Le dommage et sa réparation 9782804461690

Parmi les éléments constitutifs de la responsabilité civile, c'est probablement le dommage qui a suscité le plus de

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Le dommage et sa réparation
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1 le préjuDiCe éConomique DeS perSonneS SanS revenuS Pauline Colson1

assistante à l’U.C.L., avocate

Sommaire Introduction

10

Section 1 Détermination de la valeur économique

11

Section 2 Efforts accrus

31

Section 3 Préjudice ménager

37

Section 4 Perte d’une année scolaire

44

Section 5 Cumul des indemnités

51

Conclusion

56

1.

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L’auteur remercie vivement le Professeur Bernard Dubuisson et Me Daniel De Callataÿ pour leurs conseils lors de la relecture de cette contribution, ainsi que Me Isabelle Durnez pour ses précieuses indications. Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur.

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Introduction 1. Eu égard au profil particulier des personnes sans revenus, on pourrait rapidement conclure à l’inexistence d’un préjudice économique dans leur chef. Cette vision des choses n’est toutefois pas conforme à la réalité. Les personnes ne disposant pas de rémunération peuvent bel et bien subir un dommage économique. La reconnaissance et la valorisation de ce poste de préjudice revêtent donc pour ces catégories de victimes une importance primordiale. 2. Avant d’examiner la nature et la particularité du préjudice économique des personnes sans revenus, il convient de s’arrêter sur quelques précisions d’ordre terminologique. Que recouvre tout d’abord la notion de préjudice économique ? Lorsqu’une personne est victime d’une atteinte à son intégrité physique, elle subit bien souvent une incapacité totale ou partielle de travailler. On peut définir cette incapacité de travail comme « l’inaptitude à l’exercice des activités lucratives que la victime, compte tenu de ses qualifications, pourrait déployer dans le milieu économique et social qui est le sien »2. Cette atteinte à la capacité de travail peut se traduire par une perte de rémunération, mais ne se réduit pas uniquement à celle-ci3. Elle peut également prendre la forme d’efforts accrus ou d’une diminution de valeur sur le marché du travail4. L’incapacité de travail de la victime constitue le préjudice économique au sens strict du terme. Plus largement, un préjudice pourra être qualifié d’économique si une véritable valeur économique est reconnue à la capacité à laquelle il a été porté atteinte. Il en sera évidemment ainsi pour la capacité de travail, mais également pour la capacité ménagère. Le préjudice ménager peut donc être aussi qualifié de dommage économique. 3. Qu’entend-on ensuite par « personne sans rémunération » ? Dans le cadre de cette contribution, nous limiterons notre étude aux personnes qui ne bénéficient pas, au moment du fait dommageable, de revenus provenant d’une activité professionnelle5. Nous examinerons dès lors le dommage économique des enfants et étudiants, des chômeurs, des femmes et 2. 3. 4.

5.

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J.-L. Fagnart « Chronique de jurisprudence. La responsabilité civile », J.T., 1976, p. 621. P. grauluS, « Invaliditeit en ogeschiktheid », note sous Anvers, 23 mars 2005, Bull. ass., 2005, pp. 721-722. R.O. DalCq, Traité de la responsabilité civile, vol. II, Le lien de causalité ; le dommage et sa réparation, Bruxelles, Larcier, 1962, pp. 451 et 609 ; M. matagne, « Considération sur une méthodologie de l’évaluation et de la réparation du dommage corporel et du dommage social en droit commun », R.G.A.R., 1988, n° 11.412 ; G. WeZel, « Rappels de quelques principes sur la réparation du dommage résultant du décès accidentel ou d’une atteinte à l’intégrité physique », R.G.D.C., 1988, p. 307. g. viney, « Thème 4. Dommages économiques. Les dommages économiques résultant des blessures », L’évaluation du préjudice corporel dans les pays de la C.E.E. (A. DeSSertine dir.), Paris, Litec, 1990, p. 232.

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hommes au foyer et, enfin, des pensionnés. Par ailleurs, nous nous bornerons à examiner le préjudice économique subi par la victime à la suite d’une lésion corporelle. Les conséquences du décès de la victime ne seront pas abordées, compte tenu de la présence dans cet ouvrage d’une contribution exclusivement réservée à cette situation.

1

4. Nous verrons que plusieurs questions essentielles peuvent être posées au moment de déterminer le préjudice économique de ces victimes. Nous constaterons, dans une première section, que lorsque le préjudice économique permanent de la victime doit être évalué, une difficulté apparaît à propos des personnes sans revenus. La détermination de leur valeur économique se révèle en effet malaisée en pratique (section  1). En outre, bien que l’on ait tendance à limiter les efforts accrus à la seule sphère professionnelle, les personnes n’exerçant pas d’activité professionnelle pourront également réclamer l’indemnisation d’une pénibilité supplémentaire (section 2). Nous examinerons aussi les particularités du préjudice ménager de la femme ou de l’homme au foyer ainsi que de l’étudiant (section 3). La perte d’une ou plusieurs année(s) scolaire(s) pour l’étudiant sera ensuite envisagée (section 4). Nous terminerons enfin par l’analyse du cumul éventuel des indemnités à propos des chômeurs et des pensionnés (section 5). Section 1

Détermination de la valeur économique A. Position du problème 5. La question principale à laquelle le praticien, qu’il soit avocat, assureur ou magistrat, se doit de répondre lorsqu’il est confronté à l’évaluation du préjudice économique d’une personne sans revenus est la détermination de la valeur économique de celle-ci. La réponse à cette question sera non seulement essentielle pour déterminer le préjudice permanent, mais également lors de l’évaluation du dommage subi avant la consolidation. 6. Comme toute conséquence d’une atteinte à l’intégrité physique, l’atteinte à la capacité de travail de la personne lésée pourra évoluer au fil du temps. Tant que l’incapacité de travail fluctue en fonction de l’aggravation ou de l’amélioration de la situation de la victime, cette incapacité de travail sera qualifiée de temporaire. Lorsque les lésions sont stabilisées permettant la fixation d’une date de consolidation, le préjudice économique devient permanent. La distinction entre ces deux périodes revêt une importance particulière au regard de l’incapacité de travail. En effet, selon que l’on se trouve avant ou après la consolidation, le préjudice n’est pas apprécié de la même manière. Avant la consolidation, l’incapacité de Larcier

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travail est appréciée en fonction de la profession exercée par la victime au moment du fait dommageable6. Après la consolidation, le dommage économique permanent est constitué, en principe, par la perte de valeur sur le marché général du travail, compte tenu des possibilités de reclassement de la victime7. Cette perte ou diminution de valeur économique sera évaluée comme une perte virtuelle de rémunération8. La perte réelle de revenus ou les efforts accrus ne seront alors que des manifestations de cette perte de valeur économique permanente9. 7. Si la victime peut, en principe, invoquer une incapacité de travail et solliciter l’indemnisation de son préjudice économique tant temporaire que permanent, il lui appartiendra de prouver l’existence et l’étendue de son dommage10. Cette tâche sera relativement aisée pour une personne lésée exerçant une activité professionnelle au moment du fait dommageable, que ce soit avant ou après la consolidation. 8. Pour le préjudice temporaire, outre les efforts accrus éventuels, la victime pourra très facilement démontrer la perte réelle de rémunération et en obtenir réparation11. En produisant ses fiches de paie ou ses avertissements-extrait de rôle12, elle procédera ainsi à une comparaison entre les revenus touchés avant et après le fait dommageable13. Les interventions de l’employeur ou de la mutuelle devront, quant à elles, être déduites14.

6.

7. 8. 9. 10. 11. 12. 13.

14.

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B. De temmerman, « Invaliditeit, arbeidsongeschiktheid en inkomensverlies. Een bespreking naar aanleiding van de nieuwe Indicatieve tabel, van het belang van deze begrippen voor de vaststelling en begroting van letselschade naar gemeen recht», T.A.V.W., 2002, p. 247. D. De Callataÿ et N. eStienne, La responsabilité civile – Chronique de jurisprudence 19962007, vol. 2, Le dommage, Bruxelles, Larcier, 2009, p. 123. P. grauluS, op. cit., p. 722. D. De Callataÿ «  La capitalisation du préjudice (économique) permanent – Le cumul de la réparation du préjudice économique permanent et du bénéfice d’allocations de chômage », note sous Cass., 2 mai 2012, R.G.A.R., 2013, n° 14.937. D. De Callataÿ, « Questions spéciales sur le préjudice matériel résultant d’une incapacité permanente  », Assurances, roulage, préjudice corporel, Formation Permanente CUP, Bruxelles, Larcier, 2001, p. 81. a. van oevelen, g. joCqué, C. perSyn et B. De temmerman, « Overzicht van rechtspraak. Onrechtmatige daad : schade en schadeloosstelling (1993-2006) », T.P.R., 2007, p. 1154 ; B. De temmerman, op. cit., p. 248. D. De Callataÿ, « Questions spéciales sur le préjudice matériel résultant d’une incapacité permanente », op. cit., p. 81. a. van oevelen, g. joCqué, C. perSyn et B. De temmerman, op. cit., p. 1154 ; X., « Le tableau indicatif  », R.G.A.R., 2001, n° 13.455  ; m. le roy, «  Thème 2. Les chefs de préjudices indemnisables. La compensation des dommages dans le cas d’atteintes physiques  », L’évaluation du préjudice corporel dans les pays de la C.E.E. (A. DeSSertine dir.), Paris, Litec, 1990, p. 134. X., Les grands principes de l’indemnisation du dommage corporel en Europe. Étude comparative dans neuf pays européens, AREDOC – CEA, 1996, p. 11.

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9. Pour le dommage permanent, en principe, seule la perte de valeur économique sera indemnisée. La perte réelle de revenus pourra alors être prise en compte comme un élément de fait et facilitera l’évaluation de ce dommage. Dans cette hypothèse, il suffira, en tout cas pour un salarié, de calculer le préjudice économique en proportion du degré d’incapacité, sur la base de son revenu professionnel éventuellement majoré des augmentations prévisibles à l’avenir15. Notons toutefois que depuis plusieurs arrêts rendus en 2002, la Cour de cassation ne semble pas limiter le dommage économique permanent à la seule perte de valeur économique et paraît admettre que la perte de revenus constitue un préjudice matériel permanent autonome16. Notre Cour suprême suit, sur ce point, le modèle français puisque la nomenclature Dintilhac prévoit, dans le cadre des dommages permanents, non seulement l’indemnisation de la perte de valeur économique de la victime sur le marché du travail dans le poste intitulé « Incidences professionnelles », mais y ajoute également la réparation de la perte de gains17. Cette évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation belge est cependant critiquée, à juste titre, par la doctrine18. Cette jurisprudence risque en effet de pénaliser les victimes qui ont repris l’exercice d’une activité professionnelle et n’incite donc pas à la reprise du travail, compte tenu du cumul possible avec les allocations de chômage19 sur lequel nous reviendrons dans la dernière section20.

1

10. Si l’évaluation du dommage économique du salarié se révèle en pratique relativement simple, il en est tout autrement pour les personnes n’exerçant pas d’activité professionnelle lors de la survenance du fait dommageable. Leur situation est en effet à l’origine de bien des incertitudes21. L’évaluation de leur préjudice économique se révélera délicate tant du point de vue de leur dommage temporaire22 que permanent. La victime ne pourra pas prouver une perte réelle de rémunération pour le calcul de son dommage temporaire et ne pourra apporter la preuve certaine, sur la base d’un revenu antérieur, de la valeur économique qu’elle 15. 16. 17. 18. 19. 20. 21. 22.

R.O. DalCq, op. cit., p. 607. Cass. (2e ch.), 13 novembre 2002, R.G.A.R., 2004, n° 13.929 et obs. Ph. galanD, Pas., 2002, p. 2165 ; Cass. (2e ch.), 26 juin 2002, Pas., 2002, p. 1427 ; Cass., 29 octobre 2002, R.A.B.G., 2004, p. 25, note r. SierenS, X., Rapport du groupe de travail chargé d’élaborer une nomenclature des préjudices corporels, dirigé par J.-P. DintilhaC, juillet 2005, pp. 34-35. D. De Callataÿ «  La capitalisation du préjudice (économique) permanent – Le cumul de la réparation du préjudice économique permanent et du bénéfice d’allocations de chômage », op. cit., n° 14937. D. De Callataÿ et N. eStienne, op. cit., p. 123. cf. infra, nos 80 et 81. J.-P. triCot, « L’évaluation de l’incertitude », Justice et dommage corporel. Symbiose ou controverse ? (J.-P. Beauthier dir.), Bruxelles, Larcier, 2008, p. 202. J.-L. Fagnart et M. Denève, « Chronique de jurisprudence. La responsabilité civile (19761984) », J.T., 1988, p. 749.

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avait pour déterminer son préjudice permanent23. Il serait alors tentant de conclure à l’absence de préjudice économique dans une telle hypothèse24. Pourtant, la perte de revenus réels ne suffit pas, à elle seule, à écarter la réparation du préjudice économique. L’absence de perte réelle de rémunération crée, certes, une incertitude, mais n’enlève rien à la réalité du préjudice. À cet égard, la Cour de cassation a estimé, à propos d’un préjudice matériel par répercussion, que le juge violait les articles  1382 et 1383 du Code civil quand il décidait que la preuve de l’existence du dommage matériel n’était pas rapportée par le motif qu’il n’était pas possible d’évaluer ce dommage de manière certaine25. Les personnes sans revenus peuvent donc, bel et bien, subir un préjudice économique tant temporaire que permanent. 11. Avant la consolidation, outre les efforts accrus qu’elle aura éventuellement fournis, la personne lésée pourrait également subir «  une perte de revenus »26. Nous y reviendrons lors de l’analyse de chaque catégorie de victimes. 12. Par ailleurs, après la consolidation, la victime peut également subir une diminution de capacité économique, même si elle n’exerçait pas d’activité professionnelle avant le fait dommageable27. Si le chômeur ou l’étudiant, par exemple, n’ont pas d’activité professionnelle et donc pas de revenus au moment du fait dommageable, il n’empêche qu’ils peuvent se prévaloir d’une capacité de travail perdue en raison de ce fait28. Ils pourront ainsi réclamer la réparation d’un dommage résultant de la diminution de leur valeur économique sur le marché du travail. La Cour de cassation française estime, à ce propos, que le seul fait que la capacité de travail soit atteinte suffit pour justifier une indemnisation, même si 23. 24. 25. 26.

27.

28.

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D. De Callataÿ, « Questions spéciales sur le préjudice matériel résultant d’une incapacité permanente », op. cit., p. 81. g. viney, op. cit., p. 232 ; D. De Callataÿ et N. eStienne, op. cit., p. 126. Cass., 13 octobre 1993, J.L.M.B., 1994, p. 53. Notons que dans la première version du tableau indicatif, même si la formulation est loin d’être heureuse, une perte de revenus à titre temporaire était envisagée pour les personnes n’ayant pas d’activité professionnelle. Une indemnité forfaitaire de 700 BEF au prorata du taux d’incapacité était alors accordée (X., « Accidents de la circulation : tableau indicatif des chômages et autres dommages et intérêts forfaitaires  », J.J.P., 1995, pp. 336-341). J.-F. marot, « Tableau indicatif et incapacité permanente », Justice et dommage corporel. Symbiose ou controverse ? (J.-P. Beauthier dir.), Bruxelles, Larcier, 2008, p. 174 ; J. tinant et B. CeulemanS, « Le préjudice naissant des incapacités temporaires », Assurances, roulage, préjudice corporel, Formation Permanente CUP, Bruxelles, Larcier, 2001, p. 42. J.-L. Fagnart, «  Définition des préjudices non économiques  », Préjudices extra-patrimoniaux : vers une évaluation plus précise et une plus juste indemnisation, Actes du colloque organisé par la Conférence libre du Jeune Barreau du Liège le 16 septembre 2004, Liège, éd. Jeune Barreau, 2004, p. 33 ; B. De temmerman, op. cit., p. 241.

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la victime n’occupait pas d’emploi lors de l’accident29. La perte de valeur économique constitue donc en soi un préjudice et nous verrons, pour chaque catégorie de personnes sans revenus, la manière dont cette valeur peut être fixée30.

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13. Lorsque le magistrat accepte de reconnaître un préjudice économique dans le chef de la victime sans revenus, il tente parfois de contourner la difficulté en lui allouant une indemnité pour dommages moral et économique confondus31. Même s’il est évident que cette indemnisation globale est toujours préférable à une absence totale de réparation du dommage économique, une telle solution de facilité demeure regrettable puisqu’elle aboutit très souvent à une sous-indemnisation du préjudice. Cette pratique a, d’ailleurs, non seulement fait l’objet de vives critiques doctrinales32, mais a été également condamnée par la Cour de cassation belge33. La Cour a en effet souligné que « le préjudice moral et le préjudice matériel encourus par la victime d’un acte fautif constituant dans le chef de celle-ci des dommages distincts, ne motive pas régulièrement sa décision, le juge qui n’indique pas les motifs pour lesquels il rejette les conclusions tendant à l’allocation d’une indemnité distincte pour réparer le préjudice moral »34. 14. Une indemnisation distincte du dommage économique des personnes sans rémunération est tout à fait possible et se justifie afin d’accorder une réparation juste et adéquate. Cette reconnaissance spécifique du dommage économique se rencontre d’ailleurs fréquemment en jurisprudence35. Toutefois, force est de constater que les magistrats, confrontés à la complexité de l’évaluation de ce préjudice, optent alors souvent pour la solution du forfait. Soit ils accordent un montant forfaitaire global pour ce poste, soit ils fixent forfaitairement un montant à multiplier par point d’incapacité36. 15. Cette évaluation forfaitaire peut se comprendre pour le dommage permanent des victimes faiblement atteintes. Le tableau indicatif propose d’ailleurs, depuis 2001, une évaluation forfaitaire pour les incapacités

29. 30. 31. 32. 33. 34. 35. 36.

Cass. fr. (civ.), 28 avril 1966, Bull. civ., II, n° 498 ; Cass. fr. (crim.), 13 octobre 1974, J.C.P., 1975, IV, p. 5, www.legifrance.fr. m. le roy, op. cit., p. 135. R.O. DalCq, op. cit., p. 609. J.-L. Fagnart, «  Définition des préjudices non économiques  », op. cit., p. 43 et réf. citées ; A. vanheuverZWijn, Manuel de la réparation des dommages corporels en droit commun, Bruxelles, Kluwer, 2012, p. 3/15 ; R.O. DalCq, op. cit., p. 609. Cass., 13 janvier 1982, Pas., 1982, I, p. 592 ; Cass., 29 novembre 1977, R.W., 1977-1978, col. 1321. Cass., 13 janvier 1982, Pas., 1982, I, p. 592. Cf. infra, pour chaque catégorie de victimes. J.-F. marot, op. cit., p. 174.

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inférieures à 15 %37. Pour ces victimes atteintes d’un faible taux d’incapacité, une telle évaluation forfaitaire ne choque pas. Elle choque sans doute d’autant moins lorsque la victime était sans activité professionnelle au moment des faits. 16. Par contre, dans les cas les plus graves, la difficulté pour la personne lésée de démontrer la valeur économique qu’elle avait avant l’accident ne peut suffire à autoriser l’évaluation forfaitaire38. Cette évaluation risque de lui être extrêmement préjudiciable, aboutissant fréquemment à une sous-évaluation du dommage39. Rappelons que la Cour de cassation estime que le recours au forfait ne peut avoir lieu qu’à titre subsidiaire et à condition pour le juge de spécifier les raisons pour lesquelles il lui est impossible de déterminer autrement le dommage40. Il est pourtant parfaitement envisageable de déterminer la valeur économique probable que la victime aurait pu représenter si l’accident n’avait pas eu lieu plutôt que d’invoquer l’absence de valeur certaine pour justifier le recours au forfait41. S’agissant d’une valeur probable et donc fictive, on peut considérer que l’estimation se fera ex aequo et bono, mais en faisant référence à une valeur économique déterminée42. 17. Nous allons dès lors examiner, pour chaque catégorie de victimes, les différentes solutions préconisées par la jurisprudence pour déterminer cette valeur économique et identifierons celles nous semblant les plus pertinentes au vu des spécificités de la situation de la personne lésée.

B. Étudiant et enfant 18. L’examen de la jurisprudence démontre que les jeunes sont très souvent victimes d’accidents aux conséquences parfois dramatiques. 37.

38. 39. 40. 41.

42.

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X., « Le tableau indicatif », R.G.A.R., 2001, n° 13.455 ; X., « Le tableau indicatif », J.J.P., 2005, p. 545 ; X., « Le tableau indicatif. Version 2008 », J.J.P., 2008, p. 133 ; X., « Tableau indicatif. Version 2012 », Tableau indicatif 2012, coll. Les Dossiers du Journal des Juges de paix et de police, Bruges/Bruxelles, Die Keure/La Charte, 2012, pp. 144-145. D. De Callataÿ, « Questions spéciales sur le préjudice matériel résultant d’une incapacité permanente », op. cit., p. 82. D. De Callataÿ et N. eStienne, op. cit., p. 89. Cass., 17 février 2012, R.G.A.R., 2012, n° 14.936  ; Cass., 2 mai 2012, R.G.A.R., 2012, n° 14.938 ; Cass., 21 avril 1999, Pas., 1999, p. 556 ; Cass., 9 mars 1999, Pas., 1999, p. 355 ; Cass., 20 février 2004, Pas., 2004, p. 297. D. De Callataÿ, « ‘Sombre tableau, noir dessein’. Examen critique du tableau indicatif des dommages et intérêts forfaitaires », L’indemnisation du préjudice corporel, Actes du colloque organisé par la Fondation Piedboeuf et la Conférence libre du Jeune Barreau de Liège le 10 mai 1996, Liège, éd. Jeune Barreau, 1996, p. 134. R.O. DalCq et G. SChampS, «  Examen de jurisprudence (1987-1993). La responsabilité délictuelle et quasi délictuelle  », R.C.J.B., 1995, p. 758  ; D. De Callataÿ, «  ‘Sombre tableau, noir dessein’. Examen critique du tableau indicatif des dommages et intérêts forfaitaires », op. cit., p. 134.

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Étant, au moment du fait dommageable, à la crèche, à l’école gardienne ou primaire, aux études secondaires, en hautes écoles ou à l’université, la victime n’exerce aucune activité professionnelle et ne touche aucune rémunération. Ce constat, nous l’avons vu43, ne permet nullement de conclure à l’absence de préjudice économique dans leur chef. Avant la consolidation et en dehors des efforts accrus, ils pourront subir une perte de revenus fictifs. Un dommage économique permanent pourra également leur être reconnu si leur valeur économique a été réduite ou perdue en raison de l’accident.

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19. À titre temporaire, le jeune pourrait, selon nous, subir un dommage économique consistant en une perte de rémunération fictive. Cette perte de revenus pourrait notamment résulter de son indisponibilité sur le marché du travail à la fin de sa formation et de la perte de revenus qui en résulte44. Prenons l’exemple d’un jeune étudiant de 21 ans en quatrième année de droit au moment de l’accident. Celui-ci s’est produit en avril 2012. Cet étudiant réussissait jusqu’alors très bien ses études et aurait certainement commencé à travailler dès l’obtention de son diplôme, soit à 22 ans, en septembre 2013. Suite à l’accident, il souffre d’un important traumatisme crânien. Il est donc contraint d’abandonner ses études et ne pourra plus jamais suivre la moindre formation. La consolidation est fixée trois ans après l’accident, en avril 2015. De septembre 2013 à avril 2015, sans l’accident, ce jeune aurait exercé un emploi et perçu une rémunération. Il nous semble donc normal d’indemniser cette perte de rémunération qui devra être estimée en fonction du salaire que la victime aurait pu obtenir grâce à ses qualifications. Il en sera de même lorsque la personne lésée a commencé à travailler pendant la période d’incapacité temporaire45. La victime pourrait avoir été contrainte de se réorienter en raison du fait dommageable46. Elle pourrait alors subir, à titre temporaire, une perte de rémunération résultant de la comparaison entre le salaire effectivement perçu et celui qu’elle aurait pu percevoir si elle avait pu poursuivre sa formation initiale. 20. Il appartiendra bien entendu à la victime de démontrer qu’elle aurait pu poursuivre et réussir son cursus et entrer sur le marché du travail. Selon les circonstances, l’indemnisation pourrait se réduire alors à une perte de chance si la réussite scolaire et l’entrée sur le marché du travail ne sont que probables47. Cette perte de chance est parfois reconnue en jurisprudence et prend très souvent la forme d’une indemnisation forfai43. 44. 45. 46. 47.

Cf. supra, n° 10. a. van oevelen, g. joCqué, C. perSyn et B. De temmerman, op. cit., p. 1154. Civ. Gand, 30 avril 2002, Bull. ass., 2003, pp. 206-209. Pol. Liège, 27 mars 2007, C.R.A., 2008, p. 542. Nous entendons la perte de chance dans sa conception dite restrictive soit la perte certaine d’un avantage probable.

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taire48 plutôt qu’une application d’un pourcentage à la rémunération49. Notons que cette réparation forfaitaire aboutit parfois à un montant plus élevé que si elle avait été calculée sur la base du revenu probable50. Ce préjudice ne se limite toutefois pas, à notre estime, nécessairement à une perte de chance. Selon les circonstances, la victime peut démontrer avec certitude qu’elle aurait terminé ses études et serait directement entrée sur le marché du travail. Dans notre exemple de l’étudiant en droit en avantdernière année qui n’a jamais échoué, il nous semble que le préjudice est certain. Lorsque le parcours scolaire ou les débouchés des études le justifient, ce dommage pourrait être limité à une perte de chance. Par contre, aucune indemnisation pour perte de revenus ne pourra être réclamée à titre temporaire si la victime a, malgré les incapacités de travail temporaires reconnues par l’expert, réussi à terminer les études entreprises initialement et a trouvé un emploi y correspondant. Seuls les efforts accrus pourront alors être compensés. Notons toutefois qu’en France, aucune indemnisation pour perte de gains professionnels actuels n’est due pour les enfants mineurs ou majeurs scolarisés51. 21. Les enfants et étudiants peuvent également subir un préjudice économique permanent52. Il s’agira alors de déterminer la valeur économique de l’étudiant ou de l’enfant à laquelle il a été porté atteinte. 22. Que ce soit pour déterminer le montant de la perte de revenus fictifs subie à titre temporaire ou que ce soit pour déterminer le préjudice permanent, la valeur économique de l’enfant ou de l’étudiant devra donc être fixée. Cet exercice est évidemment loin d’être simple. Face à cette difficulté, nous l’avons mentionné53, on constate dans la jurisprudence une tendance à recourir au forfait au moment d’évaluer le dommage économique permanent. Les cours et tribunaux invoquent, pour justifier cette méthode, l’absence d’indication décisive et ce, particulièrement, pour les

48. 49. 50. 51. 52.

53.

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500.000 BEF (Anvers, 20 janvier 1999, T.A.V.W., 2000, p. 133 ; Pol. Ath, 26 mars 1990, J.J.P., 1990, p. 388) ; 7.500 € (Pol. Liège, 27 mars 2007, C.R.A., 2008, p. 542) ; 60.000 BEF (Liège, 25 janvier 1988, Bull. ass., 1988, p. 531). Bruxelles, 17 avril 1996, R.G.A.R., 1997, n° 12.838. J. SChryverS, « De onmogelijke taak van de rechter », note sous Anvers, 20 janvier 1999, T.A.V.W., 2000, p. 141. X., La nomenclature des postes de préjudice de la victime directe. Bilan 2010, Étude de la COREIDOC, AREDOC, mars 2010, p. 14. D’autres pays européens tels que la Norvège ou le Royaume-Uni prévoient l’indemnisation du préjudice économique futur des enfants (X., Les grands principes de l’indemnisation du dommage corporel en Europe. Étude comparative dans neuf pays européens, AREDOC – CEA, 1996, p. 12). Voy. supra, n° 14.

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Le préjudice économique des personnes sans revenus

victimes les plus jeunes54. L’absence de certitude quant à l’avenir professionnel de la victime est également avancée.

1

23. Différents types de forfait sont utilisés par les magistrats. Certains juges optent parfois pour un forfait global couvrant le dommage matériel et moral55. D’autres accordent également une réparation pour les préjudices matériel et moral confondus, mais en fixant un montant par point56. Cette confusion des deux préjudices est, nous l’avons souligné57, pour le moins critiquable. D’autres encore consentent à indemniser distinctement

54.

55.

56.

57.

l. SChuermanS, a. van oevelen, C. perSyn, Ph. ernSt et j.-l. SChuermanS, « Overzicht van rechtspraak. Onrechtmatige daad: schade en schadeloosstelling (1983-1992) », T.P.R., 1997, p. 1208  ; D. SimoenS, «  Begroting van de gemeenrechtelijke schadeloosstelling bij verergering door de onrechtmatige daad, van de voorafbestaande schade », R.W., 2000-2001, pp. 73 et 81. 4.500.000 BEF (Mons, 29 janvier 1998, Évaluation du préjudice corporel, 2003, liv. 7, III.3. Mons, 37) ; 3.200.000 BEF (Civ. Tongres, 2 juin 1988, Bull. ass., 1989, p. 136 note W. pervenagie) ; 1.500.000 BEF (Corr. Louvain, 7 novembre 1986, Bull. ass., 1987, p. 496, note Ch. KoningS) ; 20.575 € (Pol. Liège, 20 janvier 2004, Évaluation du préjudice corporel, 2005, liv. 10, III.2. Liège, 57)  ; 14.062,50 € (Pol. Nivelles, 3 septembre 2007, R.G.A.R., 2008, n° 14.381) ; 14.000 € (Pol. Liège, 8 février, 2010, C.R.A., 2010, p. 353) ; 250.000 BEF (Mons, 27 octobre 1983, R.G.A.R., 1986, n° 11.124) ; 200.000 BEF (Mons, 2 octobre 1989, inédit, cité par N. Simar et S. KeSSelS, « Inédits en matière de réparation du dommage de la cour d’appel de Mons », J.L.M.B., 1990, p. 695, et Civ. Marche-en-Famenne, 11 février 1988, R.G.A.R., 1990, n° 11.719) ; 120.000 BEF (Mons, 13 octobre 1989, inédit, cité par N. Simar et S. KeSSelS, « Inédits en matière de réparation du dommage de la cour d’appel de Mons », J.L.M.B., 1990, p. 695) ; 100.000 BEF (Mons, 13 avril 1989, et 20 avril 1989, inédits, cités par N. Simar et S. KeSSelS, « Inédits en matière de réparation du dommage de la cour d’appel de Mons », J.L.M.B., 1990, p. 1161). 150.000 BEF (Anvers, 20 janvier 1999, T.A.V.W., 2000, p. 137) ; 2.726,83 € (Pol. Liège, 21 janvier 2004, Évaluation du préjudice corporel, 2005, liv. 10, III.2. Liège, 67) ; 100.000 BEF (Pol. Gand, 14 avril 1997, Bull. ass., 1998, p. 284 ; Anvers, 3 mars 1993, Bull. ass., 1999, p. 105) ; 90.000 BEF (Pol. Verviers, 15 mars 2000, Évaluation du préjudice corporel, 2003, liv. 7, III.2. Verviers, 11.) ; 2.000 € (Civ. Gand, 30 avril 2002, Bull. ass., 2003, p. 213) ; 80.000 BEF (Corr. Bruxelles, 20 novembre 1990, Bull. ass., 1991, p. 711, note M. lamBert)  ; 76.000 BEF (Corr. Anvers, 15 mai 1997, Bull. ass., 1998, p. 268)  ; 70.000 BEF (Corr. Dinant, 25 septembre 1997, Bull. ass., 1999, p. 115, note C. BellemanS, et Gand, 24  décembre 1990, Bull. ass., 1991, p. 692, note W. pervenagie)  ; 1.860 € (Pol. Gand, 7 janvier 2004, Bull. ass., 2004, p. 855) ; 1.620 € (Pol. Liège, 21 juin 2010, Évaluation du préjudice corporel, 2011, liv. 16, III.2. Liège, 133 ; III.3. Liège, 191) ; 60.000 BEF (Pol. Liège, 22 février 2001, Évaluation du préjudice corporel, 2003, liv. 7, III.3. Liège, 31 ; Civ. Huy, 7 octobre 1985, J.L., 1986, p. 87 et Anvers, 18 juin 1987, Bull. ass., 1987, p. 621) ; 1.420 € (Pol. Liège, 21 janvier 2004, Évaluation du préjudice corporel, 2005, liv. 10, III.2. Liège, 67) ; 50.000 BEF (Civ. Huy, 25 février 1981, R.G.A.R., 1983, n° 10.581 ; Bruxelles, 30  octobre 1985, R.G.A.R., 1988, n° 11.344  ; Civ. Gand, 17 juin 1988, Bull. ass., 1993, p. 70, note W. pervenagie ; Liège, 1er avril 1993, J.L.M.B., 1994, p. 1350 et Pol. Gand, 25 mai 1993, T.G.R., 1994, p. 28) ; 40.000 BEF (Gand, 19 avril 1988, Bull. ass., 1989, p. 331) ; 30.000 BEF (Mons, 29 octobre 1987, J.L.M.B., 1988, p. 531) ; 35.000 BEF (Anvers, 30 mai 1986, Bull. ass., 1987, p. 146). Voy. supra, n° 13.

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Le dommage et sa réparation

le préjudice matériel, mais se limitent à accorder un forfait global58 ou à déterminer un montant forfaitaire par point59. 24. Cette indemnisation forfaitaire peut être particulièrement critiquable pour les victimes grièvement atteintes. Elle le sera singulièrement pour les victimes les plus jeunes, compte tenu des montants retenus par le tableau indicatif. La comparaison de ces montants avec ceux résultant d’un calcul de capitalisation effectué sur des bases réduites est édifiante. Pour procéder au calcul de capitalisation, la valeur économique de l’étudiant doit être fixée. Cette valeur est, dans la plupart des cas, supérieure au revenu minimum mensuel moyen garanti (R.M.M.M.G.), c’est-à-dire au revenu minimum auquel «  peut prétendre tout travailleur exerçant une activité professionnelle à temps plein, dans le secteur public comme dans le secteur privé, indépendamment des barèmes visés par les conventions collectives de travail sectorielles ou d’entreprise »60. Or, Jean-François Marot a pu démontrer que même en utilisant ce R.M.M.M.G. dans le calcul de capitalisation, les montants alloués par le tableau sont inférieurs61. Face à un tel constat, l’exclusion de l’indemnisation forfaitaire se justifie pleinement. La capitalisation ou la rente sur la base de la réelle valeur économique de la victime est donc la solution la plus adéquate

58.

59.

60. 61.

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15.000.000 BEF (Civ. Namur, 23 octobre 1989, Bull. ass., 1991, p. 421, note M. lamBert) ; 10.000.000 BEF (Liège, 24 janvier 1991, Bull. ass., 1991, p. 421, note M. lamBert) ; 220.000 € (Pol. Dinant, 14 octobre 2004, C.R.A., 2005, p. 15)  ; 3.250.000 BEF (Mons, 27 janvier 1989, inédit, cité par N. Simar et S. KeSSelS, « Inédits en matière de réparation du dommage de la cour d’appel de Mons », J.L.M.B., 1990, p. 695) ; 2.000.000 BEF (Civ. Tournai, 28 octobre 1987, R.G.A.R., 1990, n° 11.736 et Corr. Nivelles, 4 octobre 1984, R.G.A.R., 1985, n° 10.965) ; 1.200.000 BEF (Corr. Gand, 29 septembre 1988, Bull. ass., 1989, p. 173) ; 800.000 BEF (Liège, 25 janvier 1988, Bull. ass., 1988, p. 530) ; 12.656,25 € (Civ. Bruxelles, 11 décembre 2008, Bull. ass., 2010, p. 455) ; 500.000 BEF (Corr. Charleroi, 26 novembre 1996, Évaluation du préjudice corporel, 2003, liv. 7, III.3. Charleroi, p. 27) ; 50.000 BEF (Pol. Bruxelles, 11 septembre 1997, inédit, cité par J. joBSeS, « Réparation des préjudices subis en cas d’incapacité temporaire. Préjudice matériel. Tableau de jurisprudence  », Évaluation du préjudice corporel. Commentaire au regard de la jurisprudence, Waterloo, Kluwer, 2011). 3.000 € pour l’économique et le ménager (Pol. Liège, 27 mars 2007, C.R.A., 2008, p. 542) ; 2.200 € pour l’économique et le ménager (Pol. Huy, 11 mars 2010, Évaluation du préjudice corporel, 2011, liv. 16, III.2. Huy, 45  ; III.3. Huy, 91)  ; 1.859,20 € (Mons, 12 novembre 2003, Bull. ass., 2004, p. 778 et Corr. Dinant, 17 mars 2003, R.G.A.R., 2004, n° 13.910) ; 65.000 BEF (Pol. Bruxelles, 19 janvier 1990, Bull. ass., 1990, p. 385, note M. lamBert) ; 60.000 BEF (Civ. Verviers, 21 mai 1986, R.G.A.R., 1988, n° 11.345) ; 55.000 BEF (Bruxelles, 23 novembre 1988, R.G.A.R., 1990, n° 11.678) ; 1.125 € (Pol. Namur, 14 février 2007, Évaluation du préjudice corporel, 2008, liv. 13, III.3. Namur, 85) ; 40.000 BEF (Civ. Charleroi, 22 avril 1998, Évaluation du préjudice corporel, 2003, liv. 16, III.3. Charleroi, p. 36, et Mons, 23 décembre 1987, Bull. ass., 1988, p. 525) ; 36.000 BEF (Corr. Louvain, 5 octobre 1983, Bull. ass., 1986, p. 663) ; 35.000 BEF (Anvers, 16 juin 1999, R.W., 20002001, p. 98) ; 30.000 BEF (Gand, 14 septembre 1987, R.G.A.R., 1989, n° 11.472). J.-F. marot, op. cit., p. 174. Ibidem, pp. 174-177.

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Le préjudice économique des personnes sans revenus

pour les enfants et étudiants grièvement atteints62. Dès 2001, les auteurs du tableau indicatif ont insisté à cet égard pour qu’une attention particulière soit accordée aux jeunes victimes ne proméritant pas de revenus au moment de déterminer le salaire de base dans le cadre du calcul de capitalisation63.

1

25. La perte de valeur économique peut donc être évaluée pour servir de base à une capitalisation ou une rente. Elle consistera à déterminer un salaire fictif64. En France, la nomenclature Dintilhac indique à ce propos dans le poste intitulé «  Perte de gains professionnels futurs  » qu’il conviendra d’estimer pour l’avenir la privation des ressources professionnelles des jeunes victimes engendrée par le dommage65. En Belgique, de nombreux magistrats n’ont pas cédé à la facilité et ont tenté de fixer ce salaire de référence. Pour ce faire, ils ont pris en considération les éléments qui étaient à leur disposition. Ceux-ci varient selon le niveau d’étude atteint par la victime au moment de l’accident et la situation de la victime au jour du jugement66. 26. Au moment où le juge statue, la situation de la victime peut avoir évolué depuis le fait dommageable. Un long délai s’est parfois écoulé entre l’accident et le jugement. La victime peut également être bien avancée dans son cursus scolaire lorsque le fait dommageable se produit. La personne lésée peut alors avoir perdu son statut d’étudiant et exercer une activité professionnelle. Dans cette hypothèse, l’évaluation de sa valeur économique est facilitée puisqu’un salaire est connu et pourra servir de base à un calcul de capitalisation ou à la fixation d’une rente67. Ce salaire devra bien entendu correspondre à la formation de l’étudiant. Dans une telle situation, rien ne justifie de recourir au forfait puisque le juge dispose d’une base concrète68. Ce salaire pourra être utilisé non seulement 62. 63. 64. 65. 66.

67. 68.

l. SChuermanS, a. van oevelen, C. perSyn, Ph. ernSt et j.-l. SChuermanS, op. cit., p. 1208. X., «  Le tableau indicatif  », op. cit., n° 13.455  ; X., «  Le tableau indicatif  », op. cit., p. 546 ; X., « Le tableau indicatif. Version 2008 », op. cit., p. 131 ; X., « Tableau indicatif. Version 2012 », op. cit., p. 147. D. SimoenS, op. cit., p. 73  ; l. SChuermanS, a. van oevelen, C. perSyn, Ph. ernSt et j.-l. SChuermanS, op. cit., p. 1190 ; X., La nomenclature des postes de préjudice de la victime directe. Bilan 2010, op. cit., p. 25. X., Rapport du groupe de travail chargé d’élaborer une nomenclature des préjudices corporels, op. cit., p. 35. G. mor et B. heurton, Évaluation du préjudice corporel. Stratégies d’indemnisation. Méthodes d’évaluation, Paris, Delmas, 2010, p. 168  ; m. van WaSSenaer van CatWijCK, « Thème 2. Les chefs de préjudices indemnisables. L’Évaluation du préjudice corporel en droit commun de la responsabilité  », L’évaluation du préjudice corporel dans les pays de la C.E.E. (A. DeSSertine dir.), Paris, Litec, 1990, p. 140. D. SimoenS, op. cit., p. 81 ; G. mor et B. heurton, op. cit., p. 162 ; Civ. Bruxelles, 13 février 2009, R.G.A.R., 2009, n° 14.577 ; Bruxelles, 3 juin 1998, R.G.A.R., 2000, n° 13.208 ; Civ. Bruxelles, 22 janvier 1987, R.G.A.R., 1990, n° 11.747. Corr. Huy, 11 janvier 1984, R.G.A.R., 1986, n° 11.014  ; l. SChuermanS, a. van oevelen, C. perSyn, Ph. ernSt et j.-l. SChuermanS, op. cit., p. 12010  ; contra  : Mons, 29 janvier

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Le dommage et sa réparation

pour le préjudice permanent futur dans le cadre d’une rente ou d’une capitalisation, mais également pour le préjudice permanent passé69. 27. Malheureusement pour les magistrats, la victime exerce rarement une activité professionnelle au jour du jugement. Il ne pourra pas, dans ce cas, évaluer la valeur de la victime en fonction du salaire perçu dans l’intervalle. Toutefois, si la victime est avancée dans son parcours scolaire, une évaluation relativement précise est encore possible. Pour un étudiant ayant entamé des études supérieures ou universitaires, sa valeur économique pourra être déterminée eu égard au salaire moyen approximatif des professions qu’il pourra exercer à l’issue de ces études70. Afin de connaître ce salaire moyen, le recours aux bases de données de l’Institut national des statistiques71 sera particulièrement utile72. 28. Par contre, lorsque l’accident touche un bébé, un jeune enfant ou un adolescent, l’incertitude est beaucoup plus grande. Il est évident qu’il sera impossible de prédire quel eût été son avenir professionnel sans le fait dommageable73. Une indemnisation non forfaitaire est pourtant possible à condition de faire preuve d’un peu de créativité74. Divers éléments pourront être pris en considération75. Pour un étudiant de secondaire, on tiendra, par exemple, compte de son parcours scolaire (brillant ou ponctué d’échecs)76, du type d’enseignement suivi (général ou professionnel)77, des choix opérés dans le cadre de ses études (options,…), de ses qualités

69.

70.

71. 72. 73. 74. 75.

76. 77.

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1998, Évaluation du préjudice corporel, 2003, liv. 7, III.3. Mons, 37  ; Pol. Charleroi, 19 décembre 2006, C.R.A., 2007, p. 266. Pol. Namur, 23 mars 2004, Évaluation du préjudice corporel, 2005, liv. 10, III.2. Namur, 25 ; Gand, 16 octobre 2003, Bull. ass., 2004, p. 570 ; Pol. Ath, 26 mars 1990, J.J.P., 1990, p. 388 ; Mons, 22 juin 1989, R.G.A.R., 1991, n° 11.820 ; Corr. Charleroi, 24 avril 1986, R.G.A.R., 1988, n° 11.382. Pol. Namur, 4 mars 2010, C.R.A., 2011, p. 423 ; Pol. Bruxelles, 10 février 2004, R.G.A.R., 2005, n° 14.046  ; Pol. Neufchâteau, 30 juin 2000, Évaluation du préjudice corporel, 2004, liv. 9, III.3. Neufchâteau, 7 ; Anvers, 22 avril 1988, Bull. ass., 1990, p. 791, note D. van orShoven ; G. mor et B. heurton, op. cit., p. 162. http://statbel.fgov.be/fr/statistiques/chiffres/travailvie/salaires/ Bruxelles, 21 décembre 1988, R.G.A.R., 1990, n° 11.609. y. lamBert-Faivre et S. porChy-Simon, Droit du dommage corporel. Systèmes d’indemnisation, Paris, Dalloz, 2011, p. 167 ; Liège, 25 mars 1985, J.L., 1985, p. 304. D. SimoenS, op. cit., p. 81. l. SChuermanS, a. van oevelen, C. perSyn, Ph. ernSt et j.-l. SChuermanS, op. cit., p. 1208 ; y. lamBert-Faivre et S. porChy-Simon, op. cit., p. 167  ; m. van WaSSenaer van CatWijCK, op. cit., p. 141 ; A. pirarD, « Invalidité ou incapacité. Selon quels critères ? », L’expertise de l’enfant et de la personne âgée. Les deux pôles de la vie (p. luCaS et m. Stehman dir.), Limal, Anthemis, 2011, p. 114. Bruxelles, 20 septembre 2011, R.G.A.R., 2012, n° 14.889  ; Bruxelles, 1er décembre 1987, R.G.A.R., 1991, n° 11.862 ; Civ. Liège, 2 mars 1992, Bull. ass., 1992, p. 565, note M. lamBert. Pol. Bruxelles, 25 juin 2008, C.R.A., 2010, p. 39.

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Le préjudice économique des personnes sans revenus

et capacités78 ou encore des professions qu’il ambitionnait d’exercer79. Des critères moins politiquement corrects pourraient aussi être utilisés comme, par exemple, le milieu social en tenant compte de la profession des parents ou des frères et sœurs80. Les éléments pris en considération pour fixer le montant de la rente ou de la base retenue pour la capitalisation ne sont toutefois pas toujours précisés par le juge qui se contente alors d’imposer un montant sans justification, ce qui est regrettable81.

1

29. Même lorsque la victime est très jeune et que son avenir professionnel est totalement inconnu, il est donc possible de déterminer sa valeur économique. Ce salaire fictif servira de base à un calcul de capitalisation ou à une rente et sera évidemment calculé au prorata du taux d’incapacité économique permanente fixé par l’expert. La perte de valeur économique constitue donc en soi un préjudice réparable certain, même si la victime ne subit pas de perte de rémunération82. Le dommage économique permanent des étudiants n’est toutefois pas toujours analysé en tant que perte de valeur économique, mais est parfois réduit à une simple perte de chance d’exercer une profession déterminée et de gagner la rémunération y relative83. Une indemnisation forfaitaire est alors souvent octroyée pour compenser cette perte de chance84. Or, il nous semble que le dommage économique permanent de l’étudiant ne se limite pas à une perte de chance. Celui-ci a subi de manière certaine une atteinte à sa valeur économique et cette atteinte mérite réparation. Dans la nomenclature Dintilhac, la perte de chance de l’étudiant est envisagée, mais elle peut se cumuler à la perte de gains futurs85.

78. 79. 80. 81. 82. 83. 84.

85.

Bruxelles, 20 septembre 2011, R.G.A.R., 2012, n° 14.889 ; Liège, 25 mars 1985, J.L., 1985, p. 304. Civ. Neufchâteau, 12 janvier 2005, R.G.A.R., 2006, n° 14.070 ; Corr. Arlon, 1er mars 2000, R.G.A.R., 2002, n° 13.633  ; Bruxelles, 17 avril 1996, R.G.A.R., 1997, n° 12.838  ; Corr. Nivelles, 18 janvier 1988, Bull. ass., 1989, p. 166. Bruxelles, 1er décembre 1987, R.G.A.R., 1991, n° 11.862 ; Anvers, 21 février 1996, Bull. ass., 1996, p. 680 ; G. mor et B. heurton, op. cit., p. 163. Civ. Charleroi, 27 octobre 2004, R.G.A.R., 2005, n° 14.056  ; Civ. Bruxelles, 11 janvier 2000, R.G.A.R., 2002, n° 13.500. C. hanin, « La réparation du dommage matériel résultant des lésions physiques », Bull. ass., 1992, p. 10 ; Mons, 22 juin 1989, R.G.A.R., 1991, n° 11.820 ; Bruxelles, 20 février 1996, R.G.A.R., 1997, n° 12.822. J. SChryverS, op. cit., p. 141 ; Bruxelles, 21 décembre 1988, R.G.A.R., 1990, n° 11.609 ; Pol. Nivelles, 2 janvier 1996, R.G.A.R., 1999, n° 13.055 ; Pol. Bruxelles, 31 mai 2010, J.J.P., 2011, p. 94. 250.000 BEF (Bruxelles, 25 mars, 1982, R.G.A.R., 1984, n° 10.776) ; 60.000 BEF (Mons, 4 octobre 1990, Bull. ass., 1991, p. 397, note M. lamBert) ; 200.000 BEF (Civ. Bruxelles, 8 novembre 1988, R.W., 1988-1989, p. 1444) ; 2.000 € (Pol. Malines, 18 juin 2008, C.R.A., 2010, p. 135). Pour des illustrations de refus d’indemniser une perte de chance, voy. Civ. Marche-en-Famenne, 11 février 1988, R.G.A.R., 1990, n° 11.719, et Pol. Bruges, 13 septembre 2004, C.R.A., 2005, p. 30. y. lamBert-Faivre et S. porChy-Simon, op. cit., p. 167.

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30. Un dernier aspect mérite d’être abordé quant à la valeur économique des enfants et étudiants. Qu’en est-il de leur préjudice post-professionnel  ? En principe, un préjudice économique n’est indemnisé que pendant la durée de la survie lucrative de la victime, soit jusque 65 ans. La personne lésée pourrait encore subir un préjudice économique une fois l’âge de la pension atteint. Pour une victime exerçant une activité professionnelle au moment du fait dommageable et ayant subi une perte de revenus, un dommage post-professionnel est parfois reconnu en raison d’une diminution de sa pension de retraite86. En effet, la perte de revenus subie par la personne lésée peut engendrer une réduction du montant de la pension qui doit être indemnisée distinctement de la perte de revenus elle-même87. Les jeunes victimes pourraient à nouveau être confrontées à la difficulté de prouver un tel préjudice post-lucratif en raison de l’absence de perte réelle de revenus. Or, ce préjudice existe bel et bien et ce particulièrement pour les victimes grièvement atteintes. Ces dernières seront en effet exclues du marché de l’emploi sans jamais y être entrées et donc sans jamais avoir pu cotiser pour une quelconque pension. Une solution pourrait être de prévoir une indemnisation pour le préjudice économique jusque 65 ans et d’envisager une réduction du montant accordé à partir de cette date. Cette méthode est utilisée en jurisprudence88. Par ailleurs, si au moment de fixer le salaire de base pour calculer le préjudice économique futur, le magistrat n’a pas tenu compte des possibilités de majoration de ce salaire pour l’avenir, une indemnisation à vie sans réduction pourrait également être envisagée.

C. Chômeur 31. Les chômeurs constituent une deuxième catégorie de victimes sans revenus à propos desquelles la question de la détermination de la valeur économique se pose. À l’instar des autres personnes lésées sans rémunération, le statut de chômeur au moment du fait dommageable ne permet nullement de conclure à l’absence de préjudice économique. La Cour de cassation l’a d’ailleurs très clairement affirmé à plusieurs reprises89. Le principe même de l’existence de ce préjudice bénéficie donc d’une 86.

87. 88. 89.

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D. De Callataÿ et N. eStienne, op. cit., p. 283. Voy. en France, X., Rapport du groupe de travail chargé d’élaborer une nomenclature des préjudices corporels, op. cit., p. 36, et X., La nomenclature des postes de préjudice de la victime directe. Bilan 2010, op. cit., p. 27. Cass., 19 novembre 2003, Pas., 2003, p. 1846 ; R.G.A.R., 2004, n° 13.900. Corr. Arlon, 1er mars 2000, R.G.A.R., 2002, n° 13.633  ; Pol. Nivelles, 2 janvier 1996, R.G.A.R., 1999, n° 13055. Cass., 9 février 2004, Bull. ass., 2006, p. 233 ; Cass., 21 novembre 1994, J.T.T., 1995, p. 58, note ; Dr. circ., 1995, p. 105 ; R.W., 1995-1996, p. 225 ; Cass., 9 mars 1989, J.T., 1989, p. 746.

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reconnaissance par notre Cour suprême. Au-delà de cette consécration, les modalités et l’étendue de l’indemnisation de ce préjudice doivent être examinées. Une distinction est à nouveau opérée entre préjudice temporaire et permanent.

1

32. Outre les efforts accrus, un préjudice économique temporaire résultant d’une perte de revenus (professionnels ou de remplacement) peut s’envisager dans le chef d’un chômeur. Ce préjudice prend alors deux formes. 33. Lorsqu’un chômeur est victime d’un accident, il n’est bien souvent plus apte au travail au sens de l’article 60 de l’arrêté royal du 25 novembre 199190. Il ne perçoit plus alors d’allocations de chômage, conformément à l’article 62 de cet arrêté royal91. Si l’assurance maladie-invalidité ne prend pas le relais ou si son intervention est inférieure aux allocations, la victime se trouve privée de tout ou partie de ses allocations de remplacement92. Il s’agit donc d’une première forme de perte de revenus subie avant la consolidation. Le préjudice économique temporaire du chômeur ne se limite toutefois pas nécessairement à la seule perte des allocations de chômage93. 34. Dans l’intervalle de temps entre le fait dommageable et la date de la consolidation, le chômeur aurait peut-être pu trouver un emploi. Il a été rendu indisponible sur le marché du travail et a perdu la rémunération qu’il aurait pu percevoir pendant cette période94. Si la victime parvient à démontrer qu’elle aurait pu trouver un emploi pendant cette période d’incapacité temporaire, la perte de rémunération y relative mérite d’être indemnisée95. Les perspectives de reprise de travail devront bien évidemment être examinées soigneusement96. Il faut bien admettre que le chômeur pourra rarement apporter la preuve qu’il a certainement 90. 91.

92.

93. 94. 95. 96.

Arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage, M.B., 31 décembre 1991. a. van oevelen, g. joCqué, C. perSyn et B. De temmerman, op. cit., p. 1164 ; Pol. Leuven, 5 février 2008, J.J.P., 2008, p. 217 ; Civ. Courtrai, 15 juin 2004, R.W., 2005-2006, p. 1473 ; Gand, 27 juin 2003, Bull. ass., 2004, p. 547  ; Gand, 24 janvier 1997, R.G.A.R., 1998, n° 12.962. t. jooS et r. CoSijn, « Inkomenverlies van een werkloze na een ongeval gemeen recht », Medi-ius, 1997, p. 27 ; J. SChryverS, « Functionele en situationele ongeschiktheid », note sous Pol. Anvers, 23 février 2000, T.A.V.W., 2001, p. 322  ; Pol. Verviers, 7 mars 2000, Évaluation du préjudice corporel, 2003, liv. 7, III.3. Verviers, p. 4 ; Pol. Anvers, 23 février 2000, T.A.V.W., 2001, p. 321 ; Civ. Bruxelles, 26 octobre 1998, Évaluation du préjudice corporel, 2003, liv. 8, III.3. Bruxelles, 15. D. De Callataÿ et N. eStienne, op. cit., p. 93 ; t. jooS et r. CoSijn, op. cit., p. 28 ; Cass., 11 octobre 1999, R.W., 2000-2001, p. 49. Bruxelles, 7 janvier 2009, R.G.A.R., 2011, n° 14.726 ; Pol. Louvain, 5 février 2008, J.J.P., 2008, p. 217 ; Bruxelles, 10 juin 1997, R.G.A.R., 1999, n° 13.054. Pol. Huy, 9 octobre 2000, R.G.A.R., 2001, n° 13.418. m. van WaSSenaer van CatWijCK, op. cit., p. 141.

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perdu une rémunération pendant cette période s’écoulant entre le fait dommageable et la consolidation. Il pourra, par contre, très souvent prouver qu’il a perdu une chance d’entrer sur le marché du travail et de percevoir une rémunération plus élevée que les allocations de chômage97. Certains juges ont estimé que la preuve de cette perte de chance n’était pas rapportée et ont dès lors refusé toute indemnisation98. D’autres, par contre, ont reconnu l’existence d’une telle perte de chance, mais l’ont, en ce cas, indemnisée de manière forfaitaire99. Elle a également parfois été qualifiée de perte de valeur économique à titre temporaire100. L’indemnisation ex aequo et bono n’est toutefois pas la seule manière d’indemniser la perte de chance. Il est parfaitement possible d’estimer la rémunération dont le chômeur aurait pu bénéficier et d’y appliquer le pourcentage de chance perdue101. 35. Pour déterminer l’éventuel salaire perdu avant la consolidation ou évaluer le préjudice économique permanent, la valeur économique du chômeur doit donc être fixée102. Les mêmes difficultés que pour le dommage des étudiants se présentent103 et les mêmes solutions de facilité se retrouvent en jurisprudence. L’indemnisation se réduit bien souvent à l’octroi d’un forfait104 ou est purement et simplement refusée105. Pourtant, une évaluation concrète de la perte de capacité de travail est,

97. 98. 99.

100.

101. 102. 103. 104.

105.

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a. van oevelen, g. joCqué, C. perSyn et B. De temmerman, op. cit., p. 1164 ; Gand, 27 juin 2003, Bull. ass., 2004, p. 547. Pol. Charleroi, 4 avril 2001, R.G.A.R., 2002, n° 13.535 ; Civ. Bruxelles, 26 octobre 1998, Évaluation du préjudice corporel, 2003, liv. 8, III.3. Bruxelles, p. 23. 605.463 BEF (Mons, 1er juin 1987, R.G.A.R., 1988, n° 11.381) ; 15.000 BEF (Corr. Charleroi, 10 septembre 1998, inédit, cité par J. joBSeS, « Réparation des préjudices subis en cas d’incapacité temporaire. Préjudice matériel. Tableau de jurisprudence », Évaluation du préjudice corporel. Commentaire au regard de la jurisprudence, Waterloo, Kluwer, 2011, II.2.4, p. 1). Bruxelles, 1er avril 1992, Bull. ass., 1992, p. 548, note W. pervenagie ; Bruxelles, 4 mai 1983, R.G.A.R., 1985, n° 10.906  ; Mons, 2 avril 1987, inédit, cité par J.-L. Fagnart et M. Denève, op. cit., p. 86. À propos d’un invalide, Mons, 17 mars 1994, R.G.A.R., 1996, n° 12.663 ; Civ. Bruxelles, 16 décembre 1988, Bull. ass., 1989, p. 512, note W. pervenagie. Mons, 15 octobre 2001, R.G.A.R., 2003, n° 13.672 ; Bruxelles, 7 janvier 1992, R.G.A.R., 1993, n° 12.132. a. van oevelen, g. joCqué, C. perSyn et B. De temmerman, op. cit., p. 1164. l. SChuermanS, a. van oevelen, C. perSyn, Ph. ernSt et j.-l. SChuermanS, op. cit., p. 1123. Corr. Liège, 18 juin 2007, Évaluation du préjudice corporel, 2009, liv. 14, III.3. Liège, 167 ; Pol. Namur, 26 janvier 2007, C.R.A., 2008, p. 533 ; Civ. Malines, 31 janvier 2006, Bull. ass., 2007, p. 117 ; Pol. Dinant, 25 mai 2004, Évaluation du préjudice corporel, 2005, liv. 10, III.3. Dinant, 15 ; Pol. Verviers, 7 mars 2000, Évaluation du préjudice corporel, 2003, liv. 7, III.3. Verviers, p. 5 ; Trib. trav. Tongres, 2 mars 1999, J.T.T., 1999, p. 255 ; Bruxelles, 22 décembre 1998, Rev. dr. santé, 2000-2001, p. 232 ; Bruxelles, 10 juin 1997, R.G.A.R., 1999, n° 13.054 ; Mons, 17 mars 1994, R.G.A.R., 1996, n° 12.663 ; Bruxelles, 7 janvier 1992, R.G.A.R., 1993, n° 12.132. Civ. Bruxelles, 26 octobre 1998, Évaluation du préjudice corporel, 2003, liv. 8, III.3. Bruxelles, p. 24 ; Liège, 4 octobre 1984, Bull. ass., 1985, p. 275.

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dans cette hypothèse, également réalisable106. Si la victime a pu trouver un travail dans l’intervalle, sa valeur économique pourra aisément être déterminée107. Si elle est toujours sans emploi, le parcours professionnel et les qualités de la victime seront notamment pris en considération108. Une victime inactive depuis de nombreuses années ne pourra pas prétendre à une valeur économique très élevée. Sa valeur pourrait alors se limiter au montant des allocations de remplacement antérieurement perçues109. Par contre, une victime qui a longtemps exercé une activité professionnelle et qui, en raison du contexte économique ou de la santé de l’entreprise, se trouve momentanément sans emploi lors du fait dommageable pourra faire valoir une valeur économique élevée110. Rien ne justifie alors de réduire sa valeur économique au montant des allocations de chômage111. Une fois cette valeur économique fixée, un calcul de capitalisation pourra être effectué pour évaluer le dommage futur112. Le seul fait de ne pas avoir d’emploi au moment de l’accident ne suffit donc pas à exclure la capitalisation113.

1

36. Notons enfin que la jurisprudence limite parfois le préjudice économique permanent à la perte d’une chance de trouver un travail plus rémunérateur que les allocations de chômage114. Nous renvoyons à ce qui a été dit à ce sujet pour les jeunes victimes.

D. Femme et homme au foyer 37. Le statut de la femme ou de l’homme au foyer se rapproche de celui du chômeur. Dans les deux cas, il s’agit de victimes n’exerçant pas d’activité professionnelle rémunératrice au moment du fait dommageable. Comme les chômeurs, les femmes ou hommes au foyer n’ont toutefois pas vocation à rester inactifs toute leur vie. Il est en effet relativement fréquent que les mères ou pères au foyer (re)commencent à travailler lorsque leurs enfants grandissent et demandent moins d’attention115. Par contre, une spécificité doit être soulignée chez cette catégorie de victimes : ils ne bénéficient pas d’allocations de chômage. 106. Mons, 1er juin 1987, R.G.A.R., 1988, n° 11.381. 107. B. De temmerman, op. cit., p. 304. 108. Corr. Charleroi, 23 mai 2011, R.G.A.R., 2012, n° 14.833 ; Pol. Bruges, 6 mars 2009, C.R.A., 2009, p. 443 ; Civ. Bruges, 16 janvier 2003, Bull. ass., 2003, p. 622, note P. grauluS ; Mons, 15 octobre 2001, R.G.A.R., 2003, n° 13.672 ; Civ. Bruxelles, 16 décembre 1988, Bull. ass., 1989, p. 512, note W. pervenagie. 109. Civ. Bruges, 16 janvier 2003, Bull. ass., 2003, p. 622, note P. grauluS. 110. Pol. Huy, 9 octobre 2000, R.G.A.R., 2001, n° 13.418. 111. t. jooS et r. CoSijn, op. cit., p. 28. 112. Mons, 1er juin 1987, R.G.A.R., 1988, n° 11.381. 113. Mons, 15 octobre 2001, R.G.A.R., 2003, n° 13.672. 114. Bruxelles, 1er avril 1992, Bull. ass., 1992, p. 549, note W. pervenagie. 115. m. van WaSSenaer van CatWijCK, op. cit., p. 141.

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38. S’ils ne peuvent demander le remboursement de la perte d’allocations de remplacement, les hommes et femmes au foyer peuvent toutefois subir un préjudice économique temporaire. Celui-ci prendra la forme d’une perte de rémunération fictive qu’ils auraient pu percevoir s’ils avaient repris une activité professionnelle avant la consolidation. La réalité d’une reprise au travail devra évidemment être prouvée de telle sorte que le préjudice se limitera bien souvent à la perte d’une chance de rentrer sur le marché du travail et de bénéficier de revenus. Après la consolidation, ils pourront demander l’indemnisation de la perte de valeur économique subie116. Le recours au forfait sera à nouveau souvent préféré117. Pourtant, la valeur économique peut être évaluée avec plus de précision. Le diplôme obtenu et la période antérieure d’inactivité pourront être pris en considération pour fixer cette valeur économique. Une victime qui n’a jamais exercé d’activité professionnelle et qui est toujours inactive alors que les enfants sont déjà grands ne pourra pas revendiquer une grande valeur économique. Notons qu’en France, les femmes ou hommes au foyer peuvent réclamer, au titre de l’incidence professionnelle, l’indemnisation de la perte de chance de revenir sur le marché du travail118. 39. La confusion règne parfois à propos des femmes et hommes au foyer entre les préjudices économique et ménager. La cour d’appel de Bruxelles a, par exemple, indemnisé le dommage économique futur de la femme au foyer par l’intermédiaire de la réparation du préjudice ménager. Pour l’avenir, le montant retenu pour le préjudice ménager d’un ménage avec enfants doit en principe être réduit à partir du moment où les enfants quitteront le foyer familial. La cour d’appel a décidé de ne pas réduire ce montant pour l’avenir et de le maintenir en vue d’indemniser le préjudice économique futur de la victime. Cette confusion est regrettable. Il s’agit en effet de deux préjudices distincts méritant une indemnisation propre119. En France, la femme au foyer peut subir deux dommages différents : l’impossibilité pour la femme au foyer d’exercer les tâches ménagères pourra justifier une indemnisation au titre de l’assistance d’une tierce personne d’une part, et la perte d’une chance de reprendre une activité professionnelle pourra être réparée en tant qu’incidence professionnelle d’autre part120. Force est toutefois de constater qu’en Belgique, 116. B. De temmerman, op. cit., pp. 283-284. 117. Pol. Gand, 24 octobre 2000, T.G.R., 2001, p. 11 ; Anvers, 3 mars 1994, Limb. Rechtsl., 1994, p. 143  ; Corr. Nivelles, 19 février 1982, R.G.A.R., 1983, n° 10.642  ; Liège, 24 novembre 1980, R.G.A.R., 1983, n° 10.706 ; Corr. Bruxelles, 23 janvier 1980, R.G.A.R., 1981, n° 10.338 ; Pol. Vilvoorde, 10 mai 1989, Bull. ass., 1989, p. 551, note D. van orShoven. 118. G. viney et P. jourDain, Les effets de la responsabilité, Paris, L.G.D.J., 2006, p. 282 ; X., La nomenclature des postes de préjudice de la victime directe. Bilan 2010, op. cit., p. 28. 119. Bruxelles, 11 janvier 1989, R.G.A.R., 1990, n° 11.803. 120. y. lamBert-Faivre et S. porChy-Simon, op. cit., p. 166.

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le préjudice économique au sens strict est très rarement indemnisé et seul le préjudice ménager est envisagé121. Nous reviendrons ultérieurement sur ce préjudice ménager des femmes et hommes au foyer122.

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E. Pensionné 40. La situation des pensionnés diffère légèrement de celle des autres personnes sans revenus. En effet, lorsqu’une personne atteint l’âge de la retraite, elle est censée être sortie du marché du travail et ne plus exercer d’activité professionnelle à l’avenir. Cette affirmation est vraie dans la grande majorité des situations. L’indemnisation du préjudice économique au sens large du pensionné sera alors bien souvent inexistante123 ou se réduira au seul préjudice ménager124. Ce constat n’implique toutefois pas d’exclure tout préjudice économique dans le chef des pensionnés. Ceux-ci peuvent, en raison du fait dommageable, être confrontés à une impossibilité ou une difficulté d’effectuer des activités lucratives après la retraite125. Après la fin de l’activité professionnelle, on peut admettre que la personne lésée aurait exercé une activité lui octroyant des revenus professionnels complémentaires126. On parlera alors de dommage post-professionnel ou post-lucratif127. Le tableau indicatif reconnaît ce préjudice depuis sa première version128 et propose une définition de ce préjudice  : «  préjudice subi du fait de l’incapacité totale ou partielle à accomplir des activités professionnelles qui ne ressortissent pas au travail ménager présentant un intérêt économique postérieurement à la carrière professionnelle »129. 41. Au regard de la jurisprudence, l’indemnisation du préjudice postprofessionnel se rencontre plutôt pour des victimes plus jeunes, principalement des indépendants et qui n’ont pas encore atteint l’âge de la 121. Bruxelles, 17 octobre 1997, R.G.A.R., 1998, n° 12.985  ; Pol. Namur, 28 février 2007, C.R.A., 2008, p. 540. 122. Voy. infra, nos 58 à 61. 123. Bruxelles, 1er avril 1992, Bull. ass., 1992, p. 762, note W. pervenagie  ; Corr. Louvain, 28 mai 1990, Bull. ass., 1992, p. 757. 124. Pol. Namur, 11 janvier 2007, Évaluation du préjudice corporel, 2008, liv. 13, III.2., 51 ; III.3. Namur, 75 ; Pol. Liège, 7 mars 2005, Évaluation du préjudice corporel, 2006, liv. 11, III.3. Liège, p. 101 ; Pol. Anvers, 24 mai 2002, Bull. ass., 2004, p. 604, note P. grauluS ; Civ. Bruges, 5 mai 2000, Bull. ass., 2001, p. 564 ; Gand, 24 juin 1994, T.G.R., 1994, p. 171 ; Bruxelles, 7 mai 1990, R.G.A.R., 1991, n° 11.835 ; Civ. Bruxelles, 23 juin 1988 et Mons, 7 janvier 1991, inédits, cités par J.-L. Fagnart et R. Bogaert, La réparation du dommage corporel en droit commun, Bruxelles, Larcier, 1994, pp. 49-50. 125. D. De Callataÿ et N. eStienne, op. cit., p. 284. 126. J.-L. Fagnart et R. Bogaert, op. cit., p. 231. 127. R. anDré, La réparation du préjudice corporel, Bruxelles, Story-Scientia, 1986, p. 220. 128. X., « Accidents de la circulation : tableau indicatif des chômages et autres dommages et intérêts forfaitaires », op. cit., p. 338. 129. X., « Tableau indicatif. Version 2012 », op. cit., p. 147.

