Cette serie est destinee a regrouper des etudes thematiques faisant le point sur differents aspects de l'histoire o
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English Pages [504] Year 2023
ÉTUDES SYRIAQUES
18
Le droit en monde syriaque
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Le droit en monde syriaque
Collection ÉTUDES SYRIAQUES Direction
MURIEL DEBIÉ ALAIN DESREUMAUX MARGHERITA FARINA FLAVIA RUANI
Comité scientifique ANDRÉ BINGGELI PIER GIORGIO BORBONE FRANÇOISE BRIQUEL CHATONNET DOMINIQUE GONNET HENRI HUGONNARD-ROCHE CHARLES NAFFAH Davip TAYLOR ÉMILIE VILLEY
Couverture
Manuscrit du Synodicon Orientale, Ankawa, O.A.O.C., (olim Notre-Dame-des-Semences 169 et Baghdad 509), Image reproduite avec l’aimable permission du Prof. A. FSCIRE - Fondazione per le scienze religiose Giovanni XXIII,
syr. 509 p. 98-99. Melloni, Bologna - Italia.
© 2023, S.N. LIBRAIRIE ORIENTALISTE PAUL GEUTHNER SA. 278 BD RASPAIL 75014 PARIS ISBN : 978-2-7053-4115-2 Tous droits réservés
Composition de la couverture Chioé Heinis
ÉTUDES SYRIAQUES 18
Le droit en monde syriaque
Volume édité par Vittorio Berri et Muriel DEBIÉ
GEUTHNER
Remerciements
La dix-huitième table ronde de la Société d’études syriaques à l’origine de ce volume a été organisée par Vittorio Berti et Muriel Debié le 19 novembre 2021. Elle a disposé de crédits par le Laboratoire Orient et Méditerranée (UMR 8167, CNRS / Université Paris-Sorbonne / Université Paris 1 / EPHE, PSL / Collège
de France), l’Institut de recherche
et d'histoire
des
textes (UPR 841 du CNRS), l’École pratique des hautes études, PSL., l’Institut universitaire
de France
(programme
M. Debié)
et le département des Sciences historiques, géographiques et de l’Antiquité de l’université de Padoue.
Elle a bénéficié, comme les tables rondes précédentes, de la généreuse mise à disposition par l’Institut protestant de théologie de Paris (IPT) de ses locaux dans le centre de Paris. Un
remerciement particulier va à Emmanuelle Capet pour son travail minutieux et attentif de relecture de tous les textes.
La mise en pages a été réalisée par Emmanuelle Capet (UMR 8167).
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Les textes syriaques ont été composés avec les polices de caractères meltho élaborées par Beth Mardutho, The Syriac Institute [Wwww.bethmardutho. org].
À Jean Georges Henri Dauvillier
(1908-1983)
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LE DROIT SYRIAQUE EN CONTEXTE
Muriel DEBIÉ EPHE, PSL-Institut universitaire de France
Dans son Livre des jugements qu'il rédigea en moyen-perse (plus tard
traduit en syriaque, la seule version qui nous soit parvenue), ISo‘bokt (métropolite du Fars, théologien, philosophe et juriste de l’Église de l'Est au vié-viré siècles) mettait en avant la diversité des lois et de la jurisprudence
civile et ecclésiastique : « Selon mes observations, il existe de nombreuses différences entre
les personnes en matière de jurisprudence, pas seulement entre les différentes religions, langues et nations, mais aussi au sein d’une même religion, nation et langue, comme dans le cas du christianisme. Alors
que les juifs ont la même loi partout, comme les hérésies du magisme, et comme nos gouvernants actuels, chez les chrétiens les lois qui s'appliquent en terre romaine sont différentes de celles qui s'appliquent en terre perse, et ces dernières encore différentes de celles qui s'appliquent en terre araméenne. Les lois sont différentes en Susiane, en Mésène et
dans d’autres pays. D'un district à l’autre, d’une ville à l’autre, il existe de nombreuses différences en matière de droit civil. Et si la religion chrétienne est la même partout, la jurisprudence n'est pas la même. »!
Alors que les historiens du droit mettent aujourd’hui l’accent sur la tension entre centralisme et droits locaux en ce qui concerne le droit romain, le juriste syro-oriental pose avec acuité la question du rapport entre droit impérial et droit local, entre droit civil et droit religieux. Plus encore que d’autres domaines de la culture syriaque, le droit doit en effet
s’envisager de manière croisée : de manière verticale, dans la longue durée du droit mésopotamien et araméen ancien, et horizontale, dans l'étendue géographique du monde romain et du monde iranien. Il convient aussi 1. IRo‘bokt, Livre des lois, p. 9-10. Voir dans ce volume l’analyse par BERTI de ce passage.
Le droit en monde syriaque, V. BERTI & M. DEBIÉ (éds), Paris, 2023 (Études syriaques 18), p. 1-39.
