuls certains hommes exercent pleinement.

nnLa citoyenneté est conditionnelle et un(e) citoyen(ne) peut être frappé(e) d’atimie. nnLe métèque est un étranger résidant à Athènes dont le statut juridique est marqué

par une série de restrictions et d’interdits.

LES DATES ESSENTIELLES 508/507 : réformes de Clisthène 501/500 : les stratèges sont désormais élus à raison d’un par tribu 488/487 : premier ostracisme 487/486 : les archontes sont désormais tirés au sort 462/461 : réformes d’Éphialte Entre 462 et 451 : instauration du misthos de l’Héliée 451 : loi de Périclès sur la citoyenneté 457 : ouverture de l’archontat aux zeugites Entre 451 et 412 : instauration du misthos de la Boulè 417 : dernier ostracisme

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Partie 4 Politique, société et économie dans les cités grecques

411‑410 : oligarchie des Quatre-Cents 410/409 : instauration de la diobélie par Cléophon (autre hypothèse chronologique : instaurée par Périclès) 404‑403 : oligarchie des Trente tyrans Début ive : instauration du misthos de l’Assemblée 355 : instauration du théôrikon (autre hypothèse chronologique : instauré par Périclès) vers 350 : instauration des dikai emporikai

BIBLIOGRAPHIE V. Azoulay, Périclès. La démocratie athénienne à l’épreuve du grand homme, Paris, 2016 (nelle éd. 2020). V. Azoulay, Athènes. Citoyenneté et démocratie au v e siècle av. J.-C., La documentation française, 2016. M. H. Hansen, La démocratie athénienne à l’époque de Démosthène, Paris, 1993. P.  Ismard, La démocratie contre les experts. Les esclaves publics en Grèce ancienne, Paris, 2015. P. Ismard, La Cité et ses esclaves. Institution, fictions, expériences, Paris, 2019. S. Mansouri, Athènes vue par ses métèques, Paris, 2011. C. Mossé, Politique et société en Grèce ancienne. Le « modèle athénien », Paris, 1995. P. Schmitt, Hommes illustres. Mœurs et politique à Athènes au v e siècle, Paris, 2009. V. Sebillotte, « Ces citoyennes qui reconfigurent le politique. Trente ans de travaux sur l’Antiquité grecque », Clio, 43, 2016, p. 185‑215.

Annexe : Les principales figures politiques de l’Athènes classique Même si, selon les principes isonomiques et démocratiques de l’Athènes classique, le peuple souverain est l’élément-clé du régime, certaines figures politiques s’individualisent par leurs actions et leurs convictions. La teneur des oppositions politiques évolue au cours de l’époque classique. Si les premières générations d’orateurs s’affrontent sur le caractère plus ou moins démocratique du régime et la place du peuple dans les institutions, les questions m ­ ilitaires l’emportent pendant la guerre du Péloponnèse (431‑404). Les deux crises ­oligarchiques (411‑410 et 404‑403) ont aussi leurs acteurs et leurs ­opposants. Au ive siècle, le second empire d’Athènes et les alliances, la politique militarofinancière et la montée en puissance de la Macédoine occupent une grande partie des débats à l’Assemblée. 198

11 La démocratie athénienne à l’époque classique

Thémistocle (524‑459)

Il appartient à la famille des Lycomides par son père Néoklès. Archonte en 493/492, partisan de l’ouverture sur la mer, il pose les bases de la thalassocratie athénienne par la loi navale de 483, à l’origine de la construction de la puissante flotte d’Athènes. Cette « descente vers la mer » (Plutarque) permet aux plus pauvres citoyens, les thètes rameurs, d’avoir désormais un rôle majeur dans la cité. Sa politique maritime s’illustre aussi dans l’impulsion qu’il donne aux travaux d’aménagement et de fortification du Pirée. Stratège vainqueur à Salamine en 480 contre les Perses, il a pour adversaires politiques Aristide puis Cimon, tous deux partisans d’une démocratie modérée. Il est finalement ostracisé en 471 et s’exile auprès du roi perse Artaxerxès qui le nomme gouverneur de Magnésie du Méandre.

Aristide ( ?-467)

Aristide est dit « le Juste » et il est réputé pour sa modération et son intégrité. Stratège à Marathon en 490, archonte en 489/488, il a pour adversaire Thémistocle qui le fait ostraciser en 482. Rappelé à Athènes, il combat à Platées en 479 et organise, en 478/477, la ligue de Délos dont il fixe le premier tribut.

Cimon (510‑450)

Fils de Miltiade, le stratège vainqueur de Marathon, et d’Hégésipylé, fille du roi thrace Oloros, Cimon appartient à la famille des Philaïdes. Stratège en 478, il seconde Aristide dans l’organisation de la ligue de Délos puis mène les opérations de la flotte des alliés. En 477, il prend la forteresse perse d’Éion. En 475, il s’empare de l’île de Skyros et rapporte en grande pompe les ossements de Thésée à Athènes. En 469, il vainc les Perses à l’embouchure de l’Eurymédon. En 463, il mate la rébellion des Thasiens contre Athènes. C’est un artisan majeur de la mise en place et du maintien de l’empire athénien. Mais ses sympathies politiques vont vers Sparte ; incarnant un certain « parti aristocratique », il est partisan d’une démocratie modérée. S’il aide le peuple par sa générosité, il ne tient pas à ce que les citoyens pauvres aient une réelle place dans les institutions. En 462, il part avec un contingent armé aider les Spartiates en proie à une révolte servile. Renvoyé par les Spartiates, son expédition est un échec et il est ostracisé en 461 pour cet affront. Ses adversaires politiques, Éphialte et Périclès, ont profité de son absence pour démocratiser les institutions athéniennes. Rappelé par Périclès à Athènes, il mène une dernière expédition contre les Perses à Chypre, en 450, où il meurt.

Éphialte ( ?-461)

Éphialte est connu avant tout pour sa réforme du tribunal aristocratique de l’Aréopage, en 462/461. Avec le soutien de Périclès, il fait voter le transfert d’une grande partie des prérogatives de l’Aréopage à l’Assemblée, à la Boulè et à l’Héliée. Cette réforme donne un caractère radicalement démocratique aux institutions athéniennes. Il est assassiné en 461.

Périclès (495‑429)

Il a joué un rôle central dans l’Athènes classique, au point de donner son nom au ve siècle, dit « siècle de Périclès ». Il appartient par sa mère à l’illustre famille des Alcméonides et son grand-oncle n’est autre que Clisthène. Son père Xanthippe appartient à la famille des Bouzyges et a été stratège lors de la bataille du Cap Mycale, en 479. Ce double héritage de chef de guerre et de leader politique transparaît dans sa propre carrière de stratège, magistrature que Périclès exerce à quinze reprises entre 443 et 429, un signe de son immense popularité et de ses qualités d’orateur. Thucydide écrit ainsi de lui : « Sous le nom de démocratie, c’était en fait le premier citoyen qui gouvernait ». Périclès fait ses premiers pas dans la vie politique en étant chorège en 472, pour la pièce des Perses d’Eschyle. En 461, aux côtés d’Éphialte, il participe à la réforme du tribunal de l’Aréopage.

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Partie 4 Politique, société et économie dans les cités grecques

Périclès (495‑429) (suite)

Après l’assassinat d’Éphialte et l’ostracisme de son rival Cimon, Périclès devient l’homme incontournable du régime athénien qu’il modèle selon un principe d’ouverture aux plus humbles. Afin de permettre aux Athéniens de compenser en partie la perte d’une journée de travail, il crée le misthos, indemnité journalière d’abord versée aux jurés de l’Héliée. En 451, sa loi redessine les contours de la citoyenneté à laquelle seuls les individus nés de père et de mère athéniens peuvent désormais prétendre. Périclès maintient d’une main de fer l’empire athénien : en Eubée (446) comme à Samos (440), le stratège s’illustre par son intransigeance vis-à-vis des cités qui se révoltent contre Athènes. Grand orateur dont les détracteurs font un chef manipulateur de foules, Périclès a été un artisan majeur de la suprématie athénienne et du renforcement des institutions démocratiques. Mort du typhus en 429, Périclès n’a pas connu l’issue tragique de la guerre du Péloponnèse pour sa cité, un conflit dont l’origine profonde est l’impérialisme triomphant qu’il a porté à son apogée.

Thucydide d’Alopéké (500- ?)

Parent de Cimon, il est le principal adversaire de Périclès. Membre de la faction aristocratique d’Athènes, il fédère en effet ceux qui s’opposent à la place grandissante du peuple dans la cité. Périclès orchestre son ostracisme en 443. Il ne faut pas le confondre avec l’historien Thucydide d’Halimonte.

Cléon ( ?-422)

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Fils d’un riche tanneur d’Athènes, Cléon est l’homme politique qui s’impose après la mort de Périclès. N’appartenant pas à l’aristocratie terrienne traditionnelle, il se démarque sociologiquement de ses prédécesseurs politiques. En revanche, dans la lignée de Cimon et de Périclès, il se montre sans pitié avec les cités rebelles de la ligue de Délos, comme Mytilène de Lesbos, en 427. Partisan de la guerre à tout prix, il refuse les pourparlers avec Sparte après la victoire athénienne de Pylos en 425 et réussit, avec le stratège Démosthène, à neutraliser les hoplites spartiates à Sphactérie. Il fait voter l’augmentation du misthos des juges, le portant à 3 oboles. Adepte d’un style oratoire assez démonstratif à l’assemblée, il est la cible récurrente des comédies d’Aristophane, qui le dépeint en orateur démagogue et vociférant, cherchant à imposer sa politique extérieure agressive. Il meurt d’ailleurs en Thrace, au cours d’une expédition visant à protéger la colonie athénienne d’Amphipolis.

Nicias (470‑413)

Il provient d’une riche famille et sa fortune personnelle est proverbiale. Ses revenus, tirés en partie de l’exploitation des mines du Laurion, lui permettent de financer de nombreuses liturgies (voir p. 289), ce qui le rend populaire auprès des Athéniens. Il incarne le « parti de la paix » qui s’impose à la mort de Cléon : « la paix de Nicias » désigne ainsi les accords conclus entre Sparte et Athènes en 421. Il s’oppose ensuite aux ambitions hégémoniques du jeune Alcibiade, qui réussit à convaincre les Athéniens de chercher à étendre leur puissance jusqu’en Sicile. Stratège lors de cette expédition désastreuse qu’il désapprouve, Nicias est finalement exécuté par les Syracusains.

Alcibiade (450‑404)

Neveu de Périclès, Alcibiade appartient par sa mère aux Alcméonides. À la mort de son père, il est confié à la tutelle de Périclès et suit, dans sa jeunesse, les enseignements du philosophe Socrate. Entré en politique en 420, à trente ans, il initie une entente entre Athènes et Argos, au risque de fragiliser la paix de Nicias, qui devient son adversaire politique principal. Élu à la stratégie en 416/415, il réussit à convaincre ses concitoyens de voter l’expédition de Sicile dans le but d’étendre la puissance

11 La démocratie athénienne à l’époque classique

Alcibiade (450‑404) (suite)

athénienne à l’ouest. Compromis dans les affaires des sacrilèges de l’année 415 et accusé d’impiété, Alcibiade se réfugie finalement à Sparte, où il prodigue des conseils stratégiques contre sa propre patrie. Chassé par les Spartiates en 413, il séjourne d’abord auprès du satrape Tissapherne et attend en vain d’être rappelé à Athènes par les oligarques qui ont renversé la démocratie en 411. Il se tourne finalement vers le camp des démocrates stationnés à Samos et le rejoint, redevenant stratège et remportant avec la flotte athénienne les victoires d’Abydos et de Cyzique (411‑410). Il attend cependant 408 pour rentrer dans sa patrie, où il est accueilli triomphalement malgré ses multiples trahisons et condamnations antérieures. Après la défaite d’Athènes, il retourne auprès des Perses et meurt dans des circonstances troubles. Son parcours étonnant traduit un rapport ambigu avec le régime démocratique et les auteurs anciens insistent sur son ambition démesurée qui aurait guidé ses choix parfois contradictoires et opportunistes.

Théramène ( ?-404)

Partisan de l’oligarchie, il participe d’abord au gouvernement des  Quatre-Cents, qui a renversé la démocratie athénienne en 411. Il y apparaît comme un modéré, se méfiant des excès des oligarques extrémistes, et favorise la mise en place d’une assemblée restreinte de 5 000 citoyens issus de la classe hoplitique. Il négocie le traité de 404 avec Sparte, après la défaite d’Aigos Potamos, puis intègre le gouvernement des Trente tyrans qui ensanglante Athènes jusqu’en 403. Là encore, il entre en conflit avec les oligarques les plus virulents, au premier chef Critias. Sa modération lui coûte la vie et Critias l’oblige à boire la ciguë. Ses adversaires l’ont surnommé « cothurne », du nom d’une chaussure assez large pour être portée à l’un ou à l’autre pied, signifiant par là que Théramène n’était pas un adepte des extrêmes, ni démocratiques, ni oligarchiques, et qu’il était opportuniste.

Critias (460‑403)

Poète et homme politique, Critias incarne le courant anti-démocratique. Oncle de Platon, élève de Socrate, c’est aussi un  sophiste dont les fragments conservés témoignent d’une opinion hétérodoxe sur l’origine des dieux : ils seraient une création humaine destinée à empêcher les mauvais individus de mal agir en cachette. Farouche opposant au régime démocratique qu’il considère comme « néfaste » selon Xénophon, il admire la constitution spartiate à laquelle il a consacré une étude. Il est le leader de l’oligarchie des Trente, en 404‑403, et sa cruauté lui vaut l’hostilité grandissante de Théramène, qu’il n’hésite pas à condamner à mort. Critias lui-même meurt en 403, lors des affrontements entre démocrates et oligarques à la bataille de Mounychie.

Thrasybule ( ?-389)

Démocrate convaincu, Thrasybule participe à deux reprises à la restauration du régime démocratique renversé par les oligarques. En 411‑410, il prend part au soulèvement des soldats et des marins stationnés à Samos, qui se révoltent contre les Quatre-Cents d’Athènes. Élu stratège, il fait rappeler Alcibiade et remporte avec lui la victoire navale de Cyzique, créant un contexte favorable à la restauration de la démocratie. En 404, après la défaite athénienne, les Spartiates favorisent l’installation de l’oligarchie des Trente. Thrasybule, une fois encore, organise la résistance démocratique depuis Thèbes. Avec ses soldats, il s’empare de la forteresse de Phylè puis du port du Pirée et vient à bout des oligarques. La démocratie est restaurée en 403. Souhaitant renouer avec le passé puissant et impérialiste de sa cité, il tente, en 390, de rallier plus ou moins par la force plusieurs cités

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Partie 4 Politique, société et économie dans les cités grecques

Thrasybule ( ?-389) (suite)

Conon (444‑390)

Aristophon (435‑335)

Général athénien, il est stratège pendant la guerre du Péloponnèse. Ses troupes sont assiégées par les Spartiates à Mytilène en 406 et l’opération de secours envoyée par Athènes donne lieu à la bataille des Arginuses. Après Aigos-Potamos, il rejoint Chypre puis se retrouve à la tête d’une flotte perse qui l’emporte contre les Spartiates en 394, à Cnide. Il revient à Athènes en 393, avec de nombreux mercenaires et des finances suffisantes pour permettre la réédification des Longs Murs détruits par les Spartiates. Sa popularité lui vaut une statue honorifique sur l’Agora, dont l’édification est proposée par l’assemblée des Athéniens afin de le remercier pour ses bienfaits. Les Perses, en revanche, se méfient du redressement d’Athènes qu’il incarne désormais et le convoquent à Sardes. Il s’enfuit alors et meurt à Chypre en 390. Homme politique dont la carrière couvre les années 403‑340. Les sources évoquent notamment ses contentieux avec Callistratos, à propos des rapports avec Thèbes, puis avec Eubule, à propos des affaires financières de la cité athénienne. Il aurait été accusé à 75 reprises de proposition illégale (graphè paranomôn), et aurait été acquitté à chaque fois. On lui attribue la réactivation de la loi de Périclès sur la citoyenneté et la double filiation, en 403.

Iphicrate (415‑354)

Grand stratège de la première moitié du ive siècle, il participe à la bataille de Cnide en 394 et est un proche de Conon. Il apporte des innovations à l’armée en donnant davantage de place aux peltastes de l’infanterie légère, désormais chaussés de sandales appelées « iphicratides » et maniant un bouclier plus petit que l’hoplon. Ses troupes sont composées de mercenaires formés à la guérilla, une évolution qui marque les armées du ive siècle et qui se développe à l’époque hellénistique. Tout en servant sa cité, Athènes, il guerroie aussi avec son armée pour des puissances étrangères, comme le roi de Thrace Cotys dont il épouse la fille. Avec le général Timothée, il est un des principaux artisans du redressement militaire d’Athènes jusqu’à la défaite athénienne d’Embata, en 356/355. À la suite de cet échec, il est poursuivi dans le cadre d’une eisangélie (procès pour haute trahison) et est acquitté.

Callistratos (410‑355)

Il est le neveu d’Agyrrhios, homme politique qui a institué au début du ive siècle le misthos de l’Assemblée. Il est lui-même connu pour ses réformes financières, notamment la création des symmories, groupements des contribuables redevables de l’eisphora, l’un des principaux impôts d’Athènes (voir p. 288). Il aurait aussi mis en place la caisse militaire, le stratiotikôn. Stratège à plusieurs reprises, il prône d’abord une politique hostile envers Sparte puis, après Leuctres (371), envers Thèbes dont il se méfie. À Athènes, il est alors en proie aux attaques du « parti thébain », au point d’être condamné à mort en 361. Il trouve refuge en Macédoine et met ses compétences techniques au service du roi Perdiccas III dont il réorganise les finances.

Timothée (ive siècle)

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au nord de la mer Égée et dans la région des Détroits. Il y impose des taxes et des prélèvements, dans l’idée de reconstituer la flotte d’antan. Mais, en 389, les habitants d’Aspendos, en Pamphylie (au sud de l’Asie Mineure), l’assassinent dans sa tente.

Fils de Conon, stratège en 378, il développe la seconde confédération maritime d’Athènes. Tout comme Iphicrate, il est à la tête d’une armée de mercenaires avec laquelle il mène parfois des opérations indépendantes d’Athènes, ce qui lui vaut l’hostilité récurrente de certains orateurs. Il combat notamment en Égypte pour le compte du Grand Roi perse. En 356/355, il commande avec Iphicrate la flotte

11 La démocratie athénienne à l’époque classique

Timothée (ive siècle) (suite)

athénienne défaite à Embata par des alliés coalisés contre le nouvel impérialisme athénien. Il écope, pour cet échec, d’une très lourde amende et quitte Athènes pour Chalcis.

Eubule (405‑335)

Eubule apparaît dans l’arène politique au lendemain de la défaite d’Embata qui scelle la fin de la seconde hégémonie athénienne, en 355. Désormais, Athènes doit composer sans les ressources liées à l’empire. Eubule propose alors, pendant une dizaine d’années, une politique pacifiste dont la finalité est de redresser les finances d’Athènes. Les principes directeurs de son programme sont les suivants. Renoncer à l’hégémonie athénienne et faire cesser les expéditions militaires hasardeuses, dont le poids financier pèse notamment sur les plus riches ; attirer et maintenir à Athènes marchands, étrangers et métèques, qui versent à la cité diverses taxes ; relancer les activités des mines du Laurion. Eubule fait en outre passer une loi versant les excédents des revenus de la cité à la caisse du théôrikon, une allocation versée aux citoyens afin d’assister aux représentations dramatiques. La question se pose du lien entre la politique d’Eubule et le traité de Xénophon, Les Revenus, qui examine les moyens d’accroître les finances de la cité sans avoir recours à l’empire. La politique pacifiste d’Eubule porte ses fruits mais, à partir de 346, il finit par se heurter au « parti » devenu majoritaire, celui de la guerre. Cette mouvance est menée par Démosthène, au moment où Philippe de Macédoine menace les cités grecques.

Démosthène (384‑322)

Fils d’un riche propriétaire d’une fabrique de couteaux et de lits, Démosthène est d’abord connu des Athéniens par ses affaires familiales. À sa majorité, il intente en effet un procès à ses anciens tuteurs qui l’ont dépouillé de sa fortune. Il devient alors logographe (rédacteur de discours) au service de riches Athéniens qui ont besoin d’une défense lors de procès. Parallèlement à son métier de logographe, il mène une carrière politique où prédomine la question macédonienne, comme l’illustrent ses discours, les Philippiques, les Olynthiennes ou Sur les affaires de Chersonèse. Partisan d’un effort de guerre accru contre Philippe de Macédoine, qu’il considère comme une grave menace contre la démocratie et la liberté, Démosthène est en proie aux critiques des plus riches astreints à la triérarchie et à l’eisphora et des plus pauvres qui comptent sur le théôrikon, l’indemnité versée lors des fêtes de Dionysos. En effet, Démosthène préconise de réattribuer l’argent du fonds des spectacles aux dépenses militaires. Ce faisant, il rencontre aussi l’hostilité de l’entourage d’Eubule, notamment Eschine. Après la défaite de Chéronée (338), Démosthène demeure un homme politique important à Athènes. Mais sa complicité dans l’accueil du trésorier d’Alexandre, Harpale, coupable de détournement (voir p. 168), lui vaut une condamnation à l’exil, en 323. Après un bref retour à Athènes, quelques mois plus tard, il participe au soulèvement des Grecs à l’annonce de la mort d’Alexandre. Mais ce sursaut est un échec et il est condamné à mort. Afin de ne pas être rattrapé par le général macédonien Antipatros, il se suicide.

Eschine (397‑322)

Orateur athénien et principal adversaire de Démosthène, Eschine participe en 346 à l’ambassade envoyée auprès de Philippe de Macédoine, avec Démosthène et Philocratès. De retour à Athènes, il est accusé par Démosthène d’avoir pris le parti de Philippe et d’avoir été corrompu ; à l’issue de son procès, en 343, il est acquitté de justesse. Ami d’Eubule, il prône une politique d’entente avec Philippe plutôt que d’opposition frontale passant par d’onéreuses expéditions. Eschine s’en prend à Démosthène et à son entourage, dans son Contre

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Partie 4 Politique, société et économie dans les cités grecques

Eschine (397‑322) (suite)

Lycurgue (390‑324)

Hypéride (389‑322)

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Timarque (345) et dans son Contre Ctésiphon (330). Vers 330, un nouveau procès initié par Démosthène lui vaut une lourde amende. Il rejoint alors Rhodes où il enseigne la rhétorique jusqu’à sa mort. Homme politique actif entre 338 et 325, Lycurgue est à l’initiative de réformes dans de nombreux domaines au lendemain de la défaite de Chéronée. Luttant contre la corruption, il assainit les finances d’Athènes. Il réorganise en outre le service militaire, l’éphébie, qui devient gratuite (voir p. 220) et fait entreprendre de nombreux travaux (chantiers navals, arsenaux, théâtre de Dionysos). Il fait aussi fixer les textes des grandes tragédies d’Eschyle, de Sophocle et d’Euripide. Patriote et anti-macédonien, on lui doit un discours, le Contre Léocrate, où il met en accusation Léocrate pour avoir abandonné sa cité après la défaite de Chéronée. Orateur et logographe, Hypéride est un homme politique important de l’après-Chéronée. Au lendemain de la défaite, où 1 000 Athéniens sont morts et 2 000 faits prisonniers, il propose d’octroyer la citoyenneté aux métèques et d’affranchir des esclaves pour pallier le déficit militaire de sa cité. Cette proposition lui vaut une graphè paranomôn. Il partage avec Démosthène une position fondamentalement anti-macédonienne. Mais, dans l’affaire d’Harpale (324‑323), il prononce un violent discours contre Démosthène accusé d’avoir récupéré une partie du trésor soustrait à Alexandre (voir p. 168). Après la mort d’Alexandre, Hypéride fait revenir Démosthène à Athènes afin d’organiser le soulèvement anti-macédonien. À l’issue de l’échec de la révolte, il est exécuté.

CHAPITRE

12 PLAN DU CHAPITRE I. Unions et désunions dans l’Athènes classique II. Légitimité et citoyenneté : un long processus de reconnaissance III. La formation des futurs citoyens Sur le génos des Étéoboutades ou des Eumolpides, voir p. 256.

Famille, sexualité et éducation dans l’Athènes classique Le terme « famille » n’a pas d’équivalent en grec ancien. Dans l’Athènes classique, cité la mieux documentée pour l’étude de la famille et de la parenté, les sources évoquent ainsi : –– l’oikos : la maison ou maisonnée, unité de production et de consommation, qui regroupe parents, enfants et esclaves ; –– le génos : le terme désigne une « grande famille » qui cumule pouvoir, richesse et influence (comme les Alcméonides), mais aussi un ensemble d’oikoi qui monopolisent des prêtrises héréditaires ; –– la syngeneia : l’ensemble des parents qui partagent un lien de sang ; –– l’anchisteia : la parenté juridique d’un Athénien et d’une Athénienne. L’anchisteia regroupe tous les parents féminins et masculins jusqu’au 5e degré, c’est-à-dire jusqu’aux enfants de cousins. C’est la parenté des droits et des devoirs : l’Athénien en hérite mais il doit aussi faire preuve de solidarité envers ces parents dictés par la loi (devoir de sépulture, entretien alimentaire ou encore tutelle). Les citoyens appartiennent aussi à des groupes civiques où le lien familial est bien présent : –– la phratrie, groupe associatif et parental qui se construit autour d’un ancêtre commun fictif. Les « phratères » se considèrent comme des « frères » même s’ils ne partagent pas forcément de réels liens de parenté. Le fils est cependant inscrit dans la phratrie de son père. À Athènes, les phratries honorent toutes Apollon Patrôos (« Ancestral »), Zeus Phratrios et Athéna Phratria ;

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Partie 4 Politique, société et économie dans les cités grecques

–– le dème, unité civique et territoriale où les fils sont inscrits sur les mêmes registres que leurs pères, donc selon une logique patrilinéaire. Les Athéniens évoluent ainsi dans différents groupes familiaux où le maître-mot est la légitimité de naissance. En effet, le mariage a un but clairement affiché, celui de produire des enfants légitimes qui peuvent non seulement hériter de leur famille mais être aussi citoyens. La fabrique d’un héritiercitoyen est un long processus qui commence dès le mariage des parents.

I. Unions et désunions dans l’Athènes classique D’après un fragment de l’auteur comique Ménandre (fr. 720), les paroles rituelles qui scellent le contrat sont les suivantes : « Je te la donne en vue du labour d’enfants légitimes », dit le père de la femme. Le futur époux répond « Je l’accepte » et le parent donneur remet la mariée et la dot au preneur.

Si l’engyè désigne la partie formelle et contractuelle du mariage, le gamos désigne davantage les rites au cœur de la cérémonie (voir p. 259 sur les rituels autour du mariage).

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1. Le mariage La finalité première du mariage est de donner naissance à des enfants légitimes appelés gnèsioi. Cet objectif organise en grande partie le domaine conjugal : de nombreux rituels autour du mariage sont liés à la fertilité, les épouses doivent une fidélité sans faille à leurs époux et l’adultère est sévèrement réprimé. ■■ L’engyè :

un contrat entre deux hommes Dans la loi athénienne, un mariage valide doit passer par l’engyè, qu’on traduit par « paumée » car les contractants se serrent la main à l’issue de l’échange. L’engyè est l’accord passé entre deux hommes, le futur mari et le père, le frère ou le parent masculin le plus proche de la future épouse. Pour la femme, le mariage est un transfert de tutelle : avant d’être mariée, son kurios, « tuteur », est son père ou son frère. Puis elle passe sous la kureia, « tutelle », de son époux. Le terme ekdosis, la « dation », désigne aussi le passage de la femme de la maison de son père à celle de son mari. Il est indispensable d’effectuer l’engyè en présence de témoins. Afin de donner une légitimité complète à l’union, le nouvel époux doit, l’année qui suit son mariage, offrir aux membres de sa phratrie un « repas de noces », nommé dans les plaidoyers gamèlia. La dot peut être constituée de vêtements, bijoux, meubles, argent, esclaves, voire de bâtiments et de terres : son montant dépend du niveau de fortune des familles. La dot d’une fille peut être envisagée comme une avance sur héritage mais elle ne lui appartient pas en propre. La dot est gérée par le mari, puis par le fils et, en cas de divorce, la dot revient dans la famille paternelle de la jeune fille. Elle est en outre inférieure de moitié à la part des frères de la jeune fille et, à la mort de son père, la femme mariée et dotée n’a plus aucun droit sur le patrimoine. Si la dot n’est pas en soi obligatoire, elle prouve la validité du mariage.

12 Famille, sexualité et éducation dans l’Athènes classique

Cortège nuptial. Dessin de FL d’après une pyxide, 460 (Louvre, Paris).

Dans les plaidoyers attiques du ive siècle, l’absence de dot est un argument brandi pour décrédibiliser le statut de la femme épousée, la légitimité de l’union et, par ricochet, la légitimité des enfants du couple. Une femme sans dot est soupçonnée d’être une concubine trop pauvre pour avoir été épousée en bonne et due forme.

Pandora, le fléau de la première épouse Dans Les Travaux et les Jours et la Théo­gonie, le poète Hésiode (début du viie siècle) développe le mythe de la création de la première épouse par les dieux, Pandora. Envoyée chez les Mortels comme vengeance contre les ruses du héros Prométhée, qui a tenté de berner Zeus et qui a volé le feu pour les hommes, Pandora est à l’origine de « la race maudite des femmes ». Pandora, ce « beau mal », marque désormais le sort des ­humains : obligés de se marier s’ils veulent une descendance à qui transmettre leur patrimoine et qui assurera leurs vieux jours, les hommes doivent cohabiter avec les femmes. Chez Hésiode, les épouses sont des parasites-frelons qui épuisent les ­maris-abeilles par leur appétit vorace, autant sexuel qu’alimentaire. Cette vision ­misogyne de la place des épouses dans l’oikos est partagée par le poète Simonide La création de Pandora par les dieux. Détail d’un cratère attique, d’Amorgos, dans son œuvre Sur les femmes 450 (­British Museum, Londres). (viie siècle).

L’union scellée peut être dissoute par la procédure de divorce selon trois modalités. Un père peut retirer sa fille à son gendre s’il ne donne pas satisfaction. Une épouse peut théoriquement demander le divorce mais les exemples sont rares : l’orateur Andocide rapporte le cas de l’épouse d’Alcibiade, exaspérée 207

Partie 4 Politique, société et économie dans les cités grecques

par les débauches de son mari qui ramène dans la maison conjugale de nombreuses courtisanes. Un mari peut répudier sa femme pour plusieurs raisons : la stérilité, un soupçon d’adultère ou encore un mariage économiquement plus intéressant. C’est notamment le cas lorsqu’apparaît dans l’anchisteia d’un homme une fille épiclère. Il s’agit là d’une pratique matrimoniale qu’on qualifie d’« endogamique », qui caractérise les unions à l’intérieur d’un groupe.

Dans le droit athénien, une épiclère est une fille qui, à la mort de son père, n’a pas de frère ni encore de fils. Afin que le patrimoine ne sorte pas de la famille, elle doit être épousée par le parent paternel le plus proche, son oncle ou son cousin. Ces derniers, s’ils sont déjà mariés, peuvent préférer divorcer si le patrimoine est intéressant. À Athènes, les épiclères peuvent être épousées à partir de l’âge de quatorze ans : l’âge précoce de beaucoup d’épouses est un trait caractéristique de la famille grecque. ■■ L’âge

Voir aussi p. 180 sur la dissymétrie politique et  judiciaire entre hommes et femmes.

« Elle n’avait pas encore quinze ans quand elle est venue chez moi ; jusque-là elle vivait sous une stricte surveillance, elle devait voir le moins de choses possible, en entendre le moins possible, poser le moins de questions possible », Xénophon, Économique, VII, 4. Voir aussi p. 275 sur les rapports entre hommes et femmes dans l’Économique de Xénophon.

des époux L’étude du mariage révèle à quel point l’Athènes classique est une société structurée par la domination masculine. En effet, outre le transfert de tutelle qu’entraîne le mariage, l’écart d’âge entre les époux apporte un autre élément de dissymétrie. Aristote, dans les Politiques, préconise une différence d’âge de quinze à vingt ans entre les femmes et les hommes, ces derniers attendant la trentaine pour se marier. Pour Aristote, dans une perspective eugéniste, les partenaires doivent se reproduire au moment où leur métabolisme est optimal afin d’engendrer des enfants de qualité. Dans l’Économique de Xénophon, l’épouse d’Ischomaque qu’il met en scène n’a même pas quinze ans lorsqu’elle arrive chez son époux. Outre l’espoir des maris d’exercer plus facilement leur autorité sur des femmes encore jeunes et ignorantes, les historiens contemporains avancent une autre raison à la différence d’âge des époux : comme les petites filles sont davantage exposées que les garçons à la naissance, il y aurait un déficit structurel de filles que seul un décalage de l’âge au mariage pourrait neutraliser.

La langue grecque reflète enfin les étapes de la vie qui diffèrent pour les filles et les garçons. Du côté des filles, on isole la parthénos (« vierge »), puis la gunè (l’épouse, appelée aussi damar). Du côté des hommes, on trouve trois étapes : l’impubère (anèbos), le pubère (éphèbos ou néaniskos) et l’homme (l’anêr mature). En somme, il n’y a guère d’adolescence pour les filles qui passent directement de l’enfance au statut d’épouse-mère. Car, une fois encore, se marier signifie engendrer et le processus biologique de l’enfantement a largement intéressé les différents savants de l’époque classique.

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12 Famille, sexualité et éducation dans l’Athènes classique

■■ Le

drame des unions stériles La finalité du mariage étant la production d’enfants, les femmes qui ­n’enfantent pas peuvent être répudiées. Le Corpus hippocratique a abondamment traité de la stérilité des femmes : la responsabilité en incombe à leur matrice « ­gyrovague », c’est-à-dire un utérus nomade à ­l’intérieur du corps dont les médecins de l’époque ont une vision assez particulière mais néanmoins élaborée (voir l’encadré ci-dessous). La matrice est parfois trop humide, trop lisse, mal orientée ou obstruée, et elle ne s’acquitte pas bien de sa tâche, celle de retenir le sperme. Les Une femme jetant des graines ou des gouttes médecins ne sont pas à cours d’idées d’eau sur quatre phallus. Détail d’une pélikè pour remédier à l’incapacité féminine attique, 440 (British Museum, Londres). d’enfanter et prescrivent divers ovules, onguents, breuvages et fumigations. Outre le recours à des soins et à de la pharmacopée, les femmes et les couples considérés comme stériles sollicitent abondamment les divinités. Le sanctuaire d’Épidaure accueille des femmes en mal d’enfants qui, après avoir accouché, remercient le dieu par des offrandes.

Dans les plaidoyers judiciaires du ive siècle, la question de la stérilité des unions laisse la place au motif récurrent de la « maison vide » sans descendant, l’oikos erèmos. La solution la plus fréquente pour remédier aux maisons sans descendant est l’adoption. Mais là encore, le procédé est inégalitaire : seuls les hommes peuvent adopter et les femmes sans enfant n’ont pas de recours possible à la fabrique sociale d’un enfant.

Le corps féminin et le corps masculin dans les théories de la reproduction À l’époque classique, trois théories médicales coexistent et proposent chacune une explication sur l’origine des semences : – certains savants donnent au sang un rôle fondateur dans le processus procréatif : Aristote est un de ces partisans dits de « l’hématogenèse ». Selon Aristote, la nourriture ingérée par le corps connaît plusieurs cuissons, appelées « coctions », dont la forme finale est le sang. Le corps masculin, de nature chaude, permet une coction parfaite : l’écume du sang bien chauffé constitue le sperme. Dans le corps de la femme, de nature plus froide, le sang est imparfaitement chauffé : il n’en résulte que le sang des règles. Seul le père produit donc la semence nécessaire à la formation de l’embryon.

Voir la biographie d’Hippocrate, p. 304.

« Préparer en les mélangeant myrrhe en gouttes, beurre, crème d’oie, moelle de cerf, résine et huile d’amandes amères » (Hippocrate, Femmes stériles, IX, 3). « Andromaque d’Épire, en mal d’enfant. Cette femme s’endormit dans l’abaton et eut une vision. Il lui sembla qu’un très beau garçon lui ôtait ses vêtements, et que le dieu lui caressait la main. À la suite de cela, Andromaque eut un fils d’Arybbas », IG IV2 1, 122, XXXI (ive siècle). Sur  le sanctuaire d’Épidaure, voir p. 266.

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Partie 4 Politique, société et économie dans les cités grecques

La mère n’a alors qu’un rôle « topique » (du grec topos, le lieu) : elle reçoit la semence paternelle et l’abrite ; –  pour l’école « encéphalo-myélogénétique », à laquelle appartient Platon, la semence est une « goutte de cerveau » ; – enfin, selon la médecine hippocratique, la semence est produite par toutes les parties du corps : on parle alors de « pangenèse ». Chez Hippocrate, la mère et le père émettent chacun une semence, qui peut être mâle ou femelle. D’une façon générale, les théories embryologiques valorisent le masculin, vecteur de valeurs jugées positives, comme la force, la chaleur, la vitesse et la droite. La gauche est liée au féminin, qui est aussi froid, lent et faible.

2. La répression de l’adultère et la surveillance des épouses ■■ La

répression de l’adultère Lorsqu’un Athénien a des relations sexuelles avec une Athénienne qui est l’épouse d’un autre citoyen, il est coupable d’adultère, connu par les sources sous le terme moicheia. L’adultère risque de faire naître des enfants illégitimes ; afin d’éviter leur prolifération, la cité athénienne a prévu un arsenal législatif pour dissuader et condamner les amants illégaux.

Voir p. 193 sur la graphè.

Le plaidoyer Sur le meurtre d’Ératosthène de Lysias rapporte l’assassinat d’un amant par un mari trompé. Ce dernier explique que son épouse a été « aperçue » par son futur amant Ératosthène alors qu’elle participait aux funérailles de sa belle-mère.

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Il existe ainsi une procédure publique, une graphè moicheias, que tout citoyen athénien peut intenter contre un congénère qu’il soupçonne de séduire une femme qui n’est pas la sienne. S’il est condamné, il encourt l’atimie (la perte des droits civiques) ou une lourde amende. En outre, le droit athénien permet à un mari trompé de mettre à mort l’amant de sa femme s’il le prend en flagrant délit d’adultère : ce meurtre n’est pas passible de poursuite. C’est le cœur du plaidoyer de Lysias, Sur le meurtre d’Ératosthène. Ce même mari trompé peut aussi choisir d’épargner la vie de l’amant et de lui faire subir une série de tortures humiliantes, à savoir, selon ­Aristophane, l’épilation du pubis à la cendre chaude et la sodomie à l’aide d’un raifort (pratique appelée la rhaphanidosis). Quant à la femme adultère, elle doit être répudiée et le mari qui ne divorce pas encourt lui-même l’atimie. La femme adultère n’a en outre plus le droit de paraître dans les cérémonies du culte public, selon les propos d’Apollodore dans son Contre Nééra. C’est une forme d’atimie cultuelle, dans la mesure où la religion est un domaine où les femmes ont un rôle civique important, avec la maternité.

12 Famille, sexualité et éducation dans l’Athènes classique

■■ Des

épouses sous contrôle ? Les Athéniens surveillent leurs épouses et leurs filles et redoutent leurs sorties, surtout depuis la loi de 451 qui rend l’Athénienne indispensable à la transmission citoyenne. La séparation entre les femmes de l’oikos et les hommes de l’extérieur ainsi que le contrôle des allées et venues des individus sont assurés par l’architecture des maisons qui comprennent une entrée unique et une cour, voire deux cours à partir du ive siècle.

Lorsqu’il est identifiable par l’archéologie comme à Olynthe, l’andrôn, pièce destinée à la sociabilité masculine du banquet, est souvent isolé dans l’oikos et accessible sans passer par les autres pièces. D’après la documentation épigraphique, l’andrôn peut aussi être situé à quelques mètres de l’oikos, comme à Amphipolis. Les hommes qui viennent banqueter avec le maître de maison ne sont pas censés croiser les filles et les femmes de l’oikos. L’état de semi-réclusion des épouses est ainsi résumé par A.-M. Vérilhac et C. Vial : « les sorties des femmes étaient codifiées par la coutume. Elles ne pouvaient visiter que certains lieux définis, sanctuaires, maisons de parents ou d’amies, bains, quelques boutiques. Elles ne pouvaient quitter leur demeure la nuit (sauf si une fête comportait une “veillée”, une pannychis). Elles ne pouvaient sortir sans être accompagnées (sauf les femmes qui travaillent, voir p. 276). Une femme qui aurait osé paraître sur l’agora, flâner dans la rue, se risquer dehors seule aurait suscité surprise et critiques. Et son mari aurait eu à en rougir ». La documentation littéraire (Lysias, Xénophon, Ménandre) évoque parfois un espace féminin, le gynaikônitis, qui est notamment dévolu au travail de la laine et à l’éducation des jeunes enfants. Cet espace est mobile et peut se fixer momentanément dans différents endroits de l’oikos : dans la plupart des maisons, de taille modeste, l’usage des pièces varie en fonction des moments de la journée ou des saisons.

3. Concubinat et prostitution S’il est exigé des épouses une fidélité sans faille, les époux peuvent, eux, profiter d’un spectre de relations assez large en dehors de leur oikos. La restriction majeure est, comme on vient de le voir, de ne pas courtiser l’épouse, la fille ou la sœur d’un concitoyen, afin de ne pas risquer d’engendrer une descendance illégitime et de voler à un concitoyen la paternité de ses enfants.

Une femme et un petit enfant. Dessin de FL d’après une coupe attique, 460 (Bruxelles).

« Mais voyons, si nous (les femmes) sommes un fléau, pourquoi nous épousez-vous ? (…) et ne nous permettezvous ni de sortir, ni d’être prises à pencher la tête dehors, et mettez-vous ainsi tant d’empressement à vouloir garder le fléau ? Votre petite femme vientelle à sortir quelque part, et que vous la trouviez absente, vous voilà fous de fureur, alors que vous devriez faire des libations et vous réjouir » (Aristophane, Thesmophories, v. 788‑794).