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retraite au moment de l’accident ou du jugement130. Si la victime est déjà pensionnée lors de l’accident ou au jour du jugement et qu’elle n’exerce pas à ce moment d’activité lucrative, l’existence d’un préjudice économique pourrait être contestée. La réalité de ce dommage a pourtant été reconnue en 2003131, puis encore récemment en 2012132 par la Cour de cassation. Selon la Cour, la circonstance que la victime bénéficie d’une prépension n’exclut pas qu’elle conserve une valeur économique. Comme pour les autres personnes sans revenus, le fait que la victime ne travaillait pas au moment de l’accident ne peut être le critère de référence133. Le pensionné peut donc subir une atteinte à sa capacité de travail tant avant qu’après la consolidation134. 42. Le pensionné peut, d’une part, invoquer l’existence d’un préjudice économique temporaire. Celui-ci s’envisagera, sans doute dans la plupart des cas, comme une perte de chance. Le pensionné peut, d’autre part, solliciter l’indemnisation d’un préjudice économique permanent. Il peut en effet avoir perdu définitivement tout ou partie de sa valeur économique. Pour pouvoir revendiquer la réparation d’un tel préjudice, la réalité de l’exercice d’une activité lucrative doit être démontrée par la victime. Le montant probable des rémunérations découlant de l’exercice d’activités post-professionnelles doit également être établi. À cet égard, il ne s’agit pas de prendre comme référence les revenus promérités lorsque la victime exerçait encore une activité professionnelle. Seuls les revenus qu’un pensionné peut toucher seront pris en considération. Dans son arrêt du 24 avril 2012, la Cour de cassation a ainsi cassé un arrêt de la cour d’appel de Bruxelles qui avait fixé l’indemnité pour le dommage économique résultant de l’incapacité de travail de la victime sans tenir compte de la circonstance que la victime a bénéficié de la prépension135. La valeur économique du retraité peut donc se révéler, selon les circonstances, assez réduite et son atteinte sera vraisemblablement indemnisée de manière forfaitaire. Une fois cette valeur fixée, la question du cumul de l’indemnité correspondante avec le bénéfice de la pension se pose alors. Nous y reviendrons dans la dernière section136.

130. l. SChuermanS, a. van oevelen, C. perSyn, Ph. ernSt et j.-l. SChuermanS, op. cit., pp. 12281229 ; D. De Callataÿ et N. eStienne, op. cit., pp. 284-285. 131. Cass., 16 octobre 2003, R.G.A.R., 2005, n° 14.045. 132. Cass., 23 avril 2012, Pas., 2012, p. 875 ; R.G.A.R., 2013, n° 14.947. 133. Pol. Nivelles, 15 mai 1996, R.G.A.R., 1997, n° 12.873. 134. a. van oevelen, g. joCqué, C. perSyn et B. De temmerman, op. cit., p. 1166. 135. Cass., 23 avril 2012, Pas., 2012, p. 875 ; R.G.A.R., 2013, n° 14.947. 136. Voy. infra, nos 78 et 79.

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Section 2

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Efforts accrus A. Critères d’indemnisation 43. Nous avons vu que le dommage économique résultant de l’atteinte à la capacité de travail se manifeste de diverses manières. Cette atteinte peut notamment prendre la forme d’efforts accrus137. L’indemnisation de ces efforts dans un cadre professionnel est admise depuis longtemps et a été consacrée dans le tableau indicatif dès sa première version138. Les efforts accrus ne sont toutefois pas limités à la seule sphère professionnelle. Ils peuvent ainsi être fournis dans le cadre des tâches ménagères139. Par ailleurs, des efforts peuvent aussi être consentis par des personnes n’exerçant pas d’activité professionnelle140. On connaît la controverse traditionnelle quant à savoir si les efforts accrus doivent être indemnisés forfaitairement ou par référence au salaire que la victime parvient à maintenir grâce aux efforts141. S’agissant ici d’efforts fournis par des personnes sans revenus, il nous semble que l’indemnisation forfaitaire est la plus adéquate. Ce poste de préjudice se limite toutefois à deux catégories de personnes sans revenus : les étudiants et les chômeurs. Les étudiants peuvent, en raison du fait dommageable, être contraints de fournir des efforts en vue de réussir leur année scolaire142. Le chômeur peut également devoir consentir de tels efforts dans le cadre de sa recherche d’emploi. Force est toutefois de constater que si, en jurisprudence, l’indemnisation des efforts accrus de l’étudiant est relativement fréquente, il en est autrement des chômeurs. La question semble, à leur sujet, se poser beaucoup plus rarement en pratique. Par contre, pour les deux autres catégories de personnes sans revenus, les seuls efforts pouvant, nous semble-t-il, être indemnisés sont ceux effectués dans le cadre des tâches ménagères. 44. Les particularités de l’indemnisation des efforts accrus propres à chacune des deux catégories vont être examinées. Une question se pose cependant au préalable et concerne tant les étudiants que les chômeurs. Les efforts accrus doivent-ils faire l’objet d’une indemnisation distincte? À notre estime, ils ne seront indemnisés spécifiquement qu’avant la 137. Cass. 25 juin 1980, J.T., 1981, p. 288  ; Pas., 1980, I, p. 1319, note  ; R.W., 1981-1982, col. 1234 ; G. WeZel, op. cit., p. 307. 138. X., « Accidents de la circulation : tableau indicatif des chômages et autres dommages et intérêts forfaitaires », op. cit., p. 337. 139. T. hoSChet, « Meerinspanningen », R.B.D.C., 2008, p. 19 ; Th. papart, « Les efforts accrus… Ambiguïté et redondance », R.B.D.C., 2008, pp. 21 et 24. 140. Pol. Gand, 21 décembre 1998, J.J.P., 2001, p. 390. Contra : Pol. Charleroi, 4 avril 2001, R.G.A.R., 2002, n° 13.535. 141. Th. papart, op. cit., p. 21. 142. a. van oevelen, g. joCqué, C. perSyn et B. De temmerman, op. cit., p. 1172.

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Le dommage et sa réparation

consolidation, en tant que préjudice économique temporaire. Après la consolidation, seule la perte de valeur économique devra être indemnisée. Comme nous l’avons précédemment indiqué143, la valeur économique de la victime sera déterminée pour les personnes sans revenus en considération d’un salaire virtuel fixé en tenant notamment compte de la formation de la victime et de son parcours scolaire ou professionnel. Il en sera ainsi des chômeurs, des hommes et femmes au foyer, des pensionnés et des étudiants. Pour cette dernière catégorie de victimes, la perte de valeur économique fondée sur un salaire virtuel n’est envisagée qu’à compter de l’entrée probable sur le marché du travail. Si, au moment de la consolidation et avant le jour du jugement, la victime poursuit toujours son parcours scolaire, le préjudice permanent passé pourrait prendre la forme d’efforts accrus144. Par contre, pour le futur, quelle que soit la qualité de la victime, la valeur économique devra être évaluée en fonction du salaire fictif. Selon Thierry Papart toutefois, les efforts accrus pourraient être capitalisés au même titre qu’un préjudice moral145. Il nous semble pourtant que si les efforts accrus sont indemnisés forfaitairement en considération des montants retenus par le tableau indicatif, soit 20 euros par jour, la valeur économique de la victime s’en trouve fortement réduite. Par ailleurs, les efforts accrus ne sont pas la seule manifestation de l’atteinte à la capacité de travail. Si la victime subit une telle atteinte, on peut considérer qu’elle prend, au jour du jugement, la forme d’une pénibilité supplémentaire pour la victime. Toutefois, à l’avenir, la victime pourrait être confrontée à un licenciement et ne plus trouver un travail aussi rémunérateur que celui qu’elle aurait pu exercer sans l’accident. La perte de valeur économique prendrait alors la forme d’une perte de rémunération. Seule l’atteinte à la valeur économique doit, selon nous, être indemnisée et capitalisée, valeur qui sera déterminée au regard d’un salaire fictif.

B. Étudiant 45. Suite à un accident, l’étudiant est bien souvent contraint de manquer les cours pendant une certaine période en raison de son hospitalisation ou de son état de santé. Après cette période d’incapacité totale, l’étudiant reprendra le chemin de l’école. Cette reprise implique parfois pour l’étudiant de consentir à des efforts supplémentaires, non seulement pour se remettre à niveau suite à son absence, mais également dans 143. Voy. supra, sect. 1, pt A. 144. Civ. Neufchâteau, 12 janvier 2005, R.G.A.R., 2006, n° 14.070  ; Civ. Charleroi, 27 octobre 2004, R.G.A.R., 2005, n° 14.056  ; Civ. Bruxelles, 22 janvier 1987, R.G.A.R., 1990, n° 11.747. 145. Th. papart, op. cit., p. 24.

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Le préjudice économique des personnes sans revenus

le cadre de la poursuite de ses études146. La reconnaissance de ce préjudice n’a pas toujours été acquise. Il était souvent inclus dans le préjudice moral147. Ce n’est que dans sa dernière version de 2012 que le tableau indicatif mentionne expressément les efforts accrus des étudiants148. Certains magistrats n’ont, fort heureusement, pas attendu cette consécration du tableau indicatif pour faire droit, depuis plusieurs années, à l’indemnisation de ce dommage149.

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46. Même si le principe est acquis, les magistrats exigent toutefois que la réalité des efforts soit prouvée150. Lorsque la personne lésée est déclarée en incapacité totale de travail, l’indemnisation des efforts accrus ne se conçoit dès lors en principe pas quel que soit le statut de la victime151. Il n’est toutefois pas rare que la réparation d’efforts accrus, pendant les périodes d’incapacité totale, soit admise à l’égard des étudiants152. Rien ne justifie pourtant une telle dérogation. Quelle que soit l’activité exercée par la personne lésée, si une indemnisation est octroyée pendant cette période, il convient de se demander si elle était réellement en incapacité totale153. Dans ces conditions, la victime ne peut pas ni potentiellement ni réellement consentir des efforts accrus. Certains juges ont donc, à juste titre, refusé d’accorder aux étudiants une indemnisation pour efforts accrus pendant la période d’incapacité totale154. Ce n’est que lorsque l’ex146. J. tinant et B. CeulemanS, op. cit., p. 58 ; Th. papart, op. cit., p. 28 ; D. De Callataÿ, « L’évaluation et la réparation du préjudice corporel en droit commun  (accident non mortel) », R.G.A.R., 1994, n° 12.286 ; a. van oevelen, g. joCqué, C. perSyn et B. De temmerman, op. cit., p. 1173 ; Pol. Liège, 21 juin 2010, Évaluation du préjudice corporel, 2011, liv. 16, III.2. Liège, 133 ; III.3. Liège, 191. 147. Pol. Liège, 21 janvier 2004, Évaluation du préjudice corporel, 2005, liv. 10, III.2. Liège, 67 ; Mons, 12 novembre 2003, Bull. ass., 2004, p. 778 (la victime avait elle-même indiqué que la base de 17,35 € réclamée pour les efforts accrus englobait le quantum doloris et le dommage moral) ; Mons, 2 octobre 1997, R.G.A.R., 1999, n° 13.070 ; Pol. Nivelles, 2 janvier 1996, R.G.A.R., 1999, n° 13.055 ; Pol. Gand, 25 mai 1993, T.G.R., 1994, p. 28 ; Civ. Bruxelles, 22 janvier 1987, R.G.A.R., 1990, n° 11.747. 148. X., « Tableau indicatif. Version 2012 », op. cit., p. 141. 149. Voy notamment Mons, 7 janvier 1983, R.G.A.R., 1986, n° 11.032. 150. D. De Callataÿ et N. eStienne, op. cit., p. 164. 151. R. anDré, op. cit., pp. 7 et 14 ; D. De Callataÿ et N. eStienne, op. cit., p. 170 ; J. tinant et B. CeulemanS, op. cit., p. 40 ; Cass., 5 octobre 1970, Pas., 1971, I, p. 97. 152. Th. papart, op. cit., pp. 25 et 28  ; Pol. Huy, 11 mars 2010, Évaluation du préjudice corporel, 2011, liv. 16, III.2. Huy, 45  ; III.3. Huy, 91  ; Civ. Nivelles, 23 décembre 2008, Évaluation du préjudice corporel, 2010, liv. 15, III.2. Nivelles, 25  ; III.3. Nivelles, 21  ; Pol. Malines, 18 juin 2008, C.R.A., 2010, p. 135 ; Pol. Gand, 7 janvier 2004, Bull. ass., 2004, p. 855 ; Civ. Gand, 30 avril 2002, Bull. ass., 2003, p. 198 ; Bruxelles, 28 mars 2001, R.G.A.R., 2002, n° 13.534. 153. D. De Callataÿ et N. eStienne, op. cit., p. 164. 154. Pol. Bruxelles, 3 juin 2009, Évaluation du préjudice corporel, 2010, liv. 15, III.2. Bruxelles, 35 ; Pol. Liège, 27 mars 2007, C.R.A., 2008, p. 542 ; Pol. Liège, 23 juin 2006, Évaluation du préjudice corporel, 2008, liv. 13, III.2. Liège, 109 ; Anvers, 14 décembre 2005, Bull. ass., 2007, p. 101 ; Civ. Malines, 17 juin 2003, Dr. circ., 2003, p. 326 ; Pol. Bruxelles, 7 janvier 1997, inédit, cité par J. joBSeS, « Réparation des préjudices subis en cas d’incapacité

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pert estime la victime apte, fût-ce partiellement, à reprendre une scolarité que les efforts peuvent être pris en compte. Cependant, même en cas d’incapacité partielle, le magistrat peut estimer que la preuve de la réalité des efforts n’est pas rapportée155. L’indemnisation est aussi parfois refusée en présence de faibles taux d’incapacité156, ce qui n’est nullement justifié157. Le type de lésion est également pris en compte pour apprécier l’existence de ces efforts158. Il nous semble pourtant que le simple fait de devoir rattraper son retard peut, en soi, justifier de devoir fournir des efforts complémentaires. Par ailleurs, les efforts accrus ne peuvent être limités aux seules victimes souffrant de lésions touchant aux capacités intellectuelles. Une indemnisation pourra ainsi être accordée, même si la victime est atteinte d’un problème « moteur » (une jambe ou un bras cassé par exemple) pour les efforts fournis durant les déplacements, notamment159. 47. Si la preuve d’une pénibilité accrue est apportée, les efforts doivent, à notre estime, être indemnisés quel que soit le résultat obtenu160. Même si les efforts n’ont pas permis à la victime de réussir son année, les efforts fournis dans ce but doivent être pris en compte. L’indemnisation d’efforts accrus pourra donc se cumuler avec celle résultant de la perte d’une année scolaire161. Néanmoins, la jurisprudence estime parfois que si

155. 156. 157.

158. 159. 160. 161.

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temporaire. Préjudice matériel. Tableau de jurisprudence  », Évaluation du préjudice corporel. Commentaire au regard de la jurisprudence, Waterloo, Kluwer, 2011, II.2.6., p. 2 ; Mons, 4 octobre 1990, Bull. ass., 1991, p. 397, note M. lamBert. Pol. Liège, 13 septembre 2004, Évaluation du préjudice corporel, 2006, liv. 11, III.2. Liège, 79 ; Corr. Charleroi, 26 novembre 1996, Évaluation du préjudice corporel, 2003, liv. 7, III.3. Charleroi, p. 26. Civ. Gand, 30 avril 2002, Bull. ass., 2003, p. 205 ; Pol. Tournai, 24 mars 2000, Évaluation du préjudice corporel, 2003, liv. 7, III.3. Tournai, p. 27. D. De Callataÿ et N. eStienne, op. cit., p. 171 ; Th. papart, op. cit., p. 25 ; Pol. Bruxelles, 3 juin 2009, Évaluation du préjudice corporel, 2010, liv. 15, III.2. Bruxelles, 35  ; Civ. Bruxelles, 11 décembre 2008, Bull. ass., 2010, p. 454 ; Pol. Charleroi, 20 mai 2008, C.R.A., 2008, p. 456 ; Pol. Liège, 16 septembre 2003, C.R.A., 2005, p. 194 ; Civ. Malines, 17 juin 2003, Dr. circ., 2003, p. 328. Pol. Liège, 30 septembre 2003, C.R.A., 2005, p. 121 ; Corr. Dinant, 25 septembre 1997, Bull. ass., 1999, p. 122, note C. BellemanS ; Anvers, 3 mars 1993, Bull. ass., 1999, p. 101 ; Mons, 22 juin 1989, R.G.A.R., 1991, n° 11820. Bruxelles, 25 octobre 2005, R.G.A.R., 2007, n° 14322 ; Corr. Anvers, 15 mai 1997, Bull. ass., 1998, p. 268  ; Anvers, 3 mars 1993, Bull. ass., 1999, p. 101. Contra  : Pol. Liège, 30 septembre 2003, C.R.A., 2005, p. 121. Th. papart, op. cit., p. 28 ; D. De Callataÿ et N. eStienne, op. cit., p. 165. a. van oevelen, g. joCqué, C. perSyn et B. De temmerman, op. cit., p. 1194 ; Th. papart, op. cit., p. 28 ; Pol. Namur, 4 mars 2010, C.R.A., 2011, p. 421 ; Pol. Bruxelles, 25 juin 2008, C.R.A., 2010, p. 35  ; Pol. Charleroi, 20 mai 2008, C.R.A., 2008, p. 456  ; Pol. Nivelles, 3 septembre 2007, R.G.A.R., 2008, n° 14.381 ; Pol. Charleroi, 19 décembre 2006, C.R.A., 2007, p. 266. Pol. Namur, 15 juin 2005, C.R.A., 2007, p. 289 ; Civ. Neufchâteau, 12 janvier 2005, R.G.A.R., 2006, n° 14.070 ; Pol. Namur, 23 mars 2004, Évaluation du préjudice corporel, 2005, liv. 10, III.2. Namur, 25 ; Pol. Bruxelles, 10 février 2004, R.G.A.R., 2005, n° 14.046 ; Pol. Gand, 21 décembre 1998, J.J.P., 2001, p. 390 ; Corr. Anvers, 15 mai 1997, Bull. ass., 1998, p. 268 ; Mons, 4 octobre 1990, Bull. ass., 1991, p. 397, note M. lamBert ;

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Le préjudice économique des personnes sans revenus

les efforts ont été vains, ils ne doivent pas être indemnisés séparément162. Un seul montant est octroyé en ce cas163.

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48. La question du montant à accorder pour ce surcroît d’efforts se pose également. Au regard de la jurisprudence, il semble que le travail des étudiants soit bien souvent méprisé et minimisé. Certains magistrats diminuent ainsi bien souvent la base prévue dans le tableau indicatif pour les victimes exerçant une activité professionnelle164. Ils accordent également parfois un forfait global165 qui peut toutefois, dans certains cas,

162. 163. 164.

165.

Bruxelles, 21 décembre 1988, R.G.A.R., 1990, n° 11.609  ; Corr. Verviers, 10 juin 1986, R.G.A.R., 1987, n° 11.273  ; Corr. Nivelles, 4 octobre 1984, R.G.A.R., 1985, n° 10.965  ; Mons, 27 octobre 1983, R.G.A.R., 1986, n° 11.124. J. tinant et B. CeulemanS, op. cit., p. 59. Bruxelles, 20 février 1996, R.G.A.R., 1997, n° 12.822 ; Civ. Tongres, 2 juin 1988, Bull. ass., 1989, p. 136, note W. pervenagie. Pol. Huy, 11 mars 2010, Évaluation du préjudice corporel, 2011, liv. 16, III.2. Huy, 45 ; III.3. Huy, 9 ; Pol. Namur, 4 mars 2010, C.R.A., 2011, p. 421 ; Civ. Bruxelles, 11 décembre 2008, Bull. ass., 2010, p. 454 ; Anvers, 14 décembre 2005, Bull. ass., 2007, p. 101 ; Civ. Charleroi, 27 octobre 2004, R.G.A.R., 2005, n° 14.056  ; Pol. Namur, 25 mars 2004, Évaluation du préjudice corporel, 2005, liv. 10, III.2. Namur, 31 ; Pol. Namur, 23 mars 2004, Évaluation du préjudice corporel, 2005, liv. 10, III.2. Namur, 25 ; Civ. Bruxelles, 26 octobre 1999, Bull. ass., 2000, p. 123 ; Bruxelles, 21 décembre 1988, R.G.A.R., 1990, n° 11.609. 600.000 BEF (Bruxelles, 1er décembre 1987, R.G.A.R., 1991, n° 11.862) ; 300.000 BEF (Anvers, 3 mars 1993, Bull. ass., 1999, p. 101 ; Mons, 4 octobre 1990, Bull. ass., 1991, p. 397, note M. lamBert) ; 220.000 BEF (Mons, 29 janvier 1998, Évaluation du préjudice corporel, 2003, liv. 7, III.3. Mons, p. 37) ; 150.000 BEF (Corr. Dinant, 25 septembre 1997, Bull. ass., 1999, p. 122, note C. BellemanS) ; 100.000 BEF (Pol. Bruxelles, 19 janvier 1990, Bull. ass., 1990, p. 382, note M. lamBert) ; 2.000 € (Pol. Bruxelles, 25 juin 2008, C.R.A., 2010, p. 35 ; Pol. Namur, 15 juin 2005, C.R.A., 2007, p. 289 ; Pol. Bruxelles, 10 février 2004, R.G.A.R., 2005, n° 14.046) ; 75.000 BEF (Liège, 13 janvier 1998, Bull. ass., 1998, p. 392 ; Corr. Charleroi, 24 avril 1986, R.G.A.R., 1988, n° 11.382) ; 65.000 BEF (Mons, 5 février 1990, Bull. ass., 1990, p. 370, note M. lamBert) ; 60.000 BEF (Mons, 29 septembre 1988, inédit, cité par N. Simar et S. KeSSelS, « Inédits en matière de réparation du dommage de la cour d’appel de Mons », J.L.M.B., 1990, p. 696) ; 50.000 BEF (Liège, 13 janvier 1998, Bull. ass., 1998, p. 392) ; 54.975 BEF (Liège, 24 juin 1987, J.L.M.B., 1987, p. 1709) ; 1.000 € (Pol. Bruges, 13 septembre 2004, C.R.A., 2005, p. 24) ; 35.000 BEF (Mons, 7 janvier 1983, R.G.A.R., 1986, n° 11.032) ; 30.000 BEF (Civ. Gand, 13 février 1998, R.W., 2001-2002, p. 571)  ; 28.082 BEF (Civ. Bruxelles, 13 juin 2002, inédit, cité par J. joBSeS, « Réparation des préjudices subis en cas d’incapacité temporaire. Préjudice matériel. Tableau de jurisprudence », Évaluation du préjudice corporel. Commentaire au regard de la jurisprudence, Waterloo, Kluwer, 2011, II.2.6, p. 7) ; 25.000 BEF (Pol. Neufchâteau, 30 juin 2000, Évaluation du préjudice corporel, 2004, liv. 9, III.3. Neufchâteau, 7) ; 500 € (Bruxelles, 25 octobre 2005, R.G.A.R., 2007, n° 14.322) ; 15.000 BEF (Mons, 22 juin 1989, R.G.A.R., 1991, n° 1182) ; 10.000 BEF (Corr. Tournai, 20 novembre 1998, Évaluation du préjudice corporel, 2003, liv. 7, III.2. Tournai, p. 22 ; Pol. Tournai, 12 novembre 1997, Évaluation du préjudice corporel, 2003, liv. 7, III.2. Tournai, 7) ; 350 € (Pol. Liège, 21 janvier 2004, Évaluation du préjudice corporel, 2005, liv. 10, III.3. Liège, 63) ; 5.000 BEF (Mons, 13 avril 1989, inédit, cité par N. Simar et S. KeSSelS, « Inédits en matière de réparation du dommage de la cour d’appel de Mons  », J.L.M.B., 1990, p. 1164) ; 3.500 BEF pour la période d’incapacité totale (Civ. Gand, 30 avril 2002, Bull. ass., 2003, p. 198) ; 3.000 BEF (Mons, 16 février 1989, inédit, cité par N. Simar et S. KeSSelS, « Inédits en matière de réparation du dommage de la cour d’appel de Mons », J.L.M.B., 1990, p. 1164).

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se révéler généreux. Rien ne justifie en toutes hypothèses d’octroyer à l’étudiant qui a fourni des efforts supplémentaires une indemnisation au rabais. Le montant de base doit ainsi être le même, que les efforts accrus soient consentis dans un cadre professionnel ou scolaire166. Le travail scolaire ne peut être systématiquement considéré comme moins éreintant qu’une activité professionnelle. La pénibilité liée à la reprise de la scolarité peut même, au contraire, être plus importante167. Le tableau indicatif a donc, à très juste titre, précisé que les efforts accrus des étudiants devaient être valorisés sur les mêmes bases que celles retenues pour les victimes exerçant une activité professionnelle168. 49. Il convient enfin d’examiner la durée de l’indemnisation des efforts accrus. Pour les victimes exerçant une profession au moment du fait dommageable, il a souvent été soutenu que les efforts ne devaient être fournis et donc compensés que pendant les jours de la semaine. Le tableau indicatif a connu une évolution à cet égard. Alors que les premières versions indiquaient que les efforts accrus devaient être indemnisés par jour sans autre précision, la version de 2008 a, quant à elle, précisé que l’indemnisation se calculait par jour calendrier169. En 2012, il est, par contre, indiqué que l’indemnité est octroyée par jour presté170. Si cette position peut se comprendre pour un salarié, il en est tout autrement de l’étudiant. En raison du fait dommageable, l’étudiant a, bien souvent, pris du retard dans la matière ou doit prendre plus de temps pour étudier en raison, par exemple, de difficultés de concentration ou de céphalées. Il va alors mettre à profit les week-ends et les vacances scolaires, à tout le moins en partie, pour rattraper son retard ou effectuer le travail qu’il n’a pu fournir pendant la semaine171. Les efforts accrus doivent être pris 166. a. van oevelen, g. joCqué, C. perSyn et B. De temmerman, op. cit., p. 1173 ; Pol. Bruxelles, 3 juin 2009, Évaluation du préjudice corporel, 2010, liv. 15, III.2. Bruxelles, 35  ; Civ. Bruxelles, 13 février 2009, R.G.A.R., 2009, n° 14.577 ; Civ. Nivelles, 23 décembre 2008, Évaluation du préjudice corporel, 2010, liv. 15, III.2. Nivelles, 25 ; III.3. Nivelles, 21 ; Pol. Charleroi, 20 mai 2008, C.R.A., 2008, p. 456  ; Pol. Liège, 27 mars 2007, C.R.A., 2008, p. 542 ; Pol. Liège, 23 juin 2006, Évaluation du préjudice corporel, 2008, liv. 13, III.2. Liège, 109 ; Civ. Neufchâteau, 12 janvier 2005, R.G.A.R., 2006, n° 14.070 ; Pol. Gand, 7 janvier 2004, Bull. ass., 2004, p. 855 ; Civ. Anvers, 2 février 2004, C.R.A., 2007, p. 450 ; Pol. Bruxelles, 10 février 2004, R.G.A.R., 2005, n° 14.046  ; Bruxelles, 28 mars 2001, R.G.A.R., 2002, n° 13.534 ; Civ. Bruxelles, 11 janvier 2000, R.G.A.R., 2002, n° 13.500 ; Pol. Verviers, 21 janvier 1998, inédit, cité par J. joBSeS, « Réparation des préjudices subis en cas d’incapacité temporaire. Préjudice matériel. Tableau de jurisprudence », Évaluation du préjudice corporel. Commentaire au regard de la jurisprudence, Waterloo, Kluwer, 2011, II.2.6., p. 3 ; Corr. Nivelles, 4 octobre 1984, R.G.A.R., 1985, n° 10965. 167. D. De Callataÿ et N. eStienne, op. cit., p. 165 ; Pol. Liège, 16 septembre 2003, C.R.A., 2005, p. 194. 168. X., « Tableau indicatif. Version 2012 », op. cit., p. 141. 169. X., « Le tableau indicatif. Version 2008 », op. cit., 2008, p. 127. 170. X., « Tableau indicatif. Version 2012 », op. cit., p. 141. 171. Pol. Bruxelles, 3 juin 2009, Évaluation du préjudice corporel, 2010, liv. 15, III.2. Bruxelles, 35 ; Civ. Bruxelles, 13 février 2009, R.G.A.R., 2009, n° 14.577 ; Civ. Nivelles, 23 décembre

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en compte, contrairement au travailleur salarié, sans faire de distinction entre les jours de la semaine et du week-end172.

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C. Chômeur 50. L’indemnisation d’efforts accrus peut également s’envisager à propos des demandeurs d’emploi173. La victime qui est au chômage au moment du fait dommageable est censée effectuer des démarches en vue de trouver un travail. La survenance de l’accident la contraint parfois à fournir un surcroît d’efforts dans la poursuite de ces démarches. Les montants du tableau indicatif peuvent donc être appliqués aux taux et périodes d’incapacité partielle de travail fixés par l’expert. La preuve de cette pénibilité supplémentaire doit évidemment être apportée. L’expert ou le juge estime parfois que, compte tenu des circonstances, la victime n’a fourni aucun effort particulier174. Section 3

Préjudice ménager A. Le préjudice ménager : un préjudice économique 51. Nous avons jusqu’à présent examiné le préjudice économique au sens strict du terme, à savoir celui qui touche de près ou de loin à la sphère professionnelle. Les préjudices économiques ne se limitent pourtant pas à ce domaine restreint. Le préjudice ménager apparaît en effet comme une catégorie particulière de préjudice économique175. Il n’est plus contesté aujourd’hui que l’activité ménagère a une véritable valeur économique qui doit être prise en compte dès lors que l’atteinte à l’intégrité physique a des répercussions sur la capacité actuelle et future de la victime à effectuer des tâches domestiques176. Même si l’activité ménagère n’est pas

172.

173. 174. 175. 176.

2008, Évaluation du préjudice corporel, 2010, liv. 15, III.2. Nivelles, 25 ; III.3. Nivelles, 21  ; Pol. Liège, 27 mars 2007, C.R.A., 2008, p. 542  ; Civ. Charleroi, 27 octobre 2004, R.G.A.R., 2005, n° 14.056 ; Pol. Namur, 23 mars 2004, Évaluation du préjudice corporel, 2005, liv. 10, III.2. Namur, 25 ; J. tinant et B. CeulemanS, op. cit., p. 58. Contra : Pol. Liège, 16 septembre 2003, C.R.A., 2005, p. 194. Th. papart, op. cit., pp. 25 et 28  ; Pol. Huy, 11 mars 2010, Évaluation du préjudice corporel, 2011, liv. 16, III.2. Huy, 45  ; III.3. Huy, 91  ; Pol. Namur, 4 mars 2010, C.R.A., 2011, p. 421 ; Pol. Liège, 21 janvier 2004, Évaluation du préjudice corporel, 2005, liv. 10, III.3. Liège, 63. a. van oevelen, g. joCqué, C. perSyn et B. De temmerman, op. cit., p. 1167. Contra : Corr. Bruxelles, 25 novembre 1986, inédit, cité par J.-L. Fagnart et M. Denève, op. cit., p. 86. Bruxelles, 8 novembre 2002, R.G.A.R., 2004, n° 13.796. B. De temmerman, op. cit., p. 241 ; Cass., 7 janvier 1999, Pas., 1999, p. 7. Le tableau indicatif parle d’ailleurs de valeur économique du travail ménager depuis 1998 (X., « Le tableau indicatif des indemnités en droit commun », op. cit., n° 12.992).

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rémunérée, elle permet d’éviter une dépense et a, par conséquent, une valeur économique177. 52. Ce dommage sera analysé sous le prisme de certaines personnes sans revenus. Notre examen se limitera aux victimes pour qui le préjudice ménager présente des spécificités : les étudiants et les femmes et hommes au foyer.

B. Étudiant 53. La reconnaissance d’un préjudice ménager chez un étudiant peut, de prime abord, étonner. En effet, ce dommage s’envisage le plus souvent pour des adultes vivant seuls ou en ménage. Or, le préjudice ménager se définit comme «  une atteinte au potentiel énergétique ou fonctionnel de la victime entraînant une répercussion, qui se manifeste par une impossibilité totale ou partielle ou par des efforts accrus, sur son aptitude à l’exercice d’activités de nature domestique, économiquement évaluables, en tenant compte de l’environnement familial qui est le sien et son évolution prévisible  »178. Il convient donc de s’interroger sur la capacité de l’étudiant à exercer des tâches domestiques. 54. Un jeune enfant ne dispose pas en principe d’une aptitude à effectuer des tâches ménagères. Toutefois, au fur et à mesure des années, l’enfant devient un adolescent et acquiert alors une capacité ménagère. Il développe, au fil du temps, la possibilité de participer aux tâches domestiques179. Lorsqu’il termine ses études secondaires et entame un parcours universitaire ou dans une haute école, il doit parfois vivre en kot pendant la semaine et assumer alors tout ou partie des activités ménagères. On peut donc se poser la question du moment à partir duquel une capacité ménagère peut être reconnue à l’étudiant. Cette capacité sera non seulement examinée lorsque le fait dommageable touche le mineur luimême, mais pourra également être abordée dans un autre contexte. La question de la participation des enfants aux tâches ménagères se pose en effet aussi lorsque l’accident touche un père ou une mère. Selon que la personne lésée est un enfant ou un parent, la détermination de la valeur ménagère de l’enfant représentera un enjeu différent pour apprécier le préjudice ménager. Si la victime est un père ou une mère, la reconnaissance d’une capacité ménagère chez l’enfant diminuera le montant 177. g. joSeph, j.-F. marot et a.-m. naveau, « L’incapacité ménagère », Nouvelle approche des préjudices corporels. Évolution ! Révolution ? Résolution…, coll. Editions du Jeune barreau de Liège, Louvain-la-Neuve, Anthemis, 2009, p. 101. 178. Ibidem. 179. A.-M. naveau et J. Bogaert, «  Dix ans de tableau indicatif. Position de l’assureur  », Le traitement des sinistres avec dommage corporel et dix ans de Tableau indicatif (W. peeterS et M. van Den BoSSChe dir.), Gand, Larcier, 2004, p. 253.

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octroyé pour le préjudice ménager du parent blessé180. La participation de l’enfant aux tâches domestiques réduit ainsi la contribution des parents. À l’inverse, si l’enfant est la victime directe de l’accident et qu’il dispose d’une valeur ménagère, un préjudice ménager propre pourra lui être reconnu. Les parties tiendront dès lors parfois un discours totalement différent selon le statut de la victime de l’accident. Pour apprécier l’éventuelle valeur ménagère de l’étudiant, le critère de la cohabitation avec les parents pourrait être avancé. Tant que l’étudiant vit chez ses parents, il n’a aucune capacité ménagère. Toutefois, dès qu’il quitte le domicile familial, fût-ce pour la semaine uniquement, une valeur ménagère lui est reconnue. Force est toutefois de constater qu’en pratique, cette condition n’est pas déterminante.

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55. Si la victime est un étudiant vivant toujours chez ses parents, il est permis de se demander s’il dispose véritablement d’une capacité ménagère181. Bien souvent, aucune contribution aux tâches ménagères n’est retenue dans cette hypothèse182. On pourrait pourtant soutenir qu’à partir de l’entrée en humanité, soit à partir de 12 ans, un enfant commence à participer aux tâches domestiques183. Il est en effet assez fréquent que les parents demandent à leurs jeunes adolescents de mettre et débarrasser la table, de remplir et vider le lave-vaisselle, d’effectuer quelques travaux de jardinage ou encore d’étendre du linge. Si une capacité ménagère est reconnue au jeune adolescent, cette capacité ne pourra toutefois être que réduite. Se pose alors le problème de l’évaluation de la contribution de l’étudiant. Le tableau indicatif prévoit des montants, par ménage, croissant selon le nombre d’enfants à charge, c’est-à-dire d’enfants bénéficiant d’allocations familiales184. Il propose également depuis 2001, à défaut d’éléments concrets, une ventilation pour la contribution de chaque partenaire soit 35% pour l’homme et 65% pour la femme185. Tant que l’étudiant bénéficie d’allocations familiales, le tableau ne semble donc pas suggérer qu’il concrétise une réelle valeur ménagère autonome186. Si le doute est permis quant à la capacité ménagère d’un jeune adolescent de 12 ou 13 ans, il nous semble toutefois qu’un jeune à partir de 16 ans a une valeur ménagère, fût-elle réduite, même s’il vit encore chez ses 180. Corr. Dinant, 17 mars 2003, R.G.A.R., 2004, n° 13.910 ; Pol. Huy, 22 mars 2005, R.G.A.R., 2007, n° 14.236. 181. D. De Callataÿ et N. eStienne, op. cit., p. 193. 182. Bruxelles, 25 octobre 2005, R.G.A.R., 2007, n° 14.322  ; Pol. Huy, 22 mars 2005, R.G.A.R., 2007, n° 14.236 ; Corr. Courtrai, 5 septembre 2003, R.A.B.G., 2005, p. 1130, note E. BroSenS ; Corr. Nivelles, 4 octobre 1984, R.G.A.R., 1985, n° 10.965. 183. Un montant de 500 BEF par jour est octroyé à une victime de 13 ans jusqu’à ce qu’elle ait atteint l’âge de 20 ans (Bruxelles, 17 avril 1996, R.G.A.R., 1997, n° 12.838). 184. X., « Tableau indicatif. Version 2012 », op. cit., p. 140. 185. X., « Le tableau indicatif », op. cit., n° 13.455. 186. D. De Callataÿ et N. eStienne, op. cit., p. 193.

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parents187. Ce critère de cohabitation est cependant parfois poussé à l’extrême puisque certains juges vont jusqu’à refuser tout préjudice ménager au jeune adulte au motif qu’il habite toujours chez ses parents188. 56. Lorsque l’étudiant ne vit plus en permanence chez ses parents, il nous semble alors qu’il dispose nécessairement d’une valeur ménagère. Il est très fréquent que l’étudiant qui entame des études supérieures doive vivre en kot durant la semaine en raison de la distance séparant l’université ou l’école du domicile des parents. Dans son kot, cet étudiant devra assumer seul certaines tâches ménagères189. Il devra ainsi éventuellement faire des courses, préparer son repas ou, à tout le moins, réchauffer des plats préparés, faire la vaisselle, entretenir, fût-ce partiellement, son logement et, le cas échéant, laver et repasser son linge. Même si les parents continuent à assumer, la plupart du temps, certaines tâches, il est indéniable que l’étudiant concrétise une valeur ménagère190. Selon les circonstances, il pourrait même être considéré comme une personne isolée en permanence191. Cette situation est toutefois relativement rare ; il sera donc plus judicieux de dissocier les jours de la semaine, où l’étudiant pourrait être assimilé à une personne isolée, des week-ends, blocus et vacances où le montant retenu serait plus réduit192, voire inexistant. À propos des étudiants en kot, une modification apportée dans le dernier tableau indicatif mérite d’être soulignée, car elle pourrait entraîner des répercussions défavorables pour ces derniers. Dans cette dernière version, la majoration du montant de base prévue en fonction du nombre d’enfants à charge dépend uniquement du bénéfice des allocations familiales193. Auparavant, cette majoration valait tant que l’enfant bénéficiait de ces allocations, mais également tant qu’il vivait sous le même toit que ses parents194. Les auteurs du nouveau tableau ont sans doute eu à l’esprit l’indemnisation des parents blessés. Ils ont peut-être voulu éviter que soit imposé aux parents le montant octroyé à un ménage sans enfant ou 187. Pol. Liège, 21 juin 2010, Évaluation du préjudice corporel, 2011, liv. 16, III.2. Liège, 133 ; III.3. Liège, 191 ; Pol. Namur, 4 mars 2010, C.R.A., 2011, p. 421 ; Pol. Charleroi, 19 décembre 2006, C.R.A., 2007, p. 266 ; Pol. Namur, 15 juin 2005, C.R.A., 2007, p. 289 ; Pol. Huy, 15 juin 2004, Évaluation du préjudice corporel, 2007, liv. 12, III.2. Huy, 13 ; III.3. Huy, 31 ; Pol. Namur, 25 mars 2004, Évaluation du préjudice corporel, 2005, liv. 10, III.2. Namur, 31 ; Pol. Liège, 16 septembre 2003, C.R.A., 2005, p. 194. 188. Anvers, 20 novembre 2006, Rev. dr. santé, 2006-2007, p. 368 ; Mons, 15 octobre 2001, R.G.A.R., 2003, n° 13.672. 189. Civ. Nivelles, 23 décembre 2008, Évaluation du préjudice corporel, 2010, liv. 15, III.2. Nivelles, 25 ; III.3. Nivelles, 21. 190. Civ. Nivelles, 23 décembre 2008, Évaluation du préjudice corporel, 2010, liv. 15, III.2. Nivelles, 25 ; III.3. Nivelles, 21 ; D. De Callataÿ et N. eStienne, op. cit., p. 194. 191. Pol. Nivelles, 3 septembre 2007, R.G.A.R., 2008, n° 14.381. 192. Civ. Gand, 30 avril 2002, Bull. ass., 2003, p. 198. 193. X., « Tableau indicatif. Version 2012 », op. cit., p. 140. 194. X., « Le tableau indicatif. Version 2008 », J.J.P., 2008, p. 127.

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avec un enfant de moins au motif que leur progéniture est à l’université. Toutefois, étant donné que la valorisation de la capacité ménagère de l’enfant présente une double facette, cette modification risque de rendre difficile la reconnaissance d’une capacité ménagère dans le chef de l’étudiant. Même s’il n’est plus vraiment sous le même toit que ses parents, il bénéficie, grâce à son statut d’étudiant, des allocations familiales. Il sera donc considéré comme faisant pleinement partie du ménage de ses parents et ne pourrait donc pas, selon le tableau, être considéré comme une personne isolée même pour la semaine.

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57. L’existence et l’évaluation du préjudice ménager d’un enfant sont, nous venons de le voir, sujettes à discussion tant qu’il a ce statut d’enfant ou d’étudiant. Qu’en est-il de son préjudice ménager futur ? Si l’accident touche un enfant, il est très vraisemblable qu’au jour du jugement, la situation « matrimoniale » de la victime ne sera pas encore fixée. Le juge devra donc évaluer le préjudice ménager futur de cet enfant sans avoir aucune indication à sa disposition. À nouveau, la solution de facilité est souvent le recours au forfait195. Il est vrai que le juge ne peut prédire, au moment où il statue, l’avenir sentimental et familial de la victime. Une capitalisation est toutefois envisageable et pourrait être opérée sur la base du montant octroyé pour une personne isolée196.

C. Femme et homme au foyer 58. Le préjudice ménager constitue sans doute le dommage ayant connu l’évolution la plus marquante au fil des années, vu l’évolution des conceptions relatives à l’implication des conjoints dans les tâches à réaliser au sein du ménage197. Autrefois réservé aux femmes travaillant exclusivement au foyer, il est actuellement étendu à celles qui exercent une activité professionnelle198, de même qu’aux hommes qui sont en mesure d’en établir l’existence199. Les femmes au foyer, victimes d’un accident, n’ont donc, pendant longtemps, reçu aucune indemnisation pour un 195. Pol. Namur, 4 mars 2010, C.R.A., 2011, p. 421 ; Pol. Charleroi, 19 décembre 2006, C.R.A., 2007, p. 266 ; Civ. Gand, 30 avril 2002, Bull. ass., 2003, p. 198 ; Anvers, 3 mars 1993, Bull. ass., 1999, p. 101. 196. Anvers, 14 décembre 2005, Bull. ass., 2007, p. 101. 197. R. anDré, op. cit., p. 42. 198. Voy à cet égard le très « féministe » arrêt de la cour d’appel de Bruxelles du 11 janvier 1989 indiquant que l’activité ménagère est inhérente à la qualité de femme que celleci exerce ou non une activité professionnelle… (Bruxelles, 11 janvier 1989, R.G.A.R., 1990, n° 11.803) ; l. SChuermanS, a. van oevelen, C. perSyn, Ph. ernSt et j.-l. SChuermanS, op. cit., p. 1229. 199. Le tableau indicatif reconnaît un préjudice ménager dans le chef des hommes dès 1998 (X., « Le tableau indicatif des indemnités en droit commun », op. cit., n° 12.992) ; P. grauluS, « Dix ans de tableau indicatif : une évaluation critique basée sur la pratique », Le traitement des sinistres avec dommage corporel et dix ans de Tableau indicatif

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préjudice strictement économique, mais ont, par contre, été les premières à bénéficier d’une compensation pour leur préjudice ménager200. 59. La reconnaissance d’un préjudice économique au sens strict pour une femme ou un homme au foyer est rarement constatée en jurisprudence. L’existence d’un préjudice ménager ne fait, par contre, aucun doute. Étant donné que l’homme ou la femme au foyer consacre tout son temps à l’accomplissement des tâches domestiques, on peut dès lors s’interroger sur l’évaluation de ce préjudice ménager. Ne faudrait-il pas pour ces victimes majorer les montants retenus habituellement pour une personne exerçant une activité professionnelle ? C’est en effet la réponse donnée par certains au statut particulier des femmes et hommes au foyer. Aucun préjudice économique n’est ainsi accordé201. Par contre, le préjudice ménager est augmenté202, notamment parce que le travail ménager est de plus grande qualité203. Ce travail est alors évalué au regard de la rémunération d’une aide-ménagère204. Cette approche ne nous semble cependant pas adéquate. Que la victime y consacre tout son temps ou non, le ménage reste le même. L’entretien de la maison ne change pas, les tâches à effectuer pour la préparation des repas n’augmentent pas… La seule différence réside en ce que la personne exerçant une activité professionnelle dispose de moins de temps pour effectuer ces tâches domestiques et devra éventuellement faire appel à une aide extérieure. Étant donné que le ménage est identique, quelle que soit la qualité de la victime, et qu’une augmentation des montants octroyés en fonction du nombre d’enfants est organisée205, rien ne justifie de prévoir une quelconque majoration pour la victime au foyer. Par contre, l’absence de profession au moment du fait dommageable, nous l’avons vu, ne peut justifier l’exclusion de tout préjudice économique au sens strict. La femme ou l’homme au foyer possède en effet une valeur économique. Si cette valeur a été réduite ou supprimée, une indemnisation doit être octroyée. 60. Si le montant de base retenu pour le préjudice ménager ne doit pas être majoré, il convient toutefois d’adapter la répartition des contri-

200. 201. 202. 203. 204. 205.

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(W. peeterS et M. van Den BoSSChe dir.), Gand, Larcier, 2004, p. 231 ; D.  De Callataÿ et N. eStienne, op. cit., p. 189. M. Bonheure-Fagnart, «  La valeur économique du travail ménager  », R.G.A.R., 1975, n° 9.471. Bruxelles, 17 octobre 1997, R.G.A.R., 1998, n° 12.985 ; Bruxelles, 25 janvier 1994, inédit, cité par J.-L. Fagnart et R. Bogaert, op. cit., p. 25. J.-L. Fagnart et M. Denève, op. cit., p. 748  ; l. SChuermanS, a. van oevelen, C. perSyn, Ph.  ernSt et j.-l. SChuermanS, op. cit., pp. 1230-1233  ; m. van WaSSenaer van CatWijCK, op. cit., p. 141 ; Anvers, 21 juin 1991, Bull. ass., 1992, p. 146. M. Bonheure-Fagnart, op. cit., n° 9.471. Corr. Liège, 24 mai 1983, R.G.A.R., 1985, n° 10.915  ; Mons, 7 janvier 1983, R.G.A.R., 1986, n° 11.032. X., « Tableau indicatif. Version 2012 », op. cit., p. 140.

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butions des partenaires dans le ménage. Lorsqu’un conjoint se consacre exclusivement à son ménage, la proposition du tableau indicatif de répartition à 65/35206 est totalement inadaptée. Faut-il pour autant considérer que la ou le partenaire qui travaille ne contribue pas du tout aux tâches ménagères  ? Tout dépendra évidemment des circonstances propres à chaque cas d’espèce, mais il semble qu’une capacité ménagère résiduelle puisse malgré tout être reconnue au conjoint exerçant une activité professionnelle207.

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61. Notons enfin que la discussion portant sur l’existence d’un préjudice ménager, lorsque la personne lésée est hospitalisée ou se trouve en incapacité totale, se rencontre pour les victimes exerçant une activité rémunératrice au moment de l’accident208, mais également pour les hommes et femmes au foyer209. L’indemnisation de ce dommage est parfois refusée, à juste titre, au travailleur célibataire pendant son hospitalisation. La situation des femmes et hommes au foyer est toutefois bien souvent différente. La jurisprudence a parfois refusé toute indemnisation à la femme au foyer durant cette période au motif que si elle est hospitalisée, elle ne peut subir de préjudice ménager210. Dans une telle hypothèse, ce refus n’est nullement justifié puisqu’elle subit, presque toujours, un préjudice ménager pendant son hospitalisation. En effet, la victime au foyer ne vit, dans la plupart des cas, pas seule et ne peut donc plus, de par son hospitalisation résultant du fait dommageable, faire profiter sa famille ou son conjoint de son activité ménagère211. Certains juges ont donc, à bon escient, réparé cette atteinte à la capacité ménagère de la victime, y compris pendant les périodes d’hospitalisation212. Toutefois, l’impossibilité pour la victime de réaliser les tâches ménagères n’est, dans ce cas de figure, pas toujours réparée au titre du préjudice ménager. Elle est parfois indemnisée au titre du besoin d’assistance213. En l’absence de la victime, les tâches domestiques devront être effectuées par le reste de 206. X., « Tableau indicatif version 2012 », op. cit., p. 140. 207. Anvers, 23 mars 2005, Bull. ass., 2005, p. 717, note P. grauluS ; Gand, 22 février 2001, Rev. dr. santé, 2003-2004, p. 187  ; Corr. Namur, 15 septembre 1998, Bull. ass., 1999, p. 122, note C. BellemanS ; g. joSeph, j.-F. marot et a.-m. naveau, op. cit., p. 103. Contra : Pol. Liège, 1er mars 1998, Bull. ass., 1999, p. 547, note, et Pol. Bruges, 12 décembre 2005, Bull. ass., 2007, p. 125. 208. Voy. à cet égard Cass., 6 janvier 2010, C.R.A., 2010, p. 146, obs. J. muylDermanS. 209. Cass., 7 janvier 1999, Dr. circ., 1999, p. 272 ; Cass., 15 avril 1981, R.G.A.R., 1983, n° 10.625. 210. Pour des décisions qui refusent toute indemnisation, voy. Mons, 22 septembre 1994, Corr. Nivelles, 17 avril 1991, Bruxelles, 7 mai 1990 et Mons, 11 mars 1987, inédits, cités par J.-L. Fagnart et R. Bogaert, op. cit., 1994, pp. 69-70, et 1996, pp. 24-25 ; l. SChuermanS, a. van oevelen, C. perSyn, Ph. ernSt et j.-l. SChuermanS, op. cit., p. 1280. 211. D. De Callataÿ et N. eStienne, op. cit., p. 182. 212. Bruxelles, 6 juin 1994 et Mons, 9 mars 1988, inédits, cités par J.-L. Fagnart et R. Bogaert, op. cit., 1994, p. 70, et 1996, p. 25. 213. Corr. Huy, 14 avril 1989, R.G.A.R., 1991, n° 11.821.

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la famille ou par une personne extérieure214. La personne lésée a donc besoin de leur aide pour la réalisation des activités domestiques. Rappelons que depuis que la Cour de cassation considère le besoin d’assistance comme un préjudice matériel en soi215, le fait que les tâches ménagères soient assumées par les proches plutôt que par une aide-ménagère n’aura aucune incidence sur le principe ou le montant de l’indemnisation de ce préjudice. Ces deux manières différentes d’indemniser peuvent se concevoir, mais il conviendra néanmoins d’être attentif à éviter les doubles emplois216. En toute hypothèse, l’impossibilité pour la victime au foyer de réaliser les tâches ménagères pendant les périodes d’incapacité totale devra donc être réparée217. Section 4

Perte d’une année scolaire A. Composantes 62. Lorsqu’un étudiant est contraint de recommencer une année d’étude en raison du fait dommageable, il subit divers préjudices que l’on regroupe parfois sous l’appellation de « préjudice scolaire ». En réalité, ce préjudice subi par un étudiant se décline en différents dommages distincts, appréciés en fonction des conséquences concrètes de l’accident218. 63. L’année qu’il faut recommencer a, tout d’abord, un coût qui sera remboursé à la personne (étudiant ou parents) qui l’aura supporté. Par ailleurs, la perte d’une année scolaire peut engendrer un préjudice moral non seulement dans le chef de l’étudiant, mais également dans le chef de ses proches et sera alors un élément du préjudice par répercussion. Enfin, l’étudiant victime peut aussi subir un préjudice économique résultant du retard dans l’entrée dans la vie professionnelle219. Ces trois composantes de la perte d’une année scolaire sont bien identifiées dans le tableau indicatif depuis sa première version220. 214. J. SChryverS, «  De arts als rechter en de economische schade van de huisvrouw  », T.A.V.W., 2001, p. 320 ; R. anDré, op. cit., p. 214. 215.  Cass., 30 novembre 1977, Pas., 1978, I, p. 351. 216. D. De Callataÿ et N. eStienne, op. cit., p. 184. 217. B. De temmerman, op. cit., p. 279  ; Mons, 9 mars 1988, Bull. ass., 1989, p. 125, note W. pervenagie. 218. J. tinant et B. CeulemanS, op. cit., p. 59. 219. l. SChuermanS, a. van oevelen, C. perSyn, Ph. ernSt et j.-l. SChuermanS, op. cit., p. 991 ; R.  StaS, «  De juridische afhandeling van menselijke schade bij kinderen  », R.B.D.C., 2009, p. 150 ; J. tinant et B. CeulemanS, op. cit., p. 59 ; J.-L. Fagnart et R. Bogaert, op. cit., 1994, p. 71 ; g. viney, op. cit., p. 232. 220. X., « Accidents de la circulation : tableau indicatif des chômages et autres dommages et intérêts forfaitaires », op. cit., p. 339.

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64. Dans le cadre d’une contribution consacrée au préjudice économique, nous examinerons uniquement le dernier aspect de la perte d’une année scolaire, à savoir le retard pris dans la carrière. L’étudiant qui, en raison de l’atteinte à son intégrité physique, est contraint de recommencer une année d’étude, entrera une année plus tard dans la vie professionnelle. Il perd une année de salaire, perte qui mérite d’être compensée. Cette répercussion de la perte d’une année scolaire constitue un préjudice économique.

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B. Hypothèses visées 65. Avant d’examiner les conditions et les modalités de l’indemnisation de cette perte de salaire, il convient au préalable de délimiter correctement les hypothèses dans lesquelles cette indemnisation se justifie. 66. Pour que la perte d’une ou plusieurs années de salaire suite à un échec scolaire soit réparée, la victime doit encore être capable de poursuivre un parcours scolaire. Si, en raison du fait dommageable, l’étudiant est définitivement incapable de continuer ses études et de rentrer sur le marché du travail, l’indemnisation de son préjudice économique n’interviendra pas dans le cadre de la perte d’une année scolaire221. En effet, compte tenu de ce qu’il ne pourra jamais accéder au marché du travail, on ne peut plus soutenir qu’il y serait entré tardivement et qu’il aurait subi un retard professionnel. Dans cette hypothèse, son préjudice économique permanent, calculé sur la base d’un salaire fictif, sera indemnisé à partir du moment où la victime aurait dû s’engager sur le marché du travail. Ce ne sera donc pas une année de salaire, mais l’ensemble des années de salaire qui sera indemnisé par l’intermédiaire de l’atteinte à sa valeur économique. 67. La victime doit nécessairement être capable de continuer son cursus scolaire si elle veut pouvoir revendiquer la réparation d’un retard dans sa carrière. Deux situations peuvent alors être envisagées. La première est celle de l’étudiant qui poursuit la formation initialement entreprise après avoir raté une ou plusieurs années222. Il pourra solliciter, en ce cas, l’indemnisation du retard dans la carrière. Cette indemnité pourra se cumuler, nous l’avons déjà indiqué223, avec la compensation d’efforts accrus. La 221. Liège, 24 janvier 1991, Bull. ass., 1991, p. 421, note M. lamBert ; Civ. Namur, 23 octobre 1989, Bull. ass., 1991, p. 421, note M. lamBert. 222. Voy. notamment Pol. Nivelles, 3 septembre 2007, R.G.A.R., 2008, n° 14.381 ; Pol. Charleroi, 19 décembre 2006, C.R.A., 2007, p. 266 ; Civ. Neufchâteau, 12 janvier 2005, R.G.A.R., 2006, n° 14.070 ; Pol. Liège, 13 septembre 2004, Évaluation du préjudice corporel, 2006, liv. 11, III.2. Liège, 79 ; Bruxelles, 10 novembre 1992, Bull. ass., 1993, p. 85 ; Mons, 22 juin 1989, R.G.A.R., 1991, n° 11.820 ; Bruxelles, 28 juin 1985, R.G.A.R., 1988, n° 11.392. 223. Voy. supra, n° 47.

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deuxième hypothèse est celle de l’étudiant qui, en raison de son ou ses échecs, est contraint de se réorienter224. Le retard dans la carrière sera également réparé et pourra se cumuler à titre temporaire à des efforts accrus ainsi qu’à une éventuelle différence de rémunération. Reprenons l’exemple de l’étudiant en quatrième année de droit, victime d’un accident en 2012, à l’âge de 21 ans. Son traumatisme crânien est, cette fois, moins grave. Il peut encore poursuivre une formation, mais souffre de problèmes de concentration. Il ne peut passer ses examens de juin, ni de septembre et est donc contraint de recommencer sa quatrième année en septembre 2012. Il échoue ensuite une seconde fois. En 2013, il tente un autre master, mais échoue à nouveau et décide alors d’abandonner ses études. Avec son baccalauréat en droit, il commence à travailler en 2014 comme greffier. Son état est consolidé en 2015. Il pourra, au titre du préjudice temporaire, réclamer une triple indemnisation. Tout d’abord, il sera en mesure de solliciter la réparation des efforts accrus fournis depuis la reprise des cours en septembre 2012 jusqu’à l’abandon de ses études en 2014. Sans l’accident, il aurait dû entrer sur le marché du travail en 2013. Il a donc perdu une année de salaire qui sera remboursée225. Enfin, de 2014 à 2015, s’il touche une rémunération moindre que celle qu’il aurait pu percevoir, il pourra alors solliciter la différence entre les deux montants. À partir de 2015, son préjudice permanent sera indemnisé, compte tenu de la perte de valeur économique subie.

C. Imputabilité 68. Lorsque l’étudiant se trouve dans l’une des deux hypothèses précitées, il ne lui suffira toutefois pas d’invoquer la perte d’une année d’étude pour en obtenir compensation226. Il devra démontrer que cet échec est imputable à l’accident227. Il ressort, de l’examen de la jurisprudence, que 224. Pol. Charleroi, 20 mai 2008, C.R.A., 2008, p. 456 ; Pol. Tournai, 24 mars 2000, Évaluation du préjudice corporel, 2003, liv. 7, III.3. Tournai, p. 27 ; Mons, 5 janvier 1999, Évaluation du préjudice corporel, 2003, liv. 7, III.2. Mons, 27 ; Corr. Tournai, 20 novembre 1998, Évaluation du préjudice corporel, 2003, liv. 7, III.2. Tournai, p. 22 ; Anvers, 6 octobre 1998, A.J.T., 1999-2000, p. 148, note R. verStegen  ; Pol. Tournai, 12 novembre 1997, Évaluation du préjudice corporel, 2003, liv. 7, III.2. Tournai, 7 ; Corr. Bruxelles, 15 janvier 1997, Bull. ass., 1997, p. 518 ; Pol. Ath, 26 mars 1990, J.J.P., 1990, p. 388 ; Civ. Bruxelles, 5 septembre 1989, J.L.M.B., 1990, p. 1256 ; Civ. Gand, 17 juin 1988, Bull. ass., 1993, p. 70, note W. pervenagie ; Corr. Louvain, 7 novembre 1986, Bull. ass., 1987, p. 496, note Ch. KoningS ; Bruxelles, 20 février 1996, R.G.A.R., 1997, n° 12.822 ; Liège, 25 mars 1985, J.L., 1985, p. 303. 225. Nous verrons dans le point D quelle année de salaire sera prise en considération. 226. D. De Callataÿ et N. eStienne, op. cit., p. 160. 227. a. van oevelen, g. joCqué, C. perSyn et B. De temmerman, op. cit., p. 1194 ; D. van orShoven, « Opmerkingen : het schooljaarverlies », note sous Anvers, 22 avril 1988, Bull. ass., 1990, p. 798 ; J. tinant et B. CeulemanS, op. cit., p. 57 ; R. anDré, op. cit., p. 49 ; Civ. Nivelles, 23 décembre 2008, Évaluation du préjudice corporel, 2010, liv. 15, III.2. Nivelles,

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cette question est parfois l’occasion de faire le procès de l’étudiant228. Lorsqu’il est confronté à un échec, l’étudiant a souvent tendance à chercher des causes extérieures229. La survenance de l’accident pourrait être une «  excuse en or  ». Il appartiendra donc au magistrat de déterminer l’origine de la perte de l’année scolaire. Le rôle de l’expert sera souvent déterminant à cet égard230.

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69. L’étudiant consciencieux et appliqué ne rencontrera pas de difficulté à démontrer que l’échec est le seul accroc dans un parcours scolaire brillant et qu’il est donc nécessairement imputable à l’accident231. Par contre, le cancre se verra reprocher ses échecs antérieurs de telle sorte qu’il ne parviendra probablement pas à établir de manière certaine que sans l’accident, il n’aurait pas raté son année. Dans le pire des cas, il est débouté de sa demande232. Ce refus est parfois justifié par le parcours scolaire chaotique de la victime233 ou par l’absence d’éléments probants apportés par celle-ci234. Si l’étudiant, par contre, est un peu plus chanceux, le tribunal considérera qu’il a, à tout le moins, perdu une chance d’éviter

228. 229. 230.

231.

232. 233. 234.

25 ; III.3. Nivelles, 21 ; Pol. Nivelles, 3 septembre 2007, R.G.A.R., 2008, n° 14.381 ; Civ. Termonde, 8 juin 2007, Bull. ass., 2008, p. 204 ; Pol. Liège, 28 avril 2004, Évaluation du préjudice corporel, 2006, liv. 11, III.3. Liège, 79 ; Pol. Gand, 21 décembre 1998, J.J.P., 2001, p. 390 ; Corr. Anvers, 15 mai 1997, Bull. ass., 1998, p. 268 ; Bruxelles, 28 juin 1991, R.G.A.R., 1993, n° 12.225 ; Corr. Gand, 29 septembre 1988, Bull. ass., 1989, p. 172 ; Corr. Charleroi, 24 avril 1986, R.G.A.R., 1988, n° 11.382. Pol. Namur, 15 juin 2005, C.R.A., 2007, p. 289 ; Civ. Liège, 2 mars 1992, Bull. ass., 1992, p. 565, note M. lamBert. R. verStegen, « Verlies van een schooljaar : wel schadevergoeding, maar zoek geen zondebokken of melkkoeien » note sous Anvers, 6 octobre 1998, A.J.T., 1999-2000, p. 148. R. StaS, «  De juridische afhandeling van menselijke schade bij kinderen  », R.B.D.C., 2009, p. 150 ; G. mor et B. heurton, op. cit., p. 165 ; Pol. Namur, 4 mars 2010, C.R.A., 2011, p. 421 ; Pol. Liège, 9 mai 2005, Évaluation du préjudice corporel, 2006, liv. 11, III.2. Liège, 89 ; Pol. Liège, 13 septembre 2004, Évaluation du préjudice corporel, 2006, liv. 11, III.2. Liège, 79 ; Pol. Liège, 22 février 2001, Évaluation du préjudice corporel, 2003, liv. 7, III.3. Liège, 31 ; Mons, 29 janvier 1998, Évaluation du préjudice corporel, 2003, liv. 7, III.3. Mons, 37. Civ. Termonde, 8 juin 2007, Bull. ass., 2008, p. 204  ; Pol. Liège, 13 septembre 2004, Évaluation du préjudice corporel, 2006, liv. 11, III.2. Liège, 79 ; Pol. Bruxelles, 10 février 2004, R.G.A.R., 2005, n° 14.046  ; Anvers, 22 avril 1988, Bull. ass., 1990, p. 791, note D.  van orShoven  ; Bruxelles, 28 juin 1985, R.G.A.R., 1988, n° 11.392  ; l. SChuermanS, a. van oevelen, C. perSyn, Ph. ernSt et j.-l. SChuermanS, op. cit., p. 991. D. van orShoven, op. cit., p. 798  ; Mons, 13 avril 1989, inédit, cité par N. Simar et S. KeSSelS, « Inédits en matière de réparation du dommage de la cour d’appel de Mons », J.L.M.B., 1990, p. 1165. Anvers, 6 octobre 1998, A.J.T., 1999-2000, p. 148, note R. verStegen  ; Bruxelles, 23 novembre 1988, R.G.A.R., 1990, n° 11.678, à propos d’une deuxième année échouée ; Mons, 24 mars 1986, R.G.A.R., 1988, n° 11.365. Pol. Bruges, 13 septembre 2004, C.R.A., 2005, p. 24 ; Pol. Tournai, 12 novembre 1997, Évaluation du préjudice corporel, 2003, liv. 7, III.2. Tournai, 7  ; Corr. Anvers, 15 mai 1997, Bull. ass., 1998, p. 268 ; Mons, 13 mars 1996, R.G.A.R., 1998, n° 13.012 ; Civ., Liège, 23 avril 1993, R.G.A.R., 1996, n° 12.650.

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ce retard dans la carrière professionnelle235. Cette perte de chance est bien souvent indemnisée de manière forfaitaire236. Le magistrat pourrait toutefois évaluer le pourcentage de chance perdue et l’appliquer au salaire envisagé237.

D. Montant et bénéficiaire de l’indemnisation 70. Lorsque le lien causal est établi entre le fait dommageable et la perte de l’année scolaire, il reste encore à déterminer le montant à octroyer à la victime ainsi que le bénéficiaire de l’indemnité. 71. Parfois, alors même que l’échec a bien été considéré comme imputable à l’accident, la victime n’obtiendra néanmoins aucune indemnisation pour le retard dans la carrière. Ce refus a, par exemple, été justifié par l’exemption de service militaire dont l’étudiant a bénéficié238. La réparation de ce dommage a également parfois été refusée, de manière moins convaincante, au motif que la victime ne démontrait pas qu’elle serait nécessairement entrée une année plus tôt sur le marché du travail239. 72. Lorsqu’une compensation est allouée pour la perte d’une année scolaire, les trois composantes de celle-ci ne sont pas toujours distinguées240. Le magistrat accorde alors un seul montant fixé ex aequo et

235. i. Boone, « Verlies van een kans om op schoolgeslaagd te worden verklaard », note sous Gand, 5 mai 2011, N.j.W., 2012, p. 302. 236. 200.000 BEF (Mons, 4 octobre 1990, Bull. ass., 1991, p. 397, note M. lamBert) ; 150.000 BEF (Bruxelles, 25 octobre 2005, R.G.A.R., 2007, n° 14.322 ; Bruxelles, 12 janvier 1988, inédit, cité par J.-L. Fagnart et R. Bogaert, op. cit., p. 75) ; 150.000 BEF (Civ. Bruxelles, 5 septembre 1989, J.L.M.B., 1990, p. 1256) ; 125.000 BEF (Gand, 23 mars 1992, Bull. ass., 1993, p. 74, note W. pervenagie) ; 100.000 BEF (Corr. Charleroi, 15 janvier 1997, Bull. ass., 1997, p. 518 ; Corr. Liège, 24 mai 1983, R.G.A.R., 1985, n° 10.915) ; 75.000 BEF (Corr. Tournai, 20 novembre 1998, Évaluation du préjudice corporel, 2003, liv. 7, III.2. Tournai, p. 22) ; 60.000 BEF (Liège, 25 janvier 1988, Bull. ass., 1988, p. 530) ; 50.000 BEF (Mons, 16 juin 1988, inédit, cité par N. Simar et S. KeSSelS, « Inédits en matière de réparation du dommage de la cour d’appel de Mons », J.L.M.B., 1990, p. 696 ; Liège, 3 avril 1987, J.L.M.B., 1987, p. 1715)  ; 1.000 € (Pol. Charleroi, 20 mai 2008, C.R.A., 2008, p. 456)  ; 25.000 BEF (Liège, 1er avril 1993, J.L.M.B., 1994, p. 1346) ; 500 € (Pol. Liège, 21 janvier 2004, Évaluation du préjudice corporel, 2005, liv. 10, III.2. Liège, 67). 237. Gand, 5 mai 2011, N.j.W., 2012, p. 300, note I. Boone. 238. Mons, 27 mai 1997, Bull. ass., 1997, p. 691, note M. lamBert ; Mons, 22 juin 1989, R.G.A.R., 1991, n° 11.820 ; Mons, 16 février 1989, inédit, cité par J.-L. Fagnart et R. Bogaert, op. cit., 1994, p. 76 ; D. van orShoven, op. cit., p. 800. 239. Civ. Termonde, 8 juin 2007, Bull. ass., 2008, p. 204 ; Anvers, 14 décembre 2005, Bull. ass., 2007, p. 101 ; Pol. Verviers, 15 mars 2000, Évaluation du préjudice corporel, 2003, liv. 7, III.2. Verviers, 11 ; Mons, 13 novembre 1986, inédit, cité par J.-L. Fagnart et R. Bogaert, op. cit., 1994, p. 77 ; J. tinant et B. CeulemanS, op. cit., p. 60. 240. D. De Callataÿ et N. eStienne, op. cit., p. 161.

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bono pour couvrir toutes les répercussions de l’échec imputable à l’accident241, ce qui est sans doute regrettable242.

