Le Covid-19 sous le regard d'Emmanuel Lévinas: Essai
 9782385412722, 2385412721

Table of contents :
Ferdinand CITO CIBAMBO Charles BASHIGE A TSI BUSHIGE
AVANT PROPOS
DU RAPPORT A L'ALTERITE : UNE ETHIQUE POUR AUTRUI
RELATION ETHIQUE ET COVID-19 : RELEVER LES DEFIS D'ALTERITE AVEC EMMANUEL LEVINAS

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Ferdinand Cito Cibambo Charles Bashige Atsi Bushige

Le Covid-19 sous le regard d'Emmanuel Levinas Essai

Les impli,qués' Editeur,

Le COVID-19 SOUS LE REGARD D'EMMANUEL LEVINAS

Les impliqués Éditeur Structure éditoriale récente fondée par L'Harmattan, Les Impliqués Éditeur a pour ambition de proposer au public des ouvrages de tous horizons, essentiellement dans les domaines des sciences humaines et de la création littéraire. Déjà parus

Clément (Michel), L 'affaire Matou, 2023. Ducruet (Sophie),Femme à la loupe, 2023 . Bouabdellah (Djamel), Sa/ma et Karim, 2023. Maney (Catherine), Dans l 'ombre des ylangs-ylangs. Enquêtes dans les îles, 2023. Onkoant (Arthur), Les reflets du caucus. Analyse des mouvements de signes en politique, 2023. Lotito (Gaston), La bastide, 2023. Lascaux (Jean-Louis), Si vous ne tenez pas les brides de votre pensée d'autres s'en saisiront. Pour en finir avec la servitude volontaire, 2023 . Kouadio (Koffi Kevin), Adolescences meurtries. Tragédies scolaires en Côte d'Ivoire, 2023. Bertrand (Frédéric) , Légères gravités, 2023 . Cappeau (Alain), Les dernières réhabilitées de Béthanie , 2023 .

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Ces dix derniers titres de ce secteur sont classés par ordre chronologique en commençant par le plus récent. La liste complète des parutions, avec une courte présentation du contenu des ouvrages, peut être consultée sur le site : www.lesimpliques.fr

Ferdinand CITO CIBAMBO Charles BASHIGE A TSI BUSHIGE

LE COVID-19 SOUS LE REGARD D'EMMANUEL LEVINAS

DU MEME AUTEUR CITO CIBAMBO Ferdinand

L'anthropologie physique : une menace contre la cohabitation pacifique dans les pays des grands-lacs africains, Editions Lumumba, 2022. BASHIGE ATSI BUSHIGE Charles

Mariage et famille dans l'espace bantu au prisme de la nouvelle éthique mondiale, Youndé, Monange, 2022 Rôle et place de la femme congolaise au troisième millénaire. Le passé, le présent et l'avenir, EUE, 2019 Vers un avenir écologique repensé. philosophique, Allemagne, EUE, 2018

Regard

Ethique du politique et pratique démocratique en Afrique subsaharienne, Paris, Edilivres, 2017 Ethique et démocratie en Afrique subsaharienne, Allemagne, La croix du salut, 2017

La femme et les enjeux de la postmodernité, Paris, Edilivres, 2015

Au confluent de la linguistique et de la culture. Mélange en mémoire du Prof Bashi Murhi Orhakube, Bukavu, Ed. PIB, 2014 (Co-auteur)

Réussir la refondation de la RD Congo, Allemagne, 2012 (Co-auteur) © 2023, Les impliqués 5-7, rue de l'École-Polycechnique - 75005 Paris www.lesimpliques.fr

ISBN : 978-2-3854 1-272-2 ISBN :9782385412722

AVANT PROPOS « Je suis humain et rien de ce qui est humain ne m'est étrange», disait Terence. En d'autres mots, l'être humain ne peut être indifférent au malheur de l'autre. Il est toujours affecté par ce qui frappe son semblable, tout simplement parce qu'il est ouverture, sensibilité ou mieux vulnérabilité, selon Emmanuel Levinas. Ainsi situé, l'homme s'ouvre aux autres, il est en relation avec ses semblables, laquelle relation est parfois perturbée, entamée par des catastrophes naturelles, des animaux féroces, les conflits, les guerres et les maladies contagieuses dont le choléra, la dysenterie bacillaire, l 'Ebola, et le Covid-19 aujourd'hui. Tous ces déséquilibres mettent en branle les relations intersubjectives qui, pourtant, caractérisent les humains.

Evidemment, l'homme ne désarme pas. Il cherche à tout prix à surmonter ces événements qui veulent l'isoler de ses semblables en montant quelques mécanismes en vue de mener une vie sociale digne des humains. C' est ainsi qu'en période de Covid-19, l'homme affectivité ou vulnérabilité de nature, pense comment continuer à vivre les relations interpersonnelles rendues difficiles par ce fléau. La pensée d ' Emmanuel Levinas peut aider à déjouer ces défis. En effet, ce philosophe est un grand penseur de l'altérité. Certes, il n'a pas écrit sur le Covid-19. A travers le contexte de son temps, particulièrement marqué par le nazisme, il peint un tableau philosophique digne de reconnaissance. Une période caractérisée par la crise d' altérité. Notre époque étant imprégnée par des conditionnements du Covid-19, l'homme adopte une attitude face à cette menace. Comme l'autre peut être porteur du coronavirus, il convient de se protéger contre lui pour éviter le danger. 7

Ce qui serait une attitude éthiquement altruicide, en ce sens que l'altérité n ' est plus approchée aisément. C'est pourquoi les mesures barrières dont le port de masque, le lavage de mains, la distanciation sociale, le confinement, la fermeture des frontières, les tests et les vaccins, sont entre autres stratégies qui peuvent jouer pour ou contre Autrui. Cette technologie de protection permet au Sujet de se sauver en sauvant l'Autre. Il ne s'agit pas de fuir l'autre, mais de repenser une autre manière de vivre avec lui. La question principale est la suivante : Pourquoi et comment le coronavirus ne favorise-t-il pas la relation intersubjective? Il s'agira de montrer que la pandémie de coronavirus rend difficile la socialité. Or chez Emmanuel Levinas, la socialité occupe une place prépondérante dans les rapports intersubjectifs. Avec le coronavirus, la relation intersubjective est placée dans l' incertitude. Ce qui permet de penser le face à face avant, pendant et après la pandémie. C'est pourquoi, les questions qui suivent baliseront notre investigation : Pourquoi et comment le rapport d'altérité fonde-t-il l'éthique levinassienne ? Pourquoi la pandémie de coronavirus facilite et/ou ne facilite pas la relation intersubjective ? Pourquoi et comment la vulnérabilité subjective est-elle salutaire pour les relations intersubjectives et celui de l'humanité ? L'être humain est un être en relation. Il va vers autrui non pas par besoin, mais par Désir. Il s'agit de l'accomplissement de l'œuvre, qui n 'est autre chose que ce mouvement de libération du soi vers autrui. Or dans cette rencontre, autrui se manifeste au sujet par son visage. Devant la misère de l'autre, la subjectivité est sensibilité. Dans le face à face entre la subjectivité et l'altérité, la rencontre du visage de l'autre convoque le sujet à la responsabilité. Emmanuel Levinas accorde 8

à la vulnérabilité une valeur éthique, car la responsabilité pour autrui y prend origine. Le sujet ne se définit pas par l'autonomie, mais par hétéronomie pure et sa responsabilité pour Autrui est antérieure à une quelconque décision souveraine de sa part. La vulnérabilité est le cœur du sujet. Elle le rend otage de l'autre.

