Le désirable et le sublime: phénoménologie de l'Apocalypse

Citation preview

School of Theology at Claremont

1001 1318614

CARACO

Le désirable et le sublime PHÉNOMÉNOLOGIE

DE L’APOCALYPSE

A

LA

BACONNIÈRE

eologg Libpapg

SCHCCL OE THEGLOGY AT CLAREMCNT ornia

1

•f

4

DU MÊME AUTEUR INÈS DE CASTRO - LES MARTYRS DE CORDOUE Deux tragédies classiques parues chez Édit. Bel-Air, Rio de Janeiro, en 1941 LE CYCLE DE JEANNE D’ARC (suivi d’un choix de poésies) plaquette illustrée par l’auteur chez Édit. Arg. A. Quillet, Buenos-Aires, en 1942 LE MYSTÈRE D’EUSÈBE (Prédestination ou libre-arbitre) Mystère illustré par l’auteur chez Édit. Arg. A. Quillet, Buenos-Aires, en 1942 CONTES - RETOUR DE XERXÈS contes symboliques, fantastiques et philosophiques entière: h ent illustrés par l’auteur chez Édit. Arg. A. Quillet, Buenos-Aires, en 1943

LE LIVRE DES COMBATS DE L’AME ri ir Recueil de Poèmes mystiques (Prix Edgar Poe, Paris) chez Édit. E. de Boccard, Paris, en 1949

L’ÉCOLE DES INTRANSIGEANTS (Rébellion pour l’Ordre) n n Essais philosophiques - maximes et sentences chez Édit. Nagel, Paris, en 1952

CARACO H/

PHÉNOMÉNOLOGIE DE L’APOCALYPSE

LA

BACONNIÈRE

Tous droits réservés. Copyrigh 1952 by Editions de la Baconnière, Boudry-Neucbâtel (Suisse)

COLLOQUE PRÉALABLE •—

/•

J

Lui : — Ce livre, que vous publiez, de quelles libéralités le tenez-vous et que voulez-vous entreprendre ? Les bons ouvrages H ne nous manquent pas, les autres surabondent. Sera-ce l’un de ceux n que l’on verra naître et mourir, fol assemblage de sophismes qui n II brillent aux dépens de la lumière ou multitude de ces riens sonores II II clamant au bénéfice d’un mensonge ? Comment s’appelle-t-il d’abord ? — Moi : — Le Désirable et le Sublime. — Lui : — Voilà qui n’est pas trop modeste. Le Désirable embrasse l’univers et le Sublime n’est de nulle part. Mon Dieu, que cela jure ! II Le moyen de les mettre ensemble ? — Moi : — Aussi s’opposent-ils avec fureur et jusques à la fin du livre. — Lui : — Solution boiteuse. — II Moi : — Il n’est pas de solution, il n’est que des problèmes. II Nos vérités sont provisoires, mais il faut l’oublier quand elles nous II affectent, puis se le rappeler un autre jour, sous peine d’en mourir. — Lui : — Or, j’aime les commodités. — Moi : — A votre bienséance ! Mais ne vous plaignez pas si l’on vous laisse à vau de route. Suivre ou périr, telle est notre devise. — Lui : — Je vous suis donc. Ouvrons ce livre indésirable, indé­ rr n II sirable puisqu’il me dérange. Me remuer, malgré mes certitudes ! — Moi : — Vous en aurez de plus nouvelles. Que perdez-vous au change ? — n n Lui : — En premier, ma raison de vivre. — n Moi : — Vos aises ne vous sauveront jamais de l’évidence. Ayez plus de courage et tentez l’impossible. —

7

Il Lui : — Je crains le ridicule et davantage que la mort. — Moi : — Jamais alors vous ne saurez où le Sublime habite. Que II II vous importe la risée de ce monde ? Ayons plus de valeur que lui II n’a de malice ! — Lui : — Le Désirable et le Sublime et puis dessous : Phé­ noménologie de l’Apocalypse. Fracas de mots ! Qu’est-ce que la phénoménologie ? — Moi : — L’art d’étouffer dans l’œuf les mythes ou légendes. Nous n’en voulons plus désormais. Mieux vaut mourir de leur ab­ sence. Nous les empêcherons de naître. — Lui : — Et s’il en naît ? — Moi : — Aucune ne sera viable, où nous ne sommes plus de bonne II foi. Le monde a perdu l’innocence, il est mûr pour les vérités et II « fussent-elles désolantes. Et, s’il faut néanmoins quelques légendes, les vieilles feront bien l’affaire : elles sont éprouvées et solides, elles II renferment des antinomies souhaitables et se retournent volontiers n n entre les mains de qui les fausse, elles travaillent doucement à sa n n confusion prochaine. Avez-vous jamais regardé ceux qui réclament n des légendes ? Non ? Mon Dieu ! Préservez-moi de ces figures ! Des assassins en quête de prétexte ou des folliculaires évirés, puis n une tourbe de marchands sagaces. Dignes apôtres ! — n Lui : — Mais il nous manque un je ne sais quoi d’ineffable. n ’entendez, Cela ne peut se définir, cela ne doit se définir, cela, vous m n se sent, car c’est un rien, une nuance, une impression fugitive et n' néanmoins déterminante. — Moi : — Et là-dessus vous bâtissez le monde. Avec des nuaisons ! n Ce qui nous manque n’est pas la légende, mais une vision de la n réalité, ce qu’un Français nomme une Weltanschauung et que j’ap­ n ’évertue à vous la rendre. Quant aux pelle I’imago mundi. Je m légendes, c’est la consolation des faibles et des abattus, de ceux n que le réel outrage et que la boursouflure a mis en état de paraître. n n Je vous le dis : ces méchants que nous vîmes étaient faibles et ces bourreaux des couards frénétiques, ils nous passaient leur époun n vantement, ils firent de l’Europe une Assyrie à leur manière. Nous n n’avons plus de larmes ni pour nous, ni pour les nations qui la n remplissent : il n’est plus de martyrs, il n’est que des coupables et n le péché suprême est de n’avoir pas triomphé. Ces dures lois et n n n ces maximes effroyables, combien de fois les entendîmes-nous depuis des générations ? Voici que d’autres les subissent, eux qui les avaient à la bouche et croyaient n’en devoir souffrir. Prions pour n n tous ces misérables et que le ciel nous mette en l’impuissance de les n imiter !— n Lui : — Doucement ! —

8

if Moi : — Qui perd la force, il perdra la saveur et les lumières lui fl n viendront à manquer infailliblement à bout de voie, il fera même n fl deuil de la véracité, nourri d’illusions et de mensonges, toujours If en reste avec ses trahisons, jamais en possession de s’en démêler, h II lié de tant de nœuds mal assortis qu’il irait succombant II à la menace if de sa liberté ! — II Lui : — Les vaincus de ce monde n’ont jamais II la ressource II n h d’être aimables, ni même généreux et la noblesse est l’une des pro­ fusions que la nature accorde aux favoris de toutes les batailles. II il L’Europe de demain pourrait-elle le demeurer ? Quand elle le vou­ II drait, en aurait-elle les moyens ? Puis l’évidence, de nos jours, est-elle sa complice ? Il faudra bien qu’elle restreigne son domaine II II en des limites plus étroites, sous peine de se dépouiller sans inter­ II h valle, repli trop légitime et salutaire, encore qu’il la rende moins n ri II aimable, mais est-il bon de s’immoler à telle ri •» ou telle vision et mortelle et flatteuse ? Ceux qui chérirent cette Europe lui feront-ils n reproche de se conserver loin d’eux et même ri plus loin d’elle ? Que II lui demandent-ils enfin? Qu’ils tournent leurs regards vers ceux qui les préviennent et ne l’écrasent pas d’une exigence insoutenable II et que les puissants de ce monde ont peine à digérer, oui, tant de II II peine que, malgré les étendues dominées et les armées mises en bataille, et les ressources incroyables et les prétentions œcuméniques, 11VII ils nous paraissent mainte fois à bout d’haleine et comme dans l’effroi de ce qui les exerce ! — Moi : — Subir l’histoire, je l’entends, n’est pas la faire et toutes II if ri les dimensions se changent à mesure, il semble que la vie même y II II perde une saveur inimitable et ce goût-là jamais ne le retrouveront ceux qui l’avaient perdu. Je ne l’ignore pas : vous y tenez sans le n connaître et vous vous demandez parfois — et plus souvent que n n II vous ne le croyez vous-mêmes — la raison d’un malaise sourd, dont la présence n’est que trop réelle, le double enfin de toutes vos II démarches. — Lui : — Ce double ne nous quitte plus et jusque dans les lieux de la félicité. Il participe à la liesse et c’est pour l’amortir, poids II captivant les fins et les mobiles ; l’on n’ose guère le nommer, lui II qui revêt un mille de semblances, ce double est légion, nul d’entre ri' nous ne le dénombre plus, car il demeure épuisant inlassablement fi qui l’évalue et déroutant qui l’envisage : il est trop familier pour qu’on le tente, I il est trop prévenant pour qu’on le brave, fl est l’in­ ri h time le plus dévorant, lui qui nous change à l’ombre et nous dévoue à la plénière inconsistance. Et qui se passerait de lui n’arracherait iiiif que la tunique de Nessus d’une charnure en flammes ! — Moi : — Heureux lorsque ce double est la chimère d’une spé-

9

culation ! Le fait des peuples avilis est d’être à la recherche de coupables. Où le réel, loin de nous seconder, nous entreprend et Il nous exerce, nous ne pouvons nous avouer notre impuissance et II demandons une victime n expiatoire, afin de nous payer du sentiment II n qui nous abîme et de nous juger forts en tourmentant plus faible n n que nous-mêmes, H et l’on console ceux qu’on humilie en faisant de n plus misérables. Et c’est pourquoi l’Europe sera laide à l’avenir, d’une laideur issue du spirituel et gagnant sur le reste : elle ne sera H plus l’harmonieuse ni la véridique, il lui faudra mentir avant que II H n II de saigner, toujours mentir, se mentir à soi-même en n’abusant II il guère le monde. Province de l’humanité, sans rien de plus et le do­ H maine du vainqueur futur, à qui ses maîtres iront demander des n il bouffons, des artistes et des philosophes, métiers d’esclaves plus n que de seigneurs. Province de l’humanité, lieu de pèlerinage pour les Pausanias énamourés de souvenirs, à charge qu’il en reste et n qu’ils méritent le voyage. — Lui : — Mon cher, votre œuvre ne nous donne pas un art de vivre, mais n bien plutôt un art de végéter. N’avons-nous pas assez n de malheur en ce monde ? Nous nous traînons à la poursuite du réel et l’évidence nous trahit, se cherchant d’autres ports en l’œcun ène. Nous ne savons guère les lieux où le réel abordera, chargé de gloire et de promesse, mais entendons qu’il se déplace et con­ n naissons du moins les endroits qu’il a délaissés pour n’y plus revenir. n Notre harmonie est un gémissement, nos populations végètent ou n languissent, nos bouffons passeront la mer et nos artistes rêvent it n de les imiter. Quant à nos philosophes, ils nous maudissent avec éloquence ou nous consolent en lorgnant ailleurs : ils pensent tous à Carnéade et cherchent tous la Rome de demain. Nous sommes n n destinés à des triomphes inconnus, nous en serons les ornements H n n les plus modestes, n’ayant pas même les honneurs de la défaite. Soyons artistes pour nous racheter aux yeux du monde, si tant est qu’il nous le pardonne. Nous aurons toujours l’esprit de finesse. — Moi : — Or le Sublime jure avec cet esprit-là ! Les fins n’at­ II teignent guère au delà de leurs vœux, jamais le toit ne cédera pour II II eux et jamais ils ne tomberont en l’altitude, la tête la première. Ils charmeront le monde, mais ils le laisseront tel quel, le meilleur II ou le pire, et jamais Dieu ne les allie à l’œuvre de création réelle et lî n subsistante. Car la finesse est un empêchement et trop de fois une II limite involontaire et, comme elle devine tout, elle ne pousse rien à fond et la tiédeur la guette au bout de ses vivacités plaisantes. II La pesanteur est mainte fois la rançon du Sublime et plus un peuple vole, moins la perfection le fixe, encore qu’il y donne à cent reprises. De tout cela que reste-t-il ? Des feux qui s’amortissent et de la

10

cendre qui voltige. Heureux les pesants de la terre qui marchent Il sous le poids de Dieu ! — Lui : — Vous avez juré notre perte et vous nous dépouillez de n nos retranchements suprêmes. Nous forcer là, dans le plus fin de nos lubies inconsistantes, où les barbares nous admirent ! Vous nous coupez la gorge ! Qui voudra désormais de nos leçons ? Le moyen d’étonner les sots qui vivent outre-mer et les sauvages de n la steppe ? Vous ruinez tous mes neveux d’avance. Point de salut, hors de l’Europe : nous sommes les derniers des Grecs et notre fin n doit entraîner celle du monde. Nous le voulons et nous le deman­ dons. — Moi : — Vous êtes les derniers des Grecs et vous avez passé ce que l’Asie avait de plus féroce. Quelles leçons ne donnerez-vous pas au monde ! Je vous souhaite des élèves dignes de vous et de vos soins. — •» Lui : — L’égarement de quelques uns. — Moi : — Et le consentement du plus grand nombre. — Lui : — L’on se rappellera ce que nous fûmes, n avant l’erreur des derniers temps. — n Moi : — Il n’est que la dernière image à faire impression et ceux qu’elle ne flatte plus ont beau s’ingénier à nous vanter l’antérieure, n iiiii le monde ne sera jamais tenu de réformer un jugement commode. Il ne nous sert de rien d’avoir raison durant un siècle où, l’an d’après, notre condition ne nous met plus en état de paraître. Il faut payer de mine et jusqu’à bout de voie. — Lui : — Et votre livre nous l’enseigne ou je me trompe fort. — Moi : — Il ne consulte rien qu’il n’entreprenne et fuit l’allure n avantageuse ou le sublime de parade. Il sait que la grandeur est souveraine et simple, qu’elle ne se dément jamais et se repose aucunefois au faîte de sa précellence : quand l’homme vil admire la conten­ n tion et s’émerveille sur l’emphase, elle en dissipe les nuées, elle en dédaigne l’artifice et trompe volontiers les yeux qui la dépravent H en la voulant toujours ailleurs et le plus loin de son emplacement ii inévitable. Ecole de virilité, mais de virilité sereine, prête à la mort n et consentant à vivre, école de mesure et non pas d’indigence, école de ferveur et non pas d’agitations allant au paroxysme, telle est la fin que l’auteur se propose. — n il Lui : — Que de merveilles dans un livre ! Le supplément au pain des Anges ! Tant de morale pour nous achever ! Vous four­ n nissez le miel dont on embaumait les cadavres. Je vais vous faire n un conte impertinent. Que le lecteur me le pardonne, cela le pourra lî délasser de nos discours, lesquels se suivent et ne se ressemblent pas. —

11

FABLE II II n « La vie semble un arbre merveilleusement épais et riche en fruits de toute sorte. L’entendement vint le dernier. Il mûrit donc n et grossit à mesure, en s’indignant de se voir attaché, jugeant ri n l’écorce rude et les fleurs impudiques, ses compagnons véreux et tout l’arbre un scandale, lorgna les alouettes et les moucherons 9 n II disant : — Mon âme, en quel enfer a-t-il fallu descendre ! devenait plus gros encore et plus rebelle, tirant sur les attaches pour les rompre et ne laissant de raisonner : — Non, l’univers est n mu n fait à mon image et je suis immortel, j’en jurerais ! Je crois en Dieu, n lequel est une gousse verte et susceptible de se fendre, ainsi que ma raison l’enseigne, mais que nul arbre ne retient, que nulle sève ne n nourrit et nulle brise ne menace. Puissé-je voler jusqu’à l’habitacle n et le divin séjour des âmes libérées ! — Pendant qu’il extravague de la sorte, advient un brusque coup de vent : il choit et donne nez en terre sur l’herbette, ses réflexions s’arrêtèrent là. Le voilà blet, n ii n meurtri fort laidement, la proie des géophiles et des mouches. »

tt n Moi : — Plaisant morceau, mais il ne prouve rien. Dieu ne vous est pas nécessaire. — iiiii Lui : — Il est constant que, de nos jours, les hommes d’ordre n n’y croient guère, pas plus d’ailleurs qu’en l’immortalité de l’âme : n n ils en héritent simplement, c’est une affaire de tradition et nous n mu nous rendons à la messe tout comme à la parade, où l’on défile sous les étendards. Si nos aïeux avaient choisi l’Islam ou la doctrine n n n de Mani, les hommes d’ordre seraient musulmans ou même ii n bogoiï miles. C’est une affaire de tradition. Les défenseurs de notre Église ? n Ils la défendent d’autant mieux qu’ils y croient moins. n — Moi : — Je crois au Christ par-dessus l’évidence. — n u Lui : — Et moi, d’abord à ceux qui me L’enseignent. Eux, du u iiiii moins, sont vivants ! Et comme ils se prodiguent ! Sur la doctrine de l’Église je n’ai pas d’avis et Dieu m n ’en garde, s’il existe ! Brebis, brebis et foin du reste : je bêle et je dévore. Nous sommes ainsi faits dans le village. — n Moi : — Il s’agit moins de militer que d’imiter. — n n Lui : — On dit cela, mais que ne dit-on pas ! L’on hu n anise n mu notre foi et c’est tant mieux, nous sommes plus à l’aise. — ir Moi : — Je vous enseigne le contraire dans mon livre. L’obéis­ u sance n’est pas tout et la soumission ne nous doit pas faire oublier le reste. Le corps où tout s’enchaîne par la tête est sous le coup de u tomber avec elle et par sa faute : il vaudrait mieux u qu’il en eût

12

Il davantage et qu’elles fussent à se dévorer, il en résulterait moins de dommage et l’on n’aurait plus d’embarras à choisir la plus sainte le jour qu’il serait expédient de saigner sous elle. — II II Lui : — On ne se porte pas si mal d’avoir les mains rougies, il en est même qui les baisent et, de nos jours, le titre de bourreau II légal ou de sicaire assermenté vaut seize quartiers de noblesse. Saigner, saigner, c’est pour les autres. L’esprit du siècle, cher ami, II le Zeitgeist en un mot. Quant à l’Église, je vous le répète, cela fait n n n une part de nos traditions, de même que la bourrée ou la polonaise, n la gigue ou l’allemande. Si votre livre nous enseigne le contraire, n n iiiii il est séditieux au premier chef, il nous menace dans le sommeil ii le plus légitime et l’accommodement invétéré. — Moi : — Et J. C. ? — , n Lui : — Nous L’avons^fait monter au ciel et nous nous chargeons de la terre. Nous sommes les Juifs d’à présent et nous tenons rigueur aux véritables, auxquels nous reprochons d’abord de L’avoir suscité, n puis de L’avoir crucifié, et même de L’avoir suivi, car si nul Juif ne s’était fait chrétien dans le principe, il est bien assuré que l’on vivrait encore plus à l’aise. Nous punissons les Juifs au lieu de nous embarrasser. — Moi : — Ce peuple singulier que l’on dépouille en le lui repro­ chant, chez qui l’on n’a cessé de prendre et jusque sur l’autel et qui paraît de trop aux lieux dont il est l’assurance. — Lui : — L’assurance ! Nous la payons fort cher, cette assurancen n n là, morbleu n ! Ils mettent tout en mouvement, on ne voit qu’eux au monde, on n’entend qu’eux. Nous leur abandonnons le ciel bien n volontiers, puisqu’ils sont fils de la Maison, mais qu’ils y restent. — Moi : — On les appelle le levain des peuples et l’on veut oublier h qu’ils les cimentent parfois plus qu’ils ne les bouleversent. On leur ri reproche de se mutiner, mais dira-t-on que l’ordre qu’ils ébranlent n n repose sur leur tête et leur a fait commandement de la toujours plier ? Ce qui n’empêche les vilains et de se rire d’eux quand ils n n l’ont basse et de les insulter, dès le moment qu’ils la relèvent. — Lui : — Nous haïssons l’Église dans les Juifs et c’est pourquoi l’Église nous les livre, de peur de saigner à leur place. S’il fallait n ­ qu’on les respectât et qu’elle appuyât leur défense, l’Église tom n n berait à rien : pour nous elle est un mal et cette haine est le remède. n La bonne vieille ne l’ignore pas et s’entend merveilleusement à ménager ses peuples, ses petits payens baptisés, car nous le sommes n ri n tous, à la réserve des illuminés, des fous et des mystiques. — Moi : — Je vous sais gré d’être sincère. Et si les Juifs allaient au Christ ? — Lui : — Je sortirais de notre Église. Que gagnerait-elle à ce

13

change ? Elle y perdrait ses défenseurs. Tout, plutôt que de voir les Juifs à mes côtés ! Ils en profiteraient d’ailleurs pour se placer n II en tête. Un pape juif ? Mais ce serait le comble et la ruine de l’Eglise, ri un Chinois vaudrait mieux. Un autre Pierre ? C’est déjà trop d’un H ’échauffez la bile. — H seul. Et puis en voilà bonnement assez, vous m Moi : — Consolez-vous. — il Lui : — Ma foi, je me console et nous nous consolons les uns les autres, nous irons loin à force de nous consoler et n’avons guère lllll les moyens d’en revenir. Les dieux se taisent et les hommes se re­ n muent, et les auteurs bien davantage. — n Moi : — Pour nous, du moins, seul le silence est méprisable et n n nos grandeurs se veulent éloquentes, nous devons même enfler la voix et clamer par-dessus les têtes, nous sommes courtisans de la faveur publique et l’avenir pour nous est une table de lecture, n fût-ce d’ici à mille années. — Lui : — Je vous prédis à tous, artistes et folliculaires, un éternel oubli d’ici à quelques lustres. — ii Moi : — Prophète déplorable ! En quoi l’avons-nous mérité ?— Lui : — Vous êtes des dégénérés, des Byzantins, des imposteurs, n vous vous moquez du monde n et vous vous soutenez de pays à pays, H H vous louangeant les uns les autres, fermant la bouche à qui démasque H votre fourberie insigne, vous empêchez les vrais talents de parvenir II et ruinez ceux qui ne vous ressemblent pas, vous formez une chaîne, enfin la conspiration du mauvais II goût, de la sottise et des perver­ sités. — n; Moi : — Que nous demande-t-on ? Que nous reproche-t-on ? n On parle trop de l’art dégénéré, mais le moyen de trouver là ce qu’on n ne cherche plus ailleurs ? L’artiste n’est que le miroir du siècle et II n lui renvoie une manière d’abrégé fidèle, ce malheureux n’est pas il en cause et n’a puissance de tenter un changement. Que si nous vivons à l’incertitude, l’art dépérit, enveloppé dans un remous, II n remous le combattant sans cesse, toujours en peine de ses fins et n toujours égaré, mis dans le cas de ne jamais s’atteindre et devant n n repartir sans intervalle, en ne sachant pas même d’où. Mon temps 11 II a l’art qu’il avait mérité, le demeurant n’est que feintise, il n’a pas à charger ceux qui le peignent à sa ressemblance : la faute n’en est II qu’au modèle et le modèle déplorable. Cela ne légitime pas l’erreur II de tel artiste ou l’indigence de tel autre, mais si l’inavouable s’en­ hardit et que l’horreur triomphe au point d’affliger nos regards, II l’abus suit de l’infirmité, non pas de l’insolence et l’harmonie n’au­ rait qu’à paraître : tout se rétablirait à la faveur de ses délectations II II prévenantes. Or l’harmonie exige une conformité de vues et de li­ mites, laquelle ne peut s’établir, faute de I’imago mundi. Le déclin

14

If de nos arts procède là d’un général ensemble et nous le manifeste If en un redoublement d’aveux lugubres, fort susceptible d’ajouter à nos misères — si l’infini supporte qu’on l’augmente II ! — Mais croire telle ou telle coterie en possession de tuer le Beau me semble II II If un jugement digne d’un Iroquois. C’est aussi ridicule que de réclamer H une légende. Redevenez enfants ou soyez hommes jusqu’au bout. — III II Lui : — Redevenir enfants ? Nous sommes trop pervers. Être 1111 f hommes jusqu’au bout ? Il faut s’incommoder outre mesure. — II Moi : — Que prétendez-vous faire ? — Lui : — Nous servir des enfants pour ruiner les hommes. mil Sancta simplicitas ! Ainsi nous régnerons jusqu’à la fin des temps. Nous lilll sommes les suppôts du diable. A nous la terre et toutes les églises. Non, nul ne nous échappe et J. C. pourra dix mille fois descendre, II Il mourra néanmoins et cé jour-là nous commençons. Petit mystique, prenez garde ! Vous êtes notre boucher vivant, après lequel nous poussons notre batterie. Oui, nous avons besoin de vous, vous êtes II le miroir aux alouettes, nous vous respecterons ou nous vous brû­ lerons, cela dépend de l’heure, puis l’on vous canonisera. Tenez-vous II bien, mon jeune ami, les bigots vous regardent. Tenez-vous bien et II taisez-vous : les vrais mystiques font silence. — Moi : — Je ne l’ignore pas. — Lui : — Alors pourquoi ce livre ? Ce livre troublera les simples. II II Laissez votre imago mundi, le monde ne veut rien savoir et laisseznous les Juifs. Vous parlez d’une certaine Église invisible, n’est-ce pas ? J’ai lu ces mots affreux dans les dernières pages. — fi n Moi : — Mon mysticisme n’est pas une fin uniquement et je n ’en sers pour mieux rr m entendre. — n Lui : — En faire un moyen de la connaissance et s’élever si haut pour aboutir à des échelles de valeurs, que dis-je, à tel ou tel il ri dénombrement de la nature la plus simple ? Vous cultivez le para­ n doxe et vous ingéniez à me surprendre. Et quoi ? Vous consultez les divins attributs, vous passez par les nuits et l’horreur d’une double solitude — et la seconde encore plus épouvantable — et n n ce cheminement illustre à quoi vous mène-t-il ? A des ravissements n n muets ? A ce fameux silence qui dit tout et ne révèle rien ? Que non ! A des commencements de certitude pour la conduite d’un n n ouvrage temporel ! Quelle aberration, mais elle est singulière et d’une impertinence sans égale. — if if Moi : — Je me détourne de mes fins, à dessein qu’elles m’ac­ n compagnent en la chute. Non, je ne reste pas là-haut. Et qu’a fait Dieu ? S’est-Il pas engagé dans le sensible ? Je suis le Maître pour II ’enseignera n n qu’il me relève et, si je tombe, c’est par Lui, Lui qui m II II la voie, la voie étrange où l’on est proche de son Dieu sans même

15

Le connaître et plus abandonné quand nous participons aux faveurs 11 manifestes. — Lui : — Dans quel objet ? — Moi : — C’est pour vous débusquer. Nous quitterons le siège If des plaisirs divins, à seule fin de vous croiser au bon moment et de vous mieux II jeter à bas, de nous précipiter à votre tête et de vous II II rompre bras et jambes. — Lui : — Monter si haut ! — II Moi : — Pour tomber avec plus de force. — Lui : — Nous voilà prévenus. — II Moi : — Enchaînez vos raisons, dressez vos batteries et massez II vos légendes, ô défenseurs de la mauvaise ivresse ! Nous prierons pour vous en ne laissant de vous abattre. — Lui : — Non, non, nous finirons par nous entendre. Vainqueurs, fl vous prenez notre ressemblance. Vous en avez déjà le ton. Nous égorger ? A quel profit ? Pour les beaux yeux de ceux qui nous re­ gardent ? Nous partagerons le domaine, il est assez de place et le lllll pays si large et les esclaves légion ! Nous sommes dignes l’un de n l’autre. Accommodons-nous aux dépens du reste, allons nous em­ 11 If brasser, ils nous applaudiront. Ah ! quel spectacle, mes amis ! fl Quelle alliance indéfectible en l’au delà du Bien comme du Mal ! II Jenseits von Gut und Bôse ! Nous y joindrons les plus fameux de n ri vos mystiques, c’est proprement leur carrefour, nous serons tous fi il mystiques, élus de la nouvelle enfance et les mignons de Dieu, Dieu pur néant sans âme il ni frontière. — Moi : — Pas d’alliance ! La guerre ! — Lui : — Vous ferez provision de palinodies et vous les chanterez, oui, toutes, car le réel déroutera vos conjectures. Régnez et vous n serez mis dans l’alternative ou de vous démentir ou bien de vous H n démettre. — Moi : — Or, nous ne voulons pas régner, nous resterons derrière II le rideau, nous ne voulons pas triompher, car nulle vertu n’y résiste : nous serons là pour consoler les justes abattus et menacer leurs If II victimaires. S’il y a cinq personnes dans une maison, N. S. est venu pour les opposer trois contre deux, deux contre trois et puis chacune fi If au profond d’elle-même. Voilà notre mesure et nos ambitions. — n Lui : — Je me fais une loi de les trouver mauvaises. II — Moi : — Nous vous déchirerons sans intervalle, les gardiens du II remords, les nourriciers de la divine incertitude. Voilà notre pou­ II voir, celui qui marquera les âmes, et c’est la tâche de l’Église, de II II l’Eglise invisible et véritable qui jamais ne se manifeste, à moins que Dieu ne l’institue en nous abolissant. Le ciel nous garde des puissances et des privilèges ! —

16

n Lui : — Courage ! Nul n’ira si loin que vous, mais vous en re­ h viendrez comme tant d’autres. — Moi : — Et nous repartirons sans cesse. Nous serons pauvres, n méconnus, obscurs, invulnérables et présents. — H n Lui : — Quelle humilité formidable ! Plus vous serez modestes, il H plus vous serez avides. Dix mille exemples le démontrent. — n Moi : — Il suffit d’un qui les traverse. En quelque lieu du monde, iT en quelque temps du monde, un homme sera touché par la grâce, niii n un homme aura la pleine connaissance, un homme verra ce qu’il n est permis de voir et, tant qu’il vit dans le silence et le mystère, le Mal est bravé dans sa force, et tant qu’il vit et qu’il respire il est un point de l’univers où Dieu réside avec Ses légions. — n Lui : — Cela vous fait-il une belle jambe ? Nous les y laisserons tous deux et n’en vivrons' pas moins. — n Moi : — Vous en avez menti. Ce point vous embarrasse plus que l’univers ne vous contente, il empoisonne votre joie et tire à n lui ce qui vous fonde. On ne possède rien, manque de ce point-là. — Lui : — Je fais donc vœu de pauvreté. Allons, vous percez les nuages ! — n Moi : — Craignez ma chute ! — IT n Lui : — Je me rétablirai. Comme de juste, on ne meurt pas d’être n un peu foudroyé. Nous nous valons, mon cher, car si vous l’emportez, vous devenez pareils à nous, sinon vous êtes inutiles. Vos précellences ne résistent pas à votre domination et vous mourrez toujours d’avoir n eu l’avantage. Ou vous dérogerez à la promesse ou nous nous char­ gerons de vous anéantir sans faute. Pour que la vertu règne, il faut que l’homme saigne et l’homme n’en a cure. — Moi : — Jusqu’à la fin des temps... — Lui : — Nous lutterons ensemble. — Moi : — Je suis le Bien. — n ’avoir tenu tête. — n Lui : — Et devenez le Mal du simple fait de m Moi : — Le Mal, c’est vous. — n ri n Lui : — Le titre n’est pas méprisable et le meilleur du monde n dans mes intérêts. — Moi : — Je vous le cède. — ïï ’en contente. Dieu me n Lui : — Et moi, je m préserve d’être fier n n et de briller à mon dommage ! Gardez votre prérogative et ce fameux ii emplacement où Dieu réside avec Ses légions. — Moi : — Nous lutterons ensemble. — n Lui : — Cela vaut mieux que de périr d’ennui. Le Mal n’est pas fâché qu’on lui résiste et le moyen de faire violence à qui bat n la chamade ?— Moi : — Le Bien non plus d’ailleurs. Nos lecteurs ne seront-ils

2

17

H pas déçus ? Ils aimeraient nous voir finir cette querelle, mais tant qu’il est des hommes et qui pensent, les débats resteront ouverts, n n les solutions provisoires, les fins des accommodements boiteux et les mobiles des prétextes. Qui cherche le repos se voue à l’esclavage II et qui ne veut agoniser en l’altitude est l’objet du mystère au lieu d’en être en plus le sujet et l’accord. Honneur à qui se gagne au delà du mobile et de son immobilité ! —

18

LIVRE PREMIER

DU SIÈCLE D’A PRÉSENT

I L Allure de l’histoire

Le siècle d’à présent ne veut plus de légende, l’histoire y file si bon train que II II nous n’avons puissance d’en former, le temps s’y précipite en un II remous jamais semblable à ce qu’il n’aura cessé d’être et nous II ii n nous perdons au milieu de tant de mouvements de fuite que l’ana­ lyse en est une imposture et la plus signalée : à peine telle ou telle ébauche se dessine-t-elle que des ellipses la remplacent, nous tenant II lieu de ce qu’elle n’avoue, où tout menace de se déclarer et n’aboutit qu’à se reprendre. Nous vivons en retard de quelques définitions n lllll et comme en un suspens multiplié par tant de solitudes, comme n en un heu fait d’un amas d’absences, comme en un vague issu d’un II II nombre incalculable de linéaments, comme en un vide regorgeant II de démesures.

Hiii L’immensité nous fuit, l’immensité nous abandonne et tout l’espace n’est que souvenir, le monde qui nous parut vaste est devenu la prison de l’espèce et l’heure n’est pas loin que nous étoufferons d’y vivre. ir n Il ne nous reste qu’à le transformer en tirant le meilleur des fonde­ n ments que l’on délaisse, il n’est pas convenable de tout subvertir, n il n’est pas sage de tout préserver. Si l’homme est l’être le plus n alléable, il n’est pas nécessaire qu’il l’entende et nous devons le n changer en douceur, vu qu’il n’agit qu’en s’estimant invariable : n n il nous faut muer l’homme avec le monde et jamais l’un sans l’autre, n visant à l’harmonie, laquelle est l’ordre avec l’état de grâce indis­ solublement liés.

II. Figure de l’espace

19

III. État des lieux

U Le siècle d’à présent a mis nos règnes en balance et nous ne pouvons rien sur lui, bien qu’il nous doive toute chose ; il n’est plus temps de pallier ce qui II ne souffre de remède, II où l’univers a joué ses limites. Le monde est clos, nous sommes entre nous et destinés à nous subir mourants, vivants, inexorables. Au reste, la fatalité n’a-t-elle pas changé de II n camp? n’est-elle pas entre nos mains? Un acheminement de tant n de siècles nous y mène II et s’emploie à nous y fixer qu’il ne subsiste II que l’espoir de demeurer en place, mais tout se meut en dépit de n nos soins, tout se déchaîne en le recoupement des suites insensibles, n les révélations mises n en branle et les mystères éventés, puis de nouveaux mystères nous assiègent de plus loin, l’espace vire à n II n découvert et les abîmes s’y déversent. Au milieu de ce monde clos, liai i à qui nous sommes entravés, les vastitudes s’ouvrent et les yeux ii s’y plongent : des îles, des enrochements saluent les navigateurs, n des promontoires souverains, et l’âme bondit en son au delà tissu de normes n amovibles, n les regards fouillent les étoiles violées, de n lumineux enlacements se trouvent pris dans un filet de chiffres et les systèmes II les plus écartés avolent du chaos pour se ranger aux lieux que nos dérives leur assignent.

IV. Invention de notre solitude

II est patent que de nos jours iiiii l’homme a redécouvert la solitude n n et s’ingénie à la peupler, mais il est manifeste qu’il s’en tire mal et n trop souvent à son dommage, où creusant les motifs dans les matières n décidées, il ne parvient à s’établir, ne se confirme nulle part, ne table sur nulle assurance à couvert du litige et qu’il est seul face à luin même, aux autres comme à l’univers, seul, destitué de pouvoir et n n’étant rien, hormis ce qu’il possède. De là le général désir de combler n un esseulement irréparable, à quoi s’ajoute l’émulation de percer n n un chaos de lois et de systèmes, l’homme étant le plus démuni, sans laisser d’être le plus riche, encore que son opulence, ne lui iiiii donnant accès auprès de ce qu’il en espère, lui soit éminemment n à charge. Le monde informe où nous nous remuons étouffe nos n n murmures, il nous enseigne cependant qu’il n’en est d’autre à l’avenir et qu’il faut ramper sous le joug, les vieilles fascinations se meurent à l’épreuve et l’homme, investi d’antithèses, en vient à trancher ce qu’il ne dénoue plus. Nul ne l’éclaire sur des intérêts dont il est n évident qu’il ne discerne pas l’affirmative, on l’engourdit, on l’as­ n n soupit dès le moment qu’on ne l’exalte point et met en œuvre des ressorts tenant à ce qu’il a de plus couvert, on le dépouille de son naturel et s’insinue dans les fibres de sa contenance, on prend des 20

sûretés qui le ravalent, on l’investit, on le retourne, on fait justice de sa volonté, le voilà prêt à nous servir, nous, les dépositaires de H son âme, et nous en état d’abuser d’elle et de lui, formant notre II demande en règle.

V. La solitude légion

Que d’hommes qui se cachent ! que llill d’hommes qui se taisent ! que d’hommes méconnus en l’ombre de leur prince ! Et qui ne les ignorerait et dès l’abord ? et qui ne tremble face à tant de solitudes ? et s’il II avait à les juger, à donner à chacun à la mesure de ses œuvres, II que ferait-il ? que ne ferait-il pas ? A-t-il ressource de se mettre en branle et de les dénombrer, afin de les connaître ? Il n’aura n d’autre issue, à bout de voie, que le mensonge ou la subversion, n que l’arbitraire ou le chaos et parfois seulement un lustre d’harmonie, reflet de la divine empreinte. Qui parle de justice où tout n’est H qu’à la force et l’œuvre la plus haute a besoin de martyrs et de il martyrs involontaires ? De qui se raille-t-on ? Mais que sauver n d’abord et le moyen de porter assistance à qui retombe en l’aber­ ri ration où nos secours lui viennent à manquer ? Et que devons-nous n à tous ceux qui vivent au jour la journée et, mis en état de prévoir, ti n n’ont voulu consentir et s’en déchargent sur nous-mêmes, qui mul­ n tiplient en leur indigence et peuplent l’univers de malheureux qu’ils abandonnent à nos soins ? Avons-nous à les consoler et puis de quoi ? n De leur indignité ? de la malice de ces gouvernants qui les engagent ii à persévérer à seule fin d’en envoyer des milliers à la mort ? Que savons-nous ? que pouvons-nous et que devons-nous entreprendre ? n Nous demeurons saisis. Et quelles règles invoquer face à la démesure ? et quel exemple ? et quel passé dont l’héritage ne soit inutile ? Voilà le point où nous en sommes : il n’est de fuite qu’en avant.

u n Un peuple multipliant sans mesure est n n dans le cas de mériter un châtiment n sévère et se condamne à mourir plus nombreux. Le siècle d’à présent est sujet à la frénésie et nul n’entend rester sur les arrières, on craint de n’être pas assez si l’on ne se déborde et chaque vide appelle ii un nombre immense immensément accru de mille parts ; l’on fait la sourde oreille à qui nous vante les retranchements indispensables, mais l’on accuse telle ou telle nation de n’être pas assez infortunée, à cause qu’elle est raisonnable, et la jalouse avant que de la menacer du surplus de ses propres gens qu’il aurait mieux valu laisser au fond des limbes. Les religions veulent des adorateurs, les gouverir

VI. Triomphe de la mort

21

if ri nants de la milice H et d’autres même des esclaves, l’on pousse d’un if commun accord à ces manœuvres II inconsidérées, le flot des misérables n nous va submergeant, des continents entiers s’épuisent vainement H il ii à les nourrir et, faute d’un soulagement, implorent qu’on les saigne d’abondance. Le siècle d’à présent n’est qu’à la mort et c’est pour lï la magnifier que les vivants se multiplient. Nous n’achevons de n il lui vouer les innombrables naissant parmi nous et la muette ne se II rassasie, nous pensons l’étouffer, mais elle nous désole.

II Nqus sommes rendus à l’enfance et dépouillés de ce qui nous appuie, où tout nous semble de ressource et nulle chose de secours, et malgré II la profusion n’est-ce pas là la marque de notre indigence ? Nous sommes pauvres au superlatif, nous devons obvier aux suites de II nos gains, nous prémunir contre la violence de nos lois et, triomphant du monde, envisager le pire au sein d’une fatalité nouvelle, fatalité If dans un degré plus éminent que celle de nature et moins sujette II à nos emprises, vu qu’elle nous demande de nous diviser et contre nous d’abord : il ne nous reste qu’à nous affranchir de nous et l’uni­ II If il vers nous sera doublement soumis. Or, nous manquons de voies et de mesures, II et consultant les moyens en usage ou les lumières de la foi reçue, il nous paraît que les difficultés reviennent, les éléments II de notion ne nous tirant de l’impuissance ou produisant quelque II dérèglement en nos ouvrages, bien qu’ils prétendent à nous éclairer. II Nous vivons sous le charme et nous ne discernons de biais. Nous fl sommes, dis-je, rendus à l’enfance, à l’innocence non, ce qui ren­ II verse l’appui le plus ferme et déconcerte les menées des hommes II trop malicieusement enclins à nous donner le change et qui s’ap­ ii pliquent à nous abêtir sous le manteau des fables prévenantes. n L’on voudrait que ce temps fût derechef à la mythologie, mais notre espèce a découvert bien des pays et rompt souvent les pièges II II qu’on lui dresse, la foi se double d’une foi mauvaise et jamais la II simplesse ne l’éclaire. On nous enferme en l’innocence et nous astreint à l’ingénuité, l’on en fait son étude, l’on rêve de nous changer au fl If troupeau, de nous mener à reculons, de nous alimenter de fraudes et d’énigmes.

VII. Temps de l’enfance

VIII. Temps de la servitude

II II Où sont les maîtres légitimes ? On séduit nos enfants qu’on ôte à leur II II famille, on les déprave et l’on dispose de leur âme encore généreuse H à seule fin de les précipiter à la rescousse de l’abus, ils meurent à

22

Il foison pour le salut des parricides, ils meurent aveuglés en martyrs méprisables, on les attache agonisants sur une croix mauvaise. Où II H sont les maîtres légitimes ? Nous nous vengeons pourtant de nos bergers indignes, nous les avilissons, les obligeant à se produire, ils se remuent sous nos yeux, ils nous caressent et nous flattent, •I ils se conforment à nos goûts et les préviennent d’industrie, ils iront II même se prostituer et, morts, nous violentons leur dépouille. Si notre vie est un enfer à cause d’eux, nous le leur payons de retour II avec usure et profanons l’Olympe de ces dieux immondes. Le bel II ouvrage et comme il nous honore ! Où sont les maîtres n légitimes ? H Nous languissons après les justes lois et ceux qui les défendent. II Où sont les maîtres légitimes ? Qu’on nous les restitue ! A quoi H se peuvent-ils connaître ? A ce qu’ils nous chérissent malgré nous, nous aiment invinciblement et sans nous cajoler, nous II servent et ne le proclament pas à son de trompe, ayant notre aise en vue et davantage que leur lustre, et qu’ils négligent de II nous étonner. Je le demande à tous : qui nous affranchira des bateleurs ?

IX. Néant de l’imposture

II Nous trempons assez généralement dans l’imposture et qui se met en peine de nous éclaircir ébranle notre assiette et, loin de mériter notre IIIII faveur, nous incommode avant de s’attirer nos foudres. L’on ne n réprouve le mensonge qu’en peinture et vit très doucement sous n sa tutelle ; les vieux régimes sont les complaisants de notre liberté, bien qu’ils n’en parlent guère, ils s’ouvrent à nos prévenances, il ils ne se ferment point à nos abouchements, ils ne promettent ii rien à vue d’œil et nous demandent peu de chose, leur bonne n foi n’est que prudence et leur malice la plus émoussée. Qui se propose de confondre l’imposture est dans le cas de nous la iiiii il rendre chère et ses vertus nous payent mal de nos dilemmes : il vient, il nous arrache à l’indolence la plus douce, il nous oblige n n. à tout reprendre et fixe nos désirs mollement dans le choix balancés, il en dispose pour ailleurs, il désenchante, il donne des soupçons à qui ne prendrait de l’ombrage et, d’inventaire en n inventaire, il nous exerce et met le fer à la racine. Auparavant, n nous étions libres de nous tirer d’embarras et l’on n’avait souci ri ­ n' d’une gouverne lâche et paternelle, armée seulement de faux rem parts que l’on feignait de craindre en n’y laissant d’ouvrir un n mille de passages. Au siècle d’à présent, nos droits en l’air se sont multipliés n de telle sorte qu’ils nous emprisonnent et que la liberté n’est plus à notre usage.

23

X. Nouveaux despotes

Les peuples d’aujourdhui n’estiment guère n ceux qui les régentent noblement, j’en­ it il tends qui leur faisant du bien n’y mettent de la complaisance, mais n souffrent tout de ceux qui n’en dissemblent point, qui les oppriment même à charge de les rassurer : ils prisent davantage une manière n n de tyrans à leur mesure n que des saints qui les ignoreraient en ne laissant de les servir.

H II paraît bien que de nos jours l’empire est dans le train de choir entre les mains du peuple, ri n lequel relève notre tiers état, lui-même usurpateur de la noblesse. L’avènement du dernier ordre, de la misera plebs, a lieu de tirer II n à des suites générales en possession de marquer les lettres, l’art et n tous les modes n de pensée, outre les formes de la vie et nous serons II n témoins d’un change en profondeur gagnant sur l’œcumène. Les n maîtres sont pour l’ordinaire à la semblance des conditions : du temps de la noblesse ils se moulaient sur elle et fussent-ils venus II d’ailleurs ; après le siècle des lumières, les souverains descendent II de leur trône et se composent l’air le plus bourgeois, mais à cette heure il faut se ravaler et tellement que l’on se vante d’être issu de rien et s’encanaille à perdre haleine : on voit des princes fiers iiln de commander sous quelque rustre en portant sa livrée, l’élite d’une nation se travestir et soulever la plèbe, de peur qu’elle ne la renverse ; il n on voit les maîtres au balcon flatter le monstre à mille têtes, lui ii n u demander l’investiture et légiférer en son nom, descendre même dans la rue et danser et se donner en spectacle ; l’on a vu tout cela, n ii l’on verra mieux encore et sans mentir, c’est l’air du temps avec n lequel il nous importe de nous conseiller et c’est l’allure à prendre n' ou le régime à suivre, de bonne ou de mauvaise grâce.

XI. Misera plebs I

n XII. Les riches de demain

L’on parle d’abaisser les riches, mais n II l’on oublie que les maîtres qu’on se donne auront de quoi les égaler et le pouvoir a ses délices. Mieux II vaut un riche démuni d’empire ou le devant à la séduction que les II' puissants de petit lieu dominant à leur guise et disposant de toutes les ressources : est-il croyable qu’ils s’en privent à la longue et qu’ils n’achèvent par se faire un sort ? Nous aurons d’autres riches, II n désormais, devant lesquels nous semblerons de misérables serfs H n dénués d’armes. Nous nous raillons de l’opulence mal gardée, à la ii n; n merci d’un général assaut, mais nul n’a murmuré contre l’usage II n d’une force sans limites, de même qu’on ne se rebelle plus en face

24

des fléaux de la nature. Le siècle d’à présent a besoin de fatalité, lassé qu’il est de se choisir : il la demande à ceux qui le modèlent Il et leur accorde tout le reste, à charge qu’ils l’en puissent exempter.

XIII. Prestige de l’égalité

II L’égalité métaphysique est un nonsens dans la rigueur des termes. Si II l’on se contenait dans les limites les mieux ajustées, l’on en ferait son deuil sans trop de peine, mais c’est un changement que nul II lllll n’opère et l’on adhère sciemment à l’équivoque en ne laissant d’appréhender les dérivations : or, les effets répondent de la source et l’on a tort de chanter la palinodie en déférant à l’abus manifeste. II II Et le moyen de soutenir l’illusion et l’embarras, où l’on s’engoue II des beautés de l’une et maudit les rigueurs de l’autre ? Voilà bien II les prestiges de la fable et les attraits de la métaphysique, mais II nous les payerons un jour en y laissant plus que des mots, car ces mystères parlent pour la galerie. Il est plus généreux de dissiper II l’erreur que de la maintenir en obviant aux légitimes conséquences : ou nous nous refusons ou nous prenons le tout en charge et qui se joue à la suréminence du principe a l’obligation de servir la querelle, II enfin de se démettre. L’on eut d’abord le privilège d’immortalité, lequel fut du ressort des maîtres et des rois, l’on étendit ce privilège II aux postulants les mieux doués, puis ce devint une façon de droit II II qui se rendit universel et parut même une évidence imaginaire, l’on II parla gravement de cette mort qui nous fait tous égaux et de ce juge­ H ment où les monarques tremblent et les gueux sont exaltés, puis, la foi s’éventant, l’on voulut retenir ces rêveries agréables, les préve­ nant dès ici-bas par une convenance naturelle. Avouons toutefois que l’on eût pu changer de spéculations en d’autres siècles, donner dans n n la migration des âmes p. ex. lequel est un principe rassurant et justi­ n fiant l’inégalité de point en point, mais à cette heure nos délais ii expirent, nos raisons tombent et nos théorèmes, l’enchaînement ta entre en effervescence et, faute de remèdes, nous cédons à l’orage.

XIV. Menace de l’égalité

ri L’égalité métaphysique emporte l’autre et fût-ce au bout de générations, voire II ri' de siècles ou de millénaires, l’histoire nous le montre bien et l’âge il où nous vivions l’illustre : elle est une menace suspendue et qui II s’augmente ri en l’ombre, insidieux mélange duquel nos machinations ri II n’épuisent la fécondité, la fin promise et le commencement en l’ab­ solu nouveau qu’elle établit nous signifiant la sentence. L’on con­ ri' jecture volontiers qu’elle s’achève en une impasse et se promet de

25

Il longs atermoîments avec le dessein de l’y retenir, mais elle s’en II n évade et nous astreint à des manœuvres plus ardues qui nous ré­ n duisent insensiblement II à la mauvaise foi. Nos menteries ont beau II se redoubler, nous végétons dans une alarme ruineuse, apologistes morfondus et plus cruels que l’adversaire où nous nous savons plus injustes, nous rendant monstrueux de peur de nous sentir coupables. Qui nous seconde se déprave et qui nous innocente se détruit, nous II sommes au détour suprême et notre domination touche à sa fin. II

II Fait digne de remarque et d’épouvantement, II les pires forfaitures de ces temps sont l’œuvre d’hommes éclairés, issus de parents honorables, nourris souvent dans une aisance générale et désireux de préserver II l’acquis, au prix d’atrocités sans nombre ni mesure, ayant pour IIIII commensaux des gens de petit fieu que leur bien-être a fascinés et II qui, loin de les jalouser, leur prêtent l’appui véhément de leur fureur désemparée et de leur crainte ambitieuse, affreuses gens n II II que la misère affole et mue en monstres douloureux, âmes damnées n1 n des conservateurs et, malgré leur ignominie, moins redoutables que ii i les riches leur donnant l’oreille, à cause qu’ils sont tourmentants II II II et tourmentés, martyrs à leur manière et que les riches sont des monstres tièdes.

XV. Défense des heureux

IIIII II XVI. Dilemme sur l’humain

Que le partage de ces temps est de iiiii nous engager dans un dilemme sur n II l’humain, lequel est toujours de saison, toujours ouvert, mais dont II les constellations se changent à mesure et dont l’appel ne souffre II de retardement, dilemme apparemment tranché voilà des siècles, dilemme sans litige et de plénière autorité dont la solution avait pris fonds sur l’iMAGO MUNDI la moins sujette à la caducité, malgré n n II retouches et remanîments, dilemme en passe de nous engloutir et n que nous affrontons munis d’une abondance de moyens touchant n à l’indicible, dont les pullulements nous tiennent en alarme. Or, n comme il sied de vivre en attendant, loin de dicter un jugement II valide, on tombe en la nécessité de brusquer l’aventure, quitte à se faire violence, et de se rendre au provisoire, de mode qu’au II II mépris de l’opulence on est mis à la gêne et que les définitions les II plus universelles se sentent de nos pauvretés. Faute de mieux, l’on n n prône ouvertement un genre d’hommes qui n’en sont ou ne le sem ii ­ n n blent qu’à demi, mais que leur nombre seul investit d’une majesté n ri suprême, de pauvres gens qui vivent de rencontre, à la merci des

26

ri lendemains, esclaves de leurs sens et de leurs préjugés, n’ayant que des vertus instrumentales, ombres chétives qu’on remue ri avant que de les abêtir et dont les méchants se remparent dans l’attente. Voilà notre modèle et qui soulage plaisamment l’infirmité, commode uni n à régenter de la manière la plus absolue et satisfait de peu de droits, II pourvu que tout le monde essuye un dégoût unanime et languisse H n en un tremblement pareil, dont le mérite est de n’en pas avoir et II de ne ressembler à rien, afin que l’on s’y puisse reconnaître.

II II XVII. Fin de l’humanisme

ii Quand l’humanisme tombe, la nuit se lève et les démences briguent, où II II chaque mouvement emporte, les acquêts des peuples et des géné­ II II rations : c’est un palais mis au pillage et qu’on démeuble en moins de rien, que l’on délaisse et qui s’écroule. On le remplace prompte­ II II ment par une citadelle énorme et vide, si ce n’est d’un nombre lllll II immense de captifs et de leurs maîtres.

XVIII. Gratuité il II de l’humanisme

II II ­ L’idée de l’humain sait mal défendre qui l’em ploie et n’a de force où l’homme se déclare, et l’homme se déclare toujours à l’encontre d’elle, II à l’applaudissement des galeries. Les spectateurs ne s’imaginent point que ce déni les range à l’arbitraire et qu’ils sont en péril d’en II être les victimes consentantes, ils donnent voix et sentiments, et donneraient bien davantage en attendant de se livrer. Allez donc II II prêcher l’harmonie à qui se tient fait de néant, mais brûle d’en sortir II et ne le peut qu’à l’aide de la violence ! Il est facile d’allumer autant II d’embrasements que l’on voudra, mais une servitude volontaire II est une marque de profusion dont nous ne pouvons affecter ceux II II que ravale la nature. Si l’on impose l’humanisme, on court le risque n de l’adultérer et sa faiblesse émane de sa liberté qui s’y attache nécessairement, en sorte qu’il ne dure guère devant les abus et souffre mal qu’on l’en protège. C’est la plus excellente fleur et qui ne s’ouvre que par intervalle et dans l’enceinte d’un palais ou d’une ville close au demeurant de l’univers, bien que tout l’univers y tienne. Hors n là, point d’existence digne de nos soins : de la rigueur sans la mesure, de la roideur sans la noblesse, des superstitions et de l’absurde en ÎT guise de lumières et de grâces, point de raison ni de beautés et pour II quelques élancements sublimes l’épouvantail de mille horreurs. Malheur aux temps où l’infini ne semble pas de trop afin de nous II donner mesure de l’humain, où pour un homme qui s’y gagne l’hu­ n manité s’y va perdant !

27

De nuit, quand le théâtre cesse, la rue est pleine à déborder et tout II n lllll n’est qu’à la joie emmi les bruits et la lumière, bourdonnement n immense où les largesses se déploient, spectacle merveilleux et fête II pour les sens, mais voici que le flot s’écoule où la rumeur s’apaise n et les lumières se vont éteignant : en moins de rien, la solitude règne II II n et les pénombres incertaines, en moins de rien tout nous menace et malheureux qui n’a suivi le branle général et qui ne s’en est retourné, II II loin de la rue et de ses portes closes, loin de la rue et de ses meurtriers dont l’heure sonne où l’univers repose en la ténèbre.

XIX. Seul drame du présent H

En les temps d’infortune, on vise à l’aboutissement et se partage entre n sommets et profondeurs, mais l’harmonie est au silence et l’univers domaine du contraste. Nous vivons déchirés et déchirant, les uns n bravant les autres, abandonnés ou nous mortifiant, d’intelligence n avec l’horreur qui nous abîme ou les martyrs d’un règne sans défense, épris de fastes révolus ou bien enracinés dans l’espérance, et les n tenants de la confusion dès le moment que nous ne sommes les té­ n moins des servitudes volontaires. Il ne nous reste qu’à choisir, il n ne nous reste qu’à mourir et, si possible, au nom de ce qu’on ne n n renie plus et qui peut s’avouer du meilleur de nous-mêmes. XX. Déchirement universel

ii XXI. Etat présent de l’homme

Ce que je ne discerne pas est n ’abuser et ce dans le cas de m ri il it que j’entrevois me convainc d’imposture : le moyen d’éluder l’in­ H connaissable et de tourner le faux ? Hors moi, point de réel et dans u n mon sein l’erreur et le mensonge. Tel est le drame de l’espèce et iï l’on en cherche le remède, alors qu’il n’est d’issue ailleurs qu’en la Ü démarche inaltérablement continuée. Ce que je veux n’est pas ce que je puis, ce que je puis n’est pas ce que je dois, ce que je dois n’est point ce que je fais, ce que je fais n’est plus ce que je veux.

Parler de vanité n’est que sophisme n et je n’admire point les complaisants de notre mort n : mourir me semble trop facile où notre vie est un forcènement n et qui s’adonne aux tâches de cet univers en porte l’édifice. L’homme est un mer H ­ cenaire, il vit et ne fera que souche d’amertume, il meurt destitué n de ce qu’il ne possède et riche seulement de ce qu’il perd. Le monde se soutient par la démence des aveugles, le malheur de ce monde i XXII. Sentence

28

est tel qu’il nous faut rendre grâce à Dieu de nous avoir laissés aveugles, sourds et vivant à l’oubli de la condition humaine, en II nous donnant la voix pour ne cesser de crier et de plaindre.

II Nécessité muable et froide, à janlais infidèle à H ce qui ne l’avoue et la servante de tes serviteurs, n plus juste malgré ta scélératesse que Dieu même et plus divine en ton intransigeance, principe de ta solitude immaculée et fin de ton il n II avènement inéluctable, je me réclame de ton œuvre et m II ’asservis ii à tes limites. Protège-moi non contre les effets de ta puissance II n souveraine, mais contre ma faiblesse et mon indignité !

XXIII. Prière

XXIV. Seul bien de l’homme

La vie est le seul bien de l’homme II et tout le demeurant n’a point d’usage à défaut d’elle et, néan II oins, nous n’avons droit de la juger et ne pouvons que la subir. Ce bien que l’on possède et pour lequel II on tremble sans se l’avouer, il sied qu’on le méprise, qu’on le joue il et qu’on l’exerce en pure perte : on nous demande d’avancer notre II ruine et, libres de péril, de revenir aveuglément sur nos desseins il il contraires, nous obligeant à n’aimer que la vie en la multipliant, à l’aimer aux dépens de nous et malgré nous, à faire tout pour elle il H au détriment de nos vertus. On nous réclame des bassesses pour la li n n maintenir et désavoue qui se préférait à son débordement, mais n l’an d’après on blâme qui ne l’aventure pas. Que l’homme est mal ­ ü heureux de languir de la sorte et de n’avoir jamais le droit d’être à soi-même !

i XXV. Abaissement de l’homme

Il sied, dit-on, que l’homme se dégrade, afin qu’on puisse l’éluder où ses bontés nous il n incommodent. Nous le comptons pour faire n ­ nombre et nous sentons fort empêchés quand l’outil juge qui l’em ploie et se déclare au mépris de nos soins, nous le voulons silencieux, sauf à nous approuver, et ses regards nous gênent sitôt qu’ils se lèvent de sa tâche : c’est pour cela que nous le poussons devers je ri ne sais quel appareil formel où la douleur alterne avec la jouissance il ri et parvenons de sorte à l’accomplissement de nos desseins, mais nous ne régentons que des esclaves, dont nul ne tire de la joie : n il nous faudrait qu’ils fussent tout ce qu’ils ne sont et demeurassent « entravés, nous rassurant le jour qu’ils nous inquiètent, nous donnant n n n de l’apaisement sans faire naître le dégoût, nous aimant au mépris 29

des fers et nous rendant justice où nous n’avons puissance de nous l’octroyer. Cela s’accorde-t-il ? D’où la tristesse des tyrans, juchés if ii au faîte d’un amas ii silencieux de vivants amortis et de mourants qui leur échappent.

Le Rendez a César, vague au superlatif, h n’assigne point d’abornements à couvert de la démesure à l’homme n en quête de refuge et ne nous sauve plus n où César nous possède, où César conduit notre choix et ne nous n iiin tient pas même n n en assurance, où nous ne sommes que les instruments ri de sa béatitude ou les moyens de son autorité ; le Rendez a César se fonde sur des privilèges abolis et vient de droits que nous cessons n d’avoir en propre, il nous égare désormais, il n’avantage que nos n oppresseurs, il nous remet en leur puissance et nous retranche le n recours à la révolte la plus légitime. Nous devons tout à Dieu, puis à n nous-mêmes n ; quant à César, il ne régente que les ombres et nous lui il dénions l’inviolable assentiment de notre inanité, car nous ne sommes rien et ne voulons rien être, afin qu’il ne soit rien par nous et nous lui refusons la grâce de nous investir de ce dont il nous prive.

XXVI. César est Dieu

Que l’homme de ces temps juge assez qu’il naît libre et qu’on n l’entrave en passant la mesure et le retient dans une aveugle dépen­ ri dance, où l’on a lieu de craindre une rébellion toujours remise et H n toujours menaçante. Le despotisme d’autrefois n’est plus à notre II taille et les régime les plus rigoureux dont nous gardons le souvenir II n 11 manquaient des moyens mis en œuvre et déployés sous nos regards, ii moyens terribles et devant lesquels rien ne saurait impunément durer, moyens nés de l’esprit qu’ils enténèbrent et renversent, fruits n pourrisseurs de l’arbre et conséquences meurtrières de leur cause. n n n II II Jamais le ma] n’a paru mieux armé, jamais le bien plus véhément, II en dépit de l’atteinte, et jamais l’univers croulé sous plus de vertus ou de forfaitures. La démesure de nos temps confine à l’incroyable n et nous libère d’un passé dont les plus hauts exemples nous sont n l’ordinaire et l’ordinaire moins que rien. n XXVII. Universelle démesure

Tous les exemples du passé ne sau­ raient prévaloir sur l’évidence et n l’état de ce monde est tel, à raison de sa nouveauté, qu’il faut parer à ce qui vient au fieu de regarder à ce qui fut. L’erreur de nos spi-

XXVIII. Absence du passé

30

rituels est de se confiner en le débris d’une tradition qui veut qu’on Il l’outrepasse et le demande sans alternative et par la voix de qui nous l’a baillée.