« Nous avons des courtisanes (hetairai) pour notre plaisir, des concubines (pallakes) pour le soin quotidien du corps, des épouses (gunaikes) pour avoir une descendance légitime et une gardienne fidèle de la maison » (Apollodore, Contre Nééra, 122). 211

Partie 4 Politique, société et économie dans les cités grecques

■■ Les

Sur les statuts à la naissance, voir p. 214.

concubines Dans les sources athéniennes classiques, la pallakè est une concubine, une femme qui entretient une relation suivie avec un homme sans être mariée avec lui. Si des enfants naissent de cette « union libre », ils ne sont ni citoyens ni héritiers de leurs pères, en l’absence d’un mariage en bonne et due forme des parents : ce sont des nothoi, terme parfois traduit par « bâtards ». ■■ La

prostitution : un secteur organisé et hiérarchisé Les citoyens peuvent aussi avoir recours à des prostitué(e)s qui sont très majori­ tairement de statut servile. Selon le poète comique Philémon (v. 360-v. 262), Solon aurait organisé le secteur de la prostitution, très lucratif pour la cité athénienne qui taxe les maisons closes de l’impôt du pornikon.

Voir le plan d’Athènes dans l’atlas final.

Poids de métier à tisser (Musée de l’Agora, Athènes).

Deux lieux drainent les flux de clients : au nord d’Athènes, le quartier du Céramique, à la porte du Dipylon, avec son cimetière et ses jardins, et le port du Pirée. Le poète comique Xénarchos (fin ive) décrit ainsi l’offre proposée : « Il y a ici, dans les bordels, de très mignonnes petites, qu’on peut voir se chauffer au soleil, la poitrine découverte, nues, rangées en ligne au coude à coude. On peut choisir celle qui plaît, mince, grasse, rondelette, longue, trapue, jeune, vieille, moyenne, un peu mûre, sans avoir à dresser l’échelle pour pouvoir s’introduire chez elle en secret, ni à se glisser sous le toit par le trou de fumée, ni à se faire introduire par ruse dans des bottes de paille » (Athénée, Deipnosophistes, XIII, 569 b-c). Dans le Céramique, les fouilles récentes ont révélé les vestiges d’un bâtiment, dit « Z », qui, de jour, accueillerait des jeunes filles occupées à ­travailler la laine et, de nuit, se transformerait en lupanar, les esclaves cumulant ainsi deux métiers et les propriétaires rentabilisant leur investissement immobilier. Il n’est pas honteux de tirer sa fortune du commerce du sexe. Un des plaidoyers d’Isée met en scène Euktémon, un riche citoyen athénien, marié et père de cinq enfants et qui vit confortablement grâce aux revenus de deux maisons de passe gérées par des esclaves et des affranchies. Globalement, ­l’organisation du travail dans le secteur de la prostitution associe un proxénète (un ­pornoboskos), une tenancière parfois affranchie et des esclaves, et le système fonctionne par promotion interne.

Scène de banquet. Médaillon d’une coupe attique, 490 (Getty Museum, Los Angeles).

Parmi les professionnelles les plus prisées, on trouve les aulétrides, les joueuses d’aulos, double flûte dont le son accompagne les banquets. Les Athéniens ont légiféré sur le montant qu’elles peuvent demander en échange de leurs services : Aristote affirme que dix magistrats (les astynomes) doivent veiller à ce qu’elles ne profitent pas de leur attractivité musicale et sexuelle pour dépasser le seuil réglementaire des deux drachmes, somme forfaitaire pour une nuit de travail. Si deux hommes jettent leur dévolu sur la même musicienne, elle doit être tirée au sort. Dans la cité démocratique, les plaisirs doivent être accessibles à tous et la barrière de la fortune ne doit pas priver les plus humbles citoyens de festoyer comme des riches.

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12 Famille, sexualité et éducation dans l’Athènes classique

Cela n’empêche cependant pas certaines prostituées de s’élever dans la hiérarchie des métiers du sexe : on les appelle alors des hétaïres, des courtisanes de luxe, plus souvent de statut libre. Les hétaïres sont appréciées autant pour leurs prestations physiques que pour leur compagnie et leur conversation, ce qui suppose un minimum de culture et d’éducation. Si les esclaves pornai sont rétribuées à la passe, ne pouvant refuser aucun client, les hétaïres se font payer par des cadeaux ou par des sommes considérables qui les distinguent de la misère des filles de bordel. La courtisane Phrynè, originaire de la cité béotienne de Thespies, ne demande pas moins de dix mille drachmes pour une nuit de compagnie. Elle a notamment fréquenté le sculpteur Praxitèle qui s’en est inspiré pour son œuvre l’Aphrodite de Cnide. Les hétaïres choisissent leurs clients et créent ainsi avec eux un lien de philia, d’amitié. Certaines peuvent se fixer avec un client et devenir des concubines. Leur cas ne doit cependant pas occulter la misère endurée par des milliers de femmes esclaves du sexe et dépendant d’un proxénète. Ces prostituées tentent parfois de racheter leur liberté, en se constituant lentement un pécule.

Aspasie de Milet Aspasie est une femme libre et étrangère, venue de la cité ionienne de Milet. Suite à sa rencontre avec Périclès, elle cohabite avec lui à partir de 446 alors que le stratège a divorcé de son épouse. De ce premier mariage légitime, Périclès a eu deux e­ nfants, morts pendant l’épidémie de peste de 430. N’ayant plus de fils pour perpétuer sa ­lignée, Périclès obtient exceptionnellement du peuple athénien le droit d’inscrire dans sa phratrie son fils nothos qu’il a eu avec Aspasie, Périclès le Jeune.

L’Aphrodite de Cnide, copie romaine (Rome).

Comme le résume V. Azoulay, la figure d’Aspasie demeure largement ­insaisissable : « tantôt putain, tantôt maîtresse de rhétorique, elle est un sujet inépuisable d’anecdotes qui n’ont d’autre unité que leur caractère invérifiable ». Chez  les  poètes comiques, Aspasie est à la tête d’une école d’hétaïres et porte la responsabilité du déclenchement de la guerre du Péloponnèse, suite à l’enlèvement par des Mégariens de deux filles qui lui appartiennent. Plutarque, quant à lui, rapporte qu’Aspasie est « savante et versée dans la chose politique ». Platon en fait d’ailleurs une inter­ locutrice de Socrate dans le dialogue du Ménéxène où, pastichant les habitudes oratoires civiques, elle déclame une oraison funèbre pour les soldats morts à la guerre, un rôle normalement endossé par un homme citoyen de la cité (voir p. 133).

Si l’exploitation des esclaves sexuelles, les pornai, s’effectue dans le cadre de maisons closes, il semble que les garçons qui vendent leurs corps attendent le client dans une petite stalle ouverte sur les rues. C’est derrière la porte d’un tel oikêma que le jeune Phédon du dialogue platonicien éponyme monnaie ses charmes, après avoir été réduit en esclavage à la suite de la prise de sa cité d’origine, Élis. 213

Partie 4 Politique, société et économie dans les cités grecques

II. Légitimité et citoyenneté : un long processus de reconnaissance Dans l’Athènes classique, devenir citoyen est un long processus qui commence à la naissance.

1. Statuts et filiation ■■ La

loi de Périclès et son application En 451, Périclès est à l’initiative d’une loi qui restreint l’accès à la citoyenneté. Pour en bénéficier, il faut désormais avoir un père et une mère ­d’origine ­athénienne. Antérieurement, le père suffisait ; Thémistocle, citoyen, a par exemple un père athénien et une mère thrace. Si la loi de Périclès de 451 a été peu appliquée pendant la guerre du ­ éloponnèse, pour des raisons démographiques, elle est réactivée en 403, lors P de la restauration démocratique qui suit la chute des Trente tyrans. La loi est ensuite amendée dans les années 380 : il devient désormais interdit d’épouser une étrangère, sous peine de graves sanctions. D’après le Contre Nééra d’Apollodore, dans les années 340, un Athénien qui vit maritalement avec une étrangère encourt une amende de mille drachmes, tandis que la femme risque la réduction en esclavage. Plusieurs explications sont avancées pour rendre compte du contexte politique et idéologique de l’instauration de la loi de Périclès sur la citoyenneté. Elle aurait eu des buts multiples : –– contrarier les habitudes matrimoniales des familles aristocratiques qui ont pour coutume de chercher des épouses à l’étranger ; Sur les métèques, voir p. 180.

Sur l’autochtonie, voir p. 252.

–– amoindrir l’influence des métèques dans la cité ; –– contrôler le nombre de citoyens au moment où se mettent en place les privilèges de la citoyenneté athénienne (l’indemnité journalière pour être juré à l’Héliée, le misthos héliastikos) et où les retombées économiques de l’impérialisme doivent être réparties. La loi apparaît au moment où se diffuse le mythe de l’autochtonie et de l’origine « pure » des Athéniens. La loi de Périclès exclut les « sang-mêlés » de la citoyenneté, notamment les mètroxenoi, terme qui désigne ceux dont la mère n’est pas astè, « athénienne », mais étrangère. ■■ Les

différents statuts familiaux La langue grecque possède trois termes pour exprimer le statut d’un enfant dans l’Athènes classique : –– gnèsios et gnèsiè désignent respectivement le garçon et la fille, enfant biologique et légitime, reconnu par le père. Depuis la loi de Périclès

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12 Famille, sexualité et éducation dans l’Athènes classique

de 451, seuls les enfants dont le père et la mère sont athéniens peuvent prétendre à la légitimité, la gnèsiotès, et à la citoyenneté ; –– poiètos désigne l’enfant « fabriqué », c’est-à-dire adopté. Mais seuls des individus déjà gnèsioi sont candidats à l’adoption. Une adoption ne peut pas servir à la légitimation d’un enfant illégitime, un nothos ; –– nothos et nothè désignent respectivement le garçon et la fille qui sont issus d’une union sexuelle hors mariage légal. La mère d’un nothos peut être une concubine, une prostituée, une esclave, une Athénienne fréquentée dans le cadre d’une relation adultérine ou une étrangère. Les enfants illégitimes ne sont pas reconnus par le père qui n’opère pas pour eux les différents rites de reconnaissance, détaillés ci-après. La notheia implique non seulement une exclusion du groupe familial légitime, et donc de l’héritage, mais aussi du groupe civique. En effet, les phratries et les dèmes n’inscrivent pas les nothoi dans leurs registres.

2. Les fêtes de reconnaissance dans l’oikos ■■ Les

Amphidromies Quelques jours après la naissance, un premier rite a lieu dans la maison (­l’oikos) : les Amphidromies. Étant donné la forte mortalité infantile pendant la première semaine de vie, ce n’est qu’entre le 3e et le 10e jour, selon les sources, qu’est célébré ce rite fermé qui réunit les personnes liées à ­l’accouchement, la mère, le père et les sages-femmes. La fonction de ce rite reste sujette à débat. Son étymologie (« courir autour ») suggère une circumambulation, autour du foyer de la déesse Hestia ou autour de l­’enfant porté ou posé à terre. C’est en tout cas un premier rite d’intégration de l’enfant, petite fille ou petit garçon, à l’oikos familial.

Les Amphidromies font aussi office de rite de purification, celle de la souillure provoquée par la naissance. Une troisième fonction des Amphidromies, si l’on suit le témoignage de Platon dans le Thééthète, est « tester » le nouveau-né. Socrate ­propose de pratiquer les Amphidromies du discours naissant de son interlocuteur et de tourner autour, afin de décider s’il est viable ou non, s’il mérite qu’on le nourrisse et qu’on l’élève, ou au contraire qu’on l’abandonne. Les Grecs pratiquent en effet l’exposition : un père peut abandonner son enfant

Une nourrice et un enfant. Terre cuite de Tanagra, 330 (­British Museum, Londres).

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Partie 4 Politique, société et économie dans les cités grecques

à la naissance, sans que cela soit considéré comme un délit. Plusieurs raisons peuvent l’y pousser : une famille déjà trop nombreuse et difficile à nourrir, un soupçon d’illégitimité, une malformation visible. Les petites filles sont en outre plus exposées que les petits garçons. ■■ La

« Mon adversaire pousse l’audace jusqu’à prétendre que mon père a donné pour lui le festin du dixième jour. Là-dessus, il a versé au dossier les seuls témoignages de Timocrate et de Promachos qui n’avaient aucun lien de parenté ou d’amitié avec mon père (Ps-Démosthène, Contre Boeotos II, 28) ». Le conflit oppose ici deux demi-frères.

dekatè La dekatè constitue le deuxième temps fort des jours qui suivent la naissance : le rite a lieu, selon les sources, entre le 7e et le 10e jour. À cette occasion, l’enfant reçoit un nom. Les règles de nomination, dans le monde grec, obéissent le plus souvent au principe dit de « papponymie ». L’aîné porte le nom du grand-père paternel, le second fils le nom du grand-père maternel. L’aînée porte le nom de la grand-mère maternelle, la seconde fille le nom de la grand-mère paternelle. Les enfants suivants prennent le nom des oncles ou des tantes, voire les noms des parents eux-mêmes. La reconnaissance par le père s’opère aussi par des gestes bien particuliers, comme celui de prendre l’enfant sur ses genoux. La cérémonie de la dekatè est importante car de nombreux témoins sont conviés pour ­l’occasion. Parents, amis, phratères, constituent un vivier de personnes pouvant témoigner, des années plus tard, que le père a bien effectué le rite de la dékatè, indispensable à la reconnaissance légitime de l’enfant.

3. La fête des phratries : les Apatouries Au mois de Pyanopsion (octobre), les Athéniens célèbrent les Apatouries, la fête des phratries. Lors de cette fête, le père offre un sacrifice (le meion) et présente à ses co-phratères ses enfants, filles et garçons nés dans l’année. Le père s’engage par serment, devant l’autel de Zeus Phratrios : il jure que l’enfant qu’il présente est bien né dans le cadre d’une union légitime et qu’il/elle est ainsi gnèsios/gnèsiè. Les phratères, en cas de doute, peuvent refuser l’introduction d’un enfant dans leur groupe : ils écartent alors symboliquement l’offrande posée sur l’autel. Ensuite, lorsque le jeune garçon atteint 16 ans, son père offre de nouveau un sacrifice aux membres de sa phratrie (le koureion), toujours pendant les Apatouries. Le jeune garçon est alors inscrit sur le registre des phratères, un jalon indispensable dans le processus d’acquisition de la citoyenneté et, corrélativement, du statut d’héritier potentiel. Les Apatouries constituent ainsi une étape essentielle pour la légitimation civique et familiale mais c’est en outre un rite de passage. Afin de marquer ce temps de transition, les jeunes garçons se coupent les cheveux : « Quand pour la première fois Eudoxos a coupé ses beaux cheveux, il a offert à Phoibos (Apollon) cette parure de son enfance. À la place de ses boucles, dieu qui lance tes traits au loin, puisse-t‑il avoir pour l’embellir le lierre d’Acharnes qui, lui, grandit toujours » (Épigramme votive d’Euphorion de Chalcis, Anthologie grecque, VI, 279).

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À 18 ans, enfin, le jeune garçon est inscrit sur le registre du dème de son père. C’est aussi l’âge du service militaire, dernière étape d’une éducation tournée vers la transmission des valeurs citoyennes. On notera que les jeunes filles ne sont inscrites ni sur le registre des phratries ni sur le registre des dèmes.

III. La formation des futurs citoyens 1. Ancienne et nouvelle éducation Dans l’Athènes classique, la cité ne prend pas en charge l’éducation des jeunes comme à Sparte. Il s’agit d’une affaire familiale et privée et chaque père décide d’offrir ou non à sa progéniture les services de maîtres spécialisés dans « ­l’ancienne » ou la « nouvelle » éducation. Cohabitent en effet deux types de formation de la jeunesse. ■■ L’éducation

traditionnelle L’éducation traditionnelle est assurée par des intervenants spécialisés : le grammatiste apprend l’écriture et la lecture, le cithariste donne des leçons de lyre, le pédotribe encadre l’entraînement sportif à la palestre et au gymnase.

Sur l’éducation spartiate, voir p. 230.

Les principaux gymnases d’Athènes sont ceux de l’Académie, du Lycée et du Cynosarges.

Ces leçons ont un coût et le degré d’éducation des enfants dépend des ressources familiales. Si les pères investissent dans l’éducation de leurs fils pour en faire de futurs citoyens aptes à lire et à comprendre les lois, à agir avec maîtrise de soi et à soumettre leurs corps aux réalités de la guerre, les filles apprennent avant tout, auprès de leur mère, le travail de la laine, une compétence attendue de toute future épouse. Seules les filles et les femmes de familles aisées accèdent à l’apprentissage de la musique et de la lecture, compétences dont elles profitent à l’intérieur de leurs maisons.

Les compétences textiles des filles sont aussi au centre de leur service religieux lors des fêtes d’Athéna, voir p. 263.

Les maîtres dispensent leur savoir à domicile ou en plein air, parfois sous un arbre ou un portique, mais aussi dans des bâtiments scolaires. Aristophane évoque des écoles de quartiers, vers lesquelles les garçons s’acheminent dès l’aube, « en rangs serrés, neigeât-il dru comme farine » (Les Nuées). Un personnage important fait le lien entre le maître et l’élève : le pédagogue, un esclave qui a toute la confiance du père pour accompagner son fils. Le pédagogue porte non seulement le paquetage de l’enfant, stylets et tablettes de cire, mais il veille

« L’enfant a-t‑il atteint l’âge de 7 ans, après avoir épuisé la coupe de tant de peines, voici que surviennent les pédagogues, les grammatistes, les entraîneurs pour le tyranniser ; et quand il a grandi, ce sont les grammairiens, les géomètres, les instructeurs militaires, toute une troupe de maîtres » (Platon, Axiochos, 366d-e).

Scène d’école. Le maître tient un rouleau. Détail d’une coupe attique, 480 (Berlin).

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Partie 4 Politique, société et économie dans les cités grecques

aussi à ce que le jeune garçon ne fasse pas de mauvaises rencontres sur le chemin. Pendant les heures d’enseignement, l’école est protégée et « il est interdit, sous peine de mort, aux adultes d’y entrer, à l’exception du fils du maître, de son frère ou de son gendre », rapporte Eschine. ■■ La

nouvelle éducation : Socrate et les sophistes La nouvelle éducation est attribuée aux figures des sophistes, ces maîtres itinérants qui arrivent à Athènes dès 450 et qui dispensent leur savoir auprès de riches familles aristocratiques en mesure de les payer. Leur enseignement est avant tout celui de la rhétorique, un outil devenu indispensable dans la démocratie athénienne où il faut savoir convaincre ses concitoyens à l’Assemblée. Mais les sophistes se distinguent aussi par leurs questionnements sur les lois, les dieux ou la famille.

Antiphon, qui a participé à l’oligarchie des Quatre-Cents, a théorisé l’opposition entre loi naturelle et absolue, et loi relative. Selon Antiphon, la piété filiale serait par exemple une convention sociale et non une loi naturelle.

Socrate, œuvre romaine du ier siècle (Louvre, Paris).

Sur les graphai, voir p. 193. Sur Alcibiade et Critias, voir p. 201.

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On distingue deux générations de sophistes ayant prodigué leur enseignement à Athènes : la première, assez favorable à la démocratie, compte notamment Protagoras d’Abdère, un proche de Périclès qui aurait eu un discours assez critique sur les divinités. La seconde génération, beaucoup plus hostile au régime démocratique, est incarnée par les figures polémiques de Prodicos de Kéos, d’Antiphon et de Critias. Les sophistes deviennent la cible d’une double attaque, comique et s­ ocratique. Aristophane, dans ses Nuées (423), dresse un piètre tableau de cette éducation nouvelle. Quiconque suit cet enseignement à la mode a « le teint pâle, les épaules étroites, la poitrine resserrée, la langue longue, la fesse grêle, la verge grande, la… proposition de décret longue » (vers 1009‑1019). En résumé, d’après les péripéties des Nuées, les sophistes proposent une éducation valorisant le discours au détriment de la forme physique et transforment leurs élèves en politiciens trop bavards doublés de fils irrespectueux. Dans cette même pièce des Nuées, l’enseignement sophistique est ironiquement professé par Socrate dont on sait à quel point il affiche, dans les dialogues platoniciens du ive siècle, un mépris pour les sophistes. En effet, Platon a tenté d’opposer son maître Socrate aux sophistes : ces derniers représentent le triomphe de la forme sur le fond alors que Socrate associe son interlocuteur à la recherche de la vérité, et ce gratuitement. Cependant, les spectateurs de l’époque d’Aristophane ne font pas de différence entre Socrate et les sophistes : tous représentent un danger pour la démocratie et les valeurs traditionnelles, que ce soit le respect des divinités ou de l’autorité paternelle. En 399, lors de son procès, Socrate est accusé d’impiété, par le biais d’une procédure appelée graphè asebeias. Un des griefs prononcés contre lui est la corruption de la jeunesse. Les Athéniens lui reprochent non seulement de critiquer les fondements de la démocratie (le tirage au sort et la souveraineté d’une majorité jugée ignorante, voir p. 192) mais aussi d’avoir été le maître des figures très contestées d’Alcibiade et de Critias.

12 Famille, sexualité et éducation dans l’Athènes classique

L’Académie et le Lycée En 387, le philosophe Platon (428‑348) fonde son école, l’Académie, dans un ­domaine situé au nord d’Athènes. On y trouve un gymnase, un sanctuaire dédié aux Muses, des portiques, une bibliothèque, des quartiers d’habitation et un jardin, dans lequel Platon aime enseigner. Parmi les disciples illustres de Platon, on compte les orateurs Lycurgue et Hypéride, Dion de Syracuse (voir p. 152), le géomètre Eudoxe de Cnide ou encore l’astronome Héraclide du Pont. L’unité de l’école platonicienne se fonde sur la discussion de problèmes communs, comme l’Être, le Bien, l’Un et la Science et il y est beaucoup question de géométrie et de mathématiques. À la mort de Platon, l’école est dirigée par une sorte de recteur, le scholarque : le premier scholarque de l’Académie n’est autre que le neveu de Platon, Speusippe. Aristote (384‑322) a été le disciple de Platon et a fréquenté l’Académie pendant vingt ans. À son tour, il réunit autour de lui de nombreux élèves au sein d’un groupe où un « archonte » est désigné tous les 10 jours. On doit à ce groupe d’avoir notamment recueilli 158 constitutions de cité, dont seule celle d’Athènes nous est parvenue. Mais Aristote s’intéresse aussi à la biologie, à la médecine, à la physique et à l’astronomie. C’est avec Théophraste, élève d’Aristote, que se constitue à proprement parler une école, dite le Lycée, sur un terrain en bordure de la ville où se trouve déjà un gymnase.

2. Érastes et éromènes La poésie comme la céramique, l’histoire comme la comédie évoquent des relations entre hommes, codifiées, et qui font partie intégrante de l’éducation du citoyen grec. Le jeune « éromène », âgé entre 12 et 18 ans, est la cible d’une séduction opérée par un « éraste », qui a au moins une trentaine d’années. Un éraste ne peut forcer un éromène à devenir son amant ; ce dernier doit se laisser séduire sans être lui-même séducteur et il peut accepter des cadeaux (lièvres, coqs) pour signifier son approbation. Les relations pédérastiques ont une dimension érotique et sexuelle évoquée sans détour sur les vases, souvent destinés aux banquets. Scènes de baisers ou de « coïts intercruraux » (où l’amant le plus âgé frotte son pénis entre les cuisses du plus jeune) se succèdent au fond des coupes à boire. La pédérastie grecque, volontairement asymétrique par l’âge et le statut des acteurs, combine l’apprentissage de la sensualité et du contrôle de soi, mais aussi l’émulation et l’imitation car l’éraste doit être un maître et un modèle pour son éromène. La relation homo-érotique se distend dès lors que le système pileux de l’éromène se développe et le soustraie à la catégorie des jeunes éphèbes glabres et désirables. Si la documentation foisonne sur les pratiques entre hommes, l’homoérotisme féminin est en revanche moins évoqué, probablement parce qu’il n’est pas partout assimilé au processus de formation civique et politique comme l’est son équivalent masculin. Hors d’Athènes, on retiendra cependant

À Sparte, l’éraste prend le nom d’eispnélos, « inspirateur », car il est censé être une source de vertu pour ses jeunes amants en formation.

« Ta jambe, Nicandros, devient poilue… prends garde / que ta cuisse en fasse autant. / Et tu verrais combien les  amants se font rares ! » (Alcée de Messénie, iiie siècle). 219

Partie 4 Politique, société et économie dans les cités grecques

Sur Alcman, voir p. 296.

la poétesse Sappho de Lesbos qui, dans son école située à Mytilène, chante, à travers ses poèmes, l’amour et l’attirance qu’elle éprouve pour les jeunes filles qu’elle instruit (viie siècle). Et, autre exemple datant de l’époque archaïque, les chants composés par le poète Alcman pour les fêtes de Sparte mettent aussi en scène l’élan érotique entre les troupes chorales de jeunes filles et leurs cheffes de chœur qu’elles admirent.

Éraste et éromène. Médaillon d’une coupe attique, 480 (Louvre, Paris).

La poétesse Sappho. Timbre grec contemporain.

3. La formation militaire : l’éphébie Sur Lycurgue, voir p. 204.

Après la défaite des Grecs contre Philippe de Macédoine, en 338, l’homme politique Lycurgue décide de réformer la formation des futurs soldats athéniens. Désormais, le service militaire, appelé éphébie, est ouvert à tous les futurs citoyens entre 18 et 20 ans et la cité fournit l’équipement coûteux du soldat. Pendant leur formation, les éphèbes reçoivent en outre un misthos de quatre oboles par jour. Le déroulement de l’éphébie est détaillé dans la Constitution des Athéniens attribuée à l’école d’Aristote. La première année, les éphèbes font la tournée des sanctuaires de l’Acropole et de l’Agora et tiennent garnison au Pirée. Des maîtres spécialisés leur enseignent à « combattre comme hoplites, à tirer à l’arc, à lancer le javelot, à manœuvrer la catapulte », ceci en adéquation avec l’évolution des techniques militaires du ive siècle. Dix magistrats appelés « ­sophronistes » encadrent les jeunes gens pendant cette première année ; ils assistent le « cosmète », chef de l’éphébie.

Voir la carte de l’Attique p. 187.

220

Une revue des éphèbes a lieu dans l’enceinte du théâtre de Dionysos et devant les citoyens réunis en Assemblée ; à l’issue de cette inspection, ils reçoivent un bouclier rond et une lance. Ils partent ensuite pour leur deuxième année de formation, pendant laquelle ils patrouillent dans la campagne athénienne et tiennent garnison dans les forts frontaliers de l’Attique.

12 Famille, sexualité et éducation dans l’Athènes classique

Lors de leur éphébie, les jeunes gens prêtent un serment solennel qui a été gravé sur une stèle découverte à Acharnes, en Attique, et qui nous est aussi connu par le discours de l’orateur Lycurgue, Contre Léocrate. Par ce serment patriotique, les éphèbes s’engagent à respecter les lois et les magistrats et à protéger la cité ; le serment est garanti par des divinités courotrophes et guerrières.

Une divinité courotrophe accompagne l’éducation des enfants.

Le serment des éphèbes athéniens « Je ne déshonorerai pas les armes sacrées. Je n’abandonnerai pas mon compagnon de rang, je combattrai pour les choses saintes et sacrées, je ne laisserai pas la patrie amoindrie mais plus grande et plus forte que je ne l’ai reçue, seul ou avec tous. J’obéirai à ceux qui commandent à leur tour, je serai soumis aux lois sagement ­établies et à toutes celles qui seront sagement établies, si quelqu’un veut les renverser ou les enfreindre, je ne le souffrirai pas, mais je les défendrai seul ou avec tous. Je vénérerai les cultes de mes pères. En soient témoins : Aglauros, Hestia, Enyô, ­Enyalios, Arès et Athéna Aréia, Zeus,Thallô, Auxô, Hégémoné, Héraklès, les frontières de la patrie, ses blés, orges, vignes, oliviers et figuiers », Lycurgue, Contre Léocrate, 77, 2. Détail de la stèle retrouvée dans le dème d’Acharnes, à Athènes. Elle reproduit le texte du serment des éphèbes. Le relief sculpté en haut de la stèle représente les différentes armes de l’hoplite.

À RETENIR nnLe mariage est avant tout un contrat passé entre deux hommes, l’ancien et le futur

kurios de la femme pour qui le mariage constitue un transfert juridique de tutelle.

nnLa finalité première du mariage grec est d’engendrer des enfants légitimes.

À Athènes, la loi de Périclès de 451 impose d’avoir désormais deux parents athéniens et citoyens pour être légitime et pour accéder ainsi à la citoyenneté et au statut d’héritier.

nnLa naissance n’est pas une condition suffisante et le père doit reconnaître ses

enfants par le biais de différents rites qui se déroulent dans le cadre de la maison et de la phratrie.

nnLes garçons sont inscrits sur les registres des phratries et des dèmes mais pas les

filles.

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Partie 4 Politique, société et économie dans les cités grecques

nnL’adultère est sévèrement condamné mais un époux a le droit d’avoir de nombreux

partenaires sexuels autres que sa femme (prostituées, concubines, éromènes), tant qu’il ne séduit pas l’épouse d’un concitoyen. L’épouse doit en revanche une stricte fidélité à son mari.

nnÀ Athènes, l’éducation des enfants dépend du degré de fortune familiale. Deux

éducations coexistent à l’époque classique : l’éducation traditionnelle et la nouvelle éducation des sophistes.

nnLe service militaire des jeunes Athéniens est réformé par Lycurgue après la défaite

de Chéronée (338) : la formation devient alors gratuite.

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222

CHAPITRE

13 PLAN DU CHAPITRE I. Territoire et peuplement II. La société spartiate de Lycurgue III. La hiérarchie des statuts IV. Les institutions spartiates

La cité spartiate aux temps archaïque et classique L’étude de la cité spartiate se heurte à deux problèmes majeurs de sources :

–– nous conservons très peu de documents produits par les Spartiates eux-mêmes. La plupart des témoignages sont, pour l’époque classique, athéniens (Hérodote, Thucydide, Xénophon ou encore Aristote) ou datent de l’époque impériale (Plutarque). Les traces archéologiques et épigraphiques sont rares, pour l’époque classique ; –– dès l’Antiquité, Sparte a provoqué l’admiration ou la méfiance, si bien que les auteurs ont pu avoir tendance à ­exagérer certains traits sociétaux : égalité, frugalité ou discipline militaire. Pour caractériser ce phénomène, l­’historiographie utilise l’expression de « mirage spartiate », empruntée à une étude de François Ollier parue entre 1933 et 1943. Plus ou moins implicitement, les sources opposent le modèle démocratique d’Athènes et le modèle ­oligarchique de Sparte. Un indice de la plasticité de Sparte est qu’elle a pu, au cours de l’histoire, être érigée en modèle d’égalitarisme par les théories socialistes du xixe siècle, ou en modèle de sélection eugéniste, dans la propagande nazie. Ces précautions méthodologiques posées, l’historien bénéficie tout de même de témoignages sur Sparte qui permettent d’aborder son fonctionnement institutionnel, les différentes populations ou encore les pratiques matrimoniales et éducatives. Il demeure cependant difficile de dater précisément les réformes et les évolutions qui ont modelé la société spartiate. Les Anciens eux-mêmes attribuent la majeure partie des traits caractéristiques de Sparte au réformateur Lycurgue, qui aurait vécu à l’époque archaïque.

223

Partie 4 Politique, société et économie dans les cités grecques

Sur « la Méditerranée spartiate », voir p. 84. Voir les biographies d’Alcman et de Tyrtée, p. 296.

« Quelle qu’ait été la date de son commencement, cette politique [de Chilon] a dû viser à renforcer les liens entre citoyens en empêchant les membres de l’élite de manifester, par exemple par des dépenses ostentatoires, une quelconque supériorité fondée sur d’autres éléments que le service de la cité » (N. Richer, Sparte, p. 87).

Néanmoins, on peut entrevoir la mutation de la cité entre l’époque archaïque et l’époque classique. À l’époque archaïque, Sparte est une cité dynamique et ouverte, qui crée des colonies, exporte des bronzes et de la céramique et accueille de grands poètes, comme Alcman ou Tyrtée. Une rupture est décelable au milieu du vie siècle, que l’on place lors de l’éphorat de Chilon (556/555). La cité spartiate enregistre alors une nette chute de ses diverses productions et exportations artisanales. À l’époque classique, la cité se reconcentre progressivement sur son territoire et doit faire face à plusieurs difficultés. Sur le plan extérieur, l’implication de Sparte dans la guerre outre-mer pose la question de l’impérialisme maritime et de l’inadaptation de son système économique et monétaire. Sur le plan intérieur, qui nous intéresse ici, à la diminution du nombre de citoyens s’ajoutent des tensions entre les Spartiates et les catégories inférieures de la société. Les Spartiates contrôlent en effet un vaste territoire où cohabitent des populations s’inscrivant dans un large spectre statutaire.

Sur le ­système monétaire de Sparte, voir p. 285.

Chasse au sanglier. Coupe laconienne, 550 (Louvre, Paris).

I. Territoire et peuplement 1. Héraclides et Doriens Alcman (viie siècle), comme Diodore de Sicile (90‑30) ou encore Pausanias (iie s. ap. J.-C.), font d’Héraklès et de ses descendants des héros importants 224

13 La cité spartiate aux temps archaïque et classique

de l’identité spartiate. Héraklès aurait aidé le roi déchu Tyndare à remonter sur le trône de Sparte en chassant l’usurpateur Hippocoon, frère de Tyndare. Les descendants de Tyndare gardent le pouvoir jusqu’au retour des descendants d’Héraklès dans le Péloponnèse. C’est ce que l’on appelle le « retour des ­Héraclides », à savoir les arrières-arrières-petits-fils d’Héraklès, Téménos, Aristodémos et Cresphonte. Lors de leur retour dans le Péloponnèse, les trois frères se partagent le territoire. Cresphonte reçoit la Messénie, Argos est attribuée à Téménos et Sparte revient aux fils jumeaux d’Aristodémos, Proclès et Eurysthénès. Ces deux frères sont ainsi les ancêtres illustres des deux branches royales de Sparte, les Agiades et les Eurypontides : Agis est le fils d’Eurysthénès et Eurypon, le fils de Proclès. Outre les familles royales, plusieurs autres familles se disent « Héraclides » dans la Sparte historique, revendiquant ainsi une ascendance prestigieuse liée au héros Héraklès. Selon la tradition textuelle, Sparte est aussi associée aux Doriens originaires du nord de la Grèce, qui seraient descendus dans le Péloponnèse au cours du xe siècle. ­ ermopyles. La Les Doriens auraient alors quitté la Doride, située à l’ouest des Th mise en scène mythologique de cette migration est écrite par le poète Tyrtée (viie siècle), selon laquelle les Héraclides auraient conduit eux-mêmes les Doriens vers le Péloponnèse, où ils se seraient installés. Le dorien c­ orrespond aussi à un dialecte, parlé avant tout dans le Péloponnèse et en Crète, tandis que le dialecte ionien est employé en Attique et sur les côtes d’Asie Mineure.

Héraklès et le taureau de Crète. Coupe laconienne, 550 (Met, New-York).

« Car Zeus lui-même, le fils de Cronos, l’époux de la reine Héra, donna cette polis aux Héraclides, avec qui nous [les Doriens] quittâmes la venteuse Érinée et arrivâmes dans le vaste Péloponnèse » (Tyrtée, fragment 2). Sur les dialectes et les différents récits de migration, voir p. 12.

2. Organisation et extension du territoire spartiate : de la Laconie aux guerres de Messénie À côté des récits concernant les migrations de l’âge du fer, les sites du Ménélaion et de Thérapnè ont livré des indices d’occupation mycénienne, respectivement au sud-est et à l’est de Sparte. Des tablettes en linéaire B ont été retrouvées à Ayios Vasileios, à 12 km au sud de la cité. L’archéologie révèle aussi des traces de peuplement remontant au xie siècle, dans la région d’Amyclées. Cette dernière bourgade, située à six kilomètres au sud de l’Acropole de Sparte, est intégrée à la cité spartiate vers 730. En 760, quatre villages ont été réunis par synœcisme pour fonder Sparte : Limnai, Kynosoura, Mésoa et Pitanè. Une des particularités de l’espace spartiate est donc d’avoir un centre composé de quatre entités groupées et d’une cinquième, à l’écart. Comme dans beaucoup de cités grecques, des sanctuaires se dressent aux limites de la ville et en délimitent l’espace : à l’est, celui de Ménélas et d’Hélène (le Ménélaion) et d’Artémis Orthia. Au sud-ouest, celui de Déméter et de Koré. Au nord-ouest, celui d’Artémis Issoria. À l’époque archaïque, une fois la vallée de l’Eurotas et la Laconie sous contrôle, Sparte s’empare de la région de Messénie, située à l’ouest du Mont Taygète. Cette région, très fertile, apporte aux Spartiates un espace agricole bien plus étendu que la Laconie. La conquête se fait à la suite des « guerres de

Sur le synœcisme, voir p. 64.

La Laconie comprend la chaîne montagneuse du Parnon, la vallée de l’Eurotas et le versant oriental du mont Taygète.

225

Partie 4 Politique, société et économie dans les cités grecques

Messénie » ; la première aurait eu lieu entre 695 et 675. Le poète Tyrtée a ainsi mis en vers ces vingt années d’affrontement : « À notre roi, Théopompe aimé des dieux, grâce à qui nous nous sommes emparés de Messène aux places de danse, Messène bonne à labourer, bonne à planter, Pour laquelle ils ont combattu dix-neuf années, Sans jamais s’arrêter, d’un cœur qui supportait tout, Les guerriers à la lance, pères de nos pères. La vingtième année enfin, ils abandonnèrent leurs riches labours et s’enfuirent des hautes montagnes de l’Ithôme » (Tyrtée, fragment Prato, 2‑4, trad. Ruzé & Christien 2017).

Pausanias (IV, 4, 1‑3) livre les raisons du conflit entre les Messéniens et les Spartiates. Suite au meurtre du roi spartiate Téléclos et au viol de jeunes filles spartiates dans l’enceinte du sanctuaire d’Artémis Limnatis, Sparte aurait décidé d’attaquer ses voisins messéniens. La version messénienne diffère ; c’est Téléclos qui aurait ourdi un complot contre les Messéniens, déguisant des jeunes gens en jeunes filles et les armant de poignards afin qu’ils s’en prennent aux chefs messéniens venus aussi honorer Artémis Limnatis, culte commun aux Spartiates et aux Messéniens. Il s’ensuit dans tous les cas un grave conflit à l’issue duquel les Spartiates s’emparent des terres de la plaine de Stényclaros et de la vallée de la Soulima, à l’ouest du fleuve Pamisos.

Sur la fondation de Tarente, voir p. 77.

C’est pendant cette première guerre de Messénie que sont nés les ­Parthéniens, ce groupe de jeunes gens issus d’unions entre des femmes spartiates et, selon les sources, des Hilotes ou des « Inférieurs », en l’absence des époux spartiates partis au combat. Ces Parthéniens, à qui les Spartiates ont refusé l’octroi de terres conquises et la citoyenneté, s’exilent pour fonder la cité de Tarente, après s’être vainement insurgés à Sparte. Les Messéniens se révoltent deux générations après leur première défaite et déclenchent la deuxième guerre de Messénie, qui aurait duré dix-huit ans et se serait déroulée entre 635 et 600. Mais là encore ils sont vaincus par les Spartiates et, selon Polybe, ils sont contraints « soit de devenir les esclaves, durement exploités, des Lacédémoniens, soit de s’en aller avec femmes et enfants pour fuir la servitude en abandonnant leur territoire » (IV, 32, 7). Plus précisément, selon J. Christien et F. Ruzé, les Spartiates ont laissé aux ­Messéniens trois options, suite à leur défaite : –– les plus aisés, les propriétaires terriens, ont pu s’expatrier ; –– les plus pauvres, restés sur place, deviennent des dépendants, voire des esclaves appelés « Hilotes », et doivent verser aux Spartiates la moitié de leur récolte issue de terres sur lesquelles les Spartiates ont pu installer en renfort des Hilotes de Laconie ;

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13 La cité spartiate aux temps archaïque et classique

–– les habitants des régions plus excentrées et moins fertiles ont pu conserver une certaine autonomie caractéristique du statut de « Périèque ». À l’issue des guerres de Messénie, Sparte contrôle un large espace. Le ­territoire de Sparte est désormais constitué de la vallée de l’Eurotas, en Laconie, et des deux plaines fertiles de Messénie, celle de Stényclaros et celle du Pamisos, soit au total 1 500 km2. Le reste du territoire de Laconie et de Messénie est parsemé de cités et de terres périèques. L’ensemble spartiate et périèque constitue le territoire de Lacédémone, soit 8 000 km2. À cet atout économique et foncier s’ajoute une organisation sociale et politique, attribuée au législateur Lycurgue et à ses réformes visant l’eunomia ou « bonne législation », c’est-à-dire l’équilibre social et politique.

Voir la carte du Péloponnèse dans l’atlas final.

Plan de Sparte

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Partie 4 Politique, société et économie dans les cités grecques

II. La société spartiate de Lycurgue

La commensalité est le fait de partager un repas avec des co-mangeurs habituels.

Si l’on en croit Xénophon et Plutarque, c’est au législateur semi-légendaire Lycurgue que Sparte doit l’origine de son organisation sociale et politique. Il demeure cependant difficile de connaître précisément la date d’apparition des diverses coutumes spartiates et leur application réelle au quotidien. L’une des réformes de Lycurgue aurait été d’avoir doté Sparte d’une constitution politique inspirée d’un oracle de Delphes, dont les détails seront exposés ultérieurement (voir ci-dessous, p. 242). On lui devrait aussi la mise en place de pratiques ­communautaires qui fondent une certaine particularité spartiate, dans le domaine de la commensalité, de l’éducation et de l’organisation des unions sexuelles.