En période de la pandémie de Covid-19, la relation intersubjective est entamée. Les sujets portent une menace, un danger qui guette l' intégrité individuelle. Par conséquent, on s'évite plus qu'on ne se rapproche. Quoiqu'il y ait ce mouvement vers l'Autre, il ne s'effectue pas librement suite au coronavirus. Autrui peut en être porteur et constituer un danger qu'il faut éviter. Or, avec l'éthique de responsabilité, Emmanuel Levinas ne conçoit pas cet évitement. Puisque nous ne pouvons pas esquiver notre responsabilité pour Autrui. Face aux mesures barrières, la relation intersubjective est en difficulté. Dans l 'insocialité, les mesures barrières ne facilitent pas la relation éthique lorsque nous ne nous protégeons pas pour protéger et sauver les autres. A ce niveau, la Bonté envers l' autre est de mise. On évite l'autre, on se protège contre lui. Par contre dans la socialité, la relation intersubjective est concrétisée par le fait qu'en se protégeant, on protège l'autre, on le sauve de la détresse dans laquelle il se trouve. La responsabilité pour autrui se réalise dans la Bonté qui est de venir au secours d 'Autrui. Comme le souligne Emmanuel Levinas (1972) dans L'humanisme de l'autre homme, « on se sauve en sauvant les autres». L'homme a naturellement la capacité de dépassement face aux menaces qui se présentent devant lui. Aussi bien au plan microresponsabilité que macro-responsabilité, l'homme 9

devra repenser son mode de vie avec Autrui en vue de ne pas assister à son effritement. Le Sujet devrait aller vers Autre dans une relation éthique. Dans cette approche, son engagement pour une altermondialisation, qui met le souci de l 'autre au cœur de son action, se vit sous deux aspects : l ' aspect microresponsabilité et l'aspect macro-responsabilité. Au niveau de l'aspect micro-responsabilité, il sied de considérer que la relation éthique se vit au niveau interindividuel. Il s'agit de la responsabilité pour Autrui dans le face à face. Touché par la crise sanitaire liée au Covid-19, chacun devrait se sentir vulnérable du mal qui ronge l ' autre, prenant conscience que nous sommes des êtres fragiles devant une menace. Il devra vivre sa responsabilité qui est d'agir et de veiller à la vie et à la sécurité de l'Autre. La Bonté chez Emmanuel Levinas est vécue dans le concret. Face à l'autre susceptible d'être coronisé, nous devons agir en lui apportant notre soutien sur le plan moral aussi bien que matériel. Par ailleurs, au niveau macro-responsabilité, nous considérons non seulement le rapport à l' Autre, mais surtout le rapport de l'Autre comme humanité. En fait, l'humanité entière est confrontée à une seule et même menace. Le visage de l'humanité en appelle à la responsabilité de tous. C ' est pourquoi notre réponse face à cette crise devrait provenir des efforts consentis par tous. Nous devrions mettre ensemble les ressources (matérielles, morales,) dont nous disposons en vue de lutter efficacement contre le Covid-19 et les crises multiformes, puisque nous sommes tous frappés dans cette maison commune qui nous abrite. Dans cette lutte, penser une altermondialisation centrée sur l 'Autre dans le face à face, et en tant qu'humanité. Pour y arriver, des politiques du vivre ensemble devront nous permettre de vivre dans la solidarité asymétrique, la fraternité, dans une communauté de destin commun. 10

D'où, nous devons prendre soin de tous et de chacun en vue de nous préparer à mieux affronter les prochaines crises auxquelles l'humanité fera face. C'est en ce sens que nous pouvons soutenir d'autres communautés qui sont plus frappées par le Covid-19. CITO CIBAMBO Ferdinand

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DU RAPPORT A L'ALTERITE : UNE ETHIQUE POUR AUTRUI Chercher à dégager l' éthique qui se révèle dans la pensée d'Emmanuel Levinas requiert un effort de compréhension des dimensions de la relation d'intersubjectivité chez cet auteur qui a consacré le maximum de sa pensée philosophique, politique et sociale à l'éthique et à la problématique d'altérité. Dans une société longtemps déchirée par la mort de l' autre due à l' indifférence des uns par rapport à la responsabilité pour l'autre, Emmanuel Levinas vient éveiller la subjectivité au sens de la relation éthique stimulée par la sensibilité en face de la situation malheureuse del' Autre. C'est dans ce rapport à Autrui que réside la subjectivité du sujet selon Emmanuel Levinas. Mieux, c'est la vulnérabilité qui rend possible la rencontre de l'Autre. Le Sujet est appelé à la responsabilité face au visage de l' Autre dans son épiphanie. La souffrance de l' Autre déclenche un mouvement du Sujet vers l'Autre. Dans cette rencontre de l'Autre, il y a dépassement de !'ipséité qui s'ouvre à « ! 'infiniment autre », «!' absolument autre » (Plourde, 1996) et la maintient dans son originalité. A travers le Désir d'Autrui la subjectivité va à la rencontre de l'infini. Cette analyse comporte quatre grandes questions. La première est relative au rapport à Autrui, la seconde met en exergue la notion de vulnérabilité, la troisième revient sur la phénoménologie du visage et la dernière sur la responsabilité pour autrui. Par ailleurs, cette rencontre du visage ne vient pas du besoin que le sujet aurait à l'égard d'autrui. C'est par contre du Désir d'autrui que ce mouvement 13

asymétrique s'effectue. Ce désir commande l'accueil du visage. Dans la rencontre de l'autre comme visage, le Sujet est touché jusqu'au fond de ses entrailles et sommé à la responsabilité stimulée par la vulnérabilité.

1.1. Du rapport à autrui Pour ce qui est du rapport à autrui, les ouvrages d'Emmanuel Levinas sont très explicites quant à donner une idée claire et distincte à ce sujet. L'expérience sociale aujourd'hui est loin de prouver que l'humain est un être isolé de ses semblables, moins encore du reste de la création. Par contre, dans ce monde ultra connecté, les humains sont en relation les uns avec les autres, avec la nature, le cosmos et le divin. Ils sont en rapport avec l'altérité. Il serait donc absurde et inconcevable que le sujet s' enferme sur soi car il est toujours et déjà intentionnel, ouverture. Emmanuel Levinas, penseur d' altérité, prévient ce risque d' altruicide éthique. A la place d'une monologie, il souligne un dialogue qui, selon lui, vient donner sens à l'épiphanie du visage. Le sujet sort de lui et va vers l'autre sans mouvement retour, c' est-à-dire, dans une relation asymétrique. L'être humain n' est pas une monade. Il est plutôt un être en relation, en rapport avec l'Autre. Plusieurs philosophes humanistes ont toujours défini l'homme (le sujet) en tant qu' être de relation (Bashige, Songa, 2017), du fait qu'il éprouve un besoin de vivre avec ses semblables et participer activement à la vie politique. D' où il est essentiellement un être relationnel. Partout où il habite et s'établit, il est en groupe (Foliliet, 1962); et dans un groupe, les hommes se côtoient, se parlent, interagissent et entretiennent des rapports qui se traduisent de mille et une manières. Mais alors Autrui qu'est-ce ? Pourquoi lui et non rien ? 14