XXIX. Domaine du fatal

Si tout n’est sujet qu’à se perdre où H la matière se dégrade et l’univers s’épuise doucement en un retour d’échanges balancés dont les ajus­ II H n tements l’entament, l’homme a raison d’y voir une menace, encore n qu’elle ne l’atteigne, et de puissants motifs de révoquer la providence en doute, l’homme est admis à nier la justice, il est fondé pareil­ H lement à recevoir l’absurde et nous ne pouvons l’empêcher n de II ir démentir jusqu’au divin par un enchaînement de suites déplorables, II n n mais impératives. Si le tneilleur n’a privilège de se maintenir et il H qu’un partage similaire atteigne, mutilant, les fastes ou l’ignominie au choix de l’aventure, le bien n’est que modalité, les vertus spécu­ II H II II lations et l’immolation surnuméraire, tout l’ordre humain mis en II balance et toute norme suspendue, à moins qu’on ne l’impose à n ir force ouverte en l’abolition de nos franchises, le despotisme légitime II et seul valable où tout nous est permis, s’il ne parvient à nous abattre, II et l’homme racheté par ce qui le réduit à l’impuissance. Alors le tyran se fait rédempteur et l’heure du bourreau commence, puisqu’il II II II n’est rien qui nous émeuve et que le tremblement a la ressource de persuader ceux que l’instance ne fléchit et que l’amour ne sollicite plus. A l’avenir je n’entrevois que des relations de l’arbitraire le H IT plus inclément et des rapports de force en le rétablissement pur II de la fatalité nouvelle et qui n’aura de bornes désormais.

II II XXX. Les maîtres de demain

II Nid adoucissement en vue à la rigueur du siècle et, néanmoins, ri qu’ilest sublime au mépris de ses désolations ! Mon siècle est celui ri rr de nos fins, heureux qui saura l’emporter ! Plus de cinq mille années d’histoire et plus d’un cent de nations illustres n’aboutiront qu’à lui, n’auront servi qu’à le déterminer, n’auront souffert que pour ri qu’il naisse et les écrase. Le vainqueur de demain fera l’histoire n inébranlable et scellera l’abîme du possible, il pèsera sur l’univers iiiii comme une nuée immobile et nous rendra de conseil pris à la fatalité, j’entends la sienne propre, et Dieu ne saurait prévaloir sur ce qu’il en décide. Peut-être l’apanage du vainqueur ne sera-t-il qu’un rr monceau de ruines et de morts, mais il n’importe et l’on sent bien II que les ravages mêmes II qu’il exerce auront de quoi l’avantager en obérant tout ce qui ne l’atteste point.

31

XXXI. Notre impuissance

Qui transfigure le réel pour en jouer l’offense et pour en éluder l’atteinte n Il est dans le cas de ne jamais le vaincre et légitime nos mépris. Les n' nations inertes, les peuples graves et futiles, l’amas des songe-creux il méritent l’esclavage le plus rude et s’y destinent infailliblement. il H Le monde a désormais n changé de face et qui fait mine de s’y dérober n est inutile et se condamne n à périr sans remède. La foi ne sauve que ii les faibles et l’espérance est le refuge de l’ilote, mais les vainqueurs de nos demains, n seuls maîtres n après Dieu, n’ayant de foi qu’en la justice de leur règne et situés en l’au delà de l’espérance et par­ n dessus la charité, seront et juges sans appel et parties unanimes.

Au siècle d’à présent, les nations vouées à la servitude générale et sur le point de disparaître en tant que telles au profit de l’hégémon, se semblent roidir une fois dernière et l’on en voit qui naissent ou u' qui montent devers leur intelligence d’un mouvement précipité. A l’heure que tout va mourir et se confondre, on dirait que la vie entre en fureur et que les peuples foisonnant s’acharnent à heurter de n front ce qui les enveloppe et les rassemble. Haine impuissante et ni combien mal venue, et qui rendra l’Empire désirable et juste ! De n mode que les hommes soulevés contre leur avenir et bandés à l’envi, les uns désavouant les autres, préludent à l’issue inévitable et n semblent la brusquer, et que les meilleurs la souhaitent, d’où qu’elle leur vienne. XXXII. Les peuples à l’encan

Notre âge nous rendit à l’épou­ vante et nous y sommes rat­ tachés une seconde fois, mais sans l’illusion d’en réchapper à l’avenir et c’est pour une fois seconde que le réel se double de fatalité, mais nous y revenons ayant tout parcouru, tout ressenti, tout éludé, pliant sous quelles chaînes ! Retour abominable et digne fin de nos visées, les conquérants de notre servitude et les vainqueurs de nos suffrages, dictant des lois à l’univers et s’exemptant de qui ne les entrave ! XXXIII. La servitude reconquise

XXXIV. La servitude triomphante

Quand l’homme saura toute chose, il pourra tout ce qu’il n entend, mais non sauver l’appui de sa noblesse, laquelle ne résiste n pas au vrai. La découverte la plus sombre de ces temps n et qui ne

32

n souffre de remède ni d’appel est bien l’intelligence de nos servitudes : n n nous savons désormais que l’homme n’est pas libre et que nous n disposons de l’âme au gré de nos manœuvres dolosives. Les témoins qui se laissent égorger, dont la constance étonne les bourreaux épuisés de supplices, dont la charnure fume, n saigne et dont les os se brisent, que feraient-ils en face de nos tourmenteurs ? Eux qui H se tenaient libres et le demeuraient jusques aux portes de la mort, que feraient-ils sans flammes, crocs, tenailles, limes et poinçons n devant un homme qui les rend soumis à l’aide d’une poudre et les il n oblige doucement aux renîments les plus affreux ? Cela, nul ne n l’avait prévu, nul ne l’a pressenti, nul ne l’aurait pas même soupçonné il mais nous, il nous le faut subir !

XXXV. Défense de la vérité

Que vaut la vérité si nul ne consent à mourir pour elle et que devient l’erreur à quoi des peuples se vont immolant ? Et que nous prouvent n n les témoins que l’on égorge ? Oui, les martyrs n’ajoutent rien à la doctrine et la doctrine cependant a besoin d’eux et de leur sacrifice, n où la meilleure ne s’en passe et la plus mensongère y gagne au moins if le bénéfice de l’étonnement.

XXXVI. Point de martyrs

n II n’est plus de martyrs à l’ancienne n mode et les témoins qui se font n égorger ne nous démontrent que leur fanatisme ou que leur déses­ n poir, non la justesse de leur cause. Moyennant divers procédés mis n en usage, on aboutit à renverser le jugement de l’homme, on le n retourne comme un gant et lui fait professer un sentiment dont il ne s’avisait naguère ou qu’il désavouait d’emphase : le voilà converti de bout en bout et semant l’épouvante. Cela n’a l’air n n de rien, mais nul système ne l’avait prévu dans la rigueur des tern n n es, les plus hostiles à la liberté n’osant la mettre à la merci il d’un juge armé de potions et de pilules. Or c’est le point où nous en sommes, les théologiens n’en sont pas revenus : il ne nous n reste désormais qu’à battre la chamade en renvoyant tous les ir systèmes dos à dos.

II Le propre de ces temps élus sous II la menace est l’impossible de les n renfermer dans les limites en usage. En trois ou quatre mille années n ce monde n éprouva moins n de changements que depuis l’autre siècle

XXXVII. Débris de l’édifice

3

33

et nous vivons sujets à la mouvance et ravis dans ses tourbillons, les bornes fuient sous nos regards et les instances se redoublent, tout nous attire de plus loin et chaque bagatelle amorce des rapports n dont l’admirable nous fascine, où les difficultés se vont multipliant n à raison des erreurs que l’on dissipe : un détail simple est un receuil û II d’enseignements que l’on déroule et pour le rattacher à des lumières éloquentes, un intervalle un plein dont les relations abondent, béant I» II de motions et regorgeant de masses. Tous les circuits éclatent, lllll provisoires, et l’homme vole d’assurance en assurance à travers le chaos des faits, des lois et des principes, environné de plénitudes II entrevues dans la rumeur de* ses transports et labourant l’espace II de sillages. Auparavant, l’on argumentait à loisir, à la faveur du syllogisme et la rigueur d’un absolu que nul ne révoquait en doute, H n l’on bâtissait avec empire et menait l’édifice à bien, les différends n portaient sur la manière et jamais sur l’embasement que l’on disait II valide, inébranlable et hors de la querelle, au jugement de tous ; l’on s’affrontait, mais l’on était d’intelligence et l’on se disputait II II II à l’aide d’armes convenues et rigoureusement semblables, tournant n n dans le circuit et sous les mêmes chefs. Depuis ces jours les fonde­ n II ments sont renversés et les seuils dans l’attente, mais qui regarde n vers l’amont avoue sa défaite où l’avenir est devenir et non pas II If ce retour imaginaire, fantôme caressant et gage nominal. Le monde est clos et les abîmes sont ouverts.

XXXVIII. Haine de la raison

Le propre de ces temps est par­ fois l’animosité que la raison sus­ n n cite, non pas chez tout le monde, mais entre les meilleurs, les plus n avantagés et même aucuns d’entre les plus savants ou qui paraissent l’être et ces gens-là cabalent à l’envi pour ruiner l’empire de Pallas et s’affranchir de l’importunité suivant d’une logique rigoureuse : on les voit accueillir des bagatelles et des riens sonores, donner la n voix à des prestiges de l’imagination et s’engouer d’un mille II de II sophismes, à la recherche de l’absurde. On a recours à l’inspiration, il on interpelle les mystiques, on forge des systèmes reposant ou sur n un trompe-l ’œil ou sur la foi la plus douteuse, on sème des confusions n étranges, l’on se dispense de les motiver et l’on se coupe froidement, l’on parle de la contingence de nos lois d’un air trop satisfait pour qu’on n’en tremble et, par des voies qui jurent dès l’abord, l’on n tend vers une fin que l’on se dissimule à peine, vers une fin par quoi n nos jugements sont démentis et la raison à bas. Nos avocats de balle ri et prêcheurs morfondus sont las au souverain degré, la raison les iiiii n assomme à les mettre en lumière et puis elle ne sert de rien, pas

34

A

Z*

9

1

il même à qui se servit d’elle et le déplore de nos jours : on l’invoqua pour s’établir, mais elle est infidèle, étant inébranlable et quand li tout change, elle demeure au lieu de suivre ceux qu’elle seconde. n Que de mauvaise foi sous l’esprit de finesse !

Que la nIIrauvaise foi semble ajouter à nos H il H puissances et tellement que l’homme mû par elle a d’ordinaire l’avantage, à la condition de n’en jamais H n démordre. Un homme dont la cause est mal fondée et la querelle inavouable et qui le sait enfin, a-t-il ressource d’invoquer la pro­ vidence ou de bâtir sur les prestiges de la spéculation verbale ? Il n’attend rien de la justicç qu’il viole, il se libère de son importunité, n n fait diligence et se prodigue en multipliant ses menées, il revient à ii la charge, il en avance les ouvrages, il se remue à l’heure que les n n IT justes dorment à miracle, il met tout en usage et fend la presse, il ri n ii se procure un établissement inébranlable et même là sa vigilance ri est en éveil et les ressorts bandés, oui, même là ce méchant ne repose et n’en devient que plus solide et que mieux appuyé, nul ne le brave H et nul ne le menace, il est à couvert de nos flétrissures, pour lui n nos jugements demeurent suspendus et nos lois impuissantes. Les vertueux, à l’opposé, diffèrent les instances, les uns pour raffiner sur les moyens, les autres à raison des préséances qu’ils affectent : il leur paraît indigne de se démener outre mesure, ils prennent l’uni­ n n vers à témoin de leur droit, ils s’y complaisent amoureusement ou se remparent avec lui, jugeant que ses bontés les rendent infaillibles, ce droit ils le brandissent devant eux, persuadés que c’est l’égide la n n n plus efficace et moyennant laquelle on pétrifie les méchants d’emblée. Il leur serait expédient d’entrer en défiance et d’ajuster les voies à la fin prétendue, où la plus noble fin et l’assurance la plus haute n exigent un augment de soins et de mesures diligentes. Nul droit ii ii n’est de rapport s’il n’est pas défendable et le plus fermement fondé ne nous attire que des railleries, quand il n’emporte la balance, il a le don de soulever un courroux unanime et, s’il a besoin d’aide, ni n ce n’est pas faute d’illustration : je nomme le bon droit une façon de privilège et nous savons qu’un privilège est abusif dans la pro­ portion où sa faiblesse se déclare. XXXIX. Mauvaise foi

I

C’est le partage de ces temps qu’une mortelle indifférence, un nonchaloir qui ii ne repousse rien et semble dépraver ce qu’il effleure, un abandon qui ne veut pas flétrir ce qu’il diffame sans ressource et ne nous garantit

XL. Mortelle indifférence i

35

H n jamais ce qu’il nous vante impudemment, une confusion propice n n ii à l’aventure où les mots mêmes se dérèglent, un chaos général où II le meilleur abonde en pure perte et les mensonges fructifient. Nous n sommes au milieu de nos prestiges, plus nous nous étendons, plus ils nous investissent ; nous n’avons pour nous en défendre que nos n n n maximes rebattues, que nos mystères éventés, que l’appareil dix n n fois mis en litige et remis dix fois dans le train, échafaudage que nous soutenons plus qu’il ne nous supporte et dont la force est de nous faire accroire que nous nous étayons de lui. De quoi faut-il II qu’on s’émerveille ? Ces heures nous engagent aux derniers efforts, n ces heures nous demandent un surcroît de prévenance et de lucidité, n ces heures qui nous acheminent à ces lendemains, ces lendemains qui nous feront participants de la surabondance méritée ou de la H désolation inévitable, ces lendemains qui mènent l’homme à l’asser­ vissement total s’il n’est possible qu’ils nous affranchissent, eux II que nous redoutons à juste titre ou que nous espérons d’emblée, ils s’insinuent au réel et modifient l’évidence, ils seront l’une et seuls nous répondront de l’autre.

XLI. Disette de l’espoir

II Le siècle est fatigué de plaintes ou gémis ­ il il sements et les victimes ne l’émeuvent plus, il doute de leur innocence et tout montre qu’il fait bien, il ne les juge pas sur leur détresse et les condamne pour l’intention qu’il s’ingénie à leur prêter, les diffamant d’emblée à dessein de les n mieux exclure. On nous proteste que le monde a soif et de justice H et de bonté, mais je le tiens indifférent et n’espérant pas même n en n ce dont nous l’avons nourri trop mensongèrement, hélas. Vers qui le siècle d’à présent se tournerait-il désormais ? On lui donna le change et le lui baillerait demain, il ne l’ignore plus et consent à le recevoir, ne pouvant s’en défendre. Que doit-il espérer de bon de ceux qui prêchant le martyre ont vécu selon la pru­ dence et qui s’instituant les défenseurs de Dieu se dont accom­ n n modés des pires ennemis, pourvu qu’ils leur jetassent quelques n miettes ? Dépositaires d’une vérité qui les accable, ils la trahis­ ti sent sans vergogne et la mutilent sans relâche, puis on les voit H H se démentir avec un siècle de retard et proclamer soudain du plus haut de la chaire une doctrine longuement abominée et II II duement flétrie. Nous sommes tellement lassés qu’il devient néces­ saire de changer la vie de l’espèce ou de trouver d’autres men ­ II songes plus insidieux : notre avenir est donc à ceux qui nous étourdiront avec le plus d’adresse ou bien à qui régentera le monde en rendant la justice égale.

36

XLII. Honte et péché

Malheur à qui végète dans Facquiescence n et remet d’aube en aube un jour qu’il ne décèle et qui jamais n’éclatera pour le ravir à son prétexte ! Malheur au sage insidieux et qui s’adonne au nonchaloir, sous l’om­ n bre que la vie est nuaison et s’ente sur l’impermanence ! à la séquelle des rêveurs, aux légions de niais qu’ils fascinent, à tous les déser­ n teurs qui laissent l’univers dans les ténèbres et sacrifient l’homme à des figures ! ceux dont la bonne foi supporte un édifice d’avanies, de fourbe et de mensonge ! Malheur à nous, spirituels, de qui la pureté s’allie au Prince de ce Monde, à nous dont l’œuvre est sa n n devise et la démarche son rempart ! Tous nos efforts s’épuisent à nourrir la Bête ! Fuyez, mes frères, au plus loin et fuyez en vous dispersant, car où trois hommes se rencontrent, l’un est n parjure et l’autre un indécis. Fuyez et de vous-mêmes : sage est qui ne se délimite plus, qui s’aventure et qui se joue et se veut n n infidèle, pour ne jamais trahir et ne jamais céder.

II n’est pas interdit de chercher à se fuir au lieu de se connaître, pourvu qu’on aille de l’avant et prenne le dessus. Ces fuites-là nous n rétablissent et l’on achève par s’y découvrir aucunes fois, mais en ii possession de n’avoir plus à rougir de soi-même et, quant on se n n déroberait d’un mouvement sans intervalle et jusques en la mort, ii ii on vaudrait mieux que le mépris dont les plus sages nous affectent. nui Il n’est pas raisonnable de changer le nature] de l’homme et de n prétendre en la matière, nous lui devons marquer la tâche et le n laisser à son inconsistance, où peu méritent de se posséder et beau­ coup de ne pas s’atteindre, puis quel service rendre à ceux qu’on affranchit des jugements du monde et qui végéteront pour lors ii dans le dernier accablement ? Les hommes peinent davantage à la faveur de l’ombre et se remuent avec plus d’entrain s’ils ne se désabusent à l’avance. Hors notre aveuglement ou notre servi­ tude, combien de nous se peuvent soutenir, combien se mêler à la vie et si l’intelligence de leur être les renverse, est-il indispen­ sable qu’ils en tâtent ? XLIII. Le salut dans la fuite

Que l’homme saigne de mauvaise grâce pour les idées claires et disn n où l’on meurt volontiers au tinctes est ce qui paraît de soi-même n de l’ineffable et pour l’avance: n ent d’une querelle ténébreuse nom n et pathétique. L’homme est en mal d’énigmes à résoudre et de XLIV. Prestige de l’obscur

37

légendes à broder, il ne désire pas autant la clef que la recherche If du mystère et davantage le mystère que les procédés, il ne veut pas H' que les murs tombent n ni que les voiles se déchirent et nous avons H beau dissiper l’arcane, il en invente de plus dangereux, apparemment ils naissent sous nos pas et leur inconsistance ne le trouble guère, ii il y met n tellement du sien qu’il aura part à leur économie, éludant nos insinuations, nous réduisant à l’impuissance et changeant nos iiiii mesures en autant de pièges, de pièges où nous sommes pris, nous qui venons avec l’intention de l’affranchir. Par une suite de faits n n avérés, ce malheureux nous démunit et cet esclave nous enchaîne, force nous est de l’abuser et de nous rendre à ses empressements, si nous ne voulons qu’il nous traîne à soi, de le séduire ou de n n nous voir entre ses mains, jouet de sa démence. Voilà comme la tourbe a d’ordinaire l’avantage et les despotes les mieux appuyés n ii ne peuvent rien sur elle dès qu’ils se mêlent de tout éclaircir, mais n n ii tout s’ils l’alimentent de mensonges éloquents et de ravissements illustres.

XLV. Antilogie insurmontable

II est indubitable que nous ex­ cédons les rêves les plus hardis u n des Anciens et même de nos devanciers immédiats. Le triste pri­ n vilège ! De quoi se peut-il que l’on rêve désormais ? Nos découvertes n n passent et de loin l’imagination et nous avons du mal à les dépeindre, ri nous nous traînons si lourdement après notre évidence que le réel offusque nos regards, nous végétons dans le mystère et nous nous n n remuons dans les arcanes, mais nous n’osons en convenir et l’âme n se rejette, en peine de ses voies, sur les plus misérables subterfuges. n n Que d’abandons au sein de la promesse ! Que d’épouvantements au fort de l’assurance ! On ne porta jamais si loin l’horreur et jamais n iiiii l’on n’usa de tels remèdes. Oui, l’homme est au superlatif en les n domaines qu’il aborde et sa dimension nouvelle a rompu les mesures n convenues, il ne lui reste qu’à changer, sauf à périr dans le dernier n accablement.

Le siècle d’à présent est celui du pathos à la mesure la plus relevée et iiiii l’homme solidaire à travers l’étendue, les nations n’ont plus de n raison d’être et qui n’est maître de ce monde et le seul répondant de l’univers entier n’aura sujet que d’obéir et d’autre emploi que n n le silence : tel semble l’avenir dans les linéaments de sa rigueur n n majestueuse et jamais temps n’auront connu plus de simplicité n XLVI. Régime du pathos

38

fl depuis que les empires s’entrechoquent, jamais l’espèce une allé­ geance plus aveugle et plus de servitude avec plus de moyens de uni la lever. Si l’homme ne se change pas et s’il ne prend l’ajustement dont son état lui fait une obligation, il ira végéter au sein de l’abon­ dance et dépérir au fort de ses conquêtes par une succession non H interrompue, malgré l’avancement qu’il se procure, il tombera dans 11 une déchéance sans remède accrue infiniment de toutes ses ressources H profanées, son œuvre l’incriminera dont les prestiges mettront 11 ses II n démences en lumière, il lui faudra se contempler dans le dernier H n accablement, lucide au mépris de sa fougue et calme en dépit de n sa frénésie, ayant la volonté du mal, s’abandonnant avec empire n h et de son propre mouvement, et ressentant l’horreur de ce qu’il n ii il veut, mais ne laissant d’en former le désir, tenu malgré soi-même n n à se désavouer et de se réduire à néant, peur de se voir et de s’évaluer, brûlant que tout s’annule afin de n’avoir à se rapporter à rien qui doive le restituer à sa personne. Or l’homme mu de ces temps est prégnant de la mort du monde.

XLVII. La mort amie

Et certes, de nos jours, la mort ne fait trembler personne et nous volons, pour n mu ainsi dire, à l’immolation mu : les héros naissent par milliers et l’homme n souffre de la part de gouvernants illégitimes ce qu’il n’a supporté n venant de maîtres paternels. La mort nous semble une rupture et n h n davantage qu’une fin, elle paraît même une issue et le commence ­ n n ment de notre liberté plénière, et nous ne redoutons aucunement ce qu’elle nous dérobe où nous n’y perdons que nos chaînes, la mort n est la tentation plus que l’orgueil de vivre et la mesure de sa volupté. n C’est pour cela que ceux qui bâtissaient sur l’horreur de la mort il n ne nous émeuvent plus autant et nous leur demandons une raison n de ne désespérer de vivre, mais retranchez l’effroi de l’agonie et notre religion y perd le plus clair de ses droits, d’où sa faiblesse n d’à présent et le besoin qu’on la réforme.

XLVIII. Le désespoir familier

mu Que l’homme a l’assurance de périr, en attendant de vivre et n mu ce qu’on nomme sûreté ressemble d’ordinaire à l’immanquable et n l’immanquable à ce qui nous achève. Nous esquivons l’impasse à la condition de nous changer à notre certitude et n’avons d’autre que n I* de n’être pas, d’où la suprême tentation de mourir de conseil pris ir et de dessein formé. Le désespoir est quelquefois une immolation H n n suréminente et si Dieu n’aide l’homme, il est admis qu’il s’y dévoue

39

n et qu’il s’anéantisse, offrande de l’orgueil et sa victime expiatoire. n En une telle mort il reste des beautés et j’aime à la fureur cette H amertume mâle et cette désolation impérative, à charge qu’elles n n u se soutiennent sans faiblir, car tout est là. Et j’abomine les prudents et les railleurs qui ne l’entendent point et les réprouvent, ces dé­ n sespérés, eux dont la complaisance est le poids mort les liant à la II vie, à toute vie et fût-elle un outrage décidé. N’est pas martyr qui n veut. Sur le désespéré, seul le martyr l’emporte et lui seul est en H droit de blâmer qui se tue au lieu d’attendre qu’on l’achève.

XLIX. Contre les railleurs

II Ceux qui plaisantent agréablement II de tout et qui médisent avec élo­ rr quence de nos œuvres, n’appellent des misères de ce monde qu’à leur 41 persiflage et tympanisent à plaisir qui souffrent les deux mains II n liées. Je le proclame l’ennemi du genre humain celui qui nous refuse n à tout le moins silence et porte des regards avides sur les maux de l’univers. N’est-il pas l’être le plus bassement abject celui qui ne II H faisant rien distille son entendement dans le sarcasme et vole d’agonie en agonie, afin de laisser des crayons pour nous distraire ? En nous H raillant des malheureux nous appuyons la cause de leur infortune et les désavouons, peur de les secourir. Il n’est rien de si laid que de H II confondre les bourreaux et la victime en une même réprobation et de les renvoyer, si j’ose dire, dos à dos, où le dommage d’un seul II II homme nous met tous en cause et nous menace du seul fait que l’on n’y porte les remèdes nécessaires.

En un temps d’infortune, la somme des mal­ h heurs publics ne modifie en rien la passion iiiii de l’homme solitaire et ces calamités l’abreuvent d’horreur inutile et ne retranchent guère aux maux qu’il lui faut essuyer. Les lamen n ­ ii tations de l’univers, les continents en flamme et tous les peuples que l’on foule d’antipode en antipode ne m’affranchissent de moin ri n n même et ne sauraient me consoler ; des mille et mille d’hommes n peuvent expirer que la douleur qui me terrasse est une et bien la n ême n d’âge en âge. Mon siècle est des plus endurcis et mes n pareils se changent en soudards, mais leur rudesse n’amoindrit l’effroi de leur condition et leurs allures emportées ou farouches ne les ôtent de leur naturel : ils tremblent quand ils ne s’oublient pas, ils souffrent quand ils ne s’enivrent plus, ils agonisent quand ils ne géhennent ri n point. Vit-on jamais de tourmenteurs plus démunis et de victimes IT plus inertes ? L. Horreur du siècle

40

Le vœu de nombre d’hommes en ce monde Il est d’être des bourreaux ayant l’appui des lois et soutenus par elles, de donner dans le crime H et de s’en délecter il paisiblement, assujettis à ce qui les enchante en faisant mine II II d’épouser une querelle méritoire, de se fortifier dans cette jouissance et de briser les freins tout en se louant de leur servitude volontaire, il liguant un faux sublime à des plaisirs solides, voire abjects. Il II II' s’agit de dissimuler et de les satisfaire au moyen d’un impur n mélange n n où le plus haut dérobe les accès immédiats du plus infâme, où Dieu II figure à trois pas du bûcher et l’amour du pays natal procure des ressources à l’atrocité, car l’homme vil éprouve le besoin aveugle de haïr, de se payer de tout ce qui l’afflige et de se croire redoutable, n alors qu’il n’est rien par lui-même et ne s’acquiert de droit, s’il ne iiiii II renverse ceux des autres.^Un homme vil ne rend jamais la raison n de son choix, il s’y confirme et n’aura garde de s’en éclaircir, pre­ II nant un faux air de besogne, les invectives à la bouche, les armes II II à la main et plus sa foi paraît mauvaise et mieux il s’y prodigue, il se rejette sur l’incertitude et la défend avec l’acharnement II II le plus extrême, il y défend sa jouissance et combat pour son n n privilège, le privilège de l’ignominie, mais quand il lâche prise, exténué, c’est le vaincu le moins superbe, nul ne l’égale à ramper sous le joug.

LL Bourreau légal

LU. Malice et tyrannie

Qui sonderait les reins de notre espèce aurait de quoi fournir aux rigueurs les plus despotiques, il bénirait la loi sévère et baiserait la hache du n bourreau, pénétré du ressentiment de la scélératesse générale ou n qui pis est de l’indolence criminelle et de l’obscène nonchaloir, il verrait que les uns ne rêvent que luxure et que les autres brûlent d’exercer une vengeance interminable, que les plus doux s’adonne­ raient au stupre et les plus résolus au brigandage, les plus stupides n à la dissolution et les plus richement doués à quelques monstruosités inconcevables. Il saurait bien alors que les gouvernements sont des n miracles, que les plus tyranniques valent mieux que leur absence et que les pires amoindrissent le joug effroyable dont la nature nous surcharge : oui, les plus dignes de la réprobation n’excèdent nulle­ ment les penchants décidés, ils en dérivent d’une seule traite, ils n les ménagent, ii les fomentent, les réprimant non pas en vue de les étouffer, mais n à dessein de s’en défendre et de les tourner sur des objets congruents, plastrons de toutes les fureurs. De tels gouver­ n nements ajoutent en définitive à la malice de l’espèce, encore qu’il ii n soit difficile d’enchérir sur ce qu’elle a d’illimité : disons qu’ils la

41

révèlent au grand jour, la tirant de ses réduits les plus enfoncés, qu’ils la répandent sans déguisement et la nourrissent sans relâche ; ils veulent cajoler le monstre en tremblant qu’il ne les dévore, ils sont heureux lorsqu’ils parviennent à le renvoyer à ses cavernes, ivre de sang et gâvé de dépouilles, quitte à le libérer si l’occasion ni ­ se présente ; enfin le monstre achève par briser les freins et les im n mole en un sursaut de rage, ils meurent à leur tour, victimes des puissances déchaînées. ü

Mon siècle m’est en vénération, encore n qu’il ne laisse de sembler abominable, n n' et je pardonne à sa démence en raison seulement de tous les biens n n qu’il met à ma n portée. Jamais, jusqu’à ces temps, l’œil de l’humain n’avait erré plus libre ni plus souverain ; quoi d’étonnant si l’hu­ manisme n s’en trouve épuisé, la religion branlante et le désordre n n mis dans les puissances qu’infirment nos profusions inaltérablement H nouvelles? Et quel entendement résisterait à l’afflux débordant qui fait que les défenses croulent ? Nous sommes emportés de motions ri n H en mouvements et de figures en multiples, et suscités d’emblée et H n démentis d’avance en un remous d’impasses. Nous cherchons la platée et n’y devons bâtir, où déjà le sol tremble et se convulse, n nous vivons néanmoins, mal assistés et répondant de ce qui nous n abîme, à jamais innocents et fût-ce de nos turpitudes, coupables n n mille fois et même de nos agonies. L’épreuve des plus hautes âmes n’est-elle pas la nôtre désormais ? Voici que les derniers ont charge n du mystère, il leur est fait commandement de s’en accommoder et n l’appareil du monde pèse à leur échine : quoi d’étonnant s’ils nous n n maudissent ? Oui, l’univers à naître est à la démesure et l’homme ne rt l’assumera qu’autant qu’il le surmonte, et ne le passera qu’à charge n de se définir en ce qu’il a de plus immotivé. Il faut que l’homme et l’univers se changent l’un par l’autre ou qu’ils périssent l’un dans n l’autre. Point de remise à l’heure que nous sommes, point de retar­ dement qui nous vaudrait de ne pouvoir attendre et nul délai s’il est besoin que l’on en meure.

LUI. Tragique souverain

LIV. Bassesse en l’agonie

n esprit de l’homme est ainsi fait qu’il n ne lui sert aucunement de vivre au n n sein de l’éminence pour la refléter et qu’il ne change de mesure quand ir n tout change, nous le voyons si misérablement pareil à ce qu’il est n que l’on en tremble et se détourne ; on aurait souhaité qu’il réfléchît n n n l’horreur ou la magnificence et qu’il fût digne de soi-même à s’ex-

42

H H céder de veilles ou de voies, mais il demeure impénétrable II et se contente de plaisirs chétifs ou récrimine avec bassesse. Tel héros, au sortir de la mêlée, s’adonne à la débauche et tel vaincu n’aspire il qu’à venger ses maux au préjudice d’un plus faible ; tel, dans l’é­ H croulement de l’univers, n’a d’yeux que pour ce qu’il embrasse du il plus haut de sa fenêtre et tel jalouse, au fort de la ruine, un misérable moins destitué, mais ils n’oublieront de satisfaire tous à leurs con­ H H tentements inavouables, ne mettant frein à la jouissance perpétuée H au sein de l’agonie et raffinant sur elle au milieu des cadavres. L’épreuve ne nous purifie et le malheur ne nous rachète point, où nous les endurons comme autant de fléaux qui nous abattent : nous saignons et nous succombons, si pleins de nous que l’on en meurt décomposé d’avance. Tel peuple que l’on juge avec faveur il ne le mérite qu’à raison de sa fortune et ses vertus la suivent en H lllll bon nombre. On le laissait charmant, officieux, orné de savoir comme d’agrément; on le retrouve pensant de travers, ramas de jouisseurs aigris et de frivoles décontenancés, déchu de ses prestiges, diminué II H de ses largesses, lourd de rancune et de mauvaise foi, méconnaissable II il enfin et tellement changé qu’on le renie de même qu’il s’est renoncé.

LV. Élection nouvelle

Quoi de plus douloureux que de périr, ii sachant que l’on n’emporte rien et que les survivants se passeront de nous ! La vanité que de se dire que n les peuples sont mortels, où d’autres les remplacent à merveille, et que les nations enterrent dans leur chute un je ne sais quoi d’admirable en son unicité, quand telle ou telle nous pourra le rendre. On se prétend énamouré des fastes desservis et se préfère à l’objet n de sa passion, et l’on médite de les perdre à l’heure de sa déchéance. II Les servants de l’esprit le cherchent, s’il le faut, aux climats les II plus écartés pour se vouer à sa défense et le demanderont aux peuples ennemis, si tant est qu’il réside là dans son entière pré­ cellence.

Que des Français donnent leur voix II à la louange de la déraison me paraît II un indice de leur trouble : il est patent qu’en ce domaine ils valent moins que d’autres qu’ils ignorent ou déprisent. Que gagneraientn ils à ce change que leurs vœux appellent ? Possèdent-ils des incli­ nations démesurées, n des penchants doubles œuvrant de concert, une âme malléable ii et susceptible d’abolir tout ce qui l’embarasse, Jn n une mémoire nébuleuse et pleine de revirements imprévisibles, la II

LVI. Paroles aux Français

43

faculté de n’être pas en ne laissant de devenir et d’être ce que l’on n’assume, une candeur inimitable et néanmoins fertile en roueries ? ri ii H Préviennent-ils l’entendement sur les fantasmes qu’ils s’infligent à dessein et peuvent-ils, de bonne foi, se montrer de la plus mauvaise ? ii iiiii Ont-ils plaisir à vivre en débandade et de s’accommoder assidûment n à l’ordre de surface ? A nier cela même qu’ils avancent et qu’ils ne veulent démentir n sans laisser de le feindre ? Ils passeraient de maîtres ii à courtauds !

Mes frères en esprit, la raison n’est n pas tout, mais elle a droit à notre révérence et fuyez ceux qui la ravalent. Appliquez-vous à ne la n que ce qu’elle départ, en ayant mésentendre n et ne lui demandez n soin de suppléer au demeurant. Chacun de vous en reste l’obligé jusqu’à la fin des siècles. Craignez et combattez ceux qui s’acharnent n après elle et forment le dessein de l’abolir pour aveugler leurs juges. n Que l’intuition dont ils se clament n’est pas la clairvoyance du génie n n ou le pressentiment de l’âme pure, non, mais la manœuvre dolosive et le détour inavoué par quoi leur fourbe se rachète : ils pensent tout brouiller, de peur qu’on ne les incrimine et font la nuit sur n leur passage, ils savent être de mauvaise foi et rêvent d’annuler ir la bonne à l’aide de phébus et de mystères ineffables, ils veulent tout confondre et s’imposer, indignes. Mes frères en esprit, je vous les n livre, beaux louangeurs d’une menteuse absurdité, les parangons n de la chimère serve et les habiles noblement dissimulés derrière le spirituel, derrière les poètes et les saints, les héros, les martyrs et n la moisson des justes morts pour une juste cause. C’est là qu’il vous les faut chercher !

LVII. Apologie de la raison

ii Que la logique des pervers émane de leur crainte et se prévaut de leur n ii faiblesse, que dans le fond de leur méchanceté l’on aperçoit moins n de malice que de désarroi, qu’ils se figurent être inébranlables, mais ne le sont jamais, vivant à leur division plus qu’à l’unicité dont ils n raisonnent à l’envi, que cette frénésie d’arguments n’est pas bon signe et ne démontre que la gêne. Et c’est pourquoi, bien qu’ils méritent nos rigueurs et le supplice, nous ne laissons de les tenir n en une estime basse et les touchons par là mille fois plus qu’en raffinant sur les tortures : s’ils désespèrent de nous étonner, leur jactance est par terre et c’en est fait de leur présomption, car ils H dépendent de nos sentiments plus que des leurs et ne l’ignorent point.

LVIII. Logique des pervers

44

Le méchant dit en son particulier que fi l’on fera meilleure contenance en face n de l’adversité si l’on se juge absolument coupable et digne à ce point du dernier supplice que tous les fléaux conjugués ne nous sauront if assez punir. Et véritablement il ne s’aveugle point et c’est une allé­ Il n fi geance que le mal, mais le mal éminent qui ne regarde pas ailleurs, n qui persévère au delà du possible et met le reste dans ses intérêts, mieux affermi dans son néant que d’autres en leur nonchalence, 1 II ne revenant jamais de sa prévention et la victime consentante de fi n son choix. Cet homme-là mérite le respect, puis l’enfer éternel, n II lequel est une marque d’éminence où peu d’humains accéderont, II n mais tel qu’il est, mes frères en esprit, il est plus proche du Seigneur que le ramas des tièdes et Diçu s’honore de sa résistance, oui, Dieu I s’honore de sa nuit et ses "ténèbres glorifient les divines, Dieu lui pardonnerait dès le premier soupir qu’il jette, il a pour lui des tré­ II sors d’indulgence et le destine aux charges les plus hautes, il l’aime if If il inamissiblement et le méchant ne cède pas, il ne le peut à l’avenir, II l’enfer étant la volonté du mal, laquelle est proprement celle de l’impuissance. LIX. La volonté du mal

LX. Les temps sont proches

fl II est parfois requis de mettre les IIIII idées en sommeil, afin de les sous­ n traire à ceux qui les profanent, de laisser là l’entendement et sa ri parure, l’art et ses voluptés et tout ce que l’on prise, et de fermer II le temple pour veiller en armes devant les portes closes. Nous le II savons, nous qui montons II la garde au péristyle et mesurons les feux qui nous menacent, et nous avons la charge du trésor dont nous serons II if comptables face à l’Éternel. Notre œuvre est de nous maintenir et de sauver l’acquis, de résister à toutes les séductions de l’heure et de la vivre sans fléchir, notre devoir de nous associer inébranla­ fi ri fi blement ceux qui nous aiment et ne se déclarent pas et même ceux ri' qui nous ignorent ou ne veulent nous juger, et de ne mépriser per­ n sonne, le Sauveur étant parmi nous sans qu’il nous soit permis de le connaître. Mes frères en esprit, ne sommes-nous une milice sainte ? Ne sommes-nous prédestinés à la victoire et Dieu n’élut-il résidence iiiii en notre aveu suprême ? Quand on nous briserait l’un apres l’autre, n if ne suffirait-il pas d’un seul, d’un seul au monde pour que la vérité s’affirme et que le temple ne soit violé ? Qu’ils entrent mille fois en mill e sanctuaires, ils ne s’acharneront que sur le néant qu’ils n fi ont suscité : nous les verrons au comble de leur impuissance, à la lueur de quels embrasements, s’évertuer à vaincre l’esprit pur et fi if

45

talonner une ombre n qu’il leur jette. Ils reviendront de siècle en âge n et battront la muraille en la plus vaine des conquêtes, puis ils ri n retomberont au sein des nuits qui les vomissent inlassablement. n Mes frères, accourez ! Leur troupe est innombrable ! Vous qui savez que l’Éternel se perpétue d’heure en heure, soyez l’appui de sa pérennité, soyez le gage et devenez ce que vous êtes. Le siècle est assez grand pour que le Dieu s’y manifeste et si vous ne Le recevez 9 n les temps sont comment pourrait-Il avenir ? En tous les temps, proches.

Les uns protestent qu’il faut tout bouleverser, afin que l’homme atteigne à la félicité char­ nelle, où d’autres veulent que rien ne se n d’entre change, à la réserve de nos sentiments, et l’on en nomme les premiers qui jugent Dieu le plus néfaste des symboles, et d’entre n les seconds qui tiennent les réformes inutiles, voire sacrilèges. Il n n me paraît que les mutins haïssent davantage Dieu qu’ils ne ché­ n rissent l’homme et que leurs adversaires n’aiment Dieu qu’en vue de L’associer à leurs prérogatives, de mode qu’en la disputation II II n n et l’homme et Dieu ne sont que des chimères, mais les diffamateurs n H hideusement réels de même que leurs intérêts inavouables. Pour dire vrai, Dieu semble le garant de l’homme et de ses libertés, quand H Il ne les étouffe : il nous importe de les accorder ensemble et de II II veiller à ce qu’ils restent en présence et dûment à part. Ni l’homme lllll gagne à la confusion, ni Dieu, s’il faut que l’homme s’y déprave et le Divin s’y perde. LXI. Tout changer ou ne changer rien

n Que nous sert-il de gourmander les pauvres hommes ? Avons-nous besoin que l’on chausse le cothurne et prophétise sur la fin du monde ? n Dieu nous préserve de ces justes à l’humeur si reprenante et qui IT n n s’emparent de nos âmes pour les effrayer ! Les maux dont nous II souffrons méritent davantage et veulent des consolateurs et des ii n remèdes. Mes frères en esprit, soyez consolateurs, mais n’oubliez H que les remèdes suspendent tous les maux que vos paroles n’abo­ II lissent, que les meilleurs enfin vous rendent inutiles. Que vous il importe ? Allez où les remèdes ne suffisent pas et bénissez les fieux qui vous ignoreront, que tous les fieux vous puissent ignorer, que n nul n’ait besoin de miséricorde et qu’elle surabonde en vous ! Alors, s’il est un Dieu, vous L’aurez bien servi.

LXIL Contre les faux prophètes

46

H n Le drame de l’humain est d’as­ n sumer le Dieu qu’il nie ou qu’il H ignore et d’être cela même qu’il ne voulait concevoir, d’être l’élu, ri n mais qui se meurt dans les ténèbres. Le partement de Dieu se fait n il de la manière la plus douce et nulle rumeur ne transpire, où tout nous parle de la liberté de l’homme : la vie semble si légère et telle­ ment remplie, et l’homme si bien appuyé que l’on s’étonne d’avoir cru, que l’on s’indigne d’avoir espéré ailleurs, que l’on s’en veut de il n’avoir abjuré dès le principe et clame l’élargissement de l’univers. Voici qu’enfin les chaînes tombent, que rien d’emblée ne s’oppose ri à nos contentements et n’en appelle à d’autres qu’à nous-mêmes, ri que les mystères éventés retournent au néant dont ils procèdent, n que l’homme est seul et seul comptable de ses biens, qu’il vit en n n pleine suffisance et qu’il rend témoignage de son être et s’y confirme n à découvert, qu’il marche dans la force de ses flancs, le maître de ses destinées, et qu’il exulte dans sa gloire. Fut-il jamais si proche de sa fin, jamais si démuni, si loin de ce qu’il représente et qu’il ne n saurait découvrir en n’étant qu’à soi-même ? Fut-il jamais si pauvre et tellement à l’abandon ? Quels charmes décevants le privent de ses droits ?

LXIII. L’homme et son Dieu

Nous sommes à la fois et libres et déter­ minés, mais la franchise est une profession de créance à quoi nous nous vouons, au mépris du réel dont nous savons les chaînes. L’homme est conduit ii à se poser en un jour d’artifice ou de théâtre et d’agir en partant d’une imposture signalée qui l’établit son juge souverain et le retire de l’attachement n : il sera libre au seul regard de ce qui n’y ferait empêchement et qu’il ne manquerait de servir en esclave, s’il n’estimait qu’il en dispose, mais il ne règne pas ailleurs. Le tout est de savoir où cet ailleurs commence.

LXIV. La servitude et la franchise

n ­ La mutabilité de l’homme appelle l’im muable et, faute de ce Jénitif, il vague inapaisé, que nulle certitude ne contente et nul bien n’assouvit, en ii compromis avec l’intempérance de son âme, prodigue à son apai­ ii sement et destitué de remèdes, car il ne veut rien à demi, sauf à ne rien vouloir. Si l’on ne donne à cette frénésie un désirable emploi, c’est un soulèvement si général qu’il faut qu’on le réduise à la der­ nière abjection ou bien encore c’est une recherche telle de plaisirs qu’il est expédient qu’on l’aiguillonne pour l’en arracher, quitte i LXV. Quête de l’absolu

47

n n H à le rendre moins soumis. L’esprit désire d’être le commencement n de l’absolu, mais n non dans l’absolu, hors celui qu’il se donne à se H poser en tant que tel et l’absolu qu’il délimite appelle enfin Celui qu’il a frondé, Dieu rentre en l’univers qu’il échafaude à sa commo­ II II dité, le Maître l’inondant l’emplit si naturellement qu’il semble que nos désaveux travaillent à Sa gloire, où couronnant l’issue II légitime le principe et fait que tout s’anime à Le fixer. Dieu grandit II avec nous et plus nous élargissons le domaine, plus le mystère fuit en l’ineffable et plus Dieu nous en rend les raisons décisives, Il se II dépouille de Ses enveloppes, Il se dilate en reculant et se remultiplie If indiscernable. Point de dégagement à l’embarras et nulle parenthèse où l’on feint d’oublier Celui que tout annonce et dont l’absence il même est un débordement en l’infusion de Sa gloire. Ainsi dans les achèvements, l’intelligence est parvenue à Le connaître aux lieux II où la suprême foi Le situait depuis qu’elle se fonde.

Au siècle d’à présent le sens commun est mis à la torture, on bâtit sur ce qu’il allègue et le résigne en la dernière instance et, II s’il préside aux entretiens qui règlent nos démarches, il ne peut rien sur elles, car elles n’en relèvent plus, il leur donna l’ébranlement, II mais la conduite de l’ouvrage est hors de sa portée, il ne doit qu’as11 sentir aux vérités qu’elles avancent, il les reçoit avec soumission, il en fait son étude, il les consulte et trouve en elles les articles de II n n n sa foi. Nous sommes rendus au mystère au déclin même du mystère n et, pour le coup, mieux asservis en étant mieux persuadés. H LXVI. Renoncement II prémédité

n n LXVII. Carence d’imago mundi

II Pour la première fois depuis qu’il est des hommes et qui IT pensent, l’essentiel nous a fait ostensiblement défaut et nous man­ quons de I’imago mundi propre à nous situer en l’univers. Nous ni n n sommes investis de privilèges incroyables, nos jugements sont va­ n lidés, les phénomènes en la dépendance de nos volontés et l’œcumène il dans le train de nous servir, notre discernement en passe de tout II investir et, néanmoins, nous n’avons prise et languissons à découvert, mis à la gêne et vivant empêchés de ce qui nous soulage : notre II opulence nous accable et nous ne savons plus faire un dénombrement de ces profusions dont l’amas monte et se diversifie. Il est requis II de se pencher un lustre ou deux sur telle ou telle d’entre les matières H pour avoir droit d’en parler avec fondement et les matières s’am-

48

il pfifient et se débordent, de mode qu’il les faut rediviser et qu’on en trouve une douzaine au lieu de trois ou quatre. Tel médecin qui dominait le propre de son art en l’étendue la plus générale aura quitté la place à deux ou trois, puis cinq ou six et toujours davan­ tage : à cette heure on y verrait presse. A quelques générations de il nous, un homme richement doué se rendait à la fois juriste et phi­ n H II lologue et théologien, sans préjudice de l’histoire et même des ma ­ ii' il thématiques, pouvant connaître en plus la médecine ou la physique ir et se mêler de belles-lettres, dans la puissance de tout dominer et de voler de discipline en discipline. Qu’on prenne de nos jours les illustrations les plus diverses, qu’on vous les réunisse et qu’elles II tiennent assemblée et fût-ce durant bien des mois, elles ne tombe ­ raient d’accord, à faute de, s’entendre, ou ne s’obligeraient qu’à II II divers actes de foi mutuelle ; il ne s’y trouverait pas un discernement capable de légitimer ce qu’il approuve en tirant les données de son fonds, pas une intelligence susceptible d’inférer ce qu’elle admet de ce qu’elle professe et pas un homme en état de conclure et de II II son mouvement, mais un chapitre de savants dont tous les membres H II II restent cois en leur domaine et n’en démarquent la limite, peur de se démentir ou de se prêter quelque ridicule. Cela nous vaut des II rudiments d’une finesse inégalable, une abondance de raisons qui II n ne s’accordent plus, des arguments à la douzaine et point d’image n de ce monde, laquelle est impossible à l’avenir.

Point de réponse générale ou de II lumière tout unie et seulement des cas d’espèce, autant qu’il paraît d’hommes désireux de prendre II ajustement II ; de la confusion dans les ensembles, puis le débris II d’un mille de solutions contraires, voilà l’image de ce monde et II lllll II la plus justement II cruelle. La vérité mise en dilemme, des règles II II provisoires, une morale irrésolue, un amalgame de lois mortes et d’usages imprécis, mais II souverains, voilà bien le théâtre où nous II if n nous prodiguons au déçu de nous-mêmes, les lieux qui nous menacent lllll à tout mouvement et dont il n’est loisible qu’on se tire. Où l’homme II s’interroge avant que de se remuer et d’entreprendre, il ne consulte II II II rien et sa démarche enfante l’œuvre et répond même de la norme : nous n’avons d’autres pleiges que nos têtes et vivons solidaires de nos garanties, nous n’avons d’autre appui que l’assurance et nul II ne nous l’a procurée où nous nous dispensons d’en faire emploi. H Mais il nous reste, en dépit de l’esseulement, l’exemple et l’imitation de ceux qui nous précèdent, leurs faits et gestes, leur verbe et leur II LXVIII. Vœux et remèdes

4

49

Il 11 enseignement et, plus encore, leur esprit, et sommes-nous alors n reçus à prétexter une ignorance criminelle ? S’ils furent, n’est-ce n II pas à l’intention d’être à jamais vivants parmi nous et ne les tuonsnous pas une fois seconde en rejetant leurs prises ? Car ils sont morts II n pour nous et qui s’immole de dessein formé n’a-t-il pas donné le n II meilleur à ceux qu’il aime en vision tout comme en espérance ? II Et quelle ingratitude où l’on n’a cultivé de tels attachements ! où l’on s’est endurci pour se tirer du pair et se juger plus admirable ! Il faut désespérer, il faut languir à sa confusion, on est tenu de se II haïr dans la rigueur des termes et nous devons encore davantage : II nous refuser à plier le genou devant l’idole de nos déplaisirs, la rompre II sur l’autel et consumer nos morgues solennelles dans l’acte pur de l’adoration. Il est une réponse générale, une lumière tout unie, il est des vérités et des préceptes, quand nous savons les quérir à la bonne source et les payer de notre vie en ne cessant de la bouter en gage.

LXIX. Vengeance de l’arcane

n En prenant mine d’ignorer ce qui nous passe, on tombe enfin dans les désordres les plus dignes de risée et l’on en voit qui savent distiller ri l’entendement dans une fable et n’aboutissent qu’à des drôleries graves à souhait. Ils nous démontrent qu’on peut s’abuser selon les règles.

n LXX. Nouveau sublime

Nous sommes tels que vivant en un il monde où trois arpents suffisent à l’am­ bition du plus grand nombre, l’idée que l’espace ait des limites n n renverse tous les jugements et ferme toutes les lumières. n De l’infini, n n l’entendement se jouait merveilleusement à l’aise, il en tirait même n n un tribut de gloire, il y multipliait les univers, il y goûtait l’ivresse n la plus capiteuse et le vertige le plus éminent : le voilà démuni de n ses fantasmes, déchu des raisons qu’il apporte à leur mobile et rendu n sans miséricorde à la tutelle du cadastre. Cent lieues de pays ou ri mille fois cent millions ne changent rien à ce dilemme, où nous n nous savons infailliblement délimités, et l’augment infini d’une distance est peu de chose au regard de son terme, lors même que l’on n n s’ingénie à le placer à des portées fabuleuses. De tels pensers en­ ferment le dessein d’un change à quoi nous ne voyons d’élusions et n qui nous ôtera pas mal de prétéritions ou d’hyperboles, au dam de nos rhéteurs. Il ne manquait à l’infortune de l’espèce que ce retran­ chement, dont elle a sujet de se plaindre et qui la prive de son lustre,

50

Il n II la majesté de nos douleurs ne souffrant de mesure et clamant après l’infini d’une aire sans limites. Mais nous n’y perdons rien et l’on viendra nous soutenir que l’univers n’est plus à notre échelle et H que l’humain le passera, ne fût-ce qu’en peinture, et cela nous n II annonce une attitude d’un sublime à la dimension du siècle, une n révolte généreuse où l’homme, jusques alors perdu dans un espace menaçant de l’engloutir, se bande sous l’entrave et semble reculer H les bornes devers l’infini dont il se juge le miroir et qu’il aspire de violenter.

LXXI. Du devenir à l’absphx

De nos jours l’univers est à la n forme ouverte et, malgré nous, n d’intelligence avec son devenir dont les limites en recul n’ont laissé ri n n ni n de multiplier les voies et ferment les accès au jugement de l’homme à l’investir de raisons péremptoires, le vague s’élargit en nous à l’heure que nous pénétrons le concert des lois supposées, les fins du réel se dérobent et tous les droits acquis sur l’évidence ne nous les rendent plus en la poursuite de l’ouvrage, nous voyons trop n d’emblée et jamais ce qui nous accorde, il nous faut abjurer un sem­ n blant de logique et nous ensevelir en un désordre concerté, le monde iiiii se déclare et nous ne parvenons à l’épuiser, nous sommes dans le n flux, mieux avertis de ce qui nous détrompe, en un regorgement de n n faits, en une redondance de possibles, mais le moyen d’en être la n mesure et de les rapporter à nous ? Ces faveurs nous excèdent de n bien loin, ces dépositions nous assourdissent et ces lumières nous n ii offusquent, nous voilà derechef abandonnés, avec nous-mêmes et rien d’autre, et cependant les forces débandées redoublent leurs n n empressements, le pire nous menace où nous l’envisageons gagnés à ses tutelles et les dehors nous veulent aspirer : nous nous ache­ minons à l’indivis, nous éclatons, manque de bornes stables, c’est H un feu d’artifice, un amas de merveilles inutiles dans les approches IIIII de la fin. C’est là le point où nous en sommes. A l’avenir il n’est que II l’absolu pour mettre empêchement à la ruine et fermer l’horizon, II II nous rendant une assiette inamovible et nous délimitant à force, il n’est que l’absolu pour nous tenir à la contrainte la plus désirable II et la plus nécessaire et prévenir l’insatiable accroissement, pour soulever le poids de la fatalité nouvelle il n’est que l’absolu, pour II nous réduire à l’indigence et rompre nos mesures, pour nous restituer II à nous par une vocation manifeste et des freins salutaires il n’est n que l’absolu, l’empire universel et le seul légitime, il n’est que l’ab­ n solu du règne clos, harmonieusement infus et volontairement tranché,

51

du règne clos délimitant H l’espace et du régime articulant la suite H de nos lendemains, la prévision dirimante et la gouverne paternelle, II la douce et l’inflexible qui cède et ne transige pas. Il ne nous reste H que le sommeil ou la mort.

H Le dogmatisme, un penchant décidé que nul LXXII. Le salut II n’abjure et qui subsiste sur le même pied en II par le dogmatisme II tout domaine ri de l’entendement, renouvelant ir l’économie de ses phases, n’iijiporte l’origine du prétexte, et tra­ II n vaillant à le consolider, déterminant ses lois moins au sujet qu’il entreprend qu’à ses conduites les plus générales, rebâtissant à des n II II niveaux dissimilaires d’une manière continue, une et la même, ir aménageant les lieux qui tombent sous l’arrêt, les rendant familiers II à nos puissances et réparant le trouble suscité par les nouvelles découvertes enveloppées dans un tout qu’il administre. La fin du iiiii II dogmatisme est l’iMAGO mundi qu’il édifie, obligeamment tenace, ri' en prenant fonds sur l’affluence des lumières, mais il n’endure pas un change qui les bouleverse et défend l’œuvre de ses jours, quitte à persévérer dans une erreur indubitable : encore est-il besoin qu’elle II soit générale, universellement reçue et qu’elle nous soit imposée, et qu’on ait la ressource de nous y contraindre.

Il est plus noble de languir sur le penchant de ses traditions, mais plus avantageux d’en être le principe et de les établir en payant de sa tête, plus valeureux aussi, nul ne nous protégeant, et l’homme résolu préfère l’aventure à la commodité d’exemples inutiles, car inutile toute tradition l’est si nul besoin ne la motive plus et qu’elle H II s’émancipe outre mesure avec notre évidence. Les uns mourront de leurs antilogies, les autres vivent d’elles, elles travaillent à les n iiiii II 11 affermir comme ils les mettent en usage et c’est l’exemple à méditer, rien n’étant simple, hors l’illusion. Les bonnes lois préviennent II H doucement ce qu’elles n’auraient assumé, puis ceux qui les publient y laisseront de règle un soupçon d’ouverture, afin qu’elles ne tombent pas en leur entier, entraînant l’édifice dans leur chute : ils les feront précises, mais ambivalentes, ils ne s’engageront pas au delà, pour réserver une ombre d’avenir et légiférer à l’avance, donnant à II l’actuel un augment de validité. Mais tout cela concerne les lois politiques, jamais les obligations dites civiles, jamais les règles de II orale simple où tout n’est que sévérité, sans l’espoir d’un allégement II

LXXIII. Séduction de l’aventure

52

possible : on se ruinerait à laisser planer l’équivoque en un domaine étranger, certes, à l’antilogie et dont l’antilogie a le devoir impé Il ­ rieux de nous répondre.

Mes frères en esprit, le monde vous appelle et les royaumes de la terre ont soif de libre servitude ; H l’heure est venue de laisser le temple et la retraite et de vous mêler à la foule. Que nul ne vous connaisse où vous aventurez la Nouvelle II II adorable et qu’ils l’entendent comme à l’impourvu, dans le mystère IT et le recueillement propices. Allez vous partager en vous commu­ ni n n niquant et réveillez les âmes en sommeil, mais ne prêchez le nom II ii des causes établies : la vôtre-n’en est point et met en l’homme seu­ II' lement sa lumière et sa complaisance. Ne discernez la fin du monde II en chaque événement et ne jouez avec la peur des simples : le monde est dans le cas de nous survivre et nous n’avons pas à nous réjouir de l’emporter à ses dépens, vu qu’i] est souhaitable qu’il subsiste n n et fût-ce contre nous, et même la Nouvelle. L’esprit de charité ne saurait bâtir au défaut de la matière et notre foi n’est susceptible II d’ébranler une montagne : nous devons maintenir ce qui demeure II et transformer qui penche à la ruine. Mes frères, que chacun de vous soit le principe originel et chacun de vous tous la fin dernière ! Allez de vous à vous, en passant par vous-mêmes, vous que le Dieu suit à la trace ! LXXIV. Appel

Nul n’a la garde du dépôt s’il en IT II oublie la promesse. Les temps sont II avenus qu’il nous est légitime de l’ôter par une violence et de dicter un jugement valide, où nul ne se prononce et chacun se récuse. II Oui, malgré ceux qui le défendent, nous l’irons sauver une fois nouvelle et nous l’ajusterons à nos impératifs, nous n’avons plus II à le jouer à l’heure qu’il s’évente et qu’il se perd sans intermission. LXXV. La rébellion sainte

LXXVI. Le peuple du retour

II Que le rassemblement des Juifs II en Palestine est un événement d’une portée inégalable et tellement qu’il passe tout ce qui s’est II fait depuis vingt siècles, mais peu de gens le savent ou l’entendent, de mode II que fort peu le brûlent d’empêcher et que les Juifs y gagnent il de se rétablir au milieu n du mépris des nations aveugles. L’Histoire Sainte, de nos jours, semble avoir commencé pour une fois nouvelle et sous les yeux du monde n entier que l’on appelle en témoignage,

53

avant que de le mettre en jugement. L’Histoire Sainte est parmi nous, dans la figure de ee peuple restauré, dressé vers l'orient, et que les nations ont immolé durant vingt siècles sans l'abattre. L’Histoire Sainte vit et nul n'a le pouvoir de rompre à l'avenir ce que Dieu même lie et scelle.

Ce peuple singulier, ee peuple d'Israël, en qui le fabuleux ne se remarque plus et les miracle^ perdent leur raison, dont l'existence est un prodige et le retour inconcevable, aveugle cheminant le diadème en tète parmi les nations encore plus aveugles, chez qui tout paraît ordinaire et pourtant rien ne l'est, qui brave l'évidence et dément le réel, conduit malgré lui-même au-devant de ses fins qu’il ne discerne pas.

LXXVII. Le peuple de la fable

Le siècle où nous nvous m'éclaircira des doutes qu'il m’a proposés. Il a de bon qu'il nous illustre ce que les autres ont dissimulé, qu’il nous dévoile les ébauchements et les mécomptes de nos im­ postures, qu'il ne fait rien qu'il ne surmonte et fût-ce dans l'horreur, et qu'il s’oblige même à devenir pareil à ce que l'homme ne s’avoue en ne laissant de l'être. Nous voyons en un même lieu les origines et les fins qui se pénètrent, nous remontons à tout moment aux sources les plus reculées, les causes semblent fuir au pourchas de l’atteinte et les dimensions de l'univers se bander jusqu'à rompre. Nous sentons le pouvoir de la matière et la faiblesse de l'esprit et, dans ce monde mis en mouvement, nous demeurons liés à l'appareil des fables et des mythes, nous efforçant de lever un obstacle, déme­ surément appesanti, par le secours de religions qui furent bonnes en leur temps, mais dont le nôtre ne saurait s’accommoder, à moins qu’elles ne changent. Quoi de si vain que de nous rebeller et de flétrir l’époque, où nous pouvons nous élargir et nous hausser, ayant l’abîme sur les bras ? Nos charges se sont mille fois accrues, mais si nous n’entendons que notre siècle nous écrase, il nous im­ porte de le définir et puis de l'assumer. L'histoire ne nous aide plus et nous devons l'improviser, la créant à proportion ; nous sommes libres, désormais, et nos limites se démentent au jour la journée, la démesure est nôtre et force nous sera de compter avec elle, jamais nous ne retrouverons les bâtiments risibles et superbes que nos ancêtres élevaient afin de se jouer de l'évidence. Dieu n'en sera que plus divin et j'attends l'homme qui nous Le rendra, digne de

LXXVIII. Le siècle des achèvements

54

H nous et de nos fastes, le plus intime dans l’éloignement, le plus distant en la dernière approche, environnant tout l’être au sein n H duquel ses règnes se prononcent et s’unissent, joint à Soi-même à travers Soi, par le canal de nos entendements. II

LXXIX. Bravade de l’impie

II est plaisant de déifier l’homme ii et fût-ce le plus digne de l’avoir été, quand nos savants lui tourneraient l’intelligence en la menant ii où n bon leur semble ; le nouveau dieu s’accuserait lui-même d’imposture et donnerait créance aux juges les plus endur;is, il les supplierait ii de le flétrir et de faire un exemple à ses dépens, engageant ses ado­ rateurs à rentrer dans Uobéissance. Socrate se fût renié, Luther ff abjurerait ses propositions, Mahom se moquerait de l’Ange et n’irait plus se joindre à Dieu, et que serait-ce de nos saints? Voit-on ri Bernard, Ignace, François ou Dominique en la présence de nos juges ? Et si N. S. nous revenait, serait-Il pas vaincu dans Sa nature if humaine ? L’homme est l’objet de l’homme et nous n’y savons de ii n remède, où la matière débandée a l’avantage et l’esprit délibère sur le choix dont fl ne sera plus l’arbitre. Et cela nous oblige à subii if vertir le fondement de nos croyances, tirant meilleur parti de la H II secousse et nous rangeant à d’autres lois, peur d’être déterminément enveloppés dans la ruine des anciennes.

