Le grand livre des transes et des états non-ordinaires de conscience 9782100864553

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Le grand livre des transes et des états non-ordinaires de conscience
 9782100864553

Table of contents :
Couverture
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Les auteurs
Introduction
Partie 1. Cadre des transes
1 L’épineuse question des termes
2 Les transes, accompagnatrices des civilisations
3 Ni dedans ni dehors : abords historiques et culturels de la transe
4 Phénoménologie des états de transe
5 Conscience sans transe n’est que ruine de l’âme
Partie 2. Éléments de compréhension
6 Présence thérapeutique
Focus7 Pratique Kototama
8 Synchronisation interpersonnelle, imitation et transe hypnotique
9 L’effet awe ! Un chemin vers la transcendance de soi
10 Émotions, flexibilité et changement
11 La transe, une ouverture sur le Soi et le sacré sauvage
12 La transe, une ouverture sur le Soi et le sacré sauvage
13 La transe, une ouverture sur le Soi et le sacré sauvage
14 Neurophysiologie du traitement conscient et inconscient au niveau cérébral en état de veille et lors des états modifiés
15 Dynamique corporelle
16 Aspects psychologiques associés aux ECM et aux transes
17 Du set et setting dans la pratique et l’étude des états de transe
Focus18 Le voyage de l’Homo Novus
Partie 3. Expressions de la transe
19 Transe hypnotique et transes héritées de pratiques ancestrales : quand la science en parle
20 Phénoménologie des états de transe
21 Développement humain et transes
22 Les transes de possession
23 Sans esprit, pas de transe
Focus24 Le vodou, un regard d’anthropologue
25 Les expériences exceptionnelles
26 Transes et psychopathologies
27 États de conscience modifiés, transes et intuitions
28 Intuition non locale et transes
Focus29 Un flow de créativité
30 Transe en danse
Focus31 Sans logique : une transe farmerienne
32 Les transes chamaniques dans l’art
33 Transes et spiritualité
Focus34 Spiritualité et hypnose dans un contexte thérapeutique multiculturel
35 De la transe chamanique au pays Tamang
36 La transe du silence
Focus37 谷口 ジロー/ Jirō Taniguchi
Partie 4. Quelques dispositifs thérapeutiques utilisant les transes et ECM
38 Trois notions clés pour comprendre l’hypnose
39 Transe hypnothérapeutique facilitée par la réalité virtuelle
Focus40 « May the Trance be with you »
41 La respiration holotropique
Focus42 Qi Gong et état de conscience modifié
43 Psychothérapies assistées par psychédéliques, lien avec les transes
Focus44 La menace du Shadow King
45 Relaxation et sophrologie
Focus46 La méthode de relaxation Sapir
47 La méditation de pleine conscience
48 Le Lifespan IntegrationTM (ICV) et la transe
49 EMDR, une hypnose comme les autres ?
50 Une transe aquatique
Focus51 Le surf : entre « zone » et méditation, une dynamique de vie
52 Transe-sexualité
Focus53 Transe musicale en milieu carcéral
54 La transe relationnelle : un médiateur du changement en thérapie familiale
55 Transes et addictions
Conclusion
Bibliographie

Citation preview

© Dunod, 2023 ISBN : 9782100864553  

 

www.dunod.com

Dunod Editeur

11 rue Paul Bert, 92240 Malakoff

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Sommaire

PARTIE 1 CADRE DES TRANSES Antoine Bioy

Une petite histoire des états non ordinaires de conscience en Occident Antoine Bioy

Renaud Evrard

Nancy Midol

’ Thierry Servillat

PARTIE 2 ÉLÉMENTS DE COMPRÉHENSION Pascal Malet

Franck Sinimalé

Alexandre Coutté – Benjamin Moutardier

awe Pierre De Oliveira

Christine Chalut-Natal Morin

Étude à partir de Freud Édouard Collot

Étude à partir de Jung Édouard Collot

Synthèse Édouard Collot

Silvia Morar

Nancy Midol

Antoine Bioy

Émile Notté

Homo Novus Sébastien Sauge – Frédéric Dembak-Le Strat

PARTIE 3 EXPRESSIONS DE LA TRANSE

Audrey Vanhaudenhuyse – Charlotte Grégoire – Aminata Bicego – Nolwenn Marie – Yannick Lafon – Marie-Elisabeth Faymonville – Olivia Gosseries

Gaëtan Collignon – Antoine Bioy

Kristell Clerc – Antoine Bioy

Serena Tallarico

Sébastien Baud

’ Jean-Paul Colleyn

Renaud Evrard – Thomas Rabeyron

Antoine Bioy

Léo Robiou du Pont – Antoine Bioy

Alexis Champion

ativit Antoine Bioy

Florent Cheymol – Antoine Bioy – Nathalie Duriez

Antoine Bioy

Martin Geoffre

Antoine Bioy

Alejandra Diaz

Mathieu Ruet

Jean-Claude Lavaud

Antoine Bioy

PARTIE 4 QUELQUES DISPOSITIFS THÉRAPEUTIQUES UTILISANT LES TRANSES ET ECM Maurício S. Neubern

Pierre-Henri Garnier

« May the Trance be with you » Antoine Bioy

Nicolas Dumont

Marie Beaumont

Alexandre Peyré

Emmanuel Pasquier

Nathalie Baste

Astrid Roustang-Jeglot

Antoine Bioy TM Joanna Smith

Évelyne Josse

Ludovic Breuil

Joël de Rosnay – Christelle Giust

Transe-sexualit Joëlle Mignot

Justine Chevance – Marion Perrot – Antoine Bioy

Nathalie Duriez

Jean-Sébastien Leplus-Habeneck

Les auteurs

Voici la liste des contributeurs. Vous y trouverez bien sûr une présentation et –  pour certain·e·s  – leur routine de pratique en lien avec les états de conscience modifiés, voire de transes.

Antoine Bioy (coordonnateur et contributeur) Professeur de psychologie clinique et psychopathologie à l’université Paris  8, directeur adjoint du Laboratoire Psychopathologie et Processus de Changement (LPPC). Psychologue clinicien et hypnothérapeute à l’Institut de Médecine Intégrative et Complémentaire du CHU de Bordeaux (IMIC). Responsable scientifique du centre de formation et d’étude en hypnose : Ipnosia, expert scientifique auprès de l’UNESCO (chaire 918) et responsable scientifique de l’Agence des médecines complémentaires adaptées (A-MCA). Cofondateur et conseiller de la Revue de l’Hypnose et de la Santé (Dunod). Routine

«  Chaque matin, en compagnie de mon chien, et de mon chat s’il est d’humeur, premier café en marche sensorielle lente dans le jardin, pieds nus dans l’herbe, la tête plongée dans le chant des oiseaux. »

Sébastien Baud

Ethnologue et ethnobotaniste. Chercheur associé à l’Institut d’ethnologie de l’université de Neuchâtel et à l’Institut Français d’Études Andines à Lima. Ses recherches actuelles portent sur les chamanismes et les nouvelles spiritualités dans les Andes centrales et le piémont amazonien, comme en Europe. Il y interroge les savoirs mobilisés et le comment de leur transmission  ; les intoxications rituelles et les pratiques thérapeutiques  ; les transes, les processus de construction de la personne ou encore l’attrait pour d’autres expériences de la réalité. Ses travaux font l’objet d’enseignements et de publications scientifiques. Routine

« Pas de routine, mais des interruptions et des attentes au grand dehors. Ralentir pour être discret et attentif aux autres qu’humains, à ce qu’ils ont à dire ; aux impromptus et connivences avec celles et ceux qui me regardent. »

Nathalie Baste Psychologue clinicienne à Saint-Étienne, en libérale et au CHU. Docteur en psychopathologie et psychologie clinique, université Lyon 2. Responsable d’Ipnosia Saint-Étienne, membre du comité de pilotage et scientifique d’Ipnosia. Responsable universitaire des D.U. Synthèse des techniques de relaxation et sophrologie et Hypnose médicale et clinique à l’université Jean-Monnet. Routine

« Chaque matin au réveil, je m’assois au bord du lit, je sens mes points d’appui, ma respiration, je me lève et gagne la fenêtre que j’ouvre pour respirer l’air frais, regarder les formes et les couleurs, écouter et sentir l’aube telle qu’elle se présente. »

Marie Beaumont

Médecin spécialiste en hématologie clinique. Actuellement praticien hospitalier à l’équipe mobile de soins palliatifs du Centre Hospitalier Intercommunal de Compiègne-Noyon. Formée à l’hypnose. Pratique et anime des ateliers de Qi Gong. Routine

« Ma pratique matinale du qi gong : réveiller le corps, se mettre en mouvement, sentir et se relier au vivant dedans et autour de soi, se rendre disponible à ce qui se présentera et suivre dans l’agir sans agir (le Wu Wei cher aux Taoïstes) le cours de la journée. »

Aminata Bicego Neuropsychologue, docteure en psychologie et chercheuse postdoctorante au Sensation and Perception Research Group, GIGA Consciousness à l’université de Liège (Belgique). Aminata Bicego s’intéresse à l’hypnose, à la transe cognitive auto-induite, à la réalité virtuelle et aux psychédéliques tant d'un point de vue fondamental que dans une perspective clinique. Routine

«  Chaque matin, je commence par me faire couler un café et le boire. Je déroule ensuite mon tapis de yoga, et sens le contact de mes orteils avec celui-ci tout en récitant le mantra d’ouverture de la pratique dans ma tête pour ne pas réveiller les dormeurs. Je me connecte à la symbiose entre ma respiration et les mouvements de mon corps et apprécie le confort et l'inconfort qu’ils me procurent. »

Ludovic Breuil Ostéopathe D.O., libéral ostéopathie traditionnelle et aquatique installé à l’île de La  Réunion, et en mission dans le milieu sportif, formateur indépendant dans le domaine du soin et de la transe aquatique. Intervenant au D.U. Pratiques psycho-corporelles et santé intégrative à l’université de La Réunion. Routine

Routine

«  Dès que l’eau me touche, ou que je la contacte (lavage de mains entre chaque patient, baignade…, je me lie à toutes les eaux du monde, sous toutes leurs formes, vision instantanée de la planète bleue vue du ciel, vérification d’une sensation corporelle de fluidité quelque part en moi (je me secoue en rythme), inspiration profonde, un temps d’apnée variable, espace-temps de flottement et de suspension, expiration, ouverture de mes yeux devenus bleus. Sourire intérieur. »

Christine Chalut-Natal Morin Sage-femme acupunctrice, hypnothérapeute, docteure en psychologie et chercheure associée au Laboratoire Psychopathologie et Processus de Changement (LPPC) de l’université Paris 8. Sage-femme clinicienne en exercice libéral dans le cadre de la santé génésique de la femme. Chargée d’enseignement au D.U. Étude des transes et des états de conscience modifiés de l’université Paris  8 et au DIU Hypnose médicale et clinique de l’université de Bourgogne. Membre du comité scientifique d’Ipnosia et d’HypnoCare-Solution, administratrice du Collège National des Sages-femmes de France (CNSF) et secrétaire générale adjointe de l’association Soins aux Professionnels de la Santé (SPS). Routine

« Chaque matin au réveil, après avoir noté les rêves qui me paraissent spécifiques, je pratique un temps de respiration carrée (SamaVritti) ou de cohérence cardiaque. Je bois ensuite une grande tasse d’eau chaude avant une séance de Dao Yin Qi Gong. »

Alexis Champion Titulaire d’un doctorat en informatique (intelligence artificielle). Pendant une douzaine d’années, chercheur puis directeur de projets informatiques au sein de laboratoires publics et privés, ainsi qu’au sein d’entreprises de service. Depuis 2008, fondateur-président

d’iRiS Intuition, entreprise dédiée à l’utilisation, la formation et la recherche scientifique sur l’intuition. Il est actif dans l’industrie, la banque et la finance, l’archéologie et l’histoire, l’énergie, le judiciaire, le management ou encore les arts. Ses intérêts portent sur l’aide à la décision en situations d’incertitude ou d’urgence, la créativité et l’innovation. Il coencadre actuellement deux thèses de doctorat impliquant intuition et intelligence artificielle, notamment en partenariat avec l’université Paris  8, l’université Polytechnique Hauts-de-France et le CEA Tech. Routine

«  Régulièrement au fil de la journée, courts moments de pratique de méditation d’attention au souffle (ānāpānasati). Également, aussi souvent que possible, moments d’utilisation consciente de l’intuition pour des tâches créatives : générations d’idées en entreprise, pour série télé, jeux, BD… Par ailleurs, dans la vie courante, gestion consciente et mise de côté des interprétations et projections, des émotions et opinions, pour tendre vers une neutralité perceptive. »

Justine Chevance Psychologue clinicienne, psychothérapeute et hypnothérapeute au sein de l’Unité Sanitaire de la Maison d’Arrêt de Besançon et du Centre Ressources pour les Intervenants auprès des Auteurs de Violences Sexuelles (CRIAVS) de Franche-Comté (CHU de Besançon). Doctorante au sein du Laboratoire Psychopathologie et Processus de Changement (LPPC) de l’université de Paris  8, sa recherche doctorale porte sur l'hypnose dans le soin des patients ayant un trouble de la personnalité psychopathique en milieu carcéral. Routine

«  Après une longue journée, je me laisse porter par l’écoute aléatoire de musique. Attentive à mes résonances corporelles, ma respiration, je ferme les yeux, emportée dans ma bulle sonore. »

Kristell Clerc Psychologue clinicienne et psychothérapeute en exercice libéral à Thonon-les-Bains. Doctorante-chercheuse au Laboratoire Psychopathologie et Processus de Changement à l’université Paris 8. Sa recherche doctorale porte sur la micro-phénoménologie du passage à l’acte à l’adolescence et des états modifiés de conscience relatifs à ces expériences. Routine

«  À n’importe quel moment de la journée, au cœur de n’importe quelle activité, l’occasion se présente d’une observation non impliquée. Invitation profonde à se dégager de la scène qui se joue, se désidentifier, pour épouser un regard sans jugement, en arrière-plan, permettant d’opérer dans l’instant une sorte d’“état des lieux” bienveillant. Dans cet espace, le mental perd peu à peu son agitation. Ce qui est fait alors n’a plus d’importance, tout émerge puis se résorbe, reste une attitude intérieure de lucidité et la joie d’être sans objet. »

Gaëtan Collignon Psychologue clinicien, psychothérapeute et hypnothérapeute au Centre Médico-Psychologique et à l’Hôpital de Jour pour enfants et adolescents de Brienne-La-Vieille (Établissement Public de Santé Mentale de l’Aube). Doctorant-chercheur au sein du Laboratoire Psychopathologie et Processus de Changements (LPPC) de l’université Paris  8. Coordinateur pédagogique du D.U. Étude des transes et états de conscience modifiés. Routine

«  Ma brosse à dent en bouche, je déambule autour de mon canapé en évitant les rainures de mon parquet, me laissant aller à mon imaginaire comme lorsque j'étais enfant et que je transformais cette tâche ingrate en une épopée fantastique. »

Jean-Paul Colleyn

Anthropologue à l’Institut des Mondes Africains, École des Hautes Études en Sciences sociales. Auteur d’une thèse, d’articles et de films documentaires sur les cultes de possession. Routine

«  À l'endroit où j’habite à Paris, je suis réveillé par les corneilles, les pigeons ou les camions de la voirie  : je sais dès lors que j’aurai un jour “corneilles”, un jour “colombes” ou un jour “poubelles”. »

Édouard Collot Psychiatre, psychothérapeute, hypnoanalyste et transthérapeute. Pratique libérale et Responsable de l’Unité d’hypnothérapie de l’Institut Paul-Sivadon, Fondation l'Élan Retrouvé. Intervenant au D.U. Étude des transes et états de conscience modifiés de l’université Paris 8. Psychiatrist member of the Provider Portal of the Blue Cross and Blue Shield Association. Routine

« Au petit matin, tandis que j’observais le flot bleu, assis sur le plat bord du voilier, un dauphin a sauté à ma hauteur et a plongé son regard dans le mien. Ce n’est pas tant l’effet de surprise mais l’univers et l’amour que j’ai ressenti dans l’inspiration de son regard qui m’ont ouvert la voie d’un invisible, et d’une intronisation à une autre conscience. Où que je sois, l’âme du dauphin ne me quitte jamais  ! Et dans les séances je suis en partage d’un infini, de la profondeur d’un invisible… »

Alexandre Coutté Alexandre Coutté a fait ses études en psychologie à l'université de Nice-Sophia Antipolis au cours desquelles il a obtenu le titre de psychologue spécialisé en neuropsychologie. Il y a également soutenu sa thèse en psychologie en 2011. Il est actuellement membre du LICAE et maître de conférences au sein des STAPS de l’université Paris-Nanterre. Il intervient au sein du D.U. Étude des

transes et états de conscience modifiés de l’université Paris  8 en tant qu’enseignant et membre du comité de pilotage. Dans ses recherches, il étudie notamment les processus par lesquels les suggestions imaginatives s’incarnent dans les perceptions et les comportements.

Joël De Rosnay Docteur en sciences, professeur des universités. Conférencier et écrivain. Anciennement chercheur enseignant au MIT et directeur des applications de la Recherche à l’Institut Pasteur. Champion de France de surf en 1960, il a représenté la France aux championnats du monde en 1964 et en 1965. « Arrivé à un stade de ma vie et de mon expérience qui m'engage à prendre un certain recul, je voudrais témoigner [...] d'un certain sentiment de spiritualité, sans connotation religieuse, qui a émergé de mes recherches pour comprendre l'ordre caché des choses et le sens secret de la nature [...], de formes d'une extrême diversité et d'une grande beauté.  » (Discours d’ouverture du Forum de l'Encadrement 2016.)

Frédéric Dembak-Le Strat Normalien, chercheur en sciences de la complexité ayant développé des métamodèles génériques simplifiant l'appréhension, la manipulation et la transmission d'ensembles complexes de données. Fondateur et Président depuis 2008 de DOJO, Centre de Recherche en Innovation Économique, ayant développé la théorie et les outils de l'Open Capitalism. Cofondateur de MetaObs, l'Observatoire du Metaverse, aux côtés du Pôle Finance Innovation de Paris Europlace, travaillant entre autres sur le transhumanisme. Fondateur et CEO de ExtraVerse, groupe privé construisant de manière transdisciplinaire un réseau de projets mêlant entrepreneuriat, développement personnel, gamification, intelligence artificielle et

Metaverse, s'appuyant sur un effectif cumulé d'environ cent personnes de plus de cinquante nationalités. À  titre personnel, explorateur d'approches holistiques appliquées aux organisations en plus des individus les constituant. Routine

« Scan polynodal. L'approche consiste à “plonger” progressivement à trois niveaux de profondeur, à observer des situations à partir de plusieurs points, tout en maintenant un état de conscience passif, sans jugement. Le premier niveau consiste à méditer, et à observer la scène en cours mais comme vue par des observateurs situés en plusieurs autres points de la pièce (et du plafond). Le second niveau consiste à rejouer le film d'une interaction sociale, mais comme vécue par les autres interlocuteurs. »

Alejandra Diaz Psychologue clinicienne et de la santé et psychothérapeute ericksonienne du Costa Rica. Vit actuellement à Dallas, Texas, États-Unis. Membre fondateur de la Société costaricienne d'hypnose clinique (ACOHIC). Consultant agréé auprès de l'American Society of Clinical Hypnosis (ASCH) et ancien président de la North Texas Society of Clinical Hypnosis (NTSCH). Mme Diaz a travaillé avec l'hypnose traditionnelle et ericksonienne dans une variété de contextes, de la pratique privée à différentes organisations. Elle est spécialisée dans les traumatismes et les violences conjugales. Elle a été invitée en tant que conférencière dans des congrès internationaux et des webinaires professionnels au Mexique, en Italie, en France et au Costa Rica. Routine

«  Les promenades matinales et la baignade sont des moments d'introspection et d'appréciation de la beauté et du privilège d'être en vie. »

Nicolas Dumont

Psychologue clinicien, psychothérapeute transpersonnel, praticien en chamanisme, superviseur, spécialisé dans les états modifiés de conscience et les expériences extraordinaires. Formateur en psychologie transpersonnelle, en respiration holotropique au Grof Legacy Training®, en hypnose ericksonienne transpersonnelle®, directeur de l'École de la Transe. Ancien membre du réseau des cliniciens de l'INREES (Institut de Recherche sur les Expériences Extraordinaires). Vit en France et au Mexique. Routine

« J’entre en transe simplement… en le voulant. De la même manière que je veux me concentrer sur quelque chose, ou prendre une profonde respiration  : je le fais. J’oriente mon attention vers… la transe, ou le monde où je veux aller, et la transe s’active comme moyen. Puis j’intensifie cet état en lui donnant plus d’attention, ou en respirant (activement si je souhaite une transe dynamique, ou lentement si je la veux calme). Je l’assaisonne selon les nécessités : de silence, d’un chant, d’une attention focale ou globale, d’une prière, de mouvements, de visions… Je voyage, je descends, je me transforme, je me quitte, je redeviens… puis je remercie, et je reviens. Je cadence aussi régulièrement ma vie de rendez-vous avec des pratiques de transe intense (comme la respiration holotropique ou autre). C’est une bonne routine pour faire éclater l’horizon et que la vie ne soit pas… une routine ! »

Nathalie Duriez Professeur de psychologie clinique et psychopathologie à l’université Paris 8, Laboratoire Psychopathologie et Processus de Changement (LPPC). Psychologue clinicienne et thérapeute familiale au CSAPA Monceau (Groupe SOS - Pôle Solidarités). Responsable du DFSSU Clinique de la Famille et Pratiques Systémiques, DESU Prise en charge des addictions, D.U. Clinique de la Relation et Intervention Stratégique. Coresponsable du D.I.U. Intervention en Prévention et Protection de l’Enfance. Routine

« Mettre le linge dans la machine, le sortir de la machine pour l’étendre sur les cordes à linge, récupérer le linge qui a séché puis le repasser et le ranger dans les armoires.

Des petites parenthèses dans la journée pendant lesquelles ma pensée se modifie et mon corps s’active de manière automatique en prenant soin de ceux que j’aime. L’odeur du linge propre et la caresse des tissus me relient à des générations de femmes et me ramènent à une partie essentielle de mon identité, de mon vécu de femme et de mère. Le sentiment de plénitude qui accompagne ces gestes d’amour me ressource pour me remettre au travail. »

Renaud Evrard Psychologue clinicien, maître de conférences HDR en psychologie à l’université de Lorraine. Il a cofondé en 2009 le Centre d’information, de recherche et de consultation sur les expériences exceptionnelles. Il a été président de la Parapsychological Association et directeur de l’Institut métapsychique international. Routine

«  Tous les jours, jouer autant que je travaille, voire commencer par une pause  ! Et entrer dans une transe où défilent les heures dès que je suis absorbé dans l’écriture. »

Marie-Élisabeth Faymonville Médecin anesthésiste, docteur en Sciences Cliniques et agrégée de l’Enseignement Supérieur, chargée de cours à l’université de Liège et maître de conférences. Cofondatrice et directrice du Centre universitaire d’Hypnose de Liège. Coordinatrice du Centre de bienêtre OASIS dans l’institut de cancérologie Arsène-Burny (CHU Liège).

Pierre-Henri Garnier Psychologue clinicien au Centre Interdisciplinaire de Thérapies Intégratives (CITI), docteur en Sciences de l'Information et Communication. Formateur en Éducation Thérapeutique du Patient,

Hypnose thérapeutique (Ipnosia). Chercheur associé au Centre fédératif du CHU de Nantes. Routine

«  Pratique de la synthographie sur smartphone, c'est-à-dire l'écriture automatique étendue par intelligence artificielle (générateur d'images à partir de textes spontanés). »

Martin Geoffre Martin Geoffre est administrateur de compagnie de spectacle et organisateur de fêtes techno. Il est doctorant en Études Théâtrales à l’université de Rennes 2 depuis l’automne 2021. Son projet de thèse a pour titre «  Imaginaires et gestes chamaniques sur la scène contemporaine ». Son carnet de recherche est accessible en ligne à l’adresse suivante : https://chamanisme.hypotheses.org Routine

« Pour me mettre en transe, je me remémore mes précédentes expériences et je les imite en convoquant les mêmes états de corps et d’imaginaires qu’en mon souvenir. Si j’amorce correctement la pompe de mon imagination, l’eau coulera ensuite toute seule. »

Christelle Giust Sportive professionnelle, quadruple championne de France de bodyboard (1999 en ondine espoir et 2005, 2017, 2018 en catégorie open ondine), l’une des disciplines du surf. Championne de bodysurf en 2021.

Olivia Gosseries

Neuropsychologue, docteur en sciences biomédicales et pharmaceutiques, chercheuse qualifiée au FNRS et codirectrice du Coma Science Group à l'université de Liège. Olivia est également professeur associé à l'université Libre de Bruxelles et à l’université Paris 8. Ses travaux portent sur les troubles de la conscience après un coma mais elle s’intéresse également à l'anesthésie, le rêve lucide, les expériences de mort imminente, la méditation, l'hypnose, la transe cognitive auto-induite et la réalité virtuelle. Routine

«  Souhaiter un bon appétit aux camarades de table et une bonne nuit aux compagnons du soir. »

Charlotte Grégoire Psychologue clinicienne, docteure en sciences psychologiques et chercheuse postdoctorale (FNRS) au sein du Sensation & Perception Research Group, du GIGA Consciousness à l’université de Liège. Ses thèmes de recherche principaux concernent l’amélioration de la qualité de vie en oncologie, principalement par le biais d’approches complémentaires comme l’hypnose, la méditation ou la transe cognitive auto-induite. Routine

«  Tous les jours, écouter de la musique, me laisser porter et accueillir les émotions qu’elle provoque en moi. Le plus souvent possible, faire du yoga et écrire, pour profiter de la concentration et du calme profonds que ces activités m’apportent. »

Évelyne Josse Psychologue clinicienne et psychothérapeute, formée en hypnose, EMDR et thérapie brève, psychotraumatologue, formatrice en psychotraumatologie et en hypnose. Responsable pédagogique du

D.I.U. en hypnose à l'université de Metz et de Bruxelles, chargée de cours à l'université de Lorraine (Metz) et en formation continue à l'université Libre de Bruxelles. Routine

«  Lorsque le sommeil tarde à venir, j’exécute des mouvements d'yeux de gauche à droite et de droite à gauche en respirant par le ventre. Puis, les paupières closes, tout en continuant les mouvements oculaires, j'imagine, à l'inspiration, une vague montante sur une plage de sable et à l'expiration, une vague descendante. Vague après vague, les empreintes de pas laissées par les promeneurs s'effacent et vague respiratoire après vague respiratoire, les petites tensions de la journée s'effacent. »

Yannick Lafon Ingénieur en Biologie et licencié en Psychologie à l’université de Paris  8, France. Chercheur visiteur au GIGA-Consciousness, université de Liège en Belgique. Routine

«  Tous les jours, pour être ancré et créatif, je m’imagine spiralé au centre de mon arbre de vie, les racines profondes enveloppant le noyau de la Terre, les branches vers la canopée et bien au-delà… »

Jean-Claude Lavaud Docteur en ethnologie et en anthropologie sociale de l’EHESS Paris. Hypnothérapeute à Saint-Pierre de La  Réunion. Président du Collège d’Hypnose de l’Océan Indien (CHOI) et directeur-fondateur de CRÉER (Centre de Ressources et d’Études Ericksoniennes de La Réunion), l'institut Milton-Erickson de La Réunion. Cofondateur et membre du Comité Technique et de la Revue de l’Hypnose et de la Santé (RHyS). Routine

«  Régulièrement, je vais dans un monde autre. Je prends mes palmettes, mon masque et mon tuba, et je vais nager dans les lagons de La Réunion ; alors, il arrive parfois que des fulgurances surviennent. Il n’y a que là que cela arrive ! »

Jean-Sébastien Leplus-Habeneck Docteur en psychologie, psychologue clinicien, psychothérapeute, en addictologie au CSAPA Arc-En-Ciel et en cabinet libéral à Montpellier. Chargé de cours à l’I.E.D. Paris  8, au D.U. Hypnothérapie de l’université de Bourgogne, au D.U. Soins palliatifs de la faculté de médecine de Limoges, formateur à Ipnosia. Auteur, formateur, hypnothérapeute, psychothérapeute cognitivocomportemental et en EMDR dans les domaines des addictions, du psychotraumatisme, de l’oncologie, de la douleur chronique et des soins palliatifs. Routine

« Chaque matin, je me lève un peu plus tôt, je vais mettre mon corps en mouvement dans l’effort, en conscience, puis je m’assois sur mon zafù pour méditer, ancré dans le souffle, les racines plongées dans le sol, l’esprit ouvert sur l’univers autour de moi. »

Pascal Malet Psychologue clinicien, psychothérapeute et hypnothérapeute en pratique libérale dans la ville de La  Possession à La  Réunion. Docteur en psychologie, auteur d’une thèse intitulée « Perspectives cliniques de la notion de présence thérapeutique ». Routine

« Parfois, lorsque je constate qu'il y a trop de “je” dans la pensée, je prends le temps de ressentir la différence entre  : ce “je” qui se raconte, se la raconte, mécanisme d’auto-continuité occupé à se défendre en produisant de la narration ; un “je” qui n’est qu’un résultat, la dernière conséquence présente d’un ensemble de facteurs, de circonstances  ; et autre chose…à découvrir à nouveau à chaque fois que l’on y revient… »

Nolwenn Marie Neuropsychologue clinicienne et doctorante en sciences médicales au sein du Sensation & Perception Research Group, du GIGA Consciousness à l’université de Liège. Sa thèse vise à évaluer l’influence des états non  ordinaires de conscience tels que l’hypnose, la transe cognitive auto-induite et la méditation d’autocompassion dans l’amélioration de la qualité de vie chez les personnes qui ont eu un cancer. Routine

«  Chaque matin, je me prépare un thé au lait infusé que je déguste en regardant le paysage à ma fenêtre, je contemple les branches des arbres qui ondulent sous les étreintes du vent. Puis je déroule mon tapis de yoga pour quelques étirements corporels. Je sens alors tout mon corps se réveiller et s’harmoniser au rythme de ma respiration. »

Nancy Midol Titulaire d'une thèse de psychologie sociale à l'université de Paris 7 puis d'une thèse d'anthropologie culturelle à l'université Côte d'Azur pour l'habilitation à diriger les recherches. Est retraitée des métiers de professeur d'éducation physique, puis de maître de conférences à l'université Côte d'Azur dans les départements des sciences et techniques des activités physiques et sportives puis dans le département d'anthropologie à la Maison des Sciences de l'Homme et de la Société. Aujourd'hui chercheuse associée au Laboratoire d'Anthropologie, Psychologie Sociale et Clinique, Sciences Cognitives, membre du comité de rédaction de la revue STAPS et membre de l'OMCNC (observatoire des médecines complémentaires non  conventionnelles), elle participe à différents colloques et enseignements dans des D.U. concernant les transes, la santé intégrative et différentes formations continues comme la formation à

l'hypnose conversationnelle aux personnels hospitaliers, étant aussi hypnothérapeute diplômée de l'Institut Français d'Hypnose. Routine

«  Depuis quelque temps j'ai changé de routine  : on ne ponctue plus le lever par un petit déjeuner avec les rituels de fruits épluchés et de thé fumant, mais je me lève et laisse les choses arriver... j'attends un signe, une raison suffisante, cela vient souvent de la nature autour de ma maison, une branche qui brille et se balance, un oiseau qui s'égosille, une poule qui se lance dans un monologue plein de trilles énergiques, mon chat qui miaule... alors je peux avec eux entrer dans le mouvement de la vie. »

Joëlle Mignot Psychologue, psychothérapeute ARS, sexologue clinicienne spécialiste de l’hypnose clinique. Directrice d’enseignement, Pôle Santé sexuelle, Sexologie et Droits humains. Université Paris Cité. Chaire UNESCO Santé sexuelle et Droits humains. Rédactrice en chef de la revue Sexualités Humaines. Autrice et conférencière. Routine

« Voici une phrase de Anthelme Brillat-Savarin “Convier quelqu’un, c’est se charger de son bonheur tout le temps qu’il est sous votre toit”. N’est-ce pas vrai aussi pour notre rôle de thérapeute ? »

Silvia Morar Neurochirurgien, responsable du Centre de référence Coordonateur C-MAVEM (Chiari et Malformations médullaires Rares) du CHU Bicêtre-APHP (Le Kremlin-Bicêtre). Formée à l’hypnose depuis 2001. Pratique l’hypnose dans la douleur neuropathique. Auteur de nombreux articles et chapitres de livres concernant la neurophysiologie de l’hypnose et de la transe. Il enseigne à la Faculté de Médecine de l’université Paris Saclay.

Benjamin Moutardier Diplômé d’une Licence en Activités Physiques Adaptées et Santé (APAS) et d’un Master recherche, il est actuellement doctorant au sein du Laboratoire sur les Interactions Cognition, Action, Émotion (LICAÉ) en STAPS à l’université de Paris-Nanterre. Son travail de recherche porte sur l’hypnose, l’imagerie mentale et la sensorimotricité. Routine

« Chaque semaine, mes séances de sport m’absorbent… Je fais abstraction de tout ce qui m’entoure et ce n’est qu’après coup que je remarque ma présence réelle dans ce monde que j’ai pourtant perçu en l’espace de quelques instants comme étant différent de d’habitude. »

Mauricio Neubern Docteur en Psychologie et professeur du département de Psychologie Clinique de l'Institut de Psychologie, université de Brasília, Brésil. Post-doctorat à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS, Paris) et à Antioch University, Seattle, États-Unis. Il est coordinateur du groupe CHYS (Complexité, Hypnose et Subjectivité) du Conseil de Développement Technologique et Scientifique (CNPq), ministère de la Science et de la Technologie. Ses recherches sont qualitatives et partent fréquemment des situations cliniques dont les sujets sont l’hypnose comme ressource thérapeutique, la complexité, corps et culture, épistémologie, spiritualité et ethnopsychologie, sémiotique et Design. Hypnothérapeute, il travaille avec des personnes en situation de douleur chronique, dépression, victimes de violences et anxiété, toujours sous l'optique d'intégration avec le monde socio-culturel. Fondateur de l'Institut Milton-Erickson de Brasília (2005), il est aussi formateur et superviseur de thérapeutes. Routine

«  Les promenades avec ma chienne, l’exercice de silence interne, indépendamment de la situation me permettent de vivre les choses de manière simple : une rencontre avec des amis, une bonne journée de travail, une après-midi apparemment perdue ou une causerie avec mes ancêtres sont simplement ce qu’ils sont… sans trop y penser. »

Émile Notte Psychologue clinicien, psychothérapeute, praticien en hypnose clinique & psychothérapie ericksonienne – Centre Hospitalier CHLC Dijon, service Intra et Extra hospitalier. Intervenant au CUMP Bourgogne-Franche-Comté. Chargé d’enseignement pour le D.U. Hypnothérapie, université de Bourgogne et le D.U. Études des transes et des états de conscience modifiés. Routine

«  Chaque fois que l'occasion se présente, sur le chemin du travail, juste avant de plonger dans la grisaille citadine, je prends les chemins de traverses à la rencontre de ce théâtre naturel qui m'entoure, où viennent me saluer biches, lapins, sangliers ou renards, dans un décor renouvelé à chaque saison. »

Pierre de Oliveira Maître de conférences en Psychologie Sociale au laboratoire PsyDREPI de l’université de Bourgogne, Dijon (Laboratoire de Psychologie : Dynamiques Relationnelles et Processus Identitaires). Actuellement coresponsable de l’axe Processus d'Adaptation et de Régulation (PAReg). Il s'intéresse aux approches psychosociales de la transcendance de soi et étudie l’impact des processus métacognitif de décentration (méditation, émerveillement, etc.) sur le fonctionnement psychologique et les conduites sociales. Routine

« Assis en silence le matin. Au moment de me coucher, après quelques respirations profondes, je prends le temps de sentir les textures, les points de contact avec les draps ou le matelas. Je me laisse aller sensoriellement dans le sommeil. »

Emmanuel Pasquier Agrégé et docteur en Philosophie, professeur de philosophie en classes préparatoires aux grandes écoles, à Paris. Chercheur associé au groupe NoSoPhi (Normes, société, philosophie), université de Paris  1 Panthéon-Sorbonne, enseignant à l’université de Paris Ouest-Nanterre. Auteur de Le Cœur et la Machine : Théorie des super-héros (éd. Matériologiques, 2014) et de diverses études en ligne sur les films de super-héros et de science-fiction. Routine

« Promenades semi-aléatoires dans Paris, qui mènent invariablement rue Dante, dans le Quartier latin, chez Album ou Pulp’s Comics, librairies de comic-books américains, dans les rayons colorés, desquelles je laisse mon intuition me guider vers les nouvelles perles de la pop-culture. »

Marion Perrot Psychologue clinicienne au service médico-psychologique régional de Metz (C.H. de Lorquin), hypnothérapeute, docteure en psychologie, membre associée au Laboratoire de Psychopathologie et Processus de Changement (LPPC) de l’université de Paris 8. Routine

« Chaque jour le yoga, dans toute la diversité de ses formes… le flow au travers du rythme du souffle et du mouvement, les vibrations des mantras, la connexion à son corps, la sonorité du sanskrit...un voyage et un éveil à soi et au monde ! »

Alexandre Peyre

Psychologue clinicien au centre hospitalo-universitaire de Bordeaux : Centre d’Addictovigilance (CEIP-A) Aquitaine et départements & régions d’Outre-mer ; filière AdDoc (dépistage, repérage, orientation des adolescents 12-18  ans, reçus aux urgences pédiatriques). Référent au Conseil scientifique de SAOME (Santé Addictions Outre-mer). Secrétaire de la Société psychédélique française. Administrateur du GRECC (Groupe de Recherches et d’Études Cliniques sur les Cannabinoïdes). Routine

« Lors de mes états modifiés de conscience, je consulte ma montre à gousset. »

Thomas Rabeyron Psychologue clinicien, professeur de psychologie clinique et psychopathologie à l’université de Lyon  II (CRPPC) et Honorary Research Fellow à l’université d’Édimbourg, Thomas Rabeyron est également membre junior de l’Institut Universitaire de France. Il a cofondé, en 2009, le Centre d’Information de Recherche et de Consultation sur les Expériences Exceptionnelles (CIRCEE) dont il dirige le service de consultation. Ses recherches portent essentiellement sur la clinique des expériences exceptionnelles, la neuropsychanalyse et l’évaluation des psychothérapies psychanalytiques.

Léo Robiou Du Pont Psychologue clinicien et psychothérapeute en exercice libéral au Centre Interdisciplinaire de Thérapie Intégrative (CITI44 – Rezé). Doctorant-chercheur au Laboratoire Psychopathologie et Processus de Changement (LPPC) à l’université Paris  8. Intervenant au D.U. Étude des transes et des états de conscience modifiés. Formateur à Ipnosia Nantes. Routine

Routine

« Après le déjeuner, en mode avion, je m’assois sur une chaise les yeux fermés et je laisse mon attention divaguer entre mes sensations et mes pensées du moment pendant une dizaine de minutes. »

Astrid Roustang-Jeglot Psychologue clinicienne et psychothérapeute en exercice libéral au sein du cabinet Corps & Âme à Mérignac (33). Influencée par la pensée de son grand-oncle François Roustang, elle inscrit sa pratique dans une approche intégrative centrée sur la relation, le corps et la transe. Elle est formée en psychanalyse par des membres de la S.P.P et du IVe  groupe, en relaxation à inductions variables (méthode Sapir), en thérapie brève systémique (IGB école Palo Alto), en hypnose clinique (D.I.U. Bordeaux et Ipnosia), en cours de certification en Ego State Therapy (ESTI). Elle s’intéresse plus particulièrement au toucher inscrit dans une relation thérapeutique comme voie d’accès à l’archaïque. Routine

«  En groupe ou seule, après une série de postures de yoga Iyengar ou entre deux consultations, je me place en Savasana : pleinement présente à ce que je perçois, et en moi et à ce qui m'entoure. »

Mathieu Ruet Psychologue clinicien et hypnothérapeute en exercice libéral à Tours ainsi qu’en institutions de protection de l’enfance (AEMO et PEAD). Routine

« Le soir venu, lorsque la journée s’achève, des sonorités et des rythmes mélodiques s’échappent de mes enceintes et guident naturellement les mouvements de mon corps. Une danse prend alors forme et à mesure qu’une synchronie se crée, j’imagine,

l’espace de quelques instants, cette danse offerte au monde, comme une profonde gratitude d’être vivant. »

Sébastien Sauge Ingénieur et docteur en physique quantique. Depuis 2015, formateur en permaculture, après avoir été formé par Sadhana Forest en Inde et au Kenya à la création de forêts nourricières à partir de sols morts. Associé depuis 2016 au sein de DOJO, Centre de Recherche en Innovation Économique, ayant développé la théorie et les outils de l'Open Capitalism. Intervenant en MBA sur l'entrepreneuriat et la start-up Science. Pratiquant d’arts martiaux internes (depuis 2014), méditation Vipassana (depuis 2015), transes cognitives (depuis 2016), respiration Wim Hof (depuis 2019), et constellations familiales (depuis 2021). Se forme depuis 2023 à la pratique d’autres états modifiés de conscience (auto-hypnose, rêves lucides, sorties de corps…). Routine

«  Qiqong et respiration Wim Hof le matin, méditation Vipassana le soir, et transe cognitive auto-induite lorsque j’ai besoin d’accéder à d’autres ressources/perceptions afin de mieux appréhender certaines situations complexes. »

Thierry Servillat Psychiatre hypnothérapeute eu Centre Interdisciplinaire de Thérapie Intégrative (CITI) à Rezé (44). Directeur d’Ipnosia Nantes et formateur. Secrétaire des Instituts Milton H. Erickson de Rezé et de Paris. Rédacteur en chef de la Revue de l’Hypnose et de la Santé. Chargé d’enseignement aux D.U. et D.I.U. d’hypnose d’Angers, Brest et Nantes. Essaie d’étudier la révolution que Milton Erickson a permise dans la pratique de l’hypnose thérapeutique et, en lien avec des collègues et des amis, de la préserver et l'approfondir en restant

ouvert aux autres conceptions créatives. Milite pour une vision unitaire et différenciée de l’hypnose thérapeutique. Routine

« J’essaie de ne pas être en transe lorsqu’il ne le faut pas. D’où le besoin de routines pour me réassocier, mais le moins possible pour continuer à être engendré et vivant. Me réveiller en regardant le ciel et les arbres par la fenêtre en remerciant la Vie. Commencer ma journée par la lecture d’Ouest France et d’au moins quelques lignes de littérature. »

Franck Sinimalé Franck Sinimalé conjugue des pratiques telles que le professionnel, l’accompagnement par le toucher, la kototama (sons vocalisés en rythme), l’hypnose clinique, par la voix (approche psychocorporelle). Site francksinimale.fr

coaching pratique le travail Web  :

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«  Plus souvent le soir, méditation centrée sur (regard intérieur tourné vers) la sensation d’être, une sensation perceptible dans mon corps (pas une représentation, mais bien une sensation physique). Ensuite, le mouvement (du regard intérieur, de mon attention) consiste à “aller vers” cette sensation d’être, toujours plus profondément, toujours plus à l’intérieur du cœur de cette sensation d’être… »

Joanna Smith Psychologue clinicienne, psychothérapeute en exercice libéral, formatrice agréée en Lifespan Integration auprès de l’Institut Double Hélice, chargée d’enseignement à l’Université, titulaire du D.U. L’attachement et auteure d’une quinzaine d’ouvrages de psychologie légale, victimologie, attachement et sur le Lifespan Integration (Editions Dunod), notamment Psychothérapie de la dissociation et du trauma et Le Grand Livre des 1 000 premiers jours de vie. Routine

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« Elles sont variées. Méditation de pleine conscience, temps de cohérence cardiaque, yoga ou champ de fleurs et, ma routine préférée, les temps d’écriture en regardant la nature ou au coin du feu. »

Serena Tallarico Anthropologue médicale, psychologue chercheuse et formatrice au sein de l'Orspere-Samdarra, observatoire national sur la santé mentale et les vulnérabilités sociales. ATER en psychologie clinique université de Paris  8, docteure en psychologie avec une spécialisation en ethnopsychiatrie, elle a rédigé la thèse suivante  : «  Quand les esprits troublent les esprits  : patients et cliniciens à la rencontre du monde invisible  ». Née en Italie dans un centre bouddhiste tibétain, d’un père psychanalyste jungien et d’une mère mathématicienne, depuis toujours elle a vécu aux croisements des mondes visibles et invisibles, sacrés et profanes, scientifiques et humains. Chercheuse passionnée par l’entre-deux, les espaces liminaires, les traversées des frontières réelles et symboliques, dans son travail elle s'intéresse aux processus de guérison qui passent à travers une quête de sens et une négociation narrative qui interrogent l'ici et l'ailleurs, le temps présent et le temps passé, l'individu et le groupe et tous les êtres qui en font partie. Routine

«  Chaque matin au réveil, dans un état de semi-conscience entre la veille et le sommeil, les questions suivantes s’imposent à moi  : Qui suis-je  ? D'où je viens  ? Pourquoi suis-je tombée une nouvelle fois sur cette terre  ? Fort heureusement, il existe le café. »

Audrey Vanhaudenhuyse Neuropsychologue et PhD en Sciences Médicales. Chercheuse au sein du Centre Interdisciplinaire d’Algologie du CHU de Liège.

Directrice du Sensation & Perception Research Group, unité de recherche du GIGA Consciousness de l’université de Liège. Audrey est également professeure associée à l'université Libre de Bruxelles, à l'université de Lille, à l'université Paris-Sarclay et à l’université Paris  8. Elle s'intéresse aux processus sous-jacents aux états de conscience non  ordinaires, ainsi qu'à leur intérêt clinique pour améliorer le bien-être global des patients. Routine

«  Mon réveil sonne, rounds de 30 respirations suivies d'apnées de +/- 2 minutes, fenêtre ouverte pour être bercée par le chant des oiseaux. Ce moment est le temps de contemplation du corps qui s'éveille. Suivi de 10 minutes de renforcement musculaire, puis de la saveur d’une douche chaude qui se termine par 1 à 2 minutes de douche froide. Je profite du silence et du monde qui s'éveille en moi. »

Introduction

Qui n’a pas rêvé de faire un vol avec l’astronaute Thomas Pesquet ? C’est la chance que j’ai eue il y a quelques années, après avoir remporté un appel à candidature de l’Observatoire de l’Espace (Centre National d’Études Spatiales – CNES, la « NASA française ») dans le cadre d’un projet scientifique. L’étude portait sur la conscience de soi en impesenteur, avec une méthodologie utilisant la transe hypnotique. J’ai donc volé avec d’autres scientifiques –  chacun menant sa recherche – à bord de l’avion Zéro G du CNES. Le principe est que les pilotes (dont Thomas Pesquet pour ce vol) amènent l’avion en altitude suffisante (montée à presque 2G), et pique du nez pour créer un temps d’impesenteur (OG). La manœuvre est répétée plus de trente fois, sur près de trois heures de vol, enchaînant donc les paraboles avec quelques pauses. À moins d’être un passionné des attractions à sensations endiablées (ce qui n’est pas mon cas), cela n’est ni drôle, ni simple  ! L’impesanteur est un contexte de vol auquel le corps n’est pas habitué, et où la conscience corporelle est vraiment mise à mal. J’ai mené l’étude à son terme avant la fin du vol1 et il restait encore une dizaine de paraboles à vivre. Je me suis donc dit que j’allais

simplement laisser aller la transe sur la période qui restait, simplement pour profiter autrement, et de façon plus « récréative ». Sans que je sache très bien comment cela est apparu ni en combien de temps, je suis entré dans un état de transe très profond  : je n’avais plus conscience de mon corps, ni aucune réflexion. J’étais devenu l’espace autour de moi, l’espace défini par la carlingue de l’avion, l’avion lui-même. Je ne percevais plus que ceux que j’appelais «  les hommes en orange  » (les personnes chargées de notre sécurité à bord, en combinaison orange) et pour le reste, un grand sentiment d’expansion sans que je puisse vraiment en dire davantage. Je continuais à percevoir sans entendre les indications dans les enceintes de vol (qui rythmaient les montées et descentes) mais le chiffre «  28  » rappelle ma conscience de façon un peu formelle. Une pensée émerge «  il te reste trois paraboles pour revenir » et je ramène ma conscience dans mon corps, je perçois à présent bien les alentours. Lors des conférences que je donne sur ma recherche, je suis surpris du nombre de personnes qui viennent me voir à la fin pour me parler de leurs expériences de mort imminente et me dire qu’elles étaient troublées de voir à quel point ce que je décrivais était proche de leur propre vécu ; alors que pour ma part je n’ai pas du tout eu l’impression de vivre une EMI. Lors d’un rendu de recherche au sein de mon laboratoire universitaire, une doctorante me pose la question : « Depuis que tu as fait cette expérience, qu’est-ce qui a changé pour toi ? » Du tac au tac, je lui réponds : « Depuis, je n’ai plus peur de la mort ; toute angoisse de mort m’a quitté. » Je suis surpris par ma réponse, que je ne vois pas arriver, car je ne m’étais jamais dit cela, et je ne l’avais même jamais perçu réellement. Ce trouble existentiel qui m’étreignait parfois au point de développer des stratégies pour le contourner n’était plus du tout présent. Il s’était dissous dans cette expérience, ou cette expérience l’avait transformé, au choix. Bien sûr, praticien en hypnose depuis près de vingt ans à l’époque, ayant commencé timidement la méditation, ayant aussi parcouru d’autres expériences de vie, différentes transes ne m’étaient pas inconnues. Mais aucune n’avait été aussi intense, mobilisante, aucune ne

m’avait fait voyager ainsi, clandestinement, aux confins de moimême. C’était encore autre chose. Sans doute alors qu’une dimension nouvelle de la transe venait de se manifester qui m’a donné l’envie et l’énergie de m’investir encore plus dans cette aventure, dont l’une des étapes est cet ouvrage. La science est ce qui définit un doute avec certitude  ; les scientifiques ne cessent de douter… du mieux qu’ils le peuvent. Je passe ma vie à reformuler les questions au plus juste de ce que j’observe et apprends. Lorsque quelques réponses apparaissent, alors c’est l’occasion de nouveaux doutes excitants, de nouvelles questions à savoir formuler. La curiosité est une vraie énergie dans ce métier. J’ai cette chance d’être dans une science avec application : en tant que psychologue, les patients que je rencontre m’apprennent mon métier de thérapeute en même temps que j’applique avec eux les voies que la recherche explore, pour les aider du mieux que je peux. Ce qui est donc proposé dans cet ouvrage est une sorte de point d’étape sur la façon dont nous pouvons approcher et comprendre les phénomènes de transe actuellement, et que ces connaissances puissent aussi vous aider à avancer dans votre métier quel qu’il soit, et peut-être aussi dans votre existence. La science est pour moi une autre façon d’entrer dans ces questions, comme l’expérience. Deux portes, deux angles portés sur des mêmes phénomènes, mais qui sont indissociables l’une de l’autre. Cet ouvrage a aussi été construit grâce à une équipe, un socle, celle de l’équipe pédagogique du D.U. «  Étude des transes et des états de conscience modifiés  » (université de Paris VIII) que j’ai ouvert en 2021 avec le soutien de ma collègue et amie la professeure Marie-Carmen Castillo dont la confiance a été précieuse, car ouvrir un tel enseignement a nécessité de déjouer quelques obstacles que je tairai ici  ! Corine Sombrun a également accéléré le développement de cet enseignement en lui faisant une publicité importante dans son ouvrage La diagonale de la Joie  ; je l’en remercie  ! Sa méthode pleine de promesses, la transe cognitive auto-induite, est évidemment citée dans ces pages.

Quatre mouvements composent le livre. Le premier présente le concept d’état de conscience modifié (ECM), qui est loin d’être simple à définir, et aussi de l’une de ses modalités  : les phénomènes de transe. Dans cet ouvrage, comme vous le verrez, nous distinguons les deux et situons les transes comme une sous-partie des ECM. La distinction sera expliquée, mais dévoilons déjà que la principale raison est que c’est dans les transes que va s’exprimer de façon flamboyante la dimension thérapeutique qui accompagne ces phénomènes. C’est dans les transes que semblent bien se loger les processus de changement. Le second mouvement présente des principes, savoirs, processus, mis au jour, pour comprendre les phénomènes concernés. Ces derniers sont illustrés dans la diversité de leur expression dans une troisième partie avant d’arriver sur des pratiques utilisant des transes, dont la visée est la thérapeutique. Autrement dit, comment notre «  manière d’être  » occidentale applique les transes dans ce secteur, ce qu’elle en fait, et d’une certaine façon, quelle manière de vivre et d’être en santé elle tisse pour nous, demain. Mais quelle est cette personne en transe dont nous allons tant parler au fil des pages  ? Eh bien il s’agit d’une personne qui connaît un moment de confusion, de dérèglement des sens, induit par une manœuvre, une stratégie ou un rituel. Cela va amener cette personne dans un espace-temps comme suspendu, des premiers mouvements automatiques vont apparaître, installant un sentiment d’étrangeté à soi. Quelques hallucinations subtiles peut-être, un sentiment de dépersonnalisation sans doute, même discret, voire confortable ou excitant. Des glossolalies, comme des syllabes d’une langue étrangère ou peut-être même un chant, peuvent accompagner la façon dont le corps semble agité d’un souffle différent, que la personne vit autant qu’elle l’observe. Le suivre  ? Pourquoi pas… Saisir un objet et se rendre compte que la force et l’endurance sont provisoirement modulées, elles aussi, souvent dans le sens d’un accroissement. Et dans cet espace-temps suspendu, des contenus peuvent être là, des présences, des signes, des couleurs voire des formes, des ressentis, peut-être même des

émotions qui arrivent comme en désordre. Parfois peu, parfois très bousculantes. Si cette personne est accompagnée, elle pourra sentir la présence de son guide auprès d’elle, qui assure sa sécurité, peutêtre lui touche la main pour que sa présence soit tangible. Mais dans quelle réalité cette guidance se déroule-t-elle ? Car cette dynamique amène plus loin, plus fort, plus au-delà… un au-delà de la conscience et des mondes… Transcendance… ou un au-delà de son «  trop juste  » soi, un ré-enracinement, une ouverture interne comme un espace dans l’espace premier… une immanence… Et puis c’est la petite musique du retour, des notes comme des variations énigmatiques d’une partition bien orchestrée ou d’une autorisation à improviser… dans un cadre et des implicites que la répétition de ce phénomène amène à connaître et à intégrer. Cette personne à l’issue de cela n’est déjà plus tout à fait la même… Et peut-être déjà un peu vous ? Antoine Bioy

« La imaginación no puede competir con la realidad2 » Adolfo Bioy Casares, 1986.

Notes 1. Publications scientifiques en cours de soumission. 2. « L'imagination ne peut rivaliser avec la réalité  » (TDA) – «  El camino de Indias  », Historias desaforadas. Buenos Aires, Emecé Editores S. A., 1986, p.  187 (merci à Elena Genau pour la référence précise).

Partie 1 Cadre des transes

Chapitre 1 L’épineuse question des termes

Antoine Bioy Disons-le d’emblée : aucun terme n’est idéal pour qualifier un phénomène complexe. Chaque nomination présente des avantages en mettant en lumière certaines dimensions, mais semble passer sous silence d’autres aspects. Pourtant, il faut bien nommer ; « ce qui a un nom existe », dit un proverbe basque. Si on souhaite étudier scientifiquement, se former en pratique, comprendre intellectuellement, définir un cadre pour ressentir sensoriellement les phénomènes dont il sera question ici, il faut nommer pour que cela existe d’une certaine façon. Nous n’allons donc pas élire le terme le plus adapté dans l’absolu, mais visiter différents termes possibles pour justifier celui qui nous semble le plus adéquat pour évoquer les thèmes qui sont développés dans cet ouvrage.

De quoi est-il question ? Essayons d’abord de décrire ce dont il est question dans cet ouvrage… sans étiqueter. Il s’agit de phénomènes vécus, durant un temps défini, qui peuvent être décrits par le sujet lui-même, et parfois par une personne de l’entourage (signes observables et/ou mesurables). Cette description de ce qui a été vécu peut se faire pendant ou après le temps où le phénomène s’est déroulé. Le fait que la personne puisse dire quelque chose de ce qui a été vécu, ou puisse apprendre quelque chose à partir de ce qui a été vécu, donne à ce phénomène le statut d’expérience singulière (même si les conditions du phénomène sont groupales). Cet apprentissage, qui

peut devenir une forme de connaissance, peut se faire par les sens et aussi par le raisonnement et l’intelligence (autrement dit, les ressources adaptatives à une situation). Déjà, il y aurait matière à discussion dans cette caractérisation  ! Mais elle nous semble épouser la quasi-exhaustivité (restons prudents) de ce dont il sera question ici. Passons maintenant à la nomination. Le terme qui revient le plus communément est celui d’«  état  » auquel on adjoint quelque chose : « état de conscience modifié »1, « état non ordinaire de conscience  », «  état alternatif de la conscience  », «  état de conscience élargit  »,  etc. Certes, la notion de conscience est complexe du fait même qu’elle inclut d’emblée deux dimensions  : celle des processus neurocognitifs (traitement de l’information, etc.) et celle de l’expérience (la conscience est le fait d’être conscient de quelque chose). Et ces deux dimensions sont ici fusionnées l’une à l’autre alors qu’elles relèvent de niveaux différents, même si les neurosciences tentent de combler le fossé entre les deux comme cela sera évoqué plus tard dans l’ouvrage. La notion d’«  état de conscience » est déjà un premier pas de côté, puisqu’il ne s’agit pas ici de définir la conscience mais de prendre à un moment  t la manière dont une personne est, et ensuite de pouvoir qualifier cela (pensées, émotions, comportement, vécu subjectif) et de considérer ensuite comment cette façon d’être à un moment t a évolué à t + 1 (un moment suivant) sous l’effet d’un élément de contexte, d’une pratique particulière,  etc. Autrement dit, à un instant la personne peut se caractériser comme étant dans un état  x puis, quelques secondes ou minutes après, elle peut caractériser un état qui peut être le même (donc il ne s’est pas modifié) ou avoir changé de façon notable pour devenir une façon d’être y. Notez que dans cet exemple, il s’agit de la personne elle-même qui caractérise son état. Même si des mesures sont parfois possibles (neurophysiologiques, notamment), c’est avant tout la personne qui reste la meilleure juge pour savoir si son état d’être s’est modifié ou non de son point de vue / selon son ressenti. Et cela est un point essentiel  : c’est toujours un être vivant qui éprouve, qui fait l’expérience de ces variations, et éventuellement peut en exprimer

quelque chose2. Ce fait sous-entend que, au final, la conscience et ses états sont en fait une série d’événements dynamiques perçus selon des modalités mouvantes d’un contexte à l’autre (Vion-Dury et  al., 2021), mais où in fine c’est bien l’expérientiel qui va primer. Cette perspective n’est pas nouvelle, car le père de la psychologie américaine, William James, l’avait déjà ressentie et proposée. Il s’agirait presque d’«  états mentaux expérientiels  »  ; l’expérientiel englobant le sensoriel et le terme « état » est à entendre comme une entité mouvante, un espace dynamique dont les limites sont identifiables, mais dont les contenus s’entendent comme un mouvement. Par exemple, si une personne est en état de dissociation hypnotique, elle connaîtra dans ce temps-là nombre de contenus internes et de vécus sensoriels différents.

Apports de Ludwig et développements Pour décrire ces phénomènes, Arnold Ludwig propose en 1966 une définition qui fait autorité : «  Tout(s) état(s) mental(aux), induit(s) par diverses manœuvres ou agents physiologiques, psychologiques ou pharmacologiques, qui peut(vent) être reconnu(s) subjectivement par l’individu lui-même (ou par un observateur objectif de l’individu) comme représentant une déviation suffisante de l’expérience subjective du fonctionnement psychologique par rapport à certaines normes générales pour cet individu pendant une conscience éveillée et alerte. »

Pour cet auteur, il y a cinq façons d’induire cela (intentionnellement ou non) : ● réduction des stimulations extéroceptives et/ou de l’activité motrice ; ● augmentation des stimulations extéroceptives et/ou de l’activité motrice et/ou des émotions ; ● augmentation de la vigilance ou de l’implication mentale ; ● diminution de la vigilance ou relâchement des facultés critiques ; ● présence de facteurs somato-psychologiques. Il peut s’agir de choses «  simples  » comme la déshydratation, ou plus complexes comme un dérèglement thyroïdien, voire de

pathologies constituées comme la narcolepsie. Il peut aussi s’agir d’éléments ingérés comme des drogues ou d’un aliment toxique. Pour Ludwig, dix dimensions permettent de caractériser ces états non ordinaires de conscience : ● ● ● ● ● ● ● ● ● ●

modifications de la pensée ; perturbation de la perception du temps ; perte de contrôle ; changement dans l’expression des émotions ; changement de l’image corporelle ; déformations de la perception ; changement de sens ou de signification ; sens de l’ineffable ; sentiment de modification en âge ; hypersuggestibilité.

Peu ou prou, ces dimensions sont reconnues comme la base phénoménologique qui permet d’approcher les vécus dans les états de conscience modifiés.

Le fait que Ludwig cite la narcolepsie ou d’autres troubles neurologiques comme entrant dans la définition qu’il a forgée permet d’aborder ici une importante donnée culturelle. Les auteurs anglosaxons ne font pas la distinction entre «  états de conscience modifiés  » et «  états altérés de la conscience  ». Ils parlent d’états altérés pour l’ensemble du spectre de ces phénomènes. Dans les pays francophones, on a tendance à distinguer les deux. Le terme d’«  état altéré de la conscience » sera réservé aux situations où la conscience est affectée gravement, une situation de coma par exemple ou un Alzheimer stade  7. Autrement dit, lorsqu’on est indubitablement du côté de la pathologie caractérisée. Le terme d’«  état de conscience modifié  » est davantage utilisé dans les situations telles que définies par Ludwig, hors atteinte grave et prolongée, une expérience de mort imminente par exemple, ou un état confusionnel léger. Cela ne veut pas dire que ces états ne peuvent pas devenir pathologiques, mais en tout cas ils ne le sont pas d’emblée. En fait, on considère généralement que les systèmes psychologiques qui sous-tendent à la fois les processus hors ECM et

les ECM peuvent présenter des variations mais restent globalement les mêmes (Tart, 1975)… sauf évidemment lorsqu’il existe le niveau de gravité d’altération que nous évoquions. Ce qui va dans le sens de la distinction qui est faite dans la culture francophone. Pour finir avec des distinctions de termes, notons que Zinberg (1977) a proposé le terme « états de conscience alternatifs » car le mot « altéré » suggère que ces états représentent une déviation de la façon dont la conscience «  devrait être  », alors que le mot « alternatif » « indique clairement que différents états de conscience prévalent à différents moments pour différentes raisons et qu’aucun état n’est considéré comme standard ». Mais ce terme n’a jamais été réellement adopté. Disons enfin qu’un terme semble émerger de façon importante, et nous en userons aussi dans cet ouvrage. Il s’agit du terme d’«  état non ordinaire de conscience  ». Il donne évidemment une allure encore plus prononcée à la notion de subjectivité (ce qui est ordinaire pour une personne ne l’est pas forcément pour l’autre).

Évolution des classifications des phénomènes Peut-être que tout était déjà dans Phèdre… où Platon postule quatre types de « mania », que l’on peut assimiler à des états affectant les humains et d’inspiration divine. Ces mania étaient des formes de folies transitoires, sans fièvre (contrairement aux phrénitis), caractérisée par des modifications dans l’expression de la personnalité, une sorte de perte de contrôle de soi (mouvements, pensées, ressentis) et aussi parfois des vécus extatiques. Elle peut être une expression maladive ou bien créative. L’anthropologue et historienne, grande spécialiste des expériences de conscience modifiée dans l’Antiquité, Yulia Ustinova (2018) définit clairement la mania grecque comme une déviation d’un état de conscience ordinaire, inscrite dans un continuum allant des plus faibles altérations de la lucidité à la folie clinique. Chez Platon, ces mania peuvent être3 :

● ● ● ●

prophétiques (en référence à Apollon  ; la capacité de voir l’avenir) ; poétiques (en référence aux Muses  ; fournissant l’inspiration pour la création artistique) ; initiatiques (en référence à Dionysos, pertinentes pour les rituels spirituels) ; et érotiques (en référence à Éros, centrées sur l’amour transcendant). C’est pour Platon la plus belle des mania et celle qui doit mener le philosophe à s’élancer vers l’intelligible.

Avec l’ère chrétienne, les classifications se sont polarisées dans la culture occidentale sur l’expression divine ou celle du «  Malin  ». Il faudra attendre le siècle des Lumières et le magnétisme animal («  mesmérisme  ») pour qu’une classification des phénomènes non ordinaires de conscience soit tentée, en lien d’ailleurs avec la profondeur des états de transe dans les manifestations magnétiques, somnambuliques et hypnotiques (Bioy et Goldschmidt, 2022). Par exemple, le marquis de Puységur (1751-1825) décrit un état où les sujets semblent endormis mais restent capables de parler et d’agir : le somnambulisme artificiel. Dans cet état assez unitaire, les sujets magnétisés sont doués de lucidité, ce qui leur permet de diagnostiquer les maladies, d’en connaître la durée et d’en prescrire les traitements. On pouvait ainsi hiérarchiser la profondeur de l’état somnambulique en fonction de l’étendue de cette capacité. On retrouve chez Auguste Liebault et Hippolyte Bernheim qu’à chaque profondeur de transe correspond une ou des nouvelles aptitudes. James Braid propose quant à lui de voir l’hypnose comme un continuum allant de la rêverie au coma profond et distinguera trois niveaux  : mono-idéo-dynamique (état de veille avec absorption de l’attention), hypnotisme et coma hypnotique. Les disciples de Charcot proposent aussi trois états  : cataleptique, léthargique et somnambulique. Janet ajoute un quatrième niveau : l’état suggestif, la suggestion étant pour lui « l’influence d’un homme sur un autre qui s’exerce sans l’intermédiaire du consentement volontaire  ». En fait, le temps avançant, les classifications se font de plus en plus subtiles, précises… et longues ! En tout cas toutes vont intégrer qu’il

est possible de relever et mesurer les phénomènes non ordinaires de conscience, que l’on peut même faire une sorte de travail entomologique de classification, autrement dit qu’il existe bien des critères qui se retrouvent peu ou prou dans les différents états dont il est question. L’ensemble de ces phénomènes est certes complexe à définir (car éminemment en lien avec la subjectivité d’un ressenti et d’un vécu) mais possède une certaine cohérence interne. À ce point d’ailleurs que des auteurs comme Ellenberger (1970), Carroy (1991) ou encore Meheust (1999) nous rappellent que c’est à partir de l’étude de ces phénomènes cohérents qui disent quelque chose de la nature humaine, dans ce terreau autour des états de conscience modifiés, que sont nées la psychologie clinique, la psychopathologie et donc aussi la psychothérapie. Ainsi, aux États-Unis, Myers et James apprennent de ces phénomènes et en débusquent les premiers processus. En France, c’est notamment Janet qui a eu une place importante dans la manière d’approcher ces questions de conscience et leurs mouvances. Ludwig, Theodore Tart et, plus proche de nous, Cardeña vont être des acteurs majeurs dans le travail de singularité des phénomènes associés aux états de conscience modifiés. La trajectoire de Frederic William Henry Myers

« Dans une promenade sous le ciel étoilé que je n’oublierai jamais, je lui4 demandai presque en tremblant s’il pensait qu’après la faillite de la tradition, de l’intuition et de la métaphysique à résoudre l’énigme de l’univers, il y avait encore une chance pour que l’étude de certains phénomènes observables actuels –  revenants, esprits, n’importe quoi – pût nous fournir quelque connaissance valable relativement au monde invisible. Sidgwick me parut avoir déjà songé à cette possibilité, et avec une assurance exempte pourtant de tout emballement, il m’indiqua quelques dernières raisons d’espérer. De ce jour-là date ma résolution de me livrer à cette recherche.  » Myers avait alors 29 ans ; son envie de croire en fit un savant et un penseur. Son ouvrage central est Human Personality and ils survival from bodily death (édité à titre posthume). En substance, pour Myers, le moi conscient n’est qu’une partie de notre âme. Il faut y adjoindre le moi subliminal qui englobe à la fois des capacités primitives (comme la capacité de croissance) et aussi supérieures (comme les phénomènes de lucidité). Des échanges constants ont lieu entre ces deux moi, dont l’expression peut avoir lieu dans les rêves, les états fiévreux, les hallucinations, etc. Il est possible de vitaliser le moi subliminal, comme avec l’hypnose, ou dans certains états naturels et constitutifs, comme cela serait le cas chez les génies. Même si ses démonstrations

peuvent paraître de nos jours dépassées (du fait des acquis dans le domaine de la psychologie, de la neurologie…) ses hypothèses continuent pour autant à être inspirantes et sa trajectoire de pensée dessine toute une philosophie de l’humain incluant des dimensions malaisées pour beaucoup (télépathie…) que Myers apporte comme des faits nobles et qu’il serait étrange de vouloir ignorer.

Certaines personnes ont essayé de dresser des classifications des ECM et transes, parfois de façon très spécifique comme Walsh à partir du chamanisme (1990), Vaitl et  al. de façon plus globale (2005), ou encore Hobson (2008) avec une approche très neurobiologique. Ce dernier précise de façon claire les composantes de la conscience (et donc sur quoi peuvent porter les modulations) : ● Perception : représentation des données d’entrée ● Attention : sélection des données d’entrée ● Mémoire : récupération des représentations stockées ● Orientation : représentation du temps, du lieu et de la personne ● Pensée : réflexion sur les représentations ● Narratif : symbolisation linguistique des représentations ● Instinct : propensions innées à l’action ● Intention : représentations des objectifs ● Volition : décisions d’agir Revenons sur Vaitl et al., qui proposent la classification considérée comme étant l’une des plus abouties dans le champ des ECM : ● celles qui sont spontanées : états de somnolence, rêverie, états hypnagogiques, sommeil et rêve, expériences de mort imminente  : conditions environnementales extrêmes (pression, température), famine et régime alimentaire contraint comme le jeûne, activité sexuelle et orgasme, manœuvres respiratoires ; ● celles induites physiquement  : déprivation sensorielle, homogénéisation et surcharge sensorielles ; ● celles induites psychologiquement  : états induits par le rythme (tambour et danse), relaxation, méditation, hypnose, biofeedback… ● celles pathologiques : troubles psychotiques, épilepsie, coma et état végétatif ;



celles pharmacologiques : états induits pharmacologiquement.

Si cette classification est intéressante, on voit aussi combien il est bien compliqué d’être exhaustif (il manque par exemple les expériences spirituelles, le dialogue conscient, les arts martiaux, les moments intuitifs, etc.). Par ailleurs, cette équipe de recherche butte contre une limitation importante  : elle a tendance à confondre les processus d’induction avec les phénomènes eux-mêmes (par exemple, le rythme est un inducteur et pas un état de conscience modifié à part entière). Finalement, on pourrait dire qu’une voie féconde pour construire une classification la plus juste possible serait certainement de croiser l’approche phénoménologique avec le fonctionnement neurophysiologique (Timmermann et  al., 2023) «  à égalité de traitement  »  ; c’est-à-dire considérant que chaque apport est essentiel et non que l’approche neuroscientifique est celle qui fonderait à elle seule la scientificité des faits dont il est question. Puis d’intégrer des facteurs qui moduleraient les phénomènes décrits, comme les facteurs psychologiques individuels (les études portant sur l’hypnose montrent la nécessité de ce point), les aspects relationnels influençant les phénomènes dès l’induction, les contextes culturels (en lien aussi avec la question du normal et du pathologique), les phénomènes de transition (Tart, 1975 ; Tornatore, 2023), la constitution neuro-physio-biologique de la personne,  etc. La répétition et l’expérience sont aussi de puissants modulateurs, du moins dans notre culture. Le psychiatre Erickson envisageait l’hypnose avec ses patients de façon presque éducative : c’est dans la répétition que le changement s’inscrit et que quelque chose se transmet auprès d’un maître. Ce modèle « pédagogique » n’a pas de sens dans la plupart des cultures premières, dont le chamanisme. Mais y compris pour les tenants d’une autre culture, la répétition de l’expérience permet des acquisitions individuelles plus simples, une certaine souplesse de pratique, et une agentivité accrue. Les chemins divergent, mais les routes semblent posséder des étapes proches voire similaires.

Pour finir, faisons-nous l’écho de la proposition de Dumas et  al. (2017) qui distinguent quatre dimensions sur lesquelles peut porter la modification d’un état de conscience : ● le contenu (de la conscience)  : cela correspond à ce que l’expérience représente. Une modification signe une expérience de type hallucination ; ● le caractère qualitatif  : le contenu subjectif et immédiat en lien avec une expérience ; la conscience phénoménale ; ● le mode (ou la modalité) : la manière dont le sujet est en relation à son contenu de conscience (par exemple un dispositif de réalité virtuelle peut faire varier la façon dont le sujet perçoit ce qui est réel ou irréel)  ; c’est ici que se situerait par exemple la notion de dissociation comme modalité de lien au réel ; ● le niveau (de conscience ou de vigilance)  : une modification peut concerner par exemple une donnée en lien avec un souvenir, sans altération du contenu (sans hallucination). Ces quatre dimensions sont intéressantes à considérer précisément car chacune peut être le lieu de ce que nous appelons de nos vœux  : un croisement de l’approche phénoménologique avec le fonctionnement neurophysiologique « à égalité de traitement ».

Et enfin… une définition des transes La transe était auparavant une thématique « cantonnée » au champ culturel (transes chamaniques, tarentisme italien…), avant de devenir un objet d’étude en psychologie, neuropsychologie, et aussi dans le champ des sciences médicales5 (Gosseries et  al., 2020). D’où vient cette notion ? Il s’agit d’un terme très lié à notre culture, et qui a servi initialement à désigner des comportements d’autres peuples dont on ne comprenait pas les rites culturels (ni parfois leur langue) ni leur impact. Avant de «  plonger  » dans leur culture, le terme a donc désigné des manifestations incompréhensibles et « bizarres » pour les peuples colons (agitations, propos incohérents, convulsions, hallucinations,  etc.), avant qu’on se rende compte

combien ces phénomènes étaient structurés, codifiés, porteurs d’une symbolique et donc d’une culture donnée. Le terme « transe » était donc initialement un terme très large, et comme nous l’avons dit très en lien avec la façon dont la culture de l’autre n’était pas encore considérée, comprise de l’intérieur. Avec le temps, la bonne posture anthropologique et les connaissances scientifiques, ce terme «  transe  » s’est précisé et il existe même des signes cliniques qui permettent de définir ce qui est de la transe et ce qui n’en est pas. Définition de la transe

La transe est forcément un état de conscience qui se trouve provisoirement modifié par un élément de contexte qui s’impose à une personne, et qui vient modifier soudainement la perception que cette personne a de la réalité. Cette modification est perçue par le sujet comme inhabituelle en nature et/ou intensité. Elle peut être le fait : ● d’un événement particulier inattendu (comme la survenue d’un incident) ; ● ou d’un événement anticipé et ritualisé (comme une rencontre thérapeutique impliquant une pratique telle que l’hypnose). Mais ce n’est pas tout. La transe est une sous-catégorie des ECM : la transe est un état non ordinaire de conscience qui inclut un élément de brusquerie. Autrement dit, un événement qui fait perdre les points de repère habituels du sujet en bousculant ses sens (sa façon de percevoir la réalité), le plongeant dans un ressenti inhabituel, atypique, et transitoire. Cet événement peut être soudain ou anticipé, unique ou répété, relever de circonstances normales ou pathologiques. Dans tous les cas, c’est le sujet lui-même qui peut décrire l’état de transe dans lequel il est plongé.

Comme le rappelle infra l’anthropologue Sébastien Baud, pas de transe sans saisissement (ce que nous nommons dans la définition une «  brusquerie  »), c’est-à-dire sans que quelque chose vienne nous saisir de la réalité telle que nous la percevons pour nous amener dans une perception autre de cette même réalité. Ce « saisissement », cette brusquerie, n’est ni progressive, ni anodine. Elle déloge «  comme un coup d’épaule  » de l’équilibre au réel que nous vivons à un instant précis. Si on fait appel à l’étymologie, on retrouve ces facettes que l’on peut associer à la notion de transe : le passage et aussi ce qui heurte possiblement jusqu’à la mort : « être transi de froid  » par exemple (Lapassade, 1990). Précisons que –  sauf s’il existe une mise en danger via le contexte par exemple – on

ne meurt pas d’une transe  ! Mais la brusquerie peut aller jusqu’à vivre des expériences aux confins de la mort pour la dépasser, parfois par instinct de survie, parfois par nécessité. Cela se retrouve dans nombre de processus pour être reconnu chamane, mais aussi dans le parcours de nombre de guérisseurs (Ah-Pet Sakellarides, 2019). Rares sont les guérisseurs «  sérieux  » qui n’ont pas une histoire cabossée et précisément aux limites de l’anéantissement physique et/ou psychique. La notion de frayeur prend une place importante dans ces manifestations spécifiques (Brandibas, 2003). La plus belle description de ce qu’est la transe (ici artistique) est sans doute donnée par Arthur Rimbaud, dans sa lettre à Isambard : « Je veux être poète, et je travaille à me rendre voyant : vous ne comprendrez pas du tout, et je ne saurais presque vous expliquer. Il s’agit d’arriver à l’inconnu par le dérèglement de tous les sens. Les souffrances sont énormes, mais il faut être fort, être né poète, et je me suis reconnu poète. Ce n’est pas du tout ma faute. C’est faux de dire : Je pense ; on devrait dire : on me pense. Je est un autre. » (Rimbaud, 1874.)

Y compris lorsque le terme de transe s’est spécifié dans le cadre des pratiques occidentales, il a connu une évolution notable. En fait, il a été originellement associé à l’hypnose qui est notre manière occidentale de manier les états de conscience modifiés à visée thérapeutique. Ceci explique que de très nombreuses études pour comprendre les phénomènes d’ECM et de transes sont passées par l’étude de l’hypnose, avant de s’ouvrir à d’autres pratiques. Et c’est aussi la raison pour laquelle l’hypnose sera si présente dans les pages de cet ouvrage consacré aux ECM dont les transes : elle est notre façon d’entrer scientifiquement dans la compréhension des phénomènes à l’œuvre. Comme nous le disions, Il était courant au xxe  siècle de parler de « transe hypnotique », voire d’employer le mot « transe » seul pour désigner l’hypnose. On retrouve cela notamment chez le psychiatre Milton Erickson, qui a renouvelé la pratique hypnotique. La conception de ce dernier était plutôt de refuser le terme « état » pour comprendre l’hypnose comme une sorte de mouvement, une danse entre conscient et inconscient, le moment de la transe étant surtout

associé à l’expression de l’esprit inconscient. Depuis, les connaissances se sont précisées et surtout on reconnaît différentes formes de transe (en lien avec des indicateurs différents, des contextes variables et parfois très codifies, etc.). Mais on peut retenir de cet apport ericksonien le fait que finalement la compétence ou le potentiel d’entrée en transe ne quitte pas la personne. Elle peut être stimulée mais s’inscrit bien avant tout au cœur du potentiel humain (et sans doute aussi d’autres espèces vivantes, même si à l’heure actuelle les travaux sont encore peu développés dans ce domaine). Ainsi, avec l’évolution des connaissances et le fait aussi que notre société devient plus pointue sur l’usage des états de conscience modifiés, il devenait important d’avoir une «  re-pensée  » à propos des définitions  ; ce qui est en partie l’ambition de cet ouvrage, inauguré par ce chapitre. En particulier, il nous semblait important de distinguer «  états de conscience modifiés  » et «  transes  », ces dernières étant une sous-partie des premières. Du fait notamment que le concept allait maintenant bien au-delà de l’anthropologie et que toutes les pratiques ne peuvent se prévaloir du mouvement de «  brusquerie  » dont nous parlons. Ce qui explique des singularités dans les vécus des personnes et aussi des processus de changement (voire thérapeutiques) que l’on peut observer avec les transes, et moins évidentes avec les états de conscience modifiés, comme nous le verrons plus loin dans cet ouvrage. En fait, nous pourrions reformuler rapidement ainsi6 : ● La catégorie globalisante est les ECM qui vont des ECM modérés aux ECM intenses (selon l’intensité émotionnelle présente). ● La transe est une sous-dimension qui fait partie des ECM intenses, la « bascule » étant un élément de brusquerie, ce que Baud nomme « saisissement ». ● L’hypnose, telle qu’on l’entend aujourd’hui dans ses différentes pratiques occidentales, peut se référer aux ECM modérés (hypno-relaxation) et aux ECM intenses de type transe si elle est amenée avec cette intention, comme dans la pratique de l’hypnose profonde par exemple (Bioy et Goldschmidt, 2022).

Je vous propose une expérience certes un peu réductrice mais qui permettra peutêtre d’imager ce qui vient de s’échanger entre nous. Choisissez un morceau de musique instrumentale (jazz, classique ou autre) que vous écoutez négligemment. Vous savez bien entendu l’apprécier, peut-être même qu’avec vos mains vous rythmez le tempo. Maintenant, écoutez à nouveau ce même morceau en fermant vos yeux et en choisissant de vous connecter à l’émotion que le compositeur ou le chef d’orchestre avait l’intention de communiquer. Peut-être même que quelques frissons, images ou autres apparaîtront. Enfin, augmentez le son de la musique de 30  % et repassez une troisième fois ce morceau. D’abord vous êtes saisi par l’envahissement du son, qui demande une adaptation qui peut-être ne sera pas totale (vous aimeriez baisser, mais la consigne n’est pas celle-ci). Laissez l’intensité de cette musique être présente, comme si elle vous traversait, et ressentez combien votre corps souhaite lui répondre, presque ou totalement de façon automatique. Consentez à cela autant que vous le souhaitez et pouvez. Sans avoir besoin d’observer cela particulièrement, laissez votre sensorialité vous adresser ce qu’elle laissera venir et laissez l’intensité absorber le reste. La première écoute est celle de la conscience ordinaire. La seconde est celle de l’état de conscience modifié et enfin la troisième est celle de la transe.

Ouverture Comme on le comprend donc, des éléments se retrouvent pour désigner ce que sont les ECM, qui deviennent des transes lorsqu’un élément de brusquerie est vécu par la personne dans le cadre de cette expérience. Mais ces classifications, très utiles surtout en science, ne sont pas encore constituées en un modèle stable et univoque, par la nature même du phénomène. S’il existe des inducteurs que l’on peut caractériser (privation sensorielle, rituel par le mouvement culturellement normé, etc.), les vécus sont en partie différents, au-delà d’une base de signes cliniques reconnaissables, qui sont des modulations autour des composantes de la conscience telles que Hobson les propose. Et ce qui est fascinant, c’est que d’une part ces phénomènes semblent universels, et d’autre part, que chaque civilisation depuis 5  000 ans en fait un double usage constant  : gagner en santé, et gagner en clairvoyance, c’est-à-dire en sens, sur la nature de la réalité qui s’offre à nous. Parmi «  cet universel », le rêve est certainement un ingrédient qui transcende les cultures. Être en conscience non ordinaire, parfois en transe, ou même s’offrir une vision de la réalité la plus globale possible

(incluant visible et invisible, le sauvage et le domestiqué…) ouvre un espace assimilable à un rêve quelle que soit notre culture. Tous les hommes-médecines, tous les chamanes, tous les psychothérapeutes,  etc., n’ont pas absolument les mêmes méthodes, mais tous offrent et proposent un rapport au rêve en tant qu’espace (et parfois état) différent. Finalement, le rêve est nourriture pour l’imaginaire au sens où l’anthropologue Charles Stepanoff le propose  : l’imaginaire a pour fonction d’agir sur le réel de façon continue et il n’existe pas de dualisme entre réel et imaginaire. L’imaginaire n’est pas une fuite du réel mais bien au contraire pour agir sur lui et interagir entre nous. Stepanoff (2022) distingue quatre axes : ● l’imagination contemplative  : la personne est passive, par exemple elle écoute un récit ou s’absorbe dans un livre ; ● l’imagination agentive : la personne est active, par exemple elle joue ou agit en rêve ; ● l’imagination exploratoire  : les amorces sont pauvres et tout ici est spontané ; ● l’imagination guidée  : les amorces sont riches et tout est ici accompagné. À  la suite de cet auteur, on pourrait dire que l’imaginaire est finalement ce qui nous trompe sans cesse en ouvrant vers la créativité qui permet de structurer nos expériences. Ce voyage dans le monde du conditionnel, de ce qui pourrait être là sans que cela le soit tout à fait, qui fonde l’humanité. Et si l’entrée dans ce monde de l’imaginaire, du conditionnel, était justement la porte ouverte par les états de modifiés ?

Notes 1. Vous trouverez parfois l’ancien terme d’«  état modifié de conscience  » (EMC) mais qui n’a théoriquement plus cours actuellement. En effet, parler d’EMC laisserait supposer qu’on pourrait facilement définir la conscience, et qu’elle posséderait des critères stables. Et dès qu’on sortira de cet état de stabilité, on serait dans une conscience autre, modifiée. Or la

conscience est une dynamique de tous les instants et n’est pas une instance uniforme. Aussi on préfère maintenant parler d’états de (la) conscience plutôt que de conscience. «  À  un moment donné, comment se caractérise l’état de conscience dans lequel je me trouve ? » est une question plus pertinente que « la conscience dans laquelle je me trouve correspond-elle aux standards universels de ce qu’on nomme “conscience” ? ». 2. La sophrologie parle d’ailleurs de « vivance » pour désigner la rencontre du corps et de la psyché au sein de la conscience (Baste, 2014). 3. Nous avons gardé ici un découpage traditionnel, Ustinova (2018) segmente un peu plus : activité prophétique, pratique des mystères, les Bakcheia, le combat militaire, la nympholepsie, l’inspiration poétique, le délire érotique et la philosophie. 4. Henry Sidgwick, professeur de philosophie (1838-1900), a fondé la Society for Psychical Research en 1882. 5. Notamment, la recherche insiste sur deux critères importants de compréhension des transes  : les états d’esprit («  mindset  ») qui regroupent les croyances, attentes, représentations que nous avons ; ainsi que le cadre (« setting ») qui regroupe le contexte, l’environnement, les normes… Mindset et setting interviennent à la fois dans les processus phénoménologiques et explicatifs des états de conscience modifiés dont il est question ici. 6. Je remercie mon collègue Léo Robiou du Pont pour sa relecture éclairante de ce chapitre et pour son apport concernant cette reformulation synthétique.

Chapitre 2 Les transes, accompagnatrices des civilisations

Une petite histoire des états non ordinaires de conscience en Occident Antoine Bioy L’idée maîtresse de ce chapitre est de montrer combien les pratiques dont il est question dans cet ouvrage font partie de nos civilisations. Elles ne sont pas des inventions modernes et encore moins des éléments anecdotiques. Cela étant, particulièrement en ce qui concerne la période qui précède l’écriture, une part des savoirs est liée à un travail d’interprétation à partir d’indices. Particulièrement ces savoirs évoluent avec l’ajout de nouvelles appréciations.

La période pré-écriture Pour cette période, c’est la centration sur les inscriptions et peintures dans les cavernes qui est notre boussole (grottes  : de Lascaux, de Chauvet, Des trois frères…). Il y a peu de représentations humaines ; ce sont plus les représentations animalières ou hybrides qui dominent. Pour l’archéologue Daniel Lewis-Williams (2003), les représentations dans nombre de ces grottes sont en lien avec l’imaginaire induit par les états de conscience. Très exactement, il postule que les symboles récurrents comme les points, spirales, sont en lien avec les premières émergences lorsqu’un état de conscience non ordinaire est induit. Le choix des cavernes aurait aussi à voir

avec la question des passages d’un monde à l’autre comme d’ailleurs cela se rencontre dans nombre de cultures. Parfois, les deux se croisent. Par exemple, nombre d’auteurs situent la récurrence de la spirale comme étant le symbole du vortex qui permet de passer d’un monde à l’autre (et c’est aussi le symbole de l’hypnose !). Un exemple

Les grottes revêtent une grande importance symbolique dans la culture basque, où elles sont considérées comme des portails vers le monde souterrain, où résident des êtres surnaturels tels que le Tartaro (cyclope), le Basajaun (Seigneur Sauvage) ou encore Etsai, une des figures du diable, ici pédagogue (et faisant concurrence à l’université de Salamanque) qui est le plus souvent dans la grotte de la ville de Sare. L’une des grottes les plus célèbres de la culture basque est la grotte de Zugarramurdi, située en Navarre côté espagnol, à distance proche de la frontière avec la France. On dit qu’elle a été un lieu de culte païen, en particulier pendant le procès des sorcières du xviie siècle, qui a vu la supposée persécution des sorciers et des sorcières dans la région. Outre leur association avec le surnaturel, les grottes revêtent également une importance culturelle et historique pour le peuple basque. De nombreuses grottes du Pays basque contiennent des peintures et des gravures préhistoriques, dont certaines remontent à des milliers d’années. Ces sites d’art rupestre donnent un aperçu des pratiques artistiques et culturelles des anciens habitants de la région et sont reconnus comme des sites du patrimoine mondial de l’Unesco (à visiter notamment  : les étonnantes grottes d’Isturitz et d’Oxocelhaya).

Il n’est pas impossible que le choix notamment des cavernes profondes soit en lien avec des expériences de privation sensorielle comme il est possible d’en faire en spéléologie ou dans les tunnels de lave, par exemple sur l’île de La  Réunion. Certains auteurs comme Eliade (1951), Lommel (1967), La Barre (1972)… suggèrent que certaines peintures représenteraient des chamanes voire que l’art paléolithique résulterait de pratiques chamaniques. Clottes et Lewis-Williams (1996) discutent cela et, sans remettre en cause que l’hypothèse chamanique est celle qui à l’heure actuelle rend le mieux compte de l’art des cavernes et des objets représentés ou trouvés dans les grottes, argumentent aussi que tout ce travail est le fruit d’interprétations qui demandent à être justifiées le plus exactement possible.

«  Les hommes modernes du paléolithique supérieur possédaient un système nerveux identique au nôtre. Par conséquent, certains d’entre eux devaient connaître des états modifiés de la conscience, y compris des hallucinations. C’est une réalité qu’il leur a fallu gérer, à leur façon et selon leurs propres concepts. Ils se sont rendus dans les cavernes profondes, pendant vingt millénaires au moins, pour y faire des dessins. Or, partout dans le monde, le domaine souterrain est perçu comme le royaume des esprits ou des morts, une porte sur l’au-delà que l’on se garde le plus souvent de franchir. Aller sous terre, c’était donc braver les peurs ancestrales, s’aventurer délibérément dans le monde surnaturel et partir à la rencontre des esprits. L’analogie avec le voyage chamanique est flagrante, mais le périple souterrain dépassait de loin l’équivalent métaphorique de ce voyage  : c’était sa concrétisation dans un milieu où l’on se déplaçait physiquement et où les forces surnaturelles étaient littéralement à portée de la main. Un tel état d’esprit, conforté par l’enseignement reçu, ne pouvait manquer de favoriser la venue des hallucinations que suscite le milieu souterrain. Les grottes pouvaient donc avoir un double rôle, aux aspects fondamentalement liés  : faciliter les visions  ; entrer en contact avec les esprits à travers la paroi. » (Jean Clottes, 2006.)

Notons par ailleurs que probablement des pratiques de danse et de musique ont pu avoir lieu dans ces endroits, pour induire des états de conscience modifiés. Avec évidemment la présence de plantes telles que le pavot, le chanvre, l’alcool de dattes (dès la fin du néolithique),  etc. D’autant que les traditions d’usage de psychotropes dans un contexte sacré (rituels religieux…) sont si anciennes qu’il est impossible de les dater exactement, mais on les retrouve dans de très nombreux rituels rapportés jusque dans les textes sacrés, une fois l’écriture installée.

L’ère antique Nous avons déjà fait référence au Phèdre de Platon, où Socrate affirme que «  nos plus grandes bénédictions nous viennent par le biais de la folie, à condition qu’elle nous soit donnée par un don divin ». Si on prend une pratique comme celle des prophéties, il était nécessaire d’avoir « le Dieu en soi », autrement dit, d’être possédé, si toutefois la folie n’était pas déjà présente. Alors s’ouvrait une connaissance singulière, parfois aidée par la lecture des signes, acheminée par des comportements typiques plus ou moins marqués  : étrangeté des mouvements, rythmes altérés, voix et comportements inédits,  etc. La plus célèbre prophétesse était la

Pythie (oracle de Delphes, autour de 480 avant J.-C.), inspirée par Apollon. Delphes était le centre du monde grec depuis le vie siècle avant J.-C., construite autour de la pierre Omphalos (« nombril ») qui aurait été déposée là par Zeus. Le sanctuaire intérieur a été construit sur une fissure d’où s’échappait de l’oxyde d’éthylène. Les transes de la Pythie semblent parfois attribuées à ce gaz dont il aurait cependant fallu une quantité importante inhalée en continu pour produire de tels effets. Les transes étaient peut-être aussi facilitées par la préparation mâchée par l’oracle autour du laurier, symbole apollinien, avant que la Pythie s’installe sur son trépied pour être inspirée par son dieu (Georgoudi, 2009). Dans un domaine différent, celui des folies initiatiques des pratiques dites «  des mystères  », il faut citer celles en lien avec Dionysos (Bacchus). Ce dieu est celui qui représente le plus l’expérience des manies et de la folie selon Platon. Les rites incluaient danses, enivrements, sacrifices… où selon Aristote la production des états de conscience modifiés était nécessaire afin que les objets produisent la sensation de rencontre avec le dieu : vin, corbeilles de fruits, fascinums… On l’aura compris, les dieux sont indissociables des états de transe obtenus car ce sont les seuls qui avaient accès à la vérité absolue. Ainsi, ils insufflent des rêves aux sages, parlent à travers les visions des prophètes, possèdent certains êtres et inspirent les artistes en donnant vie aux muses. Le corps est souvent ce qui entrave l’accès à cette vérité transitoirement perçue. Les Grecs prêtent à la seule âme, si possible libérée du corps, la possibilité de se lier à ce savoir au-dessus de tous les savoirs. Et ils n’étaient pas les seuls ! Le père du mysticisme occidental, Plotin, d’origine égyptienne avant de rejoindre Rome, décrit clairement des sorties extracorporelles : « Souvent, je me suis réveillé hors du corps, en moi-même, hors de toutes les autres choses, mais à l’intérieur de moi-même ; j’ai vu une beauté merveilleusement grande et j’ai eu l’assurance qu’elle appartenait surtout à la meilleure partie ; j’ai réellement vécu la meilleure vie et j’en suis venu à m’identifier au divin  ; et, fermement ancré dans cette réalité, j’en suis venu à me placer au-dessus de tout dans le domaine de l’intellect. Puis, après ce repos dans le divin, lorsque je suis descendu de l’intellect au raisonnement discursif, je me demande comment j’ai pu descendre, et comment mon

âme a pu se retrouver dans le corps alors qu’elle est ce qu’elle s’est montrée être en elle-même, même lorsqu’elle est dans le corps. »

L’expérience était si intense qu’il se demandait pourquoi l’âme prenait la peine de revenir dans le corps. Autre pratique rituelle très spécifique, celle que l’on retrouve en Égypte au iiie siècle de notre ère (Waterfield, 2003) : « Tu prends une lampe neuve, et tu la poses sur une brique neuve, et tu prends un garçon et tu l’assieds sur une autre brique neuve, son visage étant tourné vers la lampe, et tu fermes ses yeux et tu récites ces choses qui sont (écrites) ci-dessus dans la tête du garçon sept fois. Tu lui fais ouvrir les yeux. Vous lui dites : “Est-ce que tu vois la lumière  ?” Quand il te répond  : “Je vois la lumière dans la flamme de la lampe”, vous lui demandez tout ce que vous désirez après avoir récité l’invocation… »

Ainsi l’état de conscience de ce jeune homme peut se trouver modifié par la fixation de la lumière et la répétition des mots prononcés par l’officiant.

L’ère chrétienne En fait, on pourrait dire que depuis les « hommes des cavernes », la pratique des ECM était associée à une recherche pour percevoir l’invisible qui a nourri une vision complexe du monde, où cependant le corps n’avait pas une noble place. Elle était plus un facteur d’entrave ou, a minima, à la fois un point et un poids de départ. L’ère chrétienne va accentuer son côté « poreux », perméable au monde d’entités tierces mais en préservant des invariants  : il existe un monde surnaturel avec qui un dialogue est possible par la migration des âmes (le terme pouvant changer d’une croyance à l’autre). Simplement, pour les autorités chrétiennes, ces pratiques étaient suspectes et parfois même d’emblée mauvaises, ce qui explique qu’on les connaît surtout via les dossiers de l’Inquisition. Même si, comme le montre Claude Labat parlant des procès en sorcellerie au Pays basque, l’Inquisition pouvait aussi être un instrument purement politique et savait voir des sabbats même là où il n’y en avait pas lorsque cela arrangeait les autorités (2009). De fait, les phénomènes

de transes et la vie politique sont liés  ; d’une certaine manière d’ailleurs des affaires comme celle des possédés de Loudun montrent aussi cela (1632)1. Il faudrait bien évidemment y regarder plus finement, mais si les possessions démoniaques durant l’ère chrétienne étaient plus nombreuses, elles concernaient un contrôle exercé sur le corps et l’esprit, là où les extases et unions bénéfiques concernaient plus un vécu d’unification au divin par l’âme, l’esprit étant finalement la part plus humaine qui régulait l’expérience. Saint Augustin distingue quant à lui trois niveaux (Margel, 2015) : «  Trois éléments constituent l’homme  : à savoir, l’esprit, l’âme et le corps. Ils se ramènent à deux, car souvent l’âme est comprise sous le nom d’esprit. En effet, la partie raisonnable de ce dernier, celle dont manquent les animaux, s’appelle l’esprit, qui est en nous le principal. Puis le principe vital qui nous unit au corps s’appelle âme. Enfin le corps lui-même, parce qu’il est visible, est notre dernier élément. »

Il en découle pour saint Augustin trois types d’expériences mystiques différentes, allant de la moins sensorielle (esprit) au déploiement de l’ensemble des perceptions (expériences mystiques corporelles). Ce que l’on peut dire est que les possessions divines étaient finalement assez peu inhabituelles entre le xiiie et le e xvi  siècle, et présentes particulièrement chez les femmes, presque comme une revendication de place au sein de la chrétienté. Ces femmes mystiques lévitaient, entraient en transe, entraient en convulsions ou en catalepsie. Dans le domaine plus païen qui est celui de l’hypnose, Frigau-Manning (2021) montre à quel point l’hypnotisme a grandi dans une dynamique femme/homme loin d’être anodine. Les extases étaient même devenues si habituelles que le livre liturgique Rituel romain (publié par Paul V, 1614) a ajouté des critères purement surnaturels aux critères comportementaux (et parfois psychologiques) antérieurs ; par exemple la connaissance de secrets, une force physique inhabituelle, l’incapacité de tolérer la présence d’un homme d’Église ou de symboles chrétiens. Quelques rituels de l’Église en lien avec les ECM

Commençons par une citation :

«  Si les condamnations du charnel et du matériel sont à la racine du christianisme, l’histoire de l’Église occidentale est jalonnée d’œuvres qui sont autant de manifestations d’une articulation positive du sensoriel et du spirituel » (Méhu, 2015). Comme toute pratique religieuse, le catholicisme dispose de très nombreux rituels qui installent un état de conscience non ordinaire. Citons par exemple l’oraison2, dont l’oraison silencieuse présente depuis les origines du christianisme  ; certains Ordres comme celui du Carmel incluent sa pratique plusieurs heures par jour. Il s’agit de s’éveiller à la présence de Dieu et se laisser transformer par lui dans un acte de contemplation. Nous pouvons aussi citer les exercices spirituels de saint Ignace de Loyola, matrice du «  devenir jésuite ». Organisés en quatre semaines, les Exercices spirituels sont constitués d’une succession de contemplations de la vie du Christ et de méditations. Le retraitant est accompagné par une personne qui l’aide à progresser en lui proposant de manière personnalisée les méditations et contemplations ainsi qu’en l’aidant à mettre des mots sur l’expérience vécue, dont l’attente est d’être transformée. Évidemment, l’un des rituels les plus connus est celui censé venir corriger une possession divine  : l’exorcisme. Dit en peu de mots, il s’agit d’invoquer le nom du Christ pour chasser le démon, là où le Christ leur commandait de partir. Ce rituel a été systématisé au début du xvie  siècle (1614), et par exemple le franciscain Girolamo Menghi a publié pas moins de cinq ouvrages décrivant des rites légitimes, parmi la foison créative des exorcistes de l’époque. Jean-Paul  II a validé le nouveau rituel d’exorcisme en 1998  : «  De exorcismis et supplicationibus quibusdam3  ». La dimension presque diagnostique est soulignée avec la nécessité de signes très proches du rituel romain que nous avons cité  : «  parler ou comprendre des langues inconnues, découvrir des choses éloignées ou cachées, démontrer une force physique supérieure à la normale, l’aversion véhémente envers Dieu, la Vierge, les saints, la parole de Dieu, les images sacrées…  » Également, l’existence d’une maladie psychique doit être écartée, ce qui engage la présence d’un expert du psychisme (psychologue, psychiatre) travaillant avec le prêtre exorciseur du diocèse4.

À toutes fins utiles (!), voici la prière actuelle d’exorcisme, à insérer dans le rituel complet (aspersion d’eau bénite, impositions des mains pour réciter le Credo et la renonciation à Satan, prières diverses, bénédiction finale…). « Je te conjure, Satan, ennemi du salut des hommes, Reconnais la justice et la bonté de Dieu le Père ; Qui, par son juste jugement a condamné, Ton orgueil et ton envie, Quitte ce serviteur (cette servante) de Dieu (ici on prononce le nom de la personne) / Le Seigneur l’a fait à son image / L’a paré de ses dons / Et, par miséricorde, l’a adopté comme son fils (sa fille). Je te conjure, Satan, prince de ce monde / Reconnais la puissance et la vertu de Jésus-Christ, qui t’a vaincu dans le désert, A  triomphé de toi dans le jardin, Sur la croix, t’a dépouillé, Et, se relevant du

tombeau, A transporté tes trophées au royaume de la lumière  ; Retire-toi de cette créature (ici on prononce le nom de la personne) En naissant, Il a fait d’elle son frère (sa sœur) Et en mourant, Il l’a fait(e) sien (sienne), par son sang. Je te conjure, Satan, qui trompes le genre humain Reconnais l’Esprit de la vérité et de la grâce, Qui repousse tes embuscades Et embrouille tes mensonges ; Va-t’en de cet humain créé par Dieu (ici on prononce le nom de la personne) Il l’a marqué du sceau d’en haut ; Retire-toi de cet homme (de cette femme) : Dieu, par l’onction spirituelle, A fait de lui (d’elle) un temple sacré. Retire-toi donc, Satan ! Au nom du Père, du Fils et du SaintEsprit, Retire-toi par la foi Et la prière de l’Église ; Retire-toi par le signe de la sainte Croix De notre Seigneur Jésus-Christ, Qui vit et règne pour les siècles des siècles. Tous répondent : Amen. »

Dès le siècle des Lumières : le magnétisme animal, Mesmer Nous allons centrer notre propos sur l’Europe de l’Ouest à partir de la seconde moitié du xviiie siècle jusqu’à l’aube du xxe siècle, période dominée par le magnétisme animal, la médiumnité et l’hypnose. Citons en premier lieu Johann Joseph Gassner (1727-1779), prêtre exorciste, qui argua de milliers de guérisons. Les activités de Gassner ont déclenché un renouveau religieux catholique ainsi qu’une brutale réaction sceptique avec de nombreuses manœuvres pour limiter ses activités. En réponse à ceux qui doutaient, Gassner a rassemblé des centaines de témoignages qui semblaient prouver que ses exorcismes fonctionnaient vraiment. Midelfort (2005) décrit de façon précise l’énorme controverse publique qui s’ensuivit. Pour l’historien Peter (2005), Gassner utilisait des techniques assimilables à des pratiques psychothérapeutiques que l’on retrouve en particulier en hypnose. Ce qui est savoureux est que, pour étudier les résultats de Gassner, l’Académie bavaroise des sciences va faire appel à un jeune médecin viennois  : Franz Anton Mesmer (17341815) qui va attribuer les résultats de l’exorciste à l’action du fluide magnétique, la théorie qu’il a commencé à développer et qui va donner quelques années plus tard naissance à l’hypnose. Quelle est cette théorie  ? Dans sa dissertation de fin d’études intitulée De planetarum influxu, Mesmer défend l’idée qu’un fluide, un éther originel, est présent dans toute matière, l’être humain comme le cosmos. Il postule (1766) que ce fluide pourrait être apparenté à la gravitation universelle ; il fut sans doute influencé par les théories de

Richard Mead sur les effets atmosphériques sur le corps humain. De cette hypothèse, il ne fit pas grand-chose jusqu’à une anecdote que lui raconte un père jésuite, Maximilien Hell  : durant l’été 1774, une personne vient le consulter en compagnie de sa femme. Celle-ci est atteinte de violentes crampes d’estomac. Hell lui applique alors un aimant sur le ventre, et elle guérit. Cette pratique n’est pas inédite : depuis le Moyen  Âge et Paracelse en particulier, on attribue à l’aimant de grandes propriétés curatives. Il pourrait, en quelque sorte, attirer à lui toute affliction, comme il attire certains métaux. La médecine traditionnelle ne reconnaît cependant pas ce fait de façon univoque, et la thérapeutique par aimants ne possédait pas la place prépondérante que lui donna Mesmer, bien qu’elle fût en vogue depuis 1750. Après que Mesmer eut vérifié par lui-même que les troubles de la jeune femme ont disparu, il demande à Hell de lui fabriquer d’autres aimants et, dans sa pratique clinique, les expérimente. Il constate ainsi que, sur plusieurs patients, ces aimants semblent posséder un effet indéniable. Pour autant, Mesmer est un enfant des Lumières, et refuse de croire que l’action de ces aimants serait due à une quelconque magie. Pour tenter d’expliquer ce qu’il observe, Mesmer exhume sa dissertation de doctorat, et pense que l’aimant est la preuve, le contenant, du fluide dont il avait à l’époque fait l’hypothèse. Il théorise alors que la maladie est due à un dérèglement du fluide traversant les corps, et sa technique a pour but de réguler ce qui s’est déséquilibré (cette théorie du fluide et des propriétés de magnétisme animal est résumée en vingt-sept points en 1779). Mesmer n’a jamais prétendu pouvoir guérir tous les maux par sa technique. Il pense que seules les maladies des nerfs sont de bonnes indications, même si à l’époque, il convient de dire qu’aucun critère strict n’existait pour les définir. Il privilégie parfois l’origine inconnue des maladies, cet inconnu étant pour lui l’indice que c’est bien un dérèglement du fluide (invisible) qui serait à l’œuvre. Pour agir sur les symptômes, Mesmer procède selon deux techniques principales. La première est celle des manipulations directes (attouchements, effleurements, passes magnétiques). La seconde

est indirecte : le fluide se transmettant d’une matière à l’autre, il est possible de magnétiser des objets qui vont agir par contact sur les corps humains. Ainsi, le célèbre baquet (Mesmer, 1785) était une cuve remplie d’eau, où se plongeaient les patients parmi des bouts de verre, bouteille, pierres, limaille de fer et tiges de fer (magnétisés). Ces patients étaient reliés les uns aux autres par des cordes pour permettre au fluide de circuler et le magnétiseur accentuait l’action du fluide en touchant les individus malades à l’aide de baguettes en verre, au son d’un orchestre. Tout ce cérémonial avait pour but de créer « le rapport », c’est-à-dire le contact effectif entre le patient et le magnétiseur. Ce rapport menait à une «  crise curative  » qui libérait le patient de son symptôme. La «  crise  » pouvait trouver des modalités d’expression diverses. Mais la forme la plus répandue, appelée « crise convulsive », était notamment caractérisée par des mouvements cloniques du corps, mais aussi des contractures musculaires, des claquements de dents, et une chute avec perte de conscience. Parfois accompagnée de sueurs et d’expectorations, la crise se terminait par une phase de détente. C’était là l’indice d’un retour à l’équilibre du fluide, et par là même le retour à la santé. Mais elle pouvait aussi s’exprimer par des gémissements devenant par la suite des chants, des bruits d’animaux ou des glossolalies. Dans sa forme classique, convulsive, on trouve des traits communs avec ce que, plus tard, Charcot dénommera la «  grande hystérie  ». Ces manifestations sont effectivement sinon les mêmes, au moins apparentées et il revient à Charles Richet, disciple de Charcot, de faire un lien de parenté direct entre l’époque du magnétisme animal et la grande époque de la Salpêtrière (Richet, 1884).

Dès 1776, Mesmer note que les aimants semblent superflus et que son seul «  fluide  » peut suffire. Il invente alors le «  magnétisme animal », un magnétisme sans aimant car « de tous les corps de la nature celui qui agit le plus sur l’homme est l’homme  » (Zweig, 1931). Le magnétiseur est là pour attiser « la volonté de santé » de son patient, et ainsi réguler les fluides. En fait, Mesmer s’est rendu compte que le simple effleurement qu’il appliquait à un patient faisait réagir ce dernier. Pour autant, il ne franchit jamais le pas et ce qu’il nomme «  rapport  » ne désigne pour lui que le toucher physique et jamais la relation thérapeutique. Il note pourtant que : «  [Le magnétisme animal] doit en premier lieu se transmettre par le sentiment. Le sentiment peut seul en rendre la théorie intelligible. Par exemple, un de mes

malades, accoutumé à éprouver les effets que je produis sur lui, a, pour me comprendre, une disposition de plus que le reste des hommes. » (Mesmer, 1781.)

Cependant, sa pratique du magnétisme animal ne permet pas d’approfondir cette intuition clinique. En effet, Mesmer interdit la parole verbale, pour n’autoriser que celle des corps ; il pensait avant tout que l’action du magnétisme animal était physiologique, aussi tangible que les propriétés d’un aimant. Peut-être en lien avec la posture de toute-puissance des magnétiseurs de l’époque, un certain nombre de passages à l’acte sexuel et d’attouchements peu équivoques se développèrent, suffisamment courants pour que Mesmer lui-même s’indigne des pratiques en cours et que Louis XVI alors régnant crée des commissions d’enquête non seulement pour vérifier la pertinence des théories de Mesmer mais également pour mettre de l’ordre dans les affaires d’abus sexuels (Méheust, 1999). Deux commissions furent créées réunissant notamment Bailly, Franklin, Lavoisier ou encore Jussieu et trois rapports furent rédigés. Deux publics et un secret. Notamment, le premier rapport (connu sous le nom de rapport de Bailly) souligne que « l’imagination sans magnétisme produit des convulsions […] le magnétisme sans l’imagination ne produit rien5 ». Ainsi le magnétisme n’existe pas. Si les commissaires ont bien pu vérifier l’efficacité thérapeutique de la méthode, ils l’attribuent à « l’imagination » (ici des patients) et sans doute voulaient-ils dire par là que les effets, pour la plupart reconnus, n’étaient dus à rien. Un aveuglement surprenant pour des scientifiques et une conclusion ambiguë (l’imagination), sauf à considérer que, publiquement, quelque chose ne pouvait être dit. Ce quelque chose, nous le retrouvons dans le rapport secret de Bailly, rédigé pour le roi. Il écrit : «  Ce sont toujours des hommes qui magnétisent les femmes  ; les relations alors établies ne sont sans doute que celles d’un malade à l’égard de son médecin : mais ce médecin est un homme  ; quel que soit l’état de la maladie, il ne nous dépouille point de notre sexe et ne nous dérobe pas entièrement au pouvoir de l’autre.  » (Bailly, 1784.)

Et plus loin :

« [Les femmes] ont assez de charmes pour agir sur le médecin ; elles ont assez de santé pour que le médecin agisse sur elles  : alors le danger est réciproque. La proximité longtemps continuée, l’attouchement indispensable, la chaleur individuelle communiquée, les regards confondus, sont les voies connues de la nature et les moyens qu’elle a préparés de tout temps pour opérer immanquablement la communication des sensations et des affections […] Il n’est pas extraordinaire que les sens s’allument […] Cependant la crise continue et l’œil se trouble : c’est un signe non univoque du désordre total des sens. Ce désordre peut n’être point aperçu par celle qui l’éprouve, mais il n’a point échappé au regard observateur des médecins. »

S’ensuit sous la plume de Bailly une description de la crise fortement érotisée qui s’achève ainsi : « À cet état [de crise] succèdent la langueur, l’abattement, une sorte de sommeil des sens qui est un repos nécessaire après une forte agitation […] Comme les émotions éprouvées sont les germes des affections et des penchants, on sent pourquoi celui qui magnétise inspire tant d’attachement ; attachement qui doit être plus marqué et plus vif chez les femmes que chez les hommes, tant que l’exercice du magnétisme n’est confié qu’à des hommes. Beaucoup de femmes n’ont point sans doute éprouvé ces effets, d’autres ont ignoré cette cause des effets qu’elles ont éprouvés ; plus elles sont honnêtes, moins elles ont dû la soupçonner. »

La conclusion est celle-ci : « Le traitement magnétique ne peut être que dangereux pour les mœurs. » Ces extraits montrent ainsi que les commissaires du roi avaient perçu la réalité de l’action psychologique interpersonnelle à l’œuvre dans la pratique du magnétisme animal. Au-delà de la conclusion publique que l’imagination explique les effets de la technique, il y a bien une relation particulière qui s’établit entre un magnétiseur et son malade. Autrement dit, quelque chose passe de l’un à l’autre, et qui agit sur la santé, mais ce «  quelque chose  » n’est pas du fluide. Les conclusions sont à ce sujet sont claires. En fait, Bailly décrit une relation dynamique, duale, même si seul le médecin semble le plus souvent avoir une certaine lucidité sur ce qui se passe. Il observe et accompagne le patient. Cette relation possède des traits érotiques, même si le terme n’est jamais écrit explicitement. Par la suite, à notre connaissance, il ne sera jamais fait mention de façon aussi claire de la dimension érotique que peut recouvrir une relation de type hypnotique, du moins jusqu’à Freud. L’un de ses apports sera de proposer que cette influence ne travaille pas «  en sous-main  » au risque qu’elle devienne un lieu d’expression affective voire pulsionnelle dangereuse pour tous, mais d’en faire une dimension même du traitement, en lui donnant une place, une expression, et aussi un cadre qui « le dompte » et où il puisse être pensé : il ouvrira la porte au concept de transfert et à son analyse dans un cadre thérapeutique. Nous avons analysé par ailleurs toute «  l’histoire  » de cette affectivité et plus dans ces méthodes (Bioy et Keller, 2010).

Même si Mesmer est généralement le premier auteur cité lorsque s’évoque l’histoire de cette méthode hypnotique, y compris dans ce travail, il revient à son élève Puységur d’être véritablement la figure historique qui influencera profondément le développement de l’hypnose, et au-delà de l’exploration de la manière dont un état de transe peut être orienté à visée thérapeutique au sein de la culture occidentale. Richet dira d’ailleurs que si Mesmer était «  le précurseur  », Puységur en était le véritable «  fondateur  » (Richet, 1884). En effet, à bien des égards, Puységur est le premier à mettre en place des psychothérapies modernes avec la transe au centre du processus dynamique ; et nous ne sommes qu’au xviiie siècle !

Dès le siècle des Lumières : le somnambulisme, Puységur Amand6 Marie Jacques de Chastenet (1751-1825), plus connu sous son titre de marquis de Puységur, se forme auprès de Mesmer en 1782, malgré une réticence première au magnétisme. S’il adhère à la théorie du fluide, il remet en question la nécessité de la «  crise magnétique  » pour obtenir des résultats. Sans rechercher cette crise, il obtient un état de docilité apparente du sujet, mais où ce dernier reste un interlocuteur. Il nomme cet état « somnambulisme », pour ses caractéristiques proches à la fois du sommeil (docilité, état second, amnésie…) et d’un état vigil (capacité de communication verbale, de mouvements élaborés…). Mais la révolution de la pratique à laquelle se livre Puységur est que, là où Mesmer interdisait la parole, il va la placer au centre du processus car « Ce sont eux qui savent, qui vont plus loin dans la connaissance des choses évidentes et cachées  » (Peter, 1999). Ils possèdent ce que Paracelse appelait métaphoriquement «  un médecin intérieur  » et c’est ce médecin que Puységur va interroger. Le sujet est en effet appréhendé dans sa volonté de guérir, ses caractéristiques psychiques et parfois son histoire actuelle. Mais la volonté du somnambule ne suffit pas, il faut également que la volonté du thérapeute intervienne [il s’agit d’une lettre à une consœur] :

«  Si […] vous vous armez de confiance dans vos moyens, si vous avez la volonté unique et absolue de soulager et de guérir, sans autre but que le bien et l’avantage de votre malade, […] je vous promets, Madame, avec sûreté, des succès qui vous dédommageront amplement de vos peines, en vous procurant les plus pures et les plus douces satisfactions. » (Puységur, 1807).

Par ailleurs, au-delà de la question du fluide, Puységur interroge sa technique de façon inédite. En premier lieu, il accorde une place au ressenti particulier de ses somnambules : « Combien de mères tendres ont machinalement sauvé la vie à leurs enfants, en les serrant avec sensibilité contre leur sein, dans des moments de souffrances imprévues ! Combien la présence d’une personne que l’on aime apporte de calme et de douceur dans les maux qu’elle éprouve ! Je suis sûr que, science et expérience à part, il ne peut être indifférent d’être soigné dans nos maladies par un médecin et une garde qui nous apporte affection. » (Puységur, 1784-1785.)

Et si Puységur accorde aussi une place centrale au ressenti du thérapeute, il le maintient malgré tout dans une position de toutepuissance nécessaire : « Un malade en crise magnétique ne doit répondre qu’à son magnétiseur, et ne doit pas souffrir qu’un autre le touche ; l’approche des chiens et de tous les êtres animés doit lui être insupportable ; et lorsque, par hasard, il en a été touché, le magnétiseur, seul, peut calmer la douleur que cela lui a occasionnée. » (op. cit.)

Au-delà d’une réflexion nouvelle sur la pratique magnétique, Puységur n’échappe pas au sentiment de toute-puissance que l’on a déjà souligné chez son maître, Mesmer, et où le plonge sa pratique. Une toute-puissance qui, dans ce cas, fait sans doute écho à la position sociale du marquis, d’autant que « ses somnambules » sont tous des vassaux, à commencer par celui qui le seconde, Victor Race, dont la famille est au service des Puységur depuis plusieurs générations. Victor est un jeune berger de 23  ans que Puységur guérit «  d’une fluxion de poitrine, avec point de côté et crachement de sang  ». Il s’agit du premier patient du marquis, et celui qui lui fit découvrir le somnambulisme  : «  Quelle fut ma surprise de voir, au bout d’un demi-quart d’heure, cet homme s’endormir paisiblement dans mes bras, sans convulsions ni douleurs ! » (Puységur, 1784.) À l’autorité artificielle imposée par Mesmer, Puységur prône une autorité

naturelle (symboliquement paternelle), qui doit mener progressivement à une forme de maternage à vocation thérapeutique. Mais les patients ne font pas que répondre aux questions du praticien autour de leur maladie. La parole possède une autre vocation  : les patients, mis en état somnambulique, donnent également les médications qu’ils doivent suivre (bouillons, diètes…), et parfois même indiquent quand leur mal va disparaître. Une fois que les patients sont sortis amnésiques de l’état dans lequel ils étaient plongés, le magnétiseur se fait alors le relais de leur parole, et délivre la prescription. Cette stratégie fait écrire à Michaux (2003) : «  [Puységur] est au service de ses patients, et répond scrupuleusement à toutes leurs demandes. Puységur n’est pas seulement permissif  : il invente une position paritaire où patient et thérapeute se partagent à l’amiable et alternativement les positions d’ordre et d’obéissance, d’initiative et de réceptivité. On assiste ainsi à une co-construction de “l’état magnétique”, nous dirions aujourd’hui de la “transe”, qui, à certains égards, n’est pas sans évoquer les relations mère-enfant, ou encore les relations ludiques entre enfants, dans lesquelles chaque partenaire dispose d’une double position permettant l’interactivité et la parité. »

Concernant le potentiel de l’état somnambulique dont Michaux vient de nous rappeler qu’il s’agit bien d’une transe, il y a bien entendu la dimension thérapeutique qui y est associée. Elle semble installer un climat propice à ce que des stratégies de changement émergent. Également, Cabtree (1993) note des aptitudes en lien avec l’état dont il est question  : un accès à une forme de connaissance et de mémoire qui vont au-delà de ce que permet l’accès ordinaire de conscience, une modification de l’identité, une perméabilité à l’influence d’autrui, un mode de relation particulier à celui qui induit la transe et l’accompagne, une modification de la perceptivité (jusqu’à une insensibilité à la douleur), une communication à autrui des sensations ou des comportements du magnétiseur au magnétisé sans aucun lien sensoriel ou logique connu, des phénomènes télépathiques, la possibilité d’action à distance, la clairvoyance (dans le temps, l’espace, de conditions comme l’état de santé d’une personne) ou encore la perception d’entités invisibles et/ou supérieures. Ainsi, psi7 (voir ci-après) et transe hypnotique sont liées

et des auteurs comme Cardeña (2010) pensent que l’hypnose favorise ces phénomènes. Mais il est un fait scientifique que les phénomènes les plus inhabituels et poussés sont obtenus chez des sujets hautement hypnotisables, ce qui éveille sur la question des processus cognitifs, affectifs, etc. Qui influencent l’occurrence de ce qui est observé. Le mesmérisme a été associé à la possibilité d’avoir accès à plusieurs personnalités en nous, plusieurs moi, que l’on retrouve ensuite dans les « compétences » associées à l’hypnose. Le fait que des troubles modernes comme les troubles dissociatifs de l’identité soient des entités «  construites  » (culture, suggestion, hypnotisabilité, contexte traumatique…) est régulièrement débattu. De la même façon, la médiumnité telle que nous l’entendons actuellement peut être vue comme « les filles et sœurs des somnambules  » (Edelman, 1995). C’est en tout cas l’étude de cette médiumnité en transe qui a nourri les premiers travaux sur la conscience, le subconscient, etc.

À l’articulation entre xixe et xxe siècle Comme on le voit, l’ère qui s’est ouverte a permis de poser un regard différent sur les phénomènes d’état de conscience modifiés et de transe. Des processus ont été identifiés, de nouveaux rituels pour induire les transes sont apparus d’abord avec le magnétisme animal/mesmérisme (comme l’imposition des mains, l’introduction de la musique…) devenu le somnambulisme, puis l’hypnotisme/hypnose (comme la fixation du regard sur un pendule, la pression d’une main sur le front avec suggestions…). Mais surtout, le lien avec une démonologie a presque disparu pour recentrer sur l’humain, ses compétences et potentiels révélés, inhibés ou accentués par l’état de transe. La fin du xixe  siècle et le début du xxe  siècle seront le temps du déploiement d’une méthode scientifique d’étude scientifique systématique des phénomènes non ordinaires de la conscience, dont la création de la Society for Psychical Research en 1882 qui étudiera la médiumnité, l’hypnose, et d’autres phénomènes que l’on qualifie de « psi ». Des auteurs comme Myers avancent l’hypothèse

(toujours très actuelle) que l’état de conscience ordinaire n’est pas le seul possible, mais qu’il correspond à une forme de sélections en fonction de multiples états possibles, en lien avec nos pensées, sensations… (Myers, 1892.) James évoquera de son côté l’existence d’une «  conscience secondaire  » guidant par exemple l’écriture automatique ou bien l’absence de sensation douloureuse (1889). À  l’époque, les grands esprits n’avaient pas peur de se frotter à ces phénomènes, même transitoirement (Freud, Breuer, Hull, Richet…). Citons Hans Berger (1873-1941) qui a créé l’électroencéphalogramme (EEG) pour tenter d’obtenir une mesure « objective » de possibles phénomènes télépathiques, dont sa sœur semblait faire l’expérience (Millet, 2001). L’écriture automatique

Hippolyte Taine dans la préface de la troisième édition de son ouvrage De l’intelligence (1878) en dit ceci : «  Plus un fait est bizarre, plus il est instructif. À  cet égard, les manifestations spirites elles-mêmes nous mettent sur la voie de ces découvertes, en nous montrant la coexistence au même instant, dans le même individu, de deux pensées, de deux volontés, de deux actions distinctes, l’une dont il a conscience, l’autre dont il n’a pas conscience et qu’il attribue à des êtres invisibles… Il y a une personne qui, en causant, en chantant, écrit sans regarder son papier des phrases suivies et même des pages entières, sans avoir conscience de ce qu’elle écrit. À  mes yeux, sa sincérité est parfaite  ; or, elle déclare qu’au bout de sa page, elle n’a aucune idée de ce qu’elle a tracé sur le papier. Quand elle le lit, elle en est étonnée, parfois alarmée… Certainement on constate ici un dédoublement du moi, la présence simultanée de deux séries d’idées parallèles et indépendantes, de deux centres d’actions, ou, si l’on veut, de deux personnes morales juxtaposées dans le même cerveau ; chacune a une œuvre, et une œuvre différente, l’une sur la scène et l’autre dans la coulisse. » Janet cite ce passage en parlant des actes de sa patiente Léonie, et l’attribue à un phénomène de suggestion rendu possible par la distraction maintenue. Janet fait de l’écriture automatique une véritable voie d’exploration des contenus inconscients, d’autres l’utiliseront comme Ferenczi ou encore Erickson. Dans le domaine des arts, l’écriture automatique sera utilisée par exemple en poésie (mouvement surréaliste) et dans le dessin. Pour notre part, nous avons développé à partir de cela la méthode du « squiggle hypnotique » (Bioy, 2014). Le « squiggle » a été inventé et proposé par le grand clinicien D. W. Winnicott. Cela consiste à proposer un tracé libre au patient et ce

dernier est invité à le transformer pour en faire quelque chose, puis c’est le praticien qui transforme,  etc. Ainsi, chacun se retrouve autour d’un objet transitionnel coconstruit, dont un sens peu émerger. La situation est ainsi un moment de partage ludique, une expression d’égal à égal où la créativité de chacun est sollicitée. Il nous arrive de proposer ce temps avec les patients après une induction hypnotique courte où chacun est impliqué dans la réalisation du squiggle. Ce dernier finit par être complété lorsque chacune des parties le ressent ainsi. Des mots sont souvent posés par le patient a  posteriori sur ce qu’il a vécu et la production finale. Ce «  squiggle hypnotique  » permet une mise en relation rapide entre le praticien et son patient, lorsque cependant le thérapeute ressent une sécurité suffisante en lien avec l’autre pour pouvoir le proposer, sans que ses propres contenus (pensées, émotions…) ne viennent empêcher l’expression de ceux du patient. Citons également la pratique de la «  transe graphique  » développée par Olivier Garandeau (2017) qui possède également des liens de parenté avec l’écriture automatique.

À l’articulation entre xxe et xxie siècle Comme nous le voyons dans la partie suivante, cette période a vu un développement important des recherches qui ont été enrichies par l’apport des neurosciences et de la neuro-imagerie. Également, la méditation de pleine conscience (traduction française de mindfulness) connaît une popularité tout à fait impressionnante, comme d’autres pratiques à l’instar de la Eye Movement Desensitization and Reprocessing (EMDR) dans le champ du psychotrauma (la méthode existe depuis les années  1980). Ces méthodes ne prétendent pas utiliser les états de conscience modifiés «  en plein  » (chercher à la susciter, etc.), cependant, ces états sont bien vécus par les personnes qui les pratiquent et très certainement que leur présence facilite les processus de changement (voir la partie sur les applications thérapeutiques, dans cet ouvrage). D’autres pratiques connaissent aussi un renouveau, comme les psychothérapies potentialisées par l’usage de substances telles que la psilocybine, le LSD, la kétamine… alors que d’autres sont créées comme l’ICV (intégration du cycle de la vie, traduction de Lifespan Integration).

Progression de la recherche Ce qu’on peut dire est que, progressivement au xxe  siècle, et très clairement durant le dernier quart du xxe siècle et jusqu’à nos jours, les états de conscience non ordinaires ne sont plus regardés comme de la pathologie ou des phénomènes anormaux, mais comme des expériences vécues appréhendables par la science et qui peuvent aussi être des sources d’enseignement au-delà de leur domaine propre. Ainsi, l’étude de la mindfulness a permis de définir avec une acuité plus importante les différents modes attentionnels, l’étude de l’hypnose a permis de mieux cerner les questions d’influence interpersonnelles, les phénomènes de conscience et ses liens avec la « création du réel » (Melchior, 2008), l’ICV est en train de revisiter de façon passionnante la question du récit dans la construction de soi, etc. Comment la science s’empare de la question des ECM et des transes actuellement  ? Aux xviiie et xixe  siècles, les études de cas dominaient avec cependant des amorces de recherches plus systématisées. Par exemple, les commissaires du roi ont utilisé une méthodologie que l’on dirait de nos jours quasi expérimentales pour explorer l’hypothèse du fluide mesmérien (Mesmer ayant d’ailleurs participé à ces recherches). Les méthodes de ce type vont se prolonger début du xxe siècle, les cliniciens chercheurs allant plutôt vers les études de cas (comme Pierre Janet) et les chercheurs en laboratoire vont privilégier la voie expérimentale. Une question traverse ces études de façon continue  : existe-t-il une norme (de perception, de ressenti, de pensée…) qui permettrait de délimiter a  minima le normal de l’exceptionnel, ou cette norme ne peut-elle être qu’individuelle (se rapprochant de la notion de normativité de Canguilhem) ? Des auteurs comme Arnold Ludwig sont plutôt sur la première ligne, d’autres comme Stanley Krippner sur la seconde. Actuellement, la seconde option est celle qui semble la plus proche de la réalité, avec toutefois toujours la tentation de la première (pour reprendre un exemple donné plus haut, parler par exemple de personnes hautement hypnotisables est une façon de suggérer

qu’une norme existe qui permet de définir notamment ce sousgroupe de personnes). C’est sans doute Charles Tart dans les années  1960 qui a installé les bases de questionnements et d’exploration scientifiques de ces états tels qu’on les pense toujours  ; et notamment, du moins au début, avec un regard d’emblée psychophysiologique, c’est-à-dire refusant la séparation entre corps éprouvant et parole qui amène le sens. Dans le domaine de l’hypnose, les échelles de Stanford

Les échelles de susceptibilité hypnotique mises au point à la fin des années 1950, à l’université de Stanford par A. Weitzenhoffer et E. Hilgard, continuent à faire référence dans le domaine de la mesure de l’hypnose, malgré quelques critiques dont la longueur de passation. Elles sont cependant intéressantes car elles cotent les réponses du sujet à partir d’une induction hypnotique standardisée (et non d’un «  simple  » vécu). Cinq échelles verront le jour  : A, B, C, profil  1 et profil  2. Les plus utilisées sont l’échelle  A très centrée sur les réponses motrices et l’échelle  C plus centrée sur l’idéationnel. Ces échelles sont très centrées sur la notion de suggestibilité (et la suggestion directe en particulier), ce qui a constitué un objet de débat. Pour autant, la pratique clinique montre indubitablement que la facilité d’entrée en hypnose est très influencée par cette dimension de la suggestibilité, considérée d’ailleurs par beaucoup comme un trait de personnalité.

Durant la décennie suivante, l’étude des rêves commencée avec Freud donne lieu à des études plus systématisées dans les années  1960, et prolongée dans les années  1970. Nous le citons car, même si à proprement parler les rêves ne sont pas des états de conscience modifiés, ils traversent les recherches depuis bien longtemps (étude des rêves dans l’Antiquité, prémonitoires ou comme messages des dieux, par exemple). Dans les développements méthodologiques, Krippner va asseoir la notion de norme individuelle et mettre au premier plan la subjectivité des ressentis et des récits qui s’ensuivent. Dans un souci d’objectiver la subjectivité, Tart va publier dans la prestigieuse revue Science la proposition d’une méthodologie singulière  : la «  State-Specific Science » où c’est finalement le groupe de praticiens très formés et entraînant différents niveaux de conscience qui peuvent s’entendre sur le fait de savoir s’ils vivent ou non un même état à un instant

particulier. Alors, ils peuvent mener les études souhaitées à partir de ce «  consensus d’experts internes  » (le terme est de nous) sur cet état, ou sur ce qui se vit d’autre à partir de cet état (lié au contexte, etc.). Les années  1970 voient le déploiement des études dans des conditions particulières (comme le caisson d’isolation sensorielle) ou l’utilisation de drogues psychédéliques (marijuana, LSD, psilocybine, mescaline) ; pratiques pour la plupart déjà initiées dans les années  1960 mais qui ici vont être très étudiées. La confrontation entre la perspective objectivante et subjectivante montre que les effets ressentis vont au-delà du «  simple  » effet chimique en même temps que des tentatives de classification étaient menées comme sur les différentes images mentales produites selon le produit consommé. Si l’étude des expériences de sortie du corps a été prisée dans les années  1960, notamment par Tart, les années  1970 vont développer l’étude des expériences de mort imminente notamment en réponse au livre de Raymond Moody La vie après la vie (1975) qui regroupe et analyse plusieurs dizaines de vécus de mort imminente dont il reconnaît la variabillité tout en extrayant quinze éléments récurrents dans ces récits, dans une nouvelle publication deux ans plus tard. Une méthodologie inventive a été proposée par Jean Houston et Robert Masters (1972) pour provoquer et étudier les expériences mystiques en laboratoire  : l’Altered States of Consciousness Induction Device (ASCID), qui consiste en un balancement par exemple sur un pendule métallique d’un sujet debout et portant un bandeau. Ce type de méthodologie pour reconduire en laboratoire des effets tiers sera repris par exemple par le laboratoire Giga Consciousness à Liège pour étudier les expériences de mort imminente (Martial et al., 2020). Une autre publication fondamentale dans les années 1970 est celle du psychiatre Stanislas Grof, Realms of the Human Unconscious, à partir de son travail de psychothérapie augmentée avec le LSD. Il y présente une sorte de cartographie de la psyché humaine et des champs d’ouverture de la conscience. Autrement dit, à partir de l’exploration de plusieurs territoires, différents auteurs comme Grof

commencent à proposer des cartes. Sans doute que la centration sur les ouvertures des fameuses «  portes de la perception  » va reposer de façon importante la question d’un «  au-delà de notre réalité » et de ses apports. On assiste ainsi à une centration sur les expériences (et voyages) mystiques, qui marqueront au moins le début des années  1980, mais aussi un fort développement de l’intérêt pour les rêves lucides (avoir conscience que l’on rêve et dans une certaine mesure, contrôler ou orienter ses rêves). Ces années sont celles aussi où les déplacements deviennent plus simples et plus fréquents, avec des dialogues culturels plus aisés. Des mouvements néo-chamaniques commencent à apparaître mais restent peu étudiés (les auteurs comme Richard Noll centrant sur le chamanisme «  originel  »). Les méthodes scientifiques connaissent aussi un bond important. D’abord parce que ces années –  décidément très riches – sont aussi l’occasion de revisiter la notion d’hallucination, et montrent que ce phénomène (que connaissent 10 à 25  % de la population) n’est pas forcément lié à une schizophrénie. On commence donc à remanier des instruments de mesure pour ne pas les réserver à la psychopathologie psychiatrique. Également, les méthodes scientifiques continuent d’avancer car on étoffe les outils d’investigations d’échelles qui feront date comme la Phenomenology of Consciousness Questionnaire de Ronald J. Pekala qui deviendra la Phenomenology of Consciousness Inventory qui continue à être très utilisée (1986, voir aussi une synthèse dans Pekala, 1991). D’autres instruments vont voir le jour à la même époque  : la Abnormer Psychischer Zustand de Dittrich (1985), le Self-Expansiveness Level Form de Friedman (1983) ou encore la Peak Experiences Scale (PES) de Mathes, Zevon, Roter et Joerger (1982). Elles permettent de passer à des méthodologies mixtes assumées, c’est-à-dire un alliage entre méthodes quantitatives (comme les échelles de mesure) et qualitatives (comme les entretiens). Comme nous le disions plus haut, les années  1990 ont vu un développement important des pratiques méditatives, et donc des recherches à ce propos. Par exemple, en 1994, Gifford-May et

Thompson étudient les ressentis de participants issus de différentes traditions méditatives (bouddhisme, méditation transcendentale, kundalini yoga,  etc.) et de différents niveaux d’expérience. Tous rapportent un vécu de transcendance des limites habituelles physiques et mentales, et pour partie un sens différent de la réalité, ainsi qu’un vécu d’émotions positives (calme et joie). L’étude sur le chamanisme se poursuit, et notamment sur les processus de mise en transe chamanique, avec une centration sur les effets du tambour. Par exemple, Maxfield en 1994 montre que ce rythme facilite l’activité thêta qui initie la mise en transe. Durant ces années, les cartographies se prolongent. Citons le travail de Roger Walsh (1993) qui montre que phénoménologiquement les états chamaniques, bouddhistes et yogiques présentent des points communs, mais aussi des prières propres qui les distinguent les uns des autres, et aussi de tableaux pathologiques comme la schizophrénie. Quant aux années 2000, elles vont signer une accentuation d’intérêt pour les états de conscience modifiés avec en particulier le développement des psychothérapies augmentées8, l’introduction de la réalité virtuelle dans les procédés thérapeutiques, un certain renouveau pour les études portant sur la médiumnité et les phénomènes psi, l’hypnose, les expériences de mort imminente, le développement de l’EMDR et de l’ICV, etc. Ce qui va nourrir ce renouveau va être les importants développements en neuroimagerie et l’ouverture des neurosciences à la perspective phénoménologique en grande partie du fait de l’intérêt porté aux formes de méditation (nous pensons notamment au travail fondamental de Francisco Varela dans ce domaine, ou encore à celui d’Antoine Lutz). L’un des grands bénéfices immédiats à la neuro-imagerie est qu’il est possible d’objectiver «  qu’il se passe quelque chose  » et donc invite les plus sceptiques à s’intéresser à ce qui pour l’instant semblait relever – du moins dans notre culture – d’une forme d’ésotérisme ou d’héritage de notre passé (protomédecine, méthodes jouant sur la crédulité des gens, etc.). Cette période est aussi un temps très important d’appropriation de ces méthodes (lorsqu’elles sont à visée thérapeutique) par le grand

public, sous couvert de pratiques diversement nommées  : complémentaires, non médicamenteuses, douces… Même au niveau soignant, ces pratiques sont d’un recours plus décomplexé9. Évidemment, de nouveaux outils ont continué à être pensés comme l’altered states of consciousness rating scale de Studerus (2010).

La fonction sociale des transes Les transes ne sont pas uniquement des états de conscience particuliers, à référer à une disposition humaine. Elles ont également une fonction sociale forte et parfois même une fonction politique. Déjà, les personnes qui vivent la même expérience ont la possibilité de se regrouper pour des partages (groupes de personnes ayant vécu des expériences de mort imminente, par exemple), voire défendre des droits, comme les groupes d’entendeurs de voix10 (Molinié, 2018). Lorsqu’il s’agit de vécus ou de croyances ritualisées, alors les transes favorisent la coopération inter-individuelle autour de pratiques communes. Ainsi organisées, les transes favorisent une forme de libération de la pression sociale (le cas des transes musicales chez les esclaves est assez typique  ; mais on pourrait aussi étendre aux phénomènes de liesses populaires lors de manifestations diverses). Elles nourrissent aussi une certaine forme de paix sociale, en partie car elles favorisent les syncrétismes notamment religieux, créant ainsi des «  couloirs d’humanité  ». Également, elles établissent des ponts entre des mondes hétérogènes qui peuvent bien entendu être sociaux, environnementaux,  etc. Mais elles ont aussi un rôle facilitateur et accompagnateur de mutations sociétales, dans les changements de paradigmes politiques, etc. comme l’ont montré des auteurs comme Tobie Nathan (2007, 2022) ou encore Tornatore (2023). Mais regardons à un niveau encore au-dessus. Les transes ont aussi une fonction politique dans le sens où elles intègrent une philosophie de l’humain, un ensemble de valeurs, et qu’elles proposent aussi une organisation des liens sociaux au sein d’une

communauté, voire d’organiser la communauté dans son ensemble. Ainsi, les hommes-médecines, chamanes, les divers guérisseurs traditionnels, etc. portent une vision des liens entre l’humain et son écosystème, une conception du monde (ou des mondes) qui organise le vivant,  etc. Ils ont une place particulière dans la communauté, dont ils rythment en partie la vie. La parole d’un chamane par exemple a un statut spécifique et il est l’un des personnages centraux qui dit ce qui est, et ce qui devrait être pour une personne ou pour un groupe. On pourrait dire de même pour nombre de pratiques comme le N’Dop, le vodou, etc. Parfois, ce rôle social et politique est porté par une dimension éducative de transmission de savoirs. Plus proche de notre culture, citons l’importance du magnétisme animal, pratique de transes en Europe de l’Ouest, durant la Révolution française. En effet, cette pratique qui est devenue une véritable passion hexagonale prônait non seulement une forme de médecine accessible à tous, mais aussi une pratique de santé que chacun pouvait pratiquer (en théorie, chacun –  quelle que soit sa classe sociale  – pouvait devenir magnétiseur, sous couvert d’avoir été magnétisé, de suivre un enseignement et une forme de cooptation/supervision par une personne plus experte). À ce propos, nous renvoyons au très intéressant numéro 391 (2018) de la revue Annales historiques de la Révolution française qui est consacré au sujet « Le mesmérisme et la Révolution », et met notamment au jour l’engagement politique majeur de Mesmer et l’influence de son mouvement jusque dans la franc-maçonnerie, qui aura également une influence majeure sur cette période. Ainsi, la promotion des transes n’est jamais anodine dans une société donnée, et l’arrivée d’une nouvelle méthode devrait questionner chacun : quelles valeurs porte-t-elle de façon explicite ? Quels sont ses implicites ? Quelle modification ou refonte sociale est proposée par la philosophie sous-jacente et l’organisation émergente (égalitaire, pyramidale, etc.) ? Enfin, glissons ici un dernier niveau. Comme nous l’avons déjà esquissé, les ECM et les transes ont pour beaucoup d’entre elles

vocation à repositionner le sujet dans son existence. Comme nous allons le développer plus complètement dans notre chapitre «  Aspects psychologiques des ECM et des transes  », on peut comprendre notamment la fonction des transes comme étant une façon de nous sortir de notre attitude naturelle –  notre «  sens commun  »  – pour nous faire vivre et parfois adopter un nouveau rapport à l’existence. Nous brusquer ou nous bousculer oui, mais avec la perspective d’un positionnement autre, peut-être plus adapté. C’est bien pour cela que, depuis tant d’années, les humains ont construit des scénarios, rituels, méthodes pour convoquer «  l’occasion  » d’un ECM ou d’une transe et de l’orienter au mieux afin qu’elle ait un bénéfice thérapeutique. Toutes ces thérapeutiques que nous connaissons dans notre culture ou les autres ne sont pas le fruit du hasard, mais bien d’une ambition humaine de « plier » la transe à son bénéfice. Et cela aussi est un fait politique  ! Actuellement, elles prennent leurs places dans les soins continus, la médecine intégrative, les pratiques dites complémentaires pour une santé globale,  etc. Autrement dit, ces pratiques participent d’une ambition de faire évoluer le paradigme médical afin qu’une nouvelle médecine émerge, incluant ces méthodes à la pensée du soin et aux pratiques du « care »11. Lorsque la mort trébuche…

Nous soumettons à votre sagacité un dernier point : la vocation humaniste au sens où nous venons de le dessiner (repositionnement dans l’existence) est de notre point de vue la fonction majeure des transes. Une autre fonction – sans doute en lien – est de considérer que la plupart des transes n’auraient pour ligne d’horizon qu’une chose  : nous préparer à notre mort  ; nous confronter à notre finitude pour transcender cette «  dernière frontière  ». Autrement dit, nous faire comprendre que l’humain prend l’existence à l’envers : nous considérons que la vie est la « mesure étalon », celle qui définit les choses, et que la mort met fin à ce qui est considéré comme la norme, le «  fait référence  ». Alors que si l’humain était un tant soit peu pragmatique, il devrait considérer que la norme est l’avant et l’après de la vie, qu’il nomme «  vide  » ou « mort », et que la vie est simplement la mort qui a trébuché, une exception avant de reprendre le cours de l’infini qui transcende de loin cet infinitésimal moment. Cette exception est tellement anti-naturelle que nous devons la maintenir en respirant, en mangeant et buvant pour maintenir ce déséquilibre naturel. Une fois trépassés, nous rejoignons l’équilibre qui nous épargne cette dépense d’énergie pour maintenir le déséquilibre de la vie terrestre… La transe ne serait-elle pas là pour nous préparer à

cela, pour nous engager à percevoir l’existence autrement et à apprivoiser ce qui vient d’être énoncé… de façon très cérébrale12  ? Intégrer cela et faire de la transe une routine dans nos quotidiens permettrait sans doute aussi de faire évoluer la nature humaine.

Conclusion Comme on le voit, l’histoire de l’humanité avec les transes est si ancienne qu’on peut les dire intriquées. Elle s’est toujours nourrie d’un certain attrait pour le mystère, pour percer les frontières de l’invisible, puis faire retour à l’humain pour aller plus loin dans la compréhension de sa nature et de son potentiel. Car la finalité est bien là  : mieux nous appréhender dans notre développement et écosystème en explorant de la façon la plus raisonnée possible l’audelà des comportements et perceptions immédiatement saisissables. La science – parfois à son corps défendant – a donné aux chercheurs les instruments qui permettent maintenant d’explorer cela et aussi de mieux définir ses concepts. Par exemple, d’une notion assez indifférenciée de «  conscience  » on est passé maintenant à une distinction entre conscience perceptive (avoir conscience de…) et contenus de conscience (mémoire, pensée, attention…). Sans doute que les modifications dont nous parlons dans cet ouvrage et qui amènent à des vécus différents portent pour certains sur la première dimension, pour d’autre sur la seconde et parfois sur les deux. Et peut-être même qu’il sera possible dans les temps à venir de se passer de cette notion de conscience pour ne plus travailler qu’à partir de quelque chose désignant le corps dynamique sentant, ressentant et pensant… plus largement qu’à travers la limitation d’un cerveau !

Notes

1. Un intéressant épisode de podcast Radio France analyse ce fait historique, avec Michel de Certeau interviewé en février 1972 par Jean-Louis Cavalier. https://cutt.ly/n85XnFA. 2. À écouter, « L'oraison, redécouvrir un trésor de la tradition chrétienne » de Fabrice Midal, pour RCF. https://urlz.fr/mKGQ. 3. « Des exorcismes et des prières qui s’y rapportent ». 4. Voir à ce propos le dialogue entre Maurice Bellot et Alberto Valesco  : Le diable, l’exorciste et le psychanalyste, 2016, Favre. 5. Rapport des commissaires chargés par le roi, de l’examen du magnétisme animal. Paris : Moutard ; 1784. 6. À l’exception de quelques auteurs, on trouve très souvent le prénom Armand pour cet auteur. Mais les premières éditions de ses écrits indiquent le prénom Amand. 7. Terme désignant un phénomène d’interraction entre le psychisme et l’environnement. 8. Psychothérapies avec emploi de psychédéliques : LSD, Kétamine… 9. Je me permets une anecdote personnelle : pendant la période Covid-19, la Fondation de France m’a demandé de présider la commission «  urgences Covid-19  » qui finançait des demandes émanant de structures hospitalières et Ehpad pour la plupart, afin de faire face à la crise sanitaire. Il y eut bien entendu des crédits pour du matériel adapté, notamment de réanimation, des tablettes pour les Ehpad afin d’assurer le lien avec leurs familles, des financements pour monter des équipes mobiles d’intervention psychologique pour soutenir les professionnels de santé, etc. Mais la très grande majorité des demandes a concerné la demande de financements pour mettre en place des espaces de soutien incluant de la méditation, de la réalité virtuelle, de la sophrologie, etc. C’est-à-dire des pratiques utilisant les états de conscience modifiés. C’est certainement à mettre en lien avec d’autres pratiques à la même époque comme le shifting, dont nous parlons dans le chapitre 21, p. 295. 10. Les entendeurs de voix sont des personnes qui – comme cela est indiqué – vivent une expérience où des hallucinations vocales sont présentes. À la frontière entre la psychiatrie, les neurosciences et la psychologie, ce mouvement s’est structuré en réseau d’entraide et aussi militant, permettant de ne plus faire de ces hallucinations d’emblée un symptôme psychiatrique, en lien avec la psychose notamment. 11. À titre d’exemple, citons l’item 327 «  Principes de la médecine intégrative, utilité et risques des interventions non médicamenteuses et des thérapies complémentaires  » qui est un item obligatoire de l’internat de médecine depuis 2022. Cela inclut notamment l’hypnose (Nizard et al., 2021). 12. Sans aller trop loin dans cette question, la question de la mort, de la finitude, des limites à dépasser, de la confrontation à l’angoisse du «  non soi  » est vraiment extrêmement présente dans beaucoup de vécus de transes spontanés ou bien stimulés (respiration

holotropique, hypnose profonde, psychothérapies augmentées par psychédéliques…), ce qui pour nous est un argument fort. Également, les hommes et femmes-médecines de différentes cultures, les guérisseurs,  etc. ont souvent des histoires de vie cabossées, où précisément ils se sont confrontés à la mort, parfois de façon traumatique (une brèche existentielle majeure). Et c’est lorsqu’ils en tirent une forme d’enseignement qu’ils sont le plus souvent reconnus avec une fonction spécifique au sein de la communauté. Une fonction sociale reconnue.

Chapitre 3 Ni dedans ni dehors : abords historiques et culturels de la transe

Renaud Evrard Les états non ordinaires de conscience sont tributaires des normes qualifiant cet «  ordinaire  ». Celles-ci sont logiquement variables selon les époques et les cultures. Certaines formes spontanées ou induites de transe sont quelquefois tolérées ou recherchées, d’autres fois bannies et vouées à la clandestinité. Il n’est donc pas innocent de s’y intéresser. Retrouver ce fil historique permettra d’éviter une approche trop naïve, qui ne tiendrait pas assez compte de la fascination et du rejet qu’entraîne cet objet. Élargir notre perspective ethnocentriste en la confrontant à d’autres points de vue portera un coup de grâce à certains préjugés. L’itinéraire de ce chapitre est donc à la fois vertical et horizontal.

Dans le vaste corpus des travaux historiques et anthropologiques sur ces états, nous pourrons nous concentrer sur ceux qui accompagnent des dispositifs à visée curative. Limité par son empan, cet article ne fait parfois qu’évoquer certains dossiers complexes. Mais ce tour d’horizon se donne pour objectif de contribuer à mieux comprendre ce que peut être la transe en fonction des contextes qui la façonnent.

Variations sur le thème de la conscience Différentes terminologies ont été proposées au cours du xxe siècle pour élever la «  transe  » au rang d’objet académique  : les altered states of consciousness du psychologue et parapsychologue Charles Tart (1969), parfois traduit maladroitement états « altérés » de conscience  ! Georges Lapassade (1987) les traduit adéquatement «  états modifiés de conscience  » et renforce leur étude anthropologique et ethnopsychiatrique. Jean-Pierre Valla

(1992) les renomme «  états étranges de conscience  » dans ses recherches sur la perte des limites extérieures du moi survenant dans certaines expériences mystiques, telles que le «  sentiment océanique ». Dans sa thèse d’ethnologie, Michel Nachez (1999) parle d’états non ordinaires de conscience. Il propose une anthropologie expérimentale en soumettant onze sujets occidentaux à des rituels chamaniques. Il théorise un continuum entre expérience de hors corps, expérience de mort imminente, expérience d’enlèvement par des extraterrestres et rêve lucide. Ces quatre expériences font désormais partie des «  formes multiples des expériences anomales  » (Cardeña, Lynn et Krippner, 2000), également rebaptisées «  expériences exceptionnelles  » du fait de l’ambiguïté de l’adjectif « anomal » (Evrard, 2014). Chacun de ces termes renvoie à sa manière à une norme que la transe transgresserait. Il est donc toujours en opposition à une règle que se donne une culture donnée. Passons en revue certains de ces dispositifs historiques articulés autour de la transe.

Psychoscopes d’hier et d’aujourd’hui En 1885, dans un des premiers essais sur « l’écriture automatique », le classiciste anglais Frederic W.  H.  Myers (1885a) a introduit la notion de psychoscope pour désigner tout instrument qui révèle une impulsion motrice ou une impulsion sensorielle «  subliminale  », c’est-à-dire tout dispositif qui permet l’émergence des automatismes moteurs ou sensoriels. Ces automatismes sont identifiés par le sujet comme échappant à son contrôle volontaire ou, autrement dit, à l’attention de sa conscience. Il s’agit donc de ces situations où des formes minimales de transe exsudent d’un individu.

Transes antiques

Pour prendre un point de départ, parmi plusieurs possibles, une référence à l’Antiquité grecque a toujours les honneurs. On y trouve la transe employée dans ses fonctions thérapeutiques, mais également dans ses fonctions divinatoires. Souvent, les deux sont combinées. La divination aide à établir le diagnostic du mal, voire à édifier un pronostic et identifier le remède. Une autre combinaison découle des bienfaits thérapeutiques d’une divination donnant au sujet des éléments de sa trajectoire personnelle. Ainsi, les temples d’Asclépios, dieu de la guérison dans la mythologie grecque, étaient dévolus au soin mental et physique. Le patient était invité à dormir dans une zone spéciale (abaton) en demandant un rêve. C’est l’état dit d’incubation. Le lendemain, un membre du temple ayant reçu un entraînement spécial, connu sous le nom de Therapeutae (pour soigner/servir), venait l’aider à interpréter son rêve, d’où découlait un programme de guérison. Autre exemple célèbre, le sanctuaire oraculaire de Delphes, ville qui était littéralement le centre du monde pour les Grecs. Apollon luimême aurait fondé ce sanctuaire où sa parole divine y était transmise par l’intermédiaire de la Pythie. Possédée par le dieu Apollon, elle était saisie par l’enthousiasme, au sens grec du terme, c’est-à-dire « ayant le dieu en elle ». Après avoir mâché du laurier et bu l’eau de la source sacrée, des propos confus sortaient de sa bouche frémissante, puis étaient recueillis par les exégètes, des prêtres qui fixaient le sens à retenir de la consultation. La Pythie était installée sur un trépied placé dans une fosse oraculaire, l’adyton (littéralement « l’endroit où l’on ne va pas »), juste au-dessus d’une fissure d’où les Anciens pensaient qu’émanaient des vapeurs toxiques, source de ses pouvoirs. Des controverses étendues sur plusieurs millénaires ont tenté de cerner l’importance causale de ces vapeurs dans l’induction de ces transes. Ces deux exemples nous montrent des dispositifs très différents. Dans l’une, c’est le rêve comme état commun, accessible au toutvenant, qui fournit la matière à l’interprétation divinatoire et thérapeutique. Dans l’autre, c’est une transe par possession,

réservée à une élite, dont les productions sont ensuite retraduites par des intermédiaires religieux.

Supports mantiques Par contraste avec ces configurations, certaines transes se combinent, voire se dissimulent, dans l’usage d’instruments jouant un rôle d’étayage plus ou moins assumé. Ce sont les supports de mancie, des outils permettant la divination, dont l’usage a parfois une finalité thérapeutique. Ils s’originent dans l’interaction entre un humain et un objet ou un événement, interaction dont le résultat est ensuite réinterprété selon une codification plus ou moins érigée comme savoir partagé. Les anthropologues Northcote Whitridge Thomas et Andrew Lang (1905) ont constaté la présence de supports de mancie depuis au moins 3  000  ans dans toutes les cultures connues. On peut globalement catégoriser ces supports en deux groupes, qui ne sont pas complètement indépendants (de Siké, 2001) : ● le groupe des spéculums  : miroirs polis, bassin d’eau, huiles sur les ongles,  etc. Le principe est d’utiliser l’illusion d’optique générée par les surfaces réfléchissantes pour induire une perception spéciale ; ● l’autre groupe qui se base sur l’aléatoire  : disposition des entrailles d’un animal sacrifié, vol d’oiseaux relâchés, lancer de pièces ou de baguettes, lecture des lignes de la main, examen minutieux du marc de café, etc. Le principe est alors d’établir un lien significatif entre le hasard et le caractère personnel ou la destinée. La question qui traversera les siècles est celle de savoir quelle crédibilité pouvait être accordée à la perception ou à l’interprétation qui découlait de l’usage des mancies. Simple hallucination ou véritable stimulation d’une intuition transcendante ? Cette hésitation se renouvellera au tournant du xxe siècle autour de l’élaboration de la première psychologie scientifique.

Psychologie des supports mantiques À  titre d’illustration, le médecin et psychologue Pierre Janet fit en 1897 une conférence à l’université de Lyon sur « la divination par les miroirs et les hallucinations subconscientes  ». Il y affirmait, expériences à l’appui, que ce qu’on voyait dans ces mancies n’était que des souvenirs, certains oubliés et d’autres dont les sujets ne se rappelaient même pas les avoir enregistrés. Parfois ces images pouvaient prendre des formes plus précises et devenir de véritables hallucinations visuelles. Toutefois, selon Janet, tout le monde n’était pas égal dans cette capacité à avoir des visions  : y excellaient certaines personnes particulièrement disposées à la rêverie inconsciente (ou à l’hypnose). En clinicien prudent, il recommandait de ne pas abuser des miroirs, non pas pour des problèmes de narcissisme, mais parce que cela déréglait l’activité psychique ! Herbert Silberer, psychanalyste autodidacte, a publié en 1912 un article sur la lécanomancie (une méthode de divination par l’inspection de l’eau d’un bassin), qui permet de détecter des représentations inconscientes. En focalisant son attention sur la surface du liquide, le sujet est amené à développer des automatismes sensoriels qu’il peut interpréter comme de véritables perceptions. Aujourd’hui, on expliquerait le phénomène observé par Silberer par le mécanisme cognitif dénommé «  paréidolie  »  : la tendance à construire des formes à partir d’un stimulus ambigu. Elle se décline pour tous les sens : visuelle, auditive, olfactive, etc. Voir des visages est une forme privilégiée de paréidolie visuelle (Takahashi et Watanabe, 2015). Avant Janet et Silberer, l’Anglais Frederic Myers a été l’un des auteurs les plus influents dans l’exploration de ces automatismes (Ellenberger, 1994). Il a poussé au maximum les études de l’hypnotisme, de l’écriture automatique, de l’hystérie, de la médiumnité, des rêves, de l’inspiration créatrice, du génie… et a intégré l’ensemble dans une théorie cohérente du Moi subliminal (Myers, 1903), modèle influent de la première «  psychiatrie

dynamique  ». Cette théorie postule l’existence de centres psychiques en dehors de la conscience, en tant que sources de complexes automatiques d’actions et de perceptions. En effet, ce que montrent les automatismes moteurs, c’est qu’il peut y avoir des actions intelligentes organisées sans le concours de la conscience de veille. De même, il peut y avoir des automatismes sensoriels avec une organisation de la perception qui déborde le contrôle de la conscience. En somme, l’approche dynamique s’intéresse à toute cette part du psychisme qui n’est pas consciente, que Myers appelle «  subliminal  », Janet «  subconscient  », et d’autres après eux « inconscient ». Il ne s’agit pas d’opérations inférieures de l’esprit ou de simples procédés cognitifs de traitement de l’information  : ces auteurs parlent de centres psychiques disposant de leurs propres chaînes de souvenirs et de leurs propres capacités. Par exemple, un paysan qui ne parle qu’en patois se retrouve, une fois en transe, à parler parfaitement un français châtié (Peter, 2009). Pour son étude expérimentale des automatismes sensoriels, Myers et ses collègues se sont inspiré des pratiques traditionnelles. Durant les décennies 1880 et 1890, il y a eu de nombreuses études utilisant des boules de cristal ou des miroirs qui testaient le phénomène du crystal-gazing (ou vision par le cristal), mais également son pendant auditif, le shell-hearing, comme lorsqu’on entend des choses en mettant l’oreille dans un coquillage. Myers (1885b) décrit une procédure d’induction qui consiste à passer dix minutes à regarder fixement le cristal, si nécessaire en mettant un fond noir derrière pour ne pas voir que son reflet. Après trois ou quatre séquences d’observation prolongée, où les participants ont des réminiscences confuses ou de l’imagerie apparemment fortuite, certains sujets ont l’impression que la boule devient laiteuse ou vaporeuse, puis après un certain temps, ils voient des images voire des scènes entières dans la boule ou « ailleurs » : c’est l’automatisme sensoriel, c’est-àdire des perceptions non contrôlées. Le crystal-gazing serait un phénomène d’hallucination induite ne nécessitant pas un état modifié de conscience particulier, et donc particulièrement inoffensif.

Myers a également observé que, parmi les visions qui émergeaient dans le cristal, certaines impliquaient des souvenirs oubliés ou involontaires, mais également des informations sur des événements se passant à distance ou dans le futur. Il n’y a malheureusement pas eu d’études systématiques de cet aspect paranormal, mais on voit bien ici que les tentatives pour psychologiser le phénomène retombent sur la problématique divinatoire (Méheust, 1999).

Les automatismes pour dévoiler la personnalité Le fondateur de la psychologie analytique Carl Gustav Jung était un psychiatre de premier plan du Bürghozli, en Suisse. Dans le cadre de sa thèse, Jung (1902) a participé à des séances de tables tournantes et parlantes avec une médium spirite qui n’était autre qu’une de ses jeunes cousines. Il observa avec elle, notamment grâce à l’écriture automatique, toute une palette de phénomènes d’automatismes moteurs et sensoriels, abondamment cultivés par le milieu spirite, qui permettaient de faire émerger les « profondeurs du psychisme  ». Jung s’inspirait de l’étude d’un autre pionnier de la psychologie en Suisse, Théodore Flournoy, dont le livre Des Indes à la planète Mars (Flournoy, 1900) était déjà une étude approfondie du cas d’une médium spirite baptisée « Hélène Smith », qui mettait en évidence l’exaltation des facultés mnésiques et intellectuelles au moyen de la transe et des automatismes moteurs. Inspiré par la psychanalyse, et nourri par ses études des transes liées à la médiumnité spirite, Jung mit au point entre 1904 et 1909 un test d’association de mots qui eut une grande renommée, puisqu’il permettait d’entrevoir le fonctionnement psychique inconscient de façon objective (Jung, 1919). Une centaine de motsstimulus étaient lus à un sujet qui devait répondre, le plus rapidement possible, en exprimant le premier mot différent qui lui venait à l’esprit. Le temps de réaction et la réponse verbale étaient enregistrés et analysés, ce qui permettait une analyse à la fois quantitative et qualitative des « complexes psychiques ». Pour Jung, «  la perturbation de la chaîne des associations constitue le signe

essentiel de l’intervention d’un “thème” inconscient  » (Anzieu et Chabert, 2014  : 39). Ce test était employé dans une visée diagnostique mais également clinique. Le test d’association de mots vise en fait à accéder à cette part du psychisme sans passer par la transe, remplacée par une pression sur le mécanisme de l’associativité verbale, qui favorise une forme légère d’automatisme moteur. Une variante de ce test fut proposée par le pasteur Oskar Pfister. En 1913, il fait paraître une étude de la cryptographie (ou « kryptergon »), procédé qui consiste à demander à des patients ou des gens «  normaux  » dans «  une association libre visuelle  » de dessiner, sans s’en soucier, des gribouillis dans lesquels ils découvrent des formes qui ont de fortes connexions avec leurs plus importants complexes. Ses travaux font écho aux données obtenues avec l’écriture, le dessin ou la peinture automatiques, c’est-à-dire dans des états de transe, mais il y associe une tentative d’interprétation psychanalytique. Enfin, le test psychodiagnostique établi par Hermann Rorschach, employant des taches d’encre marquées par une symétrie centrale, est une combinaison habile d’un spéculum (grâce à la symétrie et la fixation du regard sur la planche) et d’un procédé aléatoire (via la forme arbitraire de la tache) (Maillet, 2011). Bien sûr, le test de Rorschach n’est pas mantique au sens où sa visée n’est pas de prédire l’avenir, mais son utilisation pour percer le caractère personnel et pronostiquer quelque chose de la trajectoire de vie reprend une partie de cet héritage (Evrard et Frigaux, 2021). Cet usage médical coexistera toujours avec celui de l’encromancie, c’est-à-dire l’emploi de taches d’encre brutes ou symétriques en tant que supports de divination.

Psychoscopes et chronoscopes : bifurcation de la psychologie

Myers affirmait que la méthode psychoscopique était l’approche expérimentale par excellence de la personnalité humaine (Myers, 1885b). Il proposa que l’hypnose, l’écriture automatique et les autres psychoscopes soient à la psychologie ce que le spectroscope est à l’analyse de la lumière, c’est-à-dire le moyen d’étudier les différentes couches et propriétés du psychisme. Toutefois, il n’a pas été suivi par la majorité de ses collègues et la psychologie a bifurqué dans une autre direction. On peut incarner ce choix en repérant deux papes de la psychologie, Wilhelm Wundt et William James. En Allemagne, Wundt a développé un programme de psychologie physiologique basé sur la chronométrie mentale, la mesure objective du temps pris par les opérations psychiques. Wundt avait commencé par s’intéresser à l’inconscient et à l’hypnose, et a même étudié un médium, mais il a fini par rejeter toute cette partie «  obscure  » de la psychologie en affirmant qu’on ne devait ni ne pouvait étudier que la conscience de veille. Les historiens soupçonnent que ce choix épistémologique soit lié à ses propres croyances religieuses et mystiques (Evrard, 2016). La tâche d’un sujet consiste à réagir immédiatement aux impressions sensorielles déclenchées par l’expérimentateur. Wundt pensait ainsi pouvoir isoler des éléments mentaux purs en les soustrayant des constantes physiologiques supposées au niveau perceptuel et moteur (par exemple, la vélocité des impulsions nerveuses). Les tâches expérimentales allaient de simples tests employant des stimuli sensoriels primitifs à des tâches plus complexes, telles que la reconnaissance de lettres ou de mots. Wundt a défendu une sorte de monisme méthodologique (corrélats objectifs de perceptions), alors que les autres pays (notamment France et Angleterre) combinaient plusieurs méthodologies, dont l’utilisation de l’hypnose. À  un moment (1892), il a attaqué ses collègues et toutes les premières sociétés de psychologie en disant qu’elles étaient pseudo-scientifiques. Mais c’était aussi, selon certains historiens, car il courait le risque d’être trop isolé sur la scène internationale.

Le philosophe et psychologue américain William James s’est appuyé sur la «  méthode psychoscopique  » de Myers, et donc sur l’étude d’états spontanés – sommeil et rêves, somnambulisme, transe, hystérie, automatisme, conscience alternante, épilepsie, maladie, mort et dissolution  – et d’états induits –  narcotisme, catalepsie hypnotique, somnambulisme hypnotique et techniques apparentées. James dit de cette méthode qu’elle est comme une «  vivisection psychique » sans douleur qui fournit un point de vue sans égal sur les mystères de l’homme. L’hypnotisme et les autres états modifiés de conscience, loin de favoriser constamment des productions régressives ou désintégratives, développent régulièrement et de façon reproductible des fonctions clairement supérieures à la normale (tel que le génie mathématique et des formes extrêmes de mémoire), ainsi que des capacités que certains interprétaient comme mettant en évidence un « sujet transcendant ». Il y a donc un conflit de paradigme à cette époque et les arguments de James/Myers étaient tout aussi audibles que ceux de Wundt. Myers affirmait que la psychologie physiologique orthodoxe imposait des méthodes étrangères à son objet au lieu de développer progressivement des méthodes originales, adaptées aux problèmes spécifiques posés par l’esprit humain. Selon lui, la neurologie ne pouvait que photographier la forteresse psychique de l’extérieur. Ces recherches couraient le risque de ne pouvoir être suffisamment intimes pour conduire à de véritables découvertes sur le fonctionnement de l’esprit. On retrouve cette opposition aujourd’hui avec des études neuroscientifiques ou simplement par questionnaire de la personnalité et de la psychopathologie, qui sont mises en opposition avec les méthodes projectives qui affirment pouvoir analyser le fonctionnement intrapsychique autrement inaccessible (Evrard et Frigaux, 2021).

Abords culturels

Après cet aperçu historique, une perspective plus horizontale est fournie par l’approche ethnologique. Il ne manque pas de chercheurs ayant décrit des terrains « exotiques », c’est-à-dire non occidentaux, où la transe était employée de façon ritualisée pour divers usages (Lapassade, 1987). Pour prendre un exemple, le médecin, philosophe, théologien et historien des religions Albert Schweitzer, prix Nobel de la paix 1952, décrit les us des indigènes du Gabon. Il s’est penché attentivement sur les manifestations étonnantes dont il a été témoin  : télépathie, clairvoyance, envoûtements,  etc., associées à des transes spontanées ou induites (Schweitzer, 1951). Que nous apporte cet autre regard sur la transe ?

Le philosophe et ethnologue italien Ernesto De Martino (1959) s’est concentré sur une comparaison entre les descriptions des ethnologues et des exemples locaux, collectés en Italie du Sud. Il étudie sur le terrain de nombreuses formules magiques dérivées de prières catholiques qui sont appliquées à tous les problèmes de la vie quotidienne. L’Occidental n’échappe ni à la magie, ni à la transe, même si elle a pour lui un statut plus marginal. Trop peu d’études sont consacrées à ce matériel. Les pratiques locales de magie semblent moins intéresser que les exhibitions exotiques, notamment parce qu’elles confrontent à des « réalités métapsychiques » dont la discussion pose problème dans le climat scientifique contemporain. De Martino (1948) théorise une alternative à l’opposition sempiternelle entre magie et raison. Il cherche à bâtir une théorie de la connaissance qui stipule que les conceptions culturelles et les formes historiques de l’expérience sont susceptibles d’influencer la production physique de certains phénomènes, car un isomorphisme foncier existe entre l’objectivité du monde historico-empirique et la subjectivité des consciences qui s’y inscrivent. Par exemple, «  la présence », c’est-à-dire l’unité du corps et de l’esprit qui l’habite, est conçue comme stable en Occident et comme susceptible de se

relâcher ailleurs. L’individu pourrait alors retomber dans un état psychique indifférencié, en fusionnant avec le monde environnant. Son corps pourrait être vacant ou laisser la place à une entité. Magie et crise de la présence seraient alors fortement liées. Ces idées sont développées dans l’ouvrage collectif dirigé par l’historienne des religions Silvia Mancini (2006). Le premier principe pose l’existence de ce qu’on pourrait appeler une nature plastique et dynamique des confins entre le psychisme, le physiologique-somatique et le socio-culturel. Chacun de ces trois ordres se trouve soumis à un processus de construction et de réorganisation permanentes. De nombreuses civilisations ou subcultures anciennes ou contemporaines vont alors développer des «  technologies de l’esprit  » et des pratiques du corps pour réguler l’interaction entre ces trois ordres. Le deuxième principe est que les divers discours et représentations émanant des institutions fondamentales de la culture moderne (scientifique, médicale, philosophique, théologique, etc.), institutions supposées objectiver et cartographier la réalité telle qu’elle est, se révèlent dotés d’un pouvoir actif et réalisant, en ce sens que ces discours et ces représentations aboutissent à la fabricationréalisation des objets qu’ils prétendent décrire. De fait, les rites ou les «  orthopratiques  », dès lors qu’ils poursuivent des buts explicitement correctifs et transformationnels, et agissent dans le cadre magico-religieux, thérapeutique ou pédagogique, se révèlent dotés d’une efficacité factuelle et d’un pouvoir actif. De même pour les institutions officielles qui participent à la production des réalités qu’elles prétendent observer, quitte à évacuer la transe et le cortège des phénomènes qui l’accompagne. La transe aurait un rôle catalyseur dans la transformation visée par le rite. Abordé en tant que dispositif technique, le rite revêt, en effet, l’aspect d’une modalité institutionnelle, laquelle, en jouant sur les états dissociés de la conscience, facilite le passage critique d’un état à l’autre  ; par exemple, d’un état d’affliction physique au recouvrement de la santé  ; de la condition de possédé à celle

d’individu réintégré et maître de soi  ; d’un régime identitaire à un autre, etc. «  Loin de constituer un effet secondaire de l’agir rituel en tant qu’action transformatrice efficace, cette dissociation se présente alors comme la clé de voûte de cet agir, c’est-à-dire comme l’opération responsable de la transformation poursuivie. » (Mancini, 2006 : 35.)

Ainsi, l’abord culturel nous invite à développer une position réflexive, à chercher dans notre culture des indications de ce qu’est la transe. Comment a-t-elle été intégrée dans nos sociétés ? Bertrand Méheust (1999) a retracé l’histoire de la transe et des phénomènes métapsychiques en Occident en suivant ce fil conducteur du « décrire-construire ». Il décrit une séquence qui, se détachant des pratiques magiques et religieuses, tente de puiser dans la science une nouvelle intelligibilité de ces phénomènes. Mais cette tentative sera stoppée net suite à des débats faisant s’opposer des conceptions contradictoires de l’être humain. Une série de cycles d’enthousiasme, de rejet et de réappopriation va alimenter des siècles de controverses. Au cours du xviiie  siècle, l’exorciste autrichien Johann Caspar Gassner exerçait son «  don  » à guérir des maux divers par une forme pragmatique du discernement des esprits. Il se refusait à soigner ce qu’il appelait «  les maladies naturelles  », celles relevant de la médecine, pour ne traiter que les «  maladies surnaturelles  » causées, selon lui, par la sorcellerie ou la possession démoniaque. Puisque Gassner divisait la communauté scientifique, le médecin allemand Franz Anton Mesmer fut appelé à juger de sa pratique. Il l’interpréta comme une preuve de sa propre théorie du « magnétisme animal », défendant donc l’idée, à ce moment-là, qu’il s’agissait de troubles naturels et non surnaturels qui étaient détectés par Gassner, notamment au travers des crises de possession. Postulant l’existence d’un fluide universel influencé par les aimants, Mesmer déploiera une thérapeutique à base de manipulations dudit

fluide pour soigner tous les maux, du corps comme de l’esprit, par l’intermédiaire d’une transe  : la «  crise magnétique  ». Cette revendication fut examinée par des scientifiques, et les controverses qui s’ensuivirent donnèrent tort à Mesmer, en ramenant les effets constatés aux produits de « l’imagination » (Peter, 2009). Une ferveur populaire s’empara rapidement du sujet, à quelques années de la Révolution française. À  partir de 1784, le marquis de  Puységur va «  mesmériser  » dans son domaine de Buzancy, découvrant une nouvelle forme de transe : le somnambulisme artificiel. Contrastant avec les crises obtenues par Mesmer, il décrit un malade placé dans un état profondément endormi mais pleinement conscient, et capable de clairvoyances sur sa maladie, sur celle des autres et sur les remèdes qui conviennent. C’est la « lucidité magnétique ». Après s’être distinguée de la pratique traditionnelle de l’exorcisme, la doctrine du magnétisme animal va se renforcer en abandonnant certains aspects dogmatiques (notamment en proposant une pluralité théorique après le retrait du maître et de son « secret »), en se plaçant sur le plan de l’expérimentation et des faits, et en entamant un dialogue direct avec la médecine classique. Au début du xixe  siècle, l’Académie de médecine est ainsi divisée, et des commissions contradictoires vont valider puis invalider les faits du mesmérisme (Méheust, 1999). La culture occidentale manque de basculer dans l’acceptation d’une transe comme instrument à la fois thérapeutique et scientifique. De 1837 à 1842, une polémique féroce met aux prises des savants renommés et tient, par presse interposée, le public parisien en haleine  : «  L’enjeu est perçu comme capital. Il s’agit de vérifier la réalité de la fameuse lucidité magnétique, grâce à l’une de ses manifestations supposées, la lecture à travers les corps opaques  » (Méheust, 1996 : 15). Le 15 juin 1842, à la suite d’un débat houleux, et malgré les protestations véhémentes de certains de ses membres, qui estiment que l’Académie de médecine a failli à sa tâche, l’institut décide de se fermer officiellement «  à toute espèce de fait magnétique  ». Plus aucun mémoire sur ce thème ne sera

analysé. L’anathème de l’Académie de médecine prend exemple sur celui fait par l’Académie des sciences aux prétendues démonstrations de la quadrature du cercle. Ce rejet explicite dans un forum officiel est une spécificité française  : on ne trouve pas trace d’une semblable condamnation dans le monde anglo-saxon et germanique. Ce bannissement officiel n’empêcha pas la poursuite des études sur le magnétisme et le somnambulisme, mais celles-ci furent vouées à rester en marge de la science officielle. Les plus connues furent les études des « névroses extraordinaires » (Evrard et Pratte, 2017), du phréno-hypnotisme (Lantéri-Laura, 2000) et de la métallothérapie (Plas, 2000). La technique appliquée par Mesmer ne put faire son retour que vers le milieu du xixe  siècle, sous une forme épurée, le braidisme puis l’hypnotisme, débarrassée des notions de «  fluide  », de «  magnétisme animal  » ou d’influence des planètes (Méheust, 1999). L’hypnose est maintenant reconnue comme une pratique thérapeutique normale traitant des maux normaux, même si son caractère la rapproche toujours d’une « pensée magique » et d’une thaumaturgie la poussant à la frontière d’une thérapeutique paranormale (Collot, 2008). Se pose donc la question de tenir compte ou non d’un « surplus » de phénomènes non élaboré dans l’hypnose actuelle. L’historien de l’ésotérisme Antoine Faivre (1986) a montré que la faculté de l’imagination «  d’agir sur la nature  » recouvre historiquement deux catégories d’actions : l’action dite « intransitive » qui « s’exerce sur le seul corps du sujet imaginant  » et l’action dite «  transitive  » qui «  s’exerce sur des objets extérieurs à lui  ». L’acceptation d’une action transitive signe la frontière entre l’hypnotisme et ce qui va alors prendre le nom de «  recherche psychique  », séquelle du débordement du somnambulisme de Puységur par rapport au magnétisme de Mesmer. L’imagination intransitive qui caractérise l’hypnose a mis deux siècles à être totalement reconnue. Se pourrait-il que la doctrine de Puységur, auquel serait soustraite l’hypnose, possède encore un reste non assimilé ?

Au milieu du xixe siècle, la fascination occidentale pour la transe sera décuplée par l’engouement pour les pratiques et doctrines du spiritualisme. On identifie de nouveaux supports mantiques ou des Pythies modernes, les médiums, qui, une fois en transe, capteraient des informations autrement non accessibles, et notamment sur la vie dans l’au-delà. L’étude de ces phénomènes va intéresser une poignée de savants curieux qui se regrouperont au sein de sociétés savantes, telles que la Society for Psychical Research en 1882. L’arrivée du spiritisme amène à proposer une nouvelle théorie de l’esprit. Le conseiller d’État russe Alexander Aksakof propose un découpage classique en personnisme, animisme et spiritisme : ● Le personnisme  : c’est le phénomène psychologique qui fait adopter à un individu les traits d’un autre individu. Phénomène commun pour un acteur de théâtre, il prend une autre dimension avec les possédés et les médiums à incarnation. Les personnages avec lesquels ils interagissent ou qu’ils se proposent d’incarner peuvent être de véritables «  sosies  » de personnes décédées. Les médiums peuvent se saisir d’éléments biographiques et de caractère jusqu’à produire de véritables «  pastiches subliminaux  » qui ne se bornent pas toujours à imiter tant bien que mal la manière et le style des défunts, mais innovent volontiers. Le journaliste scientifique français René Sudre (1956  : 105) rebaptise ce phénomène la prosopopèse (mot formé, à l’exemple de prosopopée, du grec prosopopoieo, de prosopon, masque de théâtre, personnage), pour désigner «  tout changement brusque, spontané ou provoqué, de la personnalité psychologique ». ● L’animisme  : il désigne tous les phénomènes paranormaux attribués aux capacités latentes des êtres humains vivants, soit télépathie, prémonition, clairvoyance (regroupés par Sudre sous la notion de « métagnomie » due au philosophe Emile Boirac), ainsi que télérgie (déplacements d’objets sans contact) et téléplastie (ectoplasmes).



Le spiritisme : il regroupe des phénomènes dont l’origine doit être cherchée du côté d’entités surnaturelles interagissant avec notre monde (anges, esprits, fées, etc.).

Sudre (1956) a promu le modèle dit «  prosopopèse-métagnomie  » qui prétend expliquer l’ensemble des phénomènes paranormaux au moyen des deux premières catégories, sans laisser aucun reste pour la théorie spirite. La doctrine spirite lui semble vide de toute substance empirique, se réduisant à un composé de psychologie et de parapsychologie. La transe serait ainsi tout à fait pensable dans un cadre naturaliste, même si elle s’accompagne fréquemment de phénomènes qui semblent le déborder.

Conclusion L’abord culturel du phénomène de transe donne très clairement à voir un décalage entre les réticences occidentales et l’usage habituel de celle-ci ailleurs. Selon certains spécialistes s’appuyant sur une approche constructiviste, la vérité ne serait pas à situer chez les uns ou les autres. Chaque culture joue de la plasticité du psychisme pour façonner des représentations de l’humain qui, de manière performative, modifieront sa réalité. Il y aura donc des contextes où la transe a des fonctions thérapeutiques et divinatoires, et d’autres où elle représente un danger ou une dérive. Selon certains auteurs, le monde occidental serait une société bâtie «  contre  » la transe. La personne «  garantie  » (selon l’expression d’Ernesto de Martino, 1948) qui caractérise l’expérience occidentale ne serait rien d’autre qu’une prosopopèse stabilisée, dans une culture qui aurait instauré une fermeture à la métagnomie. La bifurcation de la psychologie au tournant du xxe siècle, dans un rejet des psychoscopes et de la « recherche psychique », aurait-elle ainsi freiné la connaissance de la nature profonde de l’humain ?

Chapitre 4 Phénoménologie des états de transe

Nancy Midol La phénoménologie conçoit l’humain et plus largement le vivant comme participant à la chair du monde. Cette aperception est parfaitement illustrée, détaillée et approfondie par l’étude des transes. La permanence de leurs manifestations et leur continuel renouvellement soulignent la dynamique de ce phénomène, l’intensité de sa créativité connectée à l’évolution du monde. De nombreuses sciences contemporaines confirment cette compréhension dynamique et holistique du monde comme tissu vivant. Les transes sont des processus de créations qui, comme le rêve et le jeu – « playing » –, improvisent, s’élançant dans le grand Tout (unus mundus), comme « pour rejoindre des forces de l’avenir, des forces cosmiques. On s’élance, on risque une improvisation. Mais improviser, c’est rejoindre le Monde, ou se confondre avec lui  » (Deleuze et Guattari, 1980). Transe, rêve et jeu ont en commun d’être des capacités écosystémiques largement répandues dans le monde vivant et partageant des fonctions communes ou proches. Ce sont des aptitudes que je définirais comme écologiques, ce sont des productions émergeant dans des espaces intermédiaires entre soi et les autres, entre le biologique et le culturel, entre le dedans et le dehors, entre l’intime et le social, entre le chaos (désordre) et le cosmique (harmonie). Le phénomène des transes est un événement nécessairement contextualisé, il adhère à ses environnements physiques et historiques. Il convoque une ressource adaptative qui, chez l’humain, peut surgir spontanément dans des situations et des contextes particuliers dans un but de sauvegarder la vie ou de s’adapter à des circonstances extraordinaires (danger, douleur, souffrance, folie, performance…). C’est ce dispositif du vivant que les cultures ont diversement apprivoisé et façonné dans des traditions toujours évolutives. Selon les aires culturelles, on parle de possession, de chevauchement, d’incorporation, de médiumnité, d’extase, d’enstase, de voyage dans d’autres mondes, de dissociation de la conscience, de dédoublement de la personne, d’inspiration, etc.,

faisant apparaître la diversité du «  vécu  » du phénomène et de ses interprétations. Dans les exemples qui suivent, nous abordons trois problématiques liées à l’émergence du phénomène des transes : ● (1) Survivre dans un monde social hostile. ● (2) Aménager le chaos pour rejoindre l’ordre cosmique. ● (3) Contribuer à la beauté du monde pour le renouveler.

Survivre dans un monde social hostile Maîtres fous Jean Rouch filme une cérémonie rituelle de possession au Ghana à «  la demande des prêtres, fiers de leur art, Mountyeba et Moukayla.  » Il précise «  qu’aucune scène n’en est interdite ou secrète mais ouverte à ceux qui veulent bien jouer le jeu. Et ce jeu violent n’est que le reflet de notre civilisation », une façon pour lui de déjouer les critiques et interdictions qu’il a reçues à propos de ce documentaire. Prouesse technique, il filme caméra à l’épaule (qu’il remonte toutes les 26 secondes et enregistre le son indépendamment). Controversé, il obtient néanmoins le Grand Prix de la Biennale internationale du cinéma de Venise – Film Ethnographique, en 1957. En voix off sur les images de scènes de rues d’Accra, Rouch fait le commentaire suivant : « Venus de la brousse aux villes de l’Afrique noire, de jeunes hommes se heurtent à la civilisation mécanique. Ainsi naissent des conflits et des religions nouvelles. Ainsi s’est formée, vers 1927, la secte des Haouka pour appeler les dieux tougo, les dieux de la ville, les dieux de la technique, les dieux de la force. » Ce film montre un épisode de la vie des Haouka, un rituel en train de s’inventer par des Africains migrants, déracinés et déculturés, travaillant comme dockers, porteurs, mineurs, coupeurs de gazon anglais… dans la ville d’Accra colonisée par les Hollandais. Ce rituel survient donc au moment d’un changement politique radical qui entraîne une acculturation vécue avec plus ou moins de confusion,

de désorientation, de rancœur et de fascination chez ces personnes nouvellement déracinées et dominées. La secte des Haouka, du nom des esprits des nouvelles forces de la modernité apportées par les colons au Ghana, utilise les transes pour approcher ce qui terrifie, ce qui déstructure leur conscience et leur identité. La transe de ces immigrés en rupture sociale leur permet d’approcher de l’intérieur la terreur et la fascination que suscitent les colonisateurs hollandais, notamment les chefs militaires et politiques. La violence des sentiments d’incompréhension (sensation, émotion, valeur, signification) semble appeler en retour la violence correspondante des transes vécues. 1954  : un dimanche matin, tous les membres de la secte se retrouvent dans la brousse à la concession de Mountyeba, grand prêtre de tous les Haouka. « La première partie de la cérémonie est la présentation d’un nouveau. Il sort avec deux fusils de bois, qu’il claque pour imiter les détonations et il menace les anciens. Aussitôt, ceux-ci sont pris d’un début de crise. Il faut saluer le nouveau ! Une bagarre s’ouvre, qui laisse le nouveau mal en point. » La deuxième partie de la cérémonie, c’est la confession publique. Autour de l’autel constitué d’une ancienne termitière, les coupables s’accusent de certains méfaits (adultère, saleté, etc.) Un poulet est sacrifié aux dieux. Les « punis » viennent sur l’autel promettre de ne pas recommencer, puis ils sont conduits hors de la concession dans la forêt environnante. Ceux qui restent dans l’aire de la transe se soumettent à l’épreuve du feu tout en attendant un chien. « C’est un interdit alimentaire total. Si les Haouka tuent et mangent un chien, ils montreront qu’ils sont plus forts que les autres hommes, noirs ou blancs. Peu à peu, chacun entre dans la danse. La possession commence. Les derniers possédés arrivent enfin  ; une conférence de la table ronde décide de manger le chien. On égorge la bête, et chacun se précipite pour boire son sang. Une nouvelle conférence décide qu’il faut faire cuire le chien : on pourra ainsi offrir du bouillon et des morceaux à ceux qui ne sont pas là. » Et il est intéressant de constater que l’identité du groupe Haouka se constitue par un acte transgressif (parce que le chien n’est pas un

animal sacrificiel), pour sceller don et contre-don avec les esprits nouveaux de la modernité, pour souder les membres de la secte en partageant le Tremendum (Rudolf Otto), ce sentiment qui terrifie et fascine à la fois, qui ose une confrontation avec l’effroi du chaos, prémisse à une réorganisation collective et peut-être ensuite au sentiment du numineux proche de l’extase. Le sang du chien a coulé pour dynamiser la vie, pour que sa viande soit partagée avec les esprits et les adeptes, consolidant la cohésion du groupe Haouka. Acte créateur et transgressif pour un nouvel ordre social, comme Freud l’avait théorisé dans Totem et Tabou (1913), lorsque les fils du patriarche décident de le tuer, de le manger pour ne pas laisser de trace puis de s’accoupler avec les femelles, après quoi ils s’imposent d’édifier un contrat social nouveau auquel tous les frères s’obligent mutuellement. Acte sacrificiel qui leur rend tout à la fois une identité, une dignité et les soude autour d’un sacrifice fondateur. Chez les Haouka, la violence situationnelle subie par ces travailleurs immigrés appelle les transes sur des modalités d’intensités équivalentes (gestes catatoniques, tremblements, bouches qui bavent, yeux exorbités…) comme si les sujets en transe, mimant les manières d’être des colons, tentaient d’éprouver de l’intérieur la teneur émotionnelle et cognitive des comportements des nouveaux maîtres qu’ils observaient de l’extérieur, sans en comprendre le sens symbolique. À  bien regarder les motricités de ces possédés, on perçoit l’incroyable performance mimétique, l’accès à « l’esprit » du colonel marchant comme un automate, une machine sans âme, alors que l’esprit de Mme Takamoto transforme le corps masculin possédé en courbes souples et harmonieuses propres au féminin. Dans ces mimesis, c’est l’essence même de la personne qui est exprimée, révélée, son double, sa vérité intime. C’est dans la transe que l’on peut accéder à la réalité de l’invisible, à l’existence du double ou des esprits, à une complexité inconnue des Occidentaux, eux qui ne croient « que ce qu’ils voient » ! Mais que voient-ils ? Ce genre de transes ultra-expressives apparaît lors de ruptures sociétales. Elles accompagnent des modifications radicales de

valeurs comme lors des conversions mystiques des animistes aux cultes chrétiens ou islamiques, de même que dans l’Europe du Moyen Âge, des générations de saints et de saintes s’approprièrent dans des transes visionnaires le monde des divinités chrétiennes au plus profond de leur essence. Accueillir de nouveaux esprits est un enrichissement certain pour des païens, mais pas au prix de rejeter ceux qui peuplaient leur univers mystique traditionnel  ! C’est pourtant ce que leur imposa la papauté, leur interdisant par ailleurs d’éprouver les esprits divins dans leur chair et leurs visions. Au bûcher les résistants, les dissidents, les exaltés. C’était à n’y rien comprendre ! En s’impliquant dans un acte collectif en états de transes, en faisant circuler des paroles, des actes, des projets, en ayant réalisé une organisation partagée au niveau sensible, émotionnel, spirituel et cognitif, les Haouka ont confirmé leur territoire symbolique dans leur champ cultuel religieux et culturel social. Par cette création collective, n’ont-ils pas cimenté leur réseau d’appartenances, consolidé une nouvelle dynastie, fabriqué du social en quelque sorte  ? Ils se sont inventés comme sujets et maîtres de leur destin pour un avenir plus stable. L’efficacité symbolique de ce nouvel ordre sociétal partagé déjoue la désorganisation sociale et donc psychique de l’exclu, de l’apatride (image de soi dégradée) et leur donne accès à la dignité de jouir d’une reconnaissance sociale qu’ils partagent entre eux. C’est d’ailleurs ce que Jean Rouch veut donner à entendre en conclusion des Maîtres fous en questionnant en voix off  : ces hommes d’Afrique, ces Haouka déplacés, exploités, aliénés et en rupture sociale, n’accèderaient-ils pas, par leur rituel en devenir, au moyen d’échapper aux souffrances du déclassement  ? Le rejoué mimétique des dominants leur permettant, dans l’état intermédiaire des transes, de ne pas devenir des anormaux, de ne pas devenir fous en modifiant au final leur système de valeurs et de croyances. Dans Mœurs et coutumes des Bantous, Henri Junot (1936) explique que les phénomènes de possession étaient rares chez les Thonga

avant qu’ils ne soient dominés par les Zulu et qu’ils éprouvent le besoin d’approcher l’esprit guerrier qui les avait soumis. Ainsi les transes peuvent être plus ou moins violentes, plus ou moins harmonieuses, mais elles sont comme le jeu et le rêve, des vecteurs d’adaptation, de transformation, de réorganisation des structures affectives et cognitives. Elles émergent d’une niche écologique, s’harmonisent avec leur milieu, comme le souligne Bastide, qui découvre sur le sol africain, dans les rituels ancestraux, «  une liturgie corporelle admirablement réglée  » au lieu de la transe violente et des gestes déchaînés. Il constate combien la transe est encore discrète dans le rite de Xangô par exemple, où un léger frémissement des épaules et les paupières qui se ferment signalent que le dieu vient de descendre sur son cheval, pour le monter et le diriger, selon un rituel fixe, qui va durer une semaine entière (2003). Certaines transes rejouent le mythe dans un conformisme confortable quand la vie suit paisiblement son cours, contrairement aux stratégies créatives qui font advenir une nouvelle organisation chez ceux qui ont perdu leurs repères identitaires et culturels. Le rituel Haouka peut interpeller les usagers des thérapies par les transes, comme l’hypnose médicale par exemple. Mais le cheminement qui consiste à redonner assurance, sérénité et estime de soi au patient n’est-il pas le même, celui d’approcher le chaos dissociatif, le non-sens, la souffrance émotionnelle dans un espace contenant qui protège le patient, pour ensuite l’éveiller à d’autres imaginaires, d’autres potentialités, d’autres émotions et cognitions afin de permettre une réorganisation de structures intrapsychiques et inter-psychiques qui lui permettront de mieux vivre dans son environnement ?

Peut-on penser que le jeu, comme la transe, serait une ressource adaptative en première fonction, une manière spontanée et créative de ne pas se laisser concasser par les forces du chaos qui sont toujours là, derrière, menaçant l’intégrité de chacun ?

Dans L’absence, Pierre Fédida écrit  : «  Quelques jours après le décès de sa mère, Laure – âgée de 4 ans – joue à être morte. Avec sa sœur de deux ans son aînée, elle se dispute un drap de lit, dont elle demande à être recouverte, tandis qu’elle explique le rituel qui devra être scrupuleusement accompli pour qu’elle puisse disparaître. La sœur s’exécute jusqu’au moment où, Laure ne bougeant plus, elle se met à hurler. Laure réapparaît et pour calmer sa sœur lui demande à son tour, d’être morte : elle exige que le drap dont elle la recouvre reste impassible ! Et elle n’en finit plus de l’arranger car les cris de pleurs se sont tout à coup, transformés en rires qui gondolent le drap de soubresauts joyeux. Et le drap qui était un suaire devient robe, maison, drapeau hissé en haut d’un arbre… avant de finir par se déchirer en rires de farandoles effrénées où est mis à mort un vieux lapin en peluche dont Laure crève le ventre. » (1978, 138.) « Décidément le deuil met le monde en mouvement. Il inspire ce jeu fantastique désignifiant des attitudes et rituels du deuil – qui crée la fête et la mort. L’enfant a, par son jeu, la capacité d’être mort et de tuer. Le monde est agi d’une mobilité nouvelle dès lors que la mort tient tout à coup son évidence d’un jeu qui en accomplit symboliquement le désir. » (1978, 139.) Et Fédida généralise l’idée que le jeu d’enfance, quel qu’il soit, donne une place motrice à la mort. En inventant une théâtralisation de la mort, en jouant «  à la mort et AVEC la morte  », les fillettes convoquent le chaos, conjuguent les contraires, inversent les sens actif-passif, toucher-être touché, voir-être vu, de sorte que l’imaginaire vient nourrir des métaphores des inversions et des renversements et permettre d’inventer de nouveaux horizons. Ainsi la transe soigne, comme le jeu soigne (Winnicott, Jeu et réalité, 1975) – moins le jeu qui obéit à des règles établies (game), que le jeu en train de s’inventer (playing)  – et dont il révèle la fonction adaptative et curative, faisant référence à cette capacité d’approcher, à sa mesure, la part étrange, dangereuse, maudite, etc., de la capter jusque dans sa chair, ses muscles, ses tendons, voix, cris, dans ses sensations et dans son imagination

pour l’apprivoiser dans un espace intermédiaire transitionnel – que l’on compose avec l’entourage.