Selon Dominique Quesada, « l'autre est (tout) ce dont nous sommes séparés» (Quesada, 2013). De là s'établit dorénavant une distance, un écart entre sujets. Cette distance ne signifie pas isolement ou indifférence. Selon Joseph de Finance, Autrui c'est celui avec qui je ne puis coïncider, impossible pour moi de me mettre à sa place (De Finance, 1972). Il en ressort que, la complexité de la signifiance du concept « Autre » permet de réaliser que ce concept est polysémique. Il ne concerne pas uniquement le genre humain dont Emmanuel Levinas parle souvent, mais également l'autre en tant que cosmos, divin. Actuellement l'humanité est beaucoup préoccupée par des campagnes de protection et de conservation de la nature mais aussi de la sauvegarde des espèces rares qui seraient en voie de disparition. Ce qui a donné place à cette entreprise humaine est d'avoir constaté un émiettement de la biodiversité à travers le capitalisme qui a ses ramifications dans la mondialisation. L'homme s'est fait un monde où il regarde objectivement le cosmos. Et pourtant, lui et le reste de la création vivent dans une « maison commune», pour reprendre l'expression du Pape François qui fait remarquer que c'est depuis la moitié du siècle dernier, après avoir surmonté beaucoup de difficultés qu'on a eu de plus en plus tendance à concevoir la planète comme une patrie, et l'humanité comme un peuple qui habite une maison commune (Pape François, 2015). L'homme fait partie intégrante de la nature dont il a reçu vocation de protéger, de cultiver, de sauvegarder, d'améliorer. C'est ce qu'Emmanuel Levinas soutient en affirmant que « l'élément n'a pas de face du tout. On ne l'aborde pas. La relation adéquate à son essence le découvre précisément comme un milieu : on y baigne. 15

A l'élément, je suis toujours intérieur. L'homme n'a vaincu les éléments qu'en surmontant cette intériorité sans issue, par le domicile qui lui confère une extraterritorialité. Il prend pied dans l'élémental par un côté déjà approprié : un champ par moi cultivé, la mer où je pêche et où j'amarre mes bateaux, la forêt où je coupe du bois et tous ces actes, tout ce travail se réfèrent au domicile. L'homme plonge dans l'élémental à partir du domicile, appropriation première dont nous parlerons plus loin. Il est intérieur à ce qu'il possède, de sorte que nous pourrons dire que le domicile, condition de toute propriété, rend la vie intérieure possible. Le moi est de la sorte chez soi. Par la maison notre relation avec l'espace comme distance et comme étendue se substitue au simple « baigner dans l'élément ». Mais la relation adéquate avec l'élément est précisément le fait de se baigner. L'intériorité de l'immersion ne se convertit pas en extériorité » (Levinas, 1968). Nous faisons partie de la nature (l'élemental) dont nous avons reçu des responsabilités. Depuis les siècles, l'Eglise Catholique marque le désir de conserver la nature où tous nous vivons ; elle a même abouti à sa spiritualisation. Ainsi peut-on évoquer François d'Assise, dont la spiritualisation de la création connaît un sens particulier, il va jusqu'à la fraternisation de la relation entre les humains et le reste de la création. Il soutient cela à travers le Cantique des créatures où il rappelait que notre maison commune est aussi comme notre sœur, avec laquelle nous partageons l'existence, et comme une mère : belle, qui nous accueille à bras ouverts : loué sois-tu, mon Seigneur, pour sœur notre mère la terre, qui nous soutient et nous gouverne, et produit divers fruits avec les fleurs colorées et l'herbe (Levinas, 1968). De là, la nature est placée à sa juste place et il n ' est pas commode de la

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surexploiter, puisqu' elle nous porte et nous fait vivre. L'homme est en étroite relation avec le reste de la nature à telle enseigne qu'il a tendance à« humaniser» le reste de la création où il trouve d' ailleurs son propre compte. Evidemment, bien avant ces théories, la spiritualisation de la nature a été exprimée dans la tradition africaine. En effet, en Afrique, l' animisme conçoit que tout ce qui existe, être animé ou inanimé, possède bel et bien une âme, un esprit et une force vitale. C'est pourquoi l'homme, faisant partie de ces êtres, fait corps et communion avec la nature de laquelle il reçoit des forces vitales le reliant au cosmos, aux ancêtres et aux divinités. Si l' on saisit cette logique animiste, on peut se rendre compte que l' Africain possède le caractère Théo-éco-androcentrique de la réalité. En ce sens, « l'Africain essaierait de comprendre l'écologie pour mieux vivre en harmonie avec son environnement. Toutefois, il est difficile de départir ces deux tendances, tant l'écocentrisme traditionnel repose sur des considérations divines ou religieuses » (Sanogo et Coulibaly, 2021). L' Africain est originellement lié à la nature qui l' ouvre à la transcendance. Dans notre recherche, nous mettrons l' accent sur Autrui en tant qu' être humain. Il s'agit de placer le sujet humain devant son semblable avec qui s'établit un rapport d'intersubjectivité. La philosophie d'Emmanuel Levinas est une éthique qui place l'homme au cœur de la relation intersubjective. C'est un humanisme de l 'autre homme où l'homme est essentiellement pour l'homme. Il s'agit, chez lui, de l'établissement du primat de l 'éthique qui est la relation d 'homme à homme (Levinas, 1968). 17

1.1.1. Du Même à Autrui : un dépassement de la subjectivité

Avant d'effectuer une quelconque entreprise vers autrui, le Sujet effectue un passage à travers lequel il transcende les limites de son égoïsme, un passage où il se dépasse et dépasse sa subjectivité. Un sacrifice généreux qui tient son mot dans l'ouverture à Autrui. Ce passage du Même à Autrui est une entreprise subjective qu' Emmanuel Levinas nomme« œuvre ». Le Sujet accomplit l' œuvre à travers une «orientation», un « sens unique» qu'il prend et qui le destine vers l'Autre. On ne saurait ainsi comprendre cette éthique d'Emmanuel Levinas sans pour autant saisir le départ à travers lequel le face à face prend naissance. Mais il y a aussi dans cette subjectivité toutes les ressources de la transcendance. Emmanuel Levinas, penseur de la transcendance, commence son chef-d'œuvre dans l'immanence, plus précisément dans l'ontologie, c'està-dire dans la relation que le moi entretient avec l'être. En effet, « l' œuvre pensée radicalement est mouvement du Même vers l'Autre qui ne retourne jamais au Même. L'œuvre pensée jusqu' au bout exige une générosité radicale du mouvement qui, dans le Même, va vers l'Autre» (Levinas, 1975). C'est dans ce mouvement que le dépassement, qui est une faculté du sujet humain, trouve une explication. Dépassement qui est transcendance du sujet lui-même, qui quitte un «monologue » et s'inscrit dans un «dialogue» avec Autrui. C'est là un élan de générosité, de solidarité qui élucide l' « œuvre » dans ses capacités à promouvoir l'Autre. Ce dépassement est effectué par le Même qui laisse tomber toute sa détermination en tant qu' identité. C'est un mouvement qu'il effectue librement comme l'indique Emmanuel Levinas: « Il faut d' abord fixer 18

avec prec1s1on les conditions d'une telle orientation. Elle ne peut être posée que comme un mouvement allant hors de l'identité, vers un autre qui est absolument autre. Elle commence dans un identique, dans un Même, dans un Moi - elle n'est pas un « sens de l'histoire » qui domine le moi, car l'orientation irrésistible de l'histoire rend insensé le fait même du mouvement, l'Autre étant déjà inscrit dans le Même, la fin dans le commencement. Une orientation qui va librement du Même à l'Autre est l 'œuvre » (Levinas, 1975). L'Œuvre est accomplie par le Même. C'est dans un mouvement de liberté que cet élan a lieu. Il s'agit d'une relation avec l'Autre. C'est dans cette relation que l'Autre est atteint. Ce qui maintient une séparation radicale entre le Même et l'Autre. En ce sens, l 'Œuvre est dépassement de soi que requiert l'épiphanie de l'Autre (Levinas, 1975). Le dépassement du Même qui a son aboutissement dans l'Autre est déclenché par le Désir d 'Autrui, qui trouve sa signification dans la manifestation de l' Autre. Dans un monde désormais devenu village planétaire, où tout le monde côtoie tout le monde, est connecté à tout le monde, de près ou de loin, via la technologie, il n'existe pas d'hommes isolés du reste de !'humanité, d'hommes exclus du rapport intersubjectif. L'enfermement du Même limite le dévoilement probant de l'autre en tant qu' autre. Alain Renault a montré dans son Système de droit, comment la saisie de cette problématique est à retrouver chez Joseph Fichte dans !'intersubjectivité pensée comme relation juridique entre deux subjectivités. « Mais le point le plus marquant et qui commande les autres est d' avoir établi que l'existence d'autres êtres raisonnables est une