Oui, nous ne craignons pas de II l’avouer, l’humanité de J. C. ne saurait nous suffire et l’immolation passée est inutile, en la rigueur des termes II : l’humanité de J. C., l’égale de la nôtre, est désormais iiiii vaincue en elle. Si l’homme n’est pas libre, on est tenu de voir en n l’oblation du Seigneur une manière de symbole provisoire et qui ne s’étend nullement ii à nous, nous que l’Esprit seul a pouvoir de racheter où notre humanité n perd ses franchises, nous qui ne pré­ II sumons de la gouverne, à n’avoir plus sujet de nous mentir face n ­ au réel que nous déracinâmes. La charité de N. S. J. C., tout rassem ri blé, n’était qu’une figure et le réel est épouvantement, et c’est à quoi notre âme le décèle. Nous sommes à la Grande Peur et pouvons dire avec dessein que, de nos jours, la mort seconde eut raison du rr Seigneur de Vie et qu’il n’est plus d’exemple en l’univers. Et, cependant, l’humanité de l’homme est le jeu solennel à quoi l’Auteur n n. a convié le monde, où Dieu même a sa part, s’il n’en devient la mise, n et qui ne cesse pas au long des âges ni des lieux. Nous devons poser n l’absolu, nous n’avons d’autre mire et c’est par lui que nous nous

LXXX. Réponse du croyant

55

n fondons en puissance, mais l’absolu veut le combat et nul n’en H n jouit s’il n’en tremble, l’embasement de notre certitude écrase nos appuis charnels et le domaine est en épreuve, où nous agonisons, atlantes débordés. Nous posons l’absolu pour que les autres vivent, nous sommes n les garants du nonchaloir, les répondants de l’assurance h et nous mourons les pleiges de l’humain. Ils nous délèguent leur II sollicitude et nous les dispensons du choix, et s’ils demeurent libres, ils ne le doivent qu’à notre allégeance ! Mes frères en esprit, élargissez II votre âme et la rendez comme la mer, soyez vos engloutis en ne II laissant de déborder tous les rivages, pour que le Dieu vous aime et vous habite : alors vous serez pleins de Lui, qui sera plein de vous et l’univers ne tardera plus à sombrer, vous serez un par l’indivis, vous serez un dans l’indivis et rendus sans partage à qui se donne II II sans mesure ! Il est requis de sauver le message du Seigneur et de ne faire état du reste ; il est besoin de regarder à la substance même II II de l’enseignement et de bannir l’amas des riens et des chimères qui ne se peuvent soutenir ou persuadent moins qu’ils ne se prêtent II à l’irrévérence ; il faut sortir de la confusion où l’on demeure à n notre insu par un attachement vénal, non pour nous exempter du n choix, mais à dessein de nous reprendre et de gagner à Dieu des h serviteurs qui se gouvernent librement et dont chacun vaut plus n qu’un mille de zélotes ; il est indispensable de tenter l’épreuve en n le dépouillement de qui nous fonde et d’aller au-devant du pire ir n en aimant le Seigneur d’une amour de désespérance, oui, d’une amour veuve et d’objets et de prétextes, d’une amour d’abandon, n n d’une amour d’holocauste et d’une amour enfin si délibérément n profonde que Dieu, pris de vertige, y roule du plus haut de Sa divinité !

CONCLUSION La vie est une veille au sein de la ténèbre, un éternel commen­ n cement au fort de ce qui ne s’achève, une éternelle fin de l’univers que l’univers ignore, un incessant refus lucidement n armé. Heureux n n n n qui tremble à cause de soi-même et cesse de trembler pour soi ! h Infortunés les murs qui ne renferment rien, à la réserve de leur n ombre ! Réalité, l’acte de foi de tout l’entendement en les puissances, n de toutes les puissances en l’entendement. Heureux qui vit en donnant toute sa mesure et meurt de crainte d’y manquer ! n

56

LIVRE DEUXIÈME

DE L’HISTOIRE

I. Approches de l’histoire

H S’instruire à fond des sentiments qui nous échappent n’est-ce pas là gageure If déclarée ou fantôme engageant ? Et c’est à quoi les annalistes se dévouent et qu’ils s’efforcent de nous rendre, ils ne reculent devant II rien et s’abandonnent à leur intuition sur les arrangements à prendre, ils se transforment en oracles, ils restituent le passé dans les rapports II essentiels à qui leur en fait la demande et, par les procédés à bien mettre en usage, ils y découvrent les leçons que nos instances sol­ licitent, leçons prodigieuses dont la teneur varie au gré des juges, n temps ou lieux, mais qui leur savent délivrer les attestations les ri plus serviles et les mieux venues, leçons qui tiennent de la fable et fixent l’évidence en fournissant aux dépositions du siècle, l’his­ toire ayant pour tâche de lui prodiguer le secours nécessaire en dé­ terminant son langage à l’offre. L’histoire, un jugement qui se II veut terminal et dont la génération suivante appelle en réformant notre sentence.

L’histoire, sans mentir, est un asile de licences. Nous voyons que l’on entreprend sur elle et la retourne et vous la rebâtit si bien que sa réalité s’efface dans les jugements n dont on ne cesse d’appeler. Tel s’ingénie à dénombrer les mille occasions perdues, dont tout le moins qu’on puisse dire n est qu’elles baillent force gages au néant. Quoi de plus faussement insidieux que de la réformer à l’aide de possibles ? Que savonsu nous d’un homme et que présume-t-on d’un mort? Nous nous payons d’une réalité fâcheuse en dérivant le cours du fleuve où nous ne II. L’histoire fable

57

passons plus. On ne connaît jamais ce que l’on interroge et la ré­ ponse émane trop de fois de celui qui la veut entendre. L’histoire II ramassée en un seul point ne fléchit guère l’évidence et le dernier II événement efface l’œuvre de dix siècles. II

III. Néant des faits

fi Je sais tel fait dont la mémoire a mis les n siècles en rumeur •I et qui présentement nous n laisse tout comme de glace, et j’en sais d’autres qui nous semblent merveilleux II et qui mourront de leur plus belle mort au fond des oubliettes. Les preuves prouvent ce qu’on leur fait rendre et nous n n n démontrent ce que l’on désire ; nous sommes les plus forts, et même II n contre l’évidence à quoi nous taillons mille habillements divers.

IV. Prétexte de I la cause

II L’on nomme cause un enchevêtrement et d’absolus et de possibles, l’indis­ II cernable amas à quoi nous nous bornons, voulant que toute chose II s’y ramène, un parti pris à défaut d’autre et que bien d’autres II' n savent remplacer le temps venu, la fin, mais la fin provisoire de l’enquête et davantage un signe qu’une préséance. En toute cause n il est une abondance d’éléments qui ne se définissent guère en leur particulier et dont nous recevons l’intelligence en vertu de leurs n ii mutuels rapports, éléments dits de situation et qui dépendent de l’assiette. Nous raisonnons à l’infini sur les mobiles de l’histoire, les causes de la précellence et de la chute et le pourquoi de l’inégalité ri 11141 de peuple à peuple ou d’âge en âge, mais nous n’y sommes point II de bonne foi, le sujet nous regarde de trop près et nous nous y mêlons II plus qu’il n’est désirable, avec le souci permanent de nous laver H des charges les moins ambiguës et de semer l’incertitude où l’évidence est un empêchement.

Que dans l’histoire les effets ne nous ré­ n pondent nullement des causes, lesquelles ne n sauraient les préjuger à tous les coups. A l’origine des événements l’on ne discerne qu’une masse et l’on y taille à l’aventure ou suivant nos penchants couverts et les idées à la mode, mais l’on retire un n n autre jour les raisons qu’on avance et remanie un même n fait au n long d’un inventaire que l’on ne cesse d’infirmer de temps en temps, nous passons en revue une séquence interminable et n’avons jamais tort, puisque les faits nous doivent l’existence et que leur poids n n n’est rien dès le moment que nous les oublions, nous nous vengeons V. Effets et causes

58

des rebuts essuyés et nous nous payons de l’absurde en tordant l’évidence ou devenant, pour ainsi dire, une fatalité nouvelle à quoi ii l’événement s’ordonne.

VI. Puissance de l’histoire

n Qui fut et qui ne fut jamais ne seraient n ­ qu’indivis et que néant, mais la mé n n n moire suffit à les rompre et désunit l’événement passé d’avec l’inexis­ ii tence. Le fait de l’homme n’est-il pas d’introniser le temps et de n le changer aux annales ? L’histoire se présente comme l’artifice le plus nécessaire et le mensonge le plus prévenant, sans quoi le n n train du monde ne serait qu’impermanence et l’homme le jouet du n provisoire inaltérable en son avènement. L’histoire vit, soit qu’elle n n demeure intangible à force de nous contenter à la manière d’un n n ir proverbe ou même d’une liturgie, soit qu’elle suive nos démarches et se rende leur complice. Nous faisons d’elle tout ce qu’il nous plaît d’en faire et disposons de sa richesse à notre volonté, mais il se peut qu’elle se venge et nous contraigne à lui donner le pas sur l’évidence, au risque de tout renverser : le passé, devenu présent, II entre en matière et nous réduit à consentir où le réel demande qu’on résiste, les faits se payent de nos mots et de leur mésusage, et nous allons tête baissée au-devant de la honte en expiation d’un faux lllll honneur ou de chimères savamment entretenues. Le ridicule en n une nation ne saurait provenir de sa faiblesse, pas même de la dé­ II n II mesure et chaque outrance emporte une agonie ou la menace d’une II fin totale, il se dérive d’un semblant d’allure et d’un engagement II prêt à se démentir en face de l’adversité.

L’histoire est belle et je crains toutefois de raisonner sur les exemples qu’elle nous étale et que l’on juge au gré des peuples et des temps, selon les découvertes et les goûts de chaque génération II II dont nul ne se pourra déprendre, en sorte qu’il est malheureux d’en tirer la leçon, leçon inévitablement sujette aux variations impré­ visibles. Suffit-il pas d’un fait nouveau pour qu’on ruine des idées admirables dont le seul tort fut de ne l’avoir pas envisagé ?

VII. Triomphe de l’inattendu

II ­ Les causes les plus reculées em brouillent ce qu’elles démontrent, vu qu’elles partent de trop loin pour avérer ce qui nous touche, en nous le rendant plus étrange. On n’a que faire de ces preuves fabu­ leuses qui vous remuent tant de pays et d’années, qui rompent tant

VIII. Abornement des causes

59

d’usages établis, qui mettent ri le désordre en nos puissances, qui nous accablent et nous étourdissent : ce sont là jeux qui ne méritent pas qu’on se travaille. Les causes nécessaires ne se logent pas si loin et n ne demandent pas qu’on les dépasse en les légitimant à force : il n est des points d’arrêt dont il est bon qu’on ne se prive et qu’on ne gagne pas à démasquer, fût-ce en les reculant, il est des bornes ri provisoires qu’il nous sied de juger éternelles, quitte à les déplacer le temps venu. Rien ne s’ébranle et nulle chose ne se parachève, n à défaut de limites. n Tout se relie et tout s’enchaîne, mais nous n’avons que faire de ces liaisons multi­ pliées et de ces mille enchaînements, nous qui venons pour trancher et les rompre, n et bâtir l’univers en partant de nos fins, nous de n qui l’évidence émane et qui la recevons avec l’image du réel, nous n dont le moindre est ]a position de l’absolu, le moindre l’œil de Dieu, ii le moindre la raison de tout ce qu’il renferme ou départage.

IX. Éloge des limites

C’est une illusion que d’aligner les faits et tel suivant tel autre est dans le cas de n’en n jamais dépendre et de se dériver d’un épisode antérieur ou mieux n de quelque enchaînement indiscernable, de mode que l’éventuel H part de multiples sources à la fois, les unes proches et d’aucunes en des lieux à jamais hors d’atteinte. Assigner une cause est le partage des oisifs et l’inclination des simples, et c’est encore la menée II des pervers et l’appui scandaleux des gouvernants illégitimes, nul n’ayant de regard pour les réserves que ces définitions appellent, iï ri mais tout le monde à solliciter des coupables. Or, le moyen de les trouver quand on ne les invente pas? D’où l’obligation de simplifier l’évidence et de réduire le réel à ce qui donne dans la vue, adultérant l’histoire et lui faisant porter le caractère le plus émouvant, que dis-je, le plus pathétique ! l’on montre ainsi l’enchaînement essentiel. L’on n n met le mal en face et parle tout modestement au nom du bien que n l’on assume, l’on détermine les coupables, la forfaiture les dénonce, on les arrête au piège et l’on s’honore de les immoler, l’histoire est le champ de bataille où la malice se déploie et les vertus se réta­ blissent en triomphe. Que si tel peuple nous abat, il est la verge du Seigneur et nous devons à l’avenir plus de soumission aux prêtres ; que si tel peuple est renversé, Dieu nous prodigue ses faveurs et nous engage à Le servir plus furieusement encore ; que si la terre n n n tremble, Dieu nous corrige et nous fait avertissement de L’aimer n sans partage ; que règne l’abondance, les uns ne manqueront d ’y

X. Litige sur les fins

60

voir le fruit des bonnes œuvres, les autres la déploreront, y discernant n une menace épouvantable. L’histoire, cependant, ignore la finalité, n de même que les raisons pathétiques, elle est modeste et néanmoins Il H subtile et, creusant les motifs, multipliant les sources, revenant sur elle à chaque pas, est-il loisible qu’elle donne une retraite aux pré­ jugés, mêlant l’antécédant, le conséquent, le changeant et le per­ sistant pour le service de nos fables ?

XL Dilemme de l’autorité

L’autorité n’est pas le nombre et l’âge vénérable d’une erreur ne la ti H mitige aucunement ; une aberration me semble toujours neuve et n dès le moment qu’on la sonde à découvert. Notre devoir est de céder à l’évidence et d’y ranger nos modes et nos lois : jamais alors n l’humain ne cesse d’être noble et de se confirmer en ce qu’il a de n ii plus valablement solide, au mépris de l’intermittence ou de l’alter­ n native consenties. Il est des faux qui dorment douze siècles et des il illusions que l’on reçoit depuis les origines, mais qui ne laissent de tomber en moins de rien, car dix mille ans ne pèsent guère face au jour qui les annule et ce jour-là peut avenir et chaque lendemain II !

XII. L’engagement et le refus

Nous recevons une nouvelle à pro­ portion de l’engagement et si nous n n inclinons à croire un fait mal démontré, quand nous nous rendons H difficiles sur un autre qui l’est mieux et même le mieux appuyé, II c’est qu’il attente au jugement du reste ou nous oblige à des présomp­ tions inadmissibles. En ces domaines-là, nos procédés varient à II II mesure de nos fins et qui nous mène au parallèle est de mauvaise foi, car il s’agit bien moins de l’éclaircissement que de l’allure à prendre au sortir de la polémique ! Oui, plus les faits tendent au II loin, plus notre jugement balance et plus nous réclamons de sûretés n nouvelles, à bon droit, ce nous semble-t-il, en prévision des suprêmes conséquences. Une querelle d’érudits ne nous affecte point et ne n s’évade guère de leurs livres, nous les laissons à leurs débats imagi ­ naires, nous recevons de leurs lumières le tempérament le mieux h ajusté, nous en tenant à l’avis le plus raisonnable, mais il en va différemment touchant les Evangiles, d’abord à cause qu’on les disait infaillibles, raison de nous piquer d’honneur, et puis en vertu n n de leur influence : là, le menu détail respire bien la majesté de la n matière n et l’on redouble d’exigence, les uns mus par l’ambition de n saper l’édifice, les autres de le conformer à telle ou telle vision dont nils professent la doctrine, si difficiles sur le choix, les uns de même que les autres, que nulle histoire ne serait possible ailleurs et que

61

les grandes lignes resteraient dans l’ombre. Il n’est pas requis de Il leur en vouloir et nos chercheurs ont quelque fondement à raffiner sur le litige, il le mérite H raisonnablement et, de nos jours, l’on ne ü II saurait assez l’étudier, puis leur empressement nous marque d’évi­ dents hommages : c’est apparence que le sujet ne s’épuise guère et lllll ü qu’on n’en finit l’examen, tant nous y sommes engagés. Qui prouve­ rait que Jésus n’est pas Juif le convainc de mensonge et s’il le rend plus agréable aux payens baptisés, il réduit à néant promesses, prophéties et royauté messianique, et si Jésus ne descend plus de ü ­ leur maison royale, encore qu’on le tienne Juif, il fait figure d’im ü posteur et ses triomphes ne démontrent rien : il est donc nécessaire qu’il soit Juif et du lignage des rois judéens. Le reste à l’avenant. A l’égard de la culpabilité des Juifs, si l’on observe qu’ils se dis­ ii persèrent et dès avant la mort du Christ, vivant en mille endroits de la Tarragonaise à la Chaldée et plus nombreux en la dernière lï qu’en la Palestine, il est absurde de leur imputer la condamnation du Maître, dont ils ne surent parfois l’existence qu’en essuyant pour ii la première fois l’outrage des adeptes.

i XIII. L’histoire et la tradition

Si la tradition est le dépôt ina­ H movible, l’histoire est le procès n en permanence, mais l’une rejaillit sur l’autre et le partage en semble ii malaisé, les deux sont quelquefois d’intelligence ou feindront bien ü de l’être et, si l’on fausse l’une à violenter la seconde, il se peut même que les deux s’ignorent, faisant bande à part, et qu’on défère à la tradition où l’on ne laisse de changer l’histoire, les esprits les plus déliés et les plus difficiles sur Je choix ne balançant pas à la recevoir en tant que telle et n’ayant garde de la réviser, eux qui raffinent ü à plaisir sur le dépouillement de nos annales : sous l’ombre de la il ü foi, les hommes les plus retenus en tous leurs jugements prononcent ü sans délibérer et parlent sans entendre, ayant mis le discernement à la contrainte. On veut l’histoire complaisante et, de ce pas, la II rend notre sujette ; elle est une façon de voir où l’on ne manque pas de se trouver, la représentation qu’on se donne, un jeu de qui la il n règle principale est de n’en convenir jamais, une émulation de n n certitude provisoire en quoi l’on prétend statuer inamoviblement à l’avenir, une reprise solennelle et visant à tout abolir, moins l’arrêt qu’elle dresse. La tradition, elle, est d’un usage plus embarrassant il il et l’on en sait de tellement rigides qu’il n’est moyen de réformer il ce il qu’elles nous imposent : il ne nous reste alors qu’à les diviniser pour les réduire à l’impuissance, un tout dont les habiles se sont avisés ii ii avec un bonheur manifeste. De même que dans une langue il est

62

des façons qui ne changent plus, des phrases faites que les générations fl se passent et des proverbes subsistant comme des îles en la mer n mouvante, les traditions vivent immobiles, fl quand tout se mue à n l’entour d’elles. Tel roi serait abominé de nous, qui fit peut-être les délices de nos pères : nous le voyons avec leurs yeux, non pas If les nôtres, priant les souverains de se régler sur un modèle cher à n ii la mémoire et ne songeant que nul n’y gagnerait présentement. II Tel autre serait susceptible de nous convenir et nous l’appréhendons 11 II à simple vue, nous souvenant qu’on ne l’aimait pas à son heure, II qu’il parut malheureux et qu’on le diffama. Tout nous échappe, hors l’esprit, et ce domaine-là ne change point, l’abstrait se ralliant à l’immutable. Qu’on se dépouille n u enfin de ce qui nous attache, nul d’entre nous, quand même il serait au plus haut, n’ira descendre ailleurs qu’aux lieux de son départ. Il est absurde de se modérer de vive force où nous envisageons les II II 11 mœurs et les mobiles, lesquels infirment ce détachement et l’on II rédige moins que l’on ne plaide, il nous est impossible de nous ou­ blier et nous y revenons en tapinois. L’image du passé me semble fi ii II l’inventaire de nos vues et même de nos invectives, nous y mettons ii; décidément du nôtre et ne nous échauffons que pour des fables éloquentes au superlatif, où les aveux abondent et les procédés, le n n tout moins volontaire qu’on ne l’imagine. Et le moyen de cultiver n ce beau détachement, sauf à se perdre en la mystique ? Les mœurs et les mobiles du passé relèvent-ils de ce qui les résigne et se peut-il n qu’on les renferme en ce dépouillement lequel s’exerce à les répudier ? On nous objectera qu’il faut s’abstraire et qu’on discernera le deH n n eurant à l’aventure, que par un merveilleux détour on en réformera l’arrangement tout d’une vue, où l’intuition débande les ressorts et frustre le néant de ces fantômes qu’elle éprouve. L’on ne se forge II II II pas une âme à la mesure des temps révolus, mais l’on compose des romans roulant sur les annales et le passé que l’on n’altère plus meurt une fois seconde. L’histoire est une affaire d’inclination, de II n mode ou de parti, plutôt que vérité mise en lumière et nous voyons fi avec les yeux du siècle, ou mieux de notre génération.

XIV. La permanence de l’esprit

Tel fait qui ne ressemble à rien ou ne parut n trancher sur le commun de notre histoire ff est dans le cas de ressortir et le plus vivement, sans préjudice d’ap­ plications outrées, mais II tel dont le ressouvenir obsède les vivants perd de son lustre au jour le jour, avant de s’identifier à l’ordinaire.

XV. Leçon à méditer

63

HIH lllll L’enseignement d’un homme, d’un homme pauvre et démuni, qui H II vécut dans le fond d’une province, a remué les peuples et les temps et fondé l’ère où nous nous situons depuis vingt siècles, nous, les II II témoins du menaçant empire échafaudé pour durer mille années ou davantage et qui ne laisse rien, hors des ruines et des tombes, If de la fumée II et la plus vague des rumeurs, plus qu’à demi couverte.

n Ce qui fut mal dans le passé le reste à l’avenir à l’égard du passé, le reste n et le demeurerait quand l’avenir lui ferait pleinement justice, quand n n n n ême if il se modèlerait sur la matière de l’exemple, et l’on a beau n n se travailler l’entendement, beau multiplier les sophismes, l’on serait bien en peine de l’apologie à le restituer à nous dans son originelle virulence. On loue un traître et l’on vénère les félons que le bonheur n appuie, et l’on enjambe les événements, volant par-dessus l’objet du litige, les yeux tournés vers une fin connue au préalable et qui n n dévie les suffrages. Et, tout de même, on s’ingénie à se laver d’une ii II n conduite sciemment préméditée, que rien ne légitime, à moins de saper notre foi jusqu’à la subversion générale, en prenant fonds h sur les vicissitudes de l’histoire : on farde menées et cabales, l’on innocente les bourreaux et les habiles, parce qu’une alliance se n n renverse et que les ennemis changent de camp. Il serait bon de les if i ii punir au lieu de leur laisser le temps de remonter à la surface en n invoquant des riens sonores et des arguments cornus, en cherchant n n n manifestement querelle à ceux qui les amnistièrent, en semant la ii confusion dont ils s’étayent de leur mieux, en se rendant accusateurs n n où le silence leur serait de mise, coupables à jamais et persévérant n fi dans l’ignominie, en sorte que l’acharnement les portant à la tête n est moins le désir d’amende honorable que le projet de diffamer n leurs juges, moins le dessein de racheter que de glorifier la forfaiture n n et d’ériger les crimes en exemple. Il est dommage de se servir de n n tels compagnons, mais il est déplorable de céder le pas à qui n’a n ii ii plus à se montrer au jour, mais à se dévouer dans l’ombre, à mourir n n n sans loyer et que l’on rémunère en perdant sa mémoire et la mémoire n de ses félonies. n XVI. Emplacement n du mal

XVII. Constantes de l’histoire

if n Depuis les commencements de l’histoire, nul n’a fait table rase et les rebelles, devenus les n maîtres, se sont gardés de brusquer la nature et d’improviser une voie où d’autres auraient plus de latitude. Rien if n ne transformera le monde en son entier et, malgré l’apparence, il

64

n reste un fonds sur quoi les normes roulent, il reste un noyau de H possibles qu’on ne passe, un réseau de limites qu’on n’enfreint et fi iflii de démarches qui ne s’abolissent plus. Dès le principe, l’homme eut la plénière connaissance et depuis deux fois mille n années il vient remplir les moules préalables, il n’a rien inventé qu’il n’ait dû pres­ n sentir et, malgré l’évidence, il a gagné tous les paris ouverts contre elle.

» l’homme XVIII. Le fait de

Depuis que l’homme peuple l’uni­ vers, il est en différend avec les lieux de sa condition qu’il dénature pour s’y retrouver. L’image n de ce n n monde est mouvement de siècle en siècle et même dans chacun de hIîï nous, nous sommes libres de la retoucher à notre guise, de nous n n n l’associer ou de la rendre l’ennemie de l’humain. Le monde nous assiste des faveurs que nous lui prodiguons et nous retranche celles qu’on dénie à son théâtre. Qu’on sache qu’il ne tient qu’à nous de u n faire de la vie une grimace et de trembler à notre image où l’univers nous la renvoie.

if XIX. Le brisement de l’indivis

Dans le passé tout semble de II niveau, tous les événements re­ ri posent hors d’atteinte en une majesté profonde où l’esprit s’aventure n et se découvre fasciné, domaine immense et climat aboli dont la II mesure est de n’en point avoir, destitué de ses recours à faute d’un n présent qui le rappelle, enseveli dans l’impuissance où nous le vouons H n à l’oubli, mais sans lequel le présent même nous échappe. Notre If H II présent n’est que l’affleurement perpétuel, ou mieux l’exhaussement II II d’une façon de socle et par lequel l’amas du révolu se manifeste à II nous, où le passé n’est rien quand on ne le ranime pas et ne le re­ n manie au long de la semblance, et le présent ne vaut qu’à raison de n n l’embasement qui le situe en une sphère intelligible. A nier telle congruence, on aboutit à vivre par secousses, sauf à languir en II l’indéterminé.

A l’origine était l’aheurtement et de ce branle II naquit la démarche, où l’être semble la ré­ fl ponse à qui l’a suscité pour mieux l’abattre, En l’homme vague le possible et le possible est en éveil quand il II éprouve la menace et s’e: II ploie à la détourner : dans cette vue, un ordre se fait jour et nous le prenons à garant, mis à la gêne de XX. L’histoire fille II de l’aheurtement

5

65

II dessein formé, pour triompher et sans comparaison ou pour nous II IIIII II perdre et sans ressource. Alors l’humain se choisit immanquablement et n’en dispose par ailleurs, il monte à la surface, il en épouse le contour et s’affranchit de seconder l’atteinte : il la retourne, l’al­ II térant, jusqu’à ce qu’il se l’associe et brandit l’arme, à l’avenir complice, et dont le monde a fourni le prétexte. II

XXI. Le choc est père de l’événement i

Le choc est père de l’événement, à la condition II que l’homme ne s’y plie et tire un augment de vigueur de la menace balancée. Où l’entourage ii II II le seconde et l’affranchit de se porter à la limite ou même de la IIIII reculer, l’homme ira s’énervant de proche en proche, et, de II l’acquiescence imperceptible en vient aux servitudes sans appel, né pour languir et végéter, esclave d’un bonheur plus redoutable ru que la mort. Où la nature moins prodigue l’asservit au jour le jour et le contraint à veiller sans ressource, il ne s’y gagnera pas davantage et donnera l’exclusion à tout ce qui ne l’aide à vivre u sans délai. Le choc est père de l’événement, à charge qu’il suscite II II ­ l’harmonie et que l’humain réponde, et sa réponse nous la dénom mons l’histoire.

XXII. Ambivalence

mu Pour être il faut que tout commence et tout il a l’obligation de remourir sans discontinuer, n n aux fins que l’être se soutienne et malgré les mutations qui servent n n à le rendre inamovible, mais une loi d’airain refuse l’éternel à ce qui prenant origine a voulu se délimiter et qui, brisant l’attache, est devenu l’agent de son altérité, le fondement de sa gouverne et le domaine de sa référence : il obtient la franchise convoitée, il en emporte les faveurs, mais il la paye de sa tête. Qui veut tout ce qu’il veut a les moyens de le pouvoir, s’il reste confiné dans la mesure n il le déterminant, hors de laquelle il ne subsiste que la mort ou la il démence.

Que la nécessité n’est qu’enchevêtrement n d’effervescences, moyenne de saillies et constellation de branles, balance de ferveurs et de commotions, étau d’essors et de litiges où, pour un infini d’emportements, un n acte se fait jour à la faveur d’un mille de ruines, où l’ordonnance est une tuerie froide et l’harmonie un abrégé cruel. Que la nécessité

XXIII. De la nécessité

66

ii domine en formant une élection aveugle et parce qu’elle ne ménage H n rien, et que l’absurde est l’instrument de sa tutelle en même temps que la promesse de nos libertés, l’absurde ouvrant les intervalles il iiiii il et les marges dont l’homme s’accommode pour jouer et s’affranchir.

XXIV. Tout choix est meurtre

Pour s’ébranler, il est aucune fois besoin de faire place nette n en rompant moules et modèles. Le souverain de Chine qui brûla tant d’œuvres du passé, voulait, en secouant l’entrave, assurer l’avenir pour les diverses nations qu’il avait rassemblées en une seule, chacune avec ses traditions divergentes. Fallait-il pas les n ii mener à l’oubli dans le dessein de les confondre et de tirer l’empire de leur mutuel renoncement à l’héritage propre ? L’histoire lui n donna raison. Tout choix est meurtre et nous avons à l’expier, le n bon comme l’indigne, et toute forme ensevelissement ; le péché dit originel nous vient de là, non pas d’ailleurs, et l’existence est à ce n prix. L’histoire semble le combat que l’homme mène pour s’atteindre avec l’intention de se choisir et sa visée implique sa révolte ; l’his­ n toire est une lutte de l’informe qui se désavoue et s’appareille en n un renoncement aux voies du possible ; l’histoire est une impasse consentie et faute de laquelle un peuple est en deçà de la réalité ; l’histoire aspire avant que d’être et souffle sur le monde qu’elle n violente et change à son économie, elle est et c’est par elle que nous n sommes, et c’est en elle que nous devenons, et c’est pour elle que n nous mourons libres et légitimés.

XXV. L’histoire est un refus

L’histoire est un refus : un peuple naît à dire non et de s’en faire gloire, et de ce pas il divertit son inclination de tout ce qui l’a ba­ lancée, il consolide sa démarche et prend l’ajustement le plus aven­ tureux, heurtant de front et donnant la bataille. Que défend-il au juste à l’heure qu’on ne le menace irrésistiblement et qu’il lui suffi­ rait de se démettre n ? Ce n’est pas lui qu’il défend de la sorte et s’il encourt la haine générale et risque d’en périr, il lutte afin de sentir qu’il résiste et de se gagner sur l’effroi de sa condition, d’être en iï un mot, d’être et de s’établir en une permanence inamovible : cela vaut tous les maux et les martyres. n Qui s’eni exempte est digne de ii n mépris et ne mérite plus de vivre ; aussi ne vivra-t-il jamais, n’ayant n pas consenti de naître. L’histoire est une douleur continue et c’est par elle que nous devenons et que nos fastes se déploient, les arts n se forment et les langues s’édifient, par elle que l’humain se tente n

67

il et se déclare et que le genre se diversifie en aboutissements con­ traires, que les splendeurs montent à la surface et que le sol se peuple de sommets. L’histoire agence les parties qu’elle éprouve, elle ouvre u n les chemins qu’elle discerne et délimite les abords qu’elle s’assigne, n n elle est un ordre en quête de son harmonie, un devenir à la recherche n n de ses fins premières, le moule en passe de se rompre et que travaille n n un éternel enfantement de formes idéales.

XXVI. Prestige de l’histoire

II Heureux le peuple maître de ses H fins, qui meurt sachant la cause et n vit évaluant l’augure et les aplombs ! Heureux le peuple quitte de h son ombre II et plein d’inviolable attachement à ce qui le rempare ! Heureux le peuple aux yeux duquel tout signifie et s’appareille ! Heureux le peuple né, l’issu des limbes et des gémonies !

II tombe sous l’entendement que 1 tous les peuples ne sont pas éga­ n II lement doués et que leur éminence a lieu de varier d’étrange sorte, à raison de leurs glandes ou viscères ; qu’il en est de plus mâles et n de plus efféminés, voire d’enfantins, et qu’il en est de roides ou de ri n malléables : les uns commandent et les autres le subissent, les uns ni n se changent d’affilée ou d’autres se conservent immuables, tel nous donnant sa langue et tel ses lois et tel jusqu’à ses dieux, tel autre les prenant ensemble et pour se juger leur égal, quand il n’est rien qu’il ne leur doive ; tel créateur et tel garant de l’œuvre ou de la prise, et tel la laissant dépérir; tel inutile à l’univers entier au point n qu’il finirait en l’indolence générale et tel ayant marqué le monde n au sceau d’une matière inimitable.

XXVII. Inégalité des peuples

n Que chaque lieu me semble dans l’attente de son maître. Il ne n suffit aucunement de vivre en une terre et d’y languir depuis n vingt siècles pour la mériter, il faut encore qu’on l’amende n et la n n travaille. Heureux le pays mis entre les mains de ceux qui l’embel n ­ lissent et trois fois misérable la contrée assujettie à des barbares n n légitimes ! En vérité, qui se refuse au changement de l’heure et qui ri s’efforce de perpétuer le dénûment et l’ignorance abdique l’apanage n et se condamne à perdre irrémissiblement ses droits les mieux n fondés. n XXVIII. Les maîtres légitimes

68

Que l’entourage fait empêchement H n aux uns, mais semble irriter la vertu n des autres, et qu’en un même lieu des peuples édifient ou végètent n n à trois âges d’intervalle, et quelquefois des peuples issus de la même n souche. Qu’est l’homme en Règle générale, s’il ne paraît uniquement n l’effet du sol ou l’œuvre de la race, encore qu’il soit l’un ou l’autre et plus souvent les deux ? Le choix qu’il forme n et le dessein qu’il prend, et toujours le possible débordant de résolutions nouvelles, n le monde en mouvement et les réponses dans l’attente, à l’abri de ii n ses murs. Plus il est malléable quand il faut et peser le mobile et rr n légitimer la démarche, plus il est ferme à l’heure de l’assentiment, n et plus il ira contestant de fougues et d’hégémonie avec les lieux de sa gouverne et les traditions de sa lignée et plus il sera proche de n lui-même, car l’homme ne s’atteint qu’en l’altitude, voire au défaut de sa correspondance.

XXIX. Présence du milieu

XXX. Genèse de la force

Qui sollicite l’énergie est dans le cas de promouvoir la force et nous savons de longue date et l’endurance et la vigueur d’un peuple accoutumé n de se roidir à seule fin de subsister, luttant avec les paluds qu’il assèche ou ]es rivières qu’il endigue et s’obstinant à rompre la forêt, ii n à ceinturer la mer, à percer la montagne. Ce peuple amasse des réserves de constance et le voilà plus fort qu’il n’imagine et fait pour donner des soucis à qui l’entoure, le voilà propre à s’ingérer de leurs besognes et querelles, sa vigueur ne le laissant en repos n n dès le moment qu’il a suffi contre l’empêchement de la nature. n Venise dompte sa lagune et la Hollande épuisera la mer avant que n de porter leur domination jusqu’aux limites des deux Indes. Un peuple correspond aux forces qui le sollicitent, duel dont l’issue n n est l’enjeu remis d’alternatives en retournements, jusqu’à ce qu’il parvienne à s’établir ou qu’il succombe, et les mobiles des a chute n n ont la vertu de l’épauler s’il en est digne et de répondre même de n sa précellence, à la condition de n’être pas démesurés.

n Le fondement de l’unité repose n en le balancement de ses con­ traires. Nous sommes forts de ce qui nous déchire et ne parvient à n nous abattre. Les nations me semblent d’autant plus à redouter n n qu’elles sont moins unies, où rien ne les menace. Quoi de si mer ­ n veilleux que l’union de tant de forces librement éparses, chacune n n n n donnant sa mesure, et qui travaillent à la même fin, accoutumées

XXXI. La force en la division

69

n qu’elles sont à la poursuivre en cent et mille ? Quoi de plus ferme n n et de mieux cimenté que l’accord généreux de mouvements adverses n Il ii ri portant sur la même voie le plein de leurs carrières opposées ?

XXXII. Sublime de l’histoire

L’histoire est un échange de con­ traires dans le sein d’un battement H qui se déploie ou s’involue, un entr’empêchement d’alternatives et de chutes, une balance d’agonies d’où ne s’élèvent que des ru­ n n meurs majestueusement H lointaines, la permanence du passage et n n l’oubli des moyens mis en éprehve, un aplanissement d’où les som­ H mets jaillissent, un indivis de morts secondes.

L’absurde, le moteur de toutes les raisons qui s’ingénient à le transmuer et ne parviennent à ri n l’anéantir, est la menace à jamais suspendue et sur l’entendement ri de l’homme et sur les fins de l’univers, le cauchemar dont ]a pré­ sence se devine où le réel s’entr’ouvre et la négation de l’absolu n n dont l’âme s’alimente, un infondé de vagues et de voies, de spasmes n et de battements, un enveloppement de chutes et d’essors, un n n monstre aveugle et froidement lucide, mais jamais ]’être que nous n présumons et toujours moins qu’une personne. L’absurde nous ignore, n n1 n de même qu’il ne se connaît, et nous le sentons au milieu de nous, fait d’immanence et de séquences démenties : il nous alarme et nous ri ne pouvons subsister, manque de lui, rivés à qui nous désassemble et défendant qui nous abat. Telle est la destinée de l’humain, laquelle n n n n ne se légitime qu’à l’égard des mêmes fins que nous nous assignâmes. if n Point de solution valide et point de raison dirimante, mais quelle n tragédie auguste et souveraine, et quel enivrement d’être homme et ri de savoir que l’univers ne nous mérite pas !

I XXXIII. Menace de l’absurde, réponse du tragique

L’histoire s’offre aux divers peuples de la terre par une suc­ cession non interrompue et les engage à s’illustrer en suivant l’occur­ rence, mais n’est pas dans l’usage d’insister et ne les sollicite guère une seconde fois, à quelques races près. L’Espagne et l’Angleterre iï ont eu ce bonheur en partage et s’en montrèrent dignes, la France n n et l’Allemagne ont échoué : la langue des premiers survit à leurs n n empires, où l’allemand et le français ne passeront leurs bornes naturelles. A tel moment l’on pouvait gagner un pays entier, tel

XXXIV. Largesses de l’histoire

70

autre nous refuse une province et tel le moindre ii des villages : il fallait entrevoir et courir l’aventure, aimer n le risque ou déborder de foi, le tout n’était pas seulement de raisonner et la chimère Il avait il du bon, où le discernement nous arme d’indolence et la prudence n abat la verve la plus généreuse. Que dans l’histoire l’homme est le prétexte, les foules les agents et la survie le mobile, n mais l’accident u est le ressort et davantage que les plans et les mesures. n L’histoire semble mainte fois la poudrière où l’étincelle manque n et nul n’est ii H venu l’y bouter, jusqu’à ce que l’eau tombe et mouille sans remède. Nous ne pouvons nous le promettre et, quoi qu’on fasse, il n’est dilemme heu­ reusement tranché qui n’en suscite d’autres, lesquels se posent dès l’abord et nous ramènent à leur n embarras, et la solution n’y modifie rien, parce que d’autres viennent n à leur appendice, où l’on n’avance jamais qu’on n’en lève d’imprévus n et mainte fois d’imprévisibles. Plus nous nous étendons et plus ils nous faut peser au domaine : nous courons, volons et nous revenons, n partant de tous les côtés à la fois, multipliés en la présence et nous ii minant à dessein de suffire à l’œuvre indivisiblement accrue, ayant un monde sur les bras. Qu’un pays change de frontière et gagne ri une province, il aura l’obligation d’abattre sa victime ou de parer à sa vengeance et, s’il l’écrase, il lui faudra déconcerter les ligues ir ou les vaincre, se rendre formidable à tous et ruiner ceux dont l’at­ teinte le menace, il sera mis dans le besoin de subvertir un continent n n n moins pour le dominer qu’en vue de se prémunir contre une affaire, d’autant plus vulnérable qu’il a de surface et succombant au moindre lieu, devant la moindre place et la plus faible armée qui l’ayant bravé lui fait résistance et le contraint à rompre ses mesures géné­ n n rales, au bénéfice de l’empêchement. Les possibilités en faveur d’une entente ont plus de chance d’aboutir entre deux pays opposés, mais n de puissance égale qu’entre l’un d’eux et plusieurs nations trop faibles. Il est des liens et des rapports subtils qui peuvent balancer les inclinations que l’on affiche, il est des sortes de complicités de qui l’atteinte est enveloppement et dont les nobles assurances nous protègent mal.

XXXV. Les servitudes de la gloire

XXXVI. Figure de l’histoire

Tout s’établit par une violence et n ne subsiste que par un égarement où l’homme, iiiii ne se fondant en raison, veut assurer l’absurde et, néanmoins, rien ne se perpétue à son défaut, de mode qu’il est sen­ n sément un mal n inévitable, dont il est nécessaire de ne point guérir, n

71

Il à charge toutefois qu’il ne nous fasse rendre l’âme. Loin qu’il le faille incriminer, l’absurde vaut par ce qu’il donne et ce qu’il ne décerne pas, et si l’on a bien soin de le réduire à ce qu’il est, il nous départ une raison de vivre où les raisons les plus solides ne nous soutien­ II draient peut-être. Ce qui se légitime tend à s’affaiblir et la démarche la plus ferme n est celle qui se passe de mobile et se déploie en vertu n n de l’ébranlement, n puis seulement en vue de sa fin, où la démence n n remédie d’un tenant à ce que nos manœuvres et nos marchandages II ont défait durant les siècles.

La règle la plus élevée est impuissante n et la réforme la plus rude sans vigueur H où leurs effets s’étendent largement et jusques aux derniers détours, aplanissant et nivelant ce qu’elles touchent. C’est pour cela que nous devons nous souhaiter des adversaires dignes de nos soins. XXXVII. Eloge du conflit

XXXVIII. Marches et frontières

H Un pays répond de sa marche et garnit sa frontière, il est à n l’une et s’en remet à l’autre ; en l’une il devient ce qu’il est, en II n l’autre il s’y confirme, où la première le possède et la seconde le soulage ; nous vivons et veillons pour l’une et l’autre semble nous n II garder, mais c’est à nous d’y voir. Les marches se défendent seules, n n non la frontière, les marches étant l’âme d’un pays et la frontière n' n le pourtour ; anx marches les meilleurs affluent, à dessein de les soutenir et de les reculer sans cesse, à la frontière l’on attend et H n n se rempare, mais l’on n’avance plus : les marches sont en mouve ­ n n II ii ment, quand la frontière est sa limite. Aux marches l’ennemi se n ü heurte à la contrée même et la bataille, dès l’abord, est toujours n décisive et néanmoins intarissable : il semble que tout le pays s’y II doive ensevelir et tellement qu’y donnant sa mesure, il tombe II avec la marche prise. A la frontière, l’on se rompt ou passe et file meilleur train, n’ayant pas l’adversaire sur les bras et le forçant dans les retraites, à moins qu’il ne se bande et ne se constitue en n arche à l’intérieur du pays.

XXXIX. Figure des patries

h Que l’âme d’un pays se change et se déplace, allant sur la lisière ou tenant n n le milieu, volant à la menace ou refluant au centre, plus vaste ou n n plus diminuée, plus lâche ou plus tendue et tellement diverse qu’un n n même peuple a la ressource de se montrer sous une douzaine de

72

visages. L’histoire nous enseigne que toute force est en augment Il devers les lieux qui la suscitent, que tout refus gagne à raison de leur instance et que l’atteinte est dans l’usage d’épauler ce qu’elle H ne ruine pas. Les marches d’un pays abondent en natures généreuses II et l’âme s’y condense : les faibles les délaissent, les bons s’y trempent à l’envi, qu’ils en procèdent ou les joignent pour les remparer dans II une veille générale ; de ce roidissement naît une race qui tient moins II n de l’origine que des mœurs et dont les hommes se ressemblent d’âge n en âge et de climats en antipode. Que le péril décline et ces natures violentes se retournent et vont asservir le pays qu’elles défendaient, II prenant sur elles de le rompre en lui communiquant le plein de leur huineur farouche et le traînant dans leur sillage, ne consentant jamais II H à vivre hors d’affaire. Barbares, si l’on veut, mais ils nous mettent à couvert ; le principal est de les tenir à distance en leur donnant de n l’exercice et de les stimuler, quand ils retombent en langueur. n II L’empire le mieux assuré me paraît le plus unanime et dans le sein de la diversité qu’il n’aura garde d’abolir, tirant de l’avantage des querelles sourdes, fort de ses différends qu’il se prodigue à balancer u II et détermine de ne pas éteindre, et doublement uni par l’ordre qu’il n affirme et le divorce qu’il soutient.

n Les bornes de l’état se modifient et se déplacent, afin de s’écarter ou de se rap­ n procher des naturelles, mais ces frontières idéales préservent gran­ n dement les autres, dont elles forment l’enveloppe et qui reçoit les n premiers coups, raison légitimant la tuerie pour dix arpents de neige à plus de mille lieues de notre capitale. Il serait pertinent de mesurer parfois nos forces véritables, peur de n’avoir à les connaître et par n le truchement de l’adversaire.

XL. Frontières idéales

XLI. Ame n des peuples i

n Qu’un peuple ne se définit jamais par ce n qu’il est et qu’il importe de le juger en un n n temps fait à sa dissemblance, où nul ne semble entièrement n ême n déterminé quand on le prend pour tout ce qu’il se donne. Il n’est d’emplacement qu’un autre ne motive ou ne balance et nul rapport n n n n’existe en l’homme, n au défaut de l’inverse : je dirai même que l’unicité me paraît un achèvement et qu’on y tend plus qu’on n’en n vient, l’erreur commune envisageant la source à raison d’une fin n dernière et préalablement élucidée. Or, tout varie et jusques à la fin dernière, de mode qu’on ne fixe un peuple avant sa disparition

73

H totale, à la lumière de laquelle on gage que sa destinée se confirme et ses divers agissements s’enchaînent avec une rigueur non pareille : illusion, peut-être, mais II bien de celles qu’on ne passe plus. L’histoire vaut pour ce qui nous élude et nous ne laissons d’y puiser à pleines iT mains, H n’ayant jamais l’élection du reste.

On est encore à deviner par quelle voie un peuple est devenu ce qu’il n annonce et l’on raisonne interipinablement sur les vertus du sol et n de la race, on s’interroge sur le nature] premier et l’on dispute au II sujet de l’acquis, l’opinion s’en mêle et fausse les mesures concertées, II se réservant peut-être une vengeance utile et rendant l’examen fallacieux. Il est des points que rien ne justifie : à quoi tient le som­ meil de telle race et la vieillesse de telle autre, où l’aspect général des habitants n’a pas changé, ni la nature de leur sol, où l’homme est ce qu’il fut et le demeure en ne laissant de languir empêché ? II n n Il suffit d’un dérangement imperceptible et la machine se dérègle, ri n le meilleur équilibre est le plus menacé, la plus noble harmonie est n la moins soutenable et ce qui cesse alors est dans le cas de ne jamais n n renaître et même d’engager tout l’avenir en l’obérant de sa mémoire. n Le souvenir démesuré n’ajoute pas à l’opulence, il la fait impossible, iiiii n il voue l’homme à la disette et met les nations en compromis, il ii II fixe leurs penchants, il les allume sans les mitiger et les irrite sans les satisfaire, il les épuise en un chagrin nouveau, fruit de l’attache­ II ment impérissable, et face au peuple qui végète dans l’oubli de ce «t n qui le rendit illustre et semble l’ombre de soi-même, il n’est d’égal en sa morosité que le vivant à la réminiscence et que talonnent ses présomptions. Le passé d’une nation n’est pas le gage du futur et II la mémoire des faits révolus ne nous répond aucunement de nos II démarches à venir. XLII. L’énigme et ses détours

XLIII. Le prix du choix V

II Le sentiment qu’un peuple nourrit au sujet de sa personne est le plus tard venu. II Des nations demeurent en repos durant des siècles, l’objet qui les arrête est loin de les fixer et tout leur âge se consume II en un balan­ II II’ cement irrésolu, plus riche de promesses que de certitude, et puis II il semble qu’elles se condensent, prenant forme et se voulant, pour II ainsi dire, situer en un moment qu’elles s’efforcent de perpétuer. iïiit L’on voit d’ici la gravité de leur dilemme, où l’avenir est en la dé­ pendance du seul choix et fera fonds sur ce qu’il lui propose.

74

Il XLIV. Le sommeil du possible

Tout germe est un recueil d’em n ­ preintes, tout germe un sommeil n du possible et la puissance de le rendre manifeste, en lui l’histoire II veille et ressuscite la genèse de l’espèce, en lui l’éveil est en attente et ] avenir bandé, par lui la fin passage et le passage un renouveau de fins que l’on surmonte. Quoi de plus sot que l’habile homme imbu n n de 1 arbitraire ou le savant épris de la fatalité, non celle des Anciens, mais des chimères qu’il invente et dont il se fera des points de religion rigoureux ? Tel peuple, dira-t-il, ayant perdu ses classes militaires,



. ’y

?

( '

y

H H jours nouveaux et toujours indomptables. Un homme fortuné, sur le penchant de ses dégoûts, se laissera tenter par un dévot et s’ira dépouiller, lassé de lui comme de l’univers, exemple dénué de raison il décisive, puis pour dix opulents en veine de salut combien de misé ­ i rables sans rancune ? en trouverais-je un seul et celui-là que peut-il être ? Un saint, dans la rigueur des termes. La pauvreté spirituelle, richesse inaccessible et rare, et supposons-nous faux à l’enseigner aux humbles ? Y croyons-nous d’abord ? Et quel est notre exemple ? Tremblons, car ce que notre charité n’amorce point, la haine l’ins­ n n titue et la rébellion le parachève, et dans le temps marqué, ce peu n d’amour que l’on marchande à l’infini vaut beaucoup de pru­ dence ! —

Que notre vie ne se passe qu’à nous prén munir contre les suites de la pauvreté, dont nul n’a le courage de se peindre H l’épouvantement. Que tous les saints du monde ne nous sauvent pas de cette horreur, où leur exemple nous démontre puissamment qu’il est besoin de grâces souveraines pour s’en affranchir et qu’elle n nous abîme, à moins que Dieu ne veuille s’abaissant à nous nous n transformer n à ce qu’il est, mais c’est un privilège plus exorbitant n Papaque d’avoir un pays a dévorer et ces profusions demeurent nage des élus. LXXXVI. De l’horreur de la pauvreté

La prérogative du riche, la seule véritable n et celle dont le moraliste est dans l’usage H n de ne rien marquer, ne semble-t-elle pas la n multitude des possibles, l’amas des liaisons en état de servir et le n II n n cumul enfin des mêmes libertés ? Le riche peut, d’un mouvement, •r II se livrer à l’incontinence ou faire noblement retraite, il peut choisir d’être savant, il a moyen de se porter aux sources de la connaissance, il est en droit de voyager et de courir le monde, il a le privilège de languir ou de se prodiguer, il change de manières et d’accoutu­ II mance et, si la vie est une mer, il en mesure l’étendue, il en savoure II les périples, il en butine les ressources, et les rivages les plus écartés II le verront apparaître. Mais l’avantage primant sur le reste est bien celui de demeurer en un majestueux II repos, en l’au delà des brigues II II et des vœux, au carrefour de nos possibles démentis, le maître de l’élection toujours remise et le Protée aux mille faces sommeilleuses. Oui, la suprême volupté n’est-elle pas de réunir en un faisceau les II innombrables fils qui nous conduisent vers nos fins ? Ce riche qui II LXXXVII. Du vrai bonheur des riches

125

végète doucement H et se différencie à peine de la foule besogneuse est si loin d’elle et tellement II plus haut qu’il semble résider en d’autres univers, car il renferme tout ce qu’il peut devenir et dont elle est n à ja: «i ais démunie.

u ir Le mépris de nos dignités me se: ii ble de fort bonne politique et seul en état de nous consoler de n’avoir la ressource d’en jouir. L’exemple n d’une chute illustre et des misères attachées à tout règne a la vertu n d’en écarter les pauvres, lesquels demeurent volontiers dans le devoir, quand ils ne voient les riches vivre et ne connaissent que les tribulations de la puissance et non ses joies très solides. Les u premiers H d’entre les humains ont avantage de se dérober, lorsqu’ils n ne sont pas malheureux, et gagnent à paraître au jour qu’ils tombent de leur haut, vu qu’ils préservent leurs pareils restés en place. Les ii contes que l’on fait de l’infortune des puissants et du malheur des u riches sont des moyens fabuleux, mais propres à donner le change, ii où l’art suprême en un loisir voluptueux est qu’on vous plaigne au n n n lieu de vous porter envie et que la plainte émane des mieux opprimés. n Les grands spirituels ne manquent d’y jouer le rôle qui les rend si n n chers à qui n’ont de motif de les priser et se remparent manifestement «i ii de leur démarche : ils forment la défense et valent plus que lois et n que murailles, tenant des riches et des pauvres, et rassurant et l’opu­ n lence et consolant et la misère. En vérité, la pauvreté que l’on épouse h d’industrie et pare des richesses de l’entendement est la profusion n 11*11 la plus habilement couverte, à quoi peu d’hommes seront appelés, vu qu’elle violente la nature. Il est donc faux d’y rapporter l’état n ii des misérables démunis de vertus nécessaires, lesquels n’éprouvent n qu’épouvante au sein de leur abaissement et ne savourent que les joies de leur corps. La tâche des spirituels n’est pas de s’allier à n tel ou bien tel ordre, mais de se tenir en dehors, de laisser là les pauvres et les riches, de n’aller qu’aux mourants et de ne soulager que les plus abattus, de se cacher de préférence à tous et, fuyant les II abouchements d’où qu’ils leur viennent, de rentrer et dans l’ombre et le désert.

LXXXVIII. Bruits et légendes

LXXXIX. Égalité

II ni n A mettre tous les hommes de niveau, l’hu­ manité se va perdant et, sous couleur d’une justice, est dans le cas d’édifier cent arbitraires. Supposé que chacun n n' de nous, venu d’un même point, s’efforce de gagner sur l’autre en n n jouant sur l’événement à l’aide d’une mise égale, et les plus rudes

126

auront l’avantage ou les industrieux et les habiles, mais non les généreux, les nobles et les délicats. Il est des vertus susceptibles Il de nous faire parvenir et de hausser le moindre aux charges les n plus éminentes, encore que la possibilité de les atteindre ne nous ii n réponde nullement du moyen de les soutenir, et puis il est des pen­ n il chants adorables qui se manifestent aux lumières et se perdent sans ressource en une condition ravalée.

La plénitude est privilège et qui H se nomme tel est une anomalie et n n ne saurait impunément multiplier. Pour qu’un seul homme atteigne à cette sphère où les puissances se déploient, il est besoin que d’autres n peinent dans les profondeurs, et nul ne nous démontre qu’ils méritent n de souffrir, vu qu’ils ne sont pas tous indignes d’un allégement et II que l’élu doit parfois davantage à l’éminence qu’à ses titres naturels. Le sage entend que des heureux ne semblent point à la mesure de leur privilège et que des misérables peuvent être des assujettis dont II II l’âme n’est pas en défaut,WH mais empêchée de s’atteindre ; il formera il des vœux pour que les uns désertent un emplacement qui les grandit plus qu’ils ne le relèvent et que les autres puissent accéder aux il échelons dont l’infortune les divise, mais il ne voudra point qu’on H mette tous les hommes de niveau, sous l’ombre d’une charité facile.

XC. Dilemme de la plénitude

XCI. Le péché dit originel

Le péché dit originel est une habile n invention et, mieux encore, un lénitif n n à nos alertes, qui nous ménage des facilités et met empêchement n à la révolte, ayant le don et d’apaiser les raisonneurs et de calmer n n la populace en faisant tous les hommes dignes de leurs maux. — — Dans le péché qu’on dit originel sommeille trop de fois la n haine de l’espèce et l’on s’en autorise d’une vue et de manière à n n nous confondre. Ce péché-là donne des armes au mal existant dans la nature, un pays habité par des pécheurs doit être dans la déso­ lation et le spectacle en est fort beau, car il nous édifie et, si des n hommes ennemis ajoutent à l’adversité, ce malheur est dans l’ordre, H n H n nul ne mérite de ménagement. — — Savant remède II et postulat dont il convient que l’on se per­ n II suade, et l’on en détermine l’efficace le jour qu’il faut doubler la garde, à l’heure que le monde a publié son innocence et qu’il nous somme de le rendre heureux, s’autorisant de violences qu’il tient iiiii n légitimes. — n — Lutter contre ce mal est un principe de rébellion et le déraciner 127

un acte de révolte, on entreprend sur Dieu, l’on vise à prévenir n les traits dont il nous frappe : il est impie d’endiguer ce fleuve, de if •I se soustraire à ses débordements, ministres des fureurs divines, mais il est criminel II de détourner son cours et d’altérer les marques H II II de la providence. La guérison des maladies naissant du commerce II amoureux II entrave l’œuvre salutaire et rend les hommes dissolus, n il vaudrait mieux aggraver les chagrins et multiplier les frayeurs. II La transformation du monde est l’œuvre de mutins que Dieu ne n saurait épargner le jour de Sa vengeance ! Je vous traduis, n’est-il pas vrai ? — — Vous vous moquez, je pense. Et, toutefois, si l’on est convaincu II II de sa perversité, l’on ne réclame qu’un allégement, mais plus on se II il dit juste et plus on enchérit sur la demande, on multiplie les pré­ II H tentions et naturellement les voies, on s’arme de rigueur, on se II II mutine et l’ordre menacé n’a plus qu’à se roidir ou céder à l’orage. II Il n’est donc pas si mal de l’invoquer, en dépit de l’absurde, ce péché II qu’on dénomme originel, et hors la transmigration de l’âme, laquelle II est la solution par excellence et le modèle des préservatifs, l’on ne II II distingue pas de moyens en état de l’égaler, ce péché les déprime tous et déconcerte l’homme, le retenant dans le devoir, loin lllll d’espérances abusives, loin de l’immodestie et du cortège des séditions. — II Hll — Ah ! comme ils manifestent leur pieuse alacrité, comme ils II II If II sont à la joie et comme ils se remuent en face des calamités impré ­ II visibles ! Ils sont les alliés de tous les fléaux naturels, de la famine II II II et de la guerre, où les malheurs les accréditent, mais les remèdes les ravalent et les préservatifs suffisent à les abolir ! — II' — Il est avantageux de croire en la misère de la vie et la malice u de l’espèce, de modérer notre raison d’énigmes au superlatif et de n II principes sagement liés, de ne pas engendrer de vœux qui minent il lois et mœurs, en attendant une rébellion à découvert menant de règle à de nouvelles servitudes. C’est une charité que d’abêtir ceux II qui jamais ne s’iront élever, à moins que tout ne se renverse. Et II II ême II II se en alors ! La révolution doit ne jamais cesser une fois mi branle et la raison qui le motive est le débris des lois antérieures, n II des privilèges, des coutumes et d’un cent de rudiments, d’amorces II h H ou de partis pris, qui semblent nous garder de l’excès en la démesure et dont l’absence appelle d’autres, plus sévères ou plus tyranniques. En abrogeant l’ensemble des lois établies, de ce qui les renforce et II II les mitige, on ouvre un précipice et l’on s’y coule, à moins que l’on iïin n n’y tombe, et de cet accommodement dérive un despotisme II égal II n n au préalable et mieux armé, de mode que nous sommes les perdants, il si nous ne devenons les maîtres. — 128

Il — La révolution doit ne jamais cesser, une fois mise en branle. H Et le moyen qu’on y résiste ? — II il — Et je me le demande aussi. Nous donnerons toujours dans l’ordre, ne fût-ce que par lassitude, et l’ordre a ses victimes. — il

Ce qui se définit se double et la plus claire intelligence d’une servitude est dans le cas de peser davantage que la servitude même. Ce qu’on n n discerne est engagé dans le sensible et nul ne s’affranchit des suites iiiii ri du dilemme : on remet la sentence, en préférant le débat inutile n ou les longueurs auliques, au moyen d’une procédure et de sorites bien liés, de cavillations eu diallèle et d’un recours à tout ce qu’on déteste ; cela ne change pas le fond et l’on ne peut que l’on n’y verse, d’où révolution si le retard est d’importance et simple H crise n où l’on y remédie à l’heure, et moins encore si l’on sacrifie aux pro­ babilités en devançant l’irrévocable. XCII. De l’esprit d’exanlen

XCIIL Le danger de la certitude

Revendiquer la certitude implique un assez général dérangement de nos affaires. C’est le ri dernier moyen dont il leur faille s’aviser et l’on n’ignore plus qu’à tirer nos lois de leur vague, on s’astreint à n les mettre dans la dépendance de l’événement. XCIV. Débat sur l’esclavage

II La liberté, mouvance au long de II ses limites consenties, n’est que n n l’inviolable attachement à ce qu’elle supporte et l’on n’est jamais assuré de la servir en prenant sa défense. Nous obligeant, elle s’ourdit n et ne s’oblige pas, et notre zèle même nous met hors de sa portée. Ellese donne à qui l’épouse au détriment de sa gouverne et la re­ n nonce en le désistement de sa franchise. Nous sommes libres du seul fait que nous pouvons mourir où bon nous semble et tuer notre espèce en nous, par le refus de la perpétuer : c’est là le double fon­ ii n dement sur quoi le demeurant s’appuie et l’on ne dompte que les ni ir hommes qui préfèrent l’existence à l’éminence. L’on gagne à pro­ n portion de la mise et qui ne joue tout ce qu’il doit perdre a voulu consentir à ne jamais prétendre. — ii — Ma liberté n’est pas de vouloir tout ce que je veux, mais tout ce que je dois et tout ce que je puis. — il ii — La liberté de mourir de sa mort vaut mieux que l’obligation n de vivre par et pour les autres. L’esclave n’est jamais si fort que il parce qu’il a cessé d’être et qu’on obvie mal à son absence. Vivant,

9

129

Il il sert d’outil à qui dispose de ses membres et mort, il convient de II le remplacer ou de sentir qu’il fut ou qu’il nous manque. Sa dignité II IIIII n’est qu’au passé. L’esclave ne commence d’être qu’en cessant de l’avoir été. — — La liberté de l’homme est une affaire de moyens et l’homme a beau vouloir ce qu’il ne peut, en vertu de ces préséances qu’il ii II affecte, il n’en demeure pas moins sujet d’instruments dont il dispose n où les possibles le régentent. L’esprit se manifeste au travers des n II outils accumulés, il en reçoit même l’empreinte et l’œuvre agit sur n l’artisan par une convenance mutuelle et le retour le plus fécond, n où l’attirail prend une vie imaginaire et dicte les lois imprévues H dont il exauce les requêtes. L’histoire de l’humain se ressent géné­ If II ralement des moyens mis en évidence et l’on n’ignore plus que les II idées en dépendent d’ordinaire et les traduisent mainte fois. — IIIII II — L’attachement des hommes à la vie est le principe de leur servitude et nul n’est libre qui ne veut mourir. L’esclave paye sa II faiblesse et ne mérite que les fers, si tant est qu’il ne s’y dérobe. Malheur à qui savoure l’existence et la préfère à ce qu’elle est, n: II II malheur à qui s’en est rendu complice et multiplie en l’avilissement, if malheur à qui ne se refuse pas et se prodigue ignoblement, qui s’en il remet aux seules nuits du soin de l’arracher à son entrave, quand H toutes les menaces de ce monde s’arrêtent sur le seuil de notre mort ! — II — Qui tout possède éprouve moins d’injure à tout abandonner II If que l’homme qui n’a rien, hors l’existence, et qui marchande sa II II limite ou s’y retranche en l’amertume et la fureur. -

Qu’il est plus souhaitable de laisser mourir qui s’entend vouer à la mort que de le traverser, où nous ne savons point s’il ne déchargera cette fureur sur d’autres, innocents. L’histoire est pleine de ces fauteurs de misère et d’époun fl vantement qu’il valait mieux armer contre leur propre sein et ti mettre à la raison en leur faisant perdre la tête. Qui veut périr ii If ne manque de le mériter et, sans mentir, l’état se dédommage de n sa fin, vu que tout homme se remplace et qu’un fléau n’est jamais il de ces chefs qu’il faille conserver en dépit de leur sentiment. H XCV. Du suicide

XCVI. Noblesse

II Qui nous refusera l’estime en déployant mille n efforts pour nous rendre méprisables, est l’ennemi n par excellence et dont nous n’avons pas à briguer le suffrage. Est-il de forfaiture plus abjecte que de s’élever non pas sur la ruine des

130

II Il vaincus, mais sur leur infamie et de l’entretenir d’office et dans la vue de se croire avantagé ? Quel ordre de noblesse est-ce donc là ? II Que vaut ce qui subsiste à travers l’avilissement de nos égaux et II de nos pairs ? L’on est en droit de se juger meilleur que ses pareils, II quand on les passe sans les mutiler et les devance en leur donnant moyen de se mouvoir.