–  espace

Aménager le chaos pour rejoindre l’ordre cosmique

Deleuze et Guattari, dans le chapitre si célèbre «  La Ritournelle  », dans Mille plateaux (1980), théorisent ce cheminement adaptatif et en tirent des conclusions ontologiques. Ils procèdent en trois temps. ● Dans le premier temps, ils évoquent un enfant dans le noir, saisi par la peur qui se rassure en chantonnant : « Il marche, s’arrête au gré de sa chanson. Perdu, il s’abrite comme il peut, ou s’oriente tant bien que mal avec sa petite chanson. Celle-ci est comme l’esquisse d’un centre stable et calme, stabilisant et calmant, au sein du chaos. Il se peut que l’enfant saute en même temps qu’il chante, il accélère ou ralentit son allure ; mais c’est déjà la chanson qui est elle-même un saut : elle saute du chaos à un début d’ordre dans le chaos, elle risque aussi de se disloquer à chaque instant. » ● Dans le second temps, qui succède à l’établissement d’un centre stabilisant inventé dans le chaos à travers des vibrations sonores et des gestes synchrones, il s’agit de trouver des repères, de tracer un cercle pour concevoir un chez-soi. De nombreux composants sont nécessaires pour maintenir les forces dangereuses du chaos à l’extérieur, afin de pouvoir agir, poser des actes, remplir une tâche, créer : « Il y a là toute une activité de sélection, d’élimination, d’extraction, pour que les forces intimes terrestres, les forces intérieures de la terre, ne soient pas submergées, qu’elles puissent résister, ou même qu’elles puissent emprunter quelque chose au chaos à travers le filtre ou le crible de l’espace tracé. Or les composantes vocales, sonores, sont très importantes… Une erreur de vitesse, de rythme ou d’harmonie serait catastrophique, puisqu’elle détruirait le créateur et la création en ramenant les forces du



chaos.  » Cette compréhension de ce qui se joue dans un acte qui semble aussi anodin et banal que de trouver un rythme, une chanson pour s’assurer d’un centre, puis d’appeler les forces intimes terrestres, entre en résonance avec les perceptions chamaniques concernant l’organisation de rituels. Rappelonsnous l’histoire de Corinne Sombrun, venue assister à un rituel chamanique en Mongolie en 2001, pour enregistrer une musique qu’elle destinait à la BBC londonienne, lorsque le son du tambour (entre autres) la fait entrer en transe, possédée par l’esprit du loup. Elle ressent son visage devenir museau, elle hurle comme un loup, elle agresse le chamane (2021). C’est alors la catastrophe. Le chamane officiant perd tous ses moyens, hagard. Elle vient de créer un second centre inopiné, une disharmonie catastrophique. Anéanti par ce contretemps, ce contre-lieu, l’officiant est effectivement en danger de mort, disloqué, englouti dans les forces du chaos qui tout à coup déferlent. Il révélera à Corinne qu’ils ont failli mourir ensemble concassés par les forces du chaos ! Le troisième temps décrit par les auteurs de Mille plateaux est celui de l’acte créateur rendu enfin possible par les deux premiers dispositifs nécessaires. «  Maintenant enfin, on entrouvre le cercle, on l’ouvre, on laisse entrer quelqu’un, on appelle quelqu’un, ou bien on va soi-même au-dehors, on s’élance. On n’ouvre pas le cercle du côté où se pressent les anciennes forces du chaos, mais dans une autre région, créée par le cercle lui-même. Comme si le cercle tendait lui-même à s’ouvrir sur un futur, en fonction des forces en œuvre qu’il abrite. Et cette fois, c’est pour rejoindre des forces de l’avenir, des forces cosmiques. On s’élance, on risque une improvisation. Mais improviser, c’est rejoindre le Monde, ou se confondre avec lui. »

Rejoindre le monde, s’harmoniser avec les forces cosmiques, c’est cela l’inspiration qui fait faire l’acte dans cette dynamique synchronique. C’est le moment de la transe quand ça se fait, quand le cheval descend sur sa monture, quand le chamane ou l’inspiré a

une vision, entend des voix, sait survivre à un cataclysme… C’est la magie des transes thérapeutiques ou prophétiques qui font passer du désordre du chaos à l’harmonie du cosmos, quand l’équilibre entre le microcosme et macrocosme est enfin rétabli. C’est alors la connexion à quelque chose qui coule avec grâce dans le flux du monde, ce fameux flow qui fait tant recette aujourd’hui. Mais les auteurs de Milles plateaux prennent soin de nous détromper au cas où nous aurions mis de la temporalité chronologique dans ces trois temps, le centre, le cercle et l’improvisation  : «  Ce ne sont pas trois moments successifs dans une évolution. Ce sont trois aspects sur une seule et même chose : la Ritournelle. » (1980, 381-441).

Nous avons des vestiges archéologiques qui prouvent que les quatre événements astrologiques qui rythment les saisons à travers les solstices et les équinoxes sont encodés depuis des temps immémoriaux dans des constructions de pierres, des alignements mégalithiques, des sculptures dans des grottes, qui sont éclairées seulement au solstice d’été ou à l’équinoxe, montrant combien l’humanité s’est construite avec Chaos, Cosmos, le ciel et ses constellations, Gaïa la terre avec ses points cardinaux nord, sud, est, ouest et les éléments de feu, d’eau, d’air et de terre et ses ressources de tous les éléments de la nature. Des sites comme Stonehenge ou des pyramides incas, égyptiennes ou asiatiques… sont reliés avec les forces, les rythmes, les cycles cosmiques. De la danse du soleil chez les Indiens Sioux du Lakota aux feux de la Saint- Jean, résurgence païenne en Europe, des carnavals aux farandoles, aux danses planétaires des derviches tourneurs qui transposent dans leur espace circulaire la course des planètes autour du Soleil, l’activité humaine n’en finit pas de rejouer l’origine cosmique de la vie. C’est probablement ce qu’on appelle spiritualité, cette osmose avec le cosmos, l’extase de la fusion ou du retour,

quand le corps danse et chante, connecté avec les puissances de la nature qui ne lui sont pas étrangères. Les danses aux solstices permettent de faire tourner les saisons, disait Lévi-Strauss. Les initiés mesurent le temps pour rester en synchronie avec l’univers. D’où l’effroi devant le fou qui voudrait recréer le temps ou le déplacer et peut-être l’effroi devant le dérèglement climatique actuel qui provoque un insensé déni de la majorité des populations sur la planète et l’inertie des gouvernants ! Il est difficile d’imaginer la fin de l’Homo Sapiens, que certains, comme Ramesh Caussy, prédisent pourtant autour de 2050 (2022).

Contribuer à la beauté du monde pour le renouveler

La difficulté mentale pour les Occidentaux est de se représenter la porosité entre le soi et le non-soi, l’intérieur et l’extérieur, d’accéder à l’idée que sa conscience n’est pas à soi, mais plutôt le fruit d’une œuvre collective, de synergies dont les virus et les bactéries qui nous habitent ou nous entourent ne sont pas étrangers, pas plus que les aliments que nous ingérons ou l’air que nous respirons. Mais encore que l’intimité de notre moi dépend tellement des autres qui nous entourent, des autres qui nous ont élevés, de la logique de notre langue, des mots qui existent ou qui manquent pour concevoir et dire, de tout le dispositif symbolique, juridique et éthique qui nous cadre et nous détermine. D’où la nécessité de déconstruire, de déterritorialiser, de faire des pas de côté pour avoir une chance d’élargir nos potentialités et reconsidérer l’imaginaire de notre réel. Parlant des transes, François Roustang montre combien les transes (transire = traverser) traversent les frontières du corps, du conscient, visitent des mondes invisibles, vibratoires, ondulatoires, magnétiques, scalaires, électromagnétiques, gravitationnels, explorent des multivers et leurs échelles multiples de temps et d’espace  : «  Ce n’est pas un moi isolé qui pense et qui agit, mais

c’est le réseau dont je suis tissé, c’est toute mon histoire, toute l’histoire, ce sont les amis et les astres, toutes les lignes de force qui me traversent et par lesquelles je me laisse traverser, tout ce qui me porte et me soutient, tout ce qui me garde et me protège  » (1998, 31).

Cette conception holistique de l’existence, qui confère aux transes une puissance qui continue de nous questionner, est partagée par Edgar Morin qui n’hésite pas à parler d’une expérience postchamanique, qu’il a vécue en écrivant l’ouvrage La Méthode, qu’il a rédigé sous injonction, guidé de l’extérieur, en état de transe. Revenu à une conscience plus ordinaire, il a pu relire la prose qu’il avait produite, préciser et corriger ce texte dont il ne fut d’abord que le scribe : « L’état de possession dans lequel j’ai écrit La Méthode fut un état de super conscience (…), mais je pense que toutes les créations depuis les peintures rupestres préhistoriques (…) jusqu’aux artistes contemporains sont réalisées en transe. À  un moment donné, on obéit à quelque chose qui vient à la fois de l’intérieur et de l’extérieur, qui vous dicte quoi écrire » (2016, 95). Il amène une précision de première importance en évoquant à propos des peintures rupestres la notion de mimesis, de possession ou de demi-possession. Cette précision donne à penser que tout le vivant est concerné par le processus mimétique, d’ailleurs Edgar Morin étend l’expérience mimétique à tous et en fait une expérience banale et quotidienne. Mais parce qu’il s’intéresse à l’esthétique, il parle en priorité du processus de création, de l’inspiration comme expérience «  post-chamanique  » que ce soit pour les artistes, les génies, les scientifiques,  etc., tous mobilisés pour une passion de connaissance sinon de vérité, tous tendus vers une quête d’un sens qui n’épuise jamais le mystère (2016, 96). Si une interprétation possible de la fonction des transes comme des jeux créatifs (des arts et des sciences) est celle d’un processus inné

adaptatif à un milieu vécu comme incohérent et anxiogène, alors on peut formuler l’hypothèse que l’engouement actuel pour les transes dans différentes pratiques de consciences (hypnose, méditation, yoga, mouvement néo-chamaniste, transe cognitive, technique d’activation de la conscience, etc.) n’est pas étranger à une tentative de façonner autrement une identité déboussolée dans un monde devenu chaotique et imprévisible préfigurant la fin de la modernité occidentale. Monde potentiellement et réellement d’une extrême violence comme le spectre déjà actuel du dérèglement climatique et l’effondrement de la biodiversité qu’accompagnent les pandémies, ou celui des guerres dont l’absurdité fait craindre l’extension de l’horreur et le partage de l’effroi au-delà de toute humanité. Comment le vivant peut-il inventer une stratégie d’adaptation pour s’assurer la maîtrise du passage d’un certain chaos à un nouvel ordre mondial quand s’effondrent sous nos yeux des civilisations au bord du gouffre ?

Conclusion : les enfants du ciel Dans Enfants du ciel, entre vide, lumière, matière, Edgar Morin dialogue avec l’astrophysicien Michel Cassé. Ensemble ils pensent qu’il est impératif de redéfinir « l’identité humaine » en la reliant « à sa nature animale et biologique et à sa nature physique et cosmique » (2003, 99). Il est fait ainsi appel à l’intrication de quatre sciences distinctes qui n’avaient pas l’habitude de coopérer pour élaborer un savoir plus complexe ! Cela est tellement nouveau que l’astrophysicien Michel Cassé demande d’abandonner l’humanisme planétaire pour entrer dans un « Humanisme Stellaire » (2003, 100) afin de réinventer une histoire de l’univers et d’accepter de penser l’impensable ! Qui après Homo Sapiens ?

Chapitre 5 Conscience sans transe n’est que ruine de l’âme

Thierry Servillat La littérature est considérée comme pouvant apporter une compréhension importante des phénomènes de conscience. Elle pourrait notamment contribuer à envisager utilement, pour les traiter de manière efficace, un certain type de «  troubles de la conscience »1. Bon nombre d’approches thérapeutiques complémentaires se définissent basiquement en s’appuyant sur la notion de conscience. Selon les cas, de manière très explicite, comme la méditation de pleine conscience, ou plus implicite, telles l’hypnose, la sophrologie et d’autres approches se définissant volontiers comme des états modifiés de conscience2. Tout serait simple si nous disposions d’une définition solide de la conscience. Mais il semble que cela ne soit pas le cas ! La recherche scientifique s’efforce de clarifier la question de la nature de la conscience. J’aimerais montrer de mon côté que d’autres champs –  habituellement considérés comme non scientifiques – de la culture humaine peuvent aussi utilement contribuer à cette connaissance de la conscience : littérature, cinéma, photo, peinture, théâtre aussi bien sûr3. Que la littérature puisse être une source de connaissance valable sur notre sujet est une idée relativement ancienne. Pour autant, ce n’est que récemment que cette possibilité a été développée d’un point de vue « sérieux ». C’est un romancier anglais, David Lodge4, également professeur universitaire de littérature, qui l’a particulièrement examinée. Notamment dans le dernier chapitre d’un de ses livres regroupant plusieurs essais, Consciousness and the Novel. Cela n’est pas surprenant pour ceux de nos lecteurs qui connaissent les romans de David Lodge, textes qui contiennent des observations fines des comportements humains, mis en œuvre par des personnages habituellement attachants de par leurs contradictions, elles aussi profondément humaines, au sujet de thématiques majeures pour notre époque. Sans parler de son humour assez profond. Nous pourrons ainsi

particulièrement nous rappeler, et en recommander la lecture, de Thérapie. C’est l’un des récits les plus consistants de David Lodge, qui part d’une simple histoire, celle d’un symptôme (une douleur dans le genou, qui sera diagnostiquée «  Problème Idiopathique5 du Genou », abrégée en « PIG » qui signifie cochon en anglais), pour aborder ensuite, bien sûr, le monde médical du soin, comment il fonctionne et procède, pour progressivement élargir son propos et aborder des sujets majeurs comme le sens de la vie et la conscience. Dans La conscience et le roman, dernier essai du volume À la réflexion, David Lodge évoque particulièrement le travail de Nicholas Maxwell, philosophe anglais contemporain qui milite pour que l’enseignement universitaire considère comme complémentaires les savoirs scientifiques et littéraires, afin que la connaissance mène à la sagesse. Notamment quand on traite un sujet relevant du «  problème corpsesprit6 » comme celui de la conscience. En pratique, Maxwell développe l’idée qu’un même phénomène – comme la conscience qui est le sujet qui nous intéresse ici – a un double aspect : l’un qui peut être étudié scientifiquement, par exemple en termes de neurobiologie, de neurones, de neurotransmetteurs,  etc.  ; l’autre, qu’il appelle «  personnaliste  », qui ne peut être étudié scientifiquement, et dont l’approche scientifique s’éloigne. Je voudrais ici esquisser ce que serait cet autre aspect de la conscience, non scientifique et pourtant nécessaire pour amener à la sagesse. En particulier nous examinerons la notion de «  conscience littéraire  » qui peut être étudiée à partir des grands textes de la littérature, particulièrement des romans  ; et celle, un peu différente et plus précise que la précédente, de « conscience narrative », qui est en lien fort avec la notion de récit. Mais avant de commencer, je vous propose préalablement de m’accompagner dans un détour (voir Saiu, 2015).

Détour (monologue intérieur) Conscience. Très vite je pense à ma vie, mes souvenirs, ce qu’on appelle ma mémoire autobiographique7. Je retourne dans mon passé  : ce qu’on appelle en hypnose une «  régression en âge  ». Cela ne veut pas dire que ce dont je me souviens est vrai. Ni exact. Mais je ne peux faire qu’avec cela. C’est cela ou rien. Conscience. Mes années de formation, comme on dit. En intégrant la dimension spirituelle. La conscience qui regarde notre vie, comme un regard parental. Un vers de Victor Hugo, aussi : « L’œil était dans la tombe et regardait Caïn. »

La conscience qui regarde La conscience qui regarde. Ce que les psychanalystes ont appelé le Surmoi. On rappelle l’histoire. Dans le premier livre de la Bible8, la Genèse9. Abel et Caïn : une des premières histoires écrites. Abel (‫ ֶלֶב ה‬en hébreu, ‫ ليباه‬en arabe)10 est le second d’une fratrie de deux frères. Son aîné, Caïn, cultive la terre. Et lui s’occupe de garder les bêtes. J’ai oublié de le préciser  : Caïn et son frère Abel sont les premiers frères. Leur père se nomme Adam, et leur mère Eve. Dites donc, ma régression en âge s’est poursuivie ! Je suis au début de l’histoire du monde. Je n’ai pas vu le temps passer  ! Et mon détour m’a amené aux premiers textes de l’humanité !

Caïn et Abel : les frères ennemis Caïn est artisan, il sait probablement forger car il cultive la terre, il la laboure et a donc besoin de savoir réparer le soc de sa charrue. Caïn est habituellement considéré comme le fondateur de la civilisation, de la culture justement. Son frère Abel est proche des animaux qu’il garde. Berger, il pousse le troupeau devant lui pour le mener paître. Un jour arrive, celui des offrandes11. Un moment pour la gratitude. Caïn offre donc des fruits, et Abel un animal. L’offrande de Caïn est refusée. Et celle d’Abel acceptée. Et Caïn tue Abel. Il existe, dans les textes anciens, bien d’autres histoires de frères ennemis, notamment de jumeaux. Dans certaines traditions, Abel et Caïn le sont. Jacob et Esaü aussi, avec l’un (Esaü) qui chasse et l’autre (Jacob) qui garde le troupeau. Ces histoires décrivent des opposés qui pourraient pourtant devenir complémentaires. Tout comme celle, égyptienne, d’Osiris et de Seth12, ou l’histoire, romaine, de Romulus et de Remus13. Elles sont très violentes car elles illustrent les premiers conflits interpersonnels de l’humanité, et, métaphoriquement, probablement les premiers « cas de conscience » de notre histoire.

Mais les mythes ne nous apprennent rien de précis sur la conscience  ; ils n’en parlent pas. Hâtons-nous de progresser dans l’histoire de la littérature pour rejoindre le roman, qui lui va nous parler abondamment de la conscience, et aussi la poésie, qui décrit si bien les qualia14, ces expériences subjectives du monde que chacun de nous vit, spécifiquement et de manière unique, et que nous ne pouvons connaître qu’intuitivement.

Primauté initiale de la vision religieuse de la conscience Pour nous en tenir à la culture européenne, la conscience va connaître une première période, dans la religion chrétienne, où c’est Dieu qui voit l’intérieur, l’intimité des consciences. Il « sonde les reins et les cœurs ». Il connaît chaque homme mieux que celui-ci ne peut le faire. Et les histoires qui s’élaborent pendant les siècles suivants ne seront que descriptives des comportements des personnages, ne traitant pas de leur vie intérieure, de l’intimité de leur conscience qui est sacrée et à laquelle aucun être non divin ne peut accéder. Pourtant, peu à peu, les choses vont changer…

Conscience littéraire : le héros Notre connaissance de la littérature est au départ limitée, peu des histoires que se racontaient nos ancêtres ayant été notées, et notre langue française ne s’étant élaborée que progressivement. Les Chansons, telles celle de Roland, qui date de l’époque de Charlemagne, nous rappellent, tout comme la littérature poétique des ballades, lais et autre virelais, que les littératures anciennes étaient non seulement orales, mais chantées. Nos ancêtres ont probablement beaucoup raconté les histoires en musique, favorisant la survenue d’états de conscience modifiée. Au centre de ces histoires, la figure du héros, auquel l’auditeur (et, bien plus tard, le lecteur) s’identifie. Il existe au long de notre culture

toute une évolution de la notion de héros15. Les premiers sont militaires : les chevaliers du Moyen Âge, avec deux grands corpus, la «  matière  » de Bretagne (et les fameux chevaliers de la Table Ronde), et celle de Germanie (et ses héros : Siegfried, etc.). Bien que cette littérature soit déjà riche, notamment en allégories, métaphores, symboles, elle n’aborde pas la conscience intérieure du héros. Bien sûr existent des péripéties16, avec des épreuves (beaucoup de trahisons, notamment), la mise en œuvre de vertus (le courage, particulièrement) et de compétences. Tout cela, l’auditeur/lecteur va le vivre, l’éprouver. Mais les œuvres ne montrent pas réellement ce qui peut se passer intimement, dans la vie intérieure des personnages. De plus, à cette époque aussi, les prêtres enseignent aux fidèles comment ils doivent comprendre les récits bibliques  : littéralement (litteralis), métaphoriquement (metaphora) ou par analogie (analogia), ou encore dans un sens mystique (anagogia). Là encore, c’est la religion qui s’occupe de la manière dont les fidèles doivent réglementer leur conscience. Mais peu à peu, la façon d’interpréter les histoires devient centre de la création d’une «  communauté interprétative  », selon le terme de Jerome Bruner. Ce psychologue va distinguer : ● le monde dans lequel se déroule l’action de l’histoire ; ● l’«  univers de la conscience  » dans lequel se déroulent «  les pensées, les sensations, les secrets des protagonistes ». Selon lui, « la magie des belles histoires vient peut-être qu’elles sont capables d’entrelacer ces deux univers ». Les thérapies narratives, développement majeur de la psychothérapie contemporaine (Epston et White, 2019), ont d’ailleurs repris cette distinction dans leurs fondements.

Les héros changent : la conscience narrative

Reprenons le cours de notre histoire. Après le Moyen  Âge, la Renaissance va se réintéresser au patrimoine de l’Antiquité, et notamment à sa référence majeure, les Vies parallèles de Plutarque, que vont redécouvrir les poètes de la Pléiade (Ronsard particulièrement). Les héros changent. Le théâtre classique du xviie siècle, avec notamment le « dilemme ou choix cornélien  », approfondira cette évolution en reprenant à l’Antiquité les histoires de «  cas de conscience  », tel celui du sacrifice d’Iphigénie (Eschyle) par son père Agamemnon, dans le but de faire souffler du vent afin qu’une expédition punitive nautique puisse venger son frère Ménélas. Pour apaiser sa conscience, il imagine que sa fille est fière d’être victime. Mais c’est, au xviiie  siècle, la naissance du roman qui va aboutir à une véritable description des phénomènes de conscience des personnages. Il s’accomplit alors dans la littérature un « mouvement vers l’intériorité  » (Bruner, 2002). Jean-Louis Chrétien (2019), dans un livre consacré à ce sujet, parle de « transformation radicale » qui parviendra, dans la littérature du xxe siècle, à montrer «  tout ce qui se passe au sein d’une conscience  », conscience dont la connaissance (cardiognosie17), était jusque-là, comme nous l’avons dit, le privilège de Dieu. Nous pouvons alors nous poser la question : pourquoi un tel intérêt des êtres humains pour ces histoires, ces livres, films, pièces de théâtre ? Brunner nous éclaire à nouveau  : notre cerveau serait fait pour les histoires.

Le cerveau, un organe fait pour les histoires ? Pour ce grand psychologue américain, nous sommes «  friands  » d’histoires. Pour qu’existe une histoire, on considère habituellement qu’il faut : ● • des personnages ; ● • un narrateur ;



• une péripétie, une «  brèche dans l’ordre des choses  » (Brunner). Avec le cas d’Armelle, nous examinerons comment peut être éclairée la question de la conscience par ces aspects littéraires et narratifs, et ses conséquences dans le domaine thérapeutique.

Armelle : entre le chêne et le roseau, le bouleau ? Armelle, 64 ans, retraitée de la fonction publique, vient me voir pour hypnothérapie, sur les conseils d’une « énergéticienne ». Elle me dit avoir toujours, en tout cas depuis l’enfance, ressenti une « empreinte négative  » de son passé, empreinte qui la «  plonge » actuellement dans la dépression. D’emblée je sens un écart entre son monde –  elle a vingt ans de plus que moi, mais cela n’explique pas tout – et le mien. Pour décrire sa perception, le qualificatif qui me vient est «  tourmentée  ». Elle ajoute qu’elle n’accepte pas les compliments, par manque de confiance en elle, et évoque des «  traumatismes graves  »  : perte de sa mère lorsqu’elle avait 5  ans, agression sexuelle à 9 ans qu’elle me confiera à la fin de la première séance. Sa souffrance s’inscrit donc dans une histoire. Cliniquement, Armelle présente par ailleurs une addiction alimentaire aux aliments sucrés, sous forme de grignotage. Elle dort mal, se réveillant tôt le matin, autre signe d’une dépressivité chronique qu’évoque la tristesse qui émane d’elle. Pour autant, en attendant quelques mois le rendez-vous avec moi, elle a repris la pratique régulière de la marche et du vélo. Surtout, actuellement locataire, elle a entamé avec son ami la recherche d’une maison à acheter. Pourrait-elle réussir une thérapie ? Être une héroïne, au sens de Barry Duncan et de Scott Miller18  ? Dernière d’une fratrie de quatre frères et sœurs, Armelle a un ami avec lequel elle n’habite pas, et n’a pas eu d’enfant. Elle a été hospitalisée il y a une trentaine d’années dans une maison de santé où elle avait été encouragée à pratiquer des activités la faisant «  sortir du cadre  » habituel de sa vie. Elle a une éducation chrétienne à laquelle elle «  n’adhère plus à 100  %  »  ; elle s’intéresse au bouddhisme et fait

des stages de développement personnel. Une thérapie individuelle ne lui a apporté aucun résultat. Sa demande est floue, même hésitante : « se libérer » de son passé, ou l’accepter. En tout cas «  être moi-même  » précise-t-elle, sur un ton plus affirmé qui me fait envisager qu’elle peut réussir, si je m’y prends correctement, une thérapie. En l’écoutant, je note qu’Armelle utilise beaucoup de mots kinesthésiques, tels que «  renouer  » notamment. C’est ce mot qu’elle utilise lorsqu’elle revient me voir près de deux mois plus tard, confirmant sa demande d’aide. Cette deuxième rencontre va servir essentiellement à ce qu’elle puisse se sentir en sécurité dans mon cabinet pour pouvoir enfin commencer le travail thérapeutique. Pour conforter sa sécurité, je la laisse libre de ne pas reprendre un rendez-vous. Je la revois un mois plus tard. Elle semble maintenant plus nettement motivée, abordant d’emblée un événement de sa vie qui a été douloureux, sans qu’elle souhaite en préciser la nature. À  ce sujet, elle m’explique : « Il y a deux versions possibles. Je peux me dire que je me suis fait avoir. Je peux aussi me dire que je ne sais pas négocier. J’ai presque laissé faire, laissé la décision, le pouvoir à l’autre. Je suis fautive. » Pour préciser ce qu’elle attend, elle m’explique qu’elle a des valeurs et souhaite être « responsable ». Elle veut de l’aide pour ne pas se voir comme une victime (ce qui est la première version). Elle n’a pas la « conscience tranquille », ça l’embarrasse. Elle souhaite sortir de son embarras. Elle souhaite «  ne plus vivre avec cet embarras, assumer cette responsabilité pour passer à autre chose ». En bref, construire une seconde version plus riche de possibilités, comme disent les thérapeutes narratifs. Armelle revient sur son passé, comme pour reprendre une histoire qu’il va s’agir de faire évoluer de manière nouvelle. Elle évoque son éducation où «  il fallait toujours faire bien  ». Après le décès de sa mère, la famille est venue vivre à Nantes où le père a tenu un commerce. Elle le décrit comme « très droit, très rigide », avec aussi un côté violent «  qu’elle a découvert plus tard  ». Une tante lui

recommandait de « faire plaisir à son père », étant consciente de la violence de celui-ci. Elle a développé comme un précepte intérieur : «  Il faut que je sois au top.  » Je commence alors à aborder la confusion entre être droit et être rigide  : «  On peut être droit et souple.  » Puis je vais, avec l’accord d’Armelle, à mon secrétariat imprimer la fable de La Fontaine Le Chêne et le Roseau et lui en fais la lecture19. Lorsque je lui demande ce qu’elle a éprouvé en l’écoutant, elle me décrit l’impression d’avoir été en transe. Elle fait ensuite le commentaire  : «  Comme quoi les auteurs anciens sont encore d’actualité. » Puis : « L’être humain c’est l’être humain, point. » Je lui fais ensuite faire une seconde transe hypnotique, lors de laquelle elle fait allusion à des textes littéraires indiens parlant de « parasites qui l’empêchent de contacter son âme  ». Je lui parle alors de l’orientation future des approches ericksoniennes, et de Steve de Shazer, le grand thérapeute solutionniste. Elle semble être sensible à ma suggestion, concluant la séance par un «  Faut pas faire marche arrière, faut pas regretter le passé ». Lors de la séance suivante, des éléments encore plus riches sont vécus par Armelle lors d’une transe manifestement plus profonde que les précédentes : elle me dit voir successivement « un drapeau qui monte  », «  un rideau  », et «  une vision de la maison qu’elle cherche  ». Lors du quatrième rendez-vous, Armelle me dit d’abord que rien n’a changé. Elle ajoute ensuite qu’elle a vécu une période très difficile et failli tout abandonner. Elle a eu pendant cinq jours de fortes douleurs abdominales, et a beaucoup «  renversé  » (vomi). Elle a songé à appeler ma secrétaire, mais s’est dit que ces souffrances signifiaient que la séance d’hypnose avait fonctionné, que c’était un passage, une période nécessaire. «  J’ai eu un bon nettoyage de foie », me dit-elle. Je prends soin de ne pas lui montrer ma perplexité devant un tel diagnostic. C’est le sens qu’elle y met. En pratique, depuis quinze jours, elle se sent complètement bien, soulagée. «  J’ai mis ma conscience dans ça  », m’explique-t-elle pour me raconter comment elle a fait face aux vomissements. «  J’ai dû

ravaler  », faisant allusion à tous ce qu’elle a eu à endurer dans sa vie passée. «  J’avais le foie qui était surchargé. J’ai presque dit hourra.  » Puis elle est restée quasiment cinq jours alitée pour se remettre. Elle acquiesce sans difficulté lorsque je la félicite pour ce qu’elle a fait et que je lui dis qu’il n’y aura pas besoin d’autre séance. Cela paraît pour elle évident. Très contente, elle me remercie et part de mon cabinet d’un pas assuré. Un dernier détail. Armelle me dit sur le seuil de ma porte  : «  Je pensais prendre des sels de bouleau. Mais je n’en aurai pas besoin. »

Commentaire et conclusion La richesse de ce cas en empêche une analyse exhaustive. Précisons bien sûr d’abord combien Armelle a réalisé un travail thérapeutique important. Son travail a été global, psychique et aussi très corporel. Mais que s’est-il passé ? Nous ne pouvons que risquer quelques remarques, comme toujours, puisque le travail thérapeutique, ce sont nos patients qui le font. Nous souhaitons ici reprendre les termes d’Armelle  : elle s’est, au moins partiellement, libérée d’une «  empreinte  ». Une empreinte «  négative  », aliénante, qui l’empêchait d’être, ou de devenir, ellemême. Qui la dévorait corporellement, lui «  parasitait l’âme  » et la détruisait potentiellement. Mais elle veut vivre, et se mobilise avec une grande volonté. Pressentant son orientation sensorielle kinesthésique, je choisis une fable de La Fontaine en analogie avec sa problématique de rigidité pathologique qui l’empêche d’avoir du plaisir et du sens à vivre. Sa dialectique chêne/roseau, le renversement de la fable, rencontrent le système de croyance d’Armelle  : le problème est dans son corps, dans son système hépatique. Il y a à effectuer un renversement  : c’est la flexibilité qu’il faut obtenir pour survivre et vivre. La conscience d’Armelle a servi à tenir bon pour laisser faire le travail thérapeutique inconscient auquel elle n’accède que par bribes. Le

drapeau (symbole de son identité  ?) qui monte, le rideau (qui va bientôt s’ouvrir pour dévoiler ce qu’Armelle est  ?), enfin la maison dont elle rêve, l’espoir de sa quête. De la nuit des temps jusqu’à l’histoire d’Armelle, transe et conscience étayent mutuellement l’humain. Par les symboles, analogies, fables, récits… Bien plus semble-t-il, la transe fait progresser la conscience humaine, par des mécanismes restant pourtant souvent hors conscience… Des mécanismes qui permettent de quitter douleurs, culpabilités irrationnelles et autres sources d’obscurantismes morbides. Paraphrasant Rabelais, à la fois médecin et fondateur de la littérature française, nous osons dire, au son du rire joyeux de Pantagruel : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. »

Notes 1. Article initialement paru dans la revue Transes, n° 1. 2. Ou, comme le préfère Antoine Bioy : des états de conscience modifiés. 3. Cette liste ne saurait être limitative. 4. Le philosophe Jean-Louis Chrétien a aussi effectué sur ce sujet un travail de référence, Roman et conscience. Nous en parlerons plus loin. 5. Idiopathique signifie : de cause, de mécanismes inconnus. 6. Le problème corps-esprit (mind body problem) pose la question de comment le corps et l’esprit humains interagissent. 7. La mémoire autobiographique, également appelée mémoire épisodique, est une composante de la mémoire long terme. L’autre composante étant la mémoire sémantique (la mémoire du sens des mots). 8. Torah pour les juifs. Le Coran, lui, consacre différentes sourates (21 et 51 notamment) à la création du monde. 9. Berechit dans la Torah.

10. Il existe dans de nombreuses cultures des histoires analogues : Osiris et Seth (Égypte), Shun et Yao (Chine), Remus et Romulus (Romains), etc. 11. De très nombreuses cultures ont élaboré la notion d’offrande ou de sacrifice, pour remercier la divinité pour la fertilité des récoltes et des élevages. 12. Osiris, inventeur de l’agriculture et de la religion, est assassiné par son frère cadet Seth qui va occuper le trône. Isis, épouse d’Osiris, reconstitue le corps démembré de son mari et, de leur union posthume, naîtra Horus qui triomphera de Seth. 13. Romulus et Remus sont les deux fils jumeaux de Mars, dieu de la guerre. Ce mythe est plus complexe que les précédents, et connaît plusieurs versions. 14. Les qualia ont été introduits initialement par le philosophe et sémiologue américain Charles Sanders Peirce (1839-1914) pour désigner les combinaisons de sensations de notre expérience subjective. Le sens de ce terme a été peu à peu précisé et restreint par les philosophes s’intéressant à la conscience comme James Levine, David Chalmers, Daniel Dennett (voir plus loin). 15. Voir par exemple Alain Corbin (2011). 16. De peripetaia sur laquelle Aristote a pu dire qu’elle est « un changement qui inverse les actions vers l’effet contraire » (Poétique). 17. Connaissance de ce qui se passe dans le cœur, qui était classiquement le siège de la conscience. 18. Ces deux auteurs ont développé cette idée dans Le client, héros de la thérapie, publié chez Satas en 2009. 19. Fameuse fable de La Fontaine lors de laquelle le Chêne plaint le Roseau de devoir «  baisser la tête  » pour le «  moindre vent  », et où ce dernier le remercie pour sa compassion inutile car lui « plie mais ne rompt pas », ce que fait subitement devant lui le Chêne déraciné sous les assauts d’une violente tempête. Publié en 1668, disponible sur gallica.bnf.fr.

Partie 2 Éléments de compréhension

Chapitre 6 Présence thérapeutique

Pascal Malet La notion de présence thérapeutique amenée par Geller et Greenberg (2002) considère explicitement la place du corps, de l’immédiateté, de l’expérience propre du thérapeute dans sa rencontre avec le patient. Le modèle proposé par les auteurs fait également référence aux états de conscience modifiés du thérapeute. Dans ce chapitre, nous faisons parler le modèle du point de vue des états modifiés de conscience et des transes, tout en considérant la présence de la dimension d’un rapport à un « déjà là » dans le contexte thérapeutique.

Le modèle de la présence thérapeutique Le modèle de la présence thérapeutique a été établi par Geller et Greenberg (2002) en analysant le discours de sept thérapeutes expérimentés à qui il a été demandé de parler de la notion de présence dans leur pratique. La présence thérapeutique telle qu’elle y est définie «  consiste à engager tout son être dans la rencontre avec le client, à être complètement dans le moment présent à de multiples niveaux, physique, émotionnel, cognitif et spirituel. La présence thérapeutique consiste à être ancré dans son propre corps, tout en étant réceptif à la plénitude de l’expérience du client dans le moment présent » (Geller et Greenberg, 2002 : 82-83). Trois dimensions de la présence sont mises en évidence dans le modèle. Nous les détaillons ci-après.

Cette dimension inclut la philosophie et les présupposés théoriques des thérapeutes, leurs pratiques personnelles quotidiennes, et leur préparation juste avant et au début de la rencontre. Par exemple, certains thérapeutes décrivent une mise à distance de ce qui pourrait troubler leur disponibilité au patient, ils «  préparent  » un espace intérieur propice à l’accueil de l’expérience de la rencontre de l’autre. Cette dimension sous-entend l’existence d’une intention, d’un engagement envers l’autre. Parmi les pratiques personnelles des thérapeutes, on retrouve par exemple la pratique de la méditation ou encore l’hypnose. Cette préparation n’exige pas cependant la pratique d’une discipline particulière. Elle dépendra de l’orientation théorique du thérapeute.

Les thérapeutes font quelque chose du point de vue de la présence. Le modèle décrit une participation interne et active du praticien à ce qui se produit dans le contexte de la rencontre. Il a sa propre façon de se laisser toucher par l’expérience de l’autre. Il est question de réceptivité et d’une attention tournée vers la résonance de l’expérience de l’autre dans son propre corps.

Elle vient avec des vécus d’absorption et d’immersion dans l’expérience de l’instant, la modification de repères temporels, des vécus d’expansion ou de connexion profonde avec soi et le monde. Cette dimension évoque évidemment le champ des états de conscience modifiés et les transes. De ce point de vue, si la transe n’est pas visée par le praticien, nous pouvons dire que son attention pour la présence conduit à des expériences où la transe est présente.

Faire parler le modèle de la présence thérapeutique du point de vue des transes

Nous pouvons déjà remarquer que ces trois dimensions –   préparation, processus, expérience  – peuvent résonner comme la structure d’une induction hypnotique qui se résumerait ainsi  : « Préparez-vous à rencontrer une personne unique, attendez-vous à vivre la présence, quoi que ce soit, pendant que vous rencontrez cette personne, faites quelque chose à l’intérieur de vous et dans le rapport à l’autre qui permet de mieux vous rencontrer encore, et vivez pleinement la façon dont la présence, sous toutes ses formes, apparaît dans votre expérience, vous surprend et vous mobilise.  » Tout comme une réponse hypnotique sera propre au sujet, la forme de l’expérience de la présence sera conditionnée à des facteurs propres au thérapeute et au patient. La préparation et le processus n’en demeurent pas moins importants et constituent une structure dynamique de laquelle émergent l’expérience de la présence et celle de la transe.

Préparation : quelques présupposés Les présupposés du praticien orientent son action et la possibilité laissée à ce que certains événements se produisent. William James (1907/2011) avait proposé de considérer la vérité d’une idée en la rapportant aux résultats concrets qu’elle permet d’atteindre. Vaihinger, en 1911, dans sa philosophie du comme-si (Bouriau, 2016) avait proposé d’intégrer l’idée de «  faire comme si  » pour comprendre certaines expériences humaines. Des présupposés découlent des expériences qui produisent des résultats. Ces présupposés reflètent l’intention du thérapeute, ce à quoi il va se montrer disponible et réceptif. L’orientation théorique du thérapeute et sa disposition à s’ouvrir ou non à certaines formes de la rencontre déterminent la nature et l’étendue de son expérience. Ainsi, pour favoriser cette ouverture, quelques idées peuvent nous guider dans la compréhension de certains aspects de la notion de présence.

«  Quelque chose est là, quelque chose est présent  »  : cette affirmation que Rosa (2021) reprend à Merleau-Ponty (1945-1976) résume cette idée. Le monde existe comme un réseau de présignifications, avant la réflexion et la connaissance. Mais ce monde offre toutes sortes de possibilités d’interaction et de résonance avec lui. Le monde, ou l’espace, est pensé comme un moyen et comme une offre de relations possibles. Merleau-Ponty propose ainsi de penser l’espace comme le moyen par lequel la position des choses devient possible et comme la puissance universelle des connexions entre les choses. Rosa considère que la qualité première de la relation au monde est la résonance. Il y a résonance lorsque nous entrons en relation au monde et que le monde nous répond, que cette « responsivité » peut s’étendre et se propager dans le monde. Il s’agit de porter une attention particulière à ce qui est déjà présent et qui nous précède. Nous nous rappelons cette phrase de l’une de nos stagiaires en formation d’hypnose qui s’exclamait après une démonstration  : « Ah mais le thérapeute vient en second  !  » D’une part, effectivement, d’un certain point de vue, le thérapeute rejoint ce qui est déjà présent dans son expérience. Il existe de ce point de vue une analogie avec l’hypnose, lorsque nous considérons par exemple les processus involontaires qui sont déjà actifs sans nécessiter d’effort conscient de la part d’un sujet. Ce sujet peut développer par le processus d’induction une conscience de l’existence de ces processus involontaire et devenir curieux de leur implication dans la résolution de ses problèmes. Chaque étape de l’induction de transe peut ainsi s’appuyer sur ce que fait déjà le patient (Erickson, 2009), que ce qu’il fasse appartienne à la situation hypnotique ou que cela appartienne à son expérience quotidienne. D’un certain point de vue, le thérapeute rejoint le patient là où il se trouve, dans ce que celui-ci a déjà commencé à faire, puis dans ce qu’il fait ; il lui dit quelque chose de ce qu’il est en train de faire, puis lui dit qu’il peut faire une chose et qu’il peut aussi faire une autre chose. Puis ce thérapeute rejoint le patient après qu’il a fait quelque

chose, quelle que soit cette chose, pour lui restituer quelque chose de ce qu’il a fait, et attendre, peut-être un autre mouvement. Ceci interroge l’attitude du thérapeute, celle où il comprend que son rôle pourrait être de seconder le monde, comme le disent Kafka et Zaoui (2018). Il ne s’agit plus de vouloir exister à ses dépens, le thérapeute peut suspendre cette attitude et entrer dans celle qui consiste à seconder le monde, et cela revient à « l’aider lui-même à être, à apparaître, à vivre » (Zaoui : 22). « Ce qui importe, c’est de seconder le monde, c’est-à-dire d’accepter d’une part de ne pas être premier, de ne pas être au centre ni à l’origine, et d’autre part de soutenir ce qui est, de se mettre au service non de soi – baudruche, chimère ou mensonge  –, ni de l’Autre –  tyran ou fantasme  –, mais de chaque chose, chaque être, chaque instant. » (Zaoui, 2018 : 2627.)

Ce qui est déjà là et qui a déjà commencé peut s’entendre comme présence spatiale. Gumbrecht (2003) propose de considérer la présence comme présence spatiale et de considérer l’effet de la matérialité de cette présence. S’inspirant ainsi d’Heidegger, il décrit trois mouvements de la présence : ● le mouvement vertical ou «  l’apparaître  », lorsque l’objet apparaît à l’observateur ; ● le mouvement horizontal où l’objet perçu confronte ou « s’avance » vers l’observateur ; ● un double mouvement de dévoilement et d’effacement de l’être où, aussitôt apparu, l’être s’efface derrière la signification. Gumbrecht distingue les effets de présence, produits par la matérialité de l’expérience vécue (en quelque sorte ce qui vient dans l’expérience corporelle), des effets de signification qui sont donnés par les structures sémantiques et culturelles de l’observateur. L’Être est considéré comme une chose tangible perçue indépendamment de la structure culturelle et

sémantique, bien que, pour percevoir la présence, il faut la forme donnée par la structure. La notion de matérialité peut s’entendre comme la matérialité de notre expérience sensorielle et corporelle. D’une part, cette expérience corporelle est potentiellement illimitée dans sa richesse, n’attendant pour se révéler que l’ouverture du thérapeute à ses nuances, d’autre part cette matérialité vécue de la rencontre dans son propre corps peut pour être inductrice de transe. Nous disons cela en pensant à Michel Kerouac (2016) qui propose de dissocier la notion de sens de celle des organes sensoriels. L’auteur considère ainsi au minimum vingt et un sens, et considère que chaque sens peut être inducteur de transe.

Seconder chaque chose, chaque être, chaque instant  : il y a la notion d’unicité dans cette idée. Cette notion d’unicité, on la retrouve dans le concept d’aura proposée par Walter Benjamin (Heinich, 1983). C’est à la condition de n’être qu’un exemplaire unique, de n’être qu’à un endroit, que l’œuvre peut rayonner et produire une impression qui restera, même après qu’elle n’est plus présente dans le champ physique de l’observateur. Dans le contexte thérapeutique, la notion d’unicité ramène à une forme d’attention à être là, voire à n’être que là, attention soutenue par la suspension des savoirs existants et la considération de l’être humain devant soi comme unique. Milton Erickson le disait ainsi  : « Je pense surtout qu’il ne faut pas oublier qu’un être humain reste un être humain, et que c’est le cas depuis des millions d’années. Chaque personne qui vient à vous est strictement une personne que vous ne connaissez pas et qui ne vous connaît pas. Et l’interaction entre vous et elle est une chose qui doit se découvrir  » (Vessely, 2014). C’est aussi à chaque événement du processus thérapeutique que s’applique la notion d’unicité : chaque pensée, chaque mouvement, chaque sensation, aussi infime soit-elle, chaque nuance, prenant

une importance. La présence ne parle pas quantitativement. Chaque chose possède a  priori la même valeur que d’autres et sans elle l’ensemble est incomplet. La personne commence dans la dimension impersonnelle de chaque événement, mouvement, instant, que le praticien peut accompagner, soutenir, aider à être ou à mourir, du fait qu’ils conduisent à l’orée d’une rencontre vraie qui va permettre à une personne de ne plus être absente à elle-même. De la même manière, d’une certaine façon, la portée de cet accompagnement est impersonnelle dans le sens où nous ne pouvons connaître la façon dont la rencontre va résonner au-delà d’elle-même, dans la vie de la personne accompagnée, voire dans celle du thérapeute, et dans des transmissions subtiles de personnes en personnes.

Le rapport à l’unicité va ainsi avec la suspension des effets de signification. Il nous amène à considérer un aspect particulier de l’instant, le «  moment  suspendu  » où l’expérience est encore ambiguë, encore plus présente que signifiante. L’expérience de la présence se vit le plus dans ces moments où existe une tension paradoxale entre présence et signification, où l’expérience ne possède pas encore de signification et où elle ne peut tout à fait être associée à des représentations évidentes. Cette tension paradoxale est favorable à la transe puisqu’elle vient potentiellement amener un élément de brusquerie, alors que le sujet était simplement en train de maîtriser son orientation à l’espace et à la réalité de l’interaction. Dans ces intervalles, l’expérience est suffisamment intense ou nouvelle et rend de ce fait difficile le réflexe de l’associer à des significations et représentations existantes. Une expérience peut être suffisamment déroutante pour le praticien. Face à cette ambiguïté, nous avons constaté que le thérapeute peut répondre de trois façons (Malet, 2022). Il peut refuser l’ambiguïté et s’empresser de ramener cette ambiguïté à des significations connues, précipitant ainsi l’effacement de la présence derrière la

signification. Il peut aussi utiliser le langage pour métaphoriser, donner progressivement forme à l’expérience, par des reformulations ou dans une construction partagée et émergente avec le patient. Il peut enfin entrer dans la transe, se laisser dériver, s’immerger dans l’expérience, tout en sachant qu’il peut revenir, revenir à une position témoin du processus thérapeutique. Le caractère ambigu de l’expérience est de fait propre à notre relation à l’immédiat et il est possible de développer notre acuité à cet horizon temporel particulier de la relation thérapeutique. Stern fait de la dynamique des tout petits événements l’horizon qui permet l’expérience des sens de soi, «  dimensions palpables et vécues de ces réalités que sont la matière, l’action, la sensation, l’affect et le temps » (Stern, 2003 : 98). William James (1912-2007) avait décrit un moment conceptuel où l’expérience est son propre autre, sans être encore structurée en des dimensions subjectives ou objectives. Avant de me dire que je suis en train d’écrire un texte, il y a juste le processus de l’écriture, impersonnel, non distribué entre intérieur et extérieur, entre « je » et «  autre  ». L’expérience n’a pas encore d’utilité, et n’est pas encore constituée d’espace ou de temps. Ce n’est que dans une rétroaction dans la subjectivité que se forme une structuration de l’expérience entre intérieur et extérieur, entre un « je », une activité de ce « je », un résultat de cette activité. La préparation à la présence doit donc considérer ce moment particulier de notre relation au monde et notre tendance habituelle à organiser l’expérience suivant nos structures sémantiques et culturelles.

Processus Nous avons posé précédemment quelques présupposés de la présence  : l’idée de rejoindre ce qui est déjà là, l’attention à la présence comme présence spatiale vécue de façon tangible, une attitude qui consiste à seconder le monde, l’unicité de chaque

événement contrastant avec des significations qui tendent inévitablement à la généralisation, l’ambiguïté propre à l’expérience immédiate qui peut être génératrice de transe. En analogie avec le propos de Milton Erickson (2009), qui insistait sur l’importance de ce que fait subjectivement le sujet en transe, le processus de la présence du modèle de la présence thérapeutique s’intéresse à ce que font les thérapeutes au cours de la rencontre thérapeutique. Nous avons choisi de préciser ce qui a trait à l’orientation de la réceptivité du thérapeute. S’il s’agit de rejoindre ce qui est présent, où et quoi observer, attendre, remarquer ou utiliser ? De notre recherche doctorale (Malet, 2022), nous constatons que les thérapeutes s’incarnent dans la présence en cohérence avec leur théorie. Il existe ainsi la constitution d’un continuum entre théorie, corps et contexte thérapeutique et le praticien déploie une activité à maintenir l’équilibre qui lui convient entre dérivation dans un processus de transe et retour à sa maîtrise théorique de son action thérapeutique. Tous les praticiens vivent cependant des expériences subjectives complexes, d’une nature pluraliste, qu’il est possible d’approfondir et d’utiliser dans le processus relationnel.

Pour William James (1912-2007), une expérience est faite d’autant de matériaux que de natures dans les choses dont nous faisons l’expérience (James  : 49). Un objet sera vu au travers de ses qualités (couleurs, textures, densités,  etc.). Suivant Merleau-Ponty (1945-1976), nous n’accédons pas à l’ensemble des qualités et propriétés d’une chose mais seulement à certaines. Chacune de ces qualités possède cependant une signification affective qui interagit avec les significations affectives de nos sens. Chaque qualité perçue par un sens ouvre ainsi à des significations associées à ce qui est perceptible par d’autres sens. De plus, ces qualités ouvrent sur des significations pré-données, suscitant des conduites et une façon d’interagir avec le monde. Par ailleurs, l’un de ces élémentaires est l’usage suscité par l’objet, dont la perception renvoie à des

possibilités d’interaction avec l’environnement. Suivant Heidegger (1927-1992), chaque chose suscite un usage. L’une des propriétés de l’objet est relative à sa maniabilité, à son usage. « Le thérapeute en relation à son patient est alors, avant tout, en tant qu’il est en rapport à un ensemble d’élémentaires et de possibilités offertes par ces élémentaires en termes de mouvements et de significations à un niveau prépersonnel. De la globalité de l’expérience, le thérapeute est-il capable de distinguer ce qui vient de son être en tant que en rapport à un tabouret orange, ce qui vient de son être en tant que en rapport à tel mouvement du patient, ce qui vient de son être en tant que en rapport à la luminosité qui pénètre dans la pièce à cette heure du matin ? » (Malet, 2022 : 306.)

Nous pouvons par ailleurs concevoir (Malet et  al., 2022  ; Malet, 2022) que la présence est une présence tout autant à l’espace actuel qu’à l’espace virtuel de la relation. L’espace virtuel est un espace de mouvements naissants ou avortés dont la composante physique a été refoulée tout en demeurant à l’état de traces. Chez Merleau-Ponty, l’espace virtuel est constitué d’un faisceau de trajectoires possibles, extension du corps conçu en tant qu’une «  enveloppe vivante de nos actions  » (Merleau-Ponty, 1942  :  203, cité par Parmentier, 2018  :  5). Tout en se situant dans l’espace physique, un être humain se situe nécessairement dans un espace virtuel pour réaliser un mouvement. Alors que le mouvement physique a lieu dans l’actuel, le mouvement abstrait se situe, lui, dans le non-actuel, dans le possible. Le corps virtuel, ou corps propre, est une dimension imaginative de l’existence incarnée (Steeves, 2001). Cette dimension imaginative se retrouve au cœur même de la perception, car percevoir consiste à entrer en relation avec des qualités virtuelles situées en arrièreplan. Steeves (2001) reprend à Merleau-Ponty l’exemple du tapis rouge et l’évocation de la figure et du fond. La couleur est perçue au premier plan, mais les qualités de l’objet comme l’odeur et la texture

viennent avec la perception du tapis rouge tout en demeurant à l’arrière-plan. Dans cette dimension synesthésique de la perception, le corps virtuel peut transcender ce qui est au premier plan et accéder aux autres qualités et mouvements inspirés par ces qualités. Dans la relation thérapeutique, le thérapeute est présent à son expérience de l’actuel, de ce qui se produit dans l’immédiat dans sa perception de l’espace physique, des mouvements, des sensations, émotions et pensées. Il peut cependant également saisir et actualiser par son corps, un espace virtuel contenant des gestes, des mouvements, qui ne sont pas réalisés dans l’espace actuel. Ces mouvements des corps en présence, amorcés et interrompus, retenus, n’ayant pu trouver une expression dans l’espace physique, peut-être refoulés, ne sont pas nécessairement perçus consciemment et sont actualisés par le psychothérapeute à l’état de traces dans le corps vécu, sans pour autant être conceptualisés. L’utilisation par le thérapeute de ces mouvements existants dans le possible et non encore dans le physique, par l’intermédiaire de son vécu corporel, favorise peut-être le retour par le patient à de nouveaux possibles et va guider l’expérience de celui-ci hors de ses concepts habituels pour favoriser le changement thérapeutique.

Expérience de la présence Les praticiens interrogés dans le cadre du modèle de la présence thérapeutique (Geller et Greenberg, 2002) décrivent des expériences par des métaphores qui évoquent la transe. Il est question de connexion, avec quelque chose d’autre que le patient n’exprime pas, de mystère, d’énergie, de partage d’un espace sacré, de transfert d’information dans une sorte de langage ésotérique traversant le praticien. Carl Rogers, l’un des inspirateurs du modèle de la présence thérapeutique, observait déjà des phénomènes qu’il avait associés à des états modifiés de conscience à certains moments de la rencontre thérapeutique (Baldwin, 2000/2009) :

« Lorsque peut-être je suis en contact avec ce qui est inconnu en moi, lorsque peutêtre je suis dans un état de conscience légèrement modifié dans la relation… Dans ces moments-là, il semble que mon esprit intérieur se tende vers l’esprit intérieur de l’autre et le touche. Notre relation se transcende et devient partie de quelque chose de plus vaste. Croissance profonde, guérison et énergie sont présentes. » (Baldwin, 2000/2009 : 13.)

Ces phénomènes ont pu être décrits comme de l’ordre d’une présence extraordinaire ou étendue, caractérisée par un sentiment de connexion profonde à soi, à l’autre, ainsi qu’à une dimension existentielle, spirituelle de la relation au monde. La présence étendue vient aussi avec l’observation d’une synchronicité, où il apparaît une dissociation entre le flux temporel des événements et la causalité qui pourrait les expliquer. La présence étendue est en lien à notre rapport à l’immédiat, qui favorise des phénomènes de fusion ou encore de communion. Pour James (1912-2007) encore, l’expérience immédiate est son propre autre, elle ne renvoie à rien d’autre qu’elle-même. Du point de vue de la relation, Roustang avait évoqué le transfert immédiat, caractérisé par des phénomènes de fusion et de communion où la pensée de l’un est la pensée de deux. Alors que la relation peut être médiatisée par un tiers, dans le sens où tout en s’adressant au thérapeute le patient s’adresse à un autre que lui, ce qui peut être qualifié de transfert médiat, dans les moments de fusion et de communion, la relation réelle prend le dessus sur la relation transférentielle. Ce qui est partagé est la présence elle-même qui se communique en tant qu’elle-même sans renvoyer à rien d’autre qu’elle-même. La nature et l’intensité de ce qui a été vécu sont difficilement exprimables et nécessitent le recours à la métaphore. Dans l’expérience de la présence, les repères spatiaux et temporels sont altérés, l’acuité sensorielle est augmentée, permettant une connaissance intuitive du patient et de la relation. Nous avons cependant observé ce que nous avons appelé les traces de la présence de l’autre. Le thérapeute vit par son corps l’empreinte de l’autre, et peut, en séance, communiquer avec le patient à partir de cette empreinte ressentie corporellement et sensoriellement. Certaines rencontres avec des patients laissent une mémoire fine et

nuancée de la présence de l’autre, qu’il est possible de retranscrire après coup à l’écrit.

Vignette clinique Le texte suivant a été rédigé suite à la première rencontre avec Léa, patiente de 28  ans. Il restitue notre vécu intérieur et la façon dont nous avons conduit la séance à partir de ce vécu. « Vous voilà, devant moi. Vous me demandez de l’aide. Vous parlez de phobie des allergies alimentaires. Ce que vous me présentez cependant, c’est cette finesse, cette dimension, une nature qui demande à être approchée, “manipulée” avec le plus grand soin et avec le plus grand respect. Je me sens comme celui à qui l’on confie un ouvrage d’une grande finesse. Je prends des précautions pour approcher avec beaucoup de délicatesse cette présence. C’est comme la toucher sans la toucher. Si vous étiez l’œuvre d’un artisan, vous seriez une matière précieuse finement travaillée. Bien sûr, votre corps physique est fort, rodé. Vous connaissez ses rouages d’ailleurs, de par votre métier. Vous connaissez aussi les sentiers et les sommets que vous aimez parcourir et gravir. Vous m’adressez des mots à propos de vos angoisses. Elles vous agacent. Je vois plutôt le “autour” de vous. Quelque chose m’interpelle. Je ne vois pas de contours, ce quelque chose qui devrait vous contenir, vous envelopper. Je perçois l’insécurité que cela engendre. Il ne s’agit pas tant de ces phobies d’allergies alimentaires qui sont apparues lors de l’ascension d’un sommet lorsque vous réalisez que personne ne pourrait porter secours en cas de problème. Vous dévoilez plus que ce que vous évoquez. Est-ce que c’est moi qui le vois, est-ce vous qui le montrez  ? Il me vient que ce que vous présentez peut ne pas être compris à sa juste valeur. C’est là pour qui peut le voir. On peut regarder une montre réalisée par un maître, on peut voir une montre industrielle et ne pas savoir y faire une différence. Vous réalisez que je “vois”. Je vous dis ce que je “vois”. Je vous dis “ça fait comme si”. J’ai besoin de vous restituer cette valeur. Nous abordons cette question des contours. Je vous parle du besoin de contours. Quelque chose est trop exposé. C’est comme si ce qui est au cœur de vous, cette existence sensible n’avait plus d’enveloppe protectrice. Ce n’est pas la phobie que je vois, c’est ce qui n’est plus là. Je vous dis cela. Je vous propose d’utiliser vos sens pour percevoir l’espace autour de vous, celui qui vous contient, pour ressentir, recréer des contours. Vous pouvez retrouver la sensation, l’expérience d’être entourée, contenue dans quelque chose de sécure. Vous pouvez ensuite déplacer ces limites, jouer de la distance pour les placer au bon endroit, les éloigner, les rapprocher, les placer là où ce sera plus

confortable pour vous. Cela semble vous apaiser et vous le dites d’ailleurs. Vous prenez le temps de vivre cet apaisement. Vous dites que cela vous donne de la sécurité. Je vous vois vivre cette sécurité retrouvée. Mon attention, mon ressenti, se porte maintenant sur le dessous de vos pieds. Je prends soin de ne pas y placer le regard physique, pour ne pas vous déranger. Juste une impression qu’il faudrait que vous y portiez de l’attention. Je vous propose de veiller à ce que ces contours vous entourent totalement, tout autour de vous. Vous vérifiez et ajustez. Je vois votre père et votre mère. Je les vois sans les voir, je les ressens, mais ce ressenti possède une vision, peut-être un peu comme le sonar d’une chauve-souris. Votre mère apparaît plus transparente, moins dense, légère, plus proche de vous, comme intégrée. Elle vous ressemble. Vous semblez tenir d’elle votre grande sensibilité. Je vous dis plusieurs fois que cette sensibilité est une force. Votre père je le vois comme incomplet, “irrésolu”, habillé de blanc, plus présent par son absence. Il me semble lié à cette question des contours. Je me risque à vous questionner à son sujet. Il vous laisse subitement lorsque vous avez 6  ans. Puis vous le revoyez et passez des périodes de vacances avec lui à l’étranger. Entre ces périodes, vous n’avez pas de nouvelles, il n’y a pas de contact. Je me dis que vous avez construit cette sensibilité tellement fine. Il me vient une théorie de ces contours. Comme si les contours qui vous manquent auraient dû se construire avec votre père. Avec lui, vous n’avez pas pu construire les contours que l’on place plus loin de nous, à la bordure externe avant le monde extérieur. Avec votre mère vous avez construit cette capacité incroyablement fine de contact sensible. Je vous écoute et je constate que vos projets viennent toujours comme le prolongement d’une rencontre affective qui vous marque. Vous voulez vous établir à l’étranger comme l’a fait votre père, vous voulez réaliser une grande course de montagne comme cette personne que vous avez soignée, vous voulez changer de métier et faire celui de votre ami, vous voulez faire de l’accompagnement comme je le fais (ce que dit la patiente). Vous découvrez l’implication des liens affectifs dans ce que vous appelez vos envies. Cela vous interpelle. Maintenant, vous réalisez que certains de vos projets sont plus proches de vous que d’autres, que certains sont plus personnels, qu’ils sont “plus” vous. Et vous vous éclairez de rose lorsque vous évoquez la tendresse pour l’enfant que vous porterez un jour. Vous avez envie de retrouver cette sécurité durablement. Vous utilisez ce mot qui revient souvent dans vos propos. Envie. “J’ai très très envie.” Vous venez de faire l’expérience de ces contours et vous avez très envie d’explorer cela. Je me questionne sur le rôle de ma présence. Je réalise que je suis comme le gardien d’un espace autour de vous, un espace au sein duquel rien qui puisse vous perturber ne peut entrer. Je réalise que je fais cela parfois, pour différentes personnes. Est-ce que je fais cela parce que je perçois que les contours ne sont pas fonctionnels ou absents, que les personnes sont trop exposées  ? Il y a des personnes pour lesquelles c’est autre chose qui se passe. Je viens délimiter un espace autour de vous, et je réalise maintenant que vous le percevez à votre façon. C’est peut-être ce que vous venez trouver ici. Et vous pouvez dans cet espace délimité apprendre à recréer vos propres contours. J’ai cette

impression que dans cet espace que je crée, vous pouvez vous mouvoir et expérimenter. Et vous pouvez prendre le temps de positionner vos propres limites à l’intérieur de cet espace que je maintiens. Je vous parle encore de ces contours. Je me risque à vous partager ce que je perçois. C’est comme si une partie de ce qui vous enveloppe, qui doit amener le sentiment de sécurité, est encore ouverte à votre droite. Vous êtes surprise et vous me parlez de votre douleur à la jambe droite. Je ressens vos émotions. Je vois la coloration de votre visage. Vous n’êtes pas surprise. Je décris quelque chose avec des métaphores et des comme si. Vous semblez à la fois vous reconnaître et souhaiter en savoir plus. Ce que je ressens est d’une finesse incroyable, légèreté mêlée d’euphorie, tristesse, nostalgie, tendresse. Une grande compassion. Cela je le garde pour moi. Je vous dis en le réalisant trop tard que vos relations avec le masculin ont pu être insécures parfois. Ce que je dis vient spontanément et je réalise que je m’adresse à vous et en même temps pas à vous. Les larmes vous viennent. Vous pouvez prendre le temps. Il y a ce silence et je comprends, nous comprenons tous les deux, en silence. Je ne sais pas exactement quoi, ni à quel point cela s’est passé, mais je sais. Je vous propose d’aborder cela quand ce sera le bon moment pour vous et uniquement si c’est bon pour vous de le faire. Vous dites que vous savez que c’est le moment de le faire, très bientôt. Vous savez que c’est bientôt le moment de régler cela. (Nous aborderons effectivement un travail sur ce point lors des séances suivantes, à l’initiative de la patiente.) Vous notez ce contraste apparent entre ce vous dynamique courant sur les sentiers et ce vous sensible qui intervient dans ce moment. Il n’y a pas de contradiction, si ce n’est que vous vous laissez emporter parfois dans des rythmes ou des espaces qui ne sont pas les vôtres, pour réaliser ensuite que vous vous sentez mal. Il me semble que vous allez dans des espaces, des vécus, des demandes, sans prendre le temps d’évaluer si cela vous concerne. Des vécus vous percutent, vous vivez plus tard des conséquences corporelles, sensorielles, sans savoir que ces émotions, cette fatigue viennent en réponse à un moment vécu plus tôt. J’évoque cette contagion émotionnelle. Vous percevez les émotions des autres, même plus que cela. Vous allez apprendre à reconnaître. En retrouvant d’abord le sens de vos contours, de vos espaces. Vous allez repositionner vos contours, vos enveloppes. C’est agréable pour vous. Comme les chats qui dorment dans des cartons ou des bols, dans des cercles ou des carrés. Vous réalisez aussi que vous aimez certaines pièces chez vous où vous vous sentez enveloppée. Dans l’espace défini par vos contours vous allez pouvoir vous déployer, vous incarner dans cet espace justement, une incarnation non corporelle, mais à la fois corporelle et sensible dans l’espace autour de vous. Vous allez développer cette sécurité et vous apaiser. Vous pouvez aussi investir ce don, cette perception sensible que vous avez. Vous êtes déjà thérapeute. Vous pouvez même devenir psychothérapeute comme vous risquez à l’envisager, si vous le décidez un jour, et vous êtes jeune et pouvez reprendre des études. Mais vous le ferez pour vous, pas pour moi. Vous pouvez aider autour de vous par votre présence. Je ne sais pas ce qui fait cela. Et ce qui fait que vous exercez déjà dans le soin. Est-ce pour vous, est-ce pour autrui ? »

Cette vignette clinique illustre d’abord la richesse et l’intensité du vécu du thérapeute et la persistance de ce vécu après la séance. Il illustre aussi comment les réponses intuitives alimentent une construction théorique utile au processus thérapeutique. Dans le cas de Léa, les liens entre différents types de «  contours  », les «  interfaces relationnelles  » et la présence parentale au cours de son développement, ou encore les perceptions intuitives de vécus potentiellement traumatiques, trouveront une pertinence dans la suite de la thérapie.

Conclusion Nous avons évoqué dans ce chapitre le modèle de la présence thérapeutique, en tentant d’illustrer sa connexion aux domaines des transes. Par cette connexion, il nous semble que la notion de présence et le vécu concret qu’elle tente de décrire nous ramènent à la question de la spiritualité dans la pratique clinique. Il s’agit d’une spiritualité de l’instant, comme le dit Antoine Bioy (Bioy et al., 2022). Il existe une place dans nos pratiques pour cette spiritualité de l’instant, pour un rapport serein à l’incertitude, au mystère et à la créativité.

Focus 7 Pratique Kototama

Franck Sinimalé Kototama  ? Un mot inconnu pour beaucoup. Une première initiation avec Franck Sinimalé1.

Une approche de la pratique Kototama La pratique Kototama que je propose s’inspire des enseignements que Maître Morihei Ueshiba, O Sensei, fondateur de l’aïkido, a transmis à ses élèves, qui à leur tour ont transmis à leurs élèves, etc. En termes d’enseignements, j’ai essentiellement reçu des heures et des heures de pratique. Le Kototama est un art ancestral japonais, qui considère la plupart des choses comme des divinités, des kamis. L’art du Kototama consiste en des vocalises qui permettent d’entrer en relation avec les kamis. On retrouve des approches similaires en Inde avec les chants dévotionnels aux devas, et dans la culture amérindienne avec la salutation aux quatre directions et aux esprits groupe. Dans cet art, les sons peuvent être produits de façon libre, organisée, ou très codifiée. Le Son y est vecteur d’entrée en relation. On y considère également que toute chose a un son. Plus ou moins audible. Des choses les plus « élémentaires », comme la terre, l’eau, l’air, le feu, aux choses les plus « complexes » comme les minéraux, les organes, les êtres vivants, les pensées, les relations, les systèmes, les étoiles… Chaque son transporte des informations concernant la chose qui l’émet, au moins sur sa situation, sur son état et sur ce qu’elle est. Dans la nature, souvent, les sons semblent harmonieux. Il en va de même pour les couleurs, la disposition des choses, leurs mouvements. Tournons un instant notre attention vers notre représentation d’un matin à la campagne… d’un moment au

cœur de la forêt… ou devant un bouquet de coraux… Pas de fausse note, pas de dissonance, pas de désaccord. Comme si la multitude des sons divers et épars suivait un même rythme, propulsée par le même souffle, chaque chose et sa sonorité étant naturellement à sa juste place. Certains enseignants, comme Maître Mikoto Masahilo Nakazono, évoquent que les ancêtres de nos ancêtres qui pratiquaient le Kototama connaissaient les sons qui permettent de s’adresser à chaque chose. Ils savaient produire le son, ou le chant, d’un animal, d’une plante, d’un être humain, et entrer en relation avec lui de façon respectueuse et synergique. Évidemment, la transmission de cette pratique était orale…

Comment ça marche ? Ou le son de la tomate

Le son auquel s’intéresse la Pratique Kototama dépasse la dimension acoustique. La pratique du son –  qui plus est en groupe  – (r)éveille une multitude de ressources naturelles telle que la respiration, l’attention, le rythme, le jeu, la relation. Et à un moment donné, vient l’écoute. Il s’agit ici, non seulement de l’écoute auditive, mais aussi de l’écoute de l’effet produit, de la sensation générée par la perception des sons vocalisés. Au début de la pratique, par exemple si je n’ose pas, je vais m’arranger pour ne pas vocaliser plus fort que les autres. Puis peu à peu, l’attention que l’on porte aux sons que l’on produit soi-même s’estompe au profit du son produit par le groupe. Puis notre attention s’ouvre encore et nous captons des informations sonores de plus en plus fines, complexes, subtiles, comme le vibrato des voix, l’écho du lieu, les harmoniques. Plus tard encore, c’est tout notre corps qui devient écoute et modulation. Le son, les attitudes et les mouvements que nous produisons (re)deviennent spontanés, cohérents, coopérants, avec le groupe, le partenaire, l’environnement, la situation. Bref, avec qui nous sommes et ce qui se présente à nous. Comme notre capacité d’équilibre qui s’ajuste en permanence pour nous maintenir stables et en mouvement, cette écoute-là, en accord avec les circonstances du moment, nous conduit à une modulation spontanée des sons vocalisés qui à leur tour réinforment tout notre système physique et mental. Dans un atelier de pratique Kototama, après trente minutes de rythme, de souffle, de sons vocalisés et de mouvements corporels, on expérimente certains états modifiés de conscience. Il faudrait suivre une démarche scientifique pour démontrer ce passage qui s’ouvre en focalisant notre attention sur un rythme tout en vocalisant des sons accompagnés de mouvements. Une des clés du passage vers cette transe est peut-être l’apport d’oxygène au cerveau associé à l’activation simultanée de certaines zones (concentration, verbalisation, audition, mouvement) que tout notre métabolisme sait faire quand on le stimule en respectant certaines conditions que la pratique Kototama porte sans doute dans ses gènes. Et on ne sera peut-être pas surpris de constater que ces états facilitent certainement nos processus naturels de régulation psychocorporelle.

Brièvement  : en 2009, Joël Sternheimer met en évidence que les acides aminés émettent une onde lorsqu’ils s’agglomèrent pour former les protéines2. Une onde qu’il est possible de retranscrire en onde sonore. Il mène l’expérience de planter deux lots de tomates dans le désert. Un lot A cultivé comme d’habitude et un lot  B cultivé comme d’habitude mais en lui diffusant des sons extraits de l’onde que produit la protéine TAS14, protéine naturelle de la tomate Tomato Anti-Sécheresse. Les plants de tomates  B sont deux fois plus hauts et leur production est vingt fois supérieure aux plants A. Et le professeur de nous dire qu’en fait, les ancêtres des cultivateurs africains faisaient « ce genre de chose empiriquement » !

La pratique Kototama appliquée De ce que j’ai expérimenté et «  compris  » du principe Kototama, c’est que, sans visée particulière, la pratique nous aide à retrouver notre capacité naturelle à entrer en résonance et en harmonie avec notre situation, avec ce que nous sommes, et avec cette place en mouvement constant que la vie nous offre à chaque instant. Quant aux possibilités d’explorations et d’applications, elles m’apparaissent variées et infinies, par exemple : ● gérer la douleur physique ; ● rééquilibrer des fonctions organiques, métaboliques ; ● développer la confiance en soi ; ● améliorer la juste distance avec une situation ; ● devenir complice de ses émotions ; ● accompagner un changement ; ● préparer des examens ; ● faciliter la coopération et l’esprit d’équipe ; ● approfondir la relation avec la nature, etc. En atelier de groupe, en séance individuelle, lors d’interventions en entreprise, ces applications peuvent se concevoir comme une intention, une demande, un projet précis et/ou se produire fortuitement. En effet, si la pratique Kototama peut cibler des objectifs, elle est en soi une approche globale.

Notes 1. Article initialement publié dans la revue Transes, n° 5.

2. Joël Sternheimer est physicien et professeur à l’Université européenne de la recherche, interview : http://dai.ly/xaw07l

Chapitre 8 Synchronisation interpersonnelle, imitation et transe hypnotique

Alexandre Coutté – Benjamin Moutardier Depuis plusieurs années, la notion de transe fait l’objet d’un regain d’attention notable dans la littérature scientifique. Selon Bioy (2022), elle peut être définie comme «  un état de conscience qui se trouve transitoirement modifié par un élément de contexte qui s’impose à une personne, et qui vient modifier la perception que cette personne a de la réalité. Cette modification est perçue par le sujet comme inhabituelle en nature et/ou intensité  ; elle peut être le fait d’un événement particulier inattendu (comme la survenue d’un incident) ou d’un événement anticipé, éventuellement ritualisé (comme une rencontre thérapeutique impliquant une pratique telle que l’hypnose) ». Dans cette perspective, la transe renvoie à une expérience phénoménologique qui, bien que transitoire, est singulière et atypique par rapport à ce qui est vécu au quotidien. Il peut s’agir d’expériences relativement diverses en fonction des individus (par exemple, selon leurs dispositions cognitives et/ou leurs expériences antérieures) et du contexte d’émergence de la transe (par exemple, selon les caractéristiques de l’environnement). Le présent chapitre vise à décrire certains des mécanismes qui contribuent à l’émergence d’une transe dans le cadre d’une séance d’hypnose formelle (en d’autres termes, une transe hypnotique). Après avoir présenté cette pratique ainsi que les caractéristiques de l’expérience phénoménologique qui l’accompagne, nous traiterons plus spécifiquement de l’influence des interactions dynamiques sensorimotrices, entre un praticien et un sujet, sur l’émergence d’une transe hypnotique chez le sujet1. Puis, après avoir présenté les mécanismes de synchronisation interpersonnelle et d’imitation qui sont au moins en partie sous-jacents à cette influence, nous conclurons en discutant l’idée selon laquelle des mécanismes similaires pourraient contribuer à l’émergence de transes dans d’autres contextes ritualisés.

L’hypnose : notions et pratiques

De nombreuses définitions de l’hypnose sont proposées dans la littérature. Certaines insistent plus particulièrement sur la notion de suggestion. Kirsch (1994), par exemple, définit l’hypnose comme un ensemble de techniques durant lesquelles un praticien suggère au sujet des changements dans ses sensations, ses perceptions, ses pensées ou son comportement. D’autres définitions mettent plus l’accent sur les spécificités de l’état de conscience qui caractérise la transe hypnotique. Pour Elkins et al. (2015), par exemple, l’hypnose est un état de conscience impliquant une attention focalisée et une conscience périphérique réduite, caractérisée par une capacité de réponse aux suggestions augmentée. D’autres auteurs, enfin, soulignent la dimension relationnelle et expérientielle du phénomène. Par exemple, en cohérence avec ce que proposent certains auteurs comme Bioy (2022), Coutté et al. (2021) se basent sur une conception de l’hypnose où celle-ci est définie comme un mode de fonctionnement psychologique par lequel un sujet, en relation avec un praticien, fait l’expérience d’une modification de son perçu corporel et par là même de son rapport phénoménologique à soi et au monde. En dépit de leurs spécificités, ces définitions intègrent toutes, explicitement ou plus implicitement, trois dimensions comme étant constitutives de l’hypnose  : le champ des perceptions et des comportements influencés par les suggestions du praticien, la transe hypnotique, et la dynamique interactionnelle entre le sujet et le praticien. Bien que l’importance relative accordée à chacune de ces dimensions varie d’une définition à l’autre, il y a un relatif consensus sur l’idée selon laquelle ces dimensions sont présentes et interagissent durant la pratique. Dans un souci de cohérence avec l’ancrage expérientiel de la définition des transes que nous avons précédemment présentée, nous nous fonderons sur la définition utilisée par Coutté et al. (2021) dans la suite de ce chapitre.

La pratique de l’hypnose peut varier grandement en fonction du champ applicatif (psychothérapie, hypnoanalgésie, recherche, etc.), des choix opérationnels des praticiens (hypnose formelle, hypnose conversationnelle, etc.) et des spécificités des sujets (sensibilité aux suggestions, croyances et attentes vis-à-vis de l’hypnose,  etc.). Parmi toutes les pratiques possibles, l’hypnose formelle demeure probablement une des mieux documentées dans les littératures expérimentales et cliniques contemporaines. Une séance d’hypnose formelle se structure le plus souvent autour de plusieurs phases (Bioy, 2022). Un entretien initial permet au praticien d’accéder à un certain nombre d’informations sur le sujet (son histoire, ses attentes, ses objectifs, ses ressources,  etc.) et d’établir une relation posant les bases d’une «  alliance thérapeutique  » (ou a  minima un cadre de confiance s’il s’agit d’un contexte de recherche). La qualité relationnelle qui résulte de cet entretien fait partie intégrante du processus hypnotique. Selon Sheehan (1980), elle influence le déroulement de la thérapie, d’une part, et les caractéristiques de la transe hypnotique, d’autre part. Dans un second temps, lors de la phase d’induction hypnotique, le praticien utilise des suggestions verbales (basées sur le langage) ou non verbales (liées à son comportement, comme sa posture ou sa prosodie, par exemple), afin de susciter des modifications dans l’expérience perceptive et attentionnelle du sujet, dans ses actions ou encore dans ses pensées. La transe hypnotique qui en résulte peut être plus ou moins profonde en fonction de la construction de la séance et des choix du praticien. Dans un contexte psychothérapeutique, un travail peut alors être mené par le biais d’autres suggestions, avant que le praticien n’accompagne le retour de la personne. Il est notable que, en pratique, la séquentialité de ces différentes phases n’est pas figée : en fonction des besoins, un ordre différent peut être observé. En d’autres termes, la structuration pratique des séances d’hypnose formelle permet de moduler la dynamique interactionnelle (verbale et

non verbale) entre le praticien et le sujet, d’une part, et d’utiliser des suggestions très variées, d’autre part. Les caractéristiques de la transe hypnotique qui émerge dans ce contexte varient en fonction de ces deux dimensions.

La transe hypnotique qui peut être observée dans le cadre d’une séance d’hypnose formelle, est caractérisée par un fonctionnement différent de la veille, du sommeil et de la somnolence (Landry et al., 2017)2. D’un point de vue phénoménologique, plusieurs expériences et ressentis sont souvent décrits durant ce type de transe (Bioy, 2022). Tout d’abord, la transe hypnotique est associée à une forte absorption de l’attention du sujet (Landry et  al., 2017)  : celle-ci devient alors plus focalisée et moins distractible par des stimulations périphériques. Ce fonctionnement singulier est généralement facilité par les techniques d’inductions qui amènent le sujet à prêter une attention soutenue et focalisée à des stimulations physiquement perceptibles (visuelles ou intéroceptives, par exemple) ou imaginées (des souvenirs ou des scènes imaginaires, par exemple). Par ailleurs, la transe hypnotique est souvent associée à des distorsions perceptives et métacognitives (Bioy, 2022). Ainsi, une modification de la perception du temps, sous la forme d’une contraction ou d’un étirement temporel, est fréquemment décrite. De même, une modification des perceptions relatives au corps peut être observée  : de nombreux travaux décrivent des sensations de lourdeur, de légèreté, ou encore un sentiment de détente, souvent en lien avec les suggestions utilisées par le praticien. Parallèlement à l’émergence de ce rapport singulier au corps, le phénomène qui est souvent présenté comme étant le plus caractéristique de la transe hypnotique demeure la modulation de la perception d’agentivité3 chez le sujet, avec à la clé une altération du sentiment d’être à l’origine d’une action et de son contrôle moteur (sur ce point particulier, voir la publication de Lush et Dienes, 2019). Le sujet peut

en conséquence produire des comportements tout en ayant l’impression qu’il n’en est pas l’auteur. Enfin, au niveau de la pensée, les personnes en transe hypnotique témoignent parfois d’un ressenti quasi onirique avec une modification de la structure rationnelle de leur pensée et une altération de leur jugement (Bioy, 2022). Les personnes qui ont vécu une transe hypnotique disent généralement avoir fait l’expérience d’au moins un des phénomènes qui viennent d’être décrits4. Leur occurrence, leur intensité et la façon dont ils se combinent peuvent cependant varier d’une personne à l’autre (voire d’une séance à l’autre), notamment en fonction des techniques utilisées par le praticien. Parmi ces techniques, certaines mobilisent plus particulièrement des dynamiques d’interaction comportementale entre le praticien et le sujet.

La synchronisation interpersonnelle et l’imitation durant l’hypnose formelle 5

Durant une séance d’hypnose formelle, que ce soit durant la phase d’induction de la transe hypnotique, durant son approfondissement ou durant le travail thérapeutique à proprement parler, le praticien et le sujet communiquent par le langage verbal et par des comportements très variés (expression du visage, prosodie et rythme de la voix, ajustements posturaux, mouvements du corps,  etc.). Cette communication n’est pas toujours consciente, mais elle est généralement bilatérale  : il y a constamment une dynamique d’influences réciproques. Elle joue un rôle important dans le maintien d’une relation thérapeutique favorable et opérationnelle (Balugani, 2008  ; Bioy, 2022  ; Erickson et Rossi, 1980).

Plusieurs techniques mobilisent pleinement cette dynamique interactionnelle dans le cadre de l’hypnose formelle. Certaines visent notamment à favoriser une mise en rapport entre les comportements du patient et ceux de la personne (Balugani, 2008  ; Erickson et Rossi, 1980). À titre illustratif, on distingue notamment, d’une part, la technique du pacing. Elle consiste, pour le praticien, à imiter les caractéristiques des comportements du sujet. Dans le cas du langage verbal, cela peut renvoyer, par exemple, au fait de choisir ses mots parmi les champs sémantiques que le sujet utilise spontanément, ou au fait de répéter ce qu’il dit. Dans le cas de comportements non verbaux, cela peut renvoyer, par exemple, au fait d’ajuster le rythme de la prosodie qui énonce les suggestions en fonction du rythme respiratoire du sujet, ou encore au fait d’adopter une posture du corps comparable à celle du sujet. D’autre part, le leading consiste, pour le praticien, à amener le sujet à suivre ses propres comportements, par changements progressifs, afin de favoriser l’émergence d’un nouvel état chez cette personne. Le leading est généralement articulé au pacing selon une dynamique globale. Cela suppose d’observer les comportements du sujet, de les imiter (i.e., pacing), avant de produire soi-même d’autres comportements susceptibles d’influencer ceux du partenaire (i.e., leading). Dans le champ de la littérature clinique, plusieurs auteurs (Ramseyer et Tschacher, 2011) suggèrent que ce type de mise en rapport comportementale et langagière entre le praticien et le sujet entraînerait généralement des conséquences importantes sur la qualité de la relation qu’ils entretiennent. Au-delà de la simple dimension relationnelle, ces techniques seraient également importantes pour l’induction hypnotique et le travail thérapeutique au regard de la dimension relationnelle qui caractérise l’hypnose (Balugani, 2008 ; Bioy, 2022). En faisant en sorte que son langage et son comportement soient mis en rapport avec ceux du sujet, le praticien permettrait de maintenir une dynamique attentionnelle mutuelle, facilitant ainsi l’émergence d’une expérience hypnotique.

Le pacing et le leading pour induire de la synchronisation interpersonnelle et de l’imitation Pour mieux comprendre les mécanismes sous-jacents à ces effets du pacing et du leading, il est intéressant de considérer ces techniques à la lumière des travaux menés sur la synchronisation interpersonnelle et sur l’imitation, car ces deux techniques induisent structurellement ce type d’interaction comportementale. La notion de synchronisation interpersonnelle fait référence à la réalisation, par un groupe d’individus, de comportements ayant un rythme similaire (de façon spontanée ou sous l’influence de facteurs contextuels facilitants, comme une consigne ou une musique). Ces mouvements peuvent être similaires ou différents (Cirelli, 2018). Danser ensemble selon un rythme commun, ou encore parler avec une prosodie selon un rythme correspondant à celui de la respiration du partenaire, sont autant d’exemples de cas où il y a synchronisation interpersonnelle entre des individus. La notion d’imitation, quant à elle, renvoie au fait de produire un comportement similaire à celui d’une autre personne, y compris quand il y a un décalage temporel entre la réalisation des deux comportements (Cirelli, 2018). Adopter une posture similaire à celle d’une autre personne (avec un temps de décalage ou pas) est un exemple d’imitation. Bien que la production de comportements relevant de la synchronisation interpersonnelle et/ou de l’imitation puisse en apparence sembler simple, cela suppose en réalité la mobilisation d’un ensemble complexe de processus cognitifs. De nombreuses études en sciences cognitives ont été menées sur ces comportements et leurs conséquences. En général, elles portaient sur des tâches assez éloignées de l’hypnose formelle (les participants étaient amenés, par exemple, à danser, à chanter, ou à taper dans leurs mains). Cependant, il est intéressant de souligner qu’elles ont montré que la synchronisation interpersonnelle et l’imitation entraînent des conséquences à plusieurs niveaux. Premièrement, certains auteurs suggèrent que la synchronisation interpersonnelle activerait des affects positifs chez les sujets. Ainsi,

la synchronisation interpersonnelle au sein d’un groupe peut augmenter l’estime de soi, diminuer le stress associé à un travail ou encore diminuer la perception de la douleur physique (clinique ou expérimentale) chez les différents membres de ces groupes (sur ces différents points, voir les méta-analyses de Rennung et Göritz, 2016 et Mogan et  al., 2017). Ces effets sont par ailleurs étayés par des observations neurophysiologiques montrant que la libération de neurohormones comme les endorphines et l’ocytocine (connues pour être impliquées dans les mécanismes de la perception douloureuse, des affects, et de la sociabilisation) est influencée par la synchronisation interpersonnelle (Cirelli, 2018). Deuxièmement, la synchronisation interpersonnelle exercerait une influence sur la façon dont les sujets ajustent leurs fonctionnements cognitifs respectifs en fonction du partenaire. Ainsi, il a été montré que la synchronisation interpersonnelle d’un groupe oriente l’attention des membres du groupe les uns sur les autres, avec à la clé un sentiment de cohésion sociale rehaussé, une plus grande propension à attribuer des états mentaux à autrui, et une amélioration de la capacité à réaliser des actions conjointes (sur ces différents points, voir la méta-analyse de Rennung et Göritz, 2016). Cette modification du fonctionnement attentionnel s’accompagnerait, par ailleurs, d’une modulation du sentiment d’agentivité des membres du groupe. En effet, Reddish et al. (2016) ont montré que la synchronisation interpersonnelle peut augmenter chez un sujet, d’une part, le sentiment d’être acteur d’une action qui est en réalité réalisée par le partenaire, et d’autre part, le sentiment que le partenaire est acteur d’une action qui est en réalité réalisée par luimême. En d’autres termes, la synchronisation interpersonnelle semble moduler la façon dont chaque sujet perçoit ce qui relève de soi ou d’autrui. Ce type de phénomène est parfois interprété dans le cadre des théories sur les neurones miroirs (Rizzolatti et Craighero, 2004). Ces théories montrent que réaliser une action et observer quelqu’un d’autre faire cette même action activeraient des réseaux neurocognitifs au moins en partie communs. Dès lors, quand des participants bougent de façon synchrone, les corrélats neuronaux

activés par la perception du mouvement d’autrui seraient relativement similaires à ceux activés par le mouvement de soi. La représentation des limites entre soi et autrui en deviendrait dès lors troublée. Cela contribuerait à induire un sentiment de continuité entre soi et autrui (Rennung et Göritz, 2016). Troisièmement, la synchronisation interpersonnelle et l’imitation dans un groupe exerceraient une influence importante sur les relations sociales, notamment au sein de ce groupe. Ainsi, amener un groupe de personnes à produire des comportements synchronisés (en dansant, en chantant, en faisant du rameur,  etc.) induirait un sentiment d’affiliation au groupe plus important, une perception plus positive des membres de ce groupe et un sentiment plus marqué d’être «  connecté  » aux autres et d’«  être ensemble  ». Cela favoriserait également l’émergence de comportement prosociaux (entraide, donations, etc.) au sein de ce groupe (sur ces différents points, voir les méta-analyses de Mogan et al., 2017 et Rennung et Göritz, 2016). De façon comparable, amener les sujets d’un groupe à avoir des comportements d’imitation induirait des attitudes plus positives et des comportements plus favorables au sein de celui-ci6 (Chartrand et Bargh, 1999). En d’autres termes, ces études montrent que la synchronisation interpersonnelle et l’imitation mobilisent des mécanismes qui sont susceptibles de moduler l’expérience phénoménologique des sujets. Dans le cadre de la pratique de l’hypnose formelle, des techniques comme le pacing ou le leading, qui induisent des comportements de synchronisation interpersonnelle et d’imitation entre le sujet et le praticien, contribuent donc à moduler l’expérience phénoménologique du sujet et à influencer l’émergence de la transe hypnotique chez lui (ou a minima à en moduler les caractéristiques). Dès la phase d’induction, les mécanismes sous-jacents à la synchronisation interpersonnelle et à l’imitation influencent la qualité relationnelle entre le sujet et le praticien, ainsi que l’alliance thérapeutique qui la sous-tend. Ils facilitent en outre la mise en place d’une attention empathique mutuelle et renforcent l’absorption du sujet. Le sentiment d’agentivité du sujet, ainsi que la façon dont il se

sent connecté au praticien, s’en trouvent également modifiés, renforçant ainsi l’intensité de l’expérience de transe hypnotique. Enfin, l’influence de ces techniques sur les affects des participants, voire sur les perceptions relatives à leur corps, contribue à colorer la singularité de cette expérience.

Conclusion : la synchronisation interpersonnelle et l’imitation comme catalyseurs relationnels des transes ? La mise en lien entre la littérature clinique sur l’hypnose formelle, d’une part, et la littérature sur la synchronisation interpersonnelle et l’imitation, d’autre part, ouvre des perspectives intéressantes pour améliorer notre compréhension de la nature des influences de certaines techniques, comme le pacing et le leading, sur la transe hypnotique. Les spécificités exactes des liens causaux entre interaction comportementale et transe restent cependant à préciser. En effet, la synchronisation interpersonnelle et l’imitation peuvent être observées dans des contextes très divers (lorsqu’on marche au pas avec des amis, par exemple), sans qu’elles ne soient nécessairement accompagnées par un état de transe. Il ne s’agit donc pas en soi d’une condition suffisante pour qu’apparaisse une transe hypnotique. En outre, une transe hypnotique peut être observée dans des séances d’hypnose formelle où aucune technique basée sur la synchronisation interpersonnelle ou l’imitation n’est directement utilisée (notamment, par exemple, quand des scripts préenregistrés sont utilisés). Il ne s’agit donc pas non plus d’une condition indispensable à l’émergence d’une transe hypnotique. De fait, l’émergence d’une transe hypnotique est tributaire des nombreux «  ingrédients  » qui sont intégrés à la pratique de l’hypnose formelle. Ces «  ingrédients  » peuvent être relatifs aux caractéristiques du sujet (sa sensibilité aux suggestions, ses attentes et ses croyances initiales vis-à-vis de l’hypnose, etc.) et aux caractéristiques contextuelles directement manipulées par le

praticien (le type de suggestions utilisées, les caractéristiques de la relation entre le sujet et le praticien,  etc.). Dans cette perspective, les techniques induisant de la synchronisation interpersonnelle et de l’imitation sont des ingrédients au sein de ce dispositif. D’une part, elles jouent un rôle dans l’établissement de l’alliance thérapeutique entre le sujet et le participant. D’autre part, la façon dont elles modifient le fonctionnement des sujets (au niveau des affects, de l’attention, des perceptions corporelles, de la perception de l’agentivité et de la façon d’interagir avec le praticien) joue un rôle dans l’émergence de la transe et dans les caractéristiques de cette transe. Si on se base sur ce cadre heuristique, est-il envisageable que les comportements de synchronisation interpersonnelle et d’imitation puissent contribuer à l’émergence d’une transe dans un contexte ritualisé autre que celui de l’hypnose formelle  ? Plusieurs travaux peuvent d’ores et déjà le laisser penser. Ainsi, Perry et al. (2021) ont fait remarquer que la pratique du chant est présente dans de nombreuses religions et dans de multiples traditions séculaires. Il y aurait, selon eux, un lien causal entre ces chants et l’émergence des états de transe qui sont parfois observés dans ces pratiques. Dans certains cas, il peut s’agir d’une transe légère caractérisée par de l’absorption de la part du pratiquant. Mais dans d’autres cas, il peut également s’agir d’expériences mystiques intenses avec une distorsion de la perception du temps et de l’espace, des émotions très intenses, un rapport à autrui caractérisé par une plus grande prosocialité, et une dissolution plus ou moins marquée de la distinction entre soi et autrui. Perry et  al. (2021) soulignent plus précisément que la structure rythmique de ces chants et de ces vocalises est souvent relativement prédictible, facilitant ainsi une bonne synchronisation rythmique et harmonique avec les autres chanteurs impliqués. Ainsi, même s’ils rappellent que dans ces pratiques, l’émergence de la transe varie en fonction de nombreux facteurs dispositionnels et contextuels (intentionnalité des participants, dévotion, durée de la pratique,  etc.), ils suggèrent également que la synchronisation

interpersonnelle et l’imitation contribueraient à part entière à l’émergence de la transe et à ses caractéristiques  : elles seraient, dans ce cadre, des «  ingrédients  » qui, intégrés à un dispositif ritualisé, faciliteraient l’entrée en transe et détermineraient certaines de ses caractéristiques. Si ces travaux sur la synchronisation interpersonnelle et l’imitation sont prometteurs pour améliorer notre compréhension des transes et des mécanismes qui les sous-tendent, il est bon de rappeler que la plupart de ces travaux sont menés dans des contextes expérimentaux parfois éloignés de la question des transes. De futures recherches expérimentales plus écologiques (dans le cadre de l’hypnose formelle ou dans d’autres contextes ritualisés) permettront de préciser la nature exacte du rôle de ces dynamiques comportementales dans les phénomènes de transe.

Notes 1. Dans le cadre de l’hypnose, une modification du fonctionnement cognitif du praticien est également souvent décrite. Nous ne traiterons cependant pas cette problématique dans ce chapitre. 2. Notons que des travaux ont été menés afin d’identifier les marqueurs comportementaux et neurophysiologiques qui seraient spécifiques à la transe hypnotique (voir par exemple l’article de Landry et al., 2017). La question de la validité et de la fiabilité de ces marqueurs fait toujours l’objet de débats dans la littérature. 3. La notion de perception de l’agentivité renvoie à la capacité à attribuer un événement (un mouvement, par exemple) à soi-même ou à autrui. 4. Notons que cette liste de phénomènes renvoie à ce qui est le plus souvent décrit dans la littérature sur la transe hypnotique (voir par exemple Bioy, 2022). Elle n’est cependant pas exhaustive. En fonction des suggestions et des sujets, d’autres phénomènes peuvent être observés. 5. En anglais, le terme de « pacing » renvoie à l’idée d’une régulation de rythme et d’allure. Le terme de « leading », quant à lui, renvoie à l’idée de guider autrui. Ces anglicismes sont souvent utilisés dans la littérature francophone sur l’hypnose. Nous les avons donc conservés.

6. Notons toutefois que certaines études soulignent que les résultats sont plus variables quand le sujet se rend compte qu’il est imité (Rennung et Göritz, 2016).

Chapitre 9 L’effet awe ! Un chemin vers la transcendance de soi

Pierre De Oliveira «  Nous traversons les miracles en aveugles, sans voir que le moindre jaillissement d’une fleur est fait de milliers de galaxies, que les brindilles d’un nid déserté ou les étoiles d’un ciel noir parlent de la même absence adorable. » Christian Bobin. « Je me suis senti très, très petit. » Neil Armstrong Pourquoi sommes-nous parfois profondément émus à la vue d’une fleur ou d’un ciel étoilé  ? Pourquoi une balade en forêt auprès d’arbres centenaires ou la rencontre d’une personne que nous admirons nous laisse-t-elle sans voix  ? Ces sentiments d’émerveillement, d’étonnement, parfois de crainte nous transportent-ils vers une forme de transcendance de soi  ? Dans ce chapitre, après avoir défini le awe et les circonstances dans lesquelles cette émotion complexe est susceptible d’apparaître, nous aborderons sa capacité à transformer profondément notre fonctionnement psychologique et nos conduites sociales.

Définitions et abords du awe Le «  awe  » est une émotion vécue par le soi lorsqu’il fait face à quelque chose de plus vaste, de plus grand et qui excède sa compréhension actuelle. Cette émotion est complexe dans le sens où celle-ci recouvre plusieurs états émotionnels (par exemple, l’étonnement, l’émerveillement, l’admiration, etc.) et qu’il est parfois difficile d’identifier la valence qui lui est associée. Étymologiquement,

le terme anglais « awe » désignait un sentiment mêlé de crainte et de respect révérencieux imprégné d’émerveillement que les gens éprouvaient en réponse à une altérité plus puissante, que cela soit une personne (par exemple, un roi ou un chef de clan) ou quelque chose de divin. Actuellement, cette dimension négative associée à la peur ou à l’effroi a progressivement disparu et le terme « awe » est principalement utilisé dans les recherches actuelles pour décrire un état d’émerveillement ou de «  stupéfaction émerveillée  » avec une valence positive. Dans leur article original, Keltner et Haidt en 2003 proposent de définir les abords de ce processus émotionnel à travers deux composantes principales  : l’immensité perçue et le besoin d’accommodation. Ainsi, selon cette approche, l’expérience du awe survient essentiellement lorsque nous avons le sentiment d’être confrontés à quelque chose d’immense ou de vaste, comme la vue d’éléments naturels ou physiques tels que des arbres gigantesques, la voie lactée, les montagnes, la mer, des cascades mais aussi des cathédrales ou d’immenses gratte-ciel. Cette perception d’immensité peut être également déclenchée par des éléments non naturels et plus conceptuels. Un film, un concert, une pièce de théâtre, une équation mathématique ou un haïku peuvent aussi être porteurs d’immensité. De par l’ampleur et la richesse de ce qu’ils suggèrent, ces stimulus sont parfois difficiles à assimiler avec nos cadres de pensées habituels. En effet, une accommodation cognitive est souvent nécessaire. Ce besoin d’accommodation se traduirait par une sorte de mise à jour de notre vision du monde où de nouvelles catégories, de nouveaux schémas mentaux émergeraient pour inclure et donner du sens à ce qui a été vu. Selon Kelner et Haidt (2003), d’autres dimensions telles que la peur (par exemple, l’effroi devant un animal dangereux), la beauté (par exemple, le plaisir esthétique devant une œuvre d’art), la vertu (par exemple, l’admiration pour une personnalité extraordinaire) ou le surnaturel (par exemple, la présence de quelque chose de presque improbable, voire impossible) seraient également à prendre en compte lorsque

l’on souhaite cartographier les abords de cette expérience dans sa complexité.

Quelles sont les conséquences du awe ? Aujourd’hui, la plupart des chercheurs s’accordent à dire que l’émotion awe est étroitement liée à des dynamiques de transformation et de transcendance de soi. Depuis une vingtaine d’années, en parallèle des divers témoignages attestant de l’impact profond et existentiel de cette expérience dans la vie, de nombreux protocoles expérimentaux visant à manipuler cette émotion dans un cadre contrôlé de laboratoire ont vu le jour. À  partir de l’usage de vidéos, de casques de réalités virtuelles, de sorties dans la nature, mais aussi à la suite de l’utilisation de protocoles assez simples où l’on demande aux participants de se souvenir d’un moment où ils ont vécu cette expérience, les recherches ont montré que l’émotion awe affectait l’individu dans sa globalité, que cela soit sur le plan physiologique ou neuro-physiologique, ou sur un plan plus psychologique, social, voire parfois transpersonnel.

À  l’instar d’autres états émotionnels, l’activité du système nerveux autonome est modifiée durant l’expérience du awe. Lorsque celle-ci provient d’un sentiment de crainte ou d’effroi, le awe serait plutôt corrélé à l’apparition de la chair de poule et à une activité plus prononcée du système nerveux sympathique (accélération du rythme cardiaque et augmentation de la conductance de la peau) (Gordon et al., 2017). À l’inverse, lorsque les stimuli sont de nature plus positive, une prévalence de l’activation du système nerveux parasympathique a été observée (conservation de l’énergie, diminution du rythme cardiaque). De par l’impact du awe sur le désir d’explorer, sur la curiosité ou sur le contact social, la disposition à l’émerveillement serait également corrélée à une diminution des

réponses inflammatoires (c’est-à-dire interleukin-6) (Stellar et  al., 2015). Les régions du cerveau impliquées dans la conscience de soi, le fonctionnement exécutif et les émotions sont aussi affectées par cette expérience. Une disposition importante à vivre de l’émerveillement dans la vie de tous les jours serait par exemple négativement corrélée avec le volume de matière grise présente dans le cortex cingulaire antérieur, moyen et postérieur (Guan et al., 2018). Une activité réduite des régions cérébrales du réseau du mode par défaut a également été observée lors d’une expérience en laboratoire. Van Elk et ses collègues en 2019 ont ainsi constaté que le lobe frontal, le cortex cingulaire postérieur et le gyrus angulaire étaient moins fortement activés lorsque les participants avaient pour consigne de «  s’absorber  » devant des vidéos d’émerveillement avec des paysages grandioses par rapport à des vidéos « contrôle » où ils voyaient des animaux amusants ou un personnage neutre. Aucune différence d’activation de ces zones cérébrales durant la présentation des vidéos n’était observée lorsque la consigne de visionnage était de compter activement le nombre de changements de perspective.

Au niveau de notre fonctionnement psychologique, plusieurs effets sur les cognitions ont été identifiés. Comme nous l’avons mentionné précédemment, le awe nous conduirait à réduire le recours aux schémas existants, aux heuristiques et aux autres structures de connaissances dont nous disposons lors du traitement de nouveaux stimuli, et ainsi à faciliter au contraire l’assimilation de nouvelles informations et la formation de nouveaux schémas. Shiota et ses collègues en 2007 indiquent, par exemple, que plus les individus ont des dispositions à vivre des expériences d’émerveillement dans le quotidien et moins ils ressentent de l’inconfort lorsqu’ils sont confrontés à des situations ambiguës et/ou incertaines (c’est-à-dire, un faible besoin de clôture cognitive). Cette expérience serait

également susceptible de transformer nos schémas habituels vis-àvis du temps dont on dispose. Dans une série d’études, Rudd et ses collègues en 2012 ont montré que cette émotion pouvait conduire les gens à penser qu’ils disposent de plus de temps et à ressentir moins d’impatience. En élargissant la perception du temps, cela a amené les participants à désirer plus fortement passer du temps à aider d’autres personnes et, dans une certaine mesure, à ressentir plus de bien-être. En complément, les recherches ont également démontré que cette émotion était fréquemment associée à une diminution de l’importance accordée à soi et à un certain désintérêt vis-à-vis de ses préoccupations quotidiennes. Ainsi, lorsque nous sommes confrontés à quelque chose qui nous dépasse, à quelque chose devant lequel nous nous sentons insignifiant, le désir de satisfaire nos intérêts et objectifs personnels aurait tendance à s’estomper. Cette diminution de l’importance accordée à soi durant l’expérience du awe s’accompagne généralement d’un sentiment d’appartenance à quelque de chose de plus grand, le plus souvent à des catégories plus vastes comme une communauté, une culture, l’espèce humaine ou la nature. Par exemple, Shiota et ses collègues (2007) ont constaté que les personnes ayant une forte tendance à vivre dans le quotidien des expériences d’émerveillement étaient moins susceptibles de se définir en utilisant des termes faisant directement référence à des caractéristiques individuelles telles que «  spécial  » ou «  unique  ». Ils étaient plus enclins à mettre en avant leur appartenance à des catégories plus larges, par exemple en se décrivant comme « un habitant de la Terre ». C’est le même constat qui est observé dans une autre de leurs études où les participants étaient amenés à passer dans une salle dans laquelle une réplique grandeur nature d’un Tyrannosaurus-rex était présente. L’émerveillement ressenti devant ce squelette a conduit les participants à élargir leur manière de s’auto-définir (c’est-à-dire, réponses fournies à la question «  qui suis-je  ?  ») en incluant davantage de réponses faisant référence à des catégories sociales plus universelles. Cet élargissement des frontières du soi devant la

magnificence de la nature serait susceptible de nous amener à une plus grande inclusion d’autrui dans notre définition de soi. Ces effets du awe sur la diminution de l’importance accordée à soi et le sentiment d’appartenir à quelque chose de plus grand se traduisent aussi à un niveau plus perceptif. La perception que nous avons de nous-mêmes, notre conscience corporelle serait affectée par cette expérience. Ainsi, des recherches ont par exemple montré qu’après la visite d’une installation artistique dans une abbaye à Amsterdam ou la vue de paysages magnifiques dans le parc national du Yellowstone aux États-Unis, les individus ont eu tendance à se percevoir visuellement comme étant plus petits comparativement aux participants assignés aux conditions contrôles. L’expérience du awe exercerait également un rôle important sur le bien-être et la santé psychologique. En effet, selon Anderson et ses collègues (2018), l’impact de la nature sur le bien-être et les symptômes liés au stress pourrait s’expliquer dans une certaine mesure par les expériences d’émerveillement que celle-ci peut susciter. Dans une étude conduite en milieu naturel auprès de militaires vétérans et de jeunes issus de communautés défavorisées, ces chercheurs révèlent que, parmi les émotions qui ont été ressenties durant une sortie en rafting (par exemple, la fierté, l’amusement, la reconnaissance, l’excitation,  etc.), c’est l’émerveillement qui prédit le mieux l’augmentation du bien-être et la réduction des symptômes liés au stress. Dans le même ordre d’idées, après une observation longitudinale du bien-être des étudiants durant quatorze jours, ces chercheurs révèlent que les participants se sont déclarés plus satisfaits de leur vie quotidienne les jours où ils sont allés dans la nature. Ce lien s’expliquait par le fait que le contact avec la nature a augmenté la probabilité de vivre ce type d’expériences. Cet impact des situations de awe sur l’émergence d’affects positifs (satisfaction, bonheur, etc.) a aussi été observé à partir d’études réalisées directement en laboratoire. Dans un protocole développé par Nelson-Coffey et ses collègues en 2019, les participants étaient amenés via un casque de réalité virtuelle à regarder la planète terre s’éloignait comme s’ils étaient dans un

vaisseau spatial. Parallèlement à ces éléments visuels, les commentaires de Carl Sagan lors de la photographie de la planète Terre prise à plus de 6 milliards de kilomètres par la sonde Voyager étaient diffusés (Point bleu pâle  : «  La Terre est une toute petite scène dans une vaste arène cosmique  »). Encore une fois, l’immersion dans ce type d’expérience a profondément affecté le fonctionnement psychologique des participants. En comparaison aux personnes assignées dans une condition contrôle, l’émerveillement devant la vision de la planète Terre a conduit les participants à vivre plus d’émotions d’auto-transcendance (compassion, gratitude, amour, etc.) et à se sentir davantage connectés à l’humanité. À noter que ce type d’expériences d’auto-transcendance où le sentiment subjectif de son propre moi en tant qu’individu s’estompe temporairement et se transforme en une expérience d’unité avec l’environnement survient aussi lorsque les individus sont confrontés à des images de l’infiniment petit. Par exemple, les résultats d’une étude conduite par Dambrun en 2021 indiquent que les participants ayant regardé un film dans lequel ils visitaient l’intérieur du corps humain en partant de la surface du corps pour aller ensuite vers l’observation de composants microscopiques (cellules sanguines, cellules cérébrales) les ont conduits à ressentir une altération du temps et de l’espace (« J’ai perdu le sens du temps et de l’espace) ainsi qu’un sentiment d’unité plus prononcé («  J’ai senti l’unité en toute chose »). Ces résultats issus de protocoles expérimentaux standardisés sont largement confirmés et étoffés par des approches plus qualitatives. En effet, lorsque l’on étudie la phénoménologie de ce type d’expériences, les moments les plus significatifs de notre vie sont marqués par la présence de cette émotion. En s’appuyant sur les témoignages de l’ouvrage Awakening to Awe  : Personal Stories of Profound Transformation (Schneider, 2009), Bonner et Friedman (2011) décrivent de manière exhaustive les différentes dimensions de l’expérience. En complément de celles identifiées précédemment (sentiment d’immensité, de connexion,  etc.), l’analyse phénoménologique des témoignages révèle que, suite à ce type

d’expériences, les individus se déclarent avoir soudain conscience de leur existence dans le monde, se sentent plus présents, plus ouverts aux autres, plus à même d’accepter la mort. Les perceptions sont également accrues, les personnes ont déclaré être plus réceptives, elles perçoivent l’environnement avec davantage d’acuité, comme si elles étaient transportées vers un autre niveau de réalité, quelque chose de sacré et de transcendant. Selon un des témoins, «  le awe est une réponse naturelle au fait d’être en vie, d’être conscient de mon environnement et de faire l’expérience de ces choses qui échappent à mon contrôle et à ma compréhension » (p. 19).

Comment expliquer qu’une émotion entraîne de tels effets sur notre fonctionnement psychologique  ? Pourquoi nous entraîne-t-elle vers la transcendance de soi  ? L’approche socio-fonctionnelle des émotions suggère qu’elles sont une réponse de l’organisme physiologique et psychologique qui nous permettrait de nous adapter à notre environnement et de réagir à des menaces. Dans le cadre des études sur les effets du awe, cette fonction adaptative est parfois reprise sous un angle évolutionniste. En effet, selon Keltner et Haidt (2003), la transcendance de soi, via la réduction de l’égocentrisme et de nos motivations égoïstes, faciliterait la cohésion et la stabilité des groupes auxquels nous appartenons. Le awe servirait ainsi à prioriser les objectifs du groupe et à organiser les individus en hiérarchie pour permettre de faire face plus facilement aux menaces et aux défis de l’environnement. Par rapport à d’autres états positifs, le fait de ressentir du awe envers une personne entraînerait par exemple une plus grande loyauté, un plus grand sens éthique, une volonté de sacrifice et une vision positive du groupe à laquelle la personne appartient. Cette diminution de l’importance donnée à soi lorsque nous sommes confrontés à quelque chose qui nous dépasse favoriserait également l’émergence de conduites pro-sociales. Une plus grande inclination à partager, à s’occuper des autres et à les aider semble être en effet l’un des

principaux marqueurs de cette expérience. La série d’études réalisée par Piff et ses collègues en 2015 en fournit la parfaite illustration. Dans une recherche conduite en laboratoire, les participants étaient amenés à visionner de manière aléatoire soit une courte vidéo de la série Planète Terre de la BBC suscitant de l’émerveillement avec des paysages grandioses, des vues panoramiques, des forêts, etc., soit une vidéo amusante de la BBC avec des animaux dans différentes situations comiques, soit une vidéo dans laquelle aucune émotion particulière n’était activée. Les participants devaient ensuite compléter le jeu du dictateur dans lequel ils pouvaient de manière unilatérale décider de la répartition d’une dotation préalablement reçue pour pouvoir jouer à une loterie. Pour les éclairer sur leur choix, ceux-ci étaient informés au préalable que la personne avec qui ils avaient été jumelés au hasard n’avait reçu aucun point au départ, et que par conséquent, ils avaient la possibilité de l’aider ou non en redistribuant la somme qu’ils avaient reçue. Les résultats de cette étude sont venus confirmer l’impact positif du awe sur les comportements pro-sociaux. Comparativement au visionnage d’une vidéo neutre ou d’une vidéo amusante, les participants qui ont vu la vidéo d’émerveillement se sont comportés de manière plus altruiste lors de la tâche de distribution de ressources. Un point important à noter ici est que cette augmentation de la générosité s’explique statistiquement par le fait que les sujets ont eu durant la vidéo le sentiment d’être «  petits  » face à l’immensité. C’est le même constat qui est observé dans la dernière étude de leur recherche où cette fois l’émerveillement était suscité chez la moitié des participants par une promenade sur le campus où d’immenses eucalyptus étaient présents. Par rapport à la situation contrôle, les individus ayant regardé ces arbres immenses ont ensuite davantage émis de comportements d’aide (par exemple, aider une personne qui a fait tomber ses affaires). Encore une fois, la diminution de l’importance accordée à soi durant cette émotion était au cœur de ce geste altruiste.

En encourageant les individus à transcender leurs désirs momentanés, en diminuant l’importance accordée au moi individuel et en déplaçant l’attention de l’individu vers les besoins et les préoccupations des autres, le awe serait une émotion autotranscendante capable de modifier en profondeur nos attitudes et conduites environnementales. Récemment, Zhao et ses collègues en 2018 ont par exemple démontré que le simple fait de regarder des vidéos suscitant du awe ou le fait d’avoir à se souvenir d’un moment particulier où nous avons ressenti de l’émerveillement (par exemple lorsque nous sommes face à un paysage naturel grandiose) était suffisant pour déclencher de manière causale l’intention de se comporter de manière plus écologique (recyclage, compostage, diminution de la consommation de viande,  etc.) et amenait à déclarer une plus grande volonté de changement et de sacrifice pour protéger l’environnement. Pour ces chercheurs, l’explication de ce type d’effet serait à rechercher du côté de la manière de concevoir nos relations avec l’environnement. En effet, dans ces études, les chercheurs avaient mesuré l’orientation à la dominance sociale des participants (c’est-à-dire, motivation à préserver les rapports de domination et les inégalités sociales). L’hypothèse sous-jacente était que notre désir de dominer, de maîtriser et d’exploiter la nature pour préserver l’organisation hiérarchisée de notre société serait amoindri lorsque nous ressentons de l’émerveillement. Cette piste explicative est confortée par les analyses de médiation réalisées sur l’ensemble des données. Ainsi, l’expérience du awe entraînerait une diminution de notre rapport de domination vis-à-vis de la nature, ce qui en retour nous conduirait à être favorable à l’émergence de nouvelles pratiques pour faire face au changement climatique. Dans leur article « From Awe to Ecological Behavior : The Mediating Role of Connectedness to Nature », Yang et ses collègues en 2018 proposent aussi que le type de relation qu’entretiennent les individus avec la nature est un des facteurs clés des attitudes et des comportements écologiques. Selon cette approche, l’expérience de l’émerveillement déclencherait chez les individus un sentiment

d’appartenance et de parenté avec la nature. Ainsi, plus ce sentiment de connexion serait présent et plus les individus auraient le sentiment que la nature fait partie d’eux-mêmes. Pour illustrer cela, les chercheurs ont choisi d’induire l’émerveillement chez les participants via le sentiment d’admiration pour un personnage important. Comme nous l’avons mentionné précédemment, l’émerveillement ne se déclenche pas uniquement lorsque nous sommes confrontés à des paysages grandioses, celui-ci peut provenir d’éléments plus abstraits tels qu’une œuvre d’art ou la rencontre de personnes que nous trouvons admirables. Ainsi, afin d’induire l’état de awe pour la moitié des participants, les chercheurs ont demandé de lire la consigne suivante  : «  Souvent, nous ressentons de l’admiration face à des personnes qui provoquent des changements à grande échelle, comme Nelson Mandela et son rôle dans la fin de l’apartheid en Afrique du Sud. Prenez quelques instants pour réfléchir à une personne importante et à ce qu’elle vous fait ressentir. » L’autre moitié des participants étaient assignés à une condition contrôle dans laquelle il leur était demandé de penser à un événement ordinaire de leur vie quotidienne et à exprimer ce qu’ils avaient ressenti. À  la suite de ce moment de réflexion, tous les participants étaient amenés à remplir une mesure de comportements écologiques (étude  1) et de sentiment de connexion à la nature (étude  2). Ils devaient par exemple indiquer leur degré d’accord ou de désaccord avec des propositions telles que «  Je me sens souvent comme faisant partie d’un écosystème plus large  », «  Je pense à la nature comme à une communauté à laquelle j’appartiens », « Tout comme l’arbre fait partie de la forêt, je me sens comme faisant partie de la nature », etc. Dans l’ensemble, les résultats de ces études expérimentales sont venus confirmer le rôle médiateur du sentiment de connexion à la nature. L’émerveillement entraînerait le sentiment que la nature est une part importante de notre identité, ce qui nous motiverait ensuite à nous comporter de manière plus écologique.

Peut-on promouvoir le awe ?

Une première approche suggère que la fréquence avec laquelle les individus vivent des expériences d’émerveillement serait en partie due à leur personnalité. Ces dispositions individuelles seraient relativement stables et peu influencées par les contextes ou les situations dans lesquelles l’individu évolue. Le trait d’absorption par exemple est corrélé positivement à la tendance à vivre de l’émerveillement dans le quotidien ou dans des situations expérimentales spécifiques (Van Elk et al., 2016). La capacité à être pleinement attentif à son environnement, à mobiliser l’ensemble de ses capacités perspectives, motrices et imaginatives conduirait ainsi l’individu à prêter davantage attention aux stimuli susceptibles de déclencher de l’émerveillement comme des paysages ou des architectures monumentales mais également à avoir plus de facilité pour s’absorber dans ce qui est perçu. L’ouverture à l’expérience est également une variable de personnalité en étroite relation avec la tendance à vivre des expériences d’émerveillement dans la vie de tous les jours. Ce trait de personnalité orienterait plus fréquemment les individus vers de nouveaux territoires à explorer, mais également à davantage s’intéresser aux arts et aux sciences. Comme nous l’avons évoqué précédemment, la complexité, la richesse sensorielle de ces différents types de stimuli étant particulièrement propice à la survenue du awe. Des interventions plus ou moins longues peuvent également être sollicitées pour développer une plus grande attention et modifier la manière d’appréhender nos expériences quotidiennes. Les pratiques méditatives semblent être d’un apport considérable dans ce domaine. En favorisant nos capacités d’auto-régulation et nos fonctions exécutives, la pratique régulière de la méditation permettrait une meilleure capacité à diriger et à maintenir son attention ainsi qu’une plus grande flexibilité attentionnelle. Plusieurs données attestent également que les pensées auto-référentielles et le vagabondage mental qui nous éloignent du moment présent seraient également atténués. Cette capacité à se désengager des pensées distrayantes et à déployer facilement des ressources attentionnelles nous permettrait ainsi d’être plus présents et ouverts

aux sources d’émerveillement que l’on peut rencontrer dans le quotidien. De rapides consignes mobilisant l’attention des individus lorsqu’ils se promènent ou profitent d’un moment de détente dans la nature pourraient aussi accroître l’accès à ce type d’expériences. Dans une étude réalisée à proximité d’une université, Ballew et Omoto (2018) ont demandé de manière aléatoire à leurs participants de s’asseoir soit dans un environnement naturel (un arboretum), soit dans un environnement plutôt urbain (un stade). Ensuite, ceux-ci avaient tous pour consigne de prêter attention à toutes les caractéristiques de leur environnement, aux couleurs, aux textures et de noter sur une feuille tous les mots qui leur venaient à l’esprit pour décrire ce qu’ils avaient remarqué. Les résultats ont révélé qu’en comparaison à un environnement urbain, le fait de se retrouver seul pendant quinze minutes dans un environnement où la nature est présente suffit à déclencher significativement plus d’émerveillement, de bonheur et de joie. Les consignes attentionnelles ont également amené les participants à se sentir davantage absorbés et captivés par les caractéristiques de l’environnement naturel, ce qui en retour les a conduits à ressentir plus d’émotions positives. Dans le même ordre d’idées, Sturm et ses collègues en 2021 ont proposé à un échantillon de personnes âgées de 60 à 90 ans de marcher quinze minutes par jour durant huit semaines. Tandis que la moitié des participants ne recevait pas d’informations particulières pour réaliser cette promenade, l’autre moitié avait pour consigne de regarder l’environnement avec un regard d’enfant, ainsi que de chercher l’immensité et/ou la nouveauté. Il leur était expliqué que si l’on adopte le bon point de vue, on peut trouver l’émerveillement presque n’importe où. Bien qu’aucune différence significative ne fût observée entre l’avant et l’après du protocole sur l’échelle d’anxiété utilisée, les résultats ont révélé des changements positifs au niveau des émotions ressenties dans le quotidien. Par rapport à la condition contrôle, les personnes âgées qui ont reçu les consignes sur le regard d’émerveillement ont exprimé moins de tristesse, de peur et plus d’émotions pro-sociales comme la compassion, la gratitude ou l’admiration.

Enfin, pour les personnes avec une mobilité plus réduite, l’émerveillement peut être cultivé en évoquant des images d’expériences passées où l’étonnement, l’admiration ou l’émerveillement était présent. On peut penser par exemple à des moments de notre vie où l’on a été envahi par la grandeur et par quelque chose de plus puissant que soi. Comme nous l’avons indiqué dans ce chapitre, le fait de se souvenir et de se reconnecter sensoriellement à ces expériences permet de rester connecté aux bénéfices positifs qu’elles apportent : un bien-être accompagné d’un sentiment de transcendance, de gratitude et d’appartenance à quelque de chose de plus grand. L’utilisation de casques de réalité virtuelle peut être un support intéressant pour développer ce type d’expériences. La réalité virtuelle est une technologie qui crée l’illusion d’accéder à des environnements interactifs en 3D. Les utilisateurs peuvent ainsi les parcourir comme s’il s’agissait d’espaces physiques réels dans lesquels tous les sens peuvent être mobilisés (auditifs, tactiles, gustatifs et olfactifs). Ainsi, il est possible via ce type d’outil de créer et d’adapter en fonction des besoins ou de la situation des personnes des environnements virtuels propices à l’émergence du awe.

Conclusion À travers ce chapitre, nous avons essayé d’apporter un éclairage sur les travaux scientifiques qui étudient une émotion complexe et importante. En effet, ce mélange d’émerveillement, de stupeur ou d’admiration que nous ressentons lorsque nous sommes confrontés à quelque chose qui nous dépasse, devant lequel nous nous sentons parfois insignifiants, nous ouvre le chemin vers une plus grande humanité. Nos motivations égoïstes et nos préoccupations quotidiennes étant pour un instant mises en retrait au profit d’une perception de soi, des autres ou de l’environnement plus élargie et englobante. Pour clôturer, nous aimerions évoquer la proposition de Christian Bobin pour prolonger ces instants fugaces : « L’art de vivre consiste

à garder intact le sentiment de la vie et à ne jamais déserter le point d’émerveillement et de sidération qui seul permet à l’âme de voir. »

Chapitre 10 Émotions, flexibilité et changement

Christine Chalut-Natal Morin Les émotions occupent évidemment un champ vaste. Nous avons souhaité ici les aborder en faisant un rapprochement qui nous semble riche avec la Médecine Traditionnelle Chinoise (MTC). Cette dernière est issue du taoïsme, l’un des courants principaux de la pensée chinoise qui trouve sa source dans le chamanisme. Un peu d’histoire  : en France, au xviiie  siècle, hypnose et MTC se rencontrent temporellement. Dans leurs Lettres édifiantes et curieuses de Chine, les Jésuites narrent le côté irrationnel et bizarre du raisonnement médical de la MTC mais aussi l’efficacité des thérapeutiques qui en découlent. Au même moment, Mesmer développe sa théorie du magnétisme animal et décrit l’idée d’un fluide, d’un éther originel présent dans toute matière, du cosmos à l’homme (Bioy, 2017). Étrange synchronicité puisque les lettres des jésuites sont publiées entre 1702 et 1776 et qu’en 1776, Mesmer s’inspire du jésuite Maximilien Hell pour élaborer sa théorie du magnétisme animal. L’un des grands principes de la MTC est le Qi  ; celui-ci est à la base de tous les phénomènes de l’univers : à la base de toute chose est le Qi. Différentes traductions de ce terme ont été proposées : « force vitale », « éther », « énergie » ; quelle que soit la traduction, il émane un caractère de fluidité. Finalement la question qui se pose est : en Occident, qui de Mesmer ou de la MTC est à l’origine de la théorie du magnétisme animal, utilisation spécifique de la transe à des fins thérapeutiques ? Probablement les deux, l’un des points communs étant la transe  : d’un côté, elle est vécue par le chamane tandis que dans le magnétisme animal elle est expérimentée par le patient. « Jadis, Zhuang Zi, rêva qu’il était un papillon, un papillon qui voletait de-ci, delà, et il se sentait tout joyeux tout en accord ! Il ne se savait plus Zi. Tout à coup il se réveilla et se retrouva étendu, il était soudain redevenu Zi. Il ne savait pas si c’était Zi qui avait rêvé qu’il était papillon ou si c’était le papillon qui rêvait qu’il était Zi. » (Zhuang Zi, chapitre 2).

Au cours de ce chapitre, nous aborderons successivement la question des émotions, de la flexibilité qui initie le mouvement facilitant le changement. Nous terminerons par une illustration de ces dynamiques dans le cadre de la transe lors du processus d’enfantement.

Les émotions : apports de James En médecine occidentale, les émotions stimulent le système limbique du cerveau, il y a transmission d’influx nerveux à l’hypothalamus, aux centres nerveux puis au corps tout entier jusqu’aux viscères. En MTC, « le corps, l’esprit et les émotions font partie d’un grand tout qui n’a ni début ni fin, et dans lequel les viscères constituent la principale sphère d’influence physique, mentale et émotionnelle » (Maciocia, 1989). Les travaux réalisés dans le champ des neurosciences redonnent une place à la théorie des émotions de William James. Son approche venait à l’encontre de la pensée de Wundt qui considérait l’émotion comme un phénomène mental primitif, conséquence directe d’un stimulus et sans implication du corps. A  contrario, James envisage les émotions comme des sensations secondaires, provoquées par le ressenti des modifications corporelles immédiatement consécutives à la perception d’un objet, conception admise aujourd’hui avec les théories de la cognition incarnée (Niedenthal et  al., 2005)  : «  Si nous nous représentons une forte émotion, et qu’ensuite nous tentions d’abstraire de la conscience que nous en avons, toutes les sensations de ses symptômes corporels, nous trouvons qu’il ne nous reste plus rien. “Nulle étoffe mentale” pour constituer l’émotion, tout ce qui persiste, c’est un état froid et neutre de perception intellectuelle.  » (James et  al., 2006  : 193.) Concernant la nature des manifestations corporelles impliquées dans les émotions, James reste flou. Il parle de réponses viscérales involontaires (rythme cardiaque, modification de la respiration), de réponses volontaires (mouvements du corps ou du visage) et de comportements spécifiques comme l’attaque ou la fuite. Certains

éléments peuvent être mis en perspective avec les réponses du système nerveux autonome. James envisage aussi les effets possibles d’une rétroaction corporelle : « Toute production volontaire et calme des prétendues manifestations d’une émotion spéciale devrait nous donner cette émotion elle-même…  » (James et  al., 2006.) Si la rétroaction corporelle influence l’intensité de l’expérience émotionnelle en cours, elle peut aussi induire l’émotion correspondante (Duclos et Laird, 2001). Ainsi, si l’expression excessive d’une émotion tend à l’augmenter, l’inhibition de son expression tend à en diminuer l’intensité. Un sourire, un froncement de sourcil ou l’implication des muscles du visage peut faire naître l’émotion sans la présence du stimulus émotionnel (Flack et  al., 1999). De même, le fait de verbaliser des pensées tristes ou joyeuses génère l’émotion correspondante (Velten, 1968) tout comme certaines manifestations corporelles particulières émotionnelles peuvent induire les sentiments correspondants. Si ces manifestations corporelles sont suffisantes pour déclencher l’émotion, elles trouvent néanmoins leur origine dans la perception d’un fait excitant : « Les “objets” sont assurément ce qui donne tout d’abord naissance aux mouvements réflexes instinctifs. Mais au fur et à mesure de l’expérience, ils prennent leur place d’éléments dans des “situations” totales et les suggestions de celles-ci peuvent déterminer des mouvements d’une nature entièrement différente. Aussitôt qu’un objet nous est ainsi devenu familier et suggestif, ses conséquences émotionnelles, dans n’importe quelle théorie de l’émotion, doivent résulter plutôt de la situation totale qui suggère que de sa présence pure et simple » (James et al., 2006).

Les émotions : Lazarus et Damasio Les effets émotionnels d’un objet sont le fait de la perception subjective, soit l’interprétation qu’en fait le sujet. Cela nous renvoie aux théories de l’appréciation ou appraisal theories qui réfèrent aux processus cognitifs d’évaluation d’une situation en lui adjugeant une signification menaçante ou pas. La théorie de l’appréciation de

Lazarus (1991) définit trois modes d’évaluation à l’origine des émotions  : une évaluation primaire permettant de déterminer l’événement comme désirable ou menaçant selon les critères personnels du sujet  ; une évaluation secondaire qui réfère aux capacités de l’individu à s’adapter à la situation (coping) ; enfin une réévaluation qui implique la modification des évaluations primaire et secondaire suite aux modifications de la situation. James accorde un rôle central à l’évaluation de la situation dans le déclenchement des réactions émotionnelles corporelles et l’apparition de l’expérience émotionnelle consciente. Selon lui, les émotions sont d’abord provoquées par des stimuli de l’environnement qui génèrent des réactions instinctives  : «  Tout objet qui excite un instinct excite également une émotion. Seulement, et c’est là l’unique différence entre les deux réactions produites, la réaction émotionnelle se borne à s’exprimer dans le corps tandis que la réaction instinctive est susceptible, en outre, de mettre l’animal en rapport avec l’objet qui la provoque. D’autre part, l’une et l’autre réactions peuvent être déterminées tout aussi bien par le souvenir ou l’image de leur objet que par sa perception directe » (James et al., 2006). S’appuyant sur la théorie de James, Damasio décrit des émotions primaires, présentes dès la naissance, préprogrammées et déclenchées par la perception de certains stimuli comme une grande taille, des mouvements brusques, des bruits forts ou certains sons. Ces caractéristiques sont détectées par des structures spécifiques du système limbique qui déclenchent alors une série de réponses adaptées. La perception des émotions primaires (joie, tristesse, colère, peur, dégoût, surprise) correspond à la perception des manifestations corporelles préprogrammées tandis que la perception des émotions secondaires (euphorie, extase, mélancolie, honte…) est en rapport avec la perception des réponses corporelles modulées par l’expérience. La contribution de Damasio à l’approche de James est de postuler que «  les états du corps soient réels ou fassent l’objet d’une simulation, les activités neurales correspondantes passent dans le champ de la conscience et sont à l’origine de la perception d’une émotion » (Damasio et Blanc, 2010).

Par ailleurs, il démontre que le raisonnement humain est sous l’influence des émotions incarnées dans le corps et que ces dernières ont «  certaines raisons que la raison doit absolument prendre en compte  ». Les émotions auraient une fonction de « marqueurs somatiques » (plaisant/déplaisant) qui, associés à une image ou une option, aident le sujet à prendre des décisions de façon automatique et inconsciente (Damasio et Blanc, 2010). Scherer (2005) propose un modèle spécifiant les éléments constitutifs de l’émotion définie comme une séquence de changements coordonnés de cinq composantes (cognitive, physiologique, motivationnelle, expressive et subjective) en réponse à un stimulus évalué comme important ou congruent pour l’organisme. Le terme «  sentiment  » réfère à la composante subjective dont le rôle est important dans la régulation des émotions. Ainsi le sentiment serait l’expérience consciente des changements coordonnés dans les différentes composantes. La pratique de l’hypnose individuelle permet un accompagnement personnalisé du sujet notamment pour la gestion des phénomènes émotionnels, une approche pertinente car nous observons que les émotions s’expriment différemment d’un individu à l’autre. C’est l’expression d’une subjectivité à un instant T de la vie du sujet dont nous tenons compte en hypnose en accompagnant ce que le patient exprime le jour de la consultation dans « l’ici et maintenant ». Le recours à l’hypnose est pertinent dans la régulation émotionnelle car elle permet à la personne d’entrer dans une dynamique d’adaptation. Pour le praticien, la pratique de la transe lui permet un lâcher-prise afin de se synchroniser avec le patient, plonger dans la relation et l’accompagner à identifier des ressources pour la problématique exprimée. Lorsque le sujet accède à des ressources qu’il n’imaginait pas, ses sentiments de confiance en lui et en ses capacités s’en trouvent renforcées.

Étymologiquement, le terme «  émotion  » vient du latin motio qui signifie «  mouvement  » ou encore du latin movere dont l’une des significations est «  mettre en mouvement  », soulignant le rôle du corps dans les phénomènes émotionnels. Du corps au mouvement, il n’y a qu’un pas qui nous emmène vers la question de la flexibilité et du changement.

Flexibilité et mouvement Au cours du processus hypnotique, la variabilité de la transe est déjà une expérience de flexibilité. En convoquant les ressources du patient, l’hypnose permet de gagner en flexibilité et facilite une perception et un vécu différents des sentiments de difficulté ou souffrance. Pour être accessible au patient, cet état de conscience modifié doit être présent chez le praticien, permettant à ce dernier de s’adapter au patient. Être flexible, c’est changer de point de vue, remettre du mouvement, ou changer le sens de son mouvement pour s’adapter. Cette réorganisation de l’expérience renvoie à la notion d’actualisation de Carl Rogers qui postule que l’actualisation prend sa source dans une force ou énergie innée, fondamentale et naturellement positive. Cette tendance à l’actualisation contribue au développement du potentiel du sujet (Morin et Bouchard, 1997) et est déterminée par trois conditions  : l’ouverture sur l’expérience, la reconnaissance de l’individu à être responsable de lui-même et à décider de ses comportements et enfin l’utilisation de ses compétences afin d’agir de façon appropriée et d’actualiser ses choix. Dans cette perspective, le sujet évolue continuellement car il s’adapte constamment et restructure en permanence son champ phénoménologique.

La pensée chinoise est une pensée symbolique construite à partir de correspondances et d’oppositions avec lesquelles jouer lorsqu’on veut comprendre ou agir. Le ying et le yang est le concept central de la philosophie chinoise puisque le monde est un tout résultant de l’unité contradictoire de ces deux principes. Le yin et le yang représentent des principes opposés et antithétiques de l’espace et du temps en même temps complémentaires et indissociables, relatifs et qui se transforment l’un en l’autre, chacun des deux principes variant en permanence au cours de la journée, de l’année, de la vie. C’est un mouvement

permanent  : quand l’un décroît, l’autre croît. Ces deux principes introduisent les notions de mouvement, de changement, de paradoxe et de flexibilité de la pensée. C’est un couple antithétique et cependant uni par la plus parfaite des communions. La matérialité du corps yin et l’immatérialité de l’esprit yang s’expriment dans l’expérience psychocorporelle de la transe. La symbolique du yang, figurant toutes les manifestations actives, et du yin, représentant le caché, métaphorise la dynamique conscientinconscient. La question du mouvement a toujours été présente en hypnose  : la théorie fluidique de Mesmer, l’hystérie de Charcot, la dynamique pragmatique et stratégique d’Erickson. Ce mouvement n’est possible que lorsqu’il y a flexibilité autant du côté du patient que du praticien qui doit centrer sa pratique sur le nécessaire ajustement au patient.

Ne pas se scléroser, telle pourrait être la phrase illustrant la dynamique du mouvement dans laquelle s’est inscrit François Roustang tant au niveau personnel que dans sa démarche thérapeutique. À l’âge de 20 ans, il intègre la Compagnie de Jésus1 dans laquelle il poursuit des études de philosophie et de théologie. Après avoir été psychanalyste quelques années, il se forme à l’hypnose ericksonienne. Il poursuit une réflexion qui dessine une approche spécifique des relations à l’autre, approche qui pourrait s’envisager comme une forme de communication spirituelle implicite qui ouvre le sujet au mouvement. Selon Roustang, l’hypnose permet au sujet de passer d’un état perceptif restreint à un état lui permettant de percevoir tous les éléments de son environnement, de sa situation, corps et esprit formant un tout indivisible. Son approche thérapeutique en hypnose a pour objectif de remettre du mouvement là où il n’y en avait plus grâce à l’analogie entre le travail psychique et la mise en actes corporels.

Roustang se  réfère à la transe comme une expérience où ni le temps et ni l’espace ne trouvent place. Ainsi la perception ordinaire devient impossible et le sujet perd sa capacité à se «  faire une opinion sur des objets, les observer, les analyser, les juger, donc où il n’y aurait plus de sujet du tout » (Roustang, 2008). Il distingue la perception ordinaire, fractionnée dans le temps et l’espace, d’un mode de perception premier, universel, dans laquelle l’homme s’inscrit dans un espace où il est à la fois tout ou partie  : la perceptude. Cette dernière se distingue de la perception en ce sens qu’on ne perçoit pas : « On est. » Ce qui n’est pas sans rappeler la vision taoïste où le Tao est l’essence de toute chose. Fondement originel, le Tao est au-delà des mots. La perceptude diffère de la connaissance issue de la perception  : elle est un sens et le sens. Elle est animée d’un mouvement perpétuel tel celui du yin et du yang. Nous pouvons inscrire dans cette dynamique les faits de sentir et de penser qui, selon la pensée d’Aristote, sont une seule et même chose : « Le sentir chez l’humain est déjà le penser parce que le sentir, comme on l’a vu pour le petit enfant, implique la discrimination, la saisie des différences. Le penser est inclus dans le sentir, mais c’est le sentir qui est premier. L’être humain ne sent pas parce qu’il pense, mais bien au contraire il pense parce que son sentir est déjà pensée et intelligence  » (Roustang, 2003). Le yin possède en lui le germe du yang et le yang possède en lui le germe du yin. Dans cette même dynamique, perception et perceptude s’inscrivent l’une dans l’autre. Ainsi, la transe (qu’il s’agisse ou non d’hypnose) permet au sujet de passer à un état où, à la fois, il est le tout et il est dans le tout. De fait, la question du corps ne peut qu’occuper une place centrale dans l’approche de Roustang, puisque la sensation est première. Ainsi le propre de l’hypnose est de remettre du mouvement, corps et esprit, là où il n’y en avait plus notamment grâce à l’analogie entre le travail psychique et la mise en actes corporels. S’installer dans son corps permet de prendre la mesure de ses ressources. Il importe que la personne «  parcour[e] elle-même le chemin de l’assurance,

doi[ve] faire l’exercice de l’assurance  ». Implicitement, la notion du corps est présente dans le vocabulaire choisi par l’auteur  ; «  parcourir  », «  faire l’exercice  »  : l’implicite du corps par l’explicite de mouvement. Roustang distingue les notions d’assurer et de rassurer. L’action de rassurer tend à gommer les fluctuations émotionnelles du sujet sans que ce dernier s’engage ou se mobilise pour les atténuer ou les supprimer, comme une forme d’assistance qui supplée aux ressources de la personne qui tend à rester dans une posture passive (Roustang, 2015). Si Milton Erickson utilise la transe pour accéder aux ressources du sujet, Roustang s’appuie sur l’âme sentante, une sensorialité première et primaire dans laquelle se fondre en se laissant glisser dans un processus qui remet chaque chose à sa juste place. La transe facilite la reconnexion à l’ensemble des sensations et perceptions, savoirs intuitifs qui nous relient à l’existence.

Le changement La transe hypnotique s’appuie sur la relation entre hypnopraticien et patient afin d’accompagner ce dernier dans un processus de changement en activant l’imagination et le versant émotionnel du sujet. L’émotion étant plus puissante que la raison (Coué dans Abauzit et  al., 1928), il est plus aisé de changer la position d’une personne en mobilisant ses émotions et en stimulant son imagination créatrice tout en l’ancrant dans son corps ici et maintenant. L’hypnose s’attache particulièrement à la dimension émotionnelle de l’individu, à remettre du mouvement dans des zones de blocage émotionnel, aux interactions entre émotions et douleur ou émotions et stress. Dans cet état de transe, il peut s’agir de retrouver des émotions, les identifier, les débloquer, les éprouver, les accepter voire parfois les transformer. Si flexibilité et mouvement permettent le changement, l’acceptation du paradoxe est un prérequis.

La transe se définit comme un état de conscience qui se trouve transitoirement modifié par un élément de contexte qui s’impose à une personne, et qui vient modifier la perception que cette personne a de la réalité. Le paradoxe invite à la flexibilité pour s’adapter. Ainsi lorsque le paradoxe s’invite dans la transe, il est facilitateur du changement puisque, alors, tout est possible. En référence à la tradition chinoise, toute réalité peut être perçue comme paradoxale ou tout du moins balancer entre deux contraires, entre deux forces contraires que sont le yin et le yang. Dans la pensée chinoise, la vie procède d’un mouvement de rotation résultant de la lutte incessante entre ces deux contraires, qui cherchent à se dominer l’un l’autre. Lorsque l’un des deux semble à son apogée, son déclin s’amorce. Dans le Dao De Jing (Palmer, 1991), le paradoxe est un procédé qui a pour objet de démontrer qu’il n’y a pas de pensée unique. Paradoxes et contraires sont nécessaires à la compréhension du monde. Celui-ci ne peut exister sans paradoxe ; ainsi, quelle que soit la réalité que nous percevons, elle est toujours paradoxale : « Tous sous le ciel reconnaissent le beau comme étant le beau, ainsi admettent le laid. Tous reconnaissent le bien comme étant le bien, ainsi admettent le contraire du bien. C’est pourquoi présence et absence s’engendrent mutuellement. Le difficile et le facile se complètent l’un l’autre. Le long et le court se forment mutuellement. Le haut et le bas se renversent l’un l’autre. » (Lao Zi, chapitre II.)

Le paradoxe est une stratégie qui favorise la dissociation en libérant le sujet d’une pensée systématique. Par exemple, il peut s’agir de suggérer quelque chose au patient afin que celui-ci accède à son contraire : « Vous n’avez pas besoin de chercher à vous relaxer… » L’usage du paradoxe permet d’accepter ce qui peut être et ne pas être. C’est l’expression du yin et du yang et de leur complétude. Nous pourrions ajouter la valeur du paradoxe en tant que procédé ayant pour objet de nous obliger à penser deux fois, voire parfois

nous faire réaliser que notre façon habituelle de penser ou de rationaliser est sans issue. Le paradoxe ne remet pas en cause la question du sens de l’expérience, il l’éclaire de façon contrastée. Breton (2012) remarque que, si le symbole (que nous pourrions associer à la métaphore dans le cadre du processus hypnotique) «  agit avec autant d’efficacité alors qu’il paraît de prime abord différent par nature de l’objet sur lequel il s’applique, c’est qu’il vient se diluer, comme l’eau se mêle à l’eau, au sein d’un corps qui est luimême une matière de symbole  ». Remarque qui rappelle la notion de perceptude de François Roustang (2003)  : «  [C]e second mode de perception, que l’on peut nommer perceptuelle, est marqué par la continuité et la prise en compte de tous nos liens avec le monde. » Le premier mode de perception auquel il réfère et qui se caractérise par « la discontinuité et la partialité » peut renvoyer à une approche dualiste voire dichotomique qui sépare le corps et l’esprit.

Changer, n’est-ce pas se défaire d’un apprentissage  ? Erickson est surpris que l’on puisse douter que «  les mêmes forces qui conditionnent les gens dans la vie quotidienne puissent être aussi efficaces en hypnose  » (Erickson et Rossi, 1999). Dans un manuscrit de 1953, il évoque une situation clinique considérée comme un conditionnement psychophysiologique. Il établit un schéma thérapeutique sur la base d’un second conditionnement psychophysiologique opposé au conditionnement traumatique. Il parle alors de re-conditionnement (Erickson et Rossi, 1999). Pour modifier un comportement conditionné à se répéter automatiquement avec le support des émotions et des pensées, James suggère d’en référer aux expériences de réussite antérieures (Short, 2021). L’imagination permet d’expérimenter de nouveaux couplages de stimuli et de réponses. Aussi Erickson a-t-il utilisé cette technique de répétition sous hypnose afin de conduire le patient à adopter/apprendre de nouveaux comportements :

«  Une autre variante de la méthode de répétition consiste à demander au sujet de se voir en train d’exécuter une tâche hypnotique donnée, puis ajouter à cette visualisation d’autres formes d’imagerie comme des éléments auditifs, kinesthésiques,  etc.  » (Short, 2021.) À  ce niveau, la suggestion est le véhicule du contreconditionnement  : «  La suggestibilité, c’est l’aptitude du cerveau à recevoir ou évoquer des idées et sa tendance à les réaliser, à les transformer en acte. » (Bernheim, 1911-2007.) Dans sa pratique, Erickson utilise également les techniques hypnotiques pour déconditionner les apprentissages «  malheureux  ». Pour ce faire, il utilise les ressources propres du sujet « stockées dans un entrepôt ». Ces ressources sont nées des associations psychosomatiques que chacun enregistre à partir de ses prédispositions génétiques et de ses expériences de vie (Erickson, 2000). Aussi emploie-t-il les termes de conditionnement et de contre-conditionnement quand il parle des techniques d’utilisation de l’hypnose. Ainsi ce qui est fait peut être défait ou refait. Ces différents éléments argumentent l’intérêt et la contribution de la transe dans les processus de changement.

Illustration : l’accouchement, une transe extra-ordinaire Pour illustrer les questions des émotions, de la flexibilité et du mouvement facilitant le changement, nous terminons ce chapitre par une illustration du phénomène de transe propre à l’accouchement. L’hypnose est un outil de choix pendant la grossesse. Chez la femme enceinte, «  l’inconscient est à fleur de conscient  » (Winnicott), ce qui favorise les phénomènes de transe. Les femmes sont plus sensibles à l’hypnose pendant la grossesse qu’en dehors de celle-ci (Alexander et al., 2009). Bryant et al. (2012) montrent que l’administration d’ocytocine augmente la réponse hypnotique chez les sujets peu hypnotisables. La présence d’ocytocine dans le plasma maternel en fin de grossesse explique probablement cette

spécificité de la femme enceinte, hypnotisabilité qui s’articule avec les phénomènes de transparence psychique décrits pendant la grossesse. La dynamique corps-esprit particulière à l’enfantement, dont le processus s’appuie sur l’existence d’une transe physiologique, nous invite à réfléchir sur la façon spécifiquement adaptée d’utiliser cette dernière en structurant une approche avec l’hypnose. L’état de transe n’a pas «  d’action propre  » au sens thérapeutique, aussi l’accompagner avec l’hypnose permet aux femmes de gagner en flexibilité dans la régulation des émotions et la gestion des sensations physiques intenses de l’accouchement.

Lorsque, au cours de l’accouchement, la femme se laisse aller à ses processus internes et ressentis, le corps reprend la main, retourne à un fonctionnement primitif et est capable de faire seul lorsqu’il n’y a pas de dystocie. La transe est l’expression de l’interaction forte corps-esprit. En maïeutique, des phénomènes de transe ont de tout temps été identifiés par de nombreuses cliniciennes pendant l’accouchement. La transe de la femme enceinte est extra-ordinaire car elle est potentialisée par la physiologie de la grossesse : le corps se met au service de l’esprit. L’hypnose permet d’accompagner les femmes afin que l’esprit se mette au service du corps. C’est le propre de l’hypnose de remettre du mouvement dans cette dynamique corpsesprit et permettre à la femme de se connecter à ses propres ressources, augmentant sa capacité à agir par elle et pour elle. La femme décrit un sentiment d’accomplissement probablement parce qu’alors l’expérience de l’accouchement inclut corps et esprit, émotion et raison. Les dimensions de la sensorialité et de la corporalité ouvrent à un niveau de conscience élargie  : la perceptude. Cette expérience lui permet non seulement d’être satisfaite de son expérience mais d’accroître son sentiment de confiance en elle et en ses capacités à s’adapter à des situations

d’adversité  : «  Ce moment de l’accouchement a bien valeur de passage, à la fois physique et psychologique. » (Poizat, 2003.)

Si les émotions se révèlent être un facteur prédictif important du vécu subjectif de l’accouchement, au-delà de l’expérience émotionnelle, les femmes rapportent spontanément des phénomènes de transe en décrivant entrer dans une «  zone  » d’intemporalité et d’absence d’espace, un moment où elles perdaient le contrôle. Le monde extérieur était exclu. Elles expriment avoir été surprises par l’efficacité avec laquelle leur corps a travaillé et les a accompagnées pendant le travail, ce qui encore une fois vient souligner les phénomènes dissociatifs (Dixon, Skinner et al., 2014). La transe concrétise les processus psycho-physiologiques sousjacents : perméabilité psychique et hypnotisabilité physiologique. Dans nos travaux, l’expérience de la transe hypnotique est clairement exprimée dans le récit des femmes : focalisation, détente, confusion, présence du praticien, dissociation, imaginaire ancré dans une réalité (Chalut-Natal et Bioy, 2022). Ces caractéristiques sont similaires à celles identifiées par Price et  al., à savoir une sensation de détente mentale et de relaxation, une attention soutenue avec absorption de l’attention, une absence de jugement, de contrôle et de censure, une expérience d’involontarité2 et enfin une suspension du sens de soi et de l’orientation temporelle spatiale habituelle (Bioy, 2016). Cette dernière caractéristique pourrait faire écho à la façon dont temps et espace sont envisagés dans la pensée chinoise. Le temps n’est pas un paramètre et l’espace apparaît tantôt dilué, tantôt concentré. Il en est de même pour la durée qui n’est pas non plus imaginée comme toujours égale à ellemême (Granet, 1999). Ce rapport au temps renvoie à l’usage qu’en fait Erickson, notamment dans les phénomènes de distorsion qu’il utilise pour gérer les phénomènes douloureux (Erickson, 2000). Pendant la préparation à la naissance, ce travail sur la temporalité porte sur des phénomènes de distorsion du temps à type de

condensation ou de rallongement du temps, en y associant un travail kinesthésique. Il est un autre enseignement que les femmes tirent de cette pratique de la transe hypnotique. Toutes éprouvent la peur caractéristique de l’entrée en transe. Cette peur est la preuve d’un passage marqué par la menace de perdre ses repères ; et nous pouvons à nouveau pressentir un effet miroir de ce qui est en jeu lors de l’accouchement (Roustang, 2008). Expérimenter cette peur dans la transe a probablement une vertu initiatique pour les femmes. La transe hypnotique donne accès à un lâcher-prise qui prépare l’expérience de cette fameuse «  impuissance contrôlée  » expérimentée lors de l’accouchement et qui ramène les femmes à cette forme d’animalité qu’elles décrivent. Cette référence à l’animalité ou à leur nature profonde laisse entrevoir ce que Roustang appelle «  l’âme sentante » ou « le sentir propre au vivant » qui peut définir la transe hypnotique. Ce « sentir », qui s’appuie sur une sensorialité première, renvoie au «  grand entrepôt  » de ressources d’Erickson. Il totalise non seulement les capacités et les apprentissages du sujet mais également la mémoire de ses expériences oubliées. Cette sensorialité spécifique permet de remettre du mouvement dans un système rigidifié.

Dans l’expérience des femmes, comme le mouvement est dans la transe, la transe est dans le mouvement. Cette nécessité voire impériosité du mouvement qui soulage pendant le travail peut être mise en perspective avec les écrits de François Roustang : « On ne guérit pas par la parole, par la compréhension, par le vouloir, on guérit par la position, et la position n’est pas quelque chose que l’on cherche, mais quelque chose qui se fait tout seul ; qui se trouve. La position, c’est la prise de l’espace et du temps dans l’espace et le temps.  » Dans cet extrait, il est d’une certaine façon question d’un mouvement psychique qui néanmoins s’exprime dans l’espace et le temps, un peu comme la métaphore du mouvement d’un corps.

L’importance du corps et de ses mouvements, intentionnels, non intentionnels, est exprimée par les femmes qui sont présentes à leur corps comme le corps est présent dans l’expérience de l’enfantement. Toute expérience émotionnelle ou physique, physiologique ou pathologique s’exprime d’abord dans le corps, elle est ensuite traitée cognitivement (Damasio, 2021). Dans cette dualité du mouvement et de la transe, soit du corps et de l’esprit, toute faute de rapport entre les deux peut introduire un déséquilibre. Dans la MTC, la rupture du mouvement entre le corps et l’esprit, à l’image du yin et du yang, déséquilibre le sujet. Il en est de même dans les médecines traditionnelles. Ainsi, Platon recommande de « ne jamais mouvoir l’âme sans le corps, ni le corps sans l’âme, afin que combattant ensemble (…) ils retrouvent la santé » (Platon, Timée, 47 cité dans Andrès, 1999). Paradoxalement, alors que le non-agir est au cœur du processus hypnotique, la transe est facilitée par le mouvement. Ce dernier vient ancrer la femme dans une sensorialité primaire essentielle au processus hypnotique. Mouvement et hypnose sont mis en perspective. Les femmes expliquent combien le mouvement facilite l’accès à la transe mais aussi comment le mouvement empêché provoque la sortie de transe. Ce besoin de mouvement peut être entravé par les différentes interventions du personnel soignant pendant le travail. Nous observons alors comment il extrait le sujet de sa transe et l’immobilise psychiquement dans la souffrance. Ce mouvement peut aussi être perçu de façon interne. La métaphore d’une patiente au sortir de la transe illustre ainsi sa perception  : «  C’est comme un massage de l’intérieur.  » En Médecine Traditionnelle Chinoise, le massage ou Tui-Na (Tui signifie «  pousser  » et Na «  saisir  ») est un ensemble de techniques et manœuvres qui, soit dispersent les blocages énergétiques, soit stimulent ou tonifient l’énergie non seulement du corps et mais aussi de l’esprit. Son objectif est de faire circuler et de rééquilibrer les énergies. Le massage implique à la fois la notion de mouvement et de circulation dans l’objectif de retrouver fluidité et flexibilité. Alors les processus de changement peuvent s’effectuer puisque portés

par le mouvement. Néanmoins celui-ci ne peut s’opérer que si le point névralgique est identifié et cela se joue au cœur de la relation thérapeutique. Corps et sensorialité sont au cœur de l’expérience de la grossesse : corps porteur des mouvements psychiques du sujet, sensorialité d’un corps qui change, sensorialité dans le lien qui se crée dès le début de la grossesse entre la mère et l’enfant. Cette sensorialité est alimentée par un état émotionnel spécifique, qui est aussi le fait d’une imprégnation hormonale massive modifiant l’humeur et la sensibilité de la femme. Plus que tout autre événement, la grossesse et l’accouchement entretiennent des liens spécifiques avec la transe et les phénomènes de suggestion et d’autosuggestion.

Conclusion La transe permet d’accéder à un mode perceptif différent, élargi, à un espace sans distance ni temps. Roustang (2008) précise à nouveau la nécessité du vide, cette fois au niveau du langage afin d’arrêter le flot de pensées et de favoriser un état où il est impossible de penser. Pour accéder à la transe, certains s’absorbent dans le mouvement de leur respiration. Imaginer que la transe est un moment de relaxation est une illusion probablement suggérée par le sentiment de lâcher-prise ressenti par le sujet lors de l’induction. La suite ne sera qu’une succession de mouvements psychiques. Le sentiment de détente éprouvé par la personne est paradoxalement induit par le mouvement que la transe impulse. Lao Zi (Lao Zi, chapitre  II) souligne l’importance du paradoxe et des contraires, illustration métaphorique possible des dynamiques en jeu entre l’esprit conscient et l’esprit inconscient. Cette technique d’induction est largement utilisée par les parturientes. La transe s’induit dans un mouvement inspiratoire et expiratoire, un va-et-vient du concentrique à l’excentrique, un mouvement de centrage sur soi qui permet de se décentrer du contexte et de s’absorber dans la transe  : respiration qui peut s’envisager comme le symbole du mouvement du soi vers la perceptude. Dans la pratique de la transe hypnotique, il s’agit

plutôt de tendre à métamorphoser ou à dissoudre une problématique identifiée, circonscrite. Chercher à donner un sens, une raison à cette dernière pourrait avoir pour conséquence de majorer son existence.

Notes 1. Au xviiie siècle, dans leurs Lettres édifiantes et curieuses des Jésuites de Chine, ceux-ci sont les premiers à rapporter leur expérience de la médecine traditionnelle chinoise, où corps et esprit sont intimement liés, à l’image du yin et du yang. 2. L’involontarité réfère à l’impression de réponses automatiques sans effort ni délibération (Bioy, 2016).

Chapitre 11 La transe, une ouverture sur le Soi et le sacré sauvage

Étude à partir de Freud Édouard Collot L’expérience du sacré est immanente, spontanée ou provoquée, toujours liée à une régression formelle et à une dissociation1. L’étude des hypothèses de Freud et de Jung, les approches cliniques de la psychanalyse, de l’hypnothérapie et des transes plus généralement posent la question de la valeur épistémologique de ces expériences. Certaines manifestations spontanées de « régression » telles que celles décrites par Romain Rolland ou induites par la mise en œuvre de techniques comme la régression topique dans l’analyse, les transes légères, l’imagination active jungienne, les états hypnoïdes… amènent à vivre des expériences qualifiées « d’ouverture » de la psyché, tout au long d’un chemin que nous pouvons nommer avec Jung «  individuation  »2 (réalisation de soi). Bien que la vie nous offre toutes sortes d’occasions de prendre conscience et de résoudre notre névrose infantile et de vivre des expériences d’ouverture, le recours à certaines techniques de soin psychique ou de développement personnel s’avère souvent initiatique. Le premier constat de l’étude des transes est que nos anciens modèles de la psyché binaires sont insuffisants. L’étude des transes ouvre sur un Soi de dimension universelle, de sorte que la psyché se définirait par un modèle ternaire, à savoir corps, esprit et âme. Cette évolution était pressentie par Freud et a contribué à la rupture de Jung avec Freud. La psychanalyse est, selon Freud, une technique de traitement de la névrose de contrainte3 qui tend à valoriser un parcours rationnel au service de la cohérence et de l’avènement du Moi. La psychologie analytique de Jung ouvre la voie de l’exploration de la dimension transcendante de la psyché. Freud et Jung s’accordent sur l’idée que la résolution de la névrose résulte d’un parcours, d’un cheminement et non d’apprentissages de solutions «  prêtes à l’emploi  ». Jung illustrait parfois pour ses patients la nécessité d’un cheminement personnel par l’histoire suivante  : un sage

grec aurait fui loin de la ville, dans sa thébaïde, afin de s’adonner totalement à la recherche du sens à la vie. Après une longue période de méditation, des étudiants curieux lui rendirent visite. Voyant le sage contemplatif et pensif devant des figures géométriques tracées sur les murs, ils se mirent à les recopier avec empressement… et ce faisant avaient commis le non-sens d’aller à ce qu’ils pensaient être la solution, alors que seul le cheminement apporte la solution, toujours personnelle.

Freud et la religion Freud considère la religion judéo-chrétienne comme « la névrose de contrainte  » de l’humanité, en ce qu’elle se substitue à la névrose infantile individuelle, contraignante en soi, réductrice et voilant la réalité. Il juge la religion contraire à toute logique, et n’hésite pas à écrire que les illusions religieuses ont un caractère de délire. Elle est idéologique de par ses dogmes. « Pensez au contraste affligeant qui existe entre l’intelligence radieuse d’un enfant en bonne santé et la faiblesse de pensée de l’adulte moyen. Serait-il si impossible que l’éducation religieuse précisément porte une grande part de responsabilité dans cette atrophie relative ? » (Freud, 1927.) Extrait de L’Avenir d’une illusion, ce passage souligne l’effet d’amputation de l’influence du milieu. L’environnement conditionne le regard et la réflexion de l’enfant, lui indiquant ce qu’il doit regarder et voir, ce qu’il doit considérer comme vrai ou faux. Freud ne se contente pas d’incriminer la religion, mais toute forme d’idéologie qui conditionne. Il accorde au contraire un statut privilégié à la science objective « qui réalisera ce que permet la nature extérieure à nous, graduellement et seulement dans un avenir imprévisible, pour de nouveaux enfants des hommes  » et qui «  nous a fourni la preuve, par des succès nombreux et significatifs, qu’elle n’est pas une illusion ». Il ne semble pas, ce faisant, prendre en considération les risques d’utilisation d’une science qui, élevée au rang de toute-puissance, s’avérerait un formidable outil de domination et de manipulation, n’autorisant guère, à l’extrême, de penser « autrement ». Le regard si spécifique que la science objective porte sur le monde, pour valide qu’il soit, n’en est pas moins limité, par les contraintes auxquelles la science doit s’astreindre. Certaines de ces conditions (reproductibilité, tiers

exclus…) ne s’accordent pas à la nécessaire subjectivité du regard porté sur l’humain. Freud est assez formel quant au lien entre la religion, le social et les topiques. Dans L’Homme Moïse et la religion monothéiste, il insiste beaucoup sur l’importance du retour du refoulé comme facteur organisateur dans l’histoire des peuples, par analogie avec le retour du refoulé dans le contexte des névroses individuelles : « Le retour du refoulé s’accomplit lentement, sûrement pas d’une manière spontanée, sous l’influence de tous les changements intervenus dans les conditions de vie – changements de vie qui remplissent l’histoire de la civilisation.  » Selon Freud, la lente émergence des religions monothéistes assure sous l’égide du retour d’un refoulé collectif, le retour symbolique du père de la horde primitive, de ce « grand homme » qui vient combler la nostalgie et la culpabilité « qui habite en chacun depuis son enfance  ». Représenté par le totem, l’animal totémique, les dieux, enfin le Dieu, adulé et respecté avec toute la charge coupable d’avoir participé à le vaincre dans une alliance parricide. Ce père tout-puissant et reconnu du grand nombre rétablirait et assurerait la cohésion sociale. Freud pose comme hypothèse que l’homme Moïse, qui fut l’un de ces personnages, pourrait avoir été de l’entourage immédiat d’Akhenaton (Amenhotep  IV), qui prônait un monothéisme strict. De fait, beaucoup des proches d’Akhenaton durent s’enfuir alors que la religion solaire fut proscrite après son décès. Freud voit dans la croyance en la « toute-puissance des pensées » le phénomène psychique, «  l’expression de l’orgueil  » dit-il, qui inspira à l’humanité le développement de la langue  : le mot est un acteur qui change la réalité extérieure. Par déduction, l’air en mouvement, le souffle, « fournit le modèle de la spiritualité » : l’âme est reconnue comme principe spirituel4 (le Pneuma). Au refoulé primaire, au refoulé des générations passées, Freud adjoint pour appréhender l’émergence du fait religieux les traces mnésiques héréditaires, la pensée magique, la dimension narcissique de la sublimation pulsionnelle vis-à-vis du père symbolique, l’établissement d’un Surmoi intégré et rigoureux.

L’analyse topique de Freud traduit pour l’essentiel la correspondance en termes de structure entre l’organisation de la vie sociale, et la structuration du psychisme telle qu’elle lui parvient à travers un matériel clinique issu de la société. La seconde topique est le reflet d’une société monothéiste judéo-chrétienne, dogmatique, surmoïque. Ainsi écrit-il à propos du monothéisme : « Cette nouvelle religion se renforce en clarté, harmonie rigueur et intolérance  » (Moïse). Mais devons-nous nous contenter d’appréhender le phénomène religieux, religion et religiosité, comme : « la névrose obsessionnelle de l’humanité  »  ? Ne risque-t-on pas de réduire toute expérience mystique, tout sens du sacré à la pathologie, de méconnaître la dimension transcendante de nombre d’expériences qui seraient alors exclues du domaine de la psychologie  ? D’autre part, beaucoup plus que du désir, le sentiment religieux naît d’un affect profond. L’hypothèse du lien au retour du refoulé n’explique l’émergence de religions que dans la mesure où le social s’érige sur le meurtre symbolique du père. Le retour du refoulé et une certaine constitution matricielle de l’humain, la résurgence du « grand mythe d’une participation inaliénable à la toute-puissance  », ne s’accorde pas avec le sentiment de transcendance née de l’ascèse par exemple, qui est d’un autre ordre. Et que penser alors des sociétés non structurées sur le modèle judéo-chrétien ?

Freud et le sentiment religieux L’embarras de Freud vis-à-vis du sentiment religieux est manifeste. Certaines de ses réflexions laissent à penser qu’il a volontairement laissé ce sujet «  de côté  »… peut-être parce qu’il n’a eu aucun «  initiateur  ». De l’expérience mystique, il dit explicitement qu’il n’a rien à dire, sauf à pouvoir lui apporter une interprétation théorique à la lumière de la psychanalyse : une régression topique, une perte de repères provoquée par un retour sur la fusion originelle.

Pourtant, à de rares moments, Freud explique que les pratiques des mystiques extirpent (déterrent) l’insight psychologique  : «  L’intuition de vos mystiques pourrait être précieuse pour une embryologie de l’âme5. » Dans l’article intitulé « L’Éphémère destinée », il évoque pourtant par la négative comment « l’âme » est indispensable pour vivre l’émotion qui accompagne le bonheur du Beau, source d’une joie intérieure qui accompagne ce sentiment d’être «  en totalité  »  : «  L’âme recule instinctivement devant ce qui est douloureux  » et «  … mais ce qui est beau et parfait ne vaut que par sa signification pour notre vie émotionnelle, elle n’a pas besoin de survivre et, par là, est indépendante de la durée absolue du temps ». (Freud, 1915.) Il parle de «  révolte de l’âme  » contre un deuil à venir. Si en allemand les termes «  seelisch  » et «  psychisch  » (Granoff et Rey, 1983) sont parfois interchangeables, ils ne sont pas synonymes. Or le flou est suffisant pour créer de l’embarras auprès des traducteurs… le mot « âme » est souvent remplacé par « psychisme ». Il semble que Freud ait laissé de côté la dimension transcendante de la psyché, qu’il l’ait exclue de la conceptualisation topique, sans toutefois l’ignorer. Quelques arguments sont en faveur d’un vécu de crainte vis-à-vis du sentiment religieux, et du désir de maintenir à distance tout ce qui pourrait s’ouvrir sur une dimension « irrationnelle » de l’esprit. Dans L’Interprétation des rêves, Freud évoque la possibilité de réminiscences phylogénétiques en citant Nietzsche  : «  Nous pressentons toute la justesse des paroles de Nietzsche disant que “dans le rêve se perpétue une époque primitive de l’humanité, que nous ne pourrions guère atteindre par une voie directe”. » À la lecture d’une lettre dans laquelle Romain Rolland fait allusion au sentiment religieux, Freud se dit «  troublé  » (5  décembre 1927). Dans L’Avenir d’une illusion, il mentionne un sentiment d’étrangeté ressenti sur l’Acropole, ce qui invite à penser qu’il fait un lien de parenté entre l’étrangeté et le sacré.

Dans L’Homme Moïse il pose le problème de la conservation des matériaux du refoulé par les générations antérieures et aboutit à la conclusion qu’il s’agit de l’amalgame de traces mnésiques héréditaires, de l’apport de la tradition orale (les mythes), du refoulé primaire et secondaire. Il accorde ainsi une priorité à l’organisation mentale sous l’angle de la première topique. Dans la lettre du 5 décembre 1927, Rolland évoque comment il est familier avec cette sensation qui, écrit-il, ne l’a jamais quitté durant sa vie. Il reconnaît le caractère subjectif de la sensation, (l’expérience) toutefois produite chez des millions de personnes à travers le monde, et l’analyse comme une sensation ou sentiment religieux spontané, à l’origine des religions, totalement indépendant des croyances, chapelles, livres sacrés et espoir personnel d’immortalité. C’est, dit-il, «  le fait simple et direct d’un sentiment d’éternité, sans limite perceptible, tel que l’océan le suggère  ». Au fond, Rolland interpelle le maître sur la question de la qualité de cette expérience, névrotique ou naturelle. Mais comme pour se défendre, il lui semble sans doute nécessaire d’ajouter que ce sentiment océanique (que d’autres ont nommé cosmique)6, n’a rien à voir avec une obsession de sa part (il dit aspirer au «  repos éternel  » par opposition à une vie éternelle), mais que l’expérience s’est imposée à lui comme un fait. Il pose l’hypothèse d’une source sous-jacente à ces expériences spontanées qui auraient été formalisées au cours du temps par les religions, et au sein desquelles nous en retrouvons éventuellement l’existence, le fait authentique. Il souligne la difficulté d’une possible confusion sémantique opposant les deux acceptions du religieux : l’allégeance ou la croyance en un dogme, un Dieu, une tradition versus le jaillissement d’une force vitale spontanée. Rolland fait allusion à une couche de l’inconscient plus profonde, religieuse par nature, capable de générer du sens, se référant à l’hypothèse d’un état mystique permanent et non d’une folie passagère tel que Freud l’aurait plutôt connoté. Freud dans sa réponse faite le 14 juillet 1929, manifeste un certain désarroi probablement dû à l’ébauche d’interprétation du religieux

selon la première topique suggérée par Rolland, car l’hypothèse de la source sous-jacente est nécessairement associée à l’inconscient. Il exprime combien la question du sentiment océanique ne le laisse pas en paix… De fait, le sentiment océanique tel que Rolland l’expose ne coïncide pas avec l’interprétation que Freud fait du religieux, dans la tradition de l’époque, très influencé par l’exposé de William James The Varieties of Religious Experience, dans lequel il propose de considérer l’expérience mystique comme éphémère, et non comme un état permanent. Freud expose dans Malaise dans la civilisation ses réflexions sur le sentiment océanique : « Notre sentiment actuel du Moi n’est rien de plus que le résidu pour ainsi dire rétréci d’un sentiment d’une étendue bien plus vaste, si vaste qu’il embrassait tout, et qui correspondait à une union plus intime du Moi avec son milieu. Si nous admettons que ce sentiment primaire du Moi s’est conservé –   en plus ou moins large mesure  – dans l’âme de beaucoup d’individus, il s’opposerait en quelque sorte au sentiment du Moi propre à l’âge mûr, et dont la délimitation est plus étroite et plus précise. Et les représentations qui lui sont propres auraient précisément pour contenus les mêmes notions d’illimité et d’union avec le grand Tout, auxquelles recourait mon ami pour définir le sentiment océanique. » (Freud, 1929.) Finalement, Freud semble accepter l’idée de l’existence d’un sentiment océanique, mais lui conteste la caractéristique innée d’un trait religieux de la psyché, éludant les références à Jung et la menace d’une conception remaniée de l’inconscient. Par ailleurs, Freud se dégage de l’analyse du sentiment océanique, sans doute dans l’esprit de protéger l’analyse formulée dans L’Avenir d’une illusion. Dans une note figurant au début du premier paragraphe du chapitre  2, nous pouvons lire  : «  Dans mon livre L’Avenir d’une illusion, il s’agissait pour moi beaucoup moins des sources les plus profondes du sentiment religieux, que de ce que conçoit l’homme ordinaire quand il parle de sa religion et de ce système de doctrines et de promesses prétendant, d’une part, éclairer toutes les énigmes de ce monde avec une plénitude enviable, et l’assurer d’autre part

qu’une Providence pleine de sollicitude veille sur sa vie…  » Freud condamne les vues simplistes et infantiles des religions tout comme la récupération du religieux par les philosophes à propos desquels il écrit  : «  On voudrait se mêler au rang des croyants pour donner le conseil de “ne point invoquer en vain le nom du Seigneur” aux philosophes qui s’imaginent pouvoir sauver Dieu en le remplaçant par un principe impersonnel, fantomatique et abstrait. » Il n’en reste pas moins que Freud fait allusion aux «  sources profondes des religions  », qu’il oppose aux religions telles que proposées au commun des mortels  : «  Tout cela est évidemment si infantile, si éloigné de la réalité, que pour tout ami sincère de l’humanité, il devient douloureux de penser que jamais la grande majorité des mortels ne pourra s’élever au-dessus de cette conception de l’existence. » Ces sources profondes, «  la seule religion qui mérite de porter ce nom  » (Freud, 1927) se réfèrent fort probablement aux grandes figures de la théologie telles que celles de Søren Kierkegaard ou de mystiques comme Maître Eckhart. Freud propose comme interprétation du sentiment océanique l’hypothèse d’une régression topique aux stades préœdipiens. Nous pouvons certes constater qu’il existe une analogie forte entre les religions, les structures sociales (dont elles émanent) et la deuxième topique. Mais il serait illusoire de penser que ce modèle résume l’ensemble des modes d’organisation de la vie mentale des Occidentaux. En conservant les schémas des deux topiques, nous pouvons approcher la compréhension de phénomènes restés à l’écart de la préoccupation des psychanalystes. Cette conception de l’âme qui apporte la Beauté, autrement dit la plénitude du sens, nous laisse entrevoir la sensibilité de Freud, le plus souvent masquée, je dirais refoulée, tout à la fois par souci d’objectivité scientifique et par crainte des détracteurs de la jeune science psychanalytique. Cette sensibilité, Freud l’exprime fortement au travers de superstitions, qu’il manifeste notamment lors de ses voyages et dont il parle en privé avec quelques amis. Mais il semble bien qu’une ouverture se soit produite après les années 1930, alors

que la guerre le préoccupe. Il rédige Pourquoi la guerre ? en 1932, en collaboration avec Einstein. Il est souffrant, désappointé par les événements. Pour preuve, ce paragraphe d’un courrier écrit à une amie  : «  Voici ma secrète conclusion  : puisque nous ne pouvons considérer notre civilisation actuelle –  la plus évoluée de toutes  – que comme une gigantesque hypocrisie, il doit s’ensuivre qu’organiquement nous ne sommes pas faits pour elle. Il faut abdiquer et le Grand Inconnu, lui, ou le Grand Manitou dissimulé derrière le destin, renouvellera cette expérience avec une race différente. » (Jones, 1957.)

L’expérience de transe de Freud En 1936 Freud rédige, dans une lettre à Romain Rolland, son récit : Un trouble de mémoire sur l’Acropole. Cette expérience est à considérer sous l’angle d’une réflexion sur le mysticisme et, plus spécifiquement, comme une réponse directe à la biographie de Rolland parue dans Essai sur la mystique et l’action de l’Inde vivante : La vie de Ramakrishna (Rolland, 1930). À propos de cette expérience, dans L’Avenir d’une illusion, Freud utilise des termes comme «  très remarquable expérience  », il dit manifester «  un ravissement », « de l’étonnement ». Jones (1957) rapporte que, peu après sa visite de l’Acropole, Freud explique à Marie Bonaparte comment l’expérience de l’Acropole «  avait surpassé quoi que ce soit qu’il ait jamais vu ou imaginé » et que « les colonnes de couleur ambrée de l’Acropole étaient les plus belles choses qu’il avait vues de sa vie  ». On ne peut qu’être frappé par l’enthousiasme et le vocabulaire inhabituel dans les écrits de Freud qui n’est pas sans rappeler les expressions utilisées par Rolland. Freud a vécu une expérience qui l’a plongé dans un univers de sentiments, de nostalgie, dont d’expérience nous savons combien il est éloigné des vécus intellectuels. C’est précisément ce qui fait la différence entre la narration d’un fait lors d’une discussion entre amis, lors d’un entretien, et son «  revécu  » dans le contexte d’une psychothérapie invitant à la régression. Freud interprète cette

différence en termes d’étonnement face à la constatation de la confirmation de la capacité à croire, après s’être exclamé  : « Ainsi donc, c’est effectivement tel que nous l’avions appris à l’école  !  » Certes nul ne contestera notre propension à prendre toute formulation pour argent comptant, surtout lorsque celle-ci est prêchée d’autorité. C’est ce même principe d’autorité qu’illustre l’expérience de Stanley Milgram. Mais cette interprétation laisse sans réponse la question de l’origine du sentiment de déréalisation, ce que Freud exprime d’ailleurs clairement à la fin du paragraphe lorsqu’il écrit en référence à la lettre à Romain Rolland : « Mais je ne veux pas trop insister sur la signification de cette expérience vécue ; il est encore une autre explication possible à mon étonnement, qui ne me vint pas alors à l’idée, qui est de nature totalement subjective, et en corrélation avec la particularité du lieu. » Il s’agit là précisément de ce dont nous avons aujourd’hui l’expérience dans la clinique des états de transe, l’état hypnoïde en particulier : ce regard différent porté sur l’objet. L’opposition entre le regard intellectuel de la remémoration et le revécu (ou le vécu) effectif de la situation. Il est par exemple, à titre de comparaison, possible d’avoir deux attitudes, deux écoutes de la musique, intellectuelle ou affective. Ces deux modes d’écoute sont complémentaires, mais il est nécessaire que le premier degré soit achevé (l’écoute, le regard intellectuel) pour qu’apparaisse la magie du second, l’ouverture sur « un autre monde ». Freud est manifestement gêné dans l’analyse du sentiment océanique, de la transe et du sentiment mystique qui se prête difficilement à l’analyse théorique. Il semble, qui plus est, ressentir une inquiétude profonde à l’hypothèse de l’existence d’un fond mystique à la psyché. C’est de façon très défensive qu’il en parle, allant jusqu’à comparer l’inconscient profond aux enfers. Il avait clairement signifié ces réserves dans la lettre à Rolland du 20 juillet 1929 : il n’expérimentera qu’avec la version analytique de celui-ci et ajoute  : «  Je n’ai rien à suggérer qui pourrait avoir une influence décisive sur la solution à ce problème » ou encore « permettez-moi d’admettre une fois encore qu’il m’est très difficile de travailler avec

ces quasi intangibles quantités  ». Enfin, se référant à un travail à venir sur l’analyse des religions : « Il pourrait y avoir quelque chose à ce propos, mais pour le moment, c’est enveloppé dans l’obscurité. » Dans Malaise dans la civilisation, il révèle toute l’angoisse que suscitent en lui ce sentiment et l’expérience mystique, assimilés à la résurgence du ça et synonymes de régression dans les profondeurs de la psyché. Il n’y perçoit donc qu’un sentiment de profond malaise qu’il illustre par un poème de Schiller, «  Le Plongeur  ». Il confirme ainsi l’impossibilité sinon le refus d’une exploration analytique du sentiment en question, préférant recourir à l’analyse rhétorique. Il écrit  : «  Un autre de mes amis, qu’une curiosité insatiable a incité aux expériences les plus extraordinaires et a finalement rendu omniscient, m’a assuré qu’en pratiquant le yoga, c’est-à-dire en se détournant du monde extérieur, en fixant son attention sur certaines fonctions corporelles, et en respirant d’une façon particulière, on parvient à éveiller en soi des sensations nouvelles et un sentiment d’universalité. Il considérait ces phénomènes comme l’expression d’un retour à des états originels et dès longtemps dépassés de la vie de l’âme  ; il y voyait la preuve pour ainsi dire physiologique de maints articles de la sagesse mystique. Il serait indiqué ici de les rapprocher d’autres modifications obscures de l’âme telles que la transe ou l’extase, mais j’éprouve plutôt, quant à moi, le besoin de m’écrier avec le plongeur de Schiller  : «  Se réjouisse qui respire dans la rose lumière ». L’intention de Freud ne peut se comprendre qu’à la lumière du poème dans son entier. L’histoire met en scène un page héroïque qui plonge par deux fois dans les entrailles, tourbillons bouillonnants et sifflants des profondeurs des enfers. Encouragé par le roi, il plonge une première fois, à la recherche de la coupe royale, la métaphore du Graal. Intrigué et curieux, le roi lui propose de plonger de nouveau afin de lui apporter le mystère des profondeurs, lui promettant en échange la main de sa fille. Le page idéaliste plongea de nouveau et ne revint jamais.

La métaphore du travail analytique suggère la plongée dans le « tourbillon », l’inconscient, et le thème œdipien : obtenir les faveurs du roi et gagner sa fille en mariage, en d’autres termes prendre sa place, à quelque niveau que ce soit. Freud associe l’expérience mystique (à laquelle il assimile l’expérience de Rolland, celui qu’il nomme le poète mystique) à l’expérience océanique. Il les considère comme une exploration dans l’inconscient archaïque. Nous en trouvons confirmation dans le compte rendu que le jeune poète suisse Bruno Goetz fait d’une de ses visites à Freud, avec lequel il avait eu plusieurs entretiens au cours de l’année universitaire 19041905. Goetz, étudiant à l’université de Vienne, lui avait fait part de l’enthousiasme que lui avait inspiré la lecture de la Bhagavad-Gîtâ donnée par Leopold von Schroeder, érudit en sanskrit. Freud s’agita alors vivement, selon ses dires, commença à déambuler, et fit un long commentaire : « Prenez garde, jeune homme, prenez garde… Vous avez raison d’être enthousiaste. La bouche exprime l’abondance du cœur. Votre cœur gagnera toujours le jour, mais gardez la tête froide que fort heureusement vous avez encore. Restez sur vos gardes. Un intellect clair et brillant est un don des plus précieux. Le poète de la Bhagavad-Gîtâ serait le premier à affirmer cette vérité. Toujours être sur ses gardes, toujours garder vos yeux ouverts, toujours être conscient de toutes choses, être constant dans l’effort, mais ne vous laissez jamais éblouir, ne vous laissez jamais être paralysé par la confusion. L’émotion ne doit pas devenir une auto-anesthésie. Le principe de Dostoïevski : il est très bien de “plonger dans les abysses la tête la première”, mais l’enthousiasme qu’il a éveillé en Europe est basé sur un triste malentendu. La Bhagavad-Gîtâ est un grand et profond poème possédant des profondeurs effrayantes. “Et toujours à mes côtés repose la profondeur cachée au sein des ténèbres”, dit le plongeur de Schiller, qui ne revint jamais de sa seconde brave tentative. Si, malgré cela, vous vous trouvez immergé dans le monde de la Bhagavad-Gîtâ sans l’aide d’une intelligence claire, où rien ne semble permanent et où toutes choses se mêlent à toutes choses, alors vous serez confronté brutalement au néant. Savez-vous ce que signifie être confronté au néant ? Savez-vous ce que cela signifie ?

Aujourd’hui ce néant est seulement un malentendu européen  : le Nirvana hindou n’est pas un néant, mais ce qui transcende toutes les contradictions. Ce n’est pas, comme il est communément admis en Europe, un plaisir sensuel, mais l’ultime étape d’une compréhension surhumaine, un entendement total qui, figé dans la glace, est à peine compréhensible. Or, s’il y a malentendu, c’est la folie.  » (Goetz, 1975.) Freud évoque ensuite ces mystiques qui ont été tout droit conduits à la folie. Il aborde trois aspects intimement reliés du chemin mystique : ● (1) le contenu du Nirvana (l’expérience mystique) ; ● (2) les moyens mentaux et émotionnels requis pour le chercheur ; ● (3) le rôle du Sage thérapeute. Concernant le premier point, Freud considère que le Nirvana n’est pas le néant, l’annihilation, le nihilisme ou une jouissance sensuelle, mais «  ce qui transcende toutes contradictions… (c’est) l’ultime stade d’une compréhension surhumaine  ». La référence que fait Freud à l’ultime stade d’une compréhension surhumaine suggère que le mystique, comme le page, réussit en obtenant de la compréhension (l’insight) dans les replis les plus secrets de son affliction œdipienne. Un ensemble d’arguments autorise à répondre à la seconde question  : les propos recueillis par Goetz (les «  effroyables profondeurs » de la Bhagavad-Gîtâ et la possibilité associée d’entrer dans la folie)  ; l’étude psychanalytique de Freud de Dostoïevski (dans laquelle il mentionne le combat œdipien qu’il livre, et comment il en rend compte dans Les Frères Karamazov par projection dans le personnage de Dimitri). Il nous est finalement clairement suggéré que le parcours du chercheur s’apparente surtout au passage à l’acte par opposition au parcours analytique. Enfin que penser du thérapeute élu sage  ? En contraste avec le personnage de Dimitri, celui du poète philosophe de la BhagavadGîtâ connaît en tant que chercheur les valeurs de l’intellect et, comme thérapeute, la valeur de donner des réponses sous forme de

questions. En termes psychanalytiques, Freud signifie que les sages indiens sont parvenus à la sagesse thérapeutique qui reconnaît l’art de maintenir l’équilibre entre des conseils instructifs et la confiance dans les capacités du patient d’amener à la conscience claire les «  réponses  » enfouies en lui de manière et en temps appropriés. L’insight, la sublimation et la perlaboration (working-through) remplaçant alors le passage à l’acte.

Conclusion L’expérience montre que le sentiment religieux naît dans le contexte d’une régression topique, spontanée ou provoquée, ce qui pose naturellement la question de la nature profonde de l’Inconscient, et, en particulier, du lien avec la manifestation, de facto, immanente du divin. Freud ne récuse pas l’émergence de ce sentiment, dans des moments très spécifiques. Il l’évoque à diverses reprises sans toutefois émettre une opinion définitive à son sujet. Selon l’époque, sa pensée oscille tour à tour entre l’hypothèse d’un sentiment religieux qui ne serait qu’une régression topique au stade nascendi, un narcissisme primaire, voire un état auto-érotique, ou bien une forme d’inspiration mystique tel qu’un sentiment de déréalisation, à condition qu’il ne s’agisse pas d’un délire. Toutefois s’il condamne les religions et voire une grande partie de la philosophie (les platoniciens par exemple), nous pouvons penser qu’in fine Freud était assez proche d’un courant mystique ce qu’il n’a jamais reconnu publiquement. Il adhérait à la société métapsychique londonienne par exemple, évoquait une sorte de sentiment océanique lors de sa visite à l’Acropole. Enfin il évoque le grand Manitou à la fin de sa vie comme étant l’Origine. Certes il n’abandonnera jamais l’idée de «  névrose de contrainte  » construite par les religions et la doxa sociale dont la psychanalyse est l’outil de déconstruction. Difficile alors d’entrer dans l’étude de la mystique sans risquer de perdre la crédibilité de l’élaboration psychanalytique freudienne.

Notes 1. Pour une explicitation de ces notions, voir plus haut les chapitres d’Antoine Bioy. 2. Le terme « individuation » trouve correspondance dans ce qui est nommé « réalisation » dans les philosophies orientales. 3. C’est aussi dit-il, une méthode d’investigation, et un corps de savoir psychologique dont l’accumulation tend à la formation d’une nouvelle discipline scientifique. 4. Le pneuma, principe stoïcien de nature spirituelle, considéré par eux comme le cinquième élément. Il s’agirait, dans la tradition hésychaste, d’une sensibilité spirituelle émue par l’Esprit qui se dénoue dans une expérience d’amour. 5. Lettre à Rolland de juin 1930. 6. Heinz Kohut développe la notion de « Moi cosmique ».

Chapitre 12 La transe, une ouverture sur le Soi et le sacré sauvage

Étude à partir de Jung Édouard Collot Jung, une théorisation au plus près de l’expérience Tout au long de sa vie, Jung soumit ses expériences cliniques et personnelles à la réflexion philosophique, de telle sorte que s’enrichit progressivement et constamment un modèle de la psyché tenant compte de toute nouvelle expérience de nature à modifier ce modèle. L’originalité de Jung fut de n’écarter aucune expérience, quitte à mettre en question la rationalité. Son œuvre, indissociable de sa vie, est le reflet de sa propre évolution. Il se transforme, comme l’alchimiste, au fil de l’œuvre qui s’inscrit dans la matière qui renaît de son regard. Chacune des périodes de sa vie illustre cette dialectique inconscient/conscient qui, à l’image d’une vrille, enrichit de jour en jour, d’expérience en expérience, de réflexion en élaboration, la pensée qui chemine vers l’individuation. Cet élan vers la vie, la vie le lui rend en favorisant la survenue d’événements riches de sens aux moments propices. Ce fut par exemple le cas, au début de sa carrière, avec la participation aux recherches menées par Wundt, puis, beaucoup plus tard avec la réception du manuscrit de la traduction du Mystère de la fleur d’or, ou encore par la survenue de crises cardiaques qui l’amenèrent à faire l’expérience

d’un voyage dans les profondeurs de l’âme. Il y eut peu d’a  priori chez Jung, comme si sa réflexion s’embarrassait rarement des contingences d’idées reçues. Il manifesta un esprit créatif, un sens de l’innovation et de l’invention. Là où d’autres se seraient laissé aller à la nonchalance, là où beaucoup n’auraient perçu que hasard ou coïncidence, il s’est interrogé, attentif aux puissances inconscientes qui l’animèrent à son insu et aux événements extérieurs qui vinrent à sa rencontre, comme autant de cailloux qu’un malin génie aurait placés à son intention sur son chemin. Une quête inlassable de sens lui fit dénoncer parfois le hasard ou la simple coïncidence, sans en écarter la probabilité. Il remarqua qu’apparaît, à qui est attentif, un lien subtil liant le monde de l’esprit inconscient et conscient avec le monde des choses. Il nomma ce concept si délicat dans son essence « synchronicité »1. La proximité de sa vie et de son œuvre illustre aussi le concept d’individuation, qui définit l’évolution de l’âme humaine (de la conscience), traduisant la dynamique d’accomplissement de toute vie. C’est après la rupture d’avec Freud, survenue en 1912, avec lequel il entretenait des liens professionnels et amicaux, qu’il remit en question l’ensemble de la méthode analytique telle qu’elle lui avait été transmise, insistant sur la nécessité de l’expérience, «  d’une épreuve psychique fondatrice légitimant l’élaboration de toute théorie psychologique possible  » (Jung, 1979). Esprit tourmenté, riche et original, il s’affranchit à la fois des conceptions et du discours académique. Le choc de la rupture des liens privilégiés d’avec le Maître de Vienne, la liquidation «  forcée  » de ce fameux transfert provoqua un profond malaise. Il dit éprouver alors une «  période d’incertitude intérieure  », qui s’accompagna d’une vague de prises de conscience, d’expériences psychiques profondes.

La psychologie des complexes Jung est sensibilisé aux manifestations objectives de l’inconscient à la faveur d’une recherche sur les associations de mots, menée par Wundt à la clinique psychiatrique de l’université de Zurich (Le

Burghölzli). Alors que la recherche s’intéresse à l’étude des mots associés à un mot stimulus, Jung est surpris par les blocages, les barrages, les réponses manquantes ou différées dans le temps. Ce constat, bien qu’en marge de l’étude, est à l’origine de sa future théorie de la conscience. Il développe soigneusement son intuition première qu’il y a une signification à ce phénomène2. Appliquant la méthode aux membres d’une même famille, il constate leurs tendances à répondre de la même façon aux mots stimulus. Il met plus tard en évidence, grâce à des enregistrements galvaniques à la surface de la peau, l’existence de réponses «  physiologiques  » en l’absence de réponses verbales. Jung nomme ce facteur inconscient un complexe3, qu’il définit comme un groupe d’idées agrégées autour d’un centre constitué par des éléments d’une même tonalité émotionnelle  : complexe d’abandon, d’infériorité, d’Œdipe… Chacun de ces complexes qui participent à la constitution du Moi, est associé à un centre nommé «  archétype  ». Les complexes sont des schèmes dynamiques regroupant des expériences de même nature. Lorsqu’une situation, voir un mot stimulus, touche un complexe, il se déclenche une réaction émotionnelle associée à la totalité des contenus du complexe, ainsi qu’au noyau archétypal. L’expérience clinique conforte l’hypothèse  : la remémoration d’un événement mineur, en situation de régression thérapeutique, c’est-à-dire en situation favorisant ce que Jung nomme «  le laisser advenir  », déclenche fréquemment une émotion majeure, en lien avec la problématique psychologique : un ou plusieurs complexes sont réactivés. L’archétype se définit comme une forme vide, préexistante à la naissance, contenue dans un espace inconscient et susceptible de s’enrichir, de se « remplir », au gré des expériences tout au long de la vie. Il s’est constitué et enrichi au cours de la phylogenèse, et continue sa progression. Ce faisant, le Moi, composé d’un ensemble de complexes organisés au sein d’archétypes, se complexifie et se distancie peu à peu de la conscience initiale. Jung considère la personnalité comme un ensemble constitué, à l’image du yin et du

yang, d’un équilibre entre conscience matricielle et conscience acquise. Ainsi la psyché de Jung est constituée d’un espace plus vaste que celle de Freud, en ce qu’il prend en considération l’influence du passé, «  par les possibilités, transmises héréditairement, de la représentation humaine  ». Jung conçoit la transmission de l’expérience phylogénétique de l’humanité, « uniquement comme la transmission héréditaire de la capacité d’évoquer tel ou tel élément du patrimoine représentatif4 ». À noter que Jung est visionnaire en la matière, car c’est précisément ce que l’épigénétique nous enseigne : la possibilité de transmission de caractères acquis. Les noyaux des différents archétypes, enrichis des complexes forment un Moi en restructuration permanente, grâce aux liens avec le Soi. Tout au long de la vie, les expériences participent à l’équilibre psychodynamique, ce qui marque une différence fondamentale avec la conception freudienne : le traumatisme n’est plus une fatalité. La psyché selon Jung est un ensemble dont l’équilibre est dynamique, interactif et évolutif. La «  psychologie des complexes  », établie à partir de ce travail de laboratoire, est une expression que Jung considéra comme fondatrice de son école de pensée après sa rupture d’avec Freud, en 1913. Il en vint toutefois à considérer que l’expression « psychologie analytique » correspondait à une meilleure description de la forme de psychologie qu’il voulait suggérer.

La théorie du rêve La théorie des rêves devient le lit explicatif de la psyché jungienne. Dans le rêve, on ne fait pas que constater la présence des complexes, mais tout comme dans la clinique, et le fait est d’importance, on observe ce que le psychisme manifeste avec ces complexes activés  : autrement dit, un ensemble de complexes représente la vie inconsciente et leurs mises en lien dans un scénario exprimant les problématiques inconscientes. Il va sans dire

que la libre association, l’imagination active jungienne, le travail associatif dans les états de transe mettent également en scène ces complexes, qui peuvent alors faire l’objet d’un travail thérapeutique. Ces techniques reposent sur la capacité innée de symbolisation de la psyché, que Jung nomme la fonction transcendante. Dans l’hypnothérapie analytique, les transthérapies… la vie du rêve se prolonge dans la séance et initie une métaphore ou un ensemble de métaphores activant restructurations, prises de conscience et changements. Pour mieux appréhender le rôle du processus de symbolisation, il faut avoir présent à la mémoire que l’effort de volonté est peu efficace à provoquer le changement. Les épreuves de lavage de cerveau pratiquées à l’époque de la chasse aux sorcières, y compris celles utilisant une substance provoquant des malaises (Naloxone)5, ne se sont pas avérées efficaces quant à modifier de façon durable un comportement. Les blocages affectifs, les amnésies, les actes manqués, ne sont d’ailleurs que peu influencés par la volonté  : l’effort augmente le plus souvent l’amnésie. Selon Jung, cet «  effort  » ne peut se manifester qu’au sein de l’image de soi existante à ce moment précis (assimilée à l’Ego, au Je du moment), sous l’égide de la fonction transcendante, favorisant la transition d’une image de soi vers une autre. Nous touchons ici un des points féconds de la divergence théorique entre Freud et Jung à propos de la question du refoulement. Le modèle freudien dépeint un Moi relativement stable (image de soi), qui se «  protège  » lui-même contre les pulsions provenant de l’Inconscient, alors que Jung insiste sur une structure relativement instable du «  Moi-Persona-Ombre  » qui posséderait en elle-même un ensemble de possibilités de dissociations normales ou naturelles. En sorte que, l’image de soi «  spécifique  », habituelle à laquelle s’identifie le Moi, est accessible librement, assez facilement par le rêve ou les techniques amenant la psyché à se dissocier (libre association, état hypnoïde, onirique, transe, imagination active, etc.). La théorie de Jung s’appuie davantage sur le modèle de dissociation de Pierre Janet, tout en accordant plus d’importance à l’inconscient.

