Le doute dans l’Europe moderne
 9782503588186, 2503588182

Table of contents :
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Élise Boillet, Marco Faini. Introduction. Pour une histoire culturelle du doute
Corinne Leveleux-Texeira. La vérité incertaine. La gestion du doute par le droit savant médiéval
Jean-Pierre Cavaillé. Que croire, c’est quand même douter. Remarques anthropologiques sur croire et douter au début de l’époque moderne
Sylvia Giocanti. Le doute comme manière d’être au monde (XVIe-XXe siècles)
Vincent Jullien. Le doute comme marqueur du progrès des sciences
Christian Trottmann. « Dubium »dans l’oeuvre de Nicolas de Cues
Matthieu Arnold. L’assertio contre le doute : le débat entre Érasme et Luther au sujet du libre arbitre (1524-1525)
Hélène Michon. Doute, inquiétude et foi : une problématique pascalienne
Luca Addante. Douter de la religion dans un long XVIe siècle : le cas italien
Craig Martin. Doubt, History, and Politics in the Philosophy of Pietro Pomponazzi
Paolo Procaccioli. Un cultore del dubbio nell’Italia del Rinascimento: Ortensio Lando
Marco Faini. Allegorie e personificazioni del dubbio nell’Italia del Cinque e Seicento
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Le doute dans

l’Europe moderne

Le doute dans

l’Europe moderne Édité par

Élise Boillet et Marco Faini

Collection | Études Renaissantes Dirigée par Philippe Vendrix & Benoist Pierre

2022

centre d'études supérieures de la renaissance Université de Tours - Centre National de la Recherche Scientifique

Relectures et mise en page Alice Nué - CESR © 2022, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium. All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise without the prior permission of the publisher. ISBN 978-2-503-58818-6 e-ISBN 978-2-503-58819-3 DOI 10.1484/M.ER-EB.5.119407 ISSN 1783-0389 e-ISSN 2565-9529 Printed in the EU on acid-free paper. D/2022/0095/82

Cet ouvrage a bénéficié dans son élaboration des travaux du projet EUDIREM, soutenu par la Région Centre-Val de Loire (France). En couverture : Michelangelo Merisi, dit Caravaggio, L’incrédulité de Saint Thomas Crédit : Schloss Sanssouci, Potsdam, Brandenburg, Germany/Bridgeman Le caractère Faune utilisé dans cet ouvrage a été créé par Alice Savoie / Cnap

Introduction

Pour une histoire culturelle du doute Élise Boillet – CNRS-CESR (UMR 7323), Université de Tours Marco Faini – Università Ca’ Foscari, Venise

L’Europe voit actuellement se succéder les crises financières, économiques, sociales et politiques sur la toile de fond d’une crise écologique et à présent sanitaire mondiale. Un tel contexte, auquel s’ajoute l’accès immédiat à une information constituée d’un pêle-mêle de faits, de connaissances, d’avis et d’opinions, sans même parler des fake news, est générateur d’une grande incertitude. Celle-ci nous amène à douter de nos systèmes de pensée et d’organisation, à les remettre en cause pour les transformer dans le sens d’une amélioration, en même temps qu’elle favorise l’exacerbation de certitudes qui prennent appui sur la défiance généralisée pour avancer des promesses de restauration facile et rapide de la sécurité et de la stabilité perdues. Ce contexte nous incite tous à nous interroger sur la nature d’un doute qui semble devenu aujourd’hui omniprésent et permanent, à questionner ses diverses formes, causes et manifestations, fonctions et usages, bénéfices et dangers. Il invite les spécialistes des cultures du passé à réinterroger la présence du doute dans l’histoire européenne, afin de saisir des continuités et des résonances, mais aussi des spécificités historiques, et ainsi mieux comprendre autant le passé que le présent. L’époque moderne, depuis l’Humanisme et la Renaissance jusqu’aux Lumières en passant par les Réformes, fut propice au doute et largement travaillée par lui. La découverte de nouvelles techniques, l’exploration de nouveaux espaces et de nouvelles sociétés, la formulation de nouvelles doctrines religieuses et politiques, l’émergence de nouvelles disciplines, l’accroissement considérable des connaissances, la circulation accélérée et élargie des productions écrites au moyen de l’imprimerie ont favorisé la pluralité et la confrontation des idées et des opinions et fait émerger le développement du doute dans toutes les branches du savoir. Si la redécouverte du scepticisme antique a nourri le doute propre à cette époque, elle n’en épuise pas pour autant la compréhension, tant il paraît avoir été largement partagé, s’être appliqué à de nombreux domaines et avoir pris des formes variées. De ce fait, la visée du présent volume n’a pas été de contribuer spécifiquement à l’histoire philosophique déjà bien balisée du scepticisme moderne : son ambition a plutôt été d’approfondir une histoire culturelle plus large du doute, qui reste encore beau-

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coup à construire et à explorer dans ses divers aspects1. Là où le scepticisme, qui renvoie d’abord à un système, ou à une position, ou à un argument philosophique, oriente l’enquête principalement vers l’histoire intellectuelle, le doute, qui désigne un état de l’esprit, ou une attitude mentale, et qui ouvre davantage sur l’action, s’applique à tous les modes de la connaissance, théoriques et pragmatiques, fruits du raisonnement logique, du simple bon sens, de l’expérience quotidienne, de l’illumination intérieure, et permet en outre d’élargir l’étude à l’histoire des émotions, des mentalités, des comportements et des pratiques. Si le doute inclut le scepticisme, le scepticisme ne rend pas nécessairement compte de ces différentes dimensions humaines du doute. Dans ce champ, qui s’annonce d’emblée très vaste, on a choisi de privilégier le fil directeur du rapport à la religion, considérée aussi bien comme croyance que doctrine et église. En effet, l’une des caractéristiques bien connues de l’époque moderne – autant la Renaissance que l’Âge classique et les Lumières – a été à la fois la prégnance conservée, voire renforcée, de la religion et sa très forte remise en cause. L’espace urbain a en particulier été un cadre et un acteur majeur de ces phénomènes, en raison de la concentration des institutions civiles et religieuses, du nombre des rites et des cérémonies, de l’implantation des écoles, universités, académies, imprimeries et librairies, de la variété de ses composantes sociales et professionnelles, de la présence de communautés étrangères dans de nombreuses grandes cités caractérisées par le multiculturalisme et le multiconfessionnalisme, en fin de compte de la coexistence d’une pluralité de personnes et de la circulation intense, tant orale qu’écrite, d’une pluralité d’idées2. Le choix de ce fil directeur de la religion n’est bien sûr pas non plus sans rapport avec une réflexion, que tout un chacun est appelé à mener, sur les enjeux actuels, dans nos sociétés et en particulier dans nos villes, de la place des religions – avec les questions de la laïcité, de la présence du religieux dans l’espace public, de la radicalisation religieuse –, mais aussi de celle des sciences et des technologies. Si 1

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Comme le fait, par exemple, en restant dans le cadre d’une histoire intellectuelle, le volume pluridisciplinaire Doute et imagination. Constructions du savoir de la Renaissance aux Lumières, éd. par G. Gouvier, B. Parmentier et D. Martin, Paris, Garnier, 2011, qui explore le travail du doute et de l’imagination en philosophie, littérature, droit, science, médecine. Voir aussi La centralità del dubbio. Un progetto di Antonio Rotondò, éd. par C. Hermanin et L. Simonutti, Florence, Olschki, 2011. Voir les travaux du projet de recherche EUDIREM («  Espaces Urbains, Identités et Dynamiques Religieuses dans l’Europe Moderne ») : (consulté le 19/04/2019), qui a permis l’organisation d’un colloque international sur le sujet du doute dans l’Europe moderne (CESR, 12-13 juin 2018) et dont les réflexions ont aidé d’une manière générale à l’élaboration de cette publication.

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INTRODUCTION

celles-ci comportent une part d’incertitude et de risque qui en font l’objet d’un doute qui va grandissant, elles n’en demeurent pas moins, depuis l’élan scientifique du xviie siècle, l’objet de nouvelles sacralités. Un des signes actuels tout autant de cette part de doute que de cette aura de sacralité est qu’en matière de sciences on se surprend bien souvent à croire plutôt qu’à connaître et à savoir. Là encore, dans l’étude de l’évolution du rapport à la religion des hommes et des femmes de l’époque moderne, une réflexion sur la notion de doute, plutôt que sur celle de scepticisme, permet d’inclure ce qui se trouve autour, en deçà ou audelà des positionnements intellectuels, de prendre mieux en compte les dimensions anthropologiques et psychologiques et les conséquences pratiques d’un doute qui a connu des formes et des degrés variés, et qui s’est tantôt résolu, tantôt creusé et installé. Elle permet de réfléchir à l’articulation entre positions intellectuelles, actions pastorales et pratiques sociales, collectives et individuelles. Le présent volume, par ses dimensions, ne peut bien sûr rendre compte de tout cet ensemble, mais il propose du moins cet horizon et en donne quelques illustrations. Ces deux dernières décennies, les thèmes connexes du doute et de l’incertitude ont retenu l’attention de nombreux spécialistes de l’époque moderne, en particulier de la Renaissance et de la première modernité. Ces thèmes apparaissent de plus en plus comme deux catégories essentielles, pour ne pas dire motrices, dans l’histoire des transformations de l’Europe moderne. Le doute ne fut cependant pas propre à la période que l’on peut définir, en adoptant la chronologie de William J. Bouwsma, « l’âge de l’anxiété »3. Si l’historiographie a très longtemps défini le Moyen Âge comme l’âge de la foi par excellence, elle révèle à présent que cette foi, bien qu’encadrée par une Église chrétienne occidentale non encore divisée, n’excluait aucunement le doute, autant de la part des lettrés que des illettrés4. Tandis que la littérature théologique et religieuse médiévale inclut le doute William J. Bouwsma, «Anxiety and the Formation of Early Modern Culture», dans id., A Usable Past. Essays in European Cultural History, Berkeley (CA), University of California Press, 1990, p.  157-189. Voir aussi Remo L. Guidi, L’inquietudine del ’400, Rome, Tielle Media, 2007. 4 Voir Thomas Lienhard, « Athéisme, scepticisme et doute religieux au Moyen Âge », Revue de l’Institut français d’histoire en Allemagne, 2011/3, mis en ligne le 16 février 2012 : (consulté le 19/04/2019). L’article rend compte de la parution rapprochée de trois ouvrages consacrés au doute, notamment religieux, au Moyen Âge (publiés par Sabina Flanagan en 2008, Peter Dinzelbacher en 2009 et Dorothea Weltecke en 2010), qui ont contribué à combler cette importante lacune de l’historiographie médiévale. Voir, parmi les balises auparavant posées, Alexander Murray, « Piety and Impiety in Thirteenth-Century Italy », Studies in Church History, t. VIII, 1972, p. 83-106 ; 3

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surtout dans sa fonction logique, pédagogique et moralisatrice, les sources inquisitoriales de l’époque témoignent déjà clairement de l’existence d’un doute vécu et convaincu, qui porte sur l’Église, ses dogmes et ses rites, et qui n’est pas le fait que de réformateurs et de lettrés, mais aussi de gens ordinaires, que l’on voit soumettre tout ou partie de leur religion à l’investigation critique en s’appuyant sur un savoir expérimental nourri de bon sens. Ces différents traits du doute religieux, que l’on associe traditionnellement à l’époque moderne, et surtout au xviie siècle, sont donc repérables bien avant. Au regard de l’époque médiévale, si la spécificité de l’époque moderne ne peut être vue dans l’invention du doute, il semble, comme on l’a mentionné, qu’il faille plutôt la chercher dans l’apparition de conditions liées à un ensemble de transformations socio-culturelles de fond et de conflits politico-religieux aigus qui ont été propres à favoriser la généralisation du doute et son évolution progressive d’un statut d’étape fautive (sur le plan intellectuel, spirituel ou moral) vers un statut d’acte en soi, personnel, légitime et licite, non déterminé dans son usage ni dans son issue. La montée en puissance du doute, utilisé par tous aussi bien pour sa fertilité dans une recherche autonome de la vérité que pour son opérabilité dans des conflits dogmatiques partisans, et l’expansion et la radicalisation de la dialectique entre doute et réaction au doute, paraissent bien caractériser l’époque moderne, ou du moins attirent particulièrement notre œil contemporain, appelant ainsi des enquêtes, des approfondissements et des synthèses supplémentaires. De nouvelles approches historiographiques, notamment l’histoire des émotions, ont déjà permis d’aborder le sujet du doute, en particulier le doute religieux, sous de nouveaux angles. En mettant l’accent sur l’expérience vécue du doute et de l’incertitude, qui n’est pas seulement intellectuelle, ces approches récupèrent dans le champ des études des aspects laissés en marge. De ce point de vue, le récent volume d’Alec Ryrie est exemplaire5. En se concentrant principalement sur l’Angleterre du xviie siècle (mais en fait en embrassant une période allant du Moyen Âge à nos jours), A. Ryrie explore le monde émotionnel de ceux qui ont osé douter de leur foi. Il suggère que les deux émotions qui, plus que toutes autres, sous-tendent

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id., « The Epicureans », dans Intellectuals and Writers in Fourteenth-Century Europe, éd. par P. Boitani et A. Torti, Tubingue, Gunter Narr – Cambridge, Brewer, 1986, p. 138-163 ; Susan Reynolds, « Social Mentalities and the Cases of Medieval Scepticism », Transactions of the Royal Historical Society, t. I, 1991, p. 21-41 ; John H. Arnold, Belief and Unbelief in Medieval Europe, Londres, Bloomsbury, 2011 [1re ed. 2005]. Voir récemment Doubting Christianity : The Church and Doubt, éd. par Fr. Andrews, Ch. Methuen et A. Spicer, Studies in Church History, t. LII, 2016. Unbelievers. An Emotional History of Doubt, Harvard (MA), Harvard University Press, 2019.

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le doute religieux sont la colère et la peur. Cette dernière est la plus insidieuse, car elle alimente des doutes tourmentés sur la capacité d’exprimer une foi authentique, conduisant à la figure paradoxale de l’athée par excès de foi. D’un autre côté, le doute en matière de religion entraîne des réponses émotionnelles variées, de l’enthousiasme de ceux qui découvrent la liberté intellectuelle de remettre en question des dogmes et des vérités apparemment immuables au désespoir de ceux qui, pour cette même raison, se trouvent sur un chemin solitaire qui les éloigne de leur communauté. Si ces phénomènes sont observables dans les communautés protestantes de l’Angleterre du xviie siècle, ils le sont également dans l’Italie du milieu du xvie siècle, où se sont développés, à partir du valdésianisme napolitain, des courants radicaux qui professaient une sorte de doute méthodique appliqué d’abord à l’orthodoxie catholique et finalement à toute forme de croyance religieuse6. Inquiétude et enthousiasme, peur et audace, ces émotions contrastées caractérisèrent le parcours de ceux qui, dans une Europe de plus en plus marquée par les divisions confessionnelles, doutèrent en matière de religion. Et ils furent nombreux, hommes et femmes, lettrés et illettrés, le ver du doute ne cessant de progresser au cours du xvie puis du xviie siècle. Cette progression est en partie imputable à la complexité croissante de l’acte même de « croire ». Comme Ethan Shagan l’a bien montré, au moment où l’unité confessionnelle de l’Europe se brise, chaque confession construit sa propre conception de ce que croire signifie et recouvre, rendant cet acte de moins en moins naturel et de plus en plus complexe et médiatisé, donc source d’incertitude, de doute et d’inquiétude7. Par ailleurs, les développements d’une ligne classique de l’histoire intellectuelle ont suggéré une présence diffuse et flexible du doute dans les milieux intellectuels et lettrés. Après les recherches majeures de Richard H. Popkin, les historiens du scepticisme ont poursuivi l’exploration de ses différentes composantes et manifestations aux xvie-xviiie siècles8. L’articulation entre scepticisme et pensée chrétienne a été approfondie et l’existence d’un « scepticisme chrétien » interrogée : Frédéric 6 Voir Luca Addante, Eretici e libertini nel Cinquecento italiano, Rome-Bari, Laterza, 2010. Sur la diffusion du valdésianisme en Italie, voir Massimo Firpo, Tra alumbrados e “spirituali” : studi su Juan de Valdés e il valdesianesimo nella crisi religiosa del ’500 italiano, Florence, Olschki, 1990. 7 The Birth of Modern Belief. Faith and Judgment from the Middle Ages to the Enlightenment, Princeton (NJ), Princeton University Press, 2019. 8 Skepticism in Renaissance and Post-Renaissance Thought. New Interpretations, éd. par J. R. M. Neto et R. H. Popkin, Amherst (NY), Prometheus Books, 2004 ; Renaissance Scepticisms, éd. par G. Paganini et  J. R. M. Neto, Dordrecht, Springer, 2008 ; Skepticism in the Modern Age. Building on the Work of Richard Popkin, éd. par J. R. M. Neto, G. Paganini et J. Chr. Laursen, Leyde-Boston, Brill, 2009.

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Gabriel en a souligné le large spectre, remarquant l’usage particulier que les auteurs catholiques et protestants pouvaient faire des outils sceptiques9. Récemment, Marco Sgattoni s’est penché sur les intersections entre traditions sceptiques et mouvements de réforme, tandis que Giuseppe Veltri a analysé la présence de thèmes sceptiques dans la culture juive italienne et européenne10. L’intérêt critique s’accompagne d’un travail d’édition des textes, comme le montre, par exemple, la récente publication en traduction italienne du Quod nihil scitur du médecin et professeur de philosophie Francisco Sanchez, publié à Lyon en 158111. Du côté de l’histoire moderne religieuse, force est de constater que le paradigme confessionnel pèse encore dans l’appréhension du scepticisme religieux et plus largement du doute religieux. Le récit de la Contre-Réforme comme réaction autoritaire et violente, portée par un dogmatisme intransigeant et une volonté de contrôle total de la société, n’a évidemment pas placé le doute du côté catholique. L’affaire Galilée, qui reste le symbole de l’abus de pouvoir et de la violence d’une institution ecclésiastique, demeure aussi celui du rapport conflictuel entre religion et science, du divorce consommé entre Vérité révélée et vérité scientifique. Dans cette perspective, l’Église apparaît comme la championne de la certitude triomphant du doute, tandis que la science apparaît comme celle du doute permettant l’hypothèse et l’expérience. La recherche se poursuit sur la culture religieuse des savants des xvie et xviie siècles, montrant que celle-ci a pu parfois profondément imprégner, sinon leur pratique et leur pensée scientifiques, du moins leurs représentations de la science et du rôle du savant12. Mais, là aussi, le paradigme confessionnel demeure très présent : au courant historiographique établissant un lien entre Réforme et émergence des sciences modernes répond un autre courant visant à montrer que l’Église n’a pas été contraire à leur développement et a même entretenu un dialogue fécond avec elles13. Au-delà du débat confessionnel, l’idée d’un

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Frédéric Gabriel, « Présentation. Positions du “scepticisme chrétien” », Les Études philosophiques, 85, 2008/2, Le scepticisme chrétien (xvie-xviie siècles), dir. Fr. Gabriel, p. 137-140. Marco Sgattoni, La rinascita dello scetticismo tra eresia e riforma, Urbin, Quattroventi, 2018 ; Giuseppe Veltri, Sapienza alienata. La filosofia ebraica tra mito, storia e scetticismo, Rome, Aracne, 2017 ; Evelien Chayes, Giuseppe Veltri, Oltre le mura del ghetto : accademie, scetticismo e tolleranza nella Venezia barocca : studi e documenti d’archivio, Palerme, New Digital Frontiers, 2016. Nulla si sa, éd. C. Buccolini, Pise, Edizioni della Normale, 2018. Voir par exemple Stefano Gattei, « The Finger and the Tongue of God : Johannes Kepler, Reformation Theology, and the New Astronomy », dans Lay Readings of the Bible in Early Modern Europe, éd. par E. Ardissino et É. Boillet, Leyde-Boston, Brill, 2020, p. 260-275. Voir ainsi le tout récent Rémi Sentis, Aux origines des sciences modernes. L’Église est-elle contre la science ?, préface de R. Brague, Paris, Éditions du Cerf, 2020.

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conflit et d’une exclusion réciproque entre foi et science, entre certitude religieuse et doute scientifique, reste dominante. Dans ce volume, Vincent Jullien défend que, dans la pratique et la réflexion scientifique des savants du xviie siècle, un tel conflit n’existait pas, ce qui conduit à penser qu’il faudrait en chercher ailleurs les raisons. Dans les domaines théologique, spirituel et pastoral, l’avancée des recherches, sans renverser le récit d’une Contre-Réforme triomphante, tend à en nuancer la portée, tout en élargissant le cadre à une Réforme catholique aux visages multiples et parfois contrastés. Elle montre aussi que la Réforme protestante, d’abord née du libre examen des Écritures, s’est elle aussi rapidement institutionnalisée en fixant des dogmes et des pratiques et en s’appuyant sur des organes de contrôle et de répression. L’affaire Servet fait pendant ici à l’affaire Galilée. Il semble que les églises de la Réforme et de la Contre-Réforme se soient montrées plus intransigeantes que l’Église médiévale envers ceux qui doutaient, anticléricaux, réfractaires aux dogmes ou aux rites, hérétiques ou indifférents, qu’elles qualifiaient un peu vite d’athées. Par contraste, les historiens de la Réforme radicale européenne, mouvement pluriel de contestation religieuse mais aussi sociale et politique14, ont pu montrer que celle-ci, en utilisant le doute pour miner les fondements des églises institutionnelles, voire de la croyance elle-même, travailla, dans sa radicalité même, contre les dogmatismes dominants. Au-delà de ces courants radicaux, la diffusion d’un doute contestataire, religieux et plus largement culturel, se reflète dans la fortune – éclairée par George McClure15 – que rencontra Momus, dieu de la moquerie et de la critique sarcastique, auprès des intellectuels du début de l’époque moderne. Emblème du doute subversif, Momus est en effet une présence diffuse dans la culture européenne entre le xve et le xviie  siècle, porteuse de critiques à l’encontre des institutions ecclésiastiques qui se transforment souvent en professions d’athéisme plus ou moins masqué. En tant que personnification de la critique de la culture officielle, et donc de son érosion, Momus est en outre une sorte d’archétype du critique littéraire et culturel chargé de faire craquer les discours officiels. Dans ce volume, une figure proche de celle de Momus, critique à la fois de la religion et de la culture, est celle d’Ortensio Lando, analysée par Paolo Procaccioli. Dans cet ensemble de perspectives, il apparaît que la certitude est surtout recherchée et défendue par la religion, tandis que le doute est principalement assimilé 14 Voir les travaux du groupe de recherche international EMoDiR (Early Modern Religious Dissents and Radicalism) : (consulté le 19/04/2019). Voir aussi le récent Dis/simulazione e tolleranza religiosa nello spazio urbano dell’Europa moderna, éd. par É. Boillet et L. Felici, Turin, Claudiana, 2020. 15 Doubting the Divine in Early Modern Europe : The Revival of Momus, the Agnostic God, Cambridge, Cambridge University Press, 2018.

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à la critique des religions et aux formes de l’incroyance. Si ces perspectives sont attestées dans les sources et correspondent à des réalités historiques, qui restent encore à approfondir en elles-mêmes et dans leurs articulations, ce volume veut aussi contribuer à souligner qu’à l’époque moderne autant les croyants que les incrédules, les tenants des églises institutionnelles que ceux de mouvements religieux non institutionnalisés, furent sujets au doute et furent les sujets du doute, dans un contexte où celui-ci semble avoir affecté, à des degrés et avec des conséquences diverses, l’ensemble des savoirs, des systèmes de pensée, des représentations. Ainsi, on rappellera que le doute s’est également profondément insinué dans l’Église de la Contre-Réforme, ce qui amène à se garder d’une association trop rapide et exclusive entre le doute et la contestation religieuse, entre l’hétérodoxie et l’athéisme. De façon contre-intuitive, l’incertitude se présente en effet comme un des éléments fondateurs de la culture post-tridentine dans divers domaines allant de la rhétorique à l’historiographie : c’est ce que suggèrent les travaux sur le probabilisme de Stefania Tutino, qui parle de manière suggestive des « ombres du doute » planant sur la culture catholique de la seconde moitié du xvie siècle16. L’explosion même de cette branche de la théologie morale indique que les certitudes de la tradition théologique occidentale étaient profondément en crise. Dans un monde de plus en plus complexe à tous points de vue – économique, scientifique, politique – et de plus en plus connecté et hybride, la flexibilité des opinions probabilistes devient un élément fondamental pour faire face aux nouveaux dilemmes moraux et pratiques17. Si la théologie avait longtemps soutenu le tutiorisme, c’est-à-dire la nécessité, en cas de dilemme moral, de s’en tenir à l’opinion la plus sûre, les théologiens suggèrent à présent qu’on peut s’en tenir à toute opinion probable (probabilis, c’est-à-dire qui peut être autorisée à partir de la tradition exégétique), même en présence d’autres opinions plus probables. On retrouve ici la dimension de l’émotion, dans la mesure où il s’agissait d’apaiser les doutes et les scrupules des fidèles et des confesseurs aux prises, comme on l’a dit, avec une tradition théologique qui avait du mal à prévoir les cas d’un monde en pleine expansion. C’est bien parce que les « cas de conscience » et les doutes associés auxquels les fidèles devaient faire face étaient nombreux (dans son Giardino di sommisti Marco Scarsella en recensait 7 000 dans la première édition de 1589 et 12 000 dans l’édition suivante de 1592) et de nature à couvrir tous les aspects de la réalité, que la casuistique est un 16 Shadows of Doubt. Language and Truth in Post-Reformation Catholic Culture, Oxford, Oxford University Press, 2013. 17 Stefania Tutino, Uncertainty in Post-Reformation Catholicism. A History of Probabilism, Oxford, Oxford University Press, 2017 ; Rudolf Schüßler, The Debate on Probable Opinions in the Scholastic Tradition, Leyde-Boston, Brill, 2019.

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domaine fondamental pour l’étude du début de l’ère moderne et de ses dilemmes. En tant que telle, elle a récemment retenu l’attention des chercheurs qui en ont exploré la tradition médiévale et les développements aux xve-xviie siècles18. C’est précisément dans la tension entre la règle et l’exception, entre la règle et le hasard, que le doute s’installe, et c’est donc cet espace que les casuistes investissent avec la catégorie de l’opinion probable. Sur un autre plan, on rappellera aussi que le doute a été une pratique incontournable du processus de censure de la littérature et de la culture développé par la Congrégation de l’Index et par l’Inquisition. Comme l’a montré Gigliola Fragnito, non seulement les lecteurs mais aussi les censeurs se sont retrouvés dans un monde où la frontière entre ce qui était interdit et ce qui était licite était devenue très floue19. Souvent, les autorités ecclésiastiques, centrales et périphériques, hésitèrent face à des livres « douteux » du fait de l’hybridité ou de l’ambiguïté de leur forme ou de leur contenu : aussi bien les excès de la censure qu’une tolérance surprenante sont attestés20. Autant l’interdiction portant de façon générique sur des catégories de livres que celle portant sur des textes spécifiques, pour lesquels une expurgation était ordonnée (et rarement réalisée), ont eu pour effet, en fin de compte, de transformer le lecteur en censeur de ses propres lectures, constamment suspicieux et inquiet quant à leur orthodoxie et à leur licéité21. Du point de vue de la sociologie de la lecture, ces recherches ont révélé un nouvel élément d’incertitude et d’anxiété, qui entre à juste titre dans le paysage du doute au xvie siècle et au-delà. La lecture devient un acte de plus en plus problématique, au moment même où la nouvelle philosophie et la nouvelle science lisent avec toujours plus de profondeur dans le livre de la nature.

18 Carlo Ginzburg, Nondimanco. Machiavelli, Pascal, Milan, Adelphi, 2018 ; A Historical Approach to Casuistry. Norms and Exceptions in a Comparative Perspective, éd. par C. Ginzburg avec L. Biasiori, Londres, Bloomsbury, 2018. 19 La Bibbia al rogo. La censura ecclesiastica e i volgarizzamenti della Scrittura (1471-1605), Bologne, il Mulino, 1997 ; Proibito capire. La Chiesa e il volgare nella prima età moderna, Bologne, il Mulino, 2005 ; Rinascimento perduto. La letteratura italiana sotto gli occhi dei censori (secoli xv-xvii), Bologne, il Mulino, 2019. 20 Voir notamment Adelisa Malena, « Libri “proibiti”, “sospesi”, “dubii d’esser cattivi” : in margine ad alcune liste dei canonici regolari lateranensi », dans Libri, biblioteche e cultura degli Ordini regolari nell’Italia moderna attraverso la documentazione della Congregazione dell’Indice, Atti del Convegno Internazionale (Macerata, 30 maggio-1 giugno 2006), éd. par R. M. Borraccini et R. Rusconi, Cité du Vatican, Biblioteca Apostolica Vaticana, 2006, p. 555-580. 21 Voir ainsi Giorgio Caravale, « Censure ecclésiastique et dévotions : espace public et privé en Italie au début des temps modernes », dans Textes et pratiques religieuses dans l’espace urbain de l’Europe moderne, éd. par É. Boillet et G. Rideau, Paris, Honoré Champion, 2020, p. 133-151.

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Du fait qu’il traverse les cultures dans un délicat mélange de fonctions et de caractéristiques constantes et, à l’inverse, d’objectifs et de stratégies propres à une situation donnée, seule une vision des constantes avec lesquelles le doute se présente permet de saisir les spécificités d’un contexte, d’une pensée ou d’un écrit. Nous avons donc choisi d’adopter dans ce volume une double approche, celle de la pluridisciplinarité et celle de la longue durée. Des contributions touchant aux domaines de l’histoire de la religion, de la philosophie, du droit, des sciences, de la littérature et des images veulent ensemble rendre compte d’une transversalité du doute à l’époque moderne. La longue durée est d’abord celle d’une modernité que l’on fait courir du xve au xviiie siècle, éclairée dans plusieurs de ses moments clés, notamment ceux qui permettent de repérer les origines de courants dont l’historiographie a plutôt privilégié les manifestations tardives, comme par exemple le libertinisme du xviie siècle. La longue durée est aussi celle d’une perspective plus longue encore, qui permet, d’une part, de réfléchir aux articulations entre cultures médiévale et renaissante, moderne et contemporaine, et, d’autre part, de mettre au jour des racines anthropologiques, spirituelles et psychologiques du doute à partir desquelles se sont développées les formes du doute observées à l’époque moderne. La première partie du volume inclut quatre contributions qui permettent une mise en perspective à la fois chronologique et disciplinaire du doute moderne. La contribution de Corinne Leveleux-Texeira montre que, dès le xiie siècle, la jurisprudence a réfléchi au rôle du doute dans la distinction entre vrai et faux, qui est au cœur de la pensée et de la pratique juridique. À mesure que l’idée de vérité devient indépendante des formes de révélation et tend à se construire dans le cadre d’un processus de recherche, le doute gagne de l’espace. Plutôt qu’elles ne s’excluent, les catégories du vrai et du faux apparaissent alors liées, ouvrant des zones d’ombre où se loge le doute. Si le droit est une technique qui vise à en sortir, il n’en reste pas moins qu’entre le xiie et le xive siècle la vérité du droit appréhende le pluralisme des points de vue et se construit à partir des inévitables espaces de doute que crée leur superposition. Le doute devient alors non seulement inséparable de la vérité, mais le présupposé et le critère de son efficacité, la vérité entretenant un rapport essentiel avec celui qui l’interprète et devenant « un sujet de discussion, de décision et même de négociation  ». Nous ne sommes pas ici si loin, toutes proportions gardées, des réflexions du probabilisme moderne, pour lequel la vérité absolue paraît moins importante que les opinions probables (c’est-à-dire prouvées sur la base d’auctores) que formulent les théologiens. La relation entre jurisprudence et religion est d’ailleurs étroite, le droit canonique s’étant construit sur la base d’une identification avec le Christ, « voie » et « vérité » selon l’Évangile, laquelle se reflète aussi dans le droit civil. Même si avec le temps cette conception s’atténue, 16

INTRODUCTION

l’espace du doute tendant à grandir et la réflexion sur les aspects douteux de la procédure judiciaire à s’affiner, elle ne disparaît pas. Un cas particulièrement pertinent dans la perspective de ce volume est ainsi celui de l’hérésie. Pour réduire la part de la subjectivité et donc de l’incertitude, on élabore de nouveaux instruments juridiques, les « présomptions de la loi » : si une personne suspectée d’hérésie refuse la convocation de l’inquisiteur, le soupçon se change en « présomption véhémente d’hérésie » ; si rien n’est fait au bout d’un an pour la supprimer, le suspect devient « hérétique avéré ». Même s’il fallait lever au plus vite le doute pour empêcher toute contamination, celui-ci devient partie intégrante du mécanisme juridique. Cet exemple révèle la nature complexe et polymorphe du doute en droit. Suivent les contributions de Jean-Pierre Cavaillé et de Sylvia Giocanti, qui proposent une analyse du doute dans l’Europe moderne en se plaçant dans les temps longs de l’histoire de la religion et de la philosophie. Tandis que Jean-Pierre Cavaillé interroge le rapport entre doute et religion à l’époque moderne en déplaçant le regard de causes externes à la religion chrétienne vers des causes également internes, Sylvia Giocanti propose de voir dans le scepticisme philosophique moderne, non pas un seul courant, amorcé par Montaigne et parachevé par Descartes, mais deux courants issus de ces auteurs et opposés dans leur conception du doute sceptique. Jean-Pierre Cavaillé commence par poser que, dans tous les contextes étudiés par l’anthropologie et l’ethnologie, croire et douter, loin de s’opposer, apparaissent comme fondamentalement liés. Il propose alors de rechercher l’émergence d’une culture du doute au début de l’époque moderne, non pas seulement dans la critique libertine puis positiviste des croyances, mais dans l’évolution du rapport que la religion chrétienne a elle-même entretenu avec le doute. Dans le processus sans cesse réitéré de la conversion, Augustin attribue au doute une valeur à la fois positive comme étape nécessaire vers la foi et négative comme étape qui doit être surmontée par elle. Au fil des siècles, pour affronter cette étape ambivalente du doute, la religion chrétienne a développé quatre dispositifs principaux – la confiance, la preuve, l’autorité et l’orthopraxie –, dont les développements à l’époque moderne ont contribué à la constitution d’une culture du doute. La Réforme n’a en effet pas pu poser de limites à la mise en doute des vérités religieuses auquel le libre examen, promu par l’évangélisme réformé, avait ouvert la voie. L’inflation considérable de la littérature apologétique, qui maniait le doute comme arme polémique, a ensuite plutôt renforcé que combattu la diffusion d’une critique religieuse au moyen du doute, laquelle s’était surtout répandue oralement. En outre, les doutes internes des personnes n’ont pas été apaisés par le recours à l’infaillibilité de l’Église, qui consistait surtout à imposer un acte d’obéissance extérieur. Ils ne l’ont pas été non plus par les redéfinitions, dans un sens ascétique ou spectaculaire, de l’orthopraxie, 17

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lesquelles ont plutôt consolidé l’assimilation des pratiques rituelles à la simulation. Ce dernier aspect, qui constitue une singularité notable dans l’histoire des cultures humaines, a probablement rendu la religion chrétienne particulièrement vulnérable à ses propres doutes. Dans l’histoire de la philosophie depuis Augustin jusqu’à Hans Blumenberg et Stanley Cavell, Sylvia Giocanti observe que le scepticisme a été lu comme un excès de doute visant à répondre à une exigence de certitude excessive et conduisant à la séparation ou au refus du monde à l’origine d’un retour vers l’intériorité. Dans cette ligne d’interprétation, le courant sceptique moderne est vu comme inauguré par Montaigne avant d’être pleinement illustré par Descartes. Sylvia Giocanti défend une autre lecture et montre que les conceptions du doute sceptique issues de Montaigne et de Descartes s’opposent. Montaigne n’inaugure pas, d’une manière qui serait emblématique de la naissance de la modernité, la distinction entre sphère privée et sphère publique, dans la mesure où le doute montanien lie étroitement les relations au monde et à soi. C’est un doute en perpétuelle reconduction et mutation, qui fonde une pensée du passage dans le monde, plutôt que de l’ancrage dans l’être, une pensée « nomade », qui ne se développe pas à partir de choix binaires impliquant l’exclusion, mais repense continuellement la relation à soi à partir d’une exploration de la variété du monde fondée sur l’échange. Rompant avec l’humanisme, au sens d’une pensée qui essentialise la nature humaine, le scepticisme montanien n’extrait pas l’être humain du monde pour le circonscrire, mais lui propose une « manière d’être au monde ». Son identité ne s’enracine pas dans l’être, mais chemine, provisoire dans sa construction, au gré des échanges sociaux et des interactions culturelles et linguistiques. C’est un scepticisme qui favorise l’acceptation du monde et donne même les moyens d’y passer de manière sereine, voire de l’investir de manière jubilatoire. La contribution de Vincent Jullien, qui met en valeur le fait que les débats épistémologiques ouverts au xviie  siècle trouvent des prolongements jusqu’à l’époque contemporaine, examine le rôle du doute dans l’évolution scientifique du xviie siècle. Les nouvelles connaissances dans tous les domaines scientifiques, de la cosmologie aux mathématiques, ne font qu’élargir le répertoire des choses qui restent, au moins en partie, inconnues. De la nature de l’espace et des étoiles, à la nature de la lumière et de la gravité, de l’existence du vide à la finitude du monde, de l’analyse infinitésimale naissante aux racines imaginaires, les sujets qui relèvent de la sphère du doute sont innombrables. Même les expériences ne semblent pas pouvoir dissiper ces doutes et, en effet, on en vient parfois à douter de l’efficacité (ou de la réalité) des expériences elles-mêmes. Vincent Jullien identifie la présence de différents types de doute à l’œuvre dans la culture scientifique du xviie siècle, 18

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du doute épistémologique au doute cartésien, et avance en conclusion que la corrélation entre le doute religieux et le doute scientifique était très faible. En d’autres termes, la science moderne, même dans ses multiples imbrications avec la religion, s’est constituée sans être influencée de manière significative par cette dernière. Selon Vincent Jullien, ni la ferveur religieuse (ou l’absence de ferveur) des scientifiques, ni leur affiliation confessionnelle, n’ont eu un impact réellement significatif sur l’élaboration de leurs théories. La deuxième partie regroupe des contributions centrées sur de grandes figures dont la réflexion a porté sur le rapport entre croyance religieuse et doute : Nicolas de Cues dans une période où s’est amorcé un renouvellement des savoirs ; Érasme et Luther au moment où se joue la fracture confessionnelle de la chrétienté occidentale ; Pascal dans le contexte d’une Europe déjà confessionnalisée. Une quatrième contribution, centrée sur Tommaso Campanella, mais ouverte sur un courant européen qui démarre dès le xvie siècle, explore à l’inverse le rapport entre doute et incroyance. Consacrée à Nicolas de Cues, cardinal puis vicaire pontifical, théologien, philosophe et savant du xve  siècle, dont la lecture influença durablement la pensée occidentale jusqu’à Campanella et Pascal, la contribution de Christian Trottmann illustre, dans l’analyse détaillée d’une pensée intellectuelle de haut vol, le lien profond et paradoxal entre croire et douter. Chez cet homme de foi, la logique, qui permet de lever le doute et d’accéder à la certitude, s’appuie sur une prémisse, qui, elle, échappe au doute, celle de l’Un transcendant, cause et fin de toute chose. En deçà de cette certitude absolue, l’abondance des formules négatives du type « non est dubium » témoignent, plutôt que de l’absence de doute, de la lutte permanente de l’intellect humain confronté à l’inconfort du doute dans tous les domaines de la connaissance, qu’elle soit mathématique, physique, juridique, politique, ou théologique. Dans ce combat, Nicolas de Cues recourt à la logique aristotélicienne interprétée dans le sens de la via moderna. Les formules négatives du «  non est dubium » laissent en outre voir que le doute, identifié et exposé afin d’être résolu, va jusqu’à constituer une méthode pour la « docte ignorance », capable à la fois d’ouvrir le champ de la recherche intellectuelle au moyen du doute et de mettre au jour la vérité comme objet de certitude. En matière religieuse même, la fidélité du Cusain à Denys le pseudo-Aréopagite, ouverte sur la modernité naissante, l’amène à intégrer le doute à sa pratique théologique, puisqu’il conçoit une theologia dubia aux côtés des théologies affirmative et négative. Si la docte ignorance de Nicolas de Cues est une sagesse qui permet la cohabitation plutôt sereine du doute et de la certitude, celle que Luther dénonce chez Érasme est une erreur théologique coupable de la part d’un humaniste grand connaisseur 19

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des Écritures. Matthieu Arnold propose de revenir sur le « scepticisme » d’Érasme en replaçant le débat de 1524-1525 qui l’opposa à Luther au sujet du libre arbitre dans le contexte d’un différend plus profond et de plus longue durée. Si Montaigne a été vu comme le précurseur de Descartes, les défenseurs de l’Église traditionnelle ont exprimé l’idée, qui a perduré dans l’historiographie, d’une affinité entre le doute religieux d’Érasme et l’hérésie de Luther, l’un étant vu comme ayant préparé l’autre. Luther lui-même a décrit Érasme comme ayant « ouvert la voie ». Mais cela ne signifie pas, comme le défend Matthieu Arnold, que Luther considérait Érasme comme engagé sur le même chemin, car il existe une incompatibilité entre leurs théologies respectives qui détermine le lien nécessaire entre la thèse soutenue et la modalité – sceptique ou assertive – de sa formulation. Le scepticisme que Luther voit chez Érasme est une indifférence en matière de foi à l’origine de son choix de recourir à la diatribe, alors que sa propre certitude quant au salut par la seule grâce divine ne peut trouver à s’exprimer légitimement que dans le discours assertif. De son côté, Érasme reste fidèle à un doute humaniste22, fondé sur le libre examen des sources au moyen de l’étude philologique et de l’art de la collation, qui permet de laisser le débat théologique ouvert23. Dans ce débat sur le libre arbitre, il est intéressant de noter que le choix ou le refus d’un discours sceptique, qui dépend d’une position théologique, est aussi associé à une « disposition d’esprit », qui fait qu’on ne prend pas « de plaisir aux assertions », ou qu’au contraire on ne prend « aucun plaisir à l’opinion des sceptiques » et qu’on se « plait » plutôt dans les assertions pour lesquelles on « se passionne ». Ces propos soulignent que le plaisir, intellectuel et émotionnel, se trouve aussi bien dans l’acquisition de la certitude, qui procure sécurité et assurance, que dans le maintien du doute. La « disposition d’esprit » des sceptiques dont parle Érasme, liée à la perception et à l’acceptation d’une irréductibilité de l’incertitude, conduit à un rapport au monde ouvert, fait de «  douceur  », qui n’est pas sans affinité avec cette « manière d’être au monde » dans le doute que Sylvia Giocanti repère chez Montaigne.

22 Sur Érasme comme relais majeur du doute dans la culture italienne et européenne, voir le chapitre Il dubbio dans Silvana Seidel Menchi, Erasmo in Italia (1520-1580), Turin, Bollati Boringhieri, 1987, p. 197-222, et les remarques de Luca Addante dans Eretici e libertini nel Cinquecento italiano, op. cit., p. 207, n. 3. 23 Olivier Rimbault a récemment comparé les systèmes de pensée, appuyés sur des imaginaires fondés sur le Un, le Deux et le Multiple, de Nicolas de Cues, Luther et Érasme, dans Imaginaire et pensée. Désiré Érasme, Martin Luther, Nicolas de Cues : trois imaginaires, trois modèles de pensée, Perpignan, Presses Universitaires de Perpignan, 2017.

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La contribution d’Hélène Michon, consacrée à Pascal, poursuit la réflexion sur le rapport entre la foi et le doute, offrant une nouvelle illustration que le doute, sous la forme précisément de l’inquiétude, est structurellement lié à la foi. Elle montre que si l’on peut retrouver chez Pascal une opposition de matrice thomiste entre un doute incertain et inquiet et une foi certaine et assurée, le penseur théorise aussi un doute qui n’est pas inquiet et une foi qui l’est intrinsèquement. En particulier, il discerne un doute volontaire, qui vise à remettre en cause des vérités touchant concrètement à notre existence pour la raison qu’elles nous déplaisent : un tel doute est animé d’une « passion de haine » dépourvue d’inquiétude. On note que la part de l’émotion et de la passion, rencontrée dans le débat entre Érasme et Luther, est ici bien présente aussi. Inversement, il apparaît chez Pascal que non seulement il existe une foi inquiète, mais que la foi chrétienne même peut se définir comme le lieu de la cohabitation de la certitude et de l’inquiétude. L’objet par excellence de l’inquiétude chrétienne est l’incertitude quant au salut. Là où Luther, certain du serf arbitre, pouvait se déclarer sûr de son salut, Pascal, chez qui l’incertitude du salut accompagne le libre arbitre, peut seulement affirmer qu’il est sûr que Dieu veut son salut. Mais Pascal rappelle par ailleurs, à une époque où tendait à s’installer la certitude que les bonnes œuvres garantissaient le salut, que celui-ci n’est pas un dû, mais reste un don de Dieu et l’objet de l’espérance du chrétien. C’est dans l’inquiétude que génère un doute involontaire de type existentiel que la foi s’oppose aux dogmatismes que Pascal rejetait. Tandis que Jean-Pierre Cavaillé avait attiré l’attention sur le rapport anthropologique entre doute et croyance pour interroger les évolutions modernes du rapport de la religion chrétienne au doute comme ayant été propres à le renforcer plutôt qu’à le maîtriser, Luca Addante reprend la question du rapport entre doute et incrédulité, doute et incroyance, qui, sans dériver d’une nécessité, n’est pas sans avoir lui aussi un fondement anthropologique. Il explore en particulier l’existence d’une incroyance dérivée du doute radical dans l’Italie du xvie siècle. Les deux contributions mettent en évidence la montée en puissance du doute qui, notamment à partir de cristallisations qui eurent lieu tôt au xvie siècle, à la fois contribue à transformer de l’intérieur la religion chrétienne et aboutit à en sortir. Que des idées panthéistes, déistes et finalement athéistes, auxquels on arrivait par la pratique du doute radical, se soient abondamment répandues dans l’Italie du xvie  siècle et aient même eu une diffusion européenne est désormais un fait avéré, qui met tout à fait en crise le paradigme encore pesant d’un xvie siècle européen si chrétien qu’il aurait été impossible d’y penser l’athéisme. Le cas du calabrais Tommaso Campanella, moine dominicain et philosophe, non seulement montre que l’athéisme pouvait constituer un système complet de pensée déjà à cette 21

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époque, mais constitue une porte d’entrée dans le réseau d’une incroyance non réduite à quelques cas mais largement diffuse. Lorsqu’en 1599 Campanella organisa avec son ami Dionisio Ponzio un mouvement révolutionnaire visant à instaurer une « république » fondée sur la « liberté naturelle », il fit la propagande d’idées extrêmes sur le plan religieux : la négation des sacrements, des dogmes, et même de l’existence de Dieu, identifié à la nature, idée traditionnellement associée au nom de Spinoza. Arrêté et condamné, il rédigea en prison l’Atheismus triumphatus en gage de conversion au catholicisme. Or, dans le texte italien primitif, datant d’après sa condamnation, l’ouvrage montre un athéisme certes « dis/simulé » mais nullement atténué. Il se présente comme un exercice de doute radical, où la formulation argumentée de doutes portant sur tous les articles de la foi chrétienne est nettement plus convaincante que leur faible réfutation. Luca Addante souligne que si certaines idées de Campanella peuvent se rattacher à la critique du christianisme portée par l’humanisme et la Renaissance, ce n’est pas le cas de ses idées panthéistes et libertines, qui sont à relier au courant radical qui s’était développé à Naples à partir des années 1540 autour du mystérieux Juan de Villafranca, disciple de l’espagnol Juan de Valdés. Il défend la nécessité, pour l’avancée des connaissances sur le doute religieux et l’incroyance aux xvie-xviie siècles et plus généralement sur la religion à l’époque moderne, de ne pas séparer l’étude des courants humanistes, renaissants et réformés de celle des courants radicaux et libertins. Ce parcours historique du rapport entre doute et foi chrétienne, pour succinct et lacunaire qu’il soit, laisse voir l’interaction entre les instances internes et externes, centrales et périphériques, qui furent porteuses au sein de la religion chrétienne d’un doute religieux, dont on peut observer qu’il a contribué à la maturation aussi bien d’une foi non dogmatique que de nouveaux dogmatismes, religieux et irréligieux. Érasme, Luther et Campanella, tous hommes d’Église à l’origine, sont des exemples de ces divers positionnements, le premier contribuant à ouvrir de nouveaux débats critiques au sein de l’Église, le deuxième poussant la mise en doute et en crise de ses fondements jusqu’au schisme, le troisième cultivant un doute extrême qui voue à l’échec son entreprise de réforme dans l’Europe confessionnalisée. Ces positionnements emblématiques n’indiquent pas cependant un repli tout entier du doute dans des marges culturelles ni dans la clandestinité. Le doute sceptique et religieux fut, comme on l’a évoqué, un outil auquel tous ceux qui s’engagèrent dans la réflexion et le débat religieux recoururent avec plus ou moins de force et de constance. Un outil intellectuel partagé en somme, mais aussi une expérience de vie partagée, qui trouvait des modèles prestigieux dans cette Bible que le début de l’époque moderne avait remise au centre de tous les intérêts et de tous les débats : d’Abraham formulant des hypothèses sur l’étendue de la miséricorde divine, à David s’inquiétant 22

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de savoir jusqu’à quand Dieu allait différer son pardon, et à Job l’interpellant sur le pourquoi de tant de souffrance ; et encore de Pierre, dont la foi n’est pas assez grande pour croire qu’il va pouvoir rejoindre son maître sur les eaux, à Jésus luimême, qui expire en reprenant les mots pleins d’angoisse désespérée du début du psaume 22, et à Thomas, qui doute de la réalité de la résurrection. L’incertitude, le doute et l’inquiétude qui traversent l’Ancien et le Nouveau Testament trouvèrent de nouveaux échos d’Érasme à Pascal en passant par Luther et Campanella. Dans ses développements les plus poussés, le doute participa à l’émergence d’une vision du monde dont on constate qu’elle déborde, voire qu’elle sort du cadre de la religion. L’étude philologique et critique des textes antiques et bibliques, l’étude cosmologique, physique et mathématique du monde, philosophique et politique de l’action humaine, se poursuivit à l’époque moderne au côté mais aussi en surplus et même en dehors de l’étude métaphysique et théologique. Ce monde qui déborde du cadre de la religion, il fallait en découvrir le fonctionnement, en mesurer la part d’incertitude, afin de la réduire autant que faire se pouvait et afin de s’ajuster à ce qui s’imposait comme certain et à ce qui restait douteux. Les contributions réunies dans la troisième partie de ce volume éclairent encore, à partir du cas de l’Italie, tout à la fois cette place du doute dans le renouvellement de champs entiers du savoir et sa marque dans une culture de plus en plus largement partagée. Craig Martin propose une lecture parallèle de l’œuvre de Pietro Pomponazzi et de Niccolò Machiavelli. Si ces deux figures ont été associées au moins depuis le xvie siècle, principalement sur la base de leur prétendu soutien à la théorie de l’imposture des religions, Craig Martin suggère que les deux penseurs ont par ailleurs des idées similaires sur la fonction et l’usage de la religion. Une analyse attentive de leurs œuvres révèle des analogies surprenantes, qui sont en partie le fruit d’un climat culturel commun et en partie, peut-être, d’un lien direct. Pomponazzi fonde une grande partie de sa méthode sur le doute et une conscience aiguë des limites de la raison humaine. De même que Machiavel, il explore le thème des influences célestes sur la politique. Si l’un et l’autre avancent de forts doutes sur la chronologie biblique, tandis que Machiavel semble concevoir la politique en termes naturalistes, Pomponazzi introduit une forte composante historique dans ses écrits sur la philosophie naturelle. En particulier, dans son De incantationibus, Pomponazzi souligne l’importance de connaître l’historicité des phénomènes pour les expliquer philosophiquement. Pour les deux auteurs, cependant, la connaissance de l’histoire est cruciale pour modérer les doutes sur la réalité et offrir des éléments de compréhension concernant la marche de l’univers et l’action humaine.

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Les contributions de Paolo Procaccioli et de Marco Faini déplacent le discours sur le doute de l’espace philosophico-scientifique et religieux à un champ plus large. Tous deux montrent comment le thème du doute pourrait faire l’objet d’ouvrages non techniques, mais destinés à un large public de lecteurs non spécialistes. Dans ces textes, le doute devient une attitude avec laquelle il faut interpréter la réalité, une réponse aux circonstances et aux défis souvent tumultueux et instables du xvie siècle. Paolo Procaccioli propose un portrait d’Ortensio Lando, figure insaisissable de savant et « maître du doute » en Italie et en Europe dans la première moitié du xvie siècle, à partir en particulier d’une analyse des Quattro libri de dubbi (1552, 1556). Bien que Lando s’inscrive dans la longue tradition des livres de « questions » ou de « problèmes », qui remonte aux Problemata pseudo-aristotéliciens, et le fasse à la limite du plagiat, sa nouveauté consiste justement à passer du « problème » au « doute ». Il s’agit d’un passage important, mais également ambigu, lié à la personnalité d’Ortensio Lando, pour qui l’ambivalence, le paradoxe et la duplicité sont d’authentiques traits distinctifs. Auteur mystérieux aux intérêts culturels multiples, Lando exprime dans ses Livres de doutes, comme dans ses catalogues, une vision du monde basée sur le fragment, sur l’ambiguïté, sur l’impossibilité d’arriver à une synthèse des connaissances. En bref, pour Lando le doute constitue non seulement une technique littéraire, consciente et recherchée, mais aussi une stratégie existentielle. Dans sa contribution, Marco Faini pose la question de l’existence d’une iconographie du doute. La réponse à cette question est importante car elle permet d’évaluer plus précisément l’incidence réelle du thème du doute sur de larges couches de la population. Le doute était-il une expérience du quotidien, pouvait-on le voir représenté sur les murs d’une église ou dans les illustrations d’un livre ? Marco Faini explore ainsi la formation d’une iconographie du doute au xvie siècle et sa relation avec les définitions et les (pseudo)étymologies du « doute » fournies entre la fin du Moyen Âge et le début du xvie siècle. Il souligne le lien qui s’établit entre « doute » et « croisement », qui fonde les représentations allégoriques du doute que l’on retrouve plus tard chez Andrea Alciato ou Cesare Ripa. Marco Faini distingue entre les « histoires de doute » – épisodes célèbres, surtout religieux, illustrant des moments de doute – et les allégories ou les personnifications du doute. Bien qu’assez rares, ces dernières, que l’on retrouve chez différents écrivains – de Daniele Barbaro à Michel-Ange en passant par Teofilo Folengo – témoignent de la nécessité de donner forme à une catégorie problématique et inquiétante. Ces allégories, autant que les histoires de doute, rendaient compréhensibles des questions théologiques et philosophiques autrement difficiles d’accès pour les non lettrés.

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INTRODUCTION

Les contributions rassemblées dans ce volume n’épuisent évidemment pas le riche thème du doute dans la culture moderne. Cependant, il semble évident que la présence accrue de ce thème dans divers domaines de la connaissance, le fait même qu’il ait franchi les frontières de la théologie et de la philosophie pour déborder dans le monde de la littérature en langue vernaculaire, indiquent un moment de transition. La multiplication des discours sur le doute signale un moment de crise profonde et constitue le prélude d’une nouvelle culture. Récemment, Paolo Cherchi a suggéré que c’est dans l’Italie du début du xvie siècle que les graines d’une critique radicale de la culture furent semées, mais que ce ne fut qu’en France, à la fin du siècle et au début du xviie, que ces thèmes portèrent leurs fruits, précisément sous la forme d’une réflexion approfondie sur le doute, en particulier avec le cogito cartésien, qui ouvrit les « portes de la modernité »24. Non seulement le doute permit de repenser la relation entre l’individu et le monde, mais il apporta de nouvelles bases pour la connaissance et la science. Pour Cherchi, le doute ouvrit la voie à une refondation des disciplines – antiquarisme, philologie, historiographie, etc. – visant à surmonter la crise sceptique moderne, ce moment de défiance généralisée à l’égard autant des principes et des modes de la connaissance que des savoirs acquis. Au début de l’ère moderne, le doute semble bien avoir introduit des attitudes que nous pouvons retrouver dans le monde contemporain : le relativisme culturel ; la suspicion d’une information souvent surabondante et peu fiable ; un élément personnel dans l’adhésion aux croyances religieuses ; la prédominance de l’opinion dans l’espace public qui en découle. Pour cette raison, comme nous l’avons mentionné au début de cette introduction, l’approfondissement d’une histoire culturelle du doute, qui explore la présence de ce dernier à tous les niveaux dans les sociétés modernes, et notamment de la première modernité, nous paraît se présenter comme une tâche nécessaire. Nous espérons que ce volume sera un outil utile pour les universitaires de toutes disciplines qui souhaiteront également la poursuivre.

24 Paolo Cherchi, Ignoranza ed erudizione. L’Italia dei dogmi di fronte all’Europa scettica e critica (1500-1750), Padoue, Libreria universitaria, 2020, p. 89-110 : p. 110.

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1 Le doute : mises en perspective historique et disciplinaire

La vérité incertaine

La gestion du doute par le droit savant médiéval Corinne Leveleux-Texeira – Université d’Orléans, POLEN (EA 4710)

« En principe, le doute n’est pas compatible avec la décision de justice. En effet le juge ne peut, pour motiver sa décision, se fonder sur des motifs dubitatifs ou hypothétiques. Il ne lui est pas davantage possible de refuser de trancher le litige1 au prétexte que la vérité lui paraît inaccessible et incertaine2 ». Pourtant, le droit est loin d’ignorer le doute. Il le prend même explicitement en considération, notamment en matière pénale, et en use au bénéfice de l’accusé3. Au civil également, le douteux et l’incertain ne sont pas situés hors du champ des préoccupations des juristes. Mais précisément, si le doute est admis, connu et même utilisé par le droit, ce n’est pas pour persister à titre d’hypothèse mais pour disparaître au profit d’une décision. Comme le rappellent fort bien les magistrats de la plus haute instance judiciaire française, le bénéfice du doute a vocation à transformer la présomption d’innocence en vérité judiciaire : « Le bénéfice du doute est la conséquence opérationnelle de l’impossibilité, pour qui en a la charge, d’apporter la preuve de l’élément matériel ou de l’élément moral de l’infraction et d’emporter ainsi la conviction du juge répressif. L’innocence, n’est plus seulement présomption, mais devient vérité judiciaire. Puisque la preuve n’est pas faite de la culpabilité, la preuve est réputée faite de l’innocence.4 »

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Sauf à se rendre coupable d’un déni de justice, au sens de l’art. 4 du code civil : « Le juge qui refusera de juger, sous prétexte du silence, de l’obscurité ou de l’insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice. » 2 Cour de cassation, Rapport annuel 2012, La preuve dans la jurisprudence de la Cour de cassation, Paris, La Documentation française, 2013, p. 215. 3 Cf. art. 304 du code de procédure pénale : « Le président (des assises) adresse aux jurés, debout et découverts, le discours suivant : “Vous jurez et promettez d’examiner avec l’attention la plus scrupuleuse les charges qui seront portées contre X…, de ne trahir ni les intérêts de l’accusé, ni ceux de la société qui l’accuse, ni ceux de la victime ; de ne communiquer avec personne jusqu’après votre déclaration ; de n’écouter ni la haine ou la méchanceté, ni la crainte ou l’affection ; de vous rappeler que l’accusé est présumé innocent et que le doute doit lui profiter” ». C’est nous qui soulignons. 4 Cour de cassation, Rapport annuel 2012, op. cit., p. 215.

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Le doute est donc une sorte de front pionnier de la vérité, que l’activité juridique s’attache à faire reculer sans cesse davantage. Car la vérité est assurément la grande affaire du droit. On l’a souligné déjà : la justice tend à la manifestation de la vérité via l’administration de preuves convaincantes et une procédure qui cherche à sécuriser les assertions produites au cours de l’enquête. La relation entre droit et vérité embrasse en outre un domaine beaucoup plus large que la seule topique du procès. Ainsi, nombreuses sont les techniques et les règles juridiques qui s’efforcent par exemple de garantir la sincérité des transactions ou de promouvoir la transparence des informations, la publicité des contrats, l’authenticité des actes, la loyauté des preuves, la vérité biologique d’une filiation5. En complément, maintes dispositions ont été imaginées et mises en œuvre pour prévenir et réprimer l’altération, la dissimulation ou la falsification des actes, le travestissement ou la corruption des témoignages ou des données, le faux serment, la manipulation d’indices, la soustraction des preuves, etc. Cette connexion, sans doute consubstantielle au droit d’origine romano-canonique, n’est donc pas nouvelle, tout comme est ancien le discours tenu à son égard. Ainsi, dès les premiers Glossateurs, il était couramment admis que le droit devait être interprété «  selon la vérité6  » et qu’il pouvait à ce titre être assimilé à une entreprise de vérité7. Loin d’être une pétition de principe, cette affirmation synthétisait l’un des apports principaux de la grande révolution procédurale intervenue au mitan du xiie siècle et sur laquelle repose encore une grande partie du droit contemporain. Sur le continent européen8, sous le double effet d’un approfondissement de la réflexion théologique9 et d’un affinement des concepts juridiques10 À ce sujet, voir les observations formulées dans Cour de cassation, Rapport annuel 2004, La vérité, Paris, La Documentation française, 2005, p. 35-102. 6 Azo de Bologne, Brocardica, rubr. XIX, Jus interpretari circa veritatem, Naples, Giacomo Facchetti, 1568, f. 59v. 7 Dans laquelle le juge était lui-même qualifié d’inquisitor veritatis. 8 La logique est sensiblement différente sur les terres de common law. 9 Cf. Irène Rosier-Catach, La parole efficace. Signe, rituel, sacré, Paris, Seuil, 2004, p. 204. 10 En lien avec les relectures contemporaines du droit romain et la naissance d’une science romano-canonique. Par exemple Jacques Chiffoleau, « Le procès comme mode de gouvernement », conclusion à L’età dei processi. Inchieste e condanne tra politica e ideologia nel ’300, Atti del Convegno di Ascoli Piceno (30 novembre-1 dicembre 2007), Rome, Istituto storico italiano per il medioevo, 2009, p. 317-348 ; Julien Théry, « Les Albigeois et la procédure inquisitoire : le procès pontifical contre Bernard de Castanet, évêque d’Albi et inquisiteur (1307-1308) », Heresis, t. XXXIII, 2000, p. 7-48 ; id. « Une hérésie d’État. Philippe le Bel, le procès des ‘perfides templiers’ et la pontificalisation de la royauté française », dans Les templiers dans l’Aube, Troyes, Éditions Champagne Historique, 2013, p. 175-214 ; id. « Excès et affaires d’enquête. Les procédures criminelles de la papauté contre les prélats, de la mi-xiie à la mi-xive siècle. Première approche », dans Pathologie du pouvoir : vices, crimes et délits des 5

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l’enquête de vérité s’était en effet progressivement substituée au recours au rituel ordalique, majorant considérablement le rôle dévolu aux techniques d’investigation et à la recherche d’énoncés fiables. Plus largement, dans un régime chrétien qui identifiait Dieu à la vérité11, la référence au vrai possédait une puissance de mobilisation et une fonction légitimante considérables, au sommet des valeurs juridico-politiques. Est-ce à dire qu’une telle configuration ne laissait aucune place au doute ? Ou du moins que la place prise par l’exigence de vérité, dans la dynamique processuelle lancée au xiie siècle, marginalisait le doute dans des proportions telles que sa prise en considération devenait accessoire ? Ce serait aller beaucoup trop vite en besogne. D’abord en effet, même si elle est fondamentale, la relation entre droit et vérité n’est pas immédiate. Ainsi, depuis l’Antiquité il est couramment admis que le droit est avant tout un art de la distinction entre le bien et le mal, le juste et l’injuste (jus est ars boni et aequi12), et une technique de répartition équitable entre les membres du corps social (suum cuique tribuere13). Dans cette perspective, le droit ne se préoccupe pas de la vérité au premier chef comme d’une fin en soi mais comme d’un moyen pour parvenir à cette fin (la justice et la paix) et dans la mesure où la vérité constitue un opérateur de confiance sociale. L’optique juridique est essentiellement pratique et institutionnelle : la production d’actes, de récits ou de décisions suffisamment fiables pour susciter l’adhésion, la croyance, ou à défaut le moins de contestation possible. À ce titre, le sujet du doute ne saurait être totalement éludé, ne serait-ce que parce que son identification s’inscrit dans le processus de sécurisation du droit qui le rend socialement acceptable. Ensuite, certaines sources juridiques, en particulier les plus réflexives, affrontent la question du doute comme une donnée qui ne peut être mise de côté. C’est l’un des intérêts du détour par le droit savant. Ses auteurs, en effet, tiennent un discours qui se situe à un niveau « méta » par rapport à la pratique quotidienne des usagers de l’ordre juridique : leurs réflexions sont à l’interface de la théorie (qu’ils gouvernants, éd. par P. Gilli, Leyde-Boston, Brill, 2016, p. 164-236 ; Robert Jacob, La grâce des juges. L’institution judiciaire et le sacré en Occident, Paris, PUF, 2014, en particulier p. 277 sqq. 11 Jn. 14, 6. 12 Corpus iuris civilis, Digestum, 1, 1, 1, Ulpien : «  Est autem a iustitia appellatum : nam, ut eleganter Celsus definit, ius est ars boni et aequi. 1. Cuius merito quis nos sacerdotes appellet : iustitiam namque colimus et boni et aequi notitiam profitemur, aequum ab iniquo separantes, licitum ab illicito discernentes, bonos non solum metu poenarum, verum etiam praemiorum quoque exhortatione efficere cupientes, veram nisi fallor philosophiam, non simulatam affectantes ». 13 Corpus iuris civilis, Institutes, 1, 1 : «  Justitia est constans et perpetua voluntas jus suum cuique tribuendi. Jurisprudentia est divinarum atque humanarum rerum notitia, justi atque injusti scientia ».

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produisent) et de la pratique (dont ils sont souvent des acteurs). Leurs exposés sont autant de tentatives de rationalisation d’une réalité concrète, ce qui induit parfois une certaine tension herméneutique. Or ces juristes, même universitaires, ne sont pas des philosophes. Ils n’envisagent pas le problème de la vérité de façon radicale, comme un état ontologique, mais dans la mesure où sa prise en compte est susceptible d’avoir une incidence pratique sur leur activité professionnelle. S’ils considèrent cette matière c’est donc moins comme un absolu que comme une maxime d’action ou un objectif à atteindre. C’est la raison pour laquelle leurs exposés répondent à une double logique : d’abord, établir les conditions de production d’une vérité au sein d’un réseau d’hypothèses plausibles. La recherche d’une interprétation efficace passe ici par l’examen de notions et de situations qui gravitent autour du vrai dans des rapports qui peuvent être d’opposition, de proximité, de contradiction, de connexité. Pour autant, cette phase préalable d’élucidation ne suffit pas. S’y adjoint, dans les développements théoriques comme dans les consultations judiciaires, la volonté de parvenir à un résultat assuré et stable, soit en réduisant le doute, soit en le dépassant à l’aide de techniques juridiques appropriées – fiction, présomption. Les incertitudes de la vérité Les relations de la vérité et du droit, fondamentales pour l’ordre juridique, ont donné lieu à de très abondants développements théoriques (juridiques, moraux, religieux, philosophiques, anthropologiques, scientifiques) ainsi qu’à un grand nombre de techniques destinées à favoriser l’émergence du vrai (enquête, procédures d’authentification, autorité de la chose jugée, etc.) ou du moins à permettre un certain degré d’attestation (règles de preuve, encadrement des témoignages, serments, etc.). Dans le cadre de la présente analyse, il ne sera question ni de les présenter toutes ni d’en donner une vue générale, quand bien même elle resterait très vague. Pour autant, si le lien entre droit et vérité est de nature substantielle et si l’intensité de cette interaction n’a jamais été contestée par les juristes savants, en particulier au cours de la période médiévale, les modalités de cette relation ont pu varier, en fonction des transformations du paradigme de la vérité, notamment face à la construction d’une « vérité du droit » possiblement distincte de la « vérité des faits  ». Or, ces transformations, capitales, dont on relève des traces au tournant du xiie-xiiie siècle, n’ont pas manqué d’affecter la place et le rôle même du doute. Entre une vérité de plus en plus difficile à saisir et ses altérations (mensonge, erreur, faux…) aux effets variables et de plus en plus discutés s’ouvrait désormais une zone grise, propre aux incertitudes et aux interprétations.

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Construire le vrai A priori, l’éclat de la vérité est exclusif des tâtonnements du doute. Là où la vérité triomphe, le mensonge n’est pas de mise. Ainsi, comme le souligne Gratien dans la première moitié du xiie siècle, les Écritures (dans leur réception canonique) constituent la vérité révélée ; à ce titre, elles ne peuvent contenir aucun mensonge et c’est même sur cette incompatibilité radicale que se fonde leur autorité14. Dans cette perspective, le texte sacré est l’élément fiable sur lequel édifier une vision du monde et/ou une conduite de vie offrant peu de place aux oscillations de l’incertitude. C’est aussi le repère visible et stable permettant de séparer irrévocablement le vrai du faux, sans nuance intermédiaire. À ce titre, le silence ou l’occultation de la vérité suffisent pour commettre un mensonge15. La valeur éminente de la vérité, à l’égard de laquelle nul choix n’est permis et nulle hésitation possible, se fonde, en régime chrétien, sur la formule bien connue de l’Évangile de Jean identifiant Jésus au «  chemin, à la vérité et à la vie16  ». Longuement commentée par les Pères de l’Église, la phrase fut abondamment reprise par les canonistes qui en firent un usage polémique, en particulier contre la coutume17, dans le cadre de la querelle des investitures. À ce titre, comme l’écrit Florian Mazel dans une étude relativement récente18, il y a un « moment grégorien de la vérité » « d’une part parce qu’il promeut une forme d’absolutisation de la vérité […]. D’autre part, parce que ce moment favorise l’affirmation d’une vérité nouvelle que je désignerais, faute de mieux, au regard de la formalisation de ses affirmations, comme idéologique ». À côté de la vérité hypostatique du Christ et de la vérité judiciaire, les Grégoriens visent avant tout une vérité qui renvoie « aux principes, aux lois, à la doctrine de la papauté réformatrice et de la Sainte Église romaine. Cette redéfinition de la vérité […] en fait un instrument de l’autorité de 14 Corpus iuris canonici, Decretum Gratiani, D. 9, c. 5, « In scripturis canonicis mendacia non admittuntur ». D. 9, c. 7, « Nihil autoritatis canonicis remanebit scripturis si ad eas mendacia fuerint admissa ». 15 Ibid., C. 11, q. 3, c. 80 : « Uterque reus est et qui veritatem occultat et qui mendacium dicit, quia et ille prodesse non vult et iste nocere desiderat ». Hostiensis, sur Corpus iuris canonici, Liber extra, X, 2, 6, 5, Quoniam frequenter, no 9 : « Non solum qui mendacium dicit reus est sed et qui veritatem occulta » (In primum [-sextum] decretalium librum commentaria, Venise, Lucantonio Giunta, 1581, f. 25r). 16 Jn 14, 6. 17 Grégoire VII aurait en effet affirmé « Jésus n’a pas dit je suis la coutume mais je suis la vérité », Gerhart Lader, « Two Gregorian Letters. On the Sources and Nature of Gregory VII’s Reform Ideology », Studi Gregoriani, t. V, 1956, p. 225-242. 18 «  Vérité et autorité : y a-t-il un moment grégorien  ?  », dans La vérité. Vérité et crédibilité : construire la vérité dans le système de communication de l’Occident (xiiie-xviie siècles), dir. J.-Ph. Genet, Paris, Éd. de la Sorbonne, 2015, p. 323-348.

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l’institution ecclésiale en général et du pape en particulier19 ». Si la constitution de ce complexe a sans doute préexisté à la réforme grégorienne, il a très certainement été systématisé à l’occasion de celle-ci, favorisé par l’affirmation du pouvoir pontifical comme producteur de normes et comme seul interprète autorisé de celles-ci. Ce lien très fort entre vérité et autorité qui assimile possiblement le doute à une forme de contestation ne semble pas avoir été circonscrit au droit canonique. Sous réserve de vérifications ultérieures, il apparaît que les juristes de droit civil s’y soient également ralliés. De ce point de vue, on notera avec intérêt que la formule johannique est accueillie par les romanistes à l’appui de leurs démonstrations, pour fonder la force probante des écrits authentiques et la gravité de leur falsification20. Qu’elle soit sous-tendue par un schème idéologique ou « normalisée » dans un discours juridique plus technique, la relation à la vérité est de l’ordre d’un engagement radical21, sans solution alternative ou position intermédiaire. Entre la vérité et le mensonge, entre le vrai et le faux, il n’y a aucun espace commun, aucune conciliation possible : celui qui ne résiste pas à l’erreur l’approuve22, celui qui occulte la vérité est dans le mensonge23, celui qui doute s’est déjà écarté du droit chemin. Pour autant, à y regarder de plus près, et par-delà la vertu presque identitaire de la référence à l’évangile de Jean, le discours du droit apparaît beaucoup plus complexe et assume, de façon implicite ou explicite, l’existence de plusieurs « régimes de vérité24 », entre lesquels il est loisible de choisir et qu’il est parfois possible de révoquer en doute. En premier lieu, l’entreprise de Gratien lui-même est marquée par cette hésitation. Dès lors qu’elle se donne explicitement pour objet d’assurer la « concorde

19 Ibid. p. 347. 20 Par exemple, à propos de la Novelle 73 (Corpus iuris civilis, Novellae) qui s’efforce de porter remède à la falsification des actes publics, la glose ordinaire s’interroge en ces termes : « Qu’est-ce que la vérité? La réponse est Dieu lui-même. Car il est dit : “Moi je suis le chemin, la vérité et la vie”  » («  Veritas quid sit  ? Resp.  ipse Deus, unde dicit ego sum via, veritas et vita  ») sur Nov.  73, De instrumentorum cautela, coll. 6, 3, Corpus Iuris Civilis, Lyon, Jacques Cardon & Pierre Cavellat, 1627, col. 339, verbo Imitatio. 21 Par exemple Decretum Gratiani, C. 11, q. 3, c. 81, « Melius est autem pro veritate pati supplicium, quam pro adulatione beneficium ». 22 Ibid., D. 83, c. 3, « Qui non resistit errori consentit ». 23 Ibid., C. 11, q. 3, c. 80, « Uterque reus est et qui veritatem occultat et qui mendacium dicit, quia et ille prodesse non vult et iste nocere desiderat » ; Hostiensis, sur Liber extra, X, 2, 6, 5, no 9, « Non solum qui mendacium dicit reus est sed et qui veritatem occultat » (op. cit., f. 25r). 24 Cf. Michel Foucault, « La vérité et les formes juridiques », dans id., Dits et écrits, t. 2 : 19761988, dir. D. Defert et Fr. Ewald, avec la collaboration de J. Lagrange, Paris, Gallimard, 1994, p. 538-588, cité par Fl. Mazel, « Vérité et autorité », art. cit., p. 347.

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des canons discordants » et donc d’assurer la mise en cohérence d’une tradition souvent contradictoire, elle présuppose qu’un certain degré d’incertitude est lié à la pluralité des solutions morales et/ou juridiques produites par les autorités. Ce sont ces discordances qui justifient l’œuvre du canoniste bolonais et de son équipe, car ce sont elles qui dessinent des marges d’interrogations, font naître le doute, ouvrent un espace à l’interprétation et donc à l’affirmation dialectique d’une nouvelle autorité. Malgré la vérité substantialisée du texte scripturaire initial, la tradition qui s’en nourrit, en démultipliant les commentaires, a suscité une forme d’opacité et ouvert la voie aux inquiétudes herméneutiques. En second lieu et surtout, entre la fin du xiie siècle et le début du xiiie siècle se fait jour une conception ouvertement plurielle de la vérité qui déplace la perspective de l’objet (le vrai) à son interprète. Ainsi, au milieu du xiiie siècle, commentant deux passages des Décrétales de Grégoire  IX relatifs au scandale25, le grand canoniste Henri de Suse dit Hostiensis († 1271) expose une division tripartite de la vérité appelée à une belle postérité. Selon lui, la vérité peut s’entendre de la vie, de la doctrine et de la justice. La vérité de la vie appartient à tous et doit toujours être recherchée, même au prix du scandale. La vérité de la doctrine appartient aux prélats, la vérité de la justice aux juges. Si cela est nécessaire pour éviter un scandale, ces deux dernières vérités peuvent être « omises » ou « dissimulées » et voir leur expression « différée » – mais non « pervertie26 ». Sans entrer dans le détail de cette démonstration et sans évoquer la genèse d’une telle position, la proposition d’Hostiensis traduit au moins deux déplacements majeurs par rapport à la version « absolutisée » de la vérité qui tendait à prévaloir dans la tradition antérieure. D’abord la notion est particularisée, qualifiée, et divisée en plusieurs espèces hiérarchisées entre elles. Ensuite et surtout « la » vérité n’est plus un horizon indépassable qui ruine a priori toute possibilité d’écart, de résistance ou d’hésitation. Elle devient désormais un sujet de discussion, de décision et même de négociation. En d’autres termes, cette vérité, partiellement désusbtantialisée n’est plus incompatible avec le doute dont elle peut, parfois s’accompagner. Dès lors qu’elle n’apparaît plus comme un absolu à atteindre mais comme une proposition à construire, notamment avec le renfort d’un appareillage institution25 Respectivement Liber extra, X, 1, 9, 10, Nisi cum pridem et X, 5, 41, 3, Qui scandalizaverit. 26 Hostiensis, sur Liber extra, X, 1, 9, 10, no 66, « Et quamvis triplex veritas scilicet vitae et doctrinae et justitiae, de quibus noto infra de regulis iuris, qui scandalizaverit [X, 5, 41, 3], non sit propter scandalum relinquenda, ut ibi. Subaudiendum est omnino, vel in toto. Nam et si veritas vitae nulla sit ratione dimittenda vel differenda, puto tamen quod alia duplex, scilicet doctrinae et justitiae aliquando ex justa causa sit dissimulanda, vel etiam differenda, numquam tamen pervertenda » (op. cit., f. 92r).

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nel de plus en plus puissant27, la question du doute, de résiduelle, devient centrale et requiert toute l’attention de l’ordre juridique pour être convenablement traitée. D’autant qu’à l’érosion du vrai répond en parallèle la dissolution du faux. Douter du faux La question du faux présente logiquement dans les sources juridiques des caractéristiques communes avec celles de la vérité. Pour simplifier, deux positions théoriques sont tenables et ont été effectivement tenues : soit le vrai et le faux se situent dans un rapport d’opposition exclusif, soit ils entretiennent un lien de connexité rendant possible qu’une chose soit simultanément vraie et fausse. La première de ces positions est clairement synthétisée par Balde († 1400). À propos d’une affaire où les dépositions des témoins étaient en contradiction avec le contenu d’un acte, il affirme : Entre le vrai et le faux il n’y a pas de milieu, car la fausseté n’est rien d’autre que la mutation de la vérité, comme cela est allégué au début de l’Authentique De tabellionibus28 et la vérité, donc, consiste en ce que la chose soit telle que l’on dit qu’elle est. Il est par conséquent établi, en nature et en raison, qu’une chose contradictoire ne peut pas être en même temps vraie. De même pour ces témoins si leur déposition est vraie, l’instrument doit être dénoncé […] et à l’inverse, si l’on présuppose que l’instrument est vrai, les témoins doivent être dénoncés comme faussaires et punis comme tels, en vertu de la loi Cornelia de falsis29, ou par la peine prévue au statut municipal30. 27 C’est par exemple tout l’enjeu de l’autorité de la chose jugée, qui attache la vérité non aux faits eux-mêmes mais à l’épuisement des voies de recours, c’est-à-dire à un motif d’ordre procédural justifié par l’impératif supérieur de sécurité juridique. 28 Nov. 44, Auth. [Authenticum] 4, 7. 29 Cette loi s’est perdue, mais le contenu en est connu grâce à diverses autres sources. Cf. notamment Institutes, 4, 18 et Paul, Sententiarum receptarum libri quinque qui vulgo Iulio Paulo adhuc tribuntur, Rivista di Diritto Romano, I, 2001, p. 1-34: p. 20 : (consulté le 20/10/2021). 30 Balde, Consiliorum sive responsorum volumen primum, Venise, héritiers d’Alessandro Paganini, 1609, t. I, f. 16r, Consilium 54, no  2 : «Nam inter verum et falsum nullum est medium : quia falsitas non est aliud nisi mutatio veritatis, ut in Aut. de tabellionibus in principio ; veritas autem non est aliud nisi quod res ita sit, ut dicitur. Constat autem naturaliter et per punctum rationis contradictoria non esse simul vera, ut ff. pro suo, l. si ancillam [Digestum, 41, 10, 4]. Item, per hujusmodi testes si deponeretur verum, reprobaretur instrumentum, ut Extra de fide. instrum. C. cum Ioannes Eremita [Liber extra, X, 2, 22, 10]. Ergo contra, ex quo praesupponitur instrumentum verum per instrumentum, reprobantur testes tanquam falsarii : igitur puniendi sunt poena legis Corneliae de falsis [la peine de mort ou la déportation], vel poena statuti municipalis, ut l. 1, ff. ad legem Corneliam de falsis [Digestum, 48, 8, 1] ».