En l’homme vivant au jour la journée, il est loisible de trouver un penchant à la précellence et comme une ouverture de l’esprit. Ce n’est, pour l’ordinaire, qu’un très faible indice et nous ne laissons H il II d’y bâtir la Cité même où Dieu réside en toute Sa merveille. Qui le n décélérait en l’homme mieux nanti, s’il est trop aise de ses biens, II de sa personne et de l’arrangement de l’univers ? On le découvre II H lllll plus souvent en l’âme de nos rois et des premiers d’entre les hommes II II II lesquels, à force de tout dépasser, consument leur emportement en II l’exercice et creusent la raison de l’être. Les premiers et les derniers se ressemblent en définitive : les uns, parce que tout les brise, les autres, puisque rien ne les arrête et les plus éloignés de Dieu se tien­ II nent souvent entre les extrêmes. II XCVII. Noblesse des extrêmes

Pour rendre tous les hommes frères, il convient II II IT de leur imprimer un tremblement égal et de il II leur imposer le même joug, afin qu’ils servent n et pâtissent côte à côte, où leur souffrance dissimule tout le demeu ­ n rant, que chacun n’ait que sa journée à vivre et que le lendemain II soit toujours à l’attente de sa nuit. Vaut-il pas mieux qu’ils restent II francs, quitte à s’abominer les uns les autres ? XCVIII. Rançon de la fraternité

Que je déteste ces cafards prêcheurs de vice et de rébellion, à l’heure qu’ils ne nous régentent pas, et qui nous prônent l’ordre et les vertus, u: n sitôt que la gouverne est mise dans leurs mains ! II XCIX. Prêcheurs marrons

n C. L’art des méchants

n Quand règne la mauvaise foi, les lois op­ IT If priment et les mœurs s’effondrent, les fl mots se changent et l’entendement, sevré d’appuis, se meut dans if fl il les nuages ; on veut durer, mais tremble d’aboutir et l’on n’aborde

131

Il n rien, de peur de se démettre : il faut jouer, mentir, escobarder et n braver l’évidence, il faut boucher l’issue et fermer les accès, faire n IIIII une bagatelle d’un dilemme et tenir les lumières en échec, appesantir les uns et dépraver les autres, donner le ridicule à ceux que l’on II n’achète point et rendre criminels ceux qui languissent hors de prise... en un mot, se fonder sur la ruine générale et tellement qu’elle II se parachève où nous ne retenons et n’épaulons ce que nous mîmes II il tant de soin à fomenter ! L’art des méchants est de paraître indis­ pensables, de mode qu’on les souffre en oubliant qu’ils sont à l’origine ii de la désolation dont ils prétendent nous guérir et qu’ils n’ont jamais n intérêt à ce que l’on se passe de leur ministère. Quand ils se meurent ou qu’on les assomme, on voit le vide général où l’on subsiste et* n n si l’on ne redouble les efforts et n’en surmonte l’amertume, II le vide appelle un nouveau maître et pour lequel nous ferons davantage.

CI. Peuples prédestinés

Les peuples adonnés à toutes les délices 11 de la chair, mois, languissants, timides et craintifs, appellent les tyrans, bien plus que les tyrans ne les sub­ II II juguent et la faiblesse attire les violements qu’elle promeut. Les II nations rigides et farouches me semblent souvent les mieux pré­ II munies et les plus libres en vertu de ce qu’elles s’imposent. Les II II peuples francs ont l’âme fortement trempée, l’intelligence cauteleuse n et les mains promptes, la nuque roide et les puissances en éveil : n ceux-là sont maîtres et n’essuient de tyrans, à cause qu’ils sont II II hommes et se fournissent mutuellement leurs sûretés. Les peuples II vils approuvent qu’on les violente et leur démontre qu’ils existent, n n n’étant rien par eux-mêmes et ne se connaissant qu’au travers de la honte prise et de la forfaiture savourée.

La terreur veut persuader et n’est que le sanglant prélude aux fins qu’elle poursuit et qui la désavouent. Ses buts sont plus modestes que les formidables II II moyens mis en œuvre et tel échafaudage de contraintes et d’horreurs II II ne vise qu’à nous demander un semblant de suffrage et moins II encore, II II mais notre dignité ne souffre pas que l’on se mente et, par ce trou, n l’ouvrage qui l’assure est emporté jusques aux fondements. Le propre du tyran est de tout exiger, de l’exiger un nombre de fois incroyable et toujours à propos de rien : il veut que la personne y passe et qu’elle ri n y passe inaltérablement, d’où la suprême force des vétilles et des bagatelles qui nous arrachent un renoncement inassouvi.

CIL De la terreur

132

il H On aimerait tant fixer l’homme et le borrne en l’absolu, tant l’ajuster à nos raisons, n tant le mouler sur nos prétextes, l’on aimerait tant à le faire simple qu’il n’en subsisterait que l’être le plus démuni, n le plus risible et le n plus chimérique, une figure ne se remuant que par ressorts, voire II un objet que l’on manie et qu’on mutile, dont nous nous établissons II juges souverains. Voilà bien l’idéal de nos despotes, mais il ne suffit pas qu’on leur témoigne l’adoration la plus rampante, il faut encore il qu’on simule un choix, un libre choix qu’ils nous imposent, il faut n qu’on les rassure en feignant de les approuver : ils nous demandent un avis, ils sollicitent un aveu de pure forme, ils nous condamnent n n à nous renoncer nous-mêmes, ils veulent qu’on leur donne le spectacle d’une foule se ruant à l’esclavage et d’une presse à qui s’enchaînera il le mieux et le premier, ils revendiquent un plaisir que l’étendue de leur domination ne leur accorde pas et que notre faiblesse est à ri portée de leur vendre. Nul n’aime à régenter un ramas d’asservis il et le despote éprouve la démangeaison de sentir qu’on le brave : ses peuples, il les traite en femmes, donnant la préférence à ceux iiiii n qui lui résistent, pour être à même u de leur faire violence. Que sommesn nous aux regards d’un tel maître que notre obéissance contrarie en le privant du moyen de nous accabler ? Que sait-il de nous tous il et de nos solitudes menaçantes ?

CIII. Vœu des tyrans

n Nous nous perdons souvent et sans remède n à force d’avoir oublié les mille fois dix n mille H qu’on ne voit et qui ne laissent de nous mettre en jugement, à l’heure que l’on cède volontiers aux dix ou quinze de son entourage, n ii' n dont la présence est infailliblement multipliée et dissimule l’univers, comme un grand tas de sable à quatre pas nous cèle une montagne il immense à quatre lieues de chemin. La belle affaire que dix paires d’yeux pour infirmer nos résolutions, mais il n’en faut pas davantage n n et la manie d’y penser a la vertu de balancer le demeurant. Les maîtres ii de ce monde n ont subi la tutelle de ces yeux et goûté le plaisir d’une n faiblesse délicieusement u cachée et d’autant plus morbide, ils se dis­ pensent l’agrément de trembler devant ce qu’ils peuvent abolir d’un n geste et d’implorer secours à qui leur doit la force dont ils le revêtent.

CIV. Le despote abusé

Le tout n’est pas d’avoir des défenseurs, si l’on n’est libre de les révoquer ou de les payer n froidement de son ingratitude, et la meilleure cause est subvertie n if où des méchants n l’assument. Malheur à qui triomphe en devenant l’émule n de ses partisans !

CV. Nos partisans

133

H n L’armée la plus déconfite n’est jamais tel­ n n lement diminuée qu’elle ne puisse tenir H n sous le joug le pays qu’elle a si mal défendu, manière de se venger h: de sa honte et de se rendre formidable à qui la jugerait.

CVI. Dernier prestige

II CVII. Goût de l’abaissement

Le propre d’une nation déchue est qu’elle n’attend rien de soi, vu qu’elle se méprise. II Elle souhaite qu’on la violente pour lui prouver n n qu’elle est encore désirable et belle, elle aime mieux le soudard II rr oppresseur que l’ami charitablement lucide, elle préfère ses bour­ n reaux aux juges les mieux prévenus en sa faveur. Il serait bon que II n ses amis II la satisfissent pleinement sur tel chapitre et lui marquassent, n n en la soutenant, qu’ils sont à même de la subvertir : leurs bienfaits II n’en auront que meilleur n goût et donnant moins, mais joignant le prestige à la clémence, n il leur sera loisible de tout obtenir en ne laissant de l’obliger. n: n Suffit-il pas d’un homme pour en terrasser un autre et venger ceux qui lui délèguent n n leur raison de vivre ? Ce meurtre n’est-il pas une défense légitime n et tout un peuple racheté par une main qui frappe ? Où se tient iiiii l’homme et quel est-il ? Despotes qui sondez nos reins, votre pouvoir iiiii u n ne le saurait déterminer, car l’homme est une créature en mouvement perpétuel, un devenir impénétrable, un vague béant sur le monde, ii n u n amas sans multitude et forme sans partage, inviolable assentiment au renouveau qui le libère. Nid ordre ne vous en protège et nul suffrage ne vous baille garantie, s’il ne se rend à vous pour renoncer n n entre vos mains ce qu’elles lui conserveront mieux que lui-même !

CVIII. Tyrannicide

n Le meurtre d’un seul homme est sus­ ceptible de changer le cours des faits n n n et de leur imprimer un biais inconnu. Attenter à la vie des méchants n n témoigne d’une amour profonde pour le genre humain qu’ü est requis de chérir davantage que le semblant d’une justice à tous égards vénale. Ceux qui se tiennent au-dessus des lois sont rejetés par n n elles, ceux qui méditent de les violer méritent qu’on leur fasse violence. n CIX. La vie des méchants

ii Que le régime le plus souhaitable est en possession d’éloigner des n affaires les talents rares et les esprits remuants, qu’il omet II volontiers n n iiiii de faire usage de noms fameux ou d’hommes providentiels et qu’ü

n CX. Sur le régime politique

134

fl n’en réussit pas moins à tenir la balance au jour le jour et d’âge II en âge, engourdissant l’impatience et prévenant le trouble, ayant un grand dessein dont il ne sonne mot et de petits expédients qu’il nous étale, et toujours soucieux d’économie. Les règnes éclatants pro­ cèdent de ces législations habiles, ils ne se peuvent passer d’elles, II mais ils ne servent qu’à les épuiser, dilapidant ce qu’elles ménagèrent et, néanmoins, la foule les appelle de ses vœux. Le bon gouvernement II n’existe point : il faudrait que les gouvernants le fussent, qu’on leur II II permît de l’être et de le demeurer, que leur pays les reconnût pour tels, que la fortune les favorisât, que leurs voisins n’en prissent de l’om n ­ n n brage et ne les accablassent à raison même de ces vertus éminentes. n

Nous plongeons en l’état comme en un tout massi­ II vement ductile et, libres au dedans, nous nous mou­ II vons, sujets de nos limites, d’un patrimoine imaginaire aux liaisons du défini. L’état, l’ensemble de nos volontés, n’en est pas forcément II ii n une moyenne, il n’en est jamais l’indivis ou le total, ni même la II ii vacance et, si le meilleur ne s’accorde pas toujours au sentiment II de la mêlée, le pire a des fidèles à foison et davantage qu’on ne pense. L’état ne s’échafaude point aux lieux de son économie, il ne suit n II II guère de l’emplacement, les éléments dont il relève se massent aux n extrémités et l’on ne peut juger de ce qu’il est, si l’on s’en tient à ce u H II qu’il manifeste, le plus rigide et le mieux affermi ne laissant d’être une façon de compromis instable, où le plus lâche a néanmoins des n ii restes de tutelle. On dirait qu’il balance à mi-chemin du Tout et de l’Ensemble et se rapproche de l’excès de domination ou de l’abus II de complaisance, mais qu’il y tend plus qu’il n’y donne et se doit mu raviser, sous peine de sa chute. Nous le nommons un Tout, quand If il ne veut lien ménager et qu’il affecte du mépris à l’égard de nos II II n II jugements, se croyant issu de lui-même et dieu parmi les hommes, comptables de ses procédés à la fortune de l’histoire, ne nous devant que la rigueur du souverain et le silence de l’arcane, et travaillant à son hégémonie, aux fins de justifier sa conduite. Nous le nommons If II Ensemble, quand sa puissance est limitée à raison de nos voix, que nous le querellons de pleine autorité, nous insurgeant s’il nous fait II II réprimande et lui rendant son exercice âpre et de nul effet, déterminés à l’abus de nos droits et nous investissant de privilèges à loisir, n multipliant l’état jusques à l’annuler à force de divisions. L’état iiiii n semble à la vérité participer de l’un comme de l’autre, selon divers n arrangements n où les proportions varient à mesure, allant de l’ordre II n général à l’unanime acquiescence et d’un système de mensonge ou n de délation à l’harmonie où Tout n’est qu’à l’Ensemble et Tout CXI. L’état

135

l’Ensemble à concorde à détermine ir l’école des

H en ceux qui le gouvernent, moment de privilège et de II l’unisson, fait d’un abouchement de libres volontés que n H n un même branle. Or, l’harmonie est infailliblement facilités

L’état n’est pas l’école du gouII vernement, il risquerait d’y II perdre. Quiconque ne l’a vu sans l’avoir dirigé, n’a lorgné longuement II dans la coulisse, n’a surpris la tournure et mesuré le train, n’est digne qu’on l’y fasse présider ùn jour. C’est peu de s’élever, encore est-il besoin qu’on s’y maintienne à l’avantage de la république, II' II mais les vertus qui nous permettent de gravir les échelons ne sont Il pas celles qui nous habilitent en leur éminence. Les parvenus sont détestables de se les attribuer sans les avoir en propre et de juger II qu’elles dérivent infailliblement de leur astuce. II CXII. L’école du gouvernement

La bonne politique fait la con­ cession plus généreuse et le re­ n tranchement indigne de regrets. Le prix de ce que l’on dispense n importe moins que l’heure ou la façon, l’heure d’abord, laquelle n est souveraine et nous permet d’agir à notre guise, en sorte que je n n nommerai « justice » un art de la réduire à la semblance et de pa­ n H raître l’observer, et que l’injuste est le défaut de mal choisir le temps et la manière. Il est des jours où l’on peut châtier tous les rebelles II II II sans discernement, et d’autres où pour mieux les perdre il suffit II de leur accorder la grâce et de montrer qu’on les dédaigne, afin II qu’ils restent méprisés.

CXIII. Étrangetés communes

CXIV. Des libertés, des privautés

n Je marque au reste que les libertés dis­ n semblent de nos privautés, que moins un peuple a de pouvoir réel et plus les souverains n lui passent les dernières, qui ne leur coûtent rien, mais qui le flattent. n Les libertés demeurent vagues et lointaines, fort étrangères à l’esprit des gens, lesquels ne les discernent point, de mode qu’on les leur n retranche ; les privautés semblent l’image de nos droits : un peuple se tient libre lorsqu’il en a beaucoup. En tel pays, le château fut-il pas l’endroit ouvert à tout le monde, son antichambre le domaine n ii des petits marchands et ses couloirs une sentine ? Ailleurs si l’on avait accordé le droit de chasse aux paysans se seraient-ils pas jugés les hommes les plus libres de la terre ?

136

Il Mais la révolte est proche où le grand nombre n songe à se pourvoir de cela même n qu’il désirerait de nous et qu’il refuse comme lui venant de nous, fort de nous l’arracher par une violence et sachant qu’il le peut, s’il l’ose.

CXV. Révolte

II n’est pas digne de l’humain II de prendre l’obligation qu’il n’envisage en l’étendue II de ses charges les plus accablantes, mais il est trop certain qu’alors nul n’en voudrait. Ainsi la dignité nous ferait-elle dépérir et nous la bannissons, de peur qu’elle ne nous dévore sous le prétexte de nous conserver. — rit n ri — Oui, l’homme vit dans une aveugle dépendance et ne démêle les confusions de sa nature, et cependant qu’il en essuie les effets, n il se rengage de plus belle. On légitime ses penchants, on les assiste n et va jusqu’à les susciter, mais c’est afin de se donner quelque pou­ voir sur la personne et de la retenir par le canal de tout ce qui la n désassemble. On blâme ses désirs, sitôt qu’il se déborde et l’on est n n grandement fâché, s’il a l’audace de s’en faire maître ; on le veut h n assez fol pour se monter la tête et raisonnable, néanmoins, de peur n n n qu’il ne se dédommage point et l’on réprouve d’un seul mouvement ceux qui prévoient et ceux-là qui jouissent, en pardonnant de pré­ férence à ces derniers, vu qu’ils se désavouent mainte fois, quand n n la sagesse demeure en crédit et marche en assurance. Le moyen de ne pas sourire de ces vertueux que leurs penchants arrêtent, malgré n qu’ils en aient, et qui s’affirment les soutiens de l’ordre, dont ils n ri n ne sont que les complices misérablement bernés ? — n u — L’état ne nous demande pas que des vertus ! Le monde ne redoute pas les amoureux et sourit à leur solitude, il les approuve de se joindre et les attend à bout de voie, il sait qu’ils lui reviennent n infailliblement et du plus loin, il n’a guère à les relancer, il les arrête n n au piège et les entrave en un tempérament de lassitude et de rigueur, n n n il les annulle mutuellement, les change à des moyens qu’il met en œuvre, il les transforme en pierres qu’il aligne et qu’il entasse. Eux n s’estimaient loin de ses lois, ils le bravaient d’intelligence, ils jouis­ saient d’une ardeur sans égale et voici qu’il l’emporte et, sur le déclin n n du mystère, IT a prévenu les fins de leur témérité. Le monde ne redoute n n pas les amoureux qui multiplient le néant, mais appréhende l’homme solitaire et les débats de sa lucidité ! — mu — La femme seule nous détourne de nos fins, nous rendant à n n n n la vie et nous arrache le consentement à l’univers en même temps que la semence. Par elle l’homme se fera chaînon, perdant ses n royautés mortelles. — CXVI. Nouveau débat sur l’homme

137

CXVII. Louange de l’absurde

IIIII Les hommes souffrent davantage H pour l’absurde et meurent avec II plus de grâce au nom d’une chimère issue de leur spéculation que II pour défendre la meilleure cause raisonnable, et les plus simples II même ont de l’attachement à ce qui les remue assouvissant leur II II gourmandise, II quand les plus délicats invoquent l’ineffable et s’en repaissent. L’absurde qui nous fait périr a le pouvoir singulier de II nous aider à vivre et l’existence semble en interdit, quand l’homme vient à bout de la réduire à ce qu’il est, car la vengeance de l’absurde 11 est de nous affecter de ce qu’on lui retranche et de se librement com­ II muniquer à toute chose. Nous* ne pouvons nous contenir en l’ordi­ II naire et le plus bel ajustement nous laisse froids, s’il ne nous boule­ verse.

CXVIII. La vérité d’ensemble

II n Horniis les vérités d’ensemble, il n n’est que le débris de mille cas II n d’espèce et qui nous rendent de mauvais offices, nous mettant usuel­ H lement en défiance sur les autres, puis en la dépendance d’éclair­ It II cissements de petit lieu, mais pour aller aux vérités d’ensemble il faut en épuiser le nombre et c’est l’affaire de trois siècles ou de six. II II La vérité d’ensemble est l’aboutissement d’un ramas de détours, ni une moyenne d’agonies, le résumé de tant d’épreuves de diverse II sorte que l’on est trop heureux de n’avoir pas à les remémorer et moins encore à les revivre, ce qui n’empêche cette vérité d’être en balance uni II et d’essuyer alternatives ou rechutes, mais nous ne sommes nulle­ n ment tenus d’y vouloir ajouter et devons appuyer qui nous seconde.

On ne conteste pas avec les rites de la foi reçue n et tous les éclaircissements que l’on en donne, n It n en vue de s’en prendre à la créance même, ont moins d’effet qu’une n n n religion nouvelle. Jamais on ne remplace l’absolu, jamais l’humain, en les modalités dont la nature est susceptible, n’aura moyen de n vivre à court de spectres engageants ou de chimères de la spéculation II II II et l’homme est animal métaphysique. A n’en pas convenir, l’on reste IIIII n sciemment à découvert et trop de fois à la merci d’un mouvement II n imprévisible : où les dieux viennent à manquer, les dieux renaissent, il n’est de vide qui ne se repeuple et la raison se fait idole en face des idoles abattues. Les gens de petit lieu ne vivent que pour l’im n ­ n médiat et l’absurde, ils n’envisagent que l’utile et l’absolu, jamais n ils ne surmontent le litige et ne conduisent les réflexions par l’ordre tiré de leur fonds indivisible. CXIX. Religions

138

in Que l’homme vil réclame des raisons pa­ ii H tentes et des formules absolues, car il est ainsi fait qu’il se dérobe naturellement par divers chemins de traverse n ii et qu’il emprunte les issues que l’on néglige de sceller. Nous sommes n avertis de l’investir en le tenant à la contrainte.

CXX. De l’homme vil

CXXI. Colloque sur la tolérance

La tolérance ! Est-elle sage ? est-elle souhaitable? Il faut un lien en chaque nation, un lien si fort qu’il la retienne aux heures solennelles, un lien qui ne procède point des lois, mais n qui les justifie, donc un ensemble de préceptes établis sur des pensers communs n qu’il est besoin de recevoir. Sitôt qu’une doctrine est inspirée, elle ne souffre de rivale et ne saurait l’admettre à ses côtés, parce qu’elle envisage l’absolu, que l’absolu se trouverait détruit s’il existait deux n voies, que l’absolu paraît enfin l’unique fondement de nos pré­ ceptes. — — Je tiens la tolérance indispensable, à charge qu’on en parle it le plus doucement, peur de scandale aux yeux des faibles. Il est ti expédient qu’on ne s’en vante pas et lui ménage des faveurs secrètes, H II mais qu’on se garde de la mêler à nos vœux inavouables, car le plus sûr moyen de ruiner la tolérance est de s’en prévaloir, dans le dessein II de subvertir une morale nous mettant à la gêne. Je nomme tolérance II II une manière d’agrément que l’âme donne volontiers aux divers modes d’accéder à l’éminence et non à l’art de les confondre et de II se passer d’elle. Elle est une franchise dans le bien et nullement un II II droit hors de ce qu’elle affecte, où les émules la remparent et les II complices la diffament. — II — La tolérance n’est pas recevable de tous ceux qu’elle désarme et dont elle abat les ferveurs, gens faibles et tenus de parler d’une II voix ou de se dépraver en tombant d’une pièce. Les justes le déplorent mais le moyen de prôner une loi sévère, où d’autres la paraissent II démentir, et d’incliner un peuple aux vertus les moins naturelles, II quand il est des systèmes plus accommodants ? Et ne devons-nous pas marquer la préférence aux théories que nos penchants désavouent II et qui méritent ii de puissants secours ? A mettre de niveau ce qui IIIII n demande tout à l’homme et ce qui le résigne à l’ordinaire, il est de fait que nous le fournissons d’un trop d’excuses prévenantes. — IIIII II — Ce qui demande II tout à l’homme ! En l’âme basse, l’absolu II II n’entraîne que le fanatisme et les rigueurs les plus démesurées : où l’on demande II tout à l’homme et bâtit sur les passions, l’on serait If mal II venu d’en improuver les suites. Qui nous déchaîne de la sorte II II ou rend la fureur désirable ou seulement possible, a tort d’incriminer 139

n la foule des humains, n laquelle ne se meut qu’en bondissant ou rentre iiTn en le repos de l’immobile. — n n — Or, l’homme n s’affermit en son débordement et perd l’assiette iiiii n aux mêmes lieux qu’il s’enracine. L’homme, à mes yeux, ne peut ii n H se définir en partant de soi-même et l’absolu n’est pas de trop pour n le sauver en son humanité, n car l’être vil ne se régit que moyennant n l’idée la plus simple ; c’est donc une nécessité que de le tenir en n haleine, il a besoin de croire au mal et de le voir, pour ainsi dire, iiiii n face à face ; il a besoin de s’animer incessamment contre l’objet n de sa terreur, si l’on ne veut que son émoi ne se relâche et ne s’en ii accommode enfin. Gardez-voufe d’oublier que jamais il n’avise au mal n s’il ne le touche et qu’il ne le décèle au profond de ses reins, lui qui n’est guère susceptible de se définir. Donnez licence à qui vous donne sûreté ! — — Le peuple est dans l’usage de s’en prendre à qui ne lui résiste it pas ou dont il peut avoir raison, mais il balance où le contraire le ii •ï domine et lui fait mainte fois l’honneur de le juger un fléau de nature avec lequel il est fort honorable de capituler. — ii

i CXXII. Cas de l’Espagne

n Que l’Espagnol ne fait rien à demi, n de mode qu’il est tout en démesure ii et se relâche follement, quand il ne peut s’évertuer. Trop malheureux ir s’il n’a que l’ordinaire, le moindre l’y devance et i’héroïsme sans éclat ne saurait émouvoir la nation la plus fantasque. Souvent le peuple de l’Espagne agit pour les beaux yeux de ceux qui le regardent vivre et leur emprunte le motif de toutes ses fureurs ; charnel et jusques à la frénésie, il ne parvient aucunement à rompre ses racines, n n mais il s’élève plus que d’autres mieux doués en apparence. Que n sa folie est belle et que sa vie bassement futile ! Et qu’il est loin de Dieu, quand il ne Le possède ! De lui nous ne devons attendre que tt le pire ou le meilleur, aucune fois les deux ensemble. ü

ii » CXXIII. Colloque en guise d’intermède, touchant diverses nations

Oui, chaque nation se prévaut d’un je ne 11 sais quoi, lequel est proprement sa quin­ tessence et dont elle fait plus état que de ses II n n vertus les plus manifestes. Il se peut même qu’on l’ignore à force II de le trouver en tout lieu, mais on ne tarde pas à le sentir, quand II l’un ou l’autre le met en son jour avec une éloquence inimitable. — H — Tel peuple, ne se pouvant définir, attend le choix propre à II II la mieux fixer dans l’ordre des linéaments dont il s’avoue et qu’il n A. De ce fameux « Je ne sais quoi »

140

Z Z ' IIIII recherche sans les établir. Qu’un homme se produise et les lui trace, H il les adopte et s’y confirme et, quand ils roulent sur l’inavoué, la convenance est infaillible. — II — Il se dissimulait en nous, cet air si dangereusement subtil II et le voilà dehors, le voilà libre et nous après. Lorsqu’il flottait au sein du vague, il nous soufflait des motions irrésistibles, mais II' couvertes. Il nous régente, à vue de pays, à l’heure qu’il se fixe et n sans recours. Nous fûmes n n nous transforme tout ce que nous sommes, n en puissance, et nous le devenons, prenant figure malgré nous, figure enfin de ce je ne sais quoi, dont nous ne réchappons. — — La quintessence définie se change en destinée. — n — Et l’ineffable appesanti nous moule sur des formes closes. — — Voire abusives. L’Espagne est celle du plus grand Philippe et de son peintre venu de la Crète, et nous ne consentons à la chercher ii ailleurs, bien qu’elle ait mué de semblance et qu’elle en ait eu d’autres plus avantageuses. La France est au regard de l’étranger le pays n de Voltaire et de la raison triomphante associée à la galanterie, et l’on oublie volontiers son Moyen Age et ses tendances à la démesure. Les Chinois se transforment sous nos yeux et prennent goût à ce dont on les jugeait incapables. — — Mais nous ne laisserons de les tenir pour ce qu’ils ne sont plus, jusqu’à ce qu’il nous faudra déchanter. — n — Le caractère d’une nation est sujet au balancement et ne se définit que par un assemblage de contrastes : la raisonnable est IT n mainte fois imprévoyante et dissipée, la plus rageusement raidie est n une frénétique et la plus sobre la plus follement lascive ou bien la plus fantasque. — — Les Teutons et les Moscovites se dérobent en s’abandonnant, le libre choix les précipite dans la servitude et nos rigueurs les ôtent n de souci ; les Espagnols sont graves et futiles, puis tellement lascifs n qu’ils se débordent jusqu’en la matière la plus solennelle. — H — A moins qu’ils n’outrent les retranchements, de peur de s’avouer ! — — Les Portugais sont les plus doux et les plus rudes, toujours de leur village et fût-ce au bout du monde, et dévorant l’espace sans qu’il les pénètre. — n n ri — Et nombre d’Italiens si composés qu’ils en arrivent même à feindre la vivacité qui leur est naturelle ! —

B. Des pays et des peuples »

Nous parlons de la France ou de l’Espagne, non de la nation qui les n habite, mais n nous disons les Allemands et volontiers le peuple turc. La France est le pays où vivent les Français ou ceux qui le deviennent

141

H à la longue et c’est au peuple d’Allemagne à faire son état, lequel n’est rien s’il n’en prend conscience. L’Espagne se situe en l’inter­ II II valle, elle est comme une France à jamais désunie, amas de nations II pareilles à la germanique et dont plusieurs ne se conviennent pas, II rêvant d’une absolue autonomie et dans le sein de l’homogène en état de la garantir. Et l’on a dit longtemps le peuple turc, à cause qu’il était le dernier venu d’entre tous, le pays lui devant son nom après en avoir connu d’autres. — n ii II II — Les peuples d’hommes tirent le meilleur d’eux-mêmes, se n confessant et s’éprouvant ; les ^peuples enfantins demandent qu’on n II les sauve et clament une providence à part ; les nations efféminées iiiii n supplient qu’on les violente et goûtent leur abaissement comme une volupté sensible. — n — Il est enfin des nations de morts qui vivent à subir l’histoire n et faire nombre. — — Puis elles siègent dans les assemblées. — n — Les peuples de commandement et qui ne valent que par là ne sauraient vivre et prospérer, faute d’esclaves. Nous le voyons n en divers lieux du monde. Quoi de plus lamentable que ces Turcs livrés à leur fainéantise ou que les Espagnols réduits à leur unique compagnie ? — n — Ces gens ne brillent qu’à sabrer ou conquérir, mais œuvrent n if n moins que ceux qu’ils tiennent à mépris, lesquels se passent mer ­ if veilleusement de leurs vertus ou de leurs soins. — ii — La nation la mieux douée est propre à toute chose : travail, n loisir, paix, guerre, épreuve en l’ordinaire et tribulation suprême, n voire félicité. Les peuples uniment nantis, de la figure la plus ridicule, ressemblent à des souverains destitués d’insignes et de droits, fort bons à charge qu’on les serve et les nourrisse, et qui laissés à leur incompétence, ne savent que languir en ne cessant de tout prétendre. — — Qui n’a l’esprit de sa condition ne la surmonte pas. —

Dans le Midi de cette Europe le peuple a des u vertus lucides et chantantes, le goût des formes n H et des fins, le don de la mesure et rarement le sens de la grandeur ou de la plénitude. — n II — Ils ne vont jamais par-dessus l’humain et tiennent le milieu n H de préférence, mais ils ne tombent guère ou savent amortir leur II H chute. Ils aiment plus la ville que les champs, la solitude les repousse et la nature leur peut agréer, sans qu’elle les possède, à mi-chemin ii de n la béatitude et de la consternation, ils prisent un bonheur facile ff et limité. —

C. Nord et Midi

142

il lllll — Ils qualifient de chimère ce qui ne porte l’homme aux biens sensibles, la fougue les étonne, encore qu’ils la feignent à miracle, II II mais leur saillie est de surface et ne remue guère les abîmes. il — — Ils ne haïssent point la vie et goûtent plaisamment ce qu’elle II leur dispense, ils se défient des sublimités et tâchent en premier II II de n’être jamais ridicules. — — Quand ils agissent, ils font cas des yeux d’autrui, les yeux II d’autrui leur semblent l’univers et l’univers une manière de théâtre, II lllll Dieu n’est pour eux que l’Autre à la dimension de l’incommensurable, une personne qui les juge et les a regardés. Métaphysiciens minables, n n n n ils ne s’élancent qu’en circuit fermé, remâchent les maximes les ii plus vieilles et n’amplifient nullement, de peur de l’intervalle. — — Il leur faut de la teïre sous les pieds. — II II — La vérité mise en lumière et les chemins tracés d’avance. — — Où l’on bondit à pas comptés en gambadant par quelque résidu d’irrévérence ! — II — L’absurde abat leur verve sur le champ. — II — Aussi préfèrent-ils les menteries agréables et les équivoques II sommeilleuses, et leur penchant à la mesure incline ces badins à n h toutes les demi-mesures : pour eux point de dilemme ouvert et point de litige en souffrance, et nulle tragédie, où l’on ne goûte que le H mélodrame, ils veulent des solutions tranchées quand ils ne peuvent II II II engourdir l’impatience ou faire un accommodement, l’antagonisme II les alarme au souverain degré, ils n’en discernent guère la beauté lllll n profonde et parlent de tout consommer à force de tempéraments. — n — Leur absolu n’est qu’aveu d’indolence et de futilité, le trompeII n n l’œil majestueux où leurs mirages se remparent, un vague solennel H n et creux où l’on entasse les formules, échafaudage rutilant à la merci II n d’une fumée et bulle de savon en guise de recours suprême. — II — Ainsi les Latins, peuples sobres, deviennent chimériques, non n ri n par excès de visions imaginaires, mais en vertu d’un manque de courage. — — Et le réel qu’ils tremblent d’abjurer les abandonne sans retour, à cause qu’ils ne le désertent pas. — n — Il est des nations dont la vivacité prévient nos jugements n et nous séduit, de mode qu’on les tient spirituelles, mais qu’on les u pousse et les voilà de suite à bout de voie, le pied leur manque et la stupeur en a raison et la décontenance : elles excellent aux débats, mais subalternes, elles consomment tout leur âge dans cet exer­ n cice, où des adages éprouvés en règlent les saillies, et ne leur demandez pas de besogne de concision, ni de payer tribut à la il recherche ! — il — Ils ne s’imposent de tels soins, en hommes sacrifiant au pro-

143

bable et s’y mouvant à l’aise, ou s’ils se rendent attentifs, ce n’est Il que pour se jouer aux surfaces, dont ils composent les rapports de n main de maître, II habiles à nouer les mots, à faire le discernement II n II des ridicules et des pointes, jamais à court de reparties et multi ­ pliant les finesses, sophistes à tout dire et dont l’intelligence est un éloge de facettes. — — Ne les prenons pas à garants de leur boutade, leur verve est cliquetis de traits ou d’antithèses, l’ensemble vieux et plus que les chemins, le fondement n passé de mode et les ressorts antiques, l’audace convenue et l’impudence n théâtrale, on en devine le principe, n on entrevoit ses développements et nulle fin n’a la ressource de nous étonner : cela remonte au moins jusqu’au déluge et ne varie guère, cela ne cesse de rouler sur un fonds d’indigence, cela rassure les plus chatouilleux. — n — Tels sont les peuples du Midi, mutins de l’éloquence et qui n répugnent d’ordinaire aux variations fondamentales, se procurant l’illusion du change et l’ayant en horreur, s’il les affecte de nécessité, n qui se remuent et se démènent pour n’avoir pas à devenir, abominant l’idée en tant que telle et pétris de limon. — n — Fidèles à la terre et n’aimant de l’esprit que les bouillonne­ n ri ments et que la mousse. — n — Dont la vivacité confine à l’indolence et jette l’homme en un II H circuit de pauvretés imaginaires, moyen par excellence de tout main­ tenir sans gloire. — — Allons au Nord. — — Là, je vous suis. — — Aux peuples du Septentrion la forme manque et ne veut point iiiii n venir. En changement perpétuel et fût-ce dans le sein de l’immobile, n n ils semblent ambigus, en dépit de la loyauté qu’ils aiment pour se donner une attache et ténébreusement subtils sous les dehors de n. n n n la simplesse, mais s’ils divaguent et se fourvoient même, il est cons­ tant qu’ils pèchent par excès et le plus généreux tant à l’égard n du bien que pour le mal, n’en faisant pas toujours la différence la n n mieux ajustée ou voulant tout confondre en un dépassement imagi­ naire. — — L’histoire est, à leurs yeux, le devenir que rien ne justifie n u et que l’humain s’efforce de légitimer au long d’une démarche n sans n espoir, duel tragique et démesure inassouvie. — — Ils trouvent des beautés jusqu’en l’informe et divinisent l’ordinaire, à faute d’aliment. — — Ils ne redoutent pas de se sentir et vivent comme fascinés n par leurs abîmes, puis se débondent avec brusquerie, assidus enragés enveloppés en une fougue imprévisible et se refusent du retour,

144

épris de jouissance et de néant, et savourant l’une dans l’autre. — Il — Ayant la démesure en vénération et taxant la prudence ou de lésine ou de poltronnerie, ivres à leur manière II et souhaitant de II l’être au moment de se recueillir. — — Ils aiment la nature et ne haïssent point la solitude, à cause H qu’ils la peuplent de muettes frénésies, le rêve les devance et leur querelle ne s’apaise, ils l’entretiennent à dessein et la raniment n sans relâche. La peur qui les talonne, ils la font ressentir aux autres. — n II II — Quand ils allument tant d’embrasements, ce n’est qu’afin II de rompre les étaux de leur démence et ces bourreaux calculateurs ir ne savent pas mourir, j’entends mourir en honnête homme, sans iiiii ii n n H larnles, mais sans phrases,^d’une manière ferme et douce, avec un n II II abandon plein de mesure et plein de calme majesté. Ils vous de­ rt' n mandent des trompettes et des chœurs, ils veulent se donner la tra­ n n gédie et défier le monde, ils mettent de l’emphase où le bon goût n exige de la résignation, ils se démembrent pour nous étonner et nous n amènent à sourire. Ce sont là fauves enfantins qu’il nous importe de flatter, les rassurant, pour qu’ils ne cherchent à se rassurer à nos dépens. — — Les peuples du Septentrion ont la ressource de changer, le n devenir est leur partage et c’est pourquoi nos jugements sont pro­ n visoires. Où les Latins ont abouti, prenant la forme et perdant le n n possible et liés à la forme au point de mourir avec elle ou de tomber à rien, les peuples du Septentrion essuient l’aventure et, parce qu’ils n n ont mis le fondement en gage et librement choisi l’incertitude, ils peuvent espérer loyer à leurs travaux et le plus magnifique, pour n n’avoir pas une âme habituée. — n Que d’Allemands sont faibles et craintifs n dans le pays ultime de leur être ! — n n iiiii — Ils n’y sont que terreur aveugle et que gémissement immotivé, n II n mais ils le savent à demi, d’où l’humeur querelleusement brutale II dont ils sont dans l’usage de s’armer pour nous donner le change sur II II leur tremblement et s’abuser eux-mêmes. — — Il serait bon qu’ils l’ignorassent en entier ou l’éprouvassent iiiii ir jusqu’au bout, la demi-connaissance étant de règle la plus domma ­ n geable. Or, ils n’excellent pas dans l’art de s’assigner une limite, n ils le dédaignent à l’accoutumée et s’en font gloire, ils entreprennent n de tout subvertir et cherchent l’au delà dans un forcènement per­ n pétuel où la morale ne les accompagne guère et tous les monstres n les assaillent, ils parlent de gravir mille échelons et se retrouvent n au plus bas, au niveau de l’inanimé. —

D. De quelques nations

10

145

— Les Moscovites rêvent et leurs dirigeants raisonnent ; les Il Allemands raisonnent, quand leurs maîtres extravaguent. Si les n II premiers donnent la préférence aux têtes les plus froides en matière n de gouvernement, II les seconds ne haïssent pas qu’on les enchante. II L’on voit des fous servir les desseins les mieux concertés et des logiciens se perdre dans le vague en suivant l’inspiration des thau­ II maturges. — — Et l’Espagnol ? — II II — Ce peuple vaut pour les dimanches et les jours de fête, mais quelle nation a l’assurance d’une destinée indolemment complice ? h Depuis des générations, l’Espagne est au lundi, le triste lendemain ii II d’une fortune à jamais dissipée et de légendes abolies, mais elle s’y II II refuse et met tant d’éloquence à démentir l’état de sa condition qu’il est des gens pour y donner leur voix et pour s’y fournir de lunettes. — II — Quand l’Espagnol ne donne toute sa mesure, il est moins que II son ombre. — ' — Et s’il le fait, nul ne l’égale. — n — Il est plaisant de démêler l’acquiescence où l’Espagnol ne II u rougit plus de vivre. Le beau mérite de se retrancher un mille de dou­ ceurs, pour n’avoir pas à les gagner et d’être par fainéantise exemple «I de frugalité ! de laisser un pays à l’abandon, gueusant et malversant, II toujours superbe et toujours misérable ! de s’engourdir industrieuII sement et de s’évertuer en ne changeant de place, de se roidir au II lieu de se déterminer, de brusquer la défense en bandant ses fureurs, II allant au pire d’une traite ou se vouant à la meilleure cause, touj ours aveugle et toujours acharné, parfois sublime dans l’horreur et trop souvent abominable en la justice, ayant le don de profaner une II querelle sainte à force de moyens outrés et de désordres véhéments, n II et de légitimer la plus mauvaise en déployant des vertus magna­ II n II nimes ? Il aime cette ivresse et la demande à l’impourvu, sans II peser l’origine ou sans considérer la fin, il goûte librement la ser­ vitude, il remplit son devoir avec une âpreté voluptueuse et, gour­ H II mand d’agonie, il semble jouir et des maux qu’il multiplie et des souffrances qu’il endure. — II — Il est moins volontaire que zélé, moins ferme que rigide et s’il abonde en qualités, il ne travaille pas à les faire agréables et II If s’il plaît, néanmoins, c’est parce qu’il est sa victime et ne triomphe n n impunément de rien. — — Et c’est pourquoi Dieu lui pardonnera toujours. — — La religion des douleurs est une bonne chose, les peuples qui n s’en font un point se laissent remuer et nous surprennent mainte fois par des élans que l’on ne trouverait ailleurs, des grâces préve146

ri nantes et des manières délicates, et l’on ne saurait quelle retenue n Il n au milieu de ces mouvements, quelle justesse en dépit de ces aban­ dons et quelle habileté, malgré l’ardeur qui les emporte, un air de politesse et d’élégance où l’on n’attend qu’une chaleur désordonnée. Cela se voit dans tout le Midi de l’Europe. — II — L’Europe aime la vie, elle s’afflige outre mesure II de la perdre et la soutient avec une fureur désespérée, la résignant avec une amer ­ ii II II tume nonpareille. Qui la remplacera demain ? Qui jugera comme iiiii n i elle, lucidement, les yeux ouverts, sur le penchant de la ruine ? — — Personne, il n’est personne. —

CXXIV. Spirituel et temporel

Ceux qui défendent le Spirituel en l’affectant de vertus singulières, le veulent en tout lieu II du monde et jugent le remède avec une faveur H II si véhémente qu’ils nous feraient mourir sans nul tempérament. En nous subordonnant à la tutelle du divin, ils pensent nous régir II si doucement que la rigueur y perdrait de sa force et tiennent leur II pouvoir si légitime qu’ils sont en droit de nous anéantir, dès les II n préliminaires de sédition. Loin d’être ménager, il n’est de règne plus II n cruel et Dieu n’est jamais si honteusement servi que par ses clercs. Un ordre dit spirituel s’ingère de nos libertés couvertes, ne nous n n II laissant pas même une ombre de franchise, il nous divise contre nous et quand il ne nous force à nous abasourdir, nous rendant n hébétés, il nous oblige à l’imposture et nous contraint aux fourbes n II les plus noires, nous mettant en demeure de choisir entre une ser­ n II vitude flétrissante et des manœuvres dignes de mépris. Ce règne-là suscite un mille de niais et quelques monstres. L’absurde en est n le principal ressort. Il vaut donc mieux le séparer d’avec le Temporel n que l’on n’hésite pas d’y ménager et dont les attributs ne cessent ir II de grandir, un Temporel où le profane est à l’abri, mis dans la dé­ iiiii pendance de nos lois et nous servant à point nommé. Cet ordre-là ne vise qu’à l’utile et se contente du probable, il nous astreint à II n quelques redevances, mais notre sentiment ne le remue guère, il II n a la religion du succès et ne démêle notre contenance, il nous méprise n mainte fois ou se contente de nous ignorer, dès le moment qu’il n mu nous juge en surnombre, il veut des instruments apparemment do­ n ciles, des bras, des jambes et des têtes : du demeurant il ne fait cas II et nous n’y perdons rien. Ce règne-là nous semble plein de marges, n de retraites et d’enfoncements ; il ne nous prend qu’à la surface, II il n jamais de haut, jamais de loin et ne nous suit jamais en notre pro­ fl fondeur dissimulée, il est une incidence, au lieu que l’autre semble une possession inassouvie.

147

CXXV. Embûches . Point de police véritable où nous ne séparons le Temporel d’avec le reste. Il n’est péril si du spirituel Il redoutable que le mélange impur et la doc­ trine ne s’ajuste guère aux lois. Les lois ne visent qu’à nous pré­ n server et nous punissent d’avoir mal agi, quand la doctrine nous excuse trop souvent sur les intentions et nous délie, à raison d’une n repentance. Les peuples uniment religieux commettent des forfaits étranges et de bonne foi, car les penchants inavouables leur demeu­ rent, dépravant règles et modèles. Où l’on se juge en paix avec le ciel et vit en l’assurance des faveurs divines, les pires dissolutions n ne manquent de lever la tête et les régimes dont les clercs font jouer n n les ressorts emportent un augment d’abus et de mensonges. Qui se réclame des lois invisibles prend de singulières libertés avec les n nôtres, il sape et mine l’édifice par le haut, il nous demande de surseoir à nos affaires, laissant agir le tribunal céleste. Voilà de fortes n garanties et de suprêmes assurances.

n If Tout moyen qu’on emploie est une fin con­ traire à celles que nous poursuivons, s’il est n indigne des fins imparties. C’est la raison n que les doctrines les plus éminentes ne manquent de se pervertir H H et que la pureté de nos religions réclame des malheurs illustres. If Nulle institution ne se déprave aussi rapidement que celle qui se juge au-dessus de nos lois et ne relève que des siennes, rien ne l’ar­ rête dans sa chute.

CXXVI. Faiblesses du spirituel

n Un peuple chichement nourri, vivant dans une langueur pern u n manente, à la merci d’une chaleur humide et de diverses pestilences, n facile à conquérir et trop soumis aux maîtres avenus, dont les rébel­ lions sont davantage à l’indolence qu’à la frénésie et tiennent quel­ n quefois de l’une et l’autre, endure plus qu’il ne surmonte et, loin de n n secouer le poids de l’existence, y voit comme un empêchement abo­ H iiiii n minable : il n’envisage que la liberté de l’immobile et la sereine ma ­ jesté de l’indivis, il aime la confusion dernière et prêche l’abolition II II de toutes les mesures, il se veut fondre et non délimiter et n’être n plus, sans laisser de jouir, il se dépeint une béatitude où l’âme est dans le sein d’une vacance générale, plongée en une infusion qui n la rend irréelle en tant que sa réalité. Formant d’incestueux désirs, n il multiplie cependant, il se déborde en niant l’univers, il grouille à la surface, il emplit son domaine et se lamente en refusant de se u

CXXVII. Abus en la religion

148

H plier aux lois de l’évidence, où dans un monde qu’il juge illusoire, n sa déchéance ne l’est point et sa misère inégalable. Que si la foi peut H n être l’ennemie de l’espèce, l’Inde le montre au souverain degré.

CXXVIIL Religieux com­ I plices de l’inavouable

Les pires adversaires ne sont pas les II furieux dont la brutalité met les n empires de niveau, mais les méchants H n H habiles qui ménagent la victime et s’emploient nommément n à l’avilir, tout en gardant un semblant de justice. Ils viennent dépouillant ii et divisant, ils pressent les secours, réforment les abus qu’ils édifient, ils lâchent prise à dessein d’aller plus avant, ils nous découvrent II leurs scrupules, mais tout cela ne fera point de conséquence et s’ils lllll louvoient apparemment, c^est qu’ils se trouvent de loisir : ils nous n endorment à dessein de renchérir sur une atteinte et de la savourer n où nous prenons le change, voulant que leurs retournements nous H ri tiennent en alarme. Le but de ces méchants habiles est d’associer II u une victime à leur manœuvre et de la rengager dans une servitude ii sans ressource. Voyez tel conquérant avide, impitoyable et cruel n n à plaisir ! Des hommes l’accompagnent, pauvres, charitables et n n pleins d’éloquence melliflue, ils s’établissent parmi les victimes n étonnées, ils les secourent doucement et les assistent contre leurs pareils, en ne laissant de leur persuader que la révolte est inutile h: et les désirs coupables. Voilà-t-il pas des maîtres plus terribles ? La gent conquise est divisée et le pouvoir de l’étranger s’assure ri hui doublement par le canal des hommes charitables, lesquels s’efforcent ri d’affaiblir tout l’odieux d’une rigueur permise à l’avantage des auteurs, dont ils se rendent les complices.

CXXIX. D’une autre charité

ri II est plus charitable d’ameuter le peuple que de l’abêtir et qui le n persuade de son infortune a démontré qu’il le juge estimable, encore n ri n qu’il l’entraîne en pure perte, et même là, même en l’abîme sous nos n n pieds, il est des hommes dignes de mourir, de hautement mourir et qui le savent ou le sentent.

L’égalité de sépulture et dans la mort, n la belle impertinence que n voilà ! et la mauvaise consolation ! et le piteux raisonnement ! n n Je n’en connais d’aussi niais que celui nous remémorant l’état où nous venons au monde, en l’appareil des anges ou des bêtes. Ce n que nous fûmes ii ou serons ne nous importe en rien et, tant que nous n vivons, la seule tâche est de nous mettre par-dessus les autres. Ah !

CXXX. Mystiques et tyrans

149

qu’ils méritent qu’on les foule, ceux qui se laissent abuser et se con­ H II II solent moyennant sophismes ou chimères ! Qu’ils le méritent et II qu’on les écrase bien, pendant qu’ils prient pour leurs maîtres jugés II assez malheureux par ces victimes délirantes ! Mais l’ordre a besoin n II de semblables fous et cherche à les multiplier : ils nous épargnent n: II des soins incroyables. Il n’est de meilleure alliance que celle des spirituels aveugles, que les despotes ne l’oublient point et qu’ils nous passent incartades et phébus ! Les mots obscurs et les sentences ampoulées ne dissimulent pas toujours l’idée de rébellion et l’on H apaise les mutins II en les rendant stupides. L’utile des mystiques est n d’abord de brouiller les intelligences bassement nanties, qui prennent n feu pour tout ce qui les jette dans l’étonnement, et d’arrêter les bons il iiiii esprits sur un dilemme insidieux et fascinant qui les empêche mer ­ II II veilleusement d’agir et de nous menacer ! ii De tel ou tel régime nous savons qu’il II n nous promet une merveille, à condition de l’attendre au lieu de se dédommager iiiii sur l’heure. Nous y vivons comme en haleine au sein du provisoire, II avec pas Jmal de sûretés, mais en peinture, et convaincus à l’insu de •! nous-mêmes, de peur de nous désabuser. On a tant espéré que l’on répugne à revirer de bord et s’enracine, inaccessible à tout secours et II le complice des ennuis indignement soufferts. Avec cela la plainte est générale et nous n’avons de bonheur qu’en ombrage, nos direc­ teurs assurent qu’ils répondent de notre avenir et gagnent sur le ii présent infidèle, et nous nous laissons emporter à toutes les remises. n n n J’avoue qu’il en est de même ailleurs et qu’on nous promet la mer ­ veille depuis tant de siècles que l’histoire en semble celle de l’espèce. La vérité profonde est qu’il se faut payer de ce que l’on désire et II h il primer sur le demeurant, que nul n’est l’ennemi des forts, si tant est qu’on ne puisse les abattre, et qu’après une vie de triomphe et de prudente iniquité nous trouverons assez de prêtres pour nous II bailler une absoute solennelle, heureux de ce revirement dont ils savourent l’importance. Le repentir des seigneurs de la guerre IT n illustre davantage les maximes des spirituels que le chagrin des II H pauvres hommes, dont les péchés sont aussi misérables que la vie.

CXXXI. Que nul n’est II l’ennemi des forts

Que le divin protège l’homme en la II II menace du permis et du possible ; que l’homme, sans les dieux, est impensable II n et ne remet sa latitude qu’à l’événement, le jour qu’il ne se déborde IIIII n n pas ; que l’homme seul n’est même plus humain et n’ayant d’autre

CXXXII. De l’homme et du divin

150

Il n choix que de se faire objet ou monstre, n’est jamais libre de vouloir li n ce qu’il assume et qu’il usurpe ses consentements. D’où vient que n ce qu’il fait de sa personne est rondement capable de l’anéantir et l’univers en sus.

Que l’esprit délié ne s’accommode pas d’un certain fonds de probité, II vu qu’il est toujours en effervescence et semble voler en dix lieux u n H d’un même mouvement, qu’il est en peine de solutions, non faute de n u II moyens, mais attendu leur nombre et qu’il discerne trop lucidement n H n son avantage. La clairvoyance est un empêchement de marque et n l’on s’honore bien d’être sagace où l’on rougit de ses mécomptes. H L’habile a la religion de l’art et l’homme de ressource est trop enclin à faire usage de ses facultés, sans penser à grand mal, et nous ne pouvons II u le mener à la vertu qu’en le piquant d’honneur ou l’animant à lever des traverses, heureux si nous y parvenons ! Un tel esprit n’y voit qu’un art de plus et la manière de s’y prouver sa finesse, pour lui la vertu n’est qu’un jeu qu’il sied d’apprendre et nous n’avons guère à II le détromper, l’abandonnant à l’exercice et le tenant à la contrainte. CXXXIII. Ressource et probité

CXXXIV. De l’animal Quise refuse à croire en Dieu ne saurait il étaphysique faire état de l’homme et n’y discernera qu’un fuyant assemblage, amas de mo­ tions et de modules, jeu d’ombre et de lueur, faisceau d’aheurtements II et de tutelles, mais point de nœud d’où l’univers rayonne et point n de centre où le réel doit aboutir ; il n’y discernera que fumée ou II n II bassesse, des mouvements à défaut de mesure et des lambeaux en guise de principe : un tel, en fait de chair, en a suffisamment pour qu’elle saigne et qu’elle serve, et non pour qu’elle signifie, il devient irréel sitôt qu’il se prononce et nous ne le souffrons qu’à dessein ni n ni de le subvertir. La raison d’être de l’humain n’est pas en l’homme n iiiii et jamais hors de l’homme : elle est en lui par ce qu’il a de pleinement n n divin et hors de lui par ce qu’il semble à nos regards. Meilleur qu’il ne le pense et plus méchant qu’il ne le veut, il est plus faible mille n n fois qu’il ne consent à l’avouer, et valant moins qu’il ne s’estime, n il représente plus qu’il ne saurait le concevoir, où Dieu seul est mesure il ri’ de l’humain, lequel est sans mesure d’homme à l’homme. n Considérer la mort fait l’entretien des plus habiles. Les saints n’en n parlent pas autant ni mieux ii que les bailleurs de piperie. La mort n ne justifie qu’elle et ne nous prouve que les sentiments dont on

CXXXV. Des faux spirituels

151

n n l’affecte. La paix de l’âme est le premier des biens, le seul qui fruc­ H n tifie en abondance et malgré les privations, le seul à la mesure de n n l’humain II et le conciliant avec soi-même, où tout l’entrave ou le H n déchire, et l’assoupissement ne nous en montre que l’image la plus lllll n fausse. La paix de l’âme ne saurait être un sommeil de nos puissances, mais II leur union triomphante.

n Que l’esprit d’examen n’est pas à rejeter II n et qu’il est une marque de l’humaine n digilité. Que si la foi mérite nos égards, II il n’est pas toujours convenable de la recevoir les yeux fermés et quel qu’en soit ou l’âge ou l’étendue. Les peuples vivant au facile II inclinent à verser dans les chimères closes. Pour n’avoir entrepris II d’asseoir l’entendement dès le principe, il devient exigible de la i.i fournir d’inspirations ne se fondant qu’en elles-mêmes, de l’étayer n H de boursouflures et de nues, de l’entourer d’un monde imaginaire II où les puissances jouent à se perdre et l’âme se détend à s’employer II aux visions qu’elle démêle.

CXXXVI. Honneur de II l’esprit d’examen

II II Le châtiment des peuples qui s’alarment sur le ridicule et n’oseraient franchir le II pas, peur de manquer de grâce ou dans II l’attente de se mettre en meilleur train, est de languir et de se remuer II II loin du sublime, puis de s’ôter jusqu’aux moyens d’y tendre. A IT craindre la risée, on gagne le mépris et se désigne comme un raison­ neur de basse taille. L’orgueil ignore l’ironie et ne s’attache qu’à it II ses fins, mais une nation sujette aux gourmandises de la vanité ii demande aux autres de lui prouver son mérite. Le vrai sublime n n’estn il pas en la témérité que l’on veut absolue à proportion de la mise n ? n II Et notre mise est-elle pas l’engagement dont rien n’approche ? n La mort efface tous les ridicules de la terre et qui la voit sur la ba­ lance a-t-il sujet de craindre?

CXXXVII. La vanité du ridicule

CXXXVIII. Ordre et foi

Nul homme ne nous laisse en sûreté, quand nous ne disposons d’un autre qui le garde et nous devons commettre un tiers à leur commune lllll surveillance, en tâchant néanmoins qu’ils ne se liguent tous en­ semble et qu’ils répondent solidairement de leur intention la plus couverte. C’est par la foi dans l’irréel que les réalités demeurent, II lllll que les états se fondent, que l’homme endure l’évidence, que notre

152

vie est supportable et que la mort se légitime II : nul ordre, et fût-ce il ii H le meilleur, n’est en mesure de nous apaiser à l’aide d’arguments II tirés de la logique. Nous valons mieux que les raisons les plus flatteuses et les promesses les plus raisonnables.

II CXXXIX. L’âme et le monde

II est plus malaisé de contenter H II son âme que le monde : qui satisfait à l’une est dans le cas de se passer de l’autre et qui se voue n H au monde est toujours affamé de sa louange et porte en soi le chasme II où l’univers peut s’engloutir, sans qu’il nous rassasie. Je prie Dieu II de me changer à ce qu’il est et je sais bien que les profusions n’a­ H paisent mon attente, où j^-ne suis celui que je dois être. Mon âme II If se connaît plus qu’il n’en semble et se mesure de justesse, mes menII teries ne l’émeuvent point et j’ai beau faire qu’il ne reste en moi II II II ce rien que l’univers n’a les moyens de rompre et qui me juge. C’est pour ce rien-là que les cités flambent.

CONCLUSION IIIII II L’homme est le temple de la solitude en l’océan de l’univers et II II la présence même de l’esprit au sein de l’œuvre qu’il emporte, il est raison de tout ce qui respire et fin de tout ce qui se parachève, il II II un centre se mouvant de monde en monde et le constituant à la n dérive de ses pas acheminant l’abîme que ses règnes ne sauraient II emplir et que Dieu seul déborde, afin de Se conjoindre. II Doux est l’empire du néant, douce l’approche de la mort et le II' sommeil la citadelle des félicités, mais nous n’avons pas à fleurir II le tombeau de nos jours, nous vivons dans le monde pour le subjuguer iiiii II et le marquer II du sceau de nos merveilles. Hors l’homme, le réel n’a II n point de sens : n’ayant le droit de le nier et les moyens nous man ­ n quant pour le fuir, il ne nous reste qu’à le transformer jusqu’à ce qu’il nous serve. On ne peut renoncer qu’à ce que l’on possède : il IIIII II II fallait posséder d’abord. Nous sommes le domaine et le rempart. II Hors nous, point de limite et point de liberté.

153

f



: :



41

:

■■



3

••

..

... ■

. ’■

u l’on ramène à je ne sais quel ordre dit moyen une série de limites opposées, qui perdent à ce jeu l’essence II' et la profusion. Ils pensent à demi, ceux qui se meuvent de formule II II en formule et, cheminant de place en place, étendent l’intellect au II ­ gré de leurs abornements, au lieu de viser à les rompre et d’em il n ri n brasser en même temps ce qui s’élude au fort de nos limites.

XXVIII. Symboles

ni L’absurde est le commencement de nos n empires : nous l’endurons, peur de cesser de vivre où la condition de l’âme nous enjoint de balancer et nous y n revenons pour dépasser l’effroi de nos limites. Seul le symbole en ri ri n a raison, lui qui renferme toute dissidence et la motive sans la mu ­ tiler. Puis l’homme éprouve le besoin de se constituer une raison il n II de craindre, laquelle le retire de ses tremblements immotivés, raison n n qu’il place loin de sa personne, à dessein de la mieux combattre : il s’évertue à s’opposer à tout ce qu’il ressent, à tâche de le définir n n' ir à l’égard de soi-même, lui qui se désemplit invariablement pour se n n délimiter et, s’échappant d’une confusion immense, aboutit, semblen t-il, au sujet pur — et par le truchement de l’univers entier, qui lui ri démontre tout ce qu’il n’est pas —. L’utile des symboles vient de II II ce qu’ils représentent l’acheminement de l’homme en passe de se libérer et marquent n les arrêts de sa mouvance.