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condition de possibilité de la connaissance de soi, idée résumée dans la célèbre formule : pas de toi, pas de moi, pas de moi, pas de toi » (Michel, 1991 ). Cette orientation est un revers de l'enfermement sur soi qui ne donne pas de possibilité du déploiement vers autrui. Elle contribue efficacement à la reconnaissance et à la connaissance du Moi qui se donne sans attendre de retour. Autrui permet ainsi au Sujet de se découvrir tout en réalisant que via cette « orientation » s'établit un sens d'appartenance qui ne retient pas autrui dans le temps. Il y a là un décalage complet de l'identité qui laisse tomber ses armes égoïstes pour se laisser saisir et vaincre par le visage d'autrui. Cette orientation « ne peut être posée que comme un mouvement allant de l'identité vers un autre qui est absolument autre. Elle commence dans un identique, dans un Même, dans un Moi ... » (Levinas, 1975). Par-delà la méconnaissance de l'Autre, Emmanuel Levinas pose le mode de sa reconnaissance de l'Autre en tant qu'absolument Autre. La réalisation du Sujet s'effectue dans l'accomplissement de l' « Œuvre ». Autrui s'impose au Sujet à telle enseigne que ce dernier ne puisse résister, se passer de cet attrait du « sens unique». C'est une idée de reconnaissance, une éthique d'altérité entre des êtres «séparés». La dissipation de l'Autre dans le Même est un contre sens du « du face à face». Emmanuel Levinas s'insurge contre la tendance qui vise la dissipation et la disparition de l'Autre pour tout retourner au Même. Cette tendance est une caractéristique altruicide qui dit la mort d'autrui. L' « Œuvre » n'est en aucun cas un aller-retour entre le Même et l'Autre. Il est mouvement d'aller vers autrui et rien que cela. Un retour sur soi consiste à « résorber 20

tout Autre dans le Même», ce qui engendre la « neutralisation de l'altérité». Dans la consécration du genre humain à la réalisation de l' « Œuvre », l' on comprend que l'humanisme ne peut avoir de signification que dans cet élan de « générosité ». La visée d'Emmanuel Levinas est de montrer que l' « Œuvre » ne peut être exclusion d' autrui. A ce sujet, Dominique Quesada différencie le « régime de séparation » et celui d '« inséparation » des êtres dans une relation d'altérité. La séparation introduit la reconnaissance d' Autrui tandis que l'inséparation établit que Autrui est résorbé, voire dissout par le sujet jusqu'à sa disparition. C'est pourquoi« la définition de l' Autre comme (tout) ce dont nous sommes séparés implique logiquement que l' état d'inséparation ( ... ) est fondamentalement lié à un régime d'inséparation spontané de l'autre en tant qu'il est autre (absolument autre) c'est-à-dire séparé» (Quessada, 2013). Cette idée de Dominique Quesada signifie que c'est dans la séparation que l'Œuvre prend sens à travers le « face à face », tandis que c'est dans l 'inséparation qu' Autrui se trouve annihilé dans le sujet. Or, « l'œuvre n'est pas un nihilisme». L'inséparation est « dissipation du séparé» et ipso facto, tendance « altruicide ». Pour prévenir cette tendance altruicide, l'accomplissement de l'Œuvre est un conditionnement, un impératif catégorique. L 'Œuvre comme passage du Même à Autrui est rendue possible par la sensibilité ou la vulnérabilité du Même face au visage. Dans la subjectivité, il y a une obsession d'autrui. Le tissu du Même n'est jamais rompu dans la conscience de soi. Le Moi cherche incessamment à s'identifier à lui-même. Dans ce retournement à soi, la subjectivité 21

sent le besoin qui le pousse à l'accaparement de l'Autre, du monde, à emmagasiner de plus en plus des choses pour rassurer le temps. C'est par le besoin que l'égoïsme caractérise toute subjectivité, qui permet de contenir plus que possible. « Contenir plus que sa capacité, c'est à tout moment faire éclater les cadres d'un contenu de pensée » (Levinas, 1968). Ce mouvement de satisfaction du Même exclut tout mouvement de transcendance. C'est une « exposition à la blessure et à la jouissance, ce qui permet d'atteindre la subjectivité du sujet se complaisant en soi et se posant pour soi » A ce niveau, la subjectivité est voué à la jouissance. Les biens matériels ne comblent pas l'identité. Il se crée un vide qui pousse le sujet à posséder plus. Il s'installe le Désir d' Autrui. Il y a alors arrachement à la jouissance et dévouement à Autrui. La sensibilité devient exposition à la misère de l' Autre, à la proximité du visage. 1.1.2. Fondement du rapport à Autrui

« De rien, rien ne vient », dit-on. Le rapport entre le Sujet et l'Autre ne procède pas ex nihilo. Si, pour accomplir l' Œuvre, il faut un rapport d'altérité, qu'estce donc qui meut le Sujet à effectuer ce passage vers Autrui ? Il y a au fond un élément déclencheur de celuici et qui en constitue la fondation même. Pour certains auteurs, c'est la communication qui meut ce passage, l'amour pour d'autres et le souci, le désir pour d'autres encore. Dans le départ du Sujet vers l' autre, s' exprime un devoir de communication. D'ailleurs Emmanuel Mounier soutient que « la personne est la seule à être par nature communicable » (Mounier, 1951). La communication est un facteur qui s'impose à l'homme 22

en tant qu'un être sédentarisé, selon Jean-Jacques Rousseau. En ce qui concerne l' amour, André Bernard retient que « l'amour a d'emblée un noyau interpersonnel, non seulement dans l'acte qui veut autrui mais dans la connaissance qui a l'intuition de sa présence» (Bernard, 1989). L'amour pousse vers Autrui. Il est une force qui conduit l'homme vers l'autre avec qui se crée une communion. D' où, l'amour est« ouverture à l' autre» (Garaudy, 1975). Sans amour, il y a impossibilité de relation interhumaine car pour vouloir entrer en communion avec l'autre il faut d'abord l'aimer, mettre en lui sa préférence, faute de quoi tout ce qui se fera ne sera que superficiel. A cet effet, Paul Ricœur s' interroge sur la motivation à aller vers autrui en ces termes: « Mais le souci de soi est-il un bon point de départ ? Ne vaudraitil pas mieux partir du souci de l' autre ? » (Ricoeur, 1999). En posant cette question, Paul Ricœur est du côté d'Emmanuel Levinas dans la considération d'autrui. Sauf que Paul Ricœur défend l'idée qu'autrui est à la fois un « alter ego ». C'est en affirmant ma liberté comme « je », qu' il m'est possible de découvrir autrui comme un autre « je ». La conséquence est loin d'être négligeable : la réciprocité devient possible. C' est là que l'éthique de Ricœur et celle de Levinas s'écartent. Le désaccord est évident quand Paul Ricœur veut appréhender l'éthique à partir de l' estime de soi, alors que chez Emmanuel Levinas, le départ de son éthique est dans la rencontre d' Autrui. Avec Emmanuel Levinas, aller vers Autrui par communication ou par amour serait l'expression d'un « besoin ». Or le besoin tient à la satisfaction de la Subjectivité. Le besoin est le domaine des égoïsmes et de l'accaparement de l'Autre et du monde. Pour lui, 23