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On retrouve ici la conception d’une vérité substantielle, envisagée comme seule référence possible et décrite dans un vocabulaire emprunté à la logique et au principe du tiers exclu. Si le doute est possible dans une telle configuration, il est en quelque sorte antécédent à l’analyse. La tâche du juriste, qui relève de la déduction et du constat, permet d’y mettre un terme, non pas en choisissant la meilleure option selon un critère stratégique de préférence, mais en révélant laquelle est la seule envisageable, selon un impératif de congruence. En réalité, il s’en faut de beaucoup qu’une telle présentation corresponde au cadre opérationnel de pensée des juristes du xive siècle, tout particulièrement des civilistes. Balde lui-même n’y adhère pas et après avoir mentionné l’exigence logique de non-contradiction, poursuit tranquillement ses développements par une analyse juridique qui en prend le contre-pied31. La plupart des auteurs se rallient donc à une autre conception du faux, beaucoup plus nuancée et relative, dont Bartole († 1356) donne un bon aperçu : Il faut savoir ce qu’est le faux. Or, bien que la loi32 dise que le faux n’est rien d’autre que l’altération de la vérité, comme on le voit au début de l’Authentique De instrumentorum cautela et fide33, et que les dialecticiens soutiennent également que tout ce qui n’est pas vrai est faux, cependant, selon les légistes, ces affirmations ne sont pas exactes puisque tout ce qui n’est pas vrai n’est pas faux ; [pour qu’il y ait fausseté] on requiert également qu’un dol soit commis, comme le veut le Code au titre de falso, lex nec exemplum [C. 9, 22, 20]. De même tout ce qui ne dit pas vrai, même de manière dolosive, ne commet pas le faux, comme le précise la loi quid sit falsum au Digeste [D. 48, 10, 23] et le texte de l’authentique précitée, ce que l’on doit comprendre comme signifiant que [le faux se commet] par dol et avec le concours d’autres qualités requises par la loi, ainsi que le prouve la dite loi quid sit falsum34.

31 Elle aboutit à disculper les témoins tout en « sauvant » l’acte à propos duquel ceux-ci avaient déposé, au prix d’un certain nombre de contorsions rhétoriques. Ce découplage entre vérité et fausseté est d’ailleurs l’objet d’une longue démonstration assez complexe (Balde le reconnaît lui-même : « Dimittamus istas allegationes subtiles et scabrosas, Consilium 54 » (ibid.), f. 16v, no 4), fondée sur une série de distinctions (comme celle du fait et du mode ou de la simulation et de la fausseté, par exemple). 32 Il s’agit là du droit romain (cf. les références données supra aux Novelles et au Digeste). 33 Nov. 73 ou Auth. 6, 3. 34 Consilia, questiones, tractatus Bartoli, Lyon, Nicolas Petit & Hector Penet, 1535, f. 51v, Consilium 199, no 1 : « Est sciendum quid sit falsitas, et licet lex dicat quod falsitas nihil aliud est quod immutatio veritatis, in aut. de instru. et caut. [Nov. 73 = Auth. 6, 3] et etiam Dyalectici dicunt quod non omne non verum est falsum sed requiritur dolus in committente, ut C. de fal. l. nec exemplum [C. 9, 22, 20]. Item non omnis non dicens verum, etiam dolose dicitur committere falsum, ut l. quid sit falsum ff. de fals. [D. 48, 10, 23] text. in d.

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En conséquence, pour qu’une chose soit qualifiée de fausse, il ne suffit pas qu’elle ne soit pas vraie. Cette simple proposition emporte au moins trois effets majeurs. En premier lieu, elle induit que le faux constitue en soi un objet juridique à part entière, non seulement distinct de la définition qu’en donnent les logiciens, mais encore irréductible à un simple défaut de vérité. En second lieu, le rapport qui articule vrai et faux relève moins de la contradiction que de la connexité. Une chose, sans être vraie, peut ne pas être fausse (et réciproquement). La notion de vraisemblance rend assez bien compte de cette situation intermédiaire qui ouvre la voie à l’interprétation et au doute, dans la mesure où « ce qui est éloigné de la vraisemblance constitue une sorte d’image de la fausseté 35 ». Enfin, tout comme le vrai, le faux est désubstantialisé et relève, pour partie, de l’appréciation autorisée portée sur lui pour le qualifier comme tel. Tout comme la vérité peut être « écartée » si nécessaire, le faux doit être passé au crible de l’appréciation experte du juriste qui interprète une situation plus qu’il ne constate un faux en quelque sorte préconstitué. Or, ce jugement qualificatif n’est pas encadré par des règles immuables qui détermineraient un résultat certain : il s’effectue au contraire dans le cadre d’un processus dynamique qui accorde une large part à des considérations d’opportunité et qui n’est donc nullement exclusif du doute. Les développements de la réflexion juridique, d’ailleurs largement nourrie des progrès de la philosophie scolastique, ont donc abouti à une relativisation de la vérité comme de la fausseté, ouvrant largement l’espace à l’habileté de l’interprète comme à la possibilité du doute, au risque de fragiliser l’édifice des décisions prises. C’est probablement la raison pour laquelle, en parallèle de ce double processus de déconstruction, la fin du Moyen Âge a vu se renforcer des stratégies de réassurance, destinées à réduire la part du doute et donc à favoriser ou à conforter la croyance des sujets de droit dans le bon fonctionnement de l’ordre juridique. Le droit comme technique de sortie du doute La vocation propre du droit est de qualifier des actes, de sécuriser des situations et de produire des décisions. C’est pourquoi, bien que construit comme discours de vérité, le droit médiéval n’est pas avare de mécanismes fictionnels, de présomptions auth. [Nov. 73] debet intelligi si fiat dolo et adsint aliae qualitates quae requiruntur a lege, ut probatur in d. l. quid sit falsum [Digestum, 48, 10, 23] ». 35 Jason de Mayno, Consiliorum sive responsorum iuris, volumen III et IV, Francfort, Feyerabend, 1609, p. 586, Consilium 168, no 6 : « Illud quod est valde remotum a verisimili est quaedam falsitatis imago ». Cf. aussi Aymon Cravetta, Consilia, sive responsa, Lyon, Charles Pesnot, 1579, p. 79, en particulier Consilium 28, no 1 sqq.

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définitives, d’adages régulateurs destinés à sortir des incertitudes du réel et à lever, lorsqu’il en est besoin, les aléas du doute. En présence de situations complexes ou de témoignages contradictoires, les juristes, à l’aide des outils à leur disposition, s’attachent à construire une décision judiciaire incontestable ou une consultation convaincante. D’une certaine manière, une bonne partie de la procédure peut être comprise, sinon comme un mode de construction de la vérité, du moins comme le seul moyen de la rendre pleinement intelligible au droit. Jusqu’à ce qu’une opération volontaire de jugement émanant d’une instance juridiquement habilitée vienne dissiper les doutes et mettre un terme aux hésitations, la vérité humaine apparaît souvent suspendue dans une sorte d’entre-deux indécis. Par exemple, une technique comme la prescription permet de clarifier artificiellement des situations douteuses par écoulement d’un délai préfix. De même, l’épuisement des voies et des délais de recours a pour effet de stabiliser une décision de justice et, en la rendant définitive, d’imposer une vérité institutionnelle erga omnes. Dans cette optique, une bonne partie du droit, et pas seulement celui qui concerne les modes de preuve36, peut être envisagée comme une technologie de sortie du doute. Face à l’immensité des questions à aborder, nous nous contenterons d’une approche globale visant à identifier les deux modalités principales de gestion du doute, soit par son élimination radicale, soit par sa marginalisation relative. L’élimination du doute : fiction et présomption Fiction et présomption sont deux techniques juridiques destinées à fournir un cadre opératoire à l’action, lorsque la vérité d’un fait, d’un acte ou d’une situation est soit irrecevable (car lésant un intérêt que l’on souhaite protéger) soit impossible à connaître avec certitude. Quels que soient les mécanismes qu’elles mettent en œuvre, elles permettent de sortir du doute, soit par l’élaboration d’une vérité « alternative », soit par l’identification d’une vérité probable toutes deux lestées du poids de la reconnaissance juridique. Plus précisément, la fiction consiste à sortir de la « tyrannie des faits » pour considérer comme existante une situation manifestement contraire à la réalité et opérer ainsi une substitution du construit au donné. L’ampleur du déplacement produit par une telle substitution peut varier considérablement selon qu’un lien préexistant unisse ou non la vérité à ce qui en tient lieu. Parfois, ce déplacement est

36 Cf. les synthèses de Jean-Philippe Lévy, La hiérarchie des preuves dans le droit savant du Moyen Âge depuis la Renaissance du droit romain jusqu’à la fin du xive siècle, Paris, Sirey, 1939 et d’Yves Mausen, Veritatis adiutor. La procédure du témoignage dans le droit savant et la pratique française (xiie-xive siècles), Milan, Giuffrè, 2006.

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minime : lorsque la glose souligne que « la vérité tacite est tenue pour expresse37 », elle reste dans l’ordre du vraisemblable et ne modifie la vérité initiale que dans des proportions négligeables. Elle se contente en fait de la prolonger en la dotant d’une forme juridique efficace (seule une veritas expressa peut produire des effets de droit). Parfois, la translation de sens est plus sensible et laisse deviner la part d’arbitraire qui a présidé à sa mise en œuvre. L’assimilation de la réputation à la vérité, par exemple, ne peut se faire qu’au prix de l’acceptation d’une certaine marge d’erreur que ne suffisent pas à faire disparaître l’évocation du temps écoulé ou l’accord de la multitude38. De même, soutenir que la chose jugée doit être tenue pour la vérité39 érige en norme la confiance sociale dont la juridiction qui a rendu le jugement est investie. Dans ces deux cas, il s’agit de passer du douteux au certain par une opération volontaire qui néglige la dimension conjecturale du réel au profit d’une assurance institutionnelle jugée seule capable de créer de l’adhésion ou du sens commun. Le mécanisme est ici moins intellectuel et cognitif que social et même politique40. Il trouve son expression rhétorique dans des formules comme le latin tenetur ou le français « comme si » qui traduisent formellement l’artifice, c’est-àdire l’absence de correspondance rigoureuse entre le fait et le droit. D’autres équivalences marquent encore plus profondément leurs distances avec la situation concrète qu’elles prétendent remplacer, notamment lorsqu’elles font intervenir le mécanisme de la rétroactivité41. Ces variations d’intensité dans la distorsion délibérée du réel permirent aux juristes du début du xiiie siècle de clairement distinguer la présomption de la fiction. Alors que la première n’est qu’une extrapolation du plausible, la seconde tourne délibérément le dos à la réalité. Voici ce que dit le docteur orléanais Jacques de Révigny de la fiction romaine du postliminium par laquelle un 37 Sur C. 1, 22, 3, vo «  Puniri, Veritas tacita pro expressa habetur  » (Accursius, Glossa in Digestum vetus, Venise, Battista Torti, 1488, f. 29v). 38 Balde, Consilium 84, no 2, vol. 1 (Consiliorum sive responsorum, vol. 1-5, Venise, Francesco De Franceschi et al., 1575, vol. 6, Girolamo Polo, 1576, t. I, f. 28), « Nam longa et tenax populi, seu reipublicae memoria pro veritate habetur ». 39 Par exemple Hostiensis, sur Liber extra, X, 2, 6, 5, no 35, « Res judicata pro veritate accipitur », ou X, 2, 27, 13, no 12, « Et sic res judicata pro veritate accipitur » (op. cit., f. 160v). 40 Que l’on songe par exemple à la fiction qui veut qu’une décision prise à la majorité soit plus rationnelle. 41 Ainsi, dans l’hypothèse d’un mariage subséquent légitimant des enfants avec effets rétroactifs. Voir notamment Anne Lefebvre-Teillard, « L’effet rétroactif de la légitimation en droit canonique », dans Les temps et le droit, Actes des journées internationales d’Histoire du Droit (Nice, 25-28 Mai 2000), Nice, Serre, 2002, p. 25-35 ; ead., « De la rétroactivité à la fiction. Notes sur la légitimation par mariage subséquent en droit canonique », dans A Ennio Cortese : Scritti, promus par D. Maffei et éd. par I. Birocchi et al., t. II, Rome, Il cigno Galileo Galilei, 2001, p. 224-235.

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citoyen « réduit en esclavage du fait de sa captivité chez l’ennemi se trouvait rétroactivement considéré comme libre au retour de cette dernière42 » : Tu dois savoir en quoi diffèrent la présomption et la fiction. La présomption intervient en cas de doute, mais la fiction intervient dans un cas certainement contraire à la vérité. De sorte que si tu as été capturé par les ennemis et que tu es rendu à ton pays, le droit du postliminium feint que tu es resté dans ta cité. Et il est certain que c’est le contraire43.

Avec la présomption le doute est dépassé. Avec la fiction il n’est même plus possible et c’est cette prise de contrôle sur le réel qui manifeste la puissance créatrice du droit. Ce qui justifie, in fine, que l’on préfère le substitut à la matière première, ce n’est pas sa ressemblance initiale avec celle-ci, c’est l’investiture institutionnelle qui le rend apte à opérer dans la sphère juridique. La valeur de la fiction gît tout entière dans sa validation44. Quant à son utilité pratique, elle tient à la plasticité de sa mise en œuvre, caractéristique de sa nature d’artefact. La forme qui lui est délibérément donnée est censée favoriser une clarification des rapports de droit ou la résolution de situations incertaines par l’adoption d’une solution définitive. La nature a horreur du vide et le droit a horreur du doute. Les caractères propres du commerce juridique rendent impérieuse l’exigence de clarté et de certitude. Plutôt que de pérenniser une ambiguïté ou une vérité peu assurée, la règle de droit, la décision du juge ou le recours à une fiction permettent de trancher le nœud gordien de l’équivoque45 et de sortir de l’inaction par la répudiation déterminée de toute perplexité. Côté présomptions, un cas intéressant est celui de l’erreur commune qui fait le droit : error communis facit ius. L’adage est paradoxal puisque, selon le sens commun, l’erreur fait obstacle à la vérité. Pourtant, le droit médiéval, à la suite du droit romain, considère que l’erreur, si elle est largement partagée peut s’imposer malgré 42 Franck Roumy, L’adoption dans le droit savant du xiie au xvie siècle, Paris, LGDJ, 1998, p. 123. 43 Lectura super codice, ad C. 4, 19, 16, cité et traduit par F. Roumy, op. cit., p. 123. C’est nous qui soulignons. Voici le texte original : «  Debes scire quod differt presumptio et fictio. Presumptio est in casu dubii, sed fictio est in casu certo contraria veritati. Verbi gratia, fuisti captus ab hostibus, redis ad terram tuam, jus postliminii fingit te fuisse in civitate et certum est contrarium » (Paris, 1519, f. 180). 44 Pour une bonne approche de la question, voir Les fictions en droit. Les artifices du droit : les fictions, Actes du colloque du 20 Mai 2014, éd. par A-Bl. Caire et M. Bassano, Paris, LGDJ, 2015. 45 Sur ce point, la présente analyse diffère quelque peu de celle qui est retenue par F. Roumy dans son étude (op. cit.). Celui-ci fait en effet de la « figure de vérité » la source de légitimité de la fiction (p. 130). Elle n’en est selon nous que l’une des conditions, l’essentiel étant l’habilitation institutionnelle, elle-même assujettie à l’exigence d’efficacité pratique. La question de la vérité est donc ici très marginale.

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sa fausseté et même produire du droit. C’est le fondement de la théorie de l’apparence46. Le casus qui lui sert de point de départ est rapporté par Ulpien et repris au Digeste. C’est la célèbre Lex Barbarius47 : Barbarius Philippus était esclave et s’était enfui de chez son maître ; il demanda la préture à Rome et fut désigné comme préteur. Pomponius est d’avis que sa condition d’esclave ne l’a point empêché d’être préteur, car enfin, dans la vérité, il a rempli les fonctions de la préture. Voyons cependant ce que l’on peut dire des édits et des décrets pris par un esclave, aussi longtemps qu’il a exercé la préture et qu’on a ignoré sa condition. Doit-on les regarder comme nuls ou sont-ils valables à cause de l’utilité publique, pour ceux qui ont porté leur cause devant lui, comme il était ordonné ou par la loi ou par une autre espèce de droit ? Je pense qu’on ne doit rien rejeter de ce qu’il a fait48.

Ce passage a été maintes fois commenté par les Glossateurs, dans le sens d’une assimilation pure et simple de l’erreur commune à la vérité49. Afin de ne pas ruiner la confiance publique en menaçant la sécurité des transactions juridiques, les actes produits sous l’empire d’une erreur commune ne doivent pas être mis en cause. Ce n’est pas une question de justice mais d’efficacité et même d’utilité publique. Le vice de forme dont l’acte est entaché ne doit pas l’empêcher de produire ses effets car le coût social de son anéantissement serait supérieur au coût moral de sa contestation. Ainsi, la vertu du consensus substitue la vérité juridique à la réalité matérielle, couvrant l’erreur des uns, validant le mensonge des autres, mais surtout prévenant l’irruption du doute au sein de l’instance détentrice de l’autorité et productrice des normes50. Le soupçon détruit inexorablement la force de l’autorité publique. Le droit fabrique donc sa propre vérité. Mais il veille aussi à limiter au maximum ce qui peut en affecter l’efficience, en s’attachant à réduire au maximum l’espace occupé par le doute.

46 Sur ce sujet, on ne peut que renvoyer à l’ouvrage important de David Deroussin, Le juste sujet de croire dans l’ancien droit français, Paris, De Boccard, 2001, notamment, p. 33 sqq. 47 Ibid., p. 33. 48 Digestum, 1, 14, 3, Barbarius. C’est nous qui soulignons. 49 Par exemple, Balde, In primam Digesti veteris partem commentaria […], Venise, Lucantonio Giunta, 1599, vol. 1, f. 52v, sur Digestum, 1, 14, 3 : « Error communis habetur pro veritate et sicut veritas facit ius, sic et error communis ». 50 À cet égard, le fait que la réflexion sur l’erreur commune se soit nouée à propos de l’exercice d’une magistrature publique n’est bien sûr pas indifférent. Ce n’est pas l’erreur en tant que telle qui est visée ; c’est son interface sociale et politique qui est protégée. Or, la magistrature est précisément au cœur de la dynamique de publicisation de la norme.

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La marginalisation du doute Le travail des juristes est de veiller à la dissipation des doutes, ou, à défaut, à la relégation de ceux-ci, de sorte que la perturbation qu’ils sont susceptibles de produire sur le système soit la plus limitée possible. Une excellente illustration de ce principe est fournie par Albéric de Rosate († v. 1360) dans son célébrissime Dictionnaire de droit51, qui a le mérite de synthétiser les opinions dominantes chez les grands juristes des xiiie-xive siècles, sans faire preuve d’une grande originalité. Après avoir affirmé que « le doute et l’obscurité doivent être évités », le docteur italien précise la conduite à tenir lorsque, dans un procès, des éléments incertains peuvent faire obstacle à la manifestation de la vérité et à la prise de décision : D’abord, en cas d’hésitation, l’interprétation des faits douteux doit toujours être favorable à l’accusé. Ensuite, il est parfois opportun de distinguer entre plusieurs situations plus ou moins susceptibles de paralyser le jugement du tribunal. Seules les plus graves doivent entrainer la suspension du processus judiciaire. Ainsi, lorsque le doute est généralisé, et qu’il porte à la fois sur les personnes, le droit et les faits. En revanche, s’il ne porte que sur les personnes, mais que le droit et les faits sont certains, un jugement peut malgré tout être rendu. Si l’interrogation se porte sur les faits, mais que les personnes sont bien identifiées et le droit connu, on ne peut rendre une décision assurée. Enfin, si seul le droit fait débat, mais que les personnes et les faits ne font l’objet d’aucune incertitude, il conviendra de consulter les Écritures et les « anciens de la province ».

Le caractère un peu sommaire du propos ne doit pas dérouter : ce dont il est question ici c’est d’un traitement ordonné du doute qui permet d’en minorer la portée lorsque sa présence ne peut être préalablement écartée dans le processus de prise de décision juridique. Dans l’interprétation, l’essentiel est en effet de préserver le principe fondamental d’operabilitas52 et d’efficacité du droit. Même lorsque la vérité est incertaine, le droit doit se frayer un chemin. Plus précisément, la seule hypothèse, peu vraisemblable, où le doute paralyse complètement l’action en justice est celle de sa généralité : lorsque l’on n’est sûr de rien, ni des personnes concernées, ni des faits en cause, ni du droit allégué, il convient de ne rien faire car il n’existe alors 51 Dictionarium iuris utriusque tam ciuilis, quam canonici, Venise, Societas Aquilae se renovantes, 1581, voix Dubium. 52 Cf. Mario Sbriccoli, L’interpretazione dello statuto, Milan, Giuffrè, 1969 ; Corinne LeveleuxTeixeira, « Lex inutilis. Brèves remarques sur l’operabilitas dans la doctrine juridique médiévale (xiiie-xvie siècles) », dans Normes et normativité. Études d’histoire du droit rassemblées en l’honneur d’A. Rigaudière, éd. par C. Leveleux-Teixeira et al., Paris, Economica, 2009, p. 77-96.

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aucune prise sur laquelle bâtir l’édifice de la vérité judiciaire. Dans tous les autres cas de figure, la justice peut être rendue : le droit est une équation soluble même si elle comporte plusieurs inconnues. Au demeurant, la prise en compte du doute est d’emblée intégrée au procès sous la forme d’une maxime incontestable : « le doute doit profiter à l’accusé ». L’assertion, liminaire, n’est pas anodine, puisqu’à défaut d’annihiler les scories de l’incertitude, elle se propose d’en contrôler par avance les effets. Ainsi, le doute devient lui-même un outil au service de la définition juridictionnelle de l’indubitable. C’est d’ailleurs l’une des vertus propres des regulae iuris53, ces brèves maximes censées faciliter le travail herméneutique des juristes, que de proposer, en cas de doute, une sorte de prêt-à-porter intellectuel apte à dépasser les intermittences du jugement et les hésitations de l’interprète. Dans une forme brève, facile à mémoriser, elles offrent des instruments éprouvés pour sélectionner l’information pertinente, lire une situation, choisir une option entre plusieurs possibles et orienter le jugement dans un sens conforme à la doxa juridique dominante. Ces regulae ne sont pas des vecteurs de créativité mais des outils d’efficacité et des guides d’action relativement sûrs car parfaitement reproductibles. La vérité du droit n’est pas prophétique ou poétique. Elle ne procède ni du hasard, ni de l’inspiration, ni d’une illumination. Elle est le résultat d’une mécanique intellectuelle dont on peut conforter ou orienter la disposition mais dont la vertu première est avant tout d’apporter une réponse précise aux questions posées par le réel. Sans chercher à multiplier les exemples, notons que la réduction du doute peut également passer par l’élaboration de dispositifs encore plus radicaux, appelés « présomptions de la loi », qui sont autant d’opérateurs de certitudes, investis cette fois de toute la force de l’autorité normative. Donnons-en un exemple, avec la catégorie des suspects, telle qu’elle a été prise en charge dans le cadre de la lutte contre l’hérésie, là encore au tournant des xiie-xiiie siècles. La suspicion constitue une disposition subjective parfois difficile à justifier et en tout cas toujours variable d’un individu à l’autre. La réglementation canonique visant à défendre l’orthodoxie s’attacha donc à l’identifier avec un certain nombre d’hypothèses caractérisées, comme la fama54 – la réputation – d’un lieu ou d’une personne. 53 Sur ce sujet, voir notamment David Deroussin, « Remarques sur les regulae iuris et les principes en droit (Temps Modernes)  », Revue historique de droit français et étranger, t. XC, 2012, p. 195-236 et Pouvoir des formes, écriture des normes. Brièveté et normativité (Moyen Âge / Temps Modernes), éd. par L. Giavarini, Dijon, Éditions universitaires, 2018. 54 Sur la fama, voy. Claude Gauvard, « De grace especial ». Crime, État et société en France à la fin du Moyen Âge, Paris, Publications de la Sorbonne, 1991, 2 vol. ; ead., « La fama, une parole fondatrice », Médiévales, t. XXIV, 1993 (La renommée), p. 5-13 ; ead., « Rumeur et stéréotype

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Ainsi, en vertu de la constitution ad abolendam du concile de Vérone55, une mauvaise fama suffisait à déclencher l’enquête de l’évêque et la collecte des témoignages de personnes dignes de foi56. Outre la fama, plusieurs comportements étaient considérés comme constitutifs d’indices d’hérésie, suscitant le doute et la suspicion à l’égard de leurs auteurs : l’assistance à des «  conventicules secrets  », «  l’éloignement par rapport à la vie et aux mœurs des fidèles », le refus de prêter serment et, plus largement, le défaut de collaboration avec les organes de l’inquisition57. Mais, et c’est sur ce point que nous entendons insister, le droit canonique élabora même une présomption légale d’hérésie au travers de la contumace en matière de foi. Cette notion fut définie par une décrétale d’Alexandre IV en 125858 et visait une personne, déjà suspecte d’hérésie qui ne répondait pas à la convocation de l’inquisiteur pour se justifier. La contumace dûment constatée entraînait l’excommunication mais surtout ajoutait une présomption véhémente d’hérésie au soupçon initial59. Si, après un an, rien n’était fait pour lever cette présomption, le suspect était automatiquement considéré comme un hérétique avéré. Ainsi, pour des raisons d’ordre public religieux, la suspicion ne pouvait être durable en matière d’hérésie, le doute ayant vocation à être levé au plus vite pour prévenir tout risque de contamination supplémentaire. Les questions de foi ne se

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à la fin du Moyen Âge », dans La circulation des nouvelles au Moyen Âge, xxixe congrès de la SHMESP (Avignon, 1993), Paris, Éd. de la Sorbonne, 1994, p. 157-177 ; ead., « Fama », dans Dictionnaire du Moyen Âge, éd. par Cl. Gauvard, A. de Libera et M. Zink, Paris, PUF, 2002, p. 515 ; Francesco Migliorino, Fama e infamia : problemi della società medievale nel pensiero giuridico nei secoli xii-xiii, Catane, Gianotta, 1985 ; Julien Théry, « Fama : l’opinion publique comme preuve judiciaire. Aperçu sur la révolution médiévale de l’inquisitoire (xiie-xive siècles) », dans La preuve en justice de l’Antiquité à nos jours, éd. par Br. Lemesle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2003, p. 119-147 ; Corinne Leveleux-Teixeira, « Fama et mémoire de la peine dans la doctrine romano-canonique (xiiie-xve siècles », dans La peine. Discours, pratiques, représentations, éd. par J. Hoareau-Dodineau, P. Texier et J.-M. Carbasse, Limoges, Presses Universitaires de Limoges, 2005, p. 45-61 ; Jacques Chiffoleau, « Ecclesia de occultis non judicat ? L’Église, le secret, l’occulte du xiie au xve siècle », Micrologus, t. XIV, 2006, Il segreto, p. 359-481. Liber extra, X, 5, 7, 9. Sur le rôle central de la fama dans cette procédure d’enquête, telle qu’elle fut développée ultérieurement sous l’empire du canon Qualiter et quando de Latran IV (ibid., X, 5, 1, 24), voir J. Théry, « Fama », art. cit., notamment p. 127 sqq. Ces différents critères sont clairement énumérés dans la constitution Ad abolendam du concile de Vérone (1184) reprise au X, 5, 7, 9 (ibid.). Corpus iuris canonici, Decretalium liber Sextus (Sexte), 5, 2, 7, Quum contumacia. Voir par exemple ce qu’en dit Bernard Gui dans sa Practica inquisitionis heretice pravitatis : Bernard Gui, Manuel de l’inquisiteur, éd. et trad. G. Mollat, Paris, Les Belles Lettres, 1964, t. I, p. 181.

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satisfaisaient ni d’ambiguïtés persistantes ni de situations intermédiaires. C’est pourquoi le droit canonique a considéré que l’état de suspect se prescrivait en un an seulement. Pour le pape, il n’était pas question d’en faire un statut durable, mais plutôt de le réduire à une sorte d’état transitoire d’incertitude non qualifiante. De cette situation douteuse, on se devait de sortir aussi vite que possible, soit en administrant activement la preuve de son innocence, soit en subissant passivement sa disqualification comme hérétique confirmé. Dans l’un et l’autre cas la norme pontificale ne souffrait aucune hésitation. Concluons ce parcours trop rapide d’une notion complexe, dont le droit se méfie parce qu’il mine le contrôle qu’il s’efforce d’avoir sur le réel mais dont, pourtant, il ne parvient pas à se déprendre. À partir du xiie siècle, sous l’effet des progrès de l’analyse juridique et de la théologie scolastique, la prise en compte de la vérité par le droit, si elle demeure fondamentale, évolue profondément. Tendant à se particulariser, la vérité s’ouvre à un certain pluralisme : bien qu’il subsiste toujours comme horizon religieux majeur, le lien ontologique avec le Christ semble se faire moins impérieux et surtout s’accompagner de configurations nouvelles dans lesquelles la vérité n’est plus absolutisée. Comme l’a montré l’analyse de la fiction et des présomptions ou la réflexion sur l’erreur commune et la théorie de l’apparence, « une vérité juridique pratique, c’est-à-dire socialement utile, ne saurait être saisie dans une essence distincte de son apparition. La vérité juridique n’est pas une vérité purement spéculative ni théorique60 ». Corollairement, l’espace dévolu au doute se dilate dans un ordre juridique qui doit désormais s’attacher à construire une vérité aussi incontestable que possible, tout en prenant en compte la variabilité des points de vue et des perspectives, c’est-à-dire une forme d’appropriation intersubjective de la norme liée à l’échange. Comme l’écrivait M. Villey, le droit « n’est pas une science exacte axée sur l’individu mais sur des relations entre individus61 ». La vérité, toujours à rechercher et à produire est donc d’autant moins exclusive du doute qu’elle s’enracine dans un processus cognitif de démonstration rationnelle (dont le procès offre l’illustration la plus claire) et non plus dans la réception de données issues de la croyance ou d’une forme dégradée de révélation62. Dans cette conception renouvelée de l’ordre juridique, le doute n’est pas seulement inséparable de la vérité. Il en devient le préalable nécessaire et comme le critère ultime de son efficacité.

60 D. Deroussin, Le juste sujet de croire, op. cit., p. 511. 61 Critique de la pensée juridique moderne, Paris, Dalloz, 1976, p. 224, cité ibid., p. 511. 62 Comme par exemple les ordalies ou le serment purgatoire.

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Que croire, c’est quand même douter

Remarques anthropologiques sur croire et douter au début de l’époque moderne Jean-Pierre Cavaillé – EHESS-Toulouse, LISST (UMR 5193)

Une analyse succincte oppose les notions de doute et de croyance, ou de doute et de foi, et ainsi les douteurs, souvent imprudemment nommés « sceptiques », aux croyants. Or, il faut se déprendre de l’argument utilisé aussi bien par les défenseurs de la foi que par les contempteurs de la religion, selon lequel le doute conduirait fatalement ou nécessairement à l’incrédulité. Bien sûr cet argument est des plus importants dans les controverses du début de l’époque moderne, et bien au-delà (il est encore fréquemment utilisé aujourd’hui). C’est à ce titre qu’il convient d’en tenir le plus grand compte. Mais, au contraire de ce très superficiel rapport d’opposition entre croire et douter, il est possible de soutenir, non sans consoner avec la tradition théologique la plus orthodoxe du christianisme, tout en s’appuyant sur les données ethnographiques les plus variées, que le doute est le moteur intrinsèque de la foi et de la croyance religieuse. Anthropologie de la croyance Nous donnerons volontairement la définition la plus large de la croyance dans le vaste domaine de la religion et de la magie : adhésion à des représentations et des énoncés portant sur des entités non observables dans les conditions de la perception ordinaire, et qui possèdent au contraire des qualités et des pouvoirs extra-ordinaires et, en partie au moins, contre-intuitifs. Ces entités semblent avoir des corps, du moins ne parvient-on pas à les représenter autrement, mais traversent les murs ; elles sont invisibles, ou alors elles se rendent visibles de manière exceptionnelle ; elles ont l’apparence d’animaux, de végétaux, de pierres, mais font entendre une voix humaine ; ce sont des morts, mais ces morts sont vivants, ils se comportent comme des prédateurs, etc.1. Nous parlons ici des entités mobilisées et sollicitées dans les pratiques religieuses et magiques des cultures les plus variées et choisissons 1

Ces exemples sont fortement inspirés par Pascal Boyer, Et l’homme créa les dieux, Paris, Gallimard, 2001.

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JEAN-PIERRE CAVAILLÉ

donc de commencer par sortir du cas particulier qui nous intéresse ici : celui du christianisme et des critiques plus ou moins radicales qui lui sont adressées. Pour certains courants de l’anthropologie, la présence de ces entités, relativement aux sociétés considérées, peut faire l’objet du même type d’évidence que les autres objets d’expérience. Jean Pouillon par exemple écrit que les Hadjeraï du Tchad « croient en l’existence » des margaï, qui sont des sortes de génies ou puissances invisibles, « comme ils croient à la leur propre, à celle des animaux, des choses, des phénomènes atmosphériques […] Ou plutôt ils n’y croient pas : cette existence est simplement un fait d’expérience : on n’a pas plus à croire au margaï qu’à la chute de la pierre qu’on lance2 ». C’est un regard similaire, qui nous semble en fait impliqué, à travers pourtant un changement de paradigme radical, dans l’anthropologie contemporaine qui étudie les relations entre les humains et les non-humains et qui choisit ainsi de placer sur le même plan, au sein de la catégorie de « non-humains », les dieux et les animaux, les génies et les pierres, les esprits et les artefacts. Ces approches conduisent à écarter la notion de croyance ou à en réduire la pertinence à la culture occidentale chrétienne ou profondément marquée par le christianisme, et bien sûr aussi à récuser la spécificité traditionnellement reconnue à l’expérience religieuse ou magique. Or, simultanément, de nombreux travaux d’ethnologie et d’anthropologie contemporains examinent les spécificités des relations entre les humains et les entités religieuses, magiques ou sorcellaires, comme irrémédiablement marquées par le doute, l’indécision et la perplexité. Ce chien dans la nuit était-il un esprit prédateur, ou un simple chien3 ? Le grenier s’est-il écroulé parce qu’il était rongé par les termites, ou du fait de l’action occulte d’un sorcier4 ? Suis-je victime d’un malheureux concours de circonstances, ou d’un mauvais sort ? Ce chamane chevauche-t-il les esprits, ou n’est-il qu’un vulgaire simulateur et charlatan5 ? Pourquoi et comment cherche-t-on en domaine chrétien à attester l’authenticité d’une apparition mariale ? Retrouverons-nous les ancêtres à notre mort, ou sommes-nous voués à la

Jean Pouillon, « Remarques sur le verbe “croire” », dans La fonction symbolique. Essais d’anthropologie, éd. par M. Izard et P. Smith, Paris, Gallimard, 1979 ; repris sous le titre « Le cru et le su », dans id., Le cru et le su, Paris, Seuil, 1993, p. 17-36. 3 Nils Bubandt, The Empty Seashell: Witchcraft and Doubt on an Indonesian Island, Ithaca (NY), Cornell University Press, 2014. 4 On se réfère bien sûr ici à Edward E. Evans-Pritchard, Sorcellerie, oracles et magie chez les Azandé, Paris, Gallimard, 2008 [1re éd. 1937]. 5 Georges Hunt [Quesalid], I Desired to Learn the Ways of Shamans, dans Franz Boas, The Religion of the Kwakiutl Indians, New-York, Columbia University Press, 1930, t. 1 (texte en Kwakiutl), p. 1-40 et t. 2 (trad. en anglais), p. 1-40. 2

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QUE CROIRE, C’EST QUAND MÊME DOUTER

pourriture et à la poussière6 ? Certains, comme Jack Goody, parlent à cet égard de l’existence d’une forme spontanée et universellement présente de « scepticisme » : un « scepticisme » inhérent à cette relation spécifique aux entités de la religion et de la magie et à leurs manifestations7. Cette relation, marquée par le doute, on peut alors, nous semble-t-il, la qualifier de «  croyance  » religieuse ou magique sans se référer immédiatement ni à la foi chrétienne ni à la critique positiviste des « croyances », qui suppose d’emblée leur « fausseté » (par le seul fait de leur pluralité et de leur irrationalité). La part du doute dans la foi chrétienne C’est à l’émergence d’une culture élaborée du doute (nous distinguons bien sûr la mise en forme culturelle du doute, de l’acte même de douter, qui s’exerce en tout temps et en tout lieu), que nous assistons au début de l’époque moderne, et c’est cette culture du doute, dont tout notre propos vise à montrer qu’elle n’est pas seulement portée par les libertins et libres penseurs, qui offrira la condition de la plus tardive critique positiviste des croyances. Ces formes multiples du doute se nourrissent certes du grand retour des doctrines philosophiques de l’antiquité (le scepticisme au premier chef, mais pas seulement), mais sont aussi relatives à la manière dont est pensée et pratiquée la croyance dans le contexte d’une culture chrétienne pluriséculaire où la culture philosophique a d’ailleurs toujours eu une place. Or dans cette culture religieuse spécifique, depuis au moins saint Augustin et la patristique latine8, il apparaît que les notions de foi et de doute sont intrin6 Deborah E. Tooker, «  Identity Systems of Highland Burma: ‘Belief ’, Akha Zan, and a Critique of Interiorized Notions of Ethno-Religious Identity », Man, new series, vol. 27, no 4, déc. 1992, p. 799-819. 7 Jack Goody, « A Kernel of Doubt », The Journal of the Royal Anthropological Institute, vol. 2, no 4, déc. 1996, p. 667-681. 8 « [Si l’homme] doute, il saisit son propre doute par son intelligence ; s’il doute, c’est qu’il veut être certain ; s’il doute, il se représente ; s’il doute, il sait qu’il ne sait pas ; s’il doute, il juge qu’il ne lui convient pas de donner à la légère son assentiment. », Saint Augustin, La Trinité, dans id., Œuvres, t. III, Philosophie, catéchèse, polémique, dir. L. Jerphagnon, trad. J.-Y. Boriaud et al., Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade, 483 », 2002, livre X, 15, p. 510-532 : p. 527. « “Oh ! que les académiciens étaient de grands hommes, et qu’ils avaient raison de dire que l’homme ne saurait rien connaître de certain !” [Confessions, livre V, chap. 14]. Ce n’était pas là une de ces pensées qui ne font que traverser un instant l’esprit. Augustin nous dit qu’arrivé à trente ans, et se sentant également incapable de rester attaché à la doctrine manichéenne et de vaincre les préventions que lui inspirait le christianisme, il crut que le dernier mot de la sagesse humaine c’était le doute : “A mesure, dit-il, que je considérais ce que beaucoup de philosophes ont pensé de ce monde visible, et que je le comparais avec ce que les manichéens en ont dit, je trouvais moins de probabilité dans les opinions de ceux-ci que dans celles des autres ; mais cela ne fit que me mettre dans la situation où l’on

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sèquement liées ; la foi, la fides, en effet entretient une relation interne au doute, au sens où elle est un mode de connaissance dans lequel le doute est présent, car les objets de la foi ne sont pas « visibles » (voir la définition de la foi que Thomas d’Aquin, sur la base de la lettre de Paul aux Hébreux 11. 1, – prête à saint Augustin : « vertu par laquelle on croit ce qu’on ne voit pas9 ») et parce que les articles de foi sont, pour l’intelligence humaine, irrémédiablement douteux. Les objets de la foi ne sont pas visibles par les yeux du corps, ils échappent aux sens et les articles de foi ne sont pas compréhensibles par la raison : ainsi le doute à leur égard est-il inévitable et en fait insurmontable. Du croyant, Thomas d’Aquin écrit que « sa connaissance n’est pas dans l’état parfait que procure la vision évidente ; en cela il se rencontre avec l’homme qui est dans le doute, dans le soupçon ou dans l’opinion10 ». C’est cette présence du doute, comme manifestation de l’imperfection humaine, qui oblige à faire de la foi un mode de connaissance inférieur à la science. Si la certitude de la foi, malgré le caractère humainement douteux des propositions par lesquelles elle se déclare, est cependant supérieure à la science, c’est que Dieu est lui-même en nous la cause immédiate de la foi. Dieu n’est pas seulement cru, objet de croyance, il est d’abord celui par lequel nous croyons ; aussi le croyonsnous, avons-nous confiance en lui, puisqu’il est la source même de la foi. C’est par la grâce de Dieu, par l’amour (caritas) que Dieu nous communique, que nous croyons en lui d’une certitude absolue et dans une confiance absolue qui ne supprime cependant pas le doute ; à travers le doute, en effet, et la menace perpétuelle qu’il représente, nous éprouvons notre irréductible imperfection. Étrange certitude, on le voit tout de suite, éprouvée en Dieu et garantie par Dieu, mais encerclée pourtant par les doutes de la raison humaine. C’est d’ailleurs du fait de cette persistance du doute, de la nature incompréhensible des vérités de la foi pour la raison, que l’exercice de la volonté est requis dans l’adhésion au credo ; lorsque la volonté se relâche et se pervertit en cédant aux croit communément qu’étaient les académiciens : je commençai à douter de tout sans pouvoir me déterminer à rien.” », Émile Saisset, « La Philosophie de Saint Augustin », Revue des Deux Mondes, t. 10, 1855, p. 870-888 : p. 870. 9 Augustin, Questions sur les Évangiles, trad. MM. les abbés Fresnoy et Pognon, dans Œuvres Complètes de Saint Augustin, Traduites pour la première fois en français, sous la direction de M. Raulx, Tome Ve, Commentaires sur l’Écriture, Bar-Le-Duc, L. Guérins & Cie éditeurs, 1867, (consulté le 26/02/2019), livre II, quest. 39 ; Thomas d’Aquin, La Somme théologique, trad. M. l’abbé Drioux, Paris, Eugène Belin, 1852: (consulté le 26/02/2019), III, quest. 7, art. 3. 10 Ibid., II-II, quest. 2, art. 1.

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passions humaines, le doute s’impose à nouveau, l’impuissance à saisir par la raison humaine les vérités de la foi qui conduit à la mécréance (rejet des vérités de la foi) et à l’hérésie (adhésion à l’erreur en matière de foi). C’est à ce titre que l’on juge d’ailleurs que les incrédules et les hérétiques sont responsables de leur propre incrédulité et de leurs propres erreurs et condamnables à ce titre devant Dieu, mais aussi (et surtout !) devant les hommes par les tribunaux religieux et civils. Intermède cyranien Les libertins auront alors beau jeu – mais un jeu fort risqué – d’arguer que ce n’est pas la faute du mécréant, de l’infidèle ou de l’hérétique si Dieu ne se fait pas connaître à eux, ou de la bonne façon. Puisqu’il est dit tout puissant et infiniment bon, Dieu aurait dû prévenir les faiblesses de la volonté, les doutes inévitables et les erreurs dont l’esprit humain est assailli. Si Dieu était aussi puissant et bon qu’il se devrait d’être, il aurait pu faire en sorte que je ne puisse douter de sa grandeur, de sa bonté et de son existence même. C’est en substance l’argumentation du fils de l’hôte dans les États et Empires de la Lune de Cyrano de Bergerac : […] si la croyance de Dieu nous était si nécessaire, enfin si elle nous importait de l’éternité, Dieu lui-même ne nous en aurait-il pas infus à tous des lumières aussi claires que le soleil qui ne se cache à personne ? Car de feindre qu’il ait voulu jouer entre les hommes à cligne-musette, faire comme les enfants « Toutou, le voilà », c’est-à-dire : tantôt se masquer, tantôt se démasquer, se déguiser à quelques-uns pour se manifester aux autres, c’est se forger un Dieu ou sot ou malicieux […]11.

C’est-à-dire, dans le cadre du monothéisme chrétien, un tel Dieu n’est pas Dieu mais un simulacre de divinité. Et c’est en s’appuyant sur le constat du déficit de croyance en Dieu de certains hommes, que le fils de l’hôte tranche dans le sens de l’athéisme (« Qu’il y ait un Dieu […] je vous le nie tout à plat. ») La démonstration est habile : s’il est possible de douter de Dieu, de ne pas parvenir à croire en lui, c’est que Dieu n’existe pas. Notons que cette position, extrême et extrémiste au xviie siècle, qui est celle de l’athéisme conséquent, exploite le fait du doute en matière de religion pour le dépasser dans le rejet de la croyance, dans l’incroyance ou la mécréance accomplie. Le mécréant accompli, le mécréant parfait, en effet, ne doute pas, renvoyant lui-même le doute à la psychologie de la croyance. Pour les apologètes, évidemment, le mécréant « veut » se convaincre qu’il ne doute ni ne croit, mais « au fond de lui », Dieu ayant déposé en lui sa propre image (la théolo11 Cyrano de Bergerac, L’autre monde, ou, Les états et empires de la lune, dans id., Œuvres complètes, éd. M. Alcover, Paris, Honoré Champion, t. I, 2000, p. 155-156.

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gie orthodoxe, protestante et catholique récuse l’idée qu’un homme puisse n’avoir aucune notion de Dieu12), quelque effort qu’il fasse en ce sens, il ne peut pas ne pas croire, ni donc douter de sa propre mécréance, comme l’hérétique ne peut que douter de ses propres erreurs, même lorsqu’il les soutient farouchement. Mais pour la tradition théologique du christianisme, il n’en demeure pas moins que la foi elle-même et en elle-même a partie liée au doute et, soulignons-le, d’abord de manière positive. En effet, le doute est d’emblée mobilisé dans le processus de conversion et l’autorité du saint Augustin des Confessions est souvent invoquée qui fait du doute, et d’ailleurs un doute si l’on peut dire méthodique en se référant expressément aux philosophes Académiciens, l’outil majeur de son abandon des erreurs des Manichéens et une étape nécessaire de la conversion : « je commençai à douter de tout sans pouvoir me déterminer à rien13 ». Mais dans la perspective de la conversion, le doute emporte avec lui toute la philosophie, à commencer par la philosophie du doute elle-même, parce que le doute est compris, du moins rétrospectivement, comme la marque de la foi naissante, le signe de la naissance de la foi. Dubito ergo credo, credo ergo dubito Mais la foi déclarée, quelle que soit sa fermeté, ne saurait pour autant réduire le doute à néant. Aussi la profession de la foi chrétienne, qui consiste à proférer en première personne (credo) les articles de la foi, est toujours en même temps la reconnaissance de la possibilité du doute. S’il est nécessaire d’énoncer et surtout de répéter, de réitérer le credo, c’est qu’il est vulnérable au doute ; son seul énoncé comporte la reconnaissance qu’il est toujours possible de douter de ce à quoi l’on affirme croire. Pour donner une comparaison toute cartésienne, il serait absurde de déclarer au début de chaque cours de mathématique « je crois que 2 et 2 font 4 » ; du reste je ne le crois pas, je le sais ou du moins ai-je la conviction de le savoir une fois pour toutes. Il n’en va pas de même pour les articles de foi, dont l’énoncé est intégré dans la liturgie (Symbole de Nicée).

12 Voir par exemple l’accord sur ce point de deux pourfendeurs des athées et libertins : le minime Marin Mersenne (Quaestiones celeberrimae in Genesim, Paris, Sébastien Cramoisy, 1623, vol. 1, colonnes 235- 279) et le calviniste Gisbert Voet (De Atheismo, dans id., Selectarum disputationum theologicarum, pars prima, Utrecht, Johannes van Waesberge, 1648, p. 131-132). Voir notre article : « “Qu’il y ait un Dieu… je vous le nie tout à plat”. Contexte théorique et enjeux pratiques des arguments athéistes du fils de l’hôte », Littératures Classiques, no 53, supplément, 2004, Cyrano de Bergerac : Les États et Empires de la Lune et du Soleil, dir. J.Ch. Darmon, p. 65-74. 13 Confessions, Livres I-VII, dans Œuvres de saint Agustin, texte de l’éd. de M. Skutella, intr. et notes A. Solignac, trad. E. Tréhorel et G. Bouissou, Paris, Desclée de Brouwer, « Bibliothèque Augustinienne », vol. 13, 1962, livre V, chap. 14, p. 878.

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D’où la mise en place de dispositifs pour affronter le doute, le surmonter et, idéalement, sinon le supprimer en tout cas le contenir et le contrôler étroitement, au-delà de l’établissement du credo (c’est-à-dire la fixation d’une orthodoxie). Nous avons retenu quatre dispositifs majeurs, que nous allons rapidement passer en revue : celui de la confiance, celui de la preuve, celui de l’autorité et celui de la pratique dévotionnelle. La confiance La première arme contre le doute, est celle de la foi conçue selon le modèle de la fides féodale, de la foi entendue sur le modèle du lien de fidélité et de confiance vassalique. La notion de confiance était déjà, comme l’a montré Benveniste, au centre de la conception de la fides des latins : De ce que fides désigne la confiance que celui qui parle inspire à son interlocuteur et dont il jouit auprès de lui, il résulte que c’est pour lui une garantie à laquelle il peut recourir. La fides que les hommes ont auprès des dieux les assure en retour d’une garantie : c’est cette garantie qu’on invoque dans la détresse14.

En contexte féodal, la fides ou foy désigne la confiance réciproque du vassal et du suzerain, formalisée par la pratique du serment. Projetée sur les relations entre l’homme et les objets de la croyance chrétienne  – Dieu, la Vierge et surtout les saints intercesseurs (mais d’abord en fait directement agissant) – la foi-confiance est d’abord attestée et entretenue par le bénéfice des pouvoirs surnaturels prêtés à la divinité et aux saints, pouvoirs thaumaturgiques (ou intercesseurs) partagés par des figures humaines (rois thaumaturges, hommes saints, moines et prêtres intercesseurs, mais aussi guérisseurs, etc.). La confiance comme relation de fidélité réciproque, dans une relation asymétrique et inégalitaire, est en de nombreuses cultures l’une des formes majeures de la croyance, ou du moins amalgamons-nous spontanément, du fait de l’héritage indo-européen christianisé, dans l’acte de croire, des registres souvent différenciés ailleurs, où la confiance joue un rôle crucial, mais aussi, du même coup, la possibilité toujours ouverte de la déception, de la trahison, et donc de la défiance15. Jean Wirth, dans un excellent article, a tenté d’identifier les causes multiples de la crise de la fides féodale : sociales : pression des laïcs pour participer à la vie religieuse,

14 Émile Benveniste, Le vocabulaire des institutions indo-européennes, Paris, Minuit, 1969, t. 1, p. 117. 15 Voir par exemple Roberte N. Hamayon, «  L’anthropologue et la dualité paradoxale du “croire” occidental », Théologiques, vol. 13, no 1, 2005, p. 15-41 : (consulté le 26/02/2019).

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etc. ; juridico-politiques : imposition d’un droit écrit et de liens légaux ne reposant plus sur la parole ; intellectuelles : le rejet du moyen terme entre science et opinion chez Abélard16. Nous ajouterons la défiance accrue de l’Église à l’égard des pratiques magico-religieuses, l’éloignement du divin qu’elle ne manqua pas de précipiter et la séparation, voire l’opposition entre les pratiques cultuelles normées et tout ce qui désormais était rejeté comme superstition, voire comme paganisme et sorcellerie. Une nouvelle forme de foi-confiance apparut avec l’évangélisme réformé17 ; la foi comme confiance indéfectible en Dieu venant suppléer et nourrir la défiance en l’autorité de l’Église romaine. Cette mise en avant de la foi vive, comme confiance établie dans la relation intérieure directe du fidèle à Dieu et en sa parole, appréhendée dans la lecture directe en langue vernaculaire. Mais là encore, l’affranchissement qui en résultait, du joug à la fois de l’autorité des théologiens et de l’institution ecclésiale romaine et l’apparition d’alternatives confessionnelles, c’est-à-dire de conflits doctrinaux irréductibles au sein même du christianisme, ne pouvaient pas ne pas s’accompagner de la constitution d’une culture du libre examen et de la mise en doute, à laquelle il était de fait impossible d’imposer des bornes et des limites étroites, malgré le travail assidu des leaders de la Réforme en vue de la reconstitution d’une orthodoxie et d’institutions de contrôle. La preuve Le second dispositif sur lequel nous nous arrêterons brièvement est celui de la preuve, dont l’existence même montre que la confiance n’est pas sans faille et ne suffit pas à inhiber le doute. Cette arme, conçue ad hoc contre le doute, est bien sûr celle de l’apologétique, cette partie de la théologie parfois nommée « science des preuves de la divinité ». Elle contient en effet la batterie des preuves prétendues de l’existence de Dieu et les arguments visant à démontrer que les qualités attribuées à la divinité (l’omnipotence, l’omniscience, la bonté) ne sont pas mises en cause par l’expérience du mal et du malheur (la théodicée donc). Cette littérature de la preuve et des preuves connaît à l’époque moderne une inflation remarquable et inquiétante à la fois : le jésuite Garasse ne propose pas moins de vingt-six preuves de l’existence de Dieu et le minime Marin Mersenne trente-six18. L’accumulation des preuves, en elle-même, était surtout propre, comme bien des contemporains l’ont 16 Jean Wirth, «  La naissance du concept de croyance  », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, XLIV, no 1, 1983, p. 7-58 ; repris dans id., Sainte Anne est une sorcière et autres essais, Genève, Droz, 2003, p. 113-176. 17 Voir Isabelle Garnier-Mathez, L’épithète et la connivence: écriture concertée chez les évangéliques français (1523-1534), Genève, Droz, 2005. 18 Julien Eymard d’Angers, Le père Yves de Paris et son temps (1590-1678), Paris, Nouvelles Éditions Latines, 1946, p. 359. À propos des trente-six preuves de Mersenne, Peter Dear écrit :

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d’ailleurs remarqué, à susciter le doute et la perplexité. D’autant plus que les apologistes et controversistes, pour réfuter les doutes formulés à l’égard de la religion en général et du christianisme en particulier, étaient obligés de les formuler, de les exposer et de les publier, exploitant ainsi une technique démonstrative bien connue de la théologie scolastique, mais qui à l’heure de la publication imprimée en langue vernaculaire devenait éminemment problématique. Du reste, on a pu soupçonner à bon droit certains auteurs d’avoir utilisé ce cadre de la dialectique pour subvertir la démarche apologétique elle-même, en donnant le plus de force possible aux doutes et aux objections et en exposant des réponses et résolutions étonnamment faibles et inconséquentes (ainsi par exemple du Vanini de l’Amphithéâtre de la divine providence, et surtout de l’Atheismus triumphatus de Campanella rebaptisé par ses lecteurs l’Atheismus triumphans19). Certains historiens ont d’ailleurs soutenu la thèse selon laquelle l’irréligion théorique des modernes (surtout l’athéisme dans sa forme la plus aboutie) était le produit de ces dispositifs dialectiques de la théologie scolastique qui, pour mieux asseoir les vérités chrétiennes, n’a cessé pendant des siècles de susciter artificiellement des doutes et des objections20. L’idée est intéressante et à la fois fort naïve, car clercs, lettrés et gens du peuple n’ont pas attendu l’autorisation des docteurs en théologie pour développer des arguments de mise en doute et en crise des vérités de la foi. Le meunier frioulan Menocchio, pour ne parler que de lui (on pourrait par exemple citer certaines déclarations des paysans de Montaillou dès le xive siècle), ne connaissait pas le latin et n’avait pas lu les docteurs de l’Église, et cela ne l’empêcha pas de mettre en question, avec quelques lectures en langue vernaculaire, par ses propres forces et des échanges oraux qui nous sont par définition inaccessibles, l’ensemble du corpus dogmatique catholique (et plus globalement chrétien) et de proposer des explications du monde alternatives, d’un naturalisme (ou si l’on veut proto-matérialisme) intégral21. Nous ferions bien plutôt l’hypothèse que l’inflation apologétique des xvie et xviie siècles répond à la montée en puissance d’une culture du doute et de

« ce n’est pas une démonstration, c’est une vente réclame ! », Mersenne and the Learning of the Schools, Ithaca (NY), Cornell University Press, 1988, p. 74. 19 Voir en particulier le livre de Luca Addante, Tommaso Campanella. Il filosofo immaginato, interpretato, falsato, Rome-Bari, Laterza, 2018 ; traduction id., Tommaso Campanella : L’invention d’un philosophe (xviie-xxie siècle), trad. G. Alonge et J. Barthas, Paris, Garnier, 2021. 20 Alan Charles Kors, Atheism in France, 1650-1729, vol. 1 : The Orthodox Sources of Disbelief, Princeton (NJ), Princeton University Press, 1990. 21 Carlo Ginzburg, Il formaggio e i vermi. Il cosmo di un mugnaio del ’500, Turin, Einaudi, 1976 ; traduction id., Le fromage et les vers. L’univers d’un meunier du xvie siècle, trad. M. Aymard, Paris, Flammarion, 1980.

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la critique religieuse qui n’a pu accéder que très marginalement à la publication et s’est diffusée d’abord par transmission orale. L’autorité, l’infaillibilité Un autre dispositif, pour combattre le doute, lui-même d’une efficacité forcément limitée, est l’invocation et l’imposition de l’autorité institutionnelle ; la garantie de la foi fournie par l’Église, qui est aussi l’obligation de croire en un corpus déterminé de dogmes (énoncés dans le credo et par les conciles). Ce dispositif concerne surtout l’Église catholique avant la Réforme et surtout face à celle-ci et à ses propres dissidences internes. Rappelons que si l’infaillibilité pontificale n’est devenue un dogme qu’en 1870, « l’infaillibilité » de l’Église et des conciles dans l’exercice sacré du magistère (celui qui est impliqué par les décisions conciliaires et pontificales en matière de foi et de mœurs) est un concept ancien de la théologie catholique, fort utile puisqu’il garantit la vérité des articles de foi et de l’appareil dogmatique, et il le fait à la fois sur un plan institutionnel et théologique22. Cela est certes au prix de paralogismes assez évidents, puisque d’une part la vérité des articles de foi s’y appuie sur la notion de vraie Église, qui elle-même est vraie parce qu’Église de la vraie foi (le cercle logique est patent), et d’autre part cette vérité des articles de foi s’y trouve assurée par le fait que ceux-ci sont dictés par le Saint-esprit qui, à la différence de l’esprit humain, ne saurait errer. Mais alors il est aisé d’apercevoir que le credo est lui-même garanti par une croyance qui articule (et donc dépend de) deux articles de foi contenus dans le Symbole de Nicée (« Je crois en l’Esprit Saint […] [qui] procède du Père et du Fils », et « Je crois en l’Église, une, sainte, catholique et apostolique »)23. Ce dogme de l’infaillibilité pouvait difficilement satisfaire les doutes, tout au plus était-il une caution utile et même nécessaire, pour en réprimer et interdire l’expression, ce qui n’empêcha pas l’explosion des controverses au sujet de l’infaillibilité de l’Église au moment de l’avènement de la Réforme, puis tout au long des siècles suivants. Le dogme de l’infaillibilité pontificale n’y a certes pas mis un terme (tout au contraire !). Néanmoins, il est intéressant d’observer que les théologiens protestants, pour la plupart, ont reformulé (en redéfinissant la notion d’ecclesia), et non certes abandonné,

22 Pour des examens «  émiques  » de la notion, voir L’infaillibilité de l’Église, Journées œcuméniques de Chevetogne, 25-29 septembre 1961, éd. par O. Rousseau, Chevetogne, Éditions de Chevetogne, 1961. 23 Voir le cardinal John-Henry Newman, Essai sur le développement de la doctrine chrétienne, Genève, Ad Solem, 2007, p. 108-126 ; Newman lui-même accepte de définir l’infaillibilité, qu’il défend, comme une « hypothèse » dont il faut bien admettre qu’elle est sans confirmation possible.

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la notion d’Ecclesiae infallibilitas, car sur elle reposait et repose encore, en dernier recours l’assurance du credo, assailli par les doutes24. Il faut dire que l’invocation de l’autorité et de l’infaillibilité de l’Église offrait une voie courte pour assurer le credo en évitant d’avoir à résoudre et donc soulever des doutes à l’infini ; elle permettait, à la limite, de ne pas même avoir à se soucier du contenu exact des articles de foi et donc des éventuelles objections à leur égard. C’est à ce titre que l’on a d’ailleurs si longtemps retenu que les ignorants et les simples, les idiotes, pouvaient se contenter d’affirmer qu’ils croient en tout ce qu’Église ordonne de croire, sans avoir à détailler. On a même conféré un statut théologique à cet acte de soumission aveugle à l’institution en élaborant la notion de « foi implicite25 ». Bien sûr était ainsi exigée l’affirmation d’une confiance sans reste en l’institution (l’Église a toujours raison par définition), une sorte de blanc-seing théologique, qui était d’abord et seulement un acte extérieur d’obéissance, bien peu efficace contre le doute, car la confiance se gagne ; elle ne s’impose pas par l’autorité. L’orthopraxie Il faut ajouter à ces trois armes en vérité assez faibles – la confiance en Dieu et en son Église, les preuves et arguments de l’apologétique et l’invocation de l’autorité et de l’infaillibilité –, celle des pratiques cultuelles et cérémonielles, les unes obligatoires et d’autres fermement conseillées, bref l’orthopraxie correspondant à l’orthodoxie (l’énoncé du credo faisant d’ailleurs lui-même pleinement partie de l’orthopraxie). Face à l’insuffisance des preuves (qui en effet s’est jamais converti après s’être laissé convaincre par les démonstrations de la théologie ?) et la faiblesse de l’appel à l’autorité de l’Église, car l’invocation de l’autorité ne saurait être une réponse au doute, ni l’imposition de la vérité par la force, fût-elle justifiée par la loi (voir les critiques du compelle intrare avec et avant Bayle26), il n’est pas absurde d’invoquer, comme le fait Pascal, l’efficacité des pratiques cultuelles et rituelles, ce qu’il nomme « incliner l’automate » ou « ployer la machine27 », qui ne concerne certes pas la seule 24 Jean Bosc, « L’attitude des Églises réformées concernant l’infaillibilité de l’Église », dans L’infaillibilité de l’Église, op. cit., p. 211-222. 25 Voir Thomas d’Aquin, La Somme théologique, op. cit., II-II partie, quest. 2, art. 6. Voir l’article lumineux d’Alain Mothu, « De la foi du charbonnier à celle du héros (et retour) », Les dossiers du Grihl, Libertinage, athéisme, irréligion. Essais et bibliographie : (consulté le 26/02/2019) ; repris sous le titre « Vicissitudes de la “foi du charbonnier” », Littératures Classiques, no 93, 2017/2, p. 51-68. 26 Pierre Bayle, De la tolérance : commentaire philosophique, éd. J.-M. Gros, Paris, Honoré Champion, 2006. 27 Pascal, Pensées, éd. L. Lafuma, 7, 30, 34, 62, Paris, Garnier-Flammarion, 1993, p. 35, 51, 52, 56. Voir David Rabourdin, Pascal : foi et conversion : la machine des “Pensées” et le projet apologétique, Paris, PUF, 2013.

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mécanique du corps, parce que ces pratiques mobilisent en fait, en même temps que le corps et les sens, un sujet émotionnel et passionnel. La ritualisation spectaculaire du catholicisme baroque, auquel d’ailleurs Pascal réagissait lui-même, peut être considérée comme une tentative d’emporter l’adhésion individuelle et collective, de faire croire et d’écarter le doute par la participation des corps et des âmes aux performances rituelles théâtralisées, par la communion fréquente, la multiplication des messes et des cérémonies (Quarante-heures, grandes processions mariales, etc.), le culte des images, par une création architecturale et urbanistique idoine et enfin l’usage massif des apparats visuels et de la musique28. D’une certaine façon la dévotion active, qu’elle fut « aisée » ou rigoriste et ascétique, renouait avec le commun dénominateur de toutes les pratiques religieuses et magiques du monde, à savoir de répondre à une exigence essentielle d’orthopraxie, par rapport à laquelle la question d’une orthodoxie est, selon les sociétés considérées, bien souvent secondaire, voire paraît, dans nombre de traditions culturelles, relativement insignifiante. Peu importe au fond, dans les situations de communication ordinaire, ce que chacun dit des choses sacrées et même de l’intégrité ou de la fiabilité des spécialistes religieux (chamanes, prêtres, etc.), pourvu que tout un chacun exécute correctement les rites. Tel n’est certes pas le cas en régime chrétien où l’orthodoxie prime et où l’institution ecclésiale exerce de très forts pouvoirs de contrôle et de répression. Mais on pourrait penser qu’en insistant sur l’administration des sacrements, la participation aux cultes et la dévotion cérémonielle, l’Église de la Contre-Réforme portait au premier plan un programme d’orthopraxie autrement plus efficace pour combattre ou plutôt pour prévenir le doute, que ne l’étaient ses rappels à l’orthodoxie et son invocation de l’autorité de l’Église, lesquels du reste étaient intégrés à la promotion des pratiques dévotionnelles. Mais le fait même que la dévotion puisse être considérée sur le modèle de la performance théâtrale, des arts du simulacre et de la simulation, montrait bien les limites de son efficacité. Le théâtre proprement dit est inséparable du pacte fictionnel qui le constitue et en devenant un modèle pour des pratiques dévotionnelles, dont les fidèles sont à la fois acteurs et spectateurs, il importait fatalement l’idée de fiction, de simulacre dans les pratiques cultuelles elles-mêmes, et par là même ne pouvait pas ne pas susciter des doutes sur les réalités surnaturelles elles-mêmes, mises en scène et en spectacle. Aussi les protestants développent-ils une critique virulente contre les excès et l’idolâtrie manifeste des « dévotions extérieures » dans l’Église romaine, mais il existe aussi de très nombreuses dénonciations internes au catholicisme de l’hypo28 La littérature sur les dispositifs de conversion spectaculaire de la culture dite baroque est très abondante. Mais voir en particulier Giovanni Careri, Envols d’amour. Le Bernin : montage des arts et dévotion baroque, Paris, Mimésis, 1990.

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QUE CROIRE, C’EST QUAND MÊME DOUTER

crisie et fausseté des pratiques dévotionnelles spectacularisées. Il suffit de renvoyer aux Provinciales de Pascal et aux notes que lui a ajoutées Pierre Nicole29. Mais au cœur et à la fois au-delà des conflits inter et intra-confessionnels, s’impose la mise en doute et en question de la légitimité de la dévotion extérieure elle-même, des cérémonies et des rites et, en fin de compte, des différenciations confessionnelles, au-delà du moins de leurs usages politiques, sur le plan autrement dit de la religion et de la morale. Ces critiques ouvertes ou clandestines de l’extériorité dévotionnelle ou du moins l’affirmation de l’indifférence de l’ensemble des pratiques rituelles et des institutions confessionnelles (des Églises) se multiplient dans l’Europe de la première modernité, conduisant à la constitution de groupes de spirituels en rupture confessionnelle et de chrétiens sans Église, mais introduisant du même coup à des positions anti-trinitaires, voire a-chrétiennes, sinon même explicitement déistes30. C’est là, notons-le bien, l’aboutissement d’un long processus d’intériorisation, d’individualisation et de séparation toujours plus grande entre l’engagement spirituel promu par la devotio moderna et les pratiques cultuelles confessionnalisées. La voie de la lutte contre les perplexités et les doutes de la foi chrétienne par le biais du redoublement et de l’intensification des pratiques rituelles, est elle-même ainsi compromise. C’est pourquoi d’ailleurs, a posteriori, la religion chrétienne a pu apparaître comme la religion de la sortie du religieux, par ce soupçon de fausseté jeté sur toute forme d’extériorité et donc sur toute pratique rituelle ; une singularité très remarquable dans l’histoire des cultures humaines, qui explique pourquoi la foi ne s’y éprouve plus d’abord par des pratiques, cultuelles, dévotionnelles, voire par l’adoption d’une éthique spécifique, mais par et en elle-même (le mot d’ordre réformé est suffisamment éloquent : sola fide), et devient ainsi terriblement vulnérable à ses propres doutes.

29 Les Provinciales, en particulier, Lettre 9 (édition de L. Cognet et G. Ferreyrolles, Paris, Garnier, 2010) et la première « note » de Nicole à cette lettre : Où l’on distingue la vraie dévotion à la sainte Vierge de la dévotion fausse et mal réglée, dans Les Provinciales […] Avec les notes de Guillaume Wendrock, 3 t., s.l., 1699, t. 2, p. 257-280. 30 Voir par exemple les charges récurrentes contre les dévotions extérieures dans les écrits d’Antoinette Bourignon, La Lumière du monde, Amsterdam, Pierre Arentsz, 1679 ; ead., L’Académie des sçavants théologiens, Amsterdam, Jean Riwerts et Pierre Arents, 1681. Voir évidemment, sur ce sujet, l’ouvrage justement fameux de Leszek Kołakowski, Chrétiens sans Église. La conscience religieuse et le lien confessionnel au xviie siècle, Paris, Gallimard, 1969. Voir le travail de Luca Addante sur le déisme, Valentino Gentile e il dissenso religioso nel Cinquecento. Dalla Riforma italiana al radicalismo europeo, Pise, Edizioni della Normale, 2014.

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Le doute comme manière d’être au monde (XVIe-XXe siècles)

Sylvia Giocanti – Université Paul Valéry Montpellier 3, CRISES (EA 4424)

Les Essais de Montaigne présente de manière exemplaire le doute comme une manière sceptique d’être au monde. Mais cette lecture n’est rendue possible qu’après avoir levé un certain nombre d’obstacles interprétatifs nés de la réception de cette œuvre. C’est pourquoi, pour comprendre le doute sceptique montanien, il convient de faire état de ce qui l’a rendu difficile d’accès après la période renaissante, de l’âge classique jusqu’à nos jours. Il existe en effet un malentendu sur ce qu’on entend par « philosophie du doute » qui explique que la singularité du doute de Montaigne puisse passer inaperçue, et qui tient au fait que la compréhension du doute de Montaigne ait été opacifiée jusqu’au contresens, renversant la valeur philosophique de son scepticisme. Double sens du scepticisme, double manière d’être au monde dans le doute Qu’entendons-nous par « doute sceptique » ? Dans l’Antiquité gréco-latine, le doute sceptique naît en réaction au dogmatisme présumé de certaines doctrines (considérées comme n’ayant pas les moyens de prétendre à la certitude de leurs énoncés), mais aussi par correction d’un doute de précaution mis en œuvre par les dits « dogmatiques » eux-mêmes : les philosophes stoïciens pratiquent la suspension du jugement (epochè) face aux opinions qui leur paraissent douteuses, parce qu’elles ne sont pas fondées sur une représentation compréhensive ou saisissante (phantasias kataleptike). Ils créent ainsi les conditions d’émergence du doute sceptique de la Nouvelle Académie, qui n’est pas autre chose que la généralisation de ce doute suspensif stoïcien, à partir du constat que les garanties de certitude – qui permettraient de se préserver de l’erreur en s’appuyant sur les seules représentations d’un sujet humain – font défaut. L’homme ne peut avoir l’assurance que ses représentations lui délivrent la nature ou essence des choses du monde, qu’elles ne les lui présentent pas d’une manière déformée. Le dogmatique et le sceptique se heurtent à cette difficulté, si bien que, pour parler

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comme Pascal1, non seulement le scepticisme n’existerait pas sans le dogmatisme, mais encore il s’intègre à la pratique de l’examen et du jugement propre à toute philosophie, et ne s’en distingue que par ce surcroît d’exigence de certitude qui, dans la mesure où elle n’est pas satisfaite, le dispose à persévérer dans ses doutes. Cette persévérance (ou entêtement selon ses détracteurs) du sceptique à douter a embarrassé (ou irrité) ceux à qui les sceptiques adressaient leurs objections : d’Augustin (voir Contre les Académiciens) à Stanley Cavell (au xxe siècle) en passant par Pascal, Hume et Diderot2, Royer-Collard et Théodore Jouffroy3, le doute sceptique désigne un excès propre à un esprit qui, afin de se préserver de l’erreur, exige trop : fonder ses pensées dans l’être par ses propres moyens – c’est-à-dire par la raison seule et sans l’aide de Dieu –, afin de se procurer une assise (stabilité) mentale source de quiétude. Le doute sceptique, ainsi caractérisé par son outrance, est par conséquent considéré comme de mauvaise foi. Il relèverait d’une feinte par laquelle le sceptique prétendrait ne pas pouvoir se satisfaire de ce qui en vérité lui suffit ou qui – à moins qu’il ne souffre d’une pathologie mentale – devrait lui suffire. Dans la mesure où le doute est réactivé par Descartes comme délibérément exagéré, Descartes devient (et pour longtemps) l’illustre représentant de cette « folie du doute » sceptique4, qui en porte donc l’outrance et doit en essuyer le mépris, pour tous ceux qui estiment que l’argumentation des Méditations métaphysiques ne fournit pas les moyens de surmonter le doute sceptique. Aussi, l’adversaire du sceptique peut-il se gausser en s’exclamant : « Qui – à l’exemple de Descartes – mettrait sérieusement en suspens, c’est-à-dire douterait de l’existence du monde, faute d’en avoir prouvé la présence ? » On peut excuser Descartes, qui avait au moins pour objectif, comme il le dit lui-même dans la Méditation VI, d’en finir avec ces doutes

Blaise Pascal, Pensées, frag. 33 (dans l’éd. L. Lafuma, Paris, Éditions du Seuil, 1962), 67 (dans l’éd. Ph. Sellier, Paris, Classiques Garnier, 2011) : « Rien ne fortifie plus le pyrrhonisme que ce qu’il y en a qui ne sont point pyrrhoniens. Si tous l’étaient, ils auraient tort. » (éd. Sellier, p. 178). 2 David Hume, Enquête sur l’entendement humain, section 12 (où le scepticisme est associé à l’excès), éd. et trad. M. Malherbe, Paris, Vrin, 2008, p. 381-391. Cf. Denis Diderot, la conclusion de l’article « Pyrrhonienne ou Sceptique Philosophie » de l’Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, Paris, Briasson, 13 vol., 1751-1765, t. XIII, 1765, p. 608-614 : p. 614. 3 Voir les analyses de ces disciples dissidents de Victor Cousin que propose Frédéric Brahami dans La raison du peuple, un héritage de la révolution française (1787-1848), Paris, Les Belles Lettres, 2016, chap. 2, p. 102-105. 4 Lorsque Théodule Ribot caractérise en 1896 dans La psychologie des sentiments « la folie du doute », il s’inspire de Descartes (partie II, chap. X, Paris, F. Alcan, p. 367). 1

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« hyperboliques et ridicules5 » une bonne fois pour toutes. Mais en ce qui concerne les sceptiques déclarés, même si leur sincérité et par conséquent leur existence sont douteuses, et l’hypothèse de l’inexistence du monde fictive, ils méritent le reproche de suivre une mauvaise pente qui devrait conduire au désespoir de ne pouvoir s’assurer d’aucune chose – par la connaissance ou par la croyance – et par conséquent au dégoût de l’existence, à l’effondrement spirituel, puis à l’abrutissement moral. Cet effet de séparation ou de refus du monde que produirait le doute sceptique, comme puissance négative de l’esprit aggravant par la rupture des liens avec le monde les conséquences de la « chute », par une persévérance dans l’éloignement de la source céleste de vérité, constitue une constante dans la réception du scepticisme philosophique, jusqu’à Hans Blumenberg et Stanley Cavell6. Montaigne, lu rétrospectivement à partir de Descartes, est intégré dans ce courant sceptique moderne qui, selon l’interprétation dominante7, se caractériserait par son solipsisme, préfiguré par la métaphore montanienne du retrait dans l’arrière-boutique, lue comme une injonction à se replier dans l’intériorité. Pourtant, selon notre lecture de ce texte de Montaigne, ce retrait du monde ne prend sens que par le monde (« la boutique ») dans lequel le sceptique se trouve engagé, et vise à se préserver de ses excès, ce qui suppose une exposition du « moi » à l’extériorité, condition de tout lien social.

René Descartes, Méditations métaphysiques, VI, dans id., Œuvres philosophiques, éd. revue par F. Alquié, Paris, Classiques Garnier, 3 vol., 1996 [1re éd. 1963-1973], t. II, (éd. Ch. Adam et P. Tannery, § 71), p. 503-504 : « Et je dois rejeter tous les doutes de ces jours passés comme hyperboliques et ridicules […] ». 6 Pour l’analyse blumenbergienne du scepticisme antique, voir La légitimité des temps modernes, trad. M. Sagnol, J.-L. Schlegel et D. Trierweiler, avec la collaboration de M. Dautrey, Paris, Gallimard, 1999, partie III, la conclusion du chap. IV (« Un reste de confiance cosmique au sein du scepticisme »), p. 306 sqq. ; pour le scepticisme moderne de Montaigne, voir La lisibilité du monde, trad. P. Rusch et D. Trierweiler, Paris, Éditions du Cerf, 2007, chap. XV, p. 72 sqq. et Naufrage avec spectateur, trad. L. Cassagnau, Paris, L’Arche, 1994, p.  19-24. Pour Stanley Cavell, voir Le déni de savoir dans six pièces de Shakespeare, trad. J. P. Maquerlot, Paris, Éditions du Seuil, 1993, p. 30, 40, 151, 282. 7 Dans ses Leçons sur l’histoire de la philosophie (trad. P.  Garniron, Paris, Vrin, 1975, t. 4, p. 760), Hegel estime que le scepticisme en général « en reste seulement au négatif et à la conscience de soi singulière ». D’après Jean-Marie Lardic (« Scepticisme et anarchisme. De l’usage de la négation », Éthique, politique, religions, no 5, 2014/2, Scepticismes en politique, p. 67-82 : p. 69), « Max Stirner voit dans les sceptiques ceux qui achèveront la rupture avec le monde ». Quant à Stefan Zweig (Montaigne, trad. J.-J. Lafaye, Fr. Brugier et J.-L. Bandet, préface de R. Jaccard, Paris, PUF, « Quadrige », 1982, p. 61), il commente dans la biographie qu’il consacre à Montaigne les différents épisodes de la vie de l’essayiste comme « un refus du monde extérieur ».

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Il n’y a là aucune outrance intellectuelle. Au contraire, le doute mis en œuvre par Montaigne procède d’une déconstruction des édifices intellectuels dogmatiques – qui conduisent hors du monde et s’élèvent jusqu’au Ciel – et conjointement du rappel à l’expérience la plus ordinaire de l’immersion de l’homme dans le monde. Grâce au doute, loin de se replier dans l’intériorité, le philosophe multiplie les interactions avec le monde, et déploie une « pensée du dehors8 ». En ce sens, Montaigne n’inaugure pas, d’une manière qui serait emblématique de la naissance de la modernité, la distinction entre la sphère privée et la sphère publique. Si comme le déclare l’essayiste « nous sommes tous creux et vides », et que « la pire place que nous puissions prendre, c’est en nous9 », il est exclu de considérer l’intériorité comme une valeur refuge, un lieu où il ferait bon séjourner. L’incapacité à « prendre pied » caractéristique du doute sceptique signifie l’absence de tout ancrage dans l’être (par exemple au moyen d’une phantasia kataleptike), et non une séparation entre le sujet et le monde imputable au doute. Contrairement à ce que prétend Stanley Cavell10, tout scepticisme philosophique ne repose pas sur un doute qui, en intellectualisant la condition mondaine de l’homme – c’est-à-dire en la transformant en problème métaphysique – la refuse. La relation à soi dans le scepticisme à la Renaissance procède du monde, selon des modalités qu’il nous faut maintenant préciser, après avoir récapitulé les deux sens du doute sceptique que nous venons de distinguer : - en un premier sens (auquel nous renverrons comme au sens 1), le doute sceptique exprime le point de vue sur le scepticisme adopté par les non-sceptiques qui font du scepticisme une philosophie nécessairement provisoire, éprise de certitude, qui s’efforce de venir à bout de ses doutes et redoute de ne pouvoir y parvenir ; - en un second sens (auquel nous renverrons comme au sens 2), le doute sceptique émane d’une philosophie éprise de sa propre incertitude, non pas seulement parce qu’elle est résignée au fait qu’elle soit indépassable, mais parce que cette incapacité à adhérer fermement et définitivement à un avis (ou à adopter une position) 8

J’utilise l’expression à rebours de Foucault qui, dans «  La pensée du dehors  » (paru en 1966 dans le no 229 de Critique consacré à Maurice Blanchot, p. 523-546), entend par cette expression qu’il faut cesser de concevoir le sujet comme doté de représentations opérantes, puisqu’il est dépossédé par son propre langage, en tant qu’il est langage des autres. 9 Michel de Montaigne, Les Essais, éd. P. Villey, révision V.-L. Saulnier, Paris, PUF, 1965, II, 16, p. 618, et II, 12, p. 568. 10 Stanley Cavell, Les voix de la raison. Wittgenstein, le scepticisme, la moralité et la tragédie, trad. N. Balso et S. Laugier, Paris, Éditions du Seuil, 1996, p. 703 : « À l’origine du scepticisme, il y a la tentative de transformer la condition humaine, la condition de l’humanité, en une difficulté d’ordre intellectuel, en énigme. D’interpréter une finitude métaphysique comme un manquement intellectuel. »

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est motrice, qu’elle permet de continuer à penser, de s’épanouir dans le doute, et d’en jouir même, comme l’attestent dès l’origine les sceptiques néo-académiciens, ravis par leurs opinions seulement vraisemblables et par conséquent révocables11. Les modalités sceptiques du rapport au monde dans les Essais de Montaigne Lorsque Montaigne écrit, si « mon âme pouvait prendre pied, je ne m’essaierais pas [je n’écrirais pas des essais], je me résoudrais12  », cela ne signifie pas pour autant que l’esprit sceptique, par ses doutes, est contraint à la noyade dans une eau très profonde – tel le sujet cartésien du début de la seconde Méditations métaphysiques, s’angoissant à l’idée « de ne pouvoir assurer ses pieds dans le fond, ni nager pour se soutenir au-dessus ». Si on peut parler d’errance sceptique, ce n’est en aucun cas parce qu’elle serait synonyme de perdition, d’une ruine de l’âme. Elle signifie seulement que le sceptique ne peut pas « prendre racine », s’appuyer sur « un point d’Archimède ». C’est ainsi que l’exercice sceptique du jugement se confond avec le doute : il est toujours reconduit – davantage que suspendu – parce que le sujet qui s’y emploie est dépourvu de déterminations propres qui seraient définitives, et qu’il est de surcroît dans une perpétuelle instabilité, en tant qu’il est immergé dans le flux des apparences. Le doute sceptique est donc le corollaire d’une expérience du monde où le jugeant et les choses jugées « vont coulant et roulant sans cesse, […] en perpétuelle mutation et branle13 », ce qui s’exprime métaphoriquement dans au moins quatre textes fondamentaux des Essais qui confluent dans le même sens, et qu’il faut donc prendre ensemble : le texte de III, 2 concernant l’incapacité à prendre pied qui commence par inscrire préalablement l’auteur du discours dans « la branloire pérenne » du monde14 ; à la fin du chapitre  III, 9, où le moi s’éprouve comme s’épanchant au-dehors « à vau l’eau »15 ; la fin du chapitre II, 12, où la volonté de s’emparer de l’être par la pensée au moyen du discours (ou d’une représentation adéquate telle la phantasia kataleptike), alors que « nous n’avons aucune communication à l’être », est assimilée au désir d’empoigner de l’eau ; texte emprunté à la traduction Amyot de Plutarque, qui fait écho à un autre texte situé un peu plus haut dans l’Apologie de 11 Voir Académiques I, 2, XLI, 127 (introduction P. Pellegrin, trad. J. Kany-Turpin, Paris, GFFlammarion, 2010, p.  263), où Cicéron écrit qu’en présence du vraisemblable, «  l’esprit s’emplit de la volupté la plus parfaitement humaine ». 12 M. de Montaigne, Les Essais, op. cit., III, 2, p. 805. 13 Ibid., II, 12, p. 601. 14 Ibid., III, 2, p. 804-805. 15 Ibid., p. 1000.