XXIX. L’analogie

L’analogie est une parenthèse ouverte où le n semblable entraîne l’opposé d’un mouvement qui les allie à leur commune attache, en les dissociant pour tout le reste, de mode qu’ils s’accordent en un point les rivant l’un à l’autre et formant le passage. L’analogie est donc un procédé valant par ce n n qu’il dissimule autant que par ce qu’il nous manifeste : il ne le faut 207

jamais perdre de vue ou renoncer à l’avantage qu’il emporte. L’ana­ n H logie implique nécessairement ce qu’elle a l’intention de lever, sous il H II peine de se démentir, et participe de l’empêchement couvert, y ri puisant une raison d’être : il lui faut tomber avec la traverse ou faire H n en sorte qu’elle la surmonte, à charge de la maintenir, et demander un aliment à ce qu’elle veut épuiser.

Aller au bout de ma pensée, quelle faiblesse ! et quelle vanité, si je ne parviens à conclure à H H mon II dommage ! et quel obstacle où je consens à me diminuer ! et H n ’y réduire à tout l’absurde de mon quelle fin, si je balance à m être ! iiiii et quelle mort sans flamme où je ne suis que moi ! Aller au bout de n n H ma pensée ? Il la faut rompre à chaque mouvement et l’élargir de n n n place en heure et d’heure en place. L’identité mesure le cheminement n de l’intellect à la poursuite du réel et marque les limites de l’avance. L’identité n’est que le souvenir en branle distribuant les lieux qu’elle II II dénombre et les associant pour former une économie où tout s’a­ II bouche et se compense, une moyenne de parages et de voies, un vé­ ii hicule inassouvi roulant de pleins en intervalles, l’illumination de n ii n permanence à quoi nos modes se relient, le centre que nous démêlons n n en un cumul d’emplacements dont les rapports varient selon nos n repères. L’identité ne se démontre point et nous la recevons dans n la rigueur des termes : elle est l’appui de l’évidence et la genèse du n II II réel, une manière de foi végétante et sourdement insurmontable, n elle est le fondement irréductible et le noyau que nous ne parvenons II II à rompre, la pierre d’angle où tout converge et dont émanent nos prétextes.

XXX. L’identité

XXXI. Point de repère

II II Que le mobile de l’entendement est de réduire toute chose à dessein de l’évaluer, II en un travail d’approche et de mesure. Nous sommes dans l’usage de nous situer en un point de repère à quoi les objets se rapportent II insensiblement et d’annuler ce qui nous en sépare, afin d’en acquérir n une plénière intelligence, mais ce repère il nous le faut toucher en le n ri plus juste emplacement et n’en démordre dans les suites ! C’est une II affaire que ce point et l’on consume des années à le définir, heureux si l’on y donne au bout d’une existence — il est des nations où nul II II ne l’a déterminé jusqu’à ce jour —. Le point connu, mis en lumière in et les mobiles assignés, le reste se débonde et c’est l’enchaînement n le plus suivi dont les effets se précipitent, car l’évidence est volubile, II si l’homme la rend telle.

208

Il Jamais nous n’avérons la cause pure et le ir n principe ne se détermine guère isolément, vu n n qu’il demeure sous le charme des effets, dont le déroulement et la u séquence lui reviennent. Nulle origine ne se pose en tant que telle et, dès le moment qu’elle existe, il faut qu’elle préside à l’avant ii n de ses corollaires : je dirai même que les résultantes lient la raison n de leur prétexte à leur ultime dépendance et que la source émane u n if de l’événement, où le recul instaure la prémisse ! En vérité, la cause n’est pas libre et point de cause, au défaut de l’issue. J’appelle cause u n un moyen dont l’entendement s’avise et qu’il isole d’industrie, à n seule fin d’argumenter et dans les formes. Hors là, je n’en sais point. ri La cause me paraît un chiffre très commode et très fallacieux, mais la réalité n’est jamais simple et nous n’en traduisons que l’ombre.

XXXII. La cause

L’unicité de l’origine est l’un des points dont nous ne parvenons n n n j amais à rendre un compte rigoureux, mais où nous remontons avec n n empressement, de préférence à toutes les invites. Nul retour de h n raison n’a dissipé de tels fantasmes, nous sommes prévenus et nous le demeurons, mis en la dépendance d’un système à quoi nos volontés aspirent, rêvant de moyens courts et de la voie unique. Nous nous n donnons quelque pouvoir sur l’évidence et n’allons néanmoins jusques au bout, tenus à la contrainte et pleins de visions appesanties. n Les vérités sont doubles et double l’origine, le train du monde un n n fluctueux balancement et chaque ligne une moyenne. Point de n genèse à défaut de concomitance, point de semblance manque d’antipode, aucune voie où l’on hésite de choisir et nulle fin lorsqu’on iiiii n. ne la désigne. L’unicité paraît le mode où l’homme se procure une assurance en fondant un point de repère autour duquel un univers n se distribue, mais n le réel d’emplacement n’enferme qu’une phase et chaque point appelle un univers d’un absolu non moins inéluctable n n n et tout semblablement n tranché. L’unicité, moyen commode, étalon de mesure et clef d’une forêt de signes n’a guère de valeur en deux n lieux à la fois : nous n’avons plus à faire usage d’une telle discipline en un domaine où l’on n’observe rien et les repères changent.

XXXIII. La source unique

En l’objet, le possible est en sommeil et iiiii l’homme lui décerne l’éloquence ; il vient n n pour ébranler et détermine ce qu’il touche, il met en mouvement, il ouvre les chemins et trace la frontière et, suppliant d’abord, il se couronne et revendique l’évidence en la rendant passible.

XXXIV. Sur le possible

14

209

H Le vrai ne saurait demeurer en place II et nous ne parvenons aucunement à iiiii le fixer. Il a beau mettre II ses prodiges en commun, un éternel « je H ne sais quoi » nous laisse dans l’étonnement et son empire semble il accru de tout ce qu’il renonce. Le vrai se meut non tant de place H II en place que devers un point de fuite à l’intérieur de soi-même et nous l’environnons, n’ayant pas la ressource de l’enceindre. Que II II l’esprit droit discerne des enseignements valables dans le mensonge CT ême, it où tout mensonge II’ est porteur d’une vérité sans la présence II de laquelle il cesserait d’être mensonge, à cause qu’il ne tromperait personne et que son rôle est*de nous abuser.

XXXV. Mobilité du vrai

Fournir une explication touchant une II matière que l’on envisage est la con­ II traindre à l’aveu de ses éléments et faire en sorte qu’elle se trahisse : la connaissance est un viol délibéré, mais où l’objet abonde dans le sens de qui l’outrage dans les formes. lllli II Oui, la matière est femme et trop souvent d’intelligence avec son iiiii offenseur, et l’homme se conduit au sein de la nature à la façon II du mâle impérieux à qui l’on ne résiste plus. Or, moyennant la con­ II II naissance, il est loisible d’imprimer un mouvement à la réalité, de la changer à ce que l’on veut d’elle où l’on a prévenu ses voies habi­ II' tuelles, rendant une raison qui leur suffise et disposant au mieux de II II la lumière qu’on en tire. On forme ainsi les lois que l’on rapporte à l’univers, lois s’étayant de la raison devant que de la dominer et prenant fonds sur ce qu’elles résignent, lois provisoires dans leur II absolu, mais temporellement définitives, dont le partage est de se ii démentir, quand elles facilitent les accès à d’autres normes. ii

XXXVI. De l’explication en général

XXXVII. Des lois que l’on discerne

Les lois que l’on distingue en enveloppent de plus efficaces, elles nous y conduisent natu­ II rellement et l’erreur qu’elles avaient énoncée II était dans l’ordre et mène à quelques ouvertures imprévues : il II fallait ce retournement pour que l’intelligence se démît n d’une n raison valable et, de ce chef, irrémissible — solution obligeamment alerte et dont les convenances nous persuadaient —, il le fallait ou n it n tous les jugements demeuraient suspendus et l’avance impossible, il le fallaitaux fins de tendre les ressorts et d’exercer notre génie en lui donnant l’éveille, et de ce bouleversement naît une généralité plus véhémente, un augment d’assurance et des lumières plus solides en leur étendue.

210

XXXVIII. Séquence de nos lois

Aucune borne à l’exégèse et les divers ar­ II rangements se suivent en puissance, l’un dérivant de l’autre ou revenant sur lui pour l’annuler : c’est une file de retours plus que l’alignement n de séries homogènes, un chapelet de nœuds et d’entrelacs plus qu’une chaîne de séquences, un entremêlement u de bout en bout dont les effets les plus lointains ne se relient pas de règle à ceux qui les n devancent et semblent procéder d’un pullulement d’origines. Con­ n n trairement à l’évidence, la loi part d’une multiplicité dont les re­ if lations l’engendrent, elle est un abrégé de constellations dissimilaires, hui n n elle est leur accommodement et le sursis, un être de raison mis à la place d’une légion d’indiscernables qu’il enveloppe et qu’il iden­ n tifie, avant que l’un d’entre eux obère le système, et l’être de raison n concept ou mieux : un signe provisoire, jamais l’idole de nos réalistes. n n Fournir une explication touchant une matière implique un général ii n engagement de raisons assignables et de principes immanquablement liés, c’est moins un change qu’une révolution et tel détail — que ii n l’on redresse — entraîne la métamorphose et des supports et de la masse !

n XXXIX. Aphorismes sur les lois dites naturelles

n il A. Il est une matière d’agrément que l’on arrache au monde en le n tenant pour ce qu’il est, mais l’on ne peut y vivre. Il est besoin d’en convenir : le monde n’a point de substance et l’on ne gagne aucu­ nement à l’aviser, nous nous devons de le combattre et point de le n n souffrir. Seuil à l’épreuve du néant, il mène à chef qui l’a mis au n n pillage, met en défaut qui ne l’a mis en branle et se déclare à la tra­ n verse des empêchements.

n B. Que la nature est le déroulement dans les limites d’un ensemble ii n ayant un milieu de genèse et tendant vers le même fin. Nous y taillons des lois dont l’absolu ne saurait faire doute, à charge qu’on ne le n n rapporte ailleurs qu’à l’homme et l’on peut dire que ces lois entament n n le réel, mais n ne l’enferment point, qu’elles démêlent ses confusions, mais ne le forcent pas à nous répondre en son entier ni d’une voix ni et qu’il sera besoin d’y parvenir, si l’on veut juger de l’ensemble tout comme du menu.

n C. Les lois nous servent en dépit de l’évidence et la transforment à mesure, au moyen d’une constellation de pleins et d’intervalles n n par où les phénomènes nsont touchés et mis dans une aveugle dépen-

211

Il H1H dance, et l’homme rendu substitut de la fatalité : que même alors il n’agit pas au regard de l’ensemble et le remplace néanmoins — touchant le cas envisagé — : preuve à l’appui de ses ambitions II extrêmes ! Qui modifie le détail est en possession d’évaluer la masse II et de connaître l’univers dans ce qu’il a de plus impénétrable : nos n n lois sont l’acheminement de cette intelligence et les garants de sa validité formelle.

Que dans l’abstrait, il ne faut plus d’histoire, n mais des sigùes et chaque signe est l’abrégé d’un n n cent d’événements dont la mémoire s’abolit. L’abstrait dispose d’un nouveau langage et tient le réel en suspens, fendant la presse des ri' rencontres, il établit une évidence nominale où se confondent les n n allures et les prises, un ordre mutilant et néanmoins générateur n ii de maint possible insoupçonné, un appareil de modulations et de n n mesure qui nous démêlent et nous échafaudent, une armature de concepts dont l’univers ressent les touches inflexibles, un formidable n n ajustement de mailles et de nœuds. XL. L’abstrait

n XLI. Refuge de l’entendement

n L’abstrait n’est point, mais il a ii faculté de mesurer la forme et iiiii de la jauger en vertu de sa gratuité qui le rapporte à l’immanence ; n il est l’organe et non pas le mobile, il est prétexte et jamais la figure, n n •i il est formule, lettre ou diviseur, mais il ne participe aucunement à l’objet de sa quête et règne sur un monde immémorant de l’évi­ dence et par lequel nous l’entamons, un monde d’absolus et de valeurs n que nos puissances édifient, vertigineux amas de corollaires et de iiiii lemmes, refuge de l’entendement.

XLII. Les êtres de raison

n Soit un cheval, mais il n’importe ii qu’il soit barbe ou boulonnais ; aubère, n vineux ou moreau ; panard ou brassicourt ; quinteux ou vif ; de n selle ou de parade ; qu’il soit même morveux et c’est encore l’animal n iiiii que l’on dénomme tel, en dépit de l’allure : les plus menus et les h uni plus gros ont toujours en commun la tête osseuse et l’encolure déliée, l’oreille brève et la crinière longue, la jambe dure et l’ongle unique, la croupe pleine et la queue en panache. A force de les observer, nous distinguons en quoi les chevaux qui diffèrent se ressemblent iiiii et nous formons un être qui ne tient apparemment à rien, mais nous découvre ceux dont il résume les constantes. Or l’être existe-t-il

212

Il dans la nature ? Vit-on jamais cheval et pesant et léger, de robe pie encore qu’isabelle, aussi bouleux qu’il est fringant et propre n à la voltige comme à tirer le fardier ? On n’en dénombre il point et iiiii it de mémoire d’homme ! Il suit que l’être susceptible de nous définir n l’espèce est la chimère de l’entendement et qui n’existe ailleurs n qu’en la pensée et les puissances qu’elle met en branle : il est absurde de lui supposer un moule préalable ou de le situer hors ligne et par­ dessus tout le réel et, nonobstant, ce cheval qui mesure l’évidence n ri n et dont la forme se rapporte à mille fois mille chevaux, est plus n que leur ensemble et moins que l’un d’entre eux — fût-ce le pire — : n une manière de néant et davantage que la vie la plus foisonnante, n une réalité seconde et par le truchement de quoi nous devenons l’as­ socié de l’Oeuvre et l’hoipme créateur à l’égal de son Maître. Le ii H n monde se transforme en partant des réalités secondes.

XLIII. esprit des êtres de raison

Les êtres de raison n’ont d’autre usage que n n de fournir à nos commodités, mais le dom­ ii n mage en est éminemment fâcheux si nous les voulons établir en notre confidence et les jugeons doués d’auton n nomie : de sens, ils n’en possèdent guère, ni même de réalité, quand iiiii nous ne sommes sur les lieux, nous donnons l’un et répondons de la seconde, mais l’homme vaut-il plus s’il les récuse et gagne-t-il à s’en déprendre ? et si les êtres de raison n’existent que par lui, n doit-il les rejeter sous l’ombre de leur servitude ? Il est plus sage de s’en étayer en prenant intérêt dans leur défense et je les crois de bonne compagnie, si l’on les remet à leur place.

XLIV. Aphoris II es sur l’essence. A. L’essence est l’aboutissement de qui dérive d’elle et le co: n n n ent de qui la présuppose. mence: n B. Hormis ri l’entendement, tout semble provisoire et dans l’entende­ n n ment n tout signifie à la lumière de l’essence, en raison même de l’es­ n n sence, laquelle est une forme d’absolu manifesté par ce qui la motive u ir et se légitimant au sein de l’être. Position d’abord, l’essence délimite ri l’indivis, organisée autour de son prétexte, emplacement qui ne se lie à rien et flotte dans le vide ; elle en attire d’autres qu’elle range n quant à soi, puis d’autres qui la modifient obérant l’ensemble, elle ii est en changement dans les frontières d’une nébuleuse où sa valeur incessamment varie et les rapports s’altèrent sans relâche. On dirait un i

213

H un ballet dont les figures se défont et se composent, où l’une ou l’autre attache les regards et donne l’avantage à tel ou tel qu’elles paraissent mettre en jour, mais hors le ballet il n’est rien qui danse ! H

u C. L’essence qualifie et n’enveloppe pas, l’essence définit et ne motive guère, il reste un élément irréductible en ce qu’elle désigne, un élé­ n H ment qui fait l’objet présent et l’impose au réel, un élément dont II elle n’est que l’attribut intelligible et non la cause, le signe pour tout dire et duquel nous jugeons par les dehors, un signe n’ayant h trait à nul ensemble, valide pour le temps voulu, qu’il est dans l’ordre n quand il nous met plus à l’étroit — et qu’on remplace de changer sans dispute, un signe et non pas une idole, réel par ce qu’il nous II annonce et qu’il imprime dans l’esprit le consultant, absurde où II notre jugement l’affecte de notions qu’il insinue et ne renferme n point.

D. L’essence nous paraît le dénominateur de l’ineffable nom, l’organe audible de la voix et le conduit de sa richesse, le moule de l’infus, le vase de l’élection que sa matière brise sans relâche n ri en un débordement tumultueux.

L’entendement émerge de l’es­ n pace-temps intérieur et se con­ dense en un domaine n de rencontres et de réversibles. Le propre de n l’entendement est qu’il affecte l’univers de l’étendue-en-la durée de tous les rapports définis en vase clos et que les normes inventées — au mépris du réel — astreignent l’évidence à borner leurs linéa­ ments. n Que l’évidence est une irréversible où la pensée a privilège it ri du retour. L’entendement se meut où bon lui semble, en un milieu n que l’on dénomme espace-temps intérieur, domaine apparemment iiiii h mis en réserve et sans lequel un homme est à l’impermanence ou l’animalité. L’espace-temps est la rencontre des possibles, parage n d’involutions et d’intervalles dont la limite gagne sur la contingence fll Ci et, mesurant le monde, est portée à la concevoir, en un balancement et de suspens et de reprises. n XLV. Genèse de l’entendement

XLVI. Phénoménologie à vol d’oiseau

En le penser de l’homme il est un nombre n n fixe d’éléments indissolublement liés, qui ne travaillent que d’intelligence et n forment un si merveilleux accord que l’édifice choit, à faute d’une n iî u assise ou même d’une clef. Le fondement premier où tout semble 214

IIIII aboutir et qui nous porte en se communiquant de la manière la 11 II plus déliée est la mémoire du réel ou de l’imaginaire, ri en un mot l’art de disposer de ce qui nous affecte et de ressusciter les sens en iiiii devenant leur cause immotivée. — Ensuite l’art de séparer les deux If il mémoires, lequel est infini, puisqu’elles tendent à s’amalgamer. — Outre cela, les divers moyens de passer de l’une à l’autre, lesquels fi sont d’autant plus subtils que les mémoires se divisent avec plus n de netteté. — Puis un amas de procédés où notre entendement se H lance dans les airs pour mieux considérer sa multiple n origine et II ramener les cas à des moyennes qu’il élude pour atteindre à sa gratuité foncière. —

XLVII. De l’efficace

n La vigueur de l’entendement est le produit n de l’allégeance la plus roidement formelle et de la liberté la moins sujette à ce qui la seconde ou la veut main­ n Il tenir. Nous devenons ce que nous sommes par le truchement de la créance et nous cessons de l’être où nous n’avons plus le courage de nous préférer à la créance même, nous nous mouvons à l’aide de ii l’idée fixe et nous enracinons dans le possible. Les faibles se remuent, les incrédules se travaillent, les prudents se défient ou tiennent le ii' ii milieu, les sots ne changent point et s’en font gloire, mais les habiles se démentent ou s’affirment, ils viennent, vont, ils prennent, cèdent, ii ils sollicitent, répudient et s’ouvrent pleinement, en ne laissant de monter bonne garde. . .

Que l’infini, tout comme l’éternel, ii est une dimension de l’entende­ ment n et ne se trouve point ailleurs. En l’évidence il n’est que des limites et hors desquelles l’évidence cesse en l’équilibre général, où toutes choses se balancent. n ii XLVIII. Dimensions extrêmes

XLIX. Aphorismes n sur l’esprit de géométrie et l’esprit de finesse ri A. Nous atteignons au vrai de deux manières qui ne se conviennent pas, mais dont un homme heureusement doué peut faire emploi, il ii s’il les destine à la recherche en ayant soin d’y mettre de l’écart. De l’une je dirai qu’elle entreprend de vive force et creuse avec acharnement, ouvrant tranchée sur tranchée et poussant l’œuvre u pas à pas ; de l’autre qu’elle vole et donne dans le but, sitôt qu’elle H ii n le fixe et qu’elle n’est pas moins solide, mais persuade mal qui ne

215

s’en aide nommément, •I puis qu’il est nécessaire de la rendre et que II les mots ont peine à lui servir d’escorte. La première est de sûreté, it quand on sait voir et ne l’engage pas dans l’erreur manifeste et la seconde de justesse, où l’on a pris souci de la doubler et de la suivre au sol. Nous devons, en définitive, atteindre au but et revenir à tireH d’aile, et rebondir à chaque mouvement, à dessein de nous élancer, n ii voler de pas en terme et mettre cent fois plus de temps à gagner un pied de terrain.

B. Du connaisseur à l’objet de la connaissance il est deux véhicules dissemblables, dont l’un trace'une voie au ras du sol et l’autre glisse •i dans les airs. Qui, se mouvant à l’aide du premier, approche de ses H n fins, ne manque de les définir et dans les formes les plus rigoureuses, II il en pénètre les replis et détermine les détails, il fixe l’angle et la II II II limite et rend le compte le plus textuel de sa démarche et, toutefois, II II il ne nous livre qu’un vain assemblage de rapports, dont l’harmonie n II est à jamais dissoute. Le véhicule aérien nous met en la présence n ême n II II de l’objet et l’homme, sous le charme, est le captif de son res­ n. sentiment : l’objet nous parle alors, nous tenant une façon de langage n1 et l’âme frémit sous la touche, ouverte d'abondance, encore qu’elle II II ait peine à rendre un jugement de son état, mais qu’elle s’en arrache et la voilà destituée et pleine de ressouvenirs. Le moyen de les faire entendre ? n C. Il faut que l’âme s’en retourne sur les lieux en cheminant n au ras du sol et qu’elle adopte la façon la plus modeste et la mieux n ajustée. Nul objet de cet univers n’a l’apanage de se déléguer à h H nos puissances, manque du truchement de nos puissances — les­ quelles nous le rendent compatible — : lorsqu’elles jouent pleinement u à découvert, il semble qu’on s’étende à tout ce qu’elles rangent sous nos lois. Qu’on se le dise néanmoins : l’objet n’existe que par devers ri nous et l’intuition nous livre seulement ce qu’il nous abandonne et ii rien de plus, vu qu’il nous suffirait de changer ou de sens ou de nature H ri pour qu’elle se muât avec l’objet soumis à l’examen. ii Considérer l’objet en tant que tel est un effort louable et chimérique, u et comme la naissance d’une idole.

n L. Le néant méthodique

on dit avec assez de fondement ii que n. si le monde est redevable à Dieu de l’existence, il nous a l’obligation d’une trouvaille singulière et dont les résultats excèdent nos visées, j’ai nommé ce fameux néant, n n lequel est proprement le fait de l’homme. On serait mal venu de le n

216

n chercher ailleurs qu’en la représentation du monde, il est le commun II diviseur de l’évidence, il est la parenthèse ou mieux : le vide entre les deux cloisons subtiles de l’espace-temps II mis en réserve et qui partagent nos domaines. Lorsque je dis : HOMME EST MORni ri TEL », j’établis un rapport de l’homme à sa condition et par le n n truchement du verbe, mais entre chaque mot je creuse un vide et n’aurai garde de l’emplir, passant de l’un à l’autre en vertu de ce ii qui les délimite et sautant le fossé. L’entendement engendre de la n sorte une manière de discontinu, peuplant un univers de ses ruptures, n II inassouvi de le départager en un morcellement ductile, avant de II n l’ordonner sur une cohérence majestueusement humaine, II où la II fissure est gage d’infinis et chaque plein le résumé de mille certitudes. Il III II Les esprits faibles voient Je vide méthodique, immémorants de sa genèse, et le proclament maître de leurs fins, ils iraient l’adorer n s’ils n’avaient honte et s’en approchent en une vénération muette, n ils vont le tirant brusquement de ses repaires, ils rêvent de l’étendre à ce qu’il n’avait que borné de ses déserts, ils voudraient que le n II monde fût à l’intervalle, en l’engloutissement de toutes les essences : u II c’est proprement la tâche du Démon qu’ils finiront par invoquer à II la limite et l’on en sait qui parlent d’esprits souterrains et de com­ II munions profondes.

LI. Sur le néant. A. Le néant délimite le possible au travers du possible et nulle n identité ne s’échafaude impunément à son défaut, il est ce terme de rupture où chaque liaison travaille à se gagner sur qui l’entrave en la rangeant à l’indivis. Ma latitude est mon agencement en l’ap­ II n n H pareil recommencé de ma limite et je suis libre aux lieux qui me sé­ n H ’assiège et me parent d’avec l’indivis, lequel m pénètre à la faveur de ma ruine.

B. L’entendement n n’accède à la réalité que s’il la nie et s’en dégage, n n afin de s’établir en le milieu de permanence et de l’ouvrir au monde. n Il crée l’absolu, s’il peuple l’infondé de ses limites, mais l’absolu n n’est tel qu’en face de l’entendement et ne peut l’être quant à soi. n Nier le monde est la mesure transitoire à l’aide de laquelle il est loisible de le définir.

C. Il est trop simple d’être ou de ne l’être pas et notre choix ne n représente que nos fins, lui qui démêle nos confusions dont il prévient n l’accroissement, nous réduisant à l’indigence méthodique, puis l’être n

217

Il qu’il affirme est le déni de l’être et le néant une présence mal couverte. n Être et néant me n semblent des chimères, mais l’homme sa réalité par excellence. >

n Que l’existence est une forme du réel, où le réel en connaît d’innombrables — passant de l’une à l’autre à la faveur de n l’épisode et les liguant en une dépendance mutuelle —. Que l’exis­ n tence est une constellation de modes et de faits mis en présence n n et tenus de servir à l’établissement des fins dont l’homme se dérive, h mais qu’elle n’a puissance de régir un monde qui l’efface ou la res­ n taure, un monde qu’elle juge et ne pénètre qu’à demi, pour en induire n toutes les enseignes. L’infirmité de l’homme est qu’il lui sied de vivre et que le reste est en la dépendance : il doit se mettre sur le « quant à moi », s’il n’y veut laisser la machine ou débiter des riens n sonores, le « quant à moi » lui bouche l’étendue et, dès qu’il s’ingénie, n du genre tout entier et lui reproche de trahir on le reprend au nom n ii l’espèce au profit d’une science inhumaine — alors que la suprême dignité nous fait commandement de la trahir parfois à bonne inten­ tion et qu’il n’est ici-bas de félonie plus ancienne et dont on ait moins à rougir !

LU. De l’existence en tant que préalable

n LUI, Aphorismes touchant l’existence

A. Oui, l’existence est un prodige et le plus éloquent, nous so: iiiii .es tout par elle et lui devons jusqu’à la latitude de nous en passer, elle soutient le poids des argu: n ents et l’édifice de nos syllogismes, nous nous faisons un jeu de la réduire à la chimère la plus creuse et ce fantôme ne se venge pas, il n’omet rien de ce qui nous appuie et nous en prenons à notre aise, il est la dupe de nos rêveries et nous entraîne dans leurs cours.

B. On dirait — à voir l’existence — que jamais elle n’entre dans ses droits, sauf à les perdre et que sa force convaincante usurpe notre assenti n ent à l’heure qu’elle n’agit plus et le rend virtuel, mais la n n philosophie a des ressources moins précaires : on n’argumente que sur l’éternel et ne raisonne pas à l’aide de faux absolus, ni moyen n ­ n nant les sujets clos se voulant incommunicables et l’on travaille à s’éclaircir des généralités les plus enveloppantes. Le demeurant n nous fournit le prétexte, domaine de l’illi ii ité. 218

H C. Que l’existence est le support, le support absolu, mais tempoil rellement précaire, un tout inabordable de simplesse et néanmoins II intelligible en la confusion, un homogène inconsistant à l’appui de sa thèse et sans quoi le réel n’est rien, une ouverture sur la nuit qu’elle dissipe et sur l’abîme qu’elle scelle, un complément d’infi­ IT nitude enveloppant son être et ses limites, un monde It à sa manière, II il ajustement irréversible et de suprême singularité — malgré ses variations inépuisables —, fidèle au sens qu’elle se donne et non pas il If aux moyens mis en usage, d’où leur rébellion, quand ces moyens la pèsent à leur tour et qu’ils la jugent du plus haut d’un refus im tt ­ puissant, mais d’un refus délibéré. Tel est le sort de l’homme et, ù IT s’il en marque de l’humeur, c’est que le sort est manifestement in­ digne au prix de ce dont l’homme est susceptible et beaucoup eussent tt II II mérité de ne jamais mourir. Bon nombre de spirituels improuvent l’existence, par où nous sommes et nous cessons d’être.

il D. Que l’existence est le sensible rendu manifeste en forme et mou­ vement, puis l’homogène cohérent en son autonomie et le possible revêtu de l’éclat le fixant dans la nécessité. Qu’elle est avènement ii H à l’univers, avènement sans préambule et fin sans corollaire ou mieux surgissement inopiné devant persévérer en ce qu’il nous annonce n et nous glisser des mains à l’impourvu. C’est l’équilibre le plus ti singulier, que tout menace et rien ne désassemble, un composé de I 11 II ouvements 11 enchevêtrés tendant vers une même fin présente en IIIII l’origine et qui se surajoute incessamment à l’acquis préalable, 11 dont le mobile est le désir, mais le désir de persister au travers de ses variations sans nombre, de les envisager ensemble et sous le II ême It jour, les passant en revue et les articulant à dessein de les déférer à nous, qui sommes les sujets de l’existence et par lesquels H la vie adhère à ses limites.

E. L’homme est le seul à penser qu’il existe, étant le seul à disposer d’une mémoire II enveloppante allant aux conclusions les plus étendues, seul à s’identifier au non-être et seul à préluder à son achèvement et H voire à son absence, seul à ne pas vouloir subir la loi commune et II c’est la marque II de sa précellence : il se rebelle face à l’implacable et se confirme en la sédition, il ajoute au réel, il prend la liberté de réfuter ses dépositions et de rabattre ses instances, il édifie un monde à sa mesure, en bannit l’existence, désespérant de la qualifier et II ne pouvant en rendre une raison valide, mais elle l’accompagne inséparablement, II il dépend d’elle et dans le temps qu’il s’y refuse, elle est prétexte à lui qui désespère d’elle et ne l’arrête pas sur les IT à l’annuler. Or, l’homme lui doit trop pour réflexions qu’il forme 219

qu’il ne s’en indigne pas, elle ne peut qu’elle ne soit le plus intolé­ H rable des scandales, l’absurde enfin, l’absurde aveuglement subi dès l’heure qu’on ne le traverse pas. n Qui me dira quel je puis être ? En n dois-je croire ceux qui me rapportent ri n aux semblances fugitives ? Ne suis-je que l’enlacement d’images ri infidèles, en motion perpétuelle, refus immémorant de ses refus et n n corollaire toujours en balance ? On me remontre que mes vœux n n sont des chimères, que mon entendement s’abuse à professer l’aplomb n n de mes échelles, que véritablement je ne suis rien, mais le faisceau n n ii de mes agissements, une moyenne provisoire et que la mort va n scellant à défaut, mais toujours en définitive ? Est-il prouvé que l’homme ne s’atteint qu’à charge de ne plus y tendre et qu’il n’est n n n pleinement soi-même qu’en cessant de l’être ?

LIV. De ce qu’est l’homme

n En l’éblouissement où son émoi n le jette, un homme se découvre n n à la lumière qui le désassemble et le désordre mis dans les puissances n n les révèle à tout le moins d’une manière insoupçonnée. Chacun de nous renferme des pays dont il est difficile qu’on revienne tel qu’on les aborde et qu’on souhaiterait n’avoir pas à connaître et qui sont, n néanmoins, de connaissance : il ne suffit pas qu’on l’ignore et notre n n n n aveuglement n’y modifie rien, mais il vaut mieux qu’on n’y languisse point. Quoi de plus redoutable que ces navigations, où l’on se porte aux lieux de sa fatalité ?

LV. Le péril de la découverte

LVI. Le sommeil des dilemmes

n iiiii iiiii A mettre les dilemmes en sommeil, on ne parvient d’aucune sorte à pallier leur virulence, ils s’enchevêtrent au dedans de nous et gagnent sur nos volontés ce qu’ils paraissent perdre en éloquence, ils ali­ ii ii mentent nos frayeurs et nous leur devons nos alarmes, nous nous n les célons à miracle et cependant ils ne reposent guère, nous avons beau les ignorer qu’ils ne se lassent de nous investir et beau les éluder n qu’ils ne nous manquent point et nous atteignent infailliblement n ri au défaut de l’armure.

n n On ne commence jamais d’être où l’on achève par n le devenir et cet achèvement semble une faveur H II incroyable. Nous tendons vers nous-mêmes et plus que nous n’en H procédons, mais il est exigible d’y toucher avant que de s’atteindre,

LVII. Méduse

220

Il il n’y faut pas rester sous peine d’en mourir, nous n’avons que le droit de nous surprendre et non la faveur de nous posséder. Un homme se connaît à force de ne pas se voir, où nos désirs s’éloignent de la source à n’envisager qu’elle et notre entendement II s’hébète fasciné. Puis chacun d’entre nous est sa Méduse.

If Le moi de l’homme suit d’une séquence de rap­ fl ports et d’une lutte de linéaments dans l’harmonie où les puissances jouent et les formules se recoupent, d’une mémoire it ri infuse et mitoyenne également distribuée et débordant les lieux n n de sa tutelle, enfin d’un mouvement d’ambivalence où l’unité se double pour s’atteindre —^en connaissant l’objet de sa démarche il — et se réduit à l’effet de s’épanouir. Que l’un des fondements s’a­ fl n broge et l’édifice tombe en son entier et sans remède, où les puissances II n n’auront plus d’usage ni la mémoire de mobile. Le moi u semble une traînée en surface, une série de merveilles et de fulgurations au-dessus de l’abîme aveugle et dont il évalue le prétexte.

LVIII. Du moi

riTii Que l’homme se délègue à la semblance, qu’il est en elle, qu’il y réside même en son u au dedans de ce lieu bien plus que cet em rt ­ entier et qu’il renferme u placement n’a la vertu d’enceindre, de mode qu’il est juste de les iiiii rapporter et faux de les unir. L’homme est à l’apparence et la dé­ borde en ses replis couverts, involué pour ainsi dire, et l’apparence n ne le suit que d’aventure ou d’intervalle, elle se moule sur la conte­ nance et parvient à s’insinuer dans les fissures dont elle explore les n recez, mais il est toujours libre de la décevoir et de la taxer de mensonge. De vrai, nous pouvons être ce que nous semblons et nous IT le sommes d’ordinaire, à moins de nous tenir à l’opposé — lequel est rr H une preuve négative —, mais la semblance est loin d’épuiser nos ri profusions et je l’appelle une moyenne provisoire, une solution tou­ n n jours remise, un change ouvert aux cent possibles qui le modifient, IT une manière d’édifice où l’on ajoute et démolit, qui pousse et prend II figure et qui se doit parachever dès le moment de notre mort, sauf à crouler à la dernière instance.

LIX. De l’apparence

ii h Si l’homme n’était uniment qu’à la semn blance et qu’il s’y renfermât sans dis­ n continuer, il ne serait jamais à tout ce qu’il peut être et ne se ferait jour, il n’aurait plus sujet d’attendre que la mort ou de la prévenir,

LX. Acte et puissance

221

il se retrancherait jusques à l’ombre du possible, en ne laissant d’en H demeurer l’esclave au souverain degré. Or, l’homme, dans le sein II de l’unité la plus enveloppante et la plus déliée, est la moyenne suc­ n II cessive de l’ensemble et dont l’amas, de remise en délais, va prenant n contenance ; il ouvre l’intervalle entre l’ajustement parachevé — dans l’instant qu’il discerne l’équivoque — et la promesse d’une fin nouvelle, il se délègue à sa démarche et flotte suspendu pour se II figer en un domaine n de rencontre et qu’il lui faut aménager sans faire trêve, mais il n’y devra subsister aux dépens de l’atteinte ni vivre n ii prémuni, le sujet de l’incertitude, l’émule de son lendemain et le n n héros en permanence.

LXI. Aphorismes sur l’homme A. Que l’homme n est à la fois enchaînement de situations et la n moyenne provisoire de leur masse, un tout en l’indivis d’ensembles n n n autonomes, n tout qui se juge à rouler sur un intervalle à mi-chemin n iiiir de la commotion et du revirement d’alerte. n n n B. Il subit la séquence, il en est même fait, alignement d’états n qui se relayent, que dis-je, multitude et moins d’états que de per­ sonnes, mais s’il l’éprouve, il la surmonte à la ranger le long de la IT réminiscence H et la domine enfin, dès le moment qu’il s’y rapporte II — à charge de se situer en un emplacement où nous ne manquerons de le trouver.

C. Ce lieu de résidence, il nous le faut choisir et fût-ce au détri­ ii n ment de nos franchises, lieu d’embarras et lieu d’atteinte où nous ne sommes nous que pour le ressentir avec alarme et les sujets de H rigueurs implacables ; lieu de tourment et lieu d’impasse où l’âme II H se doit confiner en un dénudement suprême, et qui ne part d’ailleurs ne saurait aboutir. D. Or, l’exercice dont il est traité — nous voulons dire ce qui n fait l’âme une et la rassemble toute au lieu de son élection —, la discipline de l’esseulement qui lui prépare les voies générales, l’art H II d’être à ce qu’on est présentement et dans la suite, oui, cet amas de II cohérence impartageable relève d’un domaine en marge des philo­ ÏT il sophies, en marge ou mieux : au-dessus d’elles, domaine que leurs H spéculations ignorent volontiers, mais qui préside occultement, nous ri semble-t-il, aux entretiens qui règlent leurs démarches ; d’où la H n valeur d’une mystique à quoi nous demandons une méthode univer-

222

selle et personnelle, non pour nous imposer un adorant silence et moins ii il encore aux fins de résigner le monde, qu’en vue de nous ajuster à nos II dilemmes, de revenir à la surface et de nous engager dans le sensible.

Que notre chair suscite l’âme II et l’âme II la diversifie en ses retournements sur n II' elle, mais notre chair n’a rien d’une prison où l’âme languirait à iiiii son dommage et que serait-ce d’elle au défaut de l’appui qui l’ali­ n II mente, des bornes endiguant son étendue illimitée et du balancement H dont les échanges temporels défendent son éternité renouvelable d’heure en heure ? Loin de sembler une dépouille, un corps est pan­ II II théon et le reflet de l’indivis, 1un monde en mouvement à mi-chemin — II du cosme qu’il renferme tt de tout l’univers l’enveloppant, une n moyenne et la mesure la plus générale à quoi le reste se doit ramener. n de ce corps, le module apparent et la profonde économie n La forme n exercent l’âme et modifient ses puissances, le naturel l’engage et, lui traçant des voies que nous ne laissons de garder, ne l’ôte point de son alternative — où nous ne pouvons que le suivre ou nous mou­ II voir à contre-sens, mais jamais au dehors de ce qui nous affecte —. n Si l’homme est fibre, il ne l’est pas absolument et ne saurait le devenir iii II à simple vue et, quand il se gouverne au mieux, il ne se tire pas d’une sujétion, à faute de laquelle il cesserait de vivre. Nous nous affran­ II chissons de notre dépendance au moyen de la servitude imaginaire, II mais nous ne sortons point de là, même à vouloir ce que Dieu veut, toujours liés à nos ressources de nature et les sujets d’impulsions que nous ne parvenons à rendre, dilemmes résolus dès avant l’heure n qu’ils s’éprouvent, commencements déduits de mille et mille fins n qui les annoncent, somme de générations et que l’événement efface II imprévisible, IT chef-d’œuvre à la merci d’une vapeur ou d’une goutte et jugement de l’univers entier qu’une parcelle infime a privilège de dissoudre. Nous sommes tout par l’âme et rien par cette chair, II mais ce tout-là n’est rien, quand ce néant ne la supporte et, si le II n n corps ne rampe, le moyen que cette âme vole ? — Pour ce motif, point d’immortalité réelle où notre chair ne ressuscite pas et qui prononcerait, quand nous devons le croire et n’avons guère la res­ source d’en juger 9 LXII. L’homme charnel

H LXIII. Du fonds de l’homme

II — et depuis l’origine — A. L’on voudrait qu’en chaque homme il subsistât un fonds sur quoi le reste vient à s’appuyer et roule le plus librement ; on le voudrait et n’oserait se le promettre, on souffre II

223

Il volontiers une dispute, afin que le débat ne se referme plus ; on le voudrait pour l’honneur de l’espèce et dans l’espoir d’une franchise II universelle, où les entraves tomberaient avec les murs ; on le vou­ il drait et n’a cessé d’y croire, mais l’espérance en est jusqu’à nos jours la seule preuve ou la promesse.

B. Or, [l’homme lllll s’échafaude en partant de ses fins, lesquelles II sont une défense et se rattachent à son attitude, de mode que ses fondements résident à la fois où nous les discernons et dans ce qui n n l’oppose à l’univers : ses fondements le portent et l’écrasent, il leur fournit une manière n de soutien ^passible et douloureux, en ne laissant II II de prendre appui sur cela même qu’il étaye. Que l’homme est son n recoupement, ir issu de la membrane et montant de ses profondeurs, le double flux à l’abord déférent et de qui l’incidence est toujours n n mu en épreuve et varie immanquablement et sans remise. n C. C’est un mirage n et le plus assidu que le fin fonds de l’homme et l’œuvre de nos préjugés plus que la déposition de l’évidence, étrange fonds que l’on ne trouve nulle part, en dépit de l’acharne­ ment, n et qu’on ne fixe point si l’on n’y donne, présent à nous si n nous n’y sommes pas et quelquefois au-dessus de nos têtes, sujet aux variations les moins habituelles et les plus fréquentes.

n n D. Le mieux nous semble de le chercher en l’inattendu, de le laisser venir à nous ou bien de l’arrêter au piège, enfin de multiplier iî les moyens, les voies et les biais, poussant de divers côtés à la fois, II en ménageant des vides captieux et des retraites ambiguës, nous II armant d’innocence volontaire et d’artifices très coupables, jouant II II de toutes les ressources et même de leur démenti.

E. Par là, d’aucuns arrivent d’aventure à des impressions in­ II II consistantes, mais dont le branle fugitif fait la lumière sur le reste, II impressions dont c’est la marque de nous interdire et d’autant plus réelles qu’elles nous glacent davantage. L’horreur est un bon signe en l’occurence et vaut, pour l’ordinaire, preuve ou c’en est le commen­ II n n cement indubitable. Dès le moment que l’épouvante se dissipe, l’objet s’évanouit et nous ne sommes plus qu’avec nous-mêmes dans un monde familier, le fonds ayant changé de situation. n F. Le goût prévient l’entendement et fait qu’il donne dans ses n n vues. En règle générale, une manière d’être émane de multiples n sources, de mode que la plus naïve est concertée et qu’il n’est rien n que la recherche ne fragmente. En l’homme, il n’est de pureté pre-

224

H mière et l’on ne sait au juste où le fixer d’abord, et plus l’on s’ingénie à le creuser et moins on le pénètre ; au fin de sa retraite, on sonde Ii et n’aboutit jamais : des profondeurs nous mènent H à la fois et devers d’autres et devers le jour, dont elles semblent le miroir, il de sorte il qu’il faut monter et descendre pour s’en éclaircir, où la surface joue dans les fonds. L’on pensait agir avec certitude et libre inviolableH ment, on s’obligeait à ce qui nous délie et s’employait à se contraindre H II II H on heurtait même ses goûts les plus chers et jamais l’on ne fut mieux leur esclave. Oeuvrer à contre-fin de nos ressentiments II implique des tutelles réversibles.

II G. Un homme n’est pas seulement « en tant que tel », mais II « à partir de ce qu’il représenté » et l’un agit sur l’autre en une con­ n fidence mutuelle. Nous sommes l’accommodement de deux mesures n autonomes, l’une étant préalable — encore qu’on ne l’évalue qu’en dérivant de la seconde — : il est donc exigible qu’on s’y rende et II ne s’adresse pas à l’antérieur, les mains vides. Nul d’entre nous n’aborde l’existence et ne revient à l’« à partir de ce qu’il repré­ sente », au défaut de l’« en tant que tel » et nul n’est dans le cas n II' de mesurer ce qu’il dénombre, s’il ne se prémunit d’un répertoire de n symboles ou de signes.

I LXIV. Liberté de l’homme

II Nous sentons que nous sommes libres, dès le moment que l’épouvante nous II II II assiège et la menace d’un péril douteux, mais gagnant sans miséri ­ corde, nous restitue à la franchise et nous confine dans le choix ; II II nous devenons un milieu de possibles, nous disposons de nos moda ­ lités et l’avenir prend contenance en suivant nos décrets, les lieux II réclament un statut d’urgence et la nature s’offre à nos élections, II II II II nous sommes maîtres, malgré nous, astreints à la tutelle et mis en II l’obligation de dominer un petit univers qui pend à nous prodi­ H gieusement multiple et dont les bornes indécises font mine de nous assaillir ou se reculent jusqu’à l’infini. Nous voilà dans le train de II démêler une confusion inépuisable, de tailler, de rogner et d’établir une assurance à quoi nous servons de platée et qui nous porte néan­ moins, nous voilà devenus l’appui de notre certitude et nous voilà II ses redevables, nous voilà libres non de l’être, mais pour solliciter II une raison de mieux nous bouter dans les chaînes — la liberté n’étant que l’intervalle entre une servitude qui s’achève et le dessein d’en II II épouser une nouvelle ! —. Que la menace du péril douteux s’affirme en acquérant un plus de consistance et nous instruise d’un seul coup — et fût-ce au prix de notre perte — nous ne laissons d’en éprouver

15

225

II II II une manière de soulagement, nous mourons même rassurés, tout «I II au bonheur de nous sentir inermes et, s’il est d’autres à périr égale­ II ment, n nous nous jugeons innocentés, voire martyrs. Le danger nous II dictant le choix, il nous suffit de nous y confirmer en suivant les modèles n entendus et nous savons des cas à la douzaine, dont le par­ tage est de nous dispenser d’aller jusques au bout du nôtre. Pour abréger, nous recevons quelque teinture d’une liberté qui se dérobe, ion n à la faveur du choix et de ses épouvantements, comme à l’aveugle et de nécessité ; nous y goûtons à peine et n’avons pas loisir d’en savourer l’étude, où nous ne vivons qu’aux solutions à prendre. n C’est une façon de passage/ un entre-deux d’une amertume non n II pareille où nous nous mouvons en substance, un patrimoine imagi ­ II naire, une aventure et la menace du naufrage à quoi la condition nous destine. Alors nos yeux se sont ouverts et les ténèbres se dis­ sipent, mais un vertige nous égare et s’arme, où la lucidité le secon­ dant lui fournit le prétexte et l’entretient de ses ferveurs.

LXV. La volonté de mort

II II Quand même tout serait déterminé, nous n’aurons pas à recevoir un sen­ n n timent qui nous ravale en nous faisant commandement de céder à l’instance. Il ne suffit pas de se référer aux lois d’un monde que nous annulons en mourant à ce monde et l’on ne m’ôte guère la n suprême liberté, laquelle est de m’ôter la vie. Nul n’entreprend sur une volonté de mort, nul n’a raison de qui s’abdique, afin de périr en entier et nul n’a moyen de soustraire l’homme à ce dont il s’est retranché.

n n LXVL Aphorismes sur l’âme

n A. Que l’homme vit à la condition de mille fois périr, où l’exis­ n tence est un enchaînement de diligences provisoires, mais u dont la moindre a part à sa fortune et se fait absolue, à l’instant qu’il y n n doit répondre — enchaînement qui semble étranger à ses fins et n qui les remanie d’une haleine, à force d’ajouter ou d’en rabattre —, n de mode que l’humain est une suite de raccords ou de personnes, II entreprenant les unes sur les autres dans la limite des réminiscences. n fil I f II La liaison qui les rapproche se nomme l’âme et nous pouvons la définir comme une instance d’absolus renouvelés et s’imprimant i« If Il 11 II en la mémoire, que la mémoire porte ou qu’elle a moyen n d’abolir.

II e est une impuissance inégalée, à la merci d’une vétille II et le jouet de la rencontre, et c’est la marque des achèvements n

n

226

Il If suprêmes, un entre-deux fermé, le tout béant et d’ordinaire plus qu’elle ne semble et moins qu’elle ne vaut, le rudiment II de l’unanime II et l’épisode en l’infini.

il C. Ilest une innocence plus terrible que la mort et c’est de vivre n absous en dépit de soi-même et l’oublieux de ses engagements n de u n ii la meilleure foi du monde. Point d’excellence, à faute de mémoire intérieure et du reflux perpétuel des états ressentis ou des puissances iiiii déployées, et nulle certitude, où l’homme ne revient inaltérablement n sur ce qu’il n’était plus. Qui me répond de l’insaisi se mouvant dans H la fuite et de ce mort qui semble refluer à l’apparence d’une vie et n n n se consume à naître au jour le jour ? Qui me répond de l’âme sus­ pendue où les puissances flbttent, de l’infidèle et tant de fois nais­ ii sante, jamais renée et jamais seule en n’étant de personne ? dont le salut réside en l’absolue obéissance et l’abandon total à qui la mène ?

n D. Mon âme est le surcroît de solitude où je me sens de trop, n ’y perds et tellement H II si vaste en profondeur que je m sublime en la n ’y saurais atteindre et me déborde au plus fine pointe que je ne m If ’y toucher. Je l’environne, encore qu’elle m’enveloppe, lieu de m ii II et la possède aux mêmes lieux qu’elle me fuit, nous sommes notre II n abornement et la percée mutuelle, un jeu de feintes et de mines, n n de nul usage et d’emplois innombrables.

n E. Une âme vile se connaît au besoin qu’elle éprouve qu’on l’as­ treigne, où chaque latitude la déprave ; à la nécessité de ne subir que l’ordonnance la plus simple, où la finesse l’étourdit ; au pen­ chant à tout voir en dehors d’elle, au heu que de s’y rendre ; à l’i: n possible et d’être et de se renoncer, n’étant qu’à la semblance et n n ne roulant qu’à la périphérie, de l’impuissance à la malice et le jouet de ses retournements, quand elle ne se fixe chevillée à l’arbi­ traire et le tenant de ses lubies. C’est une charité que de la prévenir, c’est une vigilance que de l’obérer, c’est un devoir que de l’enceindre et c’est une obligation que d’en répondre et devant elle tout comme devant nous !

L’aveugle: n ent spirituel n’est pas de croire ou de s’y refuser, il enn n veloppe moins et davantage, il me paraît une inclination formelle et la plus fermement assise, et l’attitude où l’homme se complaît : n il participe du murmure de nos sens et de la voix de nos parties ; LXVII. Aveugle n eut spirituel

227

il donne sûreté, laquelle est une source de plaisirs, et nous confère H les moyens de ne nous jamais éclaircir de qui nous départage ; il II touche un semblant d’harmonie entre nos volontés profondes et ii mu les fins immédiates ; il établit le succès de nos voies sans demander n notre suffrage et nous laisse en dehors de nous le plus délicieusement. mu Et, toutefois, nous sommes prévenus avec empire où nous ne dis­ n posons de nous avec une rigueur extrême, et moins nous vivons n établis en le milieu de nos abornements et plus nos douleurs s’en­ h n ii veniment et se multiplient sans trêve ni portée, où leur malice ne n n nous tire jamais de la nôtre et leur augment ne remédie plus à l’in­ digence. n Mes vœux ne me protègent point de l’évidence n ii u et mes désirs ne me la dissimulent qu’en raison n n de mon aveuglement, et tout l’aveuglement n du monde ne me sauve plus du moindre filet de lumière, si tant est n n qu’il procède d’une source pure. Or, la mauvaise foi ne s’accommode n pas de l’évidence et s’évertue à la nier, mais elle ne s’avoue point rr n et ne se veut jamais connaître pour cela même qu’elle signifie, d’où ri sa fureur impénétrable et sa fragilité.

LXVIII. Evidence ii et mauvaise foi

Nul ne se pique d’être réaliste en ayant l’évidence contre soi, de mode que les n n tenants les plus fermes de la théorie ne feront point difficulté de n n se muer en chimériques. n LXIX. Réalisme cornu

Seuls les puissants raisonnent juste, ou l’évidence les seconde et l’univers se plie n à leur assentiment, ils peuvent négliger ce qui les avantage, où nul ne les traverse, et faire état des causes les plus éloignées : en leur présence, tous les lieux sont sous le charme u n et tous les âges suspendus, tout les appuie — et malgré leur déta­ n chement — et tous les sert — en dépit de leur indolence —, il leur suffit de prodiguer si peu qu’ils gagnent la plus riche proie à ne céder qu’une parcelle de leur ombre, un mouvement n les porte en n n l’éminence et leur regard mesure l’étendue en liberté plénière. n Seuls les puissants se meuvent au-dessus des voies de l’amour et de la haine ou des attaches altérant l’intelligence du réel, ils peuvent s’accorder des opulences la plus rare et la plus absolue — et celle qui les place en quelque sorte hors du monde, sans qu’il leur soit ri besoin de se parer de vertus singulières —, ils sont à même n d’excéder les sages et les saints, pourvu qu’ils le désirent et, possédant la terre, LXX. Seuls partisans de l’évidence

228

Il ils ne l’endurent point. L’ambition des philosophes les élève de semblable sorte et leur confère les acquêts d’une puissance souve­ raine, à faute d’un pouvoir qu’ils ne sauraient atteindre et, démunis, n on les voit définir lucidement l’effroi de la condition qui les abîme, il n mais cette liberté suprême est un outrage aux yeux du nombre, u lequel demande qu’on réprouve ou qu’on chérisse, et qui la taxe n d’inhumaine. Face à l’adversité, l’on ne pardonne qu’aux ténèbres.

LXXI. Le privilège de prévoir

Que la prévision est l’apanage des heureux. Qui n’entrevoit qu’une série de disgrâces préfère se duper de bonne foi, prenant le change il qu’ilse donne au lieu d’accroître ses ennuis du simple fait de les il instruire. Les malheureux ^sé perdent dans le vague, à dessein de il jouer l’inéluctable et de se cacher à leur nuit, mais ils ne se dérobent n jamais à l’histoire et la subissent, l’histoire les atteint au fond des II solitudes les plus écartées et la rumeur des bataillons en marche, amortissant leur voix, écrase leur silence. Les malheureux le savent et se taisent, ils pensent conjurer les fléaux suspendus en évitant de les nommer et tremblent de hâter l’issue en recourant à la défense il u la plus légitime, où tous les moyens mis en œuvre les déroutent. n Que la prévision est exercice de l’entendement, mais qu’elle n’est d’aucun usage à ceux dont elle assure la ruine, lesquels ne peuvent n que mentir et se payer de mots, en attendant de succomber aveugles, iiiii bétail que l’on assomme et qu’on ne saurait plaindre. n n Le châtiment de ceux qui, vivant de men ­ songe, exercent leur puissance à flotter de gouvernes en gouvernes, est qu’ils ne ir u sont jamais ce qu’ils s’efforcent d’être, pas même leur déni, mais u n un néant qui se rassemble en autant de nuées qu’ils forment de desseins contraires. Quand ils voudraient s’atteindre un jour au n profond de leur âme, ils ne pourraient saisir que l’ombre de leurs n turbulences, des mouvements et point d’issue, où tout n’est que n dérive. Quoi de plus misérable que d’errer et de s’étendre, exempt ii de blâme n ainsi que de louange, en un retournement inassouvi, jeu de n n semblances infidèles et, n’étant rien, d’être à soi-même de rencontre. n LXXII. Du mensonge n à l’abaissement

n Que l’on ne saurait feindre impunément et, qu’à se travestir, il faut que l’on se change. iiiii Quoi de plus dommageable qu’une fuite n où l’on démarque de plein saut les bornes assignées ? L’on gagne, n certes, ce que l’on voudra, mais court le risque de ne plus se retrou-

LXXIII. Les retours de la feinte

229

1

II H ver, perdant le meilleur de la mise au profit d’un loyer, dont il se peut qu’on ne jouisse guère. Le provisoire n’est pas tel où l’on se range à ce qu’il nous propose et l’on a beau le déserter qu’il nous II imprime un dévorant partage, où l’être s’engloutit par l’un ou l’autre bout.

u Il entre dans les sentiments tel ou tel vœu n qui n’entre pas en le dessein de l’homme et n forme un je ne sais quel vague, où chaque n motion se délimite avant que de passer au jour. C’est pour cela qu’il n n est si malaisé d’agir honnêtement en ne laissant d’ourdir une pensée n inavouable, car les puissances les mieux concertées révèlent trop n ii visiblement ce qui les départage. Qui se libère outre mesure parn n devant soi-même et donne le relâche aux pires inclinations, éprouve n n les mécomptes de son imposture et trahit la licence qui l’agite — n ir n à moins qu’il ne s’impose la plus véhémente des contraintes et la n plus infidèle aussi, rigueur dont le redoublement jette l’alarme et fait planer des soupçons toujours renaissants.

LXXIV. Séquelles n du dédoublement

n n LXXV. Limites du mensonge

Je puis tout feindre et sais tout n controuver, et nul ne me résiste, n n hors mon entendement qui ne se veut plier à ce qui le déjoue : il apparaît comme un noyau mobile et l’univers n’est en moyen de l’écraser, pas plus que moi ; il nous échappe et nous anime à le serrer pour nous convaincre de notre impuissance.

Nul ne paraît si vulnérable que l’humain qui se rassemble en l’être n ii u cible et nous le navrons d’as­ qu’il assume : il offre à tous la même surance et, néanmoins, l’on ne parvient à l’achever, il gagne en force et nous nous épuisons à le meurtrir et, mort, nous pressentons qu’il nous échappe, où vivant il ne cesse de braver. LXXVI. Pureté vulnérable

LXXVIL L’homme de bien

L’homme de bien est présent à soin' II II même, avec soi-même au fond de soi, lui qui ne laisse de s’acheminer devers ce qu’il ne cesse d’être, II en répondant inamoviblement de ce qu’il fut. Il semble un tout n II II majestueux, l’économie la mieux entendue et la plus savamment n distribuée, un circuit de modules et de postulats, un verseau de fa230

veurs, un carrefour d’épreuves et de voies, la trinité dans son achè­ Il II vement. Il se connaît, dès le moment qu’il s’évalue en la rupture II et, désuni d’avec soi-même, est à la fois l’objet de son intelligence n et l’œil se portant sur le moyen mis en branle et, quand l’ajustement II ii est réversible, il aboutit à former un esprit volant de l’un à l’autre iiiii et l’homogène de leur immanence, un nœud de force et de cohésion n ii II profonde ou le discernement de mutuel amour. L’homme est alors ii d’emblée au centre et sur les mêmes bords et jusque dans les inter­ n valles, il emplit son domaine, il en parcourt les étendues ; il pèse avant d’agir et ne balance pas à s’avouer, il est à tout ce qu’il assume, iî n il en répond, il aime à se choisir, il en appuie la visée, il vient à bout de ses débats, il se fait pièce et brûle ses vaisseaux, peur de se rendre à l’évidence au heu de se changer à ce que l’évidence ne doit rompre !

Tout homme a l’obligation d’être à soiu même ce qu’il est. De là procèdent les vertus ii ii et les prééminences, mais nous n’aboutissons n H à nous que par le truchement de qui nous en sépare et, de la mise n en branle au porche triomphal, on est tenu de se jouer et de se perdre. II ­ De nous à nous s’étendent l’univers et ses prestiges, les aïeux innom II brables, l’empire des symboles et la tutelle de nos peurs, un monde souverain qu’il nous faut défier, si nous ne voulons qu’il nous en­ II gloutisse, élucider ou souffrir qu’il nous déconcerte, évaluer ou mé ­ n n riter qu’il nous élude et définir ou n’être qu’à soi-même de rencontre. IIIII Si l’homme est devenu ce qu’il doit être, il s’est gagné sur le possible et les chemins lui semblent entr’ouverts, il est le maître de l’élection ri n n n et ses aplombs sont motivés, ses chutes mêmes légitimes, ce qu’il n aborde impérieux et ce qu’il abandonne inéluctable : il est un giron de nécessités, il en possède la rigueur fatale, il n’y a rien de trop en sa personne, où tout n’est qu’à la plénitude. LXXVIII. La quête de grandeur

LXXIX. L’un et les autres

n II nous sied d’imposer au monde n n une apparence de nous-mêmes faite à l’image ri du meilleur ii et non pas de souffrir qu’il nous affecte, à moins qu’il ne s’en forge de plus relevée et qu’on le puisse satisfaire sur l’article. En règle générale, il faut qu’autrui ne nous évince ni n et que nos sentiments dérivent de nos postulats. Le monde me verra tel que je suis et tel que je veux être ; ailleurs, je ne suis n moi qu’autant qu’il me résigne.

231

LXXX. Trop de finesse

ir C’est une erreur de présumer à tous les coups de la finesse du contraire, allant iiiii d’emblée au tortueux et jugeant l’homme à l’égal des natures les n ni n plus composées. A raffiner trop ardemment sur le subtil, à creuser une intention bien au delà de ce que l’on intente, on passe les buts assignés et n’aboutit qu’à rouler sur un faux principe, encore qu’on se flatte de tout déceler, la vanité nous restant pour les gages.

h 11 LXXXI. De l’ascétisme en tant que fondement de la pensée pure.

n A. Que l’ascétisme est un moyen et vaut par ce qu’il nous procure. Je le dénomme n discipline et la plus salutaire, et j’y discerne le canal n n' de m n ’y gagner, mais voyant au delà de mille lieues. Je le préfère à nombre n de plaisirs faciles, dont la tutelle me dévore et m’ôte ii jusqu’au souvenir de ma personne, et le délaisse volontiers pour ii n d’autres, éminents, qui la grandissent à mes yeux et l’enflent de iiiii n n leur magnanimité. Le but de l’immolation n’est pas si relevé que les puissances qu’il nature et qu’il importe de sauver à temps, si l’on ne craint de se vouer au pur silence, lequel illustre une félicité nous n n rendant infidèles à la terre. L’état de ma personne exige de ma part moins de folie sainte et plus d’habileté, moins d’assurance et plus de quêtes, moins de bonheur et plus de consistance, afin que mon n n n entendement ne se relâche pas et que ma dignité demeure en son n entier, ce qui ne veut pas dire qu’elle me possède.

n B. Tout homme se dénombre en l’indivis et ne se multiplie qu’au ii ii travers de l’unité qui le résume. L’on ne commence jamais à partir n de soi, mais l’on y vient au bout du monde et moyennant sa mort, et n ne possède pleinement que ce que l’on consent de perdre et n’en n ’assigner une limite, ni n défend pas moins. Pour m on m’a vu suivre les n n détours qui me conduisent devers moi par le canal de toutes les traverses.

n n n C. Pour devenir mon aboutissement, il me faut partir de moin n même et mon principe est cette fin devers laquelle l’homme tend n pour s’y atteindre et sans laquelle l’on n’aborde que semblances.