LE DROIT EN MONDE SYRIAQUE
en suivant I&o‘bokt de prendre en compte les rapports qu'entretiennent
droits civils et droits religieux, ces derniers internes au christianisme,
dans la diversité des Églises, et en relation avec ceux des autres religions, principalement le judaïsme, le zoroastrisme et l'islam. Il est notable par exemple que le Talmud babylonien (Bavli), le Code justinien et le plus ancien livre de droit sassanide furent compilés dans la même période 530-620 (à partir de sources antérieures). Ils sont pourtant rarement rapprochés les uns des autres ainsi que des sources de droit chrétien, notamment celles en syriaque dans les deux Empires qui leur sont contemporaines. En dépit de l'existence des droits impériaux, polycentrisme et pluralisme sont les prismes au travers desquels il convient d'aborder le droit dans chacun des Empires et selon les périodes considérées. Il en va
de même en ce qui concerne le droit des différentes Églises syriaques, mis par écrit en syriaque, mais aussi en moyen-perse et en arabe et traduit du grec : polycentrisme et multilinguisme caractérisent ces droits multiples qui se sont définis en interaction avec les droits environnants. Moins qu'un - ou même des - droit syriaque, ce sont des droits et des pratiques juridiques correspondant à une variété de contextes historiques culturels et sociaux qu’il faut envisager, nombre d’entre eux transversaux aux praxis des monothéismes et appartenant à un fonds commun culturel, tout en montrant des particularités régionales, parfois très anciennes.
La mise en contexte présentée ici se veut une introduction générale
moins à l’histoire du droit qu'aux pratiques juridiques auxquelles étaient confrontés les chrétiens de tradition syriaque, au niveau civil et pénal des droits impériaux et de la législation des différentes Églises, qui évoluaient en interaction.
Comme le montre l'exemple d’I$o‘bokt, les lettrés syriaques ont été les premiers à souligner la multiplicité des formes du droit?. Le plus ancien exemple à cet égard est celui du Livre des lois des pays de Bardesane ou traité sur le libre arbitre, qui met précisément en avant la diversité des lois dans le monde pour contrer l'idée d’un déterminisme astral : les lois étant différentes dans chaque pays et selon les religions (traditionnelles ou chrétienne), on ne peut dire que ce sont les astres qui règlent la vie des êtres humains. Les lois régissant pratiques et comportements de la vie en commun résultaient de cultures, de traditions et de contextes particuliers. Il s’agit donc de replacer l'étude du droit tardo-antique et médiéval dans son contexte historique, culturel et religieux et de ne pas le voir seulement sous l'angle de corpus techniques et abstraits. Cette étude
2. Voir BERTI 2023 (dans ce volume).
LE DROIT SYRIAQUE EN CONTEXTE
passe aujourd’hui encore par une approche philologique, afin d'éditer, de traduire et de commenter les sources écrites du droit en syriaque et en arabe qui ne sont pas encore toutes disponibles’, Il convient aussi d'étudier le droit non seulement comme un recueil de normes, mais comme faisant l'objet de pratiques et d’interprétations jurisprudentielles en constante évolution au sein de communautés qui ne cessèrent de discuter et d'élaborer leurs décisions juridiques, définissant les comportements acceptables et concourant à établir identités et frontières
avec les « autres », sans l’enfermer dans ces limites‘. Comme le rappelle le catholicos de l’Église de Perse Guiwarguis/Georges I‘ lors du synode de l’Église de l'Est réuni en 676, les lois ecclésiastiques doivent être revues et adaptées au fil du temps : « C'est pourquoi dans toute l’Église d'Occident et d'Orient, les lois utiles qui furent établies et écrites en leur temps par les Pères vénérables et saints s'accrurent et se multiplièrent et procurèrent aux hommes par leur application des avantages infinis. Cependant à toutes les époques, la variété et la continuité de la faiblesse humaine ont exigé que, selon les circonstances qui se présentent et que la difficulté des temps renouvelle dans chaque nation et dans chaque pays, ceux qui ont été désignés par
la grâce divine pour la direction des âmes prennent soin de les corriger utilement, avec application, soit de vive voix, soit par des écrits qui sont nécessaires pour accroître la mémoire de l'esprit pendant plus longtemps. »°
Cette remarque met l'accent sur la nécessaire évolution du droit ainsi que sur la part de l'’oralité, qui nous échappe, maïs qui avait son importance dans le cadre de l’enseignement comme de l’élaboration et de la formalisation des règles et des lois. En dehors de l'intérêt pour l’histoire du droit à proprement parler, le droit en monde syriaque est central - et trop souvent négligé - en termes d'histoire sociale alors qu’il est l'une des manifestations culturelles et sociales que les chrétiens produisirent avec les autres communautés de leur
3. H. Kaufhold a joué un rôle majeur dans la mise au jour de la tradition législative syriaque, comme le montre amplement la bibliographie concernant le droit en syriaque. Le présent ouvrage lui est entièrement redevable et n'aurait pu voir le jour sans le travail considérable qu’il a réalisé et dont nous lui sommes reconnaissants. 4. Pour une approche de ce type du droit islamique ancien, voir SALAYMEH 2016, p. 2. 5. Synodicon orientale, p. 481 (synode de Georges I‘ en 676).