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Raymond Sebond16: la présentation des philosophes pyrrhoniens comme ceux qui, ne prétendant pas accéder à la science par une saisie – figurée dans une pantomime du stoïcien Zénon par le poing fermé sur sa capture –, laissent leur main « épandue et ouverte » sur les apparences fluctuantes qui constituent les objets de leurs pensées et de leurs perceptions. En gardant présents à l’esprit ces quatre textes, qui traduisent par la métaphore fluviale ou maritime l’ouverture du sceptique à l’extériorité dans le passage, c’est-à-dire sa capacité à recevoir et conjointement à « donner en retour », on peut caractériser la manière sceptique d’être au monde au moyen – et non en dépit – du doute. Passagèreté (et non perte) des objets du monde La philosophie de Montaigne consiste à peindre le passage, de jour en jour, de minute en minute17. Les objets sont donc inconsistants en raison de leur fluidité et labilité, qui empêchent d’en statuer, sans pour autant nécessairement faire signe vers un manque à combler, comme se l’imaginent ceux qui conçoivent les sceptiques uniquement au premier sens exposé ci-dessus, et en font des nostalgiques de l’être, en deuil d’un monde perdu qu’ils chercheraient à retrouver en appareillant vers lui, avant d’esquisser un grand retour vers le domicile éternel18. Ce en quoi, pour un sceptique tel que Montaigne, et contrairement à ce que prétend Pascal, ce n’est pas une chose horrible que de sentir s’écouler tout ce que l’on possède19, mais plutôt comme le défendra également Freud en 1915 dans un texte intitulé « la passagèreté » (die Vergänglichkeit), une source d’intensification de la jouissance du monde20. Car non seulement la sensation de l’écoulement des choses du monde stimule le désir de s’en abreuver21, mais encore rien ne sied

16 Ibid., II, voir respectivement p. 601 et p. 603. 17 Ibid., III, 2, p. 805. 18 Le philosophe sceptique ne correspond donc pas à l’analyse de Stanley Cavell présentée dans Une nouvelle Amérique encore inapprochable, texte publié dans Qu’est-ce que la philosophie américaine ?, trad. Chr. Fournier et S. Laugier, chap. 2 « Pas à pas. Découvertes et fondations : mesures prises dans “Expérience” d’Emerson », Paris, Gallimard, « Folio essais, 517 », 2009, p. 101-151 : « La philosophie a à voir avec la capacité perplexe de porter le deuil d’un monde en disparition. » Pour Cavell, ce moment sceptique de la philosophie ne cesse de montrer « la voie […] du désinvestissement réitéré de ce qui a disparu » (p. 110-111). 19 Bl. Pascal, Pensées, frag. 756 (éd. Lafuma, op. cit.), 626 (éd. Sellier, op. cit.) : « C’est une chose horrible de sentir s’écouler tout ce qu’on possède. » (éd. Sellier, p. 462). 20 Voir Sigmund Freud, «  La passagèreté  », dans Œuvres complètes. Psychanalyse, dir. J. Laplanche, Paris, PUF, 1988 (rééd. 2005), t. XIII, p. 323-328. 21 M. de Montaigne, Les Essais, op. cit., III, 13, p. 1111-1112 : « Je veux arrêter la promptitude de sa fuite par la promptitude de ma saisie, et par la vigueur de l’usage compenser la hâtivité de

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mieux à l’inconstance et à l’indétermination de nos désirs, que la fugacité de la possession des objets de jouissance. L’inquiétude sceptique, son absence de repos, ne traduit donc pas le malaise existentiel d’un être jeté dans un monde sur lequel il n’aurait aucune prise et dont il se détournerait, dégoûté de ne pouvoir remédier à son absence d’ancrage dans l’être22. Sentir s’écouler le monde suscite au contraire chez un sceptique tel que Montaigne le désir d’y évoluer d’une manière telle qu’il puisse y vivre plus à l’aise, et même si possible de s’y ébattre, « sans désirer la stabilité, la solidité, qualités non siennes23 ». Cela signifie développer un art de « glisser légèrement et superficiellement le monde24 » sans s’y enfoncer, pour se préserver des maux qui naissent des profondeurs, mais aussi, s’élancer vers les objets fluctuants de son désir, suivant un modèle anti-augustinien à la fois cynégétique et érotique qui situe le plaisir de la chasse – en tant qu’il nous porte à poursuivre des objets qui nous fuient – au-dessus du plaisir procuré par la sécurité de la prise25. Le sceptique déploie ainsi – selon les termes utilisés par Ralph Waldo Emerson dans l’essai « De l’expérience » – un art de « patiner » à la surface des apparences. Mais il ne faut pas s’y méprendre : si en tant que grand lecteur et admirateur de Montaigne – auquel il consacre un essai intitulé « Montaigne, ou le sceptique »  – Emerson écrit des essais dont les inflexions et les métaphores doivent beaucoup à son prédécesseur, il n’incarne pas pour autant ce scepticisme qu’il détourne, alors même qu’il propose une manière d’habiter le monde apparentée au second sens du « scepticisme ».

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son écoulement ; à mesure que la possession du vivre est plus courte, il me faut la rendre plus profonde et plus pleine. » Voir la présentation du scepticisme par S. Cavell (Le déni de savoir, op. cit., p. 33), qui illustre par le dégoût la position des tenants d’un scepticisme de sens 1, comme « refus du monde ». Dans Une nouvelle Amérique encore inapprochable (op. cit., p. 115), le scepticisme est associé à la conscience malheureuse de la limitation de la perception du monde, les phénomènes faisant obstacle. M. de Montaigne, Les Essais, op. cit., III, 13, p. 1107. Ibid., III, 10, p. 1005. Voir Saint Augustin, La Vie heureuse, dans id., Œuvres, t. I, Les Confessions – Dialogues philosophiques, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1998, § 21, p. 87-114 : p. 103 : « Il m’est absolument impossible de concevoir que celui qui n’a pas ce qu’il veut est heureux. » Cf. Le Libre Arbitre, ibid., livre III, § 21, p. 412-551 : p. 507, où l’amour porté aux choses qui fluctuent est analysé comme ce qui nous empêche de nous maintenir dans l’être, et par conséquent d’être pleinement heureux. A contrario, Montaigne déclare : « Qui n’a jouissance qu’en la jouissance […] qui n’aime la chasse qu’en la prise, il ne lui appartient pas de se mêler à notre école. », Les Essais, op. cit., III, 5, p. 881, cf. ibid., II, 12, p. 510.

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Aussi, pour mieux cerner la manière montaignienne de se rapporter au monde par le doute, il n’est pas inutile de faire un détour par Emerson, en tenant compte de ce qu’en dit Stanley Cavell à l’aune d’une autre conception (au sens 1) du scepticisme26. Ce détour peut paraître un peu tortueux. Mais il permettra de mieux cerner une seconde caractéristique de la modalité sceptique d’être au monde. Le nomadisme sceptique : une extension sinueuse versus le rapatriement (enracinement originaire) En effet, sans constituer pour autant, comme le soutient Stanley Cavell, une réponse à un scepticisme compris comme «  éloignement du monde27  », la philosophie d’Emerson présente pour point commun avec le scepticisme de Montaigne de ne pas exhorter à une conversion vers une transcendance, ni d’exiger une fondation de la pensée. Elle rompt avec la quête métaphysique d’une filiation – d’un enracinement dans l’être éternel originaire situé au-delà du monde  – pour penser la découverte du monde ici-bas en termes d’extension géographique et de réception de ce qui apparaît sous des formes multiples28. Toutefois, et en dépit de sa proximité avec la manière sceptique (montanienne) de se rapporter au monde, le rapport émersonien au monde s’en distingue, car au moment même où il prend la route, sur les ailes d’un esprit vagabond, ce n’est pas pour vivre comme « un routard de la pensée29 », « à sauts et à gambades30 ». Il recherche l’adhérence, l’appui sur quelque chose de plus ferme, « une rude friction grinçante31 » – ce que Ludwig Wittgenstein appellera « un sol raboteux32 » – qui 26 Dans Une nouvelle Amérique encore inapprochable, op.  cit. L’essai «  De l’expérience  » d’Emerson se trouve en appendice du même volume Qu’est-ce que la philosophie américaine ?, op. cit., p. 504-527. 27 Voir Une nouvelle Amérique encore inapprochable, op. cit., p. 150. 28 «  Tout ce que je connais est réception  », R. W. Emerson, «  De l’expérience  », art. cit., p. 526. L’opposition entre d’une part « pensées de la filiation », de l’enracinement en une source unique, et d’autre part « pensées de l’étendue », qui déterminent par l’écart suivant un parcours rhizomatique, structure la philosophie d’Édouard Glissant, que l’on peut considérer comme apparentée au scepticisme de Montaigne, en ce qu’elle se déploie selon cette seconde dimension. Voir Poétique de la relation, Paris, Gallimard, 1990, p. 26-34 et p. 59, et Philosophie de la relation, Paris, Gallimard, 2009, p. 61. 29 J’emprunte l’expression à Stanley Cavell (Une nouvelle Amérique encore inapprochable, op. cit., p. 149). 30 M. de Montaigne, Les Essais, op. cit., III, 9, p. 994 : « J’aime l’allure poétique, à sauts et à gambades. » 31 Dans « De l’expérience » (art. cit., p. 506), Emerson déplore qu’« il n’y a[it] pas de rude friction grinçante, mais seulement des surfaces glissantes où l’on n’adhère jamais ». 32 Ludwig Wittgenstein, Recherches philosophiques, trad. Fr. Dastur, M. Élie, J.-L. Gautero, D. Janicaud et É. Rigal, avant-propos et apparat critique d’É. Rigal, Paris, Gallimard, 2004,

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lui permettrait d’entrer en contact avec les choses. À la différence de Montaigne, qu’il détourne en corrigeant la métaphore de la « branloire pérenne », l’homme n’est pas immergé dans la mer des apparences, mais coupé du monde par elle : « Une mer infranchissable déroule ses vagues muettes entre nous et les choses que nous visons33 ». Et lorsqu’un peu plus loin dans le même essai « De l’expérience », qui reprend le titre du chapitre III, 13, des Essais de Montaigne, Emerson évoque la métaphore montanienne (empruntée à Plutarque) de l’eau que l’on ne saurait saisir entre ses mains, c’est pour déplorer la labilité du monde qui fait de notre existence une ignominie, précisément parce que l’expérience y est impossible : « Pour moi cette évanescence et ce caractère insaisissable de tous les objets, qui les laisse glisser entre nos doigts au moment où nous les agrippons plus durement, est la partie la plus ignoble de notre condition34 ». Emerson n’est pas pour autant un sceptique désespéré (au sens 1), puisqu’il propose alors de « lester » son existence, pour tendre dans une direction déterminée, celle d’un perfectionnisme moral. Mais cela revient à tenter de surmonter le scepticisme de Montaigne, comme s’il fallait remédier à la structurale fractale (au sens étymologique de « brisé ») du moi constitué de « lopins » de Montaigne35, pour opérer une conversion à soi qui procède d’un rassemblement des fragments du moi éparpillés sur le sol36. Si Emerson, « autrefois tellement ravi par Montaigne », qu’il «  croyai[t] ne plus avoir besoin d’aucun autre livre37  », opère néanmoins ce remembrement unificateur fondé sur une confiance en soi retrouvée dans l’intériorité, c’est parce qu’à ses yeux le rapport sceptique au monde inauguré par Montaigne demeure indissociable de la découverte de la déchéance de notre existence38. Le

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I, § 107, p. 83 : « Nous sommes sur un terrain glissant où il n’y a pas de frottements, où les conditions sont donc en un certain sens idéales, mais où, pour cette raison, nous ne pouvons plus marcher. Mais nous voulons marcher, et nous avons besoin de frottement. Revenons donc au sol raboteux ! ». M. de Montaigne, Les Essais, op. cit., II, 12, p. 506. Ibid., p. 507. M. de Montaigne, Les Essais, op.  cit., II, 1 («  De l’incertitude de nos actions  »), p.  337 : « Nous sommes tous de lopins, et d’une contexture si informe et diverse, que chaque pièce, chaque moment, fait son jeu. » Édouard Glissant semble se référer à ce texte lorsqu’il soutient que « les comportements humains sont de nature fractale » (Poétique de la relation, op. cit., p. 207). Métaphore empruntée à l’essai «  The American Scholar  ». Voir la traduction du texte (« L’intellectuel américain », trad. S. Chaput) dans la revue Horizons philosophiques, vol. 10, no 2, 2000, Le savoir en fête, p. 25-52. Je me réfère ici à la p. 44. « De l’expérience », art. cit., p. 510. « Elle est très malheureuse, mais il est trop tard pour y rien changer, cette découverte que nous avons faite : que nous existons. Cette découverte s’appelle la chute de l’homme. », ibid., p. 522.

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constat sceptique que, toutes choses étant flottantes, nous n’avons pas de place assignée dans le monde, si bien que nous sommes contraints à demeurer en suspens, «  sur une marche39  », traduit pour Emerson une position inconfortable, nécessairement provisoire, qui précède l’embarquement en direction de la vérité sur soimême. Ainsi, « trouver le bout du voyage en chaque pas du chemin40 », n’a pas chez Emerson – qui s’inspire pourtant ici encore du texte des Essais de Montaigne – le même sens que les pérégrinations de Montaigne dont chaque journée, « à l’image de sa vie, fait le bout41 ». Chez Montaigne, cela signifie que le voyage de l’existence, comme les voyages terrestres, ne vise rien au-delà de lui-même, qu’il ne doit pas être conçu de manière augustinienne comme une halte transitoire, un repos momentané dans une situation d’exil, prélude à un retour vers le port d’attache éternel, ce qui « est »42. Cela signifie qu’il faut au contraire s’y consacrer pleinement, avec délectation, cultiver cette allégresse qui naît de la conscience de la mutabilité et incertitude de toutes choses. Chez Emerson, en revanche, il ne s’agit pas d’approuver « la branloire pérenne » de Montaigne telle qu’on la trouve, de se contenter d’en jouir sans s’en empresser, en ne cherchant qu’à passer avec contentement43. Chaque pas est affermissement d’une position branlante indissociable d’une détermination à « trouver prise partout44 », afin de rendre possible la réforme de soi, et conjointement la restauration du lien avec le monde, dans le cadre d’une pensée de la perte qui, au bout du compte, au moins dans ses présupposés, doit davantage à Augustin qu’à Montaigne. Ainsi, à la question inaugurale de l’essai «  De l’expérience  » «  Où nous trouvons-nous ? », la réponse d’Emerson se déploie selon le sens 1 du scepticisme, de celui qui est fâché avec le monde. Elle tranche avec le scepticisme de Montaigne (sens 2), selon lequel la désorientation de l’homme dans le monde conduit non pas à rejeter le moi et le monde tels qu’on les trouve, mais à les accepter, pour aller de l’avant, c’est-à-dire non pas réaliser le moi sous une forme plus parfaite contre le

39 Voir le début de « De l’expérience », ibid., p. 504. 40 Voir ibid., p. 513. 41 M. de Montaigne, Les Essais, op. cit., III, 9, p. 978 : « Mon dessein est divisible partout : il n’est pas fondé en grandes espérances ; chaque journée en fait le bout. Et le voyage de ma vie se conduit de même. » 42 Voir Isabelle Koch, « Saint Augustin et l’usage du monde », dans Cahiers philosophiques, no 122, 2010/2, Augustin, p. 21-42. 43 M. de Montaigne, Les Essais, op. cit., III, 9, p. 952 : « Je me contente de jouir le monde sans m’en empresser ». Et p. 949 : « Je ne cherche qu’à passer. […]. Je dis passer avec contentement. » 44 R. W. Emerson, « De l’expérience », art. cit., p. 513.

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moi existant45, mais explorer le monde en tous sens, pour « en passant », à l’occasion de rencontres, s’essayer à réaliser de manière souple (non définitive) une pluralité de potentialités contenues dans cette « forme entière de l’humaine condition » que chacun porte en soi, sans qu’il faille se sentir tenu de renier les premières réalisations de soi46. Le scepticisme est donc bien une pensée « nomade », ce qualificatif désignant non seulement une manière d’explorer le monde qui ne vise pas la fondation (ou refondation) par un retour à l’originaire, après l’exil, mais encore une pensée qui ne recherche pas même, comme dans la philosophie d’Emerson, à « se donner un sol », à s’implanter, à s’enraciner quelque part, pour se sédentariser. Il s’épanouit en effet en étendant ses doutes, dans les sinuosités de ce que Montaigne appelle les « routes par ailleurs47 », sur lesquelles le sceptique ne cherche pas à réaliser son « être », mais à « vivre » à partir de l’usage varié du monde48. Certes, la caractérisation du doute sceptique par le nomadisme n’a rien d’original, puisque dans la préface de la première édition de la Critique de la raison pure, Kant présentait les sceptiques comme « une espèce de nomades », « par bonheur en petit nombre », « qui [ayant] horreur de s’établir définitivement sur une terre, rompaient de temps en temps le lien social49 ». Mais il est remarquable que cette corrélation s’effectuait en mauvaise part, pour souligner que le scepticisme provoquait la rupture de toute forme d’attachement au monde. L’identification du scepticisme comme pensée nomade est même assez symptomatique d’une réception négative du scepticisme, comme philosophie abstraite caractéristique de la pensée des Lumières, après la révolution française, et en réaction

45 Dans Une nouvelle Amérique encore inapprochable, op. cit., p. 219-226, Stanley Cavell explique que le perfectionnisme moral d’Emerson doit être compris comme suit : le « moi » à venir est sans cesse projeté comme devant être réalisé, par-delà le « moi » déjà existant, dans un processus qui ne vise pas un idéal du moi, mais le perfectionnement de soi par la circulation d’un « moi » prochain à l’autre. 46 M. de Montaigne, Les Essais, op. cit., III, 2, p. 805 : « Chaque homme porte la forme entière de l’humaine condition. » Pour une lecture non substantialiste de cette déclaration (fondée sur la distinction entre condition et essence), voir André Tournon, « Route par ailleurs ». « Le nouveau langage » des Essais, Paris, Honoré Champion, 2006, p. 130. Sur l’absence de reniement des formes déjà réalisées de soi dans le scepticisme de Montaigne, voir Les Essais, op. cit., III, 2 (« Du repentir »). 47 Ibid., III, 13, p. 1068 : « Il y a toujours […] route par ailleurs. » 48 Ibid., III, 3, p. 818 : « Notre principale suffisance, c’est savoir appliquer à divers usages. C’est être, mais ce n’est pas vivre, que de se tenir attaché et obligé par nécessité à un seul train. Les plus belles âmes sont celles qui ont le plus de variété et de souplesse. » 49 Emmanuel Kant, Critique de la raison pure, trad. et notes par A. Tremesaygues et B. Pacaud, Paris, PUF, « Quadrige », 1944, p. 6.

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à elle, pendant tout le xixe siècle et la première moitié du xxe siècle50. Les doutes sceptiques sont accusés de dissoudre les mœurs, d’entraîner la perte du « chez soi » ou encore de consommer la rupture avec les siens, ce qui d’après Oswald Spengler et Wittgenstein, constituerait le symptôme de la décadence de la culture51. Et l’on pourrait aisément inclure Montaigne dans cette critique : ses doutes n’invitent-ils pas à « prendre la route » (au sens propre et au sens figuré), pour s’exercer à un déracinement perpétuel ? Montaigne ne prétend-il pas aspirer à mourir n’importe où, entre les bras d’inconnus, plutôt que chez lui et parmi les siens52 ? En paraphrasant les propos dépréciatifs de ces philosophes allemands du tournant du siècle, on pourrait accuser l’errance intellectuelle de Montaigne de séparer du monde, c’est-à-dire de participer à l’entreprise de désappropriation culturelle responsable de l’épuisement de la civilisation occidentale. Pourtant, si comme le remarque Édouard Glissant, la rupture que le scepticisme de Montaigne consacre avec l’humanisme – au sens d’une pensée qui repose sur l’idéalisation de la nature humaine  – a été «  oublié[e], passé[e] à la trappe, étouffé[e] pendant plus de trois siècles53 », jusqu’à ce que l’on commence à réfléchir sur les causes des génocides et les effets de la colonisation, c’est bien que l’intérêt du scepticisme renaissant, loin d’exposer l’homme à la rupture des liens, réside au contraire dans la manière inédite dont il pense la relation entre les hommes, quelle que soit leur culture. Et c’est donc en ce sens positif que nous caractérisons la philosophie sceptique comme une pensée nomade qui, grâce aux déplacements que suscitent ses doutes, loin de rompre les relations, les repense et infléchit, compare à des fins critiques leurs normes d’évaluation. Un usage spécifique du langage étant la condition pour exprimer ses doutes, de telle sorte qu’ils soient opératoires – qu’ils produisent des déplacements dans le cadre de l’exercice toujours reconduit du jugement – il nous faut préciser ce point. Les détours et déplacements linguistico-culturels du doute : une manière sceptique de réinvestir le monde Tout particulièrement, chez Montaigne, la pratique du doute permet la ré-articulation du propre et de l’étranger, du proche et du lointain. 50 Voir F. Brahami, La raison du peuple, un héritage de la révolution française, op. cit. 51 Stanley Cavell soutient que « dans ses Recherches philosophiques, Wittgenstein met au jour la vision spenglérienne du destin menant vers des formes épuisées, vers le nomadisme, vers la perte de la culture, ou encore du chez soi, ou encore de la communauté ». Voir Une nouvelle Amérique encore inapprochable, op. cit., chap. 1 « Décliner le déclin », p. 89. 52 M. de Montaigne, Les Essais, op. cit., III, 9, p. 978. 53 É. Glissant, Poétique de la relation, op. cit., p. 147.

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Il y a certes pour Montaigne une manière nuisible de ne pas être chez soi, au sens qui consiste à « se donner à louage54 », c’est-à-dire à s’aliéner dans le monde auprès des autres. Mais il n’en reste pas moins que chaque homme étant dépourvu d’être, et par conséquent contraint à se constituer une identité par emprunts55, est engagé dans le monde pour y jouer son rôle ou plutôt ses rôles56, si bien que l’art de vivre en société, d’être chez soi, ne consiste pas à demeurer en soi, mais à tisser des relations équilibrées avec le monde extérieur que l’on pourrait résumer ainsi : savoir se donner sans se perdre ni se sacrifier, et conjointement savoir s’opposer – c’est-à-dire se confronter au caractère conflictuel de toute relation – sans pour autant se massacrer les uns les autres, ce qui revient à apprendre à se co-ajuster mutuellement57. Il ne s’agit donc en aucun cas, à l’exemple de philosophes tels que Kierkegaard58, de déplorer comme une perdition le fait de ne pas être chez soi, mais toujours endehors, à séjourner en pays étranger. En effet, le fait de n’être jamais chez nous, mais toujours au-delà59 ne sonne pas dans le scepticisme comme un appel vers une réappropriation de soi, un retour à l’essentiel via l’intériorité dés-aliénante du moi. Celui qui estime que la pire place que nous puissions prendre, c’est en nous, et que nous sommes structurellement tournés vers l’extérieur pour penser ailleurs60, exprime aussi par là son attrait pour un monde grâce auquel il peut demeurer paisiblement non pas

54 Voir M. de Montaigne, Les Essais, op. cit., III, 10, p. 1004. 55 Ibid., III, 9, p. 968 :« Je n’ai rien que moi, si [pourtant] en est la possession en partie manque et empruntée. » 56 Voir ibid., III, 10, p. 1007 : celui qui sait « exactement ce qu’il se doit, trouve dans son rôle qu’il doit appliquer à soi, l’usage des autres hommes et du monde, et pour ce faire contribue [apporte] à la société publique les devoirs et offices qui le touchent ». Sur cette question de l’usage des rôles sociaux, le scepticisme de Montaigne coïncide avec ce que Stanley Cavell met au compte d’une réponse au scepticisme. Voir Le déni de savoir, op. cit., p. 282 : « Exister, c’est prendre en charge son existence, la jouer, comme si la base de l’existence humaine était le théâtre, voire le mélodrame. Refuser cette charge, c’est se condamner au scepticisme, nier l’existence du monde, sa valeur. » (C’est moi qui souligne). 57 J’entrelace ici la conclusion de l’Essai sur le don de Marcel Mauss, concernant le secret de la sagesse et de la solidarité des peuples et des individus (« savoir s’opposer sans se massacrer et se donner sans se sacrifier les uns aux autres » : Paris, PUF, « Quadrige », 2007, p. 247), et celle d’Édouard Glissant (Poétique de la relation, op. cit., p. 215) : « On pourrait dire de la modernité qu’elle nous met ainsi à même de nous relativiser sans nous perdre, qu’elle coajuste sans confondre. » 58 Cité par Cavell dans Une nouvelle Amérique encore inapprochable, op. cit., p. 56-57 : « La plupart des hommes vivent leur relation à leur propre moi comme s’ils étaient constamment dehors, jamais chez eux. […] Conçue en termes spirituels et religieux, la perdition consiste à séjourner en pays étranger, à être dehors. » 59 M. de Montaigne, Les Essais, op. cit., I, 3, p. 15. 60 Ibid., III, 4, p. 834 : « Nous pensons toujours ailleurs. »

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« dans », mais « à côté » de lui-même, dans la distance à l’égard de soi. C’est là qu’il peut s’entretenir agréablement avec ses voisins61, puis de proche en proche, avec les personnes qui, lui étant plus éloignées, lui sont a priori plus étrangères. Il en résulte qu’à la différence d’Emerson, tel qu’il est lu par Cavell comme représentatif d’une philosophie de l’ordinaire qui constitue une réponse au scepticisme (au sens 1), Montaigne ne développe pas une philosophie de l’ordinaire qui expliquerait le lointain par le proche, afin de regagner une proximité perdue avec le monde, perte liée chez Emerson au fait que sa culture européenne ayant été transplantée en Amérique, il doit la re-domestiquer sur une terre étrangère62. En tant que sceptique, Montaigne, s’il ne refuse pas le monde, redoute en revanche que son absorption première dans le monde, c’est-à-dire sa culture européenne, et même française et périgourdine, en le maintenant sous l’emprise des préjugés propres à sa culture, le rende incapable de douter des valeurs culturelles qu’il partage avec ses proches. C’est pourquoi, à la différence d’Emerson, pour qui les vagabondages de l’esprit et du corps sur des terres étrangères ne sont que des égarements63, Montaigne est plutôt enclin, si ce n’est à expliquer le proche par le lointain, du moins à bouleverser le jugement sur le proche par le lointain64. Il s’essaie même à « ensauvager » le proche en le regardant à partir du lointain, du point de vue d’un Cannibale qui le trouverait étrange et ferait état de sa perplexité, dans un discours accessible par le truchement de la traduction65. 61 Voir ibid., III, 3, p. 821, la métaphore de l’âme à divers étages, qui sait se tendre et se démonter et peut deviser avec plaisir de tout avec ses voisins. 62 R. W. Emerson, « The American Scholar », art. cit., p. 47 : « Le proche explique le lointain. » Voir le commentaire de Sandra Laugier dans « Emerson, penser l’ordinaire », Revue française d’études américaines, no 91, 2002/1, p. 43-60 : p. 44 : « Cette idée de domestication de la culture, et en général de l’ordinaire comme voisin (next, neighbor) ou domestique (domestic), permet de reconcevoir le rapport au monde, non comme une connaissance, mais comme proximité. » 63 Voir R. W. Emerson, « De la confiance en soi », dans id., Confiance en soi et autres essais, trad. M. Bégot, Paris, Rivages, « Rivages Poche », 2000, p. 119-120 : « Voyager est le paradis des sots […]. La rage de voyager est un symptôme d’un mal plus profond qui affecte tout acte intellectuel. L’intellect est vagabond et notre système d’enseignement engendre l’agitation. » 64 Voir la métaphore du masque arraché (M. de Montaigne, Les Essais, op. cit., I, 23, p. 117) qui, en bouleversant le jugement, le remet en un bien plus sûr état. 65 Voir le récit qui clôture le chapitre « Des Cannibales » (ibid., I, 31, p. 213-214). Sur le perspectivisme sceptique, voir Sylvia Giocanti, «  L’art sceptique de l’estrangement dans les Essais de Montaigne  », Essais. Revue interdisciplinaire d’Humanités, numéro hors-série 2013, L’estrangement. Retour sur un thème de Carlo Ginzburg, éd. par S. Landi, p. 19-35, qui propose un commentaire de l’essai de Carlo Ginzburg consacré à la notion d’« estrangement », À distance. Neuf essais sur le point de vue en histoire [1998], trad. P.-A. Fabre, Paris, Gallimard, 2001, p. 15-36.

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En ce sens, la présupposition d’un langage commun, du fait que les hommes ne sont hommes que parce qu’ils se tiennent les uns aux autres par la parole66, n’exclut pas le discours étranger. Alors même qu’il expose nécessairement à l’équivocité liée à sa traduction, le discours étranger doit être fréquenté, pour communiquer dans la différence67, tirer parti de la désorientation que produit le doute sur la valeur absolue du sens que l’on donne aux choses du monde à partir de ses attachements culturels, et ainsi assainir le rapport à soi, c’est-à-dire aussi à sa communauté d’appartenance première. On découvre alors, premièrement que ce que nous appelons « notre monde » ne l’est que relativement à d’autres petits mondes du même acabit que le nôtre, deuxièmement qu’il conviendrait, pour mieux se situer dans le vaste monde, d’en élargir notre représentation68. Toutefois, la mise à distance sceptique, pas plus qu’elle ne consiste – selon l’analyse contemporaine – à éviter le monde, ne consiste à se laisser séduire bêtement par les charmes de l’exotisme. Si aller à l’autre bout du monde ne garantit pas une prise de distance vis-à-vis de ses jugements tout faits, inversement, on peut très bien demeurer chez soi (« dans son pays ») et prendre de la distance à l’égard de ses propres pensées. Tel est le cas, si l’on est attentif au fait qu’avant de s’agencer et de s’affermir sous forme de jugements, nos pensées ne nous appartiennent pas vraiment, qu’elles tendent à s’éloigner sans cesse de nous : surgissant dans la langue vernaculaire, elles échappent69 aisément à nos prises, et apparaissent comme pensées étrangères parce qu’oubliées ou publiées (livrées à un public)70, ou comme pensées étranges qui pourraient nous faire honte71. Un travail de réappropriation de nos pensées est donc nécessaire, qui suppose qu’elles aient parcouru une certaine distance, qu’elles aient été suffisamment écartées de nous pour entrer dans le circuit de la reconnaissance des autres – que ces autres soient des familiers, des compatriotes, ou des étrangers 66 M. de Montaigne, Les Essais, op. cit., I, 9, p. 36 : « Nous ne sommes hommes, et ne nous tenons les uns aux autres que par la parole. » 67 Voir Eduardo Viveiros de Castro, Métaphysiques cannibales, trad. O. Bonilla, Paris, PUF, 2009, p. 57 : « Traduire, c’est présumer qu’il y a depuis toujours et pour toujours une équivoque : c’est communiquer par la différence, au lieu de garder l’autre sous silence en présumant une univocité originelle […] ». 68 M. de Montaigne, Les Essais, op. cit., I, 26, p. 157 : « Nous sommes tous contraints et amoncelés en nous et avons la vue raccourcie à la longueur de notre nez. » 69 Voir notamment ibid., I, 8, p. 32-33, et III, 5, p. 876-877. 70 Voir ibid., II, 8, p. 402, où Montaigne soutient que les pensées consignées dans ses essais lui sont devenues tellement étrangères, qu’il faudrait pour se les réapproprier qu’il les emprunte, comme il le fait pour n’importe quel ouvrage. 71 Sur les pensées étranges et monstrueuses qui étonnent et rendent difficile la compréhension de soi-même, voir ibid., III, 11, p 1029. Sur l’effet possible de honte, voir ibid., I, 8, p. 33.

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aussi étranges que les Cannibales. Ainsi, à partir du moment où il est nécessaire que nos paroles circulent dans le monde pour que nous puissions à partir d’elles nous authentifier72, c’est donc bien que l’identité dans le scepticisme, toujours sociale et provisoire dans son édification, n’est pas tributaire d’un enracinement, mais de l’interaction linguistique. L’identité-relation, à la différence de l’identité-racine (selon la distinction d’Édouard Glissant), procède de l’échange de significations (qui suppose de donner et de recevoir), et non principalement d’une compréhension saisissante (propre à la phantasia kataleptike) qui, étreignant l’objet de pensée, le capturerait et prendrait possession d’un seul sens empoigné et ramené à soi73. Le sceptique ne souscrit pas à l’obligation de vénérer la saisie conceptuelle (Begriff) qui, selon l’analyse heideggerienne agresse (Angriff signifie « agression ») l’homme en le débusquant de sa quotidienneté, pour le renvoyer de manière bénéfique au fond des choses, et lui faire miroiter la possibilité de prendre pied74. Au contraire, le sceptique recueille les significations qui s’offrent à lui à la surface des apparences, et pour ainsi dire lui « tombent dans les mains » (ou si l’on préfère dans l’oreille75), sans confondre de manière délibérée –  au moyen d’un glissement entre denken, penser, et danken, remercier – cette réception avec un instant de grâce par lequel il remercierait Dieu. À la suite de quoi, il renvoie dans le monde les significations recueillies – ce qu’Édouard Glissant nomme « donner avec76 » – mais d’une manière transformée, après les avoir modelées et même transfigurées. 72 Sur les Essais qui, par l’effet de la publication, servent de règle de vie et configurent le moi, voir ibid., III, 9, p. 980 et II, 18, p. 665. 73 Les propos d’Édouard Glissant, fondés sur la distinction entre «  identité-racine  » et « identité-relation » (Poétique de la relation, op. cit., p. 157-158) consonnent avec la critique sceptique – que Glissant assimile au détournement caractéristique du baroque (voir p. 91 « D’un baroque mondialisé ») –, de la prétention à la compréhension par l’exploration des profondeurs. Glissant en vient ainsi à filer la même métaphore d’origine stoïcienne du poing fermé, opposé à la main ouverte : « Il y a dans ce verbe comprendre le mouvement des mains qui prennent l’entour et le ramènent à soi. Geste d’enfermement, sinon d’appropriation. Préférons-lui le geste du donner-avec, qui ouvre enfin sur la totalité. » (p. 206). 74 Martin Heidegger, Les concepts fondamentaux de la métaphysique, trad. D. Panis, éd. Fr.-W. von Herrmann, Paris, Gallimard, 1992, §7, p.  44 : «  Le concept philosophique est une agression sur l’homme, et surtout sur l’homme en entier – débusqué de sa quotidienneté et renvoyé vers le fondement des choses. » 75 M. de Montaigne, Les Essais, op. cit., III, 8, p. 923 : « Nous autres, qui privons notre jugement du droit de faire des arrêts, regardons mollement les opinions diverses ; et si nous n’y prêtons le jugement, nous y prêtons aisément l’oreille. Où l’un plat est vide du tout en la balance, je laisse vaciller l’autre sous les songes d’une vieille. » 76 Voir Poétique de la relation, op. cit., p. 206 : « La poussée du monde […] vous multiplie alentour. »

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Les sinuosités du doute sceptique étant discursives, elles constituent en effet le prélude au refaçonnage du sens. À l’opposé du Faust de Goethe qui, pour déprécier tout ce qui est destiné à la « passagèreté », déclare que « tout ce qui passe n’est que métaphore77 », le sceptique considère que la circulation de sens propre à la communication ayant pour condition la mobilité, il est bon que les mots du langage commun qui en constituent les éléments premiers mais aussi le véhicule, n’aient pas une fixité sémantique telle que l’on ne puisse y introduire des déplacements. De ce fait, il accorde une place non négligeable aux opérations de « métaphorisation » qui permettent de transporter le sens plus loin, de le détourner au moyen d’expressions donnant à réfléchir les objets du monde à partir d’analogies, d’opérer des mélanges entre des contraires qu’interdirait la soumission de l’esprit à une logique fondée sur le principe de non-contradiction. Cela revient à dire que la philosophie sceptique se conçoit aussi comme une poétique78, comme travail de métissage ou d’emmêlement des idées à partir des images qu’elles peuvent susciter, par transplantation d’éléments étrangers au registre conceptuel du langage philosophique. Elle se déploie ainsi sous une forme nouvelle, qui résulte de ce que l’on pourrait appeler «  une créolisation  » de la langue79, dont le bénéfice philosophique consiste à bousculer, déplacer, étoffer et diversifier les représentations du monde, et par conséquent les manières de s’y rapporter et d’y séjourner. C’est ainsi que le doute sceptique donne aux esprits chagrins et tourmentés les moyens de se réconcilier avec le monde : parce qu’il cultive un désir du monde qui « le multiplie alentour80 », le philosophe sceptique ne subit pas le malaise propre à celui qui – conformément à l’attitude que dessine l’étymologie du terme doute 77 Johann Wolfgang Goethe, Faust, Paris, Flammarion, 1984, II, v. 1204-1205 : «  Alles Vergängliche ist nur Gleichnis. » 78 Pour Montaigne, la première philosophie (c’est-à-dire la métaphysique) est également une poétique. Voir Les Essais, op. cit., III, 9, p. 995. 79 En m’inspirant d’Édouard Glissant (Poétique de la relation, op. cit., note de la p. 132), nous entendons par «  créolisation  » l’introduction délibérée, mais non agressive, d’éléments hétérogènes dans une langue (par exemple le Gascon dans la langue française, voir M. de Montaigne, Les Essais, op.  cit., I, 26, p.  171), qui permet de la refaçonner. La créolisation sceptique désigne ici l’introduction de tournures (figures ou expressions) littéraires dans le langage philosophique, que Montaigne appelle de ses vœux lorsqu’il écrit (ibid., III, 5, p. 874) : « En notre langage, je trouve assez d’étoffe, mais un peu faute de façon : car il n’est rien qu’on ne fît du jargon de nos chasses et de notre guerre, qui est un généreux terrain à emprunter ; et les formes de parler, comme les herbes, s’amendent et fortifient en les transplantant. Je le trouve suffisamment abondant, mais non pas maniant et vigoureux suffisamment. Il succombe ordinaire à une puissante conception. » 80 É. Glissant, Poétique de la relation, op. cit., p. 211.

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(dubio/dubium) – est partagé voire paralysé entre deux choses, sans savoir laquelle choisir. Le doute sceptique n’est pas binaire, il ne rend pas prisonnier d’une logique de l’opposition. Par l’exercice du doute, source perpétuelle d’ambiguïté et par conséquent de perplexité face aux choses du monde qui apparaissent sous un jour nouveau, le sceptique prend les choses qui se présentent ensemble (ambo signifie « les deux ensemble »), dans leurs contrariétés, amortissant la dureté et la partialité d’un contact univoque avec la réalité. De ce fait, si le sceptique était mis en demeure d’élaborer une signalétique chargée de remédier au manque de sens, loin de baliser le monde à sens unique, ce qui serait insupportable81, il diffracterait le sens. Il le comprendrait sans effectuer une capture du monde, puisque comme l’exprime la métaphore stoïcienne de la main étendue, les chemins du doute ouvrent à l’expérience des apparences, dont la qualité universelle est « la diversité et variété »82. Permettant de puiser dans ce mélange des choses pour ressourcer ses plaisirs, le doute favorise donc l’acceptation du monde, et donne même les moyens d’y passer de manière sereine, voire de l’investir de manière jubilatoire par des médiations linguistico-culturelles. Conclusion L’histoire de la réception du scepticisme philosophique permet de distinguer deux conceptions opposées du doute sceptique : - l’une, issue de Descartes, selon laquelle le doute est un évitement du contact anxiogène ou brutal avec la réalité, évitement dont la conséquence plus ou moins tragique est la déviation, et même la distorsion pathologique de sens83, prélude à une séparation ou fuite hors du monde, à la rupture des liens ;

81 Comme le dit Hans Blumenberg (Le souci traverse le fleuve [1987], trad. O. Mannoni, Paris, L’Arche, 1990, p. 90-91), « peut-être ne devrions-nous pas seulement cultiver la colère que nous inspire l’absence de sens du monde, mais aussi entretenir un peu de cette crainte qu’engendre la possibilité qu’il puisse être parfaitement sensé », car « dans un monde sensé, il doit exister des indications, des orientations, des panneaux indicateurs, des modes d’emploi, des signes, des signatures. […] Le sens signifie toujours, aussi, que devient visible ce qui est important pour tout, et pour chacun. Il faut d’abord pouvoir être prêt à le supporter ». 82 M. de Montaigne, Les Essais, III, 13, p. 1065 : « Il n’est aucune qualité si universelle en cette image des choses que la diversité et variété. » 83 Toute la question est de savoir si l’opération de digression, diversion, détournement (« deflect  ») propre au discours sceptique est nécessairement source d’une falsification qui empêche notre insertion dans le monde (comme le prétend notamment Cora Diamond), ou si au contraire (comme nous le pensons) elle la favorise. Voir Élise Domenach, « “La vérité du scepticisme”, le destin d’une expression  », Revue internationale de philosophie, nº  256, 2011/2, p. 201-220.

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- l’autre, issue de Montaigne, selon laquelle les détours du doute confrontent à la réalité, mais de manière biaisée, en offrant une multiplicité de modèles de relations, dont l’élaboration est rendue possible par les remaniements du discours à tous les niveaux (termes, énoncés, composition). Compris en ce second sens, le doute sceptique fournit les moyens discursifs de renouer et réaménager nos liens inter-mondains84. S’il permet d’adoucir le contact avec la réalité, et ainsi de ménager notre sensibilité, sa fécondité repose de manière plus générale sur la réélaboration perpétuelle de notre rapport au monde à partir d’un travail sur nos représentations.

84 Compris au sens 1, le scepticisme est caractérisé comme une philosophie qui se donne pour objet l’impuissance des mots, ne croit pas en leur capacité à transformer et a fortiori sublimer notre rapport au monde, et même est vouée au mutisme. Voir Stanley Cavell, Un ton pour la philosophie [1994], trad. S. Laugier et É. Domenach, Paris, Bayard, 2003, p. 146, 165 et 169. Compris au sens 2 (celui de Montaigne), le scepticisme pourrait reprendre à son compte la devise d’Austin (cité par Cavell p. 174) « notre parole est notre engagement ».

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Le doute comme marqueur du progrès des sciences

Vincent Jullien – Université de Nantes, CAPHI (EA 7463)

Des savants dubitatifs Dans un livre réalisé il y a quelques années avec d’autres chercheurs, nous avions voulu montrer comment l’Europe moderne s’était constituée en association avec l’émergence de ce que, depuis, on nomme la science classique1. Nous écrivions ceci, en introduction : L’hypothèse qui est ici proposée est finalement aussi simple qu’importante : l’Europe en constitution a rendu possible le développement des sciences et de la philosophie naturelle ; réciproquement, la constitution de ces immenses domaines de savoir a constitué une des trames les plus stables, profondes et solides qui font exister l’Europe2.

Le thème du doute n’avait pas été sérieusement examiné au cours de nos travaux. L’occasion m’est ici fournie d’y réfléchir. Une constatation s’impose en effet, les savants de l’âge classique doutent. Pas tant ou pas seulement de Dieu, de sa grâce ou de ses attributs, ils doutent de ce qu’ils inventent, de ce qu’ils découvrent ou des conséquences de tout ceci. Je me propose de montrer la réalité de cette incertitude, puis de distinguer les manières diverses qu’ils ont de douter, puisque nous savons bien que le doute cartésien n’est pas celui de Pascal et que ni l’un ni l’autre ne ressemble au doute d’un Roberval ou d’un Gassendi. Enfin, il me paraît possible de défendre l’idée que, loin d’affaiblir la portée de leur activité scientifique, ce doute – sous ses divers modes – est une condition du succès des sciences modernes. Le temps des fictions Si tous les modernes sont d’accord pour chasser les vertus occultes des activités scientifiques, ils ne réservent pas le même sort aux fictions qui survivent et s’épa-

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Europe et Sciences modernes, histoire d’un engendrement mutuel, éd. par V. Jullien et E. Nicolaïdis, avec M. Blay, Bern, Peter Lang, 2012. Ibid., p. 1.

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nouissent même, dans les mathématiques, l’astronomie, l’optique, la mécanique. Elles peuvent être nommées fables, hypothèses, expériences de pensée, analogies ou modèles, elles témoignent de l’existence du doute. Ceci n’est pas nouveau puisque déjà les astronomes grecs usaient des épicycles et excentriques pour le plus grand bien de l’astronomie. Plus généralement, comme le signale C. Margat-Barberis, « on ne peut oublier que toute philosophie est aussi une création et que les concepts qu’elle forge sont autant de fictions qui nous permettent de penser le réel3 ». Elles n’ont jamais quitté le monde des sciences, bien au contraire. Le modèle atomique de Bohr au début du xxe siècle, le gène égoïste de Richard Dawkins en théorie de l’évolution, l’énergie sombre de la cosmologie contemporaine en témoignent. Elles s’épanouissent au xviie siècle : la chute d’un corps dans le vide pour Galilée ou le chaos primitif de Descartes4 sont des exemples classiques de fictions physiques comme l’objection de Johann Locher contre Galilée5 ou encore le pastiche de l’Aristarque de Roberval6. Les mathématiques leur font une grande place et ceci est assez nouveau. Au temps qui nous occupe, j’en vois deux familles : les racines imaginaires7 que conçoivent et utilisent les algébristes (parmi lesquels Descartes) et les indivisibles qui font un triomphe en géométrie, tout au long du xviie siècle8. Les schémas épistémologiques qui conviennent à l’âge classique ne sont pas simples et les thèses unilatérales ne soutiennent pas l’examen. À côté de l’épanouissement ou de la renaissance des grands systèmes dont une caractéristique devrait être de chasser le doute des fondements de la philosophie naturelle, une autre conception s’épanouit, à la faveur même de ce combat général entre les anciens et les modernes : le phénoménisme (une sorte de scepticisme épistémologique). Il s’agit pour ses tenants, de renoncer aux explications ultimes et métaphysiques

Claire Margat-Barberis, « Fiction », dans Encyclopédie philosophique universelle, Paris, PUF, 1991, t.1, p. 984. 4 « Je veux envelopper une partie [de mon discours] dans l’invention d’une fable, au travers de laquelle j’espère que la vérité ne laissera pas de paraître suffisamment », René Descartes, Le Monde, dans id., Œuvres, éd. Ch. Adam et P. Tannery, [Paris, Léopold Cerf, 11 vol., 1897-1909], rééd. Paris, Vrin-CNRS Éditions, 11 vol., 1964-1974, t. XI, 1967, p.  1-215, Chapitre V, p. 31. 5 Cf. Jacques Gapaillard, Et pourtant elle tourne, Paris, Seuil, 1993, chap. 10. 6 Cf. Vincent Jullien, « Roberval, ni Dieu, ni atomes », dans Révolution scientifique et libertinage, éd. par A. Mothu et A. Del Prete, Turnhout, Brepols, 2000, p. 85-103. 7 Les futurs nombres complexes. 8 Cf. Seventeenth-Century Indivisibles Revisited, éd. par V. Jullien, Bâle, Birkhaüser/Springer, 2015. On ajoutera les quantités infinitésimales si on veut les distinguer des précédents. 3

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des lois de la nature, sans renoncer à une connaissance toujours meilleure de cette nature et des phénomènes. Le philosophe-physicien d’Aristote avait comme programme la découverte de la vérité phénoménale, selon la nature des choses. À côté du philosophe physicien plus royaliste que le roi, plus systématique que le Stagirite, rationaliste enfin contre l’empirisme (prétendu) de la scolastique, on voit s’affirmer au xviie siècle, un philosophe physicien qui accepte de renoncer à ce degré de certitude et laisse volontiers le régime de la vérité absolue à la métaphysique, pour soumettre l’intelligibilité des phénomènes à un autre régime, en découplant ceux-ci et celle-là. Un passage en revue de quelques grands domaines nous permettra d’observer comme nos savants doutent de ce qu’ils explorent et découvrent. Où l’on constate l’existence du doute dans les sciences Le concept de Monde est devenu flou La plupart des auteurs coperniciens ne disposent plus d’un concept stable de Monde au cours du premier siècle de fondation de l’Europe moderne, entre 1550 et 16509. L’idée générale de ce qu’est le Monde se transforme et même se brise dans la seconde moitié du xvie siècle. L’adoption de l’héliocentrisme correspond certainement à un gain de connaissances de grande importance, mais on aurait tort de croire que cette thèse suffise à forger un concept général de Monde relativement stable. L’hypothèse nouvelle génère une série de problèmes majeurs et découvre des domaines d’incertitudes considérables concernant la finitude du monde, le statut des étoiles, la nature des forces à l’œuvre, etc. À leur sujet, effectivement, on ne sait rien. Le nouveau Monde est-il fini ou sans limites ? Copernic « prend au sérieux le doute sur la limite inconnaissable du monde10 » ; il examine avec beaucoup de soin la thèse de l’infinité et ne paraît pas rejeter comme absurde l’idée que le ciel fini par sa concavité intérieure puisse être infini à l’extérieur… Il s’interdit de trancher, laissant cette délicate question en suspens, et son éventuelle solution aux philosophes de la nature11.

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Les autres non plus d’ailleurs, étant donné l’état désormais bien délabré de l’ancien paradigme. 10 Michel-Pierre Lerner, Le monde des sphères, Paris, Les Belles Lettres, 2 vol., 1996-1997, t. 2, 1997, p. 99. 11 Rheticus, l’élève de Copernic, avait écrit dans sa Narratio Prima : « Il n’y a rien, en dehors de la concavité de l’orbe étoilé que nous puissions chercher à connaître », ibid., n. 67.

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Galilée, un siècle plus tard, ne se prononce pas nettement sur la finitude du monde. Il écrit ainsi en 1624 à Pietro Ingoli : Ne savez-vous pas qu’il est encore indécidé (et je crois que cela le restera toujours pour les sciences accessibles à l’homme) si l’univers est fini ou infini ? […] Aucun homme au monde ne sait ni n’est en mesure de connaître par des moyens humains non seulement quelle est la figure du firmament, mais même s’il en a tout simplement une12.

Poursuivant la controverse, il revient sur le sujet : […] S’agissant maintenant du monde que l’entendement peut saisir audelà de nos sens, mon jugement et mon esprit ne parviennent pas à le concevoir, ni fini, ni infini ; aussi, sur cette question, je m’en remets à ce que les sciences supérieures [i.e. la théologie] établissent13.

Roberval affiche lui aussi une sorte de doute sur le système du monde. Dans son pseudo-traité d’Aristarque de Samos, il ouvre des alternatives en soulignant bien l’impossibilité et même l’inutilité qu’il y aurait à prétendre affirmer quelle est la bonne solution : Enfin, vous demandez mon avis, et si, contre Ptolémée et Tycho, je suis partisan du seul Aristarque. Je me récuse. Il ne convient pas à un mathématicien avisé de suivre telle ou telle opinion, adopter celle-ci, rejeter celle-là, jusque ce que la démonstration de l’une ou la réfutation de l’autre soit d’une évidence manifeste. Or nous n’en sommes pas là ; on ne peut pas affirmer que de ces trois systèmes des plus célèbres auteurs, l’un soit le vrai et naturel système du monde : peut-être sont-ils tous trois faux, et le véritable ignoré. Quoiqu’il en soit, de ces trois, le plus simple et le plus conforme aux lois de la nature paraît être le système d’Aristarque : en sorte que si nous ne pouvons y adhérer avec certitude, du moins nous avons des raisons sérieuses de pencher en sa faveur14.

Lisons ce qu’en disent des experts en la matière. En 1629, dans le manuel de leur collège de Pont-à-Mousson les pères les jésuites écrivent ceci : Bien qu’il soit probable que le firmament qui entoure la totalité des choses tel un mur d’enceinte soit dur et adamantin [i.e. dur comme de l’acier, cf. diamant] et que les étoiles fixes y soient attachées comme les

12 Galilée, Lettre à Ingoli, 1624, ibid., p. 168. 13 Ibid., p. 171. 14 Aristarchi Samii De mundi systemate, partibus, & motibus ejusdem, libellus, adiecta sunt AE. P. Roberual […] notae in eundem libellum, Paris, Antoine Bertier, 1644. Passage traduit dans Vincent Jullien, « Gassendi, Roberval à l’académie Mersenne. Lieux et occasions de contact entre ces deux auteurs », xviie Siècle, t. LVIII, 2006, p. 601-613 : p. 602.

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pierres précieuses le sont à leur couronne et les nœuds au bois de leur planche, le contraire est tout aussi probable15.

Les étoiles sont-elles d’autres soleils ? Michael Maestin, le maître de Kepler s’interroge : « Il est probable que les étoiles du firmament ne sont pas toutes à égale distance du centre de l’Univers, mais rien de certain ne peut être avancé en la matière16 ». La découverte, à partir de Galilée des multitudes d’étoiles qui semblent disséminées et non plus fixées à une même sphère rend la question plus brûlante. Pourquoi ne seraient-elles pas des centres de mondes possibles ? Galilée accorde que les étoiles-soleil sont probables : « Le soleil – écrit-il – ne comporte aucune détermination qui nous permettrait de le séparer du troupeau des autres étoiles fixes, en sorte qu’il est parfaitement raisonnable de dire que chaque fixe est un soleil17 ». L’opinion de Gassendi est moins assurée : « [Il] n’accepte pas la pluralité des Mondes ni l’infinité de l’Univers » souligne José Kani-Turpin en s’appuyant sur les Animadversiones18, alors qu’Antonella Del Prete note «  que Gassendi, laisse entendre qu’il ne s’oppose pas à la théorie de la pluralité des mondes, esquissant un Univers proche de son exposé des thèses de Bruno19 ». Pour Roberval, l’incertitude est explicite dans l’Aristarque : Il est difficile de décider quant à ce que l’on doit estimer à propos des étoiles fixes [et] l’hypothèse selon laquelle elles sont des soleils au centre d’autres grands systèmes, ne dépend que de pures conjectures et n’est confirmée ni par la raison, ni par l’expérience, pas plus qu’elle n’est contredite par celles-ci20.

On pourrait citer encore et encore des aveux d’incertitude sur les aspects connexes, comme le lieu du Monde, dont on ne sait s’il a un sens et si oui, en quoi il consiste ? Citée dans M.-P. Lerner, Le monde des sphères, op. cit., p. 115. Ibid., p. 119. Galilée, Lettre à Ingoli, ibid., p. 168. José Kany-Turpin, « Atomes et molécules dans les Animadversiones de Pierre Gassendi », dans L’atomisme aux xviie et xviiie siècles, éd. par J. Salem, Paris, Publications de la Sorbonne, 1999, p. 59-71 : p. 62. 19 Antonella Del Prete, « Réfuter et traduire : Marin Mersenne et la cosmologie de Giordano Bruno », dans Révolution scientifique et libertinage, op. cit., p. 49-83 : p. 72. 20 « De Stellis fixis quid censendum sit difficilius est statuere. Ex meo ra conjectura pendet, nullaque rationa ut experientia confirmatur sic uti neque contraria ratione aut observatione falsa esse convincitur ; ideo nos ipsam negligimus ne ea damnemus que vera esse forsan non repugnat ; aut iis assentiamur de quorum veritate nec ratione nec sensu quidquam deprehendi potuit », passage traduit dans V. Jullien, « Gassendi, Roberval à l’académie Mersenne », art. cit., p. 603-604.

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La réponse consistante qu’apportait la théorie des sphères concentriques à la question fameuse a quo moveantur planetae ? n’a plus cours, c’est entendu, mais quelle solution adopter ? Les planètes, insérées dans leur sphère, comme le diamant dans un collier, étaient supposées être emportées par la rotation naturelle de la sphère ; les thèses nouvelles sont douteuses : la science propre du pilotage des planètes, défendue par Tycho, l’attraction magnétique suggérée par Kepler, les tourbillons de matière subtile de Descartes, la mystérieuse attraction mutuelle de Roberval, telles sont les solutions candidates. Les plus prudents, comme Galilée, évitent tout bonnement d’en soutenir une quelconque, laissant l’affaire indécidée. L’espace et la matière sont inconnus L’existence du vide constitue un autre grand chapitre des sciences de l’âge classique. La situation est assez analogue à la précédente : les théories anciennes de la matière, les quatre éléments et l’horreur du vide sont bientôt réfutées et de vastes connaissances nouvelles –barométriques notamment – sont acquises. Cependant, le doute est grand quant à ce qu’il faut entendre par matière et espace ; non seulement les doctrines nouvelles s’opposent, mais encore, elles sont fragiles et hésitantes. Le débat a pris un tour décisif avec l’expérience suggérée par Torricelli21. Suit une intense décennie de discussion dans toute l’Europe. S’il apparaît que “l’espace de Torricelli” ne peut être occupé par les “éléments d’Aristote”, la résistance des traditionalistes n’est pas négligeable et surtout, la thèse cartésienne ouvre une alternative au vacuisme alors que l’atomisme renaît de ses cendres. Le caractère barométrique de l’expérience convainc les esprits, mais la nature de l’espace physique est inconnue. La prudence est de mise chez Roberval, voire chez Pascal, Robert Boyle22 ou Hobbes qui écrit ainsi à Mersenne, en 1648 : Aucune des expériences effectuées par vous ou par d’autres avec du mercure ne permet de conclure à l’existence d’un vide, car la matière subtile contenue dans l’air étant pressée contre le mercure, passera à travers lui […] rien de certain ne peut être établi à propos de cet espace apparemment vide que traversent la lumière et les couleurs23.

21 Cf. Vincent Jullien, « Remarques à propos du doute et de l’imagination », dans Doute et imagination. Constructions du savoir de la Renaissance aux Lumières, éd. par G. Goubier, B. Parmentier et D. Martin, Paris, Classiques Garnier, 2011, p. 67-76. L’expérience inaugurale, imaginée par Torricelli, eut lieu à Florence en 1644. 22 Voir l’excellent livre de Sylvain Matton, Trois médecins philosophes au xviie siècle, Pierre Mosnier, G.B. de Saint-Romain, Guillaume Lamy, préface de J. Mesnard, Paris, Honoré Champion, 2004. 23 Cité dans Steven Shapin, Simon Schaffer, Leviathan and the Air Pump: Hobbes, Boyle and the Experimental Life, Princeton (NJ), Princeton University Press, 1985 ; traduction id.,

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Roberval adopte une même attitude dubitative. Certes, il est un adversaire résolu de l’impossibilité du vide et surtout un adversaire de la matière subtile qui n’est établie, ni par des expériences, ni – à ses yeux – par les arguments métaphysiques de Descartes. Ceci ne lui suffit pas pour embrasser le système des atomes et du vide. À propos de son importante expérience dite de la vessie de carpe, il écrit à Desnoyers : J’ai fait ainsi justice de la prétendue découverte expérimentale que les protecteurs du vide opposaient à la doctrine du plein. J’ai ainsi ramené la question aux termes où elle se posait avant l’expérience de Torricelli ; je l’ai renvoyée du laboratoire à l’École qui la discutera peut-être éternellement24.

Il emporte l’adhésion de Mersenne qui affirme ainsi dans son Harmonie universelle que la question du vide ne peut être tranchée par la théorie. Roberval revendique son ignorance de la cause véritable et première des phénomènes que nous observons et expérimentons, et soutient que nul ne peut y prétendre. Mais, et c’est ce qui me semble le plus remarquable en cette expectative, l’indécision n’affecte en rien ses travaux scientifiques. La décision en faveur de (ou contre) l’atomisme ne joue nul rôle dans l’établissement des hypothèses théoriques « locales » proposées par Roberval. La remarque vaut sur le même sujet, pour Boyle qui refuse de se réclamer de l’atomisme pas plus que de la matière subtile. La nature de la lumière La lumière, les théories qu’elle suggère, les hypothèses qui sont formulées à son sujet et les expérimentations dont elle est l’objet nourrissent un doute quasi général. Kepler fut un des grands théoriciens de l’optique moderne. Dans les Paralipomènes, puis dans l’Optique, des principes ou axiomes physiques sont posés comme compléments de la géométrisation de la lumière mais la nature ultime de celle-ci n’est pas donnée par ce grâce à quoi on étudie les phénomènes lumineux. Il le note explicitement en soulignant que « le rayon lumineux n’est en rien la lumière qui se propage »25.

Léviathan et la pompe à air : Hobbes et Boyle entre science et politique, trad. T. Piélat et S. Barjansky, Paris, La découverte, 1993, p. 87-88. 24 Gilles de Roberval, Seconde De vacuo Narratio, dans Pascal, Œuvres Complètes, éd. J. Mesnard, Paris, Desclée de Brouwer, 1964-1992, t. II, 1970, p. 603-611 (extraits et traduction) ; c’est moi qui souligne. 25 Johannes Kepler, Ad Vitellionem Paralipomena, Proposition VIII, Livre I, dans id., Gesammelte Werke, 22 t., München, C.H. Beck, 1938-2017, t. 2, 1939, p. 5-391 : p. 21; traduction dans Gérard Simon, Kepler, rénovateur de l’optique, éd. D. Bellis et N. Roudet, Paris, Classiques Garnier, 2019, p. 63.

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Dans une lettre du 23 juin 1640, Galilée reconnaît qu’en ce qui concerne l’essence de la lumière, il a toujours été dans les ténèbres. Une conception générale de l’essence de la lumière et de la vision est repérable chez Galilée, mais elle est floue, stérile, contradictoire. Ainsi, dans le Sidereus Nuncius, on rencontre des rayons visuels sortant de l’œil et se dirigeant vers l’objet26. L’antique théorie des espèces visibles se retrouve dans son Saggiatore. En résumé remarque Fernand Hallyn, alternant les langages de différentes théories existantes – dont Kepler souligne, dans sa Conversation avec le Messager des étoiles, qu’aucune ne peut réellement expliquer l’action de la lunette – Galilée semble bien ne pas avoir eu de théorie propre27.

Il en a conscience puisqu’il annonce dans le Sidereus Nuncius « Nous publierons à une autre occasion la théorie complète de cet instrument », mais rien de tel n’est jamais venu. Pour Roberval – on n’en sera pas surpris – place au doute quant à la nature de la lumière : Je ne parleray point aussi de la nature ou de l’essence de la lumière, à sçavoir si c’est l’accident péripatétique ou une substance corporelle très déliée ; ou le seul mouvement des petits atomes, dont j’ay parlé ailleurs, car il faut consulter les philosophes sur cecy, si l’on n’ayme mieux employer le tems à des choses plus certaines, puis qu’ils n’ont encore rien trouvé de certain en cette matière si claire à l’œil et si obscure à l’esprit qu’elle convainct notre ignorance […]28.

La justification la plus déterminée de ce doute luminaire revient au père Grimaldi à qui l’on doit une illustration intelligente et lucide de l’examen des raisons en présence. Son traité Physico-mathesis de lumine, coloribus et iride paraît tardivement (en 1665) à Bologne. Le premier livre rassemble bien des arguments en faveur de la substantialité de la lumière. Le second, plus court, examine ce qui prêche pour l’accidentalisme. Les succès de ses travaux expérimentaux ne nient pas la légitimité du problème de la nature de la lumière, mais ne permettent pas de la résoudre. L’existence de la lumière est connue de tous ceux qui ne sont pas aveugles mais

26 L’éditeur de Galilée, Fernand Hallyn, signale à ce propos la publication et la défense, en 1604, de L’optique et catoptrique d’Euclide par Jean Péna, œuvre qui put servir à Galilée. Voir sur ce point F. Hallyn, « Introduction », dans Galilée, Messager des étoiles, Paris, Seuil, 1993, p. 13-101 : p. 43. 27 Ibid. 28 Passage attribué à Roberval quoique inséré dans un texte présenté comme de J.-F. Nicéron. Il est établi et cité par Robert Lenoble dans «  Roberval éditeur de Mersenne et du P. Nicéron », Revue d’histoire des sciences, t. X, 1957, p. 235-254 : p. 242.

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sa nature et sa consistance « naturam et quiditatem » restent un grand mystère : « Nous sommes sincères, nous ne savons pas quelle est la nature de la lumière, et s’en tirer avec de grands mots vides de sens est une imposture […]29 ». Ayant réfléchi à l’alternative entre une lumière matérielle, puis accidentelle, il avoue : […] celui qui arrivera à concilier ces deux choses aura éliminé toutes ces importantes difficultés, et, ajoutant la lumière à la lumière, aura bien droit à sa clarté, alors qu’elle est maintenant pour la plupart des gens, enveloppée dans les ténèbres de l’erreur30.

Descartes dispose d’une théorie de la lumière, dont il ne doute pas ; cependant, son traité d’optique le plus performant est La Dioptrique de 1637 dans laquelle il ne mobilise pas sa connaissance de la nature de la lumière : Il n’est pas besoin que j’entreprenne de dire au vrai quelle est sa nature [de la lumière] et je crois qu’il suffira que je me serve de deux ou trois comparaisons, qui aident à la concevoir en la façon qui me semble la plus commode, pour expliquer celles de ses propriétés que l’expérience nous fait connaître, et pour déduire ensuite toutes les autres qui ne peuvent pas si aisément être remarquées31.

Le mécaniste Huygens, auteur d’une théorie ondulatoire de la lumière, est très affirmatif sur ce sujet. « L’on ne saurait douter que la lumière ne consiste dans le mouvement de certaine matière » écrit-il. On rencontre pourtant l’expression du doute dans sa déclaration suivant l’explication de la transparence au chapitre III, après une série de considérations ad hoc concernant les rapports des particules éthérées et les particules du corps transparent : « C’est là tout ce que j’ai trouvé de plus vraisemblable pour la manière dont les ondes de lumière passent à travers les corps transparents32 ». Il y a là comme l’expression d’une humilité, ou d’une modestie dans l’affirmation des principes explicatifs qui confirme le statut hypothétique des causes en optique. Roberval avoue n’avoir aucune certitude en la matière mais surtout suggère que la détermination de la nature de la lumière n’est pas un préalable nécessaire à la découverte des lois auxquelles elle est soumise. Il est loin d’être isolé ; rappelons la

29 François Maria Grimaldi, « Préface » du Physico-mathesis de lumine, coloribus et irride, cité dans Vasco Ronchi, Storia della luce. Da Euclide a Einstein, Bologne, Zanichelli, 1939 ; traduction id., Histoire de la lumière, trad. J. Taton, Paris, Armand Colin, 1956, p. 124. 30 Ibid., p. 139. 31 R. Descartes, La Dioptrique, dans id., Œuvres, op. cit., p. 81-218 : Discours I, p. 83. 32 Christian Huygens, Traité de la lumière, Leyde, Pieter van der Aa, 1690 ; éd. française, Paris, Gauthier-Villars, 1920, p. 39.

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façon dont Pascal réplique à l’objection du père Noël au sujet du transport de la lumière dans le vide : Puisque la nature de la lumière est inconnue, à vous et à moi ; que, de tous ceux qui ont essayé de la définir, pas un n’a satisfait aucun de ceux qui cherchent les vérités palpables, et qu’elle nous demeurera peut-être éternellement inconnue, je crois que cet argument demeurera longtemps sans recevoir la force qui lui est nécessaire pour devenir convaincant. Car considérez, je vous prie, comment il est possible de conclure infailliblement que la nature de la lumière est telle qu’elle ne peut subsister dans le vide, lorsque l’on ignore la nature de la lumière. Que si nous la connaissions aussi parfaitement que nous l’ignorons, nous connaîtrions peut-être qu’elle subsisterait dans le vide avec plus d’éclat que dans aucun medium […] Ainsi, remettons cette preuve au temps où nous aurons l’intelligence de la nature de la lumière33.

Newton ajouta, en 1717, sur la seconde édition de son Optique, quelques Questions à celles qu’il avait insérées en fin du Livre  III ; il aboutit ainsi à une liste de 32 questions. Voici ce qu’il en dit : « [c’est une] manière d’écrire dont j’ai fait choix pour proposer mes idées, n’ayant pu encore les fixer à ma satisfaction, faute d’expérience34 ». Il ne s’agit pas de détails comme on le voit sur deux exemples : Question I : Les corps n’agissent-ils pas à certaine distance sur la lumière, de manière à infléchir ses rayons […] Question XXXVII : Les hypothèses inventées jusqu’ici pour expliquer les phénomènes de la lumière, par de nouvelles modifications, ne sont-elles pas toutes sans fondement ; puisque ces phénomènes dépendent de propriétés essentielles et immuables des rayons ?

Les lois de l’optique, de la réfraction, des couleurs sont en voie d’élucidation ou reçoivent des explications ou des représentations performantes. Les nombreuses démonstrations de la loi de la réfraction nous donnent un bel exemple de ce doute sur les causes réelles des phénomènes ; elles partent toutes de principes différents pour atteindre un résultat analogue. La nature de la lumière est donc, elle aussi, occasion de douter. Autrement dit, dès 1640 pour être large, chacun connaît la loi des sinus et la reconnaît pour vraie, mais cette vérité s’enracine-t-elle dans le principe du temps minimum, de l’effet le plus déterminé, de la lumière pression, de la lumière particule, ou de la nature du front d’ondes ? Sur ceci, le doute est assez général. 33 Blaise Pascal, Lettre à Noël, 29 octobre 1647, dans id., Œuvres Complètes, op. cit., t. II, p. 509-539: p. 520. 34 Isaac Newton, Optique de Newton, traduction novelle, Faite par M*** [Jean-Paul Marat] […], Paris, Leroy, 1787, « Avis de l’auteur sur la seconde édition », rééd. M. Blay, Paris, Christian Bourgeois, 1989, p. 35.

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La gravité En 1669, dans la toute nouvelle Académie royale des sciences s’engagent d’importantes recherches collectives sur « les causes de la pesanteur ». Le premier mémoire est présenté par Roberval le 7 août, avec les trois principales thèses qui s’affrontent. Le professeur royal définit d’abord la pesanteur d’un corps comme « ce qui porte ce corps à descendre vers un centre par la nature seule et sans artifice. Cela étant, on pourra considérer une pesanteur terrestre, une lunaire, une solaire, une joviale, etc. » II distingue alors trois modèles explicatifs ou plutôt “opinions” défendues à l’époque : La pesanteur réside dans le seul corps pesant ; la pesanteur est commune et réciproque entre ce corps pesant, et celuy vers lequel il est porté ; la pesanteur est produite par l’effort d’un tiers qui pousse le corps pesant35.

La recherche des principes et des causes de la pesanteur est secondaire, affirme l’académicien ; et ces trois opinions sont douteuses : Pour conclusion je feray toujours mon possible pour imiter Archimède, […] j’établirai, comme il a fait, mes raisonnements pour la mécanique sans me mettre en peine de savoir à fond les principes et les causes de la pesanteur me réservant à suivre la vérité, si elle veut bien se montrer un jour clairement et distinctement à mon esprit.

Il faut bien remarquer – et ceci plaide en faveur de cette incertitude – que le physicien à qui l’histoire reconnaît la gloire d’avoir découvert la loi de la chute des corps, à savoir Galilée, n’avait pas d’« opinion » sur les causes de la gravité. Disons qu’il n’y a pas de théorie de la gravité chez le grand italien. On songera aussi au fait que la théorie de la gravité qui offrira une grande synthèse à la physique nouvelle, à savoir l’attraction newtonienne, est un profond mystère, aux yeux de son inventeur luimême, du moins quant à sa nature et sa cause profonde, ou efficiente. Les mathématiques Le doute n’épargne pas les mathématiques de l’âge classique alors que cette science, en plein développement, passe encore et toujours pour le domaine où règnent la certitude et la vérité. Plusieurs imaginations et fictions mathématiques sont apparues (ou réapparues) au xvie siècle et, plutôt que d’être dissipées comme des anomalies éphémères, elles manifestent puissance et cohérence.

35 Voir le compte-rendu de la séance du 7 août 1669 de l’Académie Royale des Sciences, publié par Léon Auger, Un savant méconnu : Gilles Personne de Roberval (1602-1675). Son activité intellectuelle dans les domaines mathématique, physique, mécanique et philosophique, Paris, Blanchard, 1962, p. 179-181.

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La fin de siècle est un peu paradoxale pour les mathématiciens : ils sont, comme des nouveaux riches, accablés de biens qu’ils ne savent pas gérer. On l’a déjà dit, il s’agit des « racines imaginaires » et des « indivisibles ou infiniment petits ». Les premiers sont des nombres dont les carrés peuvent être négatifs, ce sont les futurs nombres complexes, L’emploi de ces étranges objets mathématiques a permis de résoudre des équations jusqu’alors insolubles36. Les seconds constituent les prémices ou les premiers pas de ce qui deviendra l’analyse infinitésimale. Ce sont, soit des lignes dont on considère que «  prises toutes ensembles », elles mesurent une surface, soit des grandeurs « aussi petites que l’on veut » de telle manière que l’on puisse énoncer que « lorsque deux grandeurs diffèrent d’une quantité aussi petite que l’on veut, elles sont égales ». C’est bien commode puisqu’elles sont à la fois négligeables et ne sont pas absolument nulles ; c’est aussi logiquement absurde. On comprend sans mal que ces objets introduisent le doute au cœur des mathématiques. Voici ce qu’en dit Bonaventura Cavalieri, grand élève de Galilée et père des indivisibles : J’ai employé un artifice similaire à celui qu’utilisent souvent les Algébristes pour résoudre leurs problèmes. Quoiqu’elles soient ineffables, absurdes et inconnues, les racines des nombres sont additionnées, soustraites, multipliées et divisées par eux ; et ils estiment avoir suffisamment rempli leurs obligations lorsqu’ils sont parvenus à trouver la solution du problème qu’ils cherchaient à résoudre. Ce n’est pas différent pour moi de faire usage [pour étudier la mesure des continus] de collections d’indivisibles, lignes ou plans, ainsi, même si elles sont innommables, absurdes et inconnues relativement à leur nombre, leur grandeur reste à l’intérieur de frontières bien définies37.

Cet argument (adapté) sera repris par Leibniz qui compare les grandeurs infiniment petites aux nombres imaginaires38. Parmi les grands mathématiciens, Descartes est 36 Considérons l’équation très simple x² + 1 = 0 ; si l’on veut qu’elle ait des solutions, il faut que celles-ci vérifient x² = -1. C’est impossible avec les nombres réels ; les audacieux algébristes italiens du xvie ont conçu des nombres imaginaires qui rendraient possible cette résolution. Pour cela, il fallait, au cours du calcul, introduire et utiliser ces nombres imaginaires grâce auxquels on pouvait réaliser certaines décompositions autrement interdites, ensuite de quoi, on pouvait les renvoyer dans les limbes tout en gardant les résultats (les solutions) que leur apparition avait rendus possibles. 37 Bonaventura Cavalieri, Geometria indivisibilibus continuorum nova quadam ratione promota, Bologne, ex Typographia de Ducijs (héritiers d’Evangelista Dozza), 1653, f. b2r. Je traduis. 38 « D’où il s’ensuit que si quelqu’un n’admet point les lignes infinies et infiniment petites à la rigueur métaphysique et comme des choses réelles, il peut s’en servir sûrement comme des notions idéales qui abrègent le raisonnement, semblables à ce qu’on appelle racines imaginaires (comme par exemple √-2), lesquelles, toutes imaginaires qu’on les appelle, ne laissent pas d’être utiles, et même nécessaires à exprimer analytiquement des grandeurs

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le plus marqué par ces découvertes qui permettent de produire des résultats vrais mais suivant des méthodes qui ne sont pas claires et distinctes39. Des expériences pouvaient-elles et devaient-elles lever les doutes ? La question de fond à propos des expériences scientifiques menées à l’âge classique est celle-ci : doit-on faire fond sur l’empirisme ? Les expériences sont-elles pourvoyeuses des découvertes scientifiques et leurs réussites lèvent-elles les doutes sur les théories ? On dispose de prises de position radicales qui entendent fonder la science comme essentiellement expérimentale40. Bien entendu, ce n’est pas aussi simple et tous ou presque doutent de ce que les grandes controverses puissent être tranchées et décidées par des expériences et peu suivent véritablement Bacon qui promouvait l’experimentum crucis comme une voie assurée vers la vérité. Il n’est pas possible d’examiner ici en quoi la voie de l’empirisme, philosophie supposée capable de surmonter le doute scientifique, est une impasse. Je me contenterais de souligner que la réalité même (ou la qualité) des expérimentations menées à l’âge classique a sérieusement été contestée et mise en doute. Le choix des grandes expériences est vaste ; la remise en cause la plus célèbre doit être celle qui vise les expériences sur le vide que Pascal a menées, avec son père et Pierre Petit, à Rouen en janvier et février 1647. Robert Boyle, en 1664 devant la Royal Society, conteste la réalité des expériences, les jugeant « plus aisées à imaginer qu’à exécuter »41 ; Félix Mathieu en 1906 réfute cette réalisation et Koyré, au congrès de Royaumont de 1954, soutient que Pascal n’a pas exécuté les expériences de Rouen ou qu’il ne les a pas décrites telles qu’elles se sont déroulées42. Alan Chalmers a récemment accru ce doute en discutant de la notion de pression chez Pascal43. La physique nouvelle a-t-elle été possible parce que la science devenait expérimentale ? Les expériences levaient-elles le doute dans les controverses scientifiques ?

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réelles […] », Gottfried Leibniz, Lettre à Varignon, 2 février 1702, dans id., Matematische Schriften, éd. C. I. Gerhardt, Hildesheim, G. Olms, 7 vol., 1962, vol. IV, p. 92. Je traduis. Cf. Vincent Jullien, «  Les frontières dans les mathématiques cartésiennes  », Historia Scienciarum, t. VIII, 1999, p. 211-238. On sait comment Newton scénarise ses découvertes optiques en survalorisant le rôle de l’expérience. Cité par J. Mesnard, dans Pascal, Œuvres Complètes, op. cit., t. II, p. 1039. Voir sur ce point l’article d’Armand Le Noxaïc, « Comment Blaise Pascal a pu envisager et réaliser l’expérience des liqueurs de Rouen », Revue d’Histoire des Sciences, t. LXVIII, 2015, p. 5-22 : p. 6. Alan Francis Chalmers, One Hundred Years of Pressure: Hydrostatics from Stevin to Pascal, Dordrecht, Springer, 2017. Chalmers vise là les expériences du Traité sur l’équilibre des liqueurs.

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L’exemple rouennais permet d’en douter et il y en a d’autres de grande importance. J’en mentionne trois. L’établissement du principe d’inertie avait-il besoin de l’expérience de la Galère marseillaise de Gassendi ou les arguments de Galilée, de Descartes, puis ceux de Huygens le fondaient-ils suffisamment sans elle ? La loi de la réfraction était-elle sous la dépendance des mesures expérimentales comme semblent le soutenir Fermat ou même Newton ou résultait-elle de formalisations mathématiques comme c’est le cas chez Descartes ou Leibniz ? La loi de la chute des graves est-elle inférée d’expériences et de mesures sur les plans inclinés ou plutôt, est-elle a priori puis validée par l’étude des trajectoires paraboliques 44? Diverses manières de douter Ce parcours, un peu long, mais – je l’assure au lecteur – qui n’offre qu’un échantillon des attitudes dubitatives des savants et philosophes de l’âge classique, peut nous suggérer qu’il y a diverses façons de douter et que cette notion rapproche des contenus bien éloignés les uns des autres. Le doute épistémologique45 Celui-ci a un manifeste à l’orée de l’âge classique ; c’est la préface qu’Osiander rédige anonymement et insère dans le De revolutionibus de Copernic. Que nous dit-il ? Il n’est pas nécessaire que ces hypothèses [de Copernic] soient vraies ni même vraisemblables ; une seule chose suffit : qu’elles offrent des calculs conformes à l’observation. [L’auteur] n’invente aucunement [les causes des mouvements des astres] afin de persuader quiconque qu’il en est effectivement ainsi mais uniquement afin qu’elles fondent un calcul exact46.