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73. Tous les magistrats ne cèdent cependant pas à la facilité du montant unique et indemnisent alors distinctement le retard dans la carrière. Si le juge dispose d’une relative certitude quant au choix de carrière de la personne lésée et quant à la possibilité de trouver immédiatement un travail, il indemnisera alors une réelle perte de salaire243. Que l’étudiant ait ou non poursuivi sa formation initiale, il nous semble que le salaire à prendre en considération doit être celui correspondant à cette formation entreprise avant l’accident. Par ailleurs, des discussions existent quant à savoir s’il faut prendre en compte la première244 ou la dernière année de salaire245. Jean-Luc Fagnart penche en faveur de la seconde solution246. La victime va, il est vrai, nécessairement commencer par une première année d’activité et bénéficier d’une première année de salaire. Par contre, sa carrière est raccourcie en raison de l’accident et elle ne percevra donc pas la dernière année de salaire. Notons toutefois que si l’indemnisation porte sur la dernière année de salaire, un calcul d’anticipation devra être effectué. Le tableau indicatif, quant à lui, considère, depuis 2001247, que

241. 10.000 € (Pol. Bruxelles, 10 février 2004, R.G.A.R., 2005, n° 14.046) ; 250.000 BEF (Pol. Liège, 20 janvier 2004, Évaluation du préjudice corporel, 2005, liv. 10, III.2. Liège, 57 ; Civ. Liège, 12 novembre 1985, J.L., 1986, p. 25, note J.-m. Dermagne) ; 200.000 BEF (Pol. Bruxelles, 25 juin 2008, C.R.A., 2010, p. 35 ; Gand, 24 décembre 1990, Bull. ass., 1991, p. 692, note W. pervenagie) ; 4.000 € (Pol. Namur, 4 mars 2010, C.R.A., 2011, p. 421) ; 150.000 BEF (Civ. Neufchâteau, 12 janvier 2005, R.G.A.R., 2006, n° 14.070 ; Civ. Bruxelles, 11 janvier 2000, R.G.A.R., 2002, n° 13500 ; Civ. Neufchâteau, 23 octobre 1989, J.L.M.B., 1992, p. 218 ; Anvers, 22 avril 1988, Bull. ass., 1990, p. 791, note D. van orShoven ; Mons, 27 octobre 1983, R.G.A.R., 1986, n° 11.124) ; 120.000 BeF (Mons, 12 novembre 2003, Bull. ass., 2004, p. 778  ; Bruxelles, 28 juin 1991, R.G.A.R., 1993, n°  12.225)  ; 100.000 BeF (Civ. Charleroi, 22 avril 1998, Évaluation du préjudice corporel, 2003, liv. 16, III.3. Charleroi, 33 ; Pol. Gand, 14 avril 1997, Bull. ass., 1998, p. 283) ; 90.000 BeF (Bruxelles, 23  novembre 1988, R.G.A.R., 1990, n° 11.678)  ; 2.000 € (Pol. Liège, 28  avril 2004, Évaluation du préjudice corporel, 2006, liv. 11, III.3. Liège, 79). 242. R.O. DalCq et G. SChampS, op. cit., p. 762. 243. D. van orShoven, op. cit., p. 798 ; G. mor et B. heurton, op. cit., p. 166 ; Pol. Nivelles, 3 septembre 2007, R.G.A.R., 2008, n° 14.381 ; Corr. Nivelles, 4 octobre 1984, R.G.A.R., 1985, n° 10.965  ; Corr. Charleroi, 4 décembre 1981, inédit, cité par J.-L. Fagnart et R. Bogaert, op. cit., 1994, p. 72. 244. Civ. Nivelles, 23 décembre 2008, Évaluation du préjudice corporel, 2010, liv. 15, III.2. Nivelles, 25  ; III.3. Nivelles, 21  ; Mons, 23 mai 1986, inédit, cité par J.-L. Fagnart et R. Bogaert, op. cit., 1994, p. 73 ; Liège, 25 mars 1985, J.L., 1985, p. 304 ; R.O. DalCq et G. SChampS, op. cit., p. 762. Voy en France g. viney et p. jourDain, op. cit., p. 284. 245. Pol. Tournai, 24 mars 2000, Évaluation du préjudice corporel, 2003, liv. 7, III.3. Tournai, p. 27 ; Corr. Bruxelles, 20 novembre 1990, Bull. ass., 1991, p. 711, note M. lamBert ; Corr. Bruxelles, 16 octobre 1984, inédit, cité par J.-L. Fagnart et R. Bogaert, op. cit., 1994 ; l. SChuermanS, a. van oevelen, C. perSyn, Ph. ernSt et j.-l. SChuermanS, op. cit., p. 1282. 246. J.-L. Fagnart et M. Denève, op. cit., p. 749. 247. X., « Le tableau indicatif », op. cit., n° 13.455.

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Le dommage et sa réparation

le préjudice consécutif au retard dans la carrière consiste en la valeur des revenus de la première année d’activité248. 74. La détermination de l’incidence du retard dans la carrière ne sera pas toujours aisée lorsque le fait dommageable touche, par exemple, un enfant au début de son parcours scolaire249. On retrouve alors la même difficulté que lors de l’évaluation de la valeur économique de l’enfant en vue de déterminer son préjudice économique permanent. Dans cette hypothèse, des réserves seront parfois octroyées250. Une autre solution est d’allouer un montant forfaitaire251 qui pourra se révéler très variable d’une espèce à l’autre252. En France, la nomenclature Dintilhac reconnaît, au titre de préjudice indemnisable, le retard scolaire253. Celui-ci est souvent réparé forfaitairement notamment au moyen d’un référentiel indicatif254. 75. Il n’est pas rare que, suite à la perte d’une année d’étude, une indemnité soit octroyée non seulement à l’étudiant, mais également à ses parents. Si les parents ont exposé les frais de la nouvelle année255, rien ne s’oppose à ce qu’ils bénéficient d’une indemnisation. Par contre, ils ne devraient pas recevoir un montant destiné à couvrir le fait d’avoir

248. X., « Tableau indicatif. Version 2012 », op. cit., p. 142. 249. R. anDré, op. cit., pp. 49-56. J. tinant et B. CeulemanS, op. cit., pp. 60-61 ; m. van WaSSenaer van CatWijCK, op. cit., p. 141. 250. Pol. Gand, 21 décembre 1998, J.J.P., 2001, p. 390 ; J. tinant et B. CeulemanS, op. cit., p. 61. 251. 800.000 BEF (Civ. Bruxelles, 30 juin 1983, inédit, cité par J.-L. Fagnart et R. Bogaert, op. cit., 1994, p. 72) ; 15.000 € (Pol. Dinant, 14 octobre 2004, C.R.A., 2005, p. 13) ; 400.000 BEF (Bruxelles, 21 décembre 1988, R.G.A.R., 1990, n° 11.609) ; 200.000 BEF (Pol. Charleroi, 19 décembre 2006, C.R.A., 2007, p. 266 ; Mons, 2 octobre 1997, R.G.A.R., 1999, n° 13.070 ; Bruxelles, 10 novembre 1992, Bull. ass., 1993, p. 85) ; 150.000 BEF (Pol. Namur, 23 mars 2004, Évaluation du préjudice corporel, 2005, liv. 10, III.2. Namur, 25  ; Pol. Liège, 22 février 2001, Évaluation du préjudice corporel, 2003, liv. 7, III.3. Liège, 31 ; Mons, 5 janvier 1999, Évaluation du préjudice corporel, 2003, liv. 7, III.2. Mons, 27  ; Civ. Gand, 17 juin 1988, Bull. ass., 1993, p. 70, note W. pervenagie ; Liège, 2 décembre 1987, inédit, cité par J.-L. Fagnart et R. Bogaert, op. cit., 1994, p. 77 ; Liège, 20 mars 1987, J.L.M.B., 1987, p. 1714 ; Corr. Louvain, 7 novembre 1986, Bull. ass., 1987, p. 496, note Ch. KoningS  ; Corr. Charleroi, 24 avril 1986, R.G.A.R., 1988, n° 11.382)  ; 120.000 BEF (Civ. Bruxelles, 8 novembre 1988, R.W., 1988-1989, p. 1443)  ; 100.000 BEF (Corr. Gand, 29 septembre 1988, Bull. ass., 1989, p. 172) ; 75.000 BEF (Civ. Tournai, 28 octobre 1987, R.G.A.R., 1990, n° 11.736) ; 375 € (Pol. Liège, 9 mai 2005, Évaluation du préjudice corporel, 2006, liv. 11, III.2. Liège, 89). 252. l. SChuermanS, a. van oevelen, C. perSyn, Ph. ernSt et j.-l. SChuermanS, op. cit., p. 991 ; R.O. DalCq et F. glanSDorFF, « Examen de jurisprudence (1980-1986). La responsabilité délictuelle et quasi délictuelle », R.C.J.B., 1988, p. 482. 253. X., Rapport du groupe de travail chargé d’élaborer une nomenclature des préjudices corporels, op. cit., p. 36. 254. y. lamBert-Faivre et S. porChy-Simon, op. cit., p. 170 ; X., La nomenclature des postes de préjudice de la victime directe. Bilan 2010, op. cit., p. 30. 255. Anvers, 14 décembre 2005, Bull. ass., 2007, p. 101 ; Civ. Charleroi, 23 mars 2004, J.D.J., 2004, n° 237, p. 42.

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dû entretenir leur enfant une année de plus256. Le retard dans la carrière est un préjudice personnel à l’étudiant. Afin d’éviter tout double emploi, il nous semble que seul l’étudiant devrait obtenir une réparation à ce titre257. Cette double indemnisation se retrouve pourtant, à tort selon nous, dans certaines décisions258.

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Section 5

Cumul des indemnités A. Cumul ou déduction : critère du fondement

de l’intervention 76. Dans la première section, nous avons démontré que ne pas exercer d’activité professionnelle au moment du fait dommageable n’impliquait nullement pour la victime une absence de valeur économique. Si cette valeur a été atteinte, la personne lésée aura droit à une indemnisation au titre du préjudice économique. Toutefois, au moment d’allouer un montant à certaines de ces victimes sans revenus, une vérification supplémentaire s’impose. La situation des pensionnés et des chômeurs devra en effet être analysée attentivement eu égard à leur statut et plus particulièrement aux revenus de remplacement dont ils bénéficient. Les allocations de chômage ou la pension pourront-elles se cumuler à l’indemnité de droit commun ou devront-elles être déduites de cette dernière  ? La victime doit être replacée dans la situation dans laquelle elle se trouvait avant le fait dommageable, mais ne peut s’enrichir suite à celui-ci. La question n’est évidemment pas sans incidence pratique puisque l’enjeu financier peut se révéler important. 77. Pour y répondre, tant pour le chômeur que pour le pensionné259, il faut examiner si l’intervention de l’organisme a pour objet de réparer le dommage subi par l’accident260. Dans l’affirmative, l’intervention devra être déduite de l’indemnité. Dans la négative, le cumul sera admis. 256. N. Simar et S. FroiDmont, « La perte d’une année d’étude », R.B.D.C., 1998, p. 45. 257. J. tinant et B. CeulemanS, op. cit., p. 62. Contra  : D. van orShoven, op. cit., p. 798  ; R. anDré, op. cit., p. 56. 258. Pol. Neufchâteau, 30 juin 2000, Évaluation du préjudice corporel, 2004, liv. 9, III.3. Neufchâteau, 7 ; Pol. Gand, 14 avril 1997, Bull. ass., 1998, p. 283 ; Bruxelles, 21 décembre 1988, R.G.A.R., 1990, n° 11.609 ; Corr. Charleroi, 24 avril 1986, R.G.A.R., 1988, n° 11.382 ; Civ. Bruxelles, 10 avril 1984, inédit, cité par J.-L. Fagnart et R. Bogaert, op. cit., 1996, p. 26. 259. a. van oevelen, «  De weerslag van de werkloosheid van het slachtoffer van een onrechtmatige daad op diens vordering tot vergoeding van inkomstenschade », note sous Cass., 28 avril 1992, R.W., 1993-1994, p. 1362. 260. h. De page, Traité élémentaire de droit civil belge, Bruxelles, Bruylant, 1964, p. 108 ; Cass., 23 mai 1960, Pas., 1960, I, p. 1094.

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L’existence d’une subrogation au profit de l’organisme démontre que la prestation a un caractère indemnitaire et qu’une identité d’objet existe entre la prestation et le recours de droit commun. La subrogation et l’interdiction du cumul permettent d’empêcher que l’auteur doive réparer le même préjudice deux fois  : une première au profit de la victime et une seconde à l’organisme dans le cadre de son action subrogatoire261. Procédons à l’analyse pour chacune des deux catégories de victimes.

B. Pensionné 78. Si la personne lésée est déjà retraitée au moment du fait dommageable, elle pourra cumuler le bénéfice de sa pension de retraite et l’indemnisation de son préjudice en droit commun. Nous avons vu que le fait d’être à la pension n’empêchait pas de posséder une valeur économique. L’atteinte à cette valeur sera réparée et l’indemnité y relative pourra se cumuler avec le montant de la pension de retraite. Il est en effet évident que, dans cette hypothèse, la pension de retraite n’a pas pour objet de réparer le dommage subi puisqu’elle était déjà versée avant même la survenance du fait dommageable. 79. Par contre, si la victime n’est pas retraitée au jour de l’accident, il conviendra d’examiner la cause juridique de la pension qu’elle va recevoir. Si le juge constate que la pension n’a pas pour objet de réparer le dommage, la victime pourra cumuler les indemnités et le bénéfice de cette pension262. Ce sera en principe le cas lorsque la personne lésée prend sa pension après l’accident sans qu’il n’y ait de lien avec cet accident. Elle pourra alors cumuler sa pension de retraite et une indemnité pour perte de valeur économique. Cette valeur sera plus importante jusqu’à 65 ans, puis diminuera. Par contre, la mise à la retraite anticipée a parfois été considérée comme ayant pour objet de réparer le préjudice subi263. Le tribunal de police de Charleroi a ainsi estimé qu’en octroyant une pension anticipée, l’employeur de la victime a tenté d’assurer à celle-ci des revenus au-delà de la cessation de son emploi et que cette cessation prématurée était intimement liée à l’accident. Les indemnités et la pension de retraite n’ont donc pas été cumulées. Pour un capital-pension versé à la victime, il conviendra également d’examiner l’objet du paiement264. Si ce capital a pour objet de réparer le dommage subi suite à l’accident, il devra être déduit de l’indemnité. En est-il différemment pour les pensions de

261. D. De Callataÿ et N. eStienne, op. cit., p. 47. 262. Cass., 29 novembre 2006, R.G.A.R., 2008, n° 14.429 ; Cass., 8 septembre 2010, R.G.A.R., 2011, n° 14.792. 263. Pol. Charleroi, 5 novembre 1990, Bull. ass., 1991, p. 193, note M. lamBert. 264. Cass., 26 juin 2002, R.W., 2005-2006, p. 1557.

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réparation des militaires265  ? La Cour de cassation considérait autrefois que la pension de réparation ne devait pas être prise en compte au moment de fixer la réparation à allouer à la victime, au motif que cette pension est sans incidence sur l’obligation de réparer à charge de l’auteur du fait illicite266. En 2006, la Cour a toutefois opéré un revirement de jurisprudence en suivant ainsi l’avis de l’avocat général délégué De Koster267. La pension de réparation ne peut être cumulée avec l’indemnité de droit commun, car elles ont le même objet, à savoir la réparation du préjudice corporel découlant de l’accident. On rappellera enfin, même si nous nous éloignons de notre hypothèse de départ du pensionné victime, la situation des pensions de survie. Lorsque la victime décède des suites d’un acte illicite, le conjoint survivant peut bénéficier d’une pension de survie. Selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation, la pension de survie a une cause distincte de l’accident268. Elle trouve son origine « dans une convention conclue entre la victime et son employeur et dans la législation relative à la pension de retraite et de survie des travailleurs salariés »269. Le montant de l’indemnité revenant à la veuve ou au veuf sera donc fixé en faisant abstraction de la pension de survie.

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C. Chômeur 80. Avant de vérifier si les allocations de chômage peuvent se cumuler avec l’indemnité de droit commun, il convient d’examiner la question du cumul de l’intervention de l’assurance maladie-invalidité avec l’indemnisation du préjudice économique dans le cas particulier du chômeur. Lorsqu’un chômeur est victime d’un accident, nous l’avons vu270, il sera bien souvent considéré comme inapte au travail et ne percevra plus dès lors d’allocations de chômage. Il pourra, par contre, bénéficier de l’intervention de l’assurance maladie-invalidité271. L’assurance lui versera alors une « indemnité de travail » pour compenser la perte du droit aux 265. Ces pensions sont allouées sur le fondement de l’arrêté du Régent du 5 octobre 1948 (Arr. Rég. du 5 octobre 1948 approuvant le texte des lois coordonnées sur les pensions de réparation, M.B., 17 octobre 1948) et de la loi du 9 mars 1953 (L. 9 mars 1953 réalisant certains ajustements en matière de pensions militaires et accordant la gratuité des soins médicaux et pharmaceutiques aux invalides militaires du temps de paix, M.B., 27 mars 1953). 266. Cass., 11 avril 1989, Pas., 1989, I, p. 809 ; Cass., 21 octobre 1978, Pas., 1978, I, p. 227 ; Cass., 11 mars 1968, Pas., 1968, I, p. 896. 267. Cass. 21 avril 2006, Pas., 2006, p. 903, concl. av. gén. De KoSter. 268. Cass., 16 mars 2006, R.G.A.R., 2007, n° 14.233 ; Cass., 7 septembre 2004, R.G.A.R., 2006, n° 14.108 ; Cass., 21 janvier 1998, Dr. circ., 1999, p. 128 ; Cass., 26 juin 1990, Pas., 1990, I, p. 1225 ; Cass., 26 avril 1984, J.T., 1984, p. 548. 269. Cass., 16 mars 2006, R.G.A.R., 2007, n° 14.233. 270. Voy. supra, n° 33. 271. Cass., 9 mars 1989, J.T., 1989, p. 746 ; t. jooS et r. CoSijn, op. cit., p. 26.

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Le dommage et sa réparation

allocations de chômage suite à son incapacité de travail272. Si cette intervention est supérieure ou égale aux allocations de chômage, la victime ne subira pas de préjudice économique temporaire, hormis l’éventuelle perte (de chance d’obtenir) un salaire supérieur273. Si les sommes versées par la mutuelle sont inférieures aux allocations antérieurement perçues, la personne lésée pourrait, en ce cas, au titre de préjudice économique temporaire, solliciter l’indemnisation de la différence entre les deux montants274. Son dommage prendra donc la forme d’une perte d’allocations, de rémunération probable275 ou de chance de percevoir un salaire276. Le chômeur devra, en toute hypothèse, déduire l’intervention de la mutuelle puisqu’en vertu de l’article 76quater, § 2, de la loi du 9 août 1963, les prestations de l’assurance maladie-invalidité ne peuvent se cumuler avec l’indemnité de droit commun277. « L’indemnité de travail », tout comme l’indemnité versée au travailleur occupé, a évidemment pour objet de réparer le dommage puisqu’elle se fonde sur l’incapacité de la victime depuis l’accident278. Elle couvre en effet « le dommage consistant en la perte ou la réduction de la capacité d’acquérir, par son travail, des revenus pouvant contribuer aux besoins alimentaires »279. Cette déduction s’opérera pour le préjudice temporaire et permanent passé280, mais non pour le futur puisque la mutuelle accorde ses prestations en attendant que le dommage soit réparé281 (alinéa 3), puis refuse ses prestations lorsque le dommage l’est effectivement (alinéa 1). Cette déduction est, à première vue, logique puisque l’assurance bénéficie d’une subrogation en vertu de l’alinéa 4 de l’article 76quater, § 2. Cette subrogation n’a toutefois pas toujours été admise dans l’hypothèse particulière du chômeur, victime d’un accident. La position traditionnelle se fondait sur l’article 76quater, § 2, alinéa 4, de la loi du 9 août 1963 pour refuser toute subrogation dans cette situation spécifique. La subrogation est limitée à ce que la victime aurait pu réclamer en droit commun. Or, auparavant, le chômeur était considéré comme ne

272. Cass., 18 mai 1992, Pas., 1992, I, p. 816. 273. Civ. Bruxelles, 26 octobre 1998, Évaluation du préjudice corporel, 2003, liv. 8, III.3. Bruxelles, 15. 274. Bruxelles, 4 mai 1983, R.G.A.R., 1985, n° 10.906. 275. Pol. Huy, 9 octobre 2000, R.G.A.R., 2001, n° 13.418 ; B. De temmerman, op. cit., p. 304. 276. Pol. Verviers, 7 mars 2000, Évaluation du préjudice corporel, 2003, liv. 7, III.3. Verviers, p. 4 ; Mons, 15 octobre 2001, R.G.A.R., 2003, n° 13.672. 277. L. 9 août 1963 instituant et organisant un régime d’assurance obligatoire soins de santé et indemnité, M.B., 1er novembre 1963. 278. Cass., 9 février 2004, Bull. ass., 2006, p. 233 ; Cass., 18 mai 1992, Pas., 1992, I, p. 816 ; Pol. Bruges, 6 mars 2009, C.R.A., 2009, p. 440. 279. Cass., 21 novembre 1994, J.T.T., 1995, p. 58, note ; Dr. circ., 1995, p. 105 ; R.W., 19951996, p. 225. 280. Corr. Charleroi, 23 mai 2011, R.G.A.R., 2012, n° 14.833  ; Corr. Liège, 18 juin 2007, Évaluation du préjudice corporel, 2009, liv. 14, III.3. Liège, 167. 281. t. jooS et r. CoSijn, op. cit., p. 27.

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pouvant pas subir de perte de revenus282. La mutuelle ne pouvait donc solliciter auprès du tiers responsable le remboursement de ses débours283. Par un arrêt du 9 mars 1989284, la Cour de cassation a mis fin à cette situation. Elle a ainsi estimé que le chômeur pouvait subir un préjudice économique et a dès lors permis à la mutuelle d’exercer son droit de subrogation dans cette hypothèse285. La subrogation de la mutuelle étant acquise, on peut donc en conclure que l’intervention de la mutuelle et l’indemnité de droit commun ne peuvent se cumuler.

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81. Qu’en est-il à présent des allocations de chômage ? L’intervention de la mutuelle n’est pas illimitée dans le temps. Lorsqu’elle cesse son intervention et que la victime ne retrouve pas d’emploi, celle-ci va, de nouveau, bénéficier des allocations de chômage286. La question est dès lors de savoir si le chômeur peut cumuler les allocations avec le montant fixé pour le préjudice économique. Le juge a déterminé l’atteinte à la valeur économique de la victime en fonction de ses capacités d’embauche. Doitil déduire de cette valeur les allocations de chômage que la victime a perçues ou percevra ? Pour répondre à cette question, le même raisonnement que celui suivi pour les pensionnés doit être appliqué. Il faut ainsi examiner si les allocations de chômage ont pour objet de réparer le dommage. La jurisprudence de la Cour de cassation est constante à ce sujet287. Ces allocations n’ont pas comme fondement la réparation du préjudice causé par l’auteur de l’acte illicite. Elles sont dues en raison des prestations précédemment accomplies comme travailleur avant la perte involontaire de travail288. Les allocations de chômage ne doivent donc pas être déduites et peuvent se cumuler avec l’indemnité289. Le montant de ces allocations est donc totalement indifférent au calcul du préjudice économique290. Cette réponse est valable tant pour la victime chômeuse au moment du fait dommageable et qui le redevient par la suite que pour celle qui exerçait une profession et qui devient demandeuse d’emploi suite à l’accident. 282. J. SChryverS, « Functionele en situationele ongeschiktheid », op. cit., p. 322 ; t. jooS et r. CoSijn, op. cit., p. 27. 283. B. De temmerman, op. cit., p. 301. 284. Cass., 9 mars 1989, J.T., 1989, p. 746. 285. Ibidem. 286. Pol. Verviers, 15 mars 2000, Évaluation du préjudice corporel, 2003, liv. 7, III.2. Verviers, 11. 287. Cass., 2 mai 2012, R.G.A.R., 2013, n° 14.937, note D. De Callataÿ ; Cass., 28 avril 1992, Pas., 1992, I, p. 761, Dr. circ., 1992, p. 248 ; R.W., 1993-1994, p. 1361, note a. van oevelen 288. Cass., 2 mai 2012, R.G.A.R., 2013, n° 14.937, note D. De Callataÿ. 289. Pol. Huy, 9 octobre 2000, R.G.A.R., 2001, n° 13.418 ; Bruxelles, 31 janvier 1991, R.G.A.R., 1993, n° 12.128. 290. Cette affirmation pourrait poser problème eu égard à la nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation semblant instituer la perte de revenus comme préjudice économique permanent autonome. Voy à ce propos D. De Callataÿ, « La capitalisation du préjudice (économique) permanent. Le cumul de la réparation du préjudice économique permanent et du bénéfice d’allocations de chômage », op. cit., n° 14.937.

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La valeur économique de la victime au moment de l’accident ne sera certainement pas la même selon qu’elle travaille ou se trouve au chômage. Dans les deux hypothèses, la victime pourra cumuler le montant correspondant à cette atteinte à la valeur économique avec les allocations de chômage qu’elle a perçues ou percevra suite à l’accident.

Conclusion 82. Face à une victime n’exerçant pas d’activité professionnelle et ne percevant pas de salaire lors de l’accident, le praticien se retrouve généralement dans une situation peu confortable au moment de déterminer son préjudice économique. N’ayant le plus souvent que peu d’éléments à sa disposition, il est alors plongé dans l’incertitude. Cette incertitude est, il est vrai, inhérente à tout processus d’évaluation du dommage puisqu’on doit déterminer ce qui se serait passé sans l’accident. Elle est toutefois encore plus grande face à des personnes sans revenus. Quel aurait été l’avenir professionnel de cet étudiant ou de ce chômeur sans l’accident ? Cet étudiant aurait-il échoué son année si le fait dommageable ne s’était pas produit  ? Est-ce que sans l’accident, cet enfant aurait fondé une famille ? Autant de questions auxquelles l’avocat, le magistrat, le médecin ou l’assureur ne pourront répondre avec certitude. 83. Comment réagir lorsque l’on est confronté à une telle situation ? Certains, en l’absence de données concrètes, estiment que le préjudice n’est pas démontré. Cette attitude ne peut, selon nous, être acceptée. D’autres auront recours au forfait. Nous devons reconnaître que l’octroi d’un forfait permet de résoudre bien des problèmes. Il peut se justifier dans les cas les moins graves. Par ailleurs, on soutient parfois que le forfait peut se révéler très généreux pour la victime. En est-on pour autant certain? La réponse ne sera connue que si une comparaison est effectuée entre ce forfait et un calcul précis. Or, cette évaluation concrète est possible, même si elle ne représente pas, il est vrai, la solution de facilité. S’ils sont grièvement atteints, un jeune étudiant ou une personne venant juste de perdre son emploi méritent une évaluation rigoureuse et précise de leur dommage. Ils doivent ainsi être replacés, comme toute autre victime, dans la situation dans laquelle ils se seraient trouvés sans l’accident. La particularité de leur situation au moment du fait dommageable ne justifie pas que l’évaluation de leur préjudice soit réglée en quelques lignes. Il faut dès lors prendre le temps. Prendre le temps d’étudier le parcours professionnel ou scolaire de la victime. Prendre le temps de déterminer ses qualités et défauts. Prendre le temps de s’informer sur sa contribution aux tâches ménagères. Prendre le temps de vérifier si des efforts supplémentaires sont fournis depuis l’accident. Bref, accorder à la victime le temps qu’il faudra pour veiller à lui garantir l’indemnisation la plus juste possible. 56

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2 la perte De CapaCité Jean-Luc Fagnart professeur émérite à l’U.L.B., avocat

Sommaire Introduction

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Section 1 L’incapacité personnelle

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Section 2 L’incapacité ménagère

63

Section 3 L’incapacité économique

67

Conclusion

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Introduction 1. Le Tableau indicatif 2012 est de nature à révolutionner l’évaluation et la réparation du dommage corporel. Il invite l’expert-médecin à se prononcer sur l’existence et la quantification des répercussions qu’ont eues et auront à l’avenir les différentes atteintes à l’intégrité physique et psychique de la victime. Les auteurs du Tableau 2012 exposent : « La vie de la victime recouvre en fait trois domaines bien distincts : la vie personnelle extraprofessionnelle, les diverses activités ménagères et la vie professionnelle. Chaque atteinte à ces différentes sphères d’activités se traduit par une incapacité (personnelle, ménagère et économique) »1. Cette approche nouvelle du dommage corporel est le fruit de réflexions menées au sein d’un groupe d’étude composé de magistrats, d’avocats, de médecins et d’assureurs2. 2. Cette nouvelle conception du dommage corporel constitue une avancée importante par rapport à l’ancienne classification binaire : l’invalidité désignant l’atteinte à l’intégrité physique et l’incapacité, l’inaptitude à l’exercice d’activités lucratives. Cette nouvelle conception trouve une justification scientifique dans les travaux de l’Organisation Mondiale de la Santé, qui sont à la base de la Classification Internationale des Handicaps. Cette classification, qui est l’œuvre de Ph. Wood3, fait apparaître très clairement le caractère complexe du dommage corporel qui comporte trois stades : le stade lésionnel initial (atteinte à l’intégrité physique ou psychique), le stade fonctionnel des séquelles permanentes, et enfin le stade situationnel du retentissement de ces séquelles dans l’environnement propre de la victime. Le Barème Officiel Belge des Invalidités (BOBI) ignore le stade situationnel et donne, dans son introduction, une définition de l’invalidité qui amalgame le stade lésionnel et le stade fonctionnel. Le BOBI commence par énoncer : « On entend par invalidité un état comportant une perte partielle ou totale de l’intégrité tant physique que psychique » (stade lésionnel). Il poursuit immédiatement : « Tout homme valide peut coordonner et utiliser d’une façon complète ses facultés, sa force, ses mouvements en vue d’une activité. C’est cette validité qui doit servir de comparaison afin 1. 2.

3.

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J.-L. DeSmeCht, th. papart et W. peeterS (dir.), Tableau indicatif 2012, Bruges/Bruxelles, DieKeure/La Charte, 2012, p. 48. D. De Callataÿ, th. papart et N. Simar, « Nouvelle arborescence : son utilité, ses espoirs, ses limites… », in Nouvelle approche des préjudices corporels. Évolution ! Révolution ? Résolutions…, coll. Édition du Jeune Barreau de Liège, Louvain-la-Neuve, Anthemis, 2009, pp. 7-34. Ph. WooD, « Comment mesurer les conséquences de la maladie : la classification internationale des infirmités, incapacités et handicaps », Chron. O.M.S., 1980, n° 34, p. 400.

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La perte de capacité

d’apprécier l’importance des atteintes qui peuvent y être apportées par blessure, infirmité ou maladie » (stade fonctionnel). 3. Le Tableau indicatif 2012 se place délibérément au stade situationnel. Une atteinte à l’intégrité physique ou psychique peut réduire la « capacité » de la victime d’exercer des activités dans les trois domaines de sa vie : la vie personnelle, l’activité ménagère, l’activité lucrative. On se propose d’examiner ci-dessous les notions d’incapacité personnelle, d’incapacité ménagère et d’incapacité économique.

2

Section 1

L’incapacité personnelle A. Notion 4. Dans l’esprit du Tableau indicatif 2012, on peut définir l’incapacité personnelle comme étant l’ensemble des conséquences de l’atteinte à l’intégrité physique et psychique de la victime, sur les activités de la vie courante non économique de tout individu, y compris les douleurs qui, selon les données de la science médicale, sont normalement liées à la séquelle, ainsi que la composante psychique limitée qui l’accompagne habituellement4. La notion d’incapacité personnelle a fait déjà l’objet de plusieurs études approfondies5. 5. Il convient de souligner le caractère objectif de l’incapacité personnelle. Celle-ci englobe sans doute « toutes les conséquences non économiques de l’atteinte à l’intégrité physico-psychique et comprend donc notamment : les limitations des gestes et actes de la vie courante dues à la lésion ; les douleurs habituellement liées à la lésion ; les contraintes et inconvénients générés par la lésion ; les frustrations et les appréhensions engendrées par elle, en particulier les inquiétudes de la victime quant à son devenir ; les entraves aux relations sociales, amicales, familiales »6.

4. 5.

6.

Tableau indicatif 2012, op. cit., p. 48. P. Dumont, p. luCaS et N. Simar, « L’incapacité personnelle », in Nouvelle approche des préjudices corporels, Nouvelle approche des préjudices corporels. Évolution ! Révolution ? Résolutions…, coll. Édition du Jeune Barreau de Liège, Louvain-la-Neuve, Anthemis, 2009, pp. 83-98 ; P. luCaS, « L’incapacité personnelle et la nouvelle arborescence des préjudices », in Tableau indicatif 2012, Bruges/Bruxelles, Die Keure/La Charte, 2012, pp. 107-138. P. luCaS, « L’incapacité personnelle et la nouvelle arborescence des préjudices », in Tableau indicatif 2012, Bruges/Bruxelles, Die Keure/La Charte, 2012, pp. 107 et s., spéc. p. 115.

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Le caractère objectif du concept est souligné par la définition donnée par le Tableau indicatif. L’expert-médecin prendra en compte les douleurs « normalement » liées à la lésion. Il tiendra compte des troubles et des difficultés psychiques qui l’accompagnent « habituellement ». « Le système des taux oblige à utiliser un barème dans un but d’égalité et de justice : à séquelles identiques, taux identique, réparation identique. Viendront ensuite les préjudices annexes qui personnaliseront la réparation »7.

B. Évaluation 1. Évaluation générale a) La pertinence des aides humaines et techniques 6. Le Tableau indicatif 2012 précise qu’après avoir décrit l’ensemble des séquelles et atteintes physiques et psychiques conservées par la victime, l’expert est invité à explorer tous les modes réparatoires du dommage, que ce soit sous forme d’aides techniques et matérielles ou sous forme d’aides de tierces personnes8. L’idée de base est qu’il convient, pour améliorer la situation de la victime, d’envisager l’aide d’un matériel adapté ou l’assistance d’une tierce personne lorsque cette aide ou cette assistance permet de suppléer partiellement à la fonction déficiente. Dans la mesure où l’aide technique efface partiellement ou totalement les conséquences de l’atteinte à la capacité, il en est tenu compte dans les différents taux retenus par l’expert9. En revanche, l’aide d’une tierce personne laisse subsister la perte de la capacité personnelle. C’est pourquoi cette assistance ne modifie pas, en principe, le taux d’incapacité personnelle10.

b) La non-pertinence de l’état antérieur 7. La critique majeure que l’on peut adresser à la mission d’expertise proposée par le Tableau indicatif 2012 est le paragraphe consacré à l’état antérieur : « Dans l’hypothèse où il serait démontré que la victime est ou était atteinte d’un défaut physiologique ou d’une maladie avérée non imputable à l’accident, l’expert déterminera si et dans quelle mesure 7. 8. 9. 10.

P. luCaS, op. cit., p. 113. Tableau indicatif 2012, op. cit., p. 47. P. Dumont, p. luCaS et N. Simar, op. cit., p. 26. Ibid., p. 27.

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cet état antérieur avéré a été modifié par l’accident, ou en a modifié les conséquences »11. L’expert est ainsi invité à donner au tribunal des informations au sujet d’un état antérieur dont le tribunal n’a pas à tenir compte puisque la Cour de cassation considère qu’il n’appartient pas au juge du fond de se fonder sur un état pathologique antérieur de la victime pour réduire, en proportion de cet état, l’indemnisation du dommage qu’elle a subi.

2

8. Depuis plus d’un siècle, en matière d’accidents du travail, la Cour de cassation décide qu’il s’impose « d’apprécier dans son ensemble l’incapacité de travail de la victime, sans tenir compte de l’état morbide antérieur de celle-ci, dès lors que l’accident est au moins la cause partielle de cette incapacité »12. Cette jurisprudence a été validée par un arrêt solennel de la Cour d’arbitrage (actuellement Cour constitutionnelle). Cet arrêt a dit pour droit que les dispositions de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution, interprétées en ce sens que, dans le cadre de l’indemnisation qu’elles prescrivent, l’incapacité permanente résultant d’un accident du travail qui aggrave une lésion fonctionnelle provoquée par un ou plusieurs accidents du travail antérieur, doit être appréciée « dans son ensemble sans tenir compte de l’incapacité de travail préexistante »13. 9. En droit commun, la solution n’est pas différente. La Cour de cassation décide que « si l’état antérieur de la victime a contribué à aggraver les dommages subis, l’auteur de l’accident doit en supporter toutes les conséquences, y compris celles liées à l’action invalidante de l’état antérieur »14. Par un arrêt du 2 février 2011, la Cour a rappelé cette solution : « Il n’appartient pas au juge du fond de se fonder sur un état pathologique antérieur de la victime pour réduire, en proportion de cet état, l’indemnisation du dommage qu’elle a subi par la suite d’une faute sans laquelle le préjudice ne se serait pas produit tel qu’il s’est réalisé »15.

11. 12.

13. 14. 15.

Tableau indicatif 2012, op. cit., p. 50. Cass., 23 janvier 1908, Pas., 1908, I, p. 94 ; Cass., 20 juillet 1916, Pas., 1917, I, p. 203 ; Cass., 22 janvier 1931, Pas., 1931, I, p. 44 ; Cass., 30 novembre 1933, Pas., 1934, I, p. 88 ; Cass., 27 mars 1952, Pas., 1952, I, p. 481 ; Cass., 17 novembre 1955, Pas., 1956, I, p. 252 ; Cass., 21 mars 1966, R.G.A.R., 1967, n° 7.944 ; Cass., 1er avril 1985, Pas., 1985, I, p. 963 ; J.T., 1986, p. 693 ; Cass., 15 janvier 1996, Pas., 1996, I, p. 70 ; J.T.T., 1996, p. 258. C.A., 26 juin 2002, n° 104/2002, Bull. ass., 2002, p. 830, note L. van goSSum ; J.T.T., 2002, p. 357 ; R.W., 2002-2003, p. 539, note J. rauWS. Cass., 6 janvier 1993, Pas., 1993, I, p. 11. Cass., 2 février 2011, Pas., 2011, p. 394 ; R.W., 2012-2013, p. 300, note B. WeytS ; R.G.A.R., 2011, n° 14.801. Voy. aussi P. Staquet, « État antérieur d’une victime : à prendre ou à laisser ? », R.G.A.R., 2012, n° 14.850.

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La mission-type méconnaît ainsi l’article 962 du Code judiciaire qui dispose que le juge peut charger un expert de procéder à des constatations ou de donner un avis d’ordre technique « en vue de la solution d’un litige porté devant lui ». Le juge ne peut charger l’expert d’une mission qui n’apportera rien sur le fond des débats16. 10. Un auteur a tenté de justifier l’étude de l’état antérieur en exposant que, dans l’hypothèse où la victime aurait de toute façon subi le préjudice dont elle souffre, et ce même sans l’accident, mais en raison de son état antérieur, l’auteur responsable ne devra supporter que l’anticipation de ce mal qui apparaît plus rapidement en raison de l’accident. L’auteur souligne cependant, avec sagacité, que la preuve de l’anticipation du dommage doit être rapportée par le responsable de l’accident17. Il en conclut que « à défaut pour l’auteur responsable de démontrer que le dommage se serait produit tel qu’il s’est réalisé même sans sa faute, la victime sera entièrement et intégralement indemnisée de son préjudice sans qu’il faille déterminer l’influence apportée par son état antérieur sur l’appréciation de son préjudice ». La preuve demandée à l’auteur responsable ne pourra être apportée que le jour où la médecine prédictive aura fait des progrès qui ne semblent pas être pour demain.

2. Évaluation spécifique 11. On a souligné avec raison que l’incapacité personnelle est le « préjudice commun » résultant d’une atteinte à l’intégrité physique ou psychique. Ce préjudice est « identique pour tout homme et pour toute femme atteint des séquelles considérées, indépendamment des caractéristiques personnelles et professionnelles du sujet expertisé »18. Il va de soi que l’on ne peut ignorer les caractéristiques personnelles de la victime. Il faut donc s’intéresser à l’incapacité personnelle « spécifique ». Celle-ci est généralement appelée « préjudice d’agrément ». On considère en effet que le préjudice d’agrément « représentant pour une victime donnée, du fait des séquelles traumatiques, la privation ou la diminution d’une activité de loisir (intellectuelle, artistique, sportive) qui faisait une part importante de l’agrément de son existence, est un préjudice réellement spécifique à cette victime, que les autres n’encourent pas, à séquelles identiques »19. 16. 17. 18. 19.

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Cass., 12 décembre 1958, Pas., 1959, I, p. 392 ; Comm. Nivelles, 10 octobre 2008, J.T., 2008, p. 646. B. CeulemanS, « L’expertise médicale sous le prisme des Tableaux indicatifs 2008 et 2012 : colonne vertébrale de l’indemnisation du préjudice corporel ? », For. Ass., 2012, pp. 205-208. P. luCaS, op. cit., p. 114. Ibid., p. 129.

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La perte de capacité

Le préjudice d’agrément est une incapacité personnelle spécifique à un individu déterminé qui, avant l’accident, avait des activités de loisir qui ne sont normalement pas celles de tout individu. C’est donc une « incapacité personnelle spéciale ». La perte du plaisir d’une marche agréable est un préjudice subi nécessairement par toute personne amputée d’une jambe, mais cette amputation cause une incapacité personnelle « spéciale » lorsque la victime passait trente heures par semaine à se préparer pour des concours hippiques.

2

C. Indemnisation 12. Pendant la période des incapacités temporaires, le Tableau indicatif 2012 (p. 55) maintient les forfaits de 31 € par jour d’hospitalisation « ordinaire » et de 25 € par jour d’incapacité à 100 %. Pour l’incapacité permanente, le Tableau indicatif 2012 a pris soin d’analyser et de commenter les différentes méthodes d’indemnisation. 13. Si l’incapacité personnelle permanente est indemnisée par le recours à la méthode de la capitalisation (ou de la rente ?), les auteurs du Tableau indicatif recommandent de retenir au titre de base de calcul, le montant de l’indemnité journalière adoptée pour les incapacités temporaires (en principe 25 € par jour à 100 %). Cette proposition raisonnable fâche les assureurs qui invoquent tous les mauvais arguments pour tenter de maintenir un régime d’indemnisation forfaitaire. On a exposé ailleurs les motifs. On ne peut retenir l’argument trop souvent invoqué de « l’accoutumance » à l’incapacité permanente20. Section 2

L’incapacité ménagère A. Notion 14. La capacité ménagère d’un individu est son aptitude à accomplir les tâches que tout être humain accomplit dans sa vie familiale. « Il s’agit notamment de toutes les activités concernant l’entretien de l’habitation et du jardin, et la préparation des repas, mais aussi de toutes les tâches

20.

J.-L. Fagnart, « Actualités en droit de la réparation du dommage corporel », in Actualités en droit des assurances (J. rogge dir.), coll. UB³, Bruxelles, Bruylant, 2013, pp. 203 et s., spéc. nos 50 à 54.

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concernant l’entretien du linge de la famille, ainsi que de l’éducation et des activités des enfants »21.

B. Évaluation 1. Évaluation générale 15. « Dès lors que l’expert retient la nécessité du recours à l’aide d’une tierce personne non qualifiée ou encore le recours à la domotique pour une partie des activités ménagères, il en sera tenu compte pour l’évaluation du préjudice ménager, de manière à éviter une double indemnisation du même poste de préjudice »22. En revanche, il n’y a pas lieu de tenir compte du fait que le sujet blessé ait auparavant accompli ou non les actes de la vie domestique. L’incapacité ménagère est un dommage personnel, même si les tâches ménagères sont assurées par un tiers23. Ce dommage consiste bien en une perte de capacité, et c’est cette perte qui doit être évaluée et indemnisée24. 16. Pour mesurer la perte de capacité, il est souvent recommandé de se référer à la grille proposée par Anne-Marie Naveau et Guy Joseph25. Il est permis de penser que le taux de l’incapacité ménagère sera souvent (mais pas toujours) proche du taux d’incapacité personnelle. En effet, la capacité ménagère ne requiert aucune qualification particulière. Les tâches ménagères peuvent être effectuées aussi bien par un homme que par une femme. Ce sont donc des gestes de « la vie de tous les jours ».

21.

22. 23. 24. 25.

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D. De Callataÿ, th. papart et N. Simar, op. cit., p. 27. Sur le préjudice ménager : E. BouFFioulx et P. leFèvre, « Utilité des examens d’évaluation fonctionnelle. Discussion à propos des échelles et questionnaire se rapportant à l’incapacité ménagère », in Justice et dommage corporel. Panorama du handicap au travers des systèmes d’aide et de réparation, Bruxelles, Larcier, 2011, pp. 259-274 ; E. BroSenS, « De vergoeding van schade door huishoudongeschiktheid », T.A.V.W., 2003, pp. 270-290 ; G. joSeph, j.-F. marot et A.-M. naveau, « L’incapacité ménagère », in Nouvelle approche des préjudices corporels. Évolution ! Révolution ? Résolutions…, coll. Édition du Jeune Barreau de Liège, Louvain-la-Neuve, Anthemis, 2009, pp. 99-118 ; J.-F. marot, « Le préjudice ménager : un foyer d’incertitudes », in Liber Amicorum Jean-Luc Fagnart, Louvain-laNeuve, Anthemis-Bruylant, 2008, pp. 621-636 ; M. matagne, M. vanDerWeCKene et J. perin, « Le travail ménager et sa valeur économique in concreto », R.G.A.R., 2008, n° 14.408 ; A.-m. naveau, « Le préjudice ménager », in Justice et dommage corporel. Symbiose ou controverse ?, Bruxelles, Larcier, 2008, pp. 181-187 ; A.-m. naveau et G. joSeph, « Le préjudice ménager », R.B.D.C., 2008, pp. 3-8. G. joSeph, j.-F. marot et A.-M. naveau, op. cit., p. 107. Bruxelles, 25 juin 2008, Bull. ass., 2009, p. 67. P. luCaS, op. cit., p. 122. A.-m. naveau et g. joSeph, Grille d’évaluation de l’incapacité ménagère, www.bioremediation-europe.com/medexpert/Formulaire.

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La perte de capacité

On observera cependant que certaines atteintes à l’intégrité physique, qui entraînent une incapacité personnelle, n’auront pas d’effet sur la capacité ménagère. Par exemple, la stérilité qui correspond à une incapacité personnelle de 25 %26, ne réduit en rien la capacité ménagère. En revanche, certaines lésions auront des effets peut-être plus importants en ce qui concerne l’incapacité ménagère. L’anosmie est une déficience sérieuse dans la cuisine ; la perte de l’acuité visuelle est très gênante pour la couture ; l’aphasie, même dans sa forme mineure (troubles de la dénomination et de la répétition)27, est rédhibitoire dans l’éducation des enfants.

2

2. Évaluation spécifique 17. Lorsqu’il s’agit de classer la vaisselle dans le lave-vaisselle, certains le font n’importe comment ; d’autres rangent méthodiquement, suivant un ordre prédéterminé, les couverts, les verres, les assiettes et les casseroles ; d’autres enfin lavent tout à la main et ne mettent au lave-vaisselle que de la vaisselle propre. Les modes d’utilisation du lave-vaisselle sont une exception parmi les activités ménagères. De façon générale, nous faisons tous les mêmes gestes, qu’il s’agisse de griller un poisson, de déboucher une bouteille de muscadet, de recoudre un bouton ou de faire son lit. Si les gestes sont stéréotypés, l’intensité de l’activité ménagère en revanche, est extrêmement variable. Entre le célibataire qui doit juste faire son lit et la mère de famille qui, outre son propre lit, doit faire le lit de ses enfants, la différence est grande. Cette particularité du préjudice ménager a pour conséquence que la personnalisation s’effectue non pas au niveau de l’évaluation de l’incapacité, mais bien au niveau de l’indemnisation.

C. Indemnisation 18. Le Tableau indicatif 2012 propose que l’incapacité ménagère fasse l’objet d’une indemnité forfaitaire de 20 € par jour à 100 %, tant pour une personne isolée que pour un ménage sans enfant. Ce montant est majoré de 5 € par enfant à charge aussi longtemps qu’il bénéficie d’allocations familiales. Le Tableau indicatif 2012 rappelle que les indemnités peuvent être adaptées en fonction de la contribution fournie par chaque partenaire 26. 27.

Guide-barème européen, art. 64 et 65-2. L’incapacité personnelle pour aphasie mineure est de 10 à 30 % (Guide-barème européen, art. 3-2-b).

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dans le ménage. À défaut d’élément concret, la contribution sera ventilée à concurrence de 65 % pour la femme et de 35 % pour l’homme. 19. Le montant de 20 € est consternant. Il ne tient compte ni du temps consacré au ménage (1.), ni de la valeur du travail ménager (2.).

1. Le temps consacré au ménage 20. Suivant une étude de l’Institut national des statistiques, la moyenne générale d’activités ménagères est de 7,10 heures par jour, ce qui représente 50,20 heures par semaine pour un couple28. Suivant une autre étude réalisée dans le cadre de l’INAMI, l’activité ménagère quotidienne moyenne d’un ménage moyen serait de 7,28 heures, ce qui représente 50,96 heures par semaine29. Ces chiffres ne représentent que des moyennes. Des études plus détaillées font apparaître que, pour une femme ou un homme âgé de moins de 30 ans travaillant à plein temps, le temps consacré aux activités ménagères est de 12,8 heures par semaine, alors que pour une femme ou un homme sans emploi mais ayant deux enfants, le temps consacré au ménage est de 67,8 heures par semaine30. En substance, on peut considérer que le temps consacré aux activités ménagères varie à peu près de 2 à 10 heures par jour en fonction de deux paramètres qui sont la composition du ménage et l’exercice ou le nonexercice d’une activité professionnelle extérieure. La difficulté est que ces deux paramètres sont, par nature, variables. Un jeune chômeur célibataire peut se marier, trouver un emploi et devenir père de quatre enfants. Le forfait que l’on peut établir sera donc toujours approximatif. Il faut sans doute tenir compte de la composition du ménage, mais il paraît difficile de prendre en considération, pour l’évaluation de l’incapacité ménagère, la situation professionnelle de la victime dont l’évolution est toujours imprévisible. Pour ne pas trop s’éloigner des données recueillies aussi bien par l’Institut national des statistiques que par l’INAMI, il paraît raisonnable de considérer que, dans un ménage sans enfant, le temps consacré aux activités domestiques est de l’ordre de trois heures par jour et que ce temps augmente de deux heures par jour par enfant à charge.

28. 29. 30.

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G. joSeph, j.-F. marot et A.-M. naveau, op. cit., p. 103. Ibid., p. 104. M. matagne, M. vanDerWeCKene et J. perin, « Le travail ménager et sa valeur économique in concreto », R.G.A.R., 2008, n° 14.408, spéc. n° 14408-6.

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La perte de capacité

2. La valeur du travail ménager 21. Il ne suffit pas de déterminer le nombre d’heures consacrées à l’activité ménagère. Il faut encore déterminer la valeur économique du travail ménager. Si l’on évalue le travail ménager au prix à payer à une femme de ménage non déclarée, il faudrait que le futur Tableau indicatif porte l’indemnité forfaitaire qui est aujourd’hui de 20 € par jour à 100 %, à 30 € par jour à 100 %, ce montant étant majoré de 20 € par enfant à charge. Il est néanmoins permis de penser que ce montant de 10 € de l’heure est totalement insuffisant. Une telle évaluation se heurte en effet à des objections déterminantes clairement exposées dans une étude fondatrice publiée en 197531. « Les qualifications exigées, dans notre société actuelle, d’une “maîtresse de maison” sont non seulement de pouvoir pratiquer le métier de femme de ménage, mais également, dans une certaine mesure, celui de cuisinière, d’acheteuse, de blanchisseuse, de repasseuse, de couturière, de puéricultrice, de gouvernante, de professeur, etc. Il est évident, dès lors, que la référence au coût d’une femme de ménage ne peut constituer une base valable d’évaluation. Il est apparu, à certains, plus équitable de calculer la valeur du travail de la maîtresse de maison en se référant au salaire moyen d’une puéricultrice, d’une cuisinière, d’une blanchisseuse, d’une nettoyeuse, d’une gouvernante, etc. ». Si l’on tient compte de tous ces éléments, le coût horaire du travail ménager passerait facilement à 30 € de l’heure. La jurisprudence va-t-elle s’engager dans cette voie ? Il est permis d’en douter pour le moment. Mais la magistrature se féminise… La nouvelle génération de magistrates admettra de moins en moins facilement que la capacité ménagère soit évaluée à 20 € par jour.

2

Section 3

L’incapacité économique A. Notion 1. Le mystère de la Sainte-Trinité32 22. Il existe des définitions claires de l’incapacité économique. Elle peut être définie comme l’inaptitude (totale ou partielle) de la victime

31. 32.

M. Bonheure, « La valeur économique du travail ménager », R.G.A.R., 1975, n° 9.471. L’expression est de D. De Callataÿ et N. eStienne, op. cit., p. 123.

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à exercer des activités lucratives, compte tenu de ses qualifications et du milieu économique et social qui est le sien33. Le Tableau indicatif 2012 définit bien l’incapacité économique comme « l’ensemble des conséquences de l’atteinte à l’intégrité physicopsychique sur les gestes et actes de la vie professionnelle et lucrative de la victime, ainsi que l’atteinte à la compétitivité de la victime sur le marché du travail »34. 23. Au dommage consistant en une réduction de la valeur économique de la victime sur le marché général du travail, la Cour de cassation, depuis plus de quarante ans, a ajouté un concept nouveau : la nécessité de fournir des efforts accrus. Elle a décidé que le dommage résultant de la réduction de la capacité de travail de la victime consiste en une diminution de sa valeur économique sur le marché du travail, « et aussi, éventuellement, en la nécessité de fournir des efforts accrus dans l’accomplissement de ses tâches professionnelles normales »35. Elle a confirmé ultérieurement cette jurisprudence36. Un arrêt du 13 novembre 2002 franchit un pas de plus. Il semble considérer que l’incapacité économique pourrait avoir un triple visage. L’arrêt énonce que « le dommage matériel que subit la victime à la suite d’une incapacité permanente de travail peut consister non seulement en une diminution de sa valeur économique sur le marché du travail et, éventuellement, en la nécessité de fournir des efforts accrus dans l’accomplissement de ses tâches professionnelles normales, mais aussi, le cas échéant, en une perte de revenus professionnels ; (…) le moyen qui repose sur l’affirmation que le préjudice matériel résultant d’une telle incapacité ne peut pas consister en une perte de revenus professionnels, manque en droit »37. 24. Est-il intellectuellement cohérent d’affirmer que l’incapacité économique est tout à la fois l’inaptitude à l’exercice d’activités lucratives, la nécessité d’efforts accrus et une perte de revenus professionnels ? L’incapacité économique est assurément, par définition, une réduction de l’aptitude à l’exercice d’activités lucratives. La perte de revenus n’est qu’une conséquence de la réduction de la capacité de travail et de gain. Les efforts supplémentaires fournis par la victime sont des mesures prises par elle pour tenter de conserver ses revenus professionnels. 33. 34. 35. 36. 37.

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Voy., p. ex., Liège, 15 février 1999, J.T., 1999, p. 398. Tableau indicatif 2012, op. cit., p. 48. Cass., 30 novembre 1970, Pas., 1971, I, p. 289. Cass., 21 octobre 1992, Pas., 1992, I, p. 1178 ; R.W., 1992-1993, p. 1095 ; Cass., 12 novembre 1997, Pas., 1997, I, p. 1171 ; Cass., 19 novembre 1997, Pas., 1997, I, p. 1227 ; R.G.A.R., 1999, n° 13.098. Cass., 13 novembre 2002, Pas., 2002, p. 2165 ; R.G.A.R., 2004, n° 13.929 ; R.W., 20052006, p. 1237.

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Il est permis de penser que, si la perte de capacité économique était correctement évaluée et correctement indemnisée, il n’y aurait normalement pas de perte de revenus et encore moins de nécessité de fournir des efforts supplémentaires.

2

25. L’arrêt de la Cour de cassation du 13 novembre 2002 cité ci-dessus illustre très bien les difficultés que l’on rencontre dans la pratique. Cet arrêt rejette avec raison (même si c’est pour des motifs discutables) le pourvoi formé contre un arrêt de la cour d’appel de Liège du 13 mai 2002. Le juge d’appel, après avoir noté que la victime conservait une incapacité permanente de 10 %, lui a alloué une somme totale de 70.905 € à augmenter des intérêts compensatoires. Cette somme représente la perte de revenus de la victime pendant six ans, soit entre la date de l’accident et la date à laquelle elle a pris sa pension. Il ressort cependant de l’arrêt que le juge du fond avait constaté qu’à la suite de l’accident, la victime avait subi des brûlures importantes sur pratiquement tout le corps, une pneumopathie d’inhalation et une fracture vertébrale, ayant entraîné la nécessité de rester allongée pendant longtemps, le port de vêtements compressifs pendant un an, l’impossibilité de rester assise sur un tracteur pendant de nombreux mois, de transporter plusieurs ballots d’affilée, situation aggravée par des épisodes d’angoisse, de cauchemars et un sentiment de culpabilité. En d’autres termes, l’accident a anéanti le projet de société agricole que la victime s’apprêtait à lancer. En outre, compte tenu de son âge et son handicap, il n’était pas raisonnable pour la victime d’envisager de se reconvertir dans un autre métier. La cour d’appel avait tous les éléments en main pour décider que l’incapacité économique était totale, même si un expert, qui n’a rien compris au dommage corporel, avait fixé le taux d’incapacité permanente à 10 %. Alors que la cour d’appel retenait une solution justifiée compte tenu des circonstances de l’espèce, il est regrettable d’énoncer que le dommage consistait en une perte de revenus. Il suffirait de constater une perte totale de la capacité économique et de l’évaluer comme la cour d’appel de Liège l’avait fait. Après avoir rappelé un principe de base de l’évaluation du dommage (2.), on verra que la référence faite à la perte de revenus (3.) ou aux efforts accrus (4.) est dénuée de pertinence.

2. Un principe fondamental 26. Suivant la jurisprudence constante de la Cour de cassation, le juge, pour apprécier un dommage et l’indemnité destinée à le réparer, ne peut pas tenir compte d’événements ultérieurs qui sont étrangers à l’acte Larcier

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illicite ou au dommage mêmes et qui ont aggravé ou amélioré la situation de la personne lésée38. On sait que l’incapacité économique consiste en l’inaptitude totale ou partielle de la victime à exercer des activités lucratives, ainsi que la réduction de sa compétitivité sur le marché du travail. Le fait que la victime continue à percevoir sa rémunération est un fait étranger au dommage. Celui-ci subsiste. Malgré la générosité de l’employeur qui maintient la rémunération d’un travail handicapé et inefficient, la victime continue à éprouver des difficultés à effectuer les actes de sa vie professionnelle et a perdu sa compétitivité sur le marché général du travail. Si la conservation des revenus professionnels s’explique non par la générosité de l’employeur, mais bien par les « efforts accrus » de la victime, son incapacité économique subsiste. Nier l’incapacité économique en raison des efforts accrus, c’est affirmer que l’automobiliste dont la voiture est détruite ne subit aucun dommage puisqu’il a pris en location un véhicule de remplacement … Le professeur Simoens a démontré magistralement qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour de cassation une règle selon laquelle le responsable ne peut tirer profit des efforts exceptionnels effectués par la victime39.

3. La perte de revenus 27. La jurisprudence n’est pas toujours d’une cohérence parfaite. Depuis 2002, la Cour de cassation semble admettre que le dommage subi par la victime en raison de l’incapacité permanente qui lui a été fautivement causée, peut consister dans « la perte de revenus professionnels » résultant de cette incapacité40. Lorsque l’on considère que le dommage consiste en une perte de revenus professionnels, on doit se livrer à des comptes et des décomptes prenant en considération les revenus professionnels passés et futurs et les éventuels revenus de remplacement passés et futurs. Les revenus de remplacement ou la pension de retraite qui sont payés à la victime, ne doivent 38. 39.

40.

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Voy., not., Cass., 2 mai 2001, Pas., 2001, p. 749 ; R.G.A.R., 2003, n° 13.726 ; R.G.D.C., 2003, p. 45, note D. SimoenS ; Cass., 30 janvier 2004, Pas., 2004, p. 194 ; J.L.M.B., 2005, p. 771. D. SimoenS, « Latere gebeurtenissen, al dan niet vreemd aan de schade : alternatieven voor de vaste cassatieregel », R.G.D.C., 2003, p. 45 ; D. SimoenS, « Beschouwingen over de voordeelstoerekening bij de begroting van schade, geleden door een onrechtmatige daad », R.G.D.C., 2005, pp. 389 à 393. Cass., 29 novembre 2006, Pas., 2006, p. 2508 ; R.G.A.R., 2008, n° 14.429 ; Cass., 8 septembre 2010, Pas., 2010, p. 2214 ; R.G.A.R., 2011, n° 14.792 ; R.W., 2012-2013, p. 335.

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être pris en compte pour évaluer la perte de revenus, que si ces revenus de remplacement « tendent à réparer le même dommage que celui que visent les articles 1382 et 1383 du Code civil »41. On entre ainsi dans des discussions byzantines. On peut se demander comment il est possible de considérer que le dommage consiste en une perte de revenus alors que, d’autre part, les principes sont que « la réparation due à la victime d’un accident par l’auteur du fait dommageable, pour l’indemniser du préjudice matériel résultant de l’atteinte portée à sa capacité de travail, n’est ni exclue ni restreinte du fait que la victime a continué à recevoir ses appointements contractuels ou statutaires »42. Ces principes ont été appliqués par un jugement bien motivé du tribunal de première instance de Liège : « La réalité d’un préjudice matériel n’est pas écartée, en l’espèce, par le fait que la partie civile n’établit pas de perte de revenus, ses revenus ayant effectivement progressé depuis la date de consolidation. L’atteinte à la capacité de la partie civile constitue en effet une atteinte à sa valeur économique, pouvant affecter des possibilités de changements professionnels. Une telle atteinte à la valeur économique d’une victime constitue un dommage matériel dont la réparation est due »43.

2

28. À ce stade déjà, il est permis de formuler deux observations. Logiquement, il est incohérent d’affirmer d’une part que la perte de revenus constitue un dommage et que d’autre part, l’absence de perte de revenus ne réduit en rien le dommage consistant en une incapacité de travail. Moralement, il est malsain de permettre à la victime de choisir de présenter son dommage, au gré des circonstances, soit comme une perte de capacité, soit comme une perte de revenus. 29. Les observations énoncées ci-dessus sont partagées par la meilleure doctrine. « L’obligation de réparer le dommage in concreto et intégralement s’étend-elle et/ou se limite-t-elle à la couverture de la totalité des pertes de revenus que la victime établit avoir subies depuis l’accident, au risque de pénaliser les victimes qui conservent leur rémunération au prix d’importants efforts accrus, de la bienveillance de leur employeur ou d’un peu de chance, comme au risque d’installer les victimes dans la

41. 42. 43.

Cass., 29 novembre 2006, précité ; Cass., 8 septembre 2010, précité. Cass., 10 avril 1972, Pas., 1972, I, p. 723 ; Cass., 8 mars 1976, Pas., 1976, I, p. 740 ; Cass., 2 décembre 1977, Pas., 1978, I, p. 381 ; R.G.A.R., 1980, nos 10.196 et 10.102 ; R.W., 19781979, col. 209 ; Cass., 13 mars 1986, Pas., 1986, I, p. 241. Civ. Liège (9e ch.), 16 février 2010, Évaluation du préjudice corporel, 2011, liv.16, III.3., Liège, p. 187.

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décompensation post-accidentelle, leurs revenus antérieurs demeurant garantis »44. Dans un commentaire très perspicace d’un arrêt récent, Daniel de Callataÿ voit un infléchissement de la jurisprudence de la Cour de cassation45. L’auteur démontre, de façon convaincante, que « la prise en compte des pertes de revenus effectivement subies pose le problème d’une absence d’encouragement à la reprise du travail et d’une source d’enrichissement injustifiée compte tenu du cumul possible avec le bénéfice des allocations de chômage. Il est également problématique en ce qu’il s’agit d’apprécier non seulement le dommage passé (…), mais également le préjudice futur, alors que le juge ne peut au moment de sa décision, savoir si la victime reprendra ou non une activité, à la supposer toujours inactive, ou conserve le travail, identique ou adapté, qu’elle aura eu la chance ou le mérite de reprendre en dépit de l’accident ». Sa conclusion est claire : il serait plus sage de cesser d’affirmer que la perte de revenus constitue une source autonome de préjudice économique permanent, distincte de l’atteinte à la capacité de travail, et de « revenir à l’indemnisation de cette atteinte à la capacité de travail dont la perte de revenus n’est qu’une manifestation »46. 30. Les discordances qui peuvent exister entre le taux d’incapacité économique et l’importance d’une éventuelle perte de revenus, peuvent être temporaires ou permanentes. Si la discordance (dans un sens ou dans l’autre) est temporaire, elle ne doit pas être prise en considération, du moins lorsqu’il s’agit d’apprécier le dommage résultant de l’incapacité permanente. Un travailleur valide peut lui aussi être licencié et, après une période de chômage plus ou moins longue, retrouver un nouvel emploi. Lorsque la discordance est, ou du moins semble, au moment du jugement, permanente, elle s’explique le plus souvent par une erreur dans la présentation des données. L’erreur peut concerner, mais ce n’est pas fréquent, l’origine de la perte de revenus qui peut être étrangère à l’accident. On songe à la victime qui s’installe dans l’oisiveté. L’erreur provient le plus souvent d’une mauvaise appréciation du taux de l’incapacité permanente. Les faits à l’origine de l’arrêt du

44. 45. 46.

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D. De Callataÿ et N. eStienne, op. cit., p. 123. D. De Callataÿ, « La capitalisation du préjudice (économique) permanent. Le cumul de la réparation du préjudice économique permanent et du bénéfice d’allocations de chômage », note sous Cass., 2 mai 2012, R.G.A.R., 2013, n° 14.937. Ibid.

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13 novembre 2002 cité ci-dessus47 en sont la triste illustration. Dans un certain nombre de cas, les juges rectifient le taux insuffisant d’incapacité économique retenu par un rapport d’expertise judiciaire48. Ces corrections sont justifiées et nécessaires. En effet, les cours et tribunaux demandent à des experts-médecins un avis sur le taux de l’incapacité économique. Les médecins sont parfaitement qualifiés pour déterminer les fonctions physiques et intellectuelles que la victime peut encore accomplir. Ils n’ont ni compétence ni qualification pour déterminer, sur le plan économique et social, les possibilités concrètes de la victime de trouver réellement un emploi correspondant à ses capacités (réduites), ses qualifications, son âge et ses facultés éventuelles d’adaptation. Dans ce domaine, le juge est un aussi bon ou un aussi mauvais « expert » que le médecin qu’il a désigné en qualité de « expert ». La seule solution est de rechercher dans chaque cas, en-dehors de tout barème et de toute idée préconçue, les possibilités concrètes de la victime de se livrer à des activités lucratives. Cela implique sans doute une véritable collaboration entre médecins et juristes49. On se réfère ici aux critères pertinents d’évaluation de l’incapacité économique permanente50.

2

4. Les efforts accrus 31. Lorsque la victime subit une réduction de sa capacité de travail, chacun comprend qu’elle n’a plus la capacité de travailler comme elle pouvait le faire avant l’accident. Comme elle travaille moins ou moins bien, il est logique qu’elle gagne moins. Dans certains cas, le juge peut constater que « moyennant des efforts supplémentaires »51, la victime atteinte d’une incapacité permanente de travail est en mesure de maintenir sa valeur économique sur le marché du travail. Qui doit bénéficier des efforts supplémentaires que la victime consent pour essayer de surmonter son incapacité et tenter de conserver ses reve-

47. 48.

49. 50. 51.

Voy. supra, n° 25. Bruxelles, 25 juin 2008, Bull. ass., 2009, p. 67 ; C. trav. Bruxelles, 22 février 2005, R.G.A.R., 2006, n° 14.130 ; Pol. Bruxelles, 15 décembre 2004, R.G.A.R., 2006, n° 14.139 ; Pol. Bruges, 18 octobre 2004, Bull. ass., 2005, p. 384 ; Civ. Malines, 27 avril 2004, Bull. ass., 2005, p. 730 ; Pol. Marche-en-Famenne, 17 mars 2003, R.G.A.R., 2005, n° 13.995. Pour d’autres décisions : D. De Callataÿ et N. eStienne, op. cit., pp. 131 et s. En ce sens : M. vanDerWeCKene, « Les facteurs socio-économiques en droit commun : la grande illusion ? », in Invalidité, incapacité et handicap professionnel (M. matagne dir.), Louvain-la-Neuve, Anthemis, 2007, pp. 323 et s., spéc. pp. 327-328. Voy. infra, nos 37 à 40. Cass., 1er juin 1993, Pas., 1993, I, p. 527 ; J.T., 1994, p. 233.

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nus professionnels ? Le bénéficiaire des efforts accrus doit-il être l’assureur du responsable ou la victime elle-même ? La logique, l’équité et le bon sens concourent à dire que, si la victime fournit, pour limiter son dommage, des efforts qui dépassent la mesure que l’on peut raisonnablement exiger d’elle, les avantages qui en résultent sont des éléments dont on ne peut pas tenir compte dans l’évaluation du préjudice. Cette solution est préconisée par plusieurs auteurs52 et a été adoptée par deux arrêts, peut-être anciens mais parfaitement clairs, de la Cour de cassation53. Il est difficilement compréhensible que le Tableau indicatif 2012 et la jurisprudence consacrent autant d’attention à des efforts accrus qui ne peuvent jouer aucun rôle dans l’appréciation du préjudice économique. 32. Cette attention singulière accordée aux efforts accrus s’explique par la jurisprudence – un peu ambiguë – de la Cour de cassation. On sait que, depuis plusieurs dizaines d’années, la Cour de cassation admet que le dommage matériel résultant de la réduction de la capacité de travail de la victime, consiste en une diminution de sa valeur économique sur le marché du travail « et aussi, éventuellement, en la nécessité de fournir des efforts accrus dans l’accomplissement de ses tâches professionnelles normales »54. On observera que la Cour de cassation fait mention de la nécessité de fournir des efforts accrus. Aucun arrêt ne prétend que le dommage économique consiste dans le fait de fournir des efforts accrus. Certains plaideurs et certains tribunaux, procédant à une lecture trop rapide des arrêts de la Cour de cassation, ont considéré que les efforts accrus sont, par eux-mêmes, constitutifs d’un dommage. Ils en arrivent ainsi à affirmer que « tout en constituant un dommage matériel, ces efforts ne font pas partie du dommage matériel strictement professionnel »55, ou encore que les efforts accrus constituent un « dommage matériel corporel sans aucun aspect patrimonial »56. Un arrêt récent57 illustre bien cette confusion. L’arrêt énonce que le préjudice économique consiste, pour la victime, « en l’incidence du taux d’incapacité sur ses possibilités de reclassement et sur sa capacité de tra52.

53. 54. 55. 56. 57.

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J. DaBin et A. lagaSSe, « Examen de jurisprudence », R.C.J.B., 1948, p. 92, n° 80 ; J.-L. Fagnart et M. Denève, « Chronique de jurisprudence. La responsabilité civile (19761984) », J.T., 1988, p. 749, n° 149 ; J. ronSe, Schade en schadeloosstelling, t. I, A.P.R., 1984, nos 543 à 545. Cass., 4 juillet 1955, Pas., 1955, I, p. 293 ; R.G.A.R., 1955, n° 5.632 ; Cass., 7 septembre 1982, Pas., 1983, I, p. 19 ; R.W., 1984-1985, col. 1509. Cass., 30 novembre 1970, Pas., 1971, I, p. 289. Liège, 1er mars 1990, R.G.A.R., 1992, n° 12.072, note M. vanDerWeCKene. Civ. Liège, 31 octobre 1995, Bull. ass., 1996, p. 535. Bruxelles (16e ch.), 23 décembre 2011, Bull. ass., 2013, p. 93.