LE DROIT EN MONDE SYRIAQUE
temps et de leur espace. Il ouvre l'éventail social auquel l'historien a accès". Dans les lois, règles et décisions juridiques, dans les conditions concrètes de l'usage et des pratiques du droit, ce sont en effet les absents des écrits ecclésiastiques qui apparaissent, les invisibles de la littérature mâle des élites qui émergent : les femmes’, les enfants, les travailleurs, les esclavesÿ,
permettant des approches croisées, intersectionnelles, sur le genre et les
milieux sociaux, ainsi que sur les institutions que ne permettent pas les
autres types de textes (à l'exception de l’hagiographie).
Droit et religion Le thème de la justice est central dans toutes les religions. Dieu le Père comme juge est une image constante dans le christianisme, reprise de l'Ancien Testament, tandis que le Credo chrétien annonçait la seconde venue du Christ pour juger les vivants et les morts lors du jugement dernier. Le droit idéal, exprimé dans le Nouveau Testament (cf. par ex. Mt 5, 22)
prescrit ce que l'on doit ou ne doit pas faire et a une dimension morale, mais il n’a pas d'application judiciaire. Il concerne la justice des actes, qui sera sanctionnée lors du Jugement dernier. Les images du juge et du tribunal célestes sont partout dans la littérature chrétienne. Dieu rétribue chacun
selon le travail accompli, il intervient pour soulager et venger les faibles. Éphrem présente cette justice divine comme une justice qui voit tout et
la décrit comme une balance qui n’a pas de rival pour mesurer et qui est sans cesse en action”, mais avec l’idée que la pénitence peut infléchir la justice de Dieu, Un passage de Philoxène de Mabbug présente la justice dans le contexte de l'Économie du Christ en employant des images empruntées au domaine du procès et de la comparution devant le tribunal céleste. C’est parce qu'il a pris chair que le Christ a pu prendre la défense de l'humanité face à Satan, en se faisant son avocat devant le roi du ciel : « Le Fils unique de Dieu devint l'avocat de notre nature et intenta procès pour nous tous contre l'Ennemi, le Père étant médiateur et juge. Satan prenait la défense de la mort, le Christ plaidait pour nous tous, et le Père 6. Voir les mises en garde méthodologiques de SiMoNSoHN 2016, p. 232, dans l'usage des législations qui doivent être situées dans un contexte plus large et comparées à d’autres informations. 7. Voir DEBIÉ 2023 (dans ce volume).
8. Voir TAYLOR 2023 (dans ce volume). 9. Memra sur Nicomédie 15, 1. 240, p. 325. et 16, 1. 19, p. 331.
10. Memra sur Nicomédie 4, 1. 115-150, p. 43-45.
LE DROIT SYRIAQUE EN CONTEXTE
était comme un juge auditeur des deux parties. L'Ennemi ne pouvait
objecter au Christ : “Pourquoi as-tu pris la défense du genre humain ?” puisqu'il voyait la corporalité des hommes dans son hypostase.. Le Fils était d'abord devenu homme pour qu’il lui soit possible de plaider légitimement, s'étant approprié ce qui appartient à la nature humaine. Le Christ pouvait répliquer à l'Ennemi : “Ce n'est pas comme Dieu que
j'intente un procès contre toi, de peur que tu ne t'esquives sous le prétexte
de ne pouvoir entrer en procès avec le roi. En effet ce n'est pas le roi que tu vois en moi, mais l’image du serviteur semblable aux hommes.” »!
Le Saint-Esprit n'est pas absent de l’œuvre législative chrétienne puisqu'il est considéré dans les conciles comme l’auteur des lois qu’il inspire aux évêques assemblés. Comme Paraclet, il apparaît aussi plus tard comme l'avocat de la défense. La lettre du catholicos Georges I‘'/Guiwarguis (vers 676) évoque lajustice divine vis-à-vis des hommes, mais aussi des anges, qui tous exercent leur libre arbitre pour choisir ou non la justice. Il évoque aussi les récompenses et les châtiments destinés à la faire respecter : « De génération en génération, Dieu a donné au monde des lois utiles [III]
Or notre Dieu bon ajouté à ses lois de bonnes résolutions pour ceux qui lui obéissent et il réprima d’une manière terrifiante, selon l'exigence de la justice, ceux qui lui désobéirent : les anges, par la perte de leur honneur et la privation de leur puissance, et nous-mêmes, par la mort, qui instruit la faiblesse de notre cœur. »”? L'histoire du droit dans l'Économie divine
Les corpus scripturaires, la Bible (Torah, Ancien et Nouveau Testament),
l’Avesta, le Coran, s'ils ne sont pas des corpus juridiques, sont cependant centrés sur les rapports entre le bien et le mal, la justice humaine et divine et constituent un corpus de règles et de lois religieuses destinées à définir le comportement des communautés de croyants tout en contribuant à
marquer les différences avec les autres. La particularité est que le discours juridique y est intégré dans une narration et y est promulgué par une narration et doit donc être considéré comme de la littérature”, Alors que les chrétiens des premiers siècles étaient soumis aux lois romaines et perses, la question principale qui se posait à eux, dans le