D. Le chaos est le tout-possible et l’on ne vit qu’à charge de s’y dérober, où ses profusions ne servent qu’à mourir de mille n modes. n n n n La solitude est mon commencement ; elle ne vaut qu’en la mesure n n où nous la surmontons, mais il est nécessaire qu’on l’épuise. Je suis parfois de trop en ne voulant rien être et dois m n ’anéantir en quelque

232

H sorte malgré moi, peur de la jouissance et d’une servitude doublement H honteuse.

H E. On détermine l’univers en partant de soi-même II et l’on y vient au jour qu’on le renonce. Qui souffre l’univers en tant que U tel, s’en fait l’objet, mais qui l’annule se libère et l’établit. Il semble que ce monde veuille qu’on le violente et nous départe sa richesse II •I à la mesure du mépris.

n' II II F. Ce qui mesure est la mesure de soi-même II au travers de l’objet n II II qu’il détermine et du mouvant qu’il évalue. Ce qui s’affirme en ses n II n dénis s’affirme doublement : nous sommes composés de nos refus et de nos violences, et tout ce qu’on adopte nous désole.

h G. Il faut mourir à tout, afin que toute chose meure en nous et n H que de cette fin du monde émane l’absolu qui le mesure le justifiant, le monde n’étant rien par devers soi.

H. Il est requis de sentir l’ineffable en chaque lieu du monde n n et de le ressentir comme venant de nous. Alors tout semble nous n parler et la menace est morte avec la peur qui la motive. LXXXII. Profession de foi

Mon ouverture est mon assise et il if mes limites sont mes voies. J’entre u II n en moi-même où j’ai dessein de me fléchir et j’y demeure, afin de n II m’y gagner sur mes puissances, et triomphant j’opère une sortie n II et range l’univers à ma tutelle, avant que de me replier une seconde n fois, mais riche de profusions et de dépouilles. Je veux que tout en n' ri vienne à se loger en l’arsenal de mes trophées, que tout me serve n ’en divise, et que tout possédant où l’un doit m’affranchir de ce qui m je puisse tout donner !

LXXXIII. Mystique et connaissance. II A. La pureté de l’âme ajoute à la puissance de nos facultés et II n nous dépouille d’un ramas de songeries, dont l’homme a le devoir ri II de se passer et qui l’égarent sur les grands chemins. Que l’âme pure II II n II est la plus fermement assise et vulnérable en même temps qu’armée, n où tout la blesse et tout la doit subir, navrée et menaçante, inas­ II' II n souvie, inépuisable et vierge, et qu’elle s’alimente d’elle-même en prenant fonds sur qui l’en destitue, pareille au dragon chevauchant la nue de l’orage.

233

B. Une âme pure communique ses vertus à l’objet de sa quête n n et de manière à le violenter, le forçant à l’hommage, en sorte qu’il n est toujours neuf et toujours pâtissant. n C. Qu’une âme pure se meut aisément et qu’elle emporte l’har­ n n monie auréolée à l’antipode de ses motions. Elle est toujours en elle n et roule donc sur le milieu qui l’alimente et qu’elle nourrit de sa foi, la rassembleuse de l’abîme et l’ordonnance du chaos, et qu’est l’abîme ou le chaos face à la norme sainte ? et l’infrangible opacité, n quand il suffit d’une lumière pour que tout l’indivis se départage en vertu d’elle ?

Le mysticisme n u est le moyen d’atteindre à la plus fine pointe se connaît pour telle et se différencie en devenant l’objet if ou l’âme n où l’univers semble annulé, la voie de son économie instrumentale, n iiiii n Une âme pure ouverte et 1’ issue homogène à son commencement. n est le soutien de sa démarche et la raison de ses mobiles, le nœud ii iiiii de force immotivée et motivante, un centre en mouvement à quoi tout l’univers s’ordonne et se rapporte, un œil qui vole ruisselant n de la lumière qu’il diffuse.

E. Être d’emblée assure l’homme en une plénitude inépuisable, n aux sources mêmes de ses fins, dans l’origine de ses dignités enra­ n n cinée en l’altitude et débordant jusques à nos limites. Qui ne demeure n en tel emplacement ne se situe nulle part et tous les lieux s’entendent à le rejeter. Triple est le chemin de l’idée et triple son n n n domaine. En le commencement, l’illumina ­ tion et les abîmes d’altitude ; au centre, ir l’univers conceptuel et les abîmes de la profondeur ; au bout, la n somnolence formulaire et les abîmes de surface. En le domaine de n n la somnolence, un homme vit à l’amalgame des véracités ; en l’uni­ vers conceptuel, il définit l’absurde et se rempare de structures solennelles, mais irréversibles ; au règne de prééminence, il change fl de manière et les dilemmes ne l’arrêtent plus. Triple est le chemin II de l’idée et triple son domaine.

LXXXIV. Chemins de l’idéation

L’illumination vient d’ordinaire à qui l’a II suscitée et s’y prépare longuement. Il II faut des passes, des retours et des cheminements, des procédures If innombrables et couvertes, dont nous ne savons pas l’économie et

LXXXV. Illumination

234

qui pénètrent l’embarras de nos litiges. Qu’on se figure un esprit très subtil, dont nous n’avons pas toujours la plénière intelligence n Il n et qui travaille à notre bénéfice, un double merveilleusement armé n ri qui jamais ne repose et met tout en usage pour donner créance à IT IT n l’incroyable même en se le rendant familier, qui sollicite les ténèbres iiiii et les perce, qui violente apparemment à force ouverte et s’insinue avec l’intention de faire brèche. Quoi de plus singulier ? Où dans le ri temps que nous rêvons et sommeillons, un autre veille et s’évertue, un autre dont nous sommes la genèse ou le prétexte, mais dont n l’entendement ne saurait disposer à notre bienséance, un serviteur n dissimulé qui nous seconde où nous l’en dispensons et vient à nous n n manquer, dès le moment qu’on lui fait signe.

LXXXVI. Raisons de vivre

Qui délibère sur les raisons que la vie emporte et cherche un fon­ u n dement à qui se passe de mobiles et de fins, n’entend que la semblance n ­ n et ne démêle qu’intervalle s ou parages. La vie est la séquence immo n n tivée issue d’elle-même et se multipliant en elle pour s’atteindre. n Le but de toute vie me semble la Hesse, laquelle est le retour de l’âme s’inondant et débordée sur elle et l’univers. Ici-bas rien n’approche de ce merveilleux empire en mouvement et dont les marches gagnent sur les étendues qu’elles manifestent, rien ne l’égale et nous le pos­ ni ni sédons et dans la plénitude de l’éclat sans défaillance. Nous sommes les sujets et l’objet de la connaissance et notre connaissance même, passibles et moteurs ; nous sommes plus que nous en n’étant que nous seul et pouvons tout étreindre, où nulle fin ne se dérobe dé­ n sormais.

Que le partage des sciences ne touche II pas à l’être et qu’elles œuvrent moyen ­ II nant des signes, dans le mépris et du pathos et de l’histoire ; leur fait n’est que d’évaluer ce qu’elles dé­ finissent et de réduire le produit de leur dénombrement à des relations de symétrie, coulant le monde en un système de formules réversibles ; elles travaillent donc sur un ensemble de réalités issues n n de la spéculation, humaines quant à leur genèse, mais étrangères n à l’humain par l’ordre et les modalités, économie de moyennes et constellation de probabilités dont la figure générale est à la certitude. ri n Dans un pareil ensemble, un homme se réduit à moins que les ma­ chines qui le servent et dont les facultés subtiles dominent ses pou­ voirs, mais il ne laisse de les régenter en dernière analyse par ce qu’il n LXXXVII. De l’homme et des sciences

235

H a d’imaginaire ou de fantasque, il en dépasse cent et mille à raison II n d’inégalités et de désinvolture, il improvise sur les tourbillons et ii ii renchérit sur le possible, et l’évidence même ne le satisfait plus guère où l’infini seul le contente et qu’il étouffe en l’univers pour avoir décelé ses bornes.

L’esprit surmonte les chaos et les enchaîne If à l’appareil de ses linéaments, il édifie l’uni­ vers, partant de sa rupture d’avec ce qui II fl l’environne et se marie à ses limites pour s’y confirmer ou les dépasse, II mais il n’est point, à leur défaut, n’étant qu’à l’aide d’elles. S’il II les épouse étroitement, il est de fait qu’elles l’étouffent et, nonob­ n n stant, il ne peut s’en déprendre. Il se meut immobile aux lieux où n n ii mouvant il se pose et vire à chaque battement de permanence en H permanence, il brûle ses vaisseaux et reprend toutefois la mer, il n n se démet n et se rengage, il s’évertue et ne doit aboutir, mais chaque II II tentative est un achèvement dont il est maître, s’il ne s’en prévaut. fl Chacun de nous est la platée de ce monde et l’ample reposoir des II bornes et des fastes. La dignité de l’univers réside en la semblance II que l’entendement lui décerna. Le monde s’édifie au jour le jour et se motive incessamment par le canal de l’homme : hors nous, tout l’univers ne paraît que langueur ou que mouvance. LXXXVIII. Genèse du réel humain

LXXXIX. L’Atlante du réel

n Que le possible se démembre au n sein de la nécessité, mais qu’il est if inhérent à l’univers et l’homogène de l’absurde, en même temps IT n que la promesse d’une liberté formelle. Selon l’événement ou le repère, nous jugeons que le monde est une déraison ou la figure n d’un réel qui le dépasse en le légitimant — mais à l’égard des fins —, n et l’on peut dire que les deux manières se trouvent des appuis irré­ II ductibles. Nous recevons l’horreur que la première nous inspire avec II autant d’attachement que l’assurance départie à la faveur de la If seconde, et nous voyons en elles les deux termes opposés entre les­ quels l’esprit n’a cessé de choisir et qu’il épouse tour à tour, les If reculant à la mesure de ses fastes, ouvrant un chasme au fond de If son abîme et s’élevant d’un magnanime essor par delà les suprêmes •I éminences, creusant l’absurde et trempant l’absolu, volant de l’un II à l’autre, plus ferme ou plus désespéré, devant tout surmonter s’il veut que tout ne le surmonte pas, agonisant en l’anabase avec le monde chargeant ses épaules !

236

XC. Aphorismes sur l’espace et le temps. liait il A. Je nomme espace-temps un milieu dans lequel les motions n se changent en mouvances.

n B. Ce qu’on dénomme espace-temps est une généralité que l’on ir discerne en vertu seulement de la matière, mais n hors de là l’on ri aurait peine à se le figurer et la matière la suscite, elle est le milieu n de ses attributs où les ensembles se déploient, diversifiant le réel H que ses modalités entraînent à leur suite et formant u l’univers qu’elle diffuse.

n C. Auparavant la généralité ïi’était pas même concevable et nous H n dirons qu’alors le néant dominait, mais ce néant nous ne pouvons H l’imaginer, le vide le plus absolu ne nous le rendant guère et moins encore la compacité totale : un mot nous le désigne et dans ce mot nous décelons bien davantage.

n D. Nous maintenons que l’univers s’épanche en se fuyant, issu n H d’un indivis dont il assume l’acte et multipliant son milieu, changeant n ce qu’il est permis de nommer l’inétendue à notre espace-temps H n irréversible, d’un mouvement qui ne s’arrête plus et dont les fins épuisent la logique.

n E. Un amoureux du paradoxe assertera que Dieu fit sortir le n il H plérome et ses dilatements de quelque masse fort diminuée et cette II n n masse d’un atome ou mieux : d’une parcelle de néant prodigieuse­ ment infime et d’où Sa main se serait retirée. La conjecture est une H voie à bout de nos cheminements et qui nous rend ce qu’on lui H prête, et l’univers succession de vues ou d’énoncés antinomiques, l’homme ayant la ressource de prétendre à ce qu’il ne doit stipuler et de se tailler un empire où bon lui semble, en allant droit à ce qu’il n II légitime ; il a le privilège de se conformer aux lois qu’il dicte à ses ri n II lumières, son évidence imaginaire est un reflet validement probable n n et son idée du réel une ouverture sur le cosme, un élément de l’absolu, reflet indéniable de l’empreinte.

n n F. L’espace-temps nous semble donc un attribut de la matière n et qu’elle dissémine en prenant sur l’inétendue où le plérome se dilate, il est le siège des relations qu’elle entretient et des modalités qu’elle suscite, il dépend d’elle et le lui rend avec usure, elle en subit les lois et plus elle s’étend plus il s’arroge de puissance, il parvient même n à la chasser, faisant le vide, mais il n’est rien, à faute d’elle

237

et s’en protège, elle lui taille de nouveaux domaines à l’heure qu’il Il la pousse en un déchaînement de fuites, puis elle reviendra sur lui du fond de l’univers, elle déferlera dans une confluence monstrueuse où les demeures II seront abolies, les temps scellés et l’œuvre de création restituée au plus infime et cet infime à Qui l’avait disjoint.

II Qu’il est fort imprudent de louer II uniment la Providence et de se récrier sur les merveilles de cet univers, et qu’on est peu touché de ces raisons dont usent les Apologistes, le désaveu se démontrant n n par une même voie. Que la nature, étant d’abord majestueuse et se voulant perpétuer en l’immanence, n’a rien de prévenant ni de II résolument hostile et que ses grâces feront équilibre avec ses duretés, n qu’elle s’emploie à maintenir qui lui résiste en ruinant qui lâche pied. En elle tout abonde et jusques à l’absurde, en elle il avient que n l’absurde se confirme où l’achevé tombe à néant, et que la déraison n l’emporte en un triomphe monstrueux au préjudice de l’économie, n n en elle il est des marques du divin et des sujets édifiants, mais n que d’horreurs, que d’illogique et que d’exemples dommageables ! A qui sait voir, est-elle pas l’école de nos vices ? en est-il un dont n elle ne fournisse cent modèles éloquents ? Et si nous admirons l’ar­ n n n rangement de tel organe, il en est d’autres dignes de mépris et même n iiiii ii de dérision, où l’homme corrigerait la nature. Voilà des jugements ii injurieux à la puissance du divin et Dieu mis en défaut, mais le moyen qu’on s’en empêche ? et ne l’avons-nous pas devant les yeux avec la dernière évidence ? L’effet de telle impression rend la be­ in n odante aux défenseurs de la finalité, qu’il semble qu’elle sogne incom: arrête à chac ie pas, les obligeant aux cavillations les plus ingénieuses, dont notre Eglise souffre, alors qu’en faisant abandon de ce principe ridicule, la religion gagnerait en élévation ce qu’elle perd en com­ plaisance.

XCI. Providence et nécessité

n Que la nature semble un tout massé dans l’homogène et l’enveloppement de ce qu’elle devance ou parachève, un indivis indiscernable et dont les éléments ni se distribuent en suivant l’ordonnance la plus rigoureuse, une manière n ri de circuit dont les parcours s’enchaînent solidairement et se ré­ n pondent à travers les âges — mais l’homme est avenu pour qu’elle se divise en le dénombrement où ses parcelles se déclarent, il a mi n s le divorce entre la norme et l’harmonie et tout dissocié pour que tout n serve à sa démarche, il en oublie souvent l’ordre préalable et multin

XCII. De la nature

238

plie les allures ou les fins — quand la plénière intelligence de l’en­ Il semble est difficile à maintenir et qu’il lui faut se perdre en la re­ H lllll cherche du détail, s’il le veut surmonter —. L’homme est le diviseur II commun et la raison des phénomènes qu’il invente, et c’est en lui que l’univers se départage, en lui de même II que par lui, pour qu’il II en soit le maître légitime et qu’il retrace les achèvements suprêmes II II dans le canal ouvert à la divine source, liguant l’esprit à son équi­ valence.

XCIII. La connaissance créatrice

L’enseignement que l’univers nous baille où nous l’interrogeons est sis à mi II ­ -chemin entre les vastitudes d’étendue et le domaine du subtil, qui se relient par le truchement d’un équi­ libre perceptible à l’homme et l’homme est dans la disposition de IT l’avérer en lui marquant des lois irréfutables, mais non de motiver II ce qu’il invente. Le monde qui nous livre tout de son mystère il est II néanmoins inconcevable et nous devons répondre et nous fournir II les sûretés qu’il nous demande pour avoir un sens. La tâche de II II l’humain n’est-elle pas de révéler au monde ce qu’il ne cesse de h n paraître et même de signifier, le créant une fois seconde ?

lllll La vérité sommeille au sein de la nature II et l’homme a charge de la forcer à l’aveu. lï Quand l’humain passe, il fait le jour et le plérome se révèle où les H n II confins, mis en lumière, ont émergé de l’indivis et l’ordre se rend II il admirable, où l’univers se complaît en soi-même et l’harmonie II agence les rapports. Avant que l’homme IT fût, les lois du cosme n’avaient point d’objet et point d’intelligence, et ne se rapportaient qu’à leur abouchement, aveugles et fatales, mais il survint et dissipa II le vague, échafaudant l’économie et lui prêtant l’organe de son verbe, IT il heurta le plérome, il le violenta, séditieux, et les éons se déclarèrent, II _________ II in le divin même s’éveilla, se connaissant pour une fois première en l’âme, son miroir, et descendit charnel en devenant sa raison d’être. lllll Car l’homme est l’égal de son Maître, quand il résigne ce qui l’en sépare.

XCIV. La révélation

MH

XCV. L’homme en ce monde

Le monde, le reflet d’entendements II qui s’entrejoignent, se manifeste ii ri pur de tout mélange à qui parvient à mourir à soi-même, et le loyer de la Seconde Nuit semble une image de cet univers en tant que

239

tel, prenant l’allure d’une fantasmagorie, où son étrangeté nouvelle Il est le rapport de l’âme, en solitude inassouvie, à l’objet qu’elle dé­ termine. Pour sonder le réel, il nous importe d’abolir et jusques H II 11 aux puissances de l’entendement, quand elles rattachent à l’impur, et viser à ce qui nous départage d’avec nous. Nous n’atteignons jamais au but de nos desseins en y tendant de vive force et, nous II n voulant délimiter, II ne parvenons qu’à nous mentir. Il y a trop de n ii II toute chose en nous et jamais assez de nous-mêmes : il nous faut cesser d’être à nous d’abord et nous unir à notre absence. Qui ne se fonde quant à soi, ne sait au juste ce qu’il sait et n’aboutit qu’à n d’inlassables recommencements. Nous sommes faits de projets à II n la débandade, à la merci n du premier vent, et de formules de ren­ contre : en quoi je ne vois rien qui nous soit propre et qu’on ne doive démentir à tête reposée. Nul n’est à soi qui ne forcène pour le devenir II IIIII II et qui ne se mutile II inaltérablement. Je dirai volontiers que l’homme est l’œuvre qu’il importe d’arracher à l’indivis des gangues et des II asses.

L’homme est une séquence involontaire n où les démarches se dénombrent, une n armature d’intervalles et de touches dont le module est en balance, n n ajustement inassouvi de l’ordre et débat inlassablement rouvert, n pivot d’incertitude et giron de l’enigme, un biais homogène de sa n n véhémence et le multiple de sa libéralité. Dans ce climat dont il propage l’étendue, il est sa raison d’être en devenir, le moteur et n n la masse et néanmoins une donnée qui s’emporte, jamais sa cause et toujours en la dépendance de ses fins, à la réserve qu’il se gagne n n n sur lui-même et qu’il se fasse d’un tenant l’objet de sa demande. Pour être sa visée et hors de l’ordonnance naturelle, il est requis n u de se charger d’un refus unanime et de s’armer de fables, de morguer l’évidence et de se situer en un délire cohérent, de mettre son appui n dans les antécédents de sa velléité, de la muer à force ouverte en n n un retour inéluctable et de s’y retrancher, pris à sa même fougue n u et le sujet de son emportement. Du coup, nous suscitons un être à part et qui se tient derrière le rideau, voire en dehors de la ii séquence, une figure issue de nos tentatives, une manière de per­ sonne dans le cas de modifier l’origine, ombre autonome et pre­ nant corps jusqu’à se rendre plus réelle que l’agent, possible n ii nanti de rigueur formelle et s’imposant à qui l’a mis en œuvre, u fatalité seconde et désirable, où l’homme est en possession de se n mouler sur une économie au lieu de se régir en partant de la n démesure.

XCVI. Genèse du divin

240

CONCLUSION Hlll L’homme est le véhicule du Suprême Maître et c’est par lui que n Dieu se rend universel et personnel, il semble un truchement des causes et des fins ou l’intervalle entre le chasme i et l’empyrée, n à H n II mi-chemin de l’origine et du dépassement, il est un carrefour et II c’est à lui que toute chose se rapporte, il est une moyenne et la ii H esure de ce monde, un œil délimitant l’espace et le regard lucide à quoi rien ne résiste, une demande if impérieuse à l’œcumène et II son image intelligible et prévenante. Hors l’homme, point de cause II n et nulle mire, et seulement un indivis indiscernable, un tout se répandant et se communiquant à travers l’étendue, une vigueur n H aveugle et la nécessité la moins sujette à la clémence, un enche­ ri II vêtrement de modes et de phases, la mécanique la plus monstrueuse, n II n où tout se parachève en un dilatement et se consomme en l’immobile, h mais l’homme est avenu, traînant les causes après lui, les dévouant n n à leur antécédence et rangeant le théâtre de ses morts au mouvement n de la pensée, et la lumière fut pour une fois seconde où le plérome se délègue à l’œil qui l’évaluant le recrée !

16

241

LIVRE SIXIÈME

DU DÉSIRABLE ET DU SUBLIME

L’homme lllll est achèvement dans le prin­ cipe, en ce qu’il doit à sa lignée, et le n H tombeau vivant des multitudes qu’il résume, une surface de pullu­ n n lement, un épisode à mille vies, un point de mille confluences, mais n tout cela le fonde sans le déployer et ne l’assure qu’à demi, tant de H richesses ne le servent pas d’emblée et baillent mainte fois des gages au néant, et les profusions de sa nature ne le sauvent plus de ce qu’il h n leur imprime. La vie de l’entendement est de surface ou de pourtour ri ii et nous nous mouvons trop visiblement ailleurs pour qu’elle ait n prise en titre ou légitime les arrêts dont nous la rendons responsable. iilii Un homme est l’abrégé de tout le genre et des annales de l’espèce, il les consulte sans le voir et s’y réfère sans l’entendre, et beaucoup virent dans l’impasse. Qui ne fait brèche à ce qui l’enveloppe, à ri H forces réunies, n’est jamais dans le cas d’être à soi-même et demeure H H infailliblement l’objet de son mobile en l’aire de nos attributs, h ­ lieu de passage et de rencontre au carrefour de l’ombre et de l’im h mersion. Quand l’homme, se bornant à végéter, se livre à ses pen­ chants, il ne déplore rien et s’établit en un bonheur solide, à la con­ h dition de n’en démordre pas, mais il naufrage à l’instant qu’il le H pèse ou l’évalue. Cela ne prouve aucunement la vanité de sa béatitude h fi et le mépris que l’on affiche à l’égard de nos voluptés est nécessaire n n au bien du nombre, mais ne repose que sur des ajustements, des n convenances et des partis pris : il est plaisant d’y mêler une loi n H divine. Il faut jouir ou dominer, languir ou se multiplier, se trahir ou se rompre et toujours s’obstiner au dessein que l’on forme, être mu au palud quand on ne vole au-devant de la flamme et donner notre n n n assentiment plénier à ce que nous voulons et même au refus d’entrer en matière.

I. Retour sur l’homme

243

C’est une fable impertinente que celle dp garçon vivant en isolé, Il loin du commerce des humains, parmi les plantes et les bêtes, qui IIIII refait notre histoire et qui retrouve les principes d’une foi dont l’âme la plus noble ne rougit pas de s’avouer. Un homme confiné II dans une solitude et n’ayant pas l’usage de la langue est hors d’état II de parvenir à nos lumières, II fût-il miraculeusement doué. Il irait II II s’épuisant dans les préliminaires, toujours en deçà du commence ­ ment, mis à la gêne et s’obstinant à des projets d’impasse, en II II II un cumul d’erreurs, ,un ramas d’indigences, en visions ne pou­ II II II vant le tirer de son éclipse.* Il ne serait pas même une personne II et je le tiens fort susceptible de s’accommoder aux bêtes de son entourage. II. Unus homo nullus homo

Tant que l’humain u a la ressource d’avoir l’esprit ii malléable, il convient de le lui charger de mille ii rudiments n et de le ployer à divers langages. Qu’importe s’il n’entend ii. le fonds ni la manière ! Il en aura l’occasion, selon l’événement, et ir n ce jour-là que reste-t-il de sa mémoire ? Quoi de plus malheureux n que de languir jusqu’à ce que l’entendement se forme et de s’évertuer après à regagner les mois évanouis ? C’est une déraison que de toujours en appeler à notre intelligence au lieu de la fournir et n n d’éléments n et de lumières, dont nous nous trouvons à merveille en temps utile. III. Parenthèse

n it IV. De l’humanisme

L’accoutumance invétérée épuise le possible iiiii et l’homme se pliant aux voies de sa con­ it dition est perdu sans remède, à l’heure qu’elle éprouve un change n et qu’il n’a moyen de s’y faire. Il ne faut jamais soutenir un per­ ii sonnage unique et nous devons nous préférer à nos démarches, nos n fins n’étant que des manières d’être et des biais qui nous rapprochent n n n de nous-mêmes. Rien n’est si loin de l’homme que l’humain et, ii pour y tendre, on a visé jusques à Dieu, Dieu qui ne semble nullement n de trop en l’intervalle et ne le comble pas toujours. Que l’homme est le prélude ouvert que le divin se cherche pour se désemplir et le ___________________ II ii ornent où l«u’éternel se manifeste et s’intronise d’heure en heure, il IIT le néant même où tout se joue et l’ineffable s’élucide évalué, le n II n littoral à son dilemme et la raison de l’univers. Que l’humanisme ir n est un vain mot, qui ne remonte pas aux sources de l’humain, les­ n n quelles ne sont pas dans l’homme seulement. 244

Il V. Humanité de l’homme

On n’échafaude guère l’homme en partant uniment de la semblance et, II bien qu’elle se communique et se partage à toutes nos allures, un II H homme digne de ce nom mérite de la rompre II et de se dénuder, afin de s’établir au plus intime de la solitude où nos commencements II s’allient à nos fins. Ailleurs, nulle béatitude et nulle magnanimité II II capable de nous satisfaire. Honneur à qui se gagne sur l’aheurtement de ses dilemmes ! Que signifie l’homme à ses regards, s’il n’est que II II l’être qu’il assume ? s’il ne s’en tient qu’à nos dimensions visibles ? n qu’il les érige en l’aboutissement de nos instances ? qu’il veuille n se dresser entre nous-mêmes et nos fins, nous rejetant sur nos limites ? II Il a beau faire, il ne contente son infinité. Nous sommes difficiles, n n si difficiles même que nous aspirons à ce que l’on ne peut atteindre et l’impossible est seul à nous tenter, vu que l’on s’y retrouve de plein saut. Nous portons au plus creux de nous un je ne sais quoi de terrible et qui dévore loyers ou guerdons, une chimère inassouvie II et malgré les profusions, qui nous fera mourir si l’on ne vit pour elle n et nous met en demeure de nous travailler sans trêve à nous con­ fl fondre sans miséricorde.

VI. Débat sur le Qui se dépeint le naturel de nombre d’hommes II mépris de l’homme se demande justement s’il rêve ou s’il ne voit que des figures à ressorts. — II — Il faut beaucoup d’humanité pour se fier à celle de nos proches: II combien n’en faut-il point, afin de toucher à la source la plus écartée II IIIII et dont eux-mêmes n’ont pas sûrement l’intelligence ? Qu’un homme se découvre en ses replis impénétrables et c’est une manière de triomphe : le but de la religion ne vise d’ordinaire qu’à cela. Qu’on y renonce et la plus noble des doctrines se résout en un brouillard. La précellence d’une théorie se rapporte à la façon dont elle me n n n dévoile à mes puissances, le reste n’est qu’amas de pure montre. it iiiii La tentation la plus redoutable est le mépris de l’homme et c’est n de là que suivent les égorgements. — n — Les meurtriers en espérance accordent volontiers qu’ils prisent n l’élévation et lui décernent mille honneurs, mais ils déplorent le n n défaut universel de magnanimité, nous parlant de leurs solitudes n étoilées, de leur démarche nonpareille et de leur quête inégalable : ils se réservent toute la noblesse et nous accordent les broutilles n et, cela fait, se mettent sur les rangs, puis en devoir de nous bouter à la dernière place, afin de se payer de leur grandeur. Nous sommes n fortunés d’y vivre et d’essuyer de tels régents, ils nous résument n n chaque jour le bien fondé de leur mépris en montant sur nos têtes, 245

ils se confirment dans l’erreur par le spectacle de nos abandons. — If II — Les voilà prêts aux forfaitures les plus surhumaines, rien ne II leur coûte désormais n et l’homme ne leur semble qu’un fantôme ou lllll ri quelque vermisseau rampant dans l’immondice. — — De là ces murs bâtis de vivants et de pierres, nos belles tours de crânes entassés avec un ordre digne de louange et d’autres monu­ If ments II encore où le tyran dépasse les fléaux de la nature et prime sur la Providence. — 13 — De telles désolations dérivent d’un faux jugement et qui voit l’homme n d’une balustrade y perd la tête. Que vienne un sage cau­ fi H teleux et lui remontre qu’ils sont légion, qu’il en meurt sans ressource if et qu’il en naît sans trêve, et qu’ils pourraient validement naître ou mourir au nom n de ses prétentions, que c’est leur faire charité n ii que de les mettre en état de servir ou de les employer au dessein n ii le plus éminent, les vouant à la mort pour élever la tombe de leur ii maître et les poussant à se multiplier, afin d’en avoir toujours sous n la main. — n — Le mépris est donc nécessaire et rend nos cruautés sereines, nous prenons l’avantage et parons à l’infirmité qui suivent de l’abus, mu en niant l’homme ou le rendant ignoble, et ce retranchement annule fi les remords. — fl — Fuyez ceux qui vous prêchent le dédain de l’homme ! Ne croyez pas qu’ils aiment la vertu, ceux qui s’emportent, tels des il furieux, contre le monde et sa faiblesse, n’ajoutez foi qu’à ceux mu qui vous reprennent en douceur et n’auront garde de vous immoler it à quelque vaine image qu’ils se font de vous et qu’ils préfèrent au ii modèle supposé. Le monde se réforme pas à pas et qui le violente mu ii le déprave ! J’ai foi dans l’homme, il ne saurait me lasser de luin n même et renverser mon jugement à son égard. N’est le souci qu’il donne aux maux de sa condition présente, il est si plein de l’absolu que l’absolu ne le contente, où rêvant de tout posséder, il est de fait fi que rien ne le possède. L’honneur de l’homme veut qu’il se dévore n insatiable et se consume inassouvi, car il lui faut n'être plus rien pour qu’il se puisse démêler et, devenant sa cause, appréhender ses fins. —

if Tout l’absolu ne me vaut rien, quand n H fl je ne suis moi-même. Il ne suffit pas de n savoir, il faut encore mériter la connaissance en devenant ce que fi l’on est. Or, l’homme ne se définit qu’à la lumière de l’inconcevable. n H Un homme est empêché de qui l’attire et libre seulement n de ce mif qu’ilse retranche, au point qu’il ne commence d’être qu’en s’éver­ tuant à mourir. Mon existence est agonie ou trahison.

VII. La connaissance

246

Ce que l’on définit se fonde plus valablement, on gagne à s’avouer ce que l’on n veut combattre et qui se détermine a n l’obligation d’être à soi-même ce qu’il est. La connaissance et l’innocence ne vont nullement de pair et nous devons tout surmonter pour qu’elles compatissent bien ensemble. Dans le principe, tant y a que nous nous rendons pires en nous sachant tels et divisés n n et la rejette d’avec nous-mêmes, laquelle séparation déprave l’âme au sein des profondeurs, les yeux ouverts et connaissant la nuit dont elle s’enveloppe, mais l’obligeant au témoignage d’une précel­ lence inviolable où nous ne sommes h plus à nous, quoi que l’on fasse.

VIII. La connaissance et l’innocence

IX. De l’innocence et n » de la pureté suprême

n Que l’innocence est préalable, mais non la pureté suprême, laquelle est un achè­ n vement et qui vient à la suite, orné de la profusion de l’innocence et respirant une vigueur sereine à quoi le monde ne prévaut à l’avenir, achèvement de plénitude instruit u ir de ce qui le dément et frayant, solennel, avec qui le menace, ayant n tout renversé pour s’affermir en un principe inviolable et tout connu n pour juger souverain. Mes frères en esprit, malheur à l’innocence n originelle, à l’innocence exempte de l’épreuve, à l’innocence désarmée, ri à celle qui végète à la merci des troubles et des flétrissures, à l’in­ ii ii où dorment ii nocence sommeilleuse, à la pénombre de l’informe les puissances confondues !

X. Le fruit des justes causes

La vérité se marque-t-elle en cet ii épanouissement dont parlent les n spirituels et se mesure-t-elle enfin à cette paix de l’âme inébranla­ n blement assise en une certitude énamourée ? Mais si l’on entre avec n n justesse en l’examen, s’étant mis en état de prononcer, l’on voit que ii est fruit d’un nombre ii les solutions abondent, que cette paix de l’âme incalculable de démarches, les unes ridicules, les autres éminentes, qu’elle s’obtient parfois à l’aide de moyens indignes, qu’elle n’est rien au défaut de la persuasion, laquelle naît de l’habitude, et qu’elle n ii est tout dans le domaine de l’accoutumance : on nous l’enseigne, n cette paix, on nous la fait gagner, on l’alimente et la protège, elle n se développe naturellement à raison de la soumission filiale, elle ne lâche plus sa proie et l’on ne peut qu’on n’y revienne, elle nous n suit au bout du monde et dans le sein des péchés les plus noirs, n elle nous désabuse et nous nous y plongeons. Voilà la paix de l’âme, n n recours facile et désirable, à la commodité des simples, manière

247

II n d’assoupissement autorisé, ce qui n’empêche nullement l’écart des n II n fanatismes : c’est quand le jugement sommeille que l’âme est la n n n plus généreuse, la vertu la plus mâle et nos mains les plus acharnées. H' Il Ainsi la paix de l’âme se prouve à soi-même et qu’elle nous lie et II qu’elle nous rend participants de son efficace, mais nous savons Hlll l’erreur en état de la procurer aux hommes ingénus, nous savons qu’elle se dérive de partout ou peu s’en faut, nous disons qu’elle ne démontre rien, hormis l’acharnement ou la faiblesse et trop de II fois les deux ensemble. Le désirable épanouissement dont parlent les spirituels suit d’une cohérence générale et cette généralité — propice à la fureur de même* n n qu’aux béatitudes — est l’œuvre de l’esprit s’échafaudant à l’entour du prétexte. Or, ce prétexte que IIIII vaut-il ? Voilà notre dilemme. Qui nous assure que la vérité nous H emplit d’allégresse et que la joie est une preuve sans égale ? Est-il permis de bâtir sur de tels prestiges ? Que s’ils nous flattent, devonsII nous céder à leur emprise ? Y devinons-nous pas un relent dangereux IT de complaisance ?

II II XL Aphorismes sur la paix de l’âme.

II A. La paix de Pâme II est le premier des biens, ce dit-on à merveille, mais il est sage d’en savoir le juste prix, de ne point tout placer sur elle : le fait de l’homme semble-t-il de se donner à qui le destitue en n ­ lui portant secours et de solliciter un avantage dont il pénètre l’em II n barras ? La paix de l’âme se conquiert et nul n’a pouvoir de la mar ­ chander, elle se surajoute à nos dépouillements et nous réconcilie il H à nos dilemmes, elle s’atteint, mais dans le temps que l’on n’y vise pas et nous la jouons sans réserve à nous évertuer, quand l’on ne n II vient au premier de nos biens que par les autres et les moindres. n La paix de l’âme est un achèvement et plus un état qu’une dispo­ sition, et plus un mode qu’une volonté, bien que l’état dérive de II l’antécédence et que le mode suive de l’arbitre.

n ii B. La paix de l’âme est loin d’en être un assoupissement et ne iiiii II ménage guère à l’homme un augment de facilités, elle se meut n à mu l’antipode du sommeil et renchérit sur nos astreintes ; la paix de II n II l’âme est une économie à l’égard de nos volontés qu’elle dénombre, mu il les évaluant pour les commettre à leur défense mutuelle ; la paix n de l’âme est une fin que l’on ne force pas et qui vient à la dérobée et dans le temps qu’on ne l’espère plus, un tout qui se déclare à n II l’impourvu, mais nous demande l’impossible avant de nous enve­ n lopper, un change de ressort et de mobile où s’engloutissent nos n aplombs, une étendue infuse où nos empires se déploient.

248

il C. Mes frères en esprit, ne vous fuyez pas dans le temps, mais n’avancez que pour vous joindre avec un plus de certitude et pré­ tendez de vous ce dont nul autre ne vous sollicite. Que l’heure ne vous trouble point où vous ne devez être et qu’elle vous atteigne, dût-elle vous blesser. Ne vous gagnez jamais II sur l’avenir, ne vous II jetez en proie à la réminiscence et gardez-vous des sources écartées n n comme des mers ouvertes. Disputez-vous à l’œuvre que vous devenez if n et soyez à vous-mêmes l’épreuve et le loyer, récusant tout le reste. II Le monde ne peut rien sur vous, si vous vous redoutez par-dessus sa tutelle. Cherchez la guerre et faites-la sans discontinuer, cherchez la guerre et non pas la victoire, vivez à l’exaltation où nul ne vous II n. retire de l’abattement, prenez ensemble feux et fin, la tête chevillée n. n n aux nues, et déliez-vous de vous-mêmes d’un agrément inépuisable : n donnez carrière à la liesse sainte, où l’évidence est à la joie et l’âme n n enracinée en un consentement inviolable, l’adversité mise en échec n n n et votre mort une présence à jamais familière ; mais faites-le de conseil pris, dispensateurs de ce qui vous anime et les garants du ii choix formé, et vous aurez la bonne paix, la paix de l’union et non pas celle de la nonchalance !

Mes frères en esprit, la vie est la souil­ lure que la mort efface et de la mort attendez moins que du néant. Pour être vous, ne soyez vous d’abord et vous le serez au delà de toutes étendues ! Prenez sur vous d’être nui il en épreuve et rompez les mesures qui pallient vos dilemmes. Ne n n vous rendez à votre empressement n et tirez-vous du pair, mais vous n tenant à la contrainte et primant n sur la domination qui vous attache n n à vos trophées légitimes. Il n’est de marque plus visible de nos n libertés que le refus immotivé de jouir d’elles, de peur de les changer n à ce dont elles nous libèrent. Inassouvis de l’au delà, que votre marche ne s’arrête et, dans le bris d’idoles terrassées, que les modules cèdent et que les voies s’ouvrent ! Il est un point de fuite insaisissable, un tourbillon où les pléromes s’engloutissent, un nœud où tout semble n aboutir et d’où rayonne l’harmonie, un indivis sans fond et sans partage, un au delà qui ne réside qu’en sa chute en le divin. C’est n là qu’est le Royaume n et qui le cherche ailleurs se condamne infail­ ii liblement à servir l’apparence !

XII. Sermon sur le refus

Mes frères en esprit, n’enseignez point les n foules. Que d’autres les abordent, mais vous, n soyez près de l’autel et de la flamme, en l’ombre où nul ne vous viendra quérir. Ne vous jugez pas inutiles, n n demeurez là sans vous dissimuler et ne vous ravisez incontinent n

XIII. Éloge de la fuite préalable

249

il qu’on vous regarde ! Qui vous improuverait alors est-il de bonne u foi ? Présents à vous, ne l’êtes-vous pas davantage au monde et les II n1 appuis de sa grandeur ? Ne vous manquez pas à vous-mêmes : il vous aura plus d’obligation que si votre rigueur s’empresse à le il H servir. Vous n’êtes nullement tenus à vous justifier, mais à ne pas H vous démentir. Mes frères en esprit, ne louez que le Bien, lequel H H est toujours le plus faible et le plus menacé ; le demeurant a-t-il besoin de défenseurs ? Que le facile ne vous tente point. Mourez H plutôt que de donner la voix aux méchants de ce monde et fuyez n ceux qui mettent la parole à leur service et tordent les plus saintes n lois pour légitimer l’imposture X>u pour confondre l’innocence. Ayez le privilège du refus, soyez inébranlables et que la mort vous accom­ pagne au lieu de vous surprendre. Allez, ne craignez que vousn êmes ii ici-bas et nul ne vous sera plus formidable !

XIV. Éloge de la bonne loi

Soyez et vous ne cesserez de l’être, II mais pour le devenir il faut que l’on H se joue et l’on se perde, où nul n’a l’assurance de s’impunément ga­ il H gner, où tout n’est pas de trop et trop n’est même plus assez ! Mes frères en esprit, nous naissons libres de vouloir et de ne vouloir pas, n mais nous n’avons point la ressource d’avérer la dépendance de n nos éclaircissements et ne pouvons que la subir, nous jouant à n n nous-mêmes ou nous rebutant. Qui d’entre nous appuie un senti­ n u ment dont il n’excède les visées ? Qui ne fait souche d’amertume n à s’éprouver sur les mobiles de son choix ? Et qui se loue ouverte­ u ment de s’être gouverné, s’il entend vivre à découvert et sous l’œil n n même de ses fins profondes ? Nous sommes destinés à l’asservis­ n sement tout comme à la franchise, élus ou réprouvés dès le principe H et dès avant le choix formé, lequel nous restitue à nos modèles pré­ n alables, et libres parce que nous le devons et malgré nous, en l’obli­ ir II gation de l’être où nos franchises nous incombent. Le fondement II de toute liberté, mes frères en esprit, semble une constellation de servitudes, les uns bondissent et les autres rampent, mais II le mérite II des premiers n’aveugle point les juges équitables et la faiblesse des seconds ne leur inspire que miséricorde ou charité : ils se prononcent II toutefois, ils récompensent ou sévissent, ils prônent les édits sévères, ils préconisent la sentence la plus rude, à raison de l’humaine II di­ II gnité. Aimons la bonne loi, la rigoureuse et l’inclémente, la tutélaire inébranlable et qui ne varie en faveur de rien, la loi qui frappe et qui n’offense plus, qui plane au-dessus de nos échafauds en par­ II donnant à ses victimes et nous rachète au lieu de nous abattre à l’heure qu’elle nous punit, la bonne loi qui venge la nature et qui

250

nous lave de la faute où nous mourons par elle et dans la résignation, n qui nous retranche des vivants, non pour nous diffamer, mais pour n nous rendre ce qui se perdit où nous nous scellons dans le fort de notre obéissance !

XV. La voie royale

Mes frères en esprit, déposez d’un tenant qui vous rapproche de ce monde et qui vous en éloigne : la bonne voie passe au travers, en tout lieu de ce règne et libre d’elle, de vous et de lui ; la bonne voie est l’abandon perpétuel de ses conquêtes immanentes, la bonne voie épuise les chemins «i et les modules, elle est plus qu’elle n’est et toujours moins qu’elle n’est devenue ou deviendra*

XVI. Choix de sentences 1. Il vaut mieux consentir à n’être rien que toutes choses à 11 H demi. Puisse tout aboutir à mon commencement ! H 2. Je consens à ma lassitude, afin qu’elle m’épargne, où je dois II rompre ma vigueur, à dessein qu’elle serve. 3. L’on ne doit aborder que ce que l’on épuise, envisager que ce II que l’on peut démentir et désirer que ce que l’on résigne. n 4. Puissé-je devenir complice des vertus où je me dois astreindre ! n 5. Ne rougissez pas d’être heureux en ayant l’âme noble ! II 6. Une âme noble passe autant de fois tout le bonheur qu’elle désire que la plus basse celui qu’elle obtient. 7. Le premier jour où l’on consent à devenir ce qu’on n’a pas II n n ntn été nous fait mourir à cela même que nous sommes, et c’est le moins n qu’on nous haïsse de nous être méprisés au point de nous survivre. Malheur à qui préfère l’existence à tout ce qu’elle signifie !

n n Que le suprême fondement de la vertu, quand tous les appuis vien­ n n n nent à manquer, me semble enfin le naturel de l’homme ou cet n amour qui rend le difficile délectable et se dénomme point d’honneur, lequel procède de l’acquis. La vertu paraît en l’instance une obliga­ tion ou naturelle ou près de l’être et nous n’avons d’autre ressource il il que de nous y jeter, sauf à nous démentir — mais il en est assez II pour n’y rien perdre et qui ne se prévaut d’un fondement de bon n n aloi mérite-t-il n d’être à soi-même ? — Je tremble aucune fois en n remontant à l’origine de mes vœux, n’y décelant que des prétextes ; » XVII. Aplombs de la vertu

251

je sens que toutes mes n pensées s’ordonnent à dessein, que les plus hautes ne me sauvent pas de leur bassesse et que les plus profondes il se relient d’ordinaire à l’apparence : je suis en moi ce que je semblais il ­ n être et mes emplacements dans l’absolu dérivent d’un mobile im H n médiat, mon absolu n’est jamais hors de moi, dont les dépassements n n ’environne. Telle est la force de l’ina­ ne touchent point à ce qui m nimé que nos vertus liguées ne sont pas de trop pour croiser l’effet n d’un méchant habit ou d’une bosse, peut-être s’en est-il fallu de n n n et mettre l’univers en branle. moins pour fonder un système

L’envie est le ressort couvert de n n force mouvements de l’âme et qui se mêle n de prêcher les hommes ne doit l’oublier et faire fonds sur toute la puissance qu’elle met au jour. L’on ne retranche point ce n ii dont nous sommes n composés, il est requis de ne jamais l’abattre et ri de laisser en nous l’ébauchement des pousses ou des frondaisons, lllll sans quoi nous tombons en langueur. Si l’homme n’était qu’à l’amour et que chacun reçût le loyer le plus équitable, nul d’entre nous ne songerait à se grandir et nul n’enchérirait sur l’éternel quand il lui il n faut se conseiller avec le temps, les âmes les plus bellement choisies n vivraient en l’ignorance des profusions qu’elles renferment et n il n l’homme serait moins humain à n’être que son ombre ou son modèle. Pour nous, le danger ne réside plus en l’infortune et les périls qui n nous menacent ne subjuguent pas ceux qui se mourraient, faute de rr H matière. Quoi de plus abuseur que l’assoupissement des sages véri­ tables, dont le repos est diligence ou le sommeil un intervalle de n relâche entre des guerres ranimées à plaisir et qui ne cessent pas il du vivant de leurs maîtres ? L’envie tient de ce dont elle participe et se colore des rayons que son objet déverse, elle outre au souverain degré l’éclat de nos puissances, elle les établit — si j’ose dire — en une fin qui se reprend à revenir incessamment sur elle, elle découvre rr n en une solitude un amas de prodiges ignorés et de merveilles in­ connues. XVIII. Panégyrique de l’envie

XIX. Empire de la jouissance

n En l’immolation la joie est ambiguë et coule d’une double source ; en n l’immolation l’ombre a sa part de préférence à la lumière ; en l’imni n II molation l’inavouable porte le sublime et le sublime rr tomberait à rien s’il ne l’alliait à l’inavouable. Par l’immolation nous retournons H à l’indivis et, dépouillés de nos limites, nous goûtons un néant qui nous dispense de choisir et nous annule en ne laissant de nous com-

252

Il bler, effacement d’autant plus savoureux que l’on y touche en ve­ II nant de plus loin et dont les grandes âmes jouissent au superlatif, à raison du contraste ; par l’immolation le cycle se referme II et iiiii l’homme se transvide en éprouvant une Hesse insoutenable, une n II manière d’agonie de béatitude, un sentiment qu’il juge à l’égal des n IIIII meilleurs et qu’il poursuit comme étant le plus désirable, où nombre II de systèmes le lui persuadent à la dérobée et même à découvert, II1 les religions tirant leur vigueur d’un fonds d’enigmes et de com­ II II plaisances que dissimulent des sévérités formelles ; par l’immolation II un homme fatigué de solitude et lassé de choisir se précipite dans II les limbes, que dis-je, rentre dans le sein qui l’avait mis au jour et, sous couleur de se parachever, se restitue à la genèse, aveu d’une défaite irréparable et d’un inceste digne de risée, avec des apparences II II de subhme et des commotions sohdement voluptueuses. Il est des n héros et des saints, lesquels ne sont ni l’un ni l’autre, mais des men ­ il H teurs assermentés, qui brûlent de mourir pour être les témoins de leur ruine et qui se laissent égorger, à l’intention de se prouver qu’ils n n existent, n’étant pas dans le cas de s’endurer eux-mêmes. On les n n admire, parce qu’ils nous servent, que leur exemple prêche mieux que des vertus silencieuses, que leur emphase nous emporte et qu’on y puise des licences singulières, la bonne mort ou ce qu’on juge tel II légitimant des voluptés dont on est convenu de faire un rigoureux n silence, sous peine de se vouer à l’horreur avant d’en être la victime iiiii H et de périr abominé de tous, les bons et les méchants s’accommodant sur le délice.

Que l’être est jouissance et que la jouissance aug­ n n mente à raison de l’intégrité, de mode que le plus n n heureux est le plus vulnérable et le mieux affermi le plus sujet aux iiiii mouvements de l’âme, n car l’homme n’est divin que s’il unit l’émotion n n à la constance et la douceur à la dernière fortitude. Il ne suffit pas n n de se vouloir magnanime et la raideur est indigence, nous devons aller au delà de la nécessité faite ou subie, nous devons savourer n n tout ce qui nous partage et même renchérir sur le conflit, aux fins n de disposer de nous en l’exercice le mieux soutenu, peur d’être à soi lorsqu’on n’en est pas digne. XX. Apologie

Les prêcheurs qui se rendent chez des peuples écartés ont plus à re­ douter l’effet d’un zèle intempérant que de la néghgence et : n oins à n n réformer, à l’aide de nos mœurs, qu’à prévenir l’abaissement et n la ruine. Ce n’est pas tout que de vouloir le bien, il faut encore qu’il

XXI. Défense des sauvages

253

ne nous mutile ou ne nous fasse perdre goût à l’existence. Enseigner H la pudeur à ceux dont la nature exige de l’outrance et qui, soit faute d’aliments, H soit faute de vigueur charnelle, ont peine à se II II livrer à ce qui nous allume sans détour est l’abus le plus manifeste : il est des nations chez qui les dépravations et les spectacles éhontés éveillent moins de flamme que l’idée que nous en prenons, d’où II leur besoin de pallier un manque et d’échauffer des sens empreints d’une langueur perpétuelle. En ôtant les excès, nous ruinons qui vivent sous leur dépendance. Mes frères en esprit, que votre pureté ne soit à charge à l’univers, n n que vos maximes ne l’ébranlent II point, que vos démarches ne le tuent ! Ne retranchez à l’homme n n les moyens de subsister et souffrez même la licence et les dérègle­ n n n n ments, sans quoi la vie est amertume aux misérables. Ne leur ôtez n n jamais ce qu’ils possèdent, vous qui jamais ne serez en état de le leur rendre et n’offrez à leur indigence un surcroît de douleurs ou de III II dilenimes ! A ceux qui vivent de leur corps et tirent un semblant n n de volupté de la nature même, est-il loisible de vanter à quoi leur II ii âme ne leur a permis d’atteindre et de se jouer de leur foi pour les laisser en un désert ? Que voulez-vous des pauvres ? Leur di­ gnité n’est que figure. Tremblez de leur donner le change et de ne U point les assister !

XXII. Sermon sur l’indulgence II en matière d’amour

h XXIII. Aphorismes concernant la femme

n A. Que l’on ne dialogue pas avec la femme, à cause qu’elle est n à la fois une et multiple, où l’homme est toujours seul, la femme u toujours à l’espèce. Plus faible qu’elle, il s’arme pour lui résister, où cette esclave règne par les sens, et ne peut rien contre elle — en dépit de ses lois — s’il n’a d’empire sur eux tous. Il fuit la vie en la donnant, la force de la femme étant de le convier à l’offrande et de le disputer à soi pour le gagner à l’univers.

n n B. La femme est Ariane et nous ramène à le surface du dédale où nous nous sommes engagés et dont elle ouvre les issues. L’on voudrait qu’Ariane nous laissât et nous l’abandonnons si volontiers H sur l’île de Naxos, pour voguer libres désormais à pleines voiles, n libres de nous et d’elle. Les penseurs n’y démêlent rien et se con­ n tentent soit de l’ignorer, soit d’en médire ; les saints préviennent sa puissance en allant au-devant de ce qu’elle a de plus irrésistible,

254

en opposant la femme au féminin, Ève à Marie, en courbant l’en­ H nemie aux pieds de son idole, en l’obligeant de travailler de tous II les ressorts de son infamie à toute la splendeur de sa démarche, n en accablant un être fait pour les détruire et qu’ils retournent à jamais n n n contre sa préséance, au nom de cette préséance même. La Vierge II Mère est le chef-d’œuvre de l’esprit humain. n C. Que dans l’amour il est un je ne sais quel ordre délié, fait n n du meilleur de l’âme et dépassant qui le motive, un merveilleux II n II arrangement qui ne dérive d’aucun fonds, mais s’ouvre d’un tenant II sur une vue illimitée et semble le produit de ce qu’il nous révèle. n Ce charme insidieux aveugle nos esprits, nous force d’abdiquer nos n êmes ii volontés, nous induit à nous desservir et nous contraint à II nier l’évidence au bénéfice d’un délire à quoi l’entendement se n II range de dessein formé. Apparemment les hommes ne s’abusent ii guère à suivre un tel mirage et nous sentons qu’ils ne se trompent II n que sur les mobiles mis en œuvre.

D. Le rut, c’est une chose singulière où nous perdons de notre n n moi, qui nous transforme en l’objet d’un pouvoir que nul n’exerce et qui repose en chacun d’entre nous ; c’est une force aveugle et la n revanche du passé qui fait de nous une manière de canal vers les époques à venir ; la voix des morts que nous portons en nous, ii lesquels demandent de survivre et tremblent de périr une seconde fois si nous nous refusons à leur instance. n E. Que de la femme à l’évidence il n’est empêchement, de sorte iitti n qu’elles compatissent à merveille l’une et l’autre, où l’homme ne n peut l’endurer, ne la voyant qu’au travers de l’idée qu’il s’en forme : n n il l’entend assez mal, de vrai, mais comme il ne s’y plie guère, il ri n la soumet aux remous de l’intelligence, la rangeant sous des lois auxquelles l’univers s’étonnerait peut-être d’obéir, si l’univers était n n une personne. L’histoire de l’espèce me semble une aventure, où n chaque port n’est qu’une échelle promptement abandonnée et chaque pays odieux sitôt qu’il est de connaissance, où l’on navigue n dans le noir et fait le jour en traçant les limites.

Mes frères en esprit, la source la plus écartée est la plus adorable et la plus difficile voie est la meilleure n à suivre. Fuyez, fuyez l’attrait de l’issue innombrable et ne cherchez que vous au monde, et soyez n ri n présents à vous-mêmes, ne vous lassez jamais de votre solitude et XXIV. Le sermon pour la chasteté

255

ne la faites partager à nul qui n’aura débordé la sienne ! Craignez ir l’absence et non pas la retraite et sachez que le mal est en tous lieux iiiii où l’homme se renonce, afin de n’avoir à se conquérir. Laissez les âmes enchaînées, abandonnez les morts et désertez qui vous déserte, n II la liberté ne résidant qu’en la démarche qui vous porte d’aube en aube ! Et secouez l’entrave d’un bonheur facile et tissu d’abandons ! n Qui vise au fruit ne saurait l’obtenir et ne corrompt que la semence. Nul ne vous fournira des sûretés, si vous ne les prenez sur l’autel n n ême n et nul ne vous déliera du serment d’allégeance où vous ne n h consumez les raisons de l’attachement. Vous êtes ce que vous pensez n n et répondez de chaque motion de l’âme : le moyen de vous affranchir où vous soupirerez tout bas après la servitude ? C’est par la femme que le monde vous abaisse et par la chair qu’il s’établit en juge sou­ verain de votre destinée, vous êtes sortis de la femme pour n’y plus entrer et devenir un giron d’immortalité charnelle, afin que le Dieu n ii naisse du milieu de vous ! Vous êtes le levain du genre, le fondement n iiiii de qui ne meurt et le sommet des lignes de partage où les symboles s’ouvrent et les ténèbres se dissipent.

XXV. Le sage et l’existence

iiiii Je nomme sage qui discerne par avance en une motion l’entier dé­ n roulement de sommeil implicite et de puissance contenue. Que s’il prend femme et qu’il engendre des enfants, le sage se renonce de propos délibéré, vu qu’il résigne d’un tenant les privilèges les plus enviables, savoir : le droit de penser jusqu’au bout, de souffrir pour n n soi-même et de mourir quand il lui semble bon. Sa dignité se veut une île de silence et des limites défendues, de hauts remparts et u des fossés infranchissables, l’isolement au sein de la mêlée n et le ii désert jaloux, les temples à l’abri des murs qu’on ne viole pas. Le u n lot du sage est de se prémunir contre les multitudes serves du chaos n n et d’assumer le meilleur de l’espèce, et de la trahir quelquefois pour n l’amour d’elle et de ses fins dernières.

On nous reproche de ne rien entendre à l’existence et nous remontre l’effroi de la définir. Quand nous ne disons mot, l’on incrimine H notre vigi­ lance et l’on sourit d’un air persuadé : « La vie n’est pas telle II II qu’on se l’imagine et vos souffrances vous la feront mieux connaître : il n’est que de s’y rendre aveuglément et d’essuyer un cent d’injures. IIIII Voilà qui se dénomme être à la bonne école et dans le train qu’il nous faut prendre. Nous haïssons, à dire vrai, qui se voulant tirer

XXVI. Voix de la foule

256 *

n du pair a soumis sa conduite à des lumières préalables, nous voulons qu’on se brûle et qu’on se navre, et la prudence ne doit point venir II à qui ne la mérite à force d’embarras ou de folies ! Allez vous perdre, allez souffrir et puis nous en reparlerons ! » Et, quand nous remon­ tons à la surface, ils nous prohibent gravement H de faire le détail de l’exégèse et veulent qu’on bouffonne : « Vous nous indisposez n ii et quelle fureur vous anime ! La vie est une chose aimable et nous n ne supportons qu’on la diffame ! Est-il loisible de la peindre de la u sorte ? Vos déclamations nous lassent et n’arrangent rien : nous iiiii nous accommodons de la bassesse et de la vilenie, où nul ne nous empêche d’en jouir. Laissez-nous un bonheur facile et prévenant que nous goûtons en notre ignominie et nous abandonnez à la liesse « n de nos corps vautrés dans les ténèbres ! Nous demandons à Dieu ii n qu’il nous condamne à n’en jamais sortir. »

Mes frères en esprit, ne rougissez pas de l’aisance et soyez dignes des profusions. La honte n’est pas d’être riche en ayant des vertus n et l’opulence la mieux employée est celle du savant ou de l’artiste. n Chacun de vous semble un fanal et l’honneur de l’espèce, et la misère de ce monde a-t-elle lieu de vous troubler ? Que votre cœur ne saigne pas en vain et pour l’amour des faibles assotés. Qui leur a fait u n commandement de pulluler et de se dévorer les uns les autres ? n Qui leur a demandé de naître et d’épuiser la graisse de la terre, de n ravager des continents entiers et de multiplier encore, esclaves de if ii leurs lendemains ? Avez-vous à pâtir de leur démence, à racheter n u leurs manquements, à vous prostituer à leur ignominie ? Laissez n ii les morts s’apparier ou se combattre et fuyez de leurs mains. Vous n ii ne transformerez jamais ce qui résiste au changement et cède aux fi n seules violences. Qui s’en iront vous joindre en quelque emplacement ff que vous soyez méritent le partage et qui ne vous ressemble point a l’obligation de vous servir. XXVII. Sermon sur la richesse

H Mes frères en esprit, je vous exempte d’aller au-devant des foules, oui, je vous en dispense ii ii et j’appréhende extrêmement que l’on ne vienne vous quérir. A suivre les penchants du nombre, il est besoin de transiger et vous vous rendez de nécessité le témoignage le plus abuseur. Vous appartient-il de couvrir l’indignité de tout ce qui vous II en éloigne ? d’armer la honte à l’assurer de vos appuis ? et de con­ duire les méchants II à la rencontre de leurs brigues ? C’est à cela qu’ils

XXVIII. Sermon sur la prudence

17

257

vous destinent. Mais si vous vous jetez à la traverse, il ne vous reste n n n qu’à périr et même alors vous tirerez-vous de leurs mains ? Ils H violenteront votre dépouille et, morts, vous servirez à leur malice, n ­ ir ô vous que l’on démembre sous l’encens et qu’on insulte sous l’hom n mage H ! ô vous, martyrs au delà de la tombe ! ô vous que l’on adore à seule fin de vous rendre impossibles !

Mon Dieu, préservez-moi des mul­ titudes ! Et faites que u es poursui­ vants s’égarent, ne pouvant n ’atteindre où je cessai de de: n eurer en moi, et ne déchirent que mon ombre ! XXIX. Oraison jaculatoire

Mes frères en esprit, nous con­ naissons les faibles à l’intran­ n sigeance, les couards à la démesure et les vaincus à l’amour des rudesses. Ah ! qu’il importe de se sentir appuyé, de se juger en force H n n et d’en avoir l’accoutumance pour n’abuser de rien, pas même du triomphe ou de la certitude ! Qui rêve d’être le fléau du monde et II de saper les fondements de la justice est un esclave intronisé, de II qui la place est la dernière, oui, la dernière où le ressentiment exerce II II son acrimonie et les démons hennissent dans leur impuissance ! II Mes frères, redoutez les faibles : ils vous immolent au semblant de II la doctrine, ils iront consumer la moelle et la substance au profit de la lettre, ils régnent sans partage, impatients de domination, et II doubleraient vos servitudes pour enchérir sur l’éminence : ils ne II se payeront jamais d’avoir tremblé sous d’autres, les couards, et ne pardonneraient à l’univers la honte du servage ou la dérision II II de la bassesse. O malheureuse humanité, s’il faut que des esclaves te régissent ! Nul ne se fonde en espérance où nous devons bâtir II sur les vengeurs de l’infortune et qui demandent réparation à ceux II qu’ils ont la charge de mener ! XXX. Sermon contre les vilains

ii XXXI. Aphorismes sur le vilain

n H’ A. L’estime de la force et le mépris des justes causes sans défense, la peur du choix et le besoin servile d’absolu, l’inaptitude à se déter­ n miner, l’horreur de l’expiation, la volonté de chercher un coupable n n et même de le susciter à tout événement, le fait de croire en la malice II H générale et d’être prévenu, mais de céder à qui vous enveloppe et II III II l’inclination à rire bassement des hommes et des choses, voilà les 11 marques du vilain.