1. Les syssities Xénophon rapporte que Lycurgue a réglementé les repas des Spartiates, afin que la nourriture consommée ne soit ni excessive, ni trop restreinte. Les hommes citoyens dînent tous les soirs ensemble, dans le cadre de repas appelés phidities, philities ou syssities, selon les auteurs.

« À chacun de ceux qui entraient, le plus âgé disait en montrant la porte : il ne sort rien par là de ce qui se dit ici » (Plutarque, Vie de Lycurgue, XII, 8).

Scène de banquet. Fragment d’une coupe laconnienne, 550 (Antikensammlung, Berlin).

Le caractère obligatoire de ces repas quotidiens semble apparaître entre le vie et le ve siècle, soit à une époque où l’état de guerre est quasi-permanent. Le syssition est un lieu de convivialité et de plaisir mais aussi de discussions politico-militaires, dont le contenu ne peut toutefois pas être révélé en dehors du banquet, selon Plutarque. Chaque syssition regroupe des commensaux, qui sont pour certains des compagnons d’unité ; en ceci, les banquets spartiates sont bien liés à

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13 La cité spartiate aux temps archaïque et classique

l’organisation de l’armée. Mais des liens autres que militaires peuvent unir les membres : relations homo-érotiques, dépendance économique et clientélisme, origines familiales, autant de critères qui peuvent expliquer l’intégration de tel ou tel Spartiate dans un syssition. Plutarque apporte d’autres détails : un syssition aurait compté une quinzaine de membres qui n’acceptent un nouveau citoyen qu’après une cooptation unanime. Chaque Spartiate doit fournir sa quote-part pour participer au syssition : or les citoyens les plus modestes finissent par être dans l’impossibilité d’apporter leur écot, lorsque les repas deviennent obligatoires. Certains peuvent être nourris par les plus riches mais les autres sont exclus du syssition et doivent renoncer à leurs droits civiques, rejoignant le groupe des « Inférieurs » pour cause d’appauvrissement. La réputation frugale des Spartiates tient en partie au menu qu’ils partageraient lors du syssition. Selon Plutarque, la base alimentaire de tous est une bouillie d’orge précuite, ainsi que le brouet noir, une spécialité locale faite de porc, de sang, de vinaigre et de sel. Cependant, il est permis à ceux qui le peuvent d’agrémenter le repas de suppléments, provenant notamment de la chasse. Des auteurs pro-spartiates comme l’oligarque athénien Critias louent la modération des Spartiates qui savent, eux, renoncer à l’ivresse pour ne boire que la quantité de vin nécessaire au bon fonctionnement du corps. Le syssition est aussi un lieu d’échanges culturels et amoureux. Les Spartiates y récitent les vers des poètes appréciés, comme Tyrtée ou Alcman, et les transmettent ainsi de génération en génération. Car les plus jeunes, encore en formation, assistent aux repas de leurs aînés, mais en silence. D’après Plutarque, des Hilotes sont enivrés lors des banquets afin de montrer aux jeunes spartiates les effets néfastes des excès de boisson. Cette séquence pédagogique ne serait qu’un élément d’un système éducatif des plus organisés, qui ferait, d’après les Anciens, la spécificité de Sparte.

Voir la biographie de Critias, p. 201. Sur le banquet grec, voir p. 70.

2. L’éducation spartiate : sélection et émulation ■■ L’exposition

des enfants à la naissance Si l’on suit les informations fournies par Plutarque, l’éducation des jeunes sous le sceau de la sélection commencerait dès la naissance. Plutarque rapporte, dans sa Vie de Lycurgue, que les nouveau-nés sont soumis à un examen public au terme duquel ceux qui sont jugés indignes de vivre sont abandonnés dans les ténèbres des Apothètes, un gouffre en contrebas du Taygète. Ce faisant, les Spartiates auraient pratiqué ce qu’on nomme « l’exposition » des enfants, une coutume attestée dans l’ensemble du monde grec antique, mais ils l’auraient opérée avec deux spécificités : –– à Sparte, les nourrissons seraient lavés non à l’eau mais avec du vin, afin de repérer les sujets prédisposés à l’épilepsie et les êtres de faible constitution, mais aussi afin d’endurcir ceux déjà en bonne santé ; 229

Partie 4 Politique, société et économie dans les cités grecques

Sur l’exposition et les Amphidromies, voir p. 215.

–– autre singularité lacédémonienne, le tri des candidats à la vie s’effectuerait non dans un cadre familial et privé mais dans le cadre infra-civique d’un conseil collectif, suite à un test physique opéré par des femmes. Père et mère n’auraient pas le dernier mot quant au choix d’élever les enfants nés de leur union, là où des parents athéniens ont quelques jours pour décider du sort de leur nourrisson, avant la fête dite des Amphidromies. ■■ Agôgè

et cryptie Selon Xénophon et Plutarque, Sparte promeut un modèle de vie et d’éducation largement collectif : les jeunes enfants, filles et garçons, sont pris en charge dans le cadre d’une éducation uniforme, publique et obligatoire, répartis en classe d’âge et soumis à un contrôle permanent de la cité. Cette formation particulière prend le nom d’agôgè, probablement à l’époque hellénistique ; à l’époque classique, c’est une paideia, une éducation. Xénophon et Plutarque en présentent les particularités : des groupes de garçons et de filles entraînés dans une perspective eugéniste, une émulation et une compétition permanentes, un retrait des pères au profit de la collectivité. Le vocabulaire est emprunté à l’élevage et au dressage, et l’agôgè signifie ­d’ailleurs « conduite du troupeau ». À partir de sept ans, les jeunes garçons quittent l’éducation domestique et sont regroupés par classes d’âges en « troupeaux » (bouai et agelai) et en « sections » (ilai). Selon Xénophon, entre 7 et 15 ans, l’enfant est un pais ; entre 15 et 20 ans, le jeune Spartiate fait partie des paidiskoi et la tranche des 18‑20 ans est celle des irènes. Chaque ila est placée sous la surveillance d’un irène. Ordre, rigueur, obéissance, discipline collective, austérité alimentaire et vestimentaire accompagnent les jeunes Spartiates en formation. Les garçons préparent ainsi leur corps et leur esprit aux exigences militaires ainsi qu’à la transmission des meilleurs caractères physiques et psychologiques à leurs futurs enfants. Les filles, par leurs exercices physiques, endurcissent et améliorent leur vitalité corporelle dans le but de procréer une descendance robuste. Plutarque souligne en outre qu’une telle formation physique permet aux femmes de mieux supporter la grossesse et l’enfantement. Plusieurs adultes interviennent dans la formation :

Voir p. 219 sur les pratiques homo-érotiques.

230

–– un magistrat est spécifiquement dédié à l’éducation, le paidonome, assisté de porteurs de fouets ; –– les éphores, magistrats « surveillants » du système spartiate, contrôlent aussi les jeunes en formation ; –– les érastes ont aussi un rôle important dans l’éducation et doivent constituer des modèles comportementaux pour leurs jeunes amants ; –– les citoyens spartiates peuvent se substituer à tout père et châtier un jeune qui se comporterait mal. En ceci, les Spartiates se différencient des autres cités où chacun est « maître de ses enfants, de ses esclaves, de son bien », selon Xénophon.

13 La cité spartiate aux temps archaïque et classique

Bref, l’éducation de Sparte place en son cœur la notion de collectivité et relègue au second plan, sans les nier, les interactions familiales privées. L’éducation spartiate est une période d’émulation et de compétition qui permet de dégager des élites, militaires mais aussi reproductives. Du côté des jeunes filles, celles qui s’opposent dans les affrontements athlétiques et qui l’emportent gagnent probablement en considération et deviennent des génitrices de choix. Cet entraînement des filles spartiates est vu, depuis Athènes, comme un parangon de débauche. Mais la physiologie musculeuse des femmes de Sparte est aussi un sujet d’amusement pour les Athéniens. Chez le poète comique Aristophane, la Spartiate Lampitô est capable d’étrangler des taureaux et pratique des exercices physiques, notamment celui du bibasis.

« Pélée : – Même si elle le voulait, une jeune fille ne saurait reste sage à Sparte, où, désertant les maisons, avec les jeunes hommes, cuisses nues et péplos flottant, elles partagent, chose intolérable à mes yeux, pistes de courses et palestres » (Euripide, Andromaque, v. 595‑604). L’exercice de bibasis consiste à sauter en frappant ses fesses avec les talons. « Lysistrata : – Ah ! bien chère Laconienne, salut, Lampitô. Comme ta beauté, ma douce, est resplendissante ! Quelle belle carnation ! Quel corps vigoureux tu as ! Tu étranglerais un taureau » (Aristophane, Lysistrata, v. 79‑82).

Jeune fille courant. ­Statuette en bronze de Laconie, 520‑500 (­British Museum, Londres)

Jeune garçon pratiquant le bibasis. D’après une aryballe corinthienne, 580 (Corinthe).

Platon et Plutarque rapportent en outre une séquence particulière de l’éducation spartiate, la cryptie. Destinée aux meilleurs des jeunes gens âgés d’au moins vingt ans, la cryptie consiste en un rituel particulier, au cours duquel le Spartiate est envoyé, pendant plusieurs mois, dans les confins de la cité. Il doit y vivre de rapines et ne pas se faire voir de jour ; il lui est en outre permis de tuer des Hilotes. Les cryptes se tiennent ainsi aux marges du territoire et des valeurs de la cité spartiate, notamment par la pratique du vol et la vie en solitaire : on peut lire la cryptie comme un rite de passage et d’inversion, lors duquel les jeunes agissent en anti-citoyens et en anti-hoplites. Ceux qui réussissent cette épreuve intègrent le groupe d’élite de l’armée spartiate. Il est probable que la cryptie n’ait été formellement instaurée qu’après la révolte des Hilotes, en 464, sur la base de rituels plus anciens. Les jeunes, en patrouillant ainsi sur les territoires de la cité, surveilleraient les populations potentiellement rebelles, tout en se formant.

231

Partie 4 Politique, société et économie dans les cités grecques

Le rite de passage « Les Spartiates sont demeurés si loin en arrière sur la voie de l’éducation et du savoir commun à tous qu’ils n’apprennent même pas leurs lettres » (Isocrate, Panathénaïque, 209). Sur la rhétorique à Athènes, voir p. 218. Les Spartiates ont l’habitude de concentrer en quelques mots l’expression d’une idée ; on parle encore aujourd’hui de réponse « laconique ».

« Bois [les navires] perdus. Mindaros tué. Les hommes ont faim. Ignorons ce qu’il convient de faire » (Xénophon, Helléniques, I, 1, 23). Message envoyé par un lieutenant spartiate après la bataille de Cyzique (410) et intercepté par les Athéniens.

La notion de rite de passage a été théorisée par l’ethnologue A.  Van  Gennep (1873‑1957). Il s’agit d’une séquence éducative qui comporte le triptyque ­séparation/ marginalisation/agrégation. Le jeune est ainsi d’abord séparé de son groupe et maintenu dans les marges, au sens spatial comme comportemental. La phase de marginalisation peut reposer sur des rites d’inversion, comme des travestissements. Il est ensuite réintégré au groupe et son statut a alors changé. Cet outil d’analyse est intéressant pour comprendre la cryptie mais aussi l’éphébie attique (voir p. 220) et le mariage spartiate (voir ci-après).

Si Xénophon et Plutarque sont admiratifs de la formation physique et morale imposée à la jeunesse de Sparte, des auteurs comme Isocrate ou Aristote critiquent son aspect militariste et l’absence d’éducation lettrée. Cependant, si les Spartiates n’ont jamais partagé le goût des Athéniens pour la rhétorique, ils savent bien lire et écrire, ce dont témoignent, chez Hérodote, Thucydide et Xénophon, les nombreuses références aux lettres et aux messages nécessaires à la diplomatie et à la vie politique. Quant aux jeunes filles, leur entraînement gymnique est complété par la danse et le chant. Les chœurs de jeunes filles s’illustrent notamment lors de rites dédiés à l’héroïne Hélène. C’est pour ce contexte spartiate particulier que le poète Alcman aurait composé ses Parthénées (voir p. 296).

3. Les coutumes matrimoniales ■■ Le

mariage, un rite de passage Si, comme dans toutes les familles grecques, l’union est scellée par un accord tacite entre deux hommes et la remise d’une dot, les Spartiates entourent le mariage d’un rite particulier : « La jeune fille enlevée était remise aux mains d’une femme appelée nympheutria, qui lui coupait les cheveux ras, l’affublait d’un habit et de chaussures d’homme et la couchait sur une paillasse, seule et sans lumière. Le jeune marié (…) entrait, lui déliait la ceinture et, la prenant dans ses bras, la portait sur le lit. Après avoir passé avec elle un temps assez court, il se retirait décemment et allait, suivant son habitude, dormir en c­ ompagnie des autres jeunes gens » (Plutarque, Vie de Lycurgue, XV). Cette mise en scène a été analysée selon les outils anthropologiques du rite de passage, présenté précédemment : –– par l’enlèvement, la jeune spartiate est en effet séparée de sa classe d’âge, celle des vierges (« phase de séparation ») ; –– puis elle est maintenue à l’écart, seule et dans l’obscurité (« phase de marginalisation ») ;

232

13 La cité spartiate aux temps archaïque et classique

–– enfin, son époux la transfère de la paillasse au lit conjugal, permettant de réaliser la dernière phase dite « d’intégration ». On remarquera aussi dans ce rituel une phase dite « d’inversion », où la jeune femme revêt des atours masculins. Jusqu’aux trente ans de l’époux, âge auquel il cesse de dormir avec ses compagnons, les mariés ne se voient qu’occasionnellement et selon Xénophon et Plutarque, l’époux rend visite à sa femme en usant de la plus grande discrétion. ■■ La

polyandrie et le contrôle des unions Autre trait caractéristique selon Xénophon et Plutarque, les Spartiates pratiquent la polyandrie, à savoir la possibilité pour une femme d’avoir un partenaire sexuel qui soit autre que son époux primaire légitime, avec lequel elle est liée selon une union contractuelle. Cette polyandrie spartiate prend deux formes, celle de « l’emprunt d’utérus » et du « recours au sperme ». Loin d’être un « adultère légal » ou le symptôme d’une quelconque liberté des femmes spartiates, la polyandrie a pour finalité affichée de faire fusionner les meilleurs corps et les meilleurs esprits. Ainsi, dans une perspective eugéniste et nataliste : –– un mari trop âgé peut choisir un nouveau partenaire pour sa femme afin d’obtenir un enfant d’un homme qu’il juge beau et bon. Un métabolisme trop âgé risque d’engendrer des enfants de mauvaise qualité, une idée aussi partagée par Aristote ; –– un Spartiate qui souhaite avoir des enfants dignes d’admiration mais sans vivre en ménage peut procréer avec une Spartiate « de bonne origine qui a déjà eu de beaux enfants » (Xénophon), s’il persuade l’époux primaire ; –– selon Plutarque, il existe à Sparte un triple système d’amendes qui frappent ceux qui s’unissent trop tard (dikè opsigamiou), ceux qui s’unissent mal (dikè kakogamiou) et ceux qui ne s’unissent pas (dikè agamiou), c’est-àdire les célibataires. Ces derniers subissent aussi des humiliations, comme le précise Plutarque dans sa Vie de Lycurgue : « Les célibataires (…) ne pouvaient assister au spectacle des Gymnopédies, et, en hiver, les archontes les obligeaient à faire tout nus le tour de la place publique et à chanter, en le faisant, une chanson composée contre eux et disant qu’ils étaient punis avec justice parce qu’ils désobéissaient aux lois. En outre, ils étaient privés des honneurs et égards que les jeunes gens avaient pour leurs aînés » (XV, 1‑3).

« Car les rejetons des gens âgés, tout comme ceux des jeunes gens, naissent physiquement et intellectuellement imparfaits ; quant à ceux des vieillards, ils sont débiles » (Aristote, Politique, 1335b). Plutarque rapporte que les Spartiates auraient mis à l’amende le roi Archidamos, « qui avait osé prendre en mariage une femme de petite taille, avec ce commentaire : “Ce ne sont pas des rois mais des roitelets qu’il envisage de nous donner” » (Vie d’Agésilas, II, 6).

Les coutumes spartiates en termes d’union et de répression du célibat auraient visé conjointement à produire les meilleurs citoyens par un mode de sélection eugéniste prénatal et postnatal, et à produire des enfants en nombre suffisant. Globalement, le modèle familial spartiate est différent du modèle athénien : –– les rapports entre hommes et femmes diffèrent notablement. Les femmes ont une éducation dont la base s’approche de celle des garçons, celle de

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Partie 4 Politique, société et économie dans les cités grecques

l’entraînement physique et de la compétition. Elles héritent (voir ci-après) et se marient plus tard que la moyenne avec un époux qui peut appartenir à la même génération et qui, en outre, est absent du foyer jusqu’à trente ans, âge auquel il peut rentrer dormir le soir dans sa maison. Mais l’époux continue ensuite d’assister au syssition. Il est possible que les femmes spartiates aient ainsi eu plus d’autonomie que les Athéniennes (même si elles ont aussi un tuteur) ;

Sur la famille à Athènes, voir p. 210.

–– les Spartiates pratiquent une polyandrie à but eugéniste et ­nataliste, moquée et parodiée par l’Athénien Aristophane dans sa pièce de ­l’Assemblée des femmes (392). Les Athéniens, eux, placent en effet au cœur de leurs préoccupations la légitimité des enfants et la répression de l’adultère.

III. La hiérarchie des statuts 1. Des Spartiates de moins en moins nombreux ■■ Semblables

mais inégaux Les citoyens spartiates sont appelés Homoioi, soit les Égaux ou les Semblables. Si l’on suit Xénophon et Plutarque, ils ont tous participé à la même éducation, ils partagent le même repas tous les soirs et ils s’adonnent tous aux mêmes activités : la guerre, la chasse et les affaires de la cité. Ils auraient, au moment des réformes de Lycurgue, reçu un lot de terre identique. Les activités commerciales et agricoles leur seraient interdites et seraient l’œuvre d’autres groupes de la société spartiate, les Hilotes et les Périèques. On nuance cependant aujourd’hui ce schéma de production, en historicisant le moment où les Spartiates se sont consacrés aux affaires politiques et militaires, soit à partir du ve siècle.

En outre, l’égalité des Semblables est un principe de façade : il existe bien une élite parmi les citoyens spartiates, comme l’écrit Hérodote l­ orsqu’il évoque, au début du ve  siècle, « Sperthias fils d’Anéristos et Boulis fils de ­Nicolaos, ­Spartiates de bonne naissance et des plus fortunés ». Comme on l’a vu, les familles royales et certaines autres familles se disent « Héraclides » et revendiquent donc une origine prestigieuse. En outre, certains Spartiates sont de fait plus riches que d’autres, suite à une probable concentration des terres. Ainsi, les propos de Plutarque sur la répartition égalitaire des 9 000 lopins agricoles, les klèroi, à l’époque archaïque, sont à relativiser fortement : si elle a été faite, cette répartition s’inscrit dans le cadre de la conquête de la Messénie, suite aux revendications des combattants, mais, rapidement, les inégalités foncières sont venues déstabiliser le système. On retrouve alors les mieux lotis et les plus riches des Spartiates parmi les vainqueurs des concours hippiques qui se tiennent dans les grands sanctuaires comme Olympie. L’élevage de chevaux est en effet très onéreux et fait partie des marqueurs de distinction sociale des élites grecques. Ainsi, la sœur du 234

13 La cité spartiate aux temps archaïque et classique

roi Agésilas II (r. 398‑359), Kyniska, possède une écurie et accède à la gloire olympique. Elle célèbre ses victoires dans le sanctuaire d’Olympie et consacre un groupe statuaire d’équidés devant le temple de Zeus.

Le pouvoir économique des femmes spartiates Aristote, dans les Politiques (1270a), indique et s’indigne que les femmes possèdent deux cinquièmes du territoire spartiate. Il est vrai qu’à Sparte, contrairement à Athènes, les femmes héritent. Alors que les filles héritières athéniennes ne sont que le relais de transmission du patrimoine paternel (voir p. 208), les filles spartiates entrent en possession de ce qu’elles reçoivent à la mort de leur père. Que ce soit par le système des dots ou par le système de succession, les femmes acquièrent des richesses et notamment une partie des terres du territoire spartiate. Pour Aristote, cette possession féminine est le signe négatif d’un trop grand pouvoir des femmes : Sparte serait une « gynécocratie » où les inégalités économiques sont aggravées par la concentration foncière aux mains des femmes.

L’économie de Sparte est très faiblement monétarisée ; ce n’est donc pas la possession d’argent qui distingue les individus, sauf à la fin de la guerre du Péloponnèse (voir p. 285).

Les Semblables ne sont pas si égaux que cela. En outre, ils sont de moins en moins nombreux. ■■ L’oliganthropie

spartiate Le phénomène de diminution du nombre de Spartiates est appelé « oliganthropie » et il s’est accéléré au ve siècle, comme on peut le voir dans le tableau ci-dessous : Date

Nombre de Spartiates

Sources

Sous les premiers rois

10 000

Aristote, Politique, 1270a37

En 480, après la bataille des Thermopyles

8 000

Hérodote, VII, 234

En 479, à la bataille de Platées

5 000

Hérodote, IX, 28

En 418, au moment de la bataille de Mantinée

Entre 1 800 et 3 500

Thucydide, V, 64, 3 et 68, 3

En 394, à la bataille de Némée

2 640

Xénophon, Helléniques, IV, 2, 16

Guerre de Corinthe (?)

2 000

Isocrate, Panathénaïque, 255

En 371, au moment de la bataille de Leuctres

Moins de 1 000 combattants

Aristote, Politique, 1270a31

Après la bataille de Leuctres en 371

Environ 1 000 Spartiates mâles de tous âges (400 Spartiates morts à Leuctres)

Xénophon, Helléniques, VI, 4, 15 et 17

Vers 244, à la veille de la réforme d’Agis IV

700 dont 100 possesseurs de terres

Plutarque, Vie d’Agis, 5, 6

Données reprises de N. Richer, Sparte, Paris, 2018, p. 156‑157.

235

Partie 4 Politique, société et économie dans les cités grecques

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : si les Spartiates peuvent mobiliser 8 000 hommes en 480, ils ne sont plus que 700 en 243. La chute du nombre de Spartiates est particulièrement significative au ve siècle. Plusieurs explications ont été avancées à ce phénomène oliganthropique, qui associe le manque d’hommes et le manque de citoyens : –– de nombreux Homoioi auraient perdu leur statut de citoyen pour des raisons socio-économiques (appauvrissement suite à la concentration des terres entre les mains d’une élite mais aussi émiettement des patrimoines, en cas de fratrie nombreuse) et auraient ainsi gonflé le groupe des « Inférieurs » ; –– le tremblement de terre de 464 et les troubles militaires qui suivent ont aussi gravement affecté le corps civique spartiate. Selon Diodore de Sicile, 20 000 Lacédémoniens ont perdu la vie lors du séisme qui a frappé la Laconie et particulièrement le noyau urbain de Sparte. Le gymnase se serait effondré, entraînant la mort des jeunes éphèbes en plein entraînement ; –– les guerres ont structurellement affecté la démographie spartiate : guerres médiques, affrontements lors de la première guerre du Péloponnèse (461‑446), guerre du Péloponnèse (431‑404) et conflits multiples au ive siècle ; –– plus récemment, on doit à l’historien américain T. Doran d’avoir pointé les structures de reproduction et d’éducation comme des facteurs influant négativement la reproduction. La parenté substitutive liée à l’éducation collective des jeunes et, corrélativement, le retrait paternel, induisent structurellement un faible investissement parental des pères. Parallèlement, le statut privilégié des femmes spartiates, notamment leur rôle économique, par rapport à d’autres épouses du monde grec, a pu être mis en relation avec le faible taux de natalité des Spartiates. Aujourd’hui, les sociologues et les démographes insistent sur la relation, dans une société donnée, entre le taux de natalité et le degré d’autonomie des femmes. Face à la gravité du phénomène oliganthropique, les Spartiates ont eu du mal à trouver des solutions rapides et efficaces. On peut chercher du côté des politiques natalistes et des incitations à la procréation. Aristote, dans ses Politiques (1270b1‑4), évoque ainsi l’interdiction du célibat couplée à une exemption du service militaire pour les pères de trois enfants et de toute charge pour les pères de quatre enfants. La polyandrie, expliquée antérieurement (voir p.  233), peut aussi se c­ omprendre dans un cadre d’encouragement quantitatif à la procréation, en plus d’être une pratique eugéniste. Xénophon rapporte d’ailleurs que les enfants nés des unions polyandriques n’héritent pas et donc ne morcellent pas le patrimoine, tout en étant des forces mobilisables en cas de guerre. Selon cette hypothèse, les enfants nés des unions polyandriques ne seraient donc pas 236

13 La cité spartiate aux temps archaïque et classique

des Homoioi à part entière, puisque ne possédant pas la richesse foncière nécessaire, mais ils constitueraient un type particulier d’Inférieurs et participeraient à la défense de la cité. Les Spartiates ont finalement attendu le iiie siècle pour reconstituer leur corps civique en y intégrant notamment des anciens esclaves, les Hilotes, et des Périèques.

2. Les Hilotes ■■ Spartiates

déchus ou population asservie ? « La grande affaire pour les Lacédémoniens par rapport aux Hilotes est essentiellement de s’en protéger ». Par ce constat, l’historien Thucydide pose l’épineux problème des relations entre Sparte et ses esclaves, qui intriguaient déjà les Anciens.

Derrière le terme d’Hilote se trouve une communauté double : les esclaves de Sparte se répartissent entre deux zones géographiques, la Laconie et, pardelà le mont Taygète, la Messénie. Si certaines sources présentent les Hilotes comme une population locale asservie par étapes après l’extension de l’autorité spartiate, Antiochos de Syracuse (ve siècle) fait des premiers Hilotes d’anciens Spartiates déchus après avoir refusé de faire la guerre de Messénie. Quoi qu’il en soit et contrairement à d’autres cités, Sparte disposent de peu d’« esclavesmarchandises » achetés sur les marchés et provenant de captures de guerres lointaines ; sa population servile est avant tout grecque et non barbare. Les Sur la libération Hilotes de Messénie sont libérés suite à l’intervention des Thébains, en 369. de la Messénie, voir p. 144. ■■ Des

agriculteurs avant tout Beaucoup d’Hilotes vivent dans les campagnes spartiates, cultivant le lopin (klèros) appartenant à un citoyen de plein droit, un des Homoioi, à qui ils doivent reverser une part des récoltes, libre à eux de conserver le reste. Ce ­système ­permet aux Spartiates de nourrir leur famille sans travailler et de se concentrer sur trois activités, du moins à l’époque classique : la guerre, la chasse et les affaires de la cité. Dans cette dernière, le citoyen doit participer quotidiennement au syssition, duquel il peut être exclu s’il ne fournit pas sa quote-part en nourriture, issue du labeur servile. Privé de syssition, le Spartiate encourt la déchéance de citoyenneté. Parce que les Hilotes sont ainsi indispensables au fonctionnement de la cité spartiate, ils doivent être en nombre constant. Ils ne peuvent pas être vendus à l’extérieur du territoire ni affranchis par des particuliers. C’est pourquoi on en fait souvent des « esclaves publics » appartenant à la communauté spartiate. Cependant, les sources révèlent que les Hilotes sont prêtés entre voisins et qu’ils appartiennent bien aussi à des maîtres particuliers, dont ils doivent ­d’ailleurs pleurer la perte par le deuil. Par ailleurs, certains Hilotes vivent auprès des Spartiates citadins, chez qui ils effectuent les tâches domestiques et accompagnent les jeunes pendant l’agôgè, sans pour autant bénéficier des 237

Partie 4 Politique, société et économie dans les cités grecques

avantages bien gardés de la citoyenneté. Un fossé statutaire sépare les Homoioi des Hilotes, et toute une tradition, dès l’époque classique, insiste sur les traitements cruels qu’ils reçoivent afin d’intérioriser leur condition inférieure. ■■ « Le

mépris des Hilotes »

Sous cette expression, J. Ducat a rassemblé les témoignages épars et soumis à caution sur la difficile condition hilotique. À en croire par exemple Myron de Priène (iiie siècle ?), la « dégradation » des Hilotes passe d’abord par leur aspect. Ils doivent porter un bonnet de cuir et une peau de bête qui les singularisent. Ensuite, certains Hilotes sont rituellement et annuellement f­ ouettés, sans pour avoir cependant commis de faute, hormis celle d’être des Hilotes. Ridiculisés lors des syssitia où on les enivre de vin pur, ils sont ­sommés de danser de façon grotesque : leur humiliation sert de support pédago­gique à la formation des jeunes spartiates. Parmi ces derniers, on l’a vu, les plus vaillants seraient soumis à l’épreuve annuelle de la cryptie. Épreuve initiatique, la cryptie aurait aussi été un moyen de surveiller les Hilotes qui peuvent être tués par ces patrouilles de jeunes. D’après Aristote et Plutarque, les cryptes seraient protégés de la souillure d’un tel meurtre par la guerre rituelle que les magistrats spartiates, les éphores, déclarent tous les ans à la masse servile. Selon Myron de Priène, la mort guette aussi les Hilotes devenus trop forts et musculeux ; pour avoir laissé un esclave atteindre une apparence supérieure à son vil statut et devenir un potentiel danger pour la communauté, le maître serait, lui, passible d’une amende. Les historiens considèrent cependant avec méfiance le dossier antique du contrôle de la corpulence des Hilotes et de ­l’élimination des plus forts. D’abord, la plupart des Hilotes vivent loin des ­Spartiates, sur les terres agricoles, et il aurait été impossible de tous les ­surveiller. Ensuite, l’effort demandé aux Hilotes, l’entretien indispensable des champs, ne peut être exigé d’esclaves trop chétifs. Il est probable que les Spartiates aient été tiraillés entre la nécessité d’avoir recours aux Hilotes en nombre pour se consacrer à leur « métier de citoyen » et la peur de voir ces mêmes esclaves prendre trop d’indépendance s’ils les traitaient avec laxisme, d’où les rituels d’humiliation récurrents évoqués. Mais une trop grande cruauté aurait pu aussi les pousser à la haine et à la révolte. Cette « schizophrénie des Spartiates », expression utilisée par des ­ istoriennes (F.  Ruzé) comme par des ethno-psychiatres (G.  Devereux), h ­s’illustre pendant de la guerre du Péloponnèse. En 424, le général spartiate Brasidas traverse la Grèce pour attaquer, avec succès, la position athénienne d’Amphipolis, située en Thrace : avec lui, 700 Hilotes armés à qui a été promise la liberté. Après le succès spartiate, ils sont ainsi récompensés par un affranchissement collectif, prenant alors le nom de « Brasidiens » ; désormais libres, mais non citoyens, ils sont installés aux confins de la Laconie.

238

13 La cité spartiate aux temps archaïque et classique

Thucydide rapporte cet épisode auquel il ajoute un complément d’informations. Auparavant, les Spartiates auraient demandé aux Hilotes qui s’estimaient dignes d’être affranchis pour leur loyauté envers Sparte de se signaler ; naïvement, les plus méritants se seraient désignés et les Spartiates auraient fait disparaître ces potentiels meneurs de troubles pleins d’orgueil. Pour 700 Hilotes recouvrant leur liberté, 2 000 auraient été ainsi massacrés en secret, équilibre révélateur de ­l’inquiétude sourde des Spartiates face à des Hilotes qu’eux-mêmes auraient été obligés d’enrôler dans leur armée, faute d’hommes citoyens suffisants. On l’a vu, un des maux endémiques de la société spartiate est ­l’oliganthropie. Pour quelques milliers de Spartiates, il y aurait eu entre 120 000 et 190 000 Hilotes. ■■ La

révolte des Hilotes de 464 Si Platon évoque une menace messénienne perceptible dès le début du ve siècle, ce qui aurait expliqué le retard des Spartiates à Marathon en 490, il est finalement assez difficile d’avoir des certitudes sur les agitations hilotiques avant le soulèvement bien attesté de l’année 464. Profitant du chaos consécutif à un puissant tremblement de terre, des Hilotes de Laconie et surtout de Messénie se révoltent et se retranchent sur le mont messénien de l’Ithôme. Plusieurs années sont nécessaires aux Spartiates pour mater la rébellion, et ce malgré l’aide de plusieurs alliés dont des Athéniens, menés par le stratège philospartiate Cimon. Pour Plutarque, ce soulèvement de 464 expliquerait le durcissement des traitements à l’égard de la population servile : c’est de cette époque que pourrait dater la mise en place de la cryptie.

Sur l’expédition de Cimon, voir p. 130.

3. Les Périèques Les Périèques sont ceux « qui habitent autour ». Ce sont des hommes libres vivant dans les petites cités de Laconie et de Messénie sous contrôle spartiate ; le territoire qu’ils habitent est appelé dans les textes la Perioikis. Il est difficile de dénombrer précisément les cités périèques, entre soixante et cent à l’époque classique, certaines très petites, d’autres des bourgades plus importantes comme Gytheion (le port de Sparte), Pellana ou Prasiai. Elles sont reliées à Sparte par un réseau routier. En l’absence de sources écrites nous renseignant précisément sur le statut des Périèques, l’archéologie est ici précieuse.

Voir la carte du Péloponnèse dans l’atlas final.

On peut avancer que, contrairement aux Hilotes, les Périèques ne sont pas asservis mais qu’ils demeurent statutairement inférieurs aux citoyens spartiates. En effet, les Périèques sont membres de l’État lacédémonien mais ils n’y jouent aucun rôle politique, comme des « citoyens passifs de Lacédémone » (J. Christien et F. Ruzé). Les Périèques ne peuvent pas être magistrats ou participer aux débats de l’Assemblée. Ils obéissent aux ordres de mobilisation lorsque la guerre est votée à l’Assemblée de Sparte ; on les retrouve nombreux dans l’armée lacédémonienne, avant tout comme hoplites. 239

Partie 4 Politique, société et économie dans les cités grecques

Dans son œuvre Panathénaïque, l’orateur athénien Isocrate dresse un portrait assez noir de la condition périèque, en insistant sur leur humiliation, leur dépendance, leur relégation et leur dispersion sur les plus mauvaises terres. Cependant, habitant donc en poleis, les Périèques bénéficient non seulement d’une certaine autonomie mais ils peuvent assurer leur subsistance grâce à leur production agricole (olives, céréales et élevage). Certes soumis aux éphores de Sparte, les Périèques s’administrent euxmêmes et Thucydide précise qu’ils organisent la levée des contingents envoyés ensuite à Sparte, lors des guerres. Lorsqu’ils ne guerroient pas, les Périèques sont majoritairement des agriculteurs ; il est possible qu’ils aient aussi eu des Hilotes pour les aider aux champs. Ils exercent en outre des activités artisanales, produisant vaisselle, armes et outils. Même dépendants des Spartiates, les Périèques leur ont été globalement fidèles, en tout cas jusqu’en 370. Lors de la révolte qui suit le tremblement de terre de 464, seules deux cités périèques font défection. En revanche, lorsque les Thébains envahissent le territoire spartiate en 370‑369, des Périèques s’affranchissent de la tutelle spartiate, comme les Skirites, habitants des régions montagneuses au nord de la Laconie, proches de l’Arcadie. Selon E. Lévy, plusieurs facteurs expliquent la fidélité des Périèques : –– les régimes oligarchiques des cités périèques sont politiquement solidaires avec Sparte ; Lorsque les sources évoquent les « Spartiates », il s’agit du groupe des citoyens de plein droit (les Homoioi). Les « Lacédémoniens » désignent la réunion des Spartiates et des Périèques. Quant aux « Lacédémoniens et leurs alliés », il s’agit de la ligue du Péloponnèse (voir p. 111).

–– trop petites et trop dispersées, les cités périèques n’ont pas pu s’organiser face à Sparte ; –– si les Périèques ont pu aussi disposer d’une main-d’œuvre hilotique, le système spartiate leur convient, d’autant qu’ils ne sont pas tout en bas de l’échelle sociale et sont, comme les Spartiates, libres et inclus dans le groupe des « Lacédémoniens ». Ils ont en commun avec les Spartiates un rapport privilégié aux deux rois dits « Rois des Lacédémoniens » ; –– les communautés périèques n’ont pas une origine unique. Cette hétérogénéité ne facilite pas la constitution d’un mouvement de résistance.

4. Les statuts intermédiaires ■■ Trembleurs,

Mothakes et Néodamodes Outre la tripartition entre Semblables, Hilotes et Périèques, la société spartiate est composée d’autres groupes intermédiaires, certains réalisant une ascension sociale, là où d’autres, au contraire, perdent une partie de leurs privilèges.

Les individus qui présentent des faiblesses sont marginalisés afin de ne pas contaminer la communauté spartiate, ni par leur présence, ni par leur semence. Le cas des Tresantes (les « Trembleurs »), présenté par Xénophon (Constitution des Lacédémoniens, 9), est éloquent. Le lâche à la guerre ne trouve plus de 240

13 La cité spartiate aux temps archaïque et classique

commensal ni de partenaire de palestre ; à l’inverse de la proédrie, il a les plus mauvaises places dans les chœurs. Quand deux équipes se forment pour jouer à la balle, le Tresas n’a aucune place assignée : il est rejeté et ignoré par le groupe. Les Tresantes ne peuvent pas donner leurs filles en mariage ou épouser une Spartiate et, double peine, ils doivent payer l’amende des agamoi, des célibataires. Il est clair que ces interdictions matrimoniales démontrent bien la volonté des Spartiates de ne pas laisser un Tresas se reproduire ; on n’oubliera pas que la finalité première du mariage grec est l’enfantement. Une autre catégorie statutaire apparaît dans les sources, celle des Mothakes, qui désigne un mode particulier de filiation. On l’a vu, les Spartiates pratiquent à la fois la monogamie et la polyandrie : une même femme peut être l’épouse légitime d’un Spartiate et avoir par ailleurs des relations sexuelles à but procréatif et eugéniste avec d’autres hommes. Les enfants nés de l’union avec son époux primaire peuvent devenir citoyens de plein droit, après avoir reçu l’éducation spartiate, faire partie de la caste restreinte des citoyens Homoioi et hériter du patrimoine familial. Les enfants nés des unions secondaires polyandriques gonflent le groupe familial sans pouvoir prétendre à l’héritage afin de ne pas le morceler, et peuvent aussi suivre l’éducation spartiate, sans toutefois devenir des Homoioi à part entière. Pour J.  Christien, ces enfants nés des unions polyandriques sont les Mothakes. Parmi ces Mothakes utiles à la cité car ils participent à sa défense, certains se seraient même distingués, ainsi Lysandre, le célèbre navarque vainqueur de la guerre du Péloponnèse. Il aurait même obtenu la citoyenneté spartiate pleine et entière ; cela reste un cas exceptionnel de promotion sociale des Mothakes. Cependant, le cas de Lysandre pourrait relever de la propagande négative de certaines sources ; le général spartiate aurait été non un Mothax mais un membre du prestigieux groupe familial des Héraclides. Parmi les Hilotes, certains sont affranchis pour les récompenser d’avoir servi Sparte. C’est le cas des Brasidiens de 424 qui ont suivi le général spartiate Brasidas en Chalcidique et en Thrace et qui recouvrent leur liberté. Mais ils sont finalement installés à Lépréon, entre Laconie et Élide, et doivent continuer à protéger les frontières de l’État lacédémonien. Les sources évoquent aussi le terme Néodamodes, pour caractériser ces Hilotes affranchis qui, comme les Périèques, jouissent d’une liberté sans réel droit politique. ■■ La

conspiration de Cinadon Xénophon rapporte qu’au début du règne d’Agésilas II (r. 398‑359), une conspiration est déjouée par les éphores. Elle est menée par un certain Cinadon qui ne fait pas partie du groupe privilégié des Homoioi. Même si elle n’aboutit pas, la conspiration témoigne des fortes tensions traversant la société ­spartiate, ­fortement inégalitaire et engendrant de nombreuses frustrations. En effet, selon Xénophon, les insurgés comptent parmi eux des représentants de toutes les catégories d’exclus de Sparte, qui n’ont accès ni à la terre, ni 241

Partie 4 Politique, société et économie dans les cités grecques

aux ­fonctions politiques : des « Inférieurs » (dits Hypomeiones, peut-être des ­Spartiates appauvris), des Périèques, des Hilotes et des Néodamodes. Beaucoup plus nombreux que les Spartiates, leur complot aurait pu aboutir. Cinadon, à qui les Spartiates confient une mission prétexte afin de le faire arrêter en dehors de la ville, illustre bien l’existence d’individus non-citoyens mais qui exécutent parfois des tâches importantes. On peut supposer qu’il ait été déchu de sa citoyenneté pleine et entière pour raison économique ou pour lâcheté à la guerre. Après son arrestation, lorsqu’il est interrogé sur ses motivations, il déclare que « c’était pour n’être à ­Lacédémone l’inférieur de personne ». Étouffée dans l’œuf, la révolte portée par Cinadon et ses compagnons hétéroclites témoigne d’un problème structurel à Sparte. Les Spartiates, peu nombreux, exploitent à des fins militaires et économiques des dizaines de milliers d’individus sans leur concéder ce qu’ils attendent en retour, liberté pour certains, citoyenneté nouvelle ou retrouvée pour d’autres.

IV. Les institutions spartiates Sparte est une oligarchie où seuls quelques citoyens, les Homoioi, ont les pleins droits politiques grâce à leur filiation (nés de Spartiates), à leur richesse (ils possèdent un klèros et peuvent fournir leur quote-part au syssition), et à leur éducation (ils ont suivi et supporté l’agôgè). Sur les oligarchies archaïques, voir p. 67.

La particularité de la constitution spartiate est d’avoir conservé une royauté alors que les autres cités grecques, à l’époque archaïque, ont destitué leurs rois au profit de grandes familles dirigeantes. C’est encore à Lycurgue que les Anciens attribuent la mise en place de la constitution spartiate, appelée « Grande Rhètra » et soufflée à l’oreille du législateur par Apollon de D ­ elphes. Le programme politique de Lycurgue avait ainsi une caution religieuse et oraculaire.