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vail » (sic). L’arrêt considère que ce préjudice économique est « fort théorique » parce que la victime âgée aujourd’hui de 62 ans travaille depuis vingt ans pour le même employeur. C’est perdre de vue qu’à 62 ans on peut vouloir ou devoir changer d’employeur et qu’il convient dès lors de tenir compte des possibilités de reclassement de la victime sur le marché général de l’emploi. L’arrêt poursuit en relevant que le préjudice économique ne peut être évalué en fonction des revenus, « puisqu’il n’y a en l’espèce aucune perte de revenus ». C’est perdre de vue que la réparation due à victime d’un accident n’est ni exclue, ni restreinte du fait qu’elle a continué à percevoir ses appointements contractuels ou statutaires58. L’arrêt relève que pour conserver ses revenus, la victime a dû fournir d’importants efforts accrus pour continuer à travailler, essentiellement à l’ordinateur, malgré le peu d’acuité visuelle de son œil gauche et malgré « sa mauvaise vision et en particulier ses difficultés à voir les distances et le relief ». L’arrêt en déduit que le dommage « est donc principalement de nature morale », ce qui justifie l’octroi d’une indemnité forfaitaire. La même dérive a conduit les auteurs du Tableau indicatif 2012, à la suite d’une partie de la doctrine59 et de la jurisprudence60, à adopter une conception égalitariste et forfaitaire61. On sort ainsi de l’appréciation économique pour « compenser », comme en matière de préjudice moral, un dommage non évaluable en argent : un effort est un effort.

2

33. Cette conception est radicalement erronée. Tout d’abord, la nécessité de fournir des efforts accrus n’est qu’une manifestation du véritable dommage qui consiste en une perte ou une réduction de la capacité de travailler et de gagner de l’argent. Au surplus, la jurisprudence de la Cour de cassation est formelle et constante. L’indemnité allouée en droit commun en réparation du dommage matériel résultant de l’incapacité de travail de la victime et de « la nécessité de fournir des efforts accrus », se rapporte au même dommage corporel que celui qui est réparé par les indemnités versées en application de la loi sur les accidents du travail62. On sait que, dans ce système légal,

58. 59. 60. 61. 62.

Voy. supra, n° 27. Th. Papart, « Les efforts accrus … Ambiguïté et redondance ? », in Liber Amicorum Jean-Luc Fagnart, Louvain-la-Neuve, Anthemis-Bruylant, 2008, pp. 637-655. Voy. les réf. citées par D. De Callataÿ et N. eStienne, op. cit., pp. 174-176. Tableau indicatif 2012, op. cit, p. 56. Cass., 21 octobre 1992, Pas., 1992, I, p. 1178. Cet arrêt accueille le pourvoi qui faisait valoir, très judicieusement, que « les efforts accrus dont se prévalait le défendeur, constituaient, non pas un dommage distinct, mais l’illustration de cette diminution de sa valeur économique, d’où il suit qu’ayant été complètement indemnisé en loi, le défendeur ne pouvait plus, à peine de percevoir une double indemnité, obtenir en droit commun, des dommages et intérêts compensant les efforts accrus qu’il disait avoir fournis ».

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il n’y a pas de réparation du dommage moral ; la loi ne répare que l’incapacité économique. Ces principes ont été confirmés par de nombreux arrêts63. Les efforts accrus sont l’illustration d’une perte de capacité qui est un dommage économique qui doit – normalement – être évalué sur la base des revenus professionnels de la victime64. Les juridictions de fond adoptent les mêmes principes : – « Le dommage résultant des efforts accrus que la victime a dû fournir après la reprise du travail, fait partie du dommage matériel tel qu’il est indemnisé par l’assureur accidents du travail »65 ; – « Une action en droit commun, concernant les efforts accrus consentis par la victime pour continuer à exercer sa profession, n’est en conséquence pas possible s’il n’a pas été démontré que l’indemnisation reçue par la partie civile en exécution de la loi sur les accidents du travail est insuffisante pour réparer également ce dommage »66 ; – « S’agissant de l’indemnisation des efforts accrus, il convient de souligner que les indemnités allouées en droit commun (tant pour la perte de revenus que pour les efforts accrus) se rapportent au même dommage que celui réparé par les indemnités versées par l’assureurloi. Par conséquent, il n’est pas concevable de réclamer, d’une part, le solde du préjudice économique en soustrayant les indemnitésloi de la rémunération qui aurait dû être perçue, et d’autre part, une indemnisation pour les efforts accrus sans tenir compte de ces indemnités-loi »67. La jurisprudence confirme ainsi que les efforts accrus sont « l’illustration » de la perte de capacité économique, qui constitue le véritable dommage réparable. La nécessité de fournir des efforts accrus ne constitue en rien un dommage distinct de l’incapacité.

B. Évaluation 1. Évaluation spécifique 34. L’évaluation du taux d’incapacité est spécifique à la victime lorsque l’on apprécie si elle peut encore exercer, et dans quelle mesure,

63. 64. 65. 66. 67.

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Cass., 1er juin 1993, Pas., 1993, I, p. 527 ; J.T., 1994, p. 233 ; Cass., 5 décembre 2006, Pas., 2006, p. 2552 ; Cass., 19 décembre 2006, Pas., 2006, p. 2750. Voy. infra, nos 47 et s. Pol. Bruges, 10 septembre 2002, Bull. ass., 2003, p. 224. Pol. Namur, 14 décembre 2010, C.R.A., 2012, p. 425. Pol. Bruxelles, 27 juin 2011, R.G.A.R., 2011, n° 14784.

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la profession qui était la sienne au moment de l’accident. Ce critère doit s’appliquer pendant les incapacités temporaires68. Pendant cette période provisoire, il est en effet inconcevable de demander à la victime de se reconvertir dans l’exercice d’autres activités lucratives69.

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2. Évaluation générale 35. L’incapacité permanente de travail ne doit pas s’apprécier en fonction uniquement de la profession qui était celle de la victime au moment de l’accident, mais bien en fonction de l’ensemble des professions que la victime, compte tenu de sa formation et de son expérience, serait capable d’exercer. Plusieurs arrêts, usant de formules non identiques dans la forme mais similaires dans l’esprit, confirment ce principe. « Le juge du fond peut considérer à bon droit que, si la victime d’un accident, atteinte d’une incapacité de travail partielle permanente, ne souffre guère de son handicap physique dans le métier qu’elle exerce actuellement, elle est atteinte dans ses possibilités de concurrence sur le marché général du travail, que son insuffisance de qualification l’amènera à changer plusieurs fois d’emploi et que ses chances de trouver aisément une occupation en raison de sa force physique sont réduites étant donné les difficultés qu’elle éprouve à effectuer un travail en station »70. L’étendue de l’incapacité économique « s’apprécie non seulement en fonction de la capacité physiologique, mais encore en fonction de l’âge, de la qualification professionnelle, de la faculté d’adaptation, de la possibilité de rééducation professionnelle et de la capacité de concurrence sur le marché général de l’emploi de la victime »71. Par un arrêt récent, la Cour de cassation confirme que « pour déterminer le dommage matériel résultant d’une incapacité permanente de travail, le juge doit prendre en considération la capacité de la victime, eu égard à sa situation concrète et aux contraintes et réalités économiques et sociales, d’exercer non seulement sa profession au moment de l’accident, mais aussi d’autres activités professionnelles. Le juge doit notamment tenir compte de l’âge, de la formation et des qualifications professionnelles et de la faculté de réadaptation de la victime »72. 68. 69. 70. 71. 72.

Cass., 5 octobre 1970, Pas., 1971, I, p. 97 ; R.G.A.R., 1971, n° 8.734, note J.-F. D. De Callataÿ et N. eStienne, op. cit., p. 130. Cass., 7 octobre 1968, Pas., 1969, I, p. 136 ; R.G.A.R., 1970, n° 8.837. Cass., 10 mars 1980, Pas., 1980, I, p. 838 ; R.G.A.R., 1981, n° 10.377 ; Bull. ass., 1983, p. 93 (arrêt rendu en matière d’accidents du travail). Cass., 19 mai 2011, Pas., 2011, p. 1382, concl. .av. gén. J.-M. geniCot ; J.L.M.B., 2012, p. 292.

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36. Les critères indiqués par la Cour de cassation ne sont certainement pas d’une application aisée. Ils méritent certains commentaires (a) ; il convient en revanche d’éviter d’autres critères qui ne sont pas pertinents (b).

a) Les critères pertinents 1° la Situation ConCrète De la viCtime 37. La jurisprudence est claire. Pour apprécier l’incapacité économique de la victime, le juge doit avoir égard « à sa situation concrète et aux contraintes et réalités économiques et sociales ». Comme l’observe très judicieusement Paul Palsterman, « un terrassier n’a pas concrètement accès à un emploi d’informaticien ni de vendeur en parfumerie. Le problème est que, si on a la capacité d’exercer des métiers physiquement éprouvants ou exigeants (terrassier, déménageur), il est généralement possible de trouver un emploi, même si on n’a pas de diplôme, de connaissances linguistiques rudimentaires, etc. Si on est privé de cette capacité physique, ces lacunes deviennent rédhibitoires »73.

2° l’âge 38. L’âge est certainement un critère à prendre en considération pour l’évaluation de l’incapacité économique, encore que ce critère doive être manié avec prudence. Le critère est important parce que l’âge est un élément qui peut entraîner une certaine détérioration de l’état de santé en général. On objecterait vainement que l’âge de la victime est indépendant de l’accident. Cette objection ne tient pas compte du fait qu’il faut prendre en considération la situation concrète de la victime74 et que l’on ne peut retenir l’état antérieur de la victime75. Indépendamment des considérations relatives à la santé, on doit constater que l’âge ferme l’accès à certaines professions, et plus exactement aux professions liées à une certaine jeunesse. Au-delà de la quarantaine, il devient impossible d’être engagé comme coureur cycliste professionnel, mannequin de charme, paracommando, stripteaseur ou stripteaseuse, etc. Enfin, l’âge exerce une incidence sur la faculté de réadaptation de la victime. « En fonction de divers facteurs physiques, cognitifs et psycho73. 74. 75.

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P. palSterman, « L’incapacité de travail des travailleurs salariés dans le droit belge de la sécurité sociale. Approche transversale », in Invalidité, incapacité et handicap professionnel (M. matagne dir.), Louvain-la-Neuve, Anthemis, 2007, pp. 253 et s., spéc. p. 267. Voy. supra, n° 37. Voy. supra, nos 7 à 10.

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logiques, mais aussi sociaux (enfants à charge, acquisition du logement), il faut admettre que les exigences de mobilité (professionnelle, géographique) que l’on peut légitimement poser au travailleur âgé, seront moindres que pour un individu jeune »76.

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3° la Formation et leS qualiFiCationS proFeSSionnelleS 39. Pour apprécier l’incapacité économique, le juge doit certainement tenir compte de la formation ou de l’absence de formation de la victime. Il ne peut décider qu’il serait inéquitable de faire supporter par l’auteur de l’accident le fait que la victime est un travailleur « illettré et sans aucune formation », ce qui « rend certainement la recherche d’un emploi plus problématique »77. Il faut indemniser la victime telle qu’elle est.

4° l’inCapaCité D’exerCer D’autreS aCtivitéS proFeSSionnelleS 40. La vraie difficulté consiste à prendre en considération le marché de l’emploi avec ses déséquilibres, ses évolutions structurelles et la transformation des conditions de travail. « L’aptitude au travail de la personne intéressée doit être mesurée d’après sa capacité, non pas à exercer des professions imaginaires, illusoires, chimériques ou tombées en désuétude, mais à occuper des emplois véritablement existants et susceptibles de lui être éventuellement offerts. C’est ainsi qu’il convient de tenir compte des réalités objectives du marché du travail contemporain, afin de prendre en considération des professions bien réelles, même si elles donnent lieu à forte concurrence par l’effet de la crise et d’autres éléments conjoncturels »78. À cet égard, on peut regretter qu’un trop grand nombre d’experts, lorsqu’ils constatent qu’une victime est incapable de toute activité physique et de toute activité intellectuelle, exposent, avec componction, que la victime pourrait devenir… gardien de musée ! Ces prétendus experts s’imaginent sans doute que plusieurs milliers de postes de gardien de musée sont déclarés ouverts chaque année en Belgique… Ce manque de réalisme est un péché contre l’intelligence.

b) Les critères non pertinents d’évaluation 41. Bien qu’ils soient parfois pris en considération par les experts ou par les tribunaux, certains critères ne sont pas pertinents pour l’évaluation de l’incapacité économique. 76. 77. 78.

P. palSterman, op. cit., p. 288. Cass., 19 mai 2011, Pas., 2011, p. 1382, concl. av. gén. J.-M. geniCot ; J.L.M.B., 2012, p. 292. C. trav. Liège, 4 novembre 1994, cité par P. palSterman, op. cit., spéc. p. 265.

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1° l’aBSenCe D’aCtivité proFeSSionnelle 42. Lorsqu’il s’agit d’évaluer l’incapacité permanente, la situation de la victime au moment de l’accident, n’a qu’un caractère anecdotique, « l’étudiant n’ayant pas vocation à toujours étudier, le chômeur à toujours chômer, la ménagère à ne jamais … déménager ! »79. La circonstance que la victime n’exerçait pas, au moment de l’accident, une activité lui procurant des revenus professionnels, n’a pas pour effet de supprimer la valeur économique qu’elle peut avoir sur le marché du travail. Une réduction de sa capacité constitue un dommage indemnisable. Ce principe a été consacré par la Cour de cassation en ce qui concerne les demandeurs d’emploi80 et les prépensionnés81. Le principe est consacré également par d’autres juridictions pour les ecclésiastiques82, les étudiants83 et pour les personnes qui se consacrent totalement aux activités ménagères mais qui pourraient, à l’avenir, reprendre une activité professionnelle84.

2° leS eFFortS aCCruS 43. On a exposé ci-dessus que, si la victime fournit des efforts qui dépassent la mesure que l’on peut raisonnablement exiger d’elle, les avantages qui en résultent ne peuvent bénéficier qu’à elle-même. Il n’y a donc pas lieu d’en tenir compte dans l’évaluation du taux d’incapacité économique. Il faut déterminer ce taux comme si elle ne fournissait pas plus d’efforts qu’auparavant85.

3° la perte ou le maintien De la rémunération 44. On a vu ci-dessus que la perte ou le maintien de la rémunération est un élément indifférent pour l’évaluation du dommage consistant en une réduction de la capacité de travail. La question n’est pas de savoir si l’incapacité permanente a un effet ou non sur les revenus de la victime, 79. 80.

81.

82. 83. 84. 85.

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D. De Callataÿ et N. eStienne, op. cit., p. 126. Cass., 9 mars 1989, Pas., 1989, I, p. 709 ; J.T., 1989, p. 746 ; Cass., 9 février 2004, Pas., 2004, p. 232 ; Bull. ass., 2006, p. 233. Dans le même sens : Mons, 15 octobre 2001, R.G.A.R., 2003, n° 13.672 ; Corr. Huy, 5 mars 2010, Évaluation du préjudice corporel, 2011, liv.16, III.3., Huy, 89. Cass., 16 octobre 2003, Pas., 2003, p. 1622 ; R.G.A.R., 2005, n° 14.045 ; Cass., 23 octobre 2012, Pas., 2012, p. 875. Ce dernier arrêt, après avoir confirmé le principe, énonce cependant, de façon ambiguë, que « la mise à la prépension influe sur la valeur économique de la victime et, en conséquence, sur le préjudice qu’elle subit en raison de son incapacité de travail, de sorte que le juge appelé à apprécier le préjudice est tenu d’avoir égard à cette circonstance même si elle est étrangère à l’acte illicite ». Pol. Charleroi, 28 février 1975, R.G.A.R., 1976, n° 9.592. Voy. Les nombreuses décisions citées par D. De Callataÿ et N. eStienne, op. cit., pp. 90-92. Bruxelles, 17 octobre 1997, R.G.A.R., 1998, n° 12.985 ; R.G.A.R., 1999, n° 13.118. Voy. supra, nos 31 et s.

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mais bien de savoir si la capacité de concurrence de la victime sur le marché du travail est ou non réduite et si oui, dans quelle proportion86.

4° la CriSe éConomique 45. La crise économique frappe tous les citoyens et toutes les entreprises. Elle ne doit pas être prise en charge par les débiteurs d’indemnités. En matière d’assurance « maladie-soins de santé », la jurisprudence décide que : « le contexte économique, qui rend aléatoire le reclassement d’un assuré social, appartient à une problématique rencontrée par le régime de l’assurance chômage et non par celui de l’assurance maladie-invalidité »87. Ces principes ont été étendus à la situation des indépendants (qui ne bénéficient pas de l’assurance chômage !). La Cour de cassation a décidé que « la situation économique est sans incidence sur l’aptitude à effectuer un travail, mais influe sur les possibilités de trouver un travail pour lequel on possède les aptitudes requises, ou de continuer à exercer, avec des chances de réussite, la profession indépendante que l’on a choisie. Pour l’appréciation de l’incapacité de travail, la situation économique ne peut dès lors être prise en considération »88. De même, dans le domaine des accidents du travail, la Cour de cassation décide que la crise économique, qu’elle soit nationale ou sectorielle, ne peut influencer l’évaluation de l’incapacité permanente. La capacité de concurrence, sur le marché général de l’emploi, est déterminée par les possibilités dont la victime dispose encore, « comparativement à d’autres travailleurs » d’exercer une activité salariée. À cet égard, le fait qu’au moment où l’incapacité est fixée, il y a un manque ou un excédent de main-d’œuvre sur le marché de l’emploi, ne peut être pris en considération89. La Cour de cassation a confirmé cette jurisprudence90. La logique veut que les mêmes principes soient appliqués en droit commun91.

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C. Indemnisation 46. L’indemnisation de la victime d’un accident, pour son incapacité économique temporaire, ne devrait pas poser de problème délicat, si la 86. 87. 88. 89. 90. 91.

Voy. supra, nos 27 et s. C. trav. Mons, 9 novembre 1990, Bull. INAMI, 1991, n° 5, p. 343. Dans le même sens : C. trav. Liège, 23 octobre 1990, J.T.T., 1991, p. 343. Cass., 25 octobre 1982, J.T.T., 1983, p. 163 et note. Cass., 10 mars 1980, Pas., 1980, I, p. 838 ; R.W., 1980-1981, col. 647 ; R.G.A.R., 1981, n° 10.377 ; R.G.A.R., 1983, n° 10.600. Cass., 22 septembre 1986, J.T.T., 1987, p. 109. J.-L. Fagnart, « Invalidité et incapacité », R.B.D.C., 1998, pp. 5 et s., spéc. p. 21.

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matière n’était pas polluée par le concept incongru du préjudice consistant en des « efforts accrus »92. Si l’on réfléchit sereinement au dommage consistant en une incapacité économique permanente, on peut penser que ce dommage correspond aux revenus qui auraient pu être ceux de la victime si elle avait pu échapper à l’accident. Il s’agit sans doute d’un raisonnement spéculatif car il faut reconstruire une histoire qui aurait pu devenir réalité, mais que l’accident a définitivement éliminée. Il est toutefois raisonnable de penser que la victime qui a perdu tout ou partie de sa capacité économique, perd nécessairement tout ou partie des revenus qui auraient pu être les siens. Il faut dès lors déterminer les revenus probables futurs ainsi que le temps pendant lequel la victime aurait pu les obtenir. Il faudra enfin procéder au calcul de l’indemnité.

1. La valeur de la capacité de travail 47. La capacité économique représente un potentiel de revenus futurs. Lorsque la victime a des revenus professionnels, ceux-ci constituent incontestablement un élément d’appréciation. On a pu dire que la capacité de travail de la victime s’apprécie le mieux d’après sa valeur sur le marché du travail. Le prix offert sur ce marché pour l’utilisation de cette force de travail est un élément décisif d’appréciation93. Lorsqu’au moment de l’accident, la victime n’avait pas ou n’avait plus de revenus professionnels, le juge n’est cependant pas privé de toute référence. Il peut se référer, comme on le fait constamment en accidents du travail, à la rémunération moyenne des travailleurs de la catégorie (ou de la profession) à laquelle la victime aurait appartenu si l’accident n’avait pas eu lieu. La recherche est peut-être un peu difficile mais elle n’est nullement impossible94. Au xxie siècle, il existe des barèmes fixés non seulement par les conventions collectives de travail, mais aussi de multiples études statistiques concernant l’évolution des revenus dans toutes les professions. 48. Faut-il prendre en considération le revenu brut ou le revenu net ? 92. 93. 94.

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Sur la réparation du préjudice économique temporaire : D. De Callataÿ et N. eStienne, op. cit., pp. 168-179. Liège, 11 octobre 1968, Bull. ass., 1969, p. 93 ; Corr. Dinant, 19 janvier 1970, J.T., 1970, p. 437 ; Civ. Liège, 3 mai 1971, R.G.A.R., 1971, n° 8.689. Sur la nécessité de déterminer un salaire de référence au départ de données que le juge peut rassembler avec une sécurité suffisante : D. SimoenS, « De begroting de gemeenrechtelijke schadeloosstelling bij verergering, door de onrechtmatige daad, van voorafbestaande schade », R.W., 2000-2001, pp. 73 et s.

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La perte de capacité

Lorsque le juge alloue une indemnité destinée à réparer non une perte de revenus, mais bien une réduction de la capacité de travail de la victime, il procède à cette évaluation souverainement en fait et peut calculer l’indemnité sur la base aussi bien du revenu net que du revenu brut95. Si le juge dispose ainsi d’une grande liberté, il a toutefois le devoir de raisonner. Le raisonnement est sans doute difficile car la jurisprudence, en ce domaine, est d’une particulière complexité96. Pour rationaliser le débat, on peut se référer aux critères qui sont généralement appliqués pour la réparation du dommage résultant de la destruction d’une chose. Faut-il prendre en considération la valeur de remplacement (prix d’achat) ou la valeur vénale (prix de vente) ? Si la victime détenait la chose pour son usage, elle va devoir acheter une chose nouvelle. C’est donc la valeur de remplacement que l’on retient. En revanche, si la victime détenait la chose pour la vendre, il faut l’évaluer sur la base de la valeur vénale. La personne qui dispose d’une capacité de travail, va essayer de la « vendre ». Sa capacité de travail a donc la valeur de revenus qu’elle peut obtenir, et non pas la somme que l’employeur doit décaisser. La victime ne peut jamais bénéficier que de ses revenus nets. La solution n’a pu toutefois être retenue qu’à la double condition que la victime conserve tous les avantages sociaux qui auraient été les siens sans l’accident, et que l’indemnité allouée ne soit pas soumise à l’impôt. Lorsque l’indemnité accordée est soumise à l’impôt, le juge doit déterminer le montant de cette indemnité de manière à ce que le montant net de cette indemnité corresponde au revenu net à indemniser97.

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49. Dans la détermination du revenu de base à prendre en considération, il y a deux erreurs à éviter. La première est de retenir les revenus que la victime peut obtenir effectivement après l’accident, car il est vraisemblable que ces revenus sont ou peuvent être réduits étant donné qu’ils rémunèrent des prestations effectuées par une personne dont la capacité de travail est réduite98. La seconde erreur est de se référer, sans nuances et sans réserves, aux revenus qui étaient ceux de la victime avant l’accident. En effet, si l’on veut replacer la victime dans la situation qui aurait été la sienne si l’accident 95. 96. 97. 98.

Cass., 5 décembre 1990, Pas., 1991, I, p. 337. D. De Callataÿ et N. eStienne, op. cit., pp. 104-112. Cass., 1er juin 2003, Pas., 2003, p. 1194. On a écrit très justement : « On peut se demander s’il est logique de se référer aux revenus gagnés en dépit de lourdes incapacités pour fixer la valeur économique avant que d’y appliquer le pourcentage d’incapacité retenu, alors que l’incapacité a pu affecter la détermination du revenu de base » (D. De Callataÿ et N. eStienne, op. cit., p. 97).

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n’était pas survenu, il faut nécessairement prendre en compte l’augmentation probable ou certaine des revenus résultant d’augmentations barémiques, de promotions, de primes d’ancienneté ou de développement des affaires. Ces majorations intrinsèques du revenu sont distinctes des effets de l’inflation et doivent être analysées en tant que telles. La jurisprudence en cette matière, est assez peu homogène99. L’expérience nous apprend que l’augmentation moyenne des revenus, indépendamment de l’inflation, est de l’ordre de 10 % tous les dix ans. Il va de soi que l’on ne peut majorer le revenu de base de 10 % par période de dix ans, car l’augmentation est progressive. L’augmentation moyenne au cours d’une période de dix ans, n’est donc que de 5 %. Il convient donc de s’inspirer de la formule retenue par un intéressant arrêt de la cour d’appel de Bruxelles100. Le revenu de base doit être augmenté d’un demi-pourcent, multiplié par le nombre d’années de la survie lucrative de la victime. Concrètement, pour une victime de 25 ans cessant le travail à 65 ans, l’augmentation moyenne est de : 0,5 % x 40 = 20 %.

2. La durée de l’indemnisation de l’incapacité économique 50. L’indemnisation de l’incapacité économique doit prendre fin au moment où normalement, la victime n’aurait plus poursuivi ses activités lucratives. Quel est ce moment ? Aujourd’hui, l’âge de la retraite, pour tout le monde, est fixé à 65 ans. Si l’on s’en tient à la réalité économique et sociale actuelle, on peut sans doute constater qu’un certain nombre de personnes cessent de travailler avant leur soixante-cinquième anniversaire. Cette situation peutelle se maintenir ? Les progrès de la médecine et de l’hygiène publique d’une part, et la réduction du nombre des naissances d’autre part, ont pour conséquence un vieillissement de la population. Les économistes et les politiques sont unanimes à annoncer que, si l’on ne prend pas des mesures draconiennes, les pensions de vieillesse ne pourront plus être payées. Si elles ne sont plus payées, il faudra bien que les retraités reprennent du travail. La solution qui semble inéluctable, même si elle suscite la fureur des syndicats, est de retarder l’âge de la retraite. Aujourd’hui déjà, les indépendants poursuivent souvent leur carrière jusqu’à 70 ans, sinon plus101. 99. D. De Callataÿ et N. eStienne, op. cit., pp. 101-103. 100. Bruxelles, 15 mai 2003, R.G.A.R., 2004, n° 13.899. 101. Corr. Nivelles, 21 octobre 1994, R.G.A.R., 1996, n° 12.685 ; Corr. Mons, 8 mai 2003, R.G.A.R., 2005, n° 13.978.

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Dans vingt ans, il ne serait pas étonnant que les salariés soient soumis au même régime.

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3. Le calcul de l’indemnité a) La rente indexée 51. Le Tableau indicatif 2012 est particulièrement clair : « La rente indexée et révisable représente la forme d’indemnisation la plus complète et la plus adéquate pour réparer les préjudices résultant d’une incapacité permanente. Il s’agit pour la victime de recevoir, pour l’avenir, un montant périodique, révisable et/ou indexé. Une telle indemnisation est bénéfique pour la victime puisque le montant octroyé correspond plus précisément à la réalité du dommage subi »102. La rente indexée a également les faveurs de la doctrine103. 52. On doit cependant constater que, dans la pratique, les rentes indexées sont extrêmement rares104. On doit regretter également que le Tableau indicatif 2012, après avoir affirmé que la rente indexée est « la forme d’indemnisation la plus complète et la plus adéquate », expose que cette méthode sera privilégiée « pour les lourdes incapacités »105. Si la méthode est la plus complète et la plus adéquate, elle doit s’appliquer, si la victime le demande, quelle que soit l’importance de l’incapacité.

b) La capitalisation 53. La capitalisation est un second choix. Lorsque l’on a déterminé le revenu de base et la durée de la survie lucrative de la victime, il faut encore choisir la table de capitalisation et déterminer le taux de l’intérêt technique. 102. J.-L. DeSmeCht, th. papart et W. peeterS (dir.), Tableau indicatif 2012, Bruxelles, La Charte, 2012, p. 58. 103. R.O. DalCq, « L’indemnisation sous forme de rentes indexées. Bilans et perspectives », in Problèmes actuels de la réparation du dommage corporel (J.-L. Fagnart et A. pire dir.), Bruxelles, Bruylant, 1993, pp. 241 et s. ; R.O. DalCq, « Capital ou rente indexée », R.B.D.C., 1994, pp. 41 et s. ; D. De Callataÿ, « De l’allocation et de la révision des rentes indexées allouées en réparation de préjudices corporels en droit commun », Ann. Dr. Louvain, 1988, pp. 222 et s. ; C. mélotte, « La capitalisation du dommage moral : une question réglée ? », For. Ass., 2012, pp. 93 et s. ; th. papart, « La rente : le Win For Life de l’indemnisation du préjudice corporel », C.R.A., 2007, pp. 93-94. 104. D. De Callataÿ et N. eStienne, op. cit., p. 83. 105. Tableau indicatif 2012, op. cit., p. 59.

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Le choix de la table de capitalisation ne retient guère l’attention de la jurisprudence106. Compte tenu de l’allongement constant de la durée de la vie humaine, il semble nécessaire de recourir aux tables prospectives107. 54. Lorsqu’il s’agit de fixer le capital qui doit permettre à la victime de se payer une rente indexée, on sait que la capitalisation doit se faire sur la base du taux d’intérêt réel. Celui-ci correspond à la différence entre le taux net (après déduction du précompte) d’un placement sans risques, et le taux d’inflation. Mais, étant donné que le taux d’inflation actuel est de l’ordre de 2,60 % et que le taux de l’intérêt net, après un précompte de 25 %, dépasse à peine les 1,50 %, l’intérêt réel d’aujourd’hui est un intérêt négatif. Sur son site108, le professeur Jaumain, qui pendant de longues années, a enseigné les techniques actuarielles à l’université de Louvain-la-Neuve, suggère de ne pas s’en tenir à la situation actuelle, mais de tenir compte d’un taux d’intérêt réel moyen, observé pendant une durée suffisamment longue, par exemple les dix ans qui précèdent l’évaluation. « Ce taux réel moyen est relativement stable et doit être préféré au taux réel momentané, observé au moment de l’évaluation et qui est susceptible de fortes variations (les taux réels dix ans 2009, 2010, 2011 et 2012 sont respectivement de 3,21 %, – 0,02 %, – 0,08 %, 0,08 %). Pour une durée moyenne d’indemnisation voisine de vingt ans, on retrouve le taux recommandé par le nouveau Tableau indicatif (octobre 2012), soit 1 %. En moyenne, un taux d’évaluation de 1 % est sans doute raisonnable dans les circonstances actuelles ». Christian Jaumain souligne que le taux net de rendement des emprunts d’Etat olo varie en fonction de la durée. C’est ainsi qu’il préconise des taux de capitalisation qui varient en fonction de la durée du placement (ou de la durée d’indemnisation). Les taux recommandés par le professeur Jaumain vont de – 0,60 % pour une durée d’un an à 1,09 % pour une durée de trente ans ou plus. En adoptant un taux fixe de 1 %, les auteurs du Tableau ont choisi une moyenne raisonnable.

106. D. De Callataÿ et N. eStienne, op. cit., pp. 80-83. 107. C. jaumain, « L’évolution de la longévité en Belgique et son impact sur la capitalisation des dommages et intérêts en droit commun », in La réparation du dommage : questions particulières, Louvain-la-Neuve, Anthemis, 2006, pp. 31 et s. ; C. jaumain, La capitalisation des dommages et intérêts en droit commun, Louvain-la-Neuve, Anthemis, 2009. 108. www.christian-jaumain.be.

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La perte de capacité

c) Le forfait 55. Le forfait est la méthode à éviter. Selon le Tableau indicatif 2012, c’est la méthode d’indemnisation « à laquelle on recourt lorsqu’il n’est pas possible d’utiliser les deux premières méthodes »109. Comme il est toujours possible d’allouer une rente indexée, le forfait est toujours à éviter.

2

Conclusion 56. L’évolution de la jurisprudence et la mise au point du Tableau indicatif 2012 ont apporté plus de clarté et plus de précisions en ce qui concerne la perte de capacité. La notion d’incapacité personnelle est sans doute relativement nouvelle, mais elle correspond à une réalité que l’on ne peut plus ignorer. En revanche, l’incapacité ménagère et l’incapacité économique sont des notions connues. On doit cependant regretter que d’importantes confusions subsistent au niveau de l’incapacité économique. Le concept est clair mais les praticiens l’obscurcissent en y mêlant des considérations bien peu pertinentes relatives d’une part à la perte ou au maintien de la rémunération, et d’autre part aux efforts accrus que la victime consent pour tenter de maintenir ses revenus. Les règles relatives à l’évaluation des diverses incapacités semblent bien établies, mais elles semblent bien souvent méconnues par les experts. Les questions les plus préoccupantes se situent au niveau de l’indemnisation, spécialement du préjudice ménager nettement sous-évalué, et de l’incapacité économique qui est ignorée au profit d’un faux dommage moral pour des efforts accrus dont on ne devrait pas tenir compte…

109. Tableau indicatif 2012, op. cit., p. 58.

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3 queStionS Sur le DéCèS Noël Simar

avocat maître de conférences invité à l’U.C.L. avec la collaboration de

Laurence De Zutter avocate

Isaline Materne avocate

Michel FiFi litigation expert sinistres corporels

Sommaire Section 1 Remarque liminaire

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Section 2 Le décès n’est pas immédiat

90

Section 3 Les frais funéraires

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Section 4 Le décès est immédiat

98

Conclusion

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Le dommage et sa réparation

Section 1

Remarque liminaire La présente contribution a été réalisée sur la base du schéma initié par feu François Piedboeuf et Noël Simar dans la Chronique rédigée le 21 février 19871 et suivi par Mesdames Mary-Ann Lange et Bernadette Prignon2. Elle s’inscrit également dans le prolongement de la recension qu’ont effectuée Daniel de Callataÿ et Nicolas Estienne dans leur Chronique de jurisprudence 1996-20073. Section 2

Le décès n’est pas immédiat A. Le préjudice ex haerede Ce préjudice englobe tous les frais exposés pour soigner la victime avant son décès, ainsi que l’indemnisation des dommages matériels et moraux que la victime peut subir entre l’accident et celui-ci. L’appréciation de ce préjudice se fait de la même manière que dans le cas de blessures non mortelles. Le dommage subi avant le décès fait naître dans le patrimoine de la victime un droit à réparation. Si au moment du décès, le dommage n’a pas encore été réparé, ce droit se transmet avec le patrimoine du défunt dans le chef de ses héritiers (préjudice haereditario). Ceux-ci pourront, en conséquence, introduire en lieu et place du défunt une action en réparation du préjudice souffert par celui-ci avant sa mort, tant pour le dommage moral que pour le dommage matériel4. La jurisprudence évalue le dommage moral ex haerede en fonction du nombre d’heures ou de jours de survie consciente, et des conditions dans lesquelles les souffrances de la victime ont été endurées du fait de l’accident. Les indemnités allouées sont généralement forfaitaires, directement proportionnelles à l’intensité et à la durée de l’agonie. Ainsi que le relèvent J.-L. Fagnart et M. Denève, « lorsqu’on prend la peine de diviser le montant de l’indemnité allouée par le nombre de jours de survie de 1. 2. 3. 4.

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N. Simar et F. pieDBoeuF, « Le préjudice corporel », Chronique de droit à l’usage du Palais, t. III, 1987, pp. 277 et s. M.-A. lange et B. prignon, « Le préjudice né du décès », in Assurances, roulage, préjudice corporel, CUP, vol. 44, Bruxelles, Larcier, 2001, pp. 87 et s. D. De Callataÿ et N. eStienne, La responsabilité civile – Chronique de jurisprudence 19962007, vol. 2, Le dommage et sa réparation, coll. Les Dossiers du Journal des tribunaux, Bruxelles, Larcier, 2009. Cass, 26 septembre 1955, Pas., 1956, I, p. 38.

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Questions sur le décès

la victime, on constate […] que le montant des indemnités a tendance à décroître au fur et à mesure que l’agonie se prolonge »5. La Cour de cassation a considéré que le droit à la réparation intégrale du dommage moral causé par une faute n’est pas subordonné à la condition que la victime puisse avoir conscience que l’indemnité est destinée à compenser le dommage6. Certaines décisions refusent parfois d’accorder toute indemnisation pour ce poste, au motif que le défunt n’était pas dans un état de conscience de son état entre l’accident et le décès7.

3

B. Le préjudice personnel souffert par répercussion Les tiers, et notamment les proches de la victime, peuvent également éprouver, avant le décès, un préjudice émotionnel lié aux blessures subies, par exemple un préjudice moral du chef de la vue des souffrances endurées par le défunt, que celui-ci fasse ou non partie des aléas d’une parenté normale8. L’importance de ce préjudice « dépend pour une part de l’importance des lésions, ce qui justifie qu’on ne l’évalue définitivement qu’après le dépôt de l’expertise relatif à la victime blessée, ce qui n’exclut pas la nécessité d’une expertise, non du blessé, mais du proche »9, particulièrement si la souffrance ressentie a causé des répercussions psychiatriques. Le tribunal de police de Namur, dans son jugement rendu le 23 mars 200710, a accordé 500 € à la mère d’une victime ayant survécu pendant huit heures après l’accident, au motif que cette partie civile « a craint son décès ». Le même tribunal, dans une décision du 9 juin 201111, a estimé qu’un préjudice d’affection « n’était pas contestable en raison de l’état dans lequel le père d’un enfant unique s’était trouvé pendant neuf mois », justifiant l’allocation d’un montant de 3.600 €. 5. 6. 7.

8.

9. 10. 11.

J.-L. Fagnart et m. Denève, « La responsabilité civile – Chronique de jurisprudence (19761984) », J.T., 1988, p. 756. Cass., 4 avril 1990, Pas., 1990, I, p. 913. Pol. Namur, 23 mars 2007, C.R.A., 2009, p. 293 : « la partie civile ne rapporte pas la preuve qui lui incombe, de ce que le défunt n’était pas resté sans connaissance durant la courte période entre l’accident et le décès, et était conscient de l’issue fatale et imminente » ; Pol. Charleroi, 8 mai 2007, C.R.A., 2007, p. 373 : ce préjudice est refusé car la victime se trouvait dans un état de coma irréversible, végétatif, inconsciente de l’arrivée des verbalisants. Cass., 3 février 1987, R.G.A.R., 1989, n° 11.572 ; Pol. Huy, 17 février 2011, E.P.C., suppl. 2012, p. 33 ; Corr. Huy, 13 janvier 2012, E.P.C., suppl. 2012, p. 23 ; Corr. Liège, 15 octobre 2012, n° de notice LI80.96.180/10, inédit : le tribunal octroie un montant de 1.500 € à la partie civile pour avoir vu son frère souffrir de la mort de son épouse. D. De Callataÿ, « L’évaluation et la réparation du préjudice corporel en droit commun (accidents non mortels) », R.G.A.R., 1994, n° 12.286 ; Bruxelles, 26 juin 1990, R.G.A.R., 1991, n° 11.774. Pol. Namur, 23 mars 2007, C.R.A., 2009, p. 293. Pol. Namur, 9 juin 2011, E.P.C., suppl. 2012, p. 37.

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Le dommage et sa réparation

La question peut se poser de savoir si l’indemnisation doit être accordée dans l’hypothèse d’un partage de responsabilité entre le responsable et la victime. La Cour de cassation, dans son arrêt du 16 février 201112, y répond en précisant que « la faute de la victime décédée est opposable aux proches postulant un préjudice par répercussion ». Section 3

Les frais funéraires A. La titularité de la créance « La règle fiscale selon laquelle les frais funéraires sont admis au passif de la succession ne doit avoir aucune influence sur la responsabilité et logiquement, le remboursement des frais funéraires doit être accordé à celui qui les a déboursés, soit en fait, le plus souvent, le conjoint survivant »13. En principe donc, les frais funéraires doivent être remboursés à ceux à qui il incombait de les exposer, c’est-à-dire aux héritiers, ou, à défaut, aux débiteurs alimentaires de la victime.

B. L’anticipation de la dépense La question de l’anticipation est sans relevance « s’il apparaît que, sans l’accident, celui qui a payé les frais funéraires ne devait normalement jamais supporter cette charge »14. En ce cas, il peut en obtenir le remboursement intégral. Il en va ainsi dans le cas du décès d’un enfant, les parents n’étant pas appelés, dans le cours naturel des choses, à effectuer des frais funéraires pour celui-ci. Il en va de même pour le décès d’une épouse, plus jeune que son mari, ou à tout le moins, ayant une plus grande longévité. Par contre, lorsque le débiteur de la dépense des frais funéraires aurait de toute façon dû supporter ceux-ci à terme, en fonction du degré de parenté et de son âge, le dommage dont il peut obtenir réparation n’est constitué que par l’anticipation de la dépense, notamment dans l’hypothèse du décès d’un parent15. 12. 13. 14. 15.

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Cass., 16 février 2011, R.G.A.R., 2012, n° 14.814. R.O. DalCq, « Réparation du dommage causé par une atteinte à l’intégrité physique », in Responsabilité et réparation du dommage, Bruxelles, éd. Jeune Barreau, 1983, p. 205, faisant référence à Cass., 26 avril 1978, Pas., 1978, I, pp. 978 et s. J.-L. Fagnart, « La responsabilité civile – Chronique de jurisprudence (1968-1975) », J.T., 1976, pp. 627 et s. Voy. not. Liège, 8 octobre 1991, R.G.A.R., 1994, n° 12.275 ; Pol. Charleroi, 15 janvier 2003, in La réparation du dommage : le décès – Examen de jurisprudence 2000-2005 (N. Simar et Th. papart coord.), CUP, vol. 84, Bruxelles, Larcier, 2006, p. 108 ; Pol. Liège,

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Questions sur le décès

Le calcul de l’anticipation correspond à la différence entre les frais funéraires effectivement supportés et le capital qu’il serait nécessaire de constituer pour assurer le paiement des frais funéraires au moment du décès de la victime16. On recourt pour ce faire « aux tables de mortalité pour connaître aussi précisément que possible cette date théorique. On utilise ensuite un coefficient de capitalisation qui permettra de calculer le capital actuellement nécessaire pour couvrir cette dépense « future » »17. Le préjudice équivaut autrement dit « aux frais funéraires, diminués le cas échéant du produit de ces mêmes frais funéraires par le facteur d’escompte en cas de décès sur la tête de la victime »18 19.

3

C. L’étendue de la réparation Dans quelle mesure les frais funéraires doivent-ils être remboursés à la personne qui en a supporté la charge ? Le juge du fond dispose à cet égard d’un très large pouvoir d’appréciation et, afin d’apprécier le caractère raisonnable de la dépense, tiendra compte d’une série de critères : – les frais doivent être proportionnés à la part de responsabilité du tiers20 ;

16. 17. 18. 19.

24 janvier 2001, ibid., p. 185 ; Civ. Charleroi, 9 mars 2001, ibid., p. 107, etc. ; Pol. Namur, 3 mai 2007, C.R.A., 2009, p. 213 ; Corr. Huy, 2 avril 2010, n° de notice HU80.98.513/09, inédit ; Pol. Mons, 30 avril 2012, R.G. n° 11/A/210, inédit ; Corr. Huy, 9 novembre 2012, inédit, n° de notice HU80.96.54/10 ; Pol. Mons, 13 novembe 2012, n° de jugement 2012/5183, inédit. Voy. aussi J. SChryverS, « L’évaluation fautive des frais funéraires », Bull. ass., 2003, p. 694. B. CeulemanS et Th. papart, Vade-mecum du Tribunal de police, Malines, Kluwer, 2009. Ibid. C. jaumain, La capitalisation des dommages-intérêts en droit commun à l’usage des magistrats, des avocats et des assureurs, Tables de mortalité INS 1991-1993, Diegem, Kluwer, 1997. À titre d’illustration, prenons l’exemple de décès d’un homme de 55 ans. L’épouse de ce dernier a 56 ans. Les frais funéraires s’élèvent à 4.000 €. Comment se calcule l’anticipation de la dépense ? La première démarche consiste à rechercher la survie physiologique de la victime en prenant les tables de mortalité – soit pour un homme âgé de 55 ans, une espérance de vie de 24,86 ans (Tables Levie 2004-2006). L’opération suivante impose de chercher la valeur actuelle d’un euro payable dans 24,86 années en plaçant l’argent à un taux déterminé, par exemple 2 %, soit 0,61124 (tables d’annuités certaines). La troisième démarche consiste ensuite à multiplier le montant des frais funéraires (4.000 €) par le coefficient obtenu (0,61124), soit 2.444,96 €.

20.

Le responsable paie donc la différence, soit (4.000 € - 2.444,96 € =) 1.555,04 €. Cass., 25 avril 2004, R.G.A.R., 2005, n° 14.013.

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– ceux-ci seront remboursés dans la mesure où la victime aurait pu ellemême obtenir indemnisation21 ; – les frais doivent être normaux et nécessaires22, et non pas somptuaires ou répondant à une pure convenance personnelle. Afin d’apprécier le caractère somptuaire ou non des frais funéraires, il doit être tenu compte : a) du milieu social de la victime23 : les frais funéraires doivent être en rapport avec la condition et l’état de fortune du débiteur. Il y aura lieu de réduire ou d’écarter les dépenses anormales ou disproportionnées au milieu social dans lequel évoluait le défunt24 ; b) de son âge25 ; c) des convictions religieuses des proches26 : il convient en effet de tenir compte des sentiments et convictions religieuses et d’ordre philosophique qui ont mené les proches à effectuer des dépenses qu’ils auraient faites de toute façon, même s’ils n’avaient pu en obtenir le remboursement de la part du tiers responsable27 ; d) des liens familiaux et affectifs existants avec le défunt28 ; e) sans compensation avec l’ouverture anticipée de la succession : le paiement des frais funéraires a pour cause directe l’accident, tandis que « l’ouverture de la succession de la victime est la conséquence du droit patrimonial et du droit de succession »29 (cf. les développements infra).

D. Diversité des frais Parmi les postes réparables, on recense classiquement : – les frais de rapatriement : en principe, il s’agit d’un dommage directement indemnisable sous les limites décrites ci-dessus, en ce compris 21. 22. 23. 24. 25. 26. 27. 28. 29.

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Cass., 2 mars 1995, J.L.M.B., 1996, p. 339 ; Pas., 1995, I, p. 264 ; Larc. Cass., 1995, p. 48 ; J.T., 1995, p. 542 ; R.W., 1995-1996, p. 338 ; R.G.A.R., 1995, n° 12.513 ; Bull. ass., 1995, p. 5721. Civ. Liège, 30 mars 2012, R.G.A.R., 2012, n° 14.879. Pour une application de ces principes, voy. Comm. Charleroi, 13 novembre 1996, Bull. ass., 1997 ; Civ. Liège, 30 mars 2012, R.G.A.R., 2012, n° 14.879. M.-A. lange et B. prignon, op. cit., p. 93. Voy. M. LamBert, obs. sous Comm. Charleroi, 13 novembre 1996, Bull. ass., 1997, p. 311 ; Pol. Mons, 9 mars 2011, n° de jugement 2011/1578, inédit ; Civ. Liège, 30 mars 2012, R.G.A.R., 2012, n° 14.879. Ibid. Voy. Bruxelles, 13 juin 1972, R.G.A.R., 1973, n° 9.059 ; Mons, 3 octobre 1980, R.G.A.R., n° 10.529 ; Corr. Tournai, 28 juin 1985, Bull. ass., 1985, p. 785. Civ. Bruxelles, 8 janvier 1998, R.G.A.R., 2000, n °13.207. M.-A. lange et B. prignon, op. cit.

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Questions sur le décès

les frais d’acheminement du corps dans le pays d’origine, fondé sur des convictions religieuses30 ; – les fleurs : la jurisprudence est partagée sur ce point. Certains juges estiment qu’il s’agit là d’une dépense directement consécutive à l’acte dommageable, à la condition qu’elle soit proportionnée au milieu social31. D’autres rejettent ce poste au motif qu’il s’agit d’un hommage affectif relevant de pures convenances personnelles32 ; – les frais vestimentaires : la jurisprudence accepte généralement une intervention totale ou partielle dans les frais d’acquisition de vêtements de deuils non somptuaires en tenant compte du caractère réutilisable des achats vestimentaires ainsi effectués. L’indemnisation se fait généralement ex aequo et bono33. Exceptionnellement, il a été jugé que le coût des vêtements de deuil devait être intégralement remboursé en cas de location34. Par contre, certains tribunaux refusent toute indemnisation pour ce poste, estimant que les vêtements en remplaçaient d’autres35 ; – les frais d’organisation des funérailles, frais de réception, fairepart, annonces et remerciements36 : Il s’agit également de dépenses socialement ancrées dans les usages qui constituent un dommage direct, lesquelles, sous réserve d’un caractère somptuaire, doivent être mises à charge du tiers responsable37. 30.

31.

32. 33.

34. 35. 36. 37.

Mons, 3 octobre 1980, R.G.A.R., 1982, n° 10.529 ; Corr. Tournai, 26 juin 1985, Bull. ass., 1985, p. 785 ; Pol. Liège, 1er septembre 2003, E.P.C., 2004, p. 2 ; Pol. Bruxelles, 22 octobre 2004, R.G.A.R., 2006, n° 14.083 ; contra : Corr. Hasselt, 20 juin 2001, Bull. ass., 2002, p. 440, qui considère que certains frais de rapatriement de la dépouille sont exceptionnels et dès lors soumis à réduction. Not., Liège, 26 novembre 1982, Bull. ass., 1983, p. 195 ; Corr. Nivelles, 2 janvier 1991, R.G.A.R., 1992, n° 12.070 ; Mons, 4 juin 1992, R.G.A.R., 1996, n° 12.636 ; Corr. Hasselt, 23  mai 1996, Limb. Rechtsl., 1996, p. 192 ; Pol. Verviers, 30 avril 2003, R.G.A.R., n° 13.830. Not., Pol. Liège, 24 janvier 2001, Dr. circ., 2001/119, p. 258 ; Civ. Neufchâteau, 5 juin 2001, E.P.C., 2002, p. 3 ; Pol. Namur, 31 mai 2011, E.P.C., suppl. 2012, p. 35. Not., Civ. Bruges, 4 octobre 1995, Bull. ass., 1997, p. 142 ; Pol. Hasselt, 17 mars 1997, Bull. ass., 1998, p. 273 ; Corr. Arlon, 19 janvier 2005, Bull. ass., 2005, p. 763 ; Civ. Bruxelles, 18 novembre 2003, R.G.A.R., 2005, n° 14.001 ; Civ. Veurne, 10 octobre 2007, Bull. ass., 2008, p. 441 ; Corr. Huy, 6 février 2009, n° de notice HU80.96.36/05, inédit ; Corr. Huy, 13 janvier 2012, E.P.C.,suppl. 2012, p. 23. Pol. Bruxelles, 11 mars 1997, Bull. ass., 1997, p. 717 ; Corr. Gand, 26 mars 2002, Bull. ass., 2003, p. 190. Not. Bruxelles, 24 décembre 1990, Bull. ass., 1991, p. 416 ; Liège, 8 octobre 1991, R.G.A.R., 1994, n° 12.275 ; Corr. Louvain, 13 novembre 2003, C.R.A., 2005, p. 9. Not. Bruxelles, 13 juin 1972, R.G.A.R., 1973, n° 9.059 (pour les frais de remerciement) ; Gand, 30 septembre 1997, R.G.A.R., 1998, n° 12.888 (pour les faire-part et/ou avis nécrologiques). Pol. Nivelles, 27 mars 2003, in La réparation du dommage : le décès – Examen de jurisprudence 2000-2005 (N. Simar et Th. papart coord.), CUP, vol. 84, Bruxelles, Larcier, 2006, p. 20 ; Pol. Liège, 15 septembre 2004, ibid., p. 187.

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38. 39.

40. 41. 42.

43.

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Certains tribunaux admettent également les frais de publication à la date du décès38 ; le repas funéraire : en principe, les frais relatifs y sont mis à charge du responsable de l’accident39, sauf en cas d’excès ou d’absence de justificatifs40 ; les services religieux : certaines décisions rendues par les juridictions du Nord du pays accordent le remboursement du coût du service funèbre, en ce compris les frais de musique et d’impression d’un livret41 ; les frais de cercueil et de caveau : l’auteur responsable de l’accident doit supporter le coût d’un ensevelissement décent mais non somptuaire. Ainsi, les frais de construction d’un caveau et le coût de la concession sont généralement remboursés proportionnellement au nombre de personnes pour lesquels ce caveau est prévu42. À l’inverse, il n’y a pas lieu au remboursement intégral des frais relatifs à une concession notamment « lorsqu’aucun élément du dossier n’établit la durée de la concession au cimetière ni qu’elle est prévue pour deux personnes et qu’il n’est pas, à l’âge de l’intimé (mari âgé de 26 ans), dans l’ordre normal des choses de prévoir sa propre sépulture »43 ; les frais de monuments funéraires : la jurisprudence n’est pas homogène en ce qui concerne le remboursement de ce poste par le tiers responsable. Certaines décisions ont ainsi estimé que les frais récla-

Pol. Wavre, 13 avril 2005, in La réparation du dommage : le décès, Examen de jurisprudence 2000-2005, op. cit., p. 33. Bruxelles, 29 novembre 1995, R.G.A.R., 1997, n° 12.811 ; Gand, 30 septembre 1997, R.G.A.R., 1998, n° 12.288 ; Corr. Huy, 6 février 2009, n° de notice HU80.96.36/05, inédit : dans le cas d’espèce, les frais de boulangerie – pains et brioches – sont acceptés outre les frais de traiteur exposés dans le cadre du « café » donné après l’enterrement. Par contre, la prise en charge des fournitures pour les personnes venues en visite après l’enterrement et lors chemin de croix est refusée ; Pol. Mons, 9 mars 2011, n° de jugement 2011/1578, inédit  : le tribunal de police de Mons a estimé réduire les frais de repas de funérailles à concurrence d’un nombre d’invités de cent personnes dès lors qu’il est d’usage de n’inviter que les membres de la famille, les amis et proches du défunt et de la famille. Corr. Liège, 20 avril 1999, M.P. E., S. et S. c/ M. et S., inédit, octroyant un montant forfaitaire en l’absence de justificatifs, cité par M.-A. lange et B. prignon, op. cit. Gand, 30 septembre 1997, T.A.V.W., 1999, p. 217 ; R.G.A.R., 1998, n° 12.888. Pol. Louvain, 18 décembre 1998, T.A.V.W., 1998, p. 221 ; Pol. Namur, 31 mai 2011, E.P.C., suppl. 2012, p. 35 ; contra : Corr. Huy, 10 octobre 2008, n° de notice HU80.96.41/08, inédit : « il peut être admis que la veuve a dû prématurément faire l’acquisition d’un caveau pour deux personnes sans que cette dépense puisse être considérée comme excessive par rapport à l’inhumation d’une seule personne » ; Pol. Arlon, 15 juin 2011, R.G. n° 09/A/000609, inédit. Liège, 19 janvier 1987, Bull. ass., 1988, p. 340 ; voy. aussi Gand, 30 septembre 1997, R.G.A.R., 1998, n° 12.888 ; Pol. Bruxelles, 22 octobre 2004, R.G.A.R., 2006, n° 14.083.

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Questions sur le décès

més étaient excessifs et devaient être réduits à un montant fixé ex aequo et bono44. D’autres ont par contre accordé le remboursement intégral des frais réclamés45 ; – les frais de voyages internationaux : ceux-ci sont en principe remboursés par le responsable de l’accident46, sauf si le lien causal entre les frais de voyages et l’accident mortel fait défaut47 ; – concernant les droits de succession et les frais de notaire liés à l’acceptation d’une succession sous bénéfice d’inventaire, la Cour de cassation, dans son arrêt du 22 juin 2011, a précisé qu’ils ne constituaient pas un « dommage au sens des articles 1382 et 1383 du Code civil, ces droits n’étant en effet que la contrepartie fiscale de l’actif successoral recueilli lui aussi par anticipation »48 ; En outre, ces frais peuvent être considérés comme tenant à la qualité d’héritier et à l’exécution de la loi dont la faute commise par l’auteur du dommage n’en a été que l’occasion et non la cause49 ; Le raisonnement pourrait être différent en cas de frais supportés préalablement en vue de l’acceptation sous bénéfice d’inventaire en présence de mineurs50 ; – enfin, un jugement du tribunal correctionnel de Huy du 2 octobre 200951 a estimé que « le déficit successoral n’est pas une conséquence de l’accident ». En l’espèce, la conjointe séparée du défunt estimait que l’apurement du passif successoral de celui-ci constituait un dommage en relation causale avec la faute du prévenu et nécessitait réparation du dommage causé sur le pied des articles 1382 et suivants du Code civil.

44.

45. 46. 47. 48. 49.

50. 51.

Anvers, 11 janvier 1990, Bull. ass., 1990, p. 354 ; Gand, 26 avril 1996, T.A.V.W., 1999, p. 45 ; Pol. Alost, 1er décembre 2003, Bull. ass., 2004, p. 382 ; Pol. Bruxelles, 22 octobre 2004, R.G.A.R., 2006, n° 14.083 ; Pol. Namur, 21 novembre 2006, C.R.A., 2008, p. 243 ; Pol. Arlon, 15 juin 2011, R.G. n° 09/A/000609, inédit. Corr. Bruxelles, 8 janvier 1998, R.G.A.R., 2000, n° 13.207 ; Pol. Louvain, 18 décembre 1998, T.A.V.W., 1999, p. 221. Liège, 19 janvier 1987, Bull. ass., 1988, p. 40. Anvers, 25 novembre 1994, Dr. circ., n° 95. Cass., 22 juin 2011, R.G.A.R., 2012, n° 14.821, déjà énoncé par Cass. (2e ch.), 25 février 2009, Pas., 2009, p. 586 ; Juristenkrant, 2009, liv. 196, p. 7 ; Pol. Namur, 21 novembre 2006, C.R.A., 2008, p. 243 ; Corr. Huy, 10 octobre 2008, n° de notice HU80.96.41/08, inédit. Liège, 14 mars 1995, Bull. ass., 1995, p. 460 ; Liège, 13 janvier 1998, Bull. ass., 1998, p. 392 ; Corr. Dinant, 8 novembre 1999, Bull. ass., 2000, p. 687 ; Pol. Liège, 15 septembre 2004, R.G.A.R., 2005, n° 14.044 ; Pol. Mons, 18 mars 2008, n° de jugement 2008/1692, inédit. Pol. Dinant, 17 juin 2004, C.R.A., 2004, p. 536. Corr. Huy, 2 octobre 2009, n° de notice HU80.98.26/08, inédit, suite à Cass., 28 novembre 2007.

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3

Le dommage et sa réparation

Section 4

Le décès est immédiat Au moment du décès, les proches subissent un dommage propre dont ils peuvent solliciter réparation et qui peut être à la fois moral et matériel.

A. Le préjudice moral résultant du décès52 La souffrance morale, due à la perte d’un être cher, est par définition difficilement quantifiable. Celle-ci constitue un préjudice personnel et certain indemnisable en droit belge. La recension de la jurisprudence passée et actuelle permet de constater de nombreux écarts entre les décisions. Afin d’éviter de telles dissonances, parfois même au sein d’un même tribunal, le Tableau indicatif – actualisé en 2012 – vient apporter une aide non négligeable lorsqu’il s’agit de déterminer le dommage réparable. Non normatif, il formule un ordre de grandeur des montants alloués. Le juge du fond garde toutefois son pouvoir souverain d’appréciation en fonction des éléments spécifiques mis en évidence par les plaideurs53. Certaines circonstances justifient de s’écarter de la fourchette des montants indicatifs dans un sens ou dans un autre. On retrouve ainsi, à condition d’en apporter la preuve54 : – les circonstances tragiques du décès ; – l’âge de la victime et de l’ayant droit ; – la cohabitation plus ou moins longue avec le défunt ; – le caractère unique d’un enfant ; – le degré de parenté ; – les liens plus ou moins lointains qui unissaient, au moment du décès, victime et ayant(s) droit.

1. Fiancé(e) Le fiancé peut en principe obtenir réparation du tiers responsable de tout le préjudice causé55.

52. 53. 54. 55.

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Ne sera pas envisagé ici le préjudice par répercussion en cas de blessures ou de décès. B. CeulemanS et Th. papart, op. cit. Pour l’ensemble des circonstances, voy. Cass. (2e ch.), 19 septembre 2007, R.G.A.R., 2008, n° 14.392. Cass., 30 novembre 1981, R.W., 1982-1983, col. 1688 ; Pas., 1982, I, p. 437.

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Questions sur le décès

Ainsi que le précisent M.-A. Lange et B. Prignon, « l’intérêt lésé a certainement un caractère légitime mais la seule question qui se pose est celle de la certitude du dommage »56. Nonobstant l’accident, le fiancé survivant a en effet la possibilité de rompre son engagement librement et à tout moment. Pour obtenir réparation, il conviendra donc que celui-ci apporte la preuve que le mariage projeté aurait bien eu lieu (un contrat de mariage était rédigé, des cadeaux ou des faire-part de mariage étaient échangés, la date était prévue, etc.)57.

3

2. Conjoint(e) a) Époux non séparés Si le Tableau indicatif version 2012 retient un montant de 12.500 € pour indemniser la perte d’un conjoint, les cours et tribunaux accordent le plus souvent au survivant un montant modulé selon les circonstances propres de la cause énoncées ci-avant58. La Cour de cassation, dans son arrêt du 19 septembre 200759, rappelle à cet effet que « le juge d’appel qui refuse de prendre en considération toutes les circonstances concrètes de la cause, tenant notamment à la situation du préjudicié, qui sont de nature à déterminer l’importance du préjudice moral résultant d’un décès, viole les articles 1382 et 1383 du Code civil ».

56. 57. 58.

59.

M.-A. lange et B. prignon, op. cit., p. 136. Voy., p. ex., Liège, 25 juin 1986, R.G.A.R., n° 11.374 ; Mons, 11 juin 1991, Bull. ass., 1991, p. 914 ; Gand, 28 février 2001, R.G.A.R., 2002, n° 13.515. Voy., p. ex., Civ. Bruxelles, 18 novembre 2003, R.G.A.R., 2005, n° 14.001 : il sera accordé un montant de 12.394,68 € au conjoint survivant, étant donné le caractère particulièrement pénible des circonstances de l’accident ; Pol. Bruxelles, 22 octobre 2004, R.G.A.R., 2006, n° 14.083 : 20.000 € alloués à l’époux qui s’est remarié 13 mois plus tard, et compte tenu du fait qu’ils résidaient dans un pays différent ; Pol. Namur, 21 novembre 2006, C.R.A., 2008, p. 243 : un montant de 10.000 € compensera équitablement le dommage moral encouru par l’époux « par référence aux normes jurisprudentielles dominantes » ; Pol. Nivelles, 2 avril 2007, R.G.A.R., n° 14.327 : il sera alloué, compte tenu des circonstances, 25.000 € pour le préjudice moral d’une épouse ; Pol. Namur, 3 mai 2007, C.R.A., 2009, p. 213 : indemnité de 10.000 € ; Pol. Tournai, 18 mars 2008, R.G.A.R., n° 14.414 : compte tenu des circonstances, le tribunal alloue 20.000 € à l’épouse du défunt ; Corr. Huy, 10 octobre 2008, n° de notice HU80.96.41/08, inédit : 10.000 € ; Pol. Namur, 31 mai 2011, E.P.C., suppl. 2012, p. 35 : la durée du mariage étant de 46 ans, l’indemnité octroyée s’élève à 15.000 € ; Corr. Huy, 9 novembre 2012, n° de notice HU.80.96.54/10, inédit : s’agissant d’une personne âgée, se retrouvant toute seule sans enfant, le tribunal accorde un montant de 15.000 €. Cass., 19 septembre 2007, R.G.A.R., n° 14.392.

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Le dommage et sa réparation

b) Époux séparés Si la séparation apparaît définitive et consommée, et à défaut de prouver le contraire, la jurisprudence estime que le décès d’un ex-conjoint ne cause pas de dommage moral au survivant60. S’il est toutefois admis, le dommage moral est évalué modérément61. Le conjoint séparé n’est pas formellement repris dans la nomenclature du Tableau indicatif 2012.

3. Partenaire cohabitant a) Partenaires non séparés Les cours et tribunaux accordent le plus souvent au concubin une réparation qui s’apparente dans son montant à celle du conjoint, à la condition toutefois d’apporter la preuve que la relation avec le défunt était stable et durable. Le Tableau indicatif 2012 préconise d’ailleurs le même montant pour un conjoint ou un concubin, à savoir 12.500 €. Le tribunal de police de Bruxelles a récemment précisé à cet effet « que la brusque interruption de la cohabitation du défunt et de la partie civile découle de la faute du prévenu et non de la faute du concubin. Il en découle qu’indépendamment même des projets de mariage de la partie civile avec le défunt, il ne peut être soutenu qu’elle subirait un préjudice moral moins important qu’une épouse »62. Ainsi, une relation stable fondée sur une vie commune dans une maison acquise en commun indique que le concubin lui donnait un caractère de durabilité. Ce critère peut aussi être rencontré par l’apport 60.

61.

62.

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Civ. Liège, 15 janvier 2002, R.G.A.R., 2004, n° 13.831 : pas d’indemnisation pour l’exconjoint, duquel la victime était séparée depuis plusieurs années ; Pol. Namur, 14 janvier 2011, E.P.C., suppl. 2012, p. 31 : les époux étaient séparés depuis quatre années et en instance de divorce. Le tribunal ne retient pas de dommage moral pour l’ex épouse, car le jugement de divorce était en délibéré lors de l’accident. En outre, celle-ci avait « quitté le domicile en donnant l’impression d’abandonner ses enfants ». Civ. Huy, 16 mars 2007, C.R.A., 2009, p. 59 : dans le cas d’espèce, le divorce entre le défunt et l’ex conjointe était survenu quatre ans avant la survenance de l’accident. Le tribunal alloue un montant de 5.000 €, puisque celle-ci assumait seule la tâche éducative des enfants du couple en dépit de la séparation. Pol. Bruxelles, 2 février 2009, C.R.A., 2010, p. 433. Dans le même sens, voy. Pol. Bruges, 7 décembre 2004, Bull. ass., 2005, p. 599 : 10.000 € au concubin ; Corr. Audenarde, 13 juin 2005, Bull. ass., 2005, p. 752 : 10.000 € pour la compagne, celle-ci étant enceinte de son partenaire au moment du décès ; Pol. Verviers, 14 mars 2007, C.R.A., 2007, p.  262 ; Pol. Dinant, 23 décembre 2010, n° de jugement 2010/3802, inédit : 12.500 € pour la concubine car la stabilité de la relation était démontrée depuis 2003 ; Corr. Huy, 2 décembre 2011, n° de notice HU80.96.29/11, inédit : 12.500 € pour la concubine vu la relation stable entretenue avec le défunt, dont est issue une petite fille ; Corr. Dinant, 5 décembre 2011, E.P.C., suppl. 2012, p. 21 : 12.500 € pour le concubin.

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Questions sur le décès

d’une déclaration de cohabitation légale ou par une composition de ménage.

b) Partenaires séparés À nouveau, la jurisprudence n’apparaît pas uniforme pour l’indemnisation de ce poste. Les critères modulateurs de la prise en compte ou non du dommage moral de l’ex-compagnon sont l’existence d’un enfant, le rapport entre les parties après la séparation, la possibilité d’avoir fondé un ménage avec une autre personne après la séparation, etc.63. Ainsi, l’ex-compagne qui avait fondé, avant le décès, un nouveau foyer, ne rapporte pas la preuve d’un dommage moral indemnisable64, tandis qu’un ex-concubin séparé de la défunte se voit octroyer un montant de 5.000 € car un enfant était né de leur relation, créant un lien qui les unissait et les unit toujours65. À l’instar du conjoint séparé, le concubin survivant séparé n’est pas identifié comme étant sujet d’un dommage suivant le Tableau indicatif version 2012.

3

4. Enfant a) En cas de cohabitation Les circonstances du décès et la situation du défunt exercent une influence considérable sur le montant des indemnités allouées par les cours et tribunaux pour ce dommage moral – à titre d’exemple, une mort tragique, un handicap éventuel de l’enfant décédé, le fait que l’enfant partageait encore ou non le toit familial, etc. Le Tableau indicatif version 2012 préconise un montant de 12.500 € pour le dommage moral subi à la suite de la perte d’un enfant cohabitant. La jurisprudence fait généralement preuve de plus de générosité dans le quantum du montant accordé, à la condition pour l’ayant droit d’apporter la preuve de la cohabitation effective avec le défunt au moment de l’accident66. 63. 64. 65. 66.

Voy. pour le décès d’un concubin, M. SommerijnS, « Morele en/of materiële schade ten gevolge van het overlijden van de levenspartner (zonder huwelijk) », Bull. ass., 1998, pp. 279-282. Pol. Huy, 17 février 2011, E.P.C., suppl. 2012, p. 33. Corr. Marche-en-Famenne, 31 octobre 2012, n° de notice MA80.96.51/12, inédit. Corr. Namur, 20 janvier 2004, C.R.A., 2004, p. 346 : 36.632,46 € au père cohabitant car après les études de la victime, il était prévu que celle-ci travaille dans l’entreprise familiale avec lui. Ces projets ont été « brutalement balayés par l’accident » ; Civ. Bruxelles, 24 février 2006, R.G.A.R., n° 14.234 : 20.000 € pour la mère cohabitante ; Pol. Namur, 23 mars 2007, C.R.A., 2009, p. 293 : 20.000 € pour la mère cohabitante ;

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Le dommage et sa réparation

b) En cas de non cohabitation Le Tableau indicatif retient un montant de 5.000 € pour la perte d’un enfant non cohabitant. Relativement hétéroclites dans leur montant, les indemnités sont allouées eu égard aux liens unissant le défunt et l’ayant droit67. La jurisprudence admet également la réparation du préjudice moral résultant de la perte d’un fœtus68.

5. Père ou mère Suivant le Tableau indicatif mouture 2012, l’indemnisation du dommage moral suite à la perte d’un parent cohabitant peut être évaluée à

67.

68.