l'Œuvre ne s'effectue pas par« besoin d'autrui» mais plutôt par « désir sans défaut». Ce qui veut dire que « le sens comme orientation liturgique de l'Œuvre ne procède pas du besoin. Le besoin s'ouvre sur un monde qui est pour moi- il retourne à soi. Même sublime, comme besoin du salut, il est encore nostalgie, mal du retour. Le besoin est le retour même, l' anxiété du Moi pour soi, égoïsme, forme originelle de l'identification, assimilation du monde, en vue de la coïncidence avec soi, en vue du bonheur » (Levinas, 1971 ). Aller vers Autrui par besoin est une idée émergente d'inséparation qui se résume en la dissipation et en l'effacement d ' Autrui. Simone Plourde(1996) soutiendra à ce sujet que « le Désir se distingue essentiellement du besoin qui est anxiété du moi pour soi, forme originelle de l ' identification» et c' est pour cette raison que, dans la conception levinassienne, « le Désir se situe aux antipodes de la possession », selon Simone Plourde(1996). Contrairement à d'autres approches, c'est par « désir de l'Autre» que l'Œuvre s'accomplit. C'est le désir de celui qui n'a pas de besoin, puisque le besoin suppose un manque à combler, il est égoïsme. Toute expérience de l 'Œuvre est une expérience où le « désirable ne comble pas mon désir, mais le creuse, me nourrissant en quelque manière, de nouvelles faims » (Levinas, 1971). Dans ce sens, le désir n'est pas une «faculté» créationniste du sujet. Il est provoqué par la manifestation du visage. En d'autres termes, « le Désir commande l'accueil du visage», « il est creusé dans le Même par l'altérité d'Autrui ( ... ), car seul le Désir, dans son infinité, est apte à s'ouvrir à l' infinitude de l'infini» (Levinas, 1971), ce qui revient à dire que« la visitation d' Autrui ouvre le Désir métaphysique ».

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Par Désir d' Autrui, Emmanuel Levinas veut comprendre le dépassement de la totalité pour s'inscrire dans l'infini qui se produit concrètement sous les espèces d' une relation avec le visage. C'est cette idée de l' infini qui caractérise le Désir. Dans la rencontre de l'Autre, il se produit la rencontre de l'infini qui se dresse dans le visage. Cela transfigure le Moi qui se pose dans la sphère du dépassement de l'actuel pour se hisser au niveau de l'inactuel. Ce processus inclut la responsabilité infinie du Moi envers Autrui. Ce qui fait dire que « le Moi, en relation avec l'infini, est une impossibilité d'arrêter sa marche en avant, impossibilité de déserter son poste ( ... ) C'est, littéralement, ne pas avoir le temps pour se retourner, ne pas pouvoir se dérober à la responsabilité, ne pas avoir de cachette d'intériorité où l' on rentre en soi, marcher en avant sans égard pour soi» (Levinas, 1971). L'idée de l' infini que réitère le Désir se produit dans la relation avec le visage. La visitation d ' Autrui donne la voie au Désir métaphysique. Sur le plan éthique de la relation d' altérité, l'idée de l' infini s' identifie à deux aspects dont Autrui et l 'illéité. Autrui est dépassement du Sujet tandis que l 'illéi té est comprise au sens de « !'autrement qu'être ». Simone Plourde, dans sa lecture d'Emmanuel Levinas, constate que ces deux infinis sont à la fois liés et déliés, séparés et inséparables.

1.2. De la vulnérabilité à la responsabilité pour Autrui L'Œuvre entraine l ' ouverture du Sujet à Autrui. C'est lors de cette rencontre que s'effectue « la sujétion » du sujet qui s 'exprime par une formule : « Me voici ! » Ce qui signifie que ( ... ) je dépends d'Autrui; etje suis« sujet» essentiellement en ce sens. 25

Emmanuel Levinas(l982) le rappelle en citant Dostoïevski : « Nous sommes tous coupables de tout et de tous devant tous, et moi plus que les autres ». Selon l'auteur, nous le sommes« non pas à cause de telle ou telle culpabilité effectivement mienne, à cause des fautes que j'aurais commises ; mais parce que je suis responsable d'une responsabilité totale, qui répond de toutes les autres et de tout chez les autres, même de leur responsabilité. Le moi a toujours une responsabilité de plus que tous les autres » (Levinas, 1982). La responsabilité est une responsabilité du Sujet pour Autrui et rien que pour autrui. C' est à la rencontre d'autrui, c'est dans ce mouvement de départ vers autrui déclenché par la vulnérabilité, traduite par une « culpabilité » éveillée par la souffrance d' Autrui. Cette vulnérabilité est souffrance pour Autrui qui génère la responsabilité. Une manière de dire que c'est en faisant expérience de la misère, de la souffrance, de la fragilité d'autrui qu'une telle ascension est possible. De ce qui précède, il ressort que le visage échappe à toute « corporéité », il apparaît dans son propre contexte. « Autrui n'est nulle part ailleurs qu' en son visage ; et seul ce qui est visage est autrui » (Sebbah, 2003). Et dans ce contexte qui lui est propre, le visage est un langage. Levinas dira que le visage est « discours et perception » (Levinas, 1968). Et dans ce sens, « le visage parle». Il ajoute que « la manifestation du visage est le premier discours ». Un discours qui est une « ouverture dans l'ouverture». Cette ouverture qui intime un ordre, un commandement : « Tu ne tueras pas», un impératif qui s'impose. « A ce commandement tendu sans relâche, ne peut répondre que "Me voici" où le pronom ' Je' est à l'accusatif (moi) possédé par l'autre » (Levinas, 1978). Si donc cette demande se fait appel, c' est que cet 26

appel est « souffrance intolérable et irrémédiable ». La souffrance me prend. La souffrance est « vulnérabilité », « pâtir pur », pure sensibilité. C' est par le fait même d'être soumis à la vulnérabilité que je la vis comme souffrance. La passivité devient ainsi le mode même par lequel la souffrance s'impose à mon expérience de sentant par rapport au senti. Désormais le « face à face » est un rapport de sollicitude. Autrui lance un appel, un cri de détresse, il demande à être protégé, en appelle à ne pas subir un meurtre. C' est ce langage qui saisit le Sujet jusqu'au fond de ses entrailles. Il reçoit l' interpellation à la responsabilité. Il se laisse toucher par la souffrance et la misère d 'autrui. De cette façon de se sentir vulnérable va générer sa responsabilité. Vulnérabilité qui n' est autre que « souffrance pour la souffrance de l' autre » (Levinas, 1978). C' est la souffrance de l' Autre qui « me sollicite et m'appelle ». « La sensibilité est bien le lieu de la libération du Sujet » (Calin, 2006), à travers laquelle « le prochain me touche sans la médiation d'une peau, dans la mesure où la proximité est plus étroite que la contiguïté. Il touche donc au cœur, au plus intime du corps : aux entrailles » (Calin, 2006). Ici, il y a deux sortes de souffrances : souffrance du sujet et souffrance d'autrui. La souffrance du sujet n ' a pas la même connotation que celle d'autrui. Elle détient sa signification dans le fait de « tomber » ou de se sentir vulnérable de la souffrance d' autrui qui est en face. On ne choisit pas de souffrir pour le plaisir de souffrir. Car, « souffrir par autrui, c'est l'avoir en charge, le supporter, être à sa place, se consumer pour lui » (Levinas, 1978). Il y a aussi la souffrance de l'autre qui est à différencier avec celle du sujet. La souffrance de l' Autre n' est pas vulnérabilité puisque, 27