1. La dyarchie Deux familles royales règnent conjointement à Sparte, les Agiades et les ­Eurypontides, dont les origines remontent à Héraklès. La succession se fait selon le principe de primogéniture corrigée par le principe de ­porphyrogenèse : le prétendant au trône est le premier né pendant le règne de son père. L’idée est que pour être roi, il faut avoir été engendré par un sang royal, non seulement de naissance, mais aussi en exercice. Les rois ont des privilèges qui les distinguent. Ils possèdent un domaine foncier particulier, prélevé sur les terres périèques ; ils ont droit à une part de butin plus importante, ainsi qu’à une ration supplémentaire lors du syssition.

242

13 La cité spartiate aux temps archaïque et classique

Les rois cumulent des fonctions politiques et judiciaires, militaires et religieuses : –– ils sont membres de droit du Conseil des Anciens, dit Gérousia. Outre les rois, ce Conseil regroupe vingt-huit Spartiates de plus de soixante ans, désignés à vie par la communauté et qui ont une grande importance dans la vie politique spartiate, préparant notamment le travail de l’assemblée et se constituant le cas échéant en cour de justice. Les rois veillent en outre à l’application d’un certain droit familial : ils s’occupent des filles héritières et des adoptions. Ils sont enfin compétents pour la surveillance des routes qui maillent le territoire spartiate ; –– les rois sont des chefs militaires. Ils ne décident pas de l’entrée en guerre, votée par les Spartiates en assemblée, mais ils dirigent l’armée. À ce titre, de retour à Sparte, les rois peuvent être poursuivis s’ils se sont conduits en mauvais chefs d’expédition. Par exemple, en 476, un tribunal juge et condamne le roi Léotychidas II qui a épargné les Thessaliens. En 418 c’est au tour d’Agis II d’être jugé par les Lacédémoniens pour avoir négocié une trêve avec les Argiens. Depuis 506, un seul des deux rois part en campagne tandis que l’autre reste à Sparte ; –– enfin, les rois jouent un important rôle religieux. En campagne, ils décident des sacrifices à exécuter pour s’attirer les faveurs des dieux ; ils président, selon Xénophon, à tous les sacrifices publics faits au nom de la cité. Ils exercent les prêtrises de Zeus Lakedaimôn et de Zeus Ouranios et ils sont personnellement protégés par les deux figures héroïques et gémellaires des Dioscures, Castor et Pollux, qui sont les fils de Tyndare. Ainsi les rois, eux-mêmes Héraclides, font le lien entre les deux passés mythiques de la cité, celui d’Héraklès et celui des Tyndarides. Les funérailles royales, décrites par Hérodote (VI, 58-59), rendent aussi compte de leur statut hors du commun : toutes les composantes de la société spartiate, Périèques et Hilotes compris, sont présentes et le deuil prend des atours spectaculaires.

Sur Héraklès et Tyndare, voir p. 224.

Ainsi, les rois spartiates sont des figures prestigieuses, honorées et respectées ; mais ils ne se soustraient pas au jugement des Spartiates, qui les contrôlent de près. Les rois spartiates (520‑300) Agiades

Eurypontides

Cléomène Ier (520‑488)

Démarate (515‑491)

Léonidas (488‑480)

Léotychidas II (491‑476)

Pleistarchos (480‑458 ; régence de Pausanias en début de règne)

Archidamos II (476‑427)

Pleistoanax (458‑446 puis 424‑409 ; régence de Cléomène entre 446 et 424)

Agis II (427-v. 398)

243

Partie 4 Politique, société et économie dans les cités grecques

Agiades

Eurypontides

Pausanias (409‑395/394)

Agésilas II (v. 398‑359)

Cléombrote (395/394‑371)

Archidamos III (359‑338)

Agésipolis II (371‑370)

Agis III (338‑331)

Cléomène II (370‑309)

Eudamidas Ier (331‑300)

2. L’Assemblée des Spartiates Les Spartiates se réunissent en assemblée (ekklèsia), à une fréquence difficile à définir, peut-être à chaque pleine lune si l’on suit les scholies à Thucydide. ­L’Assemblée débat sur des questions préalablement discutées par la Gérousia et qui lui sont ensuite présentées. Les historiens actuels ne s’accordent pas sur l’étendue des pouvoirs de l’Assemblée, entre simple chambre d’enregistrement des propositions des gérontes, ou pleine et entière souveraineté sur ces mêmes propositions, pouvant les discuter, les accepter ou les rejeter. L’Assemblée vote dans tous les cas l’entrée en guerre ; elle élit en outre les magistrats, notamment les éphores.

3. Le rôle des éphores Les éphores sont au nombre de cinq, élus chaque année parmi tous les citoyens spartiates, et pour une durée d’un an. Avec les rois, les navarques et les polémarques, ce sont les seuls magistrats spartiates dont on ait le nom précis, signe de l’importance que leur ont donnée les sources anciennes. Cependant, leur charge étant annuelle et collégiale, leur pouvoir est limité. Leur rôle est notamment de contrecarrer toute tentative de personnalisation du pouvoir par les rois, qu’ils contrôlent étroitement. Ainsi, une procédure particulière, dite l’astéroscopie, permet aux éphores, tous les huit ans, de pouvoir suspendre un roi, si les signes divins transmis par l’observation des étoiles en décident ainsi. Le roi incriminé peut alors s’en remettre à Apollon de Delphes ou à Zeus d’Olympie, pour retrouver son pouvoir. Globalement, les sources anciennes montrent que c’est aux éphores que l’on s’adresse lorsqu’on veut se plaindre du comportement de tel ou tel roi. D’ailleurs, à l’époque classique, deux éphores accompagnent le roi en campagne, tandis que les trois autres restent à Sparte. Les attributions des éphores dépassent le contrôle des rois. À partir du v  siècle, ils veillent à la levée des contingents en cas de guerre et s’occupent des relations officielles de Sparte avec l’extérieur. À une date incertaine, ils ont supplanté les gérontes dans la préparation des débats de l’Assemblée, dont ils assurent la présidence et dont ils organisent les votes. e

244

13 La cité spartiate aux temps archaïque et classique

4. Les navarques Les navarques sont des « chefs de navires ». Au départ, la navarchie n’est pas une magistrature annuelle mais une fonction utilisée selon l’engagement maritime de la cité. Il s’agit d’un commandement dont le choix relève des autorités militaires de Lacédémone, les rois et les éphores. Il arrive d’ailleurs que les rois et les éphores ne s’accordent pas sur le choix des navarques et entrent en conflit, comme en 413/412. La première mention explicite d’un navarque date de 480, lors de la bataille du Cap Artémision contre les Perses, où Eurybiade commande la flotte grecque. Parmi la quarantaine de navarques connus, Lysandre se détache nettement. Il est nommé navarque en 407 et remporte une première victoire à Notion contre les Athéniens. Il ne reste en poste qu’un an car, selon ­Xénophon, il semblerait que la navarchie devienne, à partir de Lysandre, une fonction annuelle et non renouvelable. Il est probable que ce soit précisément pour enrayer la carrière de Lysandre qu’une telle décision a été prise. Lysandre est ainsi remplacé par Callicratidas, qui meurt en 406 lors de la bataille des Arginuses. En 405, le navarque officiel est un certain Aracos mais Lysandre occupe la fonction de secrétaire de navarque, l’épistoleus. Les ­Spartiates lui ont octroyé ce titre car, suite à la catastrophe des Arginuses, les alliés de Sparte et Cyrus réclament son retour. Lysandre est donc maître de la situation même s’il n’en a pas le titre : il négocie avec Cyrus qui continue à financer la flotte spartiate et il est l’artisan de la victoire navale d’Aigos Potamos Sur Lysandre et la guerre contre Athènes (405). du Péloponnèse, voir p. 136. Après Lysandre, l’annualité est la règle et certains navarques le sont à plusieurs reprises, mais pas de façon consécutive. Certaines années, il y a même plusieurs navarques, en fonction du théâtre des opérations qui se multiplient pendant les années d’hégémonie spartiate (404‑371). Le dernier navarque est un certain Mnasippos, actif à Corcyre en 373/372. La disparition des navarques coïncide avec le repli terrestre des Spartiates, suite à la défaite de Leuctres en 371 qui met un terme à leur suprématie.

Sur l’hégémonie spartiate, voir p. 141.

À RETENIR nnSparte est une oligarchie. Le pouvoir est exercé par des citoyens appelés Homoioi

ou Semblables, qui sont de moins en moins nombreux à l’époque classique.

nnPour être citoyen, il faut cumuler une filiation citoyenne et la possession d’un lopin

de terre, dont la production permet d’assister aux repas communs, et avoir supporté l’éducation spartiate.

nnLe pouvoir politique et judiciaire est partagé entre deux rois, une assemblée de

citoyens, cinq éphores et vingt-huit gérontes.

nnLes Hilotes sont les esclaves de Sparte et sont attachés au lopin de terre du citoyen,

le klèros.

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Partie 4 Politique, société et économie dans les cités grecques

nnLes Périèques constituent une population libre mais non citoyenne. nnDes catégories intermédiaires existent à Sparte comme les Trembleurs ou les

Néodamodes.

nnLes citoyennes spartiates, contrairement aux Athéniennes, héritent et ont donc un

rôle économique important. Les filles, comme les garçons, reçoivent une éducation collective et obligatoire, dont la finalité est notamment de façonner des corps ­reproducteurs de la meilleure qualité.

LES DATES ESSENTIELLES Entre 695 et 675 : première guerre de Messénie Entre 635 et 600 : deuxième guerre de Messénie 556/555 : éphorat de Chilon 464 : tremblement de terre en Laconie et révolte en Messénie. Rupture avec Athènes 407‑404 : Lysandre chef de la flotte spartiate Début ive siècle : conspiration de Cinadon 369 : libération de la Messénie par les Thébains Voir aussi les chronologies de la guerre du Péloponnèse (p.  139) et de ­l’hégémonie spartiate (p. 154).

BIBLIOGRAPHIE J. Christien et F. Ruzé, Sparte. Histoire, mythes, géographie, Paris, 2017. A. Damet, « Le bon grain et l’ivraie. Les politiques eugéniques dans la Sparte antique », Cahiers « Mondes anciens » [En ligne], 10, 2018. A.  Damet et Ph.  Moreau, Famille et société dans le monde grec et en Italie (ve-iie siècles av. J.-C.), Paris, 2017. T. Doran, Spartan Oliganthropia, Leyde, 2018. J.  Ducat, Les hilotes, Bulletin de Correspondance Hellénique, Supplément  XX, 1990. S. Hodkinson, Property and wealth in classical Sparta, Swansea, 2000. E. Lévy, Sparte. Histoire politique et sociale jusqu’à la conquête romaine, Paris, 2003. « L’énigme Sparte », L’Histoire, avril 2018. F. Ollier, Le mirage spartiate. Étude sur l’idéalisation de Sparte dans l’Antiquité grecque de l’origine jusqu’aux Cyniques, Paris, 1933-1943. N. Richer, Sparte. Cité des arts, des armes et des lois, Paris, 2018. N. M. Kennell, The Gymnasium of Virtue: Education and Culture in Ancient Sparta, Londres, 1995.

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CHAPITRE

14 PLAN DU CHAPITRE I. Une religion polythéiste II. Honorer les dieux : sites, offrandes et acteurs du culte III. Les différentes échelles du culte

Mortels et Immortels Les pratiques religieuses dans le monde grec La religion grecque présente plusieurs particularités. Polythéiste, elle honore des dizaines de héros et de divinités aux champs de compétences variés. Omniprésente, elle encadre autant les grands moments de la vie des individus, naissance, mariage, mort, que le quotidien domestique et le quotidien politique. Aucun repas ne commence sans une invocation à Hestia et aucune séance de l’Assemblée ne s’ouvre sans un sacrifice préliminaire. Les maisons, les carrefours, les temples, les grottes ou les ­montagnes peuvent devenir des lieux d’expression de la piété. Le terme « religion » n’a d’ailleurs pas d’équivalent en grec ancien et c’est l’eusebeia, la piété, qui constitue la norme et le bon comportement à adopter afin de s’attirer les faveurs des divinités. Dans ce système très ritualiste et polythéiste, il n’existe pas de clergé dépositaire d’un savoir sacré, ni de dogme rigoureusement prescrit par un texte de référence. La pratique cultuelle s’appuie p ­ arfois sur des mythes explicatifs, qu’on appelle étiologiques, mais les mythes eux-mêmes peuvent donner lieu à des remaniements ­conjoncturels. La religion grecque est ainsi plastique ; même si les grands cadres n’évoluent guère pendant l’Antiquité, de nouveaux cultes apparaissent. Derrière des pratiques récurrentes, comme les prières, les libations, les sacrifices, les processions, ou encore la divination, les rites se déclinent aussi localement, selon les cités, avec leurs particularismes et leurs mythes régionaux. Tous les types de sources sont exploitables pour l’étude de la religion grecque : l’archéologie, l’épigraphie, l’iconographie et les sources textuelles.

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Partie 4 Politique, société et économie dans les cités grecques

« Tu as suivi les traditions injurieuses des poètes (…) : non seulement ils leur ont jeté à la face des vols, des adultères, des services mercenaires chez les hommes, mais ils ont même inventé que les dieux dévoraient leurs fils, mutilaient leur père, enchaînaient leurs mères (…) (Isocrate, Busiris, 38‑39) ».

I. Une religion polythéiste 1. Des divinités anthropomorphes Les divinités grecques sont anthropomorphes : elles sont représentées avec les caractéristiques physiques des mortels, beauté, laideur, force ou jeunesse, mais aussi avec les qualités et les défauts des humains. Colériques, volages, jalouses, vengeresses, amoureuses et tristes, elles partagent avec les humains de nombreux traits. Des auteurs comme Xénophane de Colophon (570‑475), Isocrate (436‑338) et Platon d’Athènes (428‑348) ont critiqué le caractère anthropo­morphe des dieux et s’insurgent contre les poètes Homère et Hésiode qui colportent des récits où les divinités agissent aussi mal que les hommes. Cependant, les divinités se distinguent aussi nettement du commun des ­mortels. Lorsqu’elles apparaissent aux hommes, ce qu’on appelle une « ­épiphanie », elles sont grandes et impressionnantes comme des « super-­ personnes », selon l’expression de J. Bremmer. Elles se nourrissent aussi différemment : le nectar, l’ambroisie et la fumée des sacrifices constituent leur repas. Dans l’iconographie et la statuaire, les divinités sont reconnaissables grâce à leurs attributs. On peut ainsi distinguer : –– Zeus qui brandit souvent un foudre ou empoigne un sceptre ; –– Déméter qui saisit un épi de blé ; –– Athéna qui est casquée et tient un bouclier ; –– Apollon qui est accompagné de sa lyre ; –– Poséidon qui s’appuie sur son trident ; –– ou encore Artémis qui arme son arc.

Poséidon et son trident. Plaquette de Penteskouphia, 575‑550 (Louvre, Paris).

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Artémis et son arc. Lécythe attique, 470 (Chazen Museum of Art).

14 Mortels et Immortels. Les pratiques religieuses dans le monde grec

Apollon et sa lyre. Médaillon d’une coupe attique, 480 (Musée archéologique, Delphes).

Sur un lécythe attique datant de 470 (MFA, Boston), Zeus est assis sur un rocher et est occupé à enfanter Dionysos qui sort de sa cuisse. Zeus a confié son sceptre à Hermès, reconnaissable grâce à son caducée, ses sandales ailées et son chapeau de voyageur, appelé « pétase ».

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2. Les principales divinités et leurs prérogatives C’est au poète Hésiode que l’on doit, dans sa Théogonie, le récit de la mise en place du panthéon des « Olympiens ». Par ce terme, on désigne en effet les divinités principales auxquelles les Grecs rendent un culte : Zeus, le roi des dieux, ­ phrodite, Héra, sa sœur et épouse, mais aussi Déméter, Poséidon, Hadès, A Hermès, Héphaïstos, Apollon, Artémis, Arès et Athéna. Elles résident sur le Mont Olympe, à l’exception d’Hadès, dieu des Enfers. L’ensemble est une famille qui descend du couple primordial Ouranos / Gaïa. Dès le commencement, les relations au sein de ce groupe divin sont marquées par la violence : Kronos émascule son père Ouranos qui refusait que ses enfants voient le jour. Kronos lui-même, de peur d’être détrôné, engloutit sa progéniture. Suite à un complot ourdi par son épouse Rhéa et son fils Zeus, Kronos régurgite finalement tous ses enfants qui l’affrontent ensuite lors d’une guerre mytho­ logique appelée « titanomachie ». Ce n’est qu’après la neutralisation de Kronos et des Titans que peut se mettre en place le règne de Zeus et des Olympiens. Zeus ne reproduit pas l’erreur de son père et de son grand-père : doté de l’intelligence rusée, Mètis qu’il a avalée, et fréquentant Mémoire (Mnémosynè) et Justice (Thémis), il tire les leçons du passé. Zeus règne mais en partageant et en permettant à chacune des divinités d’avoir des honneurs et des prérogatives, des timai. On trouve parfois dans l’iconographie ou les sources textuelles et épigraphiques l’évocation des « Douze Dieux ». La liste correspondante n’est pas immuable et des divinités comme Dionysos (Athènes), Lêto (Délos) ou

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Chronos et Rhéa (Delphes) sont honorées parmi ce « dodécathéon » (dodéca = douze). Les divinités grecques interviennent dans des domaines aussi variés que la guerre, le mariage, la fertilité humaine et agricole, l’artisanat ou la santé. Si l’on pense communément qu’Arès est le dieu de la guerre et ­Aphrodite la déesse de l’amour, la définition des compétences des divinités grecques est en fait plus complexe. Chaque divinité possède de nombreux qualificatifs, ­appelés épiclèses, qui précisent son champ d’action. Par exemple, à Athènes, la déesse Athéna est honorée dans des contextes très différents : Athéna Erganè est la ­protectrice des artisans, Athéna Promachos est celle qui combat en avant, Athéna Hygeia aide à avoir une bonne santé, Athéna Polias est la protectrice de la communauté civique. Quant à Aphrodite, elle est qualifiée, à Sparte, d’Aréia, c’est-à-dire « guerrière » ; une statue de la divinité en armes confirme cette ­compétence militaire, comme à Corinthe ou à Cythère. Polythéiste, la religion grecque est outre une religion « ouverte » : de nouvelles divinités sont accueillies dans le panthéon des cités, au gré des besoins et de la conjoncture politique. Par exemple, dans l’Athènes classique, Asklépios est gratifié d’un nouveau sanctuaire sur les pentes méridionales de l­ ’Acropole dans les années 420, suite à l’épidémie de typhus qui a ravagé la cité (voir p. 132). Au début de la guerre du Péloponnèse, les mêmes Athéniens introduisent la déesse thrace Bendis dans leur panthéon, par la fête des Bendideia. Son arrivée n’est pas un hasard car les Athéniens cherchent à ce moment-là le soutien du royaume thrace des Odryses contre les Spartiates.

Détail d’un relief votif en marbre représentant Bendis et ses adorateurs, 400‑375 (British Museum, Londres).

« Ouverts en général aux apports de l’extérieur, les Athéniens le sont aussi en ce qui concerne les dieux. Ils ont en effet accueilli nombre de cultes étrangers (…). Il en fut ainsi en particulier des cultes thraces et phrygiens. Ainsi Platon mentionne-t‑il le culte de Bendis et Démosthène les cultes phrygiens (…) » (Strabon, X, 3, 18).

3. Les cultes héroïques Les héros et les héroïnes occupent une place intermédiaire entre les humains et les divinités. Marqués par un destin hors du commun, ils bénéficient parfois d’un culte après leur mort. Dans le cadre de l’aventure coloniale, les Grecs ont ainsi honoré celui qui était à l’origine de la création de la nouvelle cité, selon les mythes de fondation. Ce fut par exemple le cas de Battos à Cyrène ou de Phalantos à Tarente.

Sur le culte de l’oikiste, voir p. 81.

On trouve en outre des cultes rendus à des personnages mythologiques importants dans les traditions locales. Par exemple, sur le territoire spartiate, il existe un culte en l’honneur de plusieurs figures de la guerre de Troie : le couple royal de Ménélas et Hélène est honoré dans un sanctuaire à Thérapnè, où ils auraient été enterrés, à l’est de Sparte. Le héros Achille est lié à deux sanctuaires, l’un au nord de Sparte et l’autre à ­Prasiai, sur la côte orientale de la Laconie. Dans l’Athènes classique, le culte du héros Thésée prend une nouvelle ampleur. Dans la tradition poétique, depuis le début du ve siècle, Thésée n’est plus le fils du roi Égée mais le fils du dieu des mers, Poséidon. Cette manipulation généalogique permet de lier Thésée au domaine maritime au moment

Sur Thésée, Minos et Poséidon, voir p. 27.

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Partie 4 Politique, société et économie dans les cités grecques

Sur l’empire d’Athènes, voir p. 122.

« Où trouver une cité qui l’emporte sur la nôtre ? Son peuple n’est pas un étranger venu d’ailleurs : nous sommes autochtones. Les autres cités, formées avec des éléments différents, comme le sont les pièces amenées par un coup de dés, se sont peuplées d’un ramassis de toute provenance : or quiconque quitte une cité pour venir habiter dans une autre est comme une pièce rapportée dans une charpente ; il est citoyen de nom. Il ne l’est pas de fait » (Lycurgue, Contre Léocrate, 100).

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où Athènes devient une thalassocratie. En 476, le stratège Cimon rapporte les ossements de Thésée de l’île de Skyros. Un temple en l’honneur de Thésée, le Theseion, est alors édifié sur l’Agora. Déjà au cœur de fêtes liées à la jeunesse, les Pyanopsies et les Oschophories, Thésée est honoré à partir des années 470 lors des Theseia établies par Cimon. Désormais, le culte du héros Thésée est aussi en lien avec les intérêts impérialistes athéniens.

Mais les Athéniens ne sont pas uniquement tournés vers la mer. Ils vouent aussi un culte au sol de leur patrie. La terre, qui est identifiée à la déesse Gaia, a en effet donné naissance au premier Athénien, Érichthonios, qui est ainsi « autochtone ». Il est recueilli ensuite par Athéna, comme on peut le voir sur un fragment de coupe attique (450, Met, New York).

La naissance du premier Athénien « Certains disent qu’Érichthonios était le fils de Poséidon et d’Atthis, la fille de C ­ ranaos ; mais d’autres qu’il était le fils d’Héphaïstos et d’Athéna, et en voici l’histoire : un jour Athéna se rendit chez Héphaïstos pour se faire forger des armes ; le dieu, qui avait été abandonné par Aphrodite, se prit à désirer Athéna, et, comme elle s’enfuit, il se mit à la poursuivre. Quand, après bien des efforts (car il était boiteux), il réussit à la rejoindre, il essaya de la posséder ; mais Athéna, qui était chaste et vierge, se libéra de son étreinte, et Héphaïstos éjacula sur la cuisse de la déesse. Dégoûtée, Athéna essuya le sperme avec un morceau de laine, qu’elle jeta par terre. Puis elle s’enfuit. Mais de la semence tombée à terre naquit Érichthonios » (Apollodore, Bibliothèque, III, 14, 6, trad. Ugo Bratelli, 2002).

Les divinités et les héros liés au mythe de l’autochtonie sont honorés dans l’Érechteion, sur l’Acropole (voir p. 124). Dans la rhétorique patriotique des discours politiques et des oraisons funèbres prononcées en l’honneur des soldats morts au combat, l’autochtonie est brandie comme un des arguments expliquant la supériorité d’Athènes.

14 Mortels et Immortels. Les pratiques religieuses dans le monde grec

II. Honorer les dieux : sites, offrandes et acteurs du culte 1. Espaces sacrés Lorsqu’un espace est assigné à une divinité ou un héros, les Grecs le nomment téménos : c’est dans cette enceinte désormais sacrée que les différents rites se déroulent. Le téménos peut être matériellement délimité par des bornes, comme celles du sanctuaire d’Asklépios et d’Apollon Kuparissios, à Kos. Plus massif, le téménos d’Apollon à Delphes et de Déméter et Koré à Éleusis est entouré d’un mur percé de portes ; lorsqu’il y a ainsi une clôture, on parle alors de « péribole ». Mais le sanctuaire peut aussi avoir pour frontière un élément naturel, comme un fleuve : à Olympie, consacré à Zeus, c’est le cas du cours de l’Alphée. Pour pénétrer dans l’espace du téménos, il faut être katharos, un terme que l’on traduit souvent par « pur ». Les sources épigraphiques nous renseignent ainsi sur les situations qui provoquent un état de souillure temporaire et qui empêchent les individus concernés d’entrer dans les sanctuaires, notamment les personnes présentes lors d’une naissance ou qui sont en deuil. Dans le sanctuaire, on trouve toujours un autel sur lequel on sacrifie et où on dépose les offrandes : l’autel peut être de pierres mais aussi constitué par le conglomérat des cendres de sacrifice, comme à Olympie. À Délos, l’autel appelé Keraton est particulièrement célèbre car il passe pour avoir été fabriqué par Apollon lui-même, à l’âge de quatre ans, avec les cornes des chèvres chassées par sa sœur, Artémis. Dans les sanctuaires, on trouve aussi parfois un temple : les rites ne s’y déroulent pas mais il abrite la statue de la divinité et les objets consacrés au culte. C’est la maison du dieu et les fidèles n’y ont qu’un accès restreint : ce n’est que lors des processions que l’on sort la statue. Par exemple, la statue d’Athéna Polias, faite d’un morceau de bois appelé xoanon, est abritée dans le temple de l’Érechteion, sur l’Acropole. Lors de la fête des Plyntéries, les Athéniens la portent en procession jusqu’au port de Phalère, où elle est plongée dans l’eau de mer avant de retourner en sa demeure. La construction d’un temple grec obéit à un schéma récurrent tripartite. La première salle, ou vestibule, est appelée pronaos ; puis vient la pièce centrale qui abrite la statue, la cella ; enfin, le dernier élément à l’arrière du temple est l’opisthodome. Un temple entouré de colonnes est dit « périptère », « diptère » si la colonnade est double. Lorsque le temple est de forme circulaire, il s’agit d’une tholos. La forme des chapiteaux de colonne inscrit le temple dans l’un des trois styles canoniques : dorique (le plus simple), ionique (à volutes) ou corinthien (décoré de feuilles d’acanthe). Outre autels et temples, on trouve parfois dans

1. Chapiteau dorique archaïque 2. Chapiteau dorique hellénistique 3. Chapiteau ionique 4. Chapiteau corinthien (Dessin de J. Duret).

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Partie 4 Politique, société et économie dans les cités grecques

les sanctuaires d’autres éléments, comme des trésors, des théâtres, des stades, des portiques d’incubation ou des salles de banquet. Sur le lien entre territoire et religion, voir p. 65.

Les sanctuaires peuvent se situer à l’intérieur de l’enceinte urbaine, dans les campagnes ou dans les espaces frontaliers. Leur implantation aux lisières de la cité permet, outre d’honorer des divinités, de marquer le territoire.

Tholos Source : C. Vial, Lexique d’Antiquités grecques, Paris, 1972.

2. Les offrandes Plusieurs types d’offrande permettent aux Grecs d’honorer leurs divinités : on distingue les offrandes matérielles et les offrandes alimentaires. Dans ces dernières, on différencie les offrandes sanglantes et non sanglantes. ■■ Les

Dans la Théogonie, le poète Hésiode narre l’histoire de Prométhée qui opère le sacrifice fondateur de la pratique grecque de la thusia : « C’est depuis lors que, pour les Immortels, sur la terre, les tribus des humains brûlent des os blancs sur les autels odorants » (v. 356‑358).

offrandes alimentaires La libation est une offrande liquide qui consiste à répandre sur l’autel ou sur le sol de l’eau, du vin, du lait ou du miel. D’autres offrandes alimentaires non sanglantes, sous forme de galettes végétales, de fromages, de produits agricoles peuvent aussi être consacrées. Elles sont privilégiées pour les divinités liées à la fertilité, comme Déméter. La thusia désigne avant tout le sacrifice sanglant et public d’un animal, qui est découpé et consommé par les participants selon un rituel bien particulier. En effet, des sources nombreuses comme les lois sacrées, l’iconographie ou les descriptions tragiques précisent le schéma général des séquences de la thusia, où les divinités se nourrissent de la fumée des os brûlés de la bête sacrifiée, tandis que les hommes consomment le muscle et les abats.

Toute fête comporte un moment de thusia. L’animal consacré est décoré de bandelettes ou de couronnes et est emmené à l’autel sacrificiel, lors d’une procession, la pompê. À l’autel, un premier officiant se charge des prières, des libations et des prémices du sacrifice : après avoir prélevé sur le front de l’animal quelques poils, il les jette au feu. Puis, le boutupos ou « assommeur de bœuf » étourdit la bête d’un coup de hache. Ensuite, l’animal est égorgé par le mageiros 254

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et découpé. On dégage les os, qui sont enduits de graisse, de vin et de parfum, et brûlés pour les dieux. On retire les entrailles (foie, cœur, reins, poumons) qui sont embrochées, grillées et proposées comme parts d’honneur aux officiants et aux participants que l’on veut distinguer. Le muscle est enfin débité en morceaux et bouilli dans de grands chaudrons. Il est distribué de façon hiérarchique ou égalitaire aux participants : dans certains sacrifices, comme celui des petites Panathénées attiques, les magistrats et les officiants reçoivent ainsi davantage de parts. La thusia des Panathénées consiste en l’abattage de plusieurs centaines de bêtes d’où le nom d’« hécatombe », qui signifie étymologiquement « cent bœufs ». Un tel sacrifice est très onéreux et si la cité finance en partie l’achat des animaux, de riches citoyens athéniens sont soumis à la liturgie de l’hestiasis qui consiste à fournir sur leur propre fortune des bêtes sacrificielles pour la communauté réunie.

Voir p. 289 sur le système des liturgies.

Les Grecs sacrifient des bœufs, des boucs et des chèvres, mais aussi des porcelets (notamment à Déméter), des chiens (à Arès et à Hécate) ou des coqs (à Asklépios). Certains sacrifices ne sont pas alimentaires et ne donnent pas lieu à une distribution après cuisson. Lorsque la bête est offerte à la divinité en étant entièrement consumée, on parle d’« holocauste ».

Quelques séquences de la thusia (dessins de F. Lissarrague)

1

2

3

4 1. Le prêtre se purifie les mains. À droite, l’officiant porte une corbeille à trois pointes, le kanoun (cratère attique, 480, Gemeente Museum, La Haye) 2. Le boutupos étourdit la bête (hydrie de Caeré, 520‑510, Musée National, Copenhague). 3. Le mageiros s’apprête à égorger la bête sur l’autel (coupe attique, 510‑500, Louvre, Paris). 4. Les officiants retirent les viscères (skyphos attique, 480, Musée National, Varsovie). 5. Les abats sont embrochés et grillés (cratère attique, 520‑510, British Museum, Londres).

5

Certains groupes comme les Orphiques et les Pythagoriciens refusent en partie la pratique du sacrifice sanglant et ont une alimentation végétarienne. Voir p. 153 sur les Pythagoriciens. 255

Partie 4 Politique, société et économie dans les cités grecques

« Des lyres, des trépieds, des chars, des tables d’airain, des bassins, des patères, des chaudrons de bronze, des cratères, des broches ! Ah ! si vous le vouliez, avec ces ustensiles suspendus à leur clou, Quel beau charivari on ferait, oui un grand ! » (Épicharme, Les Théores, fr. 109).

■■ Les

offrandes matérielles Les divinités reçoivent de très nombreux objets qui encombrent les sanctuaires au point que le personnel est parfois obligé de les enfouir ou de les fondre, afin de laisser place nette aux nouveaux dépôts. Selon le contexte, les femmes consacrent les linges de l’accouchement à Ilithye, les adolescents offrent leurs boucles de cheveux à Apollon, les jeunes filles consacrent leurs jouets à Artémis. On dépose aussi des vases, des couronnes, des statuettes, des reliefs. Lors d’une victoire militaire, les cités érigent des statues ou consacrent des armes aux dieux. Dans les sanctuaires de guérison, il est fréquent de consacrer des ex-voto anatomiques, représentant peut-être la partie soignée du corps.

3. Prêtres et prêtresses Même si l’accomplissement de la plupart des rites ne demande pas d’expertise ou de savoir particulier, des prêtres et des prêtresses officient dans les sanctuaires où ils ont pour rôle de faire le lien avec les divinités. L’accès à une prêtrise se fait selon trois modalités : –– des familles, appelées génè, ont le monopole héréditaire de certaines charges. À Athènes, c’est le cas du génos des Étéoboutades qui fournit la prêtresse d’Athéna Polias et le prêtre de Poséidon-Érechtée, et du génos des Eumolpides et des Céryces, d’où viennent les différents officiants des Mystères d’Éleusis ; –– la plupart des prêtrises échappent à cette transmission héréditaire et sont tirées au sort, pour une durée d’un an. À Athènes, la prêtresse d’Athéna Nikè est ainsi tirée au sort parmi toutes les Athéniennes. Les prêtrises annuelles concernent aussi le culte athénien de Dionysos Éleutheros et d’Asklépios ; –– enfin, à partir du ive siècle, il est possible d’acheter une prêtrise. « Voici le beau monument de la fille de Kallimachos, celle qui fut la première à servir au temple de Nikè. Le nom qu’elle reçut s’accordait à cet honneur puisque par un divin hasard elle s’appelait Myrrhinè. Elle fut la première servante de la statue d’Athéna Nikè, choisie parmi toutes, Myrrhinè par un heureux sort » (inscription funéraire de Myrrhinè, SEG XII, 80).

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La prêtrise est une magistrature, une archè : les métèques et les é­ trangers n’y ont donc pas accès, contrairement aux citoyens et aux citoyennes. Et comme tous les magistrats, les prêtres sont soumis à un examen d'entrée et de sortie de charge. Concrètement, le rôle des prêtres est avant tout de diriger les différentes cérémonies cultuelles et de participer aux sacrifices où ils consacrent les victimes, prononcent les prières et égorgent les bêtes, s’ils ne délèguent pas le geste à un des sacrificateurs. Dans les sanctuaires, les prêtres doivent aussi assurer l’entretien des bâtiments et des statues de culte, mais la décision d’entreprendre et de financer des travaux et des aménagements est toujours le fait de la cité. S’ajoutent aussi des activités administratives et financières, notamment la gestion des dépenses et des revenus du sanctuaire. Même s’ils sont attachés à un sanctuaire, les prêtres

14 Mortels et Immortels. Les pratiques religieuses dans le monde grec

et les prêtresses n’y résident que rarement ; la plupart sont mariés et il n’y a pas d’obligation de chasteté. Les prêtres et les prêtresses cumulent différents types de rémunération : ils reçoivent des parts honorifiques lors des sacrifices, auxquelles s’ajoutent les offrandes déposées sur les autels par les pèlerins. Ils peuvent aussi tirer profit de la revente des peaux des bêtes et des viandes sacrificielles sur les marchés. Certains perçoivent un salaire, comme la prêtresse d’Athéna Nikè à qui la cité athénienne verse 50 drachmes par an.

III. Les différentes échelles du culte 1. Rites et cultes dans un oikos ■■ Les

divinités « domestiques » De nombreuses divinités sont liées à l’oikos (la maison) et en protègent les ressources et les personnes. Au sein de chaque maison, on trouve d’abord Hestia, la déesse du foyer, dont le culte est assuré grâce à de petits autels portatifs. On présente à Hestia tous les nouveaux venus dans la famille : les nourrissons, le nouvel époux, la nouvelle épouse mais aussi l’esclave qu’on vient d’acheter. Zeus Herkeios est le dieu de l’enclos et il est honoré dans les cours des maisons. C’est aussi le garant des liens parentaux. Hérodote (VI, 68) rapporte ainsi que Démarate, roi spartiate déchu en 491 pour cause de filiation illégitime, a sommé sa mère de lui révéler le nom de son géniteur devant l’autel de Zeus Herkeios. Zeus Ktèsios protège le patrimoine et les ressources de la maison, tout comme il en favorise l’acquisition. Le culte de Zeus Ktèsios a lieu dans la pièce de l’oikos qu’il protège, sous la forme de jarres fermées et décorées de bandes de laines blanches. D’après l’archéologie, Zeus Ktèsios a pu aussi être figuré sous la forme d’un serpent, comme dans la cité de Thespies, en Béotie (voir ci-après). Zeus Ktèsios est aussi attesté à Thasos et à Kos.

« On amenait l’esclave auprès du foyer où on le faisait asseoir tout en répandant sur sa tête des petits gâteaux, des figues sèches, des dattes, des fruits secs et d’autres friandises » (Aristophane, Ploutos, scholie au v. 768).

Il existe en outre une série de divinités liées à la bâtisse de la maison, que R. Parker appelle « les dieux du porche » : –– Apollon Agueios et Hécate protègent l’entrée des maisons ; –– Hermès est honoré sous la forme d’un pilier surmonté de la tête du dieu barbu et arborant un phallos en érection aux vertus apotropaïques. On en trouve un peu partout dans la cité athénienne, aux carrefours et près de l’entrée des maisons. En 415, à la veille du départ de l’expédition de Sicile, un sacrilège retentissant plonge les Athéniens dans l’effroi : les Hermès de la ville sont retrouvés mutilés, délit imputé à une bande de jeunes aristocrates avinés (voir p. 135).

Apotropaïque : qui éloigne le danger.

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Partie 4 Politique, société et économie dans les cités grecques

Les délits d’impiété Dans l’Athènes classique, plusieurs procès ont eu pour cause une accusation d’impiété : –  vers 437, Anaxagore aurait été condamné pour avoir enseigné que les astres n’étaient pas des divinités mais des pierres incandescentes ; – en 415, plusieurs Athéniens dont Alcibiade et Andocide sont poursuivis suite à la parodie des Mystères d’Éleusis et à la mutilation des Hermès ; –  en 406, les stratèges de la bataille des Arginuses sont condamnés à mort pour n’avoir pas rapatrié les corps des soldats morts noyés ; – en 399, Socrate est notamment accusé de ne pas reconnaître les dieux de la cité et d’introduire de nouvelles divinités. Il est condamné à mort.

Zeus Ktèsios

Le droit athénien connaît plusieurs types de procédures juridiques liées à ­l’impiété, dont la graphè asebeias (action publique pour impiété) et la probolè qui peut ­concerner toute personne s’étant mal conduite pendant la célébration d’un rituel. Par exemple, l’orateur Démosthène a poursuivi un certain Midias qui l’avait frappé en pleine célébration des Dionysies, alors que Démosthène était chorège (voir p. 289).

Les divinités dites domestiques ne sont pas honorées dans un cadre strictement « privé ». En effet, la dichotomie public/privé a peu de sens dans le monde grec. Hestia est présente dans chaque oikos mais elle est honorée aussi au cœur des cités qui possèdent un foyer d’Hestia, comme dans le p ­ rytanée d’Athènes. Zeus Herkeios reçoit un culte dans les maisons mais aussi dans les dèmes et dans les tribus de l’Attique. Ainsi, dans le dème attique de Thorikos, une inscription, datée entre 440 et 375, prévoit que Zeus Herkeios reçoive une victime adulte au mois de Boèdromion. Il y a enfin un autel de Zeus Herkeios sur l’Acropole, précisément sous l’olivier d’Athéna situé dans le temple d’Athéna Polias. Des instances protectrices de la famille s’avèrent donc bienfaitrices aussi pour la communauté civique qui est assimilée à un grand ensemble de parents. ■■ Naissance, mariage

Sur les rites de naissance et de reconnaissance, voir en détail p. 215.

voir p. 279.

258

et deuil La religion de l’oikos est aussi rythmée par le cycle de la vie de ses membres. Outre les fêtes de naissance, comme les Amphidromies et la dékatè attestées à Athènes et étroitement liées à la question de la légitimité et de la citoyenneté, le mariage et les funérailles sont des temps forts de sociabilité ritualisée. Le terme gamos désigne les rites au cœur de la cérémonie du mariage. On est particulièrement bien renseignés sur les rites athéniens, grâce aux abondantes sources littéraires et iconographiques. Des vases spécialement conçus pour le gamos, lebes gamikos et loutrophores, livrent de précieuses informations. On y distingue notamment le convoi nuptial, qui emmène la jeune fille de la maison

14 Mortels et Immortels. Les pratiques religieuses dans le monde grec

paternelle vers la maison de son époux et qui symbolise le transfert de tutelle. Les festivités durent deux ou trois jours pendant lesquels se succèdent des chants (les hyménées, chants dédiés au mariage), des danses et la consécration de diverses offrandes. Plusieurs moments forts rythment la période du gamos :

Sur la tutelle des femmes, voir p. 206.

–– précédant le gamos, les proaulia sont les derniers moments passés par la jeune fille dans la maison natale. Elle consacre ses jouets à Artémis à qui elle offre aussi une boucle de cheveux. Un sacrifice offert par le père de la mariée honore les divinités liées au mariage, en particulier Artémis, qui ­accompagne les jeunes filles dans leur changement de statut et jusqu’à l’accouchement, Aphrodite et Peithô (la Persuasion), et Zeus Teleios et Héra Teleia. Zeus et Héra sont considérés comme les garants des unions légitimes et les épiclèses Teleois/Teleia insistent sur l’état d’accomplissement que représente le mariage. Aphrodite préside, avec son fils Éros et secondée par la Persuasion, au désir et à l’union sexuelle, qui doit rapidement permettre la naissance d’enfants légitimes ; –– la veille ou le matin du gamos, le bain rituel s’opère par le rite de la loutrophorie ; –– le jour du gamos, un repas est organisé où parents, amis, voisins sont conviés. Le banquet offert renforce la légitimité du mariage et les commensaux sont autant de témoins potentiels si l’union est remise en cause lors d’un procès. À la fin du repas de noces ou au troisième jour du gamos, un rite particulier s’opère : l’anakalypteria où l’époux retire le voile qui couvre la tête et le visage de son épouse ; –– le lendemain du gamos, le marié offre un banquet dans sa maison, les epaulia. Suite à la première nuit passée par la jeune fille dans son nouvel oikos, le père de la mariée offre des présents spécifiques, les epaulia dôra. Une procession apporte dans le nouvel oikos des onguents, des peignes, des vases à parfums, des boîtes, ou encore des savons.