La dissociation serait donc, dans la conceptualisation jungienne, une des caractéristiques de l’appareil psychique, qui, contrairement à la conception freudienne, ne serait pas exclusivement associée au refoulement et à l’amnésie. La dissociation ainsi conceptualisée n’est par ailleurs en rien assimilable à une désorganisation de la personnalité, telle qu’elle se manifeste dans la psychose. Elle serait la voie de libération de l’âme qui s’ouvrirait alors sur le Soi intemporel (le Moi cosmique de Kohut), voire le «  grand archétype organisateur ». Morton Prince avait suggéré à Freud la portée limitée d’une conception théorique étroite de l’amnésie, qui en la forme n’était pas applicable au type d’amnésie survenant spontanément dans l’ensemble des états dissociés. La remarque revêt une grande importance. En effet, dans l’hypothèse freudienne, la dissociation est le factotum du mécanisme de refoulement dont elle est la condition nécessaire et suffisante pour provoquer l’amnésie  : le matériel refoulé est mis de côté dans un espace non accessible directement à la conscience. Sans réfuter la conception freudienne du mécanisme d’amnésie et de dissociation, Prince en conteste l’universalité. Il considère la dissociation comme un mécanisme commun aux phénomènes « de distraction, de pré sommeil, de crises d’hystéries, de transes, d’hypnose, de narcolepsie, de la suggestion posthypnotique, etc. ». L’amnésie, selon lui, rend compte des « états de conscience modifiés  » et s’avère un mécanisme de portée plus général  : «  L’oubli d’un rêve est seulement un exemple particulier d’amnésie propre aux états dissociés. Toute explication satisfaisante de cette amnésie ne doit pas en méconnaître les autres formes, et doit être en accord avec elles. Le défaut dans l’explication freudienne de cette amnésie à en satisfaire les autres types est, à mon avis, une objection fatale à sa théorie  » (de la dissociation) (Prince, 1910). La souplesse conceptuelle de l’appareil psychique jungien repose sur la mouvance tant des structures que des contenus des archétypes constituant le Moi, et rend compte de la capacité

d’évolution de la personnalité, tout au long de la vie. Les complexes et les archétypes qui en constituent les noyaux sont, à double titre, des structures en mutation permanente. Les archétypes sont définis, d’une part, comme des formes «  vides  », préexistantes, qui se complexifient au fur et à mesure du temps, enrichis par les expériences, tout au long de la vie6, alors que par ailleurs de nouveaux archétypes peuvent se former au cours de l’évolution, voir au cours de la vie d’une personne. Cette nécessité, ce besoin fondamental de l’expérience enrichissant les potentialités de l’archétype sont peut-être à rapprocher du processus de «  mirroring  » de la psychologie du Moi de Kohut. Au gré de l’évolution, de nouveaux archétypes apparaissent, en relation avec le développement de besoins psychologiques et deviennent alors accessibles à tout nouvel être. Ainsi la préoccupation écologique des sociétés industrielles évoluées génère une forme archétypique dont la présence quasi génétique en facilitera l’expression future  : la forme vide pourra au contact de l’expérience devenir un constituant actif de la personnalité, si expériences et affinités se conjuguent. L’archétype est une forme «  inscriptible  » participant du collectif et nourri par l’individuel. La conscience collective, riche de formes archétypiques en voie de formation, facilite l’émergence de nouveaux concepts. Tout se passe comme si un concept déjà émis «  quelque part  » devenait plus facilement accessible n’importe où ailleurs. Des exemples de ce mode de fonctionnement participant à l’évolution nous sont fournis par les systèmes communautaires tels que la famille, la communauté scientifique… La mise en œuvre d’un protocole de recherche sera d’autant plus facilitée qu’il a déjà été mis en pratique « quelque part ». On mesure, à l’aune de l’expérience, la justesse de ces facteurs et, à la réflexion, leur importance au regard de l’évolution : ils participent à la capacité d’adaptation de l’humain. Mais ce qui engendre la souplesse engendre aussi la fragilité : nous sommes en ce sens une espèce dont la spécialisation serait « de n’être pas spécialisée », ce qui soulève d’importantes questions à  propos de l’évolution et de l’adaptation. Contrairement à l’animal, chez qui la connaissance est

en grande partie instinctuelle, les connaissances acquises par l’humanité et leur sauvegarde dans un ailleurs sont indispensables, tant pour la survie psychologique que matérielle de l’espèce. L’expérience nous confronte à des faits tels que le syndrome de la date anniversaire, ou la rémanence inconsciente transgénérationnelle d’un traumatisme et nous posent d’une autre façon la question d’un espace inconscient collectif, mémoire de l’information. Il n’y a pas lieu de penser que ce que nous constatons vis-à-vis de la clinique psychologique ne se manifeste pas tout simplement dans le processus de conservation de l’information. Des pionniers, tels Léonard de Vinci, Galilée, Swedenborg, pour ne citer qu’eux, ne tracèrent-ils pas de nouvelles voies de connaissances telles de nouvelles routes, facilitant par la suite un cheminement mental, même en l’absence d’un support informatif direct, tel un manuscrit, une rencontre, etc. ? Enfin, dans la mesure où la culture est le reflet d’un Moi collectif7, la question de la nature du réel se pose, ou plutôt des natures des réels. Le «  réel  » consensuel est variable selon les cultures  : industrielle occidentale, indienne, chinoise ou aborigène.

Expérience océanique et régression topique dans le contexte thérapeutique

Il nous faut abandonner un moment l’idée de la régression comme étant l’objet du transfert. Prenons l’exemple de la régression induite par la libre association, des consignes de relaxation, d’encouragement à la focalisation sur un univers intérieur, onirique ou valorisant les processus primaires de fonctionnement mental  : c’est l’état onirique tel qu’il survient parfois dans la cure, et qui est attendu dans la relaxation analytique, le Rêve Éveillé, l’hypnothérapie dynamique, les méditations et, en règle générale, lors des processus de transe. Mais Daniel P. Brown (1977), dans une étude comparative, met en évidence le lien qui existe entre la régression topique «  formelle  »

qui survient au cours de la méditation tibétaine Maha moudra et la déstructuration volontaire, non pathologique, de la conscience. Cette étude laisse apparaître qu’au terme d’un apprentissage, et après avoir franchi une progression de quatorze stades, le sujet aboutit à l’état de Conscience8  : cet état d’être correspond dans la classification tibétaine à vivre l’Essence par opposition à l’Objet. Selon l’analyse de Brown, cela correspond à être dans la conscience native (l’essence de l’être qui s’apparente au Soi, à Atmâ dans le bouddhisme), par opposition aux opérations intellectuelles dans la théorie structuraliste des perceptions, ou encore dans les émotions subtiles par opposition aux processus secondaires. Cela correspond à ce que nos patients ou nous-mêmes avons pu vivre dans des instants de grande régression, lorsque le voyage intérieur prend le pas sur la réalité externe et que nous avons déjà nommé avec Rolland « expérience océanique », ou finalement « cosmique » (voir chapitre précédent). Le vécu de cette «  Totalité  » provoque une forme d’illumination et de compréhension gnostique, une joie ineffable. La qualité du matériel vécu pose la question de la nature de la régression topique  : ontogénétique ou phylogénétique  ? Enfin, si la transe ou l’ascèse sont des voies d’accès à la transcendance, la question se pose de la nature et du sens d’un fonctionnement psychique rétrograde, tel que posé dans la première topique… Par régression topique, Freud entend circulation rétrograde de l’influx nerveux dans l’appareil psychique analogiquement représenté selon la première topique, circulation s’effectuant donc de l’extrémité motrice vers l’extrémité perceptive. Cette inversion s’accompagne d’une abolition partielle et relative des fonctions liées aux processus secondaires, par exemple perte partielle ou totale du registre de la sensorialité consciente. Le rêve en fournit un exemple. La régression topique provoque une régression temporelle : en effet, ce qui est plus proche de l’extrémité perceptive de l’appareil psychique est aussi plus ancien. Il nomme la sommation de ces deux formes de régression la régression formelle. L’inversion du sens de fonctionnement de l’appareil psychique selon l’analogie de

Freud, privilégie l’expression des processus primaires de fonctionnement mental : un registre archaïque, au sens de premier, qui a présidé à la structuration des instances de la seconde topique. Il s’agit à coup sûr et pour le moins d’une régression ontogénétique. Essentiellement et éminemment présent pendant le rêve, moment où le sujet est en quelque sorte «  hors de lui, hors de ses frontières  », la régression se manifeste fréquemment partiellement lors de moments de veille, en particulier à l’occasion d’états de transe plus ou moins spécifiques tel que la distraction, l’association libre, le laisser advenir, l’imagination active jungienne, à chaque fois que le sujet semble absent vis-à-vis de l’environnement, ou encore à la suite d’un choc émotionnel. Survient alors une dissociation de l’appareil psychique, qui opère une certaine dissolution du Moi. Le sujet devient, d’une certaine façon, somnambule, au sens où un auteur comme Puységur l’a défini. Cette disparition momentanée, cette mise au repos des fonctions du Moi, laisse apparaître un mode de fonctionnement archaïque, primaire. L’intuition, l’induction, l’association se substituent aux processus cognitifs. La symbolique, le fantasme, prend la place d’une certaine représentation du réel, dite objective. L’imagerie mentale prépondérante dans ces moments est au service du monde des pensées informelles, irrationnelles, non représentables dans la logique discursive. Le sujet peut enfin se représenter, libre de toute la pseudo-réalité du signifiant, des sommations à la conformité au monde objectif tel qu’il est culturellement décrit. Les pleins pouvoirs sont donnés, enfin, à la réalité psychique, à l’expression d’une réalité subjective. Jusqu’au corps qui se libère, éventuellement, des tensions, des symptômes, de ce qu’il est tenu d’ordinaire d’assumer. Le corps fantasmatique, symbolique peut se manifester, libre de toutes contraintes géophysiques.

Les expériences de dissolution de la conscience C’est en 1944 que Jung, alors âgé de 69  ans, est victime d’un infarctus du myocarde. À  la suite du choc cardiogénique et de

l’anoxie qui en résulte, il fait l’expérience de «  visions  », dans le contexte d’états de conscience que d’autres auteurs ont nommés plus récemment «  NDEs  », «  ou OBEs  »9 en référence aux premières publications faites par le docteur Moody dans les années  1970 (Miner Holden  ; Miner Holden er MacHovec, 1993  ; Greyson, 2000). Jung est fidèle à l’expérience qu’il estime être le complément indispensable à toute spéculation. Il est à ce point marqué par ces songes, qu’ils constituent un point décisif dans l’accomplissement de sa théorie (Jung, 1961). Jung, lui semblait-il, se trouvait dans le Jardin des grenades, où était célébré le mariage de Tiphereth (la grâce) et Malkouth (le royaume)10, puis lui succède le mariage de «  l’Agneau de Jérusalem  ». Il décrit des états ineffables de béatitude avec anges et lumière. Il lui semblait « être le mariage de l’Agneau ». Enfin, au fond d’une vallée, il vit une scène de l’Iliade et l’Odyssée dans laquelle Zeus, père de l’univers, et Héra consommaient l’«  hieros gamos  » (les relations sexuelles) d’une mortelle avec un dieu. Le premier songe évoque la réunion des principes taoïstes, yin et yang, car ces deux manifestations divines de la Kabbale représentent les principes masculins et féminins, mais aussi la Vie et la Conscience. Jung insiste sur la nécessité de la réunion et de l’équilibre de ces principes : la conscience « déracinée » (celle de l’homme qui devient autonome vis-à-vis de la conscience primordiale), nous dit Jung, « ne peut plus jamais invoquer l’autorité des images premières ; elle témoigne d’une liberté prométhéenne, mais aussi d’une hybris sans Dieu ». La conscience individuelle ou collective qui plane ainsi au-dessus des choses et des humains nous met alors en péril  : à se révolter, s’éloigner de «  la source de toute chose  » (la divinité, mais aussi l’inconscient primordial) nous risquons d’être, tel Prométhée, enchaînés par l’inconscient sur les rochers du Caucase. Dans le même ordre d’idée, l’éloignement croissant de la subjectivité au profit de l’objectivité, l’hégémonie des biotechnologies dépourvues d’humanisme par exemple, pourrait provoquer la ruine de l’humanité. Le second songe met en scène les «  noces de l’Agneau  », allégorie finale de l’Apocalypse de Jean. C’est le symbole de l’union sacrée, de Dieu et des hommes, alors que la Jérusalem céleste descend du ciel, « comme une mariée ». L’inconscient des profondeurs est uni au Verbe (l’Agneau), la conscience supérieure. Autrement dit, le Dragon de l’apocalypse, les enfers profonds de Schiller ne sont plus mortifères, l’union du Tao est réalisée. Le troisième songe met en scène l’union sacrée rituelle entre le dieu et une mortelle, qui s’effectue symboliquement, alors que d’un crible surgit le phallus. L’idée de la fécondité de la Terre mère nécessite l’union sacrée. En s’oubliant lui-même

(dissolution de la conscience) l’humain se joint progressivement au «  Principe  ». L’hieros gamos crée l’alliance entre les forces pulsionnelles, le ça, et la conscience supérieure. Loin de s’opposer, de se confronter, les représentants des différentes instances freudiennes s’unissent, non pas tant pour s’annihiler, mais pour, dans la diversité et la dialectique, engendrer le fils de l’homme, l’Evolution.

Ces songes suggérèrent à Jung qu’il fut psychiquement en contact avec des visions archétypiques. Les jours qui suivirent, il décrit son réveil de chaque matin comme un retour dans le monde ordinaire avec un sentiment d’être emprisonné dans un «  univers cage  »11. Nous retrouvons ici l’idée exposée par Winnicott d’un état mental qui rappelle l’essence du sentiment océanique. Ce pourrait-il que la perte de sens provoque la dépression ? Ce fut également durant cette maladie qu’il eut un rêve étrange au cours duquel son médecin prenait la forme archétypique de Basilens de Cos12. Jung interprète ce songe comme une mise en garde contre un danger guettant « la forme humaine du médecin ». De fait, le médecin mourut avant que Jung ne soit guéri ! C’est surtout après cette série d’étranges songes que Jung écrit sur l’archétype, dans Aïon puis, un an plus tard, dans Réponse à Job. Ce que la conscience manifeste par ces différentes expériences estil à mettre au compte d’une dissociation, d’une dissolution ou bien au contraire d’une union, d’une unification, en correspondance selon la représentation jungienne à un retour du Moi vers ses origines, le Soi ? Du point de vue descriptif, les manifestations des processus de pensée, polymorphes, amènent à définir différentes formes de conscience. Mais à l’instar des neurosciences, la psychologie peut se satisfaire d’un modèle de représentation global, modèle qui devient indispensable en psychothérapie. La perte de sens consécutive à la non-reconnaissance sociale du sujet (une perte de lien), nécessite de retrouver les liens et la place perdue. Il s’agit même de « Sa place », au sens synchronistique, c’est-à-dire dans le sens de reconstituer le tissu qui l’unit non seulement au tout social mais au Tout en tant que Principe Organisateur, l’Archétype central de Jung. Il ne faut donc pas se laisser aveugler par telle ou telle

manifestation de la conscience, mais les considérer tour à tour, comme chacune une manifestation du Tout, à l’image de cette fable attribuée à un sage hindou  : si nous demandons à plusieurs aveugles de déterminer ce qu’est un éléphant, nous obtiendrons autant de réponses que de personnes  ; pour les uns qui auront touché les pattes, il s’agira de colonnes d’un temple, etc. Mais aucun ne pourra définir la totalité. C’est l’ensemble de ces manifestations qui, intégrées, amènent à concevoir la conscience comme une dimension assurant la cohérence du vivant, sous toutes ses formes, le produit de l’information. En somme, le concept de dissociation ou de désagrégation, tel que le nomme Pierre Janet, de néodissociation selon les travaux de Hilgard, de clivage en résonance avec le phénomène de dissociation psychotique… de la conscience, semble plutôt décrire un mécanisme qu’un contenu. La transe serait un processus amenant à modifier le rapport au monde permettant au sujet de regarder ce à quoi il serait aveugle d’ordinaire.

Conclusion La pensée de Jung, sa philosophie même, n’est pas seulement novatrice, elle est inspirante. Beaucoup d’auteurs, dont Jung et Milton Erickson, ont décrié la simple copie du savoir-faire du maître. «  Ne faites pas comme je fais, mais puisez l’inspiration et la connaissance en vous ! Ne soyez pas des copistes, mais des êtres libres, de penser, de rêver, réinventez chaque jour votre savoir. » Chaque épreuve de la vie, celle de la rencontre d’un nouveau patient par exemple, est un partage. Freud se manifestait en tant que maître, et sa doctrine devait être apprise et actée… durant de longues années. Or seule la liberté de l’être, son enthousiasme, ses expériences, ses choix, ses connaissances acquises et approfondies au fil du temps lui donnent accès à la compétence. « Tête bien faite vaut mieux que tête bien pleine  » selon la reformulation d’une citation de Plutarque par Montaigne. « Car l’esprit n’est pas comme

un vase qui a besoin d’être rempli ; c’est plutôt une substance qu’il s’agit seulement d’échauffer, il faut inspirer à cet esprit une ardeur d’investigation qui le pousse vigoureusement à la recherche de la vérité  ». L’homme en devenir est ainsi «  à la découverte de son âme ».

Notes 1. Le concept de synchronicité, encore mal compris, fait l’objet de nombreux développements. Joseph Jaworski, membre du MIT Center for Organizational Learning est par exemple l’auteur d’un livre reposant sur ce concept  : Synchronicity, The inner path of Leadership. San Francisco : Berret-Koehler Publishers, 1996. 2. CW2 Experimental research, paragraph 1015/1311. 3. L’expression bien qu’attribuée en général, y compris par Freud, à l’École de Zurich (Bleuler, Jung), figure déjà dans les Études sur l’hystérie de Breuer en 1895. 4. Extrait de La psychologie de l’inconscient, dont la dernière version fut publiée en 1942 (Jung, 1979). 5. Les psychothérapies d’inspiration « comportementale » visent à la création de véritables réflexes conditionnés, à l’établissement de mécanismes psychiques de répulsion ou d’attirance sous l’effet de récompenses ou de sanctions. Le film Orange mécanique montre une séquence où un délinquant sexuel visualise des images propres à l’exciter, et d’associer à cette excitation un stimulus désagréable. 6. Le concept d’«  empreinte  » appliqué au comportement animal est similaire à celui d’archétype à l’œuvre dans l’esprit humain, à la différence que, chez l’humain, la fenêtre de temps reste ouverte. 7. Un objet n’a de réalité que lorsqu’il donne lieu à une description. Par exemple le concept de « galaxies » n’avait aucune réalité avant qu’il soit décrit. 8. Encore nommé « état d’éveil ». 9. «  Out of the Body Experience  » ou «  Near Death Experience  ». En français, on use maintenant du terme « état de mort imminente » (EMI). 10. Le Pardes Rimonim (Jardin des grenades, 1548) est l’œuvre principale de Moïse Cordovero (1522 -1570), penseur de l’école de Safed (Galilée).

11. «  Il me semblait en effet que derrière l’horizon du cosmos on avait construit artificiellement un monde à trois dimensions dans lequel chaque être humain occupait seul une caissette » (Jung, 1961). 12. Basilens de Cos, roi de Cos, île grecque où se situait le Temple d’Asclépios (l’Esculape des Latins) et lieu de naissance d’Hippocrate en 460 avan  J.-C., lui-même descendant d’Apollon.

Chapitre 13 La transe, une ouverture sur le Soi et le sacré sauvage

Synthèse Édouard Collot La vie, processus thérapeutique en soi Notre société actuelle, la plus évoluée de toutes, disait Freud, est porteuse d’un germe de malentendu, critique pour notre santé psychique. Nous sommes encouragés à satisfaire un mythe de toute-puissance, en renouant avec l’idée nietzschéenne que Dieu est mort. Dieu n’est peut-être qu’une façon de considérer notre cosmos et notre univers que comme un objet dont nous allons nous assurer la maîtrise. L’ensemble de nos techniques psychothérapeutiques vise principalement à développer notre capacité psychique à nous comprendre dans notre rapport au monde. Les religions ont tenté d’apporter des solutions, non pas en développant l’esprit d’observation, mais en occultant par des doxas les facultés de réflexion et d’analyse. Tout bien considéré, l’animisme est la meilleure réponse facilitant une vie harmonieuse au sein d’une nature qu’il faut assurément comprendre et respecter. Il nous faut protéger la coévolution sur Terre contre la Terre qui est une planète hostile. Souvenons-nous

que vingt espèces d’hominidés ont disparu. Seul Homo Sapiens a réussi sa survie… L’autre dimension indispensable à l’évolution positive des humains est l’Amour, porté par le sentiment religieux immanent dans l’homme, ce message transmis par ce grand chamane (envoyé d’ailleurs ?), le Christ. Le parcours de Jung est intéressant en ce qu’il concrétise de façon naturelle et spontanée l’apport de moments de transe. Jung manifeste très jeune, de façon exceptionnelle, cette propension à se fondre avec « l’esprit des lieux », à s’accorder avec l’environnement, au point que de cette parfaite syntonisation surgisse le sentiment que le vivant est «  anima  ». Comme l’explique le biologiste Frank Vertosick (2002), toute forme de vie révèle une intelligence possédant une propension à communiquer, et, pourquoi pas, une forme subtile de conscience participant à la conscience collective. Ce ressenti se manifeste si tôt à l’esprit de Jung que l’on peine à croire qu’il n’était pas immanent, présent dans sa structure psychique. L’amour, la capacité d’entrer en relation, de ressentir le monde existe bien avant que de le comprendre. C’est la capacité sur laquelle s’érige l’autre vision du monde qui n’est pas le résultat d’un apprentissage, mais plutôt d’une ouverture sur le monde intérieur, le Soi, l’Être intérieur. C’est l’apprentissage de savoir regarder, écouter, sentir, toucher, goûter. C’est en tout cas le vécu de ces «  horse whisperers » qui semblent pouvoir capter des images mentales des chevaux qu’ils soignent1. Graf Dürckheim (2002) rapporte le commentaire de son maître lui enseignant le tir à l’arc : « Ou votre visage est vide, ou il a la férocité d’un animal », puis il commente : «  Il m’a fallu comprendre que, dans la mesure où quelqu’un est là d’une façon qui est juste dans un geste technique, il est, au moment même, quelqu’un d’autre.  » Or c’est ce lâcher-prise sur la réalité environnante, ce renoncement momentané à toute activité volontaire, l’acte paradoxal d’être dans le non-vouloir qui favorise l’émergence du contact avec le Soi cosmique. Lorsqu’un sentiment d’Infini apparaît, la question du temps s’estompe, l’éphémère devient permanent, car l’impermanence est

un sentiment lié essentiellement aux processus secondaires du fonctionnement psychique. Se fait jour une sympathie, une empathie avec toutes les manifestations de la vie. Un sens apparaît, là où ne semblait régner qu’un chaos. La peur de la mort a le plus souvent disparu. Il se manifeste non pas seulement un phénomène régressif (au sens topique), et défensif, mais bien un phénomène d’ouverture thérapeutique et adaptatif. Les techniques de transe et de méditation fournissent un bon moyen pour accéder au ressenti de l’Être au détriment du paraître, de l’esprit au lieu de la lettre, du subjectif à la place de l’objectif. C’est aussi le cas dans le laisser advenir de l’autohypnose clinique. Surviennent assez fréquemment des expériences de vécus « océaniques » ou « cosmiques », vis-à-vis desquels le sujet se sent confronté à l’infini de la création et éprouve un violent sentiment d’amour, absent de perplexité. Ces vécus sont à mi-chemin entre l’état ordinaire de conscience et l’état d’extase mystique. Ces expériences vécues dans le contexte clinique ouvrent une voie de réflexion sur les liens entre la régression topique de la transe et la survenue d’un état mystique, comme le soulignait Daniel P. Brown. Winnicott dans Home is where we start from (1967) propose un exemple illustrant en quoi consiste l’accès à la sensibilité et la fonction de ce «  regard intérieur  » sur l’objet, autrement dit l’opposition entre le regard du névrosé et celui de l’être libéré  : « Dans les moments de créativité, vous ou moi trouvons que tout ce que nous faisons renforce le sentiment que nous sommes en vie, que nous sommes authentiquement nous-même. Quelqu’un peut regarder un arbre (pas seulement comme une image) et regarder avec créativité. Si jamais vous avez eu une phase dépressive du genre schizoïde (et qui n’en a pas eu), vous devez connaître cela en négatif. Combien de fois m’a-t-on dit  : “Il y a un cytise devant ma fenêtre et c’est ensoleillé et je sais intellectuellement que cela doit être une sensation intense, pour ceux qui y sont réceptifs. Mais pour moi ce matin (lundi) il n’y a là aucun sens. Je ne peux pas le ressentir. Cela me rend conscient de façon très aiguë de n’être pas réellement moi-même.” »

Winnicott attire notre attention sur la conséquence d’un regard superficiel sur le monde  : «  la perte  » d’une partie de nous-même, être autres, en l’absence du ressenti du monde, de notre monde immédiat, et ce qui en résulte, l’oblitération de la qualité de la perception. Ce n’est pas tant l’acuité perceptive qui est en jeu, le regard objectif reste le même, mais l’intégration psychique des perceptions. Par quel détour l’analyse perceptive nous amène à vivre un ressenti, une qualité que la science objective spectroscopique n’est pas à même d’analyser, ni de quantifier  ? Comment qualifions-nous ce détour  ? Le nommons-nous «  projection  » ou «  identification affective  », «  résurgence de la pensée magique », « hallucination » ? Et quelle serait sa fonction en termes évolutionnistes  ? Est-ce le résultat du besoin impérieux de fabriquer du sens  ? Est-ce une régression phylogénétique  ? Qu’en est-il de la rationalité du sens ainsi acquis ? Lorsque nous regardons le cytise, nous nous ouvrons à l’information (la sensation) qu’il exhale, sans tentative interprétative ou critique, nous sommes dans un état mental de totale réceptivité. C’est alors qu’une syntonisation se manifeste et que nous sommes l’arbre. Cette ouverture à l’âme du monde se manifeste spontanément. Toutefois, la névrose oblitère la capacité d’ouverture. Les psychothérapies, quelles qu’elles soient, aident à l’ouverture de ce regard intérieur, à trouver ou retrouver le sens, dissimulé derrière notre obsession à démasquer le réel. Comme le souligne Kohut, peu d’entre nous parviennent à abandonner notre ego narcissique pour un ego cosmique, selon sa terminologie. Le travail avec un chamane authentique, aidé ou non par de la psilocybine ou de l’ayahuasca, est précieux. Les états de transes sont propices à des ouvertures d’autant plus que les thérapeutes sont eux-mêmes déjà parvenus à certaines formes de transcendances. Il y a maintes façons par lesquelles nous découvrons l’illusion du réel (la relativité du monde objectif et sensible), depuis le « simple » étonnement à l’occasion, par exemple, de la perception d’un

sentiment d’étrangeté, jusqu’à la perplexité et enfin l’ouverture au sens du sacré et au sentiment religieux.

Percer le mystère Notre évolution nous amène à trouver ou retrouver le chemin, lorsque la nuit est trop dense. C’est aussi un moment, un instant, une aide sur le long cheminement qui mène l’homme vers la prise de conscience d’être la manifestation d’un tout environnant. C’est ainsi que naît au sein du champ transférentiel une autre réalité, le double du réel, à l’image de l’alpiniste enfin parvenu au terme de sa « course », qui du sommet, contemple et ressent enfin le mystère de l’infinie grandeur résonner en lui. Ébloui par la magnificence de la perception, il perçoit la vanité et la relativité de l’égotisme, et ressent la singulière impression d’être autrement, à savoir  : posséder et ressentir en soi-même, dans un éclair de lucidité, l’essence d’une totalité. En cet instant tout semble basculer, il n’y a pas de réponse, mais la révélation que le réel, le réel de cet homme n’est, comme l’image platonicienne de la caverne, qu’un reflet, mais cette fois-ci, si puissamment évocateur qu’enfin on en saisit le sens suggéré. Mais, on l’aura compris, c’est le parcours qui compte, le parcours dans le réel révélateur du parcours intérieur, celui qui nous conduit à l’état rare d’observer en nous-même l’au-delà de notre Moi, ce qui avait toujours été présent, y compris dans le plus petit objet de la création. Dostoïevski en avait eu l’intuition géniale, précocement, lui qui avait confié à son frère aîné, en 1839 (il avait alors 18  ans), son «  programme de vie  » en ces termes  : «  J’ai confiance en moi. L’homme est un mystère. Il faut le percer et, si cela demande toute la vie, qu’on ne dise pas qu’on a perdu son temps. Pour moi, je travaille ce mystère, car je veux être un homme. » De même qu’il faut parfois un bruit conséquent pour tirer le rêveur loin de son rêve, c’est la puissance et la qualité du choc affectif qui provoquent spontanément, naturellement le clivage, une dissociation qui ouvre une partie de la conscience et littéralement « transporte ».

Stendhal décrivit ce sentiment violent qui s’empara de lui alors qu’il découvrit Florence, au sortir de la visite de Santa Croce. Le sublime de l’art dans le contexte du voyage, sans doute porteur d’attente croyante et de perte de repères, suscite un effet mutateur qui transcende le réel. Cette ouverture brutale, sidérante pourrait-on dire, provoque chaque année à Florence l’hospitalisation de touristes victimes (chanceuses  ?) d’états crépusculaires nommés depuis « syndrome de Stendhal ». La prise de conscience de cet univers, cette «  ouverture  », ne désarticule pas l’assemblage du Moi, mais l’affranchit de ses frontières  : tout se passe comme s’il s’ouvrait vers un espace plus vaste, ce qui peut survenir n’importe où, n’importe quand en chemin. La perception se modifie soudainement, le lâcher-prise laisse entrevoir un autre état d’être, pour peu que la rationalité défensive et la peur de la folie, de l’émergence d’hallucination ne stoppent pas le processus (c’est l’expérience virtuelle du chemin de Saint-Jacques).

Les deux niveaux du sacré De cette expérience du sacré, nous pouvons arbitrairement décrire deux niveaux. ● Au premier niveau se manifeste un sentiment inopiné et soudain d’être investi, saisi d’une inspiration, de vivre l’expérience furtive d’un absolu, d’un infini, souvent décrit comme un sentiment cosmique, océanique, de compassion ou d’Amour universel. Certaines circonstances favorisent ces vécus  : expériences proches de la mort, vécus anticipés (précognition) de catastrophes ou confrontation directe à des catastrophes, accidents majeurs… De même certaines conditions en favorisent la survenue, à condition que la personne soit prête à l’expérience  : déprivation sensorielle, fatigue extrême, forte fébrilité, hypocapnie mais aussi transes avec ou sans prise de substance  : l’ascèse, l’hésychasme2, la psalmodie, le chant grégorien en sont des exemples. La Pythie de Delphes aurait



consulté dans un lieu sis juste au-dessus d’émissions de gaz sulfureux. L’épilepsie temporale peut s’accompagner de telles manifestations, ce qui fit dire à Freud que les visions de Dostoïevski pouvaient être dues à sa maladie. Bien que la région temporale soit incriminée dans certains syndromes neurologiques s’accompagnant parfois de vécus mystiques, rien ne prouve que ceux-ci soient d’origine cérébrale, ni que les hémisphères cérébraux soient toujours impliqués. En effet le fait qu’une zone cérébrale soit activée lors d’une expérience mystique ne signifie pas nécessairement que cette expérience soit issue de cette zone. De nombreuses manifestations individuelles mais surtout collectives laissent à penser que le sentiment religieux et les faits qui l’accompagnent ne sont ni réductibles à la pathologie neurologique, ni à des techniques sollicitant les hémisphères temporaux. Au second niveau s’opère un bouleversement de la structure psychique immédiat et résiduel  : ces expériences fortement ressenties et non déniées modifient profondément la représentation du monde et transforment l’être de façon durable. Rien n’est plus comme avant : l’objet banal, la situation banale cesse de l’être.

Expérience personnelle Voici quelques années, notre groupe de praticiens et enseignants se réunit à l’île d’Yeu afin de faire un partage de nos expériences. Alternant promenades et séances de travail quotidiennes, j’eus ainsi l’occasion de vivre au cours du séjour ma première séance de « rebirth ». Allongé sur un sofa dans une mezzanine, je commence à respirer, sans, je dois l’avouer, aucune intention, ni attente, ni réticence d’aucun ordre, simplement prêt à faire une expérience. La respiration débute lentement et s’associe très rapidement à l’image du «  vieux château  », célèbre monument de l’île datant du e xiv   siècle, malheureusement en partie détruit sur ordre de

Louis  XIV. Le milieu marin s’impose à moi, non pas comme une pensée, mais comme un vécu  : je suis dans l’eau bouillonnante autour du château, avec, et ceci est bien réel, de gigantesques remous qui se fracassent avec vacarme sur les récifs, le tout couvert d’écume qui s’envole volontiers au vent par paquets… tout nageur est dans cette situation en danger mortel. Pourtant, bien que ma situation soit en tout point comparable à celle du plongeur de Schiller, quelle n’est pas ma surprise de n’éprouver non seulement aucune crainte ou angoisse, mais un réel bonheur d’être dans ces remous, aussi à l’aise qu’un dauphin3 dans l’eau. Le sentiment de vécu est réaliste et intense, je plonge et virevolte volontiers dans les remous, mon corps semble parfaitement adapté à cette situation, et j’éprouve un grand plaisir à jouer dans les rouleaux formés par le ressac. Je profite un moment –  qui me semble long  – de cette incroyable expérience. Puis, sans aucune intention, alors que je respire toujours profondément, j’éprouve de plus en plus fortement une sensation de légèreté… C’est alors que je commence à m’élever dans les airs, au-dessus du château, sans aucun effort particulier, sans aucun mouvement du corps, contrairement à ce qui peut se produire dans le rêve, dans lequel, lorsque cela se produit, je m’élève généralement grâce à des mouvements de nage, avec un certain sentiment de lourdeur, de pesanteur contre laquelle je dois lutter. Cette fois quelle surprise de découvrir la vue aérienne des ruines du vieux château ! Et de nouveau, aucun sentiment de risquer la chute ou un quelconque danger, mais le bonheur d’être léger et d’observer ce spectacle sublime. C’est alors que je m’aperçois me semble-t-il que je peux contrôler mon ascension avec la respiration : lorsque je souffle doucement, j’ai l’impression d’agir sur la valve d’un ballon que l’on dégonfle et chassant du gaz, je me stabilise ou « redescends ». Inversement en inspirant profondément, je me sens et me «  vois  » monter… Cette sensation de flotter dans l’air est vraiment délicieuse et je ne me pose nullement la question de stopper cette ascension. Le château devint de plus en plus petit… Puis la Terre devient telle que perçue depuis une station orbitale, enfin je la vois bientôt comme une orange bleutée sur un fond

sombre. Je commence alors seulement à ressentir un certain isolement, lorsque je remarque quelque chose qui m’a jusqu’alors totalement échappé  : abaissant mon regard vers mes pieds –  sans que je sache pourquoi  –, j’aperçois, semblant émerger de mon ventre et se perdre en direction de la Terre, un cordon plutôt plat et doré, flottant dans l’espace qui, contrairement à moi qui ressens une grande stabilité, est animé d’amples oscillations. Je ne l’aperçois que sur une certaine distance, de l’ordre de quelques dizaines de mètres, autant que je puis en juger. Enfin la Terre disparaît, l’espace commence à s’obscurcir. C’est alors que mon regard est attiré vers ce qui est pour moi le «  haut  ». Au-dessus, là où me conduit cette ascension, un espace que je perçois comme extrêmement noir, comme si aucune lumière ne pouvait ni y entrer ni en sortir. Je ressens alors un vif sentiment d’inquiétude. Il me semble que pénétrer dans cette espace totalement opaque constitue un danger, comme si je risquais de me perdre. J’en fais part au thérapeute qui m’encourage à poursuivre… ce que je n’aurais sans doute pas fait sans cela. Le temps de traversée de cet espace me paraît bien long, mon appréhension est forte. Puis un ciel bleuté, clair, apparaît. C’est alors qu’un autre phénomène survient. Il y a, toujours «  au-dessus de moi  », comme un plafond, un immense plan s’étendant à l’infini de ma vue dans toutes les directions, d’une couleur très particulière, non uniforme, mêlant le rouge et le violet, avec parfois des espaces un peu plus jaunes. Toutefois je remarque comme des solutions de continuité à certains endroits, des déchirures, des interstices très larges dont je pense qu’ils autorisent un passage. Je me dirige –  sans savoir comment au juste4 – vers un de ces passages, passe dans l’espace laissé dans la déchirure du plan et me trouve alors de nouveau dans une immensité, avec d’autres plans identiques «  audessus de moi  ». Je vois très distinctement le premier directement au-dessus de moi, et par la déchirure en vois d’autres plus lointains. Je passais ainsi six ou sept plans. Du bleu, couleur dominante, l’espace devient progressivement jaune. Je parviens finalement à ce qui semble être un terme à ce voyage. Je suis dans un espace, un volume d’une belle couleur jaune. Difficile d’apprécier s’il s’agit d’une

couleur ou d’une clarté jaune. La lumière semble n’avoir pas de source, et émaner de la matière qui m’entoure alors, qui n’a d’ailleurs plus la consistance de l’air. Elle était lumineuse en ellemême, diffusant une clarté jaune plutôt qu’une lumière. Il me semble pouvoir toucher des doigts cette matière environnante, comme une matrice, et je suis très surpris par sa consistance : imaginer une pâte souple qui résiste à peine et qui n’adhère pas au toucher… Mais l’essentiel n’est pas cela. L’essentiel est le fulgurant vécu émotionnel associé à cette vision, une extraordinaire impression de vivre la totalité du registre des émotions dans le même instant, comme le plein jeu d’un grand orgue dont on tiendrait l’accord… Autrement dit la joie la plus sublime et la tristesse la plus profonde… simultanément. Je n’ai jamais plus rien connu de tel depuis cet instant, et à la vérité, un vécu de cette sorte ne m’apparaît pas « humainement commun ».

Regards sur cette expérience La qualité de cette expérience semble assez proche de celle du rêve. Toutefois la qualité des images n’avait rien de comparable avec celle du rêve  : elles étaient plus précises et très nettes, observables dans toutes les directions, avec un sentiment de bas et de haut, indépendant des positions du corps telles que perçues au long de l’expérience. L’état de conscience tout au long de l’expérience fut vigil, car bien qu’absorbé dans l’expérience, il m’était tout à fait possible d’entendre des personnes traverser la pièce, le téléphone sonner… Ces éléments extérieurs au vécu de mon expérience ne m’ont absolument pas perturbé, ce qui semble indiquer un fort degré de dissociation, sans manifestation d’amnésie. La pensée est restée très structurée tout au long de l’expérience, sans manifestations associatives telle qu’ils s’en manifestent dans le rêve. L’expérience fut ainsi très cohérente. Enfin le vécu de l’expérience fut beaucoup plus intense que dans un rêve. L’impression tactile de l’eau, et de la substance jaune, était comme réelle, tout comme l’impression d’apesanteur  : le sentiment de

«  monter  » est une traduction relative de mon ressenti d’aller de l’avant dans l’expérience. Bien que les facultés cognitives de contrôle et d’analyse soient actives tout au long de l’expérience, le fait qu’il s’agisse d’une perception sans objet évoque un vécu hallucinatoire. Le problème se situe au niveau de la chose perçue. L’hallucination propose un objet déformé, dont le sens est le plus souvent impossible à reconstituer, même à distance dans le temps. Or l’ensemble de cette expérience, tout autant que chaque élément pris isolément, revêt cohérence et clarté. L’enchaînement même des séquences donne à ce songe éveillé la coloration d’un long et magnifique voyage, ayant animé ma curiosité, quoique mêlée parfois d’inquiétude. Il me semblait vraiment allez vers l’inconnu. Reste la question de la nature profonde de l’imagerie, de l’histoire et du lien subtil entre l’image et le vécu affectif, aux tonalités par moments si puissants. Faut-il admettre que l’état de conscience est dissocié au point de permettre à la partie cognitive d’observer ce qui semble mis en scène de façon autonome dans la partie dissociée ? Dans ce cas, l’histoire provient-elle exclusivement de l’inconscient individuel, où l’inconscient peut-il entrer en lien avec un ensemble d’archétype collectif d’acquisition phylogénétique ? Il est logique de déduire que tout ceci naît de l’imaginaire inconscient, qu’il s’agit d’une construction fabriquée à partir d’images déjà vues, de scènes déjà vécues, amalgamées pour la circonstance en un scénario pouvant faire sens, illustrant une problématique inconsciente. Ces scénarios ont été à l’origine de la dénomination «  rebirth  » de certaines techniques respiratoires. Pourtant cette explication simple et logique ne me satisfait pas, non pas que je la refuse, mais parce que certains arguments me semblent de nature à la réfuter. Des techniques respiratoires comme le rebirth ou la «  respiration holotropique  » de Stan Grof proposent de considérer ces vécus comme des réminiscences de moments de l’accouchement. Grof les nomme stades et en fait un concept  : les matrices périnatales. Par exemple, le passage que je visualise comme une entrée dans un espace noir pourrait être interprété comme relatif à l’engagement dans le détroit supérieur, en sens inverse bien sûr, puisqu’il s’agit ici de réintégrer la matrice. Or il me semble plutôt que ce genre

d’expérience est à vivre comme un processus métaphorique de notre situation face au monde. Reprenons le passage de ce voyage alors que je visualise extrêmement nettement un cordon de couleur brillante, plutôt argentée ou dorée, me semblant prendre naissance au creux de l’épigastre, et se déployant dans l’espace en réalisant de larges oscillations. Je suis clairement dans un espace à trois dimensions, visualisant la Terre s’éloignant au rythme de ma respiration, tout à fait capable d’ajuster ma vitesse d’éloignement. Je n’ai à aucun moment anticipé ce lien, mais l’ai découvert tout à coup, alors que je regardais en direction de la Terre. La réalité physique de l’image était parfaite, ainsi je ne pouvais voir cette corde brillante que sur une certaine longueur, au-delà de laquelle elle se perdait dans l’obscurité de l’espace. À aucun moment je n’ai pu penser que ce lien flottait bêtement dans l’espace, qu’il n’était relié à rien. Il était évident qu’il me rattachait à la Terre mère, comme un cosmonaute à son engin spatial, comme un plongeur à sa ligne de vie, comme un fœtus à sa mère, comme un bateau en remorque à sa ralingue. Dans mon expérience de thérapeute, j’ai appris à me méfier des interprétations toutes faites ou hâtives. J’ai compris que deux rêves a  priori sensiblement identiques dans leur structure pouvaient avoir chez deux personnes des sens différents. L’interprétation d’un rêve, qu’il s’agisse de la partie manifeste ou latente, est toujours subjective. Il n’existe pas de clé des songes, en dehors de celles que le conscient connaît si bien que l’inconscient les place dans le rêve… Alors pourquoi vouloir faire « coller » à tout prix à ces vécus le sens de régression dans la matrice, lieu que la littérature aime à considérer comme un petit paradis ? Si mon expérience est unique, le fait qu’elle se réplique sous des formes sensiblement identiques chez nombre de personnes montre qu’elle possède une valeur heuristique5. Quelle serait alors la métaphore autre que celle de la régression dans le sein maternel qui caractériserait ce genre d’expérience  ? La Terre dans mon voyage pourrait symboliser la matière. C’est, par opposition à tout ce que je rencontre sur le trajet, l’élément lourd, tangible, celui auquel s’identifie le corps, et que nous symbolisons par des expressions comme : avoir les pieds sur Terre,

prendre racine, être solide comme un roc… La Terre dans mon expérience pourrait être le représentant de mon corps, celui qui reste ancré dans la matière. Il n’y a pas d’esprit sans corps, autant que nous pouvons en juger, au moins dans le monde tel qu’il apparaît à nos sens. Je ne prends pas en considération ici les manifestations médiumniques. L’esprit serait alors, dans l’imagerie, en lien avec le corps par ce cordon, a priori indestructible, sauf, sans doute, en cas de mort. Nous savons d’ailleurs qu’il existe des phénomènes spécifiques survenant aux personnes lors de comas profonds, qui visualisent parfois leur propre corps, comme s’ils avaient une vision du plafond de la pièce. Cette perspective décalée, tout comme dans mon voyage, m’évoque que l’esprit peut se libérer momentanément du corps physique, être en lien avec lui mais en dehors de lui… Encore un petit effort et vous pourrez admettre avec moi que la dissociation de la conscience n’en est pas réellement une. La conscience, conscient et inconscient, est indivisible, mais simplement, une certaine autonomie de l’esprit pourrait l’autoriser à se situer du côté de « l’âme du monde », c’est-à-dire ce à quoi Jung fait référence lorsqu’il écrit à propos du processus de la vie  : «  La synchronicité présuppose un sens a  priori par rapport à la conscience humaine, et qui semble exister en dehors de l’homme. » Ainsi je contrôlais le déroulement du «  voyage  » par la respiration, tout en restant dans le «  laisser advenir  ». D’ailleurs, j’aurais peutêtre stoppé l’expérience sans les encouragements du thérapeute, à l’instant de traverser cet espace opaque. Cette expérience s’apparente plutôt à un songe «  éveillé  », un apprentissage, une initiation. Je n’ai pas le sentiment d’avoir contrôlé quoi que ce soit en dehors du fait d’accepter de me « laisser faire. » La seule partie de l’expérience où s’est manifesté mon désir est la phase de « retour ». Après avoir vécu toute la palette des sentiments jusqu’à l’acmé, alors que je me trouvais dans cet espace coloré de jaune, dans cette matrice, l’aventure s’est arrêtée, tout comme elle avait commencé, brutalement. J’ai alors pensé redescendre dans un tunnel, bien pauvre imagination après tant de mystères extraordinaires, mais j’étais sous le choc. De même j’ai pensé qu’il serait bon d’arriver

dans le jardin d’Eden. Je distingue par conséquent très nettement deux phases, l’une pendant laquelle je me suis laissé guider, l’autre pendant laquelle je dirigeais ou contrôlais l’expérience. En fait, il n’était nullement besoin de « revenir ! ».

Symbolique du sentiment océanique Une impression d’ouverture sur l’infini, accompagnée d’un sentiment d’élation caractérise les expériences de vécu océanique, nommées encore cosmique. Il se manifeste lors de l’expérience une sensation puissante et claire d’être environné par un univers très différent du monde sensible, comme si la conscience manifestait brusquement une capacité à être, à «  voir  » et ressentir autrement que par les canaux perceptifs habituels. La personne est confrontée à des fonctions et des capacités lui semblant nouvelles, dont il résulte une impression de découvrir une existence autre, d’être différent dans un monde différent. La nature qualitative de cette différence de vécu pourrait être comparée à la qualité du ressenti d’un spectateur regardant sur un écran une scène de la vie courante, un nageur ou un skieur par exemple, en regard de celle du nageur ou du skieur en action. Dans le premier cas, la personne « recompose » l’action et la sensation à partir d’une expérience connue. Elle «  interprète  » la situation observée pour en reconstituer partiellement la sensation. C’est ce qui se passe dans une situation virtuelle, le jeu vidéo par exemple. Dans le second cas, la perception est le cerveau de l’action, il doit exister une quasi parfaite concordance entre la représentation du terrain et le terrain, le skieur doit «  épouser  » le terrain, comme s’il «  était  » le terrain. Il se dégage de ce vécu de «  fusion  » une impression qui touche profondément la psyché, un choc faisant tressaillir non seulement l’esprit, mais aussi le corps. Il apparaît soudainement une impression de plénitude à laquelle se superpose un sentiment de compréhension du monde qui transcende l’expérience du quotidien et procure une complicité avec l’univers des choses et du vivant. Il surgit une cohérence entre toutes choses comme si, enfin, le voile posé sur la vie se levait. Une

belle clarté illumine l’être et le confond, car, par-delà le sens, le signifié, naît un entendement reposant sur la symbolique  : le cytise dont parle Winnicott n’est plus simplement l’arbre chargé de fleurs jaunes, mais l’arbre qui exhale par ses fleurs un «  bienvenue  » chaleureux duquel émane un sentiment d’Amour qui ouvre et réjouit le cœur auquel il s’adresse. Ces fleurs se sont-elles diversifiées au cours de l’évolution avec comme seule nécessité l’adaptation assurant la pérennité de l’espèce, ou bien l’évolution est-elle sensible à d’autres facteurs tels que la communication entre espèces vivantes ? Autrement dit existe-t-il un message caché, une conscience communicante des formes vivantes végétales sensibles au regard que l’on porte sur elle, comme certains le prétendent6 ? Ou bien encore, existe-t-il une intentionnalité dans l’univers du vivant, autrement dit l’évolution suit-elle l’influence d’une consciente omniprésente  ? Toujours est-il qu’il naît de ces expériences océaniques un sentiment de compassion, et l’on comprend dès lors que l’expérience est de nature à provoquer une soudaine prise de conscience d’être intensément en lien avec non seulement le vivant mais aussi l’inerte, et d’en avoir été aveugle. L’admiration devant la poésie du vivant est telle qu’elle inspire un profond respect. Cette ouverture qualitative de l’esprit laisse éprouver une joie sans limite, un embrasement du cœur, une béatitude, annonciatrice de la lumière rédemptrice, mais aussi s’accompagne d’un retour difficile. Lorsque Jung revient à « la réalité » après ces fameux songes, il dit éprouver un sentiment d’enfermement, éprouver le sentiment d’être dans une cage. La simplification opérée par le système sensoriel et les concepts qui en résultent enferme le sujet dans un monde objectif qui prête à croire qu’il est la réalité. Ce monde étroit et pauvre est confiné dans un développement sur lui-même, comme si la vie était confinée dans l’œuf qui l’a vu naître. L’illusion est de croire à la réalité objective comme seule rédemptrice alors qu’elle ne peut que nous apporter un bonheur matériel –  ce qui est déjà beaucoup –, laissant hélas la vie exsangue et sans âme. À  l’issue de ce genre d’expérience se manifeste en nous une capacité non plus tant à voir, mais à concevoir la nature profonde de

l’être, des choses et de l’univers accompagné d’un sentiment de compassion. Par sa nature, cette expérience de vécu est du même ordre que l’expérience d’illumination décrite dans différentes traditions bouddhistes. C’est à l’issue d’une recherche personnelle, ou plus souvent spontanément, par la survenue d’une rencontre avec un événement, un lieu, de force et de nature à provoquer un changement d’état de conscience que s’ouvre cette capacité à la fois perceptive et conceptuelle. La rencontre est toutefois rarement fortuite. Il existe d’évidence un lien entre la rencontre et une attitude intérieure, de sorte que les événements en question aussi bien que la rencontre avec un lieu particulier (pour soi) et sa reconnaissance prennent l’allure d’une coïncidence signifiante, autrement dit la dimension d’un événement « synchronistique ». Il sera question plus avant du rôle spécifique que ces occurrences jouent dans nos chemins de vie, concept que Jung a défini et nommé « synchronicité ». Ce phénomène du « sentiment océanique » n’est pas sans analogie avec la survenue de ce que décrivent des personnes ayant eu le sentiment d’avoir été « touchées par la grâce ». Francis Poulenc, par exemple, s’est senti transporté alors qu’il visitait Rocamadour, «  accroché en plein ciel dans une vertigineuse anfractuosité de rocher  » (Hell, 1978). Cette rencontre fut de nature à déclencher chez lui un profond sentiment de compassion, et le soir même il commença l’écriture inspirée des Litanies de la Vierge noire. Il faut dire que sa sensibilité était exacerbée par la perte d’un ami cher (cf.  Valérie, Chagall). Il faut toutefois distinguer la situation de survenue d’un sentiment océanique d’avec celles d’élans mystiques, d’hallucinations ou d’états hallucinatoires, d’états crépusculaires, du rêve, du rêve lucide en particulier. La caractéristique fondamentale du sentiment océanique est son universalité. Il n’est ni associé à une tradition ou une culture particulière, ni à un contexte spécifique, religieux par exemple. En revanche, il fait l’objet d’une reconnaissance par nombre de traditions et se trouve être à l’origine de nombreux cultes ou rituels initiatiques, qui l’ayant reconnu, ont enseigné des pratiques visant à

le reproduire. Romain Rolland considère l’expérience océanique comme les prémices de la religiosité, sinon des religions. La « prière du cœur » est sans doute un des enseignements le plus propice à la survenue du sentiment océanique.

Conclusion Le patient en difficultés psychiques demande souvent au thérapeute une action digne de la magie : le soulager sans sa participation, de surcroît dans l’instant ou presque… Quelle serait cette diablerie  ? Jung insiste sur la notion de parcours de vie, chemin vers la réalisation de soi, qu’il nomme «  individuation  ». Le thérapeute, à condition qu’il ait déjà passé les portes d’une grande partie de sa propre individuation, saura aider le patient dans ses épreuves de vie. Le thérapeute est un passeur, comme le stipulait Charles Baudoin. Christophe le passeur, éponyme du roman, enseigne par l’image : il transmet des visions, non des raisons. Beaucoup d’entre nous souffrons des conséquences d’une errance psychique, esprits perdus dans un monde que nous ne parvenons pas à concevoir. En fait, nous ne percevons du monde qu’une apparence, celle donnée par les puissances économiques et politiques. C’est un phénomène sociétal, la résultante d’une doxa sociale matérialiste qui prône de fausses valeurs, celle de l’argent en particulier. L’absence de compréhension du monde construit de fausses représentations, qui apportent la misère, la violence, la destruction de l’écosystème, de la flore et de la faune, une médecine parfois dangereuse ou inefficace… Les religions ont manqué leurs objectifs et ne sont que des sectes s’assurant de leur pouvoir. Il nous reste les sociétés premières, animistes, qui proposent d’abord une initiation à la découverte de l’âme du monde : isolation des jeunes dans les forêts, les montagnes, mise au contact de l’écosystème animal et végétal. La peur dominée, tandis que les frayeurs ont fait découvrir l’envers du décor matériel, autorise enfin les jeunes à participer à une cérémonie initiatique. Adoubés, ils

deviennent capables d’apprendre le monde à deux rives, du visible à l’invisible et n’oublieront jamais que le monde est porté par une âme. Ici-bas, il faut beaucoup de chance, d’expériences, de rencontres et surtout d’années pour arriver à cette compréhension… Voilà pourquoi le monde est en souffrance, ce qui fut si bien exprimé par Freud en 1914 (voir supra).

Notes 1. Que penser de cette enfant qui, ayant trouvé un faisan blessé, « percevait » tout en le ramenant chez elle des images de vol  ? Dans sa candeur naïve, elle pensait que ces images provenaient de l’animal… C’est aujourd’hui une personne renommée à travers les États-Unis et appelée pour soigner les chevaux dont elle dit capter les pensées par images… Je me suis demandé quelle aurait été ma réaction si ma fille m’avait interpellé à ce sujet. Mon scepticisme aurait peut-être définitivement éteint ce qui semble être un don tout à fait exceptionnel et réel, bien qu’inanalysable au regard de la science, voire contraire à l’idéologie prophétisée. 2. L’hésychia, « silence et paix de l’union avec Dieu », est un état de vacance, de quiétude, de détachement, qui permet l’ouverture exclusive au divin. 3. J’ai, par le passé, connu des expériences étonnantes avec les dauphins. 4. L’intention plutôt que la volonté semble suffire. 5. Grof a établi les matrices périnatales en décryptant les voyages sous LSD de centaines d’étudiants. 6. Étude portant sur la musique et la croissance des plants de tomates.

Chapitre 14 Neurophysiologie du traitement conscient et inconscient au niveau cérébral en état de veille et lors des états modifiés

Silvia Morar Notre cerveau est constitué d’un ensemble de structures et mécanismes qui commencent par un travail de traitement de l’information (provenant de l’extérieur ou de son propre corps  ; le débat existe), suivi d’une conclusion, d’une décision puis d’une éventuelle action. L’information va déclencher un traitement hiérarchisé, par plusieurs centres et connexions puis plus global, pour finalement être transmise à l’espace conscient. Lors des premières étapes, le système limbique composé entre autres par l’amygdale, l’hippocampe, la région septale, le gyrus cingulaire, l’insula […] est majeur. Ces structures ont en effet un rôle essentiel dans la production, l’analyse et la gestion des aspects émotionnels en étroite relation avec les données stockées dans la mémoire, tels que la gestion et le réarrangement des souvenirs, du vivre, du survivre, et de se reproduire (principalement liés à la survie de l’espèce).

Structures impliquées

Il a un rôle majeur dans la mémoire autobiographique, la mémoire de fixation simple, l’inhibition comportementale, la navigation spatiale et temporelle. La région septale, le noyau accubens, les noyaux profonds ont quant à eux un rôle dans l’attirance, l’appétit, la satisfaction, le plaisir, la récompense. L’amygdale permet des multiples connexions qui vont déclencher des réactions rapides inconscientes (à 150  millisecondes, en

sachant que la réaction consciente a lieu à environ 750  millisecondes). Son rôle est important dans la gestion de la peur. Les trois catégories de réponses sont  : neurovégétative, comportementale et émotionnelle. Lionel Naccahe a montré dans ses travaux que l’activation de l’amygdale lors d’un stimulus subliminal est identique à celle d’un stimulus conscient. La trilogie anglo-saxonne « fright-flight-fight » transcrit littéralement en français par «  frayeur-fuite-affrontement  » serait l’unique réaction biologique de l’animal, et donc de l’humain en situation de stress ou devant un stimulus menaçant. Par conséquent, l’amygdale va déclencher très rapidement des décisions au départ non conscientes de réponse qui sont dans l’ordre  : l’agression, la fuite, la sidération (faire le mort). À  chaque fois qu’une décision est refusée, refoulée par l’espace conscient, elle fait l’objet de la gestion d’un conflit (gyrus cingulaire, frontal, pariétal).

C’est une structure importante, qui travaille étroitement avec le système limbique, il est reconnu comme acteur principal dans la gestion émotionnelle affective (gauche pour les émotions négatives et droit pour les émotions positives), l’apprentissage émotionnel associatif, la régulation de l’émotion (extinction de la peur) et le décodage de la valeur (punition ou récompense). À cela s’ajoute le gyrus cingulaire antérieur qui joue un rôle important dans la gestion du conflit affectif et cognitif. La résultante du travail de ces centres est une décision inconsciente qui va être transmise à l’espace conscient. Ainsi, toute décision prise est d’abord initiée dans l’espace de travail inconscient. Le désir arrive donc une fois que le cerveau est préparé à l’action. Bien sûr, si « le conscient » refuse cette décision, elle sera traitée à nouveau et modifiée suite à la gestion du conflit dans lesquels le gyrus cingulaire, le précunéus et le préfrontal vont intervenir. Suite à ces activations et au travail de l’ensemble de ces acteurs, l’information est transmise au conscient en s’adaptant à certaines

règles telles que la capacité du conscient en question d’accepter les informations et/ou les décisions en fonction de son « bagage » déjà cumulé, les habitudes, les croyances, les traits de la personnalité,  etc., en appliquant le respect de la loi «  du tout ou rien  », et en accord avec les attentes de l’individu. Il existe également un traitement de modulation de l’information reçue par les noyaux thalamiques qui ont la capacité de modifier l’intensité d’un stimulus reçu en augmentant ou en diminuant la réalité. Par exemple, une information concernant la douleur peut bénéficier de cette modulation. D’autre part, de nombreuses études ont montré la modification de la réalité en fonction du contexte, des attentes non conscientes, etc., qui peuvent avoir comme résultat la non-prise en compte consciente d’une information et la transformation de celle-ci. En conclusion, nous voyons une toute petite partie du monde, qui plus est modifiée et ne correspondant pas à la réalité. À titre d’exemple, lorsque notre rétine reçoit 10 milliards de bits d’informations, seuls 6 millions sur le nerf optique, puis 10  000 dans le cortex occipital inconscient vont transmettre 100 bits d’information à l’espace conscient. De plus, ces 100 bits (sur les 10  milliards initiaux), vont subir des modifications, car 90  % des synapses du cortex visuel sont associatives et seulement 10 % traitent directement l’information visuelle.

La conscience La conscience est la résultante du travail de plusieurs soussystèmes éloignés les uns des autres et non pas d’un centre nerveux unique et bien spécifique. La base de l’accès à la conscience est l’attention qui peut se dérouler au niveau non conscient. La transition se fait d’après la loi du «  tout ou rien  » de façon toujours instantanée et nécessite un stimulus supraliminal (audessus du seuil de perception). Le résultat est une activité neuronale cohérente entre différentes régions, sachant que l’élément clé est le cortex associatif fronto-pariétal. La transition conscient/non conscient est réalisée par le changement abrupt et non linéaire du

niveau de cohérence dans la distribution de l’espace neuronal. Pour comprendre le fonctionnement de l’inconscient, la voie incontournable est le conscient, pourtant très difficile à cerner. Le «  hard problem of conscioussness  » déclare qu’il sera toujours impossible à la science d’apporter une explication satisfaisante à la question « Qu’est-ce que la conscience ? ». Une explosion de travaux scientifiques et les nouvelles technologies ont fourni aux neurosciences de nombreux outils pour investiguer le fonctionnement cérébral. On ne comprend toujours pas comment l’expérience subjective réunit à la fois notre expérience consciente de notre propre vie et la façon dont la conscience émerge. C’est une des questions les plus mystérieuses des neurosciences.

Le Global Neural Workspace (GNW) (voir les travaux de Stanislas Dehaenne et de Lionel Naccache) représente à la fois la voie finale et le modèle d’accès à la conscience, et représente actuellement la théorie la plus adaptée. Le GNW interprète les stimuli extérieurs, planifie et exécute les tâches, et les réponses les plus adaptées. Il est composé de plusieurs sous-systèmes  : sensoriels, sensitifs, de l’attention, et exécutifs (motrices). Parmi les théories les plus acceptées de l’accès à l’espace conscient est celle de l’Espace de Travail Global ou Global Workspace Theory qui établit un état de travail vaste, réverbérant et métastable en utilisant les lois du « tout ou rien  » et «  winner takes it all  ». Les mécanismes neuronaux d’accès à la conscience restent toujours controversés. Le modèle de GNW propose qu’à tout moment de nombreux sous-systèmes de travail s’activent en parallèle pour le traitement de l’information au niveau non conscient, et qu’au moment de l’activation soudaine du GNW l’accès à la conscience est permis. Le passage à l’espace conscient étant un processus attentionnel abrupt, une information accède à la conscience seulement si trois conditions sont remplies : ● 1. L’information doit être totalement représentée dans l’aire primaire (ex : le cortex visuel pour une information visuelle). ● 2. Cette information doit avoir un minimum de durée et/ou d’intensité nécessaire à une activation d’un espace de travail



cortical étendu, notamment pariétal et préfrontal (ex  : la compréhension non consciente d’un mot vu est de 250  millisecondes, mais il faut dépasser 300 – 350 millisecondes pour activer le travail global). 3. Cette propagation de l’information déclenche et maintient un état de réverbération d’une activité cohérente des nombreuses structures corticales. Donc, au moment de la perception consciente, le GNW se stabilise dans un état réverbérant métastable pour garder l’information « en ligne ».

En conclusion, il est important de souligner que l’accès à la conscience est un phénomène cortical vaste, tardif, global, soudain et synchronisé, réverbérant et stable. L’attention est la voie d’accès à cet espace global qui représente un des modèles de la conscience.

Les systèmes attentionnels À  l’origine de la connaissance et de l’action, l’attention se déroule tant sur le plan conscient que non conscient. Sa base est constituée de l’état de vigilance produit par l’«  arousal  » permanent de la substance réticulaire du tronc cérébral sur la totalité du cortex (système réticulaire activateur ascendant). Ce processus permet à l’organisme la mise en œuvre des réactions d’orientation, de traitement de l’information puis de réaction(s). Deux sous-systèmes composent le modèle fonctionnel de l’attention : l’attention sélective («  dorsal attention  ») et l’attention exécutive («  control executive network  »). Les zones actives pour le premier modèle sont  : le sulcus pariétal bilatéral qui a la propriété de par sa localisation, de se trouver au croisement de l’arrivée des informations sensorielles auditives, visuelles et de la sensibilité ; le cortex occipital bilatéral et la région pré-frontale latérale bilatérale. L’attention exécutive implique l’activation du gyrus cingulaire antérieur, insula antérieur bilatéral, aires motrices bilatérales et temporal moyen bilatéral. L’attention exécutive nommée aussi «  dorsal attention  » est un

important mécanisme d’autorégulation de cognition et l’émotion, ayant comme nœud principal le gyrus cingulaire antérieur, à côté de l’insula antérieur, préfrontal,  etc. Une grande partie des systèmes neuronaux impliqués dans les processus attentionnels sont également impliqués dans le fonctionnement neuronal de l’état hypnotique et de la méditation (Lewis, 2007 ; Hözel, 2007 ; Pagnoni, 2007 ; Lutz, 2008 ; Baron, 2010 ; Manna, 2010 ; Berkowich-Ohana, 2011 ; Kilpartick, 2011 ; Xue, 2011 ; Yu, 2011 ; Hasenkamp, 2012 ; Kozasa, 2012). Dans l’hypnose, on remarque l’amélioration de l’attention exécutive (l’élimination de l’interférence de Stroop –  Raz et  al.), ainsi que la performance de l’exécution des tâches. L’attention sélective implique la focalisation sur une information. Il existe deux niveaux attentionnels  : un état diffus ou ambiant et un état focalisé (sélection d’une information qui provient de l’espace attentionnel ambiant).

Attention et accès à la conscience L’attention, l’éveil et l’émotion qui sont intégrés par le travail des structures paralimbiques1 contribuent à l’optimisation du comportement et à la survie de l’espèce humaine. Ces structures jouent également un rôle important dans les différents aspects du soi (relation avec l’extérieur ou focalisation interne) et constituent le point de bascule entre la conscience habituelle et les états dits altérés de conscience. Les stimuli subliminaux bénéficient d’un traitement sémantique complexe et perceptuel mais ils restent inaccessibles à la conscience. Ce traitement est automatique, indépendant des intentions du sujet, fortement affecté par l’attention, les instructions et les stratégies déployées. Il peut influencer l’évaluation et la prise de décision, et peut entraîner des changements qui vont perdurer. L’accès à la conscience implique un processus global, abrupt, impliquant des multiples régions corticales2, en respectant la loi du tout ou rien. Il y a deux modèles d’accès à la conscience :





Le modèle postérieur versus antérieur. (Par exemple, pour un stimulus visuel, il se produit une propagation d’activation de l’aire visuelle vers des zones éloignées pariétales et frontales. Il s’agit d’une activation globale. Même un stimulus subliminal (33 millisecondes) peut déclencher ce type de modèle d’accès à la conscience (Dehaene, 2007). Le modèle timing (tôt versus tardif) qui varie en fonction des auteurs entre 290 et 700  millisecondes. Dans ce modèle, le stimulus doit dépasser une certaine durée pour permettre la propagation de l’activation des zones distantes de l’aire principale.

Finalement, l’accès à la conscience est l’activation d’un espace de travail global où des nodules clés sont distribués dans le cortex frontal inférieur, pariétal postérieur, temporal antérieur, occipitotemporal postérieur, de façon bilatérale (connections corticocorticales longue distance). Les processus attentionnels peuvent se dérouler en dehors de toute conscience. Ainsi, l’attention et la conscience peuvent être considérées comme des processus complètement dissociés. La jonction temporopariétale joue également un rôle majeur dans le désengagement de l’attention. Pour que le processus neuronal de l’attention consciente et/ou inconsciente se focalise vers un but, il est absolument nécessaire que certaines structures corticales s’activent et que d’autres se taisent. Ainsi, la grande majorité des structures composant le mode par défaut (voir infra) vont arrêter leurs activités pour permettre l’activation des modules attentionnels. Ce processus est indispensable lors de transe et il fait notamment appel aux processus de l’attention inconsciente. La prise de décision (toujours inconsciente) est fortement dépendante de l’attention non consciente dirigée. Les activations cérébrales de structures impliquées dans les processus attentionnels constituent la porte d’accès à l’espace conscient.

Transes naturelles et provoquées Longtemps, les neuroscientifiques ont pensé que les circuits cérébraux étaient inactifs au repos, et certains hypnothérapeutes pensaient que ces temps de repos correspondaient à un état modifié de conscience (la transe hypnotique quotidienne). Cependant, les études ont montré le contraire. Il s’agit du «  mode par défaut  », «  Resting State  » ou «  Default Network  ». L’induction hypnotique change son fonctionnement habituel. Trente ans de recherches en imagerie cérébrale ont abouti à la détermination du modèle fonctionnel impliqué dans le processus de cognition interne. Celui-ci s’active au moment où l’individu est engagé dans la focalisation interne incluant la mémoire autobiographique, la visualisation du futur, et la conception de la position des autres. Plusieurs régions sont impliquées dans ce système et la consommation énergétique cérébrale augmente par rapport aux tâches exécutives ou aux systèmes informationnels, ce qui montre l’importance de cette activité. Nous verrons plus tard que ce système diminue fortement son activité en transe, prouvant donc qu’il ne s’agit pas d’une transe spontanée. Le fonctionnement cérébral caractéristique de la transe nécessite une mobilisation des modules attentionnels qui implique l’aide soit d’un thérapeute (hypnose), soit d’un rituel, soit d’un nombre élevé d’heures d’exercice de la transe chez les méditants.

Le Paradoxe de Ne Rien Faire (réarranger le passé, anticiper et planifier le futur) L’être humain dépense beaucoup d’énergie et de temps dans une sorte d’activité mentale qui n’est pas constitué des pensées bien ordonnées, mais de fragments d’informations, de bribes d’expériences internes, de rêveries, de monologues internes, de pensées stimulus indépendantes, de visualisations, d’images, et de rêves. Ceci contribue à l’essence de l’être humain et constitue le flux de la conscience, «  Stream of Consciousness  » (William James, 1890) : réarranger le passé, anticiper et planifier le futur. Les études

ont déterminé qu’il s’agit d’un ensemble de structures corticales et profondes qui s’activent lors de moments de détente quand le sujet ne réalise pas de tâche (ex : assis dans le bus, sur un transat, etc. à ne rien faire). Il n’y a pas d’activation lors des tâches exécutives de la pensée sauf étonnamment dans la prise de décisions d’actions à connotation morale/immorale (Greene, 2001  ; Moll, 2005) (par exemple : une construction mentale de la réponse à « Si vous vous trouvez dans un bateau qui dysfonctionne, considérez-vous acceptable de pousser une personne dans l’eau pour en sauver cinq autres  ?  »). Le Resting State (RS) ou Default Network (DN)3 s’activent au repos, au moment où des pensées spontanées surgissent, ou lorsque le sujet imagine le futur, ou bien évoque mentalement le passé. Ces régions doivent être inhibées pour permettre le passage dans l’autre mode de fonctionnement, exécutif ou réceptif aux stimuli extérieurs (attentionnel et GNW). Elles sont également automatiquement inhibées lors de l’activation des modules attentionnels, donc lors de la transe, car comme nous l’avons vu plus haut, l’activation de l’attention est indispensable à l’instauration de cet état modifié, qu’elle soit méditative, hypnose, religieuse, autre (rituels chamaniques, chants, mantra, etc.). Ce modèle a été défini et proposé pour la première fois par Marcus Raichle en 1990. On considère son organisation autour de deux axes fonctionnels  : d’une part un réseau pariéto-frontal lié à la mémoire épisodique et activé en partie par les émotions  ; d’autre part un système exécutif situé au niveau préfrontal gauche et qui supervise le réseau pariéto-frontal. De ce fait, 50 à 80  % de la consommation énergétique cérébrale sont utilisés pour le fonctionnement des circuits spécifiques au RS (Buckner, 2008), sachant que les interactions avec le monde extérieur représentent qu’une petite fraction de l’activité cérébrale.

La transe spontanée n’existe pas ! Il y a deux sub-systèmes dans le Resting State : un premier qui est associé à la reconstruction des scènes mentales, de la mémoire

(zone temporo-pariétale) et l’autre aux pensées et aux décisions concernant le soi (frontal) et la formation de la pensée spontanée (connexions préfrontal et précunéus). Parfois, il y a une activation de certaines parties du RS lors des tâches exécutives (introspection, construction mentale, mémoire épisodique, etc.). Son rôle principal est celui de construire des anticipations du futur sur la base des éléments du passé. Le RS montre une très grande diminution de son activité en cas d’anesthésie générale et de sommeil, sauf durant les phases REM (sommeil paradoxal). C’est un processus complètement tâche-négatif, indépendant de tout but ou tâche prédéterminée, et il se caractérise par des pensées spontanées. Le RS nécessite de nombreuses connexions pour intégrer l’information, on peut donc dire qu’il est spécifique à l’espèce humaine et peu ou quasi inexistant chez les animaux. Lors de son fonctionnement, il présente un niveau très élevé du métabolisme avec 40  % de flux sanguin supplémentaire en comparaison avec les autres types de fonctionnement (exécution de tâches, etc.). Il est considéré comme essentiel dans la personnalité de l’individu, pour orchestrer le soi, la personnalité, l’identité, l’ego, etc. Il est automatiquement installé lors des moments «  de repos  », donc dès lors que rien de particulier n’est fait, nous sommes perdus dans nos pensées. Le cortex préfrontal est impliqué avec l’insula et le cortex cingulaire antérieur dans le processus de bascule entre le RS et le système attentionnel exécutif. Il existe une anti-corrélation entre les deux systèmes (attentionnel et RS) qui est modulée par la décision de la direction du choix cognitif. Les transes induites par la focalisation sur un objet extérieur ou interne vont augmenter la compétition entre deux systèmes. Par conséquent, comme pour l’installation de la transe, il est nécessaire d’utiliser les systèmes attentionnels. Le mode par défaut (RS) va arrêter son activité et on peut dire que la transe spontanée n’existe pas. La véritable transe peut se mettre en place uniquement si un processus bien particulier est initié  : techniques d’autohypnose, techniques de méditation, rituels religieux, chamaniques,  etc. qui vont déclencher les mécanismes attentionnels vers un but. Je

rappelle que le fait de n’avoir aucun but pour notre cerveau représente un but en soi qui requiert la mise en route des processus attentionnels.

Hypnose et mode par défaut L’état d’hypnose nécessite un fonctionnement normal de toutes ces structures et processus (éveil, attention, accès au GNW et RS). Ce sont les mêmes structures par leurs dynamiques d’activation et désactivation qui vont construire la transe. Son fonctionnement cérébral est similaire à celui utilisé lors du traitement des informations réelles (activation bilatérale occipitale et non pas uniquement unilatérale – le virtuel devient réel). Les mécanismes de l’attention du niveau non conscient sont activés lors de la transe et vont participer dans «  le filtre  » d’acceptation des suggestions (éliminer ce qui n’est pas acceptable). Les systèmes activés lors de la transe sont les sous-systèmes attentionnels (gyrus cingulaire dorsal antérieur et insula bilatéral), la connectivité entre les régions du RS avec le cortex orbito frontal et le préfrontal ventromédian (Jang, 2012), et le lobule pariétal inférieur bilatéral. Les systèmes désactivés lors de la transe sont les régions antérieures du RS (McGeown, 2009  ; Demertz, 2011), la déconnexion entre les éléments antérieurs et postérieurs du RS (Kilpatrick, 2011  ; Hasenkamp, 2012). Le gyrus cingulaire antérieur présente une diminution de son activation en transe, mais on constate une augmentation de la connectivité avec le frontal gauche de sa partie dorsale, donc une diminution de la nécessité de «  régler  » les conflits (cingulaire antérieur) et une participation plus importante des zones responsables des pensées et du raisonnement logique (frontal gauche) avec une diminution au niveau frontal droit. Le système attentionnel est impliqué dans la nécessité de résoudre les demandes immédiates ou futures (activation du cortex frontal dorsolatéral, pariétal postérolatéral). Il est inversement corrélé avec

les activations du RS, l’insula étant le principal point de bascule. Pendant la transe, certaines parties des deux systèmes fonctionnent en parallèle (interne et externe), ce qui en fait sa particularité. L’activation du lobule pariétal inférieur bilatéral suggère le désengagement du flot des pensées (le flot étant caractéristique du RS) et de la nécessité de prise de décision suite aux éventuels conflits. L’augmentation d’activité dans certains circuits du RS suggère une capacité plus importante à l’accès à l’information concernant les états internes, les mécanismes de récompense et valorisation.

Conclusion L’accès à l’état de transe hypnotique se traduit par un fonctionnement cérébral particulier qui comporte plusieurs systèmes : ● Un sous-système du modèle attentionnel, le dorsal network, formé par pré frontal moyen et supérieur, pariétal supérieur et inférieur, occipital moyen et supérieur. Cette mise en route soustend la focalisation vers un but bien précis (hypnose pure ou but thérapeutique recherché). L’activation des systèmes attentionnels est indispensable au fonctionnement cérébral en transe indépendamment de la technique utilisée pour l’atteindre. Même lors de transes méditatives (ex  : pleine conscience) qui n’ont aucun but cette focalisation de l’attention s’active, car pour notre inconscient le fait de n’avoir aucun but représente un but en soi. Par ailleurs, lors de l’activation des systèmes attentionnels, il y a une nette et automatique désactivation du mode par défaut, donc la transe spontanée n’existe pas. ● Le maintien d’une activité partielle du GNW qui varie avec des sous-systèmes du RS dans le cadre d’une alternance dynamique permanente. Cette alternance permet l’éloignement des informations extérieures et des réponses à ces informations et le maintien d’un certain degré d’accès à l’espace conscient qui sera différent de celui de l’état de veille.

Notes 1. Préfrontal et cingulaire bilatéral, pariétal médial bilatéral, striatum. 2. Connecions axonales longue distance distribuées en préfrontal, pariéto-temporal et cortex cingulaire. 3. Formé par le précunéus (lobe pariétal), le lobule pariétal inférieur, le cortex préfrontal médian, le gyrus cingulaire, l’hippocampe et le temporal médian.

Chapitre 15 Dynamique corporelle

Nancy Midol Le thème de la dynamique corporelle des transes renvoie à la problématique spinoziste de l’Éthique : « De quoi un corps est-il capable ? » Spinoza (1677) répond : «  Personne ne peut savoir ce que peut un corps… bien qu’il atteigne son plus haut niveau de puissance quand sa vitalité est articulée à la liberté et la joie.  » On comprend que la dynamique corporelle des transes, vécue intentionnellement ou en marge du champ de la conscience, est au centre du corps collectif, des imaginaires, des représentations, des processus mimétiques, des prescriptions et des tabous, selon des sens (sensorialité, direction, signification) soigneusement distribués dans des groupes singuliers. Mais «  qu’est-ce qu’un corps  ?  » La définition ne va pas de soi, elle dépend des façons dont les communautés humaines se sont inventé des existences et des destins. L’anthropologue Philippe Descola a proposé de démêler les représentations existentielles sur lesquelles les peuples ont fondé leur conception du monde et leur place dans le monde à partir de la façon dont ils ont interprété les continuités et discontinuités entre eux et le monde vivant. Aujourd’hui que notre civilisation est allée très loin dans l’expertise de l’objet et de la machine, nous comprenons que ce choix, qui nous a fait démiurge (Midol, 1995), nous a aussi coupé d’autres intelligibilités du monde. La langue est fasciste comme le disait Roland Barthes (1975) en ce qu’elle nous oblige à dire plutôt qu’elle nous permet de dire. Or dans ses manques, ses trous, elle organise l’impensé et l’impensable. Le terme «  corps  » illustre parfaitement ce mécanisme socio-neurolinguistique, notamment dans le contexte chrétien ou le corps s’oppose à l’esprit comme le mal au bien et diable à Dieu. Toute une idéologie des valeurs s’inscrit dans ce dualisme et oriente l’inconscient collectif de l’Occident chrétien puis de la science occidentale. Depuis, les révolutions scientifiques ne cessent de battre en brèche ce dualisme infantile et régressif qui a imprégné l’ordre mental de nos sociétés. On découvre bien tard que le cerveau, le cœur et les intestins sont reliés par des réseaux de neurones qui communiquent entre eux et nous permettent de vivre (s’adapter, penser, comprendre, savoir…). Les émotions, domaine méprisé du corporel, opposées à la raison, domaine valorisé de l’intellect, sont réhabilitées comme premier facteur de

l’intelligence par les recherches sur le cerveau, depuis que Varela puis Damasio ont ouvert la boîte de Pandore. Mais combattre le dualisme Corps/Esprit engage à combattre le dualisme Humanité/Animalité, et Soi/non-Soi, comme les recherches sur les divers biotopes de nos corps qui accueillent plus de virus, microbes, champignons, etc. que nous avons de cellules, le prouvent  ! Et de plus, ce vivant –  mutant qui nous colonise  – a un impact déterminant sur nos émotions, nos pensées, notre corpulence, notre équilibre psychique,  etc. Pourrions-nous questionner nos erreurs en explorant d’autres logiques, d’autres sémantiques, d’autres représentations du monde et de soi dans le monde  ? La diversité des réponses relatives à d’autres communautés sur la planète permet de développer un regard anthropologique plus distancé qui en retour relativise nos propres croyances.

Qu’entendre par « dynamique corporelle » dans le domaine de l’anthropologie ?

Il faut savoir que le concept de corps n’existe pas dans le vocabulaire de nombreuses autres langues. Dans le dictionnaire chinois-français au mot « shen ti » (« corps »), nous pouvons lire les définitions : « corps, santé » qui prendra sens selon le contexte dans lequel il sera évoqué. Le corps n’est pas une entité et ne se réduit pas à une matière organique. Il correspond à un carrefour énergétique engagé dans des liens toujours en mouvement avec de l’invisible comme l’essence (jing), l’énergie ou souffle (qi) et l’esprit (shen). Autre exemple puisé dans les récits de l’ethnologue Leenhardt (Breton, 2006), qui, retournant voir une tribu Kanak plus de dix ans après son premier séjour en Nouvelle-Calédonie au début du e xx   siècle, demande à son informateur indigène, Boesoou, ce que les Blancs lui avaient apporté. Et, alors que Leenhardt s’attendait d’entendre parler de l’âme, le Kanak répond  : «  Vous nous avez apporté la notion de corps ! » Stupéfaction de l’ethnologue ! En effet, l’objet corps, l’objectivation d’une anatomie n’existe pas chez les Kanaks car ils conçoivent un être relié, porteur d’appartenances spécifiques qui apparaissent dans des séquences d’interactions

(rapports avec les ancêtres, les forces environnantes, les divers héritages du monde vivant, totem animalier ou autre…). La conception du corps comme un ensemble d’organes contenus par la peau et séparé de l’environnement physique n’est pas pensable car cette conception individualiste ne leur permet ni de construire un destin commun, ni de s’inscrire dans le flux générationnel en perpétuel devenir dans l’évolution du monde. L’anthropologue Philippe Charlier déclare, après avoir été initié à des rituels de morts dans le vodou béninois, qu’il a acquis la conviction que le monde est « un ensemble d’énergies circulantes » (France Inter, 9 avril 2022), rejetant l’idée d’une vie commençant à la naissance et s’arrêtant à la mort. Force est de conclure que le concept «  corps  » et sa «  biologie  » répondent à un investissement principalement visuel, à une logique réductionniste avec ses dimensions symboliques individualistes ouvrant sur des horizons (ou climats) affectifs, physiques, cognitifs, techniques et sociaux particuliers. Stephan Breton, dans Qu’est-ce qu’un corps ? (2006) fait apparaître les différentes manières dont les peuples représentent leur présence au monde où s’élaborent des systèmes entre intériorité des sujets et matérialité des objets, entre continuité et discontinuité entre les choses et les êtres. Il y présente le corps du Christ peint et sculpté. Christ en croix, corps (à l’image de Dieu) réduit à la matérialité organique de son anatomie, corps mutilé, transpercé, torturé. Nus du Christ représenté par sa chair qui renvoie néanmoins à un au-delà ésotérique («  ceci est mon corps… ceci est mon sang  »). Thème central de l’esthétique occidentale, ouvrant la voie à d’autres nus, des femmes principalement. L’évolution de cette représentation s’est faite au cours des siècles à partir du xve à travers l’objectivation du regard, l’invention de la perspective et du réalisme, naissance de la modernité, de sorte qu’au xixe  siècle, l’intelligibilité du monde et de ses représentations est devenue physique ou physicaliste. Breton analyse ensuite la représentation de l’identité chez d’autres peuples qui est toujours représentée par des liens, d’emblée insérée dans un continuum de transformations de la matière à travers la

succession des naissances et des morts selon des rapports complexes avec l’invisible (double, esprit, ancêtre, djinn, fétiche, force cosmique, réseau énergétique…) Chacun(e) naît en lien avec les mondes invisibles aux multiples connexions. Les tatouages et autres artefacts, construisent une figuration de forces donnant des identifications dans des dimensions cosmiques, ethniques, symboliques, généalogiques, sociales et opérationnelles. Le masque, la danse, la musique, la corporéité… participent à l’authentification des personnalités, selon des rites et rituels codifiés (par exemple des divinités de la nature ou des esprits « chevauchent » leur monture humaine entrée en transe, légitimant plus tard des rôles sociaux et des statuts dans leur communauté). En comparaison, le corps occidental apparaît dans la solitude de son individuation, plus orphelin que tout autre, coupé des liens fournis et complexes qu’entretiennent les diverses forces ou puissances qui habitent les vivants.

Cette problématique du corporel a longtemps constitué un point aveugle à l’entreprise anthropologique. C’est Marcel Mauss qui, le premier, a pensé qu’on ne pouvait pas comprendre le concept de « corps » sans faire le détour par le paradigme qu’il invente dans les années 1950 et qu’il nomme les « techniques du corps ». Mauss constate que les sociétés se distinguent par la façon dont leurs membres utilisent leur corps, et décrit différentes façons de marcher, nager, non seulement selon les ethnies mais aussi selon les générations. Il cite le fait que les Anglais et les Français ne pouvaient utiliser le même matériel –  les pelles  – pour creuser les tranchées durant la guerre de 14-18, tant leur capacité était dépendante d’un apprentissage « situé » et d’une cognition incarnée dirions-nous aujourd’hui. Ils ne pouvaient pas non plus défiler ensemble à l’armistice, les Anglais ne pouvant accorder leur pas sur les sonneries françaises. Mauss fait alors un premier bilan  : «  Je

savais bien que la marche, la nage, par exemple, toutes sortes de choses de ce type sont spécifiques à des sociétés déterminées ; que les Polynésiens ne nagent pas comme nous, que ma génération n’a pas nagé comme la génération actuelle nage…  » Il comprend que c’est ontologique et de première importance pour l’intelligibilité anthropologique. Il conclut que : « C’est le triple point de vue, celui de l’homme total, qui est nécessaire de comprendre… dans ses dimensions physique, anatomique, psychologique, sociologique.  » Mais cela ne lui suffit pas. Il analyse alors un fait plus «  primitif  », australien, une formule de rituel de chasse et rituel de course en même temps : « On sait que l’Australien arrive à forcer à la course les kangourous, les émous, les chiens sauvages. Il arrive à saisir l’opossum en haut de son arbre bien que l’animal offre une résistance particulière. Un de ces rituels de course, observé voici cent ans, est celui de la course au chien sauvage, le dingo, dans les tribus des environs d’Adélaïde. Le chasseur ne cesse pas de chanter la formule suivante  : “frappe-le avec la houppe de plumes d’aigle (d’initiation, etc.), frappe-le avec la ceinture, frappe-le avec le bandeau de tête, frappe-le avec le sang de la circoncision, frappe-le avec le sang du bras, frappe-le avec les menstrues de la femme, fais-le dormir”, etc. » Il questionne donc cette performance hors normes, et cherche à saisir l’effet de la confiance et de la croyance : « C’est la confiance, le momentum psychologique qui peut s’attacher à un acte qui est avant tout un fait de résistance biologique, obtenue grâce à des mots et à un objet magique.  » Il découvre alors que «  acte technique, acte physique, acte magico-religieux sont confondus pour l’agent  ». D’où sa célèbre conclusion  : «  Tous ces modes d’agir étaient des techniques, ce sont les Techniques du Corps. » (Mauss, 1950.) En 2018, nous poursuivions cette problématique en proposant à travers le concept de « pratiques de consciences » un renversement radical du mode spéculaire central en Occident, de sorte que le corps devient l’invisible de la conscience et s’efface devant l’action de pratiquer (Midol, Chenault, 2018). Les expériences vécues

appellent la conscience là où l’on y mettait le corps, soulignant que toute pratique motrice inclut des croyances, une technologie culturelle (Vigarello, 1991), pour construire un sentiment de réalité, une cognition. Mettre en jeu le corps pour travailler l’esprit ou la conscience (et réciproquement) prouve au moins l’indissociabilité corps-imaginaire-esprit-culture-environnement. C’est ce que ne prennent pas toujours en compte les neurosciences actuelles qui se focalisent sur l’interaction cerveau-conscience. D’ailleurs Stanislas Dehaene (2014) précise : « Aujourd’hui, seule la question de l’origine de la conscience semble être restée dans les limbes.  » Mais pourquoi l’origine de la conscience est-elle ce point aveugle des sciences  ? Michel Bitbol refuse de penser que c’est le cerveau qui crée la conscience. Il choisit de parler de la capacité des existants à créer du sens pour vivre. Winnicott fait de la conscience (1975) un processus qui s’élabore dans les interactions que le bébé entretient avec son environnement. D’abord incapable de se différencier d’avec le monde, le nourrisson découvre un espace transitionnel –  qui le relie et le sépare à la fois – d’avec sa mère ou son substitut. À  ce stade, il partage essentiellement des dialogues tonicoémotionnels (Ajurriaguerra, 1962) et bientôt y engage du sens. Dans sa niche écologique, il s’éveille à la vie communautaire, à sa culture, son langage, ses conventions, il fait des propositions et en reçoit en retour. C’est ainsi que les rôles et les statuts sont édifiés de façon floue et incertaine, discontinue, parfois aléatoire, mais toujours créative. C’est pourquoi on peut suivre l’idée de Vygotsky (1978) quand il pense que les phénomènes inter-psychiques se transforment en phénomènes intrapsychiques car les structures psychiques se forment à partir des fonctions mentales supérieures qui s’élaborent dans des conduites sémiotiques soumises à l’enfant qui reprend des sons, des rythmes, des mots, des phrases et accède à leur sens. C’est dans cet espace transactionnel que se constitue cette collaboration bio-sociale qui lui préexiste et à laquelle il s’ajuste. Ce processus mimétique et adaptatif nous permet d’interagir avec d’autres et participe à la construction de notre conscience probablement toute notre vie durant  ! D’ailleurs cette créativité a des effets jusque dans des processus épigénétiques qui

démentent en partie la «  fatalité  » des gènes dans les espèces vivantes. L’anthropologue britannique Tim Ingold suit la trame de cette dynamique de façon très pragmatique. Il pense qu’on n’a pas besoin de considérer l’esprit ou la conscience comme une strate de l’être située au-dessus de celle de la vie des organismes afin de rendre compte de leur implication créatrice dans le monde : « Je pense qu’il y a aujourd’hui un dragon parmi nous, et qu’il grandit dans de telles proportions qu’il devient de plus en plus difficile d’adopter un mode de vie durable. Ce dragon habite la rupture que nous avons créée entre le monde et notre imagination. Nous savons d’expérience que cette rupture n’est pas viable, mais nous refusons de reconnaître son existence car cela nous obligerait à remettre en cause la rationalité scientifique conventionnelle. J’estime que cette reconnaissance aurait dû avoir lieu depuis longtemps. Je pense que l’étude des ontologies indigènes pourrait nous aider à lire et à écrire autrement, et ainsi à prendre à nouveau conseil auprès des voix des sages et de celles du monde qui nous entoure, à écouter et à s’instruire de ce qu’elles nous disent, et à réparer la rupture entre l’être et la connaissance. Cette réparation doit être une première étape vers l’adoption d’un mode de vie plus durable.  » Ingold pose «  l’unité expressive  » de l’acte technique au sein de sa niche adaptative  : «  Quand l’éleveur de rennes lance un lasso, quand le moissonneur balance sa faux en chantant et dansant, quand le peintre dessine un mouvement avec son pinceau, ils mêlent indistinctement une aptitude corporelle, des anticipations rationnelles et des sentiments, sans que la cognition ne soit séparée d’avec les affects. Cette piste est donc ici réellement pragmatique dans la mesure où l’art et les artefacts sont considérés, non pas comme des supports de significations culturelles pour l’anthropologue, mais des objets qui font faire  » (Ingold, 2011, 29). Il poursuit sa réflexion aujourd’hui sur la manière dont «  le faire  » (doing) nous entraîne vers des explorations créatives, sur des voies de l’incertitude qui laissent ouvertes toutes les potentialités pour s’adapter aux nouvelles conditions de nos vies, dans un monde pluriel et mouvant

(Ingold, 2022). Ce saut dans l’incertain peut se concevoir d’autant plus aisément que Philippe Descola a structuré au préalable un cadre général des modes d’existence à partir de quatre métaphysiques qui nous font appartenir «  à l’univers dont nous ne pouvons nous dissocier » (2005).

Les quatre ontologies de Philippe Descola Descola (2005) définit quatre manières ou ontologies par lesquelles les humains ont pensé le monde et leur place dans le monde. Une ontologie est un système de « distribution de propriétés » à tel ou tel existant  : objets, plantes, animaux, éléments. Il formalise les relations entre les existants en éclairant les rapports entre intériorité et physicalité  : l’intériorité est ce qui donne animation à la conscience à la chose vivante, on la connaît par ses effets et on peut ou non la déceler chez des existants non humains. La physicalité, c’est la dimension matérielle, organique des existants humains et non humains  : la forme extérieure, les fonctions biologiques…

Dans l’animisme, humains et non-humains partagent l’intériorité ou la conscience, mais leur apparence les différencie. Descola explique que chez les Jivaros Achuar, les femmes se considèrent comme les mères des légumes qu’elles cultivent, les hommes les beaux-frères des animaux qu’ils chassent. Le chamanisme est le propre de l’ontologie animiste où les animaux, plantes, objets partagent une intériorité semblable, mais ils se différencient dans leurs formes. Le chamane pourra accéder à l’esprit de la plante et éprouver l’antériorité de l’ancêtre végétal, il saura en écouter le message, l’utiliser ou le transmettre (Baud, Midol, 2009). Un chamane sibérien peut convoquer l’esprit ours dans certains rituels pour en acquérir les compétences. Il s’aide de

masques, peintures, habits ou autres artefacts faisant apparaître ses esprits auxiliaires ou les esprits des défunts, figurant la transmutation existentielle dans le monde de l’invisible. Les rituels sont saturés de sensorialités diverses, invitant sons et musiques, compositions de nature, odeurs et parfums, fumées et breuvages… pour côtoyer le chaos afin de retrouver l’équilibre du monde un temps perturbé.

L’ontologie totémique est différente, en ce que humains et nonhumains partagent une même origine, descendent d’un même ancêtre, qui leur donne par hérédité des qualités communes (la vigilance, la rapidité, la concentration,  etc.). Ces visions sont très compatibles avec les visions darwiniennes de l’évolution des espèces. Le totémisme souligne la continuité matérielle et morale entre humains et non-humains par des récits de fondation qui expliquent les distributions de propriétés identiques. Un noyau de qualités caractérise la classe dont elle est issue  : en Australie, les aborigènes situent « l’intentionnalité de l’esprit au cœur même de la matière, là où l’homme rejoint non seulement toutes les formes de vie, mais aussi le minéral, l’eau, le vent, le feu ou les étoiles  » (Glowczewski, 2004, 33). Au temps du rêve, des entités hybrides sont sorties à la surface de la terre et ont parcouru des lieux bien identifiés qu’on peut repérer à cause des actions qu’ils y ont faites et qui ont façonné le milieu, laissant des traces ou bien en se métamorphosant pour rester dans le paysage faisant les rivières, les chaos rocheux, les buissons, les lacs, etc. Avant de disparaître, ils ont laissé des âmes-enfants, des semences d’individuation qui s’incorporent dans les êtres vivants selon des qualités morales qui s’actualisent à chaque génération par des manifestations identiques relatives au noyau des propriétés fondamentales partagées par un clan totémique : qualité de comportement comme vif ou lent, plat ou arrondi, dure ou souple,  etc., tout existant peut être ainsi qualifié. Les noms des animaux sont d’ailleurs des épithètes qui désignent

des qualités : l’attentif, le vigilant… Ces appartenances régissent la vie législative des communautés.

L’analogisme est la correspondance entre le macrocosme (cosmos) et le microcosme (êtres vivants). Tous sont traversés par les mêmes lignes de forces à l’origine de ce qui est. La nature étant «  ce qui est  », l’humain en fait donc partie. C’est ce système qui gouverne d’énormes ensembles comme la Chine ou l’Inde, mais aussi les peuples aztèques ou ceux de l’Europe jusqu’au Moyen Âge. Le corps – ou plutôt le vivant – est un microcosme qui fonctionne sur le modèle du cosmos, en relation et en interaction avec le macrocosme. Dans l’alchimie taoïste, divers modèles cosmologiques sont appliqués au corps humain comme en témoigne Catherine Despeux  : «  Le corps devient un petit univers dans lequel on retrouve le ciel et la terre, le Soleil et la Lune, les astres, les monts et les vallées, les rivières et les océans, le vent, les nuages, la pluie, la rosée, la neige  » (2017, 12). Cela implique un outillage conceptuel particulier pour une science qui synthétise une multiplicité d’éléments, d’événements et de mouvements, qui éclaire des rythmes, des espaces, des rapports d’équilibre/déséquilibre  : une science des interactions et de la transformation. Une des expériences fondamentales du corps est de retrouver cet état du Un, de l’unité quand le corps et le cosmos se confondaient. Le Tao, et notamment le Tao alchimiste, a pour seul objectif le retour à l’origine. Il est difficile pour un Occidental de comprendre ce que signifie «  corps-santé  » en chinois car il lui manque le background pictographique, historique et langagier pour appréhender la logique de la pensée chinoise qui est une pensée de mise en relation d’images et de mouvements  : pour dire «  paysage  », on dit «  montagne et eau  », shanshui ou shanchuan (Jullien, 2003). Le corps traduit la dialectique des énergies cosmiques yin et yang  : yang (principe solaire, actif, masculin), yin (ombre, état, féminin).

Pour définir le corps dans ses aspects fonctionnels, il faut concevoir l’effet de ces énergies opposées et complémentaires sur son développement. Yin et yang sont chacun la condition d’existence de l’autre. Il n’y a pas de yin sans yang et pas de yang sans yin. Ils régulent l’équilibre du corps en fonction des cycles jour/nuit, des saisons, des cycles annuels, des cycles lunaires et des cycles évoluant sur soixante ans. Ces deux formes d’énergies accompagnent le corps à chaque instant, et la personne et la collectivité doivent savoir les maintenir en harmonie avec l’extérieur. Ainsi le matin, l’énergie yang s’éveille et progresse jusque dans le milieu de la journée, puis commence à diminuer jusqu’au milieu de la nuit quand le yin est à son maximum. La vie du corps se régule et s’ajuste à chaque instant sur ces mouvements énergétiques pour rester en harmonie avec l’univers. Comme la nature, le corps a une vie cyclique dans laquelle les mouvements du yin et du yang sont en relation non seulement avec le temps, mais aussi avec des qualités matérielles qui sont contenues dans toutes les choses. On les appelle les cinq éléments (Bois, Feu, Terre, Métal et Eau). Leurs qualités énergétiques entrent dans un jeu de correspondances entre les esprits des organes du corps et des éléments de la nature. Autant dire que le corps est dans une dynamique toujours en mouvement et en transformation  : «  Souffler, expirer et inspirer, rejeter l’air usé et en absorber du frais, s’étirer à la manière de l’ours ou de l’oiseau qui déploie ses ailes ne vise qu’à la longévité. C’est ce qui est prisé de l’adepte qui s’efforce de guider et induire l’énergie de l’homme qui veut nourrir son corps-santé… » Mais la philosophie profonde du Tao n’est pas de retenir la vie, seulement de bien la vivre, car «  tout est déclin et croissance, plénitude et vide, tout ne finit que pour recommencer » (Cheng, 1997, 137).

L’ontologie naturaliste définit l’Occident classique où l’humain se différencie des êtres et des choses par le fait qu’il est le seul à posséder une intériorité. Figuration naturaliste  : inverse de

l’animisme, ce n’est pas par leur corps que les humains se différencient mais par leur esprit. Mouvement historique qui voit naître une tension entre l’intériorité et la physicalité qui tend vers l’universalité de la conscience comme mécanisme neurologique exclusivement humain. Cette modalité singulière à l’Occident n’est pas indépendante d’a  priori imaginaires, que Pierre Fédida appelle à juste titre des métaphysiques. En voulant élaborer une métapsychologie du somatique, il met en évidence que la tradition d’une science et d’une technique dans la culture des sociétés occidentales s’est faite sous la condition d’une abstraction du corps  : «  Exclu de son corps, l’homme est, à raison même d’un cogito, exclu du monde et de l’histoire  » (1977, 82). La modernité fut à ce prix. Elle s’est développée à partir du xvie  siècle dans le monde chrétien. Fédida insiste sur la triple exclusion de l’être, exclu de son corps, du monde et de l’histoire, qui désignerait «  la portée idéologique de notre humanisme moderne  ». Cette exclusion, cette abstraction (abstrahere =  «  tirer hors de  ») rend impossible de fonder l’objectivité autrement que par la physique et la mathématique. L’exclusion du corps, Fédida la formule ainsi  : «  À  partir de Descartes, exister, c’est exister comme conscience, pure intériorité de l’acte réflexif –  ou comme objet  – ouverture de l’étendue sans mystère –  partes extra partes  » (1977, 83). L’exclusion du monde, nous la comprenons de façon anthropologique comme la rupture avec la nature, qui acquiert une matérialité d’objets au regard de la technique qui les transforme (devenir maître et possesseur de la nature selon la formule de Descartes est diamétralement opposé à la définition chinoise de la nature qui signifie ce qui existe par soimême !). Quant à la coupure avec l’histoire, peut-on la comprendre comme la répétition des ruptures qui jalonnent l’histoire de la civilisation européenne, portant discrédit sur les mœurs et mentalités dont on se sépare pour se tourner vers l’espoir messianique de nouvelles utopies  ? Ainsi on passe par le discrédit de la culture païenne au Moyen Âge chrétien, dont l’obscurantisme fut tourné en dérision à partir de la Renaissance, comme le Baroque le fut par les

Lumières… On passe aussi du discrédit de la pensée populaire à la valorisation de la pensée théologique d’abord, puis de la pensée savante et scientifique… jusqu’à saturer nos modes d’existence d’économie et de technologie. Mais la rupture avec l’histoire la plus radicale fut celle qui consista à barrer l’accès aux racines originaires que les peuples entretenaient en commerçant avec les esprits de leurs ancêtres. Cet interdit chrétien ouvrit la porte aux tabula rasa successives de la modernité. Ainsi, libérée de tous ces liens avec le corps, avec la nature et avec le continuum générationnel, la pensée moderne pouvait concevoir la vie circonscrite entre une naissance et une mort pour développer un modèle biologique d’une machine organique à faire fonctionner. Cette conception fut strictement européenne.

Conclusion : le besoin de sens Ces quatre ontologies planétaires ont l’avantage de nous proposer un système classificatoire éclairant les logiques du monde mais elles ne sont pas étanches. Les chamanes ont assimilé la mentalité des Occidentaux et parlent neurosciences pendant que des anthropologues comme Bertrand Hell plaident pour une conception animiste : « Pour l’heure nous sommes encore frappés de cécité en ce qui concerne les extraordinaires interactions existant entre les humains et le vent, le tonnerre, les plantes, la pluie… ou avec les animaux de la forêt dont les esprits peuvent venir danser et chanter si merveilleusement  » (2012). Cette interprétation du monde est d’ailleurs partagée par toutes les grandes spiritualités. Jean During dit des grands initiés, qu’ils entendent les sons subtils émis par les pierres, les arbres, les planètes… qu’ils savent se mettre en résonance ou en synchronie avec le monde qui les entoure. Cette façon de naître à l’existence par l’entendement semble une source inaltérable de bonheur (1988)  ! Nous la convoitons. D’où la quête actuelle pour les traditions spirituelles qui incluent de surcroît un volet thérapeutique, une assurance de longue vie et une sauvegarde du vivant sur la planète. Cela permet à Jeremy Rifkin (2010) de

parler de l’avènement d’une civilisation mondiale empathique, tournée vers la Nature et l’écologie, le respect des cultures et des minorités. Oui l’espèce humaine a besoin de donner du sens à sa vie pour survivre !

Chapitre 16 Aspects psychologiques associés aux ECM et aux transes

Antoine Bioy Les états de conscience non ordinaires peuvent relever à la fois du banal (des formes discrètes accompagnent notre quotidien) et de l’exceptionnel (lorsqu’ils sont fréquents et intenses, par exemple). Comme nous l’avons vu, la définition est difficile d’autant qu’elle peut concerner autant des phénomènes spontanés que des phénomènes provoqués (par la prise de substances, des pratiques touchant au lien corps/esprit, ou l’utilisation d’objets connectés) dans le cadre de moments et contextes plus ou moins ritualisés. Nous abordons dans ce chapitre des notions psychologiques qui interviennent dans ces processus, pour arriver à la question du changement et de ce qui peut le stimuler.

Aspects développementaux Nous ne faisons ici que baliser quelques points de repère, puisque ces aspects sont repris dans un chapitre ultérieur. Ce que l’on nomme développement renvoie à l’apprentissage de compétences, ressources et capacités chez l’humain, de manière progressive. L’ensemble des courants qui s’intéressent à cette question s’entendent pour dire que les processus qui permettent ces apprentissages successifs répondent à trois exigences  : une complexité croissante, la nécessité d’une différenciation de plus en plus marquée (soi/non soi…) et un besoin d’intégration pour s’adapter aux exigences d’une existence dans son écosystème (au

sens large  : environnement, famille, cadre sociétal,  etc.). Ces processus sont évidemment complexes et pluriels, de nature neurobiologique, cognitive, relationnelle, affective, spirituelle… L’hypothèse que poursuivent les chercheurs est de considérer que les états de conscience modifiés non seulement accompagnent mais aussi facilitent les apprentissages dont il est question. Ils seraient de ce fait de véritables aidants au développement humain. Ainsi, chez le nourrisson, Gopnik (2009) explique que le bébé passe d’une «  attention lanterne  » (large et indifférenciée) à une attention « de projecteur » (plus focalisée et contrôlée). Il peut ainsi jouer avec une certaine intensité d’expérience (plus importante dans l’attention lanterne) et sans doute aussi commencer à apprivoiser la question de la maîtrise sur un environnement mouvant1. Cette compétence à passer d’un mode de conscience à l’autre ne quittera plus la personne par la suite. Au fil de son évolution, le nourrisson puis l’enfant font l’expérience de capacités d’éveil et par là même d’intenses émotions accompagnatrices (assimilées à des ECM)  : joie, colère, surprise, frustration… Cet enfant développe également une sensibilité aux états émotionnels, sans doute en lien avec l’apprentissage par mimétisme (certains auteurs parlent de contagion émotionnelle). Là sont les racines de l’empathie et aussi de la dynamique des processus d’attachement (voir notamment à ce propos les écrits de John Bowlby, Daniel Stern…). Des expériences partielles ou vécues difficilement font le lit de troubles plus tardifs comme l’anxiété sociale ou des états dit «  proto-dissociatifs  » (Silberg et Dallam, 2009). Enfin, toujours dans ce « devenir enfant », les capacités de mentalisation2 se développent  : le raisonnement, l’imaginaire, l’accès au symbolique… qui sont des ingrédients importants quant aux expériences en conscience modifiée à venir ou pour « faire vivre » des expériences fortes en lien par exemple avec la lecture d’un conte, un vécu hypnotique, ou des rites religieux. Il y a sans doute là un lien avec l’une des dimensions importantes chez l’ancien enfant qu’est l’adolescent  : la capacité d’individuation et la cristallisation d’états de conscience modifiés qui peuvent concerner les expériences unitives et mystiques (Wulff, 2000  ;

James, 1902), des expériences optimales/de flow (Csikszentmihalyi, 1990-2004) ou encore des expériences paroxystiques (Maslow, 1962). Elles peuvent être d’expressions diverses comme dans le domaine de la créativité artistique, des activités sportives… La « peak experience » de Maslow

Maslow (1962) propose les caractéristiques suivantes pour décrire une «  peak experience » chez une personne : ● la perte de jugement du temps et de l’espace ; ● le sentiment d’être un moi entier et harmonieux, sans dissociation ni conflit intérieur ; ● le sentiment d’utiliser toutes les capacités et aptitudes à leur plus haut potentiel, ou d’être « en pleine possession de ses moyens » ; ● le fait de fonctionner sans effort et facilement, sans contrainte ni lutte ; ● le sentiment d’être totalement responsable de ses perceptions et de son comportement. Utilisation de l’autodétermination pour devenir plus fort, plus déterminé et pleinement volontaire ; ● l’absence d’inhibition, de peur, de doute et d’autocritique ; ● la spontanéité, l’expressivité et un comportement naturellement fluide qui n’est pas contraint par la conformité ; ● un esprit libre, flexible et ouvert aux pensées et aux idées créatives ; ● une pleine conscience du moment présent, sans influence des expériences passées ou futures ; ● une sensation physique de chaleur, accompagnée d’une sensation de vibrations agréables émanant de la région du cœur vers les membres. On note la grande proximité entre ces caractéristiques et d’autres phénomènes (comme le flow). Il est très habituel dans le thème qui nous occupe ici d’avoir des auteurs décrivant des choses proches, sous des appellations différentes.

L’adolescent va par ailleurs diversifier les contextes où des ECM et états de transe peuvent être ressentis  : sexualité, produits stupéfiants, activités avec une dimension de risque plus grande, cadre musical (rave parties, concerts et festivals de musique…). Les éprouvés émotionnels sont volontiers intenses (moments vécus avec passion ou sur un versant démesurément dramatique…). Les moments de dissociations ne sont pas inhabituels (vécus de dépersonnalisation, de déréalisation, d’amnésie sélective…). Certaines manifestations psychopathologiques sont parfois

l’occasion d’éprouvés singuliers, particulièrement lorsqu’ils touchent au corps : automutilations, anorexie mentale… À  l’âge adulte, l’hétérogénéité des vécus non ordinaires de conscience voire des transes est très important et finalement très « personne dépendante ». Avec le grand âge viennent les possibles processus d’involution, jusqu’aux démences, qui rendent parfois flous notamment les moments de transe « ordinaire » en réponse à un contexte et les moments plus à la lisière de la détérioration neurologique. Citons l’intéressant concept de gérontotranscendance (Tornstam, 1997) qui se caractérise par un éloignement d’une vision matérialiste du monde pour aller vers une approche plus spirituelle (transcendante). Cette gérontotranscendance favoriserait selon l’auteur un développement favorable des toutes dernières étapes de la vie, et notamment une plus grande satisfaction ressentie. Notamment Khalid (2006) affirme et argumente le lien entre spiritualité et vieillissement.

Du contexte à la conscience en soi Nous pourrions schématiser l’avènement d’un ECM voire d’une transe en considérant le contexte tangible, les éléments propres à l’individu (dont les données développementales que nous venons d’évoquer), et le contexte tel que vécu : ● Le contexte tangible concerne le lieu et le moment, si l’expérience se déroule dans un environnement individuel ou avec la présence d’autres (foule, groupe thérapeutique…) et le cas échéant, la structure proposée de la pratique menée – autrement dit, les règles, le déroulé,  etc. (par exemple d’une pratique de yoga, d’hypnose, de respiration holotropique, de psychothérapies médiées par la réalité virtuelle, etc.). ● Les éléments propres à l’individu concernent principalement les champs suivants  : corps/perception  ; motivation/intention  ; attentes/croyances  ; compétences/entraînements  ; et le trio attention/mémoire/émotions.



Le contexte tel que vécu est – sans surprise – la manière dont une personne vit la situation : de façon agie ou subie, la qualité des liens relationnels le cas échéant, l’intensité de l’événement, la durée ressentie, etc.

Ainsi, les facteurs individuels apparaissent comme des «  filtres  » entre le contexte et le vécu. Comme on peut le lire, ces éléments ne sont pas tous en lien avec le moment considéré. Par exemple, les attentes influencent grandement la nature de ce qui va se produire. Si la personne a déjà expérimenté des pratiques de transes, qu’elle s’inscrit à une initiation parce qu’elle a de la curiosité pour la pratique en question et que le facilitateur jouit d’une aura positive, il y a toutes les chances que – même si la pratique était farfelue ou mal menée – un ressenti singulier émerge et même de façon intense. Notamment dans le domaine «  psi3  », même si ces facteurs de «  mise en condition  » n’expliquent pas l’ensemble des phénomènes, il a été largement démontré qu’ils pouvaient à eux seuls expliquer certains vécus en l’absence d’autres critères. Autrement dit, même à considérer la pratique la plus intense et décalée possible, les données individuelles vont «  filtrer  » le contexte et l’influencer, au même titre par exemple que la nature des inductions de transe qui seront employées. Plus que cela, il restera toujours ce que l’on nomme parfois «  Soi corporel  », c’est-à-dire ce qu’une personne perçoit de sa façon d’être, de ses ressentis internes, de la continuité ou discontinuité de ce qu’elle perçoit d’elle. Autrement dit, tout ECM –  dont les transes  – sont des vécus corporels (perceptions/sensations/représentations) qui rompent la continuité dans la conscience de soi ressentie «  dans sa chair  », et dans un contexte donné. Pour autant, le soi corporel (notre corps en mouvement, en perception et en émotion) va travailler pour que subsiste une forme de structure à l’expérience, à en dégager en tout cas une forme de continuité voire de sens malgré tout4. Les perceptions sont les informations « brutes » fournies par nos sens. La sensation est l’appropriation que l’on en fait et la représentation est ce qui émerge de ce chemin. Par exemple, j’ai les yeux bandés et la paume de ma main perçoit l’apparition brutale d’une baisse de température localisée à l’appui d’un objet, la

sensation qui en résulte est celle du froid (puis d’une forme d’engourdissement). La représentation peut par exemple être celle d’un glaçon.

C’est au niveau de la sensorialité que la rupture survient, et que l’état de conscience modifié va naître. On parle alors de dissociation, la conscience de soi venant de se modifier. En quelques mots, l’engagement perceptif va être majoritairement par sous-parties, comme si une forme d’unité, de mises en lien, devenait plus difficile voire illusoire. Cela, avec un mouvement général de baisse du niveau de contrôle (voire sa disparition, jusqu’à l’apparition de manifestations vécues comme parfaitement automatiques). Les émotions participent de ce mouvement (une intensité émotionnelle forte pouvant même provoquer la rupture perceptive) mais elles vont surtout intervenir dans la question de l’intégration de l’expérience et aussi dans les processus de changement. Une émotion est par nature composite. Elle est à la fois corporelle, cognitive, comportementale, individuelle tout en étant prise dans un système relationnel, et les ressentis associés mêlent données objectives et subjectives. Ce que l’on retrouve dans les vécus d’ECM sont plutôt des émotions intenses et aussi le fait que lorsqu’il existe un vécu émotionnel confus, ou qui semble sans objet, alors le ressenti est pénible pour la personne. Contrairement à une croyance répandue, les ECM et particulièrement les états de transe ne mènent pas toujours à des vécus émotionnellement positifs. Si cela est plutôt vrai par exemple pour des expériences mystiques ou des expériences de mort imminente, cela n’est pas exact lorsque l’état antérieur est compliqué (se lancer dans une autohypnose alors que l’on est « cafardeux ») ou que l’expérience est subie avec une altération de la réalité dans un contexte pathologique (automatisme mental, par exemple).

De la désagrégation à la dissociation Le terme «  dissociation » est d’abord utilisé par Benjamin Rush en 1812, l’auteur de la première classification américaine des maladies mentales. Ce terme est pour lui un simple synonyme de la démence, une affection dégénérative et définitive qu’il classe dans les dérangements intellectuels au chapitre « folie générale ». Il n’en fera rien d’autre, et nous sommes donc assez loin du contenu qui sera donné à ce terme par la suite. Cette suite précisément, elle se passe

en France en 1845, avec le docteur Moreau de Tours qui utilise le terme « dissociation » pour décrire les effets du « chanvre indien » (hachisch), dont la consommation est pour lui une méthode d’exploration du psychisme humain (il créera d’ailleurs le « club des hachichins  », fréquenté notamment par Baudelaire, Delacroix, Flaubert, Balzac…). Janet s’empare du terme pour le faire basculer dans la psychopathologie, et l’assimile aux moments où les fonctions mentales se compartimentent comme dans certaines manifestations hystériques, même s’il ne l’enferme pas totalement dans ce champ5. Ainsi, sous le coup d’une forte émotion par exemple, le psychisme n’arrive plus à mener son activité de synthèse et se dissocie des pensées et des comportements, créant un état de «  misère psychologique » (une « faiblesse morale »). Janet décrit également le processus dissociatif dans le trauma, y voyant un symptôme là où Freud et Breuer y verront plus un mécanisme de défense (mettre à distance les conflits traumatiques). Bleuler, inspiré par Janet, finira d’enfermer le concept dans la psychopathologie pour le définir comme une fragmentation des fonctions mentales rencontrée notamment dans la schizophrénie (donnant lieu au mythe populaire qu’être schizophrène, c’est avoir une « double personnalité »). Et aujourd’hui encore, cette notion reste attachée au monde de la pathologie puisque, lorsque l’on parle «  dissociation  », ce qui est immédiatement retenu est le « trouble dissociatif ». Cette restriction brutale ne va pourtant pas de soi. Ainsi, Cardeña (1994) note que le terme « dissociation » peut avoir trois sens distincts : ● celui d’un état de conscience qui se trouve modifié de type « absorption », qui va du normal au pathologique, du temporaire au chronique (allant de l’écoute machinale d’une discussion dont on ne retient rien, aux processus de sidération) ; ● celui d’une fragmentation de la personnalité (les processus psychiques sont compartimentés). Cette conception est dans la lignée de Janet, et elle est défendue actuellement par Onno Van der Hart dans le champ du psychotraumatisme, où il parle d’une dissociation entre une partie normale et la partie émotionnelle de la personnalité, porteuse du noyau traumatique, qui n’est



plus soumise au contrôle volontaire, donnant lieu aux signes cliniques de la dissociation ; celui d’une modalité adaptative ou défensive à un événement extraordinaire.

Il est cependant à noter que si la seconde conception fait clairement référence à la psychopathologie, il en est de même pour la première et la dernière. En effet, même en situation de dissociation normale, on parle de processus de dépersonnalisation. Et lorsqu’on parle de la dissociation comme modalité adaptative, ce n’est qu’au regard d’un événement effractant voire au potentiel traumatique (accident de la route, agression physique/sexuelle, etc.). Et si nous essayons maintenant de ne pas psychopathologiser d’emblée la dissociation, de ne plus la voir comme un processus d’emblée anormal et déviant ? Les recherches qui ont conduit à l’identification du phénomène de dissociation par Pierre Janet ont été menées à l’hôpital du  Havre de février  1883 à juillet  1889. Pendant ces six années, Janet a étudié dix-neuf patientes diagnostiquées hystériques (Ellenberger, 1970-1994), mais c’est surtout à partir de quatre d’entre elles qu’il va formuler des conclusions, dont trois (Léonie, Lucie et Marie) manifestaient des personnalités multiples. L’essentiel de ses études sur le somnambulisme et les hystéries a été rapporté dans trois articles de la Revue philosophique (1886, 1887, 1888) et dans sa thèse de doctorat, L’automatisme psychologique (1889). Pour lui, la dissociation se produit lorsque les processus mentaux qui normalement fonctionnent ensemble de manière intégrée se séparent et fonctionnent de manière indépendante les uns des autres. Plus précisément, Janet a défini la dissociation comme un phénomène dans lequel certaines parties de la conscience, de la mémoire, de l’identité ou de la perception sont isolées de l’ensemble de l’expérience mentale. En d’autres termes, la dissociation se produit lorsqu’il y a une rupture dans l’unité normale de l’expérience mentale, ce qui peut donner lieu à différents états dissociés de la conscience, de la mémoire et de la perception. Janet a également noté que la dissociation peut être un mécanisme de défense psychologique qui se produit en réponse à un stress ou un traumatisme, et qui permet à la personne de maintenir une certaine stabilité psychologique en séparant les aspects de son expérience qui sont trop difficiles à intégrer. Janet définit aussi ce qu’il nomme « co-conscience », une forme de dissociation qui se produit lorsque deux ou plusieurs parties de la personnalité d’une personne sont conscientes simultanément. Janet a observé que, dans certains cas de dissociation, la personnalité de base peut coexister avec une ou plusieurs personnalités dissociées qui sont conscientes de leur propre existence et peuvent même communiquer avec la personnalité de base. Dans de tels cas, chaque personnalité dissociée peut avoir ses

propres pensées, sentiments et souvenirs, et peut émerger pour prendre le contrôle de la personne à des moments différents (comme dans les troubles dissociatifs de l’identité).

Une dissociation normale est-elle possible ? Commençons par définir le plus simple  : la dissociation pathologique. Elle consiste en une perturbation partielle ou totale du fonctionnement psychologique d’une personne en lien avec le processus d’intégration de l’expérience de soi, du monde et de l’interaction soi/monde. La dissociation pathologique est le plus souvent consciente et inattendue (mais de façon plus rare peut donner lieu à des formes d’amnésie et se produire en partie inconsciemment). Elle est difficile à décrire par la personne y compris dans ses suites, d’autant qu’elle peut toucher plusieurs données construisant l’expérience de soi  : corporalité, agentivité, intentionnalité, pensée, attention, mémoire, émotions et sentiments… Elle se manifeste par l’apparition d’un « il/elle » à partir de données qui sont normalement unifiées. Par exemple, le fait de considérer son corps comme étranger ou ennemi pour une part, dans le cas de pathologies somatiques chroniques ou encore l’impression d’une attention transitoirement absorbée par un paysage ou une tâche. Lorsqu’elle est perçue comme une modulation soudaine et intrusive dans la façon d’être et de réagir, alors elle transforme l’état de conscience modifié qu’elle sous-tend en phénomène de transe. Les symptômes sont alors ceux d’une dépersonnalisation, d’une déréalisation, de subir le contrôle d’un tiers. Mais qu’en est-il de la dissociation normale ? À partir des années 1960, on assiste à un élargissement du concept de dissociation qui commence à être appliqué à des expériences qui n’étaient pas liées à des «  divisions de la conscience  » ou « divisions de la personnalité ». Le concept commence à inclure un continuum de phénomènes qui s’étend des expériences normales (par exemple, le rêve éveillé, la transe hypnotique) aux expériences clairement pathologiques (par exemple, la personnalité multiple). Le

point crucial est que l’origine de l’expérience est comprise comme un échec de l’encodage de l’information. Faisant écho aux travaux de F.  Myers au xixe  siècle, cette vision de la dissociation soutient que les expériences dissociatives ne sont ni le domaine exclusif du monde clinique, ni limitées aux symptômes. Actuellement, il est même possible d’aller plus loin et de défendre l’idée que la dissociation est un processus non seulement inné et universel, et même plus que cela  : qu’elle est nécessaire au développement humain (comme nous l’avons vu au début de ce chapitre). Nous ne donnerons ici qu’un exemple, le fait qu’il ne peut y avoir d’apprentissage sans dissociation, puisque cela implique l’attention (un mouvement cérébral sélectif et mouvant), l’engagement actif (anticiper une réalisation, visualiser les actions, alterner savoirs et tests,  etc.), la capacité à jongler avec pensées, émotions et comportements,  etc. Et bien entendu, notre cerveau suit le mouvement en activant et désactivant les réseaux neuronaux au fil des apprentissages successifs, impliquant la dissociation. Ainsi, pas d’apprentissage de la lecture, de la course, du piano, de la cuisine… sans dissociation, autrement dit, sans approcher et répéter jusqu’à rendre automatique une dissociation temporaire entre pensées, émotions et comportements pour apprendre puis mettre en œuvre ces compétences dans un processus dynamique et évolutif. «  L’hypnose est aussi une situation d’apprentissage et la répétition de procédures telles que l’entrée dans l’hypnose profonde aura donc pour vertu d’intérioriser les processus activés pour le travail thérapeutique. Pas d’apprentissage hypnotique sans dissociation, pas d’apprentissage installé en hypnose profonde sans répétition de la procédure ! » (Bioy et Goldschmidt, 2022.)

Nous parlons bien de « dissociation » et non de « trouble dissociatif transitoire » ; ce mouvement d’apprentissage est par nature fluide et universel. Pour autant, loin de nous l’envie de nier que la dissociation puisse devenir pathologique. Comme pour tout processus normal lorsqu’il devient excessif, chronique, et/ou qu’il dévie d’une expression normativement convenable pour l’individu, le risque pathologique est là. On peut ainsi retenir que la dissociation, qu’elle soit subie ou agie, transitoire ou pérenne, normale ou

pathologique, apparaît avant tout comme un phénomène mental, produit de la conscience, pouvant être exprimé et expérimenté par tous et donnant lieu à un vécu typique (dimension expérientielle). Par ailleurs, la dissociation est à la fois un état et une capacité. Cette capacité peut être : ● positive dans un contexte positif  ; l’exemple de l’apprentissage que nous avons donné ; ● positive dans un contexte négatif  ; comme le montrent les travaux sur la capacité à s’extraire d’un événement violent pour se protéger de ce dernier ; ● négative dans un contexte négatif  ; il s’agit en fait du prolongement du point précédent où par exemple les études sur la triade attachement/épisodes traumatiques/dissociation montrent que ce dernier mécanisme, présent comme recours chez les enfants en situation de carence relationnelle, crée des brèches faisant le lit de possibles psychopathologies. En fait, on peut dire que la littérature semble indiquer que la dissociation normale est une réponse commune et le plus souvent transitoire, légère ou même positive dans ses effets, et finalement peu liée à l’occurrence d’une pathologie ou à une forme de comorbidité. À  l’inverse, la dissociation pathologique est négative dans ses effets, fortement liée au traumatisme et à la pathologie. Ce qui n’est pas clair est la question de l’absorption. Elle semble être un facteur « navigant » entre le normal et le pathologique. Dans les années  1960, plusieurs scientifiques ont cherché à développer une mesure de l’hypnotisabilité basée sur des expériences de type hypnotique dans la vie quotidienne  : le Questionnaire des Expériences Personnelles (Shor, 1960), l’Inventaire des Expériences (Ås, 1963), et l’Inventaire des Caractéristiques Hypnotiques (LeeTeng, 1965). Au début des années  1970, le psychologue Auke Tellegen s’est joint à l’effort et a élaboré un questionnaire de recherche de soixante et onze items (quarante-huit items provenant d’instruments précédents et vingt-trois nouveaux). Tellegen a nommé son facteur principal «  Ouverture aux expériences absorbantes et aidantes  » ou plus simplement «  Absorption  », qui

correspond selon lui à un type particulier d’attention qui oblige à un engagement complet des ressources perceptives, motrices, imaginatives et idéationnelles disponibles (Tellegen et Atkinson, 1974). Tellegen a conclu par ailleurs que l’absorption était une composante essentielle de l’hypnotisabilité  ; Spiegel (1990) exprimera son accord avec cela, considérant que l’absorption comme l’une des trois composantes de base de l’hypnotisabilité (avec la suggestion et la dissociation). Il existe de nombreux débats pour savoir si l’absorption est une compétence normale ou pathologique, à intégrer ou à extraire totalement de la dissociation. Allen et collaborateurs (1997) ont sans doute été parmi ceux qui ont fait les travaux les plus éclairants sur ces points. Bien qu’ils soutiennent que l’absorption est un aspect essentiel de la dissociation normale, ils montrent qu’elle est aussi un aspect essentiel de la dissociation pathologique. En effet, lorsque l’absorption est extrême, elle «  détache  » le sujet de tout autre aspect de son expérience, comme dans les tableaux cliniques de dissociation sévère avec dépersonnalisation et déréalisation. Allen insiste sur trois points concernant l’absorption dans des tableaux pathologiques sévères : ● Contrairement à l’absorption dans une série par exemple, l’absorption est ici «  vide  », sans contenu. Allen note que ces patients se plaignent d’avoir l’impression d’être dans l’espace, d’être dans le brouillard, d’être irréels, parties,  etc. Il appelle cela le « vide dissociatif ». ● Le recours répété à l’absorption peut devenir inconscient ou automatique  ; les patients décrivent alors un mécanisme sur lequel ils n’ont plus du tout d’influence. ● Le détachement dans un contexte pathologique produit des trous de mémoire qui ne sont pas réversibles y compris par des techniques ad hoc. Il nomme «  dissociation de contexte  » le cadre qui entrave le stockage en mémoire de l’expérience vécue. Il s’agit par exemple des patients qui ne se souviennent pas de s’être vêtus, d’être passés dans un magasin, d’avoir tenu une conversation avec une personne, etc.

La distinction entre la dissociation normale et pathologique n’est pas nécessairement une différence de nature. Au contraire, il est possible que la différence entre la dissociation normale et pathologique dépende simplement de la manière dont les mécanismes dissociatifs sont utilisés. L’utilisation de l’amnésie pour oublier temporairement ou définitivement un épisode de maltraitance par une personne proche peut être opérante, tant qu’elle ne porte pas atteinte à la capacité de la personne à fonctionner globalement ; mais elle peut aussi altérer dangereusement les repères permettant de savoir si l’on est ou non en danger (physiquement, psychologiquement, moralement). Également, un processus tel que l’absorption peut être un outil efficace de régulation des émotions à court terme et notamment des émotions négatives et effractantes. Mais si ce processus devient un recours réflexe, il fera le lit de dysrégulations émotionnelles. Derniers exemples, les processus qui altèrent le lien entre le corps et le soi (jusqu’à des tableaux de dépersonnalisation) sont présents chez les personnes souffrant de douleurs chroniques (Bioy et Lignier, 2022), et peuvent permettre un soulagement temporaire ou même permanent face aux épisodes algiques devenus insupportables. Mais cela peut aussi complexifier de façon importante les accompagnements thérapeutiques, la dissociation pouvant accentuer et figer les difficultés identitaires amorcées par la douleur elle-même.

De la désagrégation vers la question du changement Les processus de changement sont «  l’identification, la description, l’explication et la prédiction des effets des processus qui causent le changement thérapeutique  » (Greenberg, 1986). Lorsqu’on met en place une thérapeutique utilisant les transes, qu’est-ce qui « va faire levier  » chez la personne  ? La question est la même lorsqu’une personne connaît une transe spontanée et décrit un «  réalignement » dans son existence. Qu’est-ce qui a bougé ? Disons-le de suite : toutes les réponses ne sont pas connues. Mais il est possible de dessiner une trame commune, à partir de ce que ces moments sont : une expérience phénoménologique particulière. Husserl parle d’«  attitude naturelle  » pour désigner l’état d’esprit dans lequel nous prenons le monde comme allant de soi, en nous concentrant sur les objets de notre expérience plutôt que sur la manière dont nous les percevons6. Cela inclut les croyances, préjugés et idées préconçues que nous avons sur le monde. C’est finalement la neurologie (perception) et la phénoménologie (expérience) qui nous permettent de construire le réel et nous

amène à cette «  attitude naturelle  ». Husserl soutient que nous pouvons sortir de l’attitude naturelle en adoptant une attitude phénoménologique, qui consiste à se concentrer sur l’expérience elle-même et à mettre de côté toutes les interprétations préconçues que nous avons du monde. Cette attitude nous permet d’observer les choses telles qu’elles apparaissent à notre conscience, sans chercher à les interpréter ou à leur donner une signification préétablie. Cela permet, selon le philosophe, d’accéder à une connaissance plus profonde et plus authentique du monde et de nous-mêmes. Et nous pouvons précisément voir les méthodes ECM/transes comme des façons de combler cette méthode phénoménologique que propose Husserl. En effet, nous pouvons formuler l’hypothèse que, via la dissociation qui finalement désagrège la conscience en sous-parties (désagrégation provisoire), ces vécus denses (abord phénoménologique) amènent des modulations de cette «  attitude naturelle  » pour in fine en sortir, et ainsi repositionner par cette «  phénoménologie intense7  » les interactions entre soi et le monde. La notion de changement commencerait donc avec cette désagrégation provisoire puis irait vers un mouvement d’intégration nouveau, sous certaines conditions, comme nous le verrons plus loin. Ainsi, avec ce modèle que nous proposons, les ECM et transes ne consistent pas stricto sensu en des altérations soi/monde mais ces derniers ne sont que des passages allant vers la suspension de « l’attitude naturelle » et ainsi installer une dynamique de transformation via un vécu extraordinaire (au sens vraiment premier de ce terme). Les épisodes de dérèglements sensoriels qui définissent ces moments ne sont que transitoires, nous l’avons dit. Ils ont pour point commun un «  sans contrôle  » du sujet qui est livré aux effets de l’hypnose, de l’ayahuesca, de la réalité virtuelle, de son moment intuitif, etc. Et ce « sans contrôle » est souvent lié à une impression de « sans limite » qui est souvent effrayante dans les premiers temps. On pourrait même se poser la question de savoir si tout moment inaugural des ECM/transes comme dynamique de changement ne doit pas prendre naissance dans un moment de peur8.

Il s’agit là d’une première étape qui à elle seule ne permet pas d’installer le changement. Elle est en fait le «  starter  »  ; elle en installe les conditions. Parmi ces conditions, nous avons développé plus avant dans cet ouvrage que les pratiques de conscience non ordinaires étaient culturellement situées. Soit par la structure qui les a vu naître (hypnose, mouvement néo-chamanique, derviche tourneur, Yoga Nidra, pratiques spirites, etc.), soit par le retour qui en sera fait (retours « libres » du groupe d’appartenance issus d’un savoir profane, experts en psychopathologie répondant à des nomenclatures culturellement définies, croyances partagées du groupe participatif de l’expérience vécue, etc.). Dans tous les cas, on peut voir les ECM/transes comme étant un dérèglement sensoriel qui va produire des effets de sens du fait qu’il est culturellement situé (des repères pour le penser, se le représenter, et aussi le caractériser sont toujours disponibles). Car ces expériences sont trop « extra-ordinaires » pour rester sans réponse… L’être humain a besoin de sens, surtout si l’on parle de la question du changement, et du changement thérapeutique en particulier. Autrement dit, une transformation s’inscrit dans un paradoxe  : consentir à laisser aller (ou laisser faire) tout en ayant besoin de repères pour penser la trajectoire empruntée (repères philosophiques, techniques, biologiques, psychologiques, ethnologiques…). Car l’humain a besoin d’une cohérence, d’une forme de perduration de la conscience de soi, ce qui engage certes «  soi  » mais aussi le groupe. Qui précisément va en grande partie «  porter  » cette fonction de donner de la cohérence aux vécus. Nous pouvons citer les temps regroupés autour du chamane en Sibérie après un rituel, où ce dernier va raconter à tous au coin du feu l’histoire de la famille de celui qui aura bénéficié de ses soins. On peut aussi voir la nécessité et la puissance du groupe dans les films de Jean Rouch par exemple. Mais c’est aussi la présence des familles dans mes approches systémiques où vont se dévoiler les ressorts donnant sens aux symptômes, les temps d’échange internes aux groupes dans les pratiques de mindfulness, ou encore les repas partagés à l’issue d’un « service poule noire » à La Réunion (sacrifice tamoul à la divinité Pétyay, le plus souvent comme rite de protection des

femmes enceintes et des enfants en bas âge). Dernier exemple  : l’échange retour si important avec le psychologue à l’issue d’une séance d’hypnose ou sa version 2.0 mêlant réalité virtuelle et hypnose (Bioy et Garnier, 2022  ; Courtial et Garnier, 2021). Les exemples sont nombreux de ces temps de « re-cohérence », c’est-àdire d’une certaine adéquation retrouvée d’une personne (sens individuel) à un groupe donné (sens commun) après le dérèglement des sens (dans toutes les acceptions de cette terminologie !). Pour autant, il serait malhabile de considérer que cette cohérence serait uniquement une sorte de «  retour cognitif  », un «  réaccrochage  » à des savoirs communs et/ou croyances partagées. Les effets de sens et de représentation (se figurer ce que l’on a vécu) dont nous parlons se produisent par le corps et pas toujours dans l’après de la séance, mais possiblement pendant. Ce temps est celui d’un vécu alliant précisément tous les niveaux du sujet ; il ressent et tisse du lien en même temps. En psychothérapie, on nomme parfois cela «  abréaction  » (libération émotionnelle intense  ; les émotions étant à la rencontre justement entre le corporel, le cognitif et l’existentiel  ; l’individuel et le collectif). Mais peu importe le temps, c’est le processus qui est intéressant sur lequel se penche d’une certaine façon la notion encore en développement de cognition incarnée (Coutte et  al, 2021). On pourrait se demander ce qui permet à la narration d’avoir lieu, après le chaos de l’événement. La réponse est dans le processus central que nous avons décrit : la dissociation. Cette dernière fait coexister un vécu à la fois comme acteur de l’événement ; l’alliage entre « je suis  » et «  j’observe  » autorisant alors le «  je me raconte  » (Cabestan, 2015 ; White et Epston, 2009 ; Ricoeur, 1990). Si l’on devait schématiser cette dynamique du changement, avec toutes les limites à cet exercice, on pourrait dire que le point de départ est une personne dans un état de conscience ordinaire, son «  attitude naturelle  ». Apparaît un temps extra-ordinaire spontané ou non, qui installe un moment de rupture (« sans limite », « sans contrôle », possible frayeur/peur). La désagrégation provisoire n’engage pas encore à une intégration nouvelle, elle est d’abord une modulation puis une disparition de l’attitude naturelle, du «  sens commun  » qui guide la personne. Cette «  phénoménologie intense » confusionne les sens et invite le sujet par ce rapport soi/monde modifié à un

travail d’intégration de l’expérience vécue vers une redéfinition de tout ou partie de soi. Il doit en effet sortir d’une vulnérabilité ressentie lors de cette expérience singulière et retrouver une forme de cohérence (rétablissement post-situation «  de crise  ») via la question de la représentation de l’événement et un sens apporté à ce déroulé. Cette cohérence est donnée en partie par ce qui est l’immédiat du rapport « soi/monde » : le groupe et par un média le plus souvent narratif (production d’un récit à partir du vécu comme modalité d’exploration et de dénouement de ce qui s’est passé). Ce discours prend naissance dans le vécu même de la situation et notamment la participation émotionnelle en lien avec le moment déroulé. Cette narration permet l’intégration d’une symbolique et redonne une contenance et cohérence via la «  mythologie de soi » (Bioy in Bioy et Lignier, 2022).

Figure 1.  Schématisation des 12 étapes du voyage du héros selon Christophe Vogler (scénariste), à partir du travail de Campbell, qu’il propose comme structure narrative On pourrait se demander si l’acte le plus complet de transformation ne serait pas le récit de soi qui impliquerait un vécu de renaissance,

comme un voyage effectué permettant de se transcender. La narration éventuellement travaillée avec un professionnel serait donc l’équivalent d’une forme de transcendance, accentuant encore plus le fait que le récit naît au moment de l’expérience et que l’après coup de l’expérience est encore l’expérience de «  cognition incarnée  ». Sans doute n’est-on pas loin d’auteurs comme Jung, mais nous souhaitons rappeler ici «  le voyage du héros  » de Campbell9 qui pourrait aussi être une schématisation, un chemin fléché possible, de la question du changement comme forme de transcendance de soi. À chacun d’y voir les liens qu’il souhaite avec les ECM/transes !

Conclusion Spécifiquement concernant l’hypnose, nous avons proposé le schéma de la page suivante, comme chemin du changement. L’étape de la métaphore est celle où l’on est (après induction hypnotique) dans ce dérangement des sens où le raisonnement fait place à la compréhension alogique, sensorielle. Les sens sont bousculés, amenant les nouvelles associations soi/monde dont nous parlions. Dans un cadre thérapeutique, cela conduit à la flexibilité psychologique (au sens de l’approche «  ACT  »10), une réorganisation perceptive en conscience (aidée par le thérapeute) et ainsi survient le changement.

Figure 2.  

Notes 1. On retrouve sans doute là l’antichambre de ce que François Roustang appellera la distinction entre perceptude et perception. 2. Ce que l’on nomme ici mentalisation fait référence à la « fonction réflexive », autrement dit la capacité à comprendre les états mentaux de soi et d’autrui, tels que leurs pensées, leurs intentions, leurs émotions et leurs croyances. 3. Ce terme fait référence à un ensemble de phénomènes dits paranormaux qui sont considérés comme étant en dehors de l’explication scientifique traditionnelle, à une époque

donnée, comme la précognition ou la télépathie, par exemple. 4. On pourrait d’ailleurs voir ici une distinction entre les états de conscience modifiés et les états de conscience altérés. Dans l’altération, cette conscience de soi n’est pas forcément préservée (l’expérience ne peut se dire, la conscience en est exclue, ou va être perçue comme trop chaotique pour offrir une quelconque cohérence interne ou en lien avec le contexte). 5. Dans son ouvrage princeps L’automatisme psychologique (1889), Janet ne cite le terme de « dissociation » qu’une fois, lui préférant celui de « désagrégation psychologique », plus descriptif. Mais William James, se faisant l’écho outre-Atlantique des travaux de Janet, trouve plus exact de conserver le terme «  dissociation  » (1890). Finalement, Janet luimême finira par l’utiliser couramment. 6. Edmund Husserl a commencé à développer sa théorie de l’attitude naturelle dans les années 1890, alors qu’il travaillait comme professeur de philosophie à l’université de Halle en Allemagne. Sa théorie a été progressivement développée au cours des deux décennies suivantes, notamment dans ses ouvrages majeurs, tels que Idées directrices pour une phénoménologie (1913) et Méditations cartésiennes (1931). 7. Le terme est de nous. 8. Nous avons en tête par exemple les premières expériences en psychothérapies augmentées, certains vécus hypnotiques qui amènent à une sensation vertigineuse où le soi semble se dissoudre, ou encore des moments vécus dans ce que l’on nomme « thérapies provocatives » (Farelly). 9. Le Voyage du Héros (ou monomythe) de Campbell est un schéma narratif développé par le mythologue américain Joseph Campbell dans son livre Le héros aux mille et un visages. Ce schéma décrit les étapes communes que l’on retrouverait selon l’auteur dans les mythes et les contes du monde entier, ainsi que dans les histoires modernes, où un personnage principal (le héros) part en quête d’un objectif, surmonte des obstacles et des épreuves, et revient transformé. Des récits comme la première trilogie de Star Wars reprennent ouvertement ces étapes, selon George Lucas lui-même. 10. L’ACT promeut la flexibilité psychologique  : la capacité à adapter ses comportements afin de pouvoir engager les actions importantes pour soi en fonction du contexte et de l’environnement. La flexibilité psychologique permet de se libérer de la lutte contre ses ressentis inconfortables et, quand cela s’avère nécessaire, d’accepter ce que l’on ne peut changer de son vécu intérieur afin d’engager les actions permettant d’être la personne que l’on veut être dans sa vie (Schoendorff et al., 2011).

Chapitre 17 Du set et setting dans la pratique et l’étude des états de transe

Émile Notté À  partir du modèle des transes psychédéliques, Dupuis et Veissière (2022) considèrent que les états de transe induits s’appuient d’une part sur des facteurs extra-pharmacologiques, et d’autre part qu’ils améliorent les processus thérapeutiques et interpersonnels en augmentant la suggestibilité. Le modèle de la transe hypnotique illustre la manière dont les états de conscience modifiés sont des facteurs de potentialisation de la suggestibilité et comment le contexte peut en conditionner le vécu. Certains concepts et observations liés à ces pratiques semblent pouvoir être convoqués dans l’étude d’autres formes de transe sans substance. Cet article interroge comment, en parallèle d’un mouvement de laïcisation de certaines formes de transe, le besoin d’enchantement peut influencer le vécu des états de conscience modifiés au travers des composantes du set et du setting.

Simplification cosmogonique et complexité épistémique Dans l’objectif de rendre les états de conscience modifiés acceptables dans les domaines de la santé publique, de l’enseignement universitaire ou de l’entreprise, une forme d’épuration s’est engagée pour que ces techniques puissent progressivement rejoindre d’autres thérapeutiques sur les critères de l’Evidence Based Medecine. Cette conception scientifique est novatrice bien qu’elle fasse objet de critiques de la part des adeptes de ces pratiques traditionnelles où les esprits et le monde de l’invisible sont indissociables de la culture et de la transe. André

(2018) rappelle que les travaux de recherche sur la méditation se sont déclinés selon trois types d’études  : une partie des protocoles s’est intéressée aux effets cérébraux grâce à la neuro-imagerie, d’autres ont exploré l’impact au niveau cellulaire par la neurobiologie  ; d’autres encore ont porté sur l’efficacité clinique auprès de populations de sujets non malades et de patients. Cependant, comme le souligne Chahraoui (2022), les transes s’inscrivent dans un contexte culturel et social auquel sont rattachés des systèmes symboliques et collectifs. Le contexte contemporain de nos sociétés modernes, en apparence détachées de ces aspects, convoque en réalité de nouvelles représentations collectives. Le sacré et le sens se réinventent sur de nouvelles bases, dans une sorte de renouveau syncrétique en convoquant les figures du panthéon des religions monothéistes et celles des courants multiples du New  Age, que certains reconnaîtront comme archétypes ou mundus imaginali. La transe n’est donc pas simplement un phénomène neurologique sorti ex nihilo puisqu’elle s’inscrit dans un ensemble de croyances et de représentations collectives et, dans un cadre permissif propice à l’expression de comportements et émotions habituellement prohibés. Ce cadre mobilise des processus psychologiques, en particulier l’abréaction bruyante et manifeste, la canalisation de l’agressivité et de la violence, dans un jeu de renversement des règles sociales. La transe manifestée n’est que la partie visible de l’iceberg puisqu’un ensemble de facteurs psychologiques et contextuels sont impliqués en arrière-fond  : la dimension relationnelle et groupale, sa fonction maternante et empathique, l’alliance thérapeutique, le bain émotionnel, l’avant et l’après, les attentes… Le groupe dans lequel s’inscrit la pratique de transe n’est pas sans rappeler les groupes thérapeutiques de psychodrame. Il peut convoquer les mécanismes de l’illusion groupale décrits notamment par Anzieu (1971). L’illusion groupale

C’est un état psychique collectif, un stade du processus groupal qui permet qu’un groupe puisse se constituer. Après une forme d’angoisse persécutive que génère la présence menaçante de l’autre survient, dans un second temps, une forme d’euphorie

réactionnelle à cette angoisse, qui vient alors cimenter l’unité du collectif. L’illusion groupale apporte aux membres une confiance de base dans leur groupe, nécessaire à l’imagination, à la culture, à la création collective comme au jeu. Cette illusion suscitée par la situation de groupe peut être considérée comme une sorte d’état régressif transposé à l’objet d’investissement que constitue le groupe. Pour maintenir une forme d’idéal fusionnel comme dans le développement psycho-affectif décrit par Melanie Klein (1946), la relation clivée à la représentation maternelle infantile idéalisée s’accompagne d’un déni de certains aspects persécuteurs et décevants. Selon Anzieu, l’illusion groupale se construit sur trois phénomènes : ● Un membre du groupe occupe la place du bouc émissaire. ● Les différences entre les membres du groupe sont niées (sexe et génération…) nourrissant un égalitarisme et une similitude fantasmés. Cette dénégation des différences individuelles et l’abrasion des identités individuelles concourent à l’émergence d’une identité collective forte. ● L’origine utopique et imaginaire du groupe est attribuée à un «  autoengendrement groupal ». Anzieu (1975) résume la pensée imaginaire des participants avec cette expression  : «  Nous sommes bien ensemble, nous constituons un bon groupe, et nous avons un bon chef. » (p. 169.)

Le collectif fournit un cadre dans lequel le sujet peut exprimer ce qui est inacceptable (mais codé socialement), ce que l’ethnopsychiatre Devereux (1971) nomme le modèle d’inconduite. Il démontre que la société met à disposition des modèles pathologiques conçus au préalable qui autorisent l’expression de la maladie dans des conditions agréées par la société : « Tu n’as pas le droit d’être fou, mais si tu l’es tout de même, voici la bonne façon de l’être.  » (Nathan, 2000  : 12.) La culture fournit à l’individu des «  modèles d’inconduite ». Devereux parle de désordres ethniques trouvant leur source dans des traumatismes idiosyncrasiques auxquels la culture fournit des moyens de défense et d’expression au travers de symptômes. Ces derniers sont utiles à l’individu afin de fixer l’angoisse et de rendre manifeste le conflit psychique et d’incarner sa souffrance sous-jacente. Les transes de possessions ritualisées en sont une illustration puisque tout semble se dérouler dans une forme de désordre souvent très codifié selon le groupe social d’appartenance.

Impact cumulé des effets placebo et Hawtorne L’existence des phénomènes de suggestion liée à l’effet placebo et l’effet Hawtorne sont à intégrer dans la compréhension de ces techniques  : si le premier affecte le ressenti, le second affecte l’expression d’un symptôme. Berthelot (2016) montre que l’effet placebo est parfois confondu avec l’effet Hawtorne et porte sur des signes «  subjectifs  » (douleur, anxiété) liés au système nerveux. Benedetti et  al. (2011) montrent pour leur part que ces effets peuvent être cumulatifs et que l’action d’agents pharmacologiques peut être modulée par des facteurs cognitifs, affectifs et relationnels, ceux-ci pouvant augmenter ou diminuer les effets des traitements. L’effet placebo est un procédé thérapeutique sain n’ayant pas d’efficacité propre ou spécifique mais agissant sur le patient par des mécanismes psychologiques et physiologiques. Il représente en moyenne 30 % à 50 % des réactions observées dans les études sur la douleur. Les travaux sur les chirurgies blanches ou chirurgies placebo (simulacres de chirurgies) illustrent l’influence potentielle de la croyance, des attentes et de la suggestion. Les modifications intracérébrales de l’effet placebo sont démontrées par diverses études en imagerie fonctionnelle (Berthelot, 2016). Selon l’ancien directeur de l’unité de neurobiologie de la douleur à l’Inserm, JeanMarie Besson, cité par Blond (2001), cet effet pourrait atteindre 6070  % dans les pathologies migraineuses ou la dépression. Présent chez le sujet sain, il se trouve objectivement observé chez certains patients souffrant sur le plan psychologique comme sur le plan somatique, parfois même dans le cas d’affections réputées « incurables ». L’effet Hawtorne, en médecine, correspond à la diminution de l’expression d’un symptôme lié à la relation entre le patient et un évaluateur du traitement (le prescripteur ou le thérapeute ont aussi cette fonction). La présence de ce dernier est perçue comme un témoignage d’intérêt par le sujet. La qualité de la relation que le patient entretient avec lui peut modifier l’évaluation de ses propres symptômes, et par exemple, l’amener à ressentir moins de douleur

qu’en exprime son cerveau. À  l’inverse, face à l’absence d’observation et d’intérêt des soignants, l’expression de la douleur du sujet peut être majorée. Cet effet Hawthorne négatif illustre l’importance de la relation thérapeutique, la qualité de présence dans le soin.

La réémergence d’une ancienne polémique Le contexte de renouveau de l’étude des transes convoque en filigrane le débat historique de la fin du xixe siècle opposant l’École de Nancy à l’École de la Salpêtrière, toujours latent dans la communauté des hypnothérapeutes contemporains (cf. rétrospective historique de Méheust, 1999). La première école, au travers de Bernheim, défend l’idée que l’effet de l’hypnose réside dans la suggestion. La seconde, représentée par Charcot, estime au contraire que les propriétés de l’hypnotisme se développent indépendamment de toute suggestion. Pour Charcot, l’hypnotisme est un état physiologique différent du sommeil, réservé aux individus prédisposés à l’hystérie et de peu d’intérêt thérapeutique. L’identification des facteurs de changements qui font l’intérêt de ces méthodes ne peut passer que par une étude rigoureuse, d’autant plus si ces techniques aspirent à venir prendre en charge des sujets psychiatriques aux vulnérabilités multiples. De plus en plus d’auteurs, comme Dumas et  al. (2017) ou Hell (2009), encouragent un abord interdisciplinaire dans l’étude des états de conscience modifiés afin d’embrasser la complexité des phénomènes de transe et de prendre la mesure de tout ce qui est en jeu dans ce type de travail thérapeutique. L’étude des transes alimente en effet de multiples domaines de recherches et de savoirs  : anthropologie, sciences cognitives, neurosciences, ethnopsychiatrie, psychiatrie, psychologie clinique et sociale, psychologie des expériences exceptionnelles, phénoménologie, théologie, art, archéologie…

Une approche scientifique au service de l’éthique

Initialement rattachées à diverses traditions culturelles, spirituelles ou religieuses, les différentes techniques de transes ont quitté récemment le champ des pratiques occultes ou ésotériques auxquelles elles étaient immédiatement mêlées (par exemple, on retrouve l’hypnose dans les chapitres du traité Méthodique de Magie du docteur Encausse en 1893). Comme l’illustre Versonne (2021) dans Le Journal du médecin, un changement de regard porté sur ces phénomènes s’engage. La transe devient objet d’investigation quant à ces potentiels effets thérapeutiques et se voit soumise à la rigueur conceptuelle et méthodologique de l’évaluation scientifique. Sans cette démarche d’exploration et d’évaluation, l’utilisation de ces outils serait impossible au sein des institutions. L’histoire de la psychologie clinique trouve ses origines dans les conceptions magico-religieuses, mais ces temps où la croyance archaïque alimentait les théories des maladies et les thérapeutiques associées sont bien plus proches qu’on ne le pense sur le plan temporel et géographique comme le met en exergue Bettayeb dans le magazine de l’Inserm (2022) quant au contexte de la crise sanitaire liée au Covid et les dérives sectaires en santé. Distinguer le champ du symbolique, celui de la mise en scène théâtralisée de l’expérience authentique, n’était pas essentiel tant que les transes et les croyances qui les entourent demeuraient l’objet d’étude de l’anthropologie ou de l’ethnologie, exempt de jugement de valeur. La question de la réalité des phénomènes observés n’était pas centrale, pas plus que celle des croyances et des vécus convoqués puisqu’on ne les considérait qu’en tant qu’objets culturels. L’ethnopsychiatrie pouvait même s’en saisir dans certaines psychothérapies en intégrant une partie de ce matériel culturel comme en témoigne la pratique du psychiatre Tobie Nathan, ou celle des tradithérapeutes qui intègrent ce matériel à des fins utilitaristes thérapeutiques. Les cliniciens, médecins ou psychologues ne peuvent que saluer la démarche actuelle, en ce sens qu’elle répond à l’éthique de ces professionnels qui, pour l’une, condamne la pratique du charlatanisme et, pour l’autre, soumet l’usage d’une technique thérapeutique à sa validation scientifique. En écho à Dupuis (2022), il est fondamental de garder à l’esprit l’enjeu de l’éthique et de la

protection des usagers sur le plan de leur santé physique, psychique et économique vis-à-vis de techniques de transes diverses qui revendiquent le statut de soin, de thérapie et non plus de pratiques spirituelles.

Trois exemples de pratiques de transes laïcisées La Mindfulness-Based Stress Reduction (MBSR) est un programme de formation laïque à la méditation de pleine conscience développé dès les années  1970 par le professeur Jon Kabat-Zinn. Cette approche de la méditation initialement dépouillée de toute croyance ou référence spirituelle bénéficie d’une diffusion croissante dans les établissements de santé et fait l’objet de recherches cliniques exponentielles depuis cinq décennies. Le psychiatre brésilien Akstein crée en 1965 la Terpsichore-transe-thérapie (Neubern, 2021). Dans son ouvrage, Akstein (1992) étudie les diverses facettes de la transe. Son approche thérapeutique s’appuie sur la danse au rythme syncopé des transes rituelles pratiquées au Brésil, à Haïti, aux Barbades, en Afrique (Umbanda ou Candomblé). La technique utilisée réduit le caractère magico-religieux associé aux pratiques traditionnelles et se déroule sous responsabilité médicale. Pratiquée initialement au Brésil dans des salles capitonnées au sein d’hôpitaux psychiatriques, cette méthode a été utilisée en France par les docteurs Donnars et Marchand (Biwer et Capitain, 2021), enseignée par la société française de sophrologie. Les bénéfices observés étaient associés à la libération émotionnelle intense que produit cette transe cinétique rituelle (importance d’un mouvement de giration en tant qu’inducteur). La Terpsichore-transe-thérapie évite toute communication verbale : elle est entièrement axée sur les gestes, contorsions, danses, cris, pleurs et rites. Selon Akstein, cette forme de transe élèverait le niveau d’énergie et permettrait à l’inconscient de trouver la solution à des problèmes personnels (1992). La Transe cognitive auto-induite est une technique récente d’activation d’un état de transe qui est en cours de développement

depuis une décennie. C’est à partir d’une expérience de la transe dans le chamanisme mongol que cette approche épurée a émergé et fait l’objet de recherches en neurosciences et en imagerie. Elle représente une technique d’induction laïque de la transe qui ne convoque aucun arrière-fond culturel ou spirituel affirmé. Une ontologie animiste au sens de Descola (2005) imprègne toutefois les conférences, les ouvrages et les enseignements sur le sujet. Grégoire, Sombrun, Gosseries et Vanhaudenhuyse (2021) évoquent des applications thérapeutiques potentielles de cette technique qui alimente les projets de recherche et les espoirs thérapeutiques dans le champ de la psychothérapie notamment. La Transe cognitive bénéficie d’une ère favorable aux états de conscience modifiés, méditation et hypnose ayant été largement étudiées ces dernières décennies. Aujourd’hui, ces approches de la transe sont aux portes de plusieurs établissements de santé publique grâce à l’investissement de chercheurs, de cliniciens et d’universitaires qui en rendent l’étude académique possible.

Hybridations ontologiques associées aux pratiques de conscience

En parallèle de ce mouvement de laïcisation, un autre mouvement s’opère dans le champ des états de conscience modifiés. Le naturalisme dualiste propre au modèle scientifique occidental n’est pas universel et il peut faire l’objet de ce que McEwen et Midol (2017) décrivent comme des hybridations ontologiques dans notre compréhension du monde. La mise en sens résulte d’un « mélange de systèmes et de références culturels » (Pordié et Simon, 2013) et procède d’emprunts de croyances extérieures aux cadres sociétaux de référence, sans pour autant changer le cadre d’origine. Cette dynamique est notamment présente dans le champ des pseudothérapies. L’ontologie

L’ontologie est définie par Descola (2005) comme un ensemble de schémas imaginatifs et mentaux qui nous définissent nous-mêmes et le monde qui nous entoure sous la forme des «  prédispositions, pour partie innées, pour partie issues des propriétés mêmes de la vie commune » (p. 23). Selon McEwen et Midol (2017), ces schémas conceptuels sont utilisés pour interpréter et intégrer nos expériences, et permettent de fournir une cohésion cognitive avec notre «  soi conscient  » et notre « moi social ». Il décrit quatre ontologies : l’animisme, le totémisme, l’analogisme et le naturalisme (voir infra).

McEwen et Midol (2017) illustrent au travers de leur étude de deux pratiques de conscience, comment, sous l’influence de la mondialisation, science et spiritualité, matière et immatériel, externalités et internalités, corps et esprit peuvent être réunis. Dans le cas du yoga, ils décrivent le recours à des stratégies métacognitives d’hybridation de concepts qui englobent des notions issues de messages venant de la conscience universelle d’une part, et de la neuroscience, de la biologie, de l’anatomie et de la psychologie d’autre part. Ce processus d’hybridation se retrouve aussi convoqué dans d’autres pratiques de transes pour permettre une mise en sens des expériences et des phénoménologies qu’elles produisent. Une même phénoménologie ne donnera pas lieu à la même interprétation selon l’ontologie dans laquelle s’inscrit la technique d’induction qui la produit (ex : ressenti de chaleur dans la pratique hypnotique peut être considérée comme manifestation énergétique dans une pratique yoguique).

Du besoin d’enchantement dans la demande de soins psychiques

La demande des patients a évolué avec l’émergence de nouvelles thérapies, leurs caractères spirituels et exotiques n’étant pas étrangers à la dynamique du renouveau des transes. Les travaux de Grimaud (2016) sur les séances de past life regression, techniques de régression hypnotique sur la réincarnation, illustrent comment l’expérimentateur cherche à éprouver un mode subjectif d’exploration teinté d’ésotérisme plutôt qu’à observer au travers

d’une méthode d’introspection. Certaines variantes du yoga ou de la méditation se proposent de conduire aux mêmes promesses  : les clés rituelles qui ouvrent la porte de l’expérience varient d’une culture à l’autre et d’un continent à l’autre. Cet engouement pour la régression thérapeutique est un mouvement mondialisé en pleine explosion qui touche toutes les classes sociales. Des formes très variées de régression prénatale sont expérimentées. C’est souvent après avoir essayé la médecine conventionnelle et les thérapies classiques que les patients se tournent vers cette forme de transe régressive (Grimaud, 2016). La théorie latente impute l’étiologie des troubles et les difficultés actuelles aux karmas, ou à d’autres causes qui sont à rechercher du côté d’un passif contracté dans une ou d’autres existences, et concourt à l’externalisation de la cause des troubles.

Des techniques hypnotiques sous-jacentes Parmi les psychologues qui pratiquent certaines transes régressives, les plus prudents y voient un modèle virtuel à but thérapeutique convoquant les possibilités de jeux de rôle. L’introspection et la visualisation ont tendance à prédominer ce théâtre intérieur, champ scénique d’expulsions cathartiques où se succèdent les images mentales interprétées par certains comme des incarnations. La réincarnation convoque elle aussi des productions mentales étrangères aux sujets qui, par le pouvoir de la visualisation, se défont d’un blocage psychique, d’une phobie ou d’un traumatisme. Dans la littérature anglo-saxonne, on retrouve ce recours à une forme d’alter virtuel dans une des méditations sur les Tulpas, mais aussi à une forme de visualisation, de réification des peurs au travers du rituel de Chod (Raz et Lifshitz, 2016). Ces deux approches, issues du bouddhisme, sont déclinées à des fins thérapeutiques et recourent aux ingrédients communs à la pratique hypnotique (transe, métaphores, visualisation, réification, présence d’un narrateur). La modernité et l’évolution des sociétés n’ont pas exterminé l’efficacité symbolique des rituels à en juger par la

résurgence du néodruidisme, du néochamanisme, du chamanisme, des groupes de méditation et des divers yogas, de l’hypnose spirituelle ou de la Trans Communication Hypnotique. Elle s’illustre même par une richesse croissante des cosmologies syncrétiques, hybrides et multiculturelles, sans craindre la contradiction des grilles de lectures (la conviction chrétienne peut côtoyer la croyance bouddhiste sans que l’adhésion au purgatoire, la résurrection et le royaume de Dieu ne soient un bâton dans la roue du karma ou le cycle des réincarnations). Comme dans la pratique du rituel de l’ayahuasca, on retrouve des attentes fortes, une cosmogonie, une théorie métaphysique qui constituent un décorum sous-tendant le contenu et la phénoménologie des expériences et concourant à constituer un set et un setting déterminant.

Le concept de set et de setting Le set comprend tout ce qui concerne l’état interne d’une personne, y compris la personnalité, la préparation pour l’expérience, l’intention, l’humeur, les attentes, les peurs, les désirs. Le setting renvoie à l’environnement dans lequel se déroule l’expérience, dans ses composantes physiques, émotionnelles, sociales et culturelles (cognitions, représentations et croyances associées au groupe social de l’expérience). Cette conception est davantage associée aux travaux sur les effets des substances psychoactives qu’aux études en pharmacologie, bien que les recherches actuelles suggèrent que les effets non pharmacologiques sont en grande partie responsables des avantages thérapeutiques dans une variété de traitements médicamenteux (Brown, 2012  ; Kirsch et Sapirstein, 1998 ; Moerman, 2002). Le concept s’est aussi avéré utile pour les chercheurs ayant étudié les effets de divers stimulants, dépresseurs et antipsychotiques. Le concept trouve une application dans le champ expérimental des laboratoires de recherche et dans l’observation de terrain des usagers de substances. Ces derniers l’intègrent dans leur discours concernant leur expérience de consommation du produit (McElrath et McEvoy, 2002 ; Shewan et al.

2000). Dans une approche de prévention de risques et d’éducation thérapeutique, étudier l’importance du set et setting et éduquer les citoyens à cette conception semble essentiel pour Ido Hartogsohn (2017). Leary et  al. (1963, 1964), Metzner et Leary (1967) et Carhart-Harris et al. (2018) postulent que le set et le setting seraient les déterminants principaux du contenu des expériences psychédéliques. La question est d’autant plus bousculante qu’un facteur biochimique externe rentre dans l’équation. Metzner (2011), un des pionniers de l’étude des psychédéliques et du concept, pense que «  l’hypothèse du set et setting… vraiment s’applique à tout état de conscience – hypnose, méditation, rêves ou ce que nous appelons l’ordinaire, l’éveil état de réalité consensuelle  » (cité dans Hartogsohn, 2017 : 12).

Le setting Leary, Metzner et Alpert ont discuté des effets des éléments de base du setting tels que l’utilisation de la musique (Strickland, 2021), l’éclairage, la disponibilité de la nourriture, ou l’agencement de l’espace. Ils ont également pris en compte une variété d’aspects supplémentaires du décor et du cadre comme la différence entre l’usage ponctuel et l’usage à long terme. Ils ont exploré les différences entre les sessions de nuit versus les sessions de jour, ou séances en salle versus séances en extérieur. Pour Beyer (2010) et Helman (2001), les rituels de guérison chamaniques sont fondamentalement une performance dans laquelle divers éléments sont soigneusement apportés pour catalyser le processus de guérison induit par un psychoactif. Mais le setting, c’est aussi le dispositif social qui entoure les transes, qui induit parfois des hallucinations et qui influe sur la relation entretenue avec celles-ci, telle des suggestions dissimulées. Ce dispositif social peut mener jusqu’à l’homogénéisation progressive des contenus et des manifestations. Cette stéréotypisation des schémas, des contenus et de la phénoménologie semble être fonction de la durée d’exposition aux pratiques. Dupuis (2022) infère qu’imagerie visuelle et auditive

sont hautement malléables et susceptibles d’être progressivement modifiées, modelées par l’environnement social au travers des interactions discursives et rituelles. L’asymétrie vis-à-vis de l’expert du rituel, ses comportements, ses propos, ses chants et les onomatopées concourent à formater le contenu et la forme de l’expérience de transe. On retrouve une asymétrie transférentielle qui rappelle le concept du «  sujet supposé savoir  » de la théorie lacanienne. Lacan (1973) introduit l’expression « sujet supposé savoir » et le définit comme étant celui à qui l’on suppose un savoir. Il y aurait quelque part un savoir déjà là, porté par un sujet, humain ou divin, qui garantirait que tout a un sens. Lacan parle d’un acte de foi qui opère à notre insu, d’une croyance en un sujet supposé savoir, qui relève de l’illusion. Le sujet supposé savoir est présent de façon latente dans toute théorie, y compris dans le champ scientifique selon Lacan, c’est une fonction opérante centrale dans la thérapie analytique et qui sous-tend le transfert thérapeutique. De fait, lorsque l’on s’adresse à un thérapeute, ce dernier est mis en place de sujet supposé savoir. Il est supposé savoir la signification de ce dont souffre le consultant.

Lorsque cette fonction peut être incarnée dans qui que ce soit, psychothérapeute ou pas, il résulte de facto une forme de transfert. Pour Stepenoff (2011), le chamane appartient aux gens qui savent, ce qui impose une forme d’expertise. De ce fait, l’influence de l’expert participe progressivement à l’éducation à l’attention qui amène à modeler le vécu du sujet. Il en va de même pour les éléments iconographiques, médiatiques qui peuvent façonner les attentes des sujets et, par répercussion le contenu phénoménologique même de l’expérience. Le setting peut demeurer implicite sans qu’il ne soit souligné et cultivé par le praticien qui porte la technique. Dans le cadre des états de conscience modifiés induits par la prise d’ayahuasca, Dupuis (2022) parle d’une socialisation des expériences hallucinatoires. Dans les diverses pratiques présentées dans cet article, la neutralité culturelle et symbolique demeure illusoire, la généalogie implicite étant toujours présente de manière latente. Les settings culturels exotiques multiples (tibétain, mongol, africain, amérindien, indien, druidique, chamanique, religieux, New  Age…) imprègnent la pratique et sont sans doute à l’origine

d’une influence sur le set du sujet. En ce sens, ils induisent nécessairement une forme d’attente sur l’expérience à venir. Plusieurs auteurs convoquent les modèles de la cognition sociale d’inspiration bayésienne (Carhart-Harris et  al., 2014  ; Corlett et  al., 2009). La théorie bayésienne propose un modèle mathématique de la cognition et de la perception basé sur un raisonnement probabiliste et sur des inférences bayésiennes. À  partir d’entrées ambigües, le cerveau reconstruit une interprétation la plus probable en combinant de façon optimale les données reçues du monde extérieur avec les a priori issus de l’expérience et de notre mémoire.

Setting et affordances Dupuis (2022) décrit les effets des affordances culturelles ou le Thinking Throug Other Minds (TTOM) (Ramstead et  al., 2016  ; Veissière et  al., 2020) comme des facteurs explicatifs de l’induction de la phénoménologie propre à chaque forme de transes, plutôt qu’une expression issue des fonctionnements neurobiologiques intrinsèques du sujet en transe. Il rejoint l’hypothèse de l’ethnographe Halloy (2020) selon laquelle des affordances affectives influencent les interactions inter et intra-personnelles dans la transe de possession des Orisjas. Les orishas, ou orixás, sont des divinités qui trouvent leur origine dans les traditions religieuses yorubas (Afrique de l’Ouest). Elles sont présentes dans plusieurs pays africains et pays américains, où elles font l’objet de cultes depuis leur introduction lors de la traite négrière au xixe  siècle. Ce sont des êtres de nature divine associés aux forces de la nature vénérés en Afrique (Nigéria et au Bénin), présentes en Amérique du Sud, où on les retrouve dans le candomblé brésilien, dans la santeria des Caraïbes (Cuba et à Puerto Rico). Ces figures sont aussi liées au culte de l’umbanda et au quimbanda et sont proches des vodun du Dahomey associé au vodou haïtien. Les saints associés diffèrent fréquemment et peuvent même varier d’une région à l’autre, parfois marquée du syncrétisme chrétien. Elles sont convoquées dans des rituels de transe de possession et de divination.

Les affordances affectives, notamment dans la transe, ne se contentent pas de traduire un état émotionnel mais elles régulent l’interaction en cours au sein d’une configuration interactionnelle complexe et revêtent une fonction prescriptive. Halloy et Servais (2013) définissent certains contextes –  dont celui de la transe des Orishas en tant que dispositif d’enchantement  – dans lesquels ils soulignent eux aussi l’importance des affordances sociales dans l’amorçage des inférences et émotions menant à l’expérience. L’apprentissage de la possession dépendrait plus directement des configurations d’attracteurs perceptuels. L’évaluation sociale de l’expérience d’enchantement semble directement dépendante des contextes sociaux dans lesquels elle a lieu. D’autres formes d’affordances peuvent moduler les expériences, comme le fauteuil imposant et confortable de l’hypnothérapeute qui invite à l’entrée en transe hypnotique rien qu’en passant de la chaise au fauteuil, simplement par l’association fantasmée que l’état est dépendant de l’objet. Selon le point de vue de l’observateur, l’ethnologue parlera d’affordance, l’hypnothérapeute évoquera l’ancrage, le comportementaliste le nommera conditionnement.

Set du participant Leary, Metzner et Alpert ont exploré des éléments de base du set tels que les attentes religieuses ou intellectuelles, la pratique de la méditation, la lecture associée, l’engagement dans une introspection approfondie et l’auto-examen. Les caractéristiques médicales ou génétiques peuvent entrer en considération, comme la sensibilité aux fréquences rythmiques. Comme le montrent les travaux de Dupuis (2022) sur la pratique de l’ayahuasca, le contenu de l’expérience hallucinatoire est conditionné par les attentes du participant. Les lectures, les témoignages, le partage d’expériences, la diffusion médiatique sous toutes ses formes contribuent à générer une attente forte voire une forme de contamination de l’expérience qui conduit à une forme de vécu stéréotypé des transes. On peut l’observer en hypnose assez facilement mais aussi dans d’autres

formes de pratiques (méditation, transe cognitive, transe sonore aux tambours ou au bol tibétain…). La cosmogonie latente peut s’inviter dans le vécu. Des schémas récurrents d’images conduisent à l’invasion de la perception par la culture et, à inférer une signification ou des schémas personnalisés dans les caractéristiques de la perception, dans un processus comparable aux paréidolies (type d’illusion qui fait qu’un stimulus vague ou ambigu est perçu comme une forme familière, par exemple un animal reconnu dans la forme d’un nuage). Les connaissances acquises, les connaissances culturelles, les attentes, les prédispositions, les expériences passées, les croyances ou les états émotionnels impactent la perception pouvant alimenter des impressions d’hyper-sensation, anthropomorphisme, agentivité, ou de présence. Le cas des paralysies du sommeil et l’interprétation qu’en font les patients sont une illustration des inférences effectuées dans un contexte pathologique  : paralysie +  oppression thoracique +  hallucination d’ombre = présence d’une entité malveillante. L’explication médicale fait état d’un simple dysfonctionnement temporaire au niveau de la libération de la glycine, un neurotransmetteur associé à l’immobilité durant le sommeil paradoxal qui inhibe la motricité pendant les rêves en maintenant une forme de paralysie. Par ailleurs, Kaertner et al. (2021) illustrent notamment comment les attentes positives prédisent de meilleurs résultats concernant l’amélioration de la santé mentale dans le cadre de thérapeutiques basées sur le microdosage psychédélique. Cette donnée est à intégrer dans l’évaluation des effets bénéfices thérapeutiques des états de conscience modifiés compte tenu de la puissance potentielle de l’effet des attentes.

Illustration : cas particulier de l’hypnose régressive Les travaux sur l’impact de l’amorçage en hypnose illustre, dans une pratique d’états de conscience modifiés sans substance, comment les attentes induites chez le sujet vont façonner son expérience. Des auteurs tels que Sarbin, Shor, Barber, Weitzenhoffer ou Spanos

proposent des théories sociocognitives ou psychosociales de l’hypnose. La théorie de la prise de rôle (Sarbin et Coe, 1972) fait de l’hypnose un phénomène déterminé par la société, tributaire du contexte social. La théorie de l’espérance de réponse (Kirsch, 1985) suppose que les attentes modifient l’expérience subjective des états internes et les comportements seraient inconsciemment orientés en fonction de ces attentes. Pour Spanos et  al. (1991), le vécu hypnotique serait directement déterminé par la nature du discours pré-hypnotique. Dans leurs études, les sujets recevaient des suggestions hypnotiques pour régresser au-delà de la naissance vers une vie antérieure. Ces auteurs démontrent que les sujets développaient des identités de vies antérieures qui reflétaient les attentes transmises par l’hypnotiseur indépendamment de toute psychopathologie. La crédibilité que les sujets accordaient à leurs expériences de vie antérieure était influencée selon que l’hypnotiseur définissait ces expériences comme réelles ou imaginaires. Les données combinées des études ont indiqué que l’hypnotisabilité prédisait l’intensité subjective des expériences de vies antérieures mais pas la crédibilité attribuée à ces expériences. Alternativement, les croyances, les attitudes et les attentes concernant la réincarnation prédisaient le degré de crédibilité accordé à ces expériences. Lynn et Evans (2017) ont quant à eux examiné la possibilité que la suggestion hypnotique puisse être utilisée pour induire des expériences de type mystique. Les résultats montrent d’une part que la suggestion hypnotique peut induire des expériences mystiques à divers degrés chez un tiers des sujets, et d’autre part, ils confirment les conclusions de Spanos et Moretti (1988), Spanos et al. (1991)  : la capacité à vivre ces expériences mystiques est fonction de la suggestibilité hypnotique mesurée. Pour les auteurs, l’utilisation d’une approche hypnosuggestive peut représenter une voie pertinente pour étudier les expériences mystiques en laboratoire. Il reste selon eux à déterminer dans quelle mesure l’état hypnotique ou la suggestion joue le rôle principal dans l’émergence de ce type de vécu. Cela nous ramène aux classiques mises en garde dans la

formation des praticiens en hypnose sur le risque de faux souvenirs et l’importance de la mesure et de la prudence du praticien quant aux suggestions qu’il utilise (Muschalla, Schönborn, 2021). Cela questionne aussi l’éthique des pratiques de la Trans Communication Hypnotique (TCH) qui utilise l’état hypnotique pour une rencontre avec les défunts ou le recours aux techniques de past life regression.

Une rétroactivité entre set et setting Une forme de boucle rétroactive s’installe entre set et setting. Le récit de contenus récurrents entraîne des régularités dans les contenus de l’expérience qui en retour nourrit un partage des témoignages de contenus et déroulés similaires. Ce mécanisme concourt à une éducation de l’attention (Ingold, 2001) et à la modification de la catégorisation des perceptions par la parole et l’interaction rituelle entourant l’expérience. Le setting vient influer sur le set au travers des attentes et de processus cognitifs sous-jacents au vécu du sujet. Le contexte entourant l’expérience, dont font partie les interactions entre les guérisseurs et les participants, est très susceptible de modifier les processus métacognitifs (Proust, Fortier, 2018). Selon Lifshitz et  al. (2019), le contexte rituel induit l’absorption en augmentant et en orientant l’attention. Certaines perceptions ou états mentaux particuliers peuvent être identifiés au travers de processus inférentiels d’une manière biaisée par les interactions et l’apprentissage de critères de discernement liés au rituel comme relevant de la présence d’entités naturelles, ou d’une agentivité culturellement postulée. Dupuis (2018) constate une homogénéisation progressive des caractéristiques illustrée notamment par le caractère stéréotypé des témoignages recueillis où l’expérience répond à des modèles récurrents.

Figure  1.    Modélisation des relations entre set et setting transposables aux différents États de conscience modifiés (Notté, 2023)

Set du chercheur : réflexion pour une recherche objective Bronislaw Malinowski (1884-1942) est habituellement cité comme étant le père de l’observation participante. Cette méthode de l’anthropologie de terrain mais aussi d’autres sciences humaines renvoie au mode de présence du chercheur au sein du milieu observé (Peretz, 1998 cité par Lapassade, 2016). Cette posture complexe a longtemps fait l’objet de débats parmi la communauté anthropologique, certains défendant une implication directe auprès de la population ou du phénomène observé, d’autres s’y opposant. L’anthropologie du xixe  siècle n’allait pas sur le terrain mais elle utilisait les descriptions issues du recueil de l’expérience de tiers pour construire ses théories, alors que l’approche contemporaine a progressivement apporté une légitimité plus grande à cette méthodologie. Calverie (1990) fait la distinction entre le « régime de la preuve » qui implique l’intention d’une objectivation et d’un recours

à des procédures de démonstration reproductible et, le « régime de la foi  » qui consiste à suspendre le premier dans un «  mouvement de consentement » qui se détache de la preuve. C’est là que réside le dilemme pour le chercheur dans le champ des transes et des états de conscience modifiés  : une posture antinomique de sujetobservateur qui rend l’expérience compliquée puisqu’elle implique une forme de double régime pour reprendre la terminologie de Calverie. Ainsi, cet entre-deux peut s’avérer un double handicap  : dans la position de l’expérienceur, l’accès au vécu spontané peut s’avérer parasité par le régime de la preuve, et la position de chercheur peut, dans l’autre sens, être parasitée par le régime de la foi nécessaire ou sous-jacent au bon déroulement de l’expérience.

Conclusion Tout au long de cet article, la place de la croyance a été mise en exergue en tant que facteur d’induction et de suggestion des transes. Nous avons illustré comment elle pouvait orienter à la fois les contenus et la phénoménologie de diverses formes de transes ou de thérapeutiques. Sur le plan clinique, les différents travaux cités rappellent aussi la responsabilité et les obligations éthiques qu’implique la fonction thérapeutique. Selon Gukasyan et Nayak (2022), ces observations issues des thérapies utilisant les psychédéliques peuvent être résumées en quatre grands facteurs contextuels communs partagés par les différentes traditions de guérison  : la relation thérapeutique  ; le milieu de guérison  ; la justification, le schéma conceptuel ou mythe et la mise en scène rituelle. La recherche sur les états de transe devrait idéalement incorporer une description détaillée du set et setting dans laquelle la recherche a eu lieu, leur impact pouvant représenter un biais central. La référence à des paramètres tels que le choix du sujet, les attentes du chercheur, les attentes du sujet, le contexte de préparation et le cadre physique seraient pertinents dans le contrôle de certaines variables parasites dans l’étude des différentes pratiques de transe et états de conscience modifiés. L’exploration

des divers états de conscience modifiés est une piste prometteuse de recherche qui ne peut se contenter uniquement d’une validation des effets thérapeutiques ou une objectivation biologisante. Elle doit interroger ce qui constitue l’essence des processus de changement à différents niveaux. Halloy et Servais (2013) invitent à travailler sur la variation du set et du setting pour contrôler les effets du contexte sur les attentes et les effets d’enchantement des dispositifs.

Focus 18 Le voyage de l’Homo Novus

Sébastien Sauge – Frédéric Dembak-Le Strat Ce chapitre propose une approche cohérente de transformation de l’être humain par la pratique des états modifiés de conscience dont la variété est structurée par une modélisation permettant de faire émerger des voies de transformation unifiées. L’ensemble de ces chemins dessine ce que nous appelons le voyage de l’Homo Novus, ou le récit d’une humanité réalisée par la pratique des états modifiés (ou élargis) de conscience –  un programme, ou un manifeste  – qui se veut aussi bien à vocation pédagogique que scientifique, ou même politique.

Introduction : de l’anthropocène à la modélisation des EEC

L’anthropocène1 est aujourd’hui une réalité indéniable, qui se décline à travers la crise climatique, l’extinction de biodiversité, l’érosion des sols, l’épuisement des ressources (fossiles ou minerais), et via un éventail de dislocations en cascade (économiques, géopolitiques…) sur fond de paupérisation croissante. Face à l’accident de civilisation en cours, la tentation est forte de se réfugier dans le «  techno-solutionnisme  » (transhumanisme, géo-engineering, et autres innovations dites de rupture). Cette tentation, guidée par une représentation naturaliste du monde (l’homme extrait de la nature), occulte toutefois que l’état de la planète est, dans une large mesure, une réflexion de nos états intérieurs ou –  dit autrement  – de notre niveau de conscience. L’homme malade du xxie  siècle a donc plus que jamais besoin

d’envisager une transformation intérieure pour répondre aux déséquilibres du monde, dont il est la source.

Confronté à la dimension limitée –  ordinaire  – de sa conscience, force est de constater que l’homme a su développer plusieurs techniques ou pratiques lui donnant accès à d’autres niveaux de conscience, dont il est question dans cet ouvrage  : méditation, hypnose, transe cognitive auto-induite (TCAI), rebirth, respiration holotropique, EMDR (Eye movement desensitization and reprocessing), constellations familiales, effet awe, expériences psi, rêve lucide, sortie de corps (Out of Body experience ou OBE), expérience de mort imminente (near death experience ou NDE), et autres états induits par des pratiques comme les arts martiaux, le jeûne, l’apnée ou l’exposition au froid… La liste est longue de ces états dits modifiés de conscience par rapport à l’état de conscience ordinaire. Or, à la lumière de recherches menées dans ces différents domaines, on se rend compte que ces états modifiés de conscience (ou EMC) donnent accès à ce qu’on serait tenté d’appeler un monde plus grand2  : un monde permettant de voir avec d’autres yeux, d’accéder à des informations, perceptions ou capacités inaccessibles dans l’état de conscience ordinaire. De la même manière que le spectre visible est une bande très limitée dans la totalité du spectre optique, l’état de conscience ordinaire ne serait-il pas, lui aussi, une bande finalement étroite de la conscience ? Une bande hors de laquelle les états dits modifiés de conscience constitueraient un continuum plus large de potentialités ? Explorer ces états modifiés de conscience offre, dans ce contexte, la possibilité d’une élévation du niveau de conscience, susceptible de faire advenir un rapport plus harmonieux à soi, à autrui, et au monde. Plutôt que de parler d’états modifiés de conscience (expression connotée s’il en est), cette perspective nous invite à lui préférer le terme d’états élargis de conscience (ou EEC).

Si les EEC, dont les phénomènes dits de « transes », offrent une variété intéressante à explorer, leur nombre est toutefois source d’une barrière de complexité : en effet, plus un domaine a d’éléments constitutifs, plus sa cohérence d’ensemble est délicate à faire émerger. Or dans le grand livre des transes, les EEC dépassent aisément la dizaine. Dès lors, comment concevoir une ou des voie(s) de transformation par la pratique des EEC lorsque la nébuleuse qu’ils forment constitue un inventaire non structuré ?

Pour évoluer dans un domaine complexe, il faut d’abord l’appréhender. Et pour l’appréhender, il faut relier entre eux, par un storytelling aisé à transmettre, les éléments séparés pour qu’ils deviennent, ainsi reliés, les éléments d’un tout cohérent, qu’on puisse dès lors contempler, et au sein duquel on puisse définir des chemins. L’objet de l’article est donc de proposer une cartographie des EEC –  une carte du territoire – via une modélisation, pour faciliter le voyage au sein de ces champs non ordinaires de la conscience, et définir, forts de cette connaissance, des chemins de transformation de (et par) la conscience. Ces chemins de transformation fondent la proposition d’une humanité quittant – comme pour chaque cycle de transformation – le confort du connu pour l’exaltation (et l’appréhension) de l’inconnu – dessinant ce que nous appellerons le voyage de l’Homo Novus, par analogie avec le Voyage du Héros de Joseph Campbell (2008), récit d’une humanité en quête, à travers l’aventure des états élargis de conscience, d’une humanité dont l’abondance serait issue de l’intérieur plutôt que d’une exploitation sans limites de l’écosystème terrestre lui prêtant vie.

Cartographie des EEC Value Cross Pour cartographier l’ensemble des EEC, nous avons choisi de recourir à une modélisation mise au point par l’un des auteurs (FD) pour appréhender et rendre intelligible tout domaine de complexité. Cette modélisation, de portée universelle, porte le nom de Value Cross. Cette dernière définit fondamentalement la valeur de toute activité humaine parvenue à maturité comme une combinaison des quatre éléments décrits ci-après (Figure 18.1).

Figure 1.  Value Cross Dans toute application de la Value Cross (cartographie, plan d’action, outils d’aide à la décision…), l’ensemble des quatre quadrants ainsi définis à la Figure 1 est projeté sur trois cercles concentriques (ou champs d’application), permettant de structurer douze (trois cercles de quatre quadrants) éléments signifiants d’un domaine de complexité. Ces éléments, une fois identifiés/recensés, sont organisés au sein de la Value Cross de manière à faire émerger un storytelling cohérent selon les trois cercles et quatre quadrants, offrant ainsi au moins sept (quatre quadrants et trois cercles) voies de storytelling.

Pour appliquer la modélisation Value Cross (issue à l’origine de l’innovation) au domaine des EEC, il est pertinent de transposer cette dernière, en renommant ses quatre quadrants constitutifs (Community, Capacity, Business Dev et Legacy) d’une manière cohérente avec la perspective de transformation sous l’angle Homo Novus. La transposition la plus naturelle est présentée en Figure 18.2 ci-après.

Figure  2.    Transposition des quatre quadrants (capacity, community, business dev et legacy) constitutifs de la Value Cross, qui dans la perspective Homo Novus deviennent quatre voies de transformation – par le corps, le cœur, l’esprit et l’âme, respectivement On fait ainsi (ré)émerger quatre voies bien connues de transformation (par le corps, le cœur, l’esprit, et l’âme) qui renvoient/répondent aux quatre quadrants constitutifs de la Value Cross (Capacity, Community, Business Dev et Legacy). À noter que ces quatre voies de transformation peuvent être envisagées dans un ordre ou un autre, selon les aspirations. En termes de méthodologie, une fois cette transposition posée, le travail de structuration consiste à recenser douze étapes signifiantes du voyage de l’Homo Novus (avec les EEC associés permettant d’induire ces étapes)  ; puis d’intégrer, comme nous l’avons écrit plus haut, les douze étapes au sein de la Value Cross, au croisement des quatre quadrants et des trois cercles, en recherchant une cohérence d’ensemble. On peut alors lire la Value Cross (ici les différentes voies de transformation possibles par les EEC) par cercle ou par quadrant. La modélisation Value Cross, qui propose une vision structurée de transformation par la pratique des EEC, baptisée voyage de l’Homo Novus, est présentée en Figure 18.3.

Figure  3.    Le voyage de l’Homo Novus, ou une proposition structurée de chemins

de transformation par la pratique des états élargis de conscience, dans une modélisation

Value Cross Dans une lecture par cercles, le voyage de l’Homo Novus fait émerger trois seuils, ou transitions, elles-mêmes fruits de quatre étapes transformatives (qu’on décrira ici,

pour chaque cercle, dans l’ordre âme/corps/cœur/esprit, en tournant dans le sens horaire, et en gardant à l’esprit que les envisager dans un ordre différent amènerait à des storytellings alternatifs) : ● Re-naissance (ancrage, fruit des quatre expériences fondatrices suivantes)  : revivre sa naissance (âme), par des EEC comme le rebirth ou la respiration holotropique, pour dénouer ce moment crucial de l’existence lorsque nécessaire  ; apprivoiser sa mort (corps), par le jeûne ou l’apnée (technique Wim Hof3), pour y puiser une nouvelle source de vitalité (régénération et immunité)  ; (cœur) pacifier sa lignée, via la pratique des constellations familiales, pour mieux s’inscrire dans la sienne ; et enfin (esprit) réapprendre à s’émerveiller, en pratiquant par exemple l’effet awe (consistant in fine à regarder le monde comme si chaque manifestation de ce dernier était un miracle singulier, pareil à une renaissance), pour mieux renaître soi-même. ● Équilibre et paix (harmonie, fruit des quatre expériences fondatrices suivantes) : transformer ses traumas (âme), via la thérapie EMDR, l’hypnose, ou peut-être la transe cognitive auto-induite (TCAI)  ; accroître transitoirement ses forces et perceptions (corps), par la TCAI par exemple, pour ressentir dans et par le corps une confiance plus organique face à l’adversité ; sentir la connexion avec le vivant (cœur), comme peuvent le rapporter des expériences avec l’ayahuasca par exemple, pour ressentir l’harmonie de faire partie d’un monde plus grand que soi ; et enfin, accepter le champ des possibles (esprit) via l’hypnose par exemple, pour ouvrir la porte à toutes ses potentialités, signature là aussi d’une harmonie et donc d’une paix retrouvée avec le monde. ● Puissance et joie (ascension, fruit des quatre expériences fondatrices suivantes) : étendre son champ de conscience (âme), par la méditation, pour dissiper l’illusion de la dualité qui sépare l’être du reste du monde ; révéler le plein potentiel du corps (corps), par le qi gong ou la pratique des arts martiaux internes, pour unifier le corps (synonyme d’unification avec l’esprit), et exprimer ainsi toute sa puissance ; faire un avec le Divin (cœur), par une extase source d’une joie pareille à celle que, par exemple, les sujets d’une expérience de mort imminente (NDE) relatent fréquemment  ; et enfin, explorer d’autres mondes et dimensions (esprit), par le biais de rêves lucides, d’expérience hors du corps, de rituels à base d’ayahuasca ou d’expériences psi (médiumnité par exemple). Comme on le voit, la modélisation permet de passer d’un ensemble de pratiques sans cohérence (à l’image de la liste d’EEC juxtaposés dans la section d’introduction), à un tout plus unifié, qui permet d’inviter tout aspirant spirituel à un voyage dont les différentes étapes deviennent plus signifiantes, parce qu’inscrites dans un storytelling qui relie entre elles les étapes du voyage, et au-delà du storytelling, permet au voyageur de donner plus de sens à son évolution personnelle, la facilitant ainsi. À  cet égard, on peut noter que si le premier cercle relève d’une expérience de singularité (qu’on pourrait apparenter, en anglais, au mot reboot) et que le troisième cercle relève d’une réalisation plus totale de l’être, le cercle intermédiaire est celui qui permet de connecter les deux précédents, en règle générale en dépassant une barrière ou un obstacle. Par exemple, ressentir l’interconnexion au vivant (quadrant

cœur) est le trait d’union nécessaire (et l’obstacle à franchir) qui permet de passer d’une connexion à sa lignée biologique à une connexion au divin, une aspiration présente dans toutes les cultures et à toutes les époques. De même, accepter le champ des possibles (et celui de ses potentialités) constitue le trait d’union (et l’obstacle à franchir) pour passer d’une capacité d’émerveillement à celle d’une exploration désinhibée des différents mondes de la conscience. Dans une lecture par quadrants cette fois, le voyage de l’Homo Novus peut s’articuler suivant les voies de transformation suivantes : ● Voie du cœur : pacifier sa lignée par le processus des constellations familiales pour restaurer en intégrité celle qui nous a vus naître (ancrage)  ; ressentir la connexion au vivant (comme le permettrait l’ayahuasca) pour se sentir connecté à plus grand que soi (harmonie)  ; et enfin, à travers une extase mystique (spontanée ou potentiellement induite par un psychotrope ou une expérience de mort imminente) faire un avec le divin à l’origine de toute chose, dans un besoin de transcendance inscrit en chacun de nous (ascension). ● Voie de l’esprit  : réapprendre à s’émerveiller (effet awe) du miracle que constitue toute chose sur une planète en rotation dans un univers à trois degrés au-dessus du zéro absolu (ancrage) ; accepter le champ des possibles pour mieux exprimer ses potentialités propres, que l’hypnose par exemple peut aider à libérer ; et fort de cette transformation assumée, partir explorer d’autres mondes et dimensions intérieures, que ce soit par les rêves lucides, les sorties de corps, les rituels à base d’ayahuasca ou les expériences psi, et ainsi dépasser les limitations usuellement acceptées car présentées comme naturelles par notre éducation et le sens commun de nos sociétés modernes (ascension). ● Voie de l’âme  : revivre sa naissance, singularité originelle de l’être mis au monde (à laquelle une technique comme le rebirth ou la respiration holotropique peuvent donner accès), pour ramener cet épisode fondateur à la conscience (ancrage) ; transformer des traumas passés (comme peut l’y aider l’EMDR, l’hypnose, et peut-être la TCAI) (harmonie)  ; et enfin, libéré des traumas (et des processus d’identification à ces derniers), étendre son champ de conscience par la méditation, pour réaliser ce que les mystiques décrivent sous le nom d’illumination : la réalisation d’une conscience qui vit le monde en totale présence, mais sans s’identifier à la forme (ascension). ● Voie du corps : apprivoiser sa mort, en se confrontant par le jeûne ou l’apnée à une privation temporaire qui, en réactivant des processus millénaires de régénération et de stimulation de l’immunité, permet de retrouver –  littéralement – un nouveau souffle de vie (ancrage) ; accroître temporairement ses forces et perceptions, via la TCAI par exemple, pour s’aventurer sur cette voie de transformation que les maîtres du Bushido appellent la Voie (harmonie) ; et enfin, embrasser cette quête par la pratique du qi gong ou des arts martiaux internes, pour révéler le plein potentiel du corps (ce qui en rebond soutient et facilite également la voie de l’esprit), et correspond dans certains référentiels de cultures asiatiques à la notion de guerrier pacifique, dont les actions suivent le Tao, à l’image des forces invisibles à l’œuvre dans le monde (ascension).

Conclusion Face à l’anthropocène, l’être humain contemple un choix ontologique, celui de renoncer  : en l’occurrence, renoncer à une croissance avide, inhumaine pour l’ensemble du vivant. Ce renoncement, pour être choisi plutôt que subi, nécessite de faire l’expérience (non intellectuelle, ou tout du moins non uniquement intellectuelle), que l’être n’est pas dans l’avoir ; que chaque instant est une source inépuisable de magie dès lors qu’on ne cherche pas à l’accaparer. Ce renversement, que l’abondance vient d’un renoncement alimenté par le don de soi, est à l’évidence un cheminement intérieur, qui doit impliquer toutes les dimensions de l’être (esprit, cœur, corps, âme). La pratique des états modifiés (élargis) de conscience (tels que méditation, transe cognitive auto-induite, hypnose, Ayahuasca, ou autres induits par des pratiques comme les arts martiaux) offre un terreau fertile et inépuisable d’exploration et de transformation. Toutefois, face à la variété de ces états élargis de conscience (EEC), il convient, pour que chacun puisse sans s’y perdre, trouver sa voie sur ce territoire complexe, d’en proposer une carte (permettant au passage de mieux mesurer le chemin parcouru). Issue d’une modélisation par l’outil Value Cross, cette cartographie a été baptisée le voyage de l’Homo Novus. Ce dernier, récit ou odyssée d’une nouvelle humanité réalisée par la pratique des états élargis de conscience, se veut une invitation au voyage pour tous les aspirants spirituels en quête de ce monde plus grand, qui donne son titre au film relatant l’aventure de Corine Sombrun au pays de la transe (Berthaud, 2020). À ce titre, le voyage de l’Homo Novus est aussi, quelque part, un manifeste – pour structurer, selon les besoins, des programmes de formation, des programmes de recherche – et même, pourquoi pas – des programmes politiques – domaine au sein duquel les aspirations ou dimensions spirituelles sont pour l’heure, hélas, cruellement absentes… À cet égard, il convient d’avertir, comme l’écrit Jean-Louis Tornatore dans son dernier livre, qu’il n’y aura « pas de transition sans transe » (Tornatore, 2023) et donc, pas de transition sans états élargis de conscience. La suite logique de cette modélisation sera d’étudier les différents trajets possibles, liés à l’ordre dans lequel les quadrants peuvent être explorés. Les différentes combinaisons, telles que corps/esprit/cœur/

âme, ou âme/corps/cœur/esprit, sont au nombre de vingt-quatre. Il est probable que chaque individu, au regard de son histoire personnelle et sans doute de sa culture et de ses affinités, ait une combinaison qui lui soit plus adaptée. L’étude exhaustive de ces vingt-quatre trajectoires et leur analyse comparée feront probablement émerger vingt-quatre profils, chacun pouvant plus facilement s’identifier à un profil en particulier. L’enjeu d’une telle étude serait dès lors que chaque pratiquant, ayant choisi sa trajectoire naturelle, assortie de clés de compréhensions personnalisées, voie son voyage de l’Homo Novus facilité et enrichi.

Remerciements L’auteur principal, Sébastien Sauge, remercie Régis Déza pour des échanges ayant permis d’ébaucher une première Value Cross de ce qui est devenu le voyage de l’Homo Novus.

Notes 1. Ce terme désigne l’époque qui se caractérise par l’humain comme principale force de changement sur Terre, surpassant les forces géophysiques. 2. Fabienne Berthaud (2020), Un monde plus grand. 3. Méthode de respiration et de méditation développée par Wim Hof, athlète néerlandais. La méthode comprend une série d’exercices de respiration qui visent à augmenter la quantité d’oxygène dans le corps, ainsi que des techniques de méditation pour améliorer la concentration et la relaxation.