C’est ce doute que le cardinal Bellarmin voudrait obtenir de Galilée pour ne pas le condamner. C’est celui que défendent Roberval, Pascal ou Boyle lorsqu’ils affirment pouvoir développer l’optique et l’hydrostatique sans connaître la nature de la lumière ou la vérité sur l’atomisme ou la matière subtile. Le premier soutient que « La physique est toute véritable mais elle est fort cachée47 » et le second que « Les

44 Voir sur ces trois exemples ce que dit Pierre Petit, fervent « expérimentateur », dans sa lettre à Chanut de 1647, dans Pascal, Œuvres Complètes, op. cit., t. II, p. 357-358. 45 Que d’aucuns qualifieraient de positiviste, ou associé au programme Sauvez les phénomènes. 46 Préface anonyme d’Andreas Osiander au De revolutionibus, 1543, citée dans Alexandre Koyré, La révolution astronomique, Paris, Hermann, 1961, p. 38. 47 Gilles Personne de Roberval, L’évidence, le fait avéré, la chymère, ms. coté Ph4 dans le catalogue Gabbey des manuscrits robervalliens partiellement transcrit par L. Auger, Un savant méconnu, op. cit., p. 136-137.

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secrets de la nature sont cachés48 ». Il conviendrait de faire des distinctions complémentaires concernant le rôle des hypothèses dans l’élaboration d’une théorie. Boyle – comme Newton – allait loin et refusait, ou tentait de refuser, la nécessité d’un cadre théorique a priori pour interpréter ses expériences : Je me suis abstenu à dessein de m’informer complètement du système entier des atomistes, des cartésiens ou de tout autre philosophie nouvelle ou reçue […] pour n’avoir l’esprit pénétré d’aucune théorie ou principe49.

La position de Gassendi est délicate à caractériser : d’un côté, il défend un système général, l’atomisme, qui offre des réponses à tous les phénomènes considérés et qui constitue une sorte de protection générale contre le doute ; d’un autre côté, il défend le caractère seulement probable des sciences or ce qui est seulement probable est naturellement douteux. Le monde sensible et a fortiori ce que nous pouvons en percevoir et en connaître est trop grossier ou incertain pour relever des principes solides et inébranlables de la géométrie multiséculaire : en effet, ce serait prétendre introduire l’absolue certitude en un domaine où l’on atteint, au mieux, que le probable. Comme l’écrit Richard Popkin : «  Gassendi ne présente pas sa théorie atomiste comme une image vraie de la réalité, mais comme l’hypothèse la plus conforme aux données de l’expérience50 ». Le doute cartésien Il existe une manière de doute bien spécifique au système de la connaissance, celui du doute provisoire, élaboré par René Descartes. Selon lui, le doute est une exigence méthodologique tant en métaphysique qu’en philosophie naturelle. On émergera progressivement du doute en sachant éventuellement moins mais mieux ; mieux vaut connaître peu mais absolument plutôt que beaucoup et probablement. Les autolimitations de la Géométrie s’expliquent ainsi51. Cette mise en doute est entendue comme aussi provisoire que radicale et doit laisser la place à un « nouveau dogmatisme », une science de la nature garantie par la métaphysique. L’objectif général est l’établissement de la vérité comprise selon

48 Pascal, « Préface sur le traité du vide », dans id., Œuvres complètes, op. cit., t. II, p. 783-785. 49 Robert Boyle, Some Specimens of an Attempt to Make Chymical Experiments Useful to Illustrate the Notions of the Corpuscular Philosophy, Londres, Henry Herringman, 1668 t. 1, p. 355, traduction et citation dans S. Shapin, S. Schaffer, Léviathan et la pompe à air, op. cit., p. 70. 50 Richard H. Popkin, «  Scepticisme et sciences modernes (xvie-xviie siècles)  », dans Révolution scientifique et libertinage, op. cit., p. 105-115 : p. 111. 51 Voir V. Jullien, « Les frontières dans les mathématiques cartésiennes », art. cit.

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son sens le plus exigeant, qui ne laisse plus de place au doute. Descartes sera conséquent : doutant du statut de certaines voies mathématiques, il renoncera à les insérer dans ses œuvres. Doutant de certaines lois et de certains résultats de mécanique, il ne leur fera nulle place dans ses grands traités de physique : ainsi, dans les Principes de la philosophie, n’y a-t-il aucun article donnant une loi quantitative de la chute des corps graves ; ce n’est pas faute d’y avoir réfléchi et d’avoir tenté la chose, mais c’est parce qu’en ce domaine, le doute n’a pu être surmonté52. Le caractère systématique et dogmatique de la philosophie cartésienne a été fort critiqué¸ que ce soit par ses contemporains (Huygens, Gassendi, Roberval) ou par ses successeurs (Newton, d’Alembert, Maupertuis, Voltaire, etc.) et jusqu’à aujourd’hui, parfois au prix d’interprétations caricaturales. Il convient de souligner avec force à quel point il a contribué à sortir du doute des pans entiers de la science classique. Il estime – à juste titre – avoir échafaudé un système du monde nouveau et global ; celui-ci est sans limites, il est composé d’un nombre indéterminé de mondes et chaque étoile joue le même rôle que notre soleil : « Il y a autant de divers cieux comme il y a d’étoiles & comme leur nombre est indéfini, celui des cieux l’est de même53 ». On voit qu’il va au-delà de Copernic et de Giordano Bruno. C’est une théorie complète des étoiles, de leur différence de taille et de distance qu’il propose dans les Principes de philosophie. Quant à la menace qu’un monde illimité ferait peser sur la place privilégiée de l’homme perdu parmi d’autres créatures, Descartes ne lui accorde pas le moindre poids54. Après lui, les doutes sur la sphère cosmique et sur la nature des étoiles se dissipent et s’il est vrai que la grande synthèse astronomique sera réalisée dans les Principia de Newton, le concept général du monde de la science moderne fut conçu par Descartes. Rassurons-nous cependant, le doute ne fait que se déplacer et il s’épanouit en terres cartésiennes, au sujet de la matière subtile, de ses tourbillons et de sa théorie de la gravité, sans parler du reste, des lois de conservation du mouvement ou de la nature de la lumière. Le doute, un marqueur du progrès scientifique Dresser un tableau dans lequel le doute tient, dans la philosophie naturelle, une place si grande peut suggérer que cette période n’est pas très faste pour le progrès des connaissances scientifiques. Il n’en est rien et je pense que l’on peut soutenir presque 52 Voir l’introduction du livre de Vincent Jullien, André Charrak, Ce que dit Descartes touchant la chute des corps. De 1618 à 1646, étude d’un indicateur de la philosophie naturelle cartésienne, Lille, Presses Universitaires du Septentrion, 2002. 53 R. Descartes, Le Monde, op. cit., Chapitre VIII, p. 53. 54 M.-P. Lerner, Le monde des sphères, op. cit., t. 2, p. 187-188.

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l’inverse. Le fait que les esprits soient incertains face à de nombreuses et amples questions posées par les phénomènes naturels est plutôt un marqueur de l’amplitude que prennent les sciences et les théories qui permettent de les développer. Chaque découverte, chaque invention théorique confirmée ouvre nécessairement de nouveaux domaines, fait connaître des phénomènes nouveaux, suggère des grandeurs et des relations jusqu’alors inobservées ou inimaginables. Tous les exemples que nous avons rencontrés dans lesquels s’insinuait le doute en témoignent. La réfutation de la nécessité et de l’existence d’une voûte cosmique pour englober le Monde fut un accroissement de connaissances à propos de la structure de l’Univers et des objets qu’on y rencontre : les étoiles sont bel et bien dispersées et le Soleil est l’une d’entre elles, la notion de centre est transformée, etc. Mais, en conséquence, comme on l’a vu, l’au-delà des étoiles visibles devient un ignoramus et même un ignorabimus. L’établissement de la loi de la réfraction permet de connaître les courbes anaclastiques, de faire la théorie du télescope, etc. D’un autre côté et par voie de conséquence de ces découvertes et inventions, elle soulève des questions redoutables et nouvelles quant à ce que, plus tard, on nommera indice de réfraction des milieux, mais aussi sur la nature de la lumière et les propriétés qui la rendent conforme à la proportion constante des sinus. Par quel mystère la composante parallèle à la surface de séparation des milieux, du mouvement lumineux n’est-elle pas affectée lors du passage de l’air dans l’eau et seule l’est la composante perpendiculaire ? La théorie de l’attraction newtonienne délivre du savoir en grande quantité, mais « dès qu’elle fut formulée, elle fut considérée par les astronomes et les physiciens comme une énigme »55. On peut ajouter qu’elle le fut aussi par Newton lui-même. Ce que c’est que l’attraction en k/d² constitue une ignorance nouvelle qui ne pouvait être pensée avant la découverte de cette loi. Une équivalence fertile et mystérieuse est attachée à cette théorie, celle qui existe entre les masses pondérale et inerte. La république des lettres se trouve donc, à chaque fois, plus savante et, bientôt après, plus ignorante. La faible corrélation du doute religieux et du doute épistémologique Jusqu’ici, aucun argument ni aucune information n’a tenu compte des idées religieuses des acteurs. La raison en est que, selon moi, la science moderne s’est constituée sans être déterminée de façon notable par la pensée religieuse ou par son absence. Que les savants et philosophes de la nature aient été croyants ou non n’a eu que peu d’incidence sur le contenu et sur la nature de leur production scientifique. 55 Émile Meyerson, De l’explication dans les sciences (1921), rééd. B. Bensaude-Vincent, Paris, Fayard, 1995, p. 58.

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Les arguments en faveur de cette proposition sont très nombreux et de nature variée ; ils sont d’abord historiques, en ce sens qu’ils résultent de l’examen attentif de cette production scientifique. Blaise Pascal est un chrétien fervent, Roberval est très vraisemblablement athée ; ils travaillent cependant ensemble, développent une même conception épistémologique du programme et des possibilités de la science, leurs œuvres scientifiques sont très connexes (le vide, les indivisibles par exemple). René Descartes est un croyant qui donne une immense place à la métaphysique, Galilée est lui aussi un «  fils dévoué  » de l’Église (catholique), pourtant leurs conceptions épistémologiques et leur mode de traitement des problèmes centraux de l’astronomie et de la physique sont tous différents. Newton est un « initié » religieux, presque sur un mode pythagoricien, or il est bien aventureux de chercher à comprendre l’élaboration de son système du Monde, de son optique et de ses mathématiques à la lumière (ou l’obscurité) de cette foi en l’existence d’une sorte de science mosaïque originelle. On pourrait mobiliser aussi Copernic, Kepler, Huygens, Leibniz, Gassendi, Mersenne sans trouver de relation explicative entre leur manière d’être chrétien (ou athée) et leur manière de faire la science. Beaucoup d’encre a coulé pour tenter de caractériser les styles scientifiques corrélativement aux grands courants religieux de l’époque (Kepler le protestant versus Galilée le catholique par exemple) ; cette encre a coulé en vain. Dès que ces auteurs font œuvre scientifique, ces déterminations sont muettes et stériles. La croyance religieuse ne dit rien, ne fait rien au cœur de la pratique scientifique. Prenons un exemple majeur. Kepler dévoile son Mysterium Cosmographicum en s’émerveillant de la coïncidence divine entre les cinq solides platoniciens (les polyèdres réguliers) et les cinq intervalles entre les régions planétaires. Certes, mais ce caractère divin, s’il est explicatif aux yeux de Kepler le croyant, ne joue aucun rôle dans l’élaboration de l’architecture du monde par Kepler le mathématicien astronome. Bien entendu, les rapports entre science et religion ne constituent pas un domaine vide et qui ne mériterait pas qu’on s’y intéresse. D’abord, et fondamentalement, parce que ces savants, pour la plupart chrétiens, se sont demandé comment pouvaient et devaient coexister leurs convictions religieuses et leur œuvre de lecture (et de transformation) du monde sensible. Descartes garantit ses thèses scientifiques par sa métaphysique, Gassendi développe sa doctrine des deux livres, Newton interprète le temps et l’espace comme sensorium Dei, Pascal dévalorise l’activité scientifique au regard de la question du Salut, Leibniz justifie les algorithmes infinitésimaux par sa doctrine de la création du monde selon un principe divin d’optimisation des effets, etc. La coexistence des deux domaines peut être de première importance pour eux, elle n’en reste pas moins dynamiquement neutre.

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La religion ne permet pas de comprendre comment se fait la science, même si elle explique la conscience philosophique de ces savants. Par ailleurs, les religions se sont invitées avec insistance sur la scène scientifique ; est-il nécessaire d’en rappeler les circonstances ? Je pense qu’elle ne s’est pas toujours présentée comme une ennemie, invitant parfois à connaître et comprendre la création. Il est en effet très dommageable de se satisfaire d’une conception caricaturale et fausse qui les oppose tout uniment. La référence à Thomas d’Aquin est de ce point de vue justifiée. L’épisode de l’évêque Étienne Tempier condamnant Thomas à Paris est bien au cœur des contradictions et de la complexité des positions chrétiennes, contradictions que l’on retrouve aussi, il convient de le souligner, dans le monde islamique entre les viie et xive siècles. Il faudrait pourtant que les croyants observent que les sciences, au cours de leur développement, font reculer les thèses et les dogmes religieux ; elles réduisent leur domaine de validité. Les théologiens – et les autorités ecclésiales – doivent, avec une relative régularité, réinterpréter les Écritures, reconnaître leur caractère symbolique, ou analogique, ou pédagogique, ils doivent renoncer à les donner pour vraies, à la lettre. La terre est démesurément plus ancienne que tous les récits bibliques ne l’enseignent, les espèces évoluent, la transsubstantiation doit s’adapter à l’atomisme et ainsi de suite. Ne passons pas sous silence l’incroyable condamnation de Galilée (après celles, pires, de Giordano Bruno ou Michel Servet). Elle fut si néfaste, si absurde, qu’elle demeure pour moi un profond mystère. À l’heure (en 1633) où l’Église catholique condamne Galilée, toute la « république des lettres » est convaincue de la mobilité terrestre et de la physique de l’inertie. Presque seuls parmi les hommes compétents en la matière, les Compagnons d’Ignace s’obligent à réfuter l’héliocentrisme. On a cherché à connecter certaines grandes orientations de la science à des contenus théologiques proprement chrétiens. François Euvé, physicien et aussi théologien jésuite contemporain défend (ou reprend) diverses thèses en ce sens : il y aurait un caractère chrétien de la révolution mécaniste du xviie, le dogme de l’incarnation serait à l’origine d’une physique mathématique56. Il suggère que la théologie catholique peut fonctionner comme la science théorétique qui s’opposerait à une science appliquée ou à une moderne technoscience, et encore que l’on peut comprendre, grâce à des orientations théologiques proprement chrétiennes, l’importance de la science fondée sur les causes finales contre celle qui se bâtit sur les causes efficientes, etc. Voici de bien beaux débats. À cette manière de récupération, je n’opposerai ici qu’un seul argument : les controverses épistémologiques auxquelles cette option 56 Voir François Euvé, « Le christianisme, à l’origine de la science moderne », La Recherche, décembre 2014, p. 50-54.

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chrétienne estime apporter une réponse (le mécanisme, la physique mathématique, les causes finales, etc.), ont existé depuis que les sciences existent. Elles se sont enrichies et poursuivies bien après que les sciences ont cessé de se préoccuper du jugement des Églises. Ces débats et d’autres encore, comme celui qui cherche à décider du caractère explicatif ou représentatif des théories scientifiques et qui oppose des conceptions réalistes ou positivistes, celui qui oppose les conceptions idéalistes et matérialistes, celui encore qui distingue entre partisans du caractère continu ou révolutionnaire des sciences, ces débats sont, eux aussi, très largement indépendants de toute conviction religieuse. Bref, ces diverses orientations de la science, les conceptions de ce qu’elle peut réaliser ou viser, n’ont que peu à voir avec les enseignements du christianisme. Les sciences modernes ont vécu dans un monde chrétien et ont dû penser leurs relations avec ses croyances (qui étaient souvent celles de leurs acteurs), mais c’est au fond une rencontre par accident. Les véritables problèmes de la science se sont posés avant cette cohabitation et se posent encore après que la pensée chrétienne a fini de forger hégémoniquement la conscience de l’humanité occidentale.

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2 Doute, croyance religieuse et incroyance

« Dubium »

dans l’œuvre de Nicolas de Cues Christian Trottmann – CNRS – CESR (UMR 7323), Université de Tours

Rechercher une présence du doute chez un homme de foi comme Nicolas de Cues a quelque chose de paradoxal. Le Cusanus Portal nous offre toutefois un outil d’investigation commode. Une première recherche sur «  dubium  » donne 115 occurrences, parmi lesquelles il faut d’emblée remarquer que pour plus de 80 d’entre elles le terme figure en fait dans une expression négative du type « non (est) dubium » ou des variantes similaires. À quoi il faut ajouter 8 occurrences de « dubii », 42 de « dubio », 17 de « dubia », 5 de « dubiorum », 12 de « dubiis », le tout incluant des formes adjectivales. On pourrait encore mentionner 9 occurrences de « dubitatio », 4 de « dubitationem », une de « dubitatione », une de « dubitationes », une de « dubitationibus ». « Dubium » peut se présenter comme une simple difficulté ou objection : « Et non habet aliquis ratione utens in hoc dubium1 ». Qu’il s’agit de résorber : « solvere dubium ». Sauf exceptions que nous mentionnerons à l’occasion, « dubitatio » a ce sens faible et c’est pourquoi nous avons fait le choix de centrer cette recherche sur le terme « dubium » et ses variantes dont les occurrences sont en outre beaucoup plus nombreuses2. Toutefois, nombre d’occurrences de « dubium » font apparaître une réflexion du Cusain sur le doute, sa valeur logique et métaphysique, nous le verrons dans une première partie. La seconde sera consacrée

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De concordantia catholica, II, XVIII, 161, éd. G. Kallen, NCOO, 14, 2, 1965, p. 198 (les références sont données à l’édition critique des Opera Omnia par l’Académie de Heidelberg (désormais NCOO) : Nicolas de Cues, Nicolai de Cusa opera omnia. Iussu et auctoritate Academiae Litterarum Heidelbergensis ad codicum fidem edita, Hamburg, Felix Meiner, 1927-); ibid., III, XXXVIII, 544, éd. G. Kallen, NCOO, 14, 3, 1959, p.  451; Sermon CCLXXIV, éd. H. D. Riemann, NCOO, 19, 6, 2005, p. 528 ; cf. le début du De possest, où, sur ce sujet difficile, l’attitude de “dubitatio”, remarquée par le cardinal sur leurs visages, se décline dans les nombreux “dubia” de ses interlocuteurs, Trialogus de possest, 1, éd. R. Steiger, NCOO, 11, 2, 1973, p. 3. Par exemple De concordantia catholica, II, V, 83, p. 111 ; II, XX, 183, p. 223 ; II, XX, 188, p. 229 ; II, XX, 190, p. 233 ; pour les emplois négatifs « nulla dubitatio », De apice theoriae, 13, éd. R. Klibansky et H. G. Senger, NCOO, 12, 1982, p. 226 ; Sermon LVII, éd. H. Schnarr, NCOO, 17, 4, 2001, p. 283 ; Sermon CCXXX, éd. M.-A. Aris, NCOO, 19, 2, 2001, p. 3.

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au sens juridique de « dubium » ainsi qu’aux variantes de « non dubium » que l’on trouve particulièrement dans la Concordance Catholique. Enfin, nous en viendrons aux doutes philosophiques ou portant proprement sur la foi. Réflexions du Cusain sur la valeur logique et métaphysique du doute Le terme « dubium » revêt une grande variété de sens dans l’œuvre du Cusain. Ce qui est « dubium », n’est-il pas d’abord ce qui ne peut être rangé avec certitude ni du côté du vrai ni du côté du faux ? Il appartiendra au sage d’y remédier, de montrer en particulier que la foi doit être libérée du faux, voire du douteux pour tomber du côté du vrai3. Or il y a un inconfort du doute qui ne concerne pas la seule foi. Toute nature intellectuelle s’efforce par tous les moyens d’échapper au doute et d’accéder à la certitude4. Dans le sermon CXCIX, le savant prédicateur rappelle les joies de la découverte mathématique5, passant de là à celles de la contemplation métaphysique vantées par Aristote (Éthique à Nicomaque, X, 7). La lumière intellectuelle traque le doute en ses cachettes6. Réciproquement, les philosophes plaçant le principe premier dans l’intellect depuis Anaxagore, suivi par Platon comme par Aristote, ont eu tendance à reléguer les autres causes en des mouvements douteux7. Car le doute est lié au temps, il peut surgir à propos d’opinions tenues jusqu’alors comme vraies8. Mais il peut aussi se résorber, et ce qui était sous son régime impossible, pourra alors devenir foi, voire nécessité9. 3

« Nam quae dicuntur possunt esse aut vera aut falsa aut dubia. Fides autem, quae absque haesitatione affirmare debet audita esse vera, necessario est liberata a falso et dubio.  », Sermon CLXXXVI, éd. S. Donati, H. Schwaetzer et F.-B. Stammkötter, NCOO, 18, 4, 2004, p. 331. 4 « Quaerit igitur rationalis natura omni conatu liberari a dubio et esse in certo. », Sermon CXCIX, éd. S. Donati et I. Mandrella, NCOO, 18, 5, 2005, p. 436. 5 Cf. Jean-Michel Counet, Mathématiques et dialectique chez Nicolas de Cues, Paris, Vrin, 2000 ; id., «  Trinité et coïncidence des opposés dans la Docte Ignorance  », dans Infini et altérité dans l’œuvre de Nicolas de Cues, éd. par H. Pasqua, Louvain, Peeters Publishers, « Philosophes Médiévaux, LXIV », 2017, p. 51-62 ; Jean Celeyrette, « Mathématiques et théologie : l’infini chez Nicolas de Cues  », Nicolas de Cues et G. W. Leibniz, Revue de Métaphysique et de Morale, 70, 2011/2, p. 151-165. 6 « Inquirimus enim dubiorum latebras in claritate rationalis speculi […] », De filiatione Dei, III, 68, éd. P. Wilpert, NCOO, 4, 1959, p. 50. 7 De Beryllo, 67, éd. K. Bormann et H. G. Senger, NCOO, 11, 1, 1988, p. 77-78. 8 « Et illa fuit omnium antiquorum opinio vera, etsi dubia noviter exorta sunt ob sinistrum multorum complacendi studium, repetantur vetera. », De concordantia catholica, III, XLI, 570, p. 462. 9 « Ago tibi immensas gratias, pater optime, quoniam multa dubia et quae videbantur impossibilia […] facta sunt mihi non solum credibilia sed necessaria. », Trialogus de possest, 30, p. 24.

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Ainsi suffit-il de rectifier une erreur portant sur la cause pour que tous les doutes qui en découlaient s’en trouvent résolus10. Dans le traité sur la correction du calendrier, c’est la régularité des cycles lunaires et leur rôle dans le calcul du jour de Pâques qui ne font aucun doute11, comme aussi la nécessité de la correction pour rétablir la vérité12. D’autres considérations cosmiques sur la chaleur de la lune, provoquée par son mouvement, indubitables pour le Cusain, nous paraîtront aujourd’hui plus scabreuses13. La certitude peut d’ailleurs porter aussi bien sur une évidence mathématique, utilisée toutefois en vue d’un dépassement métaphysique, ainsi dans la Docte Ignorance, la coïncidence du triangle et du cercle à l’infini14. La certitude peut encore porter sur une évidence anthropologique : les trois facultés humaines : sens, raison, intelligence et leur ordre15, voire sur la difficulté d’un problème métaphysique16 : celui qui a entendu parler du « pouvoir advenir » (« posse fieri »), ne manquera de se demander comment le concevoir17. Remarquons que la première occurrence qui apparaît sur la liste du Cusanus Portal, venant selon l’ordre alphabétique de l’Apologie de la docte ignorance, revêt une valeur significative. Nul doute, s’enquiert le défenseur du maître, que celui-ci ne soit allé vérifier chez de nombreux auteurs anciens, si la docte ignorance y rayonnait de la même lumière reçue par lui comme un don divin18. L’ignorance n’est certes pas le doute mais peut y conduire. Paradoxe que la docte ignorance cusaine fondant au contraire la certitude maximale ! Ce n’est pas l’évidence d’une connaissance, intuitive ou expérimentale qui conduit le plus sûrement à cette certitude, mais l’entrée dans la nuée de Moïse, figure éponyme de la théologie mystique dionysienne. Le défenseur mis en scène par le Cusain entend ancrer dans la tradition philosophique cette source de certitude présentée par le futur cardinal comme un don

10 De Beryllo, 68, p. 79. 11 De correctione kalendarii, III, éd. B. Bischoff et V. Stegemann, Heidelberg, 1955, p. 31; VI, p. 54. 12 Ibid., IX, p. 76. 13 De docta ignorantia, II, XII, éd. R. Klibansky, NCOO, 1, 1932, p. 105. 14 Ibid., I, XV, p. 29. 15 Ibid., III, VI, p. 136. 16 Cf. Nicolas de Cues, les méthodes d’une pensée, éd. par J.-M. Counet et S. Mercier, Louvainla-Neuve, Éditions de l’ISP, 2006. 17 « Erit, qui haec legerit, non dubium occupatus, ut posse fieri concipiat. », De venatione sapientiae, VI, éd. R. Klibansky et H. G. Senger, NCOO, 12, 1982, p. 15. 18 « Dei dono, tamen non dubium multos veterum sapientum quaesivisti, ut videres, si in omnibus idem reluceret.  », Apologia doctae ignorantiae, éd. R. Klibansky, NCOO, 2, 2007, p. 12.

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mystique reçu sur le bateau alors qu’il accompagnait les représentants de l’Église d’Orient au concile de Florence. Ainsi la plus efficace levée du doute viendra-t-elle de la contemplation métaphysique de l’Un. Le Cusain passe en revue les différentes formes de questionnement : « an sit » ou « quid sit » portant respectivement sur l’entité et la quiddité, « quare » sur la cause et « propter quid » sur la fin19. Certes, on ne saurait douter que certains ne soient plus aguerris que d’autres en l’art de raisonner20, mais aucun doute n’est possible à propos de l’Unité absolue qui est l’entité et la quiddité, la cause et la fin de tout. Le doute ne peut surgir qu’en-deçà d’elle. Paradoxalement, sa formulation même supposera l’existence de Dieu. Toute question sur « ce que c’est » (« quid est ») présuppose l’être (« esse ») et du coup aussi que Dieu, qui est l’être, existe. Nul ne saurait donc rien connaître sans savoir que Dieu existe. Car la vie de l’intellect étant d’intelliger, celui-ci ne saurait être en vie s’il ignore Dieu, puisqu’alors il ignorerait tout. Dieu est paradoxalement présupposé en tout doute21. Tout doute sur Dieu se change alors en certitude, mais réciproquement toute connaissance sur lui est imparfaite, ne pouvant rejoindre son infinité22. On remarquera ici qu’à l’infini, aussi nombreux soient-ils, les « dubia » se résorbent dans la coïncidence en Dieu entre « certitudo » et « dubitatio ». Or, le critère métaphysique néoplatonicien peut aussi s’allier de manière inattendue avec la formation nominaliste reçue par le Cusain. Expliquant la réponse du Christ sur l’impôt à César, il relève qu’elle est juste, mais pas seulement parce que la

19 « Huius autem absolutae unitatis praecisissima est certitudo, […] Omnis mens inquisitiva atque investigativa non nisi in eius lumine inquirit, nullaque esse potest quaestio, quae eam non supponat. Quaestio ‘an sit’ nonne entitatem, ‘quid sit’ quiditatem, ‘quare’ causam, ‘propter quid’, finem praesupponit? Id igitur, quod in omni dubio supponitur, certissimum esse necesse est. Unitas igitur absoluta, quia est entitas omnium entium, quiditas omnium quiditatum, causa omnium causarum, finis omnium finium, in dubium trahi nequit. Sed post ipsum dubiorum est pluralitas.  », De conjecturis, I, V, éd. J. Koch et K. Bormann, NCOO, 3, 1972, p. 25. 20 « Unde unum plus in arte valere ratiocinandi quam alium dubio caret. », ibid., I, XII, p. 128. 21 « Esse praesupponitur in quaestione “quid est?”. Et ideo “esse est Deus”, qui in omni quaestione praesupponitur. Et nisi “esse” sciatur, “hoc esse vel illud” sciri nequit. Et ideo nihil sciri potest, nisi Deus sciatur. Et cum vita intellectus sit intellegere, non potest esse intellectus in vita, si ignorat Deum, quia tunc omnia ignorat. Deus est, quod in omni dubio praesupponitur. », Sermon LXXIII, éd. M.-A. Aris, H. Hein et H. Schnarr, NCOO, 17, 5, 2006, p. 447-448. 22 « Et adice quod, cum deus sit infinita rectitudo et necessitas absoluta, hinc dubia quaestio eum non attingit sed omnis dubitatio in deo est certitudo. Unde sic et omnis de deo, ad quaestionem responsio non est propria et praecisa responsio, cum praecisio non sit nisi una et infinita, quae est deus. », Idiota de sapientia, II, 31, éd. L. Baur et R. Steiger, NCOO, 5, 1983, p. 62 ; cf., ibid., I, 9, p. 16 ; cf. Frédéric Vengeon, Nicolas de Cues, le monde humain. Métaphysique de l’infini et anthropologie, Grenoble, Jérôme Millon, « Krisis », 2011.

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justice consiste à rendre à chacun ce qui est à lui. Elle est juste non seulement au plan moral et politique, mais au plan théorique de la justesse de sa vérité. En montrant l’effigie de la pièce, le Christ manifeste le « quid nominis » de la « numisma »23. Or ce qui est le plus susceptible de lever le doute est justement l’ostension, non pas de son seul nom, mais de la quiddité de la chose. Elle correspond d’ailleurs avec la vérité et l’unité de cette même chose. Logique et métaphysique convergent ici : la vérité de la définition nominale lève le doute, mais en dévoilant la quiddité, coïncidant d’ailleurs avec les transcendantaux de vérité et d’unité. Rien de plus simple dans le cas de l’impôt : pour dévoiler le sens du cens, il suffit de montrer l’effigie de la pièce qui fait ressortir son « quid nominis »24. Une définition usant du « non aliud » ne laisse aucune place au doute, la réalité étant définie comme n’étant rien d’autre que ce qu’elle est25. Pourtant, même ce concept trouve sa limite et son interlocuteur Ferdinand, ne voyant comment trouver un « non aliud » au « nihil », fait remarquer au Cusain qu’il a assez soulevé de doute26. Quant à Pierre, au moment même où ses doutes s’estompent et où « il se convertit » au « non aliud », il s’avoue incapable de le concevoir27. Nous avons ainsi un état intermédiaire entre le doute et la science conceptuelle, précisément parce que la contemplation du « non aliud  » est au-delà du concept28, explique le métaphysicien, ce qui notons-le au passage ne requiert pas la foi. Le moderne cardinal tire les conséquences de la définition nominale. Le chrétien doit-il servir le monde et ses princes29 ? De même que l’effigie de la pièce suggère de la rendre à César, le nom même du Chrétien, le rend à celui à l’image duquel il est configuré. La définition nominale recourt parfois à des étymologies fantaisistes30. Ce nominalisme distinguant si bien le pouvoir spirituel du temporel s’accommode 23 «  Quoad primum sciendum quod per ostensionem claram quid nominis, solvitur omne dubium […] », Sermon CCXLIX, éd. H. Hein, I. Mandrella et H. D. Riemann, NCOO, 19, 4, 2004, p. 311. 24 « De censu solvendo fuit quaestio, […] tunc ostenso numismate imago et eius super-

scriptio dubium dissolvunt. », ibid.

25 Directio speculantis, sive De non aliud, I, éd. L. Baur et P. Wilpert, NCOO, 13, 1944, p. 5 ; ibid., XXII, p. 53. 26 « Satis dubio fecisti. Nunc nihil video, quod est non aliud quam nihil […] », ibid., VII, p. 15. 27 « Video, pater, haec dubio carere: sed dum ad li ‘non aliud’ me converto, non possum

equidem, quid sit, mente concipere. », ibid., XX, p. 49.

28 Sur ce thème, cf. Christian Trottmann, « La docte ignorance dans le De Icona. L’humanisme de l’au-delà du concept », dans Nicolas de Cues, les méthodes d’une pensée, op. cit., p. 105-116, et id., « Le dépassement de toute représentation dans le De Icona », Chôra. Revue d’études anciennes et médiévales, 3-4, 2005-2006, p. 327-346. 29 Sermon CCXLIX, p. 311-312. 30 «  Si presbyter es et quaeris, quomodo tibi ambulandum sit, dubium solvit quiditas

nominis, cum aliis iter salutis praebere debeas. », ibid., p. 312. 107

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au plan politique d’un certain conformisme : le serviteur devra servir servilement (« famulus famulari ») comme aussi l’esclave (« servus », « servire »)31. Le prélat allemand montre plus de rigueur en avançant une preuve codicologique du caractère apocryphe d’une décision pontificale32. Ainsi trouvons-nous aussi « dubium » pris dans sa valeur adjectivale : « d’attribution douteuse »33. « Dubium » ne concerne donc pas nécessairement la foi. Il pourra porter sur la vérité historique de faits relatés par la Bible comme le massacre des saints innocents34. L’on trouve des doutes d’ordre logique, voire mathématique. Ainsi dans le De Beryllo, après une longue discussion, l’auteur conclut que la quiddité et les idéalités mathématiques abstraites ne sauraient exister séparément de la matière, ni du coup faire l’objet de science. Ce serait en raison de son doute sur les espèces et les idéalités mathématiques qu’Aristote ne parviendrait pas à trancher le problème de la connaissance de la quiddité35. Et le Cusain rappelle qu’au dire de Proclus, même Socrate douta de la réalité des espèces et des idées. Ainsi, le doute est-il un moment inévitable de la recherche de la vérité, mais qui devra être dépassé afin de parvenir à la science36. Pourtant, aucun doute n’est permis à celle-ci, quant aux prémisses sur lesquels elle s’appuie37. Fût-il scrupuleux, le doute doit s’effacer devant l’évidence de la figure38. De même, ce qui relève de la nécessité exclura évidemment le doute39. Pourtant, on trouve chez le Cusain une occurrence du doute qui n’est pas sans rappeler le cynique Diogène, à la recherche d’un homme muni en plein jour de sa lanterne. Devant la bêtise (« stultitia »), universellement répandue dans l’humanité, n’est-on pas pris d’un doute sur la présence en elle de la raison40 ? On relè31 32 33 34

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Ibid., p. 313. De concordantia catholica, III, II, 300, p. 332.

Ibid., II, XIV, 131, p. 165. Sermon CCXIV, éd. W. A. Euler et K. Reinhardt, NCOO, 19, 1, 1996, p. 75. Mais une série d’autres doutes s’élève dans les lignes qui suivent. Hérode aurait fait massacrer ces enfants pour s’enduire de leur sang en vue d’améliorer sa santé ? S’ils sont morts seulement pour la santé d’Hérode, on peut douter qu’ils soient saints. Le Christ vient-il au milieu ou plutôt vers la fin des temps ? Le doute est entretenu, de plus, par les variantes liturgiques d’une année à l’autre. Il porte encore sur le sens de Ga 4, 6. « […] subtilissime discurrit nec se plene, ut videtur, figere potuit propter dubium specierum et idearum. Etiam Socrates iuvenis et senex, ut Proclus dicit, de hoc dubitavit. », De Beryllo, 50, p. 57. Ibid., 48, p. 55. De docta ignorantia, I, XI, 31, p. 22. Ibid., I, XIII, 35, p. 26. « Quo enim ad necessitatem non habet dubium », De concordantia catholica, II, XX, 187, p. 227.

40 « Cum stultitia, quam in multis experimur hominibus, ingerat dubium, an sit in ipsis ratio […] », Dialogus de ludo globi, éd. H. G. Senger, NCOO, 9, 1998, p. 121.

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vera dans le même ordre d’idée une occurrence presque ironique de « dubitatio », portant sur l’utilité de la circoncision des uns ou des autres pour la paix entre les fidèles41. On trouve même une sorte de mise en abîme du doute : portant sur celui de Jean Baptiste envoyant ses disciples demander au Christ s’il est celui qui doit venir ou s’ils doivent en attendre un autre42. Or on sait que les logiciens nominalistes avaient tendance à effacer la différence entre la proposition au passé : «  le Christ est venu » et « il doit venir ». Les réalistes considéraient au contraire la valeur différente des propositions selon le temps : s’il était déjà venu, il n’y avait plus à l’attendre. Pourtant formé dans la via moderna, le Cusain semble opter pour la prise en compte du temps dans ce cas, pour des raisons théologiques évidentes. Jean Baptiste ne peut douter que Jésus est déjà venu puisqu’il l’a baptisé et entend parler de ses miracles. Ce dont il doute, c’est bien qu’il soit le sauveur attendu. Le prédicateur remarque que le doute ne portait pas sur l’humanité du Christ avant sa mort, mais sur sa divinité pourtant attestée par ses œuvres surhumaines43. Au sermon CCXI, le Cusain cite la manière dont Aldobrando de Toscanella, lève le doute sur le doute de Jean Baptiste44 : le Précurseur n’aurait pas lui-même douté, mais sachant qu’il allait bientôt mourir, il aurait envoyé ses disciples recevoir la confirmation du Christ. Nous retrouvons ce même doute sur le temps de la venue du Christ, présenté cette fois, au sermon CLXXI, comme celui des juifs à l’arrivée des Mages45. Ils savent par la prophétie que le roi-Messie doit venir au monde, mais ce sont les Mages qui ont vu l’étoile indiquant qu’il est déjà né. Comme la foi en effet, la prophétie est « ex auditu », mais la science est de visu, d’où le doute des juifs ne disposant de cette dernière que par le témoignage des Mages, sur le moment de la venue du Messie. Réciproquement, la science des Mages a besoin d’être confirmée par la prophétie. Quant au lieu de naissance du Messie, le Cusain précise au sermon 41 « Sed quomodo possit servari pax inter fideles, si qui circumciduntur et alii non, est maior dubitatio », De pace fidei, 60, éd. R. Klibansky, NCOO, 7, 1970, p. 56. 42 Sermon CXXXVII, éd. R. Haubst et H. Pauli, NCOO, 18, 1, 1995, p. 84 ; cf. Sermon LXVII, éd. M.-A. Aris, H. Hein et H. Schnarr, NCOO, 17, 5, 2006, p. 390. 43 « Nemo dubitabat humanam naturam in Christo esse ante mortem, sed de divina erat dubium, et illam argumentis talibus ostendit, scilicet per opera, quae super hominem sunt. », Sermon CLVII, éd. H. Pauli, NCOO, 18, 2, 2001, p. 172. 44 Sermon CCXI, éd. W. A. Euler et K. Reihard, NCOO, 19, 1, 1996, p. 49-50. 45 « Apud Judaeos non erat dubium, quin nasci aliquando deberet; sed quod natus esset adhuc hodie est dubium apud eos. Ut igitur cognoscerent ipsum natum, venerunt magi, ex signo eis ostenso ipsum natum ostendentes. […] Vide, quantum interest inter auditum et visum. Prophetia de auditu est, et tamen visus non potest ex auditu certificari, quin indigeat revelatione. », Sermon CLXXI, éd. S. Donati, I. Mandrella et H. Schwaetzer, NCOO, 18, 3, 2003, p. 241-242.

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CCLXII46 que c’est une docte assemblée comparable aux théologiens et juristes de son temps qui, à partir des prophéties précisément, dénoue le doute (« enodarent dubium ») à ce sujet. Ailleurs, il explique que le doute ne saurait porter sur la véracité divine, mais en raison des faux prophètes et apôtres, sur le fait qu’ils professent effectivement les paroles de Dieu47. Car l’argutie est la spécialité du tentateur et nul doute, précise le cardinal, que, comme le Christ au désert, ce ne soit par la mortification de la chair que Moïse et Élie soient parvenus à le vaincre48. C’est lorsque la chair est affaiblie qu’il s’approche et nul ne saurait accéder à la sagesse sans l’avoir vaincu. Au fond, la victoire définitive sur le doute n’est acquise que par la croix du Christ. C’est elle qui en dernière instance nous libère du doute qui nous fait nous demander s’il est animé par un esprit d’erreur ou par l’Esprit de Vérité49. Celui-ci n’est-il pas d’ailleurs donné à la croix selon le témoignage johannique ? Car le maître voyant ses disciples douter ne peut les amener par la raison à croire ce qui dépasse la raison50. Si sa vie même et les signes accomplis ne suffisent à les convaincre, le témoignage ultime de sa mort les rendra doctes. Sens juridique de « dubium » et variantes de « non dubium » Sur les 115 occurrences de « dubium » trouvées dans le moteur de recherche du Cusanus Portal, 48 figurent dans la Concordance Catholique (de même, 18 sur les 42 de « dubio »). De nature juridique plus que philosophique, elle remonte à 1433, alors que la Docte Ignorance paraît en 1440. En I, XI, 51, le « non dubium » porte sur le fait que c’est l’Église universelle qui a le pouvoir des clés mais tant qu’elle reste unie51. Tout en rappelant que c’est à Pierre que le Christ remet les clés, le Cusain suggère que c’est en tant que premier garant de l’unité entre les apôtres. Au paragraphe 63 le « non dubium » est bien loin de porter sur la foi chrétienne. Il s’agit de défendre le primat de Rome et le Cusain rappelle, non peut-être 46 Sermon CCLXII, éd. H. D. Riemann, H. Schwaetzer et F.-B. Stammkötter, NCOO, 19, 5, 2005, p. 412. 47 « Nemo autem dubitat Deum veracem in omni verbo suo […] ; sed an quis verba Dei

loquatur, dubium esse potest propter falsos apostolos et prophetas. », Sermon CCXCII, éd. S. Donati et H. D. Riemann, NCOO, 19, 7, 2005, p. 679.

48 Sermon CXIX, 4, éd. H. Hein et H. Schnarr, NCOO, 17, 6, 2008, p. 598. 49 « Fructus mortis Christi est liberatio ; nam sumus liberati a dubio. », Sermon CLIV, éd. H. Pauli, NCOO, 18, 2, 2001, p. 162. 50 « Neque potest testimonio rationis hoc facere, quia supra rationem sunt quae vidit, si ille testimonio mortis utitur, quo nullum maius est, talis morte sua liberat discipulos ab omni dubio. », ibid. 51 «  […]  nam non dubium, ecclesia universalis claves habet ligandi et solvendi, dum unita est », De concordantia catholica, I, XI, 51, p. 68.

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sans malice qu’il était déjà assuré dans l’antiquité par celui du culte de Jupiter capitolin sur tous les autres cultes païens52. Il ajoute en transition une lettre de Galla Placidia, fille de l’empereur Théodose (mais épouse du roi wisigoth Athaulf avant de devenir celle de l’empereur éphémère Constance III). Or il l’appelle « Placidia Augusta », écrivant au fils d’Auguste, soulignant ainsi la filiation romaine des empereurs byzantins. Nul doute, qu’avant Rome, Jérusalem fut la ville pontificale53, pourtant, citant Optatus de Milève, le cardinal précise que l’Église de Rome n’est pas seulement protégée par un ange, mais aussi animée, à n’en pas douter, de l’intérieur par l’esprit apostolique54. L’expression « non (est) dubium » lexicalisée, bien souvent n’apporte pas d’information sur le thème du doute55. Dans sa version minimale, elle peut simplement exprimer l’assentiment, comme dans les dialogues socratiques de Platon ce qu’on

52 « Sed non dubium in capitolio Romano pontificem maximum in Iovis templo praepositum; ita et gratiae tempore. Unde Placidia augusta filio augusto scribens dicit: “Quia Roma maxima civitatum et domina omnium terrarum, ideo Petrus in ea principatum ordinavit divini episcopatus.” », ibid., I, XVI, 63, p. 84. 53 Ibid., I, XVI, 64, p. 87. 54 « Tunc ecclesia Romana non solum angelum protectorem habet, sed et animata exsistit sine dubio apostolico spiritu cuius sedem obtinet […] », Sermon LVIII, éd. H. Schnarr, NCOO, 17, 4, 2001, p. 306. 55 Ainsi, De concordantia catholica, p. 188 ; p. 218 (une assemblée provinciale peut être corrigée par l’assemblée universelle) ; De correctione kalendarii, p. 30 ; De docta ignorantia, III, XII, p. 159 : nul doute qu’on puisse demander la grâce ; et l’obtenir si l’on invoque le Christ pour son salut, Sermon XXIII, éd. M. Bodewig et R. Haubst, NCOO, 16, 4, 1984, p. 379 ; ou sa mère, source de grâce pour l’Église, Sermon CCXXXIX, éd. W. A. Euler et H. Schwaetzer, NCOO, 19, 3, 2002, p. 227 ; sauf pour une demande qui irait contre son bien, qui demande obtiendra sans nul doute, Sermon CCLII, éd. H. Hein, I. Mandrella et H. D. Riemann, NCOO, 19, 4, 2004, p. 332 ; qui pardonne à ses offenseurs ne doit pas douter qu’il obtiendra le pardon de ses propres offenses, Sermon XXIV (1) et (2), éd. M. Bodewig et R. Haubst, NCOO, 16, 4, 1984, p. 424 et 442 ; reconnu comme tel, nul doute qu’un apôtre aura un apostolat fructueux, Sermon CCLVI, éd. H. Hein, I. Mandrella et H. D. Riemann, NCOO, 19, 4, 2004, p. 360 ; nul doute sur les poids et mesures, Idiota de staticis experimentis, éd. L. Baur et R. Steiger, NCOO, 5, 1983, p. 228; pour « sine dubio », De concordantia catholica, III, III, 323, p. 344, III, IV, 334, p. 350, III, XXV, 465, p. 419, III, X, 369, p. 371, III, XL, 563, p. 459 ; Epistula ad Nicolaum Bononiensem, dans Nicholas of Cusa, Letter to Niccoló da Bologna. June, 11 1463, éd. H. F. Brobjerg, 2018, (consulté le 27/09/2021), § 51, p. 20, p. 48 ; Sermon V, éd. R. Haubst, NCOO, 16, 2, 1973, p. 82 ; Sermon CCLXXVII, éd. H. D. Riemann, NCOO, 19, 6, 2005, p. 566 ; Sermon CCXCIII, éd. S. Donati et H. D. Riemann, NCOO, 19, 7, 2005, p. 689 ; pour « procul dubio », Idiota de mente, I, XIV, éd. L. Baur et R. Steiger, NCOO, 5, 1983, p. 208 ; Sermon CCXXIX, éd. M.-A. Aris, NCOO, 19, 2, 2001, p. 162 ; pour « caret dubio », Sermon CCLIII, éd. H. Hein, I. Mandrella et H. D. Riemann, NCOO, 19, 4, 2004, p. 337.

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pourrait traduire par « assurément »56. Nul doute pour celui qui le premier dénonce la donation de Constantin comme un faux, que ceux qui, comme Charlemagne ou Othon, restituèrent Rome et l’Italie au pape se réservèrent quelque droit et méritèrent le nom d’empereur57. Leur pouvoir vient sans aucun doute de leur élection et du pouvoir spirituel du pape à travers son approbation originelle des électeurs58. Sur ce terrain politique, la préoccupation du futur diplomate pontifical pour le maintien des Hussites dans la communion ecclésiale se manifeste dès la Concordance Catholique où il admoneste l’empereur Sigismond d’agir avec une charité qui sera sans aucun doute rendue efficace par le Christ59. Dans le même temps, le conciliariste qu’il est encore tremble pour l’empire qui sans nul doute pourrait être balayé à force de tiédeur à l’égard de ses institutions60. Il soulève un doute sur la valeur des décisions prises en concile : vient-elle de la seule présence du pape, voire de son légat ou conjointement du concile réuni61 ? Prenant, afin de lever ce doute (« ut sciatur hoc dubium non habere »), l’exemple de la destitution de Dioscore, il précise que cela ne concerne pas seulement le contenu de la foi, mais aussi les décisions disciplinaires. Ce qui donne force aux statuts d’un concile, ce n’est pas son chef, mais le consensus entre les pères conciliaires, et sans nul doute (« nulli dubium62 »), un petit concile provincial ne peut statuer sans son chef. Au contraire, le futur cardinal encore conciliariste à cette époque place un concile de l’Église universelle au-dessus des patriarches et du pontife Romain63, comme aussi des conciles locaux64. Citons encore parmi les formules négatives : « cela ne semble pas présenter de doute (non habere dubium) dans les canons universels […]65 », qu’un concile inefficace pour définir, puisse au moins corriger et réformer.

56 Dialogus de Genesi, III, éd. P. Wilpert, NCOO, 4, 1959, p. 117. 57 «  Et sine dubio aliquid sibi restituentes ecclesiae reservarunt, ratione cuius ultra regium nomen imperii nomine ad instar priscorum decorantur […] », De concordantia catholica, III, III, 323, p. 344. 58 Ibid., III, IV, 334, p. 350. 59 Ibid., III, XXIV, 465, p. 419. 60 Ibid., III, XXXIX, 557, p. 455. 61 Ibid., II, VIII, 97, p. 130. 62 Ibid., II, VIII, 100, p. 136. 63 Ibid., II, XVIII, 161, p. 198. 64 « Et sic de universali universalis ecclesiae concilio pariformiter nullum tunc fuit du-

bium, quin ei subessent omnia patriarchalia etiam Romanae sedis concilia. », ibid., II, XXV, 203, p. 246. 65 Ibid., II, XVII, 144, p. 179. 112

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C’est ainsi la stabilité d’un concile qui lève le doute sur son inspiration par l’Esprit saint66. L’idéal serait pour le Cusain un concile permanent de cardinaux qui assureraient ainsi sous la présidence du pape un gouvernement sans nul doute optimal67. Le rôle du président reste ainsi pastoral, il lui revient de contribuer à lever les doutes doctrinaux68. Aucun doute, et ce dès le Concile de Nicée, sur cette hiérarchie des autorités ecclésiastiques et sa logique. Nicolas de Cues rappelle d’ailleurs qu’en tant que fidèle de l’Église universelle, le pape lui est soumis69. Mais dans une lettre à Rodrigue Sanchez, il se demande : faut-il encore obéir à un prince d’Église quand on a la certitude intérieure qu’il abuse de son pouvoir70 ? « Dubium » désigne ici un cas de conscience. Toutefois « non habet dubium » peut simplement exprimer une certitude pratique sans incidence sur la foi71, voire le constat d’un fait72. Quelquefois le «  non dubium  » se retrouve dans une position paradoxale : aucun doute que l’infaillibilité ne revienne au souverain pontife, mais non exclusivement, simplement parce qu’elle appartient à toute l’Église (comme d’ailleurs le pouvoir de lier et délier !), et qu’il en est un membre73. Nul doute pour le Cusain sur ce qui deviendra un dogme en 1870, sauf que précisément il n’y voit pas le privilège exclusif du pape. Mieux, il ne doute pas que les synodes puissent se rapprocher plus ou moins de l’infaillibilité et éventuellement le pape avec eux, mais toujours plus que l’opinion du pontife pris isolément74. Il ne fait aucun doute pour le juriste qu’entre un évêque et son peuple, c’est un mariage qui est contracté, puisqu’ils sont appelés à ne former qu’un seul corps spirituel. Le consentement populaire est donc requis avant une ordination épiscopale75. Sans quoi, aucun doute pour le futur évêque persécuté de Brixen, il manquera de force76. Nous sommes ici au cœur de la

66 Ibid., II, XX, 182, p. 222. 67 Ibid., I, XXVIII, 164, p. 201. 68 « […] quae summi praesulis regulata potestas, quae cum sine dubio maxima sit in pascendis ovibus, in decidendis ambiguis gravibus dubiis […] », ibid., II, XXVIII, 215 p. 255. 69 « Non est autem dubium de universali ecclesia papam fidelem esse », ibid., II, XX, 189, p. 231. 70 Epistula ad Rodericum Sancium de Arevalo, éd. G. Senger, NCOO, 15, 2, 2008, p. 11. 71 De concordantia catholica, II, XX, 174, p. 214. 72 Ibid., III, XL, 560, p. 456. 73 « […] ab eodem principio ligandi et solvendi potestas tam ecclesiae quam papae fluat. », ibid., II, XVIII, 156, p. 191. 74 Ibid., II, XVIII, 158, p. 194. 75 » […] consensus necessarius videtur, ut ibi de matrimonio carnali dicitur, quoniam non dubium inter episcopum et ecclesiam matrimonium est […] », ibid., II, XXXII, 232, p. 275. 76 « […] oportet quod ille qui praeest ab omnibus quibus praeest, constituatur tacite vel

expresse. Sin autem aliter praesumptum fuerit, viribus carere dubium non est […] », ibid., p. 276. 113

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conception de la Concorde Catholique du jeune prélat conciliariste : elle ne tient que par le respect des plus puissants par ceux qui leur sont soumis, mais aussi par la dilection que les premiers portent aux seconds77. On notera que cette réciprocité des devoirs vaut dans son esprit pour toute république ordonnée et non pour la seule Église Catholique. Nul doute que le pape ne doive envoyer des prêcheurs dans les contrées lointaines78. Avant qu’une cathédrale ne puisse être érigée et un évêque ordonné, ne faut-il pas que les légats du pape, tel Adam dont le Verbe divin tire Ève hors de son côté, engendrent une Église par leur prédication ? « Dubium » peut encore exprimer simplement un problème juridique79 à examiner : par exemple le pape peut-il (hors schisme) être suspendu par un concile80 ? Est-ce à lui ou à l’empereur de convoquer le concile81 ? Ce problème « de convocatione dubium » trouve une solution diplomatique : l’empereur doit exhorter au bon moment. C’est ainsi lui qui provoque, mais c’est le pape comme primat des évêques qui convoque. De même, dans l’expression «  solutum est dubium  », il s’agit du problème juridique qui est résolu : le pape peut-il être lié par les décrets d’un concile82 ? Certainement si le concile est au-dessus du pape. L’absence de doute peut ainsi porter sur des éléments de droit83 : nul doute que les laïcs puissent être accusés devant un synode de prêtres de paroisses, mais ils doivent aussi être admis à se défendre. Le cardinal prône même une enquête contradictoire lorsque surgit ce type de question

77 « Diversitas enim ordinum praepositorum et subiectorum pro conservatione rei publicae ordinata est, ut, dum reverentiam exhibent minores potioribus et potiores minoribus dilectionem […] », ibid., 233 , p. 276. 78 « Unde illi sic missi gerentes figuram Christi, secundi Adae, ex costa sua, scilicet divini

verbi, sibi Evam aedificarunt quam desponsaverant. Et sic Evae genitae post haec non dabatur nisi sponsus desideratus. Sic hodie non dubium papam ad partes infidelium praedicatores mittere posse. », ibid., 236, p. 280.

79 Nombreuses occurrences de ce sens : De concordantia catholica, II, XX, 169, p. 206 ; « in dubio examinatur », ibid., II, XX, 176, p. 217 ; « dubia (dis) solvere », ibid., II, I, 69, p. 93 ; ibid., II, XX, 188, p. 230 ; ibid., III, I, 292, p. 327 ; Trialogus de possest, 1, p. 3 ; « dubia moveri » ; De conjecturis, I, VII, 28, p. 35. 80 « Posset forte dubium esse, an concilium exercitium administrationis a vero et unico papa ad tempus vel ad beneplacitum tollere posset », De concordantia catholica, II, XVIII, 162, p. 199. 81 Ibid., III, XV, 399, p. 387. 82 « An ita per decreta universalis concilii papa ligari possit, […] Quoniam, si universale concilium proprie acceptatum est supra papam […] solutum est dubium. », ibid., II, XX, 169, p. 206. 83 Ibid., III, VIII, 358, p. 364.

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difficile (« aliquo dubio ») afin qu’un tel doute puisse être résolu au mieux84. Dans la Concordance Catholique, « dubium » revêt donc souvent ce sens faible. L’auteur engage non sa foi, mais sa croyance dans une formule (« credo dubium esse non debere ») où c’est l’opinion du juriste qui entend évacuer le doute85. Pourtant, d’autres fois, ici en matière d’excommunication, l’expression « non habere dubium » peut aussi renvoyer directement à l’autorité de l’Écriture86. Des doutes philosophiques ou portant proprement sur la foi Or « dubium » peut aussi bien dans d’autres œuvres, renvoyer à un authentique problème philosophique que l’on noue et dont le dénouement fait progresser la connaissance87. Ainsi par exemple celui de l’altérité, posé par Platon dans le Parménide, commenté par Proclus et finalement dénoué par le Cusain à l’aide de son concept de « non aliud » et du verset Paulinien sur Dieu « tout en tous »88. De même, à propos du « possest »89. Prenons encore un autre exemple plus politique. Un passage de la Concordance Catholique cite Optatus de Milève pour qui la succession des papes à la tête de l’Église de Rome ne fait aucun doute, et le Cusain ajoute qu’aucun des Pères ne saurait être d’un avis différent90. Il entend ici répondre à un doute bien réel de Marsile de Padoue : selon lui, on ne pourrait prouver par les Écritures que Pierre ait été évêque de Rome, voire tout au plus qu’il y ait séjourné. À l’opposé, l’absence de doute peut exprimer une autosatisfaction non dénuée parfois d’ethnocentrisme : nul doute que l’empire chrétien ne soit plus excellent que tout autre, de même que la religion chrétienne l’emporte

84 « […] surgant e medio duo peritiores, qui […] de dubio investigent per affirmativam

et negativam et consequentias ad ambas partes sequentes. », ibid., III, XXXVIII, 543, p. 451.

85 « Sed an universale concilium proprie captum […] sit supra patriarchas et Romanum pontificem, credo dubium esse non debere. », ibid., II, XVII, 145, p. 180. 86 « Nec habet hoc dubium, cum Christus dicat Petro: “Si ecclesiam non audierit, sit tibi sicut ethnicus et publicanus” […] », ibid., II, XVII, 150, p. 185. 87 « Ut tamen acrius excitemur, certa dubia tangamus, ut per illorum evacuationem pronior fiat visio exercitata. », Directio speculantis, seu de non aliud, V, 17, p. 12. 88 « Plato quoque diceret in Parmenide et commentator Proculus hoc dubium enodaret.

[…] tu autem […] clare me facis intueri ‘non aliud’ ipsum ab alio aliud esse non posse […], cum omnia ipsum ‘non aliud’ ita definiat, ut omnia in omnibus sit. », ibid., XXII, 100, p. 52.

89 Trialogus de possest, 8, p. 8-9 ; cf. De apice theoriae, 13, p. 126. 90 « Et dicit Optatus […] quod hoc non habet dubium sedem Romanam per omnes successores connumerando usque ad Petrum qui primus ibi sedit […] et puto nullum catholicum sanctis patribus […] in hoc dissentire posse. », De concordantia catholica, II, XXXIV, 256, p. 298.

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en sainteté et en vérité91. Mieux, aux yeux du Cusain, tous les royaumes temporels se rangent ainsi selon un ordre de perfection décroissant avec leur degré de vassalité à l’égard de l’empire chrétien. Certains parmi les nombreux «  non est dubium  » viennent effectivement écarter un doute précis. Ainsi dans la Cribratio92. Aucun doute que le Père ne sanctifie le Fils de toute éternité et qu’il ne l’envoie dans le monde. Le « non est dubium » porte ici sur le donné de foi de l’engendrement éternel et de la mission dans le temps du Fils par le Père. Il s’agit d’écarter le doute des musulmans considérant que le Christ blasphème en se faisant fils de Dieu. De même en Cribratio 70, le doute est écarté précisément sur la véracité divine du Père et par extension du Fils93. Et il en va de même pour toutes les occurrences de la Cribratio. Par exemple au chapitre XVII sur le fruit de la mort du Christ, se dessine une réponse au doute de l’Arabe zélé mentionné au début du chapitre : « La mort du Christ peut-elle apporter une lumière sur le Père, Créateur de toute chose ? ». Si Dieu a donné son fils unique et bien aimé pour le salut du monde, c’est que son Créateur l’a suprêmement aimé94. Enfin, s’il restait un doute sur le statut de Mahomet et le Dieu qui l’envoie, la formule « Pas d’autre Dieu que Dieu et Mahomet son prophète » est censée le lever et conclure sur cette question musulmane de l’envoyé95. Mais en fait l’essentiel de la profession de foi musulmane ne porte pas sur le prophète, puisque, rappelle le Cusain, il suffit pour la proclamer de lever un doigt en signe de l’Unicité de Dieu. On pourrait ajouter cum grano salis, que le cardinal « ne doute de rien » quand dans sa lettre à Jean de Ségovie96 il pense possible avec les Turcs, par la médiation des princes temporels, un dialogue qui pourrait, les passions retombant, tourner à l’avantage de la vérité de la foi chrétienne. En cas de dissonance du Coran avec la Sainte Écriture, il envisage, afin de lever les doutes ainsi introduits, de suivre le

91 « Non habet dubium ita nostrum Christianum imperium cetera excellere, sicut sanctissima et mundissima nostra religio Christiana in sanctitate et veritate vincit. », ibid., III, VII, 349, p. 360. 92 « […] non est dubium : quem pater ut pater ab aeterno sanctificavit et in tempore in mundum misit, non blasphemat si se dei filium appellat.  », Cribratio Alkorani, I, X, 55, éd. L. Hagemann, NCOO, 8, 1986, p. 48. 93 « Non est autem apud quemcumque dubium deum esse veracem et eius filium […] », ibid., I, XVI, 70, p. 60. 94 « Si igitur hunc suum dilectissimum primogenitum et unigenitum filium deus dedit

pro salute mundi, utique maxime mundum dilexit. », ibid., II, XVII, 143, p. 116.

95 Ibid., III, III, 169, p. 137. 96 Epistula ad Ioannem de Segobia, éd. R. Klibansky, NCOO, 7, 1970, p. 97.

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conseil de Mahomet en considérant comme plus vrais les livres plus anciens97. Non moins subtile est la dénonciation d’une contradiction plus apparente du Coran : il affirme en de nombreux endroits la résurrection finale, mais ne la révoque-t-il pas en doute en affirmant que certaines âmes extraites par les anges ne seront pas restituées98 ? Au milieu des doutes que peut faire surgir la discussion organisée par le chapitre III du Coran entre les prophètes, le Christ se tient comme horizon de sens de la loi et des prophètes, statuant par sa stature comme un maître détermine une question disputée99. Mais il est encore d’autres «  non dubium  » qui sollicitent fortement la foi au cœur même d’un raisonnement théologique : ainsi dans la dernière partie de la Docte Ignorance, au chapitre de la conception et de la naissance du Christ de la Vierge Marie : l’Incarnation supposant l’unification la plus difficile entre Dieu et sa créature, requiert le suprême unificateur, l’Esprit Saint en Personne100. De même, au début du sermon I la même formule mobilise la foi et surtout l’attention de l’auditoire101. Tel est le cas dans la plupart des sermons102. On y retrouve aussi une réflexion théologique sur l’articulation des mystères : celui de l’Incarnation ne devait pas être révélé à tous car cela aurait empêché la rédemption : connaissant la divinité du Christ, ses persécuteurs ne l’auraient pas crucifié et cela aurait même pu amener un doute sur son humanité103. Mieux, le prédicateur philosophe n’hésite pas à solliciter la foi de l’auditoire pour l’amener à des réflexions d’ordre métaphy97 Cribratio Alkorani, I, IV, 34, p. 33. 98 Cribratio Alkorani, III, II, 164, p. 133. 99 « Quare in dubiis Christo standum […] cum Christus sit finis et conclusio legis et prophetarum omnium, qui prophetarunt aut prophetabunt, quando suae determinationi statur, omnium prophetarum discussioni statur. », ibid., III, I, 162, p. 131-132. 100 « Et hinc maxima operatio supra omnem naturae proportionem, per quam creator unitur creaturae, ex maximo uniente amore procedens, non dubium a sancto Spiritu […]  », De docta ignorantia, III, V, 209, p. 133 ; cf. Epistula ad Nicolaum Bononiensem, § 42, p. 16, où c’est « dubitatio » devant les mêmes mystères qui est renvoyée à la foi en l’évangile. 101 Sermon I, éd. Bodewig, R. Haubst et W. Krämer, NCOO, 16, 1, 1970, p. 1. 102 « Et non dubium, quin continuata fuerit primi parentis traditio per posteros. », Sermon II, éd. M. Bodewig, R. Haubst et W. Krämer, NCOO, 16, 1, 1970, p. 24 ; nul doute (nulli dubium), que la Vierge ait eu accès au troisième degré de la contemplation, Sermon VII, éd. R. Haubst, NCOO, 16, 2, 1973, p. 159 ; qu’elle n’ait obtenu par ses mérites les auréoles tant des martyrs que des vierges et des prédicateurs, Sermon VIII, éd. R. Haubst, NCOO, 16, 2, 1973, p. 165 ; qu’elle n’ait la meilleure place au ciel, Sermon XLVI, éd. R. Haubst et H. Schnarr, NCOO, 17, 2, 1991, p. 272 ; que les paraboles ne contiennent des enseignements élevés, Sermon CCXVII, éd. M.-A. Aris, NCOO, 19, 2, 2001, p. 97. 103 « Non autem debuit omnibus esse manifestata nativitas […] ne manifestatio impediret crucifixionem. I Ad Cor. 2 […] etiam, ne humanitatis mysterium venisset in dubium. », Sermon II, p. 24.

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sique, au moins autant que théologiques104 : parce qu’il n’a pas de doute sur le rôle du Verbe dans la Création divine, il est amené à considérer celui-ci comme raison, sagesse, voire art infini du Père. C’est encore comme tel, qu’il peut, étant au cœur du processus de création, donner aussi la vie éternelle qu’il promet105. Mais l’absence de doute concernant le Verbe dans son rôle de raison absolue peut aussi procéder d’un intellectualisme néoplatonicien qui ne fait guère intervenir la foi en la Révélation106. Si les anges, intelligences éclairées, sont préposés aux hommes, il n’est pas douteux que la raison absolue qui éclaire ces guides naturels ne soit aussi le roi régnant sur tout être et toute vie. Dans le même sermon LI, le prédicateur imagine une hiérarchie humaine sur le modèle des hiérarchies célestes, supposant des degrés de participation à la raison correspondant au pouvoir territorial de chacun : ferme, cité, conté, province107… Nul doute que celui qui recevrait une participation infinie à la raison régnerait jusqu’aux confins de l’univers. Et il reconnaît en cet homme infiniment rationnel, le Verbe incarné, le Christ déjà conçu comme Maximum dans la Docte Ignorance. Ou encore, nul doute que le Christ ne soit le chemin, la vérité et la vie, le fondement et la tête de l’Église qui continue d’assurer sa présence ici-bas108. Cette absence de doute peut aussi conduire à de mauvais choix exégétiques. Aucun doute que Jean n’ait écrit en grec109, rappelle le Cusain qui propose d’écarter les sens de « Képhas » dérivés de l’hébreu par saint Jérôme au profit de « Cephe »/« cephalè » renvoyant à la tête en grec. On trouve une véritable réflexion sur la portée du doute dans un autre contexte. Ainsi à propos du témoignage du Christ dans l’Évangile de Jean, le Cusain précise que par sa mort il donne le témoignage maximum. Par ailleurs, le doute ne saurait porter sur la vie éternelle puisqu’elle est promise par Dieu. Reste donc que le doute

104 Sermon XII, éd. M. Bodewig et R. Haubst, NCOO, 16, 3, 1977, p. 347. 105 « Et quod ipse foret dator vitae, ostendit in resuscitatione mortuorum […] quoniam ipse esset verbum Dei, per quod Deus fecit omnia […] Ideo non dubium, cum ars et scientia sit omnipotentis Dei, quin possit efficere vitam illam in credentibus. », Sermon CCLXXVIII, éd. H. D. Riemann, NCOO, 19, 6, 2005, p. 570-571. 106 Sermon LI, éd. R. Haubst et H. Schnarr, NCOO, 17, 3, 1996, p. 230 ; cf. Sermon CXLVI,

éd. H. Pauli, NCOO, 18, 2, 2001, p. 111.

107 « Si igitur aliquo modo augeretur ratio gradatim in hominibus, […] ut uni regimen villae, alteri regimen civitatis, alteri comitatus, alteri provinciae etc. deberetur. Non dubium, si ratio infinita reperiretur in homine sine mensura, quin ille homo secundum naturam sine fine et termino rex esset, cuius potentia foret “a fine usque ad finem”. », Sermon LI, p. 230-231. 108 De concordantia catholica, II, XXXIV, 247, p. 290. 109 Ibid., 253, p. 295.

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porte seulement sur la provenance divine de l’esprit110. On trouve une analyse similaire au sermon CLIV. Dieu étant la vérité même, il est impossible qu’il ne soit pas cru. Ses paroles jouissent d’une sorte d’auto-évidence. Le doute ne porte donc pas sur leur contenu, mais sur leur provenance111. Le sermon CLXXVI, commentant la Transfiguration, sollicite fortement la foi de l’auditoire, mais pour mêler subtilement exégèse typologique, métaphysique de la lumière et eschatologie112. Moïse et Élie ont bénéficié, par grâce, d’une contemplation lumineuse et pourtant leur ascétisme est rappelé comme une sorte de caution. Leur apparition lumineuse sur le Tabor, entourant le Christ transfiguré, cautionne son enseignement sur les fins dernières. Trois lumières sont ainsi mises en perspective : celle du visage de Moïse ou d’Élie dans l’Ancien Testament, celle miraculeuse du Christ transfiguré, enfin la lumière eschatologique des ressuscités. N’est-ce pas par excellence d’ailleurs cette lumière eschatologique qui dissipe le doute chez tous ceux qui y ont été en proie113 ? Ce sera ultimement l’apparition en gloire de l’Église naguère souffrante dans la persécution qui manifestera à ceux qui étaient dans le doute, la vérité du Christ ressuscité, son époux. Ainsi, les doutes sur la loi et les prophètes seront-ils dépassés en ce jour ultime114. Or cet avènement eschatologique du Verbe est précédé par celui du Paraclet dans les âmes, l’un comme l’autre dissipant les doutes qui pourraient subsister115. On trouve à cet égard une intéressante occurrence de «  dubio  » dans la Concordance Catholique. Le Cusain y explique que les âmes du purgatoire sont encore solidaires de celles de l’Église militante en attendant de pouvoir rejoindre l’Église triomphante116. Si elles sont dormantes et ne peuvent progresser que par les mérites des vivants, elles ont sur eux l’avantage qu’elles sont sûres, ayant déjà com110 « Item nota quod Deo qui est veritas non potest non credi. Sed dubium est solum, an spiritus sit ex deo. », Responsio de intellectu Evangelii Ioannis, éd. H. G. Senger, NCOO, 10, 1, 2001, p. 100. 111 Sermon CLIV, p. 159. 112 « Si igitur tanta visa sunt in Moyse et Elia hominibus sanctis, qui etiam quadraginta diebus et noctibus uti Christus ieiunaverunt, non est dubium Christum in se ipso testibus illis adiunctis potuisse verificare verbum praedicationis suae, scilicet quo modo erunt corpora nostra clara et nos similes angelis. », Sermon CLXXVI, éd. S. Donati, H. Schwaetzer et F.-B. Stammkötter, NCOO, 18, 4, 2004, p. 278. 113 « Et reddet se ecclesia gloriosa resurrectione a pressura Antichristiana ostensibilem omnibus dubitantibus […] », Conjectura de ultimis diebus, éd. P. Wilpert, NCOO, 4, 1959, p. 96. 114 « Hoc modo saepissime loquitur dubia legum et prophetarum ad illum diem veritatis esse remittenda », Cribratio Alkorani, 161, p. 131. 115 «  “Cum ergo venerit ille, nobis annuntiabit omnia”, scilicet illa dubia quae sunt, solvet […] », Sermon CCLXXVI, éd. H. D. Riemann, NCOO, 19, 6, 2005, p. 529. 116 De concordantia catholica, I, V, 31, p. 52.

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paru en jugement particulier, de leur salut, ce qui n’est pas le cas des vivants encore engoncés dans leurs corps grossiers et plongés dans le doute quant à leur salut. Au contraire, la Vierge et elle seule, dont le corps est enseveli avec le Christ est, sans aucun doute selon le cardinal, ressuscitée avec lui dans la gloire céleste117. Parmi les négations du doute, on relèvera des variantes. L’affirmation de la foi peut être massive : puisque le Père, le Fils et l’Esprit Saint ont rendu témoignage que Jésus était fils de Dieu, aucun doute qu’en son humanité il est effectivement fils de Dieu118. Pourtant, lors des apparitions après la résurrection, c’est précisément sur son humanité que porte le doute puisqu’il est évident que la divinité est vivante, étant immortelle119. Il y a ainsi une sorte de chiasme : durant la vie du Christ ce sont les miracles qui lèvent le doute sur sa divinité, après sa mort ce sont les stigmates qui lèvent celui sur son humanité120. Le prédicateur pourchasse le doute jusqu’en ses ultimes retranchements. Les stigmates attestent que c’est bien le crucifié qui est ressuscité et spécialement celui du côté qu’aucun autre crucifié ne saurait arborer. Le prédicateur va même chercher plus loin le levier susceptible de lever le doute : la connaissance réciproque du Père et du Fils, ainsi que l’accord de leurs volontés, citant Jn 10, 15. L’extrémité du levier est l’omniscience du Père, portant non seulement sur la Création, mais sur le Mystère même du Fils121. Réciproquement, le Fils, connaissant le Père comme il se sait connu de lui, obéit en confiance à la volonté du Père qui le missionne. Nous passons ainsi de la connaissance intra-trinitaire à la mission accordant les volontés. C’est ce qui conduit l’évangélisateur de la vie éternelle usque ad mortem, à déposer sa vie pour ses brebis. Et tout pasteur missionné par le Fils devrait en faire autant selon le cardinal qui va plus loin encore

117 « Quae sine dubio, sicut unica in fide cum Christo sepulta, ita et consurrexit. », Sermon XII, p. 243. 118 Sermon LXXXI, éd., H. Hein et H. Schnarr, NCOO, 17, 6, 2008, p. 484. 119 «  Legimus Christum post resurrectionem se ostendisse […] “vivum” hominem, de quo dubium fuit post mortem in cruce, sed non fuit dubium divinitatem vivere, quae non est mortalis. », Sermon CCXXIX, p. 161. 120 « Non dubium, si propria virtute surrexit, ipsum Deum esse […] Sicut miracula fecit in vita, ut in homine Deum ostenderet, reservavit stigmata […] ad probandum non alium sed ipsum resurrexisse […] », ibid. 121 « “Sicut novit me Pater et ego agnosco Patrem, et animam meam pono pro ovibus meis”. Ecce non dubium […] quia Iesus sic novit Patrem, ut ipse a Patre notus est, tunc scivit oboediendum Patri qui eum misit ad […] pascendum oves “usque ad mortem”. […] Sic omnis, qui est pastor bonus missus a Christo, facere debet. », Sermon CCXXXI, éd. M.-A. Aris, NCOO, 19, 2, 2001, p. 177-178.

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dans la sollicitation de la foi de son auditoire, suggérant que n’importe quel fidèle doit être capable s’il ne doute pas de la puissance du Verbe de faire des miracles122. Certaines autres formules négatrices du doute passent plus vite sur des évidences : les distractions dans la récitation des psaumes sont des peccadilles : il n’y a pas de doute (« dubium non est ») qu’une âme ne saurait être damnée pour si peu123. Si l’on constate la présence de reliques identiques en plusieurs endroits, un doute pourra surgir sur leur authenticité124. Dans ces cas qui pouvaient être fréquents vu l’importance du culte des reliques au Moyen Âge, le Cusain conseille de cacher ces reliques, plutôt que de déclencher un scandale. Ainsi le doute peut-il induire la prudence : il faut tolérer l’ivraie jusqu’à la moisson, si l’on a le moindre doute sur un risque, en l’arrachant, d’extraire le bon grain avec125. Mais on trouve des formules plus complexes : « […] quasi nemo sanae mentis dubium de hoc faceret quicquam facere aut fieri posse sine posse ipso126.  » Douter du pouvoir que l’on a de réaliser ce qui est effectivement en son pouvoir, relève d’une pathologie comportementale paralysant l’action plus que d’une difficulté simplement logique. L’on retrouve une situation semblable au chapitre 13 : le pouvoir (« posse ») est présupposé par toute possibilité d’advenir sous une forme déterminée127. Mais la réflexion sur le doute porte aussi sur ses conséquences : il empêche la guérison vivifiante par le Verbe divin comme aussi l’hésitation128. Il ne s’agit pas seulement de la guérison physique, pour le Cusain, mais de la vie éternelle de l’âme intellectuelle. Dans sa dimension eschatologique : c’est ainsi par sa divinité que le Verbe ressuscite son humanité et celle des croyants en son temps. Mais il s’agit aussi déjà, explique le philosophe129, de la vie intellectuelle ici-bas des âmes spirituelles, vivifiées par leur adhésion à la vérité éternelle du Verbe divin. L’intelligence hu-

122 « Si enim fidelis penitus non haesitans […] dicit ad infirmum: “Tibi dico: surge!”, non dubium quin surgat. », Sermon CCLII, p. 334. 123 Sermon VII, p. 125. 124 Reformatio generalis, éd. G. Senger, NCOO, 15, 2, 2008, p. 40-41. 125 Sermon CCLXVII, éd. H. D. Riemann, H. Schwaetzer et F.-B. Stammkötter, NCOO, 19, 5, 2005, p. 465. 126 De apice theoriae, 6, p. 121. 127 « […] posse esse et posse esse hoc et illud posse ipsum praesupponant. Et ita posse ipsum omnem quae potest fieri dubitationem antecedere constat. », ibid., 13, p. 126. 128 « Ubi autem est haesitatio aliqua, an sit verbum Dei, quod auditur, ibi non vivificat; dubium enim illud claudit ingressum. », Sermon CCVII, éd. W. A. Euler et K. Reinhardt, NCOO, 19, 1, 1996, p. 16. 129 « […] cum solum verbum Dei sit vita animae intellectualis, ideo incredulus non vivet in aeternum. », ibid.

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maine étant faite pour cela, elle aura vite fait sans doute de passer de la foi à la vie, entendons intellectuelle, qui consiste en la vision même du Père, seule béatifiante130. Le disciple du pseudo-Denys pratique la théologie affirmative ou négative et on trouve même à leur côté dans le De filiatione Dei une theologia dubia se gardant d’affirmer ou de nier quoi que ce soit131. Nous comprenons ainsi comment la théologie dionysienne du cardinal s’allie à sa formation logique dans la via moderna pour distinguer autant de théologies possibles que de modes du discours. Conclusion Si la foi est très présente au discours du cardinal philosophe, elle n’exclut ni le doute, ni d’ailleurs une réflexion sur le doute. Ne tombant ni du côté du faux ni de celui du vrai, le doute est inconfortable pour l’intelligence qui cherchera à en sortir pour se complaire dans la science, voire dans la sagesse ou la vision jusqu’à celle qui pourra lui procurer la béatitude. Les nombreux « non est dubium » ou autres formules négatives, constituant les deux tiers des occurrences attestent ce struggle for life de l’intelligence. Ils ne relèvent donc pas tous de la foi, tant s’en faut. Les uns pourront renvoyer à l’évidence, des faits ou de la nécessité physique, voire morale. « Dubium » prend le sens d’un problème en particulier dans le domaine juridique, spécialement dans la Concordance Catholique où l’on trouve un bon tiers des occurrences de ce mot. S’il doit être résolu, dissous, il doit d’abord être exposé, voire noué. Ainsi le doute devient-il partie intégrante d’une méthode pour l’intelligence dans sa percée vers la vérité et la science. Mieux, celle du Cusain se plaît dans la docte ignorance qui permet la certitude maximale. Le doute suspend le jugement, mais l’ignorance l’empêche, sauf précisément si elle est docte, se faisant ainsi sagesse. Elle ouvre aussi la possibilité de s’aventurer à des conjectures132. À travers ses dénégations du doute, nombreuses et variées, nous avons vu que le Cusain affronte le doute philosophique, tant sur des questions cosmologiques, anthropologiques, que métaphysiques, voire théologiques. Le calendrier a besoin d’être réfor130 « Unde posse credere est in intellectu […]. Et si […] credit, tunc non dubium per fidem potest attingere vitam, scilicet visionem Patris; quae visio felicitat […] », Sermon CCLXXI, éd. H. D. Riemann, NCOO, 19, 6, 2005, p. 494. 131 « Una est enim theologia affirmativa omnia de uno affirmans et negativa omnia de eodem negans et dubia neque negans neque affirmans […]  », De filiatione Dei, V, 83, p.  59 ; cf. Jean Miernowski, Le Dieu néant, théologies négatives à l’aube des temps modernes, Leiden, Brill, 1998, et notre « “Theologia dubia” ? Nicolas de Cues : un regard transfrontalier sur la théologie et ses différentes modalités », dans Nikolaus von Kues : Die Großregion als Denkund Lebensraum, éd. par M.-A. Vannier et H. Scwaetzer, Luxembourg, Aschendorff, 2019, p. 169-190. 132 L’Art des conjectures de Nicolas de Cues, trad. J. Sfez, Paris, Beauchesne, 2012.