Le char des mariés. Dessin de FL d’après une pyxide attique, 430 (Louvre, Paris).

L’oikos peut être enfin marqué par le deuil. Les rites funéraires sont destinés autant aux dieux, aux morts qu’aux vivants : ils préparent le défunt pour son séjour dans l’au-delà, ils ritualisent et canalisent la douleur des endeuillés et ils satisfont les divinités infernales. La famille prend en charge les rites qui s’opèrent selon un schéma tripartite : exposition du cadavre, convoi funèbre et mise au tombeau. 259

Partie 4 Politique, société et économie dans les cités grecques

L’exposition du mort La plaque votive du Louvre (MNB 905 L4, vers 500, dessin de FL) figure une scène typique ­d’exposition du mort où l’on retrouve les membres de la famille qui l’entourent. Chaque personnage, sur cette plaque, est désigné en fonction de son lien de ­parenté avec le défunt allongé. On y trouve ainsi les termes meter (mère), pater (père), ­adelphè (sœur), adelphos (frère), thethe (grand-mère), thetis (tante), thetis ­prospater (tante paternelle). Les hommes sont occupés à « saluer » le mort, tandis que les femmes se lamentent en s’empoignant les cheveux.

Avant d’être présenté au regard des endeuillés, le corps du défunt ou de la défunte est préparé par les femmes de la maison : il est lavé, parfumé, habillé de blanc. Un linceul laisse le visage visible et des bandelettes ou des branches ornent le corps et la couche. L’exposition du défunt (prothesis) est un rite d’intérieur : le cadavre, dont les pieds pointent vers la porte, est entreposé dans le vestibule de l’oikos, sur un lit d’apparat. Dans un deuxième temps, le convoi funèbre ou ekphora emmène le mort dans sa dernière demeure, le tombeau. En fonction des ressources de la famille, on déplace le corps porté à bras ou posé sur un char. Les sépultures se trouvent en dehors du centre urbain, afin d’écarter au maximum la s­ ouillure causée par la mort. Des chants funèbres, les thrènes, accompagnent les gestes de la famille endeuillée. Les défunts sont inhumés ou incinérés dans des bûchers. Les cendres sont alors recueillies et déposées dans une urne, elle-même enterrée. De retour dans l’oikos, la famille endeuillée doit purifier l’espace domestique ; le feu d’Hestia est éteint puis rallumé.

Un lécythe est un petit vase à parfum, à usage surtout funéraire, voir p. 279.

260

Une fois le mort enterré, la famille continue à honorer sa mémoire à travers une série de fêtes et de rites dédiés. À Athènes, les Trita, les Enata et les Triakostia sont célébrés trois, neuf et trente jours après les funérailles. D’après l’iconographie des lécythes, il s’agit de visites à la tombe et de dépôts d’offrandes alimentaires ou matérielles (lécythes, bandelettes, couronnes).

14 Mortels et Immortels. Les pratiques religieuses dans le monde grec

Visite à la tombe. Dessin de N. Hosoi d’après un lécythe attique, 450 (Royal Ontario Museum, Toronto).

À Athènes, la fête des morts, les Génésia, est célébrée le 5 du mois de ­ oedromion. Lors des Anthestéries, une fête consacrée à Dionysos et c­ élébrée B dans plusieurs cités, le 3e  jour est appelé Chutroi et il est aussi consacré aux défunts. On offre alors une bouillie de céréales à Hermès Chthonios ou « Psychopompe », qui accompagne les morts aux Enfers. Ce jour-là, les esprits des défunts peuvent revenir chez les vivants : afin de s’en protéger, les familles enduisent les murs de leur oikos de poix. La journée se termine par le congé donné aux esprits : ils sont chassés par leurs parents au cri de « Dehors les Kères, les Anthestéries sont finies ! ».

2. Les fêtes dans le cadre civique : l’exemple d’Athènes Outre les cultes liés à la sphère familiale, les Grecs célèbrent les fêtes qui se succèdent tout au long de l’année dans la cité, selon un « calendrier sacré ». À Athènes, il y aurait ainsi 120 jours de fêtes par an, un chiffre qui traduit bien l’omniprésence du sacré. Exemples de fêtes du calendrier religieux athénien Mois

Fêtes

Divinités

Hékatombaion (juillet-août)

Kronia

Kronos

Hékatombaion

Panathénées

Athéna

Boédromion (août-septembre)

Génésia



Boédromion

Grands Mystères d’Éleusis

Déméter et Koré

Pyanopsion (octobre-novembre)

Théséia

Thésée

Pyanopsion

Thesmophories

Déméter

Pyanopsion

Apatouries

Zeus, Athéna, Apollon

Posidéon (décembre-janvier)

Haloa

Déméter

Gamélion (janvier-février)

Théogamia

Héra

261

Partie 4 Politique, société et économie dans les cités grecques

Mois

Fêtes

Divinités

Gamélion

Lénéennes

Dionysos

Anthestérion (février-mars)

Anthestéries

Dionysos

Élaphébolion (mars-avril)

Grandes Dionysies

Dionysos

Élaphébolion

Asklépiéia

Asklépios

Thargélion (mai-juin)

Thargélies

Apollon

Thargélion

Bendideia

Bendis

Thargélion

Plyntéria

Athéna

Skirophorion (juin-juillet)

Bouphonies

Zeus

■■ Athéna, déesse

poliade Le plus souvent, les cités grecques sont protégées par une divinité dite « poliade » : Héra à Argos, Zeus à Kos, Artémis à Éphèse, Poséidon à Corinthe, Athéna à Tégée et à Athènes. La dispute entre Athéna et Poséidon, en lice pour devenir la divinité patronnesse d’Athènes, est rapportée par plusieurs sources textuelles et iconographiques. La dispute (éris) entre Athéna et Poséidon
 « Une dispute pour la possession du pays s’éleva entre les deux divinités et Zeus, pour y mettre fin, donna pour arbitres à Athéna et à Poséidon, non pas, comme certains l’ont dit, Kékrops et Kranaos, pas plus qu’Érysichthon, mais les douze dieux. Selon leur verdict, le pays fut adjugé à Athéna, Kékrops ayant témoigné que c’était elle qui, la première, avait planté l’olivier. Athéna appela donc la ville Athènes, d’après son propre nom, et Poséidon, furieux, inonda la plaine de Thria et submergea l’Attique sous la mer » (Apollodore, Bibliothèque, III, 14, 179, trad. J.-C. Carrière et B. Massonie, Besançon).

Voir le plan de l’Acropole, p. 124.

Voir le plan d’Athènes dans l’atlas final.

262

L’Acropole d’Athènes conserve les traces de la dispute divine. Selon Pausanias, le temple de l’Érechthéion abrite les marques laissées par le trident de Poséidon et l’olivier offert par Athéna. Sur le fronton ouest du Parthénon ont été aussi sculptés les deux divinités et leurs attributs. Même si Athéna est devenue la déesse poliade, les Athéniens n’en honorent pas moins d’autres divinités et Poséidon, bien que perdant, est présent dans l’Érechthéion, comme au Cap Sounion, au sud d’Athènes, où il est associé à Athéna Sounias. La fête la plus importante du calendrier athénien est cependant ­consacrée à Athéna, au mois d’Hékatombaion : ce sont les Panathénées. Lors des Grandes Panathénées qui ont lieu tous les quatre ans, selon un rythme dit « pentétérique », les Athéniens et les Athéniennes, mais aussi les métèques, se rassemblent en une grande procession qui traverse la cité, de la porte septentrionale du Dipylon à ­l’Acropole, en p ­ assant par l’Agora. À ­l’issue de la procession, la statue d’Athéna Polias reçoit une nouvelle tunique, le péplos, tissée spécialement par des jeunes filles, les ergastines et les arrhéphores.

14 Mortels et Immortels. Les pratiques religieuses dans le monde grec

Dionysos. Dessin de FL d’après une amphore attique, 500 (Antikensammlung, Munich).

La fête se termine par un grand sacrifice, une ­hécatombe : des tentes sont dressées sur l’Agora pour accueillir les commensaux à l’issue de la ­thusia. Si Athéna est ainsi parti­ culièrement honorée par la communauté civique lors des Panathénées, Déméter, liée aux moissons et à la fertilité, est au cœur des Thesmophories et des Haloa, tandis que ­Dionysos est célébré lors de plusieurs fêtes, les Oschophories, les Lénéennes, les Dionysies ou encore les Anthestéries.

Grandes Dionysies : théâtre, politique et religion Les Grandes Dionysies se déroulent au mois d’Élaphébolion, entre le 10 et 14. Comme dans toute fête grecque, une procession et un sacrifice sont organisés mais sa particularité réside dans un grand concours dramaturgique.

Plusieurs jeunes filles participent au service cultuel d’Athéna. Les ergastines et les arrhéphores s’occupent du tissage du péplos ; les alétrides écrasent le grain nécessaire aux galettes sacrificielles ; les plyntrides lavent la statue de culte et les parures ; les canéphores portent les corbeilles sacrificielles.

■■ Les

Le théâtre d’Athènes est situé dans le sanctuaire de Dionysos ­Éleutheros et l’autel du dieu trône au milieu de l­’orchestra, l’espace circulaire où évoluent le chœur et les acteurs. Les spectateurs s’assoient sur des gradins d’abord en bois, puis en pierre après les travaux initiés par Lycurgue, au ive siècle ; entre 15 000 et 17 000  ­personnes peuvent désormais assister aux représentations. Le système de la proédrie permet de distinguer certains spectateurs, qui bénéficient des meilleures places. Durant trois jours, les spectateurs assistent à des ­tragédies, des comédies, des drames satyriques (pièces au dénouement heureux ­campant un chœur de satyres) et des ­dithyrambes (ensembles choraux).

Dionysos et des satyres. Médaillon d’une coupe attique, 480 (Cabinet des médailles, Paris).

Au ve  siècle, Eschyle (525‑456), Sophocle (495‑406) et Euripide (480‑406) sont les principaux auteurs de tragédie, tandis que la comédie est surtout représentée par A ­ ristophane (450‑385). Les auteurs sont en concurrence, tout comme les acteurs et les chorèges, riches ­Athéniens ­chargés de financer les répétitions des chœurs. Le chœur, dont le chef est appelé coryphée, est ­fondamental : il dialogue avec les acteurs, portés à trois par Sophocle.

Le théâtre de Dionysos est situé sur le versant sudest de l’Acropole. Voir le plan d’Athènes dans l’atlas final.

Voir les biographies de ces auteurs, p. 298.

Le meilleur chorège remporte un trépied dit « chorégique ». Voir p. 289 sur la liturgie de la chorégie. 263

Partie 4 Politique, société et économie dans les cités grecques

Si la comédie attique pioche ses scénarios dans l’actualité politique brûlante, la tragédie opère une mise à distance en mettant en scène des figures mythologiques, comme Thésée, Œdipe, Antigone ou Andromaque. Mais la tragédie porte aussi sur des questionnements politiques contemporains et la cité s’y met en scène. Dans les Euménides d’Eschyle, une pièce représentée en 458 juste après la réforme de l’Aréopage (voir p. 195), Athéna, Apollon et les Érinyes débattent la question de la culpabilité d’Oreste, qui a tué sa mère Clytemnestre. L’Antigone de Sophocle (441) interroge les rapports familiaux mais c’est aussi une réflexion sur le pouvoir tyrannique du roi Créon, au moment où Athènes exerce une domination de plus en plus marquée sur ses alliés de la ligue de Délos. La participation aux Grandes Dionysies est un acte à la fois pieux et politique. Au ve siècle, les citoyens doivent payer 2 oboles pour entrer au théâtre de Dionysos. Peut-être sous Périclès, selon Plutarque, et assurément à partir de 355, une caisse des spectacles, le théôrikon, subventionne l’entrée pour les plus pauvres (voir p. 288). Les pièces jouées dans le grand théâtre de Dionysos sont aussi reprises dans les petits théâtres des dèmes, lors des Dionysies rurales, dans le cadre de rites relevant d’une échelle plus locale. ■■ La Voir la carte de l’Attique, p. 187.

Sur les Apatouries, voir p. 216.

religion locale et associative Grâce au calendrier de certains dèmes de l’Attique, nous disposons de renseignements sur l’organisation locale des cultes à Marathon, Éleusis, Thorikos ou encore Erchia. Le calendrier de ce dernier dème est particulièrement précis, selon un document datant de 360‑350 : une quarantaine de divinités et de héros et plus de cinquante victimes animales y sont répertoriées, dans le cadre de sacrifices ayant lieu dans une vingtaine de sites du dème d’Erchia.

Autres groupes d’appartenance où s’épanouit la sociabilité religieuse, les phratries honorent toutes Apollon Patroôs, Athéna Phratria et Zeus Phratrios. Leurs membres se réunissent lors de la fête annuelle des phratries, les Apatouries. On isolera aussi les thiases, présents en Attique mais aussi en Asie Mineure et en mer Noire, qui constituent des associations cultuelles, comme le thiase du culte des Muses dans le Lycée d’Aristote, ou encore les thiases dédiés au culte de Dionysos. Quant aux orgéons, à partir du ive siècle, ils regroupent des membres d’associations en charge du culte particulier de divinités étrangères, comme Bendis ou Cybèle.

3. Les sanctuaires panhelléniques L’aura de certains sanctuaires dépasse largement le cadre de la cité ; des sites comme Olympie, Delphes, Éleusis ou encore Épidaure attirent des Grecs provenant de toute la diaspora. On parle alors de sanctuaires panhelléniques.

264

14 Mortels et Immortels. Les pratiques religieuses dans le monde grec

Dans les grands sanctuaires d’Olympie, de Delphes, de Némée et de Corinthe ont lieu des concours sportifs et artistiques ; ces manifestations culturelles et athlétiques sont cependant rythmées par des prières et des sacrifices et se déroulent en l’honneur des divinités principales du site, Zeus à Olympie, ­Apollon à Delphes, Zeus et Héraklès à Némée, Poséidon à Corinthe.

Revers d’une hémidrachme en argent de Delphes représentant la pierre sacrée du sanctuaire, l’omphalos, et un serpent, 336-335.

Sur Olympie, voir en détail p. 72.

Avers d’une hémidrachme en argent d’Olympie représentant un aigle, attribut de Zeus, 400.

Les principaux sanctuaires du monde grec

PROPONTIDE Pella Aph

Grands Dieux

Samothrace

Dion Z

0

Z

Dodone Nicopolis

Pergame

Ap

IONIENNE

Olympie

P

ÉGÉE

Thermopyles Oropos

D

Z

Éleusis Dem

Némée

H

Mantinée Argos Bassae Ap Messène Orthia Ascl Sparte

Sardes

Art

Thèbes

Corinthe P Z

Ascl

MER

Dem

Ap Stratos Z Ap Thermos Delphes

MER

100 km

D

Téos

A

Athènes

Samos

P

Ascl Cap Sounion Épidaure

Délos

Ap

Claros Ap Éphèse Art Magnésie Art Ap Milet

H

Ap

Didymes Halicarnasse Cos

Ascl Ap

Cnide

Rhodes Hélios

MER MÉDITERRANÉE Sanctuaire oraculaire Sanctuaire de la Période Sanctuaire panhellénique Présence d’un temple important

A Athéna Aph Aphrodite Ap Apollon D Dionysos Art Artémis Dem Déméter H Héra Ascl Asclépios

P Poséidon Z Zeus

A

Lindos

d’après N. Richer (dir.), Le monde grec, Paris, 2010, p.188

265

Partie 4 Politique, société et économie dans les cités grecques

■■ Les

sanctuaires de guérison Le sanctuaire d’Épidaure, situé dans le Péloponnèse, attire des pèlerins de toute provenance et en quête de guérison. Les malades viennent chercher l’aide du dieu Asklépios, selon un procédé bien particulier et renseigné notamment par la pièce du Ploutos d’Aristophane (388). Dans cette comédie, le personnage de Ploutos est aveugle et il vient consulter le dieu guérisseur dans l’Asklépeion d’Athènes. Ploutos commence par des ablutions qui le purifient et pénètre ensuite dans le téménos ; il consacre sur un autel des galettes de céréales et entre dans le portique d’incubation, l’abaton. Sous l’abaton, les malades se couchent et ont des visions ; pendant la nuit, le dieu Asklépios les gratifie d’une visite médicale, en songe. Une fois guéris, les pèlerins remercient le dieu, notamment en lui offrant des reliefs ou des ex-voto anatomiques, reproduisant le membre ou l’organe guéri. À Épidaure, on a aussi retrouvé des stèles gravées, les iamata, datées de la seconde moitié du ive siècle et sur lesquelles ont été retranscrits des récits de guérison de malades provenant du Péloponnèse mais aussi d’Épire, de Pella (Macédoine) ou de Phères (Thessalie). Ces récits de guérison montrent par exemple des hommes venus à la suite de blessures de guerre et des femmes consultant pour des questions liées à l’enfantement (voir p. 209) ou d’autres maux.

Récits de guérison « Sostrata de Phérai, fausse grossesse. Celle-ci était au terme de sa grossesse quand elle arriva au sanctuaire et s’endormit. Mais comme elle ne vit rien de clair en songe, elle fut raccompagnée chez elle. Après cela, aux environs de Kornoi, elle et ses suivants crurent avoir la vision d’un homme de belle allure qui, en apprenant leur revers, leur ordonna de poser la litière sur laquelle on transportait Sostrata. Ensuite, après avoir excisé l’abdomen de celle-là, il en extrait une quantité de petites bêtes, en remplissant deux bassines. Après avoir recousu le ventre et rendu la santé à la femme, Asklépios lui dévoila sa présence et lui ordonna d’envoyer des présents comme honoraires médicaux à Épidaure » (IG  IV2, 1 122,  25, trad. Cl. Prêtre, Maladies humaines, thérapies divines, Villeneuve d’Ascq, 2009). « Arata de Lacédémone, hydropique. Alors qu’elle-même restait à Lacédémone, sa mère vint dormir [dans le sanctuaire] pour le salut de sa fille et elle eut une vision en songe : elle croyait que le dieu avait coupé la tête de sa fille et suspendait son corps avec le cou en bas. Une fois qu’un flux continu de liquide s’était écoulé, il décrochait le corps et remettait la tête sur la gorge. À la suite de cette vision en songe, de retour à Lacédémone, elle trouva sa fille en bonne santé et qui avait eu la même vision en songe » (IG IV2, 1 122, 21, trad. Cl. Prêtre).

266

14 Mortels et Immortels. Les pratiques religieuses dans le monde grec

■■ Les

sanctuaires oraculaires D’autres sanctuaires comme Delphes (Phocide) et Dodone (Épire) sont réputés pour leur oracle. En effet, les mortels peuvent questionner les divinités et en attendre une réponse, par le biais de la divination ou « mantique ». Il existe de multiples façons de connaître l’avis des dieux : la divinité peut délivrer un message en songe (l’oniromancie), on peut aussi examiner le vol des oiseaux (l’ornithomancie), étudier la position des étoiles (l’astéroscopie) ou on peut scruter la forme des lobes du foie d’une bête sacrifiée (la ­hiéroscopie, voir ci-contre).

Dessin de FL d’après une amphore attique, 510 (Martin von Wagner Museum, Würzburg).

À Delphes, avant de pouvoir consulter, il faut s’acquitter d’une taxe d’entrée, appelée pelanos. Les individus comme les cités interrogent le dieu Apollon qui répond par la bouche de la Pythie. La prêtresse, assise dans le temple du dieu, est emplie d’un souffle prophétique envoyé par Apollon mais provoqué aussi par la mastication de laurier, l’arbre du dieu. Selon Strabon, les exhalaisons provenant d’une faille du sol auraient aussi animé la prêtresse. Les sources demeurent contradictoires sur la forme de la réponse donnée par la Pythie : en prose, en vers ? Écrite, orale ? Les consultants viennent non pour qu’on leur prédise l’avenir mais pour être confortés ou non dans un choix à faire. Plutarque précise ainsi qu’on demande Apollon jouant de la lyre sur un grand trépied à Apollon si « l’on se mariera, si l’on fait delphique. Dessin de FL d’après une hydrie attique, 490 (Musée du Vatican, Rome). bien de s’embarquer, si l’on doit cultiver la terre, s’il est bon d’entreprendre tel voyage ». Thucydide rapporte la question posée par les Épidauriens, juste avant la guerre du Péloponnèse : doivent-ils « remettre leur ville aux mains des Corinthiens, tenus pour fondateurs, et tâcher de trouver auprès d’eux quelque protection » ? La Pythie a recours parfois à la cléromancie, la divination par les fèves, pour conseiller les demandeurs.

267

Partie 4 Politique, société et économie dans les cités grecques

La Pythie sur son trépied. Coupe attique, 440‑430 (Altes Museum, Berlin).

Le sanctuaire d’Apollon à Delphes

1. Les Navarques, ex-voto des Lacédémoniens ; 2. Ex-voto des Athéniens ; 3. Les Epigones, ex-voto des Argiens ; 4. Les Rois, ex-voto des Argiens ; 5. Niche hellénistique anonyme ; 6. Trésor de Sicyone ; 7. Trésor de Siphnos ; 8. Trésor de Thèbes ; 9. Trésor de Potidée ( ?) ; 10. Trésor des Athéniens ; 11. Bouleuterion ; 12. Trésor de Cnide ( ?) ; 13. Trésor éolique anonyme ; 14. Rocher de la Sibylle ; 15. Sphinx des Naxiens ; 16. L’Aire ; 17. Portique des Athéniens ; 18. Trésor de Corinthe ; 19. Trésor de Cyrène ; 20. Prytanée ; 21. Trésor de Brasidas et d’Acanthos ; 22. Fontaine ; 23. Pilier de PaulEmile ; 24. Autel de Chios ; 25. Trépied de Platées ; 26. Char des Rhodiens ; 27. Temple d’Apollon ; 28. Offrande de Cratéros ; 29. Théâtre ; 30. Fontaine Cassotis ; 31. Pilier de Prusias ; 32. Palmier de l’Eurymédon ; 33. Base monumentale d’Attale ; 34. Portique d’Attale Ier ; 35. Enclos de Néoptolème ; 36. Ex-voto thessalien de Daochos ; 37 : Lesche des Cnidiens ; 38. Portique Ouest. D’après R. Ginouves, L’Art grec, Paris, 1964, p. 86.

268

14 Mortels et Immortels. Les pratiques religieuses dans le monde grec

Dans le sanctuaire panhellénique de Dodone consacré à Zeus Naios et à Dioné, des prêtres aux pieds jamais lavés, les Selloi, et des prêtresses nommées Péliades interprètent les signes divins grâce à la dendromancie, la divination par les arbres. C’est en effet le bruissement des feuilles d’un grand chêne sacré qui murmure les réponses attendues par les consultants. ■■ Les Mystères d’Éleusis

« Dodone, où sont l’oracle et le siège de Zeus Thesprote, avec l’incroyable prodige des chênes parlants » (Eschyle, Prométhée enchaîné, v. 830‑832).

Enfin, parmi les sanctuaires panhelléniques très fréquentés, le site d’Éleusis, à 20 km à l’ouest d’Athènes, abrite un sanctuaire dédié à la célébration de Mystères liés à Déméter et à sa fille, Koré-Perséphone. Être initié à ces Mystères relève d’une décision personnelle et permet non seulement d’espérer une vie prospère de son vivant mais aussi de se préparer un meilleur séjour chez les morts. L’initiation est contrôlée par la cité athénienne depuis qu’elle a pris possession du territoire d’Éleusis à l’époque archaïque. Les futurs initiés doivent participer d’abord aux Petits Mystères avant de rejoindre la procession des Grands Mystères, qui suit la Voie Sacrée entre l’Éleusinion d’Athènes et le bâtiment d’initiation, le Télesterion, à Éleusis. Le contenu même de l’initiation nous échappe en partie car les rites ne doivent en aucun cas être révélés par ceux qui y ont assisté. Il est certain que le mythe de Déméter, cherchant désespérément sa fille Koré enlevée par Hadès et la retrouvant, est le socle étiologique des rites d’initiation, oscillant entre noir et lumière, joie et deuil.

À RETENIR

Voir le plan d’Athènes dans l’atlas final et la carte de l’Attique, p. 187.

Sur le scandale de la parodie des Mystères, en 415, voir p. 135.

nn La religion grecque est polythéiste et honore de nombreuses figures divines et

h­ éroïques. Certaines divinités accèdent au rang de « poliades » et sont mises à l’honneur dans le calendrier sacré des cités, comme Athéna à Athènes.

nn Les divinités sont anthropomorphes et leur champ de compétence est spécifié par une

épiclèse accolée à leur nom.

nn La mise en place du panthéon grec est expliquée par le poème d’Hésiode, la ­Théogonie. nn La religion grecque est ritualiste et la communication entre les Mortels et les Immortels

est assurée par des actes et des gestes comme les libations, les prières, les offrandes matérielles et les sacrifices.

nn Les Grecs rendent un culte aux divinités dans le triple cadre de la religion domestique,

civique et panhellénique.

nn Les grands sanctuaires panhelléniques drainent les Grecs de toute la diaspora et

­certains ont une activité spécifique (guérison, oracle, initiation à des Mystères).

269

Partie 4 Politique, société et économie dans les cités grecques

BIBLIOGRAPHIE L. Bruit, Le Commerce des dieux. Eusebeia. Essai sur la piété en Grèce ancienne, Paris, 2001. L. Bruit, Les Grecs et leurs dieux, Paris, 2005. L. Bruit et P. Schmitt, La religion grecque, Paris, 2017. A.  Damet et Ph. Moreau, Famille et société dans le monde grec et en Italie (ve-iie siècles av. J.-C.), Paris, 2017. S. Darthou, Athènes. Histoire d'une cité entre mythe et politique, Paris, 2020. S. Darthou, les Dieux de l’Olympe. Les mythes dans la cité, Paris, 2012. F. Gherchanoc, L’oikos en fête. Célébrations familiales et sociabilité en Grèce ancienne, Paris, 2012. M. Jost, Aspects de la vie religieuse en Grèce (ve siècle- iiie siècle av. J.-C.), Paris, 1992. N. Loraux, Né de la terre. Mythe et politique à Athènes, Paris, 1996. G. Pironti et V. Pirenne-Delforge, L’Héra de Zeus, Paris, 2016. J.-P. Vernant, L’univers, les dieux, les hommes, Paris, 1999. P. Vidal-Naquet, Le miroir brisé. Tragédie athénienne et politique, Paris, 2002. S.  Wijma, Embracing the immigrant. The participation of metics in Athenian polis religion, Stuttgart, 2014.

270

CHAPITRE

15 PLAN DU CHAPITRE I. L’exploitation et la mise en valeur du territoire II. Le monde de l’artisanat III. Monnaie et finances dans les cités grecques « Ainsi donc, l’oikonomia nous a semblé être le nom d’un savoir, celui grâce auquel les hommes sont en mesure d’accroître leur maison. Il nous est apparu que l’oikos c’était l’ensemble des biens, autrement dit, ce qui est utile à chacun pour vivre » (Xénophon, Économique, VI, 4). « Nous avons estimé que, pour un homme de bien, il n’était activité ni savoir supérieur à l’agriculture, d’où les hommes tirent leur subsistance » (Xénophon, Économique, VI, 8).

L’économie des cités grecques à l’époque classique Selon Xénophon et son Économique, l’oikonomia désigne la « gestion de l’oikos », entendu comme le domaine familial. Pour le pseudo-Aristote, l’oikonomia s’étend à la gestion des revenus et des dépenses de la collectivité ; dans un traité également nommé Économique, un chapitre est consacré aux diverses manières d’acquérir des revenus pour les cités. On est donc loin de ce que peut recouvrir le terme actuel d’économie, un secteur à part qui prend en compte la demande et l’offre, les ressources, les productions, les notions de capital, d’investissement et de rentabilité. Cependant, même si nous n’avons pas la trace d’une théorie antique pensant les formes de production et de distribution des richesses, les sources textuelles, l’épigraphie et l’archéologie permettent d’éclairer certains pans de l’organisation économique des cités grecques classiques. Ainsi l’exploitation et la mise en valeur des ressources du territoire, le développement de l’artisanat, le monnayage, ou encore certaines taxations et impositions. Notons dès à présent que l’agriculture est un secteur valorisé car il est lié à l’idéal d’autosuffisance et d’indépendance, alors que les activités marchandes et artisanales pâtissent d’un certain dédain. Concernant l’étude de l’économie antique, la principale ligne de fracture théorique oppose les « primitivistes » et les « modernistes ». Pour les premiers, l’économie des cités antiques est tournée avant tout vers la production domestique, dans le cadre de petites cités et de fermes sans véritable connexion, et dont l’horizon est l’autosuffisance. Les échanges commerciaux seraient réduits et cantonnés aux produits de luxe. Pour les « modernistes »,

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Partie 4 Politique, société et économie dans les cités grecques

au contraire, le monde antique connaît déjà des échanges ­monétaires, des acteurs économiques spécialisés et un dynamisme commercial et portuaire. Un dépassement de ces deux interprétations a été opéré par M. Finley, dans les années 1970. Pour les Grecs, l’économie n’est pas une sphère autonome et même si des activités commerciales se sont épanouies, ce n’est pas une économie de marché. Le débat continue à mobiliser les spécialistes, même si on s’accorde aujourd’hui pour caractériser l’économie de la Grèce ancienne de type préindustriel et non capitaliste.

I. L’exploitation et la mise en valeur du territoire 1. Les mines et les carrières

Voir les cartes p. 146. et p. 187.

Les carrières de pierre sont nombreuses dans le monde grec ; cependant, les difficultés liées au transport des blocs en limitent la circulation sur de longues distances, hormis les marbres réputés de l’île de Paros. Les carrières fournissent donc des matériaux utilisés par les cités situées à proximité, comme les fameuses Latomies de Syracuse, en Sicile, qui sont exploitées dans la ville, ou encore les carrières du mont Pentélique, situées en Attique, à 20 km du centre urbain. Concernant les mines, les sources textuelles et archéologiques permettent de connaître l’organisation de certains sites d’exploitation. En Attique, près du Cap Sounion, on est ainsi bien renseignés sur les mines du Laurion et sur le bourg minier de Thorikos. Grâce aux prospections archéologiques, la chaîne de production a pu être dégagée : les galeries creusées pour l’extraction, les moulins broyeurs, les aires de lavage du minerai ou encore les fours de combustion qui séparent argent et plomb. Les orateurs attiques du ive  siècle et l’épigraphie, notamment les « stèles des polètes » (37 stèles datées d’entre 367 et la fin du ive siècle), donnent de précieux renseignements sur les conditions d’exploitation. Les mines sont la propriété de la cité qui ne les exploite cependant pas directement. Il existe en effet un groupe de concessionnaires à qui les lots sont affermés et qui fournissent en échange une redevance aux caisses de la cité. Les magistrats qui attribuent les concessions minières ainsi que toutes les autres adjudications publiques sont appelés « polètes ». Dans les galeries, le travail est effectué par des ouvriers salariés et par de très nombreux esclaves loués aux concessionnaires par de riches Athéniens. Selon Xénophon, le tarif de location est d’une obole par jour et par esclave. Nicias, un des stratèges de la guerre du Péloponnèse, tire d’importants revenus

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15 L’économie des cités grecques à l’époque classique

de ses 1 000  esclaves mineurs dont il a laissé la gestion locative à Sosias de Thrace. Ce dernier touche en échange une rente annuelle de dix talents. La famille d’Hipponicos est un autre exemple d’enrichissement par l’exploitation minière, sur plusieurs générations. Hipponicos porte lui-même le surnom d’Ammôn (« l’homme du sable ») car il exploite des gisements affleurant à la surface, au début du ve  siècle ; son fils Callias est surnommé Lakkoploutos, « riche par la fosse », probablement d’extraction ; quant au petit-fils d’Hipponicos, qui porte le même nom, il aurait possédé 600 esclaves travaillant dans les mines du Laurion. Au total, 35 000 esclaves auraient travaillé dans le Laurion, en 340. L’esclave mineur est une figure familière de l’économie attique au point de donner son nom à une comédie de Phérécrate, Les Mineurs, où le chœur est constitué d’esclaves du Laurion. Outre le filon du Laurion attique, les mines du mont Pangée, en Thrace, sont aussi réputées pour leurs minerais d’or et d’argent. Hérodote évoque aussi le cas de Des mineurs au travail. Plaquette de Penteskouphia, la cité de Thasos, qui est riche en 575‑550 (Louvre, Paris). métaux au point de fournir 160 kg d’or par an, grâce à une mine située sous la ville et dont l’une des entrées donne sur l’Acropole. Les fouilles archéologiques ont permis de dégager quelques éléments d’exploitation, notamment les galeries et les niches où l’on place les lampes. Mais, contrairement au Laurion, la documentation n’est pas suffisante pour connaître les conditions d’exploitation.

2. Le secteur agricole ■■ Productions

et structures de production On ne peut nier la diversité des terroirs et des territoires du monde grec : les paysages et les conditions agronomiques varient sensiblement, entre petites plaines, collines et espaces montagneux. Quelques données structurelles et récurrentes apparaissent cependant dans l’organisation de la production agricole même si le manque de données chiffrées précises, l’absence de recensements ou de documents cadastraux empêche de dresser un tableau complet. Les techniques agricoles restent sommaires et, partout, les paysans utilisent un araire de bois tracté par deux bœufs. Le calendrier agricole s’organise autour de la saison sèche qui impose un rythme bisannuel de 16 mois. Les

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Partie 4 Politique, société et économie dans les cités grecques

semailles de céréales s’effectuent à l’automne, la récolte a lieu en mai-juin et les paysans reprennent le labour des jachères en mars de la seconde année. Afin de tirer profit des terres sans semence, ils y plantent souvent des légumineuses (fèves, lupins, pois chiches, lentilles). L’archéologie, à Athènes, à Thasos, à Olynthe ou à Halieis (Argolide) a dégagé des fosses, dans les maisons, qui servent à recueillir les divers déchets de l’activité domestique, transformés ensuite en compost pour l’amendement des champs. Dans certains espaces insulaires, comme à Délos ou à Kéos, les agriculteurs ont mis en place des terrasses de culture arbustive dotées d’un système d’irrigation.

Sur les libations, voir p. 254.

La céréaliculture est dominante. Le blé est davantage cultivé dans le nord de la péninsule balkanique, dans les régions occidentales et en mer Noire. Dans le sud du bassin égéen, notamment en Attique et dans les Cyclades, la culture de l’orge l’emporte. La vigne, récoltée en septembre, est aussi au cœur de la production agricole ; le vin est autant un produit de consommation courante qu’un liquide fréquemment utilisé dans les contextes rituels, en libation. De même l’huile d’olive, le troisième élément de la « trilogie méditerranéenne », répond à un besoin culinaire quotidien mais est aussi nécessaire à l’éclairage et à l’entraînement des athlètes qui s’en servent pour oindre leur corps. Les olives sont récoltées entre août et décembre. Outre le blé, les olives et le raisin, on trouve sur les parcelles des arbres fruitiers et des produits horticoles.

Un paysan labourant avec un attelage de bœufs.Terre Le gaulage des oliviers. Amphore attique, 520 cuite provenant de Béotie, vers 600 (Louvre, Paris). (British Museum, Londres)

Les structures de production sont dominées par de petites propriétés pratiquant ainsi une polyculture diversifiée et vivrière ; les paysans varient cultures et semailles afin de s’assurer d’avoir tous les ans une récolte. Le surplus est écoulé sur les marchés de proximité. La culture de l’olivier et de la vigne est cependant plus « spéculative » et certains crus sont commercialisés outre-mer, comme le vin de Thasos, un vin de garde très prisé, ou l’huile d’olive d’Attique, particulièrement réputée. 274

15 L’économie des cités grecques à l’époque classique

Parmi les productions de qualité exportées et qui ont contribué à la prospérité des sites de fabrication, on compte aussi les figues de Rhodes, le fromage de Kythnos, le miel de Kalymnos ou les amandes de Thasos. La cité grecque de Cyrène, située en Libye, a aussi sa spécialité, le silphium, une plante utilisée comme condiment de luxe et comme remède médical. On retrouve le silphium dans la liste proposée par le comique Hermippos (ve siècle) lorsqu’il inventorie les denrées arrivant au port athénien du Pirée : « De Cyrène, la tige du silphium et le cuir de bœuf, de l’Hellespont les maquereaux et tous les poissons salés, de Thessalie le gruau et les côtes de bœuf (…). D’Égypte, des voiles suspendues et des rouleaux de papyrus, de la Syrie l’encens. Syracuse fournit le porc et le fromage, la belle Crète du cyprès pour les dieux, la Libye beaucoup d’ivoire scié, Rhodes des raisins secs et des figues qui procurent des rêves agréables. D’Eubée proviennent les poires et les grosses pommes, de Phrygie les esclaves et d’Arcadie les soldats auxiliaires » (Athénée, Deipnosophistes, I, 27‑28). Quant aux céréales, elles sont aussi incluses dans un réseau d’importation/ exportation. Athènes fait venir du blé d’Occident, du Pont-Euxin, d’Eubée ou d’Égypte afin de nourrir sa population. L’importance du secteur des denrées alimentaires se traduit par le nombre important de magistrats affectés au contrôle : des agoranomes qui surveillent les marchés, des sitophylaques ou commissaires aux grains, des métronomes en charge de vérifier les poids et les mesures, ou encore des inspecteurs des ports. On a pu voir l’importance prise par le port du Pirée à l’époque classique, qui s’inscrit dans le dynamisme économique de l’empire athénien où la route du blé est stratégiquement surveillée.

Voir la carte des circuits commerciaux dans l’atlas final.

Sur le port du Pirée, voir p. 122.

Enfin, l’élevage est pratiqué : bovin en Eubée, en Acarnanie, en Épire ou sur les rivages de la Thrace ; ovin à Délos, Rhénée et dans les zones montagneuses ; équin en Thessalie, en Macédoine, en Thrace, en Béotie, en Élide, en Argolide et en Laconie. ■■ Chez

Ischomaque et son épouse : un domaine bien géré Le dialogue de l’Économique de Xénophon rapporte l’échange entre le philosophe Socrate et Critobule, un riche athénien en quête de conseils sur « l’oikonomia » ou comment bien gérer sa maison. Socrate, trop pauvre pour lui être utile, lui fait alors part de sa conversation avec un propriétaire prospère, Ischomaque. Ischomaque est un citadin qui habite Athènes mais qui se rend tous les jours sur ses terres, dans la chôra, où il possède un grand domaine de 26,5 hectares (la taille standard d’une ferme et de son terrain est de 5 hectares, à l’époque classique). Il livre à Socrate quelques principes généraux d’art agricole sur le choix du terrain, les semailles, les opérations de sarclage, de battage ou de vannage. Ischomaque propose aussi à son interlocuteur une vision idéalisée de la place respective de chaque époux dans l’oikos (et dans la cité). La répartition des tâches repose sur une distinction essentialiste des corps : l’homme, vigoureux, travaille et s’affaire dehors, aux champs, mais aussi dans les assemblées politiques et à la guerre. La femme, plus faible, doit rester à l’intérieur. L’épouse 275

Partie 4 Politique, société et économie dans les cités grecques

« Nous ramassons, comme on dit, nos richesses entre quatre murs et les confions à l’intendance des femmes, en y ajoutant la direction des navettes et de tout le travail de la laine » (Platon, Lois, 805e).

Trémie d’Olynthe (dessin https://www.orviamm.com/).

contribue cependant à la prospérité de l’oikos : Ischomaque voit en sa femme le « meilleur associé pour l’oikos et ses enfants » et il la compare à « une reine des abeilles ». Elle dirige le travail des esclaves et assure la gestion des productions domestiques, à savoir le travail textile et la transformation des céréales en farine, puis en pain. La base de l’alimentation des Grecs est en effet la maza, une galette d’orge parfois agrémentée de miel, d’herbes ou de lait. Les grains sont moulus à l’aide de mortiers, de meules et de moulins à trémie. Ces derniers, innovation technique du ve siècle, permettent de moudre le grain selon un procédé mécanisé et donc moins contraignant physiquement. Cependant, il ne faut pas s’en tenir au seul témoignage de Xénophon pour l’étude du travail des femmes : le modèle vanté par Ischomaque est théorique et aristocratique. Pour l’Athènes classique, nous disposons de sources présentant des épouses et des mères, de condition libre et citoyenne, qui vendent sur les marchés soit une partie de la production textile élaborée dans l’oikos, soit de petits objets artisanaux. Les femmes de familles modestes travaillent en dehors de l’oikos, se substituant aux maris absents et apportant aussi des revenus supplémentaires aux maisons pauvres. L’épigraphie, ainsi que les témoignages comiques et juridiques, évoque des Athéniennes nourrices, boulangères, pâtissières, blanchisseuses ou accoucheuses.

II. Le monde de l’artisanat Le terme technè désigne le savoir-faire spécialisé qu’un artisan a acquis lors d’un apprentissage, en atelier ou en famille. La langue grecque désigne aussi par le terme banausos celui qui s’adonne à une activité manuelle se distinguant des activités de l’esprit. Le terme démiourgos insiste, lui, sur la fabrication. On trouve dans le monde artisanal un panel large de statuts socio-politiques : des citoyens, des étrangers, des esclaves et des affranchis. Cependant le travail manuel et artisanal, comme la vente des produits au détail, est assez peu considéré. Xénophon, dans l’Économique (VI, 5), rapporte que les métiers du four et du feu sont nuisibles pour le corps et l’âme. À Thèbes, selon Aristote, celui qui s’est adonné à une activité artisanale ou commerciale ne peut prétendre à une charge publique pendant dix ans. Dans la cité démocratique athénienne, ce sont les plus pauvres citoyens qui pratiquent les activités artisanales, tandis que les plus riches possèdent les ateliers et en tirent parfois de véritables fortunes. Si le travail manuel pâtit d’un certain mépris, c’est peut-être parce qu’il place les travailleurs en position de dépendance : soit que la commande vienne d’une cité, comme sur les grands chantiers de construction, soit qu’elle émane d’un client particulier, l’artisan est soumis à la demande et doit satisfaire son client. 276

15 L’économie des cités grecques à l’époque classique

Un cordonnier et son jeune client. Détail d’une pélikè attique, 500‑470 (Ashmolean Museum, Oxford).