Partie 3 Expressions de la transe

Chapitre 19 Transe hypnotique et transes héritées de pratiques ancestrales : quand la science en parle

Audrey Vanhaudenhuyse – Charlotte Grégoire – Aminata Bicego – Nolwenn Marie – Yannick Lafon – Marie-Elisabeth Faymonville – Olivia Gosseries Les dernières décennies sont le témoin d’un accroissement technologique, notamment dans le milieu neuroscientifique, offrant une compréhension de plus en plus subtile des processus cérébraux sous-jacents aux phénomènes de la conscience. Nous avons actuellement la chance de vivre une ère où se rencontrent la rapidité d’évolution technologique, l’enthousiasme pour des approches intégratives permettant à des experts de tous pôles (psychologues, médecins, ingénieurs,  etc.) de se rassembler autour d’une même thématique, ainsi que l’intérêt des communautés académiques et médicales pour la compréhension de la conscience. Cette dernière est un phénomène complexe, encore mystérieux sous bien des angles, et même si nous n’avons pas la prétention d’affirmer avoir une connaissance précise de ses mécanismes, nous pouvons déjà tisser une toile de fond relativement robuste quant à ses différentes modulations volontaires (par exemple, via l’hypnose) ou pathologiques (par exemple, le coma). Les années futures nous réservent encore beaucoup de surprises, de découvertes et de remises en question de ce que nous connaissons aujourd’hui. Cette perspective en est d’autant plus réjouissante, car elle promet encore davantage d’avancées et de percées scientifiques qui attisent et attiseront notre curiosité. C’est dans cette démarche de « regard tourné vers la nouveauté » que nous avons envie, d’une part, de partager ce que nous connaissons actuellement des états de conscience modifiés volontaires sous la loupe des neurosciences, et d’autre part, de résumer les applications cliniques connues de ces états, particulièrement concernant la gestion de la douleur. L’intérêt de l’hypnose pour la gestion de la douleur est en effet rapporté dès 1830, grâce aux travaux de Jules Cloquet et de John Elliotson qui pratiquaient déjà, à l’époque, des interventions chirurgicales sous hypnose (Vanhaudenhuyse et  al., 2020). Nous nous centrerons donc sur les états de conscience modifiés ou non ordinaires, induits volontairement, en l’absence d’ingestion de substance. Le terme «  transe  » selon nous, regroupe tous ces

processus qui modifient la conscience que la personne a de son environnement et d’elle-même. Dans ce chapitre, nous nous focaliserons sur la transe induite par l’hypnose, ainsi que les transes héritées de pratiques chamaniques ancestrales.

La conscience en quelques mots La conscience est un concept ambigu et ineffable (Zeman, 2001). Une définition, parmi tant d’autres, est que la conscience correspond à ce que nous perdons lorsque nous nous endormons profondément et ce que nous récupérons lorsque nous nous réveillons. On s’accorde également à dire que la conscience possède deux composantes : l’éveil et la perception consciente. L’éveil se marque par une ouverture prolongée des yeux et est sous-tendu par le tronc cérébral et ses projections thalamiques et corticales (Vogt et Laureys, 2005). La perception consciente correspond à l’ensemble des expériences subjectives présentes et passées et dépend du réseau frontopariétal et de ses connexions cortico-thalamiques. La conscience résulte donc de l’interaction entre l’activité du cortex cérébral, du tronc cérébral et du thalamus. Le contenu de la conscience peut être divisé en deux composantes principales  : la conscience interne (ou conscience de soi) et la conscience externe (ou conscience de l’environnement). La conscience de l’environnement est définie comme la perception consciente du monde qui nous entoure à travers nos cinq sens. La conscience de soi concerne l’ensemble des processus relatifs à nos pensées internes et au Soi, qui ne requièrent pas le traitement des stimuli externes et environnementaux. Le précunéus et les régions mésio-frontales, appelés «  réseau du mode par défaut  », sont impliqués dans les processus de conscience de soi, tandis que les régions fronto-pariétales latérales sous-tendent la conscience de l’environnement (Fox et  al., 2005) (Figure  19.1). En état de conscience ordinaire, ces deux types de conscience, ainsi que les deux réseaux cérébraux associés, sont négativement corrélés. En effet, plus les personnes témoignent d’une conscience de soi importante, plus l’activation du réseau du mode par défaut est

élevée, et plus la conscience de l’environnement et l’activation de son réseau cérébral sont diminuées –  et inversement (Vanhaudenhuyse et  al., 2011). Spontanément, nous passons d’un type de conscience à l’autre environ toutes les 20 secondes.

Figure 1.  Les deux réseaux distincts de la conscience de soi et de l’environnement Les enregistrements ont été réalisés en imagerie par résonance magnétique fonctionnelle chez des volontaires sains. Adapté de (Vanhaudenhuyse et al., 2011).

Les processus de conscience peuvent se distinguer en deux catégories (Seth et Bayne, 2022). Les premiers, appelés états globaux de conscience ou niveaux de conscience, se réfèrent à l’état de la personne et sont associés aux modifications qui peuvent apparaître au niveau de l’éveil et des réponses comportementales. Ces états globaux incluent notamment l’éveil, le rêve et la sédation. Les seconds, appelés états locaux, réfèrent au contenu de conscience et décrivent davantage à quoi cela ressemble d’être dans ces états, quelles sont les modalités perceptuelles basiques et complexes (par exemple, la conscience de soi, la conscience visuelle, les émotions, l’agentivité, les souvenirs,  etc. associés à l’état).

Ces dernières années ont été le témoin d’une floraison de théories tant biologiques que physiques de la conscience. Parmi ces modèles théoriques, trois approches de la conscience retiennent notre attention  : les théories d’ordre supérieur (higher-order), les théories de l’espace de travail global (global workspace) et la théorie de l’information intégrée (integrated information). Nous proposons ciaprès un résumé de chacune de ces approches, issu de l’excellente revue de littérature proposées par Seth et Bayne (2022). Le lecteur trouvera l’entièreté des références pour chaque théorie résumée dans cette revue de littérature. Tout d’abord, les théories d’ordre supérieur considèrent qu’un état mental est conscient à partir du moment où il peut être sujet à des métareprésentations. Celles-ci, dans ce cas précis, peuvent être illustrées par l’exemple suivant : « J’ai une expérience auditive d’un chant d’oiseau.  » Cette affirmation est une métareprésentation puisque son contenu concerne spécifiquement les représentations propres que la personne a de l’environnement qui l’entoure (J’ai…), plutôt que de l’environnement lui-même (Seth et Bayne, 2022). Le principe de base des théories d’ordre supérieur est que ces métareprésentations sont directement liées à la conscience (Brown et al., 2019). L’objectif de ces modèles est de comprendre pourquoi certains contenus sont conscients et d’autres pas, pourquoi certains contenus ne peuvent pas être conscients (c’est-à-dire qu’aucune métareprésentation n’est possible) et pourquoi d’autres sont nécessairement conscients (c’est-à-dire systématiquement accompagnés d’une métareprésentation). Selon ces théories, les corrélats neuronaux de la conscience incluent les régions corticales antérieures et le cortex préfrontal (Lau et Rosenthal, 2011). Les théories de l’espace de travail global trouvent leur origine dans l’architecture des circuits de l’intelligence artificielle basés sur le partage des informations entre processeurs. Le principe de ces théories est que l’expérience consciente est possible grâce à un accès aux informations, aux systèmes attentionnels, d’évaluation, de mémoire et la capacité de les retranscrire oralement. Cette théorie a donné naissance à l’espace de travail neuronal global au sein

duquel une information devient consciente si elle est diffusée dans un espace neuronal large, localisé dans les régions corticales supérieures avec un rôle particulier pour le cortex préfrontal et les régions fronto-pariétales (Dehaene et Naccache, 2001). Les adeptes de ces théories considèrent que les états conscients guident les comportements et cognitions tout en s’adaptant au contexte (Mashour et al., 2020 ; Dehaene et Changeux, 2011). La théorie de l’information intégrée aborde la question sous un angle différent que les théories citées ci-dessus puisque c’est un modèle mathématique qui est proposé pour caractériser la phénoménologie de la conscience. Selon cette théorie, la conscience peut être expliquée en termes de puissance «  causes-effets  » associée à un maximum d’informations intégrées par un système physique. En d’autres termes, cette théorie propose de mesurer la quantité d’informations générée par le système dans son ensemble (le système cérébral) et de la comparer à ses sous-structures prises indépendamment les unes des autres (les différents réseaux cérébraux). La conscience est donc une propriété intrinsèque et fondamentale du système, et est déterminée tant par la nature des mécanismes qui le composent, que par son état (Oizumi et  al., 2014  ; Tononi et  al., 2016  ; 2008). Ce modèle théorique considère les régions corticales postérieures telles que les cortex pariétaux, temporaux et occipitaux, comme base pour générer les systèmes de haut niveau d’intégration des informations (Tononi et al., 2016). Actuellement, la plupart des études neuroscientifiques se basent sur ces trois modèles pour comprendre les mécanismes neuronaux des états de transe qui seront décrits ci-après. Nous commencerons par introduire la transe hypnotique, ce que l’on connaît de ses mécanismes cérébraux ainsi que ses applications cliniques, pour ensuite nous tourner vers les transes issues de traditions chamaniques ancestrales.

La transe hypnotique

La transe hypnotique est déjà décrite par les Égyptiens et sera abordée au xixe siècle sous l’angle scientifique par Messmer et ses contemporains. Actuellement, différentes définitions sont proposées pour décrire l’hypnose. En 2014, l’American Psychological Association propose une mise à jour de la définition de l’hypnose  : «  état de conscience impliquant une attention focalisée et une conscience périphérique réduite, caractérisé par une capacité accrue de réponse à la suggestion » (Elkins et al., 2015). Selon cette définition, le processus hypnotique est caractérisé par un processus au cours duquel sont observées une modification de la conscience de soi et une réduction de la conscience de l’environnement, suite à une induction et des suggestions verbales. Quatre composantes principales caractérisent l’hypnose (Weitzenhoffer, 2002  ; Spiegel, 1991) : l’absorption est la tendance à s’impliquer complètement dans une situation perceptive ou imaginaire ; la dissociation correspond à une séparation entre les perceptions ressenties et l’environnement extérieur  ; la suggestibilité est la tendance à se conformer aux suggestions données et à suspendre son jugement critique  ; et le sentiment d’automaticité correspond à une altération du sens de l’agentivité vécu comme une réponse involontaire aux suggestions faites lors d’une hypnose. Néanmoins, il serait réducteur de ne citer qu’une définition de l’hypnose. Ce processus complexe l’est également dans la manière de l’aborder, ce qu’illustrent les différentes théories non exclusives qui s’y rattachent. En effet, d’autres auteurs considèrent l’hypnose comme un processus cognitif top-down au cours duquel les représentations mentales de la personne influencent sa physiologie, sa perception et son comportement (Terhune et al., 2017). En outre, plusieurs théories soulignent également l’implication du contrôle cognitif, la métacognition, le contexte, les attentes, les croyances et la motivation, ainsi que les suggestions verbales pour expliquer les modifications perceptives dont témoignent les personnes en hypnose (Brown, 2001). Au regard des multiples théories tentant d’expliquer le phénomène hypnotique, le modèle biopsychosocial nous semble aborder

l’hypnose dans sa complexité et sa globalité. En effet, ce modèle prend en compte tant les facteurs biologiques (par exemple, le fonctionnement cérébral), que les facteurs psychologiques (par exemple, la motivation et les attentes), et les facteurs sociaux (par exemple, le contexte) pour caractériser plus précisément les processus sous-jacents à cet état de conscience non ordinaire (Jensen et al., 2015). Ces différents facteurs, considérés ensemble, permettraient de caractériser précisément l’hypnose, et de la sorte, de mieux comprendre les différents vécus subjectifs rapportés par les personnes suite à une induction hypnotique.

Si nous parlons d’hypnose, la question de l’hypnotisabilité ne peut être évitée. Cette question est souvent soulevée par les cliniciens et systématiquement par la communauté scientifique. L’hypnotisabilité, variable d’une personne à l’autre, est définie comme la capacité à entrer dans le processus d’hypnose. Les «  virtuoses  » (personnes hautement hypnotisables) ont la capacité de vivre des hypnoses profondes et très riches au niveau du vécu subjectif (par exemple, hallucinations visuelles, auditives ou kinesthésiques, hallucinations couplées à des émotions agréables et apaisantes). Les personnes caractérisées par une sensibilité moyenne ou légère aux suggestions hypnotiques témoignent quant à elles d’une expérience sensorielle moins riche, d’une sensation de somnolence ou d’une relaxation profonde. Si une multitude d’échelles standardisées existent pour mesurer ce degré d’hypnotisabilité, celles-ci peuvent s’avérer longues (entre 45 minutes et 1  h  30) et se focalisent uniquement sur la présence ou l’absence de réponses comportementales chez la personne, suite à des suggestions verbales. Ces échelles permettent d’obtenir un score numérique, la plupart du temps de 0 à 12, donnant ainsi une valeur d’hypnotisabilité de la personne – ≤4 : faible, 5-7 : moyen, ≥8 : fort ; par exemple Weitzenhoffer et Hilgard (1962) et Elkins et al. (2015). Récemment, notre équipe a proposé un score unique de dissociation auto-évalué par la personne elle-même après son expérience

hypnotique, permettant de distinguer les personnes hautement hypnotisables des personnes faiblement hypnotisables (Vanhaudenhuyse et al., 2019). Ce dernier devrait faire l’objet d’une étude sur un plus large échantillon afin d’en confirmer sa validité. Il permet néanmoins d’avoir une information rapide, qui semble robuste, quant à la capacité de l’individu à vivre le processus hypnotique. Ce score rapide pourrait donc s’avérer utile, notamment pour les études cliniques qui sont la plupart du temps composées de centaines de patients, et demanderaient donc un effort considérable si l’hypnotisabilité devait être mesurée pour chaque participant à l’aide de ces échelles standardisées. Par ailleurs, il est également connu que les personnes hautement hypnotisables démontrent un profil cérébral structurel et fonctionnel distinct des personnes faiblement hypnotisables. Au niveau fonctionnel, il semblerait que l’activation et la connectivité des cortex dorso-latéral préfrontal et cingulaire antérieur soient différentes entre ces deux populations (Vanhaudenhuyse et  al., 2020  ; Landry et al., 2017). Par exemple, les personnes hautement hypnotisables démontreraient une augmentation de la connectivité fonctionnelle entre le cortex dorsolatéral préfrontal gauche –  impliqué dans les processus de contrôle exécutif  – et le réseau de la saillance –   impliqué dans la détection et l’intégration des informations pertinentes (Hoeft et  al., 2012). De plus, ces personnes démontreraient également une meilleure connectivité du réseau du mode par défaut avec les cortex cingulaire antérieur et pariétal (Cojan et  al., 2015). Enfin, le degré d’hypnotisabilité, de manière plus générale, est corrélé positivement avec la connectivité fonctionnelle entre le cortex cingulaire postérieur et le précunéus (Huber et  al., 2014). Sur le plan structurel, le rostrum du corps calleux, ainsi que les cortex frontal et cingulaire antérieur présentent une augmentation anatomique chez les personnes plus sensibles à l’hypnose (Huber et al., 2014 ; Horton et al., 2004  ; Incognito et al., 2019). L’ensemble de ces aires cérébrales sont notamment impliquées dans les processus attentionnels et de monitoring de l’information. Les différences fonctionnelles et structurelles

observées chez les personnes hautement hypnotisables suggérèrent donc une manière spécifique de traiter l’information, en lien avec des processus attentionnels différents, lors d’une induction hypnotique. Cependant, il est important de souligner que l’hypnotisabilité d’un individu peut varier d’un jour à l’autre et dépend également du contexte (Piccione et al., 1989). De plus, certaines techniques telles que la pratique régulière de l’auto-hypnose, de la relaxation ou du neurofeedback, ainsi que des stimulations magnétiques ou électriques transcrâniennes, ou même des substances telles que du protoxyde d’azote peuvent augmenter le niveau d’hypnotisabilité (Batty et al., 2006 ; Jensen et al., 2018 ; Whalley et Brooks, 2009 ; Dienes et Hutton, 2013  ; Coltheart et  al., 2018  ; Perri et Di  Filippo, 2023). Il est également intéressant de mentionner que certains travaux témoignent d’un lien entre l’hypnotisabilité et différentes variables telles que les capacités d’imagerie mentale, la capacité à contrôler le système immunitaire via des techniques de relaxation, et la capacite à réduire la douleur grâce à des stratégies cognitives (Fontanelli et  al., 2022). Néanmoins, indépendamment du niveau d’hypnotisabilité, et dans le contexte de la prise en charge de la douleur, l’hypnose permet une diminution de celle-ci chez tous les individus (Vanhaudenhuyse et  al., 2020  ; Wolf et  al., 2022). Finalement, un lien a pu être récemment établi entre hypnotisabilité et bien-être. En effet, il semblerait que les personnes dont le degré d’hypnotisabilité est le plus élevé témoignent d’un bien-être général également plus élevé (Biscuola et al., 2022). Par conséquent, l’hypnotisabilité semble représenter une composante psychologique plus modulable que ne le laissent sousentendre plusieurs anciens travaux de recherche. Cette composante psychologique comprendrait différentes dimensions en lien tant avec les capacités cognitives, que la phénoménologie de l’expérience hypnotique, et la santé mentale des individus.

Les études centrées sur le vécu subjectif de la personne durant l’hypnose ne sont pas nouvelles. Actuellement, nous savons que l’hypnose induit une phénoménologie particulière, caractérisée par des altérations de l’image de soi et des sensations corporelles, une diminution de la perception de l’environnement, une modification du sens de la réalité, une inhibition spontanée de l’envie de parler, de bouger ou de penser, une modification de la perception du temps, une désorientation dans l’espace, ainsi qu’une expérience d’imagerie mentale et une attention perçue comme flottante/non focalisée (Cardeña, 2005  ; Varga et  al., 2017). Les personnes considérées comme hautement hypnotisables rapportent également parfois une perte de la perception de leur corps et de leur respiration, la présence d’obscurité ou de luminosité intense, un sentiment de potentialité, une perte de l’activité mentale spontanée, ainsi que d’une impression de ne faire qu’« un » avec l’univers (Tart, 1970). Aujourd’hui, le vécu subjectif de la personne doit nécessairement être combiné aux observations biologiques et neuronales. Cela permet d’obtenir une vision plus complète et complexe du phénomène hypnotique, et donc de mieux le comprendre.

En 1987, l’une des premières études de neuro-imagerie a montré une augmentation globale (jusqu’à 16 %) du débit sanguin cérébral pendant l’hypnose, avec des augmentations spécifiques dans les régions occipitale et temporale droites (Ulrich et al., 1987). Quelques années plus tard, Crawford et son équipe (1993) mettaient en évidence que les personnes hautement hypnotisables démontraient une augmentation significative du fonctionnement cérébral global, comparées à des personnes faiblement hypnotisables. Selon ces auteurs, celle-ci suggère que l’hypnose requière un effort cognitif particulier. En 1999, à Liège en Belgique, une augmentation plus spécifique de l’activation des cortex occipital, pariétal, précentral, prémoteur et préfrontal ventrolatéral gauches, ainsi que du lobe

occipital et du cortex cingulaire antérieur droits, combinée à une diminution de l’activité dans le précunéus, le cortex temporal bilatéral, le cortex préfrontal médian et le cortex prémoteur droit, a été observée pendant l’hypnose (Maquet et al., 1999). De plus, une augmentation des rythmes électriques thêta dans les zones cérébrales postérieures, combinée à une augmentation globale de l’activité électrique alpha sur l’ensemble du cerveau et à des modulations des rythmes gamma a été rapportée chez des patients en hypnose (Jensen et al., 2015). Notons néanmoins qu’une étude récente remet en question une modulation des rythmes électriques thêta spécifiques au processus hypnotique (Hiltunen et  al., 2021). Ces études pionnières ont permis la première objectivation du processus hypnotique en tant qu’état de conscience non ordinaire spécifique. Par ailleurs, les réseaux de la conscience interne et externe, tels que précités, réagissent différemment lorsque les personnes sont en hypnose. En effet, par rapport à un état de conscience ordinaire (éveil, les yeux fermés), la connectivité fonctionnelle des réseaux de consciences externe et interne est modifiée durant l’hypnose (Demertzi et  al., 2011). Ces observations au niveau cérébral sont accompagnées d’un vécu subjectif spécifique  : les personnes en hypnose rapportent une diminution drastique de la conscience qu’elles ont de l’environnement qui les entoure, ainsi qu’une augmentation de la conscience qu’elles ont d’elles-mêmes (Figure  19.2) (Demertzi et  al., 2015). De plus, le délai de changement entre les deux types de conscience est ralenti en hypnose (33  secondes) (ibid.). Bien que les résultats ne soient pas homogènes au sein de la communauté scientifique, nous pouvons néanmoins établir un consensus sur le fait qu’une restructuration de la connectivité au sein du réseau du mode par défaut (impliqué dans la conscience de soi) a lieu pendant l’hypnose (Vanhaudenhuyse et  al., 2020  ; Landry et  al., 2017). Ces changements reflètent une diminution probable de la récupération des informations provenant du monde extérieur et relatives au « soi » (par exemple, l’orientation visuo-spatiale, la récupération de la mémoire épisodique, la

cognition sociale, l’agentivité), une diminution de la pensée spontanée, ainsi qu’une inhibition des pensées intrusives  ; tandis que la diminution de la connectivité observée dans le réseau de la conscience externe est une conséquence du blocage des systèmes sensoriels dans la réception des stimuli après l’entrée dans le processus hypnotique (Demertzi et  al., 2011  ; McGeown et  al., 2015 ; Del Casale et al., 2022).

Figure  2.    Modification de l’évaluation subjective de l’intensité de la conscience de soi

et de l’environnement lorsque des participants sont en hypnose, par rapport à un état

de conscience ordinaire 0 = aucune, 3 = maximale. La ligne bleu clair représente la valeur médiane. Adapté de (Demertzi, 2015).

Nous pouvons légitimement nous interroger sur cette absence de consensus concernant une signature claire et précise du processus hypnotique. Ce fait peut être compris par la complexité du processus hypnotique. Comme nous le précisions un peu plus haut, l’expérience en hypnose est tributaire de divers facteurs tant

biologiques, que psychologiques et sociaux. L’hypnose peut donc très difficilement être réduite à une seule et unique signature cérébrale, ce qui en fait sa richesse et sa complexité. Malgré cela, les observations rapportées par les différentes équipes de chercheurs sont sans équivoque quant au fait que l’hypnose constitue un processus spécifique, avec des caractéristiques propres, qui la différencient d’un état de conscience ordinaire.

Notons que la douleur aiguë est un phénomène d’alarme qui protège l’individu et assure son intégrité corporelle. De plus, la douleur est phénomène complexe qui allie sensations, émotions, comportements et cognitions (Turk et  al., 2011). La douleur peut donc être abordée stratégiquement sous ces différents aspects afin de la diminuer. L’hypnose est un outil qui permet de moduler et de transformer ces différentes variables impliquées dans la douleur. Actuellement, nous savons que l’hypnose représente une approche complémentaire et sûre pour la gestion efficace de la douleur aiguë (Thompson et  al., 2019). Les techniques de neuro-imagerie ont permis d’illustrer à quel point l’hypnose impacte le vécu douloureux sous différents angles. En effet, un large éventail de régions cérébrales est impliqué dans la perception de la douleur (Rainville et al., 1999 ; Faymonville et al., 2000). Ce réseau cérébral comprend les régions somato-sensorielles primaires et secondaires (liées aux caractéristiques sensorielles), les insulas, les cortex cingulaire antérieur et préfrontal, les noyaux thalamiques, le cervelet, ainsi que la substance grise périaqueducale (en lien avec les aspects émotionnels et motivationnels). De plus, une série d’autres régions également impliquées dans le circuit de la récompense sont également en jeu dans les mécanismes de la douleur (hippocampe, noyaux accumbens, amygdales) (Bicego et  al., 2022). L’ensemble des régions cérébrales impliquées dans le traitement de la douleur est drastiquement modifié lorsque les personnes sont en hypnose. En effet, on note des modifications de la connectivité au sein même

de ce réseau, entre les régions corticales et sous-corticales (Vanhaudenhuyse et  al., 2020), lorsque les personnes sont soumises à des stimulations douloureuses aiguës. Cette observation est accompagnée d’une diminution de la perception subjective de la douleur rapportée par les participants des différentes études. Cette modulation de la douleur, qu’elle soit aiguë ou chronique, observée durant l’hypnose peut être comprise en regard des différents rôles des régions impactées par l’hypnose. Nous proposons d’en résumer les observations principales, le détail des différentes études qui ont permis ce résumé pouvant être lu dans les revues de littérature suivantes (Vanhaudenhuyse et  al., 2020  ; Del Casale et al., 2022 ; Bicego et al., 2022 ; Timmermann et al., 2022). Le cortex cingulaire antérieur est notamment connu pour son rôle de codage de l’information nociceptive. De plus, l’augmentation de la connectivité fonctionnelle entre le cortex cingulaire, le thalamus et le tronc cérébral peut être reliée à la modification de l’état de conscience et des processus attentionnels ainsi qu’à l’état de relaxation caractéristiques de l’hypnose (Faymonviell et  al., 2003). Celle-ci diminue également l’anxiété, ainsi que les réactions défensives et émotionnelles à la douleur, qui sont prises en charge par un large ensemble de régions corticales et sous-corticales. L’insula, quant à elle, est impliquée dans le codage des affects et de l’intensité de la douleur. La modulation de la connectivité entre l’insula, le réseau du mode par défaut et le cortex cingulaire antérieur peut être liée au phénomène d’hypnoanalgésie et de réponse aux suggestions. Enfin, la modulation du cortex frontal observée en hypnose peut être mise en lien avec les systèmes attentionnel et mnésique qui influencent la perception des stimulations environnementales. Les études en électroencéphalographie (EEG) ont également permis de mettre en lumière différents processus jouant un rôle dans l’hypnose et la perception de la douleur. Différentes ondes cérébrales, qui interviennent à différentes étapes de l’interprétation du message «  douleur  », sont connues pour être modifiées en hypnose  : la N20 –  processus somato-sensoriel  –, ainsi que les ondes P100, P150 et P250 –

 perception consciente, intégration de la composante affective de la stimulation (Vanhaudenhuyse et al., 2020). L’ensemble de ces travaux démontre donc que l’hypnose modifie effectivement la manière dont les régions cérébrales vont réagir à des stimulations douloureuses, en impactant des systèmes somatosensoriels, affectifs et cognitifs-attentionnels. Ces études permettent, dès lors, de mieux comprendre pourquoi l’hypnose est utile pour des patients souffrant de douleurs, qu’elles soient aiguës ou chroniques. Au niveau des douleurs aiguës, l’hypnose s’avère être un outil efficace au service des patients devant subir différentes procédures chirurgicales (Vanhaudenhuyse et al., 2020). Comparée à l’anesthésie générale, l’hypnosédation, une combinaison de sédation consciente et d’anesthésie locale (Faymonville et  al., 1999  ; Defecheux et  al., 2000), apporte des bénéfices cliniques chez les patients opérés. En effet, elle permet un meilleur confort péri et post-opératoire, une diminution de l’anxiété, de la douleur, des nausées, de la consommation d’anxiolytiques et de médication analgésique  ; ainsi qu’une récupération plus rapide (Wang et al., 2022 ; Tefikow et al., 2013). De plus, les patients ayant bénéficié d’une hypnosédation feraient à nouveau le choix de cet outil s’ils devaient subir une autre chirurgie dans le futur (Chapet et al., 2019). L’hypnose a également un grand intérêt pour diminuer la douleur lors de l’accouchement (Sharpe et  al., 2022), d’interventions maxillo-faciales et dentaires (Merz et al., 2022 ; Silva et al., 2022), et chez les patients sévèrement brûlés (O’Reilly et al., 2022  ; Gasteratos et  al., 2022). Cette technique est également utilisée de manière efficace pour diminuer la douleur lors d’interventions en pédiatrie (Geagea et  al., 2022). Il est intéressant de noter que cette modification de la perception de la douleur aiguë peut être probablement mise en lien avec une amélioration de l’empowerment et de la confiance en soi des patients grâce à l’hypnose, ce qui rendrait l’expérience subjective vécue par les patients plus positive (Catsaros et Wendland, 2022). En effet, l’hypnose permet à l’individu d’aller chercher dans ses ressources personnelles, des outils lui permettant d’augmenter son confort.

Grâce à l’hypnose, la personne peut dès lors retrouver une certaine autonomie quand a l’amélioration de son bien-être. L’hypnose est également utile lorsque la douleur perdure et se transforme en douleur chronique. Différents travaux réalisés à Liège ont mis en évidence l’intérêt d’enseigner l’auto-hypnose combinée à des outils d’auto-bienveillance pour diminuer la douleur, la détresse émotionnelle et améliorer le sommeil et la qualité de vie de patients souffrant de douleur chronique (Vanhaudenhuyse et  al., 2015  ; 2018  ; Bicego et  al., 2021). L’intérêt des techniques d’hypnose en douleur chronique a également été démontré par d’autres équipes de chercheurs (par exemple  : De Benedettis et  al., 2022  ; Langlois et  al., 2022  ; Ruan et al., 2022  ; McKittrick et  al., 2022  ; Hadoush et  al., 2022). De plus, il semblerait que huit séances d’hypnose (particulièrement d’hypnose et auto-bienveillance) soit le nombre idéal pour arriver à des résultats positifs dans le contexte de la douleur chronique (Langlois et  al., 2022). Enfin, la gestion de la douleur peut être améliorée grâce à l’hypnose dans le cadre de l’accompagnement des patients en soins palliatifs (Bissonnette et al., 2022). L’hypnose est également un outil de plus en plus couramment inclus dans les services proposés aux patients en oncologie. En effet, de nombreux avantages de cette technique ont été mis en évidence tant pour la diminution de la douleur que pour les autres symptômes fréquemment rencontrés dans ce contexte –  fatigue, difficultés de sommeil, difficultés cognitives, détresse émotionnelle, qualité de vie (Carlson et  al., 2018  ; Cramer et  al., 2015  ; Sine et  al., 2022  ; Gregoire et al., 2018  ; 2019  ; 2020  ; Arring et  al., 2019). De plus, l’hypnose est une approche efficace pour diminuer l’apparition de douleur chronique suite à des chirurgies oncologiques telles que, par exemple, des chirurgies mammaires (Lacroix et al., 2019).

Les transes héritées de pratiques traditionnelles ancestrales, brèves descriptions et phénoménologie

Ces travaux sur l’hypnose et ses applications cliniques ouvrent la voie à l’étude d’autres états de conscience modifiée. Il existe différents types de transes issues de traditions anciennes, qui peuvent être qualifiées d’états de conscience non ordinaires, au même titre que l’hypnose. Dans ce chapitre, nous nous focaliserons sur les inductions de transes qui ont fait l’objet d’études en neuroimagerie : la transe chamanique, la transe médiumnique et la transe cognitive auto-induite. La transe chamanique, tout d’abord, est vécue dans des contextes ritualisés, et a généralement une fonction curative. Lorsque le chamane est dans le processus de transe, il «  entre  » en contact avec le monde invisible des esprits, ce qui lui permet d’obtenir des informations pour guérir et résoudre des problèmes physiques, psychologiques et spirituels rencontrés par les membres de sa communauté (Greene, 1998). Différentes méthodes sont utilisées pour induire la transe chamanique, comme la musique, la danse, les percussions et la production de sons divers, ou encore l’ingestion de substances issues de diverses plantes (Gregoire et  al., 2021). Le contexte et l’ambiance de l’endroit où se déroule cette transe (cette cérémonie) sont également réfléchis et préparés. La transe peut également être induite par des rythmes spécifiques de percussions et de tambours, méthode qui a largement été diffusée par l’anthropologue Michael Harner dès 1985 (Harner, 1995), permettant ainsi d’élaborer plus tard les études pionnières alliant induction d’une transe chamanique et techniques de neuroimagerie (Hove et al., 2016 ; Huels et al., 2021). Dans la suite de ce chapitre, nous utiliserons l’appellation «  transe chamanique de Harner  » lorsque nous ferons référence à cette transe spécifiquement. Plus récemment, l’ethno-musicienne Corine Sombrun (2012) a développé la méthode dite de la «  transe cognitive auto-induite  », inspirée de la pratique chamanique traditionnelle mongole. L’apprentissage de cette technique de transe se fait, dans un premier temps, grâce à l’écoute de boucles de sons binauraux (d’une fréquence plus basse que 10  Hz), modélisées sur base de

rythmes de tambours mongols, de vocalisations et de sons produits par une personne en transe, ainsi que de différentes musiques. Les apprenants peuvent ensuite peu à peu se détacher de cette boucle sonore pour induire la transe de manière autonome via des vocalisations et/ou des mouvements corporels. La transe cognitive auto-induite est ainsi exempte de tout contexte rituel, et peut être atteinte sans aide extérieure une fois l’apprentissage réalisé via le protocole standardisé. La transe médiumnique (aussi appelée channeling) consiste pour la personne à communiquer avec des entités désincarnées ou des personnes défuntes (Wahbeh et Butzer, 2020). Cette «  prise  » de contact peut se faire soit de manière consciente, par la mentalisation de ce lien avec le monde désincarné, soit par l’induction d’un état de conscience non ordinaire, afin de se connecter à une source d’information inaccessible en état de conscience ordinaire (Wahbeh et Butzer, 2020). Dans le dernier cas, le corps de l’individu ne serait qu’un canal ou une voie de communication, et le médium se laisserait posséder par l’entité communicante (processus dénommé incorporation ou transe de possession). Au sein des transes médiumniques, peuvent être distinguées la psychophonie –   communication des esprits par la voix orale du médium  – et la psychographie – écriture des esprits par la main du médium (Lafon et al., 2022). Ces différentes techniques d’induction génèrent différents vécus de transe caractérisés par une phénoménologie différente de celle vécue en état de conscience ordinaire. Plusieurs caractéristiques sont communes à ces différentes transes (Figure 19.3). En effet, que ce soit via la transe cognitive auto-induite, la transe chamanique de Harner ou les transes médiumniques, les limites entre soi et l’environnement semblent être plus confuses. Une modification des perceptions sensorielles (par exemple, moins de douleurs, présence d’hallucinations auditives et visuelles), une augmentation de l’absorption et de la dissociation, la présence d’émotions plus intenses, ainsi qu’une expérience spirituelle sont également observées (Hove et al., 2016 ; Huels et al., 2021 ; Flor-Henry et al.,

2017  ; Gosseries et al., 2020  ; Martial et  al., 2020  ; Mainieri et  al., 2017  ; Peres et  al., 2012  ; Wahbeh et  al., 2019). En revanche, actuellement, une sensation de modification de la force musculaire n’a été observée que dans une seule étude réalisée avec une experte en transe cognitive auto-induite (Flor-Henry et  al., 2017). Notons qu’actuellement, la sensation d’une modification de la personnalité, ainsi que des sorties hors du corps et des capacités télépathiques n’ont été observées que dans les travaux réalisés avec les personnes pratiquant la transe médiumnique (Mainieri et al., 2017 ; Peres et al., 2012). La modification de la perception du temps et un sentiment d’un plus grand éveil et d’un discernement plus important semblent être des caractéristiques communes tant à la transe cognitive auto-induite qu’à transe chamanique de Harner (Hove et  al., 2016  ; Huels et  al., 2021  ; Flor-Henry et  al., 2017  ; Gosseries et  al., 2020  ; Martial et  al., 202). Enfin, la sensation de mouvements produits involontairement lors de la transe est rapportée par les personnes en transes cognitive auto-induite et médiumnique (Flor-Henry et  al., 2017  ; Gosseries et  al., 2020  ; Martial et al., 2020 ; Mainieri et al., 2017 ; Peres et al., 2012).

Figure  3.    Variables phénoménologiques rapportées comme modifiées par des personnes expertes en différents types de transe Transe cognitive auto-induite (Flor-Henry et al., 2017 ; Gosseries et al., 2020 ; Martial et al., 2020) ; transe chamanique de Harner (Hove et al., 2016 ; Huels et al., 2021) ; transe médiumnique (Mainieri et al., 2017 ; Peres et al., 2012 ; Wahbeh et al., 2019). Adapté de (Gregoire et al., 2021).

Actuellement, seules quelques études utilisant l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf), tomographie à émission de positons (TEP) ou l’EEG ont été publiées. Nous proposons cidessous de résumer les informations pertinentes qui en ressortent. Comme l’illustre la figure 19.4, la majorité des études a été réalisée grâce à des enregistrements de l’activité cérébrale électrique (EEG) sur de petits échantillons, voire des cas uniques. Les méthodes d’induction de la transe étaient basées sur des traditions et pratiques

différentes  : médiumniques, transe de possession, transe cognitive auto-induite ou transe chamanique de Harner. Néanmoins, nous pouvons déjà émettre plusieurs observations suite à ces travaux pionniers. Tout d’abord, la majorité des études rapporte que l’activité cérébrale électrique était différente lorsque les participants étaient dans le processus de transe, peu importe le type de transe. Cela s’illustre par une augmentation des rythmes alpha et thêta – transe de possession (Oohashi et  al., 2002  ; Kawai, 2017)  –, gamma –  transe chamanique de Harner (Huels et al., 2021) –, ainsi que de la connectivité au sein des rythmes beta –  transe cognitive autoinduite, possession, transe chamanique de Harner (Huels et  al., 2021  ; Flor-Henry et  al., 2017  ; Kawai, 2017). Notons que certains auteurs ont, quant à eux, observé une diminution des rythmes alpha durant la transe induite par des rythmes de tambours (Konopack et  al., 2018). Cependant, les résultats d’une étude réalisée sur la transe médiumnique n’ont pas permis de confirmer la présence de différence au niveau des rythmes électriques cérébraux en transe (Wahbeh et  al., 2019). De plus, lors de la transe cognitive autoinduite, une augmentation de l’amplitude des potentiels évoqués a été enregistrée lors de stimulations magnétiques transcrâniennes (TMS) frontales, alors qu’une diminution était enregistrée lorsque la stimulation était réalisée au niveau pariétal, comparé à l’état de conscience ordinaire (Gosseries et  al., 2020). L’IRMf a permis de mettre en évidence une augmentation de la connectivité au niveau des cortex cingulaires antérieur et postérieur, de l’insula gauche –   transe chamanique de Harner (90)  – et entre les cortex auditifs et somato-sensoriels –  médiumnique (98)  –  ; une diminution de la connectivité au sein des cortex auditifs –  transe chamanique de Harner (Eve et  al., 2016)  –  ; ainsi qu’une augmentation de l’activation des régions occipitales, temporales, cingulaire postérieure et orbito-frontale –  transe médiumnique (Mainieri et  al., 2017). Enfin, grâce à des enregistrements en TEP, une diminution importante de l’activité corticale et sous-corticale a été observée lors de transes médiumniques (Peres et  al., 2012). Bien entendu, ces observations doivent être confirmées par des études sur de plus larges échantillons. De plus, ces études portaient sur des types de

transe utilisant différentes pratiques d’induction. Elles nous permettent néanmoins de formuler quelques suppositions. En effet, les modifications cérébrales observées dans ces différents processus de transe suggèrent une modification des processus relatifs à la conscience de soi et de l’environnement, de manière similaire au processus d’hypnose (modification des perceptions environnementales, rapport au Soi différent). Par ailleurs, il semblerait que ces transes impactent le traitement somato-sensoriel, ce qui pourrait probablement expliquer le vécu subjectif si particulier des personnes qui les pratiquent (perceptions auditives, kinesthésiques, visuelles, etc.). Les prochaines années seront riches de nouvelles études alliant neuro-imagerie et phénoménologie, permettant certainement d’affiner ces premières observations, de les nuancer, et de les approfondir. Nous pourrons dès lors mieux comprendre ce qui sous-tend ces processus de transe, d’un point de vue neurophénomènologique.

Figure 4.   Résumé des résultats obtenus lorsque des experts en transes issues de pratiques anciennes sont soumis à des enregistrements de neuro-imagerie et neurophysiologie En gras, les conclusions/interprétation proposées par les auteurs. EEG : électroencéphalographie, IRMf : imagerie par résonance magnétique fonctionnelle, TEP : tomographie à émission de positons, TMS : stimulation magnétique transcrânienne, stim. : stimulation, act. : activation, con. : connectivité, CCP : cortex cingulaire postérieur, CCA : cortex cingulaire antérieur, gyr. : gyrus, inf. : inférieur, sup. : supérieur, G : gauche, D. : droit.

Tout comme pour l’hypnose, notre mission en tant que scientifiques est de transmettre un message le plus clair possible aux soignants et aux patients. Actuellement, la littérature concernant l’intérêt clinique/thérapeutique de pratiques de transes héritées de traditions ancestrales est très pauvre. Si comprendre leurs mécanismes cérébraux (tout comme leurs mécanismes biologiques, psychologiques et sociaux) est important pour mieux maîtriser ces

outils, il s’avère capital de pouvoir les conseiller/préconiser aux professionnels de santé et aux patients en mettant en évidence leur pertinence pour un problème de santé donné. En effet, nous sommes face à une réalité intéressante  : chaque jour, un nombre croissant de patients se tourne vers des approches complémentaires non pharmacologiques pour faire face à leurs problèmes de santé. Parmi ces patients, nous entendons de plus en plus parler de consultations chez «  un chamane  », de néo-chamanisme ou de rituels qui auraient potentiellement permis une amélioration de leur état de santé. Cependant, nous n’avons actuellement que très peu d’évidences fiables quant à cette efficacité. Le tableau 19.1 tente de résumer les quelques études cliniques réalisées à ce jour dans ce domaine. Comme le lecteur pourra l’observer, les types de transe étudiés ne sont pas uniformes, tout comme les populations de patients inclus dans ces études. Néanmoins, il est intéressant de constater que malgré cette hétérogénéité, il semblerait que ces techniques issues de pratiques traditionnelles ancestrales aient un effet positif sur le bien-être physique –  diminution de la douleur fonctionnelle (Vuckovic et al., 2007 ; 2010 ; 2012 ; Lee et al., 2010) – et psychique – capacité à rester dans le présent, amélioration de la qualité de vie, récupération de l’agentivité malgré la maladie (Lee et al., 2010 ; Wahbeh et al., 2017 ; Krycka et al., 2000) –des patients après avoir bénéficié des interventions. Cependant, il nous semble important de souligner que, outre leur faible nombre, ces études souffrent de limites méthodologiques  : faibles échantillons, peu d’homogénéité des pratiques proposées, outils de mesures des effets cliniques peu standardisés. Les travaux futurs devront être exigeants notamment quant à la description rigoureuse des interventions proposées aux patients et à l’inclusion de groupe contrôle. Tableau 19.1.  Résumé des résultats obtenus dans les études cliniques s’intéressant à l’intérêt d’interventions basées sur des techniques de transes issues de pratiques ancestrales pour des patients souffrant de différents symptômes.

La méthode développée par S. Ingerman se base sur un voyage chamanique réalisé par un chamane, au cours duquel il irait récupérer une partie de l’âme que le patient aurait perdue. Cette «  perte  » s’exprimerait, selon cette auteure, de différentes manières  : dépression, troubles anxieux, troubles immunitaires, etc. (Ingerman, 2011)

Conclusion À  la lumière de ce chapitre, nous espérons avoir aidé le lecteur à augmenter quelque peu sa connaissance des processus sousjacents aux états de conscience non ordinaire volontairement induits par des techniques d’hypnose et de pratiques héritées de traditions ancestrales. Au cœur d’une société où les personnes sont de plus en plus à la recherche d’un sens (sens de la vie, sens de l’apparition

de symptômes ou de maladies), ces outils jouent un rôle important en leur permettant de redevenir actrices de leur vie grâce à l’utilisation de leurs ressources internes personnelles, pour améliorer leur qualité de vie. En effet, que ce soit via l’hypnose ou la pratique de transes induites par des techniques héritées de différentes cultures, la personne peut avoir entre ses mains un outil qui lui offre une certaine autonomie quant à la gestion de son bien-être au quotidien. Force est de constater que l’engouement pour ces approches ne fait qu’augmenter au sein de la population. Dès lors, elles méritent l’attention des scientifiques et des professionnels de santé. En effet, notre rôle, que nous soyons thérapeutes/cliniciens ou chercheurs, est de pouvoir offrir des informations précises aux membres du personnel soignant et aux patients quant à l’efficacité de ces outils et le contexte dans lequel leur utilisation est pertinente. Les études en neuro-imagerie, combinant des mesures neurophysiologiques et phénoménologiques, sont une étape importante à la compréhension des processus sous-tendant ces états de conscience non ordinaire. S’ensuivront une meilleure maîtrise de ces techniques et donc une application plus juste lors de la prise en charge clinique des patients.

Remerciements Ce travail a été soutenu par l’université et l’Hôpital Universitaire de Liège, la fondation BIAL, le Plan Cancer, la Fondation contre le Cancer (Grants Number  : 2017064 et C/2020/1357), la Fondation Benoit (Bruxelles), le Fonds de la Recherche Scientifique (FRSFNRS), le FRS-FNRS Télévie, la Fondation Léon Frédéricq, La Fondation Astra Zeneca, La Fondation Roi Baudouin (Fonds Gert Noël), et la Région Wallonne comme participante au programme BioWin. OG est Chercheuse Qualifiée FNRS, CG est collaboratrice scientifique postdoctorale FNRS, et NM est doctorante boursière FRESH-FNRS.

Chapitre 20 Phénoménologie des états de transe

Gaëtan Collignon – Antoine Bioy Comme cela était développé plus tôt dans cet ouvrage, être en état de transe est une expérience qui se vit «  à la première personne  ». Bien que descriptible à travers l’observation de facteurs biophysiologiques et compréhensible par les mécanismes sociaux, culturels et psychologiques en jeu, l’intérêt pour ce qui se vit subjectivement par la personne en transe se révèle être un enjeu majeur pour compléter l’approche « à la troisième personne ».

Le regard phénoménologique L’étude de ce vécu naissant subjectivement à la conscience est appelée phénoménologie, discipline impulsée par le philosophe Edmund Husserl, dont l’objectif premier était de retourner à l’essence des phénomènes, « aux choses mêmes ». La conscience, considérée comme l’ensemble des processus faisant interface entre le monde extérieur et la pensée, est toujours dotée d’une intentionnalité, c’est-à-dire tournée vers un objet de conscience, qui peut être extérieur dans le cadre d’une perception extra-sensorielle, comme interne dans le cas d’une activité mentale d’imagination ou de volonté. Ainsi, les actes de conscience, construits sur des présupposés, des connaissances, des habitudes, des théories, ne sont nullement neutres, et ne permettent pas d’accéder aux choses en soi, à leur essence. Le phénomène vécu dans une attitude que

l’on pourrait qualifier de naturelle prend ainsi sens par nos connaissances du monde, conditionné par notre activité psychique consciente et inconsciente. Pour aller à la recherche de la chose en soi, Husserl (1982) propose d’opérer le principe de réduction phénoménologique, c’est-à-dire de réduire l’expérience à sa nature même, et non à en construire ou en synthétiser quelque chose. Cette démarche s’opposant à l’attitude naturelle permet d’appréhender le vécu en mettant entre parenthèses les jugements a priori, principe nommé par le courant phénoménologique épochè. Ainsi, le phénomène peut être perçu en soi, dans un retour aux choses mêmes que prône cette approche. Dans un deuxième temps, l’approche phénoménologique consiste à établir une constitution à l’objet, sur la base de ce principe d’épochè, et saisir ainsi quelque chose de la nature de l’objet à travers le phénomène même qui a été expérimenté. Cette approche philosophique, à la fois méthodologique et épistémologique, a été reprise dans le cadre d’autres champs, pour en faire une approche scientifique permettant la description objective des états de conscience qui ne peuvent se vivre que subjectivement. C’est le cas de la psycho-phénoménologie de Vermersh (1996) qui, sur la base des travaux de Husserl en philosophie, établit une sousdiscipline de la psychologie dont l’intérêt n’est pas seulement de décrire les contenus de la conscience, ce qui est vu, pensé, entendu, mais de saisir de quelle manière la personne vit ces contenus, quelles formes ces éléments prennent subjectivement. Pour cela, un retour à l’introspection, méthode expérimentale reléguée par le béhaviorisme, est remis au goût du jour et permet de s’intéresser non pas à ce qui est observable dans le comportement de l’humain, mais à ce qu’il éprouve et ce qu’il peut en dire. L’intérêt de la phénoménologie pour l’étude des transes est ainsi double. Premièrement, elle permet d’en caractériser le vécu, dans une démarche scientifique pragmatique. Mais elle peut également être considérée comme une voie de compréhension des transes. En effet, ces états de conscience modifiés qui amènent à sortir de cette «  attitude naturelle  » au monde (Husserl, voir le chapitre sur les

ingrédients psychologiques) peuvent ainsi permettre un retour aux choses mêmes. Ce mouvement d’épochè n’est pas induit par une volonté phénoménologique, mais produit par les processus mêmes de transes, qui amènent certains pratiquants à expérimenter une transcendance de leur être et de leur conscience, comme nous le verrons plus loin dans ce chapitre. Les transes étant d’une grande diversité, tant dans leurs moyens d’inductions que dans les processus en jeu aux niveaux psychologique, neurologique et biologique, il n’est pas étonnant que les vécus qui y sont associés soient également marqués de cette hétérogénéité. Pour cela, l’étude des émotions, des ressentis, des expériences de conscience permet de différencier les états de transes dans la manière dont ils produisent des contenus extraordinaires, autant qu’elle en met en évidence les points communs. Pour cette raison, la prise en compte de la phénoménologie des transes a été utilisée pour mettre au point des questionnaires permettant d’évaluer les transes. Dans ce chapitre, nous ferons particulièrement référence au questionnaire 5D-ASC de Dittrich et al. (2010), et à son analyse révisée en onze facteurs par Studerus et al. (2010). Nous noterons en outre que la prise en compte de certaines caractéristiques prépondérantes dans la manière de vivre un type de transe ne peut être généralisable à tous les cas particuliers, une grande différence interindividuelle étant présente et amenant différentes manières de vivre un même type d’état de conscience modifié. De la même manière, nous proposerons dans la suite de ce chapitre une lecture de différents vécus clés pour la compréhension de la phénoménologie complexe des transes. Cependant, il est à garder à l’esprit que les types de vécus que nous allons décrire ne sont pas vécus de manière isolée, mais sont bien souvent interconnectés, et subjectivement impossibles à reproduire à l’identique.

Le vécu émotionnel

Il existe un lien étroit entre les transes et les émotions. D’un côté de la médaille, des émotions particulièrement puissantes peuvent être provocatrices d’une modification d’état de conscience, comme on le retrouve dans le « coup de foudre » ou lors d’un état de panique. En ce sens, des études ont avancé que des stimuli émotionnels seraient plus à même d’induire des phénomènes psi que des éléments neutres émotionnellement (Cardeña, 2011). Cela nous rappelle le caractère fluctuant de la conscience, impactée par les sensations, ressentis, émotions qui peuvent en modifier l’état. De l’autre côté de la médaille, ce sont les modifications de la conscience qui peuvent induire ou entraîner des changements dans la manière de ressentir (ou ne pas ressentir) certaines émotions. Dans presque toutes les transes, la place des émotions est prépondérante. Ces émotions peuvent être vécues avec une valence négative, par exemple lors des biens connus « bad trips » dans des transes induites à l’aide de substances psychoactives, ou le sentiment de solitude et de désolation dans la «  nuit obscure de l’âme » décrite par saint Jean de La Croix (De La Cruz, 1982). En ce sens, l’un des facteurs de l’échelle d’évaluation des états de conscience modifiés de Studerus et  al. (2010) est la présence d’anxiété, à travers des items comme «  j’étais effrayé sans être capable de dire exactement pourquoi  » ou «  je me sentais menacé  »1. À l’inverse, des émotions positives sont très largement rapportées, comme le sentiment de paix, d’amour inconditionnel, le bonheur et la joie lors des Expériences de Mort Imminente, les ressentis de paix, de félicité, et de béatitude dans les expériences mystiques, ou le sentiment d’expérimenter quelque chose de passionnant dans l’état de flow. Dans le questionnaire «  OAV  » de Studerus et al., la présence d’émotions positives se retrouve dans le facteur d’état de bien-être, avec des items tels que « j’ai éprouvé un plaisir sans limites  » ou «  j’ai ressenti une paix intérieure profonde  »2. Pour certaines pratiques et certains états de conscience modifiés, il est plus difficile de donner une valence globale aux émotions produites, qui peuvent varier d’un sujet à un autre, d’un rituel à l’autre, ou au sein de la même séance. C’est le

cas dans le rituel chamanique traditionnel, dans lequel le chamane peut ressentir une crainte face aux esprits rencontrés dans le monde spirituel, ou lors de la lutte pour récupérer l’âme du patient, alors qu’à d’autres moments, au sein du même rituel, le chamane peut ressentir une harmonie, un sentiment de puissance ou de victoire grâce aux esprits alliés qui lui viennent en aide dans le monde spirituel. De manière contraire à l’émergence d’émotions dans les états de conscience modifiés que nous venons d’évoquer, certains états amènent une coupure totale du vécu émotionnel, notamment dans la dissociation traumatique, état de conscience modifié dans lequel les ressentis de la personne sont mis à distance, ne faisant psychiquement pas l’expérience des émotions qui peuvent pourtant se manifester au niveau physiologique et comportemental. Dans des expériences de transes avancées, après une pratique souvent prolongée par exemple de méditation pleine conscience ou de sophrologie, un lâcher-prise peut apparaître, un recul sur ses émotions, qui sans couper le vécu, en permet la mise à distance. Ainsi, les émotions vécues lors des transes peuvent être d’une grande diversité, et l’intensité autant que l’impact des ressentis peuvent varier fortement. Dans une étude conduite par Muetzelfeldt et  al. (2008), 88  % des participants décrivent leur initiation à la kétamine de manière positive. De même, Griffiths et  al. (2006) rapportent que la majorité des participants ont exprimé que la transe induite par la psilocybine a été l’un des cinq événements les plus signifiants et impactant de leur vie. Ces données peuvent ainsi donner une idée de l’intensité de ces vécus. Les phénomènes de transes apparaissent ainsi comme des catalyseurs d’émotions, amenant les pratiques les induisant à être utilisées dans la régulation et la gestion émotionnelle, comme on peut le voir dans le monde de la santé avec l’utilisation de la méditation, la sophrologie et l’hypnose.

Sensations, corps et perception

Ces puissantes émotions ressenties en transe se vivent à travers une expérience corporelle, un corps éprouvé et traversé par ces affects et ces sensations. En sortant d’une conception simpliste, où le corps serait causalement et unilatéralement impacté par des processus psychiques, les actuels courants dits «  de psychosomatique » nous amènent plutôt à penser l’interaction entre les différentes instances comme complexe, le corps étant tout à la fois le lieu dans lequel se vivent les émotions, l’interface sensorielle entre soi, l’autre et son environnement, et une instance somatique dotée de ses propres caractéristiques, participant à l’émergence de ces vécus.

Ainsi, il existe une intimité entre ce qui se vit dans et à travers le corps et les processus de pensée. Les thérapies psychocorporelles, dont certaines peuvent amener l’émergence d’états de conscience modifiés, provoquent particulièrement de tels vécus, où le corps et l’esprit se détendent au même rythme. Les procédés incluant des pratiques méditatives, comme le Qi Gonq, font appel au mouvement, une des bases conceptuelles de la médecine traditionnelle chinoise, qui tend à travers ces pratiques à retrouver l’harmonie de l’être. Avec la sophrologie, le travail sur le schéma corporel à travers la décontraction musculaire ou la respiration est particulièrement favorable à l’émergence de vécus corporels de bien-être et de relaxation. Par une action psychocorporelle, ces pratiques visent à plus long terme que la seule séance à obtenir des bénéfices en santé (douleur, stress, pathologies dermatologiques, maladies chroniques, etc.).

Les transes peuvent également impacter la manière de sentir et percevoir la douleur. Ce phénomène particulièrement connu dans le cadre de l’hypnoanalgésie (modification, diminution de la douleur) et de l’hypnosédation (utilisation de l’hypnose en anesthésie), qui se

retrouve également dans des états provoqués par des substances psychoactives sédatives (opium, morphine, codéine…), amène les sujets à moins, voire plus du tout, ressentir le percept douloureux. La douleur, qui est d’une part liée au système somatique de la nociception, est une expérience à multiples facettes, mêlant un désagrément physique, psychique, social, et qui prend place dans le cas des maladies douloureuses chroniques dans la vie des personnes en souffrant. C’est ainsi cette expérience dans sa globalité qui est modifiée. Dans le cadre de l’hypnose en prise en charge de douleur, il est ainsi suggéré aux patients une autre manière de vivre leurs situations, de façon plus satisfaisante et en donnant à la douleur une autre place (sans toutefois nier la place de cette souffrance dans la vie de la personne).

Dans certains cas amenant une diminution du champ perceptif, comme pour la gestion de la douleur, les transes en permettent également l’élargissement, voire l’apparition de nouvelles perceptions. C’est le cas particulièrement des hallucinations, par lesquelles un individu perçoit de manière auditive ou visuelle (pour la majorité des cas, mais des perceptions de toutes sensorialités peuvent exister) un élément en l’absence de stimulus. Associé dans l’imaginaire collectif et le modèle psychopathologique classique à des pathologies psychiatriques (schizophrénie notamment), il semblerait que le vécu hallucinatoire soit commun et non pas réservé à des personnes souffrant de troubles (Kokoszka, 2007). Les transes induites par psychédéliques sont particulièrement connues pour leurs capacités hallucinatoires, avec l’usage de substances hallucinogènes comme le LSD, la psilocybine, la mescaline, ou l’ayahuasca. Les perceptions hallucinatoires peuvent engendrer une altération du lien à la réalité, une difficulté à différencier le vrai de l’halluciné. Dans les expériences psychédéliques, il semblerait que le vécu soit plus souvent mitigé, avec d’une part la conscience que les hallucinations sont liées à l’ingestion de psychédéliques et différenciées de la réalité, mais

d’autre part le réalisme des perceptions hallucinatoires qui peut amener la personne à expérimenter un sens de la réalité altéré (Fortier, 2018). Les hallucinations sont également présentes dans d’autres types de transes, dont certaines expériences mystiques ou de possession dans lesquels une entité spirituelle peut se manifester perpétuellement, des transes induites par des rituels (chamanisme) ou l’hypnose. Outre les hallucinations, de nombreux changements perceptuels peuvent avoir lieu, allant d’une instabilité dans la vision ou une altération de la colorimétrie, à une hypersensibilité acoustique. Dans d’autres cas, ce n’est pas une nouvelle perception qui se vit par la personne en transe, mais la modification de la perception de stimuli existants. Dans le cas du phénomène de synesthésie, un objet perçu à travers une modalité est associé et vécu par une autre modalité perceptuelle inhabituelle. La synesthésie la plus fréquente, « graphème couleur », est par exemple l’association de couleurs aux lettres. La synesthésie, qui est rapportée par des personnes en faisant l’expérience sans modifications de leurs états de conscience, de manière continue tout au long de leur vie (appelées synesthètes), peut également être un vécu exceptionnel d’une expérience de transe, comme cela peut être rapporté de manière spontanée sous l’influence de l’action de psychédéliques, ou induits par hypnose. La présence de synesthésie audio-visuelle est par ailleurs l’un des onze facteurs permettant de caractériser les états de conscience modifiés tels qu’évalués par l’OAV. Cependant, aucune étude ne cible particulièrement l’émergence du vécu synesthésique globale dans les transes, et la prévalence de son apparition, de manière spontanée ou induite, reste à investiguer. La perception du temps peut également être altérée et donner lieu à des vécus de distorsions temporelles, avec des impressions que la transe n’a duré que peu de temps, ou au contraire que le temps a été mis sur pause. Dans les expériences de mort imminente, il est ainsi possible que, face à la perception d’un danger, le temps soit perçu comme suspendu, la personne vivant cet état pouvant relater une expérience complexe d’imagerie mentale faisant appel aux

souvenirs passés, alors que ne se sont écoulées que quelques secondes à peine. Dans d’autres expériences, induites par substances ou par des techniques comme l’hypnose, le sujet peut rapporter que l’expérience lui a paru plus courte qu’elle ne l’a été, parfois même étant incapable de se souvenir d’une partie ou de l’entièreté de son expérience, phénomène d’amnésie pouvant être induit ou vécu spontanément.

Tout comme la capacité de percevoir ce qui entoure, la perception de son propre corps peut se trouver modifiée. En focalisant l’attention sur différentes parties du corps comme c’est le cas dans les pratiques psychocorporelles, le corps se retrouve incarné dans un vécu d’harmonie, des participants de séances de sophrologie pouvant par exemple rapporter l’impression d’être vraiment soi, de ressentir tout leur corps. Dans des pratiques de sport intense ou prolongée, des états de transes peuvent spontanément se déclencher, expériences de flow dans lesquels le corps est perçu puissant, sans limites et infatigable. D’autrefois, les limites entre son propre corps et l’extérieur peuvent être ressenties comme plus floues, dans une labilité entre soi et l’autre, soi et un objet, soi et le monde. Dans la passion amoureuse, la proximité psychique et physique avec l’autre peut amener à se ressentir en fusion avec l’être aimé. Dans les états d’extase, des vécus de faire tout avec l’univers viennent témoigner d’une dissolution des limites entre soi et son environnement. Le corps peut aussi être perçu de l’extérieur, lors des expériences dites de sortie hors du corps ou transes ecsomatiques, qui peuvent être décrites dans des transes hypnotiques, lors de séances de méditation, suite à la prise de psychédéliques, lors de situations de stress intense, ou encore d’expériences de mort imminente. La personne localise son centre de conscience en dehors de son corps et se voit alors, à la troisième personne, de manière plus ou moins réaliste (allant d’une perception exacte de sa personne à une

distorsion importante de l’image du corps), souvent en étant audessus de son propre corps. Cette expérience peut quelquefois être négative, avec des sensations désagréables voire d’inquiétude, ou au contraire amener un apaisement ou de l’énergie, avec couramment des répercussions positives dans l’après-coup. Ce vécu de se retrouver hors de son propre corps rappelle la thématique du voyage, très présente dans la manière de raconter le vécu chamanique, où l’âme sort du corps du chamane pour s’élever dans le monde des esprits. Cette manière de rapporter un voyage hors de son corps se retrouve également sous le nom de voyage astral, qui exprime la croyance (principalement issue de l’occultisme) en une superposition de différents corps et plans d’existence. Le terme «  extase  », étymologiquement «  être en dehors de soimême », se rapporte également à cette notion, amenant à penser la transe comme une manière de s’échapper du monde ordinaire, de laisser son corps matériel pour partir à l’exploration de sa conscience, ou d’un monde immatériel.

Vécu dissociatif En dissociant ainsi son corps de son âme ou de son esprit, selon les manières de l’exprimer, la personne faisant cette expérience particulière de se voir à la troisième personne se retrouve en position dissociée, c’est-à-dire en termes phénoménologiques en se vivant non comme un sujet entièrement unifié, mais comme s’il existait une division en lui, une partie agissante à son insu dans l’activité consciente et/ou perceptive. Par exemple, lors d’une expérience de transe induite par certains psychédéliques anticholinergiques, certains sujets rapportent se retrouver dans un état dissociatif dans lequel ils se sentent incarnés dans un objet. Nous notons ici que le vécu dissociatif décrit par le sujet lui-même est à différencier du phénomène de dissociation dans la littérature en psychologie, ce qui nous importe ici étant ce qui se vit par la personne en transe et la manière dont elle se sent ou non dissociée, et non les mécanismes psychologiques en jeu qui peuvent ne pas

être perçus par la personne elle-même. Par exemple, une personne peut, après avoir consommé une quantité importante d’alcool, avoir un comportement inhabituel, en effectuant des actions inconsciemment et en vivant un état de conscience altéré (marquant ainsi un phénomène dissociatif sur le plan des mécanismes psychologiques), mais le lendemain expliquer qu’elle agissait sans réfléchir, en ayant l’impression d’avoir été maître de ses actes et sans s’être sentie dissociée. Dans un autre cas, une personne possédée pourrait raconter après un rituel d’exorcisme avoir eu l’impression que l’esprit parlait ou agissait à travers elle, qu’elle n’était pas celle qui agissait. L’important ici est donc ce qui se vit de manière individuelle, en étant présent physiquement à un endroit mais psychiquement à un autre, en se sachant ancré dans une époque mais voyageant dans une autre, ou en se sentant et s’observant agir et non en agissant. Face à ce genre de vécu, il se peut qu’un sentiment d’étrangeté puisse survenir, pouvant aller même jusqu’à la peur de ne plus être maître de soi.

Pensées, imagination et réalité psychique La conscience dans son activité pensante étant altérée en transe, il n’est pas rare qu’une personne rapporte avoir fait l’expérience de processus mentaux inhabituels. Absorbées par le vécu et le contenu de l’état de conscience modifié, les ressources attentionnelles peuvent être focalisées sur soi ou un élément extérieur, éludant d’autres aspects de l’expérience (et favorisant ainsi la dissociation évoquée précédemment). Flagrant dans l’hypnose classique utilisée en spectacle avec le bien connu « vous n’entendez que ma voix », il peut en être par exemple de même dans la transe orgasmique dans laquelle la personne baisse sa vigilance pour ce qui l’entoure et se centre sur les sensations qu’elle est en train de ressentir. Les transes peuvent également amener le sujet à sentir sa pensée agir au ralenti, rencontrer des difficultés à raisonner ou à prendre des décisions, ou au contraire, être associées à une forte associativité, et des expériences de pensées nouvelles. En modifiant

sa manière d’être au monde, le sujet peut vivre des solutions sous la forme d’insight, une intuition soudaine, qui peut donner un sens nouveau à un problème de sa vie. Ainsi, des participants de l’étude de Muetzelfeldt et  al. (2008) expriment que la consommation de kétamine les a aidés à résoudre des problèmes et à augmenter leur créativité. Le facteur « insightfulness », que l’on pourrait traduire en français par «  clairvoyance  » ou «  perspicacité  », est ainsi identifié par l’analyse statistique de Studerus comme étant un marqueur d’état de conscience modifié, avec des items comme « J’ai gagné en clarté sur des sujets qui me posaient problème auparavant  », ou «  J’ai eu des pensées très originales  »3. Cette dernière affirmation peut également faire référence aux capacités créatives et à l’imagination accrue que rapportent certains transeurs, faisant état d’une imagerie mentale riche et plus vive. L’augmentation de l’associativité et de la capacité d’insights a ainsi été relevée comme mécanismes de changements majeurs dans le domaine de la thérapie assistée par psychédélique (Breeksema et al., 2020). Quelquefois, la pensée altérée des transes peut amener l’expérience à basculer du côté de la psychopathologie, avec des vécus délirants du type bouffée délirante aiguë, ou bien être déclencheur d’un trouble chronique comme un trouble dissociatif de l’identité, ou un trouble psychotique. Le distinguo entre les transes pathologiques et les transes non pathologiques peut être difficile à établir, car les contenus et la phénoménologie ne diffèrent pas. Ce qui permet de discerner le normal du pathologique est plus délicat, et demande de s’appuyer sur la chronicité du trouble, ainsi que le lien à la réalité qu’entretiennent les personnes avec leurs vécus. L’étymologie du terme « transe » se rapporte au passage d’un état à l’autre, que l’on retrouve en langue française dans le verbe « transir », et évoque la rupture entre un état vécu comme « normal » et un état de conscience modifié, dont la caractéristique principale est de pouvoir être identifié par le sujet comme tel. La réalité qu’expérimente la personne en transe est ainsi différente de sa réalité habituelle, les processus inconscients intrapersonnels pouvant apparaître alors plus labiles, et la vie subjective du sujet s’exprimant plus facilement. En contrepoint de cette profondeur dans le vécu personnel, d’autres personnes relatent des récits d’expansion de la conscience vers un au-delà de soi, un monde spirituel, un vécu ou une vérité d’un niveau plus élevé.

Prenons pour exemples les transes divinatoires, qui permettent au médium à travers la transe d’obtenir un présage venu d’un monde spirituel ou divin.

Vécus mystiques, religieux et spirituels En ouvrant le seuil de leur conscience, le médium, le chamane et le mystique se trouvent en relation avec un monde nouveau et les entités en faisant partie, se sentant en contact avec des défunts, des esprits alliés, des anges, des divinités, ou à l’inverse dans la transe de possession en proie à des djinns ou des esprits diaboliques, qui peuvent être vus ou entendus sous forme hallucinatoire, ou à travers une expérience d’imagerie mentale particulièrement réaliste. D’autre fois, une entité n’est pas clairement discernable à travers une vision, mais sa présence est ressentie dans ce qui est décrit comme une sensation de sacré, une impression d’être en contact avec le divin, un état de grâce. Une expérience spirituelle peut également se faire sans ressentir un contact avec une entité particulière, mais dans l’impression de transcender son être, ce que décrit Maslow comme expérience paroxystique (ou « peak experience » en anglais), dans laquelle «  tout est à l’intérieur de tout. […] Dans l’expérience paroxystique, l’individu vit maintenant libéré du passé et du futur, présent à ce qui se passe » (Maslow, 1972). Cette expérience de transcendance peut ainsi également amener à un sentiment d’unité avec l’infini de l’univers, qui se retrouve dans la notion de sentiment océanique4, où le ressenti est comparable à l’immensité de l’océan. Les expériences mystiques sont souvent difficiles à décrire, d’où leur caractère d’ineffabilité dépassant tout mot et toute compréhension logique, venant exprimer que seules les personnes l’ayant vécu peuvent en saisir l’intensité. Hors de toute mesure objective, les personnes faisant l’expérience de capacités dites psi peuvent rapporter la sensation d’une énergie invisible, un mouvement ou une pression, qui prend le nom de fluide magnétique, mana, énergique psychique, et qui fait se sentir en connexion immatérielle avec un autre être humain, voire avec tout le

vivant. Certaines expériences exceptionnelles amènent ainsi à obtenir des compétences ou des dons comme la télépathie, la voyance, le contact avec les défunts, la guérison, phénomènes étudiés par le domaine de la parapsychologie.

Les transes pathologiques Dans certains troubles psychopathologiques, des états de transes peuvent être mobilisés, sous forme de crises transitoires altérant l’état de conscience de l’individu, notamment dans la bouffée délirante aiguë, la crise d’angoisse (ou attaque de panique), et l’épisode dissociatif. Ces moments qui peuvent être symptomatologiquement intenses et révélateurs d’un trouble ou d’une personnalité pathologique au long cours sont cependant ici brefs et passagers, ce qui nous permet de les considérer comme des états de transes. Il n’est pas question ici de traiter des troubles psychopathologiques chroniques, qui, bien que pouvant impliquer des modifications de l’état de conscience, ne sont pas des transes à proprement parler. Dans ces expériences de transes pathologiques, le sujet est en proie à un vécu involontaire, qui s’impose à lui, même si dans certains cas comme celui de la bouffée délirante, il n’en est pas conscient (mais pourra l’être après l’épisode de crise). Ces transes sont la plupart du temps fortement chargées émotionnelles, souvent sur le versant négatif, par exemple dans l’attaque de panique où la personne ressent une anxiété forte pouvant aller jusqu’à une peur irrationnelle de mourir, et plus rarement positif. Dans la bouffée délirante, c’est le contenu du délire ou des idées délirantes qui va orienter le vécu, qui peut aller d’un sentiment de persécution à un vécu divin, en passant par des sentiments amoureux lorsque le délirant croit être épris par une autre personne (délire érotomaniaque). Les sentiments associés peuvent ainsi varier d’une euphorie intense à de la colère, de la joie, de l’anxiété… Un vécu hallucinatoire est également souvent présent, d’une manière tellement réaliste que la personne ne peut différencier le réel de l’halluciné.

Dans le cas de la crise d’angoisse, le corps est le terrain premier par lequel la transe est vécue, avec des sensations d’étouffement et de blocage respiratoire, une oppression ou des douleurs thoraciques, des tremblements, sensations d’étourdissement ou de vertige, des douleurs abdominales, des nausées… Dans ces états de crise, la perception de la réalité est souvent altérée, avec des vécus dissociatifs s’exprimant à travers un sentiment de dépersonnalisation ou de déréalisation. Pour la fugue dissociative ou les crises de dissociation dans le trouble dissociatif de l’identité, la personne peut rapporter avoir eu l’impression d’être un ou une autre, d’avoir changé d’identité, et est la plupart du temps incapable de se rappeler son épisode dissociatif (on parle d’amnésie dissociative).

En guise de conclusion L’étendue de la phénoménologie des transes est vaste et complexe. En abordant les principales caractéristiques de ces expériences subjectives, nous avons dressé un portrait le plus exhaustif possible des manifestations des transes au niveau du vécu des sujets en transe. Particulièrement, les expériences de transes sont associées à des émotions puissantes et impactantes pour la personne les vivant ; à des sensations corporelles et une altération des sens ; des vécus dissociatifs ; des expériences de pensées originales impactant la réalité psychique du sujet  ; et des vécus mystiques de contact avec le divin et de transcendance. Malgré ces caractéristiques redondantes, il est à rappeler que la phénoménologie propose de retourner aux choses mêmes, et qu’en ce sens, une transe est intrinsèquement personnelle, et doit être prise en compte dans son caractère unique, sans tenter d’en classifier les contenus mais en prêtant attention à la manière dont ces contenus arrivent singulièrement à la conscience et comment le sujet vit ce phénomène.

Notes 1. Items traduits de l’anglais « I was afraid without being able to say exactly why » et « I felt threatened ». 2. Items traduits de l’anglais « I enjoyed boundless pleasure » et « I experienced a profound peace in myself ». 3. Items traduits de l’anglais « I gained clarity into connections that puzzled me before » et « I had very original thoughts ». 4. Cette notion développée par Rolland et Freud dans leur correspondance reprend la notion judaïque reprise par Spinoza de Sub specie æternitatis, littéralement « sous l’aspect de l’éternité » (Freud et al., 1993).

Chapitre 21 Développement humain et transes

Kristell Clerc – Antoine Bioy Les différences individuelles dans les voies de développement peuvent être liées à des altérations de la conscience. Les aspects biologiques, neurologiques, perceptuels, relationnels, cognitifs, émotionnels et sociaux du développement sont également susceptibles d’affecter les états de conscience vécus par un individu à différentes périodes de sa vie (Granqvist et  al., 2011). Ces différents états de conscience d’un point de vue développemental sont compris comme des « ensembles discontinus de variables auto-organisatrices  » (Wolff, 1987). Les niveaux distincts de conscience identifiés par la recherche développementale sont utiles pour comprendre la structure complexe et graduelle de l’expérience. Bien qu’il existe des différences entre les nourrissons, les enfants, les adolescents et les adultes, ces différences sont souvent considérées comme reflétant des différences dans le contenu de la conscience, mais pas dans la nature de la conscience elle-même (Zelazo et  al., 2007). Ce chapitre décrira l’organisation générale de l’état de conscience aux différents stades de développement, et des états de transe, ou conscience non ordinaire, susceptibles de se produire dans ces différentes phases de la vie. Nous proposerons une lecture des passages à l’acte à l’adolescence.

Les premiers temps de la vie Le moment où un fœtus devient capable d’une expérience consciente continue à donner lieu à de vifs débats. Il semble en tout cas assez naturel de penser que la conscience émerge pleinement à un moment particulier du développement, plutôt qu’elle ne se développerait de façon progressive (Zelazo et al., 2007). On doit en

tout cas garder en tête que les analyses chez les tout-petits relèvent pour une part de spéculations, certes argumentées par des méthodes d’observation ou d’autres critères plus physiologiques, mais l’absence de récit chez le tout-petit implique que l’on ne puisse qu’inférer des états internes à partir de mesures partielles. Dire qu’un bébé souriant est susceptible d’éprouver de la joie, reste, en soi, une spéculation, qui peut toutefois se renforcer lorsqu’elle est soutenue par d’autres éléments (par exemple une excitation motrice accompagnée de rires). Avançons donc avec ce que nous savons, et posons comme hypothèse le reste ! Lors de la conceptualisation des états de conscience du nouveauné, il est courant de distinguer différents états d’éveil  : sommeil profond régulier, sommeil de rêve irrégulier, inactivité d’alerte (somnolence), vigilance calme, activité éveillée (poussées d’activité motrice non coordonnée) et pleurs (Wolff, 1987). Ces états sont considérés comme universels et présents chez tous les nouveaunés en bonne santé. La littérature sur le développement précoce des états de conscience, sur la base de ces indicateurs comportementaux et neurophysiologiques, propose qu’au début de la vie l’état général de conscience d’éveil se caractérise par une expérience intense et incontrôlable d’attention large et indifférenciée. En grandissant, cette intensité fait place à une attention plus concentrée et contrôlée, accompagnée d’une perte d’intensité de l’expérience (Granqvist et al., 2011). Les nouveau-nés ont une attention inflexible et leur regard se fixe parfois sur des stimuli désagréables. À partir de 4  mois environ, ils acquièrent plus de flexibilité dans le déplacement de leur attention et contribuent plus activement aux informations qui entrent dans les canaux sensoriels. En d’autres termes, les états intérieurs vécus et leurs expressions comportementales seront de plus en plus sous leur contrôle. La conscience de soi se déploie durant les deux premières années de vie dans le sillon de la capacité de distinction soi/autre. Au cœur du développement de cette conscience de soi, émerge progressivement la capacité de contrôle et de régulation émotionnelle. Dans cette perspective de régulation également, le

phénomène de contagion émotionnelle apparaît être un précurseur du développement de la suggestibilité, y compris l’hypnotisabilité (Cardeña et  al., 2009). Ainsi, sur le plan développemental, les nourrissons sont limités à une conscience sensorielle jusqu’à ce qu’une transformation conséquente, impliquant l’acquisition du langage et un certain degré de compréhension conceptuelle, se produise et ajoute simultanément de nouvelles dimensions (par exemple soi-autre, passé-futur) à l’expérience conscience. Cette profonde métamorphose est généralement supposée se produire relativement tôt dans la petite enfance. Ces états de conscience en développement affectent et organisent le développement de soi. Grâce à des échanges répétés avec un soignant sensible et sécurisant, l’enfant expérimente le soi comme une entité cohésive et unitaire. A  contrario, un lien d’attachement désorganisé –  nourrisson/soignant  – pourrait conduire à des états proto-dissociatifs dans la période du tout-petit, préfigurant une propension aux états dissociatifs pathologiques plus tard dans le développement, induits par un système de soi fragmenté (Carlson et  al., 2009). L’attachement désorganisé conduirait en effet à une qualité inhabituelle d’expérience consciente (comme un état de transe) et à des représentations multiples et simultanées d’aspects de la réalité (Liotti, 2006). En résumé, chez le nourrisson et le très jeune enfant, les états de conscience, normatifs et particuliers, peuvent être distingués grâce à des schémas d’affect, d’activité motrice, de verbalisation spontanée, de rythme cardiaque, de rythme respiratoire et d’attention. La principale tâche du nourrisson au cours des premières années de sa vie est d’acquérir la capacité de contrôler ses propres transitions d’état comportemental. Le développement et l’expérience contribueront progressivement à la formation d’états de conscience plus nombreux et plus complexes (Carlson et al., 2009). L’ensemble de ces éléments sont comme des clés ou des pièces de puzzle qui vont se combiner plus tard pour forger des expériences plus complexes de transes, normales comme pathologiques.

De 2 à 12 ans : la petite et moyenne enfance Avec le développement des habiletés d’autorégulation (comme les stratégies pour modifier l’intensité de l’expérience et de l’expression émotionnelle), une plus grande expansion des capacités cognitives et expérientielles se produit. L’enfant sera progressivement en mesure d’apporter sa contribution aux états vécus et exprimés. Entre 4 et 6  ans, la plupart des enfants montrent une capacité de mentalisation leur permettant de distinguer leurs connaissances de celles des autres. Grâce à une combinaison de plus grandes capacités de mentalisation et de pensée symbolique, l’enfant est également progressivement capable d’imaginer l’existence et d’attribuer l’agentivité à des personnes non présentes (Barrett et al., 2001). De plus, l’enfant devient de plus en plus enclin au fantasme  : son monde psychologique et son jeu imaginatif deviennent généralement peuplés de fantômes, lutins, sorcières ou compagnons imaginaires. De tels objets d’imagination peuvent à la fois donner lieu à des états expérientiels positifs (sentiment de camaraderie) et négatifs (peur des fantômes). Comme de telles figures imaginaires ont tendance à être normatives à cette tranche d’âge, un processus pathologique de développement d’états de conscience non ordinaires, comme la dissociation, peut être difficile à distinguer d’une implication imaginative normale (Granqvist et  al., 2011). Pourtant, des jeunes enfants peuvent être sujets à des processus d’états modifiés de conscience lors de l’acquisition des compétences de base et avant les transitions vers de nouveaux niveaux d’organisation. L’esprit du jeune enfant se fractionne en effet naturellement avant de traiter des expériences complexes ou contradictoires (Carlson et al., 2009). Les processus d’autorégulation fondamentaux sont formés dans le contexte de la relation de soins et les expériences de soins insensibles peuvent favoriser les distorsions dans les états de conscience. Les jeunes enfants issus de milieux traumatiques peuvent présenter divers symptômes dissociatifs, tels que des états de transe, des oublis perplexes et des fluctuations

comportementales et émotionnelles. Une expérience émotionnelle écrasante dans l’enfance peut consolider les propensions dissociatives normatives en schémas rigides de dissociation pathologique et les expériences répétées de « peur sans solution » peuvent contribuer à l’effondrement des stratégies attentionnelles (Carlson et al., 2009). Des phénomènes d’état dissociatif peuvent être observés chez le jeune enfant : audition de voix internes, référence à soi à la troisième personne ou implication avec des camarades de jeu imaginaires qui semblent réels pour l’enfant (Carlson et  al., 2009). Durant cette période, l’enfant peut commencer à rapporter des « expériences de mort imminente  » transcendantales, se produisant même avec une exposition limitée aux influences culturelles et religieuses (Greyson, 2000). Ainsi, tant les capacités métacognitives que les épisodes d’absorption ou de transe augmenteront typiquement au cours de cette période de vie (Granqvist, Reijman et Cardeña, 2011). Une étude suggère que la réactivité hypnotique peut être mesurée dès l’âge de 5  ans (Olness et Kohen, 1996) et ces jeunes enfants apparaissent plus absorbés par leur vie imaginaire que les enfants plus âgés (Granqvist, Reijman et Cardeña, 2011).

L’adolescence, de 12 à 19 ans Sans ignorer les différences individuelles psychologiques, sociales et culturelles, il est à noter que le développement du cerveau adolescent, par son remodelage du cortex préfrontal et l’augmentation de l’activité de la dopamine dans le cadre d’un système sérotoninergique immature, pourrait expliquer en partie les comportements à risque et les recherches d’états «  second  » au cours de cette période. À  travers ces mises en expériences (par exemple les sports extrêmes), l’adolescent peut rapporter des états non ordinaires de conscience décrits comme un plaisir intense associé à un relâchement des tensions et pouvant le conduire à un sentiment de calme et d’apaisement émotionnel, une sorte de retour à une homéostasie. Cette expérience peut être mise en lien avec la

libération de neuro-hormones telles que l’ocytocine qui peut conduire à ces états non ordinaires de conscience (Morin, 2021). La période adolescente commence également à inclure des états de transe induits rituellement. S’ils sont vécus à n’importe quel moment de la vie, ces états de conscience transcendants et ces expériences religieuses (par exemple les conversions religieuses soudaines) ont tendance à se produire pendant l’adolescence et souvent en période de troubles (Granqvist et al., 2011). Avec la flambée de la pandémie de Covid-19 en 2020 et les premiers confinements, des rituels spécifiques de mise en transe impliquant la relaxation, la concentration de l’attention, et l’autosuggestion sont apparus, essentiellement chez la « génération Z » (née entre la fin des années  1990 et le début des années  2010). Pour exemple, la Raven Method préconise de s’allonger sur le dos, les bras et les jambes écartés, puis de compter à rebours à partir de 100 tout en visualisant la destination voulue. La Heartbeat Method consiste à écouter des enregistrements de battements de cœur tout en s’imaginant dormir avec un personnage imaginaire. Des méthodes plus complexes, comme celle dite d’Alice au Pays des Merveilles1, existent. La bascule d’un monde à l’autre, pratique dite du « shifting », s’accompagne de manifestations physiques. Ces expériences individuelles sont largement partagées sur les réseaux sociaux et forums. Cette pratique est un exemple parfait de pratique de transe venant en réponse à des crises. Les shifters visitent des univers alternatifs (souvent issus de la pop culture  : Harry Potter, Spiderman, Le Seigneur des Anneaux, My Hero Academia, etc.) et s’y projettent avec un fort sentiment d’absorption et de présences. Certains auteurs ont commencé à discuter de cette pratique au regard d’autres pratiques telles que l’hypnose ou le rêve éveillé (Somer et al., 2021). Les bienfaits obtenus à travers ces pratiques dépendent des personnes, mais il s’agit souvent pour le jeune de trouver une façon de s’adapter à la traversée aventureuse de l’adolescence (processus de séparation/individuation, exploration de soi, recours à un imaginaire questionnant les limites, découverte de l’autre à travers des pratiques de groupes,  etc.), et plus spécifiquement par exemple de s’adapter à la crise sanitaire.

Concernant ces états non ordinaires vécus à l’adolescence, ajoutons que les expériences normatives vécues, pour la plupart consciemment, de la multiplicité du soi à l’adolescence qui conduisent à une réflexion intense, peuvent également rendre plus fréquentes les expériences transitoires de dépersonnalisation et de déréalisation. Dans cette période de consolidation de l’identité, il semble en effet que les identités dissociatives puissent également se consolider (Carlson et  al., 2009). Une revue de la littérature

montre que la dissociation culmine au début de l’adolescence (Vanderlinden, Van der Hart et Varga, 1996). Divers courants de recherche auprès d’adolescents montrent que la discontinuité de l’expérience provoquée par des événements traumatisants produira également des expériences dissociatives aiguës ou chroniques. Une tendance accrue à des expériences dissociatives chez les adolescents dont l’attachement au nourrisson a été désorganisé a été clairement démontrée (Carlson et  al., 2009). Cette dissociation peut interagir à l’adolescence avec d’autres phénomènes comme la consommation de drogues, d’alcool, etc. Ainsi, si dans l’enfance, la dissociation peut être une réaction normative à la perturbation et à la détresse, à l’adolescence, une dissociation chronique peut être un indicateur probable de psychopathologie (Cardeña et al., 2003).

Le passage à l’acte à l’adolescence : d’une ritualité intime aux processus dissociatifs

De nos jours, le jeune peut être emmené, pour supporter un environnement chaotique et défaillant, à faire de son corps un étendard à sa souffrance psychique  : errer, fumer à longueur de journée ou se créer des cicatrices liées aux automutilations qui ressemblent à des « scarifications rituelles » (Figueiredo, 2019). Une socio-anthropologie clinique de l’adolescence nécessite une connaissance des rites de passage : la disparition dans nos sociétés contemporaines de ces rites de passage –  de l’enfant à l’adulte  – des rites de puberté sociale, semble expliquer en partie l’allongement de l’adolescence dans la seconde moitié du xxe siècle (Goguel d’Allondans et Lachance, 2014). L’abandon de ces rites de passage, et plus spécifiquement les rites de puberté, a contribué à mettre en difficulté ce changement de statut pour le jeune (Figueiredo, 2019). L’adolescent n’est plus un enfant mais n’est pas un adulte. Ce double mouvement – de reniement et de recherche – constitue l’essence de la crise que le jeune doit traverser.

Les passages à l’acte à l’adolescence peuvent se comprendre comme des « rites de contrebande » (Jeffrey, Lachance et Le Breton, 2016). Le concept de rite de passage a été forgé en 1909 par l’ethnologue français Arnold van  Gennep. Les rites sont présents dans toutes les sociétés humaines : épreuves physiques, initiation, temps en marge de la communauté, etc. Durant le rituel, le novice n’appartient plus au monde antérieur et pas encore au monde qui l’attend, il éprouve un «  flottement entre deux mondes » (Ibid.). Ces rites de passage sont un renoncement au statut antérieur – sans retour en arrière possible – afin de faire advenir un autre, et être reconnu socialement comme tel. Mircea Eliade (1959) a insisté sur la mutation ontologique consécutive au vécu de ces rites initiatiques en tant qu’inscription «  dans l’axe du monde  ». Jeffrey et  al. (2016) parlent de «  syncrétismes  », concernant ces bricolages contemporains chez le jeune, dans lesquels on retrouve de nombreux passages à l’acte et conduites à risque, des actes d’opposition ou de rébellion, ou encore l’errance qui serait ce flottement, cette incapacité à se fixer en un point ; des rites intimes et bricolés, comme des tentatives de grandir par soi-même.

En clinique, certains passages à l’acte chez l’adolescent peuvent se réduire à des comportements aliénants, répétitifs, comme si le passage ne se faisait pas et que l’acte, inefficient, devait être reconduit, encore et encore. Comme si ces «  performances identitaires  » à «  examiner sous la loupe d’une ritualisation  » ne permettaient pas l’accès à l’autre rive (Roberge et Jeffrey, 2017). Ces jeunes errent dans un entre-deux, expérimentent, en souffrance, une forme d’agir que la société réprouve. Défis, vitesse sur les routes, tentatives de suicide, errance, scarifications, troubles alimentaires, toxicomanies, alcoolisation, adhésion sectaire, délinquance, violence, etc., ces actions se reproduisent de nos jours sous diverses formes, comme des manières de forcer un passage. Ces conduites sont transgressives, inattendues et surprennent parfois le jeune qui les met en œuvre et qui n’aurait jamais pensé à les faire. Aucune progression ne semble venir jalonner ces expérimentations et les conduites se répètent. Relevant d’actes impulsifs, autoréférentiels, ces conduites peuvent se transformer en des « formes d’auto-initiation » (Ibid.). « J’ai disjoncté ! », le passage à l’acte apparaît comme une rupture avec un fonctionnement habituel. Si les passages à l’acte apparaissent «  nécessaires à l’évolution  » (Lusven et Duverger, 2017), un consensus semble établi dans la clinique autour de l’idée qu’ils sont une externalisation

de conflits ne pouvant être affrontés psychiquement, permettant de réguler des émotions négatives intenses. Est-il possible que ces courts-circuits vécus par le jeune –  «  Je ne sais pas ce qui m’a pris  !  »  –, seraient dus à de nettes modifications de la conscience, telle que l’expérience dissociative, qui conduiraient à l’exécution d’une procédure dans des moments de stress émotionnel intense ? La dissociation est une stratégie de régulation permettant l’organisation et l’intégration de l’expérience et d’états intenses d’hyperexcitation. Les symptômes dissociatifs peuvent être considérés comme les «  effets d’un traitement défaillant des informations émotionnelles consécutif à la nature écrasante des événements traumatiques et ces échecs d’intégration peuvent se manifester par des fluctuations de la conscience » (Carlson, Yates et Sroufe, 2009). L’Adolescent Dissociative Experiences Scale-II (ADES) a amélioré notre capacité à reconnaître la dissociation des adolescents. La dissociation fait partie de la catégorie des états modifiés de conscience. Les états modifiés de conscience (EMC) sont des accompagnateurs du développement et interviennent dans les processus d’apprentissage et dans des moments où des points de maturation, d’intégration, sont requis. L’altération de la conscience est conçue comme des «  changements graduels ou discrets intervenant sur une ou plusieurs de ces dimensions constitutives  » (Dumas et  al., 2017). Une association entre la fréquence des actes auto ou hétéro-destructeurs et ces processus dissociatifs semble intéressante mais les études descriptives d’adolescents en traitement pour dissociation restent rares. En clinique, ces passages à l’acte étant souvent si chaotiques, transgressifs et inattendus, qu’il est possible de passer à côté du phénomène dissociatif.

Perspective développementale de la dissociation Dans le DSM-5, la dissociation est définie comme une perturbation des fonctions habituellement intégrées de la conscience, de la mémoire, de l’identité et de la perception. Ces manifestations

cliniques comprennent la dépersonnalisation et la déréalisation, l’amnésie dissociative et le DSM-5 intègre dans la catégorie – autre trouble dissociatif spécifié  –, la transe dissociative qui elle est caractérisée par une « restriction aiguë ou une perte complète de la conscience de son environnement immédiat ». Un examen des expériences anormales suggère que certains sujets sont plus susceptibles que d’autres d’expérimenter une variété d’altérations de la conscience, indépendamment du fait qu’ils manifestent ou non une psychopathologie. Il existe des preuves d’une contribution génétique à la dissociation, soutenant un certain type d’héritabilité concernant la capacité à altérer sa conscience (Granqvist et  al., 2011). Alors que certains adolescents ont développé un sens du soi fermement intégré, des exemples de dissociation à l’adolescence, liée à une pathologie ou à un lien d’attachement désorganisé, apparaissent et semblent sous-tendus pas des états proto-dissociatifs en lien déjà avec la période du nourrisson (Ibid.). La clinique souligne l’importance de l’affect et de sa régulation dans la dissociation, et décrit la dissociation comme un processus défensif intrapsychique. La dissociation à l’adolescence est considérée comme un phénomène développemental malléable qui peut entraîner un large éventail de symptômes graves (Carlson, Yates et Sroufe, 2009).

Ainsi les symptômes dissociatifs rigides peuvent être considérés comme une tentative de traitement défaillant des informations émotionnelles, face à la nature écrasante des événements traumatiques, dans des environnements souvent chaotiques et déficients. Ces échecs d’intégration génèrent des souvenirs et émotions traumatiques non traitées, qui peuvent se manifester par des fluctuations de la conscience mais également du comportement. Le lien entre les processus dissociatifs et les passages à l’acte est intéressante car elle conduit à nous interroger sur un «  échec  » possible d’un processus de transe, qui resterait non abouti pour le jeune, le contraignant à la reconduction de l’acte, ce processus

restant compartimenté et ne permettant pas au jeune d’atteindre la rive de l’intégration. Dans la sidération et également la transe, Baud et Midol (2009) soulignent que le corps devient totalement insensible aux stimuli nociceptifs, comme absent. Le rapport au corps lors de certains passages à l’acte apparaît aussi un rapport d’absence  : scarification, errance, syncope,  etc. Cette absence semble provoquer une déstructuration transitoire. Cette déstructuration sous-entend un niveau de réalité autre, qui renfermerait une variable cachée (Ibid.). Il y a l’idée chez Georges Lapassade d’une mutation ontologique de l’expérience lorsqu’elle est inscrite dans les représentations et les pratiques collectives. Quand les états modifiés de conscience et la dimension hallucinatoire de ces expériences individuelles n’est pas dépassée, les états de conscience modifiés sont envisagés comme «  des transes à l’état potentiel  » et ne deviennent effectifs que si la société choisit de les « cultiver » (Baud, 2016).

D’une transe sauvage à une transe adolescente aboutie et intégrée

Les transes ne visent pas à « connaître » quelque chose qui serait caché, mais à faire advenir quelque chose sur quoi les personnes puissent agir symboliquement (Baud, 2016). Dérivé du latin transire, le mot « transe » désignait à l’époque médiévale une traversée, un passage. Au xixe  siècle un état d’hypnose et plus tard la transe évoquera un état d’inquiétude, le fait d’être hors de soi. Plus récemment perçues comme une réalité psychophysiologique observable et une faculté inhérente à la nature humaine, les transes sont encore plus récemment décrites en termes d’états modifiés de conscience (Baud, 2016). Dans les passages à l’acte, ces «  transes sauvages  » semblent marquées par une absence de sens, une expérience particulière du corps qui peut avoir un rapport avec le dédoublement et la dépersonnalisation du corps sujet. Ces transes semblent vouloir

dénouer, délier un corps pour « lui rendre sa fluidité », comme des rituels de « décrispation » (Baud, 2016). Soulignant une ouverture à un monde autre et un désir de changement d’état, l’usage de ces rituels et de ces états modifiés de conscience par l’adolescent met son monde en mouvement. Ces transes, en partant d’une profondeur corporelle, offrent un espace transitionnel entre l’artisan du rituel et son environnement (Ibid.). À  notre connaissance, aucune étude n’a été conduite sur l’expérience vécue par l’adolescent lors du passage à l’acte : ce que vit l’adolescent, instant après instant, aux différents stades de son geste, n’a pas été étudié par les sciences contemplatives contemporaines. Cela bloque la compréhension  : seule une description fine de l’expérience vécue permettrait de comprendre les processus mobilisés lors du passage à l’acte. Une approche phénoménologique permettrait de prendre conscience de ces expériences et de les décrire avec précision, en aidant l’adolescent à réorienter son attention « du contenu » de son expérience « vers le mode et la dynamique d’apparition de ce contenu  » de manière à révéler et décrire la «  vie intentionnelle  » sous-jacente de la conscience, et encore plus profondément, le niveau pré-intentionnel (Petitmengin et  al., 2017). Cette compréhension de l’expérience et des états de conscience en lien avec le passage à l’acte est importante car elle permettrait d’accompagner le jeune vers la possibilité d’une «  transe aboutie  ». La transe qui serait aboutie et ritualisée aurait pour objet de préserver et de rétablir l’équilibre fragile des relations de l’adolescent avec sa communauté, d’atteindre (enfin) l’autre rive. Les êtres humains, individuellement et collectivement, partagent avec leurs environnements des informations sélectionnées, modelées et agencées, qui sont retouchées par leur imaginaire (Baud, 2016). Nous pouvons formuler l’hypothèse que le manque de connaissance de la phénoménologie du passage à l’acte chez l’adolescent bloque à la fois sa compréhension et sa prise en charge, faisant apparaître la catégorie des « incasables » dans les institutions. Une description fine de l’expérience vécue du sujet permettrait de comprendre les

processus mobilisés. Il s’agirait d’aider l’adolescent à réorienter son attention sur la dynamique d’apparition du contenu et de la décrire avec précision. La transe, c’est se tenir sur une limite, un entre-deux, s’approcher du non-retour. Dans l’expérience, une tension se vit entre l’intériorité de la personne en transe, son expérience, et la transe qui dépasse la personne même. Le rituel peut venir matérialiser et convoquer l’expression de cette relation, entre l’adolescent «  qui puise une forme  » en lui-même et «  la transe qui s’incarne dans un corps comme médiateur » (Baud, 2016).

L’âge adulte et le vieillissement Comme les aspects du développement qui constituent le fondement de la plupart des états de conscience sont suffisamment développés avant l’âge adulte, la période de développement adulte englobera généralement moins de nouveaux états que les périodes précédentes de développement. De plus, le développement devient de plus en plus hétérogène, ce qui implique que les différences individuelles, culturelles et sous-culturelles rendent de plus en plus difficile la caractérisation de l’état modifié de conscience chez l’adulte (Granqvist et  al., 2011). Néanmoins, certains états se cristalliseront typiquement, et d’autres seront vécus dans de nouvelles situations ou en relation avec de nouveaux objets. Les états de « flow », concept de Csikszentmihalyi, sont susceptibles de devenir de plus en plus courants. L’expérience du flow se caractérise par une perte de conscience de soi, une perception déformée du temps qui passe et la fusion de l’action et de la conscience. Alors que d’autres états, tels que ceux induits par les drogues et l’hypnose, peuvent partager ces caractéristiques, dans les expériences de flow –  comme dans la vie éveillée ordinaire – l’attention est absorbée dans un échange continu avec le monde, tandis que l’on poursuit une série d’objectifs proximaux. Csikszentmihalyi affirme que le flow est l’un des mécanismes qui ont rendu possible l’évolution de l’humanité, parce que le cerveau humain a dû cultiver des compétences de plus en plus élevées pour éviter les états sous-optimaux d’anxiété et d’ennui. « Voilà ce que nous entendons par expérience optimale. C’est ce que ressent le navigateur quand le vent fouette son

visage (...) c’est le sentiment d’un parent au premier sourire de son enfant. Pareilles expériences intenses ne surviennent pas seulement lorsque les conditions externes sont favorables. Des survivants de camp de concentration se rappellent avoir vécu de riches et intenses expériences intérieures en réaction à des événements aussi simples que le chant d’un oiseau (...). Ces grands moments de la vie surviennent quand le corps ou l’esprit sont utilisés jusqu’à leurs limites dans un effort volontaire en vue de réaliser quelque chose de difficile et d’important. L’expérience optimale est donc quelque chose que l’on peut provoquer… Pour chacun, il y a des milliers de possibilités ou de défis susceptibles de favoriser le développement de soi (par l’expérience optimale) » (Csikszentmihalyi, 2004).

La période du jeune âge adulte peut être particulièrement propice à ces états de transe, par rapport aux périodes de développement précédentes (Wittmann, 2018). En effet, à l’âge adulte, la pensée abstraite étant normalement établie, l’adulte est conscient de luimême en tant que personne, nourri par ses souvenirs et les histoires qu’il associe à lui-même. Il fait l’expérience de sa mémoire et de sa vie en tant que «  durée ressentie  » (Ibid.). Les moments de forte excitation émotionnelle élargissent ce temps subjectif et au cours d’états de transe, cette perception du temps et de l’espace peut être altérée de manière extrême. Ce sentiment temporel de l’écoulement du temps, tel que l’individu le vit, rapidement ou lentement, est basé sur son expérience corporelle ; et les altérations de la conscience du temps sont une indication typique d’un état de conscience non ordinaire, se traduisant par l’expérience d’un temps arrêté, voire par la perte de la notion de temps (Ibid.). La mémoire de l’individu peut être altérée lors du vieillissement, et ce de façon parfois pathologique comme dans le cas de la démence. Ces altérations pathologiques, qui résultent de lésions structurelles progressives du cerveau (notamment les régions corticales), sont associées à une perte de mémoire, à des états de désorientation spatiale et à une perception corporelle déformée. Au fur et à mesure que la démence progresse, la métacognition et la mémoire autobiographique sont diminuées, et des délires peuvent s’ensuivre (Granqvist et al., 2011). En dépit des déclins généraux des fonctions sensorielles et cognitives liés au vieillissement, la plupart des personnes âgées sont capables d’éprouver des états de conscience pour lesquels elles ont

acquis une capacité plus tôt dans la vie, ainsi que de gérer et d’apprécier leur vie et leurs activités quotidiennes. Il semble y avoir un consensus interculturel selon lequel un état de conscience caractérisé par un équilibre désintéressé entre la cognition et l’émotion connu sous le nom de «  sagesse  » est plus susceptible d’émerger avec l’âge (Jeste et al., 2010). À noter que le concept de gérotranscendance a été proposé par le sociologue suédois Lars Tornstam en 1997 pour décrire une transformation positive de la conscience qui se produit chez certaines personnes âgées à mesure qu’elles vieillissent. Selon Tornstam, la gérotranscendance est caractérisée par un changement de perspective sur la vie qui se produit chez les personnes âgées qui ont atteint un certain niveau de maturité et de sagesse. Ces individus développent une conscience plus spirituelle et transcendante, qui leur permet de transcender les limites de l’ego et de trouver un sens plus profond à leur existence. La gérotranscendance implique une ouverture accrue aux expériences mystiques, une perception plus positive de la vie et une diminution de l’importance des préoccupations matérielles. Les personnes qui ont atteint la gérotranscendance sont souvent décrites comme ayant une plus grande capacité à trouver du sens et de la signification dans leur vie, à ressentir une plus grande connexion avec l’univers et à se sentir plus en paix avec leur propre mortalité. Tornstam soutient que la gérotranscendance est une étape importante du développement humain et que cela peut aider les personnes âgées à mieux faire face aux défis de la vieillesse, tels que la perte de proches, la diminution de la santé et de la mobilité et la préparation à la mort. Face à la mort, au cœur du contexte de la fin de vie, la recherche sur les états de conscience non ordinaire fait apparaître de nouveaux concepts. Ainsi, la «  lucidité palliative  » ou «  lucidité terminale » est un concept qui se réfère à un état de clarté mentale que certaines personnes atteignent en fin de vie, généralement lorsque leur état de santé se détériore considérablement. Dans cet état, une personne atteinte d’une maladie en phase terminale peut

être capable de prendre des décisions éclairées quant à ses soins et à sa fin de vie, malgré la douleur ou l’inconfort qu’elle peut éprouver (Mutis, 2020).

Notes 1. https://wealthfulmind.com/alice-in-wonderland-shifting-method/.

Chapitre 22 Les transes de possession

Serena Tallarico Le terme «  transe  » est formé à partir du radical du verbe latin transīre, mot polysémique qui indique à la fois le mouvement de la traversée, de passer, d’aller vers, de venir, d’aller au-delà, et l’action de communiquer, de transmettre, de se retourner contre quelqu’un, de trahir (au sens de faire passer quelque chose entre de mauvaises mains). Il désigne également l’action de lâcher-prise, de tomber, de glisser, de trépasser ou de mourir et, enfin, il décrit la transformation, le changement et la mutation. La polysémie du mot « transe » reflète la complexité de ce phénomène de portée universelle qui se réfère à des manifestations que l’on retrouve dans une multitude de situations et de contextes ethnographiques très diversifiés, allant des transes de possession aux transes thérapeutiques.

Transes de possession, transes thérapeutiques Dans les transes de possession, les notions de transformation et de changement d’identité sont centrales, ainsi que l’interruption de la continuité de l’expérience du Moi, lequel est remplacé, complètement ou partiellement, par une altérité radicale telle que l’esprit. La possession est définie par Fabietti et Remotti, dans le Dizionario d’Antropologie1, comme «  un état de souffrance déterminé par la descente ou l’intrusion d’entités dans le corps humain, qui peuplent l’univers religieux d’une culture déterminée. Cette action dérangeante peut se transformer en une relation privilégiée, donc favorable à la personne, avec le monde surhumain

à travers des rituels spécifiques (…). Il est très difficile de construire une typologie de la possession, précisément à cause de la variété considérable par laquelle se produisent ces phénomènes dans différents contextes ethnographiques. Sur le plan analytique, les diverses perspectives théoriques mettent en évidence la nature complexe et multiforme du phénomène. Les rites de possession ont souvent des répercussions sociales importantes, notamment en ce qui concerne les relations de genre. Ils sont produits dans des contextes ethnographiques différents, étroitement liés aux changements socio-économiques, et peuvent être considérés comme une forme de communication privilégiée, à la fois au sein du même groupe social et entre le monde humain et le domaine des esprits, ou encore être inclus dans un discours plus général sur la sorcellerie. Plusieurs auteurs incluent l’interprétation de la possession dans le discours mieux articulé sur le malheur et la maladie. Ainsi, la fonction thérapeutique des cultes de possession (Zempleni, 1966) et la nature socialement construite de tels événements sont mises en évidence dans une tentative d’identifier la logique culturelle qui transforme un événement personnel obscur, douloureux et privé de signifié, en un phénomène culturellement accepté2 (Remotti et Fabietti, 1997) ». Quant à la transe thérapeutique (nommée transe chamanique dans certains contextes), inversement, c’est l’esprit du thérapeute traditionnel qui quitte le corps et entame un voyage transcendantal, dans le but d’établir une communication entre le monde des humains et le monde invisible, d’intercéder pour le bien du patient et du groupe social, de réparer un tort, de poser une question, de trouver l’origine d’un problème et de le résoudre, de récupérer une partie de l’âme du sujet qui a été volée ou perdue à cause d’une maladie ou d’une attaque de sorcellerie, puis de la réintroduire à l’intérieur du corps du malade3.

Sens de la transe

La vision de la transe par la société peut être radicalement différente, et le phénomène n’est compréhensible que dans sa mise en relation avec son contexte social, relation que nous entendons ici comme une construction dynamique, processuelle et interactionnelle. Dans certaines sociétés, la transe est recherchée, et même convoitée, étant une «  marque de prestige  » pour les sujets et les groupes élus. La transe dite «  ordonnée  » annonce la descente d’une divinité convoquée dans un cadre rituel, au cours duquel le corps humain devient un médiateur de l’alliance entre les esprits et le groupe. L’homme, en devenant le véhicule de d’entités non humaines, permet à ces dernières de répandre leurs faveurs et leurs conseils aux mortels, ce qui favorise la circulation des dons entre le monde visible et le monde invisible. Dans ces contextes dits d’adorcisme4, la transe enrichit le capital social du sujet comme celui du groupe. Dans d’autres circonstances, la transe est le signe qu’un malheur, un mauvais esprit, une maladie ou bien encore la folie, se sont emparés du sujet et, à travers lui, le phénomène menace de se propager au sein du groupe. Ainsi, les rituels qui se déclenchent à partir de la transe sont destinés, tout d’abord, à protéger le groupe en isolant la victime, puis à chasser le mal de son corps, à l’exorciser et à le neutraliser. Ces deux pôles opposés du traitement de la transe peuvent également se retrouver dans les mêmes contextes ou bien représenter des phases différentes des mêmes rituels. En particulier, la transe peut apparaître de façon intempestive, « désordonnée » ou « sauvage »5, car elle n’est pas recherchée par le groupe social, ni souhaitée à ce moment-là pour l’individu en question. Elle peut en effet se manifester au cours d’un rituel, mais chez des personnes non initiées, donc non préparées à la recevoir. Dans ces cas, la transe est considérée d’abord comme quelque chose de nuisible, aussi bien pour le sujet que pour le groupe, à cause de son caractère inopiné. Dans un premier temps, elle peut être associée à un mal-être, à des maladies ou à des malheurs,

sans toutefois être interprétée négativement ; au contraire, elle peut être comprise comme une élection, un signe que le sujet est appelé à devenir guérisseur, adepte du culte ou bien chamane. À ce stade, le groupe social isole la personne de son contexte pour l’initier afin qu’elle puisse apprendre à accueillir « comme il se doit » les entités surnaturelles, selon les règles sociales et les codes rituels donnés. Nous retrouvons un exemple ethnographique de cette typologie de transe dans le candomblé de Bahia présenté par Bastide (2000). Ainsi, les transes sont le fruit d’un apprentissage conscient et inconscient du sujet en tant que membre d’une communauté. En ce sens, elles peuvent être considérées comme un habitus, un complexe de comportement qui varie selon les sociétés et les époques mais également en fonction des événements de la vie et des processus de changement intervenant aux niveaux subjectif et sociétal. L’analyse des comportements associés à la transe renvoie à l’étude plus générale des techniques du corps qui, selon la définition de M.  Mauss, englobent des dimensions diverses d’ordre physique, psychique, social et culturel. Les transes «  varient non pas simplement avec les individus et leurs imitations, elles varient surtout avec les sociétés, les éducations, les convenances et les modes, les prestiges » (Mauss, 2013).

La personnalité du possédé La dépersonnalisation qui intervient dans la transe est, selon une lecture anthropologique, un corps qui cesse d’être une « personne » (au sens le plus proche de son étymologie grecque de προσώπων –  prosopon – signifiant face, visage, figure humaine), pour devenir un réceptacle du non-humain. Le corps humain assume les apparences, les postures, la voix de l’entité qui le possède. À  cet égard, nous renvoyons aux travaux d’Alfred Métraux (1968) sur le

vodou haïtien pour un approfondissement des aspects théâtraux de la transe. Lapassade, dans ses recherches sur la transe (Desroche et Lapassade, 1976), met en évidence la continuité d’être de la personnalité du possédé et celle de l’entité qui possède. Ainsi, les personnes colériques et agressives attireront des esprits plutôt brutaux, contrairement aux personnes au caractère plus mites qui seront généralement des réceptacles des pour les esprits bienveillants. La transe de possession serait également un phénomène que l’on retrouve chez des personnes fragiles, ou à des moments critiques de leur vie, et qui demandent à être soignées. Cette idée figure notamment chez De  Martino (De  Martino et Poncet, 1999) dont le travail s’inscrit dans le sillage des contributions freudiennes, à partir de l’influence de Pierre Janet qui met en rapport la possession avec la condition psychologique des possédés. Selon ce dernier, la possession serait vérifiable chez des individus qui présentent une « misère psychologique » (Janet, 1889). De plus, des gens marqués par une personnalité dissociée et/ou vivant des moments particulièrement critiques, qui concourent à déterminer une «  crise de la présence », auraient recours à la possession comme stratégie pour opérer, ou tenter, une sorte de restructuration cognitive. À  travers la possession, comme le suggère l’ethnopsychiatre Roberto Beneduce, on accède à un vaste tableau de phénomènes, notamment dans sa mise en relation avec les histoires de migration, «  avec la modernité, le changement culturel, les processus mimétiques et les conflits qui scandent ces dynamiques  » (Beneduce et Taliani, 2001). La possession est définie par ces deux auteurs comme une «  pratica transizionale  » (pratique transitionnelle), une «  machine à penser  », donc comme une dynamique par laquelle, dans le processus migratoire, l’identité individuelle et collective se structure, se contracte, se transforme et se négocie. Au-delà de la grande variété de leurs manifestations, de leur traitement, des contextes, des symboles associés, les transes

présentent des valeurs que le groupe leur attribue. Elles sont un moyen culturellement codé de rencontrer l’Autre, sur un plan différent de celui du quotidien réel, comme l’a mis en évidence G. Lapassade dans Essai sur la transe : le matérialisme hystérique (Desroche et Lapassade, 1976).

Les transes et le spirit disorder, la maladie des esprits Dans le cadre de notre travail doctoral en psychologie (Tallarico, 2019), nous avons étudié une forme particulière de possession, à savoir la maladie des esprits ou spirit disorder, chez des personnes issues de la migration et prises en charge dans des structures publiques sanitaires en France. En septembre  2016, nous avons réalisé une analyse de la littérature scientifique, dans l’objectif de dresser un panorama des recherches en psychologie, en médecine, en psychiatrie, en psychanalyse, anthropologie, ethnopsychiatrie sur la transe et le spirit disorder, la possession par les esprits et les problématiques cliniques rattachées à ce phénomène. Plus précisément, nous avons examiné les questions de la prise en charge, de la symptomatologie, les différents traitements, les problématiques liées aux erreurs diagnostiques, la relation entre les catégories biomédicales (selon un point de vue étique)6 et les représentations des patients (d’un point de vue émique)7. Nous n’avons pas fixé de limites concernant les dates de publication ni les zones géographiques. Pour ce qui concerne la langue de diffusion, nous avons concentré nos recherches sur les articles publiés en anglais, en français, en italien et en espagnol. Nous avons utilisé, pour approfondir notre étude bibliographique, le moteur de recherche Medline/Pubmed avec les mots-clés suivants : transe et possession, spirit possession, la revue L’autre, Cliniques, Cultures et Sociétés. Revue transculturelle avec les mots-clés possession, transe, ainsi que le moteur de recherche PsycInfo avec les mots-clés  : transe and possession, spirit possession, spirit disorder.

Nos résultats montrent que la relation, effectivement complexe, et parfois douloureuse, entre le patient et le monde invisible, est souvent réduite, par les chercheurs, à la dimension du pathologique. Les signes de ces rencontres avec le monde surnaturel sont toujours traduits par des diagnostics biomédicaux, ou rapprochés d’eux. La transe est souvent comparée, par les chercheurs, à un symptôme relevant de la schizophrénie, du TSPT, de la toxicomanie, des troubles de la personnalité, des cas-limites, des troubles schizoaffectifs, des troubles bipolaires, pour lesquels les transes sont souvent suivies par une amnésie dissociative et/ou des troubles dissociatifs de l’identité (auparavant appelés personnalité multiple). Les visions, les perceptions, la sensation de présences, invisibles aux autres, mais bien réelle pour les patients, sont, dans la majorité des cas étudiés, en lien avec une grande variété de symptômes somatiques et psychiques, qui diffèrent par leur nature, leur intensité et leur durée. Les symptômes rapportés incluent globalement le dysfonctionnement au niveau de la conscience, de la mémoire et de la perception de l’environnement, associés à la présence, à l’intérieur du corps de la personne, de deux ou plusieurs identités, ou bien d’états de personnalité distincts qui prennent, tour à tour, le contrôle du comportement du sujet. Ils s’accompagnent alors d’une incapacité, pour ce dernier, à évoquer des souvenirs des moments de transe ou des comportements dont il n’a pas reconnu de responsabilité. L’amnésie, le phénomène de glossolalie, les troubles du sommeil, les cauchemars et autres visions effrayantes sont des éléments récurrents dans les récits des sujets et de leur entourage, associés à la présence d’esprits. La transe, et la transe de type possession, sont souvent décrites en rapport à la présence de comportements et des mouvements stéréotypés. Sur le plan du comportement, pendant les transes, les sujets rapportent des hallucinations visuelles, auditives et somatiques, des sensations anormales de flux chauds ou de froid, des convulsions, des tremblements vigoureux et rythmés du tronc et des membres, des gestes exagérés, des courses stéréotypées et des danses, de

l’hyperventilation, des réactions de conversion, des actes d’automutilation, des phénomènes de dépersonnalisation (sensation d’être au dehors de soi-même), et une certaine déréalisation. En lien avec les épisodes de transe de possession, ont été relatés une exposition importante à des dangers mortels, voire des actes suicidaires, une haute fréquence d’accidents et de maladies, des comportements addictifs, notamment une consommation excessive d’alcool et de tabac, des « crises de cris », des troubles du sommeil, de l’alimentation, de la concentration et de l’apprentissage, ainsi que des troubles sexuels, ou encore un débit inhabituel de paroles dans certaines circonstances, par exemple la nuit, des comportements auto et hétéro-agressifs ou bien phobiques limités aux moments de transe. La concomitance de gestes d’automutilation et d’épisodes de possession a été observée par Benoît de Coignac et Baubet (2013) chez un patient adolescent. Ceux-ci expliquent en ces termes : « Le patient est en proie à des crises violentes plusieurs fois par semaine au cours desquelles il s’automutile. Il nous dira qu’il n’est plus luimême pendant les crises, qu’il peut faire n’importe quoi, qu’il cherche à se faire saigner ou à faire saigner quelqu’un (...) Il présente également une amnésie partielle des crises. Les symptômes d’Alassane sont proches des symptômes de possession (...) “tu es bizarre, tu parles tout seul”  ; il peut aussi dire que des esprits viennent parfois lui parler, comme si des esprits s’exprimaient “à travers sa bouche” ». Durant les transes, les sujets perdent le contrôle de leurs actions et de leurs comportements, phénomène associé à la perte de conscience de l’environnement, de son identité personnelle et de la notion de temps. Dans les études, figurent aussi des descriptions de comportements anormaux, comme de même au niveau de la parole  : parler avec une voix agressive et sur un ton impérieux, s’exprimer avec une autre voix (considérée par le sujet comme étant celle de l’esprit), ou au contraire, perdre totalement la voix de façon épisodique, pendant tout ou partie des crises, ou chronique.

Les travaux scientifiques mettent en évidence une instabilité émotionnelle sévère liée aux épisodes de transes. Les humeurs prédominantes lors d’une attaque typique sont la peur, la tristesse, la mélancolie, la perplexité anxieuse et la confusion stuporeuse. Certains patients ont la sensation d’être envahis par une grande colère ou par l’angoisse. Les auteurs citent fréquemment des soucis conjugaux, des retards scolaires associés à ces phénomènes, principalement dus à des difficultés de concentration, des problèmes de lecture ou d’écriture (souvent à cause d’une altération de la vue ou d’épisodes de cécité sans aucun dommage organique), ainsi que des troubles du langage et de l’apprentissage. Chartonas et Bose (2015) montrent, dans leur étude de cas de possession des esprits chez une jeune patiente, le lien entre la transe de possession, les troubles du langage et des retards dans l’apprentissage. Il s’agit d’une fillette d’environ 8  ans qui, après un épisode de harcèlement scolaire, commence à avoir des comportements asociaux, répétés et stéréotypés. Ne parvenant plus à parler correctement, elle chuchote. Elle présente une attitude anormale, sexualisée, ainsi que des troubles du sommeil. Son langage est stéréotypé et s’apparente à de l’écholalie. Sa pensée est fragmentée. Elle nie avoir eu des hallucinations, mais ses parents rapportent qu’elle fait des cauchemars récurrents, qu’elle a des visions de serpents, qu’elle semble voir et interagir avec des personnes invisibles ou des esprits et se sent pourchassée par des hyènes. Sur le plan somatique, les plaintes les plus récurrentes des sujets concernent les maux de tête et d’estomac, une paralysie temporaire des membres, des sensations douloureuses aux yeux, des vomissements, des tremblements, des convulsions, de la tachycardie, des pertes de conscience, des aménorrhées, un malaise général et des difficultés de déambulation, en l’absence de lésions, des sensations anormales de flux chauds presque chaque jour, accompagnés de vertiges, de douleurs dans tout le corps et de la fatigue. De semblables symptômes peuvent surgir avant les

transes, et les préannoncer ou encore pendant les épisodes. À la fin de la transe, les sujets sont souvent épuisés. Dans l’analyse des états de possession par un esprit, Van Duji et al. (2014) observent que, généralement, les premiers symptômes de la maladie des esprits sont d’ordre physique  : fièvre, maux de tête, douleurs dans le corps, vomissements, gonflements de l’estomac, ulcères. Pour ce qui concerne les causes, les patientes mettent l’accent sur des malheurs tels que de nombreux enfants mort-nés, de l’infertilité, ou même le vol d’un vélo. Entre les épisodes de transe, les sujets analysés, pour la plupart, ont une vie normale et peuvent s’adonner à leurs activités habituelles. La durée des transes est très variable, entre quinze minutes et plusieurs jours. La fréquence peut être de une à deux fois par semaine, une fois par an ou bien chaque jour pendant une période particulière (l’anniversaire de la première crise ou celui d’un événement tragique, une festivité…), dotée d’une forte valeur symbolique. Par exemple, l’équipe de recherche de Ferracuti (Ferracuti et  al., 1996), dans ses travaux sur les cas de possession démoniaque à Rome, relate des états de transe définis comme « la présence d’un ou plusieurs épisodes de perte de conscience, dans lesquels l’identité de la personne est remplacée par une nouvelle identité attribuée à l’influence d’un esprit ou d’une divinité  ». Il est à noter que la manifestation de la présence est plus intense pendant la messe du dimanche. Si les transes peuvent être épisodiques, la relation avec les entités invisibles est susceptible de durer tout au long de l’existence et audelà de l’état de transe, ce que Michel Lambeck (1993) définit comme la possession latente Les éléments déclencheurs des transes de possession sont très nombreux et de nature variée selon les contextes de recherche et les cas analysés. Nous les avons ainsi classés : ● événement traumatique ; ● abus sexuel, inceste, maltraitance émotionnelle, carences affectives et éducatives ;

● décès d’un proche ; ● participation à des rituels religieux, à des prières, à des actes rituels ou des cérémonies religieuses ; ● problèmes sentimentaux, conflits conjugaux et domestiques ; ● transgression de normes religieuses et culturelles ou acte allant contre la volonté de la famille, notamment dans un contexte de migration et de couples mixtes ; ● adultère ; ● malédiction de la part d’un géniteur ou de quelqu’un qui a subi un tort ; ● acte de sorcellerie pour motifs de vengeance ; ● refus de l’appel à devenir guérisseur ; ● élection par un esprit ; ● « appel à l’initiation », à jouer le rôle de guérisseur, notamment par transmission dans le lignage ; ● facteurs de stress psychosociaux tels que la paupérisation des conditions économiques et sociales ; ● déménagement et changements d’environnement ; ● isolement social et affectif ; ● victime de harcèlement à l’école ; ● contamination, transfert, contagion par le toucher, ingestion ou inhalation de substances considérées comme contaminées par des animaux ou des esprits ; ● épisodes de possession vécus par un autre membre de la famille ; ● nombreuses interventions chirurgicales ; ● rêves et visions au contenu érotique ou mortuaire ; ● sentiments et émotions violents relatifs à la frayeur, à la colère, au chagrin, à l’angoisse ou à la culpabilité ; ● grossesse et accouchement ; ● crises de l’âge tels que le passage à l’âge adulte ; ● maladies et problèmes de santé tels que traumatismes crâniens, crises d’épilepsie, maladies chroniques et incurables ; ● arrêt ou prise de médicaments et de substances psychoactives, notamment l’alcool ; ● événements psychiques ; ● exposition à des objets tels que la TV et d’autres écrans, ou privation d’objets rituels comme des protections.

Conclusions et perspectives En dépit des actuelles évolutions du DSM-4 et DSM-5 et de ses mises en garde dans l’analyse et le diagnostic des phénomènes et des représentations culturellement codés, la multiplication des formations en anthropologie, en psychologie interculturelle et en ethnopsychiatrie dans les hôpitaux et les universités, ainsi que la

divulgation des recherches en clinique transculturelle, la prise en charge des personnes possédées, habitées, en proie à des états de transe, reste très problématique pour les soignants comme pour les patients eux-mêmes. La transe de possession peut être fascinante, voire pittoresque, quand elle demeure dans les limites des contextes géographiques et culturels «  exotiques  », confinée dans le domaine/champ du sacré, telle qu’elle est observée dans des cadres rituels traditionnels. En revanche, chez d’«  autres  » sujets, elle met mal à l’aise dès lors qu’elle fait irruption dans les hôpitaux. Face à cette intrusion du surnaturel, l’attitude prédominante des chercheurs et des cliniciens semble être celle du réductionnisme. Il n’est donc pas anodin que les recherches, dans leur grande majorité, aient été conduites dans certains pays non occidentaux, et que leur finalité ait souvent été d’attester la validité des étiquettes pathologiques et psychopathologiques en situation interculturelle. La revue de littérature scientifique, ainsi que les résultats de nos analyses, indiquent de nombreuses similitudes entre certains symptômes de troubles psychiques, de maladies somatiques ou neurologiques, et les phénomènes de type transe de possession. Il s’agit d’un des facteurs qui contribuent, de façon déterminante, à la fréquence d’erreurs de diagnostic et de surdiagnostic des troubles psychotiques chez les patients pris en charge par la médecine occidentale. Partant du constat de l’incidence des erreurs de diagnostic, notamment lorsque les patients migrants expriment une symptomatologie en lien avec les esprits, les djinns et tous «  les êtres de la nuit », se disant (ou qui sont dits) possédés, habités ou visités par le monde invisible, nous avons mené une recherche qualitative dans une double approche, anthropologique et psychopathologique, en croisant les discours. L’objectif de cette étude était d’analyser, d’expliquer et de prévenir l’incidence de troubles psychiatriques aigus, principalement psychotiques, parmi les migrants. Nous avons collecté et analysé les discours de cliniciens, de patients et de leurs familles, et nous avons

restitué un photogramme du suivi psycho-médical. Nous avons également proposé une analyse des discours des patients selon une approche narrative, en mettant en lien les transes avec leurs histoires singulières, ce qui nous a permis de conclure que la présence du monde de l’invisible jouait un rôle majeur sur le plan psychique. Bien que la transe de possession soit une expérience terrifiante et dérangeante pour les patients interviewés, nous avons constaté que ces présences avaient une fonction « réparatrice » : ● des liens intrafamiliaux avec leur pays d’origine, et même avec le pays d’accueil, avec leur propre passé ; ● des blessures narcissiques liées à la séparation, à la migration et/ou aux événements traumatiques vécus ; ● des défaillances identitaires. Nos résultats montrent que la transe, ou la possession par l’invisible, serait une source de jouissance et de ressourcement narcissique dans le vécu du patient. Nous sommes parvenus à la conclusion selon laquelle la maladie des esprits serait, pour le patient, à la fois l’expression d’une souffrance et le pivot du processus de guérison qui passe à travers une quête de sens de la souffrance, une négociation qui interroge l’ici et l’ailleurs, le présent et le passé, l’individu et le groupe, la famille, le lieu de provenance et celui d’accueil, l’ordinaire et l’extraordinaire, ainsi que tous les êtres et tous ceux qui en font partie.

Notes 1. Notre propre traduction du texte original italien. 2. « La possessione è uno stato di malessere, legato ad una discesa o a un’invasione delle entità che popolano l’universo religioso di una data cultura (spiriti, geni, antenati), nel corpo umano, trasformabile attraverso riti appropriati, in un rapporto privilegiato di comunicazione con il mondo sovrannaturale. (...) è tuttavia difficile, proprio per l’incredibile varietà con cui tali fenomeni si presentano nei diversi contesti etnografici, costruirne una tipologia. Sul

piano analitico, le diverse prospettive teoriche permettono di evidenziare la natura complessa e sfaccettata del fenomeno. I riti di possessione hanno sovente importanti ripercussioni sociali, soprattutto per quanto riguarda le relazioni di genere ; si presentano in diversi contesti etnografici come strettamente connessi al mutamento socio-economico  ; possono essere considerati come una forma di comunicazione privilegiata, sia all’interno di uno stesso gruppo sociale, sia fra il mondo umano e il dominio degli spiriti (Gilles 1987), o ancora essere ricompresi nel più generale discorso sulla stregoneria (in molte società africane viene riconosciuto un legame causale fra i due tipi di aggressione). Diversi autori ne riconducono l’interpretazione al più articolato discorso sulla sventura e sulla malattia. Si evidenzia così la funzione terapeutica di culti (Zempleni 1966) e la natura socialmente costruita di tali avvenimenti, cercando di individuare la logica culturale che trasforma un evento personale oscuro, doloroso, e privo di significato in un fenomeno culturalmente accettato » (Fabietti et Remotti, 1997). Dizionario di antropologia. 3. L’anthropologie nomme ce rituel endorcisme. 4. L’anthropologue des religions De  Heusch a établi une distinction conceptuelle entre adorcisme et exorcisme en 1962. 5. En anthropologie, ces termes décrivent une transe qui se manifeste en dehors du cadre du rituel. 6. Le mot « étique » définit le point de vue de l’observateur extérieur. 7. Le terme « émique » indique le point de vue interne, celui du sujet ou du groupe étudié.

Chapitre 23 Sans esprit, pas de transe

Sébastien Baud Il n’y a pas de transe sans esprit. Il n’y a pas de transe sans présence soudaine et intensive  ; de celle qui déborde le regard  ; de celle qu’on envisage… comme «  en soi », à ne pouvoir « faire passer » (Mancini, 2012). La transe est saisissement, avant de pouvoir saisir le monde, ce qui n’est pas sans effroi pour la personne qui n’y est pas préparée. La maîtrise, non seulement de sa frayeur, mais aussi de son intention –  de ce que j’appelle dans ces lignes un « état de corps », une discipline donc – est dès lors une condition pour ne pas «  se faire retourner  », comme elle l’est de la « possession rituelle » ou du « voyage en esprit », ces inscriptions de la transe dans des représentations et pratiques culturelles. Pour la personne en transe, il n’y a alors que deux possibilités : défaire ce devenir autre (et accessoirement se faire extraire cet «  autre en soi  ») pour retrouver son humanité pleine et entière, ou en maîtriser l’intentionnalité et la retourner à son bénéfice en devenant « un peu chamane ». Dans ce court essai, j’interroge les transes et ce qui s’y joue au travers des mots qui les disent dans les chamanismes, entendus au sens lâche et diffus du terme, pour en proposer une définition toute personnelle.

Dire la transe À  l’époque médiévale, la transe –  du latin transĕo, «  passer, traverser, aller au-delà, se transformer  »  – est un passage  : la traversée de la mer ou l’agonie, le fait de passer de vie à trépas, d’où un état de grande anxiété, voire d’exaltation. Être en transe, c’était être bouleversé, paralysé par la peur ou transporté de joie. Communément, les transes sont des expériences diverses,

caractérisées par leur soudaineté, leur impensé et la disproportion existant entre leur intensité et le signal qui les déclenche – dispositifs rituels, mouvements corporels, détresse émotionnelle ou interpellation sociale. Quelque peu différente, l’extase –  du grec εκστασις, «  égarement de l’esprit  »  ; εξιστημι «  déplacer, troubler, s’éloigner, être ou mettre hors de soi »1 – tient du ravissement, une notion complexe, écrit Marianne Massin (2012), évoquant à la fois une intensité émotionnelle, celle d’un bonheur rare, et la violence déconcertante d’un rapt. Elle est ce sentiment d’être hors de soi, associé avec une intense, et peut-être paradoxale, impression de présence à soi et au monde. Le grec connaissait également d’autres termes. Si Sémélé est en extase (ekstasi) et se consume à l’apparition de Zeus, Europe est ravie (arpaso) par cette même divinité, transformée en taureau, alors que les bacchantes sont inspirées (ou possédées, ε’νθουσιασμóς  ; dérivé de ε’νθεος, «  dieu (en-de)dans  ») par Dionysos et la pythie par Apollon. Ce dernier terme est encore utilisé au xviiie siècle dans une même acception pour décrire l’expérience des chamanes huronwendat (Canada) par les missionnaires européens. L’«  esprit étranger […] les fait entrer dans l’enthousiasme, et dans tous les mouvements convulsifs de la Sibylle  ; il leur parle au fond de la poitrine […]. Dans cet état d’enthousiasme, leur esprit paraît absorbé dans celui qui les possède ; ils ne sont plus à eux-mêmes […]. C’est pendant qu’ils font ces merveilles, qu’ils voient les choses au-dedans d’eux-mêmes, ou qu’elles leur sont représentées en dehors d’une infinité de manières différentes » (Lafitau, 1724). La perception de ces différentes dynamiques n’est par ailleurs pas sans jugement, puisque l’extase, singulière, est dite religieuse ou mystique, tandis que les transes, plurielles, renvoient à la mania dionysiaque, aux diableries et à la pathologie (Baud, 2020). L’opposition, comme la perception de ce qui se joue dans l’objet analysé, se retrouvent dans la littérature portant sur les danses modernes, leurs expressions corporelles et leurs imaginaires. Celles des raveurs, adeptes de ces danses sauvages, exutoires, festives et rituelles, propres à nos sociétés postindustrielles, sont des transes,

tandis que les créations chorégraphiques contemporaines et leur interprétation sont pensées comme la possibilité d’un geste ou d’une expérience extatique ; des « poétiques de l’extase » (Launay, 1996). Se laisser aller à l’animalité, au sauvage, aux esprits, au collectif, à la transe, trancherait radicalement avec l’idée de se soumettre à une discipline intérieure (pour ne pas être saisi, mais saisir un endehors).

Saisissement Assis tout le jour, écrit Laurence Delaby (1976) à propos du chamane évenk en devenir (langue toungouse, famille linguistique altaïque, Sibérie orientale), il se balance en chantonnant les paroles que l’esprit lui « murmure » ou « chante » dans les oreilles. « Parfois c’est la nuit qu’il répète les paroles des esprits en s’accompagnant du tambour. […] Ou bien il s’enfonce dans la taïga, seul, et en revient au bout de plusieurs jours échevelé, sale amaigri, imitant parfois à la perfection la démarche de l’esprit qui s’est incarné en lui  : glouton, cervidé, loup.  » Ou bien encore il est «  pris d’une brusque terreur [et] s’évanouit  ». C’est alors que l’esprit-maître des rochers (kadar burxan) le pénètre et le saisit. Semblablement, les yaariyoma, esprits yanomami des eaux, aiment-elles s’emparer de l’image des jeunes gens dont la pensée est fixée sur le gibier pour les faire devenir esprit. «  Une fois pris de cette façon, les jeunes gens entrent en état de spectre. Ils se mettent courir dans la forêt et ne cessent de crier avec exaltation : Aë ! Aë ! Aë ! » (Kopenawa et Albert, 2010). Cette «  présence d’esprit  » – cette idée d’une «  force vitale animatrice » (Baud, 2011) –, je l’appelle une « intensité », puisqu’elle est à la fois l’insensible et ce qui ne peut être que senti (Deleuze, 1968), invisibilité et condition du visible (à l’instar de la lumière)  ; pour en souligner les deux modes perceptifs et imbriqués de toute expérience de transe, sensible et visionnaire. Cette intensité est à la fois ce qui est perçu et ce qui emporte le monde dans le regard  ; l’initiatrice et l’incorporée. Cette intensité, je la pense en termes

relationnels, paradoxalement «  aimante  » et se produisant sur un mode « effractif », violente et effrayante donc, composé d’affects et de percepts, lorsqu’elle pénètre la personne. La rencontre avec ceux qui «  posent d’abord affectueusement leur regard sur toi  » (Kopenawa et Albert, 2010), avec «  ceux qui viennent me voir  » (Arias, 2018), brouille ainsi les frontières entre un en-dedans –  qui n’est pas le corps, mais dont le corps témoigne) – et un en-dehors –  qui n’est pas l’extériorité, mais qui constitue le dedans (Laplantine, 2010) –, pour asseoir une pluralité subjective, et énonciatrice dans le rituel collectif, d’autant plus intense qu’elle est brève. Les esprits, pour Silvia Mancini (2012) –  que les êtres humains fabriquent, assoient, incorporent, et qui les saisissent et leur échappent pourtant (Latour, 1991) –, sont des contraintes à agir. Ils sont moins envisagés pour ce qu’ils sont (des signifiants) que ce qu’ils font (des « faitiches » ; Latour, op. cit.). Leur nature est de faire faire. Et celle du rituel est de contraindre à se représenter l’altérité et à envisager le fonctionnement affectif d’autrui ; de rendre présent à la conscience des participants ce qui est effectivement présent et habituellement caché  ; de faire advenir quelque chose sur quoi les personnes puissent agir. Tel un théâtre de miroirs, intensités et intelligences s’y réfractent les unes dans les autres, ce qui a pour effet d’élargir considérablement l’efficace véhiculé par chaque esprit convoqué. En multipliant ainsi les figures d’empiétement entre le corps et le monde, les transes autorisent l’irruption dans un réel, à des fins réparatrices, exutoires ou cognitives, c’est-à-dire pourvoyeuses de possibilités ou de capacités nouvelles, d’intentionnalités que les êtres humains situent dans ce qu’ils ne maîtrisent pas toujours, dans des situations d’impasse ou d’angoisse paralysante, dans des identités incertaines ou encore au cœur même de la matière, là où se rejoignent non seulement toutes les formes de vie, mais aussi le minéral, l’eau, le vent, le feu ou les étoiles (Glowczewski, 2016). Le corps en transe, « chargé d’intensités », y est un seuil à franchir (entre un en-dedans et un en-dehors), et la transe un déplacement dans un «  espace  » ouvert d’une commune présence. Cette

« présence d’esprit » est puissance de mettre en transe. Sans esprit donc, il n’y a pas de transe. Sans maîtrise de ce dépaysement radical et effrayant, qui amène la personne à avoir le sentiment d’être sauvée, soutenue alors qu’elle s’approche dangereusement du fond de l’abîme (Hulin, 2008), la transe ne s’ouvre pas sur une métamorphose. Le pratiquant expérimenté, écrit Martin Fortier (2018), entretient de fait à force d’entraînement «  des contenus de plus en plus riches sensoriellement (c’est-à-dire dotés d’une texture de plus en plus précise et tangible)  ». Sa maîtrise de l’expérience psychotrope, de ce qui s’y joue en termes de frayeur2 ou de visions (claires et intenses), tend ainsi « à transformer en expérience fluente et anticipée ce qui n’est chez le débutant que disfluence imprédictible  ». Si la rencontre inscrit le futur chamane dans la catégorie des possédés (karikačem, de keiket, «  errer  », «  tournoyer  »), précise Laurence Delaby (op.  cit.) à propos du chamane évenk, «  il la dépasse en devenant maître (nymgandem) de l’esprit qui le tourmente. Un chamane ne se laisse pas envahir à l’improviste par n’importe quel esprit ». Toute mise en transe procède de fait d’un «  état de corps3  », sensible et stable, reconnaissable donc, tout autant qu’elle appelle une mise en ordre. Toute transe est, dans la rencontre avec l’intensité qui la produit, une incorporation (de celle-ci ou de ce qui la définit : cette puissance de mettre en transe) et un devenir autre en soi.

Faire parler les montagnes Chaque jour ou presque, dans le Cuzco (Pérou), le chamane, l’altomesayuq, littéralement « celui qui possède la table rituelle d’en haut », convoque apu et pachamama, esprits des montagnes (urqu en langue quechua) et des espaces domestiques ou places habitées – llaqta (Baud, 2011). Dans la pensée andine, ces corps-montagne et corps-place ordonnent (kamachi  ; de l’ancien radical kama-, «  animer  »), au sens de «  mettre en ordre  », d’«  agencer  », individuel et collectif, humains et non-humains. Chaque jour ou

presque donc, le chamane est assis sur un tabouret, à côté de deux tables, recouvertes chacune d’un tissu rituel (unkhuña), elles-mêmes disposées devant l’un des murs de la salle. Les participants au rituel sont assis en face, sur des bancs. La salle est plongée dans l’obscurité (tuta, «  nuit  »), dans laquelle toutes les formes perdent leurs contours et se confondent. L’altomesayuq s’installe dans un «  état de corps  » –  une quiétude (qasi  ; à rapprocher de qasa, «  gel  »)  – et appelle  : deux courtes invocations, l’une à l’apu Salkantay, roi des mesas et du sauvage (salka), l’autre à la Pachamama, ponctuées chacune d’un sifflement. D’en deçà du sol en terre ou du mur en pisé, des battements d’ailes s’entendent et «  traversent  », faisant du sol ou du mur, perçus comme constitués d’ondes croissantes et décroissantes d’intensité par la personne en transe, un espace de transition (alqa)4. Apu et pachamama se présentent l’un(e) après l’autre. Ils volent, se posent sur une des tables et disent leur nom. Dans le contexte rituel de la mesa, le chamane est celui qui permet à ceux qu’on appelle au Cuzco les « Anges de la cordillère  » –  à ces existants à la lumière aveuglante (illa), laquelle caractérisent la notion d’esprit dans l’épistémologie chamanique, des intensités donc  – d’être présents parmi les êtres humains sans les stupéfier ou induire une transe sauvage. Réciproquement, que font apu et pachamama sinon d’«  utiliser comme intermédiaire  » le corps du chamane «  aimé  » (munasqa), c’est-à-dire de se définir comme intensités intentionnelles et de manière coïncidente d’« ordonner » (kamachi-), au sens ici d’« autoriser » le rituel par leur présence ? Cette présence d’esprit «  met correctement en transe  » (Rouget, 1990) celui qui est munayniyuq (volontaire  ; littéralement «  qui a beaucoup de cœur »), a été choisi (akllasqa) en conséquence et s’y est préparé. Le devenir chamane est précisément donné dans les Andes par deux récits. L’un est un bain nocturne (qarpachikuy) dans les eaux glacées d’un lac de montagne, au plus près des glaciers (rit’i), dont l’éclat (illampu) sous les rayons du soleil est cette lumière illuminatrice ou aveuglante (illa). L’autre est le contact de la foudre (qhaqya)5, trois fois successivement. La première fois, la foudre

morcelle le corps et arrache la tête, expérience d’un voyage en esprit au cours duquel la personne est introduite dans le sein (ukhupi) d’une montagne et est remplie de gloire (au sens chrétien du terme) ou de chance (sami), c’est-à-dire d’une «  vitalité animatrice » (kama). À la deuxième, les membres sont réunis. À la troisième, la personne revient à elle. À présent, elle sait (yachaq) et elle est à même de faire parler les montagnes (rimachi-  ; Baud, 2011). Dans les faits, le candidat chamane se soumet à un long apprentissage. Le point culminant en est l’incorporation d’un esprit, au cours de la mesa d’un altomesayuq en exercice, alors appelé qarpaq (littéralement «  celui qui irrigue  », fait passer cet esprit de l’espace sauvage au corps humain). Il revient ensuite au prétendant à la fonction d’appeler, chaque jour ou presque, seul dans la salle, jusqu’à la rencontre qui le mettra en transe et lui permettra, à condition de maîtriser sa frayeur, de devenir autre (Baud, 2017). L’expérience n’est pas immédiate ou, pour le dire autrement, la présence de l’existant non humain ainsi convoqué est d’abord brève et discrète. Il est aussi petit et silencieux qu’un papillon. Les jours suivants, il se pose sur la table, puis il parle, bien que sa voix soit encore mal assurée, pas toujours compréhensible. À mesure que la personne appelle et maîtrise son intention de « faire chamane », la présence est plus assurée, davantage marquée. La voix est plus ample, le bruit des ailes sur le sol ou le mur, comme celui des pas sur la table ou le vent soulevé sont plus forts. Il y a ouverture du canal (yarqha, littéralement « canal d’irrigation »).

« Ceux qui viennent me voir » Dans la société matsigenka (fam. ling. arawak, Urubamba, Pérou), le chamane est appelé seripegari, «  celui qu’intoxique (-pig) ou transforme (-peg) le tabac », à condition qu’il y ait rencontre « avec une entité anormalement lumineuse, par laquelle le spécialiste devient “quelque part” invisible  ». À  condition aussi, écrit Esteban Arias dans ce même texte (2018), de maîtriser les lignes ondulantes

et sonores qui bâtissent le corps de l’esprit-éclair Marenantsi, que seul le chamane, l’initié, peut voir sans « se faire retourner ». Cette transformation est dite iragaveane (de gav-, « maîtriser »), un terme qui évoque aussi bien les notions de maîtrise et d’interperceptibilité entre êtres humains et intensités non humaines, qu’une identité partagée avec les esprits. Maîtriser cet «  état de corps  » qu’est l’ivresse psychotrope, c’est dans la pensée matsigenka apprendre à percevoir aussi bien qu’à être perçu par les existants non humains. Cette transformation en saankarite ou existants à la «  lumière aveuglante  » –  aussi appelés «  ceux qui viennent me voir  » (noneetsaane)  –, en scintillant d’abord, puis en devenant transparent, fait du chamane, un gavagetacharira, « celui qui change véritablement de place  »6. C’est dans la mesure, écrit Pierre Déléage (2009) à propos des Sharanahua (fam. ling. pano, Purus, Pérou), où le chanteur, dont le corps est devenu pau, « intoxiqué » et « puissant », devient lui-même un maître ou ifo – celui qui maîtrise les devenirs, a le pouvoir de savoir les faire et les défaire  : le chamane ou l’esprit (yoshi) – « qu’il peut percevoir ce que perçoivent les maîtres et chanter ce que chantent les maîtres […]. C’est dans la mesure où le yoshi devient une “place énonciative” ou encore un “point de vue” qu’il devient possible de le voir ». Ce qui change dans ces en-cours d’une métamorphose, jamais complète7, sauf le temps d’obtenir satisfaction par un acte de guérison ou de rééquilibre du monde (Deshayes, 2013), c’est le monde que la personne voit et non la façon dont elle voit le monde. L’idée d’un devenir relationnel et réciproque, au sens de deux devenirs agissant l’un sur l’autre, présente dans ces «  voyages en esprit » l’est semblablement dans la « possession rituelle ». Dans la société awajun (fam. ling. jivaro, Haut Marañón, Pérou), il n’y a ainsi pas effacement de la personne sociale derrière l’esprit « représenté », comme cela est communément écrit dès lors qu’il y a transe de possession, mais pluralité énonciatrice. Celle-ci est dite en awajun pasuk ; un même terme désignant l’existant non humain, la capacité de voir au-delà de la transparence du monde et la fonction sociale. Assise sur un petit banc, la personne inhale en grande

quantité par une narine, puis par l’autre le jus extrait de feuilles fraîches de tabac jusqu’à l’ivresse et un état de concentration (anentaimtut) dans celle-ci. Dans cet « état de corps », elle pousse de profonds soupirs et disparaît aux yeux des participants au rituel, puisqu’elle se transforme (yapajit) en pasuk. Dans cet invisible (nayaim, littéralement «  espace  ») dans lequel la personne ivre du tabac inhalé s’est envolée, simultanément, et non successivement, la personne et l’esprit sont pasuk et « ils chantent ». « Ils éclairent et regardent. » Puis ils énoncent : « Ton fils a telle maladie. Donne-lui telle plante ! » « Untel va arriver dans ta maison. Prépare la bière ! » Ainsi pendant une ou deux heures, puis le pasuk, l’intensité intentionnelle, définie extensivement comme corps en transe, s’en va. Dans les sociétés pour lesquelles le corps n’est pas une entité stable, ni une réalité très sûre au regard de l’observateur (d’où leur intérêt pour les récits qui parlent de métamorphoses et d’identités incertaines, ou pour les plumes, dents et autres ornements qui transforment les corps et disent les intentions), la notion d’« esprit » a pour propriété caractéristique une auto-différence, au sens que lui donne Maurice Merleau-Ponty  : cette capacité intrinsèque à être autre chose, le passage de l’un à l’autre n’étant «  jamais chose faite ». Si les esprits sont ce qui est à même d’être transformé, leur « présence » (donnée le plus souvent comme une descente) est ce qui est à même de transformer. Après avoir bu le datem (Banisteriopsis caapi), raconte ainsi un vieil iwishin, littéralement «  celui qui chante sur un liquide  », «  la terre ondule (tsukatut) comme l’océan. Elle est comme parcourue d’une vague (dans l’intensité de la présence  ; c’est moi qui précise). Tu comprends alors que l’ivresse s’empare de toi, cette ivresse produite par le murmure (ou le chant, mot employé dans un autre échange) du datem (de la personne ou intensité végétale) tandis qu’elle se tient invisible dans ton dos… datema aentsi ukunum chichau… tii tii… tiiii tiiiiii… Parfois l’ivresse s’empare si vite de toi que tu voles déjà dans l’espace alors que tu es encore assis…  » Pour la personne correctement mise en transe, à partir donc d’un «  état de corps  »

approprié à cette «  présence d’esprit  », se déploie alors et de manière coïncidente, et un devenir autre, et un déplacement (donné le plus souvent comme une ascension spatiale), comme figures d’un devenir commun. La personne en transe est elle-même, mais aussi son (ou ses) esprit(s) (auxiliaires).

Conclusion Dans les sociétés à chamanes, dans celles aussi où tout un chacun peut être «  un peu chamane  », il n’y a pas de transe sans esprit  ; terme dont la polysémie dit un en-dehors comme un en-dedans (à l’activité cérébrale). Sans ceux qui «  posent d’abord affectueusement leur regard sur toi », sans « ceux qui viennent me voir », comme s’ils étaient dérobés à la transparence du monde ou « à l’ondulation de la lumière à la surface de l’eau », il n’y a pas de «  poétique de l’extase  ». En d’autres termes, la transe est cette puissance d’être affecté par les rencontres ou les agencements d’intensités auxquels les corps sont exposés. Elle est un saisissement, à la fois être saisi et saisir dans un même mouvement, à la fois un devenir autre et un déplacement dans un ailleurs, ce qui est communément appelé « l’invisible », ce qui ne paraît pas dans la lumière. Elle est un devenir, qui dans un même mouvement là aussi prend naissance, et dans une «  présence d’esprit  », une intensité (ou puissance de mettre en transe)  ; et dans un «  état de corps  » maîtrisé, tout à la fois discipline de la frayeur (qui émane de la rencontre) et maîtrise de son intention (de «  faire chamane  »). Elle est incorporation d’un en-dehors, et si la transe compose ainsi avec l’altérité, c’est bien à condition pour la personne de s’emparer de cette intensité qui se déploie alors et emporte le monde.

Notes

1. Voire aussi ek-istanai, «  je sors de moi-même, de mon état habituel et ordinaire pour m’interroger profondément » (de la racine -sta : « être debout »). 2. Consécutive d’une intention étrangère et sidérante venant transformer celui qui est surpris (Deshayes, 2013), une situation d’impasse ou d’angoisse paralysante. En termes de sensibilité à ce que François Laplantine (2010) appelle un en-dehors. 3. Un état du corps physique bien sûr, mais aussi du corps pensé comme système singulier d’affects existant dans la relation à soi et au monde. 4. Le concept andin d’alqa (littéralement «  interrompre, entrecouper  ») exprime la discontinuité et la transition, la robe du lama de deux couleurs ou la présence simultanée de l’ombre et de la lumière par exemple. Au niveau du relief, alqa désigne un accident dans le paysage, choisi par la personne pour passer l’offrande. Il est ce point où une chose cesse d’être ce qu’elle est pour devenir autre (Baud, 2011). 5. La divinité inca de la foudre et du tonnerre était appelée Illapa. 6. Semblablement dans la pensée desana (fam. ling. tucano, Vaupès, Colombie), la transe, celle du chamane, est donnée par l’expression ye’e maxsa uári, littéralement « payé-genspasser d’un endroit à l’autre » (Reichel-Dolmatoff, 1973). Le mot ye’e signifie aussi bien le chamane (« payé » en espagnol local) et le jaguar en lequel il se transforme, ivre d’images (gahpí gohóri, gaxpí notant l’effet du psychotrope et l’idée de déplacement, de gohsisé, «  reflet », celle de la lumière à la surface de l’eau) d’oco-yajé (oko, «  eau  » ; Diplopterys cabrerana), à en suffoquer (miríri ; littéralement « plonger, aller sous l’eau »). 7. Des devenirs réversibles donc, au contraire des expériences psychopathologiques où le prolongement de l’absence fonde l’illusion délirante ; la personne n’est chamane, ou jaguar, ou saankarite, ou ifo, ou pasuk, que le temps de la transe.

Focus 24 Le vodou, un regard d’anthropologue

Jean-Paul Colleyn Le «  vodou1  » est un mot empli de mystère, parfois de crainte. Jean-Paul Colleyn nous fait entrer dans ce monde de la transe, de la transformation. L’ethnographie des cultes de possession gagnerait à être discutée par les spécialistes de l’hypnose et de la suggestion. Depuis quelques décennies maintenant, j’étudie les cultes de possession, à la fois sur le terrain, en Afrique et au Brésil, et dans la littérature spécialisée. Pour faire bref, on peut dire que ce qui différencie les cultes de possession de l’hypnose, c’est, pour les premiers, le manque d’une relation étroite hypnotiseur-hypnotisé et que ce qui les rapproche, c’est la transe.

La transe La transe est un fait physiopsychologique presque toujours remanié par une « théorie indigène  », propre à un milieu géographiquement et historiquement circonscrit. On peut définir la transe comme un état de conscience qui se produit dans un contexte particulier lorsqu’une personne échappe à ses mécanismes de contrôle habituels comme la raison, le jugement, l’attention ou la morale. Mais cette «  libération  » se réalise parfois dans la douleur. Par ailleurs, cette absence à soi-même n’exclut généralement pas une extrême attention à un ou plusieurs stimuli spécifiques à l’expérience que le sujet est en train de vivre (objet, percussions, remémorations, motifs oniriques,  etc.). Dans les religions africaines, il existe un large éventail de transes, qui vont des plus tranquilles (chez les Bijagos de Guinée-Bissau, elle est parfois difficile à déceler), aux plus violentes (celle qui précède, par exemple, la possession par les génies hauka au Niger)2. La transe n’est pas seulement un phénomène physio-psychologique, elle a fait l’objet d’une esthétisation ; qu’il suffise d’évoquer Les Bacchantes d’Euripide ou La Naissance de la tragédie, de Nietzsche,

dans laquelle il a ravivé le pôle dionysiaque de la culture européenne en exaltant l’excès, la démesure et l’ivresse.

La possession Dans la culture occidentale, la possession est surtout connue par le biais du film d’horreur, ce qui n’est pas un préjugé favorable pour étudier les religions «  exotiques  » de manière objective. Dans la plupart des pays subsahariens, les rituels de possession survivent à l’ombre de l’islam, surtout en milieu soufi, assez tolérant envers un certain pluralisme. On peut citer les cultes de possession des Songhay, Zarma et Peul du Niger, les Éthiopiens de Gondar, les Yorubas du Nigeria et du Bénin, les Lebou et Wolof du Sénégal, les Malinkés, Bamana et Minianka du Mali. Il s’agit de cultes qui transforment une transe «  sauvage  » en possession rituelle dans laquelle les possédés sont en quelque sorte une épiphanie  : la manifestation d’une instance divine. De nombreux lettrés musulmans les dénoncent comme païens ou barbares, mais ces rituels s’appuient sur des éléments de la cosmologie musulmane, en l’occurrence les génies (jinn) ou les saints (wali). Ces cultes attirent surtout un public défavorisé, mais pas seulement et il serait erroné de n’y voir qu’une « arme des faibles ». Dans certains d’entre eux, les femmes y jouent un rôle éminent. Les rites de possession ont souvent, mais pas toujours, une visée thérapeutique  : il s’agit de soigner quelqu’un qui souffre en l’initiant par la même occasion à la «  société  » des adeptes. Mais au sein de ces cultes, les personnes réputées atteintes de maladie mentale sont exclues des postes de responsabilité. Les troubles initiaux s’expliquent souvent par la possession par un génie qu’il s’agit, lors d’un rite public, d’identifier. Deux voies s’ouvrent alors  : celle de l’exorcisme (l’expulsion du génie) ou celle de l’adorcisme (l’alliance ou le compromis avec le génie). Ces rites accordent donc une large place à la transe, à la possession et parfois aux mortifications. Les morceaux musicaux correspondent aux différents génies, qu’ils soient bénéfiques, maléfiques ou ambigus. Il convient d’insister sur un point capital  : les cultes de possession maliens, nigériens, sénégalais ou ceux de l’aire vodou se présentent non pas comme une déviance (sauf aux yeux des commentateurs musulmans ou évangélistes), mais comme une sorte de promotion bénéfique pour une catégorie de personnes chargées de prêter leur corps à une épiphanie. Ce n’est pas une charge mineure que d’incarner la visite d’une instance supérieure sur la scène villageoise ou citadine. Dans leur milieu, les possédés passent pour parfaitement sains d’esprit. Ils sont des médiums, qui cessent de répondre à leur identité humaine pour devenir, le temps du rituel, le «  cheval  », l’«  appareil  », la «  bouche  », ou l’«  incarnation  » directe d’une divinité. Cette transformation est, si l’on peut dire, le clou de la manifestation. Ce que Marcel Mauss a appelé la « théorie de la personne » en vigueur dans telle ou telle culture –  bien qu’elle ne doive jamais être érigée en une doctrine rigide  – détermine les modalités de la possession. Dans tous les contextes évoqués, le « moi » s’envisage comme un conglomérat plutôt que comme une instance unique et homogène. Ce sont les spécificités de ce conglomérat qui expliquent les ressemblances ou les dissemblances entre les différents cultes de possession. Dans

certains cas, la possession implique une incorporation  : l’esprit (le génie, la puissance, l’entité, la divinité) pénètre dans le corps de la personne, remplace en tout ou en partie une ou plusieurs de ses composantes et fait agir ce corps. C’est le cas dans certains cultes vodous au point que l’on peut même parler in fine de « vodous humains » (Hamberger, 2011, 326). Une personne peut traverser un passage difficile parce que sa place dans la société lui apparaît comme obscure et menaçante. Grâce à la divination ou pendant une séance de possession mise en place à cet effet, son lien privilégié avec un vodou lui est révélé, mais ce n’est que lorsque cette personne sera considérée comme guérie qu’elle deviendra une possédée « officielle » du culte. Le «  monde  » vodou qui s’étend sur les régions côtières du Ghana, du Togo, du Bénin et du Nigeria est peuplé de puissances et d’instances qui se rendent visibles dans un contexte rituel bien défini. Des puissances qui favorisent ou entravent nos désirs, satisfont ou frustrent nos besoins. Elles sont introduites dans des autels, des fétiches (peu importent ces mots imparfaits !) et s’investissent momentanément dans le corps d’une personne humaine. D’autre part, les ancêtres dont le principe vital demeure sur terre, investi dans des autels spéciaux, servent de médiateurs entre les humains –  toujours en proie à des faiblesses  – et les puissances en question. Être ancêtre implique de faire passer les intérêts d’un collectif avant ceux, plus égoïstes, de l’individu et de veiller sur un territoire habité simultanément par les vivants et les morts. Malheureusement, mais c’est aussi ce qui justifie l’activité rituelle intense qui caractérise cette région de l’Afrique, ce monde est aussi parcouru par des principes revanchards, issus de « mauvais morts », d’âmes errantes, pour lesquelles on a mal exécuté les rites funéraires. Ils exigent réparation en infligeant des maladies ou des infortunes dont on ne se débarrasse qu’en prenant soin d’un culte créé à cet effet. En fait, le principe de la plupart des cultes de possession connus dans le monde consiste à transformer un état «  liminal » (la transe), qui contient en germes toutes les transgressions et tous les excès, en chorégraphie sacrée contrôlée par les initiés.

Les troubles de la personnalité Les spécialistes de la psychopathologie occidentaux ont tendance à rapprocher les phénomènes de possession des troubles de la personnalité, mais il faut ici distinguer clairement les rôles qui sont culturellement construits dans le cadre d’une doctrine religieuse, tel que nous venons de le voir, des troubles idiosyncrasiques vécus par des individus isolés en situation de détresse. Pour la cinquième édition du manuel de diagnostics cliniques de l’Association américaine de psychiatrie, certains médecins proposèrent une nouvelle catégorie clinique, celle de «  Trance and Possession Disorder  ». Cette proposition, qui n’a pas été retenue, mais dont les travaux préparatoires sont passionnants (voir Cardeña), faisait la distinction entre les « altérations » de la personnalité culturellement admises dans un cadre religieux ou thérapeutique et les altérations qui se produisent en dehors de tout contexte institutionnel, seules ces dernières devant être considérées comme pathologiques.

Possession et transgression Pendant la colonisation et même après, les cultes de possession, à cause des excès qu’ils libèrent, ont été contrôlés ou interdits. Aujourd’hui, en Afrique de l’Ouest, les transes de possession sont fortement désapprouvées par les courants de l’islam réformiste. La roqia, technique thérapeutique fondée sur la récitation de versets du Coran, telle qu’elle est maintenant largement pratiquée au Mali sous la forme de l’exorcisme, est forcément ambiguë. Elle pose la question du rôle du marabout en tant que suggestionneur  : il décrète d’abord que l’esprit du ou de la malade est en proie à un génie malveillant (jinè). Il prétend ensuite s’emparer lui-même grâce à des incantations coraniques, de l’esprit du patient, il le pénètre, le viole en quelque mesure, en manipulant à la fois le corps et l’esprit. Ne sommes-nous pas là très près d’une forme d’hypnose thérapeutique qu’on peut estimer très autoritaire, mais qui permet à l’être souffrant d’expérimenter une transe particulière, informée par le Coran, susceptible de supplanter la pathologie initiale, à laquelle l’entourage, le plus souvent, ne pouvait plus faire face3 ?

Double jeu ? Dans la possession, la transe se produit à l’insu du sujet, en dehors de sa conscience et de sa volonté. À  moins bien sûr, que cette dénégation fasse partie d’une croyance religieuse préétablie, auquel cas on pourrait parler de «  mauvaise foi  » au sens où l’entendait Jean-Paul Sartre. La théorie de la possession veut en effet que la personne possédée soit capturée, que ses défenses habituelles soient abolies et qu’elle soit par la suite amnésique quant à l’épisode qu’elle vient de vivre. « Comment pourrait-elle se souvenir puisqu’elle était quelqu’un d’autre ? » Mais elle peut être convaincue qu’elle a oublié qu’en fait elle se souvient, parce que c’est ce qu’implique la croyance collective. L’ethnographe est alors mis en difficulté  : comment décréter de l’extérieur, ce qui est inconscient et ce qui est conscient ? Chez les Indiens Pumé du Venezuela, à l’opposé de l’amnésie, la clé d’une nuit de transe et de possession se présente comme une remémoration par le cantador d’un voyage chamanistique dans le monde des dieux4. Comment savoir d’ailleurs si le possédé qui semble résister à la crise ne désire pas au tréfonds de lui-même être « pris » ? C’est la question que posait déjà Michel Leiris dans son texte sur la possession à Gondar, en Éthiopie (1980 [1958]). L’influence de la culture compte pour beaucoup dans la propension à croire en un fait ou une idée déjà établie. On serait alors en présence d’un phénomène de suggestion or la suggestion suppose qu’elle soit d’abord acceptée par le sujet avant qu’elle puisse se produire. La vision musulmane d’une tyrannie par les génies (qui justifie l’exorcisme) devrait dès lors en bonne logique être relativisée. Il y aurait dans les cultes de possession basés sur la théorie de la capture d’un individu contre son gré, quelque chose de l’ordre de l’injonction contradictoire. La personne possédée, quand bien même son destin de possédée aurait été révélé par un procédé divinatoire, n’est pas censée s’offrir sans lutter, à un

rôle qui l’oblige à s’absenter à elle-même. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les possédés ne sont pas les victimes passives d’un rôle que la société leur impose. Pierre Verger a bien montré que dans l’aire culturelle des vodous ou des orishas (aussi bien en Afrique qu’au Brésil) si la musique et le costume d’une puissance ne conviennent pas à la personne en crise, on cherche jusqu’à ce que l’on trouve les éléments symboliques qui lui correspondent. D’une certaine manière, la possession serait une manière de se révéler à soi-même. Il faut aussi considérer que dans les cultes de possession qui assurent des fonctions parajudiciaires, l’irresponsabilité des possédés est une nécessité logique et éthique. Le support humain d’une instance supérieure venue conseiller, informer, admonester et éventuellement sanctionner les humains dans un espace public villageois ne saurait être tenu pour responsable de ces énoncés.

Notes 1. L’auteur a préféré utiliser cette orthographe non conventionnelle du mot «  vodou  ». (NdÉ.) 2. Voir le film de Jean Rouch, Les Maîtres Fous. 3. Voir mon film de 2018, Chasser le génie. Exorcisme à Bamako. https://www.cargo.canthel.fr/les-films-de-cargo-4-chasser-genie-exorcisme-bamako/ 4. Voir notre film La nuit des Indiens Pumé, in Augé et al. (2018).

Chapitre 25 Les expériences exceptionnelles

Renaud Evrard – Thomas Rabeyron Dans la culture occidentale, la psychopathologie est l’une des explications fréquentes concernant la nature des expériences appelées paranormales, anomales ou exceptionnelles (ExE)1. Il existe plusieurs exemples de cette tendance présente dès le début du xxe siècle. Ainsi, la vogue du spiritisme a largement influencé la création de certaines notions psychiatriques comme la psychose hallucinatoire chronique (Le  Maléfan, 1999). Aujourd’hui, les croyances paranormales et les expériences qui leur sont liées sont encore présentes dans certains questionnaires dont l’objectif est, par exemple, de diagnostiquer des troubles psychotiques (Evrard, 2014). Un tel discours psychopathologique a des conséquences qui prennent notamment la forme d’un « contrôle social » (Schetsche, 2003) et une « stigmatisation » des personnes qui rapportent des ExE. Celle-ci conduit aussi fréquemment à l’autocensure et plus généralement à un tabou les concernant. Cela peut également favoriser une forme d’isolement social et un intérêt pour des visions du monde alternatives associées à des trajectoires thérapeutiques hors des parcours de soins orientés par la médecine allopathique (Evrard et Ouellet, 2019).

Fréquence des ExE Pourtant, de telles expériences sont largement relatées dans toutes les sociétés humaines et de tout temps. En effet, depuis la création de la Society for Psychical Research, en 1882, des enquêtes montrent la forte prévalence des ExE dans la population générale. On estime ainsi qu’environ 30  % à 50  % des Occidentaux sont

amenés à vivre au moins une Expérience exceptionnelle au cours de leur vie (Belz, 2009). Il est donc légitime que les sciences humaines s’interrogent sur ces expériences et cherchent à les comprendre audelà des logiques de pathologisation et de marginalisation que nous venons d’évoquer (Rabeyron, 2020). À  cet égard, les phénomènes de transe semblent jouer un rôle important dans les ExE. Par exemple, un état comme le rêve est associé à environ 65 % des récits de « perception extra-sensorielle » qui désignent la télépathie, la clairvoyance ou la précognition (Rhine, 1981). Cette donnée se vérifie sur le plan expérimental par un ensemble d’études qui laissent à penser que le rêve favorise de telles perceptions. Les résultats cumulés de cinquante études suggèrent en effet que le contenu des rêves pourrait être employé pour identifier correctement une cible sélectionnée aléatoirement plus souvent que le hasard ne le laisse espérer (Evrard, 2023  ; Storm et  al., 2017). Plusieurs paradigmes expérimentaux emploient de même différentes formes d’états non ordinaires de conscience, dans l’idée que ceux-ci réduisent le «  bruit mental  » ou la pensée rationnelle de l’état de veille, ce qui rendrait plus aisément repérable des perceptions psi censées coïncider avec des événements réels passés, présents ou futurs. Les ExE sont donc fréquemment associées à différentes formes de transes, aussi bien induites que spontanées (Tart, 1969 ; Cardeña et Winkelman, 2011). Par exemple, dans le modèle «  prosopopèsemétagnomie »2 du journaliste scientifique René Sudre (1956), celuici considérait que la combinaison «  transe  » et «  expérience exceptionnelle » était très fréquente. Toutefois, il n’y aurait là rien de systématique car l’un et l’autre se produisent également indépendamment. La transe ne serait donc ni nécessaire ni suffisante à l’émergence d’une ExE, mais elle fait partie des conditions qui les facilitent. Pour aller au-delà de ces quelques éléments introductifs, nous allons présenter une définition et une classification des ExE, avant de les illustrer par un exemple en particulier, celui des expériences de mort imminente. Enfin, nous

proposerons quelques éléments de réflexion concernant les relations entre ExE, transe et psi.

Définition des expériences exceptionnelles Les cliniciens occidentaux ont toujours été aux prises avec des guerres de territoire que se livrent sciences et religions. Ainsi, l’Antiquité gréco-romaine considérait les daimôns comme des êtres intermédiaires entre le monde naturel et le monde divin. Les philosophes chrétiens de l’ère médiévale parlaient quant à eux de «  préternaturel  » pour rendre compte de phénomènes merveilleux dont les causes étaient « outre-natures », c’est-à-dire ni naturelles ni surnaturelles. Le concept récent de « paranormal » – que l’on doit au juriste et médecin français Joseph Maxwell (1903) – s’inscrit dans la continuité de cette « zone liminale » (Kripal, 2022). Dans le but de se démarquer des perspectives précédentes, plusieurs auteurs ont proposé le terme d’« expériences exceptionnelles » pour décrire ces expériences. Rhéa White (1994) a ainsi élaboré et justifié ce choix à partir de quatre arguments : ● Perspective en première personne  : l’approche développée est «  centrée sur la personne  », mettant ainsi en avant l’idée d’expérience plutôt que les notions d’événements ou de phénomènes qui sont davantage « désubjectivées ». ● Sans idéologie  : le terme est général et peut être utilisé pour toutes les expériences inhabituelles sans connotation culturelle ou religieuse. ● Approche relativiste : le terme insiste sur le caractère subjectif du vécu et rend compte du fait que c’est la personne qui considère l’expérience comme étant exceptionnelle. ● Valence neutre  : l’adjectif «  exceptionnel  » propose une interprétation qui se veut neutre de ces expériences. Le concept d’ExE présente également pour avantage de s’émanciper d’un éventuel parti pris concernant leur nature ontologique. Il apparaît donc comme étant neutre sur le plan de son

interprétation. Dans la continuité d’une telle approche, Fach (2022,  12) a proposé la définition suivante  : «  Les expériences exceptionnelles sont des expériences qui s’écartent, dans leur qualité, leur déroulement ou leur genèse, des croyances de celui qui les vit quant à la réalité et/ou à des convictions sur la réalité qu’il attribue à son environnement social et/ou à la science dominante. » Les ExE peuvent alors être considérées comme des anomalies ou des «  déviations  » dans le modèle de réalité d’un individu (Fach, 2011). Cette définition souligne donc que l’expérience apparaît comme étant exceptionnelle en fonction des modèles de représentation du sujet. À  cet égard, ces expériences induisent parfois un « conflit paradigmatique » pouvant parfois même mener à une «  rupture  » du paradigme dominant de représentation du sujet (Evrard, 2015). Certaines ExE deviennent alors sources de dissonance cognitive. Le rôle du clinicien sollicité dans de telles situations peut être défini comme un accompagnement qui conduit à une forme de « recadrage paradigmatique » (Mathijsen, 2019) aidant la personne à faire sens de son expérience (Rabeyron, 2022).

Classification des expériences exceptionnelles Les psychologues du service de consultation de l’Institut des zones frontalières de psychologie et d’hygiène mentale (IGPP, Allemagne) ont repris certains principes de l’approche de Rhéa White pour proposer une classification phénoménologique systématique des ExE (Fach, 2011  ; Atmanspacher et Fach, 2019). Leur modèle est notamment fondé sur les travaux du philosophe Thomas Metzinger (2003) qui distingue deux catégories fondamentales pour les états mentaux  : (1) les états de l’organisme générés en interne sont représentés sous forme de sensations, d’émotions, de cognitions,  etc., dans le «  modèle du soi  », tandis que (2) les représentations des stimuli et des conditions externes, notamment son propre corps, apparaissent dans le « modèle du monde ». Reprenant cette distinction, Fach (2011) a identifié deux paires d’ExE. La première relève d’ExE situées au niveau «  externe  »

(modèle du monde) ou « interne » (modèle du soi). La deuxième se réfère à des expériences qui témoignent de la relation entre ces deux registres, internes ou externes, selon des logiques de «  fusion  » ou de «  dissociation  ». Ainsi, comme l’explique Fach (2022 : 15) : «  Les phénomènes de coïncidence sont des connexions exceptionnelles entre des éléments ordinairement déconnectés (par exemple, les perceptions extrasensorielles)  ; inversement, les phénomènes de dissociation sont des déconnexions exceptionnelles d’éléments habituellement connectés du modèle du soi et du modèle du monde, y compris le corps (par exemple, les expériences hors du corps) ».

Ce modèle phénoménologique a été confirmé par plusieurs études menées auprès de différentes populations en utilisant le questionnaire de «  phénoménologie des expériences exceptionnelles » (Fach et al., 2013 ; Atmanspacher et Fach, 2019 ; Fach, 2022). Cela a également mené les psychologues de l’IGPP à dégager six «  patterns  » d’ExE qui rendent compte de 95  % des demandes adressées à leur service par 2  356 patients (Fach, 2022) : ● A. Perceptions « extrasensorielles » (23 %) : Les perceptions extrasensorielles sont fondées sur des représentations dans le modèle du soi qui correspondent à des représentations dans le modèle du monde sans transfert d’information causalement explicable entre ces deux types de représentation. Les circonstances externes peuvent être des états internes d’autres personnes («  télépathie  ») ainsi que des événements externes dans le passé ou le présent (« clairvoyance ») ou dans le futur (« précognition »). ● B. Présence interne et influence (24  %)  : Ce profil est caractérisé par des phénomènes auditifs et somatiques, comme l’audition de voix. Celles-ci sont souvent accompagnées de sensations somatiques (courant d’énergie, chaleur, picotement, douleur) qui n’ont apparemment aucune raison objective de se produire. Dans un nombre conséquent de situations, les personnes interprètent ces phénomènes comme une influence surnaturelle sur leur esprit et leur corps. Elles se demandent la



plupart du temps si de la magie noire ne serait pas impliquée, ou d’autres formes de forces étrangères, comme des esprits ou des démons capables de les posséder. C. Automatisme et médiumnité (4  %)  : Ces expériences se présentent comme des phénomènes internes accompagnés d’une dissociation. Les personnes font l’expérience de mouvements corporels coordonnés et spontanés (écriture automatique, channeling,  etc.) qui ne sont pas volontairement mis en action ou contrôlés. Ces expériences sont souvent interprétées comme des contacts internes avec des personnes décédées, des esprits ou des êtres supérieurs.

Les patterns A, B et C constituent le «  continuum interne  » qui correspond à des déviations relatives au « modèle du soi » (monde interne), tandis que les trois patterns suivants correspondent au « continuum externe » : ● D. Coïncidences significatives (10 %) : ces expériences sont fondées sur des circonstances et des événements au sein du modèle du monde qui ne semblent pas aléatoires dans leur contexte (oracles, horoscopes, etc.), dans leur fréquence (séries de malchance, accidents, etc.) ou dans leur similitude (schémas d’événements, séries de chiffres,  etc.), mais qui apparaissent comme s’ils avaient été influencés par un ordre supérieur en réaction ou en réponse aux attitudes, aux attentes et aux objectifs représentés dans le modèle du soi. ● E. Hantises et apparitions (35  %) : Ces expériences donnent lieu à de nombreuses anomalies externes, telles que des phénomènes acoustiques, kinesthésiques et optiques, observés dans l’environnement et en grande partie dans un état de conscience habituel. Ce sont aussi des déplacements, modifications, apparitions ou disparitions d’objets sans causes naturelles reconnues, des bruits inexpliqués comme des coups, des bruits de pas, des voix ainsi que des apparitions de lumières, de formes, de silhouettes et de personnages. Des phénomènes tactiles et olfactifs sont également décrits de



temps en temps. Le tout est souvent interprété comme l’intervention d’esprits ou de défunts. F. Cauchemars et paralysie du sommeil (4  %)  : ces vécus sont fondés sur des phénomènes externes allant de pair avec une dissociation psychophysique. Une apparition nocturne ou une présence invisible (cauchemar) déclenche des sensations tactiles après le réveil et initie des agressions physiques ou sexuelles alors que la personne affectée est immobilisée3. Les «  attaques  » sont souvent attribuées à des esprits ou des démons.

À  noter que les ExE ainsi présentées impliquent un modèle phénoménologie de la réalité qui correspond à une perception stable de soi et du monde. Elles sont donc dites catégorielles (Fach, 2011). Elles se produisent aussi lors de certains états non ordinaires de conscience, quand ces catégories vacillent, si bien que le soi et le monde semblent s’unifier, comme dans certains récits dits «  mystiques  » ou «  spirituels  ». Les ExE survenant dans ces circonstances sont alors qualifiées d’acatégorielles. Enfin, il existe des ExE non catégorielles dans lesquelles la différenciation catégorielle est réduite à des états de conscience non structurés et sans représentations mentales (Atmanspacher et Fach, 2005, 2019).

Un exemple d’expérience exceptionnelle : les expériences de mort imminente

Nous allons à présent décrire plus en détail une expérience exceptionnelle en particulier  : les expériences de mort imminente (EMI). Celles-ci se produisent habituellement quand le sujet est brusquement confronté à un danger imminent menaçant sa vie. Il peut alors faire l’expérience d’un état non ordinaire de conscience présentant une phénoménologie riche et difficile à circonscrire. Baptisée dès 1896 par le philosophe français Victor Egger (Evrard, 2022), son existence est de plus en plus reconnue, même si les spécialistes ne s’accordent pas totalement sur son identification

(Parnia et  al., 2022  ; Evrard, Pratte et Rabeyron, 2022). Plusieurs éléments sont significatifs, sans constituer des invariants, chaque expérience mobilisant une combinaison variable d’éléments affectés par la personnalité et la psyché du sujet, mais aussi son environnement culturel. L’un de ces éléments est la conviction soudaine que la mort est proche. Cette conviction joue un rôle pivot  : elle est habituellement suivie d’une émotion paradoxale, neutralisant voire inversant la détresse qui serait attendue en pareilles circonstances. Le sujet peut alors éprouver une dissociation psychophysique4 laissant place à deux processus complémentaires  : le premier est focalisé sur le présent et mobilise les ressources pour parvenir à une «  action de survie » ; le second est détaché de l’ici et maintenant et contemple, avec un accès parfois illimité aux éléments constitutifs de la trame subjective (souvenirs mais également anticipations de l’avenir), ce qui pourra nourrir un « scénario de survie ». ● Le premier processus génère parfois une «  conscience hyperincorporée » (Evrard, 2022) qui catalyse les capacités de « lucidité » du sujet. Ainsi, une pensée plus rapide, plus claire et plus pragmatique est associée à une perception davantage aiguisée de l’environnement. Par contraste, le monde extérieur semble tourner au ralenti. Cette hyper-conscience interagit avec le corps sans les habituels processus délibératifs qui lestent la prise de décision d’un temps d’hésitation. Il s’ensuit alors une meilleure coordination sensori-motrice autorisant des performances physiques et intellectuelles remarquables. Pour autant, le sujet ne se reconnaît pas toujours dans les mouvements que son corps opère et peut décrire un « pilotage automatique », voire supposer une influence exogène. ● Le second processus est le plus visible dans la reprise et la diffusion de cette expérience dans la culture occidentale, car elle vient probablement renouveler les hypothèses eschatologiques qui divisent les «  méta-cultures  » religieuses, pseudo-scientifiques et naturalistes (Schlieter, 2018). Le sujet éprouve une « conscience désincorporée » (Evrard, 2022) dans

laquelle les notions d’espace et de temps sont désorganisées. Il peut avoir l’impression de sortir de son corps et d’avoir accès à une autre dimension lui permettant de percevoir des scènes situées à distance, par une application immédiate de sa volonté (Jourdan, 2021). Il peut également «  revivre  » des moments passés et décrire la rencontre avec des proches disparus ou des «  êtres spirituels  ». Se pose alors souvent la question de savoir si son heure est ou non venue. Étonnamment, cette phénoménologie peut se produire indépendamment d’un contexte de danger somatique réel, par exemple lors d’une expérience de méditation profonde ou un vécu orgasmique. La « mort » peut en effet se présenter de deux façons : soit en faisant irruption sur le mode de l’effraction, soit par la dissolution ou la disparition d’une limite subjective. Ainsi, la menace fatale pourrait également venir du dedans, par exemple, dans des «  situations avec états de conscience modifiés qui confinent aux pertes des limites du moi et à la dissolution subjective, ou avec absence de conscience comme dans le coma » (Le Maléfan, 2020, 107). Quelle que soit la configuration à l’origine de l’EMI, celle-ci – à l’instar d’autres ExE – peut avoir des répercussions importantes sur la personnalité et la vie du sujet. Il semblerait en particulier que l’expérience induise parfois une « nouvelle jonction » faisant suite à la « disjonction » induite par l’EMI qui peut avoir des conséquences sur des problématiques psychopathologiques et psychosomatiques variées. Un accompagnement par des cliniciens ouverts à ce type de récit pourra alors favoriser l’intégration de cette expérience et l’élaboration de son potentiel symboligène (Rabeyron et Bergs, 2020).

Expériences exceptionnelles et perceptions psi Certaines ExE, notamment les EMI, questionnent également l’existence de perceptions ou d’interactions nommées psi qui transgresseraient les limites usuelles de l’espace et du temps. Sur

cette thématique, objet de vives controverses, nous renvoyons le lecteur à des ouvrages de synthèse (Cardeña, Palmer et Marcusson-Clavertz, 2015) et de vulgarisation (Evrard, 2023). Ces interactions peuvent être considérées comme étant de nature «  psychophysique  » si on se réfère au modèle de classification présenté précédemment. Il est tout à fait possible d’étudier la transe ou les ExE sans entreprendre de concert une analyse détaillée du psi. Cela est même louable afin d’éviter certaines confusions, car toutes les transes n’engendrent pas systématiquement des vécus exceptionnels (par exemple, le rêve) et seule une minorité des ExE impliquent des perceptions psi. Dans cette perspective, le premier ouvrage de synthèse dans le champ de la «  psychologie anomalistique5  » (Cardeña, Lynn et Krippner, 2014) propose une distinction entre les expériences (étudiées par les sciences humaines) et les événements (qui impliquent une dimension plus objective de ces expériences) du registre de l’exceptionnel. Appliquer la démarche scientifique nécessite d’étudier à la fois des éléments relatifs au psi et au non-psi, c’est-à-dire l’ensemble des phénomènes qui prennent l’allure du psi mais qui sont en réalité aisément explicables par l’illusion, la pathologie,  etc. Par exemple, une étude a pu mettre en évidence la dimension précognitive de certains rêves (de nature psi) tout en analysant également les biais cognitifs qui conduisent à l’illusion (de nature non psi) que certains rêves fussent précognitifs (Watt, 2015). Il existe de même pour différents dispositifs et techniques –  hypnose, psychédéliques, Ganzfeld6  – qui visent à catalyser et étudier les perceptions psi en conditions contrôlées (Cardeña et  al., 2015). Un certain nombre de ces études ont mené à des résultats significatifs, reproduits par plusieurs unités de recherche, en suivant les standards méthodologiques en vigueur dans le champ de la psychologie (Cardeña, 2018). Cependant, ces résultats demeurent la source de controverses et ne font pas l’objet d’un consensus scientifique du fait, notamment, de l’absence de modèles explicatifs (Rabeyron, 2020). Certains voient

dans ces résultats des erreurs méthodologiques et statistiques, tandis que d’autres pensent qu’elles démontrent l’existence des phénomènes psi. On peut mentionner certaines pistes théoriques intéressantes qui pourraient aller au-delà de ce débat, en particulier la reprise de la conjecture Jung-Pauli, c’est-à-dire la rencontre entre la psychologie des profondeurs et la physique quantique, par le physicien et philosophe Harald Atmanspacher (Atmanspacher et Rickles, 2022) qui propose un monisme dit à «  aspects complémentaires  ». En outre, la classification des ExE présentée dans ce chapitre est développée en connexion avec ce modèle et a permis d’établir certaines prédictions de corrélations entre les profils psychosociologiques des individus et la phénoménologie de leurs ExE (Fach, 2022). Ces débats ne sont pas sans importance car ils peuvent orienter différemment l’écoute des cliniciens selon qu’ils tolèrent ou non l’existence du psi (Rabeyron, 2020). Ils pourraient également conduire à considérer différemment la nature des états de transe dans leur relation aux dimensions les plus profondes du réel.

Notes 1. Les termes d’expériences anomales et d’expériences exceptionnelles sont habituellement utilisés dans les milieux académiques pour désigner les expériences vécues comme étant paranormales (Rabeyron, 2020). 2. Ce modèle fait de tout état non ordinaire de conscience (prosopopèse de la personnalité) un catalyseur potentiel de phénomènes psi (faculté de connaissance supernormale ou métagnomie). 3. La paralysie du sommeil est un syndrome regroupant des perceptions auditives, visuelles et de sensations de présence, le tout pendant une paralysie naturelle et temporaire due à l’endormissement. Au-delà de la panique générée par cette sensation d’être pleinement conscient, mais piégé dans son corps et à la merci de phénomènes étranges, cette expérience est relativement fréquente et ne présente pas de caractère psychopathologique ou neuropathologique.

4. La dissociation psychophysique est la désintégration de processus normalement intégrés dans les relations entre le corps et l’esprit  : coupure des sensations, notamment de la douleur  ; mouvements automatiques  ; voire impression de vivre la scène depuis une perspective extérieure à son corps. 5. Depuis les années 1980, la psychologie anomalistique est une spécialisation disciplinaire qui étudie les croyances au paranormal et les ExE en cherchant à les expliquer par différentes hypothèses psychologiques (Cardeña et al., 2014). 6. Le Ganzfeld est un dispositif d’induction d’une sorte d’état hypnagogique à partir d’une déprivation sensorielle (champ visuel homogène et bruit blanc).

Chapitre 26 Transes et psychopathologies

Antoine Bioy La façon la plus commune de classer les états de transe est de les regrouper selon trois grandes familles  : normales, pathologiques et thérapeutiques. La troisième catégorie regroupe « simplement » les pratiques qui induisent intentionnellement des états non ordinaires de conscience pour mener un travail (psycho)thérapeutique. C’est le cas de l’hypnose dont il est beaucoup question dans cet ouvrage, et aussi des pratiques méditatives, de l’EMDR, de la sophrologie et autres pratiques de relaxation,  etc. Concernant les deux premières catégories se pose la question de savoir comment différencier le normal du pathologique, mais aussi de comprendre comment on passe de l’un à l’autre pour, au final, développer des modèles permettant de réguler les manifestations pathologiques le cas échéant.

Penser (difficilement) la psychopathologie et le lien normal/pathologique Que l’on ne s’y trompe pas, le domaine de la psychopathologie est au moins aussi discuté que celui des états de conscience modifiés et des transes  ! Ce que l’on considère comme pathologique est fonction évidemment de signes cliniques, mais aussi des contextes, des cultures, des périodes de l’histoire, etc. Quelques exemples des difficultés à penser la psychopathologie comme une science unifiée

● Si la «  grande hystérie  » à la Charcot ne se retrouve quasiment plus, le fonctionnement hystérique est pour autant bien identifiable et se retrouve sous d’autres habits (certains tableaux de bipolarité, certains tableaux de fibromyalgie1, etc.). ● Dans notre culture, la dépression va majoritairement correspondre à une humeur triste, une diminution de l’activité, du mouvement, de l’envie. Dans d’autres cultures, par exemple haïtienne, elle s’exprime plutôt sous couvert de processus hallucinatoires parfois délirants. ● Les hallucinations auditives ont longtemps été associées à la schizophrénie avant que l’on ne se rende compte qu’à peu près un tiers des patients avec ces manifestations ne présentent pas de tableaux pathologiques (voir notamment le mouvement des entendeurs de voix – Molinié, 2018).

Actuellement, les chercheurs sont unanimes pour dire que le fait de vivre une expérience de conscience non ordinaire n’est pas en soi un indicateur de psychopathologie. D’autres critères doivent être observés (contenu, intensité, niveau d’agentivité, fréquence, présence ou non de souffrance/détresse, etc.). Par ailleurs, on sait aussi depuis William James que l’on peut vivre avec une psychopathologie et vivre aussi des expériences non ordinaires de conscience sans que ces dernières ne soient à l’origine des premières ou aggravent les troubles. Pourtant, accepter l’idée qu’il pourrait y avoir des manifestations normales d’ECM et de transes n’est pas toujours allé de soi. Comme nous le disions dans le premier chapitre de cet ouvrage, le terme de «  transe  » a d’abord désigné des manifestations que l’on ne comprenait pas, associées à la culture d’une autre personne que soi, ou pour qualifier des manifestations de son milieu culturel mais associées à la démonologie (transe des sorcières lors des sabbats, par exemple) ou d’emblée à des manifestations psychopathologiques (neurologiques, psychiatriques). Bien souvent, celui ou celle qui entrait en transe n’était pas vraiment humain, ou quittait son humanité le temps de ces manifestations. Aussi, le premier mouvement pour désigner les manifestations de transe a plutôt été de considérer qu’il s’agissait forcément d’un trouble passager, ou plus installé. Chamanisme et psychopathologie

En fait, face aux manifestations cliniques de la dissociation chez les chamanes durant l’exercice de leur fonction, la tendance à pathologiser ces manifestations s’est vite fait jour, depuis la fin du xixe siècle. Elles ont ainsi pu être la proie d’épisodes tour à tour qualifiés de psychotiques, d’épileptiques, d’hystériques, de psychoses hystériques, voire donner lieu à de nouvelles classifications éphémères pointant toutes du doigt la dimension pathologique des manifestations chamaniques, comme celle que «  Artic Hysteria2 » pour les Inuites (voir notamment l’intéressante analyse de Mitrani, 1992). Par exemple, des auteurs comme Wallace (1966) considéraient que les chamanse en devenir avaient forcément des troubles à la fois psychiques et physiques, causés par une profonde crise identitaire. Lorsque le rituel initiatique pour devenir chamane était mené par la communauté, cela avait comme conséquence –  selon Wallace  – une résolution de la crise et un évitement d’une décompensation schizophrénique sévère. D’une certaine façon, la possession rituelle devient rituel de salut et permet une résolution du trouble identitaire en faisant coexister deux personnalités a minima  : le «  psychotique latent  » (l’expression est de nous) et le chamane, souvent homme médecine. Même Devereux dans ses écrits classiques (1970) estime que le chamane souffre d’une maladie susceptible de « rémission », mais qu’il ne pourra jamais guérir de son mal premier, car il n’a pas accès à la racine de ses conflits. De fait, la bataille a fait rage dans les années  1960 à  1980, avant de s’assagir pour reconnaître que vouloir assimiler les manifestations observées à des processus psychopathologiques empêchait de rendre compte avec justesse des processus individuels et groupaux à l’œuvre.

Après avoir tenté cette approche très univoque, les auteurs ont commencé à considérer le sens des manifestations en fonction notamment du contexte (qui l’induit, le favorise ou l’influence). Mais aussi à considérer qu’une manifestation pouvait désigner un vécu, qui ne signait pas en soi une psychopathologie. Par exemple, des modifications dans l’image du corps se retrouvent à la fois en lien avec un vécu érotique et dans les troubles somatoformes. Enfin, tout un champ d’étude a vu le jour et se prolonge de nos jours sur l’expérienciel, la caractérisation des signes clinique présents selon le vécu des personnes concernées. Il s’agit d’une approche centrée sur la phénoménologie comme par exemple celle d’Etzel Cardeña qui propose la schématisation ci-contre.

Figure  1.    Présence d’ECM dans des contextes pathologiques et non pathologiques selon Cardeña (Cardeña et Winkelman, 2011) Pour penser la distinction entre normal et pathologique, deux «  ingrédients  » nous semblent indispensables, précisément car ils organisent le vécu dont nous parlions : il s’agit de la dissociation et de la corporalité.

La dissociation Rappelons certains points, esquissés dans le chapitre sur les aspects psychologiques des transes  : c’est à Benjamin Rush, l’auteur de la première classification américaine des maladies mentales, que revient la paternité du terme, qui pour lui était un simple synonyme de la démence, une affection dégénérative et définitive qu’il classe dans les dérangements intellectuels au chapitre «  folie générale  » (1812). En France, le docteur Moreau de Tours utilise en 1845 le terme de « dissociation » pour décrire les effets du

« chanvre indien » (hachisch), dont la consommation est pour lui une méthode d’exploration du psychisme humain. Il créera d’ailleurs le «  club des hachichins  », fréquenté notamment par Baudelaire, Delacroix, Flaubert, Balzac… Puis Janet s’empare du terme pour le faire basculer dans la psychopathologie, et l’assimile aux moments où les fonctions mentales se compartimentent. Bleuler finira d’enfermer le concept dans la psychopathologie pour le définir comme une fragmentation des fonctions mentales rencontrée notamment dans la schizophrénie (donnant lieu au mythe populaire qu’être schizophrène, c’est avoir une «  double personnalité  »). En fait, jusqu’au début du xxe siècle, la dissociation est perçue comme une division ou de la perception voire de la conscience. C’est dans la seconde partie du xxe  siècle et surtout à l’approche du xxiesiècle que s’installe un continuum dans les expériences dissociatives allant du normal au pathologique (du fait d’une ouverture aux descriptions phénoménologiques des troubles mentaux). De nos jours, on conçoit que la dissociation en tant qu’altération de la conscience a pour origine un échec d’intégration et non une division de la conscience  ; l’American Psychological Association définit depuis 2000 la dissociation comme une rupture du fonctionnement intégré d’une personne. Comment cela fonctionne-til  ? Le soi est conçu comme une organisation intérieure mêlant conduites, émotions/sentiments, production de sens,  etc. Durant le développement du soi, l’intégration et la dissociation sont considérées comme des options antagonistes face à une expérience marquante, ou simplement nouvelle. Lorsque l’expérience est reconnue (ou offre des repères suffisant pour lui donner du sens) et qu’elle est aussi acceptée, alors l’intégration suit. Dans le cas contraire, alors la dissociation prévaut, et il y a fragmentation du soi. La dissociation, une capacité ?

Même si Janet l’avait aussi avancé, le courant psychanalytique a développé l’idée que la dissociation pouvait être une capacité adaptative et de protection du du sujet notamment à un environnement difficile, hostile, effractant. Ainsi, Freud aborde les contextes traumatiques où dans un contexte de nécessaire gestion de l’anxiété, la dissociation peut avoir valeur de protection contre la survenue d’un nouveau

traumatisme. Sur une valence plus junguienne, Kalsched amène la notion de «  structure dyadique d’auto-soins  » («  dyadic self-care structure  ») pour illustrer la dynamique dissociative (1996). Comme d’autres auteurs, il fait un lien avec le monde de la petite enfance. En effet, dans une certaine mesure, les processus dissociatifs sont caractéristiques du fonctionnement de la petite enfance. Ils interviennent notamment lors de l’acquisition des compétences de base et avant les transitions vers de nouveaux niveaux d’organisation intégrative (périodes de l’adolescence, etc.). Dans ces phénomènes, la notion d’attachement semble centrale. Synthétiquement, des expériences précoces de désorganisation de l’attachement suivies d’une expérience de vie normale peuvent donner lieu à des niveaux dissociatifs élevés, mais subcliniques. Autrement dit il s’agit de personnes qui peuvent héberger une prédisposition latente à un comportement dissociatif, mais qui ne se manifeste qu’exceptionnellement, en cas de stress. En revanche, un traumatisme grave et chronique consécutif à une expérience relationnelle dyadique désorganisée peut renforcer une trajectoire dissociative pathologique par la suite (voir notamment les travaux de Putman). Les études portant sur l’attachement suggèrent que la dissociation au cours du développement de la personnalité concerne principalement un échec dans l’intégration des souvenirs complexes et effrayants (maltraitance, négligence, agression, réponse inadaptée à un besoin de protection…). Une fois installée, la dimension dissociative associée à une relation d’attachement carencée favorise d’autres réponses dissociatives ultérieures (stress intense, effraction physique ou psychique…). Ce qui est ressenti est alors une expérience de désorientation, un état de « peur sans solution », qui n’est en rien une défense réussie contre une souffrance installée, mais plutôt comme une cause directe de celle-ci. La dissociation est certes une capacité du sujet, mais qui ne signe pas toujours un mouvement de protection réussie ; la notion de répétition est un marqueur qualitatif important pour comprendre ce qui est à l’œuvre.