11. Mimro sur l'inhumation, trad. dans DE HALLEUX 1963, p. 450-451, n. 18.
12. Synodicon orientale, p. 496. 13. ZELLENTIN 2022, p. 5-6.
LE DROIT EN MONDE SYRIAQUE
processus de définition et de différentiation d'avec le judaïsme, fut de savoir dans quelle mesure il fallait ou non suivre la loi mosaïque - souvent entendue de manière restreinte comme le Décalogue, parfois comme une
référence aussi au Lévitique - exprimée dans la Bible et interprétée par la halakha rabbinique. Éphrem, au 1v° siècle, résout la difficulté de l'abolition de la loi mosaïque en l’interprétant comme un remplacement par les évangiles qui la rendirent parfaite", Il met en avant la transmission de l’élection divine du « peuple à la nuque raide » au peuple chrétien « aimant la foi d'Abraham », une attaque polémique contre les juifs traditionnelle dans les écrits chrétiens anciens, pour expliquer la transmission de la Loi. La loi mosaïque serait selon lui antérieure à Moïse qui ne peut être crédité que de l'avoir mise
par écrit et, alors que la loi juive a été abolie, la loi des commandements n’a pas disparu - parce qu’elle était universelle et non spécifique du peuple juif -, et a été rendue parfaite dans les évangiles : nn
« Ces [commandements] : “Tu ne tueras point”,
“Tu ne commettras pas
l'adultère” et tous les autres étaient observés avant la Loi et ne furent que proclamés par la Loi. Ils ont été rendus parfaits dans l'Évangile. Tous les commandements de la Loi qui ont été introduits pour quelque raison ont cessé, non pour que l’ancien soit aboli, mais pour que le nouveau
soit confirmé. »!°
Cette explication polémique de la position de la loi chrétienne vis-à-vis de la loi juive est exprimée par Éphrem dans le contexte de la condamnation du divorce. Une interprétation en des termes assez similaires est présente dans l'introduction ajoutée en syriaque au Livre de droit syro-romain. Celleci est centrée sur la loi de l'héritage présentée selon l'Économie divine, depuis Adam jusqu’à la venue du Christ, depuis la loi mosaïque devenue universelle jusqu’à celle de l’Empire romain et développe une théologie chrétienne du droit. Le texte rappelle la succession des générations depuis Adam jusqu’à Abraham, sur le mode de la Bible et des chroniques universelles, et affirme que la loi sur l'héritage a été donnée par Dieu aux êtres humains pour qu'elle se transmette de génération en génération. Le texte présente
une histoire du droit remontant à l’origine de l'humanité et distingue la loi sur l'héritage comme une sorte de loi naturelle et universelle à la différence d’autres lois propres à chaque nation. Selon ce schéma, la loi mosaïque, d'origine divine, avait été adoptée par toutes les nations car elle 14. MONNICKENDAM 2020, p. 1 pour la citation d'Éphrem. 15. Éphrem, Diatessaron 14, 18, éd. Leloir, p. 130.
LE DROIT SYRIAQUE EN CONTEXTE
ne concernait pas que le peuple d'Israël, mais tous les êtres humains. Le
texte affirme l’antériorité de cette loi sur celles de tous les autres peuples au motif qu’elle aurait été la première mise par écrit. On retrouve ici l’idée émise par Éphrem que la spécificité de la loi mosaïque est sa mise par écrit, à la différence des lois des autres nations, Le texte donne de la Loi juive une image positive et se contente de la christianiser, montrant ainsi qu'elle n'avait jamais cessé d'être en usage et avait été héritée par les chrétiens,
comme le disait aussi Éphrem. D'une manière qui contraste avec l'affirmation du Christ qu’il n’était pas venu abolir la Loi, mais l'accomplir (Mt 5, 17)”, le texte affirme que
les lois furent abolies avec la venue du Christ et remplacées par sa loi, la « Loi du Messie »', La loi sur la transmission de l'héritage est ainsi elle-même transmise du peuple d'Israël aux autres nations puis à l’Église chrétienne qui en hérite. Cette dernière bénéficie désormais de la « Loi du Messie », qui vient remplacer la « Loi de Moïse ». Le texte met ainsi en avant la transmission non seulement de l’élection divine du peuple juif au peuple chrétien qui en devient l'héritier, mais aussi de la loi sur l’héritage, qui est ainsi christianisée. L'abolition de la loi, comme chez Éphrem, est interprétée non comme une disparition, mais comme une reprise sous
l'autorité du Christ et non plus de Moïse. Deux conséquences principales résultent de cette conception. La première est que la religion chrétienne - à la différence de ce que dit Paul sur la lettre et la loi - est, comme le judaïsme, une religion légale qui repose notamment sur la loi sur l’héritage et transmet à l’Empire romain christianisé un corpus juridique”. La seconde est que la loi civile de l’Empire romain ayant été reçue de l’Église est en réalité une loi religieuse et d'inspiration divine, raison pour laquelle elle s'applique à tous les peuples soumis aux empereurs chrétiens. Il n'existe donc pas de
16. PAZ (2019, p. 531-532, n. 61) note que la novelle 21 de Justinien, écrite en 536 è.c.,
(« probablement à l’époque où l'introduction du Livre de droit syro-romain a été composée ») et envoyée au proconsul d'Arménie Acace pour la faire appliquer dans sa juridiction, soulignait aussi que la loi sur l'égalité de l'héritage était une caractéristique de l’Empire romain et devait s'appliquer aussi en Orient contre les
coutumes des peuples barbares en raison de sa supériorité puisqu'elle reconnaissait qu’hommes et femmes avaient été pareillement créés par Dieu. 17. PAZ 2019, p. 536.