L’artisan travaille dans un atelier appelé ergasterion qui est souvent de taille modeste et où quelques esclaves s’activent à côté de leur maître. Si les cordonniers travaillent plutôt seuls, d’autres secteurs comme la céramique exigent l’association de plusieurs compétences au sein d’un même espace. La prospérité de certaines affaires explique aussi l’importance de la main-d’œuvre employée. Képhalos, métèque athénien et père de l’orateur Lysias, possède ainsi des ateliers de boucliers au Pirée où travaillent 120  esclaves ; son activité a bénéficié du contexte militaire de la guerre du Péloponnèse. Le père de Démosthène fait aussi travailler une cinquantaine d’esclaves dans ses ateliers de fabrication de couteaux et de lits.

Sur Lysias, voir p. 182.

1. La production textile, oikos ou atelier ? La production textile a pour cadre l’oikos où s’affairent les femmes libres et serviles de la maison mais elle dépend aussi d’ateliers artisanaux employant des esclaves. La laine est produite sur place, grâce à l’élevage ovin, et exportée vers les centres de confection comme Mégare, Corinthe, Athènes ou Milet. Tâche féminine par excellence, le travail de la laine est une thématique fréquente de l’iconographie céramique qui figure de nombreuses femmes occupées à filer et à tisser. Des actes d’affranchissement datant Voir la figure de Pénélope, de 330‑322 évoquent les talasiourgoi voir p. 50. qui sont des travailleuses de la laine. Ces esclaves sont employées par des propriétaires d’atelier comme celui du « bâtiment  Z », mis à jour par les Le travail de la laine. archéologues à l’extrémité nord-ouest Détail d’un lécythe attique, 550‑530 de la ville d’Athènes, près de la porte (Met, New-York). du Dipylon. C’est un lieu qui abrite à la fois une fabrique de textiles et une maison de prostitution, où les esclaves qui y travaillent cumulent les deux Sur la prostitution, voir p. 212. activités. Xénophon, dans son ouvrage Les Mémorables, rapporte l’exemple de la famille d’Aristarchos, un Athénien qui ouvre un atelier dont la production est destinée à la vente. Lors de la tyrannie des Trente, Aristarchos héberge en effet

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Partie 4 Politique, société et économie dans les cités grecques

Une chlamyde est un court manteau en laine, attaché à l’épaule par une agrafe.

treize de ses cousines, nièces et sœurs dans sa maison, en l’absence des hommes qui ont fui la persécution des oligarques en place. Aristarchos se plaint auprès de Socrate de ses difficultés financières dues à l’entretien de cette grande famille. Le philosophe lui suggère alors « d’imposer une tâche » à ses parentes et de les mettre au travail afin de produire des tuniques et des chlamydes, à la place des esclaves étrangères qui constituent la main-d’œuvre habituelle des ateliers de production non domestique.

2. Un artisanat bien documenté : la production céramique La production céramique a laissé de nombreuses traces, notamment des milliers d’amphores qui servent au transport du vin, de l’huile, du poisson séché, des pistaches ou des amandes. On a retrouvé ces amphores, entières ou fragmentaires, sur leur lieu de fabrication lorsqu’on met à jour les dépotoirs des ateliers, mais aussi sur les territoires où elles sont abandonnées, après livraison des produits. Parfois, ces amphores sont restées à mi-chemin, suite au naufrage des navires de commerce dont les épaves sont exploitées par l’archéologie sous-marine. L’étude des échanges et des circuits de la production céramique est en partie permise par l’analyse des « timbres amphoriques ». En effet, à partir du ive siècle, on a apposé sur de nombreuses amphores des cachets, des marques destinées à être lues par des contrôleurs locaux. Il peut s’agir d’ethniques (par exemple, « amphore des Thasiens » ou « amphore des Cnidiens »), parfois de noms de mois (sur les timbres de Rhodes), de magistrats ou d’indications de capacités. Les interprétations divergent entre modernistes et primitivistes, selon qu’on fasse du timbre le signe d’un système standardisé de commercialisation et d’exportation, ou qu’on cantonne les timbres à un usage interne à la cité, pour la taxation. Le timbrage est dans tous les cas un acte public qui témoigne du contrôle des cités-État sur la production des amphores. Il permet en outre de dessiner les contours de certains circuits commerciaux comme ceux de Thasos, orientés vers la mer Noire. La céramique ne produit pas que des amphores utiles au stockage et au transport des denrées. Il y a aussi toute une production locale et artisanale de vaisselle, où chaque récipient a une finalité précise, pour l’alimentation et les pratiques cultuelles. Les potiers façonnent ainsi des hydries pour porter l’eau, des cratères pour mélanger le vin et l’eau, des œnochoés pour puiser les liquides, des coupes et des phiales pour boire et faire des libations, des pithoi pour stocker les grains. Les vases à parfum (lécythe, aryballe, alabastre) et les petites boîtes à couvercles (pyxide) sont aussi très prisés. Les artisans fabriquent aussi des tuiles et des lampes.

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15 L’économie des cités grecques à l’époque classique

Les vases grecs

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Partie 4 Politique, société et économie dans les cités grecques

La matière première de tous ces récipients est la pâte d’argile, d’abord décantée dans des bassins, puis pétrie et façonnée grâce aux tours de potier ; l’objet est ensuite séché à l’air libre, verni par un peintre et cuit. Toute une équipe s’affaire ainsi dans l’atelier : certains potiers ont des apprentis, des peintres vont et viennent entre plusieurs ateliers. Des manœuvres sont employés pour la préparation de l’argile, l’entretien du feu des fours ou le rangement des produits finis.

Zeus et Ganymède. Pélikè attique, 445 (Getty Museum, Los Angeles).

Voir le plan d’Athènes dans l’atlas final.

Sur Pisistrate, voir p. 94.

Les vases sont finement décorés, soit de motifs géométriques ou végétaux, mais aussi de scènes de la vie quotidienne (scènes érotiques, entraînement des jeunes à la palestre, travail féminin de la laine) ou de scènes mythologiques (travaux d’Héraklès, exploits de Thésée, naissance d’Athéna). Un cycle complexe de séquences de cuisson permet d’obtenir les différentes couleurs : à l’époque classique, la céramique à figures rouges sur fond noir succède à la céramique à figures noires sur fond rouge, courante à l’époque archaïque. À Athènes, les ateliers de céramique ont d’abord occupé le centre de l’Agora, à l’époque archaïque. Au vie siècle, les potiers se déplacent sur les abords de la voie qui mène à l’Académie, au nord de la cité et hors les murs. Le quartier artisanal se mêle désormais aux différentes nécropoles, dans un ensemble que l’on nomme le Céramique. Quelques ateliers demeurent dans le centre urbain, au nord-ouest de l’Agora. Selon R.  Étienne, le déplacement massif des céramistes s’explique par la réorganisation du cortège et des jeux des Grandes Panathénées, à l’époque de Pisistrate. Le cas athénien n’est pas à généraliser et de nombreux ateliers de potiers se trouvent à proximité des argilières, en milieu rural.

La cuisson des vases. Un potier devant son four. Plaquette de Penteskouphia, 575‑550 (Antikensammlung, Berlin).

3. Les chantiers de construction Certains besoins spécifiques font des cités des actrices importantes de la vie économique et artisanale. Les chantiers navals nécessitent leur lot de charpentiers, de menuisiers et autres tisserands. On est particulièrement bien renseignés sur le secteur des grands chantiers de construction, à Delphes, Épidaure, Athènes ou encore Éleusis. Plutarque livre ainsi des informations précises sur les matériaux et les travailleurs du grand chantier de l’Acropole d’Athènes : « Il y avait, en fait de matière première, de la pierre, du bronze, de

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15 L’économie des cités grecques à l’époque classique

l’ivoire, de l’or, de l’ébène, des cyprès ; il y avait pour les travailler et les mettre en œuvre les métiers : charpentiers, sculpteurs, forgerons, tailleurs de pierre, doreurs, ivoiriers, peintres, incrusteurs, ciseleurs ; il y avait pour le convoi et le transport des matières premières des marchands, matelots et pilotes, pour le transport sur mer, et sur terre, des charrons, voituriers, cochers, cordiers, tisserands, bourreliers, cantonniers et mineurs » (Vie de Périclès, 12). Parmi les sources épigraphiques, les comptes du Parthénon ou des Propylées permettent de suivre le déroulement des travaux. Mais il faut attendre les comptes de l’Érechthéion des années 409‑407 pour avoir accès à une documentation éclairante sur la main-d’œuvre employée. On y voit ainsi que citoyens, métèques et esclaves se côtoient sur le chantier, et que chacun est rétribué en fonction de la spécificité de sa tâche et non de son statut. Les individus sont répertoriés avec leur nom, la nature de leur travail et leur rémunération.

Extrait des comptes de l’Érechthéion de l’année 408‑407 (IG I2, 374), concernant les cannelures de colonnes  « 8e Prytanie de la tribu Pandionis. Reçu des trésoriers de la déesse, Arésaichmos du dème d’Agrylè et ses collègues de magistrature. Dépenses : a) Achats : Deux panneaux sur lesquels nous inscrivons le compte : 2 drachmes. Total des achats : 2 drachmes. b) Travail sur la pierre. Pour la cannelure des colonnes allant vers l’est, face à l’autel. Troisième colonne à partir de l’autel de Dioné. Ameiniadès habitant le dème de Koilè : 18 drachmes ; Aischinès : 18 drachmes ; Lysanias : 18 drachmes ; Soménès (esclave) d’Ameiniadès : 18 drachmes ; Timokratès : 18 drachmes. Colonne suivante –  Simias habitant le dème d’Alopékè : 13  drachmes ; Kerdon : 12 drachmes 5 oboles ; Sindron (esclave) de Simias : 12 drachmes 5 oboles ; Soklès (esclave) d’Axiopeithès : 12 drachmes 5 oboles ; Sannion (esclave) de Simias : 12 drachmes 5 oboles ; Epieikès (esclave) de Simias : 12 drachmes 5 oboles ; Sosandros (esclave) de Simias : 12 drachmes 5 oboles ». Traduction de M. Austin et P. Vidal-Naquet, Économies et sociétés en Grèce ancienne, Paris, 2007, doc. 71, p. 304.

À la lecture des comptes des grands chantiers, on peut expliquer en partie le mépris que certaines sources affichent pour les activités artisanales. Une occupation où s’affairent indistinctement des esclaves, des métèques et des citoyens ne recueille pas le même respect que l’agriculture où les statuts

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Partie 4 Politique, société et économie dans les cités grecques

sont davantage cloisonnés et hiérarchisés. La propriété terrienne demeure l’apanage des citoyens, le droit de propriété pouvant être exceptionnel­ lement octroyé.

III. Monnaie et finances dans les cités grecques 1. La monnaie ■■ Cités L’électrum est un alliage d’or et d’argent. Les Perses s’approprient le système monétaire après la conquête de la Lydie en 546 et produisent des monnaies d’or, les dariques (du nom de Darius) et des monnaies d’argent, les sicles. Dans les cités grecques, les monnaies apparaissent d’abord à Égine, Corinthe (dès 600 ?) et Athènes.

La monnaie de Cyrène porte une tige de silphium sur le revers, comme cette drachme en argent.

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et monnaie La frappe des premières monnaies apparaît vers 650, dans la région de Lydie riche en électrum. Les cités grecques sont des entités politiques autonomes qui peuvent théoriquement toutes frapper leur propre monnaie. Il existe donc une multitude de monnayages différents mais des monnaies se distinguent à certaines époques, notamment parce que la cité émettrice exerce une hégémonie politique et économique. La monnaie a une évidente utilisation commerciale et financière mais elle a aussi une valeur identitaire : les symboles et les effigies représentés renvoient aux héros, aux divinités ou aux activités emblématiques des cités émettrices.

Les « chouettes » athéniennes ont connu une large diffusion à l’époque classique. Les chouettes tirent leur appellation du revers des pièces qui arborent l’animal, symbole d’Athéna. La déesse est elle-même représentée sur l’autre face, appelée « droit ». La monnaie athénienne est frappée avec l’argent extrait des mines du Laurion et la découverte du nouveau filon, en 483, a accru les ressources disponibles. Les types les plus courants sont les drachmes et les tétradrachmes, équivalents à 4 drachmes. Au milieu du ve siècle, quand Athènes est à l’apogée de sa puissance, apparaissent les décadrachmes, valant dix drachmes. Même si leur émission a été de courte durée, elle témoigne du lien fort entre puissance impérialiste et puissance financière (voir p. 127 sur le décret de Cléarque). Grâce à l’espace sécurisé de l’empire, les Athéniens ont diffusé largement leur monnaie que l’on retrouve dans tout l’espace égéen et bien au-delà, en Sicile, en mer Noire ou en Égypte. À la fin de la guerre du Péloponnèse, les Athéniens rencontrent des difficultés à maintenir l’extraction des mines du Laurion, à cause de l’occupation spartiate du territoire attique. Ils ont alors recours à des « monnaies d’urgence », frappées en or et en bronze. Ainsi, à la veille de la bataille des Arginuses (406), les Athéniens décident de fondre les statues en or de l’Acropole pour avoir de la matière première et financer leur expédition.

15 L’économie des cités grecques à l’époque classique

Frapper la monnaie athénienne, une initiative des particuliers ? Concernant l’Athènes classique, Chr.  Flament a démontré le lien entre la production monétaire et l’exploitation minière : les pics de production des chouettes correspondent aux périodes fastes de l’activité du Laurion. La particularité d’Athènes est que l’initiative de battre monnaie revient non à l’Assemblée des citoyens mais aux entrepreneurs miniers. Selon les calculs de l’historien, le coût annuel des frais engendrés par l’exploitation minière (loyers des concessions, location, entretien et remplacement des esclaves, location des installations de traitement, outillage, éclairage, boisage, combustibles) serait d’au moins 750 talents. Les entrepreneurs miniers doivent frapper des monnaies pour une valeur au moins équivalente à 800  talents par an s’ils veulent rentabiliser leur investissement et dégager des bénéfices. Ces 800 talents correspondent au seuil minimal de la production monétaire en période d’intense activité lauréotique. La mise en circulation de la monnaie est liée aux différentes dépenses dont les entrepreneurs miniers s’acquittent dans le cadre de leur activité. Les nouvelles pièces frappées alimentent le marché frumentaire grâce à l’achat de la nourriture pour les mineurs serviles. Elles sont aussi versées aux propriétaires des esclaves loués et aux marchands d’esclaves qui réapprovisionnent le stock de main-d’œuvre. La cité a un rôle réduit et les décisions collectives relatives au processus monétaire sont prises dans des périodes de crise. En 375, la loi de Nicophon vise par exemple à réduire la prolifération des fausses pièces qui déstabilisent les échanges.

Les autres monnayages remarquables de l’époque classique sont, en mer Égée, ceux de Corinthe et d’Égine. L’île d’Égine, commerçante et dynamique au point d’être perçue comme une menace par les Athéniens au début du ve  siècle, a frappé des « tortues ». Là encore l’histoire monétaire est liée au contexte diplomatique. Égine a interrompu la frappe de ses monnaies entre 431 et 404, alors qu’elle est sous la coupe athénienne, transformée en colonie après l’expulsion de ses habitants. Elle redémarre sa production après la victoire spartiate. Corinthe frappe des statères appelés « poulains » ; en effet le droit est occupé par un Pégase, le cheval ailé légendaire. Sur le revers, on retrouve Athéna. C’est notamment dans les cités grecques occidentales, dont plusieurs sont des fondations corinthiennes de l’époque archaïque, que l’on retrouve les poulains. Les statères d’or de Lampsaque et les statères d’électrum de Cyzique sont majoritaires dans les régions d’Asie Mineure, notamment dans la zone des Détroits et du Pont-Euxin. À partir de la montée en puissance de la Macédoine, au milieu du ive siècle, les statères d’or de Philippe II se répandent, puis les tétradrachmes en argent d’Alexandre le Grand.

Tétradrachme en argent d’Athènes. La pièce a été contrôlée, déclarée fausse puis cisaillée par un esclave public vérificateur (voir p. 184).

Statère d’argent de Corinthe, 320.

Sur les rivalités entre Athènes et Égine, voir p. 113.

Statère d’argent d’Égine, 457‑431.

283

Partie 4 Politique, société et économie dans les cités grecques

Quelques notions de numismatique grecque La numismatique est la science qui étudie la monnaie et les médailles. Étalon : un étalon monétaire est un système de référence dans lequel les monnaies ont un équivalent en poids et en métal. Deux étalons dominent la frappe des monnaies grecques : l’étalon attique et l’étalon éginétique. L’étalon attique est utilisé par Athènes et l’étalon éginétique se diffuse dans le Péloponnèse (à l’exception de Corinthe), en Grèce centrale et en Crète. Dénomination : il s’agit de l’appellation d’une pièce. Ainsi, dans le système attique, il existe les dénominations principales et les correspondances suivantes : –– le talent = 60 mines = 25,8 kg d’argent –– la mine = 100 drachmes = 430 g d’argent –– le tétradrachme = 4 drachmes = 17,2 g d’argent –– la drachme = 6 oboles = 4,3 g d’argent –– l’obole = 8 chalques de bronze = 0,72 g d’argent Le système éginétique comporte quelques différences : –– le talent = 60 mines = 25,8 kg d’argent –– la mine = 70 drachmes = 430 g d’argent –– le statère = 2 drachmes = 12,4 g d’argent –– la drachme = 6 oboles = 6,2 g d’argent –– le triobole = 3 oboles = 3 g d’argent –– l’obole = 12 chalques de bronze = 1 g d’argent Il est à noter que les mines et les talents sont des poids et des valeurs mais qu’ils ne circulent pas sous forme de monnaie. La technique de la frappe monétaire est schématiquement la suivante : on utilise des matrices gravées en creux, appelées « coins ». Il y a deux types de coins : les coins de droit et les coins de revers. Le coin de droit porte l’effigie principale ou le nom de l’émetteur et il est fiché dans une enclume : comme il est immobile, on l’appelle aussi « coin dormant ». Le coin de revers est mobile et le monnayeur le frappe à l’aide d’un marteau. Entre les deux coins, on glisse le morceau de métal à frapper, qu’on appelle un « flan ».

284

15 L’économie des cités grecques à l’époque classique

■■ Un

cas particulier ? Sparte et la monnaie Cité puissante et omniprésente sur l’échiquier géostratégique du monde grec classique, la cité spartiate n’a pourtant pas frappé de monnaie avant 265‑250. Tout au long de l’époque archaïque et classique, Sparte a donc eu une économie non monétarisée. Comment expliquer que les Spartiates n’aient pas éprouvé le besoin de frapper monnaie avant le iiie siècle ? Plusieurs hypothèses ont été avancées : –– les Spartiates n’ont pas eu besoin d’acheter des esclaves-marchandises puisqu’ils employaient des Hilotes rattachés à leurs terres ; –– en opérant d’importants prélèvements internes en nature, ils ont eu peu recours à des achats extérieurs ; –– les citoyens ne recevaient pas de misthos, quelle que soit leur charge politique ; –– les Spartiates ont eu peu recours aux mercenaires, comptant sur leurs citoyens-soldats, sur les Périèques, sur les Hilotes enrôlés et sur les troupes de la ligue du Péloponnèse. L’absence de métaux précieux n’empêche cependant pas les écarts de richesse, par le biais de la possession terrienne. De plus, des tortues d’Égine et des monnaies de Tégée circulent aussi ponctuellement sur le territoire laconien, comme l’atteste l’archéologie. Enfin, les Spartiates utilisent depuis l’époque archaïque une monnaie en fer de très faible valeur, qui prend la forme de broches. À la fin de la guerre du Péloponnèse, un débat s’engage sur la question monétaire, alors que la victoire spartiate fait affluer dans la cité un butin conséquent, estimé entre 1 000 et 1 500 talents. Le navarque Lysandre et ses partisans tentent de convaincre leurs concitoyens de la nécessité de frapper une monnaie forte afin de financer une politique hégémonique. Mais ce projet d’impérialisme maritime comme de monétarisation de l’économie spartiate rencontre une forte opposition. Ceux qui se montrent réticents à la conversion de Sparte à une économie d’échanges semblable à celle d’Athènes saisissent le prétexte de l’affaire de Gylippe, rapportée par Plutarque. Gylippe, stratège pendant la guerre du Péloponnèse, aurait en effet détourné à son profit une partie du butin amassé par les armées de Lysandre. Sa corruption sert d’avertissement pour les « plus sages » de Sparte qui l’emportent lors du débat et obtiennent des éphores qu’ils « purifient » la cité du fléau monétaire importé.

Sur les distinctions de fortune à Sparte, voir p. 234.

Selon l’historien St. Hodkinson, le rapport entre le fer et l’argent aurait été de 1800/1. « En premier lieu, [Lycurgue] a établi une monnaie d’un genre tel que seulement dix mines ne pourraient entrer dans une maison à l’insu des maîtres et des serviteurs ; une telle somme aurait, en effet, besoin de beaucoup de place et d’un chariot pour la transporter » (Xénophon, Constitution des Lacédémoniens, 7,6).

C’est donc de cette époque et en réaction à l’afflux de métaux précieux, suite à la victoire de 404, que date l’interdiction formelle pour tout particulier spartiate de posséder de l’or ou de l’argent, et non du temps de Lycurgue. L’usage des métaux précieux est dès lors uniquement réservé aux affaires de la collectivité. Un ami proche de Lysandre, Thorax, 285

Partie 4 Politique, société et économie dans les cités grecques

Un harmoste est un magistrat en charge de gouverner les garnisons établies par les Spartiates dans les cités passées sous leur contrôle.

fait les frais de cette mesure : harmoste à Samos, il s’est considérablement enrichi à la fin de la guerre du Péloponnèse. Lorsqu’il revient à Sparte, en 403, il est arrêté en possession d’argent et est condamné à mort  par les éphores. Son exécution témoigne, à ce moment-là, de l’hostilité engendrée par une poignée de Spartiates qui ont profité de la guerre pour accumuler des sommes conséquentes.

2. Investissement et banque Au ive siècle, les grandes fortunes ne sont plus exclusivement foncières et les sources attiques montrent que de riches Athéniens diversifient leurs investissements : certains dans la location de boutiques et d’ateliers, d’autres dans les concessions minières ou la location d’esclaves. « Androclès du dème de Sphettos et Nausikratès de Carystos ont prêté à Artémon et Apollodore de Phasélis trois mille drachmes d’argent pour un voyage d’Athènes à Mendè ou Skionè et de là au Bosphore, puis, s’ils le veulent, en longeant la côte à gauche jusqu’au Borysthène, avec retour à Athènes. […] Le prêt est garanti par trois mille amphores de vin de Mendè, à charger à Mendè ou à Skionè, sur le navire à vingt rames commandé par Hyblésios, ladite hypothèque franche et quitte de toute dette présente et future » (Démosthène, Contre Lacritos, 10).

286

Un nouveau secteur très rentable est celui des prêts maritimes, dont l’essor accompagne celui du grand commerce. Des hommes d’affaires investissent des capitaux pour financer l’achat des navires et de leurs cargaisons. On connaît notamment les « prêts à la grosse aventure », consentis entre un bailleur de fonds et un négociant. Le bailleur fournit une somme gagée sur le navire, la cargaison ou les deux à la fois. Les sommes prêtées sont remboursées avec des taux d’intérêt parfois très élevés. Par exemple, dans le plaidoyer du Contre Lacritos de Démosthène, il est question de prêts à 25 % et 30 % de taux d’intérêt. Pour financer des opérations commerciales d’envergure, les négociants peuvent aussi se tourner vers les banques qui se développent au ive siècle. Les banquiers prêtent de l’argent et ils reçoivent aussi des dépôts de particuliers qu’ils peuvent faire fructifier. En grec ancien, la banque se dit trapeza (« la table »), tandis que le banquier est un « trapézite ». En effet, les banques ne sont pas de grands établissements fermés mais d’abord une simple table posée à l’air libre, devant une échoppe et dans une zone commerçante, derrière laquelle le trapézite se tient avec sa balance de précision pour peser les monnaies qu’on lui présente. Les dépôts sont conservés dans les maisons personnelles des banquiers, qui font aussi office de bureau lorsqu’il s’agit de discuter discrètement. D’après les plaidoyers attiques, le milieu de la banque est tenu avant tout par des affranchis qui travaillent avec de nombreux esclaves. Parmi les banquiers célèbres à Athènes, on retiendra les noms de Pasion et de Phormion.

15 L’économie des cités grecques à l’époque classique

De la servitude à la fortune : Pasion et Phormion Pasion est un esclave né au début de la guerre du Péloponnèse. Il a d’abord travaillé auprès d’Antisthénès et d’Archestratos, qui figurent parmi les premiers banquiers connus à Athènes. Vers 395, Pasion est affranchi par ses maîtres qui lui transmettent en outre leur affaire bancaire. S’il a connu quelques déboires financiers dont les plaidoyers attiques se font écho, Pasion a gagné la confiance de nombreux Athéniens riches et influents et a fait fortune. Il prête par exemple de grosses sommes au stratège Timothée. Le niveau de fortune atteint par Pasion lui permet d’intégrer la classe liturgique (voir ci-dessous). En 376, pour ses services rendus à la cité, notamment financiers, les Athéniens lui octroient la citoyenneté. À sa mort, ses affaires bancaires et artisanales (une fabrique de boucliers) sont gérées non par ses fils, Apollodore et Pasiclès, mais par son ancien esclave Phormion. Phormion a été formé auprès de Pasion pour qui il travaille d’abord comme homme de confiance avant d’être affranchi vers 371. À la mort de Pasion, Phormion devient tuteur du jeune Pasiclès, encore mineur, puis il épouse Archippè, la veuve de Pasion, ainsi que ce dernier l’a souhaité. À la majorité de Pasiclès, Phormion ouvre sa propre banque et son succès est tel qu’en 340 il figure parmi les 300 Athéniens les plus riches.

3. Les finances de la cité-État Les cités grecques n’ont pas de politiques budgétaires telle qu’on les connaît actuellement : elles n’établissent pas de prévisions annuelles de leurs dépenses ni de leurs revenus, en tenant compte des expériences passées. Si elles semblent vivre au jour le jour, les cités peuvent cependant compter sur des rentrées régulières d’argent et sur la générosité, plus ou moins imposée, des plus riches. En cas de crise financière, elles mettent en place des mesures d’urgence, comme la levée d’impôts exceptionnels, des emprunts ou des souscriptions publiques. ■■ Les

différents postes de dépense Plusieurs secteurs engendrent des dépenses considérables : –– tout d’abord la guerre et la défense de la cité. Le salaire des soldats (le misthos), l’éducation éphébique, la construction d’une flotte de guerre et de machines de sièges, ou encore les travaux de fortification, coûtent très cher. À Athènes, il existe une caisse militaire, le stratiotikôn, instaurée au plus tard en 374/373, peut-être par Callistratos ;

Sur Callistratos, voir p. 202.

–– la vie cultuelle de la cité a aussi un coût. Certaines charges religieuses sont rémunérées par la cité : à Athènes, la prêtresse d’Athéna Nikè reçoit 50 drachmes par an. Les sanctuaires sont parfois réaménagés, reconstruits ou agrandis, comme celui de l’Acropole d’Athènes ou d’Éleusis, à

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Partie 4 Politique, société et économie dans les cités grecques

l’époque de Périclès. Lors des fêtes, il faut financer les processions, l’achat des victimes animales pour le sacrifice et le déroulement des concours ; –– l’entretien de l’urbanisme suppose de construire et d’entretenir les rues, les gymnases, les fontaines, les citernes ou les théâtres ;

Sur les misthoi, voir p. 194.

Voir la biographie d’Eubule, p. 203.

–– dans l’Athènes démocratique, plusieurs indemnités sont versées aux citoyens qui siègent à l’Assemblée, à la Boulè ou à l’Héliée. Ce principe de misthophorie a un coût non négligeable. Outre les misthoi liés au fonctionnement des institutions, les citoyens bénéficient aussi de la diobélie et du théôrikon. La diobélie est le versement aux citoyens modestes d’une somme de deux oboles afin de favoriser la participation de tous aux fêtes civiques. Le débat demeure sur la date de son instauration, du temps de Périclès ou de Cléophon, en 410/409. Le théôrikon est une indemnité versée aux plus pauvres pour financer l’achat des places aux représentations théâtrales. Là encore, la date de sa mise en place est sujette à débat et on l’attribue à Périclès ou à Eubule ; –– les cités interviennent dans l’approvisionnement de certaines denrées comme le bois, indispensable pour l’équipement maritime, le blé et l’huile.

Chr. Flament évalue à 180 talents par an le montant des redevances versées à la cité athénienne en échange des concessions minières du Laurion.

Les Hermocopides ont été condamnés pour avoir mutilé les statues d’Hermès, à Athènes. Voir p. 135.

288

■■ Les

revenus des cités Les cités ont bien des ressources, qu’elles conservent et dépensent. Les revenus proviennent de différents secteurs : –– la mise en location des biens de la cité, comme les mines ou les terres publiques ; –– la perception du montant des amendes imposées à des particuliers ou la vente des biens confisqués à des condamnés, comme les Hermocopides de 415 ; –– des impôts et des taxes qui procurent l’essentiel des revenus. Parmi eux, l’eisphora est payée par les citoyens et les métèques, à Athènes. Apparu en 428, l’eisphora est un impôt direct qui est calculé en fonction de la fortune des imposables. D’abord irrégulier, il est levé tous les deux ans puis tous les ans au ive siècle. Afin d’assurer une perception régulière, les Athéniens mettent en place en 366 le système de la proeisphora : les trois plus riches individus de chaque circonscription fiscale (appelée « symmorie », au nombre de 100) avancent la somme réclamée, à charge pour eux de se rembourser auprès des autres contribuables. Ainsi se dégage le groupe des 300 hommes les plus fortunés d’Athènes. Des taxes frappent aussi les marchandises qui entrent et sortent des ports ; un droit de douane de 2 % appliqué à la valeur marchande alimente les caisses de la cité.

15 L’économie des cités grecques à l’époque classique

■■ Les

liturgies Une liturgie est une contribution financière obligatoire imposée à un riche habitant d’une cité, qui peut être citoyen ou métèque, comme à Athènes. Grâce au système liturgique, les cités se reposent ainsi sur les plus fortunés pour financer de nombreuses dépenses, avant tout dans le domaine militaire et cultuel. On connaît ainsi : –– la triérarchie, qui est la liturgie la plus honorifique et la plus coûteuse. Pendant un an, le triérarque doit entretenir et équiper une trière dont la coque est fournie par la cité. Ce système de financement de la flotte a aussi été adopté par l’île de Rhodes ; –– la chorégie consiste à financer les répétitions d’un chœur lors des représentations théâtrales données dans le cadre des fêtes de Dionysos ; –– l’hestiasis est le financement de repas publics, lors des fêtes de la cité : le liturge achète sur ses propres deniers les bêtes sacrifiées ; –– la gymnasiarchie consiste en l’entretien d’un gymnase, notamment l’achat d’huile pour les athlètes. À Athènes, le gymnasiarque est aussi en charge de l’organisation des courses aux flambeaux, les « lampadédromies », lors des fêtes des Prométheia, des Héphaisteia ou des Grandes Panathénées ;

Une lampadédromie. Œnochoé Attique, ive siècle (Louvre, Paris).

–– l’archithéorie permet de financer l’envoi de délégations sacrées et d’ambassades ; –– la proeisphora, évoquée précédemment, est aussi une liturgie : il s’agit, pour les liturges désignés, d’avancer l’argent de l’impôt. Si les liturgies sont coûteuses pour ceux qui les assument, elles leur rapportent aussi en prestige et en reconnaissance. Ainsi, les triérarques n’hésitent pas à rivaliser pour présenter les plus belles trières  et les premiers qui se présentent au port avec leurs navires prêts au départ reçoivent des couronnes d’or, d’une valeur de 500, 300 et 200 drachmes. Les meilleurs chorèges reçoivent aussi un prix, sous forme de trépied qu’ils consacrent ensuite à la vue de tous, dans la cité. Ainsi, à Athènes, « la rue des Trépieds » témoigne de la fierté des chorèges. Et dans les plaidoyers attiques, il est fréquent que des individus incriminés pour tel ou tel délit mobilisent la liste des liturgies effectuées pour prouver aux jurés qu’ils sont de bons citoyens, comme dans la Défense d’un anonyme accusé de corruption (Lysias).

Le monument de Lysicrate, élevé en 335/334 par le chorège vainqueur du concours de dithyrambe au théâtre de Dionysos. Le trépied de bronze remporté par Lysicrate reposait sur le toit de marbre du petit monument cylindrique encore visible aujourd’hui.

289

Partie 4 Politique, société et économie dans les cités grecques

À RETENIR nnLes exploitations agricoles sont pour la plupart de taille modeste et pratiquent

une polyculture dominée par la trilogie céréales/vigne/olives. Vivrière, l’agriculture dégage aussi des surplus qui sont commercialisés, selon les spécialités régionales.

nnL’élevage est pratiqué selon le type de relief. nnL’exploitation des mines et des carrières est bien attestée, en Attique, en Thrace ou

à Syracuse.

nnMême si le travail manuel est dévalorisé dans les discours, l’artisanat est déve-

loppé et les sources permettent de connaître le fonctionnement du secteur céramique, textile ou encore de la construction.

nnLa monnaie se diffuse à partir du vie siècle. Les chouettes athéniennes dominent le

marché égéen pendant la période d’hégémonie de la cité d’Athènes.

nnSparte a la particularité d’avoir une économie non monétarisée jusqu’au iiie siècle. nnLes cités ne possèdent pas de politique budgétaire au sens moderne du terme

mais elles ont bien des ressources financières propres reposant sur des taxes et des impôts, qui leur permettent de pourvoir aux dépenses militaires, religieuses ou urbanistiques.

nnLes liturgies sont un moyen de faire participer les plus riches habitants de la cité

aux dépenses. Les liturges en tirent un important prestige.

BIBLIOGRAPHIE M.-C. Amouretti, Le pain et l’huile dans la Grèce antique, de l’araire au moulin, Paris, 1986. M.-F. Baslez (dir.), Économies et sociétés en Grèce ancienne (478‑88 av. J.-C.), Paris, 2007. A. Bresson, L’économie de la Grèce des cités, 2 tomes, Paris, 2006‑2008. P. Brun, « Guerre et finances : état de la question », Pallas, 51, 1999, p. 223‑240. Chr. Chandezon, L’élevage en Grèce (fin ve-fin ier siècles av. J.-C.). L’apport des sources épigraphiques, Bordeaux, 2003. M.-I. Finley, Économie et société en Grèce ancienne, Paris, 1984. Chr. Flament, « Les monnaies athéniennes aux ve-ive siècles av. n. è. des mines du Laurion au marché de la Cité », Mélanges de la Casa de Velázquez, 48‑1, 2018, p. 195‑213. J.-M. Luce, Paysage et alimentation dans le monde grec, Pallas, 52, 2000. L. Migeotte, L’économie des cités grecques, Paris, 2002. H. Nicolet-Pierre, Numismatique grecque, Paris, 2002. Chr. Pébarthe, Monnaie et marché à Athènes à l’époque classique, Paris, 2002. 290

MÉTHODOLOGIE

LES SOURCES DE L’HISTOIRE GRECQUE

293

NOTICES BIOGRAPHIQUES DES PRINCIPAUX AUTEURS GRECS

296

CHRONOLOGIE GÉNÉRALE

305

RAPPEL MÉTHODOLOGIQUE

315

SUJETS CORRIGÉS 

319

Les sources de l’histoire grecque Une grande partie des sources utiles à l’historien exige des précautions méthodologiques dues à la nature même des documents. Par exemple, les comédies d’Aristophane donnent de nombreuses informations sur la vie quotidienne des Athéniens et sur les figures politiques du ve siècle mais ces informations sont diluées dans un discours destiné à faire rire et qui est donc truffé d’exagérations et de procédés comiques. Les discours des orateurs sont prononcés pour convaincre un auditoire et ils regorgent de formules rhétoriques. Pour les procès, nous n’avons souvent à disposition que le point de vue de l’un des protagonistes, ce qui peut nuire à l’appréciation objective des situations décrites. La poésie tragique livre aussi de précieux éléments sur les pratiques religieuses, sur les liens sociaux et le droit de la famille ou sur la guerre. Néanmoins, ces renseignements sont dilués dans des séquences mythologiques qu’il faut identifier et commenter à part. Les historiens combinent des documents variés pour étudier une thématique. Par exemple, une enquête sur le mariage grec associe l’étude des différents rituels (vases), des textes juridiques relatifs à la dot ou au statut de l’épouse (orateurs, inscriptions, contrats de mariage), des réflexions philosophiques (utopies législatives d’Aristote et de Platon), des couples fictifs (comédie et tragédie) et des couples historiques (Vies de Plutarque).

I. Les sources textuelles Les sources textuelles sont de natures diverses et elles ne correspondent aujourd’hui qu’à une faible partie de ce qui a été produit dans l’Antiquité. En effet, les conditions de conservation (supports périssables comme les papyrus), le pillage ou la destruction des lieux de stockage, mais aussi les choix des copistes, expliquent que seule une infime partie des textes nous soit parvenue. Pour l’époque classique, la documentation provient avant tout de la cité d’Athènes et il est donc difficile, pour certaines thématiques, d’échapper à l’athéno-centrisme. Parmi les sources textuelles, on compte les œuvres des historiens (Hérodote, Thucydide, Xénophon), les discours judiciaires et politiques (par exemple, ceux de Lysias, Démosthène ou Eschine), la poésie (épique avec Homère, didactique avec Hésiode, mélique avec Sappho, tragique avec Eschyle), 293

Méthodologie

les essais philosophiques (Platon, Aristote) et les traités scientifiques (le Corpus hippocratique). –– M.-F. Baslez, Les sources littéraires de l’histoire grecque, Paris, 2003. –– A. Le Boulluec et al. Histoire de la littérature grecque, Paris, 1997. –– La Collection des Universités de France, dite « CUF » ou « Collection Budé », éditée par Les Belles Lettres, propose des éditions bilingues des auteurs grecs (et latins).

II. Les sources épigraphiques L’épigraphie désigne les inscriptions apposées sur des supports durables, comme la pierre, le métal ou l’argile. Les informations gravées sont de différente nature : lois, décrets, conventions judiciaires, accords entre cités, décrets honorifiques, actes d’affranchissements, comptes de constructions, dédicaces ou encore inscriptions funéraires. L’épigraphie est particulièrement utile pour l’étude des institutions et du droit, des pratiques religieuses, des relations internationales et de l’économie. La documentation épigraphique s’enrichit régulièrement, au gré des fouilles et des découvertes. Le Bulletin épigraphique, publié tous les ans dans la Revue des Études grecques, recense les nouvelles inscriptions. –– P. Brun, Impérialisme et démocratie à Athènes. Inscriptions de l’époque classique, Paris, 2005. –– J. Pouilloux, Choix d’inscriptions grecques, Paris, 2003. –– H. van Effenterre et F. Ruzé, Nomima. Recueil d’inscriptions politiques et juridiques de l’archaïsme grec, EFR, 1994-1995.

III. Les sources archéologiques L’archéologie est l’étude des sources matérielles. Il peut s’agir de mettre à jour des bâtiments (temples, gymnases, théâtres, portiques, maisons, ateliers), des quartiers entiers comme dans la Smyrne archaïque ou dans l’Olynthe du ive siècle, mais aussi dégager des objets de taille modeste et parfois fragmentaires, vaisselle, bijoux, outils, monnaies, statues. L’archéologie funéraire étudie en particulier les artéfacts issus des nécropoles. L’archéologie sous-marine permet d’avoir accès aux épaves de bateaux et à leur cargaison, livrant ainsi des informations aussi utiles à l’histoire des techniques qu’à l’histoire économique. –– R. Étienne et al. Archéologie historique de la Grèce antique, Paris, 2000. –– M.-Chr. Hellmann, L’architecture grecque. I. Les principes de la construction. II. Architecture religieuse et funéraire, Paris, 2002-2006. –– B. Holtzman et A. Pasquier, Histoire de l’art antique. L’Art grec, Paris, 1998.

294

Les sources de l’histoire grecque

–– Cl. Rolley, La sculpture grecque, des origines au milieu du ve siècle, Paris, 1994 ; La période classique, 1999.

IV. Les sources iconographiques Les images, peintes sur les vases ou sculptées dans la pierre, livrent des informations précieuses dans de nombreux domaines : vie quotidienne, rituels religieux, techniques artisanales, séquences mythologiques, art de la guerre. Il faut toujours remettre en contexte la production iconographique, son lieu d’exposition, son usage, son commanditaire, son destinataire. –– F. Lissarrague et F. Thélamon (éd.), Image et céramique grecque, Rouen, 1983. –– F. Lissarrague, Vases grecs. Les Athéniens et leurs images, Paris, 1999.

V. Les sources numismatiques La numismatique est l’étude des monnaies. Classées par types et par séries, les monnaies permettent d’étudier aussi bien la représentation et la mise en scène du pouvoir que les circuits commerciaux. –– D. Gerin et al. La monnaie grecque, Paris, 2002. –– H. Nicolet-Pierre, Numismatique grecque, Paris, 2002.