On l’aura compris, la dissociation n’est pas d’emblée pathologique. Pour autant, la dissociation est une part importante de la psychopathologie (y compris les troubles anxieux banals font vivre des moments dissociatifs), même si les troubles psychopathologiques ne se résument pas à de la dissociation. Dis ainsi, cela semble simple. Pour autant, les débats sont nombreux. Notamment, des auteurs comme Ross (2004) proposent de voir la schizophrénie comme un trouble dissociatif («  dissociative schizophrenia  »), hypothèse toujours considérée comme pertinente notamment car les symptômes psychotiques positifs sont dissociatifs dans leur essence même et que les symptômes pathognomoniques de la schizophrénie sont fortement liés au Trouble Dissociatif de

l’Identité (Şar et Öztürk, 2019). Quels liens avec la capacité adaptative que nous évoquions ? Des auteurs comme Steven Gold (Moskowitz et  al., 2019) font l’hypothèse certaines personnes développent des symptômes psychotiques parce que leur capacité à gérer des expériences traumatiques ou hautement émotionnelles via des mécanismes dissociatifs est limitée. Autrement dit, certains troubles schizophréniques seraient en lien avec une non intégration traumatique. Ce qui semble aller dans ce sens est que les patients atteints de schizophrénie ont des scores de dissociation plus faibles que ceux atteints de Trouble Dissociatif de l’Identité «  purs  » ou d’États de Stress Post Traumatiques «  purs  », mais des scores de dissociation plus élevés que toutes les autres conditions psychiatriques (Bernstein et Putnam, 1986 ; Ross et al., 1989).

Critères différenciant dissociation normale et pathologique Notamment lorsque des phénomènes de transe se chronicisent ou qu’une souffrance est présente, il est nécessaire de mener un psychodiagnostic3 centré sur les signes observés et aussi leurs vécus/phénoménologies. En s’inspirant des travaux de Cardeña, nous proposons d’avoir une attention sur les points suivants lors de l’évaluation : ● À  la suite de Karl Jaspers ou même de Charles Tart, privilégier l’approche phénoménologique : la forme des symptômes (par exemple, niveau d’adhésion au délire) plutôt que leur contenu (dans cet exemple, la nature du délire). ● Le changement dans les vécues et expressions de conscience (diminution de conscience, perte de connaissance, rétraicissmeent du champ de la conscience, confusion…). ● Le niveau d’altération du sentiment de soi (déréalisation, dépersonnalisation, autoscopie, sensation de fusion ou d’abandon de soi…). ● La corporéité (ressentis corporels, modulations sensorielles, atteinte du corps par exemple par de l’automutilation, ressentis érotiques et sexuels, hallucinations…). ● La vie émotionnelle et l’humeur (anhédonie, exaltation…).

Si l’on devait dresser une liste des manifestations dissociatives, on retrouve le plus communément : dépersonnalisation, altération de la perception, déréalisation, absorption, hypnotisabilité, implication de l’imagination, évitement cognitif, état de fugue, amnésie dissociative, analgésie hypnotique, détachement dissociatif, désengagement, constriction émotionnelle, isolement, stupeur dissociative, troubles de conversion, flashbacks, compartimentation, expériences extracorporelles, alteration du temps, freezing, engourdissement. Quand deviennent-ils pathologiques  ? Six axes de différenciation sont proposés par Dalenberg et Paulson (2009), qui répondent notamment à une approche transdiagnostique (Indelli et al., 2018) : ● Le type. La dissociation pathologique pourrait inclure l’amnésie, la dépersonnalisation, et les troubles de l’identité. La dissociation normale pourrait inclure l’absorption, l’hypnotisabilité à un niveau  5, dit «  hautement hypnotisable  » (Spiegel, 1974), ou le détachement/l’engourdissement. ● Le niveau/continuum  : la dissociation structurelle (trouble dissociatif de l’identité) représente une extrémité d’un continuum tandis que les expériences dissociatives plus courantes (comme l’absorption) représentent l’autre extrême. ● La temporalité : les troubles dissociatifs sont des « désordres » dus « non pas au fait que la dissociation en soi est présente, ni qu’elle a été déployée face au traumatisme comme tactique (ou réflexe) de survie immédiate, mais plutôt que la dissociation sévère et ses retombées continuent en l’absence de telles conditions » (Butler, 2006). ● Mécanisme de défense  : la dissociation normale concentre l’attention sur un aspect de l’expérience, évitant ou bloquant ainsi d’autres aspects. Dans le cas d’une dissociation pathologique, le matériel est plus complètement encodé, mais activement bloqué dans un processus défensif. ● La fréquence : le «  normal  » dans la dissociation normale fait référence à la fréquence ou aux niveaux de base. ● L’objectif  : l’engourdissement peut être jugé «  normal  » pour l’individu qui doit ignorer la douleur d’une blessure de combat

pour se mettre en sécurité, mais peut être diagnostiqué comme « pathologique » lorsqu’il apparaît chez l’épouse en détresse du soldat (qui se blesse elle-même dans un contexte de souffrance) (Ludwig, 1983). Ajoutons à cela une considération : on associe souvent le normal à une réponse commune et le plus souvent transitoire, légère ou même positive dans ses effets, et finalement peu liée à l’occurrence d’une pathologie ou à une forme de comorbidité. Mais si la réponse est répétée, alors elle peut être pathologique. Prenons l’exemple de la maltraitance : les processus qui coupent le lien entre le corps et le soi (c’est-à-dire la dépersonnalisation) permettent une forme de survie psychique (et parfois physique). Mais si cela devient une « habitude », alors le développement est empêché. À noter que l’on retrouve parfois chez les douloureux chronique avec un passé de maltraitance une facilité de césure (dissociation) entre corps et psychisme lorsqu’un épisode survient. Renforcé, ce mécanisme pourrait renforcer le risque traumatique en douleur chronique (Conradi, 2022). Le pathologique est quant à lui associé à une perturbation partielle ou totale du fonctionnement psychologique d’une personne en lien avec le processus d’intégration de l’expérience de soi, du monde et de l’interaction soi/monde. Mais lorsqu’elle est perçue comme une modulation soudaine et intrusive dans la façon d’être et de réagir, alors elle transforme l’état de conscience modifié qu’elle sous-tend en phénomène de transe tel que nous l’avons défini dans le premier chapitre. Les symptômes sont alors ceux d’une dépersonnalisation, d’une déréalisation, de subir le contrôle d’un tiers. Transitions pathologiques dans les états de conscience

Tart (1975) a proposé que la transition d’un état de conscience à un autre puisse produire une désorganisation psychophysiologique transitoire. Différents phénomènes pourraient être expliqués à la lumière de sa théorie : les paralysies du sommeil dans le passage sommeil/éveil, les manifestations entre l’état de conscience ordinaire et les états de possession, les états de stress post traumatiques (véritables blocages psychophysiologiques de la transition qui explique notamment les perspectives

actuelles de développement post traumatique), certains cas d’abduction (Dumont, 2021) ou d’autres expériences anomales.

Critères cliniques « simples » Dans une pratique courante, il est possible de se donner une première distinction simple en se posant deux questions (Bioy et Collinet, 2022) : ● 1. Est-ce qu’il s’agit d’une dissociation agie ou subie ? ● 2. Est-ce que les manifestations cliniques de la dissociation sont temporaires ou chroniques ? Lorsque la dissociation est agie, elle est forcément aussi temporaire et relève du normal (apprentissage, autohypnose…). Lorsque la dissociation est subie et temporaire, cela dépend du contexte et de l’intention (normal lorsqu’on est saisi par la beauté d’un paysage, pathologique dans le cas d’un viol). Lorsqu’elle est subie et chronique, elle est toujours du côté du pathologique (psychoses, tableaux psychotraumatiques…). Qu’en est-il du processus thérapeutique  ? Il relève le plus souvent de dissociations agies (hypnose ou méditation guidées par un thérapeute…) mais peut aussi relever d’une dissociation subie temporaire (psychothérapie augmentée, casque de réalité virtuelle…). Ces critères ne sont pas vrais que pour les dissociations psychiques. On oublie d’ailleurs trop facilement qu’il existe aussi des dissociation somatiques (par exemple : Bioy et Lignier, 2020 ; Barfety-Servignat, 2020  ; Schild et Dalenberg, 2012). Et que les deux sont mêmes parfois mêlés dans une intrication complexe. Par exemple, les symptômes dissociatifs somatoformes des patients psychiatriques ont généralement tendance à être chroniques et résistent souvent aux suggestions hypnotiques ou à d’autres suggestions thérapeutiques. Alors même que, «  dans l’autre sens  », la suggestion hypnotique peut provoquer des réactions dissociatives somatoformes (par exemple, analgésie, inhibitions motrices) chez

les individus sensibles à l’hypnose et motivés. Il est donc temps d’aborder la question du corps…

Le soi corporel La tradition occidentale a été de penser l’humain en isolant d’un côté le corps et de l’autre côté l’esprit. Cette scission scientifique pour gagner en connaissance (et par effet ricochet en compétences dans les pratiques) a été injustement attribuée à Descartes, dont la pensée était plus complexe et fine que cela (on pourra nommer cela «  l’erreur de Damasio  »  !). L’influence de Freud sur cette situation est en revanche assez indéniable : dès lors qu’il postula l’existence d’un appareil psychique, cela «  figea  » une pensée dualiste dont il est bien compliqué de sortir, même pour penser les troubles qualifiés de psychosomatique (Keller, 2006)4. Pour autant, il serait à notre sens compliqué de considérer que le dualisme serait forcément une impasse à penser et que le monisme (ne pas distinguer différentes instances : le corps est psychisme, le psychisme est corps) serait la panacée. Il s’agit simplement de deux modalités d’appréhension d’une réalité qui par nature est complexe et sans doute impossible à appréhender dans son entièreté (il faudrait y ajouter de nombreux plans : existentiels par exemple et d’aucuns parleraient aussi du plan énergétique, vibratoire,  etc.). Cela est sans fin  ! La perspective dualiste prévaut dans nos sociétés aussi parce qu’elle « parle » aux gens. Il suffit de regarder le grand succès de références comme « le ventre, notre deuxième cerveau5  » ou du «  charme discret de l’intestin6  » (sous prétexte d’approcher l’hypothèse moniste, ces essais sont en fait une belle approche dualiste et qui réfléchit par organe, et non dans la globalité dynamique d’un corps dans son ensemble). Dans les cabinets de consultation, les patients annoncent aussi régulièrement que : « le moral est bon, mais je me sens fatigué en ce moment, sans énergie  »  ; «  mes douleurs vont mieux, mais je ne sais pas pourquoi je suis un peu déprimé en ce moment, il y a toujours quelque chose qui ne va pas  !  ». Alors ne renions pas notre tradition culturelle (dont scientifique) mais puisque

nous sommes aussi conscients que tout cela «  manque de liant  », voyons comment avancer ! Précisément, des notions comme la corporéité, de cognition incarnée ou encore d’intelligence du corps (François Roustang) répondent à ce souhait d’aller plus loin dans nos pensées et nos pratiques. L’actuel retour d’une certaine appétence pour la phénoménologie est aussi une forme de réponse7. Il est en tout cas notable que les avancées en neurobiologie ont permis un essor très important pour penser un «  soi corporel  » et avancer sur une perspective générale de l’humain, sans faire reculer la nécessaire démarche scientifique. C’est évidemment Damasio qui est le chercheur le plus typique de cette avancée. La trajectoire de Damasio

En 1995 paraît L’Erreur de Descartes (Odile Jacob), où l’auteur expose la façon dont les émotions se manifestent à l’intersection entre corps et cerveau (qui n’est pas l’esprit, la vision restant ici très somatique). Surtout, la façon dont ces émotions peuvent être vues du côté de la raison et ont une place importante dans les stratégies d’adaptation à l’environnement, pour le pire comme le meilleur. Le cerveau est ici vu comme un organe dont la fonction centrale est d’anticiper l’avenir et de forger des plans d’action afin de s’adapter, en s’appuyant sur les émotions qui donnent «  du poids  » aux différentes options possibles. Le corps est ici compris comme ce qui perçoit les objets extérieurs à soi, le lieu du cadre de référence de notre représentation du monde et du lien dynamique à ce dernier. Nous pouvons ici relever trois limites  : une assimilation du cerveau à l’esprit humain, une non-prise en compte de la relation inter-humaine et enfin une zone non élucidée  : comment le sentiment devient perceptible par l’organisme. En 1999 suit Le sentiment même de soi pour tenter de dépasser ces limitations en centrant sur la notion de conscience pour percer à jour la manière dont ce qui est liminaire, insu, fini par se révéler aux perceptions, c’est-à-dire à la conscience. Il affine la notion de conscience de soin entre distinguant le proto-soi, le soi central, et le soi autobiographique. Cette conscience dynamique tend vers l’homéostasie et favorise aussi les processus de survie. La notion de récit de soi prend une place centrale dans cette perspective, rejoignant ainsi toute un pan d’écrits avant lui en psychanalyse, psychologie et philosophie. Tous se rejoignent pour dire que le sentiment de soi ouvre vers une subjectivité qui prend forme au contact de la réalité. Les expériences de vie, les échanges avec l’autre, les contextes culturels d’évolution entrent en résonance avec un corps biologique qui sent et ressent. L’anticipation de l’avenir devient – entre imaginaire et réel – un lieu de possible et de créativités. Avec Spinoza avait raison (2003), Damasio reprend sa théorie évolutionniste et homéostatique et d’une certaine façon essaye de déployer une philosophie à partir de son approche initiale (1995) après avoir exploré une perpective plus psychologique (1999). L’organisme qui s’organise pour survivre vise en fait un bien-être via les

émotions et principalement le sentiment de soi. Damasio rejoint le «  conatus  » de Spinoza8.

Il reste toujours une limitation importante  : la plupart des études (dont Damasio) partent d’abord de l’observation de la pathologie, du manque. Même si cela est de plus en plus corrigé, ce fait explique pourquoi on décrit plus facilement dans le soi corporel ce qui dysfonctionne plutôt qu’un fonctionnement habituel, perçu comme normal par tous (sujet et observateur). Pour autant, les vécus de conscience particulière étant souvent associés à de l’étrangeté voire à des signes de dysfonctionnement y compris par ceux qui la vivent, l’étude des faits pathologiques n’est finalement pas si décalée que cela ! Nous pouvons citer ici à titre d’exemple deux modalités d’expériences (Soi corporel) qui sont vécues comme des moments de conscience modifiée  : les hallucinations somato-tactiles (engourdissements, douleurs, paresthésies, transformations corporelles…) et les projections corporelles (autoscopie, sentiment de présence, expérience de sortie hors corps, vécu de mort imminente…). Il n’en reste pas moins que l’étude des conditions particulières donnent aussi des informations importantes sur la nature des états de conscience modifiés observés qui pour l’essentiel implique toujours un corps qui ressent, parfois en mouvement, et aussi parfois contraint (par un jeûne qui favorise l’état de conscience particulier, par exemple). C’est aussi dans le corps que se vivent la plupart des expériences faites d’un environnement altéré (hallucinations, déréalisations,  etc.). Mais il peut aussi y avoir des manifestations où seul le corps est le lieu du changement, alors que l’environnement se trouve préservé. Il est cependant plus habituel pour les transes que l’on assiste à une forme de sentiment d’extension du soi corporel vers l’environnement (dans un mouvement de dissolution des limites corporelles et de régression psychique), comme dans le vécu océanique, les crises mystiques…

La perception que la personne en a est très variable, et non fonction du type de phénomène en question. À  partir de nos accompagnements cliniques de personnes adultes en consultation, nous proposons trois grands types de réactions  : indifférence à ce qui est vécu (souvent en lien avec une forme d’évitement), critique vis-à-vis de la nature inhabituelle de ce qui est perçue (associé à une charge anxieuse) et enfin une adhésion délirante à ce qui est vécu (comme forme de créativité et tentative d’intégration de l’expérience). «  Délirante  » est ici à comprendre comme ce qui produit un discours à partir de perceptions non rationnelles qui entremêlent souvent des données psychologiques, contextuelles, culturelles et physiologiques, comme pour les états mystiques. À noter que cette « participation du corps » à des vécus d’états de conscience modifiés ou de transe peuvent aussi être provoqués par des dispositifs spécifiques comme l’hypnose, l’usage de drogues (par exemple, les expérience avec le mescal de Havelock Ellis ; celle du « vendredi saint » avec psilocybine menée par Walter Pahnke et la reprise par Rick Doblin, etc.), les caissons d’isolation sensorielle ou encore les conflits visuo-tactiles (par exemple menés par Vilayanur Ramachandran ou l’illusion de la main en caoutchouc de Lorimer Moseley). En fait, on pourrait dire que le corps est ici à la fois le filtre qui permet de percevoir et aussi le plus souvent le lieu de l’expérience des états de consciences non ordinaires, parfois des transes. Leurs expressions n’est pas en soi un signe de pathologie, même si la psychopathologie prendre aussi le corps comme lieu d’expression. Il y a surtout une frontière qui est très complexe à explorer, celle où l’implication neurologique va être présente et parfois déterminantes. Il est en effet possible de stimuler neurologiquement des sorties de corps, ce qui ne réduit pas ces sorties de corps à un simple fait neurologique en dehors des laboratoires où cela est testé. Des manifestations comme les membres fantômes possèdent aussi une composante neurologique (qui est même essentielle, dans ce cas). Autant dire que nous sommes encore aux balbutiements de pouvoir donner une théorie ordonnée et unifiée de la place du corps dans les

ECM dans les portes d’accès sont nombreux et les ingrédients pluriels. Mais en tout cas, ce corps est bien situé comme le point de rencontre et d’expression de ces manifestations, alors qu’auparavant ce «  lieu  » était soit le seul psychisme (psychopathologie) soit la seule neurologie (atteinte nerveuse souvent au niveau central). Dans un tel contexte, comment penser des pistes thérapeutiques aidantes lorsque les vécus sont pathologiques  ? C’est ce que nous esquissons à présent.

Pistes thérapeutiques : participation émotionnelle et présence thérapeutique

La question de l’intervention psychothérapeutique va se poser dès le «  normal à risque  », et évidemment si les manifestations dissociatives deviennent source de souffrance. Dans les cas où une psychopathologie est déjà décompensée, les propositions qui vont suivre ne constituent pas la seule voie à explorer mais doivent plus être entendue comme des pistes d’enrichissement de la démarche thérapeutique, nécessaires mais non suffisantes en soi. De ce qui précède, il découle que le corporel va être la voie d’entrée pour travailler à ce que les manifestations compliquées, sources de souffrance, voire pathologiques en lien avec les ECM/transes diminuent. La stratégie globale est toujours de mener ce que l’on nomme parfois «  réassociation  », c’est-à-dire une meilleure dynamique d’intégration. Afin d’améliorer le fonctionnement adaptatif, il va s’agir de développer avec la personne des compétences qui visent à : ● réduire la détresse ; ● travailler les lacunes en lien avec le psycho-développement ; ● acquérir des aptitudes adaptatives dans la vie quotidienne (pas uniquement en lien avec des moments forts, compliqués). L’ensemble des études est unanime  : les émotions intenses potentialisent les réactions dissociatives au détriment du cognitif. Si la plupart des états émotionnels n’induisent pas un changement

qualitatif suffisant pour faire basculer le vécu vers un états de conscience non ordinaire voire une transe, pour autant une intensité émotionnelle élevée peut provoquer cela. C’est notamment le cas d’une peur intense, des explosions de colères, et aussi de la joie lorsqu’elle est poussée dans des recoins particuliers, comme dans un contexte de passion amoureuse intense qui induit des tableaux d’états de conscience modifiés caractéristiques (Wade, 2000  ; voir aussi le chapitre de Joëlle Mignot dans cet ouvrage). On retrouve aussi cela dans nombre de vécus de mort imminente (lorsque ces vécus sont sur une valence positive, ce qui n’est pas toujours le cas). Les personnes en difficulté –  c’est-à-dire le plus à même de développer un trouble pathologique en lien avec leurs ECM  – sont celles qui ont de faibles capacités à reconnaître qu’elles éprouvent un affect, à l’identifier, et encore moins à surveiller la fluctuation de l’intensité des sentiments. De ce fait, elles sont vulnérables à l’escalade rapide des niveaux affectifs. En fait, l’excitation affective est si intense chez les patients, et les capacités de traitement cognitif de l’expérience émotionnelle si ténues, que les patients avec des niveaux de dissociation à risque de pathologie voire pathologiques passent directement de l’affect au comportement, parfois sans avoir conscience ni de l’affect ni du comportement manifeste qui lui est associé (diminution agentivité, vécu amnésique parfois). Ce phénomène favorise le sentiment que c’est « quelqu’un d’autre  » et non la personne elle-même qui a exécuté le comportement. En première intention, il s’agit donc de réduire la propension à l’excitation. Avec les possibilités thérapeutiques actuelles, on considère comme nécessaire que les patients maîtrisent des techniques corporelles telles que les techniques de relaxation, d’hypnose, de méditation pleine conscience. Et ce n’est qu’avec une pratique répétée et régulière que les niveaux chroniques d’excitation diminuent. En seconde intention, il s’agit d’installer des techniques dites «  d’enracinement  » ou «  d’ancrage  » afin de contrecarrer

directement les réactions dissociatives indésirables (Dolan, 1991  ; Phillips et Frederick, 1995 ; Simonds, 1994). Si la dissociation est en fait une fonction de l’incapacité à concentrer son attention sur l’environnement et ce qu’il produit subjectivement, les techniques d’ancrage sont des méthodes pour développer cette capacité en apprenant à diriger et à maintenir son attention sur l’ici et maintenant. Tout au long de ces deux mouvements, le rôle de la relation thérapeutique est majeur. En fait, les études mettent l’accent sur l’influence centrale qu’ont les aspects développementaux sur les manifestations dissociatives à venir, à la fois normales et pathologiques. En particulier, les travaux sur les processus d’attachement montrent à quel point les vécus relationnels instables au cours du développement ont un impact sur l’occurrence des troubles à venir (Main, 1998)  ; même s’ils peuvent être en partie désamorcés (Pierrehumbert, 2003  ; Genet et Wallon, 2022). En complément, des auteurs comme Stern (2003) montrent que c’est en grande partie par le biais de la relation thérapeutique que le patient va pouvoir acquérir les compétences liées aux étapes de son développement qui n’étaient pas suffisamment acquis avant le suivi thérapeutique. Et si l’alliance thérapeutique est évidemment un aspect essentiel du travail (Bioy et Bachelart, 2011), elle n’est pas la seule dimension qui va entrer en ligne de compte. Tous les aspects de la présence thérapeutique vont être impliquées (voir chapitre  6, p.  109). Également, auprès de ce public particulier, il est crucial d’évaluer de façon répétée et explicite avec le patient dans quelle mesure il suit, enregistre, comprend et retient ce qui se passe en séance.

Les « groupes d’intervention sur les états de conscience » Le psychologue Adolfo García de Sola Márquez a créé cette remarquable pratique de groupe en 2011. À cette époque et toujours actuellement, il travaille en santé mentale dans une communauté thérapeutique andalouse relevant du système de santé publique

espagnol. Après plusieurs années d’animation de groupes thérapeutiques, son intérêt particulier pour les états de conscience et sa formation en hypnose ont enrichi et influencé ma pratique clinique quotidienne, jusqu’à la naissance de ce dispositif. Nous le laissons nous en parler9 : «  Nos groupes ont commencé à fonctionner à partir du jeu que nous offraient les différentes psychoses de ceux que nous traitions. Mais nous avons vu par la suite qu’ils constituent un cadre fertile pour traiter d’autres types de troubles  : de ce que l’on appelle les troubles névrotiques ou de la personnalité, ou pour fixer de nouveaux défis et objectifs aux personnes qui se sentent plus ou moins satisfaites du chemin de vie qu’elles ont décidé de suivre, c’est-à-dire celles que nous appelons habituellement “saines” (dans la mesure du possible), mais “en recherche”. Comment cela se passe-t-il  ? Une pièce vide, dans une semi-obscurité. Plusieurs chaises occupent l’espace. Il peut y avoir d’autres éléments, mais ils ne sont pas nécessaires  : peut-être une table sur un côté, quelques étagères, des tableaux, un canapé, un fauteuil… Une ou deux fenêtres dont les stores sont à moitié baissés. Le rideau s’ouvre, ou la porte, dans notre cas, et différents personnages commencent à entrer, des hommes et des femmes d’âges différents, chacun d’entre eux ayant une histoire longue et complexe, des personnes qui, à un moment donné, se sont installées dans un mode de vie qui, pourtant, ne les satisfait pas beaucoup, ou qui sont encore perdues dans des pensées étranges et des façons de voir la vie dont elles ne peuvent pas trouver d’échappatoire ou ne veulent pas en trouver pour des raisons obscures. Le groupe commence par des instructions pour que chacun se place où il veut, cherche un endroit précis, assis, debout, allongé sur le sol, en mouvement ou non, les yeux ouverts ou fermés L’important est de se sentir à l’aise, de toujours chercher un plus grand confort, un changement corporel minimal qui peut conduire à une meilleure sensation, une plus grande relaxation ou un plus grand calme. Moitié sérieusement, moitié en plaisantant, c’est indiqué : c’est le seul groupe où l’on peut s’endormir sans que rien ne se passe… mais on ne s’endort pas vraiment, on continue à écouter, on ne perd pas l’attention… Vous pouvez aussi faire un rêve, dans cette frontière de l’éveil, de l’assoupissement ou non, et si vous en faites un, racontez-le, écoutons-le… “que ressentez-vous, comment vous sentez-vous ? Il n’y a aucune obligation de le communiquer aux autres… ce que tu veux, ressens-le…” Les mots utilisés par le thérapeute ne sont jamais les mêmes, ils s’adaptent à ce qui commence à se produire, car les situations apparaissent immédiatement et, si elles ne le font pas, on les cherche  : «  bougez, changez de place, vous aurez probablement l’impulsion de le faire même si vous ne le faites pas ; les instructions que je vous donne ne sont pas très courantes et il peut être difficile de développer ce sentiment de liberté de bouger, de dire ce qui vous passe par la tête, sans penser si c’est correct ou non, si c’est contextualisé ou si ce sont des idées qui apparaissent sans savoir pourquoi… peut-être même que parler du temps qu’il fait pourrait être un bon début… La lumière tamisée aide à ce que tout se passe bien et la participation mutuelle se transmet facilement dès que quelqu’un brise la tension du début. La seule règle

donnée au groupe est que lorsque quelqu’un prend la parole, les autres doivent attendre qu’il ait fini de parler et intervenir. Cette règle rompt avec la façon dont les dialogues se déroulent dans la vie ordinaire, où ceux qui interviennent peuvent couper les phrases de l’orateur, terminer eux-mêmes ce que quelqu’un d’autre est en train de dire, avoir des conversations annexes… Cette règle contribue également à modifier le « tempo » de la vie quotidienne, qui a déjà commencé à se produire grâce aux instructions données avant le début de la session. Cette façon de commencer, qui semble discrète et douce, crée immédiatement un climat dans lequel nous voyons des situations surprenantes se produire. Ce qui nous a frappés dès le début des groupes, c’est que des séances entières se passaient sans que les personnes souffrant de troubles chroniques et de délires actifs n’en parlent. Les conversations devenaient beaucoup plus quotidiennes, elles plaisantaient, des situations interpersonnelles complexes se développaient, elles parlaient de leur passé, de leurs anciennes activités professionnelles, de leur enfance, de leur famille, de leurs sentiments authentiques. Et même s’ils commentaient leurs délires ou leurs illusions, ils le faisaient depuis un autre endroit, comme s’ils les voyaient de l’extérieur, avec une objectivité surprenante. Ce qui est intéressant, c’est que ce genre de conversations ne se produisait généralement pas spontanément dans la communauté thérapeutique où nous travaillions, avant le début des groupes. Par ailleurs, le sentiment prédominant pendant les sessions était celui de la tranquillité, de la relaxation et, même si des situations compliquées pouvaient se produire, une dispute, une personne exprimant un profond malaise ou de la colère, ces interventions étaient tolérées avec une attitude différente. Ce qui se passait avait à voir, à mon avis et à celui de différents professionnels qui ont participé aux groupes, avec la liberté d’expression, avec la tranquillité que l’on peut ressentir face à la non-critique, peut-être avec le « libre arbitre » comme l’a dit un collègue, et avec l’attention flottante qui prévaut dans l’atmosphère de nos groupes. Dans les sessions, il y a de la place pour des conversations totalement triviales, des monologues, des rires, des chansons, des soupirs, des silences actifs ou passifs, des dramatisations, des improvisations, le développement d’actions préméditées, des sons sans signification apparente… Et tout cela conduit, assez immédiatement, au “bon sens”, au “sentiment commun”, à une grande capacité d’écoute des autres et d’intérêt pour leurs discours, pour ce que chacun vit ou a vécu. Les techniques utilisées dans les groupes sont basées sur celles qui ont été développées depuis des siècles par des personnes essentiellement dédiées à la guérison ou à la réorganisation de situations, tant individuelles que sociales, méthodes dans lesquelles l’influence des états de conscience changeants est primordiale. Nous parlons ici des techniques utilisées par les chamanes et les guérisseurs traditionnels, mais aussi de l’ensemble des connaissances développées par les théories et la pratique de l’hypnose clinique et de certaines écoles de psychothérapie où le corps et la spatialité prennent une importance particulière. Bien que des explications très différentes soient données, enracinées dans la culture dans laquelle ces performances sont développées, ce qui est toujours promu, de manière plus ou moins explicite et consciente, est un désalignement de la manière de voir les événements qui entourent la personne ou le groupe, ou même de se percevoir soimême ou les autres, permettant à ce mouvement mental une réévaluation de la situation et des comportements réalisables dans une telle situation. C’est-à-dire que

quelqu’un piégé dans un moment personnel et social qui produit un malaise trouve une possibilité de réponse qui le fait évoluer d’une autre manière et changer sa situation de vie et sa perception de celle-ci. La flexibilité de nos groupes nous permet d’utiliser différents outils d’action qui maintiennent un processus permanent d’induction dans lequel les individus, et le groupe lui-même, passent par différents moments où se développent diverses scènes qui tendent à l’ouverture de la pensée et de l’action et à la considération de nouvelles alternatives à notre propre souffrance et à notre façon d’être dans le monde, voire à repenser une notion stéréotypée de la réalité qui peut rendre notre propre existence plus compliquée qu’elle ne l’est déjà en elle-même. Le rôle du thérapeute est très actif, car il doit toujours être attentif à l’évolution du groupe, au matériel qui est présenté à partir des différents niveaux de communication impliqués dans une situation collective. Nous pourrions dire que sa tâche principale est d’ouvrir constamment de nouvelles possibilités de communication interne et relationnelle, d’augmenter le champ perçu sur un problème particulier, sur les différentes significations que peut avoir ce qui est apporté sur la scène, à la séance thérapeutique. Si j’utilise des mots faisant référence au théâtre, c’est parce qu’il me semble être une image très éclairante de ce qui se passe dans l’espace mental du sujet, mais aussi dans le groupe, de la projection à de nombreux moments de situations internes récurrentes. Comme l’a expliqué C.  Tart, l’état de conscience est «  tout ce qui se trouve dans l’esprit d’une personne à un moment donné. Un moment dynamique ou une configuration de structures psychologiques  ». Cette configuration est créée par l’émergence et l’interaction de divers éléments qui entrent et sortent continuellement de la scène de la conscience et influencent, comme un verre coloré ou un prisme de cristal, la vision et l’interprétation de ce qui nous entoure et de ce que nous plaçons à l’intérieur du moi. Ces éléments-personnages s’influencent mutuellement et sont hiérarchisés en fonction de la présence et de l’importance qu’ils conservent temporairement dans la scène. Si nous détectons de tels éléments, il nous sera plus facile de les manipuler, de savoir comment ils entrent ou sortent de la scène, voire de les inviter à agir ou à se taire à un moment donné. De cette façon, nous pourrons mieux les connaître et augmenter ou diminuer leur influence sur notre propre perception ou celle de notre environnement. Le thérapeute, lui aussi, doit entrer dans un état similaire à celui dans lequel sont invités les autres membres du groupe : ainsi, on bouge, on s’assied, on se lève, on écoute sa propre spontanéité, tout en adaptant ce que l’on dit à la fonction thérapeutique et soignante, qui doit toujours être là. Ainsi, sa propre perception des situations qui se présentent devient plus ouverte et la capacité de prendre en compte les différents niveaux de communication verbale, corporelle et spatiale augmente. Je pense que la limite de temps est essentielle : les participants doivent savoir qu’elle commence à une certaine heure et se termine ponctuellement. Cela fournit un cadre concret dans lequel toute l’action va se dérouler, ce qui devient un élément conteneur du cadre du groupe. Si nous ajoutons à cela la consigne d’attendre que la personne qui s’exprime ait terminé avant qu’une autre personne ne participe, nous nous retrouvons avec les deux prémisses qui constitueraient les principaux axes de délimitation de ce cadre.

Parfois, au sein de la dynamique émergente, le groupe peut être divisé en sousgroupes qui fonctionnent de manière autonome pendant un certain temps. Par exemple, deux personnes vont se féliciter mutuellement dans un chat sous le regard plus passif des autres et cela continue plus à cause de l’intérêt particulier des deux que du collectif. C’est intéressant et nous pouvons séparer ces deux sujets pour qu’ils puissent continuer, pendant que les autres traitent d’un autre sujet parallèle. Il est même possible de faire un certain transfert et que le petit groupe de deux soit rejoint par quelqu’un qui a montré un certain intérêt ou dont nous pensons, en tant que thérapeutes, qu’il pourrait y apporter quelque chose. Généralement, nous retournons ensuite dans le grand groupe, où la situation qui s’est présentée peut être expliquée si nécessaire. Je compare le fonctionnement divisé du groupe à des situations mentales où les processus de pensée et d’émotion se produisent simultanément de manière dissociée et s’influencent en même temps les uns les autres vers le « résultat final » de la conscience vécue. La prise en compte de ces processus parallèles est aussi une manière d’accepter les parties cachées du mental que nous pouvons à peine reconnaître mais qui suscitent à leur tour nos sentiments et comportements extérieurs. Ce ne sont là que quelques-unes des réflexions qui peuvent découler de notre travail continu avec nos groupes et des cadres théoriques sur lesquels s’appuient nos façons de faire en tant que thérapeutes. Cela pourrait continuer sans fin, et chaque jour, d’ailleurs, nous trouvons plus de références qui augmentent les possibilités de travailler avec ces groupes. Cette démarche est facilitée par le cadre même que nous avons élaboré. Depuis septembre 2011, date à laquelle il a débuté, des centaines de séances ont été réalisées, en petits, moyens et grands groupes, traitant diverses pathologies ou dans des contextes de formation. Mais une chose que nous voudrions souligner, avant de conclure, c’est l’importance théorique et pratique du concept d’attention  : ce sur quoi l’attention est focalisée, où elle est dirigée, d’où elle est détournée, ce sur quoi la personne qui agit en tant que participant se concentre, ce à quoi le thérapeute fait attention. L’attention éclaire ou ombrage les personnages et les parties de la scène, met en valeur ou clarifie, donne ou fait taire. Déterminer le point d’attention et l’apercevoir est une tâche essentielle du thérapeute et guide l’important processus psychothérapeutique suivi par un groupe de personnes réunies dans un temps et un espace vitaux. »

Spécificités : pistes thérapeutiques en lien avec la crise spirituelle «  Les urgences spirituelles sont des étapes critiques et difficiles à vivre d’une profonde transformation psychologique qui implique l’être tout entier. Elles prennent la forme d’états de conscience non ordinaires et impliquent des émotions intenses, des visions et autres changements sensoriels, des pensées inhabituelles, ainsi que diverses manifestations physiques. Ces épisodes s’articulent souvent autour de thèmes spirituels  ; ils comprennent des séquences de mort et de renaissance

psychologiques, des expériences qui semblent être des souvenirs de vies antérieures, des sentiments d’unité avec l’univers, des rencontres avec divers êtres mythologiques et d’autres motifs similaires. » (Grof et Grof, 1989.)

Rappelons (à la suite de notre chapitre sur la spiritualité dans cet ouvrage) que les expériences mystiques sont très habituellement pathologisées  : épisode psychotique, dysfonctionnement du lobe temporal, «  métapathologies  » (Maslow/Wilber), «  théopathies  » (James), etc. Les états mystiques

Ces états peuvent être spontanés ou associés à des dispositifs (comme une pratique méditative). Dans ces moments, une dissolution de l’Ego est souvent rapportée dans un contexte positif (émotion de joie, d’excitation), avec un vécu de fusion avec l’espace extérieur, un ressenti de transcendance, et de sacralité. Ces états se retrouvent dans des contextes divers : spontané (rare), psychopathologique (hystérie, notamment), vécu de mort imminente, expérience transcendantale, consommations de drogues psychédéliques10, hypnose chez les sujets les plus sensibles (Cardeña, 2005).

Les psychologues transpersonnels ont particulièrement travaillé cette question, en partant de la proximité entre symptômes psychotiques et expériences spirituelles. Les premières sont comprises comme un signe de l’impossibilité d’un sujet à dépasser les limites de son Ego pour son développement. Mais globalement, les expériences mystiques restent peu sensibles à la psychopathologie et sont même plutôt perçues comme des facteurs de croissance individuelle (Wulff, 2000), sauf s’il existe de façon préalable une certaine fragilité du Moi. Pour autant, Assagioli (1989) fait le lien entre des expériences trop intenses lors d’expériences spirituelles et les troubles possibles. Aussi, confrontés à parfois la difficulté à distinguer le normal et le pathologique dans ces affaires, Menezes et Moreira-Almeida (2010) proposent sept critères qui en fait pourraient être utilisés bien au-delà du souhait de distinguer expérience mystique et épisode psychotique  : absence de souffrance psychologiques, absence de problèmes sociaux/professionnels, expérience de courte durée, la personne

peut en évaluer le caractère inhabituel, contrôle de l’expérience, résultats positifs (personnels ou sociaux), pas de comorbidité psychiatrique. Les étapes de Hastings : comment aider une personne qui a peur de devenir folle ?

La peur de devenir fou est un vécu classique associé à ces états. Comment encadrer cela ? Hastings y répond (1983) : « L’objectif de ce conseil, à des fins thérapeutiques, plutôt qu’à des fins de recherche uniquement, devrait être d’aider la personne à faire l’expérience de l’équilibre, de l’intégration et du jugement concernant une expérience parapsychologique apparente ou authentique. » Il propose les étapes suivantes : 1. Demandez à la personne de décrire l’expérience ou les événements. 2. Écoutez pleinement et attentivement, sans juger. 3. Rassurez la personne sur le fait qu’elle n’est pas « folle » ou « démente ». 4. Identifiez ou étiquetez le type d’événement. 5. Donnez des informations sur ce que l’on sait de ce type d’événement. 6. Lorsque cela est possible, développez des tests de réalité pour découvrir si l’événement est authentique ou s’il existe des explications alternatives non psychiques. 7. Traitez les réactions psychologiques qui résultent de l’expérience.

Conclusion Les liens entre les ECM, les transes et la psychopathologie ne sont pas ceux que l’on pourrait croire de prime abord. Certes, des symptômes sont communs, comme des lettres similaires  ; mais ils composent des mots souvent proches mais le plus souvent différents entre normal et pathologique. Nous avons présenté des critères de distinction proposés par différents auteurs et aussi proposés d’autres pistes. Ajoutons en un dernier  : dans un processus normal, même lorsque les hallucinations sont intenses, le processus délirant ne suit pas. Autrement dit, il n’y a pas de discours construit à partir des seules expériences hors normes qui modifieraient progressivement le rapport au monde du patient sans que la réalité objective ne soit aussi considérée. Ce qui subsiste est un discours à partir du vécu, de l’expérience d’ECM, qui est rejoint

par le schéma mental qui va l’intégrer sans que cet épisode ne devienne le noyau autour duquel le reste du monde du patient va s’organiser sans autre considération. Sinon en effet, le discours pathologisant serait effectif.

Notes 1. Nous ne disons pas que ces diagnostics sont de l’hystérie. Mais –  pour le dire rapidement – que les personnes avec des manifestations hystériques ont été « chassées » des consultations psychopathologiques (prise en charge compliquée, tableaux historiques non retrouvés…) et que, pour trouver du soutien thérapeutique, elles ont « migré » vers des lieux où les diagnostics étaient alors mal définis, ou comportant des résonances avec leur problématique. 2. Autrement appelée pibloko ou pibloktoq. 3. Il s’agit d’une démarche menée par un psychologue clinicien. Le possible diagnostic final n’est pas l’unique objectif. Le psychodiagnostic établit l’histoire des manifestations au regard aussi de l’histoire du sujet, décrit les signes selon leurs caractéristiques propres et le vécu de la personne, et pose la question de la fonction et du sens des manifestations au regard d’un contexte et de dimensions de la personnalité (identité, besoins psychologiques, vie émotionnelle, aptitudes cognitives, mécanismes adaptatifs et de réajustement, etc.). Ce travail (entretiens et éventuellement tests et échelles) permet une approche qualitative qui mène lorsque cela est requis à un diagnostic différentiel (ce que cela pourrait être en termes de mouvement psychique  ; valence normale, à risque ou pathologique…) et si nécessaire à des préconisations d’axe de travail psychothérapeutique. 4. Certes des notions comme la pulsion existent en psychanalyse qui semblent à l’articulation entre deux. Mais précisément, elles sont « entre deux » : psychisme et soma. 5. Nous le disons d’autant plus volontiers que nous avons participé à l’ouvrage de Fabrice Papillon et Héloïse Rambert ! (Éditions Tallandier, 2014). 6. Chez Actes Sud. 7. Même si parfois on lit des termes comme « neuro-phénoménologie » qui de fait scinde quelque chose de l’ordre du corps (la neurologie) et quelque chose de l’ordre de la pensée, de la philosophie, de l’esprit (la phénoménologie. On n’en sort pas ! 8. Les émotions sont pour Damasio des programmes d’action qui se déploient (molécules dans le cerveau, actions musculaires…). Les sentiments sont les expériences mentales de ces actions organiques.

9. Texte constitué et traduit à partir d’une conférence donnée en 2018 au symposium de la « Sociedad Española de Psicoterapia y Técnicas de Grupo ». Le texte est disponible dans sa version intégrale ici  : https://urlz.fr/kT30. Un prolongement avec illustrations cliniques peut se retrouver dans le n° 23 de la Revue de l’hypnose et de la santé (Dunod). 10. Dans une étude à deux temps de Griffiths et  al. (2006, 2008), la majorité des participants sous psilocybine vivaient une expérience qu’ils qualifiaient de comme étant l’une des cinq expériences les plus significatives de leur vie.

Chapitre 27 États de conscience modifiés, transes et intuitions

Léo Robiou du Pont – Antoine Bioy Les états de conscience modifiés, et notamment les transes, sont régulièrement mis en lien avec des phénomènes qui sortent de l’ordinaire, et l’intuition n’échappe pas à cette association. Après un premier temps de clarification, nous explorerons comment ces états particuliers participent aux phénomènes intuitifs.

L’intuition : un nécessaire besoin de clarification Dans ce chapitre, nous partons d’une définition phénoménologique, où l’intuition est décrite comme le fait que «  la personne sait simplement quelque chose qu’elle doit savoir sans savoir comment elle le sait  » (Vaughan, 1979, p.  66). Selon le CNRTL1, l’intuition renvoie à l’« action de contempler », la « connaissance immédiate » et le « pressentiment qui nous fait deviner ce qui est ou doit être ». Ce terme vient du latin intuitio, compris dans le sens de «  vue, regard  », lui-même dérivé de intueri qui désigne «  regarder attentivement  ; avoir la pensée fixée sur  ». Dès son origine, ce concept semble renvoyer avant tout à quelque chose qui est de l’ordre du perceptif, du sensoriel, mais également à ce qui est de la connaissance, du savoir. De nombreuses définitions de l’intuition existent et nous n’allons pas toutes les détailler, puisque déjà en 2011, Brien et  al. en recensaient 74 différentes. D’ailleurs, cette

pluralité de perspectives sur le phénomène n’a pu qu’augmenter, puisqu’entre 2012 et 2022, le nombre de publications sur le sujet a presque doublé (plus de 15  000) par rapport à la période allant de 1938 à 2011 (recherche réalisée sur la plateforme PubMed, avec comme critères de recenser les publications avec les termes «  intuition  » ou «  intuitive  » dans le titre ou le résumé de l’article). Ces nombreuses visions nous montrent à quel point il s’agit d’un concept complexe, mais ô combien fascinant. Aujourd’hui, dans la littérature spécialisée, ce «  savoir, sans savoir comment nous savons » est compris de deux façons différentes (Sinclair, 2011) : 1. une perspective cognitive, où dans la majorité des théorisations, l’information intuitive est le fruit d’un raisonnement qui se ferait hors de la conscience (nous l’appellerons l’intuition cognitive)  ; 2. une perspective non  locale, qui s’inscrit dans le champ de la parapsychologie et des études sur les phénomènes psi, où l’intuition est la perception d’une information reçue d’une source extérieure, sans aucun traitement de l’information (nous l’appellerons l’intuition non locale).

L’intuition cognitive

Lorsque l’intuition est étudiée dans le paradigme cognitiviste, cela se fait majoritairement dans le cadre des théories du double processus (pour une discussion de ces théories, voir Melnikoff et Bargh, 2018). Les théories du double processus postulent l’idée qu’il y aurait deux systèmes dans le raisonnement qui sont indépendants (Pretz et al., 2014)  : un système intuitif et un système analytique (ces théories peuvent donner lieu à différentes dénominations  : système  1 et système  2  ; expérientiel et rationnel  ; tacite et délibéré,  etc.). Le système intuitif se démarque par son traitement holistique, implicite, automatique, affectif et inconscient. Alors que le système analytique s’étaye sur un traitement analytique, explicite, laborieux et conscient (Pretz et al., 2014). Dans cette perspective, l’intuition cognitive peut

se définir comme «  un sentiment de connaissance basé sur un traitement inconscient de l’information  » (Epstein, 2010, p.  296). Et comme tout traitement de l’information, qu’il soit conscient ou non conscient, celui-ci peut mener à des conclusions erronées. Les termes utilisés pour décrire les mécanismes cognitifs menant aux intuitions cognitives sont parfois très différents d’une publication à l’autre, même si les auteurs s’accordent pour considérer ce processus comme une mise en relation d’éléments et d’informations, qui amène à une cohérence (Raidl et Lubart, 2001). Aujourd’hui, et si nous souhaitons résumer les différentes dénominations de ces processus, la littérature spécialisée s’accorde sur une distinction entre intuition inférentielle et intuition holistique (Pretz, 2011).

L’intuition inférentielle, aussi appelée intuition «  experte  », est à comprendre comme une analyse figée dans l’habitude. C’est une forme d’expertise où l’individu, par son expérience dans une tâche spécifique, va pouvoir activer de manière automatique une trace mnésique, un schème stocké en mémoire qui a été consolidé de manière forte grâce à son expérience (Pretz et  al., 2014). Une illustration de ce type d’intuition est celle du médecin qui diagnostique d’un coup d’œil la maladie dont est victime son patient, dès que celui-ci entre dans son bureau. Cette intuition renvoie à la question des heuristiques, notamment popularisées par l’ouvrage à succès de Kahneman (2012), qui nous rappelle toutes les limites à utiliser ce style d’intuition sans prendre les précautions nécessaires. L’intuition holistique, elle, est comme une vision globale, permettant d’appréhender que le tout est plus que la somme des parties (Pretz et  al., 2014). Elle peut se comprendre comme une forme d’expression de créativité où le nombre d’informations et la complexité des relations entre celles-ci empêchent une réflexion consciente séquentielle, et passe plutôt par une intégration dans une forme globale (Pretz, 2011). Il est intéressant de faire un détour par la théorie de la pensée inconsciente (Unconscious Thought Theory ;

Dijksterhuis et Nordgren, 2006) pour favoriser sa compréhension. Ce modèle postule l’idée que la prise de décision face à un problème complexe est favorisée si l’individu se laisse un temps d’incubation avant de donner sa réponse. Selon les auteurs, si cela est possible, c’est notamment parce que la pensée inconsciente fonctionne selon un principe ascendant («  bottom-up  »), c’est-à-dire qui part de l’information perçue pour arriver au résultat, et non des connaissances et des attentes, comme cela est le cas dans le traitement descendant («  top-down  »). Une illustration de ce type d’intuition est celle de la résolution d’un théorème très complexe par un scientifique qui s’écrie « Eurêka ! » alors même qu’il n’a pas les étapes qui l’ont amené à trouver la solution.

La recherche à propos de l’intuition cognitive semble trouver un consensus dans l’idée qu’elle est basée sur l’apprentissage et l’expérience (Epstein, 2010). La qualité de l’intuition cognitive serait donc en lien direct avec l’expertise développée par l’individu à propos de la thématique de son intuition, expertise qui se doit d’être basée sur des connaissances actualisées, au risque d’avoir de mauvais jugements intuitifs. Basé sur une synthèse de différentes recherches, Pretz (2011) propose un modèle en forme de  U pour résumer à quel moment il est approprié d’utiliser l’analyse par rapport à l’intuition cognitive, et quelle intuition favoriser, s’il s’agit du processus de raisonnement le plus adapté (figure ci-après).

Figure  1.    L’intuition inférentielle et holistique en fonction de la complexité de la tâche et du niveau d’expérience (Pretz, 2011, p. 25) Dans cette conceptualisation, la stratégie à utiliser (entre l’analyse, l’intuition inférentielle et l’intuition holistique) va dépendre de la complexité de la tâche (complexité qui sera dépendante de l’expérience de l’individu). Lorsque la tâche est plutôt «  simple  », c’est l’intuition inférentielle qui est à favoriser. Face à une complexité intermédiaire, c’est l’analyse qui permettra d’arriver au résultat de façon adéquate. Quand la tâche est très complexe, c’est l’intuition holistique qui sera la plus appropriée. Également, comme le rappel Kahneman (2012), il est important de vérifier l’information intuitive consciemment avant de l’utiliser. Autrement, le risque serait de tomber dans des biais de raisonnement. Enfin, nous y reviendrons plus en détail après, il semblerait que certains états de conscience modifiés favorisent l’utilisation de l’intuition cognitive.

L’intuition non locale

L’intuition non  locale peut se définir comme «  un mode de connaissance par “appréhension immédiate”, c’est-à-dire sans les contraintes habituelles de l’espace ou du temps, et sans l’intermédiaire des sens ordinaires  » (Radin, 2011, p.  183). Cette définition sous-tend l’idée que cette intuition serait la conséquence de la réception d’informations « préemballées » reçues d’un quelque part, plutôt que le résultat d’un traitement de l’information qui se fait hors du champ de la conscience (Sinclair, 2011). Dans cette perspective, l’intuition est en fait un mot générique, qui fait référence aux perceptions psi, aussi appelées perceptions extrasensorielles, comme la télépathie (communiquer d’une conscience à l’autre), la clairvoyance (percevoir à distance), et la précognition (voir dans l’avenir). Bien souvent, les hypothèses qui cherchent à comprendre ce phénomène sont basées sur la science quantique (Radin, 2011), même si celles-ci sont loin de faire consensus dans la communauté scientifique, d’autant que la certitude sur l’existence de l’intuition non locale est elle-même un débat (Stokes, 2015).

Malgré ces désaccords précédemment cités, certains chercheurs ont développé des théories qui cherchent à expliciter comment ce phénomène s’intègre au fonctionnement psychologique ordinaire de l’individu. C’est ainsi qu’ils décrivent plusieurs caractéristiques centrales de l’intuition non  locale (Stanford, 2015). Les auteurs qui travaillent dans ce sens en sont arrivés à l’idée que cette capacité d’intuition non locale serait commune à tous les organismes vivants, et non le fait de quelques entités spéciales. Elle se déploierait avant tout au niveau des processus non conscients, et aurait une influence sur l’expérience, les actions, et l’individu lui-même, de façon analogue aux effets que peuvent avoir les perceptions subliminales ou la mémoire procédurale sur les processus psychologiques. Ainsi une intuition non  locale atteindrait d’abord le fonctionnement non conscient, et aboutirait à l’activation d’une multitude de réseaux, où les données qui en ressortent seraient, souvent, fragmentées et

métaphoriques par rapport à l’information initiale. À  cela s’ajoute l’influence des processus émotionnels et physiologiques, puisque les décisions qui découlent de cette l’intuition non locale se ferait selon les lois comportementales d’approche et d’évitement connues. Ceci ne permettrait donc pas, à chaque fois, de capter l’information intuitive pour l’utiliser à bon escient, puisque l’utilisation de cette information issue de l’intuition non  locale serait soumise à de nombreuses influences (Stanford, 2015). En résumé, ces théories nous invitent à considérer qu’elle n’est en aucun cas exceptionnelle, mais plutôt une fonction normale, essentiellement inconsciente, qui aide l’organisme à s’adapter et à atteindre ses aspirations personnelles, même si comme tout processus vivant, elle possède des failles qui peuvent amener à l’erreur (Cardeña, 2018).

Champion et Couval (2018) développent également une approche intéressante en considérant l’intuition non  locale comme le résultat d’un processus de perception qui suivrait différentes étapes : ● le fait de poser l’intention consciente et précise d’entrer en contact intuitif avec l’objet que nous explorons ; ● l’exploration sensorielle : décrire les sensations qui viennent ; ● l’exploration spatiale  : dessiner, sur un mode automatique, des croquis intuitifs ; ● l’exploration conceptuelle  : décrire avec plus de détails et de spécificités l’objet de l’intuition. Au fil des étapes 2, 3 et 4, la personne va pouvoir se questionner en utilisant la formule «  c’est comment  ?  » afin de rester le plus descriptif possible. Selon ces auteurs, l’intuition non  locale s’exprimerait d’autant plus facilement que la personne n’a aucune information à propos de ce qu’elle explore. En effet, il semblerait que plus la personne en sait, plus son intuition non  locale a le risque d’être «  brouillée  » par des interprétations, des émotions et des opinions. Enfin, et nous y reviendrons plus en détail juste après, c’est également une des raisons pour lesquelles le fait de pratiquer

une discipline en lien avec les états de conscience modifiés est un atout dans l’utilisation de cette intuition.

Les états de conscience modifiés comme un facilitateur d’accès aux processus non conscients

Comme nous l’avons répété au fil de ce chapitre, l’intuition est régulièrement mise en lien avec les états de conscience modifiés, et notamment les transes. Par exemple, Evrard (2022) nous rappelle qu’historiquement la profondeur de l’état d’hypnose était mesurée par la capacité à vivre des expériences d’intuitions non  locales. Également, le cas singulier du psychiatre américain Milton Hyland Erickson (1901-1980) est un bon exemple de cette association entre transe et intuition. Selon Havens (1988), la pertinence de ses stratégies psychothérapeutiques pouvait amener ses observateurs à lui donner des pouvoirs mystiques. L’auteur propose que la compétence d’Erickson à vivre et utiliser l’état d’auto-hypnose soit un des facteurs qui lui a permis d’être aussi intuitif, et donc adapté aux besoins des patients.

Dans une perspective phénoménologique, il est essentiel de faire référence à l’étude réalisée par Petitmengin (2001). Dans celle-ci, l’auteure s’est entretenue avec des personnes de professions différentes (psychothérapeutes, scientifiques, artistes, tout-venant), et a cherché à décrire ce qu’elle nomme « l’expérience intuitive » en partant de leurs récits et de leurs vécus dans ces moments intuitifs. Elle ne fait donc pas de différence entre intuition cognitive et intuition non  locale, puisque ce n’est pas son sujet d’intérêt. Il ressort de cette étude que l’expérience intuitive possède des similarités chez les individus, similarités qui permettent la modélisation d’une structure générique constituée d’une succession de quatre phases,

suscitées par des « gestes intérieurs » (fait intéressant par rapport à notre propos, ces gestes font tous référence à des états de conscience modifiés) : ● phase de lâcher-prise (lorsque l’individu modifie son état de conscience vigilant habituel, par exemple avec un travail d’ancrage ou de respiration) ; ● phase de connexion (lorsque l’individu pose l’intention consciente d’accéder à l’intuition) ; ● phase d’écoute (lorsque l’individu accueille l’intuition en se centrant sur soi) ; ● phase d’intuition (lorsque l’individu est en contact avec l’intuition, par exemple sous des formes auditives ou visuelles). Dans son analyse, l’auteure ajoute d’autres gestes, qui ne se retrouvent pas dans la majorité des entretiens, mais qui sont également décrits par certains des participants  : geste de transformation (qui permet de traduire l’intuition en quelque chose d’intelligible)  ; geste d’authentification (pour s’assurer de la qualité de l’information)  ; geste de protection. Dans ces descriptions, un accent très fort est mis sur la question du corporel et l’auteure souligne que l’intuition est une expérience qui mobilise l’être dans son entièreté, dans sa dimension intellectuelle, comme dans ses dimensions sensorielle et émotionnelle. L’état intuitif serait, en luimême, un état de conscience modifié. Elle ajoute que le caractère d’immédiateté de l’intuition n’est pas obligatoire, et à l’inverse, il s’agit bien souvent d’une information qui apparaît à la conscience, et par le corps, après un long processus de maturation. Cette recherche phénoménologique donne des informations essentielles pour comprendre cette expérience  : l’intuition est en fait toujours là en nous, les « gestes intérieurs » ne sont qu’un moyen de favoriser sa prise de conscience.

Dans le cas de l’intuition cognitive, Dane (2011) suggère que l’état psychologique obtenu par la pratique de la méditation de pleine

conscience permet à l’individu d’avoir un accès plus fluide et explicite aux processus psychologiques non  conscients, et à leurs résultats (dans la perspective de cet auteur, l’intuition cognitive quitte donc la stricte définition donnée en début de chapitre et englobe également l’ensemble des processus psychologiques non conscients). Cela est rendu possible par l’attention maintenue et centrée sur l’instant présent, qui met à distance le bruit mental (par exemple, les préoccupations et ruminations à propos du passé ou de l’avenir), et qui favorise le contact avec les phénomènes intrapsychiques. Pour expliciter ce rôle bénéfique, l’auteur nous rappelle que nous avons l’illusion de penser nos intuitions comme évidentes et toutes conscientes, puisque nous n’avons accès qu’à celles dont nous avons conscience. Cependant, comme le développe Kahneman (2012), le système intuitif est l’acteur principal dans le théâtre de notre vie psychologique, et fort heureusement, notamment pour des questions de fatigue cognitive, nous n’avons accès qu’à une partie de ce fonctionnement non  conscient. Dane (2011), en différenciant l’attention (plus précisément, les ressources attentionnelles) et la conscience (c’est-à-dire le fait d’être dans un processus psychologique conscient ou non conscient), évoque l’idée que nous pouvons différencier : ● les intuitions conscientes et pertinentes  : l’intuition est utilisée consciemment dans le contexte, car elle est utile et adaptée à celui-ci. Par exemple, prendre conscience d’une hypothèse clinique sans savoir comment je sais, la proposer à un patient pour le travail thérapeutique, et que celle-ci soit adaptée et pertinente ; ● les intuitions non surveillées : l’intuition va venir à la conscience, mais elle ne sera pas prise en compte, car elle n’est pas pertinente dans le contexte dans lequel elle apparaît. Par exemple, prendre conscience d’une hypothèse clinique, mais la laisser de côté plutôt que de la proposer, car elle ne me paraît pas adaptée, ou parce que nous sommes en train de travailler sur autre chose ;



les intuitions invisibles  : l’intuition va mobiliser des ressources attentionnelles, mais à un niveau non conscient, elle peut être le résultat d’une intuition non surveillée qui serait devenue invisible, ou simplement de quelque chose qui n’a pas été conscientisé, comme un effet d’amorçage. Par exemple, je pose un ensemble de questions atour d’une même hypothèse clinique, sans en avoir l’intention puisque je ne l’ai pas conscientisée.

Selon cet auteur, en fonction du contexte, l’intuition peut naviguer entre ces différentes dispositions et l’état de pleine conscience permet de rendre l’intuition consciente pour pouvoir, si elle est utile, la prendre en compte dans nos prises de décision. Le risque étant double si ce travail n’est pas réalisé. D’abord, que l’information utile disparaisse si elle n’est pas saisie suffisamment rapidement. Nous parlerons alors d’intuition éteinte. Mais également qu’une information erronée (comme dans un biais) traitée non consciemment amène à de mauvaises décisions (notamment dans les cas d’intuitions invisibles). Ainsi l’état de pleine conscience est un outil utile qui permet une mise en avant des processus non  conscients, afin de pouvoir les approuver ou les rejeter.

Comme l’ouvrage de Radin (2014) le souligne en se centrant spécifiquement sur le yoga, lorsqu’il est question de l’intuition comme l’expression de perceptions extrasensorielles, celle-ci est fortement associée à la question de la transe. Dans la recherche expérimentale sur ce type de perception, l’un des protocoles les plus utilisés se nomme le Ganzfeld – ou « champ total » (Radin, 2014). Il consiste, tout en proposant des expérimentations qui testent l’intuition non  locale, à restreindre au maximum le champ sensoriel afin que l’individu se retrouve dans un état proche de l’état hypnagogique (entre l’éveil et le sommeil). Plus spécifiquement, il est proposé au sujet de se détendre assit sur un fauteuil, tout en même temps qu’il écoute un casque qui diffuse un bruit blanc, et que

des demi-balles de ping-pong sont posées sur ses yeux comme des lunettes. Une lumière rouge est orientée vers le visage du sujet et il lui est demandé de garder les yeux ouverts, si bien qu’après une quinzaine de minutes le sujet n’aura plus la capacité de déterminer si ses yeux sont ouverts et fermés et sera dans un état de conscience agréable (Radin, 2014). C’est l’une des méthodologies de recherche qui a donné le plus de résultats en faveur de l’intuition non  locale (Cardeña, 2018), et cela s’expliquerait par le fait que le Ganzfeld favorise un état de conscience modifié qui possède les caractéristiques propices pour saisir ces intuitions. Ces caractéristiques, décrites dans la théorie de la « réduction du bruit » (Cardeña et Marcusson-Clavertz, 2015), sont les suivantes  : un niveau d’éveil suffisant pour une prise de conscience ; une relaxation musculaire  ; une réduction des stimulations extéroceptives  ; une attention portée aux processus internes. À  cela s’ajoute le fait que les états de conscience modifiés peuvent diminuer la pensée critique et stimuler le sentiment d’interconnexion (Cardeña, 2018), des éléments qui seraient propices pour saisir des informations qui pourraient être plus facilement ignorées ou rejetées dans un état de conscience plus ordinaire. C’est ainsi que les états de conscience modifiés permettraient de mettre en exergue les informations inconscientes psi qui étaient jusqu’alors perdues dans la masse des informations sensorielles et conscientes. Il est intéressant de noter comment cette explication se rapproche de celle fournie par Dane (2011) concernant le rôle bénéfique de l’état méditatif pour saisir les intuitions cognitives. Cela n’est en aucun cas étonnant puisque, comme le rappelle Stanford (2015), l’intuition non  locale est réceptionnée avant tout au niveau du fonctionnement non conscient de l’individu.

Conclusion En partant d’une vision ouverte de l’intuition comme le fait de «  savoir, sans savoir comment nous savons  », nous avons pu voir comment ce phénomène est éminemment plus complexe que la

représentation vulgarisée que nous pouvons en avoir. Cette complexité vient du fait que différentes perspectives théoriques cherchent à expliquer ce qu’est l’intuition, et que ces différentes visions du phénomène peuvent être complémentaires, ou opposées (nous n’avons pas développé ce dernier point qui est en lien avec la métaphysique, car celui-ci est trop vaste pour le cadre de ce chapitre). Quoi qu’il en soit, il semble essentiel de se rappeler que même si l’intuition finit par être une expérience cognitive qui s’élabore sous la forme d’un savoir, elle prend sa source dans la perception de l’individu. Elle est issue de l’observation de l’environnement et de soi et se fonde sur la corporalité de la personne. Étonnamment, pour favoriser la bonne utilisation de l’intuition cognitive et de l’intuition non  locale les recommandations les concernant peuvent paraître opposées. Dans le premier cas, l’utilisation de l’intuition est basée sur les informations que l’individu connaît déjà, là où dans le second, c’est le fait d’être « en aveugle » qui sera un atout. Quoi qu’il en soit, afin d’éviter toute « mauvaise » prise de décision, nous précisions qu’il est nécessaire de vérifier, avec son «  système rationnel  », l’information acquise intuitivement avant de l’utiliser. Enfin, la dernière partie de notre chapitre est venue souligner comment les états de conscience modifiés, dont les transes, favorisent un accès aux intuitions. Cela s’explique par le fait que ces temps dédiés et différents de l’état de veille ordinaire permettent de naviguer avec plus de fluidité entre les ressources attentionnelles et la conscience des phénomènes internes (cognitifs, corporels et émotionnels). Comme le souligne Petitmengin (2001), le processus intuitif favorise l’émergence d’un état intuitif, qui, en lui-même, est un état de conscience modifié.

Notes

1. https://www.cnrtl.fr/etymologie/intuition.

Chapitre 28 Intuition non locale et transes

Alexis Champion Dans le chapitre précédent, Léo Robiou Du Pont a présenté l’intuition au sens le plus large et, en particulier, l’intuition qu’il a nommée cognitive, et que l’on pourrait aussi appeler intuition de l’expert. Dans ce chapitre, l’intuition est présentée sous un angle à la fois complémentaire et plus circonscrit, celui de l’intuition hors de tout raisonnement, fût-il inconscient  ; celui de l’intuition dite non  locale, non assujettie à l’espace et au temps.

Définition et manifestation du phénomène intuitif Difficile à saisir, l’intuition est souvent définie par ce qu’elle n’est pas. Comme nous l’apprennent le Robert ou encore le Larousse, l’intuition est une «  connaissance directe immédiate de la vérité, sans recours au raisonnement ». L’intuition est donc définie comme un mode de connaissance indépendant du raisonné, de la logique.

L’intuition fournit donc –  si elle existe bel et bien  – une information pertinente d’emblée, sans recours à l’analyse, que celle-ci soit consciente ou totalement inconsciente. Elle s’élabore donc sans aucune information de départ, tout raisonnement nécessitant des informations préalables pour l’alimenter. D’ailleurs, le Larousse

précise dans sa version la plus récente que l’intuition ne s’appuie pas sur l’expérience acquise, sur le déjà connu. Il est essentiel ici de définir le raisonnement. Notamment parce que la difficulté est de reconnaître l’intuition parmi tout ce que le mental produit comme informations ou connaissances, à commencer par ce qui est raisonné. Le raisonnement est une analyse… Le raisonnement consiste à utiliser sa pensée de manière logique et organisée pour traiter des informations et aboutir à une conclusion, une interprétation, une argumentation ou une explication  ; ceci par déduction (ou induction ou encore abduction). Cet exercice d’analyse repose sur ce qui est déjà connu, sur des informations acquises par nos sens dans l’instant présent ou dans le passé, par l’expérience, l’apprentissage, l’éducation… … et l’intuition est une perception Par définition, l’intuition prend sa source hors analyse. Dès lors, il est possible d’affirmer que l’intuition ne déduit pas, et qu’elle est par conséquent une perception, entièrement nouvelle et fraîche. Cela signifie qu’intuiter est percevoir. C’est faire l’expérience du monde à travers nos ressentis corporels et les idées qui arrivent à notre esprit, hors toute analyse de situation. Et hors tout contact physique direct avec ce qui est intuité, bien évidemment.

Comment être certain que la définition de l’intuition fait sens  ? Autrement dit, comment savoir que l’intuition existe hors de toute production raisonnée d’information  ? Et comment opérer pour que l’usage de l’intuition soit le plus efficace possible ? Pour y répondre, il est nécessaire de se placer dans un cadre de laboratoire et de recherche scientifique.

Aussi, pour être certain qu’il s’agisse d’intuition et la favoriser, il est essentiel de couper notre corps et notre esprit de toute source d’information en rapport avec la ou les nouvelles informations que nous souhaitons intuitivement connaître ou obtenir. Dis autrement  : être en aveugle. C’est-à-dire priver notre intellect de toute information en lien avec la problématique sur laquelle solliciter notre intuition. Si elle existe, l’intuition pourrait donc répondre à des problématiques, à des questions qui ne seraient pas directement énoncées à la personne qui intuite ! Par exemple  : si nous demandons à une personne de décrire un objet (ou un lieu, un événement…) tiré au sort par un ordinateur, et dont elle ne sait rien en amont, et qu’elle décrit bien cet objet, il y a très peu de chances que ce soit le raisonnement qui soit intervenu, car aucune analyse de la situation n’a été possible. Et si cet exercice est répété un certain nombre de fois avec succès, le doute n’est plus permis  : comme le raisonnement n’a pas pu intervenir et que les informations produites par la personne sont justes, il ne peut s’agir que d’intuition. Ce type d’expériences, mené des milliers de fois en laboratoire a généré de nombreuses publications scientifiques dans des revues généralistes prestigieuses et dans des revues spécialisées. L’intuition, en tant que capacité et phénomène, existe donc bien, et elle est d’autant plus performante que l’intuitif est sevré d’information en amont.

Puisque l’intuition s’exprime d’autant mieux à l’aveugle, nous pouvons affirmer qu’elle est potentiellement capable d’obtenir tous types d’informations, sans contrainte de temps ni d’espace. Elle s’inscrit, pour ainsi dire, dans un «  ici et maintenant infini  ». Nos intuitions peuvent donc porter sur des situations passées, présente ou futures, sans distinction fondamentale, que ce soit lors de la manifestation spontanée ou de la convocation consciente du phénomène intuitif.

États de conscience de l’intuition L’intuition est un phénomène implicite de notre vie de tous les jours : elle fait partie de nous et elle est constamment active, alors même que nous n’en avons généralement pas conscience. Toutefois, il est possible de convoquer, de conscientiser et d’utiliser nos intuitions, pour prendre de meilleures décisions et être plus créatifs. Cette démarche volontaire peut s’appuyer sur des phénomènes de transe, voire en générer lors de pratiques intuitives contrôlées.

États de conscience de l’intuition : l’intuition inconsciente

L’ensemble de notre corps peut pressentir des événements sur le point de se produire. Les chercheurs de la Northwestern University (États-Unis) en sont arrivés à cette conclusion après avoir analysé les résultats de vingt-six études publiées entre  1978 et  2010 sur l’anticipation physiologique prédictive. Julia Mossbridge, auteure principale de l’étude –  une méta-analyse  – et chercheuse associée au Laboratoire de Neurosciences et de Perceptions Cognitives de la Northwestern University, montre que nous pouvons parvenir à prévoir l’avenir proche, sans en avoir aucun indice sensoriel. L’intuition n’est, par conséquent, pas produite par le seul cerveau, puisqu’elle semble littéralement s’exprimer via chaque composante de notre corps. Cela est en soi une information majeure  : nos intuitions ne proviennent pas uniquement de l’intérieur de notre crâne ! Et nous pouvons ne pas du tout en avoir conscience.

Une des toutes premières expériences avec mesure de l’activité cérébrale, ici par électroencéphalogramme (EEG), a été réalisée en 1963 par le spécialiste des états non ordinaires de conscience Charles Tart. Dans cette expérience, Tart s’est exposé à de forts

chocs électriques par intermittence et de manière aléatoire, alors que des personnes situées dans un autre bâtiment devaient appuyer sur un bouton quand elles pensaient recevoir un stimulus de manière subliminale. Ces personnes en position de perception intuitive ne savaient pas que la source des éventuels stimuli était Tart lui-même subissant des électrocutions. L’activité EEG de ces personnes a été mesurée et a montré que des réactions cérébrales inconscientes intervenaient aux moments mêmes des chocs que s’infligeait l’expérimentateur. Ce type de protocole, maintes fois reproduit en laboratoire avec diverses variantes, implique que nos cerveaux peuvent entrer en synchronisation avec ce que vit autrui, que nous nous rendions compte ou pas du phénomène.

États de conscience de l’intuition : les protocoles d’ouverture à l’intuition consciente Pour accéder à notre intuition, c’est-à-dire pour en avoir conscience et la solliciter efficacement, nous devons tout d’abord préparer notre terrain intérieur et l’aider à se frayer un chemin à travers le flot incessant de nos ressentis et de nos pensées. Divers protocoles vont s’attacher à répondre à ces divers points. Ainsi, des états de conscience favorisants vont être recherchés et induits en amont de la pratique intuitive, ou s’induire pendant la pratique intuitive.

Des études sur la faisabilité et la pertinence du sommeil et du rêve ont été réalisées au moins à partir des années  1960. Comme synthèse de ces travaux, la publication d’une méta-analyse supervisée par Lance Storm (Storm et  al., 2017) a montré que les sujets obtiennent ostensiblement des informations sur une cible (image, vidéo…) sélectionnée aléatoirement. Les études se divisent en deux catégories  : quatorze études du Maimonides Dream Lab (MDL) et trente-six études indépendantes. Cet ensemble de

données homogène a donné un z moyen de 0,75, avec p = 5,19 × 10-8, suggérant que le contenu du rêve peut être utilisé pour identifier la cible plus souvent que ce à quoi on pourrait s’attendre au hasard. Aucune différence significative n’a été trouvée entre les modes intuitifs (perception au temps présent, précognition…), ou entre les rêves en sommeil paradoxal (REM) ou en sommeil non paradoxal.

Les premières expériences à ce sujet ont été menées en 1970 par Gertrude Schmeidler, de l’université de New  York, qui testa six étudiants néophytes. Leurs performances intuitives ne furent significatives qu’après mise en pratique de la méditation. Dans les années 2000, la psychologue britannique Serena Roney-Dougal alla plus loin en faisant participer cinquante-deux yogis hindous et vingthuit moines tibétains, tous adeptes assidus de la méditation, à des expériences dans des ashrams et des temples. Les résultats de ces études montrent que la relation entre pratique méditative et performance intuitive est réelle. Ces données scientifiques montrent que l’accès à notre intuition est amélioré quand nous prenons le temps de nous centrer et de nous écouter réellement. L’intuition, qui existe continuellement en nous, trouve alors plus facilement l’accès à notre partie consciente. Nous pouvons alors la solliciter de manière plus sûre et dans toute sa richesse d’expression.

Depuis les années 1970 et le chercheur en psychologie américain Charles Honorton, plus d’une dizaine de laboratoires de recherche ont mené des expériences des personnes devant utiliser leur intuition en faisant silence intérieur, ceci dans le but de favoriser une meilleure prise de conscience des ressentis et des pensées intuitives, même en étant complètement novices. Le dispositif ou

protocole mis en œuvre, appelé Ganzfeld («  champ total  » ou « champ sensoriel uniforme », en allemand), permet de mettre une personne en situation de quasi-privation sensorielle : elle se relaxe, se repose dans un fauteuil dans une pièce isolée, on masque ses yeux et elle porte un casque audio diffusant du bruit blanc (fréquences sonores comparables au grésillement que produit une radio réglée entre deux stations). L’intuitif, confortablement assis dans son fauteuil, porte alors son attention sur une problématique cible choisie (un lieu distant, une petite scène vidéo…) dont il ignore tout. Une fois sa description enregistrée, l’intuitif doit alors retrouver la cible qu’il vient de décrire dans un lot de quatre propositions, une seule étant la bonne et les trois autres des leurres. Sur 2  832 sessions ainsi effectuées, les intuitifs ont réussi à identifier leurs bonnes cibles 878 fois, soit dans 31 % des cas au lieu des 25 % théoriques (une chance sur quatre).

De nombreux autres protocoles ont été étudiés depuis le milieu du e xx . Notons principalement les protocoles avec utilisation de substances psychoactives (Narby, 1997 ; Luke, 2015), les protocoles d’hypnose (Ryzl, 1976 ; Stanford, 1994), les protocoles induisant des sorties dites hors-corps (Mitchell, 1973 ; Rogo, 1984), ou encore des protocoles chamaniques (Rock, 2012). Toutes ces techniques ou pratiques ont montré des résultats, plus ou moins significatifs, plus ou moins contraignants pour leur mise en œuvre ou leur pratique  ; mais tous présentent des intérêts. Ils présentent tous toutefois l’inconvénient de nécessiter une préparation en amont de l’usage de l’intuition et/ou de rendre peu aisé l’expression des informations intuitivement perçues.

Un protocole applicatif : le remote viewing Le cas particulier qui nous intéresse ici – car d’une grande précision et finesse protocolaire – est celui du remote viewing. Ce protocole a

été principalement mis au point dans les années  1970 par des physiciens de Stanford (Puthoff et Targ, 1974  ; Puthoff et Targ, 1976), l’anthropologue Stephan Schwartz (Schwartz, 1979  ; Schwartz et Edgerton, 2021) et l’informaticien Jacques Vallée (Vallée, Hastings et Askevold, 1976). Puis il fut développé sur plusieurs décennies, notamment dans le groupe PEAR de l’université de Princeton (Dunne et Jahn, 2007) et au travers du programme de Défense américain Star Gate, déclassifié à partir de 1995. Entre autres applications, le RV est rapidement devenu un outil efficace et non conventionnel de renseignement (Utts, 1995 et 1996  ; May et Marwaha, 2014). Un des intérêts du RV est sa reproductibilité et son caractère opérationnel (Puthoff et Targ, 1974 ; Puthoff et Targ, 1976  ; Jahn et  al., 1987  ; CIA, 2000  ; Utts 2000  ; Storm et  al., 2010). Le protocole du RV est ainsi de plus en plus utilisé de par le monde pour des activités de consulting, comme outil de production d’information d’innovation et d’aide à la décision pour des entreprises et institutionnels (Champion, 2009 ; Katz, 2010). Hormis ces aspects, le protocole du remote viewing est un candidat parfait pour l’étude du phénomène de transe provoquée pour l’utilisation de l’intuition.

Le protocole du remote viewing (RV) permet à quiconque (désigné par la suite d’«  intuitif  ») d’acquérir –  en aveugle  – des éléments d’information répondant à une problématique posée. Lorsque maîtrisé, le RV permet ainsi d’intuitivement acquérir une connaissance fiable –  et objectivable  – sur tout type de problématique «  cible  » (lieu, objet, situation ou événement, personne…). C’est-à-dire de décrire cette cible de façon variée et précise, sans rien en savoir en amont, et ceci sans réelle contrainte quant à la localisation spatiale ou temporelle de ladite cible. Au fil d’une exploration intuitive, le remote viewing ne laisse aucune donnée hors de son champ, puisque tout ce qui est perçu, ressenti, éprouvé ou pensé par l’intuitif est soigneusement enregistré au

moyen de dessins, de mots et de phrases, écrits et prononcés à haute voix. Le RV impose que tout ce qui est vécu soit exprimé et consigné, y compris les interprétations et projections analytiques (souvent erronées), ainsi que les émotions et jugements. Une autre caractéristique majeure du RV est qu’il implique nécessairement, a  posteriori, une objectivation et une analyse systématique aussi complète que possible des données intuitivement produites. Une comparaison doit pouvoir être réalisée entre, d’une part, les informations obtenues lors de l’exploration intuitive et, d’autre part, les connaissances par ailleurs déjà connues ou connaissables de la problématique cible. Le RV n’est par conséquent ni une expérience d’intuition passive, ni une pratique hors de toute réalité factuelle. L’activité mentale de l’intuitif n’est jamais mise en veille. Elle est même sollicitée à chaque instant, l’intuitif devant non seulement se questionner et exprimer ses divers vécus successifs, mais aussi trier tout ce qu’il perçoit pour conscientiser la nature de ces vécus (intuition, émotion, interprétation, gêne…). Ceci notamment pour mettre de côté ce qui n’est pas intuitivement produit. L’intellect de l’intuitif lui sert donc à se questionner, à analyser en temps réel et en continu les informations perçues et les idées parasites ; c’est-à-dire à reconnaître l’intuition pure – l’information non locale – de ce qui ne l’est pas. Ainsi, grâce à une dynamique questions-réponses contrôlée, le « signal » intuitif est séparé du « bruit » raisonné et du « bruit » émotionnel.

Le RV a comme particularité d’impliquer plusieurs phases d’exploration successives, associées à différents types de perceptions. Les étapes fondamentales de la démarche intuitive pour répondre à une problématique donnée (par exemple un lieu ou un événement) sont au nombre de cinq :

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1re étape, la perception sensorielle : l’exploration physique avec tous les sens ; 2e étape, la perception spatiale : l’exploration des formes et des mouvements ; 3e étape, la perception conceptuelle  : l’exploration des actions, de ce que se passe ; 4e étape, la perception temporelle : l’exploration des liens entre les situations successives ; 5e étape, la perception symbolique : La localisation, la datation et la verbalisation des noms propres.

À  mesure que la session progresse, la nature des perceptions évolue, du sensoriel vers le conceptuel, et du détail vers le global. Ces étapes sont identiques à celles que l’enfant met en œuvre dans ses premières années de vie pour développer sa perception et sa compréhension du nouveau monde qui l’entoure. D’une exploration purement physique, il va s’ouvrir petit à petit à des informations plus complexes pour saisir son environnement et y évoluer avec intelligence. L’intuition procède de même, avec un déroulé identique à chaque exploration intuitive.

Les pages suivantes présentent un exemple réel de processus d’exploration intuitive sous protocole de remote viewing. Ici les étapes 1 à 3, pour décrire –  en conditions de double aveugle  – un lieu : le château de Montségur. Cette session intuitive a été menée par Marie-Estelle Couval, alors en apprentissage du RV. À noter que les questions posées ici par l’intuitive sont écrites entre crochets, et que le tri des informations, selon leurs natures, est effectuée suivant trois colonnes  : ce qui lié à l’intuitive, ce qui est par nature de l’intuition, et ce qui relève de l’intellect.

Figure 1.  

Figure 2.  

Figure 3.  

Figure 4.  

Figure 5.  

Figure 6.  Château de Montségur

La dynamique questions-réponses instaurée par une procédure contrôlée de la mise en œuvre de l’intuition réponds à plusieurs objectifs complémentaires. Comme évoqué ci-dessus, le premier objectif est bien évidemment la mobilisation et la conscientisation de perceptions intuitives. Un autre objectif est directement visible est la mise de côté des informations non intuitives. Également, et c’est un autre axe central du protocole, est que celui-ci favorise et génère ce que l’on pourrait métaphoriquement appeler l’ouverture intuitive. Il s’agit de la modification progressive de l’état de conscience pour atteindre un état proche de l’« hyperconscience » (conscience de soi et conscience de la  cible). Ainsi, l’émergence –  par paliers  – d’un état de « flow » est une constante des sessions de remote viewing. Et c’est l’alternance tâche raisonnée (formulation d’une question) / tâche intuitive (perception) / tâche raisonnée (tri de l’information vécue et verbalisation), tout en mobilisant l’intention et le corps en mouvement, qui crée la génération de cette transe et de l’état final associé. Un des effets analysables de ce phénomène est que le signal sur bruit va aller en s’améliorant tout au long de la session intuitive,

jusqu’au stade où le mental projectif n’interviendra plus à tort. Les hypothèses et interprétations cessent. C’est cet instant que l’intuitif, au fil de sa session de pratique, souhaite et va atteindre, pour peu que la démarche d’exploration ait été réalisée avec assiduité et confiance. La suite de l’exploration intuitive est alors un moment de pleine conscience et d’hyper efficience pour ce qui est de la prise de décision et de la créativité. Moment aux effets physiologiquement mesurables et aux vécus caractéristiques.

Activité cérébrale de l’intuition ; le cerveau intuitif Depuis les années 1950, un grand nombre de chercheurs s’intéressant aux facultés de l’esprit humain ont étudié les corrélations entre l’activité neurophysiologique et les capacités intuitives en recourant à des tests de perception non locale. Que ces travaux portent sur la mise en action de l’intuition sur de la prise de décision ou sur de la description de situation ou encore des actes de créativité, ils montrent un effet de l’usage de l’intuition sur le cerveau et, inversement, de l’état cérébral sur la performance intuitive.

Diverses techniques ont été utilisées pour analyser l’activité neuronales de ces sujets pendant les tests intuitifs : l’EEG, l’EEGq, la tomographie à émission de photon ou de positon (SPECT, TEP), l’imagerie par résonance magnétique (Wallwork, 1952  ; Cadoret, 1964 ; Morris et Cohen, 1969 ; Honorton, 1969 ; Stanford et Lovin, 1970 ; Honorton et Carbone, 1971 ; Honorton, Davidson et Bindler, 1971  ; Morris et  al., 1972  ; Maher, 1986  ; Varvoglis et McCarthy, 1986 ; Don, McDonough et Warren, 1992 ; Alexander et al., 1998  ; Bierman et Scholte, 2002 ; Acunzo, Evrard et Rabeyron, 2012). Ces expériences se sont perfectionnées au gré des progrès des techniques et d’une compréhension de plus en plus fine du fonctionnement de l’intuition non locale (Roll et al., 2021).

L’intuition décisionnelle Dans des tests à choix forcé, où un sujet à qui plusieurs options sont proposées doit percevoir intuitivement quelle est la bonne solution, l’exactitude des réponses semblent se voir dans l’activité cérébrale du sujet. On peut voir de façon prédictive cette justesse dans les potentiels évoqués (McDonough, Warren et Don, 1992) et dans un décalage vers les hautes fréquences dans la bande alpha (Stanford et Lovin, 1970). Dans la plupart des études, quand le sujet se concentre avec succès sur une tâche intuitive, ses hémisphères cérébraux gauche et droit montrent des taux de synchronisation élevés. L’intuition descriptive et créatrice Dans ces tests, il est demandé aux sujets de percevoir et décrire des «  cibles  » situées hors de portée de leurs sens – éloignées ou dissimulées, ou dont la nature n’est pas encore connue à l’instant de la tâche (une image sélectionnée aléatoirement par un ordinateur, par exemple). Les sujets peuvent être représentatifs de la population (sans sélection particulière), ou au contraire sélectionnés pour leurs capacités hors norme. Depuis l’existence de technologies pour mesurer et cartographier l’activité cérébrale, plusieurs chercheurs investiguant les perceptions non locales ont observé des corrélations entre des performances élevées lors de tests et une activité cérébrale particulière. Le premier point à avoir été noté, est une activité intense dans la bande alpha (caractéristique, en général, d’un état mental de relaxation). Également, depuis les années 1970, on a cherché à localiser (sans neuro-imagerie) quelles régions du cerveau étaient le plus mobilisées lors de tâches intuitives (Braud, 1975 ; Broughton, 1975 ; Schmeidler,  1976). Le rôle de l’hémisphère droit dans les facultés non  locales est mesuré  ; toutefois son importance est peut-être à relativiser (Alexander et Broughton, 2001). Il paraît surtout que les zones du cerveau impliquées dépendront beaucoup du type de

tâches considéré. Une autre caractéristique fréquemment rapportée, est la synchronisation des aires cérébrales. L’activité neuronale en remote viewing Concernant l’activité cérébrale associée au RV, les quelques recherches publiées ont confirmé certaines tendances déjà observées avec d’autres expériences de perception non  locale (Alexander, 2000), mais aussi quelques spécificités. Michael Persinger est l’un des rares chercheurs à avoir étudié le remote viewing au moyen de l’EEG. Un de ses sujets n’était autre que l’artiste Ingo Swann, co-inventeur avec Puthoff, Targ et Schwartz du RV. Au cours des sessions de Swann, Persinger a observé dans la région occipitale un excès de pics à 7  Hz (ondes thêta) corrélé avec la qualité et l’exactitude des descriptions de la cible (Persinger, 2001). À  l’université de Chicago, Norman Don et ses collègues, pionniers de l’utilisation de l’EEGq pour ce domaine de recherche, ont étudié une pratique proche du remote viewing, en enregistrant l’activité cérébrale de sujets doués pour la perception intuitive non  locale pendant qu’ils décrivaient des photos cachées dans des enveloppes scellées (Warren, McDonough et Don, 1992). Plus récemment, cette équipe a découvert que ce genre de tests intuitifs est corrélée à une activité intense dans la bande gamma (60-200 Hz) ; ces fréquences sont souvent mentionnées dans les recherches sur la schizophrénie, l’épilepsie ou le déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (ADHD). Une autre étude sur seize volontaires faisant un exercice de RV a été réalisée en 2018 au Department for Perceptual Studies de l’université de Virginie (McLaughlin-Walter, 2021). Une autre encore a été faite à l’Institut de Remote Viewing de l’université d’Énergie Médicale, par le docteur Juan Acosta, avec trois intuitifs pratiquant le RV (Surel et al. 2014). En synthétisant ce que les – encore trop peu nombreuses – études neurologiques du RV existantes ont montré à ce jour, il ressort que :

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Quand le sujet se concentre sur la cible, de nombreuses zones du cerveau impliquant les deux hémisphères se synchronisent. La totalité du cerveau semble active, en hyper mode, pratiquant le multi-tâche à une fréquence très élevée. L’activité neuronale d’un intuitif qui décrit avec précision la cible se distingue d’un état de conscience non ordinaire tel qu’un état méditatif favorisant les ondes thêta. Par rapport aux enregistrements de contrôle, on note pendant le RV un plus grand nombre de pics d’amplitudes alpha, de façon bilatérale, dans les régions temporales et frontales. On note une présence plus élevée de pics d’amplitudes bêta dans la région frontale gauche et dans la région temporale droite. Dans certains cas, un haut niveau d’activité bêta a été observé dans le cortex frontal gauche. remote viewing

Transcription de la démarche et du vécu interne lors d’une session de RV par Marie-Estelle Couval : www.iris-ic.com/RVtranseCouval L’auteur remercie Marie-Estelle Couval et Morvan Salez pour leur participation à l’élaboration de ce chapitre.

Focus 29 Un flow de créativité

Antoine Bioy La notion de créativité est un peu l’angle mort des pratiques thérapeutiques : elle est cliniquement revendiquée comme un processus d’importance, alors que, pendant longtemps, ce que recouvrait ce concept était flou et peu étudié scientifiquement. Et cela y compris en hypnose, où l’on parle souvent de la nécessaire créativité du thérapeute, ou encore de réveiller la créativité du patient. La transe semble être impliquée tant dans la notion de créativité thérapeutique que dans d’autres domaines comme les sports ou les arts1.

Être créatif L’aptitude à la créativité est perçue comme universelle, sans que l’on puisse la mettre en lien avec telle ou telle dimension de la personnalité, ou encore avec un critère attenant comme le quotient intellectuel ou émotionnel. Il est évident que des facteurs de personnalité interviennent. Certains pour faciliter la créativité et d’autres pour la freiner. Mais il s’agit plus d’une constellation de signes que d’une dimension précise en lien avec un profil. La confiance en est un facteur facilitant tandis que la crainte des responsabilités est un facteur limitant. Évidemment, un contexte de trop grande spécialisation dans un domaine donné est pénalisant, alors que la curiosité pour d’autres champs que le sien (ce qui ne veut pas dire devenir spécialiste de tout !) est plutôt un élément favorisant. Cette constellation de signes rend la créativité malléable. Au fond, cette aptitude universelle se travaille comme on travaillerait un muscle. En ce sens, un exercice simple consiste à développer la pensée divergente avec les «  entraînements créatifs ». Les entraînement créatifs

Les entraînement créatifs

Ils consistent par exemple à prendre cinq minutes par jour pour se poser une question absurde, et donc qui ne possède pas de réponse «  bonne  » ou «  mauvaise  ». Par exemple  : trouver cinq points communs entre un mille-pattes et un arbre, proposer trois façons d’écrire en bleu avec un stylo à encre verte, donner sept façons de faire cuire un œuf sans ustensile de cuisine, inventer une nouvelle façon de compter sans utiliser de chiffres, proposer dix usages quotidiens du papier toilette hormis celui pour lequel il est habituellement destiné,  etc. Ces entraînements créatifs stimulent l’imagination, le jeu, la pensée divergente, autrement dit… la créativité !

Si la créativité peut être stimulée volontairement de façon individuelle avec de simples exercices, elle peut aussi être favorisée par l’environnement, la famille, le groupe socioculturel d’appartenance, le milieu du travail,  etc. Quelle que soit l’influence dont on parle, cette notion de divergence est centrale. Si l’on s’accorde sur une définition de la créativité qui serait l’aptitude à laisser venir une palette variée de solutions, à les imaginer et à les mettre en acte, alors il faut aussi se dire que la créativité est fondamentalement un acte transgressif. Trouver dix façons différentes de faire de la musique sur une île désertique implique d’une part de trouver des premières solutions classiques, de réinstaller sa base sécure, puis dans un second temps de penser hors du cadre, le fameux diagramme des neuf points (de Norman Maier). Autrement dit, de passer de la pertinence à l’originalité, de l’attendu à la nouveauté. Souvent a été posée la question de la créativité et de la folie. Je pense ici aux artistes tels qu’Antonin Artaud, Salvador Dalí, Vincent Van Gogh, David Lynch ou encore Philip Kindred Dick. L’une des différences entre la folie2 et l’originalité est sans doute que, dans le premier cas, les personnes vont directement vers la production divergente, alors que dans le second cas, la base sécure est présente (règles du trait en dessin, prise en compte qu’il existe un lecteur potentiel pour un écrivain…). Il s’agit bien, lorsqu’on parle de créativité et non de folie, de créer de l’original en tenant compte des contraintes, du contexte, des objectifs poursuivis. D’ailleurs, Abric (2003) définit la créativité de la façon suivante : « Le processus par lequel un individu ou un groupe placé dans une situation donnée élabore un produit ou un service nouveau ou original adapté aux contraintes et aux finalités de la situation. » En hypnose, comme dans d’autres pratiques telle que la sophrologie, «  sortir du cadre  », «  transgresser  », «  travailler la pensée divergente  » sont proposés par la pratique des métaphores, autrement dit par le travail des analogies (Bioy et Keller, 2010). Métaphores parlées ou dans le geste, le mouvement. C’est ce travail analogique qui préexiste au travail thérapeutique en hypnose, de Milton Erickson à François Roustang, permettant un travail sensoriel qui ouvre vers la fluidité des processus, et vers la flexibilité psychologique autorisant le changement, comme nous l’avons finalement montré (Bioy, 2018). Transformer un conte en récit hypnotique, construire une métaphore à vocation thérapeutique pour la proposer au patient, ne relèvent évidemment pas d’une construction arbitraire et purement poétique. Les

métaphores qu’employait Erickson n’étaient pas simplement fascinantes à l’oreille, du fait de sa prosodie si particulière. Leur choix, leur construction étaient portés par l’intention du narrateur. Indéniablement, on pourrait multiplier les exemples de « grands conteurs » thérapeutiques comme Teresa Robles, Joyce Mills, etc. Les métaphores à vocation thérapeutique procèdent par associativité : elles mettent en relation deux éléments qui, à la base, n’ont pas de lien entre elles : « Ça me fait des nœuds terribles à l’estomac » dessine ici une équivalence entre un nœud et du stress, bien que le stress n’ait pas grand-chose à voir avec l’enlacement d’une corde, d’un tissu ou d’un torchon. On perçoit d’emblée avec cet exemple que la métaphore à vocation thérapeutique procède d’une transgression en établissant ce lien arbitraire. De cette divergence par rapport à l’habituel naît de suite une création. Toute métaphore produit de la créativité et c’est bien là sa pertinence thérapeutique  : penser hors cadre pour aller vers un ressenti différent, nouveau. Nous parlons ici de ressenti puisque la créativité prend corps dans une perception avant tout  : si la poésie use de métaphores, ce n’est pas pour que le lecteur comprenne ce que le poète amène, mais pour qu’il le ressente. Si l’on prend simplement les premiers vers du magnifique «  Dormeur du Val  » de Rimbaud (rédigé en 1870, l’auteur avait 16 ans) : « C’est un trou de verdure où chante une rivière,

Accrochant follement aux herbes des haillons

D’argent ; où le soleil, de la montagne fière,

Luit : c’est un petit val qui mousse de rayons. » Il est bien entendu qu’il n’y a pas de trou dans une verdure, qu’une rivière ne chante pas, qu’une montagne n’est pas fière, qu’aucun rayon ne vient en moussant,  etc. Rimbaud ne cherche pas à ce que l’on visualise ou, pire, que l’on comprenne là où son dormeur se trouve. Il nous fait ressentir l’endroit où se niche sa couche. La création poétique est à l’œuvre et la métaphore à vocation thérapeutique suivra les mêmes chemins pour convoquer la créativité  : transgression et corporalité (ressenti). Elle est invitation à se connecter avec quelque chose : connexion à l’autre au moment de la narration, connexion à la solution lorsque l’évocation inconsciente sera sollicitée.

Tous des génies ! Si vous souhaitez être un jour reconnu comme le créateur génial d’un exercice, d’un principe, d’une technique, il vous faudra arguer d’un moment fondateur à partir d’un « flash » créatif. Archimède et son bain (théorème qui porte son nom), Newton et sa pomme (principe de gravitation), Shapiro et les feuilles tombant des arbres (EMDR),  etc. On retrouve d’ailleurs cette idée en thérapie, associée à des notions comme la catharsis, l’insight, ou autre appellation qui renvoient toutes à l’idée qu’à un moment donné, le patient ressent autre chose, perçoit subitement que quelque chose prend sens et vient de changer. Qui n’est pas à la recherche de ce moment mythique pour ses patients  ? Derrière la légende, les choses sont généralement plus besogneuses. Derrière un « Euréka ! » se cachent d’autres protagonistes, du temps,

du travail, une grande mobilisation de ressources. Weisberg (1992) décrit d’ailleurs les génies comme étant des travailleurs acharnés, des personnes obstinées, avec des idées fixes. On est loin d’une douce flexibilité… Steve Jobs étant sans doute la figure la plus contemporaine et prototypique de ce profil. Mais surtout, ils sont des « éponges de leur temps » et à la pointe des connaissances d’une époque dont ils vont cristalliser différents apports au service de leur objet d’étude (S.  Freud, A.  Einstein, M.  Erickson, M.  Proust, J.-M.  Basquiat, S.  Hawking, D.  Bowie, S. Spielberg, S. Lee, etc.). Le travail historiographique permet par exemple d’affirmer maintenant qu’Einstein n’a pas eu «  l’intuition  » géniale de la relativité mais qu’il a absorbé le travail notamment de Hendrik Lorentz, David Hilbert et d’Henri Poincaré. Que Freud n’a pas «  inventé  » le transfert mais qu’il a revisité la notion de « transfusion des sentiments » de Charles Lasègue, tout en se nourrissant des écrits des premiers magnétiseurs. Et citons évidemment Milton Erickson, dont la proximité de son dispositif thérapeutique avec celui des thérapies humanistes et existentielles (Carl Rogers et suivants) serait compliquée à ne pas voir, d’autant qu’ils semblent revenir avec force dans le champ de l’hypnose via des praticiens de renom comme Dan Short. Sont-ils des plagiaires  ? L’affirmer serait absurde. Ils ont «  capté  » et retranscrit avec leur propre filtre les connaissances de leur temps au service de leur discipline. Créer, même au plus haut niveau, est donc une forme de recyclage. Mais un recyclage qui apporte une nouveauté qui fait évoluer, progresser, vers autre chose. Jean-Michel Basquiat n’a pas inventé les graffitis (déjà présents à Lascaux !), mais il a digéré l’ouvrage médical rempli de planches anatomiques Gray’s Anatomy offert par sa mère quand il avait 7  ans, durant une convalescence (un accident fondateur !) pour exprimer, au moins au début de son œuvre, ses propres « natures mortes » : sociales, violentes, identitaires, pas encore symboliques comme l’était une certaine société d’alors. Et par là même, il révolutionnera la street-art et l’histoire de l’art, en nourrissant le mouvement underground.

See me/Flowing/Like the river to the sea3 Ce qu’illustre cependant la « créativité flash » dont nous venons de parler, c’est qu’un certain état est nécessaire  : un engagement sensoriel et attentionnel singulier qui constitue le terreau pour que quelque chose se produise. La transe, évidemment. Le thérapeute qui va machinalement se saisir d’un objet sur son bureau pour le tendre vers un patient interloqué, des émotions que suscite ce simple objet, le chamane à qui va venir le savoir de l’origine d’un trouble, le musicien qui laisse ses doigts aller sur la guitare jusqu’à ce qu’une mélodie se dégage, le tennisman qui laissera le mouvement gagnant lui venir, le travail de l’oracle qui se connecte à son consultant (nous pensons en particulier au travail de Maud Kristen4), toutes ces réalités de terrain ont une ligne commune : celle d’un état de conscience modifié. Le psychologue et chercheur Mihaly Csikszentmihalyi soutient que les moments de créativité arrivent dans un état de conscience particulier, qu’il va nommer « flow »5, traduit en français par « expérience optimale ». Comme tout concept appartenant à la psychologie positive, le flow ne constitue pas une pratique en soi. L’expérience

optimale se greffe à une pratique existante lorsqu’on le juge pertinent (hypnose ericksonienne, thérapies systémiques, EMDR, accompagnements psychologiques infirmiers,  etc.). Avec l’expérience optimale, il s’agit de réorganiser notre état de conscience et de renforcer le sentiment de soi dans des circonstances particulières. Prenons par exemple le sport, domaine où les recherches sur le flow sont très nombreuses, avec trente ans de recul. Que disent-elles ? Dans ce domaine d’activité, l’expérience optimale n’est pas le fait uniquement des sportifs de haut niveau. Toute personne peut la ressentir ; elle est cependant plus ressentie si on la recherche que spontanément. Le ressenti est singulier  : un état mêlant concentration, plaisir, mise en « pilote automatique » des mouvements du corps, sentiment d’un équilibre entre compétences, expertise et défi (personnel ou de compétition). Défi où la motivation agit comme une sorte de « carburant » au flow (Jackson et Csikszentmihalyi, 1999). Comme on le voit, l’expérience optimale n’est pas la créativité en tant que telle. Elle est une forme de transe dans un contexte de motivation à réaliser quelque chose en compétences, parfois en performance, la joie étant l’indice que l’on atteint cet état particulier. En somme, il s’agit d’accéder à une forme de transcendance dans l’actualité de ce que l’on réalise par la concentration, la centration active sur l’action présente. Être créatif réclame un environnement propice à cela, du travail, et une bonne sensibilité à la complexité, à ce qui n’est pas linéaire. Nous l’avons dit, le flow se travaille et Csikszenmihalyi propose de grands principes, sous la forme d’exercices, pour se mettre en condition (2006). Par exemple, apprendre à se laisser surprendre par des environnements même quotidiens (se laisser surprendre veut dire ici  : un mélange de curiosité et d’émerveillement), ou encore s’octroyer du temps pour la détente ou la réflexion. Il écrit  : «  La seule manière de demeurer créatif consiste à éliminer les facteurs d’usures grâce à des techniques d’organisation du temps, de l’espace et de l’activité qui favorisent le “flux” et rendent chaque expérience quotidienne satisfaisante sinon créative.  » En somme, cette méthode s’organise presque autour d’un énoncé paradoxal : il s’agit de savoir se centrer dans tout ce que le quotidien peut avoir de banal et de routinier, mais en sachant s’entourer de petits riens qui stimulent la sensorialité, l’évasion, la pensée tout autant que la détente. Ceci permet, selon Csikszenmihalyi, de «  donner un sens et de la beauté au chaos de l’existence » (2006).

Flow et sport Le flow est très présent dans les études portant sur le sport, qui est aussi un domaine de création et de créativité. Les études montrent notamment que si le ressenti d’expérience optimale peut être ponctuellement ressenti (un coup, un match…), cela améliore aussi les compétences du sportif dans le temps. Autrement dit, ce dernier apprend aussi de son expérience, « simplement » en l’éprouvant (ce qui est typique des états de transe, comme nous l’analysons dans le chapitre sur les données psychologiques). «  En flow  », le sportif peut éprouver une sensation de fluidité de mouvements sans un effort particulier, mais en ayant la sensation de contrôler ses actions (Csikszentmihalyi, 1990). Particulièrement dans le sport, cet état de conscience particulier associe de façon équilibrée  : concentration/immersion dans

l’instant, automaticité des gestes, plaisir, et aussi un vécu d’équilibre entre ses compétences propres et l’enjeu (perçu comme étant suffisamment élevé pour « justifier » cette forme d’engagement. Jackson et Csikszentmihalyi (1999) ont extrait neuf dimensions constitutives du flow dans le domaine sportif, notamment à partir d’études qualitatives sur les ressentis de sportif. Démontrond et Gaudreau (2008) la synthétise : «  La première est “la sensation d’un équilibre entre la demande de la tâche et les compétences personnelles” (challenge-skills balance). Si lors d’une compétition le défi dépasse les capacités des athlètes, ils ressentiront de l’anxiété. Inversement, un défi perçu comme plus faible que les ressources du sportif sera une source d’ennui. Cette notion d’équilibre apparaît comme centrale dans le concept de flow.

La deuxième dimension est la “clarté des buts” (clear goals). En état de flow, l’athlète peut savoir précisément ce qu’il doit faire car ses buts sont définis et précis. Avoir des buts clairs et précis permet de diminuer l’incertitude qui engendre du stress. Ces buts permettent également de fixer son attention sur les éléments pertinents de la performance et d’éviter ainsi toutes distractions.

La troisième dimension est “l’union de l’action et de la conscience” (action-awareness merging consciousness) ; l’unicité des mouvements ne requiert pas d’effort et permet ainsi une totale immersion dans l’activité.

La “perception de la transformation du temps” (transformation of time) est la quatrième dimension énoncée par Jackson qui postule que cela modifierait la perception de l’action selon deux modalités. Premièrement, la situation est perçue comme se déroulant très lentement et donne le sentiment à l’athlète qu’il dispose de plus de temps qu’il n’en a en réalité (par exemple, sprint) ; deuxièmement, le temps est perçu comme s’écoulant rapidement, ce qui permet à l’athlète de supporter, par exemple, les douleurs inhérentes à sa pratique (par exemple, marathon).

La cinquième dimension, la “perte de conscience de soi” (loss of self-consciousness), s’illustre par le fait que l’athlète est réceptif à tout ce qui l’entoure, mais les informations habituellement utilisées pour se représenter la performance et l’action ne sont pas mises en jeu.

La sixième dimension, qui est celle de la perception de “feedback clairs et précis” (unambigous feedback), permet à l’athlète d’avoir des informations sur sa performance, ce qui favorise une continuité dans l’accomplissement de ses objectifs (Jackson et Csikszentmihalyi, 1999). Il semble difficile d’être performant en sport sans avoir, étape par étape, une connaissance précise du déroulement de la performance et du réajustement nécessaire à la réalisation de cette dernière. Selon ces auteurs, le feedback est décisif pour la réussite de la performance.

La septième dimension est la “concentration sur la tâche” (concentration on the task at hand), l’athlète a besoin d’être entièrement concentré afin de pouvoir faire face aux événements. La concentration sur la tâche est totale en état de flow et aucune pensée extérieure ne vient la perturber.

La huitième dimension énoncée est celle du “sens du contrôle” (sense of control). Cette dimension reflète la sensation de pouvoir réaliser n’importe quelle action et de la réussir quelle que soit la tournure que prend la compétition.

La neuvième et dernière dimension est nommée “l’expérience autotélique” (autotelic experience), elle est décrite comme une expérience agréable et enrichissante qui survient lorsque l’organisme fonctionne au maximum de ses capacités. »

Intuitivement créatif ? Nous définissons ici l’intuition par le fait de savoir, sans savoir pourquoi nous savons. L’intuition suit deux mouvements : celui de s’ouvrir à un flux de perception dans un contexte donné, puis un temps de « reprise par l’intellect » où l’on donne des formes et où l’on pose des mots sur les ressentis jusqu’à donner sens à un vécu, voire trouver une réponse à ce que l’on cherchait. Laisser venir par intuition n’est pas deviner ou trouver par déduction, il s’agit de laisser une spontanéité s’installer, ce mélange de curiosité et d’émerveillement pour ce qui se produit, ce dont nous parle le flow. Nous voyons un lien évidemment compliqué à formuler totalement entre créativité, intuition et état de transe. Disons en tout cas que l’état de conscience modifié (flow, état hypnotique ou sophronique ou méditatif,  etc.) favorise le mouvement de laisser-aller (intuitif) vers la production nouvelle, divergente (création). Si l’on devait dessiner un processus par lequel cela advient, nous pourrions sans doute dégager les quatre temps suivants : ● s’ouvrir à la possibilité de vivre des sensations et compréhensions différentes, complexes, et de faire l’expérience de niveaux de conscience mouvants (la transe) ; ● laisser venir la capacité d’émerveillement et de curiosité, et la suivre en toute tranquillité et sans jugement (pensée magique) ; ● oser l’expérience du vide, du syndrome de la page blanche, de se perdre dans le fait de ne plus savoir, faire l’expérience de l’absence de repères (confusion) ; ● reprise par l’intellect sous la forme d’une mise en forme ou en mots. Il s’agit en fait d’ancrer le processus créatif dans le réel avec un support : écrire, danser, chanter, dessiner, respirer autrement, etc. (sens). L’ancrage

Appliqué aux patients, le dernier principe est important  : l’ancrage dans un support tangible (geste, dessin…) assoit la réalité du changement obtenu par le processus créatif. Il indique au patient que quelque chose s’est produit, s’installe dans la réalité. Par exemple, si une main ressent la lourdeur d’une respiration difficile et l’autre la perspective d’un souffle plus dynamique, le travail consistant à trouver le «  juste mouvement  » d’une main vers l’autre –  l’inédit du geste  – ancre bien dans la réalité que quelque chose s’est produit : les mains bougent et le patient ressent dans « tout est là », « ça y est ». La créativité n’est pas entrevue, elle est tangiblement ressentie par l’usage des mains qui deviennent le support créatif au changement.

Bien évidemment, ce que nous venons de présenter est un large processus. Tout cela n’est pas figé mais permet cependant d’introduire le dernier point du processus : la créativité engage un support. Imaginons la transe comme un contexte de rencontre où chacun vient y déposer des éléments servant à son travail thérapeutique. Autrement dit, un lieu où chacun peut se prolonger dans ce qu’il ressent, éprouve,

exprime, désire. Cet espace devient à la fois un lieu de présence, d’interactions, à la fois le moyen et aussi la source d’une expression. À  travers la transe, chacun exprime quelque chose de lui-même à propos de ce qui est ressenti dans cette même transe. Cette expression est adressée à un tiers, ce qui fait de ce contexte un espace de rencontre dont il est attendu que ce qui va émerger et s’exprimer au contact de l’autre, produise un inédit qui transforme. Que dans la revisite d’un lien se produise un modelage différent qui change chacun des partenaires impliqués dans cette expérience. C’est le principe d’intersubjectivité. La transe, définie comme contexte (comme le proposait Roustang, 2015), s’affranchit de la réalité objective du sujet, de la véracité du propos, des souvenirs, etc. Il s’agit là d’une originalité qui constitue d’emblée l’invitation à la transgression dont nous parlions plus haut. La transe thérapeutique, par son contexte même, est un espace de créativité, c’est sa nature première. Et cette créativité va s’inscrire dans la réalité à travers un support, un « corps métaphorique » qui peut être un écrit, un gribouillage, la composition d’une mélodie, un mouvement qui se dessine dans l’espace. La transe thérapeutique est ce mouvement dissociatif organisé, qui va chercher la nouveauté offerte par la transgression. La chercher au-delà de l’étrangeté d’une situation, d’une confusion encouragée (l’exploration du vide dont nous parlions plus haut). Elle est le lieu où la sensorialité s’anime, et cela toujours en relation avec l’autre parce qu’elle doit amener vers un sens partageable : une expérience qui va pouvoir s’échanger, et souvent se dire. On voit finalement en quoi la transe thérapeutique est un contexte qui engendre sa propre dynamique créative. Il s’agit d’un processus qui demande à être stimulé et parfois entretenu, comme le propose le flow. La diversité des expériences de la vie nourrit des recombinaisons de ressentis, de pensées, d’impressions, pour le laisseraller vers une forme de transgression féconde.

Notes 1. Article initialement publié dans la revue Transes, n° 6, ici revu et augmenté. 2. Terme évidemment employé avec toutes les précautions d’usage ! 3. « Regarde-moi/ couler/comme la rivière jusqu’à la mer », paroles issues de la chanson « Flow » de Sade (2000). 4. Maud Kristen laisse aller ses paroles durant les premières minutes d’une consultation sur un monde automatique pour ensuite vérifier si la connexion avec son consultant est bien effective. Par ailleurs, les exercices de développement des capacités de voyance qu’elle propose s’articulent autour de la possibilité de la transe, avec des exercices d’hypnose proposés pour faciliter cela (le terreau qui va accueillir la graine de la voyance, et non la graine elle-même).

5. Notons que ce terme est précisément employé en musique, et particulièrement dans le rap, pour désigner le rythme d’une chanson et surtout d’un débit de paroles avec lequel on peut jouer pour donner des interprétations différentes d’un même morceau, parfois en le cadençant de façon spécifique pour jouer sur les sonorités proches de mots et installer une confusion de langue.

Chapitre 30 Transe en danse

Florent Cheymol – Antoine Bioy – Nathalie Duriez On peut considérer les danses comme faisant partie des techniques d’induction des phénomènes de transes et elles participent également à la forme même de certaines transes. De sorte, transes et danses sont souvent entremêlées puisqu’elles sont soustendues par une expérimentation corporelle et sensorielle qui s’inscrit dans un contexte culturel précis permettant d’en comprendre la symbolique et ayant des fonctionnalités.

Une évolution commune On doit la maternité des travaux de recherches sur «  la transe-endanse  » à l'anthropologue Nancy Midol (2015) et aux travaux de la psychanalyste et danse thérapeute Schott-Billmann qui érige que « toutes les danses modernes ne font rien d’autre que reconnaître à la danse l’antique fonction qu’elle avait déjà au Paléolithique, de conduire à la transe  » (Schott-Billmann, 2015). Ces travaux évoquent le statut ontologique de toute forme de danse qui permettrait d’exprimer une manière d’être au monde et d’inscrire par l’activité cinétique de la danse des mythes fondateurs au plus profond des corps. Il n’est plus à prouver que l’activité de la danse et/ou de la transe mettent toutes deux dans des états de conscience modifiés (dites aussi «  non ordinaires  ») et qu’elles partagent le même véhicule, le corps comme lieu de l’expérience. Danses et

transes sont ainsi des dispositifs activés par le joug d’une intensité corporelle et sensorielle qui ont pour fonction de transporter hors de soi et du monde sensible pour favoriser une élévation spirituelle dans une forme de libération émotionnelle. L’histoire de la danse reflète, au même titre que l’évolution des phénomènes de transes, la place accordée aux rituels dans les sociétés. En retraçant de manière non exhaustive certains phénomènes de transe-en-danse qui prennent sens dans nos sociétés, nous soulignerons les spécificités communes aux transes et aux danses ainsi que les fonctions qu’elles occupent suivant les cadres dans lesquelles elles émergent.

Au Paléolithique L’archéologue Pritchard évoque qu’au Paléolithique toute cérémonie produite par les peuples nomades induit l’élément de la danse (1928), de même on les retrouvera plus tard dans tout type de cérémonie (initiation, mariages…). Dans son ouvrage L’Histoire de la Danse en Occident (1978), Paul Bourcier rappelle qu’au Paléolithique les premières traces de danses rituelles sont repérées, ce qui lui fait avancer que « la première danse fut un acte sacré ». Elle représente une giration dont il postule qu’elle fut « une perte des sens, de la localisation dans l’espace, (…) une sorte de dépossession de soi-même, une extase au sens étymologique du mot  ». Cette description est évocatrice de ce qui est rapporté subjectivement par quelqu’un qui expérimente un état de transe. La fonctionnalité de ces premiers états de transe-dansée ou de dansetransée aurait été de créer des liens à l’intérieur même des tribus en partageant des codes communs, et se faisant, pouvoir se démarquer des tribus ennemies. Ces états permettent alors de se constituer comme « même » ou « différent », par une sémiotique corporelle qui permet de s’affilier ou de se différencier, tout cela, en-deçà du registre de la communication orale.

Pourtant, s’agissait-il bien de danses ou plus simplement d’une gesticulation ritualisée ? Rappelons que pour parler de l’élément de danse, il faut l’agencement de différents éléments fondamentaux que sont  : la présence de mouvement qui se fait rythme par le principe de répétition, une gestuelle stylisée qui participe d’une symbolique ainsi que de mouvements mesurés et ritualisés qui participent de ce que l’on nomme la chorégraphie. Ainsi, chaque système de signe constitue un langage corporel qui est compris et transmis par un groupe humain donné.

La pensée animiste qui prévalait à ces époques permet aux corps de communiquer des intentions par ces états de « transe-dansée ». Les peuples nomades dansent pour implorer la pluie de tomber, la nature d’être clémente, la femme d’être fertile et les danses par ces états de conscience modifiés sont utilisées comme intercesseurs pour accéder plus directement aux divinités. Danses et transes sont alors adressées à un ordre supra, un autre niveau que soi (Le Scanff, 1995) et permettent d’avoir une fonction transcendantale comme cela était déjà le cas en Grèce Antique (voir à ce propos le chapitre 2, p. 51).

Les fêtes dionysiaques : l’ancêtre des soirées techno ? Dans  la Grèce antique, les fêtes invoquant les divinités sont paradigmatiques de rituels initatiques qui comportent un langage codé, un culte orgiastique, une frénésie collective d’ivresse organisés dans un cortège dansant au son des tambourins et rythmé par les cris dans une gestuelle convulsive (Burel-Debaecker, 2005). Ces fêtes sont encadrées par le pouvoir social et spirituel en place sous l’égide du polythéisme invoquant une permission de transer dans une forme de liberté individuelle, en marge des lois de la Cité. Ces danses vigoureuses et joyeuses sont exultantes, elles permettent, au regard de la place dans la société, de participer à la vie de la Cité par des codes qui pourraient sembler anarchiques mais qui en réalité, sont contenus par des conventions. On retrouvera cet agencement de la danse-transe par les différents carnavals à d’autres époques, qui tendent, selon les cultures, à

affadir la place faite au divin et au sacré pour n’y retrouver que des libations festives. Pourtant, ce que nous conservons à notre époque contemporaine des fêtes dionysiaques est bien la pulsation cadencée, la surstimulation sensorielle d’abandon dans et par le groupe que nous retrouvons dans les boites de nuits à la gageure du beat électronique, du swing, des rave parties, de la house/trance… Nous continuons à vivre des phénomènes de «  transes-en-danses  » par des rituels collectifs que notre société occidentale a relégué les week-ends, clivant les phénomènes de transes comme ne pouvant advenir qu’en opposition aux valeurs de travail dans une société de la performance et de l’intellectualisation. L’évocation de la transe, dans notre société reste un phénomène sulfureux. On constate que les transes, même si «  elles ont été pourchassées, réprimées et persécutées par un Surmoi social  » (Schott-Billmann, 2015), répondent à une prédisposition naturelle et universelle aux états de conscience modifiés que les collectivités n’ont de cesse d’encadrer, voire d’institutionnaliser. Les transes et les danses apparaissent comme des pratiques groupales corporelles ancestrales possédant des fonctions cathartiques communes pour les membres qui les pratiquent, elles sont aussi stylisées par des principes culturels qui les encadrent, ainsi, on ne danse ni ne transe pas de n’importe quelle manière dans n’importe quel endroit. Ceci fait dire à Bastide (1997) que la transe «  est le contraire même du déchaînement corporel, de l’abandon aux pulsions inconscientes, de la crise hystérique. C’est un jeu liturgique – qui se rapproche plus, au fond, de la représentation théâtrale que des grandes crises de nos asiles psychiatriques. Car elle est, du commencement à la fin, contrôlée par la société ». Cette théâtralité on la retrouve en danse par le fait qu’elle soit produite sur un espace scénique circonscrit, tout comme un rituel chamanique ou de possession prend place dans un espace dédié (yourte, tipis, case, place de village). En approchant le phénomène de transe-en-danse par la chorémanie, nous allons voir en quoi, produire un lâcher-prise corporel dans un espace non dédié vient inquiéter les pouvoirs en place.

La Chorémanie : l’ancêtre de la flash mob ? Par cette interrogation sur le rapport au corps dansant permis par la société, il existe un phénomène de transe-en-danse collectif documenté une vingtaine de fois apparu entre 1237 dans la ville d’Erfurt (Allemagne) jusqu’en 1863 à Madagascar qui est la manie dansante ou Chorémanie. Dix-neuf épisodes sur vingt ont été présent dans l’espace du Saint Empire Romain Germanique et s’inscrivent, sans doute de manière non fortuite, durant la période de l’Inquisition (1233-1834), seule la danse épidémique de Madagascar en constitue une exception. L’exemple le plus référencé est la chorémanie de Strasbourg de 1518 que l’on a aussi nommé la Danse de Saint-Guy. En juillet 1518, Frau Troffea, «  patiente zéro  » de cette épidémie, est retrouvée dansante, seule dans la rue, après avoir commis un infanticide à cause de la disette. Progressivement et sans discontinuer, elle sera rejointe par quelque 400 danseurs-transeurs au bout de quelques semaines, de sorte que la ville, fait appel à des musiciens professionnels et dédie un lieu à cette transe dansante collective, qui bientôt, voit des gens décéder de crises cardiaques et d’accidents vasculaires cérébraux. L’épuisement semble fonctionner comme facilitateur à cette transe-en-danse au lieu de constituer un indicateur d’arrêt. La médecine blâme une canicule qui échauffe le sang des participants (Clementz, 2018), le religieux désigne SaintGuy comme responsable de la maladie et l’on organise des convois vers la chapelle Saint-Guy de Saverne à quelques kilomètres de là pour « apaiser la figure sacrée du martyr » (Nicolas, 2019). Sans le savoir, le troisième pouvoir en place, le politique, vient institutionnaliser l’épisode en consacrant un lieu et des musiciens pour tenter de réduire les risques des danseurs-transeurs. Les pouvoirs publics, demandent qu’aucune timbale ne soit jouée et l’on préfère les cithares, violons et luths jugés comme plus doux et moins entraînant. Danses et transes étant toujours en lien avec la musique, pour le musicologue Rouget, la musique ne déclenche pas la transe par ses propriétés intrinsèques mais elle socialise et transmet des

signes (et non des stimuli) réglementées par une culture donnée (Zampleni, 1981). Ainsi, on a longtemps pensé que la percussion (peaux frappées) induisait la transe, comme la timbale dans le cas de la chorémanie de Strasbourg, car elle est un élément central dans certaines cultures qui placent en estime les phénomènes de transe (cultures africaines, afro-brésiliennes). Pour Rouget, en Occident, le piano (corde frappée) ou la cithare ou le luth (cordes pincées) seraient tout aussi inducteur de transe car ils correspondent à nos sensibilités d’écoutes, à notre bain sonore culturel. Ainsi, le pouvoir politique en place ne faisait que faciliter la danse en pensant la contenir et l’empêcher. La Chorémanie de Strasbourg a ici la fonctionnalité de saisir le pouvoir en place en l’interrogeant par le corps, la danse sert à réguler la société et à en manifester la crise, elle se fait défiante. L’historienne Elisabeth Clementz rappelle (2018) qu’à cette époque «  les hauts fonctionnaires estiment que les Alsaciens sont faciles à gouverner, tant que l’on n’essaie pas de leur interdire de danser  », la crise de pouvoir pour le peuple réside dans le fait que s’amalgame comme des pairs d’injonctions paradoxales les différents pouvoirs en place. La médecine contemporaine naissante avait encore recours au diagnostic astrologique, la perception de la danse par le religieux était ambiguë la considérant comme une communication avec les dieux conduisant au salut et/ou comme un instrument du diable. Enfin, le système politique était chaotique conduisant la ville à la famine. Tout cela concourrait à une révolte populaire contre les institutions symbolisée par «  une diablerie  » qui se fait à la fois symptôme et solution transitoire. Ces phénomènes induisent que la transe est un comportement stratifié dont la forme est déterminée par la culture mais qu’à chaque fois que le contrôle de la collectivité se relâchera, ce qu’il peut y avoir de sauvagerie latente dans la transe fera céder la tunique institutionnelle, laissant apparaître sa violence potentielle. Si, comme nous avons pu le constater, ces épisodes de danses convulsives remontent à l’Antiquité qui l’envisageait déjà comme un phénomène de possession des corps par la présence des dieux,

abordons un autre exemple de danse rituelle avec la Tarentelle qui vit le jour à la Renaissance et est encore pratiquée dans le monde contemporain.

La tarentelle : une transe de guérison ? À  partir du xive  siècle, la Tarentelle émerge comme une danse et musique traditionnelle de la région des Pouilles (sud de l’Italie), elle occupe un statut particulier entre danse paysanne et rituel thérapeutique. Sur un rythme effréné d’accordéon et de tambourin, le danseur en se mettant en état de transe doit exorciser par sa sudation les morsures de la tarantule (araignée). La transe, ici, aurait pour fonction d’être auto-thérapeutique et l’on doit à l’anthropologue Ernesto De Martino d’avoir redécouvert dans les années 1950 cette forme qualifiée de culte de possession. Il existe différentes tarentelles (Pizzica, Tammurriata, Napoletana) qui ont toutes en commun d’avoir des rythmes ternaires, comme c’est le cas pour d’autres transes-dansées comme avec le Gnaoua africain ou le Maloya réunionais. On retrouvera le rythme musical de la tarentelle utilisé par les compositeurs classiques qui vont la dénaturer en changeant son orchestration (Rossini, Chopin, Schubert, ou encore Tchaïkovski). Il est intéressant de noter que dans son Lac des Cygnes, ballet emblématique de la danse classique, Tchaikovsky (1877) s’inspire du motif musical de la tarentelle et créé une « danse Napolitaine » à l’acte III. Ce divertissement, souvent accompagné d’un tambourin par les danseurs sur scène, évoque, grâce à l’instrument, le rythme originel de la tarentelle des Pouilles. Ce qui apparaissait comme pittoresque est classisé et dépouillé de sa valence folklorique, les pas sont stylisés de manière classique, seule la trompette et l’accélération rythmique viennent rappeler l’étourdissement de la transe de guérison.

On prêtait au venin de l’araignée tarantule des pouvoirs spécifiques comme celui de rendre fou et hystérique les victimes de sa morsure. L’individu atteint de tarantisme devait danser frénétiquement jusqu’à épuisement sur le rythme saccadé de la musique pour évacuer le venin et atténuer la douleur de la morsure1. Cependant, la transe

dansée requiert un style et n’est pas un abandon du corps, puisque pour qu’elle ait un effet thérapeutique et magique nous dit le théoricien Athanasius Kircher (xviie  siècle) la transe-en-danse doit plaire à l’araignée, par cet effet, le transeur-danseur est possédé par le venin de l’araignée et symboliquement par son esprit. En proposant un dispositif auto-thérapeutique, ce type de transe à la fonction d’être antalgique permettant la mise en sourdine du phénomène douloureux et participant de ce que Lévi-Strauss appelle une « guérison symbolique » qui fonctionne via l’utilisation de rituels et de symboles. À  cet égard, au travers de cette évolution des transes-en-danses à travers l’histoire, nous allons aborder la notion de la douleur au travers d’un autre type de danse qu’est la danse classique, qui prend racine et s’affranchit des danses paysannes et folkloriques étudiées jusqu’à présent.

La danse classique : une domestication de la transe ? Historiquement, la danse représente un fait social important au e xvii  siècle, attachée à la culture humaniste de la Renaissance on la nommait « la Belle danse », pour désigner l’élégance, la majesté et la finesse conforme à la classe sociale qui la fait sienne  : la Noblesse. Elle est pratiquée par le gentilhomme et constitue un passage obligé au même titre que le maniement de l’épée et l’équitation, l’apprentissage de la danse est ritualisé pour qui veut appartenir à la noblesse. Ce rituel initiatique est pratiqué quotidiennement par Louis XIV de ses 7 à 32 ans à raison de deux heures par jour. Il utilisera la danse comme une arme politique pour assujettir les royaumes alentour en se représentant allégoriquement sous les traits de divinités ou d’astres d’où son surnom de «  Roi Soleil » (Le Ballet de la Nuit, 1653). Il faudra attendre le xviie  siècle pour que la danse se constitue comme art sous l’égide du sceau royal de Louis  XIV qui lui donne ses lettres de noblesse en créant une Académie Royale de Danse en 1661. L’anthropologue de la danse Kealiinohomoku rappelle que

« C’est de la bonne anthropologie que de penser la danse classique comme une forme de danse ethnique » (Kealiinohomoku, 1998). Par danse ethnique, les anthropologues définissent toute forme de danse qui reflète une tradition culturelle, des idées communes, des codes et un esthétisme dans lesquels elle se développe. Cette forme de danse caractéristique de notre culture occidentale, qui pourrait apparaître comme plus «  savante  », prend racine dans les danses paysannes et ethniques rapportées des cours italiennes au e xvi  siècle par Catherine de Médicis en France. La danse classique est parangon de cette vision métaphysique du monde de la Renaissance selon laquelle le corps ordonné, mesuré, reproduit sur terre l’harmonie céleste qui est ici personnifié par la figure royale. On retrouve encore une fois des liens avec les phénomènes de transes, qui se posent en termes de fonction transcendentale, que Copeland nomme « la quête de complétude » (1998). Transcender, ce serait avoir conscience de son incomplétude et désirer se connecter à quelque chose de plus grand que soi. Ainsi, la danse qui se professionnalise à cette époque, semble perdre de sa dimension «  sacrée  » car elle apparaît maitrisée et moins pulsionnelle et échevelée, caractéristiques que l’on adossait aux phénomènes de transes. De retour aux analogies que nous pouvons faire entre la danse classique et les systèmes induisant la transe  : on perçoit qu’elle s’institutionnalise en délimitant les mouvements par des codes (la chorégraphie), en les contenant dans un espace (studio, scène, yourte, case, tipis), en privilégiant l’apprentissage autour d’une figure tutélaire (maître, professeur, répétiteur, guérisseur, chamane), en sélectionnant ses disciples (caractère électif) et en étant fermé aux impies. Ainsi, la danse classique n’a-t-elle pas domestiqué le phénomène de transe ? Permettons-nous une mise en parallèle à un autre courant de transe-en-danse où l’on retrouve cette même idée de connexion aux astres, de maîtrise de la giration, d’invocation/identification au divin et de discipline ascétique propre à la danse classique dans la danse soufie. Lors de la cérémonie du Sema réalisée par les derviches

tourneurs, ces derniers présentent une transe cosmique. Même si des déterminants sont semblables, la vocation du derviche, contrairement aux danseurs classiques, est d’ouvrir les portes de l’au-delà par la giration et son enivrement concomitant permet de mener à l’union suprême avec Dieu. Les derviches sont des intercesseurs entre le monde terrestre (symbolisé par la main droite) et l’énergie divine (qu’ils reçoivent dans la main droite), l’enivrement permet de se connecter au divin. Par ailleurs, si l’on poussait l’analogie, on peut retrouver en commun avec le ballet la présence d’une figure tutélaire avec un maître à danser ainsi que la symbolique cosmologique du soleil, autour duquel les danseurstranseurs tournent, tout comme Le Roi Soleil est la figure scénique centrale qui impose sa souveraineté. La contextualisation de l’émergence de l’art de la danse classique doit faire reconnaître un parallèle avec l’émergence de la transe dans les sociétés primitives, un pouvoir l’assoit, en donne les contours et seulement certains élus du sérail pourront expérimenter et faire partager publiquement cette tradition orale en créant une fascination, une découverte pour qui en est récipiendaire. S’il existe des premiers traités qui circonscrivent la danse au e xv   siècle, on voir émerger les principes d’une danse savante qui anoblit et s’affranchit des danses traditionnelles en place dans les régions par les écrits de Beauchamp et Feuillet au xviie  siècle. Inspiré par ces derniers, Jean-Georges Noverre (1760) va préciser certains postulats de la danse classique dans ses Lettres sur la Danse (1760). À partir de ce traité, on est en droit de se demander s’il n’est pas une des premières tentatives de circonscrire la transe en la codifiant et de ce fait de la domestiquer en contenant les ardeurs corporelles. Noverre précise : « Rien n’est si nécessaire que le tour de cuisse en dehors pour bien danser, et rien n’est si naturel à l’homme que la position contraire ». Suggérée mais exempte, la notion de douleur paraît inextricable à la danse classique. Le rapport à la douleur pourrait constituer un autre déterminant commun aux états de danse et de transe. Si certaines recherches postulent de l’existence de la normalisation de la douleur et de sa tolérance chez les danseurs classiques, le

recours à la transe serait facilitateur de la mise en sourdine du phénomène douloureux.

L’époque moderne : le retour du primitivisme ? En rupture avec l’élévation par les chaussons de pointes parangons du carcan classique douloureux du ballet, le début du xxe siècle voit l’émergence de figures corporelles disruptives qui proposent un retour vers une danse moins discursive et travaillée, plus instinctive et pulsionnelle qui voit l’émergence du courant de la danse moderne. On prête à l’américaine Loïe Fuller (1862-1928) la maternité de cet avant-gardisme qui exprime une nouvelle forme de corporalité sur scène. En 1891, formée en tant que comédienne aux phénomènes de transes pour une pièce sur l’hypnotisme intitulée Quack Medical Doctor, « Loïe Fuller, pour éviter de se prendre les pieds dans une robe trop longe » (Tomasovic, 2009) apprend à maîtriser la matière de son habit en virevoltant et en faisant une gestuelle de bras. L’idée est alors née de formaliser un spectacle autour de ce qui se nommera : la danse serpentine. La danseuse s’enveloppe dans des volutes de soie et met l’érotisme au centre de la scène. Par sa gestuelle ondoyante elle convoque l’orchidée, le papillon dans une involution qui indissocie la danseuse de sa danse. En se servant des lumières scéniques et des volutes de textiles, elle compose un spectacle total qui propose une gestuelle précise et répétitive. La transe-en-danse est performative et esthétique et permet un envoutement charnel en troublant les perceptions. Sa disciple Isadora Duncan écrira en 1927  : «  J’étais en extase, mais je comprenais que cet art n’était qu’une ébullition soudaine de la nature (…), elle se transformait devant les yeux du public en mille images colorées. » À  partir de 1902, l’américaine Isadora Duncan (1877-1927) va révolutionner la danse moderne par un retour au modèle des figures antiques grecques privilégiant une danse naturelle, spontanée qui vise l’harmonie du corps osant s’exhiber presque nue. Sa première

chorégraphie est une ode à l’Océan Pacifique basée sur le rythme des vagues, le travail de Duncan accorde une place particulière à la spiritualité, à l’émotion à l’encontre de la danse classique qu’elle considère «  laide et contre nature  » (Ibid.). Elle considère la technique dénuée d’intérêt et préfère des thématiques dans la contemplation de la nature. Elle sera vague, nuage, vent, arbre dans ses chorégraphies. La danseuse aux pieds nus, loge dans son plexus solaire le jaillissement de sa danse qu’elle souhaite libre pour s’affranchir des tensions, la transe-en-danse est cathartique et rappelle avec lyrisme les fêtes exultantes de la grèce antique. Vaslav Nijinski (1889-1950), ancien danseur classique à la stature grecque, va exposer la transe sur scène. En 1913, il chorégraphie Le Sacre du Printemps sur une musique de Stravinski. L’histoire est celle d’un grand rite sacral païen  : des vieux sages observent en cercle une jeune fille (l’élue) exécuter une danse jusqu’à son épuisement puis sa mort, pour ensuite la sacrifier en offrande au dieu du Printemps. La première partie s’articule autour de l’adoration de la terre par une danse ancrée dans le sol qui correspond dans sa gestuelle à une cérémonie de l’ancienne Russie. Dans un second temps, la danse sacrale de l’Élue place le rythme et sa répétition comme élément principal jusqu’à l’épuisement et la mort symbolique. La transe permet le réveil des forces de la nature et s’inscrit dans un mythe animiste qui rompt avec la pensée judéo-chrétienne prévalente au début du xxe siècle. Un an après cette création, en 1914, l’Allemande Mary Wigman (1886-1973) chorégraphie et danse un solo qu’elle intitule Hexentanz (la danse de la Sorcière) où elle propose une forme de transe-en-danse de possession sous l’allégorie d’une sorcière. La danse est brusque, le geste nerveux et ancré dans le sol, le corps courbé, la nuque renversée, les yeux fermés, le visage vers le ciel sous l’emprise d’une puissance invisible, tout cela évoque la possession démoniaque ou les grandes scènes d’hystériques de la Pitié-Salpêtrière à cette même époque. La danseuse témoigne d’un état d’agitation et de giration, qui précise-t-elle lui permet la transe : « Quand on tourne, c’est le monde qui tourne autour jusqu’à la quasi

destruction de l’être physique ». La transe est recherchée pour faire vivre un sentiment d’unicité bien loin de l’expérience savante proposée par l’académisme hégémonique. L’émergence de cette nouvelle forme corporelle professionnalisée témoigne de la révolution esthétique et mentale induite, entre autres, par la découverte de l’inconscient et du goût pour l’exotisme, qui vient questionner cet ancrage ontologique que la civilisation moderne aurait perdue. Le tournant du xxe  siècle a tendu à idéaliser les danses rituelles des cultures jugées «  primitives  » par un regard occidentalo-centré. Cette approche a concouru au clivage entre « le sauvage  » du savant-sachant occidental. La transe-en-danse se constitue comme un lieu de cette jonction associative d’unité édénique, tant recherchée par les Occidentaux.

Les danses ethniques et tribales Cette pensée de l’unicité corporelle et de l’harmonie amène à envisager d’autres phénomènes de transes-en-danses qui ont d’abord été mis en lumière par les travaux pionniers de Mead et Bateson qui se sont intéressés dans les années 1930 à une danse indigène à Bali. La danse des dagues (Kris Dance) est un rituel de possession d’une tradition séculaire en Indonésie symbolisant un rite initatique entre le bien et le mal. Lors du rituel, commandés par l’esprit du mal (la sorcière Rangda) qui intime de se donner des coups, les danseurs frappent leurs poitrines avec des dagues mais doivent progressivement échapper à cette injonction pour se rallier vers le bien et destituer la sorcière. Mead et Bateson précisent  : «  Personne ne se fait du mal. Si quelqu’un est blessé, les gens disent que la transe n’est pas réelle2. » La fonction de la transe est protectrice, elle contient les danseurs au lâcher-prise délétère et permet, selon les usages du corps balinais, d’apprendre au travers de la danse une harmonie entre les individus, la nature et le monde surnaturel. Les danseurs-transeurs apprennent à contrôler et rendre volontaire cet état de conscience non ordinaire et à le limiter à un lieu et un espace, la transe n’est pas sauvage mais apprivoisée.

Nous pourrions faire cette même réflexion sur bon nombre de danses rituelles de cultures africaines, asiatiques ou sudaméricaines qui représentent des systèmes stratifiés dont l’Occident ne reconnaît que trop la valence folklorique et exotique. Il n’est pas lieu de répertorier toutes les transes-en-danses des tribus et ethnies orientales, mais elles permettent de véhiculer quelque chose d’identitaire dans une libération du geste et d’abandon au rythme qui évoque souvent, comme c’est le cas dans les danses africaines, l’historique colonisation des corps et son indépendance. Ces phénomènes ethniques, comme le zaouli ivoirien ou le sabar sénégalais avec leur fonction respective (éducative et autothérapeutique) interrogent sur le phénomène de la transe, l’expérience si cadencée, répétitive et visuelle emporte le spectateur dans cette expérimentation, de sorte que ce dernier semble partager un voyage commun avec l’interprète de la transe. À  l’orée de ce clivage entre primitivisme et modernité, le psychiatre brésilien David Akstein créé en 1965 une méthode thérapeutique qu’il a nommé la TranseTerpsichore-Therapy ou « TTT  » (Neubern, 2021). Il envisage la transe de libération comme une possibilité de faire émerger des pulsions enfouies dans l’inconscient en revenant à quelque chose de plus archaïque qui aura lieu d’être thérapeutique, le tout, médiatisé par un groupe avec l’aide de facilitateurs. La méthode utilise la respiration holo-énergique qui aurait pour fonction de synchroniser l’activité cérébrale des deux hémisphères, produisant une forme ondulatoire qui enjoint à la spiritualité. On pourrait supposer cette démarche comme intégrative des rites culturels brésiliens qui donne la part belle aux transes de possessions (Candomblé) ainsi qu’à l’épistémologie psychiatrique et psychanalytique, le tout sous l’égide de la déesse grecque de la danse Terpsichore garante de l’occidentalisation de la pratique transe-dansée. C’est en tout cas dans avec cette perspective «  intégrative  » que l’on peut comprendre le choix des photos terminant l’ouvrage où se mêlent différentes époques et pratiques mais dont se dégage une ambiance commune qui le relie (Akstin, 1992). Avant lui, l’ethnologue et chorégraphe Katherine Dunham (1909-2006) avait mis au point, dans les années 1950-1960, la technique de «  l’expression primitive  ». Après avoir étudié les danses traditionnelles antillaises haïtiennes, la chorégraphe recherche par une danse tonique, rythmée (pulsation et balancement) et enjouée un « geste universel », qui, s’inspirant des thérapies traditionnelles des peuples « racines » (Schott-Billmann, 2015) s’appuie sur une dynamique à la fois corporelle et symbolique. Ces travaux constituent les préludes de la danse thérapie telle qu’on la connaît dans nos institutions contemporaines.

Conclusion L’entrelacs de la transe et de la danse, comme disciplines séculaires à valeurs symboliques, invitent à interroger la place du corps dans les sociétés et comment ces dernières les régulent. Danses et transes apparaissent comme des faits sociaux stables au décours de toutes les cultures et à travers les âges. Les déterminants de ces deux phénomènes ont, comme nous avons pu le voir, beaucoup en commun  : on retrouve un rapport au corporel, au sensoriel, au mouvement qui place un savoir dans un moment expérientiel en deçà du registre du verbalisable. Une fois cet état de conscience convoqué par ce « passage » à un état non ordinaire de conscience, on assiste à une quête qui peut prendre diverses formes  : esthétique, performative, auto-thérapeutique, spirituelle. Le voyage symbolique provoque une métamorphose involutrice de sens qui transporte le danseur-transeur vers une interrogation métaphysique qui ne trouvera résolution que par les sensations éprouvées, cela en fait des institutions dotées de sens (Cheymol et al., 2023). De plus, les deux phénomènes s’inscrivent dans une enveloppe culturelle, religieuse et politique qui donne des contours à leurs pratiques et livrent des manuels de conduite, il s’agit de phénomènes stratifiés et codifiés. La transe-dansée et/ou la danse-transée permettent une connexion à une altérité divine, au sacré ce qui en fait des objets qui sont toujours adressés aux spectateurs, aux divinités, aux esprits. Enfin, la transe-en-danse participe d’un rituel médiatisé par un groupe organisé autour d’un maitre, d’un disciple qui permet une initiation vers un statut d’expert permettant de les approcher comme des rites initiatiques faits d’apprentissages et de transmissions. Ce bref panorama permet d’envisager que les systèmes de transes et de danses sont intriqués comme une boucle itérative culturelle et sociale. Là où les techniques d’induction des transes sont dansées ou bien que la danse participe à cet état non ordinaire de conscience, il y a de la transe-en-danse.

Notes 1. À noter que dans cet ouvrage, Joëlle Mignot fait un lien entre ces rythmes et la question du sexuel dans les transes (cf. chapitre 52, p. 629). 2. 1952  Trance and Dance in Bali. 22  mins., b & w. Character Formation in Different Cultures series. Produced by Gregory Bateson and Margaret Mead. Photographed by Gregory Bateson and Jane Belo. Edited by Josef Bohmer. Written and narrated by Margaret Mead. Music arranged by Colin McPhee.

Focus 31 Sans logique : une transe farmerienne

Antoine Bioy À plus de trente-cinq ans de carrière, et après avoir été régulièrement raillée, Mylène Farmer est maintenant encensée par la profession, chez les classiques (Clerc, Gréco, Polnareff…), les modernes (Orelsan, Damso, Doré, Christine and the Queens…) et à l’international (Elton John, Muse, Luz Casal, Bono…). Tous reconnaissent la richesse de sa carrière, jalonnée de titres qui marquent, comme «  Sans Logique  » dont il est question ici. Il s’agit du dixième single de la chanteuse, sorti en 1989. Comme souvent à cette époque, elle se met en scène dans un environnement à la fois tragique et esthétiquement sublime1.

Nous sommes début 1989. À l’époque, la bannière « Mylène Farmer » désigne moins le travail de la chanteuse que le fruit d’un duo : l’artiste éponyme et son compagnon Laurent Boutonnat (auteur-compositeur et réalisateur). La synergie permet la naissance d’un univers culturellement riche, soignant autant l’esthétique que la narration. Les comparses ont déjà mis en scène de véritables scénarios, plus proches du court-métrage que de la simple promotion d’un titre musical. En cinq ans de vie artistique, ils ont déjà commencé à construire un univers très identifiable avec des thématiques récurrentes et des influences artistiques marquées que nous avons relevées par ailleurs (Bioy, Bee et Thiry, 2006). «  Sans logique  » est incontestablement très représentatif de «  l’univers Farmer  » à la fois dans ses thématiques et son esthétique. Il met aussi en scène une mise en transe, – objet de cet article – pour la première fois dans cette œuvre2.

Que raconte « Sans logique » ?

Les premiers instants du clip installent le ton : une plaine sablonneuse, un ciel lourd, nuageux, menaçant. Un court poteau supporte une tiare en fer  : deux cornes pointées vers l’avant. On entend le vent et quelques notes graves et plaintives. Puis deux personnes assises, de dos et enlacées, vers un horizon désertique. Un fin serpent se cache derrière une branche tombée au sol, la caméra glisse jusqu’à une flaque où un Christ – sans sa croix – a été abandonné là. Une jeune enfant habillée pauvrement s’en saisit, l’observe et tente de lui nettoyer le visage. Son geste est arrêté par l’arrivée à pas silencieux d’un groupe de gens habillés en noir comme endeuillés, les femmes ont le visage couvert. La musique débute, le jeune garçon fixe à nouveau le Christ, et on voit maintenant les deux personnages assis de face. Il s’agit d’un jeune couple, elle rousse flamboyante à la peau diaphane, lui fin éphèbe ibérique. Alors que les inquiétants personnages continuent de s’approcher, les amants font un pacte de sang en s’entaillant chacun une main, qu’ils joignent. Avec la coiffure de la chanteuse, le rouge est la seule couleur vive du clip qui est tourné dans les tons ocre, noirs et blancs3. On retrouve le jeune enfant, tapant cette fois sur le Christ avec une chaussure comme pour enfoncer… un clou. Alors que les personnages en noir –  des vieillards  – commencent à prendre place sur de sommaires bancs en bois, d’autres enfants apparaissent, certains se chamaillant, d’autres sonnant les cloches pour annoncer le spectacle à suivre. D’autres personnes sont là, apprêtées comme des gitans. Les sept vieillards assis font maintenant face à un autre groupe de cinq enfants et des deux amants. Le personnage de Farmer est saisi par deux hommes, on lui lie les poignets à l’arrière et on lui appose les cornes en fer vues au premier plan du film. Les vieillards se découvrent, l’action peut commencer. Rapidement, on comprend que la scène qui va se jouer est celle d’une tauromachie, l’amant en matador et l’amante en taureau, aidés par le quadrille de cinq enfants. Avec un sourire complice, les amants engagent les premières passes. Conquises par le spectacle, les vieilles personnes lancent quelques pièces au sol que les enfants défavorisés s’empresseront de ramasser à la fin. Les passes se font plus vives, un enfant est blessé à la main par un coup de cornes, lors d’une faena. Les vieillards applaudissent. Le matador découvre son épée masquée dans une canne avec laquelle les enfants se chamaillaient. On comprend alors que le spectacle tauromachique est celui d’une corrida, et que l’estocade est proche. De fait, l’amant enfonce son dard dans la belle a recibir4 (restant immobile, c’est elle qui le charge) puis se retire lestement. Elle reste vivante. Le public exulte, faisant pleuvoir les pièces sur le jeune matador. Ce dernier, enivré par son succès de matamore, ne voit pas que la belle se mue en bête  : comme possédée par ce taureau qu’elle ne faisait que mimer jusque-là, son regard blanchit, et elle charge pour empaler son amant. Le public se masque hypocritement le visage tout en souriant, semblant s’offusquer de ce qu’ils ont suscité. Le jeune enfant au Christ les observe, mâchouillant ce dernier pour symboliser tous les repères piétinés et le grotesque des valeurs tout à la fois arguées et oubliées. L’amante observe le dernier souffle de son compagnon qui se tord de douleur5, sans émotion, avec l’intérêt d’un entomologiste scrutant une nouvelle race d’insecte qu’il vient de crucifier dans un cadre de sa collection, comme un trophée. La pluie commence à tomber, le tonnerre gronde. Les voiles se rabattent sur les visages des vieillards, les chapeaux se repositionnent et ils repartent, laissant

derrière eux la scène de désolation et les enfants, affairés à ramasser dans la boue les pièces auparavant jetées. La dernière image est celle de Mylène Farmer, toujours cornue, le visage levé au ciel avec les yeux fermés, attendant de la pluie qu’elle vienne nettoyer son visage biffé d’une larme ensanglantée.

Influences Esthétiquement, nous sommes clairement dans le monde du réalisateur Laurent Boutonnat avec quatre influences principales. Celle de l’Espagne de Buñuel, où se mêlent férocité, inégalités sociales, surréalisme, une alchimie capricieuse entre désirs et interdits (dont la religion en bouc émissaire). Toujours côté hispanique, il faut aussi citer l’inspiration trouvée ici auprès de l’œuvre de Goya tant pour son travail à partir de la sorcellerie basque (et notamment le tableau «  Le sabbat des sorcières  ») que pour sa mise en scène de la tauromachie. «  Sans logique  » est aussi inspiré dans son esthétique par le travail du photographe franco-tchèque Josef Koudelka autour de ses gitans à la beauté dure et minérale (dont : Les gitans, la fin du voyage, 1975), et son exploration du décalage entre l’humanité et le monde perçu comme inquiétant et souvent menaçant. Citons enfin l’inspiration trouvée auprès d’un autre photographe, cette fois brésilien  : Sebastião Ribeiro Salgado, essentiellement pour son esthétique du noir et blanc, qui lui permet d’explorer certes les populations les plus pauvres (migrants, travailleurs des mines…) mais aussi d’aller débusquer ce qui relie les gens entre eux et explicite leur adaptation à la férocité de l’existence. Audelà de ces apports particuliers à ce clip, on trouve en filigrane les « lignes de force » de l’œuvre farmerienne6 : le difficile vécu du couple qui s’enracine entre agressivité et passion, et se vit souvent dans un rapport sadomasochiste  ; l’ambivalence de l’enfance entre fragilité et force, candeur et cruauté  ; les inégalités sociales et l’exploitation humaine ; le rapport difficile à la finitude et une tentative pour sublimer la souffrance d’être  ; la fragilité et beauté de la condition humaine  ; ou encore la fascination pour le fantastique de la simple rêverie jusqu’aux confins de la folie en passant par toute une fantasmatique souvent érotique (Bioy et al., 2013).

Fonction de la transe Le scénario met en scène une mise en transe, au sens de la possession par un autre. Mylène Farmer devient un taureau, ou plutôt, elle se trouve possédée par l’esprit du taureau comme l’indiquent ses yeux aux pupilles devenues subitement blanches, ses mouvements incontrôlés jusqu’à la charge meurtrière. C’est bien cette transe de possession qui est ici au centre de la mise en scène, de bout en bout7. En effet, l’intensité dramatique monte très progressivement dans le clip et les effets de boucle indiquent que la transe finale était annoncée : notes plaintives du début qui se révèlent être les mugissements du taureau lorsqu’il possède l’amante  ; le dévoilement du rituel de corrida qui ne connaît qu’une issue  ; le contexte de liesse

stimulé pas à pas par le jeu des protagonistes, le sang et le comportement mimétique avec un taureau qui va finir par convoquer l’esprit de ce dernier. Ce qui ne devait être qu’un jeu de mime finit par basculer : la bête est là. Le titre « Sans logique » met en scène la dualité en chacun de nous : l’innocence et la perversion, l’appel vers le meilleur en même temps que le côté obscur peuvent s’exprimer. Ainsi, le refrain de la chanson : « De ce paradoxe / Je ne suis complice / Souffrez qu’une autre / En moi se glisse / Car sans logique / Je me quitte / Aussi bien satanique / Qu’Angélique.  ». Et surtout ce moment de bascule où «  l’on se quitte » pour laisser exprimer autre chose en nous, ne laissant après soi qu’un moment d’étrangeté et ici de sidération traumatique (le personnage comme coupé de ses émotions, ne détachant pas son regard de ce corps que la vie quitte par sa faute, jusqu’à pleuvoir des larmes de sang). Car ce qui donne sa nature à la transe n’est pas la forme de transe elle-même mais bien le contexte où elle se produit. Cette possession est en miroir de celle qu’exercent les vieux bourgeois sur la jeunesse pauvre qu’elle opprime jusqu’au sang, celle où les valeurs animistes prennent le dessus sur les valeurs dictées par les Hommes (la religion), celle enfin où la passion amoureuse (l’autre en fusion avec soi, les premières images du clip) devient folie amoureuse dont on ne peut s’échapper qu’au prix de l’amputation violente de l’autre. Nous sommes dans la période sombre de «  l’univers Farmer  », en écho avec d’autres œuvres tout aussi noires comme le «  Tristana  » de Buñuel, par exemple, avec lequel ce clip partage nombre de traits esthétiques et narratifs communs. Tristana, qui inspirera d’ailleurs une autre chanson à Mylène Farmer où là aussi, dans le clip, une nouvelle transe de possession est mise en scène. Et «  Tristana, c’est moi… » dira-t-elle.

… En concert Les concerts8 de la chanteuse sont connus pour être spectaculaires. De fait, ils l’ont tous été. Depuis le début de sa carrière, Mylène Gautier9 scénarise la trajectoire artistique de Mylène Farmer en compagnie d’importants complices (comme Laurent Boutonnat, déjà cité) avec qui elle a mis en scène des personnages qui feront sa renommée, dont la courtisane de « Libertine » et « Pourvu qu’elles soient douces », qui a été le premier rôle marquant. Mylène Farmer est à la fois la créatrice et la créature, qu’elle ne cesse de faire évoluer au fil de ses quarante ans de carrière. Une dissociation artistique primordiale, et véritablement unique au moins dans l’univers de la chanson francophone. Il est donc tout à fait naturel que ses concerts soient également très scénarisés. En particulier, les débuts et fins de chaque concert sont construits tels des rituels  : l’artiste re réincarne pour son public et re-disparait à la fin10. Parmi les entrées les plus marquantes, on peut citer celle du Mylenium Tour (1999)  : aux sons puissants d’un duo guitare électrique/batterie faisant suite à des sons tribaux, telle Athena sortant de la cuisse de Jupiter, Myène Farmer sort du front d’une immense statue d’Isis et semble voler lentement jusqu’à la scène, pour rejoindre son public. Quant

aux sorties, la plus marquante est indubitablement celle du concert Paris la Défense Arena (2019) où la chanteuse s’enflamme brusquement dans le décor numérique en feu, après un dernier signe à son public, qui reste bouche bée… Les différents temps d’un rituel vertueux se retrouvent dans cette construction : ● une intention amenée par l’identité artistique de chaque spectacle, dès les premiers temps ; ● un espace sacré et sûr, où s’alternent moment de communion, émotions intenses, liesses groupales et enjeux individuels ; ● une scénarisation/narration partagée avec le public qui y répond et parfois interagit ; ● un temps cérémonial de fin du rituel, incluant une sorte de clôture sacrée qui met fin au partage avec l’artiste et que ce dernier devient trace, empreintes… et laisse aussi place à d’autres partages «  horizontaux  » (en l’absence de l’artiste/maîtresse de cérémonie), pour s’intégrer en tant qu’expérience Au sein de l’espace défini ainsi (la chanteuse joue du symbolisme incarnation/incorporalité à la perfection, comme on le voit avec les exemples donnés de scènes d’entrée et de fin), on peut observer de très nombreux signes qui s’apparentent à des états de conscience modifiés voire à des transes dans le public. La musique, la chaleur, les lumières, la fatigue de l’attente, la dynamique groupale, les émotions,  etc. y participent bien entendu au moins pour les gens «  dans la fosse », dont ceux qui cherchent la communion la plus intense aux premiers rangs. Mais aussi chez l’artiste qui manifeste à de nombreuses reprises son implication dans ce mouvement si particulier qu’elle a elle-même créé jusqu’à des moments de spiritualité intense lors notamment des moments «  piano/voix  ») où elle visite sa propre fragilité, ses limites, joue de son chant « dans le souffle » si caractéristique. Mylène Farmer, une icône moderne de la transe ?

Conclusion Pour faire le lien avec la chanson que nous avons pris en référence, lors de la tournée 2019, « Sans Logique » est le second titre interprété. Le public découvre une scène dominée par la couleur rouge sang, entêtante, lumineuse et puissante. La tête d’un taureau-diable domine la scène de ses larges cornes. Sur son front de multiples symboles rappellent la mystique associée à cette figure. À  1’35, les spectateurs découvrent le visage possédé de la chanteuse, pupilles blanches, qui se mélange avec celle de l’animal démoniaque, la transe se fait, le public est en liesse…

Notes

1. Article initialement paru dans la revue Transes, n° 10, ici revu et complété. 2. Pour le clin d’œil, signalons que l’hypnose est présente dans l’un des clips de la chanteuse, « Optimistique-moi » (le titre est déjà une confusion en soi !). Elle mettra aussi en scène sa pratique de la méditation bouddhiste, et bien évidemment ses shows pharaoniques sont émaillés de moments de transe tant chez la chanteuse que dans le public qui sont très facilement identifiables sur les DVD de ses concerts, si vous souhaitez vous entraîner ainsi à l’identification des signes de transe ! 3. Ce rouge sera repris sur la pochette du disque : on y voit le visage de Mylène Farmer en gros plan, alors qu’une larme de sang coule de son œil gauche. Ce visuel est une idée de la photographe Marianne Rosenstiehl, auteure du cliché. 4. Dans le monde de la tauromachie, a recibir (du verbe « recevoir » en espagnol) est une façon de porter l’estocade en «  recevant  » le taureau. Elle est considérée comme la quintessence du torero. 5. Pour l’anecdote, la face B de «  Sans logique  » est le titre «  Dernier sourire  » qui complète adroitement le titre A en décrivant une agonie (le texte a été inspiré par le vécu du décès de son père). 6. Pour cette première période artistique en tout cas. L’année 1994 verra un premier tournant personnel et artistique (exploration de la thématique du féminin bien plus marquée, une mélancolie plus assumée, «  presque heureuse  » comme dit Amélie Nothomb…) menant vers un dernier mouvement une quinzaine d’années plus tard, où son univers devient plus solaire, décomplexé (avec aussi des sons plus électro), et finalement assez joyeux ou en tout cas clairement plus apaisé. 7. Avec peut -être un «  clin d’œil  » supplémentaire dans les paroles où la chanteuse menace de fendre les yeux de l’autre. Sans doute une allusion à une scène du film Un chien Andalou de Luis Buñuel et Salvador Dalí, œuvre surréaliste majeure où se mêle rêve et réalité. Le fil rouge est autour du lien de couple et de sa sauvagerie ; dans cette scène un homme fend les yeux de sa compagne un soir de pleine lune, alors des nuages cisaillent eux-mêmes l’astre au symbolisme fort. Luis Buñuel raconte  : «  En arrivant chez Dalí, à Figueras, invité à passer quelques jours, je lui racontais que j’avais rêvé, peu de temps auparavant, d’un nuage effilé coupant la lune et d’une lame de rasoir fendant un œil. De son côté il me raconta qu’il venait de voir en rêve, la nuit précédente, une main pleine de fourmis. Il ajouta  : «  et si nous faisions un film, en partant de ça  » (Mon dernier soupir, 1982). 8. Les extraits vidéos que nous évoquons peuvent facilement se trouver sur Internet. 9. Véritable nom de la chanteuse. 10. Ces moments sont si typiques de l’œuvre farmerienne que nous avons même donné un cycle de conférences universitaires uniquement à partir d’eux à l’université pour Tous de Bourgogne. Chaque semaine, l’amphithéâtre était comble, même les marches étaient

occupées, avec ajout de chaises de part et d’autre de l’estrade afin que tous puissent être là. L’âge du public allait d’une vingtaine d’années à la doyenne, un peu plus de 80 ans.

Chapitre 32 Les transes chamaniques dans l’art

Martin Geoffre Doctorant en Études théâtrales, je porte une recherche sur le chamanisme dans le spectacle vivant contemporain. Dans ce chapitre, je me penche plus particulièrement sur la question de la transe chamanique dans l’art, en m’appuyant sur l’étude de cas de deux performances  : Altamira 2042 de Gabriela Carneiro da Cunha et The Encounter de Simon McBurney.

Dans l’approche anthropologique, le chamanisme se définit comme une forme immanente de médiation entre les humains et les esprits, assurée par le chamane au service de sa communauté. Celle-ci attend de son chamane qu’il maîtrise les aléas et la protège du malheur  ; qu’il soit un « réparateur du désordre » (Baud, 2017). Le chamane a la capacité d’entrer volontairement dans des états de conscience non ordinaire. Dans ces états, il voyage dans des «  mondes-autres » (Perrin, 2010), « autres » que celui que nous connaissons habituellement pour acquérir des pouvoirs, et entrer en dialogue avec les esprits auxquels il est lié, pour qu’ils l’assistent dans son travail rituel. Ce travail rituel peut être étudié comme technique d’imagination, c’est-à-dire comme technique d’investigation et de cognition de l’invisible (Stépanoff, 2019). La représentation rituelle chamanique rend présents ces êtres imaginaires invisibles (Hamayon, 1997). Partant de l’hypothèse d’une corrélation entre représentations rituelle et théâtrale

(Houseman, 2021), mon projet de thèse interroge l’existence d’imaginaires, de gestes, voire de démarches chamaniques sur la scène contemporaine. Pour entamer cette analyse de la transe chamanique sur la scène contemporaine, je vais commencer par définir la transe telle qu’elle est pratiquée dans le chamanisme, et dans un second temps la performance dans le cadre théâtral contemporain.

La transe chamanique Le chamane est une personne « ordinaire » qui, à la demande de ceux qui sollicitent son aide, entre en communication avec l’invisible en suivant les règles et les conduites spécifiques de chaque société. Depuis l’ouvrage de Mircea Eliade Le Chamanisme et les techniques archaïques de l’extase (1953), le chamanisme est associé à la transe, mais cette théorie a été contestée, en premier lieu par Roberte Hamayon dans son article Pour en finir avec la « transe » et l’« extase » dans l’étude du chamanisme (1995). Les pratiques du chamane, culturellement établies, sont une indication d’une relation avec les esprits plutôt que d’une extase personnelle (Perrin, 2010). Ainsi, Roger Bastide affirme que les hallucinations ne peuvent être considérées comme des visions que si elles sont partagées au sein d’une société croyant en un mondeautre. Les états de conscience modifiée ne deviennent effectifs que si la société les cultive, et la vision est le contenu d’une transe dans laquelle le sujet donne une valeur de réalité à un monde imaginaire dans un contexte socioculturel donné. Mais sans une disposition universelle à la dissociation, les transes ne seraient rien d’autre qu’un artifice, et le rituel ne serait « qu’un théâtre » où des acteurs représentent les esprits de chaque société (Baud, 2016). Le chamane doit donc signifier à son assistance qu’il n’est plus un homme ordinaire, mais il doit aussi l’éprouver. Pour lui, la mythologie devient réalité, elle est mise en actes (Perrin, 2010).

Nous parlons souvent aujourd’hui d’«  états modifiés de conscience  », mais, d’un point de vue anthropologique, les raisons culturelles qui donnent formes aux visions des chamanes l’emportent sur les raisons psychologiques ou physiologiques (Ibid.). Pour Charles Stépanoff, la compréhension et l’utilisation occidentales des états modifiés de conscience se concentrent sur le développement personnel et la découverte de soi, tandis que le rituel chamanique est avant tout une expérience collective et relationnelle (Stépanoff, 2016). Le rituel implique un chamane, un public, des participants invisibles tels que des esprits et des objets rituels, tous jouant un rôle important dans la mise en place d’un schéma relationnel (Ibid.). Selon Stépanoff, le corps du chamane a la capacité d’être pénétré par des esprits qui peuvent agir à travers lui. Le chamane a également la capacité de se projeter dans des mondes-autres. L’expérience du chamane doit avoir un sens collectif dans le rituel. Les actions du chamane dessinent un espace virtuel où l’action est censée se dérouler, et il est important qu’il y ait un système de coordination entre cet espace virtuel et l’espace réel où se trouve le public. Le public ne voit pas l’invisible, mais chacun est capable de suivre l’action « en creux » grâce aux actions du chamane (Ibid.).

La performance théâtrale Richard Schechner, à l’aide d’outils critiques caractéristiques de l’hybridité disciplinaire des «  Performance Studies  », définit de possibles liens entre anthropologie et performance théâtrale. Il écrit : « Je dirai que ce que fait la performance, c’est créer des mondes ou donner accès à d’autres mondes et à des relations interactives avec des êtres non humains. » (Schechner, 2013.) Selon lui, la performance est un moyen de transmission et de conservation du savoir, ainsi qu’un répertoire de savoir incarné qui passe à travers le corps. Il cite Shawn Wilson, qui affirme que, du point de vue indigène, la recherche est une cérémonie qui implique

de créer et renforcer des liens, et que les « systèmes de savoir indigène » ont tendance à être performatifs et incarnés (Ibid.). Pour Schechner, «  les chamanes étaient des performeurs  » (Ibid.). Pour lui, la transe est une performance qui permet de profondément injecter des pratiques culturelles dans la structure cérébrale et de réellement modifier le cerveau, les maîtres de la transe chamanique utilisant des méthodes traditionnelles à cet effet (Ibid.). Les études théâtrales telles que conduites par mon laboratoire de recherche questionnent le renouvellement du geste créateur et la mutation des pratiques scéniques. L’avènement de la performance, qui s’était auparavant construite dans un discours « anti-théâtral », a eu pour effet une dilatation de la catégorie du théâtre : « Il déborde désormais de ses frontières institutionnelles pour se diffracter en de multiples processus de spectacularité » (Helbo et al., 2011). Dans ce contexte, le spectateur n’est plus considéré comme un simple destinataire, mais plutôt comme un coauteur du spectacle. Cette notion implique que le spectacle ne se réalise que dans la mesure où le spectateur se l’approprie et le confronte à son imaginaire (Biet, 2013). Ainsi, Roméo Castellucci caractérise « Le cinquième mur » comme «  l’écran noir de l’esprit du spectateur. C’est la pellicule vierge où la troisième image s’imprime. Elle se développe, à la manière d’une épiphanie individuelle qui échappe totalement à mon contrôle » (Boisson et al., 2021). Cette déclaration peut être mise en parallèle avec les questions soulevées par Sébastien Baud  : Qui est en train d’halluciner ? Qui modifie sa perception du « réel » ? Est-ce le chamane censé être en transe, ce « médecin-hypnotiseur » qui « trouble » l’être au monde de ceux qu’il invite à ses séances de divination, de guérison ou autres, ou sont-ce les participants au rituel (Baud, 2016) ? Mireille Losco-Lena explore la notion d’« œil hypnotique » dans les expériences théâtrales contemporaines dans son article éponyme en s’appuyant sur des théories de l’hypnose et de la transe. Elle émet l’hypothèse que le voyage hypnotique au théâtre n’est pas simplement un phénomène d’absorption dans la fiction dramatique, mais plutôt un processus complexe qui sollicite la capacité « 

imaginante » des spectateurs et leur production d’une rêverie singulière (Losco-Lena, 2021). La chercheuse se réfère à des théoriciens de l’hypnose tels que François Roustang pour expliquer comment la fixation du regard peut faire s’estomper le monde extérieur et renvoyer les spectateurs à leur intérieur. Elle souligne également comment cette notion convient particulièrement bien pour décrire les expériences théâtrales suscitées par les spectacles de Claude Régy, Roméo Castellucci ou François Tanguy (Ibid.). Mireille Losco-Lena met en évidence que l’expérience immersive ne peut plus être pensée comme un simple voyage intérieur, mais plutôt comme une zone magmatique indéterminée où les contours de la scène et de la psyché s’estompent (Ibid.). L’expérience hypnotique réveille tout ce qui fait lien, masse et magma, et constitue un phénomène de circulation et de contagion émotionnelles, imaginaires et inconscientes, non seulement entre personnages, acteurs et spectateurs, mais aussi entre les spectateurs eux-mêmes. C’est cette constitution magmatique qui, selon la chercheuse, engendre le plus fortement et singulièrement l’immersion dans les théâtres contemporains de l’œil hypnotique (Ibid.). Losco-Lena précise que dans les expériences d’hypnose profonde au théâtre, cette indétermination entre moi et monde, spectateur et spectacle, conduit à la disparition de la conscience d’un état séparé, et le spectateur s’évanouit faute de spectacle  : l’expérience de la transe défait la conscience d’un état séparé (Ibid.). Après avoir défini la transe chamanique et la performance théâtrale contemporaine, je vais maintenant procéder à l’étude des deux spectacles  : Altamira 2042 de Gabriela Carneiro da Cunha et The Encounter de Simon McBurney.

Altamira 2042 Altamira  2042 est une installation performative créée en 2019 à partir du témoignage du fleuve Xingu sur le barrage de Belo-Monte.

Une polyphonie d’êtres, de langues, de sons et de bruits s’empare de l’espace pour ouvrir l’attention du public aux voix que « tant de personnes tentent de faire taire » (Carneiro da Cunha, 2019). Des haut-parleurs et des clés USB deviennent des dispositifs « technochamaniques » qui transportent et amplifient les voix humaines et non humaines entendues sur les rives du Xingu. La performeuse Gabriela Carneiro da Cunha orchestre, avec le public, les différents mouvements de l’œuvre  : en commençant par « River and Road », suivi de « Ms Herondina », « Mr Dam Breaker » et «  Aliendigenous  ». L’interprète incorpore et présente les perspectives de ces trois êtres mécanico-spirituels qui entrent en scène afin de mythifier l’histoire. Ainsi, le barrage de Belo-Monte n’est plus seulement une construction, « mais le mythe de l’ennemi » (Ibid.). Altamira 2042 ouvre son expérience en territorialisant l’espace avec l’installation sonore «  River and Road  » où chaque haut-parleur porte une voix non humaine provenant des rives du Xingu : le fleuve, la forêt, les grenouilles et les oiseaux, mais aussi la tronçonneuse, les travaux de construction, les camions et les moteurs de voiture (Ibid.). Dans le deuxième tableau, «  Ms Herondina  » est une « narratrice enchantée » qui représente les femmes buiúnas. Sa forme est celle d’une femme sonore. Son corps est composé de deux têtes d’orateurs. Sa perspective est féminine et spirituelle. Elle porte la voix de Raimunda Gomes da Silva, une riveraine du Xingu dont la maison a été inondée par le barrage de Belo-Monte (Ibid.). Dans le troisième tableau, «  Mr  Dam Breaker  » est le « narrateur enchanté » qui représente les témoins-riverains. Sa forme est celle d’un Grand Serpent Audiovisuel. Son corps est composé d’une tête de projecteur, de haut-parleurs et d’une bande LED. Sa perspective est mythologique. Sa voix est multiple, et à travers elle, les humains et les non-humains affectés par le barrage de Belo-Monte peuvent être entendus (Ibid.). L’artiste met en évidence le conflit entre les visions du monde en présentant les « progressistes » (occidentaux) et les « aliendigènes » (indigènes) comme des acteurs dans une

lutte polarisée. Elle demande au public de choisir un camp (Bianchi, 2022). Dans le dernier tableau, «  Aliendigenous  » est le « narrateur enchanté » qui représente le peuple des lucioles. Son corps est fait d’instruments chamaniques de technologie ancestrale  : hochets, tambours. Le hochet du chamane est un « accélérateur de particules ». Ici, le corps d’Aliendigenous est l’accélérateur de particules  qui, s’il est joué collectivement, permettra d’ouvrir le barrage. À  la fin de la performance, ce corps est démembré et dévoré par le public (Carneiro da Cunha, 2019). L’artiste crée les conditions d’une performance impliquant le public en distribuant des instruments de musique traditionnels pour qu’il joue un rythme rituel. Elle place une grande pièce d’asphalte au centre de la salle symbolisant la centrale hydroélectrique et distribue des marteaux et des pointes pour que le public puisse le marteler. Pendant ce processus, l’image de Belo-Monte est projetée, montrant sa destruction sous différents angles. Le public s’engage de différentes manières, certains criant, hurlant, applaudissant ou pleurant, alors qu’il continue de jouer et de détruire symboliquement le barrage (Bianchi, 2022). Pendant le processus de création du spectacle, l’artiste Gabriela Carneiro da Cunha s’est demandé ce que cela signifierait d’« agir en tant que chamane du point de vue d’un artiste  ». L’anthropologue Tania Stolze Lima, qui l’a accompagnée dans son travail de recherche, lui a proposé d’inverser la question  : «  Qu’est-ce que le chamanisme permet au théâtre de devenir ? » (Ibid.) Gabriela ne se considère pas comme chamane, lorsqu’on lui demande où se situe alors sa responsabilité d’artiste, elle se réfère à une phrase de sa pièce définissant « Rua-Rio » : « Rua-Rio est une rivière (rio) et aussi une rue (rua), “elle est” et “elle est”, c’est une somme et non une soustraction. En Amazonie, ils jouent à “être” et “être”, ils jouent la somme des êtres. En même temps, ils ne sont pas et ils sont, en Amazonie, ils sont tout ; ils n’ont pas la possibilité de ne pas être. Il n’y a pas de “être ou ne pas être”, comme dans Hamlet. » Gabriela souligne donc qu’elle n’est pas chamane, mais

une artiste qui ouvre la possibilité « d’être ». Dans cette pièce, « ils sont » une performance artistique, une manifestation militante et un rituel chamanique. Et cela ne dépend pas uniquement d’elle, mais de tous les facteurs de la pièce, y compris du public, « pour qu’ils deviennent tout cela » (Carneiro da Cunha, 2022). Car, si Gabriela est la seule interprète sur scène, elle n’est pas seule pour autant. Le spectacle Altamira  2042 est une réponse à l’anthropocène, il n’était pas possible pour son auteure que son travail artistique use du même langage que celui qui a amené à cette situation. Cela n’était pas envisageable de mettre les humains au centre de la performance. Gabriela est la seule humaine dans la pièce, mais elle est entourée de haut-parleurs, de projecteurs vidéo, de lumières, d’instruments de musique. Elle les imagine comme un « casting », ce matériel étant là non pour la servir, mais au contraire pour qu’elle les serve. D’après elle, dans le théâtre traditionnel, tout ce qui existe sur scène est là pour servir l’humain, l’interprète sur scène. Ça ne l’intéressait pas d’utiliser ce type de langage. Gabriela a ainsi créé un spectacle où la forme épouse le fond, en évitant de prendre comme « joli sujet » l’anthropocène, mais en se décentrant formellement de l’humain (Ibid.). Gabriela trouve curieux que beaucoup de personnes venant voir le spectacle soient surprises qu’elle utilise de la technologie. Pour elle, il n’y a pas de contradiction, car le chamanisme est une technologie. En utilisant des instruments techno-chamaniques tels que des microphones et des enregistreurs pour tenter d’amplifier le témoignage d’êtres non  humains, comme celui de la rivière Xingu, ce spectacle documente l’invisible et l’inaudible (Ibid.). Bien qu’elle ne soit pas chamane, elle tente de décrire dans son travail des modes de transmutation, de voir, d’écouter et de rêver, afin que de cet échange, dans cette rencontre des technologies, son travail artistique apparaisse (Bianchi, 2022). Comme Gabriela Carneiro da Cunha l’explique dans une interview au Holland festival (2022), le nom de la rivière est au crédit du spectacle au côté du sien, car elles étaient deux à diriger la création. Pour l’artiste, la rivière n’est pas un sujet, la rivière est un langage.

Son travail est de comprendre, et de parfois créer un langage pour comprendre celui de la rivière, pour créer avec elle. Durant ce processus, Gabriela a rêvé du fleuve Xingu. Dans ce rêve, le Xingu lui a dit : « Enlevez votre histoire de mon lit. Mon temps n’est pas un temps historique, vous n’avez pas la langue pour parler avec moi. Si vous voulez m’entendre, vous devrez apprendre une autre langue. » Ce rêve l’a amenée à reconnaître sa propre surdité envers les nonhumains. L’artiste a alors réalisé qu’elle devait se mettre dans une capacité d’écoute en considérant l’esprit de la rivière comme une personne. Elle a commencé à percevoir ce qu’était l’articulation d’un langage entre des êtres humains et des êtres plus qu’humains, tout comme dans une pièce de théâtre où il y a l’articulation d’un langage (Carneiro da Cunha, 2022). Gabriela Carneiro da Cunha a appris auprès de femmes indigènes à comprendre le langage de la rivière. Il faut pour cela être dans l’intention de voir et d’être vu : « If the spirit of the waters exists for all, not everyone was born to exist for it  » (Ibid.). Ce nouvel inversement a irrigué la démarche de l’artiste. Elle s’est demandé comment créer de l’art et du théâtre qui puissent exister pour l’esprit de la rivière et comment devenir un corps qui puisse exister pour cet esprit. Gabriela précise que ce type de relation demande beaucoup de pratique, et qu’il s’agit non pas de donner une voix, car les voix sont déjà là, mais d’apprendre à les écouter, car « donner une voix » nous met toujours dans le rôle du maître qui attribue (Bianchi, 2022).

The Encounter En 2015, Simon McBurney a mis en scène une adaptation du roman Amazon Beaming de Petru Popescu sous le titre The Encounter. Cette pièce de théâtre suit l’histoire de Loren McIntyre, photographe du National Geographic qui a voyagé dans la jungle amazonienne en 1969 pour rencontrer la tribu indigène des Mayorunas. Durant son séjour, il a vécu une expérience de communication par transmission de pensée. Lors de cette communication non verbale avec le chef mayoruna, Loren MacIntyre, en se concentrant sur les

images et le contenu plutôt que sur les mots, perçoit mentalement la phrase « entre nous il y a des amis ». Ce n’est que plus tard, en 1991, que l’écrivain roumain-américain Petru Popescu a raconté cette histoire dans son livre. La lecture de ce livre a inspiré à Simon McBurney la création du spectacle The Encounter (Magris, 2021). Gareth Fry, le concepteur sonore du spectacle, explique que les approches normales pour adapter un livre à la scène ne semblaient pas convenir pour ce projet. Il était nécessaire d’adopter une démarche qui pourrait transmettre à la fois l’isolement initial de Loren McIntyre et la façon dont il a finalement pu communiquer avec le chef de la tribu. L’équipe du spectacle a exploré l’idée que le public porte des écouteurs, les séparant les uns des autres, plutôt que d’avoir l’expérience traditionnelle partagée d’être dans un public. Cette approche permettait en outre une relation plus intime avec Simon, qui pouvait parler dans un micro sur scène et être entendu comme s’il se trouvait dans la tête des spectateurs (Fry, 2016). Le voyage de McIntyre est une immersion à travers la jungle, à travers la communauté mayoruna. De même, Simon au début du spectacle demande au public de fermer les yeux, puis il respire « dans » leurs oreilles pour créer l’illusion de la chaleur afin de démontrer le potentiel immersif de sa technologie (Campos, 2017). L’étape suivante a été l’étude du son binaural, qui fut enregistré sur un type de microphone ressemblant à une tête humaine avec un microphone dans chaque oreille. Gareth Fry précise que l’effet est «  magique », car il transporte le public à l’endroit où se trouve la tête de sorte qu’il a la sensation d’être aux côtés de Simon (Fry, 2016). Lors de la performance, l’acteur utilise seulement sa voix et des effets sonores pour évoquer le paysage sonore de l’Amazonie. Cela suffit aux spectateurs pour se sentir plongés dans la forêt, avec tous ses bruits et ses mouvements. La technologie immersive utilisée par Simon perturbe la perception de l’espace et du temps du spectateur, ce qui renforce l’expérience théâtrale (Ibid.). Au micro de Marie Richeux dans l’émission Par les temps qui courent, Simon McBurney s’interroge sur cette extraordinaire sensation qu’il éprouve, celle d’être « Simon McBurney » et d’être

présent d’un côté du studio de la radio, tandis que les autres sont de l’autre côté du studio ; que sa conscience lui dicte qu’il ne se trouve pas dans la tête d’autres personnes, mais seulement dans la sienne. Il se demande pourquoi il ressent avec tant de force cette séparation avec les autres personnes, et pourquoi il a l’impression d’avoir un monde secret en lui. Selon Simon, les êtres humains sont construits par les histoires, par les mots. Ces mots expliquent le monde, mais mettent en même temps à distance de celui-ci (McBurney, 2018). Comme le rappelle la voix du psychiatre Iain McGilchrist dans le spectacle, il n’y a pas de « réalité abstraite et objective qui soit audelà de notre création de mythes, au-delà de notre langage, au-delà de la métaphore » (Campos, 2017). Pour l’artiste, nos concepts sont des histoires (notre rapport au temps, au territoire, à notre identité), et les gens n’ont pas toujours pensé qu’ils étaient isolés chacun dans leur tête : nous nous définissons en relation avec l’autre. Ainsi, quand on demande au chef mayoruna où se situe sa conscience, il montre la forêt. Selon Simon McBurney, la solitude est une construction, un récit occidental. D’après lui, il existe une porosité entre « le monde » et « les histoires », et c’est une frontière que nous pouvons facilement traverser. Ce spectacle est pour lui l’occasion de lever quelques frontières en proposant au public une expérience (McBurney, 2018). Loren McIntyre considère la forêt comme un miroir de son propre réseau neuronal : « la forêt devient mon cerveau et mon cerveau la forêt ». Cette métaphore, souvent utilisée dans les explications simplifiées de la neurologie, est transformée en une image organique concrète de connexion dans ce spectacle. La connectivité est représentée technologiquement en reliant physiquement le public à la scène par le biais de six cents paires d’écouteurs filaires et deux kilomètres de câble. La mise en place technique permet d’incarner le réseau vivant, qui est utilisé comme un paradigme théâtral plutôt qu’une simple métaphore (Campos, 2017). The Encounter nous invite à suivre l’évolution de la relation de Loren McIntyre avec la forêt, qui passe d’une peur vigilante à une symbiose puissante et hallucinatoire. Cette expérience sensorielle

implique une perception de l’environnement qui agit de l’intérieur du corps. À  un moment du spectacle, Loren commence donc à halluciner, et à percevoir la forêt dans son ensemble comme une extension de son propre cerveau. Sa perception de la jungle est façonnée par l’anatomie humaine, et il voit le temps comme « une veine pulsante, unissant invisiblement toute vie » (McBurney, 2016). Cette transition est progressive et culmine dans un rituel mayoruna conçu pour ramener la communauté « au commencement ». Après une longue danse cérémonielle, McIntyre ressent des sensations «  d’émersion  » alors qu’il partage la transformation des Mayorunas « en la vie même de la forêt » (Campos, 2017). Il existe bien un rituel de renaissance chez ce peuple. Pour ses membres, le passé est devant, et le temps est cyclique  : «  Nous retournons au commencement. Nous y serons bientôt » (McBurney, 2018). The Encounter relate la tentative des Mayorunas de défaire le temps des hommes blancs en remontant à sa source cinq cents ans plus tôt. Alors que la tribu se dirige vers « le début », qu’ils considèrent comme une source de vie, leur voyage devient sur scène une exploration théâtrale du temps. Au début de la pièce, des extraits d’une conversation entre Simon McBurney et le professeur Marcus du Sautoy présentent un modèle de temps bidimensionnel, suggérant que « plus d’un temps peut fonctionner en parallèle avec celui-ci  ». La coexistence de différentes lignes temporelles est illustrée en superposant différents enregistrements à des moments clés du récit, tels qu’au début et à la fin du voyage de McIntyre (Campos, 2017). Après avoir ébranlé notre conception de la conscience individuelle, Simon McBurney utilise donc les ressorts théâtraux pour remettre en question l’hypothèse d’une temporalité linéaire.

Conclusion Dans leurs performances respectives, Gabriela Carneiro da Cunha et Simon McBurney sont seuls en scène, ce sont des «  blancs  »

(Carneiro da Cunha, McBurney, 2021), et aucun d’eux ne se prétend être chamane. Ni l’un ni l’autre ne parlent de voyage dans les mondes-autres. Tout dans leurs spectacles se passe dans le « monde du milieu », même si, en nous offrant d’épouser une autre écoute du monde, il s’en révèle des dimensions habituellement invisibles. L’usage de la technologie pour immerger le spectateur dans un ailleurs est central dans leurs travaux. Elle leur permet de faire entendre de multiples voix sur le plateau. Pour Gabriela, le chamanisme est une technologie. Ces deux directeurs artistiques font de leur sujet un paradigme théâtral  : la non-hiérarchisation de la présence humaine sur scène pour Gabriela, l’incarnation du réseau vivant pour Simon. L’une des caractéristiques chamaniques du spectacle de Gabriela est la présence d’entités protectrices sur scène (Bianchi, 2022). Simon, lui, ne parle pas d’esprits dans son spectacle. À la différence de Gabriela, il n’évoque jamais le chamanisme comme source d’inspiration de son œuvre, même si l’histoire de Loren McIntyre est nourrie d’imaginaire chamanique. Nous l’avons vu, il faut qu’il y ait une expérience intime initiale du chamane, une dissociation, pour faire socle à la transe chamanique. Ce qui semble être le cas pour nos deux artistes  : Gabriela a déterminé pour son spectacle le rêve comme méthode d’étude, et Simon explique dans l’émission de Marie Richeux que l’expérience théâtrale est pour lui aussi réelle que le monde. Il tombe dans une sorte de transe lorsqu’il joue. Son rapport au temps est modifié. Il a la sensation qu’il est dans une sorte de fluide où il n’y a pas de frontières entre les choses (McBurney, 2018). En plus de la narration, le rituel est une composante de ces spectacles (Grotowski, 1997). Dans Altamira  2042, le public détruit rituellement le barrage sur scène pour qu’il soit effectivement détruit dans ce monde-ci. The Encounter se termine en évoquant un rituel mayoruna agissant sur le temps. Pour son metteur en scène : « Le théâtre est un acte de retour rituel qui se fait toutes les nuits. Et

peut-être que cet acte est bien plus important pour nous que ce que l’on croit. Le rituel humain nous situe dans le monde. Le théâtre permet de situer tout le monde ensemble, d’être présent ensemble. On n’est pas seul, on n’existe qu’en communauté » (Ibid.). Dans ces performances, l’«  action stipulée  » modifiant davantage la «  disposition  » du public que celle de l’interprète, nous restons toutefois plus proches d’une typologie de représentation spectaculaire que rituelle (Houseman, 2021). D’un point de vue anthropologique, l’expérience du chamane doit avoir un sens collectif dans le rituel. Les performances de Gabriella et de Simon sont des théâtres de la relation, de la rencontre. Ces deux spectacles défont la conscience d’un état séparé. D’après Mireille Losco-Lena, l’expérience hypnotique réveille tout ce qui fait lien, masse et magma. L’un des éléments textuels d’Altamira  2042 énonce : « Les gens ne seront plus jamais purs à nouveau. Et c’est notre chance. Ils ne l’ont jamais été, et ils l’ont toujours su.  » (Carneiro da Cunha, 2019.) C’est sans doute cette « impureté » qui permet le « vacillement des limites » (Geoffre, 2022) et nous ouvre à d’autres sensibilités. L’écoute est au centre du spectacle de The Encounter dans son fond comme dans sa forme, et l’un des paramètres de la création de l’œuvre Altamira  2042 est «  L’écoute des êtres non humains l’invisible, les morts, les esprits, les phénomènes de la matière et de la nature, qui nécessite une transformation de l’écoute et du langage  » (Ibid.). Gabriela fait de l’articulation d’un langage entre des êtres humains et des êtres non humains sa matière théâtrale. Elle envisage en outre, à l’instar de nombreuses traditions chamaniques, «  le chant comme langage de traduction entre les mondes » (Ibid.). Dans son livre Les Portes de la perception, Aldous Huxley avance que «  l’Esprit en Général  » est canalisé à travers une valve de réduction créée par notre cerveau et notre système nerveux pour permettre notre survie biologique. Ce qui en résulte est un mince filet de conscience qui nous aide à rester en vie sur cette planète particulière. Pour exprimer le contenu de cette conscience réduite,

les êtres humains ont inventé et développé des systèmes de symboles implicites et de philosophies que nous appelons langages. Les mondes-autres que les êtres humains rencontrent en état de conscience modifié sont des éléments de la conscience totale appartenant à «  l’Esprit en Général  » (Huxley, 1954). Bien que de « mauvais genre », ce concept me semble éclairer pertinemment les démarches artistiques analysées ici. Par une inversion de la pensée pour Gabriela et une remise en question de concepts occidentaux pour Simon, ces artistes nous sensibilisent à d’autres rapports au monde, non naturalistes (Descola, 2005). Leurs expériences théâtrales établissent une relation immanente au Sacré (Perrin, 2010). Elles donnent fruit à un apprentissage par l’acquisition d’éléments nouveaux de fonctionnement ou de compréhension (Bioy, 2020). S’ils ne sont sans doute pas des transes chamaniques, les spectacles de Gabriela Carneiro da Cunha et Simon McBurney font vivre à leurs spectateurs une expérience de décentrement par l’apprentissage d’ontologies autres.

Chapitre 33 Transes et spiritualité

Antoine Bioy Le mot « spiritualité » vient du latin spiritualitas, qui est dérivé de spiritualis, signifiant « relatif à l’esprit ». Ce terme latin est lui-même dérivé de spiritus, qui signifie « esprit » ou « souffle ». Ainsi, l’étymologie de « spiritualité » renvoie à l’idée d’une réalité non matérielle, liée à l’esprit, à la conscience ou à l’âme, plutôt qu’à la matérialité du corps. Mais c’est bien par ce corps que la spiritualité va passer, le plus souvent il va en être le médiateur, le support, l’initiateur et la condition. Bref, un indispensable, comme le revers d’une seule et même médaille.

Racines d’une approche La spiritualité est intrinsèque à la condition humaine. Pourtant, cette notion est compliquée en science car elle est assez rapidement suspecte de connivence avec le monde des croyances  ; pire, des religions (ennemi juré de la Science : la première privilégie la foi, la seconde les faits) ! Ceci est d’une certaine façon aussi en lien avec la notion d’âme dont Bossi (2003) montre à quel point elle a été un grief entre la science et le domaine des croyances. Cependant, les branches de la psychologie considèrent cette dimension comme fondamentale, il s’agit notamment de la psychologue humaniste et existentielle (Santarpia, 2020 ; Zech et al., 2021 ; Bernaud, 2021), et certaines de leurs branches comme la psychologie positive. Par exemple, Chandler et  al. (1992) soutiennent que l’un des objectifs

des cliniciens pourrait donc être de sensibiliser les patients à leur spiritualité personnelle innée afin qu’ils puissent en récolter les bénéfices. Ainsi, Frankl (1963/2019) soutient que l’absence de sens est le principal problème existentiel de notre époque et affirme que toute psychothérapie doit aborder cette question spirituelle ; Fromm (1950) estime que le « soin de l’âme » est un élément important de la guérison psychologique. Cette importance de la spiritualité est maintenant parfaitement reconnue dans ces approches (RussoNetzer et  al., 2016), d’autant que les bénéfices en santé y compris physique sont largement démontrés (Roussiau et Renard, 2021) et notamment hors domaine palliatif ou cancer, où la notion de spiritualité a été acceptée facilement. Citons par exemple les effets bénéfiques sur les comportement agressifs et délinquants (Gonçalves et al., 2022), sur la façon dont les adolescents vivent et s’ajustent à leur pathologie chronique (Iannello et al., 2022), sur les bénéfices pour les patients atteints de démence (Britt et  al., 2022), etc. Les bénéfices globaux amènent nombre de chercheurs à soutenir une pratique intégrant cette dynamique dans l’ensemble des problématiques en santé, y compris comme facteur protecteur ou de prévention (Balboni et al., 2022). Ce lien entre le courant humaniste et la spiritualité a été dessinée par l’un des fondateurs, Abraham Maslow. Ainsi, il écrit en 1962 : «  L’être humain a besoin d’un cadre de valeurs, d’une philosophie de vie, d’une religion ou d’un substitut de religion pour vivre et comprendre, à peu près de la même manière qu’il a besoin de soleil, de calcium ou d’amour. »

Pour lui, et nous adhérons à sa vision, la spiritualité relève des sciences humaines et qu’il est important de distinguer la spiritualité dans un cadre de religion organisée et la spiritualité personnelle. Il existerait selon Maslow un lien entre la spiritualité et ce qu’il a nommé « peak experience » (expériences mystiques) ; qui seraient comme des annonciateurs de ce que pourrait être une actualisation1 complète. Maslow pensait que ce type d’expérience nous transporte hors de la conscience ordinaire, nous donnant un aperçu d’une réalité transcendante, et nous mettant en contact avec des valeurs ultimes telles que la vérité, la beauté, la bonté et l’amour, que

Maslow appelait les « valeurs de l’Être ». Enfin, pour cet auteur, si la personne est privée de ses besoins supérieurs (en lien avec l’expression de ses valeurs) alors elle peut connaître un tableau de «  métapathologie  » selon son mot et il convient alors de renouer avec cette dimension de la spiritualité personnelle via ce qu’il nomme « cognition de l’Être » et qui correspond pour beaucoup aux moments spirituels que nous allons aborder plus loin. C’est sans doute cet attachement à la spiritualité de Maslow qui a permis l’émergence dans la fin des années  1960 de la psychologie transpersonnelle, qui va particulièrement centrer son attention sur la question de la conscience et de la spiritualité (Charles Tart, Stanislav Grof, Ken Wilber, Michael Washburn…).

Définition Pour poursuivre, nous proposons dans ce chapitre de reprendre la définition qu’en donne Bernaud (2021)  : «  La spiritualité est un art d’exister, une façon différente d’appréhender le monde afin de donner de la substance à la vie.  » Il ajoute  : «  C’est un acte existentiel, qui donne une dimension et une force peu commune à la façon de vivre.  » Meezenbroek et  al. (2012) ajoutent  : «  [C’est] la façon de comprendre et de vivre la vie en lien avec les valeurs et le sens ultime qui lui est donné… une expérience subjective du sacré… une qualité qui dépasse l’affiliation religieuse, pour rencontrer l’inspiration, l’émerveillement, le respect, le but et le sens de la vie, même chez ceux et celles qui ne croient en aucun dieu. » Nous parlons donc d’instants vécus autrement, de façon non ordinaire, et qui ne sont pas forcément adossés à une mouvance religieuse. C’est même rarement le cas, mais la spiritualité a forcément à voir avec quelque chose de l’ordre de la philosophie puisqu’elle pose la question du sens, des valeurs, du rapport entretenu par un individu à son environnement,  etc. Certains tableaux cliniques spécifiques possèdent des dénominations  ; Édouard Collot nous parle dans ses apports dans cet ouvrage du sentiment océanique. Nous pouvons aussi citer le syndrome de

Stendhal ou bien plus récemment de l’effet de surplomb ou effet de vue d’ensemble («  overview effect  »). Pour le premier, Stendhal décrit des manifestations physiques de son sentiment de saisissement lorsque, à Florence, il est pris par la beauté des Arts sur place, omniprésente. «  J’étais arrivé à ce point d’émotion où se rencontrent les sensations célestes données par les Beaux-Arts et les sentiments passionnés. En sortant de Santa Croce, j’avais un battement de cœur, la vie était épuisée chez moi, je marchais avec la crainte de tomber. »

Concernant l’effet de vue d’ensemble/effet de surplomb, il s’agit d’un terme utilisé pour décrire le changement de conscience que les astronautes ressentent lorsqu’ils voient la Terre depuis l’espace. Ce terme a été inventé par l’auteur Frank White dans son livre The Overview Effect  : Space Exploration and Human Evolution (1987). L’effet de vue d’ensemble fait référence à l’expérience transformatrice que vivent les astronautes lorsqu’ils voient la Terre d’en haut, souvent décrite comme un sentiment d’interconnexion et d’unité avec l’ensemble de l’humanité et la planète dans son ensemble. Cette expérience est censée donner aux astronautes une nouvelle perspective sur la fragilité et la préciosité de la vie sur Terre, et leur inspirer un sentiment de responsabilité dans la préservation et la protection de la planète. Le phénomène a été documenté par de nombreux astronautes qui sont allés dans l’espace, notamment Edgar Mitchell (Apollo  14), qui a décrit l’expérience comme une «  expérience de Samadhi  », un terme utilisé dans l’hindouisme pour décrire un état de conscience méditatif. Des chercheurs tels que David Yaden (2016) ont étudié cet effet et propose qu’elle puisse être induite par des méthodes telles que la réalité virtuelle, la méditation et d’autres pratiques de modification de la conscience. Ce qui est attendu qu’en provoquant l’effet de vue d’ensemble chez les personnes qui ne sont pas allées dans l’espace, il soit possible de renforcer le sentiment d’appartenance à la planète, de fraternité, et ainsi le désir de la protéger.