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Corr. Charleroi, 13 avril 2007, R.G.A.R., n° 14.369 : 20.000 € pour la mère cohabitante ; Civ. Arlon, 17 juin 2008, R.G.A.R., n° 14.518 : 17.500 € par parent pour un enfant de 23 ans qui cohabitait ; C. ass. Bruxelles, 24 septembre 2008, R.G.A.R., n° 14.494 : 30.000 € par parent ; C. ass. Bruxelles, 5 novembre 2008, R.G.A.R., 2009, n° 14.517 : 20.000 € pour le dommage moral et matériel de la mère cohabitante ; Corr. Huy, 6 février 2009, numéro de notice HU80.96.36/05, inédit : 12.500 € pour un père cohabitant ; Corr. Huy, 4 juin 2010, numéro de notice HU80.96.24/09, inédit : 12.500 € ; Pol. Bruxelles, 12 mai 2011, J.J.P., 2011, p. 195 : 20.000 € pour chacun des parents dont la fille était étudiante à Namur ; Pol. Namur, 21 juin 2011, E.P.C., suppl. 2012, p. 25 : 15.000 € vu les relations suivies, stables et harmonieuses entre la victime et ses parents ; Liège, 30 mars 2012, R.G.A.R., 2012, n° 14.879 : la mère de la victime ayant subi une dépression et un repli social majeur entraînant une incapacité permanente de 55 %, la cour a refusé d’accorder un montant forfaitaire suite au décès de la victime, retenant l’examen in concreto effectué ; Pol. Dinant, 24 mai 2012, n° de jugement 2012/1457, inédit : 7.000 € pour la mère ; Pol. Liège, 10 septembre 2012, n° de jugement 2012/7370, inédit :12.500 € pour chacun des parents ; Corr. Verviers, 13 décembre 2012, n° de notice VE80.96.209/12, inédit : 15.000 € octroyés à chacun des parents. Pol. Huy, 19 décembre 2002, R.G.A.R., n° 13.779 ; Pol. Bruxelles, 16 septembre 2004, R.G.A.R., 2006, n° 14.138 : octroi du montant réclamé de 19.831,48 € pour les parents non cohabitants, compte tenu du fait notamment qu’ils ont dû profondément modifier leur mode de vie pour pouvoir s’occuper quotidiennement de leurs deux petitsenfants ; Pol. Charleroi, 4 mai 2005, R.G.A.R., n° 14.223 : octroi au père non cohabitant d’une indemnité de 24.789,35 € tenant compte notamment du fait que « la rupture de la cohabitation ne lui est pas imputable » (mais due au divorce avec son ex épouse), en conséquence, une réduction d’indemnisation du père motivée par l’absence de cohabitation serait discriminatoire ; Corr. Charleroi, 13 avril 2007, R.G.A.R., n° 14.369 (portant la même motivation) ; Corr. Marche-en-Famenne, 21 mai 2010, n° de notice MA80.96.56/09, inédit : 5.000 € pour chacun des parents ; Pol. Dinant, 23 décembre 2010, numéro de jugement 2010/3802, inédit : 5.000 € pour chacun des parents ; Pol. Namur, 21 juin 2011, E.P.C., suppl. 2012, p. 25 : 16.000 € pour la mère non cohabitante car « les assertions gratuites du prévenu et de sa compagnie d’assurance ont contraint la mère à devoir justifier la réalité et l’intensité de son amour maternel ce qui a accru son dommage » ; Civ. Anvers, 28 novembre 2011, J.J.P., 2012, p. 29 : 10.000 € pour chacun des parents pour la perte d’une jeune fille de 22 ans qui a quitté leur domicile depuis à peine 3 mois et qui s’est installée à proximité de chez eux ; Corr. Liège, 15 octobre 2012, numéro de notice LI80.96.180/10, inédit : 10.000 €. Civ. Nivelles, 8 février 1993, R.G.A.R., 1996, n° 12.664 : suite à l’accident, la victime a dû accoucher d’un fœtus décédé alors qu’elle était enceinte de 20 semaines.

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Questions sur le décès

concurrence d’un montant de 12.500 € et de 20.000 € si l’enfant bénéficiaire de l’indemnité était déjà orphelin de l’autre parent. Lorsque la cohabitation est démontrée, ce montant est accordé dans la plupart des cas69, voire minoré70. Si, par contre, le parent défunt ne cohabitait pas avec son ou ses enfants, le Tableau indicatif retient un montant de 5.000 € par enfant. La jurisprudence apparait plus partagée quant à la hauteur de l’indemnisation71.

3

6. Frère ou sœur En cas de cohabitation effective entre frère(s) et sœur(s), le Tableau indicatif 2012 préconise un montant forfaitaire de 2.500 €. Ces montants sont généralement revus à la hausse en fonction du degré de proximité entre le défunt et le proche72. 69.

70.

71.

72.

Pol. Tournai, 18 mars 2008, R.G.A.R., 2008, n° 14.414 : compte tenu des circonstances, le tribunal alloue 12.500 € à chacun des enfants ; Pol. Huy, 17 février 2011, E.P.C., suppl. 2012, p. 33 : 12.500 € pour un père cohabitant, son fils étant en outre dans la voiture au moment de l’accident ; Pol. Dinant, 1er septembre 2011, n° de jugement 2011/2241, inédit : 12.500 € alloués pour un enfant qui cohabitait avec parents. Pol. Dinant, 17 juin 2004, C.R.A., 2004, p. 536 : 8.700 € par enfant cohabitant ; Civ. Tournai, 15 octobre 2004, R.G.A.R., n° 14.043 : 10.500 € aux enfants cohabitants ; Pol. Namur, 21 novembre 2006, C.R.A., 2008, p. 243 : « le dommage moral de chacun des enfants sera équitablement réparé par une somme de 7.500 € par référence aux circonstances tragiques du décès et des liens de bonne entente qui unissaient les parties » ; Corr. Huy, 10 octobre 2008, n° de notice HU80.96.41/08, inédit : la fille survivante vivait avec son père « mais avait fondé sa propre famille ce qui permet de penser qu’elle avait gardé avec lui des contacts étroits tout en gardant son indépendance, un montant de 6.000 € lui sera octroyé » ; Pol. Dinant, 14 décembre 2010, n° de jugement 2010/3630, inédit : 9.000 € car la survivante, enfant unique, n’avait pas d’autre proche que sa maman sur un plan familial et démontre un attachement tout particulier. Anvers, 11 octobre 2005, Rev. dr. santé, 2005-2006, p. 393 : 7.436,81 € pour la perte d’un parent non cohabitant ; Civ. Huy, 16 mars 2007, C.R.A., 2009, p. 59 : 10.000 € par enfant. Ceux-ci se rendaient chez leur père un week-end sur deux et durant une partie des vacances scolaires ; Pol. Arlon, 9 juin 2010, R.G. n° 09/A/000471, inédit : 7.500 € par enfant ; Pol. Namur, 31 mai 2011, E.P.C., suppl. 2012, p. 35 : 4.000 € ; Pol. Namur, 9 juin 2011, E.P.C., suppl. 2012, p. 37 : 6.000 € vu le jeune âge de la partie civile qui est fils unique pour le surplus ; Pol. Dinant, 1er septembre 2011, n° de jugement 2011/2241, inédit : 5.000 € par enfant ; Corr. Huy, 2 décembre 2011, n° de notice HU80.96.29/11, inédit : 12.500 € pour une fillette de 2 ans ; Corr. Huy, 13 janvier 2012, E.P.C., suppl. 2012, p. 23 : 4.000 €, la partie civile ayant déjà perdu sa mère dans un accident de la circulation. Les cours et tribunaux apprécient selon les circonstances de la cause : Bruxelles, 15 juin 2004, R.G.A.R., 2006, n° 14.159 : 7.500 € accordés la sœur cohabitante ; Corr. Namur, 20 janvier 2004, R.G.A.R., 2005, n° 13.954, C.R.A., 2004, p. 346 : 10.000 € accordés au frère cohabitant ; Civ. Bruxelles, 24 février 2006, R.G.A.R., n° 14.234 : 5.000 € pour la sœur cohabitante ; Corr. Huy, 6 juin 2008, n° de notice HU80.96.20/08, inédit : 12.000 € pour le décès d’un frère cohabitant ; C. ass. Bruxelles, 24 septembre 2008, R.G.A.R., n° 14.494 : 20.000 € frère cohabitant ; Corr. Marche-en-Famenne, 21 mai 2010, n° de

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Le dommage et sa réparation

Si ceux-ci ne cohabitaient pas, un montant de 1.500 € pourra être retenu selon le Tableau indicatif73.

7. Grands-parents ou petits-enfants Les cours et tribunaux accordent réparation du dommage moral suite à la perte d’un grand-parent74 ou d’un petit-enfant75 en prenant notamment en compte le critère de la cohabitation. Le Tableau indicatif version 2012 suggère un montant de 2.500 € pour le décès d’un grand-parent cohabitant avec ses petits-enfants et de 1.250 € en cas de non cohabitation. Les montants sont identiques lorsqu’il s’agit de la perte d’un petit-enfant.

8. Beaux-parents et beaux-enfants À condition de rapporter la preuve d’un lien spécifique et/ou la cohabitation, il peut être alloué un montant réparant le dommage moral dû à la perte d’un ou des beau(x)-parent(s). Cette condition est reprise par le Tableau indicatif, lequel retient une fourchette allant de 1.500 € à 5.000 € en fonction de l’intensité du lien avec le défunt.

73.

74.

75.

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notice MA80.96.56/09, inédit : 3.500 € pour la sœur ; Pol. Dinant, 24 mai 2012, n° de jugement 2012/1457, inédit : 1.500 € ; Pol. Liège, 10 septembre 2012, n° de jugement 2012/7370, inédit : 3.000 € ; Corr. Verviers, 13 décembre 2012, n° de notice VE80.96.209/12, inédit : 2.500 € pour la sœur. Pol. Liège, 15 septembre 2004, R.G.A.R., 2005, n° 14.044 : 2.300 € pour les frères et sœurs non cohabitants ; Pol. Mons, 22 février 2008, n° de jugement 2008/1198, inédit : 1.500  € ; Pol. Arlon, 9 juin 2010, R.G. n° 09/A/000471, inédit : 1.500 € pour un frère non cohabitant ; Pol. Dinant, 23 décembre 2010, n° de jugement 2010/3802, inédit : 1.500 € pour le frère non cohabitant ; Pol. Liège, 10 septembre 2012, n° de jugement 2012/7370, inédit : 2.500 € pour la sœur non cohabitante ; Corr. Liège, 15 octobre 2012, n° de notice LI80.96.180/10, inédit : 5.000 €. Corr. Arlon, 19 janvier 2005, Bull. ass., 2005, p. 763 : 3.718,40 € pour une petite-fille de 3 ans cohabitante et 1.239,47 € pour les petits-enfants non cohabitants ; Pol. Bruges, 20 janvier 2005, Bull. ass., 2005, p. 519 : 1.250 € pour le petit-enfant non cohabitant ; Pol. Namur, 23 mars 2007, C.R.A., 2009, p. 293 : 2.000 € pour la perte d’un grand-parent non cohabitant ; Pol. Arlon, 9 juin 2010, R.G. n° 09/A/000471, inédit : 2.000 € ; Pol. Namur, 31 mai 2011, E.P.C., suppl. 2012, p. 35 : allocation d’un montant de 2.000 € car le petit-enfant est « privé d’une relation structurante avec son grand-père » ; Pol. Dinant, 1er septembre 2011, n° de jugement 2011/2241, inédit : 1.250 € par petit-enfant ; Corr. Huy, 13 janvier 2012, E.P.C., suppl. 2012, p. 23 : 1.250 € par petit enfant ; Pol. Dinant, 10 mai 2012, n° de jugement 2012/1326, inédit : 1.250 € par petit-enfant. Corr. Huy, 4 juin 2010, n° de notice HU80.96.24/09, inédit : 1.750 € ; Pol. Liège, 10 septembre 2012, n° de jugement 2012/7370, inédit : allocation d’un montant de 1.500 € pour le grand-père et de 1.500 € pour l’épouse du grand-père.

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Questions sur le décès

Il y toutefois lieu de distinguer ici les « beaux-parents », parents du conjoint76, des « beaux-parents » conjoints du père ou de la mère77. Ainsi que le soulignent M.-A. Lange et B. Prignon, « les relations entre ceux-ci (sont) parfois plus étroites de sorte que le dommage moral est parfois évalué de manière plus large »78.

3

9. Autres Le Tableau indicatif version 2012 prévoit également l’indemnisation d’autres proches, dans une fourchette oscillant de 1.500 € à 5.000 €, à condition de rapporter la preuve d’un lien affectif spécifique. A ainsi été accordée, marginalement toutefois79, l’indemnisation du dommage moral de la marraine du défunt80, du parrain81, du filleul82, de l’ami de la victime qui a été le témoin direct de l’agression mortelle de son ami, de ses parents83, d’une belle-sœur84, d’un beau-fils85, d’une bellefille86, d’un oncle87, d’un arrière-grand-père88 etc. 76.

77.

78. 79. 80.

81. 82.

83. 84. 85. 86. 87. 88.

Pol. Arlon, 9 juin 2010, R.G. n° 09/A/000471, inédit : 1.500 € pour chacun des beauxparents non cohabitants ; Pol. Namur, 31 mai 2011, E.P.C., suppl. 2012, p. 35 : 1.500 € pour la belle-fille vu les relations régulières avec la victime ; Corr. Huy, 13 janvier 2012, E.P.C., suppl. 2012, p. 23 : 1.250 € pour un beau-fils non cohabitant ; Pol. Dinant, 10 mai 2012, n° de jugement 2012/1326, inédit : 1.150 € pour chacun des beaux-enfants. Pol. Tournai, 18 mars 2008, R.G.A.R., n° 14.414 : compte tenu des circonstances, le tribunal alloue 6.000 € à la belle-fille du défunt ; Pol. Bruxelles, 2 février 2009, C.R.A., 2010, p. 433 : allocation de 2.500 € pour chacun des enfants de la concubine du défunt, lesquels cohabitaient avec le défunt depuis quelques mois. M.-A. lange et B. prignon, op. cit., p. 145. Ibid., pp. 146 et s. Pol. Namur, 23 mars 2007, C.R.A., 2009, p. 293 : 2.000 € pour le dommage de la marraine ; Pol. Liège, 10 septembre 2012, n° de jugement 2012/7370, inédit : octroi d’1 € symbolique pour la marraine à défaut de déposer des pièces justificatives, par exemple, des faire-part de naissance. Pol. Liège, 10 septembre 2012, n° de jugement 2012/7370, inédit : 250 € pour le parrain alors que la marraine n’a reçu qu’un euro symbolique. Corr. Huy, 4 juin 2010, n° de notice HU80.96.24/09, inédit : dommage de la nièce et filleule : 250 € car la perte d’un parrain « a pour conséquence la privation de petites attentions et menus présents, cause d’une souffrance qui mérite une indemnisation particulière ». C. ass. Bruxelles, 24 septembre 2008, R.G.A.R., n° 14.494 : allocation d’un montant de 25.000 € à l’ami de la victime qui a été le témoin direct de l’agression et de 1.500 € à chacun des parents de l’ami. Pol. Arlon, 9 juin 2010, R.G. n° 09/A/000471, inédit : 750 € pour une belle-sœur non cohabitante. Pol. Namur, 23 mars 2007, C.R.A., 2009, p. 293 : 5.000 € accordé au compagnon de la mère du défunt, car il avait des liens particuliers avec celui-ci. Corr. Liège, 15 octobre 2012, n° de notice LI80.96.180/10, inédit : 2.500 € pour chacun des beaux-parents. Pol. Liège, 10 septembre 2012, n° de jugement 2012/7370, inédit : 500 € pour l’oncle du défunt. Corr. Arlon, 19 janvier 2005, Bull. ass., 2005, p. 763.

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B. Le préjudice économique résultant du décès 1. Que valait le défunt ? a) La notion de l’avantage personnel tiré des revenus du défunt Une des premières difficultés auxquelles on se trouve confronté en cas de décès est de déterminer le préjudice matériel réparable. Lorsqu’une victime est blessée, le préjudice économique subi est indemnisé soit au titre de perte de salaire, soit au titre d’efforts accrus. Dans le cadre du décès, ces références indemnitaires sont remplacées par la notion de « privation de la part des revenus de la victime dont les ayants droit tiraient ou auraient pu tirer un avantage personnel »89. Par ailleurs, la victime avait un certain coût afférent à son entretien personnel. Cet entretien disparaît et doit donc venir en déduction de la perte subie, principe de réparation in concreto oblige. Faut-il tenir compte de la pension de survie éventuellement attribuée au conjoint survivant ? La Cour de cassation, systématiquement, et depuis des lustres, répond par la négative. Ainsi dans un arrêt rendu le 7 septembre 2004, la Cour de cassation (section néerlandophone) rappelle le principe selon lequel la pension de survie est « un droit qui trouve son origine dans la législation en matière de sécurité sociale et ne visant pas à réparer un même dommage résultant de la faute du responsable, elle ne peut être imputée sur l’indemnité »90. Cette jurisprudence, constante, suscite cependant quelques commentaires. Tout d’abord il convient d’évoquer la différence de traitement inhérente à la situation d’une victime bénéficiaire d’une pension en vertu du droit luxembourgeois. En effet, en vertu de l’article 232 du Code Luxembourgeois des Assurances sociales, la Caisse de pension des employés privés dispose d’un droit de recours contre le responsable de l’accident. Il a été jugé qu’il fallait tenir compte de cette pension pour déterminer quels étaient les droits de la veuve. Le tribunal de police d’Arlon91 a considéré qu’il fallait tenir compte de cette pension sous peine de « faire supporter par le tiers responsable ou son assureur, un dommage supérieur au dommage effectivement subi ; que bien évidemment le régime ainsi créé par le législateur luxembourgeois peut paraître moins favorable aux ayants 89. 90. 91.

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Cass., 4 mars 1980, Pas.,1980, I, p. 816. Cass., 7 septembre 2004, R.G.A.R., 2006, n° 14.108. Pol. Arlon, 30 juin1998, R.G. n° 191/96, inédit.

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Questions sur le décès

droit de la victime que le régime voulu par le législateur belge qui, lui, n’a pas prévu pareille subrogation légale ; qu’en s’inscrivant (ou se laissant inscrire par son employeur) à une caisse de pension luxembourgeoise, la victime acceptait, en son nom et au nom de ses futurs ayants droit, les avantages et conséquences du régime légal luxembourgeois ; que pareille subrogation n’a rien de contraire à l’ordre public belge ; que la Belgique a d’ailleurs prévu un régime similaire en matière d’accidents du travail, comme d’ailleurs elle ne s’oppose pas à la subrogation contractuelle ». D’autre part, la question reste posée de savoir si les exigences de la réparation in concreto sont réunies lorsque pareil cumul est accepté. Il en va notamment ainsi lorsqu’un ayant droit bénéficie d’une pension de survie à la suite du décès de son conjoint et justifie d’un préjudice résultant de la perte d’un avantage qu’elle tirait de la pension de retraite de son conjoint décédé. Sa situation est donc meilleure qu’avant l’accident… La réparation in concreto ne justifierait-elle pas la prise en compte du revenu perçu au titre de pension de survie ? Enfin les exigences de la réparation in concreto ne commanderaientelles pas que, pour apprécier la notion de la perte d’un avantage tiré d’une pension de ménage, celle-ci soit répartie sur les deux têtes du couple ? Cette répartition apparaît d’autant plus logique qu’elle est naturellement appliquée lorsque chacun des conjoints bénéficie de sa propre pension.

b)

3

L’évaluation

L’évaluation économique du défunt se fait à partir de ses revenus. La consultation des avertissements-extraits de rôle (A.E.R.) est évidemment intéressante et facile, mais n’est pas nécessairement la seule possibilité pour cette évaluation. Il convient de distinguer :

i)

perSonneS SouS Contrat De travail ou Du ServiCe puBliC

La consultation des avertissements-extraits de rôle est le mode généralement admis. Il est le plus souvent fait référence aux trois dernières années précédant le décès. Cette consultation peut parfois s’avérer insuffisante si la personne décédée venait d’être engagée. Il est alors recouru aux nombreux programmes de simulation qui permettent de se faire une idée du revenu envisagé. Pourquoi les avertissements-extraits de rôle ? La référence demeure le revenu net dès lors qu’il ne s’agit pas d’accorder à la personne survivante un revenu de remplacement au sens fiscal du terme, mais bien de compenser la perte des revenus dont les ayants droit tiraient un avantage Larcier

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Le dommage et sa réparation

personnel92. En bonne logique, ne constituant pas un revenu de remplacement, cette indemnité n’est pas taxable. Cette discussion a été toutefois animée durant de nombreuses années. Un arrêt rendu par la cour d’appel d’Anvers93 consacra cependant le principe de la non-taxation. La sérénité semblait être retrouvée d’autant que, dans le régime des accidents du travail, la Cour constitutionnelle a mis fin au précomptage aveugle des indemnités – notamment en incapacité permanente – sans qu’il soit effectivement tenu compte du fait que lesdites indemnités représentent ou non une perte de revenu. La loi a été modifiée à cet égard en ce qui concerne les rentes en matière d’incapacité permanente et une circulaire administrative du 6 novembre 200194 a étendu le principe d’exonération des rentes versées au conjoint survivant et enfants en cas de décès. Dès lors, toute tentative de l’administration fiscale visant à taxer l’indemnité matérielle résultant d’un décès en droit commun devrait amener le justiciable à en soulever le caractère discriminatoire auprès de la Cour constitutionnelle. Le revenu net sera donc déterminé en déduisant du revenu déclaré, les taxes fédérales, locales et cotisation spéciale de sécurité sociale. Quid des frais professionnels ? Ceux-ci ne sont évidemment plus consentis par la personne décédée. On considère généralement que les frais professionnels réels doivent être déduits. Par contre, s’agissant d’une déduction fiscale sans preuve de dépense réelle, les frais professionnels forfaitaires ne sont en général pas déduits95. Cette position est relativement curieuse, dans la mesure où le fisc est peu habitué à faire des cadeaux au contribuable, il serait raisonnable de considérer que ces frais constituent le minimum des dépenses effectuées pour exercer son travail. Il demeure toutefois possible au débiteur de l’indemnité de tenter de démontrer que les frais exposés par la victime sont une réalité et d’en apprécier alors le montant. 92. 93. 94. 95.

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J.-L. Fagnart, L’évaluation et la réparation du préjudice corporel en droit commun, Centre des Facultés Universitaires Catholiques pour le Recyclage en Droit, Bruxelles, Larcier, 1996, p. 34. Anvers, 18 février 1997, F.J.F., n° 97/159. Ce principe avait déjà été énoncé auparavant par la cour d’appel de Mons dans un arrêt du 5 février 1987, Bull. ass., 1987, p. 358. Bull. contr., décembre 2001, n° 821, p. 2651, cité par A. Bailleux et R. alvareZ Campa, « L’aspect fiscal des indemnisations », in Circulation routière et responsabilité, Limal, Anthemis, 2012, pp. 226 et s. Ne serait-ce pas une raison de plus pour admettre que la pension « ménage », abstraitement attribuée de manière fiscale, à une seule personne du couple soit ventilée sur deux têtes ?

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Questions sur le décès

Le tribunal de police de Huy, à propos des frais professionnels, a dit : « la partie civile estime qu’il y a lieu de considérer, au titre de revenus, le montant forfaitaire déductible fiscalement au titre de charges professionnelles ; un tel raisonnement ne peut cependant être suivi dans la mesure où, sauf à considérer que les charges professionnelles, lorsqu’elles sont calculées fiscalement sous forme forfaitaire, ne recouvrent aucune réalité concrète, et ne seraient qu’un « cadeau fiscal », lesdites charges constituent bien l’évaluation des frais exposés pour recueillir ou conserver des revenus professionnels mais pour lesquels il n’est pas possible d’obtenir ou de conserver des justificatifs »96.

3

ii) inDépenDantS et proFeSSionS liBéraleS La détermination des revenus est complexe. On argumente souvent sur le fait que, d’une part, la rémunération déclarée ne correspond pas à la réalité concrète, une série « d’avantages » issus de la profession s’y ajoutant (voiture, ordinateur, GSM, …), et que, d’autre part, que les investissements consentis n’ont plus de raison d’être. En conséquence, ceux-ci le furent en pure perte et doivent être indemnisés. Plus délicate est la détermination de la perte subie, lorsque le conjoint décide de reprendre, avec succès ou non, l’activité exercée par le de cujus. Il ne peut, en tout cas, être fait référence à la différence de gains entre l’activité exercée avant l’accident et la reprise effectuée par le conjoint survivant, dès lors que les situations, après l’accident, sont différentes et ne sont pas causalement liées au fait fautif. Le caractère fluctuant des revenus à envisager impose une consultation des comptes et avertissements-extraits de rôle de plusieurs années (généralement trois, parfois cinq). Si la preuve de versements réguliers de dividendes est apportée, il y aura lieu d’y avoir égard. À défaut de trouver un accord entre parties sur la valeur annuelle de ce que le de cujus consacrait aux charges du ménage et dont les ayants droit tiraient profit, l’avis d’un expert sera généralement sollicité.

iii) Quid De l’évolution Du Salaire ? Rappelons tout d’abord que, pour ce qui concerne le dommage futur, l’indexation est incluse dans le taux de capitalisation utilisé97. Demeurent donc l’évolution barémique et/ou les chances de promotions. 96. 97.

Pol. Huy, 4 septembre 2006, n° de jugement 2006/1876, inédit. Cass., 22 décembre 1998, J.L.M.B., 1999, p. 929.

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Le dommage et sa réparation

En général, le juge appréciera ces deux composantes de manière forfaitaire. Ce forfait signe souvent un aveu d’impuissance lié à la fois à la difficulté de déterminer de manière certaine cette évolution, mais aussi au fait que la fiscalité ne peut que s’accroître au fil des ans, ne fût-ce qu’au départ des enfants. Enfin, il serait logique de tenir compte aussi de l’évolution de la carrière du conjoint s’il promérite des revenus. Pour le dommage passé, une indexation linéaire de 2 % est parfois retenue98. Cette formule ne tient cependant pas compte, si elle est appliquée sur le net, de la progressivité de l’impôt.

iv) alloCationS FamilialeS Il est considéré que les allocations familiales ne constituent pas des revenus du ménage et que les allocations familiales majorées ne doivent pas être prises en considération dans le calcul des indemnités99.

2. Que coûtait le défunt ? Il ne s’agit bien évidemment pas de poser un jugement sur la façon dont la personne décédée dépensait ses revenus. Mais il tombe sous le sens qu’une partie des revenus était consacrée à son entretien personnel : non seulement sa nourriture, son habillement et autres soins primaires, mais également les plaisirs et commodités que s’octroyait à titre personnel le défunt. Cette déduction doit s’évaluer sur l’ensemble des revenus du ménage100. Il est difficile d’évaluer concrètement l’importance de cet entretien. La méthode forfaitaire, à défaut d’évaluation précise, est la règle. Actuellement, la plupart des tribunaux font référence au calcul préconisé par le Tableau indicatif : le pourcentage est égal à la fraction : Revenu du ménage 100 % Nombre personnes ménage avant décès +1 Ainsi la part consacrée à l’entretien personnel a-t-elle été reconsidérée. Si certaines décisions considèrent encore un entretien personnel de 40 %101 pour un ménage sans enfant, celles-ci font place majoritairement à des décisions plus favorables aux victimes retenant plutôt 33 % d’entretien personnel. Certaines décisions abaissent même ce taux à 30 %102. 98. 99.

Corr. Neufchâteau, 28 mars 2012, n° de notice 80.96.69/10, inédit. Cass., 22 février 2005, Pas., 2005, I, p. 426 ; Contra : Pol. Mons, 5 décembre 2012, n° de jugement 2012/5699, inédit. 100. Cass., 24 mai 2000, Pas., 2000, p. 964. 101. Pol. Huy, 19 novembre 2007, C.R.A., 2009, pp. 295 et s. 102. Pol. Namur, 3 mai 2007, C.R.A., 2009, pp. 213 et s.

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Questions sur le décès

Dès 2004103, certains auteurs ont insisté sur la part très significative des charges communes souhaitant par-là s’interroger sur la pertinence des taux retenus. La jurisprudence s’en tient toutefois aux pourcentages repris ci-dessus, lesquels peuvent être considérés comme une moyenne acceptable.

3

3. Préjudice matériel résultant de la perte d’un enfant Partant de l’idée générale qu’un enfant coûte en général plus qu’il ne peut rapporter à ses parents, la jurisprudence se montre très restrictive quant à une demande de cet ordre. Déjà en 1997, les demandes relatives aux frais d’éducation exposés en pure perte étaient refusées104, le tribunal correctionnel de Bruxelles estimant inopportun d’assimiler ces dépenses à un dommage relatif à un investissement non rentabilisé. Ce même jugement estima devoir refuser l’indemnisation de la perte de l’aide apportée par un fils à ses parents dans une épicerie de quartier au motif qu’il n’était pas démontré que le montant envisagé n’était pas inférieur aux propres besoins de ce même fils et à ses frais d’entretien personnel. Par contre, le tribunal pourra avoir égard à la perte subie par les parents lorsqu’il est établi que l’enfant leur apportait une contribution dont ils tiraient un avantage personnel. La preuve de cette participation pourra le plus souvent être faite lorsque l’enfant déduisait fiscalement celle-ci. Relevons qu’à la suite d’un accident survenu le 7 mai 2004, une partie civile réclamait la perte matérielle subie à raison de la suppression de quotité exemptée d’impôt suite à la disparition d’un enfant à charge. Le tribunal fit observer à la partie civile qu’elle perdait de vue qu’elle n’avait plus la charge de cet enfant et la débouta de sa demande105. Le tribunal de police de Mons, dans la décision du 7 février 2013106, a décidé que l’aide ménagère que la victime, âgée de 18 ans et aux études, pouvait apporter ne pouvait guère dépasser celle afférente à ses besoins personnels et n’être que résiduelle, voire sporadique, une fois que l’on serait arrivé au stade des études supérieures. Une somme de 1.500 € est ainsi allouée ex aequo et bono.

103. D. De Callataÿ, « L’utilisation pratique de la quatrième édition du tableau indicatif », in Le traitement de sinistres avec dommage corporel et dix ans de Tableau indicatif, Bruxelles, Larcier, 2004, pp. 51 et s., spéc. p. 68 et réf. citée. 104. Corr. Bruxelles, 15 janvier 1997, Bull. ass., 1997, p. 518, cité par D. De Callataÿ et N. eStienne, op. cit., pp. 388 et s. 105. Corr. Huy, 6 février 2009, n° de notice HU80.96.36/05, inédit. 106. R.G. 11/A/348, inédit.

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4. Préjudice matériel résultant de la perte d’un parent a) La titularité du droit Il est possible de formuler une demande distincte pour les enfants et pour le conjoint survivant en ce qui concerne le préjudice matériel. Il est prudent d’agir de la sorte en cas d’intervention d’un assureurloi. Les indemnités versées par l’assureur-loi à chacun des ayants droit ne sauraient être confondues. Dans le cadre de l’exercice de son recours, l’assiette de celui-ci porte en effet sur le préjudice matériel fixé en droit commun au profit de chacun des ayants droit sans qu’il puisse y avoir assimilation, dès lors que l’indemnisation du dommage matériel subi par la veuve ne répare pas le même dommage que l’indemnité versée en réparation du dommage matériel subi par les orphelins. L’indemnité de droit commun à laquelle la veuve d’une part, et les orphelins d’autre part, peuvent prétendre, doit à chaque fois, être comparée séparément avec l’indemnité forfaitaire légale qui leur revient107. Compte tenu également de ce que le préjudice subi par les enfants s’étend fréquemment au-delà de leur dix-huitième anniversaire, ils sont en droit de réclamer le préjudice en leur nom propre. Très fréquemment, à défaut d’évaluation concrète, une répartition forfaitaire sera effectuée à raison d’un pourcentage : par exemple 15 % pour un enfant et 85 % pour le conjoint survivant. L’augmentation des familles dé- et recomposée peut amener de nouvelles situations. Il arrive ainsi que certains enfants qui percevaient une rente alimentaire suite à une séparation ou un divorce, s’en trouvent privés suite au décès de leur géniteur. Ils subissent, sous les réserves habituelles de la preuve à apporter, un préjudice qu’ils sont en droit de réclamer. C’est ce que le tribunal de police de Bruxelles108 a retenu pour indemniser une jeune fille ayant perdu son père à charge duquel elle percevait une rente alimentaire mensuelle. Répondant à la demande formulée, le tribunal ne s’en tint pas d’ailleurs à la valeur même de la rente alimentaire versée du vivant de la victime, mais à un montant légèrement majoré pour le dommage passé, celui-ci tenant compte forfaitairement des frais complémentaires que le défunt prenait incontestablement en charge. Pour le dommage futur, il fut également retenu un montant majoré, afin de tenir compte d’une hausse du coût de l’entretien de l’enfant, eu égard notamment au niveau d’études universitaires poursuivies par celui-ci. 107. Cass., 6 mai 2002, Pas., 2002, p. 1065. 108. Pol. Bruxelles, 2 septembre 2009, J.J.P., 2010, pp. 97 et s.

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Le tribunal de police de Mons109 a fixé au titre de perte de chance une indemnité de 5.000 € au profit d’une fille qui a perdu son père et dont il n’était pas établi qu’il versait une quelconque part contributive pour son entretien et son éducation. Par contre, lorsque le tribunal constate que l’enfant bénéficiait d’une part contributive, il reconnaît le droit à l’indemnistation, en excluant toutefois l’aide financière que l’ayant droit aurait reçue en vue de son mariage ou de son installation, dès lors qu’aucune épargne prénuptiale n’avait été contractée110.

3

b) Âge Il conviendra aussi de déterminer l’âge auquel cette rente est supposée prendre fin. Dans le cas soumis à l’appréciation du tribunal de police de Bruxelles cité supra, le juge estima devoir considérer cette autonomie financière comme acquise six mois au-delà des cinq années universitaires entamées. La prolongation d’études envisagées étant incertaine, le tribunal refusa d’en tenir compte. Rappelons aussi que le Tableau indicatif retient, à défaut d’élément concrets, l’âge de 25 ans comme étant celui où l’enfant acquiert son autonomie financière111. L’appréciation in concreto est cependant de mise.

c) Décès des deux parents La situation se complique encore lorsque les deux parents décèdent dans l’accident. Le tribunal de police de Mons, dans sa décision du 13 novembre 2012112 a estimé à 500 € par mois le dommage subi par la fille des défunts « jusque l’âge de 25 ans, vu le cursus scolaire et préparatoire à l’emploi dont elle justifie ». Dans une autre espèce, le tribunal de police de Mons a estimé devoir retenir l’âge de 23 ans comme étant celui « à l’heure actuelle, soit plus encore à l’avenir, où les enfants quittent le nid familial »113. Le problème s’accroît lorsqu’aucun des deux parents disparus ne proméritait de revenus et que les allocations familiales perçues constituaient la seule source de revenu véritable (famille nombreuse par exemple).

109. Pol. Mons, 18 mars 2008, n° de jugement 2008/1692, inédit. 110. Pol. Mons, 10 février 2009, n° de jugement 2009/889, inédit ; voir aussi Pol. Mons, 15 mai 2012, n° de jugement 2012/2457, inédit. 111. Pol. Mons, 30 août 2012, R.G. n° 11/A/210, inédit. 112. Pol. Mons, 13 novembre 2012, n° de jugement 2012/5183, inédit. 113. Pol. Mons, 5 décembre 2012, n° de jugement 2012/5699, inédit.

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Le tribunal de police de Dinant a eu à connaître de l’hypothèse où aucun membre de la famille des deux conjoints décédés n’étant disposé à s’occuper des enfants, le C.P.A.S. dut intervenir en vue de pourvoir à leur entretien. Pour ce faire, il fut désigné en tant que tuteur. Le C.P.A.S. se chargea de la rénovation d’un bâtiment destiné à héberger les enfants, engagea une équipe d’éducateurs, femmes de ménage et cuisiniers. Il se constitua partie civile en tant que tuteur et en son nom personnel (un euro provisionnel). La Compagnie contestait la réclamation en nom personnel au motif qu’un C.P.A.S. ne constitue pas une personne lésée au sens de la loi sur l’assurance auto. Le tribunal de police de Dinant l’accepta toutefois au motif que le C.P.A.S. « n’agissait pas dans le cadre d’une mission ordinaire de C.P.A.S. (…) mais bien dans les limites d’une mission de justice particulière, rendue par le juge de paix, mission par laquelle lui est confié un mandat qui le lèserait s’il n’intervenait pas personnellement en tant que demandeur »114. Le tribunal n’accorde pas ainsi un droit propre au sens de l’article 98, § 2, de la loi du 8 juillet 1976. Il fait droit à la demande en reconnaissant la qualité de mandataire du C.P.A.S. et lui octroie le bénéfice de l’article 86 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d’assurance terrestre. Ce faisant, l’assureur dispose du plein droit de critique des dépenses exposées. Il semble exclu que l’on puisse faire droit à une demande de remboursement de chaque dépense effectuée en faveur de l’enfant orphelin, mais qu’il convient d’examiner ce que chaque parent, en fonction de ses moyens, pouvait réserver à l’entretien et l’éducation de son enfant et de le convertir en numéraire.

5. Quid en dehors du mariage ? Depuis les arrêts de la Cour de cassation du 1er février 1989115 et du 15  février 1990116, il n’est plus discuté que le concubin puisse faire valoir un intérêt légitime à postuler l’indemnisation. Il lui appartiendra de démontrer la perte de l’avantage qu’il tirait des revenus du défunt, mais aussi, condition sine qua non, l’existence d’une union présentant un caractère de stabilité.

114. Pol. Dinant, 9 mars 2009, R.G. n° 07A3062, inédit. 115. Cass., 1er février 1989, Pas., 1989, I, p. 582. 116. Cass., 15 février 1990, Pas., 1990, I, p. 694.

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On épinglera à cet égard une décision du tribunal de police de Bruxelles117 qui, après avoir constaté le partage des charges communes, et même l’ouverture d’un compte commun, rejette la capitalisation du dommage au profit d’une évaluation ex aequo et bono au motif que le partage des revenus n’est pas démontré. Relevant l’absence de toute obligation de secours (absence de mariage et de contrat de cohabitation), le tribunal estime ne pouvoir procéder à une indemnisation que de façon forfaitaire. Sans doute le tribunal fut-il influencé par le « passif » du défunt lui qui avait déjà connu deux relations, un mariage et un concubinage de huit ans. Le caractère de stabilité est évidemment encore plus difficile à démontrer lorsque, pour des raisons financières, les deux concubins restent domiciliés à une adresse différente. Le tribunal aura alors égard à la volonté des deux partenaires de construire une relation affective et durable, le domicile ne constituant qu’un seul des nombreux éléments envisageables118. Certains tribunaux se livrent parfois à un véritable travail d’investigation. Ainsi après avoir estimé que les photos présentées (vacances communes, présence des deux partenaires à la communion de leur enfant), que les cartes de vœux communes, les faire-part de naissance, l’existence d’un contrat d’assurance vie où le partenaire survivant est mentionné, etc., démontrent à l’évidence l’existence d’un ménage, nonobstant un domicile différent, le tribunal correctionnel de Termonde rejeta la demande faite par la concubine en son nom personnel (au contraire de celle faite au nom des enfants communs) au motif qu’il n’était pas démontré que ladite concubine tirait un avantage des revenus de son partenaire décédé. En particulier, aucune preuve n’était apportée d’un partage des charges communes. Le tribunal relevait en outre l’absence de compte bancaire commun ou d’achats en commun. Seule une facture d’un voyage en famille était présentée. Cette décision va plus loin que celle du tribunal de Bruxelles. Elle se fonde sur le fait qu’il n’est pas démontré un partage des charges communes, ni le fait que celles-ci dépassaient l’entretien personnel du défunt.

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6. Préjudice post-lucratif Il convient d’entendre, sous ce vocable, le préjudice résultant de la privation des activités professionnelles et para-professionnelles que la victime aurait encore pu exercer et dont son conjoint aurait pu retirer un avantage.

117. Pol. Bruxelles, 2 février 2009, C.R.A., 2010, pp. 433 et s. 118. Corr. Termonde, 9 novembre 2011, n° de notice 80.96.22/07, inédit.

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Il ne faut pas confondre ce préjudice avec celui résultant, par exemple, d’activités de jardinage ou de bricolage, plus ou moins sophistiquées, que la victime aurait pu encore exercer au domicile. Ceci relève plus, en effet, du dommage ménager, lequel sera examiné ultérieurement. Plusieurs décisions cependant acceptent de considérer que des activités de bricolage, voire de jardinage constituent un préjudice distinct du dommage ménager et en retiennent l’indemnisation, généralement forfaitaire. Ainsi le tribunal de police de Namur accorda un forfait de 850 € pour une victime âgée de 79 ans à son décès (l’épouse étant âgée elle de 77 ans)119, tandis que le tribunal correctionnel de Huy octroya à la veuve 5.000 € pour le préjudice résultant du décès d’un homme de 74 ans120. Même si une grande majorité de la population active cesse de l’être à 65 ans, il peut arriver que certaines victimes entendent travailler bien audelà. Le problème de l’indemnisation des conséquences liées à une telle situation relève de la difficulté de la preuve à apporter. Si la victime est âgée de plus de 65 ans au moment de l’accident fatal et qu’elle exerce toujours une activité professionnelle, accessoire ou non, en principe l’indemnisation s’exécutera en référence à ses revenus. Mais, lorsque tel n’est pas le cas, la preuve à apporter ne se limite pas à la démonstration d’une simple volonté, encore moins d’une simple hypothèse d’exercer une activité. Ainsi le tribunal de Dinant refusa d’envisager l’indemnisation d’un dommage post-lucratif qui n’aurait pu intervenir qu’à partir de 2047, estimant que cette éventualité aussi éloignée est totalement hypothétique121. Quand bien même un tel préjudice pourrait être reconnu, il convient alors de déterminer la période durant laquelle cette activité aurait pu être maintenue et exercée de manière constante. Il est difficile en effet d’imaginer que cette activité aurait perduré jusqu’à la veille du décès supposé. À défaut de précision, les tribunaux s’en tiennent souvent à une indemnisation forfaitaire (cf. supra).

7. Modalités de réparation En théorie, les trois modes de réparation utilisés en cas d’incapacité permanente pourraient s’appliquer au calcul de l’indemnisation du préjudice matériel. En pratique, cependant, la réparation par voie de capitalisation est pour ainsi dire la seule retenue. 119. Pol. Namur, 3 mai 2007, C.R.A., 2009, pp. 213 et s. 120. Corr. Huy, 9 novembre 2012, n° de notice HU80.96.54/10, inédit. 121. Corr. Dinant, 5 décembre 2011, E.P.C., suppl. 17, 2012.

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a) Forfait Mis à part l’indemnisation du préjudice post-lucratif, l’indemnisation forfaitaire n’est guère retenue. Le juge dispose en effet de nombreux éléments lui permettant de fixer le dommage annuel que subissent le conjoint survivant et les enfants à charge. En effet, soit, compte tenu de revenus faibles et de l’économie d’entretien personnel, le préjudice matériel est inexistant, soit il existe effectivement une perte annuelle déterminable qui s’oppose à l’évaluation forfaitaire. Ce n’est que dans le cas où la détermination des gains annuels est totalement impossible (exemple : jeune indépendant marié et venant de commencer son activité professionnelle) ou en raison de circonstances tout à fait particulières (exemple : des conjoints divorcés mais qui continuent d’entretenir une relation épisodique) que le juge pourrait alors recourir à une évaluation forfaitaire du dommage. Encore, dans ces cas, le juge préfèrera-t-il recourir à une évaluation forfaitaire d’une perte annuelle qu’il capitalisera ensuite. Remontant la jurisprudence, on relèvera un jugement du 10 décembre 1982 (!)122 accordant à l’épouse un dommage matériel de 500.000 BEF (12.394,68 €) ex aequo et bono. On en ignore les raisons, de même que l’âge des personnes concernées.

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b) Rente La rente paraît ici difficilement envisageable dans le cadre d’une indemnisation de droit commun. Traditionnellement, celle-ci s’arrête, en cas de dommage résultant d’une incapacité permanente, au décès de la victime. Or ce sont précisément les conséquences du décès de la victime qu’il convient d’indemniser. Accorder une rente, la vie durant, au conjoint survivant pourrait excéder le préjudice effectif (ce n’est pas le seul cas mais la situation résultant du décès d’un homme de 60 ans dont l’épouse est âgée de 30 ans vient immédiatement à l’esprit). Limiter la rente aux 65 ans théoriques qu’aurait pu atteindre la victime sans l’accident, revient à ignorer tout risque de décès qu’aurait pu connaître la victime… pourtant bien décédée, ce qui ne rencontre pas le principe de l’indemnisation in concreto. En outre, dans bien des cas, un aspect pratique fait que de telles demandes restent inconnues à ce jour : le conjoint survivant perçoit en 122. Corr. Huy, 10 décembre 1982, cité par Fr. pieDBoeuF et n. Simar, op. cit., p. 14.

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général une pension de survie, de sorte qu’il dispose d’un revenu mensuel, alors que le versement d’un capital peut lui permettre de solder le(s) emprunt(s) encore en cours et de poursuivre son existence, libre de tout passif.

c) Capital Il s’agit donc de la méthode d’indemnisation commune du préjudice matériel résultant du décès. Il ne sera pas question ici de relever tel ou tel taux de capitalisation, celui-ci étant fluctuant et dépendant de la situation économique généralement à long terme. Trois méthodes de capitalisation sont généralement utilisées. Si deux de celles-ci sont compréhensibles, la troisième, qui prend de l’extension, pose question.

i)

annuitéS CertaineS

Prônée par certains, la capitalisation basée sur les annuités certaines ne répond absolument pas au principe de la réparation in concreto. Elle consiste à considérer que, durant toute la période de calcul envisagée, la victime ne pourrait en aucun cas décéder pour une autre cause. Cela revient en fait à ignorer l’accident en lui-même et, en raisonnant par l’absurde reviendrait à dire que l’accident était un événement qui ne pouvait jamais arriver dans la vie de cette victime. Cet événement étant inexistant, il ne devrait pas donner lieu à indemnisation ! C’est évidemment inadmissible. La réparation in concreto ne doit pas seulement s’entendre vis-à-vis d’événements positifs mais doit également incorporer les aléas de la vie humaine, parmi lesquels un décès prématuré. Le recours aux annuités certaines ne tient nullement compte du sexe de la victime. En effet, tabler sur une annuité certaine, revient à retenir le même coefficient de capitalisation que la victime décédée soit un homme ou une femme. La plupart des actuaires travaillant sur les tables de mortalité et de capitalisation, dénoncent cette méthode comme constitutive d’erreurs mathématiques et actuarielles. Il faut se rappeler que cette méthode fut utilisée systématiquement jusque dans les années 50 parce qu’il n’existait aucune table de capitalisation viagère. Monsieur Levie s’attela à cette tâche sur la base de travaux initiaux de Monsieur Dillaerts, à qui il rendit d’ailleurs hommage. 118

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Las ! Beaucoup de décisions retiennent cette méthode paraissant plus favorable aux victimes123, et ce, contrairement à ce qu’enseigne la Cour de cassation (cf. infra). Épinglons encore une décision du tribunal de première instance de Mons124. Le juge capitalise jusque 70 ans mais en deux phases : pour la première phase de 5 ans, il capitalise en annuités certaines, pour la phase suivante, il multiplie la perte annuelle admise par cinq, tout en admettant (quand même) l’anticipation du calcul.

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ii) annuitéS viagèreS temporaireS Couramment appliquées par les cours et tribunaux dans le cadre d’une capitalisation d’un dommage résultant d’une incapacité, les tables d’annuités viagères temporaires sont aussi utilisées en cas de décès125. Le recours à celles-ci fut la norme quasi constante durant plus de vingt ans et demeure la méthode classique d’indemnisation du dommage résultant du décès. Le dommage est calculé en tenant compte tout au long de la période à envisager, des risques potentiels de décès qu’aurait connus la victime sans l’accident fatal.

iii) annuitéS viagèreS temporaireS CalCuléeS Sur Deux têteS S’agissant d’indemniser le dommage in concreto, l’indemnité revient non pas à la victime décédée, mais à son conjoint survivant. Or celui-ci, au même titre que la victime, possède un risque de décès avant le terme envisagé pour la capitalisation du dommage. Les tables tenant compte des annuités viagères sur deux têtes firent longtemps défaut. Pour effectuer le calcul, J.-L. Fagnart explique « une méthode bien connue des actuaires »126 : – rechercher le coefficient d’annuité viagère de la personne décédée en fonction de son âge et jusqu’à l’âge envisagé (par exemple, 65 ans) ; 123. Pol. Bruges, 2 septembre 2005, n° de jugement 2005/9011, inédit ; Pol. Malines, 28 février 2007, Bull. ass., 2007, pp. 478 et s. ; Anvers, 5 décembre 2007, Bull. ass., 2008, pp. 321 et s ; Civ. Louvain, 17 juin 2008, Bull. ass., 2010, pp. 221 et s. ; Pol. Audenarde, 3 septembre 2010, R.G. n° 2010/3481, inédit ; Pol. Arlon, 3 février 2011, R.G. n° 10A31, inédit (appel interjeté) ; Pol. Arlon, 23 février 2011, n° de jugement 2011/295, inédit (appel interjeté) ; Pol. Bruges, 5 avril 2011, Bull. ass., 2012, pp. 284 et s. ; Pol. Mons, 1er  septembre 2011, R.G. n° 296.09, inédit ; Corr. Neufchâteau, 28 mars 2012, n° de notice 80.96.69/10, inédit ; Civ. Liège, 30 mars 2012, R.G.A.R., 2012, n° 14.879. 124. Civ. Mons, 12 novembre 2008, R.G. n° 08/13860, inédit. 125. Civ. Tournai, 15 octobre 2004, R.G.A.R., 2005, n° 14.043 ; Civ. Courtrai, 14 octobre 2005, n° de jugement 1467, inédit ; Pol. Namur, 3 mai 2007, C.R.A., 2009, pp. 213 et s. ; Civ. Namur, 14 septembre 2007, R.G.A.R., 2009, n° 14.466 ; Civ. Anvers, 26 juin 2007, R.G. n° 043216A, inédit ; Pol. Huy, 19 novembre 2007, C.R.A., 2009, pp. 295 et s. ; Corr. Huy, 2 avril 2010, n° de notice HU80.98.513/09, inédit ; Liège, 9 mai 2011, n° de répertoire 2011/1415, inédit ; Corr. Huy, 2 décembre 2011, n° de notice HU80.96.29/11, inédit. 126. J.-L. Fagnart, op. cit., pp. 42 et 43.

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– rechercher le coefficient d’annuité viagère de l’ayant droit en fonction de son âge pour la même durée que celle prévue pour la personne décédée ; – rechercher le coefficient d’annuité certaine pour la durée envisagée ; – le coefficient sur deux têtes est obtenu en multipliant les deux premiers et en divisant le résultat par le troisième. Exemple : homme décédé 43 ans, épouse 40 ans. Calcul du coefficient jusque 65 ans. Taux 1,5 % mensuel Levie 2004-2006 Homme : coefficient 43 ans jusque 65 ans : 17,87701 Femme : coefficient 40 ans jusque 62 ans : 18,36547 Annuités certaines 22 ans : 18,72854 Coefficient sur deux têtes : 17,87701 × 18,36547 = 17,53045 18,72854 À l’heure actuelle, les actuaires ont développé des programmes de calcul sur deux têtes. Dans l’exemple repris ci-dessus, la consultation du programme mis au point par Monsieur Levie aboutirait à un coefficient de capitalisation de 17,52353127. Monsieur Jaumain a développé un programme de calcul permettant un calcul au jour précis du règlement128. Monsieur Schryvers a lui aussi prévu la possibilité d’effectuer un calcul simplifié sur deux têtes129. La Cour de cassation se refuse en général à se prononcer à propos de la table utilisée, estimant que cette utilisation relève du pouvoir souverain du juge de fond. Par contre, dans un arrêt du 6 novembre 2002, elle a précisé : « pour déterminer le préjudice qui résultera à l’avenir pour l’époux de la victime d’un accident mortel, de la privation des revenus de la victime dont l’époux retirait un avantage personnel, le juge doit tenir compte à la fois de la durée de survie lucrative probable de la victime et de la durée de survie probable de l’époux survivant. Pour ce faire, il doit tenir compte de l’âge de l’époux survivant et de l’âge qu’aurait eu la victime à la date où il statue »130.

127. G. levie, Tables de mortalité pour l’indemnisation des accidents de droit commun et les calculs de l’usufruit, Bruxelles, Bruylant, 2009, disquette de calcul fournie avec l’ouvrage. 128. C. jaumain, L’actuariat au service du droit, consultable sur internet. 129. http://www.tafelsschryvers.be. 130. Cass., 6 novembre 2002, Pas., 2002, pp. 21-23 ; voir aussi Pol. Mons, 27 février 2009, n° de jugement 2009/1322, inédit.

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On relèvera toutefois trois décisions conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation131. On ne peut donc que s’étonner de voir encore bon nombre de décisions (cf. supra) ne pas retenir les préceptes de notre Cour suprême.

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8. Âge de départ des enfants La jurisprudence et la doctrine considèrent que le coefficient de l’entretien personnel varie en fonction de la composition de famille, et notamment de l’âge du départ des enfants. Lorsqu’un ou plusieurs enfants quittent le ménage avant le jugement, le dommage peut être adéquatement cerné132. Fixer cette date devient beaucoup plus délicat lorsqu’elle n’intervient que dans le futur. Faut-il limiter l’entretien des enfants à leur majorité ? À 21, 23, 25 ans, voire plus ? Le Tableau indicatif préconise, à défaut d’éléments concrets, de retenir l’âge de 25 ans. Certes, les circonstances économiques voient poindre une génération « Tanguy », mais il ne faut pas en faire une généralité. L’appréciation concrète peut se baser sur divers éléments : résultats obtenus, voire, les études poursuivies par les proches ou les parents dans la mesure où l’environnement familial est prédisposant à de longues études. Il n’est pas rare de voir les décisions retenir un âge moyen de 23 ans133. Ceci correspond en fait à un suivi normal d’humanités (18 ans) prolongé par un cycle long d’études supérieures. On ne peut ainsi en tirer une règle générale134. À noter une décision du tribunal de police de Dinant, confirmée en appel135, rejetant la réclamation introduite par un enfant non cohabitant 131. Pol. Charleroi, 14 septembre 2009, n° de jugement 2009/12859, inédit ; Corr. Huy, 9  novembre 2012, n° de notice HU80.96.54/10, inédit ; Pol. Nivelles, 19 février 2013, n° de jugement 2013/377, inédit (appel interjeté). 132. C’est ce qu’a pu faire la cour d’appel de Liège dans un arrêt du 9 mai 2011 (n° de répertoire 2011/1415, inédit) en retenant la fin de l’intervention de l’assureur-loi au profit des trois enfants du ménage comme date de départ. 133. Pol. Huy, 19 novembre 2007, C.R.A., 2009, pp. 295 et s. ; Pol. Bruxelles, 27 avril 2009, C.R.A., 2009, pp. 438 et s. ; Corr. Huy, 2 décembre 2011, n° de notice HU80.96.29/11, inédit. 134. Jusque 20 ans : Pol. Arlon, 3 février 2011, R.G. n° 10A31, inédit. Cet âge un peu particulier fut retenu in concreto compte tenu du lieu où résidaient en temps normal les ayants droit. Jusque 21 ans : Pol. Mons, 1er septembre 2011, R.G. n° 296.09, inédit ; Corr. Termonde, 9 novembre 2011, n° de notice 80.96.22/07, inédit. Jusque 25 ans : Pol. Charleroi, 14 septembre 2009, n° de jugement 2009/12859, inédit ; Corr. Dinant, 5 décembre 2011, E.P.C., suppl. 17 (29 octobre 2012) ; Corr. Neufchâteau, 28 mars 2012, n° de notice 80.96.69/10, inédit. 135. Pol. Dinant, 15 novembre 2001, n° de jugement 2001/3061, inédit ; Corr. Dinant, 25 novembre 2002, n° de notice 80.95.205/01, inédit.

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quant à une aide matérielle dont ce dernier aurait bénéficié et aurait pu bénéficier durant toute la vie lucrative du de cujus.

9. Recours de tiers-payeurs a) Pension légale de survie Celle-ci est versée au conjoint survivant, sous certaines conditions, et ne fait l’objet d’aucun recours à l’encontre du responsable (ou impliqué). La pension ainsi perçue ne peut être déduite de l’indemnité due au conjoint survivant.

b) Pension versée par certaines entités de la puissance publique Contrairement à la pension légale, certaines de ces pensions versées font l’objet d’un droit de recours. S’ensuit dans ce cas la possibilité pour le responsable d’effectuer la déduction de l’indemnité due sous peine d’intervenir deux fois pour le même préjudice. C’est la distinction que rappelle opportunément le tribunal de police de Bruges dans son jugement rendu le 5 avril 2011136.

c) Recours de l’assureur-loi Le recours de l’assureur-loi dans le secteur privé est fondé sur les articles 47 et 48 de la loi du 10 avril 1971. Dans le secteur public, ce sont les articles 14, § 3 et 14bis de la loi du 3 juillet 1967 qui sont d’application. L’assureur-loi, ou l’employeur public, est fondé à exercer son recours dans le cadre d’une double limitation : – d’une part, à concurrence de ses débours (objet du recours) ; – d’autre part, dans les limites de ce qui est dû du droit commun (assiette du recours). La Cour constitutionnelle est intervenue dans le cadre de l’application de ce mécanisme137. En effet, l’article 42bis de la loi du 10 avril 1971 prévoit un décumul partiel entre l’allocation ou la rente pour accident du travail et la pension de retraite ou de survie. Alors que la Cour de cassation confirmait l’action subrogatoire de l’assureur-loi à concurrence du capital constitué138, la Cour constitutionnelle « a considéré qu’il y avait une discrimination non justifiée entre la victime d’un accident du travail et la victime d’un accident de vie privée : la vic136. Pol. Bruges, 5 avril 2011, Bull. ass., 2012, pp. 284 et s. 137. C.C., 9 février 2000, arrêt n° 18/2000, M.B., 22 avril 2000. 138. Cass., 2 novembre 1994, J.L.M.B., 1995, p. 475 et obs. j tinant et n. Simar.

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Questions sur le décès

time d’un accident du travail ne peut percevoir la partie non cumulable ni de l’assureur loi (art. 42bis précité) ni du responsable puisque ce dernier devait le rembourser à l’assureur loi dans le cadre de la subrogation »139. Bien des décisions se méprennent encore quant à l’étendue du recours, se contentant de déduire de la perte annuelle subie par le conjoint survivant la rente versée par l’assureur-loi. Ce dernier est subrogé à concurrence du capital octroyé (limité à la partie cumulable), ce qui est sensiblement différent. Cette limitation de recours a depuis été confirmée à maintes reprises par les juridictions de fond140. Un jugement du tribunal de police de Bruges déduit encore la rente mensuelle versée en accident du travail de l’indemnité droit commun141, mais il s’agit d’un accident dans le secteur public.

3

C. Le préjudice ménager résultant du décès 1. Méthode d’évaluation : valeur du travail ménager Certaines décisions de jurisprudence ont entendu déterminer la perte subie par le conjoint survivant en globalisant le préjudice matériel proprement dit et celui résultant des activités ménagères perdues. Cette façon d’évaluer le dommage a sans doute trait au fait que l’on parle dans les deux cas d’un dommage matériel. Mais l’activité ménagère ne saurait être considérée comme un revenu à proprement parler. La Cour de cassation a précisé que pour établir les ressources financières globales du ménage, il n’y avait pas lieu d’ajouter aux revenus du conjoint survivant la valeur du travail ménager de la défunte ou du défunt, car la valeur économique du travail ménager évite une dépense et ne constitue pas une ressource financière142. Citons cependant : – une décision du tribunal de police de Furnes143 qui accorde à une veuve de 81 ans à l’accident et perdant son mari de quatre ans plus jeune, une indemnité matérielle forfaitaire, dommage ménager compris, de 3.500 € ; 139. N. Simar, « Petit périple au pays du recours des tiers payeurs », Circulation routière et responsabilité, Anthemis, 2012, p. 123. 140. Pol. Huy, 19 novembre 2007, C.R.A., 2009, pp. 295 et s. ; Bruxelles, 20 janvier 2010, R.G. n° 2007/2887, inédit ; Pol. Arlon, 23 février 2011, n° de jugement 2011/295, inédit ; Liège, 9 mai 2011, R.G. n° 2011/1415, inédit ; Corr. Termonde, 9 novembre 2011, n° de notice 80.96.22/07, inédit. 141. Pol. Bruges, 5 avril 2011, Bull. ass., 2012, pp. 284 et s. 142. Cass., 8 octobre 1980, Rev. dr. pén., 1981, p. 95. 143. Pol. Furnes, 2 février 2009, R.G. n° 2009/252, inédit.

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– une décision plus curieuse du tribunal de police de Malines144 : le juge commence par déterminer la perte matérielle d’un veuf (deux pensionnés) en déduisant la pension de veuf perçue du revenu que percevait le couple, duquel il déduit l’entretien personnel. Il en arrive à un montant négatif, estimant que le veuf réalise une économie annuelle de 1.775 €. Le juge calcule ensuite la perte ménagère subie. Il détermine une perte positive de 2.872,55 €/an et accorde au veuf la différence entre les deux soit : 2.872,55 € - 1.775 € = 1.097,55 € arrondi à 1100 € qu’il capitalisera ensuite.

2. Prise en compte de l’économie d’entretien personnel résultant du décès pour réduire ou supprimer le préjudice ménager La disparition du défunt modifie l’importance des tâches ménagères. Cette modification est-elle suffisamment conséquente pour en tenir compte dans le calcul de l’indemnité revenant au conjoint survivant ? La réponse donnée par la jurisprudence est plus nuancée. Certaines décisions refusent de déduire tout entretien personnel. La raison invoquée tient généralement au fait que les charges d’un ménage sont quasi identiques que celui-ci soit composé d’une ou de deux personnes. On relèvera les décisions suivantes : – Tribunal de première instance de Namur du 14 septembre 2007 145 qui admet le principe de réduction mais, estime que cette réduction est compensée par l’ancienneté des montants repris au Tableau indicatif et de la faible incidence de la disparition d’une personne ; – Tribunal de police d’Alost du 27 juin 2011146 : le juge devait répondre à une demande formulée sur la base d’une aide nécessaire à la ferme en replacement du défunt, la veuve étant atteinte d’une forme grave d’ostéoporose. Il rejeta cette demande spécifique mais s’en tint aux valeurs habituelles accordées pour l’évaluation du dommage ménager sans autre distinction qu’une répartition par moitié dans l’accomplissement des tâches ménagères ; – Tribunal correctionnel de Neufchâteau du 28 mars 2011147 qui admet l’idée de la déduction d’entretien personnel mais l’estime prise en compte par le calcul effectué à partir du nombre de personnes composant le ménage après le décès.

144. 145. 146. 147.

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Pol. Malines, 28 février 2007, Bull. ass., 2007, pp. 478 et s. Civ. Namur, 14 septembre 2007, R.G.A.R., 2009, n° 14.466. Pol. Alost, 27 juin 2011, n° de jugement 3843/11, inédit. Corr. Neufchâteau, 28 mars 2011, n° de jugement 304/313, inédit.

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Questions sur le décès

– Tribunal de police de Nivelles du 19 février 2013 148 qui admet la base journalière de 25 € par jour réclamée au motif que les montants du tableau indicatif ne seraient pas indexés. Le juge admet également « une répartition des tâches entre chacun des époux à raison de 40 % pour le mari et 60 % pour l’épouse et rejette la déduction de l’économie d’entretien réalisée au motif que la disparition de quelques assiettes ou vêtements à laver ne vaut pas la peine qu’on s’y attarde ». Appel a été interjeté149. Plusieurs décisions retiennent cependant l’idée que le travail ménager est moindre du fait de la disparition du défunt, mais aussi qu’il ne peut être fait application du pourcentage d’entretien personnel admis pour le dommage matériel (pertes de revenus). L’entretien de la maison demeure proche de celui avant l’accident. Certaines activités ménagères diminuent mais dans une moindre mesure, ce qui justifierait un entretien personnel mais à taux réduit. Admettent 15 % d’entretien personnel, notamment : – Tribunal de police de Bruxelles150 ; – Tribunal correctionnel de Huy151 ; Admettent 20 % d’entretien personnel : – Tribunal de première instance d’Anvers152 ; – Tribunal de police d’Audenarde153 ; Admettent 30 % d’entretien personnel : – Tribunal de police de Bruges154 ; – Cour d’appel d’Anvers155 ; Certains tribunaux s’en tiennent au taux prévu par le Tableau indicatif. Ainsi, le tribunal de première instance de Louvain a retenu un taux de 33,33 %156. D’autres retiennent différents taux en fonction du départ des enfants. On peut s’étonner de ce point de vue qui verrait une augmentation de l’entretien personnel ménager au départ de chacun des enfants… :

3

148. Pol. Nivelles, 19 février 2013, R.G. n° 2013/394, inédit ; voy. aussi Corr. Courtrai, 14  octobre 2005, n° de notice 80.96.79/2005, inédit ; Pol. Huy, 19 novembre 2007, C.R.A., 2009, pp. 295 et s. 149. Voy. également Pol. Mons, 30 avril 2012, R.G. n° 11/A/210, inédit ; Pol. Mons, 5 décembre 2012, n° de jugement 2012/5699, inédit. 150. Pol. Bruxelles, 27 avril 2009, C.R.A., 2009, pp. 438 et s. 151. Corr. Huy, 9 novembre 2012, n° de notice HU80.96.54/10, inédit. 152. Civ. Anvers, 15 mars 2010, R.G. n° 061183A, inédit. 153. Pol. Audenarde, 6 septembre 2010, n° de jugement 2010/3481, inédit. 154. Pol. Bruges, 2 septembre 2005, n° de jugement 2005/9011, inédit ; Pol. Bruges, 5 avril 2011, Bull. ass. 2012, pp. 284 et s. 155. Anvers, 5 décembre 2007, Bull. ass., 2008, pp. 321 et s. 156. Civ. Louvain, 17 juin 2008, Bull. ass., 2010, pp. 221 et s.

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– Tribunal de police de Mons du 1er septembre 2011157 qui retient successivement : 25 %, 30 %, 35 % et 45 % pour un ménage avec au départ trois enfants à charge Enfin, certains tribunaux « contournent » la difficulté et s’appuient sur la considération qu’il n’y a pas de constance et de linéarité dans le dommage, pour s’en tenir à une indemnisation forfaitaire : – Tribunal de police de Liège du 7 octobre 2008158 : le juge accorde ainsi un montant de 30.000 € pour le dommage passé et de 60.000 € pour le dommage futur suite au décès de son épouse, à un veuf ayant trois jeunes enfants à charge ; – Tribunal de première instance de Bruxelles du 12 mars 2011159 : le juge alloue un montant forfaitaire en estimant qu’au fil des années les forces se déclinent, la composition du ménage change, sans préjudice de recours à une aide extérieure. Ces variables sont trop incertaines pour retenir la technique de la capitalisation ; – Tribunal correctionnel de Dinant du 5 décembre 2011160 : le juge, non seulement reprend les critères habituels, mais estime que prendre comme élément certain le fait que la cohabitation se serait poursuivie pendant plus de soixante ans en l’absence de l’accident reviendrait à généraliser ce qui constitue une exception ; – Tribunal de police de Mons du 9 mars 2011161 : le juge accorde 1.500 € à une maman dont le fils cohabitant, même s’il avait des dons de bricoleur, étant amené à quitter le toit maternel dans quelques années. Enfin signalons cette décision particulière du Tribunal de police de Gand du 9 mars 2007162 qui accorde un dommage ménager jusqu’au remariage de la veuve, celle-ci se retrouvant dans une situation identique à celle précédent l’accident. Cette décision est surprenante dans la mesure où elle tient compte d’événements postérieurs à l’accident.

157. 158. 159. 160. 161. 162.

126

Pol. Mons, 1er septembre 2011, R.G. n° 296.09, inédit. Pol. Liège, 7 octobre 2008, n° de jugement 2008/9730, inédit. Civ. Bruxelles, 15 mars 2011, Bull. ass., 2012, pp. 262 et s. Corr. Dinant, 5 décembre 2011, E.P.C., suppl. 17 (29 octobre 2012), pp. 21 et s. Pol. Mons, 9 mars 2011, n° de jugement 2011/15/8, inédit. Pol. Gand, 9 mars 2007, R.W., 2007-2008, p. 1780.

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Questions sur le décès

Conclusion Tout accident, par lui-même, est nécessairement un élément qui perturbe un équilibre social, familial et affectif. En règle générale, le dommage moral, subi à la suite d’un accident mortel est, par nature, irréparable. On ne parlera donc pas de réparation, mais de consolation. À cette fin, le Tableau indicatif, dont la dernière mouture date de 2012, a pour mérite d’instituer l’ébauche d’une justice distributive en « normalisant » l’indemnisation – d’autant que celle-ci ne répare jamais le dommage subi. Le tribunal de police de Huy résume d’ailleurs parfaitement la difficulté d’évaluer ce type de préjudice relatif à « l’être » en ces termes : « la perte d’un être cher, épouse et mère de son unique enfant, dans des circonstances aussi tragiques qu’inattendues, est bien évidemment un drame qui engendre un préjudice ne pouvant être réparé par l’octroi d’une somme d’argent quelle qu’elle soit ; Que l’indemnisation servie par le responsable de l’accident et son assureur ne peut malheureusement pas ramener le défunt à la vie ni le remplacer, mais, tout au plus, par son utilisation raisonnable, atténuer la douleur ressentie ; Attendu que le tribunal est parfaitement conscient de la peine ressentie par la partie civile ainsi qu’il en va d’ailleurs dans tous les dossiers de cette nature ; Que c’est évidemment pour cette raison et ce type que de cas que des montants forfaitaires ont été déterminés au fil du temps »163. De même, le tribunal de police de Nivelles a balisé les difficultés d’une réparation du dommage à composante non-économique en disant : « Le tribunal ne perd pas de vue les souffrances subies par chacune des victimes et par leurs proches. Il ne perd pas de vue le fait que la SNCB a ellemême vu des agents et des voyageurs perdre la vie et d’autres subir de graves lésions en raison de ces accidents. Même si le tribunal est conscient de cette situation, il est tenu par des dispositions légales et il lui appartient aussi de veiller à la sécurité juridique »164. La règle doit donc, nonobstant l’empathie, corriger l’émotion. Le dommage matériel, quant à lui, consiste en la perte de l’avantage personnel que l’ayant droit tirait des revenus du/de la défunt(e). Tout est alors question de preuve et de nuances.

3

163. Pol. Huy, 19 novembre 2007, C.R.A., 2009, p. 296. 164. Pol. Nivelles, 15 septembre 2004, J.L.M.B., 2004, p. 1407.

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4 la vie aprèS le taBleau inDiCatiF Daniel De Callataÿ

avocat maître de conférences invité à l’U.C.L. co-directeur de la Revue Générale des Assurances et des Responsabilités

Sommaire Introduction

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Section 1 Évolution historique

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Section 2 Survol du tableau indicatif

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Conclusion

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Le dommage et sa réparation

Introduction Au moment de boucler le programme de la CUP pour la saison 20122013, l’on savait déjà qu’une sixième version du tableau indicatif serait diffusée en octobre 2012. L’on ignorait alors tout de son contenu. Il était évident que le tableau devrait faire l’objet d’une communication, mais l’on ignorait alors si elle serait critique ou élogieuse. Il n’était dès lors pas question d’évoquer a priori un « sombre tableau » ou de « noirs desseins », mais il aurait été tout aussi risqué d’annoncer, cette fois-ci, la « restauration d’un chef d’œuvre ». La seule certitude était qu’il y aurait une vie après le tableau. Nous y sommes. Vieux d’à peine sept mois, le tableau a déjà beaucoup fait parler de lui. Lors de sa présentation, un texte d’accompagnement du Professeur Simoens se demandait sans rire s’il ne s’agissait pas de l’innovation la plus importante dans le droit de la responsabilité extracontractuelle depuis 18041. Je suggérerais qu’on attende 2104 pour répondre à la question afin de disposer d’un peu plus de recul… Depuis, de nombreux auteurs ont pris la plume et commenté le tableau, que ce soit pour le défendre ou le descendre, sinon pour en faire un résumé ou attirer l’attention sur certains de ses aspects. On se référera notamment, outre à l’étude précitée de Dries Simoens, aux contributions de : – Thierry Papart et Jean-François Marot, « Travelling sur l’indemnisation du préjudice corporel », in Circulation routière et responsabilités, Centre des Facultés Universitaires Catholiques pour le Recyclage en Droit, Limal, Anthemis, 2012, pp. 165 à 206 ; – Ives Verbaeys, « Le nouveau tableau indicatif souligne le rôle de l’expert médical », Bull. ass., 2012, pp. 443 à 445 ; – Michel Fifi, « Le nouveau tableau indicatif. À première vue : d’une acidité à toute épreuve », Bull. ass., 2012, pp. 446 à 457 ; – Pierre Lucas, « L’incapacité personnelle et la nouvelle arborescence des préjudices », in Indicatieve tabel 2012 – Tableau indicatif 2012, coll. Les Dossiers du Journal des juges de paix et de police, n° 18, Bruges/Bruxelles, Die Keure/La Charte, 2012, pp. 107 à 138 ;

1.