295

Méthodologie

Notices biographiques des principaux auteurs grecs I. La poésie 1. La poésie épique ■■ Homère

Voir p. 50. ■■ Hésiode

Voir p. 87 et p. 207. 2. La poésie lyrique ou mélique

Le melos, qui donne son nom à « mélique », est un chant soutenu par une mélodie instrumentale et rythmé par un pas de danse. ■■ Tyrtée (viie siècle)

Poète lyrique qui s’installe à Sparte, au moment de la deuxième guerre de Messénie, entre 635 et 600. Dans ses Exhortations, il encourage les Spartiates au combat : comme chez Homère, on trouve dans ses vers guerriers les thématiques de la gloire, de l’honneur et de l’exploit, mais dans le contexte renouvelé de la phalange, où la solidarité hoplitique prime désormais. À l’époque classique, ses poèmes sont toujours chantés lors du déplacement des armées spartiates. Il est aussi l’auteur d’un poème appelé Eunomia, « la bonne constitution », en lien avec le régime politique de Sparte mis en place à l’époque archaïque par le législateur Lycurgue. ■■ Alcman (viie siècle)

Poète lyrique originaire de Sardes (Lydie) qui a vécu à Sparte. Son œuvre s’inscrit dans le système politique et éducatif spartiate. Il a notamment écrit des Parthénées, qui sont des hymnes destinés à être chantés par des chœurs de jeunes filles, lors de fêtes de la cité et pendant leur formation. Dans ces hymnes, les jeunes filles se disent traversées par Éros, l’élan érotique, et elles expriment 296

Notices biographiques des principaux auteurs grecs

leur amour et leur admiration pour leur cheffe de chœur. D’après Pausanias, le tombeau d’Alcman se trouve à Sparte, près d’un des sanctuaires de l’héroïne Hélène. ■■ Alcée (630-580)

Poète lyrique né dans l’île de Lesbos, à Mytilène. Auteur de péans (chants de guerres), d’hymnes, de chansons à boire et de chansons politiques. Dans ces dernières, ses cibles privilégiées sont les tyrans qui règnent à Lesbos à son époque, Myrsilos et Pittacos. L’île de Lesbos est connue pour son dynamisme culturel à l’époque archaïque : outre Alcée, Lesbos est la patrie de la poétesse Sappho et du musicien-poète Terpandre, un citharède qui a modifié la lyre en ajoutant trois cordes aux quatre préexistantes. ■■ Sappho (630- ?)

Poétesse lyrique, contemporaine d’Alcée et originaire d’une famille aristocratique de l’île de Lesbos. À Mytilène, Sappho est à la tête d’une école de jeunes filles, qui, avant de se marier, apprennent la danse, la musique et la poésie. Sappho a composé des épithalames (des chants de mariage), des hymnes et des odes, dont l’Ode à Aphrodite. Dans ses vers, elle exprime les effets de la passion amoureuse et de l’élan érotique qu’elle ressent pour les jeunes filles qu’elle forme à son art. Sappho de Lesbos est à l’origine du terme « lesbianisme », aussi dit « saphisme ». ■■ Pindare (520-438)

Poète lyrique d’origine thébaine, issu d’une famille aristocratique, Pindare est un auteur prolifique qui a écrit notamment de nombreux péans (chants de guerres), des dithyrambes (chants choraux en l’honneur de Dionysos), des thrènes (chants funèbres), ou encore des hymnes. De cette vaste production, seules les épinicies ont survécu à l’état non fragmentaire. Odes triomphales écrites à l’occasion de victoires aux grands concours panhelléniques, les épinicies de Pindare comportent les Olympiques, les Néméennes, les Pythiques et les Isthmiques. Pindare a été considéré comme un des meilleurs poètes de son époque et il a été convié à la cour de nombreux rois et tyrans afin de célébrer leur gloire. Les tyrans Hiéron de Syracuse et Théron d’Agrigente ou encore le roi Arcésilas de Cyrène, ont fait appel à son talent. Les épinicies célèbrent les vainqueurs sportifs mais elles honorent aussi les divinités qui ont rendu possible la victoire et elles rappellent, parallèlement aux performances humaines, les exploits des héros. Par son objet et ses destinataires, la poésie de Pindare est aristocratique et elle est destinée à être chantée lors des banquets des élites.

297

Méthodologie

3. La poésie élégiaque ■■ Théognis de Mégare (v. 580- ?)

Dans ses élégies, l’aristocrate Théognis déplore le comportement des gens de bonne naissance, les agathoi/aristoi, dont le groupe est menacé de dégénérescence à cause d’alliances avec des parvenus enrichis, les kakoi (les « méchants », les « vilains »), dont la basse extraction nuit à la pureté lignagère des meilleurs. Le poète fustige ces unions mixtes qui délaissent les valeurs traditionnelles de l’aristocratie à cause de l’appât du gain. Le discours est adressé à son jeune disciple, un certain Kyrnos. 4. Le théâtre a)  La tragédie

■■ Eschyle (525-456)

Né à Éleusis, soldat à Marathon et à Salamine, Eschyle est le premier grand auteur tragique d’Athènes. Il aurait écrit soixante-dix tragédies dont seules sept ont été conservées. Parmi elles, Les Perses, seule tragédie dont le cadre n’est pas mythologique et qui traite de la bataille de Salamine, du point de vue des vaincus. La trilogie de l’Orestie (Agamemnon, Les Choéphores, Les Euménides) narre la tragédie de la famille des Atrides, où le roi Agamemnon est tué par son épouse Clytemnestre, elle-même assassinée par son fils Oreste. Les Sept contre Thèbes campe les deux frères ennemis, fils incestueux d’Œdipe, Étéocle et Polynice. Les divinités ont une grande importance dans son œuvre et président au destin des hommes. Ses pièces ont été honorées, lors des concours dramaturgiques, par treize victoires de son vivant et quinze après sa mort. Sa renommée l’amène à séjourner à la cour de souverains étrangers, comme celle du tyran Hiéron de Syracuse. ■■ Sophocle (496-406)

Né dans le dème de Colone, contemporain de Thucydide, Sophocle est aussi un proche de Périclès. Élu stratège à deux reprises, il a participé à l’expédition contre l’île de Samos, révoltée contre Athènes en 440. Il est l’auteur de cent vingt-trois tragédies et remporte dix-huit victoires aux Grandes Dionysies. Mais seules sept pièces ont été intégralement conservées. Parmi elles, Antigone, où l’héroïne enterre son frère Polynice en dépit de l’interdiction formulée par le roi Créon ; Ajax, qui dépeint la folie du héros ; Œdipe-Tyran où le héros découvre les crimes d’inceste et de parricide dont il est coupable ; Œdipe à Colone, où le héros, vieux et aveugle, finit sa tragique existence. Avec Sophocle, la tragédie évolue : il ajoute un troisième protagoniste aux deux acteurs préexistants.

298

Notices biographiques des principaux auteurs grecs

■■ Euripide (480-406)

Né à Salamine, Euripide serait d’origine modeste : son père tient une boutique et sa mère vend des légumes sur le marché, d’après les sources comiques. À Athènes, il suit les enseignements d’Anaxagore et fréquente Socrate. Auteur de plus de cent pièces dont seules dix-huit ont été conservées, Euripide n’a remporté que cinq victoires aux concours dramatiques d’Athènes et Aristophane le parodie à plusieurs reprises dans ses propres pièces. Une des particularités du théâtre d’Euripide est d’avoir laissé une grande place aux héroïnes féminines. Alceste (2e prix en 438) campe une épouse prête à mourir à la place de son mari. Dans sa Médée (3e prix en 431), Euripide expose le tragique destin de la magicienne colchidienne répudiée par son époux et qui, pour se venger, assassine leurs enfants. Dans Hippolyte (1er prix en 428), il dépeint les ravages de la passion amoureuse de Phèdre pour Hippolyte, le fils de son époux Thésée. Andromaque rappelle les malheurs de l’héroïne troyenne, devenue esclave du fils d’Achille. En 408, Euripide quitte Athènes pour la Macédoine, où le roi Archélaos l’accueille à sa cour. b)  La comédie

■■ Aristophane (446-vers 385)

Poète comique athénien, auteur d’une quarantaine de pièces dont seules onze ont été conservées. Contemporain de la guerre du Péloponnèse, il est le porte-parole des paysans durement touchés par le conflit. Au début de la guerre, les habitants des campagnes attiques ont dû en effet abandonner leurs terres et leurs fermes pour se réfugier derrière les Longs Murs. Les attaques d’Aristophane prennent pour cibles les hommes politiques athéniens et la démocratie radicale incarnée notamment par Cléon, qu’Aristophane campe en démagogue soudoyant le dèmos pour favoriser sa politique de guerre (Les Guêpes, Les Cavaliers, Les Babyloniens). Aristophane dénonce aussi le danger de la nouvelle éducation des sophistes, qui remet en cause les valeurs traditionnelles (Les Nuées). Il prône l’arrêt des hostilités afin que les paysans puissent retrouver leurs champs et leurs activités (Les Acharniens, La Paix, Lysistrata). Son Assemblée des femmes est une gynécocratie utopique où les Athéniennes s’emparent du pouvoir, considérant que la cité est mal gérée par les hommes.

II. L’histoire ■■ Hérodote (485-425)

Voir p. 103. ■■ Thucydide (vers 460-vers 400)

Historien né à Athènes et originaire d’une famille ayant des liens avec la Thrace. Il est élu stratège en 424, pendant la guerre du Péloponnèse. Envoyé sur la côte thrace, il échoue à protéger la colonie athénienne d’Amphipolis, prise par le 299

Méthodologie

général spartiate Brasidas. Condamné à l’exil, il en profite pour rassembler la matière nécessaire à l’écriture de sa Guerre du Péloponnèse, grand récit où il analyse les ressorts de l’impérialisme athénien qui ont mené au conflit avec Sparte, entre 431 et 404. Son récit, ordonné en huit livres selon un découpage postérieur, s’arrête cependant à l’année 411/410 ; le récit de la guerre est repris par Xénophon, dans ses Helléniques. Ainsi qu’il le présente lui-même au livre V (20), Thucydide, en tant qu’historien, cherche à comprendre et à expliquer les faits dont il a été le contemporain : « Mon âge m’a permis de traverser cette guerre de bout en bout avec la maturité d’esprit nécessaire à la compréhension des faits. Exilé de ma patrie pendant vingt ans après la campagne d’Amphipolis, témoin des évènements chez les deux peuples, notamment chez les Lacédémoniens, j’ai eu ainsi tout loisir de prendre connaissance de ce qui se passait ». La démarche de Thucydide est rigoureusement chronologique et laisse de côté autant la vie privée des acteurs politiques que les explications non rationnelles, le « merveilleux ». Les dieux, qui ont une importance non négligeable chez Hérodote, ne sont plus conviés, chez Thucydide, comme cause des évènements. Soucieux du détail, Thucydide livre de nombreux récits de batailles et présente avec minutie les négociations entre les belligérants. Il laisse la place aux discours des protagonistes qu’il reconstitue, ainsi les prises de parole du stratège Périclès devant les Athéniens réunis, le long discours du roi spartiate Archidamos avant le déclenchement de la guerre ou encore le débat entre Nicias et Alcibiade. ■■ Xénophon (428-355)

Né à Athènes, Xénophon a été un disciple de Socrate. Aristocrate partisan de l’oligarchie, c’est un admirateur de la cité spartiate à laquelle il consacre une Constitution des Lacédémoniens et un portrait de son roi Agésilas. En 401, il s’enrôle auprès du prince perse Cyrus le Jeune et décrit, dans son Anabase, l’expédition menée contre le roi Artaxerxès et le difficile retour des mercenaires grecs dans leur patrie. En 396, Xénophon combat ensuite auprès du roi spartiate Agésilas, en Asie Mineure, et il affronte, en 394, sa propre patrie à la bataille de Coronée. Exilé d’Athènes, il reçoit un territoire des Spartiates, près d’Olympie, où il s’installe et produit une œuvre abondante, mêlant histoire (Les Helléniques, qui reprennent les événements de la guerre du Péloponnèse en 411 et s’arrêtent en 362), écrits philosophiques autour de la figure de son maître Socrate (Les Mémorables, Apologie de Socrate, Le Banquet) ou encore réflexions sur la tyrannie (Hiéron). Revenu à Athènes à la fin de sa vie, il écrit des traités plus techniques, notamment sur l’économie (Les Revenus et L’Économique, dont la date est incertaine). ■■ Diodore de Sicile (90-30)

Historien grec né à Agyrion, en Sicile. Sa Bibliothèque historique est, selon ses propres mots, une « histoire universelle » ou une « histoire commune » (koinè historia) qui relate les évènements depuis les temps héroïques jusqu’à l’année 300

Notices biographiques des principaux auteurs grecs

60/59. Afin de mener à bien son travail, il fréquente assidûment les bibliothèques de Rome, devenue un centre culturel majeur, et il voyage beaucoup, en Asie comme en Europe. Trente ans de recherches sont nécessaires à l’écriture de sa Bibliothèque historique, composée de quarante livres dont seule une partie a été conservée : les livres I à V et les livres XI à XX. ■■ Plutarque (46-125 ap. J.-C.)

Né à Chéronée, en Béotie, Plutarque a beaucoup voyagé, notamment à Athènes où il fréquente l’école platonicienne, à Alexandrie et à Rome où il enseigne. Il est particulièrement attaché au site de Delphes où il assure pendant plusieurs années la prêtrise d’Apollon. Plutarque est autant un historien qu’un philosophe ou un essayiste et a laissé une œuvre considérable organisée en deux volets : les Œuvres Morales (Moralia) et les Vies parallèles. Les Moralia présentent un ensemble hétérogène de traités politiques, rhétoriques, philosophiques et techniques. Les Vies parallèles sont des portraits de grands hommes d’État grecs et romains et présentés, pour la plupart, par paire (par exemple Alexandre/César ou Alcibiade/Coriolan). La construction de ses Vies repose sur les éléments récurrents suivants : la famille du personnage, sa jeunesse et sa formation, sa description physique et son caractère, ses actions, sa vieillesse et sa mort.

III. « Les dix orateurs attiques » : l’âge de l’éloquence « Les dix orateurs attiques » désignent les orateurs dont on a conservé une partie de l’activité rhétorique selon une liste canonique fournie par le pseudo-­ Plutarque : Antiphon, Andocide, Lysias, Isocrate, Isée, Démosthène, Eschine, Lycurgue, Hypéride, Dinarque. Leurs discours couvrent la période allant de la fin de la guerre du Péloponnèse (431-404) à la mort d’Alexandre (323). On distingue les discours selon trois types d’éloquence : –– l’éloquence judiciaire est pratiquée par la plupart des orateurs, pour les besoins de causes politiques, criminelles ou civiles. Il s’agit d’emporter la conviction des citoyens siégeant comme jurés ; –– l’éloquence politique s’illustre dans le cadre de l’Assemblée, comme le rappelle la question rituelle du héraut : « Qui veut prendre la parole ? ». Démosthène, Eschine, Hypéride se distinguent particulièrement dans cette catégorie ; –– l’éloquence d’apparat ou genre épidictique caractérise les discours prononcés lors des grands rassemblements ou des cérémonies officielles. C’est le cas des oraisons funèbres prononcées solennellement pour honorer les citoyens morts au combat (voir p.  133) ou des panégyriques, destinés à faire l’éloge public d’un personnage ou d’une cité.

301

Méthodologie

■■ Antiphon (vers 480-411)

Issu d’une famille liée aux Pisistratides, Antiphon du dème de Rhamnonte a exercé le métier de logographe, en écrivant des discours à la demande. De son œuvre, on a conservé trois plaidoyers concernant des affaires criminelles (Sur le meurtre d’Hérode, Accusation d’empoisonnement contre une belle-mère, Sur le choreute) et un ensemble d’exercices rhétoriques composés de discours de défense et de discours d’accusation, les Tétralogies. Antiphon participe au gouvernement oligarchique des Quatre-Cents, en 411, et il est condamné à boire la ciguë après la restauration démocratique. Le discours qu’il aurait prononcé pour sa défense fait l’admiration de Thucydide. Le débat demeure sur la distinction à opérer entre Antiphon l’orateur et Antiphon le sophiste. Les fragments de l’œuvre de ce dernier laissent entrevoir une personnalité contestataire, remettant en cause les valeurs traditionnelles religieuses et familiales de l’Athènes classique et interrogeant les rapports entre la loi et la nature. ■■ Andocide (440-391)

Issu d’une famille aristocratique, Andocide est un homme politique athénien. Il est compromis dans les scandales religieux de l’année 415 (la mutilation des Hermès et la parodie des Mystères d’Éleusis) et afin d’éviter que son propre père ne soit condamné, il se dénonce et livre d’autres noms. Frappé d’atimie partielle, il quitte ensuite Athènes et rejoint le commerce maritime, pour revenir dans sa patrie en 411, où il est emprisonné puis libéré. Il tente vainement d’obtenir la restitution de ses droits politiques, une séquence biographique qu’il expose dans Sur le retour. Il ne reprend sa vie politique qu’en 403, à la faveur de l’amnistie prononcée au lendemain de la restauration démocratique. Cependant, il est de nouveau poursuivi pour impiété et se défend dans son discours Sur les Mystères (399). Son discours Sur la paix est prononcé à l’Assemblée, dans le contexte de l’ambassade envoyée en 392 pour négocier avec Sparte et à laquelle il prend part. Mais les Athéniens rejettent la paix et Andocide est poursuivi pour trahison par Callistratos. Il s’exile à nouveau. ■■ Lysias (458?-380)

Voir p. 182. ■■ Isocrate (436-338)

Né vers 436, Isocrate a suivi l’enseignement de Gorgias et de Socrate. Il a été logographe et a créé son école de rhétorique, en 393. Il a été le maître d’Isée, d’Hypéride, du stratège Timothée ou encore des historiens Éphore et Théopompe. Isocrate tient à se distinguer des sophistes, trop portés sur la forme, mais aussi de Platon qu’il juge trop abstrait. Dans son discours ­Panégyrique (380), il défend le retour de l’hégémonie athénienne en rappelant les exploits passés de sa patrie. À partir de 360, il prône un certain pacifisme et une union entre les cités grecques (Sur la paix, 356). La paix est nécessaire pour lancer 302

Notices biographiques des principaux auteurs grecs

un vaste programme panhellénique de conquête de l’Asie où, selon lui, pourraient s’installer ceux qui manquent de terres et qui menacent l’équilibre des cités. Après avoir envisagé les figures d’Archidamos III de Sparte ou de Jason de Phères, Isocrate finit par voir en Philippe II de Macédoine l’homme capable d’unifier les Grecs et de mener cette entreprise panhellénique contre les Perses (Philippe, 346). Il meurt peu de temps après la bataille de Chéronée, en 338. ■■ Isée (vers 415-vers 340)

Il est né à Chalcis, en Eubée, à la fin du ve siècle et a suivi les enseignements d’Isocrate. Isée met ses talents oratoires au service des causes privées et il est le spécialiste des affaires de succession. Onze des douze discours qu’il a composés et qui nous sont parvenus traitent ainsi d’héritages, d’adoptions, de mariages d’épiclères ou de dots (par exemple, Sur la succession de Ménéklès, Sur la succession de Philoktémon, Sur la succession de Dikaiogénès). Ses discours sont précieux pour les études sur le droit de la famille et sur la parenté de l’Athènes du ive siècle. On y trouve en outre des renseignements précis sur la composition des fortunes. ■■ Démosthène (384-322)

Voir p. 203. ■■ Eschine (390-314)

Voir p. 203. ■■ Hypéride (389-322)

Voir p. 204. ■■ Lycurgue (390-324)

Voir p. 204. ■■ Dinarque (vers 360-vers 290)

Il est le dernier de la liste canonique des dix orateurs attiques. Il est né à Corinthe et a étudié la rhétorique à Athènes, avec Théophraste. Il devient logographe à partir de 336 mais sa notoriété s’accroît considérablement après la mort de Démosthène et d’Hypéride, en 322. Il aurait composé 87 discours dont les seuls qui nous sont parvenus et qu’on lui attribue formellement portent sur l’affaire d’Harpale, le trésorier d’Alexandre (voir p. 168) : Contre Démosthène, Contre Aristogiton et Contre Philoclès.

303

Méthodologie

IV. Sciences, géographie et philosophie ■■ Hippocrate (vers 460-vers 370)

Médecin né dans l’île de Kos, Hippocrate appartient aux Asclépiades, une famille qui pratique la médecine de génération en génération et qui prétend descendre du dieu Asklépios. Le nom d’Hippocrate est lié au Corpus hippocratique, une soixantaine de traités médicaux rédigés pour la plupart à l’époque classique. Outre des indications pharmaceutiques, diététiques et chirurgicales, la théorie qui y domine est celle des humeurs. Le corps humain en comprend quatre : le sang, le phlegme, la bile jaune et la bile noire. Leur équilibre garantit une bonne santé. ■■ Platon

Voir p. 152 et p. 219. ■■ Aristote

Voir p. 219. ■■ Strabon (60 av. J.-C.-25 ap. J.-C.)

Strabon est originaire d’Amasis-du-Pont. Il a étudié en Carie et à Rome et se rapproche de la philosophie stoïcienne. Une grande partie de sa vie a été consacrée à voyager dans l’ensemble du monde romain et il a notamment séjourné en Égypte. On a conservé les 17 livres de sa Géographie où se mêlent des informations d’ordre géographique, historique, ethnographique et économique sur les lieux décrits. ■■ Pausanias (iie s. apr. J.-C.)

Auteur d’un ouvrage en 10 livres, la Périégèse, Pausanias est un Grec originaire d’Asie Mineure mais on n’en sait guère davantage sur sa vie. Son œuvre est une description du monde grec réduit à quatre régions qu’il a parcourues, le Péloponnèse, l’Attique, la Phocide et la Béotie. Selon une méthode qui rappelle les guides touristiques, Pausanias détaille ce qu’il voit au gré de ses visites. Ses descriptions sont agrémentées d’explications historiques et de présentations des différentes légendes locales. Pausanias vit dans un monde romanisé mais il cherche par sa Périégèse à faire revivre le passé prestigieux du monde grec.

304

Chronologie générale

Chronologie générale Repères chronologiques

Faits politiques et institutionnels

Faits militaires

Faits économiques, sociaux et culturels

2700-1100 L’âge du bronze 1900-1600 Helladique moyen

Premiers palais crétois

Écriture linéaire A

1600-1200 Helladique récent

Seconds palais crétois

Mycènes : cercles des tombes à fosses Destruction des palais crétois sauf Knossos (1375)

1450 1450-1180

Apogée du monde mycénien

1200-1100

Effondrement de la civilisation mycénienne

Écriture linéaire B Période de troubles en Méditerranée Guerre de Troie selon la chronologie hellénistique

1194-1184

1100-800 L’âge du fer 1050-900

Migrations ioniennes vers les côtes d’Asie mineure En Attique, céramique protogéométrique

1025-1000 950-900 Fin

« Retour des Héraclides » / Installation des Doriens dans le Péloponnèse Tombe du chef de Lefkandi (Eubée)

xe siècle

900-750

Développement de la céramique géométrique

850-750

Apparition de l’écriture alphabétique Composition des épopées homériques

Entre 825 et 750

Fondation de l’emporion d’AlMina, en Syrie du Nord, par des Chypriotes et des Eubéens Époque archaïque Premiers concours Olympiques (Olympie)

776 775

Fondation de Pithécusses par les Eubéens

305

Méthodologie

Repères chronologiques

Faits politiques et institutionnels

775-675

Première vague de fondations d’apoikiai (voir en détail p. 80)

765

Synœcisme spartiate

750-660

Oligarchie des Bacchiades à Corinthe

740

Amyclées est incorporée à Sparte

Faits militaires

740 ?

Guerre lélantine opposant Chalcis et Érétrie, en Eubée

725-650

Révolution hoplitique

Faits économiques, sociaux et culturels

725-600

Céramique orientalisante qui apparaît d’abord à Corinthe

Début

La Théogonie et Les Travaux et les Jours d’Hésiode

viie

Entre 695 et 675 675-550

Première guerre de Messénie Deuxième vague de fondation d’apoikiai (voir en détail p. 80) Victoire navale de Corcyre contre Corinthe, sa métropole

664 Entre 660 et 620

Kypsélos instaure un pouvoir personnel à Corinthe

Entre 650 et 600

« Loi de Dréros » (Crète) qui instaure la rotation annuelle des magistrats

Vers 640

Théagène de Mégare instaure un pouvoir personnel

Entre 635 et 600

Frappe des premières monnaies en Lydie Deuxième guerre de Messénie

632-631

Cylon tente de prendre le pouvoir à Athènes

621-620

Loi de Dracon sur l’homicide (Athènes) Conquête de Salamine par Athènes

Vers 610

Sappho et Alcée de Lesbos Théognis de Mégare Début de la céramique attique à figures noires

Vers 600 600-590 594-593

Tyrtée et Alcman à Sparte

Première guerre sacrée Réformes de Solon à Athènes

590-550

Apogée de la céramique laconienne

582

Premiers Concours Pythiques (Delphes)

306

Chronologie générale

Repères chronologiques

Faits politiques et institutionnels

Faits militaires

Faits économiques, sociaux et culturels

581

Premiers Concours Isthmiques (Corinthe)

573

Premiers Concours Néméens (Némée)

566

Réorganisation des Panathénées

561-556

Première tyrannie de Pisistrate (Athènes)

557-529

Règne de Cyrus le Grand

553-552 ?

Deuxième tyrannie de Pisistrate (Athènes) Construction du Télestérion d’Éleusis

Vers 550 547-527

Troisième tyrannie de Pisistrate (Athènes) La cité grecque de Phocée est prise par les Perses

545

Premiers concours tragiques (Athènes)

534 530 528/527

Polycrate tyran de Samos

Début de la céramique attique à figures rouges

Mort de Pisistrate auquel succède Hipparque, son fils Les Spartiates renversent le tyran de Naxos, Lygdamis

Vers 525

Construction de la fontaine aux Neuf Bouches (Agora d’Athènes) Naissance d’Eschyle (mort en 456) Naissance de Pindare (mort en 438)

Vers 520 514

Hipparque est assassiné par Harmodios et Aristogiton

510/509

Le tyran Hippias est chassé d’Athènes

Crotone détruit Sybaris Groupe statuaire des tyrannoctones (Agora d’Athènes)

509/508 508/507

Réformes de Clisthène (Athènes)

499

Aristagoras de Milet proclame l’isonomie dans sa cité

Époque classique

498

Les cités ioniennes révoltées contre les Perses incendient Sardes Naissance de Sophocle (mort en 406/405)

497/496 494

Défaite des cités ioniennes à Ladè. Chute de Milet

307

Méthodologie

Repères chronologiques

Faits politiques et institutionnels

493/492

Thémistocle est archonte (Athènes)

491

Le roi spartiate Démarate est déposé pour illégitimité. Il se réfugie chez les Perses

Faits militaires

La Prise de Milet de Phrynichos

491

Les Perses soumettent Thasos, la Macédoine, Égine et Naxos

490

Première guerre médique

Automne 490

Victoire d’Athènes à Marathon contre les Perses

488/487

Première attestation de l’ostracisme à Athènes

487/486

Les archontes athéniens sont désormais tirés au sort Naissance d’Hérodote (mort en 425) et d’Euripide (mort en 406)

485 485-478

Tyrannie de Gélon à Syracuse

483/482

Découverte d’un filon de plomb argentifère dans les mines du Laurion. Loi navale de Thémistocle

481

Constitution de la ligue hellénique de Corinthe

480

Gélon et ses troupes défont les Carthaginois à Himère

480

Deuxième guerre médique

Septembre 480

Défaite des Grecs aux Thermopyles Bataille du Cap Artémision Victoire des Grecs à Salamine

479

Victoire des Grecs à Platées et au Cap Mycale

478/477 478-467

Formation de la ligue de Délos Tyrannie de Hiéron à Syracuse Simonide, Bacchylide et Pindare à Syracuse

476 476/475

Le stratège athénien Cimon s’empare de Skyros et rapporte les ossements de Thésée

475

Prise d’Éion

Vers 473

Thémistocle est ostracisé

472

Carystos d’Eubée est contrainte d’entrer dans la ligue de Délos

470

Révolte de Naxos contre Athènes

308

Faits économiques, sociaux et culturels

Les Perses d’Eschyle. Périclès en est le chorège. Début de la carrière de Phidias

Chronologie générale

Repères chronologiques

Faits politiques et institutionnels

Instauration de la démocratie à Syracuse

465 – 463

Révolte de Thasos contre Athènes

464

Tremblement de terre en Laconie et révolte des Hilotes

463

Les Suppliantes d’Eschyle Traité d’alliance entre Athènes et Argos

462 462/461 461

Réformes d’Éphialte à Athènes Cimon est ostracisé

Vers 460, naissance de Thucydide (mort vers 400) Construction des Longs Murs à Athènes

458-456 458

L’Orestie d’Eschyle Ouverture de l’archontat aux zeugites

À Tanagra, défaite des Argiens et des Athéniens face aux Spartiates et aux Thébains

454

Transfert du trésor de la ligue de Délos à Athènes (?)

En Égypte, défaite athénienne face aux Perses

Vers 451

Instauration du misthos de l’Héliée (Athènes)

451

Loi de Périclès sur la citoyenneté

450

Expédition de Cimon à Chypre où il trouve la mort

449

Décret de Cléarque sur les poids et mesures (414 ?)

457

448 447

446

Paix de Callias entre les Perses et les Grecs Deuxième guerre sacrée

Décret de Cleinias qui réorganise la levée du tribut

Défaite des Athéniens à Coronée

Début du chantier de l’Acropole : Parthénon (447-438), Propylées (437-432), Érechthéion (421406)

Révision des listes de citoyens à Athènes

Révolte de l’Eubée contre Athènes Paix de Trente Ans entre Athènes et Sparte

Naissance d’Aristophane (mort vers 385)

444/443

Fondation de Thourioi

443-429

Périclès élu stratège Naissance d’Andocide (mort en 391) et de Lysias (mort vers 380)

440 441

Antigone de Sophocle

441-439 437/436

Faits économiques, sociaux et culturels

Victoire athénienne de l’Eurymédon

467 ? 466

Faits militaires

Révolte de Samos contre Athènes Fondation d’Amphipolis

Naissance d’Isocrate (mort en 338)

309

Méthodologie

Repères chronologiques

Faits politiques et institutionnels

Faits militaires

433

Décret athénien contre Mégare

Alliance d’Athènes et de Corcyre

432

Congrès des alliés de la ligue du Péloponnèse

Révolte de Potidée contre Athènes Début de la guerre du Péloponnèse

431 430

Oraison funèbre prononcée par Périclès

Décrets de Thoudippos qui triplent le montant du tribut Fondation de Bréa

424-422

Victoire athénienne à Pylos et à Sphactérie

Andromaque, Hécube, Les Suppliantes d’Euripide Les Acharniens d’Aristophane

Expédition de Brasidas en Thrace Prise d’Amphipolis

424 : Les Cavaliers d’Aristophane

423 422

Les Nuées d’Aristophane Mort de Brasidas et de Cléon

Alcibiade élu stratège

418 417

Les Guêpes d’Aristophane Paix de Nicias

421 420

La Paix d’Aristophane Asklépios est introduit à Athènes

Alliance d’Argos et d’Athènes Victoire spartiate à Mantinée

Dernier ostracisme qui frappe Hyperbolos (Athènes) Expédition athénienne contre Mélos

416/415

Double scandale de la mutilation des Hermès et de la parodie des Mystères d’Éleusis (Athènes)

415 415-413 414/413

Hippolyte d’Euripide Naissance de Xénophon (mort vers 355) et de Platon (mort en 347)

Prise de Platées par les Thébains et les Spartiates

427 425

Bendis est intégrée à la religion civique athénienne Médée d’Euripide Épidémie de typhus à Athènes Œdipe Tyran de Sophocle

Révolte de Mytilène contre Athènes

428

Faits économiques, sociaux et culturels

Expédition de Sicile Le phoros est remplacé par une taxe de 5% sur le trafic maritime

413

Défaite athénienne en Sicile Les Spartiates occupent Décélie

Électre d’Euripide

412

Chios, Clazomènes et Érythrées quittent la ligue de Délos

Hélène d’Euripide

412-411

Traités d’alliance entre les Perses et les Spartiates

411

310

Renversement de la démocratie athénienne Oligarchie des Quatre-Cents

Lysistrata et Les Thesmophories d’Aristophane

Chronologie générale

Repères chronologiques 410

Faits politiques et institutionnels Restauration de la démocratie athénienne

Faits militaires Victoire athénienne à Cyzique

Philoctète de Sophocle Oreste d’Euripide

409/408 408/407

Lysandre navarque Traité entre Lysandre et Cyrus le Jeune

407/406 406

Condamnation à mort des stratèges des Arginuses

Défaite athénienne à Notion Victoire athénienne aux Arginuses Victoire spartiate à Aigos Potamoi Arrivée au pouvoir de Denys l’Ancien (Syracuse)

405

404-403

Renversement de la démocratie athénienne Tyrannie des Trente

Siège d’Athènes Capitulation d’Athènes

403

Restauration de la démocratie athénienne

Prise de Naxos, Catane et Léontinoi par Denys de Syracuse

401-400 Vers 400

Contre Ératosthène de Lysias

Expédition des Dix Mille en Asie Instauration du misthos de l’Assemblée (Athènes) Condamnation à mort de Socrate

Sur les Mystères d’Andocide Platon quitte Athènes Premiers dialogues de Platon

399 Travaux de fortification du plateau des Épipoles (Syracuse)

399-398 397 ?

Faits économiques, sociaux et culturels

Conspiration de Cinadon (Sparte)

Naissance d’Eschine (mort en 322) Campagnes d’Agésilas en Asie Mineure

396-394 Mort de Lysandre 395

Alliance entre Athènes et Thèbes contre Sparte Début de la guerre de Corinthe Bataille d’Haliarte

394

Victoire spartiate à Némée et à Coronée Défaite spartiate à Cnide

393

Reconstruction des Longs Murs (Athènes) Constitution de la Ligue italiote

392

L’Assemblée des femmes d’Aristophane

Vers 390

Naissance d’Hypéride (mort en 322) et de Lycurgue (mort en 324)

311

Méthodologie

Repères chronologiques

Faits politiques et institutionnels

390

Faits militaires Victoire athénienne de Léchaion

Faits économiques, sociaux et culturels L’Anabase de Xénophon

388

Ploutos d’Aristophane

387/386

Fondation de l’Académie par Platon

386

Paix d’Antalkidas (« paix du Roi ») Naissance de Démosthène et d’Aristote (morts en 322)

384 Prise de la Cadmée de Thèbes par les Spartiates

382 380

Panégyrique d’Isocrate Libération de Thèbes par Pélopidas

379 378

Répartition des contribuables athéniens en symmories Formation de la seconde Confédération athénienne Prise de Crotone par Denys l’Ancien

377

375/374

Loi de Nicophon sur la monnaie athénienne

373

Paix entre Carthage et Denys l’Ancien

371

Paix entre Athènes et Sparte Défaite des Spartiates à Leuctres contre les Thébains

370

Assassinat de Jason de Phères, tagos de Thessalie Fondation de Messène

370-369 368

Fondation de Mégalopolis

367

Mort de Denys l’Ancien

Invasion de la Laconie et de la Messénie par les Thébains Libération de la Messénie

Deuxième séjour de Platon à Syracuse

367-366 366

Congrès des cités grecques à Thèbes

364

Mort de Pélopidas

362

Mort d’Épaminondas

Timothée l’Athénien s’empare de Samos Bataille de Mantinée Fin de l’hégémonie thébaine Troisième séjour de Platon à Syracuse

361-360 361 Vers 360

312

Les Athéniens installent une clérouquie à Potidée L’Aphrodite de Cnide de Praxitèle

Chronologie générale

Repères chronologiques

Faits politiques et institutionnels

Faits militaires

359

Avènement de Philippe II de Macédoine Mariage de Philippe II avec la princesse illyrienne Audata

Victoire des Illyriens contre les Macédoniens puis victoire des Macédoniens

357

Mariage de Philippe II avec la princesse épirote Olympias Dion chasse Denys le Jeune de Syracuse

Philippe II s’empare d’Amphipolis et des mines du Pangée

357-355 356

Guerre des alliés Fondation de la colonie de Philippes

Prise de Potidée par Philippe II Défaite athénienne à Embata

356/355 355-352

Troisième guerre sacrée Philippe II envahit la Thessalie

354

Prise de Méthonè par Philippe II

Sur les revenus de Xénophon Sur la paix d’Isocrate

Politique économique d’Eubule (Athènes)

354-346 353-352

Faits économiques, sociaux et culturels

Assassinat de Dion Hipparinos, fils de Denys, prend le pouvoir (Syracuse) Première Philippique de Démosthène

351 Destruction d’Olynthe par Philippe II

349-348 347

Olynthiennes de Démosthène Mort de Platon

346

Paix entre Athènes et Philippe II (paix de Philocrate)

Philippe d’Isocrate

344

Corinthe envoie Timoléon pour destituer Denys le Jeune de Syracuse

Deuxième Philippique de Démosthène

343

342

Procès contre Philocrate et Eschine (Athènes)

Eschine, Sur l’ambassade infidèle Démosthène, Sur les forfaitures de l’ambassade La Thrace passe sous contrôle macédonien

Aristote précepteur d’Alexandre Troisième Philippique de Démosthène

341 340

Philippe II attaque les convois de blé à destination d’Athènes Rupture de la paix de Philocrate

339

Quatrième guerre sacrée

338

Victoire de Philippe II contre les Thébains et les Athéniens à Chéronée

Quatrième Philippique de Démosthène

Contre Léocrate de Lycurgue Construction du Philippeion à Olympie

313

Méthodologie

Repères chronologiques 338-326

Faits politiques et institutionnels

Congrès panhellénique de Corinthe Dissolution de la seconde confédération athénienne Formation de la ligue de Corinthe Philippe II hègémôn des Grecs Assassinat de Philippe II Alexandre succède à Philippe II

Révolte de Thèbes

335

Alexandre écrase la révolte thébaine

334

Alexandre débarque en Asie Au printemps, victoire d’Alexandre contre les Perses à la bataille du Granique

333

Victoire d’Alexandre à Issos

332

Alexandre conquiert la Phénicie et la Judée Victoire d’Alexandre contre Darius à Gaugaméles Alexandre prend le contrôle de Babylone et de Suse Échec de la révolte d’Agis III et des Spartiates contre les Macédoniens

Alexandre se rend au sanctuaire d’Ammon (Egypte)

Assassinat de Darius par Bessos Exécution de Philotas

Prise de Persépolis par Alexandre

Sur la couronne de Démosthène Contre Ctésiphon d’Eschine Théâtre d’Épidaure Théâtre de Dionysos à Athènes

Expéditions d’Alexandre en Bactriane et en Sogdiane

330-327 327

Alexandre épouse Roxane Exécution de Callisthène

326

Affaire de la proskynèse Alexandre arrive sur l’Indus

324

Rescrit de Suse Noces de Suse

323

Affaire d’Harpale Mort d’Alexandre

323-322

Exécution d’Hypéride

314

Fondation du Lycée par Aristote

Fondation d’Alexandrie d’Égypte

331

330

Faits économiques, sociaux et culturels

Lycurgue en charge de l’administration financière d’Athènes

338/337

336

Faits militaires

Sédition d’Opis

Guerre lamiaque

Instauration d’un culte à Alexandre

Rappel méthodologique

Rappel méthodologique I. Le commentaire de document historique Le commentaire vise à éclairer un document de façon ordonnée grâce à l’apport de connaissances extérieures au document, soigneusement choisies. Avant de rédiger le commentaire, il faut travailler sur le document. Pour un commentaire de texte, qui est le plus fréquent en histoire, il faut : –– lire le document plusieurs fois ; –– numéroter les lignes ; –– mettre en évidence les termes qu’il faudra expliquer (noms propres, batailles, institutions, termes techniques), en travaillant avec un code-couleur ; –– repérer le paratexte, c’est-à-dire les informations qui ne sont pas comprises dans le document lui-même : un titre donné par le concepteur du sujet, des notes de bas de page, la date du document, la source dont est extrait le document. Au brouillon, seules l’introduction et la conclusion doivent être rédigées entièrement, une fois que le plan a été élaboré. L’introduction du commentaire doit comporter : –– le type (épigraphique, littéraire, archéologique, iconographique) et la nature du document (décret, lettre, texte narratif, dialogue tragique, monnaie). Il faut préciser si le document est complet ou s’il y a eu des coupures, signalées par des (…) ou des [...] ; –– la présentation de l’auteur, succincte mais précise et orientée en partie par le document. Il ne s’agit pas de faire une biographie-fleuve de l’auteur mais de retenir de sa vie ce qui peut éclairer le document. L’introduction au commentaire d’un extrait de la Constitution des Lacédémoniens de Xénophon doit comporter par exemple quelques éléments sur la sympathie de l’auteur pour le régime spartiate. Un extrait d’un discours de Démosthène sur la politique de Philippe II n’est pas compréhensible sans un rappel des positions anti-macédoniennes de l’orateur. Il faut donc rendre compte des présupposés idéologiques de l’auteur, surtout si ce dernier est un acteur ou un témoin des évènements qu’il décrit. Si le document est un décret voté par l’Assemblée, il faut le préciser ici ; 315

Méthodologie

–– la date du document et le contexte des événements évoqués. Il faut sélectionner les événements précis en lien direct avec ceux évoqués dans le document. Il existe parfois un décalage chronologique entre la production du document et les événements qui sont évoqués par ce dernier. Plutarque écrit à l’époque romaine mais donne des informations sur Alcibiade ou sur Lysandre, qui ont vécu au ve siècle. On dit alors que le contexte externe, celui de la rédaction, diffère du contexte interne, celui des informations présentes dans le document ; –– une analyse, soit un court résumé linéaire du contenu du document, en précisant les numéros des lignes. L’analyse permet de dégager l’architecture générale du document en précisant déjà les grandes thématiques évoquées (mais sans les commenter encore). C’est une présentation synthétique des données du document ; –– une problématique : il s’agit d’une interrogation générale à laquelle tout le travail du commentaire s’efforce de répondre. Le plan doit répondre à la question posée en problématique ; –– l’annonce du plan du commentaire. Le plan se construit toujours à partir des éléments du texte. N.B. : on peut commencer une introduction par une « accroche », c’est-à-dire une anecdote ou une citation qui permet d’introduire élégamment le commentaire. Dans le développement du commentaire de document, il faut éviter deux écueils majeurs : –– la paraphrase : on ne fait que répéter les informations contenues dans le document sans apporter de connaissances extérieures qui expliquent, enrichissent et parfois critiquent le document ; –– le texte-prétexte ou le hors sujet : on utilise un mot ou une expression du document pour développer une digression qui s’éloigne des thématiques essentielles présentes dans le document. Le commentaire se transforme en dissertation, qui est un autre exercice. Afin d’éviter cet écueil, il faut citer le texte régulièrement. Il faut donc toujours se demander si on apporte quelque chose au document et si on livre des informations en lien direct avec le document. Le développement doit être organisé et rédigé selon le plan annoncé en introduction et les transitions entre les différentes idées doivent être soignées. Il faut citer le texte en renvoyant aux lignes grâce à la numérotation préalablement effectuée dans le travail préparatoire. On peut citer des extraits courts, toujours entre guillemets. Il faut toujours partir du document : on commence donc d’abord par citer le texte puis on commente la citation, et non l’inverse. Il ne faut jamais dérouler une fiche de connaissances pour terminer sur « d’ailleurs cette thématique est évoquée par l’auteur aux lignes XX ». 316

Rappel méthodologique

Parfois, le document recèle un discours implicite qu’il faut commenter autant que les éléments explicites. Par exemple, l’oraison funèbre prononcée par Périclès à l’issue de la première année de la guerre du Péloponnèse est un éloge explicite de la démocratie athénienne mais c’est aussi une critique larvée de l’ennemi spartiate. Il faut ainsi rendre explicite cette critique et la commenter. La conclusion permet de faire un bilan du commentaire et de proposer un élargissement de la réflexion, notamment sur l’intérêt du document pour comprendre la période dans laquelle il s’inscrit. On peut enfin proposer une ouverture et envisager des évolutions ultérieures ou des évènements en lien avec le sujet ou l’auteur du document.