De Jager Meezenbroek et  al. (2012) ont tenté une modélisation, centré sur la notion de connexion. Ils proposent de considérer sept facteurs regroupés en trois grands thèmes : ● Le fait de se connecter avec soi-même : le fait que la vie ait un sens, la confiance dans l’existence et l’acceptation des événements de vie négatifs. ● Le fait de se connecter avec l’environnement : le fait de prendre soin des autres et de se connecter avec la nature. ● Le fait de se connecter avec le transcendant repose sur des expériences transcendantales (ECM) et d’activités spirituelles. Perspectives ascendante et descendantes

Ken Wilber a longuement discuté des perspectives ascendantes et descendantes dans son livre Sex, Ecology, and Spirituality (1995). Il y affirme que l’histoire de la pensée occidentale a été caractérisée par la tension entre ces deux visions du monde opposées et aussi que les deux sont nécessaires au niveau individuel (développement humain). ● La perspective ascendante, également connue sous le nom de perspective «  from-to  », met l’accent sur l’évolution et le développement de la conscience humaine d’un niveau de complexité et d’intégration inférieur à un niveau supérieur. Cette perspective met l’accent sur l’importance de la croissance et de la transformation individuelles, ainsi que sur l’intégration des différents niveaux de conscience. Dans cette perspective, la plus vérité est dans la transcendance du substrat physique. Aussi, il faudrait se méfier du monde matériel en raison de son statut ontologique illusoire ou moins que réel. ● La perspective descendante, également connue sous le nom de perspective « to-from », se concentre sur la manifestation de la conscience d’un niveau de complexité et d’intégration supérieur à un niveau inférieur. Cette perspective souligne l’importance des structures et des institutions sociétales dans la formation de la conscience humaine et l’évolution de la culture. La perspective descendante, en revanche, est orientée vers ce monde. Dans cette perspective, la vérité est immanente et se trouve dans la nature, dans l’incarnation, dans le service aux autres ou encore dans la compassion. Cette perspective met l’accent sur la sanctification de la vie quotidienne ou du moins son respect. Les deux perspectives sont nécessaires, selon Wilber, pour une compréhension globale du développement et de l’évolution de l’homme. Même si elles installent une tension chez l’Être humain qui n’est jamais entièrement dans une seule perspective, ou dynamique. Pour synthétiser, Wilber affirme que la perspective ascendante est importante pour la croissance et la transformation personnelle, tandis que la perspective descendante est importante pour comprendre le rôle de la culture et de la société dans la vitalité de la conscience humaine.

Les moments spirituels La spiritualité est une « grande chose » ; des moments d’exception même s’ils peuvent pour une part être stimulés ou reconduits. Dans le cadre d’une « hygiène de vie », d’un équilibre en santé, la notion de « possibles spirituels » permet un cadre plus souple ; elles offrent un cadre de référence spirituel appliqué à des situations de la vie courante. Il peut s’agir d’actes simples qui proposent une absorption dans des instants exceptionnels  : une randonnée silencieuse dans les bois un bel après-midi de printemps ; un temps de méditation à l’abri de l’orage extérieur et au coin du feu chez soi  ; vivre un coucher de soleil majestueux et se retrouver gratifié par un rayon vert  ; profiter d’une pause où le café est appréciée gorgée par gorgée, l’esprit enfin dégagé, après avoir accompli un travail intense et laborieux  ; vivre le temps d’un regard cette connexion si particulière entre deux personnes que le sociologue Francesci Alberoni appelle l’innamoramento : le choc amoureux, etc. Mais c’est aussi des moments moins fugaces et plus intenses, pas toujours positivement comme par exemple le fait d’être confronté à la maladie grave (pour soi) ou à la misère d’un autre (personnes déracinées culturellement, en déshérence sociale, avec un trauma de l’exil, par exemple). Finalement, l’idée des moments spirituels est de consentir à laisser aller ce que l’on ressent, s’ouvrir à la possibilité de la transformation par l’émotion éprouvée (généralement intense) et de pouvoir en dire quelque chose, c’est-à-dire d’avoir un espace de lien à l’autre par la parole dont l’objet sera ce qui aura été vécu, éprouvé. Cette narration est un possible, elle n’est pas une obligation, mais vient comme prolonger le vécu par une narration en lien avec un autre que soi. En somme, ces moments proposent d’établir une relation dynamique entre l’âme2 et le sacré3 ; et peut-être d’ailleurs que c’est cette dynamique que l’on appelle spiritualité  ; en tout cas la croissance spirituelle, une forme d’intelligence, résulte de cela. En effet, ces «  moments spirituels  » ne sont pas des étincelles sans lendemain. La régularité que peut avoir une personne à stimuler

leurs présences dans la vie de tous les jours travaille ce que Amirian et Fazilat-Pour nomment l’intelligence spirituelle (2016), c’est-à-dire une compétence adaptative en même temps qu’une ouverture à des aspects de la vie complémentaires à l’intelligence cognitive (comment nous pensons) et de l’intelligence émotionnelle (comment nous ressentons). L’ensemble constituant probablement les trois dimensions princeps du rapport au monde d’une personne. La notion d’intelligence spirituelle est cependant assez nouvelle et sa définition n’est pas encore bien consolidée. Emmons (2000) propose la définition suivante : « la capacité à utiliser les ressources et les informations d’origine spirituelle en vue  de faciliter les résolutions de problèmes et l’atteinte de ses objectifs dans la vie de tous les jours ». Selon cet auteur, l’intelligence spirituelle est : « (a) une matrice unificatrice, (b) un cadre favorisant l’harmonie, (c) une ressource venant au secours des confusions psychologiques et des conflits intérieurs ; et elle est composée de quatre grandes capacités ou aptitudes  : 1) transcender le plan physique et matériel  ; 2) expérimenter des états supérieurs de conscience de manière claire et constructive  ; 3) éclairer et illuminer les expériences de la vie quotidienne ; 4) utiliser les ressources spirituelles pour résoudre des problèmes personnels ou professionnels  » (Moniz-Barreto, 2021). Comme on le voit, sa vision reste assez fonctionnelle avec une vision orientée très positivement, alors que la notion de spiritualité ne recèle pas que de bons aspects…

La spiritualité en négatif Une conférence de consensus en 2009 autour des pratiques palliatives a conduit à définir la spiritualité ainsi  : «  l’aspect de l’humanité qui renvoie à la façon dont les individus recherchent et expriment un sens et un but et à la façon dont ils font l’expérience de leur lien avec le moment présent, avec eux-mêmes, avec les autres, avec la nature et avec ce qui est significatif ou sacré  » (Puchalski et al., 2009). Elkins prolonge (2015) : « la spiritualité est liée à notre capacité de répondre au numineux. Le caractère essentiel de la

spiritualité est mystique, ce que l’on oublie facilement à une époque scientifique et matérielle. La spiritualité est enracinée dans l’âme et cultivée par l’expérience du sacré  ; elle se nourrit de poésie, d’émerveillement et de crainte. Sa nature même est une expression du mystère de la vie et des profondeurs insondables de notre propre être. » Pour autant, il est utile de rappeler que la spiritualité n’est pas toujours une dimension de maturation pour les individus. Par exemple, Battista (1996) décrit que ce qu’il nomme «  spiritualité défensive  »  ; une spiritualité parfois masochiste qui nie des parties de soi (propension à la colère, plaisir trouvé dans des conduites sexuelles réprouvées par sa culture, etc.) et se sert par exemple de la spiritualité ascendante pour se dégager de cela, alors même qu’elle caractérise le sujet. On appelle aussi cela «  contournement spirituel  » dans l’approche transpersonnelle. Battista parle aussi de « spiritualité offensive » pour exprimer un pôle plus narcissique, où les conduites spirituelles sont là pour service une sorte de soi grandiose, une haute estime de soi, un sentiment d’avoir des conduites qui placent le sujet dans un savoir et des pratiques exceptionnelles par rapport au reste de la population. Forman précise que (2010)  : «  Les traditions spirituelles ayant tendance à prôner l’humilité, le narcissisme par procuration peut être tout aussi courant que le narcissisme manifeste. Il se manifeste souvent sous la forme suivante  : «  Je ne suis peut-être pas génial, mais ma tradition (ou mon enseignant) est tellement meilleure/plus correcte que les traditions ou les enseignants des autres. »

Les états mystiques et la spiritualité La question est ancienne, on la trouve par exemple chez William James qui postule que ces états sont au cœur des religions, et même que ces dernières sont construites à références à ces vécus, comme pour leur donner un contenant.

Ces états sont parmi ces qui fascinent le plus souvent. Walter Stace (1960) en donne des critères principaux qui peuvent être regroupés ainsi : ● critère d’unité  : la personne ressent une profonde unité avec l’univers, comme s’il était en harmonie avec tout ce qui l’entoure ; ● critère de transcendance : la personne transcende les limites de son ego et entre dans un état de conscience élargi ; ● critère d’ineffabilité  : les expériences mystiques sont difficiles à décrire avec des mots car elles sont souvent au-delà de la compréhension humaine ; ● critère de béatitude : la personne ressent souvent une intense joie et une paix intérieure pendant l’expérience ; ● critère d’altération du temps et de l’espace  : la personne peut ressentir que le temps s’arrête ou que l’espace est dilaté ou rétréci ; ● critère de certitude  : la personne est convaincue de la réalité de l’expérience et de la vérité de ce qu’il a perçu. Finalement, les personnes qui font ce type d’expérience ont un ressenti de soi comme étant « le monde » de la relativité et parfois de l’insignifiance, alors qu’elles ressentent une mise en contact avec une réalité ultime, un espace de vérité absolue (il en découle une adhésion très forte à l’expérience vécue). Cet «  externe  » avec lequel la personne est mis en contact est associé au sacré, parfois au divin, à quelque chose de souvent indicible ou très difficile à décrire même si des mots sont parfois mis comme «  amour universel  ». Dean proposa la notion d’«  ultraconscience  » pour désigner une expérience intense autour de critères précis, mais cette notion reste marginale. Il ouvre cependant une intéressante discussion avec les états psychiatriques (1974) où finalement ce qu’il se pose est de savoir si ces états sont toujours du registre de la «  simple  » expression pathologique voire des facteurs de dégradation (notamment rencontrés dans la «  grande hystérie  » sous Charcot) ou s’ils peuvent avoir certaines vertus positives, ou du moins créatives. L’idée n’est pas tout à fait nouvelle. Par exemple,

dans les années  1960, on trouve le travail de Kazimierz Dąbrowski qui se posait la question de savoir comment les individus peuvent atteindre leur plein potentiel en se développant à travers des crises et des conflits internes. Les principes clés de la théorie de la désintégration positive de Dabrowski sont les suivants : ● La désintégration est un processus naturel  : selon Dabrowski, la désintégration est un processus naturel de croissance et de développement personnel. Il s’agit d’une réorganisation de la personnalité qui se produit lorsque les individus atteignent un point critique dans leur vie. ● La désintégration est le résultat d’un conflit interne : Dabrowski soutient que la désintégration est le résultat d’un conflit interne entre les valeurs et les normes de la société et les aspirations et les idéaux de l’individu. Ce conflit peut causer de l’anxiété, de la frustration, de la confusion et de l’inconfort. ● La désintégration est nécessaire pour atteindre un développement supérieur  : selon Dabrowski, la désintégration est un prérequis pour atteindre un développement supérieur de la personnalité. Cela implique de développer des valeurs plus élevées, une conscience plus profonde, une créativité accrue et une plus grande capacité à aimer et à empathiser. ● La désintégration est un processus long et difficile  : le processus de désintégration est long et difficile et peut être accompagné de nombreux symptômes tels que l’anxiété, la dépression et le désespoir. Toutefois, Dabrowski soutient que le processus est nécessaire pour atteindre un état de développement supérieur. ● La désintégration est un choix : Dabrowski soutient que la désintégration est un choix conscient que les individus font pour se développer et pour atteindre leur plein potentiel. Les individus doivent être prêts à affronter les défis et les difficultés qui accompagnent le processus de désintégration. ● La désintégration peut être facilitée par des facteurs externes  : selon Dabrowski, la désintégration peut être facilitée par des facteurs externes tels que des enseignants, des parents ou des amis qui encouragent et soutiennent l’individu dans son processus de développement.

Mais c’est aussi dans cet esprit qu’il fait comprendre le sens du travail autour des « urgences spirituelles » de Grof et Grof (1989). Il propose que ces «  urgences spirituelles4  » puissent être vécues comme des crises ou des opportunités de transformation profonde, selon la manière dont elles sont comprises et intégrées. Il a développé des approches thérapeutiques spécifiques pour aider les personnes à naviguer ces épisodes, telles que la thérapie

holotropique ou un processus que nous voyons dans le chapitre sur la psychopathologie, dans cet ouvrage. Citons enfin (la liste n’est pas exhaustive) ce que David Lukoff nomme « expérience mystique avec caractéristiques psychotiques  » (1985) pour décrire des expériences spirituelles intenses qui peuvent être confondues avec des symptômes psychotiques. Lukoff a constaté que certaines personnes vivant des expériences spirituelles profondes, comme des expériences de mort imminente, des expériences de kundalini, ou encore des expériences mystiques, peuvent présenter des symptômes qui sont habituellement associés à des troubles psychotiques, tels que des hallucinations, des délires, des sentiments de persécution, ou encore des comportements étranges. Selon Lukoff, ces symptômes peuvent être compris comme des réactions à une transformation spirituelle profonde, plutôt que comme des symptômes de pathologie mentale. Il propose que les professionnels de santé mentale adoptent une approche plus ouverte et respectueuse de ces expériences, en cherchant à comprendre leur signification spirituelle plutôt que de les étiqueter comme des symptômes de maladie mentale. La marque essentielle de ces manifestations est qu’il s’agirait d’expériences de reliance, une connexion intense à un un principe qui donne du sens et qui aurait à voir avec la notion de spiritualité telle que nous l’avons définie par avant. Surtout, cette expérience va construire du sens, permettant ainsi de dépasser une crise. Le lien avec les états mystiques est que cette spiritualité est souvent de l’ordre du lien au sacré (tel qu’on pourrait le définir ici simplement : ce qui à la fois est craint et qui suscite sinon une adoration, au moins un engagement intense), parfois directement à la religion. Il reste souvent quelque chose de ces expériences, comme une empreinte de transformation plus intentionnelle, une fois qu’elle a été éprouvée par le corps, les sens, l’expérience. Mais certains auteurs ont aussi postulé que le besoin de transcender les limites du soi pourrait être un besoin neurobiologique fondamental commun à tous tous les êtres vivants (Newberg, D’Aquili et Rause, 2001). Dans certains états, comme la psychose, la «  désagrégation adaptative  » qui

permet aussi de traverser des crises surviendrait dans des contextes où les bases psychologiques de la personnalité ne seraient pas assez sereinement installées pour les vivre de façon maturative, donnant ainsi des tableaux cliniques pour le moins désordonnés mais qui ne sont pas exempt de ces liens aux « états supérieurs ». Ainsi, Ken Wilber rappelle que les psychotiques ont de « profondes intuitions spirituelles  » (1980), faisant suite par exemple à Jung qui avait également noté que des fragments de thèmes et de symboles spirituels archétypaux apparaissent fréquemment dans les expériences des personnes psychotiques, même s’ils sont souvent complexes à repérer. En tout cas les expériences mystiques peuvent être vues comme une forme de frontière où se visite et se module la spiritualité tel que nous l’avons défini sobrement  : un art d’exister. Dans cette perspective, on peut voir la psychopathologie comme des invitations sans adresse à ce que cet art se vive de façon suffisamment stable pour offrir une maturation fluide, c’est en tout cas notre façon de comprendre cela actuellement !

Sexualité et spiritualité Si la sexualité est toujours désignée comme un tabou, elle n’en est pas moins un honnête sujet scientifique. Les études historiques et anthropologiques ont montré combien il s’agissait d’une préoccupation aussi vieille que l’humanité et qui a influencé de des faits historiques et même parfois des guerres… Par ailleurs, si la culture influence les comportements sexuels, ces derniers influent aussi sur les mouvements culturels et sociaux, participant des mutations sociales5. Les sciences médicales dont la physiologie (Safron, 2016) ont aussi étudié le domaine de la sexualité, ainsi que différents courants en Psychologie (existentielle, humaniste, transpersonnelle, et évidemment la Psychanalyse, particulièrement d’orientation freudienne). Pour autant, l’abord phénoménologique et particulièrement en lien avec les transes a été tardif (xxe siècle, pour l’essentiel) et Joëlle Mignot rappelle dans cet ouvrage qu’en ce qui

concerne la transe hypnotique, il n’y a pour ainsi dire presque rien, avant qu’elle ne développe cet axe (sur un versant non pathologisant). Notons le travail presque inaugural du psychiatre Rudoph Von Urban qui en 1949 (même si l’ouvrage offre quelques curiosités, du fait qu’il corresponde aux mœurs d’une époque surannée). L’auteur décrit plusieurs critères caractéristiques d’un état de conscience modifié  : exacerbation des sens, implication émotionnelle forte, description d’orgasmes proches des récits d’extase,  etc. Marghanita Laski (1961) confirma par la suite que la sexualité était l’un des inducteurs possibles de moments extatiques ; Greeley et McCready montrèrent que cela concernait 6  % des gens (1977  ; in Maliszewski et  al., 2011). Tart a démontré en 1978 (ibid.) le fait qu’une forte excitation sexuelle, en interaction avec des facteurs sociaux, culturels et psychologiques, pouvait induire une réorganisation de la conscience qui diffère de la conscience ordinaire. Davidson a argumenté de façon précise et convaincante pour que les orgasmes sont bien considérés comme les ECM (Davidson, 1980). Stanislav Grof a proposé en 1985 de distinguer deux types d’expériences transpersonnelles en lien avec la sexualité : le sexe océanique et le sexe tantrique. Le sexe océanique désigne un échange d’énergies ludiques mutuellement enrichissants, pouvant être perçue comme une danse. L’objectif est de faire l’expérience d’un sentiment de fusion avec l’autre dans un état d’unité bienheureuse. Dans le sexe tantrique, l’objectif est de faire l’expérience de la transcendance et de l’illumination, l’énergie sexuelle et les simulations corporelles étant ici de simples moyens pratiques pour atteindre cet état de conscience.

Bien plus tard, Wade (2004) mena une analyse qualitative des récits d’expérience sexuelles transcendantes, pour reprendre son terme. Il retrouve nombre de critères comme la puissance d’un lien avec l’autre, un sentiment d’unité allant au-delà du partenaire ou encore des perceptions corporelles allant jusqu’à des perfections corporelles modifiées. Pour certains participants, ces vécus ont mené à des modifications dans leur vie que l’on pourrait qualifier de thérapeutique. Maliszewski et  al. (2008) démontrent de manière

formelle et très détaillée les liens entre sexualité et transes à partir de 108 vécus de participants. La même année, Holbrook montre aussi de façon très nette ce lien fort entre sexualité et états de conscience modifié, pouvant aller jusqu’à des vécus de transes. Il lui a été reproché que ses treize participants aient été par ailleurs praticiens de yoga ou de méditation. Au contraire, cela ajoute une donnée importante  : le fait de «  cultiver  » les états de conscience modifiés potentialise les liens entre sexualité et transes. Récemment d’ailleurs, Brotto (2018) explore la façon dont la pratique mindfulness permet aux femmes de vivre une sexualité plus intense, en lien aussi la leur vie spirituelle. Citons également les pratiques qui se situent dans cette tradition de lien entre la spiritualité et le sexuel  : si le tantrisme est le plus connu (hindou et aussi bouddhiste), il existe aussi d’autres pratiques comme le yoga taoïste6, dans une expérience particulière au Dao. Chacune de ces pratiques invitant à s’inscrire dans un chemin d’exploration vers l’illumination (Maliszewski et al., 2011). Dans un tout autre registre, bien moins «  naturel  », nombre de patients toxicomanes et/ou praticiens du « chemsex7 » illustrent les liens dynamiques entre sexe et transes induites par des substances psychoactives et la manière aussi dont ces liens entre sexualité et transes peuvent aussi ne pas s’inscrire dans un mouvement vertueux, dans des contextes très particuliers.

Arts et spiritualité « The Artist is present »

Marina Abramović est une artiste serbe considérée comme l’un des plus grands noms des performances « body art ». Son travail repousse ses limites physiques et mentales dans diverses performances en lien avec les thèmes de l’identité, du couple, du corps (et de son endurance) et de la spiritualité. En 2010, une rétrospective de son œuvre est donnée au Musée d’art moderne de New York, qui attirera 750 000 personnes, un exploit. Elle y propose une nouvelle performance de 736  heures (sans manger, ni boire, ni se lever) où elle est simplement assise en silence et une sur chaise en bois, et chaque spectateur le souhaitant est invitée à s’installer devant elle pour un bref contact visuel. Cette expérience a été bouleversante pour nombre de spectateurs, et aussi pour l’artiste qui a mis du temps à se remettre de ce que sa performance avait

suscité. Un témoignage que l’on trouve sur le site du Moma  : «  Une expérience transformatrice – c’est lumineux, c’est édifiant, il y a de nombreuses couches, mais on en revient toujours à être présent, à respirer, à maintenir le contact visuel. C’est un voyage extraordinaire que de pouvoir faire l’expérience de l’œuvre et d’y participer8. » Un DVD éponyme contient aussi de nombreux témoignages sur cette performance au Moma (édité en 2012). Une rencontre éclatante entre art et spiritualité, que l’artiste avait notamment préparé grâce à la méditation de pleine conscience.

L’artistique/la création est sans doute l’une des expériences qui permet de donner corps et vivre son existence le plus directement en vivant un moment spirituel. Nous pouvons partir par exemple de l’ouvrage du psychologue et anthropologue Bradd Shore (2008) qui explore la relation entre la culture et la cognition. En s’appuyant sur ses propres études et aussi sur les auteurs qui l’ont précédé, l’auteur soutient que les êtres humains ne sont pas seulement influencés par leur constitution biologique individuelle, mais qu’ils sont également façonnés par les contextes culturels et sociaux dans lesquels ils vivent. Une perspective qui est d’une certaine façon commune avec celle de Tobie Nathan, dont le très important travail à partir de l’ethnopsychiatrie est essentiel à connaître pour approcher les thèmes qui nous intéressent (2013). Les arts sont indissociables de la culture  : elles en sont l’expression directe (et témoigne des civilisations) tout autant que l’art influence la culture. Cette thématique mériterait plusieurs ouvrages, et nous n’allons pourtant ne tracer que quelques lignes permettant de situer les puissants liens entre les deux domaines. Si nous prenons par exemple le domaine de la littérature, il a rendu compte des expériences de conscience modifiée presque dès le début de l’écriture. Certains écrits iconiques célèbres plus proches de nous mettent en scène les transes, comme par exemple Le moine de Mattew Lewis (transe mystique), Le parfum de Patrick Süskind (transe érotique)  ; Dracula de Bram Stoker (transe de fascination) ; La Maison des feuilles de Mark Z. Danielewski (transe d’extase, notamment), La Vérité sur le cas de M. Valdemar d’Edgar Allan Poe (transe macabre), L’Exorciste de William Peter Blatty

(transe de possession), L’Étrange cas du docteur Jekyll et de M.  Hyde de Stevenson (personnalités multiples), Borges et moi de Jorge L.  Borgès (transe dissociative), L’invention de Morel de Bioy Casares (transe crépusculaire),  etc. Et le cinéma en regorge tout autant… Tous ces essais peuvent être vus comme des explorations de l’indicible, une manière que questionner le vivant, le sacré, l’immanence ou la transcendance selon la situation. Mais les liens s’organisent aussi autour des écrivains qui ont écrit en état de conscience modifiés. Il peut s’agir de rituels comme celle utilisée par Jack Kerouac pour écrire son célèbre roman Sur la route. Cette méthode consistait à écrire sans s’arrêter pendant de longues périodes de temps, dans un état d’esprit détendu et ouvert à l’inspiration. Ou bien Virginia Woolf qui, dans son essai Un lieu à soi, décrit l’importance de trouver un espace calme et privé pour écrire, ainsi que la nécessité de se concentrer et de méditer pour stimuler son imagination et sa créativité. Ou encore Amélie Nothomb, qui écrit tous les jours, de bon matin, et rapidement sans se relire (avant la fin du premier jet) pour maintenir le flux de créativité. Mais parfois, les auteurs usent aussi de produits stupéfiants (Artaud et le Peyotl, Baudelaire et l’alcool, Rimbaud et l’opium…). De façon plus anecdotique (et controversée), Benny Shanon, dans son livre The Antipodes of the Mind  : Charting the Phenomenology of the Ayahuasca Experience, émet l’hypothèse selon laquelle Moïse aurait pu être sous l’influence de cet hallucinogène lorsqu’il a reçu les commandements divins ! Mais évidemment, dans ce domaine il serait compliqué de ne pas citer l’œuvre de Aldous Huxley The Doors of Perception où il relate sa première expérience d’un après-midi sous l’influence d’un seul comprimé de mescaline et le changement saisissant de sa conscience. Le titre fait référence au livre de William Blake Le mariage du ciel et de l’enfer (1790), où il écrit : « Si les portes de la perception étaient nettoyées, tout apparaîtrait à l’homme tel qu’il est, infini. Car l’homme s’est enfermé, jusqu’à ce qu’il voie toutes choses à travers des fissures étroites de sa caverne.  » Dans cet ouvrage, Blake explore les concepts de bien et de mal, de raison et

d’imagination, de perception et de réalité. La citation souligne l’idée que notre perception limitée de la réalité nous empêche de voir l’infini et la vérité ultime des choses. Si nous pouvions nettoyer nos portes de perception, nous serions capables de voir le monde tel qu’il est vraiment, sans la distorsion de nos préjugés et de nos limites mentales. En réponse à cela, Huxley pensait que le cerveau humain, dans son état normal, fonctionnait principalement comme un filtre que les drogues psychédéliques pouvaient nettoyer ouvrant ainsi vers une transcendance, des niveaux de perception supérieurs. Sans doute que le mouvement le plus complexe en littérature du côté des transes et de la spiritualité, mais qui va aussi bien au-delà est le mouvement surréaliste. Le surréalisme est un mouvement artistique et littéraire qui a émergé dans les années  1920, principalement en Europe. Il s’agissait d’un mouvement avant-gardiste qui cherchait à explorer l’inconscient et les aspects irrationnels de la pensée humaine à travers l’art et la littérature. Le surréalisme a été fondé par André Breton en 1924, qui a publié un manifeste qui a défini les principes du mouvement. Les surréalistes cherchaient à libérer l’expression artistique de toutes les contraintes de la raison et de la logique, et à explorer les rêves, l’imagination et l’inconscient pour créer des œuvres qui transcendent la réalité ordinaire. Le surréalisme a influencé plusieurs formes d’art, y compris la peinture, la sculpture, la photographie, le cinéma et la littérature. Les artistes surréalistes ont créé des œuvres qui contiennent des éléments inattendus, étranges, parfois choquants, tels que des images de rêves, des associations libres et des juxtapositions surprenantes. Les écrivains surréalistes ont également utilisé des techniques telles que l’écriture automatique pour explorer l’inconscient et créer des œuvres qui défient la logique et la cohérence traditionnelles.

Si l’on reste du côté du scriptural, nous pouvons aussi évoquer la place des mandalas. Ce terme provient de la langue sanskrit et signifie «  cercle  », «  centre  » ou «  roue  ». C’est une forme d’art sacré qui se caractérise par une image géométrique complexe, souvent circulaire, qui représente l’univers et l’harmonie entre toutes les choses. Les mandalas sont souvent utilisés dans les religions et les pratiques spirituelles, notamment dans le bouddhisme et l’hindouisme, mais aussi dans des domaines comme l’Art Thérapie. Ils peuvent être dessinés, peints, tissés ou créés à partir de matériaux tels que le sable coloré. La création d’un mandala est souvent considérée comme un acte de méditation, car elle réclame

une grande concentration et une attention minutieuse aux détails. Les mandalas peuvent être utilisés pour aider à atteindre un état de calme et de paix intérieure, ainsi que pour faciliter la visualisation et la guérison spirituelle. Ils étaient utilisés par Hildegarde de Bingen pour exposer ses visions cosmiques. Femme d’Arts, femmemédecine, théologienne, religieuse, Hildegarde de Bingen est surtout connue pour ses visions mystiques, qui ont commencé dès son enfance. Elle a aussi composé de nombreux chants liturgiques qui sont très étudiés, y compris dans le chant thérapeutique en lien avec la médecine spatiale (projet HAMSE – Geraldine GaudefroyDemombynes). La musique et les chants peuvent induire une transe (notamment par leur rythme répété) ou les accompagner. C’est le cas par exemple des célèbres « Om » (la syllabe sanskrite ; vibration vitale), les mantras, ou encore les icaros (chants guérisseurs d’Amazonie). Certains prêtent à la musique d’Hillegarde de Bingen cette vertu en lien avec la spiritualité. Nous pouvons en profiter pour rester du côté de la musique, à partir d’un ouvrage de référence  : La musique et la transe, de l’ethnomusicologue Gilles Rouget (1980) où l’auteur explore deux questions  : pourquoi musique et transe sont-elles quasi universellement associées  ? Si la musique déclenche et soutient la transe, comment agit-elle ? Zampleni en a fait une très belle synthèse (1981) et rappelle que la « pierre fondatrice » de Rouget est qu’il distingue clairement transe et extase. La première s’extériorise en société par le mouvement et la crise sous l’effet d’une sur-stimulation sensorielle. La seconde s’obtient dans l’immobilité, le silence et la solitude sous l’influence de la privation des sens. Il ajoute que La transe se solde par l’amnésie, l’extase par la remémoration. Et enfin, l’extase est pour lui incompatible avec la musique, tandis que la transe la suppose. Ces deux catégories opposées forment en fait les pôles d’un continuum « reliés par toute une série d’états intermédiaires », nous dit l’auteur. Puis l’auteur renvoie à la dichotomie exposée par Eliade puis de Heusch à propos du chamanisme et de la possession. Le chamane effectue volontairement un voyage dans le monde des esprits qu’il

maîtrise (ou a les codes). Le possédé reçoit malgré lui une visite des dieux (esprits) auxquels il se soumet. La transe chamanique est agie, tandis que la transe de possession est subie. Cette fois encore, le rapport du sujet à la musique est le trait distinctif majeur  : le chamane est le « musiquant » de son entrée en transe tandis que le possédé est «  musiqué  » par les autres. Il amène par la suite la notion de « transe conduite » (par soi) et de « transe induite » (par les autres) comme étant finalement deux modalités d’appréhension du monde de l’invisible est donc –  disons-nous  – de manière de vivre une certaine spiritualité. Rouget aborde les rythmes dans la question du mouvement associé aux transes, mais s’oppose assez vertement aux théories plus physiologiques des effets des sons, et des rythmes sonores en particulier, sur les effets obtenus. Ou très exactement au fait que certains auteurs comme Neher (1962) font un lien de causalité. Pour autant, si l’on s’éloigne de la causalité, on ne peut que suivre les études montrant que les sons (notamment l’association entre basses et hautes fréquences) et les rythmes influent sur les mises en transe, et peut-être même sur leurs effets. Notamment la culture techno a repris ces théories et pratiques dans le mouvement des rave parties, dont il serait compliqué de ne pas voir à quel point elles sont des mises en performance de transes induites par les sons… notamment. Il semble donc bien que cela ne soit pas réellement la musique qui entraîne une mise en transe mais les rythmes associés aux sons émis. Winkelman (2002) a montré que dans un contexte de groupe, les rythmes facilitent une synchronisation des rythmes individuels, des mouvements, etc. Ce qui renforce un sentiment de cohésion et de vécu identitaire. Sans doute que cela a aussi à voir avec la façon dont la musique peut engager une forme de spiritualité, ici vécue collectivement. Le contenu, et l’on rejoint là notre sujet de la spiritualité, sera plus donnée par une écoute de la musique en tant qu’expérience sensuelle et esthétique dans laquelle les personnes s’absorbent (une sorte d’intention personnelle, en somme). Autrement dit, si l’on va un peu vite, le rythme met en condition et la « coloration » de la

séance va être apportée par la musique et la capacité de la personne à s’y absorber avec dans l’ensemble des sensorialités. Là quelques distinctions peuvent apparaître  : il est sans doute plus simple pour le quidam de ressentir une forme de connexion spirituelle en écoutant un chant liturgique de Hildegarde de Bingen que de profiter d’un album de Black Sabbath. Mais évidemment, un rapport au monde individuel fait que cette phrase pourrait, ponctuellement, être inversée. Blood et Zatorre (2001) montrent que le choix d’une musique préféré peut se rapprocher beaucoup, en termes d’activation corporelle et cérébrale, est en lien fort avec l’expression des émotions et peut avoir dans certaines circonstances des effets analogues à ceux de la cocaïne. En fait, les états non ordinaires de conscience sont en lien avec un contexte, une méthode, une pratique, une intention… Dans ce schéma, la musique semble être avant tout un espace de projection par les individus de leurs intentions et notamment de vivre quelque chose en lien avec leur spiritualité. Mais la musique doit aussi répondre par sa nature avec une certaine congruence à l’intention du sujet. Un tempo régulier voire monotone pour aller vers l’extase, une intensification crescendo pour aller vers la transe (si l’on reprend la nomenclature de Rouget), des motifs et variations qui brusquent ou au contraire confortent l’écoutant, la durée comme la nature des sons,  etc. Vont jouer sur cette nécessaire congruence afin que l’expérience corresponde à l’attendu et parfois va au-delà. Les dispositifs comme l’art-thérapie ou même la respiration holotropique (qui utilise des sons et musiques) jouent sur l’ensemble de ces aspects pour les organiser au bénéfice de la personne.

Conclusion «  Ah  ! Général, il n’y a qu’un problème, un seul de par le monde. Rendre aux hommes une signification spirituelle, des inquiétudes spirituelles, faire pleuvoir sur eux quelque chose qui ressemble à un chant grégorien (…) Les hommes ont fait l’essai des valeurs cartésiennes  : hors des sciences de la nature, cela ne leur a guère réussi. Il n’y a qu’un problème, un seul : redécouvrir qu’il est une vie de l’esprit plus haute encore que la vie de l’intelligence, la seule qui satisfasse l’homme. Ça

déborde le problème de la vie religieuse qui n’en est qu’une forme (bien que peutêtre la vie de l’esprit conduise à l’autre nécessairement). Et la vie de l’esprit commence là où un être est conçu au-dessus des matériaux qui le composent. »

Il s’agit de deux extraits de la lettre d’Antoine de Saint-Exupéry au général X, datée du 30 juillet 1944. La guerre bien entendu… Mais il n’est pas sûr que notre soit plus pacifié qu’à l’époque où cette lettre a été écrite. Et surtout, il paraît évident que ce « besoin supérieur » (Maslow) qu’est la spiritualité ait trouvé chez l’humain une voie universelle, raisonnable et apaisée de s’exprimer. Comme nous l’avons montrée, la spiritualité n’est pas toujours une «  grande affaire  ». Elle est sans doute essentiellement celle de petits moments, construits pas à pas, mais qui dessinent une philosophie de vie propice aux expressions humaines et à l’épanouissement des civilisations, au-delà de ses membres. Et si nous nous y mettions vraiment ?

Notes 1. Tendance naturelle de chaque être humain à réaliser son potentiel et à se développer de manière positive de façon optimale, via l’intégration de ses expériences de vie. 2. Nous entendons par « âme » une qualité d’expérience de la vie que chacun peut faire, en lien avec la substance des choses. 3. Nous entendons par « sacré » ce qui suscite de l’émerveillement et aussi une forme de frayeur (par le côté absolu et puissant de ce qui suscite l’émerveillement). 4. Cette notion est différente de celles des «  urgences spirituelles  » proposées par Christophe André dans le livre Et n’oublie pas d’être heureux, qui renvoient à des remises en question de l’identité ou de l’existence, des questionnements sur le sens de la vie, etc. 5. Citons ici l’importance de la chaire Unesco « Santé sexuelle et droits humains » dont le travail est international, portant un regard précieux sur ces aspects. https://santesexuelledroitshumains.org. 6. Le yoga taoïste est une pratique physique et spirituelle qui trouve ses racines dans la tradition du taoïsme, une philosophie et une religion chinoise. Le yoga taoïste combine des postures, des mouvements fluides, des exercices de respiration et de méditation pour harmoniser le corps, l’esprit et l’énergie vitale. Le yoga taoïste se concentre sur la

circulation de l’énergie vitale ou « qi » dans le corps, plutôt que sur la flexibilité physique ou l’alignement parfait des postures. Les pratiquants de yoga taoïste considèrent que l’énergie vitale peut être bloquée ou déséquilibrée en raison des émotions négatives, des habitudes de vie malsaines,  etc. En travaillant avec la respiration, les postures et la méditation, ils cherchent à équilibrer et à renforcer l’énergie vitale, améliorant ainsi leur santé physique, mentale et émotionnelle. 7. Le terme « chemsex » est une combinaison des mots « chimie » (chemical, en anglais) et « sexe ». Il s’agit d’une pratique sexuelle qui implique l’utilisation de drogues récréatives dans le contexte de rapports sexuels. Les drogues utilisées peuvent inclure des stimulants tels que la méthamphétamine, la cocaïne, le GHB et le cristal de MDMA. Le chemsex peut également impliquer l’utilisation de médicaments pour prolonger l’érection ou pour réduire les inhibitions sexuelles. 8. https://urlz.fr/lfTl.

Focus 34 Spiritualité et hypnose dans un contexte thérapeutique multiculturel

Alejandra Diaz Dans la spiritualité, c’est le domaine de l’inconnu, du potentiellement puissant que l’on apprend à accepter, et que l’on doit apprivoiser. Alejandra Diaz en donne trois illustrations cliniques1. Il existe chez chacun de nous un besoin de se sentir associé à quelque chose, de trouver son identité en cultivant ses propres croyances, et d’exprimer sa foi en quelque chose qui dépasse notre propre compréhension. Vue sous cet angle, la spiritualité fait partie du concept dynamique du «  prendre soin  », et de la santé psychique. La spiritualité est distincte de la religion. C’est une extension de la conscience qui se produit en relation avec les autres, la nature et soi-même. Elle est fondamentale et unique pour chaque personne – patient comme praticien (Norcross, 2016). En tant que professionnels de la santé, l’accent doit être mis sur les points forts des patients, leurs capacités d’adaptation et leurs aptitudes à continuer à se développer, sur ce qu’ils peuvent faire chaque jour avec leurs ressources. Pratiquer avec une population multiculturelle ouvre la porte à l’exploration, la compréhension, l’acceptation et la transformation de la spiritualité du thérapeute et du patient. Pour autant, de nombreuses questions se posent lorsque l’on compare et met en contraste son système de croyances avec celui d’autres personnes, issues de milieux culturels différents. Cet article présente des exemples du processus de recherche intérieure, et d’identification de la propre spiritualité du patient. Les patientes évoquées dans ces pages ont pour deux d’entre elles une origine hispanique, et américaine de type caucasien pour la troisième. L’hypnose a été intégrée dans le processus de traitement, que ce soit avec la transe formelle, la conversation hypnotique et de courts exercices hypnotiques.

Mettre des mots sur la spiritualité

Qu’est-ce que la spiritualité ? La plupart des gens ont rencontré cette question à un moment ou à un autre de leur vie. La spiritualité peut être interprétée comme une façon saine de faire du lien entre la raison et l’émotion. Et ainsi, arriver à un équilibre satisfaisant entre le meilleur de ces deux mondes (raison et émotion). De nombreuses personnes qui disent avoir vécu des expériences numineuses2 déclarent un « sentiment de connexion profonde » qui ouvre leur conscience à des parties d’elles-mêmes, dont elles n’avaient pas conscience. Les expériences numineuses varient d’une personne à l’autre. Pour certains, cela se produit en priant ou en se promenant dans la nature tandis que, pour beaucoup d’autres, cela se produit en regardant les yeux de leur nouveau-né. Dans la façon dont je comprends les choses, tout ce que les gens cherchent est déjà en eux, car ils sont reliés à un tout qui dépasse leur imagination. L’exploration de la spiritualité par l’hypnose peut être un voyage dans le domaine de l’amour pur3, de l’acceptation et d’un véritable sentiment d’appartenance4. L’essence des personnes – ce qu’elles sont vraiment, ce qui fait qu’elles sont ce qu’elles sont – est bien plus étendue lorsqu’elles adoptent un concept de spiritualité qui leur convient. Lorsqu’elle est vue avec une source de curiosité, l’exploration de la spiritualité apporte une croissance personnelle, une guérison, et, peut-être, la découverte d’un sens à la vie. Susan est une femme hispanique de 25 ans, née et élevée aux États-Unis. Elle est issue d’une famille chrétienne. Elle a connu des niveaux élevés d’anxiété et des crises de panique régulières, qui ont entravé son style de vie. Lors de la première séance, elle a identifié que la principale source de son anxiété était la pression et les plaintes constantes de sa famille, concernant son manque d’engagement à aller à l’église, ainsi que sa réticence à participer à des discussions familiales religieuses. Ses parents voulaient élever leurs enfants selon les normes religieuses de leur pays d’origine. Ils considéraient que leurs enfants étaient nés et élevés dans la culture hispanique et non américaine. Susan n’était pas sûre de ce qu’elle croyait réellement, ou bien même, si elle voulait croire en quelque chose. Elle en a ressenti une profonde culpabilité. Après avoir été familiarisée avec la pratique de l’hypnose, à son fonctionnement et à l’immensité des possibilités qui l’accompagnent, elle s’y est plongée. Elle a adopté un style métaphorique, sans dialogue. Susan a découvert que la respiration et le processus d’attention porté vers l’intérieur d’elle-même avaient un effet positif immédiat sur son anxiété. Par la suite, l’hypnose a été utilisée régulièrement dans ses séances, pour explorer ce que la spiritualité signifiait pour elle. Elle a exploré les concepts de Dieu, la prière, le bien et le mal, les croyances en tant que règles strictes, qui ne peuvent être brisées ou modifiées, le pardon et l’inauthenticité. Ce sont des éléments avec lesquels elle a lutté depuis son adolescence. Susan a choisi le silence pour commencer, et a progressivement découvert quatre concepts qui représentaient pour elle la spiritualité : premièrement, la congruence des croyances et des comportements ; deuxièmement, le respect de son caractère unique  ; troisièmement, la joie de ce qu’elle fait pour servir la communauté, et enfin la simplicité de trouver un lien avec le sublime à travers la vie quotidienne. Ce sont les mots qu’elle a conçus pour décrire la spiritualité. Elle se souvient d’occasions où elle était satisfaite de ses convictions. Elle a décrit qu’autrefois, à la maternelle, elle a défendu un garçon qui était victime de brimades de la part d’autres personnes, évoqué son indignation face à ce dont elle était le

témoin, et parlé de ce qu’elle a fait pour aider le garçon. Ce souvenir lui a permis de renouer avec le courage dont elle a fait preuve lorsqu’elle a décidé de prendre la parole et de demander justice. Ainsi, Susan a reconnu la congruence entre ses convictions et ses actions. Au cours d’un exercice hypnotique visant à explorer et à établir de nouvelles limites saines, Susan s’est souvenue qu’elle avait grandi en étant comparée à sa sœur aînée, qui semblait être plus l’objet d’attention, et être d’une nature plus agréable. À  l’aide de quelques histoires d’enfants racontées dans un état de conscience amplifié, Susan a exploré et découvert les traits qui la caractérisent, dans son individualité. Ainsi, elle a appris que le respect de son caractère unique pouvait faire partie du puzzle de la spiritualité en train de se construire. Le processus d’autoexploration par le biais de conversations hypnotiques et l’utilisation de métaphores durant l’hypnose, ont permis à une série d’événements de son travail dans le commerce de détail, de faire surface comme étant pertinents pour la structuration de sa représentation de la spiritualité. Susan a remarqué que sa personnalité joviale était une ressource à laquelle elle avait accès pour communiquer avec ses clients, et ses collègues. Elle a réalisé que son attitude charismatique et optimiste rendait le travail plus agréable et avait un impact positif sur son entourage. Elle a conclu que trouver de la joie dans ce qu’elle fait pour servir les autres, est une valeur fondamentale pour elle. Un jour, Susan est venue en thérapie, exaltée par la découverte qu’elle avait faite lors d’un voyage dans les bois. Elle a raconté qu’elle s’était promenée seule et qu’elle avait réfléchi à sa spiritualité. Elle a vécu une expérience « sublime » avec la nature, activant tous ses canaux sensoriels et trouvant un lien fort avec le vivant : les arbres, les oiseaux, l’eau courante d’un ruisseau et le soleil sur sa peau. Elle s’est sentie pleinement connectée avec la beauté et les merveilles de la vie. De plus, elle a exprimé le souvenir d’une conversation (hypnotique  ?) pendant la thérapie sur l’universalité de l’amour et de la connexion ; et la tendance naturelle des êtres vivants à rechercher le bien-être. Ainsi, Susan a trouvé la simplicité de la connexion avec le sublime. Ces quatre éléments sont devenus l’épine dorsale de la spiritualité qui elle, voulait guider sa vie. Elle voyait la spiritualité comme la capacité de voir une puissance supérieure où qu’elle se trouve. Déclarant avoir établi des limites saines avec sa famille, elle a cessé de fréquenter l’église dont elle n’était pas satisfaite. Elle pouvait maintenant respecter les attentes culturelles et religieuses de ses parents, et s’en écarter sans se sentir coupable. L’anxiété et les crises de panique de la patiente se sont atténuées. Lorsqu’elles se sont résorbées, le processus thérapeutique a pris fin avec une Susan plus autonome. L’intégration de la spiritualité dans la psychothérapie améliore le succès du processus. L’exploration spirituelle peut apporter un sentiment accru de connexion avec le sacré, des sentiments d’amour et d’altruisme, et un émerveillement spirituel sur la création ou l’univers. Ces expériences peuvent se produire dans le contexte religieux ou non. Pour certains, la prière et la dévotion personnelle sont une pratique significative qui donne un sentiment de proximité avec Dieu  ; pour d’autres, cela se produit davantage en eux-mêmes ou dans leur environnement (Norcross, 2016).

Faire la distinction entre la religion et la spiritualité. La pratique avec une population multiculturelle offre la possibilité d’être en contact avec des systèmes de croyances divers et parfois opposés. Lorsque l’on cherche un thérapeute, on cherche généralement une personne d’origine culturelle similaire5. On a tendance à préférer quelqu’un qui parle sa langue maternelle, et comprend les nuances de sa culture. En outre, cela soulève un dilemme : tout à la fois s’adapter à la nouvelle culture dans laquelle on grandit, et conserver l’essence de sa culture d’origine. Ce processus d’acculturation est vécu de différentes manières. Comme le dit le chanteur, compositeur et philosophe argentin Facundo Cabral (1972) dans l’une de ses célèbres chansons « No soy de aquí, ni soy de allá… » C’est un sentiment commun à la plupart des immigrants, qui de ce fait, sont constamment dans un processus de construction de leur identité. Paula est une femme hispanique d’une trentaine d’années, élevée par sa grand-mère en Amérique latine jusqu’à son douzième anniversaire. À cet âge, elle a déménagé aux États-Unis pour vivre avec sa mère, son beau-père afro-américain et ses deux frères et sœurs. Elle a reçu une éducation catholique, dans une famille de religions et de croyances mixtes. Paula a fréquenté différentes chapelles, ainsi que des personnes d’origines culturelles diverses. Elle se souvient qu’à l’adolescence, elle confondait spiritualité et religion, et ne savait pas en quoi elle croyait réellement. Elle décrit une colère et une frustration croissantes en raison des nombreuses restrictions imposées, tels le type de musique, les vêtements qu’elle pouvait porter, et les nombreuses activités d’adolescents auxquelles elle n’était pas autorisée à participer. À  la fin de son adolescence, elle a été expulsée de l’église parce qu’elle ne faisait pas preuve d’un engagement suffisant, et ne respectait pas les règles de la communauté religieuse. Paula se rappelle, les larmes aux yeux, comment cela a conduit à une séparation entre elle et sa mère et, par conséquent, à un sentiment accru de ne pas être validée en tant que personne et d’avoir vécu dans l’incertitude. Quelques années plus tard, Paula s’est mariée simplement, sans cérémonie religieuse, et sa mère n’y a pas assisté. La spiritualité est devenue alors une partie apparemment « inexistante » de sa vie. Décidée à suivre une thérapie, pour régler les problèmes non résolus, elle a cherché un thérapeute d’origine culturelle similaire à la sienne, parlant l’espagnol. Dès la première séance, elle s’est retrouvée en conflit entre la culture hispanique à laquelle elle s’identifie, et l’intolérance pour certaines croyances liées à cette même culture. Son mari et elle voulaient que leurs enfants grandissent en croyant en «  quelque chose  » et en ayant un sentiment d’appartenance à une congrégation organisée. Paula a décidé de se pencher sur ces vieilles blessures. Elle s’est efforcée d’examiner la différence perçue entre la religion et la spiritualité. Explorant par l’hypnose les différentes voies qu’elle avait déjà essayées dans le passé, elle a appris combien elle a grandi à partir de ces expériences. Elle a pu voir ces différentes voies sous un angle nouveau, remarquant la variété des éléments qui s’étaient harmonisés, lui ouvrant une nouvelle voie. Paula se plaignait de toutes les idées contradictoires inhérentes aux religions. Selon elle, chacun parlait comme s’il avait «  la vérité ultime  » sur Dieu et la foi. Aussi aspirait-elle à retrouver la voie simple, avec laquelle elle a grandi dans son enfance. Grâce à une conversation hypnotique et à une transe formelle, elle a pu envisager

différentes voies, et explorer chaque chemin dans une attitude d’acceptation. Pour elle, la religion et la spiritualité se trouvaient à la fois à l’intérieur et à l’extérieur d’ellemême. Elle a trouvé un «  temple intérieur de croyances  », façonné par de nombreuses idées accumulées tout au long de sa vie. Appartenir à une communauté religieuse devint pertinent pour elle. Les chants et les cérémonies lui permirent de donner du sens, et de faire un lien profond avec une puissance supérieure, facilitant le «  partage de son temple intérieur  ». Après avoir exploré ce que proposaient les différentes églises de sa région, Paula et sa famille trouvèrent une église répondant à leurs attentes, leurs besoins, et la possibilité de participer activement aux cérémonies religieuses. Spiritualité et religion pouvaient alors satisfaire son désir de connexion, de sens et d’objectifs. Elle se découvrit plus respectueuse et réceptive à l’égard de la diversité des idées. Ainsi, Paula réalisa que le fait de côtoyer de multiples cultures, lui permettait de puiser des ressources pour sa vie quotidienne. De fait, elle trouva un emploi d’enseignante, où elle put utiliser son bilinguisme et sa biculturalité au service d’enfants en difficulté d’apprentissage. C’était là, dit-elle, une nouvelle façon d’exercer sa spiritualité. Inclure la spiritualité dans un processus thérapeutique est une forme de service au monde, aux autres et à soimême. Milton Erickson disait que si une maladie ou une perturbation pouvait survenir soudainement, alors la thérapie pouvait se dérouler de la même manière (1983). Il a enseigné qu’une thérapie efficace aidait les patients à abandonner leurs modes de perception habituels, pour en reconnaître de nouveaux. Il s’agissait de prêter attention au bon moment permettant d’introduire une nouvelle voie, puis de voir ce que l’esprit inconscient du patient en fait.

Trouver des symboles de transformation significatifs L’utilisation de symboles en hypnothérapie est une stratégie très puissante pour aider les patients à se connecter à leurs ressources intérieures, afin de résoudre des problèmes. Les symboles représentent les forces et les luttes. Ils sont un outil non menaçant qui permet aux patients d’envisager leur vie quotidienne d’une manière nouvelle, quelque chose qu’ils n’auraient jamais envisagé auparavant. Les symboles utilisent le langage de l’esprit inconscient et facilitent le changement qui se traduit dans la réalité interne et externe de la personne par l’autonomisation. Jane est une Américaine de type caucasien, d’une trentaine d’années. Elle a suivi une thérapie pour traiter les effets des abus religieux subis dans son enfance. Jane a déclaré avoir grandi dans une famille chrétienne stricte jusqu’à la radicalité. Étant scolarisée à la maison, elle devait suivre de nombreuses règles rigides, qui l’empêchaient d’avoir des activités régulières pendant l’enfance et l’adolescence. Elle a subi un endoctrinement par la peur, et une invalidation constante de ses idées comme de ses sentiments. N’ayant pas été bien socialisée, n’ayant pas appris à se fixer des limites, elle est devenue une adulte qui rencontre bien des difficultés, dans son travail de graphiste comme dans sa vie personnelle.

Quand elle a eu une vingtaine d’années, elle s’est éloignée de sa famille d’origine, a déménagé dans une autre ville, en essayant d’avoir ce qu’elle a appelé «  une vie normale ». Elle a obtenu de bons diplômes, mais n’a pas pu trouver un emploi, car elle était « terrible » lors des entretiens d’embauche. Quand elle se mit à réfléchir à son éducation, à toutes les expériences endurées, elle fut très en colère contre le Dieu qu’elle connaissait, et se sentit impuissante. Au moment de commencer sa thérapie, elle était fiancée et très heureuse de son fiancé. Elle se sentait aimée, acceptée, satisfaite de la vie commune qu’ils étaient en train de construire. Tous deux étaient bénévoles dans une organisation d’aide aux sans-abri. Ils étaient aussi bénévoles dans un refuge pour animaux, où ils ont été les « parents » nourriciers de nombreux chiens et chats. Jane a trouvé que ces activités donnaient un sens à sa vie et l’aidaient à trouver une nouvelle spiritualité, décrivant les sentiments de gratitude mutuelle exprimés dans ses yeux et dans ceux des sans-abri. Elle racontait, les larmes aux yeux, les nombreux chiens et chats qu’ils avaient sauvés. Il y a quelques années, ils avaient décidé d’explorer la possibilité de faire partie d’une communauté religieuse. En raison de son passé et de ses expériences négatives, elle était hésitante, mais intéressée. Ils ont trouvé un temple bouddhiste et ont commencé à s’engager peu à peu, à mesure qu’ils apprenaient les enseignements bouddhistes. Jane trouvait que c’était un bon endroit pour elle. Elle est néanmoins venue en thérapie parce qu’elle voulait guérir, et développer des compétences afin de se fixer des limites fermes. Jane a été initiée à la pratique de l’hypnose et elle a bien réagi. Elle avait déjà l’habitude de méditer quotidiennement. Elle a également réagi positivement aux symboles qui représentaient ses difficultés et les solutions possibles. Au cours de ce travail, elle a vu son passé comme un cœur plein de petites coupures superficielles –  comme celles faites par une feuille de papier  – qui pourtant la blessaient profondément. Le symbole de sa transformation était la multitude de sourires d’appréciation reçus au cours des années de bénévolat. Elle a laissé les larmes faire la purification et a mentionné avoir reçu des photos d’un sourire après l’autre, gratitude qui a guéri son cœur blessé. Lors d’une autre séance, elle a identifié le symbole de ses expériences spirituelles passées comme étant un «  Jésus crucifié saignant  », et le symbole de son expérience spirituelle actuelle était un Bouddha, potelé et heureux. Comme symbole de transformation, elle a repéré «  un nuage blanc aimant  » qui l’a gentiment emmenée d’un symbole à l’autre, dans un voyage qu’elle a décrit comme guérissant, responsabilisant et sûr. Une fois de plus, elle s’est dit satisfaite de constater à quel point la guérison peut être douce et simple. Lors d’un exercice d’hypnose, Jane, déterminée, a voulu travailler sur son manque d’affirmation de soi et sa difficulté à se fixer des limites. Tout cela, disait-elle, ressemblait à «  une serrure rouillée avec une clé perdue  ». Le symbole de la transformation était de plonger au fond de l’océan pour la retrouver. Elle a nagé dans son imaginaire, jusqu’à ce qu’elle esquisse une série de petits pas, pour commencer à s’affirmer et à fixer des limites saines. Le processus thérapeutique s’est conclu par une Jane plus autonome qui avait trouvé sa spiritualité à travers les symboles. Carl Jung a déclaré que « le bien et le mal doivent toujours être unis en premier lieu si l’on

veut créer le symbole. Le symbole ne peut être ni pensé ni trouvé, il devient  » (Shamdasani, 2009 : 311). Les patients de différentes cultures apportent une richesse de ressources au processus thérapeutique. Chaque culture a trouvé des moyens de transcendance, par la prière, la méditation, et d’autres formes pour trouver un but et donner un sentiment de connexion avec le divin en soi. Les praticiens de la santé offrent aux patients un espace ouvert pour ce travail. Au fond, il y a peu de différence entre ce que les gens font en hypnose et ce qu’ils font en prière. Dans cet état, ils amplifient leur état de conscience pour atteindre un nouveau niveau de sens, afin d’insuffler de l’espoir. Dans ce processus, les patients peuvent se connecter à leurs ressources, leurs forces et leurs capacités ; et le résultat qui en découle dans leurs interactions avec les autres et leur environnement fournit une émotion forte qui les pousse vers le bienêtre. La vision globale leur permet d’élargir leur conscience au-delà de la petitesse de tout dilemme pour faire partie d’un ensemble plus vaste. Souvent, tout ce dont les patients ont besoin, c’est de réaliser que la solution était là depuis le début. Elle a peut-être été négligée, présente, mais cachée et en même temps, créée (McNeilly, 2016). L’hypnose fournit l’ambiguïté du langage nécessaire à ce travail, facilitant un vaste éventail de choix et de réponses possibles. Si la personne veut être spirituelle, la liberté de le faire est à sa portée. Le sens se trouve dans la personne, qui est sujette à de nombreux changements, et ces changements modifient le monde. Comme l’a déclaré Milton Erickson, «  les gens ont, dans leur propre histoire naturelle, les ressources nécessaires pour surmonter les problèmes pour lesquels ils demandent de l’aide » (Rosen, 1991 : 51).

Notes 1. Article initialement publié dans la Revue de l’hypnose et de la santé n° 13. 2. Expérience affective du sacré, suscitant un mélange de frayeur et de fascination. D’abord étudiées dans le champ du religieux, les expériences numineuses peuvent être étendues à d’autres situations et pratiques exposant à la transcendance. 3. Avec cette notion, l’auteur fait ici référence à l’acceptation inconditionnelle, et à la compassion. 4. L’appartenance correspond à notre besoin d’affinité, d’acceptation à quelque chose de plus grand que soi ou à une communauté. Le sentiment de ne pas être isolé, mais d’appartenir à quelque chose qui donne un sens à notre existence, ou à un groupe social qui donne un but et une trajectoire.

5. Rappelons qu’ici, l’autrice se situe dans le contexte des États-Unis, du Texas plus précisément.

Chapitre 35 De la transe chamanique au pays Tamang

Mathieu Ruet Ce récit d’expérience présente un rite chamanique (voir infra) qui se déroule au Népal, dans la vallée de Katmandou. Il est suivi d’interrogations de l’auteur sur les concepts de transe hypnotique et chamanique. Mathieu Ruet aborde également le questionnement autour de ce que nous apprennent les rites traditionnels dans nos pratiques thérapeutiques1. « Qui es-tu Chamane, toi, qui comme cela danse, Sautillant et vibrant avec aisance, Chantant et transpirant d’élégance, Toi qui sembles ici et ailleurs en permanence, Continue de parler aux esprits, Mais surtout, ne leur dis pas qu’ici, Parfois incrédule, on sourit, De ce qui fut un jour notre savoir aussi. »

Récit d’expérience En ce mois d’octobre  2017, la lumière matinale venue de l’est transperce les cimes lointaines du Langtang et offre une occasion unique d’observer le toit de notre monde. Après une semaine d’immersion culturelle, je quitte le petit village de Thulo Parsol.

Située à 70  km de Katmandou, cette région rurale est en majorité peuplée par les Tamang, d’origine tibéto-birmane, adeptes du bouddhisme. Ici, les rituels chamaniques sont assurés par les « Bompo » ou « Bombo », des Chamanes Tamang. À la différence des lamas2 qui possèdent au sein de cette communauté une véritable fonction religieuse et politique, les Bompo sont consultés à des fins thérapeutiques. Leurs qualités de guérisseurs leur permettent de naviguer entre bouddhisme et hindouisme très ancrés au Népal. Ils sont d’ailleurs les seuls à véritablement communiquer avec les divinités de ces courants religieux ainsi qu’avec des esprits ou des âmes défuntes du village. Après avoir rencontré plusieurs Bompo et assisté à des cérémonies qui furent parfois étonnantes, une dernière rencontre est organisée dans la ville de Bhaktapur. Ayant longtemps dominé politiquement la région, cette ville voit s’installer des familles Tamang à la recherche d’un confort que les villages traditionnels ne peuvent offrir. Avec elles, un Bompo a suivi cet exode il y a quelques années et officie en périphérie du centreville.

La rencontre Arrivé en face d’un immeuble de cinq étages, j’attends mon interprète, Sanjan. J’entre et m’assois sur le petit banc en bois installé dans le couloir de l’entrée. Sur le mur d’en face, le bruit provenant du compteur électrique attire mon attention. De façon anarchique, des dizaines de fils sortent d’une boîte en plastique que rien ne semble soutenir. La magie de l’électricité opère pourtant puisqu’une lumière opaque se diffuse dans l’escalier. Dans la pièce qui juxtapose le petit cabinet du Bompo Tamang, une femme approchant la soixantaine est alitée. Elle est accompagnée par l’une de ses belles-filles. Sanjan, qui vient d’arriver, l’interroge avec retenue. Elle nous confie que des médecins de l’hôpital ont décidé de les orienter ici pour des soins particuliers. D’après le Bompo, un trouble au niveau de l’estomac serait la cause de ce malêtre. Un soin en plusieurs étapes et sur plusieurs jours est donc

nécessaire. J’ai soudain le sentiment d’être au croisement de croyances qui tentent de se parler. Les ponts tant nécessaires entre des mondes différents, qui ont pourtant le même objectif, celui de soigner, semblent ici s’articuler. Parler de travail conjoint serait probablement excessif. Malgré tout, un certain respect mutuel semble émaner de cet échange entre pratique moderne et traditionnelle. Je cherche une situation comparable en France. L’image des coupeurs de feu3 que l’on tend parfois à associer au travail des services hospitaliers des grands brûlés me vient en tête. Alors que j’enregistre ces réflexions sur mon dictaphone, la porte à ma droite s’ouvre brusquement. Une femme quitte le cabinet du Bompo. La rencontre est imminente. À  ma grande surprise, le Bompo porte un tee-shirt jaune sur lequel est imprimé le visage souriant de Bob Marley. À  61 ans, Jaman Sing Tamang est un personnage qui suscite la curiosité. De petite taille, il se dégage de son visage une énergie solaire. Amusé par mes questions, il se prête au jeu de l’interview et raconte que son grand-père paternel était également Bompo. Il murmure son nom, Derkasim, avec un léger sourire. Ce don de guérisseur, il en porte la responsabilité depuis une cinquantaine d’années. Jaman possède deux Gurus4, c’est-à-dire des guides spirituels qui l’aident et l’assistent dans sa pratique de soin. L’un serait une femme qui viendrait d’Inde dont il ne précise pas le nom. Quant à l’autre, il s’agirait d’une entité, d’un esprit qui peut intervenir notamment au moment de la transe. L’espace de soin est petit. Aux murs sont accrochés des dessins de Gurus et de divinités bouddhistes. Plusieurs tambours permettant au chamane de mener la transe sont posés çà et là. Sous l’unique fenêtre de la pièce, un long bureau en bois est accolé au mur. Une plaque de fer couvre quasiment toute la largeur du bureau. Dessus, sont disposés huit os ressemblant pour certains, me semble-t-il, à des fémurs humains. Avant chaque séance, des grains de riz sont versés dans une assiette servant aux offrandes. Le nom du patient est écrit sur un morceau de papier. Il accompagne une donation, quelques milliers

de roupies enroulées en cône, planté au milieu du riz. À l’aide d’une petite baguette de bois sculpté que Jaman surnomme «  os de tigre », il sélectionne un par un quelques grains de riz qu’il dépose à différents endroits sur la table. Un travail minutieux. Il entame ensuite des incantations dirigées vers les os et vers de vieux livres. Ses prières sont guidées par de fortes respirations. Mâchoire serrée, Jaman aspire l’air profondément, d’un sourire forcé. Cette attitude maintes fois répétée crée une sonorité particulière et difficilement descriptible. Dès lors et pendant quelques minutes tout se suspend. Hypnotisé, j’observe Jaman. Il semble agir à deux niveaux, absorbé à la fois par ce qu’il fait, et attentif à des entités qui le guident. Une sorte de vaet-vient entre un ici et un ailleurs, qui se traduit de ma perception par une alternance d’absences et de présences. D’un coup sec, il claque un objet métallique sur la table en s’adressant aux divinités. Il manipule son « os de tigre ». Tel un stéthoscope, il scanne le corps du patient. Il saisit ensuite un autre os plus grand et plonge son regard à l’intérieur de la partie coupée. À la manière d’un marin qui scrute l’horizon à l’aide d’une longue-vue, il semble accéder à des informations cachées, inscrites dans l’histoire vécue du patient. Une malformation cardiaque à la naissance, une cheville fracturée et d’autres observations qui seront confirmées par la suite. Après 45 minutes d’échanges, Jaman s’absente. J’ai le sentiment d’assister à une expérience particulière. À  l’image du regard posé sur une peinture dense où fourmillent une multitude de détails, je peine à saisir le tout dans sa globalité. J’ai l’impression de parcourir un livre passionnant dont l’absence de pages rend la lecture incomplète, discutable. La fille de Jaman est restée, nous échangeons quelques mots pour connaître son ressenti. Peu encline à lui succéder, elle confiera que c’est uniquement parce que son père le lui demande qu’elle l’assiste durant les rituels. L’entretien s’achève sur ce qu’il advient des os lorsqu’un Bompo décède. La réticence de cette jeune fille semble davantage marquée par un manque d’intérêt que par une peur exacerbée de cet autre monde. Tout ça me laisse pensif. À  qui

appartenaient ces os, ces tambours avant que Jaman ne les reçoive ? Qui donc en héritera à sa mort ?

La transe Alors que la nuit tombe, Sanjan et moi sommes invités à entrer de nouveau dans ce petit espace de soin. Jaman nous propose d’assister à une séance de transe dans laquelle il va se plonger. Conscient de ce privilège, je m’assois discrètement. Observer et ressentir pour tenter de mieux appréhender cet état conscience modifiée. Une jeune femme d’une vingtaine d’années est déjà là, accompagnée par trois membres de sa famille. De rapides échanges en amont permettent à Sanjan de m’expliquer leur demande. Depuis plusieurs semaines, elle se plaint d’un mal-être, de douleurs physiques, d’une perte d’envie, associée à beaucoup de fatigue. Sur le sol, un plateau accueille les puja, c’est-à-dire des offrandes destinées aux Gurus. Des fleurs, un œuf, une banane, une pomme et de la poudre rouge qui s’apparente à du Tikka5 sont disposés avec élégance. Deux coussins se font face. Jaman s’assied et invite sa patiente à en faire de même. Il l’orne d’un malla, ce collier fabriqué à base de noyaux de l’arbre Bodhi6, qui la protégera durant la cérémonie. Comme tout à l’heure, le nom de la patiente est écrit sur un morceau de papier et repose dans une assiette remplie de riz. La fille de Jaman allume de l’encens qu’elle plante dans la pomme. Des vagues successives d’une fine fumée s’élèvent en suivant les mouvements de l’air. Jaman saisit son tambour. De la main gauche, il le tient fermement par le manche situé à la base. Dans sa main droite, une baguette en bambou en forme de S lui sert à frapper le tambour. Orienté de façon verticale, tel un bouclier, il semble vouloir ouvrir un espace entre deux mondes. Le rythme démarre, d’abord lent. Un premier coup plus fort, suivi de trois coups plus doux. Les yeux

fermés, son corps s’active et une forme de danse assise débute, comme si son buste dessinait dans l’air des cercles irréguliers. Nous sommes impactés par ces vibrations d’une puissante intensité. Rien ne semble pouvoir perturber cette harmonie sonore, pas même la sonnerie d’un téléphone portable qui retentit. Le silence s’installe en moi. Pourtant, mon corps semble vouloir suivre le rythme du tambour. Je me surprends à bouger en cadence. Le rythme se fait plus rapide, les coups plus intenses, la respiration plus présente. Près de 40 minutes après le début de la séance, les coups deviennent si forts que l’on discerne de moins de moins le chant du Bompo. Les inspirations se font si profondes que son souffle bruyant semble décrire une véritable agitation interne. Et soudain, tout s’arrête… Ou plutôt tout commence. La transition est brutale. Elle nous saisit tous. Jaman frappe maintenant sans arrêt sur son tambour, guidé par des tremblements massifs d’un corps qu’il ne semble plus maîtriser. Pendant 30 secondes, tout est anarchique, la terre semble s’ouvrir sous ses genoux. La violence de la transe est sidérante. L’énergie dégagée est stupéfiante. Ses bras parviennent encore à tenir le tambour et la baguette qui imprime désormais un rythme binaire extrêmement rapide. Les tremblements se stabilisent à mesure que les cris de Jaman diffusent par bribes des informations. Un mot, un autre mot, et encore un autre. Des cris hachés qui percutent l’entourage de la patiente. Réagissant pour la première fois depuis le début de la séance, ils acquiescent parfois à ce qui prend de plus en plus des allures de révélations. La transe est déjà impressionnante tant il est rare de voir un homme dans cet état, mais ce qui me fascine encore davantage, c’est d’observer à quel point une partie des informations délivrées grâce à cette transe semble faire sens pour les proches de la patiente. Les cris alternent désormais avec des battements violents et rapides. La respiration devient extrêmement courte, les temps d’expiration servant seulement à exprimer un mot. De la sueur coule abondement sur son visage. Le point de rupture semble tout près. Et puis soudainement, Jaman se lève. Il entame une danse autour de

la patiente, apposant à plusieurs reprises le manche de son tambour sur le sommet de sa tête. Depuis le début, j’observe discrètement cette jeune femme. Elle réagit assez peu à tout ce qui se passe, comme si quelque chose l’avait dépassée. Pourtant attentive à ce que le Bompo lui demande, elle semble passive. Comme sous influence, soumise entièrement à Jaman, il se dégage d’elle une forme de confiance aveugle. Jaman circule désormais dans un petit périmètre en sautillant, se penchant en avant puis en arrière. Il tourne, chavire, nous frôle, enivré d’une énergie qui semble venir d’ailleurs. À  chaque tour, la chaleur qu’il génère est perceptible. Et puis, à mesure qu’il tourne, l’intensité diminue. Après quelques minutes, il s’arrête devant l’oncle de la patiente et lui tend son tambour. Maladroitement, ce dernier continue à battre le même rythme rapide sans variation. Pendant ce temps, Jaman distribue à chacun de nous un peu de riz en commençant par la patiente. Il entreprend des rites gestuels en murmurant des mantras. Quelques minutes s’écoulent, puis il reprend sa danse. Quand il s’arrête de jouer, tout semble différent. Poursuivant ses incantations et ses gestes précis, il conserve une respiration si particulière, comme s’il pouvait aspirer quelque chose chez l’autre. Progressivement, l’ambiance retrouve un aspect moins solennel. Les proches s’autorisent à parler entre eux ainsi qu’avec Jaman. Sans pour autant comprendre leurs échanges, un certain soulagement est perceptible. Jaman entame alors un chant de prières, comme pour clore la séance. Puis il récite une incantation dans laquelle il souhaite intégrer le nom complet de la patiente. Moment de légèreté, lorsque ne parvenant pas à comprendre son nom, tous se mettent à le répéter en criant. Étonnant de constater qu’il peut communiquer avec des puissances agissantes et parallèlement, avoir des difficultés à entendre un simple prénom. L’ambiance devient plus détendue, mais Jaman poursuit son travail. Par ses inspirations intenses, il semble remercier ses Gurus. Après quelques minutes, il quitte la pièce. Le soin s’achève du moins pour ce que je suis

autorisé à voir. Je regarde ma montre, une heure s’est écoulée depuis que la séance a commencé. Difficile de saisir l’émotion qui est la mienne à cet instant. Des sentiments se mêlent aux nombreuses questions qui m’envahissent. Je me tourne vers mon interprète Sanjan, suspendu à ses lèvres et la synthèse qu’il s’apprête à me livrer. Le soulagement lu sur les visages de cette famille est compréhensible. La transe semble avoir permis de mettre au clair un certain nombre d’éléments qui jusqu’alors les dépassaient. Aux dires de Sanjan, cette famille semble avoir été prise à partie par deux habitants de leur village. La jalousie et l’envie les auraient ainsi motivés à avoir recours à la magie noire. À  maintes reprises et depuis plusieurs semaines, un esprit mal intentionné aurait tenté de les attaquer. La patiente, qui par sa beauté et sa jeunesse représente le symbole de réussite familiale, porterait à elle seule les symptômes visibles de ce mal, un mal visant pourtant l’ensemble de la famille. Alors que Sanjan continue de poser quelques questions à la patiente dont les symptômes douloureux semblent avoir disparu, je sonde ce qui se passe en moi. Une vibration calme et agréable me parcourt. Plus tôt pendant la transe, je suis certain d’avoir été dans un état différent. Absorbé et transporté par cette énergie, je revois encore mon corps soumis à cette tension qu’imposait le rythme du tambour et aux sensations qui en découlaient. Observer ainsi un état modifié de conscience dans lequel se plonge volontairement quelqu’un est une expérience aussi passionnante que déroutante. Cela dit, comment comprendre cette expérience de transe venue modifier les paramètres d’une situation ?

Réflexions et analyses Dans une analyse parue en 1996, Anne De Sales relate l’important travail d’Andras Hofer au sujet du rite chamanique chez les Bompo Tamang de l’Ouest. Lors de la transe, le corps du chamane devient un lieu d’accueil actif. L’esprit est invité à chevaucher son hôte dans

« un jeu de tremblement » où va se confondre « l’expérience d’être à la fois monture et cavalier, humain et divin  ». C’est de cet état transitoire fait de va-et-vient que naît un «  discours haché  » pas toujours intelligible où abondent métaphores, absurdités7 et répétitions. En offrant ainsi « un éclairage symbolique », le chamane illumine la situation d’un éclat particulier qui tend à faire sens pour le patient (De Sales, 1996). Si le rituel langagier est donc fondamental dans la transe comme outil de communication, que disent réellement les mots de Jaman et comment viennent-ils panser les maux de la patiente  ? Est-ce vraiment de son interprétation de la situation qu’apparaît la résolution du problème ? Pendant la transe, les images et métaphores utilisées par Jaman, rapportées par mon interprète comme parfois appelant au symbolisme de la nature, ont permis à la famille de donner une explication à la «  cause  » de leurs «  symptômes  ». Ainsi, les fondations d’une nouvelle compréhension amenées par le Bompo vont supporter toute la structure d’une réalité, que construit dans un second temps la famille. De cet ensemble de pensées récentes, naissent de nouvelles perspectives et se développe un nouveau champ de possibles. À ce niveau, il n’est donc plus nécessaire pour la famille de savoir si réellement deux personnes du village ont utilisé ou non la magie noire. Ceci est désormais un fait co-construit lors de la transe, qui installe une nouvelle réalité. Dès lors, pourrait-on envisager que, pour impulser cette nouvelle vision des choses, Jaman ait pu faire preuve de suggestions directes mais relativement diffuses, laissant ainsi la liberté à la patiente et à son entourage de lui donner une tonalité subjective. Cette profusion verbale qui peut parfois « égarer l’auditeur dans un labyrinthe sans issue » rationnelle (De Sales, 1996) se rapproche peut-être ici d’un phénomène bien connu des hypnothérapeutes. En effet, si une certaine forme de suggestibilité semble opérante, les ressources du patient ne sont pas mobilisées de la même façon que lors dans d’une séance d’hypnose telle qu’elle peut être pratiquée en Occident. Aucun échange visible n’a réellement lieu. Les éléments sont posés directement par le Bompo et c’est à partir de cette base

que la patiente et sa famille s’organisent pour construire leur propre compréhension. Dans ce cas, il n’est pas vraiment surprenant d’observer une atténuation voire une disparition immédiate des douleurs physiques chez cette jeune femme. Un ensemble de mécanismes d’ailleurs, qu’il serait possible d’apparenter à ceux d’un « effet placebo structuré » (Bioy, 2014). Cela dit, l’effet puissant de la suggestion explique-t-il à lui seul l’efficacité du soin  ? Pour tenter d’éclairer cette question, explorons les caractéristiques de la transe hypnotique et celles de la transe chamanique.

À propos de la transe hypnotique Depuis les travaux de Milton H. Erickson, les approches humaines et existentielles8 impliquant l’hypnose ont toujours eu la volonté de mettre le patient au centre du processus. Par des procédés stratégiques appelant également à des analogies ou des métaphores, l’objectif est de rendre ce dernier acteur de son changement. Dans les états modifiés de conscience induits par le thérapeute, le corps du patient s’installe le plus souvent dans des postures calmes, de détente ou de relaxation. Des allures de somnolence trompeuses qui révèlent d’ailleurs une activité cérébrale activant les capacités attentionnelles (Rainville, 2004). À l’aide des suggestions thérapeutiques, le patient cherche alors à mobiliser ses ressources, afin d’accéder à une relation différente à l’objet problématique pour ainsi tendre vers un mieux-être. Au sujet du patient en état hypnotique, Léon Chertok parle d’une forme de « rationalité élargie », où s’opèrent des « modifications du vécu corporel », alliées bien souvent à une « distorsion du temps et des espaces » (Chertok, 2002). François Roustang propose quant à lui la notion de «  perceptude  », le passage d’une perception discontinue à une perception élargie permettant l’accession à une réalité plus globale, ouvrant la possibilité de se relier à «  quelque chose qui nous dépasse mais qui aussi nous anime » (Bioy, 2017). De son côté, la présence onirique définie par Oleg Poliakow « libère (...) des automatismes “inférieurs” donc “aliénants” qui thématisent à

son insu le monde d’un sujet, et libère un potentiel (...) qui est à découvrir  » (Poliakow, 2014). Milton  H. Erickson enfin, qui a réinsufflé le vent d’une hypnose moderne sur les terres occidentales, considérait la transe hypnotique comme un phénomène psychophysiologique complexe et singulier permettant notamment d’aller puiser aux sources de sa propre guérison (Battino, 2017). Bien que chacun de ces concepts possède des spécificités à part entière, ils évoquent ensemble la possibilité de passer de «  l’autre côté » en abandonnant le mental et en délaissant les structures de pensées rationnelles. Ce lâcherprise, dans un cadre bien défini, tend à se libérer d’un carcan intellectuel pour « se laisser aller à percevoir les choses comme elles sont » (Bioy, 2017). Il devient alors permis de se mouvoir librement, au gré de perceptions et de sensations différentes qui permettent une nouvelle relation avec ce qui nous entoure. Dès lors, le changement est possible et un mieux-être peut s’opérer, allant parfois jusqu’à la guérison.

À propos de la transe chamanique Par opposition aux hypnothérapies, les rites traditionnels placent le chamane au centre du traitement. Positionné de ce fait comme un « savant » communiquant avec des divinités, il livre au patient, réduit au rang de spectateur, des données parfois métaphoriques. Pour ce faire, l’état de transe vient mobiliser le corps de façon souvent violente. Elle propulse le chamane dans une perte de repère et lui ouvre les portes d’une lecture « surnaturelle ». Un passage vers un «  monde-autre  » (Perrin, 2017) où il accède à une sensorialité exacerbée sur différents niveaux, à la fois pointue et globale, subtile et vaste. Les récits anthropologiques expriment également l’idée que le chamane, en accédant à ces niveaux altérés de conscience, entre dans une réalité mythologique définie par sa propre culture et s’y promène comme si elle était réelle. La transe, ici, ne peut donc être isolée de son identité et de ses racines culturelles. Elle s’inscrit

toujours dans une logique traditionnelle et peut prendre différents aspects, selon la situation ou les besoins du patient (De  Sales, 1991). Il est d’ailleurs probable que le message délivré par le chamane ne puisse être saisi par le patient que par la connaissance qu’a ce dernier de sa culture mythologique. Si le caractère culturel est donc important pour comprendre ce qui se passe pendant la transe, que dire de ce phénomène sur le plan psychologique ? La dissociation telle qu’elle est définie en psychopathologie semble prendre ici tout son sens. À tel point que les récentes cartographies d’électroencéphalogrammes de transes chamaniques s’assimileraient à ceux de patients atteints de sévères psychoses, dépressions ou états limites (Flo-Henry et  al., 2017). Si cette observation peut ouvrir des perspectives quant à la prise en charge de ces pathologies, la capacité à revenir d’un état dissociatif «  pathologique  » (avec dissolution de la conscience et effacement du «  je  ») serait donc un exercice dont les chamanes auraient le secret. La similitude des tracés montrerait qu’une personne entraînée à la transe chamanique serait en mesure d’atteindre des niveaux de dissociation quasi identiques à ceux de ces patients, et d’en revenir indemne. Bien avant ces résultats, le travail de l’ethnopsychiatre Georges Devereux avait permis d’élargir notre compréhension de certains troubles psychopathologiques. Il pensait le chamane comme un être affecté par une pathologie mentale, s’inscrivant alors dans des transes chamaniques pour se «  stabiliser  ». Il faisait également l’hypothèse que le chamane touché par la folie protégeait de fait l’équilibre psychologique des autres membres de la communauté (Devereux, 1996). Ce rôle de régulation éminemment social, tant le chamane est important et estimé dans la société traditionnelle, témoigne de sa grande responsabilité. Une place de choix, qui sur le plan des relations interpersonnelles est à considérer pour mieux comprendre l’articulation des soins dont bénéficie la communauté.

Discussions

Dans le rite décrit précédemment, Jaman (le Bompo Tamang) apporte à la patiente de quoi soulager ses maux. L’hypothèse formulée part du principe qu’un phénomène de suggestion en est à l’origine. Elle vient faire sens dans l’histoire de la jeune fille, et s’inscrit elle-même dans une lignée mythologique traditionnelle. Si la suggestion est également présente dans les thérapies par l’hypnose, est-il possible d’établir d’autres points de résonance entre la transe chamanique et la transe hypnotique ? L’état dissociatif dans lequel le patient sous hypnose et le chamane sont plongés manifeste quelques similitudes. L’abandon du mental associé à une perception exacerbée laisse parler les sensations. Le corps est mis au service d’une écoute différente, une connexion à des éléments qui ne deviennent palpables qu’au travers de l’expérience en elle-même. Cette démarche phénoménologique qui lie ici ces concepts les éloigne dans le même temps. En effet, comme le rappelait Milton  H. Erickson ou comme la précise également Anne De Sales, chaque expérience de transe (hypnotique ou chamanique) est aussi unique et singulière que peut l’être un individu à un moment donné. Si la démarche dissociative semble montrer des résonances, la façon dont le corps s’anime durant la transe laisse entrevoir des divergences entre patient et chamane. L’étymologie du mot « animer » (du latin animare) renvoie à la fois au principe vital qu’est l’âme, mais également au principe de donner la vie. À cela, le corps du chamane tranche avec celui du patient en hypnose. Le rythme du tambour qui sert d’induction provoque une véritable transition qui disloque, contracte et fait trembler son corps. Dans le cas de Jaman, c’était comme si un esprit avait pris vie en lui, l’éloignant de ses repères habituels et lui donnant accès à une compréhension plus grande. Bien que cela puisse être nuancé, la transe semble plus feutrée et plus tempérée dans le cabinet contenant d’un hypnothérapeute parisien. En effet, le corps du patient est ici davantage dans un état calme et détendu durant la transe. Autre divergence, cette fois au niveau de la place de chacun au sein du traitement. Comme décrit précédemment, le chamane se trouve

au centre du processus contrairement à l’hypnothérapeute qui cède cette place au patient pour lui offrir la possibilité de mieux agir sur sa propre transe. Cette différence qui s’inscrit dans une logique culturelle, pose alors la question de celui qui agit lors du soin. De par leurs spécificités, les prégnances culturelles définissent en effet certaines limites. Dans un rite traditionnel, le chamane fait appel à des forces extérieures venant d’un ailleurs mythologisé. C’est de cet appel aux esprits, aux divinités, aux Gurus, que vient la réponse qui panse. Patient et chamane s’inscrivent alors dans un processus de soin qui s’intègre à une histoire plus vaste que leur propre existence. Il s’agit là d’une véritable considération pour un système auquel ils appartiennent et qui est augmenté par les croyances. Un ensemble souvent décrit comme la Nature où l’homme n’est qu’un maillon d’une chaîne, au même titre que la faune et la flore. Bien que cela puisse être nuancé, le processus hypnotique semble malgré tout plus intériorisé. C’est au sein de lui-même, que le patient accède à la reconfiguration souhaitée. Il manipule son monde et navigue ainsi à l’intérieur de sa propre mythologie personnelle faite de connaissances, d’expériences et d’inconnu. Cette dynamique est d’ailleurs appuyée par le discours de l’hypnothérapeute durant la transe. Ce dernier met souvent l’accent sur les ressources du patient et sur sa « force » interne à trouver ses propres solutions. Cette observation s’inscrit-elle dans une trajectoire individualiste qu’aurait prise la société occidentale  ? Une sorte d’adaptation du soin qui collerait plus précisément aux croyances que génère notre société à l’heure actuelle. Si la question mérite des éléments approfondis, il semble assez clair que la notion du soin en Occident s’inscrit dans un système de pensées plus restreint que dans celui d’une société traditionnelle. Schématiquement, c’est l’idée que l’individu est à la fois la cause et la solution du problème. Cette analyse nous aide un peu à mieux cerner ce « monde-autre » dans lequel se rend Jaman lors de la transe. En atteignant cet état de sensibilité accrue, il semble appréhender des informations sur la patiente auxquelles cette dernière n’a pas accès. La pensée

organisée en structures codifiées, apprises et entretenues, nourrie de représentations sécurisantes, pourrait en effet obstruer la perception que nous avons de nous-même. Si la transe hypnotique dans un cadre organisé autorise un imaginaire actif à reconstruire une réalité, c’est parce qu’elle peut l’appréhender aux moyens d’outils sensoriels élargis. Ainsi, en abandonnant le mental, l’ouverture sur un monde de perceptions s’organise et se focalise autour de sensations profondes. À  cet instant, ne serait-il pas possible de naviguer dans un nouveau champ de possibles régi non plus seulement par nos ressources internes, mais également par des ressources externes qui nous dépassent, comme c’est le cas pour les chamanes  ? Dès lors, pourquoi ne pas imaginer qu’avec un entraînement assidu – comme pouvaient l’être les patients de Milton H. Erickson (Rossi, 2006) –, il ne soit pas envisageable d’aller plus loin dans la transe hypnotique. L’idée qu’en dépassant son propre univers, il soit possible de se rapprocher de quelque chose de plus universel, serait-elle uniquement réservée aux initiés ? En admettant volontiers que cette question s’inscrit dans une démarche de catégorisation un peu réductrice, il est possible de constater que, dans les deux cas, un état modifié de conscience permet le soin ou l’auto-soin. À l’heure où certains cherchent à réinsuffler du sens à leur existence par une remise en question des choix sociétaux et par un intérêt plus grand pour la spiritualité, l’engouement du monde occidental pour le chamanisme est un révélateur important. Claude Lévi-Strauss (1949), au sujet du désir de devenir chamane et celui d’entrer en analyse, parlait de «  tendances psychopathologiques au service d’une société qui leur fait une place de choix » (Perrin, 2017). L’attrait grandissant de l’Occident pour ces formes de thérapies traditionnelles montre une volonté chez de nombreuses personnes à vivre en meilleure cohérence, non plus seulement avec eux-mêmes mais au sein de leur environnement. Se découvrir au-delà des constructions sociales et des réalités déjà établies afin de sortir d’un certain anthropocentrisme.

S’il est bien sûr important de garder un œil critique sur les démarches que représente le néochamanisme (dérives sectaires, emprises psychologiques, etc.), force est de constater que le regain de notoriété que connaît l’hypnose depuis quelques années s’inscrit également dans ce désir de reconnexion à son essence au sein d’une globalité. À ce titre, il y a peut-être dans la transe hypnotique une volonté de devenir son propre chamane  ? Au risque d’occulter les aspects culturels exposés plus haut, les rites traditionnels amènent une vision englobante du soin. Ainsi, se lier à la Nature et faire corps avec elle, ne serait-ce pas la promesse d’une meilleure harmonie ? À méditer (et de préférence en état de transe…) !

Notes 1. Article initialement paru dans la revue Transes n° 5. 2. Le titre de lama, en tibétain : bla ma, contraction de bla na med pa, « insurpassable », désigne le maître spirituel. À  l’origine, le terme était réservé aux maîtres pleinement réalisés. De nos jours, il s’applique aussi à des personnes ayant une certaine expérience de la voie et pouvant l’enseigner (NdÉ). 3. Dans les traditions occidentales, il y a eu de tout temps des hommes et des femmes capables de soulager les effets d’une brûlure. À  l’aide de formules ou mobilisant des énergies, ces personnes, dont on dit qu’ils barrent ou coupent le feu, connaissent aujourd’hui une notoriété auprès du monde médical notamment en cancérologie pour atténuer les effets des radiothérapies. 4. Prononcer « gourou ». Si ce mot peut avoir une connotation sectaire en Europe, dans le cas présent, il décrit davantage celui qui enseigne et qui transmet. 5. Poudre utilisée chez les Hindous qui revêt un caractère religieux et social. Souvent apposé sur le front en référence au troisième œil de Shiva. 6. Arbre sacré pour les bouddhistes, au pied duquel le Bouddha aurait atteint l’illumination. 7. Par absurdité, l’auteur sous-entend une succession de mots qui dans la même phrase ne forment aucun sens rationnel, aucune logique. Des absurdités au sens également de la

salade de mots que l’on retrouve dans le discours du fameux patient d’Erickson, M. Georges. 8. Initié par Maslow et porté par Carl Rogers, les approches humaines existentielles se caractérisent notamment par l’importance accordée à l’expérience subjective du patient ainsi que par la croyance qu’il est responsable et libre de ces choix. À ce titre, le patient est appelé, une façon de le sortir de sa posture d’observance afin de le rendre davantage acteur de son travail.

Chapitre 36 La transe du silence

Jean-Claude Lavaud Dans un article de 1973, Ernest Rossi (Rossi, 1973  : 578) évoque brièvement comment Milton Erickson utilisait le silence. Son intention était d’utiliser le silence au sein d’un scénario thérapeutique où allait se produire un choc chez les patients. Un choc vertueux puisqu’il devait permettre à la personne de transformer sa personnalité sans être « brisée par un chaos interne ».

Une approche par le silence Il s’agit, dit Rossi concernant ce choix vertueux, de provoquer une tension accrue afin que se libère une énergie réparatrice. Puis, Erickson exigeait qu’après ce choc, les patients – dans cet article, il s’agissait d’un couple ayant un fort désir d’enfant  – fassent silence pendant plusieurs heures, le but étant que « la tension ne se dissipe pas en une discussion intellectuelle inutile  » (Rossi, 1973  : 580). Ainsi, Erickson utilisait le silence pour ancrer dans une temporalité, et dans l’espace des corps, une « tension thérapeutique optimale » ainsi qu’une fixation de «  l’attention du patient  », qui seraient une sorte de point initial de la communication. Pour que la communication se reconstruise, Erickson propose aux patients un retour à leur animalité la plus simple, où le silence des mots, l’absence de «  parler  » est la condition primordiale de la

communication. Le philosophe et anthropologue Jacques Henri Stiker (2019), catégorise cela en affirmant que toute culture est rupture définitive du silence. Il place le silence en tant que non-objet de connaissance, pourtant « plein d’une présence cachée ». Ainsi, le silence est marqué du sceau de l’ambiguïté qui souvent fait l’objet d’une spéculation. Les philosophes –  de Platon à de Saussure, en passant par Descartes, volontaire pour s’enfermer dans son cabinet et s’isoler de ses sens1 – posent et proposent tous la parole comme une absence de silence. Ainsi, le silence serait une privation, une absence de discours, absence d’idées à transmettre, de pensées à structurer. En somme, pour Descartes, la nature et les animaux ne disent rien parce qu’ils n’ont rien à dire ! Hegel quant à lui, affirme que pour produire des pensées objectives, il faut des mots. Ainsi, les philosophes réfléchissent au silence comme étant une absence de communication, une absence de mots et donc une privation de langage. Cette sorte de silence est, de longue tradition, considérée comme la condition essentielle pour les humains qui voudraient se relier au divin. Dans les monastères et les ashrams, le silence est vécu pour être à l’unisson du divin, du sacré, un temps long où telle une longue méditation, la parole est mise au secret. Une mise au secret des mots qui ne protège pas du silence, du bruit qui nous éveille jusque dans la vie intra-utérine. Selon les représentations habituelles, ce qui fonde la relation est la communication, faisant du silence le vécu d’une absence. Et il est vrai que l’on imagine mal un premier contact entre un soignant et un patient qui soit un contact silencieux. Là il s’agirait d’un contact sans mots, sans paroles. Insoutenable  ! Mais ensuite  ? Dans la perspective d’une utilisation de la transe hypnotique, et en son commencement d’une relation hypnotique, les soignants le savent bien, le silence n’est que celui de la voix, mais il n’est pas celui des corps. Dans la relation de soin, le silence n’est pas une absence, mais bien au contraire laisse place à une présence. Dans le silence de l’hypnose, qu’il soit bref ou long, nous sommes immergés dans la présence pleine et presque sans bruit.

Le silence, un vide ? Une assimilation bien curieuse sans doute, pourtant avérée lorsque l’on évoque la pesanteur du silence, soit du fait de l’absence de cet autre, «  Il était là, comme absent…  » dit-on d’une personne qui rêvasse ou qui est sidérée, soit du fait que cette absence nous fait ressentir –  cruellement  – le vide. Ainsi, en est-il du silence de la personne défunte, décrit comme insupportable. Le silence dérange la relation parce qu’il fait référence à la pseudoperception du néant. Je dis «  pseudo  », car ce qui nous dérange dans cette illusion du néant, c’est que nous le confondons avec la perception du vide. Or, le néant n’existant pas, dans le sens de ex-sistere, c’est-à-dire sortir, se manifester, nous ne pouvons le percevoir. Le vide lui, existe. Il a une matérialité, un espace. D’une certaine manière, nous pouvons le palper. Sans vide, point de vie. Pour qu’il y ait de la vie, il faut du vide. Néant et vide, ainsi confondus, nous donnent l’occasion d’avoir peur de la mort. Et le silence en devient assourdissant. « Dans le silence des espaces sans fin, le murmure de l’invisible s’adresse à nous.  » (Collot, 2016) ou encore, nous dit Blaise Pascal  : «  Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie.  » (Pensées,  91). Et nous avons là toute la dimension d’intranquillité du néant silencieux, sujet de nos ruminations à propos de l’infini. Ce que nous transmet Erickson, c’est que dans le soin, le silence est une intention, celle de vouloir produire quelque chose, dans une stratégie thérapeutique. Le regretté Édouard Zarifian nous met en garde  : «  Dans le domaine de la santé, les soignants ne mesurent parfois pas suffisamment les conséquences catastrophiques de leur parole… ou de leur silence. » (Zarifian, 2004.) Là, précisément, dans cette intention hypnotique d’utiliser et de favoriser le silence, il s’agirait de laisser quelque chose s’ancrer, de prendre une place plus juste. Cet ancrage silencieux est une réification. Ce qui s’ancre dans le silence, classiquement, ce peut être la relation sécurisante, qui permet aux soignants et patients de vivre un soin dans de bonnes conditions. Le silence devient alors

protecteur. Cette fonction-là permet l’ouverture qui rend possible le soin dans une perception différente. La présence des corps dans le silence des voix est une façon de «  confirmer l’autre  » (Buber, 1938). On comprend pourquoi cette proposition a souvent été reprise par Carl Rogers. Il s’agit d’accepter l’autre «  comme processus en devenir (…) “rendre réel ses potentialités”. En confirmant en profondeur le client tout en s’abstenant de toute évaluation ou jugement externe, le thérapeute ouvre la porte au cœur même du processus thérapeutique » (Ovide, 2018). Mais ce qui s’ancre également dans le silence des corps et de la voix en hypnose, c’est l’immobilité. Une immobilité des corps qui même lorsqu’elle est évanescente est le moment zéro du mouvement à venir, dans l’instant d’après. Il y a sans doute un apprentissage pour certains, réapprentissage pour d’autres, afin d’accueillir ces instants d’immobilité des corps, pour que ce silence immobile puisse devenir une habitude salvatrice, j’oserai dire une compétence partagée. Ce d’autant plus qu’aujourd’hui nous ne sommes plus dans une société naturellement silencieuse. Les bruits de toutes sortes, venus des machines, sont le tempo dans nos urbanités comme dans nos campagnes. Autrefois, au temps du néolithique, c’est-à-dire jusqu’à la fin des années  1960 –  comme aimait à le dire malicieusement Michel Serres  – la ruralité des territoires constituait les temples ouverts du silence. Dans les campagnes et les forêts, au bord des étangs comme dans les champs et les vignes, le silence était l’élément perçu, partagé par le plus grand nombre. Aujourd’hui, nous resterait-il qu’à nous isoler dans des caissons, au mieux dans des monastères, à nous replier dans des stages de médiation, histoire de retrouver ou de trouver la vertu du silence ?

Faire silence

En hypnose, il s’agit de faire silence de telle sorte que nos facultés non conscientes se mettent en mouvement. Heureusement, l’apprentissage est rapide, sans doute parce que la perception tranquille du silence est encore inscrite dans nos fonctions psychocorporelles. Peut-être également parce qu’en hypnose, le silence a une fonction d’approfondissement de la transe. Au-delà d’une saturation qui permet aux acteurs d’abandonner quelque chose d’eux-mêmes afin de rentrer en transe, le silence crée un espace disponible qui va pouvoir servir au patient et au thérapeute. D’une certaine manière, il s’agit ici d’un silence musical, qui «  (…) bien qu’étant absence de son, (…) n’est pas un défaut d’être (…). Il est une respiration, un soupir, une pause, (…) un vide savoureux qui procure à l’oreille autant de plénitude que le son » (Solère, 2005). Un espace qui peut se meubler de nos facultés logiques comme de celles de notre créativité, c’est-à-dire de laisser se produire quelque chose qui ensuite fera son chemin, que ce soit pendant la séance et/ou après – surtout après ! – dans la vie quotidienne. Dans le silence de la séquence en hypnose, l’immobilité des corps, le silence des voix se conjuguent en mouvements intérieurs aussi bien pour le patient que pour le thérapeute. Il y a alors une régularité qui est, peut-être, essentielle en ce qu’elle constitue un équilibre qui est tout sauf plat  ! Je reprendrai volontiers le grand médecin et épistémologue Georges Canguilhem qui, citant René Leriche2 nous indique que «  la santé c’est la vie dans le silence des organes  » (Canguilhem, 2013 [1966]). Ainsi, il ne s’agit pas simplement du silence du corps apparent, mais aussi de notre intérieur. Dans les sociétés dites traditionnelles, le silence est utilisé par les personnes qui ont une fonction de soin afin de marquer le début et la clôture du rituel. Le rythme du tambour, le chant ou la prière du guérisseur, leur silence, fonctionnent tous ensemble en un cycle que l’on peut retrouver dans le processus de transe hypnotique. Le silence prépare, rythme, conclu la séance et n’a de sens que parce qu’il est en alternance avec cette autre chose qu’est l’action. Rossi, dans l’article déjà cité, faisant référence à la liaison choc/silence, évoque brièvement comment lors des rites d’initiation, le choc de la

douleur physique et psychologique favorise le «  changement personnel (…) sans danger dans le temenos (enceinte sacrée ; lieu sûr) du système de croyance auquel obéissent les initiateurs et les initiés  » (Rossi, 1973  : 578). Erickson, lorsqu’il était certain et de l’ancrage de ce temenos, et de la puissance de l’alliance hypnotique avec les patients, exigeait alors le silence comme prolongation de la mise sous-tension  : «  Absolument, exactement, sans protester et sans poser de question, vous allez faire en silence ce que je vous dis de faire. » (Ibid.). Dans le processus hypnotique, cette présence des corps silencieux est essentielle, car elle permet une présence qui fonde et donne vie à la relation de soin. La présence silencieuse, ici dans la transe hypnotique, permet la mobilisation des sens. C’est littéralement, un pré-sens. Or, l’état d’hypnose est pour le patient une opportunité formidable pour, soit modifier une sensorialité douloureuse, soit mobiliser une sensorialité qui va transformer ou préparer à la transformation de ce qui rend la vie si intranquille. Ici, la présence silencieuse du thérapeute, du soignant, est l’une des conditions qui permettent au soigné de franchir sa peur. Peur de la douleur à l’occasion d’un soin, peur de la transformation en thérapie. Elle met la personne dans une posture paradoxale qui est celle de se retrouver seule dans sa transe, alors même qu’elle est accompagnée par le thérapeute. En réalité, il me semble que cette situation silencieuse permet au patient de choisir la solitude plutôt que de la subir.

Une situation clinique Il y a plus de dix ans, Sylvain, un grand gaillard de 37 ans, a vécu un accident de voiture d’où il est resté paralysé pendant plus d’un an avec toutes les conséquences que l’on peut imaginer sur sa santé. Terrorisé à l’idée de ne jamais pouvoir remarcher, il saturait sa vie quotidienne de musique métal, la plus puissante possible pour, dit-il « faire un avec tout ce qui m’entourait ». Aujourd’hui sorti d’affaire, il

craint toujours le silence comme la peste. Devenu hyperactif, il continue de saturer sa vie quotidienne par des excès en tous genres  : deux paquets de cigarettes par jour, des jeûnes de trois jours suivis de crise de boulimie, douze heures de travail par jour, une multitude de relations sexuelles. Nous faisons ensemble plusieurs séances d’hypnose consacrées à la valorisation de son énergie colossale, où je passe le temps à saturer son corps de suggestions d’actions, utilisant ce qu’il sait faire et qui pourtant lui est tellement pénible, dans une situation paradoxale où son corps reste parfaitement immobile. Des séances qui certes, dit-il, «  me font du bien, mais qui ne règlent pas ma trouille profonde », ce dont j’étais humblement parfaitement conscient. Dans une séance ultime, où Sylvain se sent être « un fjord immense », je décide de me taire et de ne plus bouger pendant plusieurs longues minutes. Quelques jours après cette transe, Sylvain a souhaité partager ici ce qu’il a vécu : « J’ai eu peur. J’étais seul dans le silence du fjord. Je sentais votre présence, votre silence, votre présence silencieuse. À  aucun moment je ne me suis demandé si vous étiez parti, ni physiquement ni mentalement. J’appréciai cette présence silencieuse, je vous sentais d’ailleurs beaucoup plus proche physiquement que le mètre qui séparait nos deux fauteuils. Votre présence était empreinte de bienveillance et je sentais votre présence silencieuse, respectueuse et confiante, ce qui m’a très certainement permis de me sentir bien avec ce silence, avec moi-même et avec vous. Ce silence n’est pas que protecteur, il est une promesse tenue, celui des premiers mots échangés protocolairement lors de la première séance de thérapie : “Nous allons faire un travail ensemble, dans la confiance et la bienveillance.” Pourtant, j’avais la conviction que cette présence ne me servait à rien. Alors, j’ai fini par m’oublier et je me suis senti complètement en osmose avec ce fjord, avec son immensité. Et ma peur me semblait se dissoudre. J’ai laissé faire. » La semaine d’après, Sylvain revient, perclus de douleurs et de fièvre. Il a une grippe et a passé toute la semaine alité. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’a pas l’air en forme  : «  Pas envie de faire de l’hypnose aujourd’hui. Avec cette fièvre, je suis dans zéro

effort. Mais c’est marrant, malgré tout je me sens fort. Et cette force, je sens qu’elle ne me sert pas à être fort. Au contraire, elle me sert à faire une pause. C’est à ça qu’elle me sert  : faire une pause. J’ai souvent repensé au silence que j’ai ressenti la fois passée, un silence où je vous savais présent, en relation avec moi, et pourtant… Je ne sais pas si c’est de l’autohypnose, mais pendant toute cette semaine de grippe… Je me suis vautré dans ce silence. Volontairement et aussi involontairement à cause de la fièvre, des douleurs articulaires, du manque d’appétit, de l’abstinence en tous genres. Dans ce silence que nous avons partagé, il y avait du goût. Je ne peux dire lequel, ce n’est pas bien défini ni définissable comme le goût de la pomme, mais il y avait bien un goût et plutôt bien agréable. Un petit goût de reviens-y comme on dit. Alors j’y suis retourné, tranquillement. » Avec Sylvain, on sent bien que là où il en est, il n’y a ni victoire ni échec. Et personne ne peut dire si ce qu’il a fait lui permettra de se sortir de son anxiété. C’est ainsi. La seule chose que nous pouvons raisonnablement supposer, c’est combien le silence peut devenir un acte de liberté du corps, voire de son être tout entier. Ce n’est plus la traversée du désert, mais la traversée de la chair de son animalité, de sa nature profonde qui, lorsque la présence du thérapeute est établie et peut par conséquent s’oublier, permettrait de se libérer à son rythme, de sa peur.

Les silences féconds en pratique médicale3 Élément redoutable dans la communication, le silence peut tout autant la libérer, en garantir sa qualité ou bien alors l’étouffer et nuire à sa fluidité. Chez certains patients il provoque un inconfort majeur, chez d’autres un soulagement rapide et efficace ou encore un sentiment de considération important. Ainsi, comme tout élément de communication, le médecin se doit d’utiliser la voie silencieuse avec la plus grande précision possible, l’orchestrant avec art et le plus harmonieusement possible.

Retenons le cas de figure suivant : un patient, un médecin. Que se passe-t-il ? Au début de la consultation et comme le veulent habituellement les codes de politesse, le patient entre dans le cabinet, le médecin le salue et l’invite à s’asseoir. Là, les acteurs s’installent et « dans une sorte de rituel » dit Idrissa Ndiaye qui est médecin généraliste, « Je lui demande sa carte vitale pour accéder à son dossier. Puis j’installe un silence cliniquement précieux parce qu’il me sert à évaluer la teneur du tout premier signe non verbal du patient. Par là même, j’évalue chez lui, par exemple, la présence spontanée d’une éventuelle tension, sa hâte à ce que la consultation commence vraiment. Cet instant de silence me permet également de prendre en compte ce qui attire mon attention chez ce patient-là, comment je le perçois et quels sont mes ressentis à son égard. » Mais de quel silence parle-t-on  ? Le seul silence des mots  ? Ou le silence du regard, de l’expression du visage, des mains qui encouragent à la parole ou ponctuent une phrase  ? Il y a certains silences empreints de bienveillance qui encouragent le patient à continuer, le rassurent. D’autres où le patient est plus face à luimême. Marie Floccia, qui travaille en partie dans un service d’urgences note ceci  : «  La qualité même du silence diffère d’un endroit à l’autre. Aux urgences, en équipe mobile de gériatrie, le silence est celui d’un environnement bruyant, mais qui s’apparente à un silence dans la mesure où aucun son n’est vraiment intéressant à interpréter. La sortie du silence se fait alors lorsqu’un son particulier fait sens pour le patient  : appelle de son nom, discussion de soignants parlant de lui, etc. »

Une pratique stratégique ? Le silence des premières secondes de consultation crée une très légère tension  : celle de la mise au travail, de l’augmentation de l’attention, « oserais-je dire de sa focalisation ? », précise I. Ndiaye. Il a donc ici une dimension stratégique.

Pour Christian Barbier qui se définit comme un praticien «  plutôt bavard », le silence à une place de choix, le silence devient alors un espace de liberté d’expression ou de pensée  : «  La seule stratégie est de laisser le silence prendre sa place, aussi naturellement que possible  ». Néanmoins, Thierry Sage précise que «  le silence peut aussi prendre une simple dimension relationnelle. Dans la démarche du praticien, il est un élément comportemental naturel d’écoute empathique qui n’a pas forcément de dimension intentionnellement stratégique  ». Il s’agit alors d’un instant où peut «  se manifester à soi, en soi-même le monde du patient, ou celui-ci peut exister en dehors de nos représentations, nos certitudes et savoirs de praticien. » Le silence permet d’écouter le corps fonctionner, à l’exception notoire du tube digestif dont la santé s’évalue à la présence continue des borborygmes. Entre chaque battement, le cœur se doit d’être silencieux sinon, on parle de souffle et il en va de même pour les artères carotidiennes. Une articulation qui grince, craque ou racle dans un mouvement de flexion/extension et voilà le patient préoccupé, même en l’absence de douleur. Dans la communication thérapeutique, lorsqu’elle s’accompagne d’une intention hypnotique, les mots ou les informations importantes suivis de silence sont comme des suggestions. Écoutons encore I.  Ndiaye  : Mme  Germain souhaite que son fils de 24  ans soit plus autonome et pourtant, chaque week-end, elle lui fait sa lessive  : «  Vous souhaitez qu’il gagne enfin en autonomie (silence) et en même temps si je comprends bien, vous faites ses lessives chaque week-end (silence).  » Ici, dit-il, les silences servent simplement à mettre en exergue l’ambivalence de Mme Germain. I.  Ndiaye utilise le silence, pour marquer un renforcement positif. Ainsi, cet enfant à haut potentiel pour qui savoir et apprendre sont en quelque sorte nécessairement innés et «  qui m’apprendrait une notion dans un domaine quel qu’il soit, m’entendra dire  : «  Merci pour cette information  ; Tu sais, comme tout le monde (silence) avant de savoir (silence) j’apprends (silence). »

Lors des énoncés de clarifications qui servent à expliquer en quoi consiste l’examen, utiliser les silences permet de mettre en scène ces énoncés  : «  Je vais évaluer votre équilibre (silence et examen clinique) ; je vais tester vos réflexes (silence et examen clinique)… » Le silence n’est alors plus anxiogène et vient faire taire les pensées envahissantes : « Mais que fait-il donc à m’appuyer ici alors que je lui ai dit que j’avais mal là ? » À  l’issue de l’examen, il permet de donner du poids à la réassurance  : après un silence qui suit un énoncé de clarification, s’entendre dire «  Votre cœur fonctionne parfaitement  » a quelque chose qui vaut validation par l’expert. Si ce silence dure trop longtemps dit T. Sage, un doute germe dans l’esprit du patient qui peut alors faire des suppositions de plus en plus anxiogènes au fur et à mesure que les secondes passent : « Le médecin s’est arrêté sur ce grain de beauté beaucoup plus longtemps que sur les autres, sans rien me dire. C’est qu’il ne doit pas être comme les autres… » Ici, le silence n’est plus un élément naturel qui aurait une simple existence pour lui-même. Dans l’esprit du patient, il est lié à une signification possible. Autrement dit, ce que T.  Sage pointe, c’est que lors d’une consultation médicale, le silence peut faire entrer le patient dans sa peur du vide, formulée comme monde de l’incertitude : « Le médecin ne sait pas ce que j’ai… il n’est pas compétent… on ne sait pas me soigner… » Ici, précise-t-il, « le silence peut devenir le messager de l’incertitude qui est elle-même potentiellement, une source d’anxiété ». Il arrive qu’une réflexion médicale plus poussée exige un temps de pause dans ce qu’on pourrait appeler la logorrhée d’une consultation. Cette réflexion est parfois accompagnée d’un silence qui lui aussi peut laisser le patient dans une sensation de grand vide. Un simple « Je prends quelques instants de réflexion » permet alors de vivre un silence plus confortable pour chacun (médecin et patient). »

En consultation de médecine générale, le silence est parfois perçu comme une perte de temps. Il s’agit dit I.  Ndiaye, «  de l’utiliser lorsque je souhaite que le patient soit encore plus attentif à mon non-verbal  : des encouragements manifestés par un regard soutenant, un désaccord profond accompagné d’un non de la tête, renforcent ainsi ma posture et peut être suivi d’un silence stratégiquement placé au mieux. » T.  Sage dit rester silencieux lors de la prise de connaissance d’examens complémentaires, de la lecture d’une radio, de l’écoute des bruits du cœur, de l’examen d’une lésion, de l’écriture d’une ordonnance  : «  Un silence qui certes sera interprété comme un élément de concentration, mais qui devra être suivi de la verbalisation d’un élément de diagnostic ou d’appréciation qui rassurera le patient. » Le silence a peu de place dans la pratique de Christophe Ottenwaelder, lui aussi médecin généraliste  : «  Il s’infiltre en secret dans mon bavardage et me surprend moi-même. Il m’a apporté au moins une fois une aide au diagnostic, qui a été reçu comme une délivrance par la patiente. Cet exemple de la qualité diagnostique du silence, m’a marqué au point où j’en ressens encore une vive émotion quand je le raconte aujourd’hui, vingt ans après : Une jeune fille peu expressive consultait fréquemment sans pour autant qu’elle ait une demande particulière. Elle se taisait la plupart du temps. Enfin, je me suis moi aussi à me taire pendant un temps qui m’a paru infini, peut-être trois minutes. Après ce silence (dans ma carrière de jeune médecin d’alors, c’était la première expérience volontaire) elle a verbalisé son secret et m’a exprimé son traumatisme à vie, causé par un père incestueux. Elle m’avait choisi –  j’ai mis du temps à le comprendre  – comme un tuteur de résilience4. Le silence fut salvateur, pour elle qui s’est livrée, et pour moi qui ai enfin compris ses silences précédents. Elle a continué sa vie en quittant son lieu d’habitation, puis a trouvé un travail et fondé une famille. Elle revient me voir de temps à autre, en m’interpellant toujours par un “Vous vous souvenez de moi, docteur ?” Elle n’a pas

porté plainte, son père a fini par mourir et le silence fut sa résilience. Et elle n’a pas oublié le tuteur. » Le silence stratégique est aussi une façon de produire un effet de caisse de résonance à ce qui est dit dans le cadre de l’annonce du diagnostic  : «  Vous avez un mélanome… (silence)…  » Alors, dit T.  Sage, «  Je suis vigilant par rapport à la structure anxieuse du patient. Si le patient est négligent et doit être alerté de la gravité de la situation pour obtenir son observance, ce silence sera nécessaire pour le lui faire comprendre et fera partie de la stratégie d’annonce. Il en sera tout autre pour un patient très angoissé. L’annonce du diagnostic sera alors diluée dans plein d’autres considérations techniques, pronostiques, etc., qui seront choisies pour leurs vertus rassurantes tout en restant cohérentes et pertinentes avec la situation clinique.  ». Enfin, le silence peut prendre efficacement la place de la contradiction  : si un patient émet une croyance, une certitude qui risque de lui être préjudiciable, il sera plus judicieux parfois d’émettre une réserve silencieuse à ce qu’il dit plutôt que de rentrer dans une contradiction verbale qui peut être alors une source d’escalade symétrique et polémique. «  Cette attitude silencieuse permettra (peut-être) au patient de réfléchir réellement à ce qu’il dit… De toute manière il aura l’inférence que vous n’êtes pas tout à fait d’accord avec lui, sans que cela menace le lien médecin-malade. En médecine comme ailleurs le silence est une attitude chargée de sens  : au praticien de maîtriser ce sens encore plus qu’ailleurs je dirais… » conclut T. Sage. Nous le constatons, le silence en consultation est singulier et son utilisation varie en fonction des personnes et des contextes. M.  Floccia consulte avec des patients souffrants de douleur chronique, « si le patient n’a pas de troubles neurocognitifs majeurs, il arrive le plus souvent avec son énorme dossier sous le bras, il s’assoit, me donne le dossier me dit que tout est là. Je lui demande alors de me raconter pourquoi il vient me voir. Si un aidant est là, je dis de laisser le patient parler, lui stipulant que son tour viendra. Face à ma page blanche, j’écris tout ce que me dit le patient, je ne parle pas, ne relance pas (sauf s’il y a des troubles cognitifs) et

j’écris. Comme j’écris, je regarde très peu le patient qui parle. La fin de la consultation est également un temps de silence structuré  : après avoir monté notre programme thérapeutique ensemble, je propose un temps de réflexion afin de voir si des questions ou des réflexions émergent. C’est un temps pour nous deux, cela me permet de récapituler la consultation, de sentir aussi si l’alliance thérapeutique est présente, et il me semble que c’est un temps pour le patient de synthèse et qui lui permet de garder la main en décidant de la fin de la consultation. Je laisse d’autres moments de silence lors de la consultation, parfois il en émerge quelque chose, parfois rien. Lorsque le patient ne parle plus, je garde un temps de neutralité, mon visage exprime peu de choses, mais rapidement la communication non verbale reprend la main et un sourire, un regard d’encouragement remplace ma parole.

Un silence instruit d’une communication hypnotique Pour Idrissa Ndiaye, le silence est un temps de réflexion, ou de décantation des idées, parfois d’articulations des idées entre elles : « Il équivaut au temps de germination ou de pousse de l’idée et de ses fruits, comme le levain pour un pain, ou comme la graine semée au printemps offrant la fleur de fin d’été. » Christian Barbier quant à lui, envisage le silence comme «  une porte entrouverte vers une découverte, le choix, l’opportunité d’utiliser sa curiosité, ou pas… ». Le silence en hypnose l’interpelle sur les notions de vide et de plein : « Utiliser le silence simplement en effet miroir est une possibilité. On peut aussi proposer d’emplir ce qui est vide ou vider ce qui est plein, en termes de sens, de sensations, au-delà des mots, peut-être simplement en termes de sonorité, de musicalité des mots et des silences. Il s’agirait alors de resynchroniser autant que possible afin de rendre un accès disponible au changement, à l’apaisement profond. » Lorsque les pathologies relèvent de problématique psychosomatique, T.  Sage utilise le silence comme outil

d’amplification relationnelle, celui que l’on retrouve, dit-il, dans la situation hypnotique. Nous retrouvons avec force cette notion de décantation, d’un «  temps de digestion  » dit C.  Ottenwaelder lorsqu’une fois posé, le diagnostic est suivi d’un silence, ou que le contrat thérapeutique proposé est utilement suivi d’un silence, ou encore qu’une recommandation quelle qu’elle soit est elle aussi suivie d’un silence : «  Le silence permet d’ancrer la parole et j’espère que cet ancrage silencieux permet au patient de la mémoriser. Ce blanc qui suit l’annonce peut paraître désagréable ou surprenant, ou encore choquant ou sidérant. Et pourtant, aiderait-il à la digérer ? » Ainsi poursuit-il, « Ce silence me donne le temps de concevoir puis de poser une question ou de m’exprimer. Le flot interrompu d’informations émis par le praticien empêche le patient de mémoriser celles qui lui paraissent importantes et qu’il doit emporter avec lui. À quasiment chaque consultation, je ponctue la fin de celleci par un silence puis une question que je résumerais par mission accomplie ? » Lors des séances d’hypnose, certains silences sont structurés lors d’une attente de signaling quand un patient finit une tâche, ou lors d’un rêve d’intégration, explique M.  Floccia. «  Mais il y a aussi ces silences que je sens nécessaires, quand l’émotion perçue est forte et positive et qu’il apparaît comme évident que toute parole serait de trop pour le patient. Souvent, le patient crée son propre silence, quand il raconte après la séance qu’il a lâché ma voix et mes phrases pour faire autre chose, il entre alors dans un silence choisi, un moment où ma voix n’est plus qu’un murmure de fond. »

Lorsque le patient est lui-même dans le silence Pour I.  Ndiaye, il s’agit de l’autoriser à y rester, parfois même de l’inviter à l’être encore plus. T.  Sage essaye quant à lui de ne pas interpréter ce silence, de le respecter tout en rentrant en relation soit verbalement, sans être intrusif, soit par la médiation de gestes

simples de consultation médicale qui permettent d’intégrer le toucher comme autre mode de communication. Pour un patient qui serait dans le silence et renverrait l’impression de se sentir obligé, par correction sociale à le rompre, il s’agira de l’encourager  : «  Prenez votre temps, nous avons tout notre temps. Vous pouvez rester silencieux le temps nécessaire à ce que l’émotion soit à un niveau plus confortable pour permettre l’échange. Quand il me faut clairement quelques informations essentielles ou que je sens que le temps manque ou que je sens que le patient semble nécessiter une impulsion, une autorisation à rompre le silence, je formule habituellement les choses ainsi “Ne me dites que ce que vous estimez nécessaire, le reste peut rester sous silence”. Enfin, le silence sonore peut s’accompagner d’un silence sensoriel visuel  : “Autorisez-vous à (silence) fermer les paupières.” Cette stratégie bien connue de Milton Erickson permet ainsi au complément d’objet indirect “fermer les paupières”, d’être perçu comme une injonction directe : “fermez les paupières”. » Pour certains publics, et particulièrement avec la population gériatrique les silences ne peuvent pas être maintenus et utilisés trop longtemps. Ils peuvent mettre en difficulté un patient ayant des troubles neurocognitifs majeurs, précise M.  Floccia  : «  Si un petit moment d’attente peut permettre au patient d’exprimer ce qu’il veut dire, un long moment peut lui faire perdre le fil de ses pensées et être anxiogène. Il peut être nécessaire chez ces patients qui ont souvent besoin d’un mot comme d’un support pour continuer leur discours, de leur rappeler de quoi il est question : M. Zéphir parle de ses douleurs de dos et digresse un temps sur son travail où il portait beaucoup de choses lourdes. Il s’arrête, se sent perdu, essaye de retrouver le fil. Le médecin attend et au bout de quelques secondes, aide le patient à reprendre son récit en lui disant : “Nous parlions de votre dos, vous me disiez…” M.  Zéphir sourit, rassuré, et reprend son histoire autour de son dos. Dans cette population, il est donc souvent compliqué de laisser un silence s’installer, l’angoisse de ne pas savoir quoi dire chez le patient pourrait même devenir source de résistance. De la même manière, le silence peut être pour le patient

aphasique une angoisse profonde, le renvoyant à son incapacité de parole. Ainsi, le silence est observation, observation des signes de confort et d’inconfort, permettant de doser soigneusement le moment où le patient est en lui-même, à l’écoute, et le moment où il se sent en difficulté et où il faut l’aider par un mot, une phrase voire seulement un regard. » Le silence pour les patients déments, est accompagnant et encourageant, il peut y avoir un silence de mot, mais rarement un silence corporel, les émotions circulent entre le patient et le médecin. Pour C.  Ottenwaelder, après une période d’observation, «  j’essaye de rompre ce silence en permettant au patient de formuler sa demande. Le silence après une entrée dans le cabinet est le plus souvent le signe d’une souffrance psychique, de pleurs retenus qui finissent par se libérer pour permettre au patient de s’exprimer. Ce silence est déjà parlant. Le mouchoir qui va boire les larmes devient mon médium : vous pouvez pleurer puis parler. Le silence est alors bruyant ! » Il est souvent difficile de laisser le patient seul dans une attitude attentiste lorsque le praticien le sent en souffrance ou perdu : « Ce sont ces silences qu’on n’attend pas, les moments où le patient s’arrête, où le médecin respecte ce temps et où le patient n’essaye plus de remplir le plus vite possible ce silence. Parfois une souffrance ou un souvenir joyeux émerge et le patient en parle, ou pas. C’est un silence partagé où la relation est forte, comme une synchronisation après un temps d’observation. C’est un moment précieux de communication à deux. Mais ce peut aussi être un silence après une révélation complexe, lorsque seul le silence peut accueillir les paroles, c’est un moment où ce qui émerge est si douloureux que seul le silence peut être une réponse à apporter  : une dame de 87  ans me consulte pour des douleurs, son époux attend en salle d’attente. Nous discutons de sa vie, et au bout de quelques minutes, elle parle de son fils décédé il y a 45  ans. Elle pleure et dit qu’elle n’avait jamais parlé de lui à personne, pas même avec son époux et père de ce fils, depuis son décès. Aucun mot ne

pourrait répondre à cela, mon silence l’accompagne, mais un silence que j’espère enveloppant et bienveillant. », raconte M. Floccia.

Peut-on ne rien dire en médecine ? Lorsque le patient est en attente d’un diagnostic qui ne vient pas, pour I. Ndiaye, on se doit de ne rien dire si on ne peut rien dire : « Je préfère le silence plutôt que de noyer l’inconfort de l’attente dans des propos inutiles, qui bien souvent servent en réalité d’anxiolytiques pour le médecin qui n’a pas de diagnostic à se mettre sous la dent. Cette absence de savoir le met parfois dans une posture inconfortable que celle de ne pas savoir, de ne pas pouvoir rassurer, de ne pas soulager le patient qui est en face à lui. Ne rien dire, c’est tout sauf ne rien faire. Plus précisément, ce n’est pas ne rien être, mais au contraire, c’est Être simplement humain quand on ne peut rien dire, ou quand on ne doit rien dire. Être, c’est ce qui relie à la vie et ce qui me semble le plus juste à faire. La rupture du silence semble surtout témoigner de la peur du soignant face à cette peur qui nous pousse à le rompre plutôt qu’à l’utiliser. Une peur qui pourrait être celle du silence en lui-même ou la peur de ne pas en avoir assez dit, de ne pas avoir été exhaustif. » Cependant, dit C. Barbier, « à mon sens, ne rien dire du tout laisse le patient dans un vide qu’il remplit lui-même de ses fantasmes souvent inquiétants. Mon travail est d’accompagner (dans la mesure du possible et en fonction de la solidité de la relation) ce patient au plus proche de la réalité connue de son diagnostic, jusqu’où il peut entendre, et là où il pourra trouver ses ressources et l’énergie nécessaire pour lui-même. Toutefois, cela fait appel à une évaluation de cette limite parfois bien difficile à cerner et souvent fluctuante et qui expose le patient, désormais sans défense, à la dureté de l’annonce. » Pour T. Sage, lorsqu’il n’y a effectivement pas de diagnostic établi, il est important d’en faire état au patient. Il s’agit dit-il, de faire de ce patient « un allié pour la suite de la prise en charge. Faire silence ici

ne serait sans doute pas honnête. Mais parler pour ne rien dire serait tout autant une autre manière de faire silence. Si le patient n’est pas apte à affronter un diagnostic-pronostic, la décision de ne rien dire est une décision collégiale médecin traitant, spécialiste, psy, famille. » Pour C. Ottenwaelder, l’annonce d’une mauvaise nouvelle nécessite du silence  : «  La personne qui reçoit en plein visage ou en plein corps l’annonce d’une maladie potentiellement fatale a besoin de temps pour intégrer cette information. Voilà un patient qui ne demande rien d’autre que de guérir vite et qui se trouve face à un tableau noirci de toute part. Ce temps d’intégration nécessite des blancs, car la sidération provoquée par une annonce difficile demande l’installation de l’attente. Je me suis essayé à remplir cette attente de mots, mais le silence à ce moment-là me paraît bien meilleur. Il permet à la personne choquée de s’exprimer ou de se taire. Oui, le silence du médecin permet au malade de ne pas être interrompu et “non”, nous ne pouvons pas ne rien dire, surtout si le diagnostic n’a pas été formulé au patient et que celui-ci le demande. » Maintenant, comment cela se passe-t-il aux urgences ? « Silence et urgences, ça, c’est antinomique. » Et pour cause ! C’est un lieu où un temps d’attente dans la communication a très peu de place  : le soignant est auprès du patient et il faut être le plus efficace possible, donc le plus rapide. Et pourtant, le patient lui, est dans un silence très long. Il est dans l’attente, dans l’anxiété de sa présence aux urgences et du diagnostic. » Oui, et pourtant ! Il est le plus souvent seul dans ce temps d’attente. «  Lorsque le soignant arrive, dit M.  Floccia, le patient souhaite communiquer le plus vite possible pour être entendu. Ainsi, des temps de communication très rapides succèdent à des temps de silence souvent longs. C’est un lieu d’une rare intensité pour un lieu de soin, les personnes qui sont là rencontrent des situations difficiles et, lorsque je les rencontre, j’essaye, dans la mesure du possible, de ne pas rediriger trop vite la parole et de garder le silence. Des histoires de vie sont exprimées, facilitées par ce moment d’intensité extrême qu’est le passage aux

urgences. Des temps de silence apparaissent aussi du côté du patient, comme un temps de repos à deux que nous nous accordons mutuellement dans l’agitation ambiante. »

Un silence ressource pour le praticien ? I Ndiaye  évoque le silence comme une façon de se retrouver lui, entre deux consultations de patients  : «  Le silence s’imposant spontanément, ou que je m’impose sciemment entre les consultations, m’est utile pour clore l’échange précédent et faire place nette avant le suivant. Et puis, le silence me permet de prendre le temps de questionner ma pratique, pour l’ajuster lorsque c’est nécessaire  : ce que je fais correspond-il vraiment à ce que je souhaite faire. Est-ce que je respecte mon cadre de travail ? Quelle intention ai-je quand je fais telle proposition au patient, quand je l’examine de telle façon, quand je le touche de telle façon ? Qu’estce que je ressens en tant que médecin et en tant qu’être humain quand le patient évoque tel ou tel élément ? Le silence permet alors l’injection de temps dans le temps. C’est une étape nécessaire pour adopter une attitude en accord avec son cadre de travail et l’intention qu’on veut y donner. C’est aussi une étape nécessaire pour quitter une intention qui peut parfois être contre thérapeutique (fureur thérapeutique par exemple, mais aussi victimisation, paternalisme…). » Lorsqu’un silence s’installe, dit M.  Floccia, «  j’attends quelques secondes avant de relever la tête pour le regarder. Je suis alors dans un positionnement assez neutre, probablement interrogatif. Ce moment de silence, le mien, est précieux : le patient parle de tout ce qui lui paraît important. Dans ce moment, la consultation entière est là, et souvent même les solutions. C’est un moment très inhabituel pour le patient qui a rarement eu le temps de parler librement dans une consultation médicale auparavant. Mais c’est aussi un moment souvent inconfortable pour moi, le patient semble parfois me regarder interrogatif, voire suspicieux : “Quel est ce type de médecin qui ne parle pas ?” Au-delà de la parole libérée, il est probable que

ce moment de silence favorise une rupture de cadre et une entrée en une légère transe. Lorsque le silence s’installe des deux côtés, le patient reprend souvent la parole assez vite (peut-être par peur de ne plus avoir la parole dans la suite de la consultation ?). » Enfin, il y a la suggestion ultime, auto-induite par l’existence même du silence qui dirait quelque chose comme : « Rien ne sert d’agir, il est important d’observer, il est urgent, précisément, de ne rien dire. » C.  Ottenwaelder est chargé d’enseignement à l’université de La  Réunion, avec deux étudiants, l’un en début d’apprentissage, l’autre en fin d’apprentissage. Son enseignement est basé sur le compagnonnage et se fait en supervision directe, en présence de l’étudiant interne, et indirecte (les dossiers des personnes venues consulter sont revus en fin de journée). «  L’avantage de ces présences est l’observation de notre médecine par de futurs médecins et leur regard sur nos pratiques. Nos bavardages ou nos silences ont ainsi une autre teneur. Être observé nous oblige à être observables… »

Notes 1. «  Je fermerai les yeux, je boucherai mes oreilles, je détournerai tous les sens.  » (Méditations Métaphysiques, IIIe méditation. [1641] ; Paris : Garnier Flammarion ; 2009.) 2. Professeur agrégé en chirurgie, René Leriche fut l’un des premiers chirurgiens à s’intéresser à la douleur. Persuadé que la chirurgie était un procédé contre nature, il a mis en pratique une chirurgie douce, économe en sang, aussi atraumatique que possible (http://www.medarus.org/Medecins/MedecinsTextes/leriche-rene.html). 3. Cette partie est une synthèse à partir d’entretiens menés avec les médecins suivants  : Christian Barbier (médecin généraliste – Montbrison), Marie Floccia (gériatre et algologue – CHU de Bordeaux), Idrissa Ndiaye (médecin généraliste – Indre), Christophe Ottenwaelder (médecin généraliste – Trois Bassins – La Réunion), Thierry Sage (dermatologue – Dijon). 4. Voir Cyrulnik B. Les vilains petits canards. Paris : Odile Jacob ; 2001, pp. 211-221.

Focus 37

Antoine Bioy Jirō Taniguchi nous a quittés en 2017. Auteur incontournable de mangas, son style très européen lui permit d’être connu et reconnu bien au-delà du monde de la bande dessinée japonaise. Son œuvre invite à la transe par son travail autour de la contemplation, de la nature, et des valeurs humanistes. Petite visite de l’une de ses figures centrales : le marcheur1.

L’auteur Taniguchi publie sa première bande dessinée en 1970 (Un été desséché), un manga de facture classique, avant de découvrir l’école occidentale et notamment le style dit de la « ligne claire2 » que l’on retrouve chez Hergé, E.P. Jacobs (Blake et Mortimer) ou encore Jacques Martin, le père d’Alix. Taniguchi lisait aussi Métal Hurlant, Pilote, et était impressionné par le travail de Mœbius avec qui il collaborera plus tard. Un regard vraiment tourné vers l’Europe, donc. Cette influence facilitera sa reconnaissance au-delà des frontières japonaises et notamment en France, sans doute le pays qui a le mieux accueilli son travail. Au Japon, il est perçu comme un auteur complexe et littéraire, deux qualités que le vieux continent adore… Le thème de la famille est très présent dans l’œuvre de Taniguchi, avec notamment les chefsd’œuvre que sont Quartier lointain (prix du scénario au festival d’Angoulême) et Le journal de mon père. Au-delà de la famille, c’est en fait toute la question de la mémoire et de la transmission que ce mangaka (auteur de mangas) explore. À partir des années 1990, Taniguchi centre son travail sur le quotidien, les relations simples entre les vivants, l’exploration des espaces et des sens. Les animaux et la nature sont omniprésents avec une interrogation filée sur les liens entre l’homme et les

autres expressions du vivant. Son travail en finesse et ses dessins tout en simplicité à propos de ce quotidien facilitent l’identification du lecteur à ses personnages.

Le marcheur Nous aborderons ici spécifiquement la figure du marcheur chez Taniguchi, que l’on retrouve notamment dans les albums L’homme qui marche (1990, 1995)3, Le gourmet solitaire (1994, 2005), Le promeneur (2003, 2008), Les rêveries d’un gourmet solitaire (2014, 2016). Ce marcheur n’est évidemment pas le même d’un manga à l’autre, mais sous des traits différents, un même personnage se dessine qui possède des caractéristiques communes avec celui des Rêveries du promeneur solitaire de Rousseau (un bonheur qui se trouve dans la contemplation, une proximité avec la nature) et aussi une forte dissonance puisque, chez Taniguchi, l’isolement n’est pas de mise. Son marcheur n’a pas de but, il déambule sans objectif, souvent après une journée de travail en quittant son bureau, comme l’auteur le faisait luimême. Il part à la recherche d’un vélo disparu, il observe un match de baseball ou le ballet des ménagères dans un sushi bar, il se laisse guider par le doux claquement de la canne d’un vieil homme, ou encore il suit la trace d’un coquillage déterré par son chien, prénommé «  neige  ». Chacune de ces histoires est autant d’escapades inattendues, au hasard des chemins qui amènent le personnage à explorer des saveurs et images qui sont autant de fragments de son enfance, de son affectivité, de son existence. Il s’agit toujours de petits riens qui se présentent comme des cadeaux de la vie, dont le marcheur accepte l’incertitude qui lui est inhérente. Il ne s’extrait pas de la complexité de la vie pour filer dans celle de ses propres pensées comme le fait le personnage de Rousseau que nous citions. Au contraire, celui de Taniguchi s’immerge totalement dans l’incertitude et ses chemins inopinés qu’il suit tout en y prenant plaisir, et même en y éprouvant une forme de jouissance tranquille. Le marcheur de Taniguchi avance, simplement, et s’arrête, parfois. Il peut se le permettre, car il n’est pas prisonnier du temps, c’est même parce qu’il se donne le temps des choses qu’il est libre. Un certain éloge de la lenteur qui permet de se mettre en contact avec son environnement, apprendre à observer ces petits riens du quotidien. Ce regard porté à ce que l’on contemple est chez Taniguchi un mélange de tendresse, de douceur et d’une certaine nostalgie ponctuellement à la limite de la mélancolie, au sens où Victor Hugo l’entendait : « le bonheur d’être triste. »

Les saveurs Le marcheur, lorsqu’il devient gastronome, nous invite à sa randonnée pour découvrir des plats typiquement japonais, au fil de pérégrinations qui nous plongent dans le Japon populaire. Les sens se développent alors, comme ils sont aussi mis à contribution au décours de la rencontre avec un animal ou simplement un arbre  : dans le chapitre « Le cerisier » (dans L’homme qui marche), le personnage rejoint un bout de jardin et s’accorde un moment pour ressentir le lieu en posant sa main le

long du tronc rugueux, main qui descend lentement jusqu’à la couverture de verdure au pied du cerisier. Puis il s’allonge pour regarder le mouvement du feuillage sous le vent. Il fait alors la rencontre presque silencieuse d’une jeune femme venue elle aussi profiter de ce cerisier qui l’a vue grandir. Moment de grâce et de partage qu’il retrouvera à la dernière vignette en revenant dans ce jardin et en reposant simplement la main sur le sol douillet de la nature qui porte maintenant la mémoire de ce lien nouveau. Sensorialité, sensualité, et même ici un délicat parfum érotique dans cette rencontre… Car Taniguchi sait aussi se montrer transgressif voire subversif, à partir de ces petits riens du quotidien. Par exemple, cette autre histoire issue du même recueil, où le marcheur enjambe un jardin pour plonger nu avec délectation et délassement dans la fraîcheur d’une piscine, bienvenue après une journée que l’on imagine difficile. Une histoire qui fera quelques remous au Japon, aux traditions bien installées. L’œuvre n’est pas toujours si sage qu’elle y paraît, la liberté l’emportant parfois sur d’autres considérations. Vous l’aurez compris, l’œuvre de ce mangaka est avant tout sensorielle et sensuelle. Son caractère épuré, ancré dans le quotidien, rappelle furieusement les haïkus. Les pérégrinations du marcheur de Jirō Taniguchi sont autant d’expériences de vie que le lecteur partage avec le protagoniste. On peut même dire que cette expérience est à trois  : Taniguchi voyageait surtout depuis sa table de travail, et peu dans la vie. Il disait que pour dessiner une montagne en hiver, il devait se mettre dans les conditions de ressentir le froid, les premières gerçures sur ses mains, le baiser cinglant du vent frais, le vertige de l’altitude. Autrement dit, il dessinait en situation de transe, décrivant la transe de ses personnages dont celle de son marcheur, et invitait le lecteur à faire de même. Et quelles sont les meilleures conditions pour cela ? Son «  promeneur  » (2008) nous répond  : «  L’idéal c’est de se perdre avec nonchalance… » L’homme qui marche, Quartier lointain, Le journal de mon père, Les rêveries d’un gourmet solitaire, Le gourmet solitaire sont édités par Casterman.

Notes 1. Article initialement publié dans la revue Transes, n° 3. 2. Ligne claire  : utilisation de couleurs en aplat pour chaque élément, et les contours des éléments sont délimités par un trait d’encre noire uniforme et de même épaisseur. 3. Nous indiquons la date de publication originale puis la date de publication en français.

Partie 4 Quelques dispositifs thérapeutiques utilisant les transes et ECM

Chapitre 38 Trois notions clés pour comprendre l’hypnose

Maurício S. Neubern Dans le panorama scientifique contemporain, l’hypnose constitue un thème de recherche clinique d’une grande pertinence (Neubern et Bioy, 2023). Il existe de nombreuses études sur l’hypnose dans divers domaines, qui vont des neurosciences à l’évaluation de son efficacité dans différents secteurs de la santé. Au cours des trente dernières années, le nombre de recherches a considérablement augmenté, ainsi que celui des thérapeutes de différents pays, qui l’utilisent dans divers contextes cliniques. Cependant, malgré un tel intérêt de la part des chercheurs, des thérapeutes et de la société en général, l’hypnose se heurte encore à de nombreux problèmes conceptuels qui la rendent difficile à comprendre. Que ce soit en raison de problèmes historiques et épistémologiques (Stengers, 2001) ou en raison de son approche culturelle avec des thèmes relevant du « fantastique » et du «  surnaturel  » (Bioy, 2018), l’hypnose n’a pas réussi à présenter, en tant que domaine de recherche, une base de consensus entre ceux qui s’y intéressent (Facco, 2021). Qu’il s’agisse d’une question d’état ou de communication, qu’il s’agisse d’un domaine à restreindre aux neurosciences, qu’il faille la concevoir comme une « modification de la conscience » sont des questions qui semblent encore loin d’une conclusion qui unifie les chercheurs et les thérapeutes qui s’y intéressent. Ce travail cherche ainsi à présenter trois questions clés pour faciliter une meilleure compréhension de l’hypnose. Il est proposé ici que la discussion sur ces sujets puisse conduire à de plus grandes possibilités de dialogue entre les personnes intéressées dans ce domaine, permettant, de cette façon, un rapprochement entre leurs contributions. Plus que cela, ce chapitre vous propose d’être une base de compréhension initiale de ce que serait l’hypnose dans certains de ses aspects les plus centraux. Les axes autour desquels une telle discussion sera développée sont : les relations entre réalité et fiction, le dilemme entre état et non-état et le problème de l’autonomie. Trois brèves situations seront utilisées comme illustrations cliniques1.

La séance d’hypnose Avant d’aborder les sujets proposés ici, quelques aspects généraux de la séance d’hypnose seront évoqués. Malgré la variation entre les différentes approches, il est possible de considérer qu’il existe un certain consensus concernant les différentes étapes de cette session.

L’hypnologue, thérapeute ou chercheur, effectue généralement une première collecte d’informations, lors d’un premier entretien sur le sujet. Il recherche les informations nécessaires à ce qu’il cherche à développer avec cette personne (une intervention thérapeutique, une expérience didactique, un phénomène hypnotique spécifique, entre autres objectifs). Les hypnologues inspirés par Milton Erickson mettent généralement l’accent sur l’expérience unique d’une personne en termes, par exemple, de la façon dont cette personne pense, agit, se rapporte aux autres et de son potentiel de changement (Erickson et Rossi, 1979). D’autre part, ceux qui sont inspirés par une perspective plus cognitive (Nash et Barnier, 2012) ont tendance à rechercher les critères standard de la transe, généralement mesurés à l’aide d’échelles. L’entretien est généralement suivi d’un mode d’interaction appelé rapport, dans lequel il y a une réactivité plus intense entre l’hypnologue et le sujet. Ils commencent à se refléter dans leurs postures et leurs mouvements, à réagir rapidement aux actions de l’autre et à se rendre réceptifs aux suggestions. Au cours du rapport, il peut y avoir une certaine rupture de la notion d’altérité (Melchior, 1998), amenant le sujet à percevoir l’hypnologue dans son monde ou à avoir le sentiment qu’il lit ses pensées.

Pendant le rapport, l’hypnologue amène le sujet, d’une certaine manière, à fixer son attention sur un stimulus ou une expérience. Un point précis sur le mur ou dans un paysage, le souffle ou une image qui surgit dans l’esprit du sujet peut servir à cela. L’hypnologue peut favoriser cette fixation par des suggestions directes (phrases impératives, comment « regarder ce point », « faites attention à votre respiration  ») ou par des moyens plus indirects, comme une brève description de quelqu’un qui contemple l’horizon et se transporte ailleurs. La fixation de l’attention, dans ce contexte relationnel, favorise l’émergence de l’expérience de transe, où les références de la réalité (temps, espace, cause, matière, autre) changent de manière plus ou moins accentuée (Neubern, 2016), comme cela sera expliqué plus loin. Il est courant que certains hypnologues proposent des situations qui aident les sujets à avoir la confirmation qu’ils sont en transe. Cela se produit généralement par des phénomènes hypnotiques (tels que la lévitation des bras, certaines hallucinations induites) qui semblent se produire en dehors du contrôle du sujet. Pendant la transe se produit également le type d’intervention souhaité, comme la production de certains phénomènes hypnotiques pour une recherche ou le traitement d’une demande thérapeutique (comme les traumatismes, la phobie, la dépression, la douleur chronique, l’anxiété, les dysfonctionnements sexuels et les problèmes d’identité). À  cette fin, les hypnologues peuvent utiliser diverses techniques, telles que des suggestions directes, des prescriptions de tâches, des hallucinations de divers sens, des histoires, des métaphores, des amnésies, des truismes, des énigmes, des distorsions temporelles, des dissociations de parties du corps, entre autres. La plupart des hypnologues actuels, en particulier les thérapeutes, considèrent que la transe doit intervenir afin de favoriser l’autonomie du sujet. Pendant la transe, il est également courant que les hypnologues utilisent des suggestions post-hypnotiques, c’est-à-dire des suggestions qui visent à garder le sujet actif sur le sujet traité même après la séance d’hypnose.

Il est important que l’hypnologue fournisse au sujet un moyen sûr de sortir de la transe. Surtout lorsqu’elles entrent dans des expériences de transe plus profondes, certaines personnes disent éprouver des difficultés dans cette sortie. Les mêmes types de suggestion utilisés dans les étapes précédentes sont également présents ici, bien qu’avec la fonction de réinsérer le sujet dans l’état d’éveil commun. L’un des points les plus importants pour cela est de faire en sorte que le sujet reprenne progressivement le contrôle du corps, de sa perception et de ses pensées.

Un point de départ Pour atteindre les objectifs proposés ici, il est entendu qu’un point de départ sur ce qui est (ou peut être) l’hypnose est d’une grande importance. Sur la base des questions initialement soulevées, d’autres études pourront être développées sur ces axes à d’autres moments, afin de créer de nouvelles possibilités conceptuelles sur l’hypnose. Pour l’auteur, l’hypnose est un phénomène complexe et sémiotique2 (Neubern, 2016) qui comporte deux dimensions centrales. D’une part, il y a la transe qui représente des modifications de références vécues (temps, espace, matière, cause, corps, autre) entre l’ego et le monde. En état de transe hypnotique, une personne peut se trouver à plus d’un endroit en même temps, tout en ressentant des expériences passées et éprouvant des désirs pour le futur. Elle peut se voir sur une chaise de bureau et en même temps se sentir flotter comme une plume. Elle peut visualiser le monde concret de la chambre d’hôpital et, en même temps, percevoir l’image d’êtres ou de choses qui ne sont pas capturés par les personnes présentes. Il y a une sorte de décentrement de l’ego, en tant que source supposée de contrôle et de rationalité, de sorte qu’une série de processus oubliés, sans importance ou inhibés, émergent. Le soi reste actif et pensant, mais traite avec une diversité de voix et

d’êtres, issus de son histoire ou du monde socioculturel (Morin, 2015) : une affection du passé (un « tu »), un être spirituel qui invite la personne à une mission collective (un «  nous  »), l’émergence d’une anesthésie intense sur le corps (un « ça »). La transe devient une sorte d’arène de négociations, dans laquelle la personne et son thérapeute peuvent faire face à ces différentes voix, en fonction des exigences thérapeutiques de la personne. Les références sociales peuvent également être modifiées pendant la transe (Neubern, 2016), telles que humain versus divin, homme versus femme, bien versus mal, animal versus humain, beau versus laid, entre autres. Cela conduit à l’importance de comprendre que la transe est aussi un phénomène social et requiert souvent la connaissance du thérapeute sur l’appartenance de la personne et de la connaissance collective qui l’imprègne. En un mot, l’expérience d’une personne est fortement pénétrée par le monde social, ce qui en fait une sorte d’hologramme (Morin, 2015) d’appartenances collectives diverses (biologiques, historiques, sociales, économiques, politiques, spirituelles, culturelles). D’autre part, l’hypnose est également constituée de tout un jeu interactif d’influences pouvant faciliter et développer la transe (Neubern, 2016). Les différentes techniques hypnotiques telles que les prescriptions, les contes d’histoires, les métaphores et les fixations de l’attention entrent dans cette catégorie. Il y a aussi des éléments involontaires, tels que l’apparence, les vêtements et les gestes des protagonistes qui peuvent faciliter la transe. Dans les contextes religieux qui impliquent des rituels où des chants, des musiques, des danses, des objets et des odeurs sont utilisés, ces facteurs contribuent de manière significative à l’induction de la transe. En général, il est possible de concevoir que l’influence hypnotique semble modifier le sens de l’altérité de la personne, modifiant de manière plus ou moins intense les notions entre interne (privé) et externe (public). Cela favorise non seulement que la personne expérimente l’entrée du thérapeute dans son monde, mais aussi l’émergence d’autres voix et personnages intériorisés par son insertion dans le monde social, comme mentionné ci-dessus.

Les axes : 1. Réalité et fiction L’hypnose est profondément marquée par l’opposition présente dans la science moderne entre réalité et fiction (Stengers, 2001). Si la réalité est le domaine choisi pour la rationalité scientifique, où les faits3 sont obtenus, la fiction est considérée comme étant du domaine des artistes, des mystiques et des poètes, où les artéfacts sont construits. En hypnose, dans certaines limites, il est possible d’obtenir des faits, comme en témoignent les nombreuses recherches sur son efficacité (Elkins, 2022). Cependant, le souvenir d’une scène ne pourrait être constitué comme un fait en soi, soit à cause de son contenu imaginaire et fabriqué, soit parce qu’il reste dans une sphère privée de l’expérience. À juste titre, la mémoire de cette scène ne pourrait représenter une preuve scientifique ou même juridique, compte tenu du risque élevé de faux souvenirs (Hacking, 1995). D’un point de vue clinique, le dilemme entre la réalité et la fiction a d’autres façons d’être compris. En effet, l’expérience vécue en transe peut avoir un statut de vérité pour la personne, même si cela n’est pas prouvé en termes de fait scientifique. Le cas suivant est assez illustratif à cet égard. Jeanne, 35 ans, souffrait de douleurs et de constipation en raison de la maladie de Crohn, qu’elle a associés à une intense relation abusive avec son ex-mari. En plus des menaces physiques, il s’était emparé de tout son argent et l’avait quittée pour une autre femme. Quelques mois plus tard, elle a développé les symptômes de la maladie de Crohn, dont le diagnostic a été confirmé par les médecins. Après quatre ans de souffrance causée par ces problèmes, elle a demandé de l’aide en hypnothérapie. Elle relatait qu’il y avait une boule au niveau de son ventre qui lui causait beaucoup de douleur et l’empêchait de déféquer. Dans la transe, elle a visualisé cette boule et il lui a été suggéré que cette boule pourrait cesser d’exister si son corps le permettait. Jeanne a déclaré que la boule résistait à tous les coups de couteau avec lesquels elle l’attaquait, ce à quoi le thérapeute a ajouté qu’il y avait de puissants

acides digestifs dans le corps humain. À partir de ce moment, elle a rapporté avoir vu la boule fondre et a ressenti un grand soulagement dans son corps. Quelques jours plus tard, son médecin lui a dit que son intestin était beaucoup moins inflammé et fonctionnait presque normalement. Il serait, certes, possible de trouver dans la littérature des recherches qui confirment l’efficacité des processus d’imagination, ce qui irait dans le sens d’un fait. Cependant, du point de vue de ce que serait la «  réalité  » de Jeanne, l’image de la boule dans son ventre avait des dimensions beaucoup plus symboliques et émotionnelles. Cette boule semblait représenter plusieurs éléments apparus lors de l’entretien initial  : un mari violent, qui avait usurpé presque tout son patrimoine ; des menaces et des ironies constantes qui la faisaient se sentir dévalorisée ; la souffrance intense face à la trahison ; le sentiment d’humiliation et l’incapacité de retourner dans sa famille, pour demander un abri et une aide financière. Ainsi, la fusion de la boule lui a donné la possibilité de reprendre une nouvelle vie, sans se sentir esclave de la terrible expérience de son ancien mariage. Si l’hypnose permet, dans un cas comme celui-ci, un certain niveau d’information contrôlée, comme cela se produit dans la recherche sur l’efficacité thérapeutique (Elkins, 2022), elle constitue également une approche importante des dimensions vécues de la personne, impliquant des processus émotionnels, imaginaires et symboliques. Ceci peut être compris du point de vue clinique comme la réalité particulière d’une personne, car de telles expériences impliquent, pour elle, des significations importantes de sa vie. Cependant, il est important de souligner que traiter du binôme réalité x fiction implique deux points importants. Le premier d’entre eux, fortement souligné par Milton Erickson (Erickson et Rossi, 1979), fait référence à la particularité des constructions du sens de chacun. Pour qu’une hypnothérapie réussisse, elle doit considérer la spécificité de ces constructions et permettre que la personne ellemême se les approprie en faveur de ses propres besoins. Le deuxième point est l’idée même d’hypnogenèse (Stengers, 2001),

selon laquelle une personne a tendance à répéter la théorie de son thérapeute (ou chercheur). Le troisième est que, compte tenu de l’hypnogenèse, la construction de la nouvelle réalité thérapeutique doit être guidée par la recherche de solutions et d’autonomie pour la personne. Le thérapeute doit donc adopter une attitude de réflexion sur ses propres hypothèses, puisque ses idées sont transmises à l’univers de l’autre, pouvant l’influencer de manière décisive. Le respect de la diversité humaine, la valorisation de l’autonomie, la flexibilité pour rechercher des solutions sont quelques-unes des idées qui soustendent couramment les processus d’hypnose réussis. En résumé, la réflexion sur les hypothèses théoriques et éthiques doit coïncider avec la réalité vécue par la personne pour que la thérapie réussisse.

Les axes : 2. État et non-État Un autre point clé pour comprendre l’hypnose est le dilemme entre ceux qui la conçoivent comme un état et ceux qui la comprennent comme un processus de suggestion (Jay Lynn, Kirsch et Hallquist, 2012). Les premiers, qui représentent une tradition plus ancienne, se basent sur la perspective que l’hypnose est un état de conscience modifié ce qui serait renforcé par des études cliniques et également des recherches en neurosciences. Des noms tels que Erickson, Hilgard, Spiegel, Kihlstrom et Gruzzelier composent le premier groupe, bien que la classification entre ces groupes ne soit pas toujours facile. D’autre part, les seconds, qui se basent principalement sur des théories sociocognitives, conçoivent que l’hypnose est un processus purement suggestif, sans preuve d’un état psychique différencié. Jay Lynn, Kirsch, Sarbin et Barber conçoivent que, grosso modo, la suggestion avec des réponses hypnotiques dispense de l’induction d’un état, puisque les personnes dans un état ordinaire peuvent reproduire les mêmes réponses qu’une personne en transe.

D’une certaine manière, cette polémique renvoie au vieux débat entre les écoles de Paris et de Nancy, encore au xixe  siècle (Stengers, 2001). Pour Jean-Martin Charcot, éminent dirigeant de l’École de Paris, l’hypnose était une question d’état pathologique, caractéristique des hystériques, tandis que pour Bernheim et Liébeault, de Nancy, c’était un processus suggestif. On peut comprendre que ce débat semble sans fin en raison des difficultés inhérentes à l’étude scientifique du domaine psychique et des lacunes conceptuelles qui affectent les constructions théoriques et méthodologiques. Sans chercher ici à dévaloriser le débat actuel entre état et non-état, on considère que le problème de l’absence de définition ontologique de ce qu’est la subjectivité (Gonzalez Rey, 2019) est au cœur des difficultés qui semblent insolubles. Autrement dit, si elle n’est pas conceptuellement définie comme une réalité, il devient difficile de la connaître en tant que domaine d’étude et de démontrer quelles seraient ses exigences méthodologiques. Le paradigme S-R (stimulus-réponse) lui-même, qui sous-tend la recherche des deux côtés, semble être très insuffisant pour une compréhension plus complète de l’hypnose. Parce qu’il est basé sur une perspective instrumentaliste et sur la notion même de réponse, ce paradigme est incapable de faire progresser la compréhension de ce qu’est l’expérience subjective, imaginaire et insaisissable qui caractérise le processus hypnotique (Neubern, 2016). Ainsi, on considère que la définition ontologique de la réalité hypnotique nécessite une réflexion collective au niveau philosophique, incluant des questions phénoménologiques et métaphysiques (Colapietro, 1989). Une définition conceptuelle à des niveaux de connaissances plus larges (méta-connaissances) doit précéder la recherche sociocognitive et clinique, afin d’obtenir une base conceptuelle commune pour ce qui est discuté et ce qui est recherché. Dans ce sens, on considère dans une première approximation que la discussion entre état et non-état peut être intégrée si une notion plus

large de self est adoptée, comme le propose Charles Peirce (Colapietro, 1989 ; Neubern, 2016). Le self est un grand système sémiotique qui, bien qu’il implique une expérience d’individualité, est essentiellement forgé et imprégné par le monde social. Cela signifie que la notion de  self est toujours accompagnée de la notion de l’autre, considérant l’interpénétration constante du self d’une personne avec l’ensemble de ses relations. Cependant, le self comporte ses propres systèmes d’agencement, afin d’assurer des moyens plus ou moins flexibles d’organisation et de construction de sens à partir de l’expérience de la personne. En même temps que le self est imprégné d’influences sociales, les dimensions internes et imaginaires de l’expérience jouent un rôle de grande importance pour son organisation, car c’est à partir de cette dimension imaginaire, sentimentale et insaisissable, que le self se développe en niveaux complexes d’organisation, basés sur des références (habitudes) relativement flexibles. Ainsi, si les habitudes facilitent une certaine organisation de l’expérience, elles ouvrent également un espace pour que les processus créatifs agissent et que le soi puisse créer des alternatives distinctes pour la personne tout au long de sa vie.

Pour Peirce (cité dans Colapietro, 1989), l’ego n’est qu’une simple vague au milieu de l’océan du self, étant donné que la majeure partie de l’expérience est présente dans ce dernier et au-delà de la conscience. Cependant, c’est exactement à cause des influences et des déterminations du self et du monde que l’ego s’organise d’une manière similaire à ce que fait un surfeur au contact de la mer. C’est grâce aux déterminations de la force des vagues, du vent et de la gravité qu’il peut créer les manœuvres les plus audacieuses et les plus belles. Bien que l’ego ne soit pas déterminé comme une notion entièrement individuelle, il n’en reste pas moins un médiateur important entre les différentes relations qui pénètrent le self et le monde extérieur. Même si elle est exprimée ici sous une forme synthétique, la notion de self de Peirce (Colapietro, 1989) n’est pas présentée comme une théorie, mais comme une métathéorie, dans laquelle des problèmes conceptuels importants sont traités. Ainsi, des dilemmes tels que l’autonomie versus la dépendance, l’individu versus le social, l’ordre versus le désordre et le conscient versus l’inconscient sont abordés en termes conceptuels à l’aide de disciplines telles que la sémiotique

et la phénoménologie. Cela permettrait une compréhension plus ample de la subjectivité ou du self en tant que réalité et en termes conceptuels, où le social et l’individuel sont intégrés sans frontière bien définie entre les deux. Plus que cela, les frontières entre externe et interne sont également relativisées et incompatibles avec une notion causale, telle que celle qui régit la discussion entre état et non-état. Parce qu’il s’agit d’un champ insaisissable et dialectique, le self est un processus complexe et récursif (Morin, 2015) dans lequel les dichotomies du débat étatique et non étatique n’ont pas beaucoup de sens. Ainsi, l’influence (suggestion) et l’état (transe) sont articulés à partir de la notion même de self. Le cas suivant illustre ces points. Antônio, 42 ans, est un patient qui a demandé de l’aide en hypnothérapie à cause d’une douleur intense due à une erreur chirurgicale. Ses douleurs ne répondaient pas bien aux médicaments, il se sentait déprimé et pensait au suicide. Dans l’induction hypnotique d’Antônio, il y avait toujours des histoires d’une plume flottant doucement dans l’air ou d’une goutte se dissolvant dans la rivière, sans s’y désintégrer. En même temps, l’autre partie de son esprit était invitée à mentaliser la région du basventre d’où provenaient les douleurs les plus intenses. À  sa sortie d’hypnose, il a rapporté qu’à certains moments, il se sentait effacé, immergé en lui-même… ensuite, il s’est vu comme étant à l’extérieur de son corps, mentalisant des rayons colorés sur les régions douloureuses. Il a même relaté avoir vu les tissus blessés à l’intérieur de son corps. Ce processus a permis que ses douleurs se réduisent considérablement, passant des huit ou neuf initiaux aux trois ou quatre à la fin des séances. Le rapport ci-dessus se réfère à l’accompagnement de sessions de thérapie qui ont duré environ deux ans. Les suggestions utilisées visaient à observer les constructions subjectives d’Antônio, qui était très lié à la nature depuis l’enfance, et également son attitude typique de contrôle face aux problèmes. Une grande partie de la séance était développée par le thérapeute à un rythme très lent, car ce rythme facilitait cet état de sentiment dilué dans quelque chose,

qui était considéré par Antônio comme de la méditation. La sensation de la disparition de l’ego qui se transformait en quelque chose de plus grand sans se désintégrer, en alternance avec les moments délibérés d’émission de rayons colorés sur la région de la douleur caractérisaient ses expériences de transe. Ainsi, les constructions développées par le thérapeute cherchaient, d’une part, à inclure divers signes des façons de penser, d’agir et de ressentir d’Antônio ; d’autre part, ses expériences de transe impliquaient des changements de référence au monde et produisaient un soulagement considérable de ses douleurs. En un mot, il est possible de concevoir, en termes sémiotiques, un niveau d’interpénétration entre le thérapeute et son client, dans lequel les signes provenant du thérapeute sont devenus une partie du self d’Antônio pendant et à partir de la transe.

Les axes : 3. Autonomie Historiquement, l’hypnose a été associée à la possibilité de contrôler les gens par des techniques de suggestion. Une telle idée a soulevé d’importants débats à différentes époques, mais n’a pas prévalu entre les chercheurs et les thérapeutes contemporains. En effet, en tant que système complexe, le self (Colapietro, 1989) a différentes formes d’agencement qui se reconfigurent et génèrent de nouvelles significations en fonction des influences qu’il reçoit. Par conséquent, pour des raisons éthiques et conceptuelles, un contexte tel que l’hypnothérapie, par exemple, doit être constitué comme un champ d’expériences visant l’autonomie de la personne, afin qu’elle puisse gérer sa vie et se libérer de l’influence paralysante de la souffrance et des symptômes. Il existe de nombreuses références dans lesquelles il est indiqué que l’ego maintient un certain sens critique et décisionnel pendant la transe (Neubern et Bioy, 2023), ce qui empêcherait la personne de se soumettre à des situations abusives ou à des situations contraires à ses valeurs morales. Cependant, certains arguments peuvent être soulevés sur l’autonomie, principalement parce que la notion même d’autonomie

implique également certaines formes de détermination. Des expériences comme celle de Milgram (cité dans Stengers, 2001) ont montré que, sous certaines conditions, une personne peut décider de commettre des actes contraires à sa morale. De même, il existe de nombreux rapports de personnes ayant participé à certains groupes ou à des procédures thérapeutiques et qui se sont ensuite senties trompées et trahies (Hacking, 1995). Par conséquent, comme pour d’autres formes de thérapie, l’hypnose peut aussi se constituer comme un instrument d’oppression, capable de s’imposer à l’autre et, d’une certaine manière, de l’asservir. Dans de tels cas, comme cela se produit également dans les relations abusives, ce processus d’interpénétration entre  les selfs tend à provoquer le fait que la présence du thérapeute dans le monde de l’autre se passe de manière néfaste : la capacité de discerner et de penser en commun est affectée, amenant la personne à ignorer les éventuels signes de danger, principalement en raison de l’autorité du thérapeute et du lien affectif qu’il crée avec lui. De cette manière, certaines conditions doivent être mises en évidence pour que l’autonomie soit l’un des sujets centraux de l’hypnose. Le cas suivant (Erickson et Rossi, 1979 : 237-240) illustre de manière significative les principes à discuter. G., une femme dans la trentaine, a demandé à Erickson si son asthme était d’origine psychologique ou organique. Ses crises avaient lieu toute l’année, sauf en été. Fait intéressant, elle recevait toute l’année des lettres désagréables de son père, critiquant la mère de G. (déjà décédée) et exigeant qu’il reprenne tout l’héritage de son ex-femme. Erickson lui a dit que dans vingt minutes elle entrerait en transe dès qu’il ferait un signe, mais qu’elle en sortirait avec un autre signe qu’il ferait. De cette façon, elle aurait la certitude que son asthme était d’origine psychologique. Bien qu’elle ait répondu avec une certaine ironie, G.  a poursuivi la conversation avec Erickson qui, après vingt minutes de conversation, a frappé trois fois avec un crayon sur la table. G.  a immédiatement fait une grave crise d’asthme, mais Erickson a mis une cigarette dans le cendrier (le deuxième signe) et son attaque a cessé. Erickson lui a

assuré que cela lui permettait d’affirmer que son asthme était d’origine psychologique. Il l’a invitée à rester dans un état de transe confortable, puis lui a suggéré de se souvenir de ce qui était important pour comprendre sa situation. G  a dit se souvenir de la maladie et de la mort de sa mère, du comportement répréhensible de son père, de son remariage avec une femme de mauvaise conduite, des demandes d’héritage qu’il a faites par lettres et des offenses à sa mère déjà décédée. Erickson lui a alors demandé ce qu’elle aimerait faire de tout cela, ce à quoi G. a répondu qu’elle poursuivrait son père en justice pour qu’il cesse ses attaques, ce qui, en fait, a été fait. En cinq ans de suivi, G. n´a plus présenté de crises d’asthme. Le développement de l’autonomie présenté dans ce cas peut être analysé à travers les différents points abordés. Dans le premier point, Erickson parle, se comporte et agit dans ce qui serait la même « langue » ou production sémiotique que celle de la personne. C’est une personne qui exigeait une confrontation (comme le suggère son ironie) et qui avait également besoin de conditions pour découvrir certains éléments de sa réalité avec lesquels elle avait de nombreuses difficultés. Dans le deuxième point, le travail est développé en fonction du propre cheminement du symptôme, dans lequel Erickson commence à lui apprendre à comprendre le cycle des crises et comment elle pourrait y mettre fin. Bien qu’il ait conduit ce processus allant de l’apparition des symptômes, au désespoir jusqu´à leur disparition, il y avait aussi un signe à G sur la trajectoire de ses symptômes et, éventuellement, sur les moyens de les déclencher et de les contrôler. Ces deux points préparaient en fait le troisième  : sa capacité à reconnaître par quel processus se formait son symptôme. Sachant désormais que son asthme était d’origine psychologique, G. pouvait enfin comprendre (ou reconnaître) ce qui, dans son histoire de vie, avait favorisé les crises d’asthme. Plus que cela, elle pouvait maintenant décider comment gérer cette situation. Bien que les cas d’hypnose puissent évoluer très différemment de celui de G, il est possible de considérer que ces trois éléments sont importants pour caractériser l’autonomie de manière générale. Il est

nécessaire de créer un contexte dans lequel la production sémiotique de la personne est envisagée par l’acceptation de la personne et la possibilité qu’elle agisse en tant que sujet à partir de ses propres références et significations de vie. Il est également important de développer de nouvelles formes d’organisation du self, dans lesquelles ses modes d’action peuvent créer des alternatives qui réduisent la souffrance et favorisent l’intégrité de la personne. La trajectoire du cycle de l’asthme développé par Erickson avec G. illustre bien ce sujet. Et enfin, il est important que la personne puisse réfléchir sur les thèmes les mieux adaptés à sa propre vie tout en se sentant appuyée dans sa décision.

Derniers mots Le texte développé jusqu’ici s’est proposé d’indiquer les voies possibles pour parvenir à une plus ample compréhension de l’hypnose, malgré l’absence de consensus entre les chercheurs dans ce domaine (Facco, 2021). Même si les trois questions utilisées ici comme référence sont également présentes dans d’autres formes de thérapie et de pratiques sociales, elles sont très spécifiques à l’hypnose. Si elles pouvaient être discutées et étudiées en profondeur, de nouvelles possibilités de compréhension de l’hypnose pourraient surgir, ainsi que de nouvelles conditions de dialogue entre les chercheurs et entre ceux-ci et les thérapeutes. Par conséquent, il est nécessaire que « la pratique » de la science, que ce soit en clinique ou en recherche, soit réconciliée et remariée avec «  la pratique  » de la philosophie. En effet, ce n’est pas l’amélioration des instruments qui pourra permettre une compréhension plus large et plus cohérente de l’hypnose, mais le développement de nouvelles idées, autour desquelles la pensée peut exercer son rôle critique d’investigation des différentes facettes d’un phénomène aussi complexe. Les instruments peuvent offrir des indicateurs intéressants sur des sujets tels que la réalité et la fiction, mais comme ils ne pensent pas par eux-mêmes, ils ne peuvent pas

définir en quoi consistent ces phénomènes, ni quelles sont les exigences à satisfaire. En ce sens, le scientifique-philosophe doit avoir la capacité de penser. En termes d’hypnose, c’est un point crucial, notamment en raison de l’hypnogenèse. L’hypnose pose comme condition un processus de réflexion dans lequel ce scientifique-philosophe dialogue avec lui-même, vérifiant les types d’idées, de valeurs, de sentiments et d’imagination qui l’habitent. C’est, d’une part, une condition théorique et méthodologique dans laquelle il est disposé à savoir ce qu’il apporte avec lui dans sa rencontre avec l’autre, car cela affectera grandement l’expérience hypnotique de cet autre. D’autre part, c’est aussi une question éthique, car les valeurs et les idéaux qui l’habitent doivent inclure le respect et une profonde considération pour cet autre. Il faut donc qu’il se demande ce qu’il doit apporter à cet autre, pour que l’hypnose se constitue comme un processus de profond respect du sens de l’humain. En un mot, le concept du « soi et l’autre », ainsi que la connaissance et l’éthique, ne peuvent être dissociés dans le travail d’hypnose.

Notes 1. Deux des rapports cliniques présentés ont été élaborés par le propre groupe de recherche de l’auteur - le groupe CHYS (complexité, hypnose et subjectivité) de l’université de Brasilia, au Brésil. Tout le soin éthique a été apporté à leur égard, obéissant aux normes du comité d’éthique de l’université. L’autre étude clinique est tirée des travaux d’Erickson (Erickson et Rossi, 1979). 2. En raison des limites du texte, il ne sera pas possible de développer certains principes de complexité et d’œuvre de Charles Peirce, tels que la phénoménologie et la sémiotique. Nous recommandons, à ce sujet, les livres de Morin (2001) et Colapietro (1989). 3. Même si dans la science moderne (Stengers, 2001) on considère que les artéfacts (constructions) sont inséparables des faits (révélations), les faits sont prépondérants dans la logique de ces sciences. Par le moyen des certains dispositifs, comme le laboratoire scientifique, les faits peuvent s’opposer à la pensée du chercheur, ce qui n’arrive pas avec les artéfacts.

Chapitre 39 Transe hypnothérapeutique facilitée par la réalité virtuelle

Pierre-Henri Garnier La métaphore de l’art culinaire nous inspire et guide notre questionnement : la réalité virtuelle (RV) peut-elle être un exhausteur de transes ? De cette cuisine créative, nous proposons d’appréhender la RV comme un agent « aromaTIC ». Bien agrémentée, la RV peut participer activement à la restauration voire l’extension de notre conscience sensorielle.

Les casques RV : un nouvel « ingrédient hypnoTIC »

Les TIC (Technologies de l’Information et Communication) s’intègrent à nos pratiques. Des études de marché1 estiment à 234,5  milliards de dollars la valeur mondiale de la santé numérique d’ici 2023 (hausse de 160  % par rapport à 2019). La courbe de vente des casques RV est exponentielle (5  millions en 2019 et 43 millions prévu en 2023). Les casques RV les plus récents sont aujourd’hui autonomes (sans-fil). Pour un équipement de base, le tarif n’excède pas 600  euros. L’utilisation la plus fréquente de la RV reste le jeu vidéo mais les usages en santé arrivent en seconde position2.

Au-delà du jeu vidéo, la RV est aujourd’hui reconnue pour ses usages en santé (chirurgie, algologie, rééducation,  etc.). Diverses études précisent des modifications de notre état de conscience ordinaire (Liu, 2022) tels que des effets de dissociation (Aardema, 2010). Ces phénomènes sont complexes à étudier car les expériences RV sont très hétéroclites (multiplicité des casques et logiciels). La RV mobilise des processus intriqués. La boucle perception-cognition-action3 est bien plus que la somme des parties. Les effets de la RV (sur la douleur et anxiété notamment) peuvent être expliqués par des logiques de diversion et saturation de nos ressources attentionnelles limitées4. Comme en hypnose, l’attention et l’immersion sont des ingrédients nécessaires mais non suffisants pour créer l’expérience de présence. Des facteurs sensori-moteurs, émotionnels et culturels vont aider le sujet à «  transiter  » de la focalisation vers le sentiment d’immersion, de présence et d’incarnation. Les chercheurs décrivent notamment des principes de transfert par couplage sensoriel entre corps physique et virtuel (l’avatar). La recherche en RV (Liu, 2022) s’intéresse particulièrement à l’énaction (cognition incarnée)5.

Au-delà de la métaphore de « l’agent aromaTIC », la notion d’agent culturel fait référence ici à la sociologie de l’innovation (Latour, 2006). L’expérience de transe avec RV peut être envisagée comme le tissage d’un réseau composé d’agents hétérogènes (humains, non humains). L’agent non humain (casque) s’intègrent aux humains (patient, thérapeute). Ces agents contenants (casque, manettes, tablette, wifi), et de contenus (applications) participent activement à la coémergence de cette expérience immersive intersubjective. L’agent culturel donne forme à notre perception. Il met en scène les interactions sociales. La notion d’agent de conscience est également

utilisée dans le cadre de la théorie des interfaces de perception. Donald Hoffmann (2015), chercheur de référence en RV précise que le sujet est immergé dans un univers composé « d’agents virtuels »6 qui sont connectés implicitement à un réseau d’agents humains (les créateurs du jeu notamment). Des facteurs psychoculturels intriqués (attentes, croyances, identifications) interviennent et influencent notre perception. L’expérience RV est à la fois génératrice et générée par cette mise en scène implicite d’une réalité relationnelle bien réelle. L’intention, le cadre et le contexte vont pouvoir constituer des suggestions thérapeutiques indirectes. Des recherches récentes montrent que la RV peut générer (dans un cadre suggestif spécifique) des perceptions de co-incarnation (Fribourg, 2020). Une expérience récente (méditation collective en RV) a également induit des hallucinations (décorporation) semblables à celles provoquées par des substances hallucinogènes (Sekula, 2022). Des états de conscience émergent de toutes ces interactions. De ce réseau culturel bien agencé par les intentions du thérapeute, l’alliance thérapeutique émerge ; ça transe avec et au travers de la RV ! Cette démarche est transnumériste (Garnier, 2018).

Les applications RV en santé se développent et proposent des contenus variés (vidéos 360°, jeux interactifs). Dans le champ de la santé mentale, les casques RV sont notamment utilisés dans le cadre des thérapies cognitivo-comportementales TERV (Thérapie d’Exposition en RV). Ils sont utilisés pour traiter les troubles anxieux, addictions et syndromes de stress post-traumatique. En hypnose thérapeutique, les casques de réalité virtuelle facilitent la pratique de l’hypnorelaxation, l’hypnoanalgésie et la psychothérapie (Bioy, 2022). La virtualisation est au cœur même de l’expérience hypnotique (Garnier, 2018). Étymologiquement, le virtuel ne s’oppose pas au réel mais à l’actuel. Les technologies RV vont nous permettre d’actualiser des potentialités thérapeutiques, proposer des suggestions sensorielles tangibles par notre corps. La RV est un

agent de médiation entre un univers culturel (suggestions thérapeutiques) et notre conscience sensorielle (Courtial, 2021).

En quête d’une sensorialité étendue

En 1957, le cinéaste Morton Heilig inventa le sensorama7, une machine multisensorielle à voyager virtuellement dans l’espace et le temps. Le champ lexical du voyage initiatique est très présent dans la culture RV (Garnier, 2018). Les casques n’ont cessé de se miniaturiser. Des dispositifs récents intègrent le toucher (gants haptiques) et l’odorat (diffuseur d’huiles essentielles). Les usages actuels en RV utilisent plus couramment la vue, l’ouïe et le mouvement. Ces expériences s’étendent de la contemplation d’une photo panoramique (hypostimulation sensorielle), à l’hyperstimulation interactive (nager, escalader, voler,  etc.). Précisons l’existence d’expérience RV grand public centrée sur la transe méditative ou la quête de vision chamanique8. Cette quête de l’ailleurs voire de l’au-delà est universelle. Par la RV, nous étendons les frontières du visible voire du tangible.

Les ingénieurs proposent aujourd’hui des neurotechnologies non invasives qui permettent de contrôler la RV directement via l’activité cérébrale9. Les casques RV ressembleront bientôt à des masques ou lunettes voire à des lentilles de contact10. La puissance et l’autonomie des casques permettent un rendu plus réaliste et ergonomique. Les concepteurs cherchent notamment à réduire les effets de mal de transport (cinétose). Plus l’interface est discrète, plus «  le comme si  » s’efface et plus la sensation de présence est plausible pour le sujet. Nous sommes avec la RV ici plus proche d’une transe de possession et d’incarnation que d’une dissociation hypnotique. Nous verrons que la dissociation peut également être

suggérée en RV. Pour illustrer, présentons l’application GMV11, le «  Gant Magique Virtuel  ». Le nom est inspiré d’une technique fréquemment utilisée en hypnoanalgésie, mis au point par Harold Golan. Dans le GMV, nous sommes immergés dans un chalet. Il y a dans un coin de la pièce un coffre contenant des objets magiques. Le GMV se joue sans manettes. Le logiciel reconnaît les mains réelles et superpose en RV des gants virtuels (hand-tracking). De son côté, le thérapeute voit la scène depuis sa tablette (retour vidéo). Cette tablette sert aussi à déclencher des effets et faire apparaître des objets dans le coffre. Le thérapeute est comme un metteur en scène ou un cuisinier. Il peut assigner tel effet (effet de neige, de feu, etc.) à tel objet (chaussure, violon,  etc.). De son côté, le patient peut saisir et déplacer les objets 3D. Parfois quand le patient touche un objet, ses gants virtuels se transforment. Par exemple, ils deviennent glacés (bleus lumineux). Le patient choisit les objets qui prennent sens dans ce contexte d’alliance thérapeutique. Le thérapeute choisit les effets à assigner aux objets. Ces effets hypnotiques captent l’attention et captivent l’imagination. Une histoire s’improvise. Une simple suggestion verbale peut suffire à amplifier la sensorialité (froid, chaud, doux, etc.). Pour guider son patient, le thérapeute peut suggérer à l’inconscient du patient de chercher l’accessoire magique utile. Le thérapeute peut suggérer une dissociation en s’adressant à une partie du corps du patient : « Cher ventre, que veux-tu ressentir avec cet effet magique ? » Il est fréquent que le corps esquisse un geste automatique voire des gargouillis. Le thérapeute va utiliser cette ressource pour induire une transe hypnotique. L’effet de glace sur la main va par exemple servir à activer l’hypnoanalgésie du ventre. Nous utilisons fréquemment la métaphore d’un baume d’énergie que le patient peut apprendre à incarner et déposer sur un endroit du corps (ventre par exemple). Par suggestion verbale, l’effet visuel de lumière sur le gant se vit tel un baume d’énergie kinesthésique, olfactif,  etc. Nous repérons le geste ressource et suggérons aux paupières du patient «  de se poser et profiter pleinement de cette sensation de protection  ». Même en RV, il est

aussi possible de fermer les yeux, pour ressentir l’énergie s’incarner (endorcisme). Nous pouvons aussi proposer (logique exorciste) que le gant projette la douleur vers l’extérieur (projeter une boule de feu par exemple). À  mesure que les phénomènes hypnotiques s’installent, nous pouvons faire de cette énergie une ressource pour les séances futures. Des suggestions post-hypnotiques vont aider à ancrer cette métaphore thérapeutique sur le long terme voire ancrer l’autohypnose. La thérapie pourra se poursuivre avec ou sans le casque. La RV a facilité l’activation, l’amplification et l’ancrage du processus autohypnotique.

L’art de la « cuisson au bain RV »

Lorsque nos collègues ont testé la RV pour la première fois, ils l’ont comparé à un baptême du feu. Ils sont ressortis du bain RV avec une sensation de fierté, celle d’avoir réussi à marcher sur une planche suspendue dans le vide virtuel12 (Jeu RichiesPlank). Bien souvent, les jeux RV suivent la structure habituelle du voyage du héros (monde connu versus monde inconnu, une quête, des facilitateurs versus des obstacles). Semblable à un rite de passage, un jeu RV nous immerge dans une aventure et nous enseigne une sagesse utile pour grandir. Nous sommes plongés dans un bain de suggestions et métaphores imbriquées.

En RV, l’expérienceur est comme un héros paré pour l’aventure thérapeutique. Ce rituel d’installation du casque stimule l’imaginaire (l’univers des chevaliers, des pilotes et cosmonautes). Le casque est à la fois contenant et contenu. Il contient et ouvre à la fois sur une bulle d’expériences plus ou moins contrôlables. Comme en hypnose classique, la phase de préparation induit déjà un format relationnel. L’installation est aussi un moment d’échange sur les besoins de

sécurité. Ce temps de réglage technique est important car il favorise l’alliance thérapeutique et aide à repérer la zone d’apprentissage utile (entre besoin d’assistance et d’autonomie du patient).

À l’instar des masques rituels traditionnels, les masques de RV sont une nouvelle façon de s’immerger dans un bain culturel. Le célèbre baquet de Mesmer était déjà une forme d’immersion. Connecté à internet, le casque RV ouvre aujourd’hui sur un océan de flux culturels. Le métavers est annoncé comme l’internet immersif du futur. Il y a un intérêt thérapeutique à s’immerger dans des jeux populaires grand public. Tel un conte thérapeutique, la RV grand public est un folklore riche en ingrédients narratifs utiles à la construction de nos identités et cultures.

Les exhausteurs de transe

Rendons hommage aux pionniers de la VRH (Virtual Reality Hypnosis). Patterson et Hoffman ont étudié dès les années 2000 les bénéfices de la RV sur l’anxiété et douleur des patients grands brûlés13. Ces pionniers de la VRH proposaient notamment un jeu immersif intitulé SnowWorld (monde enneigé). Dans leur article, ils interprétaient ces effets de la RV à partir des modèles cognitifs des ressources attentionnelles limitées. Le casque RV s’avérait pertinent pour détourner, saturer l’attention et suggérer des sensations de froid anesthésiant. Vingt ans plus tard, les effets antalgiques et anxiolytiques de la RV sont confirmés par de nombreuses études (Rousseaux, 2022) Ces études mettent en avant l’importance de l’alliance et des facteurs relationnels pour maximiser les effets de la RV sur les processus attentionnels. Cette mobilisation de l’attention va ensuite s’enrichir de processus d’incarnation. Comme en cuisine d’autres saveurs sensorielles, narratives et relationnelles sont

apportées par les contenus (jeux, suggestions) et contenants (casque, thérapeute, cadre et contextes). Via l’application Ocean rift14 (un simulateur de plongée sousmarine), nous allons pouvoir observer des poissons et suivre notamment une tortue de mer. Cette expérience peut servir de support à la diversion, la distraction et à la dissociation. Pour une diversion de l’attention, nous allons pouvoir simplement inviter le patient à scruter des détails (les couleurs d’un poisson coloré). Dans une visée dissociative et suggestive, nous allons suggérer par exemple une identification à la tortue et « permettre au corps de se sentir protégé sous cette carapace pendant que l’esprit peut suivre la fluidité et légèreté du mouvement des poissons ». Lors d’un soin (injection par exemple), nous allons pouvoir modifier l’interprétation de la piqûre en y suggérant un léger picotement sur la peau provoqué par « un tout petit grain de sable dans la combinaison du plongeur  ». Cette suggestion permet d’intégrer la douleur tout en suggérant un vécu sensoriel plus confortable.

Les travaux des chercheurs (Gorisse, 2018) en RV permettent d’isoler quelques exhausteurs de transe en RV. Ils insistent particulièrement sur trois ingrédients essentiels pour qualifier une expérience de RV l’immersion, la présence et l’incarnation. L’immersion est un état de conscience qui se décline en plusieurs dimensions. Nous pouvons regrouper et retenir trois dimensions centrales  : l’immersion sensorielle, fictionnelle, et systémique15. Ce sentiment d’immersion va pouvoir faire émerger le sentiment de présence. Les auteurs (Gorisse, 2018) proposent là aussi trois dimensions du sentiment de présence  : présence spatiale (l’environnement virtuel existe subjectivement), la présence de soi (je suis subjectivement mon soi virtuel) et la présence sociale (les personnages virtuels existent subjectivement). En hypnothérapie, Antoine Bioy identifie six ingrédients présents au cœur des pratiques hypnothérapeutiques16  : le contexte, la relation, la transe, les

suggestions, l’imaginaire, le corporel. Ces ingrédients sont également présents en hypnose facilitée par RV (Bioy, 2022). Dans la littérature RV, les concepts mobilisés sont formulés différemment : immersion, présence, incarnation notamment, mais portent tous sur des modifications de notre état de conscience sensorielle notamment. Sur le plan conceptuel, la rencontre entre RV et hypnose est savoureuse. Ces termes s’enrichissent mutuellement et nous aident à éclairer sous différents termes la dynamique globale des transes.

Une recherche (Kocur, 2020) a notamment montré qu’une expérience RV d’incarnation de l’avatar d’Albert Einstein, suggère chez les sujets une augmentation de la confiance en soi, ce qui se traduit notamment par une amélioration des performances à un test (la tour de Londres). Un chercheur (Biocca, 1997) montre également l’importance du corps dans le processus d’identification à soi en environnement virtuel. L’auteur propose trois éléments à considérer dans le processus d’incarnation : ● le corps objectif (corps réel de l’utilisateur) ; ● le corps virtuel (corps virtuel représenté ou non dans l’univers simulé) ; ● le schéma corporel (représentation mentale du corps). D’après ce modèle, le succès de l’incarnation en environnement virtuel repose sur la capacité d’un sujet à transférer son schéma corporel de son corps objectif vers le corps virtuel. Cette incarnation se décompose en trois éléments : la sensation d’être corporellement localisé (cohérence de la position et volume du corps), le sentiment d’agentivité (mon corps contrôle ces interactions) et le sentiment de possession du corps virtuel (ce corps virtuel est à moi). En RV, l’expérience d’incarnation peut notamment se diversifier en fonction des expériences proposées. Comme dans les transes traditionnelles, les supports d’induction sensorielle sont multiples et s’étendent de l’induction par hyperstimulation ou hypostimulation.

Dans un cadre thérapeutique il sera utile d’ajuster les types d’induction aux besoins d’incarnation (ressources) versus désincarnation (problèmes) du patient. Une suggestion dissociante permettra par exemple d’externaliser une douleur pour mettre à distance le problème. À  l’opposé, une suggestion réassociante facilite l’internalisation d’une ressource thérapeutique (une compétence par exemple). Comme en cuisine, il y a l’art et la manière d’associer et de dissocier le poison-remède. Il y a toute une démarche intégrative à construire avec fluidité et cocréativité. Par analogie avec l’art culinaire, les «  saveurs thérapeutiques  » d’une expérience RV vont émerger de tous ces contextes immersifs imbriqués (technologiques, psychoculturels). Vignette clinique : de l’énergie culturelle au cœur de la RV Dans notre pratique, nous utilisons fréquemment des outils de sculpture en RV. Des applications telles que Tiltbrush ou Openbrush permettent de dessiner et sculpter avec une palette d’outils (des brosses et des effets). Une autre appli (Multibrush) permet de sculpter à plusieurs. En séance, nous utilisons plus fréquemment cet outil avec un seul patient et préférons partager l’expérience à partir du retour vidéo sur tablette (sans casque côté thérapeute). Cela nous permet de pouvoir bien observer et utiliser les réactions du corps physique tout en visionnant ce que le patient perçoit dans son casque.

En amont de cette expérience RV, nous invitons le patient à chercher avant la séance des ressources culturelles (images et objets 3D). Ces ressources peuvent notamment se trouver gratuitement sur des bibliothèques gratuites (pexel, sketchfab 3D, etc.). Ce travail en amont est déjà pensé par le thérapeute telle une induction de transe avec des agents culturels. Par exemple, avec Louise, 22  ans, étudiante en médecine et souffrant de toc de vérification, nous lui proposons de rechercher «  avec obsession  » les images et objets 3D qui lui apportent une sensation de sécurité. Elle apporte trois éléments dont deux images (champ de blé, couché de soleil) et un objet 3D (chapeau de paille). Spontanément Louise évoque les souvenirs de vacances passés chez ses grands-parents «  un barbecue à la campagne, un soir d’été… la lumière chaleureuse… la bienveillance de ses grands-parents  ». Nous lui

proposons une expérience de sculpture et de composition en RV. Nous prenons le temps nécessaire pour installer le casque et expliquer les différentes interactions des manettes. Louise teste les différentes brosses et nous importons dans la scène les images et le chapeau de paille. Louise comprend rapidement qu’elle peut jouer à modifier la taille de ce chapeau virtuel. Nous lui suggérons de construire en RV une sorte de cabane protectrice à partir d’un chapeau de paille géant. Louise est enthousiaste. Elle agrandit le chapeau et recouvre les parois internes du chapeau de dessins et ces images (champs de blé). Nous lui suggérons de prendre un temps pour «  ressentir ce que ton corps ressent d’utile sous ce chapeau-cabane (...) comment pourrions-nous aider ce chapeau magique à transmettre à ton corps cette belle énergie que tu ressens déjà ». Louise propose de réduire la taille de ce chapeau fétiche de telle façon qu’elle puisse le positionner au niveau de la poitrine de son corps virtuel (avatar). Nous lui proposons d’y associer et apprendre un petit exercice de visualisation et respiration. À chaque respiration «  lente… tranquille  » nous l’invitons à agrandir progressivement ce chapeau magique. Au bout de cinq respirations, Louise se retrouve entourée de ce chapeau bienveillant. Les bras en catalepsie, le temps s’arrête et Louise savoure. Nous suggérons d’ancrer cette expérience profondément. Ensuite, nous lui proposons de tester le même exercice mais sans le casque, juste à partir de la persistance de cette sensation ressource. Une fois le casque désinstallé, nous poursuivons la séance d’hypnose plus classiquement. Elle revit la scène les yeux fermés. Nous poursuivons les suggestions en approfondissant l’expérience sensorielle. Un instant, les bras ouverts Louise expérimente une transe profondément thérapeutique. En silence, elle reçoit et ressent une douce énergie bienveillante, sécurisante (de couleur chaude jaune-orangé). Sans un mot, nous accompagnons cette expérience de transe en présence incarnée. Une suggestion post-hypnotique est proposée, «  vérifier à certains moment clés de sa journée où la belle énergie de ce chapeau de paille est lovée confortablement dans son corps  ». La séance

suivante, Louise s’est acheté un magnifique chapeau d’été. Elle s’autorise à le porter la journée lorsqu’elle est seule et qu’elle révise ses cours. L’intensité et la fréquence des symptômes ont diminué. Louise est aujourd’hui motivée pour poursuivre cet apprentissage de l’autohypnose au long cours.

Conclusion : une recette « AROMATIC » pour fluidifier la pratique de la transe hypnothérapeutique

Comme en cuisine, il est utile de goûter ses créations avant de les servir aux patients  ? Des formations hypnose et RV sont proposées17 mais vous pouvez dès à présent vous équiper et tester les casques grand public. En attendant, si recette il y a pour pratiquer la transe en RV nous la situons au niveau de la posture cocréative (savoir-être cocréatif avec l’agent RV). Pour ce faire, la curiosité du thérapeute est essentielle. En testant et en explorant pour soi, vous découvrirez ici ou là des pépites métaphoriques à exploiter en séance. Il peut être utile de débuter simplement avec des vidéos 360 (disponible sur youtube 360) telles que des expériences de vol en montgolfière ou de baignade avec des dauphins. Vous pouvez aisément couper le volume des vidéos et y poser votre propre voix. Pour des expériences plus interactives, nous vous recommandons de débuter avec des jeux de simulation simples (plongée sous-marine par exemple). Cette approche expérientielle peut-être déroutante pour le praticien féru de protocoles. Nous pensons utile de débuter par des jeux populaires simples et fiables. Un jeu comme Star wars ou Harry Potter (Seeker VR ou waltz of wizard) sont riches en métaphores. En référence au travail de Milton Erickson, il est très utile de s’amuser à utiliser ces agents culturels. De ces acteurs non humains émergent souvent une transe spontanée qu’il vous sera utile d’apprendre à amplifier et approfondir. Pour cela voici quelques pistes pour débuter cette pratique avec fluidité. L’AROMATIC des « tours de main » pour fluidifier la pratique

des transes

RV

A  comme assurer la sécurité en activant sur le casque le mode «  guardian  ». Le guardian18 est une fonctionnalité permettant de délimiter dans l’espace physique une zone de jeu avant de lancer une expérience. Lorsque le joueur sort physiquement de cette zone, les caméras du casque s’activent et lui affiche l’environnement physique. Cela permet de sortir de l’expérience sans enlever le casque et garder pour le patient le contact visuel à tout moment avec le thérapeute. R comme retour vidéo. Il est possible de diffuser en temps réel (fonction streaming) sur un écran externe le flux vidéo du casque. Ce retour vidéo est essentiel pour voir ce que votre patient voit dans le casque. O comme ôter les manettes. Voyagez léger pour vos premiers tests  ! Les casques actuels bénéficient d’une technologie de reconnaissance et suivi des mains. Pour une première séance, privilégiez des jeux dits «  hand tracking  » simples et fluides (vacation simulator19, Gant Magique Virtuel par exemple). M  comme mode muet. Il est bien sûr possible de couper le son du casque (mode muet). Cela peut être un bon exercice pour le thérapeute. Le thérapeute peut improviser un récit sur les images ou incarner la voix d’un personnage. Nous utilisons par exemple le jeu (StarWar) en mode muet et laissons notre créativité nous inspirer un script hypnotique. A comme ancrage photo-vidéo. La fonctionnalité « casting » (retour video20) permet aussi l’enregistrement des sessions (recording). Ceci peut permettre d’utiliser cette vidéo comme ancrage visuel et permettre au patient de conserver un souvenir de la séance. Vous avez également possibilité de prendre une capture photo des scènes RV et de les imprimer pour ensuite les utiliser en mode papier crayon (collage par exemple). T comme « transer » avec vos patients. Les casques actuels permettent de jouer en réseau et de partager des expériences. Dans la pratique, nous constatons qu’il est souvent utile que le thérapeute ne mette pas le casque. Cela est plus pratique et sécurise la séance. Il y a aussi une différence de registre qui permet de poser un méta-cadre plus riche. Le patient ressent et entend justement la présence invisible mais contenante du thérapeute. Personnellement lors des séances, nous circulons autour du patient immergé. Il y a ici tout un travail corporel non verbal qui s’active chez le thérapeute. Le registre kinesthésique est paradoxalement fortement mobilisé malgré le casque. I comme imaginaire. L’imaginaire est sans doute le plus puissant des casques VR. Il est utile par exemple d’autoriser le patient à activer son imaginaire à l’intérieur de l’expérience même. Comme dans la réalité le patient peut s’autoriser à imaginer voire halluciner pour enrichir le contenu RV. Nous pouvons par exemple suggérer l’enrichissement d’une scène par des parfums imaginaires. C comme bien clôturer la séance. Comme toute séance, une attention particulière est portée au travail de retour à la réalité physique. Il nous faut un sas. La sortie progressive du guardian (zone de jeu) aidera à adoucir ce retour. Il peut être utile

avant de débuter une séance d’apprendre au patient à mettre et enlever son casque seul.

Avant de souhaiter une bonne dégustation de la transe en mode RV, voici les messages clés utiles à retenir dans cet écrit. ● L’outil RV ne fait pas la transe thérapeutique (importance du cadre, du contexte et de l’intention). ● L’immersion est un processus psychoculturel. ● Hypnose et RV s’enrichissent mutuellement (y compris sur le plan théorique). ● La transe en mode RV est proche d’une transe de possession (incarnation de l’avatar). ● Le thérapeute apprend à naviguer avec créativité et fluidité entre différents processus de dissociations- réassociations, d’internalisation des ressources et externalisation du problème. ● S’autoriser à tester pour soi et se perfectionner ensuite via des formations spécifiques.

Notes 1. https://urlz.fr/kLwA 2. https://mbamci.com/realite-virtuelle-sante/ 3. https://youtu.be/gx9wVA-MowA 4. https://urlz.fr/kLwC 5. https://youtu.be/o2O4HZcZJlM 6. https://youtu.be/lSrzlkfA0jk 7. https://en.m.wikipedia.org/wiki/Sensorama 8. https://ifdigital.institutfrancais.com/fr/creation/ayahuasca-kosmik-journey 9. https://www.realite-virtuelle.com/nextmind-controlez-vr-esprit/

10. https://youtu.be/POAlXuaJiuU 11. https://www.baovirtuelle.com/fr/project/citi44-le-gant-magique-virtuel/ 12. https://youtu.be/KbP2lKfi3E4 13. https://youtu.be/vN986z7qRmU. 14. https://transnumerist.cybertherapie.fr/hypnocean/. 15. https://nt2.uqam.ca/fr/actualites/programme-du-colloque-le-jeu-video-un-phenomenesocial-massivement-pratique. 16. https://youtu.be/FdUeAk4YL_g. 17. Https://www.ipnosia.fr. 18. https://youtu.be/osl7WNdSCPs. 19. https://youtu.be/dc56MU6cxWM. 20. https://youtu.be/FmNuF_L2hQA.

Focus 40 « May the Trance be with you »

Antoine Bioy Le cinéma propose des histoires et, comme pour tout récit, se pose la question de sa réception et de son devenir en chacun de nous. Illustration de ces enjeux avec un extrait de Star Wars.