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D. SimoenS, « De indicatieve tabel : de belangrijkste innovatie in het Belgische buitencontractuele aansprakelijkheidsrecht sinds 1804 ? », in Indicatieve tabel 2012 – Tableau indicatif 2012, coll. Les Dossiers du Journal des Juges de paix et de police, n° 18, Bruges/Bruxelles, Die Keure/La Charte, 2012, pp. 71 à 106.

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La vie après le tableau indicatif

– Pierre Lucas, « La mission d’expertise du tableau indicatif 2012 mode d’emploi », R.B.D.C., 2012, pp. 133 à 140 ; – Bernard Ceulemans, « L’expertise médicale sous le prisme des tableaux indicatifs 2008 et 2012 : colonne vertébrale de l’indemnisation du préjudice corporel ? », For. Ass., 2012, pp. 202 à 211 ; – Maria Van Wilderode, « De indicatieve tabel 2012 : indicatief ? directief ? of een gemiste kans… ? », C.R.A., 2013, pp. 3 à 18 ; – Jean-Luc Fagnart, « Actualités en droit de la réparation du dommage corporel », in Droit des assurances, coll. UB3, n° 42, Bruxelles, Bruylant, 2013, pp. 203 à 252. La plupart de ces contributions sont déjà fort denses. Le présent rapport n’a pas vocation à procéder à un examen exhaustif du tableau, de A à Z, ni à faire l’inventaire des modifications apportées au tableau indicatif et à la mission d’expertise qu’il contenait dans la version de 20082. On se propose plutôt de remettre le tableau en perspective, en rappelant brièvement les conditions de son émergence et les principales évolutions qu’il a connues, dans son contenu comme dans son mode d’élaboration. Ce dernier a en effet été modifié à l’occasion de cette sixième édition, et certains n’ont pas manqué de critiquer ce revirement3. Le tableau est devenu de plus en plus complexe, et difficile à utiliser, mais il gagnait dans l’aventure un surcroît de crédibilité. Certains craignent qu’il en ait perdu une part en sa dernière édition en prétendant révolutionner la pratique jurisprudentielle plutôt que de la refléter en vue de faciliter son harmonisation4. La vie après le tableau indicatif serait-elle alors la vie sans tableau ? La pratique est comme la nature. Elle a horreur du vide. Certains semblent guetter le moindre faux pas du tableau pour lancer ou relancer des appels à une barémisation législative. Le sujet de la barémisation est d’une brûlante actualité. La France en est notamment saisie. La Gazette du Palais publiait récemment5 un avis mortuaire libellé comme suit :

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« Des victimes et leurs familles Des associations de victimes 2. 3. 4. 5.

Cf. sur ce point la présentation de D. CauStur et du D. DeSenDer au mini-recyclage du 27 mars 2013 de la Conférence du Jeune Barreau de Bruxelles. M. FiFi, « Le nouveau tableau indicatif. À première vue : d’une acidité à toute épreuve », Bull. ass., 2012, p. 447. M. van WilDeroDe, « De indicatieve tabel 2012 : indicatief ? directief ? of een gemiste kans… ? », C.R.A., 2013, p. 3. Gazette du Palais spécialisée, 133e année, nos 46 à 47, 15 et 16 février 2013, p. 3.

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Le dommage et sa réparation

Les avocats de l’ANADAVI Ont la tristesse de vous faire part du décès programmé de LA RÉPARATION INTÉGRALE survenu par adoption d’un référentiel barémique national des cours d’appel alors qu’une base de données aurait pu la sauver. Condoléances à adresser aux premiers Présidents des cours d’appel ». À première vue, les référentiels incriminés paraissent moins directifs et exhaustifs que ne l’est le tableau indicatif, en sa dernière édition. Aurions-nous déjà sonné le glas de la réparation intégrale sans le savoir ? Notre contribution aurait pu se limiter à cette problématique de la barémisation. Nous ne ferons que l’esquisser, au terme de ce rapport, après avoir rappelé les conditions d’émergence et l’évolution du tableau, et évoqué les questions les plus brûlantes que pose la parution de sa nouvelle édition, au vu de l’évolution de la jurisprudence comme en raison de l’émergence d’un nouveau concept. Section 1

Évolution historique A. La « préhistoire » Au rythme auquel les facultés de droit débitent de nouveaux diplômes, ce sont des dizaines de milliers de juristes qui sont susceptibles de croire que le tableau indicatif a toujours existé ou d’à tout le moins se montrer totalement indifférents à la situation antérieure à 1996. On leur résumera sommairement cette « préhistoire » en signalant que de 1804 à 1996, le juriste se contentait de faire confiance à son juge, investi du pouvoir d’appréciation souverain du dommage, en fait. Les seize années d’existence du tableau ne pèsent-elles alors rien au regard de ces presque deux siècles de non-existence ? Ce serait oublier que les années récentes comptent évidemment plus que les années reculées dans un droit en mouvement. Ce serait également perdre de vue que le droit a connu, depuis la dernière guerre, de très importantes mutations, avec notamment le développement d’une sécurité sociale générale, reposant la question de la distribution du risque de santé, et le développement de l’assurance de responsabilité, obligatoire pour le risque automobile et de plus en plus fréquemment souscrite pour d’autres risques, seule l’apparition d’un débiteur extrêmement solvable ayant permis le développement du droit de la réparation. 132

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La vie après le tableau indicatif

Le droit belge moderne de la réparation n’est donc tout au plus qu’un jeune quinquagénaire6. Il n’aura connu que deux tiers de vie sans tableau indicatif et un tiers avec tableau indicatif et l’on ne peut donc ignorer le poids croissant que celui-ci a pris dans la pratique, qu’elle soit judiciaire ou transactionnelle et même expertale7. Melchior Wathelet, ministre de la Justice de 1988 à 1995, serait-il le père du tableau, fût-ce à l’insu de son plein gré ? La réforme qu’il fit voter en 19948 attribua une compétence exclusive aux tribunaux de police en matière d’accidents de circulation en vue de désengorger les cours d’appel, antérieurement régulièrement saisies dès lors que les contestations n’étaient pas portées uniquement devant le tribunal de police mais également devant le tribunal de première instance, civil ou correctionnel, ou devant le tribunal de commerce. Certains s’inquiétèrent de voir la jurisprudence se diversifier dès lors entre 26 arrondissements alors qu’une certaine harmonie pouvait être observée antérieurement dans les ressorts des cinq cours d’appel9. Surtout, le surcroît de travail dévolu aux juges de police faisait craindre qu’ils ne soient rapidement débordés si l’on ne pouvait accélérer les règlements en standardisant les évaluations des indemnités forfaitaires, qui faisaient l’objet de longues discussions.

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B. Les tableaux de première génération (1995-1998) C’est dans ce contexte que naquit le premier tableau indicatif, inspiré par des pratiques occultes ou semi-occultes existant alors dans certains tribunaux10. Il semble que le premier tableau ait fait l’objet d’une concertation entre magistrats avec consultation de ceux-ci, collationnement de leurs réponses et édification d’un texte de synthèse adopté par les unions professionnelles, si l’on en croit l’exposé nostalgique de Madame Van Wilderode, 6. 7. 8. 9. 10.

R.O. DalCq, « Traité de la responsabilité civile », t. V/2, « Le lien de causalité, le dommage et sa réparation », Les Novelles, Droit civil, Bruxelles, Larcier, 1962 ; J. viaene, Schade aan mens, d. III, Evaluatie van de gezondheidsschade, Berchem, Kluwer, 1976. Les médecins ne mettent jamais longtemps à saisir les évolutions du tableau indicatif et à ajuster leurs demandes ou leurs offres, ainsi que la terminologie de leurs rapports pour tenir compte de ces évolutions. L. 11 juillet 1994 relative aux tribunaux de police et portant certaines dispositions relatives à l’accélération et à la modernisation de la justice. Les plus anciens d’entre nous se souviennent des « Fichiers André » détaillant la jurisprudence par cour d’appel. Ils étaient déjà difficiles à manipuler. L’espace aurait manqué s’il avait fallu porter la même attention à 26 jurisprudences. La cour d’appel d’Anvers avait ainsi son tableau, que le tribunal de première instance d’Anvers ne suivait pas, préférant appliquer le sien…

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qui déplore qu’une telle concertation n’ait plus prévalu à l’occasion de la dernière édition11. Nous en prenons acte mais n’avons pas trouvé trace de cette concertation dans l’examen du premier tableau. Si concertation il y eut, elle fut lacunaire, sinon dans le contenu, à tout le moins dans l’espace. Le premier tableau alignait des chiffres notoirement inférieurs à ceux qui se trouvaient alloués par les juridictions francophones du pays. Il tournait le dos au long travail d’affinement du droit de la réparation que doctrine, experts et jurisprudence avaient accompli durant plus de 20 ans et assénait grossièrement quelques règles d’évaluation, sans égard pour d’autres pratiques existantes ni pour quelques rares mais riches enseignements de la Cour de cassation. L’accueil du premier tableau fut, on le sait, « mitigé »12. Des critiques similaires durent encore être formulées à l’occasion de la deuxième édition, qui n’apportait pas d’amélioration notoire ni de changement majeur13.

C. Les tableaux de deuxième génération (2001-2004) On félicitera les auteurs du tableau d’avoir humblement accepté de se remettre à l’ouvrage en ouvrant leurs travaux à différents acteurs de la société civile, dont des représentants du secteur de l’assurance, des médecins, un actuaire, des représentants d’associations de parents d’enfants victimes de la route, et même un avocat pourtant critique. Les échanges furent passionnants. Ils se déroulaient au ministère de la Justice, essentiellement en néerlandais, la plus grande part des membres du groupe de travail étant néerlandophones. Les casquettes disparaissaient. Que l’on y soit avocat, médecin, assureur ou juge, l’on ne cherchait pas la victoire d’un camp mais l’indemnisation la plus adéquate des victimes. La palabre pouvait durer deux ans. Ensuite, les magistrats se retiraient-ils en conclave ? C’est en tout cas seuls qu’ils délibéraient, affranchis de toute influence extérieure, et procédaient à la rédaction du texte qui constituerait la nouvelle édition du tableau. Les éditions ultérieures témoignent de cette œuvre collective, faite de multiples retouches ou copiés-collés. On y trouve même certaines 11. 12.

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Op. cit., p. 3. Cf. notre étude, « Sombre tableau, noir dessein – Examen critique du tableau indicatif des dommages et intérêts forfaitaires », R.G.A.R., 1996, n° 12.641, également publié in L’indemnisation du préjudice corporel, Actes du colloque du 10 mai 1996, Liège, éd. Jeune Barreau, 1996, pp. 123-147. Cf. notre étude, « La nouvelle édition du tableau indicatif, second ou deuxième ? », J.T., 1998, pp. 854 et s.

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affirmations contradictoires, et une structure tantôt lourde, tantôt incohérente. Il reste que, sur le fond, le tableau paraissait refléter un réel consensus, susceptible d’accélérer les règlements des dommages corporels, tant au Nord qu’au Sud. La doctrine salua cette évolution, sans excès d’enthousiasme, mais en remisant au placard ses critiques initiales14. Ces éditions parurent en 2001 et 2004 dans un court intervalle, s’expliquant notamment par la circonstance malheureuse que l’édition 2001 était encore libellée originairement en francs belges et que la pratique s’était encombrée d’inélégants forfaits (par exemple de 17,35 € ou 24,79 €, qui méritaient d’être arrondis). Il n’est pas question d’entrer dans le détail de ces anciens tableaux. On soulignera seulement deux apports majeurs : – dans l’affirmation que la capitalisation n’était pas réservée à une perte de revenus mais qu’elle pouvait s’appliquer à tout préjudice périodique ou constant, tel un dommage moral ; – dans la précision que les montants proposés par point valaient pour les petites incapacités, inférieures à 15 % (et non inférieures ou égales à 15 % comme on l’indiqua par distraction à l’occasion de la quatrième édition). Œuvre de consensus, le tableau se faisait de plus en plus complexe et pédagogique. Il ne se présentait plus comme un alignement grossier 14.

Cf. nos contributions, « Du bon usage du bon tableau indicatif », Bull. ass., 2002, pp. 78 à 82 et « L’évaluation judiciaire des indemnités : tableau indicatif », in Responsabilités. Traité théorique et pratique, dossier 54, Malines, Kluwer, 2002, pour l’édition 2001, ainsi que « L’utilisation pratique du quatrième tableau indicatif », in Le traitement des sinistres avec dommage corporel et dix ans de tableau indicatif, Bruxelles, Larcier, 2004, pp. 51 à 72, pour l’édition 2004 ; voy. également pour l’édition 2001, J. van SteenBerge, « Kritische bedenkingen bij de indicatieve tabel », in De nieuwe « indicatieve tabel », een praktisch werkinstrument voor de evaluatie van menselijke schade, Bruxelles, Larcier, 2001, pp. 11 à 20 ; L. CorneliS, « Werkelijkheids- en zekerheidsgehalte van schade en schadeherstel », in De nieuwe « indicatieve tabel », Bruxelles, Larcier, 2001, pp. 21 à 47, et D. SimoenS, « Beschouwingen over de schadeloosstelling voor welzijnsverlies, tevens aanleiding tot de vraagstelling : integrale, genormeerde of forfaitaire schadeloosstelling ? », in De nieuwe « indicatieve tabel », Bruxelles, Larcier, 2001, pp. 79 à 117 ; comp. avec H. ulriChtS, « De nieuwe indicatieve tabel : de stem van de verzekeraar », Bull. ass., 2002, pp. 84 à 104 et E. WouterS, « Wildgroei van de schadeposten », Bull. ass., 2002, pp. 105 à 114 ; et pour l’édition 2004, J.-B. petitat, « De behandeling van dossiers lichamelijke schade vanuit de praktijk van de advocaat » ; J.-Fr. marot, « L’expertise » ; Th. papart, « Le traitement des dossiers d’intérêts civils du point de vue du juge de police » ; G. meynS, « De behandeling van dossiers lichamelijke schade vanuit de praktijk van de politierechter » ; P. grauluS, « Dix ans de tableau indicatif : une évaluation critique basée sur la pratique » ; A.-M. naveau et J. Bogaert, « Dix ans de tableau indicatif – position de l’assureur » ; M. vanDeWeerDt, « De indicatieve tabel : een commentaar op basis van de schadeleer » et P.-H. Delvaux, « Quelques réflexions théoriques sur un tableau pratique », in Le traitement de sinistres avec dommage corporel et dix ans de Tableau indicatif, Bruxelles, Larcier, 2004.

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de postes de préjudices et de montants, mais comme un vade-mecum, reflétant l’état de la science juridique quant à la réparation du préjudice corporel. Il gagnait donc en crédibilité ce qu’il perdait en facilité d’utilisation. Confronté à diverses controverses déchirant la jurisprudence, le tableau ne les tranchait que rarement et préférait présenter des options, sinon s’en référer au pouvoir d’appréciation du juge. Ces tableaux de deuxième génération (2001 et 2004) eurent une influence considérable. Les assureurs de protection juridique s’en inspirèrent pour formuler leurs réclamations. Les assureurs de responsabilité civile firent de même au moment de communiquer leurs offres. De très nombreux avocats et magistrats s’y référèrent, expressément ou en reproduisant ses spécifications. Des logiciels furent mis au point, aidant le régleur à calculer le préjudice en considération de paramètres qu’il pouvait le cas échéant adapter mais qui étaient, par défaut, ceux du tableau indicatif. Les détracteurs du tableau se faisaient davantage entendre dans les prétoires que dans les colonnes des revues juridiques. Certains avocats de victimes voyaient étonnamment dans le tableau l’œuvre du lobby puissant des assureurs tandis que des assureurs se lamentaient de voir le tableau perçu comme le minimum incontestablement dû à celui qui ne prouvait rien, les surenchères étant encouragées au moment de personnaliser le dommage. Ces critiques laissaient de marbre la plupart des juges. Pour quelques magistrats qui disaient leur détestation du tableau et leur attachement à leur pouvoir d’appréciation souverain, bon nombre appliquaient le tableau sans s’y référer expressément ou se disaient libres d’écarter le tableau mais s’en abstenaient. Certains allaient même jusqu’à vanter les mérites du tableau et à s’y référer expressément dès lors que le dommage ne pouvait être évalué que forfaitairement. Alors qu’elle censurait les juges ne motivant leurs décisions que « par référence à la jurisprudence », la Cour de cassation est venue valider la référence faite au tableau indicatif en son arrêt du 11 septembre 2009. Après avoir réaffirmé que la détermination du montant de l’indemnité destinée à réparer intégralement le dommage causé par un acte illicite relevait de l’appréciation en fait du juge du fond, la Cour a refusé de censurer celui-ci pour avoir fait usage à titre supplétif du tableau indicatif pour déterminer le dommage subi pendant une incapacité temporaire, le juge observant que la victime ne démontrait ni une intensité particulière du trouble subi, ni une durée anormalement longue de ces incapacités et qu’elle ne produisait aucune pièce permettant de déterminer autrement le dommage15. 15.

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Cass. (1re ch.), 11 septembre 2009, Pas., 2009, p. 1847 ; R.G.A.R., 2010, n° 14.647 ; Bull. ass., 2010, p. 85, avec obs. C. van hauDt : « Le tableau indicatif… subsidiaire mais indispensable », N.j.W., 2010, p. 25 et obs. G. J., curieusement intitulées « Hof van cassatie baseert zich op de indicatieve tabel » ; C.R.A., 2010, p. 230 et note Th. papart.

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Le tableau indicatif était donc promis à un bel avenir.

D. Les tableaux de troisième génération (2008-2012) L’édition 2008 constitua la première d’un troisième groupe plutôt que l’héritière directe des éditions de 2001 et 2004. Non qu’elle innove de manière déterminante sur de nombreuses questions, mais parce qu’elle se montre plus directrice ou pédagogique que les versions précédentes, dans le choix des modes de réparation, et surtout parce qu’elle suggère l’adoption d’une nouvelle mission d’expertise, très complète. C’est cette mission que l’on retrouve, à quelques aménagements près, dans la version 2012 du tableau indicatif. Elle n’est pas l’œuvre du groupe de travail « tableau indicatif », mais d’une autre structure informelle, née après 2001 à l’initiative de JeanFrançois Marot, président du tribunal de première instance de Huy et de Thierry Papart, juge au tribunal de police de Liège. Ceux-ci étaient-ils alors frustrés que la discussion relative à l’édition 2001 du tableau indicatif n’ait pas été assez approfondie, que trop de points controversés aient été laissés en suspens ou que les débats se soient déroulés essentiellement en néerlandais ? Quelle que soit la raison, ils se proposèrent de fonder un groupe de réflexion composé de trois magistrats, trois assureurs, trois avocats et trois médecins, tous francophones. La constitution du groupe se fit par élection d’amis, sans grand souci de la diversité géographique. Les débats furent ici encore passionnants, et parfois tendus. Un premier colloque fut organisé à Liège en 2004, limité à l’examen des préjudices extrapatrimoniaux, en vue d’en améliorer la réparation16. Encouragés par le succès de leurs travaux et l’ambiance inédite qui animait leurs séances, les promoteurs de ce groupe s’aventurèrent à tenter de définir ou redéfinir une nouvelle arborescence du préjudice corporel. Ni Bruxelles ni Liège ne sont guère éloignées de Paris, et le développement spontané et remarquable de la nomenclature Dintilhac en France confortait les promoteurs dans leur conviction qu’il fallait structurer davantage les opérations d’expertise et la classification des préjudices afin de satisfaire davantage aux impératifs de réparation intégrale et in concreto, sans oublier un quelconque dommage ni en permettre une double réparation. 16.

Préjudices extra-patrimoniaux : vers une évaluation plus précise et une plus juste indemnisation, Actes du colloque de la Conférence Libre du Jeune Barreau de Liège, 28 mai 2004.

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Ces travaux progressèrent et aboutirent à la présentation d’une « nouvelle arborescence du préjudice corporel » à l’occasion d’un colloque tenu à Liège en 200917. On rappellera que si un consensus a été atteint dans ce groupe de travail sur le texte même de l’arborescence, il ne fut ni atteint ni même recherché sur sa traduction monétaire, ou son application chiffrée. Les contributions présentées par les différents membres du groupe au sujet de certains aspects particuliers n’engagent que leurs auteurs18. S’il faut accorder de l’attention à ce que d’aucuns, aigris ou non de ne pas en être, pourraient considérer comme un sympathique club de discussion sans autre représentativité que celle de ses membres, c’est parce que l’établissement de la nouvelle arborescence alla de pair avec la présentation d’une nouvelle mission d’expertise, et qu’on retrouve cette mission dans le tableau de 2008. L’expert se trouvait invité à évaluer l’incapacité personnelle, alors que le tableau indicatif ne disait rien de cette nouvelle notion et n’envisageait d’autre préjudice que le préjudice moral. L’expert était prié d’évaluer distinctement l’incapacité ménagère et l’incapacité économique alors que le tableau confondait ces préjudices dans les forfaits par point qu’il proposait en couverture du préjudice matériel permanent. Il fallait se rendre à l’évidence : compte tenu de ces contradictions, on ne pouvait utiliser conjointement le tableau 2008 et la mission que le tableau 2008 proposait. Ceci explique-t-il que la plupart des plaideurs et des juges soient demeurés attachés aux missions anciennes plutôt que d’adopter la mission nouvelle proposée par le tableau, et qu’il n’ait pas été davantage proposé d’adapter le texte usuellement rencontré dans les conventions d’expertise médicale amiable ? Ou cette attitude ne résulte-t-elle que de la grande force d’inertie qui s’observe dans la pratique ? Les lois changent, les jurisprudences évoluent, les circonstances économiques fluctuent, les automatismes demeurent. On imagine que les auteurs du tableau auront depuis lors aperçu le problème. Ils auraient pu le résoudre en écartant la mission insérée en 2008 pour revenir à une mission plus traditionnelle. Ils préférèrent 17. 18.

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Nouvelle approche des préjudices corporels : évolution ! Révolution ? Résolutions…, Actes du colloque organisé par la Conférence Libre du Jeune Barreau de Liège, 25 juin 2009, Louvain-la-Neuve, Anthemis, 2009. « Prédisposition et état antérieur », J.-L. Fagnart, P. luCaS et E. rixhon ; « L’incapacité personnelle », P. Dumont, P. luCaS et N. Simar ; « L’incapacité ménagère », G. joSeph, J.-Fr. marot et A.-M. naveau ; « Les préjudices particuliers », J.-M. CrielaarD, P. Dumont, Th. papart et E. rixhon ; « Des réserves pour l’avenir », avec les contributions de J.-M. CrielaarD et de l’auteur de ces pages, d’une part, et de M. FiFi, d’autre part.

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adapter le tableau à la mission et adopter en conséquence pour l’essentiel l’arborescence présentée en 2009. Le choix est compréhensible dès lors qu’il s’imposait de ne plus confondre le préjudice économique et le préjudice ménager dans l’évaluation du préjudice permanent. Le tableau 2008 devait être fondamentalement revu sur ce point. Il péchait par ailleurs par des erreurs de structure, fruit des copiés-collés et amendements apportés au fur et à mesure de ses éditions successives. Dès lors qu’il fallait revoir la structure et mieux distinguer le préjudice ménager, il était tentant d’adopter l’arborescence présentée en 2009 en soutien de la mission curieusement insérée dès 2008. Nous n’avançons ici qu’une hypothèse dès lors que nous n’avons pas été associés à l’élaboration du tableau après 2008, les magistrats ayant décidé de l’établir entre eux, sans plus associer à leurs discussions les représentants du secteur, afin de s’affranchir de tout reproche d’exposition à des lobbies. Peut-être d’autres commentateurs, associés de plus près aux derniers travaux, apporteront-ils un éclairage différent. En attendant, il est permis de s’interroger sur l’intensité des discussions qui ont ou non animé l’adoption par le tableau indicatif de l’arborescence et de se demander s’il y eut une réelle volonté de faire de l’incapacité personnelle un concept « révolutionnaire », qui suscite le doute ou la perplexité des premiers commentateurs du tableau au nord du pays19 plutôt que d’y voir une autre dénomination du préjudice moral.

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Section 2

Survol du tableau indicatif A. Avant-propos Un examen complet du tableau indicatif supposerait que, pour tout préjudice, l’on se livre à un historique des évolutions rencontrées et à un examen comparatif de la jurisprudence recensée avant de formuler, le cas échéant, quelques observations critiques ou suggestions en vue de l’amélioration du tableau et en préparation de sa septième édition. L’entreprise est volumineuse, et dépasserait naturellement le cadre du présent rapport. On se contentera ici de survoler le tableau indicatif, en sa dernière édition, en limitant l’examen au dommage aux personnes. On soulignera ce qui fait encore ou à présent problème dans le tableau, plutôt que de se féliciter des très nombreux progrès qu’il concrétise, au regard de ses versions les plus anciennes. Le propos pourrait être 19.

Cf. D. SimoenS, op. cit., pp. 88 et 90 ; M. van WilDeroDe, op. cit., pp. 8 et 9.

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jugé déprimant pour les promoteurs du tableau ou excessivement critique, mais n’est destiné qu’à gagner du temps : il serait beaucoup plus chronophage de souligner tous les mérites du tableau que d’en épingler les faiblesses. Ces dernières ne sont pas pour autant insignifiantes et doivent être évoquées, sans réticence. L’on suivra le schéma du tableau indicatif, pour la facilité du lecteur, même si ce schéma paraît lourd, compte tenu de la volonté qu’ont eue les rédacteurs de l’arborescence puis les promoteurs du tableau de systématiser l’examen de tous les préjudices, à titre temporaire d’une part et à titre permanent d’autre part.

B. Nouvelle arborescence Ceux qui douteraient encore de l’influence des travaux du groupe O.P.E.P. sur la rédaction du nouveau tableau indicatif20 sont sans excuse, dès lors que le tableau, avant de décrire la mission d’expertise, fait sienne l’appellation d’une « nouvelle arborescence » et adopte la suggestion de voir l’expert décrire l’ensemble des séquelles et atteintes physiques et psychiques conservées par la victime à la suite de l’accident, sans quantifier cette atteinte à l’intégrité physiologique et psychique (A.I.P.P.), avant de quantifier les répercussions de ces atteintes dans trois domaines bien distincts. Nul, pas même les détracteurs du tableau, ne contestera l’avancée que constitue l’affinement de l’évaluation des répercussions de l’accident dans l’appréciation du préjudice moral, du préjudice économique et du préjudice ménager, l’utilisation d’un seul ou de deux taux pour apprécier trois dommages éminemment distincts pouvant amener à des confusions grossières.

1. Incidence des aides techniques et/ou humaines sur l’évaluation des incapacités On ne peut critiquer davantage le souci manifesté par les promoteurs de la nouvelle arborescence et, dans leur foulée, les promoteurs du tableau (ce sont pour une partie les mêmes) de privilégier, sinon la réparation en nature qui supposerait l’impossible restitution de l’intégrité physique atteinte, la fourniture des aides techniques et humaines permettant de minimiser les répercussions du fait dommageable, avant d’évaluer les 20.

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Nouvelle approche des préjudices corporels : évolution ! Révolution ? Résolutions…, Actes du colloque organisé par la Conférence Libre du Jeune Barreau de Liège, 25 juin 2009, Louvain-la-Neuve, Anthemis, 2009.

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dommages et intérêts à allouer en compensation des préjudices que nulle aide, technique ou humaine, n’aura su effacer. La mission évoque les aides qui « seront de nature à remettre la victime dans une situation aussi proche de celle qui était la sienne avant l’accident »21. Il eût mieux valu parler de « la situation dans laquelle elle se serait trouvée en l’absence d’une telle faute », ainsi que le tableau indicatif l’exprime très adéquatement dans son avant-propos22, le dommage devant s’apprécier de manière dynamique, et non statique. On regrettera par ailleurs que le tableau invite l’expert à préciser et quantifier les incapacités temporaires et permanentes en tenant compte de l’ensemble des aides reconnues, qu’il s’agisse des aides techniques ou des aides humaines. L’arborescence présentée à Liège en 2009 prévoyait au contraire que les aides techniques (prothèses, orthèses et/ou appareillages) soient prises en compte pour l’appréciation des trois incapacités, mais que l’aide de tiers ne modifiait pas, en principe, le taux d’incapacité personnelle, n’étant prise en compte que dans la mesure où elle effaçait partiellement ou totalement les conséquences de l’atteinte à la capacité ménagère et/ ou économique23. Jean-François Marot et Thierry Papart concèdent que « le tableau indicatif 2012 n’évoque pas cette nuance, laissant sur ce point toute latitude d’appréciation à l’expert médecin »24. On se demande si la souffrance morale de celui qui éprouve une perte d’autonomie se trouve diminuée par l’intervention d’une tierce personne, ou si cette intervention n’exacerbe pas au contraire le sentiment de déchéance de la victime dépendante. Les thérapeutes n’ignorent pas la relation d’amour-haine qui unit la victime et son aidant. La question n’est pas pour autant une question strictement médicale. Elle est une question philosophique, qui n’autorise pas qu’on laisse « toute latitude d’appréciation » à l’expert médecin. Les auteurs précités évoquent les possibles répercussions favorables des aides fournies sur la capacité résiduaire de la victime25. La fourniture de l’aide humaine ne peut-elle avoir des répercussions défavorables sur le dommage moral, ou l’incapacité personnelle, cette dernière comprenant 21. 22. 23. 24. 25.

Tableau indicatif 2012, op. cit., Chapitre 2.1.1, p. 47. Ibid., p. 42. Nouvelle approche des préjudices corporels : évolution ! Révolution ? Résolutions…, op. cit., p. 27. « Travelling sur l’indemnisation du préjudice corporel », in Circulation routière et responsabilités, Centre des Facultés Universitaires Catholiques pour le Recyclage en Droit, Limal, Anthemis, 2012, p. 173. Ibid.

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notamment les frustrations engendrées par les lésions et les contraintes et inconvénients générés par les atteintes26.

2. L’impersonnelle incapacité personnelle Après avoir légitimement précisé qu’il fallait décrire et quantifier les répercussions des atteintes à l’intégrité physique et psychique sur trois domaines bien distincts, la nouvelle arborescence reprise au tableau introduit la notion d’incapacité personnelle définie comme étant « l’ensemble des conséquences de l’atteinte à l’intégrité physique ou psychique sur les gestes et actes de la vie courante non économique y compris les douleurs que le médecin sait être normalement liées à la séquelle ainsi que la composante psychique limitée qui l’accompagne habituellement »27. Il a été signalé que la version néerlandaise du texte parlait du dommage psychologique accompagnant habituellement l’atteinte, sans faire mention de son caractère « limité »28. Le tableau précise que « le pourcentage d’incapacité personnelle n’est pas une unité de mesure mais une unité d’appréciation. Le médecin explique les répercussions de ces séquelles dans la vie de tous les jours puis fixe un taux. La “barémisation” n’exclut donc pas une certaine personnalisation »29. Les promoteurs de ce nouveau concept vantent la nécessité d’évincer les notions d’invalidité et de dommage moral, qualifiées de « aussi imprécises que galvaudées »30. On conçoit que la notion d’invalidité puisse prêter à confusion compte tenu de la portée qui lui est donnée en droit social31. On comprend également qu’il ait fallu rappeler que l’atteinte à l’intégrité physique ou psychique ne constituait pas nécessairement en soi un dommage, lequel n’était pas constitué par la lésion, mais par ses répercussions32. On a rappelé enfin l’évidente nécessité de distinguer les répercussions ménagères d’une part et professionnelles d’autre part des autres répercussions. Ce n’est pas pour autant que l’on puisse qualifier la notion de « préjudice moral » d’imprécise, ou de galvaudée. En fait de révolution, on pourrait au contraire conclure à une « harmonisation sémantique », avec obligation pour l’expert de quantifier 26. 27. 28. 29. 30. 31. 32.

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ibid., p. 174. Tableau indicatif 2012, op. cit., p. 48. M. van WilDeroDe, op. cit., p. 9, note 34. Tableau indicatif 2012, op. cit., p. 48. J.-Fr. marot et et T. papart, op. cit., p. 169. Cf. sur ce point, D. SimoenS, op. cit., p. 88, n° 60. Cf. sur cette question égal., D. SimoenS, op. cit., p. 88, nos 61 à 63.

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l’incapacité personnelle donnant la mesure du préjudice moral, l’incapacité ménagère donnant la mesure du préjudice ménager, et l’incapacité professionnelle donnant la mesure du préjudice économique. Faut-il alors s’étonner que le tableau indicatif reprenne pour l’évaluation de l’incapacité personnelle temporaire les bases d’évaluation qu’il adoptait pour le préjudice moral temporaire33 ? Exprimant son faible enthousiasme pour la notion d’incapacité personnelle34, le Professeur Simoens considère que l’incapacité personnelle visée au tableau correspond, en l’état actuel des choses, au concept de dommage moral35. L’arborescence présentée à Liège précisait à propos de l’incapacité personnelle temporaire qu’il s’agissait des conséquences non économiques de l’atteinte sur tous les gestes et actes de la vie quotidienne de la victime, y compris sa vie sociale, donc excluant ses activités scolaires, professionnelles et ménagères, cette incapacité comprenant notamment : – les limitations dans les gestes et actes de la vie quotidienne ; – les douleurs non exceptionnelles ; – les frustrations engendrées par les lésions ; – les appréhensions (inquiétudes sur le devenir) ; – les contraintes et inconvénients générés par les atteintes ; – l’entrave aux relations sociales, amicales et familiales36. Une même définition était reprise pour l’incapacité personnelle permanente37 sous la seule réserve qu’il n’était plus fait mention que des appréhensions, sans préciser qu’elle visait les « inquiétudes sur le devenir », cette omission pouvant s’expliquer par la prise en compte de ce que la situation se trouvait alors consolidée. Cette définition fut reprise au moment de présenter le tableau indicatif par l’« inventeur »38 de l’incapacité personnelle39.

33.

34. 35. 36. 37. 38. 39.

Cf. M. van WilDeroDe, op. cit., p. 11, qui, après avoir consacré de longs développements à ce nouveau concept, estime étonnant, sinon incompréhensible, qu’on retombe sur les anciens standards d’indemnisation, sauf à conclure qu’il n’y a rien de nouveau, intrinsèquement, dans le paysage. Op. cit., p. 90, n° 68. Ibid., p. 89, n° 67. Nouvelle approche des préjudices corporels : évolution ! Révolution ? Résolutions…, op. cit., p. 27. Ibid., p. 30. Cf. D. SimoenS, op. cit., p. 88, n° 60 : « Wellicht liggen de geschriften van Dr. Med. P. Lucas aan de basis van deze vreemde notie ». P. luCaS, « L’incapacité personnelle et la nouvelle arborescence des préjudices », in Indicatieve tabel 2012 – Tableau indicatif 2012, coll. Les Dossiers du Journal des Juges de paix et de police, n° 18, Bruges/Bruxelles, Die Keure/La Charte, 2012, p. 115, § 1.

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Dans son étude précitée, Madame Van Wilderode pointe qu’il n’est pas clairement indiqué si cette énumération est ou non limitative, et ajoute qu’elle correspond en tout cas à ce qui est aujourd’hui qualifié de « dommage moral »40. Le changement dans le paysage ne viendra donc pas d’une modification d’appellation, et de l’adoption de l’incapacité personnelle telle qu’elle se trouvait reprise dans l’arborescence présentée à Liège en 2009, mais le lecteur attentif observera qu’à l’occasion de cette présentation de l’arborescence, des commentaires ont été consacrés à la notion d’incapacité personnelle, qui allaient plus loin que cette seule définition et introduisaient des éléments de standardisation. Serait-on habitué, à Liège, à trop faire confiance aux standards ? Il fut alors indiqué que « l’incapacité personnelle est le « préjudice commun » né du dommage, celui identique pour tout homme et pour toute femme atteint des séquelles considérées, indépendamment des caractéristiques professionnelles du sujet expertisé »41. Curieuse évolution de la pensée, dès lors que l’incapacité personnelle était définie à l’origine par son concepteur comme la perte de « l’homme privé par les séquelles d’un accident de la possibilité d’exercer une activité intellectuelle, artistique, sportive, sociale ou autre qui représentait avant l’accident, preuves à l’appui, une partie significative de sa vie extraprofessionnelle et où il s’était illustré ; bref, qui le différenciait réellement des autres. La perte de cette différence constituait à juste titre un préjudice particulier, un préjudice à caractère personnel indemnisable »42. On ne peut souscrire à cette idée que seule l’activité professionnelle ou ménagère différencierait les individus, qui formeraient au contraire un être uniforme, dans « tous les gestes et actes de la vie quotidienne (y compris sociale) »43, ce qui amène ses auteurs à définir l’incapacité personnelle comme « l’ensemble des conséquences de l’A.I.P.P. sur les gestes et actes de la vie courante non économique, y compris les douleurs que le médecin sait être normalement liées à la séquelle ainsi que la composante psychique limitée qui l’accompagne habituellement ». L’incapacité personnelle est donc bien mal nommée44. 40. 41. 42. 43. 44.

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Op. cit., p. 9. P. Dumont, P. luCaS et N. Simar, « L’incapacité personnelle », in Nouvelle approche des préjudices corporels : évolution ! Révolution ? Résolutions…, Louvain-la-Neuve, Anthemis, 2009, pp. 83 et s., spéc. p. 90. P. luCaS, « Invalidité permanente et agréments de la vie, la notion d’incapacité personnelle », in R.B.D.C., 1998, p. 94, cité in Nouvelle approche des préjudices corporels : évolution ! Révolution ? Résolutions…, Louvain-la-Neuve, Anthemis, 2009, p. 10. Op. cit., p. 90. Cf. M. van WilDeroDe, op. cit., p. 9, « De terminologie kan dus enigszins verwarrend overkomen ten aanzien van de inhoud ».

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L’affirmation que le pourcentage d’incapacité personnelle n’est pas une unité de mesure mais une unité d’appréciation, que le médecin explique les répercussions des séquelles dans la vie de tous les jours avant de fixer un taux et que la barémisation n’exclut donc pas une certaine personnalisation45 ne peut suffire à occulter un parti pris discutable, tournant le dos à l’évaluation in concreto. L’expert ne serait plus appelé à évaluer un individu, confronté à un événement dommageable, mais une lésion, pour laquelle un taux serait fixé, au regard duquel l’expert n’aurait plus qu’un pouvoir de personnalisation marginale. Si la Cour de cassation devait valider demain cette conception de l’incapacité personnelle, elle tournerait le dos à un principe essentiel de la réparation du préjudice en droit commun. Elle ferait preuve au demeurant d’anachronisme en adoptant une définition présentée comme moderne, dès lors qu’elle consacrerait le retour de l’indemnisation à la seule prise en considération de la lésion (tant pour œil, tant pour dent), alors que ce qui fait la réalité du préjudice n’est pas la lésion, ni même l’incapacité résultant de la lésion, mais le handicap résultant de l’incapacité.

4

3. Les préjudices particuliers, spécifiques ou secondaires La nouvelle arborescence précise encore avant d’entrer dans le détail de la mission d’expertise que « si l’expert constate que certaines séquelles n’ont pu se traduire en incapacité personnelle, ménagère ou économique (temporaire ou permanente) eu égard à leur importance spécifique, il en fera mention sous le verbo « préjudice particulier » (douleur, préjudice esthétique, préjudice sexuel ou encore préjudice d’agrément) ». On ne peut que regretter ici encore une lecture déformée de l’arborescence présentée à Liège en 2009. Ses promoteurs avaient certes le souci d’éviter toute double indemnisation, mais nullement celui de donner aux « préjudices particuliers » un caractère annexe ou accessoire. La préoccupation qu’il fallait rencontrer était le développement de réclamations de pareils préjudices à titre temporaire. Le souci de préférer l’indemnisation des cas graves à celle des cas légers était partagé par la plupart sinon tous les intervenants. Nul n’était donc choqué par l’absence d’indemnisation de préjudices particuliers durant l’incapacité temporaire à moins que des éléments spécifiques n’en justifient la reconnaissance. Ce consensus se retrouvait déjà dans le tableau indicatif, en ses précédentes éditions, qui précisaient que « le dommage moral comprend 45.

Tableau indicatif 2012, op. cit., p. 48.

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les douleurs, les souffrances et les désagréments habituels se rapportant aux lésions constatées ainsi que leurs répercussions sur les activités de jardinage, sports, hobbys »46. Le tableau eût pu y ajouter les activités sexuelles, sauf à les considérer comme un hobby, un sport, ou, pourquoi pas, du jardinage. L’absence d’indemnisation distincte du dommage esthétique temporaire, sauf circonstances exceptionnelles, pouvait également se déduire de la mention que les intérêts sur le préjudice esthétique (malencontreusement qualifié de permanent) pouvaient être comptabilisés « à partir de la date de l’accident »47. L’arborescence présentée en 2009 distingue bien l’évaluation des préjudices particuliers durant la période d’incapacité temporaire et l’évaluation des préjudices particuliers durant la période d’incapacité permanente. Ce n’est que pour les premiers que l’expert n’est invité à les décrire que « s’ils ont une importance physique, psychique ou sociale spécifique »48. L’avant-propos figurant au tableau avant le détail de la mission d’expertise, en page 48, ne peut donc concerner que les préjudices particuliers temporaires, à l’exclusion des préjudices permanents. La confusion est regrettable, et susceptible de contamination49.

C. Mission d’expertise Nous n’allons pas ici évoquer la procédure d’expertise et les lourdeurs inutiles apportées par les dernières réformes législatives quant au contrôle de l’expertise et quant au mécanisme de consignation, peut-être utiles pour des expertises complexes, mais inadéquats pour l’évaluation du dommage corporel, laquelle se déroulait sans difficultés particulières, sauf rares exceptions, qui auraient mérité la disponibilité immédiate du magistrat, saisi sur incident, plutôt que d’instaurer des contrôles a priori peu efficaces. Le propos n’est pas davantage de se pencher sur la problématique des listes d’experts, ou de l’indépendance requise des experts. Nous n’entrerons pas ici dans le détail de la mission et ne ferons qu’épingler certains éléments posant problème, en complément des 46. 47. 48. 49.

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Le tableau indicatif révisé, Bruxelles/Bruges, La Charte/die Keure, 2008, p. 16. Ibid., p. 26. Cf. Nouvelle approche des préjudices corporels : évolution ! Révolution ? Résolutions…, op. cit., p. 20 et comp. avec p. 22. Cf. M. van WilDeroDe, op. cit., p. 13, qui s’étonne que le dommage esthétique continue à devoir être indemnisé à partir du premier degré, dès lors que ce « dommage spécifique » ne serait pris en considération par l’expert que s’il est grave.

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difficultés déjà relatées ci-avant, à propos de l’incidence critiquable de la prise en compte de l’aide de tiers sur l’évaluation de l’incapacité personnelle, de la notion même d’incapacité personnelle, et à propos de la nécessaire limitation au préjudice temporaire de la conception restrictive des préjudices particuliers. Les questions complémentaires qui viennent à l’esprit à l’examen de la mission proposée sont les suivantes.

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1. État antérieur L’expert est invité à déterminer si et dans quelle mesure l’état antérieur avéré a été modifié par l’accident ou en a modifié les conséquences. Ce libellé peut être critiqué, la Cour de cassation ayant rappelé qu’il n’appartient pas au juge du fond de se fonder sur un état pathologique antérieur de la victime pour réduire, en proportion de cet état, l’indemnisation du dommage qu’elle a subi50.

2. Aides Il est indiqué au chapitre du préjudice temporaire comme au chapitre du préjudice permanent que l’expert précisera la nature (la qualification) et l’importance horaire de l’aide de tierce personne « en tenant compte des moyens d’assistance existants et disponibles ». Cette dernière expression est ambiguë, sinon superflue. Elle pourrait donner à penser que l’expert ne doit se préoccuper que de l’aide de tierce personne complémentaire aux moyens d’assistance dont le blessé dispose dans son entourage, ce qui perdrait de vue que « la circonstance que l’aide provient d’un proche de la victime n’exclut pas son indemnisation »51.

3. Préjudice particulier – Quantum doloris La question du quantum doloris n’est pas la plus importante en termes financiers mais la plus crispante, au regard des efforts apparemment vains déployés par les promoteurs du tableau indicatif, en ses différentes ver50.

51.

Cass., 2 février 2011, Pas., 2011, p. 394 ; R.W., 2012-2013, p. 300, note B. WeytS ; R.G.A.R., 2011, n° 14.801 ; cf. sur cette question, J.-L. Fagnart, « Actualités en droit de la réparation du dommage corporel », Droit des assurances, coll. UB3, n° 42, pp. 216 et s., et pp. 236-237 ; cf. égal. B. CeulemanS, « L’expertise médicale sous le prisme des tableaux indicatifs 2008 et 2012 : colonne vertébrale de l’indemnisation du préjudice corporel ? », For. Ass., 2012, pp. 205-208 ; voy. égal. P. Staquet, « État antérieur d’une victime : à prendre ou à laisser ? », R.G.A.R., 2012, n° 14.850. Cf. Tableau indicatif 2012, op. cit., p. 55, chapitre 2.1.2.

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sions, pour contourner les difficultés nées de ce que le pretium doloris était ignoré au nord du pays et presque systématiquement reconnu et indemnisé au sud. Dès lors que l’incapacité personnelle comprend « les douleurs non exceptionnelles », on aurait pu s’attendre à ce que le quantum doloris disparaisse, sauf circonstances exceptionnelles. C’était apparemment sans compter avec le poids des traditions. En son édition 2008, le tableau indicatif invitait l’expert à procéder à l’évaluation du quantum doloris, de 1 à 7, tout en le priant de tenir compte de ce que les souffrances physiques des niveaux 1 à 3 devaient être intégrées dans les taux d’incapacité et/ou d’invalidité, sans préciser comment s’opérerait cette intégration52. Le tableau fixait les montants accordés par jour à partir du degré 4 « si le pretium doloris n’est pas compris dans le forfait parce qu’il est évalué séparément par une expertise médicale »53. D’évidence, le tableau impliquait la non-indemnisation d’un préjudice pourtant évalué séparément par une expertise médicale et heurtait donc le principe de la réparation intégrale et in concreto. On ne peut en effet décréter d’un seul geste la reconnaissance distincte d’un préjudice et sa non-indemnisation. Autre chose aurait été de suggérer que l’indemnité allouée en compensation du préjudice moral temporaire incluait les douleurs physiques, et le tableau, qui n’en était pas à une contradiction près, rappelait dans le même chapitre que « le dommage moral comprend les douleurs, les souffrances et les désagréments habituels se rapportant aux lésions constatées ». L’édition 2012 du tableau indicatif n’apportera à ce sujet, ni la pacification communautaire, ni la clarté. L’expert est invité à déterminer s’il convient de retenir des souffrances physiques spécifiques, qui n’ont pas été intégrées dans les taux d’incapacité personnelle temporaire, et dans l’affirmative à décrire et évaluer ces souffrances dans le temps. L’expert est invité à intégrer ces souffrances dans le taux d’incapacité personnelle si elles peuvent être évaluées de 1 à 3, et à les quantifier en revanche entre 4 et 7, si elles dépassent le degré 3. L’objectif est d’éviter que l’expert conclue encore à l’existence d’un quantum doloris de degré 1 à 3, dont les victimes demanderaient alors encore légitimement l’indemnisation spécifique. 52. 53.

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Le tableau indicatif révisé, op. cit., p. 16. Ibid., p. 16 in fine.

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On soulignera que l’expert est invité à cette fin à intégrer ces souffrances dans les taux d’incapacité personnelle. Il n’est donc pas postulé que l’expert n’aurait pas à se préoccuper de ces souffrances mineures, parce qu’elles auraient déjà été intégrées dans l’incapacité personnelle. Jean-Luc Fagnart note à ce sujet que « le nouveau tableau énonce pour rappel que les douleurs évaluées de 1 à 3 sont “intégrées” dans le taux d’incapacité personnelle. Encore faut-il que l’expert comprenne que la douleur causée par les lésions est de nature à majorer le taux d’incapacité personnelle. Tous les experts le comprendront-ils ? »54. Il s’observe que le tableau applique pour les dommages de degré 4 et plus une progressivité, même si elle n’atteint pas la méthode du carré, proposant en couverture du quantum doloris les montants suivants : – 4/7 : 25,00 € + 2,50 € × 4 = 35,00 € ; – 5/7 : 25,00 € + 3,00 € × 5 = 40,00 € ; – 6/7 : 25,00 € + 3,50 € × 6 = 46,00 € ; – 7/7 : 25,00 € + 4,00 € × 7 = 53,00 €55. Le montant de 25,00 € correspond-il à la base retenue en couverture de l’incapacité personnelle ? Le Professeur Fagnart le trouverait très choquant, se demandant qui pourrait accepter de souffrir le martyre pour 28,00 € par jour56. Je ne crois pas, cela étant, qu’il trouve davantage de personnes disposées à accepter de souffrir le martyre pour 53,00 € par jour. Le quantum doloris, lorsqu’il était évalué distinctement par la jurisprudence, l’était par degré et par point, sans qu’il soit tenu compte en sus d’un montant de base de 25,00 €. Le cumul de cette base de 25,00 € et des montants variables par degré, suggéré par l’éminent auteur, ne peut s’appuyer sur aucune donnée jurisprudentielle. Il ne peut davantage s’appuyer sur les spécifications antérieures du tableau. Il reste donc permis de se demander si le quantum doloris indemnisé distinctement ne doit pas l’être sur les bases suggérées de 2,50 €, 3,00 €, 3,50 € et 4,00 € par degré, en complément de l’incapacité personnelle évaluée par référence à la base de 25,00 €, hors hospitalisation, sachant que cette dernière base pourrait être pondérée par le taux d’incapacité personnelle partielle, pour l’hypothèse, rare, où un quantum doloris 54. 55. 56.

Op. cit., p. 243, n° 81. Tableau indicatif 2012, op. cit., p. 56. Op. cit., p. 244, n° 81.

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distinct de degré égal ou supérieur à 4 est alloué au-delà d’une période d’incapacité totale57. Il s’en déduit que le quantum doloris en tant que tel appelle une indemnisation journalière de 28,00 €, 21,00 €, 15,00 € ou 10,00 € selon qu’il est de degré 7, 6, 5 ou 4, référence faite à une base d’évaluation par degré de respectivement 4,00 €, 3,50 €, 3,00 € et 2,50 €. Si l’on devait donc retenir cette dégressivité, il faudrait considérer que les quantum doloris inférieurs devraient justifier une indemnisation par degré de 2,00 € au degré 3, 1,50 € au degré 2 et 1,00 € au degré 1. Il en résulterait une indemnité journalière de respectivement 6,00 €, 3,00 € et 1,00 €. Comment alors intégrer ces douleurs de 1 à 3 dans le taux d’incapacité personnelle ? Si l’on sait que 25,00 € correspondent à 100 % d’incapacité, hors période d’hospitalisation, on doit en déduire qu’il faut 24 % d’incapacité personnelle pour avoir 6,00 €, 12 % d’incapacité personnelle pour avoir 3,00 € et 4 % d’incapacité personnelle pour avoir 1,00 €. À suivre le tableau, l’expert invité à intégrer dans le taux d’incapacité personnelle les douleurs évaluées de 1 à 3 devrait donc majorer son évaluation de base de l’incapacité personnelle de ces pourcentages complémentaires de 4 %, 12 % ou 24 %, en espérant qu’il n’arrive pas, de ce fait, à un taux supérieur à 100… Cette arithmétique tombe des mains. On comprend, entre les lignes, que les souffrances inférieures au degré 4 ne seront pas indemnisées et qu’en fait d’intégration dans le taux d’incapacité personnelle, le quantum doloris inférieur à 4 se trouve désintégré.

4. Consolidation Le tableau invite sans surprise l’expert à donner un avis circonstancié quant à la date de guérison ou de consolidation des lésions. La consolidation est une notion doublement relative. Elle est relative dans son effectivité, dès lors que rien n’est jamais définitif, avant la mort, mais qu’on ne peut attendre évidemment que les gens soient décédés pour les indemniser. Elle est également relative quant à son objet. Vise-t-on une stabilisation médicale, soit le moment où on ne peut plus craindre d’aggravation ni espérer d’amélioration de la poursuite des traitements ? Évoque-t-on le moment où la victime a pu se réinsérer dans son emploi 57.

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Cf. en ce sens, J.-Fr. marot et Th. papart, op. cit., p. 179.

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antérieur, éventuellement adapté, sinon dans un autre emploi, voire constater sa difficulté ou son impossibilité d’encore se réinsérer professionnellement ? Évoque-t-on au contraire, non la consolidation économique mais la consolidation écologique, soit le moment où la victime a pu réintégrer son foyer, éventuellement adapté, ou faire choix d’un nouveau logement, et où elle a pu procéder, si elle était nécessaire et possible, à l’adaptation de ses modes de déplacements ? Nous ne faisons ici qu’esquisser cette question, rarement sinon jamais abordée, dès lors que la reconnaissance de trois taux d’incapacité distincts, tant à titre temporaire qu’à titre permanent, pour les incapacités personnelle, économique et ménagère, de même que l’indemnisation nécessairement distincte de ces trois types de préjudice quel que soit le mode d’évaluation choisi, même forfaitaire, autorise l’expert à retenir des dates différentes pour la consolidation de l’incapacité personnelle, celle de l’incapacité économique et celle de l’incapacité ménagère. Cette dissociation des consolidations devrait être motivée et l’on suggère à l’expert de procéder, par défaut, à une consolidation unique.

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5. Préjudices particuliers L’on a souligné à propos des préjudices particuliers que ce n’était que pour les préjudices temporaires que l’expert était invité à n’en préciser la nature et les décrire que s’ils étaient d’une importance spécifique et n’avaient pas été pris en considération dans la fixation des différents taux d’incapacité. Pour le dommage permanent, la condition de l’importance spécifique disparaît, et la mission confiée à l’expert l’invite à déterminer le préjudice esthétique, le préjudice sexuel et le préjudice d’agrément à la seule condition, commune quant à elle au préjudice temporaire, qu’il n’en ait pas été tenu compte dans la fixation des différents taux d’incapacité. La formule est reprise de l’arborescence présentée à Liège, et il serait plus exact d’évoquer la condition qu’il n’en aurait pas été déjà intégralement tenu compte dans la fixation de ces taux. Il n’était en effet pas question de fermer la porte à l’indemnisation du préjudice esthétique résultant d’une boiterie ou d’une altération de la voix, ou du préjudice sexuel résultant d’une atteinte anatomique. Les différents dommages extrapatrimoniaux ne constituent pas différentes facettes d’un même préjudice mais différents préjudices résultant d’une même lésion. La jurisprudence est fixée en ce sens et ni l’arborescence, ni le tableau n’avaient vocation à la contredire, alors qu’ils affirmaient ou réaffirmaient le principe de l’évaluation in concreto. Larcier

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Sur la question plus controversée du caractère général ou spécial du préjudice d’agrément, l’arborescence puis le tableau ont en revanche pris le parti, qui paraît légitime, d’une conception restrictive en évoquant les activités sociales, culturelles ou sportives « que la victime établit avoir menées avec assiduité avant l’accident » en vue d’éviter un double emploi avec l’indemnisation de l’incapacité personnelle. L’évocation enfin au chapitre des préjudices particuliers de « souffrances physiques permanentes exceptionnelles » ne fait que refléter la pratique expertale, qui ne reconnaît qu’exceptionnellement un quantum doloris permanent. Lorsque l’expert est confronté à la permanence de douleurs spécifiques, rebelles au traitement, il est préférable qu’il le signale, plutôt que d’accorder quelques pourcents de plus, qui ne feront pas disparaître les douleurs mais leur indemnisation. L’évocation de souffrances exceptionnelles concerne donc la rareté de leur occurrence, en expertise, mais n’implique nullement qu’il devrait s’agir de douleurs d’un degré exceptionnellement élevé. On peut en revanche se demander si la logique du tableau, – à supposer qu’il en ait une sur ce chapitre délicat –, ne commande pas de considérer que des douleurs de degré 1 à 3 ne sont pas exceptionnelles, et doivent quant à elles être intégrées par l’expert dans le taux d’incapacité personnelle avec toutes les difficultés, évoquées ci-dessus au chapitre du quantum doloris, quant à l’effectivité de cette intégration.

6. Soins et frais post-consolidation Il est important que l’expert précise les frais et soins constants et l’on regrettera que le tableau suggère58 que ces frais soient indemnisés « soit en étant intégrés dans la rente, soit par capitalisation ou à défaut, par forfait », sans plus évoquer la possibilité de les réserver et les indemniser sur production de justificatifs59.

7. Rapport provisoire et définitif La mission invite l’expert à communiquer aux parties un avis provisoire permettant à ces dernières de formuler leurs observations, avant de déposer son rapport final. Si le délai fixé pour le dépôt du rapport final est supérieur à 6 mois, l’expert est invité à dresser tous les 6 mois un rapport intermédiaire sur l’état d’avancement de ses travaux.

58. 59.

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Tableau indicatif 2012, op. cit., p. 47. Le tableau 2008 prévoyait au contraire cette possibilité, p. 15, chapitre 1.D, verbo 9.

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La mission évoque l’impossibilité pour l’expert de déposer son rapport dans le délai initialement fixé, notamment dans l’hypothèse où la consolidation apparaît très éloignée dans le temps, et elle invite l’expert à solliciter en ce cas de façon motivée une prolongation des délais. On peut regretter une fois encore le formalisme excessif de la réforme du Code judiciaire quant à l’expertise. S’il y a quelque raison qui commande de différer le dépôt du rapport définitif, notamment une consolidation éloignée, il eut été préférable de n’inviter l’expert au dépôt d’un rapport intermédiaire qu’à la demande de l’une ou des parties. À quoi sert-il d’abattre des forêts pour rédiger des rapports indiquant ce que les parties ne contestent pas, s’il n’y a aucune contestation sur le fait que les travaux d’expertise doivent être postposés. En revanche, à quoi sert-il de disposer d’un rapport intermédiaire sur l’état d’avancement des travaux (j’ai fait ceci, je dois encore faire cela, mais ne peux le faire dès à présent) si le retard dans la consolidation place la victime dans une situation difficile, en raison du refus de l’assureur de provisionner ses dommages temporaires, ou de contestations sur certains éléments de son dommage. L’utilité du rapport provisoire n’est pas d’indiquer ce que l’expert a fait et prévoit de faire, mais de fixer les préjudices qui peuvent être déjà déterminés et de trancher les points en discussion qui peuvent déjà l’être, afin de progresser dans l’indemnisation provisionnelle du blessé.

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D. Préjudices temporaires 1. Frais de matériel Le tableau évoque la possibilité de remettre la victime dans une situation aussi proche que possible de celle qui était la sienne avant la survenance de l’accident. On a déjà rappelé que l’appréciation dynamique du dommage à réparer in concreto commandait de replacer la victime dans la situation qui aurait été la sienne si l’accident ne s’était pas produit.

2. Aide d’une tierce personne On a également rappelé que c’est à notre avis erronément qu’à l’inverse de l’arborescence présentée à Liège en 2009, le tableau indicatif 2012 invite l’expert à tenir compte de l’incidence des aides humaines sur l’évaluation de l’incapacité personnelle. Le tableau rappelle à bon escient que la circonstance que l’aide provient d’un proche de la victime n’exclut pas son indemnisation. Larcier

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Nous avons déjà eu l’occasion de nous inquiéter d’une éventuelle extension à la problématique du besoin d’assistance de la jurisprudence reconnaissant les prestations volontaires comme pouvant constituer un dommage réparable dans le chef de ceux qui les exposent, de manière raisonnable, en soulagement du préjudice de la personne directement affectée, et sans intention libérale à l’égard du tiers responsable60. Il ne peut être question de mettre sur le même pied l’aidé et l’aidant ni a fortiori de privilégier l’aidant en cas de réclamation conjointe par l’un et l’autre d’un même dommage, lié à la perte d’autonomie de l’aidé. Le tableau évoque la nécessité de déterminer la qualification et l’importance des prestations de la tierce personne. Il eût pu également évoquer leur nature. La question se pose en effet de savoir s’il faut évaluer de manière identique l’aide active, l’aide passive et la simple surveillance. La distinction n’est pas inutile en cas de recours à une aide rémunérée, la tarification des aides rémunérées n’étant notamment pas identique selon que les nuits peuvent ou non être qualifiées de dormantes. La distinction n’est pour le surplus pas dénuée de toute utilité lorsque l’aide est fournie par le milieu familial dès lors qu’il n’est pas certain qu’on puisse décréter l’identité des préjudices entre la nécessité d’être aidé par un proche et la nécessité de bénéficier de sa présence, la présence du proche relevant de la définition de ce dernier. Est-ce en effet un préjudice que de passer du temps auprès de ceux qu’on aime ? Cela dépend peut-être de ce qu’ils sont devenus et de ce que l’on peut faire ou communiquer pendant le temps ainsi donné. La question mérite donc une réponse nuancée, qui ne peut se satisfaire de l’affirmation dogmatique que le temps de présence doit être indemnisé comme un temps de travail presté, ou de l’affirmation tout aussi dogmatique que cette présence ne peut aucunement constituer un préjudice. Le tableau s’est hasardé en sa dernière édition à proposer une évaluation horaire de 10,00 € par heure prestée pour l’aide d’une tierce personne non qualifiée en l’absence de pièces justificatives. Il a été indiqué que le tableau s’écartait sur ce point d’une certaine jurisprudence qui renvoyait au montant des chèques-services61. On comprend la difficulté qu’impliquerait le renvoi au montant des titres-services, compte tenu de la grande évolution de leurs prix en 60.

61.

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Cf. Cass. (2e ch.), 6 novembre 2001, R.W., 2001-2002, pp. 1466-1473, avec concl. proc. gén. Du jarDin ; R.G.A.R., 2003, n° 13.703 ; Dr. circ., 2002/97 ; voy. égal. Cass. (3e ch.), 4 mars 2002, Pas., 2002, p. 632 ; R.G.A.R., 2004, n° 13.869 et nos observations in D. De Callataÿ et N. eStienne, La responsabilité civile, vol. 2, Le dommage, Bruxelles, Larcier, 2009, p. 48. Cf. J.-Fr. marot et Th. papart, op. cit., p. 174.

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quelques années, de la difficulté de calculer si la victime qui y a recours bénéficie ou non d’une déduction fiscale et de l’impossibilité d’utiliser les titres-services pour certains types d’aide. À ces questions bien concrètes s’ajoute la problématique du caractère pérenne ou non de ce système très onéreux pour les pouvoirs publics, le coût des titres-services n’étant pas de 7,50 €, ou 8,50 €, mais d’au moins 20,00 €, généreusement subsidiés, – pour combien de temps –, par des pouvoirs publics pourtant exsangues… Nous renvoyons au commentaire publié dans notre Chronique de jurisprudence, quant à la difficulté d’identifier précisément le coût de l’aide de tiers compte tenu de la diversité des systèmes susceptibles d’être mis en place, l’engagement d’un personnel même non qualifié ne pouvant générer un coût inférieur à 20,00 €62. Cette estimation fut encore jugée très modeste par certains, qui préconisent l’évaluation du besoin d’assistance à 30,00 €63. La base horaire retenue par le tableau indicatif est jugée trop élevée par certains64, et notoirement insuffisante par d’autres65. Plutôt que de proposer un montant unique de 10,00 €, qu’on rencontre parfois dans la jurisprudence mais qui sera jugé élevé au regard de certaines décisions et faible au regard d’autres, il aurait peut-être mieux valu, sauf à renvoyer au pouvoir d’appréciation du juge, distinguer le préjudice passé du préjudice futur. S’il n’y a guère de difficultés à retenir un montant relativement faible pour un dommage passé dès lors que la victime ne prouve pas avoir eu recours à un personnel extérieur pour un coût supérieur, encore serait-il extrêmement dommageable que cette évaluation réduite influence l’évaluation du dommage futur, alors que la victime ne pourra bénéficier de manière certaine à l’avenir de l’aide de ses proches, ou des systèmes subsidiés dont il est parfois fait grand cas, de sorte que la prise en compte d’un montant réduit pour l’avenir placera la victime dans une situation fort précaire, si elle devait recourir à l’aide rémunérée de tiers non subsidiés.

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3. Incapacité personnelle On a pu s’étonner que le tableau reprenne les montants préconisés par l’ancien tableau indicatif alors même qu’on ne parlait plus de dommage moral ou d’invalidité mais d’incapacité personnelle. Le maintien de montants identiques apporte de l’eau au moulin de ceux qui voient dans l’incapacité personnelle une harmonisation sémantique plutôt qu’une révolution, quelle que soit l’opportunité ou l’inopportunité de cette dernière. 62. 63. 64. 65.

D. De Callataÿ et N. eStienne, op. cit., p. 293. Cf. J.-L. Fagnart, op. cit., p. 209. Cf. M. FiFi, op. cit., p. 448 pour l’aide temporaire, et p. 453 pour l’aide permanente. J.-L. Fagnart, op. cit., p. 209.

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Nous avions pu déjà regretter que, en 2008, le tableau ne prévoie plus la possibilité de retenir une base de 37,50 € pour les cas les plus lourds, même après hospitalisation, en cas de gêne physique particulière ou de douleurs importantes66. La jurisprudence n’est pas rare à reconnaître une base d’évaluation supérieure à 31,00 € ou 25,00 €, pour les cas les plus lourds et il n’y a évidemment aucune raison qu’elle renonce à cette consécration de la spécificité des dommages les plus lourds. Au-delà de la nécessaire majoration des bases d’évaluation pour les blessés les plus gravement atteints se pose la question de l’adéquation des montants de base, non indexés depuis longtemps au regard des premières spécifications du tableau. Divers tribunaux s’émeuvent déjà de cette non-indexation des montants de base pour allouer des montants plus élevés et les promoteurs du tableau ne pourront ignorer dans leurs prochains travaux la nécessité de cette revalorisation. Ils pourraient opter pour des formules d’indexation automatique, annuelle, des montants de base, avec le risque d’alors aboutir à des montants non arrondis, sans valeur symbolique aucune, et à des difficultés de calcul quant à l’identification des bases d’évaluation, et quant à la prise en compte des indices adéquats. Une solution plus pertinente pour ces dommages extrapatrimoniaux évalués forfaitairement pourrait être de proposer des montants arrondis mais revalorisés, tenant compte de l’érosion monétaire comme de l’évolution de la jurisprudence.

4. Incapacité ménagère L’on ignore s’il était impérieux de porter la base d’évaluation du préjudice ménager de 17,50 € à 20,00 €, alors même que le préjudice moral ne faisait l’objet d’aucune indexation67, tandis que les efforts accrus afférents au préjudice économique avaient bénéficié peu avant, à l’occasion de l’édition 2008, de cette majoration des montants de base de 17,50 € à 20,00 €, maintenue pour les efforts accrus dans le dernier tableau68. Le tableau tranche une controverse récurrente quant au fait que le montant de base s’entend bien par ménage, et non par individu, un ménage pouvant être constitué d’une ou de plusieurs personnes. Le tableau ne faisait antérieurement aucun écho à la jurisprudence retenant une base réduite pour la personne vivant seule. En sa dernière édition, le tableau prend le parti d’écarter cette réduction. 66. 67. 68.

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« Tableau indicatif 2004 », in Le traitement de sinistres avec dommage corporel et 10 ans de tableau indicatif, Bruxelles, Larcier, 2004, p. 365. Cf. supra. Art. 2.4.2.

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La vie après le tableau indicatif

On appelle donc l’homme vivant seul ou la femme vivant seule à renoncer à la pizza et au pressing au profit d’une vie saine, toute entière consacrée à la découpe des légumes et au repassage… En dépit de quelques décisions appelant à une conception égalitaire du partage du travail ménager entre homme et femme, le tableau maintient la ventilation antérieure. Il est vrai que tous les hommes n’ont peutêtre pas dans l’intervalle contribué à contredire sa pertinence, sinon sa générosité pour leur genre.

5. Incapacité économique – Perte de revenus

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L’affirmation que la perte de revenus doit toujours être prouvée in concreto mérite une nuance. Il aurait peut-être mieux valu indiquer que la perte de revenus doit toujours être estimée in concreto. On ne peut en effet exiger que la perte de revenus soit prouvée, dans certaines hypothèses où elle doit faire l’objet d’une estimation, dès lors que la victime allait commencer ses activités, était en début de carrière ou se trouvait dans une activité indépendante, pour laquelle l’accident a généré une indisponibilité et, partant, la perte potentielle de rentrées, sans que l’on puisse dûment prouver les revenus qui auraient été perçus dans l’hypothèse où l’accident ne se serait pas produit. Le tableau insère au chapitre du dommage économique temporaire consacré à la perte de revenus l’affirmation que « l’indemnisation doit toujours permettre l’obtention d’un même revenu net que celui qui aurait été promérité en l’absence du fait générateur du dommage ». L’affirmation est ambiguë, et susceptible de dérive. On est ainsi surpris de voir d’éminents rédacteurs et promoteurs du tableau affirmer que « la perte de rémunération effectivement subie par la victime est intégralement prise en charge par l’auteur responsable sans qu’il soit tenu compte des différents taux d’incapacité professionnelle dégressifs retenus par l’expert »69. À quoi sert-il de demander à l’expert de fixer les taux d’incapacité professionnelle temporaire si la perte de revenus sera indemnisée sans égard pour ces taux ? Qu’a-t-on prévu alors pour, – ce n’est pas un crime –, inciter la victime à reprendre le travail ? La division des incapacités économiques, personnelles et ménagères permet à l’expert de reconnaître une incapacité économique majorée voire totale à la victime qui n’a pas repris le travail, alors même qu’elle aurait pu théoriquement le faire, le dommage devant s’évaluer in concreto. Sous le contrôle du juge, qui dispose quant à lui également du pouvoir de 69.