c'est le Moi, de pied en cap, jusqu'à la moelle des os qui est vulnérable. Cette vulnérabilité du sujet est, selon Emmanuel Levinas, le fait de se sentir touché, blessé, par la souffrance, la misère de l'autre. Ce sentiment est provoqué dans le sujet par ce que l'auteur appelle visitation. C'est ce qui fait penser qu'il faut faire la part des choses entre « la souffrance d' Autrui » et « la souffrance du sujet ». Bien que celle de l' autre soit misère, elle n'a pas la même résonnance et connotation que celle du sujet qui rencontre le souffrant. En outre, c'est dans la subjectivité que se vit la sensibilité. La vulnérabilité ne se dresse qu'à la condition d'être altérée, dévastée, bouleversée par la rencontre de l'Autre, du visage. Emmanuel Levinas reste fidèle à une expérience fondamentale, celle qui nous saisit lorsque nous ressentons le dénuement et l'extrême vulnérabilité face à la souffrance d' Autrui. Cette vulnérabilité qui nous prend en otage dans le sens où, malgré nous, nous nous sentons responsables. La rencontre du visage, de l'autre dans son plus grand dénuement est l'image de la rencontre d'infini. Le visage, la rencontre du visage est ce qui me conduit hors de mon initiative et de mon pouvoir. « La subjectivité est vulnérabilité», c' est-à-dire arrachement à la jouissance et dévouement à l'autre. A cet effet, la souffrance d'autrui n'est pas vulnérabilité dans la conception de l'auteur. Elle est, au contraire et simplement, la misère dans laquelle se trouve Autrui, outragé, abandonné. C'est le Sujet vulnérable qui est touché par la misère de l'autre et l'engage à se sentir responsable pour lui. Dans les termes d'Emmanuel Levinas, la subjectivité aliénable du besoin ( ... ) qui prétend se posséder d' ores et déjà, mais dont se Joue la mort, (la subjectivité 28

de l'homme heureux) se trouve transfigurée ( .. . transfiguration qui consiste) à exister pour autrui, c'est-à-dire à se mettre en question et à redouter le meurtre plus que la mort (Levinas, 1968). Envisager d'éviter l'évitable c'est répondre à cette demande, au commandement selon lequel « Tu ne tueras point ». A ce sujet, exister pour autrui, pour celui qui me fait face, celui qui souffre, celui face auquel, comme le souligne Emmanuel Levinas, je ne reste pas simplement là à le contempler, je lui réponds. Je lui réponds comme « toute demande, du fait qu'elle est parole, tend à se structurer en ceci qu' elle appelle de l'Autre une réponse» (Legrand, 2015). La première demande de celui qui souffre est que sa souffrance soit reconnue, donc soit écoutée dans la sensibilité comme vulnérabilité. On le voit, la vulnérabilité implique la responsabilité dont le sens a évolué et a pris une autre connotation chez Emmanuel Levinas. En effet, l'adjectif responsable est attesté dès le Moyen Âge, tantôt dans le sens de résister (un château « responsable aux durs assauts » ), tantôt pour désigner celui qui est tenu de répondre (« justiciables et responsables »). Le substantif (responsabilité) apparaît plus tardivement puisque les premières mentions sont signalées entre 1783 et l 788(Henriot, 1990). Dans le lexique français, ce concept semble être plus récent. Par contre, le Latin, qui est une langue ancienne et mère de la langue française, fait mention du verbe Spondere qui signifie se porter garant, s' engager ou encore promettre avec solennité. Ce verbe n'est pas à confondre avec le verbe Respondere qui est relatif à la réponse à un appel. En ce sens ce concept renvoie à trois considérations qui sont intimement liées : « l' idée d'état (au sens où l'on dit de parents qu'ils sont 29

responsables de leurs enfants), l'idée de capacité (au sens d'être discernant) et l'idée d' obligation (au sens d'avoir à assumer ses actes)» (Prairat, 2012). Dans la perspective éthique initiée par Emmanuel Levinas, le rapport à l'altérité, est un rapport de sollicitude qui place le sujet dans une position d'écoute de l'appel émanant d' autrui. Touché par cette vocation, le sujet se laisse aller dans l' expression du visage qui le convoque à une action. Cette convocation est sollicitude qui appelle le sujet à répondre, non pas puisque l'on est coupable du mal que l'on aurait fait à autrui. La responsabilité, selon la pensée d'Emmanuel Levinas, est une responsabilité pour autrui, ce qui veut dire qu'il ne s'agit pas de répondre de soi devant autrui (ce qui serait un détour), mais plus fondamentalement de répondre devant l'autre des fautes et des souffrances de l'Autre. C'est la situation de misère dans laquelle l'Autre se retrouve qui m'interpelle et m'éveille à la responsabilité pour lui. En d'autres termes, c'est le visage d 'Autrui qui déclenche la responsabilité à partir de la vulnérabilité. Cette conception de la responsabilité pose la primauté d' autrui et de son interpellation. L'éthique levinassienne n'est pas une dérivée de la responsabilité juridique parce qu' elle nous renvoie à un autre arrièreplan sociologique et anthropologique. Dans la perspective morale, la figure d' autrui en appelle à ma sollicitude, comme dit plus haut. Autrui ne m ' apparaît plus comme une volonté qui me fait face, comme une menace qui pourrait potentiellement venir contrarier mes intentions et mes projets mais comme un être caractérisé par la fragilité et qui vient, « par-delà son appel, fonder ma liberté ». L'univers de la responsabilité morale n'est pas le monde de la 30

réciprocité mais celui de la dissymétrie et de l'attention bienveillante pour l'autre. Être responsable (répondre de) pour l'autre et par l'autre ce serait seulement être originairement exposé à la proximité du visage de l'autre. Il faudra saisir que par «proximité», Emmanuel Levinas n'entend pas signifier une distance à parcourir. Cette distance n ' existe pas chez lui. Cette proximité est comprise comme le fait de sentir qu'autrui me concerne. C' est une exposition de la subjectivité à l'autre. « Plus je fais face à mes responsabilités et plus je suis responsable », dit-il. La responsabilité devient une forme originaire de la sensibilité, parce que toute sensibilité serait non pas d'abord marquée par le contact avec les choses, dans « l'espace et le temps », mais d'abord par « l'exposition à l' autre» (Antenat,2003). La proximité à l' Autre, c'est l'accueil du visage. La condition éthique est celle de tout sujet touché par l' autre qui le fait s'étonner de lui-même et en exige la responsabilité, « .. .responsabilité si démesurée que nous y sommes livrés passivement, à l'extrémité de toute patience, plutôt que capable d'y répondre par notre autonomie, notre prétention de Sujet, au contraire assujettis, mis à découvert ... découverte risquée de soi ... » (Blanchot, 1998). La responsabilité-pour-autrui est un commandement, un appel et non un « divertissement » 1. 1

Le mot divertissement, au sens ordinaire : tout ce qui peut divertir, c'est-à-dire distraire ou amuser. L'étymologie suggère que c'est se détourner (divertere) d'autre chose, plus grave ou moins plaisant. Dans le langage philosophique, c'est le nom pascalien et péjoratif de ce que Montaigne appelait la diversion. Le divertissement nous détourne de Dieu et de nous-même. C'est une façon de s'occuper l'esprit pour oublier l' essentiel : le peu