18. PAz 2019, p. 534-535. Dans le passage du Talmud, l'abrogation de la loi mosaïque est mise en rapport avec l'exil.
19. Comme le note PAZ 2019, p. 531 : « le baptême de la loi romaine transforme le
christianisme en une religion du droit, non moins que le judaïsme, souvent considéré par les chrétiens comme tristement célèbre pour son légalisme. »
LE DROIT EN MONDE SYRIAQUE
droit civil à proprement parler : le droit de l’Empire romain est un droit chrétien donné aux empereurs par le Christ par l'intermédiaire de l'Église.
Une hiérarchie est ainsi établie par l'interprétation qui est donnée de la transmission. L'histoire du droit prend son sens de la conception théologique de la transmission de l'élection divine depuis Adam jusqu'au Christ puis du Christ aux empereurs romains. Elle peut être périodisée avant et après Jésus-Christ car c'est bien en revêtant un corps et en
devenant homme qu'il a légiféré concernant les affaires humaines, une interprétation là aussi en conflit avec les évangiles dans lesquels il dit ne pas avoir été désigné comme juge ou arbitre pour des affaires d’héritage
(Lc 12, 13-15)*. L'introduction au synode de Guiwarguis/Georges I‘ (en 676) conçoit aussi l’histoire du droit comme des lois données oralement par Dieu, d'Adam à Moïse, puis d'un code de loi écrit donné à Moïse et au peuple qui est l'ombre du peuple nouveau chrétien. Quand le Christ se leva comme le soleil : «Il livra l’évangile de vie à son Église pour qu'elle soit dirigée par les lois vivifiantes, élevant au-dessus de la terre et conduisant au ciel, dans
les sentiers droits de la justice, jusqu’à ce qu’elle obtienne les promesses sublimes de la vie immortelle [...] où il n’y a plus besoin de lois et de préceptes semblables. »?
De même qu'il y a un commencement aux lois, il y aura une fin. En attendant, il est nécessaire de les mettre à jour selon les temps et les circonstances.
La justice dans la littérature Des informations sur le droit et la justice sont aussi dispersées dans les textes littéraires. Les histoires ecclésiastiques et les chroniques ont pu
reprendre des documents juridiques comme des décisions conciliaires ou des allusions à des lois impériales. La Chronique anonyme d'Édesse jusqu'en 540 par exemple mentionne les décrets pris par le roi Abgar à l’occasion de
l’inondation catastrophique de la ville d'Édesse en l’an 201 et concernant
l'occupation des rives par les artisans et commerçants ou la garde des
écluses. Elle mentionne aussi le fait qu’ils furent déposés par des officiers civils dans les archives de la ville.
20. PAZ 2019, p. 536-537. 21. Synodicon orientale, p. 481 (synode de Georges I‘ en 676).
LE DROIT SYRIAQUE EN CONTEXTE
Les actes des martyrs sont le lieu par excellence où sont mentionnés les procès et où apparaissent jugements et peines. C'est cependant moins un
témoignage de la réalité qu’il faut y voir que de la manière dont les auteurs chrétiens se représentaient la justice, de manière idéale ou au contraire polémique. Ils offrent un accès à la justice pénale ou plus exactement à la manière dont elle était perçue et interprétée, voire souhaitée, par les contemporains”, L'hagiographie plus généralement offre aussi des données sur le droit”, mais qui n'ont pas été étudiées de manière systématique. De manière moins attendue, les memre d'Éphrem offrent des mentions des pratiques des fiançailles et du mariage parallèles à ce que disent les sources juridiques. La Vie de Fébronie, une sainte de Nisibe au vi° siècle mentionne le as (rahbuno), le gage ou arrha sponsalia, selon les termes du droit romain, que le fiancé donnait à la fiancée avant le mariage et qui impliquait un engagement loyal des époux à se marier, sous peine autrement d’une pénalité financière. La même procédure est décrite dans le Livre de droit syro-romain, mais aussi dans la Vie syro-orientale d’Anahid dans la première moitié du v° siècle et dans l’Éphrem grec”. La variété des sources atteste que cette pratique sociale était commune aux différentes communautés religieuses puisqu'elle était présente aussi dans le droit rabbinique palestinien (mais pas babylonien). Il est notable qu’elle soit mentionnée dans une source syro-orientale, ce qui semble montrer qu’elle s’appliquait au-delà des frontières de l’Empire romain. Le droit des veuves apparaît aussi dans des Vies littéraires tout autant que dans les canons
des Églises. La Vie de Mar Aba donne un aperçu concret des activités du savant catholicos (r. 540-552) connu pour ses réformes législatives (il avait été secrétaire du gouverneur de la province du Bet Garmaï avant sa conversion). Elle le montre se consacrant la nuit aux lettres sur le gouvernement de l'Église envoyées vers les provinces et, de la quatrième heure du jour jusqu'au soir, arbitrant des litiges entre les fidèles ou même entre les fidèles et les zoroastriens. Sont évoqués aussi son procès devant différents rad, le mowbedan mowbed et le roi, sa remise entre les mains de la police locale et son emprisonnement”. L'hagiographie permet d'apporter une lumière complémentaire à ce que disent les textes juridiques sur des catégories particulières comme les veuves ou les esclaves.