II. La dissertation La dissertation est un exercice destiné à évaluer des capacités de réflexion sur un sujet donné. Il s’agit d’une démonstration appuyée sur des exemples précis et maîtrisés. La phase préparatoire du brouillon permet d’énumérer d’abord en vrac toutes les idées qui viennent à l’esprit à la lecture du sujet avant de les réorganiser par thèmes, ce qui débouche sur une esquisse de plan qu’on affine alors tout en trouvant un fil directeur, la problématique. Comme pour le commentaire de document, l’introduction et la conclusion peuvent être rédigées au brouillon. Dans la rédaction de l’introduction il faut : –– définir précisément tous les termes du sujet ; –– être attentif aux termes qui marquent une relation entre deux éléments du sujet, notamment la conjonction de coordination « et ». Un sujet sur « Impérialisme et démocratie dans l’Athènes classique » invite à réfléchir sur les liens et les interrelations entre les deux notions et non à présenter d’une part les tenants et les aboutissants de l’impérialisme athénien et à énumérer d’autre part les institutions démocratiques. Lorsqu’il y a un « et » dans un sujet de dissertation, il ne faut pas consacrer la première partie de la dissertation à la première notion et la deuxième partie à la deuxième notion mais toujours questionner ensemble les deux notions ; –– expliquer à quoi correspondent les bornes chronologiques du sujet ainsi que l’espace géographique concerné ; –– formuler une problématique, qui est rédigée sous la forme d’une question brève et claire ; –– présenter la documentation disponible pour traiter le sujet proposé ; quelles sont précisément les sources (textuelles, archéologiques, épigra317

Méthodologie

phiques) qui permettent d’étudier le sujet ? Il faut ici penser à utiliser les documents qui ont été vus et étudiés lors des séances de TD ; –– annoncer un plan avec clarté. Dans la rédaction du développement d’une dissertation : –– il faut suivre une argumentation et mettre en évidence une évolution dans la réflexion menée ; –– le plan adopté est traditionnellement construit autour de deux ou trois parties qui doivent éviter les répétitions ; –– il existe deux types de plan : le plan chronologique et le plan thématique. Le plan chronologique s’inscrit davantage dans la démarche de l’historien car il permet de mettre en évidence des évolutions. Mais le plan thématique est parfois incontournable lorsque la dissertation porte sur un « sujet tableau » comme « Athènes en 403 » ou « Sparte à la veille de la guerre du Péloponnèse ». Même lorsque le plan est thématique, il faut introduire dans la rédaction des éléments de chronologie, des évolutions, des ruptures marquantes ; –– dans une bonne dissertation, il faut alterner l’énonciation d’idées générales qui structurent l’argumentation et le développement conjoint d’exemples précis qui alimentent l’idée énoncée. Quelques exemples bien choisis et bien développés valent mieux qu’une série d’exemples vagues et imprécis. On peut consacrer une sous-partie à un exemple particulièrement développé et faire ainsi une étude de cas ; –– comme une dissertation est une argumentation, il faut soigner les transitions entre les parties et les sous-parties, à l’aide de « connecteurs logiques » : par conséquent, en revanche, ainsi… La conclusion résume la démonstration et répond à la question posée en introduction. Elle peut proposer une ouverture.

318

Sujets corrigés

Sujets corrigés

Sujet 1 « L’Acropole d’Athènes au

ve siècle »

Introduction Plutarque, dans sa Vie consacrée à Périclès, prête à l’homme politique ces propos : « Maintenant que la cité est convenablement pourvue de tout ce dont elle a besoin pour la guerre, il faut qu’elle convertisse ses biens à des tâches qui, une fois achevées, lui vaudront une gloire immortelle et qui, pendant leur réalisation, maintiendront chez elle la prospérité ». L’Acropole d’Athènes, en particulier son Parthénon, est aujourd’hui encore perçue comme la monumentalisation de cette gloire immortelle. Une « acropole », littéralement « ville haute », désigne la partie la plus élevée de la ville. Dans les cités grecques, elle constitue un espace essentiel, réservé à la défense et aux divinités protectrices. Cet espace sacré s’oppose schématiquement à la ville basse où se déploient les quartiers d’habitation et de commerce, notamment l’Agora. L’Acropole d’Athènes est une des collines de la ville qui compte aussi la Pnyx et l’Aréopage. L’espace sommital de l’Acropole concentre de nombreux bâtiments (Parthénon, Érechteion, Propylées, temple d’Athéna Niké) mais on peut y adjoindre les flancs et les contreforts de la colline, tout aussi dignes d’intérêt. On y trouve le théâtre de Dionysos, sur le versant sud-est et un sanctuaire d’Asklépios, sur la terrasse sud. À l’époque archaïque, l’Acropole est largement remaniée par la dynastie des tyrans d’Athènes, les Pisistratides. Au ve siècle, qui nous intéresse ici, l’Acropole est au cœur de multiples enjeux religieux, politiques et économiques. Entre l’incendie des Perses en 480 et la réconciliation post-oligarchique de 403, en passant par les grands travaux entrepris à partir de 447, l’Acropole a vécu au rythme de l’histoire impérialiste d’Athènes. De nombreuses sources permettent à l’historien d’appréhender l’organisation et l’histoire de l’Acropole au ve siècle. À l’archéologie des différents bâtiments, on peut ajouter des sources épigraphiques (par exemple le décret instituant la prêtrise d’Athéna Nikè, daté des années 420) et des sources textuelles (Hérodote relate dans ses Histoires l’incendie de l’Acropole en 480 ; Thucydide et Plutarque reviennent sur les grands travaux entrepris à l’initiative de P ­ ériclès ; 319

Méthodologie

les mythographes rapportent les différentes histoires liées aux héros et aux divinités de l’Acropole). Dans quelle mesure l’Acropole d’Athènes est-elle le reflet de l’identité et de la puissance de la cité au ve siècle ? L’Acropole est d’abord un lieu témoin de deux épisodes majeurs dans la fabrique mythique de l’identité athénienne, la lutte entre Athéna et Poséidon et le mythe de l’autochtonie (I). Espace du mythe, l’Acropole est aussi un espace du rite et les deux fêtes des Panathénées et des Grandes Dionysies permettent de saisir l’importance cultuelle du site (II). L’histoire de l’Acropole est aussi celle d’Athènes et la colline a vécu au rythme des guerres et des réconciliations qui ont marqué le ve siècle (III).

Plan proposé 1. Un espace identitaire et mythique A. Le sanctuaire d’Athéna

–– Rappeler la lutte mythique (l’éris) entre Athéna et Poséidon pour devenir la divinité tutélaire d’Athènes (voir p. 262). Traces sur l’Acropole de la lutte (olivier et source d’eau salée). –– Athéna, victorieuse, est très présente sur l’Acropole (Athéna Parthénos, Athéna Niké, Athéna Promachos, Athéna Polias). –– Mais le système est polythéiste donc d’autres divinités sont honorées sur l’Acropole : Poséidon, Zeus, Artémis et les acteurs et actrices d’un autre mythe fondateur, l’autochtonie. Voir plan p. 124. B. Célébrer son sol : l’autochtonie athénienne

–– L’Acropole abrite le souvenir du mythe de l’autochtonie. Rappeler le mythe de la naissance du premier Athénien. Héros et divinités de l’autochtonie sont honorés dans l’Érechteion (voir p.  252) : Athéna, Héphaïstos, le roi Kékrops, sa fille Pandrose, Poséidon-Érechthée. 2. Un espace cultuel majeur A. L’Acropole et les Panathénées

–– L’Acropole est le lieu où aboutit la procession des Panathénées, fête à décrire (petites et grandes). Remise du péplos à la statue d’Athéna Polias (voir p. 262). –– La procession elle-même est figurée à l’intérieur du Parthénon (voir p. 123).

320

Sujets corrigés

B. L’Acropole mise en scène : les Grandes Dionysies

–– Le théâtre de Dionysos est situé sur le versant sud-est de l’Acropole. On y célèbre les Grandes Dionysies (voir p. 263). –– Les alliés de la ligue de Délos apportent le phoros lors des Grandes Dionysies et fournissent une bête de sacrifice et une panoplie pour les Grandes Panathénées. À cette occasion, les ambassadeurs constatent l’éclat de la puissance culturelle d’Athènes (voir p.  127). L’Acropole est aussi au cœur de l’histoire politique d’Athènes. 3. L’Acropole, témoin de l’histoire d’Athènes A. L’incendie par les Perses (480) : les guerres médiques

–– « Les remparts de bois » de l’oracle pythique : correspondraient-ils aux fortifications de l’Acropole ou aux trières ? Rappel de l’interprétation maritime portée par Thémistocle. Athènes est désertée quand les Perses arrivent. –– L’incendie par les Perses, rapporté par Hérodote (voir p. 113). B. Le chantier de l’Acropole et la pétrification de l’impérialisme

–– Les grands travaux entrepris à l’initiative de Périclès : chantiers du Parthénon, des Propylées, de l’Érechteion (voir p. 122). –– Mise en scène de la supériorité d’Athènes (décors du Parthénon, statue d’Athéna Parthénos, voir p. 122). –– Question du financement et du déplacement du trésor de la ligue de Délos sur l’Acropole. C. L’Acropole en 404-403 : Athènes dans la tourmente

–– L’Acropole est occupée par une garnison spartiate soutenant les Trente tyrans, sous le commandement du harmoste Kallibios : fin de l’hégémonie athénienne après la victoire spartiate. –– Xénophon (Helléniques) rapporte le sacrifice fait par les partisans du Pirée qui montent à l’Acropole après avoir vaincu les Trente. À la fois un acte de piété mais aussi reprise symbolique de la ville après la chute de la tyrannie. L’Acropole d’Athènes a ainsi été le témoin des grands moments légendaires et historiques de la cité grecque. Au Moyen Âge, les bâtiments classiques de l’Acropole sont transformés en églises. Alors que les Ottomans en ont fait une poudrière, le Parthénon est endommagé par une explosion, lors du siège des Vénitiens en 1687. Aujourd’hui encore, l’Acropole est le lieu de multiples travaux de restauration qui tentent de lui redonner son éclat originel. 321

Méthodologie

Sujet 2 Démosthène et Philippe de Macédoine (341 av. J.-C.) Démosthène, Troisième Philippique, 21-28, 30-31. Traduction M. Croiset légèrement modifiée, Paris, CUF, 1925. « Et d’abord faut-il rappeler que Philippe, faible et humble au début, est devenu puissant, que les Grecs sont en défiance et en discorde les uns avec les autres, que, s’il était alors invraisemblable qu’étant si petit il devint si grand, il l’est bien moins aujourd’hui, après tant de succès déjà obtenus, qu’il mette encore tout le reste sous sa domination ? Non, tout cela et tous les faits analogues que je pourrais énumérer, je le passerai sous silence. Mais ce qui me frappe, c’est que tous aujourd’hui – à commencer par vous –, oui, tous lui concèdent ce qui, de tout temps, a fait le sujet de toutes les guerres en Grèce. Quoi donc ? Le droit d’agir arbitrairement, celui de mutiler et de détrousser à son gré tous les Grecs l’un après l’autre, celui d’attaquer les cités et de les réduire en esclavage. Et cependant vous avez été, vous, pendant soixante-treize ans les premiers entre les Grecs, les Lacédémoniens l’ont été pendant vingt-neuf ans ; les Thébains, à leur tour, ont eu quelque puissance dans ces derniers temps, après leur victoire de Leuctres. Or jamais les Grecs n’ont concédé ce privilège d’agir arbitrairement, ni à vous, Athéniens, ni aux Thébains, ni aux Lacédémoniens. Bien loin de là, contre vous, d’abord, ou plutôt contre les Athéniens de ce temps, parce qu’ils semblaient outrepasser leurs droits envers quelques-uns, tous, même ceux qui n’avaient rien à leur reprocher, se croyaient obligés de prendre les armes avec les opprimés. Et plus tard, contre les Lacédémoniens, maîtres de la Grèce, et qui vous avaient succédé dans l’autorité suprême, quand on les vit tenter de s’accroître et, en abusant de leur force, opérer des révolutions, tous s’armèrent à la fois, même ceux qui n’avaient rien à leur reprocher. (…) Et pourtant tous les actes injustes qui ont pu être commis, soit par les Lacédémoniens pendant ces trente années, soit par nos ancêtres en soixante-dix ans, n’égalent pas, Athéniens, le mal que Philippe, depuis moins de treize ans qu’il a émergé de son obscurité, a infligé aux Grecs ; ou plutôt ils ne sont rien en comparaison. C’est ce qu’il est facile de faire voir en peu de mots. Je ne dis rien d’Olynthe ni de Méthonè ni d’Apollonie ni des trente-deux villes de Thrace, si cruellement détruites par lui qu’on a peine aujourd’hui, en les visitant, à dire si jamais elles ont été habitées. Je passe sous silence aussi les Phocidiens, un peuple si nombreux, anéanti. Mais la Thessalie, en quel état est-elle ? N’a-t-il pas dépouillé ses cités de leurs constitutions pour établir des tétrarchies, dans le dessein d’asservir non des cités isolées, mais des régions entières ? Et les villes d’Eubée ne sont-elles pas soumises à des tyrans, et cela dans une île toute voisine de Thèbes et d’Athènes ? Enfin, ne dit-il pas en propres termes dans ses lettres : « Moi, je suis en paix avec ceux qui veulent bien m’écouter » ? Et se contentet-il de l’écrire sans le réaliser ? Non, voici qu’il est en route vers l’Hellespont ;

322

1

5

10

15

20

25

30

35

Sujets corrigés

auparavant il marchait sur Ambracie ; il tient Élis, une cité si populeuse, dans le Péloponnèse ; hier il méditait d’attaquer Mégare : ni la Grèce ni la terre barbare ne suffisent à contenir l’ambition de cet homme. Or, quand nous voyons cela, nous, Grecs de tout pays, et quand nous l’apprenons, nous n’échangeons pas nos délégués pour en délibérer, nous ne nous indignons pas (…) Et vous savez fort bien aussi que tout ce que les Grecs subissaient de la part des Lacédémoniens ou de nous-mêmes, c’était du moins des fils légitimes de la Grèce qui le leur infligeaient. Il se passait alors ce qui a lieu dans une riche maison, où un fils légitime fait mauvais usage de sa fortune. On estime, certes, qu’en cela il mérite d’être blâmé et accusé ; mais qu’il n’ait pas de droits sur ces biens ou n’en soit pas l’héritier légitime, c’est ce qu’on ne peut soutenir. Au contraire, qu’un esclave ou un enfant supposé dissipe et gaspille un bien auquel il n’a pas droit, combien, par Héraklès, cela serait jugé par tous scandaleux, plus intolérable ! Mais, au sujet de Philippe et ce qu’il fait actuellement, oh ! on a d’autres sentiments ; oui, pour cet homme, qui non seulement n’est pas un Grec et n’a rien de commun avec les Grecs, mais n’est pas même un barbare d’une origine honorable, misérable Macédonien, issu d’un pays où l’on ne pouvait acheter naguère un esclave honnête ».

40

45

50

55

Accroche. « Misérable Macédonien ». Cette insulte concentre en deux mots l’inimitié féroce que l’homme politique athénien Démosthène n’a jamais cessé d’afficher pour le roi Philippe II de Macédoine. Auteur. Démosthène (384-322) fait partie du groupe des « dix orateurs attiques ». Avec Lycurgue et Hypéride, il est une de figures principales du parti anti-macédonien d’Athènes. Dans ses Olynthiennes (349-348) et dans ses deux premières Philippiques (351 et 344), Démosthène a déjà attaqué la politique hégémonique du roi macédonien. Il a pour adversaire politique principal Eschine qui est partisan d’une entente avec Philippe II. Nature du document. Les extraits proposés sont issus de la Troisième Philippique, une harangue destinée à être prononcée publiquement lors d’une séance de l’Assemblée athénienne. Date et contexte. Datée de mai 341, la Troisième Philippique est à replacer dans le contexte de l’extension de l’influence macédonienne sur les cités grecques depuis l’arrivée au pouvoir de Philippe II, en 359. Après avoir modernisé son royaume, Philippe II se lance dans une conquête progressive mais agressive des régions voisines de la Macédoine. Il chasse les Athéniens des rivages nord de la mer Égée et contrôle finalement la Thessalie. Une paix signée en 346 entérine les succès de Philippe. Mais à partir de 342, Philippe menace des régions vitales pour Athènes, à savoir la région des Détroits, stratégique pour le ravitaillement en grains. Démosthène souhaite convaincre ses concitoyens de voter la formation d’une flotte et d’une armée, financées par une contribution extraordinaire, afin d’affronter Philippe II.

323

Méthodologie

Analyse Dans son discours, Démosthène rappelle à ses auditeurs que Philippe de Macédoine a effectué une ascension politique impressionnante et qu’il est désormais un homme puissant grâce à ses victoires militaires (l. 1-6). Démosthène s’étonne que les Grecs ne réagissent pas aux agressions multiples de Philippe de Macédoine, alors que les cités se sont toujours révoltées lorsque des excès étaient commis par l’une des leurs. Démosthène rappelle ainsi les hégémonies successives d’Athènes, de Sparte et de Thèbes (l. 6-22). Pour l’orateur athénien, les violences perpétrées par les Athéniens et les Lacédémoniens sont moins graves que les exactions imputables à Philippe de Macédoine qui, depuis treize ans, a conquis et détruit de nombreuses cités grecques (l. 22-42). Philippe est toujours une menace et il doit être combattu afin de l’empêcher d’asservir le reste du monde grec. Démosthène termine son discours en niant l’appartenance de Philippe et de la Macédoine à la culture grecque (l. 42-55). Problématique. Quels arguments politiques, militaires et culturels l’orateur Démosthène mobilise-t-il pour convaincre ses concitoyens du danger que constitue Philippe de Macédoine ? Annonce du plan. Les attaques contre Philippe II sont d’abord culturelles : Démosthène soutient que le royaume de Macédoine, que Philippe a largement modernisé, n’appartient pas au monde grec, une vision partisane qu’il convient de nuancer (I). En conquérant menaçant, Philippe a déjà pris le contrôle de nombreuses cités et de nombreuses régions, soit en détruisant, soit en s’infiltrant (II). Il est temps que les Grecs cessent leurs discordes qui profitent aux « Barbares » et qu’ils se mobilisent comme ils l’ont toujours fait avant, quand les cités étaient menacées par une puissance qui outrepassait leurs droits (III). 1. Phillipe II, la Macédoine et l’identité grecque A. L’émergence d’un royaume périphérique : la Macédoine

À commenter : « Philippe, faible et humble au début, est devenu puissant » (l. 1-2) ; « moins de treize ans qu’il a émergé de son obscurité » (l. 25-26). –– Les « treize ans » évoqués par Démosthène nous ramènent à 354, année où Philippe s’est emparé de positions athéniennes en Thrace. C’est une vision athéno-centrée de la politique de Philippe. Les réformes de Philippe dans son propre royaume se mettent en place dès son arrivée au pouvoir. –– Rappel de l’avènement de Philippe de Macédoine en 359. Le royaume de Macédoine est alors menacé à ses frontières : il neutralise les Illyriens (voir p. 159). –– Philippe devient « puissant » grâce à sa stratégie militaire (réforme de l’armée), ses stratégies matrimoniales et par la modernisation et la consolidation de son royaume (voir p. 159-161).

324

Sujets corrigés

B. Philippe II, fossoyeur ou sauveur de l’hellénisme ?

À commenter : « Philippe n’est pas un Grec et n’a rien de commun avec les Grecs » (l. 52-53). –– Démosthène refuse le titre de Grecs aux Macédoniens. La Macédoine est un royaume, une monarchie, elle n’appartient pas au monde des cités grecques mais à celui des « peuples » (voir p. 157). –– Il faut cependant nuancer le parti pris de Démosthène : les Macédoniens parlent un dialecte grec et la dynastie régnante prétend descendre d’un héros grec, Héraklès. Pour Isocrate, un autre orateur athénien, c’est à Philippe de Macédoine de prendre la tête d’une expédition panhellénique contre les Perses (voir p. 163). –– En entrant dans l’amphictionie pyléo-delphique, Philippe gagne son brevet d’hellénicité. Il préside les Jeux Pythiques, en 346 (voir p. 161). 2. « Après tant de succès déjà obtenus » : les étapes de la conquête macédonienne A. La conquête de la Chalcidique et de la Thrace

À commenter : « Olynthe », « Méthonè », « Apollonie », « trente-deux villes de Thrace détruites » (l. 27-28). –– Reprendre la chronologie de l’expansion de la puissance macédonienne, p. 172. Les Athéniens sont chassés de la région septentrionnale de la mer Égée, une stratégie de Thrace est créée. Expliquer la destruction d’Olynthe et les Olynthiennes de Démosthène (voir p. 162). B. L’infiltration politique

À commenter : –– « la Thessalie », « des tétrarchies » (l. 31-32) : rappeler la conquête de la Thessalie et le titre pris par Philippe à partir de 352, archonte à vie de Thessalie (voir p. 161). –– « les Phocidiens » (l. 30) : expliquer le rôle joué par Philippe dans la troisième guerre sacrée (voir p. 161). –– « les villes d’Eubée soumises à des tyrans » (l. 33-34) : Philippe a favorisé l’installation de tyrannies à Oréos (Philistides) et à Érétrie (Cleitarchos). On rappellera cependant que Démosthène a approuvé une alliance athénienne avec le tyran de Chalcis, Callias, pensant qu’une Eubée forte sous l’égide de Chalcis pourrait contrer les ambitions de Philippe. C. Les positions stratégiques des Athéniens menacées

À commenter : « il est en route vers l’Hellespont » (l. 37). –– La région des Détroits est vitale pour les Athéniens car elle est située sur la route du blé. 325

Méthodologie

3. Les cités grecques : une désunion et un attentisme dangereux A. Des hégémonies successives pourtant déjà combattues

À commenter : –– « vous avez été, vous pendant soixante-treize ans les premiers entre les Grecs » (l. 11-12) : la ligue de Délos de 478/477 à 404 (voir le chapitre 8). –– « Les Lacédémoniens l’ont été pendant vingt-neuf ans » (l. 12) : l’hégémonie spartiate jusqu’à Leuctres (voir p. 141). –– « Les Thébains ont eu quelque puissance ces derniers temps » (l. 14-15) : la courte hégémonie thébaine, de Leuctres à Mantinée (voir p. 143). –– « Actes injustes » (l. 23) : donner ici quelques exemples des révoltes contre Athènes et rappeler les excès des décarchies de Lysandre (voir p. 137). B. La désunion des Grecs profite aux ennemis

À commenter : « les Grecs sont en défiance et en discorde les uns avec les autres » (l. 2) ; « nous n’échangeons pas nos délégués pour en délibérer » (l. 41-42) –– Les conflits entre cités grecques, au ve comme au ive  siècle, ont profité d’abord aux Perses qui ont aidé les Spartiates puis se sont institués garants des paix fragiles du ive siècle (voir p. 141). –– Maintenant, la désunion des Grecs profite à Philippe, comme lors de la troisième guerre sacrée (voir p. 161). –– Démosthène appelle à la tenue de discussions entre représentants des cités grecques pour réfléchir à une riposte contre Philippe II (on peut rappeler la tenue du congrès de Corinthe en 481 ou celui de la ligue du Péloponnèse en 432, voir p. 111 et p. 132). Conclusion En juin 341, les Athéniens passent en Eubée et renversent le tyran d’Oréos, Philistides. Il est vraisemblable que cette expédition a suivi de peu le discours de Démosthène, preuve de son influence auprès de ses concitoyens. En 340, les Athéniens arrivent à organiser une alliance contre Philippe, avec l’aide des Thébains. Mais la coalition est défaite à Chéronée, en 338. Après la mort d’Alexandre le Grand, en 323, Démosthène participe activement au soulèvement des Grecs contre les Macédoniens : condamné à mort, il préfère se suicider, en 322.

326

LA MÉDITERRANÉE MINOENNE ET MYCÉNIENNE (1600-1180) Mer Noire

Samothrace Troie

Mer Égée

10 9

Hattusa

HATTI

Asie centrale

Sn

8 Mycènes 7

vers Italie

Kéos

4 Pylos

6

5

E

Mélos O

1

Cu

Depuis Espagne

Ag

Naxos

12 5

Sn

Milet Milet

Ugarit Cnide

Ag

Cu

Cu

Rhodes Karpathos

Théra

Cythère Sn

Samos

Thèbes 3

Chypre V

Byblos Tyr

4

2 3

Mer Méditerranée

Canaan Au

D’après C. d’Ercole et J. Zurbach, Naissance de la Grèce, Paris, 2019, p. 99, 131,192 et 222.

ÉGYPTE

Afrique

V

1- Le monde minoen au Bronze récent (1600-1450)

Milet

Crète minoenne

Exportations de produits crétois

Zone de contacts

Poteries

Sites en contact étroit avec la Crète

Huile d’olive

Palais crétois 1- La Canée, 2- Knossos, 3- Malia 4- Zakros, 5- Phaistos

Importations Au

Tissus Orfèvrerie

Sn

Étain

Ag

Argent

Cu

Cuivre

O

Obsidienne

E

Emeri

2- Le monde mycénien (XIVe-XIIIe siècles)

Productions principales d’après l’épave d’Ulu Burun

Culture mycénienne

Routes commerciales

Palais mycéniens

Itinéraire possible du bateau d’Ulu Burun

1- La Canée, 2- Knossos, 3- Athènes 4- Tirynthe, 5- Pylos, 6- Menelaion, 7- Thèbes, 8- Orchomène, 9- Dimini, 10- Iolkos

Or Ivoire

Sn Cu

Épave d’Ulu Burun

V

Ivoire Étain Cuivre Verre Poteries

3- Les destructions en Méditerranée entre 1200 et 1180 Troie

Ville ou région détruite Invasions et migrations Bataille contre les Peuples de la Mer (1188-1177)

0

150 km

Océan Atlantique

Pithécusses Cumes Métaponte

Métropoles phéniciennes Principaux peuples voisins

Principaux établissements achéens CELTES

Colonisation phénicienne

Principaux établissements ioniens

Comptoirs grecs

Poseidonia Velia

Principaux établissements doriens

Métropoles grecques doriennes

Colonisation grecque (2ème phase: 675-540) Métropoles grecques ioniennes

Colonisation grecque (1ère phase: 750-675)

Espace hellénophone au début de l’époque archaïque

Mer

Spina

S Épidamne Apollonia

ILLYRIENS Périnthe

Apollonia du Pont

Abdère

Thrace

Is t ro s

GÈTES

Taucheira

Cyrénaïque

LIBYENS

Cyrène

Apollonia

Crète

Naucratis

Mer Méditerranée

Chypre

Soloi

Sinope

Tyr

Ha

s

aïs

Trapézonte

Phasis

0

Levant

Byblos

Tell Soukas

Al-Mina

ly

Amisos

n Ta

Dioscourias

Phanagoreia

Tanaïs

Mer Noire

Chersonèse

Panticapée

ène

Héraclée Byzance du Pont Chalcédoine

Istros

ysth

Olbia

SCYTHES

Bor

Thasos Cyzique Tarente Lampsaque Sybaris Méditerranée Mendé Corcyre Anatolie Phocée Crotone Chalcis Leucade Zancle Clazomènes Mégare Érétrie Locres Himère Samos Rhégion Sélinonte Achaïe Géla Naxos Milet Corinthe Mégara Hyblaea Carthage Agrigente Paros Phasélis Camarine Syracuse Sparte NUMIDES Rhodes Théra

Alalia

Nikaia

Massalia

UE

MAURES

re

Héméroscopion



LIGURES Adria

R

IBÈRES

Emporion

Agde

CELTES

LA COLONISATION ARCHAÏQUE

Èb

ÉT Q US

PHÉNICIENS

Ni l

200 km

Caucase

Égeste

Hykkara

414

Catane

Messine

Victoire athénienne Campagnes athéniennes Points d’appui athéniens Points d’appui corinthiens

Campagne des Péloponnésiens

Bases de la flotte spartiate

Fronts

Itinéraire de Brasidas en 424

Sparte et ses alliés vers 431

Victoire de Sparte et de ses alliés

Mer Ionienne

414

Corcyre

Gy lipp e Leucade 424

Sphactérie Pylos

Mantinée

Sparte

Mantinée 418 Argos

Élis

Athènes 404

Cythère

Décélie424

Mélos 415

Athènes

Crète

Samos

Mer de Crète

Naxos

Chios

Assos

Ainos

Maronée

THRACE

Périnthe Byzance

0

Éphèse

Carpathos

Milet

IONIE

150 km

Rhodes

CARIE

Sardes

EMPIRE PERSE LYDIE Notion 407

Arginuses 406

ÉLIDE

Aigos Potamoi 405 Sestos Abydos Cyzique 410 411 Kynossèma PHRYGIE 411

Ténos

Andros

Lemnos

Thasos

Mer Égée

Délion

Eubée

Thèbes 424

Patras 429 Mégare ACHAÏE Corinthe

Naupacte

Ambracie

Pharsale

Skionè

Toronè

Amphipolis 422 Stagire

Potidée 430

THESSALIE

424

MACÉDOINE

425

ÉPIRE

ILLYRIE

Nicias, Lamachos (et Alcibiade) 415

Canal d’Otrante

Athènes et les membres de la ligue de Délos vers 431 Alliés d’Athènes

Assinaros Syracuse 413 Camarine 415-413

Sicile

Himère

415

LA GUERRE DU PÉLOPONNÈSE (431-404)

I- L’hégémonie spartiate et la guerre de Corinthe (395-386)

Byzance Chalcédoine Hellespont Périnthe THRACE contrôlé Amphipolis par le Astacos Apollonia Spartiate Antalcidas Thasos en 386 Eion Kios CHALCIDIQUE Acanthos Imbros Cyzique Dascyleion Olynthe MYSIE Itinéraire présumé d’Agésilas rappelé par Sigée Lemnos Sparte en 394 Larissa Victoires de Sparte THESSALIE Pergame Défaites de Sparte Pharsale Narthakion Opérations 395 LYDIE d’Agésilas Capitale de satrapie perse Coronée Skyros en 389 394 Haliarte Sardes Territoires des puissances Delphes hostiles à Sparte 395 ACARNANIE Territoires contrôlés par Clazomènes EUBÉE l’Athénien Thrasybule Thèbes Némée (389) Éphèse Territoires conservés Andros 394 Samos Athènes par Athènes (386) IONIE Corinthe Le Pirée Ténos Icaria Opération de Conon avec le soutien perse Léchaion Argos Milet ARGOLIDE 390 Délos EMPIRE Halicarnasse Messène PERSE Naxos Sparte Caunos Paros Cos 0

100 km

Cnide Rhodes 394 (perdue par Sparte

Cythère

en 395)

II- La seconde confédération athénienne de 377 à 356

Byzance

Abdère Méthonè

Corcyre

373

375

Mer Ionienne

THRACE Cardia

Thasos

Imbros

Sestos PHRYGIE

Lemnos

THESSALIE ACHAÏE PHTHIOTIDE Alyzeia BÉOTIE Leuctres

Mer Égée Skyros EUBÉE Thèbes

ÉOLIDE Lesbos

Chios 357

ARCADIE Corinthe Athènes Andros Mantinée Argos ATTIQUE Céos Tenos MESSÉNIE

Sardes IONIE Samos Éphèse Milet

363

Messène

Paros Délos

Naxos 376

Sparte

EMPIRE PERSE

Cos 357

Territoire athénien Alliés d’Athènes Victoire athénienne sur Sparte et ses alliés Révoltes

Halicarnasse

Rhodes 357

0

100 km

III- L’hégémonie thébaine de Leuctres (371) à Mantinée (362) Lacédémoniens Alliés des Lacédémoniens Béotiens Alliés des Béotiens Bataille

Larissa THESSALIE

Héraclée BÉOTIE

Leuctres 371

EUBÉE

Thèbes ACHAÏE Corinthe Sicyone Athènes Élis Phlionte Mantinée 362 Argos Mégalopolis Tégée MESSÉNIE Sparte LACONIE

D’après N. Richer, Atlas de la Grèce classique, Paris, 2017, p. 64-66.

Gytheion 0

75 km

Ambracie Leucade

ROYAUME DES MOLOSSES Pagases

THESSALIE (352) Phères

D’après N. Richer, Atlas de la Grèce classique, Paris, 2017, p. 79.

Messène

Sparte

Mer de Myrto Mélos

Lesbos

Amorgos

Naxos

Chios Andros

MER ÉGÉE

Oréos Thermopyles Scyros Chéronée Amphissa Élatée (338) Chalcis Érétrie Naupacte Delphes BÉOTIE EUBÉE Thèbes Mégare Athènes Corinthe Élis PÉLOPONNÈSE Argos

MER IONIENNE

Zanthe

Céphallénie

Corcyre

Lychnidos

THRACE (342)

vers l’Istros (Danube) Béroè

Apollonia

Salmydessos

Kabylè

Samos

EMPIRE PERSE

Nicée

Hiéron Byzance

MER NOIRE

Rhodes

0

100 km

Alexandre jusqu’à l’Istros puis contre Thébes (335)

Attale et Parménion en Asie (336-334)

Bataille de Chéronée (338)

Philippe contre Thèbes et Athènes (339-338)

Campagne de Philippe de 340-339

Campagne de Philippe de 342-341

Campagnes de Philippe et d’Alexandre

Approvisionnement d’Athènes en blé

État grec ne participant pas à la ligue de Corinthe

Membre de la ligue de Corinthe (337)

Adversaires de Philippe à Cheronée (338)

(356) Date de prise de contrôle

Expansion macédonienne jusqu’en 336

Royaume de Macédoine (359)

Philippes (356) Héraclée des Périnthe Lyncestes Pella Amphipolis Mont Abdère (357) Maronée Édessa Pangée Méthonè Therma Thasos Ainos Aigai (354) Olynthe Cardia (348) Cyzique Béroia Samothrace CHALCIDIQUE Pydna Abydos PIÉRIE Dion (356) Potidée (356) Lemnos Mont Olympe PHRYGIE Larissa

PÉONIE (358)

Philippopolis

LA PUISSANCE MACÉDONIENNE (359-334)

LE PÉLOPONNÈSE AU DÉBUT DU IVe SIÈCLE Pleuron

Aigion Hélikè

Patras

Bouras

Karyneia

Zeus d’Olympie

Thelpousa

ARCADIE

Lépréon Héraia

TRIPHYLIE

Zeus du Mont Lycée Mégalopolis

Lykosoura Kyparissia Messène

MESSÉNIE Pylos

Leuktra

Prasiai

Geronthrai Kyphanta Acraiai

Gytheion

Tainaron

Asopos

Las

Teuthronè Golfe de Laconie

Cap Ténare

Cap Scyllaion

MER DE MYRTO

LACONIE

Cap Akritas

Zarax Épidaure Liméra Boiai

0

40 km

Cap Malée CYTHÈRE

Les Achéens Confédération du VIIe siècle à 324

ÉGINE

Hermionè

Sparte

Pharai

Golfe de Messénie Oitylos

D’après N. Richer, Atlas de la Grèce classique, Paris, 2017, p. 67.

Égine

Golfe d’Argolide

SKIRITIDE Sellasie

Thalamai

Cap Spiraion

Trézène

Kardamylè

Asinè

Méthonè

Golfe Saronique

ACTÈ

AIGYTIDE

Koronè

Mégare

CYNURIE

Tégée

Mont Ithôme 798 m.

Thouria

Pagai

Épidaure

Argos

Mantinée

(Fondée en 369)

Phigalie

MER IONIENNE

Égosthènes

Peiraion Pellène Sicyone Phénéos Stymphale Corinthe Phlionte Caphyai Mycènes Orchomène Aléa ARGEIA

Psophis

ÉLIDE

Golfe de Corinthe

Aigéira

Kynaitha

Cleitor

Élis

Aigai

ACHAÏE

Leontion

Leuctres

(détruite en 373)

Rhypes Olénos Zeus Hamarios (Rassembleur) Dymè Kallistai Pharai Tritaia

Delphes

ÉTOLIE

Naupacte Calydon

Cythère

Les Arcadiens Limites hypothétiques du territoire de Sparte avant 370.

Membre de la ligue des 12 cités

Ligue arcadienne (371-362)

Cités admises dans la ligue après 370

Cités de la ligue

Cités temporairement membres de la ligue

Sanctuaire

Territoires périèques et plaines de Messénie dont Sparte perd le contrôle (370-369)

Sanctuaire commun

Territoires contestés entre l’Arcadie et l’Élide

Cités périèques

vers Le Pirée

vers Salamine

vers Le Pirée

L

ud rS u gM on

Porte du Dipylon

IT È

Colline des Muses

Mur interne de Cimon

vers Marathon

Mur de Phalère

Lycabette

s Ilisso

0

250 m

vers le Lycée

Hymette

100 m. 75 m. 50 m.

Altitude

Voie des Panathénées

Eridanos

vers le Cap Sounion

LIMNAI

Olympiéion

Éleusinion Acropole Parthénon Odéon de Périclès Théâtre de Dionysos

Stoa Poikilé

vers Phalère

KOLLYTOS

Pnyx

Porte d’Acharnes SKAMBONIDAI

Agora Stoa Sud

Aréopage

Héphaistéion

Porte de Mélité

MÉ L

KOLONOS Stoa de Zeus

Porte sacrée

vers l’Académie

Colline des Nymphes

Porte du Pirée

Voie S acrée

ATHÈNES À L’ÉPOQUE CLASSIQUE

vers Éleusis

Lo n g M u

M

r N or d

RA CÉ UE IQ

Sn

Ag

chiens

Chalcis

Cu

Sparte

Argos

0

Egine

Athènes Mégare

ÉE

Cu

50 km

Siphnos Ag

Laurion

Ag

Ampurias

Massalia

Céréales Huile Vin Bois de construction Métallurgie Textiles Céramique

Productions pour l’exportation

MÉDITERRANÉE

Sicile

Tarente

poix

Au

Cos

Peuplement grec Aire de diffusion des produits grecs Esclaves

Cu

ivoires

or de Nubie

ÉGYPTE

Memphis

Naucratis

Rhodes

0

250 km

30°

or, produits exotiques

dattes, pourpre, épices, produits orientaux

or d’Éthiopie

Cu

Au

lin, cire, chanvre Trapézonte

PONT

PHÉNICIE

Ag

Dioscourias Phasis

Tyr

poix

Fe

45°

COLCHIDE

or du Caucase

Tanaïs

Saïs papyrus, lin

lainages Ag lainages CARIE lits Ag tapis Milet

Au

Ag

GALATIE

amandes

Sinope

Chersonèse

Panticapée

Olbia

PONT-EUXIN

MYSIE

Sardes

Ag

Ag

Byzance

Grand axe commercial

Miel

Marbre

CYRÉNAÏQUE

Cnossos

Crète

Samos

Athènes lits

Thasos Lesbos Chios

Ag Au

THRACE

silphion, lotus, laine, ivoire

Cyrène

Au

Ag Au

Épidamne

pourpre MACÉDOINE

Syracuse

Néapolis

poix

Tyras

or de l’Oural et de l’Altaï

D’après M.-C. Amouretti et F. Ruzé, Le monde grec antique, Paris, 1990, p.312-313

Mercure

Hg

Fer

Fe

Étain

Cuivre

Cu

Sn

Or

Argent

Au

Ag

Minerais

30°

Cu

GRANDE GRÈCE

Fe

Atria

fromages, porc, peaux Rhégion

Aléria

Carthage

Vix

ambre de la Baltique

ER

tuiles

Corinthe

EU B

MER

Agathé

charcuterie légumes ATTIQUE

BÉOTIE

THESSALIE

chevaux

or du Soudan

Mainakè

Hg

Cu

salaisons

Fe

CELTES

ambre

E

Au

Sn

Héméroscopion

IBÈRES

Fe

OCÉAN ATLANTIQUE

cuivre de Tharsis

45°

Sn

CORNOUAILLE

MER DU NORD

L’ÉCONOMIE DU MONDE GREC

RI

ÉP IRE

É U TR IE LYD

M E UG O R