Hypnose et cinéma L’hypnose et le cinéma développent des liens plus complexes qu’il n’y paraît. Il y a bien entendu les films qui portent sur l’hypnose ou dont l’hypnose est un élément clé de l’intrigue (Get Out, Le sortilège du scorpion de jade, Mabuse, Augustine…), et ceux où l’hypnose est là comme élément de contexte (Le livre de la jungle, Dracula…). L’hypnose est alors intégrée de façon plus ou moins directe dans la trame narrative avec une constante, celle de prolonger l’idée d’un pouvoir au sein d’une mise en scène souvent caricaturale (c’est-à-dire proche du spectacle). Cela à quelques exceptions près, comme la séance inaugurale à l’intrigue du film Hypnose (David Koepp, 1999) très proche d’une séance réelle. Nous pourrions aussi citer des productions qui interrogent directement sur ce que l’hypnose permet ou non, comme le film Trance de Danny Boyle (2013) qui a sollicité des référents scientifiques (David Oakley en Angleterre, nous-mêmes pour la France) et qui pose la question de l’hypnose, de la mémoire, et des limites de productions hallucinatoires en transes, comme une douleur paroxystique. Les liens entre hypnose et cinéma concernent aussi l’analyse du dispositif, la façon dont le spectateur vit et entre dans un film. Autrement dit, la manière dont il se trouve « hypnotisé » par la série d’images projetées que sont les films. En effet, on peut voir le dispositif cinématographique comme une autre façon d’organiser la suggestion adressée au spectateur, spectateur qui se trouve alors pris dans un mouvement de

passivité/activité au gré de son intérêt pour l’esthétique et la narration qui se déroule devant ses yeux. Rae Beth Gordon va même jusqu’à rappeler que les mises en scène de l’hypnose, à l’articulation entre le xixe et xxe  siècle (dont celle des frères Lumière1), effrayaient car on craignait que par contagion le public ne se trouve aussi hypnotisé, aliéné à l’histoire. Cela serait arrivé par imitation inconsciente et imprégnation de l’image narrée. Crainte en partie fondée, car le cinéma suscite (et obtient souvent) une forme de fascination aux bords de l’hallucination, encouragée actuellement par le déploiement de la 3D dans les salles obscures. Reconnaissons qu’il y a peu d’expériences de transes vraies au cinéma, que l’on est là plus dans l’analogie entre deux dispositifs. Pour autant, nous pouvons comprendre le cinéma comme un dispositif relationnel médié par l’image, intersubjectif, et d’une certaine influence du réalisateur sur son public. Le spectateur est ainsi sollicité dans son corps, sa sensorialité, sa faculté à s’émotionner, et aussi sa cognitivité (attentes, anticipation scénaristique, élaborations imaginaires…). Et comme toute histoire qui sollicite ces trois dimensions, les récits portés au cinéma sont riches d’enseignement directement adressé à celui qui les reçoit. Pour illustrer cet élément de connivence entre hypnose et cinéma, nous proposons un emprunt à la saga Star Wars qui est un pur produit cinématographique, même si par la suite il a été dérivé sous forme de livres, comics, et dessin animé. Cet emprunt est celui de « La Force ».

Un traditionnel conte de fées Star Wars est avant tout un conte moderne, qui véhicule des archétypes classiques : le mage noir (Dark Vador), la princesse (Leia Organa), le preux chevalier (Luke Skywalker), le voleur (Han Solo), les créatures fantastiques (droïdes et extraterrestres),  etc. Il est connu que George Lucas, créateur de la saga, s’inspira des écrits de Joseph Campbell pour construire la narration de son conte. Reprendre une trame archétypale reste au cinéma le meilleur moyen de tutoyer le succès, comme l’a aussi compris James Cameron dont le film Avatar – plus grand succès du cinéma à ce jour – n’est finalement qu’un western modernisé. La Force est «  une sorte de fluide créé par tout être vivant, une énergie qui nous entoure et nous pénètre, et maintient la galaxie en un Tout unique  » (Obi-Wan Kenobi, épisode  IV). La Force est présente en tout lieu et toute chose et peut être transmise par imposition des mains. On voit immédiatement la proximité avec la notion de fluide de Mesmer, qui n’aurait en effet rien renié à cette définition lorsqu’il élabora son magnétisme animal. Et la Force semble bien être issue du magnétisme, les films montrant qu’elle permet avant tout l’attraction et la répulsion et peut aussi produire de l’électricité sous la forme de puissants éclairs. La Force est aussi cet entre-deux qui fait circuler les choses, elle est ce qui anime le monde, au sens de anima, l’âme, le principe vital. Elle est, seulement. Pas de maître, pas de dieu créateur, elle est simplement présente. La Force ainsi personnifiée est une transe, le lieu d’un inattendu familier qui mobilise les sens pour être perçu et rendre, en retour, la possibilité d’une transformation si l’on s’ouvre à cette expérience.

Ainsi, prenons l’épisode  V L’empire contre-attaque et la scène de rencontre entre Yoda et Luke Skywalker. Le premier temps est évidemment celui de la rencontre et de la demande, qui constitue finalement l’essentiel, le socle nécessaire et presque suffisant. Le jeune Luke Skywalker cherche des réponses, souhaite apprendre à faire, à acquérir un pouvoir, celui de dépasser ses épreuves au moyen d’une méthode qu’il perçoit comme externe à lui et mystérieuse, la Force, donc. Ce que Yoda lui propose est un apprentissage alliant spiritualité et sensorialité, à distance de toute mobilisation physique, guerrière, ou souci de performance. Skywalker se débat, veut contrôler et devenir un expert. Il devra apprendre à quitter cela, à laisser aller la Force (le principe vital) en lui, pour dépasser l’individuel et rejoindre le collectif. On voit avec cette séquence ici synthétisée qu’au-delà du conte de fées traditionnel, Star Wars met en scène tout une dialectique autour de la transformation, sous couvert d’un phénomène de transe nommé «  La Force  ». Elle installe un dialogue entre l’individuel et le collectif, le contrôle et le laisser-aller, l’opposition entre performance et aptitude. Reste à savoir ce que chacun de nous, spectateur, va percevoir de ces dialectiques et ce qu’il choisira  : aller du côté obscur de la force (ego, pouvoir, emprise) ou rester du côté lumineux (collectif, aptitude, laisser-aller). Où va votre fascination ?

Notes 1. http://urlz.fr/6OFX.

Chapitre 41 La respiration holotropique

Nicolas Dumont « Sous le charme de Dyonisos, non seulement le lien se renoue d’homme à homme, mais la nature qui nous est devenue étrangère, hostile et asservie, fête sa réconciliation avec son fils prodigue… L’esclave devient un homme libre… Par ses chants et ses danses l’homme montre qu’il est membre d’une communauté supérieure, il a oublié la marche et la parole, il est sur le point de s’envoler en dansant dans les airs… une réalité surnaturelle parle en lui, il se sent dieu, il marche extasié au-dessus de lui-même, comme ces dieux qu’il a vu marcher en rêve… » Nietzche, La Naissance de la Tragédie. « Quelque chose en moi a atteint le lieu où le monde respire » Kabir « Ta douleur est la rupture de la coquille de ton entendement. » Khalil Gibran

Histoire de la respiration holotropique (RH) La Respiration holotropique (RH) est une méthode thérapeutique et d’auto-exploration de la conscience dont l’induction de la transe passe par l’association de l’hyperventilation et de la musique. Elle

est née des travaux du docteur Stanislav Grof, qui débute ses travaux à l’Institut de recherches psychiatriques de Prague dans les années 1950. Ce psychiatre et psychanalyste est à cette époque un pionnier de l’expérimentation des thérapies basées sur le LSD. En près de vingt ans de recherche avec son équipe, et de plus de 2 500 comptes rendus de séances de LSD avec ses patients, ainsi que des sessions d’auto-expérimentations personnelles, Grof en arrive progressivement à une nouvelle cartographie de la psyché, fait de nouvelles propositions étiopathogéniques et thérapeutiques, formule de nouveaux concepts, comme les «  Matrices Périnatales Fondamentales  » ou les «  constellations CoEx  » (Condensation d’Expériences  ; voir notamment Grof, 2009). La thérapie psychédélique est en marche et, avec elle, les germes de la psychothérapie transpersonnelle. Grof émigre aux États-Unis et rejoint l’université John-Hopkins, comme chercheur et professeur de psychiatrie. De 1967 à 1973, il est chef de projet au centre de recherche psychiatrique de Baltimore (Maryland) et dirige un programme d’étude sur le potentiel psychothérapeutique des états holotropiques produits par le LSD. Ce programme porte sur le traitement de toxicomanes et de patients en phase terminale de cancer. Cela débouche sur un livre touchant, préfacé par E. Kubbler-Ross : La rencontre de l’homme avec la mort (1990). Dans les années 1960, il va cofonder, avec Abraham Maslow et d’autres éminents psychothérapeutes, la psychologie transpersonnelle. Celle-ci est historiquement un prolongement du mouvement humaniste-existentiel, mais sort du paradigme matérialiste (anthropologie dualiste, voire moniste) et intégrant la dimension spirituelle, revient à une anthropologie ternaire1. Elle se donne pour projet d’être une discipline qui rassemble les connaissances des sciences modernes et des spiritualités traditionnelles. Dans les années 1970, en pleine vague hippie, le LSD et son usage «  sauvage  » commence à avoir mauvaise presse. Avec son interdiction, Grof abandonne ses travaux sur cette substance, ayant

compris que le psychédélique n’est qu’un «  véhicule  » de transe. Il recherche alors d’autres moyens d’induire un état de conscience proche du LSD, l’objectif étant  : poursuivre la thérapie psychédélique… sans psychédélique. Il élabore alors progressivement, avec sa femme Christina, la Respiration Holotropique (1970). Celle-ci met en œuvre deux leviers principaux pour induire la transe : l’hyperventilation et la musique. «  Holotropique  » est constitué de deux termes grecs  : holos, signifiant «  le tout  » et trepein signifiant «  aller vers  ». Ce terme renvoie à la tendance de la conscience à tendre spontanément (en transe) vers des états d’expansion en direction d’un sentiment d’unité, trouvant son acmé dans l’expérience transcendantale, où l’égo se dilue dans l’expérience extatique d’être une pure conscience appartenant à une unité cosmique. Grof place donc d’un côté du spectre l’état de conscience holotropique (orienté vers le Tout) et de l’autre, l’état hylotropique (de «  hyle  », la matière) qui est l’état de conscience dans ses coordonnées «  ordinaires  »  : orienté vers la matière. La Respiration holotropique (RH) a aujourd’hui plus de cinquante ans d’expérience (soixante-dix si on ajoute son origine, la thérapie psychédélique), et a été pratiquée par des milliers de thérapeutes dans de nombreux contextes, types de populations, classe d’âge, classe sociale et même cultures. Aussi, malgré le peu d’études universitaires sur son efficacité, nous bénéficions d’assez de recul et d’observations cliniques pour dire qu’elle est une méthode puissante, transversale, relativement transculturelle et efficace sur le plan thérapeutique. Pour ma part, je situe cette méthode à la confluence du chamanisme traditionnel (ou «  thérapie première2 ») et de la psychothérapie contemporaine «  à l’occidentale  », mobilisant la transe dans un contexte et avec des signifiants laïcs.

Cadre général de la Respiration holotropique (RH)

La RH est une thérapie individuelle vécue EN groupe et non pas une thérapie DE groupe, même si ces deux variables peuvent être entrecroisées. La durée varie  : originellement sur deux jours, de nombreuses adaptations en ont été faites  : stage plus long, plus court (journée, demi-journée) ou même en séances individuelles. Les groupes peuvent être ouverts, semi-ouverts ou fermés. Le nombre et la fréquence de RH nécessaires varient beaucoup d’un individu à l’autre, d’une seule session à quelques séances entrecoupées de plusieurs mois ou année(s), à des sessions régulières. La contextualisation comme l’intégration de l’expérience sont aussi importantes que la transe elle-même. Il est ainsi important, généralement, de laisser du temps d’assimilation entre les sessions. La RH s’associe à toute forme de psychothérapie, ou peut constituer la technique centrale d’une psychothérapie individuelle, ou de groupe. Elle accompagne aussi d’autres démarches que la thérapie. Après une expérience suffisamment longue et accompagnée de la RH, il est possible de s’autonomiser et, accompagné par le thérapeute, d’inscrire dans son quotidien la transe du souffle (RH ou d’autres formes moins intenses de «  breathwork  ») en autoinduction. La navigation de la transe (ou «  psychonautique  ») ainsi que l’intégration auront été apprises par la répétition de l’expérience et l’introjection du cadre.

Indications et contre-indications de la RH Un questionnaire médical associé à un entretien préliminaire précèdent chaque première participation à une RH. Cela permet de vérifier les contre-indications ou affiner le cadre d’indication, tout en amorçant un lien avec le participant.



Toutes les indications classiques de la psychothérapie (hors contre-indications). Elle montre par exemple, intégré au sein d’un dispositif adapté, une bonne efficacité dans le cadre de la













thérapie des traumatismes complexes et des troubles de la personnalité borderline. Par ailleurs, elle s’inscrit parfaitement dans des groupes thématiques (deuil, addiction, victimologie, groupes d’adolescents, etc.). Accompagnement d’une démarche existentielle ou spirituelle, en favorisant l’émergence puis l’intégration d’expériences transpersonnelles dans un espace laïc. Réduction des risques psychologiques liés à l’usage de psychédéliques, par une « éducation à la transe ». Elle est aussi indiquée pour la prise en charge de patients ayant fait des «  bad-trips  », tant pour l’intégration que pour le traitement des noyaux psychiques inconscients (CoEx) activés par le psychédélique et non résolus par ce dernier, faute d’accompagnement adapté. Démarche psychopédagogique pour les personnes souhaitant apprendre à incorporer les ressources de la transe dans leur quotidien, l’éducation à l’occidentale étant « cognitivo-centrée ». Formation expérientielle des professionnels du champ psy, de la thérapie ou de l’accompagnement, qui expriment la manière dont la RH change positivement leur manière d’être en relation et de travailler avec leurs patients ou clients. Cet objectif était déjà celui de Grof et son équipe dès les années 1950 dans leur recherche sur le LSD.

La RH a des contre-indications médicales liées à l’hyperventilation  : problèmes cardio-vasculaires (crise cardiaque, chirurgie cardio-vasculaire, hypertension sévère, artériosclérose, angine de poitrine ou arythmie), problèmes neurologiques (dont AVC, AIT, épilepsie, anévrisme), chirurgie ou fracture récente, maladie infectieuse aiguë, épilepsie grandmal, glaucome, décollement de la rétine, asthme sévère, grossesse en cours. Les troubles psychotiques sont une contre-indication, bien que cela dépende en réalité d’une part du patient lui-même (nature



du trouble, niveau de construction du moi, capacité d’être en lien,  etc.), d’autre part de la compétence et de l’expérience du/des thérapeutes avec les patients psychotiques et enfin de l’élaboration d’un cadre progressif et adapté au patient et à son contexte. Crise d’émergence spirituelle en cours.

Les conditions qui entourent l’accès à la RH doivent évidemment toujours être évaluées, notamment la préparation et le suivi d’intégration post-RH. Il va de soi que la relation entre une méthode et son cadre d’indication reste fondamentale dans toute approche.

Déroulement d’un stage Après l’énoncé du cadre (confidentialité, non passage à l’acte, etc.), le stage débute par un temps de parole en groupe, permettant à chacun de se présenter et d’exprimer son état actuel et son intention. Un temps d’informations sur la RH pour les primoparticipants a été donné (en amont du stage ou avant la RH). Une séquence d’exercices de mise en conditions est ensuite proposée pour faciliter l’ouverture, la confiance et le lâcher-prise dans le groupe, et éveiller une conscience – présence plus profonde au corps, aux émotions, aux perceptions, à la relation…  À la suite des exercices, le groupe se répartit en binômes : un des membres initie le travail de RH en tant que «  respirant  » (environ trois heures pour les stages de deux jours), son binôme occupe le rôle d’accompagnant, ou « sitter ». Les rôles sont ensuite inversés. À  la fin de chaque RH, un temps d’intégration symbolique de la transe est proposé par la réalisation d’un mandala. Une fois les deux sessions de RH réalisées, le groupe se réunit pour un temps d’intégration verbale. Des consignes de fin de stage sont enfin données concernant le post-stage et le groupe est refermé. Certains thérapeutes proposent un entretien d’intégration et de suivi de poststage après plusieurs semaines. Dans tous les cas, les thérapeutes sont joignables après le stage en cas de nécessité.

Focus sur le moment de respiration holotropique Des matelas sont disposés pour la moitié du groupe de respirants, et à côté d’eux, des coussins pour leurs accompagnants. La salle est généralement plongée dans la pénombre, pour favoriser un climat d’intériorisation.

À  leur entrée dans la salle, chacun s’installe à sa place, et les binômes sont invités à poser un contrat entre eux, qui clarifie les besoins du respirant et définit les frontières de la relation. Par exemple : « je ne veux pas de contact » ; ou « attention, cette zone de mon dos est fragile » ; ou encore « j’aimerais que tu me tiennes la main pendant la transe  »… L’accompagnant est le garant du contrat, même si, en état de conscience holotropique, les besoins peuvent changer. Le contrat peut être revisité par le thérapeute. Par exemple, si le contrat était « je ne veux pas être touché », mais que le respirant montre d’évidents signes nécessitant une contenance corporelle, le thérapeute s’assurera au préalable verbalement de l’accord du respirant. Si bien sûr le respirant maintient sa demande de «  ne pas être touché  », cela sera respecté. L’exemple suivant illustre la subtilité de ce point : Rémi, 32 ans, vient en stage avec l’intention de s’ouvrir davantage dans sa relation de couple, car il s’enferme dans des « bouderies sans fin ». Il se retrouve en binôme avec Micheline. il demande lors de son contrat à « ne pas être touché ». Pendant sa transe, il manifeste rapidement d’évidents appels non verbaux au contact, et Micheline se sent désespérée de devoir respecter le contrat et ne pas pouvoir lui proposer son réconfort. Elle m’interpelle alors pendant la transe sur le conflit qui la ronge. Je constate alors le désarroi de Micheline sur son besoin de materner Rémi et me sens en empathie pour elle, mais quand je regarde Rémi, il est au travail, je le sens autonome dans son auto-exploration et il a posé son cadre… je sens qu’il faut laisser mûrir le processus. Je propose donc à Micheline qu’elle reste près de lui, que sa simple présence-témoin est aidante, et je l’invite à respirer doucement en ellemême pour accueillir ses propres ressentis dans ce «  rien-faire  », tout en restant dans sa fonction de sitter pour Rémi, que je garde également à l’œil. Micheline était venue pour « se retrouver elle-même » dans un contexte dépressif de « nid vide », à la suite du départ des enfants. Se retrouver à ne rien faire pour Rémi

l’a tout d’abord ramené à son histoire actuelle, puis a ramené un noyau plus ancien de sœur parentifiée d’un petit frère handicapé devant lequel elle se sentait souvent débordée et impuissante (problématique centrale où la transe a continué de la plonger). De son côté, Rémi a exprimé qu’il s’est retrouvé tout d’abord dans une « détresse sans visage » (dit-il), et s’est observé sans pouvoir demander directement de l’aide et passant alors par différentes sollicitations –  ou manipulations  – non verbales pour que les autres viennent à lui sans avoir à le formuler… L’aide ne venant pas, il s’est retrouvé dans un vide intérieur angoissant… Une tristesse est alors montée, profonde, ancienne… un manque, une absence, un abandon… celle de sa mère, dont il sentit le désespoir et la solitude, puis de lui-même, bébé appelant l’attention d’une mère dépressive (post-partum). Cette fois, des pleurs ont surgi, la béance est montée dans un cri déchirant : Rémi se rencontre enfin dans l’endroit de sa carence précoce et de l’identification à la souffrance maternelle, cette «  détresse  sans visage  ». Sa souffrance fondamentale a alors pu être reçue et accompagnée par Micheline et moi… figures de reparentage de la mère et du père. Micheline et Rémy vont ainsi vivre, pendant cette RH, une profonde expérience de lien interpersonnel  : le transfert, ou la résonance affective sont ici utilisés de manière cadrée.

Le rôle d’accompagnant est d’abord d’être une présence témoin, calme, qui veille et prend soin  : donner une couverture, des mouchoirs, accompagner aux toilettes,  etc. L’accompagnant est aussi disponible affectivement pour le respirant, dans les limites qui sont les siennes, soutenu ou régulé par les thérapeutes, comme cela a été le cas pour Micheline dans l’exemple précédent (régulée et soutenue). Être présent et attentif pour un autre en état de transe est en soi une expérience qui, comme on l’a vu, provoque en soi un travail psychique. L’accompagnant sort ici de son rôle de « souffrant » pour se rendre disponible et utile pour son binôme, et recevra en retour la même attention  : C’est donc une relation qui s’inscrit dans la réciprocité.

Le «  respirant  » est allongé sur son matelas, qui devient, avec l’espace proche autour, son territoire. Chacun le respectera. L’accompagnant veille sur cette frontière. La notion de limite, de frontière, de contenant est d’autant plus importante dans les états holotropiques que les frontières du moi s’ouvrent, la conscience reprend ses propriétés « non locales » : le matelas délimite alors le

dedans/dehors et permet de se situer dans l’espace. Cette limite physique est parfois renforcée par de la contenance, avec des couvertures, des coussins, ou de la contenance corporelle… Cela offre la sécurité suffisante pour s’abandonner totalement à l’expérience. Cette frontière du matelas est aussi, à l’opposé, parfois le lieu du dépassement, du débordement, du jeu avec les limites, du travail de la frontière-contact, de l’affirmation de soi, de la défense du territoire… Le respirant veut alors sortir du matelas, tester les limites, ou au contraire les défendre… Tout cela est donc bordé par les règles énoncées en début de stage, par des bordages de la limite, par la règle du STOP sur laquelle je reviendrai plus tard. Le thérapeute débute par une relaxation verbale, au terme de laquelle il incite les respirants à approfondir leur souffle, puis à l’intensifier et l’accélérer. L’hyperventilation n’est maintenue que quelques minutes, et le patient peut arrêter l’hyperventilation – ou la poursuivre  – une fois le processus de transe engagé. Il pourra relancer le souffle si nécessaire, le «  doser  » selon les besoins, le souffle étant métaphorisé comme «  le carburant de la transe  ».  L’hyperventilation engendre en quelques secondes à quelques minutes de nombreuses modifications physiologiques, biochimiques, énergétiques et psychiques qu’il serait trop long de développer ici. Une fois la respiration bien engagée, la musique démarre…

La première musique est dynamique, activatrice et porteuse : c’est la rampe de lancement de la transe. Elle inaugure un programme musical de trois heures, et est diffusée à un niveau suffisamment fort pour que les respirants soient plongés dans un bain musical, une «  enveloppe sonore  » (au sens de Didier Anzieu, 1995) vibrante, contenante, protectrice et évocatrice… La «  vague  » musicale est composée pour chaque groupe de RH, en plusieurs phases constituées de musiques et de chants du monde entier : elle débute par des musiques rythmiques et tribales, évolue vers des musiques

émotionnelles et d’emphase (opéra, B.O. de films…), puis des musiques du monde, des chants sacrés (chants traditionnels, chants grégoriens, prières, mantras, icaros,  etc.) et se termine par des musiques douces, relaxantes et méditatives. La musique peut être regardée en termes de « dosage sonore », comme avec le LSD dont la vague imitant en quelque sorte les contours et la dynamique. La vague peut aussi être colorée selon le thème du stage ou l’intention du participant lors d’une respiration individuelle. S’ils ne font pas partie du cadre originel, l’usage additionnel d’instruments de musique par les facilitateurs est également possible, avec différents types d’utilisation.

Grâce à la conjonction du souffle et de la musique, la transe est tonique et le respirant a tout l’espace pour s’exprimer puisque tout, dans le respect du cadre, est permis  : crier, bouger, taper sur des coussins, danser, chanter, rouler… La règle du « Stop » permet de donner de la sécurité à tout le monde  : les thérapeutes et sitters peuvent poser un «  Stop  » si les comportements débordent du cadre. Cette règle permet au respirant de lâcher la vigilance sur la limite, celle-ci étant tenue par d’autres, et à l’entourage du respirant d’arrêter clairement un débordement. La transe active et guide un puissant processus intelligent, qui connaît sa direction. Tel un radar intérieur, cette «  sagesse inconsciente  » cible l’expérience qui doit être vécue et en guide le déploiement et la résolution. Elle peut autant ramener des souffrances réprimées (CoEx), que libérer ou connecter des ressources inédites pour le corps et la psyché, que ce soit dans les territoires intrapersonnels, interpersonnels ou transpersonnels. Le contenu des expériences peut donc être d’absolument toute nature. En voici quelques exemples : ● Au niveau corporel, l’expérience peut être internalisée, le corps statique et comme endormi ou semblant mort, livide et immergé dans une profonde expérience ou être externalisée avec des





mouvements, de l’agitation, des postures parfois sophistiquées (asanas, mudras, katas…), des tétanies, des vomissements, des xenolalies et protolangages, des danses… Les perceptions peuvent se modifier, s’étendre même à d’autres gammes sensorielles, synesthésiques ou extra-sensorielles, perception de l’énergie, des chakras, des nadis, etc. Au niveau psychique  : des états émotionnels dans des intensités parfois exceptionnelles, variées (désespoir absolu, culpabilité intense, félicité, rages meurtrières, extases, joies subtiles…), associées ou non à un contenu… des régressions biographiques, des découvertes transgénérationnelles (secrets de famille, mémoires familiales…), des insights, des levées de refoulement avec abréactions, des re-scénarisations imaginaires, des compréhensions profondes  : personnelles, philosophiques, spirituelles, scientifiques, historiques… Au niveau transpersonnel, des expériences qui transcendent les limites du corps, de l’identité, de l’espace-temps, de la «  réalité  »  : expériences d’unité cosmique, identification ou incorporation animale, végétale, minérale… Exploration de processus biologiques (photosynthèse, mitose, conscience tissulaire ou cellulaire,  etc.), physiques (monde atomique ou subatomique), expériences ancestrales, «  vies antérieures  » (identifiées comme telles), cosmogoniques (Big Bang, expansion de l’univers, naissance de la Terre…), rencontre d’entités spirituelles, expériences archétypales, compréhension intuitive de symboles universels, expérience de la vacuité, délocalisation de la conscience ou perception non locale, dilution de l’égo et expérience transcendantale,  etc. Des événements de vie (avortements, amputations, deuils, traumas,  etc.) sont parfois revisités, mais vécus dans leur dimension sacrée, engendrant une réparation profonde de l’événement et clôturant la gestalt à un niveau spirituel – même chez des participants laïcs ou athées.

Suite à une expérience transcendantale, Emma, qui est venue consulter pour une problématique de dépendance affective

(carences affectives précoces), revient en témoignant : « Cet Amour m’appelait à me fondre en lui (...) Je me sens maintenant comme une vieille éponge sèche qu’on aurait réhydratée d’Amour… mon cœur est rempli…  » Suite à cette RH, les crises de dépendance affective d’Emma se sont apaisées, sa psychothérapie a pu s’appuyer pendant plus d’un an sur les effets de cette unique RH et de ses effets en chaîne.

L’intervention des thérapeutes pendant la transe Dans la version originale du travail de Grof, le thérapeute est dit « facilitateur », et sa fonction se situe principalement dans la qualité du setting, ainsi qu’un travail psychocorporel, si nécessaire.  Son intervention vise à soutenir l’intelligence du processus autoguérisseur du patient. Les techniques de travail corporel viennent généralement en fin de transe pour aider ce qui n’a pas pu être résolu seul, par la transe. Si le facilitateur intervient au cours du travail, ce n’est que pour aller dans le sens du processus, à la manière du « curling », ce sport où on facilite le parcours du galet en lissant la glace devant lui, sans en influencer la trajectoire. Ici la trajectoire est considérée comme un « processus intrapersonnel » et transpersonnel, qui a sa propre source (située dans le « guérisseur intérieur », ou la « sagesse du processus ») et sa propre visée, que l’on découvre pas à pas. Certains praticiens de la RH soulignent aussi la dimension interpersonnelle du processus  : phénomènes de champ et de systèmes, facteurs suggestifs inévitables… nous sommes ici sur un modèle de «  système ouvert  », de processus interdépendants et d’une dynamique co-créative et constructiviste… Des auteurs contemporains tels que Jorge Ferrer (2017) soulignent le présupposé qu’une expérience, même transpersonnelle, soit « quelque chose qui nous arrive » (vision passive et descendante). Il propose l’idée, dans la lignée d’auteurs tels que Francisco Varela sur l’énaction, que l’expérience soit plutôt une émergence liée à une qualité de relation participative avec… soi, l’autre, le mystère. J’ai

moi-même souvent observé que le processus peut aussi être regardé en termes de « non-localité », dont la source et la trajectoire ne résident pas que dans le patient, mais concerne également le champ externe à celui-ci. Par exemple, les Coex semblent parfois se consteller à l’extérieur du patient lui-même, dans le corps groupal (l’ensemble du groupe étant dans un état de sensitivité), dans une forme de syntonie ou de synchronie. Le processus peut aussi se manifester, se poursuivre ou s’évacuer en « circuit externe » : via par exemple le corps ou l’émotion du sitter, du facilitateur (tensions, nausée, émotions…), du groupe… Dans ce contexte, le thérapeute (comme l’environnement) fait partie du «  processus  », amenant ce dernier à rester dans un regard ouvert. Il assume donc aussi une posture plus interventionniste, qui dépend ensuite du parcours professionnel et du style personnel du facilitateur. Cette perspective, englobante, ouverte et participative, ne s’oppose pas à la première  : elle l’enrichit d’une dimension supplémentaire, et se subordonne toujours à la question du processus interne du respirant. Le travail psycho-corporel, quand il est nécessaire, peut consister en un simple contact, à des pressions, des massages, de la contenance «  maternelle  » (être pris dans les bras, bercé, caressé, etc.), de la contention «  paternelle  », de l’amplification,  etc. mais aussi l’invitation à respirer dans l’endroit du corps ou ça bloque, à encourager l’expression d’un son, d’un geste,  etc. En somme, permettre une circulation  : de l’information, de l’énergie, de ce qui veut émerger, se déployer… permettre d’achever une gestalt, vivre une expérience correctrice… L’intervention du thérapeute accompagne ainsi le déploiement de l’expérience vers son issue résolutive, quelle qu’elle soit. Les interventions corporelles ne se font pas « sur » le respirant, mais « avec » lui. Elles sont aussi cadrées par la règle du « Stop », côté respirant cette fois : un simple « stop » du respirant interrompt immédiatement tout travail corporel. Les propositions se déroulent enfin sous le regard du groupe qui fait tiers, assurant qu’il n’y a aucune ambiguïté dans l’intervention.

Le thérapeute lui aussi travaille en état de transe, ce qui lui permet notamment d’être synchronisé avec les respirants, d’amplifier son empathie (résonance limbique), et sa conscience énergétique, d’avoir des intuitions sur ce qu’il y a à faire en temps réel,  etc. La pertinence pour un thérapeute de guider ses interventions depuis sa propre transe a notamment été soulignée par différents auteurs tels que Milton Erickson ou François Roustang (2015). Je développe moi-même pleinement cette dimension ailleurs (2024), puisque j’en fais un des piliers centraux du thérapeute.

Fin de la transe Au bout de trois heures environ, la musique s’arrête. Son intensité et son volume ont progressivement décru pendant la dernière heure. Les thérapeutes passent alors voir chaque respirant pour vérifier si tous les processus sont bien achevés, proposer éventuellement un travail supplémentaire, et donner le «  OK  » de fin de session. Ce moment de la sortie est pour certains un moment clé  : le relâchement défensif fait que des paroles importantes s’y expriment et de riches moments de relation interpersonnelle s’y vivent… encore. Je ne surprendrai aucun thérapeute de transe en rappelant que la déclaration rituelle de fin de séance ne signifie pas la fin du processus, mais sa ponctuation.

Le mandala À la sortie de la transe, la créativité est plus libre et spontanée. Il est proposé aux respirants de représenter l’expérience vécue par un mandala, qui est, comme C.  G.  Jung l’a montré, une figure archétypale majeure de l’inconscient. Il s’agit donc d’une première symbolisation de l’expérience qui fournira un support, plus tard, pour la verbalisation lors du temps de parole. La création-traduction, dans ce temps psychique «  d’entre-deux mondes  » qu’est la sortie de transe (plus tout à fait en transe, pas tout à fait revenu), est un

espace-temps favorable pour que se tracent et se représentent des dimensions inconscientes de l’expérience, source de nouveaux éclairages dans l’après-coup (chacun repart avec son mandala). La transe prolonge ainsi son mouvement dans la trace.

L’intégration du processus engagé par la transe L’intégration d’une RH se déroule sur plusieurs semaines, mois, parfois années. L’intégration est presqu’aussi importante que la transe elle-même. Son accompagnement facilite une appropriation « saine » de l’expérience par le moi. La chorégraphie défensive du moi se montre en effet parfois créative pour reprendre à son compte les processus vécus, comme le psychologue J. Welwood (2003) l’a montré (utilisations défensives des pratiques ou expériences spirituelles). Mais avant que le moi ne travaille l’expérience, au service du changement ou des résistances, c’est le processus expérientiel qui travaille le moi  comme une lame de fond  : ses contenants comme ses contenus. L’expérience vécue pendant la transe fournira ensuite un puits de ressources où revenir sans cesse pour y trouver des compréhensions et des relectures. D’autre part, le processus est entouré, aiguillé même, par des synchronicités. Le cadre d’un stage ne peut donc prendre la responsabilité que de certaines étapes du processus d’intégration et en déléguer d’autres : au psychothérapeute référent quand il y en a un, et à la responsabilité du participant lui-même, surtout quand il avance seul. Ce qu’on nomme intégration concerne en réalité plusieurs niveaux d’intégration (comme elles concernent différentes lignes de processus), que j’appelle des «  lignes d’intégration  »  : corporelle, énergétique, émotionnelle, cognitive, sociale et spirituelle. Ces lignes peuvent être plus ou moins concernées selon le triangle sujetcontexte-expérience : Myriame est une mère endeuillée, professeur d’histoire, par ailleurs matérialiste convaincue, mariée à un matérialiste non moins convaincu. Pendant sa transe, elle vit une bouleversante expérience de vécu subjectif de contact avec son fils décédé

(VSCD3). Si l’intégration corporelle et énergétique d’une telle expérience est plutôt rapide, il va de soi que l’expérience peut engendrer une dissonance cognitive chez cette matérialiste (ce contact vécu était-il réel ? la conscience survit-elle à la mort ?), et que cette dissonance peut plus ou moins impacter l’intégration émotionnelle d’un tel contact, et réciproquement. Ensuite, l’intégration cognitive peut être plus ou moins associée à la question de l’intégration sociale de son expérience : va-t-elle en parler à son mari  ? À  ses proches  ? Leur réaction va-t-elle impacter sur son intégration émotionnelle ? Ces questions ne peuvent pas être éludées par les thérapeutes. A contrario, un puissant éveil énergétique (kundalini) vécu par Yves, professeur de yoga, demandera une intégration corporelle et énergétique plus longue, peu d’intégration émotionnelle. L’intégration cognitive est facilitée par sa carte de compréhension et l’intégration sociale facilitée par son groupe d’appartenance qui fonctionne déjà avec une conception de l’énergie… 

Les lignes d’intégration peuvent avoir un rythme globalement homogène, comme elles peuvent entrer en conflit entre elles, et ainsi être facilitées par un accompagnement spécifique. Quand le participant à la RH est également un patient du thérapeute, alors ce dernier peut accompagner toutes les étapes de la RH, de sa contextualisation à son intégration. Le dispositif conçu par Grof offre ainsi une structure en poupées russes  : plusieurs enveloppes (au sens d’Anzieu) s’additionnent et offrent à la transe un solide cadre de contention et de contenance : matériel, corporel, émotionnel, relationnel, symbolique, énergétique, spirituel… Il y a plusieurs séquences préparatoires avant d’arriver à la transe elle-même, et il y a plusieurs séquences pour refermer et intégrer le processus de transe.

Conclusion La conclusion habituelle d’une séance de respiration holotropique consiste en une libération émotionnelle, des expériences transformatrices, des enseignements et une relaxation physique et psychique très profonde. Depuis près de quinze ans que j’anime des stages et des sessions individuelles, que je la pratique pour moi-même et que je l’enseigne, la RH et avec elle, la transe, ne cesse de m’enseigner elle aussi.

Plus qu’une méthode ou une thérapeutique, elle est une école, une muse, un «  Google cosmique  » inépuisable… Je ne pourrais la peindre que comme une déesse aux mille visages. Au-delà d’un «  état modifié de conscience  », elle est un «  état modifié de reliance », en cela qu’elle nous replace comme la maille d’une toile interdépendante, qui remet le moi a sa place : quelques pixels d’un espace familier, situé entre deux infinis.

Notes 1. Conception ternaire de l’homme : corps, âme, esprit, ou dans un lexique plus moderne : corps, psyché, Conscience (niveau somatique, psychique, transpersonnel). Cf.  les travaux de l’anthropologue Michel Fromaget (2017) : Corps-Ame-Esprit - Introduction à l’anthropologie ternaire, Almora. 2. J’emprunte cette formule de «  thérapie première  » ou de «  thérapeutes premiers  » à Jean-Marie Delacroix, qui s’inspire de la notion «  d’art premier  », replaçant ainsi le chamanisme dans une lignée historique dont nous partageons des patterns communs. 3. Vécu Subjectif de Contact avec un Défunt.

Focus 42 Qi Gong et état de conscience modifié

Marie Beaumont Les idéogrammes Qi gong est l’association de deux idéogrammes : Qi et Gong. Le premier Qi que l’on traduit par souffle, énergie et le second Gong que l’on traduit par travail, méthode. Qi gong est donc le travail sur l’énergie.

Figure 1.   Cependant les idéogrammes nous en disent bien plus. Qi représente la vapeur d’eau qui monte de la cocotte dans laquelle cuit le riz. Le Qi est à la fois dans le bois qui alimente le feu, le feu lui-même, la chaleur qui s’accumule dans la cocotte, le riz dont la matière se

transforme sous l’influence de l’eau et du feu, l’eau passant de liquide à vapeur, la force de celle-ci qui soulève le couvercle de la cocotte. Dans Gong il y a la notion de force déployée pendant le travail (Zhou Jing Hong, Becchio, 1997). Qi Gong désigne toute pratique qui permet de capter l’énergie, de la faire circuler dans tous les niveaux du corps et d’harmoniser le corps, l’énergie et l’esprit. D’autres éléments complètent cette définition. Le Qi Gong est une pratique psycho corporelle : « Il s’agit de faire le lien entre le corps et l’esprit dans une quête d’harmonie et d’équilibre. Il s’agit de réintégrer une corporéité dans une société plus préoccupée par les cognitions et les émotions », écrivent Berghmans et Tarquinio (2009). « Comme tous les arts physiques chinois le Qi Gong n’est pas une discipline physique, mais l’application à un domaine physique d’une perception fine de cette énergie qui nous anime (…). Le Qi gong est ce qui nous permet de jouer en nous-même et pour nous même la mélodie du “vivre” commune aux dix mille êtres  », écrit Cyrille Javary (in Tsiang, 2022). Enfin Liu Dong (1998) écrit : « Le Qi Gong peut être considéré comme un comportement trouvant sa justification dans une grande pensée philosophique, laquelle a pour but de nous montrer la voie de la connaissance de la nature humaine, de nous permettre de mieux prendre conscience de la valeur de la vie et de ses limites, et de nous guider sur le chemin de la sagesse. »

Appréhender l’humain et l’univers Définir le Qi nous amène à appréhender l’Homme et l’Univers d’une manière singulière avec la pensée chinoise taoïste. Le Qi peut être apparenté au Pneuma des Grecs, l’Anima des Latins, le Prana des Indiens. Hiria Otto parle de «  Substance matérielle primordiale ou tout simplement l’essence qui par impulsion de son énergie permet aux “choses” animées ou inanimées et aux organismes vivants du monde d’exister et de se développer sous les formes dans lesquelles ils se matérialisent  » (in Berghmans et Tarquinio, 2009). Le Qi n’a jamais été démontré du point de vue scientifique, en revanche les sensations du Qi (Qi Gan) sont identifiées : chaleur, poids plus important, picotements, modification des limites du soi, endormissement, bâillements… (Tsiang, 2022.) Dans la pensée chinoise le Qi peut être défini par le Tao qui désigne la voie dans laquelle passe l’Énergie. La voie du Tao prône une harmonie entre l’homme et la nature : « Le taoïsme prône un retour à la liberté personnelle, la contemplation et l’étude de la nature. L’être humain doit rentrer en harmonie avec la nature à laquelle il appartient. Le confucianisme oriente la personne vers le respect de l’ordre établi et les devoirs de l’individu envers la société. Le taoïsme refuse les rigueurs de la vie sociale et pousse à une communion extatique avec les forces cosmiques. Dans le taoïsme il faut suivre les règles de la nature, agir sans agir, imiter la passivité féconde de la nature. » (Zhou Jing Hong, Becchio, 1997.) Le Tao a été défini par Lao Zi dans le Dao De Jing (Zhou Jing Hong, 2013) 500 ans avant J.-C. Deux mondes coexistent et s’interpénètrent : le monde du Tao sans forme, sans image, originel et le monde de la forme, du présent. Dans le chapitre 42 il est écrit :

« Le Tao engendre le Un

Le Un engendre le Deux

Le Deux engendre le Trois,

Le Trois engendre les dix mille êtres

Le yang est apporté par le yin et chacun des dix mille êtres

Le yang et le yin alors s’étreignent

Invisible, l’Énergie les harmonisent » Ainsi le yin et le yang sont deux énergies complémentaires et indissociables, procédant du même principe originel. Le mouvement d’aller et de retour du yin et du yang est à l’origine des cinq éléments : eau, bois, feu, terre, métal. Ils sont en correspondance avec les organes (reins, foie cœur, rate, poumons), les saisons, les émotions, les couleurs, les saveurs…

Figure 2.  

La pratique du Qi Gong Le Qi Gong fait partie de la médecine traditionnelle chinoise, en renforçant l’organisme et en empêchant les stagnations à l’origine des maladies, au même titre que l’acupuncture, la diététique, les massages, la pharmacopée. Dans la pratique taoïste l’entretien de la santé est un but personnel que chacun doit mettre en pratique afin de préserver sa vie le plus longtemps possible. La première mention du Qi Gong comme art de soigner, apparaît dans le Nei King, traité de médecine, dont le plus vieil exemplaire connu à ce jour date de huit siècles avant J.-C. Il est possible que les Chinois pratiquent cette technique depuis 3 000 ans.

Une légende raconte que l’Empereur Jaune a mis au point cette pratique en observant le comportement de certains animaux. Une autre légende attribue le Qi gong aux moines taoïstes. Les exercices se modifièrent dans le temps, des Qi Gong d’influence taoïste, bouddhiste, confucianiste, familiale et régionale sont apparus, transmis de génération en génération. Le Qi Gong de manière générale est constitué d’exercices physiques plus ou moins dynamiques effectués dans un état de grande concentration sur le moment présent, une respiration profonde et consciente, des postures, des visualisations, des méditations… Il existe plusieurs centaines de Qi Gong différents de par leur nature statique ou dynamique, leur influence, leur origine… Nous parlerons ici du Zhi Neng Qi Gong. Maître Zhou Jing Hong écrit : « Le but du Zhi Neng Qi Gong est de maintenir la forme physique et un bon état de santé (physique, psychique, émotionnel). L’éveil de l’intelligence se situe à deux niveaux  : intelligence dans le sens commun du terme  : développement de la concentration, mémorisation, coordination qui entraînent une amélioration du travail quotidien et de la faculté d’adaptation  ; intelligence dans le sens extraordinaire  : réveiller nos capacités sous-jacentes d’imagination, de visualisation, de créativité et de globalisation (intuition). » (Zhou Jing Hong, Becchio, 1997.) Ce Qi Gong fut créé en 1969 par Maître Pang He Ming. Médecin et acupuncteur traditionnel chinois, formé à la médecine occidentale. Il a adapté la culture corporelle chinoise ancestrale, en une pratique moderne. Dans les années 1980-1990, plusieurs centres de pratique et de formation de ce Qi Gong s’ouvrent en Chine, des protocoles d’évaluation des soins par le Qi Gong, en particulier dans le domaine de l’autoguérison, sont développés. La pratique en groupe du Zhi Neng Qi Gong permet en effet de développer un champ d’Énergie (Qi Chang) propice à l’harmonisation de l’Énergie de chacun avec la nature. Pang He Ming écrit : «  L’homme est lié à la terre sur laquelle il vit et reçoit les influences du ciel qui le surplombe. L’univers est parcouru par une sorte d’énergie qui circule dans le ciel, sur la terre, et dans l’homme  ; terre, ciel et homme reçoivent et donnent de l’énergie en permanence. Ces échanges permanents qui créent une symbiose entre le ciel, la terre et l’homme permettent le maintien et le développement de la vie. Cette vision chinoise, classique de la vie nous permet de constater que l’univers est un ensemble dont l’être humain par exemple est une partie. Mais chaque partie est le reflet, la copie exacte de l’ensemble. Nous avons l’habitude de dire que l’univers est le macrocosme alors que l’homme est le microcosme. Ceci implique l’existence de liens étroits, de rapports intimes entre l’homme et l’univers. Ce sont ces liens qui sont utilisés comme voies énergétiques dans notre pratique du Zhi Neng Qi Gong. » (Zhou Jing Hong, Becchio, 1997.) Pang He Ming vivrait toujours, en Chine. Il s’est retiré de la vie publique à la fin des années 1990 période où les événements politiques en Chine ont entraîné l’interdiction de la pratique des Qi Gong et la fermeture de tous les centres.

Une lecture neuroscientifique

Dans le référentiel de la médecine occidentale, le Qi Gong peut trouver des éléments de compréhension. Cette grille de lecture ne saurait remplacer les aspects énergétiques propres à la médecine chinoise et à la circulation du Qi. On connaît l’interaction entre les trois systèmes nerveux central, endocrinien et immunologique dont la coordination est assurée par l’axe système limbiquehypothalamus-glande pituitaire. Dans la pratique du Qi Gong le système nerveux sympathique est régulé négativement, le système nerveux parasympathique est lui activé. Il se produit aussi une modulation quantitative et qualitative du système immunitaire, une régulation du métabolisme des lipides, majeurs pour le bon fonctionnement cellulaire, une amélioration de la circulation sanguine et des capacités cardiaques et respiratoires (Bobby et Tsang, 2009 ; Beaumont, 2017). Dans son livre Descartes au pays du Qi Gong, Henri Tsiang donne une lecture neuroscientifique plus approfondie de la pratique du Qi Gong. Ainsi l’activité cérébrale pendant la pratique du Qi Gong est caractérisée par des ondes alpha et thêta témoins d’un état de détente et de relaxation quand les ondes béta, témoins d’une activité mentale et physique, sont diminuées. L’effet de relaxation est lié à la régulation du système nerveux autonome, mais aussi l’action des voies motrices du système nerveux qui agissent sur la posture, le tonus et la relaxation musculaire. Dans la pratique du Qi Gong une attention particulière est portée sur la respiration qui tend à être consciente et volontaire. La commande neurologique de la respiration passe alors des centres bulbaires aux aires motrices du cortex cérébral, activant des connexions neurologiques beaucoup plus vastes avec les noyaux profonds en lien avec les systèmes immunitaires, endocriniens mais aussi cognitifs et émotionnels. Le cerveau est ainsi rendu plus disponible à toutes les stimulations et les connexions entre les différentes parties du cerveau sont renforcées. Le travail de la respiration participe ainsi à l’état de relaxation et de bien-être. L’auteur évoque aussi le rôle des fascias, tissu conjonctif qui enveloppe toutes les structures du corps. Ils participeraient dans la pratique du Qi Gong à avoir une meilleure perception des sensations corporelles y compris celles qui habituellement seraient inconscientes comme la perception des organes internes. C’est ce que l’on appelle l’intéroception. Le système nerveux autonome est responsable du bon fonctionnement physiologique inconscient de l’organisme. Les fascias riches en fibres nerveuses, participeraient à ce bon fonctionnement et le rendraient potentiellement conscient par les connexions au cortex cérébral. La sensation de plénitude pendant la pratique du Qi Gong serait liée aux fascias qui par leurs récepteurs d’intéroception amélioreraient la communication avec le cerveau. L’apprentissage du Qi Gong passe par l’expérience du corps et non par une explication mentale, imposant un état de concentration accru afin de saisir tous les gestes de l’enseignant pour les reproduire. Notons aussi que pour l’enseignant cette transmission impose qu’il soit présent dans ses exercices pour communiquer ses mouvements. Enfin ne négligeons pas toute la pensée taoïste poétique et riche en métaphores. Elle ouvre à un espace d’activation des sens ouvrant lui-même à des perceptions nouvelles nous plaçant dans une autre appréhension de notre monde intérieur et du monde qui nous entoure et par là même amène à un ECM.

Pour conclure L’état de Qi Gong peut être assimilé à un ECM de par la pensée taoïste et sa poésie nous amenant à nous relationner au monde différemment, mais aussi dans une lecture plus «  occidentale  », par une activation étendue du cortex cérébral, une modification du système nerveux autonome, de la respiration, une activation des fascias… Et alors que la pratique de Qi Gong prend fin nous sortons de cet état de Qi Gong mais il persiste ce que l’on nomme le Happy Qi, état de joie profonde exprimée par le sourire du Bouddha.

Chapitre 43 Psychothérapies assistées par psychédéliques, lien avec les transes

Alexandre Peyré Les notions de transes et de psychédéliques s’entrecroisent. On les retrouve associées dans la littérature concernant des usages traditionnels d’une part et d’autre part plus récemment comme pistes thérapeutiques. Ces deux termes sont polysémiques, il convient donc de regarder plus précisément par qui et dans quels contextes ils sont utilisés. Dans un deuxième temps seront présentées les thérapies psychédéliques, puis dans une dernière partie les aspects mystiques au cours de l’expérience psychédélique.

Les psychédéliques et les transes psychédéliques

Dans un premier temps, il semble nécessaire de proposer quelques définitions des termes employés pour définir les substances qui sont utilisées dans les thérapies dites psychédéliques. Christian Sueur et  al. dans leur revue de littérature sur les substances hallucinogènes et leurs usages thérapeutiques, publiée en 1999 à l’avant-garde du renouveau psychédélique, donnent déjà de nombreux éléments. De leur présentation exhaustive, sont présentés ici quelques mots  : hallucinogène, délirogène, psychomimétique, psychodysleptique, enthéogène, psychédélique.

Une substance hallucinogène se définit littéralement comme productrice d’hallucinations. Ce terme, bien que fort utilisé ne semble pas rendre compte de la nature principale de l’expérience. En effet, l’hallucination en psychiatrie peut correspondre à une construction imaginaire sans objet à percevoir. Les substances dont il est question semble provoquer majoritairement des modifications des perceptions. Des hallucinations peuvent se produire sous l’effet, même s’il faut noter qu’en général, la personne ayant pris la substance conserve une critique vis-à-vis de l’expérience. Les délirogènes font référence à une catégorie de substances particulières produisant confusion, perte de repères temporospatiaux, troubles mnésiques. Il peut s’agir de plantes comme la Datura ou la Belladone. Elles sont peu étudiées quant à leur potentiel thérapeutique. Sur la Datura entre autres, des éléments sont présentés dans le livre récent d’Aymon de Lestrange (2022) Plantes visionnaires du Mexique. Concernant les usages traditionnels Martin Fortier (2018) avait réalisé un travail particulièrement documenté sur des différences de rituels selon les types d’action plutôt cholinergiques ou plutôt sérotoninergiques. Les psychomimétiques ou psychotomimétiques correspondent étymologiquement à des substances qui viennent mimer, provoquer, un état psychotique temporaire. Ce nom a été utilisé dans des travaux, notamment au début de l’utilisation du LSD (diéthylamide de l’acide lysergique). La notion de psychodysleptique se rapproche de psychomimétique. Elle est plus globale. Le psychiatre Jean Delay l’a proposé pour regrouper les substances perturbant l’activité mentale. La notion d’enthéogène fait référence au divin. Elle n’est pas issue du vocable médical mais a été pensée par des ethnobotanistes pour rendre compte de plantes permettant ou révélant des liens avec des dieux. Le terme «  psychédélique  » semble privilégié dans les articles scientifiques récents, par exemple dans Cell en 2020, Nutt, Erritzoe et Carhart-Harris publie «  Psychedelic Psychiatry’s Brave New World », référence indubitable à Aldous Huxley. Ce sont d’ailleurs les échanges de ce dernier avec le psychiatre Humphry Osmond qui ont

donné lieu à la création du néologisme « psychédélique », cela peut signifier «  rend l’âme visible  » ou «  l’esprit manifesté  ». Les associations œuvrant à la (ré-)habilitation de ces substances s’y réfèrent, qu’il s’agisse de MAPS (Multidisciplinary association for psychedelic studies) ou encore de la SPF (Société psychédélique française). L’intérêt pour les substances d’un point de vue pharmacologique s’entend, mais sur le plan phénoménologique, inhérent aux définitions que nous venons de donner, il semble nécessaire de prendre en compte d’autres facteurs.

Les différents types de substances ont des effets qui peuvent être définis pharmacologiquement, en fonction des modes d’actions, des effets sur l’organisme et le psychisme. Diverses catégorisations ont été proposées au fil du temps, par exemple Phantastica de Lewin. Récemment, le Respadd (Réseau de prévention des addictions) a réalisé une représentation graphique avec un diagramme de Venn reprenant les psychotropes selon quatre grandes familles  : antipsychotiques, stimulants, sédatifs et hallucinogènes1. Un autre modèle en cercle : « the drugs wheel » imaginé Mark Adley possède une version française rédigée par le CEIP-Addictovigilance de Paris (2015). Ces effets n’ont de sens qu’en prenant en compte l’individu qui consomme la substance et l’environnement dans lequel cette consommation a lieu. Le psychiatre français Claude Olievenstein définit d’ailleurs ainsi la toxicomanie comme la rencontre entre un individu et une substance dans un contexte donné. Il semble que cette conception reprenne ce qu’avait avancé Norman Zinberg psychiatre américain sous les termes  : drugs, set and setting. Cela dit, il est intéressant de réaliser que les notions de set and setting pour comprendre l’effet global des psychédéliques ont manifestement été employées antérieurement par Timothy Leary. Ce dernier est connu pour avoir été un des principaux acteurs du

prosélytisme des psychédéliques autour des années 1960 aux ÉtatsUnis. L’histoire de cette triangulation entre la substance, les dispositions individuelles et le contexte semble remonter avant le xxe  siècle. L’article de Ido Hartogsohn en 2017 reprend ces éléments et propose une revue plus approfondie. Il relie cette conception aux réflexions du Club des Haschischins (Baudelaire, Gautier, Moreau de Tours…) à propos des expériences avec le dawamesk, cette fameuse confiture contenant du cannabis. Cette question des facteurs extra-pharmacologiques trouve selon Hartogsohn des racines bien antérieures ; il fait référence aux usages rituels par les chamanes et un ensemble d’éléments sur lesquels travaillent les anthropologues.

L’objet de cette partie n’est pas de rendre compte des connaissances sociologiques et anthropologiques sur les usages rituels des psychédéliques. La dialectique est d’une part que des substances sont utilisées dans des cadres de médecines traditionnelles, mais pas dans toutes et d’autre part que des consommations non ritualisées existent. Par ailleurs, dans les Plantes visionnaires du Mexique dont il est question plus haut, Vincent Verroust expose en postface que l’usage traditionnel des psychédéliques est particulièrement circonscrit à des zones géographiques restreintes. L’état des connaissances scientifiques sur le sujet ne permet pas de généraliser ces types de consommations. Pour Marc Perreault dans Drogues, santé et société (2010), la focalisation sur les états de transe et d’extase est source de confusions et limite la compréhension du chamanisme en tant que « fait social total ». L’ethnologue Roberte Hamayon dénonce le biais interprétatif selon lequel le « voyage chamanique » correspondrait à un état de transe ou d’extase. Elle invite à une vigilance importante quant à l’«  association automatique  » entre «  état altéré de

conscience  » et «  chamanisme  ». L’usage de substances psychoactives est l’une des techniques à la disposition du chamane pour entrer en «  transe  » et réaliser le voyage chamanique, mais d’ailleurs une «  technique aberrante  » pour Mircea Eliade. Les substances ne sont selon lui «  qu’un substitut vulgaire de la transe qu’il qualifie de pure ». Ces considérations rejoignent le récent article de David Dupuis et Samuel Veissière proposant de penser les psychédéliques comme de super placebos actifs (2022). Les liens entre psychédéliques et transes, peuvent se voir aussi avec le regard anthropologique sur des usages contemporains festifs, proposé par Lionel Pourtau qui a beaucoup travaillé sur le phénomène des rave parties. En 2006, le sociologue écrit dans la revue Psychotropes un article intitulé «  Consommation de substances psychoactives et transe fonctionnelle dans les fêtes techno  ». Il y évoque la nécessité de la mise en foule pour le déclenchement de la transe et fait l’hypothèse de la consommation comme étayage au cours de la construction identitaire. Pour reprendre ses mots : « La transe technoïde est donc à cheval entre la transe sauvage et la transe fonctionnelle. » Il s’agit donc de ne pas confondre transes et psychédéliques, les substances psychédéliques peuvent favoriser la mise en transe et toute consommation de psychédélique n’induit pas un état de transe relevant de la transe chamanique. Les états modifiés de conscience ont été investigués et utilisés à visée thérapeutique, notamment ceux induits par les substances psychédéliques.

Les thérapies assistées par psychédéliques

Albert Hofmann est le chimiste qui a synthétisé le LSD et découvert ses effets psychotropes. Dans Le LSD et les années psychédéliques, Gnoli et Volpi (1983) livrent leurs entretiens avec le chercheur  ; ce dernier y dit  : «  Le LSD et les substances psychédéliques en général ont un rôle important pour ce type de

psychologie transpersonnelle, qui à la différence des théories freudiennes, ne vise plus l’introspection, mais la sortie hors de soi, l’ouverture du moi à l’expérience du tout. Je trouve aujourd’hui fondamentale cette tendance de la psychologie  : plus que vers l’analyse, elle se dirige vers une synthèse où l’homme et sa conscience s’ouvrent à des expériences transpersonnelles. »

Stanislav Grof était considéré comme le parrain du LSD par Albert Hofmann. Il est aussi un des fondateurs de l’école de psychologie transpersonnelle. Dans son ouvrage LSD psychotherapy, Grof (2001) rappelle que l’effet thérapeutique des sessions avec LSD dépend de manière cruciale de facteurs de nature non pharmacologique. Le LSD est un catalyseur qui active des processus inconscients d’une manière plutôt non spécifique en fonction de : ● la structure psychique du patient ; ● sa relation avec le guide, l’accompagnateur (sitter) ou les personnes présentes lors de la session ; ● la nature et du degré d’aide psychologique spécifique ; ● l’état des set et setting (cf. supra). L’administration de LSD est facilitatrice d’un processus psychothérapeutique selon les doses et fréquences. Une revue de l’ensemble des modèles thérapeutiques utilisant les psychédéliques est menée par Grof. Il retient cinq techniques  : psycholytique, psychédélique, anaclitique, hypnodélique et collective. L’objectif de la thérapie psycholytique est de relâcher les tensions, dissoudre les conflits psychiques. C’est une extension de la psychanalyse, avec des sessions toutes les une à deux semaines ; en moyenne environ 40 (entre 15 et 100). Des séances sans LSD en intersessions sont proposées mais le focus est mis sur les séances avec LSD. L’objectif de la thérapie psychédélique est de créer les conditions optimales pour permettre la mort de l’égo et la transcendance. Elle

est basée sur une expérience d’Osmond et Hoffer où il est décrit que le niveau d’état de conscience amène à percevoir des visions brillantes, lumières blanches ou dorées, spectre arc-en-ciel, graphismes élaborés (plumes de paon), visions d’archétypes, dieux, divinités de différentes cultures, unité cosmique. Les interprétations dépendent des références de chacun selon l’éducation, la culture, etc. Cette thérapie est toujours réalisée en trois phases  : la séance de préparation, la séance de thérapie assistée (où la substance est consommée) et la séance d’intégration. ● L’objectif de la thérapie anaclitique est de travailler sur l’infantile, par une régression aux premières années de la vie. Elle est basée sur le modèle psychanalytique, avec une posture du thérapeute différente qui agit pour répondre aux besoins primaires exprimés, dans une relation fusionnelle. ● L’objectif de la thérapie hypnodélique relève plus d’un moyen supplémentaire, il s’agit de guider le sujet dans son expérience en utilisant l’hypnothérapie. Elle se déroule en trois phases  : l’évaluation du patient, sa découverte et apprentissage de l’hypnose, puis la session avec le LSD et l’hypnose. ● L’objectif de la thérapie collective est clairement énoncé comme un gain de temps pour les professionnels. En effet, à court terme l’utilisation de psychédéliques et en particulier du LSD, mobilise les thérapeutes sur des durées longues au regard de la cinétique propre à la substance (dix à douze heures d’effet). La distinction est bien précisée avec les groupes thérapeutiques, il n’y a pas de recherche de coordination. Les interactions sont libres, ce qui présente des intérêts et des limites. La session se termine par un temps d’intégration. Les deux principaux modèles utilisés et référencés sont la thérapie psycholytique et la thérapie psychédélique, selon Zoë Dubus (2022) dans son article sur l’émergence des psychothérapies assistées au LSD entre 1950 et 1970. En France, à l’époque un autre modèle a été privilégié, la thérapie psychodysleptique, qui n’a pas donné de résultats satisfaisants. Une des raisons est semble-t-il que l’utilisation des psychédéliques ait été pensée à l’image de celle des autres médicaments sans prise en compte des set et setting.

Leo Zeff et l’ibogaïne Leo Zeff se revendiquait lui-même comme ayant donné un nombre incalculable de doses de différents psychédéliques dans le cadre de thérapies assistées. Il a exercé pendant des années en Amérique du Nord. Toute une partie de son activité s’est tenue de manière légale, en amont d’interdiction des substances par la loi, et une autre s’est déroulée non officiellement, qualifiée par l’anglicisme « underground ». L’histoire de Zeff a été révélée avec sa véritable identité seulement une fois qu’il était décédé afin qu’il ne puisse pas subir de poursuite judiciaire. Une interview menée par Myron Stolaroff (2004) retrace le parcours de ce psychologue humaniste, éditée sous le titre The secret chief revealed. Ce document permet d’appréhender une forme de psychothérapie assistée par psychédélique de manière très différente de ce qui est présenté dans de nombreux ouvrages. Ce n’est ni une théorie, ni un guide de recommandations ; toutefois les modalités d’exercice en individuel et en groupe y sont décrites ainsi que le positionnement du thérapeute au regard de ses références théoriques. Un des faits saillant de son histoire est l’origine de son désir de proposer des thérapies assistées. Bien avant la crise dite des opioïdes aux États-Unis, Leo Zeff souffrant de douleurs chroniques se confronte à une addiction à la codéine (un médicament opiacé qui apaise ses douleurs mais dont il se sent dépendant et mis en danger de mort par l’abus). C’est suite à une consommation d’Ibogaïne, une substance psychédélique, et aux éléments d’intégration a posteriori qu’il comprend comment arrêter. Il explique en fait «  qu’il a déjà arrêté », puisqu’au moment où il vit cette prise de conscience, il n’est pas à proprement parler en train de consommer de la codéine…

Les approches proposées par Grof (transpersonnelle) ou Zeff (humaniste) sont des exemples de thérapies dans lesquelles peuvent être utilisés les psychédéliques. D’autres modèles intègrent les substances. Au regard de la reprise accrue d’essais cliniques avec des protocoles de recherche correspondant aux attentes scientifiques et éthiques actuelles, des recommandations ont été produites. Notamment MAPS (2015), au début des années  2000 édite un Manual for MDMA-assisted PTSD therapy, qui ne cesse d’être réactualisé. Dès 2008, Johnson, Richards et Griffiths (2008) publient les Human Hallucinogen Research: Guidelines for Safety. En 2019, Friederike Meckel in Winkelman et Ben Sessa a rédigé un chapitre intitule «  Guidelines in Applying Psychedelic Therapies  ». L’année suivante, Sloshower, Guss et Krause (2020) sous l’égide de l’université de Yale, diffusent un Manual for psilocybin-Assisted Therapy of Depression. Ces documents présentent des différences au regard des pathologies à traiter (syndrome de stress post-traumatique, dépression résistante…) des molécules employées (MDMA, psilocybine…), des techniques thérapeutiques (approche non directive, ACT…). Toutefois, des points communs se retrouvent et font écho à ce qui a été présenté précédemment. Il faut attacher une importance particulière au set et au setting, par exemple à la musique. Il est important de respecter les trois étapes du soin  : préparation, session assistée avec la substance puis intégration. Les thérapeutes doivent être formés. Ce dernier point est d’ailleurs un des questionnements actuels dans la mesure où peu d’offres de formation reconnue existent. Les enjeux actuels autour des thérapies psychédéliques semblent résider pour beaucoup dans leur évaluation. Manoj Doss et  al. (2022) présentent des critiques sur des études récentes. L’utilisation de l’imagerie médicale et son interprétation sont des sources de débats. Par ailleurs, l’impossibilité de garantir une notion de double aveugle est aussi souvent présentée comme un défaut. C’est-à-dire qu’afin de comparer l’effet d’une substance par rapport à un placebo, les sujets et les thérapeutes ignorent au moment de l’étude si le

sujet reçoit la dose active ou le placebo. L’intensité des effets des psychédéliques fait qu’ils sont souvent perçus rapidement par les participants. Il s’agit d’une des limites du modèle de l’évaluation du médicament, dans la mesure où ce qui est engagé est une thérapie assistée et non pas un effet pharmacologique exclusif. L’évaluation relève donc d’autres critères et méthodes. Un exemple est le travail récent de Lana Strika-Bruneau et  al. (2023) sur l’articulation de la thérapie d’acceptation et d’engagement à la psychothérapie assistée par psychédéliques en addictologie. La question de la législation encadrant les substances psychédéliques est un second enjeu actuel. Tout d’abord l’évaluation en vie réelle de la balance bénéfices/risques de la consommation est biaisée. Les substances sont classées pour une immense majorité par les conventions internationales comme illicites, de ce fait les consommateurs ignorent souvent précisément les quantités voire les molécules qu’ils prennent. Par ailleurs, les thérapies et retraites underground, nonobstant les risques qu’elles font encourir aux patients et aux thérapeutes sur différents plans sont d’autant plus à risques de dérives qu’elles sont illégales.

L’expérience psychédélique, dans son aspect mystique La littérature récente semble montrer que les raisons qui amènent des personnes à s’intéresser aux psychédéliques sont diverses et non exclusivement à visée thérapeutique. Dans l’ouvrage La révolution psychédélique (Chambon et Morisson, 2020), le chapitre sur la psilocybine de Peyré répertorie les articles scientifiques sur le sujet, entre 2009 et 2019, selon six catégories  : l’intérêt neurobiologique, l’usage récréatif, le cadre socio-économicopolitique, les conséquences délétères, l’aspect thérapeutique et le rapport mystique. Chacun de ces axes est soumis à diverses controverses. L’intérêt neurobiologique, mis en avant en particulier par l’équipe de l’Imperial College de Londres au travers de ces nombreuses recherches

propose des pistes de compréhension de l’action des psychédéliques sur le cerveau. Cela pose pour certains des questions sur une vision matérialiste de l’expérience. Elle a aussi récemment été critiquée sur les protocoles de recherches utilisés, présentés comme en double aveugle, alors que cette condition n’est pas garantie, dans la mesure où les chercheurs et les sujets se rendent compte de la différence entre l’effet du placebo et celui de la molécule active. L’usage récréatif, est considéré par certains comme inapproprié et non respectueux des médecines traditionnelles, voire simplement sources de dangers inconsidérés dans des balances bénéfices/risques non établies et cela rappelons-le pour des substances, dans leur immense majorité, classées comme stupéfiants, au moins en France. Sur les différences de contextes socio-économiques et politiques, il est à noter des évolutions législatives notamment avec des états américains proposant la légalisation de plusieurs plantes et champignons, des pays reconnaissant des indications thérapeutiques comme le Canada et l’Australie. Corollaire de ces changements (causes et/ou conséquences), des marchés économiques importants sont en jeu avec leur lot de questionnements éthiques. Les effets délétères de l’utilisation des psychédéliques sont moindres que ceux de beaucoup d’autres psychotropes, comme l’indique notamment Gable (2004)  ; toutefois, leur consommation n’est pas sans risques. La Société psychédélique française vient d’éditer un ouvrage de réduction des risques liés à l’utilisation des psychédéliques, accessible gratuitement en ligne. Le dernier axe, sur l’aspect mystique est particulièrement sujet à controverse, en fonction des attributions et définitions qu’on lui donne, il est aussi un point saillant sur les liens entre psychédéliques et transes. ’

L’expérience mystique dans le cadre d’une consommation de substance psychédélique a particulièrement été étudiée par l’équipe de Roland Griffiths du Johns Hopkins Hospital de Baltimore. Les éléments ci-dessous sont notamment issus d’un article de 2018 de Barret et Griffiths (2018). Définitions Le travail de l’équipe du Johns Hopkins se base sur deux définitions. Selon Watts (1970), l’expérience mystique correspond aux « états de conscience particuliers dans lesquels l’individu se découvre être un processus continu avec Dieu, avec l’Univers, avec le Grand Tout, ou quel que soit le nom qu’il peut utiliser par conditionnement culturel ou préférence personnelle pour l’ultime vérité éternelle  ». Antérieurement Stace, en 1960, a décrit un sentiment d’unité, ou l’expérience de devenir un avec tout ce qui existe. L’expérience relève de six dimensions  : le sacré, la qualité noétique, l’humeur positive profondément ressentie, l’ineffabilité, la paradoxalité et la transcendance du temps et de l’espace. Une échelle d'évaluation de l'expérience mystique MEQ 30 issue de cette conception a d'ailleurs été traduite récemment en français par Fauvel et al. L’expérience du Vendredi Saint L’expérience dite du Vendredi Saint est décrite par J.-P.  Valla dans son ouvrage L’expérience hallucinogène de 1983. Walter Pahnke (1962) propose à des séminaristes dans une chapelle privée de participer à une étude ce fameux jour. Dix sujets reçoivent 30 mg de psilocybine et dix autres 200  mg de sels nicotiniques (considérés comme placebo). Sur un suivi de six mois avec un questionnaire évaluant l’expérience mystique selon les critères de Stace 30 à 40 % des sujets ayant reçu la psilocybine décrivent une expérience mystique et aucun pour le groupe contrôle (composé des sujets ayant reçu le placebo). Cette expérience souffre d’un certain nombre de biais  ; toutefois, il est intéressant de noter que Rick Doblin (1991), vingt-cinq ans plus tard a retrouvé seize des vingt sujets. Il a constaté peu de variations en

faisant passer de nouveau les questionnaires et que les participants ayant reçu la psilocybine estiment avoir eu des changements positifs persistants dans leur vie. Dans une étude récente (2006) réadaptant le protocole de Pahnke, Griffiths et ses collègues ont démontré une fréquence assez élevée «  d’expériences mystiques complètes  » pendant les séances de psilocybine (61  % des participants), mais pas pendant les séances de placebo actif (méthylphénidate de cette expérience) pour 11 % des participants. ’ La DMT, diméthyltryptamine est souvent décrite comme pouvant induire des expériences particulières au regard d’autres psychédéliques, notamment la rencontre avec des entités. L’objectif de Davis et al. (2020) est de caractériser les phénomènes subjectifs, l’interprétation et les changements persistants associés à la consommation de cette molécule lorsqu’elle est inhalée. La méthode utilisée est celle d’un sondage en ligne à propos de la rencontre avec une entité la plus mémorable chez des consommateurs (entre février et décembre 2018). 2  561 sujets ont répondu (avec un âge moyen de 32 ans et pour 77 % des hommes). Les principaux résultats de cette enquête indiquent  que les sens impliqués majoritairement sont visuels et extrasensoriels (comme la télépathie). Les consommateurs disent avoir rencontré des êtres, guides, esprits, extraterrestres ou encore ce qu’ils qualifient d’aides. 41 % ont eu peur lors de l’expérience, pourtant les émotions les plus importantes ressenties et attribuées à l’entité sont  : l’amour, la gentillesse et la joie. Pour la majorité des répondants, l’entité est décrite comme consciente, intelligente et bienveillante, dans une dimension réelle mais différente de notre réalité partagée et elle continue d’exister après la rencontre. 69  % des participants disent avoir reçu un message pendant leur expérience et plus 50  % de ceux qui se considéraient comme des athées avant, ne s’identifient plus comme tel après. Ils estiment globalement que cette expérience

appartient aux plus significatives de leur vie et relèvent des changements positifs persistants satisfaisants. De nombreuses limites et des biais sont inhérents à ce type d’études en vie réelle par sondages sur internet, notamment un biais de sélection des participants. À défaut de pouvoir comparer à d’autres populations les effets ressentis lors de la consommation de DMT, cette recherche permet d’un point de vue descriptif d’établir des données autour du vécu de plus de 2 500 consommateurs.

Pour conclure Si on considère qu’être en transe nécessite un état de conscience modifié et que cet état provoqué de manière plus ou moins brusque est discernable par la personne elle-même  ; les substances psychédéliques dans des contextes donnés peuvent induire une transe. Différentes motivations peuvent amener des personnes à rechercher cet état. Il convient de connaître au mieux les substances et d’appréhender dans de bonnes conditions de set et setting l’expérience pour obtenir les effets escomptés et limiter les risques associés. Du point de vue de l’utilisation thérapeutique, Albert Hofmann avec un vocable de 1979, dit «  Si l’on arrivait à savoir mieux utiliser dans une pratique médicale en relation avec la méditation, les capacités du LSD à provoquer des expériences visionnaires dans certaines conditions, alors, je crois que d’enfant terrible, il pourrait devenir enfant prodige. »

Notes 1. Diagramme de Venn des https://www.respadd.org/produits/diagramme-de-wenn

Drogues



RESPADD.

Focus 44 La menace du Shadow King

Emmanuel Pasquier Culture marginale dans les années 1970, le monde des super-héros est devenu une composante majeure de notre monde actuel. Une composante qui a fortement à voir avec les modifications de conscience1.

« Shazam » Par cette célèbre formule, le jeune orphelin Billy Batson se transforme en Captain Marvel, condensant en lui les pouvoirs conjugués de Salomon, Hercule, Atlas, Zeus, Achille et Mercure, dont les initiales forment l’acronyme « Shazam ». Ce moment de transfiguration, par lequel l’homme ordinaire devient le super-héros, est l’un des gestes les plus constitutifs de l’imagerie des super-héros. C’est Clark Kent ouvrant sa chemise sur le « S » de Superman, Peter Parker passant son masque de Spiderman, Bruce Banner se transformant en Hulk… Pour le lecteur, cette transfiguration est le moment du basculement dans l’univers des super-héros, moment de l’irruption du fantastique dans un univers réaliste. Cela peut se faire de manières multiples. L’univers des super-héros est une machine à recycler les imaginaires. Il n’y a guère de figure, naturelle, culturelle, littéraire, religieuse, technique, qui ne fasse l’objet d’une traduction dans l’univers des superhéros  : l’électricité, la bombe atomique, le voyage spatial, les animaux, la ville, les dieux des divers panthéons, le sable… Tout peut être repris et reformulé sous la forme d’un personnage costumé, qui tirera ses pouvoirs de cette force élémentaire qui lui confère sa physionomie propre et déterminera de manière allégorique les scénarios types qui lui sont liés. Il n’est pas étonnant, de ce point de vue, que l’on rencontre un certain nombre de super-héros mettant en œuvre des états modifiés de conscience et dont le pouvoir consiste à atteindre et traverser d’autres plans

d’existence, qui sont autant de nouveaux décors pour leurs aventures  : Docteur Strange, Shaman, Docteur Druide, ou encore Docteur Psycho… Parmi les plus célèbres, on peut citer le Professeur X, ou Professeur Xavier  : le fondateur des X-Men, à la silhouette caractéristique, chauve et cloué à un fauteuil roulant, est un mutant doté de puissants pouvoirs psychiques. Télépathie, télékinésie, mais aussi la faculté de sortir de son corps et d’atteindre un plan astral où il peut se confronter à d’autres esprits. C’est là, par exemple, que, sous la plume du dessinateur John Byrne, dans un scénario de Chris Caremont, on le voit combattre Amahl Farouk, le « Shadow King »2. Alors que les deux adversaires sont physiquement assis immobiles l’un en face de l’autre dans un salon égyptien, leurs projections astrales se détachent de leurs corps. Farouk crée alors mentalement la vision d’une sorte de ring spatial, suspendu dans un décor interplanétaire. Xavier est d’abord impressionné par la manifestation de cette énergie psychique, si puissante qu’elle est capable de créer des effets spéciaux, traduisant visuellement les forces psychiques. Alors que le combat commence, leurs corps astraux se dotent de lourdes armures. Xavier résiste aux assauts, mais Farouk se moque de lui, révélant l’illusion dans laquelle il a entraîné son adversaire : « Tu te bats bien avec un sabre, lui dit-il, mais ce talent n’est qu’une illusion. Le “grand jeu” se joue sur mille différents niveaux à la fois ! Je peux passer d’un niveau à l’autre à la vitesse de la pensée. Aussitôt que tu as déjoué l’un de mes stratagèmes, je suis passé à un autre ! » On voit que la gageure pour les auteurs est de représenter graphiquement ce que peut être un combat psychique. Saisi dans les images du comic-book, il est présenté comme un combat physique, entre deux samouraïs semi-transparents sur fond noir, tout comme les deux adversaires le visualisent. Mais cette représentation graphique n’est qu’une métaphore de la réalité du combat psychique, et c’est parce que Farouk entraîne Xavier dans la métaphore qu’il a, lui, créée, qu’il a d’abord l’avantage. « Des boucliers peuvent te protéger d’une attaque frontale, lui déclare-t-il encore, mais nous sommes dans le domaine de l’esprit, et les seules lois naturelles sont les limites de mon imagination ! » Façonnant la réalité dans laquelle ils semblent s’inscrire, Farouk contrôle les forces qui s’y exercent, et peut déjouer le face-à-face apparent qu’il a créé, pour frapper son adversaire dans le dos. La victoire finale de Xavier vient de ce qu’il parvient à sortir de la métaphore que lui impose son adversaire  : «  Farouk se joue de moi, il mélange vérité, demi-vérité et fausseté, et je n’arrive pas à voir lequel est lequel !... Je continuerai de perdre tant que je resterai dans les termes de Farouk. J’ai traité ce combat comme s’il était physique, essayant de vaincre son pouvoir d’illusion, alors que la seule chose qui compte, c’est de battre son pouvoir brut.  » Alors que le corps astral de Farouk prend des formes de plus en plus monstrueuses, « comme un caméléon, chaque fois plus horrible que le précédent », celui de Xavier se fige en forme humaine comme une statuette de diamant. Concentrant son énergie psychique purifiée de toute imagerie, comme un laser, il frappe son adversaire, provoquant une explosion de lumière « comme une supernova », qui est l’image non représentable de l’énergie psychique dans son état pur. L’esprit vaincu, brûlé par cette pure lumière, le corps de Farouk s’effondre sur la table du salon, mort.

Le contrôle du réel L’intérêt de cette séquence est qu’elle met en scène le combat psychique comme un combat pour le contrôle de la représentation du réel. Et que celui qui gagne est, finalement, celui qui abandonne la volonté de représenter le plan astral sous la forme métaphorique d’un autre monde physique –  à travers une gradation  : corps transparents, corps en armure, monstre enflammé – pour se rendre à son essentielle non-représentabilité, sous la forme d’une pure lumière. Métaphoriquement, ce combat astral nous parle aussi du rapport à la réalité dans la littérature de superhéros. Dans celle-ci, la projection dans un plan psychique astral, n’est, au fond, qu’un cas de figure parmi de multiples possibilités d’autres mondes  : Atlantide, Enfers, Monde du Cauchemar, Univers parallèles, monde infra-atomique, Bizarro World (la planète « Htrae », inversion de « Earth »)… On pourrait aller jusqu’à dire que chaque superhéros ouvre un plan qui lui est propre, avec une ambiance et des éléments narratifs spécifiques  : scénario de l’origine, costume, pouvoirs, décors, alliés, adversaires… – qui se combinent ensuite avec les autres, dans une démultiplication des univers qui confine parfois au délire. S’il y a état de conscience modifiée, ici, c’est d’abord l’état de conscience des lecteurs, qui acceptent d’entrer dans cette hallucination littéraire où le pyjama coloré est roi. «  Momentary suspension of disbelief3  », selon la célèbre formule de Coleridge4, qui n’est pas si facile à obtenir et se heurtera toujours à un certain esprit de sérieux, repoussant ces enfantillages. De par son caractère désordonné, son hétéroclitisme triomphant, son caractère très répétitif, la littérature de super-héros demande un état d’esprit particulier, qui ménage un certain esprit d’enfance dans l’adulte, pour le meilleur (aventure, humour, ouverture sur des univers très originaux) et parfois le pire (régression, compulsion de répétition)…

Le combat du Professeur X contre le Shadow King nous parle, d’une certaine façon de cette tension entre l’irréel et le réel, de ce point où l’on accepte, ou bien où l’on refuse notre « suspension d’incrédulité » : moi, le lecteur, vais-je me laisser happer par une simple succession désordonnée de métaphores  ? Ou bien, à travers ces images, vais-je être capable de retrouver ma forme humaine, quelque chose qui fasse sens  ? Contre les illusions de son adversaire, la démesure fictionnelle du Shadow King, le Professeur X retrouve la mesure du réel. Mais, ne l’oublions pas, il s’agit de la réalité propre du plan astral : manière de rappeler que la fiction n’est pas simplement l’illusion.

Notes 1. Article initialement publié dans la revue Transes n° 7.

2. Uncanny X-Men, 117, Marvel Comic Books, janvier 1978/Spécial Strange n° 21, éditions Lug, août 1980 pour l’édition française. 3. « Suspension momentanée de l’incrédulité ». 4. Samuel Taylor Coleridge, Biographia Literaria, 1817.

Chapitre 45 Relaxation et sophrologie

Nathalie Baste Depuis la nuit des temps, il existe des pratiques, qui en évoluant ont pris la forme des méthodes de relaxation que nous connaissons. Nous en trouvons les traces dans des dessins, des écrits, des descriptions de situations, ou d’expériences. De nos jours, les pratiques de relaxation sont nombreuses et se proposent d’améliorer le bien-être et également de participer au maintien de la santé ou d’apporter un plus, un complément aux thérapeutiques médicales lorsque celle-ci se dégrade. Cela signifie que les pratiques de relaxation couvrent à la fois, les champs du bien-être, de la prophylaxie et du thérapeutique en complément à d’autres réponses thérapeutiques. Les pratiques de relaxation induisent, par suggestions et autosuggestions, un relâchement musculaire et des réactions physiologiques comme une diminution de la fréquence cardiaque et respiratoire et un léger abaissement de la température corporelle. Dans L’Aide-Mémoire Méthodes de Relaxation (Baste, 2016), nous avions effectué un classement en trois parties  : Les méthodes traditionnelles (le yoga, le zen…), les méthodes de type hypnotique (le training autogène de Schultz, la méthode Vittoz, la méthode Sapir, la sophrologie…) et les méthodes psychomotrices (Méthode de Jacobson, l’eutonie de Gerda Alexander, la méthode Bergès…). Nous pouvons convenir que toutes ces pratiques ont la capacité d’amener un état de transe  ; cependant les méthodes de type hypnotique sont celles qui cherchent, par induction, à obtenir un état de transe, le maintenir et d’effectuer un travail dans cet état. C’est la raison pour laquelle, ce chapitre se penchera sur ces méthodes de type hypnotiques. Dans un premier temps, nous présentons les deux pratiques de relaxation hypnotiques (celles qui provoquent une transe) les plus utilisées actuellement, le training autogène de Schultz et la sophrologie.

Les pratiques de relaxation – le training autogène

Johannes Heinrich Schultz (1884-1970) a apporté sa méthode de relaxation après une courte cure psychanalytique auprès de S.  Freud. Il avait entrepris cette psychanalyse pour traiter la dépression dont il souffrait. Son idée fut de mettre en place, d’un point de vue pratique et théorique, une méthode où le patient serait complètement acteur de sa problématique. Il définit la relaxation thérapeutique autogène comme «  ayant essentiellement pour objet de permettre au patient d’accomplir cette déconnexion suggestive spécifique de type hypnotique par un mécanisme d’autosuggestion » (Schultz, 1958). Pour lui, la relaxation est un état qui découle d’une autosuggestion et apporte un niveau de conscience modifié. Il pratique puis théorise sa méthode vers les années  1908-1912. Pour cela, il s’inspire de l’hypnose, de la psychanalyse et des travaux de Vogt sur la suggestion. Il présente deux cycles. Le cycle inférieur qui est une méthode de relaxation superficielle et profonde et le cycle supérieur qui correspond aux principes du rêve éveillé.

Les conditions matérielles de la pratique sont simples  : Il s’agit de s’installer dans une pièce calme, dans le silence si possible, la lumière sera tamisée, la température idéale, les vêtements confortables. Le sujet adopte la position allongée sur le dos ou en « cocher de fiacre » décrit Schultz avec un maximum de confort afin de favoriser la relaxation. Il convient de pratiquer régulièrement, au moins deux fois par jour. Séquence 1 – Installer le calme La première induction est celle du calme  : le sujet se répète mentalement la formule « je suis tout à fait calme ». Séquence 2 – Installer la lourdeur Lorsque ce temps d’installation et de détente a eu lieu, nous passons au premier exercice proprement dit  : Exercice de lourdeur ou pesanteur.

Le sujet se répète mentalement : « mon bras droit est lourd, tout à fait lourd », « mon bras gauche est lourd tout à fait lourd », « ma jambe droite est lourde tout à fait lourde », « ma jambe gauche est lourde tout à fait lourde », « mes deux bras et mes deux jambes sont tout à fait lourds », « Tout mon corps est lourd, tout à fait lourd ». À la fin de chaque séquence, le sujet prend le temps de retrouver un certain tonus musculaire. Il prend conscience de ses muscles et de sa respiration. Séquence 3 – Installer la chaleur superficielle « mon bras droit est chaud, tout à fait chaud », « mon bras gauche est chaud tout à fait chaud », « ma jambe droite est chaude tout à fait chaude », « ma jambe gauche est chaude tout à fait chaude », « mes deux bras et mes deux jambes sont tout à fait chauds », « Tout mon corps est chaud, tout à fait chaud ». Séquence 4 – Percevoir les battements cardiaques « mon cœur bat calme fort » (Formule de Schultz) Séquence 5 – Sentir la respiration « je respire calmement » ou « ça respire profond en moi. » Toute son attention est portée sur son rythme respiratoire tel qu’il est. Séquence 6 – Installer la chaleur profonde « mon plexus solaire devient chaud, tout à fait chaud, agréablement chaud.  » Cette chaleur peut se diffuser dans l’abdomen ou dans le dos, ou dans tout endroit du corps. Séquence 7 – Installer la fraîcheur «  Mon front est frais, agréablement frais., une douce fraîcheur se pose sur le front et reste aussi longtemps que je le souhaite. » Cette fraîcheur peut se diffuser dans tout autre endroit du corps si besoin.

Séquence 8 – La couleur « Je laisse venir une couleur devant moi… je la regarde simplement et tranquillement »

Celui-ci n’est pas autogène et se poursuit avec un professionnel formé au Training autogène complet. Étape 1 Il s’agit de certains exercices traditionnels du yoga et du zen qui consistent à tourner les globes oculaires vers le haut et le centre du front. Le sujet laisse surgir de son imagination une couleur comme dans la séquence 8 ci-dessus. Ensuite, le praticien lui propose un travail de vision mentale d’une série de couleurs. Schultz avait remarqué une corrélation entre le choix de la couleur initiale, puis de la série de couleurs et les affects du sujet. Étape 2 On demande au sujet de se laisser porter par ses représentations imaginaires et de laisser venir des objets abstraits comme la justice, l’amour, le bonheur, la loyauté, etc. À ce moment-là, des impressions sensorielles apparaissent et se superposent aux objets eux-mêmes. La pratique répétée de ce cycle supérieur conduit à de véritables phénomènes de catharsis proches de ce qui advient au cours de la cure analytique. Étape 3 On demande au sujet de laisser « se dérouler en lui, le symbole ou l’expression de l’état d’âme  » de la façon la plus intense possible, puis de voir une personne déterminée de la façon la plus concrète possible. La finalité de cette vision est d’offrir non seulement des possibilités de catharsis, mais également de conduire à une distanciation par rapport à un sujet donné.

Étape 4 On demande au sujet d’approfondir des interrogations de nature philosophique, existentielle ou métaphysique, comme le sens de la vie, la place de l’homme dans l’univers, le sens de sa propre existence, la notion de bien et de mal… Ce travail, selon les propres termes de Schultz, remue profondément la personnalité du sujet, et lui demande de s’inscrire dans le temps, lors de séances individuelles très cadrées et répondant à un projet thérapeutique bien défini.

La sophrologie La sophrologie est une méthode de relaxation complète qui travaille à partir d’un état de transe appelé «  état sophronique  » ou « sophroliminal ». Elle a été théorisée en 1960 à Madrid par Alfonso Caycedo (1934-2017). Ses origines sont multiples car A.  Caycedo connaît l’hypnose, le training autogène, la relaxation de Jacobson ainsi que le yoga, le zen ou encore la méditation. Médecin psychiatre, il étudie la phénoménologie en Suisse avec Binswanger puis entreprend un voyage en Orient. Il pratique alors le yoga aux Indes, le bouddhisme au Tibet et s’initie au zen au Japon. Il pratique ces méthodes orientales de façon authentique et phénoménologique. C’est à partir de ce travail difficile, contraignant et accompli dans une grande rigueur qu’A. Caycedo pose les bases de la méthodologie de la sophrologie dont nous verrons plus bas, les principes de base. En 1960, A.  Caycedo propose trois degrés de la relaxation dynamique. «  Cette méthode d’entraînement (...) condense en une synthèse originale certains procédés d’activation psychophysique issus de pratiques orientales. Ces techniques, rendues assimilables par les Occidentaux et dépouillées de tout contenu magique ou religieux, ont été longuement expérimentées par A. Caycedo et sélectionnées pour leur grande efficacité. Etchelecou (2017) nous rappelle que

chacun des trois degrés fondamentaux de la relaxation dynamique engage à un abord singulier de l’univers personnel, en relation avec les approches orientales qui les inspirent. » Le mot « sophrologie » vient du grec sos, qui signifie « sain », « harmonie », phren, qui signifie «  esprit  », «  conscience  » et logos, qui signifie «  étude  », «  discours  ». Ainsi, la sophrologie est une sorte d’étude de l’harmonie de l’esprit ou d’étude de l’esprit en harmonie. Un de ses aspects est d’étudier la conscience humaine dans le but d’atteindre un certain niveau d’harmonie ; en cela elle possède un versant éducatif, un versant prophylactique et un versant thérapeutique.

«  La sophrologie comporte plusieurs niveaux d’expérimentation et présente cette particularité de se pratiquer dans différentes positions (debout, assis et allongé) et de façon immobile ou en mouvement. Le premier principe de la sophrologie est de s’installer dans un état «  sophro-liminal  » ou «  sophronique  » qui est identique, d’un point de vue neurophysiologique, aux états de relaxation obtenus par une autre méthode. Le deuxième principe est d’effectuer, dans ce niveau de conscience sophronique, des exercices de visualisation répondant à des nécessités thérapeutiques ciblées  : sophroacceptation-progressive pour envisager autrement un événement douloureux ou difficile, sophro-substitution-sensorielle, dans un but analgésique où l’on se propose de remplacer une sensation par une autre (douleur par chaleur ou fraîcheur). Nous utilisons pour cela les images ou métaphores apportées par le patient. » (Baste, 2014). La sophrologie possède un statut particulier car elle s’inspire de différentes méthodes, d’origines diverses, orientales mais se veut accessible au monde occidental. Nous allons reprendre ici quelques notions développées dans l’Aide-Mémoire Sophrologie en 68 notions (Baste, 2014). Dans cet ouvrage, tous les exercices ainsi que leurs explications et indications ont été décrits.

Les principes de la sophrologie

Le schéma corporel est une notion complexe. En sophrologie, il correspond à la base de la conscience. Le schéma corporel désigne le dessin du corps, la forme du corps (le schéma), les sensations du corps (les mouvements, même minimes ou imperceptibles) et la représentation que le sujet a de son corps. Or nous savons que nous ne nous voyons jamais tels que nous sommes, mais plutôt tels que nous croyons être, tels que nous aimerions être ou encore tels que nous croyons que les autres nous voient. Si le décalage entre l’image réelle et l’image imaginaire est peu important, tout se passe à peu près bien, par contre si ce décalage est trop important, nous sommes en présence de mal-être ou de pathologies diverses. La sophrologie peut permettre au sujet d’investir ou de réinvestir son corps de la façon la plus précise, la plus réaliste possible dans le vécu de l’instant présent. Cela se travaille peu à peu dans le parcours thérapeutique. Il s’agit de sentir puis de prendre conscience de ses propres sensations ici et maintenant. Nous savons qu’une sensation peut être définie comme une information transmise de nos récepteurs externes ou internes aux centres nerveux qui la traitent immédiatement. Dans cette sensation, le sujet part, dans un premier temps, de ce qui est et non de ce qu’il veut atteindre, cela vient dans un deuxième temps. Donc, peu à peu et par la répétition de cette prise de conscience corporelle, nous permettrons une certaine coïncidence de l’image imaginaire du corps et son image réelle.

Le terme d’action employé ici montre le dynamisme du travail effectué par le sujet, dans une position active.

Le principe est simple : toute action dirigée vers un des éléments de la conscience se répercute sur les autres éléments de la conscience. Cela signifie qu’une sensation corporelle «  positive  » agit de façon positive sur le mental et que toute pensée ou image mentale « positive » agit de façon positive sur le corps. Le principe d’action positive permet au sujet de concevoir les événements d’une façon différente, de les vivre au plus près de ce qu’ils sont et non comme il les perçoit et d’en tirer tout le bénéfice possible dans une perspective constructive. Ce travail s’effectue en appui sur l’imaginaire du sujet et du thérapeute. À  ce niveau d’élaboration, les images ne sont pas interprétées  ; ce qui est attendu est une certaine mise à l’œuvre dynamique chez des patients dépassés par ce qui leur arrive et souvent démunis.

Il concerne aussi bien le patient que le sophrologue. Comme nous l’avons indiqué plus haut, la sophrologie nous permet de voir les choses au plus près de ce qu’elles sont et non pas comme nous croyons qu’elles sont ou comme nous souhaiterions qu’elles soient. La réalité objective nous permet également de connaître et de reconnaître nos désirs profonds. Si nous parvenons à mieux entrer en contact avec ce qui nous pousse à agir de telle ou telle façon, nos comportements prennent sens et nous pouvons, peu à peu, les modifier ou les renforcer. Cette notion se réfère à la phénoménologie, en effet, nous nous intéressons au phénomène même et non à l’apparence du phénomène.

Dès que deux personnes se rencontrent une certaine alliance se crée. Dans le domaine de la psychothérapie cette notion est particulièrement observée et étudiée. S. Freud a parlé de transfert et de contre-transfert.

A. Caycedo en élaborant son propre vocabulaire a logiquement parlé d’alliance sophronique, en appui sur la notion d’alliance thérapeutique. Il entend par là une relation privilégiée entre «  deux sujets responsables ». Cette relation sujet-sujet n’est possible que si le sophrologue est lui-même entré dans sa « réalité objective » et se trouve capable de ne pas mélanger sa problématique personnelle avec celle du patient. Nous observons souvent, en début de thérapie et cela sur une certaine durée variable, une relation anaclitique où le patient exprime son besoin d’être en présence du sophrologue de le voir et de l’entendre. Ce phénomène qui évoque une certaine dépendance est nécessaire dans le processus d’apprentissage et conduit le sujet à trouver par lui-même, dans l’alternance des séances en présence du thérapeute et des séances qu’il effectue seul, sa propre autonomie. terpnos logos Dans toute séance de sophrologie et tout au long de la séance, l’outil majeur utilisé est le terpnos logos. Cette expression est empruntée au grec. Nous la trouvons dans l’Odyssée où Ulysse blessé par un sanglier est soigné par des herbes et des incantations prononcées dans un terpnos logos. En sophrologie comme dans toute méthode de relaxation, le sophrologue adapte sa rhétorique dans le fond et la forme au dispositif. Sa voie est posée et les termes sont choisis pour favoriser l’entrée et le maintien au niveau sophroliminal.

Cette notion fondamentale dans toute thérapie a été mise en avant de façon considérable en sophrologie, où A.  Caycedo a voulu en faire l’objet de l’étude de la sophrologie. Il la définit comme le mécanisme intégrateur supérieur de tous nos processus physiques, psychiques ou spirituels. Il n’en fait pas une étude purement

philosophique. Tous les philosophes depuis les âges les plus anciens se sont intéressés à la conscience, en ont fait un objet d’étude, ont tenté de la définir et de l’explorer, à leur manière. La façon dont A. Caycedo l’aborde est originale

Les états et les niveaux de conscience selon Caycedo Il nous propose de différencier deux notions  : les niveaux de conscience qui sont d’ordre quantitatif et les états de conscience qui sont d’ordre qualitatif. En ce qui concerne les niveaux de conscience, nous pouvons distinguer par ordre croissant, le coma, le sommeil (avec ses différents stades), la veille et la veille attentive. Classiquement entre veille et sommeil, se situe le niveau sophroliminal. Notons que c’est à ce niveau que se situe également le niveau hypnotique. C’est à ce niveau que les sensations sont le plus finement perçues et réappropriées, que les suggestions du thérapeute sont le plus facilement et finement intégrées. Il s’agit d’un lieu essentiel en sophrologie ; il convient d’apprendre à le repérer et de pouvoir s’y replacer de plus en plus facilement, à chaque fois que le sujet le souhaite. Les états de conscience sont au nombre de trois  : la conscience ordinaire, la conscience pathologique et la conscience sophronique. ● La conscience ordinaire ou conscience naturelle est l’état de conscience dans lequel tout sujet se trouve la plupart du temps en dehors de toute maladie. ● La conscience pathologique définit cet état connu de tous lorsqu’une maladie survient. En effet le moindre trouble, une fièvre, une douleur a une incidence sur notre conscience. Ce trouble définit ce qu’A.  Caycedo appelle la conscience pathologique. Pour lui toute maladie procède d’un accident existentiel. Nous entrons dans cet état de conscience pathologique de façon plus ou moins importante et de façon temporaire ou définitive.



La conscience sophronique se définit pour A. Caycedo par cette possibilité que possède chaque sujet de pouvoir acquérir un état de conscience « plus large », « plus éveillé ». Elle consiste en une espèce de «  conscience supérieure  » que le sujet peut habiter de façon transitoire ou définitive. Cet état relève du domaine de « l’euphronie. »

Les sophronisations

La sophronisation de base est le point de départ de tout travail en sophrologie. Le but de cette première phase, entre veille et sommeil, est d’atteindre un niveau abaissé de la conscience que l’on appelle le niveau sophroliminal ou niveau sophronique. Le consultant est en position debout, assise ou allongée. La position de départ est discutée avec lui et il convient que toutes les positions soient expérimentées au cours de la thérapie. Les différents choix exprimés par le patient s’effectuent en fonction de ses propres représentations et revêtent donc des éléments importants de compréhension et d’analyse. Par le terpnos logos le sujet explore son corps de façon précise et complète, ce qui lui permet d’atteindre un niveau abaissé de la conscience. Il s’agit d’une induction plus ou moins lente, particulièrement lente en début de thérapie et de plus en plus rapide. Ce temps attribué à la sophronisation de base constitue les fondements de la thérapie et s’adapte à chaque patient. Il convient de lui laisser le temps dont il a besoin. Ainsi le sophrologue s’accorde au sujet, à la manière décrite par Daniel Stern  ; nous sommes en présence d’un véritable accordage de personne à personne, tout à fait essentiel pour le travail mis à l’œuvre. Dans un deuxième temps ou de façon concomitante, la sophronisation de base permet une perception de plus en plus fine de son schéma corporel.

La décontraction musculaire, qui se produit lors de cette phase au cours de chaque séance, n’est qu’un aspect de la relaxation et n’est pas indispensable pour induire le niveau sophroliminal. Ce qui est recherché à chaque séance et qui s’installe au fur et à mesure du parcours, est la présence à soi et le vécu de l’instant présent. La sophronisation de base dure entre dix et quinze minutes en début de thérapie et se fait de façon de plus en plus rapide par la suite. Elle est suivie par différents exercices de visualisation dont nous parlerons plus bas et se termine par un temps de reprise, de sortie appelé le temps de désophronisation. Ce dernier temps de la séance est très important car il permet au patient de retrouver son niveau de conscience habituel.

La finalité de cet exercice est de transformer une sensation par une autre. Par exemple, en cas de douleur, il s’agit de changer une sensation douloureuse par une autre sensation telle que la chaleur ou la fraîcheur, la lourdeur ou la légèreté ou d’autres sensations que le sujet perçoit. Nous remarquons qu’en ce qui concerne les céphalées et les migraines, les consultants choisissent le plus souvent la sensation de fraîcheur sur le front, en ce qui concerne les maux de ventre, ils choisissent plus souvent la sensation de chaleur et en ce qui concerne les lombalgies, ils choisissent indifféremment les deux sensations de chaleur ou de fraîcheur. Ces deux sensations de chaud ou de froid sont celles qui sont le plus souvent ressenties, viennent ensuite les sensations de lourdeur, puis de légèreté. Plus rarement, apparaissent des visualisations de couleurs spontanées sur la partie douloureuse du corps.

La sophro-acceptation-progressive est un exercice de futurisation proposé dans certains cas. Il consiste, en niveau sophroliminal, à

envisager une situation à venir qui pose problème, qui est angoissante. Le principe est de visualiser l’événement de la façon la plus positive possible dans le but de l’accepter progressivement et d’en dégager tous les éléments positifs. Ces exercices de sophro-acceptation-progressive sont fréquemment utilisés pour les préparations sportives, la préparation aux examens, la préparation à la naissance, etc. En cas de douleur, la sophro-acceptation-progressive est pertinente pour envisager par anticipation et en niveau sophroliminal, des événements redoutés où la douleur vient prendre une place considérable. Ainsi le sujet est-il invité à visualiser de façon positive l’événement à venir. Cela peut concerner un moment agréable de la vie comme une soirée entre amis ou en famille, où le sujet redoute d’être envahi par ses douleurs ou bien un acte médical (une consultation médicale ou infirmière) ou un geste chirurgical.

Les trois degrés de la relaxation dynamique La relaxation dynamique comporte de nombreux degrés (douze à ce jour) dont les trois premiers sont fréquemment utilisés. Ces trois degrés de la relaxation dynamique ont été conceptualisés par A.  Caycedo dès 1960 et reprennent des méthodes orientales, adaptées aux Occidentaux et dépouillées de toute référence magique ou religieuse.

Elle est inspirée du Rajah Yoga. Les principes de la relaxation dynamique du premier degré reposent sur une série d’exercices que le sujet apprend en présence du sophrologue et reprend seul dans un entraînement le plus régulier possible pour lui. Lors de ces exercices, tout le corps est mobilisé petit à petit en fonction de chaque sujet. Tous ces exercices sont effectués en niveau sophronique, accordés sur le rythme respiratoire

et dans une dynamique d’unité psychocorporelle en incorporant toutes les réalités présentes à chaque instant y compris bien sûr les sensations désagréables telle que la douleur. Ils permettent de dynamiser la conscience du schéma corporel dans une intégration de plus en plus fine. Il s’agit, en position debout de stimuler tout le corps peu à peu et d’accorder les mouvements à la respiration, comme, lever les bras à l’inspiration et les descendre à l’expiration. Entre chaque phase de stimulation, nous proposons une phase de récupération qui permet une intégration des sensations perçues. Ainsi le sujet entre-t-il de façon très fine dans ses perceptions et sensations lors des deux phases de tension et de détente neuromusculaires. En cela cette série d’exercices ne constitue pas des séances de gymnastique, n’est jamais proposée en forçage mais bien au contraire dans le respect des possibilités, des demandes et des représentations des patients. La pratique du premier degré s’appuie sur le principe de tensiondétente en harmonie avec la respiration. Ainsi le sujet expérimente-til une certaine concentration de ses perceptions musculaires et de ses sensations lors des temps de récupération-détente. Ces premiers exercices de la relaxation dynamique font souvent prendre conscience au sujet de certaines zones de blocage où s’exercent de fortes tensions neuromusculaires. Ces zones de blocage procèdent d’une certaine dynamique symbolique propre à chaque sujet que nous retrouvons néanmoins de façon classique au niveau du front et de la petite zone entre les yeux (zone de la raison, de la volonté), de la bouche (zone de la communication et du plaisir oral), de la gorge (située entre l’intellect et l’affect, entre la tête et le thorax), du thorax (zone du cœur qui symbolise les sentiments d’amour et de haine, ainsi que la vie et la mort), du plexus solaire (point qui relie le haut et le bas, la raison, les affects et l’instinctivomoteur), du point hara (situé sous l’ombilic, il symbolise l’être) et du périnée (zone du sexuel, du sacré, du secret). Les exercices du premier degré peuvent ainsi révéler toute une symbolique classique et également singulière à chacun.

La relaxation dynamique du premier degré, divisée en deux parties, propose deux séries d’exercices  : la sophro-attention (RD1A) et la méditation sophronique (RD1B). La RD1A se compose d’exercices de chauffage corporel, d’exercices respiratoires, de gestes du cou, des bras et un temps de récupération en position allongée à la fin de chaque séance. La RD1B se compose d’exercices des poignets et des mains, d’exercices abdominaux, de rotations autour du bassin, un travail sur les jambes et introduit en milieu de séance un temps de méditation sur un objet qui approfondit le niveau de la détente et un temps de récupération en position allongée à la fin avec éventuellement une sophro-acceptation-progressive.

Elle est inspirée du bouddhisme tibétain. Effectuée de manière presque uniquement assise, elle fait alterner des stimulations corporelles et des phases de récupération dans lesquelles le sujet se prend lui-même comme objet de contemplation ou de méditation, alors que dans le premier degré, l’objet de contemplation et de méditation est un objet externe. Ces exercices conduisent à approfondir les perceptions des sensations internes. Le principe est que le corps est limité dans le temps et dans l’espace alors que la conscience est très peu limitée. Pour soutenir ce principe, les exercices se font en deux parties, la relaxation contemplative, (la RD2A) et le développement des organes des sens-naissance d’un souhait (la RD2B). La RD2A débute par une sophronisation en position debout, puis en position assise se succèdent des exercices de respiration synchronisée avec les mains « en miroir » qui passent devant tout le corps. L’exercice central de la RD2A est le voyage dans le cosmos où l’imaginaire est particulièrement sollicité et laisse apparaître des sensations de chaleur, d’énergie, de lumière… Le temps de reprise est très méticuleux et se fait par toutes les parties du corps mobilisées les unes après les autres (la tête, les bras, les jambes).

La RD2B propose d’abord une sophronisation de base en position assise, des exercices de chauffage corporel et de façon centrale, le développement des organes des sens en portant son attention successivement sur l’odorat, le goût, la vue, l’ouïe et le toucher. La séance se termine par l’émission d’un souhait pour soi-même, pour les êtres chers et pour l’ensemble du monde. Le temps de reprise se fait en position debout et permet de vivre un certain équilibre physique et mental.

Elle s’inspire du zen japonais dont elle acquiert toute son orientation méditative. Le postulat du zen japonais sur lequel se fonde la RD3 est que le cosmos forme un tout indivisible. La relaxation dynamique du troisième degré permet la conquête de sa propre intégrité, d’une certaine totalité de son être et de la prise de conscience d’une certaine harmonie la plus accomplie possible. Tous les exercices de RD3 se basent d’un point de vue corporel sur le point hara ou centre hara (le bas du ventre) et le point de rétroflexion (le bas du dos). Dans le zen japonais, le point hara représente le lieu de rencontre entre le monde et « l’être profond ». La relaxation dynamique du troisième degré se divise en deux parties, la RD3A, ou relaxation dynamique réflexive et la RD3B, ou méditation. La RD3A débute par une sophronisation en position debout au cours de laquelle le sujet prend le temps de placer sa respiration dans le bas du ventre, elle se poursuit par un approfondissement de l’abaissement du niveau de la conscience en position assise, puis par la phase centrale de la séance qui consiste en un temps de méditation sur un thème choisi par le sujet et le thérapeute, comme l’énergie vitale, la nature… La séance se termine par une « marche sophronique  » au cours de laquelle le sujet marche lentement, harmonise ses pas et sa respiration et prend le temps de regarder autour de lui.

La RD3B débute par une sophronisation en position assise et la séance consiste en une longue méditation en harmonie avec l’environnement proche et plus lointain. La finalité de ces relaxations dynamiques est de trouver ou retrouver son être dans son ici et maintenant, son harmonie avec soi-même, les autres et le monde.

Sophrologie et phénoménologie Husserl (1859-1938) élabora une méthode d’étude de la conscience humaine différente de la méthode cartésienne. La méthodologie de R. Descartes consiste dans un premier temps à douter, puis à démontrer l’hypothèse de départ par toute une série d’investigations dans le but d’atteindre l’évidence. Husserl propose une méthode différente qu’il nomme « réduction phénoménologique » et qui comporte cinq étapes selon lesquelles nous devons toujours retourner à la chose même, qui signifie, retour au phénomène. Nous devons nous exercer à la suspension du jugement (les choses sont abordées comme si c’était la première fois et en toute impartialité), puis nous devons essayer d’atteindre une certaine mise entre parenthèses du phénomène afin de dévoiler l’essentiel de l’objet de la recherche, ensuite nous arrivons à la captation universelle des choses (le phénoménologue permet de percevoir des sens qui étaient cachés dans le phénomène) et enfin nous arrivons à l’intuition, c’est-à-dire à l’appréhension intuitive de l’existence des choses, sans passer par la réflexion. Pour M. Heidegger, la phénoménologie est d’abord « une conception méthodologique. Elle ne caractérise pas les objets de l’investigation philosophique en ce qu’ils sont, en leur contenu, mais la manière dont s’y prend celle-ci 1  » (1927). Pour lui ce terme signifie « droit aux choses-mêmes ». Il étudie la manifestation de la chose même pour accéder à la révélation de la vérité. Il s’agit donc de revenir au phénomène et non à son apparence.

La sophrologie s’inspire de la phénoménologie car elle permet au sujet de revenir aux choses telles qu’elles sont (le principe de réalité objective), en particulier de prendre conscience de son corps dans sa réalité, puis de constater les résultats tels qu’ils se présentent. La difficulté est d’aborder les phénomènes sans préjugés, sans a priori, «  comme si c’était la première fois  ». Selon les phénoménologues, c’est à partir de cette attitude que le sujet peut avancer vers la connaissance de sa propre conscience, de découvrir une partie du

sens caché de certains événements de sa vie et d’adopter une attitude plus juste ou plus positive à leur égard. Dans le domaine thérapeutique qui est le nôtre ici, la phénoménologie permet d’aborder le malade et la maladie d’une manière originale, en partant du sujet, de l’être dans sa situation existentielle particulière et non de la maladie. Nous reviendrons plus bas sur ces notions fondamentales, concernant la médecine centrée sur le patient et le modèle de Pascal Cathébras (2007). Le thérapeute, dans cette attitude phénoménologique (suspension du jugement, captation pluridimensionnelle de ce phénomène qu’est la maladie, intuition) se propose de répondre au plus juste, au plus près de la demande du patient. L’attitude phénoménologique consiste donc à se mettre à l’écoute du sujet afin de répondre aussi justement à sa demande ou à la démarche qu’il effectue en direction d’un thérapeute. Cela est tout à fait fondamental lorsqu’il s’agit de travailler en état modifié de la conscience.

Pourquoi la relaxation ? Pourquoi la sophrologie ? Les séances de relaxation sont demandées par la personne, à titre thérapeutique ou à titre de prévention ou d’épanouissement personnel ou de meilleure connaissance de soi-même ou encore de bien-être. La personne a le choix de la méthode et du praticien en relaxation. Elle peut s’adresser à un praticien de santé (médical, paramédical, psychologue) ou à un praticien tourné vers une pratique d’entraînement personnel. C’est ainsi que nous pouvons trouver des séances de relaxation dans les hôpitaux ou cliniques, dans les cabinets privés, dans les centres sociaux, dans les écoles… Chaque personne en demande a une idée de ce qu’elle désire et sait s’adresser au praticien qui lui convient. Ce choix a beaucoup de sens pour elle. Elle le fait à partir de connaissances qu’elle a

acquises à propos de la relaxation, elle prend parfois conseil auprès de personnes qui pratiquent déjà ou auprès de son médecin. Lorsque la relaxation est pratiquée à des fins thérapeutiques, elle est souvent pensée et proposée par le médecin en appui sur le praticien en relaxation. Elle peut aussi faire l’objet d’une véritable prescription médicale. Elle est parfois demandée après un long parcours médical semé de difficultés, échecs ou impasses et se présente comme un ultime recours pour le patient et ses médecins. Dans tous les cas les indications de la relaxation s’inscrivent sur une large palette de troubles cliniques qui balaient des champs aussi vastes que ceux des manifestations anxieuses, des syndromes douloureux chroniques, du bégaiement, du sevrage tabagique ou alcoolique, du stress, de la préparation à la naissance, de la préparation aux examens, des préparations sportives… Du domaine le plus thérapeutique, avec des indications médicales, au domaine du développement personnel, à chaque fois qu’une approche psychosomatique est requise, la relaxation est tout à fait pertinente. Son champ est donc immense ! Je me propose de résumer les indications générales de façon non exhaustive dans le tableau suivant (Baste, 2016) : Tableau 45.1.   Psychiatrie Psychothérapi e

Stress, anxiété, dépression, phobie, troubles névrotiques, comportements addictifs, troubles du sommeil, troubles des comportements alimentaires, troubles des comportements chez l’enfant, complément à une psychothérapie

Médecine interne

Troubles allergiques, eczéma, rhinite chronique, asthme, psoriasis, migraines, symptômes médicalement inexpliqués, spasmophilie, douleurs, maladies immunitaires, maladies rares

Rhumatologie

Lombalgie chronique, polyarthrite rhumatoïde, spondylarthrite, fibromyalgie, syndrome myofacial

Oncologie

Lutte contre les troubles associés au cancer et à ses

traitements, y compris la douleur Obstétrique Sexologie

Préparation à la naissance, troubles de la sexualité (frigidité, anorgasmie, impuissance, éjaculation précoce

Orthophonie

Bégaiement

ORL

Acouphènes

Chirurgie

Préparation à l’intervention

Les effets de la relaxation Des effets d’ordre neurophysiologique, psychologique ont été observés.

physiologique

et

D’un point de vue neurophysiologique, la modification du niveau et de l’état de la conscience se traduit par une variation du rythme électro-encéphalographique au niveau du cortex cérébral. Celui-ci se ralentit et passe de quinze à dix-huit cycles par seconde, équivalant au rythmeβ de l’état d’éveil, à un rythme plus lent, appelé rythme α, de huit à douze cycles par seconde. Ce rythme α apparaît dès que nous fermons les yeux. Il est caractéristique des états modifiés de la conscience quelle que soit la méthode utilisée ou les inductions proposées. Il est présent dès l’installation de la détente psycho-sensorielle et correspond à un fonctionnement autorythmique de grands ensembles de neurones corticaux2. Ce ralentissement de l’activité corticale peut en certaines occasions s’accentuer jusqu’à quatre à huit cycles par seconde (activité de type θ), voire descendre en dessous de quatre cycles par seconde, soit une activité de type δ, caractéristique du sommeil profond. Or lors de ces phases, le sujet n’est en aucun cas endormi. À  l’inverse, dans les états anxieux, les situations de stress ou d’hypervigilance, nous observons une augmentation des activités

corticales avec des rythmes qui peuvent atteindre quarante à cinquante cycles par seconde. Nous pouvons donc déduire de cela, que d’un point de vue neurophysiologique, les états de conscience modifiés correspondent à une sorte de contraire, une image en négatif des états de tension par l’induction de l’α activité. La pratique de la relaxation trouve ainsi un grand intérêt dans la prise en compte des états de tension de la vie quotidienne. Nous pouvons résumer les différents degrés de l’activité corticale dans le tableau suivant : Tableau 45.2.   15 à 40 cycles/sec

Rythme β

Éveil

Hypervigilance Excitation Stress Anxiété

18 à 15 cycles/sec

Rythme β

Éveil

Activité normale

12 à 8 cycles/sec

Rythme α

État modifié de la conscience

État de relaxation État sophroliminal État hypnotique Méditation Transes mystiques

4 à 8 cycles/sec

Rythme θ

État modifié de la conscience

Idem

Rythme δ

État modifié de la conscience

Idem Sommeil profond évanouissement Coma

1 à 8 cycles/sec

La modification de l’activité corticale sont les mêmes quelle que soit la méthode de relaxation utilisée. La modification de l’activité corticale se traduit par :

● ●



une baisse de la vigilance par l’activation réticulaire et la modification des afférences ; la modification des perceptions sensorielles où nous observons que les bruits et les sons extérieurs semblent lointains, peuvent être perçus mais ne sont pas ou peu identifiés, la notion du temps est particulièrement perturbée avec une impossibilité d’évaluer finement le temps de la séance, la perception de son propre corps est modifiée ; une majoration de l’activité onirique spontanée, sans doute par la redistribution de l’activité des différents canaux sensoriels, une augmentation des facultés d’imagerie mentale et d’imprégnation cérébrale.

Les données concernant les effets de la relaxation sur le plan physiologique proviennent d’expériences effectuées dans le cadre du training autogène avec les travaux de Wallace (1971) et Auriol (1979), mais il existe comme nous l’avons vu sur le plan neurophysiologique une unicité des effets sur le plan physiologique. Wallace parle d’un état « hypométabolique » tandis qu’Auriol évoque une « réduction de l’activité des systèmes somatiques. » Le relâchement musculaire est le premier indice observable par le sujet lui-même et par tout observateur extérieur. Cette baisse du tonus musculaire s’accompagne d’une catalepsie, c’est-à-dire d’une diminution, voire une inhibition chez les personnes entraînées ou très réceptives, des mouvements automatiques et volontaires. Ce tableau caractéristique est révélateur de la profondeur de l’état de relaxation, c’est pourquoi le thérapeute peut s’appuyer sur son observation pour adapter son discours inductif au rythme propre du patient. Ce relâchement musculaire s’accompagne d’une diminution des réflexes tendineux et de l’excitabilité des motoneurones. L’électromyogramme montre par ailleurs un abaissement très net du tonus de repos.

Nous l’avons vu, la méthode de Jacobson accorde une grande importance au tonus musculaire qu’elle considère comme un levier d’induction. Les praticiens de certaines méthodes se proposent de vérifier ce relâchement musculaire, en prévenant le patient avant le début de la séance. Le thérapeute fait ce geste avec beaucoup de tact, car avec des niveaux de conscience et de vigilance modifiés le sujet peut ressentir toute perception venant de l’extérieur comme désagréable ou anxiogène.

En état de relaxation, des modifications de la fréquence cardiaque ont également été observées dans le sens d’une bradycardie. Or avec une pratique régulière de la relaxation, cela peut être intéressant pour des patients souffrant de tachycardie fonctionnelle ou d’hypertension artérielle. La relaxation peut être pertinente dans les suites d’infarctus du myocarde en ayant un impact sur le niveau d’anxiété et de dépression. Les méthodes de relaxation présentent donc un intérêt en cardiologie. Nous observons, en état de relaxation une augmentation de la température superficielle due à une amélioration du débit circulatoire périphérique. Cette vasodilatation explique les bons résultats que nous obtenons dans le syndrome de Raynaud. Nous remarquons également une baisse de la température centrale, de l’ordre de 0,3  °C, caractéristique de l’hypométabolisme et comparable au phénomène physiologique de baisse de la température interne durant le sommeil. Il est tout à fait fréquent que les patients éprouvent une sensation de fraîcheur durant les séances ou juste après. La diminution du rythme respiratoire est un autre effet constant des techniques de relaxation. Le cycle respiratoire s’allonge, la durée de l’inspiration et de l’expiration tend à s’égaliser, tandis que l’on observe une augmentation du volume courant. La respiration abdominale diminue tandis que la respiration thoracique prend le dessus. Nous observons en début de séance, un hypercontrôle de la respiration par le sujet qui n’en a pas conscience et sans que cela ne soit suggéré par le thérapeute. Au fur et à mesure que l’état de relaxation s’installe et s’approfondit une inhibition de ce contrôle

respiratoire s’opère et laisse s’exprimer le rythme bulbaire fondamental de sa régulation. La levée de ce contrôle donne une indication du niveau de relaxation du sujet et aide le thérapeute dans la suite de la séance. L’appareil digestif est également concerné par les effets de la relaxation. La cinétique de l’estomac se modifie avec plus de souplesse du tube digestif et une ouverture et une fermeture plus franche et plus large du cardia et du pylore (M.  Sapir). Nous observons également une augmentation des mouvements de la partie basse du colon. Tout cela explique les gargouillis fréquents durant les séances. Toutes ces modifications physiologiques induites par la relaxation vont dans le sens d’un véritable apaisement du métabolisme et des fonctions organiques. Les états de stress, de tension, d’anxiété induisent une hypertonie musculaire et de la tachycardie qui peuvent être apaisées par une pratique régulière de la relaxation. Tous ces effets neurophysiologiques et physiologiques bénéfiques s’entremêlent aux effets psychologiques et viennent les potentialiser.

La relaxation, en créant des états modifiés de conscience, présente des caractéristiques différentes de l’éveil, du rêve et du sommeil dont nous retiendrons trois points essentiels  : une régression somatique, une régression temporelle, une hyper conscientisation de soi. La régression somatique se manifeste par une inhibition de la volonté et un relâchement musculaire pouvant s’accompagner de micro-sommeil. La régression temporelle correspond à un voyage dans l’espacetemps, à une suspension du temps vécu. En même temps s’opère une sorte d’hyper-conscientisation de soi qui peut paraître paradoxale. Michel Sapir parle « d’intensification de

la présence au monde  » (Sapir, 1975). Il s’agit de l’idée du bouddhisme ou du zen japonais reprise par Caycedo de l’être-là, ici et maintenant. C’est l’idée fondamentale qu’enseigne la phénoménologie, c’est-à-dire l’étude des phénomènes tels qu’ils se présentent à la conscience, sans connaissance préalable, sans jugement, sans analyse, sans conceptualisation, comme si c’était la première fois. Le corps devient le premier des phénomènes perceptibles, la relaxation devient sur le plan philosophique une véritable expérience heuristique intérieure, une « supra- perception » de soi et de la conscience d’être soi.

Les états de régression

Elle se manifeste par un état de passivité caractérisé par une inhibition de la volonté recherchée par inductions grâce aux focalisations sensorielles, aux stimulations monocordes. Cet état de conscience correspond à un état de transe. La régression somatique s’opère par induction simple. Par exemple : Je suis tout à fait calme, mon bras droit est lourd… Il se peut qu’un sujet, bien que cela ne soit ni proposé ni suggéré, passe par différentes phases du sommeil lors d’une séance de relaxation. Nous observons parfois de brefs assoupissements, des micro-sommeils ou de longs endormissements pendant lesquels le sujet n’est plus en niveau sophronique ou hypnotique ou en état de relaxation, mais endormi  ! Certains praticiens comprennent cela comme une sorte d’échec ou un refus plus ou moins conscient de ne pas entrer dans la séance. Nous pouvons aussi comprendre cela comme faisant partie de processus d’apprentissage de la méthode où quelque chose de nouveau se produit pour le sujet. Le fait de s’endormir pendant une séance de relaxation est souvent bien vécu par le patient, il en perçoit des effets réparateurs, il est souvent surpris par la profondeur du niveau de la relaxation : « Je crois que je me suis endormi, je suis bien ! »

Elle est commune à toutes les méthodes de relaxation et à l’hypnose. Elle consiste en une sorte de « retour en arrière » à différents âges de la vie de la personne y compris dans la période archaïque de son développement. Ce qui peut être, dans certains cas particulièrement intéressants, mais doit être utilisé avec beaucoup de discernement et de précautions. Cette capacité à la régression temporelle permet d’expliquer les cinesthésies et toutes les sensations somatiques ressenties par le sujet ; elles sont en lien avec des expériences précoces ou infantiles plus ou moins refoulées et chargées d’affects positifs ou négatifs. Elles constituent un véritable langage corporel que le sujet va apprendre à accueillir et à entendre.

L’hyper-conscientisation de soi Ce néologisme parle d’une notion très visible et paradoxale en relaxation  : le sujet présente tous les signes d’une régression somatique et temporelle et en même temps, il est hyperconscient et hyper-réceptif à tout ce qui se passe en lui. Cela est extrêmement important puisqu’il est hyperréceptif aux paroles et aux suggestions du praticien. Nous gardons toujours présent en nous un des accords toltèques : « Que votre parole soit impeccable ! » La parole est le propre de l’homme ; elle est puissante, elle peut être créatrice, mais aussi destructrice. Elle peut apporter du bon ou du mauvais, elle peut être bénéfique ou nocive. Les praticiens en relaxation y apportent une grande importance, la manient avec tact et bienveillance et invitent le patient à en faire de même. La parole, le logos, le terpnos logos, est impeccable, du latin, pecatus (péché) précédé du radical im (sans). Ainsi le terpnos logos impeccable mène à la création bienfaitrice, à la vie.

Dans le même ordre d’idée A. Maslow (1968) a parlé de «  selfactualization  », «  d’actualisation de soi  » qui signifie «  vivre pleinement » ce qui se présente et concerne plutôt des sujets sains. Il s’agit de vivre l’instant présent en accueillant tout ce qui en fait le positif et de se projeter dans un futur proche. Cela permet de potentialiser son présent, ses acquis et de continuer à se développer de la façon la plus harmonieuse possible. Cette vision de sa propre existence prend en compte ses besoins, sa volonté, ses désirs, ses valeurs. Nous retrouvons tout cela dans nos méthodes de relaxation. M. Sapir parle « d’intensification de la présence au monde » (1996). Il s’agit de vivre pleinement l’instant présent, d’être présent ici et maintenant, en conscience et d’accueillir ce qui est là, tel que cela se présente. Il s’agit d’un des enseignements bouddhistes de la « pleine conscience. » A.  Caycedo a étudié cette dimension phénoménologique des états modifiés de la conscience et s’est inspiré, entre-autre, du zen japonais pour fonder la sophrologie. La phénoménologie a pour objet l’étude des phénomènes tels qu’ils se présentent à la conscience, sans connaissance préalablement requise, sans aucun jugement, ni analyse, ni conceptualisation. Si nous considérons le corps comme le premier des phénomènes perceptibles par le sujet, la relaxation devient, d’un point de vue philosophique, une expérience heuristique intérieure, une fine perception de soi et de la conscience d’être soi. Cette aventure exploratoire dans laquelle s’entremêlent des processus conscients et inconscients, révèle au sujet ses propres ressources, tantôt oubliées, tantôt jamais encore explorées.

Conclusion Le but de la relaxation et de la sophrologie, en tant que méthodes psychosomatiques, est de permettre à chaque personne d’entrer en contact avec ses sensations, ses perceptions, ses affects et de les intégrer à son être.

Nos modes de vie apportent leurs lots de contraintes qui malmènent les corps et les esprits. Les pratiques de relaxation et la sophrologie, en passant par l’abaissement du tonus musculaire et permettant un état de conscience modifié, une transe, apportent un mieux-être et souvent mettent au travail, de façon plus ou moins consciente, un problème présent. Comme nous le disions dans L’Aide-Mémoire Sophrologie  : « Pratiquez ! Pratiquez ! Pratiquez ! » (Baste, 2014). La pratique de la relaxation et de la sophrologie s’intègre dans la vie quotidienne dans l’objectif d’aller bien ou d’aller mieux tout au long de la vie. Retenons que les pratiques de relaxation, avec les inductions et les suggestions, provoquent une transe qui correspond à un niveau de conscience modifié. Celui-ci est abaissé, au bord du sommeil  ; il s’agit d’une transe de relaxation ou d’une transe sophronique au même titre qu’il existe une transe hypnotique avec ses différents niveaux. Cette transe, même légère apporte une sensation de bien-être et permet un travail sur soi-même. Les personnes qui pratiquent la relaxation et la sophrologie recherchent un mieux-être ou/et souhaitent faire un travail thérapeutique. Elles choisissent donc un praticien en fonction des leurs objectifs : un groupe de relaxation ou sophrologie dans un centre social, des séances auprès d’un professionnel paramédical dans une institution, des séances auprès d’un psychologue ou d’un médecin qui propose de la relaxation ou de la sophrologie dans sa pratique thérapeutique ou psychothérapeutique. Dès la première séance avec un praticien, la personne est invitée à observer chaque jour un temps de relaxation pour elle-même. À l’aide de la relaxation et la sophrologie, nous devenons acteur de notre vie.

Notes

1. Heidegger M. (1927) L’être et le temps, Gallimard, « nrf », 1964. 2. Lambert-Beugnet C., Lancry A., Leconte P. (1988) Chronopsychologie. Rythmes et activités humaines. Lille : PUL.

Focus 46 La méthode de relaxation Sapir

Astrid Roustang-Jeglot Je suis heureuse d’écrire sur cette approche pas assez connue –  bien que relativement ancienne  – dans le champ des psychothérapies. La relaxation psychanalytique méthode Sapir, anciennement nommée Relaxation à Inductions Variables (RIV), est née à l’hôpital Rothschild (service du docteur Brisset) dans les années 1960 avec le docteur Michel Sapir. Proche des idées de Sandor Ferenczi et de Michael Balint sur l’importance de la relation soignant-soigné, Sapir travailla également avec Leon Chertok et créa avec lui et Pierre Aboulker, la Société française de Médecine psychosomatique1.

Qu’est-ce que la méthode de relaxation Sapir ? La méthode Sapir est à la fois un outil de formation à la relation soignant-soigné et une thérapie à médiation corporelle. Elle peut être proposée en individuel ou en groupe. Dans le travail de psychothérapie, à côté des thérapies verbales fréquemment utilisées, elle propose une autre manière d’être en séance et d’aborder avec les patients la question du corps sur laquelle elle est centrée. Le corps dont il est question est aussi bien le corps biologique que le corps imaginaire et symbolique. La méthode Sapir permet une reliaison corps-psyché à partir d’un temps expérientiel de mise à l’écoute du corps (éprouvés, ressentis, impressions, sensations corporelles…) suivi d’un temps de parole. Dans ce dispositif, le thérapeute est assis à côté du patient qui lui est allongé sur un matelas. Cette psychothérapie a puisé ses racines dans le training autogène de Schultz en lien, dans son histoire, avec l’hypnose (plus précisément les travaux de Vogt sur l’autohypnose). Elle s’est éloignée de ces approches  : elle a abandonné une forme

de suggestion  ; la maîtrise et les consignes ont été remplacées par des inductions verbales (le thérapeute propose des mots, un bain sonore), des inductions tactiles (le thérapeute vient toucher le corps du patient). Ces inductions, sont variables à chaque séance et pour chaque patient, mêlées à des temps d’attente et de silence  ; cette mise en suspens se poursuit après les inductions puis, vient la reprise. C’est le premier temps de la séance. Dans le second temps qui commence après la reprise, le patient est invité à parler librement à partir de son vécu dans l’ici et maintenant de la séance. Il met en mots ce qu’il a vécu, ses sensations en lien avec son histoire personnelle. La base de la méthode Sapir est la psychanalyse. On en retrouve les fondements dans la formation initiale des thérapeutes, dans l’écoute de ce qui n’est pas conscient, dans la prise en compte des dimensions transférentielles et contretransférentielles (psychiques et corporelles) dans la relation, et dans l’association libre à l’issue du temps de relaxation. Pour certains psychanalystes, la méthode de relaxation Sapir reste considérée comme une technique transgressive du fait de la présence du toucher.

La relaxation psychanalytique Sapir, un dispositif psychothérapique paradoxal Le terme de méthode est en fait assez peu approprié pour parler de la relaxation psychanalytique Sapir. En effet, dans ce dispositif psychothérapique, il n’existe ni manuel, ni guide. Pas de protocole ou de scénario préexistant. Il ne s’agit pas non plus « d’exercices » à faire. Bien qu’on parle de relaxation, dans cette pratique, la détente n’est pas un objectif en soi ce qui est exprimé au patient dès le début. Cela constitue aussi une des dimensions paradoxales de cette approche  : relaxation sans visée de détente. Absence de but conscient diraient les professionnels de l’École de Palo Alto. Ainsi, dans cette approche, la relaxation ne vise pas à créer un état de bien-être (qui peut être présent ou absent pendant la séance), elle vise l’écoute des sensations, quelle qu’en soit la tonalité, et sa liaison avec les mots. « La dimension thérapeutique ne repose pas sur la détente mais sur les changements corporels et psychiques qu’elle amène à partir d’une parole incarnée  » énonce le docteur Marvaud, neuropsychiatre et ancien président de l’AREPS (Association de Relaxation Psychanalytique Sapir). Parler de dispositif semble plus proche de cette pratique. En effet, le thérapeute propose une autre disposition à son patient par la position allongée, par les inductions verbales et tactiles qui sont changeantes, inattendues, surprenantes. Il propose un contexte permettant d’être dans une autre disposition de corps et d’esprit avec soi-même, offre un espace de présence à soi-même dans le moment présent. Ni le thérapeute, ni le patient ne savent à l’avance comment ça va être. C’est une ouverture au sensoriel, à un autre état de conscience, à une autre manière de percevoir en se centrant sur un sentir le corps, sentir sa place. Baudelaire dirait « une

invitation au voyage  », Roustang un «  savoir attendre  » pour qu’autre chose se passe. Le dispositif de relaxation Sapir repose donc peu sur la méthode, essentiellement sur la relation.

La variabilité dans la stabilité Si ce dispositif possède un cadre fort en référence à la psychanalyse, la relaxation Sapir offre dans l’espace des séances une liberté et une créativité au thérapeute qui est, avant tout, à l’écoute de ce qui surgit en lui et chez l’autre dans le moment présent (à ce sujet, on pourra relire le petit livre d’Eugène Herrigel Le zen dans l’art chevaleresque du tir à l’arc ou sous un angle plus psychanalytique Jeu et réalité de Winnicott). Le thérapeute, en créant des inductions qui varient à chaque séance pour chaque patient, accompagne une personne à partir de ce qu’il perçoit –  plus ou moins consciemment  – de cette personne et qui résonne en lui. Cette résonance est particulièrement clairement développée dans le récent ouvrage de Catherine Potel Du contre-transfert corporel. Le patient, lui, est invité à laisser émerger ce qui s’est passé en lui et à laisser venir des associations d’idées, d’images, de sensations, qui peuvent se faire. Investissant la séance avec toute sa subjectivité, il y projette sa manière d’être, son rapport au monde, aux autres, au temps, à son histoire personnelle. La séance elle-même dessine et prend la forme de ce que vit le patient dans sa vie, elle en devient une métaphore. Thérapeute et patient jouent pendant les séances avec un matériel clinique qui est indéfini, souvent inattendu, imprévu, surprenant et qui prend des formes et des allures très variées (impressions, lapsus, hallucination, rêverie, souvenirs, questionnement…). Dans ce moment entre veille et sommeil s’ouvre un espace de créativité et d’ouverture à l’imaginaire, avec lequel il s’agit de jouer ou de réapprendre à jouer. Jouer est thérapeutique défendait Winnicott avec force conviction car jouer est une expérience qui permet une appropriation de soi-même. Ainsi, que ce soit dans sa visée de formation à la relation soignant-soigné ou en psychothérapie, la relaxation permet d’apprendre à être à partir de l’expérience vécue plus qu’à partir d’un enseignement théorique ou pédagogique. Le thérapeute travaille ici exclusivement avec lui-même comme outil de travail supposant une bonne assise qui s’appuie sur sa formation personnelle.

Le toucher La singularité de ce dispositif psychothérapique s’appuie sur la présence du toucher. En relaxation, le toucher engage plus activement le thérapeute. Ce dernier vient au contact de son patient dans un corps à corps peu fréquent quand on pense

psychothérapie. Le toucher qui intervient est variable (jusqu’à parfois absence du toucher). Il se présente dans un espace qui est défini, le cadre thérapeutique et dans un moment particulier de réceptivité qu’est la transe, ce qui inscrit son vécu subjectif d’une manière particulière dans l’expérience relationnelle. Le toucher participe donc également à l’appropriation de soi-même dans la dimension sensorielle qu’elle sollicite. Le toucher est «  une prémisse indispensable aux premières expériences corporelles de l’enfant, un facteur de réassurance, de plaisir et d’unification. Le toucher organise la sensorialité affective. » explique ThéaHélène FUA dans La double rencontre  : Le corps et la parole. Sur un plan thérapeutique, il participe au sentiment de sécurité, «  à l’assise narcissique fondamentale qui est de caractère tactile  », explique Anzieu dans la préface de ce même ouvrage. Le contact de la peau permet de relier les parois intérieures et extérieures du corps et aide à la reconstruction de l’identité lorsque les frontières de soi (psychiques et/ou corporelles) ont été fragilisées bien souvent par des phénomènes de dissociation présents sous différentes formes et intensités en psychopathologie. Le toucher rassemble et donne une unité à ce qui était désuni, épars ou diffus. Le toucher (r)éveille, il peut tout aussi bien calmer ou exciter ; les connotations qu’il peut prendre sont variées : doux, fort, long, rapide, lent, pesant, gênant… Quoi qu’il en soit le toucher marque la personne corporellement et psychiquement en laissant une trace de ce passage, de cette présence. En deçà des mots, le toucher vient faire exister dans la réalité et ancrer un pont entre différentes dimensions de lui. Il pourrait être apparenté au trait d’union utilisé en écriture pour assembler deux mots et créer un nouveau sens. Au cours de la thérapie, ce sont la relance de l’imaginaire, la liaison par les mots et le toucher, qui agissent ensemble comme un agent néguentropique pour aider à la mise en forme de ce qui est vécu, pour faire surgir des potentialités inédites sans aucune délibération. La relaxation psychanalytique permet que se fassent ce que le philosophe François Jullien nomme des transformations silencieuses «  (…) la transformation silencieuse ne force pas, ne contrecarre rien, ne se bat pas ; mais elle fait son chemin, dira-t-on, infiltre, s’étend, se ramifie, se globalise -fait tache d’huile » (…) C’est aussi pourquoi elle est silencieuse : parce qu’elle ne suscite pas contre elle la résistance, qu’elle ne fait pas crier, ne suscite aucun rejet, on ne l’entend pas progresser. » La relaxation psychanalytique Sapir ouvre une voie pour le changement thérapeutique mais aussi et surtout pour l’appropriation de ce changement.

À qui s’adresse cette thérapie et quelles en sont les indications ? Cette approche à médiation corporelle peut être proposée avec succès dans un grand nombre d’affections psychiques et/ou somatiques. Elle est généralement bien

acceptée par les patients qui répondent favorablement à cette invitation d’une nouvelle expérience thérapeutique. Employée aussi bien pour des petits groupes (thérapeutiques ou de formation à la relation soignant-soigné) qu’en individuel, elle convient aussi bien à une pratique en institution qu’en libéral tant pour des médecins, des psychologues, des psychomotriciens, des infirmières… La relaxation psychanalytique Sapir peut être proposée aussi bien aux enfants, adolescents qu’aux adultes. (À noter tout de même que pour les enfants des psychothérapies de relaxation plus actives seront mieux adaptées). Elle peut aussi bien être envisagée comme une thérapie brève qu’une thérapie longue ; proposée en première intention ou comme une évolution après un temps de thérapie en face à face. Propice pour contourner tranquillement des défenses (intellectualisation, rationalisation, isolation des affects…), cette psychothérapie implique le corps et par là même, les émotions. Elle est d’un grand bénéfice pour des personnes dont on entend surtout le corps au-delà des mots qu’ils prononcent : personnes angoissées, nerveuses, stressées par exemple ou sujettes à des maladies psychosomatiques. Elle peut être complémentaire à d’autres prises en charge (hypertension artérielle par exemple). Les maladies cutanées sont ici écoutées différemment du fait du contact avec la peau lors du toucher. Indirectement, cette approche est toujours porteuse d’un développement du sentiment de sécurité. N’est-on pas toujours plus confiant quand on peut percevoir ce que l’on ressent  ? Pouvoir exprimer ce qui se passe dans son corps à partir d’un vécu permet de se l’approprier et d’en circonscrire les limites. Un travail sur l’image du corps, les frontières/les limites, est toujours également présent. Des problématiques de séparation, deuils, rupture peuvent également être abordées autrement par ce biais. La «  capacité à être seul en présence de l’autre  » expérience structurante du développement de la maturité affective peut être reprise par le biais de cette pratique psychothérapique qui permet d’aborder autrement les vécus de solitude ou de « vide intérieur ». La question de la place et de la juste distance dans la relation à l’autre est également très centrale dans ce dispositif ce qui en fait une réelle ressource pour la formation à la relation soignante. Contenir et accompagner ce cheminement n’est possible au thérapeute que s’il a fait lui-même retour sur ses sensations archaïques sans se sentir menacé par l’intensité de la régression que cela suppose. Le thérapeute, à cette juste distance qui le déprend de l’illusion réparatrice et qui accepte le négatif et le manque, peut percevoir l’autre à même ses expressions infraverbales (gestes, regards, silences…) et utiliser son corps comme un espace de créativité et de résonance dans la relation au patient. Ainsi, la Relaxation Psychanalytique Sapir permet de revenir à des vécus prélangagiers avec des personnes carencées affectivement ou encore d’explorer les traces ancrées des traumatismes (violences, agressions…) et de se réapproprier son corps. Elle peut alors par exemple convoquer la relation au corps primaire, celui de la petite enfance qui n’était pas encore différencié, lorsque le quotidien du sujet dépendait encore principalement des pensées, des paroles et des gestes de l’adulte l’entourant ou encore convoquer la relation au corps du sujet inscrit dans sa filiation et dans son histoire transgénérationnelle et culturelle. La relaxation vient solliciter le

corps dans ses dimensions conscientes et inconscientes et en particulier dans ses représentations constitutives de l’image du corps. J’ai évoqué ici quelques suggestions d’indication pour montrer le large spectre de cette approche à médiation corporelle. Le dispositif étant très créatif, son emploi ne peut se limiter à ces seules évocations. Son emploi repose sur une analyse clinique qui va amener à penser à cette psychothérapie plutôt qu’à une autre. Cette proposition psychothérapique est discutée avec le patient en portant attention avec son concours à ce qu’implique pour lui le toucher.

Conclusion Dans le champ des psychothérapies, la relaxation psychanalytique Sapir se situe à la croisée de différentes pratiques : approche de relaxation (sans la détente habituelle), approche psychanalytique (avec présence inhabituelle du toucher), approche corporelle (elle s’appuie également sur la parole), c’est un état de conscience modifié (transe légère à profonde). Elle peut aussi être utilisée comme stratégie thérapeutique paradoxale comme dans les thérapies de Palo Alto. La relaxation psychanalytique Sapir, psychothérapie à médiation corporelle, est un dispositif créatif qui s’inscrit dans une visée réassociative qui soutient l’articulation corps-psyché. Elle permet une remise en contact avec soi et avec l’extérieur par l’intermédiaire du toucher. Elle relance la vie imaginaire et ouvre sur une parole incarnée, ancrée dans les sens. Elle permet à la fois d’amener le changement thérapeutique mais aussi et surtout son appropriation.

Notes 1. Article initialement paru dans la revue Transes, n° 6, ici revu et complété.

Chapitre 47 La méditation de pleine conscience

Antoine Bioy Voici sans doute une pratique qui clairement amène à un état de conscience modifié (pleine présence) mais assez rarement à une transe. Sauf dans certaines manifestations…

Principe de la mindfulness Il s’agit d’une pratique de méditation qui consiste à porter une attention intentionnelle au moment présent, sans jugement, ni distraction. Cette pratique est souvent utilisée pour réduire le stress, améliorer la concentration et la clarté mentale, ainsi que favoriser la compassion et l’empathie envers soi-même et les autres. La méditation de pleine conscience implique souvent de se concentrer sur la respiration, les sensations corporelles ou les pensées et les émotions qui surviennent dans l’instant présent, tout en évitant de s’attacher ou de se laisser distraire par ces expériences mentales. La pratique peut être guidée par un instructeur ou se faire de manière autonome (si elle a été auparavant acquise), et peut être effectuée assis, debout ou en mouvement (la marche dite de pleine conscience, par exemple). « La pleine conscience signifie diriger son attention d’une certaine manière, c’est-àdire délibérément, au moment présent, sans jugement de valeur. » (Jon Kabat-Zinn.)

Michel Laroque (2023) en donne une illustration concrète  : «  La pleine conscience est définie, généralement, comme une concentration sur le présent. Ainsi, j’observe une rose  : je prends conscience de la gradation de nuances de sa couleur, de son odeur prononcée ou fugitive, de la texture fragile de la fleur opposée à la dureté de la tige et à l’agressivité des épines. Ou bien, je me concentre sur une action simple, comme ma respiration. Je prends conscience de l’entrée et de la sortie de l’air dans mes narines, des mouvements de ma cage thoracique : respiration ventrale, médiane, haute ou complète. J’observe également son rythme  : respiration lente et profonde ou rapide et légère. Mais point n’est besoin de recourir à des exercices artificiels pour pratiquer la pleine conscience : les gestes de la vie quotidienne y suffisent amplement à condition de les effectuer dans l’esprit requis, absorption dans la tâche actuelle sans polluer l’attention par des considérations sur l’avenir ou le passé. » Il s’agit d’un acte, d’un effort répété pour arriver à une forme de routine dans l’existence en période de difficulté ou simplement pour changer son rapport à l’existence. La pratique régulière de la méditation de pleine conscience a été associée à une variété de bienfaits pour la santé mentale et physique, notamment la réduction du stress, de l’anxiété et de la dépression, l’amélioration de la qualité du sommeil, la diminution de la pression artérielle et la régulation de l’humeur (Dumont et Bucher, 2017). Elle est par ailleurs en lien avec les thérapies cognitives et comportementales et notamment ceux dits de la «  3e  vague  » (méthode d’Acceptation et d’Engagement – ACT ; Bourgognon et Bennet, 2022).

Les voies de la mindfulness Le programme le plus connu est certainement le MBSR  : La Réduction du Stress Basée sur la Pleine Conscience (MBSR). Ce programme, développé par Jon Kabat-Zinn, est un programme de huit semaines qui enseigne des techniques de méditation de pleine conscience pour aider à réduire le stress, l’anxiété et la douleur

chronique. Plus centré sur la dimension thérapeutique, le MBCT – La Thérapie Cognitive Basée sur la Pleine Conscience (Zindel Segal, Mark Williams et John Teasdale) est un programme dont la base est le MBSR mais qui et vise à aider les personnes atteintes de dépression à prévenir les rechutes en utilisant des techniques de pleine conscience pour aider à identifier et à changer les schémas de pensée négatifs. La Méditation de Pleine Conscience Basée sur la Compassion – MSCL (Erik van den Brink et Frits Koster) est en plein développement ; il s’agit de cultiver la compassion envers soimême et les autres, afin d’améliorer la résilience émotionnelle et la capacité à faire face aux défis de la vie. D’autres programmes existent, plus centrés par exemple sur les addictions, ou à l’adresse des enfants. Actuellement, trois grands axes peuvent se dessiner : les pratiques de l’attention, les pratiques de compassion, et les pratiques interrelationelles. Cette dernière apparaît tranquillement, pour travailler notamment l’a qualité de l’interaction consciente avec autrui (Forster et al., 2023 ; Kramer, 2018). Un exemple est notamment la méditation en dyade  : où le méditant pratique la pleine conscience de son expérience présente tandis que le témoin observe attentivement sans jugement. Ou bien encore la communication consciente qui encourage une communication claire, directe et compassionnelle envers soi-même et les autres, en écoutant activement, en exprimant des besoins et des limites clairement, et en répondant aux situations difficiles avec compassion.

Discussion : le regard de Fabrice Midal Le principe de la mindfulness est parfois discuté. Ainsi, le philosophe Fabrice Midal (qui se situe plutôt dans la tradition de Chögyam Trungpa ; voir notamment 2014 et 2017) exprimait son point de vue dans les pages de la revue Transes1 : La méditation devient une pratique commune dans notre société, elle est proposée dans la gestion du stress, des

émotions… Quel est votre regard sur ce fait de société ? «  La méditation où je me suis engagé depuis trente ans n’a strictement rien à voir avec ce que beaucoup de gens entendent actuellement par ce terme : un outil de gestion pour être plus calme, se détacher de ce que l’on vit, observer avec neutralité son expérience. Pour moi, cela n’a pas de sens, et n’est pas souhaitable. Être calme, être à distance pour éviter de vivre les émotions semble l’objectif à atteindre. Mais la méditation est précisément l’inverse  : elle propose d’entrer en rapport avec ce que l’on sent, et de s’ouvrir à l’inconnu de ce que nous sommes en train de vivre. Pour moi, c’est une folie d’apprendre aux enfants dès la maternelle cette forme de méditation qui n’en est pas une  : dans dix ou quinze ans, face à l’angoisse ou à la colère, ils seront complètement désarmés. Ils manqueront de cette flexibilité émotionnelle que l’on devrait en fait leur apprendre. Quel message leur donne-t-on  ? Il faudrait calmer ses émotions, ses peurs… Alors qu’il faut au contraire leur apprendre à les rencontrer. » Et comment expliquez-vous cette dérive de la méditation ? «  Nous sommes le seul pays au monde à avoir traduit le terme “mindfulness” par “pleine conscience”. “Mindfulness” ne désigne pas une expérience de pleine conscience –  qui est en fait la traduction de “consciousness” – mais renvoie à la notion de pleine attention ou pleine présence, une forme de vigilance ouverte qui définit le cœur de la méditation  : porter une conscience délibérée et ouverte à ce qui se passe. Mettre à distance et observer, c’est provoquer une dissociation. Or précisément, la méditation n’est pas cela, elle est une expérience en même temps émotionnelle, corporelle et intellectuelle. Elle est une expérience de réintégration. Le travail de Jon Kabat Zinn est une reformulation judicieuse du mouvement de la méditation, mais en France on en a fait le plus souvent une lecture simpliste en extirpant des scripts, des conduites à tenir, des protocoles, qui réifient l’ensemble et n’ont pas de sens. Les gens confondent le fait que l’on donne un protocole comme point de repère avec une marche à suivre, ils préfèrent mener le protocole à la lettre, en oubliant que la méditation est avant tout une

expérience relationnelle. C’est un incroyable malentendu de penser que l’application du seul protocole suffit. Le protocole ne marche pas, c’est la relation qui marche. Alors disons-le, si la méditation a un intérêt, c’est bien de nous délivrer de la pleine conscience en tant que somme de procédures de gestion de notre stress ou de nos émotions. » Quittons la pleine conscience donc pour définir la méditation. Quelle est-elle ? «  La méditation, c’est savoir écouter sans jugement, dans une ouverture corporelle par essence émotionnelle et intellectuelle. Cette ouverture entière est très déconcertante pour nous, car on est au summum d’une activité sans rien avoir à faire d’autre que d’être pleinement le la de cette ouverture. C’est ce rien, cette ouverture, cette présence, qui œuvre. Il s’agit d’une liberté par rapport à la technique qui permet à une personne de se repositionner au centre de ce qu’elle fait, de son existence. Il ne s’agit pas d’un espace de calme, mais d’un espace vivifiant. Il ne s’agit pas de méditer parce que l’on a peur, mais plutôt de méditer en confiance avec les ressources avec lesquels elle nous réancre, nous met en rapport. Dans la pratique, on se fout la paix et c’est vivant ! » Comment définissez-vous ce que vous nommez « ressources » ? « Les ressources, c’est ce qui est vivant en moi, que je ne peux pas contrôler, qui est toujours autre que moi-même, et auquel j’ai à me relier. C’est dans cet inconnu que je vais trouver quelque chose d’autres que moi-même. Par exemple, même s’il s’agit de ma peur, elle vient me visiter autrement. Pour faire l’expérience de cela, je propose volontiers cette expérience qui est d’écouter un morceau de musique, puis de l’écouter vraiment, en présence, en observant ce qui est ressenti corporellement, émotionnellement. Alors, les personnes font l’expérience qu’elles sont beaucoup plus en rapport avec le morceau de musique. Autrement dit, en écoutant comment la musique agit en eux, les meut, ils sont plus en rapport à la musique ! »

Finalement, la méditation organise une expérience entière ? «  Entière et concrète. Je suis fasciné par le fait que Kandinsky voulait appeler l’art abstrait  : l’art concret. Peindre un carré, un cercle. Nous parlons là d’une révolution concrète. C’est jubilatoire de voir Erickson pratiquer de façon concrète  : pas de posture, rien à vendre, pas de doctrine ; Roustang, c’est pareil : pas de discours, du concret. Ils sautent tous les deux dans l’existence. La méditation et l’hypnose n’ont de sens que dans cet espace de révolution concrète qui nous réancre dans l’unité du corps, des émotions, de la psyché. En cela, la méditation n’est pas une forme d’introspection, qui n’est pas réelle. Si je me retourne sur moi-même, je ne me trouve pas. Pourtant cette notion d’introspection est à la fois populaire et absurde. Par exemple, on pose souvent la question à un adolescent ce qu’il souhaite faire plus tard. Cette question n’a pas de sens car c’est en rencontrant des gens, en avançant, en faisant son expérience, que cet adolescent va se découvrir : par où il est vivant, ce qui l’appelle. Non en regardant en lui ! C’est ce que j’illustre dans mon dernier ouvrage  : le mythe de Narcisse est souvent mal compris. Narcisse n’est pas amoureux de lui-même au point de mourir. Il est dans une distance infinie avec lui-même et ce n’est que lorsqu’il se reconnaît enfin que la libération a lieu. N’est-ce pas ce que nous avons tous à faire ? Coïncider enfin à soi ! Cesser d’être un étranger  ! Le tableau de Caravage exprime très bien cela. Il ne montre pas un jeune homme imbu de lui-même, fermé sur lui, mais qui se découvre et touche par là un sens de profonde douceur. On pourrait dire que l’altérité est au cœur de soi, je suis toujours un autre que moi-même, je ne me possède pas. Tout cela est en mouvement, et vouloir se “figer” dans une notion d’identité et d’introspection identitaire n’a pas de sens, il faut s’en libérer. D’ailleurs, qu’est-ce que l’hypnose si ce n’est cette expérience, où l’on accompagne les patients  : vous aidez la personne à sortir de sa conscience, de son contrôle, la personne s’ouvre à une nouvelle dimension. Dans cette nouvelle dimension, la personne se perd, elle ne comprend pas, et c’est paradoxalement ainsi qu’elle finit par se retrouver. »

Transe ou pas transe ? En fait, la mindfulness s’est initialement présentée comme une « méditation laïque », ce qu’elle n’est sans doute pas vraiment. Une dimension philosophique et spirituelle est très présente et il serait sans doute plus juste de la percevoir comme la traduction dans l’esprit occidental de pratiques plus issues des traditions méditatives orientales. La mindfulness étant vivante, elle évolue aussi et semble précisément aller vers une forme très intégrative incluant bien plus directement qu’à l’origine la question de la spiritualité. Nous pouvons illustrer cela avec le travail de Martin Aylward (2019) qui est un enseignant de méditation de pleine conscience et de la tradition bouddhiste Theravada, même s’il définit son enseignement comme laïque. Sa perspective est centrée sur l’idée que la pleine conscience peut être utilisée comme un outil pour se connecter avec notre véritable nature, et pour découvrir la profondeur et la beauté de l’expérience humaine (la dimension spirituelle que nous évoquions), plutôt que comme une simple technique pour réduire le stress ou améliorer la santé mentale. Aylward insiste sur l’importance de la pratique de la pleine conscience dans la vie quotidienne, et encourage à intégrer la pleine conscience dans toutes les activités, telles que la marche, la cuisine, et les interactions sociales. Il développe une approche interdisciplinaire de la pleine conscience, en combinant les principes de la méditation de pleine conscience avec les domaines de la psychologie, de la neuroscience, et des sciences contemplatives. On l’aura compris avec ces perspectives, l’état de méditation peut avoir des destins différents mais elle est surtout une approche en souplesse, sans «  brusquerie  » pour rependre le terme qui nous aidait à définir les transes. Pour autant, et notamment avec les applications comme celles de Aylward, certaines expériences plus mystiques peuvent venir saisir les pratiquants, même si ce n’est pas ainsi que les choses sont présentées. Un peu finalement de la même façon que lorsque l’on parle des transes avec des méditants bouddhistes tibétains  : ils voient bien l’état de conscience modifié,

mais n’envisage pas que la transe fasse partie de leur philosophie religieuse. Sans doute… Pourtant, le Dalaï-Lama a des oracles qui connaissent très bien ces phénomènes  ! Le plus célèbre exemple d’oracle dans la tradition tibétaine est le Nechung Oracle, qui est considéré comme le principal oracle du Dalaï-Lama. L’oracle de Nechung est un moine qui sert de canal pour une divinité protectrice appelée Pehar, qui est une des divinités les plus importantes du panthéon tibétain. L’oracle de Nechung a une longue histoire de service aux Dalaï Lamas, remontant au xviie siècle. Il entre en transe dans le cadre de rituels incluant symboles (dont une lourde coiffe une fois la transe avancée), prières, mantras entêtants, et prières (Pearlman, 2002). Dans cette pratique, l’oracle peut donner des conseils ou des prédictions mais qui ne sont pas considérés comme absolus ou complètement fiables, et peuvent amener à un changement d’oracle le cas échéant.

Notes 1. Extrait d’entretien mené par Antoine Bioy, Transes n° 4.

Chapitre 48 Le Lifespan IntegrationTM (ICV) et la transe

Joanna Smith Dans ce chapitre, nous présenterons la pratique du Lifespan IntegrationTM, ainsi que les principaux éléments théoriques sous-jacents à cette pratique, avant d’envisager différentes composantes des séances évoquant des similitudes ou au contraire des différences par rapport au processus hypnotique. Nous terminerons par une comparaison entre le vécu hypnotique et le vécu d’une séance de Lifespan IntegrationTM, avant de conclure.

Description du Lifespan IntegrationTM (ICV) Le LifespanTM est une psychothérapie psychocorporelle découverte par Peggy Pace, une psychothérapeute américaine, en 2002. Alors qu’elle travaille avec une cliente sur un épisode traumatique, elle constate (comme c’est fréquent dans ce type de travail) que la cliente semble très imprégnée du vécu émotionnel de l’époque de ce trauma de l’enfance, et que la cliente semble avoir perdu son ancrage dans le présent. Peggy Pace a alors l’idée de demander à la cliente un souvenir de l’année suivant le trauma, puis de l’année suivante, et ainsi de suite, jusqu’à l’âge actuel. La cliente semble recouvrer peu à peu ses esprits au fur et à mesure des répétitions de cette liste chronologique de souvenirs. Cette liste constitue l’outil central du Lifespan IntegrationTM, on l’intitule la « Ligne du Temps ».

L’usage de cette Ligne du Temps a, depuis, été exploré de multiples manières que l’on a formalisées en termes de « protocoles » même si ceux-ci ne doivent pas être appliqués de manière rigide, mais constamment ajustés au client dans l’ici et maintenant de la séance. Il existe aujourd’hui une quinzaine de protocoles de Lifespan IntegrationTM, et l’on estime que l’impact thérapeutique constaté est le fruit de trois composantes essentielles  : la Ligne du Temps bien sûr (incluant le choix des souvenirs qui la constituent, le ton et le rythme de lecture…), la répétition de cette Ligne du Temps (notamment le nombre de répétitions au cours d’une séance, avant que cette dernière puisse être considérée comme terminée) et l’accordage du thérapeute à son patient, c’est-à-dire sa capacité à s’ajuster à l’état émotionnel et à la vision du monde de son patient, moment après moment, en maintenant notamment une bonne alliance thérapeutique et en veillant à ce que le client reste dans un état émotionnel d’intensité tolérable durant les séances. En Lifespan IntegrationTM, on peut distinguer deux types de protocoles : ● des protocoles utilisant une Ligne du Temps «  pure  », permettant de faire faire au client l’expérience du temps qui a passé, souvent utilisés pour travailler du matériel traumatique et/ou chez des patients dont la régulation des émotions est fragile. Le rythme de lecture de la Ligne du Temps est ici assez soutenu, surtout au début des séances ; ● des protocoles associant la Ligne du Temps à des moments d’imagerie mentale permettant de régler des comptes avec les personnes du passé et/ou d’offrir une réparation relationnelle au client tel qu’il était dans le passé («  reparentage  »). Le rythme de lecture de la Ligne du Temps peut ici être plus lent car le client est souvent plus régulé que dans les protocoles utilisant une Ligne du Temps «  pure  », ces derniers étant proposés en début de thérapie essentiellement. La formation au Lifespan IntegrationTM s’adresse aux psychothérapeutes uniquement, et consiste en quatre sessions de

formation de deux jours chacune, à répartir sur deux ans environ, et à compléter d’un travail de psychothérapie et de supervision personnelles en Lifespan IntegrationTM. Ce parcours de formation et de travail personnel permet au thérapeute de prendre connaissance et d’expérimenter les différents protocoles, et surtout d’apprécier et d’affiner la notion d’accordage du thérapeute à son client.

Bases théoriques Le Lifespan IntegrationTM se base sur les neurosciences affectives, la théorie de l’attachement et la théorie systémique, et en particulier sur les recherches portant sur les caractéristiques cérébrales de la mémoire traumatique (Pace, 2014 ; Smith, 2017 ; Smith et al., 2019) pour expliquer comment la Ligne du Temps permet d’aider les clients. En effet, les études portant sur la mémoire traumatique mettent en évidence que la remémoration d’un épisode traumatique active des zones correspondant à une réponse au danger, et non le tableau d’activation cérébrale qui correspondrait à l’évocation d’un souvenir. Plus particulièrement, certaines zones impliquées dans le repérage spatio-temporel (notamment l’hippocampe et le cortex préfrontal dorso-latéral) dysfonctionnent, ce qui correspond à cette sensation du «  temps qui n’a pas passé  » de l’événement traumatique  : le client a beau savoir que l’événement est terminé, il ne le sent pas (van der  Kolk, 2015). Son corps, son système nerveux réagissent comme s’il était encore dans la situation de danger, déclenchant une réponse de stress pouvant aller jusqu’au figement, et de nombreux symptômes liés aux tentatives du client de faire face à la peur, notamment les stratégies d’évitement et les comportements addictifs. La prise en charge de tels états nécessite donc une prise en compte du corps, et un monitoring de l’état émotionnel du client au cours de la séance, afin de l’aider à se réguler, le cas échéant (Smith, 2021b). Le Lifespan IntegrationTM se base ici sur la notion de fenêtre de tolérance, un concept de psycho-traumatologie

permettant d’évaluer si le client se trouve dans un état émotionnel supportable ou s’il risque d’être retraumatisé (Ogden et  al., 2006  ; Siegel, 1999). Surveiller l’état physiologique du client permet d’éviter les abréactions ou le basculement du client dans un état de figement lors du travail sur un matériel traumatique. Le thérapeute peut, selon ses observations et celles du client, proposer à ce dernier, au fur et à mesure de la séance, des mouvements corporels permettant de sortir du figement ou au contraire de majorer l’ancrage dans le présent, ou encore des interactions permettant d’aider le patient à se sentir soutenu. Ces stratégies se basent sur la théorie polyvagale, qui permet de penser les liens entre activation des systèmes sympathique et parasympathique face à une situation de stress (Porges, 2022 ; Porges et Dana, 2022). L’hypothèse sous-jacente au Lifespan IntegrationTM est que la répétition de la Ligne du Temps et des souvenirs qui la constituent, lorsqu’elle est effectuée d’une manière émotionnellement tolérable pour le client (maintien dans la fenêtre de tolérance), permet de relancer la « sensation du temps qui a passé » qui manque dans la mémoire traumatique et, dans une moindre mesure, dans les souvenirs dits « marquants ». Nous nous basons sur l’hypothèse de Hebb (Hebb, 1949) selon laquelle des neurones qui déchargent ensemble s’associent. Ici, la Ligne du Temps permettrait de faire décharger ensemble des éléments non résolus de l’histoire du client avec le reste de son histoire autobiographique (Pace, 2014), favorisant ainsi la cohérence de son récit auto-biographique. À ce travail de relance du processus de datation des souvenirs peut s’associer, comme nous l’avons vu ci-dessus, un travail en imagerie mentale. Le thérapeute propose alors au patient, s’il en ressent le besoin, de s’imaginer régler ses comptes avec les personnes du passé ; ou encore, ce travail en imagerie peut prendre la forme d’un reparentage. Dans les deux cas, ce travail d’imagerie repose sur les études ayant mis en évidence la similitude d’activation cérébrale entre le fait de réaliser une activité «  pour de vrai  » et le fait de l’imaginer.

Ce travail de « datation » et de reparentage est également appliqué avec succès (Rejil et al., 2020) sur les périodes les plus précoces du développement, avec des résultats empiriques évidents en termes d’amélioration de la sécurité de l’attachement du client (Smith, 2021a). Ceci confère au Lifespan IntegrationTM la particularité d’être une psychothérapie du trauma visant également à traiter les traumatismes préverbaux et les expériences précoces d’insécurité ou de désorganisation de l’attachement (Smith, 2017).

Similitudes et différences du Lifespan IntegrationTM par rapport à l’hypnose ’ L’imagerie mentale est certainement la dimension du Lifespan IntegrationTM qui ressemble le plus à l’expérience de l’hypnose. Le client peut être amené à visualiser une scène, en l’occurrence ici une scène du passé, et à y intervenir. Néanmoins, en Lifespan IntegrationTM, nous ne cherchons pas à modifier le passé en changeant le scénario de ce qui a eu lieu. Il est seulement proposé au client d’exprimer sa colère, s’il y a lieu, puis d’emmener son « Moi » du passé dans un endroit tranquille ou dans le présent afin de le réconforter et de lui donner des informations correctrices. Par exemple, nous travaillons avec Sylvie, 35 ans, sur une scène de violence physique de son père à son égard. À  l’évocation de cette scène de ses 8 ans, Sylvie pleure, se sent toute petite, avec un fort sentiment d’impuissance et d’injustice. Nous effectuons d’abord plusieurs répétitions de la Ligne du Temps afin de l’aider rapidement à s’apaiser un peu émotionnellement. Après quelques répétitions, nous proposons à Sylvie d’entrer dans cette scène de ses 8 ans afin d’aller chercher la petite Sylvie du passé et de prendre soin d’elle. Nous lui faisons imaginer qu’elle s’installe avec la petite dans un endroit agréable, puis qu’elle lui montre des éléments chronologiques de l’histoire de sa vie, de  8 ans et jusqu’à

aujourd’hui, par exemple  : sa maîtresse de CM2 (10  ans), la rencontre de sa copine Mélanie (15 ans), l’obtention du bac (18 ans), l’embauche salariale (22  ans), le premier baiser avec Stéphane (26  ans), le déménagement à Nantes (31  ans), avoir le Covid (34 ans) et quelque chose de vraiment tout récent. Ensuite, nous lui proposons de montrer à la petite Sylvie à quoi ressemble sa vie d’aujourd’hui. Sylvie imagine donc emmener son Moi de 8 ans dans son appartement et dans d’autres lieux qu’elle aime, lui présenter son mari et lui montrer son chat. Ensuite, après une petite pause permettant de recueillir le feedback de la cliente afin de faciliter le réajustement éventuel des consignes du thérapeute, nous reprenons une nouvelle répétition. Après quelques répétitions incluant ce réconfort de la petite Sylvie du passé, Sylvie exprime de la colère à l’égard de son père, mais aussi de sa mère, qui était au moment des faits dans la pièce contiguë, et ne l’a pas protégée. Nous lui proposons d’exprimer sa colère, de façon imaginaire et sous la forme qu’elle souhaite (imaginer dire des choses à ses parents, ou les frapper, par exemple). Le thérapeute peut éventuellement proposer des modes d’expression de la colère qui lui semblent pertinents par rapport à la nature du souvenir et à la réaction émotionnelle du patient. Par exemple, le thérapeute pourrait proposer : « voyez si vous auriez envie de dire à votre père que sa fille a peur de lui et qu’il est en train de lui faire du mal, pas de l’éduquer », ou encore : « voyez si vous auriez envie d’entrer dans la scène et de repousser votre père, ou même de le frapper… voyez s’il y a des choses que vous aimeriez dire à votre mère, qui a laissé faire sans vous protéger ». Dans cet exemple, à aucun moment nous « n’effaçons » ce qui s’est passé pour le modifier par un scénario alternatif. Par exemple, le thérapeute ne proposera pas d’imaginer que le père s’excuse, ou encore qu’il arrête les violences car il se rend compte de leur gravité, ou bien que la mère entre dans la scène pour défendre Sylvie. En outre, dans ces moments de reparentage, les propositions du thérapeute sont généralement plutôt précises, et pas formulées dans le langage ambigu plus typique de l’hypnose. Néanmoins, le client a

le choix de se saisir des propositions du thérapeute et de s’en inspirer librement. Le reparentage est collaboratif, dans la mesure où le thérapeute va s’inspirer du feedback du client pour lui offrir de nouvelles propositions.

En Lifespan IntegrationTM, le thérapeute va faire varier le rythme de lecture de la Ligne du Temps à l’état émotionnel du client  : plus le client est émotionnellement dérégulé (tendant au débordement émotionnel, dit hyperactivation, ou au contraire à l’anesthésie et à l’engourdissement émotionnels, dits hypoactivation), plus le rythme sera rapide. Au contraire, lorsque le matériel traité devient moins traumatique, le client s’apaise et écoute le déroulement de sa Ligne du Temps dans un état qui semble plus proche de l’état hypnotique, il est plutôt détendu tout en étant généralement présent et attentif. Néanmoins, cet état proche de l’hypnose n’est ni systématique, ni déclenché volontairement par le thérapeute. Il est le résultat de la séance plutôt que l’état de départ.

En effet, au démarrage de la séance, non seulement le thérapeute a souvent une voix plus tonique qu’à la fin de la séance, mais encore, il ne met en place aucune technique particulière de mise sous hypnose, il ne cherche pas à provoquer d’amnésie, et le client garde le plus souvent les yeux ouverts. Les pauses régulières, à la fin de chaque Ligne du Temps, sont composées d’un échange entre thérapeute et client qui, même bref, ne favorisera pas, dans la plupart des cas, la modification de l’état de conscience de manière durable. Les feedbacks du client sont toujours donnés les yeux ouverts. ’

Dans le cadre de l’attention portée à l’état du Système Nerveux Autonome du client tout au long de la séance, il est fréquent d’observer que le client a parfois des «  absences  », au sens où il nous indique «  ne pas avoir écouté  », «  ne pas avoir suivi  » la lecture de la Ligne du Temps pendant tout ou partie d’une répétition. Parfois, un événement en particulier n’est pas entendu par le client pendant plusieurs répétitions, puis cet événement peut être entendu tout à coup à la répétition suivante. Nous considérons ces moments comme des moments d’activation du système nerveux parasympathique, dans sa branche dorsale (Porges, 2021, 2022  ; Porges et Dana, 2022). Le thérapeute en Lifespan IntegrationTM observe et respecte ces manœuvres protectrices, et les interprète, surtout si elles sont importantes ou durables, comme le signe que l’intensité émotionnelle des informations fournies par la lecture de la Ligne du Temps est trop grande. Le thérapeute est alors généralement amené à « alléger » la lecture de la Ligne du Temps, par exemple en ne prenant plus que la moitié des souvenirs initialement employés. En outre, en cas d’absences du patient, le thérapeute invite ce dernier à accepter de «  ne pas tout suivre  » et à observer son processus, plutôt qu’à chercher à « tout écouter » à tout prix. En Lifespan IntegrationTM, les moments «  d’absorption  » sont donc plutôt évités, parce qu’ils sont interprétés comme des moments d’hypoactivation, au cours desquels l’assimilation de l’expérience sera entravée ; ceci semble différent par rapport à l’absorption de la transe observée en hypnose, au cours desquels l’assimilation d’informations nouvelles sera favorisée. ’



Le Lifespan IntegrationTM utilise en revanche une technique issue de l’hypnose, intitulée Pont d’Affect (Watkins, 1971). Le Pont d’Affect peut être utilisé ponctuellement afin de trouver quel(s) souvenir(s) non résolu(s) est (sont) sous-jacent(s) à un problème actuel. Il consiste à proposer au client de se focaliser sur le problème actuel,

de montrer où il sent ce problème dans son corps et de l’amener, généralement les yeux fermés, à observer quels souvenirs lui viennent à l’esprit s’il efface le problème actuel pour se focaliser sur la sensation corporelle qui lui est associée. Cette technique fait généralement émerger un ou plusieurs souvenirs dont le traitement débouche sur un apaisement de la problématique abordée. En Lifespan IntegrationTM, une fois le Pont d’Affect terminé (il ne dure généralement que quelques minutes), nous choisissons avec le client sur quel souvenir travailler et, après l’avoir situé dans le temps, employons la Ligne du Temps afin d’aider le client à intégrer ce souvenir comme passé.

L’état du client en Lifespan IntegrationTM est-il un état hypnotique ? L’état hypnotique est difficile à définir. Nous nous baserons ici sur les éléments fournis par Bioy dans l’Encyclopédie Médico-Chirurgicale (Bioy, 2021), à savoir : ● une modification de l’orientation temporo-spatiale : difficultés ou altérations dans la perception du temps mais aussi du corps ; ● un sentiment de détente, incluant une détente mentale ou un relâchement ; ● une hyperabsorption de l’attention ; ● une diminution du jugement et de la censure, « les choses sont perçues, senties, mais pas analysées dans l’instant  » (Bioy, 2021) ; ● une expérience de réponse quasi automatique, perçue comme non volontaire. Prenons ces quatre éléments un à un pour décrire l’expérience qui en est faite en Lifespan IntegrationTM. ’

Une modification de la perception du temps (par exemple de la séance) survient parfois en Lifespan IntegrationTM, mais elle reste occasionnelle. Elle s’applique parfois à la Ligne du Temps ellemême  : le déroulement du temps à l’aide des souvenirs peut sembler très long entre le passé et le présent, ou au contraire très rapide et ce, alors que le nombre de souvenirs et le rythme de lecture n’ont pas été modifiés. En revanche, la perception de son corps par le client est activement maintenue par le thérapeute dans sa dimension d’ancrage dans le présent. Ainsi, le thérapeute peut inciter le client à malaxer un objet, à marcher, à s’étirer… durant les répétitions de la Ligne du Temps, afin de favoriser l’association de la réalité corporelle du présent avec celle, souvent désagréable, liée aux souvenirs. Il s’agit d’entraîner le client à penser à son passé tout en étant capable corporellement et émotionnellement, de rester conscient de sa situation ici et maintenant, dans le présent de la séance.

Ce n’est qu’à la fin des séances, et souvent alors que la thérapie est un peu plus avancée, que le client peut fermer les yeux et expérimenter une détente corporelle, parfois associée à une sensation de lourdeur ou de flottement, qui semblent ressembler davantage à l’état corporel en hypnose. À  la fin d’une séance de traitement d’un Trouble de Stress PostTraumatique, la dernière partie de la séance consistera à passer en revue, lentement, l’ensemble de l’événement traumatique, puis la suite jusqu’au présent, alors que le client a les yeux fermés. Le client se détend alors peu à peu. Cette détente s’observe aussi, une fois qu’un événement traité est de plus en plus ressenti par le client comme « terminé », lorsque le client s’adonne à des moments de reparentage de son petit Moi du passé, en particulier lorsque ce reparentage implique beaucoup de tendresse et encore plus s’il s’adresse à un bébé.

Le sentiment de détente semble, en Lifespan IntegrationTM, plutôt constituer un résultat de l’intervention qu’un pré-requis à celle-ci. ’ Cette hyperabsorption de l’attention peut être présente, mais n’est ni recherchée ni un pré-requis, dans la mesure où une séance peut avoir lieu sans cette hyperabsorption. Les moments de reparentage ou encore le déroulé de la Ligne du Temps peuvent s’associer à une hyperabsorption, mais ils peuvent aussi être associés à des absences ou encore à un processus réflexif, ou des sensations corporelles…

Cette diminution existe dans les moments d’expression de l’agressivité liée au passé, dans la mesure où l’expression de la colère n’a pas besoin d’être réaliste  : le client peut par exemple se voir doté de super-pouvoirs à ce moment-là. Néanmoins, le processus s’accompagne également parfois d’un processus réflexif, de prises de conscience sur son histoire de vie, sur ses relations. Nous faisons profondément confiance à la capacité du système nerveux du client à se réorganiser au fur et à mesure des nouvelles informations qui lui sont données, essentiellement la sensation de flux du temps et les informations émotionnelles correctrices liées au reparentage.

C’est l’une des dimensions les plus caractéristiques de l’hypnose, et elle est pour ainsi dire absente en Lifespan IntegrationTM. La collaboration constante au cours du processus entre client et thérapeute, les allers-retours réguliers entre les feedbacks du client et les propositions du thérapeute rendent peut-être cette dimension automatique de l’expérience difficile voire impossible en Lifespan

IntegrationTM. À chaque proposition qu’il fait, le thérapeute demande à son client ce qu’il en pense, comment il l’a perçue et si elle lui convient ; cela lui permet ensuite de réajuster si besoin, et ainsi de suite. Certainement cette dimension de collaboration très présente est-elle différente de la dimension d’autorité parfois utilisée en hypnose.

Conclusion Le Lifespan IntegrationTM permettrait de traiter des symptômes posttraumatiques, les séquelles d’événements marquants non traumatiques, y compris d’événements précoces, survenus durant la période préverbale. Les états de conscience traversés par les patients durant les séances sont de nature très variable, ils semblent parfois modifiés, mais ne font pas l’objet d’une intention particulière du thérapeute. Le thérapeute en Lifespan IntegrationTM s’intéresse plutôt au niveau d’activation psycho-physiologique du patient, en termes de Système Nerveux Autonome, en référence à la théorie polyvagale (fuite, combat, figement) qu’à son niveau de conscience. Il serait donc particulièrement intéressant d’étudier la différence de déroulement et d’efficacité entre une séance de Lifespan IntegrationTM classique, et une séance similaire de Lifespan IntegrationTM, réalisée après mise sous hypnose. Une telle étude nous permettrait certainement de mieux comprendre les similitudes et les différences entre l’état du client lors d’une séance de Lifespan IntegrationTM et lors d’une séance d’hypnose. Elle permettrait peutêtre de développer certains dispositifs thérapeutiques convenant mieux à certains patients.

Chapitre 49 EMDR, une hypnose comme les autres ?

Évelyne Josse Les patients entrent-ils dans un état de conscience modifié au cours d’une session EMDR ? C’est à cette épineuse question que nous allons tenter de répondre. Francine Shapiro affirme que l’EMDR n’est «  pas de l’hypnose ». Contrairement aux patients en état hypnotique, durant les séances EMDR, les patients sont, dit-elle, plus alertes et conscients ; ils ne sont pas sensibles à la suggestion et ont des tracés EEG dans les paramètres normaux d’éveil (Shapiro, 1995). Toutefois, nombreux sont les cliniciens qui remarquent, chez leurs patients, des signes d’état de conscience modifiée. Commençons par définir l’EMDR et à détailler le protocole utilisé par les praticiens EMDR.

L’EMDR

L’EMDR est une approche psychothérapeutique. Elle a été découverte fortuitement aux Etats-Unis, en 1987, par Francine Shapiro, docteur en psychologie au Mental Research Institute de Palo Alto en Californie. Cette méthode a rapidement révolutionné la conception et la pratique de la psychothérapie. Depuis, de nombreuses recherches se sont succédé et la technique n’a cessé de se perfectionner.

EMDR est l’acronyme de «  Eye Movement desensitization and reprocessing », en français « désensibilisation et retraitement par le mouvement des yeux  ». L’appellation «  EMDR  » a été conservée même si la méthode ne se limite plus désormais à l’utilisation des mouvements oculaires.

Depuis 1989, l’efficacité de l’EMDR dans le traitement des traumatismes psychiques a été scientifiquement prouvée par de nombreuses études contrôlées. Son intérêt a également été démontré pour la thérapie des deuils, des phobies et des attaques de panique, des dysfonctionnements sexuels, des dépendances, des troubles dissociatifs, de l’anxiété de performance et des troubles somatoformes. L’EMDR est reconnue aux États-Unis par l’American Psychologist Association, l’International Society for Traumatic Stress Studies, l’American Psychiatric Association et le Department of Veterans Affairs and Department of Defense ; en France par l’Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale et par la Haute Autorité de la Santé, en Israël par le National Council of Mental Health Israël, en Irlande par le Northern Ireland Department of Health et au RoyaumeUni par le Department of Health et le National Institute for Health and Clinical Excellence. Distinction suprême, depuis 2013, l’Organisation Mondiale de la Santé préconise l’EMDR pour le traitement des troubles psychotraumatiques comme traitement de première intention tant pour les adultes que pour les enfants (WHO, 2013).

L’histoire de l’EMDR débute en 1987, aux États-Unis, par une belle journée de printemps du mois de mai. Alors que Francine Shapiro se promène dans un parc, préoccupée et soucieuse, elle réalise que les pensées désagréables qui la perturbent deviennent moins bouleversantes. Or, habituellement, penser à ses soucis renforce

leur prégnance et accroit l’intensité des émotions négatives qu’ils génèrent. Elle remarque que ses yeux effectuent spontanément des mouvements latéraux rapides lorsque ses pensées dérangeantes lui viennent à l’esprit. Elle pressent que la clé de la désensibilisation émotionnelle réside dans ces va-et-vient oculaires. Sa spécificité de chercheuse la conduit à vérifier son intuition auprès de volontaires, amis, collègues et patients. Petit à petit, elle construit un protocole de traitement structuré qu’elle expérimente avec des vétérans de la guerre du Vietnam, des victimes de viol et de violence. Les résultats positifs se confirmant, elle poursuit ses recherches et réalise une thèse de doctorat.

Le protocole EMDR L’EMDR est une thérapie à part entière et comme telle doit être menée consciencieusement. Le traitement comporte huit phases : ● l’histoire du patient ; ● la préparation ; ● l’évaluation ; ● la désensibilisation ; ● l’installation ; ● le scanner corporel ; ● la clôture ; ● la réévaluation.

La thérapie EMDR débute par un, voire plusieurs entretiens préliminaires. Ils s’imposent par la nécessité de recueillir un certain nombre d’informations et d’établir un bilan qui précisera l’indication de l’EMDR et, le cas échéant, sa contre-indication. Le praticien veille à récolter les éléments importants concernant la vie du sujet, son état de santé physique et mentale (condition

générale et complications telles que troubles cardiaques, troubles mentaux antérieurs, médications,  etc.) et réalise une anamnèse sérieuse de la problématique motivant la demande de traitement (événements associés à l’apparition des symptômes, stimuli activant les symptômes, comportements futurs désirés, etc.). Le thérapeute établit un plan de ciblage. Il permet d’avoir une vue d’ensemble sur les souvenirs perturbants à retraiter et d’évaluer les ressources du patient qui nécessitent d’être renforcées. Avec la participation du patient, il identifie le souvenir ou la situation à l’origine des difficultés. Si le patient expose plusieurs situations problématiques, il détermine avec lui les priorités de traitement. Habituellement, la thérapie EMDR s’effectue en trois temps. Si le patient est suffisamment stable, la première étape consiste à retraiter les événements du passé. Dans un deuxième temps, sont ciblés les déclencheurs actuels. Pour terminer, sont abordées les situations futures appréhendées comme difficiles à affronter.

Au-delà de ce bilan d’évaluation, ces entretiens préparatoires sont indispensables pour créer une interaction de qualité entre le thérapeute et son patient. La confiance que le patient accorde au praticien l’aidera à accueillir l’émergence des émotions négatives intenses qui risquent de surgir lorsqu’il dévoilera les situations difficiles qu’il traverse. Cette étape préparatoire permet aussi au thérapeute de fournir toutes les informations utiles sur l’EMDR, de démystifier la technique et de répondre aux interrogations du patient. Il s’agira notamment de raisonner ceux qui attendent de cette technique des effets magiques et instantanés. Ces effets miraculeux sont fréquents dans les traumatismes et les phobies simples, mais nettement plus rares dans les traumatismes complexes, l’anxiété généralisée et l’anorexie, par exemple. Le praticien enseigne au patient un exercice de stabilisation afin qu’il puisse maîtriser ses réactions (corporelles, émotionnelles) lorsqu’il

dévoile des vécus éprouvants. La technique de relaxation combinée à des mouvements oculaires, couramment désignée par le terme « lieu sûr », est une méthode d’ancrage recommandée dans toutes les prises en charge. Ce lieu peut être réel ou imaginaire. Une fois installé, le patient pourra recourir à son lieu sûr pendant et après la séance. En cas de problématique aiguë, avant d’entamer le traitement EMDR proprement dit, le praticien doit renforcer ces stratégies de stabilisation par des techniques de renforcement du moi, de relaxation, de gestion du stress, de gestion des dissociations, etc. Il est important que le patient reste dans ce que les praticiens EMDR nomment la « fenêtre de tolérance ». Il s’agit de l’intensité optimale des émotions. L’hyper et l’hypo-activation émotionnelles indiquent toutes deux une difficulté de régulation du niveau de l’activation neurophysiologique (hyperactivation du système nerveux sympathique dans le cas d’un débordement d’émotions et d’une agitation  ; hyperactivation du système parasympathique, et plus précisément de la branche dorsale du nerf vague, dans le cas d’une dissociation émotionnelle, souvent accompagnée d’une immobilité). Le thérapeute teste avec le patient les différents types de stimulations bilatérales (visuelles, tactiles, auditives) afin de déterminer celles qui lui conviennent le mieux. Thérapeute et patient s’accordent sur un signal «  Stop  ». Il permet au patient d’informer le thérapeute d’une difficulté et d’interrompre le traitement si le processus lui devient trop pénible. Ces conditions étant réunies, la thérapie EMDR proprement dite peut commencer.

Dans la majorité des cas, les difficultés et les symptômes des patients sont le fruit d’expériences passées dont le souvenir est stocké physiologiquement dans le cerveau de manière dysfonctionnelle. La thérapie EMDR a pour objectif d’identifier et de

retraiter ces mémoires perturbantes à l’origine des problèmes actuels. L’évaluation comporte sept étapes : ● l’image la plus représentative ou la pire du souvenir ancien, de la situation actuelle déclenchant la détresse ou de la situation future difficile (visuelle, auditive, etc.) ; ● la pensée négative actuelle (par exemple, «  Je vais mourir  », «  Je suis impuissant  », «  Je n’ai pas le contrôle  », «  J’ai fait quelque chose de mal  », «  Je ne vaux rien  », «  C’est de ma faute  »,  etc.). Il s’agit d’une croyance noétique négative et irrationnelle sur soi, perçue au moment de l’événement, mais ressentie encore comme vraie aujourd’hui ; ● la pensée positive, croyance positive et rationnelle que le patient souhaiterait avoir de lui, par laquelle remplacer la cognition négative (par exemple, « Je suis en sécurité », « J’ai fait ce que j’ai pu », «  J’ai fait de mon mieux  », «  Je suis bien comme je suis », « J’ai du contrôle maintenant », etc.) ; ● le degré de conviction entre 1 et 7 (à quel point cette pensée est ressentie comme vraie maintenant). Cette échelle mesurant la validité de la cognition positive est appelée VOC (pour validity of cognition, en français : validité de la cognition) ; ● l’émotion actuelle (angoisse, terreur, colère, culpabilité, honte, etc.) ; ● son intensité actuelle entre 0 et 10. Cette échelle d’évaluation de la perturbation émotionnelle face à la situation cible est nommée SUD (pour Subjective Unit of Distress, en français  : échelle des unités subjectives de perturbation) ; ● les sensations physiques actuelles (boule au ventre, gorge nouée, poids sur la poitrine, impression de jambes coupées, etc.) associées aux images, pensées et émotions (à quel endroit la perturbation est ressentie dans le corps). Avec la participation du patient, le thérapeute identifie la situation à l’origine du problème et s’il en existe plusieurs, établit des priorités de traitement.

Le thérapeute convie le patient à garder à l’esprit la situation cible, la pensée négative, les émotions et les sensations physiques associées. Vient ensuite la phase de stimulations bilatérales alternées1. Ces stimulations se font par le biais de mouvements oculaires (le patient suit des yeux les doigts du thérapeute ou un objet en mouvement), de stimulations tactiles (le thérapeute tapote de manière alternée les mains ou les genoux du patient ou lui demande de tenir en main des pelotes émettant des vibrations) ou de stimulations sonores (il claque des doigts alternativement à droite et à gauche ou utilise un émetteur de bips sonores). Le thérapeute interrompt les stimulations, encourage le patient à exprimer ce qui se produit en lui (émotions, sensations physiques, modification du souvenir, enchaînement de souvenirs liés au premier par une chaîne associative, émergence d’une nouvelle cognition positive, etc.), puis reprend les stimulations. Le patient effectue de nombreuses associations et petit à petit, les informations dysfonctionnelles sont retraitées. Le thérapeute répète les sets de stimulations aussi longtemps que du nouveau matériel émerge. Lorsque plus rien n’advient, le thérapeute demande au patient d’évaluer son niveau de perturbation sur l’échelle introduite lors de la phase précédente. Le thérapeute répète les sets de stimulations jusqu’à ce que le patient évalue sa détresse à 0 ou à 1 (1, s’il reste un résidu de perturbation dite écologique2). Durant cette phase, le patient peut traverser des émotions intenses. À tout moment, il peut utiliser le signal « Stop ». Le thérapeute doit toujours veiller à ce que le patient reste dans sa fenêtre de tolérance.

Une fois la cible « désensibilisée » (seuil de perturbation à 0 ou 1), le thérapeute débute la phase d’installation. Il utilise les stimulations bilatérales pour installer l’idée positive. Il poursuit les sets jusqu’à ce

que le patient évalue la validité de la cognition positive à 7 (VOC). Il vérifie ensuite que la pensée positive associée à l’image-cible ne perturbe plus le patient.

Le praticien demande au patient, alors qu’il pense à la situation et à la cognition positive, d’effectuer un « scanner corporel » passant en revue toutes ses sensations corporelles des pieds à la tête. Cette phase a pour but de repérer les tensions ou sensations négatives qui subsisteraient et de les dissiper à l’aide de nouvelles séries de stimulations bilatérales.

Le thérapeute termine la séance par un petit débriefing en réorientant le patient sur le présent. Il veille à ce qu’il quitte la consultation en étant stable émotionnellement, que le traitement soit terminé ou non.

En début de séance suivante, le thérapeute réévalue la situation et poursuit ou adapte le traitement.

L’EMDR et les états de conscience modifiés Maintenant que nous maîtrisons les données indispensables à la compréhension de l’EMDR, penchons-nous sur les ECM.

Il n’existe pas de définition unanimement partagée des ECM et les cliniciens comprennent donc cette notion diversement. Du reste, les formules «  état de conscience modifiée  » et «  état modifié de

conscience  » sont assez mal choisies et restent soumises à controverse. Parler d’un état modifié de la conscience suppose implicitement qu’il existe un état de conscience de référence «  normal  ». Or, lorsque nous enregistrons, à l’aide d’un casque à électrodes, les ondes émises par notre cerveau, nous constatons que nous passons tous par différents états «  normaux  » au cours d’un cycle de vingt-quatre heures. Comme certains le suggèrent, il est plus juste de nommer les ECM «  états de conscience élargie  » ou « états élargis de conscience », dans la mesure où ils offrent la possibilité d’explorer des ressources psychiques, inaccessibles dans les états de veille habituels. De plus, il ne s’agit pas à proprement parler d’un état, mais plus exactement d’un processus dynamique. La désignation la plus correcte serait donc «  processus de conscience élargi  » ou «  processus élargi de conscience  ». Cela étant dit, dans ce chapitre, nous nous plions à l’usage, et utiliserons la locution largement répandue d’ECM. Selon la définition des ECM proposée par l’INSERM, il convient de distinguer «  trois aspects essentiels  : l’éveil (par opposition au sommeil au cours duquel on “perd conscience”), la perception réaliste de son environnement, et celle de soi-même. En temps normal, dès lors qu’on est complètement sorti du sommeil, ces trois composantes sont actives et associées  : nous sommes “normalement” conscients  ! Mais si l’une ou l’autre est diminuée, éteinte ou dissociée, on bascule dans un état de conscience modifié. » (INSERM, 2022.) Les états de conscience modifiés naturels peuvent être spontanés ou être induits délibérément. Ils s’échelonnent de la simple relaxation à l’état extatique en fonction de l’intensité de la dissociation d’avec la réalité extérieure. Un des points communs entre ces différentes expériences réside dans la dissociation entre l’esprit, le corps et l’environnement. Plus la dissociation est importante, plus le sujet perd la notion de soi, de l’espace et du temps. Si l’on admet la définition de l’INSERM, force est de constater que l’EMDR engendre fréquemment un ECM, bien que ces états ne

soient pas produits intentionnellement, pas plus de la part du thérapeute que du patient. Cela va sans dire, le vécu varie considérablement d’un patient à l’autre et pour un même patient, d’une séance à l’autre  ; tous n’expérimentent pas un ECM ou pas avec la même intensité. Laissons de côté le point de vue neuropsychologique et intéressonsnous à l’aspect phénoménologique, c’est-à-dire à ce que révèlent les patients de leurs perceptions de l’environnement et d’eux-mêmes telles qu’ils les expérimentent durant les séances EMDR.