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Dans cette optique, la subjectivité est caractérisée par l'extériorité. Elle est à la découverte du prochain devant lequel elle découvre sa tâche. « Je suis d'emblée le serviteur du prochain, déjà en retard et coupable de retard, je suis comme ordonné du dehors traumatiquement commandé sans intérioriser, par la représentation et le concept, l' autorité qm me que nous sommes, le rien qui nous attend, ou bien l'enfer ou le salut... C'est comme un détournement d'attention, une distraction volontairement entretenue, une diversion métaphysique. L'idée se trouve déjà chez Montaigne - « peu de chose nous divertit et détourne, car peu de chose nous tient >> (111, 4)-, mais c'est Pascal qui en fera un concept majeur, l'un des plus décisifs de son anthropologie, l'un des traits les plus révélateurs de notre humanité. Le divertissement est la marque de notre misère (qu'il suffise de si peu pour nous occuper !), en même temps qu'une tentative pour la masquer. Son contraire n'est pas le sérieux, qui n'est souvent qu'un divertissement comme un autre (« le chancelier est grave et revêtu d'ornements ... »), mais l'ennui ou l'angoisse (Pensées, 622131). C'est pourquoi nous aimons tant « le bruit et le remuement », qui nous empêchent de penser à nous et à la mort. « Ainsi s'écoule toute la vie : on cherche le repos en combattant quelques obstacles, et si on les a surmontés le repos devient insupportable par l'ennui qu'il engendre. Il en faut sortir et mendier le tumulte » (136-139, « Divertissement »). Se divertir, c'est se détourner de soi, de son néant, de sa mort. Et cela fait comme un néant redoublé. Notre époque n'y voit guère qu'un délassement agréable. On remarquera pourtant que le divertissement, en ce sens philosophique, n'est pas forcément un repos, ni même un loisir ou un amusement : on peut se divertir aussi bien, et peut-être mieux, en s'étourdissant de travail. L'important est d'oublier que rien ne l'est, hormis l'essentiel, que nous voulons oublier. Lire dans COMPTE SPONVILLE A. Dictionnaire philosophique, PUF, Paris, p. 994.

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commande. Cette persécution traumatisante est assumée comme l'essence de la subjectivité, toujours accusée et coupable et punie avant d'avoir rien fait » (Levinas,1974). Le prochain qui se désigne par l'Autre est autorité. Il est à la fois supplication et magistrature. Il est supplication en ce qu'il est pauvreté, misère, souffrance. Il est visage parce qu'il est souffrance. Par ailleurs, le visage est magistrature en ce sens qu'il est supérieur, et c'est sa supériorité qui fait du Sujet le serviteur. Le visage étant ce qui n'est pas figuré, ou encore ce qui n'est pas ontologique, il est dans l'ordre de la trace. La trace est insaisissable. Or,« l'ordre personnel auquel nous oblige le visage est au-delà de l'être. Au-delà de l'être, est une troisième personne qui ne se définit pas par le Soi-Même, par !'ipséité». C'est I'illéité, I'absolument Autre, Dieu. Emmanuel Levinas précise que « l'au-delà dont vient le visage est à la troisième personne. Le pronom « il » en exprime l' inexprimable irréversible, c'est-à-dire déjà échappée à toute révélation comme à toute dissimulation - et dans ce sens absolument inenglobable ou absolu, transcendance dans un passé ab-solu. L'illéité de la troisième personne - est la condition de l'irréversible». Notons que I'illéité est de l'ordre du dépassement de !'ipséité. C'est I'illéité qui a strié sur le visage la trace, un commandement. La supériorité du visage vient du fait que I'illéité est présent en lui par la trace. Le pronom « il » est ce que le pronom « je » n'est pas. Le premier est extérieur, dépassement au second. « Cette troisième personne qui, dans le visage, s'est déjà retirée de toute révélation et de toute dissimulation ( ... ) cette illéité n'est pas un « moins que l'être » par rapport au monde où pénètre le visage ; c'est toute l'énormité, toute la démesure, tout l'infini de !'absolument Autre, 33

échappant à l'ontologie» (Levinas, 1971). L'illéité échappe à toute ontologie dont est sujette }' ipséité. De même, le visage n'est pas saisissable dans l'être. Puisque « le visage est par lui-même visitation et transcendance », il est de l'ordre de l'illéité, celle-ci faisant référence au pronom « il » qui indique le visage. C' est pour cette raison que, dans cette éthique, « le visage, tout ouvert, peut, à la fois, être en lui-même parce qu' il est dans la trace de l' illéité. L' illéité est l' origine de l'altérité de l' être( ... )», clarifie Emmanuel Levinas( 1971 ). A cet effet, la subjectivité est otage de l'altérité. C'est dans cette supériorité que le visage intime un commandement à la subjectivité : tu ne tueras point. C' est pourquoi « Le visage du prochain me signifie une responsabilité irrécusable, précédent tout consentement libre, tout pacte, tout contrat » (Levinas, 1971 ). Il s' agit d'une « exposition à l' autre » de laquelle la subjectivité découvre sa responsabilité. Être responsable pour l'autre et par l'autre ce serait seulement être librement exposé à la proximité du visage de l'autre. Dans la proximité au visage, il s'établit une responsabilité qui n'est pas un contact avec les choses mais une « exposition à l'autre». Une responsabilité qui n' est pas acquise ni innée mais qui est antérieure à tout choix. Raison pour laquelle la subjectivité ne devrait pas s'enorgueillir de son engagement et de son acte de bonté dans l'altérité, ou encore d' avoir été responsable. C'est une responsabilité an-archique : « A partir de la responsabilité toujours plus ancienne que le conatus de la substance, plus ancienne que le commencement et le principe, à partir de l'an-archique, le moi revenu à soi, responsable d ' Autrui - c' est-à-dire otage de tous ( ... ) otage de tous les autres qui précisément autres n 'appartiennent pas au même genre que le moi puisque 34

je suis responsable d'eux sans me soucier de leur responsabilité à mon égard car, même d'elle, je suis, en fin de compte et dès l'abord, responsable ( ... ) » (Levinas,1971). Cette responsabilité est asymétrique et inaliénable.

1.3. De la phénoménologie du visage En 1961, Emmanuel Levinas soutient sa thèse de doctorat, Totalité et infini. 11 y élabore sa philosophie à partir de sa lecture du livre de Martin Heidegger, Être et temps (1927), et en s'inscrivant dans la démarche phénoménologique (Bachler, 2019). La phénoménologie est une méthode et une philosophie. Comme méthode, elle tente de saisir la nature fondamentale de notre conscience qui se rapporte à ce qui n'est pas elle-même. C'est dans son rapport à autre chose qu'elle-même que l'on peut saisir ce qu'est la conscience. En tant que philosophie, elle désigne ce courant philosophique créé par E. Husserl, prolongé, entre autres, par M. Heidegger, J-P. Sartre, M. Merleau-Ponty et E. Levinas. La phénoménologie, prise en ce sens et comme le suggère l'étymologie, est d'abord l'étude des phénomènes, autrement dit de ce qui apparaît à la conscience (Sponville, 2013).

Martin Heidegger conçoit une conception ontologique de la conscience. Pour lui, la conscience sort de soi vers le monde, vers l'extériorité pour se réaliser. Mais pour Emmanuel Levinas, cette façon heideggerienne de concevoir cette sortie de la conscience est vague. Il veut dépasser ces limitations en partant d'une nouvelle approche. Dans son ouvrage Totalité et infini, sous-titré Essai sur l'extériorité, il va limiter le champ de cette extériorité à laquelle la conscience se rapporte. 35