J.-Fr. marot et Th. papart, op. cit., p. 178.

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Le dommage et sa réparation

majorer l’incapacité retenue par l’expert et d’assimiler à une incapacité totale l’incapacité partielle retenue par le premier, l’expert peut indiquer si une victime n’a pas repris le travail parce qu’elle n’en avait pas la possibilité, ou si elle n’a pas repris le travail parce qu’elle n’en avait pas le désir. On comprendrait mal que la perte de revenus inhérente à l’inactivité soit indemnisée mêmement pour l’une et l’autre de ces personnes. Si la victime demeure en inactivité alors qu’elle a parfaitement la possibilité de reprendre le travail, fût-ce au prix d’efforts accrus, raisonnables, la perte de revenus qu’elle subit ne peut être imputée intégralement au responsable. La victime n’a pas l’obligation de tout faire pour minimiser son dommage mais ne peut fautivement l’aggraver. L’accident n’infantilise pas la victime, il ne la prive pas de sa qualité de citoyen responsable70.

6. Efforts accrus Le tableau prend le parti de l’indemnisation forfaitaire des efforts accrus plutôt que de voir ceux-ci évalués par référence à la rémunération. Les arguments qui militeraient en théorie pour l’indemnisation des efforts accrus par référence au salaire ne manquent pas. L’incitation à la reprise du travail qu’implique le cumul du salaire et d’une indemnisation significative corrélée au salaire est à souligner. On doit également évoquer le caractère subsidiaire de l’évaluation forfaitaire, et observer que l’appréciation de l’incapacité par référence au salaire alors même que le travail est repris est de règle en accidents du travail, l’indemnisation légale étant déterminée par application du pourcentage d’incapacité permanente au montant de la rémunération de base. Telle est également la règle en droit commun – si l’on en croit en tout cas les recommandations du tableau indicatif –, pour l’indemnisation du dommage économique permanent, dès 15 %. Pourquoi faudrait-il alors indemniser forfaitairement plutôt que par référence à la rémunération des efforts accrus exposés à titre temporaire, en dépit d’incapacités dont le taux est le plus souvent supérieur à 15 % ? Ces arguments théoriques ont leur poids, mais doivent être mis en rapport avec l’opportunité ou non de majorer de manière très significative le coût d’un poste de préjudice alors que ce préjudice est temporaire et que le souci de la plupart sinon tous les acteurs de la réparation est de déplacer dans la mesure du possible les moyens existants des petits cas 70.

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Cf. sur ces questions et à propos de l’évaluation du préjudice économique permanent, nos observations, « La capitalisation du préjudice (économique) permanent – le cumul de la réparation du préjudice économique permanent et du bénéfice d’allocations de chômage », obs. sous Cass. (2e ch.), 2 mai 2012, R.G.A.R., 2013, n° 14.937.

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La vie après le tableau indicatif

vers les cas les plus graves. Majorer l’indemnisation d’une victime pour un préjudice temporaire, et alors qu’elle conserve ses revenus, ne constitue pas dans ce contexte la première des priorités. D’aucuns se sont émus que le tableau ne vise plus uniquement la reprise de l’activité professionnelle mais qu’il s’étende à la reprise de l’activité scolaire71. On observera que la jurisprudence était déjà encline à reconnaître les efforts accrus de l’étudiant. On notera que le tableau indicatif vise bien l’étudiant et non l’écolier de sorte qu’il reste permis de s’interroger sur la réalité d’efforts accrus pour la très jeune victime qui ne se trouve pas « aux études ». L’on pointera enfin que l’indemnisation de ces efforts accrus n’est aucunement exclusive de l’indemnisation de la perte de l’année scolaire lorsque les efforts ont été exposés sans succès mais qu’il n’était pas déraisonnable d’y consentir. On comprendrait en revanche que le préjudice lié aux efforts accrus soit dénié à la victime ayant entrepris de poursuivre son année scolaire avant que de la rater alors que tous, du milieu scolaire au milieu thérapeutique, concluaient à l’inutilité voire à la toxicité de cette tentative.

4

7. Préjudices particuliers – Douleurs On a rappelé ci-dessus l’ambiguïté inhérente à la mention que les douleurs inférieures au degré 4 devaient être intégrées à l’incapacité personnelle. On a rappelé également l’ambiguïté de la formule reprise au tableau, en ce qu’elle paraît ajouter aux montants variables par degré, de manière progressive, une base unique de 25,00 €, alors que cette base de 25,00 € vise l’incapacité personnelle et doit être pondérée par le taux d’incapacité72.

8. Préjudice sexuel et préjudice d’agrément temporaires Le tableau indicatif ne recommande l’évaluation spécifique du préjudice sexuel ou du préjudice d’agrément temporaire, de même que du dommage esthétique temporaire, que s’ils revêtent une importance spécifique. Il est précisé alors que l’indemnisation de ce préjudice « relève de l’appréciation du juge » et renvoyé à la diversité de ses manifestations. La formule est un peu malheureuse dès lors que toutes les indemnisations relèvent bien évidemment de l’appréciation du juge, le tableau n’étant qu’indicatif. 71. 72.

Cf., not., M. FiFi, op. cit., p. 449, qui qualifie cette assimilation de « fantaisie coupable ». Cf. en ce sens, J.-Fr. marot et Th. papart, op. cit., p. 179.

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Le dommage et sa réparation

9. Perte d’une année scolaire Le tableau indicatif se montre fidèle à la jurisprudence en proposant des montants liés aux différents préjudices inhérents à la perte d’une année scolaire sans aucunement se préoccuper de la problématique de son imputabilité. La perte d’une année scolaire constitue pourtant le cas type pour lequel il devrait être raisonné en termes de perte de chance. Aucun étudiant, fût-ce le plus brillant, n’a la certitude de réussir, au moment de commencer son année. Aucun étudiant, fût-ce le plus médiocre, n’a la certitude de la rater. L’accident qui vient perturber le cursus scolaire vient donc diminuer les chances plus ou moins grandes qu’avait la victime de réussir. Les experts ont pourtant l’habitude de retenir l’imputabilité intégrale de la perte lorsque l’étudiant est brillant, que l’accident survient au mauvais moment et que la gravité de ses conséquences explique à suffisance que les examens n’aient pu être présentés ou en tout cas réussis. Ils écartent en revanche tout préjudice scolaire lorsque le profil de l’étudiant était plus chaotique, que l’accident est survenu à un moment où il aurait été possible d’ensuite rattraper les retards et que l’échec venu sanctionner l’étudiant en fin d’année ne peut s’expliquer par l’accident, plutôt que par d’autres événements de vie. Il serait en réalité plus conforme aux règles de la responsabilité de raisonner en termes de perte de chance, quitte à évaluer la chance perdue à 1 % pour les cas les plus médiocres, et 99 % pour les cas les plus brillants. Le dommage lié à la perte d’une année scolaire est notamment constitué par les frais, que le tableau qualifie de frais afférents à l’année scolaire perdue. Il aurait été plus adéquat de parler de frais afférents à l’année scolaire à recommencer. L’exposition de frais en pure perte ne constitue pas en soi un dommage réparable. Les frais de l’année perdue sont des frais que la victime avait exposés, et qu’elle aurait exposés si l’accident ne s’était pas produit. Ils ne sont donc pas en rapport de causalité démontré avec celui-ci. Au contraire, les frais que la victime exposera pour recommencer cette année sont des frais dont elle aurait fait l’économie si l’accident n’était pas survenu. La nuance n’est pas purement littéraire mais justifie que ne soient pas indemnisés les frais de l’année scolaire perdue pour l’étudiant ne recommençant pas cette année, parce que l’accident le prive de la possibilité d’encore poursuivre sa carrière estudiantine. 160

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La vie après le tableau indicatif

Le tableau n’innove pas dans les montants proposés pour la couverture de ces frais, les faisant varier suivant le niveau d’enseignement suivi. On reste surpris que des montants différents soient proposés pour l’enseignement supérieur non universitaire et l’enseignement universitaire, au détriment de ce dernier. Il est en tout cas inexplicable que la différence soit de 300,00 € lorsque les étudiants logent « en kot », et de 500,00 € lorsqu’ils logent à domicile. Les montants n’ont pour le surplus pas fait l’objet d’une revalorisation, laquelle ne s’imposait pas nécessairement, s’agissant d’une évaluation forfaitaire.

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10. Dommage des proches L’insertion d’un dommage des proches dans le chapitre des préjudices temporaires relève de la volonté des promoteurs du tableau de systématiser la présentation des dommages. Il ne faudrait pas que cette méthodologie fort didactique incite à la réclamation de préjudices inexistants ou peu consistants et il semble que les promoteurs du tableau se soient émus de la possibilité de voir les proches multiplier les réclamations d’un dommage par répercussion, pour tout préjudice temporaire affectant l’un des leurs, de sorte qu’ils ont précisé que « ce proche pourra être indemnisé lorsque l’état physique, psychique ou mental de la victime fait craindre une issue fatale ou particulièrement inquiétante ». Le tableau ne précise pas ce dont le proche pourrait être indemnisé et n’indique notamment pas s’il s’agit du dommage moral, d’une perte de revenus, des frais exposés, qu’ils soient de déplacement ou autres, ou encore de prestations volontaires accomplies dans un but d’allègement de la souffrance du proche, de manière raisonnable et sans intention libérale à l’égard du tiers responsable. La conception très restrictive du dommage moral par répercussion peut se comprendre en opportunité, s’agissant d’un préjudice temporaire, mais elle est contraire à la règle selon laquelle tout dommage, fût-il par répercussion, doit être indemnisé dès lors qu’il est certain. La circonstance que la vue des souffrances d’un proche fasse partie des aléas d’une parenté normalement vécue ne peut suffire à écarter l’indemnisation de ce dommage et le tableau continue donc à tourner le dos à la jurisprudence de la Cour de cassation73.

73.

Cass., 3 février 1987 et Cass., 20 février 2006, détaillés et référencés ci-après au chapitre du préjudice permanent.

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Le dommage et sa réparation

E. Préjudices permanents 1. Méthodes d’indemnisation En préambule, le tableau rappelle que la date à prendre en considération pour distinguer le préjudice passé du préjudice futur est celle de la décision judiciaire ou de la transaction. Il ajoute que « seul le préjudice futur est susceptible d’évolution “imprévisible et aléatoire” »74. La mention paraît ambiguë ou redondante. Il est certain que le passé n’évoluera plus, sinon dans le regard des historiens. Seul le préjudice futur est susceptible d’évolution. Ce n’est pas pour autant que cette évolution est imprévisible et aléatoire. Le travail du juge est au contraire, dans une conception dynamique du dommage, de projeter dans l’avenir ce qu’aurait été la situation de la victime si le fait dommageable ne s’était pas produit, et ce que sera sa situation, afin de compenser la différence négative entre ces deux projections. Considérer que l’évolution future est imprévisible et aléatoire amènerait à considérer que le dommage futur est incertain et qu’il ne mérite donc aucune indemnisation.

a) Prévalence de la rente Les auteurs du tableau rappellent la prévalence à accorder à l’indemnisation sous forme de rente, laquelle est décrite comme la plus complète et la plus adéquate pour réparer les préjudices résultant d’une incapacité permanente. Le tableau est ambigu, en ce qu’il évoque la « rente indexée et révisable »75 et l’octroi d’un montant périodique « révisable et/ou indexé »76, avant de rappeler77 que le préjudice futur est indemnisé sur la base de la « rente révisable ou indexée ».

quant À l’inDexation L’étude de la jurisprudence indique que les rentes allouées peuvent être viagères ou temporaires mais qu’elles sont toutes indexées. Tenu d’évaluer le dommage au jour du règlement, le juge doit prendre en compte les variations futures du dommage pourvu qu’elles soient certaines et non étrangères à la faute et au dommage, qu’il s’agisse 74. 75. 76. 77.

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Tableau indicatif 2012, op. cit., p. 58. Art. 3.0.1, p. 58. Ibid. Art. 3.2, p. 59.

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La vie après le tableau indicatif

de variations intrinsèques ou de variations monétaires. Si l’importance de l’inflation future est inconnue, le principe de la variation future du pouvoir d’achat de la monnaie est en revanche certain de sorte que le juge doit prévoir l’indexation de la rente, si elle lui est demandée. Tout au plus pourrait-on concevoir que le juge considère par fiction que l’atténuation du dommage avec le temps (accommodation au handicap ou réduction de l’activité ménagère) compense l’érosion du pouvoir d’achat de la monnaie, ce qui, en droit, pourrait justifier l’octroi d’une rente constante, non indexée. On signale cette possibilité, sans l’approuver, le rapport entre l’atténuation du dommage et l’érosion monétaire relevant de la fiction plus que de l’approximation.

4

quant À la réviSion L’étude de la jurisprudence, qui confirme que les rentes allouées sont indexées (sur une base semestrielle ou annuelle, et par référence à l’indice des prix à la consommation ou à l’indice santé), ne fait apparaître qu’exceptionnellement des clauses de révision. Les promoteurs du tableau indicatif vont donc au-delà de la pratique jurisprudentielle existante lorsqu’ils évoquent des rentes révisables. L’on voit certes allouer de nombreuses rentes assorties de réserves, lorsqu’il s’agit de compenser le besoin d’aide de tierce personne, la consolidation ne s’étant faite qu’avec de grandes inconnues quant à l’avenir du blessé, s’il ne pouvait plus compter sur son environnement familial. La rente peut être alors allouée sous réserve d’un placement, d’une disparition de l’aide familiale, ou d’une augmentation du besoin d’assistance, mais il ne s’agit pas à proprement parler de clauses de révision, lesquelles ouvrent la voie à une majoration mais aussi à une diminution de la rente. Cette absence de rente révisable dans la pratique jurisprudentielle belge peut s’expliquer : – au regard du principe de libre disposition de l’indemnité ; – compte tenu de la réticence des plaideurs à demeurer en discussion potentielle sur l’évaluation du préjudice une fois la décision ou le règlement transactionnel intervenu78 ; – compte tenu du manque de pro-activité des assureurs lorsqu’il s’agit de conclure quant à l’octroi d’une rente, les assureurs étant généralement hostiles à ce mode de règlement. La terminologie de la dernière édition du tableau indicatif ne peut donc faire illusion, la rente révisable étant l’exception.

78.

Cf. en ce sens, M. FiFi, op. cit., p. 451.

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Le dommage et sa réparation

On regrettera au demeurant que l’utilisation de l’expression « rente révisable ou indexée »79 donne à penser que l’insertion d’une clause de révision dispense de prévoir l’indexation de la rente alors que la révision porte sur l’évolution du dommage mais qu’aussi longtemps que le dommage n’évolue pas, il faut en assurer la réparation intégrale par la prise en compte de l’érosion monétaire future.

b) Tables de capitalisation Le tableau aborde ensuite la technique de la capitalisation, précisant qu’elle consiste à convertir en capital l’ensemble des montants annuels ou mensuels couvrant la période à indemniser qui est postérieure au jugement. Il eût pu également dans la foulée évoquer des montants journaliers, s’agissant notamment des bases dont il propose l’adoption pour le préjudice moral (- pardon, l’incapacité personnelle), et le préjudice ménager. Dans le choix des tables, le tableau invite à retenir les tables les plus récentes. On ne voit pas ce qui autoriserait que la préférence soit donnée aux tables plus anciennes, à identité de tables, mais le problème qui se pose n’est pas de choisir entre les tables les plus récentes et les plus anciennes, mais de choisir celles des tables les plus récentes qui sont les plus pertinentes. Le tableau ne dit rien à cet égard du choix à faire entre les tables annuelles ou les tables trisannuelles. Il ne tranche pas davantage la problématique des annuités viagères ou des annuités certaines pour l’indemnisation du dommage économique permanent. Il reste enfin muet, quant au choix de tables stationnaires, plutôt que prospectives. Rappelant le caractère subsidiaire de l’indemnisation forfaitaire, le tableau indique qu’il appartient au juge de motiver spécialement sa décision d’y recourir. Le tableau eût pu préciser que cette obligation s’imposait sauf accord des parties, dès lors qu’il n’est pas rare que les parties s’accordent sur le recours à l’évaluation forfaitaire, ne discutant que du montant par point à retenir.

2. Aide matérielle et humaine Le tableau invite à apprécier les aides permettant de remettre la victime dans une situation aussi proche que possible de celle qui était la 79.

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Tableau indicatif 2012, op. cit., p. 59.

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La vie après le tableau indicatif

sienne avant la survenance de l’accident, alors qu’il faut avoir égard à la situation qui aurait été celle de la victime sans la survenance de l’accident. Il précise que les dépenses relatives aux aides matérielles sont indemnisées sur la base des pièces qui les justifient et, pour ce qui concerne le préjudice futur, par le recours à la capitalisation80. Cette affirmation est fort surprenante au regard de la prévalence rappelée quant à l’indemnisation sous forme de rente comme au regard de la possibilité, non discutée, de voir ce poste réservé, les aides étant remboursées au fur et à mesure de leurs décaissements. Il n’est en effet pas toujours aisé de fournir une estimation précise des montants qui seront nécessaires compte tenu de la volatilité des prix des prothèses et de la variabilité des délais nécessaires à leur renouvellement. Il n’y a aucune raison de privilégier l’indemnisation par capitalisation, pour ce préjudice, et les mentions du tableau relatives à l’aide d’une tierce personne confirment qu’il s’agissait là d’une distraction, le préjudice futur relatif à l’aide de tiers étant pour sa part bien indemnisé par une rente ou à défaut par un calcul de capitalisation. Il se comprend ici que l’on ne prévoie pas l’indemnisation sur la base des justificatifs, dès lors que c’est le besoin d’assistance qui constitue le dommage devant être indemnisé. L’on renvoie à ce qui fut indiqué ci-dessus au chapitre du préjudice temporaire quant à l’audace du tableau s’aventurant à fixer un tarif, pour l’heure prestée. Le montant proposé, jugé excessif par d’aucuns et insuffisant par d’autres, paraît faible au regard de la jurisprudence pour les cas les plus lourds, en tout cas lorsqu’il s’agit d’indemniser le dommage futur pour lequel on ne peut présumer le maintien de l’environnement familial et la pérennité des systèmes d’aide subsidiés, tel celui des titres-services.

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3. Indemnisation forfaitaire de l’incapacité personnelle, ménagère et/ou économique Le tableau préconise le recours à l’indemnisation forfaitaire lorsqu’il ne se justifie pas de recourir à la rente ou à la capitalisation. Le propos n’est pas critiquable. Il le devient lorsqu’il évoque le caractère « non linéaire et non récurrent des préjudices ». Le Professeur Fagnart a sévèrement critiqué cette terminologie douteuse81. Mieux aurait valu parler plus sobrement de préjudices périodiques ou constants, voire de préjudices variables, pour lesquels la variation dans le temps peut être évaluée, fût-ce par présomption. 80. 81.

Art. 3.1.1, p. 59. Cf. J.-L. Fagnart, op. cit., p. 228.

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En effet, si la base forfaitaire varie dans le temps mais dans une mesure qui peut être déterminée, rien n’interdit de recourir à la capitalisation, sur des bases qui peuvent être progressives ou dégressives82. Désireux de relativiser l’arrêt du 17 février 2012, Michel Fifi a considéré qu’il ne s’agissait pas d’un arrêt de principe83. L’arrêt ne révolutionne certes pas la jurisprudence antérieure, mais il s’agit d’un arrêt de cassation et non d’un arrêt de rejet, et sa portée dépasse d’évidence les spécificités de l’espèce à l’occasion de laquelle il fut prononcé. Le même auteur relevait également que cette jurisprudence n’avait pas été déjà confirmée du côté néerlandophone84. On lira avec attention l’arrêt prononcé le 20 novembre 201285. La Cour y rejette le pourvoi formé contre une décision qui avait refusé la capitalisation du préjudice moral et du préjudice ménager en considérant à propos du dommage ménager qu’on ne pouvait prévoir comment évoluerait la composition de la famille dans l’avenir jusqu’au décès de sorte qu’il était impossible d’estimer le préjudice de manière exacte, à défaut de paramètres certains tandis que, pour le préjudice moral, il n’était pas démontré que ce dernier était d’intensité identique avant et après la consolidation et qu’il devrait être considéré comme une donnée statique, le dommage moral consistant en différents éléments dont principalement la douleur, la privation des joies de l’existence, la diminution des forces physiques et intellectuelles, l’anxiété et l’angoisse concernant l’avenir, tous éléments soumis à des facteurs dynamiques, porteurs d’une possible aggravation de la douleur, principalement pour les lourdes atteintes physiques, mais porteurs principalement et le plus souvent d’accommodations et d’adaptations… Il y a donc un ajustement à faire, entre la jurisprudence néerlandophone qui paraît se contenter de motivations stéréotypées pour rejeter la capitalisation, et la jurisprudence francophone qui stigmatise les motivations n’identifiant pas les circonstances propres à la cause justifiant de la variation de la base forfaitaire d’évaluation du dommage dans le temps. La Cour de cassation, du côté francophone, a depuis lors encore confirmé la jurisprudence du 17 février 2012, dans son arrêt du 82.

83. 84. 85.

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Cf. nos observations, « En route vers un réel devoir de motivation du recours à l’évaluation forfaitaire », obs. sous Cass. (1re ch.), 17 février 2012, R.G.A.R., 2013, n° 14.938 ; voy. égal. Th. papart, « La méthode de capitalisation consacrée comme mode principal d’indemnisation du préjudice futur résultant d’incapacités permanentes », J.L.M.B., 2012, pp. 688-690 ; N. Simar, « La capitalisation du dommage moral : la messe est loin d’être dite », J.L.M.B., 2012, pp. 1300-1303 ; C. melotte, « La capitalisation du dommage moral : une question réglée ? », For. Ass., 2012, pp. 96 et s. ; voy. égal. J.-L. Fagnart, op. cit., pp. 219 et s. Op. cit., p. 453. Ibid. R.G. n° P.12.0499.N.

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La vie après le tableau indicatif

19 décembre 201286. À une victime amputée d’un pied à la suite de l’accident et qui conservait une incapacité permanente de 35 %, le tribunal correctionnel de Verviers avait refusé la capitalisation du dommage moral, au motif que « le dommage moral ressenti, s’il ne disparaîtra pas, s’estompera néanmoins avec le temps, de sorte que l’on ne peut considérer qu’il subsistera avec la même intensité pendant toute la durée de sa vie ». La Cour considère qu’en formulant cette conjecture, le jugement, qui n’indique pas les circonstances propres à la cause justifiant la variation dans le temps de la base forfaitaire, méconnaît l’obligation d’apprécier le dommage in concreto. La Cour casse également le jugement ayant refusé la capitalisation du préjudice ménager au motif que la méthode d’évaluation préconisée par la victime ne prenait pas suffisamment en compte le caractère évolutif du dommage, qu’il ne pouvait être question de capitaliser un forfait ne correspondant à aucune réalité certaine et que l’on ignorait en l’espèce quelle serait la situation familiale exacte de la victime dans le futur. La Cour estime que par ces considérations générales et hypothétiques, les juges d’appel qui n’ont pas indiqué les circonstances propres à la cause justifiant la variation dans le temps de la base forfaitaire ont méconnu l’obligation d’apprécier le dommage in concreto. Le tableau préconise la capitalisation sinon la rente pour les incapacités égales ou supérieures à 15 % et l’évaluation forfaitaire en-deçà. La question de l’accommodation au handicap est une question controversée qui n’est pas tranchée, ce dont il faudra encore… s’accommoder. Le tableau paraît ignorer cette possible accommodation, dès lors qu’il retient en cas de capitalisation une base journalière de 25,00 €, alors que la jurisprudence a pu en certaines occasions retenir une base inférieure, pour des cas relativement légers, en considération de cette accommodation, la jurisprudence n’hésitant pas en revanche à retenir des bases supérieures à 25,00 €, pour la capitalisation du dommage moral permanent des victimes les plus grièvement atteintes.

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4. Forfaits proposés Le tableau suggérait antérieurement des forfaits pour les incapacités inférieures à 15 %, « en tenant compte de la gravité de l’impact et du degré des lésions »87, alors même qu’un seul montant était proposé, quel que soit le degré d’incapacité, de 1 à 15 %, la seule variation connue étant celle de l’âge. On a pu militer pour que l’évaluation forfaitaire inclue une certaine progressivité plutôt qu’une simple proportionnalité, l’atteinte de 14 % paraissant plus invalidante que 14 atteintes de 1 %. 86. 87.

R.G. n° P.12.1390.F. Tableau indicatif 2008, op. cit., p. 22.

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Le tableau a innové dans sa version 2012 mais a fait le choix du seuil plutôt que celui de la progressivité. Il a arrêté un seuil de 6 %, préconisant une évaluation réduite au regard des montants antérieurement alloués, pour les incapacités inférieures à 6 %, et majorant au contraire de manière significative les bases d’évaluation, pour les incapacités plus élevées. Certains craignent, peut-être légitimement, que la pratique s’accommode mal d’une réduction des montants qu’elle avait l’habitude d’allouer, même pour les petites incapacités, de sorte qu’il en résultera une majoration du niveau global des indemnisations, plutôt que le glissement souhaité d’une part des moyens disponibles de l’indemnisation des cas légers vers les cas moyens88. On s’étonnera que le tableau ne fasse démarrer la variation des montants par âge qu’à compter de 15 ans, et jusqu’à 85 ans au maximum, alors qu’il devait être possible de fournir une échelle complète, en tout cas jusqu’aux âges les plus avancés. On soulignera que les montants majorés attribués pour les incapacités supérieures à 6 % ne semblent pas sortis du néant, mais ont été apparemment estimés par arrondi de montants capitalisés, sur une base de 0,25 € par jour, avec application des Tables Schryvers et d’annuités viagères pour une femme, payables au taux d’intérêt de 2 % (et non 1 % comme pourtant préconisé par le tableau)89. L’intérêt évident du tableau est de préciser que les montants alloués sont divisibles par trois, en vue de l’évaluation distincte de l’incapacité personnelle, de l’incapacité ménagère et de l’incapacité économique. Le voile est ainsi levé sur une grande ambiguïté qui subsistait dans l’exploitation des tableaux précédents quant à la ventilation à faire dès lors qu’il était seulement indiqué que le dommage moral couvrait la moitié du forfait alors alloué, sans précisions quant au point de savoir si le dommage économique et le dommage ménager se partageaient l’autre moitié, ou si le dommage ménager devait faire l’objet d’une évaluation distincte. Il est assez logique que le tableau retienne un partage par tiers entre les trois incapacités, même si l’on aurait pu gloser longtemps sur une évaluation plus significative du préjudice moral, celui-ci étant capitalisé sur une base de 25,00 € alors que le préjudice ménager et les efforts accrus le sont sur une base de 20,00 €, et ce d’autant que le dommage moral a vocation à persister jusqu’au terme de la vie, alors que l’activité ménagère est susceptible de connaître une réduction, au dernier âge de la vie, l’activité économique étant quant à elle susceptible de s’arrêter dès 65 ans. 88. 89.

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Cf. en ce sens, M. FiFi, op. cit., p. 454 ; voy. égal. D. SimoenS, op. cit., p. 99, n° 108. Cf. à ce sujet les précieuses indications de J.-Fr. marot et Th. papart, op. cit., p. 193, note 66.

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On peut au demeurant se demander si les forfaits proposés sont suffisants pour couvrir le préjudice des victimes les plus âgées, dès lors qu’il sera rare que ces dernières se voient allouer une incapacité économique, et qu’il est possible qu’elles ne se voient octroyer aucune incapacité ménagère, si elles se trouvaient déjà dépendantes, ou aidées, au moment du traumatisme. Les praticiens connaissent le syndrome de glissement que peuvent subir des personnes âgées, qu’un léger accident, générateur de faible incapacité, fait glisser dans le quatrième âge, avec une perte significative de la qualité de vie, que ne peut refléter l’octroi d’une base réduite pondérée par le pourcentage d’incapacité personnelle. On regrettera encore à propos de l’incapacité personnelle et de l’incapacité ménagère que le tableau renvoie aux montants proposés, lorsque le dommage est indemnisé forfaitairement90, alors que les montants proposés valent pour les incapacités de moins de 6 %, et de plus de 6 % mais de moins de 15 %. Le tableau recommande la capitalisation au-delà de 15 %, mais ne l’impose pas et ne saurait l’imposer. Si le juge a quelques raisons de ne pas retenir la capitalisation pour des incapacités de plus de 15 %, il serait alors particulièrement regrettable qu’il s’en tienne au forfait prévu au tableau pour les incapacités inférieures à 15 %, plutôt que de procéder à une évaluation forfaitaire sur des bases plus élevées, ainsi que la jurisprudence en a l’habitude, afin d’intégrer le caractère exponentiel et non simplement proportionnel du préjudice.

4

5. Incapacité économique – Perte de revenus Il est regrettable que le tableau distingue la perte de revenus des efforts accrus alors que, s’agissant du préjudice permanent, le dommage est constitué par une atteinte à la capacité économique, dont la perte de revenus ou la nécessité de fournir des efforts accrus constituent des manifestations. Le tableau eût dû distinguer l’indemnisation de l’incapacité économique selon qu’elle se faisait par référence aux revenus ou sur une base forfaitaire de 20,00 €, mais n’avait pas pour vocation ni ambition de limiter la capitalisation (ou l’octroi d’une rente) fondée sur les revenus à la seule hypothèse où l’accident génère leur perte. On renvoie à ce qui fut par ailleurs indiqué ci-dessus, quant aux montants par point alloués en couverture de l’incapacité personnelle et de l’incapacité ménagère, à propos de la circonstance que les montants forfaitaires proposés par le tableau valent pour les incapacités inférieures à 90.

Art. 3.2.1 et art. 3.2.2, pp. 61 et 62.

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15 %, et qu’il est donc regrettable que le tableau y renvoie, sans nuance, dans l’hypothèse où le préjudice est indemnisé forfaitairement, ce qui perd de vue le caractère plus que proportionnel du dommage91.

6. Préjudices particuliers – Douleurs Le tableau appelle à l’indemnisation distincte du pretium doloris permanent si l’expert a retenu l’existence de douleurs exceptionnelles. Il eût mieux valu suggérer l’indemnisation distincte du préjudice si l’expert a exceptionnellement retenu l’existence de douleurs. L’indemnisation distincte du pretium doloris permanent n’est en effet pas subordonnée à la condition que les douleurs soient de degré 7. La logique du tableau, à supposer qu’il en ait une sur ce point de compromis très controversé, commanderait que l’indemnisation distincte ne concerne que les quantum doloris de degré supérieur à 492.

7. Préjudice esthétique Le tableau dans sa dernière version ne lève pas la contradiction déjà relevée93 à propos de la méthodologie à retenir. L’expert est invité à fixer le dommage esthétique dans un degré de 1 à 7 en précisant les critères dont il a tenu compte. Le juge est pour sa part invité à tenir compte de la localisation de la blessure, du sexe, de l’âge et des activités exercées par la victime. Cette mention avait son sens lorsque le tableau proposait des fourchettes, par degré, mais a perdu toute utilité, dès lors qu’un montant unique est proposé, par catégorie d’âge. Dès lors que, par exemple, un dommage de degré 3 est systématiquement estimé à 4.400,00 € pour une victime âgée de 21 à 30 ans, le juge n’est pas invité à donner plus ou moins selon que la victime est un homme ou une femme, que la blessure se trouve à la tête ou à la jambe, et que la victime faisait de la danse classique ou du pédalo. On eût pu revenir aux fourchettes mais l’on pouvait aussi s’en tenir au système actuel, qui ne suscite pas de grands émois dans la pratique indemnitaire, pourvu qu’on invite alors l’expert et non le juge à tenir compte de la localisation de la blessure, du sexe et de l’activité exercée 91. 92. 93.

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Cf. art. 3.2.3.2, Efforts accrus, p. 62. Cf. supra. Cf. notre contribution « Quelques remarques à propos du préjudice esthétique », in Handicap et séquelles graves en droit commun, in Justice et dommage corporel, panorama du handicap au travers des divers systèmes d’aide et de réparation, Actes du colloque de Charleroi du 25 septembre 2010, Bruxelles, Larcier, 2011, pp. 195 et s., spéc. p. 196.

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au moment de fixer le degré du préjudice esthétique. Encore donne-t-on sans doute alors à l’expert un trop grand rôle dans l’appréciation de ce dommage. Le tableau précisait initialement que les montants qu’il préconisait pour les degrés 5, 6 et 7 s’entendaient de montants minima, sans que le minimum du degré 6 ne constitue le maximum du degré 5 et sans que le montant minimum du degré 7 ne constitue le maximum du degré 6. Ces précisions étaient utiles. Elles ont disparu, et la présentation adoptée en 2008 et reprise en 2012 fait à présent erronément croire que les montants de 10.000,00 €, 15.000,00 € et 25.000,00 € présentés comme des minima, pour les degrés 5, 6 et 7, valent pour les victimes âgées de 0 à 10 ans. Il s’agit pourtant des montants minima valant à tous les âges et il s’explique donc qu’un montant sensiblement supérieur soit alloué aux victimes les plus jeunes. La présentation formelle du tableau pourrait donc être génératrice d’une grave sous-indemnisation des préjudices esthétiques importants, très importants et considérables. On réservera naturellement l’hypothèse où la victime décède entre l’accident et le règlement, la courte période de préjudice indemnisable pouvant inciter le juge à s’écarter du montant pourtant préconisé comme un minimum.

4

8. Préjudice sexuel L’on reste surpris de l’évocation par le tableau,- depuis sa cinquième édition -, que le partenaire qui souffre par répercussion d’un préjudice sexuel peut en solliciter l’indemnisation alors qu’il était peut-être préférable d’intégrer cet élément dans le préjudice par répercussion des proches plutôt que d’en faire un dommage spécifique. Imagine-t-on la victime devoir subir l’exposition par son partenaire des frustrations qu’engendre son état, en expertise ou dans les prétoires ? Quitte à innover, le tableau aurait été mieux inspiré de souligner l’attention spécifique à consacrer à la reconnaissance du préjudice d’établissement pour les victimes atteintes avant d’avoir pu fonder un foyer, ce qui dépasse la seule perte « d’une chance de descendance ».

9. Préjudice d’agrément On est surpris de voir le tableau limiter l’indemnisation du préjudice d’agrément aux « situations exceptionnelles » entraînant la privation de la pratique assidue d’un sport ou d’un hobby. C’est au chapitre du préjudice temporaire que l’expert n’est invité à décrire le préjudice d’agrément Larcier

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que s’il a une importance physique, psychique ou sociale spécifique, et l’on ne retrouve pas cette condition d’importance dans la mission relative au préjudice permanent, pour lequel l’expert doit simplement décrire le préjudice affectant les activités sociales, culturelles ou sportives que la victime établit avoir menées avec assiduité avant l’accident. La mission invite donc l’expert à décrire des préjudices dont le tableau ne prévoirait pas l’indemnisation… Une chose est de consacrer la conception restrictive du préjudice d’agrément, plutôt que d’en faire un synonyme du préjudice moral et de les comptabiliser l’un et l’autre. Autre chose est de décréter la non-indemnisation de préjudices dont l’existence distincte a été reconnue. Il ne se comprend donc pas que le tableau évoque des situations exceptionnelles, et il ne se comprend pas davantage qu’il limite le préjudice à la privation de la pratique assidue d’un sport ou d’un hobby, alors que l’expert devait décrire le préjudice affectant les activités sociales, culturelles ou sportives.

10.

Dommage des proches

Errare humanum est, perseverare diabolicum. Que dire alors de la persévérance dans la persévérance ? En prétendant limiter l’indemnisation du dommage des proches aux hypothèses où la victime directe se trouve dans une situation quotidienne et prolongée se caractérisant par un état physique, psychique ou mental exceptionnellement amoindri, le tableau continue à tourner superbement le dos à l’obligation d’assurer la réparation intégrale de tous les dommages, et à l’enseignement de la Cour de cassation. Celle-ci avait déjà rappelé que le juge du fond ne pouvait légalement décider qu’il n’y avait pas de relation causale entre un fait illicite et le dommage moral subi par les parents en raison des lésions encourues par un enfant, par le seul motif que « pareille souffrance fait partie d’une parenté normalement vécue »94. Elle a pu rappeler que viole les articles 1382 et 1383 du Code civil le juge qui rejette la demande de réparation du préjudice par répercussion du conjoint au seul motif que la tension psychique ressentie à la vue des souffrances de la victime n’excède pas le devoir d’assistance normalement attendu de tout conjoint95. 94. 95.

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Cass., 3 février 1987, Pas., 1987, I, p. 644 ; R.W., 1987-1988, p. 220 ; R.G.A.R., 1989, n° 11.572. Cass. (3e ch.), 20 févier 2006, Pas., 2006, p. 413 ; voy. égal. D. De Callataÿ et N. eStienne, op. cit., pp. 275 à 282.

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F. Décès 1. Frais funéraires Le tableau invite à tenir compte du nombre de places prévues pour l’indemnisation des caveaux, monuments funéraires et concessions. Il a le bon goût de ne plus évoquer le nombre de places prévues dans les cercueils96. Sous cette réserve, il maintient une conception arithmétique assez sommaire du dommage, en perdant de vue que c’est souvent le décès prématuré d’un proche qui amène à l’engagement de ce type de dépense, non critiquable, et qui mériterait d’être prise en compte totalement, sous la seule pondération de l’éventuelle limitation du dommage à l’anticipation des frais qui auraient été exposés en toute hypothèse97.

4

2. Préjudice ménager en cas de décès Le silence antérieur du tableau pouvait inciter certains régleurs à considérer que le décès n’entraînait aucun préjudice ménager98. La possibilité que le décès génère pour les proches un dommage ménager n’est pourtant pas sérieusement discutable, même si l’évaluation du préjudice ménager en cas de décès suscite quelques interrogations spécifiques au regard de l’évaluation du préjudice ménager en cas de blessure99. Le tableau suggère la capitalisation du préjudice sur la tête de celui dont l’espérance de vie est la moins importante, alors qu’il eût pu le cas échéant recommander une capitalisation sur deux têtes. Il reprend les bases d’évaluation proposées pour le dommage ménager en cas de blessure, non sans inviter à tenir compte de l’évolution prévisible de la composition de la cellule familiale. Il n’évoque pas la délicate question de l’éventuelle compensation du préjudice ménager avec l’économie d’entretien personnel lorsque la personne décédée avait une activité ménagère qui bénéficiait au ménage mais ne proméritait pas de revenus professionnels, ou un revenu réduit,

96. 97. 98. 99.

Cf. à ce sujet, ibid., p. 418. Cf. D. De Callataÿ et N. eStienne, op. cit., pp. 417 et 418. Cf. Tableau indicatif 2008, op. cit., p. 25. Cf. sur ce point notre contribution, « Questions spéciales en rapport avec l’évaluation du préjudice ménager en cas de décès », in Questions particulières en rapport avec l’évaluation du préjudice matériel résultant d’une blessure ou d’un décès, Actualités en droit de la responsabilité, Recyclage en droit, Louvain-la-Neuve, Anthemis, 2008, pp. 25 et s.

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faisant d’elle une charge économique plutôt qu’un contributeur économique du ménage100. Le tableau aborde en revanche la question également délicate de l’éventuelle prise en compte de la disparition du défunt pour réduire ou non la valeur du travail ménager, et fait le choix, discutable, d’inviter le juge à prendre en considération cette quote-part d’entretien personnel ménager101. D’éminents promoteurs du tableau ont concédé que la notion d’entretien personnel en matière de préjudice ménager était interpellante et ont souligné que ce n’était pas par négligence mais de manière délibérée « que les auteurs du tableau se sont abstenus de recommander la prise en compte d’un coefficient d’entretien personnel de la victime »102. Ils n’auront pas voulu lire que le tableau a finalement fait le choix de suggérer un pourcentage, indiquant qu’« en l’absence d’éléments d’appréciation concrets, (la quote-part d’entretien personnel) peut être évaluée à 20 % en cas de ménage sans enfant et de 15 % si le ménage compte au moins un enfant »103. À suivre cette suggestion, le préjudice ménager se trouve considérablement réduit, sans proportion avec la minceur de l’économie de travail ménager qu’implique la disparition de quelques assiettes dans le lavevaisselle et de quelques chemises dans le panier de repassage.

G. Intérêts et provisions On ne fera que survoler ici les dispositions du tableau pour signaler, de manière non exhaustive, qu’il est sans doute simplificateur de suggérer la comptabilisation des intérêts sur le préjudice scolaire à dater de l’échec. C’est incontestablement admissible pour le préjudice moral résultant de la perte de l’année scolaire, mais non pour les efforts accrus, qui devraient être comptabilisés à partir d’une date moyenne, et pour les frais, qui devraient être comptabilisés à partir du moment où ils sont exposés, au moment de recommencer l’année perdue. Quant à la perte de revenus liée à la perte d’une année scolaire, elle ne peut générer d’intérêts que si elle s’est déjà concrétisée, au moment de la décision, compte tenu de l’âge de la victime à cette date et de l’évolution de son parcours.

100. Cf. D. De Callataÿ et N. eStienne, op. cit., pp. 398 à 400. 101. Tableau indicatif 2012, op. cit., p. 66 ; voy. sur la question, D. De Callataÿ et N. eStienne, op. cit., pp. 400 à 402. 102. J.-Fr. marot et T. papart, op. cit., p. 203. 103. Tableau indicatif 2012, op. cit., p. 67.

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Conclusion La longueur de la présente contribution pourrait faire croire que le tableau indicatif ne mérite aucune approbation. L’exposé aurait pourtant été bien plus long s’il avait fallu souligner tous les mérites du tableau au regard des confusions et approximations qui hantaient la jurisprudence antérieure comme au regard des simplifications grossières qui caractérisaient ses premières éditions. Il est permis de dire du tableau indicatif 2012 que « c’est une œuvre intelligente, bien pensée, bien structurée et généralement claire. Elle est sans doute perfectible sur de nombreux points »104. Certains pourraient être alors tentés de graver le tableau indicatif dans le marbre de la loi, à présent qu’il s’est fort amélioré et suscite moins la critique qu’en ses premières éditions105. Le souci d’égalité des belges devant la loi, d’équité, de transparence et de prévisibilité est évidemment légitime. Il pourrait justifier que le tableau soit rendu plus contraignant, afin de triompher des résistances individuelles ou régionales qu’il suscite encore auprès de certains magistrats farouchement attachés à leur indépendance ou de certains arrondissements conservant leurs coutumes anciennes. L’avantage recherché n’est pas négligeable, mais ne pèse rien au regard des inconvénients qui résulteraient d’une barémisation législative. Les promoteurs du tableau n’ont eu de cesse d’insister sur son caractère supplétif, indicatif et non exhaustif et sur la nécessité de procéder régulièrement à son actualisation. Les magistrats ayant pris une part active à sa rédaction ont insisté au moment de le présenter sur « l’importance de laisser le délicat contentieux de l’indemnisation du préjudice corporel dans le giron de l’appréciation souveraine du pouvoir judiciaire ». N’ignorant pas le péril d’une « tentative de formatage réglementaire » et la tentation « pour ceux qui sont investis du pouvoir législatif (voire exécutif) de tarifer la souffrance avec pour objectif avouable ou non de simplifier à l’extrême le travail des juges que l’on dit, avec une méconnaissance totale des réalités du terrain et un soupçon de mépris, être débordés voire dépassés », ils ont souligné que le tableau indicatif 2012 « constituait par sa structure entièrement revue et construite autour d’une nouvelle arborescence du processus indemnitaire un véritable

4

104. J.-L. Fagnart, op. cit., p. 233. 105. Cf. D. SimoenS, op. cit., spéc. pp. 104 à 106 ; voy. égal. de manière générale en faveur de la barémisation législative des indemnités, H. ulriChtS, Schaderegeling in België, Antwerpen, Kluwer, 2010, spéc. pp. 280 et s.

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bouclier contre toute tentative interventionniste » avant de conclure que l’indemnisation du préjudice corporel était et devait rester un travail de haute couture requérant l’attention, l’imagination et le savoir des experts, des avocats et des magistrats106. On a vu que le bouclier demeurait caractérisé par certaines faiblesses, qui en altèrent la crédibilité. Il ne s’agit pas de jeter les armes, et de se soumettre au prescrit indiscutable de la loi, mais d’au contraire renforcer le bouclier, afin qu’il soit plus impressionnant encore. Le tableau est devenu de plus en plus complexe, à raison, dès lors qu’il prétendait initialement résumer sommairement sinon grossièrement une matière éminemment complexe. Cette complexité ne pourrait être saisie par la loi, qui ne peut s’encombrer de multiples nuances ni s’accommoder de la coexistence de solutions diverses, reflet de la diversité des situations à régler. Le tableau peut donc être un instrument plus crédible que la loi, pour assurer la réparation adéquate du préjudice corporel, pourvu qu’il n’oublie jamais les objectifs qu’il s’est donnés et les limites qu’il s’est fixées. L’œuvre sera toujours à parfaire, ne fût-ce qu’en raison de l’écoulement du temps. Alors que le législateur met parfois des décennies à réparer ses erreurs, le tableau indicatif a fait l’objet de six versions en 16 ans. L’on aura compris au vu des commentaires détaillés ci-dessus que nous appelons de nos vœux l’édition d’une septième version, plutôt que la promulgation d’une loi. Un référentiel législatif perdrait en effet de vue la nécessité de s’adapter sans retard aux évolutions des mœurs, des techniques, des circonstances économiques, et des attentes à satisfaire107. À s’améliorer, et à s’améliorer encore, le tableau démontrera qu’on peut se passer de lois. À s’améliorer, et à s’améliorer encore, le tableau indicatif ne pourra en aucune façon convaincre qu’on peut se passer du juge. 106. J.-Fr. marot et Th. papart, op. cit., pp. 167 et s. 107. Cf. notre contribution, « L’évaluation du dommage : beaucoup de progrès, quelques régressions », in La victime, ses droits, ses juges, Actes du colloque de la Conférence du Jeune Barreau de Bruxelles du 3 décembre 2009, Bruxelles, Larcier, 2009 ; voy. égal. J.-Fr. marot et Th. papart, op. cit., évoquant in fine de leur contribution les éléments qui alimenteront « les débats qui donneront lieu à l’édition 2016 du tableau indicatif » ; voy. encore Ph. Brun, « De la relativité des outils d’évaluation », Gazette du Palais spécialisée, 132e année, nos 314-315, novembre 2012, pp. 31-32, qui salue l’humilité manifestée par les auteurs de la nomenclature Dintilhac, et regrette qu’elle suscite une révérence excessive, avant de rappeler à propos de ces instruments d’indemnisation qu’il s’agit d’outils, qui ne peuvent prétendre à l’impérativité, dont la vérité qu’ils expriment, relative en soi, l’est aussi davantage encore dans le temps, de sorte qu’on ne saurait les concevoir autrement que comme des indicateurs à réactualiser régulièrement.

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« S’il appartient à la nature de la règle d’être, dans une certaine mesure, prédictible, relevant en partie de ce qui est programmable, le juge assure la liaison entre la généralité de la règle et la singularité du cas d’espèce, atténuant l’abstraction de la norme. Le barème risque de le déposséder de cette indispensable fonction de médiation. Le droit implique un système de valeurs, et l’ordre juridique ne peut que perdre son autorité séculaire en se laissant contaminer par cette logique impersonnelle du calcul. Seule l’intelligence humaine, ici en la forme de la libre et souveraine décision du juge, nourrie par les débats et rigoureusement attentive au contexte particulier de l’espèce, peut atteindre véritablement, et en toute justesse, l’individu qui fait l’objet de sa décision »108.

4

108. J.-B. prévoSt, « L’homme moyen ou l’étalon vide. Réflexions sur la dérive gestionnaire des barèmes », Gazette du Palais spécialisée, 132e année, n° 314-315, novembre 2012, pp. 7 à 12.

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5 le préjuDiCe par réperCuSSion en CaS De DéCèS ou De BleSSureS Nicolas EStienne

avocat assistant à l’U.C.L. secrétaire de rédaction de la Revue Générale des Assurances et des Responsabilités

Sommaire Introduction

180

Section 1 Définition du préjudice par répercussion

181

Section 2 Caractères du préjudice par répercussion

183

Section 3 Nature du préjudice par répercussion

189

Section 4 Détermination des victimes par répercussion en cas de décès ou de blessures : les ayants droit

191

Section 5 L’opposabilité aux ayants droit des limites et restrictions affectant le droit à réparation de la victime directe

206

Conclusion

212

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Le dommage et sa réparation

Introduction 1. La présente étude est consacrée au préjudice par répercussion, que nos voisins français nomment plus volontiers « préjudice par ricochet » ou « préjudice réfléchi ». La réparation du préjudice par répercussion est admise depuis longtemps en droit de la responsabilité civile. Sa consécration par la jurisprudence semble remonter au XIXe siècle1. Bien qu’il puisse donner lieu à des applications variées dans les très nombreux domaines que le droit de la responsabilité a vocation à couvrir, c’est dans la sphère de la réparation du dommage corporel que le préjudice par répercussion trouve son terrain de prédilection. Notre examen sera dès lors limité au préjudice par répercussion que peuvent subir les tiers en cas de décès ou de blessures de la victime directe d’un fait dommageable. 2. Après avoir défini la notion de préjudice par répercussion (section 1), nous passerons en revue les caractères que ce type particulier de dommage doit revêtir pour pouvoir être considéré comme un dommage réparable (section 2). Nous verrons ensuite brièvement que le préjudice par répercussion peut, en cas de décès comme en cas de blessures, avoir une nature patrimoniale ou une nature extrapatrimoniale (section 3). Dans une quatrième section, nous chercherons à identifier les différentes catégories de personnes admises à se prévaloir d’un préjudice par répercussion à la suite du décès ou des blessures d’une victime directe, d’abord dans le droit commun de la responsabilité civile extracontractuelle et, ensuite, dans certains régimes spéciaux de réparation ou de compensation des dommages corporels (section 4). Nous analyserons enfin le régime juridique spécifique auquel est soumis le préjudice par répercussion, le débiteur de la réparation pouvant en principe opposer aux victimes par répercussion toutes les limites et restrictions affectant le droit à réparation de la victime directe (section 5).

1.

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Voy. y. Chartier, La réparation du préjudice, Paris, Dalloz, 1996, p. 71, qui fait état d’un arrêt de la Cour de cassation de France du 20 février 1863. Voy. aussi les références citées par r. Savatier, Traité de la responsabilité civile en droit français, t. II, Paris, L.G.D.J., 1939, pp. 116 et s.

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Le préjudice par répercussion en cas de décès ou de blessures

Section 1

Définition du préjudice par répercussion 3. Si tous les auteurs semblent s’accorder sur ce que recouvre la notion de préjudice par répercussion, peu nombreux sont ceux qui ont tenté de la définir d’un point de vue théorique. Ce n’est en réalité que très récemment que des définitions convaincantes ont été proposées par la doctrine. Pour le professeur Pierre Van Ommeslaghe, « on parle de préjudice par répercussion (ou par ricochet) lorsque le dommage affecte d’autres personnes par suite des liens qu’elles entretiennent avec la victime primaire, par contrecoup du dommage affectant celle-ci, sans que l’événement fautif les atteigne de manière immédiate »2. Le professeur Bernard Dubuisson et Madame Pauline Colson estiment, quant à eux, que « le préjudice par répercussion (ou par ricochet) est celui qui est subi par une autre personne que la victime directe en raison d’une atteinte portée directement aux droits et intérêts de celle-ci »3.

5

4. Sans contester aucunement la pertinence de ces deux définitions, nous pensons pour notre part que le préjudice par répercussion peut être défini plus simplement comme étant le préjudice éprouvé à titre personnel par une ou plusieurs personnes du fait du dommage subi personnellement et directement par une autre personne. L’essentiel est qu’un fait générateur de responsabilité porte atteinte de manière directe aux droits ou aux intérêts juridiquement protégés d’une personne (la victime directe ou « primaire »4) et que cette atteinte5 soit elle-même la cause d’un préjudice personnel pour au moins une autre personne (la victime indirecte ou par répercussion).

2. 3.

4. 5.

p. van ommeSlaghe, Droit des obligations, t. II, Bruxelles, Bruylant, 2010, p. 1552. B. DuBuiSSon et p. ColSon, « Nomenclature des préjudices réparables », rapport belge (provisoire) présenté à Paris en mars 2013 dans le cadre du séminaire conjoint UCLParis I (La Sorbonne) consacré à la réparation du dommage, p. 17. Les travaux de ce séminaire seront publiés en 2014 dans la collection de la Bibliothèque de la Faculté de droit de l’Université catholique de Louvain (Bruylant – L.G.D.J.). Voy. aussi B. DuBuiSSon, « Questions diverses : l’application de la loi dans le temps et dans l’espace, le préjudice par répercussion, la situation du conducteur », in L’indemnisation des usagers faibles de la route, coll. Les Dossiers du Journal des tribunaux, n° 35, Bruxelles, Larcier, 2002, p. 156 : « Le préjudice par ricochet a une nature ambivalente. Il s’agit en effet d’un dommage subi par répercussion à la suite de celui souffert par la victime directe, mais qui n’en reste pas moins un dommage subi à titre personnel par l’ayant droit ». p. van ommeSlaghe, op. cit., pp. 1521 et 1552. Il peut s’agir d’une atteinte à l’intégrité physique, d’une atteinte à un bien ou encore d’une atteinte à un droit de la personnalité.

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Le dommage et sa réparation

5. Le préjudice par répercussion est donc un préjudice à part entière, distinct du préjudice souffert par la victime directe du fait dommageable. Sa particularité est qu’il ne peut toutefois apparaître et se réaliser indépendamment de la survenance d’un préjudice direct. Il existe par conséquent une relation de dépendance entre le préjudice par répercussion et le préjudice direct : « le préjudice par répercussion n’existerait pas s’il n’y avait eu au départ un dommage subi par la victime directe »6. En revanche, la réparation du préjudice par répercussion peut parfaitement être envisagée de manière autonome par rapport au dommage direct. Ainsi, la victime par répercussion pourra demander et obtenir la réparation de son préjudice alors même que la victime directe resterait en défaut de réclamer au tiers responsable la réparation de son propre dommage ou alors même que cette victime directe ne serait pas ou plus en mesure de faire valoir ses droits, par exemple parce qu’elle est décédée à la suite du fait dommageable7. 6. Des auteurs ont remis en cause l’intérêt d’opérer une distinction entre préjudice direct et préjudice par répercussion au motif que ce dernier « constitue en réalité un dommage direct et personnel dans le chef de la personne qui le subit et qui est distinct du dommage qui est causé à l’une ou l’autre personne différente »8. S’il est exact que le préjudice par répercussion s’analyse comme un préjudice personnel au même titre que le préjudice qui a frappé la victime directe, le lien de dépendance qui unit le premier au second justifie que la summa divisio soit maintenue. En effet, comme nous le verrons ci-après (infra, section 5), le droit à réparation de la victime par répercussion est soumis, en règle, aux mêmes restrictions et limites que celles qui affectent le droit de la victime directe9. Ce régime juridique particulier ne peut s’expliquer que parce qu’en amont du préjudice par répercussion, il existe un préjudice direct dont il ne peut être fait abstraction.

6. 7. 8.

9.

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B. DuBuiSSon et p. ColSon, op. cit., p. 18. À ce sujet, voy. R.O. DalCq, « Traité de la responsabilité civile », Les Novelles, Droit civil, t. V, vol. II, Bruxelles, Larcier, 1962, nos 2981 et s. l. CorneliS et y. vuillarD, « Le dommage », in Responsabilités. Traité théorique et pratique, Titre I, dossier 10, Bruxelles, Kluwer, 2000, p. 18. Voy. aussi l. CorneliS, « L’apparence trompeuse du dommage par répercussion », in L’indemnisation du dommage corporel, Liège, éd. Jeune Barreau, 1996, pp. 149 et s. B. DuBuiSSon et p. ColSon, op. cit., p. 18.

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Le préjudice par répercussion en cas de décès ou de blessures

Section 2

Caractères du préjudice par répercussion 7. Pour pouvoir donner lieu à réparation, le préjudice par répercussion doit, à l’instar de tout dommage réparable, être personnel, légitime et certain10.

A. Caractère personnel 8. Il est constant que le dommage doit être personnel à celui qui en réclame réparation11. Seule la personne qui a subi personnellement le dommage peut donc en demander la réparation, par elle-même ou par la voie de son représentant légal12. Le préjudice par répercussion n’échappe pas à cette condition : seules les personnes qui prouvent avoir souffert un dommage personnel par contrecoup de celui qui a frappé la victime directe peuvent en obtenir la réparation13.

5

9. Le caractère nécessairement personnel du préjudice par répercussion permet de le distinguer du préjudice ex haerede. Le préjudice ex haerede comprend l’ensemble des préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux que la victime directe a subis personnellement entre le fait dommageable et son décès14. Si, au moment du décès de la victime directe, ces dommages n’ont pas encore été indemnisés, le droit d’en obtenir la réparation se transmet avec le patrimoine du défunt dans le chef de ses héritiers15. 10.

11. 12. 13. 14. 15.

Cass. fr. (ch. mixte), 27 février, 1970, J.C.P., 1970, II, n° 16305 ; y. lamBert-Faivre et S. porChy-Simon, Droit du dommage corporel, 6e éd., Paris, Dalloz, 2008, p. 301 et réf. citées ; j.-l. Fagnart et r. Bogaert, La réparation du dommage corporel en droit commun, Bruxelles, Larcier, 1994, p. 140 ; B. DuBuiSSon et p. ColSon, op. cit., p. 17 ; S. D. linDenBergh, « Schade van derden door verwonding of overlijden van een naaste », T.P.R., 2002, pp. 1425 et s. D. De Callataÿ et n. eStienne, La responsabilité civile. Chronique de jurisprudence 19962007, vol 2, Le dommage, coll. Les Dossiers du Journal des tribunaux, n° 75, Bruxelles, Larcier, 2009, p. 41. Cass., 17 juin 1975, Pas., 1975, I, p. 999 ; Cass., 30 novembre 1978, Pas., 1979, I, p. 376 ; Cass., 19 novembre 1982, Pas., 1983, I, p. 338 ; p. van ommeSlaghe, op. cit., p. 1520. r.o. DalCq, op. cit., n° 2973. D. De Callataÿ et n. eStienne, op. cit., p. 338 ; m.-a. lange et B. prignon, « Le préjudice né du décès », in Assurances, roulage, préjudice corporel, CUP, vol. 44, Bruxelles, Larcier, 2001, p. 89. Cass., 26 septembre 1955, Pas., 1956, I, p. 38. Voy. aussi : y. lamBert-Faivre et S. porChy-Simon, op. cit., p. 302 : « Dès le décès de la victime directe, il y a extinction de la personnalité juridique. En revanche, les héritiers sont censés continuer la personne du défunt ; ils recueillent son patrimoine, et notamment les créances de réparation nées en la personne du de cujus pour les préjudices soufferts entre le moment de l’accident et le moment de sa mort » ; y. Chartier, op. cit., p. 74.

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Le dommage et sa réparation

Lorsqu’ils demandent la réparation du préjudice ex haerede, les héritiers n’agissent pas iure proprio, mais bien iure successionis. Ils exercent une action successorale et non une action personnelle. Ils postulent donc la réparation de préjudices qui ont été subis personnellement par le défunt de son vivant, alors qu’au titre de préjudice par répercussion, ils réclament la réparation d’un préjudice qui leur est propre16. 10. La frontière entre ce qui relève du préjudice personnel de la victime directe et ce qui relève du préjudice personnel par répercussion des proches n’est pas toujours aisée à tracer. 11. En cas de décès de la victime directe à la suite du fait dommageable, on considère traditionnellement que les frais qui ont été exposés pour ses funérailles constituent une charge de la succession et donc un dommage qui est propre au défunt puisqu’il affecte son patrimoine17. Leur prise en charge n’est dès lors a priori pas constitutive d’un préjudice par répercussion pour les héritiers, qui en demanderont le remboursement au tiers responsable iure successionis et non iure proprio. La jurisprudence récente prend toutefois le contrepied de cette solution classique. Ainsi, dans un arrêt du 7 mai 2002, la Cour de cassation a érigé en principe que « la personne qui a exposé les frais funéraires est en droit de réclamer la réparation du dommage en résultant », pour en conclure que « lorsque les frais funéraires sont exposés par les héritiers de la victime, le dommage consiste dans le préjudice qui en découle pour ces héritiers »18. Le Tableau indicatif recommande également que les frais funéraires soient remboursés « à la personne qui les a effectivement payés », et ce bien qu’ils « constituent en principe une charge de la succession »19. Au vu de cette évolution, force est donc d’admettre que la prise en charge des frais funéraires est aujourd’hui davantage perçue comme un dommage personnel à celui qui a veillé à leur paiement (qu’il soit un héritier légal du défunt ou un tiers, tel qu’un ami ou un employeur) et, partant, comme un préjudice par répercussion dans son chef.

16. 17.

18. 19.

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B. DuBuiSSon, « Questions diverses : l’application de la loi dans le temps et dans l’espace, le préjudice par répercussion, la situation du conducteur », op. cit., p. 156. Cass., 2 mars 1995, J.T., 1995, p. 542 : « Les frais funéraires constituent une charge de la succession et grèvent le patrimoine de la victime ». Voy. aussi Cass., 19 décembre 1962, Pas., 1963, I, p. 491 : « Les frais funéraires grèvent la succession et donc le patrimoine du défunt ». Cass., 7 mai 2002, Pas., 2002, p. 1106. X., Indicatieve tabel 2012. Tableau indicatif 2012, Bruges/Bruxelles, die Keure/La Charte, 2012, p. 64. Dans le même sens, voy., p. ex., Pol. Bruxelles, 16 septembre 2004, R.G.A.R., 2006, n° 14.138.

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Le préjudice par répercussion en cas de décès ou de blessures

12. En cas de blessures, des difficultés apparaissent lorsque le débiteur de l’indemnisation conteste la réclamation par le blessé de frais (médicaux, pharmaceutiques, d’adaptation de logement, d’acquisition de matériel adapté, de déplacements…) qui ont en réalité été supportés par ses proches, non présents à la cause. Ces frais sont-ils constitutifs d’un préjudice direct, propre au blessé, dont lui seul est fondé à en demander le remboursement ? Sont-ils au contraire constitutifs d’un préjudice par répercussion pour ceux qui les ont effectivement payés, avec la conséquence qu’eux seuls peuvent en postuler le remboursement auprès du responsable ? Notre Cour de cassation semble opter pour cette seconde branche de l’alternative. Par un arrêt du 13 septembre 200020, elle a ainsi censuré une décision qui avait alloué à une victime directe la somme de 26.000 BEF à titre de frais et débours pour les déplacements de ses proches pendant la durée de l’hospitalisation, sans avoir constaté qu’elle avait personnellement supporté ces frais de déplacements ni qu’elle serait subrogée dans les droits de ses proches.

5

Cette solution doit sans doute être approuvée sur le plan théorique. Il reste qu’elle a pour conséquence de multiplier les constitutions de partie civile ou les interventions volontaires de proches du blessé et qu’elle contribue ainsi à un alourdissement peu opportun des procédures judiciaires. Il serait certainement plus pragmatique de constater que l’ensemble des frais qui ont été exposés par les proches pour le compte et dans l’intérêt de la victime directe sont une conséquence directe des blessures qu’elle a subies et que celle-ci est dès lors fondée à en solliciter ellemême le remboursement au tiers responsable21. 12bis. Toujours en cas de blessures, une autre difficulté concerne l’aide de tierce personne, lorsque celle-ci est procurée par un proche qui se voit contraint de réduire ou de cesser, temporairement ou définitivement, son activité professionnelle pour pouvoir se consacrer bénévolement à la victime directe. La perte de revenus ainsi éprouvée par la personne qui prête assistance est-elle constitutive d’un préjudice économique par répercussion dans son chef ? Faut-il au contraire la considérer comme incluse dans le besoin d’assistance que la victime directe réclamera au tiers responsable et, partant, refuser toute indemnisation à la tierce personne elle-même ? Il se déduit de la jurisprudence de la Cour de cassation22 que le besoin d’aide de tierce personne constitue un préjudice matériel qui est 20. 21. 22.

Cass., 13 septembre 2000, Pas., 2000, p. 465. Contra : Pol. Nivelles, 7 juin 2004, R.G.A.R., 2006, n° 14.096 ; Bruxelles, 2 octobre 2002, Bull. ass., 2003, p. 414. D. De Callataÿ et n. eStienne, op. cit., p. 42. Cass., 30 novembre 1977, Pas., 1978, I. p. 351 ; Cass., 20 février 2009, Pas., 2009, p. 553, R.G.A.R., 2010, n° 14665.

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Le dommage et sa réparation

personnel au blessé23. C’est donc en principe lui qui doit en demander la réparation au tiers responsable, et non la personne qui procure l’assistance, quand bien même cette personne aurait consenti certains sacrifices afin de se rendre disponible pour la victime directe24. 13. Le préjudice par répercussion étant personnel à la victime par ricochet, il lui appartient d’en poursuivre elle-même la réparation auprès du tiers responsable ou de son assureur, individuellement ou conjointement avec la victime directe. Les plaideurs seront particulièrement attentifs au fait que la demande d’indemnisation qui aurait été introduite par la victime directe n’a pas pour effet d’interrompre la prescription de l’action en réparation d’une victime par répercussion25.

B. Caractère légitime 14. Comme tout dommage réparable, le préjudice par répercussion peut consister en la lésion d’un simple intérêt, pourvu qu’il soit légitime26. Un arrêt de la Cour de cassation du 6 juin 2008 rappelle à cet égard qu’en matière de responsabilité extracontractuelle, la lésion d’un intérêt ne peut donner ouverture à une action en réparation « qu’à la condition qu’il s’agisse d’un intérêt légitime » et que « la légitimité de l’intérêt s’apprécie au moment de la survenance du fait dommageable »27. 15. Cette exigence de légitimité de l’intérêt lésé a permis pendant longtemps aux cours et tribunaux de faire échec à l’action en dommages et intérêts du concubin ou de la concubine dont le partenaire avait été tué par la faute d’un tiers. Tant que la relation conjugale hors mariage était socialement considérée comme illégitime, le concubin survivant ne pouvait se prévaloir d’aucun préjudice par répercussion.

23. 24. 25.

26.

27.

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En ce sens : Pol. Namur, 14 décembre 2010, C.R.A., 2012, p. 27. Sur ce point, voy. N. eStienne, « L’évaluation et l’indemnisation du besoin d’aide de tierce personne en droit commun, spécialement après un traumatisme crânien », n° 30, à paraître en 2013 dans Consilio. Cass., 9 juin 2006, R.G.D.C., 2008, p. 97, note p. Wéry : l’interruption de la prescription procédant de l’un des actes visés à l’article 2244 du Code civil (citation, commandement ou saisie) « n’a d’effet qu’à l’égard des personnes qui y ont été parties et, dès lors, l’interruption acquise par l’un des créanciers ne profite pas aux autres ». Sur cette exigence fondamentale, voy. notamment : p. van ommeSlaghe, op. cit., pp. 1050 et s. ; D. De Callataÿ et n. eStienne, op. cit., pp. 21 et s. ; h. BoCKen et i. Boone, Inleiding tot het schadevergoedingsrecht, Bruges, die Keure, 2011, pp. 64 et s. Voy. aussi r. jaFFerali, « L’intérêt légitime à agir en réparation. Une exigence… illégitime ? », J.T., 2012, pp. 253 et s. Cass., 6 juin 2008, Pas., 2008, n° 351.

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Le préjudice par répercussion en cas de décès ou de blessures

Cette restriction n’est plus d’actualité depuis les arrêts que la Cour de cassation a rendus les 1er février 1989 et 15 février 199028. Il n’est donc aujourd’hui plus contesté que le concubin survivant puisse demander la réparation du dommage qu’il subit par ricochet du fait du décès ou des blessures de son partenaire, et ce que l’on soit en présence d’un concubinage simple ou d’un concubinage adultère et que la relation en cause soit une relation hétérosexuelle ou homosexuelle29. Ainsi, dans les recommandations qu’il formule à propos du dommage par répercussion des proches, le tableau indicatif traite sur pied d’égalité le conjoint marié, le concubin et le « pacsé »30. Dans le même ordre d’idées, il n’est point contestable qu’un enfant né hors mariage ou issu d’une relation adultère, voire incestueuse, puisse aujourd’hui invoquer l’existence d’un préjudice par répercussion légitime en cas de décès ou de blessures de son père ou de sa mère. Doit par contre être considéré comme illégitime et, partant, non réparable, le préjudice par répercussion dont se prévaudrait un employeur à la suite du décès ou de l’incapacité de travail d’un membre de son personnel qu’il occupait en violation de la législation sociale et fiscale (travail au noir) ou en violation d’une règle de droit pénalement sanctionnée31.

5

C. Caractère certain 16. Pour être réparable, le préjudice par répercussion doit enfin être certain, et non simplement hypothétique ou purement éventuel32. Il ne doit toutefois être certain que dans son principe, et non dans son étendue33. 28.

29. 30. 31. 32. 33.

Cass. (aud. plén.), 1er février 1989, Pas., 1989, I, p. 322 ; R.G.A.R., 1989, n° 11.517, avec concl. contraires av. gén. DeClerCq et note r.o. DalCq ; Cass., 15 février 1990, Pas., 1990, I, p. 694 ; R.G.A.R., 1990, n° 11.658, note r.o. DalCq. Sur cette importante évolution, voy. r.o. DalCq et g. SChampS, « La responsabilité délictuelle et quasi délictuelle. Examen de jurisprudence (1987 à 1993) », R.C.J.B., 1995, pp. 738-739 ; J.-l. Fagnart, La responsabilité civile. Chronique de jurisprudence 1985-1995, coll. Les Dossiers du Journal des tribunaux, n° 11, Bruxelles, Larcier, 1997, p. 22. y. lamBert-Faivre et S. porChy-Simon, op. cit., p. 307. X., Indicatieve tabel 2012. Tableau indicatif 2012, op. cit., p. 65. On songe, par exemple, à l’article 380 du Code pénal qui réprime l’exploitation de la débauche ou de la prostitution. i. Boone et B. Wylleman, « De vergoeding van afgeleide schade in het buitencontractueel aansprakelijkheidsrecht », in Springlevend aansprakelijkheidsrecht, Anvers-Cambridge, Intersentia, 2011, p. 205 ; y. lamBert-Faivre et S. porChy-Simon, op. cit., p. 307. D. De Callataÿ et n. eStienne, op. cit., p. 37. Voy., p. ex., Cass., 13 octobre 1993, J.T., 1994, p. 232, qui casse un arrêt de la cour d’appel de Mons qui avait décidé que la preuve du dommage matériel par répercussion subi par une jeune fille de près de 16 ans à la suite du décès accidentel de son père n’était pas suffisamment rapportée au motif qu’il n’était pas possible d’évaluer le dommage de manière certaine.