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mé, les facultés humaines montrent leurs limites, en particulier face à des concepts métaphysiques comme le « possest » ou le « non aliud ». Mais si le doute peut surgir en-deçà, l’Un transcendant des néoplatoniciens se présente comme l’horizon de son dépassement. Cette métaphysique s’allie d’ailleurs curieusement chez le Cusain avec une logique aristotélicienne interprétée dans le sens de la via moderna où la définition nominale permet de lever le doute. Le rapprochement de « numen » et « nomen » dans l’exégèse du « rendez à César », montre comment elle peut à la fois lever le doute dans le domaine théorique et offrir un discernement pratique. Dans cet ordre, les doutes soulevés au plan juridique par la Concordance Catholique s’avèrent autant de problèmes, de cas dont le canoniste cherche la solution. Les questions les plus centrales tournent autour de l’autorité du pape et de celle du concile, du primat du siège romain et de son rapport à l’empire. Dans le domaine politique, le prélat germanique ne semble pas embarrassé de doutes, ce qui ne l’empêche pas de développer de subtils argumentaires juridiques au profit d’un exercice plus consensuel du pouvoir dans l’Église. Cela ne l’empêche pas non plus d’affronter le doute dans sa dimension religieuse, mais déjà existentielle. Nous en avons même trouvé une occurrence proche du cynisme de Diogène lorsque constatant l’universalité de la bêtise, le Cusain en vient à se demander si l’humanité a vraiment la raison en partage. Nous l’avons vu s’en tirer avec humour, mais il affronte avec sérieux le doute issu de l’Islam dans la Cribratio Alkorani, argumentant en faveur de la divinité du Christ et relevant les contradictions du texte qu’il passe au crible. Il affronte aussi le doute des juifs sur la venue du Messie en ayant peut-être à l’esprit les disputes logiques opposant depuis le xiie siècle nominalistes et réalistes sur la prise en compte du temps dans la vérification des propositions. Il peut ainsi préciser que le doute des juifs porte sur l’avènement du Christ : face à la science des Mages qui suivent l’évidence d’un signe cosmique en désignant le temps, leur sagesse n’est éclairée que par la foi qui leur permet d’en connaître le lieu : Bethléem. Le prédicateur n’hésite pas à solliciter fortement la foi de son auditoire, mais souvent en vue de l’élever à une spéculation au moins aussi métaphysique que mystique. Il dénoue de subtils doutes en articulant, par exemple, la connaissance des Personnes divines ad intra et l’accord de leur volonté dans les missions. Mais nous avons vu que sa fidélité à Denys le pseudo-Aréopagite, ouverte sur la modernité naissante, l’amène à intégrer le doute à sa pratique théologique puisqu’il conçoit une theologia dubia aux côtés des théologies affirmative et négative. Par ses négations nombreuses et variées du « dubium », l’homme de foi combat ainsi le doute, mais non à la manière du charbonnier, en mobilisant au contraire toutes les subtilités du savant et surtout du philosophe.

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L’assertio contre le doute :

le débat entre Érasme et Luther au sujet du libre arbitre (1524-1525) Matthieu Arnold – Université de Strasbourg, UR 4378, Théologie protestante

Érasme, « Voltaire du xvie siècle » : tel était le jugement que portait sur l’humaniste l’historien Wilhelm Dilthey en 1891-1892, dans son « Appréhension et analyse de l’homme aux xvie et xviie siècles »1. Une quarantaine d’années plus tard, l’écrivain Stefan Zweig a popularisé ce jugement dans son célèbre ouvrage Triomphe et tragique d’Érasme de Rotterdam (Triumph und Tragik des Erasmus von Rotterdam, 1934), dans lequel, à plusieurs reprises, il qualifie Érasme de « sceptique » ou parle de son « scepticisme »2. Or ces jugements font écho aux griefs que Luther avait formulés contre Érasme dans son traité sur Le serf arbitre (De servo arbitrio, 1525), qui répondait au De libero arbitrio. Diatribe (1524) de l’humaniste. Dans les dernières lignes de sa vive réplique, le Réformateur prend nettement ses distances avec Érasme, qui avait affirmé ne rien soutenir par assertion, mais simplement collationner les arguments pro et contra au sujet du libre arbitre, confronter des auteurs et laisser ensuite au lecteur le soin de juger : Ce n’est pas ainsi qu’écrit celui qui voit à fond l’affaire et qui la comprend correctement. Quant à moi, avec ce livre-ci, je n’ai pas « collationné », mais j’ai soutenu et je soutiens par assertion3 ; 1 2

3

Voir Wilhelm Dilthey, « Appréhension et analyse de l’homme aux xvie et xviie siècles » dans id., Conception du monde et analyse de l’homme depuis la Renaissance et la Réforme, trad. F. Blaise, Paris, Éditions du Cerf, 1999, p. 13-97. Voir Stefan Zweig, Triumph und Tragik des Erasmus von Rotterdam, Francfort-sur-le-Main, Fischer, 1982 [éd. originale Vienne, Herbert Reichner, 1934], p. 62, 68 et 114 ; traduction id., Érasme, dans id., Essais, Paris, Le Livre de Poche, « La Pochotèque », 1996, p. 1019-1139 (ici, p. 1058, 1062 et 1093). Sur le portrait d’Érasme et de Luther par Zweig, voir Matthieu Arnold, «  Érasme et Luther selon Stefan Zweig : un antagonisme irréductible  », Revue d’Histoire et de Philosophie religieuses, t. LXXXII, 2002, p. 123-145. Nous avons montré que le portrait d’Érasme, fondé en grande partie sur la biographie de Huizinga, avait bien plus de consistance que celui de Luther, derrière lequel se profile Hitler. L’affirmation « je n’ai pas collationné, mais j’ai soutenu […] » se trouve en capitales dans l’ouvrage de Luther, un procédé peu fréquent chez lui, mais qui reprend en fait celui d’Érasme.

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et je ne veux laisser à personne le soin de juger par lui-même, mais je m’efforce de les convaincre tous de prêter obéissance4. 

Par ces propos, Luther exprime avec force que son désaccord avec Érasme ne porte pas seulement sur la volonté (l’arbitre) de l’être humain, libre ou au contraire esclave dans les choses qui relèvent de son salut. Il a trait également à la forme légitime du discours portant sur ces questions, donc du discours théologique : diatribè pour Érasme, c’est-à-dire confrontation entre des citations bibliques témoignant pour ou contre une thèse donnée, et assertio pour Luther. Avant de nous attarder sur cette question, il importe toutefois de comprendre les enjeux théologiques de la joute littéraire entre les deux « géants du xvie siècle5 ». Très tôt, des différences sur des questions essentielles pour Luther Les divergences entre Érasme et Luther ne remontent pas aux années 1524-1525. Très tôt – alors même qu’il était encore un inconnu, ou presque, tandis que l’étoile du «  prince des humanistes  » brillait déjà au firmament –, Luther avait pris conscience de ces différences. Dès le 19 octobre 1516 (sa première publication, le commentaire des sept psaumes de pénitence, ne paraîtra que l’année suivante), il conteste, dans une lettre à son ami Spalatin, humaniste et chapelain du duc Frédéric le Sage, la manière dont Érasme comprend la « justice des œuvres ». L’humaniste identifie cette justice à l’observation des pratiques cultuelles. Or, quelques mois auparavant, Luther a terminé son grand cours sur l’épître aux Romains (1515-1516)6, lequel témoigne de sa nouvelle compréhension de la justice – et notamment de la justice de Dieu : Dieu n’est pas un juge impitoyable, qui, à la fin des temps, fera le compte des œuvres bonnes – et des manquements – de l’être humain ; sa justice est, au contraire, celle par laquelle il déclare l’homme juste sur la base du sacrifice du Christ, le seul juste, sur la croix. Dieu ne se contente d’ailleurs pas de déclarer l’homme juste, mais il le transforme aussi dans le sens de sa justice, ainsi que l’exprime la lettre à Spalatin : « Il faut d’abord que l’homme soit transformé ; ensuite, ses œuvres le seront7. » La « justice des œuvres » consiste donc, explique Luther à Spalatin, en l’« observation totale du Décalogue », mais 4 Dr. Martin Luthers Werke, Kritische Gesamtausgabe, Weimar, Hermann Böhlaus, 18832009 [= WA] 18, 787, 11-13 ; traduction dans Luther, Du serf arbitre, [Suivi de Diatribe: Du libre arbitre d’Érasme], éd. et trad. par G. Lagarrigue, Paris, Gallimard, « Folio essais, 376 », 2001,  p. 63-460 (ici, p. 460) (modifiée par nos soins). 5 Voir La Théologie. Une anthologie, dir. par N. Lemaître et M. Lienhard, t. III, Renaissance et Réformes, Paris, Éditions du Cerf, 2010, p. 107. 6 Voir Cours sur l’Épitre aux Romains, dans Luther, Œuvres, t. I, dir. par M. Lienhard et M. Arnold, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1999, p. 3-96 (extraits). 7 WA, section Briefwechsel (Lettres) [= WA Br] no 27 : 1, 70, 31.

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L’ASSERTIO CONTRE LE DOUTE : LE DÉBAT ENTRE ÉRASME ET LUTHER AU SUJET DU LIBRE ARBITRE

avec la foi en Christ : c’est elle qui transforme l’être humain et le rend capable de bien agir8. « Écris cela à Érasme », demande, non sans audace, Luther à son ami. Ce dernier s’exécute, reproduisant fidèlement les propos par lesquels Luther explique son dissentiment avec Érasme, en opposant notamment son propre attachement à Augustin à l’estime de l’humaniste pour Jérôme9. Érasme – on n’en sera guère surpris – n’a pas daigné répondre. Dans une lettre du 30 mars 1517 – soit sept mois avant les fameuses thèses contre les indulgences –, Luther confie par lettre à un frère de son ordre, Johannes Lang, que sa sympathie pour Érasme décline de jour en jour, même s’il approuve ses critiques contre les clercs ignorants et paresseux : Mais je crains qu’il ne mette pas suffisamment en valeur le Christ et la grâce de Dieu […]. Autre est le jugement d’un homme qui attribue quelque chose au libre arbitre de l’homme, autre celui d’un homme qui ne connaît rien en dehors de la grâce10.

À nouveau, le religieux fait remonter son désaccord avec Érasme au fait que ce dernier accorde la préséance à Jérôme, dont il avait édité les œuvres, tandis que lui préfère Augustin, le patron de son ordre11. On relèvera que, dans l’une et l’autre des deux premières lettres de Luther au sujet d’Érasme, le désaccord ne porte pas sur des questions théologiques mineures ou sur l’interprétation de textes bibliques précis, mais sur les thèmes qui, dès alors, se trouvent au centre de la théologie du futur Réformateur : la justice et la grâce. Ces thèmes lui sont d’autant plus chers qu’il a conquis de haute lutte sa nouvelle compréhension de Dieu et de sa justice. Il ne s’est pas agi pour lui seulement d’une trouvaille intellectuelle, mais d’une découverte engageant toute son existence, qui lui a permis de triompher des tourments spirituels avec lesquels il lui avait fallu lutter au couvent durant des années12.

8

Luther développera ce thème quelques années plus tard dans deux importants écrits de 1520, Les bonnes œuvres et La liberté du chrétien. (Voir Luther, Œuvres, t. I, op. cit., p. 437533 et 839-871.) 9 Cette appréciation est injuste, même s’il est vrai que, sur le plan philologique, Érasme préfère Jérôme à Augustin. Voir notamment Charles Bené, Érasme et saint Augustin, Genève, Droz, 1969. 10 WA Br no 35 : 1, 90, 15-18 et 25s. (à Johannes Lang, 1er mars 1517). 11 Voir WA Br no 35 : 1, 90, 21-25 ; no 27 : 1, 70, 17-24 (à Spalatin, 19 octobre 1516). Luther confie à son correspondant qu’il tient son jugement secret, « afin de ne pas renforcer la conspiration de ses [= Érasme] adversaires ». 12 Voir notamment Matthieu Arnold, Martin Luther, Paris, Fayard, 2017, p. 81-98 : « La crise sprituelle et sa résolution ».

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Luther avait rejeté le libre arbitre de l’homme dès 1516. Dans les thèses qu’il avait fait soutenir par son élève Bartholomäus Bernhardi le 25 septembre 1516 sur la volonté et les forces de l’homme sans la grâce, il avait écrit : « La volonté de l’homme sans la grâce n’est pas libre, mais est esclave, toutefois pas à contrecœur. […] La volonté sans la grâce pèche, elle n’est donc pas libre13. » Luther avait enfoncé le clou un an plus tard (4 septembre 1517) lors de la Controverse sur la théologie scolastique : La meilleure et l’infaillible préparation à la grâce et l’unique disposition à cette grâce résident dans l’élection et la prédestination éternelles de Dieu. […] Nous ne sommes pas maîtres de nos actes, mais nous en sommes serfs, depuis le commencement jusqu’à la fin14.

Les suites de la controverse sur les indulgences En dépit de tout ce qui le sépare d’Érasme, Luther adresse néanmoins, le 18 mars 1519, sur le conseil de Spalatin et de Frédéric le Sage, au prince des humanistes une lettre par laquelle il tente de faire cause commune avec lui : « […] je me réjouis de découvrir, parmi d’autres dons du Christ, l’aversion que tu inspires à beaucoup de gens15 ». Luther se trouve alors empêtré dans la querelle au sujet des indulgences qui a résulté de la large diffusion des 95 thèses puis de la publication d’autres écrits de sa plume. En 1516, Érasme n’avait pas répondu à la lettre de Spalatin renfermant les critiques de Luther. Le 30 mai 1519, s’il daigne réagir au deuxième courrier, c’est pour dissocier son cas de celui de Luther : « Jusqu’à présent, on n’a pas réussi à arracher de la tête des gens l’idée entièrement fausse que tes écrits avaient été rédigés comme

13 Quaestio de viribus et voluntate hominis sine gratia disputata, WA 1, 142-151 : 147, 38s. ; 148, 2 ; traduction Luther, Œuvres, t. I, op. cit., p. 107-114 (ici, p. 109). Premier corollaire de la thèse 2 : « L’homme, exclu de la grâce de Dieu, ne peut en aucune manière garder ses commandements, se préparer à la grâce, ni de manière digne ni de manière conforme ; bien au contraire, il reste nécessairement soumis au péché.  » (WA 1, 147 ; traduction Luther, Œuvres, t. I, op. cit., p. 108.) 14 Disputatio contra scholasticam theologiam, WA 1, 221-228 : 225, 27s. ; 226, 6s. (thèses 29 et 39) ; traduction Luther, Œuvres, t. I, op. cit., p. 125-131 (ici, p. 127). Voir aussi, en 1520, l’Assertio réfutant la Bulle Exsurge Domine, dans laquelle Luther affirme que l’être humain fait tout par pure nécessité et non en vertu de son libre arbitre. (Érasme s’en prendra à cette position, § I a 10 de sa Diatribe, dans Luther, Du serf arbitre, éd. G. Lagarrigue, op. cit., p. 471.) Cf. le dossier rassemblé par Jean Boisset, Érasme et Luther. Libre ou serf-arbitre ?, Paris, PUF, 1962, p. 38-54. 15 WA Br no 163 : 1, 362, 5-8 ; traduction Léon E. Halkin, Érasme parmi nous, Paris, Fayard, 1987, p. 221s. (Voir aussi La correspondance d’Érasme, dir. par Aloïs Gerlo, t. III, Bruxelles, University Press, 1975, no 933 : 537, 5-9.)

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sous ma dictée, et que j’étais, ainsi qu’ils prétendent m’appeler, le porte-drapeau de ton parti. » Comme Luther lui a parlé des réactions hostiles que suscitait le Christ, il présente ce dernier comme un modèle de retenue : « Et j’ai l’impression que l’on progresse mieux par la réserve polie que par les éclats. C’est de cette manière que le Christ a mené le monde sous son autorité. […] Par cette réserve, on satisfera mieux à l’esprit du Christ16. » Érasme juge en effet qu’on améliorera l’Église non par l’impétuosité et les critiques virulentes, mais par la patience, la douceur et la réserve – et, aurait-il pu ajouter, par l’ironie légère… Entre la proclamation de la Bulle Exsurge Domine (15 juin 1520), qui menace Luther d’excommunication, et la comparution du Réformateur à la Diète de Worms (17-18 avril 1521), Érasme continue de défendre une position à la fois nuancée et soucieuse de neutralité : il s’oppose à ceux qui condamnent Luther sans l’avoir lu, mais reproche au moine augustinien son impétuosité. Elle risque de compromettre ses propres efforts pour le renouveau de la théologie et de la piété dans l’Église17. Tout en refusant d’embrasser le parti des adversaires de Luther, Érasme affirme que «  la mort ne le séparera pas [de l’Église de Rome], à moins qu’elle ne s’éloigne manifestement du Christ18 ». Une fois reclus à la Wartburg (mai 1521-mars 1522), Luther continue de brocarder l’attitude d’Érasme, qui préfère la paix à la croix et dont les attaques polies sont inefficaces : […] leurs écrits, où ils s’abstiennent d’invectiver, de mordre et d’offenser, ne produisent aucun effet. En effet, si l’on admoneste les prélats de façon courtoise, ils se croient flattés et […] ils persévèrent dans leur être, satisfaits parce qu’on les craint et que personne n’ose les blâmer19.

Tout au long des années 1522 et 1523, Érasme résiste aux pressions de ceux qui, à commencer par son compatriote, le pape Adrien VI, l’adjurent d’exercer « contre les hérésies nouvelles l’heureux talent qu[’il] a[vait] reçu de la bonté divine20 ». Il plaide la patience et la tolérance, y compris vis-à-vis de Luther, ce qui n’empêche pas les évangéliques de lui porter de rudes coups : ainsi, Wolfgang Capiton, le 16 Opus epistolarum Des. Erasmi Roterodami, éd. P. S. Allen (désormais : Allen), t. III : 15171519, Oxford, Clarendon, 1913, no  980 : 605, 4-7 ; 606, 38-40 et 47-51 ; traduction L. E. Halkin, Érasme parmi nous, op. cit., p. 222s. 17 Voir Allen, t. IV : 1519-1521, Oxford, Clarendon, 1922, no 1195 : 459, 458, 3-459, 22 (à Aloïs Marliano, 25 mars 1521) ; L. E. Halkin, Érasme parmi nous, op. cit., p. 225. 18 Allen, IV, no 1195 : 459, 28-30 ; traduction L. E. Halkin, Érasme parmi nous, op. cit., p. 226, légèrement modifiée. 19 WA Br no 429 : 2, 387, 5-8 ; 387, 17-388, 20 (à Spalatin, 9 décembre 1521). 20 Allen, t. V : 1522-1524, Oxford, Clarendon, 1924, no 1324 : 15, 23-25 (1er décembre 1522) ; traduction L. E. Halkin, Érasme parmi nous, op. cit., p. 226.

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Réformateur de Strasbourg, lui reproche de vouloir ménager la chèvre et le chou21, tandis qu’Ulrich von Hutten, le bouillant chevalier qui confond la liberté chrétienne de Luther avec l’émancipation de l’Allemagne, l’attaque dans son Expostulatio. En 1523, Luther se joint au cœur des opposants à Érasme dans deux lettres adressées en Suisse. Il écrit tout d’abord au Bâlois Jean Œcolampade pour affirmer que l’apport d’Érasme, certes indéniable, s’est borné à la philologie : Il a fait ce à quoi il était destiné : il a ouvert la voie à l’étude des langues en la détournant des sciences sacrilèges. Peut-être mourra-t-il, comme Moïse, dans le pays de Moab, car il ne peut parvenir à une science supérieure (celle qui concerne la piété). […] Il a suffisamment fait en nous montrant ce qui est mauvais ; mais montrer ce qui est bien et conduire ses lecteurs vers la Terre promise, cela – à mon avis – il n’en est pas capable22.

Quant à sa missive à Konrad Pellican, qui fut rapidement publiée, elle invite non sans impertinence Érasme à «  appren[dre] à connaître le Christ et à donne[r] congé à la prudence humaine23 ». Vers la mi-avril 1524, Luther s’adresse directement à Érasme. Instruit peut-être que ce dernier prépare un écrit contre lui, il prie, avec dédain, celui auquel «  le Seigneur n’a pas donné assez de courage et de force pour combattre ces monstruosités à nos côtés, librement et en toute confiance », de rester « un simple spectateur de notre tragédie » : « Avant tout, ne publie pas d’ouvrages contre moi et je n’en publierai pas contre toi24. » La réplique d’Érasme est cinglante : « Peut-être bien qu’Érasme écrivant contre toi sera plus utile à l’Évangile que ces lourdauds qui écrivent pour toi […]25 ».

21 Voir la réponse d’Érasme, Allen, t. V, no 1485 : 532, 2-10 (2 septembre 1524) ; Olivier Millet, Correspondance de Wolfgang Capiton (1478-1541). Analyse et index, Strasbourg, Bibliothèque Nationale et Universitaire, 1982, no 210, p. 69. 22 WA Br no 626 : 3, 96, 18-21 ; 24s. (20 juin 1523). 23 WA Br no 661 : 3, 160, 25s. et 34s. (1er octobre 1523). 24 WA Br no 729 : 3, 270, 8-11 ; 271, 59-62 ([18 avril ?] 1524) ; L. E. Halkin, Érasme parmi nous, op. cit., p. 230. Le 18 avril (?), Luther écrit à Œcolampade : « Scripsi Erasmo optans pacem et concordiam istiusque magnificae tragoediae finem, in quo et tu quaeso cooperare, si quid potes. Satis pugnatum est, satis indignatum utrinque, tandem Christo debetur locus, et cedet Satan spiritui sancto. » (WA Br no 730 : 3, 272, 54-7.) 25 WA Br no 740 : 3, 285, 4s. ; 9s. ; 19-21 ; 285, 24-286, 25 (8 mai 1524). Voir L. E. Halkin, Érasme parmi nous, op. cit., p. 230.

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Le libre arbitre. Diatribe : plaidoyer pour une volonté libre et refus de l’assertio Quelques mois plus tard, après avoir fait paraître son colloque sur L’inquisition de la foi, que certains interprètes de l’humaniste tiennent pour une ultime tentative de conciliation26, Érasme publie Le libre arbitre. Diatribe. Nous n’entrerons pas dans le détail de la théologie de cet écrit, qui a été analysé en profondeur par Georges Chantraine27, sinon pour rappeler qu’Érasme y défend l’idée que, par sa volonté, l’être humain peut « s’attacher aux choses qui le conduisent au salut éternel ou se détourner de celles-ci28 ». Quoique ce libre arbitre soit affaibli depuis la chute, l’être humain reste capable d’opter pour le bien ou le mal, et, partant, de coopérer à son salut – avec l’aide de la grâce divine, cela va de soi. Tout en collationnant, dans l’Écriture que Luther approuve pour seule autorité29, des arguments en faveur du libre arbitre (ils sont « très nombreux ») puis des témoignages qui « semblent le supprimer totalement30 », c’est bien le libre arbitre qu’Érasme défend. Luther ne s’y est pas trompé : « […] tu accordes davantage au libre arbitre que les sophistes ne l’ont fait jusqu’ici31 ». Mais ce qui est le plus important pour notre propos, c’est le refus par Érasme du discours assertif au profit de la diatribe : Je prends si peu de plaisir aux assertions, écrit-il d’emblée, que je me rangerais aisément à l’avis des sceptiques partout où cela est permis par l’autorité inviolable des Saintes Écritures et les décrets de l’Église […]. Je préfère cette disposition d’esprit à celle dont je vois que certains sont doués : inviciblement attachés à leur opinion, ils ne supportent rien qui en diffère […]32.

26 Voir ibid., p. 231. Aulus, défenseur des idées d’Érasme, interroge sur la foi Barbatius, dont le point de vue est celui de Luther. 27 Georges Chantraine, Érasme et Luther, libre et serf arbitre. Étude historique et théologique, Paris, Lethielleux – Namur, Presses Universitaires, 1981, p. 129-157. 28 Érasme, Diatribe, dans Luther, Du serf arbitre, éd. G. Lagarrigue, op. cit., § I b 10, p. 480. 29 Ibid., § I b 1 (exorde), p. 473. Dès l’exorde également, Érasme refuse l’idée que l’Écriture serait claire ou transparente au point de n’avoir pas besoin d’interprète (voir § I b 4, p. 475s.). 30 Ibid., § I b 10, p. 480. Il s’agit en particulier de l’endurcissement du cœur de Pharaon (Exode 9, 12), dont l’apôtre Paul traite en Romains 9, 17-18. 31 De servo arbitrio, éd. A. Freitag, WA 18, 551-787 : 600s. ; traduction Luther, Du serf arbitre, éd. G. Lagarrigue, op. cit., p. 64. Voir Johannes Schwanke, « Freier oder unfreier Wille? Die Kontroverse zwischen Martin Luther und Erasmus von Rotterdam », dans Martin Luther und die Freiheit, éd. par W. Zager, Darmstadt, WBG, 2010, p. 41s. (41-58). 32 « Et adeo non delector assertionibus, ut facile in Scepticorum sententiam pedibus discessurus sim, ubicumque per divinarum scripturarum inviolabilem auctoritatem et ecclesiae decreta liceat […]. Atque hoc ingenium mihi malo, quam quo video quosdam esse praeditos,

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Et tout à la fin de son ouvrage, l’humaniste enfonce le clou : « J’ai rassemblé le matériel (contuli). Je laisse à d’autres le soin de juger (penes alios esto iudicium)33. » Durant de longs mois, Luther reste silencieux. Deux semaines après avoir exprimé, le 1er novembre 1524, à Spalatin sa peine à lire jusqu’au bout l’ouvrage d’Érasme tant il le dégoûte, et son ennui à devoir répondre à ce « livre si ignorant (ineruditus) d’un homme si savant34 », il s’engage à répliquer à l’humaniste : « non pas à cause de lui, mais à cause de ceux qui abusent de leur autorité pour leur propre gloire et contre le Christ35 ». Toutefois, à la fin de l’automne de 1524 et au début de 1525, ses préoccupations se portent d’abord sur son ancien collègue Andreas Carlstadt36 et sur les « exaltés » (Schwärmer) qui défendent une autre compréhension de la Cène que lui. Aussi lui est-il impossible de répondre à Érasme avant d’avoir achevé son ouvrage Contre les prophètes célestes37. Entre le mois de février et le début d’avril 1525, il est accaparé par sa traduction de la Bible et la préparation d’autres manuscrits38, avant que la Guerre des Paysans ne requière toute son attention, puis qu’il ne se marie. Aussi faut-il attendre une lettre du 27 septembre pour lire enfin : « Je me consacre entièrement à réfuter Érasme39. » Luther demande à ses amis de prier pour que le Seigneur lui vienne en aide, car son ouvrage doit servir à la gloire de Dieu40 ! Un mois plus tard, il demeure absorbé par cette tâche au point qu’il se refuse de

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ut impotenter addicti sententiae nihil ferant, quod ab ea discrepet […]. » (Érasme, Diatribe, dans Luther, Du serf arbitre, éd. G. Lagarrigue, op. cit., § I a 4 ; p. 465.) Érasme, Diatribe, IV 17, éd. W. Lesowsky, dans Erasmus von Rotterdam, Ausgewählte Schriften, t. 4, Darmstadt, WBG, 1969, p.  1-195 (ici, p.  194) ; voir p.  561, éd. Lagarrigue, op. cit., qui traduit : « J’ai discuté : à d’autres de juger. » WA Br no 789 : 3, 368, 29-31. Sur le « dégoût » que lui inspirerait le Libre arbitre, voir aussi WA 18, 601 ; Luther, Du serf arbitre, éd. Lagarrigue, op. cit., p. 65 : « le dégoût, l’indignation et le mépris […] qui chez moi ont fait obstacle à l’impulsion de te répondre ». WA Br no 793 : 3, 373, 6-8 (à Nicolas Hausmann, 17 novembre 1524). Voir WA Br no 821 : 3, 428, 6-8 : « Erasmo nondum respondebo, donec Carolstadium absolvero, qui miras turbas suscitavit et suscitat in superiori Germania.  » (À Nicolas von Amsdorf, 23 janvier 1525.) Voir ainsi WA Br no 897 : 3, 404, 1–405, 27 (à Nicolas Gerbel, 17 décembre 1524) ; no 815 : 3, 418, 8 (à Johannes Brießmann, 11 janvier 1521) ; no 821 : 3, 428, 6-8 (23 janvier 1525). Voir WA Br no 829 : 3, 439, 11s. (à Spalatin, 11 février 1525) ; no 847 : 3, 462, 6s. (à Nicolas Hausmann, 26 mars 1525) ; no 855 : 3, 472, 1-5 (à Nicolas von Amsdorf, 11 avril 1525). WA Br no 926 : 3, 582, 5 (à Nicolas Hausmann). Voir WA Br no 927 : 3, 583, 14-17 : « Ego iam totus in Erasmo & libero arbitrio versor, daboque operam, vt nihil patiar illum recte dixisse, sicut vere nihil dixit recte. Tu ora dominum, vt assistat mihi, quo maturetur opus in gloriam suam, Amen. » (À Spalatin, 25 septembre 1525.)

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quitter Wittenberg avant d’avoir achevé sa réplique. Il y met la dernière main en décembre41. La notoriété de son adversaire et l’importance du sujet expliquent le temps qu’il lui a fallu pour répondre à Érasme. À la fin de son écrit, Luther le remercie d’ailleurs d’avoir traité une question centrale (« le pivot autour duquel tournaient les choses ») au lieu de le fatiguer avec des thèmes tels que la papauté, le purgatoire ou les indulgences42. Collaboration de l’être humain à son salut ou salut par la grâce seule Dans un écrit trois fois plus volumineux que De libero arbitrio, Luther prend le contrepied des thèses d’Érasme : il n’y a pas de libre arbitre par rapport aux choses concernant le salut. Pour illustrer cette thèse, il compare la volonté humaine à une bête de somme, placée entre Dieu et Satan et qui ne saurait choisir son cavalier : Si c’est Dieu qui la monte, elle veut aller et elle va là où Dieu veut, comme dit le Psaume [73 (72), 22-23 Vulgate] : « Je suis devenu comme une bête de somme ; et je suis toujours avec toi. » Si Satan la monte, elle veut aller et elle va là où veut Satan. Et il n’est pas en son arbitrage de courir vers l’un ou vers l’autre de ces cavaliers ou de le chercher. Mais ce sont ces cavaliers eux-mêmes qui se combattent pour s’emparer d’elle et la posséder43.

Luther traite la prédestination de manière plus radicale qu’il l’avait fait dans son commentaire de l’épître aux Romains44. Pour autant, le Serf arbitre n’entend nullement spéculer sur la double prédestination45. Il importe seulement à Luther de sauvegarder la grâce de Dieu et de repousser toute réintroduction du salut par les œuvres dans la théologie. L’affirmation du serf arbitre dans le domaine des choses qui relèvent du salut (pour le reste, le Réformateur concède un libre arbitre à l’être humain46) est la conséquence inéluctable du sola gratia, le salut par la grâce (divine)

41 Voir WA Br no 936 : 3, 593, 10s. (à Spalatin, 30 octobre 1525) ; no 946 : 3, 616, 6-8 (à Spalatin, 11 novembre 1525) ; no 957 : 3, 653, 1-2 (à Michaël Stifel : « Mitto tibi Erasmum a me confutatum, ut in brevi et festinantia potuit fieri », 31 décembre 1525). 42 Voir WA 18, 786, 26-32 ; Luther, Du serf arbitre, éd. G. Lagarrigue, op. cit., p. 458s. 43 WA 18, 635, 17-22 ; traduction Luther, Du serf arbitre, éd. G. Lagarrigue, op. cit., p. 127. Voir dans le même sens WA 18, 638, 9-11 ; Luther, Du serf arbitre, éd. G. Lagarrigue, op. cit., p. 131. 44 Voir son explication de Romains 9, 17s., où il souligne que l’endurcissement de Pharaon sert le plan de Dieu. 45 Voir Klaus Schwarzwäller, Theologia Crucis. Luthers Lehre von der Prädestination nach De servo arbitrio, 1525, München, Kaiser, «  Forschungen zur Geschichte und Lehre des Protestantismus 10, 39 », 1970. 46 Voir WA 18, 638, 4-9 ; Luther, Du serf arbitre, éd. G. Lagarrigue, op. cit., p. 131.

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seule, donc sans le concours de l’être humain. Pour Érasme, proclamer la prédestination revenait à empêcher les hommes de se croire aimés de Dieu et de vivre mieux. Pour Luther, en humiliant l’orgueil de l’homme, la prédication de la prédestination permet qu’il s’ouvre à la grâce divine ; quant aux élus, ils ne douteront pas de l’amour de Dieu47. Selon le Réformateur, l’accent mis sur le serf arbitre, c’est-à-dire sur la grâce et l’action de Dieu seul dans le salut, a quelque chose d’éminemment rassurant. Il y puise la certitude que la faiblesse humaine ne saurait mettre en échec le plan de salut divin : Mais maintenant, puisque Dieu a enlevé mon salut pour le mettre hors de mon arbitrage, et qu’il l’a recueilli dans le sien, puisqu’il a promis de me sauver […] par sa grâce et sa miséricorde, je suis sûr et certain qu’il est fidèle et ne me mentira pas, et en outre qu’il est puissant et grand, si bien qu’aucun des démons, aucune des adversités ne pourront le briser ou m’arracher à lui48.

Alors qu’Érasme, défenseur d’une anthropologie plutôt optimiste, conçoit la théologie de Luther comme une atteinte à la liberté humaine, le Réformateur, qui souligne la perdition radicale de l’être humain depuis la Chute, juge réconfortant que le salut dépende de la seule initiative du Dieu tout-puissant et miséricordieux. Sans l’action de la grâce, nul ne saurait être sauvé. Quant à s’inquiéter sur le sort des damnés ou à spéculer à son sujet, cela n’entre pas dans l’horizon de Luther : à un discours qui tenterait de sonder les mystères divins il préfère (tout comme Jean Calvin une génération plus tard) le langage confessant et reconnaissant du croyant qui se réjouit d’être sauvé par pure grâce. Diatribè contre assertio Le Libre arbitre et le Serf arbitre n’illustrent pas seulement deux manières de comprendre les rapports entre l’homme et Dieu. Ils mettent en lumière – nous l’avons déjà signalé en présentant brièvement l’écrit d’Érasme – deux façons de faire de la théologie. Érasme a choisi de rédiger une diatribè, une discussion entre partisans et adversaires du libre arbitre ; il entend débattre sur des « opinions », c’est-à-dire des questions qui doivent rester ouvertes entre théologiens. Luther réplique quant à lui par

47 Voir WA 18, 632, 3-20 ; Luther, Du serf arbitre, éd. G. Lagarrigue, op. cit., p. 120. Voir KarlHeinz zur Mühlen, « Befreiung durch Christus bei Luther », Lutherjahrbuch, t. LXII, 1995, p. 61 (48-66). 48 WA 18, 783, 28-33 ; traduction Luther, Du serf arbitre, éd. G. Lagarrigue, op. cit., p. 448s.

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une assertio, i.e., « le fait qu’avec constance on adhère, on affirme, on confesse, on défend, et qu’on persévère invaincu49 ». Érasme avait affirmé préférer se ranger du côté des sceptiques plutôt que de celui de ceux qui soutiennent mordicus leur opinion par des assertions. Luther lui répond que les assertions sont indispensables à la foi chrétienne : […] ce n’est pas le propre d’un cœur chrétien que de n’être pas réjoui par les assertions ; bien mieux, il doit en être réjoui, ou alors il ne sera pas chrétien. […] Pour nous, chrétiens, que soient absents les sceptiques et les académiciens50 ; mais que soient présents ceux qui usent d’assertions avec deux fois plus d’obstination que les stoïciens51 !

Pour Luther, le rôle de la théologie est d’affirmer, de donner aux croyants des certitudes fermes à propos des dogmes liés à l’œuvre salutaire de Dieu en Jésus-Christ : « Supprime les assertions, et tu as supprimé le christianisme. Bien mieux, l’Esprit saint est donné du ciel aux chrétiens afin qu’il glorifie le Christ et le confesse jusqu’à la mort52 ». Un chrétien, poursuit-il, ne prend « aucun plaisir à l’opinion des sceptiques » et il adhère aux Saintes Écritures et les soutient « par assertion, avec une fermeté sans faille et partout53 ». En refusant les assertions, Érasme montre selon Luther son indifférence en matière religieuse : « pour toi, cela n’a aucune importance que n’importe qui, n’importe où, croie n’importe quoi, pourvu que la paix du monde reste constante54 ». Luther préfère à cette attitude, qui signifie pour lui qu’Érasme « nourrit dans [s]on cœur un Lucien », celle qui s’enflamme pour les assertions : Laisse-nous donc être des poseurs d’assertions, écrit-il à la fin de la première partie de sa préface ; laisse-nous nous passionner pour nos assertions et nous y plaire ; quant à toi, accorde ta faveur à tes chers sceptiques et académiciens – jusqu’à ce que le Christ t’appelle aussi. L’Esprit saint n’est pas un sceptique ; ce ne sont pas des choses douteuses ou de simples opinions qu’il a écrites dans nos cœurs, mais des assertions plus certaines et plus fermes que la vie même et toute expérience55.

49 WA 18, 603 ; traduction Luther, Du serf arbitre, éd. G. Lagarrigue, op. cit., p. 72. 50 Au début de son traité, Luther distingue entre les « Sceptici », les « Academici » – ceux qui s’opposent au dogmatisme – et les « Stoici », renversant ici l’ordre établi par Sextus Empiricus. (Nous devons cette observation à Günter Bader, voir note 56.) 51 WA 18, 603 ; traduction Luther, Du serf arbitre, éd. G. Lagarrigue, op. cit., p. 71s. 52 WA 18, 603, 28-30 ; traduction Luther, Du serf arbitre, éd. G. Lagarrigue, op. cit., p. 73. 53 WA 18, 604; traduction Luther, Du serf arbitre, éd. G. Lagarrigue, op. cit., p. 75. 54 WA 18, 605 ; traduction Luther, Du serf arbitre, éd. G. Lagarrigue, op. cit., p. 76. 55 WA 18, 605 ; traduction Luther, Du serf arbitre, éd. G. Lagarrigue, op. cit., p. 77.

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«  L’Esprit saint n’est pas un sceptique  » : il est difficile de savoir d’où Luther a connu le terme scepticus, qui n’est pas présent au Moyen Âge56 ; en tout cas, grâce à son traité sur Le serf arbitre, il a contribué largement à sa diffusion au xvie siècle. Mais Luther fait du sceptique quelqu’un qui doute de tout, alors qu’en se rangeant à « l’avis des sceptiques », Érasme exprime l’idée qu’il apprécie les contradictions. Mais le mode assertif est-il le seul sur lequel Luther se soit jamais exprimé ? Sa lettre du 30 mai 1518 au pape Léon x semble plaider en sens contraire, lorsqu’il écrit, à propos de ses 95 thèses contre les indulgences : « Ce sont en effet des thèses, non des assertions théologiques ou des articles de foi, et, conformément à l’usage, elles sont présentées d’une façon obscure et énigmatique57. » Ces lignes ont pour but de convaincre Léon x que les thèses latines se sont répandues dans le monde entier bien malgré lui, alors qu’elles étaient destinées à un débat entre lettrés à l’Université de Wittenberg. Luther n’était, en effet, pas responsable de la large diffusion des thèses, et certaines d’entre elles sont inaccessibles aux profanes. Par ailleurs, quelques thèses ressortissent au langage du doute : ainsi, les thèses 18 et 19, qui se rapportent à l’état des âmes au purgatoire et qui commencent par « il ne semble pas prouvé ». Toutefois, nombre des 95 thèses58 sont bien des assertions : « nous affirmons au contraire […] », th. 76 et 78 ; « il est certain […] », th. 28 ; « il est manifeste […] », th. 57 ; « il est clair […] », th. 61, etc. Quant aux thèses 42 à 51, qui défendent la supériorité de la charité sur l’achat des indulgences, elles se caractérisent par l’anaphore « il faut enseigner aux chrétiens […] ». Luther y propose donc bien une doctrine concurrente de celle qui fonde la prédication des indulgences. Quant au Sermon sur l’indulgence et la grâce, écrit en allemand publié au printemps de 1518 et qui met, en vingt points, le contenu des 95 thèses à la portée de tous, Luther le conclut en ces termes : « Sur ces points, je n’ai pas de doute, ils

56 Dans « Luther und die Skepsis, ausgehend von De servo arbitrio » (dans Luther und die Philosophie, éd. par H.-Chr. Askani et M. Grandjean, Tubingue, Mohr Siebeck, 2021, p. 101122), Günter Bader a avancé plusieurs hypothèses, pour les rejeter toutes : le terme est certes employé dans les Noctes atticae d’Aulu-Gelle (éd. princeps 1469), mais Luther, qui connaît cette œuvre, ne cite pas le passage sur les Pyrrhoniens qui parle de ce terme, pas plus qu’il ne cite le passage idoine de la Vita philosophorum de Diogène Laerce (éd. latine princeps, 1472), connue également de lui. Quant aux passages de l’œuvre de Sextus Empiricus, imprimés dès 1520 par Pic de la Mirandole, il ne les connaît sans doute pas. Or c’est grâce à cet auteur que, dès le xve siècle, le terme scepticus – sous la forme skepticus, qui porte encore la marque du grec – commence sa carrière. 57 WA Br 1, 528s ; traduction Luther, Œuvres, t. I, op. cit., p. 205. 58 Voir Disputatio pro declaratione virtutis indulgentiarum, WA 1, 233-238 ; Luther, Œuvres, t. I, op. cit., p. 135-143.

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ont suffisamment de fondements dans l’Écriture. C’est pourquoi vous ne devez pas avoir de doute, vous non plus […]59 ». Obscurité contre clarté de l’Écriture sainte S’il existe pour Luther un doute légitime, ce dernier se rapporte aux opinions des scolastiques, mais nullement à l’Écriture, car cette dernière est claire. Sur ce point aussi, l’opposition avec Érasme est tranchée. L’humaniste insiste sur le fait que la Bible contient des obscurités et des ambiguïtés – notamment dans les passages tels que l’endurcissement de Pharaon, qui semblent s’opposer à la conception biblique d’un Dieu d’amour : « il paraît absurde de dire que Dieu, qui est la justice et la bonté même, a endurci le cœur de l’homme ». Dieu endurcit seulement au sens où sa douceur, qui amène les uns à se repentir, « rend les autres plus obstinés dans leur malice60 ». Pour Luther, c’est parce qu’Érasme est un «  sceptique  » qu’il affirme que l’Écriture est ambiguë voire obscure : Il est insensé et impie de savoir que toutes les choses contenues dans l’Écriture sont placées dans une très grande lumière et de prétendre toutefois qu’elles sont obscures, à cause de quelques mots obscurs. Si dans tel passage les mots sont obscurs, dans tel autre ils sont clairs61. 

Les choses essentielles pour la foi, savoir « que le Christ, Fils de Dieu, a été fait homme, que Dieu est trine et un, que le Christ a souffert pour nous et régnera éternellement  » sont claires, elles sont «  connues et chantées même dans les carrefours62 ». En faisant passer l’Écriture pour obscure, Érasme sert la théologie scolastique et ses sophistes, ainsi que l’autorité ecclésiastique : les scolastiques ont recours à l’allégorie pour lever les « obscurités », et l’Église romaine prétend pouvoir seule interpréter correctement cette Écriture obscure ou ambiguë. Conclusion Tout au long de son écrit sur le Serf arbitre, Luther qualifie son contradicteur de sceptique, d’épicurien, d’athée ou encore de sophiste. Dans sa Diatribe sur le libre arbitre, Érasme se range aux côtés de la théologie traditionnelle en affirmant la capacité de l’être humain à coopérer à son salut, contre l’insistance de Luther sur la toute-puissance de la grâce divine. Aussi est-il piquant de constater que les théologiens de la Sorbonne, qui avaient condamné les 59 Ein Sermon von Ablass und Gnade, WA 1, 239-246 : 246 ; traduction Luther, Œuvres, t. I, op. cit., p. 147-152 (ici, p. 151). (Nous soulignons.) 60 Érasme, Diatribe, III a 2, dans Luther, Du serf arbitre, éd. G. Lagarrigue, op. cit., p. 509. 61 WA 18, 606, 31-34 ; traduction Luther, Du serf arbitre, éd. G. Lagarrigue, op. cit., p. 79. 62 WA 18, 606, 26-29 ; traduction Luther, Du serf arbitre, éd. G. Lagarrigue, op. cit., p. 79.

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écrits de Luther, s’en prirent, dès les années 1526-1527 et à la suite du Réformateur, au « langage du doute » d’Érasme, qui s’était exprimé, dans ses Colloquia, sous forme dubitative au sujet de la paternité de plusieurs livres bibliques, ainsi qu’au sujet de plusieurs doctrines et pratiques de l’Église, marquant ainsi sa « distance » voire son « désaccord » avec des aspects de l’enseignement et du culte traditionnels63. Mais tandis que Luther affirmait que la clarté de l’Écriture interdit tout doute, le jugement des théologiens de la Sorbonne se fondait – sans surprise – non pas sur la sola Scriptura, mais sur les définitions et les décisions de l’Église64. Par ailleurs, dès 1526 également, des théologiens fidèles à l’Église traditionnelle soulignèrent la proximité entre le doute religieux d’Érasme et l’hérésie de Luther, l’un ne se distinguant de l’autre que par la nature du langage qui l’exprime : « Tout ce qu’Érasme a exprimé sous une forme dubitative dans ses annotations sur le Nouveau Testament, Luther l’a érigé en certitude et en a aggravé l’audace. » « Érasme doute, Luther affirme65. » Ainsi les adversaires communs à Luther et à Érasme distinguent-ils, comme l’avaient fait les deux débatteurs, le doute de l’humaniste et le langage assertif du Réformateur. Toutefois, l’opposition de la forme ne recouvre pas, chez eux, une opposition sur le fond telle que l’avait diagnostiquée Luther : le doute érasmien sur les dogmes reçus prépare bien plutôt l’hérésie de Luther, qui assène des idées religieuses fallacieuses. De son côté, en 1525, Luther s’était fait sur Érasme un jugement qui ne variera plus guère. Dans ses propos de table du début des années 1530, il compare l’humaniste à Lucien, pour affirmer que le premier est bien « plus nuisible (longe nocentior)  » : tandis que Lucien se moque ouvertement de toutes choses, Érasme attaque « toutes les choses sacrées de la piété et la piété tout entière sous le masque de la sainteté66 ».

63 Voir notamment la Determinatio facultatis sacrae theologiae in academia parisiensis super Familiaribus colloquiis Desiderii Erasmi Roterodami et Silvana Seidel Menchi, Érasme hérétique. Réforme et Inquisition dans l’Italie du xvie siècle, Paris, Hautes Études – Gallimard et Le Seuil, 1996, p.  212-214. Pour Seidel Menchi, Érasme «  peut être considéré comme l’inventeur et le premier maître européen de cet art [= l’ars dubitandi] » (p. 211). 64 Voir S. Seidel Menchi, Érasme hérétique, op. cit., p. 213. 65 Affirmations de l’évêque Grechetto au cardinal Farnese et de Giovanni Botero. Citées par S. Seidel Menchi, Érasme hérétique, op. cit., p. 214. 66 WA, section Tischreden (Propos de table) [= WA Tr] no 817 : 1, 397, 8-10 (collection de Veit Dietrich et Nicolas Medler) // no 2999 : 3, 137, 1s. : « Lucianus longe melior est Erasmo, qui omnia sancta ridet sub specie sanctitatis » (Conrad Cordatus, mars 1533). Voir WA Tr no 1597 : 2, 146, 20 : « Lucianus non est adeo securus ut Erasmus » ( Johann Schlaginhaufen, mai 1532) // no 1605 : 2, 150, 7s. : « Lucianus ist nicht so sicher als Erasmus » ( J. Schaginhaufen, mai 1532) // no 2297 : 2, 410, 24s. : « Lucianus risit omnes ; maior tamen nebulo Erasmus »

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À en croire Aurifaber, grand collationneur de propos de table, en 1533 Luther aurait couché sur le papier un « jugement sévère » sur Érasme à l’attention de Jean, son fils aîné : Érasme est l’ennemi de toute religion et il est tout particulièrement l’ennemi du Christ et son opposant. Il est une image et une copie parfaite d’Épicure et de Lucien. Voilà ce que moi, Martin Luther, j’ai écrit de ma main propre pour toi, mon cher fils Jean, ainsi que, à travers toi, pour tous mes enfants et pour la sainte Église chrétienne67.

C’est dans ses propos de table aussi que Luther affirme que la tâche d’un docteur est d’enseigner et de défendre, toutes choses qu’Érasme se garde bien de faire68. Toujours en 1533, alors qu’il était malade, Luther se consacra à la lecture des préfaces d’Érasme au Nouveau Testament et de ses divers écrits69. Il annota notamment l’édition de 1527 du Nouveau Testament, qui était alors en sa possession, rédigeant des remarques sur Érasme, le plus grand des Épicuriens70. Il reproche notamment à l’humaniste – lorsque, par exemple, ce dernier avance deux significations pour un même terme – de douter de tout : « Ne nihil sit non dubium71 ». Une telle manière de procéder, écrit-il un peu plus tard, s’oppose à la catéchèse qu’il faut donner aux gens simples, qui doit être faite de certitudes et non de doutes : comment apprendre lorsqu’on doute ou que l’on a appris à douter72 ? Peut-il y avoir un accord entre la théologie assertive de Luther et la théologie interrogative d’Érasme, qui laisse une place au doute ? Georges Chantraine estimait, il

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(C. Cordatus, août-décembre 1531) // no 3186a et c : 3, 214, 28 ; 215, 11 : « Lucianus non est adeo securus. » « Ein ander scharf Urtheil D. Martinus Luthers von Erasmo Roterodam, an seinem Sohn mit eigener Hand auf einen Zeddel Lateinisch geschrieben anno 1533. Erasmus ist ein Feind aller Religion und ein sonderlicher Feind und Widersacher Christi, ein vollkommen Conterfeit und Ebenbild des Epicuri und Luciani. Dies hab ich Mart. Luther mit meiner eigenen Hand geschrieben Dir, mein lieber Sohn Johannes, und durch Dich allen meinen Kindern und der heiligen christlichen Kirchen. » (WA Tr no 6887 : 6, 252, 1-8.) WA Tr no 3302a : 3, 260, 21s. : « Ad doctorem pertinet docere et pugnare, leren und weren. Erasmus neutrum facit […] ». Voir WA Tr no  3033b : 3, 150, 1-28 ; Cornelis Augustijn, «  Erasmus und seine Theologie : hatte Luther recht ?  », dans Colloque érasmien de Liège, éd. par J.-P.  Massaut, Paris, Les Belles Lettres, «  Bibliothèque de la Faculté de Philosophie et Lettres de l’Université de Liège, CCXLVII », 1987, p. 50-68 (ici, p. 50-54). Voir par exemple WA 60, 216, 26. WA 60, 216, 33. WA Br no 2093 : 7, 30, 86-31, 89 : « Certe animus tener et rudis simplicibus, necessariis et certis principiis primo est formandus, quae firmiter credat, quia necesse est, omnem addiscentem credere. Qui enim vel ipse dubitat, vel docetur dubitare, quid ille unquam discet ? ».

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y a plus de 35 ans, que l’assertio luthérienne et le « scepticisme erasmien » avaient « le même but : discerner entre la Parole divine et la parole humaine73 ». À lire Érasme et Luther, nous nous rapprochons davantage de l’opinion de Cornelis Augustijn, autre grand interprète d’Érasme, selon laquelle, en dépit de leur visée commune, l’oposition entre les deux théologies était insurmontable74. De fait, elle traverse non seulement les écrits des deux hommes sur la volonté, mais aussi leurs querelles ultérieures.

73 G. Chantraine, Érasme et Luther, op. cit., p. 295. 74 Voir C. Augustijn, « Erasmus und seine Theologie », art. cit., p. 67s.

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Doute, inquiétude et foi : une problématique pascalienne

Hélène Michon – Université de Tours, CESR (UMR 7323)

Le binôme du doute et de l’inquiétude fonctionne souvent ensemble et l’on pourrait croire à une opposition frontale et simple de ce dernier avec la foi : d’un côté, la vie de l’homme sans Dieu, habitée par les interrogations et le doute, générateurs d’inquiétude certes mais rempart assuré contre le dogmatisme ; de l’autre, la vie de l’homme avec Dieu, habitée par la foi, laquelle chasse la crainte et le doute, et se place alors aux antipodes du pyrrhonisme. Ce genre de présentation, quelque peu systématique, bénéficie toujours d’un certain fondement, que l’on peut trouver notamment dans l’affirmation de Thomas soulignant que la foi est plus certaine que la science et s’oppose ainsi à toute forme de doute : La certitude peut impliquer deux choses, à savoir : la fermeté de l’adhésion, et de ce point de vue, la foi est plus certaine que toute intelligence et toute science, car la vérité première, qui cause l’assentiment de foi, est une cause plus forte que la lumière de la raison, qui cause l’assentiment de l’intelligence ou de la science1.

Pascal, de son côté, délimite clairement trois opérations de l’intelligence associées à trois domaines : celui du doute, celui de la certitude et celui de la soumission : « Il faut savoir douter où il faut, assurer où il faut, en se soumettant où il faut. Qui ne fait ainsi n’entend pas la force de la raison. » (fr. 201)2. La raison, comme l’on sait, 1

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Thomas d’Aquin, De Veritate, traduction par le frère André Aniorté, O.S.B., moine de l’Abbaye Sainte-Madeleine du Barroux, 2005-2008 : (consulté le 29/04/2019), q. 14, no 7 des réponses aux objections, et aussi : « la certitude implique aussi l’évidence de ce à quoi l’assentiment est donné, et de ce point de vue, la foi n’a pas la certitude, mais la science et l’intelligence l’ont, et de là vient que l’intelligence [des principes] ne comporte pas de réflexion ». Toutes nos références aux Pensées seront faites à l’édition de Philippe Sellier, Paris, Garnier, « Classiques Garnier », 1991. Citons encore « Nier, croire et douter bien sont à l’homme ce que courir est au cheval. » (fr. 672). Quant à la trilogie, voir l’article de Jean Prigent, « Pascal pyrrhonien, géomètre, chrétien », dans Pascal présent, 1662-1962, Clermont-Ferrand, G. de Bussac, « Écrivains d’Auvergne, 3 », 1962, p. 61-76.

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est apte chez lui à délimiter ce qui lui revient et ce qui ne lui revient pas. Plus que dans le fait d’infirmer ou de confirmer, la force de la raison réside dans cette puissance de discernement ; qui ne discerne pas se voit condamné pour les trois motifs suivant : douter où il ne faut pas est le fait du pyrrhonien, assurer où il ne faut pas est le fait du dogmatique, se soumettre où il ne faut pas est celui du superstitieux3. La superstition suppose, en effet, une soumission hors de propos, c’est-à-dire à propos d’objets ne relevant pas de la révélation. En relèvent la connaissance de Dieu et la connaissance de soi : D’où il paraît que Dieu, voulant nous rendre la difficulté de notre être inintelligible à nous-mêmes, en a caché le nœud si haut ou pour mieux dire si bas, que nous étions bien incapables d’y arriver. De sorte que ce n’est pas par les superbes agitations de notre raison, mais par la simple soumission de la raison, que nous pouvons véritablement nous connaître. Fr. 164

Cela dit, si le doute trouve chez Pascal un espace légitime, il n’en demeure pas moins qu’il se voit associé bien souvent à l’inquiétude : « La nature ne m’offre rien qui ne soit matière de doute et d’inquiétude. » (fr. 682). Ce faisant, il est clairement différencié de la foi, placée, elle aussi, au-dessus de la connaissance : La foi est différente de la preuve. L’une est humaine, l’autre est un don de Dieu. Justus ex fide vivit. C’est de cette foi que Dieu lui-même met dans le cœur, dont la preuve est souvent l’instrument. Fides ex auditu. Mais cette foi est dans le cœur et fait dire non Scio mais Credo. Fr. 41

Ainsi on retrouve le binôme thomasien : un doute inquiet opposé à une foi certaine, plus certaine que le savoir rationnel même. Il nous semble pourtant que Pascal redistribue les cartes, en pensant ou théorisant ailleurs un doute qui n’est pas inquiet et une foi grosse d’inquiétude, autorisant dès lors à conclure que ce n’est pas tant le doute que la certitude inquiète qui fonctionne comme le rempart à tout dogmatisme. Préliminaires Avant de dessiner les contours de celui-ci, il nous faut mentionner deux attitudes « monstrueuses », énormes, que Pascal nomme sans s’y s’arrêter, faute de consistance intellectuelle. La première est l’attitude de celui qui échappe au doute et 3

Nous renvoyons à l’article de Laurent Thirouin, «  Pascal et la superstition  », dans La Religion des élites au xviie siècle, Actes du colloque du Centre de recherche sur le xviie siècle européen (1600-1700), en partenariat avec le Centre Aquitain d’Histoire Moderne et contemporaine, Université Michel de Montaigne-Bordeaux 3, 30 novembre-2 décembre 2006, éd. par D. Lopez, Ch. Mazouer et É. Suire, Tubingue, Gunter Narr, 2008, p. 239-256.

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donc à l’inquiétude : c’est là, à ses yeux, le fait d’un « enchantement incompréhensible ». Je rappelle le fragment 681 : Rien n’est si important à l’homme que son état. Rien ne lui est si redoutable que l’éternité. Et ainsi, qu’il se trouve des hommes indifférents à la perte de leur être et au péril d’une éternité de misères, cela n’est point naturel. Ils sont tout autres à l’égard de toutes les autres choses : ils craignent jusqu’aux plus légères, ils les prévoient, ils les sentent, et ce même homme qui passe tant de jours et de nuits dans la rage et dans le désespoir pour la perte d’une charge ou pour quelque offense imaginaire à son honneur, c’est celui-là même qui sait qu’il va tout perdre par la mort, sans inquiétude et sans émotion. C’est une chose monstrueuse de voir dans un même cœur et en même temps cette sensibilité pour les moindres choses et cette étrange insensibilité pour les plus grandes. C’est un enchantement incompréhensible, et un assoupissement surnaturel, qui marque une force toute-puissante qui le cause. Fr. 6814

L’absence d’inquiétude dénote chez Pascal, une absence de réflexion qui fait des intéressés des êtres assoupis, impropres à la délibération et au questionnement5. N’oublions pas la description acerbe de Montaigne donné dans l’Entretien avec M. de Sacy : Il [y] demeure en repos, la règle de son action étant en tout la commodité et la tranquillité […]. La sienne [la vertu] suit ce qui la charme, et badine négligemment des accidents bons ou mauvais, couchée mollement dans le sein de l’oisiveté tranquille d’où elle montre aux hommes qui cherchent la félicité avec tant de peine, que c’est là seulement où elle repose, et que l’ignorance et l’incuriosité sont deux doux oreillers pour une tête bien faite, comme il dit lui-même6.

4 À rapprocher du fragment suivant: « De même pour ceux qui ne songent pas à la mort « se laissant conduire à leurs inclinations et à leurs plaisirs sans réflexion et sans inquiétude. » (fr. 682). 5 Il y a là une longue tradition qui remonte à Aristote : « Aussi le jeune homme n’est-il pas un auditeur bien propre à des leçons de Politique, car il n’a aucune expérience des choses de la vie, qui sont pourtant le point de départ et l’objet des raisonnements de cette science. De plus, étant enclin à suivre ses passions, il ne retirera de cette étude rien d’utile ni de profitable, puisque la Politique a pour fin, non pas la connaissance, mais l’action. Peu importe, du reste, qu’on soit jeune par l’âge ou jeune par le caractère : l’insuffisance à cet égard n’est pas une question de temps, mais elle est due au fait qu’on vit au gré de ses passions et qu’on s’élance à la poursuite de tout ce qu’on voit. Pour des étourdis de cette sorte, la connaissance ne sert à rien, pas plus que pour les intempérants ; pour ceux, au contraire, dont les désirs et les actes sont conformes à la raison, le savoir en ces matières sera pour eux d’un grand profit », Éthique à Nicomaque, trad. J. Tricot, Paris, Vrin, 1959, livre I, chap. II, 1095a, p. 38-39. 6 Pascal, Entretien avec M. de Sacy, dans id., Œuvres complètes [désormais : OC], éd. J. Mesnard, Desclée de Brouwer, 1964-1992 (4 vol. parus), t. III, p. 150-151.

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Mais il est une autre situation monstrueuse, celle de l’inquiétude artificielle, au sens où celle-ci se voit forgée de toutes pièces : l’objet en lui-même n’est pas inquiétant puisqu’il s’agit d’une bagatelle mais une décision est prise de considérer comme dramatique ce qui ne l’est pas. C’est le processus de la comédie balzacienne : faire un drame avec un événement de la vie quotidienne7. C’est bien la logique du divertissement pascalien, fruit d’une décision consciente de s’inquiéter pour un rien : Tel homme passe sa vie sans ennui en jouant tous les jours peu de chose. Donnez-lui tous les matins l’argent qu’il peut gagner chaque jour, à la charge qu’il ne joue point, vous le rendez malheureux. On dira peut-être que c’est qu’il recherche l’amusement du jeu et non pas le gain. Faites-le donc jouer pour rien, il ne s’y échauffera pas et s’y ennuiera. Ce n’est donc pas l’amusement seul qu’il recherche, un amusement languissant et sans passion l’ennuiera, il faut qu’il s’y échauffe et qu’il se pipe luimême en s’imaginant qu’il serait heureux de gagner ce qu’il ne voudrait pas qu’on lui donnât à condition de ne point jouer, afin qu’il se forme un sujet de passion et qu’il excite sur cela son désir, sa colère, sa crainte pour l’objet qu’il s’est formé. Fr. 168

À l’inquiétude existentielle est substituée une inquiétude liée à des objets de divertissements ou de plaisirs : le divertissement focalise l’inquiétude et invente un objet8. Doute sans inquiétude Entre l’absence d’inquiétude et une inquiétude fausse, se dessine l’espace propre à l’attitude intellectuelle du doute, lequel peut ne pas s’accompagner d’inquiétude. En effet, quelle est la cause légitime du doute ? Il semble qu’il y en ait deux : le manque de clarté de l’objet à connaître ou le manque de durée de cette même clarté. Quant au premier doute, lequel s’accompagne bien souvent d’inquiétude, la situation anthropologique de l’homme justifie, en grande partie, l’incompréhensibilité des choses :

7 « J’accorde aux faits constants, quotidiens, secrets ou patents, aux actes de la vie individuelle, à leurs causes et à leurs principes autant d’importance que jusqu’alors les historiens en ont attaché aux événements de la vie publique des nations. La bataille inconnue qui se livre dans une vallée de l’Indre entre madame de Mortsauf et la passion est peut-être aussi grande que la plus illustre des batailles connues (Le Lys dans la vallée). Dans celle-ci, la gloire d’un conquérant est en jeu ; dans l’autre, il s’agit du ciel. Les infortunes des Birotteau, le prêtre et le parfumeur, sont pour moi celles de l’humanité. » (« Avant-Propos » à la Comédie Humaine, dans Honoré de Balzac, Œuvres complètes, t. I, Paris, Furne, 1846, p. 26.) 8 « Qui ne voit pas la vanité du monde est bien vain lui-même. Aussi qui ne la voit, excepté de jeunes gens qui sont tous dans le bruit, dans le divertissement et dans la pensée de l’avenir. Mais ôtez leur divertissement vous les verrez se sécher d’ennui. » (fr. 36).

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La fin des choses et leur principe sont pour lui invinciblement cachés dans un secret impénétrable (que pourra-t-il donc concevoir ? il est) également incapable de voir le néant d’où il est tiré et l’infini, où il est englouti. Fr. 230

L’espace rationnel est toujours qualifié par Pascal de la même manière ; il se caractérise par l’obscurité et la confusion. Qu’il s’agisse de la nature extérieure («  Je regarde de toutes parts, et je ne vois partout qu’obscurité. La nature ne m’offre rien qui ne soit matière de doute et d’inquiétude. », fr. 682) ou de la propre nature (« Et de ces deux instincts contraires il se forme en eux un projet confus qui se cache à leur vue dans le fond de leur âme […] », fr. 168), les mêmes termes sont utilisés. Le domaine de la raison est celui de la confusion, dans lequel se brouille la limite entre le vrai et le faux : « Nous sentons une image de la vérité et ne possédons que le mensonge. » (fr. 164). S’inaugure alors le règne de l’équivoque. La raison, définie par certains comme la faculté du discernement9, devient justement incapable de discerner : entre la bonté et la malice de l’homme – aussi conclut-elle que l’homme est un « monstre incompréhensible » (fr. 163) ; entre l’existence et la non-existence de Dieu – et elle ne sait alors se déterminer, « voyant trop pour nier et trop peu pour m’assurer » (fr. 682). La raison seule ne sait plus discerner et se débat dans « ce chaos et cette confusion monstrueuse » (fr. 240). Ce doute est accompagné d’une inquiétude existentielle, expérimentale, liée au sentiment de la vacuité de l’existence, qui suscite un profond ennui, comme le mentionne le fragment 58 : « Condition de l’homme. Inconstance, ennui, inquiétude ». Ce vague à l’âme trouve son origine dans le sentiment de la perte du point fixe de la place dans l’univers, perte ressentie douloureusement, dans une perspective plus psychologique que strictement rationnelle : L’orgueil contrepèse et emporte toutes les misères. Voilà un étrange monstre, et un égarement bien visible. Le voilà tombé de sa place, il la cherche avec inquiétude. C’est ce que tous les hommes font. Voyons qui l’aura trouvée. Fr. 71210

La recherche ici n’est pas une enquête rationnelle : « Il cherche partout [son rang] avec inquiétude et sans succès dans des ténèbres impénétrables », mais plutôt un

Descartes, Le Discours de la méthode, dans id., Œuvres, éd. Ch. Adam et P. Tannery, [Paris, Léopold Cerf, 11 vol., 1897-1909], rééd. Paris, Vrin-CNRS Éditions, 11 vol., 1964-1974, t. VI, 1965, p. 1-78. 10 Ou dans le même ordre d’idées : « L’homme ne sait à quel rang se mettre, il est visiblement égaré et tombé de son vrai lieu sans le pouvoir retrouver. Il le cherche partout avec inquiétude et sans succès dans des ténèbres impénétrables. » (fr. 19).

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sentiment confus d’inadaptation à la situation présente et dont l’effet est plus négatif – l’ennui – que positif – la recherche active. La seconde cause du doute est liée à la perception du temps : Les preuves de Dieu métaphysiques sont si éloignées du raisonnement des hommes et si impliquées, qu’elles frappent peu. Et quand cela servirait à quelques uns, cela ne servirait que pendant l’instant qu’ils voient cette démonstration. Mais une heure après, ils craignent de s’être trompés. Fr. 222

Ainsi le doute peut venir ou revenir d’un objet en lui-même clair, mais à ce point complexe – les preuves sont trop « éloignées du raisonnement des hommes » – que la clarté ne subsiste que tant que l’on y pense. Ainsi, alors que la notion du temps est claire en soi et obscure lorsqu’on s’y arrête, certains objets sont clairs lorsqu’on y pense mais s’obscurcissent dès lors que l’on ne les considère plus11. Il en est de même pour les premières notions, que nous supposons à tort claires : Nous supposons que tous les conçoivent de même sorte mais nous le supposons bien gratuitement car nous n’en avons aucune preuve. Je vois bien qu’on applique ces mots dans les mêmes occasions. Et que toutes les fois que  deux hommes voient un corps changer de place ils expriment tous deux la vue de ce même objet par le même mot, en disant l’un et l’autre, qu’il s’est mû et de cette conformité d’application, on tire une puissante conjecture d’une conformité d’idée. Mais cela n’est pas absolument convaincant de la dernière conviction quoiqu’il y ait bien à parier pour l’affirmative, puisqu’on sait qu’on tire souvent les mêmes conséquences des suppositions différentes. Cela suffit pour embrouiller au moins la matière non que cela éteigne absolument la clarté naturelle qui nous assure de ces choses. Fr. 14112

11 « Car, par exemple, le temps est de cette sorte. Qui le pourra définir ? Et pourquoi l’entreprendre, puisque tous les hommes conçoivent ce qu’on veut dire en parlant de temps, sans qu’on le désigne davantage ? Cependant il y a bien de différentes opinions touchant l’essence du temps. Les uns disent que c’est le mouvement d’une chose créée ; les autres, la mesure du mouvement, etc. Aussi ce n’est pas la nature de ces choses que je dis qui est connue de tous : ce n’est simplement que le rapport entre le nom et la chose ; en sorte qu’à cette expression, temps, tous portent la pensée vers le même objet ce qui suffit pour faire que ce terme n’ait pas besoin d’être défini, quoique ensuite, en examinant ce que c’est que le temps, on vienne à différer de sentiment après s’être mis à y penser. », De l’Esprit géométrique, dans OC, t. III, p. 397-398. Augustin : « Qu’est-ce donc que le temps ? Si personne ne me le demande, je le sais ; mais que je veuille l’expliquer à la demande, je ne le sais pas. », Les confessions, texte de l’éd. de M. Skutella, intr. et notes A. Solignac, trad. E. Tréhorel et G. Bouissou, Paris, Desclée de Brouwer, « Bibliotheque Augustinienne », vol. 14 : Livres VIII-XIII, 1962, livre XI, chap. XIV, p. 299-301. 12 Et la suite : « Les académiciens auraient gagé, mais cela la ternit et trouble les dogmatistes à la gloire de la cabale pyrrhonienne qui consiste à cette ambiguïté ambiguë, et dans une

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Le point commun de ces deux types de doute est qu’il s’agit à chaque fois d’un doute involontaire, subi, dû à l’inexistence ou à la disparition de la clarté intellectuelle ; il n’a – nous suivons en cela la lecture qu’en fait Geneviève Rodis-Lewis – rien à voir avec le doute cartésien, lequel se présente comme hyperbolique et méthodique et se veut « le moyen de restaurer une indubitabilité parfaite, fondée sur l’Absolu divin, source de toute vérité »13. Le doute cartésien est un doute intellectuel volontaire, le doute pascalien ici ne l’est pas ; la première forme, en outre, liée à la place de l’homme dans l’univers est source d’inquiétude, la seconde ne l’est pas : le manque de clarté alors est difficile à intégrer mais il n’est pas inquiétant. Il existe, cependant, un doute volontaire chez Pascal, stigmatisé dans les Pensées, qui trouve son origine dans le monde des passions : «  haine de la vérité  » ou « mépris de la religion » sont deux attitudes génératrices de doute. En effet, alors qu’il paraissait périlleux dans l’opuscule De l’Esprit géométrique de définir ce qui plaît à l’homme : les principes de plaisir ne se trouvant ni « fermes ni stables » mais « divers en tous les hommes et variables dans chaque particulier »14, il semble plus aisé à l’auteur des Pensées de circonscrire ce qui déplaît. Parmi les quatre cas de situations possibles : celle où les vérités « se tirent par une conséquence nécessaire des principes communs et des vérités avouées », celle où les vérités « ont une union étroite avec les objets de notre satisfaction », celle où les vérités « ont une liaison tout ensemble, et avec les vérités avouées et avec les désirs du cœur », enfin celle où les vérités « qu’on veut faire croire sont bien établies sur des vérités connues, mais qui sont en même temps contraires aux plaisirs qui nous touchent le plus »15, l’apologie n’en retient qu’une seule : celle où la vérité que l’on veut prouver déplaît. Tel n’est pas seulement le cas de la vérité de la religion chrétienne, présentée dès l’ouverture des Pensées comme objet et de crainte et de haine (« Les hommes ont mépris pour la religion, ils en ont haine et peur qu’elle soit vraie. » (fr. 42)), mais également de la vérité en général : « L’homme ne veut pas qu’on lui dise la vérité. Il évite de la dire aux autres. Et toutes ces dispositions, si éloignées de la justice et de la raison, ont une racine naturelle dans son cœur. » (fr. 743). La distinction pertinente n’est donc pas ici celle des ordres – serait objet de doute ce qui est objet de foi, autrement dit ce qui relève du troisième ordre – mais plutôt celle qui sépare les vérités purement théoriques, de celles qui ont un certaine obscurité douteuse dont nos doutes ne peuvent ôter toute la clarté, ni nos lumières naturelles en chasser toutes les ténèbres. » 13 Geneviève Rodis-Lewis, « Pascal devant le doute hyperbolique de Descartes », Chroniques de Port-Royal, 20-21, 1972, p. 104-115. 14 Pascal, De l’Esprit géométrique, op. cit., p. 417. 15 Ibid., p. 415-416.

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rapport avec la vie concrète de l’homme. Le fragment 799 reproduit, en effet, au sein même des vérités de la religion chrétienne une telle séparation : Il est indifférent au cœur de l’homme de croire trois ou quatre personnes en la Trinité, mais non pas, etc… Et de là vient qu’ils s’échauffent pour soutenir l’un et non pas l’autre. Il est bon de faire l’un mais il ne faut pas laisser l’autre. Le même Dieu qui nous a dit, etc. Et ainsi, qui ne croit que l’un et non pas l’autre, ne le croit pas parce que Dieu l’a dit16, mais parce que sa convoitise ne le dénie point et qu’il est bien aise d’y consentir et d’avoir ainsi sans peine un témoignage de sa conscience qui […].

Les vérités sur la Trinité rejoignant par là les vérités géométriques, les unes et les autres étant « indifférentes au cœur de l’homme »17. En revanche, vis-à-vis de la vérité sur lui-même, qui le touche donc au plus près, Pascal mentionne bien une « haine mortelle »18, laquelle engendre un doute mais volontaire cette fois : Cet embarras où il se trouve produit en lui la plus injuste et la plus criminelle des passions qu’il soit possible de s’imaginer : car il conçoit une haine mortelle de cette vérité qui le reprend, et qui le convainc de ses défauts. Fr. 743

16 Même argument de Thomas pour l’obéissance :  «  L’objet propre de l’obéissance, c’est le précepte, lequel procède de la volonté d’un autre, qui commande. Mais si l’acte commandé est voulu pour lui-même, sans qu’on tienne compte du précepte, comme il arrive quand tout va bien, alors on tend à cet acte par volonté propre, et il ne semble pas qu’on l’accomplisse à cause du précepte. Au contraire, lorsque l’acte prescrit n’est aucunement voulu pour luimême mais que, considéré en lui-même, il contrarie la volonté, comme il arrive dans les difficultés, alors il est absolument évident qu’un tel acte n’est accompli qu’en vue du précepte. Et c’est pourquoi S. Grégoire affirme : “L’obéissance qui trouve son compte quand tout va bien, est nulle ou petite”, parce que la volonté propre ne semble pas viser principalement l’accomplissement du précepte. “Mais dans les contradictions ou les difficultés, l’obéissance domine” parce que la volonté propre ne vise pas autre chose que l’accomplissement du précepte. », Thomas d’Aquin, La Somme de Théologie, traduction dominicaine, 1984, à partir du texte de la commission Léonine (nouvelle traduction en cours d’élaboration à partir de mars 2017) :  (consulté le 29/04/2019), IIe partie de la IIe partie, q. 104, art. 4. 17 Dans sa polémique avec Goibaut du Bois, Arnauld reprendra cette distinction mais en la déplaçant : les vérités qui n’intéressent point sont les vérités géométriques, auxquelles s’opposent alors les vérités de la foi : « Ce qui fait que les géomètres n’ont pas besoin d’éloquence, cela vient de la qualité des choses qu’ils traitent, qui d’une part sont très évidentes, et de l’autre ne nous intéressent point. », Réflexions sur l’éloquence des prédicateurs (1695), éd. Th. M. Carr, Genève, Droz, 1992, p. 189. 18 Dans la même ligne, Bossuet écrit en 1666 un Sermon sur la haine des hommes contre la vérité.

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Les Pensées décrivent alors une attitude de l’homme face à la vérité, qui va de l’éloignement : «  Rien ne lui montre la vérité.  » (fr.  78), à l’insensibilité : «  D’être insensible à mépriser les choses intéressantes et devenir insensible au point qui nous intéresse le plus. » (fr. 2), pour aboutir le plus souvent à l’hostilité. Le fragment 208, qui envisage explicitement le cas de ceux qui n’aiment pas la vérité, y voit même l’origine de leurs erreurs19 : Ceux qui n’aiment pas la vérité prennent le prétexte de la contestation et de la multitude de ceux qui la nient, et ainsi leur erreur ne vient que de ce qu’ils n’aiment pas la vérité ou la charité. Et ainsi ils n’en sont pas excusés.

Un combat s’instaure entre vérité et volupté, suscitant le doute : C’est alors qu’il se fait un balancement douteux entre la vérité et la volupté, et que la connaissance de l’une et le sentiment de l’autre fait un combat dont le succès est bien incertain20.

Mais ce doute décidé et nourri d’une hostilité à la vérité, ce doute conscient et volontaire est dénué de toute inquiétude. Ainsi le doute n’est pas inquiet soit lorsqu’il est involontaire mais porte sur un objet intellectuel indifférent au cœur de l’homme, soit lorsqu’il est volontaire et se voit porter par une passion de haine, ne laissant pas de prise à l’inquiétude. Le doute n’est pas toujours le lieu de l’inquiétude. L’inquiétude de la foi L’inverse du doute n’est pas la foi mais soit la connaissance certaine, soit la vision de Dieu, laquelle produit l’évidence. Ce dévoilement total aura bien lieu mais, comme le souligne Pascal, dans l’ultime apocalypse ; l’homme ne pourra plus alors ni chercher ni douter : « (Dieu) paraîtra au dernier jour avec un tel éclat de foudres et un tel renversement de la nature que les morts ressuscités et les plus aveugles le verront. » (fr.  182). À la force de l’évidence qui arrache en quelque sorte le consentement, Dieu oppose pour l’instant le clair-obscur qui permet l’exercice de la liberté : aussi choisit-il un avènement de douceur. La non-évidence n’est plus considérée comme

19 Nous retrouvons cette même indifférence dans la XIe Provinciale: « L’amour qu’ils ont pour la vie leur fait concevoir favorablement tout ce qui contribue à la conserver, et l’indifférence qu’ils ont pour la vérité fait que non seulement ils ne prennent aucune part à sa défense, mais qu’ils voient même avec peine qu’on s’efforce de détruire le mensonge. », Les Provinciales, éd. L. Cognet et G. Ferreyrolles, Paris, Bordas, « Classiques Garnier », 1992, p. 203. 20 Pascal, De l’Esprit géométrique, op. cit., p. 416.

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une punition mais comme une manifestation de respect. Mais cette même non-évidence donne lieu à une certitude faite d’incertitude. De fait, la foi comporte, dans sa structure même, une pointe ou une part d’inquiétude. Thomas le commente dans la question 14 du De Veritate : La foi comporte une part de perfection et une part d’imperfection. La part de perfection est cette fermeté qui appartient à l’assentiment ; mais la part d’imperfection est la carence de vision, à cause de laquelle il reste encore dans l’esprit du croyant un mouvement de réflexion. La part de perfection, c’est-à-dire l’assentiment, est donc causée par la lumière simple qu’est la foi ; mais dans la mesure où cette lumière n’est pas parfaitement participée, l’imperfection de l’intelligence n’est pas totalement ôtée : et ainsi, il reste en elle un mouvement inapaisé de réflexion (et sic motus cogitationis in ipso remanet inquietus)21.

Certitude et inquiétude coïncident ainsi dans l’acte de foi. Pascal, comme on sait, définit de son côté la foi par un « sentiment de cœur » : « C’est le cœur qui sent Dieu et non la raison. Voilà ce que c’est que la foi. Dieu sensible au cœur, non à la raison. » (fr. 680). L’expression, qui lui est propre, a le mérite de souligner trois points : la mention du cœur rappelle que la foi est reçue, don de Dieu ; le sentiment désigne bien chez lui le pôle désidératif et souligne que la foi est adhésion ou assentiment, non compréhension ; enfin la part d’inquiétude vient du silence de la raison, qui ne saurait venir étayer la foi et comporte donc un manque, Thomas dirait presque un doute : […] si le croyant donne son assentiment aux choses qu’il croit, cela ne vient pas de ce que son intelligence, en vertu de quelques principes, a pour terme ces choses susceptibles d’être crues, mais cela vient de la volonté qui incline l’intelligence à assentir à ces choses qui sont crues. Et de là vient qu’un mouvement de doute peut s’élever dans le croyant22.

De fait, cette certitude inquiète structure le Mémorial lui-même : Pascal y mentionne «  Certitude, certitude, sentiment, joie, paix  » (fr. 742). Or, il a ailleurs réfléchi sur l’incertain, notamment l’incertain de la religion chrétienne, et conclu : 21 Thomas d’Aquin, De Veritate, op. cit., q. 14, art. 5. 22 Ibid., q. 14. Pascal traduit, différemment de Thomas, cet état de certitude inquiète dans l’opuscule Écrit sur la conversion du pécheur en analysant cette perte de repos caractéristique, à ses yeux, de la conversion : « Cette nouvelle lumière lui donne de la crainte, et lui apporte un trouble qui traverse le repos qu’elle trouvait dans les choses qui faisaient ses délices. Elle ne peut plus goûter avec tranquillité les choses qui la charmaient. Un scrupule continuel la combat dans cette jouissance, et cette vue intérieure ne lui fait plus trouver cette douceur accoutumée parmi les choses où elle s’abandonnait avec une pleine effusion de son cœur. », OC, t. IV, p. 40 : ainsi, la crainte, le trouble et le scrupule viennent remplacer le repos, la jouissance et la douceur.