Dans l’état de conscience ordinaire, notre attention est diffuse et dynamique ; elle se porte alternativement, sans s’y attarder, sur les multiples informations internes (perceptions corporelles, pensées, émotions,  etc.) et sur les stimuli émanant de la réalité extérieure (environnement physique, personnes,  etc.). En EMDR, on observe une diminution de l’orientation du patient vers la réalité externe au profit d’une augmentation de son intérêt pour ses processus internes (idées, images, sensations, émotions et/ou comportements). Il est tellement mobilisé par les différents aspects de son expérience intérieure qu’il devient momentanément inattentif, voire indifférent, à ce qui se situe en périphérie du centre de son attention. L’EMDR est comme un téléobjectif. La longue focale de l’objectif induit un cadrage serré. Seul un angle de champ étroit du paysage est pris en compte. Parallèlement, le zoom rapproche les objets en ligne de mire, leur donnant une importance accrue. Plus le patient est absorbé par ses processus internes, plus ceux-ci prennent de l’ampleur dans son champ de conscience, plus l’intérêt pour la réalité extérieure diminue et plus l’expérience est intense. Voici quelques réflexions de patients  qui illustrent cette déconnexion d’avec la réalité extérieure : « J’ai l’impression d’être ailleurs », « Je suis partie loin  !  », «  C’est comme si je sortais d’une sieste  » ou encore, en fin de séance, alors que le thérapeute  se désole des

nuisances sonores occasionnées par les travaux  de réfection dans l’immeuble : « Du bruit ? Ah, je n’ai rien entendu ! » Selon les théoriciens, en EMDR, les patients n’entreraient pas dans des ECM, car ils sont invités à suivre leur expérience intérieure tout en restant conscients de la situation actuelle. On nomme «  double attention » la capacité du patient à être conscient simultanément de la sécurité du moment présent, de ses ressources (qualités et forces) ainsi que de la présence rassurante du thérapeute (présence contenante, respectueuse et bienveillante, compétences professionnelles) tout en accédant à des souvenirs traumatiques. Leur attention ne serait donc pas entièrement focalisée sur les images internes ; ils auraient un pied dans le présent, un autre dans le passé. Être ici, dans le présent (dans le cabinet de consultation, maintenant) tout en étant ailleurs dans le passé (dans un autre endroit et un autre temps), qu’est-ce donc  ? Pour les hypnothérapeutes, c’est la définition même de la dissociation hypnotique. Prenons un film de Hitchcock. Lorsque nous sommes captivés par le suspens du film, certains spectateurs hurlent plus fort que la victime elle-même quand le tueur fait irruption, armé d’un long couteau effilé. Ces derniers savent qu’ils sont au cinéma, mais ils sont tellement envoûtés par le film qu’ils le vivent intensément, presque comme si les scènes étaient réelles. Ils sont «  dans le film  ». C’est ce que les cinéphiles appellent être «  bon public  » et que les hypnothérapeutes qualifient d’état de conscience modifiée. Plus le spectateur vit intensément l’intrigue du film, plus il « s’associe » au scénario, plus il se dissocie de la réalité extérieure. Toutefois, même profondément absorbé, son esprit conscient (esprit critique) ne cesse pas complètement de fonctionner (il est conscient d’être dans une salle de cinéma, entouré de spectateurs), mais la balance penche du côté des processus internes. De même, en EMDR, malgré l’intention du praticien à maintenir une dualité d’attention entre réalité intérieure et réalité extérieure, des ECM surgissent fréquemment spontanément, car l’équilibre de cette

attention partagée se modifie à mesure que l’intensité de l’expérience intérieure augmente. En EMDR, les ECM sont le plus souvent de courte durée et généralement peu profonds. Les moments de confrontation avec la situation perturbante alternent avec des états plus vigilants. Le thérapeute interrompt régulièrement les stimulations et encourage le patient à exprimer brièvement ce qui se produit en lui, ce qui réoriente son attention sur son interlocuteur et sur la réalité externe. Toutefois, cette réorientation n’est que partielle, la question du thérapeute, «  Qu’est-ce que vous remarquez maintenant  ?  » ou «  Qu’est ce qui est là maintenant  ?  », portant sur les processus internes du patient. De plus, le fait d’alterner les moments de reconnexion avec l’environnement et les plongées dans le souvenir perturbant peut paradoxalement favoriser et approfondir un ECM. Les hypnothérapeutes appellent cette technique «  l’hypnose fractionnée  ». En répétant l’opération à deux ou trois reprises, le patient s’immerge de plus en profondément dans la situation problématique. Au processus d’absorption génératif d’ECM, s’ajoutent les différences individuelles dans la capacité des patients à rester présents. C’est le cas notamment des patients atteints de troubles dissociatifs suite, par exemple, à des traumatismes complexes. Outre l’attention focalisée et rétrécie, un hypnothérapeute averti n’a aucun mal à repérer divers signes d’ECM chez les patients durant la phase de désensibilisation du traitement EMDR  : immobilité, modification du timbre de la voix, expression au temps présent comme si le sujet revivait la scène en temps réel, hypermnésie (il se souvient avec beaucoup de précision de détails enfouis dans sa mémoire),  etc. La séance terminée, le patient relèvera parfois une distorsion temporelle, fréquente dans les ECM. Celle-ci consiste en une modification de la perception de la durée du temps qui s’écoule. Il peut éprouver le sentiment que la séance a été plus longue ou plus courte qu’elle ne l’a objectivement été : « C’est passé super vite et j’en ressors pleine d’énergie. », « Quoi ? C’est déjà fini ? Je n’ai pas

vu le temps passer. », « Oh, je suis fatiguée ! C’était plus long que d’habitude, non ? »

Dans le mode de fonctionnement de veille ordinaire, notre attention est labile  ; nous faisons montre d’un esprit critique  ; nous sommes en pleine possession de nos capacités de raisonnement et de discernement, nous avons un sentiment de contrôle et nous agissons consciemment, mus par notre volonté. A contrario, lorsque notre attention se focalise sur nos processus internes, nous nous extrayons de l’environnement et nos facultés de jugement, d’analyse et d’action se modifient. La suspension de l’état critique favorise l’émergence spontanée de vécus  ; des phénomènes se produisent de manière involontaire, indépendamment du contrôle conscient habituel : nous expérimentons un état de conscience modifié. Dans les ECM, le sujet éprouve le sentiment que son fonctionnement mental est significativement différent de sa conscience habituelle  ; il a l’impression de plus être tout à fait luimême, il expérimente un rapport différent à sa personnalité, à son corps, aux autres et à l’environnement. Cette altération du rapport à soi se produit fréquemment au cours d’une séance EMDR. Elle peut se manifester par une absence de contrôle et d’auto-censure. Par exemple, un jeune homme s’étonne de s’être libéré des contraintes qu’il s’impose habituellement dans les relations interpersonnelles et qu’il vit comme un écart identitaire : « Il y a un truc qui m’a vraiment étonné. Je ne suis pas habitué à exprimer mes émotions. Ça m’est déjà arrivé de pleurer quand je suis seul, mais devant les gens, quand ça monte, je me bloque. Et là, j’ai pleuré, sans essayer de me retenir. Jamais dans mon état normal je n’aurais pleuré. Si on m’avait dit avant la séance que j’allais pleurer, je ne l’aurais pas cru, parce que pleurer, ce n’est pas moi.  » Les patients expriment également leur étonnement face aux modifications spontanées des images, des émotions, des sensations et des pensées perturbantes et sont surpris par l’enchaînement associatif de souvenirs liés à la

situation cible et par les levées d’amnésie. Voici quelques retours d’expérience : « J’ai été vraiment surprise de ce qui est remonté. Je ne m’attendais pas à ça. Je me souvenais de cet événement, mais je n’avais pas fait le lien avec mes difficultés actuelles. Ça se faisait tout seul. Les images venaient toutes seules. Elles s’imposaient à moi  », «  Ça s’enchaînait vite. Le souvenir se modifiait sans que j’essaie de faire quoi que ce soit. Ça se passait en dehors de ma volonté, mais il y avait tout de même une partie de moi qui était consciente de ce qui se passait et du changement que ça produisait à l’intérieur de moi. Et au fur et à mesure que le souvenir se modifiait, mes émotions aussi changeaient ; je me sentais de mieux en mieux. C’est vraiment magique, ce truc  !  », «  Je sens que quelque chose se produit. Dans mon visage. Il y a de la magie en action », « C’est incroyable ! Ça, c’est cinq ans de psychanalyse en une heure ! Il était vachement très enfoui ce souvenir ! Ce n’est pas très drôle, mais au moins, on sait d’où ça vient et on va pouvoir travailler ». En EMDR, on demande au patient de ne pas se censurer et de laisser venir ce qui lui vient à l’esprit, sans porter de jugement. L’esprit conscient, doué de raison, caractérisé par la volonté, dominant le fonctionnement du sujet à l’état vigile, est invité à se tenir en position d’observateur passif de ses processus internes (Melchior, 2007  : 21  ; Iracane, 2009). Être tout à la fois acteur et spectateur de sa propre expérience est une forme de dissociation caractéristique des ECM. Cette dissociation peut entraîner un sentiment d’étrangeté. Laissons les patients nous rendre compte de cette expérience singulière  : «  Au début de la séance, je me suis connectée à l’image de l’accident, comme vous me l’avez demandé, mais ensuite, c’est bizarre, je me voyais moi dans l’accident, je veux dire que je me voyais comme si je me voyais dans un film, de l’extérieur, et en même temps, j’étais dans l’accident. C’est comme si je le revivais. J’ai ressenti la peur, j’avais mal à la jambe. J’étais à la fois dedans et dehors, comme un spectateur. C’est vraiment bizarre », « Ben, là, je comprends ce que c’est l’inconscient ! Toutes ces idées et ces images qui s’enchaînent sans que je fasse quoi que

ce soit… C’est un peu flippant. C’est comme s’il y avait un autre à l’intérieur de moi. C’est flippant, mais c’est génial aussi, parce que cet autre-là, il a fait un sacré job pendant cette séance ! En tout cas, c’est étrange la façon dont je me perçois maintenant avec tout ça à l’intérieur… » Outre le fonctionnement mental, la conscience de soi comprend également la perception de son propre corps. Les ECM s’accompagnent fréquemment de modifications des sensations corporelles. En EMDR, les patients relèvent ces altérations de leurs perceptions : « Mon corps est lourd », « Je me sens lourd », « Je me sens léger  », «  Je me sens toute légère avec comme un fluide qui me passe dans les jambes  », «  J’ai des picotements dans les jambes  », «  J’ai des sensations un peu étranges dans les mains, c’est comme si elles étaient un peu endormies », « J’ai froid », « J’ai chaud  », «  Mon corps s’est réunifié  », «  J’ai l’impression d’être comme une pièce réaménagée, comme si je ne reconnaissais pas les lieux, mais c’est très bien ». Les remarques des patients en fin de séance EMDR attestent d’un retour, parfois lent, d’un ECM à l’état de conscience vigile : « J’ai la tête à l’envers. C’est de la sorcellerie votre truc ! », « C’est comme si j’étais sur un nuage, ça fait bizarre », « Je me sens bizarre », « Je suis parti loin et j’ai l’impression que je ne suis pas encore tout à fait revenu  », «  Euh, je ne sais plus par où je dois sortir. C’est cette porte-là ? ». Les phénomènes dissociatifs, la perte d’intérêt pour l’environnement et le fonctionnement de soi différent, suscitent des comparaisons avec l’hypnose  : «  C’est un peu comme de l’hypnose ça, hein  ?  », «  C’est quoi la différence avec la séance d’hypnose qu’on a fait la dernière fois ? C’est un peu la même chose, non ? »

Les ingrédients inducteurs d’un ECM Lorsqu’un ECM est souhaité par le patient et le thérapeute, comme c’est le cas en hypnothérapie, des techniques d’induction sont

utilisées. Partant de l’hypnose, nous allons nous atteler à décrire quelques-uns des ingrédients inducteurs d’un ECM qui nous semble présents dans la pratique EMDR.

Dans le but d’aider le patient à entrer dans un état de focalisation intérieure et d’induire un état de conscience modifiée, les hypnothérapeutes utilisent des techniques dites d’induction. Elles visent à réduire l’intérêt du patient pour la réalité extérieure et à la déplacer vers son monde intérieur. Ces méthodes sont variées, mais la plupart ont pour point commun de focaliser l’attention sur un objet, des sensations physiques, une fonction corporelle, une émotion ou une image mentale. Or, tout comme en hypnose, la séance d’EMDR débute par une focalisation de l’attention sur les doigts du thérapeute et surtout, sur un souvenir perturbant, c’est-à-dire sur des images mentales. En hypnose, le praticien invite le patient à « voir », à « entendre » et à « sentir » les différents aspects de son souvenir afin de le rendre de plus en plus vivide. En EMDR, pendant la phase d’évaluation, le thérapeute demande au sujet de déterminer les différentes dimensions de l’événement perturbant  : perceptions sensorielles, cognitions, émotions et sensations. Pendant la phase de désensibilisation, le patient reçoit l’instruction de garder à l’esprit tous ces éléments, ce qui intensifie l’intensité du souvenir. Cette manière de procéder, reconnaît Francine Shapiro, augmente le niveau de réponse (Shapiro, 1995 : 142). La fixation visuelle, avec ou sans mouvements bilatéraux des yeux, est une technique standard d’induction hypnotique. Elle permet de focaliser l’attention du patient sur un élément externe tout en réduisant son champ visuel et, par conséquent, le risque de distraction. En psychologie, on appelle «  habituation  » la «  diminution progressive et la disparition d’une réponse normalement provoquée par un stimulus lorsque ce dernier est répété » (Richard). Le mouvement rythmique d’un pendule, méthode

en vogue chez les hypnotistes au xixe  siècle, ou des doigts du thérapeute en EMDR constitue une stimulation constante. La monotonie du stimulus génère une baisse de la réponse du sujet, «  une diminution de la conscience de l’objet et des réflexes d’ajustement à son égard. Ceci provoque une baisse de l’attention au monde environnant et ouvre en quelque sorte le “paysage intérieur” du sujet  » (Salem, 2002). Il serait surprenant que la focalisation de l’attention sur un objet en mouvement induise un ECM dans le cabinet de l’hypnothérapeute et non dans celui du praticien EMDR. Aujourd’hui, les hypnothérapeutes préfèrent la fixation d’un point ou d’un objet fixe et rares sont ceux qui recourent au pendule. Toutefois, les patients plongés en hypnose manifestent fréquemment, de manière spontanée, des mouvements rapides des globes oculaires, mouvements considérés au demeurant comme un indicateur significatif d’un ECM.

Pendant la phase de désensibilisation, le praticien EMDR échange peu avec son patient  ; il se contente de demander  : «  Que remarquez-vous  maintenant  ?  » Or, notre esprit conscient est principalement mobilisé par le contenu d’un échange et par les informations nouvelles. La pauvreté de l’interaction suscite un détachement par rapport au monde extérieur, devenu inintéressant, et favorise corrélativement la fuite dans des ECM. Par ailleurs, le praticien EMDR, de façon naturelle, a tendance à adoucir sa voix et à parler d’un ton monocorde, tout comme le fait hypnothérapeute, ce qui peut également contribuer à la baisse de la vigilance.

La confusion vise à « dépotentialiser » l’esprit conscient. La difficulté à saisir un énoncé compliqué, à comprendre des consignes incohérentes ou à suivre une situation complexe déroute l’esprit

vigile et favorise l’émergence d’un ECM. Entre autres techniques de confusion, l’hypnothérapeute peut proposer au patient de s’adonner simultanément à deux activités, par exemple, compter de cent à zéro tout en suivant ses propos ou bien encore verbaliser les lettres en commençant par le début l’alphabet tout en les visualisant à rebours depuis la fin. En EMDR, le praticien demande au patient de se connecter au souvenir perturbant tout en suivant ses doigts du regard. Se concentrer sur les mouvements de va-et-vient en même temps que sur une image mentale est sinon impossible du moins très difficile et provoque une confusion propice à la dissociation (Meggle, cité par Ide P., 2012). Selon Jean Godin, « La confusion se trouve, par définition, sur le chemin qui permet de sortir des sentiers battus. Toute idée claire s’enchaîne sur une idée claire. La création, elle, ne s’enchaîne pas. » (Godin, 1992.) En hypnose de rue ou de spectacle, les hypnotistes utilisent souvent des inductions rapides issues de l’hypnose classique, telle qu’on la pratiquait couramment jusqu’au xixe siècle. Ces inductions amènent le sujet en transe en quelques minutes, voire en quelques secondes, par le truchement d’une rupture de pattern. Un pattern constitue un schéma convenu de réponses (perception, langage, attitude ou comportement) face à une situation donnée, fréquemment rencontrée. Par exemple, lorsqu’une personne nous tend la main pour nous saluer, nous lui offrons la nôtre de manière quasi-réflexe. Si au lieu de la serrer, l’hypnotiste s’en empare pour nous la poser sur le front, le pattern est interrompu, ce qui provoque notre surprise. La surprise génère de la confusion, ce qui facilite le lâcher-prise et donc le passage à un état de conscience modifiée. Durant les séances de retraitement, le praticien EMDR rompt les conventions sociales en termes de proxémie et d’interaction, y compris celles de la relation patient-thérapeute attendue dans notre culture. Pour pouvoir exécuter les stimulations bilatérales alternées, il se rapproche du sujet, au point de pénétrer sa sphère intime, il interagit peu et s’abstient d’engager un dialogue ou une conversation. Cette rupture du modèle thérapeutique habituel peut surprendre et créer de la confusion (Stein, Rousseau, Lacroix, 2004).

Dans de nombreuses sociétés traditionnelles, les ECM sont communément induits par une activité rythmique. Les stimulations bilatérales alternées (va-et-vient des doigts du thérapeute, claquements de doigts, sons alternatifs émis par les équipements spécialisés), par le rythme qu’elles produisent, peuvent favoriser l’émergence d’un ECM.

En hypnose, les ressources de l’imaginaire sont sollicitées, pas en EMDR. Toutefois, durant les séances de retraitement, des solutions émergent spontanément de l’imagination des patients. En EMDR comme en hypnose, la diminution de l’orientation vers la réalité extérieure induit une intensification des processus inconscients et de l’imagination (Frischholz, Kowal, Hammond, 2001). Certaines fonctions psychiques sont mises en veilleuse au profit d’autres processus. Ainsi, des phénomènes se produisent involontairement, tels que les flux d’associations, le retour de souvenirs ignorés de la conscience vigile en lien avec la problématique actuelle, les levées d’amnésie, les phénomènes d’hypermnésie,  etc. En EMDR, le parcours du patient est souvent créatif et permet des restructurations cognitives. Il puise dans des ressources, non disponibles à l’état vigile, pour retraiter ses souvenirs perturbants. Par exemple, une jeune femme, violée dans son enfance par un ami de la famille, déclare : « J’ai envie de tout raconter à maman ». Encouragée par le thérapeute, elle imagine la réaction de sa mère à son dévoilement ; celle-ci fait irruption dans la scène, agonise d’injures l’agresseur et appelle les forces de l’ordre pour l’incarcérer. Et la patiente de conclure  : «  Mais oui, évidemment que je ne suis pas coupable  ! C’est lui le salaud, c’est lui qui est sale, pas moi ! » Force est de constater que le thérapeute EMDR incite parfois ses patients à plonger dans l’imaginaire. En effet, que dire de la projection dans le futur  qui n’est que pure imagination  ? Cette technique issue de l’hypnose consiste à demander au patient de se

projeter dans un futur positif dans lequel il a intégré la cognition positive. Il s’imagine donc faire face à des situations similaires au souvenir cible, mais imprégné de la cognitive noétique positive.

En hypnose, le praticien recourt à des suggestions pour induire un état hypnotique et orienter le travail thérapeutique. À  en croire les experts, ce ne serait pas le cas en EMDR. Mais que dire alors de la cognition positive, la croyance souhaitable au sujet de soi par rapport à la situation perturbante  ? Cette pré-intervention cognitive liée à l’identité génère un objectif défini subjectivement, dirige l’attention du patient vers un résultat prédéterminé et crée l’attente qu’il sera atteint. Et que dire encore du scénario du futur ? Pour un hypnothérapeute, le fait de laisser entendre qu’un résultat sera atteint est une suggestion. Certains praticiens EMDR conviennent que des suggestions sont faites en début de séance, mais une fois la désensibilisation commencée, le thérapeute s’abstiendrait de ce genre de propositions. Vraiment  ? Pourtant, il demande aux patients de faire part des nouvelles images, idées et sensations qui émergent avec chaque série de stimulations bilatérales alternées et ce faisant, il rend explicite l’attente que ces éléments du souvenir cible se modifient. Et que dire du tissage cognitif, lorsque le thérapeute suggère un énoncé cognitif (pensées, images, mouvement) aux fins d’ouvrir de nouvelles perspectives par rapport à la scène perturbante initiale  ? Par exemple, si une personne abusée dans l’enfance se culpabilise de ne pas s’être défendue, le thérapeute peut demander : « Si votre fille avait été violée, penseriez-vous aussi qu’elle est coupable  ?  » Certes, il ne fait que proposer des informations déjà contenues dans le réseau mnésique fonctionnel de la victime, mais dissociées de la mémoire dysfonctionnelle. L’hypnothérapeute ne fait d’ailleurs pas autre chose. Selon les praticiens EMDR, ces données cognitives pourraient émerger spontanément dans le processus si le patient

pouvait y accéder librement. À n’en pas douter, mais il n’en reste pas moins que ces propositions sont des suggestions.

Conclusion L’EMDR semble partager des points communs avec les traitements psychothérapeutiques basés sur les ECM, tels que l’hypnose. Nous avons identifié quelques-unes des stratégies utilisées pour induire intentionnellement un ECM et notre analyse nous pousse à penser que des mécanismes d’action communs sont à l’œuvre dans la pratique EMDR. La perception altérée de l’environnement et de soi, dont témoignent les patients, confirme nos observations. Pourtant, la majorité des formateurs en EMDR continuent de prétendre que la technique évite ces états, grâce à la double attention. Pourquoi s’opposent-ils avec tant de fermeté à l’évidence  ? Ont-ils une représentation erronée des ECM, ne désignant d’ECM que les seuls états profonds dans lesquels les patients sont totalement déconnectés de la réalité  ? Redoutent-ils des états qui semblent échapper au contrôle, tant de celui du patient que du leur ? Ont-ils la volonté de prendre des distances par rapport à l’hypnose qui continue de charrier une réputation sulfureuse ? La pratique de la psychothérapie est une construction sociale. La manière dont nous la concevons et dont nous la pratiquons est fortement influencée par le contexte sociétal, culturel et politique ainsi que par les évolutions scientifiques et technologiques. L’EMDR n’échappe pas à la règle. La méthode a vu le jour en 1987, en plein boom des neurosciences. Les progrès de l’imagerie cérébrale ouvraient alors un vaste champ d’exploration sur le fonctionnement du cerveau. Et pour percer et durer, l’EMDR se devait d’acquérir rapidement ses lettres de noblesse au Panthéon de la Science. Des essais contrôlés randomisés ont été menés pour étayer son efficacité et la recherche scientifique, pour élucider ses mécanismes d’action. À  ses débuts, la méthode suscitait résistance et suspicion chez les psychologues et, plus encore, chez les psychiatres. Mais pour ceux qui avaient franchi le Rubicon, quel plaisir ! Une technique

innovante, des résultats surprenants  ! Et rien n’était encore gravé dans le marbre. Puis, petit à petit, le protocole est devenu la ligne du parti ; il devait être appliqué par tous les praticiens, au mot près, à la virgule près. Finie, l’intuition clinique ; oubliés, la relation humaine et le contre-transfert. Le contexte de sa découverte et sa nécessité de faire science expliquent-ils cette prise de distance de l’EMDR avec les ECM, des états perçus comme une perte de contrôle et peu cernés par la science  ? Heureusement, les temps changent. La science s’intéresse désormais aux ECM et les praticiens EMDR sont de plus en plus nombreux à réhumaniser cette méthode en prenant des libertés par rapport au protocole.

Notes 1. Les études montrent que les stimulations sensorielles rythmiques alternatives sont plus efficaces que les stimulations simultanées ou que les stimulations continues qui le sont également, mais dans une moindre mesure (Servan-Schreiber et al., 2006). 2. Il s’agit d’un niveau de perturbation qui fait sens pour le patient pour une raison qui lui est propre, par exemple : « Je ne peux pas dire zéro parce que des personnes sont mortes, si je disais zéro, c’est comme si ce n’était rien. » Il appartient au thérapeute de vérifier le sens qu’à cette perturbation résiduelle et si elle fait partie de ses croyances irrationnelles ou non.

Chapitre 50 Une transe aquatique

Ludovic Breuil Une transe aquatique est un voyage en suspension dans l’eau, un mouvement de conscience inattendu, entre postures originelles et danse intuitive, entre postures immersives et moments de silence profond. Une forme de transe venue subtilement se révélée lors de diverses expériences réalisées à titre personnel dans l’eau, puis, qui est venue s’inscrire dans ma recherche professionnelle, tant dans mes propositions de soin, que durant les ateliers aquatiques que j’anime. Installé comme ostéopathe sur l’île de la Réunion et voyageur formateur en thérapie et pratiques aquatiques, j’ai décidé de conjuguer l’ostéopathie traditionnelle à l’élément eau, tout en incluant à ma pratique plusieurs courants d’énergie et de pensées, parmi lesquels l’hypnose, le yoga, la méditation et l’apnée. Pratiquer l’ostéopathie en milieu aquatique m’a emmené à prendre en considération les changements d’états de conscience qui se présentent lors d’un soin en immersion. À  un moment précis, invariablement, les pensées ordinaires décrochent, laissant la place à un nouvel espace thérapeutique, ou corps et consciences plongent dans un subtil jeu de transformation. Un certain nombre de paramètres semblent toutefois nécessaires pour que les consciences –  corporelles, sensorielles, non ordinaires  – puissent se délester, se diluer, flotter, dans une transe douce, et permettre l’émergence d’un sentiment d’appartenance à l’élément, à soi, baigné dans le grand tout. En séance individuelle, les appuis et la qualité de présence adaptée par le thérapeute interfèrent grandement le processus de passage en transe. En séance collective, nous conduisons d’abord l’attention vers la conscientisation des souffles : souffle respiratoire et souffle vital. Ensuite nous invitons le corps à bouger de manière spontanée et intuitive, par l’exploration de tous les espaces possibles, telle une danse en suspension où la densité de l’eau et les partenaires aquatiques

deviennent les nouveaux points d’appuis et de pivots, nécessaires à l’expression corporelle transée. Il ressort souvent de ce voyage vers le soi profond, un sentiment d’apaisement, une sérénité liés à une sensorialité retrouvée, éveillée. Les pensées semblent onduler vers de nouveaux horizons, plus en lien avec le soi vital authentique, source de santé. Un plongeon vers ses propres ressources, corps redevenu terrestre, traversé par un sentiment de fluidité retrouvée et enregistrée, le temps du passage dans l’eau. Je vais ainsi vous présenter, en quelques lignes, les idées clés de ces explorations aquatiques, en détaillant les voies d’inspirations empruntées pour découvrir, vivre et partager une transe aquatique de manière autonome et originale. Induire cette expérience immersive intense est devenu pour moi un rituel pour chacune de mes baignades, me rendant en outre plus sensible à la préservation de l’environnement aquatique capital, avec une conscience de la beauté et des bienfaits de l’eau affinée. Les éléments qui suivront vont ainsi ouvrir le concept de la thérapie aquatique, avant de laisser le lecteur découvrir lui-même ce qu’il peut appliquer pour sa santé, en ayant la connaissance de cette approche particulière pour aller dans l’eau1.

Le soin aquatique inspiré de l’ostéopathie Il s’agit d’un état de présence spécifique, des appuis contact adaptés, des mouvements ondulatoires dansés, des postures immergées… pour une forme de transe thérapeutique Une séance d’ostéopathie aquatique est un moment sensoriel qui sort de l’ordinaire, pour le patient comme pour le thérapeute. De même qu’en hypnose, les états de conscience se modifient, peuvent s’amplifier. Ainsi, libéré des contraintes gravitationnelles, installé dans un flottement du corps et de l’esprit, le patient devient coacteur des changements possibles et nécessaires pour sa santé. Accepter de recevoir un soin dans l’eau est une démarche qui doit être volontaire, remplie de curiosité et confiante. Le début de la séance nécessite de fait quelques explications, un accompagnement verbal et gestuel du thérapeute doit aider à induire ce processus thérapeutique particulier, lié à l’élément eau.

En ostéopathie, écouter, regarder et toucher un patient nous renseigne sur ce qui a créé son état. L’expression de cet état renseigne notre diagnostic. Alors s’invite le processus de créativité, de traitement qui entreprend de modifier l’état. Un soin peut être considéré comme un voyage, en partant de la matière physique, et en se dirigeant vers des domaines énergétiques plus subtils. Les souffles du corps seront nos guides tout au long du soin. En s’appuyant sur les bienfaits des mouvements dansés induits à travers le corps, des formes de transe peuvent survenir, libérant ainsi des flux de santé, dénouant au passage des mémoires ou énergies perturbatrices. Un processus qui demande au thérapeute une adaptation multiple tout au long de la séance  : modification de ses états de présence, modulations des intentions, tout en gardant une certaine forme d’attention. La véritable créativité s’exprime au cœur du patient, au sein de son organisme qui modifie son organisation interne, sous l’effet de nos mains en action, et des états générés. L’ostéopathie aquatique semble réunir ces conditions et peut ainsi potentialiser le traitement, l’acte de restauration des principes du vivant et du souffle vital. Elle se pratique en général dans une piscine chauffée à 34 °C. Pour ma part, comme le milieu dans lequel je pratique le permet, j’aime aussi la proposer en mer, pour un retour aux sources, afin d’éveiller la mémoire phylogénétique (évolution des espèces à travers le temps). Je suggère donc au patient d’accueillir toutes les sensations et perceptions qui viendront. De porter attention à sa respiration qui sera peut-être soumise à quelques moments de rétention d’air, en apnée légère lors des passages en immersion. Installé en position allongée à l’aide de flotteurs placés sous son dos ou autour de ses genoux, le patient peut ainsi flotter et sentir s’abaisser son tonus musculaire. Sécurisé par les mots et les gestes du thérapeute, il se laisse aller, son corps se détend progressivement, s’assouplit, au rythme des mouvements induits par « l’aqua-thérapeute ».

Cette sorte de danse aquatique impulse des mouvements en rythme, plutôt berçants et doux. Puis, progressivement, le corps est mobilisé dans toutes les amplitudes articulaires possibles. Sans forcer, redécouvrant avec aisance et fluidité de nouvelles postures, la personne explore de nouvelles sensations corporelles. Si des parties du corps limitent la fluidité du mouvement, l’ostéopathe changera alors ses appuis pour aller au contact de ces zones figées. Des temps de pause sont nécessaires, le temps pour le thérapeute de se focaliser sur de nouveaux appuis, avec l’intention d’écouter et de favoriser la libération des informations contenues dans ces zones de blocages. À  cet instant, la respiration se modifie, le patient change spontanément mais lentement de posture, comme s’il cherchait à se défaire de certaines contraintes, quelles qu’elles soient. Vient alors le temps de l’intégration sensorielle. «  L’aquaostéopathe  » impulse des mouvements rythmés de manière à propager une onde à travers le corps du patient ; les mouvements se propagent alors avec beaucoup moins de résistance. Une routine gestuelle sature le système proprioceptif par des mouvements souples, sans à-coups. Les raideurs articulaires et musculaires s’estompent davantage, laissant la place à de nouvelles sensations. Laisser faire ce moment, laisser agir le travail du corps qui, dans ce soulagement, ralentit son rythme cardio-respiratoire. L’onde de souplesse gagne l’ensemble du corps, l’expression du visage change visiblement et le ventre s’assouplit, la posture se modifie, jusqu’à une posture de tranquillité, confortable, signe que le patient arrive à s’installer dans un lâcher-prise, un état de conscience modifiée, que j’aime appeler transe douce, silencieuse. Viennent alors d’autres mouvements, parfois très subtils, des mouvements internes des fascias, souvent asymétriques, que l’ostéopathe va suivre pour ajuster son action thérapeutique. Les passages sous l’eau se font en apnée. Le nez est bouché avec un masque ou un pince-nez, précisé et défini en début de séance avec le patient. Il y a là une corrélation avec la pratique du yoga lors des postures avec rétentions du souffle. Suspension du souffle, suspension du

temps, présence diluée dans une sorte de Grand Tout. Comme si les fascias du corps le décidaient, il suffit au thérapeute de suivre là où le corps demande à aller, pour lui permettre de se rendre aussi loin qu’il l’envisage, dans tous les plans de l’espace. Par exemple, le laisser s’enrouler vers l’avant, ou au contraire, laisser la tête partir complètement en arrière ou sur le côté. Comme si le corps avait besoin de s’enrouler autour d’une zone précise, apportant une légère force de compression aux tissus de cette zone, ou comme si le corps, au contraire, décidait d’étirer, d’allonger une autre partie de lui-même. Comme si… justement au centre, le corps savait ce dont il avait besoin. Et qu’il ne demandait que notre confiance pour l’y accompagner. Cet état, que je nomme encore transe, peut donc s’obtenir lorsque la posture de tranquillité est trouvée, lorsque le corps est profondément détendu, libéré de ses tensions musculaires. Un point neutre postural où toutes les articulations se trouvent soulagées, alignées, dénouées de leurs contraintes compressives.

Dans cet espace-entre, se produisent des liens. Des liens entre le patient et l’environnement, ici essentiellement aquatique. Des liens qui se font et se défont entre les postures et les émotions (enroulement-repli sur soi, extension-ouverture, etc.), entre libération corporelle et pensées discernantes. À  la fin de la séance, le patient paraît sortir d’un rêve. Il exprime souvent de l’étonnement, du bien-être, et la satisfaction d’avoir goûté à ce fameux lâcher-prise, mais à sa manière, selon ses propres possibilités et ses propres ressources.

Du côté du thérapeute, l’eau n’est pas sans effet. S’il s’est allié à l’eau, c’est par choix, conviction ou sensibilité. C’est qu’elle lui procure bien-être, plaisir et joie d’évoluer en son milieu. Or, il est admis aujourd’hui que le praticien n’est pas réduit à la technicité ; il est un être d’influence(s), à travers le champ d’énergie qu’il émet. Ce champ d’énergie (ondes cérébrales et cœur, entre autres) a les propriétés de mettre en résonance l’ensemble des cellules corporelles, d’une part, et d’autre part, de se propager aux organismes environnants.

L’eau, comme fascia externe, pourrait-elle être le vecteur de transmission entre le champ vibratoire du thérapeute et celui du patient, plus encore que lors d’un soin classique ?

C’est dans ma pratique régulière en ostéopathie aquatique que je tends à vérifier cette hypothèse. Ma façon d’être et de penser lorsque j’agis dans l’eau semble induire une attitude similaire chez le patient. Je m’autorise ainsi à utiliser ce champ. Que celui-ci soit mental, émotionnel ou énergétique, je prends juste conscience de mes états de présence et de conscience, pour induire un courant thérapeutique, qui peut être au-delà même du contact, par la médiation de l’eau vivante et dynamique. J’apprends ainsi à comprendre les effets du milieu aquatique sur ma personnalité et sur mon propre organisme. Ainsi que les effets ressentis sur mon système nerveux autonome, agissant comme un oscillateur capable de faire résonner celui du patient. Je prends soin d’accorder et d’harmoniser mes pensées et ma gestuelle, transmises via l’élément, et accueillies par le patient-receveur. La pratique régulière du yoga et de la méditation dans l’eau, ainsi que la pratique de l’apnée ajustent mon mieux-être, influencent ma position en tant que thérapeute aquatique. Élargir l’état de perception passe par l’état de présence du thérapeute, qui se connecte à une vision dansée de la vie, aux mouvements et expressions de celle-ci. À  cette même mobilité qui se déploie et s’observe dans la Nature. Une fois ces paramètres ajustés, la présence du thérapeute oscille. Lorsqu’il propose un temps de mobilisation, de mouvements, il s’installe alors dans une posture proche de celle d’un danseur, guidant son partenaire chorégraphique dans une gestuelle codifiée, protocolaire, apprise ou intuitive, toujours en respectant les possibilités biomécaniques du corps mobilisé. Le choix de mouvements coordonnés et souples s’avère indispensable car le patient « reçoit  » les mouvements impulsés. Il est le prolongement même du mouvement du thérapeute.

La phase d’écoute vient ensuite. Il s’agit de l’analyse perceptive des informations réceptionnées chez le patient. Ces dernières sont issues de tests qui ont pour but d’évaluer la qualité et la quantité de mouvement, et ce pour chaque partie constituante de l’individu. Tout ne sera pas testé pour autant. Une approche d’écoute manuelle par «  grand  » système permettra d’établir un plan de traitement par focalisation (seront testées les cavités crânienne, thoracique, abdominale, et pelvienne qui sont entourées de membranes : peau, péricarde, plèvre, péritoine, membranes synoviales et dure-mère). Durant cette phase, le thérapeute est en présence pensante et observante, à l’écoute des dysfonctions, des restrictions de mobilité, des baisses ou excès de vitalité. Il est totalement réceptif, patient et communiquant avec l’organisation interne du corps. Il ressent sous sa main, mais aussi avec l’ensemble du corps et du cœur, afin d’analyser le patient dans sa globalité, prêt à offrir la qualité de présence, d’appui nécessaire aux besoins profonds de son patient. La relation instaurée se réalise principalement depuis la main, mais rappelons que dans l’eau, c’est l’être en entier qui entre en contact et qui se mettra en mouvement. Dans un soin aquatique, l’engagement est plus étendu : c’est une danse de corps à corps qui est déployée. Le corps du thérapeute devient à son tour, tout comme la main, le canal sensible et émetteur, tandis que celui du patient devient receveur, puis co- créateur. On pourrait ainsi aisément parler d’une danse des influences. Une danse dans laquelle peut s’inviter un état de conscience modifié, voire une transe douce, tant l’abandon du mental laisse la place à d’autres manifestations et/ou expressions corporelles, obtenues par la profondeur du relâchement. Ces capacités de relâchement évoquées sont intimement liées à l’ouverture d’esprit du thérapeute. Celui-ci doit s’autoriser à « provoquer » ces états : il les induit, les impulse, les souhaite, car il sait qu’il offre à «  son  » patient les conditions d’un espace de transformation. Il vise ces moments particuliers d’abandon où les processus thérapeutiques adviendront. Tels deux artistes co-créant sur une même toile, la créativité propulsée par l’intelligence corporelle s’éveillera et pourra autoréguler les paramètres physiologiques de santé.

Il ne semble pas que la détente ou le relâchement obtenu soit le principe thérapeutique central, mais bien une alternance de mise en tension-compression (notion de bio-tenségrité2) et de détentedécompression, et ce, dans les trois plans de l’espace. C’est là que les appuis que nous offrons au corps du patient ont tout leur intérêt, en s’adressant à l’architecture corporelle interne. Celle-ci s’organise grâce aux fascias, dont le dynamisme incessant permet la transmission des informations, notamment via notre toucher. Un autre état de présence concerne la phase de transformation thérapeutique, il s’agit d’être là. De se positionner physiquement et mentalement avec une proposition d’aide à la résilience. D’entrer en communication avec l’/les information(s) contenue(s) dans le système corporel. De s’adresser aux cellules concernées et à leur expression, puis les interroger  : comment fonctionnent-elles dans leur harmonie propre  ? Pourquoi et quand le dérèglement s’est-il installé  ? Puis d’impulser un message de confiance en leur suggérant d’effectuer le travail pour lequel elles ont été programmées, en ayant foi en ce qu’elles savent faire et ce qu’elles sont. De cette présence, le thérapeute attend avec bienveillance, douceur et fermeté, la réaction du corps. Il choisit, soit de ne rien faire, soit d’amener davantage de points d’appuis et de densité en emmenant le corps en enroulement-flexion (immersion nécessaire de l’ensemble du corps), ou en l’emmenant encore vers un schéma d’expansion-extension (en ajoutant un mouvement en rotationtorsion s’il se présente). Il maintient la posture le temps nécessaire (celui-ci étant variable, il est nécessaire de patienter jusqu’à l’expression de la respiration primaire et de la tranquillité dont elle émerge). Le thérapeute peut changer ses points d’appui si besoin, imaginer quelle direction prendra le besoin de changement de posture et anticiper son propre placement. Le thérapeute accompagne une réexpression de mouvements spiralés, se synchronise à la danse du souffle de la vie et se laisse aller avec. Être à nouveau dans le lien à l’eau, à l’autre, et à la fluidité permise.

Du côté du patient, le soin est prodigué de manière à générer une exploration sensorielle du point de vue du patient. Il s’agit de le conduire, à son rythme, vers une nouvelle expérience de conscience corporelle dans un milieu « extra-ordinaire » : le milieu aquatique. En posture de flottaison, en immersion totale et/ou partielle, l’eau le conduit progressivement et subtilement, inconsciemment, à un état de relaxation, de libération de tensions, de lâcher-prise.

On peut se poser la question du devenir du mental et des pensées lors d’une séance aquatique. Le patient décroche-t-il totalement de sa réalité ? Des éclairs de lucidité lui parviennent-ils ? S’autorise-t-il des idées qu’il n’aurait pas pensé jusqu’alors ? Les retours de séances permettent d’entrevoir une réelle prise de conscience qui fait sens au patient, qui l’oriente, le soulage et finalement l’apaise. Le thérapeute doit conserver cette nécessité de laisser la place à tous les possibles émergents chez le patient au cours du soin. Le visage se détend, le corps parle et se laisse aller à un profond ancrage, à des informations non biaisées, et authentiques pour le patient ici et maintenant. Le thérapeute prend soin de laisser la place suffisante au patient afin que celui-ci vive sa séance sans injonctions, sans trop induire, sans trop prévoir la manière dont il en fera l’expérience. Un accès vers d’autres états de conscience : vers une nouvelle approche de la transe ?

Au fil de mes expériences aquatiques personnelles et de ma pratique de l’ostéopathie dans l’eau, je faisais le constat de plus en plus d’attitudes et de réactions « inhabituelles  » chez les patients comme pour moi-même. Chose que je n’observe pas lors de mes soins classiques. J’ai alors interrogé leurs ressentis, recueilli leurs «  visions  » du soin dans l’eau. Je savais que ces réactions avaient été induites par l’apport de certaines techniques.

À mon sens, la transe, dans son essence thérapeutique, ne se réduit pas au domaine de la technicité. C’est une manière de se

positionner dans un état perceptif particulier, qui provoque un glissement vers un espace-temps extraordinaire et subjectif, et permet l’émergence de suggestions thérapeutiques. Il me semble important de rechercher la posture dans laquelle le corps du patient sera maintenu et emmené par le thérapeute, lui-même soumis à un état d’abandon, en attente de la manifestation de réponses adaptées aux dysfonctions rencontrées. Dans cet espace-temps thérapeutique, on observe la création de liens au sein même du corps, telle une unité, suivant le précepte de non-séparation. Le contact est maintenu, le toucher est un acteur à part entière, il permet le passage à un « état » de transe. Des liens, à l’instar d’une continuité, entre chaque composant corporel, entre chaque cellule qui conserve néanmoins sa spécificité. Rien ne se décompose ou ne se perd. En outre, toutes les composantes de la matière vivante corporelle coexistent entre elles, agissent dans et pour l’unité, en coopérant au service de l’homéostasie. Le corps semble se libérer de certaines contraintes du passé, et paraît se réinitialiser sans l’intervention du mental ou l’influence des pensées. C’est peut-être plus profondément que se meuvent les influences, dans les parties profondes des cellules, ou du cerveau archaïque, participant ainsi instinctivement à la régulation de l’organisme. On constate ainsi un rétablissement de l’équilibre, et par-là même, de la santé. Sous la main pulse alors une puissante expression de la vitalité, de l’expression créative de la vie. Le constat est que le passage par cet état génère un relâchement optimal, voire complet. Le patient semble ne plus être là, dans un autre plan perceptif. L’état même de la matière, perçue sous la main, se ressent alors différemment  : moins dense, plus souple, plus fluide. Un peu plus… eau. Je demande à certains patients qui semblent avoir traversé cet état de conscience modifié, leur ressenti, soit juste après la séance, soit par écrit dans les jours qui suivent. Les retours sont souvent très riches en enseignement, et restent précieux dans ma démarche de compréhension. De leur trans-portation, ils évoquent souvent des

visions ou des couleurs, des impressions de présences connues ou biscornues…

Les pratiques aquatiques où les transes s’invitent Les ateliers aquatiques que j’anime lors de stages ou séminaires proposent d’utiliser l’eau comme élément d’exploration des états modifiés de conscience, et des liens à soi et à l’autre. Ce sont des propositions d’aller à l’eau, et être dans l’eau, à l’eau : d’abord selon ses habitudes et ses représentations, puis explorer les effets procurés par une pratique non ordinaire, qui s’inspire de l’apnée, du yoga, de la méditation, et de l’hypnose. Une sorte de laboratoire aquatique pour découvrir et ritualiser ces voyages dans des consciences non ordinaires.

En milieu aquatique, l’attention portée aux souffles est primordial, elle nous sécurise et nous guide vers la confiance nécessaire à toutes sortes d’exploration. En premier lieu, la prise de conscience au souffle respiratoire s’effectue avec l’attention à la flottaison selon les temps respiratoires, avec quelques propositions de suspension du souffle en immersion compète dans des postures spécifiques, poumons pleins ou vides d’air, selon l’effet à atteindre. Puis vient l’exploration sensorielle d’autre souffles. À commencer par les souffles du cœur (pas au sens physio-pathologique), le battement étant perceptible en état de relaxation avec les oreilles immergées et attentives aux bruits transmis par l’eau. Les battements du partenaire ou du thérapeute sont aussi parfois entendus selon la distance entre son propre thorax et l’oreille de la personne allongée. Des techniques avec rapprochement volontaire permettent justement un focus auditif, un ancrage sensoriel qui permet une modification d’état de conscience, rappelant

certainement la période fœtale, ou autres souvenirs émotionnels. L’immersion réveille l’enfant dans le cœur de l’adulte… L’eau, à ce sujet, permet de révéler et de traverser certaines émotions, surtout celles qui peuvent saturer corps ou esprit, de par leurs fixations énergétiques (les organes ou viscères pouvant être concernées, telles ou telles émotions leur étant associée, selon la médecine traditionnelle chinoise). Pleurs ou rires peuvent survenir sans prévenir, jaillissant comme un geyzer depuis le cœur de la terre. Les émotions soufflent leurs expressions, dans la douceur qui émane de ce soin aquatique. Quant aux souffles énergétiques, ils semblent plus facilement libérés dans l’eau, ils se faufilent dans un corps rendu plus souple, mobilisé avec fluidité dans une routine gestuelle dansée, non codifiée mais inspirée par ce corps en apesanteur et décontracté. S’invite alors un souffle plus spirituel, faisant chavirer le « Je » dans un univers plus vaste, plus grand que lui. Laurent Huguelit (2022) parle de : ● samadhi  : expérience spontanée de profonde absorption, de contemplation, d’union ; ● samatha : grand calme, signe intérieur et absorption. Il s’agit de s’harmoniser à la conscience d’un souffle extra corporel plus universel, plus primordial, de se diluer dans son flux et de percevoir l’unité aux énergies plus subtiles, inconditionnelles et intemporelles. Alors Laisser s’installer le grand calme, la grande sérénité, lieu de ses propres ressources énergétiques primordiales. Vivre ainsi l’expérience de quelque chose d’indicible, de sacré, tout en restant dans la conscience de notre humanité connectée à la nature et aux autres.

En cessant, dans la fluidité de l’instant présent de diriger l’attention sur le corps, sentir la conscience corporelle se dilater, relâcher la concentration… regarder ce qu’il se passe dans les lueurs de sa vision intérieure, en train de rentrer en absorption, comme des images rétiniennes qui peuvent prendre la forme de tache, de forme en mouvement, de couleur (phosphène)… Pénétrer alors dans le phénomène visuel intérieur toute attention déployée.

Rester dans l’état d’absorption, se laisser porter par l’expérience, expérience spontanée qui se trouve attirée par le subtil équilibre qui se crée entre la conscience sensorielle aiguisée et le relâchement.

Une danse contact intuitive, en duo ou à plusieurs Le principe de cette danse aquatique est simple, je la décris dans l’idée de donner envie de l’expérimenter, tant elle procure rapidement un « ailleurs »… Selon son degré d’aisance dans l’eau et sa flottabilité, il sera utile ou non d’installer des flotteurs autour des cuisses. Un pince-nez ou un masque sont conseillés, mais pas indispensables. Flotter, puis se laisser simplement danser de manière intuitive, en s’autorisant à entrer en contact avec son ou ses partenaires. Maintenir une attitude calme mais expressive, et le rythme s’accordera progressivement entre chaque corps en mouvement. Vouloir vivre et offrir en partage une partie de soi, est la meilleure des intentions pour s’impliquer dans cette danse. Un état intérieur peut se transmettre via une gestuelle, un contact, volontaire ou non. Les sensations corporelles amplifiées, la main, le dos, ou la tête deviennent des surfaces de peau en hyper présence sensorielle, en lien avec l’eau et avec les autres corps. À cet instant, peu importe de savoir quelle est la partie du corps que nous rencontrons. Pour la sécurité, ne pas s’accrocher ni s’agripper, afin d’éviter de s’appuyer sur quelqu’un déjà sous l’eau en immersion qui pourrait avoir besoin de remonter pour respirer. Apprendre progressivement à ne rien faire de ces contacts, les laisser être présents et voir ce qu’ils entraînent. Ressentir si ce lien de corps ralentit les mouvements, et si ce corps-à-corps veut alors s’immobiliser. Toute la puissance de la vie pourra alors se manifester dans ce moment de tranquillité partagé. À  l’inverse, ces contacts peuvent devenir des points d’appui, des leviers pour permettre l’expression de nouveaux mouvements, de nouvelles expansions du corps, des corps.

D’un point de vue structurel, le corps a besoin d’un point d’équilibre autour duquel il peut s’orienter dans l’espace. En ostéopathie, nos appuis, nos mains utilisent ces points d’équilibre pour libérer la santé au sein de l’organisme, pour la régulation des fonctions internes et du métabolisme en général. Cette danse aquatique, avec de subtils appuis, même intuitifs, peut s’apparenter à une séance d’autoostéopathie partagée, où chacun devient tout à la fois son propre thérapeute et celui de l’autre. Parvenir ainsi avec l’autre, avec les autres à une danse commune, lente, respectueuse et profonde. Cette danse en apesanteur alterne lenteur et accélération, arrêt et expansion. La dureté de l’être se dissout progressivement. Elle offre cette magnifique opportunité de vivre des états d’abandon, de légèreté, de souplesse… et de transe, tout en étant dans un mouvement ni tout à fait passif, ni tout à fait contrôlé. Un mouvement singulier simplement permis par la présence de l’autre et de l’eau. En ressort un sentiment de calme, de plénitude et de joie visible sur les visages des participants qui se sont adonnés à ce jeu dansé. Les sensibilités profondes sont alors éveillées et peuvent devenir une nouvelle référence pour être à l’écoute de son corps. Cœur et esprit expansés, la danse se ralentit d’elle-même. Les corps se reverticalisent progressivement, revenant «  à terre  ». Une nouvelle façon d’être se présente alors à soi, l’« ailleurs » semblant vouloir perdurer…

Les spectacles aquatiques, artistes de l’eau Ici je parlerai de rencontre qui ont en commun de partager l’amour de l’eau, cette eau qui offre tant de possibilité d’exprimer sa propre créativité, car elle offre un espace de dilution du soi, et une reliance à des états énergétiques et vibratoires plus vastes. Œuvrer dans l’eau nous relie à elle, à sa puissance, à sa beauté et présence indispensable à la vie. L’inviter dans toutes formes de créativité, d’inspirations artistiques est un moyen de l’honorer, de l’aimer et de

la préserver, cette eau originelle. Nous présentons ici le travail de quatre personnes qui s’inscrivent dans cette forme de transe créative aquatique. ●



Aline Escalon3 est photographe aquatique et artiste visuelle pluridisciplinaire, son écosystème artistique est composé de photographies de portraits aquatiques, de réalisations et collaborations en vidéos artistique, cinéma et en spectacle vivant. Aline propose des séances de portraits aquatiques sous le nom de «  La caresse de l’eau  ». Un type de shooting aquatique conçu comme une expérience artistiques aboutissant à une œuvre unique. Basée sur l’île de La Réunion, l’artiste place au cœur de tout projet l’éco-conception, le minimalisme, le mouvement, le partage et la confiance mutuelle. Marine Chesnais4 est chorégraphe et apnéiste, a ouvert ma sensibilité sur la responsabilité que nous avons vis-à-vis de la biodiversitée et de sa préservation. Au sein de la compagnie «  One breath  », Marine développe la notion de danse bioinspirée, tournée vers une écologie culturelle et corporelle. Ses explorations relatives à la fluidité interne et aux pratiques énergétiques autour du souffle et de la résonance sont au cœur de ses recherches créatives. Un spectacle chorégraphique associé à un film est ainsi directement inspiré de la rencontre avec des baleines, au large de La Réunion. Dans l’eau, dans le corps, et sur scène, il est alors question d’espace de relation où l’interdépendance se manifeste, dans une alliance sensible propre aux mammifères. Dans le silence de l’apnée, dans la suspension du souffle émerge alors une danse bio-inspirée, un biomimétisme éveillant les sentiments d’appartenance, de nondomination et les liens respectueux avec l’immensité de la nature originelle. Un réel authentique qui semble s’infuser dans le soi profond, et éveille l’urgence de prendre soin de notre relation à la diversité du vivant. Au-delà des enjeux environnementaux vus sous un angle artistique, le lien au vivant proposé par Marine passe par la conscience de soi, permise par ce rapport corporel particulier dans la pratique de l’apnée. Il est



question de « seuil », au-delà duquel il est possible de « lâcher quelque chose », d’entrer dans une autre temporalité, de laisser le souffle descendre en soi, de ramener à la conscience des endroits de notre corps qui ont été écartés, mis de côté, sur tous les plans de l’être. Frédéri Vernier et Sébastien Davis-Vangelder, jusqu’alors acrobates terriens, s’immergent dans un aquarium géant et inventent une nouvelle discipline de cirque inattendue : l’apnée. Se jeter à l’eau n’est plus une métaphore. Se jouer de la gravité, retrouver les sensations de la vie fœtale, tel est le pari de ces hommes poissons. Derrière la performance se niche la pensée d’un monde auquel il convient de ne pas céder car terriblement autodestructeur. L’apnée réclame un état de conscience où l’écoute de soi, de son environnement, des autres, prime. Dans la lenteur des mouvements, s’esquisse alors un retour aux sources. Out of the Blue5 invite à reprendre goût avec l’eau, à éveiller nos sens et nos instincts primitifs. Une performance unique, où la réalité du monde terrestre laisse place à la rêverie du monde aquatique.

Pour conclure Je résumerai cette rencontre avec l’eau en évoquant la similarité avec ce que l’on éprouve dans la simple contemplation de l’océan, de ses vagues ou marées, et de sa puissance. Un abandon à plus grand que soi, avec le cœur déployé tout en étant pleinement aligné dans ma conscience corporelle, et avec le sentiment d’être pleinement vivant. Le simple bruit de l’océan m’emmène désormais quasi instantanément dans un silence intérieur très perceptif, celui de ma transe aquatique ! L’eau m’enseigne à chaque immersion une sorte de sagesse bleue enivrante et inspirante. Elle m’apporte créativité et joie d’œuvrer dans ce milieu, dansant et laissant mes mains être le prolongement de ce qui se passe dans ces états particuliers. À chaque sortie de l’eau, j’apprécie la fluidité de corps et d’esprit re-

conscientisé et disponible pour l’instant d’après, sur terre. « Be water my friend », comme le suggérait Bruce Lee, alors au sommet de son art martial, où l’énergie dirigeait ses gestes et pensées.

Remerciement Morgane Masseret, anthropologue a contribué à ce travail de recherche entre l’ostéopathie et la transe, avec l’eau comme alliée. Artiste des mots, elle m’accompagne dans l’écriture et dans l’élaboration de divers projets aquatiques mêlant thérapie, art, et préservation de l’environnement.

Notes 1. Ces pratiques sont détaillées dans le livre Une transe aquatique, l’ostéopathie à la rencontre de l’eau. Bruxelles  : Satas, 2023. Des vidéos de soin, de danse et de transe aquatique sont également accessibles sur www.eausteo.com. 2. Tenségrité  : les fascias sont les supports du dynamisme de l’architecture du corps et il existe des principes qui soutiennent ce dynamisme dont le principe de tenségrité qui est un système dans un auto-équilibre stable comprenant un ensemble discontinu d’éléments comprimés à l’intérieur d’un continuum de composants tendus. 3. Site : www.alineescalon.com. 4. Site : www.dansebioinspiree.fr. 5. https://out-of-the-blue.fr

Focus 51 Le surf : entre « zone » et méditation, une dynamique de vie

Joël de Rosnay – Christelle Giust Concepteur du «  macrocosme  », pionnier de la systémie, Joël de Rosnay est également une figure historique du surf. Ici, il partage avec nous sa joie de surfer tandis que Christelle Giust, compétitrice en bodyboard, nous dit les sensations de transe qui lui permettent de trouver force, équilibre, motivation et apaisement dans son quotidien1. Le surf est plus qu’un sport. C’est aussi un style de vie, un mode de fonctionnement en société. Ce terme est passé dans le langage courant. On dit surfer dans le sens de l’opinion publique comme si elle-même était une grande vague puissante et déterminée. Cette métaphore largement utilisée symbolise l’entrée dans l’ère de la fluidité. Le surfeur tire avantage et plaisir d’un équilibre dynamique entre des flux, dans une fluidité continue du parcours et des mouvements.

Le surf, un sport extrême aux effets les plus bénéfiques Le surf est aussi l’un des sports les plus bénéfiques au monde. Il se résume à trois phases principales. La première consiste à ramer vers le large allongé sur sa planche, pour «  passer la barre  » et rejoindre le point du take-off (la zone de démarrage, là où les surfeurs vont guetter l’arrivée des vagues). Au cours de cette action, les battements du cœur peuvent grimper à 110 ou 120 pulsations par minute. L’étape suivante se limite à attendre les séries de vagues en position assise ou à plat ventre sur sa planche. Un moment de répit pour les surfeurs, qui en profitent pour contempler le paysage ou bavarder avec leurs camarades. Au cours de cette phase, les battements de cœur reviennent quasiment à la normale. Dans la dernière phase, il s’agit de ramer vigoureusement pour prendre la vague qui se déplace à une vitesse de 20 à 30 km à l’heure. C’est l’instant clé : chacun met toute son énergie à attraper

la vague qui se présente, pour, enfin, pouvoir la chevaucher (le « ride »). Cette fois, les battements de cœur peuvent atteindre 150 à 160 pulsations par minute. Imaginez le stress, la montée d’adrénaline, puis, pendant le «  ride  » lui-même, le plaisir intense. Ce sport, comme beaucoup d’autres, favorise la sécrétion dans le corps, des endorphines, de l’ocytocine et de la dopamine, les hormones du plaisir. La pratique régulière des sports extrêmes allume des gènes liés à la résistance à la fatigue, au métabolisme de l’énergie ou à la production d’endorphines. L’organisme réagit à ces stimulations extérieures en sécrétant la dose d’adrénaline qui permettra au surfeur de surmonter sa peur. Une réaction du corps qui entraîne aussi une forme d’addiction. Les propriétés particulières de certains sports ont conduit les chercheurs à évaluer le risque de dépendance à cette morphine naturelle chez certains sportifs. L’addiction au sport s’appelle la bigorexie. Étudiée par le docteur William Glasser en 1976, la bigorexie est la pratique excessive d’un sport jusqu’à l’addiction. Pour moi, le surf est une expérience absolue. Une activité complète, qui fait appel à la fois à des processus musculaires et mentaux, eux-mêmes susceptibles de déclencher des mécanismes épigénétiques. Chaque nouveau défi (ou danger, selon les points de vue) apporte sa dose d’excitation. Le surf, comme la méditation, peut déclencher et amplifier des effets épigénétiques. Bien avant que la science apporte la preuve des relations entre l’esprit et le corps, la médecine chinoise, renommée pour son approche préventive, s’est intéressée très tôt à l’influence du cerveau sur le corps. Et réciproquement. Ces pionniers de la médecine psychosomatique (on parle aussi de psycho-neuro-immunologie) étaient, en effet, persuadés que nos comportements pouvaient expliquer l’apparition de maladies ou de désordres du métabolisme. Les résultats des travaux sur l’épigénétique sont en train de leur donner raison. Aujourd’hui, dans le monde entier, les neurosciences mettent enfin en évidence l’influence réciproque entre l’esprit et le corps.

Une expérience absolue Les pratiques ancestrales de méditation, le yoga, certaines formes de méditation dynamique (comme le thaï chi ou le qi gong) notamment, peuvent avoir des conséquences sur le métabolisme de notre corps et sur certaines fonctions fondamentales, par exemple en participant à diminuer l’hypertension ou le risque de maladies cardio-vasculaires. Le moine bouddhiste français Matthieu Ricard et le neurobiologiste Wolf Singer en ont fait le sujet de leur livre Cerveau et méditation. La pensée occidentale, de même que le monde médical traditionnel, a longtemps dissocié mental et corps. Pour la première fois, en décembre 2013, une découverte déterminante attribuée à des chercheurs des universités du Wisconsin, d’Espagne et de France, a montré un changement moléculaire spécifique au niveau génétique sous l’effet de la méditation (Kaliman et al., 2014). L’étude comparait les résultats de deux groupes : l’un, composé de méditants expérimentés ; l’autre (le groupe témoin), de sujets de contrôle non formés pratiquant des activités calmes, relaxantes, mais non méditatives. Tous les participants ont également été soumis à un test de stress sociétal. Ils devaient tenir un discours impromptu et exécuter des tâches nécessitant

des calculs mentaux devant un public nombreux, tout en étant distraits par le tournage d’une vidéo ou dérangés par le son d’un débat télévisé. Soumis à un tel régime, n’importe lequel d’entre nous se sentirait au minimum nerveux, voire perdrait ses moyens. À  la fin de la journée, les chercheurs ont constaté une modification rapide de l’expression des gènes chez les sujets ayant participé à une journée de pratique intensive de la méditation. Ceux-ci présentaient non seulement des modifications des mécanismes de régulation des gènes, mais également des taux réduits d’expression de gènes pro-inflammatoires. Le tout, en corrélation avec une récupération physique plus rapide en dépit du stress subi. Ces profils d’expressions génétiques ont été mesurés grâce à des biopuces (des puces à ADN).

Une forme de méditation dynamique Suite à cette expérience, les chercheurs ont constaté que plusieurs centaines de gènes avaient été modifiées (sur des dizaines de milliers de gènes analysés). Le groupe de méditants et le groupe témoin présentant des résultats très différents. Dans le groupe pratiquant la méditation, les chercheurs ont observé une régulation négative de gènes impliqués dans l’inflammation, ainsi que de plusieurs gènes d’histone désacétylase (HDAC, des gènes qui régulent l’activité d’autres gènes par des mécanismes épigénétiques). Ils ont aussi remarqué que certains de ces gènes, régulés à la baisse sous l’emprise du stress, connaissaient une récupération plus rapide des effets du cortisol (le cortisol permet de libérer de l’énergie à partir des réserves de sucre stockées dans l’organisme). Tout comme le sport, la méditation et la relaxation ont un impact sur l’expression ou l’inhibition de certains gènes. Cette expérience montre leurs effets positifs sur la réduction de la pression artérielle, la fréquence cardiaque, le taux de cholestérol ou les hormones de stress. Le surf est une forme de méditation dynamique en communion avec l’écosystème qui produit les vagues et régularise leur forme, par le fond, le vent et la marée. La découverte d’un spot nouveau est parfois presque aussi importante que le surf luimême sur une belle vague. Le sentiment d’être parmi les premiers à surfer des vagues inconnues de la plupart des surfeurs internationaux est une immense joie que beaucoup d’entre nous ont connue dans leur vie de surfeur. Ce fut le cas pour mon frère et moi à Tamarin, à l’île Maurice au début des années  1960, cette vague extraordinaire, appelée Santosha par Joey Cabell qui fut un des premiers à la surfer, cette gauche inoubliable désormais réputée dans le monde entier grâce à des films célèbres et des belles photos. En un certain sens, le surf représente la transposition dynamique de la vie ellemême : un modèle pour affronter la complexité du monde. Le surfeur chevauche un élément improbable, la vague, qui va mourir sur le rivage, et en tire un plaisir éphémère. Le surf est bien plus qu’un sport, c’est un style de vie, un mode de fonctionnement en société. Surfer la vie, c’est profiter de l’instant, être à l’écoute de son environnement, de ses réseaux, évaluer en temps réel les résultats de son action, pour réussir à affronter les nouveaux défis de la société fluide. Le but du

surfeur est non seulement de conserver son équilibre tout en surveillant ceux qui sont sur la même vague que lui et risqueraient de le déstabiliser  ; c’est avant tout de prendre du plaisir, faire reconnaître ses compétences, être félicité par les surfeurs qui remontent pour prendre la vague suivante, comme dans une quête de renaissance perpétuelle. Le destin d’une vague dépendra de la marée, de la direction de la houle, du vent et du type de fond sur lequel la vague se brise : fond rocheux, corail ou sable. Lorsque les vagues arrivent dans des eaux de profondeur inférieure à la moitié de leur longueur d’onde, leur période ne change pas, leur longueur d’onde décroît, leur vitesse diminue, et leur hauteur augmente brusquement. Quand la profondeur de l’eau du rivage ou du récif diminue encore, la vague se brise. Elle déferle sur ellemême quand le vent l’accompagne ou, si le vent vient de terre («  off shore  »), elle forme un tube parfait dans lequel les surfeurs se glissent. C’est la position rêvée et que chacun d’entre eux cherche à atteindre. Étrange lieu que ce tube. Le centre du monde pour les surfeurs. Leur monde. Ce tube éphémère dont la sortie, au bout du tunnel que l’on aperçoit devant soi, est comme une renaissance. Oui, une renaissance, car il s’agit d’une initiation  : la découverte de l’intérieur de l’océan, l’impression d’engloutissement et de contrôle à la fois qui permet de focaliser son attention, ses gestes et ses muscles, pour réaliser la trajectoire parfaite qui permettra de sortir du tube. Le retour à la lumière  : c’est ce que tentent de reproduire de nombreux rituels. Une petite mort et le retour à la vie. Dans le tube, on ne sait plus si on est vivant, à moitié noyé, ou survivant de l’extrême. Il faut voir les visages des surfeurs et leurs gestes à la sortie du tube. C’est à la fois l’expression d’un triomphe sur soi, sur les éléments complices, mais aussi la marque de leur réinsertion dans le monde. Ce qui fait la joie et le plaisir de recommencer en reprenant une nouvelle vague. Ce plaisir et cette joie ne résultent pas d’un combat, ils viennent d’une coopération avec la nature, du savoir-faire dans l’utilisation des forces naturelles qui créent ces merveilleuses vagues. Pour ma part, ce que le surf m’apporte, c’est ce sentiment de communion avec la nature. Je ne me bats pas contre les vagues. Je ne suis pas en compétition avec la houle. Ces éléments naturels ne sont pas mes adversaires, mais mes partenaires. J’utilise leur force, leur puissance pour le plaisir, l’exercice, le défi vis-à-vis de moi-même. Pour y aller. Même quand c’est gros. Les vagues ont leur vie, déterminée par une tempête, comme moi j’ai la mienne et suis libre d’évoluer sur la vague de mon choix, sur un spot favori que je connais comme mon jardin aquatique. Comme mes amis surfeurs dans le monde, je suis un «  surf addict ». Prévisions, Internet, webcams sur les spots en temps réel, météo : tout est utilisé pendant l’attente, pour nous rassurer. Les discussions, en périodes de plat ne portent que sur les prévis : ça va rentrer dans trois jours vers 18 heures. La marée sera bonne. Pas de vent. L’heure de la session est choisie d’avance. Les prévisions de surf sont d’une précision incroyable sur une semaine. Cette addiction au surf repose bien sûr sur le plaisir de la glisse mais intègre aussi d’autres dimensions, notamment celle de l’environnement. Un style de vie partagé par ceux qui se sentent en relation étroite avec l’environnement. Avec la matrice océanique d’où est née la vie. Les surfeurs se sentent proches de la nature. Ils utilisent la force et l’énergie de l’océan et puisent leurs ressources physiques et mentales dans la qualité du milieu dans lequel ils vivent en symbiose : eau pure, vagues cristallines, sable blanc, dunes sauvages, végétation naturelle, sont les éléments essentiels qui les motivent et

stimulent leurs efforts. Sans les prévisions modernes le surf serait impossible. Il m’arrive parfois d’utiliser le logiciel de prévision MagicSeaWeed ou une webcam pour me demander quelle est la qualité et la taille des vagues à Guéthary, ou sur le récif de Tamarin à l’île Maurice. De quelques clics de souris on peut savoir la hauteur, la fréquence des vagues ou la direction du vent. Et je me prends à imaginer mes amis surfeurs à Parlementia ou à Tamarin en train de profiter des magnifiques conditions que je vois sur l’écran d’ordinateur. Mais cette vague de Tamarin, irrégulière, difficilement prédictive et souvent rare, est encore plus recherchée du fait même de sa rareté, de son irrégularité et parce que l’on n’est jamais sûr qu’elle va venir frapper le corail de la baie. C’est ce qui contribue aussi à l’immense plaisir de la surfer lorsqu’elle est présente, forte et creuse avec ce fameux vent « offshore » typique de cette côte Ouest de l’île Maurice. La vague, elle, reste imperturbable. Les jours où elle a décidé de se lever, alors elle déferle. Selon son humeur, lumineuse ou obscure… Surprenante, jamais la même. Comme cela a toujours été le cas depuis le commencement. Une vague caressante brutale parfois effrayante. Souvenir extraordinaire que nous gardons de la baie de Tamarin et que nous garderons encore pendant longtemps, afin que nous puissions en discuter avec nos enfants et petits-enfants et parfois surfer avec eux une vague mythique qui sera encore présente tant que durera la baie de Tamarin, à l’abri, il faut l’espérer, de la montée des eaux due au réchauffement climatique.

Seul avec la vague Les sensations que cette pratique procure se rapprochent pour moi d’un état de transe, autant par la coupure au monde et à la réalité sociale, que par le bien-être et l’apaisement que j’y trouve. On parle plus particulièrement dans le monde sportif de zone, de flux ou encore du flow. Lors d’une session de surf, tous les moments que je passe à ramer, à attendre la vague, font partie intégrante de la pratique, mais cependant, ils ne font pas partie de la zone. Cet état devient présent lorsque je suis seule avec la vague, dans ma bulle, et cela même si d’autres pratiquants sont présents à côté de moi ou sur la même vague. Je vis ce moment complètement coupée des autres. C’est un état de concentration extrême qui induit cela naturellement, sans que je me force et indépendamment de ma volonté. Autrement dit, je ne choisis pas d’entrer en « zone ». Dans le monde du surf, certains parlent aussi de sens marin, un terme générique qui englobe me semble-t-il toute la connaissance du milieu marin et son observation mais aussi et surtout, cette capacité d’hyperconcentration, centrée sur mes sens, mes ressentis par rapport aux vagues, à la mer. La zone en surf, c’est le court moment où je suis comme en osmose avec la vague, avec la mer. La vague me guide, m’accompagne, me dirige et je la suis, du mieux possible, c’est ce qu’on appelle la lecture de vague. Je m’y sens bien et c’est une source de plaisir et de bonheur intense. Alors, je ressens une étrange impression de contrôle, ou tout du moins de fusion avec l’élément, avec la mer, l’océan. Et c’est cette combinaison contrôle-fusion qui

me permet de m’adapter à la vague et de la surfer du mieux possible. En surf, le temps passé sur une vague est très court –  moins d’une minute en général – et de ce fait, l’intense concentration est aussi de courte durée. Ainsi, il m’est très important de m’y préparer en observant les vagues et en mettant mon corps et mon esprit en état de relâchement préparatoire, un calme qui en réalité n’est qu’apparent. Cette préparation, je la commence par une analyse des ondulations, celles qui se profilent au large et que j’observe, que je vois avancer et se rapprocher de moi. Cela me permet d’anticiper sur la série de vagues qui va peutêtre venir ou pas, et de ramer en conséquence pour pouvoir éviter de me faire secouer par la vague, ou de me préparer à me placer au bon endroit pour avancer, attraper puis surfer cette vague-là. Dès lors je suis dans le flow. Être dans La zone, c’est pour moi un état quasi animal, c’est-à-dire dénué de réflexion et d’interactions sociales, où je n’ai aucune intention de rechercher un quelconque retour de la part de qui que ce soit. Je suis à la fois à la merci des vagues comme une créature fragile, mais également en adaptation/réadaptation constante de mon tonus et de mes gestes, de ma motricité. À chaque instant, tout le corps est en action : mon regard est à la fois centré sur la vague et notamment sur la zone la plus critique de la vague (celle qui, en compétition, vaut le plus de points, et qui permet au surfeur de montrer son engagement). Toute ma kinesthésie est mobilisée pour être, de tous mes sens, en adaptation constante par rapport à la vague. C’est la glisse ! Alors, seule avec la vague, cet élément naturel imprévisible, je suis dans un état de grâce, où il n’y a plus ni soucis, ni problèmes. Seule avec la vague, je suis juste un petit être, une créature qui profite de ce que la nature lui offre, ce qu’elle a de plus beau : la vague. C’est cela qui est véritablement ressourçant, revitalisant. Le lieu où je m’incarne le mieux dans cet état de bien-être, c’est quand je suis dans le tube, le barrel. À  l’intérieur de ce tunnel d’eau, il n’y a plus rien d’autre que l’élément lui-même, doublé d’une hyperconcentration qui va me permettre de rester le plus longtemps possible, puis de me sortir de ce mur d’eau recouvrant et envoûtant. À ce moment d’adrénaline pure, rien d’autre n’a d’importance. Et à chaque vague que je prends, je revis ce moment de bonheur intense, à chaque fois différemment puisque chaque vague est absolument unique !

Notes 1. Article initialement publié dans la revue Transes, n° 7, ici revu et complété.

Chapitre 52 Transe-sexualité

Joëlle Mignot Le titre de cet article suscite tout de suite des représentations, le plus souvent à caractère anthropologique, voire spectaculaire. Le «  donner à voir  » des états de transe dans différentes cultures s’inscrit dans ce lien étroit avec la sexualité à partir de la mise en scène du corps, des croyances de métamorphose et de processus initiatiques, entre ritualisation et fascination et, sans aller chercher bien loin (nous aurions pu parler entre autres du vodou béninois, du candomblé brésilien ou de gnawa sénégalais), l’exemple du tarentisme italien illustre ce lien  ; c’est donc avec lui que nous commencerons.

Du sexuel dans les rites ? Nous sommes dans le sud de l’Italie dans la région des Pouilles, du Moyen  Âge jusqu’au début des années  1980, et ce rite à la fois initiatique et thérapeutique s’appuie sur les prétendus effets de la morsure de la tarentule, une araignée au venin particulièrement actif et nocif sur la conscience des personnes mordues. Agitation désespérée et langueur en étaient les effets et le moyen thérapeutique utilisé se concrétisait alors par un rite cathartique de danse et de musique effrénées et endiablées, jouée par des musiciens pendant des jours. Outre le caractère impressionnant, mêlé de croyances proche de l’exorcisme, ces danses qui allaient crescendo, étaient fortement

sexualisées dans les mouvements du corps jusque dans les instruments de musique, aujourd’hui encore utilisés pour le reliquat de cette pratique, la Tarentelle1, danse folklorique toujours pratiquée qui prend des aspects de parade amoureuse entre femmes et hommes mais aussi entre hommes et entre femmes. Deux instruments sont utilisés, eux-mêmes à connotation sexuelle, le putipù2, dont le principe est une membrane à friction sur un manche où le musicien fait des mouvements de va-et-vient et l’accordéon diatonique qui traditionnellement est décoré d’un losange qui s’ouvre et se ferme au gré des accords musicaux. Sexes masculins et féminins sont donc plus qu’évoqués par la forme et le mouvement. Les rythmes peuvent être irréguliers et frénétiques comme réguliers et envoûtants… jouant sur tous les registres de la confusion telle que nous la connaissons en hypnose (Di Mitri, 2006). Cet exemple, certes très marqué culturellement, souligne à titre d’exemple, que transe et sexualité font partie du patrimoine traditionnel et culturel des techniques de soin, aux confins des processus à la fois symboliques et initiatiques (Sola, 2013). La métaphore de l’araignée, chère à Louise Bourgeois, n’est pas non plus sans évoquer la sexualité à travers la fonction reproductive, puisque «  Maman  », nom donné à l’araignée chargée d’œufs en marbre du musée Guggenheim, a une connotation protectrice, qui incarne à la fois la force et la fragilité, la vulnérabilité et créatrice par la métaphore de la tisserande…

Comme Antoine Bioy l’a indiqué au premier chapitre de cet ouvrage, l’hypnose est l’une des transes possibles, mais elle est surtout dans notre culture dite occidentale la forme de transe la plus étudiée  ; c’est elle qui est «  l’étalon  » pour comprendre les phénomènes de transe et c’est aussi celle que nous pratiquons en tant que psychologue clinicienne sexologue. Précisément, soin, symbolisation et corps pourraient caractériser ce lien entre transe et sexualité dans la pratique de l’hypnose telle que nous la pratiquons aujourd’hui, à la fois dans ses aspects verbaux et

herméneutiques. Pour autant, il faut bien le dire, très peu de travaux scientifiques, au sens strict du terme, sur hypnose et sexualité sont disponibles… La plupart sont orientés vers les traitements des troubles ou la prise en charge des différentes pathologies (troubles de l’érection et hypnose, vaginisme et hypnose, dyspareunie et hypnose, addiction et hypnose, conséquences des cancers sur la sexualité et hypnose comme thérapie complémentaire  etc.). Très peu interrogent la nature de l’état et des éléments communs entre l’état de conscience modifié et l’état amoureux (même si c’est le champ le plus commenté) ainsi que les différentes formes d’états « hypnotiques » présents dans la sphère sexuelle et affective. Et c’est bien dommage car cette prise en compte et l’accessibilité à ces différents états est un indicateur et une porte d’entrée dans le processus thérapeutique. Ainsi, dans sa thèse de doctorat en psychologie clinique de l’université de Toulouse, Florent Poupard (2013) aborde la question de l’influence au cœur des processus hypnotiques et des figures de la pénétration en tant que valence passive. Dans son étude il nous dit : « Il y a donc là, en germe, l’idée selon laquelle la suggestion hypnotique (comme tous les phénomènes d’influence ?) a quelque chose d’un équivalent coïtal. » Il évoque la dimension « pénétrante » de la suggestion hypnotique, « une nouvelle forme de réalisation du fantasme de pénétration sans corps  ». Cette vision très classique de l’hypnose est à remettre en perspective des approches plus contemporaines où le patient devient l’acteur principal de sa thérapie dans un recherche d’autonomie et où la relation est le moteur du mieux-être. Peu d’études sur le fond, sauf du côté des traitements y compris médicamenteux… Alors revenons donc à la clinique.

Clinique sexologique de la transe hypnotique Plusieurs champs croisés entre hypnose et sexualité au sens large sont concernés :

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l’état de conscience comme « terreau » commun à l’hypnose, à la sexualité et à l’état amoureux ; la transe positive comme expérience thérapeutique favorable au « réensemencement » de ce terreau ; la transe négative et ses effets négatifs sur la santé sexuelle. Le patient est déjà souvent dans un état de transe négative à travers ses cognitions plus ou moins conscientes.

Les «  états de conscience, modifiés  » (la virgule est importante) comme le propose Antoine Bioy (2021), ont fait l’objet de nombreuses recherches et définitions. Mode de fonctionnement psychologique qui implique le corps et les sensations, les cognitions et les émotions, état de dissociation/association, veille paradoxale (selon le mot de François Roustang) qui implique le rêve et la rêverie sous forme hallucinatoire, l’expérience de l’hypnose, «  c’est vivre une façon différente la réalité environnante et s’ouvrir à une possibilité de la façonner autrement » (Bioy, 2021).

L’hypnose est un outil parmi d’autres et l’utilisation de ces états comme processus thérapeutique s’inscrit dans une prise en charge pluridisciplinaire et une démarche de type diagnostic préalable qui nécessite plusieurs conditions : ● l’analyse de la demande du patient (attentes, plainte, formulation des objectifs) ; ● la juste compréhension du cas clinique et donc son évaluation sexo-clinique (Mignot, 2023) incluant toutes les dimensions biologiques, psychologiques conscientes et inconscientes, sociologiques et environnementales ; ● la mise en perspective du symptôme sexuel dans l’histoire sexuelle de la personne dans une globalité somato-psychique mais aussi culturelle et relationnelle ; ● la mise en perspective face aux valeurs des Droits humains ; ● le choix des axes thérapeutiques et d’une porte d’entrée dans la problématique qui intègre l’expérience vécue de la personne,

notamment dans ses axes positifs de ressentis, de «  savoirfaire » et plus négatifs de croyances, de schémas et d’a priori et d’interdits introjectés. Ce choix inclut l’intentionnalité conjointe du thérapeute et du patient sur les objectifs à atteindre. Ces axes sont nécessaires pour aborder la sexualité humaine grâce à l’hypnose. Reste la question du sens du symptôme dans l’écologie de l’individu et du couple. Celui-ci apparaîtra parfois grâce à l’expérience de la transe elle-même, notamment lorsqu’il y a émergence surprenante de souvenirs oubliés ou refoulés, ce qui a été longtemps appelé des régressions en âge spontanées… Car nous le savons, le vécu de l’hypnose est un formidable terrain truffé de surprises et nous ne savons pas ce qui va émerger… surtout lorsqu’il s’agit d’aborder ce qu’il y a de plus intime. Nous savons aussi qu’en sexologie, un train peut en cacher un autre… Un symptôme précis peut cacher un trouble du désir ou une grave difficulté relationnelle. Nous sommes donc toujours dans une évolution possible de la problématique. Tout ce travail de créativité commune va se construire autour de cette « materia prima » qui va se révéler au fil des séances.

Les différentes approches de l’hypnose en tant que processus de transe vont pouvoir être utilisées en sexologie : D’un côté, l’hypnose formelle, cadrée de l’induction à la reprise, avec deux modèles : ● en tant que chemin de connaissance de sa sexualité (le «  Connais-toi toi-même sexuellement  »3 dans toutes les dimensions physiques, émotionnelles et érotiques ; ● dans un modèle structuré et orienté vers un but précis plus classique (résolution de problème liée à la demande sexologique), plus symptomatique. D’un autre côté, l’hypnose non formelle, plus «  conversationnelle  » avec des mécanismes subtils comme des métaphores qui émaillent

les entretiens, l’anamnèse ou encore l’approche plus psychodynamique par la parole. Une méthode mixte est souvent utile en sexologie, alternant séance d’expérience de la transe et entretien. Notons aussi la vertu diagnostique et parfois même pronostique du vécu du processus hypnotique et de la transe, à partir des règles de base d’une prise en charge « écoutez, écoutez, écoutez, observez, observez, observez… ». Les attentes qui concernent l’hypnose ellemême seront aussi décisives  : la pensée magique, les croyances autour des processus de transe, les expériences hypnotiques passées dans d’autres domaines que la sexualité (l’arrêt du tabac par exemple ou le traitement d’une phobie) de même que l’anticipation passive (position de supposé sauveur du thérapeute) oriente ce que j’appellerai « l’hynosexothérapie ».

Portes d’entrée dans la transe, utiles à la sexualité humaine Ou comment l’expérience de la transe peut aider les patients dans leurs difficultés sexuelles ?

Celle-ci est une construction qui comporte des jalons conscients et inconscients. Raconter sa vie sexuelle, reprendre les pistes de cette construction et à l’intérieur de celle-ci l’histoire du symptôme, la souffrance qu’il induit, les conséquences, les peurs c’est traverser le temps de sa propre vie sexuelle en lui donnant à la fois profondeur et perspective. Si le thérapeute est le réceptacle de cette histoire qui prend la forme d’un mythe fondateur, la démarche est le plus souvent toute nouvelle pour le ou la patiente. En cela la qualité d’écoute de première intention est fondamentale. Narrer, c’est avant tout se parler à soi-même dans un mécanisme assimilable à une forme d’autohypnose. Dès le premier entretien,

souvent pétri d’émotions et de défenses, la transe prend place. L’espace-temps réservé, le cadre spécifique du cabinet de sexologie mais aussi la représentation de la consultation, la qualité des attentes, vont structurer cette porte d’entrée dans une transe conversationnelle où la personne va déjà se replonger dans sa propre intimité. Nombreux sont d’ailleurs les patients suivis en analyse ou en psychothérapie qui viennent en disant : « Je fais un gros travail avec mon psy avec lequel je me sens bien mais je ne peux pas lui parler de ma sexualité, je viens vers vous spécifiquement pour parler de ça. » Ce « ça », cher à Groddeck (1923), émerge à travers cette transenarration des premiers pas de la relation thérapeutique. Si beaucoup pensent raconter des éléments rationnels et cognitifs de leur histoire sexuelle, souvent teintés de souffrances, l’expérience autohypnotique de la narration de l’intime mêlée à la qualité d’observation, d’écoute, d’accueil et d’analyse basée sur les connaissances sexologiques du professionnel en hypnose, vont permettre à celui-ci de mesurer et de déterminer les pistes à explorer et une première mise en route du travail inconscient.

Nous l’avons vu sur un plan anthropologique, le corps est au centre des mécanismes de transe dans diverses expressions. Le corps aussi au centre de la sexualité humaine dans toutes ses modalités biologiques, émotionnelles et bien sûr relationnelles. Force est de constater que de nombreux problèmes sexuels prennent racine dans un déficit à la fois sensoriel et par conséquent sensuel. La méconnaissance du ressenti corporel à la fois global mais aussi génital façonne la sexualité sur un mode souvent très mécanique, sans nuances voire dans le déni. Ajouter à cela l’ignorance et les schémas souvent liés à l’éducation à l’environnement ou à la culture,

l’accès à son propre corps et au corps de l’autre dans le plaisir et le partage reste très limité. Le « Connais-toi toi-même sexuellement (et affectivement !) » passe alors par la dimension corporelle et émotionnelle de l’hypnose. La nature et le vécu des états de consciences liés à la transe, l’expérience corporelle qui se met en place à partir de l’induction permettent l’accès au corps dans toutes ses dimensions (tonus, sens, ressentis profonds,  etc.) et en particulier les dimensions internes qui sont souvent dans des zones d’ombre, dans les replis de la conscience. L’état de transe fait alors office de « lumière » à la fois par les représentations et les ressentis. Nous savons que l’état hypnotique en lui-même provoque des modifications kinesthésiques variables suivant les moments et les personnes. L’utilisation ciblée et correctement menée, dans l’attention ou encore dans l’apprentissage de l’accueil de ce qui émerge dans cet état particulier (par exemple sur des zones précises du corps, des zones érogènes, des zones génitales et sexuelles) donne une dimension toute particulière à la thérapie sexologique qui va bien au-delà d’un simple exercice. La dimension de «  l’autorisation  » que le patient se donne alors (parler sa sexualité, la penser en passant par son corps et en découvrant de nouveaux accès sensoriels, accompagné éthiquement et respectueusement par le thérapeute) est alors primordiale pour le dépassement de ses auto-limites. L’anxiété de performance ou le sentiment de dévalorisation, dans les dysfonctions érectiles chez l’homme ou encore les difficultés de l’image du corps interne et externe dans l’accessibilité à l’orgasme chez les femmes, en sont des exemples. En sexologie, nous sommes dans des approches thérapeutiques qui doivent être pluridisciplinaires, inclusives, toujours à lisière du corps et de l’esprit. L’expérience de la transe hypnotique permet ce va-etvient permanent entre les ressentis et les représentations, qu’elles puisent dans le «  grand magasin de souvenirs  » individuel, dans l’invention et la créativité (l’hypnose est un art) ou axées sur les perspectives d’avenir (espérance du changement).

Naturellement, nous pouvons considérer que se laisser aller à l’érotisme c’est déjà entrer dans une transe hypnotique. La transe hypnotique, par tous les effets qu’on lui connaît, permet également l’ouverture du champ de conscience érotique qui se définit par la capacité d’avoir des rêveries flottantes qui vont produire des effets d’excitation, renforcer le désir et le plaisir et susciter une créativité et accepter de découvrir de nouvelles zones de soi-même. Cette ouverture nécessite une activation de la «  curiosité  », une «  auto-autorisation  » à rêver érotiquement en lien avec le corps et donc favorise l’enrichissement ou déblocage de l’imaginaire. Le repérage préalable des modes de fonctionnements érotiques par le thérapeute sera donc nécessaire. La métaphore est donc un outil privilégié pour découvrir ou relancer la fonction érotique. Sa fonction première sera de raconter une histoire qui va permettre la dissociation et la mise à distance des freins conscients mais surtout inconscients. Elle permet une communication à plusieurs niveaux en même temps, non  verbal, corporel et symbolique. Elle va permettre aussi un vécu différent ce qui peut être anxiogène ou interdit et reste une façon de dépasser les injonctions du surmoi qui reste très actives et limitent l’épanouissement et la satisfaction sexuels. Il faut néanmoins savoir que nous sommes sur un terrain sensible et que l’expérience, le savoir-faire et le savoir-être du thérapeute vont être là très mobilisés ! Si la métaphore érotique induite en hypnose peut prendre différentes formes, le point de départ sera toujours le patient ou la patiente, et doit être utilisée avec la plus grande prudence, le phénomène de transe rendant l’individu plus réceptif. Les images sont considérées au sens large (pas seulement visuelles mais aussi sensitives, auditives, gustatives). Elles peuvent être accompagnantes et co-construites  : le sujet participe alors de façon analogique, à l’histoire. Si elles sont induites

par le thérapeute, elles peuvent proposer de façon implicite une solution au problème affectif et/sexuel. Enfin elles sont isomorphiques avec des éléments de la métaphore correspondent aux différentes situations du patient avec une signification apparente et/ou camouflée. C’est le cas de l’utilisation des mythes ou des contes adaptés à la problématique en question. Il existe quatre types de métaphores érotiques : ● celles qui ne sont que suggérées, sans précisions, que le patient va se construire sans même en parler au thérapeute, le «  jardin secret  » reste source de d’évolution fertile en matière d’érotisme ; ● celles qui s’appuient sur le vécu du patient (repérage dans l’entretien d’éléments de l’histoire ou du vécu sensoriel du patient en lien avec l’érotisme à la fois dans ses racines corporelles et/ou fantasmatiques)  : «  Pouvez-vous vous souvenir d’un moment où… » ; ● les truismes : expériences de vie universelles ou dans une autre culture  : «  Laissez-moi vous donner un exemple… le Kamasutra… » ; ● les histoires construites comme des poèmes ou des textes réinterprétés : « Je m’enhardis, monsieur, à vous demander de venir dîner (...) chez moi, vendredi prochain, à six heures. Quand je dis chez moi, c’est une métaphore  : je n’ai pas de chez moi à Paris » (Sand, 1856). Deux techniques dans la transe peuvent être utilisées : ● une plus directe qui fait office de suggestion et s’intègre à la séance ; ● le «  saupoudrage  » qui sème des idées, attire l’attention, suggère des solutions, encourage la réflexion sur soi et la compréhension intérieure, augmente les attentes positives et la motivation, recadre ou redéfinit un problème et contourne les résistances. Les conditions du succès de leur utilisation sont précises : ● Accepter les surprises.

● ● ● ● ●

Oser une créativité qui se renouvelle et qui se coconstruit. Avoir de bonnes références de textes. Respecter le rythme du patient. Accepter que tout ne se dise pas. Faire attention aux projections car nous avons toutes et tous un vécu sexuel.

L’utilisation du paradoxe et de la confusion complète ces approches plus techniques.

Ce mot «  à la mode  » revient fréquemment lorsqu’on parle de relaxation qui implique plus particulièrement le corps. Il suscite aussi beaucoup de représentations. Mais le «  lâcher-prise  » en sexualité implique bien autre chose. Outre les tensions corporelles internes et externes qui doivent être repérées et travaillées comme un premier pas vers une forme de libération, les croyances, les idées-reçues font partie aussi de ce processus. Car il s’agit de savoir quoi « lâcher » de « ce que l’on a pris » et ce qui sera possible de l’être. Nous savons combien les dimensions culturelles peuvent faire obstacle à cet abandon des croyances et la sexualité y est extrêmement sensible. L’expérience de la transe est en grande partie fondée sur cette notion (du côté anthropologique comme du côté thérapeutique). Sur un autre plan, dans son article «  L’anthropologie animale au service de l’hypnose profonde », Jean-Claude Lavaud (2022) aborde la question de l’animalité et du dualisme nature-culture pour nous inviter à le dépasser à partir de la métaphore animale. La notion de «  lâcher prise  » est avant tout un dépassement qui permet de se dégager un temps de la conscience vigile pour entrer dans une autre dimension de soi… et de l’autre. L’animalité fait partie de la sexualité. Encore faut-il la connaître, l’accepter et surtout la canaliser. «  S’il faut conserver notre conscience réflexive pour demeurer humain, comment l’hypnose peut-elle être autre chose

qu’un état où on garde la maître de nos actes, où la conscience en reste le parangon ? » interroge Lavaud. La notion de responsabilité et de loi humaine, c’est-à-dire ce qui nous structure en société, est donc au cœur de la notion de « lâcher prise  » dans la transe, bien au-delà des conseils New  Age. Il ne s’agit pas de tout lâcher et surtout par n’importe comment. C’est en cela que l’art du thérapeute, sa connaissance de la sexualité humaine, son expérience seront les piliers de la prise en charge.

Elles ont une double appartenance physiologique (cardiaque, respiratoire, cutanée, hormonale…) et psychique (expression ressenti lié à l’affect) et elles sont au cœur des mécanismes sexuels et/ou affectifs. Le degré d’implication reste très variable allant de la passion et du coup de foudre à la simple attirance ponctuelle ou au « tomber amoureux ». Laurent Danon-Boileau (1999) distingue néanmoins l’émotion de l’affect  : «  L’émotion, contrairement à l’affect, apparaît comme un mouvement du sujet, dont la source essentielle est un événement du monde extérieur et non une représentation du monde intérieur.  » Il relie l’émotion systématiquement à la relation. Nous constatons que les problématiques sexuelles tournent souvent autour des dimensions émotionnelles, soit en carence avec une hyposensibilité qui instaure une sexualité mécanique désaffectée, soit au contraire en influence qui empêche le ressenti érotique et la réponse sexuelle adéquate, soit encore sous la forme d’une hypersensibilité émotionnelle qui rend dépendant… Il ne s’agit pas par l’expérience de l’hypnose de maîtriser ses émotions mais d’en faire des alliées positives vers plus d’épanouissement et d’équilibre.

Travail sur la transe hypnotique en thérapie et mieux être affectif et sexuel

Citons tout d’abord quelques exemples où la transe peut être de nature intrinsèque à la vie intime et vécue par tout un chacun.

Il suffit de s’attarder sur les écrits des poètes et romanciers pour se rendre compte qu’il y a des points communs entre les états hypnotiques et l’état amoureux. État hallucinatoire qui fait décrocher du réel, état de rêve qui s’appuie sur l’idéalisation, sensation de légèreté, sentiment que tout est possible, perception du réel totalement modifié… tout y est. La transe à deux, basée sur tous ces phénomènes qui surgit alors sans crier gare, crée cet espace psychique et corporel qui transforme les mondes intérieurs et extérieurs. Cette transeformation peut devenir une transe-mutation… qui remet l’ensemble de la vie du sujet en perspective, lui fait s’il est prêt, changer de chemin sans se retourner. Il est question alors d’«  alchimie des corps  », de «  compatibilité  » d’esprit, voire de spiritualisation de la rencontre… Il est question aussi d’aveuglement délicieux dans les meilleurs cas, dans d’autres, c’est un état très sensible à la brutalité de la prise de conscience du réel… Réel qui doit garder une dose d’hallucination pour faire durer la relation ! Le phénomène de transe infuse donc l’état amoureux, le soutient et le tient… La transe dans la courbe de la réponse sexuelle Sur un plan plus sexologique, toutes les quatre étapes de la réponse sexuelle (Master et Johnson, 1966  ; Kaplan, 1979), à la fois physiologiquement et psychologiquement décrite dans la littérature, peuvent se lire aussi à l’aune des états de conscience, modifiés : le désir tout d’abord comme moteur indispensable… «  Chercher l’étoile » du desiderare latin nous indique bien le chemin de la quête qui lorsqu’elle se manifeste, permet au sujet à la fois d’envisager un ailleurs, tourné vers l’objet du désir à partir du manque, comme nous l’enseigne Platon dans Le Banquet. Cet « ailleurs » peut propulser le sujet4 dans un monde à la fois nouveau et chargé d’élan vital…

Le corps prend alors le relais par la montée de l’excitation où l’attention aux sensations et aux émotions s’apparente aux états de transe, bien sûr avec des degrés très variables de présence à soi et à l’autre. Vient ensuite la phase dite de plateau qui permet le ressenti flottant du plaisir qui va mener à la volupté suprême, l’orgasme. Cette sensation euphorique de plaisir intense qui implique tout le corps est décrite aussi sous la forme de l’extase, où la personne se sent transportée en dehors de lui-même. Nous retrouvons les processus dissociatifs propres à l’hypnose et à la transe5. Chacune de ces étapes fait appel à des degrés de présence à soimême et à l’autre différents. Elles peuvent aussi faire l’objet de difficultés, de carence, de déni, d’ignorance, d’inattention la plupart du temps totalement inconscients, qui font le lit des symptômes sexuels. De nombreuses demandes en sexologie passent par ce sentiment de ne plus être là, d’être absent à ses sensations et émotions, d’être observateur(trice) et donc dissocié. C’est en cela que le travail sur la transe par les approches et les processus hypnotiques plus globale dans un premier temps, puis plus ciblée sur les difficultés sera infiniment utile. La transe dans la perspective psychodynamique de la sexologie Démêler causes et conséquences est souvent sensible dans la clinique. Daniel Araoz (1994) a développé le concept d’autohypnose négative, mécanisme inconscient puissant où le dialogue intérieur active des processus émotionnels non soumis à la raison, des images mentales négatives puissantes entraînant dévalorisation et culpabilité. Il s’agit d’une évaluation de soi-même, ou de ses fonctions sexuelles ou relationnelles, en permanence destructrice ou annulatrice. Celle-ci est aussi très active quand les liens du couple apparaissent distendus par les reproches et donc les mécanismes de projection, en particulier quand le conflit devient violent en mot ou en gestes.

Ce processus inconscient chargé d’affirmations négatives et d’imagerie mentales défaitistes donc élaboration négative (monologue intérieur) qui échappe au sujet avec pour conséquence l’anxiété et le manque total de spontanéité ludique. Il fait le lit de l’anxiété de performance (en particulier dans la sexualité masculine) ou des processus cognitifs de dévalorisation pour les femmes qui s’inscrivent également dans un contexte plus global et sociétal.

La définition officielle donne une orientation à la fois sur sa nature mais aussi sur la question des Droits humains. «  Un geste à caractère sexuel, avec ou sans contact physique, commis par un individu sans le consentement de la personne visée ou, dans certains cas, notamment dans celui des enfants, par une manipulation affective ou par chantage. Il s’agit d’un acte visant à assujettir une autre personne à ses propres désirs par un abus de pouvoir, par l’utilisation de la force ou de la contrainte, ou sous la menace implicite ou explicite. Une agression sexuelle porte atteinte aux droits fondamentaux notamment, et à l’intégrité physique et psychologique et à la sécurité de la personne6. » Dans nos prises en charge par l’hypnose, il est important de distinguer : ● les effets des traumas non sexuels sur la sexualité ; ● les troubles post-traumatiques suite à une infraction à caractère sexuel ; ● les répercussions de l’agression sexuelle sur la sexualité de la victime ; ● la notion de préjudice sexuel. Le plus souvent les patientes (parce qu’il s’agit en majorité des femmes) résument leur sexualité, voire se résument, à leurs traumas. Les éléments dissociatifs temporaires qui sont décrits par les victimes ont une fonction «  salvatrice  ». Le mécanisme d’autohypnose négative agit alors de façon insidieuse et les traces

mnésiques et corporelles interagissent souvent lourdement dans la vie affective et sexuelle. Les séquelles physiques (blessures, infections, IST, VIH…), séquelles psychiques, séquelles sur la fonction sexuelle (désir, plaisir, relation au corps), relationnelles sont multiples. L’hypnose alors sera utilisée sur plusieurs plans : ● la valorisation du vécu sexuel positif (avant les traumas) qui est souvent dénié ou oublié ; ● les conséquences à la fois physiques et psychiques sur la sexualité qui seront à évaluer avec le ou la patiente (dyspareunies, mycoses ou infections à répétition, vaginisme, troubles du désir, perte de confiance en soi, dépression…) ; ● les notions de réparation et de restauration pourront être métaphoriquement utilisées7 dans une perspective de reconstruction. Il s’agit donc là d’utiliser le mécanisme salvateur, la dissociation pour réassocier et réconcilier le sujet avec sa sexualité blessée. Notons que nous avons très souvent des demandes liées au refoulement. Il convient d’être particulièrement prudent quant à la réponse hypnotique. L’hypnose n’est pas un sérum de vérité et les faux souvenirs peuvent malheureusement être induits. En ce sens, la transe thérapeutique induite qui implique la régression en âge ne peut s’appuyer que sur des éléments tangibles et non pas supposés. Reste ce qui va émerger spontanément et cela interroge la capacité du thérapeute à accompagner le sujet sur la route du sens de sa sexualité dans toutes ses dimensions si cela est nécessaire.

En conclusion : soigner le bien par le bien Nous avons vu que de nombreux champs qui fondent la sexualité humaine sont communs aux phénomènes de transe et par là même l’élisent comme méthode privilégiée  pour l’améliorer voire la guérir de ses maux. Ce qui apparut aussi à la toute fin de ce travail, c’est

que cette réflexion sur la transe permet de dépasser les questions de genre en sexologie. On pourrait même dire que ses aspects thérapeutiques sont transe-genre ! Reste l’importance de la relation thérapeute patient qui peut se considérer comme une forme de transe à deux, création conjointe, grand apport de Milton H. Erickson (1901-1980), qui a sorti l’hypnose de l’emprise et de l’autorité des premiers hypnotiseurs. L’espace interactif des transes qui propose l’émergence de lieux intermédiaires entre soi et les autres à partir de l’inconscient, comme le dit Nancy Midol (2019), « entre le biologique et le social, entre le dedans et le dehors, entre l’imaginaire et le tangible. Leur usage met le monde en mouvement, transforme les communications, produit de l’imagination, de l’imaginaire et du savoir, de l’ordre et du désordre ». L’auteur pose la question non pas de l’hypnose comme technique objectivable mais comme « rapport d’inter-transe dans une situation particulière de soin  » et intègre la notion d’«  inconscient collectif culturel  », le phénomène de transe devenant alors, non pas seulement un état ou un processus, mais une hybridation. En ce sens, l’importance de la formation du thérapeute est fondamentale. En premier lieu, ses connaissances mais aussi le travail doit effectuer sur lui-même, le champ de la sexualité n’étant pas neutre. Celui de la transe non plus d’ailleurs. Dans son article «  Rêver pour deux, rêver à deux  » (2022), Martin Joubert appelle à la prudence : « C’est le problème des frontières de sa psyché qui vient le troubler. Une psyché qui déborderait de l’individu dans une indistinction partielle, entre soi et l’autre. Ces patients nous imposent un travail à un niveau de régression tel que les frontières psychiques s’y abolissent, confrontant l’analyste à une disparition des séparations qui organisent sa fonction et son sentiment d’identité : entre vie professionnelle et vie personnelle, vie de veille et rêve, perceptif et hallucinatoire ? » Les engagements du thérapeute dans une position éthique face au patient et à partir des valeurs qui sous-tiennent son travail avec la transe hypnotique seront aussi très constructifs. À  ce stade, la question des Droits humains fondamentaux, comme la sécurité, le

respect de l’autre qui est la base du consentement, la liberté de disposer de son corps, la satisfaction qui définissent la Santé sexuelle structureront les prises en charge de l’intime. Dans ces conditions, la dimension initiatique de l’utilisation de la transe en sexologie mérite d’être soulignée. Elle s’appuie sur la nature de la sexualité, plurielle et expériencielle, profondément humaine et joliment animale, tendre et forte, pour un instant ou pour l’éternité, allégorique ou incarnée, mais toujours danse joyeuse et porteuse d’espérance.

Notes 1. Danse traditionnelle ou l’excitation va en s’accélérant. 2. Nino Taranto, https://www.youtube.com/watch?v=1cVpfi4kjEM. 3. Mignot J. Intervention congrès CFHTB, Clermont-Ferrand, 2017. 4. Le conatus de Spinoza. 5. Les couleurs de l’orgasme, numéro  44 de la revue Sexualités Humaines, rédactrice en chef Joëlle Mignot. Métawalk. 6. Définition : Orientations gouvernementales en matière d’agression sexuelle (2001). 7. Voir « Objets blessés en Afrique », 2007, Cinq continents, musée du Quai Branly, Paris.

Focus 53 Transe musicale en milieu carcéral

Justine Chevance – Marion Perrot – Antoine Bioy Une expérience psychopathique.

hypnothérapeutique

auprès

de

patients

ayant

un

trouble

Notre travail de psychologue en milieu carcéral nous conduit à rencontrer des patients qui témoignent de l’importance de l’espace thérapeutique, ce lieu où le temps d’un instant ils peuvent expérimenter une autre perspective sur eux-mêmes et sur le monde, trouver un apaisement aux tourments qui les animent et se vivre comme sujet à part entière. Mais comment être thérapeutique dans ce contexte pénitentiaire et judiciaire ? Proposer l’hypnose nous est apparu évident et a soulevé dans le même temps de nombreuses questions. En effet, il n’est pas si simple de faire de l’hypnose en détention, la relation à autrui étant altérée pour beaucoup, notamment les personnes ayant une personnalité psychopathique. Comment les autoriser à laisser leur esprit voyager en dehors des murs ? Imaginer d’autres réalités possibles favorise-t-il la relation thérapeutique et un remaniement psychique ?

La psychopathie

De nombreuses représentations de la psychopathie sont véhiculées par l’imaginaire collectif. Nous observons dans les œuvres littéraires et cinématographiques que les psychopathes font peur autant qu’ils fascinent, ce qui vient teinter la compréhension et le ressenti que tout à chacun peut avoir vis-à-vis de ces personnes.

Au niveau psychopathologique, le concept de psychopathie a beaucoup évolué au fur et à mesure des années et reste encore aujourd’hui sujet à débat. En effet, cette notion pose de nombreuses questions de définition, de diagnostic et d’évaluation. Il interroge également sur son accompagnement social, éducatif et thérapeutique. La psychopathie a aujourd’hui disparu des classifications psychiatriques internationales car cette notion serait victime d’un amalgame arbitraire entre criminalité et pathologie. Il est donc important de rappeler que tous les psychopathes ne sont pas des criminels et que tous les criminels ne sont pas psychopathes. La CIM-11 propose de parler de «  personnalité dyssociale  » et le DSM-5 évoque la « personnalité antisociale » qui se traduit toutes deux par le non-respect des règles, des lois et des normes sociales. Les sujets éprouvent une indifférence, voire un refus des codes sociaux et culturels. Ce trouble se traduit par une capacité limitée des sujets à ressentir et comprendre les émotions humaines, tant leurs propres émotions que celles d’autrui. Pour autant, la personnalité psychopathique ne semble pas tout à fait correspondre aux définitions proposées par ces classifications. En effet, les caractéristiques antisociales telles que le mépris des règles, les transgressions, l’irresponsabilité ou encore la faible tolérance à la frustration ne permettraient pas de comprendre ce concept dans son entièreté. Ces critères portent sur ce qui est observable, le comportement, ce qui est plus facile à décrire et évaluer. Ces comportements semblent avoir une valeur adaptative au milieu qui a façonné le psychisme. Ainsi, cette caractéristique « antisociale » réfère davantage aux difficultés relationnelles et à la non-intégration de la loi (Lamothe et Geoffray, 1989) et illustre une réaction aux privations affectives. Bénézech et Le  Bihan (2013) proposent de définir la psychopathie comme l’association de traits de personnalités antisociales et de traits de personnalités narcissiques des classifications internationales. Englebert (2013) explique que les psychopathes ne rencontreraient aucune difficulté à faire preuve d’empathie, à identifier le vécu d’autrui mais qu’ils n’y accorderaient aucune importance. Il parle alors de trouble de «  sympathie  » illustrant des modalités relationnelles immatures, désinvesties qui offrent une défense contre l’abandonnisme. Celui-ci, constamment présent, est issu de leurs expériences traumatisantes ou carencées qui ont entraîné une désorganisation précoce. L’histoire de vie de ces patients est en effet marquée par des expériences multiples d’abandon et une discontinuité des relations affectives précoces. En général, ces patients décrivent un père absent et une mère qui ne parvient pas à répondre à leurs besoins d’enfant (Lamothe et Geoffray, 1989). Ainsi, l’autre ne leur paraît pas digne de confiance et de cette perception se développe un besoin de dominer la relation au travers de la manipulation, la séduction, le contrôle ou l’agressivité et la violence. Ces personnes n’attendent rien des autres, ne pouvant compter que sur eux-mêmes dans un aménagement grandiose de la personnalité, tentant alors de colmater ces failles béantes. En résumé, la psychopathie peut se décrire comme un trouble caractérisé par des désordres émotionnels et des comportements antisociaux. Ces éléments de compréhension de leur fonctionnement par l’agir nous permettent alors la rencontre avec la personne afin d’envisager les soins psychiques.

La psychopathie est reconnue comme difficile voire impossible à traiter. Cette réputation de quasi-incurabilité vient compromettre les soins et influencer le contretransfert des soignants qui sont souvent confrontés à un vécu d’impuissance. Il est parfois bien difficile de se sentir empathique pour un individu qui semble prendre plaisir à utiliser son interlocuteur. Le souci de ne pas être sous emprise occulte alors la souffrance du patient. Le psychopathe, s’il n’est pas capable de se préoccuper de la souffrance d’autrui, n’est pas non plus capable de s’occuper de la sienne. Le recours à un aménagement défensif immature, qui consiste à dénier sa souffrance et à la projeter sur l’extérieur, permet à ces patients de maintenir l’intégrité de leur identité. L’agir tient ici lieu d’un langage (Hiver, 1980), de l’expression d’une souffrance.

Le travail en milieu carcéral

En détention, les troubles du comportement reflètent les troubles psychiques du psychopathe et ses actions et réactions perturbent l’institution. Cela se traduit par des conduites d’opposition et de transgression au règlement visant un désir d’exister face à l’institution carcérale et se recréer une individualité. Il peut également s’agir de conduites hétéro-agressives et auto-agressives qui sont de véritables décharges psychomotrices d’une tension psychique. Lamothe et Geoffray (1989) écrivent : « Le psychopathe en prison se heurte généralement aux murs, aux autres comme un papillon dans une lanterne. Il s’agite, provoque, séduit, monte de plus en plus devant l’inertie du milieu ou sa réponse ne le satisfait pas.  » Face à ces comportements bruyants la réponse de l’institution pénitentiaire repose la plupart du temps sur la sanction. De plus, ce contexte carcéral vient souvent influencer la prise en charge de ces patients. La thérapie est dépendante de l’institution pénitentiaire et judiciaire  : le thérapeute n’a pas libre accès au patient et peu de liberté sur le cadre, la durée des rencontres et de la prise en charge. Les rencontres sont souvent prédéterminées par un tiers : juges, avocats ou agents pénitentiaires. Ces contraintes sont importantes à considérer car elles peuvent perturber l’accès à un véritable processus thérapeutique. Pourtant, «  la prison semblerait être paradoxalement une institution calmante  » (Lamothe et Geoffray, 1989). Zagury (2001) ajoute que pour les psychopathes «  la solide pare-excitation que constitue la prison leur permet d’organiser tranquillement leur quotidienneté. (...) Les murs de la prison jouent un rôle de contenant, d’organisateur. En dehors de ce cadre, ils explosent  ». Il est intéressant de s’attarder sur la matérialisation que peut recevoir cette fonction de contention des angoisses  : les filets disposés entre chaque étage, entre chaque passerelle empêchent une confrontation trop directe au vide  ; les portes sont épaisses, solides, fermées  ; les fenêtres sont barreaudées. Tout est colmaté.

L’étanchéité de l’espace carcéral pourrait participer à rassurer certains sujets, qui y retrouvent comme matérialisées certaines de leurs modalités défensives, protégeant ainsi leur intimité, leur intégrité, des attaques de cet environnement. Nous supposons alors que ces patients peuvent contenir leur impulsivité dans l’espace cadré de la prison.

Décrire cet environnement permet de mieux saisir que la clinique carcérale, c’est avant tout parler de corps enfermé. La prison enferme le détenu dans une sensorialité particulière où l’emprise corporelle passe par la réduction des possibles. La proximité permanente des murs, l’odeur carcérale et les saveurs invariables s’imposent chaque jour aux personnes incarcérées. Les sens en sont perturbés et doivent s’adapter. En détention, la majorité des sens s’atrophient. La médecine carcérale note une accélération de l’usure biologique et une fragilisation somato-psychique importante au sein de cet espace (Gonin, 1991). Les contraintes sensorielles entraînent une forme de sous-stimulation, sauf pour l’audition, qui est un sens exacerbé. En effet, l’ouïe fait exception en raison du bruit, les cliquetis des clés, les bruits des portes qui s’ouvrent et se ferment, les cris, la musique et le son de la télévision qui s’entremêlent. On ne peut échapper au bruit !

Il s’agit alors de penser le détenu en situation carcérale (Englebert, 2013) et de réfléchir sa prise en charge dans ce temps et cet espace. Il est nécessaire de prendre en considération ce cadre d’exercice pour que le thérapeute puisse engager sa présence dans cet univers. Celle-ci consiste à être ancré dans son propre corps, tout en étant réceptif à l’expérience du patient dans le moment présent, celui de la détention. La prise en compte de cette réalité nous semble essentielle à la rencontre qui évoque l’action «  d’aller vers  » et ainsi favorise l’émergence d’une coopération, d’un partage et donc d’une alliance de travail entre le patient et le thérapeute. Les premières rencontres avec les détenus psychopathes sont souvent dans le cadre d’urgence à la suite d’un incident disciplinaire et d’une mise au quartier disciplinaire, une tentative de suicide ou des automutilations suite à des frustrations. Les agents pénitentiaires favorisent la rencontre avec le soin et ainsi une relation avec les soignants débute dans ce contexte d’urgence. La mission principale du soignant est alors d’apaiser la crise en proposant un espace d’écoute et de parole. C’est ensuite au patient d’entreprendre une démarche de soins hors de l’urgence et de s’engager dans un travail psychique. Mais que peut-on proposer dans ces prises en charge ? Face aux impasses liées aux difficultés d’introspection et à une parole qui pourrait être source de malentendus ou de manipulations, le corps serait-il la porte d’accès au monde interne et intime de ces patients ? Il s’agit alors au travers du corps et de sa

sensorialité de travailler ces éprouvés corporels, ces affects et percepts qui n’ont pu trouver leur place et leur fonction dans la psyché.

Dans ce contexte d’enfermement, un mot semble bien définir l’hypnose : la liberté ! Roustang (2007) nous dit que «  parler de la liberté n’est qu’une autre manière de parler de l’hypnose ou de la définir  ». En quoi l’hypnose est-elle liberté  ? «  Un thérapeute ne peut maintenir sa position d’hypnotiseur que s’il a fait sienne l’expérience d’une certaine liberté au sein même de son travail. » (Roustang, 2007.) La liberté du thérapeute s’inscrit dans le fait de renoncer, ne rien attendre, ne rien vouloir et de ne rien savoir, laissant au cœur le patient. Elle ouvre alors des espaces pour le patient comme pour le thérapeute. Quoi de mieux parfois que d’ouvrir une porte ou une fenêtre pour respirer un instant, découvrir qu’il existe d’autres comportements, d’autres solutions et expérimenter un ailleurs. Bioy (2017) propose de définir l’hypnose comme « un mode de fonctionnement psychologique par lequel un sujet, en relation avec un praticien, fait l’expérience d’un champ de conscience élargie  ». L’hypnose est donc un état de conscience modifié, la transe, mais aussi une modalité relationnelle singulière. Pour la Haute Autorité de Santé (2005) l’hypnose ne serait pas une bonne indication pour les psychopathes. Pourtant, notre expérience nous laisse à penser que la transe hypnotique, au travers de l’expérience du corps et des sens et d’une relation spécifique, a un effet bénéfique auprès de ces sujets. Il s’agit dans ces thérapies d’aller à la rencontre de l’être humain dans toute sa singularité, sa complexité et sa vulnérabilité au-delà du visible, des comportements bruyants et transgressifs, d’autant plus dans le contexte si particulier du milieu carcéral.

Notre dispositif : une transe musicale Notre propos porte sur la création d’un dispositif hypnotique spécifique à la clinique carcérale. Quoi de plus paradoxal que de proposer la liberté en prison ? N’est-ce pas ce que recherchent fondamentalement ces patients : la transgression ? Dans notre pratique d’hypnothérapeute, quelques expériences de transes ont pu être perturbées par le chaos auditif de la détention qui rappelle sans cesse les patients à la réalité carcérale. Nous avons alors fait le pari que cette sensibilité auditive pouvait être utilisée au niveau thérapeutique et devenir le canal sensoriel privilégié pour l’induction hypnotique. Lorsque nous proposons une écoute musicale en séance d’hypnose, nous sommes attentifs à créer une ambiance propice à la transe. La musique aide à se rendre disponible à la transe. Il s’agit d’un langage universel qui fait écho en chacun.

Au travers de ce dispositif, il s’agit alors de quitter les repères de l’environnement carcéral. L’introduction de l’hypnose et de la musique bouscule les sens et estompe les repères sonores de la prison. Les patients peuvent, l’espace d’un instant, modifier la façon de percevoir leur réalité carcérale. Il s’agit également pour le thérapeute, qui abandonne certains jalons, d’un changement de cadre important. En effet, le milieu carcéral instaure des règles de sécurité, une vigilance particulière que le thérapeute quitte pour vivre une transe partagée. Cet état de relâchement réduit l’attention portée à la sécurité, comme lorsque nous fermons les yeux face à un patient détenu, sans pour autant que la transe fasse naître un vécu d’insécurité pour le professionnel. L’enjeu étant alors pour le thérapeute de proposer un espace, une expérience, centrés sur la sécurité pour les patients alors même qu’ils sont incarcérés pour préserver la sécurité des autres. L’insécurité des personnes ayant un trouble psychopathique est au cœur même des comportements antisociaux et de leurs modalités relationnelles. C’est donc avant tout une rencontre humaine, une connexion qui échappe aux mots et à la logique consciente. La musique semble alors permettre d’établir un espace et un temps commun, transcendé, un espace du « nous ». L’implication est corporelle, physique et émotionnelle pour le thérapeute qui va se laisser toucher par l’expérience de l’autre, bien au-delà de l’empathie et du contre-transfert, permettant au patient de mieux saisir ce qui lui sera renvoyé. Ce dispositif vient alors déconstruire les représentations, souvent négatives, d’un espace thérapeutique chez ces patients. C’est au travers du récit des patients sur leur vécu que cette notion de transe est particulièrement palpable. Souvent, ils expriment leur surprise à pouvoir voir, percevoir, ressentir un ailleurs, comme l’exprime Manu après une séance de transe musicale « c’est comme si j’y étais, je voyais les couleurs, les papillons, je ressentais les sensations sur mon visage  ». «  C’est bien plus qu’un souvenir, c’est bien plus fort », nous dira Kaïs. Notre transe musicale repose sur deux repères sonores : une musique et notre voix, créant ainsi une enveloppe sonore suffisamment sécurisante permettant cet état de conscience modifié. La musique vient s’inscrire comme un bain sonore sur lequel nous ajoutons notre voix. Chaque voix est unique et singulière, elle est porteuse d’émotions. Elle peut être ressentie comme un contenant, une métaphore de l’enveloppe psychique qui contribue à la dimension de sécurité. En cela, elle a une fonction archaïque d’apaisement. Elle enveloppe, contient, rassure, et renvoie à la figure d’attachement qui berce son enfant. Cette transe permet à nos patients ayant eu des carences infantiles de trouver ou retrouver le lien maternel. Au travers de l’expérience hypnotique de cette relation thérapeutique sur un mode archaïque (Zindel, 2011), le sujet peut faire l’expérience d’un lien de confiance et de sécurité. Les rythmes, les airs, les sons des musiques renvoient à l’audition des bruits intrautérins : les percussions cardiaques, les mélodies rythmées de la voix des parents, ce bain sonore correspondant aux premières expériences musicales. Notre mouvement clinique est de co-construire avec le patient un dispositif qui lui corresponde au mieux. Permettre au sujet de s’impliquer et participer activement assouplit les résistances. Nous proposons au patient d’écouter ses propres musiques et ainsi co-créer une enveloppe sonore qui lui est propre. Nous lui présentons également des musiques qui nous paraissent pertinentes dans le moment de la rencontre avec le patient ; un geste, une phrase, une émotion partagée nous faisant associer à une musique, ce qui fait expérimenter au patient l’accordage du

thérapeute. Les œuvres musicales ont une structure expressive suffisamment puissante pour imposer des états émotionnels. Les réactions corporelles et émotionnelles apparaissent : parfois un sourire sur le visage, des larmes qui coulent sur ses joues ; toujours, le corps qui se met en mouvement. D’abord, la respiration et parfois les pieds ou les mains qui marquent le tempo. Ainsi, les sons, les mélodies mais surtout les rythmiques résonnent dans le corps du patient. Nous observons ce corps et invitons le patient à porter attention à ses réactions, ses mouvements. Notre voix semble faire lien entre les sons émis par l’enceinte et les échos chez le patient. Nous faisons des associations entre leurs perceptions auditives et leurs émotions et faisons appel à notre propre écoute. Grâce à cette observation, nous construisons une séance totalement sur-mesure pour la personne. Nous jouons des harmonies pour faire des suggestions en construisant des métaphores, en utilisant les ressources des sujets. L’attention du patient oscille entre notre voix et la musique pour créer sa propre partition. Cette écoute musicale permet l’éveil d’émotions, de souvenirs, d’images et ainsi de renvoyer la personne à son espace intérieur. Nous nous autorisons ainsi à mettre ou remettre du mouvement dans ce vécu de détention souvent figé. Ce dispositif est créé pour s’adapter au plus près de la psychopathologie mais aussi du contexte de notre exercice. La transe hypnotique semble avoir un intérêt dans les situations de crise et d’urgence dans lequel les premiers liens avec ces patients se nouent. Après un passage à l’acte, ce dispositif a pour intérêt de favoriser un apaisement face à ce débordement interne. Le patient peut alors expérimenter l’impact de cette approche, ce qui peut initier la collaboration et l’engagement dans un travail au long cours. Il s’agit ici de quitter l’urgence et l’immédiateté et faciliter les soins dans la durée. Ce phénomène d’engagement implique pour le soignant d’être là, présent au moment où le patient en éprouve le besoin et de proposer une réponse au plus juste. La personne expérimente les bénéfices des rencontres avec un psychologue qui pouvait jusque-là être associé à des représentations parfois négatives ou obscures. À quoi bon rencontrer un psychologue lorsqu’on ne peut pas exprimer une souffrance par les mots ? Vivre cet apaisement dans ces moments de crise encourage alors l’émergence d’une demande de soin. Cette expérimentation permet à la fois la création d’une relation, d’une alliance pour le travail psychique et d’introduire une autre solution aux frustrations de la vie carcérale. Au travers de la transe hypnotique, une réanimation de la sensorialité s’opère. Le corps réagit aux musiques, à notre voix et à cette expérience d’état de conscience modifié. Les réactions et les bénéfices sont multiples et peuvent s’inscrire au-delà de l’instant hypnotique. L’impulsivité et les agirs qui définissent les personnes psychopathes illustrent leur incapacité à maîtriser cette vie interne. Souvent, elles se sentent envahies par des sensations et des ressentis incontrôlables et des émotions innommables ancrées dans leur corps. La transe hypnotique et cette écoute attentive du corps permettent à ces patients de réduire l’impulsivité qui les anime en travaillant la régulation des émotions. L’éveil de la sensorialité favorise également l’expérimentation des limites au travers des sensations à la surface corporelle venant délimiter un intérieur et un extérieur. Éprouver, sentir, dans le cadre sécurisant du soin permet alors au patient d’expérimenter le sentiment d’existence.

À ces sensations s’associent notre présence et ce corps à corps hypnotique qui vont constituer un objet contenant pour le patient. Zindel (2011) précise qu’il s’agit d’une «  relation hors du commun  » qu’il rapproche de la relation symbiotique mère-bébé, «  une métaphore de la relation symbiotique pourrait être l’image d’une maman qui berce son bébé  ». Zindel (2011) explique qu’il s’agirait d’un vécu de sécurité et d’attention à l’autre, de retrouver ou trouver, le maternel archaïque dans la fusion inhérente à la transe. Les patients ne sont plus seuls face au vide. « Merci d’être là pour moi », nous dit Manu. Ensemble dans cet espace nous pouvons coexister sans que le thérapeute -l’autre- soit perçu comme une menace.

En conclusion La musique possède une structure qui permet au patient de donner une représentation à son chaos interne et ainsi mettre en forme son vécu. Cette transe musicale propose un mouvement qui permet de sortir du bruit pour aller vers une mélodie plus harmonieuse. Au travers de ce dispositif innovant en détention, nous invitons les patients à sentir à nouveau ce qu’ils peuvent éprouver dans leur corps. Ce corps souvent malmené est le support de l’expression d’une souffrance. Le soin intervient comme une réponse, en tentant de réintroduire du plaisir à ressentir. Cette expérience corporelle facilite la rencontre et la construction d’un lien avec le thérapeute pour devenir une expérience émotionnelle positive. Par cette expérience sensorielle, il s’agit pour les patients de renouer avec le sentiment d’existence, en créant cette bulle où ils s’autorisent à s’évader quelques instants de cet environnement carcéral. S’évader en prison n’est pas qu’une fuite mais aussi faire un voyage au-delà des murs pour se ressourcer et envisager des possibilités de reconstruction.

Chapitre 54 La transe relationnelle : un médiateur du changement en thérapie familiale

Nathalie Duriez Dès leur apparition, les thérapies familiales ont intégré l’enseignement de Milton Erickson pour développer des techniques, des métaphores ou des images pour amener les familles dans un processus de changement. Perlmutter et Sauer (1986) vont plus loin en explicitant comment le mythe familial est fabriqué à partir de processus d’induction, de transe et de rituels. Afin de faire évoluer ce mythe, le thérapeute devra amorcer un processus de contre-induction dans un moment de rencontre intersubjective privilégié dans lequel la transe relationnelle apparaît comme un médiateur du changement. Nous illustrerons cette théorisation à partir de l’étude d’une séance avec une famille à transaction addictive.

Étude du changement dans les psychothérapies

Thérapeute familiale depuis plus de vingt ans, je me questionne dans ma pratique et dans mes travaux de recherche sur ce qui favorise un processus de changement chez les familles. La recherche sur les psychothérapies a longtemps privilégié les méthodes quantitatives pour évaluer leur efficacité à partir de mesures avant et après la thérapie. Dans les années  1980, un paradigme nouveau se développe  : la Recherche sur le Processus de Changement (CPR) centrée sur l’identification, la description, l’explication et la prédiction des effets des interventions du

thérapeute en fonction des contextes vécus par les patients (Greenberg, 1986). Trois niveaux de processus sont explorés  : les actes de langage, les événements thérapeutiques et les relations.

Un événement est défini comme une unité d’interaction thérapeutique et stratégique, pleine de sens, conçue pour atteindre un objectif thérapeutique intermédiaire. Ce paradigme de recherche s’inscrit dans une lignée qui a commencé avec Standahl et Corsini (1959) qui ont étudié les moments où l’interaction entre le patient et le thérapeute permet le changement, qu’ils appellent les «  critical incidents ». Kelman (1966) utilise le terme « kaïros » ou « moment propice  » pour désigner l’instant critique où toute opportunité peut permettre un changement dans la personnalité du patient. D’autres parleront de «  significant events  », de «  therapeutic phenomena  » (Elliot, 1983), de « good moments » (Mahrer, 1988). L’évolution actuelle de la psychothérapie, en s’intéressant aux niveaux des émotions, du pré-verbal et du non-verbal, valide cet intérêt pour les événements thérapeutiques. Pour Stern (2003), c’est cette dimension d’intersubjectivité qui est essentielle dans le processus thérapeutique. Chaque minute de la thérapie peut être envisagée comme un «  moment présent  », expression qui rend compte à la fois de la dimension phénoménologique du vécu, de l’éprouvé et d’une certaine échelle temporelle. Le «  moment présent » est un ensemble holistique de petites perceptions qui fait sens pour la personne qui les vit. Ce moment comprend des mots, des paroles échangées mais aussi des silences ou des émotions dont chacun a une conscience primaire. Les études sur les événements significatifs opèrent généralement à un niveau de concrétude et d’explicitation à partir d’études de cas et d’analyses séquentielles des séances retranscrites proche de la pratique clinique, ce qui est apprécié par les thérapeutes. Ces recherches qualitatives sont particulièrement utiles pour expliciter les

connaissances implicites des thérapeutes et traduire les résultats en microthéories cliniques (Rice et Greenberg, 1984).

Un événement fondateur de la thérapie familiale a été la conférence Cerebral Inhibition Meeting, financée par la fondation Macy en 1942, durant laquelle deux sujets ont été débattus : l’hypnose, selon Milton Erickson et le réflexe conditionné, selon Howard Liddell. Puis entre 1954 et 1960, Jay Haley se forme auprès de Milton Erickson et intègre son enseignement dans la thérapie stratégique. Dans ses recherches sur les processus de changement, Watzlawick distingue le langage définitionnel, logique, analytique et le langage des figures, des métaphores, des symboles. Ce dernier exerce sur nous une influence fort différente et fait résonner en nous d’autres niveaux d’expérience que le langage définitionnel. C’est le langage du changement que doivent savoir parler les thérapeutes familiaux pour amener les familles à changer. Les neurosciences nous apprennent aujourd’hui que de nombreux concepts abstraits sont compris métaphoriquement par le biais de domaines sensori-moteurs concrets tels que les actions. Ainsi pour le sujet qui dit ou qui entend « elle a vécu un moment très dur », les régions du cerveau liées à la perception de la dureté sont activées (Desai et al., 2011). Sources d’émotions, métaphores et analogies sont des activateurs de mouvement dans la relation  : elles mettent le système thérapeutique en mouvement. L’image sollicite les sens et permet une réorganisation perceptive en conscience de l’ancienne image de la famille. Abandonnant toute rationalisation défensive, famille et thérapeute co-construisent une nouvelle représentation du fonctionnement familial et de nouvelles significations sur ce qui leur arrive, ce qui était alors méconnu et caché devient manifeste. L’utilisation de métaphores et d’images plonge parfois le sujet « dans un état quasi hypnotique où les fonctions de contrôle peuvent débrayer et laisser libre accès à des représentations et à des ressources inconscientes  » (Sallustrau et Lecoy, 1999  : 12). Le

thérapeute n’explicite pas le sens de la métaphore ou de l’image selon son intentionnalité et c’est la famille qui la comprendra avec son propre système auto-référentiel. La métaphore permet ainsi d’activer les compétences de la famille, et d’accroître son économie de souplesse et sa flexibilité.

Économie de souplesse et transe

L’objectif thérapeutique en thérapie familiale vise à augmenter l’économie de souplesse (flexibility budget) de la famille de façon à ce qu’elle utilise ses ressources adaptatives pour faire face à la crise qu’elle traverse. Ces ressources sont parfois difficilement accessibles du fait du stress déjà accumulé. Selon Bateson (1980), chaque changement qui s’avère nécessaire dans le contexte familial peut constituer une source de tension qui épuise son économie de souplesse, sa capacité de régulation et augmente sa vulnérabilité face à toute nouvelle situation qui nécessite encore un nouveau changement. Ce n’est donc pas tant les capacités adaptatives de la famille, qui sont mises en cause mais plutôt leur épuisement à cause d’un cumul de stress qui a atteint le seuil de tolérance de la famille. Pauzé, Roy et Asselin (1994) constatent un lien entre la perte de souplesse et l’apparition de comportements symptomatiques. « Une famille dysfonctionnelle est un système qui a répondu à ces demandes internes ou externes de changement par une rigidification de son fonctionnement, qui, devient stéréotypé. » (Minuchin, 1979 : 127.) La flexibilité est envisagée comme une «  potentialité de changement non engagée  » en ce qui concerne les rôles et les règles familiales. Olson, Sprenkle et Russell (1979) proposent d’évaluer la flexibilité selon cinq niveaux qui vont de «  rigide/inflexible  » à «  chaotique/trop flexible  ». Les variables qui permettent cette évaluation sont la qualité du leadership, la discipline, les négociations, la répartition des rôles et les règles de

fonctionnement. Nous nous intéresserons plus particulièrement aux méta-règles qui sous-tendent ces règles de fonctionnement.

Ces méta-règles constituent le pôle mythique de la famille, c’est-àdire un savoir singulier que la famille utilise pour faire face aux problèmes entre eux et avec l’extérieur, une «  conscience de groupe  » (Crabtree, 2002). Pour Ferreira (1963), le mythe est un ensemble de croyances irrationnelles, une distorsion de la réalité qui est vécue comme une réalité par la famille. La famille construit son identité et trouve sa finalité au travers d’une « danse » entre ce pôle mythique et le pôle des rituels. L’enchaînement et l’enrichissement réciproque des pôles mythiques et rituels créent une frontière autoorganisationnelle distinguant un monde extérieur et le monde du groupe, qui peut et doit pour exister, rester opaque, voire paraître irrationnel à un observateur extérieur. Le mythe, c’est ce qui clôt le système, ce qui le différencie des autres systèmes (Neuburger, 1991) et constitue pour la famille son modèle organisant ou son paradigme. Dans les familles à transaction addictive, différents mythes ont été identifiés lors des séances de thérapie familiale  : le mythe de l’harmonie familiale, le mythe de la marginalité, le mythe d’expiation, le mythe de la nécessité d’un absent et le mythe d’endogamie.

Pour Denis Vallée (1995), la famille à transaction addictive est organisée autour d’un mythe d’endogamie illusoire, qui suppose l’existence de relations indéfectibles dans le couple conjugal, chacun se situant par rapport à l’autre dans une relation de parenté. Par exemple une épouse se comporte comme une mère, une fille ou une sœur avec son mari. Cette illusion de parenté maintient le mythe du couple parental idéal, un couple sans sexualité et sans conflit. Souvent une histoire ou un souvenir incarne la métaphore de cet idéal qui circule dans la famille de telle façon qu’il est impossible de

métacommuniquer sur les relations au sein de ce couple. Par loyauté à ce mythe, les enfants peuvent aussi entretenir avec leurs parents des relations autres que filiales. Un fils et une fille peuvent se comporter à l’égard de leurs parents comme des aïeux, des parents, des frères et des sœurs et éventuellement comme des enfants. Au moment de l’adolescence, les tentatives de l’enfant pour s’autonomiser et vivre des relations exogamiques sont vécues comme une menace pour la famille. L’enfant se trouve alors dans une impasse qui l’amène à consommer pour échapper de façon brutale à la force de ces liens. Afin de mettre en place un système thérapeutique avec la famille, le thérapeute doit d’abord s’affilier, c’est-à-dire adopter les règles du système familial. Si le système familial à transaction addictive est un espace relationnel uniquement constitué de liens indéfectibles, alors pour s’affilier le thérapeute doit accepter de partager le même type de relation que la famille entretient avec le produit et dans leurs relations intra-familiales. L’illusion de parenté apparaît comme le préliminaire à toute affiliation à l’intérieur du contexte thérapeutique pour créer un contexte «  autonome. La relation thérapeutique est une relation d’apparentement illusoire. Comment ces mythes se construisent-ils au sein de la famille et du système thérapeutique ?

Fabrication des mythes à partir de processus d’induction, de transe et de rituels

Perlmutter et Sauer (1986) proposent une modélisation de la fabrication des mythes à partir de processus d’induction, de transe et de rituels.

L’induction est un processus automatique de focalisation et de conscience non contrôlée. Elle se produit à partir d’un stimulus verbal et/ou para-verbal, qui fait sens de manière consciente ou non consciente pour le sujet. Ce sens s’est construit à partir

d’expériences antérieures au cours de longues périodes de pratique dans des modèles de deutéro-apprentissage. En raison de la nature automatique de l’apprentissage et du deutéro-apprentissage qui l’accompagne, les règles d’induction et la logique de fonctionnement de ces règles ont été excessivement bien intégrées dans le système analogique de la famille (Bateson, 1980).

Un élément significatif de l’univers familial induit un état de conscience modifié chez les membres de la famille, que Perlmutter et Sauer (1986) décrivent comme un état de transe. Cet état permet une prise de conscience accrue instantanée. La transe incorpore les caractéristiques du monde interne de l’expérience d’une personne, à l’exclusion de la conscience cognitive de cette connaissance. Dans l’état de transe, le sujet est à l’aise dans la performance et l’accomplissement. Si la transe se produit dans un moment présent de l’existence, elle est aussi d’un autre temps et/ou d’un autre lieu interne. Dans la transe, le sujet a accès à des ressources internes qui ne sont pas disponibles pour le moi conscient. La transe se caractérise également par des modes indigènes de lecture, d’écriture et de parole qui sont inexplicables pour l’esprit «  rationnel  ». Elle est un processus de réceptivité au monde et transcende en permanence les frontières perçues (Rossi, 1980). Durant les séances nous pouvons identifier que nous abordons des croyances significatives du mythe familial parce qu’elles induisent des processus de transe au sein de la famille.

Les actes consistant à raconter et à redire des «  histoires de famille  » sont cybernétiquement régis et produiront des changements dans les processus d’induction, d’entrée et de ritualisation. Chaque fois qu’une histoire est racontée et reprise, elle est modifiée. Ces modifications peuvent être importantes et manifestes, triviales et sans conséquence, mais elles sont toujours

adaptées aux conditions contextuelles spécifiques dans lesquelles elles sont racontées. Les mythes peuvent donc évoluer avec les rituels. Les rituels du système familial symbolisent ses mythes.

La thérapie familiale vise à faire évoluer les relations intra-familiales, c’est-à-dire les rituels, le mythe familial et la conscience de groupe. Cela suppose une modification des règles qui organisent le système familial. La transe relationnelle peut permettre au thérapeute de se connecter au système familial et de ressentir dans son corps les règles du système familial : « Il y a transe relationnelle chaque fois que quelqu’un se laisse absorber par une autre personne et tout ce qui peut la concerner, et qu’il s’abstrait par là même du reste, à divers degrés.  » (Crabtree, 2002.) La réceptivité, la présence et l’authenticité du thérapeute sont déterminantes dans ce processus d’affiliation. Cependant si le thérapeute se met à fonctionner comme s’il était un membre de la famille, en respectant les règles du système, il amène aussi une différence issue de sa propre subjectivité, qui va permettre à la famille de s’observer avec un regard plus critique et de changer progressivement. Afin d’illustrer cela, nous présentons une séance durant laquelle le thérapeute accueille la relation d’apparentement entre la famille et le thérapeute, tout en la qualifiant d’«  illusoire  ». Cette métaphore de l’illusion va déclencher un processus de contre-induction et permettre la déréification de ce mythe d’endogamie.

Hypothèse Suivant la théorie de Perlmutter et Sauer, nous supposons que nous allons retrouver des processus d’induction et de transe chez le thérapeute quand il perçoit des éléments significatifs du mythe familial. La transe du thérapeute va permettre l’affiliation et la formation du système thérapeutique. Nous observerons alors une transe relationnelle qui guide le thérapeute pour trouver la

métaphore juste et amorcer chez la famille un processus de contreinduction et une prise de conscience de leur contexte relationnel.

Analyse d’un moment intense Nous avons sélectionné avec l’accord du thérapeute une famille qui a été reçue dans un centre de thérapie familiale pour les conduites addictives et dont la thérapie est terminée. Cette thérapie a duré quatre ans et demi. Dix ans après la fin de la thérapie, nous avons mené deux entretiens semi-directifs avec cette famille, parents et enfant séparément, afin de recueillir leur ressenti concernant ce qui s’est passé durant la thérapie, ce qui a permis le changement et la nature de ce changement. Le mot «  transe  » n’a jamais été prononcé afin de ne pas induire les réponses. Un entretien semidirectif s’est également déroulé avec le thérapeute afin de recueillir son point de vue.

La demande concerne Bénédicte, 33 ans, qui consomme de l’héroïne depuis l’âge de 21 ans. Elle est la fille unique de M. Th. C., 58  ans, et de Mme  C., 60  ans. Très en souffrance, elle est régulièrement amenée aux urgences pour une tentative de suicide, une overdose ou un coma éthylique.

Durant l’entretien avec les parents, la réponse à la question « Parmi les facteurs qui ont contribué à l’efficacité de la thérapie, quelles seraient les caractéristiques propres à vous  ?  » m’a permis d’identifier un moment intense présent dans la séance  8. Mme  C. répond non pas en précisant ce qui caractérise la famille, mais en soulignant la qualité de la rencontre intersubjective :

Mme  C.  : Mes caractéristiques  ! Il faudrait peut-être chercher aussi pourquoi je me sentais bien tout en appréhendant, non  ? Nous ne sommes pas des adorateurs de thérapeutes, parce que thérapeutes, etc. En revanche il y a le feeling… Il y a d’abord la personnalité de Th. C. Il s’est créé une fausse famille, une famille de substitution dans laquelle s’intégrait un élément qui pour moi était très important au niveau affectif, mais affectif d’une façon très lointaine, mais très importante à cause de toute cette lignée d’hommes dans ma vie qui a été interrompue, il y avait la présence d’une image de fils, donc de frère pour Bénédicte. Et ça, ça m’a permis d’ouvrir des vannes qui se fermaient quand l’affectif était en cause. Donc c’est à partir d’une illusion que des choses, qui n’étaient pas bloquées mais non dites dans ma tête, c’est-à-dire cette chaîne d’hommes qui me manquait, qui a été pour moi déterminant pour me permettre de m’ouvrir. ND : Le fait que ce soit un homme ? Mme  C.  : Le fait que ce soit un homme que j’accepte, et qui aurait pu être un fils rêvé… ND : Vous dites illusion ? Mme C. : C’était une illusion ! Mais avoir un fils aîné pour Bénédicte, je lui ai toujours souhaité… elle voulait un frère aîné quand elle était petite. C’est embêtant quoi ! On a dû lui expliquer… Et je pense que c’est cette illusion qui m’a permis d’ouvrir des écoutilles d’une manière très profonde en ce qui me concerne.

Nous voyons que plus de dix ans après, elle peut rendre compte de ce moment de transe relationnelle durant lequel le thérapeute accepte d’être son fils, permettant ainsi que le vécu de manque s’estompe. Elle peut témoigner des effets de cette transe relationnelle  : diminution de la censure et ouverture qui permet de clarifier ce fantasme de fils par rapport à un manque. Le mot « illusion » nous amène à sélectionner la séance 8 significative par rapport à cette relation d’apparentement entre la famille et le thérapeute mentionnée par Mme  C. Il s’agit de la huitième séance après huit mois de thérapie.

Le contexte de la séance favorise la réceptivité et le processus d’induction. Avant la séance Bénédicte a décalé un rendez-vous car elle était malade et a laissé un message sur le répondeur, demandant au thérapeute s’il pouvait également la suivre en thérapie individuelle. Elle justifie sa demande en lui disant qu’il est « hyper plus efficace » que les autres thérapeutes. Le thérapeute est

alors en difficulté car il ne peut accepter sans déroger au cadre. Il se questionne sur l’idéalisation de sa personne et sur l’efficacité de la thérapie : « Je suis dans ma phase prudente. Je ne suis pas sûr que ce que je vois est vraiment ce que je vois. » Cette demande de thérapie individuelle est l’élément inducteur dès le début de l’entretien. C’est un élément qui vient nourrir sa réflexion sur la place du thérapeute avec les familles à transaction addictive, réflexion qui concerne aussi le suivi d’autres familles. Le rendezvous a lieu l’après-midi et les consultations précédentes ont aussi nourri cette réflexion : Th. C  : J’ai beaucoup avancé aujourd’hui. J’ai continué une discussion que j’avais tout à l’heure avec une famille en début de matinée. C’est un couple dont le fils est… a des problèmes de toxicomanie, on dit ça, en prison. Et moi, je vois les parents parce que… pour un tas de raisons. Et j’ai développé avec ces parents une théorie que je vais vous développer, que je vous ai déjà dite d’ailleurs. La théorie qui est que vous êtes des illusionnistes !

Nous voyons que la compréhension de la singularité de la relation thérapeutique avec la famille du matin est restée en suspens et entre en collusion avec la relation qu’il vit avec la famille C. L’impensé dans le suivi d’une famille se rejoue avec une autre, ce qui occasionne une collusion trans-familiale  : le thérapeute fait des liaisons entre ce qu’il observe pour plusieurs familles et parvient ainsi à penser, élaborer, symboliser le matériel psychique impensé qui se répète dans un cadre trans-familial. Une théorie sur le mythe d’endogamie et le lien d’apparentement avec les familles à transaction addictive va se dessiner dans la transe qui suit.

La transe est un processus de réceptivité et le paradigme de la deuxième systémie invite les thérapeutes à adopter cette posture d’ouverture et à se laisser pénétrer par le mystère de la famille compétente plutôt qu’à rechercher des recettes pour traiter une famille considérée comme dysfonctionnelle  : «  Faire de la thérapie

n’est pas résoudre des problèmes ou corriger des erreurs mais se plonger dans le mystère des familles et de leur rencontre. Ceci implique de passer d’une thérapie où le thérapeute observe à une thérapie où le thérapeute s’observe pour refléter à la famille compétente cette perception qui permet de laisser émerger “l’autosolution”.  » (Ausloos, 1995, p 19). C’est à partir de cette technique proposée par Ausloss, la méchante connotation positive, que le thérapeute entre en transe : Th.  C  : Je suis inquiet. J’étais inquiet l’autre mardi puis je suis inquiet aujourd’hui parce que je ne suis pas sûr que ce que je vois et la réalité soient forcément la même chose.

Il utilise son ressenti, ce qui l’inquiète pendant l’entretien, à savoir «  comment pourra-t-il être le thérapeute de cette famille s’ils le voient comme un fils ou un frère ? ». Puis à la manière d’Ausloos il va valoriser cette particularité familiale pour en faire une compétence. Il va accepter que la relation thérapeutique devienne une relation d’apparentement illusoire sur laquelle il s’appuiera pour travailler la question du manque. Voici ce qu’il en dit quatorze ans après la séance : Th.  C  : Pour moi, c’est une famille historique parce qu’il y a un avant et un après. C’est là que j’ai expérimenté pour la première fois l’apparentement. C’est-à-dire qu’à la fois c’était une idée qui était en germe depuis longtemps, à laquelle je réfléchissais, liée aux échecs successifs que j’avais eus depuis que j’étais arrivé dans le centre avec toutes les familles de toxicomanes. Et puis j’arrivais à un certain niveau de réflexion sur ce qu’était la toxicomanie, la dépendance, le lien de dépendance.

Le thérapeute décrit ce moment d’hyperabsorption de l’attention qui lui a permis d’expérimenter et de théoriser la relation d’apparentement dans les familles à transaction addictive. L’analyse de la séquence nous montre comment la formulation d’une métaphore lui a permis d’entrer dans un processus de transe qui a permis cette ouverture et cette clairvoyance et en même temps qui a

aidé la famille à mieux percevoir la manière dont ils communiquaient avec leur fille et avec le thérapeute.

Durant ce moment intense induit par ce qui a précédé, le thérapeute commence par exposer brièvement le contexte dans lequel sa théorie a émergé puis fait appel à leur imagination  : «  Il faut que vous imaginiez… » Il utilise à plusieurs reprises le verbe « voir » et active ainsi les zones du cerveau responsables de la vision. Ils peuvent ainsi devenir spectateurs de leur propre fonctionnement. Th. C : Vous êtes des illusionnistes. Justement c’est la réflexion de Bénédicte qui est très importante. Cela rejoint à la fois ma séance que j’ai faite avec ces gens-là et ça rejoint le coup de téléphone que nous avons eu la dernière fois quand nous aurions dû nous voir et… et cette demande de prise en charge. Je trouve que c’est très bien. Il faut que vous imaginiez… il faut que je vous dise comment moi je vous vois… je vous vois comme une famille qui, donc, a ce problème de drogue, c’est-à-dire pour moi vous êtes une famille d’illusionnistes, c’est-à-dire on est au festival international de la magie. D’accord. Moi je suis dans la salle. C’est à l’Olympia. C’est un machin qui est à Paris, un théâtre connu.

La mère éclate de rire. Th. C : Je suis dans la salle. J’ai acheté mon billet. MERE : Et nous on vient de… Th. C : Et vous, vous n’êtes pas dans la salle, vous êtes sur la scène. Roulement de tambour. Les lumières s’éteignent. Roulement de tambour. Vram vram vram. Bruno Coquatrix sort et il dit  : «  j’annonce ouvert le troisième festival international de la magie et nous allons commencer par une famille reconnue internationalement sur le marché de la magie et de l’illusionnisme  : la famille H. Vram vram vram. Applaudissement dans la salle. Bruno Coquatrix sort. Le rideau se lève et on voit trois personnes  : le père, la mère et la fille. Et puis commence une espèce de sarabande familiale où il se passe des choses extraordinaires. Et une des choses par exemple pour bien illustrer mon propos, c’est l’exemple que j’ai pris avec le couple tout à l’heure, la femme sort de la coulisse une cage posée sur une espèce de table roulante. Alors la table roulante est faite d’une façon très spéciale, c’est des tubes, hein ce n’est pas une table pleine, c’est une table avec des tubes et puis des petites roues. Et elle fait tourner… elle arrive, vous êtes en tutu, c’est-à-dire un maillot de bain à paillette et vous arrivez devant la salle, vous faites tout le long de la scène, vous faites tourner sur elle-même la cage sur la table roulante, posée sur la table

roulante. Et vous, Monsieur, vous retirez votre cape, votre chapeau,  etc. Et vous, Bénédicte, vous êtes là, vous arrivez plus belle que jamais, encore plus belle que d’habitude,  etc. Roulement de tambour. On met la cage qui est sur cette table roulante au milieu et on ouvre la cage. Vous, vous ouvrez la cage. Et Bénédicte… vous, Monsieur, vous appelez Bénédicte et vous lui dites… vous montrez du geste comme ça, de rentrer dans la cage et Bénédicte rentre dans la cage. Vous, Madame, vous fermez la cage. Il y a un cadenas qui est gros comme ça, un gros cadenas, vous prenez la clé que vous sortez de votre poche, vous fermez le cadenas, vous prenez la clé, vous avancez vers quelqu’un qui est assis devant… un spectateur, vous lui donnez la clé. Vous tournez la cage, avec Bénédicte à l’intérieur de la cage, etc. Et vous, vous passez les mains sous la cage pour montrer qu’il n’y a rien, que vos mains passent, etc. Tout va bien. Vous tournez la cage et à un moment vous sortez un drap, un morceau de tissu rouge et hop ! on le jette sur la cage. Roulement de tambour. Vroum vroum vroum. Clac, on retire le drap et il y a un léopard dans la cage. Voilà ! C’est ça ! C’est votre famille ! C’est comme ça que je vous vois !... Problème ! Cela pose plusieurs problèmes cette façon de voir les choses !

Le thérapeute explique que ce fonctionnement familial n’est pas le problème qui le préoccupe et oriente la conversation sur sa place dans ce spectacle d’illusionniste : Th. C : Le problème, c’est moi. Je pose un problème. Et c’est là où on revient un peu sur la discussion que nous avions avec Bénédicte au début de la séance. Le problème, c’est moi. C’est-à-dire qui suis-je  ? Est-ce que je suis ce que je suis en train de dire, c’est-à-dire un spectateur qui assisterait admiratif au spectacle que vous me donnez ? Parce que je sais en tant que spectateur que Bénédicte est à l’intérieur de la cage mais ne s’est pas transformée en léopard. Je le sais. Tout le monde le sait ! C’est pour ça qu’on appelle cela de l’illusionnisme. Tout le monde sait qu’il y a un truc. D’accord. Tout le problème, c’est ça. C’est le problème du truc. Ou est-ce que moi-même, puisque nous sommes au énième festival international de la magie, est-ce que moi-même je suis un illusionniste ? C’est-à-dire que ce que nous sommes en train de faire et que nous appelons d’un mot un peu pompeux « thérapie », est-ce que ce n’est pas un objet d’illusion, aussi ?

Le thérapeute les amène à travailler sur leurs relations mais aussi sur la relation qu’ils ont avec lui. Est-il en train de devenir un membre de la famille, un illusionniste et dans ce cas, y a-t-il encore une thérapie possible ? Il ne précise pas davantage sa pensée qu’il théorisera plus tard par le concept de relation d’apparentement entre le thérapeute et la famille. La conversation se poursuit sur le décalage entre ce qu’ils montrent et ce qu’ils ressentent, en

particulier sur le fait qu’ils montrent de l’agressivité alors qu’ils sont d’accord entre eux. Th. C  : On revient sur cette histoire d’illusion. Qu’est-ce que je dois croire  ? Est-ce qu’on doit croire le message qui est « si je t’engueule, c’est parce que je t’aime » ou « je t’engueule » ! C’est-à-dire le contenu du message ou la forme.

Le changement n’est pas instantané durant cette séance. Les conversations thérapeutiques qui mettent en scène ce lien d’apparentement vont se ritualiser et permettre progressivement l’émergence d’un nouveau mythe s’organisant autour de la croyance que le thérapeute peut être un frère pour Bénédicte et combler ce manque d’homme dans la famille. Dix ans après la fin de la thérapie, Bénédicte est toujours rassurée : Bénédicte  : Quand on est complètement seule et perdue, on se sent moins seule parce qu’on sait qu’un mec comme ça existe et qu’il est susceptible d’avoir une solution !

Conclusion Si le système familial reste un Système Flou puisque le thérapeute a pris la place d’un frère, cette organisation peut être mentalisée par rapport à l’histoire familiale et évoquée par la famille comme une illusion. Le temps s’était arrêté à la mort du père de Mme  C. alors qu’elle n’avait que 17 ans. La transe relationnelle a permis de faire évoluer le système familial, auparavant organisé autour de la perte. En prenant la place du tiers pesant, le thérapeute les aide à accepter les manques du passé et à investir le présent. Mme C. a pu élaborer sa manière d’entrer en relation avec le thérapeute et le caractère flou des places de chacun au sein de la famille en lien avec une peur de la perte. Cette peur qui s’exprimait auparavant à travers l’agressivité va laisser place à la confiance, à une meilleure communication et à une régulation émotionnelle plus adaptée. Une frontière plus claire entre les parents et leur fille se dessinera peu à peu et Bénédicte s’affirmera davantage.

Chapitre 55 Transes et addictions

Jean-Sébastien Leplus-Habeneck L’addictologie est un domaine privilégié d’observation des états de conscience modifiée. Ces transformations du rapport à la conscience s’observent à travers les différents usages de produits1, hallucinogènes, stimulants, euphorisants ou sédatifs mais elles ne se limitent pas à la prise de substances psychoactives. Les comportements associés à l’addiction peuvent également induire des états de transe, notamment ceux associés aux rituels de consommation et au craving2. Les approches thérapeutiques utilisant des modifications de l’état de conscience sont pertinentes dans ce domaine, notamment les techniques d’hypnothérapie. La transe hypnotique peut ainsi permettre d’investiguer l’ambivalence au cours de l’exploration motivationnelle, de mobiliser des ressources, de construire des modèles alternatifs de soi ou de réguler les émotions. Ainsi, les usagers de substances psychoactives sont des psychonautes experts, qui utiliseraient toujours la même route pour atteindre des états de conscience modifiée, telle une voie rapide chimique bitumée. Le thérapeute pourra proposer à l’usager d’investiguer des chemins parallèles, des sentiers inexplorés encore en friche et parfois sauvages, qui demandent parfois une exploration fine et patiente. Dans ce chapitre, nous proposons d’observer les différentes expressions de ces transes des usagers, qu’elles soient spontanées, chimiquement induites ou thérapeutiques.

Transes rituelles, cultures, substances psychoactives

L’usage de substances psychoactives psychodysleptiques (hallucinogènes) connaît un emploi traditionnel dans les pratiques rituelles chamaniques. Les substances et les usages sont multiples à travers le temps et l’espace : psilocybes (champignons), peyolt et San Pedro (cactus) au Mexique, amanite tue-mouche (Amanita Muscaria) au Canada, tabac et ayahuasca en Amérique du Sud, datura et jusquiame noire (Solanacées) en Europe dans les rituels de sorcellerie. Le chamanisme peut se comprendre comme un système de croyances reliant l’humain à son environnement naturel et spirituel. Le chamane y est inscrit comme un acteur central en étant dépositaire d’un savoir sacré, ésotérique et de sa mise en acte rituelle (Hell, 1999). Les rites se fondent sur des mythes. Ils sont parlés, mis en actes. Ils sont dotés d’un pouvoir de transformation des participants. Le rite peut avoir une visée curative, donnant un sens à une affection, reliant la représentation et le fait biologique. Il permet de se relier aux esprits des défunts, aux lignées d’ancêtres. La puissance rituelle peut également s’exercer dans les domaines de la fertilité ou de la chasse. En résumé, les savoirs mythologiques et les pratiques rituelles du chamane concernent des thématiques sociales, religieuses ou thérapeutiques. Sa fonction est garante de l’intégrité et de la continuité du groupe social. Le postulat sous-jacent du chamanisme est l’existence d’un « monde des esprits » (Hell, 1999). Ce dernier est distinct du monde sensoriel habituellement accessible. Il existe des divergences de perception des pratiques chamaniques selon qu’elles reposent ou non sur l’usage de substances hallucinogènes. Mircea Eliade (1968) décrit la consommation rituelle de substances comme « un substitut vulgaire à la transe pure  », une pratique dégénérée de chamanisme. Les techniques archaïques de l’extase reposeraient alors sur des procédés « naturels » tels que les danses, la musique, les chants, le jeûne, l’isolement, les invocations, l’abstinence sexuelle. La Barre (1974) soutient une position adverse en postulant que l’origine du chamanisme est intimement liée à l’usage de substances psychoactives. L’expérience volontaire de la transcendance, l’accès au « monde des esprits », relève de la compétence du chamane. Il

peut vivre des expériences extracorporelles pour naviguer du céleste à l’infernal, suivant « l’Axe du Monde ». Les gens « ordinaires » n’y accèdent généralement que fortuitement, en étant malades, au cours de festivités ou en absorbant des plantes hallucinogènes. Ce rapide aperçu inscrit l’usage de substances comme un phénomène intimement lié au développement de l’humanité depuis au moins 100  000  ans. Le lien organique entre l’Humain et les plantes rituelles afin d’induire des transes serait fondateur de la culture (La Barre, 1974). De nombreux auteurs ont conçu les plantes hallucinogènes comme des clés ouvrant les portes de la perception dans l’esprit des hommes. Transformer ses perceptions, traverser ses certitudes et bouleverser ses repères habituels confronte l’usager à la dissolution d’un Moi culturellement construit. En ce sens l’expérience peut devenir transcendante. Le discours de certains usagers relate ce sentiment d’appartenir à un ensemble plus vaste, de voir l’univers respirer autour d’eux, de percevoir le fluide qui relie les éléments du monde vivant. Cette expérience heurte violemment la conception de l’identité dans la culture occidentale. Louis VincentThomas (1976) présente une différence fondamentale entre une conception matérialiste individualiste occidentale pour laquelle « tout est dans le sujet  » et les sociétés plus connexionnistes dans lesquelles les individus sont reliés entre eux, avec leur environnement et avec leurs morts. La transe est l’expérience médiatrice qui permet de prendre conscience de cette unicité. Dans cette perspective, la substance hallucinogène n’est donc pas inductrice d’un état pseudo-délirant, elle est révélatrice d’une autre réalité, elle décille le regard profane, permettant l’accès au sacré.

Escande (2001) décrit un mode d’usage «  enculturé  ». Ses caractéristiques sont l’intégration à une culture, un contexte (échanges entre individus partageant des valeurs), un «  monde en commun  », lié à une histoire et des pratiques porteuses de sens collectif. Cette consommation est intégrée à une culture, signifiante.

La plante est un médiateur chimique, un transporteur du monde directement perceptible au monde sacré, invisible. Son usage est culturellement admis et reconnu pour sa fonction collective. La plante peut être anthropomorphisée («  la mama  »), reconnue comme un messager et un révélateur. En ce qui concerne la consommation de substances dans le monde occidental (zone géographique influencée par «  la culture et les valeurs  » occidentales), la question du contexte est primordiale. Hulin, (1993) parle de «  prise sauvage  » pour caractériser cette consommation dépourvue de références sociales et culturelles. Nous parlerons de consommation déculturée. En occident, la prise de substances est marquée par la défaillance des médiations symboliques. La prise d’hallucinogènes n’est pas ou peu reconnue comme un moyen d’accès au transcendant3. En dehors d’un cadre culturel et cosmogonique, l’expérience hallucinogène devient anxiogène, en réaction à la désagrégation du Moi. Il est à noter que l’usage rituel correspond à une nécessité collective qui soutient le Moi du chamane, ce qui n’est pas le cas de la consommation individuelle, déliée. Les contenants symboliques ont également fonction de contenants psychiques. Ainsi, les produits culturellement intégrés se trouvent déracinés et transformés dans le monde occidental. Le principe actif, molécule sans âme isolée de l’imaginaire collectif, est un Réel brut. Dans leur contexte originaire et médicinal, c’est le totum de la plante qui est utilisé, c’est-à-dire l’ensemble, complexe et cohérent, des molécules actives de la plante. Dans le cadre d’un usage festif, autothérapeutique, hédoniste, euphorisant, anxiolytique, stimulant, propre aux cultures occidentales, les plantes sont transformées, les principes actifs extraits et concentrés et les modes de consommation se situent hors de tout contexte culturellement ou spirituellement signifiant. Ainsi le pavot infusé pour ses propriétés antalgiques a été transformé en opium fumé, provoquant une crise majeure de santé publique en chine, puis en morphine et en héroïne, responsable de plusieurs crises collectives de consommation en Europe et aux États-Unis (Bachman  ; Coppel, 1989). Les feuilles de coca traditionnellement mâchées en Amérique du Sud, pour soutenir l’activité quotidienne sans effets dommageables, sont devenues cocaïne puis crack, dont la consommation est actuellement extensive en occident. L’usage social du kiff au Maroc a laissé place au cannabis génétiquement sélectionné, fortement dosé en THC (tétrahydrocannabinol). L’amphétamine a, de même, été dérivée de l’éphédrine, principe actif de la plante « éphédra ». Les usages thérapeutiques initialement dévolus au LSD ou à la MDMA ont finalement été détournés pour devenir des consommations

festives, transformant ainsi des substances de révélation en produits d’évasion, de la confrontation à l’évitement.

La consommation de substances en occident correspond à un rite « vide », désymbolisé (Leplus-Habeneck, 2023). Ce contexte laisse place aux dérives de consommation, aux usages problématiques (abus, usage nocif, dépendance). La transe chamanique culturellement inscrite a laissé place en occident à des usages erratiques. Il convient néanmoins de noter que si les dimensions anthropologiques et spirituelles ont pu s’estomper, les prises de substances correspondent sociologiquement à la création de sousensembles culturels, organisés autour de codes et rites singuliers, au sein desquels l’usage de substance occupe une fonction de rite de passage ou de liant social. Ainsi la consommation de substances psychoactives occupe une fonction au sein de groupes sociaux, en revanche la question de la transcendance demeure marginale et si elle est présente, les contenants symboliques sont souvent insuffisamment étayant. Il est notable qu’actuellement, des rituels chamaniques soutenus par des transes avec de l’ayahuasca, soient considérés comme potentiellement curatifs d’addictions à la cocaïne ou à l’héroïne (Fleurentin, Fleurentin, 2016). Une consommation porteuse de sens, révélatrice du lien au monde des esprits, l’ayahuasca qui agit sur la perception, viendrait remédier à un usage déculturé, essentiellement stimulant ou sédatif, les opiacés et la cocaïne affectant essentiellement le niveau de vigilance. L’usage traditionnel bouleverse la perception pour révéler des aspects inaccessibles du savoir sacré. L’usage moderne influence la vigilance du consommateur pour lui permettre de s’adapter aux contraintes du cadre sociétal (suractivation, sédation, décharge de tension). Cependant, états de transes spontanées sont observables chez les usagers, indépendamment des prises de substances. Ils participent à la dynamique addictive.

Addictions et transes spontanées

Les états de conscience modifiée peuvent être naturellement produits par différentes situations  : crises d’angoisse, rêve ou privation de sommeil, orgasme, ivresse, stress, prises de substances, méditation, hypnose, prières, isolement sensoriel, jeûne, danse et musique, extase mystique, etc. Dans les conduites addictives, les états de conscience fluctuent non seulement en fonction des prises de produits mais également selon leur absence. Il nous semble important de nous intéresser particulièrement à la notion de craving, qui joue un rôle tant dans le maintien de la consommation que dans les risques de rechute. Le craving est défini comme «  une envie irrépressible de consommer une substance ou d’exécuter un comportement gratifiant alors qu’on ne le veut pas à ce moment-là » (Auriacombe et al., 2016). Nous relevons donc une dimension d’involontarité dans le processus, typique des processus hypnotiques. Ce désir quasiment irrépressible est fréquemment associé à une détresse psychologique, il se démarque de la phase aiguë du sevrage. Nous proposons de comprendre ce processus de craving comme un phénomène de transe spontanée. Nous verrons qu’ils disposent de caractéristiques similaires. Bioy (2021) définit la transe comme « un état de conscience qui se trouve provisoirement modifié par un élément de contexte qui s’impose à une personne, et qui vient modifier soudainement la perception que cette personne a de la réalité. Cette modification est perçue par le sujet comme inhabituelle en nature et/ou intensité ». Dans cette définition, il est important de noter qu’elle peut être induite par un événement particulier inattendu (un incident soudain) ou un événement anticipé et ritualisé (comme une séance d’hypnose avec un thérapeute). Bioy mentionne le rôle prévalent d’un un élément de brusquerie qui provoque une rupture de pattern dans le cours de la « normalité ». Les repères usuels sont déstabilisés et le vécu sensoriel afférent également. Le ressenti est

« inhabituel, atypique, et transitoire ». Le craving est une expérience singulière, intense, immersive, intériorisée. Elle s’inscrit dans un registre «  viscéral  » mais aussi cognitif, émotionnel, représentationnel. Le craving s’accompagne de manifestations physiologiques objectivables  : activation du système sympathique avec une augmentation de la tension artérielle, du rythme cardiaque, de la diaphorèse et modifications hormonales avec une hausse du taux de cortisol (Morissette et al., 2014). Le craving est décrit comme un phénomène qui n’est pas totalement conscient et qui s’accompagne d’une perte de contrôle sur le comportement. Il peut persister plusieurs mois, voire davantage, après l’arrêt total de la prise substance, comme avec la métamphétamine pour laquelle les phénomènes de craving persistent plus d’une année après le sevrage complet (Wang et al., 2013). Les substances psychoactives modulent l’activité dopaminergique du système mésocorticolimbique impliqué dans les processus de mémoire, cognition, renforcement positif, dépendance et compulsion (Oliere et  al., 2013). Ces projections se déploient au niveau du noyau accumbens, de l’amygdale, de l’hippocampe, du cortex préfrontal et du cortex cingulaire (Robins  ; Everitt  ; Nutt, 2008). Des activations cérébrales similaires sont identifiables dans le phénomène de craving. Elles s’observent notamment dans la région amygdalienne, associées à un état dysphorique et amotivationnel lié à l’abstinence. L’activation des zones hippocampiques et parahippocampiques pourrait être impliquée dans les processus mnésiques liés au craving, notamment l’absorption dans la remémoration des consommations antérieures. Les réseaux endocannabinoïdes, opioïdes et dopaminergiques sont également impliqués au cours de ces épisodes. Ces constatations neurophysiologiques attestent de l’intensité de l’expérience vécue au cours du craving, indépendamment de toute consommation de substances psychoactives.

craving

Un premier inducteur contextuel de transe peut être le rituel de consommation et plus particulièrement la phase précédant l’usage lui-même. Dans le discours d’usagers, la mise en place du rituel de consommation, comme préparer l’injection ou l’inhalation nasale en écrasant la poudre, s’accompagne d’une modification de l’état de conscience habituel. Selon le contexte, les attentes, la période de latence entre deux consommations, le rituel de consommation peut être un acte assez automatisé et banal ou au contraire une transe préalable à l’usage. Nous avons relevé, dans le Verbatim d’usagers, la notion d’un état dissociatif au moment de la préparation, avec automatisation de la gestuelle, absorption dans l’espace interne et ressenti anticipatoire de l’effet attendu. Le vécu d’une expérience sensorielle anticipée, n’existant à l’instant précis que dans l’imaginaire du sujet et correspondant à une activation des structures du système de récompense (Chandra  ; Maddux  ; Chaudhri, 2015) est évocateur d’une transe induite, comme il peut s’en observer dans les prodromes d’une crise de boulimie par exemple. Le deuxième inducteur que nous allons développer ici est l’expérience subjective du craving. L’usager décrit être brutalement immergé dans son monde interne, avec une réduction relative de la conscience du monde extérieur. L’imagerie mentale du sujet concerne des usages passés ou à venir, dans une forme de transe de voyage sur un fil temporel. Les souvenirs des expériences antérieures de consommation sont très sensoriels et intenses. Ils peuvent par exemple concerner les précédentes prises de cocaïne, injections ou consommations de pipes de crack, les jeux d’argent. L’imagerie de la prochaine consommation peut également être convoquée, accompagnée de sensations physiques puissantes. À partir de ce constat, il est possible de définir le craving comme une forme de transe hypnotique qui mobilise le sujet dans une cascade dopaminergique entre une «  régression en âge  »4 vers le souvenir de la première ou de la précédente consommation et un « pont vers le futur  »5 dans l’anticipation de la prochaine consommation. Cette transe s’accompagne d’images mentales et de sensations physiques qui, à leur tour, stimulent l’envie de renouveler l’usage.

Le craving est souvent réactionnel à une exposition à un déclencheur, qui peut être d’origine interne ou externe. D’une manière générale, il est possible d’identifier trois types de déclencheurs principaux (Sinha et al., 2009). ● Le premier déclencheur relève de l’exposition directe à la substance, en lien avec le souvenir du plaisir de la consommation (plus la fréquence de consommation était élevée, plus l’intensité du craving est importante). ● Le second déclencheur est associé aux stimuli liés à la consommation, tels que les lieux, les partenaires de consommation, le matériel, en suivant les principes du conditionnement classique. Ce type de déclencheurs est associé aux souvenirs du sevrage et du manque. ● Le troisième type de déclencheurs est le niveau de stress perçu, il est associé aux souvenirs de l’anticipation et de l’ajustement pour trouver et obtenir des produits.

En résumé, le craving tonique est réactionnel à l’abstinence tandis que le craving phasique est induit par des stimuli secondaires. Il est directement impliqué dans le risque de rechute de consommation. Concernant la nature de ces déclencheurs, ils peuvent être : ● cognitifs (une pensée, un souvenir) ; ● émotionnels (affects négatifs, stress) ; ● proprioceptifs (une sensation dans le corps). Les stimuli environnementaux interagissent avec les différents canaux sensoriels : ● Sur le plan visuel, cela peut concerner l’image de lieux associés à l’usage, de personnes ayant participé à la consommation, de produits, de supports audiovisuels montrant des produits ou des prises de substances (films, séries, reportages). ● Pour le registre auditif, il peut s’agir de musiques écoutées au moment des prises de produit. ● L’aspect olfactif peut concerner des stimuli associés à l’odeur fleurie du cannabis ou de kérosène de la cocaïne. Sur le plan gustatif, par exemple, un patient ayant développé une addiction aux comprimés avec applicateur buccal de fentanyl goût fruits ressentait un craving lorsqu’il était exposé à l’arôme artificiel de fruits.

Dans le craving, l’enjeu est de pouvoir s’extraire de cette transe induite, massive, avant qu’elle ne conduise à une reprise de consommation. Avant cela, de façon prophylactique, l’usager peut identifier les déclencheurs qui font office d’induction afin de rétablir un contrôle du stimulus (suppression ou réduction de l’exposition aux déclencheurs). Ensuite, comme cela peut être effectué dans les états dissociatifs induits par le psychotraumatisme, nous mobiliserons les canaux sensoriels, le ressenti physique présent, afin de favoriser cette sortie de transe. L’ancrage dans le présent se fait par l’éprouvé corporel immédiat. Plus exactement, pour sortir de cette focalisation sur son monde interne, le sujet se reconnecte à l’environnement via des modalités sensorielles. À  cet effet, différentes stimulations sensorielles sont envisageables. Gaston Brosseau (2012) propose de «  réinitialiser les cinq sens  », en recentrant l’attention sur ce qui est vu, entendu, senti, goûté, ressenti, ici et maintenant. Le fait de parler à un tiers, boire un liquide frais et pétillant, la stimulation thermique (chaud froid) ou encore focaliser son attention sur une tâche manuelle qui requiert une attention soutenue, claquer un élastique sur son poignet, peuvent favoriser cette sortie de transe. Outre ces stratégies comportementales, utiliser des techniques comme l’exercice SOBER, enseigné en groupe de prévention de rechute avec la méditation en pleine conscience (MBRP) peut se révéler efficace (Nallet ; Briefer ; Perret, 2015). En résumé, il s’agit d’un bref exercice de reprise de conscience de soi qui propose de : (S) Faire un Stop dans notre action. (O) Observer nos ressentis internes (cognitions, émotions, sensations). (B) se Baser sur la respiration pour s’ancrer dans le souffle. (E) Élargir la conscience de soi, de la respiration à l’ensemble du corps (visage, posture). (R) Répondre en pleine conscience en effectuant un choix pour répondre à cette sensation, émotion ou pensée, en conscience de la

possibilité d’un choix. Une autre méthode peut consister à apprendre l’autohypnose avec un hypnothérapeute pour changer le focus interne. L’apprentissage de transes hypnotiques contrôlées peut permettre de réorienter l’attention sur une transe choisie. Par exemple, il est possible d’appliquer une autohypnose centrée sur les ressources avec un pont sur le futur vers une image de soi réappropriée. Cette approche permet de stabiliser l’état interne et renforcer la motivation au changement avec une image de soi plus conforme aux valeurs du sujet.

Transes thérapeutiques en addictologie

L’hypnothérapie est une voie d’accès particulièrement intéressante pour moduler le rapport des usagers avec leur comportement addictif. Nous pouvons relever différentes techniques utilisables en thérapie. Dans ce contexte clinique spécifique, les approches sensori-motrices en hypnose sont privilégiées. La place du corps et de la sensorialité demeure des voies d’abord de premier plan en addictologie. Le cadre thérapeutique général repose sur le fait d’installer une alliance thérapeutique solide, de stabiliser l’état émotionnel en proposant des stratégies de régulation, d’explorer l’ambivalence, de stimuler les ressources du sujet, de traiter les pathologies cooccurrentes (vécus traumatiques, anxiété sociale, troubles de la personnalité,  etc.), puis de distinguer avec l’usager la relation qu’il souhaite entretenir avec sa consommation (réduction des risques et des dommages, régulation de l’usage, abstinence). Dans le cadre de la régulation émotionnelle, il est habituel de proposer l’accès au «  lieu sûr  », les techniques de respiration (cohérence cardiaque) ou de méditation avec visualisation (comme

«  respirer de la lumière  »), l’apprentissage de l’autohypnose, des techniques d’ancrage, comme « le poing serré ». « Le poing serré »

● Procéder à une induction rapide  : inspirer en ouvrant les yeux, expirer en fermant les yeux, à cinq reprises, en insistant sur la lourdeur des paupières et la détente du visage à chaque expiration. ● Commencer l’exercice avec la main dominante ouverte paume vers le haut et visualiser, orienter les tensions, le stress, l’anxiété dans une « boule » présente dans la paume de la main, sa couleur, sa texture, sa forme, sa taille, la percevoir sous ses doigts. ● Convoquer les ressources inconscientes et proposer à l’inconscient d’orienter ces ressources (fondé sur les expériences passées ou des modèles connus) dans le bras dominant pour donner la force suffisante pour resserrer le poing et écraser la boule de tensions. ● Le thérapeute encourage le travail de l’inconscient pour donner de la force au poing qui se resserre : ● « Vous pouvez sentir cette énergie circuler le long de votre bras, se concentrer dans vos doigts… vous pouvez invoquer la puissance de vos succès passés… de vos qualités propres… des personnes qui vous inspirent, qui font partie de votre histoire, de près ou de loin… percevez cette énergie… Les doigts se resserrent davantage… Avec plus de force… le poing serré avec toute cette force… (attendre quelques secondes)… puis relâcher doucement.. Sentir la détente dans les doigts… et les tensions s’écouler… comme du sable… entre ces doigts… le relâchement circule dans votre corps… À chaque fois que vous répéterez ce geste, chaque jour, vous pourrez ressentir cette détente de plus en plus rapidement et profondément. » ● Refaire l’exercice complet une fois par jour pendant vingt et un jours. En parallèle plusieurs fois par jour, serrer le poing pour renforcer l’ancrage et le conditionnement, sans effectuer toute la procédure.

Une fois la régulation émotionnelle développée, nous proposons de renforcer le Moi avec un travail sur « la collecte des ressources ». Explorer et collecter ses ressources

● Installer le patient, induction par fixation visuelle sur un point, inspiration/expiration ou autres. ● Approfondissement par le décompte de 1 à 5  : à chaque marche des suggestions (« s’engager sur cinq marches »). ● Proposer soit les marches qui mènent au grenier et utiliser l’album photo souvenir pour explorer les souvenirs ressources ou les images évocatrices, soit l’escalier qui mène à la salle de cinéma ou au salon et utiliser le film des

souvenirs ressources. L’objectif est de visualiser et ressentir, se reconnecter avec des expériences ressources puissantes en insistant sur les modalités sensorielles. ● Le patient mobilise chaque souvenir de réussite, de dépassement de soi, de capacité à surmonter des épreuves de vie, chaque apprentissage important, les personnes qui ont compté (proches, amours, « mentors », etc.). ● Si cela semble difficile, le thérapeute peut aider : « peut-être, lorsque vous avez appris à… » ; « votre inconscient, votre corps ont mémorisé des apprentissages inaccessibles à la conscience  : lorsque vous avez appris à parler, à marcher, tomber, se relever, se stabiliser, garder l’équilibre, un pied devant l’autre, s’ancrer au sol, s’enraciner » (saupoudrage). Il est utile de proposer un ancrage avec un mot ou un geste à la fin de cet exercice. ● Cet exercice permet de renforcer l’accès aux ressources et de préparer le sujet à la suite du travail hypnothérapeutique en lui-même.

Fréquemment, l’hypnothérapeute rencontre des difficultés, de la part du patient, pour identifier des zones ressources. Résistances à la collecte de ressources

● Dans la collecte de ressources le sujet peut réagir par le rejet de l’exercice :

« Moi je n’ai jamais rien fait de bien. »

« Je n’ai pas de ressources. »

« Je ne compte pour personne. » ● Par exemple, dans les ressources issues d’un passé plus simple, le patient peut exprimer de la nostalgie et regretter ce qu’il est devenu. Pour le thérapeute, il est possible de proposer : ● Projeter une représentation imaginaire d’un soi meilleur imaginaire ou futur : « Et si vous vous imaginiez… dans un futur proche. » ● Interroger  : «  Jamais une seule chose de positive, même une seconde dans votre vie ? » (recherche d’une exception.) ● Ressources par les qualités d’une figure significative  : un proche ou une personne historique investie de qualités. ● C’est l’occasion de travailler sur ce qui résiste : comment s’est construite cette image de soi, seul et sans ressources ? ● Il est possible de procéder à un reparentage, en revenant avec un Moi plus fort à l’école ou dans sa famille, là où se sont déroulés des événements négatifs à l’origine des croyances négatives.

Par la suite, le travail motivationnel peut se positionner sur deux types d’exercices : la balance motivationnelle motrice et le dialogue des parties. L’objectif est de favoriser la conscience des tensions internes, des tendances, la métacognition. Ces exercices peuvent être non directifs et laisser le sujet cheminer ou plus orientés pour favoriser le changement. « La balance motrice »

● Cet exercice, assez court, utilise l’exploration de l’ambivalence selon les préceptes de l’entretien motivationnel. Il permet au sujet de «  peser  » cette ambivalence, la ressentir, d’observer les points de blocage et souvent, de se laisser surprendre par les images, les motivations qui s’expriment en lui au cours de l’exercice. En respectant les principes de l’entretien motivationnel, la technique est exploratoire et permet au sujet de s’approprier ses propres motifs de changement. Dans une variante plus interventionniste, l’hypnothérapeute peut proposer de faire pencher cette balance en faveur du changement en suggérant des éléments favorables issus du discours du sujet (santé, entourage, valeurs, etc.). ● Sujet assis, ses deux bras un peu fléchis devant lui, comme une balance. L’induction peut se faire soit directement avec le ressenti de cette balance, soit en induction classique rapide. Les paumes orientées vers le haut, les yeux fermés. ● Dans chaque main laisser venir et sentir le poids de chaque tendance, avec ses caractéristiques, comme une balance. Dans la main dominante, le sujet peut placer les bonnes raisons de changer de comportements et dans l’autre main les bonnes raisons de maintenir le comportement. ● Le sujet est invité à placer dans chaque main tout ce qui pèse, les besoins, les désirs, les valeurs. Réutiliser les mots et les arguments du patient pour évoquer chaque partie dans chaque main. Lui permettre de ressentir. ● Dans la main dominante, placer les envies, les désirs de changements, les raisons pour changer en utilisant le vocabulaire de patient lui-même : « liberté, santé, sexualité, retrouver son apparence, avoir de l’argent, etc. ». ● Dans l’autre main  : placer la partie qui a de bonnes raisons de continuer l’usage : « la liberté également ? S’échapper, prendre du plaisir, moins souffrir, se stimuler, tenir le coup, faire face, etc. ». ● Observer le mouvement  : si le patient veut inverser la tendance que peut-il ajouter dans une main  ? Quelles images  ? Quelles sensations  ? Recourir à quelles aides extérieures ? ● Le thérapeute accompagne le mouvement par une parole assez continue. ● À la fin de l’exercice, il est possible de proposer au sujet d’ouvrir les yeux pour constater l’état de la balance et observer le décalage entre le ressenti subjectif et le mouvement. Il est également possible de proposer de réunir les mains à la fin (ensemble ou sur la poitrine) afin de réintégrer cette ambivalence et de l’accepter telle qu’elle se présente.

La deuxième technique motivationnelle est davantage ancrée dans la visualisation, il s’agit du dialogue des parties. « Le dialogue des parties »

● Cet exercice est également appelé «  table des négociations  ». Il permet d’explorer l’ambivalence et, souvent, de faire évoluer le cycle motivationnel. Il n’y a pas de bonnes et mauvaises parties, les patients auront tendance à dévaloriser la partie qui veut poursuivre le comportement. II est important de comprendre que chaque partie a une place et une raison d’être, qu’elles coexistent pour l’identité commune et que chacune a le droit de s’exprimer dans cet échange, qui peut se révéler émotionnellement intense. ● Procéder à une induction au choix. ● Pendant la séance d’hypnose, poser le décor, tout environnement adapté pour le sujet, qui le choisit lui-même. Ce peut être une scène de théâtre, une table familiale dans une cuisine ou un salon, un bureau, une voiture, une marche dans un environnement naturel, etc. ● Identifier la partie qui veut poursuivre le comportement, ses caractéristiques, lui donner un nom, des attributs. Il est possible de le faire en dialoguant avec le patient en état hypnotique ou de proposer au sujet de le faire en silence  : «  Prenez le temps d’identifier cette partie de vous-même, celle qui veut poursuivre ce comportement… voilà… Comme ça… vous la voyez  ?... Bien… comment la décririez-vous ? Quel nom lui donneriez-vous ? ». Par exemple, ce peut être la partie « rebelle » ou « adolescente », « en colère », « libre ». ● «  Maintenant, permettez à la partie qui souhaite du changement de venir également… prenez le temps nécessaire… voilà… comment la décririez-vous ? Quel nom lui donneriez-vous ? ». Par exemple, « l’adulte », « la Sainte », « le conformiste ». ● « Bien… maintenant je vous propose de donner la parole à chacun… vous vous demandez s’il faut changer votre consommation de cocaïne… qu’en dit la partie qui souhaite poursuivre cette consommation (la nommer par le nom attribué par le patient)  ?.… Très bien chacun a droit à la parole… À  être entendu avec respect… maintenant que voudrait dire la partie qui souhaite du changement (la nommer également si possible). ● Bien… poursuivons le dialogue… S’il y a des émotions fortes, elles ont le droit de s’exprimer mais chacun doit pouvoir parler, même si vous restez sur un désaccord pour le moment ». ● Aider le patient à identifier le but commun des deux parties : se sentir mieux ? Survivre  ? Oser parler aux autres  ? Prendre du plaisir  ? S’adapter  ? Rester singulier ? Existe-t-il un terrain d’entente possible ou non ? ● À  la fin, avant ou après le retour à l’état de conscience habituel, proposer un geste comme la réunification des mains ou les mains sur la poitrine.

Enfin, le travail hypnothérapeutique peut se poursuivre en accompagnant le sujet dans des techniques de reparentage, de contact avec l’enfant intérieur, de retour dans un passé sans consommation et de projection dans un futur marqué par une relation différente aux produits ou aux comportements. « Identifier et rencontrer la partie vulnérable du Moi »

Cet exercice est en deux temps. D’abord, il permet de relier une réaction émotionnelle particulièrement intense (trop par rapport au contexte) avec une expérience passée ayant généré des croyances négatives et des émotions impossibles à réguler à l’époque (souvent l’enfance ou l’adolescence, mais pas exclusivement). 1re phase, exploratoire, de l’exercice  : connecter une émotion disproportionnée actuelle avec un souvenir émotionnel du passé : ● Identifier une situation présente générant une réaction émotionnelle disproportionnée si possible avec les pensées négatives, l’émotion, la sensation. Exemple  : «  Dans cette dispute avec ma conjointe… je me suis senti paralysé… comme un enfant… je tremblais. » ● Proposer une induction (fixation d’un point, 5 inspirations/expirations). ● Partir de cette sensation, cette émotion et proposer au patient de laisser son esprit remonter dans le temps, par exemple avec un album photo qui traverse différentes époques, un train, un ascenseur, un escalier. ● Un souvenir peut être identifié, parfois surprenant. Associer à nouveau une émotion, une sensation (peut être similaire à l’événement initial). Suite de l’exemple : « Oui… c’est étrange… quand j’étais petit… la mère de ma famille d’accueil me terrifiait… une fois j’avais cassé une assiette et elle m’a hurlé dessus comme si elle était devenue folle… je me suis liquéfié. » ● Rester en contact avec l’enfant ou le Moi de ce souvenir. 2ème phase, rencontre et renforcement de la partie vulnérable du Moi : ● Étape facultative : si le patient se sent encore trop vulnérable pour soutenir sa partie interne, il est possible de proposer de convoquer, simultanément, un souvenir de succès, source d’émotions favorables afin de renforcer le sentiment de stabilité intérieure. Laisser les sensations de ce souvenir se développer, se diffuser dans le corps. ● Avec cette énergie émotionnelle favorable, aller à la rencontre de la partie vulnérable du Moi, l’enfant intérieur, dans le lieu le plus adapté et sécurisant pour le sujet. Proposer que l’adulte puisse utiliser ce ressenti pour rassurer, consoler, renforcer cet enfant, l’accueillir tel qu’il est. Cette partie adulte va pouvoir dire ce que l’enfant a besoin d’entendre et que lui seul sait.

● « Bien. Alors je vous propose d’aller, vous, adulte, chargé de cette force, cette fierté, ces capacités, d’aller rencontrer cet enfant dans sa chambre. Comme un bon parent le ferait… et de lui parler… lui dire ce qu’il a besoin d’entendre… que vous seul savez… peut-être le prendre dans vos bras ? …. Prenez ce temps… en vous-même… ou à voix haute… Prenez tout le temps nécessaire… Vous pourrez lui dire au revoir ou le retrouver, selon vos besoins ». ● Préparer le retour progressivement, en suggérant le maintien de cette stabilité intérieure, l’évolution de ces ressources, « que vous en ayez conscience ou non, ce travail se poursuivra en vous, jour après jour ».

Afin de consolider cette démarche, il peut s’avérer utile de proposer une projection dans le futur (« pont vers le futur ») pour élaborer un modèle de soi plus fonctionnel, plus harmonieux, avec un rapport à l’objet addictif plus apaisé, qui puisse servir d’objectif et de soutien motivationnel. Le pont vers le futur

● Cet exercice permet de renforcer la motivation et de proposer un auto-modeling orienté vers les buts du changement. ● Dans cet exemple, nous avons utilisé cette technique avec une jeune femme kinésithérapeute qui a développé une addiction aux opiacés. ● Présentation de la technique en utilisant le champ sémantique de la patiente : ● «  Je vous propose une forme de reprogrammation de votre cerveau, d’autorééducation, comme en sport, où visualiser un geste, un parcours, permet de le perfectionner dans l’action une fois sur le terrain, comme au ski ou au tennis, etc. ». Utiliser son champ lexical, ses représentations. ● Pour cet exercice, le thérapeute s’appuie sur les mots et la description du patient. ● Auto-induction avec respiration (yeux ouverts, puis fermés, etc.). Décompte 1 à 5. ● Image de soi dans le futur en parlant au présent (reprise de ses mots) : ● «  L’esprit est clair, limpide, votre peau est fraîche, «  immaculée  », vous ressentez l’énergie circuler dans votre corps, une posture droite, dynamique… vous avez à nouveau une aura en marchant dans la rue… Au cabinet, vos patients vous font des compliments sur votre énergie… Vous avez du temps pour lire, apprendre, vous former… vous pouvez reprendre plaisir à faire des rencontres, du sport, bouger, sentir votre corps vivant, vos muscles en mouvement… le soir vous dormez d’un sommeil profond et réparateur, etc. » ● Le renforcement de la motivation efficace, s’imaginer le changement permet de le vivre. ● Se projeter à un an, cinq ans. ● Exercice d’une dizaine de minutes à répéter tous les soirs pendant vingt et un jours pour renforcer le conditionnement.

Le travail hypnothérapeutique en addictologie peut généralement se développer selon deux axes. Le premier se centre sur le produit ou le comportement, fréquemment avec une dimension aversive, dont l’efficacité sur la durée peut être discutable. Le deuxième axe se focalise sur le renforcement du Moi et le traitement des troubles cooccurrents pour favoriser le changement. Parfois les méthodes peuvent être mixtes, comportant ces deux dimensions. Généralement, cette approche hypnothérapeutique préalable crée un contexte favorable à l’approche des comportements addictifs selon, par exemple, des modalités cognitivo-comportementales. L’usager expérimente ainsi des transes orientées, volontaires, sans induction chimique. Pour Gérard Salem, l’hypnose pourrait avoir une fonction substitutive, en permettant au sujet de trouver la stimulation ou l’apaisement qu’il cherche à travers la prise de substances psychoactives.

Conclusion Pour le clinicien, les expériences de transes dans le domaine des addictions sont riches d’enseignement. La population rencontrée expérimente régulièrement, voire quotidiennement, des modifications de l’état de conscience. Ces transformations peuvent porter sur la perception, avec des hallucinogènes ou sur le niveau de vigilance, avec des stimulants ou des sédatifs. Chez ces psychonautes, il existe une certaine disposition à l’expérimentation qui peut favoriser l’introduction de transes à visée thérapeutique. Nous distinguons les usages enculturés des consommations déculturées. Les premiers, comme les rituels chamaniques, s’inscrivent dans un contexte socioculturel spécifique, disposent de contenants symboliques et répondent à des attentes du groupe social. Ces usages ont des fonctions et sont porteurs de sens, ils s’inscrivent dans une mythologie singulière et sont soutenus par des rituels lui correspondant. Les consommations déculturées

s’inscrivent, a  contrario, dans des sous-ensembles culturels avec une dimension groupale indéniable mais dotée de médiateurs symboliques peu étayants. Un usage déculturé est erratique en raison de son manque d’ancrage symbolique. Par exemple, la prise d’hallucinogènes dans cet environnement chaotique peut être anxiogène en raison du sentiment de fragmentation du Moi. Nous pouvons résumer cette observation en distinguant un usage à visée introspective et confrontationnelle d’un usage récréatif caractérisé par l’évitement de certains contenus mentaux ou spirituels. Comme nous avons pu le décrire précédemment, des transes «  spontanées  » (en fait induites par des déclencheurs environnementaux ou internes) se produisent chez les usagers dans différents contextes, et ce, des mois après l’arrêt de l’usage. Nous avons identifié a  minima comme inducteurs de transes certains rituels de consommation et surtout l’expérience du craving. Le craving peut être décrit comme une transe involontaire induite par des déclencheurs internes ou externes, caractérisée par des reviviscences des consommations passées et des projections dans un usage futur, ainsi que des sensations physiques intenses. S’extraire de cette transe nécessite une réorientation de son attention, ici et maintenant, sur de vives sensations corporelles. Il est également possible de conditionner une transe autohypnotique, par un exercice régulier, pour transformer l’expérience du craving et renforcer la métacognition sur ce phénomène involontaire. Enfin, par la pratique de l’hypnose, il est possible d’introduire auprès des usagers des transes volontaires et thérapeutiques. Nous avons pu résumer certaines de ces pratiques dans ce chapitre, pour la régulation émotionnelle («  poing serré  »), le renforcement du Moi («  collecte des ressources  »), le parcours motivationnel (balance motrice et dialogue des parties), le travail sur les vulnérabilités («  reparentage  », «  identifier et renforcer la partie vulnérable du Moi ») et la consolidation (« pont vers le futur »). Ces propositions de pratiques sont générales et chacun pourra les adapter selon son style thérapeutique et son cadre d’intervention. La lecture des dynamiques addictives par l’intermédiaire des phénomènes de

transes spontanées offre un cadre de recherches et de pratiques cliniques prometteur. Les enjeux sont d’identifier la manifestation de ces modifications de l’état de conscience et d’apprendre à orienter la transe subie vers une pratique volontaire. Si la finalité n’est pas nécessairement l’abstinence, il est bien question de favoriser l’autonomie par une réappropriation des phénomènes psychiques vécus par les usagers de substances psychoactives.

Notes 1. Ou de production de comportements addictifs (jeux de hasard et d’argent, sport, sexe, travail, etc.). 2. Le craving est défini comme l’envie quasiment irrépressible de consommer ou produire un comportement alors qu’il n’est pas souhaité. 3. Il convient de relever la popularisation relativement récente de l’engouement pour les pratiques chamaniques, notamment médiée par l’usage d’ayahuasca (DMT), de tabac (nicotine), de psilocybes (psilocybine), de cactus (mescaline). La question de l’identité, du sens et de l’inscription dans une cosmogonie semble trouver un contenant symbolique effectif dans le paradigme chamanique. 4. En hypnose, la technique de reviviscence des événements passés est nommée « régression en âge ». D’autres qualifications de la technique sont néanmoins possibles à trouver dans la littérature. 5. Le «  pont vers le futur  » désigne une technique de projection vers l’avenir (un Soi différent par exemple). Elle peut être présentée sous différentes appellations.

Conclusion

« Déshabillez-moi… Déshabillez-moi… Et vous ? Déshabillez-vous1 ! »

Je souhaiterais commencer ces pages en m’excusant. D’abord de n’avoir pas pu être exhaustif dans mes sollicitations d’auteurs sur l’ensemble des pratiques amenant à des états de conscience modifiés, mais il y en a tellement… Il y a bien entendu des absents criants comme les grandes familles de yoga, des pratiques en Gestalt Therapy et d’autres… Espérons qu’un nouveau tome viendra où ces pratiques trouveront leur place  ! Pour autant, les grands principes vus dans cet ouvrage se retrouvent aussi dans les méthodes que je viens de citer, ce qui donne déjà quelques pistes pour les comprendre. Au fil des pages, de très nombreuses données et savoirs sont réunis. Sans doute qu’il vous a fallu parfois quitter cet ouvrage pour y revenir autrement, ou bien le lire dans le désordre pour vous créer votre propre porte d’entrée afin d’échapper à la confusion à laquelle vous a amené cette spirale. Si vous avez parcouru assez de ces pages, vous savez maintenant que ce mouvement est bien naturel…

Tous les savoirs ne sont pas présents bien entendu, il s’agit d’une première porte… Je rêve d’un jour où une personne osera s’atteler à la tâche d’une encyclopédie sur les ECM et les états de transe  ! Il faudra alors y ajouter ce qui n’a pu être présent dans cet ouvrage, déjà imposant  : des pratiques, des méthodes comme autant d’invitations à vivre des ECM et transes… Mieux, une encyclopédie dynamique et vivante où les expériences seraient cet ouvrage, où les deux niveaux de savoirs seraient juxtaposés, mêlés. Qui sait... Peut-être un jour… Un rapport d’atelier 2018/2019 de l’Institut des hautes études pour la science et la technologie portait sur «  l’humain en quête d’états limites –  exemple des états modifiés de conscience  ». Ils écrivent très justement : « Pour l’homme occidental, la thématique des EMC implique de réaliser un retour réflexif sur ses propres conceptions modernes de l’esprit, de la vie psychique et du champ de validité de la subjectivité. En effet, il existe un écart important entre les cadres de pensées de la société occidentale et les pratiques d’EMC : d’une part, il existe une méfiance envers les accointances supposées avec les superstitions, les mouvances «  New  Age  », le paranormal, la spiritualité ou les croyances considérées comme « irrationnelles » ; d’autre part, une grande priorité est accordée au contrôle de soi, à l’intégrité, à la pensée logique enfin, persiste une difficulté quasiintrinsèque à saisir les mouvements de l’esprit ou de l’âme. Tout ceci met l’homme occidental en situation de jugement et d’invalidation, contraire en définitive à la méthode scientifique qui s’accorde sur une neutralité de principe, et qui passe au crible de l’esprit critique les phénomènes qu’elle étudie.  » Tout est dit sur les difficultés actuellement à «  faire science  » dans un cadre de curiosité et de doute raisonnable sur la question des états de conscience modifiés et encore plus des transes. Dans un esprit d’ouverture et d’échange fructueux qui plus est ! L’ambition de cet ouvrage est de participer à cela, de transmettre et de faire du lien autour des thématiques auxquelles chaque auteur a participé. Terminons par deux iconoclastes  : Adam et Ève  ! Ils étaient certainement les deux premiers «  transeurs  » car ils ont mangé le

fruit défendu et ont ouvert soudainement les yeux sur leur nudité, leur différence,  etc., c’est-à-dire qu’ils font l’expérience d’une nouvelle réalité… brusquement  ! À  quoi est-ce dû  ? Bien entendu, on peut toujours faire l’hypothèse que le fruit possédait des propriétés psychotropes… Mais suivons quand même la Bible qui nous dit que ce fruit défendu était le produit de l’arbre de la connaissance. Autrement dit, croquer du savoir les a mis en transe… Et vous ?

Notes 1. «  Déshabillez-moi  »  : chanson écrite par Robert Nyel et composée par Gaby Verlor. Première interprète : Juliette Greco.

« Laisser s'épanouir toute impression et tout germe d'un sentiment au plus profond de soi, dans l'obscurité, dans l'ineffable, dans l'inconscient, dans cette région où notre propre entendement n'accède pas, attendre en toute humilité et patience l'heure où l'on accouchera d'une clarté neuve : c’est cela seulement qui est vivre en artiste, dans l'intelligence des choses comme dans la création. » Rainer Maria Rilke, Lettre à un jeune poète, 1929.

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