22. BRYEN 2014.
23. Voir par exemple DOERFLER 2019. 24, Voir MONNICKENDAM 2020, p. 318 pour ces exemples.
25. Sur le processus judiciaire criminel complexe, voir BERTI 2021.
LE DROIT EN MONDE SYRIAQUE
Droits impériaux, locaux et ecclésiastiques
Le droit pénal, mais aussi largement le droit civil sont ceux des Empires.
Les chrétiens syriaques étaient partie prenante de l'application des normes
juridiques du droit officiel et même le droit canon en porte la trace. Le droit des chrétiens et des juifs fonctionnait en étroite relation avec le droit impérial qui prévalait mais qui laissait aussi une certaine autonomie aux
différentes communautés religieuses. Bien qu’elles aient eu leur propre droit, celles-ci partageaient aussi des normes sociales communes comme le mettent en lumière les études récentes qui montrent tout l'intérêt de décloisonner les traditions religieuses”. Elles avaient intégré des éléments à la fois du droit officiel et des formes de droit local dont certains aspects se retrouvent dans leurs droits propres et leur sont communs.
La justice des Empires
Après la fin du royaume d'Osrhoène, les populations de langue syriaque n'eurent plus de droit officiel propre. On sait que les documents de l’Euphrate mettent en évidence une combinaison de droit araméen, romain et grec”, montrant une persistance du droit araméen qui n'était
pourtant déjà plus, au 1° siècle, un droit officiel. Maïs il est important de noter qu’ISo‘bokt, dans l'extrait cité en introduction, distingue la terre araméenne des Empires romain et perse, comme s’il considérait que s’y
appliquait un droit différent. On peut supposer qu'il faisait référence aux régions où continuait de s'appliquer le droit araméen, mais sans que l’on puisse aller plus loin dans l'identification des lieux comme du type de droit en application. Il n'en est pas moins remarquable qu’il mette ainsi en avant l’idée d’un droit araméen, qui ne correspondait pourtant à aucune entité politique mais qu’il relie à une géographie. Est-ce à la même
réalité juridique araméenne que celle des documents de l’Euphrate que fait allusion ISo‘bokt?Sa remarque semble signifier qu’à son époque les juristes syriaques avaient encore connaissance de l'existence d’un tel droit,
différent de celui des Empires, et encore en usage.
I! faut noter que la nature du droit n’était pas la même dans l’Empire romain et dans l’Empire sassanide, seul le premier ayant un droit civil indépendant du droit religieux, bien que le christianisme fût devenu la religion officielle, Dans le droit sassanide, la religion et la loi allaient de
26. Voir les travaux d'APTOWITZER 1909, ELMAN 2004 et 2007 et MACUCH 2010 et 2014. 27. Pour l'analyse du document syriaque, voir GROSS 2008, p. 85-87; HEALEY 2005; sur les formulaires, voir CUSsiNI 2010 ; Zouis 2023 (dans ce volume).
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pair puisque l’État et la « bonne religion » (wehdënth), le mazdéisme, étaient inséparables, La loi, dad, était l’une des formes d'expression de la religion et le terme pouvait même désigner la foi zoroastrienne. Zoroastre luimême était présenté comme un législateur. Les lois concernant la parenté n'étaient par ailleurs possibles que dans le mazdéisme’, d'où la difficulté pour les juifs et les chrétiens de se situer dans ce cadre. I] n’était pas sans incidence sur les chrétiens que seul un homme adulte, sujet du roi des rois et citoyen de l’Eran$ahr, de confession zoroastrienne et appartenant à
une famille noble était considéré comme une personne ayant une pleine capacité légale (tuwanigïh)®. Tous les autres avaient une capacité réduite. La différence majeure entre les Empires était que la loi n’émanait pas
du souverain en monde sassanide, à la différence de ce qu'il se passait dans l’Empire romain. L'élaboration du droit romain fonctionnait par des pétitions qui faisaient remonter par la voie hiérarchique administrative, jusqu'à l'empereur lui-même, doléances et accusations et qui étaient une source de la législation impériale. Des rescrits ou pragmatiques sanctions (traitant de lois particulières) étaient envoyés en réponse. Les papyrus, les inscriptions, mais aussi les conciles et autres ont conservé des pétitions et parfois les rescrits correspondants. Divers actes d'application et de publication de la loi suivaient*. Il convenait en effet de publier la loi en la mettant sous les yeux du public, de manière temporaire (support souple) ou permanente (inscriptions), ce qui était la charge du préfet du prétoire qui faisait afficher dans les provinces, par les gouverneurs locaux, qui émettaient à leur tour un edictum”!. À l’arrivée des mandata principis dans les provinces, le gouverneur réunissait l’évêque, le clergé et les curiales qui étaient les autorités locales pour leur notifier l'instruction dont une copie était ensuite affichée publiquement”. Les évêques étaient donc parmi les premiers à recevoir les notifications impériales. Les empereurs romains firent codifier les constitutions (lois générales) dans des recueils officiels dont le premier est le Code théodosien (438) suivi
du Code justinien (529)*#, qui visaient à organiser la matière juridique de leurs prédécesseurs en la mettant à jour. Il s'agissait par ces premiers codes 28. Voir MACUCH 2009 pour une présentation détaillée du système juridique zoroastrien 29. MACUCH 2009.