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S’il ne fallait rien faire que pour le certain on ne devrait rien faire pour la religion, car elle n’est pas certaine. Mais combien de choses fait-on pour l’incertain. Les voyages sur mer, les batailles. Je dis donc qu’il ne faudrait rien faire du tout, car rien n’est certain et qu’il y a plus de certitude à la religion que non pas que nous voyions le jour de demain. Fr. 480

L’apologiste affirmait ainsi que l’incertitude de la religion chrétienne n’était cependant pas une raison suffisante pour la négliger et s’abstenir de chercher. Dieu, dans l’expérience du Mémorial, le prend au mot en quelque sorte et le fait passer ici de l’incertain au certain : Pascal se détache alors de « tout hormis Dieu » et ce détachement lui procure « paix et joie ». Mais même cette certitude énoncée dans le Mémorial se voit doublée d’inquiétude, que révèlent ces mots : « Mon Dieu, me quitterez-vous ? que je n’en sois pas séparé éternellement ». Cette inquiétude est l’inquiétude chrétienne par excellence, l’incertitude du salut. Certes, Dieu veut le salut des hommes dans une optique chrétienne, mais alors qu’un Luther pouvait dire « je suis sûr de mon salut », Pascal peut dire « je suis sûr que Dieu veut mon salut », mais la liberté demeure et avec elle l’incertitude du salut. Or, cette certitude nourrie d’incertitude a un nom dans la spiritualité chrétienne : c’est celui de l’espérance. L’Écriture le formule ainsi : « C’est en espérance que nous sommes sauvés. Or, l’espérance qu’on voit n’est plus espérance : ce qu’on voit, peut-on l’espérer encore ? », Romains, 8, 17-23. Et sans doute est-ce à partir de là qu’il nous faut relire le texte du Mémorial : « Mon Dieu, me quitterez-vous ? » L’Écriture rapporte bien que le salut doit être opéré avec crainte et tremblement : « cum metu et tremore, vestram salutem operamini » (Phil., 2, 12)23. La crainte chez Paul n’est pas seulement la crainte révérencieuse devant la majesté divine, elle inclut l’incertitude liée au salut, comme l’explique Augustin : Dieu a jugé qu’il serait mieux de mêler au nombre déterminé de ses saints quelques hommes qui ne doivent pas persévérer, afin de rendre 23 Même si on peut dire avec Thomas qu’il y aura jugement après la mort, et jugement final ensuite : « Il faut soutenir qu’après la mort, l’homme, pour tout ce qui touche à l’âme, obtient un statut immuable ; par suite, en ce qui concerne la récompense de l’âme, il n’est pas nécessaire de retarder davantage le jugement. Quant aux choses humaines qui restent soumises à la marche du temps, et ne sauraient cependant être étrangères au jugement de Dieu, elles doivent à la fin du temps être appelées de nouveau en jugement. Bien que l’homme n’ait pas mérité ni démérité au sujet de ces choses, elles concourent cependant de quelque manière à sa récompense ou à sa peine. Il est donc nécessaire que tout cela soit apprécié dans un jugement final. », Thomas d’Aquin, La Somme de Théologie, op. cit., IIIe partie, q. 59, art. 4. Mais des raisons théologiques confirment cette existence du jugement particulier, car il convient qu’il y ait une sanction définitive dès que l’âme est capable d’être jugée sur tous ses mérites et ses démérites, c’est-à-dire dès que le temps du mérite est fini, or cela arrive sitôt après la mort. Si du reste il en était autrement, elle resterait dans l’incertitude jusqu’au jugement général, ce qui paraît contraire à la sagesse de Dieu, autant qu’à sa miséricorde et à sa justice.

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toute sécurité impossible à ceux à qui il n’est pas utile de vivre exempts de crainte au milieu des épreuves de cette vie. Car cette parole de l’Apôtre réprime dans beaucoup de cœurs un funeste penchant à l’orgueil : «  C’est pourquoi  », dit-il, «  que celui qui paraît être ferme, prenne garde de tomber »24.

Cette impossible sécurité, cette absence de certitude de la persévérance finale et donc du salut possède une finalité pédagogique et spirituelle, celle d’éviter l’endormissement dans la vie spirituelle, et finalement l’acédie, mais elle demeure compatible avec la certitude de la foi : certitude de la foi et incertitude du salut. Enfin, à cette inquiétude de la foi et à celle du salut vient s’ajouter celle, spécifique, liée aux œuvres et à la rectitude d’intention. En effet, la problématique des œuvres avait déjà suscité l’angoisse d’un Martin Luther et donné lieu, en grande partie, à la théologie réformée. Celle-ci, comme on sait, n’a jamais rejeté les œuvres pour elles-mêmes mais s’est inquiétée de leur bonté effective : Si nous rejetons les bonnes œuvres ce n’est pas pour elles-mêmes, mais pour ce mauvais additif, cette idée fausse et absurde qu’elles ne sont bonnes qu’en apparence sans l’être en vérité […] ce mauvais additif est inévitable dès que la foi est absente25.

Autrement dit, pour Luther, seule la foi produit des œuvres bonnes. Mais le péché ne consiste pas à ses yeux seulement dans une action mauvaise mais aussi dans une action bonne si le mérite n’en est pas rapporté à Dieu. Dans cette perspective, le péché «  peut même se manifester dans les œuvres bonnes, dans la mesure où celles-ci peuvent exprimer l’auto-affirmation de l’homme, c’est-à-dire le fait que

24 Augustin, Du don de la persévérance, chap. VIII : Dieu donne aux uns la grâce parce qu’il est miséricordieux, il la refuse aux autres sans être injuste : (consulté le 29/04/2019). Il reprend le point ailleurs : « Parmi les fils de perdition, qui n’ont pas reçu le don de la persévérance finale, il en ait qui commencent à vivre dans la foi, dans la foi qui agit par amour : pendant quelques temps, ils vivent dans la fidélité et la justice, et tombent ensuite et ne sont pas ôtés de cette vie, avant que cette chute ne leur soit arrivée. S’il n’en était ainsi pour personne, les hommes ne conserveraient la crainte dont je parle si utile pour réprimer le vice de l’orgueil, que jusqu’au moment de leur accession à la grâce du Christ, qui fait vivre dans la piété ; après cela, ils seraient sûrs de n’abandonner jamais le Christ. Or cette présomption nous est dangereuse dans ce lieu de tentations, où la faiblesse est si grande que la sécurité peut engendrer l’orgueil. », Augustin, De la correction et de la grâce, chap. XIII, § 40, dans id., Aux moines d’Adrumète et de Provence, texte de l’éd. bénédictine, intr., trad. et notes J. Chéné et J. Pintard, Paris, Desclée de Brouwer, « Bibliothèque augustinienne », vol. 24, 1962, p. 209-381 : p. 361. 25 Martin Luther, De la liberté du chrétien. Préfaces à la Bible. La naissance de l’allemand philosophique, éd. et trad. Ph. Büttgen, Paris, Seuil, « Points », 1996, p. 61.

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l’homme veut se constituer comme homme, avec sa justice propre, indépendamment de Dieu »26. Or, pourquoi Pascal écrit-il les Provinciales ? Outre le contexte historique bien connu, cette œuvre magistrale tend fondamentalement à ébranler une certitude qui s’installe dans l’Église : celles des bonnes œuvres qui sauvent, et sous l’impulsion de certains jésuites laxistes, des œuvres qui sauvent, quand bien même l’intention droite ferait défaut. De ce point de vue, les Provinciales sont le pendant pour la morale de ce que fut De la fréquente Communion pour les sacrements : Arnauld y fustige une communion reçue sans la crainte révérencieuse. Lorsque Pascal résume la position d’Augustin, il retombe sur cette formule clef d’un salut ou de mérites qui sont dons : C’est encore selon ces principes que nous agissons de nous-mêmes ; ce qui fait que nous avons des mérites qui sont véritablement nôtres, contre l’erreur de Calvin, et que néanmoins, Dieu étant le premier principe de nos actions et faisant en nous ce qui lui est agréable, comme dit saint Paul, nos mérites sont des dons de Dieu, comme dit le Concile de Trente27.

Or, ce n’est que dans le cadre d’une réflexion sur l’intention qu’il peut y avoir inquiétude ou angoisse. Si ce n’est pas la matérialité de l’œuvre qui suffit, alors l’inquiétude naît de l’éventuelle perversion qui a pu s’introduire : « Il vaut mieux ne pas jeûner et en être humilié que jeûner et en être complaisant. » (fr. 656). Et l’on retrouve sous la plume de l’apologiste de Port-Royal cette mention d’œuvres de la loi, qui ne sont pas seulement de la loi parce que vétérotestamentaires mais parce qu’elles sont privées de la foi du cœur. Pascal rejette ainsi, lui aussi, les œuvres qui ne sont pas nourries d’un sentiment intérieur de foi et s’inquiète dès lors de savoir ce qui meut l’homme à agir. Certes, l’on peut conclure qu’il s’agit là de l’essence du christianisme et que Thomas d’Aquin mentionnait déjà la nécessité d’informer les œuvres de la charité, mais imperceptiblement celles-ci étaient venues pallier l’angoisse du salut, rendant ce dernier quasi dépendant d’elles-mêmes, des B. A. ; de là à conclure que le salut était un dû, il n’y avait qu’un pas. Pascal partage avec Luther, et sans doute est-ce là le fond de la pensée d’Augustin, d’avoir voulu rappeler que le salut est un don. Dès lors, il rend toute sa place à l’inquiétude du salut. Si le doute peut ne pas être le lieu de l’inquiétude, tel n’est pas le cas de la foi puisqu’il fait partie de sa nature même.

26 Marc Lienhard, « Luther et la liberté chrétienne. Le salut et la liberté », La Revue réformée, no  244, 2007/5, t. LVIII : (consulté le 29/04/2019). 27 Pascal, XVIIIe Provinciale, dans id., Les Provinciales, op. cit., p. 600.

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Ainsi, l’inquiétude, qu’il s’agisse de celle liée à l’incertitude du salut ou à celle de l’efficace des bonnes œuvres, demeure une composante de la foi chrétienne. Le doute est une hésitation intellectuelle, qui peut ou non être inquiète, la foi est une adhésion toujours inquiète d’elle-même. Dès lors, tant le doute que la foi semblent se positionner à l’opposé des dogmatistes, si fortement stigmatisés par Pascal. Ces derniers, en effet, n’ont raison ni dans l’ordre de la nature : contre les pyrrhoniens, ni dans l’ordre de la grâce : contre les augustiniens. Le doute peut alors être considéré comme propédeutique à l’acte de foi, de manière plus opportune que l’assurance du dogmatique, car il partage avec celle-ci l’inquiétude de son propre mouvement. Il importe cependant de distinguer et de discerner au sein d’un même mouvement deux causes opposées, le doute légitime parce qu’involontaire du doute illégitime parce que volontaire – ce dernier demeure opposé à la foi et se reconnaît à la mauvaise crainte qui l’accompagne : La bonne crainte vient de la foi, la fausse crainte vient du doute. La bonne crainte, jointe à l’espérance, parce qu’elle naît de la foi, et qu’on espère au Dieu que l’on croit ; la mauvaise jointe au désespoir, parce qu’on craint Dieu auquel on n’a point eu foi. Les uns craignent de le perdre, les autres craignent de le trouver. Fr. 451

La crainte de le perdre est fille de la certitude inquiète de l’espérance et se nourrit d’un doute involontaire, la crainte de le trouver est fille de la haine de la vérité et se fortifie d’un doute volontaire, issu d’un véritable choix.

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Douter de la religion

dans un long XVIe siècle : le cas italien* Luca Addante – Università degli Studi di Torino

Lucien Febvre publia Le problème de l’incroyance au xvie siècle en 19421. Il y niait qu’il fût possible de sortir du christianisme dans l’Europe du xvie siècle (et d’une bonne partie du siècle suivant). Selon ce grand historien, les Européens de cette époque n’auraient pas eu « l’outillage mental », les mots ou les concepts qui pouvaient les rendre capables d’échapper à la religion : « au xvie siècle – écrivait-il – la religion seule colorait l’univers », et il identifiait purement et simplement celle-ci avec le christianisme. Le xvie siècle était donc « un siècle qui veut croire », et qui voulait croire résolument au christianisme : « Au xvie siècle […] le christianisme était l’air même qu’on respirait dans ce que nous nommons l’Europe et qui était la Chrétienté. C’était une atmosphère dans quoi l’homme vivait sa vie, toute sa vie ». Toutes les dénonciations d’incrédulité remontant à cette époque étaient donc de belles et bonnes inventions, faites par des « controversistes ». Il convenait à ces derniers « de crier : au loup ! » pour frapper les auditoires. Par conséquent, les études déjà disponibles sur l’incrédulité prétendue du xvie siècle pêchaient, selon lui, par « anachronisme » : elles ne parlaient de rien d’autre que d’une « chimère2 ». La position de Febvre suscita rapidement une grande adhésion, s’imposant comme un paradigme dominant au sein de la communauté des historiens. Ce n’est qu’à partir des années 1970 que des critiques claires à l’encontre d’une façon si tranchante de résoudre la question ont commencé à circuler. Je ne vais pas m’arrêter sur les critiques déjà émises, d’Henri Busson à Gerhard Schneider, puis de Jean Wirth à David Wootton, et surtout dernièrement par Jean-Pierre Cavaillé3 : elles sont

* 1 2 3

Contribution traduite de l’italien par Jérémie Bartas. Lucien Febvre, Le problème de l’incroyance au xvie siècle. La religion de Rabelais, Avantpropos de H. Berr, Postface de D. Crouzet, Paris, Albin Michel, 2003 (1942). Ibid., p. 126-127, 308, 324, 419-428 et passim. Pour des références plus précises, je me permets de renvoyer à Luca Addante, « “Parlare liberamente”. I libertini nel Cinquecento fra tradizioni storiografiche e prospettive di ricerca », Rivista storica italiana, t. CXXIII, 2011, no 3, p. 927-1001 ; id., « Dal radicalismo religioso del Cinquecento al deismo (e oltre) : vecchie e nuove prospettive di ricerca », Rivista storica ita-

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pleinement justifiées. Mais même si les dernières tendances des études spécialisées vont bien au-delà du livre de Febvre, celui-ci continue de peser, directement ou indirectement, sur la culture historienne. Pourtant, la réalité historique ne se laisse pas enfermer dans les catégories rigides du co-fondateur des Annales : pour contribuer à le montrer, je me limiterai à présenter quelques cas relatifs à l’Italie. Je vais partir d’une de ses zones périphériques, la Calabre, et de la dernière année de ce seizième siècle que Febvre tenait pour être imprégné de christianisme jusqu’à l’air qui s’y respirait. 1. En 1599, le philosophe Tommaso Campanella et Dionisio Ponzio, son ami fraternel, organisèrent un mouvement révolutionnaire visant à instaurer une « république » fondée sur la « liberté naturelle ». Ils furent soutenus par des centaines de personnes de toutes conditions sociales, ainsi que par un corps d’armée turc. Campanella aurait été le législateur de cette république nouvelle. À côté des revendications révolutionnaires sur le plan politique, des idées extrêmes sur le plan religieux circulèrent également au sein de l’organisation du mouvement. Dans les mois où se propagea cette tentative révolutionnaire, en effet, le philosophe exprima son incrédulité manifeste : [Campanella] dit […] que le sacrement de l’Église [i.e. l’ordre sacerdotal] n’existait que par raison d’État […] ; et quant au sacrement de l’autel [i.e. l’eucharistie], il a dit que c’est une bagatelle et que c’est une folie de le croire. […] Il dit encore que les autres sacrements n’ont pas été ordonnés par le Christ. Il dit aussi du crucifié que c’est une folie que de l’adorer, que Madeleine et Marthe le recevaient comme elles étaient ses amantes, et il nia en outre la virginité de la Vierge Marie. Il disait que l’acte vénérien était licite, et il présentait en cela cet exemple : de la même manière que l’homme peut utiliser un bras ou un pied, il peut utiliser le membre ; et comme je le reprenais et argumentais en sens contraire avec l’autorité de l’Écriture, il me répondit : quel âne tu es, toi qui crois tout ce qui est écrit ! […] Et alors que je proposai [l’exemple de] Moïse passant la mer Rouge, il dit que cela n’était pas vrai, parce que la mer ne s’est pas séparée en deux parties et parce que, comme cette mer souffre de flux et de reflux, Moïse a pu ainsi passer au moment du reflux. Il m’a dit encore qu’il ne croyait pas qu’existassent les démons, mais que ce sont des folies. […] Il a aussi dit que le [corps du] Christ avait été volé et qu’il ne ressuscita point, et que c’est là une coutume des législa-

liana, t. CXXVIII, 2015, no 3, p. 770-807 ; id., « Nuove tendenze negli studi libertini. JeanPierre Cavaillé e la crisi del paradigma pintardiano », Rivista storica italiana, t. CXXVIII, 2016, no 3, p. 1137-1157 ; id., « Unbelief, Deism and Libertinism in 16th Century Italy », dans From Doubt to Unbelief. Forms of Scepticism in the Iberian World, éd. par M. García-Arenal et S. Pastore, Cambridge, Legenda, 2019, p. 107-122.

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teurs que de ne pas laisser trouver leur corps : ce que Moïse, Pythagore et d’autres firent, le Christ l’a fait lui aussi. Et comme je lui demandais s’il croyait les prophéties du Christ, il a dit que celui-ci avait prédit la venue de l’antéchrist et que cet antéchrist c’était le pape à Rome. Il disait aussi que la Trinité est une chimère, et ainsi il dessinait un corps à trois têtes, et comme j’avançais quant à moi de nombreux arguments contraires, il me répondit : va au diable, que tu es un âne ! Il me dit également que l’autorité du pape était une autorité usurpée et tyrannique4.

Ce témoignage était confirmé par bien d’autres, lesquels ajoutaient à cela certains détails décisifs. Par exemple, un complice rapporta que «  frère Tommaso Campanella avait dit qu’il n’y avait ni paradis, ni enfer, ni purgatoire, ni Dieu, mais que la nature était Dieu 5 ». Le philosophe lui avait expliqué que « le paradis et l’enfer […] étaient des inventions des hommes pour faire croire les pauvres gens par la force et par la terreur6 ». Cela valait aussi pour Dieu, puisque Campanella avait maintes fois répété que « Dieu n’existait pas, mais que nous avions, nous, mis le nom de Dieu […] à la nature, et qu’on le prétendait un et trine mais qu’il n’y a

4 « [Campanella] disse […] che il sacramento della Chiesa [scil. l’ordine sacerdotale] era solo per raggion di Stato […] ; in quanto al sacramento dell’altare [scil. l’eucaristia], disse che è una bagatella et pazzia a crederlo. […] Disse ancora che gli altri sacramenti non sono stati ordinati da Christo. Disse anche del crucifisso che è una follia di adorar[lo], che Madalena et Martha lo ricevevano che erano sue inamorate, negava inoltre la virginità di Maria vergine. Dicea che era lecito l’atto venereo, et portava in questo essempio : che come l’homo po’ usar un bracio o un piede po’ usar il membro ; et io reprendendolo et argumentandoli con authorità di Scrittura in contrario, esso mi dicea : come sei asino tu, credi ogni cosa che si scrive. […] Et io proponendoli che Moise passò il Mare Rosso esso disse che non era vero, per che non fu che il mare si partì in due parti ma per che quel mare patisce flusso et reflusso, et che allora patì reflusso et così passò Moise. Mi disse ancora che non credeva fussero gli demonij ma che sono follie. […] Disse anche che Christo fu robato et non resuscitò, et che questo è costume di legislatori di non lasciar trovar i loro corpi come fece Mose et Pitagora et altri così fece Christo. Et interrogatolo io si credeva alle profetie di Christo, esso disse che havea prede[t]to la venuta dell’antichristo et che questo antichristo era il papa romano. Dicea anco che la Trinità è una chimera, et così si dipinge un corpo con tre teste, et io portando molte raggioni in contrario, esso mi dicea : va’ col diavolo che sei un asino. Disseme anche che l’autorità del papa era authorità usurpata et tirannia » : Luigi Amabile, Fra Tommaso Campanella. La sua congiura, i suoi processi e la sua pazzia, 3 vol., Naples, Morano, 1882, vol. III, p. 200-201 : témoignage de Giovan Battista Cortese de Pizzoni. Voir aussi p. 259-260, 279-280, 390-391. 5 «  Che fra Thomaso Campanella haveva detto che non si trovava paradiso né inferno né purgatorio né Dio, ma che la natura era Dio  » : ibid., p.  261, témoignage de Domenico Petrolo. Voir aussi p. 262, 320-321, 393. 6 «  Il paradiso e l’inferno […] erano inventioni de homini per far credere per forza et per terrore gli poveri populi » : ibid., p. 213.

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rien de tel7 ». Un autre témoin rapporta que Campanella lui avait dit « que nos corps étaient comme ceux des chevaux et des juments, et qu’il n’y avait pas d’enfer, et que [avec la mort] nos âmes se transformaient en non-être, et il concluait qu’il n’y avait ni enfer, ni purgatoire, ni paradis8 ». En fait, le philosophe l’avait même averti qu’il y avait des choses difficiles à comprendre « parce qu’elles étaient trop hautes » : mais « il m’a bien dit – ajoutait ce témoin – les raisons pour lesquelles il n’y avait pas de Dieu, et ainsi moi aussi j’en suis venu à cette croyance que Dieu n’existe point9 ». Comme on peut l’observer ici, nous nous trouvons face à la négation la plus claire de l’existence de Dieu, et à son identification à la nature. Nous sommes donc en présence, chez Campanella, du Deus sive natura ; une idée qui est traditionnellement associée au nom de Spinoza10. Mais il importe aussi de souligner que Campanella n’était pas le seul à diffuser de telles idées subversives. Les sources processuelles, en effet, démontrent que son ami de toujours, Dionisio Ponzio, défendait avec force non seulement le projet de république du philosophe calabrais mais encore son incrédulité. Un autre témoin, qui faisait partie du premier cercle de leurs complices, avoua comment, en une certaine occasion, « frère Dionisio […] commença à discourir sur les choses de Dieu et de la foi11 », préparant le terrain pour une intervention du philosophe : Et Campanella, dans son discours, disait que Dieu n’existait pas et que seule existait la nature et que nous lui avions donné le nom de Dieu, et qu’il n’y a ni paradis ni enfer et que tout cela n’est que fiction pour faire croire aux gens, par la peur, ce que l’on veut. De la même façon, [il disait que] les diables n’existent pas, et à moi il disait : qui donc a jamais vu les diables ? qu’est-ce qu’un diable ? ça se mange ? Il disait aussi des

7 « Non c’era Dio, ma che havemo noi alla natura […] messo nome Dio, et che lo fingemo trino et uno [ma] che di questo non è niente » : ibid. 8 « Che li corpi nostri erano come quelli deli cavalli e giomente, e che non ci era inferno, e che l’anime nostre si convertevano in non essere, e concludeva che non ci era inferno né purgatorio né paradiso » : ibid., p. 250, témoignage de Cesare Pisano. 9 « Che erano cose che io non le poteva capire, perché erano cose troppo alte, si ben lui mi diceva le ragioni che non ci era Dio, et così io venni anco in questa credenza che non ci fusse Dio » : ibid. 10 Du reste, depuis trois siècles, bien des interprètes ont associé le nom de Spinoza à celui de Campanella : voir Luca Addante, Tommaso Campanella. Il filosofo immaginato, interpretato, falsato, Roma-Bari, Laterza, 2018, ad nomen ; trad. française : Tommaso Campanella : L’invention d’un philosophe (xviie-xxie siècle), trad. G. Alonge e J. Barthas, Paris, Garnier, 2021. 11 « Fra Dionisio […] cominciò a ragionare delle cose de Dio et della fede » : L. Amabile, Fra Tommaso, op. cit., p. 209, témoignage de Silvestro Melitano.

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sacrements et de toutes les choses de l’Église que ce sont des inventions des hommes, non pas de Dieu, et que ce ne sont là que raisons d’État12.

D’autres accusés confirmèrent que telles étaient aussi les idées soutenues par Dionisio Ponzio. Ce dernier ramenait les « sacrements » à des « raisons d’État » ; il disait de Jésus qu’il «  n’est rien  », et que les histoires à son sujet «  sont des couillonnades13 ». Comme Campanella, il disait « que le Christ ne fut pas un vrai dieu mais un clochard, et que s’il mourut bien il ne ressuscita point, mais que son corps fut volé et qu’il fit comme d’autres qui ont donné des lois aux gens et qui ne laissèrent pas trouver leur corps14 ». Ponzio niait la « virginité » de la Madone15 ; et il ajoutait « qu’il n’y avait ni purgatoire, ni enfer, ni paradis16 », « et qu’une fois que nous sommes morts, il n’y a plus rien, parce que l’âme était esprit, c’est-à-dire chose fugace, et que l’on reste comme pierre17 ». En somme, même pour Ponzio, «  il n’y avait d’autre Dieu que la nature18 » et «  seule la nature était Dieu19 ». Et le tout était assaisonné de fanfaronnades et de blasphèmes : Ponzio fut vu en train de frapper sur un crucifix et de frotter une hostie sur ses parties intimes pour démontrer qu’il n’y avait pas le corps de Jésus. Il soutenait que le Christ et saint Jean « se saoulaient et dormaient ensemble et [qu’ils] étaient des sodomites20 ». En revanche, pour lui, frère Tommaso « était quasi un Messie »21, au point qu’il

12 « Et il Campanella nel ragionamento dicea che non c’era Dio ma solo la natura et noi a questa gli havemo messo nome Dio, et che non c’è paradiso né inferno ma che tutto questo sono fintioni per far credere con la paura alli populi ciò che vogliono. Come anco che non ci siano diavoli, et me dicea : chi ha mai visto gli diavoli, cosa è diavolo, si mangiano? […] Dicea anche […] che gli sacramenti et tutte le cose della Chiesa sono inventioni de homini et non di Dio et che sono solo raggioni di Stato » : ibid. Voir aussi p. 201, 248-250, 280, 394, 509 et passim. 13 « Che questo Christo che noi adoriamo non è niente, et sono coglionerie » : ibid., p. 238, témoignage de Cesare Pisano, voir aussi p. 240. 14 « Che Christo non fusse vero Iddio et che era un pezzente, et che se bene Christo morì non resuscitò, ma il corpo suo fu robato et fece come altri che davano lege alli popoli, che non lasciavano trovar gli corpi loro » : ibid., p. 204, témoignage de Giulio Soldaniero. 15 « Negando la sua verginità » : ibid., p. 256, témoignage de Maurizio de’ Rinaldis. 16 « Che non ci era purgatorio, né inferno né paradiso » : ibid., p. 249, témoignage de Cesare Pisano ; voir aussi p. 250. 17 « Et che morendo noi non c’è più niente, perché l’anima era un spirito, o sia cosa fugace, et che restamo come pietra » : ibid., p. 241, témoignage de Cesare Pisano ; voir aussi p. 239. 18 « Non ci era altro Dio che la natura » : ibid., p. 248, témoignage de Cesare Pisano ; voir aussi p. 249. 19 « La natura solamente era Dio » : ibid., p. 249, témoignage de Cesare Pisano. 20 « S’imbriacavano et dormevano insieme et […] erano sodomiti » : ibid., p. 508, témoignage de Cesare Pisano. 21 « Era quasi un Messia » : ibid., p. 248, témoignage de Cesare Pisano.

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« ne pouvait pas être blessé, mais qu’il pouvait ressusciter les morts et faire d’autres choses très belles22 ». Lors du procès inquisitorial qui a suivi la tentative révolutionnaire de 1599, l’accusateur incrimina Campanella (et Ponzio) sur la base de ces témoignages et de nombreux autres, accumulant une quantité impressionnante d’évidences de négations de tous les sacrements, de tous les dogmes, de tous les fondements de la foi. Il le qualifia « hérétique et athée », arguant que, « insensible à toute la foi chrétienne », il allait jusqu’à affirmer que « Dieu n’existe pas ». L’accusateur alléguait aussi le fait que cet athéisme était de notoriété publique23. Il s’agissait donc d’accusations gravissimes : elles conduisirent à la condamnation à perpétuité du philo22 « Non potea essere ferito, et che potea resuscitar morti et far altre cose stupende » : ibid., p. 205, témoignage de Giulio Soldaniero. Sur Ponzio, je me permets de renvoyer à l’entrée que j’ai rédigée pour le Dizionario biografico degli Italiani : (consulté le 17/04/2020) ; et à L. Addante, Tommaso Campanella, op. cit., ad nomen. 23 L. Amabile, Fra Tommaso, op.  cit., p.  309-311. Tels sont les articles de l’accusation contre Campanella : « 1. Et in primis predictus procurator fiscalis ponit, offert et probare vult, et intendit qualiter dictus frater Thomas Campanella, male sentiendo de tota fide christiana immo de Deo ipso, ausus est impie dicere quod Deus non sit, et hoc est verum, publicum et notorium, publica vox et fama […] ; 2. Item […] dictus frater Thomas Campanella […] ausus fuit dicere quod Trinitas personarum divinarum sit chimera […] ; 3. Item […], quod Christus non sit Deus, ma che era un pezzente […] ; 4. Item […], quod obscuratio solis tempore passionis Christi fuit naturalis, et particularis, non autem miraculose et universalis […] ; 5. Item […], quod Christus non resurrexit, sed more quorumdam legislatorum non permisit corpus suum reperiri, sed quod fuit furto sublatum […] ; 6. Item […], quod beata virgo Maria mater Christi non permansit virgo […] ; 7. Item […], quod sanctissimum eucharistiæ sacramentum erat solum pro ratione Status, et quod erat baggattella [sic], et pazzia credere quod in eo esset verum corpus Christi […] ; 8. Item […], quod sacramenta Ecclesiæ non fuerunt instituta a Christo, sed quod erat pro ratione Status […] ; 9. Item […], qualiter dictus frater […] negaverit miracula fuisse facta a Christo, et quod potuisset similia facere sicut fecit Christus, […] et quod etiam negavit Moysem transivisse Mare Rubrum miraculose […], et quod etiam dixerit Lazzarum non surrexisse a mortuis, sed fuisse fictionem […] ; 10. Item […], quod adorare crucifixum sit stultitia […] ; 11. Item […], negaverit purgatorium, paradisum et infernum, et quod animæ nostræ reddirent ad nihilum […] ; 12. Item […], crediderit animam rationalem esse mortalem […] ; 13. Item […], ausus fuit dicere demones non dari […] ; 14. Item […], volebat prædicare novam legem, seu novas leges, et prædicare veritatem et tollere de Ecclesia Dei multos abusus, et quod lex sua fuisset melior lege christianorum […] ; 15. Item […], ipse frater […] ausus fuit dicere peccatum nullum est […], et quod fit in occulto non esse peccatum […] ; 16. Item […], quod actus venerei non sunt peccatum […] ; 17. Item […], quod sacra Scriptura fuit inventa ab apostolis […] ; 18. Item […], quod licitum sit quolibet tempore vesci carnibus […] ; 19. Item […], quod sciebat facere miracula, et quod ea poterat facere, et quod ex arte necromantica non poterat offendi […] ; 20. Item […], quod modus vivendi Turcharum sit melior lege christiana, cum ipsi se abluant intrantes in meschitas ». Voir aussi p. 471-474 (« Elenco di nuovi capi d’investigazioni circa il Campanella » ; et « Articoli addizionali contro il Campanella, ed interrogatori

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sophe. Campanella n’échappa à la peine de mort que parce qu’il avait su simuler la folie et qu’il était parvenu à résister héroïquement à une journée et demie d’atroces tortures. On voit bien que, dans ce cas, nul controversiste ne criait au loup. Au contraire, les controversistes se sont employés à ne pas donner les détails des idées professées par Campanella et ses camarades, se limitant à les condamner avec furie en maniant les épithètes d’« athéisme », « hérésie », « impiété » ou de « libertinisme »24. Poser ici le problème de la véracité des confessions n’aurait pas grand sens, dans la mesure où l’imposante documentation réunie et éditée par Luigi Amabile, dans les trois volumes de son fondamental Fra Tommaso Campanella publié en 1882, démontre de manière indiscutable que les témoignages se rapportaient à des faits biens réels. De plus, Campanella réitéra un grand nombre de ses idées, alors qu’il était en prison, dans son ouvrage intitulé l’Ateismo trionfato (l’Athéisme vaincu). De celuici, pendant plus de trois siècles, les lecteurs ont pu lire le texte latin qui avait paru à Rome en 1631, puis à Paris en 1636, avec le titre Atheismus triumphatus. C’est l’édition parisienne qui a connu la plus importante circulation dans les milieux savants européens. Il s’agissait d’un texte particulièrement « dis/simulé25 » mais qui n’en fut pas moins perçu, de façon immédiate et durable, comme un Atheismus triumphans, un Athéisme triomphant : le calembour – célèbre et répandu pendant des siècles à travers l’Europe – signalait un livre feignant de combattre les athées et les libertins mais qui fournissait en réalité des arguments auxquels eux-mêmes n’avaient pas encore pensé. Ce n’est pas un hasard si l’Atheismus a été très souvent rapproché de l’Amphitheatrum æternæ providentiæ de Giulio Cesare Vanini26. Plus tard, au cours du vingtième siècle, avec le développement de l’histoire de la censure de ce texte, il est apparu petit à petit que l’Atheismus triumphatus représentait l’un des cas les plus exemplaires de l’effarante répression commise par la ContreRéforme. Enfin, en 2004, l’historienne de la philosophie Germana Ernst a publié le texte original italien, l’ur-text qu’elle avait pu découvrir : cette publication a permis de confirmer que tous les traits d’incrédulité, à la fois panthéistes et libertins, dont

dati dall’avvocato per essi »), 194-196 (« Atti institutivi del processo co’ capi d’accusa »), 421426 (« Sommario del processo contro il Campanella redatto da mons. di Caserta »). 24 L. Addante, Tommaso Campanella, op. cit., p. 7 s. et passim. 25 Je fais bien entendu référence à l’ouvrage fondamental de Jean-Pierre Cavaillé : Dis/simulations. Jules-César Vanini, François La Mothe Le Vayer, Gabriel Naudé, Louis Machon et Torquato Accetto. Religion, morale et politique au xviie siècle, Paris, Honoré Champion, 2002. Sur le thème de la dissimulation, l’ouvrage de Rosario Villari, Elogio della dissimulazione. La lotta politica nel Seicento, Roma-Bari, Laterza, 1987, a eu un rôle séminal. 26 L. Addante, Tommaso Campanella, op. cit., p. 8 s. et passim.

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Campanella avait fait montre en 1599, restaient bien une constante de sa pensée ; sa supposée « conversion » au catholicisme antérieure à 1606 apparaît désormais invraisemblable, puisque la version italienne de l’Ateismo qui nous est parvenue est postérieure à cette date27. L’Ateismo s’ouvre par une épître dédicatoire adressée au savant bavarois Caspar Schoppe. Campanella y indiquait ce qu’il présentait comme étant la bonne façon d’échapper à une incrédulité qu’il disait partout rampante et diffuse, et comme étant la seule manière d’atteindre le « Credo » : il fallait le faire « par philosophie naturelle et non pas par autorité, car presque personne ne croit ni à la Bible, ni au Coran, ni à l’Évangile, ni à Luther, ni à Calvin, ni au pape, sauf lorsque cela lui est commode 28 ». Il réitérait peu après une déclaration qui avait déjà scandalisé ses censeurs : « Si d’aventure je ne fus pas chrétien, en tant que philosophe naturel au moins j’aime Dieu29 ». Le naturalisme extrême qui a émergé au cours du procès inquisitorial se trouve donc réaffirmé dès l’épître dédicatoire de son ouvrage. En effet, les deux premiers chapitres qui lui font suite mériteraient d’être placés dans la bibliothèque choisie des textes libertins les plus audacieux. Dans le premier, appliquant un doute radical qui ne peut assurément pas être ramené à un trait d’orthodoxie chrétienne, le philosophe se plaignait de la situation désolante de la religion, de toutes les religions : chacune se vantait d’avoir « des miracles, des arguments, des prophéties et des martyrs et des preuves en sa faveur30 », mais aucune n’apparaissait finalement capable de « garantir » au philosophe ce qu’il croyait31. C’est toutefois le deuxième chapitre qui devint la bête noire des censeurs et qui ne cessa pas de scandaliser nombre de lecteurs. Le philosophe y repartait de ses doutes : Je me trouvais dans ce siècle de ténèbres, où tous nous semblions d’une même couleur, parce que tous les peuples défendaient leur religion comme nous défendions la nôtre […]. Après quoi, je vis l’hypocrisie en lieu et place de religiosité, et [je vis] combien sont nombreuses les héré-

27 Ibid., p. 147 s. et passim. 28 «  Per filosofia naturale e non per auttorità, perché nullo quasi crede alla Biblia, né all’Alcorano, né al Vangelo, né a Lutero, né a Calvino, né al papa se non in quanto li torna commodo  » : Tommaso Campanella, L’ateismo trionfato. Overo riconoscimento filosofico della religione universale contra l’anticristianesimo macchiavellesco, 2 vol., éd. G. Ernst, Pise, Edizioni della Normale, 2004 : vol. I, p. 6. Voir aussi L. Addante, Tommaso Campanella, op. cit., p. 147 s. et passim. 29 « Si mai non fossi christiano, come filosofo naturale almeno amo Dio » : T. Campanella, L’ateismo trionfato, op. cit., p. 12. 30 « Haver miracoli, argomenti, profetie e martiri e riscontri in suo favore » : ibid., p. 15. 31 « Di quel che credo » : ibid.

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sies, les sectes et les lois dans le monde, et j’ai dit : qui donc me rendra certain devant tant de controverses d’opinants […]32 ?

« Les miracles, le sang des martyrs et l’autorité de l’Église33 », enracinée dans une tradition plus que millénaire, ne suffisaient pas à remédier aux doutes qui le lacéraient puisqu’il lui revenait toujours à l’esprit que « chaque nation a des miracles et des martyrs, et une autorité [ecclésiastique] ancienne34 ». De plus, il précisait qu’il y avait aussi « des arguments plus particuliers contre la [foi] chrétienne35 », et c’est à ce point-là de son argumentation qu’il inséra un authentique catalogue de doutes libertins : Premièrement, le Christ a promis qu’il viendrait, cito, très bientôt au jugement dernier, et il ne s’est toujours pas manifesté après 1600 ans. La croyance au sacrement de l’eucharistie : il semble impossible qu’il soit physiquement dans tant d’hosties à la fois et qu’il se fasse manger. Que la mère soit vierge au moment de l’accouchement : cela paraît trop difficile aussi bien avant qu’après. Que Dieu soit à la fois trine et un [il semble de même impossible]. Qu’il s’avilisse en se faisant homme pour sauver [le genre humain], et que cependant [les hommes] soient davantage damnés que sauvés36.

À ces doutes venaient encore s’ajouter ceux relatifs au récit biblique sur le passage de la Mer Rouge, ainsi que ceux qui dérivaient de l’exploration du Nouveau Monde, un monde inconnu des Écritures. Il s’agissait en tout cela d’idées déjà propagées par Campanella en 1599. Du reste, le ton grave avec lequel il avançait les objections était tout à fait analogue à celui que l’on retrouve dans sa propagande révolutionnaire. Campanella accompagnait en outre ses doutes doctrinaux de critiques féroces à l’encontre des champions de la christianité. Il écrivait sans équivoque : Je vis que ceux qui défendent la religion avec le martyr et les miracles des anciens fondateurs, ne sont pas capables d’accomplir des miracles dont beaucoup apparaissent ainsi feints ; ils ne sont pas capables [non plus] de

32 « Mi ritrovai in questo secolo tenebroso, dove tutti paremo di un colore, perché tutte le genti difensan la loro religione come noi la nostra […]. Viddi poscia in luoco de la religiosità l’hipocrisia, e come son tante heresie, sette e leggi nel mondo, e dissi : chi mi farà certo fra tante controversie di opinanti […]? »  : ibid., p. 22. 33 « Li miracoli, il sangue di martiri e l’auttorità della Chiesa di 1600 anni confirmata » : ibid. 34 « Subito mi si fa incontro che ogn’altra natione ha miracoli e martiri, et autorità lunga » : ibid. 35 « Di più ci son argumenti particulari contra la [fede] christiana » : ibid., p. 23. 36 « Primo, Christo promise che venirà, cito, presto presto al giuditio, et ancora non compare dopo 1600 anni. La credenza del sacramento de l’altare [scil. l’eucharistie] : pare impossibile che ei sia in tante hostie insieme corporalmente e si faccia mangiare. Che la matre sia vergine in partu par troppo duro, non così inanti e dopo. Che Dio sia trino et uno. Che si avvilisca a farsi huomo per salvare, e pur più si dannano che si salvano » : ibid.

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prendre le martyr [pour eux-mêmes] ; mais ils sont ennemis de la croix, et […] ils prêchent le ciel et s’accrochent à la terre, comme le gitan [qui te dit] : « Regarde là-haut, compère », et alors que tu regardes il te prend l’argent dans ta bourse. […] C’est à ça que ressemblent les clercs, qui prêchent contre l’argent, contre les plaisirs de la chair, contre les richesses, contre les honneurs, alors qu’ils les prennent pour eux, et que dans les temps de tribulation ils fuient les problèmes, et ils les laissent à leurs brebis ; et pourtant ils se font passer pour des saints. D’où vient le proverbe selon lequel « les saints modernes font douter des anciens », et que les histoires des saints sont des mensonges, du moins en grande partie37.

Pour le philosophe, donc, le clergé apparaissait similaire à une bande de gitans : il invitait les fidèles à lever les yeux vers le ciel pour leur voler de l’argent. Les papes et les cardinaux – « qui sont vénérés, encore qu’ils soient rarement des saints » écrit Campanella38 – n’étaient pas non plus exempts de critiques : Ces gens-là, qui s’accrochent au Monde, laissent largement soupçonner qu’ils ne croient pas ce qu’ils disent, et qu’ils trompent [les autres] à leur avantage, et que nous sommes d’abord trompés en entrant en religion, puis devenons trompeurs, et nous en tenons à l’usage des autres, soit par ignorance du mieux, soit par commodité propre. Et cela d’autant plus que si tu montres que tu doutes, tout de suite tu es brûlé comme hérétique ; et il n’y a personne qui sache te prouver ce qu’il dit, si ce n’est par des paroles froides, insultantes et menaçantes, [et qui sont] chaudes seulement d’esprit d’orgueil ou de sottise, mais non de charité, de raison vivante […]. Si, ensuite, il y en a un qui soit vraiment un saint parmi tant de faux saints, on ne peut le distinguer, parce qu’il se cache par lui-même, et parce que [comme] nous sommes dans les ténèbres, nous semblons tous avoir une même couleur39.

37 « Viddi che quelli che difendon la religione con lo martirio e miracoli dell’antichi fundatori, non son atti a far miracoli e molti se ne trovano finti, e non son atti a pigliar martirio ; ma son nemici della croce e […] predicano il cielo e si afferrano alla terra, come il zingaro [che ti dice] : “ Guarda, compare, suso ”, e tu guardi, e ti piglia li danari dalla borsa. […] Così paiono li clerici, che predicano contro li dinari, contro la libidine, contro le ricchezze, contro gl’honori, et essi se li pigliano, et a tempo di tribulatione fuggono li guai, e li lasciano alle pecore loro, e pur si fan tener per santi. Onde è nato proverbio che “ li santi moderni fanno dubitar di vecchi ”, e che l’istorie di santi sian fraude, almeno in gran parte » : ibid., p. 25. 38 « Che sono adorati, ancor che poco volte santi » : ibid., p. 215. 39 «  Questa gente che si appiglia al Mondo dà gran sospetto che non ci crede a quel che dice, e che n’inganna per suo commodo, e che noi entrando in religione siamo ingannati, e poi diventiamo ingannatori, e ci restiamo con l’uso degli altri, per ignorar meglio, o per li commodi nostri. E tanto più che se mostri dubitare, subito sei brugiato come heretico ; e non ci è chi sappia provarti quel che dice, si non con parole fredde, insulse e minacciose, calde solo di spirito di superbia o di stoltitia, ma non di carità, di ragione viva […]. Se poi ci è alcun veramente santo fra tanti falsi santi, non si può scorgere, perché si occulta da per sé, e perché siamo nelle tenebre, tutti paremo di un colore » : ibid., p. 26.

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Le philosophe Calabrais cherchait à accompagner sa puissante critique de l’Église et de la religion de l’indication d’un moyen de sortir de l’impasse de l’incrédulité rampante, en proposant des arguments qui échapperaient aux doutes fatals présentés dans son livre. Comme l’ont fait remarquer les censeurs, puis nombre de lecteurs, ces arguments étaient toutefois rapides, insipides et peu convaincants. En revanche, les critiques et les idées les plus caractéristiques de sa pensée, qu’il n’a pas manqué de proposer à nouveau dans ce si vibrant pamphlet, apparaissaient développées de manière beaucoup plus incisive : elles étaient même exprimées avec beaucoup plus de vigueur, exhalant souvent un franc humus populaire. C’est par exemple le cas avec l’affirmation de la prévalence de la religion naturelle sur toute religion40 : un argument jugé hérétique par les censeurs de l’Inquisition. Les opinions propagées en 1599 semblaient donc, non pas réfutées, mais réitérées et parfois même renforcées. Les puissants doutes sur l’immortalité de l’âme trouvaient une réponse faible et ambiguë41 ; les sacrements étaient encore réduits à des « symboles naturels42 ». On retrouvait aussi le même scepticisme à propos des miracles comme celui de la résurrection de Lazare43. Les doutes sur la Trinité, sur la virginité de Marie et sur les autres dogmes de l’Église, n’étaient résolus que par l’affirmation de la nécessité politique des religions44. De plus, on pouvait trouver dans l’Ateismo des idées nouvelles – dont l’émergence n’est pas attestée en 1599 – comme la croyance que le monde existait depuis « cent mille ans », et non pas depuis quelques milliers d’années ainsi que le prétendait l’orthodoxie chrétienne45. Depuis une prison terrifiante, Campanella osait donc écrire un texte où il répétait et enrichissait les idées qui lui avaient déjà valu d’être condamné. On y retrouve, comme dans les pièces du procès, l’expression de la même veine panthéiste : Dieu était « intrinsèque aux choses, et non extrinsèque comme l’artisan », argumente-til dans l’Ateismo46 ; « il est dans les choses » ; il est aussi bien une chose, qu’une autre, à l’infini : il est pierre, mais pas tant qu’il ne puisse être aussi homme, et il est homme, ciel, terre, sang, etc., et il est tout le reste à l’infini, et il est tellement une chose qu’il est aussi bien toute chose. Et sa nature est chaque nature 47.

40 41 42 43 44 45 46 47

Ibid., p. 92-94, 99 s. et passim. Ibid., p. 83, 227-228 et passim. Ibid., p. 114 s., 116 s., 164 s. et passim. Ibid., p. 184, 199, 203. Ibid., p. 123, 128, 166 et passim. Ibid., p. 91. « Intrinseco alle cose, e non estrinseco come il fabro » : ibid., p. 32. « È interno alle cose » ; « talmente è una cosa, che è ogn’altra infinitamente : è pietra ma non tal che non sia huomo ancora, et è huomo, cielo, terra, sangue etc., et è ogni altra cosa

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Et il ajoutait encore : « Nous acceptons tous que Dieu est en toute chose sans se diviser : il est donc dans cette plume avec laquelle j’écris, mais il n’est pas fini en cette plume, ni même en ce corps humain qui la tient, ni en ce Monde ni en aucune chose48  ». En somme, il était un «  Dieu, qui est essentiellement toute chose et [qui] est partout49 ». 2. Il est tout à fait clair que cet ouvrage est bien un Athéisme triomphant comme l’ont immédiatement compris les savants européens : ils purent le repérer comme tel même sous le vernis orthodoxe dont Campanella était contraint de le couvrir en raison des puissantes censures et du procès inquisitorial (le quatrième) qu’il a subi pour avoir rédigé ce texte. Comment se positionner, par conséquent, face à la thèse défendue par Febvre au sujet de l’impossibilité de l’incroyance au xvie siècle (et audelà) ? Il est bien évident que les idées de Campanella ne peuvent en aucun cas être rattachées au christianisme. Le principal problème qui se pose, cependant, est celui de comprendre d’où Campanella a pu tirer des idées si éloignées de toute forme de christianisme. En d’autres termes, il nous faut comprendre si le mouvement révolutionnaire calabrais de 1599 revêt un caractère exceptionnel ou bien si cette réalité-là plongeait aussi ses racines dans des phénomènes antérieurs. Pour ce faire, il est nécessaire de s’arrêter davantage sur les thèmes hétérodoxes qui émergent du discours de Campanella. Pour ce qui concerne certaines critiques du christianisme, il ne fait aucun doute qu’il pouvait s’inspirer de courants de pensée s’inscrivant dans la culture de la Renaissance et qui avaient posé sans aucun préjugé dogmatique la question de la mortalité de l’âme, développé la critique des miracles, réfléchi sur l’imposture politique des religions et même proposé une vision panthéiste du monde. De fait, il n’est pas rare de voir mentionné ces courants de pensée dans les études campanelliennes. Le problème, cependant, est que l’on a très rarement prêté attention à certaines opinions qui restent étrangères aux courants de pensée de la Renaissance : l’idée que la transsubstantiation est absurde et que l’hostie reste elle-même un « morceau de pain » ; la négation de la Trinité, de la divinité du Christ et de la virginité de Marie ; la critique de la véracité des Évangiles, le discours sur le Christ comme « homme de bien » (mais, donc, non pas comme un Dieu). Ce sont là des opinions qui n’apparaissent pas comme appartenant au infinitamente, et è talmente una che è tutte. E la sua natura è ogni natura » : ibid., p. 60 ; voir aussi p. 174 : « Dio […] è in ogni cosa », et p. 175. 48 « Tutti confessamo Dio essere in ogni cosa senza divisione sua, dunque è in questa penna che scrivo e non è finito in questa penna, e così non è finito dal corpo humano a sé congiunto, né dal Mondo né da cosa alcuna » : ibid., p. 135. 49 « Dio, che è ogni cosa eminentemente et è per tutto » : ibid., p. 174.

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patrimoine irréligieux de la Renaissance, du moins tel qu’il s’est exprimé et que nous le connaissons. S’ensuit-il que Campanella a inventé l’incrédulité sur certains sujets déterminés ? En tirer cette conséquence ne contribuerait guère à mettre en crise le paradigme de Febvre : une hirondelle ne fait pas le printemps. Aussi, est-il utile de jeter un coup d’œil sur ce qui est sans aucun doute la grande absente des reconstructions disponibles sur l’incrédulité à l’époque moderne, que ce soit de la Renaissance au libertinisme ou bien du déisme aux Lumières radicales. Je fais ici référence à ce qu’on a appelé la Réforme Radicale – The Radical Reformation50 – c’est-à-dire l’expérience des mouvements hérétiques les plus radicaux en Europe après la Réforme luthérienne. Et pour être plus précis, et m’ancrer dans la réalité italienne de Campanella, je précise que je parle de ces courants spiritualistes, libertins, hérétiques, antitrinitaires et puis sociniens – ainsi qu’ils ont pu être définis de diverses manières – qui ont été actifs depuis les années 1540 en Italie d’abord, puis en France, en Suisse, en Angleterre, en Allemagne et en Europe de l’Est. Je parle de ces hérétiques en exil que Delio Cantimori a étudiés dans Eretici italiani del Cinquecento, son grand ouvrage publié en 1939 (trois ans avant celui de Febvre), mais aussi de ceux qui étaient toujours actifs en Italie et que les études de Massimo Firpo sur Juan de Valdés et son mouvement ont permis de révéler en dépit du voile de simulation et de dissimulation qu’ils jetaient sur leurs activités51. C’est justement le mouvement valdésien, en particulier en son aile la plus radicale, qu’il convient de considérer comme une des sources possibles de l’incrédulité de Campanella. Mais cela vaudrait de la même façon pour d’autres penseurs du Sud de l’Italie, comme Giordano Bruno et Bernardino Telesio. Du reste, c’est dans le Sud que le valdésianisme trouve son origine et sa plus grande expansion, avant de se répandre dans le Nord-Est de la péninsule et de suivre ensuite les parcours migratoires par l’Europe. L’aile radicale du mouvement fut d’abord dirigée (jusqu’en 1545) par un mystérieux Espagnol répondant au nom de Juan de Villafranca, puis (jusqu’en 1550) par un calabrais du nom de Girolamo Busale52. À partir des années 50 L’expression a été introduite par George H. Williams, The Radical Reformation, Kirskville (MO), Sixteenth Century Journal Publishers, 19923. 51 Delio Cantimori, Eretici italiani del Cinquecento e altri scritti, éd. A. Prosperi, Turin, Einaudi, 1992 ; parmi les nombreuses études de Massimo Firpo sur Valdés et le valdésianisme, voir sa synthèse Juan de Valdés and the Italian Reformation, Farnham, Ashgate, 2015. Concernant l’aile radicale du valdésianisme, je me permets de renvoyer à Luca Addante, Eretici e libertini nel Cinquecento italiano, Roma-Bari, Laterza, 2010 ; id., Valentino Gentile e il dissenso religioso nell’Europa del Cinquecento. Dalla Riforma italiana al radicalismo europeo, Pisa, Edizioni della Normale, 2014. 52 Pour ce qui suit, voir L. Addante, Eretici e libertini, op. cit.

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1550, les valdésiens les plus extrémistes, décimés par les persécutions de l’Inquisition, se sont enfermés dans un système fermé de simulation, ou bien ils ont rejoint les grands courants migratoires quittant l’Italie et ils ont dès lors contribué à la diffusion européenne des doutes sur les vérités les plus essentielles du christianisme. Après la mort du maître Juan de Valdés, en 1541, un groupe assez fourni de personnes s’était réuni à Naples autour de son disciple Villafranca. De la même manière que le fondateur de l’école, Villafranca, plutôt que de transmettre des idées de façon directe, soulevait d’abord le doute chez ses disciples, les incitant à une réflexion personnelle. Il guidait avec une habileté maïeutique ceux qu’il jugeait être les mieux disposés à le suivre jusqu’au fond de sa pensée. La première étape (ce qui était vrai pour les valdésiens de tous grades) passait par l’acceptation d’une variante originale de la justification par la foi luthérienne. À partir de là, l’Espagnol soulevait un à un les problèmes, conduisant son interlocuteur sur le chemin d’un détachement de plus en plus grand à l’égard du christianisme. Le parcours se faisait, disent les sources, « de conséquence en conséquence ». Si la justification des péchés était garantie par la foi dans le Christ crucifié, il n’y avait aucun sens à croire aux indulgences, à la confession, aux prêtres, aux jeûnes, au purgatoire. Les prières aux saints et à Marie, les jubilés, les extrêmes onctions, tout cela n’était d’aucune utilité… Après avoir submergé son élève par des doutes de matrice clairement luthérienne, Villafranca le quittait pour lui laisser quelques mois de réflexion. Après cette période, le maître reprenait le tissage de la toile, conduisant son disciple vers des positions radicales. Suivant en cela les idées du prédicateur protestant Ulrich Zwingli, Villafranca soulevait en premier lieu des doutes sur l’Eucharistie, considérée comme un simple symbole ; puis il portait l’attention sur la question de la Trinité, par où commençait le véritable chemin de radicalisation. Du moment que l’élève s’était montré enclin à suivre le maître dans un enchaînement de doutes, l’amener aussi à douter d’un dogme aussi abscons que celui de la Trinité ne présentait plus de difficulté particulière. Et une fois niée cette dernière, s’en suivaient facilement les critiques sur la divinité de Jésus, sur la virginité de Marie et sur la véracité de certaines parties de l’Évangile. Enfin, Villafranca conduisait son disciple à douter de l’existence de l’enfer : les âmes des morts dormaient, et seulement au moment de la résurrection finale, les justes, les élus, seraient élevés vers Dieu, tandis que les réprouvés (c’est-à-dire la majorité de l’humanité) seraient simplement annihilés, sans aucune punition éternelle. Comme on peut l’observer, diverses idées de Campanella sont analogues à celles de Villafranca et de ses disciples ; néanmoins, sous d’autres aspects, les valdésiens pourraient paraître moins extrémistes que le philosophe italien. Cela est apparu plus haut à propos de l’immortalité de l’âme, par exemple. Mais il est important 168

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de garder à l’esprit que parmi les disciples de Villafranca, il y avait ceux qui allaient encore au-delà de son propre enseignement : la méthode de l’Espagnol (d’apprentissage du doute systématique) et son subjectivisme extrême poussaient justement à cela. Ainsi, si Villafranca se limitait à douter de certains passages de l’Évangile, son successeur Busale est allé jusqu’à affirmer la fausseté de l’ensemble du Nouveau Testament. Et si Villafranca enseignait (comme Valdés) le sommeil des âmes et la « mort éternelle » pour celles des réprouvés, il y avait ceux qui – à l’instar de Giulio Basalù (un parent de Busale) – poussaient encore plus loin leurs doutes, réduisant l’âme à de la simple matière et niant complètement son immortalité. C’était une conséquence des enseignements de Villafranca et de Busale, et qui conduisait bien hors de toute religion. Comme Basalù l’a expliqué : « Étant entré dans cette opinion qu’[une fois] le corps mort mourrait aussi l’âme de chacun, toute autre opinion fut par terre, avec la conviction que toutes les religions étaient des inventions des hommes pour les amener à bien vivre ». « J’en vins à nier […] toute forme de religion, aussi bien chrétienne que juive et toutes les autres ». « Je me riais de toute chose […] : je niais la messe, le baptême, l’onction, la religion ecclésiastique et tous les sacrements, la création du Monde. Je me riais de Moïse et des prophètes, de David et de toutes les histoires et je disais qu’en toute religion, outre la chrétienne, on voyait des miracles, et que le Christ avait été un homme de bien qui avait enseigné à bien vivre. Et je disais que le concubinage n’était pas un péché et en conclusion je me riais de toute chose53 ».

C’était une démolition systématique de tous les fondements de la foi. Et cette incrédulité libertine ne représente pas un cas isolé, dans la mesure où d’autres personnes, liées à ces milieux, partageaient des opinions analogues. Et il est évident que, dans ces cas, le ton apparaît davantage conforme à celui de Campanella et de ses compagnons : un ton libertin proche de l’athéisme, bien qu’il soit plus approprié d’utiliser les catégories de déisme et de panthéisme. Le premier terme est d’ailleurs particulièrement approprié, puisque l’un des valdésiens radicaux (Valentino Gentile) – de ceux qui se sont exilés – se retrouve à Lyon, vers 1560, parmi les leaders d’un groupe

53 « Essendo intrato in opinione che morto il corpo morisse l’anima di ognuno, ogni opinione andò per terra, credendo che tutte le religione fossero inventione di homini per indur li homini al ben vivere ». « Veni a negar […] ogni sorte de religion, così christiana come ebrea et ogn’altra ». « Mi ridevo d’ogni cosa […]: negavo la messa, el battes[i]mo, l’untion, le religion ecclesiastiche et tutti li sacramenti, la creation del mondo. Me ridevo di Moysè et delli profetti, de David et de tutte le historie et dicevo che in ogni religion, oltra la christiana, si vedeva miracoli, et che Christo era stato homo da bene che haveva insegnato el ben viver. Et dicevo el concubinato non esser peccato, et in conclusion mi ridevo d’ogni cosa » : ibid., p. 30-31.

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qui s’autoproclamait « déiste54 ». Ces derniers étaient porteurs d’idées si extrêmes que Calvin les définissait comme une « caterva epicurea », une horde d’épicuriens, puisque beaucoup d’entre eux (y compris Gentile) ajoutait à l’incrédulité en la divinité du Christ, celle en l’immortalité de l’âme, en la providence et en la révélation. Il est vrai que Campanella fut quant à lui plus panthéiste que déiste, mais parmi ceux qui avaient suivi le mouvement valdésien, il y en avait qui étaient parvenus à des positions similaires : c’est le cas du philosophe et juriste napolitain Scipione Capece, le prince de l’Académie Pontanienne, qui dans son De Principiis rerum (1546) prônait un naturalisme matérialiste ayant des traits panthéistes, mélangeant de façon originale l’apport des courants de l’antiquité tels que l’épicurisme, le pythagorisme et le stoïcisme avec le radicalisme valdésien55. Bien sûr, il faut maintenant se demander si ces idées des valdésiens radicaux (et plus en général des courants de la Radical Reformation) sont parvenues aux oreilles de Campanella et de quelles façons elles ont pu le faire. Ne pas considérer les canaux concrets de communication des opinions elles-mêmes reviendrait à s’en tenir à une histoire des idées attentive seulement aux similitudes d’opinions. Or, les pistes à suivre ne manquent pas : à commencer par les liens de connaissance qui unissent Campanella et l’hérétique florentin Francesco Pucci, parfaitement inséré dans le milieu de discussions des hérétiques italiens. Mais Campanella put aussi entendre résonner l’écho de la diffusion du valdésianisme dans d’autres contextes. Je ne vais pas répéter ici des faits que j’ai déjà présentés ailleurs et qui, selon moi, mériteraient encore d’autres recherches. Il faut juste avoir à l’esprit que Campanella a vécu dans différents endroits où ces idées s’étaient largement répandues quelques décennies auparavant : à Naples, Padoue, Cosenza et même à quelques kilomètres de sa commune natale de Stilo56. Maintenant, par ce rappel et par celui des autres connexions que j’ai également identifiées (par exemple avec Telesio ou Bruno), mon intention n’est pas de faire des mouvements hérétiques les plus extrêmes l’alpha et l’oméga de l’incrédulité. Je crois au contraire que l’hérésie n’est en aucun cas le seul chemin vers l’incrédulité. En même temps, il me semble que le moment est aujourd’hui venu de reconnaître au radicalisme religieux l’importance qui lui revient pour comprendre non pas seulement les phénomènes d’incrédulité mais, plus généralement, la Renaissance et la naissance du monde moderne. Renaissance et Radical Reformation sont tradition-

54 Voir L. Addante, Valentino Gentile, op. cit., p. 162-184 et passim. Voir aussi id., « Dal radicalismo religioso del Cinquecento al deismo », art. cit. 55 Id., Eretici e libertini, op. cit., p. 61 s. et passim. 56 Id., Tommaso Campanella, op. cit., p. 153 s. et passim.

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nellement considérées de manière séparée, ce qui ne permet pas de comprendre pourquoi c’est justement dans le milieu des hérétiques italiens en exil qu’a été produite rien de moins que la première traduction latine du Prince de Machiavel57. En réalité, plusieurs de ces hérétiques avaient une formation humaniste58 ; la tradition philologique, en particulier, a joué un rôle fondamental sur le développement de leurs doutes systématiques sur la religion. Le doute critique (plus que sceptique), appris notamment avec des auteurs comme Lorenzo Valla et Érasme de Rotterdam, est aussi derrière tout cela. Traiter de manière séparée les mouvements hérétiques et les courants de la Renaissance est ainsi dommageable à la compréhension de phénomènes qui ne sont pas du tout imperméables entre eux. Au-delà des figures individuelles, en effet, les recherches les plus récentes révèlent de plus en plus la diffusion des idées valdésiennes, ou en tout cas d’opinions hétérodoxes, dans les académies italiennes de l’époque de la Renaissance (que ce soit à Modène, Florence, Sienne, Padoue, Rovigo, Plaisance, Rome, Naples, Cosenza ou ailleurs)59. Ce ne sont là que quelques-uns des preuves et des indices de l’imbrication entre certains courants du radicalisme religieux et de la Renaissance, telle qu’on peut l’observer dans l’Italie du xvie siècle ; ce ne sont là que quelques-unes des traces des influences réciproques qui poussèrent dans la direction de l’incroyance, du libertinisme, du déisme, du panthéisme, et plus en général d’une anthropologie du doute. De telles pistes mériteraient, à mon avis, d’ultérieures investigations : il s’agirait de poursuivre l’analyse du cas italien, mais aussi d’étendre les recherches à la France, à l’Espagne, à la Hollande, à l’Angleterre… En tout cas, ce qui est d’ores et déjà certain, c’est que dans l’Italie du xvie siècle on trouve une présence diffuse d’opinions et de discours se situant totalement en dehors de l’enceinte du christianisme, des idées libertines qui aident à expliquer l’incroyance (et les luttes pour les libertés) des siècles suivants.

57 Leandro Perini, « Gli eretici italiani del ’500 e Machiavelli », Studi storici, t. X, 1969, no 4, p. 877-918. 58 D. Cantimori, Eretici italiani, op. cit. ; Silvana Seidel Menchi, Erasmo in Italia 1520-1580, Turin, Bollati Boringhieri, 1987 ; L. Addante, Eretici e libertini, op. cit. ; id., Valentino Gentile, op. cit. 59 M. Firpo, Juan de Valdés, op. cit., p. 64-66 et passim ; L. Addante, Eretici e libertini, op. cit., p. 61 s., 139-143 et passim ; id., Valentino Gentile, op. cit., p. 42 s., 68 s. et passim.

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3 Doute, savoirs et milieux culturels

Doubt, History, and Politics

in the Philosophy of Pietro Pomponazzi Craig Martin – Università Ca’ Foscari, Venezia

Introduction Religious imposture for political means, a keystone of the early modern conception of ragion di stato, entails a doubting attitude toward the teachings of organized religion. The idea that the endorsement of imposture has its origins in Peripatetic philosophy has a lengthy historiographical past. Many distinguished scholars have sustained this view. Giorgio Spini wrote, in a section labelled “From Heterodox Aristotle to the Imposture of Jesus”, that the disbelief of medieval Averroism anticipated the early modern libertines. In his interpretation, this heterodox Aristotelianism included Pietro d’Abano’s endorsement of astrological causes for the birth of the world’s major religions1. Similarly, David Wootton presented Paolo Sarpi’s view that religion is merely a “medicine” as having its roots in Averroes, who in Wootton’s view contended that religion was not true but merely had the “function to ensure good behavior”2. Wootton saw Averroes’ views as being transmitted more broadly first by Pietro Pomponazzi and later by Giordano Bruno. William Bouwsma contended that Niccolò Machiavelli’s idea that rulers should accept religion even if they think it false was influenced by the “Averroist tradition which depicted the major religions as cynical fabrications of clever leaders for the purpose of holding the masses in subjection”, an attitude that he saw mirrored in Venetian conceptions of religion as being useful for social discipline3. Wootton’s, Spini’s, and Bouwsma’s interpretations that link Pomponazzi and Averroism to scheming falseness were not entirely new. French scholars of the nineteenth and early twentieth century, Jacques Charbonnel, and René Pintard, 1 2 3

Giorgio Spini, Ricerca dei libertini. La teoria dell’impostura delle religioni nel Seicento italiano, Florence, La Nuova Italia, nuova edizione, 1983, p. 15-25. David Wootton, Paolo Sarpi: Between Renaissance and Enlightenment, Cambridge, Cambridge University Press, 1983, p. 21-22. William Bouwsma, Venice and the Defense of Republican Liberty: Renaissance Values in the Age of the Counter Reformation, Berkeley (CA), University of California Press, 1968, p. 39.

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CRAIG MARTIN

basing themselves on Ernest Renan’s seminal work, tied Pomponazzi to erudite libertinism and its winking impostures4. And in fact, for many scholars of the late sixteenth and early seventeenth centuries, Pomponazzi represented the advent of a scheming philosopher who espoused religious doubt while intent on hiding his true views, lumped together with Machiavelli and others who argued that rulers should mask their true views behind the appearance of piety and religious virtue in order to consolidate and maintain their rule. Such is the view presented by Tommaso Campanella, for example5. Pomponazzi’s writings and teachings embraced doubt as well as the rhetoric and method of doubting. The doubts derive from his adoption of scholastic styles of argumentation in which multiple contradictory views are weighed one after another. His willingness to admit being unable to find a solution fostered doubt. He believed his inability to reach the truth was an attribute shared by humanity, whose capacity for reason and understanding cannot reach the epistemological certainty that only God and the celestial intelligences possess. In agreement with this conviction about the fallibility of human knowledge, he contended that religious teachings overturned his philosophical conclusions that deviated from faith. Some interpreters of Pomponazzi have sustained that his contention that his philosophical conclusions were merely hypothetical and subalterned to ecclesiastical dogma was a technique for casting doubt about religious truth. The 1513 Apostolici regiminis of the Fifth Lateran Council, which was perhaps directed at Pomponazzi, condemned “omnes asserentes animam intellectivam mortalem esse, aut unicam in cunctis hominibus et haec in dubium vertentes” (“all who assert the intellective soul is mortal, one in number, and throw these matters into doubt”)6. Even if Pomponazzi perhaps can be excused of the accusation of asserting the mortality of the soul as absolute truth, it is harder to defend him from the charge of throwing it into doubt. Yet his doubting had limits and the way he determined preferable solutions for his interrogations of Aristotle’s texts depended not just on philosophical 4 J.-Roger Charbonnel, La pensée italienne au xvie siècle et le courant libertin, Paris, Honoré Champion, 1919, p. 220-274; René Pintard, Le libertinage érudit dans la première moitié du xviie siècle, Geneva/Paris, Slatkine, nouvelle édition, 1983, p. 58; Ernest Renan, Averroès et l’averroïsme: essai historique, Paris, M. Lévy, 2nd ed., 1861, p. 358-360. 5 Tommaso Campanella, De gentilismo non retinendo, Paris, Du Bray, 1636, p.  8. The perceived relation between Pomponazzi and Machiavelli, including possible points of contact, is investigated in Francesco Molinarolo, “Pomponazzi e Machiavelli, ‘Pomponatistae e Machiavellistae’: teoria dello stato e ‘impostura delle religioni’”, Rinascimento, t. LVIII, 2018, p. 105-156. 6 Conciliorum oecumenicorum decreta, ed. G. Alberigo et al., 2nd ed., Basel, Herder, 1962, p. 581.

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deduction but also on the evaluation of historical sources, which provided an empirical guide to the vicissitudes of humanity and the world. Pomponazzi’s devotion to history forms another tie to Machiavelli. One of the more significant early modern works to connect Machiavelli to Pomponazzi was Marin Mersenne’s 1623 Quaestiones celeberrimae in Genesim (Most Distinguished Questions on Genesis), in which Mersenne associated Pomponazzi, Girolamo Cardano, and their followers to sects of atheists, political heretics, and Machiavelli. Specifically, Mersenne accused Pomponazzi and Machiavelli as being against divinity because they found natural causes sufficient to explain all human history, including miracles, prodigies, and religions; they contended that all terrestrial events and phenomena can be traced back to the influences of the stars. Mersenne began this section of Quaestiones celeberrimae in Genesim by describing Machiavelli as rejecting, in both the Prince and the Discorsi, the existence of divine providence, goodness, and justice while simultaneously promoting the deceptive employment of religion to instruct an ignorant population desirous of being deceived. Mersenne then jumped to Pomponazzi’s De incantationibus, a work he interpreted as dismissing the demonic or divine cause of ancient oracles yet endorsing the explanation that the oracles’ functioning could be explained through appeals to the soul and body of the heavens, a view that he saw reinforced with specificity in Cardano’s commentary on Ptolemy7. Mersenne objected to Machiavelli, while refusing to proclaim him an atheist. Nonetheless, in Mersenne’s view, his positions deny the ultimate goodness and providence of God by ascribing falseness and mendacity to the divine. Pomponazzi’s error, according to Mersenne, derives, however, from his misunderstanding of natural history. Mersenne argued that demons convinced the ancients through deceptive experiences that stones, herbs, words, images, stars, and animals have marvelous powers. Thus Pliny, a key source for Pomponazzi, as well as his followers recounted numerous falsehoods that do not correspond with more recent investigations, such as those in William Gilbert’s De magnete (On the Magnet). Pliny, and hence Pomponazzi, erred not only as a result of idolatrous worship of demons but also because of his reliance on unreliable authorities. Pomponazzi’s credulity was at fault, in Mersenne’s eyes8. That Mersenne pointed to Pomponazzi’s and Machiavelli’s supposed willingness to reduce all to the heavens resonates with recent scholarship.  Anthony Ossa-Richardson, in his excellent The Devil’s Tabernacle, a book that traces out in7 Marin Mersenne, Quaestiones celeberrimae in Genesim, Paris, Cramoisy, 1623, cols. 379-380. 8 Ibid., cols. 381-382.

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terpretations of the pagan oracles in early modern Europe, warns against anachronistically eliding Machiavelli with “Enlightenment philosophe[s]”; his reading follows the interpretation of Anthony Parel9. Rather, Machiavelli’s judgment that the Prince should conceive of religion as having merely a functional value and his belief that the stability of the ancient Roman government wavered after the population revolted, having discovered that the augurs and haruspices were made to speak for the powerful, were subordinate to his understanding that both religion and political decisions are controlled by astral causation. As a result, for Ossa-Richardson, like Mersenne, similarities between Pomponazzi and Machiavelli are found in their view that religion can act as a lie, a “noble” one for Pomponazzi, and that both religious and political orders derive from the celestial motions10. Pomponazzi and Machiavelli, Connections Despite the long and continuing tradition that likens these two contemporaneous Italians, in many respects they are unlikely bedfellows. Machiavelli, dramatist, historian, politician, political advisor, diplomat, humanist, wrote for the most part in the vernacular and, notwithstanding his exile and ambassadorial missions, is hard to separate from the Florentine setting of much of his career and of many of his ambitions. Pomponazzi sat at the other side of the intellectual spectrum of Italy at that time. Trained in philosophy, and then medicine, his career was almost entirely spent in the universities of Padua and Bologna, where he wrote and lectured exclusively in an inelegant, scholastic Latin, which at times borders on the macaronic. Except for his later works, most of his output consisted of commentaries on Aristotle or Averroes, which, while demonstrating innovative interpretations, fit firmly in the scholastic pedagogical context of the medieval and Renaissance university. While the political context of Machiavelli’s writings is well known and at times explicit, Pomponazzi’s political goals remain hidden or even non-existent. Yet, it would be a mistake to assume that, just because Pomponazzi labored most of his adult life behind the lectern, as a schoolman he was immune from politics and the turmoil of the wars that destabilized the Italian peninsula during his life. To the contrary, Pomponazzi, regardless of his philosophical honesty and refusal to cower to threats of ecclesiastical punishment, showed a fair degree of political savvy. He aligned himself with the Gonzaga family of his native Mantua, served as a pri-

Anthony Ossa-Richardson, The Devil’s Tabernacle, Princeton (NJ), Princeton University Press, 2013, p.  147; Anthony Parel, The Machiavellian Cosmos, New Haven (CT), Yale University Press, 1993, p. 45-62. 10 A. Ossa-Richardson, The Devil’s Tabernacle, op. cit., p. 147-149. 9

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vate tutor to Prince Alberto Pio da Carpi, while in exile in Ferrara, and cultivated powerful protectors such as Pietro Bembo11. Moreover, Pomponazzi, because of his fame, transferred economic and cultural value to whichever city employed him. In 1515, an official of the studio of Pisa urged Lorenzo di Piero de’ Medici to intervene with the Bolognesi, as the studio attempted to bring the Mantuan to Tuscany. The official stated that the Bolognesi would have the right to protest “perché dove lui anderà, sarà il corso degli scolari” (“because wherever he goes, there will be flow of students”)12. After the failed negotiations, alliances and civic worth aided Pomponazzi in defending himself from prosecutions supported by Leo x (Giovanni di Lorenzo de’ Medici). Leo, in turn, awarded Pomponazzi’s long-term nemesis, Agostino Nifo, with the title of Count Palatine and an extremely wellpaid chair13. Later, Nifo plundered the Prince for his 1523 De regnandi peritia (On the Skill of Ruling)14. Thus, both Machiavelli and Pomponazzi were involved in conflicts with the Medici, although to differing degrees, motives, and ends. Moreover, their dates are nearly identical: 1469 to 1527 for Machiavelli, 1462 to 1524 for Pomponazzi. Yet they never cited or seemingly acknowledged each other. Pomponazzi made it a point in his De incantationibus (On Incantations) that he could have cited numerous more recent historical writings but only mentioned ancient and biblical ones because they are most authoritative15. Nonetheless, there are echoes. Pomponazzi referred to the supposedly frequent appearance of figures of armed soldiers in sky, cited in Plutarch’s Parallel Lives and Maccabees, considered a harbinger of great events to come, as being confirmed by many works. In

11 Cesare Oliva, “Note sull’insegnamento di Pietro Pomponazzi”, Giornale critico della filosofia italiana, t. VII, 1926, p. 83-103, 179-190, 254-275; Richard Lemay, “The Fly against the Elephant: Flandinus Against Pomponazzi on Fate”, in Philosophy and Humanism: Renaissance Essays in Honor of Paul Oskar Kristeller, ed. by E. Mahoney, Leiden, Brill, 1976, p. 70-99 (74-75); Charles B. Schmitt, “Alberto Pio and the Aristotelian Studies of his Time”, in id., The Aristotelian Tradition and Renaissance Universities, London, Variorum, 1984, VI, p. 43-64; Martin L. Pine, Pietro Pomponazzi: Radical Philosopher of the Renaissance, Padua, Antenore, 1986, p. 126-127; Pietro Pomponazzi, Apologia, Bologna, Giustiniano da Rubiera, 1518, f. Aiir, Fiiiv. 12 Armando F. Verde, “Il secondo periodo dello Studio Fiorentino (1504-1528)”, in L’Università e la sua storia. Origini, spazi istituzionali e pratiche didattiche dello Studium cittadino, ed. by P. Renzi, Siena, Protagon, 1998, p. 105-131 (110-111). 13 Paul F. Grendler, The Universities of the Italian Renaissance, Baltimore (MD), Johns Hopkins University Press, 2002, p. 73, 185. 14 Sydney Anglo, Machiavelli – The First Century: Studies in Enthusiasm, Hostility, and Irrelevance, Oxford, Oxford University Press, 2005, p. 42-79. 15 Pietro Pomponazzi, De incantationibus, ed. V. Perrone Compagni, Florence, Olschki, 2011, chap. 12, p. 155.

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the Discorsi sopra la prima deca di Tito Livio (Discourses on the First Ten Books of Titus Livy), Machiavelli recounted that such a prodigy occurred near Arezzo16. Furthermore, both Pomponazzi and Machiavelli asserted that without fail disastrous or important events are announced by celestial signs17. Machiavelli provided a physical explanation that is Pomponazzian not only in its causation, but also in the hypothetical manner in which he posited it: Pure potrebbe essere che sendo questo aere, come vuole alcuno filosofo, pieno d’intelligenze, le quali per naturali virtù preveggendo le cose future e avendo compassione agli uomini, acciò si possino preparare alle difese gli avvertiscono con simili segni [Indeed, it could be that this air being full of intelligences, which through their natural virtue, presaging future things and having a sympathy to men, they warn them with similar signs so that they can prepare remedies]18.

But, barring the possibility of a broad and rapid manuscript circulation, the common reference points to a shared cultural environment rather than a borrowing, as the Discorsi were finished a year before the De incantationibus but not printed until after Pomponazzi’s and Machiavelli’s deaths. Pomponazzi’s De immortalitate animae (On the Immortality of the Soul) was printed in 1516, and thus was available to Machiavelli, even if there are no proofs that he read it. Eugenio Garin pointed to the fact that Pomponazzi lectured on the soul’s mortality at the same time Machiavelli wrote that he preferred his homeland over his soul19. It seems unlikely that Machiavelli was unaware of Pomponazzi’s controversial teachings on the soul, given the presence of bans of teaching the unicity or mortality of the soul and the eternity of the world – a position that Pomponazzi used as part of his argument for hypothetical endorsement of mortality – in the Fifth Lateran Council20. Alison Brown points to a possible mode of transmission from Pomponazzi to Machiavelli in debates over the soul that took place in Pisa in 1517. A participant, Raffaele Franceschi, likened these debates to those of Pomponazzi and Nifo, stating that the positions of Themistius and Alexander of

16 Niccolò Machiavelli, Discorsi sopra la prima deca di Tito Livio, ed. F. Bausi, Rome, Salerno Editrice, 2 vols., 2001, vol. 1, p.  271 (I. 56); P.  Pomponazzi, De incantationibus, op.  cit., chap. 10, p. 76, chap. 12, p. 136; 2 Maccabbees 5; Plutarch, Vita Gaii Marii, 17. 4. 17 P.  Pomponazzi, De incantationibus, op.  cit., chap.  10, p.  84-85; N. Machiavelli, Discorsi, op. cit., (I. 56), vol. 1, p. 271. 18 Ibid., p. 272-73. 19 Eugenio Garin, Dal Rinascimento all’Illuminismo, Florence, Le Lettere, 1993, p. 46. 20 Conciliorum oecumenicorum decreta, op. cit., p. 581-82.

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Aphrodisias were sustained against Averroes’21. Alexander, famously, influenced Pomponazzi’s works on the soul, for its mortalist take22. At the time of the debates in Pisa, Francesco del Nero, related to Machiavelli, acted as the university’s provveditore and employed Machiavelli’s brother Totto as an assistant; and a few years later, Totto sent transcripts of Franceschi’s and Nifo’s lectures, whose contents are unknown, to del Nero23. Perhaps, more promising than the question of the soul is Machiavelli’s response to the question of the eternity of the world in the Discorsi (II. 5). Eugenio Garin, Robert Black, and Emanuele Cutinelli-Rendina have seen this passage as an example of an Averroistic leaning in the Florentine political thinker, as he, in effect, defended the position, or tried to refute the objections to the position, that the world is eternal24. He argued that those who state that the world cannot be eternal because human history extends back no more than 5,000 years are unaware of how, as one sect or religion overcomes its predecessor, it erases, or tries to erase, all evidence and memory of the earlier religion. Within the time of several cycles, all traces of past civilizations are wiped out. Citing Diodorus Siculus, somewhat imprecisely, Machiavelli concluded that in fact human history goes back at least 40,000 or 50,000 years – not an eternity but far greater than the time span of biblical histories25. Additionally, the heavens cause famines, plagues, and floods leaving behind only uneducated mountain folk incapable of transmitting past history. Machiavelli based his argument on the records of history, which show the frequency of disasters and the disappearance of language and culture, evident in the case of the Etruscans, as well as on the workings of nature. Anticipating Thomas Malthus, Machiavelli contended that nature acts like a medicine that invokes purges and uses a harsh cure on the territories with too abundant populations in order that the castigated survivors, reduced in number, can live better and more comfortably26.