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Le dommage et sa réparation

La certitude requise n’est qu’une certitude judiciaire et non une certitude absolue34 : il suffit que le juge soit raisonnablement convaincu de la certitude du dommage35, ce qui lui laisse un large pouvoir d’appréciation36. Il appartient à la victime par ricochet de rapporter la preuve du caractère certain du préjudice par répercussion dont elle poursuit la réparation. Cette preuve peut être rapportée par toutes voies de droit, et donc notamment au moyen de témoignages ou de présomptions graves, précises et concordantes. 17. Compte tenu de la relation de dépendance qui existe entre le préjudice par répercussion et le préjudice direct (supra, n° 5), la victime par ricochet doit pouvoir démontrer, de manière suffisamment certaine, la réalité du lien qui l’unissait à la victime directe au moment de la survenance du fait dommageable. Dans un grand nombre de cas, il s’agira d’un lien de droit, tel qu’un lien matrimonial, un lien de filiation, un lien adoptif, un lien contractuel ou statutaire, une décision de justice… Mais un simple lien de fait peut suffire37. Par lien de fait, on vise par exemple un lien d’affection ou d’amitié présentant une certaine stabilité38, ou encore un lien de dépendance économique purement factuel. Les personnes dont la parenté avec la victime directe n’est pas officiellement établie, bien qu’elle soit certaine en fait, peuvent donc parfaitement faire état d’un préjudice par répercussion39. Il en va de même de ceux qui ne peuvent invoquer une créance alimentaire, pour autant qu’ils établissent qu’ils étaient en fait régulièrement entretenus par la victime directe décédée40. 34. 35. 36. 37.

38.

39. 40.

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D. De Callataÿ et n. eStienne, op. cit., p. 37. p. van ommeSlaghe, op. cit, pp. 1507-1508. i. Boone et B. Wylleman, op. cit., p. 37. Par un arrêt remarqué du 27 février 1970 (D., 1970, Jurisp., p. 201, note r. ComBalDieu), la Cour de cassation de France a expressément renoncé à l’exigence, précédemment consacrée, d’un lien de droit entre la victime par ricochet et la victime immédiate. Sur ce point, voy. g. viney et p. jourDain, Traité de droit civil. Les conditions de la responsabilité, 2e éd., Paris, L.G.D.J., 1998, pp. 129 et s. La doctrine belge estime également que la preuve d’un lien de droit ne peut être exigée : D. SimoenS, Buitencontractuele aansprakelijkheid, d. II, Schade en schadeloosstelling, Anvers, E. Story-Scientia 1999, p. 36 ; Th. vanSWeevelt et B. WeytS, Handboek buitencontractueel aansprakelijheidsrecht, Anvers-Oxford, Intersentia, 2009, p. 651 ; i. Boone et B. Wylleman, op. cit., p. 199. Le préjudice moral par répercussion vanté par un concubin à la suite du décès de son compagnon ou de sa compagne ne sera considéré comme certain que si sa relation avec la victime directe était suffisamment stable et que l’on pouvait la présumer durable si l’accident n’était venu la rompre. En ce sens : y. lamBert-Faivre et S. porChy-Simon, op. cit., p. 307. Voy. aussi les réflexions de D. De Callataÿ et n. eStienne, op. cit., pp. 350-351. g. viney et p. jourDain, op. cit., p. 134 et les nombreuses références citées, qui concernent notamment les enfants naturels ou adultérins non reconnus. y. lamBert-Faivre et S. porChy-Simon, op. cit., p. 307, qui citent comme exemples un frère infirme, un filleul, un orphelin.

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Le préjudice par répercussion en cas de décès ou de blessures

Comme a pu l’écrire le professeur Dalcq : « Au fur et à mesure que s’affaiblissent les liens qui unissaient le demandeur en réparation à la victime (quels que soient ces liens et pas seulement les liens de famille), le caractère de certitude du préjudice (par répercussion) devient plus difficile à établir »41. Section 3

Nature du préjudice par répercussion 18. Le préjudice par répercussion peut être de nature patrimoniale ou extrapatrimoniale, tant en cas de décès qu’en cas de blessures.

5

A. En cas de décès 19. En cas de décès de la victime directe, les préjudices par répercussion de nature patrimoniale sont principalement constitués par le préjudice économique que subissent certaines personnes (conjoint survivant, enfants, ascendants, …) en raison de la perte du soutien financier que leur apportait le défunt de son vivant, et par le préjudice ménager éprouvé par le conjoint du fait de la privation de la contribution du défunt à l’ensemble des tâches ménagères. Lorsqu’à la suite du décès d’un proche, une victime par répercussion développe un deuil pathologique qui la contraint à cesser ou réduire, temporairement voire définitivement, son activité professionnelle, ou qui porte atteinte à sa capacité ménagère, cette victime peut se prévaloir d’un dommage patrimonial par répercussion et, en principe, en demander la réparation au tiers responsable42. Les dépenses que certaines victimes par répercussion ont été contraintes d’exposer à la suite du décès de la victime directe forment également un préjudice par répercussion de nature patrimoniale. 20. Le préjudice moral constitué par les souffrances endurées par les proches du fait du décès d’un être cher (pretium affectionis) constitue, quant à lui, un préjudice par répercussion de nature extrapatrimoniale.

41. 42.

r.o. DalCq, op. cit., n° 2986. Voy., p. ex. : Corr. Louvain, 13 novembre 2003, C.R.A., 2005, p. 9 ; Civ. Liège, 30 mars 2012, R.G.A.R., 2012, n° 14.879. Sur le deuil pathologique, voy. D. De Callataÿ et n. eStienne, op. cit., pp. 371 et s. ; n. SolDatoS, j. De mol et S. graBer, « L’indemnisation d’un préjudice particulier : le deuil pathologique », in Préjudice, indemnisation et compensation, Limal, Anthemis, 2012, pp. 123 et s.

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Le dommage et sa réparation

Il en va de même de l’éventuel préjudice sexuel dont pourrait se prévaloir une victime par répercussion à la suite du décès de son partenaire43.

B. En cas de blessures 21. En cas de blessures, le préjudice par répercussion sera bien souvent de nature extrapatrimoniale. On vise ici, au premier chef, le dommage moral éprouvé par les proches qui sont confrontés quotidiennement à la vue des souffrances de la victime directe. Le tableau indicatif recommande de n’indemniser ce préjudice moral par répercussion qu’en présence d’une victime directe « dont la situation quotidienne et prolongée se caractérise par un état psychique, physique ou mental exceptionnellement amoindri »44. Cette exigence n’est guère acceptable45 et va d’ailleurs à l’encontre de la jurisprudence de la Cour de cassation46. Il s’agit aussi du préjudice sexuel qu’une victime par répercussion peut subir du fait des lésions de la victime directe. Comme le souligne Thierry Papart : « L’atteinte aux potentialités sexuelles d’un individu pourra très souvent avoir des répercussions sur l’épanouissement sexuel de son partenaire. Il convient de tenir compte de cette dimension dans l’évaluation d’un préjudice par répercussion dans le chef du partenaire de la victime directe »47. Bien que ce type de revendication ne se rencontre pas encore en Belgique, les juridictions belges pourraient parfaitement admettre, à l’instar de la jurisprudence française, un préjudice par répercussion de nature extrapatrimoniale du fait du « trouble dans les conditions d’existence » que subissent nécessairement les proches d’une victime gravement accidentée48. 22. Les lésions corporelles de la victime directe peuvent également être source d’un préjudice par répercussion de nature patrimoniale pour certaines personnes. On songe en particulier à tous les frais et toutes les dépenses que des tiers peuvent être amenés à supporter en raison de l’incapacité personnelle ou économique de la victime directe. 43. 44. 45. 46. 47. 48.

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Cass., 22 octobre 2003, R.G.A.R., 2004, n° 13.885 ; p. luCaS et j.-l. Fagnart, « Le préjudice sexuel », Cons. M., 2008, p. 33. X, Indicatieve tabel 2012. Tableau indicatif 2012, op. cit., p. 64. D. De Callataÿ et n. eStienne, op. cit., p. 276. Cass., 20 février 2006, Pas., 2006, p. 413. Th. papart, « Les préjudices particuliers : … le juste prix ? », in La réparation du dommage. Questions particulières, Louvain-la-Neuve, Anthemis, 2006, p. 63. Pour une application récente, voy. Douai, 29 mars 2012, R.G.A.R., 2012, n° 14.902, qui alloue une indemnité de 30.000 €, en plus du préjudice moral évalué lui aussi à 30.000 € et du préjudice sexuel évalué à 15.000 €, à un homme dont l’épouse est « gravement diminuée physiquement et très dépendante », ce qui a pour conséquence que « les activités du couple (sont) très ralenties et les déplacements extrêmement limités ».

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Le préjudice par répercussion en cas de décès ou de blessures

Section 4

Détermination des victimes par répercussion en cas de décès ou de blessures : les ayants droit A. La notion d’ayant droit 23. Dans le langage du droit de la réparation des dommages corporels, la victime par répercussion est communément désignée sous le vocable « ayant droit ». Par ayant droit, on vise « toute personne qui tire un droit à réparation du décès ou des blessures encourues par la victime directe »49. En d’autres termes, l’ayant droit s’entend de toute personne à laquelle le dommage corporel éprouvé par la victime directe fait subir un préjudice par répercussion50. La notion d’ayant droit est donc beaucoup plus large que celle d’ayant cause que l’on rencontre en droit des successions et qui sert à désigner les héritiers qui recueillent les droits et actions d’une personne décédée51. Rien n’empêche, dès lors, de poursuivre l’indemnisation d’un préjudice par répercussion, en qualité d’ayant droit d’une victime décédée, alors même qu’on ne serait pas un ayant cause de celle-ci52.

5

B. Les ayants droit dans le droit commun de la responsabilité

civile extracontractuelle 24. En droit commun de la responsabilité civile extracontractuelle (art. 1382 à 1386bis C. civ.), il n’existe a priori aucune limite quant à la détermination des ayants droit53 : toute personne, physique ou morale, qui prouve avoir subi un préjudice personnel, légitime et certain par contrecoup du dommage qui a frappé la victime directe, peut en principe prétendre à la qualité d’ayant droit. 49.

50. 51.

52. 53.

B. DuBuiSSon, « Questions diverses : l’application de la loi dans le temps et dans l’espace, le préjudice par répercussion, la situation du conducteur », op. cit., p. 158. Dans le même sens : i. Boone, « Rechthebbende in de zin van artikel 29bis WAM », note sous Cass., 7 février 2011, N.j.W., 2011, p. 301. n. eStienne, « Questions choisies en matière d’indemnisation des usagers faibles de la route », R.G.A.R., 2004, n° 13.894, p. 7 ; Th. papart, « L’ayant droit dans l’article 29bis de la loi du 21 novembre 1989. A never ending story », For. Ass., 2011, p. 113. n. eStienne, « Questions choisies en matière d’indemnisation des usagers faibles de la route », op. cit., p. 7. Pol. Anvers, 8 mars 2001, R.W., 2002-2003, p. 754, note C. van SChouBroeCK ; Civ. Bruxelles, 3 février 2012, R.G. n° 2009/9756/A, à paraître prochainement dans la R.G.A.R. p. jaDoul et C. eyBen, « L’indemnisation automatique des usagers faibles dans la jurisprudence de la Cour de cassation (2000-2007) », in Liber amicorum Michel Mahieu, Bruxelles, Larcier, 2008, pp. 229-230. i. Boone et B. Wylleman, op. cit., pp. 198-199.

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Le dommage et sa réparation

Sans prétendre à l’exhaustivité, on peut classer les ayants droit en trois catégories.

1. Les proches 25. Il s’agit de toutes les personnes qui justifient avoir un lien d’affection avec la victime directe. S’il existe une « présomption de fait »54 quant à la certitude du lien d’affection unissant les membres d’une famille restreinte, existante (conjoint marié ou de fait, enfant et petit-enfant, père et mère, grandpère et grand-mère, frère et sœur) ou en devenir (fiancé55), les juges ont tendance à n’admettre la qualité d’ayants droit dans le chef de membres de la famille élargie (oncles et tantes, cousins, neveux et nièces, beauxparents, beaux-enfants, beaux-frères et belles-sœurs, arrières grandsparents et arrières petits-enfants, …) qu’avec réserve, à la condition que des éléments spécifiques soient versés aux débats56. On peut aussi présumer que, sauf preuve contraire, le divorce ou la séparation de fait rompt le lien d’affection ayant existé entre deux personnes, avec la conséquence que le conjoint divorcé ou séparé de la victime directe au moment de la survenance du fait dommageable ne pourra en principe se prévaloir d’un quelconque préjudice moral par répercussion57. En revanche, il ne peut être postulé que le père ou la mère qui s’est vu retirer par une décision de justice la garde de son enfant mineur n’aurait plus le moindre sentiment d’affection pour ce dernier et qu’il ne serait dès lors pas recevable à faire état d’un dommage moral par répercussion en cas de décès de l’enfant. À cet égard, la jurisprudence souligne à juste titre que, sauf circonstances particulières telles que le non exercice récurrent d’un droit de visite, le divorce ou la séparation n’est pas de nature à affecter l’intensité de la relation affective que le parent non titulaire de l’hébergement principal peut avoir avec ses enfants58. 54. 55. 56.

57.

58.

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g. viney et p. jourDain, op. cit., p. 132. Voy. aussi r.o. DalCq, op. cit., n° 2986. Voy., p. ex., Gand, 28 février 2001, R.G.A.R., 2002, n° 13.515. Voy., p. ex. : Anvers, 4 février 1997, R.G.A.R., 1999, n° 13.097 ; Pol Hasselt, 17 mars 1997, Bull. ass., 1998, p. 273 ; Pol. Marche-en-Famenne, 20 février 2000, Bull. ass., 2000, p. 496 ; Pol. Charleroi, 3 décembre 2003, R.G.A.R., 2005, n° 13.966 ; Corr. Arlon, 19 janvier 2005, Bull. ass., 2005, p. 763. Voy., p. ex. : Pol. Gand, 31 janvier 2005, R.W., 2005-2006, p. 1072, qui rejette l’indemnisation d’un dommage moral par répercussion dans le chef d’un homme, séparé de fait de son épouse depuis 4 ans (laquelle avait dans l’intervalle noué une relation de concubinage stable avec une autre femme), au motif que la preuve d’une chance réelle de réconciliation entre les époux n’était pas rapportée ; Civ. Liège, 15 janvier 2002, R.G.A.R., 2004, n° 13.831, qui rejette la demande d’un mari séparé de la défunte depuis plusieurs années. Comp. Corr. Verviers, 16 septembre 1999, Bull. ass., 2000, p. 64, qui alloue 150.000 BEF à une épouse que le mari avait quittée trois ans avant l’accident qui lui coûta la vie. Pol. Huy, 19 décembre 2002, R.G.A.R., 2003, n° 13.779. Voy. aussi : Anvers, 13 janvier 1995, R.G.A.R., 1996, n° 12.565, note D. SChuermanS ; Pol. Charleroi, 4 mai 2005, R.G.A.R., 2007, n° 14.223.

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Le préjudice par répercussion en cas de décès ou de blessures

Quant aux amis, rien ne s’oppose en principe à ce qu’ils puissent être considérés comme des ayants droit de la victime directe59, décédée ou blessée, pour autant qu’un lien d’amitié durable et spécifique soit démontré. Les cas d’application sont cependant très rares, sinon inexistants, dans la jurisprudence actuelle.

2. Les personnes en lien de dépendance économique avec la victime directe 26. On vise ici principalement les personnes qui étaient entretenues au moment du fait dommageable par la victime directe, le plus souvent dans le cadre d’un lien d’obligation alimentaire, soit volontairement (conjoint marié, enfants, parents, …), soit en vertu d’une décision de justice ou d’une convention (conjoint divorcé bénéficiant d’une pension alimentaire ; enfants bénéficiant d’une contribution alimentaire, …)60. Tel peut aussi être le cas d’associations qui bénéficiaient d’un soutien financier important de la part de la victime directe. Ainsi en est-il, par exemple, d’une congrégation religieuse jouissant d’une rétrocession des rémunérations perçues par l’un de ses membres, victime directe d’un fait dommageable61. On vise également les créanciers de la victime directe62, ses associés, ses salariés63, voire son employeur64. 59. 60.

61. 62.

63.

64.

i. Boone et B. Wylleman, op. cit., p. 219 et réf. citées. Voy. Cass., 12 février 2004, Pas., 2004, p. 258 : « La circonstance que la victime d’un accident de roulage et son conjoint ont stipulé dans leurs conventions préalables au divorce par consentement mutuel que le décès de la victime met fin à l’obligation alimentaire n’a pas pour effet de priver ce conjoint des droits à la réparation du préjudice (qu’il subit par répercussion) ». Cass., 4 septembre 1972, Pas., 1973, I, p. 1. Voy. aussi Cass., 24 mars 1969, Pas., 1969, I, p. 655, à propos de personnes abandonnant leur pension de retraite à une congrégation religieuse. À ce sujet, voy. les développements circonstanciés d’i. Boone et B. Wylleman, op. cit., pp. 238 et s. Voy. aussi p. van ommeSlaghe, op. cit., p. 1554, qui envisage l’hypothèse d’un créancier se plaignant de la difficulté accrue de recouvrer sa créance par suite de l’incapacité de son débiteur, tout en admettant que « cette éventualité ne serait sans doute pas consacrée par la jurisprudence ». Voy. g. viney et p. jourDain, op. cit., p. 136, qui prennent comme exemple le cas de salariés que le décès de l’employeur contraint au chômage et qui citent un jugement du tribunal de grande instance de Nanterre du 22 octobre 1975 ayant admis que la fermeture d’un salon de coiffure provoquée par un automobiliste ayant enfoncé la devanture du magasin permettait aux salariés mis au chômage d’obtenir réparation de leur préjudice économique par répercussion en s’adressant à l’auteur de l’accident. Un employeur pourrait ainsi, selon nous, invoquer l’existence d’un préjudice économique par répercussion du fait d’avoir dû faire appel à un personnel intérimaire plus onéreux pour pallier l’absence d’un membre de son personnel blessé dans un accident, pendant sa convalescence. En ce sens : p. van ommeSlaghe, op. cit., p. 1553, qui prend l’exemple d’un employeur « dont les services sont désorganisés par l’incapacité de la victime » et qui cite Cass., 25 mars 1957, Pas., 1958, I, p. 893.

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On vise encore les sociétés commerciales ou les A.S.B.L. qui subissent des pertes financières ou un surcroît de frais à la suite du décès ou de l’incapacité de l’un de leurs dirigeants65. Bien que l’hypothèse n’ait à notre connaissance jamais été tranchée par la jurisprudence, il ne paraît pas absurde de considérer que le fisc et la sécurité sociale pourraient invoquer l’existence d’une préjudice par répercussion à la suite du décès ou de l’incapacité de travail définitive d’un contribuable et assuré social, en raison de la privation des impôts et cotisations de sécurité sociale que celui-ci aurait normalement continué à payer jusqu’à la fin de sa carrière professionnelle si l’événement dommageable ne s’était pas produit. Il y a peut-être là une piste pour renflouer les caisses de l’État en ces temps de vaches maigres…

3. Les personnes que le dommage causé à la victime directe contraint à certaines dépenses 27. Rentrent tout d’abord dans cette troisième catégorie d’ayants droit, toutes les personnes, physiques ou morales, qui ont assumé personnellement certains frais (médicaux, pharmaceutiques, déplacements, funéraires66, …) du fait du décès ou des blessures de la victime directe. 28. Dans l’état actuel de la jurisprudence de la Cour de cassation, appartiennent également à cette troisième catégorie d’ayants droit les employeurs publics qui sont légalement, conventionnellement ou statutairement tenus au paiement de certaines prestations financières en faveur de l’un de leurs agents blessé ou, en cas de décès de celui-ci, en faveur de certains membres de sa famille. On sait en effet que par ses arrêts de principe des 19 et 20 février 200167, la Cour de cassation a ouvert la voie au recours direct des employeurs publics, fondé sur les articles 1382 et suivants du Code civil, en considérant que « les pouvoirs publics qui, à la suite de la faute d’un tiers, doivent continuer à payer la rémunération et les charges grevant la rémunération en vertu d’obligations légales ou réglementaires qui leur incombent sans bénéficier de prestations de travail en contrepartie, ont droit à une indemnité dans la mesure où ils subissent ainsi un dommage », abandonnant de la sorte la théorie précédemment consacrée

65. 66. 67.

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Pol. Anvers, 17 octobre 2001, T.A.V.W., 2001, p. 38 ; Pol. Malines, 12 mars 2003, R.W., 2003-2004, p. 393 ; Pol. Alost, 25 septembre 2003, Bull. ass., 2005, p. 326. Voy. supra, n° 12 ; Cass., 10 avril 1984, Pas., 1984, I, p. 999 : l’employeur de la victime d’un accident du travail mortel qui a payé les frais funéraires est en droit de répéter le montant de ceux-ci à charge de l’auteur responsable du dommage. Cass., 19 février 2001, Pas., 2001, p. 322 (R.G. n° C.99.0014.N.), p. 329 (R.G. n° C.99.0228.N.), p. 332 (R.G. n° C.00.0242.N) ; Cass., 20 février 2001, Pas., 2001, p. 334.

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Le préjudice par répercussion en cas de décès ou de blessures

de la rupture du lien de causalité par interposition d’une cause juridique propre68. On sait aussi que cette nouvelle jurisprudence, que la Cour de cassation a confirmée à de nombreuses reprises depuis lors en dépit de certaines critiques doctrinales et de la réticence de plusieurs juridictions de fond69, n’a pas toujours été d’une grande cohérence quant à la détermination des dépenses pouvant être admises au titre du dommage de l’employeur public. Toujours est-il que lorsque, dans les limites posées par la Cour de cassation, il invoque avoir subi un dommage propre du fait de certaines dépenses qu’il a effectuées au profit de son agent ou de ses proches, et qu’il cherche à en obtenir le remboursement à charge du tiers responsable dans le cadre d’un recours direct, l’employeur public doit être considéré comme une victime par répercussion et, partant, comme un ayant droit de la victime directe70.

5

29. Ne peuvent en revanche se voir attribuer la qualité d’ayants droit, les personnes et organismes qui entendent récupérer par le biais d’un recours subrogatoire (subrogation légale ou conventionnelle) les décaissements qu’ils ont été contraints d’assumer envers la victime directe. En effet, « lorsqu’il y a subrogation, on ne peut pas dire que l’organisme subrogé soit une victime par ricochet car il est mis à la place du subrogeant et ses droits sont donc rigoureusement calqués sur ceux de la victime qui est censée les lui avoir transmis au moment où il lui a versé la prestation qu’il lui devait »71. 68.

69. 70. 71.

Selon la Cour de cassation, « l’existence d’une obligation contractuelle, légale ou réglementaire n’exclut pas qu’il y ait un dommage au sens de l’article 1382 du Code civil, sauf s’il résulte de la teneur ou de la portée de la convention, de la loi ou du règlement que la dépense ou la prestation à intervenir doit définitivement rester à charge de celui qui s’y est obligé ou qui doit l’exécuter en vertu de la loi ou du règlement ». Sur ce revirement de jurisprudence, voy. spéc. B. DuBuiSSon, v. CalleWaert, B. De ConinCK et g. gathem, La responsabilité civile. Chronique de jurisprudence 1996-2007, vol. 1, Le fait générateur et le lien causal, coll. Les Dossiers du Journal des tribunaux, n° 74, Bruxelles, Larcier, 2009, pp. 395 et s. ; i. Boone, « L’abandon de la rupture du lien causal par la Cour de cassation », in La rupture du lien causal ou l’avènement de l’action directe et le déclin du recours subrogatoire ?, éd. Jeune Barreau de Liège, 2007, pp. 7 et s. Pour une synthèse de ces critiques et réticences, e. jaCqueS, « Le recours de l’employeur public contre le tiers responsable. Les opinions dissidentes », R.G.A.R., 2010, n° 14.680. En ce sens, voy., p. ex. : Cass., 7 février 2011, R.G.A.R., 2011, n° 14.773 ; Bull. ass., 2011, p. 170, note h. ulriChtS ; C.R.A., 2011, p. 81, note l. BreWaeyS ; Civ. Anvers, 26 avril 2011, C.R.A., 2012, p. 77. g. viney et p. jourDain, op. cit., p. 139. À propos des dépenses effectuées par les mutuelles, voy. Cass., 3 septembre 2003, Pas., 2003, p. 1346 : « En accordant à (ceux qui ont souffert d’un dommage causé par une infraction) des prestations de l’assurance maladie-invalidité, l’organisme assureur ne subit pas un dommage causé par (cette) infraction mais exécute une obligation légale. Lorsqu’un organisme assureur demande à la juridiction répressive de condamner le tiers responsable du dommage

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30. Ne peut également être assimilé à un ayant droit, l’assureur qui couvre le risque d’accidents du travail ou de maladies professionnelles pour un employeur public. La Cour de cassation a jugé à ce sujet que n’étant point l’employeur de la victime directe, l’assureur ne peut subir un dommage personnel du chef de la perte des prestations de travail de celle-ci72. Toutefois, comme le relève avec pertinence le professeur Boone73, il faut considérer que l’assureur qui couvre le risque d’accident du travail pour un employeur public, peut exercer, via une subrogation dans les droits de cet employeur public, le droit propre de celui-ci à la réparation du dommage résultant du fait d’avoir dû continuer à payer les traitements de son agent pendant la convalescence de celui-ci. En effet, sur la base de la jurisprudence inaugurée par la Cour de cassation les 19 et 20 février 2001 (supra, n° 28), l’employeur public dispose d’un droit propre tiré des article 1382 et suivants du Code civil pour obtenir à charge du tiers responsable notamment le remboursement des rémunérations versées à son agent sans prestations de travail en contrepartie. En tant que subrogé dans les droits de cet employeur public, lui-même victime par répercussion, l’assureur accidents du travail nous semble pouvoir également exercer ce droit propre74.

C. Les ayants droit dans les régimes spéciaux de réparation

ou de compensation des préjudices corporels 1. L’article 29bis de la loi du 21 novembre 1989 31. La notion d’ayant droit doit-elle recevoir une acception différente de celle qui prévaut en droit commun dans le cadre du régime d’indemnisation automatique des usagers faibles de la route institué par l’article 29bis de la loi du 21 novembre 1989 ? L’article 29bis, § 1er, alinéa 1er, vise « tous les dommages subis par les victimes et leurs ayants droit et résultant de lésions corporelles ou du décès ». L’article 29bis, § 2, énonce, quant à lui, que « le conducteur d’un véhicule automoteur et ses ayants droit ne peuvent se prévaloir du présent article ». Mais le texte légal ne donne aucune précision sur ce qu’il

72. 73. 74.

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pour lequel des prestations ont été accordées, à lui rembourser le montant de celles-ci, il n’exerce pas une action civile distincte de celle de la victime mais, par une demande distincte, l’action même de la victime, à laquelle il est subrogé de plein droit en application de l’article 136, § 2, de la loi coordonnée du 14 juillet 1994 relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnité ». Cass., 24 avril 2002, Pas., 2002, p. 991 ; R.G.A.R., 2002, n° 13.639. i. Boone, « L’abandon de la rupture du lien causal par la Cour de cassation », op. cit., p. 39, note 87. Pour une application en ce sens : Pol. Liège, 13 septembre 2004, C.R.A., 2007, p. 31.

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y a lieu d’entendre par « ayants droit », et les travaux préparatoires ne contiennent pas d’éclairage particulier à ce sujet. 32. Compte tenu de cette imprécision, certains juges du fond ont estimé que, dans le cadre de l’article 29bis de la loi du 21 novembre 1991, la notion d’ayant droit devait être limitée aux seules personnes physiques, à l’exclusion des personnes morales. Le tribunal de première instance d’Anvers a ainsi considéré, dans un jugement du 11 juin 200775, que l’article 29bis ne concerne la protection des usagers faibles et de leurs ayants droit qu’en leur qualité de personnes physiques et que dès lors une société commerciale ne peut agir comme ayant droit sur la base de cette disposition légale. Inversement, d’autres juridictions de fond ont décidé qu’une personne morale pouvait parfaitement se réclamer de la qualité d’ayant droit d’un usager faible blessé ou tué dans un accident de la circulation76. La doctrine s’était majoritairement prononcée en faveur d’une telle interprétation large77.

5

33. La controverse a été fortement amplifiée par un arrêt que la Cour constitutionnelle a prononcé sur question préjudicielle le 28 octobre 201078, aux termes duquel « l’article 29bis, § 1er, de la loi du 21 novembre 1989 relative à l’assurance obligatoire de la responsabilité en matière de véhicules automoteurs, interprété en ce sens que les personnes morales ne sont pas considérées comme des ayants droit, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution ». 75.

76.

77. 78.

Civ. Anvers, 11 juin 2007, Bull. ass., 2008, p. 65, note j. Bogaert ; Civ. Anvers, 30 mars 2010, C.R.A., 2011, p. 6. Voy. aussi Civ. Namur, 31 octobre 2008, J.L.M.B., 2009, p. 277 : « La S.N.C.B. ne peut se prévaloir personnellement et directement de l’article 29bis de la loi du 21 novembre 1989 dès lors que, en tant que personne morale, elle n’est pas elle-même victime d’un quelconque accident de la circulation ». Pol. Liège, 7 mai 2009, R.G.A.R., 2010, n° 14.637, qui admet la qualité d’ayant droit dans le chef d’un centre hospitalier universitaire contraint de verser pendant une longue période des rémunérations garanties à l’un de ses médecins victime d’un grave accident de vélo causé par un automobiliste ; Pol. Verviers, 8 juin 2000, inédit, cité par B. DuBuiSSon, « Questions diverses : l’application de la loi dans le temps et dans l’espace, le préjudice par répercussion, la situation du conducteur », op. cit., p. 160, qui admet le préjudice commercial subi par une S.P.R.L. en raison de l’incapacité de travail de son gréant blessé lors d’un accident de la circulation alors qu’il avait la qualité d’usager faible de la route ; Civ. Anvers, 26 avril 2011, C.R.A., 2012, p. 79, qui décide que la Communauté flamande qui continue à verser son traitement à un fonctionnaire victime d’un accident et qui ne fournit plus de prestations de travail subit un dommage et est ainsi un ayant droit au sens de l’article 29bis. Voy. encore les références inédites citées par e. jaCqueS, op. cit., n° 25. l. CorneliS, « De objectieve aansprakelijkheid voor motorrijtuigen », R.W., 1998-1999, p. 527 ; B. DuBuiSSon, « Questions diverses : l’application de la loi dans le temps et dans l’espace, le préjudice par répercussion, la situation du conducteur », op. cit., p. 160. C.C., 28 octobre 2010, R.G.A.R., 2011, n° 14.729 ; For. Ass., 2011, p. 110, note Th. papart ; N.j.W., 2010, p. 784, note i. Boone ; Bull. ass., 2011, p. 39, note h. ulriChtS. Dans le même sens : C.C., 18 mai 2011, n° 86/2011.

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Certains ont pu voir dans cet arrêt une consécration du fait que, dans le cadre de l’article 29bis, la notion d’ayant droit devrait être réservée aux seules personnes physiques, proches de l’usager faible décédé ou ayant subi des lésions corporelles79. Il convient toutefois de garder à l’esprit que la Cour constitutionnelle est sans compétence pour dire comment une règle de droit doit être interprétée : elle peut simplement vérifier si, dans une interprétation qui lui est proposée par le juge du fond, il y a ou non violation de la Constitution. Mais il ne lui appartient en aucun cas de décider si cette interprétation est correcte ou pas80. Comme l’a souligné le professeur Van Schoubroeck en commentant l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 28 octobre 2010 : « Dans cette décision, on doit uniquement lire ce qui s’y trouve : l’interdiction des discriminations n’est pas violée lorsque l’article 29bis est lu dans le sens que les personnes morales ne sont pas des ayants droit. De cela on ne peut aucunement déduire qu’une personne morale employeur (public) n’est pas un ayant droit au sens de cette disposition légale »81 (traduction libre). 34. En vertu de l’article 608 du Code judiciaire, la seule juridiction compétente pour valider ou invalider une interprétation donnée par un juge du fond à une règle de droit déterminée est la Cour de cassation. Or, par un arrêt du 7 février 201182, la Cour de cassation a dit pour droit : « Il y a lieu d’entendre par ayants droit au sens de (l’art. 29bis, § 1er, al. 1er), les personnes qui ont subi un préjudice personnel à la suite des blessures ou du décès de la victime. L’employeur qui poursuit le paiement de la rémunération d’un travailleur qui a été victime d’un accident de la circulation et qui ne peut plus fournir ses prestations de travail en raison de ses blessures subit un préjudice et, en conséquence, est un ayant droit au sens précité. Le moyen, qui fait valoir que seuls les proches parents de

79.

80. 81.

82.

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Th.-l. eeman, a.-m. naveau et a. ronDao alFaCe, « L’article 29bis de la loi du 21 novembre 1989 : où en sommes-nous ? », in Droit du roulage. Questions choisies, Limal, Anthemis, 2012, pp. 164 et s. ; h. De roDe, J. aColty et a. Calvaer, « L’indemnisation des usagers faibles de la circulation », in Préjudice, indemnisation et compensation, Limal, Anthemis, 2012, pp. 20 et s. ; Pol. Bruxelles, 3 mai 2012, Bull. ass., 2012, p. 358, note H. ulriChtS (jugement frappé d’appel). i. Boone, « Rechthebbende in de zin van artikel 29bis WAM », N.j.W., 2011, pp. 301302 ; Th. papart, « L’ayant droit dans l’article 29bis de la loi du 21 novembre 1989. A never ending story », For. Ass., 2011, p. 114. C. van SChouBroeCK, « Laatste achterhoedegevechten over de vergoedingsregeling van artikel 29bis Wam-wet ? », R.W., 2011-2012, pp. 65-66. Voy. aussi J.-l. Fagnart, « L’article 29bis ou la responsabilité camouflée », Bull. ass., 2012, p. 175, qui souligne que « l’arrêt du 28 octobre 2010 a répondu à une fausse question car l’interprétation imaginée par le tribunal de police d’Anvers est inexacte ». Cass., 7 février 2011, R.G.A.R., 2011, n° 14.773 ; N.j.W.., 2011, p. 301, note I. Boone ; Bull. ass., 2011, p. 170, note H. ulriChtS ; C.R.A., 2011, p. 81, note l. BreWaeyS.

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la victime sont des ayants droit visés par la disposition légale précitée, manque en droit ». Dans ses conclusions précédant cet arrêt du 7 février 201183, Madame l’avocat général Ria Mortier a exposé notamment ce qui suit à propos de l’article 29bis : « Les notions de victime et d’ayants droit n’ont pas été définies ni dans cet article ni dans d’autres dispositions de la loi, de sorte qu’elles doivent être interprétées conformément au droit commun. La victime est la personne qui éprouve directement le dommage, tandis que l’ayant droit est celui qui subit un dommage personnel par répercussion et qui dispose d’un droit propre à être indemnisé à la suite du décès ou des blessures subies par la victime directe. Le dommage par répercussion n’est pas un dommage indirect mais bien un dommage personnel et spécifique qui touche directement la capacité ou les sentiments d’un autre sujet de droit. Cela ne vise donc pas uniquement le dommage moral et/ou la perte de revenus de proches, mais aussi par exemple le dommage que subit une société en raison de l’indisponibilité de son administrateur délégué. Un employeur public peut aussi subir un dommage par répercussion à la suite de l’accident de l’un de ses agents (…). Dans une interprétation large de la notion d’ayant droit, l’employeur public peut donc être perçu comme un sujet de droit qui subit un dommage par répercussion du fait de l’accident qui touche son travailleur, et il peut, sur la base d’un droit propre, obtenir une indemnisation conformément à l’article 29bis pour les paiements qu’il a dû effectuer à la suite des blessures encourues par le membre de son personnel, ce qui peut être considéré comme un dommage résultant de lésions corporelles » (traduction libre). La Cour s’est manifestement ralliée à cette opinion. Pour elle, la notion d’ayant droit dans le cadre de l’article 29bis de la loi du 21 novembre 1989 n’est donc pas limitée aux seules personnes physiques, proches de la victime blessée ou décédée. Elle est semblable à celle qui prévaut en droit commun (supra, point b.) et vise dès lors aussi les personnes morales, telles que l’employeur de la victime directe ou une société commerciale dont le dirigeant a été blessé ou tué dans un accident de la circulation. La Cour de cassation a eu l’occasion de confirmer cette solution dans un arrêt du 20 janvier 2012 qui énonce que viole l’article 29bis, § 1er, alinéa 1er, de la loi du 21 novembre 1989, le jugement d’appel « qui considère que seuls les proches de la victime sont les ayants droit visés par cette disposition légale »84. Un récent jugement du tribunal de première instance de Bruxelles, statuant en degré d’appel, épouse l’interprétation large ainsi consacrée 83. 84.

Ces conclusions sont disponibles en néerlandais sur le site internet de la Cour de cassation. Cass., 20 janvier 2012, R.G. n° C.09.0353.F, avec concl. contraire M.P.

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par la Cour de cassation en décidant que « la notion d’ayant droit au sens de l’article 29bis de la loi du 21 novembre 1989, s’étend à toute personne, physique ou morale, qui a subi un dommage par ricochet »85. 35. Jugé en revanche que « l’assureur d’un employeur qui tombe sous le champ d’application de la loi du 3 juillet 1967 sur la prévention ou la réparation des dommages résultant des accidents du travail, des accidents survenus sur le chemin du travail et des maladies professionnelles dans le secteur public ne subit pas un préjudice à la suite des lésions ou du décès de la victime et, en conséquence, ne peut se prévaloir de droits propres directement fondés sur l’article 29bis de la loi du 21 novembre 1989 relative à l’assurance obligatoire de la responsabilité en matière de véhicules automoteurs » 86. L’assureur d’un employeur public n’est donc pas un ayant droit au sens de l’article 29bis. Cette solution n’est pas différente de celle qui prévaut en droit commun (supra, n° 30). 36. Dans le cadre de l’article 29bis, la seule restriction que l’on peut observer par rapport à la détermination des ayants droit en droit commun de la responsabilité civile extracontractuelle, concerne les ayants droit du conducteur d’un véhicule automoteur impliqué dans un accident de la circulation qui a causé son décès ou dans lequel il a été blessé. En application de l’article 29bis, § 2, ceux-ci sont exclus du régime d’indemnisation automatique, au même titre que le conducteur lui-même87.

2. La loi du 25 février 1991 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux 37. La loi du 25 février 1991 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux, qui transpose en droit belge la directive 85/374/CEE du 25 juillet 1985, ne fait qu’une très brève allusion aux ayants droit de la victime directe d’un dommage causé par le défaut affectant un produit mis en circulation. Il faut à cet égard se référer à l’article 14, alinéa 3, de la loi, qui dispose que « les personnes et organismes qui, en vertu des régimes (de sécurité sociale ou de réparation des accidents du travail ou des maladies 85. 86. 87.

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Civ. Bruxelles (75e ch.), 3 février 2012, R.G. n° 2009/9756/A, à paraître prochainement dans la R.G.A.R. Cass., 30 novembre 2009, R.G. n° C.09.0167.N. Sur cette exclusion, voy. B. DuBuiSSon, « Questions diverses : l’application de la loi dans le temps et dans l’espace, le préjudice par répercussion, la situation du conducteur », op. cit., p. 161. Notons toutefois qu’en vertu de l’article 29bis, § 2, le conducteur peut invoquer le bénéfice du régime d’indemnisation automatique lorsqu’il agit « en qualité d’ayant droit d’une victime qui n’était pas conducteur et à la condition qu’il n’ait pas causé intentionnellement les dommages ».

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professionnelles), ont fourni des prestations aux victimes d’un dommage couvert par la présente loi ou à leurs ayants droit peuvent exercer contre le producteur, conformément à la présente loi, les droits de recours que leur confèrent ces régimes ». Cette mention suffit toutefois pour considérer que les ayants droit d’une personne dont le décès ou les blessures ont été causés par un produit défectueux peuvent, au même titre que la victime directe, se prévaloir du régime particulier mis en place par la loi du 25 février 1991. 38. Quant à la notion d’ayant droit, elle doit recevoir ici la même interprétation large qu’en droit commun, ce qui inclut tant les personnes physiques que les personnes morales. L’article 11, § 1er, de la loi du 25  février 1991 précise en effet que « l’indemnisation qui peut être obtenue en application de la présente loi couvre les dommages causés aux personnes, y compris les dommages moraux (…) ». La définition du dommage réparable n’est donc pas influencée par la loi du 25 février 1991 (ni d’ailleurs par la directive du 25 juillet 1985), laquelle doit dès lors se faire par référence au droit commun de la responsabilité civile88. Les termes « dommages causés aux personnes » englobent par conséquent le préjudice par répercussion subi par les tiers à la suite du décès ou des blessures de la victime directe89.

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3. La loi du 31 mars 2010 relative à l’indemnisation des dommages résultant de soins de santé 39. Le texte de la loi du 31 mars 2010 relative à l’indemnisation des dommages résultant de soins de santé fait plusieurs références à la notion d’ayant droit. On en trouve une trace importante à l’article 3 qui énonce, dans son premier paragraphe, que « la présente loi règle l’indemnisation des dommages résultant de soins de santé, sans préjudice du droit de la victime ou de ses ayants droit de réclamer, conformément aux règles du droit commun, l’indemnisation de son dommage devant les cours et tribunaux » et, dans son troisième paragraphe, que « la victime d’un dommage résultant de soins de santé ou ses ayants droit ne peuvent être indemnisés plusieurs fois pour ce même dommage en ayant recours cumulativement à la procédure devant le Fonds (des accidents médicaux) et à la voie judiciaire ou

88. 89.

p. van ommeSlaghe, op. cit., p. 1467. En France, où la directive du 25 juillet 1985 a été transposée dans les articles 1386-1 et suivants du Code civil, le texte légal parle du « dommage qui résulte d’une atteinte à la personne ». Selon y. lamBert-Faivre et S. porChy-Simon (op. cit., p. 892), cette expression inclut les « préjudices économiques et moraux par ricochet ».

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en ayant recours à cette procédure après avoir bénéficié d’une indemnisation amiable de ce dommage en dehors de cette procédure ». L’article 4 de la loi du 31 mars 2010 précise, quant à lui, que le Fonds des accidents médicaux « indemnise la victime ou ses ayants droit conformément au droit commun », pour autant que certaines conditions, notamment de gravité, soient réunies. Les dispositions de la loi relatives à la procédure devant le Fonds des accidents médicaux visent également, à plusieurs reprises, les ayants droit de la personne qui s’estime victime d’un dommage résultant de soins de santé (art. 12, § 1er, et art. 15). 40. Mais comment faut-il interpréter la notion dans ce cadre ? L’exposé des motifs accompagnant le projet de loi déposé le 12 novembre 2009 précise à cet égard ce qui suit : « Concernant la notion d’ayant droit, et contrairement à la solution choisie dans la loi du 15 mai 2007, il est fait référence dans le présent projet à la notion de droit commun. Il s’agit de la personne ayant par son auteur vocation à exercer un droit, comme par exemple les enfants du patient décédé. Quant aux proches d’un patient encore vivant, ils peuvent être des victimes “indirectes” de l’accident médical subi par le patient. Les proches peuvent par conséquent demander réparation du dommage qu’ils supportent ‘par répercussion’ »90. Bien qu’il soit principalement fait allusion aux proches de la victime décédée ou conservant des séquelles d’un accident médical, il apparaît que pour déterminer quels sont les ayants droit admis à faire valoir un préjudice par répercussion sur la base de la loi du 31 mars 2010, le Fonds des accidents médicaux doive faire application du droit commun91. Rien ne s’oppose donc a priori à ce que le Fonds soit saisi de demandes d’indemnisation émanant de personnes morales estimant avoir subi un préjudice par répercussion du fait d’un dommage causé à une victime directe à l’occasion d’une prestation de soins de santé. Le texte légal ne comporte en tout cas aucune restriction en ce sens.

4. La loi du 13 novembre 2011 relative à l’indemnisation des dommages corporels et moraux découlant d’un accident technologique 41. Plusieurs articles de la loi du 13 novembre 2011 relative à l’indemnisation des dommages corporels et moraux découlant d’un accident technologique, qui est entrée en vigueur le 1er novembre 2012, 90. 91.

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Chambre, Doc. parl., n° 2240/001, p. 29. En ce sens : S. lierman, « Vergoedingsvoorwaarden van het Fonds voor medische ongevallen », in Vergoeding van slachtoffers van medische ongevallen, Anvers-Cambridge, Intersentia, 2011, p. 42.

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se réfèrent aux ayants droit des victimes décédées ou blessées à l’occasion d’une catastrophe technologique « de grande ampleur » reconnue comme « sinistre exceptionnel ». Parmi ces différentes dispositions, il y a lieu d’épingler l’article 3 et l’article 9. L’article 3 est libellé comme il suit : « § 1er. La présente loi a pour but de réparer, dans les conditions et limites prévues ci-après, le dommage des victimes et de leurs ayants droit résultant de lésions corporelles, lorsque la catastrophe technologique de grande ampleur est déclarée sinistre exceptionnel par le Comité des sages, sans devoir attendre que les responsabilités aient été déterminées. § 2. Elle ne porte pas préjudice au droit de la victime ou de ses ayants droit de réclamer, conformément aux règles du droit commun, l’indemnisation de son dommage devant les cours et tribunaux » ; Quant à l’article 9, il dispose : « § 1er. Toute personne physique ayant subi des dommages résultant de lésions corporelles causées par un sinistre exceptionnel ou ses ayants droit peuvent bénéficier de l’indemnisation à verser par le Fonds (commun de garantie automobile). Le Fonds n’indemnise que les dommages résultant de lésions corporelles. § 2. Ne peuvent bénéficier de l’indemnisation par le Fonds, les personnes physiques ou morales, institutions ou organismes qui, après leur intervention à l’égard de la personne visée au § 1er ou de ses ayants droit, peuvent agir en vertu d’un droit subrogatoire légal ou conventionnel, ou d’un droit propre de poursuite en remboursement, contre le civilement responsable ou l’assureur de responsabilité ».

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42. Compte tenu de l’exclusion contenue à l’article 9, § 2, il est certain que l’employeur public dont l’agent est décédé ou a encouru des blessures dans une catastrophe technologique de grande ampleur, déclarée sinistre exceptionnel, ne peut s’adresser au Fonds commun de garantie en vue d’obtenir la réparation de son préjudice par répercussion sur le fondement de la loi du 13 novembre 2011. Il ne pourra réclamer le remboursement de ses débours qu’au tiers responsable, son civilement responsable ou son assureur, sur la base du droit commun de la responsabilité civile, voire sur la base d’un autre régime spécial de réparation des dommages corporels (tel que l’article 29bis de la loi du 21 novembre 1989 ou la loi du 25 février 1991 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux). 43. Mais est-ce dire que, dans le cadre de la loi du 13 novembre 2011, la qualité d’ayant droit doit être réservée aux seules personnes physiques proches de la victime ? Larcier

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Dans le commentaire qu’il a consacré à cette loi, le Professeur Fagnart estime que « la personne morale qui, à la suite des blessures ou de la mort de son dirigeant, ne peut plus fonctionner et est acculée à la faillite, subit incontestablement un dommage résultant de lésions corporelles. Elle est exclue du bénéfice des indemnités prévues par la loi »92. Il ne semble pas que l’on puisse être aussi catégorique. L’article 9, § 2, de la loi exclut uniquement ceux qui ont exposé des dépenses au profit de la victime directe ou de certains de ses proches à la suite de la catastrophe technologique et qui cherchent ultérieurement à en obtenir le remboursement : « Ne peuvent bénéficier de l’indemnisation par le Fonds, les personnes physiques ou morales, institutions ou organismes qui, après leur intervention à l’égard de la personne visée au § 1er ou de ses ayants droit, (…) ». Il n’exclut en revanche pas expressément les personnes morales en lien de dépendance économique avec la victime directe, qui subissent des pertes financières ou un surcroît de frais à la suite du décès ou de l’incapacité de l’un de leurs dirigeants. Le principe étant que les ayants droit de toute personne physique ayant subi des dommages résultant de lésions corporelles causées par un sinistre exceptionnel peuvent bénéficier de l’indemnisation prévue par la loi du 13 novembre 2011 (art. 9, § 1er), l’exclusion qui figure à l’article 9, § 2, doit être interprétée sensu stricto.

5. La réglementation sur les accidents du travail et les maladies professionnelles 44. La loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail dans le secteur privé réserve la qualité d’ayants droit uniquement à certaines personnes proches de la victime qui est décédée dans un accident du travail ou dans un accident survenu sur le chemin du travail. Seuls sont donc concernés les accidents mortels, à l’exclusion des accidents ayant entraîné des blessures et une incapacité de travail93. Ce sont les articles 12 à 17 de la loi qui énumèrent les différents ayants droit qui sont susceptibles, moyennant certaines conditions et selon certaines limites, de bénéficier d’une indemnité pour frais funéraires plafonnée et d’une rente correspondant à un pourcentage de la rémunération de base de la victime décédée.

92. 93.

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j.-l. Fagnart, « Le nouveau droit des catastrophes technologiques », R.G.A.R., 2012, n° 14.833, pt 26. Voy. toutefois l’article 33 de la loi du 10 avril 1971 qui permet, en cas d’accident non mortel, au conjoint, au cohabitant légal, aux enfants et aux parents de la victime blessée d’obtenir « l’indemnisation des frais de déplacement et de nuitée résultant de l’accident ».

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Il s’agit : – du conjoint non divorcé ni séparé de corps ou de la personne qui cohabitait légalement avec la victime, du survivant divorcé ou séparé de corps qui bénéficiait d’une pension alimentaire légale ou fixée par convention à charge de la victime ; – des enfants de la victime décédée, ainsi que des enfants de son conjoint ou de son cohabitant légal, en ce compris les enfants adoptés par une seule ou par deux personnes ; – des ascendants de la victime décédée (père et mère), y compris les adoptants ; – des petits-enfants (et enfants assimilés) ; – des frères et sœurs. Ces cinq catégories sont strictement limitatives en ce sens que « les autres membres de la famille n’entrent jamais en ligne de compte, quels que soient leurs liens affectifs ou économiques avec la victime »94.

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45. À l’inverse du cohabitant légal, le concubin (cohabitant de fait) n’est donc pas un ayant droit et il ne peut dès lors invoquer le bénéfice de la loi du 10 avril 1971 en cas de décès de son partenaire à la suite d’un accident du travail. La Cour constitutionnelle a estimé que cette exclusion n’est pas discriminatoire95. Le concubin ne pourra donc obtenir la réparation du préjudice par répercussion qu’il subit du fait du décès de son partenaire qu’en agissant, sur la base du droit commun ou d’un autre régime de réparation des dommages corporels, contre le tiers responsable. Ce tiers peut être l’employeur de la victime décédée, celui-ci ne pouvant opposer au concubin l’immunité civile dont il jouit en principe, en cas de faute non intentionnelle, en vertu de l’article 46 de la loi du 10 avril 197196. 46. Les personnes morales sont, elles aussi, totalement exclues du régime institué par la loi du 10 avril 1971. 47. Les principes qui précèdent sont mutatis mutandis applicables en cas de maladie professionnelle ayant entraîné le décès d’un travailleur du secteur privé, l’article 33 des lois relatives à la prévention des maladies professionnelles et à la réparation des dommages résultant de celles-ci, coordonnées le 3 juin 1970, renvoyant aux articles 12 et suivants de la loi du 10 avril 1971 pour la détermination des ayants droit de la victime décédée. 94. 95. 96.

l. van goSSum, Les accidents du travail, 7e éd., Bruxelles, Larcier, 2007, p. 91. C.C., 21 décembre 2000, arrêt n° 137/200. C.C., 1er mars 2001, J.L.M.B., 2001, p. 774, note j. CleSSe et v. neupreZ ; Civ. Bruxelles, 22 mars 2011, R.G.A.R., 2011, n° 14.779.

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Ils sont également d’application aux accidents du travail et aux maladies professionnelles soumis à la loi du 3 juillet 1967 sur la prévention ou la réparation des dommages résultant des accidents du travail, des accidents survenus sur le chemin du travail et des maladies professionnelles dans le secteur public97.

6. La réglementation sur l’aide financière aux victimes d’actes intentionnels de violence 48. Aux termes de l’article 31 de la loi programme du 1er août 1985 portant des mesures fiscales et autres, qui organise en son chapitre III, section 2, le régime de l’aide publique aux victimes d’actes intentionnels de violence, les seules personnes, autres que la victime directe de l’acte intentionnel de violence, qui peuvent prétendre à une aide financière dans les limites prévues sont : – En cas de décès : « Les successibles au sens de l’article 731 du Code civil, jusqu’au deuxième degré inclus », de la victime directe ou les « personnes qui vivaient dans un rapport familial durable » avec elle (art. 31, 2°, de la loi). Les père et mère de la victime directe décédée rentrent dans cette catégorie et peuvent donc solliciter une aide auprès de la Commission pour l’aide financière aux victimes d’actes intentionnels de violence98. – En cas de blessures : Les père et mère de la victime directe mineure d’âge au moment de l’acte intentionnel ou les personnes qui avaient ce mineur à leur charge à ce même moment (art. 31, 3°, de la loi)99. La notion d’ayant droit est ici, par la volonté du législateur, extrêmement restrictive. Section 5

L’opposabilité aux ayants droit des limites et restrictions affectant le droit à réparation de la victime directe 49. Le lien de dépendance qui unit le préjudice par répercussion au préjudice direct a pour conséquence que le débiteur de la réparation peut, en principe, opposer aux ayants droit toutes les limites et toutes les 97. 98. 99.

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Voy. les art. 8 à 10 de la loi du 3 juillet 1967. L.-h. olDenhove De guerteChin et Ph. verhoeven, « L’aide financière aux victimes d’actes intentionnels de violence et aux sauveteurs occasionnels », in Préjudice, indemnisation et compensation, Limal, Anthemis, 2012, p. 115. Pour un commentaire, voy. L.-h. olDenhove De guerteChin et Ph. verhoeven, op. cit., p. 117.

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restrictions qui affectent le droit à réparation de la victime directe. Parmi ces limites et restrictions, on vise au premier chef la faute de la victime directe. S’il est aujourd’hui acquis qu’en droit commun de la responsabilité civile extracontractuelle, le tiers responsable peut opposer aux victimes par ricochet la faute de la victime directe pour limiter son obligation d’indemnisation à leur égard, cette solution n’est toutefois pas celle qui prévalait par le passé. 50. Pendant longtemps, la Cour de cassation a en effet considéré que la faute de la victime directe ne pouvait être opposée aux ayants droit par le tiers responsable et que ce dernier était donc tenu de réparer intégralement les préjudices par répercussion, sans aucune restriction100. Du point de vue de la stricte rigueur juridique, ce raisonnement était on ne peut plus logique : les victimes par répercussion n’ayant ellesmêmes – et contrairement à la victime directe – commis aucune faute en lien causal avec le préjudice personnel dont elles poursuivaient la réparation, elles ne pouvaient se voir opposer aucun partage de responsabilité. Elles étaient dès lors en droit de réclamer la réparation intégrale de leur dommage par répercussion au tiers responsable, à charge pour celui-ci de se retourner ensuite contre la victime directe pour récupérer, dans le cadre d’un recours contributoire, une partie des indemnités ainsi versées aux ayants droit, en proportion de la contribution incombant à celle-ci en raison de sa faute101. La solution était cependant de nature à conduire à des situations pour le moins choquantes sur le plan de l’équité puisqu’elle revenait à faire supporter par la victime directe ou, en cas de décès, par sa succession, une partie des préjudices subis par les victimes par ricochet. « Du fait que le tiers ayant indemnisé les proches pouvait agir de ce chef contre la victime initiale, les proches n’avaient généralement pas intérêt à intenter une action personnelle en réparation en cas de survie de la victime initiale »102.

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51. On comprend dès lors que la Cour de cassation ait modifié sa jurisprudence par un arrêt de principe du 19 décembre 1962103. L’espèce tranchée concernait un accident mortel dont le tiers avait été reconnu responsable pour moitié, l’autre moitié de la responsabilité 100. Voy. notamment : Cass., 15 juin 1957, Pas., 1957, I, p. 1243 ; Cass., 15 mai 1961, Pas., 1961, I, pp. 986 et 988. 101. J. KirKpatriCK, « Le nouveau statut des dommages subis par répercussion », note sous Cass., 17 juin 1963, R.C.J.B., 1964, p. 451 ; p. van ommeSlaghe, op. cit., p. 1592. 102. j. KirKpatriCK, op. cit., p. 451. 103. Cass., 19 décembre 1962, Pas., 1963, I, p. 491 ; Rev. dr. pén., 1962-1963, p. 568, concl. Av. gén. Dumon.

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incombant à la victime décédée. Après avoir rappelé que « lorsque le dommage a été causé à la fois par le fait de la victime et par la faute d’un tiers, celui-ci n’est tenu à réparation vis-à-vis de cette victime que dans la proportion de la gravité de sa faute propre », la Cour a décidé que le droit à la réparation des préjudices par répercussion « est affecté par la responsabilité personnelle de la victime dans toute la mesure où le défendeur aurait pu l’opposer soit à la victime première, réclamant elle-même l’indemnisation de son préjudice propre, soit à ses héritiers poursuivant cette réparation ex haerede ». L’enseignement de cet arrêt est donc que « le tiers responsable du dommage peut opposer le partage de responsabilités résultant d’une faute de la victime directe non seulement à cette victime, mais encore aux personnes se prévalant d’un préjudice par répercussion »104. Pour justifier cette nouvelle position, la Cour de cassation a considéré que « le droit à la réparation des dommages, éprouvés par répercussion, ne trouve sa source que dans les liens de famille et d’affection qui unissaient les demandeurs à la victime décédée » et que ce sont « ces liens qui fondent (ce) droit à réparation ». 52. La jurisprudence inaugurée le 19 décembre 1962 n’a pas été démentie depuis lors105. Elle a été confirmée à intervalle régulier par la Cour de cassation106, et encore récemment dans un arrêt du 16 février 2011107. Selon ce dernier arrêt : « En application des règles du droit commun de la responsabilité, lorsque le dommage a été causé de manière concurrente par la faute d’un tiers et par la faute de la victime, ce tiers ou la personne civilement responsable ne peuvent être condamnés à la réparation intégrale du dommage que les proches de la victime subissent par répercussion. Tout en étant des dommages qu’ils subissent personnellement, (ce) sont des préjudices éprouvés par répercussion qui trouvent leur source dans les liens de famille et d’affection qui unissaient la première défenderesse à la victime décédée. En raison de ces liens qui fondent le droit à réparation, ce droit est affecté par la responsabilité personnelle

104. p. van ommeSlaghe, op. cit., p. 1593. 105. La Cour de cassation de France a également adopté la thèse de l’opposabilité de la faute de la victime directe aux victimes par ricochet par un arrêt rendu le 25 novembre 1964 (D., 1964, p. 733 ; J.C.P., 1964, II, n° 13972, note p. eSmein) et par un arrêt rendu en assemblée plénière le 19 juin 1981 (D., 1982, p. 85, note F. ChaBaS). À ce sujet, voy. g. viney et p. jourDain, op. cit., pp. 148-149. 106. Cass., 17 juin 1963, R.C.J.B., 1964, p. 446, note j. KirKpatriCK ; Cass., 19 octobre 1976, Pas., 1977, I, p. 213 ; Cass., 6 janvier 1981, Pas., 1981, I, p. 476 ; Cass., 1er février 1994, Pas., 1994, I, p. 133 ; R.G.A.R., 1995, n° 12 444 ; Cass., 5 octobre 1995, Pas., 1995, I, p. 873 ; Cass., 5 septembre 2003, Pas., 2003, p. 1360 ; Cass., 28 juin 2006, Pas., 2006, p. 1534. 107. Cass., 16 février 2011, Pas., 2011, p. 529 ; R.G.A.R., 2012, n° 14.814.

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de la victime dans la mesure où la demanderesse aurait pu l’opposer à la victime pour lui refuser l’indemnisation de son propre préjudice ». 53. C’est donc un principe de solidarité familiale qui, aux yeux de la Cour de cassation, permet de justifier l’opposabilité de la faute de la victime directe aux ayants droit. Comme ceux-ci ne subissent un dommage que parce qu’ils sont des proches de la victime directe, décédée ou blessée, il apparaît normal qu’ils ne puissent pas se désolidariser de la faute commise par cette dernière lorsqu’ils postulent la réparation des préjudices qu’ils éprouvent par répercussion, du fait du décès ou des blessures. Une telle justification est cependant peu convaincante et est largement critiquée par la doctrine108. Son principal écueil réside dans le fait qu’elle ne peut concerner que les proches de la victime directe, alors que – comme nous l’avons vu – ceux-ci ne constituent pas la seule catégorie d’ayants droit admis à faire valoir un préjudice par répercussion en droit commun. « Si de nombreux cas de préjudices par répercussion concernent des proches de la victime, (…) il existe d’autres hypothèses auxquelles les liens d’affection sont étrangers »109. On songe par exemple au préjudice par répercussion éprouvé par un employeur public contraint à certaines dépenses à la suite du décès ou de l’incapacité de travail de l’un de ses agents statutaires.

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54. Mais comment alors expliquer que la faute de la victime directe puisse affecter le droit à réparation des victimes par ricochet ? Avec le professeur Dubuisson, il faut admettre que « le droit à réparation de la victime par répercussion doit se trouver placé, en raison de la communauté d’origine qu’il partage avec le droit de la victime principale, dans les mêmes conditions juridiques que celui-ci. Il serait en effet anormal qu’un fait qui n’aurait pu fonder un droit à réparation dans le chef de la victime directe le devienne dans le chef de la victime médiate »110. La justification paraît donc devoir résider « dans la nature même du préjudice par ricochet, qui ne peut se concevoir indépendamment du préjudice subi par la victime directe »111. Cette nature particulière implique que « les droits des victimes par répercussion soient affectés dans les mêmes limites et la même mesure que ceux de la victime directe »112. 108. Voy. notamment : B. DuBuiSSon, v. CalleWaert, B. De ConinCK et g. gathem, op. cit., p. 362 ; p. van ommeSlaghe, op. cit., p. 1593 ; J.-l. Fagnart, La causalité, Waterloo, Kluwer, 2009, p. 281 ; B. WeytS, « Familiebanden, aansprakelijkheid en verzekeringen », R.W., 20042005, pp. 81 et s. Pour une opinion plus nuancée, voy. i. Boone et B. Wylleman, op. cit., p. 229. 109. p. van ommeSlaghe, op. cit., p. 1593. 110. B. DuBuiSSon, « Questions diverses : l’application de la loi dans le temps et dans l’espace, le préjudice par répercussion, la situation du conducteur », op. cit., pp. 157-158. 111. B. DuBuiSSon, v. CalleWaert, B. De ConinCK et g. gathem, op. cit., p. 362. 112. Ibid.

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Sous l’angle du droit à réparation des ayants droit, il existe par conséquent une interdépendance entre les préjudices par répercussion dont ils revendiquent l’indemnisation et le préjudice causé à la victime directe. S’il en est ainsi, c’est parce que le préjudice direct vient s’intercaler dans la relation causale qui unit le fait générateur de responsabilité à ces préjudices par répercussion. Ce lien de dépendance du préjudice par répercussion envers le préjudice direct ne concerne toutefois que le droit à réparation des victimes par ricochet, et non les conditions d’exercice de ce droit. Au niveau de l’action en réparation, on observe en effet une totale autonomie de l’action des ayants droit par rapport à celle de la victime directe. Le débiteur de la réparation ne pourra dès lors opposer aux ayants droit des exceptions de recevabilité propres à l’action de la victime directe. À l’inverse, les ayants droit ne pourront se prévaloir de l’action en réparation introduite par la victime directe pour soutenir par exemple que celle-ci a eu pour effet d’interrompre la prescription de leur action. 55. Le principe est donc que le droit à réparation des ayants droit subit les mêmes limites et les mêmes restrictions que celles qui affectent le droit de la victime directe. En droit commun, il se traduit principalement par l’opposabilité de la faute de la victime directe aux victimes par ricochet. Dans le cadre des régimes spéciaux de réparation ou de compensation des dommages corporels, il signifie que si la victime directe ne peut prétendre à une indemnisation, ses ayants droit ne le pourront pas non plus113. Ainsi, dans le cadre de l’article 29bis de la loi du 21 novembre 1989 sur l’assurance obligatoire en matière de véhicules automoteurs, la faute intentionnelle114 commise par l’usager faible décédé ou blessé dans un accident de la circulation peut être opposée à ses ayants droit par l’assureur couvrant la responsabilité du conducteur du véhicule automoteur impliqué dans l’accident115. Cet assureur peut également tenter de faire échec aux réclamations des ayants droit en contestant les conditions d’application propres au régime d’indemnisation automatique des usagers faibles de la route (absence d’implication du véhicule automoteur assuré, accident survenu dans un lieu strictement privé…). 113. B. DuBuiSSon et p. ColSon, op. cit., p. 18. 114. Il s’agit du fait, pour une victime âgée de plus de 14 ans, d’avoir « voulu l’accident et ses conséquences » (art. 29bis, § 1er, al. 6). Sur la notion de faute intentionnelle, voy. D. De Callataÿ et n. eStienne, « De la faute inexcusable à la faute intentionnelle », in L’indemnisation des usagers faibles de la route, coll. Les Dossiers du Journal des tribunaux, n° 35, Larcier, 2002, pp. 101 et s. 115. Cass., 26 juin 2008, R.G.A.R., 2010, n° 14.602 ; N.j.W., 2009, p. 275, note i. Boone ; Civ. Bruxelles, 7 décembre 2010, R.G.A.R., 2011, n° 14.799, note B.D.C.

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En matière de responsabilité du fait des produits défectueux, l’article 10, § 2, de la loi du 25 février 1991 permet au producteur de s’exonérer partiellement ou totalement de sa responsabilité « lorsque le dommage est causé conjointement par un défaut du produit et par la faute de la victime ou d’une personne dont la victime est responsable ». Le producteur peut donc opposer aux ayants droit de la victime décédée ou blessée la faute de cette dernière, tout comme il peut leur opposer les causes d’exonération de responsabilité dont il est question à l’article 8 de la loi116. Dans le régime institué par la loi du 31 mars 2010 relative à l’indemnisation des dommages résultant de soins de santé, l’éventuelle faute du patient, victime du dommage direct, est sans incidence sur son droit à obtenir une indemnisation intégrale à charge du Fonds des accidents médicaux. En présence d’un accident médical sans responsabilité, la loi n’ouvre cependant un droit à réparation dans le chef de la victime directe que pour autant que l’accident « ne résulte pas de l’état du patient » (art.  2, 7°) et qu’à la condition que son dommage soit « suffisamment grave » (art. 5)117. Ces conditions peuvent être opposées aux ayants droit par le Fonds des accidents médicaux. Dans le cadre de la loi du 13 novembre 2011 relative à l’indemnisation des dommages corporels et moraux découlant d’un accident technologique, le Fonds commun de garantie automobile ne procédera à l’indemnisation des ayants droit admis à se prévaloir du bénéfice de la loi qu’aux mêmes conditions que celles qui sont applicables aux victimes directes. En matière d’accidents du travail, il résulte expressément de l’article  48 de la loi du 10 avril 1971 que « les indemnités établies par la

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116. Cet article énonce : « Le producteur n’est pas responsable en application de la présente loi s’il prouve : a) qu’il n’avait pas mis le produit en circulation ; b) que, compte tenu des circonstances, il y a lieu d’estimer que le défaut ayant causé le dommage n’existait pas au moment où le produit a été mis en circulation par lui ou que ce défaut est né postérieurement ; c) que le produit n’a été ni fabriqué pour la vente ou pour toute autre forme de distribution dans un but économique du producteur, ni fabriqué ou distribué dans le cadre de son activité professionnelle ; d) que le défaut est dû à la conformité du produit avec des règles impératives émanant des pouvoirs publics ; e) que l’état des connaissances scientifiques et techniques au moment de la mise en circulation du produit par lui ne permettait pas de déceler l’existence du défaut ; f) s’agissant du producteur d’une partie composante ou du producteur d’une matière première, que le défaut est imputable à la conception du produit dans lequel la partie composante ou la matière première a été incorporée ou aux instructions données par le producteur de ce produit ». 117. En vertu de l’article 5 de la loi du 31 mars 2010, « Le dommage est suffisamment grave lorsqu’une des conditions suivantes est remplie : 1°. Le patient subit une invalidité permanente d’un taux égal ou supérieur à 25 % ; 2°. Le patient subit une incapacité temporaire de travail au moins durant six mois consécutifs ou six mois non consécutifs sur une période de douze mois ; 3°. Le dommage occasionne des troubles particulièrement graves, y compris d’ordre économique, dans les conditions d’existence du patient ; 4°. Le patient est décédé ».

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présente loi ne sont pas dues lorsque l’accident a été intentionnellement provoqué par la victime ». En application de cette disposition, l’assureur loi peut opposer aux ayants droit la faute intentionnelle de la victime directe de l’accident du travail pour leur refuser le bénéfice des indemnités auxquelles ils ont normalement droit. Enfin, dans le cadre de l’aide publique aux victimes d’actes intentionnels de violence, la Commission pour l’aide financière aux victimes d’actes intentionnels de violence peut, dans son appréciation en équité du montant de l’aide à allouer aux ayants droit, tenir compte « du comportement de la victime »118. La Commission peut donc opposer aux ayants droit l’imprudence ou la provocation dont se serait rendue coupable la victime directe pour réduire, voire refuser, l’aide financière demandée par des ayants droit.

Conclusion 56. Le préjudice par répercussion que peuvent subir certaines personnes par contrecoup du décès ou des blessures d’une autre personne (victime directe) constitue en règle un dommage réparable au regard du droit de la responsabilité civile extracontractuelle. Pour être réparable, ce préjudice doit néanmoins, à l’instar de tout autre dommage, être personnel à celui qui s’en réclame, légitime et certain. Il peut être de nature patrimoniale ou extrapatrimoniale. Les ayants droits sont toutes les personnes, physiques ou morales, qui éprouvent un préjudice par répercussion du fait du décès ou des blessures de la victime directe. En droit commun, il n’existe a priori aucune limite à la détermination des ayants droit alors que, dans les régimes spéciaux de réparation ou de compensation des dommages corporels, la notion d’ayants droit est un concept à « géométrie variable » qui sera interprété tantôt de manière large, tantôt de manière plus stricte. Compte tenu du lien de dépendance du préjudice par répercussion à l’égard du préjudice direct, le droit à réparation des ayants droit subit en principe les mêmes limites et les mêmes restrictions que celles qui affectent le droit de la victime directe.

118. l. olDenhove De guerteChin et Ph. verhoeven, op. cit., p. 86.

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