258

n B. Que l’homme vil est un abîme de surface où rien ne plonge et n n n ne se fixe ; une manière d’étendue impermanente où les mobiles n sont en ghssement ; le vague sourd et les aveugles vastités desquelles n rien n’émane, à quoi rien n’aboutit et dont nulle ombre ne relève ; une aire plane et toujours en dérive, roulant sur l’amas Il morne des II penchants et de l’accoutumance — les seules profondeurs qu’elle retrouve en chaque lieu, le point d’attache qui la suit, docilement II II émule et dangereusement complice — ; un branle enfin, destitué I. n Il de sa franchise, en dépit de ses mouvements impondérables dont n II il essuie l’inconstance et ne prévient jamais l’atteinte ou la menace.

lllll II' n C. Que l’homme vil est sujet à la morgue et se connaît à la malice. Les vilains semblent à la fois les plus crédules et les plus dissimulés, n II d’où vient qu’ils taxent d’imposture et de mensonge qui s’ouvre II II trop innocemment et prennent néanmoins le change à tous les coups. Ils savent qu’ils ne sont rien par eux-mêmes, ils courent s’aveugler, II mais ils n’admettent point qu’on leur démontre l’un ou l’autre et II lllll brûlent de se payer du ressentiment qu’on leur inflige. Un homme If vil se perd d’emblée, à cause qu’il présume tout de son intelligence et s’abandonne à qui le fortifie en cette déraison.

II D. En la grandeur, un homme vil discerne ce qui l’en sépare et n II non le demeurant, il voit des fossés et des murs, un appareil de tours n et de défenses, mais ses regards l’abusent au degré suprême et l’émi­ n nence y devient postulat ou s’y revêt de formes pathétiques. Or, ii l’éminence est harmonie et n’a que faire de tels procédés, elle y peut condescendre et c’est avec l’intention d’en revenir à point nommé, car elle irait se perdre — et sans remède — enf feignant d’être à tout ce qui nous en différencie, elle se changerait à son pathos — au préjudice de son contenu — pour céder à l’orgueil n de se roidir. Dès l’heure que notre éminence est l’ostentation des n n vertus qui l’imposent, le fracas de son attirail semble un jeu d’ombres n infidèles que l’homme vil révère éperdument.

n ­ n E. En Pâme haute, l’absolu n’engendre que l’amour avec le trem blement et c’est par lui qu’elle se trouve, en lui qu’elle se plaît et pour lui seul qu’elle soupire où ses travaux seuls la contentent, où l’absolu fait à sa ressemblance, lui donnant la plus sainte jalousie, H II la mettant II à l’étroit, l’oblige à rompre tous les faux enchantements pour aller au-devant de la première cause et se restituer à ses der­ nières fins. En l’âme basse, l’absolu n’engendre que la peur ou le lllll II ressentiment et le moyen de pervertir les hommes le plus efficace est de les engager dans une foi profonde au Heu de leur bailler

259

H H quelques tempéraments et de les amuser de thèses dilatoires : un II homme trop persuadé n’en est que plus féroce et ne ménage rien, II H il entreprend sur qui le met en défiance et ne se manque de louer, la bonne cause l’absolvant du reste. Ah ! qu’on est aise de tout subvertir et de tout égorger où la justice nous appuie et le Seigneur est de nos partisans ! La belle compagnie où Dieu s’oblige à des raisons dont un sicaire éprouverait de l’embarras et qu’il assiste II II néanmoins du plus haut de Sa précellence ! Que voilà d’armes II' II imprévues et de malices composées ! Valait-il donc la peine de viser par-dessus les idoles pour nous en susciter une nouvelle et la plus implacable ? Craignons d’aller jusques au bout avec tous ceux qu’il nous importe de laisser à vau de route !

II XXXII. Du fanatisme

II Le fanatisme est inhérent à l’homme et, II pour se faire jour, il s’ouvre un mille de n ii passages. On croyait dans le temps qu’il suffisait d’ôter la religion n pour en détruire la semence et nous savons depuis qu’il n’en est rien. Tant il y a que, prenant source au profond de nos inclinations IIIII couvertes, nul homme n’a puissance de le subjuguer — sauf à le II n II retourner contre soi-même, lui déléguant l’emploi de se réduire au II long de son avènement —. Faute de quoi, le fanatisme a prompte­ II n ment raison de nos manœuvres dilatoires : il n’est donc pas merveille s’il enfle nos pensers, enchérissant sur tout ce qu’on allègue et nous n' portant à la fureur, qu’il envenime notre jugement et qu’il se fait n honteusement valoir à qui lui donnera licence.

n Le triste événement que l’abus des saints noms au bénéfice de l’inavouable ! IIIII II Pour un seul homme de mérite, il en est trop qui vivent dans son ombre et s’en protègent, et l’on ne II H vante jamais mieux les patients qu’afin de s’établir par une violence, où nous savons de longue date que l’on fait davantage de martyrs n n à se remémorer ceux que l’on venge. Je tremble volontiers pour la justice, si l’on s’avoue d’elle, et crains les zélateurs d’une victime h it illustre qui ne se lassent point de tuer en son nom. Dieu, préservezn moi des séquelles et des souvenirs, et ne souffrez que l’immolation n des justes d’autrefois en légitime de nouvelles, plus sanglantes ! H Quand une secte ferait fonds sur mille saints du temps n passé, leur excellence ne la sauverait, s’ils avaient à rougir de leurs fidèles, et n mille saints ne nous démontrent pas qu’une doctrine que l’on fausse a ii soit à jamais infaillible et prouvent seulement qu’ils eurent le mérite n de la dépasser.

XXXIII. Sermon contre divers prêcheurs

260

II est des religions prenant tant H à l’homme qu’il semble soutenu n par elles, mais qu’il se perd, quand elles viennent à fléchir. C’est n H là dérèglement et, s’il nous met à couvert de plus grands désordres, il ne retranche les abus que pour nous affaiblir en ôtant les racines. Nous oublions avec assez de complaisance que l’homme naît pour être le sujet de la doctrine et que les privilèges du spirituel ne nous exemptent point d’y regarder, puis toutes choses s’affadissent en II une soumission générale. En telle secte il ne subsiste même n n plus n de borne et le spirituel s’épand au souverain degré, mais loin que u u l’ordre y puise des maximes généreuses, la foi se pervertit à ce II H mélange et nous croyons y demeurer, alors que nous l’avons trahie. XXXIV. Abus dans le spirituel

II Le choix, l’enfer de qui n’est digne d’en former H et le puissant motif de la sédition du nombre ; II n II le choix qui rompt les lois et les mesures, le trouble en permanence u et la division de tout ce qui mérite de s’unir, la latitude illégitime II H et la licence inassouvie ; le choix, l’épreuve terminale et la dernière instance, où l’on s’efforce de ne parvenir jamais et dont l’issue est II la toujours remise.

XXXV. Du choix

Mes frères en esprit, nous avons choisi l’aven­ ture et ne voulons de sûreté, nous ne voulons il II II de dogmes ni de lois et rejetons maximes et sentences, pour vivre dépouillés et proches de Dieu seul. Nous brisons toutes les idoles, subvertissant les temples et l’autel, s’il faut qu’ils nous dérobent les accès ou nous refusent le passage, et nous nous n n briserons nous-mêmes, de peur de nous idolâtrer, car l’âme pure II et pleine de son Maître est la suprême fleur de la création et l’œuvre II II d’art la plus suréminente. Heureux qui passe la mesure en prenant n la mieux II ajustée ! Heureux qui fonde l’âme et la fondant l’exhausse n n et l’exhaussant la parachève en l’accomplissement ouvert ! Heureux II le miroir de la Sainte Face où tout conspire à nous sceller dans une II ressemblance inimitable !

XXXVI. Sermon contre la lettre

Que l’homme est agissant et qu’il est passion, vivant à l’acte et subissant le mode : il est II puissance à l’égard du possible, ébranlement II dans le présent et tout ce qu’il éprouve est à jamais échu, sa vie II II un enchevêtrement irréversible, une manière de projet au-devant

XXXVII. Nouveau retour sur l’homme

261

if n de la sphère la plus homogène, où l’aboli se masse en une liaison mul ­ n fi tiple échafaudant ce qu’on dénomme le destin, amas modifié sans iitii trêve à chaque mouvement nouveau. Nous sommes convenus d’ap­ n n peler temps le tourbillon où l’homme se déplace et qu’il entraîne n lî invariablement dans le sillage dë l’unicité, moyenne et l’amas des fi n H moyennes préalables, balancement de l’acte à la commotion et du II ressentiment à la réminiscence.

XXXVIII. Défense de la lettre La lettre n’a pas à rougir de la fl * défense qu’elle assume et l’esprit n’a pas à la rejeter, les deux ne se perpétuant que l’un par le moyen if de l’autre et s’épaulant quand ils ne se ravagent, indissolublement liés dans le triomphe ou la ruine. La lettre se nourrit de ce qui la fi n ­ cimente et l’esprit même n s’intronise au travers de ses formes im ü n mobiles ou voraces ; Dieu germe au profond de l’assise et du rempart, Lui qui renverse fondements et faîtes pour les rebâtir en Ses pro­ fusions inachevées. f

La lettre, la défense de l’esprit, l’enferme de courtines et l’isole, le défendant si bien qu’il la faut subvertir, quitte à lui rendre ses prestiges, l’an d’après. lï if Entre les deux il n’est de truchement et qui ne passe des formules il aux lumières demeure sur le parvis de l’enceinte. li

XXXIX. Objection

Que l’on ne saurait vivre, à faute d’absolus et de raisons tranchées, dont il est juste que les délicats se plaignent et dont les philosophes rient, mais la condition le veut et nos puissances y défèrent. Les astres ne nous tirent d’aucun embarras et nous n’avons pas à les consulter, et les prodiges de cet univers ne sauvent jamais l’homme en lutte pour l’immédiat. Mes frères en esprit, nul ne résiste à la menace il qui l’entoure et nul ne rompt l’effroi de toutes les mesures il concertées s’il n’a hé partie avec soi-même. Il est un fondement si il digne de créance qu’il n’est pas sage de le mettre en réputation, un H ff fondement solide et qui supporte les raisons contraires, un fondement il que tant de preuves n’affermissent plus et que les démonstrations ne battent en ruine, un fondement enfin qui ne se justifie guère n et légitime néanmoins tout ce qui le suppose ou même le renie, un if fondement que nous devons admettre au préalable, à moins de if renoncer à vivre. Comme une vague issue d’une mer sans bornes

XL. Sermon en faveur de la lettre

262

if s’élance en un tumulte dévorant et porte la nacelle au morne de sa IIIII Il crête, un homme fléchissant est plein de l’infinie majesté qui le fl ravit et semble l’engloutir.

XLL Nouveau sermon contre la lettre

Mes frères en esprit, l’illumination n’est qu’un enfant abandonné ; laissez qu’il Ii eure, ne songez pas à le défendre, ne bâtissez point de maison, ne lui portez de nourriture et qu’il se traîne à vau de route, à la merci de Dieu. Malheur à qui l’enferme II ­ rait et fût-ce dans un temple, à qui le nourrirait et fût-ce d’encens II iiiii II et de myrrhe, à qui lui baillerait hommage emmi les chantres et les sacrificateurs ! Je vous le dis : il lui sied davantage de périr que de se faire idole et l’objet de vos prostitutions, vous n’êtes bons qu’à le salir en dépit des solennités et vous le servez mieux n en l’oubliant, indignes.

XLII. Nouvelle apologie de la lettre

n Que dans la sainteté, l’exemple prêche et non la lettre et qu’il n’est rien de si fastidieux que la relation et que l’enseignement, qui rendent les morales ridicules. Les livres ne nous u édifient guère et nous irritent sourdement, et j’en sais d’admirables qui nous laissent froids, parce qu’ils prônent en humiliant ou qu’ils illustrent la doctrine à l’aide de niaiseries. Le fait des prêcheurs n ii qui nous assourdissent est de tomber du mystère et du plus haut n de l’éminence en une platitude sans remède — et dans la vue, n assurent-ils, de nous permettre de les recevoir ou de les pleinement ii n goûter. De siècle en siècle, on bâtit de la sorte un monument de n boursouflure et de chevilles, un assemblage monstrueux qui roule ü sur le fonds de la doctrine et qu’il faut supporter pour l’amour d’elle, if n h à cause que la fin de l’imposture entraîne assez communément la mort de toute vérité.

II n’est de pureté sans la créance if des limites. La foi — pour être h digne de ce nom — vise uniment fi à l’absolu, mais l’absolu ne la couronne point, lorsqu’elle ne se tend n dès le principe : il lui faut trancher sur le monde et se fermer à tout n ce qui n’est d’elle, rompre et bâtir d’un mouvement et s’élever, ii inassouvie, en ne perdant l’assiette. La foi demande une rigueur extrême, u à faute de laquelle elle se passe à commencer et ne doit n XLIII. Apologie du mensonge instrumental

263

n aboutir, et l’ombre même n de la tolérance est une cause de ruine Il à l’heure qu’elle prend appui : dans ce domaine, il est besoin que l’on s’acharne sur Je reste ou s’étudie aucune fois à l’ignorer, qu’on II ne balance jamais dans le choix et craigne moins de s’abuser que de manquer d’agir. La foi s’endigue à force de se déborder et se con­ n firme en un retranchement II jaloux, dont il se peut qu’elle s’évade n n n en apparence, où tous les chemins la ramènent sans faillir aux n n lieux de sa retraite. Elle aime bien qui fera mine de la suivre et n davantage qui l’attend et ne s’ébranle pas, et l’on aurait mauvaise n grâce à la taxer de fourberie, à cause qu’elle ignore le mensonge ou II n n s’y meut II naturellement II et. même nécessairement.

II II Mes frères en esprit, soyez vous-mêmes et le reste vous sera donné, mais soyez vous, non pas ce qu’il en semble et répondez de ce que vous ne pouvez être en résignant votre suffrage, car le meilleur appui de l’homme est de se dérober à qui fait mine de le soutenir n au détriment de sa franchise. Au bout de toute vie considérez l’im­ passe et, sur le haut du mont, le toit d’orage et de nuées, au loin n n de chaque mer le rempart des falaises, à la limite de l’idée un carre­ II four d’issues, et par delà ce qu’on épuise, un mutuel essor de combles II en rupture. Mes frères en esprit, ne l’oubliez jamais : tout est perdu, n quand les moyens se changent aux idoles !

XLIV. Sermon sur ii le dépassement

XLV. Le sermon contre l’assurance

ir n Oui, même en la vertu nous décelons l’accou­ n tumance et la vertu ne serait point, s’il lui II fallait se soutenir avec l’éclat majeur au plus haut de son lustre. On la verra suivre un parti moyen et disposer II de libéralités prudentes et timides, on la verra s’accommoder sur II place et réprimer ses fougues indigentes ; on la verra, dans telle n conjoncture, éprise d’une permanence sommeilleuse et garantie n d’un retour de flamme, armée de la lettre, invulnérable en apparence II et se mourant sous l’armature, nouvel Antar devant lequel les ad­ II II versaires se débandent, mais seulement une première fois. Qui brigue l’assurance appuie ses dégoûts futurs et le plus sage office II que l’on rende aux saints n’est-il pas de les mettre en tremblement II et de les tenir en haleine ? Quérir une assurance est le péché dont n II nul bon mouvement ne nous retire plus et dont les meilleurs se res­ n sentent. Nous sommes tenus à veiller, nous vivons engagés et dans les intérêts de nos querelles, loin des parages du désœuvrement, II II nous militons à force ouverte et ne laissons d’agir où l’on s’en

264

h dissuade, nous nous revendiquons en nos délaissements, nous nous clamons à nos biais, nous revenons sur nos apostasies, nous nous rendons à notre dérobade et qui se promet II à l’incertitude — afin lï' de n’avoir à choisir — et lui délègue même ses désirs couverts, II lllll cherchant une assurance au beau milieu de sa négation, cet hommeII là n’élude jamais ce qu’il déjoue en la plus vaine tentative ! Car la 11 vertu, jusqu’au dernier moment, retombe sous l’élection et veut II qu’on la reprenne indéfectiblement et de plus loin.

Mes frères en esprit, soyez avec les purs et votre choix sera le II II II bon, mais désertez les tièdes. Jamais les tièdes ne seront à la mesure II du rachat, eux qui languissent dans les intervalles, empruntent une voie à l’instant qu’ils la laissent et se déclarent pour se démentir. II n II n Point d’âme, faute de mémoire et de temps réversible, et qui ne n se rend malléable au sein de la durée intérieure est perdu sans res­ source : or, là les tièdes se raidissent, là seulement et pas ailleurs, pour tout le reste ils sont à l’abandon. XLVI. Sermon contre les tièdes

Si la béatitude est le loyer de nos II vertus, la vertu n’est que mar ­ n chandage et l’homme vertueux le plus habile et le mieux appuyé : n: n nous pouvant alors l’estimer, lui refusant notre admiration, le féli­ citant sur le choix, un choix enveloppant la certitude, mais s’il est beau joueur, il n’est rien davantage et l’on y sent comme un défaut, H Il un peu de on voudrait plus, on voudrait plus de risque et même II démesure, ce loyer-là nous gêne et fait empêchement de convenir n H non pas de la vertu, mais du mobile. Il suffirait, pour devenir un saint, d’avoir quelques idées claires et distinctes, puis de les bien n' mettre en usage et la formule serait infaillible : on donnerait dans le plus fin de la suréminence et ne se tiendrait plus de joie, on aurait les honneurs et la béatitude, et que n’aurait-on point ? Or, tout se change si le loyer des vertus réside en leur usage et qu’on ne l’en n sépare aucunement, si les vertus ne nous accordent rien qui n’en H relève et que les faveurs départies leur soient homogènes. Alors la récompense est de les observer et de ne suivre qu’elles, alors nous II u n touchons au sublime et les manœuvres mercenaires cessent, alors II nous prêchons immobiles et nous persuadons muets, alors nous sommes lllll un avec la cause, un dans la cause et c’est par nous qu’elle II se rend manifeste, nous, investis par elle et par elle inondés ! Et n II véritablement, mes frères, que nous manque-t-il alors, oui, que nous manque-t-il où nous nous jouons en la source ? il

XLVII. Le loyer des vertus

265

Mon sort est celui de l’impie et il n’en dissemble II point, et j’en mé ­ riterais un plus funeste où je pourrais cesser d’y croire. Malheur n ’entend et n à qui marchande ses félicités ! Nul ne me voit, nul ne m n •• nul ne fait réponse, et je dois nonobstant agir tout comme si j’étais sous l’œil de Dieu ! XLVIII. La rétribution finale

n n Notre royaume est de ce monde en pre­ ri mier lieu, le monde nous soutient, les règnes y reposent et nul n’a droit à regarder le ciel, s’il n’a de terre sous les pieds. Fuyez ceux qui vous prêchent la défaite et la plénière n acquiescence à l’injustice temporelle et vivez malgré ceux qui n cherchent votre mort !

XLIX. Sur le royaume n

Mes frères en esprit, plus douce est la ii justice que la charité, mais il est difficile qu’on la rende à ceux que l’on écrase n vous plaindre que de réparer la forfaiture et d’aucuns aiment mieux et vous bailler leur assistance que l’estime qu’ils vous ôtent. Que iiiii Dieu vous garde de la charité des hommes ! Où règne la justice, la n charité n’est plus de mise. Qui désespère de l’humain prône la cha­ ii n rité, mais qui se veut fidèle à la misère de ce règne a loué la justice. Rien n’est si doux que d’être à tout ce que l’on est, de l’être plei­ n n ii nement et sans rougir, et la plus haute loi me semble non pas d’aimer iiiii n n u notre prochain comme nous-mêmes, mais de ne l’offenser d’abord et de souffrir qu’il nous résiste ! Chacun de nous éprouve le désir u it de ne manquer de pain et de se conserver l’estime, puis de ne gagner l’un au détriment de l’autre, où l’homme le plus avili soupire insa­ ri tiablement après l’honneur qu’on lui refuse. Mes frères en esprit, ii n’humiliez personne et haïssez qui veut qu’on l’abomine, à dessein de lui prouver qu’il existe ! Les hommes veulent être et non pas qu’on II les aime, où l’amour serait une marque de mépris ! L’enfer est de ce monde et qui le place ailleurs vous ment et vous abuse ; l’enfer II riin n est de ce monde en tous les lieux où l’homme vit humilié, destitué n de ses raisons de vivre et de périr ; l’enfer est de ce monde et nous n’avons à redouter de plus terrible quand nous le délaissons, mais u ii n n de ce monde est mêmement le paradis et le principe de l’éternité, le règne de la gloire et la céleste Epiphanie, où l’homme s’arme ii n pour les travaux de l’honneur et mène la plus juste des batailles : u qu’il vive alors ou qu’il périsse, a-t-il regret à sa démarche ? Donnez n n à chacun le moyen de hautement mourir si vous lui refusez jusques à l’existence !

L. Sermon sur la justice et sur la charité

266

II n Que le ressentiment, pour légitime n qu’il puisse être, ravale la victime il H au rang de ses bourreaux, lesquels triomphent doublement, savoir : en disposant et d’eHe et de sa préceHence qu’ils flétrissent. Qu’en il haïssant nos tourmenteurs, nous leur donnons de l’avantage et motivons l’offense que nous recevons. Rien n’épouvante plus ces II monstres qu’un pardon qui les écrase en voulant ignorer ce qu’ils n rr ont d’inhumain et les divise pour toujours d’avec eux-mêmes.

LI. Mépris de la vengeance

LU. Présence de l’hostie

n Que la victime involontaire est l’être h le plus démuni, son immolation le sacri­ n fice le plus vain, sa cause la moins assurée et ses vertus les plus II futiles ; que nul ne rougit de l’abattre et qu’on s’en vante même, II que le sommeil de ses bourreaux est le plus calme dans les profon­ II' deurs et que tout l’univers respire la Hesse. Que la victime sache II ce qu’elle est et le proclame au jour, et la voici plus forte que le II II monde et ses contraires assemblés : elle s’avance et met l’empire en interdit, eHe s’incline et l’épouvante assaille qui la voit, elle se meurt et sa tutelle a commencé. Dorénavant elle est une présence inviolable et les bourreaux ne peuvent l’oublier : eHe est en eux, II assise au plus intime de leur être et fait mourir au jour le jour, n n inaltérablement n et sans relâche, ceux qui voulurent la tuer en même n temps que sa mémoire.

Mes frères en esprit, nous connaissons ni rr et l’arbre et la racine, mais est-il homme à juger de ses fruits au préalable et de II II' les estimer d’avance ? Ailleurs, nous éprouvons les fruits, mais II l’arbre est-il alors invariablement pareil à ce qu’il donne ? En vérité, l’un ne préjuge l’autre et l’autre ne répond de lui. Que l’arbre le If plus généreux soit transplanté, qu’il diminue et qu’il languisse en un méchant terrain, en butte à l’ouragan, et direz-vous qu’il est II permis de le mésestimer n en vertu de ses fruits ? Et si l’on ente sur n n un arbre vilement sauvage un greffon pris en noble Heu, les fruits ne sauraient provenir uniquement de la racine et l’arbre ne vaut pas ce qu’il nous offre.

LUI. Parabole de l’arbre et de ses fruits

Une victime est trop souvent cou­ pable de n’avoir su bien mourir, II dont les méchants se trouvent à merveille et le déhce du bourreau II II n’est-il pas d’avilir ce qu’il achève et de se donner la plus ferme II LIV. Tutelle du consentement

267

ii contenance à mépriser ce qu’il abîme ? Que de services à lui rendre ! H u Le châtiment de la victime suit d’un manque de ferveur et d’un refus n II n de se passer en tant que telle, où consentir est le moyen suprême II et pardonner le dernier des refuges, mais le seul imprenable.

LV. Sermon sur la victime II

II Infortuné celui que l’univers mutile et sur lequel l’esprit n’a voulu re­ H II poser ! Pauvre entre tous les misérables, suprême inconsolé ! Le II II monde frappe et n’innocente pas l’hostie de sa rage, il la malmène n un jour et lui reproche un autre d’en garder les marques et la flé­ u trissure, lui rompt la jambe et lui fait réprimande de boiter, la •n • nourrit d’épouvantement et veut qu’elle ne tremble pas, en jouissant n de ses frayeurs, puis l’abusant d’immunités imaginaires, il se com­ plaît à rassurer l’objet de son aversion pour raffiner sur les atteintes, II il l’anime au plaisir, quitte à la réveiller de l’assoupissement, les II torches à la main ! — Tel est le monde et, face à son empire, il ne nous reste qu’à chercher des sûretés inébranlables, nous fondant en l’incertitude et bâtissant sur la douleur, allant au-devant du II supplice ou nous jetant dans la mêlée, changeant le cours de la néces­ sité par l’intention qui nous guide et prévenant le fer qu’on nous II II destine — mais II pour donner enfin le meilleur des combats suffit-il II de rigueur, de zèle ou de démence ? — Non ! Il faut se rendre à II Dieu, sans réclamer de signes enfantins ni de charnels prodiges, ouvrir à Dieu les portes de l’enclos, espérer Sa venue et ne jamais II s’en prévaloir, n’aimer que Dieu, Dieu par-dessus la Loi, Dieu par-dessus la Révélation et L’aimer en esprit : alors l’Esprit reposera sur nous. Mes frères, montez à la source et que la source vous inonde, II ne tremblez pas devant la liberté de l’absolu, la souveraine incon­ sistante et la plénière inétendue, abreuvez-vous en elle et vous soyez la Loi, la vraie et l’invisible, la seule impérative, et vous serez la tl Révélation, le vase du Logos, la marque de l’intarissable, où le II II Royaume s’ancre en votre déréliction charnelle. Sachez, mes frères en esprit, sachez que notre exemple est le plus bel adage et cet n exe: n pie donnez-le sans intermission, portant les faibles sur vos n ains vivants intercesseurs, dépositaires des paroles ineffables, Heureux alors celui que l’univers mutile, puissant entre les forts, n suprême consolé !

LVI. La force du chétif

Le faible sera le plus fort, s’il puise une grandeur nouvelle en la condition à quoi II ses maîtres le destinent et leur enseigne à faire moins état de leur II H If pouvoir que du renoncement en faveur de sa magnanimité. Nul

268

Il II n’aime qu’on le passe et nul n’essuie les rebuts de qui nous sommes le destin, qu’il ne descende dans l’arène : les voilà se bravant, de II puissance à puissance, émules ou rivaux. D’où l’avantage des déra­ n' cinés, humiliés, esclaves et vaincus : ils font les saints du monde et ii tous les jugements sont renversés à leur approche ; eux qui ne tiennent plus au temps et moins encore aux pays de cet univers, u n ils s’établissent fermement en un domaine où nul n’a privilège de les vaincre et rendent leurs bourreaux jaloux des faveurs qu’ils II dispensent. Les murs de la Cité de Dieu, les parvis solennels, les II II marche pieds du trône, le voilà bien, le voilà leur empire !

LVII. Sermon touchant Ja force

Mes frères en esprit, soyez les n aîtres de la force et les féaux n n de la justice, et si le glaive est en nos mains, il nous importe de régir le glaive au heu de souffrir qu’il nous puisse régenter. L’éloge de la force est une vanité dont rien n’approche et d’ailleurs il ne reste plus à faire, à cause que le monde en est persuadé. Laissez n les parvenus, la tourbe des mal affranchis de leur entrave et laissez ri n les méchants lui dresser un autel, mais vous, vous qui la détenez pour vous en rendre dignes, soyez modestes et silencieux. L’hu­ n milité du fort ajoute à sa parure et nul péan n’égale un aquilin si­ n n n lence ! Il n’appartient qu’à vous d’être à vous-mêmes : le monde n ne vous baillera pas davantage et nulle apothéose ne vous met au-dessus de votre allégeance !

n' Le fort sait à merveille qu’on ne n et ne saurait l’être en permanence n se dissimule point les dégoûts de sa lassitude. Le faible, lui, demeure ii fasciné par ce qu’il doit subir en ne pouvant l’atteindre et qui le frappe tel qu’un fléau de nature. Le fort rougit par devers soi de ce qu’il semble aux yeux de l’univers — quand il n’en raille pas à l’écarté — : nous le voyons, à faute de raisons, se soutenir à l’aide n d’apparences, lui qui n’a jamais loisir de se rendre et dont les chaînes se redoublent à mesure n ! Le faible ne se doit à rien et ne s’oblige n qu’à céder, sa vie est un balancement de quiétude en servitude n et de contrainte en abandon. Le faible est possédé, mais à l’égard du fort, sa force le possède, le fort éprouve la tentation de contre­ n faire ce qu’il n’est devant la galerie : les femmes, mignons, con­ fidents et directeurs le dédommagent de son éminence et lui pro­ n curent une volupté nouvelle, il se décharge, prie, tremble ou se permet des ridicules. Le faible entend qu’on le respecte et fronce n

LVIII. Le culte de la force

269

n le sourcil ou haussera le ton, s’il est dans son ménage ou face à iiiii d’autres, plus débiles. Les forts sont hommes en leurs privautés et même plaisantins, avec un fonds de générosité ; les faibles, durs II n il et despotiques, se dépouillent de l’humain et ne respirent que vengeance.

LIX. Éloge de la force

Mes frères en esprit, que l’absolu nous n ii sauve de nous-mêmes, nous qui portons en nous tout ce qu’il faut pour chanceler et nous abattre. Que sommes-nous à prendre appui, nous dont les soutiens se dérobent, dès le moment que nous nous fondons en puissance ? Est-il en nous n de posséder notre suffrage ou de le démentir ? Avons-nous seule­ n ment le privilège de nos droits et de ces droits que vous dirai-je ? en connaissez-vous de plus incertains ? en est-il de plus ambigus ? Ces droits ne valent que par nous et non pour nous, si nous n’y U II mettons ordre, et l’obligation première est d’être en possession de les imposer. Malheur à ceux qui n’ont que l’innocence ! Il ne vous sert de rien d’être des justes, quand vous n’avez moyen de le prouver et du plus haut de vos tutelles ! Soyez puissants et redoutables, et II II vous aurez licence d’être les meilleurs et les mieux prisés : la charité jointe à la force a des vertus inégalables et seuls les grands se peuvent louer de leur précellence. Si Dieu n’était qu’amour, les hommes n 11 n Le mépriseraient d’office et si Dieu même échoue en se rendant pareil n aux créatures, il ne vous reste que l’exemple de Sa mort honteuse et qui s’achève en la désespérance de l’ultime cri. Soyez donc prêts H à mourir à cette heure et dès l’instant de votre choix, mais soyez l’absolu que vous portez en vous, de peur que votre fin ne vous écrase et, si vous ne devez survivre, mourez en témoins véritables et les présents de votre mort : qu’elle vous frappe au milieu de vousn êmes, n entiers, incorruptibles et debout sous le tonnerre et la nuée !

Mes frères en esprit, je vous le dis en n vérité, la force est notre bien suprême et sans lequel les autres tombent à néant. Malheur aux justes dé­ n n n sarmés, malheur aux saints que les bourreaux flétrissent, malheur n aux charitables patients dont nul ne remémore les travaux, malheur à tous ceux qu’on oublie et dont la foule se peut rire impunément n ! n Je vous le dis, malheur sur eux ! Mais vous, ne craignez de mourir et n’espérez de vaincre, et soyez au delà de l’espérance où l’espé­ n ir n rance même est un empêchement ! Mes frères en esprit, que nous iiin importe la victoire où nous la sommes et la maintenons et contre LX. La fuite en l’absolu

270

l’évidence ? Fuyons en l’absolu, tombons en l’altitude et, de ruptures H en ruptures, passons notre dépassement et nous l’emporterons, car il le réel est la figure de nos fins, mais notre fin ne se situe nulle part hors l’indivis où tous les lieux vont s’abolir !

Mes frères, entendez la loi du monde ! Vous n’êtes rien, sitôt qu’on vous remplace et l’univers ne cherche qu’à vous asservir en vous rendant pareils aux moindres de nous tous. Pour que le monde it soit votre obligé, qu’il vous destine un sacrifice de louange où tous les peuples vous élèvent des autels, sachez leur faire violence et le plus dou­ cement, et les rendez complices de leur servitude, ne leur montrant ii n jamais qu’ils vous la doivent. Soyez en même temps fidèles et par­ jures, mobiles et rigides, sévères et légers, loyaux à l’égard de vousmêmes par-dessus le reste et vous sachant abandonner à ce que vous ne cessez d’être. N’aimez en aucun Heu, vous qui ne haïssez n n personne et ne voulez qu’entendre, mais que vos sentiments s’élèvent n à la pureté subtile et qu’ils répondent tellement de vous qu’il vous n soit nécessaire d’en répondre ! Ne vous dissimulez à votre joie et n consentez à votre peine, armez-vous de liesse et que vos maux s’épuisent à vous remparer : la bonne voie est celle qui résiste et n n la meilleure issue un mur impénétrable. A vous, mes frères, de trouver le joint et de sceller le chasme, à vous de bâtir en la nue, afin que n l’univers s’amasse à l’entour de vos solitudes étoilées ! LXI. La chute en l’altitude

n n LXII. Débat sur la Qu’un homme souffre et qu’il soit malheun puissance du malheur reux, est-il objet plus redoutable ? Nous n n voilà mis en l’embarras le plus cruel et par in sa faute. Est-il permis de languir de la sorte et de frapper nos yeux, H 11 que dis-je, de les offenser ? Nous demandons qu’on les ménage. Que veut-il, que réclame-t-il, à qui va-t-il s’en prendre ? — II — Il est de fait qu’il nous menace. — — Est-il coupable de souffrir et l’infortune se motive-t-elle ? — — Qu’il serait doux de le connaître et de se le persuader ! Qu’il 11 soit fautif et sa misère est tolérable. — — Et nous ne rougissons plus de l’abandonner. — H — Dieu l’a puni, Dieu le réprouve et son malheur est une marque de Son ire. — II — Nous lui vouons un attendrissement de fugitifs et n’allons point le secourir. Il tombe sous les sens qu’il est en faute. Or, s’il ne l’était pas ? Hé bien, voilà qui nous renverse et nos projets de même : il est donc innocent et nous lui devons des secours. — il

271

n — Une aide ? une assistance ? Voilà nos embarras multipliés. n Les malheureux Il abondent. Où nous tourner d’abord ? De mille il parts les mains s’élèvent. Nous nous sentons humiliés, dans l’i: n puissance et ridicules. Que pouvons-nous ? — — Au reste, nous n’en sommes pas fâchés : cela colore notre if il indifférence et l’on se prouve dans les formes — chiffres en main — n qu’il n’est remède à la condition. — u n — Il est des misérables à foison. Qui leur a demandé de naître ? — — Or, ils sont nés, ils nous le font connaître, il n’est pas rece­ vable qu’on les chasse et quand ils seraient légion, il faudrait néan­ n il moins ouvrir la bourse, maùière il de se racheter par l’entremise d’une obole. Allons-nous être soulagés ? Hélas ! Nous voyons trop l’ab­ n surde où l’argument engage et nous n’en viendrons plus à bout, ri n nous voilà partagés et divisés contre nous-mêmes, d’humeur farouche ri n ou de mauvaise foi, perdus d’estime ou troublés sans ressource. Pour achever la forfaiture, il ne nous reste qu’à l’abominer, ce n pauvre, qu’à le mépriser et qu’à le fuir ou qu’à nous prendre en n détestation, qu’à nous humilier et qu’à nous abdiquer. — n ri — Voilà l’alternative où chaque marmiteux réduit notre assu­ rance ! — n — Oui, l’homme ne se joint à l’homme ailleurs qu’au profond ri ir n de l’abîme ou sur le comble le plus éminent, mais ils s’opposent mu ­ n tuellement quand tout ne les écrase pas ou qu’ils n’écrasent toute ii chose ! Point de communion valable en l’entre-deux et nulle paix n n n n hors l’enracinement dans les extrêmes. Pour que les hommes s’aiment n n et ne fassent qu’un, liez-les à la même chaîne et ne leur donnez de n relâche, afin que nul n’espère davantage au détriment de ses pareils n ou libérez-les tous ensemble en les précipitant dans une frénésie ii •r égale ou comme en l’oubli de l’humain !—

II est deux ordres de noblesse : l’un représente l’homme au sein ii de la nature, multipliant les veilles et les peines, le maître des mo­ il dalités et l’asservi de sa condition, où tout respire l’éminence et nulle chose n’est de trop, où tout se plie aux lois d’airain que l’homme H prend de la nécessité pour revenir sur elle et la combattre. Puis nous avons un ordre plus divin et le plus éloigné de ce qui le suppose, un iiiii ri n ordre nommément plus gratuit où tout se mue en jeux de puissance n et de grâce, un ordre de lumière et d’harmonie où l’homme n est noble à force d’ignorer les lois fatales qu’il élude, acquiesçant à n celles qu’il se donne en juge souverain marchant en assurance. Hors là, je ne discerne que laideur et servitude sans ressource. LXIII. Les ordres de noblesse

272

Quoi de plus digne de mépris que n le renoncement de qui n’a rien, ni n pouvoir ni richesse, pas même de talents ni de vertus en propre et semble le fantôme d’un vivant et l’apparence d’une chair ? De n quel sommet va-t-il descendre, lui qui ne se distingue plus du sol et que peut-il abandonner, quand l’univers le tient et chaque motte l’a bravé ? Néant qui prête à la risée, on l’a vu consentir, lui qui n’a d’autre liberté que celle de plier avant de creuser les motifs et d’en entendre la raison ; on le voit céder noblement ni les chaînes et les dettes, répandre l’allégeance la plus éhontée et la plus vile servitude à la façon d’un maître plein de grâces ; on le verra, superbe en la bassesse, imbu de l’obligation qu’il juge départir et saintement n confus de nous humilier à force de présents. Voilà pourtant le bois ii dont on a façonné mille santons illustres ! ti LXIV. Du fauxrenoncement

n LXV. Aphorismes touchant la mort.

A. La mort a la vertu de conférer à tout ce qu’elle empreint U un je ne sais quoi de réel et de vivace ; elle est une ombre, II à faute n ii; de laquelle il n’est de ligne ou de limite, et l’on résigne le meilleur lï de la condition et le seul avantage de nos maux à la vouloir exclure de nos pensements. il’ lï B. Touchant l’article de la mort, il me paraît que l’argument de nos prêcheurs d’angoisse est digne de risée et la finale repentance n n une nigauderie. Il faut mourir tel que l’on a vécu, ni mieux ni pis, H le reste est viande creuse ou politique temporelle. Le galimatias H H de l’homme à l’agonie est un modèle vide d’éloquence et mille morts ri n selon la règle opèrent moins de changement qu’une existence hau­ il tement soufferte.

n n C. Que puis-je craindre où je demeure en paix avec moi-même ? Que puis-je abominer où j’entrevois la mort inévitable de chacun ? n Vaine est ma peur et mon aversion J a tentative la plus inutile. Qui voit en l’homme H celui qu’il n’est plus et qu’il ne saurait être, est ii dans le cas de ne haïr personne et de ne trembler devant rien. Le ri ­ ii reste me paraît un jeu d’enfants qui s’ingénient à se rendre formi n dables, ne voulant s’avouer leur tremblement ni leur faiblesse.

il n n D. La mort est la genèse du sublime et la mesure à quoi tout se n it il rapporte ou se réfère, le même fondement de la véracité, le garant il de la certitude et le mobile de l’agissement. Nul ne se passe d’elle

18

273

ô ou n’a sujet de l’oublier, sous peine de se mettre en faute ou de lan­ n guir à découvert, et la noblesse de mes fins répond sans discontinuer u du privilège de mes œuvres. La mort nous soit une présence, comme n n n elle l’est au reste, et nous rompus à son abord de chaque mouvement, n afin que l’on subsiste prémuni, la vivant à dessein, au lieu de méditer sur elle !

ff E. Mes frères en esprit, tous les miracles nous offensent, nous n ne voulons jamais qu’on nous abuse et que l’on entreprenne sur nos libertés, et les prodiges nous feraient rebelles, rebelles au Seigneur, n s’il se jouait de nous du haut de la suréminence au lieu de souffrir H parmi nous, semblable à nous et non moins faible. Nous n’admettons n ff pas qu’on nous émerveille et méprisons un combat inégal. Que Dieu n se serve de nos armes, nous Lui rendrons hommage et qu’il ne tonne pas au-dessus de nos têtes, car nous saurons mourir et quand le n ciel nous réduirait en poudre ! Nous désirons que l’on nous aime et qu’on nous fortifie en l’assurance. Mes frères en esprit, le seul n ii miracle est d’être au monde et de survivre, quand l’heure de la mort n est suspendue, inconnaissable : que ce prodige vous suffise ! Enfermen t-il pas toutes les largesses ? Pensez à votre mort et vous y trouverez une raison de vivre, vivants vous accédez à l’éternel où morts la n ri iiiii douleur même vous échappe ! Ah ! soyez dignes de cette immolation imprévisible et reposez en armes, veilleurs de la sereine attente ! n ri h ii Ne demandez pas de miracle et soyez à vous-mêmes la merveille, car Dieu n’a la puissance de vous secourir si vous Le perdez avec vous.

F. Mes frères, si le grain mourait, il ne saurait revivre et la plus belle renaissance s’ente sur la vie et nulle part ailleurs. Ce qui se u meurt est tout semblable à ce qui n’a jamais été. Mes frères, de la mort n’attendez rien et moins de ceux qui vous la prêchent et n’au­ n ront garde de mourir à votre place. Vivez d’abord et méritez le if poids de l’existence et les emblèmes de sa gloire, et que le ciel vous ti rassasie avant que Dieu rappelle l’âme et qu’il l’éteigne en la suavité de l’immortelle quiétude !

LXVI. Sermon de la conquête

Mes frères en esprit, vous n’êtes ii point de ces trembleurs dissimulés qui délibèrent sur l’inanité du monde et se consolent de leur im­ ri puissance en déprimant la vie ; mes frères, vous n’en êtes point et iiiii vous baillez hommage à ce que vous perdez sans vous mentir ou n n sans vous plaindre. La vie est le suprême don et le Seigneur ne vous devait pas davantage. Il vous permit de naître et vous commande iiiii 274

ii de mourir, Il vous retire un privilège intérimaire et vous n’avez nul droit sur tout ce que vous n’êtes plus. Vous mourrez seuls, n frappés à l’aventure, et vous mourrez entiers, n’ayant d’autres fl n soulagements que ceux que vous vous donnerez vous-mêmes, n tenus de vous les procurer ou de périr inconsolables. Aimez n la vie et ii l’aimez sans mollesse et ne vous cachez pas à vos douleurs. Oui, l’on vous ôte le meilleur en vous la faisant perdre et la rébellion est n lï il légitime et légitime le consentement, mais vous n’avez pas à vous ii mutiner : quoi de plus vain qu’une révolte ? Soyez de bonne com­ H il position et ne vous exemptez jamais de ce qui vous déjoue. Allez il et bâtissez infatigables, ne vous cherchez qu’en l’enracinement et n ne vous poursuivez qu’en l’éminence, que l’altitude vous appelle et les abîmes vous répondent ; allez et débordez ce qui vous investit n et dominez qui vous menace et terrassez qui vous achève !

XXVII. Le don de l’éphémère

n Que l’éphémère est un miracle et le suprême don, que loin d’être un reflet de l’éternel, tout l’éternel n’en semble que l’image, où nous ne voulons d’autre vie qu’une vie qui ne cesse, mais oublions n trop volontiers que la saveur dérive de l’impermanence. Nous réclamons la soif et fuyons le besoin dont elle nous affecte, briguons n n u la jouissance et maudissons les fruits de l’amertume qu’elle emporte, n n nous nous mouvons inassouvis de désenchantements en lassitude et de révoltes en frayeur.

n Mes frères en esprit, aimez qui passe et révérez qui ne se perpétue n n et n’oubliez jamais tout ce que Dieu gagne à mourir, car l’éternel n offense l’homme et qui ne meurt ne saurait vivre. Hors vous, il n’est de vous au monde et rien ne vaut ce que vous êtes, où nul ne n: u vous remplace désormais. Chacun de vous est le moment unique n n et l’absolu de l’absolu, chacun de vous l’engagement immotivé, n n chacun de vous une démarche que les lendemains vomissent ! Vous n’avez nulle chose en propre, moins la mémoire du passé, vous qui ne cessez de prétendre et vivez chaque jour en voulant tout avoir. n Mes frères en esprit, marchez en assurance ou tombez d’une pièce n n et craignez seulement de trébucher : le monde ne peut rien contre les magnanimes ii ou les morts et ne terrasse que l’irrésolu ! Vous serez faibles, si vous n’êtes purs et vous balancerez, si vous ne gagez n votre tête ! Le monde ne vous ôte point ce dont votre âme a fait

LXVIII. Sermon de la requête

275

son deuil et n’a de prise sur ce que vous n’êtes plus, il appréhende fl H l’immolation dont vous le menacez et vos dépouillements le frustrent. II Ah ! mourez chaque jour et nul n’aura puissance de vous obliger, et soyez à vous-: H es prise et don !

n Le Mal n’est pas mystère et l’évi­ dence y participe, il ne s’arrête en n aucun lieu du monde et les puissances le révèrent, mais l’âme noble n en a raison et la malice ne prévaut sur elle : il suffit d’une seule et ii l’univers est en échec, il Suffit d’un seul juste et les triomphes du n malin s’avèrent inutiles. — — On pourrait ajouter que ces trop belles assurances nous con­ n solent faiblement et que le juste qui se meurt se tâche de persuader n le bien fondé de l’immolation en mourant néanmoins, que son mar ­ n tyre n’est d’aucun usage où la mémoire ne s’en perpétue et ne suscite n de vengeurs, que ses vengeurs l’offensent mainte fois en le vengeant trop rudement et qu’ils se servent de l’exemple, en ne laissant de n démentir ce qu’ils invoquent. — — Le juste est fort, à cause que nul autre ne le saurait diviser d’avec la précellence et qu’il s’y fonde enraciné. Nous sentons que nous recevons le coup à le frapper et notre acharnement n’est que n l’aveu de notre incertitude. Oui, la faiblesse des méchants dérive n du chaos de leurs puissances mutinées, eux qui ne peuvent obvier n à la discorde, laquelle semble l’élément où leur état se plonge. — n — Mais le prestige du malin est de se dire ingénieux et de pré­ tendre à tout ce que l’intelligence a de plus enivrant, d’être en un n mot l’esprit par excellence et, véritablement, l’on trouve assez de monde pour le juger tel, croyant la bonté faite de simplesse ou d’hébétude, et professant que l’on est d’autant plus doué que for­ n n midable à ses pareils. Que de méchants vont au supplice en un n urmure n ii d’admiration ! — — Or, leur faiblesse nous échappe et ceux qui la découvrent se défient de leurs yeux. Si l’on était mieux convaincu de la fragilité de ces fléaux, ils seraient empêchés de nuire, à cause que l’opinion n: n n qu’ils ont d’eux-mêmes vient de nous et qu’ils s’affirment sur nos n têtes, nous méprisant de révérer leur lassitude. Le propre des meil ­ n h leurs est qu’ils se passent de vos jugements et persévèrent contre n vous, quand les malins éprouvent le besoin de tout légitimer n sans n intervalle et nous demandent de les valider au beau milieu des n tourments qu’ils infligent. — n H — Il faut que les méchants soient malheureux ou qu’ils paraissent l’être. —

LXIX. Colloque sur le Mal

276

— Et que le Mal emporte la tristesse avec l’ignominie, à faute de la peine où nous n’avons plus les moyens «i de l’infliger. — il — Peut-être les méchants habiles affectent-ils le déplaisir qu’ils ne ressentent guère pour qu’on les plaigne au lieu de les honnir, et trouvent-ils par ce biais un surcroît de délices. — II — Peut-être sommes-nous leurs dupes et méritons-nous leurs mépris couverts, mais ils nous servent plus qu’ils ne l’infèrent de •I u n l’ajustement et leur malice prêche contre eux-mêmes. n Nous n’avons garde de leur clamer d’autres preuves: les simples en seront édifiés. — n — Et les méchants habiles savent ce qu’ils gagnent à ne se pas il u la multiplier outre mesure. Les voilà nos complices, un pas encore et nous voilà fort engagés et dans le train de devenir les leurs. — — C’est là qu’il faut, que l’on s’arrête et tourne bride, quitte à perdre. — — Et qui veut perdre, s’il peut tout garder ? —

LXX. Du Mal et de la réprobation

ii Le Mal est un enfoncement dans une chute n infiniment multipliée où l’homme se disperse aa en l’étendue et l’étendue ne l’enferme pas ; le Mal est l’indivis sans l’innocence et l’au delà qui ne dépasse rien, mais dont l’attrait fascine le pervers et tente les épuisements du sage ; le Mal est la négation du choix et l’abandon des libres servi­ ri tudes, le glissement de palier en palier, une ouverture sur le chasme et le rebours de nos effervescences, l’état qui se veut transitoire et 11' ne peut devenir, en ne laissant de se corrompre en une mort toujours u n remise et l’agonie la plus générale au sein de l’éparpillement le n n n plus vermiculaire. La réprobation est le mystère sans remède où nous nous abîmons de notre pleine volonté, voulant ce qui nous u ii n perd et ne pouvant agir, malgré nous-mêmes, victimes endurcies, iiiii aa hosties lamentables. Nous nous établissons comme en un faux et ténébreux arbitre et nous gagnons la liberté du Mal, duquel il n’est plus de retour, et la franchise des démons, qui sollicitent ce qu’ils désavouent par une volonté qui se fascine et se dévore.

L’unique et le plus sûr moyen de décharger l’effroi qui nous n exerce est de le muer en courroux et de le faire ressentir aux autres. u ni n L’on nomme de ces enragés que l’épouvantement talonne et qui n n s’acharnent à lutter, peur de se diviser d’avec eux-mêmes : ils ne aa sont un que par le truchement de la fureur et ne forcènent que pour se jeter de servitude en servitude. LXXI. Du Mal et de la crainte

277

Que l’ignorance porte au Mal et H semble II le justifier, mais que le Mal est assez fort pour nous induire et persuade en fascinant, vu n que ses charmes n ne sont pas des moindres. Le Mal est une liberté n u sans Dieu ni maître et le retour à l’indivis, mais dans le sein de l’ordre II subsistant, et tire de l’antinomie un regain de puissance. Le Mal est comme n un vin et l’on y goûte d’effroyables joies, d’ailleurs solides. Les moralistes ii savent que le Mal ne laisse d’être formidable au genre humain, au mépris II de l’horreur qu’il nous inspire et dont il nous II II affecte moins à raison du motif que par le truchement de ceux qui II le dénoncent. Tout est perdu, si l’homme ne redoute ce qu’il aime et s’il ne tremble devant ce qui le peut enivrer jusqu’à la frénésie ; n n II tout est perdu, s’il n’abomine sa liesse et ne préfère l’amertume à la démence II ; tout est perdu, quand il s’efforce d’éprouver ce qu’il II doit recevoir et ne jamais passer en jugement.

LXXII. Le Mal et l’ignorance

LXXIII. Présence réelle du Mal

n n A démentir le Mal nul argument ne persuade et nul moyen n’a la ressource de contraindre, et si l’on délibère toutefois et se veut ii prémunir, on donne dans le faux. L’étrange sentiment que celui de nier la virulence de l’objet en cause, en ne laissant de le combattre! ii Mais la recherche est infamante et l’on court l’aventure de diviniser if n le Mal à l’avoir simplement admis, de sorte que le Mal a l’avantage sur les deux côtés et rompt les digues qu’il n’emporte pas, dieu n if pour les uns, vacance pour les autres, vacance ou mieux : abîme n fascinant. Le Mal n’est point, mais il existe et nous le prouve d’abon­ n dance ; nous l’avons infailliblement devant les yeux, quand nous ii n ne le touchons au doigt et nous ne manquons de l’ouir dès le moment n qu’il se dérobe à nos regards ou qu’on ne peut l’atteindre, il ira même offenser l’odorat, voire le goût, à moins qu’il ne se rende encore plus h subtil, envenimant l’inconcevable. Et nous, qui recevons l’empreinte u où nous n’avons sujet d’attendre la menace, nous sommes quelque­ fois à l’origine de la situation qui nous est faite. Le Mal réside en H n ii nous, comme il se distribue au dehors de nous-mêmes ; nous vivons en possession de l’investir où l’on est à portée de s’astreindre et II nous le consumons en nous à nous morigéner. Le Mal est donc à ii II la merci de l’homme au sein de l’homme intéressé, jamais ailleurs, n II jamais en l’étendue et jamais dans les autres, d’où la puissance If incoercible des méchants par qui le Mal ne cesse d’avenir et ne se fl lasse de multiplier. Nous devons croire au Mal aux fins de nous donner l’éveil, toujours assez pour nous en garantir, toujours assez et non pas davantage, car s’il a l’étendue, il ne possède qu’elle et non pas

278

l’infini ; s’il a le temps, il ne domine pas sur l’éternel et s’il a l’évi­ dence, il n’entreprend sur la divinité, laquelle est au delà de l’évidence et la transforme en chacun de nous tous. Le Mal est grand, mais Il il est sa limite ; le Mal est l’ordinaire, le facile, il est encore légion n H et l’innombrable, et chaque bien l’infirme en sa massivité ; le Mal II II H est amoncellement de nuits et de nuages, le moindre souffle le dis­ II perse aux quatre vents et met en défaut sa prépondérance ; il est II II un monde entièrement réel et qui se fait imaginaire et dès l’instant que nous mourons à lui.

LXXIV. Sermon sur les II Dans la rigueur des termes, Mal ou n martyrs sans l’espérance J Bien sont éléments de notion et leurs domaines réversibles, tout variant pour n n l’ordinaire en vertu de l’ajustement, de mode que le Bien change de place et qu’il se réfugie en des lieux incroyables, où l’on est sciemment en peine de le voir et néanmoins trop averti de sa pré­ n sence. Que décider alors ? Faut-il aller au Bien au mépris de soin n même, immolant tout d’office et prendre à tâche de nous ruiner, donnant les mains à ce qui nous renverse, pour qu’il nous soit rendu selon nos œuvres ? Quel juge nous approuverait en l’occur­ n rence ? Mais devons-nous nous attacher au Mal, s’il réside au milieu ri n de nous et l’affermir à force de nous employer en la faveur de ceux n qui le ménagent ? Nous ne pouvons nous y résoudre et nous voilà n mis au supplice et ne sachant raison garder, trop malheureux d’agir et la risée de ce monde où nous nous abstenons, coupables de nous n refuser, injustes dès l’abord et dès l’abord marqués d’un signe in­ n délébile, et ne devant pas même attendre en patience où nous nous II n sentons réprouvés, héros d’une querelle infâme et vengeurs lamen ­ II n tables, en pleine possession de leur crime et le voulant multiplier, H mourant ensevelis sous les décombres. Mes frères en esprit, voilà de tous les sorts le plus abominable, le sort dont nul ne nous délivre n et le plus digne de miséricorde, et le plus difficile de beaucoup : ri est-il pas nécessaire qu’on en meure et dans la générale réprobation? — Nous élèverons nos prières pour ceux qui saignent sur la croix mauvaise et les désespérés que l’on oublie ou dont on parle avec horreur, les martyrs de l’injuste cause et qui n’avaient d’autre ressource : ils auront droit à nos faveurs, ceux qu’on rejette et dont il on maudit la mémoire. n — Mes frères en esprit, le jour qui vient nous n ri rend aucune fois pareils à ces damnés. Tremblons, si n’ayant d’assu­ rance il ne nous reste que la servitude, et puis que savons-nous de n la justice de nos maîtres ? Prions et que la mort nous soit légère n en faisant que le Mal se change au Bien, servons nos maîtres jus279

qu’au bout, en ne laissant de les juger, mourons désabusés à notre If il place et souhaitons la gloire de nos ennemis, en tenant ferme devant eux !

ii La cause la meilleure est celle qu’on défend par le silence et qui l’emporte néanmoins, en étant ce qu’elle est et par le simple fait de l’être.

LXXV. La bonne cause

LXXVL De l’impuissance du sublime

Tremblez si votre cause est celle des honnêtes gens et qu’il vous faille u attendre leur secours ! Ils le mar ­ n chandent à plaisir, s’ils ne s’alarment d’épouser votre querelle et n la leur propre mainte fois. Que si le droit a besoin d’aide, il la retire d’autres lieux et la reçoit d’autres soutiens, mais nous savons qu’il n n y doit perdre et qu’il s’impose au détriment de la justice, encore n n qu’il prétende l’assumer. C’est pour cela que les meilleurs redoutent il le triomphe et l’amertume de scs fruits, qu’on les voit balancer et n même revenir sur des projets en apparence légitimes, où prendre l’avantage est se porter à l’accommodement le plus funeste. Tous n les moyens sont mercenaires, tous les agents inavouables, tous les iiiii il biais immondes et, malgré les horreurs de l’artifice, il est requis H d’en faire usage et l’on ne peut licencier à temps qui nous l’a mis II II aux mains : il veille à nos côtés, il double nos démarches qu’il fait II II aboutir, il est ensemble l’instrument et le reproche, il nous allie à sa tutelle et s’enracine dans la nôtre et, s’il n’est rien quand nous IIIII n’y sommes plus, que sommes-nous s’il nous déserte ? Que le sublime est impuissant, quand il ne s’échafaude sur le désirable !

LXXVII. Sermon touchant les fins et les moyens

u La cause la plus sainte n’est mise en réputation qu’à charge de céder et d’être mainte fois d’intelligence n tr avec les ordres établis. L’accord en semble lamentable et l’assurance il u' indignement fondée, mais tout — et jusqu’au règne du Seigneur — lî n’est qu’à ce prix ; tout n’est qu’impureté, mélange et flottement, IT malgré les volontés humaines. Le Bien, pour n’être pas une chimère, II a l’obligation hideuse de s’enraciner au plus profond de l’injustice et d’en tirer l’éclat de ses prestiges les plus relevés. Nous sommes II il de ce monde et serviteurs de qui ne nous mérite point. Pour aller au-devant du Maître, il nous importe de mourir à l’univers, mais II II nous devons le transformer. O douloureux dilemme II ! Solution tou-

280

H II II jours remise ! Combien j’admire ceux qui tentent l’ordre et qui le tiennent en balance, ne fût-ce que l’espace d’un seul jour ! Ce jour II nous rend ce que des siècles nous font perdre et mieux : il les sub­ jugue et les éclaire, il pèse davantage que nos destinées, il justifie h nos espoirs, il légitime nos rébellions, il sanctifie nos démarches. II n ai Heureux qui se le remémore et vit pour le restituer à l’évidence ! Mes frères en esprit, ce jour n’est-il pas nôtre ? N’y devenons-nous II II pas ce que nous sommes ? Que la lumière vous précède, qu’elle vous accompagne et ne s’éteigne plus où vous aurez passé !

II LXXVIIL Aphorismes sur les fins et les moyens.

A. Quand l’homme appuie un sentiment qu’il ne partage, en vue IIIII d’une fin jugée du meilleur aloi, cet homme met la fin dans une dépendance insoutenable et s’en éloigne sans détour. Il a beau se II jurer de revenir, on ne le fait jamais de conseil pris où chaque pas II enfonce d’autres précipices. En ce domaine-là, l’on ne se meut point de niveau : sitôt qu’on branle, il faut s’abattre de son long. H II B. Que nulle fin n’a le pouvoir d’innocenter les moyens mis en œuvre et que c’est un étrange abus de raisonner en partant d’elle, où nous devons y tendre. Nul n’aime à parvenir à force d’industrie II et les heureux ne manquent jamais d’effacer la voie ou de brouiller la déchaussure : qui se propose de les suivre, a le devoir de ne se IIIII point communiquer et l’obligation de toujours vaincre, sous peine II de la tête, et si les jugements sont renversés en vertu du triomphe, il est bien juste que les mépris se redoublent dans le cas de l’opposée, iiiii n en sorte qu’on y gagne et le dommage et l’infamie.

C. La bonté semble une figure et cesse d’être bonne à raison de n la force qui s’y joint pour l’imposer. Semblance, à faute de moyens, l’usage des moyens l’assure au jour qu’ils la font disparaître, et tant n y a qu’elle se meurt du simple fait de son avènement.

LXXIX. Le sacrifice de l’honneur

Si haut qu’on mette enfin l’honneur, il ne n n l’emporte nullement sur le service qu’on n n peut rendre en le perdant soi-même à n n l’avantage de son peuple ou de l’humanité, mais ce langage en blesse les adeptes : s’ils l’abjuraient, ils n’auraient plus de raison d’être et qui les désabuse les anéantit. L’honneur que l’on affiche dans le n n monde est une complaisance et sourdement volupteuse, jamais à

281

l’immolation qu’on feint d’y voir. Le bon usage de l’honneur con­ n n siste à l’observer en donnant ouverture à cela même qui l’excède, H au lieu de se fermer les autres voies sous l’ombre qu’il supplée à II toute chose. Le saint l’a déposé, mieux : il le violente et cependant l’honneur le suit, l’honneur s’attache aux mouvements qui le II résignent et semble naître sous les pas qui l’ont foulé.

H LXXX. Le dédain du mépris

II Qui n’est point méprisable achè­ II vera par forcer notre estime et II fût-ce au bout de variations sans nombre, mais s’il en doute ou se II II n relâche de sa précellence méconnue, il ne l’aura jamais et, méprisé, n ne s’ira démentir aux yeux qui le réprouvent. Il est des mésestimes justes qu’il est impardonnable d’encourir, il est des dédains prévenus II II qui ne raisonnent guère et qu’il est permis d’ignorer : ils tomberont H un jour comme ils sont avenus et c’est par eux d’abord que l’âme se surmonte. Ils sont fragiles, ces dédains, ils ne l’ignorent pas et, forts de leur faiblesse, on leur doit faire violence où la brutalité II II les charme au souverain degré. Et quoi de plus brutale sous le masque II et de plus ferme en la douceur, quoi de plus invincible que la charité, H n l’impénétrable en la démarche et qui surprend toujours en une nouveauté perpétuelle ?

LXXXI. Réserve

n II nous sert mal d’avoir raison contre nos ad­ versaires, s’ils ne regardent pas à ce qu’on leur n démontre et seulement à ceux qui le leur prouvent.