21 Alison Brown, The Return of Lucretius to Renaissance Florence, Cambridge (MA), Harvard University Press, 2010, p. 76-78. 22 Eckhard Kessler, “Alexander of Aphrodisias and his Doctrine of the Soul: 1400 Years of Lasting Significance”, Early Science and Medicine, t. XVI, 2011, p. 1-93 (58-67). 23 A. Brown, The Return of Lucretius, op. cit., p. 76-77; A. F. Verde, “Il secondo periodo”, art. cit., p. 123-124, n. 18. 24 Robert Black, Machiavelli, London, Routledge, 2013, p. 170-71; E. Garin, Dal Rinascimento, op. cit., p. 58-59; Emanuele Cutinelli-Rendina, Introduzione a Machiavelli, Rome-Bari, Laterza, 1999, p. 101. For an expansive discussion of possible sources of this passage see Gennaro Sasso, Machiavelli e gli antichi e altri saggi, Milan, Riccardo Ricciardi, 1987, p. 167-399. 25 N. Machiavelli, Discorsi, op. cit., (II. 5), vol. 1, p. 339-40; Diodorus Siculus, Biblioteca historica, 1. 24. 1. 26 N. Machiavelli, Discorsi, op. cit., (II. 5), vol. 1, p. 342-45.

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Accordingly, republics and religions are compositions of mixed bodies; they have a course and end, ordered by heavens, and will not last unless they are renewed27. While in recent years much has been made of the possible Lucretian influences on Machiavelli, a large portion of his thought that is described as such need not be28. Echoes of Machiavelli are found in Renaissance interpretations of Aristotle. In favor of the mortality of the soul, Pomponazzi mustered citations of Plato, Averroes, and most importantly Aristotle’s De caelo to support the hypothetical argument that everything that is generated perishes29. In book 14 of De immortalitate animae he likened human society to the human organism, suggesting its mortality30. Such a suggestion becomes explicit in the De incantationibus, where in his effort to explain why the oracles ceased after Jesus’s advent he contended that, according to philosophy but not the truth of religion, all entities that are generated perish, including rivers, seas, and mountains, an argument that corresponds to Aristotle’s Meteorology31. While cycles are difficult to see because they slowly unfold, they follow nature. Consequently, the oracles had a beginning and necessarily had an end, an order of coming-to-be and disintegration that can be applied to all the Laws or major religions, which are not just announced by heavenly signs but coincide with major changes in the positions of heavenly bodies. According to Pomponazzi, the presaging of new religions and rulers is confirmed by the annals of history, and the infinite cycle of human life and its institutions is supported by Plato and Aristotle, who posited an eternal world in which similar events and customs repeat innumerable times. Pomponazzi ended this discussion by quoting an author well known to Machiavelli, namely Plutarch, who in his Life of Sertorius wrote that in the infinity of time human events have identical results under the direction of fortune that directs malleable and plastic matter into similar occurrences32. Pomponazzi’s doubts about biblical chronology depend both on philosophical argument and on his reading of history.

27 Ibid., (III. 1), vol. 2, p. 523. 28 Ada Palmer, Reading Lucretius in the Renaissance, Cambridge (MA), Harvard University Press, 2014, p. 81-88; A. Brown, The Return of Lucretius, op. cit., p. 68-87. 29 Pietro Pomponazzi, Tractatus de immortalitate animae, ed. G. Morra, Bologna, Nanni & Fiammenghi, 1954, chap. 8, p. 100; Aristotle, De caelo, 1. 12. 282a27-30. 30 P. Pomponazzi, De immortalitate animae, op. cit., chap. 14, p. 182-184. 31 Id., De incantationibus, op.  cit., chap.  12, p.  148-149; Ivano Dal Prete, “‘Being the World Eternal’. The Age of the Earth in Renaissance Italy”, Isis, t. CV, 2014, p. 292-317; Aristotle, Meteorologica, 1. 14. 351a19-b13. 32 P. Pomponazzi, De incantationibus, op. cit., chap. 12, p. 153; Plutarch, Vita Sertorii, 1. 1.

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Pomponazzi’s Use of History in the De incantationibus Aside from the eclecticism of both authors, part of the difficulty in assessing the degree to which Pomponazzi’s and Machiavelli’s thought corresponds is that Pomponazzi never wrote a work specifically on politics and Machiavelli never did for cosmology. Consequently, their views on those respective subjects must be extracted from works that were intended to address other topics. For example, Pomponazzi’s views on the nature of historical time, his invocations of the eternity of the world and its endless cycles, are subordinate to his support of both the view that according to Aristotelian principles the soul is mortal and his conviction that it is possible to explain a range of wondrous phenomena, including the oracles, without recourse to demons. Pomponazzi’s views about the nature of politics are embedded within the same attempts to identify Aristotle’s view regardless of its correspondence to the truth or to the religion. In many respects the De incantationibus is a work of historical investigation, not only in that its stated goal is to determine what Aristotle would have thought about the employment of demons to explain intractable phenomena and, thus, is in a sense a work of hypothetical historical fiction, but also in that the inquiries and their answers are at times specifically historical. Additionally, the testimony of historians, both civil and natural, along with other ancient texts provide the quia, the reliable account of the phenomena, whether prodigies, amazing cures, the behavior of animals, or the character of humankind, that needs to be explained and forms the empirical basis for much of the discourse. Pomponazzi’s interest in delineating historia percolates through other works and his university lectures. For example, in his commentary on Aristotle’s De partibus animalium (On the Parts of Animals), based on lectures he gave in Bologna in 1521, a year after De incantationibus was composed, Pomponazzi described the two principal ways of understanding animals. The first way is through history, which he described as being “pura narratio” (“pure narration”), a practical field of knowledge, that does not declare the causes through demonstration but puts forth knowledge of quia33. Histories can either be civil and treat wars and heroic acts or natural and discuss plants and animals. Because this practical knowledge does not rely on logic and philosophy, it can be known by grammarians and rhetoricians, who lack technical skills of reasoning. While histories differ from philosophy, which uses logic in its demonstration of causes, they still “pertineant ad philosophos” (“pertain to philosophers”) in that they provide the suppositions, in the form of quia, that phi33 Pietro Pomponazzi, Expositio super primo et secundo de partibus animalium, ed. S. Perfetti, Florence, Olschki, 2004, p. 3-4.

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losophers use to make causal explanations that give an account or provide the propter quid34. In the De partibus, the natural history of animals is presumed in order to provide material for the causal understanding of animal parts35. Similarly, in De incantationibus the historical account of the phenomena, what wondrous events occurred in the past must be determined before providing causal explanations of them36. Ascertaining the truth from historical sources, however, presented risks. Pomponazzi realized that many seemingly inexplicable phenomena were likely to be less than real. He wrote: “Certe multa sunt naturalia, quorum causas nec simus reddere. Puto tamen magis istas esse deceptiones quam secundum veritatem” (“Certainly we do not know the causes for many natural phenomena. I think more of these are deceptions than real”)37. Much of the innovativeness of Machiavelli has been traced to his approach to history. As laid out in the first book of the Discorsi, his contemporary historians and readers of history are concerned too greatly with being entertained, treating ancient history as an amusement, rather than as instructive material for the functioning of politics, power, and virtù38. Machiavelli conceived of the past in naturalistic terms, to use Parel’s term, in that the rules that govern the rise and fall of past rulers, governments, and religions are fixed, linked to the motions of the heavens that affect the humors of human bodies and the analogous ones contained in states39. While his application of this naturalistic vision to the specifics of politics might have been innovative, the understanding of the past as cyclical, mirroring the motions of the heavens, is found in the astrological thinking of prominent fifteenth-century thinkers such as Pierre d’Ailly and Giorgios Plethon, who helped form the intellectual background of both Machiavelli and Pomponazzi, as well as earlier medieval authors, including Pietro d’Abano, who relied on Albumasar’s theoretical exposition of historical astrology40. The naturalistic approach that Pomponazzi credited to Aristotle or to Aristotelian principles is even more thorough than Machiavelli’s but is ultimately subject to doubt. God is consistent, constant, distant, and, most importantly inscrutable, for 34 35 36 37 38 39 40

Ibid., p. 4. Ibid., p. 3-5. P. Pomponazzi, De incantationibus, op. cit., chap. 12, p. 155. Ibid., chap. 4, p. 36. N. Machiavelli, Discorsi, op. cit., (I. proemio), vol. 1, p. 6. A. Parel, Machiavelli’s Cosmos, op. cit., p. 28-41. Laura Smoller, History, Prophecy, and the Stars: The Christian Astrology of Pierre d’Ailly, Princeton (NJ), Princeton University Press, 1994, p. 61-84; Dag Nikolaus Hasse, Success and Suppression: Arabic Sciences and Philosophy in the Renaissance, Cambridge (MA), Harvard University Press, 2016, p. 272-273.

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Pomponazzi, as understanding the divine, not just God but the Intelligences that drive the celestial spheres, is beyond human capacity. At times, Machiavelli’s God seems to intervene in human affairs and the concept of Fortune wavers from something similar to Aristotle’s conception of it as explained in the Physics to its personification as a kind of deity. To the contrary, in Pomponazzi’s presentation in the De incantationibus, chance in the Aristotelian sense, of something that happens by coincidence and does not have a purpose or final cause, is minimized, nearly completely replaced, by the more Stoic conception that apparent coincidences, including the appearance of monstrous births and celestial rarities at times of momentous religious and political import, are part of the Intelligences’ ordering of the universe and its contents, which is unknowable in its specific material and efficient causes, even if the presence of signs of the future has its final cause in its assistance for humankind. Through his ministers, but not directly, God controls everything in the universe with inviolable laws: “Omnia enim Deus ordinat et disponit ordinate et suaviter legemque aeternam rebus indidit, quam praeterire impossibile est” (“God in fact orders governs everything with order and harmony and has placed within entities an eternal law that is impossible to transgress”), according to Pomponazzi41. Human knowledge, however, pales in relation to divine understanding. In both De immortalitate animae and De incantationibus Pomponazzi emphasized the weakness of humanity’s capacity to know42. Such a view influenced his framing of his own methodology, in a consistent manner throughout his writings. As Stefano Perfetti has shown in his lectures on Aristotle’s zoology, Pomponazzi promised his students that he would teach them to doubt43. Similar expressions of incertitude characterize his contemporary lectures on Aristotle’s Meteorology44. In the De incantationibus, twice he refers to his investigations into the material and efficient causes of marvelous phenomena as being an inconclusive step in a multi-generational path toward the truth. He wrote that the “scientiae enim fiunt per additamenta” (“sciences develop through steps”)45. He explained this idea, citing Aristotle’s discussions of definitions in the Topics, where he likened replacing obscure definitions with better ones to the political practice of accepting newly

41 P. Pomponazzi, De incantationibus, op. cit., chap. 10, p. 78. 42 Id., De immortalitate, op. cit., chap. 8, p. 84. 43 Stefano Perfetti, “Docebo vos dubitare. Il commento di Pietro Pomponazzi al De partibus animalium (Bologna 1521-24)”, Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale, t. X, 1999, p. 439-466. 44 Craig Martin, Renaissance Meteorology: Pomponazzi to Descartes, Baltimore (MD), Johns Hopkins University Press, 2011, p. 31-33. 45 P. Pomponazzi, De incantationibus, op. cit., chap. 9, p. 63.

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introduced laws, if they are better, and repealing the older inferior one46. Thus, Pomponazzi, again adopting the metaphor of law, suggested that natural philosophy might proceed in a collective manner and that his determination should stand until someone else has produced a more satisfactory answer. Accordingly, the standard he applied throughout the De incantationibus is that explanations must only meet the standard of “experimenta salvare” (“saving the experiences”) not the certitude that is often attributed to Aristotelian sciences47. But if Pomponazzi emphasized the incomplete and provisional nature of his theories that save the experiences, we would do well to ask what he makes about the experiences for which he offers potential explanations. The range of experiences considered is broad, as are their sources: Scripture, Plutarch, Livy, Suetonius, Pliny, Albertus Magnus, Aristotle, Virgil, and Herodotus among others. Antonino Poppi has accused him of possessing an “almost puerile credulity”, willing to accept the most outrageous claims as true48. Such a charge, if accepted, then could be applied as well to Machiavelli, who accepted the appearance of prodigies and the effectiveness of ancient augury. The charge is unfair. Pomponazzi questioned the reality of some purported phenomena and the reliability of the authors who recounted them. He considered the possibility of deception and accepted the possibility that some accounts are mere fables, designed to instruct rather than convey the literal truth. For example, according to Pomponazzi, the accounts of Vespasian’s seemingly impossible cures of the blind and lame need not be believed, following Augustine’s view of the reliability of pagan sources49. Yet, history can provide a preponderance of evidence that show that presages and auspices are efficacious, unlike the singularity of Vespasian’s magic foot. If we reject all of reported presages, then Aristotle, Plato, and all other Greek and Roman philosophers and historians have been fooled, and this is implausible, in Pomponazzi’s view50. While the cycles of religions, reigns, and rites are supported by philosophy, namely the position of the eternity of the world, it is the study of history that allows us to know how the cycles are played out. In the twelfth book of De incantationibus, Pomponazzi defended himself from the charge that he is writing history instead of philosophy, not by denying his historical intentions but by attributing an important role to history. He wrote that it 46 Ibid., “Peroratio”, p. 171. 47 Ibid., chap. 1, p. 13; ibid., chap. 10, p. 68. 48 Antonino Poppi, “Fate, Fortune, Providence and Human Freedom”, in The Cambridge History of Renaissance Philosophy, ed. by C. Schmitt et al., Cambridge, Cambridge University Press, 1988, p. 641-667 (654). 49 P. Pomponazzi, De incantationibus, op. cit., chap. 8, p. 62; Augustine, De civitate Dei, 10. 16. 50 P. Pomponazzi, De incantationibus, op. cit., chap. 9, p. 63-64; ibid., chap. 10, p. 69.

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is the philosopher’s job to identify the causes of natural effects, but this can only be done if the effects are known to exist. As many of these effects are extremely rare, individual experience is not sufficient but must rely on history. He wrote: “Nulla autem ars melius et accommodatius hoc facere potest ipsa historia” (“No art can do it better and more appropriately than history”)51. And for this reason, history was useful to him. Yet he was selective. He described his method with the following words: “[…] ut maior fides adhibeatur, non adducere curavi nisi gravissimos et approbatos historiae scriptores” (“[…] I took care to cite only the most eminent and trustworthy historians so that [this treatise] would garner greater credibility”)52. History teaches more than that the great changes in civilization are announced. It also instructs on the ordering of human society. Such announcements regard political leaders because of their greater importance. The heavens are ordered for princes and kings because they are the heart of human society, more central and necessary than the rest of humanity, who are analogous to minor and less essential body parts. The heavens announce the future just as they, under the names of fortune and fate, design great events, as Plutarch had shown in his Life of Romulus53. Rulers’ importance, however, does not correspond to their goodness. Past and present teach of the wickedness of many rulers. Pomponazzi held that ignorance and vice characterized his contemporaries who controlled the Roman curia, a fact that pointed toward a divine origin of their power because all other explanations failed54. Kings, regardless of whether they are good or bad, are the ministers of the divine beings. The very few who are good cultivate an environment that promotes moral goodness for the people. Most, however, are wicked tyrants. Yet they still promote virtue by acting as revenge against a sinning public. Tyrants are a poison, generated by God, that punishes and thereby begins to cure a poisonous population. Once cured, a good king will supplant the tyrant and bring about moral goodness to the population55. Conclusion While history teaches us about the frequently immoral character of rulers, an idea not far from Machiavelli’s, for Pomponazzi, the nature of political power is irrelevant. The purpose, the final cause, of rulers is to inculcate moral virtue, which they can do either through their morality or through creating hardships with 51 52 53 54 55

Ibid., chap. 12, p. 155. Ibid., chap. 12, p. 155. Ibid., chap. 12, p. 86-89; Plutarch, Vita Romuli, 8. 7. P. Pomponazzi, De incantationibus, op. cit., chap. 12, p. 89. Ibid., chap. 12, p. 87.

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their wickedness. Religious fables might serve a function, but it is far different for Pomponazzi than it is for Machiavelli. For Pomponazzi, religion is not a tool to retain power, but rather is a tool to promote ethics to the vast number of people incapable of practicing philosophy56. Thus, Mersenne might have been correct in linking Pomponazzi and Machiavelli to a deterministic vision of the universe and humankind, where human history, religion included, is caused by the stars, which are in turn ordered through God’s will. But, the ramifications of the stars’ effects, are hardly the same, as Pomponazzi insist on God’s goodness, providence, and rationality even in the face of the presence of evil on earth. But for both Machiavelli and Pomponazzi, the contents of ancient history are a means to temper doubts about the world and give insights into the nature of the universe and human action. History, however, does not provide easy answers to what phenomena are real. Ancient authors must be scrutinized and their reliability judged before the philosopher accepts the phenomena they recount as worthy enough to be subject to causal philosophical explanation.

56 P. Pomponazzi, De immortalitate animae, op. cit., chap. 14, p. 204-208.

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Un cultore del dubbio

nell’Italia del Rinascimento: Ortensio Lando Paolo Procaccioli – Università della Tuscia, Viterbo

1. Chi volesse avviare una riflessione sul dubbio cinquecentesco sembrerebbe trovare una buona pista di ricerca nella bibliografia e nella stessa biografia di Ortensio Lando. Un autore che ha fatto del dubbio la sua cifra d’elezione di uomo e di scrittore. Dubbiosa la sua vita, al punto da alimentare perplessità sulla sua stessa identità; dubbiosi i suoi amici, a cominciare da Fortunato Martinengo, il «fondatore et dignissimo presidente1» dell’Accademia dei Dubbiosi, e dubbiosa la paternità di alcune delle opere. All’insegna del dubbio anche la scrittura dal momento che agli occhi del suo lettore Lando appare un produttore instancabile di ritrattazioni e paradossi, che sono le forme incarnate – testualmente incarnate – del dubbio. E anche nei casi nei quali il procedimento è netto e la parola non conosce esitazioni, alla fine a tesi arditamente e strenuamente sostenute si affiancano palinodie che le annullano e le riducono a lusus. L’impressione complessiva è che in Lando quello che conta non sia tanto sostenere o combattere la singola affermazione quanto piuttosto invitare il lettore a rifuggire dalle certezze e dalla loro sicurezza. Che cioè il positivo e il negativo in sé non contino ma siano solo un portato del modo di vedere (e di vivere) le cose e che paradosso, curiosità, catalogo, così come la passione per gli pseudonimi e l’abuso della palinodia, siano tutte espressioni di una propensione all’indeterminato che alla fine si fa vera e propria cultura del dubbio. Dubbio che a volte è un punto di partenza altre invece quello d’arrivo, e dunque tale da autorizzare tanto percorsi per dubium ad paradoxum quanto quelli che procedono in senso inverso, e cioè per paradoxum ad dubium. Per esemplificare ricordo come siano dubbiosi gli interlocutori dei Paradossi e i destinatari delle Consolatorie, per non parlare dei gentiluomini e delle gentildonne a nome dei quali sono proposti i quesiti dei Quattro libri de dubbi2. A fronte di tale stato di cose una deduzione 1 2

Girolamo Ruscelli, Lettura […] sopra un sonetto dell’illustriss. Signor Marchese Della Terza alla divina Signora Marchesa del Vasto, Venezia, Giovanni Griffio, 1552, f. aVIv. Una prima introduzione all’opera in Achille Olivieri, «Les Quattro libri de’ dubbi d’Ortensio Lando», in Langage et vérité. Études offertes à Jean-Claude Margolin par ses collègues, ses collaborateurs, ses élèves et ses amis, a cura di J. Céard, Ginevra, Droz, 1993, p. 169-178.

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possibile che è già una prima ipotesi di conclusione è che se non tutti virtuosi del dubbio almeno non infastiditi e anzi attratti da quell’habitus si deve supporre che fossero i suoi lettori. Entriamo nel dettaglio cominciando dalla biografia. Sfuggente per noi, ma già vaga per i contemporanei a ragione di una mobilità estrema, con oscillazione di luoghi (in Italia e fuori), di ambienti (conventi, corti, tipografie), di frequentazioni (religiosi, umanisti, circoli eterodossi, poligrafi, accademie) e, come autore, di lingue. E che anche oggi rimane tale, lacunosa e sfuggente, segnata com’è da un’ampia «zona d’ombra3» e come poche altre del secolo dai “forse” e dai “sembra” ricorrenti4, al punto che in un passato recente Silvana Seidel Menchi si è interrogata sulla reale identità di uno scrittore5 la cui parola e la cui immagine ci giungono rifratte in un gioco di personalità fittizie alimentato dal ricorso sistematico alla pseudonimia e all’anonimato. Un gioco a volte scoperto altre meno, che in qualche caso ha prodotto incertezze di non facile soluzione, per esempio quelle relative alla paternità effettiva di testi come le Lettere di molte valorose donne. In questo senso colpisce il fatto che il nome di Lando per la prima volta sia stato associato esplicitamente a molte delle sue opere a anni di distanza dalla loro pubblicazione, nella Libraria doniana. Se sfogliamo quel catalogo infatti vediamo come nei primissimi anni Cinquanta tutti gli undici libri a lui attribuiti risultassero anonimi o editi con uno pseudonimo: Lettere delle donne Paradossi Confutatione Catalogo de gli huomini illustri Sermoni funerali delle bestie La sferza de gli scrittori

anonimo anonimo anonimo anonimo anonimo pseudonimo (Anonimo di Utopia) anonimo anonimo

Dubii Oracoli 3

Silvana Seidel Menchi, «Sulla fortuna di Erasmo in Italia. Ortensio Lando e altri eterodossi della prima metà del Cinquecento», Rivista Storica Svizzera, t. XXIV, 1974, p. 537-634, a p. 592. 4 Lo testimoniano i documenti raccolti da Conor Fahy (in «Per la vita di Ortensio Lando», Giornale storico della letteratura italiana, t. CXLII, 1965, p. 243-258, e «Landiana», Italia medioevale e umanistica, t. XIX, 1976, p. 325-383) e la cautela di molte delle affermazioni della bella voce biografica (Simonetta Adorni Braccesi, Simone Ragagli, «Lando, Ortensio», in Dizionario biografico degli Italiani, Roma, Istituto della Enciclopedia Italiana, vol. 63, 2004, p. 451-459). 5 Che ha proposto di identificare con Giorgio Filalete Macedone, detto il Turchetto (Silvana Seidel Menchi, «Chi fu Ortensio Lando?», Rivista storica italiana, t. CVI, 1994, p. 501564).

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UN CULTORE DEL DUBBIO NELL’ITALIA DEL RINASCIMENTO: ORTENSIO LANDO

Consolatorie Comentarii delle cose d’Italia Medicina spirituale

anonimo pseudonimo (Anonimo di Utopia) anonimo6.

Un altro tassello significativo in questa rassegna riguarda la prossimità di Lando a Fortunato Martinengo7, il gentiluomo bresciano patrono di un sodalizio forse veneziano8, l’Accademia dei Dubbiosi, che rimane ancora misterioso e che fiorì tra la fine degli anni Quaranta e i primissimi Cinquanta. Non se ne sa niente, ma basti ricordare che nel 1540 al nobile bresciano Lando aveva dedicato il Desiderii Erasmi Roterodami Funus, un’opera di grande impegno sulla cui interpretazione peraltro i pareri sono ancora discordi9. La scheda doniana consegna al cultore del dubbio cinquecentesco un titolo che a prima vista appare come una strada maestra, un itinerario che, percorso, sembrerebbe in grado di solvere dubia omnia. Alludo ai Quattro libri de dubbi editi da Giolito anonimi, una prima volta nel ’52 e di nuovo nel ’56. Ma, appunto, sembrerebbe. In realtà quei libri si rivelano lontani da quello che dicono di essere. La

6 Doni si riferisce al testo edito col titolo Una breve prattica di medicina per sanare le passioni dell’animo, [Padova], Grazioso Percacino, s.a. 7 Sul quale fanno ora luce i contributi raccolti in Fortunato Martinengo. Un gentiluomo del Rinascimento fra arti, lettere e musica, a cura di M. Bizzarini e E. Selmi, Brescia, Morcelliana, 2018, e in particolare quello dedicato alla preziosa e finora inesplorata documentazione archivistica familiare (Augusto Goletti, Francesco Negri Arnoldi, F. Charlotte Vallino, «Fortunato Martinengo. Informazioni tratte dall’Archivio Storico della famiglia», p. 1750) e quello che mette al centro il rapporto tra i due proprio all’insegna del tema del dubbio (Marco Faini, «Fortunato Martinengo e Ortensio Lando. Dubbi e dubbiosi alla metà del Cinquecento», p. 75-97). 8 Così sembrerebbe sulla base dell’incipit di una breve narrazione compresa tra la dedica (datata «Di Venetia, Il dì XV. di Dece(m)bre. MDLIIII») e l’avviso ai lettori del Tempio: «L’anno M.D.LI. facendosi in questa sempre felicissima città l’Academia de Dubbiosi, sotto gli auspicij dell’Illustre Signor Conte, Fortunato Martinengo, di benedetta memoria […]» (Del tempio alla divina Signora Donna Giovanna d’Aragona, fabricato da tutti i piu gentili spiriti et in tutte le lingue principali del mondo, Venezia, Plinio Pietrasanta, 1555, f. doppia foglia 5v), dove il «questa città» mi pare induca a considerare come svolta a Venezia almeno quella particolare adunanza. 9 La Adorni e Simone Ragagli danno conto delle varie interpretazioni nella voce del Dizionario biografico degli Italiani sopra richiamata. Sui rapporti tra Lando e il conte si vedano i dati e le considerazioni offerti nei contributi di Faini (in quello ricordato supra, alla nota 7, e nel precedente «Fortunato Martinengo, Girolamo Ruscelli e l’Accademia dei Dubbiosi tra Brescia e Venezia», in Girolamo Ruscelli: dall’Accademia alla corte alla tipografia, Atti del convegno internazionale di studi (Viterbo, 6-8 ottobre 2011), a cura di P. Marini e P. Procaccioli, Manziana, Vecchiarelli, 2012, p. 455-519) e della Seidel Menchi («Sulla fortuna di Erasmo in Italia», art. cit., p. 614-619).

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materia, che è tutt’altro che farina del sacco dell’anonimo autore, in sé non è per niente ‘dubbiosa’. Insomma, un doppio abbaglio ai danni di un lettore non avvertito. Però un abbaglio che non penalizzò l’iniziativa se, si vedrà meglio tra poco, i lettori, e saranno i lettori di mezza Europa, l’avrebbero premiata per tutto il secolo a seguire. Nei fatti era uno degli approdi volgari di una tradizione antica e prestigiosa, quella dei Problemata pseudoaristotelici10, che, avviata nel nome appunto di Aristotele, aveva conosciuto riprese e sviluppi nel Medioevo a partire dalle Salernitanae quaestiones. Una vicenda testuale fascinosa e complessa, ricostruita nei suoi termini di fondo e nelle sue scansioni epocali da Brian Lawn e più di recente da Paolo Cherchi11, che qui naturalmente non serve ripercorrere ma che dà il senso dell’operazione condotta da Lando. Era dunque, la sua, un’operazione non nuova. In Italia in particolare annoverava precedenti quattro e cinquecenteschi. Al secolo precedente risaliva infatti il Liber de homine di Girolamo Manfredi12, un adattamento dei Problemi che aveva conosciuto una grande fortuna anche attraverso la sua traduzione volgare (Libro del perché)13, che a sua volta sarebbe stata ripresa nella versione castigliana del 1564 (Libro llamado El porque) e riproposta senza soluzione di continuità fino a Seicento inoltrato14. Al primo Cinquecento invece risalgono le prove del Vignali della Cazzaria15 e del Garimberti dei Problemi naturali e morali (1549). Opera,

10 Aristotele, Problemi, a cura di M.F. Ferrini, Milano, Bompiani, 2015. 11 Brian Lawn, The Salernitan Questions. An Introduction to the History of Medieval and Renaissance Problem Literature, Oxford, Clarendon Press, 1963 (id., I quesiti salernitani. Introduzione alla storia della letteratura problematica medica e scientifica nel Medio Evo e nel Rinascimento, trad. A. Spagnuolo, Napoli, Di Mauro, 1969); Paolo Cherchi, «Il meraviglioso, il quotidiano e i «Problemata». Ministoria di un microgenere», Intersezioni, t. XXI, 2001, p.  234-275; Iolanda Ventura, «Per modum quaestionis compilatum… The Collections of Natural Questions and their Development from the 13th to the 16th Centuries», in Allgemeinwissen und Gesellschaft. Akten des internationalen Kongresses über Wissenstransfer enzyklopädische Ordnungssystemme, vom 18 bis 21 September 2003, a cura di P. Michel, M. Herren e M. Rüesch, Düren, Shaker, 2007, p. 275-318; Antònia Carré, Lluís Cifuentes, «Girolamo Manfredi’s Il Perché. I. The Problemata and its medieval tradition», Medicina & Storia, n.s. t. X, 2010, 19-20, p. 13-38. 12 Editio princeps Bologna, Ugo Ruggeri e Donino Bertocchi, 1474. 13 I legami col testo landiano sono discussi in Emanuela Zanotti Carney, «I Dubbi di Ortensio Lando e Il perché di Girolamo Manfredi», Giornale storico della letteratura italiana, t. CXXXV, 2008, 609, p. 64-78. 14 L’ultima edizione a me nota è Il novo lume dell’arte overo Il perche. Opera copiosa di vari cognitioni cioe Osservation per la sanita. Qualita de cibi […]. Dell’eccell. medico, et astrologo il Sig. Gieronimo de’ Manfredi, Venezia, Stefano Curti, 1678. 15 Paolo Cherchi, «La Cazzaria di Vignali e il Libro del perché di Manfredi», Annali dell’Università di Ferrara online, t. II, 2007, 1, p. 106-117.

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quest’ultima, che nasceva ad un parto con un testo non troppo dissimile come i landiani Sette libri de cathaloghi16, nei quali Ortensio si era proposto, anche lì senza dichiararlo, la ripresa/adattamento di un altro precedente di successo, ma questa volta moderno, l’Officina Textoris. La prossimità delle pubblicazioni, l’affinità delle logiche in atto al loro interno, il fatto che tutte e due fossero iniziative nate dalla collaborazione con lo stesso editore, Gabriele Giolito, induce a ipotizzare a monte di esse una strategia. Che non dobbiamo immaginare necessariamente comune come genesi e come finalizzazione ma che la cronologia ci dice condivisa dall’editore. Questo il libro del ’52: Quattro libri de dubbi con le solutioni a ciascun dubbio accommodate. La materia del primo è naturale, del secondo è mista (benché per lo più sia morale), del terzo è amorosa, et del quarto è religiosa. Il titolo in realtà non risponde al vero. Tanto che in chiusura di libro l’editore era costretto alla precisazione che segue: Io promisi di darvi quattro libri de Dubbi, hor non havendo fin hora potuto impetrare la licentia dei Dubbi amorosi, sono sforzato a darvene solamente tre. Quanto piu tosto ella si potrà ottenere, ve li darò con altri piacevoli componimenti del medesimo auttore. Fratanto state sani, et godete quanto vi porgo17.

Dunque i libri effettivamente pubblicati erano tre e non quattro; all’appello mancava il terzo, quello dedicato ai dubbi amorosi, che non aveva avuto la licenza di stampa. Arrivò di lì a poco, e la sezione mancante venne proposta in apertura dei Varii componimenti, un’altra opera landiana edita nello stesso ’5218. La serie completa sarebbe stata edita solo nella stampa del ’56, sempre giolitina. A scorrerli, singolarmente e nella loro serie, i quattro libri presentano una sovrabbondanza di spunti che impressiona. Che, come si è appena detto, non fosse tutta farina del sacco di Ortensio non è motivo di meraviglia. Ormai sappiamo bene che in opere del genere nessuno si sognava di cercare il nuovo e solo i lettori

16 Sette libri de cathaloghi a varie cose appartenenti, non solo antiche, ma anche moderne. Opera utile molto alla historia, et da cui prender si po materia di favellare d’ogni proposito che ci occorra, Venezia, Gabriele Giolito de Ferrari, et fratelli, 1552. 17 Ortensio Lando, Quattro libri de dubbi con le solutioni a ciascun dubbio accommodate […], Venezia, Gabriele Giolito de Ferrari, et fratelli, 1552, p. 318. 18 Varii componimenti di m. Hort. Lando. Nuovamenti [sic] venuti in luce. Quesiti amorosi, con le risposte. Dialogo intitolato Ulisse. Ragionamento occorso tra un cavalliere, et un’huomo soletario. Alcune novelle. Alcune favole. Alcuni scroppoli, che sogliono occorrere nella cottidiana nostra lingua, Venezia, Gabriele Giolito de Ferrari, et fratelli, 1552. I dubbi («quesiti») amorosi vi figurano alle p. 3-72.

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sprovveduti delle età a venire avrebbero sentito il bisogno di dividere il grano dal loglio (gli ‘autori’ dai ‘poligrafi’) sulla base del tasso di novità. Per limitarsi al Cinquecento italiano, la materia era stata oggetto esplicito di trattazione dai primi anni del secolo19. Una disavventura romana (il «caso del’amatore in Roma novamente occiso per man de la amante delusa20») era stata all’origine di Aura, una prosa volgare del segretario mantovano Giovan Giacomo Calandra. Il testo è perduto ma ne rimangono tracce cospicue nel Libro de natura de amore dell’Equicola, dove rifluiscono molti dei dubbi discussi dal segretario. Discussioni legate a “questioni”, altro nome dei problemi, sono documentate nella tradizione accademica senese, in quella di primo Cinquecento del già evocato Vignali come in quella di metà secolo21. Domande alimentano la tradizione dei libri di sorte22, vivace per tutta la prima metà del secolo e messa a tacere bruscamente dall’Index del ’59. Ancora di dubbi si alimenta un filone della floridissima tradizione delle “selve”, nella quale due dei quattro libri landiani, quello dei dubbi naturali e dei morali, erano destinati a rifluire nel 159723. Se in questa sede né la tradizione antica e medievale dei problemi né quella cinquecentesca possono essere analizzate da vicino, possono però essere messe a frutto relativamente a un dettaglio non di poco conto come è sempre il titolo. Non sarà un caso che nella sua trasmissione più tarda, dai testi salernitani agli adattamenti successivi, in Italia e fuori, il corpus pseudoaristotelico oscilli, nell’intitolazione, tra “problemi” e “questioni”, al più, sul versante volgare, con esiti come quello tradito dal “libro del perché”. In tutti lasciando in primo piano il concetto di domanda, che rinviava direttamente alla ragione strutturante, appunto il sistema della domanda-risposta cui tutto era ridotto. In nessun altro testo in ogni caso, né prima né dopo quello landiano, la materia era stata associata al dubbio. Ma nello stesso Lando i Dubbi furono il punto 19 Ne ripercorre i luoghi topici Ireneo Sanesi, Il cinquecentista Ortensio Lando, Pistoia, Bracali, 1893, p. 235-252. 20 Mario Equicola, Libro de natura de amore, I 14 (in La redazione manoscritta del Libro de natura de amore di Mario Equicola, a cura di L. Ricci, Roma, Bulzoni, 1999, p. 285). 21 Documentata per esempio dalle Quistioni e chasi di più sorte recitate in la congregha de Rozi per i Rozi, ora edite da Claudia Chierichini, Siena, Accademia dei Rozzi, 2017. 22 Marie-Cécile Van Hasselt, Les livres de sorts en Italie de 1482 à 1551. L’imaginaire astrologique, les systèmes de causalité et la marge de liberté accordée à l’individu, tesi di dottorato, Université de la Sorbonne Nouvelle-Paris III, 1997, 2 vol. 23 Alludo alla Selva di bellissimi dubbi con dotte solutioni a ciascun dubbio accommodate, divisa in due parti. Delle quali nella prima i naturali, nell’altra i morali si contengono. Di nuovo rivista et d’utili annotationi arricchita da Annibale Novelli piacentino, come à questo segno * vedere si potrà, Piacenza, Giovanni Bazachi, 1597, riproposta anonima per ragioni che la data rende ovvie.

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d’arrivo di un percorso che possiamo in parte seguire. Premesso che la familiarità con la forma domanda-risposta è documentata all’inizio degli anni Quaranta dalle Disquisitiones cum doctae tum piae in selectiora Divinae Scripturae loca Hortensio Tranquillo authore24, dedicate a Cristoforo Madruzzo a ridosso della sua elezione a vescovo di Trento (1539) e destinate a rimanere inedite, ricordo che nel 1550 Lando pubblicò una prima silloge latina di dubbi edita da Giolito. Il titolo, Miscellaneae quaestiones, rispetta fedelmente la tradizione. A quella due anni dopo seguì l’approdo volgare, allargato a comprendere i Quattro libri de dubbi. Proponendo un passaggio da ‘problema/questione’ a ‘dubbio’ che oltre a essere inedito è anche poco facile da spiegare. Al punto che ha tratto in inganno pressoché tutti i lettori fino a tempi recentissimi, e cioè fino a quando Paolo Cherchi non ne ha disvelato la genesi nelle sue pagine fondamentali sulla pratica cinquecentesca della riscrittura25 e ne ha avviato una lettura finalmente consapevole in termini di «miscuglio di erudizione posticcia e di sarcasmo26». Un titolo dunque sorprendente, non giustificato né dalla tradizione del genere né dalla tematica. L’identificazione ‘questione’-‘dubbio’ è infatti una forzatura, l’assolutizzazione di una componente che non ne è certo il tratto caratterizzante. Non è un caso se i dizionari storici non registrano nessun rapporto di sinonimia tra ‘dubbio’ e ‘problema/questione’. E dunque nel momento in cui, alla fine di un percorso testuale che è anche un processo (disquisitiones – quaestiones – dubbi), Lando con un gesto d’autorità e d’arbitrio impone il nuovo titolo, lo fa nel nome di una visione che è tutta personale. E destinata a restare tale perché, si è appena detto, oltre che senza precedenti sarebbe stato esito anche senza seguito, a eccezione naturalmente della tradizione specifica di quel testo. Ma che anche all’interno della tradizione editoriale dei Dubbi, si vedrà, non risulta condiviso da tutti gli stampatori successivi a Giolito. Non meraviglia insomma che le riprese francesi, al pari di quelle spagnole e inglesi, abbiano provveduto a recuperare l’intitolazione consueta. A conferma ulteriore del fatto che la componente ‘dubbio’ è, questa sì, farina tutta e solo del sacco di Ortensio, e che è tutta risolta nello specifico della sua prospettiva. Il che per noi è un modo di dare evidenza all’associazione Lando-dubbio.

24 Biblioteca Comunale di Trento, Fondo manoscritti, 1002; sull’opera ha richiamato l’attenzione per prima Silvana Seidel Menchi, «Sulla fortuna di Erasmo in Italia», art. cit., alle p. 591-597. 25 Paolo Cherchi, Polimatia di riuso. Mezzo secolo di plagio (1539-1589), Roma, Bulzoni, 1998, alle p. 123-127. 26 Ibid., p. 126.

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E allora la novità rappresentata dal titolo andrà ridotta a dettaglio marginale, a vezzo di uno scrittore che, amante di scarti e incline alla messa in discussione della doxa in tutte le sue incarnazioni, vuole sorprendere a tutti i costi, o possiamo guardare all’elezione di quella parola come a un indizio, la spia di qualcos’altro? E, in questo secondo caso, di cosa? Come molto spesso in Lando, e allo stesso modo in Doni, la pagina e l’opera vivono della tensione generata dall’accostamento tra il titolo e la materia della trattazione. Dove il titolo obbliga a guardare una materia convenzionale e di risulta con occhio in tutto straniato. Nei Dubbi questo gioco è particolarmente evidente. E, si converrà, basato solo su quell’unica parola evocata in limine. Niente altro in nessuna delle dediche presenti nel testo; niente nei titoli delle varie sezioni interne; niente nella serie delle domande e delle risposte. Il problema, è evidente, è di una portata generale e sollecita a allargare lo sguardo al contesto e al macrotesto. Che dimostrano come per tutta la vita Lando abbia assecondato la sua propensione inesauribile per l’accumulo, e lo abbia fatto a discapito di narrazioni compiute e distese. Logico domandarsi se all’origine di quella scelta ci fosse una passione incontrollabile per quella particolare scrittura e per la libertà che garantiva. Più in generale, se conseguisse a un atteggiamento critico, la fedeltà a una critica radicale da cui discendeva la negazione di ogni possibilità di composizione del reale, cosa che escludeva anche solo in via di ipotesi una sua narrazione unitaria, valida cioè erga omnes. Così che le tessere di discorso (ciascuno dei ‘problemi’ accumulati, i lemmi dei ‘cataloghi’, le singole pagine epistolari, i luoghi della Scrittura considerati, i volumi della libreria passati in rassegna) diventavano gli unici oggetti realmente disponibili per l’autore e da proporre con fiducia a un lettore che si supponeva in grado di interrogarli e di cogliere la «storia» della quale erano indizio. Tutto questo, dice lo stesso autore con parole sulle quali sarà naturale ritornare, allo scopo di sollecitare il lettore a costruire su e con essi la propria personale narrazione. 2. «Dubbi naturali in vari tempi propostimi da curiosi ingegni con brievi et ispedite solutioni»: il titolo (è quello del primo libro ma credo possa valere da introductorium all’intera serie) richiama l’attenzione sull’impianto dell’opera – lo schema veterogrammaticale della domanda-risposta – e poi su ciò che lo caratterizza: l’ingegno dei proponenti coinvolti e le soluzioni offerte. Con la celebrazione della curiositas degli ingegni e della brevitas e della velocitas delle soluzioni. A dire che l’opera ha una natura corale, con una distinzione netta di ruoli. Dove si tratta di mettere a confronto non un più e un meno di dottrina, ma due valori positivi, la curiosità di chi fa la domanda e la scienza di chi propone la risposta. Poco importa che si tratti 196

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di una coralità fittizia; in Lando, indossi le vesti del catalogista, dell’epistolografo, del paradossografo, del geografo e protoantropologo, l’evocazione di una schiera di protagonisti ai quali dare la parola è espediente ricorrente, quasi una coazione. Ma non era niente di insolito né per l’autore né per l’editore né per il lettore dal momento che la stagione nella quale scrive è la stagione delle raccolte, e cioè delle opere a più voci e a più mani, e questo naturalmente a cominciare dalle sillogi di lettere e di rime. Un luogo, uno dei tanti possibili, per dare un’idea oltre che dei temi affrontati anche, e direi soprattutto, della modalità di costruzione del discorso. Tra i «Dubbi di M. Francesco Agatone» se ne legge uno relativo al grano tesaurizzato dalle formiche. E il dubbio è questo: Da che nasce, che il Grano, che ripongono le formiche sia sempre da una parte alquanto morsicato? La Natura insegnò loro, che troncassero quella parte nella quale consiste la virtù seminativa (o Seminaria, che la vogliate dire, che de nomi non piglio al presente cura), accioche non regermini, et così refraudate rimangano dello sperato nodrimento27.

Dove l’Agatone è titolare del dubbio solo nella narrazione landiana. In realtà il passo era desunto da Plinio (NH, XI 36), forse direttamente o magari mediato dalle tantissime riprese successive, fino a quegli Ammaestramenti dell’agricoltura di Costantino Cesare28 che Pietro Lauro aveva volgarizzato da poco e che proprio Giolito aveva edito. Una notiziola in grado di soddisfare la curiositas dell’Agatone e con lui del lettore. Ma non si trattava solo di questo. Nella chiusa della dedica del secondo libro a Gianbernardino Sanseverino, duca di Somma, Lando auspica che i Dubbi morali «se per altro non vi piaceranno, piaccianvi almeno per la lor varietà, et per le storie, che dentro tacitamente si chiudono, sendo voi della cognitione della Storia sopra modo vago» (p. 66 [ma 96]). Dunque a detta dello stesso autore ‘varietà’ e ‘storie’ sono due delle chiavi di lettura dell’opera. Ora se la prima è evidente, la seconda sorprende: Lando presuppone nel dedicatario, e per suo tramite nel lettore, la capacità di cogliere nelle risposte – nelle loro serie – fili ‘taciti’ tali da consentire di sottrarle alla loro apparente singolarità e collegarle in corpora in grado di restituirle a discorsi compiuti. Appunto, a storie. 27 O. Lando, Quattro libri de dubbi, op. cit., p. 20. 28 [Costantino VII], Costantino Cesare De notevoli et utilissimi ammaestramenti dell’agricoltura, di Greco in volgare novamente tradotto, per Pietro Lauro Modonese con la tavola di tutto cio che nell’opera si comprende et in diversi luochi corretta, come saggio lettore se ne potrà avvedere, Venezia, Gabriele Giolito de Ferrari, 1549, f. 145v.

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Nella dedica a Benedetto Agnello dei dubbi religiosi l’autore riconosce un altro limite della sua opera, un limite grave e originario in quanto dichiara di aver pubblicato le singole serie senza intervenire sull’ordine con cui aveva ricevuto i vari dubbi da gentiluomi e gentildonne, e continua «ne vi prenda maraviglia se parera al vostro bel giuditio che io salti di palo in frasca: maggior fallo harrei forse commesso se havessi per ridurli a miglior ordine defraudati il nome di chi ingeniosamente dubitò»29. Dubitare dunque è prova di ingegno. E è un esercizio legittimo anche se, come in questo caso, la materia è religiosa. Quello stesso ingegno di cui lo stesso Lando in veste di lettore avrebbe dato prova di lì a qualche mese, quando si provò a attraversare i cinque libri delle lettere aretiniane fino a quel momento editi alla ricerca delle auctoritates antiche. Aretino si disse compiaciuto dell’iniziativa e ne parlò in questi termini nella lettera che segue, indirizzata a un amico non precisato che in un bigliettino («poliza») lo aveva informato di un progetto landiano che lo riguardava direttamente: Se io senza altro non potevo se non credere alla vostra poliza, è da stimare che avendomi M. Ortensio confessato motu proprio ciò che mi scrivete, che lo tenga mille volte Evangelo. A queste sere sendo in camera mia il Franciotto, il Sansovino, il Vassallo, il Boccamazza, e altri ancora, il Lando, promosso da sé medesimo, mi disse che si era messo a togliermi tutte le sentenzie che son ne i volumi de le lettre da me composte, e attribuitele in una sua opra a questo e a quel filosofo; ma che poi, ammonito da la coscienza, di propria mano squarciate in pezzi l’avea. Io ciò udendo, gli risposi che molto mi era d’ingiuria il non porre in istampa cotal cosa; imperò che o si saria stimato che fussero di mio ingegno, o del loro. Caso che si conoscessero per trovate da me, mi reputavo uomo degno de la laude in la memoria di tali; e quando pure a essi si rifferissero, dimostravo che al paro de gli altri dotti sapevo prevalermi de i furti che rubbano tuttavia ne gli studi. Sì che in capo de le fini i litterati, in cambio del giudicarmi ignorante, per maestro di ogni scienza mi ascrivono. Di Genaio in Venezia, MDLIII30.

Non è un episodio marginale. Dichiarare – dimostrare – l’ascendenza libresca delle sentenze delle quali Aretino epistolografo era orgoglioso voleva dire mettere in discussione uno dei presupposti della poetica dell’amico, quello dell’invenzione. Non se ne fece nulla, e lo stesso Lando «squarciò in pezzi» la sua expertise. Ma quello che conta è costatare come in Lando coltivare il dubbio significhi tanto censire la

29 O. Lando, Quattro libri de dubbi, op. cit., p. 215-216. 30 Pietro Aretino, Lettere. Libro VI, a cura di P.  Procaccioli, Roma, Salerno Editrice, 2002, p. 215 (è la lettera 233, indirizzata «A lo amico»).

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materia dubbiosa dovunque sparsa quanto anche mettere in dubbio. A cominciare dagli idola tribus. E in questo senso il paradosso è un grimaldello eccezionale. 3. Per i suoi contenuti, per l’impianto, per la sede nella quale apparve, per una fortuna editoriale che lo ha visto riproposto in Italia e fuori senza soluzione di continuità anche molto tempo dopo la morte dell’autore, un testo come i Dubbi non può essere risolto solo nella prospettiva dell’autore. Alla sua definizione concorrono anche le ragioni degli editori che di stagione in stagione ne hanno programmato la riproposta e non meno, nella misura in cui è ora possibile divinarle, quelle del lettore. Per quanto riguarda il primo editore, Gabriele Giolito, mi limito a ricordare che l’opera venne stampata accanto alla Libraria doniana e ai Cathaloghi dello stesso Lando. E cioè insieme a opere che miravano a riproporre, adattandoli al contesto volgare, testi antichi e no che erano diventati o stavano diventando di riferimento in Europa. Così la Bibliotheca di Gessner, così l’Officina Textoris e così, appunto, i Problemata. Per il lettore il discorso è ovviamente più complesso. Nel senso che gli usi possibili coincidevano con il numero stesso di quei lettori in base all’aureo tot capita… Ma credo che in un possessore come quello le cui tracce di lettura sono documentate in uno dei tre esemplari ora nei depositi della Biblioteca Nazionale di Roma31, tra l’altro disponibile anche alla consultazione on line, si possa indicare una modalità di approccio al testo rappresentativo di quello del lettore medio dell’opera. Le manine sparse per quelle pagine rivelano uno dei possibili usi della serie dei dubbi, un uso prevalentemente morale, che suscita approvazione (evidente la concentrazione delle maniculae nel secondo libro) talvolta tradotta in un consenso esplicito32. Singolo lettore a parte, non ci sono dubbi che l’opera dovette incontrare un’approvazione ampia, in Italia e fuori, confermata nel tempo dal numero e dalla localizzazione delle edizioni e delle traduzioni. Una fortuna che però, e soprattutto in Italia, venne condizionata pesantemente dal pronunciamento dell’Indice33. Tanto che dopo la serie giolitina (Miscellaneae quaestiones, 1550; Quattro libri de dubbi, 1552 e 1556) in Italia i Dubbi vennero riproposti solo nel 1581 e nel 1597, l’una e l’altra volta senza il nome dell’autore e limitatamente a quelli naturali e morali. La prima delle due edizioni postume si deve a Bartolomeo Paschetti, che sottoscrisse 31 Il 69.2.A.13. 32 Come nel caso di «bello» di p. 202 o «bellissimo» di p. 205. 33 Nel 1580 i Dubbi furono compresi nell’Indice di Parma (in Index des livres interdits, vol. IX, Index de Rome, 1590, 1593, 1596, avec étude des index de Parme 1580 et Munich 1582, a cura di J.M. De Bujanda, con l’assistenza di R. Davignon, E. Stanek, M. Richter, Sherbroocke, Centre d’Études de la Renaissance – Ginevra, Droz, 1994, p. 167-168, no 445).

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la pubblicazione dei Dubbi morali et naturali divisi in due libri con le solutioni a ciascun dubbio accommodate. Ne’ quali si rende ragione di molte cose, che ciascuno è sommamente vago d’intendere et di sapere. Raccolti da diversi antichi e moderni scrittori (Genova, Roccatagliata, 1581). La seconda al piacentino Annibale Novelli, che recuperò il testo alla tradizione delle selve: Selva di bellissimi dubbi con dotte solutioni a ciascun dubbio accommodate, divisa in due parti. Delle quali nella prima i naturali, nell’altra i morali si contengono: di nuovo rivista et d’utili annotationi arricchita da Annibale Novelli piacentino, come a questo segno * vedere si potrà (Piacenza, Bazacchi, 1597). Nome dell’autore a parte, è degno di nota che le due edizioni siano frutto di iniziative non veneziane e soprattutto che mantengano l’intitolazione originaria. A riprova che almeno in Italia l’innovazione del ’52 non era vissuta come una forzatura né tantomeno come una provocazione. Nel resto dell’Europa invece le cose andarono diversamente. Merita vederne rapidamente la serie, sia pure quella che al momento è possibile ricostruire, il che non esclude altre edizioni proposte sotto altri titoli o, come nel caso della prima traduzione inglese (1566), sotto altro nome34. La prima traduzione da considerare è francese e venne edita a Lione nel 1558. Si trattava delle Questions diverses et responses d’icelles. Diuisées en trois liures: Assavoir, Questions d’Amour. Questions Naturelles. Questions Morales & Polytiques. Nouvellement traduites de Tuscan en François (A Lyon, A l’Escu de Milan, Par Gabriel Cotier, 1558). Si rivelò una traduzione fortunata, destinata a essere ripresa nel 1558 (Lione, dalla vedova del Cotier), 1570 (ivi, Jean Marcorelle), 1572 (Parigi, s.e.), 1576 (ivi, Nicolas Bonfons), 1577 (Lione), 1583 (ivi, Benoît Rigaud), 1586 (ivi), 1596 (Parigi), 1599 (ivi, Gilles Robinot), 1606 (Lione, Jaques Durelle), 1610 (Rouen, Claude Le Villain), 1615 (ivi, id.), 1617 (ivi, J. L’Oyselet), 1635 (ivi, Cailloué). Da quella traduzione prese le mosse l’anonimo che la rese in inglese: Delectable demaundes and pleasaunt Questions with their severall Aunswers in matters of Love, Natural caises, with Morall and politique devises. Newely translated out of Frenche into Englishe, this present yere of our Lorde God. 1566 (Londra, In Paules Churchyarde by Iohn Cawood for Nicholas Englande). Il testo venne riproposto a Londra due volte, prima nel 1596 e poi nel 1640, ma questa seconda volta con il titolo Margariton.

34 Quello di Alain Chartier, come ha rivelato un maestro degli studi sull’autore e sul genere come è Paolo Cherchi, «I Dubbi di Ortensio Lando in inglese erroneamente attribuiti ad Alain Chartier», La bibliofilía, t. CIV, 2002, p. 189-197 (poi compreso in id., Ministorie di microgeneri, Ravenna, Longo, 2003, p. 41-48).

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A Rich Treasure discovered of Problems and their Resolves (Londra, Bernard Alsop and Thomas Fawcett for Daniel Frere). In Francia alla traduzione del ’58 seguì quella parigina del 1570: Les raison naturelles et morales de toutes choses qui tombent ordinairement en devis familiers (Parigi, Bonfons, 1570), senz’altro meno fortunata (se ne conosce solo una riedizione lionese del 1586). Della fortuna iberica sono riprova i materiali rifluiti nella Sylva de varias questiones naturales y morales di Jerónimo Campos, un’opera edita la prima volta nelle Fiandre spagnole (Anversa, Pedro Bellero, 1575) e poi riproposta nel 1587 in Spagna (Valencia, La Compañía de los Liberos)35. Al di là dei problemi specifici legati all’una o all’altra delle varie traduzioni, problemi che in questa sede non è opportuno sollevare, può essere interessante prendere atto di due cose. La prima e più ovvia è che il lettore volgare di tutta Europa si è rivelato a lungo interessato a una materia che fino a pochissimo tempo prima gli era preclusa, retaggio dei cultori delle lingue della classicità, e che ora invece attraverso strumenti come quello approntato da Lando poteva rifluire dai domini della classicità sulle mense di lettori affamati ma non adeguatamente attrezzati. E poteva farlo non solo agevolmente, anche piacevolmente. L’altra, indispensabile per cogliere portata e direzione di questo flusso di iniziative, riguarda i titoli delle varie edizioni. La cui serie dice che nel passaggio da Problemata a Dubbi e da questi a Questions e Raison in Francia, a Demaundes in Inghilterra e a Questiones in Spagna è evidente la specificità forte del titolo landiano. È Ortensio Lando che senza nessuna ragione evidente – evidente per noi ma anche, dicono i titoli antichi, per editori e lettori coevi – allarga la materia a comprendervi la sfera del dubbio. 4. Verificato, in un certo senso addirittura certificato, che la componente ‘dubbio’ è apporto tutto landiano, non rimane che tornare alla domanda iniziale e chiedersi ancora una volta il perché di quella scelta. Il fatto che prescinda del tutto dalla materia trattata obbliga infatti a spostare l’attenzione dalla pagina all’autore. A proposito del quale va detto che quale che fosse l’argomento, il suo atteggiamento rimane costante e si traduce sempre in una presa di distanza da ogni rigidità. La sua stessa mobilità tra l’Italia, la Francia, la Svizzera, la Germania, e in Italia il suo vagare di corte in corte, è indizio di una visione delle cose che non aveva e forse neanche cercava un punto d’arrivo. Legittimo a questo punto chiedersi se la 35 Lilith Lee, «Una selva de problemas: la Silva de varias cuestiones naturales y morales (1575) del maestro Jerónimo Campos», Studium. Revista de Humanidades, t. XVI, 2010, p. 77-104.

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propensione all’anonimato e alla fuga da un’identità precisa, a cominciare da quella connessa all’abito agostiniano, non celasse l’insofferenza per i limiti che quella e ogni altra identità comportavano e per gli obblighi che ne discendevano. Cose tutte evidenti quale che sia la prospettiva di analisi privilegiata, sia essa filosofico-teologica o storico-politica o letteraria. Evidenti e dunque leggibili come tali, senza produrre necessariamente gerarchizzazioni o finalizzazioni. Il che delegittima ogni conclusione del tipo ‘scriveva così perché voleva dire…’ e, così almeno a me pare, autorizza lo ‘scriveva così perché era così’ come unica conclusione. In questo recuperando senso e legittimità di prospettive di lettura che in lui erano prospettive di vita. E che potevano alimentare tanto giudizi come quello di Sebastiano Griffio, che in due lettere del ’35 parlò di Lando come di «vir inconstantissimus» e «levissimus36», quanto quello di Gabriele Giolito, che invece ne assecondò l’estro e tra il ’48 e il ’56 ne pubblicò nove opere. O le impressioni di un Ireneo Sanesi, che un secolo fa parlava di «tendenza alla contradizione»37. Forse, senza negarla, si può guardare a quella contraddizione e a quell’incostanza non necessariamente come a un limite ma come a un effetto ricercato, la conseguenza dell’adesione a un punto di vista che riconosceva la legittimità di visioni diverse, anche opposte. E cioè un modo di porsi davanti alle cose e al mondo accettandoli come irrelati e ammettendone l’irriducibilità ad unum. Questo, mi pare, potrebbe spiegare la specificità forte di Lando nel panorama del tempo, e non solo in quello italiano. Dove altri autori coltivarono il dubbio e le scritture a esso intonate, ma nessuno lo fece con una determinazione paragonabile alla sua e con la stessa sistematicità. Non so se il nostro condividesse o no la certezza espressa da Daniele Barbaro nel ’42 quando, sotto il nome di Hipneo da Schio, in uno dei sonetti allegati nella chiusa della sua Predica dei sogni concludeva che «al fine in dubitando si ritrova / il modo di legar le cose sciolte, / e pace porre, ove sia guerra eterna38». Quello che è certo è che Lando nelle sue opere non si stancò mai di accumulare, raccogliendole da ogni parte, «cose sciolte» e di coltivare il dubbio. Al lettore del tempo il compito di trovare il suo proprio legame e evitare ogni occasione di trasformare quelle «cose» in bandiere e in loro nome dividere il mondo in parti contrapposte

36 In due lettere del 1535 edite in Henri-Louis Baudrier, Bibliographie lyonnaise, s. VIII, LioneParigi, Brun et Picard, 1910, p. 32 e 33. 37 I. Sanesi, Il cinquecentista Ortensio Lando, op. cit., p. 244. 38 Hypneo da Schio [Daniele Barbaro], La predica de i sogni, Venezia, Francesco Marcolini, 1542, c. 16v, penultimo sonetto, v. 9-11. Ricordo che sul passo ha richiamato l’attenzione Marco Faini nel contributo del 2011 (alla p. 496).

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e muovere guerra. A noi quello di interrogare «cose» e «legami» per recuperarne le ragioni e cercare di restituire loro una possibilità di senso. Qualche anno fa Paolo Cherchi concluse il momento landiano della sua fondamentale indagine sui polimati cinquecenteschi coll’affermazione che opere come i Dubbi e i Cathaloghi erano testi «così insoliti da far sospettare un’intenzione caricaturale», e precisava che il gioco ironico gli permetteva di plagiare senza riserve, ma gli imponeva anche di espandere il volume della refurtiva in modo grottesco per sottolineare il gioco, e, d’altra parte, doveva mostrarsene padrone se intendeva promuovere una cultura nuova in cui quell’erudizione aveva il ruolo importante di soppiantare la cultura umanistica e di rinnovare la letteratura in volgare39.

Col che dava conto della particolarità tanto dei contenuti quanto dell’impianto, e al tempo stesso indicava una prospettiva, la promozione di una cultura nuova, che come una golena era in grado di assorbire tutti gli eccessi, e anzi di trasformarli da materia informe e disordinata in ricchezza in grado di alimentare il nuovo. A guardarla da questa visuale l’opera di Lando appare un poderoso tentativo di raccolta e sistemazione di materiale preesistente. Sarebbe una conclusione in sé corretta, ma forse riduttiva. Nel suo caso infatti quella materia trova risonanze che a me paiono profonde nel complesso della vicenda dello scrittore così come ci è nota. A interessare del resto, soprattutto in questa sede, non è tanto la materia dei quattro libri quanto piuttosto il fatto che l’intera opera, e con essa la biografia umana e intellettuale del milanese, sembrano conformarsi a quella cifra. Che in lui da tecnica o espediente retorico-affabulatorio quale era nella tradizione filosofica o letteraria si fa fine e modo di vivere. Non voglio né forzare né assolutizzare niente, e neanche mettere sulle spalle del nostro autore some non adatte al suo dosso, ma mi pare che nel suo caso il dubbio diventi qualcosa di perseguito e sistematico. Il che lo modifica radicalmente e lo rende materiale difficilmente riducibile alla topica e alla retorica del sic et non. Che ci sono, ma che possono essere caricate di implicazioni alte, compatibili con gli spezzoni noti della storia personale dell’ex frate. L’argomento pone una domanda di fondo: c’è o no la possibilità di un dubbio di matrice esclusivamente o soprattutto letteraria? E cioè, il dubbio è habitus e pratica rispondente solo a finalità ideali? Si può prescindere o no dalle implicazioni di natura filosofico-teologica che è parso naturale associare al dubbio con e dopo Erasmo? Di

39 P. Cherchi, Polimatia, op. cit., p. 126.

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quell’Erasmo del quale, ricordo, si è parlato non senza buone ragioni come dell’«inventore» e del «primo maestro a livello europeo» dell’ars dubitandi40? Di fronte a tale quesito ho cercato di prescindere dalle ragioni tematiche. Non so se mi è riuscito, ma di proposito non sono entrato nel merito specifico di nessuno dei quattro libri. E questo non perché neghi la possibilità e più in generale la legittimità di letture finalizzate alla problematizzazione dell’una o dell’altra delle materie trattate41, ma perché credo che nell’analisi di opere composite come sono i Dubbi e come sono le raccolte epistolari o di rime le ragioni dell’impianto e quelle delle singole tematiche trattate vadano tenute distinte. Ciò detto confesso che quello che non so interpretare è molto di più di quanto mi sia riuscito di chiarire. Pertanto la risposta alla domanda di fondo – quali l’origine e il fine di tanto sistematico dubitare? – rimarrà inevasa. E con essa la presa di posizione sull’intero percorso di Lando. Dell’ex frate e dei suoi interessi religiosi, dell’umanista e delle sue cure filosofiche e dottrinarie, dello scrittore e delle sue insofferenze retoriche. Quello che posso fare e che ho fatto nella circostanza è stato censire modalità e occorrenze di quel dubitare. Del quale verranno a capo altri più ferrati di me. Costato solo che in una delle favole comprese nei Varii componimenti (1552) lo scrittore aveva riproposto la ciceroniana bilancia di Critolao. Lo aveva fatto in questi termini: Uno de miei libri (non è molto) desiderando d’uscire in publico et romper le serrature, argomentava contra di me in cosi fatto modo: che sendo chiamato da tutti i Latini liber, ch’egli era libero, et perciò contra le leggi veniva tenuto prigione, et già inocmminciava [sic] a muovermi lite, affermando, che io peccassi contra la legge Plagia, la qual commanda, che chiunque tiene un libero per servo, sia gravemente punito, et io gli dissi o stolto, et inetto tu non fosti da latini chiamato liber dalla libertà, ma dalla libratione. Conviene adunque, che tu sii librato, et sospeso in sulla bilancia di Critolao, prima che tu eschi42.

L’impressione è che Lando si trovi così bene su quella bilancia che indipendentemente dalle ragioni per le quali Cicerone l’aveva evocata43 ne consideri il librare, e lo stato di sospensione che ne deriva, il solo modo di essere libero. Una condizione congeniale, uno stato nel quale è non solo rassicurante ma anche utile permanere, 40 Silvana Seidel Menchi, Erasmo in Italia 1520-1580, Torino, Bollati Boringhieri, 1987, p. 197. 41 Penso per esempio alla lettura dei dubbi religiosi proposta da Silvana Seidel Menchi nel par. V, I «Dubbi religiosi», del saggio «Spiritualismo radicale nelle opere di Ortensio Lando, 1550 c.», Archiv für Reformationsgeschichte, t. LXV, 1974, p. 210-277, in particolare alle p. 256-265. 42 Alcune favole, in Varii componimenti, Venezia, Gabriele Giolito de Ferrari, et fratelli, 1552, p. 280. 43 Tusc. Disp., V 17 50.

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sfuggendo le strettoie delle rigidità, quelle delle chiese come quelle delle parti. Al punto che con Dante potrebbe intonare il «non men che saver, dubbiar m’aggrata» (If XI 93). Che però sarebbe un modo per negare la natura dinamica del dubbio dantesco, quella cioè che lo rende sempre momento di un processo conoscitivo (Convivio, IV 12 11: «qui nasce un dubbio, lo qual non è da trapassare senza dichiarare») e che lo stesso Dante aveva celebrato in una terzina delle più incisive, nella quale lo aveva connesso inseparabilmente al desiderio di conoscenza: Nasce per quello [il “desio”] a guisa di rampollo A piè del vero il dubbio; et è Natura, Ch’al sommo pinge noi di collo in collo (Pd, IV 130-132).

Si dirà: è Dante, cioè Medioevo, e un conto è quella civiltà, un altro il Cinquecento ossessionato dall’esigenza di definire confessioni e schieramenti. Eppure va detto che anche nel Cinquecento, in quello dei letterati e in quello dei teologi, non esclusi quelli della Controriforma, c’erano spazi per un’interpretazione positiva del dubbio. Per la letteratura basti richiamare un luogo aretiniano, un passo di una lettera a Doni nel quale si indicava nel dubbio l’unica certezza per chi «cercava di sapere la natura de le cose44»; per la dottrina religiosa mi pare significativa una pagina di un celebrato teologo e predicatore veneziano, il minore osservante frate Antonio Pagani, che introducendo il lettore ai suoi Ragionamenti di diverse notabili materie comprendeva il dubbio nel percorso conoscitivo di tutte le scienze, tra le quali, precisava, non poteva non figurare la «nobilissima arte, anzi arte delle arti, et scienza sopra le altre scienze, scienza de’ santi, et vera sapienza45».

44 Questa la breve lettera: «Io accetto l’opera filosofica che dite voler mandarmi, e ve la ridono, o Doni. Onde voi, in onore del cognome del casato, pigliatela, che ve la do con l’animo che a me l’avete offerta. Che per essere solo il dubbio certo a chi cerca di sapere la natura de le cose, io, che attendo a vivere resolutamente, non mi curo de la lor pratica. Di Maggio in Vinezia. MDXLVIII» (Pietro Aretino, Lettere. Libro IV, a cura di P. Procaccioli, Roma, Salerno Editrice, 2000, p. 383; è la lettera 625). 45 «Egli è cosa certa, che ogni arte, et ogni scienza tanto più s’apprende, s’illustra, et si fa perfetta nell’huomo studioso, quanto maggiormente vien trattata, pratticata, et con nuovi dubbi, et varie questioni investigata, et essercitata. Il che se palesemente si vede avenir delle arti mecaniche, o liberali, over nelle speculative scienze, molto più suol succedere, et più ragionevolmente riuscir della nobilissima arte, anzi arte delle arti, et scienza sopra le altre scienze, scienza de’ santi, et vera sapienza, per la qual si riforma l’huomo interiore, si purifica la conscienza, et con la cognitione, et con l’essercitio delle celesti virtù s’acquista una vita perfetta, una similitudine con Dio, et una conformità con li costumi di Christo figliuol di esso Iddio, e di Maria Vergine» (Antonio Pagani, Proemio ai suoi Ragionamenti di diverse notabili materie: ne i quali si contengono le risolutioni di vari dubbi, intorno a cose molto giovevoli, per l’ammaestramento et per l’essercitio prattico di persone spirituali, così Ecclesiastiche,

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Con questo non voglio caratterizzare il dubbio landiano. Semmai, in linea con i desiderata di un emulo dichiarato di Critolao, invitare a resistere alla tentazione di vederlo accasato – il che vorrebbe dire intruppato – presso l’una o l’altra delle famiglie ideali del suo tempo.

et religiose, come secolari, desiderose della real cognitione, e del ricco acquisto delle celesti virtù, e della perfetta vita Christiana, Venezia, Domenico Farri, 1587, c. *3r).

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Allegorie e personificazioni del dubbio nell’Italia del Cinque e Seicento*

Marco Faini – Università Ca’ Foscari, Venezia

1. Nella sua opera Alcuni dubi circa l’oratione (probabilmente composta nella prima metà degli anni Trenta del Cinquecento), il canonico regolare Serafino da Fermo, autore di alcuni dei più fortunati best-sellers spirituali nei primi decenni del secolo, scrisse che colui o colei che dubita è «simile all’onda del mare mossa dal vento, cioè non ha fermezza in sé alcuna1». Nel Rinascimento il dubbio era connesso a una serie di effetti corporei, a loro volta indice di una ben riconoscibile condizione spirituale e mentale. I segni del dubbio erano facilmente identificabili e formavano quella che potremmo chiamare una retorica corporea del dubbio. Immobilità, malinconia, sospiri, indecisione, una sorta di stanchezza della mente erano segni di una condizione dubbiosa. Coloro che avevano dubbi erano immaginati come persone in cammino nella notte, oppure immobili a un crocevia o, ancora, seduti col volto appoggiato al palmo della mano (a segnalare la vicinanza tra dubbio e malinconia). Questa condizione di dubbio sembra riguardare, nei primi decenni del secolo, ampi strati della popolazione e ci è restituita da una vasta e diversificata gamma di fonti. Troviamo il dubbio – tanto nella forma di una condizione spirituale o psicologica quanto come versatile strumento intellettuale – in opere e contesti tra loro tanto diversi che sembra lecito parlare di culture e strategie del dubbio che attendono ancora in buona parte di essere esplorate. *

1

This article is part of the research project Standing at the Crossroads: Doubt in Early Modern Italy (1500-1560). This project has received funding from the European Union’s Horizon 2020 research and innovation programme under the Marie Skłodowska-Curie Grant Agreement No 792225. It reflects only the author’s view; the Agency is not responsible for any use that may be made of the information it contains. Serafino da Fermo, Alcuni dubi circa l’oratione, per modo de problemi, numero cento, non meno utili che succinti, in Opere […], Venezia, Comin da Trino di Monferrato, 1569, c. 56v-94v: 80r. Su Serafino si veda Raoul Manselli, «Aceti de’ Porti, Serafino», in Dizionario biografico degli Italiani, Roma, Istituto dell’Enciclopedia italiana, vol. 1, 1960, p. 138-139; Gabriele Feyles, Serafino da Fermo canonico regolare lateranense (1496-1540), Torino, SEI, 1942; Gabriella Zarri, Libri di spirito. Editoria religiosa in volgare nei secoli xv-xvii, Torino, Rosenberg & Sellier, 2009, p. 103-146.

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MARCO FAINI

Brendan Dooley ha suggerito che «the modern history of skepticism is more than the history of a few disembodied minds engaging with the texts of Sextus Empiricus and of Diogenes Laertius». Sebbene questo contributo, e la ricerca di cui esso è un primo risultato, copra un arco temporale e diverse aree tematiche rispetto allo studio di Dooley, mi sembra di dover concordare con lui che, allorché si studia il dubbio, si ha a che fare con «a variety of skepticism closely related to but not included among the purely intellectual trends» tradizionalmente studiati dalla critica2. Lo scetticismo, come noto, se non un vero e proprio sistema filosofico è perlomeno una scuola ben riconoscibile che si sviluppa dal III secolo a.c. A sua volta, lo scetticismo rinascimentale si basa su un corpus di fonti che include Lucrezio, Luciano, Diogene Laerzio, l’Epicureismo e la sofistica. Per questa sua natura, si tratta di una dottrina complessa e scarsamente accessibile alla maggioranza della popolazione, pur tenendo conto delle possibili, numerose mediazioni a cui i testi potevano andare incontro. Al contrario, perplessità, insicurezza, curiosità, ansia, incertezza erano condizioni spirituali e intellettuali che di fatto riguardavano, almeno potenzialmente, chiunque. Ciò richiede che, qualora si voglia avere piena comprensione del fenomeno del dubbio, si passi dal piano delle idee a quello delle circostanze storiche; ossia, da un piano di storia puramente intellettuale a uno di storia culturale e sociale. Richard Popkin nella sua History of Skepticism (1960 e 2003) si è ad esempio concentrato «principally on the ideas of the person independent of circumstances», sottolineando che «striking an appropriate balance between intellectual history and cultural history is extremely difficult3». Mi sembra che gli studiosi abbiano largamente impiegato questo approccio, fatto di case-studies basati su singoli autori od opere. Al contrario, credo valga la pena proprio di sottolineare le circostanze dell’emergenza del dubbio. In particolare, ritengo fondamentale indagare non tanto singoli dubbi – pure significativi: si pensi a quelli relativi all’immortalità dell’anima o alla natura divina di Cristo – quanto l’emergenza del dubbio come oggetto di discorso e come riconoscibile pratica sociale nel corso di quella che è stata definita «age of anxiety»4. Quali ne siano le cause è abbastanza chiaro: a metà degli anni Settanta dello scorso secolo Theodore Rabb ne ha fornito un sintetico quanto efficace quadro5. Quali ne siano le forme e le implicaBrendan Dooley, The Social History of Skepticism. Experience and Doubt in Early Modern Culture, Baltimora (MD)-Londra (UK), The Johns Hopkins University Press, 1999, p. 1. 3 Richard Popkin, The History of Scepticism. From Savonarola to Bayle, Oxford, Oxford University Press, 2003, p. xxiii. 4 William J. Bouwsma, «Anxiety and the Formation of Early Modern Culture», in id., A Usable Past. Essays in European Cultural History, Berkeley (CA), University of California Press, 1990, p. 157-189. 5 Theodor K. Rabb, The Struggle for Stability in Early Modern Europe, New York, Oxford University Press, 1975. 2

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zioni, resta invece materia in larga parte inesplorata. Questo contributo intende in ogni caso suggerire che fare una storia del dubbio costituisce un’operazione ben distinta dal fare una storia dello scetticismo, essendo l’incredulità uno solo degli aspetti (o dei momenti) del complesso di atti mentali e spirituali che cadono sotto la definizione di “dubbio”. In particolare, questo saggio cerca di rispondere a una domanda tutto sommato semplice: se fosse possibile per un uomo o una donna nell’Italia del Cinquecento chiudere i propri occhi e produrre un’immagine del dubbio; e, in caso affermativo, quale fosse questa immagine. Ho esplorato perciò alcune allegorie, tanto visive quanto letterarie (ma la cui dimensione visiva mi è parsa evidente); mi pare ragionevole affermare che le immagini – pur non sempre immediatamente perspicue e talvolta artatamente complicate per celarne l’autentico significato – tendono ad avere maggior immediatezza e una più ampia e indifferenziata platea di fruitori rispetto al testo scritto. Nella mia ricerca di allegorie del dubbio ritengo importante distinguere tra: a) vere e proprie allegorie e b) raffigurazioni di momenti o episodi di dubbio. In quest’ultimo settore rientra ad esempio la diffusissima iconografia del Dubbio (o incredulità) di Tommaso indagata da Glenn Most6. Di questi casi fornirò un esempio solo, concentrandomi invece sulle vere e proprie allegorie del dubbio. 2. Preliminare a un’indagine di questo genere è un’esplorazione del significato della parola “dubbio” tra Medioevo e Rinascimento. Generalmente, il dubbio è indicato come uno stato d’incertezza, spesso connesso con la scelta tra due o tre strade: è dunque l’incrocio uno dei primi simboli del dubbio. Ad esempio, nel libro X delle Etymologiae (VII secolo d.C.), Isidoro di Siviglia scrive: «Dubius, incertus; quasi duarum viarum7». Nelle Derivationes di Uguccione da Pisa (XII secolo) si legge invece: Dubito-as; et est dubitare quasi duabus viis bitare, quod est esse incertum; vel dubitare quasi duivitare, idest duarum viarum esse incertum. Unde dubius, quasi duvius, idest incertus quasi duarum viarum8.

Nel Calepino, il dizionario pubblicato da Ambrogio Calepio (1435-1511) nel 1502, di nuovo il dubbio è descritto come segue: «Dubius dicit qui duas vias habeat et

6 Glenn W. Most, Doubting Thomas, Cambridge (MA)-Londra (UK), Harvard University Press, 2005. 7 Isidoro di Siviglia, Etimologie o origini, a cura di A. Valastro Canale, Torino, Utet, 2004, t. I, p. 810. 8 Uguccione da Pisa, Derivationes, a cura di E. Cecchini et al., Firenze, Sismel-Edizioni del Galluzzo, 2004, t. II, p. 348.

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utram eligat nesciens; sicut ambiguum quod in ambas agi partes possit9». Nella Polyanthea di Domenico Nani Mirabelli (1503, ma ristampata numerose volte) troviamo numerose definizioni possibili del dubbio, accompagnate da un riferimento interessante alla paura che si accompagna al dubbio: Dubitatio […] dubito dicitur. Est autem dubitatio iudicio deficiente acceptio utriusque partis cum formidine et ad neutram partem determinatio. Dubium […]: est autem dubium motus indifferens in utranque partem contradictionis secundum Isyd[ori] Li[ber] Ethimologiar[um]. Dubium est aequalitas rationum contrariarum secundum Philosophum. Dubius a de et habeo componitur, quasi dehabens, hoc est non intelligens, unde fit dubito et subdubito, id est aliquantulum dubito10.

Per Mirabelli il dubbio è prima di tutto una mancanza di comprensione, l’impossibilità di fare ricorso alla ragione per prendere una decisione o una posizione; citando Isidoro, il dubbio è il moto della mente risospinta dall’una all’altra di due possibilità mentre, secondo Aristotele, consisterebbe nell’equivalenza di due ragioni contrarie. Più avanti nel Cinquecento, Francesco Alunno (l’umanista ferrarese Francesco Del Bailo), nel suo vocabolario Della fabbrica del mondo (pubblicato per la prima volta nel 1546), colloca il dubbio in rapporto alla Fortuna11. Alunno cerca infatti di operare una specie di sintesi tra un vocabolario basato largamente ma non solo sulle Tre Corone e un’enciclopedia dall’impianto cosmologico, organizzata secondo materie o «capi» (Dio, Cielo, Mondo, Elementi, etc.): a ciascuno di essi si rifanno dei lemmi, a loro volta organizzati in sottodivisioni. Nella sezione «Cielo» e nella relativa parte «Fortuna» si trova dunque il dubbio. Il dubbio – come sostantivo (dubitatione) – è collegato a sostantivi quali ambiguitas, haesitatio, scrupulus. In quanto aggettivo, invece, dubbio è collegato a una serie di aggettivi Ambrogio da Calepio, Dictionarium ex optimis quibusque authoribus […] collectum, Parigi, Josse Bade – Lione, Johannes Schabeler, 1510, c. D2v. 10 Domenico Nani Mirabelli, Polyanthea opus suavissimis floribus exornatum […], Savona, Francesco Selva, 1503, c. 105v. 11 Francesco Alunno, Della fabbrica del mundo, libri dieci, nella quale si contengono tutte le voci di Dante, del Petrarca, del Boccaccio, e d’altri buoni autori, mediante le quali si possono scrivendo esprimere tutti li concetti dell’uomo di qualunque cosa creata, Venezia, Niccolò Bascarini, 1546. Su Alunno si veda Angela Piscini, «Del Bailo, Francesco», in Dizionario biografico degli Italiani, Roma, Istituto dell’Enciclopedia italiana, vol. 36, 1988: (consultato il 27/04/2020); Ivano Paccagnella «La grammatica nei primi vocabolari. Le Regolette particolari della volgar lingua di Francesco Alunno», in La nascita del vocabolario, Convegno di Studio per i quattrocento anni del Vocabolario della Crusca, Udine, 12-13 marzo 2013, a cura di A. Daniele e L. Nascimben, Padova, Esedra, 2014, p. 11-31 (in particolare p. 20-25). 9

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latini: dubius, anceps, incertus, ambiguus, suspiciosus, varius, cioè a idee d’instabilità, incertezza, ambiguità, varietà, dualità12. Alcuni di questi termini – suspicio, scrupulus – provengono dalla tradizione scolastica e godono di rinnovata fortuna, tra Quattro e Cinquecento, nelle summae per confessori13. Si prenda ad esempio l’opera forse più fortunata, il Manuale de’ confessori di Martín de Azpilcueta (1492-1586, meglio noto come ‘dottor Navarrus’). Azpilcueta distingue tra ‘scienza’ («conoscimento con che si giudica quel che si vede»), ‘fede’ («conoscimento con che fermamente giudichiamo esser così quello che non vediamo»), ‘opinione’ («conoscimento con che giudichiamo alcuna cosa che non vediamo esser così, però non fermamente, con timore che il contrario sia vero»), ‘dubbio’ («conoscimento di due cose contrarie senza giudicare che alcuna di quelle sia verità»), ‘scrupolo’ («conoscimento di alcuna cosa che rappresenta alcuna apparentia contro quello che si sa, crede, pensa, o dubbita senza saper giudicare il contrario»)14. L’opera di Azpilcueta fu dapprima pubblicata in portoghese nel 1552 e tra il 1564 e il 1629 venne stampata in Italia novanta volte (a queste edizioni vanno aggiunte quelle comprese negli Opera omnia e quelle realizzate fuori d’Italia)15. Azpilcueta ricava le sue distinzioni dal pensiero di Tommaso d’Aquino e di Alberto Magno come prima di lui avevano fatto, ad esempio, Antonino da Firenze nella sua Summa Theologica o Silvestro Mazzolini nella sua Summa Silvestrina.16 In questi testi la distinzione scolastica tra fides, scientia, opinio, dubium e suspicio (e poi scrupulus) è fondamentale nella discussione dei criteri per la scelta morale al12 Francesco Alunno, Della fabbrica del mondo […] libri dieci. Ne’ quali si contengono le voci di Dante, del Petrarca, del Boccaccio, & d’altri buoni autthori, mediante le quali si possono scrivendo esprimere tutti i concetti dell’huomo di qualunque cosa creata […], Venezia, Giovanni Battista Porta [Uscio], 1588, c. 24r. 13 Sulla categoria di ‘scrupolo’ si vedano Jean Delumeau, Sin and Fear. The Emergence of a Western Guilt Culture 13th-18th Centuries, New York, St. Martin’s Press, 1990; Sven Grosse, Heilsungewißheit und Scrupulositas im späten Mittelalter. Studien zu Johannes Gerson und Gattungen der Frömmigkeitstheologie seiner Zeit, Tubinga, J.C.B. Mohr [Paul Siebeck], 1994. 14 Martin de Azpilcueta, Manuale de’ confessori, et penitenti […], Venezia, Gabriele Giolito de Ferrari, 1569, p. 893. 15 Si veda il catalogo delle edizioni in Miriam Turrini, La coscienza e le leggi. Morale e diritto nei testi per la confessione della prima età moderna, Bologna, il Mulino, 1991, p. 365-378. Su Azpilcueta si vedano almeno Vincenzo Lavenia, L’infamia e il perdono. Tributi, pene e confessione nella teologia morale della prima età moderna, Bologna, il Mulino, 2004, p. 219-64; Perez Zagorin, Ways of Lying. Dissimulation, Persecution, and Conformity in Early Modern Europe, Harvard (MA), Harvard University Press, 1990, p. 153-85; Wim Decock, «Martín de Azpilcueta (Dr Navarrus)», in Great Christian Jurists in Spanish History, a cura di R. Domingo e H. Martínez Torrón, Cambridge, Cambridge University Press, 2018, p. 115-32. 16 Silvestro Mazzolini, Silvestrina. Summa summarum quae Silvestrina nuncupatur […], Lione, Thibaud Payen, 1539, c. 467r.