30. FEISSEL 2004 (réimpr. 2020), p. 365, 370. 31. FEISSEL 1995, p. 22. 32. FEISSEL 1995, p. 240.
33. Il rassemble les lois promulguées depuis 313, du temps de Constantin. 34. Outre le Code, le Digeste, un recueil de citations de jurisconsultes, et les Institutes, un
manuel de références pour les étudiants, forment le Corpus juris civilis.
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LE DROIT EN MONDE SYRIAQUE
impériaux (les précédents avaient été d'initiative privée) de moderniser le droit en éliminant les lois obsolètes, de supprimer les contradictions et de le faire évoluer en tenant compte de l’enseignement chrétien (l’un des livres du code de Justinien porte sur le droit ecclésiastique). Entre ces codes, les empereurs continuèrent à promulguer des novelles (Novellae constitutiones).
Le droit civil romain et le droit ecclésiastique dépendaient l’un de l’autre. Le respect des canons ecclésiastiques était imposé par l'empereur et les règles canoniques suivaient la procédure romaine”. Empereur et
prêtre, le souverain légiférait dans les deux domaines, mais qui restaient séparés. Les édits impériaux comme l’Hénotikon de Zénon (489), le second Hénotikon de Justin 11 (561), l’Ekthesis d'Héraclius (639) ou encore le Typos de
Constans II (648) étaient des décisions doctrinales prises par l'empereur qui attendait que les évêques les reprennent à leur compte, en dehors des conciles. Les juridictions restaient cependant séparées. La loi romaine évoluait indépendamment et les choses divines relevaient de l’Église. Le droit civil cependant fut absorbé dans les courts épiscopales*. L'episcopalis audientia accordée par Constantin en 318 permettait de régler un différend autrement que devant une cour impériale et donnait en effet aux évêques pouvoir d'agir comme juges - à condition que les parties acceptent expressément qu’il en soit ainsi -— et interdisait de faire appel de leurs décisions devant des cours civiles”, Ce sont là des juridictions épiscopales sur les laïcs en matière civile, dans les cas où les partis l’acceptaient volontairement comme prévu par le Code théodosien‘s. Sur l’audientia episcopalis (cf. aussi Cod. Just. I, 4), souvent qualifiée de cour de justice, mais sans doute plutôt une méthode de résolution des conflits, beaucoup a été dit, tant au niveau de la doctrine juridique que de la pratique, essentiellement à partir de sources littéraires®. Elle n'apparaît pas dans les papyri et il semble que cette disposition correspondait plutôt
35. HUMFRESS 2007, p. 2. 36. HUMFRESS 2007, p. 199. Selon Nov. 8.1. les évêques étaient impliqués dans la désignation des defensores civitatis, qui défendaient les pauvres face aux puissants (Nov. 15), ou jouaient ce rôle eux-mêmes (Nov. 145). 37. HUMFRESS 2007, p. 157-67 sur le judicium episcopalis. 38. Cod. Théod. IX, 40,16;,45,3; XVI, 2, 325. (cité dans Théodoret, HistPhil, éd. Canivet &
Leroy-Molinghen, p. 445, n. 1; cf. STEIN 1949, p. 233-234 et p. 462, n. 26)
39. WOJTCZAK 2021, p. 110.
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au système d'arbitrage (arbitrium ex compromisso) qui permettait aux parties de se tourner vers un règlement devant une tierce partie“,
Les papyri montrent que c'est surtout le clergé subalterne, les prêtres, diacres et moines qui sont impliqués dans la résolution des différends qui officiaient pour toutes les strates de la société, riches et puissants,
familles ordinaires, veuves et pauvres. C'est moins la loi que la position d'autorité morale et sociale de l'évêque ou de membres du clergé local qui leur donnait le pouvoir de contraindre les parties à paraître devant eux et à se soumettre à leur décision. La pratique montre que la résolution des
conflits privés ne suivait pas nécessairement la loi à la lettre, ni l'ordre attendu dans les étapes de la procédure. L'exercice de la justice par les membres du clergé concernant les litiges de leurs fidèles apparaît clairement dans le canon 21 du synode d’Ézéchiel de l'Église de l'Est, dès avant la période islamique. Dans ce cas, ce n’est pas l'évêque non plus, mais le prêtre qui fait office de juge : « La volonté du synode fut que, de même qu'antérieurement on a prescrit aux prêtres de s'acquitter de leur charge selon la justice et la crainte de Dieu, d’avoir soin de délivrer les opprimés et les lésés de leurs oppresseurs, de juger équitablement sans faire acception de personne : ne condamnant point l’innocent et n’innocentant point le coupable, car c’est le jugement même de Dieu et de ne pas se laisser prendre par le gouffre vorace de la simonie, de même aussi on devait établir ici ce canon : “Qu’aucun
prêtre n'ose dans les affaires de justice, de quelque manière que ce soit, accepter un présent, se condamner lui-même et exciter contre lui la colère divine.” »*
On découvre au fil des canons du synode d’Ézéchiel en 576 un certain nombre de dispositions concernant l'exercice quotidien de la justice ecclésiastique. Le canon 26 prévoit que les actes d'achat de biens pour les églises, les monastères, les hospices (tous devaient être dotés pour fonctionner et les revenus de moulins, hôtelleries, bains, vergers ou
potagers pouvaient leur être attribués à cet effet) réalisés par les évêques, les prêtres, les diacres ou les fidèles devaient être déposés dans les archives
de l’église locale pour éviter qu’ils ne restent dans la résidence de chacun et donc difficile à consulter. Outre cet archivage « public », il est stipulé qu’ils doivent signer et déposer dans ces mêmes archives ecclésiales un document de désistement au profit de l'institution ecclésiastique pour 40. Digesta 4,8,9,2 [Ulpianus libro tertio decimo ad edictum], cité par WoJTCzAK 2021, p. 116, n. 14.