II Aimer son ennemi ! Le moyen II d’ajouter à cette marque de II dédain suprême ? Va, va, tu II n’es qu’un petit sot, va, garnement, tu n’es pas digne de mon fiel ! lllll c’est bien à moi de rendre hommage à qui s’efforce d’encourir ma n ti haine ! T’abominant, je semblerais te fournir les moyens d’en appeler à mon esti: n n estime, tu la peux chercher ! Car tu n’es H rien et : n on amour passe au travers de la personne ou la déborde n en l’annulant au nom d’une substance à quoi je t’assimile et dans laquelle tu n’es plus que ta figure et vent pour tout le reste ! Cela se nomme charité, mais ne raffine que sur l’art d’anéantir un homme lllll à l’aide des préceptes les plus relevés. — — Mais non, mais non ! La charité n’est pas cela. Le poids le plus insoutenable est celui de la grâce et l’orgueilleux préfère les

LXXXII. Débat sur la conduite n envers son ennemi

282

H tourments à ce pardon qui le fait poudre et l’oblige à mourir il à ce u qu’il aime par-dessus le reste. — — C’est bien ce que je dis. Pour écraser celui que l’on renverse, associant la honte à la confusion, c’est trop qu’il y demeure, il y n prendrait de l’avantage et l’on ajoute à son abaissement en lui n ff tendant la main. Vaincu pour la seconde fois ! — II — Nous n’en voulons qu’à son orgueil et jamais à lui-même. il II Qu’il soit donc l’ennemi de ce qu’il a d’abominable et son bourreau II n muet. Il nous suffit de l’avoir mis en face de sa faute et les yeux ii déciliés, de l’établir en un remords inéluctable où nous l’abandon­ nons, peur d’offusquer le jour illuminant son agonie et qu’il soit il H libre désormais, à la lumière de sa forfaiture ! —

LXXXIII. Sermon du choix II et de l’engagement

Mes frères en esprit, il nous sied toujours d’épouser une querelle, où il nul n’est au-dessus de la mêlée, et H d’appuyer la cause dont la foi paraît la moins malicieuse ou la moins entachée. Quand son pays est un objet de honte, le sage a la ressource n iï n de mourir ou de le déserter, il mourra même dans les rangs des n H défenseurs, s’il le juge à propos, mais seul et douloureusement lucide il n et jamais il ne donnera sa voix à qui l’a mis en cette dépendance, if H fi il mourra seul et méprisant, faisant merveille contre l’adversaire dont il souhaite le triomphe ! Mes frères en esprit, tout se déplace, Dieu même se dévie et nous n’avons moyen de L’obliger en déployant il une bannière ou de Le retenir à force de promesses.

LXXXIV. Apologie de l’épreuve

Ce qui demeure ne se perpétue ii guère et l’on n’assume les enga­ H n H gements qu’à force de se démentir. Pour qu’un système vive, il est il besoin d’une menace suspendue et d’une mort anticipée, il faut des H risques à courir et des périls ouverts, il nous importe de jouer qui nous l’assure en soutenant qui le surmonte et d’essuyer en joie l’atteinte probatoire. Et quoi de plus fragile qu’une belle morte et la semblance des traditions que nul n’ébranle plus ?

L’épreuve se situe en chaque lieu, en la disette ou l’abondance, en fi que l’homme gagne l’infortune ou le plaisir, en tout emplacement ff iiiii ou qu’il délaisse, en le désir comme en la fuite et même le renonce­ fi ment à qui nous tente ou nous oblige. Dieu seul nous met à couvert II

LXXXV. Nature de l’épreuve

283

II de l’épreuve en la multipliant jusqu’à ce qu’elle tombe à rien et IIIII II que notre âme II prime sur le monde : alors nous sommes ce que l’on était, mais qu’il nous fallait être pour le devenir et faire usage de II nos postulats. Tout homme H est la figure de son infini, dès le moment H Il II qu’il se ramasse à l’entour de soi-même et n’envisage rien qu’il ne II II rapporte à sa gouverne, et le dépassement émane du repli.

Que je ne sache d’heure plus sinistre ni plus désolée que celle où l’hon­ il nête homme se tient dupe et dé­ il sespère de la Providence, où l’homme vertueux se juge méprisable H et qu’il envie les méchants ii sans parvenir à se mouler sur eux, où la victime meurt n de honte en admirant ceux qui la navrent, où chaque malheureux — garant de sa dérision ! — se fait complice de la servitude. Oui, l’heure est telle alors et Dieu si vaguement lointain, l’iniquité si triomphante, le Mal présence irréfutable et il la justice au rebours du réel qu’on a mauvaise grâce à ne vouloir il subir et que le refus de la mort ajoute au ridicule de nos espérances. Cette heure-là ne cesse d’avenir depuis qu’il est des peuples et des n temps et, malgré toutes les objections, les blâmes ou les prônes, n rt n les victimaires régnent à leur aise et les victimes meurent invengées n puis, quand les méchants saignent à leur tour, ils ont la consolation n II de l’avoir mérité cent fois et tombent impunis, parce qu’impunis­ H sables, ils trouvent quelques saints pour leur tirer des larmes et leurs pareils les louent de leurs dépravations antérieures, les voulant pour modèles, de mode qu’ils périssent en cérémonie — avec les pleurants de leur infortune et les apologistes de leur forfaiture — H II sous le regard d’émules attentifs et d’une légion de malheureux II que l’on incite à leur porter estime. il LXXXVI. Le désabusement irréparable

LXXXVII. Sermon sur le suicide

iiiii Quel homme digne de ce nom insulterait à n la mémoire de ces gens de bien qui se donnèrent autrefois la mort et préféraient à 1 existence tout cela : n ême n' qu’elle signifie ? Leur désespoir a je ne n sais quelle élévation qui me transporte et j’y discerne un fonds de n n n magnanimité solidement sereine. En vérité, j’y vois des âmes d’une trempe inégalable et qui ne cherchent d’autre appui que leur mesure, n n où leur mesure est à l’échelle du destin, quand elle ne le passe. Est-il n spectacle en l’univers qui représente mieux les fastes de l’espèce II H qu’un homme se mourant, le maître de son heure et la figure de sa II II II fin, méprisant la menace ou les apaisements, inébranlable et résolu ?

n n Les clercs ne manquent jamais de nous assurer qu’il est rebelle et n n Il pétri de superbe, mais j’aimerais, sans mentir, à le suivre au lieu de recourir aux consolations d’usage ! Mes frères en esprit, chassez de vous qui vous domine au travers de l’abattement et qui s’allie H à vos faiblesses ! Chassez de vous le complaisant insidieux qui vous ii iî sépare de vous-mêmes ! Allez à qui n’a soin de vous et vous ressemble, il à qui vous porte le respect silencieusement •T et ne profane vos dou­ leurs hautaines, à qui vous rend justice au profond de son cœur et ne vous souille point de charités infâmes, à qui vous donnera le coup de grâce à l’heure que vos yeux le lui demandent, il allez à qui n n vous aime de la sorte et ne s’impose jamais à vos sentiments, et que n vous aimez trop pour le lui faire entendre ! Mes frères en esprit, ne rougissez pas d’être heureux en ayant l’âme noble et d’avoir le courage de l’orgueil, de cet orgueil lucide et pénétrant, inséparable de la mort et vivant d’elle et dans sa vue. Et maintenant, ii vous reste-t-il à craindre ?

'k LXXXVIII. Débat sur la déses n pérance et sur le stoïcisme

n Les clercs nous blâment de dé­ sespérer et veulent qu’on ne cède n n pas à la fortune, mais ils n’improuvent nullement notre faiblesse où nous nous suspendons à leurs devis et remettons notre personne entre leurs mains. Je sens qu’ils n nous flétrissent moins de manquer de valeur que de nous rebeller n en faisant planer un soupçon sur l’ordre et sur l’ajustement de l’univers, qu’ils jugent assez digne, pourvu qu’on se soumette à n leurs lumières. — n n — Un homme qui se désespère accuse le pouvoir suprême et brave ses bontés, il laisse entendre que le Dieu n’est point ou qu’il n' n est méprisant, ou qu’il est empêché d’agir et même traversé par n une force égale et l’ennemie de l’espèce, ou que le Maître est à la ii fois méchant n et longanime et qu’il distille ses fureurs par le canal des violences qu’il exerce. — — Le clerc, s’instituant l’unique intercesseur, a l’obligation n ri d’avoir réponse à nos litiges et de motiver le bonheur des méchants ii ou la souffrance des plus justes, de répartir les remontrances et les n consolations, de maintenir en place qui le favorise — encore qu’il soit rocher de scandale — et de veiller à ce qu’on ne l’abatte pas, sauf à l’abandonner à la vindicte générale en prenant les devants de la rébellion. — n — O clercs infortunés ! Que ne réclameront-ils pas de vous, puissants ou misérables, n vaincus ou triomphants, niais ou délicats ! A chacun vous baillez sa phrase ! —

285

— Aux humbles vous affirmerez qu’ils sont chéris du Maître et Il II n fort avant dans Son intimité ; aux grands que Dieu les nomme man ­ dataires, les commettant n à rendre la justice ; aux peuples accablés II vous enseignez que la défaite est une marque de faveur ; aux nations victorieuses que le Maître les assiste et qu’il agit par elles ; aux ii âmes II viles et d’entendement borné ne laisserez-vous pas entendre n qu’il n’est rien de tel que la simplesse, alors que vous joutez déli­ II cieusement avec les esprits forts, dont la conquête vous enivre et II dont vous vous évertuez à rompre les mesures. — — O clercs infortunés ! — — En tout cela, que devient la grandeur de l’homme et les re­ 11 II tournements de sa condition ? La perte vaine et les démarches ii n abolies ? Ne nous privez de la suprême majesté de nos douleurs que nul ne justifie et qui n’en semblent que plus adorables. Vous qui n n savez répondre à tous les coups, laissez-nous face à l’amertume et ne II cherchez pas volontairement à l’adoucir, laissez-nous être plus que n nous ne sommes, ne nous ôtant jamais à la désespérance et tremblez n de nous amoindrir, quand elle nous demeure et qu’il ne reste d’autre II gage ! Les âmes hautes ne redoutent que les consolations indignes. — — Voilà du stoïcisme ! — niii — Il sied parfois que l’homme se roidisse et qu’il se guindé dou­ n loureusement pour se donner le change au lieu de se connaître sans n réserve. Il sied qu’il s’arme de mensonge à l’égard de ses inclinations n et renchérisse sur une imposture diligente en se mettant devant les n n yeux une apparence de soi-même au rebours du réel, à dessein d’y n venir à la dernière extrémité, qu’il soit tenu de faire honneur à cet n engagement et s’y prodigue sans retour, qu’il s’établisse librement en une servitude et qu’il s’emporte à la fureur de se désavouer — n peur d’être ce qu’il est et qu’il s’acharne à démentir !— n — Voilà du stoïcisme. — n — Où donc serait le mal ?— — En la doctrine des stoïciens, il n’est que des ressorts bandés n en une dépendance mutuelle et l’édifice monte en flèche et descend dans les profondeurs. — n — C’est l’ordre le mieux ajusté pour le facile usage des parties et l’on ne sait ce qu’il faut admirer d’abord. — — L’on jugerait tout admirable et donnerait sa voix au plan ri de la bâtisse, à l’harmonie de ses corps, au bel agencement du parvis n et du péristyle, à la façade la plus noble, à l’appareil massif taillé n n de main de maître, oui, l’on y donnerait sa voix si l’on y décelait un faible ! — — Plaît-il ? — n — Un faible, mais un faible tel que tout le demeurant nous

286

n pèse, un composé de haines et de peurs, un aveu d’impuissance à u quoi le reste se ramène, une profusion de pauvretés sous le couvert Il de la simplesse et l’amour du néant dont vos méthodes se dérivent. II II II 11 Le fond du stoïcisme est un mélange impur et sa doctrine une manière de circuit scellé, partant l’école de la mort, où l’on a pris le deuil dès n la première instance et se confine en la superbe et le détachement, II n avec la mine de tout résigner. — n — Avec la mine seulement II ?— — Avec la mine de tout résigner, moins un orgueil inébran­ lable. — — Courage de l’orgueil ! — — Ce monstre dévorant paraît vider la terre et c’est bien lui que l’on adore au plus secret de l’édifice, le temple est son domaine II II II et l’ordre merveilleux le truchement de sa fureur, il a tout consumé n ii pour n’être qu’à lui-même et tout abandonné, se rendant en retour l’objet de sa possession ! Tel est le Dieu de ces fidèles du Portique, n n démon muet dont ils sollicitaient l’avis et qui les renvoyait à leur silence ! —

LXXXIX. Abandonnez les morts

11 Les hommes les plus abîmés languissent à se laisser vivre et n’osent rompre leurs attaches. C’est bien le faîte de l’adversité II II II que de s’y rendre éperdument et de s’y contempler déchu, mais IIIII hors de soi, comme ayant cessé de s’appartenir. Un mort se donne­ If II rait-il le trépas s’il y demeure en permanence ? Que ces déchus éprouvent un semblant de volupté n’est pas décidément niable et iï ri là gît le mystère de la déchéance temporelle et de l’empire du néant, en tant que promoteur de joies inavouables. C’est la raison qui H II justifie notre éloignement devant les misérables vautrés dans la n fange et se multipliant enracinés en la ruine : nous les abominons II n à proportion de l’amour que leur humanité suscite au profond de n nos cœurs, mais nous savons que le remède porte à faux, s’ils ne consentent à se faire chastes. Mes frères en esprit, abandonnez ces morts et fuyez leur approche : ils sont la honte de l’espèce et la II il matière vile que travaillent les tyrans, les ennemis de toute liberté, la foule esclave des luxures, la serve de l’attachement, agonisante II inassouvie à jamais en deçà de l’homme !

n Que tous les sentiments que l’on n affiche ne sauraient mériter une n créance similaire et qu’il ne suffit guère d’en jurer pour se gagner n l’estime des moins prévenus ou des plus équitables. La foi peut

XC. Contre la fausse tolérance

287

H n’être pas la bonne et nous n’avons jamais à faire état de ceux qui n : mourir n meurent en son nom afin de ne se déjuger est l’artifice il de ces faux croyants et de ces enragés qui se mutilent, peur de se connaître ou d’aller jusqu’au bout de leur démarche. L’opinion, n du fait qu’elle se met au jour, ne gagne aucunement sur l’erreur n qu’elle emporte H : être sincère dans le faux ne nous démontre point qu’il faille lui porter respect, où nous devons l’abattre !

il II est en ma puissance de mentir et d’user d’artifice, où tout prévient en ma faveur. rr 41 Qu’on me n chérisse ne démontre aucunement que je sois digne d’être n n aimé. Si l’on regarde aux motions profondes de l’amour ou de la haine, on s’épouvante de n’y voir qu’un assemblage de ressorts. Le peuple juge en suivant l’ordre de semblance et l’attitude le con­ il If vainc des marques les moins assurées : — l’allure de franchise et de simplesse péremptoire, avec un fonds de violence qui se cache n n et se promet, de bonhomie menaçante et de postures outrancières II u quelquefois, mais fort bien ajustées, voilà qui charme sans dispute ! n — On nous mesure à telle enseigne et ne réclame jamais d’autre ii preuve. C’est pour cela que tel est odieux impunément, qu’on souffre II u de sa part des rigueurs incroyables, mais n’ose murmurer, que l’on s’oblige à toutes scs raisons, qu’on l’innocente pour sa bonne mine ii et ses regards candides. Avec cela, qu’il nous méprise ! Il aurait tort II n n de se gêner et l’on mendie sa faveur la plus minime, à cause qu’il n a les mains blanches et la contenance solennelle.

XCI. Faux jugements

Que la vertu se passerait avantageusement n n ii des marques de l’estime qu’on lui donne, à l’heure qu’on s’efforce de la ruiner !

XCII. De la vertu

Rien ne sert d’être aux yeux du monde un parangon de loyauté, si l’univers pré­ n rr tend que nous dissimulons et taxe nos engagements de fables. C’est n privilège et le plus haut que de se confirmer valablement en ce qu’on u n est, où les efforts que l’on déploie ont moins de prise que le sentiment n n des galeries. La vertu nous protège mal, quand elle ne se fait con­ n naître et recevoir en due forme et nulle église ne se passe de men ­ n n songes ni de simulacres. Tous les moyens de nous placer en un jour

XCIII. Être et paraître

288

Il favorable emportent quelque piperie et notre cause y perd un je II ne sais quoi d’innocence, mais que serait-elle au défaut de ses invites ?

XCIV. Sermon sur l’apparence

Paraître est une révérence due à II l’ordre le plus légitime et l’obli­ gation dont l’artifice nous enchaîne en profondeur, où l’on n’a pas à le juger, mais à la prendre. Aucun pays ne saurait vivre et subsister à défaut de semblance et nous devons respect à ce qui nous retient n sur le penchant de la ruine. En les coutumes les plus dignes de risée, il est parfois une ombre de sagesse et fol est qui les subvertit de n première venue. Il n’est pas convenable de peser ni le motif u ni les allures, quand leur ensemble ne nous incommode plus, ni de creuser un vide à seule fin de nous instruire ou de flatter l’entendement en passe de se déployer. Ce n’est pas tout que d’être joueur et d’exceller à nous fournir une raison valable, il faut encore qu’elle ne nous tue pas. Cela n’empêche les meilleurs de viser au delà pour être ce qu’ils semblent, à cause qu’ils sont forts de l’assumer et qu’ils supportent l’ordre à l’heure de sa mise en examen, puis qu’ils reviennent sur leurs pas au lieu de traîner dans le vague. — Mes frères en esprit, n’abattez rien de ce qui vous entoure et craignez pour les faibles it et les démunis, pour ceux que les lumières blessent et les vérités n achèvent, dont l’existence est suspendue à des formules creuses : qu’allez-vous départir à cette légion de misérables qui vous clament uniment le pain avec la paix de l’âme ? — Mes frères en esprit, ne leur soyez jamais ii un objet de scandale ! Que vous sert-il de leur apprendre qu’ils sont malheureux, n s’il n’est remède à l’infortune et que le règne le plus équitable a ses victimes innocentes ? Paraître, certes, n’est pas la solution rêvée et notre dignité réside ailleurs n qu’en une vaine contenance ou des allures machinées. Paraître est donc une nécessité pour qui se voue au monde et l’ordre temporel s’y n n moule sans dispute, mais l’ordre de la n grâce est infailliblement ailleurs. Mes frères en esprit, laissez parler qui mourra devant nous et ne vous affligez de donner une voix sou­ u mise à qui n’est rien, si vous n’entrez en tous les sentiments qu’il vous affiche. Que vous importe de sembler ou de ne sembler pas ? Aux yeux de qui vous acharnez-vous à paraître ? Laissez les morts dont l’univers est plein et résistez à la superbe de les ébahir, en leur montrant que vous vivez sous leur regard et qu’ils ne sont que l’ombre n H de vous-mêmes.

XCV. Sermon touchant la résignation

19

289

Mes frères en esprit, ne vous fuyez pas dans n les autres, que chacun demeure en sa place et dût-il en mourir ! Chacun de nous a ce n n qu’il est et ne possède l’univers qu’au travers de soi-même, où nul n’a pleine autorité s’il est à ce qui le possède. Allez de vous à vous n par tout ce qui vous en sépare et tentez vos abornements, afin de reculer vos lignes. Nul ne vous fournira de sûretés, vous êtes vos garants indéfectibles, et nul ne vous assiste de conseils où vous délibérez en gageant votre tête. Promettez-vous le pire en allant u au meilleur n et ne vous exemptez de rien, mais ne laissez de briguer u ­ toute chose ! Tel un feu dévorant roulant de foyer en foyer, em n n portez-vous à rompre n vos mesures et, dans l’ajustement inaccessible u à tout secours, tenez-vous lieu d’épreuve en contenance d’ennemis ! n n Infortuné qui s’en remet au seul événement du soin de le conduire et ne se désabuse avant de se leurrer ! XCVI. Sermon sur la constance

ii XCVII. Sur la condition tragique de l’humain

n A. Chaque homme est investi de tout ce qui l’évince et se pro­ n n digue déterminément à tout ce qui le désavoue, et s’il n’achève de n s’y décrier et de s’anéantir, il s’y retrouve plus entier, mais l’avan­ n tage est pris au détriment de l’innocence préalable et l’harmonie n un amas de divorces.

n n n n ’y vio­ B. Je me discerne au fort de mon emmêlement et je m lente, afin de l’ordonner, taillant et rognant à loisir, me gagnant de n ’y perdant à point nommé. Je sais ma ir rencontre et m tentative la plus vaine et je n’en puis démordre, allant et revenant au sein de n1 n n' n mon repaire, où mes égarements me mettent sur la voie, en reste ii avec ce que je suis et me tenant à ce que je deviens, menteur^ n de n ’avoue à la mauvaise n bonne foi si je m et poussant à la roue en y rf n if ’épuise ruant force bâtons. Qui me retirera de ce monceau que je m à déserter ? ii

n C. Que l’homme passe toute vie à rompre des préliminaires, ti H n qu’il ne démêle rien, mais alléguant à faux, embrouille les rigueurs II et la licence, qu’il se repose mollement sur une foi contraire et qu’il II se livre au témoignage de l’erreur, se soutenant à force de semblances, II qu’il se reprend s’il n’en peut mais, qu’il se retourne à faute de raison, que sa feintise est innocente où les aveux sont composés, II qu’il fait retraite, appréhendant de revenir, s’opiniâtre à se lasser et ne dé­ fl mord de ce qu’il abandonne, qu’il délibère sur le choix avant d’en

290

II Il II urmurer, qu’il s’en exempte pour mieux s’obliger et se remet II à son devoir, rend le futile essentiel et le solide le plus vain, surcroît ti n de solitude et renouveau d’impasses. Ce mouvement porte le monde II n et l’univers s’agite moins que nos imaginations, quand elles ise débrident. Ne fuyons plus ce qu’on a charge de muer, de disputer II II les armes à la main à ceux qui rêvent de tout asservir et gagnons-nous II il sur eux comme sur l’univers, en méritant le poids de toutes les fa­ veurs, en soutenant les charges et les dignités, les conducteurs de toutes les besognes ! H'

XCVIII. Profession de foi tragique

Mes frères en esprit, il nous faut croire en II II Dieu, mais désespérément, à cause qu’il n’est point si nous ne L’appelons à l’être. De nous vient le Seigneur, de nous qui L’avons suscité pour qu’il nous fonde où nul ne nous assure, et c’est à Lui que nous allons, II tendant devers nous-mêmes. Mon Dieu, Vous êtes la raison de vivre lllll et de périr, et la fin naturelle où se consomment nos démarches. Mes frères en esprit, allez prêcher avant que l’heure passe et que l’éternité s’abîme, allez ouvrir les routes et les cœurs, torrents issus n n n de la montagne, et qu’une même mer accueille tous les fleuves débandés ! ii Mes frères en esprit, n’aimez que l’ordi­ n naire et méprisez les nations qui vivent n II dans l’attente du miracle, où les miracles ne sont point et l’ordinaire le prodige en per: n anence. Aimez les jours qui passent et se suivent, et n’espérez jusqu’au dimanche pour vous remuer, car chaque jour est une fête à l’âme et la genèse n n de l’espoir, au lendemain de l’espérance. Soyez en même temps lucides et tenaces, prêts à l’émoi com: n e à la retenue et disponibles en l’acquiescence, où vous ne dérogez plus à l’éviction !

XCIX. Contre l’attente des n iracles

Le danger de la tempérance est qu’on ne s’y II 11 dépasse aucunement et que le moyen terme pris, loin de nous faire instance, assoupit nos élans n la plus et nous retranche les possibles, nous limitant à la mesure n timorée. Nous végétons, pour ainsi dire, en deçà de nous-: u têmes, n n II exempts II d’un mille de dégoûts et libres d’amertume, en sages froidureux, bornés par ce qui nous étaye, enceints par ce qui nous appuie et les sujets de nos frontières, incomparables au dedans, mais asservis n II pour tout le reste et roides plus que noblement trempés. Que les n natures généreuses s’excitent à des sentiments outrés dont elles C. Contre l’abus B e tempérance

291

se feront une vertu, voulant se déborder en ce qu’elles éprouvent, ii ff n démesurées, H non manque de lumières, mais en raison de leurs res­ sources. La tempérance vaut à proportion de ce qu’elle départage et qui s’y donne au lieu de s’y revendiquer devient une moyenne et se situera en l’abrégé de ses profusion antérieures, quand il devrait en être le duel. H La démesure fait les saints et plus il est de fougue et plus il faut de conte­ ii ii nance pour en abattre les emportements, ff d’où le surcroît des forces* mises en balance et l’augment général n de véhémences disponibles. Nous gagnons sans relâche au contre­ temps, n nous nous affermissons à nous dissuader et les désordres il sous le joug impriment à nos mouvements une vigueur inassouvie il de démarches. Nos inclinations inavouables, tenues en échec, se bandent pour se trouver une issue en l’altération de leur nature et il nos vertus y gagnent sans comparaison, enflées de leur rage et l’obligeant à les servir. Tout l’être se condense de la sorte à la faveur de ses mobiles, tassé pour faire masse et déborder ses règnes. ii CI. Éloge de la démesure contenue

CH. Courage de la démesure

Mes frères en esprit, aimez qui vous n contente et révérez qui jamais ne n n vous assouvit, cherchez votre mesure et tentez votre démesure, n afin de gagner sur vous-mêmes. Fuyez et revenez, peur de vous être à charge et ne vous désertez que pour vous investir et de plus n n n ii haut ; jouez avec les fondements et mettez les maximes en balance, n n et rendez les mobiles immutables ; soyez à l’antipode et jamais dans les lieux où l’on respire une douceur mortelle et bravez l’univers n entier, s’il vous sépare de vos mires ; n’ayez point d’ennemis et n n n n point d’amis : que les premiers ne vous alarment plus en permanence, que les seconds ne vous aveuglent pas à l’avenir, que nul n’ait n n privilège sur vos destinées, pas même vous en tant que vos mobiles, n et faites de la mort un commun diviseur de vos agissements ! A suivre quatre voies un homme est en possession d’atteindre à la suré­ II n minence où les moyens se fondent et l’altérité s’efface, où les prodiges If n n mutuellement mis en commun s’étayent pour aller aux nues en exerçant une puissance égale et l’âme se ravit d’emblée à la faveur de ses largesses. n Première est celle de l’orgueil et nous la longeons dans la soli­ IT il n tude, en l’amertume et le dépouillement, lourds d’une flamme inasCIII. De la quadruple voie

292

souvie et consumés par elle, anéantis et dévorants, abjurant tout, Il mais rêvant de tout posséder, destitués de ce qui nous assemble et n’ayant part à ce qui nous divise. Une autre est la douleur à quoi nous voulons consentir et nous tl abandonner d’un mouvement sans intermission pour avancer notre ruine et nous envelopper en elle, enragés assidus, épris de nos tour­ 11 iiiii ments dont nous ne sommes jamais quittes, nous désolant afin de renchérir sur ce qui nous abîme. II II Une autre est la sagesse en l’émulation de certitude où l’âme se démêle, échafaudée à notre bienséance, et se détrompe de ses vues, en assurance auprès de qui la veille et sollicitant l’univers en un circuit de grâces prévenantes, réformant les abus et soutenant n les dignités, lucidement élue. n II Une autre la plénière amour se penchant sur les mondes, laquelle II n enferme l’étendue en la miséricorde et bâtit sur l’élan dont elle invoque l’assistance, immolée à l’attachement et prenant la nature en charge, inaccessible à tout secours et défaisant tous les appuis, n ne voulant rien devoir, mais voulant assumer ce qu’elle porte, inII n défectiblement offerte et mise dans les intérêts de ce qui la renie ou la ravage. Et la dernière voie est la plus haute et c’est le carre­ r four de l’éminence où les divers chemins s’unissent et le Maître se déclare. Ma dignité repose où, consentant à H l’ordre de cet univers, je mets en n n if œuvre cela même que je fus pour le mouler infatigablement sur ce que je ne cesse d’être. Sage est qui, sondant les contraires dans leur force irréductible, agit en résignant le loyer qu’il ne laisse de pour­ suivre.

CIV. Principe de ma dignité l

n n Où l’évidence même ne prévaut contre l’en­ il tendement qui la renie, il semble que tout le réel perde ses droits, ne fût-ce qu’à l’égard d’un seul d’entre les hommes. L’homme est si faible qu’une pierre en tuerait un nombre ii incalculable et cependant le monde et ses puissances ne l’ébranlent ii plus, s’il jure de ne pas les voir. La dignité de l’homme veut qu’il se récuse.

CV. Éloge du refus

CVI. Frontières de la dignité

II n’est pas convenable d’appuyer H outre mesure sur la vanité d’un II monde que l’on juge impermanent et nous devons nous méfier du pathétique, en refusant à notre complaisance un aliment dont il 293

lllll faut craindre de mourir. Le monde n’est pas vain et nous n’y sommes ii n pas des ombres, et l’évidence plus tangible que nos mêmes volontés ; II nous n’avons guère à murmurer de l’allégeance à quoi la condition n nous destine et ne pouvons que la subir, sauf à nous rendre maîtres n de nos fins. La dignité de l’homme implique le consentement ou II la dérobade. la rébellion, jamais

Nous consentons à la douleur, pourvu qu’elle n II se justifie et l’homme endure des maux in­ n croyables, à seule fin de mieux se prouver qu’il existe, mais nul n’en veut, à faute de raison, et les souffrances se II redoublent quand l’âme n’en discerne plus la cause et qu’elles nous réduisent à l’absurde. Nous cherchons un mobile à ce qui nous II II ébranle et l’un des signes de notre éminence est le refus de vainement subir, un semblant de métaphysique parle à l’imagination avec une n éloquence nonpareille et jamais déraison n’a la puissance de nous affliger, si l’on se prévaut d’une source occulte. En l’être le plus n ravalé, les marques de hautesse abondent, mais l’on redoute de ii s’en éclaircir et l’on appuie l’avilissement de ceux dont on abuse. n ti Quoi de plus chargé de menace que l’homme injustement foulé, s’il iï ­ ne consent à devenir l’outil aveugle et le moyen que notre domi n nation met en usage ? — L’absurde est l’allié de ceux que la noblesse outrage et qui pardonnent mal qu’on serve dans l’honneur, en dépit de la servitude ; l’absurde est l’allié de ceux qui nous jalousent de n les rendre méprisables, nous qui les faisons tels pour refuser de H l’être et maintenir ce qu’ils ne peuvent nous ôter : le bien, l’ultime bien dont la largesse les écrase et le reflet de cette plénitude à quoi n’atteignent les puissants s’ils ne se veulent abdiquer. Oui, notre II II abaissement élève un trône à la suprême gloire et notre humilité II nous fait participants de l’absolu, car nous ne sommes rien, de peur ri d’être à nous-mêmes, et nous abandonnons la place à qui viendra n l’emplir et terrasser le monde. Nous consentons à la douleur, nous ri la bravons et la redemandons après que le Seigneur, assoupissant n tous nos tumultes, nous a changés à la divine théorie où l’Un réside à la liesse du cortège !

CVII. La dignité dans la souffrance

CVIIL Le rejet de la complaisance

Nul n’entrera d’emblée en compromis avec ii soi-même et nul ne cédera quand il se destitue, de peur qu’il ne s’en fasse gloire : le moindre pas nous doit coûter une agonie sans mesure et nous devons payer ü ii n le manquement le plus minime d’un retour si général que l’âme se ii

294

déborde, issue de sa plénitude et reculant les marches ii de nos fins, Il plus véhémente en vertu de la chute, plus ferme n à raison de la dé­ II faillance et plus armée en compensation de la menace. n CIX. Dignité de la connaissance

II Je me demande bien souvent de quel usage est II la plénière intelligence d’un événement qui nous dépasse et dont nous ne pouvons que subir les atteintes sans nous remparer. L’utile d’une telle connaissance, où nous n’en tirons que raisons de nous miner et de nous amoindrir ri ? Nous en voyons qui, roulant sur un faux principe, se racquittent et ii n parviennent à se démêler, ignorant tout de la menace suspendue et revenant sur l’eau, pendant qu’elle s’évanouit, et d’autres qui se n n meurent fascinés par elle et n’osant la braver, du fait qu’ils la me ­ H surent. Que d’hommes vivent, manque de sentir, ensevelis en leur ii it accoutumance et toujours à l’épreuve de l’adversité, mais d’une adversité qu’ils ne discernent pas ! Que d’hommes se ravalent en ii n croyant s’affermir où le mérite n’est pas d’être aveugle, mais de s’évertuer en dépit de sa clairvoyance !

CX. Parabole

iiiii Mes frères en esprit, il est des hommes faits de paille et dont le vent disperse l’assemblage ; il en n n est d’autres formés d’une cire molle où tout s’imprime A n à l’aventure n n et dont chacun est à soi-même de rencontre ; et d’autres sont pareils II au bois et nous louons leur dureté, mais que le feu s’y boute et les II voilà réduits en cendres. Or, les meilleurs ont la nature du seul II n bronze : ils sont loyaux et fermes et sonores, il faut les rompre d’une II pièce et dans la flamme ils coulent embrasés. Le Seigneur n’aime que ceux-là : s’il les ébranle, Il les écoute et s’il les brise ou les doit fondre, Il les affine et les épure, avant que de les revêtir d’une splen­ deur nouvelle et de les projeter dans une forme triomphale. Mes frères en esprit, soyez comme le bronze !

CXI. Contre les faux rieurs

it Mes frères en esprit, le temps de rire est le dernier venu. Ne riez point, n que vous ne soyez à vous-mêmes ! Le faible rit, de peur qu’on ne l’assomme et l’incrédule, à dessein de se prouver qu’il existe ; le h raisonneur, en haine de ce qu’il n’atteint jamais ; le sot, parce qu’il ru Il juge tout à sa mesure, mais vous n’avez sujet de faire ce qu’ils font et le loisir vous manque, où l’âme se doit prendre en charge. Ne riez ii point, de grâce, et fuyez la liesse inavouable, soyez moroses et cha­ n grins dans les commencements, ii pour que la joie se redouble à l’arrivée.

295

n Avoir le monde à ses côtés, c’est vraiment H peu de chose quand les plus sages vous mé ­ prisent ou se contentent de vous ignorer, H mais leur estime ne nous sauve guère et l’on se porte mieux en II négligeant d’en faire état, et nul, jusqu’à ce jour, n’est mort de leurs mépris II où l’on ne cesse de périr pour n’avoir mis le monde dans ses n intérêts. Les justes ne vous tireront de rien, mes frères, soyez comme eux si vous avez choisi l’épreuve et n’ayez garde de leur ressembler, dès le moment n que vous voulez bâtir !

I CXII. Le désirable ou le sublime

CXIIL Touchant le désirable et le subli: II n A. Le désirable nous engage et le sublime nous contente, mais H l’âme ne se tient pas au milieu — quoi que l’on fasse — et penche devers ce dont elle est naturée en la plus fine pointe. Entre elle et II II le sublime, la convenance est infaillible et nous menace toujours II de se déclarer. Je m’établis en l’univers que je motive, en tant que il raison de ce monde et de moi-même et lui devant ce que je suis, il il bien qu’il me doive toute chose. La vie est un échange immémorant de son principe et qui s’engage brûle ses vaisseaux.

B. Plus la faveur est signalée et plus le châtiment s’augmente en compensation. Sitôt que l’homme est digne de béatitude, il n’est n pas recevable qu’il ne tombe au gouffre de la désolation. Auparavant n H II il dormait dans les Limbes, mais qu’il s’éveille et nul n’est en mesure d’éluder un choix définitif et sans appel, comme il est sans moyenne. II Là gît notre éminence et notre peine en rend le témoignage le plus II manifeste, la damnation semble un privilège et l’enfer une marque II de nos dignités. Ainsi notre grandeur a mis le siège devant nos murailles, notre infamie ne l’écarte et nos perversités ne la rebutent II pas, nous nous mouvons en elle et nous la retrouvons, mais sans ii déguisement, au sortir de la place. Quand il remuerait et ciel et terre, H un homme serait libre et cette liberté jamais il n’a moyen de la bouter en gage où, se perdant, il ne saurait l’aliéner ! C. On parle de rapports, l’on interroge le possible et se refuse à l’absolu, le monde semble un assemblage de mouvants en fuite, toute passe sous les yeux tel qu’une fantasmagorie et l’on s’abuse néanmoins, en dépit de l’adresse, où prévenant l’erreur et l’enn goûment, nous tombons en les deux et ne savons le découvrir : au-dessus des rapports, il est un air subtil qui s’en dégage, la résul-

296

h Il tante issue de l’agencement forme une espèce de réalité nouvelle, ri irréductible à ses motifs et libre par-dessus les lois de sa genèse. Le désirable et le sublime ne varient guère, le premier II veut que lllll l’homme se travaille et le second demande II qu’il se passe. De même II II' quant au reste, d’où la mauvaise foi de ceux qui ne rapprochent les diverses mœurs que pour les subvertir les unes moyennant il les autres.

D. Nous devons croire à notre impermanence et vivre tout lllll II comme s’il était nécessaire de la démentir. La dignité de l’homme II croît au sein de nos dilemmes, il ne saurait se passer d’elle et rien ne il le console de sa perte, mais il ne peut les fuir, encore qu’ils le navrent, H il n’entreprend qu’à charge de tout surmonter et ne s’élève qu’en s’évertuant, aux prises avec sa douleur et le sujet de ses contente­ il ments, lassé de l’une et ne vivant qu’à l’autre, et recevant tout l’avantage à ses dépens inassouvis. n n E. Or, l’homme est en avènement perpétuel, mais il ne doit y consentir, il n’œuvre point quand il n’a l’assurance d’échapper au temps, il veut qu’on la suscite en lui, donnant le branle avec le change, il prête les deux flancs à la manœuvre et, tête chevillée n n n aux nues, il semble défier le monde, il en triomphe chaque jour, pourvu d’en triompher sans cesse, et l’éternel seul a puissance de lui faire supporter l’inendurable.

CXIV. Sagesse ou sainteté

Nous sommes conduits à nous sup­ porter dès l’heure où nous ne tran­ sigeons avec nos pentes, et nous vivons à nous sitôt que nous n’y n sommes plus, n’étant jamais si misérables que lorsque nous n’avons d’objet et languissons à notre bienséance. Il est donc plus facile d’être saint en prenant le rebours universel que de se faire sage ri et de s’entendre à composer, de donner dans la démesure pathétique n et la folie édifiante que de produire l’harmonie et d’y rester l’égal n de sa prééminence. Quoi de plus surhumain que d’être un homme n digne de ce nom ? La foule goûte davantage un monstre chimérique n et la grandeur lui semble de plus sûr aloi quand le prodige abonde n n et la démence sourd, mais nous la préférons moins signalée et moins n sujette des moyens par le secours desquels nous l’avons douloureu­ n sement atteinte ! Le saint visible et par trop manifeste est la mesure de l’effort qu’il avait déployé, le sage un aboutissement qui ne se ri parachève plus et dont les bontés cèlent la manière.

297

Le but de la raison n’est que de faire vivre « à cause de » et le partage de la foi de nous aider à subsister « en H dépit de », ce qui la rend plus souhaitable. D’ailleurs la raison tombe à rien, dès qu’on ne l’alimente plus et veut qu’on lui professe une II adoration dissimulée, encore qu’elle s’en défende et c’est l’idole la H II moins raisonnable : il lui faut des muets serviles qui marchent au n premier indice et lui délèguent leur arbitre, des complaisants en­ ii n n tichés de systèmes, il des zélateurs et même des séides, elle demande IT tout et ne nous restitue que fumée, et d’instrument elle se change n à domination, il mettant en couvre qui l’emploie et le tournant contre soi-même. A la limite n de la foi nous discernons l’absurde, au bout II II iilll de la raison ce qu’on dénomme le néant total : le fait de l’homme est moins de s’abêtir que de se partager, moins de désespérer que de il H se chercher une forme et d’être moins au fond de ses dégoûts qu’à la plus fine pointe de sa rage, il ne lui convient certes pas de se vouer n n à ce qui le dévore et d’y goûter une amertume assez voluptueuse pour s’y réduire à l’objet de l’épuisement et la liesse de sa vacuité !

CXV. D’un parallèle entre la raison et la foi

Mes frères en esprit, vous qui savez que notre fin n’est pas un n terme, où nous vivons à l’issue immanquablement ouverte, ne cherchez point la raison de ce monde à quoi nous avenons pour être tout ce que nous sommes. Le but de l’âme est d’enfanter la cause et de nous destiner à son principe, et hors de nous ou d’elle il ne sub­ n siste rien qui doive nous toucher, si l’univers est le théâtre mons ­ iiiii n trueux et l’homme le suprême soliloque en l’indivis, le motivant H ii immotivé, le dieu qui meurt et traîne la raison du monde au néant de sa fin totale ! Mes frères en esprit, chacun de vous est une senti­ nelle destinée à choir du plus haut des courtines et des tours, chacun n II de vous est la victime expiatoire armée et consentante, et chacun 111 de vous tous l’autel où fument les offrandes. Vous êtes pour qu’ils n vivent et qu’ils ne désespèrent jamais de la loi du monde, élus n muets que l’on immole et sur lesquels se fondent les empires ; vous n n êtes et vous demeurez entre les hommes et l’horreur, les vivants et la nuit, l’espèce et le chaos générateur et dévorant ; vous êtes la présence et la platée, la source et l’estuaire ; vous êtes l’absolu que n vous manifestez et rendez infrangible et qu’on ne rompt qu’en n passant au travers de l’ombre ! La vérité, mes frères en esprit, la vérité ne se situe en aucun lieu du monde et vous l’y chercherez en n vain. Que ferait-elle sur les routes, les marchés et dans l’enceinte des n maisons ? Allez la quérir où vos pas s’arrêtent et vos yeux se ferment ! CXVI. Sermon sur notre charge

298

CXVIL Sur l’homme dans le monde A. La raison de ce monde est celle qu’on y voit autant que celle qu’on y cherche et semble balancer entre les deux, encore qu’elle II H les dépasse en même temps et l’univers se définit par ce qui ne s’ex­ plique pas. Le monde est vain dans la mesure où nous le désertons, mais il ne faut le délaisser qu’afin de nous l’assujétir en partant o de nous-mêmes. Qui se rebelle prouve assez qu’il en attend plus que de soi, mais il importe de n’en rien attendre où nous devons tout prodiguer.

B. Nul ne soutient mon œuvre et je dois, nonobstant, la soutenir n en oubliant qu’elle a pris fonds sur moi. Ce que j’assemble est fait H n n de mes ruptures ; ce que je romps, de mes assemblements ; ce que lï n je veux, de mes refus et ce que je deviens, de mille morts qui ne II ’achèvent. L’empire clame qu’on le prouve sans relâche et les m plus belles vérités demandent qu’on les joue et les regagne d’affilée : n II ne dure que l’impermanent et qui se fonde :meurt. L’éternité réside ii en qui paraît la démentir. L’homme est le nœud de qui le détermine II et ne suffit à l’épuiser, le centre où tout se ligue et se débande, et la raison qui définit sa cause en ne laissant de la croiser. Le monde II II ’enseigne qu’à le voir à la lumière il il ’aveugle et tout me ne m qui m n donne accès à la dérive. n C. L’homme est à soi le mouvement de cause en cause et le multiple gravitant à la recherche des raisons qui l’unifient : il ne les trouve point, quand il ne les invente et les reperd, s’il n’en oublie iiiii la genèse. Point d’immanence de qui l’entendement n’est la platée souveraine et le seul reposoir. Le monde est toujours à refaire et n nul ne le conserve impunément. Infortuné qui cherche le principe au lieu des seules fins qui le gouvernent !

D. Je m’établis en un pullulement dont je ne suis que le prétexte H et, dans l’ensemble des états qui se divisent ma personne, je suis ir ri n présent à ce que je deviens, au déçu de moi-même, où je me définis n ri l’errant de mon instance et l’aboli de ses linéaments. Pour être, n n je m’astreins à m’ignorer en tant que le multiple de mes voies, il me disposant au long de ma tutelle. Il sied que l’immobile en moi ii se fasse jour et qu’il amorce l’éternel, au mépris des instants qui se n n ­ succèdent. Ma vie est l’inutile avènement de son prétexte en l’im n possible fin de sa limite et l’immanent refus de ses partages. n ii E. Le monde, le jouet de son mystère, ignore tout de son mystère n n et le mystère n est néanmoins et dans le monde et hors de lui, mais

299

11 il était indispensable que vînt l’homme, pour que le monde signifie à la lumière H de l’arcane. La vie est un consentement perpétuel à ce que je ne dois entendre. Malheur à qui n’a voulu s’en tenir à l’im­ probable ! Malheur à qui, s’y rangeant, ne l’a surmonté !

CXVIII. Enseignes de la liberté

n iiiii L’homme est déterminé, mais il n’en faut pas convenir. Qui doute il. de la liberté s’inflige un augment de maux infinis et doublera la u dépendance naturelle en y joignant un manque, il arme sa confusion, il se fortifie en son abattement et semble seconder la chute où son n n erreur l’incline : renoncement à bon marché, vil simulacre d’immo­ lation où l’on ne se découvre point en se croyant abandonner, n n offrande d’un soi-même dont nous nous sommes préalablement n bannis ! Mais d’autre part qui ferme l’œil sur l’évidence et se console n n à Paide de mots improbables, qui s’avouant d’une imposture signalée ai met son étude à prêcher l’ignorance, ne sauve pas la dignité du genre n humain et ne le rend pas libre à force de mensonges ! Double est la iiiii solution du dilemme et provisoire en son ajustement continué : qui n s’y refuse se condamne à ne jamais se définir et d’autres choisiront n pour lui, malgré soi-même.

h CXIX. La liberté mystique

(lin n La liberté de l’homme est la suprême découverte de l’espèce et l’aboutis­ h n sement ouvert dont le divin procède, à la manière d’un miroir où l’œil inventerait ce qu’il ne peut atteindre et dont il fouille les abîmes réfléchis.

CXX. La fin de la création

Tout ce qui fut paraît semblable à tout ce qui n’avait jamais été, si iiiii l’homme ne s’y fonde. En l’homme l’univers se rompt et se divise, iiiii en l’homme seul le temps émane et s’involue, et par lui seul le mou­ n II vant se condense. Vanneur de l’indivis, il sème l’ample fondement n qu’il perpétue d’âge en âge et dont ses postulats assument II la platée. n Périple dans l’issue et le dédale à sa limite, il éternise où l’univers se range aux lois de l’harmonie et signifie ce qu’il est en raison de ce qu’il demeure. Par le canal de son entendement, le réel s’établit et les dilemmes se naturent, le monde signifie et se déploie en au­ iï réole et Dieu se manifeste au bris de l’infondé. La fin de l’œuvre de création est le visage de l’humain à la mesure n de l’éternité.

300

CXXI. L’homme œil de Dieu

La vie est océan et nous la semons H d’îles et de promontoires. Chacun u de nous se meut et l’univers s’ébranle à suivre nos remous de ligne en latitude ; chacun de nous emporte l’évidence au long de ses dé­ placements ; chacun de nous est le possible en le théâtre de sa liberté, l’acquiescence ou le refus, la rupture ou l’impasse et chacun n l’œil de Dieu s’ouvrant sur le plérome et réfléchi dans l’œuvre et iiiii se déterminant en elle. De l’homme à la réalité se tisse un entrelacs n de songes et de quêtes, mais il demeure aux lieux de son élection et ri n se choisit irréfutablement et sans remède : tout l’univers ne parvient à nous dérober à ce que nous ne sommes plus.

Mes frères en esprit, Dieu ne vous aime n point où vous ne résistez d’abord et l’Éternel demande que l’on lutte et qu’il vous puisse terrasser. n u Malheur à qui se rend, fût-ce à Dieu même, et Le dégoûte de la prise. CXXII. Le bon combat

Que l’espérance est un engagement au mépris du réel et qui s’en passe, autant qu’il est en son pouvoir, ne prenant n qu’elle à son garant et primant sur le reste, dont les motifs demeurent n où les projets se renversent, de quoi l’essence est invisible et joint l’éclat à la solidité, que l’on ne blesse nulle part et ne retire d’aucun n lieu, qui ne s’attache guère et tient les mondes attachés, qui ne se n meurt où tout conspire à son abaissement et qui renaît plus véhén ente en venant succomber. n CXXIII. De l’espérance en face du réel

Mes frères en esprit, nous sur­ montons ce que nous recevons n dans le plénier consentement et devenons les maîtres de nos fins, à désirer ce qu’elles nous départent. Loin de nous, frères, la rébellion quand nous ne sommes sûrs de vaincre et loin de nous la fuite où ii nul ne doit mourir que l’on ait frappé dans le dos ! Je vous le dis n u à tous : nous sommes faibles, mais inébranlés, nous sommes justes, n n R mais inébranlables, de la plus difficile garde et malgré la soumission n totale, nos juges et les leurs, leurs vengeurs et les nôtres, mais qui n dédaignent la vengeance et la redoublent immanquablement ! Ainsi n nous devenons les forts, nous qui n’avons rien demandé ; nous ga­ gnons l’assurance et n’avons pris de sûreté ; nous nous fondons en il un empire H stable et n’avons point bâti ; nous ne sollicitâmes pas

CXXIV. Le sermon sur la force

301

et sommes investis de privilèges ; nous ne voulûmes rien et nulle chose ne nous manque. Il Heureux qui voit avant que les yeux s’ouvrent H et misérable II qui les ferme, de peur de se désabuser !

CXXV. Pays de l’homme

ii La source de la joie est un achèvement n II au sein de la concomitance où la mé moire est abolie et le désir involué, l’on y bâtit sur le présent et l’on II s’y fonde en l’immutable IIIII ; la source de la joie est un débordement IIIII II de plénitude issu de l’homme, environnant tout l’homme et le ren­ II dant à son milieu II pour le restituer à son modèle en le plus libre des échanges ; la source de la joie est l’unisson de toutes les données n n en l’harmonie des litiges, le privilège d’être et cela même que l’on II est, enfin la paix en la conquête mutuelle et la victoire solidaire.

II CXXVI. Le Maître de la norme

Mes frères en esprit, lorsqu’un dilemme se présente et que vous balancez, ne sachant le parti qu’il vous importe de tenir, songez ii II au Maître que vous adorez et demandez-vous simplement ce qu’il n n ferait en votre place, et puis jugez vous-mêmes sans détour si vous pouvez Le suivre, non pas afin de L’égaler quand il y va de votre vie ou de la perte des biens invisibles, mais pour sentir qu’il n’est II moyen de vous glorifier et de vous poser en exemple au demeurant II II des hommes. Le fait de marquer fortement ce qui nous en sépare est une voie d’accéder aux plénitudes du Seigneur, car nous Lui II' sommes homogènes en nous renonçant en propre et Lui quittons la place où nous nous débordons. Lui dont l’éclat nous perd, Il nous assure en je ne sais quelle lueur diffuse et Lui qui vole dans II Ses profondeurs multipliées et se dérobe à qui menace de L’atteindre, Il nous vient secourir où l’indivis s’ébranle pour nous épauler.

CXXVII. Les temps sont proches

II De l’abnégation à la manœuvre II la mieux exercée et de la su­ II n prême innocence aux détours de la politique il suffit seulement d’at­ tendre, où peu d’années feront beaucoup à l’affaire, il suffit seulement n d’attendre et ce qui passe pour folie est devenu sagesse et la témé ii ­ II rité l’ajustement que tout le monde appuie, le saut dans les ténèbres la marche triomphale et la divine démesure un argument de plus dont l’ordinaire se pourvoit. Telle est la fin et tel l’achèvement II des aventures de l’esprit : les vaisseaux rentrent dans le port et le som-

302

il meil a raison de la ville. C’est l’heure qu’il faut tenter l’océan et H regagner sur notre mort l’enjeu dont nous nous sommes dénantis. il Mes frères en esprit, voici l’heure et nous n’avons plus à tarder. Les vérités conquises où reposent-elles ? Jamais H aux lieux où nous n voulons qu’elles demeurent, car le repos des vérités est — touchant ii n u l’homme — un mouvement en permanence et l’homme n’en est «i n nullement dépositaire : elles démentent son orgueil, elles désertent ses prestiges. Mes frères, sachez bien qu’il n’est de libre accès auprès des vérités ineffaçables, il n’en fut point, il n’en sera jamais. n Est-il IJ admis de revendiquer un apostolat où nul n’est investi, s’il ne s’im IT ­ mole et qu’il ne saigne bénissant ? Et c’est à quoi vous les pouvez connaître.

Mes frères en esprit, dont le II royaume n’est pas de ce monde II où nul ne vous a demandé de naître, vous n’espérez de loyer ici-bas et vous n’y prétendez aucunement ailleurs, Dieu ne vous doit que n. il ce qu’il vous dispense et la suprême amour ne sollicite rien. N. S. n ri est faible et la malice forte, N. S. agonisant et les méchants dans l’abondance : heureux s’ils ne vous tuent pas et trop heureux s’ils H vous méprisent ! Car votre humilité même est offense et votre néant les dépite, ils vous soupçonnent de ruser et de porter en vous les fondements de leur franchise, ils vous dépouilleraient de votre acquiescence et vous jalousent de servir dans le consentement qui les ignore ! Mes frères en esprit, vous êtes les témoins de l’ordre véritable 11 et le seul légitime, vous relevez des lois que le plus faible est en pos­ session d’enfreindre et que redoutent les puissances de la terre, de II lois imaginaires, mais formelles, de lois vacantes, mais inamissibles : il vous les savez, vous qu’elles jugent et vous en êtes les garants parmi II les hommes. Et c’est pourquoi les hommes vous menacent abattus il et vous surveillent enchaînés, vous leur semblez encore formidables it et vos langueurs les tiennent en alarme. Vous êtes les plus forts, ô vous que le Seigneur habite. Vous avez beau vous en défendre, H vous êtes les plus forts, les mieux armés et les plus redoutables : n votre fragilité menace leur tutelle et votre abaissement annule leur n ri il il pouvoir, vous les incommodez vivants et, morts, votre mémoire les défie. Ils brûlent de vous effacer, de vous tuer une seconde fois n et de meurtrir le Dieu qu’ils sentent après vous, mais il faudrait ir il qu’ils vous suivissent dans la tombe et là leur domination s’arrête, eux qui ne régnent que sur des objets, des ombres et des effigies, que les vivants dédaignent et que les morts désertent. CXXVIII. L’appel aux inspirés

303

Mes frères en esprit, chacun de vous est Il la colonne terminale et l’ample reposoir de l’indivise majesté; chacun de vous le il seuil de permanence et la raison de toute vie. Vous êtes et par vous l’immotivé débouche sur le monde, et c’est par vous que Dieu se H fait, par vous, le truchement et le canal des fins originelles ! Mais qu’êtes-vous emmi le nombre et dans le sein des solitudes qui se iiiii n pressent en tumulte et qui se multiplient incommensurables ? Mais iiiii qu’êtes-vous alors ? — Ce que nous sommes devant Dieu, ni plus ni n ii moins et malgré l’apparence, où tant de mers ne peuvent engloutir n n qui portent l’au delà des fins et des mesures dans le consentement à ce qui les mutile ou les anéantit ! CXXIX. Le témoignage inamissible 11

Mes frères en esprit, nous sommes la Maison de Dieu, du Dieu qui n n n marche et c’est pourquoi nous marchons avec Lui de multitude en n solitude, veilleurs de l’Arche en mouvement, portants de l’Arche et ses tenants fidèles. Nous vivons, les assujettis de qui n’a point u n de mercenaires, nous vivons sans retour, sans lendemain et dans n le mépris du loyer, comblés au delà de l’imaginable et nous devant le ciel qui nous emplit. Nous sommes la Maison de Dieu, le charnel iiiii Tabernacle, les pierres vives et le parement, nous sommes tout cela sous le regard de l’Eternel, mais est-il souhaitable qu’on le sache ? — Non ! Car la lumière serait offusquée, l’acquiescence imparta­ n geable et la dilection mise en oubli. Que les ténèbres nous dérobent, n frères, mais quand un juste se présente, nous nous autorisons de l’accueillir et, pour les autres, nous serons l’Eglise vraie et l’invisible, n laquelle est dans le monde, afin que dans le monde il soit un lieu iiiii sur qui le réel ne prévaut, un lieu sis emmi l’évidence et pur de ses prestiges ! CXXX. Le charnel Tabernacle

Mes frères en esprit, vous êtes à n jamais les élus de ce monde et l’uni­ vers ne vous a point connus, les hommes passent et vous demeurez n en l’ombre, les peuples meurent et vous survivez, la foi se change et vos lumières ne varient, car vous avez choisi de n’être rien pour vous donner à l’absolu que vous portez en vous. Soyez fidèles à la solitude, ô confinés dans ]e silence, et que la nuit vous enveloppe : ni malheur à ceux qui la désertent, à ceux qui vendent leur franchise et qui profanent l’absolu pour l’audience la plus vaine ou le délas­ H sement le plus aride ! Vous n’êtes purs qu’à charge de vous effacer,

CXXXI. Les élus invisibles

304

à moins que l’on ne vous appelle, et de vous taire, si ce n’est que III le Mal triomphe et qu’il vous soit loisible de périr, ô témoins de la cause ! Le fait des justes n’est-il pas de se tenir à mi-chemin de leur II néant et de leur sacrifice ? Veillez et que la mort vous soit une pré­ n sence et qu’elle soit la vôtre, puis mourez II pleinement n dans le con­ II II, II sentement de majesté, mourez en rois, mais en rois invisibles, de peur que vous ne soyez honorés et dès votre agonie. Je vous le dis II à tous : vous êtes la raison du monde et les appuis de la divinité, II le fondement de l’absolu, le linteau de l’espèce et les réels par-dessus l’évidence et tellement emplis de ce que vous vous prodiguez qu’en vous l’orgueil n’a plus de siège. Et n’est-ce pas le privilège de sur­ II H II éminence que de garder une mesure où la mesure est abolie ?

CONCLUSION II Chaque assurance dont l’humain se targue est une fin scellée et chaque certitude abîme d’agonies préalables, et l’ordre de cet IIIII H IIIII univers, apparemment merveille, un monceau d’immolations trop souvent inutiles. Que la nature est à la prodigalité, qu’elle dissipe II une richesse inépuisable où la raison lui dicterait moins d’aventure II et plus d’épargne, mais la cruelle, l’inhumaine, éprouve mille voies plutôt que de choisir la bonne à simple vue et sa profusion confine II à la démence. Trop malhabile l’horloger, s’il en est un, qui rompt II durant un million d’années ce qu’il ajuste pour vingt siècles ! On II II II ne discerne là que mouvement et que machine, un assemblage mons­ trueux de force aveugle, un seuil d’échanges dévorants, la mécanique n de la frénésie et, dans ce tout de branles et de masses, le monde n n II infime qui nous porte, un monde solitaire et néanmoins le phare n n de l’esprit, un monde, semble-t-il, unique en ce plérome et qui n résume l’univers, ce menaçant démesuré. La terre où nous vivons II est l’âme n du système et le noyau pensant de la nuée ardente des II étoiles, le point où l’infondé se connut la première fois et l’indivis se brise, où le Divin se change au Dieu qui nous habite et par le II truchement de l’homme, enfant et père de son Maître.

20

305



*

.

V

-

LIVRE SEPTIÈME

DE LA DIVINITÉ

I. Préli II inaires sur les rites A. Les rites semblent des voies naturelles par où s’épanchent de n n n nécessité les tourbillons agitant l’âme et l’âme s’émeut d’être et de se sentir menacée à tout moment de l’existence, elle ne vit de règle n qu’en ce tremblement dont nulle foi n’arrête la carrière et c’est de là qu’elle dérive et face à lui qu’elle se bande. Le rite est l’affran­ u chissement qu’elle se donne et c’est une conduite bien liée, une res­ ii source des plus admirables, une succession de prises, de détours n et de saillies, un marché qui balance le réel et le refuge où l’évidence n n perd ses droits et l’incommodité respire, un essai de gouvernement n du monde, un premier pas sur l’océan et qui décide de tout l’avenir.

B. En chaque rite il est permis de déceler une révolte et l’art d’éluder h n la menace indiscernable, à la muer en un sujet de notion que l’on n’achève point de définir et qui se détermine un jour à l’aide de ce n n n n rituel préliminaire, matrice même du divin. Au moyen de la liturgie, ni un homme a la puissance d’endiguer le tout-possible et de lui cher­ n cher des motifs, desquels l’arrangement lui donne accès auprès d’une croyance et d’une solution de l’enigme à travers les symboles n invoqués : il entre enfin dans le mystère, il en découvre le détail, il en pénètre les détours, il associe l’univers à la figure instituée n et fait qu’il soit d’intelligence, humanisant le cosme et dilatant n n l’humain, jusqu’à ce que le Dieu jaillisse en armes de sa tête. n ’abolir et n’asservit que les do­ n C. Le rite me suspend au lieu de m n n n maines n que ma liberté résigne ; mon âme ne s’y cache qu’en puis­ n sance et je l’y trouve élucidée. Ma foi marque les stations de la mou-

307

n ii vance et les repères de l’entendement, ma foi nature les positions de l’absolu, ma foi ne se démontre point, alors que tout se prouve n n en partant d’elle et notre connaissance même est un engagement — qu’il me faut démentir, n pour peu qu’il la trahisse —, puis nulle u II n connaissance ne prévaut, si je n’ai foi dans l’instrument qui la me ­ I. sure. Je ne suis point du seul fait que je pense et la pensée ne me servirait de rien, si je ne la pliais à la créance.

n IL Préliminaires sur la faute.

n n A. Que dès l’abord l’homme a le sentiment de je ne sais quelle n souillure ou mieux : d’un mal irréparable et qui se change à la n n : d’une ambiguïté se dérobant à la lumière et u enace, ou mieux défiant qui l’interroge, un monde clos à couvert du réel et tordant n l’évidence, puits d’ombre et d’épouvantement qui le fascine et le fi semble attirer — quand il ne le submerge pas —, lieu redoutable H et qu’on ne saurait fuir, à moins de se donner la mort ou de chercher II l’ivresse, pays de connaissance enfin où l’on demeure en dépit de n ii ii n soi-même et qui n’est jamais familier.

II B. Ce vague dévorant est le séjour de l’agonie immotivée et de la solitude originelle, où règne le chaos et s’enchevêtrent les possibles, IIIII u la longue nuit muette et la présence de l’opacité, le fond de l’immo ­ n bile où se détache la mouvance et l’indivis béant sur l’horreur in­ n n n sondable, mais l’homme se remue au mépris de ce vague et l’œuvre ii' ii n: n de sa main balance un infini de cauchemars, l’absurde même ne II prévaut à l’absolu dont il cimente le prodige, il violente le divin II et Dieu se réfléchit en l’œil qui Le démêle et répond à la voix qui Le dénoue.

III. Du sacrifice

Par l’immolation, nous voulons conjurer une If H ­ menace et nous laver d’une souillure, où l’im molation couronne tous les rites qu’elle parachève. La religion est II II économie et le système en état de nous garantir de pleine diligence, n le rituel l’ensemble des recours mis en commun par où l’alarme se II IIIII n mitige et l’immolation le procédé majeur qui nous accorde à l’har­ II monie de ce monde et semble nous fonder en un suprême if apaisement. n Le rituel nous assourdit plus qu’il ne nous libère et l’immolation mu seule a le privilège de nous transvider, conciliant par nous l’abîme en quoi nous nous savons plongés et l’horreur ténébreuse au profond de nos reins, nous ordonnant à l’œuvre et suspendant l’immotivé 308

dans l’assurance indéfectible, où l’univers s’est rendu témoignage. lllll H En l’immolation, tout se consomme et tout est libéré, le monde II pur, le Dieu clément et l’homme absous, le règne manifeste et l’évi­ II H dence à jamais subvertie ; en l’immolation de chacun d’entre nous, II et l’Éternel a chu dans Son avènement. l’espèce se rédime II

IV. Vicaire de ses dieux

H La raison d’être de l’humain n’est-elle pas de consentir à l’univers qu’elle lllll édifie ? L’homme vicaire de ses dieux, est l’impétrant dont ils s’avouent : il les nourrit pour qu’ils dominent l’infondé, le laissant