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lorché non si diano condizioni d’assoluta certezza17. Solitamente, entro questa tradizione, il dubbio rappresenta una condizione in cui non si è in grado di produrre ragioni a sostegno dell’uno o dell’altro dei due termini di una scelta. Al contrario, l’opinione indica un tipo di conoscenza che pur non essendo altrettanto salda di quella scientifica, è in grado di orientare l’azione. L’opinione può guidarci a formare giudizi che, sebbene non godano della stessa sicurezza di quelli scientifici, tuttavia conducono a un certo grado di certezza, la cosiddetta certitudo probabilis, mentre dal dubbio non è possibile procedere a formulare alcun giudizio18. L’immagine del bivio è dunque rappresentativa dell’indecisione che contraddistingue il dubbio in buona parte della speculazione medievale19. Al contrario, in Dante il dubbio ritiene solo parzialmente tale natura. Esso appare infatti come l’origine stessa del processo conoscitivo, un momento di apertura del cammino intellettuale che può condurre all’incremento della nostra comprensione della realtà. Al principio del canto IV del Paradiso, Dante chiede a Beatrice di spiegargli due difficili dubbi teologici che derivano dal suo incontro con Piccarda e Costanza nel canto III. Alla fine del canto Dante introduce una similitudine di grande interesse; ma prima descrive la sua situazione di sospensione tra i due corni di un dilemma: Intra due cibi, distanti e moventi d’un modo, prima si morria di fame, che liber’omo l’un recasse ai denti; sì si starebbe un agno intra due brame di fieri lupi, igualmente temendo; sì si starebbe un cane intra due dame:

17 Rudolf Schüßler, Moral im Zweifel, vol. I: Die Scholastische Theorie des Entscheidens unter moralischer Unsicherheit, Paderborn, Mentis, 2003, p.  50-63; id., The Debate on Probable Opinions in the Scholastic Tradition, Leida-Boston, Brill, 2019. 18 Ambroise Gardeil, «La “certitude probable”», Revue des Sciences philosophiques et théologiques, t. V, 1911, p. 237-266 e p. 441-485; Thomas Deman, «Probabilis», Revue des Sciences philosophiques et théologiques, t. XXII, 1933, p. 260-290; Edmund F. Byrne, Probability and Opinion. A Study in the Medieval Presuppositions of Post-Medieval Theories of Probability, The Hague, Martinus Nijhoff, 1968. 19 Esiste però anche una tradizione per cui il dubbio è una scelta tra tre possibilità ed è collegata all’esempio di un viaggiatore che giunge all’incrocio tra tre strade. Un esempio può essere trovato negli Adagia di Erasmo, in particolare in I ii 48, intitolato proprio In trivio sum; si veda Opera Omnia Desiderii Erasmi Roterodami, Ordinis secondi, tomus primus: Adagiorum Chilias prima, a cura di M.L. van Poll-van de Lisdonk, M. Mann Phillips e Chr. Robinson, Amsterdam, North Holland, 1992, p. 264.

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per che, s’i’ mi tacea, me non riprendo, da li miei dubbi d’un modo sospinto, poi ch’era necessario, né commendo20.

I due dubbi riguardano la visione dei beati nei diversi cieli, una questione relativa al libero arbitrio dal momento che se le anime facessero ritorno al pianeta dal quale provengono la capacità di scelta dell’uomo risulterebbe diminuita. Il secondo dubbio, nelle parole di Bernardino Daniello, è relativo al perché «devessero meno meritar quelle anime ch’essendo tratte per forza dal monasterio, ritenevano però la bona volontà21». La sezione conclusiva del canto presenta proprio una riflessione non sugli specifici dubbi discussi nel canto, ma sul dubbio in sé: Io veggio ben che già mai non si sazia nostro intelletto, se ’l ver non lo illustra di fuor dal qual nessun vero si spazia. Posasi in esso, come fera in lustra, tosto che giunto l’ha; e giugner puollo: se non, ciascun disio sarebbe frustra. Nasce per quello, a guisa di rampollo, a piè del vero il dubbio; ed è natura ch’al sommo pinge noi di collo in collo22.

Il dubbio è dunque il momento fondamentale nel processo di conoscenza, quello che conduce la mente umana alla verità assoluta. Non vi è qui segno di incertezza relativamente alla possibilità di pervenire alla verità: il dubbio è anzi lo strumento privilegiato in questo percorso. Nel suo commento, siamo circa nel 1525/27, Trifon Gabriele osserva che qui Dante si pone in contrasto con quanto scrive Cicerone: Vuol Cicerone nelle sue Academie che non possiamo saper propriamente il vero ma il verisimile. Ma sant’Agostino in alcuni suoi libri con fortissimi argomenti dimostra che possiamo pervenir al primo vero, tra ’ quali fa questo che ora fa il nostro Poeta, che saria indarno da Dio dato a l’omo il desiderio di trovare il vero, se a quello non potessemo agiungere, cum sit che Deus et natura nihil frustra operentur23.

Il duplice riferimento, come ha osservato Lino Pertile, è agli Academica di Cicerone e all’In Academicos di Agostino. L’assunto che Dio e la Natura non operano inu20 Dante Alighieri, La Commedia secondo l’antica vulgata, a cura di G. Petrocchi, vol. 4: Paradiso, Milano, Mondadori, 1967, p. 51-52. 21 Bernardino Daniello, Dante con l’espositione […], Venezia, Pietro Da Fino, 1568, p. 508. 22 Dante Alighieri, Paradiso, op. cit., p. 64-65. 23 Trifon Gabriele, Annotationi nel Dante […], a cura di L. Pertile, Bologna, Commissione per i testi di lingua, 1993, p. 279; su Gabriele si veda Marco Sgarbi, «Il Socrate veneziano: Trifon Gabriele. Tre scritti filosofici», Historia Philosophica, t. XIII, 2015, p. 11-31.

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tilmente accomuna Dante ad Agostino, così da giustificare la spinta a conoscere dell’uomo, che sarebbe invano se la sete di conoscenza messa in moto dal dubbio non potesse venire appagata. Il fatto che sia in gioco il vero, e non il verosimile, significa che l’uomo può congiungersi alla fonte del vero assoluto, cioè a Dio24. Il passo di Trifon Gabriele è un indizio della circolazione degli Academica ciceroniani nella cultura veneta dei primi decenni del Cinquecento che si deve aggiungere ad altri casi come, ad esempio, al commento al testo ad opera di Daniele Barbaro contenuto nel ms. Magl. VIII 149225. 3. Sebbene giunga alla fine del secolo, l’Iconologia di Cesare Ripa è certamente l’opera dalla quale possiamo ricavare la più articolata definizione allegorica del dubbio; o per meglio dire, le definizioni, poiché Ripa ne suggerisce tre. La prima consiste in un [fig. 1a-b]

Fig. 1a - ‘Dubbio’, in Iconologie ou la science des emblemes, devises, etc. […] par J.[ean] B.[audoin], t. I, Amsterdam, Adrian Baakman, 1698, nº 43.

Fig. 1b - ‘Dubbio’, in Iconologia ovvero immagini di tutte le cose principali […] di Filippo Pistrucci […], t. I, Milano, Paolo Antonio Tosi e Comp., 1819, nº 94.

24 T. Gabriele, Annotationi, op. cit., p. 280. 25 Charles B. Schmitt, Cicero Scepticus: A Study of the Influence of the Academica in the Renaissance, L’Aia, Martinus Nijhoff, 1972, p. 66-69.

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Giovanetto senza barba, in mezzo alle tenebre, vestito di cangiante, in una mano tenga un bastone, nell’altra una lanterna, e stia col piè sinistro in fuora, per segno di caminare. Dubbio è un’ambiguità dell’animo intorno al sapere, e per conseguenza ancora del corpo intorno all’operare. Si dipinge giovane, perché l’uomo in quest’età, per non esser abituato ancora bene nella pura e semplice verità, ogni cosa facilmente rivoca in dubbio, e facilmente dà fede egualmente a diverse cose. Per lo bastone e la lanterna si notano l’esperienza e la ragione, con lo aiuto delle quali due cose il dubbio facilmente o camina o si ferma. Le tenebre sono i campi d’i discorsi umani, ond’egli, che non sa stare in ozio, sempre con nuovi modi camina, e però si dipinge col piè sinistro in fuora26.

Sonia Maffei ha suggerito di collegare la definizione alla tradizionale iconografia del pellegrino, o a figure quali san Cristoforo o, ancora, il filosofo Diogene27. Nella rappresentazione del dubbio occupano uno spazio speciale i temi della luce, della ragione e dell’esperienza, rappresentata come un bastone al quale appoggiarsi. Si può utilmente confrontare l’iconografia del ‘Dubbio’ a quella dell’‘Errore’ [fig. 2]:

Fig. 2 - ‘Errore’, in Cesare Ripa, Nova iconologia, Padova, Pietro Paolo Tozzi, 1618, p. 165.

26 Cesare Ripa, Iconologia, a cura di S. Maffei e P. Procaccioli, Torino, Einaudi, 2012, p. 146. 27 Ibid., p. 674.

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Uomo quasi in abito di viandante, ch’abbia bendati gl’occhi, e vada con un bastone tentone, in atto di cercare il viaggio per andare assicurandosi, e questo va quasi sempre con l’ignoranza. L’errore (secondo gli Stoici) è un uscire di strada e deviare dalla linea, come il non errare è un caminare per la via dritta senza inciampare dall’una o dall’altra banda, talché tutte l’opere o del corpo o dell’intelletto nostro si potrà dire che siano in viaggio o in pellegrinaggio, dopo il quale, non storcendo, speriamo arrivare alla felicità. Questo ci mostrò Cristo N.S., l’azioni del quale furono tutte per instruzione nostra, quando apparì a’ suoi discepoli in abito di pellegrino, et Iddio nel Levitico commandando al popolo d’Israel che non volesse, caminando, torcere da una banda o dall’altra. Per questa cagione l’errore si doverà fare in abito di pellegrino, overo di viandante, non potendo essere l’errore senza il passo delle nostre azioni o pensieri, come si è detto. Gl’occhi bendati significano che quando è oscurato il lume dell’intelletto con il velo de gl’interessi mondani, facilmente s’incorre ne gli errori. Il bastone con il quale va cercando la strada, si pone per il senso, come l’occhio per l’intelletto, perché come quello è più corporeo, così l’atto di questo è meno sensibile e più spirituale, e si nota la somma che chi procede per la via del senso facilmente può ad ogni passo errare, senza il discorso dell’intelletto, e senza la vera ragione di qualsivoglia cosa; questo medesimo e più chiaramente dimostra l’ignoranza […]28.

In entrambi i casi l’accento è posto sul tema dell’erranza (o del pellegrinaggio), della cecità, e in tutti e due i casi si sottolinea il duplice effetto del dubbio e dell’errore sulle opere del corpo e su quelle della mente. Per contrasto, il ‘Dubbio’ può paragonarsi a iconografie simili ma di segno opposto come, ad esempio, quella della ‘Consuetudine’ che si rappresenta a sua volta come un uomo che vaga, al pari del ‘Dubbio’ e dell’‘Errore’, ma che a differenza del ‘Dubbio’ è anziano, e dunque esperto; per questo, egli non è bendato: Uomo vecchio in atto di andare, con barba canuta, et appoggiato ad un bastone con una mano, nella quale terrà ancora una carta, con motto che dica «Vires acquirit eundo». Porterà in spalla un fascio d’istromenti, co’ quali s’esercitano l’arti, e vicino avrà una ruota d’arrotare coltelli. L’uso imprime nella mente nostra gl’abiti di tutte le cose, li conserva a’ posteri, li fa decenti, et a sua voglia si fabrica molte cose nel vivere e nella conversazione. Et si dipinge vecchio perché nella lunga esperienza consiste la sua auttorità […]29.

Ripa fornisce altre due allegorie del dubbio. La prima di esse è costituita da un uomo che regge un lupo per le orecchie: un atto che significa essere incerto cir28 Ibid. p. 165. 29 Ibid., p. 114-115.

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Fig. 3 - ‘Qua Dii vocant, eundum’, in Andrea Alciato, Emblemata […], Padova, Pietro Paolo Tozzi, 1621, p. 52.

ca due decisioni ugualmente impraticabili (in questo caso, non si può trattenere il lupo all’infinito, né lasciarlo libero perché potrebbe assalirci) e la cui fonte è il Phormio di Terenzio, mentre l’immagine sarebbe ripresa da una analoga tratta dai Hieroglyphica (1567) di Pierio Valeriano30. La terza allegoria ci riconduce al tema delle tre vie, e rappresenta un uomo nudo all’incrocio di tre strade. Uomo ignudo, tutto pensoso, incontratosi in due overo tre strade, mostri esser confuso per non saper risolvere qual di dette vie debbia pigliare. E questo è dubbio con speranza di bene, come l’altro con timore di cattivo successo, e si fa ignudo per essere irresoluto31.

Il trivio, come variante del bivio, ha una fortuna cinquecentesca che include tra l’altro l’adagium di Erasmo citato sopra e gli Emblemata di Andrea Alciato.32 Il numero 9, «Qua Dii vocant, eundum» afferma appunto la necessità di dover seguire la strada indicata da Dio poiché altrimenti, data la nostra condizione d’incertezza, certamente non saremmo in grado di scegliere la strada giusta [fig. 3]. La condizione di dubbio, esemplificata dal trovarsi di fronte a un trivio, ha in Alciato una

30 Ibid., p. 675. 31 Ibid., p. 147. 32 Si veda il passo di Erasmo alla nota 19.

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dimensione universale e per così dire “esistenziale”: «Omnes in trivio sumus, atque hoc tramite vitae / fallimur, ostendat ni Deus ipse viam» («Tutti ci troviamo a un trivio e in questo percorso della vita erriamo se Dio stesso non ci indica la via»).33 Naturalmente si tratta di un’immagine legata a quella di Ercole al bivio, che di solito è però posto appunto di fronte a due vie. La spiegazione va trovata nella tradizione dello scetticismo e in un aneddoto relativo a Sesto Empirico che lo stesso Ripa riporta nella sua opera, alla voce Investigazione inclusa nell’Iconologia a partire dal 1613 [fig. 4]: Donna colle ali alla testa, il cui vestimento sia tutto sparso di formiche. Tenga il braccio destro e il dito indice della medesima mano alto, mostrando con esso una grue che voli per aria e col dito indice della sinistra un cane il quale stia colla testa bassa per terra, in atto di cercare la fiera. […] Del significato del cane, Sesto Pironese filosofo, nel primo libro cap. 14, dice che il cane nella guisa che dicemmo denota Investigazione perciocché quando seguita una fiera, e arrivato ad un luogo dove sono tre strade, e non avendo veduto per qual via sia andata, esso, odorata che abbia la prima strada, odora la seconda e se in nessuna di esse sente che sia andata, non odora la terza, ma risoluto corre, argomentando che necessariamente sia andata per essa34.

Fig. 4 - ‘Investigazione’, in Cesare Ripa, Nova iconologia, Padova, Pietro Paolo Tozzi, 1618, p. 267. 33 Andrea Alciato, Emblemata […], Padova, Pietro Paolo Tozzi, 1621, p. 52. 34 Cesare Ripa, Iconologia, Perugia, Pietro Giovanni Costantini, 1765, p.  321-322. Si veda Luciano Floridi, «Scepticism, Animal Rationality and the Fortune of Chrysippus’ Dog», Archiv für Geschichte der Philosophie, t. LXXIX, 1997, p. 27-57.

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L’esempio si riferisce ai modi della sospensione del giudizio e all’indecidibilità delle cose, le quali appaiono diverse in base al giudicante, al giudicato, o a tutti e due. Sesto Empirico discorre su come le cose ad esempio appaiano diverse ai diversi animali, e a noi rispetto agli animali. Per dimostrare che l’argomento funziona, egli ricorre all’esempio del cane «il più vile degli animali». Il cane supera l’uomo nei sensi, ma sembra possedere anche la virtù – ricompensando chi gli dimostra affetto, ad esempio – e la dialettica, poiché se, quando insegue una preda, giunge all’incrocio di tre strade, è capace di applicare un sillogismo della forma “o A, o B, o C esiste; ma non esiste né A né B; dunque esiste C”. Questo il passaggio degli Schizzi pirroniani: Secondo Crisippo, poi […] il cane partecipa, anche, della tanto celebrata dialettica. Dice, infatti, l’autore sopra nominato, che esso per lo più si appoggia sul quinto argomento indimostrabile, quando, arrivato a un trivio, e annusate due vie per le quali non passò la fiera, infila, senz’altro, la terza, senza nemmeno annusare le tracce. Afferma, infatti, l’antico filosofo, che esso cane si comporta come se facesse questo ragionamento: “la fiera è passata o per di qua, o per di là, o per quell’altra parte. Per di qua no, per di là no, dunque per quell’altra parte35.

A differenza che nell’esempio di Crisippo, laddove il cane applicando un sillogismo compie una scelta razionale, nella voce ‘dubbio’ dell’Iconologia il giovane uomo nudo è paralizzato dall’incertezza. Il dubbio e la conseguente sospensione del giudizio avvengono, in Sesto Empirico, a un livello più ampio: dal momento che il cane appare in grado di percezioni valide e di effettuare scelte, le sue immagini della realtà, così diverse da quelle dell’uomo, andranno valutate come equivalenti a quelle dell’uomo, conducendo alla necessità di sospendere il giudizio circa la realtà stessa. 4. La ricchezza e la sistematicità delle allegorie di Ripa mi sembrano un fatto nuovo; prima di Ripa, mi pare che allegorie del dubbio si trovino in luoghi eccentrici e tra loro irrelati. Si potrebbe supporre che allorché Ripa scrive il dubbio sia diventato una categoria ben riconoscibile, o perlomeno meritevole di attenzione e codificazione, entro il panorama culturale italiano ed europeo. Alla fine del sedicesimo secolo, scrive Rabb, «no succession of events so disruptive of safe and comfortable suppositions had occurred for hundreds of years. […] Europe’s leaders, philosophers, and artists grappled with a world that seemed to be crumbling about them. The sense that all solid landmarks had disappeared pervades the writing of

35 Sesto Empirico, Schizzi pirroniani, a cura di A. Russo, Roma-Bari, Laterza, 1988, p. 16 e 18.

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the age36». Solo nei primi anni del XVII secolo il dubbio sembra cristallizzarsi in un’iconografia replicabile e riconoscibile; prima, al contrario, le sue connotazioni sembrano dipendere dai differenti contesti culturali entro cui esso è evocato. Una delle occorrenze più insolite tra le rappresentazioni allegoriche del dubbio (e certamente di segno rovesciato rispetto alla connotazione positiva datane da Dante) è costituita dal frammento di Michelangelo noto come «ottave dei giganti», probabilmente ciò che rimane di uno scritto più lungo, forse un poema allegorico. Nella recente edizione delle Rime di Michelangelo curata da Antonio Corsaro e Giorgio Masi il frammento è il numero 30 della sezione Frammenti e abbozzi37. I frammenti risalgono forse al principio degli anni Trenta (ma gli studiosi non sono concordi) e appaiono già nell’edizione delle Rime michelangiolesche curata dal nipote Michelangelo Buonarroti il Giovane nel 1623 (Firenze, Giunti). Secondo gli studiosi l’opera sarebbe una critica del potere mediceo, con influenze dantesche, dell’Apocalisse, della satira pasquinesca e di Savonarola38. Il testo s’apre su una scena pastorale in cui dei pastori vivono una vita pacifica, contenti di ciò che possiedono, privi del desiderio di ricchezza, e liberi da invidia od orgoglio. La seconda parte del testo è invece una lunga tirata contro l’avarizia e i vizi da essa creati. Al contrario, i pastori onorano Dio e la loro semplice fede li tiene lontani dalle sofisticherie intellettuali che distolgono dalla fede e dal cammino della virtù. Queste sofisticherie sono introdotte con una serie di personificazioni: El Dubbio, el Forse, el Come, el Perché rio no ’l può ma’ far, ché non istà fra loro: se con semplice fede adora e prega Iddio e ’l ciel, l’un lega e l’altro piega39.

Di tutte queste entità, Michelangelo fornisce una descrizione allegorica; quella del dubbio è, a mia conoscenza, unica: El Dubbio armato e zoppo si figura, e va saltando come le locuste,

36 T.K. Rabb, The Struggle for Stability, op. cit., p. 37. 37 Michelangelo Buonarroti, Rime e lettere, introduzione, testi e note a cura di A. Corsaro e G. Masi, Milano, Bompiani, 2016, p. 410-417 (il commento alle p. 1088-1094). Sul testo si veda Guglielmo Gorni, «Le ottave dei giganti», in Michelangelo poeta e artista, a cura di P. Grossi e M. Residori, Parigi, Istituto Italiano di Cultura, 2005, p.  41-52; Carlotta Mazzoncini, «L’occhio nel calcagno. Fioritura e fortuna di un’immagine delle “ottave dei giganti” di Michelangelo», L’Ellisse, t. X, 2015, p. 111-132; Ida Campeggiani, Le varianti della poesia di Michelangelo, Lucca, Pacini Fazzi, 2012, p. 69-115. 38 M. Buonarroti, Rime e lettere, op. cit., p. 410. 39 Ibid., p. 412.

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tremando d’ogni tempo per natura, qual suole al vento far canna palustre40.

Il riferimento al dubbio armato e zoppo sarebbe da intendersi, secondo Corsaro e Masi, come allusione alla natura distruttiva e instabile del dubbio stesso41. Il dubbio salta e trema perché non appena scacciato da un luogo, rinasce altrove, è sempre in movimento come visto in Ripa. Le connotazioni del dubbio sono negative tanto dal punto di vista intellettuale quanto spirituale. Corsaro e Masi suggeriscono un parallelo con il sonetto Vorrei voler, Signor, quel ch’io non voglio in cui Michelangelo lamenta la propria incapacità di perseguire ciò che è meglio per la sua salvezza spirituale42. Chiede dunque a Dio di mandare il fuoco e il lume della sua grazia affinché «Te senz’alcun dubbio, e Te sol senta43». Il dubbio rappresenta dunque il “ghiaccio” che, secondo Michelangelo, impedisce al fuoco della grazia di bruciare. La corte di allegorie che accompagna il Dubbio è di assoluto interesse. Secondo Corsaro e Masi, infatti «una novità senza precedenti è la personificazione di connettivi logici (‘Perché’, ‘Come’ e ‘Forse’), corrispondenti alla (vana) ricerca delle cause, delle spiegazioni, e alla formulazione delle ipotesi nell’ambito della speculazione, che s’intuisce di natura teologica per quello che le è contrapposto: la “semplice fede” del contadinello44». Tra i pastori dotati di semplice fede infatti il dubbio e il perché non hanno spazio. Se del ‘Dubbio’ si è già vista la descrizione, il ‘Perché’ è magro e porta con sé delle chiavi che però non sono adatte ad aprire porte e lucchetti, che esso deve dunque forzare; inoltre, si aggira di notte col favore e la compagnia del buio. Il ‘Perché’ è dunque un ladro e come il dubbio armato è una specie di fuorilegge. Forse Michelangelo sottintende qui che spingere la conoscenza troppo in là dubitando e interrogandosi, fornendo ragioni intellettuali che forzano la purezza della verità è una sorta di furto o di violazione. L’idea che la conoscenza umana possa giungere fino a un certo limite si trova del resto con grande frequenza in testi riformati e in generale religiosi in cui si sottolinea come cercare di estendere la nostra conoscenza oltre i limiti stabiliti da Dio sia un atto di arroganza e di orgoglio. Non casualmente, forse, il ‘Come’ e il ‘Forse’ sono rappresentati come due giganti che si innalzano fino al Sole ma che sono accecati dalla sua luce. Di nuovo, l’analogia tra i limiti della conoscenza umana e l’arroganza dei giganti è un luogo comune che nello stesso giro di anni ricorre, ad esempio, in un testo molto interessante ai nostri fini, il De laudibus philosophiae di Jacopo Sadoleto (1533, a stampa 40 41 42 43 44

Ibid., p. 413. Ibid., p. 1090. Ibid., p. 1090. Ibid., p. 297. Ibid., p. 409.

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nel 1538 a Lione presso il Griffo), una sorta di disputatio sulla filosofia in cui la pars destruens è affidata a Tommaso Fedra Inghirami45. Corsaro e Masi suggeriscono che Michelangelo sovrapponga nel suo testo modelli mitologici tra loro diversi: quello di Dedalo e Icaro e quello della torre di Babele46. L’idea soggiacente è che l’uomo non possa in alcun modo contemplare la luce del Sole-Dio. Forse agisce qui anche il ricordo del Petrarca, del sonetto 339 dei Rerum vulgarium fragmenta, Conobbi, quanto il ciel li occhi m’aperse, i cui versi finali suonano e per aver uom li occhi nel sol fissi, tanto si vede men quanto più splende47.

Petrarca riflette qui sul suo passato errore, sull’avere conosciuto solo la parte mortale di Laura, il suo corpo. Tuttavia, la parte immortale della sua amata, la sua anima, è sempre rimasta al di là della sua capacità di comprensione, così che tutto ciò che di lei lui ha scritto «fu breve stilla d’infiniti abissi» (v. 11). Michelangelo costruisce dunque un contrappunto molto raffinato tra il buio che accompagna il ‘Perché’ e l’eccesso negativo di luce che contraddistingue il ‘Come’ e il ‘Forse’. Di questi ultimi, Michelangelo considera anche le conseguenze distruttive sul tessuto sociale: con i loro petti nascondono la luce del sole, mentre essi si arrampicano in modo incerto per vie erte e sassose, simbolo forse, secondo Corsaro e Masi, di «ardite teorie filosofiche, se non teologiche, che condizionano anche la vita civile48». Le allegorie negative ora elencate sono seguite, nel testo, da quella del ‘Vero’, povero e nudo. Ci sono dei rapporti tra il ‘Dubbio’ e la ‘Verità’; se il primo scacciato da un luogo, cioè da un argomento, risorge a proposito di un altro, la ‘Verità’, al contrario, «’n mille luoghi nasce, se ’n un muore». Mentre il ‘Dubbio’ trema tutto il tempo, la ‘Verità’ possiede un corpo d’oro e un cuore di diamante, tradizionali simboli di certezza e stabilità e «sta co’ suo fedel costante e saldo49». Michelangelo inserisce dunque la sua innovativa allegoria del ‘Dubbio’ in un tessuto concettuale che tiene assieme la ‘Verità’, la fede e una riflessione sulla vita civile; il tutto, entro una cornice, ormai familiare, che usa i temi della notte, del buio e della luce come simboli della conoscenza e del dubbio.

45 Jacopo Sadoleto, Elogio della Sapienza (De laudibus philosophiae), a cura di A. Altamura e G. Toffanin, Napoli, Pironti, 1950, p. 51. 46 M. Buonarroti, Rime e lettere, op. cit., p. 1091. 47 Francesco Petrarca, Canzoniere, a cura di M. Santagata, Milano, Mondadori, 1996, p. 1321. Come mi ricorda Élise Boillet, che ringrazio, anche il canto xxxiii del Paradiso può avere influito su questi passi. 48 M. Buonarroti, Rime e lettere, op. cit., p. 1091. 49 Ibid., p. 413.

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5. Un antecedente dell’allegoria michelangiolesca del dubbio può forse trovarsi nell’analoga personificazione dell’Utrum che si trova nel Baldus di Folengo. Sebbene l’utrum in Folengo sia una pura categoria logica, e sia privo delle connotazioni del dubbio michelangiolesco, pure l’idea di personificare un concetto astratto appare simile; di più, anche nel poema folenghiano si trova un’associazione tra dubbio e sofistica, o ragionamenti vani. Nel libro XXV, Baldo, che deve distruggere il regno sotterraneo delle streghe e quindi l’inferno raggiunge uno strano luogo chiamato Domus phantasiae. Qui i concetti e le categorie filosofiche volano come fastidiosi moscerini. Si tratta di una gabia stultorum dove, tra altre creature, vivono argomenti dialettici, sofisticherie (argomenti pro e contra, ad esempio), enti, quiddità, sostanze e sillogismi, insomma i mostruosi parti dei filosofi, dei retori, dei grammatici: tra di loro, il più spaventoso è l’Utrum. Nelle dispute, o più tardi nelle raccolte di casi di coscienza, utrum è il termine che introduce una questione o una dubitatio da disputarsi. L’utrum folenghiano è dunque un’altra incarnazione del dubbio in quanto connettivo logico, nella sua accezione filosofico-teologica. L’utrum è in effetti, in una disputa, il punto dal quale si dipartono due vie, due cammini opposti, uno supportato dalla ragione pro, l’altro dalla ragione contra. L’Utrum folenghiano rispecchia visivamente proprio questa natura duale e auto-contradditoria dell’argomento retorico: Hic quoque monstrum aliud duplici cum ventre videtur qui sustentatur binis tantummodo gambis; sic tenet impressos taccuini charta gemellos Castora, Pollucem, monstrans signalia lunae. Non aliter formatum ibi vir corpore duplo sive viri duplices coëuntes inguine tantum. Dicitur Utrum; Utrum forma ista vocatur; Qui sibimet diris dat verbera pugnis, scilicet alterutrum pars haec, pars illa flagellat. Haec probat, illa negat, tandemque venitur in unum50.

50 «Là si vede anche un altro mostro con un busto doppio, che si regge su due gambe soltanto; allo stesso modo la carta di un almanacco, che indica i tempi favorevoli della luna, porta stampati i gemelli Castore e Polluce. Non diversamente si trova là un uomo dal corpo doppio o, se si vuole, due uomini che hanno in comune soltanto l’inguine. Questo viene detto Utrum; Utrum si chiama questa forma, che si dà continuamente botte con pugni feroci, cioè questa parte flagella quell’altra a vicenda. Questa porta prove, quella le nega e alla fine si viene a una conclusione unica», Teofilo Folengo, Baldus, a cura di M. Chiesa, Torino, Utet, 1997, p. 1036-1037.

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Folengo attacca qui la cultura sofistica e retorica comune tanto ai teologi quanto ai filosofi a lui contemporanei: ad essa, nel Baldus così come nelle altre sue opere (e come Michelangelo) oppone la verità e la semplicità del puro Vangelo, in piena adesione alla spiritualità benedettino-cassinese. L’Utrum rappresenta il dubbio nella sua accezione tecnica connessa alla disputa: la mostruosa creatura che si autopunisce visualizza icasticamente l’effetto di impotenza intellettuale prodotto dal dubbio (sebbene Folengo sembri ammettere una possibilità di conciliazione tra le opinioni). Con tutto il suo argomentare pro e contra, con tutta la sua lotta contro sé stesso, questo mostro è incapace di produrre una sola soluzione, o di prendere una posizione univoca. L’accostamento tra dubbio e ragionamento sofistico è stato analizzato anche da Susanna Berger nel suo recente libro The Art of Philosophy, in cui la studiosa ha preso in esame tra l’altro una serie di taccuini appartenuti a uno studente di Anversa, Henricus Joannes van Cantelbeke. In questi quaderni Henricus ha visualizzato alcune idee filosofiche, spesso copiando o incollando delle incisioni di Jacques Callot. In uno dei suoi quaderni di logica, risalente al 1659, ha disegnato un suonatore che suona una specie di cornamusa e uno che suona una ghironda: la figura è presa dalle Varie figure gobbi di Callot (1616). Il disegno compare su una pagina che ne fronteggia una in cui comincia una sezione intitolata «Quid Enuntiatio Dubia». Le proposizioni dubbie sono dunque visualizzate attraverso due figure grottesche che suonano strumenti ad aria. Berger sottolinea che un’iconografia simile può trovarsi in alcune opere che visualizzano categorie filosofiche come, ad esempio, nella splendida incisione di Martin Meurisse e Léonard Gaultier Artificiosa totius logices descriptio (pubblicata nel 1614 e pensata come uno strumento per insegnare logica al Grand Couvent des Cordeliers a Parigi) gli argomenti ingannevoli sono rappresentati attraverso le immagini di due sofisti che suonano il flauto51. Secondo Berger, questa iconografia, con la sua insistenza sulla performance, potrebbe leggersi come un’allusione al fatto che i sofisti sono maggiormente interessati a esibire forme di conoscenza fallace che a produrre autentica filosofia. In particolare, Berger osserva che «the flute […] had been viewed suspiciously since antiquity […] it is possible that this association between wind instruments and the thwarting of thought explains why he places this musical performance near a philosophical discussion of improbable propositions52».

51 L’incisione si può visualizzare on-line: (consultato il 27/04/2020). 52 Susanna C. Berger, The Art of Philosophy. Visual Thinking from the Late Renaissance to the Early Enlightenment, Princeton (NJ), Princeton University Press, 2017, p. 143-144.

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6. L’ultima raffigurazione allegorica del dubbio che vorrei prendere in considerazione proviene dal quinto e ultimo di una serie di sonetti intitolata Del dubbio, posti in conclusione alla Predica dei sogni del reverendo Hypneo da Schio, opera pubblicata con questo pseudonimo nel 1542 da Daniele Barbaro53. Siamo dunque nell’ambiente padovano di Sperone Speroni, dell’Accademia degli Infiammati e di Fortunato Martinengo che di lì a pochi anni formerà l’Accademia dei Dubbiosi54. Il quinto sonetto offre una visione negativa del dubbio dopo che i precedenti ne avevano sottolineato, seppur con molta ambiguità, anche le potenzialità positive: in particolare, quella di condurre alla tolleranza e quella di mettere in questione le idee ricevute, favorendo il progresso della conoscenza55. In questo sonetto troviamo riferimenti all’immaginario della malinconia, presenti anche in altri sonetti. Soprattutto, troviamo l’immagine del dubbio come una figura mostruosa, senza volto, senza fisionomia, senza forma: S’il dubbitar havesse piedi e vita N’innanzi o indietro si vedrebbe gire. Se lingua, né tacer saprebbe o dire O con buona o con trista riuscita. Se spalle havesse, braccia, mani e dita N’incominciar vorrebbe opra o finire E posto alfin tra ’l vivere e il morire Non morrirebbe e non starebbe in vita. Però n’increscerebbe alla natura, Allo abisso e al mondo e al paradiso Veder così intronata creatura. Onde ben fu nel colleggio deciso Che senza forma sia, senza figura, Senza piè, senza man, e senza viso56.

53 Enrico Parlato, «Sogno e conoscenza nella Venezia del Cinquecento: Daniele Barbaro, alias Hypneo da Schio, e Francesco Marcolini», in Forme e storia: Scritti di arte medievale e moderna per Francesco Gandolfo, a cura di W. Angelelli e F. Pomarici, Roma, Artemide, 2011, p. 505-514; Angelo Papi, «Le perigliose sorti del duca Ercole. Considerazioni a margine di una dedica», in Studi per le «Sorti». Gioco, immagini, poesia oracolare a Venezia nel Cinquecento, a cura di P. Procaccioli, Treviso, Fondazione Benetton – Roma, Viella, 2007, p. 157-171. 54 Marco Faini, «Fortunato Martinengo e Ortensio Lando. Dubbi e dubbiosi alla metà del Cinquecento», in Fortunato Martinengo. Un gentiluomo del Rinascimento fra arti, lettere e musica, a cura di M. Bizzarini e E. Selmi, Brescia, Morcelliana-Ateneo di Brescia, 2018, p. 75-98. 55 Si veda id., «A Ghost Academy between Venice and Brescia: Philosophical Scepticism and Religious Heterodoxy in the Accademia dei Dubbiosi», in The Italian Academies 15251700. Networks of Culture, Innovation and Dissent, a cura di J.E. Everson, D.V. Reidy e L.M. Sampson, Oxford, Legenda, 2016, p. 102-115 (110-111). 56 [Daniele Barbaro], Predica de i sogni composta per lo reverendo padre d. Hypneo da Schio, Venezia, Francesco Marcolini, 1542, c. Divv.

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Credo che l’interesse di Barbaro per il tema del dubbio possa spiegarsi da un lato con il clima religioso del tempo e dall’altro con lo specifico interesse degli Infiammati per il rapporto tra vero e verosimile e tra retorica e filosofia. Discussioni sul ruolo e la natura del dubbio si trovano in effetti tanto nel Della eloquenza di Barbaro quanto nel Dialogo della retorica di Sperone Speroni. Il Della eloquenza venne pubblicato solo nel 1556 quando Girolamo Ruscelli ricevette il manoscritto da Francesco Maccasciola: ed è forse interessante che entrambi fossero membri dell’Accademia dei Dubbiosi57. L’opera è complessa, ma Barbaro sostiene una teoria di notevole interesse, ossia che la persuasione può ottenersi solo quando l’anima è tranquilla, non turbata dalle passioni, libera di abbandonarsi al piacere che accompagna l’apprendimento. Questa condizione può però realizzarsi, secondo Barbaro, attraverso una sorta di scettica sospensione del giudizio: Abbiasi, dunque, l’animo riposato di colui che attende la ragione, e questo agevolmente si può fare ponendosi prima di mezzo tra il sì et il no, come chi sta in dubbio. Però che più prontamente si prende partito e si ammette il vero dubitando che portando seco alcuna opinione58.

Il dubbio è dunque la pre-condizione della conoscenza, necessario per distinguere tra le diverse opinioni. A sua volta, l’opinione è definita come abito mezzano tra il vero intendimento e l’ignoranza, differente dal dubitare in questo, che la opinione piega più in una che in un’altra parte. Il dubitare tiene in egual bilancia la mente tra l’affermare et il negare, e però bisogna rivocare in dubbio le cose già ammesse e dimostrare quanto pericolo sia il giudicare. Da questo ne nascerà la questione e la dimanda, la quale disponendo la mente alle ragioni, quanto leverà della prima opinione tanto porrà di quella che tu vorrai59.

Nel sistema di Barbaro, come del resto per Speroni, l’opinione sembra avere maggiore efficacia della scienza, e di conseguenza il verosimile sembra prevalere sul vero. Quest’ultimo è o irraggiungibile o raggiungibile da una élite: nella vita civile vi è bisogno, più che delle disputazioni dei filosofi, della capacità di agire nell’interesse del bene pubblico. 7. Gli scrittori del Cinquecento elaborano dunque numerosi modi per visualizzare un concetto tanto sfuggente come il dubbio. Il dubbio viene reso visivamente tra-

57 M. Faini, «Fortunato Martinengo e Ortensio Lando», art. cit., p. 80-83. 58 Daniele Barbaro, Della eloquenza, in Trattati di poetica e retorica del Cinquecento, a cura di B. Weinberg, vol. ii, Bari, Laterza, 1970, p. 335-451: 354. 59 Ibid., p. 362.

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mite allegorie e personificazioni; spesso è associato al dio Momo che in quanto dio della mordacità ben si presta a mettere in questione l’ordine costituito e, addirittura, l’esistenza stessa di Dio60. In altri casi, come accennato in apertura, il dubbio viene visualizzato attraverso situazioni topiche in cui un personaggio è raffigurato in uno stato di incertezza. Tra queste scene, l’incredulità di Tommaso è certamente la più famosa; accanto a essa, si possono ricordare le raffigurazioni (visive quanto letterarie) dell’episodio evangelico del dubbio di Giuseppe e quella, forse meno diffusa, del dubbio della levatrice. Questi due ultimi episodi si connettono al mistero dell’incarnazione e, come quello del dubbio di Tommaso, esprimono il paradosso del corpo umano della divinità. Vorrei in chiusura di questo contributo soffermarmi proprio sull’episodio del dubbio della levatrice perché si presta bene a mostrare come i complessi concetti tomistici nominati in apertura di saggio potessero essere trasformati in immagini di relativamente facile comprensione. Jacopo da Varazze racconta nella Legenda aurea (basandosi sui Vangeli apocrifi, in particolare il Protovangelo di Giacomo e lo Pseudo-Matteo) che la Vergine fu assistita, al momento del concepimento, da due levatrici, Zebel e Salome. Mentre Zebel credette alla verginità di Maria anche dopo il concepimento, Salome invece ebbe dei dubbi e fu punita da Dio, che trasformò la sua mano destra in un moncherino. Successivamente, un angelo le ordinò di toccare il corpo di Gesù e il contatto miracoloso le restituì l’integrità fisica. Questo è il passo in questione: Perché essendo venuto appresso del tempo del parturire, benché Ioseph non dubitasse Dio dovere nascere de la Vergine, nientedimeno facendo la consuetudine de la patria, chiamò le obstetrice che appresso de noi se chiamano commare. E furono due: l’una se chiamava Zebel, e l’altra Solome. Zebel dunque considerando e con diligentia ricercando e ritrovandola esser vergine grandemente exclamò havere una vergine parturito. Ma Solome non credendo questo e volendo attentar se così era con le mane sue, incontinente li si atrasseno le mane. Ma per el comandamento de l’angelo che gli apparve, disse: “toccate el bambino nato Iesù, immantinente riceverete la sanità”61.

È stato suggerito che l’episodio della levatrice Salome si sia sovrapposto a quello di santa Anastasia, martirizzata nel 304 a.c., il cui martirio si celebrava il 25 dicembre. Forse per questo la figura della santa paralizzata poté sovrapporsi con le levatrici dei vangeli apocrifi: le due ricordate sopra e una terza, l’anonima levatrice ebrea e

60 George McClure, Doubting the Divine in Early Modern Europe. The Revival of Momus, the Agnostic God, Cambridge, Cambridge University Press, 2019. 61 Jacopo da Varazze, Legendario de santci [!] vulgare hystoriado, Venezia, Bartolomeo Zani, 1503, c. 16r.

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paralitica menzionata nell’Evangelium infantiae Salvatoris arabicum. Quest’ultima non ha alcun dubbio sulla verginità di Maria e, a sua volta, viene guarita dal contatto miracoloso con il corpo di Gesù. Anastasia, che in numerose narrazioni si sostituisce alle levatrici, è priva delle mani dalla nascita ma la sua fede la ricompensa ed ella guarisce miracolosamente. Ho seguito fino ad ora la ricostruzione delle due storie offerta da Michele Di Monte in un bel saggio sulla tavola di Lorenzo Lotto nota come Natività o il Bagno di Gesù bambino (1521 o 1527, Siena, Pinacoteca)62. Di Monte sottolinea come l’Anastasia dipinta da Lotto (dunque non Salome) sia incredula, ma non della verginità di Maria quanto del fatto che la Vergine affidi a lei priva di mani il proprio figlio. Si tratta, continua Di Monte, di un’inversione della prova a cui Salome sottopone Maria: qui è la Vergine a sottoporre a esame la fede della santa. Il dubbio scettico di Salome e quello esprimente meraviglia di Anastasia possono considerarsi due visualizzazioni della distinzione tomistica tra «dubium incredulitatis» e «dubium admirationis». Naturalmente le occorrenze del termine ‘dubbio’ («dubium», «dubitatio») nell’opera di Tommaso sono centinaia, come è agevole verificare consultando opere come il Thomas-Lexicon di Ludwig Schütz o A Lexicon of St Thomas Aquinas di Roy J. Deferrari, M. Inviolata Barry e Ignatius McGuiness63. Nel suo commento alle Sententiae di Pietro Lombardo (Scriptum super Sententiis, III, d. 17, q. 1, art. 4, ad 4) e in particolare alla questione «Utrum Christus, secundum quod homo, dubitaverit», Tommaso afferma che il dubbio può definirsi in due modi. Innanzitutto, esso è un movimento della mente tra le due parti di una contraddizione caratterizzato dall’impossibilità e del timore di sceglierne una piuttosto che l’altra («motum rationis super utraque parte contradictionis cum formidine determinandi»). In un secondo senso, esso indica la paura di fronte a qualcosa di spaventoso («in aggrediendo vel sustinendo aliquod terribile»). Se inteso nel primo senso, il dubbio proviene da una mancanza di conoscenza («ex defectu scientiae») e dunque non può applicarsi a Cristo. Nel secondo senso, è invece connesso a una debolezza della carne: solo in questo senso, e con riferimento alla sua natura umana, può dirsi che Cristo ebbe dubbi («erat talis dubitatio in Christo quantum ad sensualitatem, quamvis esset summa securitas quantum ad rationem»). La nozione di «dubitatio» si suddivide ulteriormente in «dubitatio admirationis» (o «dis-

62 Michele Di Monte, «Vedere, credere, dubitare. Lorenzo Lotto e l’ambiguità», Venezia Cinquecento, t. XXV, 2015, p. 75-113. 63 Ludwig Schütz, Thomas-Lexicon: ; Roy J. Deferrari, M. Inviolata Barry, Ignatius McGuiness, A Lexicon of St Thomas Aquinas […], Baltimore, The Catholic University of America Press, 1948): (consultati il 27/04/2020).

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cussionis») e «dubitatio incredulitatis» (o «infidelitatis»)64. Tommaso discute queste due nozioni di dubbio tra loro opposte proprio in relazione alla questione se la Vergine abbia nutrito dei dubbi nel momento della morte di Cristo e, in caso affermativo, se questo possa ritenersi peccato. Tale discussione si trova nella Summa Theologiae (III, q. 27, art. 4, ad 2) dove, in riferimento al vangelo di Luca (II, 35, 1: «tuam ipsius animam pertransibit gladius»), Tommaso osserva che alcuni dottori interpretano il «gladium» come un’allegoria del dubbio. In questo caso, però, commenta Tommaso, non si trattò d’un dubbio d’incredulità quanto di «admiratio» («Quae tamen non est dubitatio infidelitatis, sed admirationis et discussionis»)65. L’anima della Vergine nel momento supremo della morte del figlio era sospesa («fluctuabat») tra la contemplazione delle terribili sofferenze del figlio e quella dei suoi prodigi. Il dubbio era in questo caso il prodotto di questi due apparentemente irreconciliabili ordini di fenomeni. 8. Il dubbio si configura dunque nel Cinquecento (ma bisogna pur tenere in conto l’eredità del pensiero medievale, rimessa in circolo attraverso molteplici canali) tanto uno stato d’animo con chiare conseguenze corporee, quanto un duttile strumento intellettuale. Ben lungi dall’identificarsi con il mero scetticismo il dubbio diviene strumento per riflettere sui limiti della conoscenza; o sul rapporto tra vero e verosimile nella gestione della vita civile; o, ancora, sui temi della tolleranza e della critica delle idee ricevute. Più di categorie simili ma distinte come scetticismo e incredulità il dubbio è capace di cogliere l’inquietudine conoscitiva e spirituale cinquecentesca: il dubbio è una soglia, un momento di riflessione capace di condurre tanto al rifiuto quanto alla legittimazione del sapere e dello status quo. I primi decenni del Cinquecento sono un momento fluido, in cui il dubbio ancora non s’è irrigidito in sistema filosofico come accadrà nel caso del cartesianesimo o, ancor più, in quello che chiamiamo «radical Enlightenment66». Proprio perché si tratta di un momento aurorale e fondante di una tendenza di lungo corso, il nascere di una coscienza dubbiosa al di qua del concilio di Trento merita di essere investigato sistematicamente.

64 Lo Scriptum è citato secondo la versione degli Opera omnia pubblicati on-line: (consultato il 02/09/2019). Esiste anche una «dubitatio problematica» che è una forma di dubbio ipotetico; si veda R.J. Deferrari, M.I. Barry, I. McGuiness, A Lexicon of St Thomas Aquinas […], op. cit., p. 344. 65 La Summa è citata secondo la versione degli Opera omnia pubblicati on-line: (consultato il 02/09/2019). 66 Jonathan I. Israel (Radical Enlightenment. Philosophy and the Making of Modernity 16501750, Oxford, Oxford University Press, 2001, p. 15) ha sottolineato che financo il libertinisme érudit del xvii secolo non seppe o non poté darsi forma sistematica.

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Bibliographie*

Bibliographie primaire Abréviations

WA = Dr. Martin Luthers Werke, Kritische Gesamtausgabe, Weimar, Hermann Böhlau, 18832009 NCOO = Nicolai de Cusa opera omnia, Iussu et auctoritate Academiae Litterarum Heidelbergensis ad codicum fidem edita, Hamburg, Felix Meiner, 1927-

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Dans les contributions, les références bibliographiques sont rédigées dans la langue de la contribution (en français, anglais ou italien). Dans la bibliographie générale, le critère d’uniformisation retenu est le respect de la forme originale des références bibliographiques, à l’exception des publications en latin, pour lesquelles les noms d’auteurs sont donnés en français et les noms de villes et d’éditeurs-imprimeurs dans leur forme moderne. Pour un même auteur, les références sont par ordre alphabétique des titres et, pour un même titre, par ordre de parution. Certains auteurs peuvent apparaître dans les bibliographies primaire et secondaire, selon l’usage qu’en ont fait les auteurs dans leur contribution.

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Index des noms

Abélard 54 Abraham 22 Accetto, Torquato 161 Accursius 40 Aceti de’ Porti, Serafino (Serafino da Fermo) 207 Adam 114 Adam, Charles 63, 82, 145 Addante, Luca 11, 20-22, 55, 59, 155-171 Adorni Braccesi, Simonetta 190, 191 Adrien VI, pape (Adriano VI) 129 Agatone, Francesco 197 Agnello, Benedetto 198 Ailly, Pierre d’ 184 Albéric de Rosate 43 Albert le Grand (Alberto Magno, Albertus Magnus) 186, 211 Albumasar 184 Alciato, Andrea 24, 217, 218 Alcover, Madeleine 51 Alexandre d’Aphrodise (Alexander of Aphrodisias) 180-181 Alexandre IV 45 Alighieri, Dante 205, 210-214, 220 Allen, Percy Stafford 129, 130 Alonge, Guillaume 55, 158 Alquié, Ferdinand 63 Altamura, Antonio 222 Alunno, Francesco (Del Bailo, Francesco) 210-211 Amabile, Luigi 157, 158, 160, 161 Amsdorf, Nicolas von 132 Anastasie, sainte (Anastasia, santa) 227, 228 Anaxagore 104 Andrews, Frances 10 Angelelli, Walter 225 Anglo, Sidney 179 Aniorté, André 141 Anne, sainte 54

Antonin de Florence, saint (Pierozzi, Antonino, santo) 211 Aragon, Jeanne d’ (Aragona, Giovanna d’) 191 Aragon, Marie d’, marquise du Guast (Aragona, Maria d’, marchesa del Vasto) 189 Ardissino, Erminia 12 Arnauld, Antoine 148, 153 Arnold, John H. 10 Arnold, Matthieu 20, 125-140 Aretino, Pietro 198, 205 Aris, Marc-Aeilko 103, 106, 111, 117, 120 Aristarque de Samos 84 Aristote (Aristotele, Aristotle) 83, 86, 104, 108, 143, 175, 176, 178, 182-186, 192, 210 Athaulf 111 Auger, Léon 91, 94 Augustin, saint (Agostino, santo) 17, 18, 49, 50, 52, 62, 67, 70, 127, 146, 151-153, 186 Aulu-Gelle 136 Aurifaber, Johannes 139 Austin, John 79 Averroès 175, 176, 178, 181, 182 Aymard, Monique 55 Azpilcueta, Martín de 211 Azo de Bologne 30 Bader, Günter 135, 136 Balde 36, 37, 40, 42 Balso, Nicole 64 Balzac, Honoré de 144 Bandet, Louis 63 Barbarius, Philippus 42 Barbaro, Daniele 24, 202, 214, 225, 226 Bardot, abbé 232 Barjansky, Sylvie 87 Barry, M. Inviolata 228, 229 Barthas, Jérémie 55, 158

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INDEX DES NOMS

Bartole 37 Basalù, Giulio 169 Bassano, Marie 41 Baudrier, Henri-Louis 202 Baur, Ludwig 106, 107, 111 Bausi, Francesco 180 Bayle, Pierre 57, 208 Bellarmin, Robert 94 Bellis, Delphine 87 Bembo, Pietro 179 Bené, Charles 127 Bensaude-Vincent, Bernadette 97 Benveniste, Émile 53 Berger, Susanna C. 224 Bergerac, Cyrano de 51, 52 Berr, Henri 155 Bernard de Castanet 30 Bernhardi, Bartholomäus 128 Biasiori, Lucio 15 Birocchi, Italo 40 Bischoff, Bernhard 105 Bizzarini, Marco 191, 225 Black, Robert 181 Blaise, Fabienne 125 Blay, Michel 81, 90 Blumenberg, Hans 18, 63, 78 Boas, Franz 48 Bocace, Jean (Boccaccio, Giovanni) 210, 211 Boccamazza, Giovanni Agnolo 198 Bodewig, Martin 111, 117, 118 Bohr, Niels 82 Boillet, Élise 7-25 Boisset, Jean 128 Boitani, Piero 10 Bonilla, Oiara 75 Boriaud, Jean-Yves 49 Bormann, Karl 104, 106 Borraccini, Rosa Marisa 15 Bosc, Jean 57 Bossuet, Jacques-Bénigne 148 Botero, Giovanni 138 Bouissou, Guillhem 52, 146 Bourignon, Antoinette 59 Bouwsma, William J. 9, 175, 208 Boyer, Pascal 47 Boyle, Robert 86, 87, 93-95 Brague, Rémi 12

Brahami, Frédéric 62, 72 Brießmann, Johannes 132 Brobjerg, Hans Frederik 111 Brown, Alison 180-182 Brugier, François 63 Bruno, Giordano 85, 96, 99, 167, 170, 175 Buccolini, Claudio 12 Buonarroti, Michelangelo (MichelAnge) 24, 220-222, 224 Buonarroti il Giovane, Michelangelo 220 Bubandt, Nils 48 Busale, Girolamo 167, 169 Busson, Henri 155 Büttgen, Philippe 152 Byrne, Edmund F. 212 Caire, Anne-Blandine 41 Calepio, Ambrogio, dit il Calepino 209, 210 Callot, Jacques 224 Calvin, Jean 134, 153, 162, 170 Campanella, Tommaso 19, 21-23, 55, 156170, 176 Campeggiani, Ida 220 Campos, Jéronimo 201 Cantelbeke, Henricus Joannes van 224 Cantimori, Delio 167, 171 Capece, Scipione 170 Capiton, Wolfgang 129, 130 Caravale, Giorgio 15 Carbasse, Jean Marie 45 Cardano, Girolamo 177 Careri, Giovanni 58 Carlstadt, Andreas 132 Carr, Thomas M. 148 Carré, Antònia 192 Cassagnau, Laurent 63 Cavaillé, Jean-Pierre 17, 21, 47-59, 155, 156, 161 Cavalieri, Bonaventura 92 Cavell, Stanley 18, 62-64, 66-68, 71-74, 79 Céard, Jean 189 Cecchini, Enzo 209 Celeyrette, Jean 104 Chalmers, Alan Francis 93 Chantraine, Georges 131, 139, 140 Chaput, Sylvie 69

256

INDEX DES NOMS

Charbonnel, Jacque-Roger 175, 176 Charlemagne 112 Charrak, André 96 Chartier, Alain 200 Chayes, Evelien 12 Cherchi, Paolo 25, 192, 195, 200, 203 Chierichini, Claudia 194 Chiesa, Mario 223 Chiffoleau, Jacques 30, 45 Christophe, saint (Cristoforo, santo) 215 Chrysippe de Soles (Crisippo) 219 Cicéron (Cicerone) 65, 204, 213 Cifuentes, Lluís 192 Cognet, Louis 59, 149 Constance III 111 Constantin Ier 112 Constantin VII (Costantino Cesare) 197 Copernic, Nicolas 83, 94, 96, 98 Cordatus, Conrad 138, 139 Corsaro, Antonio 220-222 Cortese, Ennio 40 Cortese de Pizzoni, Giovan Battista 157 Counet, Jean-Michel 104, 105 Cousin, Victor 62 Cravetta, Aymon 38 Crouzet, Denis 155 Cues, Nicolas de (Cusain) 19, 20, 103-123 Cutinelli Rendina, Emanuele 181 Dal Prete, Ivano 182 Daniele, Antonio 210 Daniello, Bernardino 213 Dante, voir Alighieri, Dante Dastur, Françoise 68 David 22, 169 Davignon, René 199 Darmon, Jean-Charles 52 Dautrey, Marianne 63 Dawkins, Richard 82 De Bujanda, Jésus Martinez 199 Dear, Peter 54 Decock, Wim 211 Dédale (Dedalo) 222 Deferrari, Roy J. 228, 229 Defert, Daniel 34 Del Bailo Francesco, voir Alunno Francesco Del Nero, Francesco 181

Del Prete, Antonella 82, 85 Delumeau, Jean 211 Deman, Thomas 212 Denys le pseudo-Aréopagite (pseudoDenys) 19, 122, 123 Deroussin, David 42, 44, 46 Descartes, René 17, 18, 20, 62, 63, 78, 82, 86, 87, 89, 92, 94-96, 98, 145, 147, 185 Desnoyers, Louis 87 Di Monte, Michele 228 Diderot, Denis 62 Dietrich, Veit 138 Dilthey, Wilhelm 125 Dinzelbacher, Peter 9 Diodore de Sicile (Diodorus Siculus) 181 Diogène (Diogene) 108, 123, 215 Diogène Laërce (Diogene Laerzio) 136, 208 Dioscore Ier d’Alexandrie 112 Domenach, Élise 78, 79 Domingo, Rafael 211 Donati, Silvia 104, 109, 110, 111, 119 Doni, Anton Francesco 191, 196, 205 Dooley, Brendan 208 Élie 110, 119 Élie, Maurice 68 Emerson, Ralph Waldo 66-71, 74 Equicola, Mario 194 Érasme de Rotterdam (Erasmo da Rotterdam) 19-23, 125-140, 171, 190, 191, 195, 203, 204, 212, 217 Ernst, Germana 161, 162 Euclide 88, 89 Euler, Walter Andreas 108, 109, 111, 121 Euvé, François 99 Evans-Pritchard, Evans E. 48 Ève 114 Everson, Jane E. 225 Ewald, François 34 Eymard d’Angers, Julien 54 Fabre, Pierre-Antoine 74 Fahy, Conor 190 Faini, Marco 7-25, 191, 202, 207-229 Farnèse, Alexandre 138 Febvre, Lucien 138, 155, 156, 166, 167

257

INDEX DES NOMS

Felici, Lucia 13 Ferreyrolles, Gérard 59, 149 Ferrini, Maria Fernanda 192 Feyles, Gabriele 207 Filalete Macedone, Giorgio (Turchetto) 190 Firpo, Massimo 11, 167, 171 Flanagan, Sabina 9 Floridi, Luciano 218 Folengo, Teofilo 24, 223, 224 Foucault, Michel 34, 64 Fournier, Christian 66 Fragnito, Gigliola 15 Franceschi, Raffaele 40, 180 Franciotti, Niccolò (Franciotto) 198 Frédéric le Sage, duc de Saxe 126, 128 Freitag, Albrecht 131 Fresnoy, abbé 50 Freud, Sigmund 66

Gilli, Patrick 30 Ginzburg, Carlo 15, 55, 74 Giocanti, Sylvia 17, 18, 20, 61-79 Giolito de Ferrari, Gabriele 191, 193, 195, 197, 199, 202, 204, 211 Giuseppe, santo, voir Joseph, saint Glissant, Édouard 68, 69, 72, 73, 76, 77 Goethe, Johann Wolfgang von 77 Goibaut du Bois 148 Goletti, Augusto 191 Gonzague, famille (Gonzaga) 178 Goody, Jack 49 Gorni, Gugliemo 220 Goubier, Geneviève 86 Gratien 33, 34 Grechetto, voir Zanettini, Dionisio, dit le petit Grec Grégoire VII, pape 33 Grégoire IX, pape 35 Grendler, Paul F. 179 Griffio, Sebastiano, voir Gryphe, Sébastien Grimaldi, Francesco Maria (Père Grimaldi) 88, 89 Gros, Jean-Michel 57 Grosse, Sven 211 Grossi, Paolo 220 Gryphe, Sébastien (Griffio, Sebastiano) 189, 202 Gui, Bernard 45 Guidi, Remo L. 9

Gabriel, Frédéric 12 Gabriele, Trifone 213, 214 Galilée (Galilei, Galileo) 12, 13, 40, 82, 84-86, 88, 91, 92, 94, 98, 99 Galla Placidia (Placidie) 111 Gandolfo, Francesco 225 Gapaillard, Jacques 82 Garasse, François 54 García-Arenal, Mercedes 156 Gardeil, Ambroise 212 Garin, Eugenio 180, 181 Garnier-Mathez, Isabelle 54 Garniron, Pierre 63 Gassendi, Pierre 81, 84, 85, 94-96, 98 Gattei, Stefano 12 Gaultier, Léonard 224 Gauvard, Claude 44, 45 Gémiste Pléthon, Georges (Giorgios Plethon) 184 Genet, Jean-Philippe 33 Gentile, Valentino 59, 167, 169-171 Gerbel, Nicolas 132 Gerhardt, Carl Immanuel 93 Gerlo, Aloïs 128 Gessner, Conrad 199 Giavarini, Laurence 44 Gilbert, William 177

Hagemann, Ludwig 116 Halkin, Léon E. 128-130 Hallyn, Fernand 88 Hamayon, Roberte N. 53 Hasse, Dag Nikolaus 184 Haubst, Rudolf 109, 111, 117, 118 Hausmann, Nicolas 132 Hegel, Georg Wilhelm Friedrich 63 Heidegger, Martin 76 Hein, Heidi 106, 107, 109, 110, 111, 120, 134 Henri de Suse (Hostiensis) 33-35, 40 Hermanin, Camilla 8 Herrmann, Friedrich-Wilhelm von 76 Hérodote (Herodotus) 186 Herren, Madeleine 192 Hipneo (Hypneo) da Schio, voir Barbaro Daniele

258

INDEX DES NOMS

Hitler, Adolf 125 Hoareau-Dodineau, Jacqueline 45 Hobbes, Thomas 86, 87 Hostiensis, voir Henri de Suse Huizinga, Johan 125 Huygens, Christian 89, 94, 96, 98 Hume, David 62 Hunt, Georges [Quesalid] 48 Hutten, Ulrich von 130 Icare (Icaro) 222 Inghirami, Tommaso (dit Fedra Inghirami) 222 Ingoli, Pietro 84, 85 Isidore de Séville (Isidoro da Siviglia) 210 Israel, Jonathan I. 229 Izard, Michel 48

Kessler, Eckhard 181 Kierkegaard, Søren 73 Klibansky, Raymond 103, 105, 109, 116 Kołakowski, Leszek 59 Koch, Isabelle 70 Koch, Josef 106 Kors, Alan Charles 55 Koyré, Alexandre 93, 94 Krämer, Werner 117 Kristeller, Paul Oskar 179

209,

Jaccard, Roland 63 Jacob, Robert 31 Jacopo da Varazze, voir Jacques de Voragine Jacques de Révigny 40 Jacques de Voragine ( Jacopo da Varazze) 227 Jason de Mayno 38 Jean, évangéliste 33, 34, 118, 159 Jean Baptiste, saint 109 Jean de Ségovie 116 Jérôme, saint 118, 127 Jerphagnon, Lucien 49 Jésabel (Zebel) 227 Jésus (Christ, Messie) 16, 23, 33, 39, 46, 106-111, 116-120, 123, 126-130, 135, 137, 139, 152, 156, 157, 159, 163, 166, 168-170, 175, 182, Job 23 Joseph, saint (Giuseppe, santo) 227 Jouffroy, Théodore 62 Juan de Villafranca 22, 167-169 Jullien, Vincent 13, 18, 19, 81-100 Jupiter capitolin 111 Kallen, Gherardus 103 Kany-Turpin, José 65, 85 Kant, Emmanuel 71 Kepler, Johannes 12, 85-87, 98

La Mothe Le Vayer, François 161 Lader, Gerhart 33 Lafaye, Jean-Jacques 63 Lafuma, Louis 57, 62, 66 Lagarrigue, Georges 126, 128, 131-135, 137 Lagrange, Jacques 34 Landi, Sandro 74 Lando, Ortensio 13, 24, 189-206, 225, 226 Lang, Johannes 127 Laplanche, Jean 66 Lardic, Jean-Marie 63 Laugier, Sandra 64, 66, 74, 79 Lauro, Pietro 197 Laursen, John Christian 11 Lavenia, Vincenzo 211 Lawn, Brian 192 Lazare 165 Le Noxaïc, Armand 93 Lee, Lilith 201 Lefebvre-Teillard, Anna 40 Leibniz, Gottfried Wilhelm 92-94, 98, 104 Lemaître, Nicole 126 Lemay, Richard 179 Lemesle, Bruno 45 Lenoble, Robert 88 Léon X, pape (Giovanni di Lorenzo de’ Medici) 179 Lerner, Michel-Pierre 83, 85, 96 Lesowsky, Winfred 132 Leveleux-Texeira, Corinne 16, 29-46 Lévy, Jean-Philippe 39 Libera, Alain de 45 Lienhard, Marc 126, 153 Lienhard, Thomas 9 Locher, Johann 82

259

INDEX DES NOMS

Lopez, Denis 142 Lotto, Lorenzo 228 Lucien de Samosate (Luciano da Samosata) 135, 138, 139, 208 Lucrèce (Lucrezio) 208 Luther, Jean 139 Luther, Martin 19-23, 125-140, 151-153, 162 Maccasciola, Francesco 226 Machiavel, Nicolas (Machiavelli, Niccolò) 15, 23, 171, 175-188 Machiavelli, Totto 181 Machon, Louis 161 Madeleine, voir Marie de Béthanie Madruzzo, Cristoforo 195 Maestin, Michael 85 Maffei, Domenico 40 Maffei, Sonia 215 Mahoney, Edward P. 179 Mandina, Benedetto (monsignor di Caserta) 161 Mann Phillips, Margaret 212 Maquerlot, Jean-Pierre 63 Malena, Adelisa 15 Malherbe, Michel 62 Malthus, Thomas 181 Mahomet 116, 117 Mandrella, Isabelle 104, 107, 109, 111 Manfredi, Girolamo 192 Mannoni, Olivier 78 Manselli, Raoul 207 Margat-Barberis, Claire 82 Margolin, Jean-Claude 189 Marie, sainte (Vierge, Maria) 117, 156, 165, 166, 168 Marie de Béthanie 156 Marini, Paolo 191 Marliano, Aloïs 129 Marsile de Padoue 115 Marthe, sainte 156 Martin, Craig 23, 175-188 Martin, Daniel 8, 86 Martinengo, Fortunato 189, 191, 225, 226 Martínez Torrón, Javier 211 Masi, Giorgio 220-222 Mathieu, Félix 93 Matton, Sylvain 86

260

Maupertuis, Pierre Louis Moreau de 96 Mausen, Yves 39 Mauss, Marcel 73 Mazel, Florian 33, 34 Mazouer, Charles 142 Mazzolini, Silvestro 211 Mazzoncini, Carlotta 220 McClure, George 13, 227 McGuiness, Ignatius 228, 229 Medici, Lorenzo di Piero de’ 179 Médicis, famille (Medici) 179 Medler, Nicolas 138 Melitano, Silvestro 158 Menocchio, voir Scandella, Domenico Mercier, Sébastien 105 Mersenne, Marin 52, 54, 55, 84-88, 98, 177, 178, 188 Mesnard, Jean 86, 87, 93, 143 Methuen, Charlotte 10 Meurisse, Martin 224 Meyerson, Émile 97 Michel, Paul 192 Michel-Ange, voir Buonarotti, Michelangelo Michon, Hélène 21, 141-154 Miernowski, Jean 122 Migliorino, Francesco 45 Millet, Olivier 130 Moïse 105, 110, 119, 130, 156, 157, 169 Molinaro, Francesco 176 Mollat, Guillaume 45 Montaigne, Michel de 17, 18, 20, 61, 63-79, 143 Morra, Gianfranco 182 Most, Glenn W. 209 Mothu, Alan 57, 82 Mühlen, Karl-Heinz zur 134 Murray, Alexander 9 Nani Mirabelli, Domenico 210 Nascimben, Laura 210 Naudé, Gabriel 161 Negri Arnoldi, Francesco 191 Neto, José R. Maia 11 Newman, John Henry 56 Newton, Isaac 90, 93, 94-98 Nicéron, Jean-François 88

INDEX DES NOMS

Nicolaïdis, Efthymios 81 Nicolas de Cues 19, 20, 103-123 Nicole, Pierre 59 Nifo, Agostino 179-181 Novelli, Annibale 194, 200 Œcolampade, Jean 130 Oliva, Cesare 179 Olivieri, Achille 189 Optatus de Milève 111, 115 Osiander, Andreas 94 Ossa-Richardson, Anthony 177, 178 Othon 112 Pacaud, Bernard 71 Paccagnella, Ivano 210 Pagani, Antonio 205 Paganini, Gianni 11, 36 Palmer, Ada 182 Panis, Daniel 76 Papi, Angelo 225 Parel, Anthony 178, 184 Parlato, Enrico 225 Parmentier, Bérengère 8, 86 Pascal, Blaise 15, 19, 21, 23, 57-59, 62, 66, 81, 87, 90, 93-95, 98, 141-143, 145, 147-151, 153, 154 Paschetti, Bartolomeo 199 Pasqua, Hervé 104 Pastore, Stefania 156 Paul, juriste 36 Paul, saint 50, 131, 151, 153 Pauli, Heinrich 109, 110, 118 Pellegrin, Pierre 65 Pellican, Konrad 130 Péna, Jean 88 Perfetti, Stefano 183, 185 Perini, Leandro 171 Perrone Compagni, Vittoria 179 Pertile, Lino 213 Petit, Pierre 93, 94 Pétrarque, François (Petrarca, Francesco) 210, 211, 222 Petrocchi, Giorgio 213 Petrolo, Domenico 157 Pharaon 131, 133, 137 Philippe le Bel 30

Pic de la Mirandole, François 136 Piélat, Thierry 87 Pierio, Valeriano 217 Pierozzi, Antonino, santo, voir Antonin de Florence, saint Pierre, saint 23, 107, 110, 115 Pietro d’Abano 175, 184 Pine, Martin L. 179 Pintard, Jacques 152 Pintard, René 175, 176 Pio da Carpi, Alberto 179 Pisano, Cesare 158, 159 Piscini, Angela 210 Placidie, voir Galla Placidia Platon (Platone, Plato) 104, 111, 115, 182, 186 Pline (Plinio, Pliny) 177, 186, 191, 197 Plutarque (Plutarco, Plutarch) 65, 69, 179, 180, 182, 186, 187 Pognon, abbé 50 Poll-van de Lisdonk, Miekske L. van 212 Pomarici, Francesca 225 Pomponazzi, Pietro 23, 175-188 Ponzio, Dionisio 22, 156, 158-160 Popkin, Richard H. 11, 95, 208 Poppi, Antonino 186 Pouillon, Jean 48 Prigent, Jean 141 Procaccioli, Paolo 13, 24, 189-206, 215, 225 Proclus 108, 115 Prosperi, Adriano 167 Ptolémée, Claude (Tolomeo, Ptolemy) 84 Pucci, Francesco 170 Pythagore 157 Quesalid, voir Hunt, Georges Rabb, Theodore K. 208, 219, 220 Rabelais, François 155 Rabourdin, David 57 Ragagli, Simone 190, 191 Raulx, abbé 50 Reidy, Denis V. 225 Reinhardt, Klaus 108, 121 Renan, Ernest 176 Renzi, Paolo 179 Residori, Matteo 220

261

INDEX DES NOMS

Reynolds, Susan 10 Rheticus, Georg Joachim 83 Ribot, Théodule 62 Ricci, Laura 194 Richter, Marcella 199 Rideau, Gaël 15 Riemann, Heide Dorothea 103, 107, 110, 111, 118, 119, 121, 122 Rigal, Élisabeth 68 Rigaudière, Albert 43 Rimbault, Olivier 20 Rinaldis, Maurizio de’ 159 Ripa, Cesare 24, 214, 215, 216, 218, 219, 221 Roberval, Gilles Personne de 81, 82, 8489, 91, 94, 96, 98 Robinson, Charles 212 Rodis-Lewis, Geneviève 147 Ronchi, Vasco 89 Rosier-Catach, Irène 30 Rotondò, Antonio 8 Roudet, Nicolas 87 Roumy, Franck 41 Rousseau, Olivier 56 Royer-Collard, Pierre-Paul 62 Rüesch, Martin 192 Ruscelli, Girolamo 189, 191, 226 Rusch, Pierre 63 Rusconi, Roberto 15 Russo, Antonio 219 Ryrie, Alec 10 Sadoleto, Jacopo 221, 222 Sagnol, Marc 63 Saisset, Émile 50 Salem, Jean 85 Salomé (Salome) 227, 228 Sampson, Lisa M. 225 Sanchez, Francisco 12 Sanchez, Rodrigue 113 Sanesi, Ireneo 194, 202 Sanseverino, Gianbernardino 197 Sansovino, Francesco 198 Santagata, Marco 222 Sarpi, Paolo 175 Sasso, Gennaro 181 Saulnier, V.-L. 64 Savonarola, Girolamo 208, 220 Sbriccoli, Mario 43

262

Scandella, Domenico, dit Menocchio 55 Scarsella, Marco 14 Schaffer, Simon 86, 95 Schlaginhaufen, Johannes 138 Schlegel, Jean-Louis 63 Schmitt, Charles B. 179, 214 Schnarr, Hermann 103, 106, 109, 110, 111, 117, 118, 120 Schneider, Gerhard 155 Schoppe, Caspar 162 Schüßler, Rudolf 14, 212 Schütz, Ludwig 228 Schwaetzer, Harald 104, 109, 110, 111, 119, 121 Schwanke, Johannes 131 Schwarzwäller, Klaus 133 Seidel Menchi, Silvana 20, 138, 171, 190, 191, 195, 204 Sellier, Philippe 62, 66, 141, 207 Selmi, Elisabetta 191, 225 Senger, Hans Gerhard 103-105, 108, 113, 119, 121 Sentis, Rémi 12 Serafino da Fermo, voir Aceti de’ Porti, Serafino Servet, Michel (Serveto, Miguel) 13, 99 Sextus Empiricus 135, 136, 208 Sfez, Jocelyne 122 Sgarbi, Marco 213 Sgattoni, Marco 12 Shagan, Ethan 11 Shapin, Steven 86, 95 Sigismond de Luxembourg 112 Simon, Gérard 87 Simonutti, Luisa 8 Skutella, Martin 52, 146 Smith, Pierre 48 Smoller, Laura 184 Socrate 108, 213 Soldaniero, Giulio 159, 160 Solignac, Aimé 52, 146 Spagnuolo, Alessandro 192 Spalatin, Georges 126-129, 132, 133 Sperone, Speroni 225, 226 Spicer, Andrew 10 Spini, Giorgio 175 Spinoza, Baruch 22, 158 Stammkötter, Franc-Bernhard 104, 110,

INDEX DES NOMS

119, 121 Stanek, Ela 199 Stegemann, Viktor 105 Steiger, Renate 103, 106, 111 Stifel, Michaël 133 Stirner, Max 63 Suétone (Suetonius) 186 Suire, Éric 142 Tannery, Paul 63, 82, 145 Taton, Juliette 89 Telesio, Bernardino 167, 170 Tempier, Étienne 99 Térence (Terenzio) 217 Texier, Pascal 45 Themistius 180 Théodose 111 Théry, Julien 30, 45 Thirouin, Laurent 142 Thomas, apôtre (Tommaso, apostolo) 23, 227 Thomas d’Aquin, saint (Tommaso d’Aquino, santo) 50, 57, 99, 141, 148, 150-151, 153, 211, 228-229 Tite-Live (Livy) 180, 186 Tixier, Jean de Ravisi (Officina Textoris) 193, 199 Toffanin, Giuseppe 222 Tooker, Deborah E. 49 Torricelli, Evangelista 86, 87 Torti, Anna 10 Toscanella, Aldobrando de 109 Tournon, André 71 Tréhorel, Eugène 52, 146 Tremesaygues, André 71 Tricot, Jules 143 Trierweiler, Denis 63 Trottmann, Christian 19, 103-123 Turchetto, voir Filalete Macedone, Giorgio Turrini, Miriam 211 Tutino, Stefania 14 Tycho Brahe 84, 86 Uguccione da Pisa Ulpien 31, 42

Valla, Lorenzo 171 Vallino, Charlotte 191 Van Hasselt, Marie-Cécile 194 Vanini, Giulio Cesare 55, 161 Vannier, Marie-Anne 122 Vassallo, abbé 198 Veltri, Giuseppe 12 Vengeon, Frédéric 106 Ventura, Iolanda 192 Verde, Armando F. 179, 181 Vespasien (Vespasian) 186 Vignali, Antonio 192, 194 Villafranca, Juan de 22, 167-169 Villari, Rosario 161 Villey, Michel 46 Villey, Pierre 64 Virgile (Virgil) 186 Viveiros de Castro, Eduardo 75 Voet, Gisbert 52 Voltaire 96, 125 Weinberg, Bernard 226 Weltecke, Dorothea 9 Wendrock, Guillaume 59 Williams, George H. 167 Wilpert, Paul 104, 107, 112, 119 Wittgenstein, Ludwig 64, 68, 72 Wirth, Jean 53, 54, 155 Wootton, David 155, 175 Zager, Werner 131 Zagorin, Pérez 211 Zanettini, Dionisio, dit le petit Grec (Grechetto) 138 Zanotti Carney, Emanuela 192 Zarri, Gabriella 207 Zebel, voir Jésabel Zink, Michel 45 Zweig, Stefan 63, 125 Zwingli, Ulrich 168

209

Valastro Canale, Angelo 209 Valdés, Juan de 11, 22, 167-169, 171

263

Table des matières

Élise Boillet – Marco Faini Introduction. Pour une histoire culturelle du doute

7

1- Le doute : mises en perspective historique et disciplinaire Corinne Leveleux-Texeira La vérité incertaine. La gestion du doute par le droit savant médiéval

29

Jean-Pierre Cavaillé Que croire, c’est quand même douter. Remarques anthropologiques sur croire et douter au début de l’époque moderne

47

Sylvia Giocanti Le doute comme manière d’être au monde (xvie-xxe siècles)

61

Vincent Jullien Le doute comme marqueur du progrès des sciences

81

2- Doute, croyance religieuse et incroyance Christian Trottmann « Dubium » dans l’œuvre de Nicolas de Cues

103

Matthieu Arnold L’assertio contre le doute : le débat entre Érasme et Luther au sujet du libre arbitre (1524-1525)

125

Hélène Michon Doute, inquiétude et foi : une problématique pascalienne Luca Addante Douter de la religion dans un long xvie siècle : le cas italien

265

141 155

3- Doute, savoirs et milieux culturels Craig Martin Doubt, History, and Politics in the Philosophy of Pietro Pomponazzi Paolo Procaccioli Un cultore del dubbio nell’Italia del Rinascimento: Ortensio Lando Marco Faini Allegorie e personificazioni del dubbio nell’Italia del Cinque e Seicento

207

Bibliographie Index des noms

231 255

266

175

189