41. Synodicon orientale, p. 382 (synode d'Ézéchiel, en 576).
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laquelle ils avaient acheté un bien en leur nom. Il s’agit sans doute d'éviter que les biens ne demeurent leur possession personnelle et ne passent ensuite à leurs héritiers. Le canon suivant prévoit que tous les revenus soient administrés sous
la direction de l’évêque. Une sentence ecclésiastique est prévue (canons 25 et 30) - sans autre précision sur sa nature — contre ceux, évêques, clercs,
moines ou fidèles, qui détournent des biens de l’Église au bénéfice de
leur famille ou au leur propre. Les clercs pouvaient aussi se faire les administrateurs (éritporo1) ou les intendants des païens et des séculiers.
Le canon 36 mentionne qu’ils doivent éviter les abus, mais ne condamne pas cette pratique.
Dans l’Empire sassanide, la justice fonctionnait de manière différente au niveau impérial. Comme dans l’Empire romain, les prêtres zoroastriens
(rad et mowbed selon la hiérarchie ecclésiastique), étaient impliqués dans l'exercice de la justice privée ou pénale à côté des juges d’État dont le plus important était le $ahr dädwarän dädwar, le juge des juges. Ils devaient s'appuyer dans leurs décisions sur trois piliers, l’Avesta, sa traduction en pehlevi et les commentaires la concernant (Zand) et sur le consensus des justes (ham-dädestänïh ï wehan), qu'il s'agissait de faire évoluer avec le temps“. Les prêtres zoroastriens avaient compétence concernant les cas
religieux. Ils traitaient aussi de cas de droit pénal (apostasie, persécution des chrétiens), dont certains cas touchant à l'héritage des nobles et du
clergé. Ces jugements ecclésiastiques pouvaient ne pas concerner que les zoroastriens mais aussi les autres communautés. En cas d’apostasie
ou de haute trahison, les cas pouvaient remonter jusqu'au souverain en
dernière instance. Les actes des martyrs persans composés en syriaque montrent fréquemment les martyrs suivre les déplacements de la cour sassanide en attendant la sentence du souverain, qui cependant ne se
prononçait qu’en accord avec le chef des prêtres, le mowbedän mowbed, qui était l'autorité religieuse et juridique la plus haute“, C'est aussi l’État sassanide qui exécutait les sentences, les peines étant destinées non à punir les coupables ou à les éloigner de la société, mais à sauver leur âme, dans une perspective eschatologique“’.
42. MACUCH 2015, p. 290. 43. Livre de droit sassanide, éd.
Macuch p. 188-208.
44, JANY 2006, p. 294. 45. Voir le relevé des peines dans les actes des martyrs persans dans JULLIEN 2004 et JANY 2023 pour le droit pénal sassanide.
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Les sources de droit sassanides ne présentent pas de théorie juridique, seulement des cas de jurisprudence. Le matériau juridique est la plupart du temps inséré dans des ouvrages théologiques, en particulier dans le Dénkard"**, Ne nous est parvenu qu'un seul livre de droit de la période sassanide (les autres ont été compilés à la période post-sassanide), les Mille
jugements, Hazär Dädestän (MHD+A), qui est une collection de décisions et d'opinions juridiques de juges et de sages, destinée à un usage pratique, et compilée par Farrakhmardi Wahrämän, un juriste et théologien qui vivait sans doute du temps de Khosrow II (r. 591-628). Il témoigne de la complexité et de la sophistication de la jurisprudence sassanide. Des écoles juridiques se développèrent, dont les avis contrastés et les discussions sont rapportés dans les sources juridiques. À la période islamique, le droit zoroastrien resta en application dans les communautés mazdéennes en matière de droit de la famille, de mariage
et d’héritage ou de transactions simples, comme le droit d'une minorité religieuse, destiné à préserver les anciennes coutumes zoroastriennes face au droit islamique“. Comme dans les milieux chrétiens, de nouveaux livres de lois furent
compilés en pehlevi aux vi