Pour cet auteur, la conscience se construit dans son rapport à Autrui. Ce n' est pas en sortant de soi vers le monde, comme le penserait Martin Heidegger, mais en sortant de soi vers Autrui que la conscience se réalise. Que ce soit le fait de sortir de soi vers le monde ou vers Autrui, il s'agit de sortir de la totalité. La philosophie d'Emmanuel Levinas est, pour ainsi dire, une philosophie de la rencontre, de la découverte, du dévoilement, de la sortie de soi. Ce n'est pas une philosophie de l'autosuffisance ou de la nondépendance. C'est par contre une voie de transcendance, de dépassement, un chemin du « laisser aller» vers autrui, sans attendre de retour. « La relation éthique, qui est découverte pour nous sous les traits de la proximité et qui consiste à aller vers l' Autre, sans se soucier de son mouvement de réciprocité vers moi, fonde toutes les relations qui s'établissent entre moi et le prochain » (Plourde, 1996). Cette sortie de soi veut montrer que le sujet n'est pas subjectif pour lui-même mais puisque autrui est là, il y a un conditionnement dans lequel il s'inscrit. C'est dans cette rencontre que le visage se manifeste et se dévoile en tant que infini face au sujet, c'est-à-dire en tant qu' Autrui. Une sortie de la totalité pour s'inscrire dans l'infini dans une « altérité radicale ». Le visage est ainsi phénomène, il est épiphanie. C'est dans ce sens que « le phénomène qu'est l'apparition d' Autrui, est aussi visage» (Levinas, 1971). Une épiphanie du visage qui est «visitation», « vivable », « extériorité ». Dans le langage d'Emmanuel Levinas, le visage n'est pas à saisir, il n'est pas non plus visible à l'œil nu. Selon lui, on ne peut pas rencontrer autrui, en se laissant perdre dans sa « corporéité » ou encore sa «matérialité». C'est ams1 que, s'agissant du visage, 36

« Levinas nous demande non pas de pratiquer simplement une épokhè phénoménologique, mais d'accepter d'aller jusqu'à une épokhè de la phénoménologie. »(Svandra, 2018). S'il ne s'agit donc pas de se suffire à la contemplation du visage, il s'agit alors de se laisser impacter par sa présence et son épiphanie. Quand on lit Emmanuel Levinas sur la question du visage, deux considérations sautent aux yeux. Le visage peut être soit corporéité substantielle soit corps d'expression. C'est le domaine du visible et de l'invisible. L'expressivité du visage dépasse largement la descriptivité du visage. Si le visage dépasse toute corporéité, il embrasse par ailleurs le champ de l'invisible qui s'étale dans l'expressivité, dans un langage. 1.3.1. Du visage comme expression de l 'inf'Ini La problématique du corps et de l'âme a toujours fait l'actualité dans le questionnement philosophique. Nous faisons référence au dualisme platonicien, qui est présenté avec beaucoup d'enthousiasme intellectuel à travers ses œuvres. Pour lui le corps doit être à sa place dans son rapport avec l'âme. Le corps étant voué à des choses matérielles d'ici-bas, l'âme a, par contre, vocation d'élévation dans la connaissance. Ce qui lui fait croire que le corps est une prison dont l'âme devrait principalement se libérer. Platon, à travers ses œuvres, a longtemps mené un combat de Titan contre les sophistes. Ceux-ci ont tenté de véhiculer, à travers le temps, certaines connaissances que les platoniciens reconnaissaient comme « out of date » (dépassé). C'est particulièrement leur enseignement sur le monde sensible qui leur a créé un 37

camp adverse platonicien. Pour les sophistes, tout ce qui n'est pas du monde sensible ne s'offre pas à l'expérience et par conséquent, il est hors d'atteinte du sensible et n'existe pas. C' est pourquoi dans Gorgias, il présente le corps comme étant le « tombeau de l'âme». Le corps est le monde sensible tandis que l'âme relève du monde intelligible. Ce qui lui fait distinguer la connaissance sensible de la connaissance intelligible. Le premier peut constituer un obstacle à l'épanouissement du second et ainsi rendre difficile son élévation. En ce sens, « il (le corps) nous remplit d'amours, de désirs, de craintes, de chimères de toute sorte, d'innombrables sottises, si bien que, comme on dit, il nous ôte vraiment et réellement toute possibilité de penser » (Platon, ouvrage électronique). Le « dénigrement du sensible » chez Platon est beaucoup plus lisible dans Phédon, lorsqu'il présente le corps comme rendant l'âme aveugle, le privant conséquemment d'accès à toute « connaissance pure». D'où, « Il est impossible, en la compagnie du corps, de rien connaître purement». La problématique du corps est plus complexe chez Platon. Relevant du monde matériel, il est à dépasser puisqu'il ne dure pas. C'est pourquoi, « Si nous voulons jamais avoir une pure connaissance de quelque chose, explique-t-il, il nous faut nous séparer de lui (le corps) et regarder avec l'âme seule les choses en ellesmêmes. »(Platon, ibid.)

Il y a lieu de percevoir que c'est par le corps et contre lui que l'âme parvient excellemment à la connaissance pure. La connaissance sensible et intelligible peut s'imbriquer pour que l'âme parvienne vraiment à l' atteinte de son septième ciel. Cela veut dire que, bien que l'âme soit la seule à entretenir cette 38

connaissance pure, elle ne saurait se priver d'entrer en contact avec des objets sensibles. Il y a un chemin, un processus que la sphère du connaître devra suivre en vue d'atteindre le sommet. Si la connaissance du sensible doit être le point de départ de ce processus, c'est par elle, mais aussi contre elle, que l'âme devrait effectuer la purification de la connaissance en vue d'une élévation dans ce qui dure. C'est ainsi que la connaissance trouve sa perfection dans la libération de l'âme. A mieux comprendre Platon, nous avons un corps, puisque nous sommes une âme. Emmanuel Levinas a fait partie de cette époque qui a mené le combat pour la liberté. Une Europe qui a fait véhiculer des philosophies qui ont ouvert de nouvelles brèches à l'horizon. L'esprit de la philosophie européenne était dominé par l'émancipation de l'homme face au monde : un « sentiment de la liberté absolue de l'homme vis-à-vis du monde» (LEVINAS, 1997). Cette liberté de l'homme est entière, le détache de lui-même, de toute emprise du monde et de son environnement. Emmanuel Levinas(l997) entend dans le détachement, une « liberté infinie à l'égard de tout détachement». De lui-même, le corps n'opère pas cette libération. Cela est l'apanage de l'âme qui détient le pouvoir de détachement. C'est elle qui permet au corps de se libérer des attaches et de toute emprise du monde qu'il habite. C'est une prétention positive et concrète qu'a l'âme de « se détacher, de s'abstraire, ( ... ) de se libérer de ce qui a été, de tout ce qui l'a liée, de tout ce qui l'a engagée» (LEVINAS, 1997) dans le monde. L'on comprend dès lors que l'homme est « nonattachement », il se libère de toute matérialité puisqu'il n'est pas que corps mais il est esprit également. Il peut avoir cette inclination vers le matériel dans une certaine 39

forme d'attachement mais cela reste à considérer comme «ajouté» et secondaire, puisque toute son entreprise concourt à un détachement à tous égards. C'est de cette manière que la notion de corporéité intervient dans la pensée d'Emmanuel Levinas. Le corps a vocation d'attachement à l'espace et au temps. Il permet à l'homme de s' incliner à un milieu, un environnement sans désir de d'émancipation. C' est là que s'installe le sentiment d'identité entre notre corps et nous-même. Dès lors, il est clair que la corporéité ne facilite pas le détachement. C'est un obstacle à tout mouvement vers 1'Jnfini, vers la transcendance, puisque le corps limite cette initiative. Et pourtant dans la pensée européenne, surtout chez les philosophes de l'antiquité, l'âme a pour vocation d'imprimer sa prédominance et de dépasser le corps qui « brise l'élan libre de l'esprit, il le ramène aux conditions terrestres, mais comme un obstacle, il est à surmonter» (LEVINAS, 1997). Réprimer le corps à travers lequel l'homme s'identifie à lui-même semble être dichotomique. Il sied de souligner qu'Emmanuel Levinas ne semble pas radicaliser et absolutiser le corps face à l'âme qui lui est supérieure. Il a toujours déploré dans ses textes toute prétention d'identification du Sujet. C'est ce qu'il place dans la notion de totalité qu'il oppose à l'infini. Compte tenu de ce qui précède, il nous est loisible de comprendre que l'attachement au corps fait appel à une conception ontologique. Le fait d'être accroché à soi, d' « être rivé à soi », de s' attacher à soi est un « fait brutal de l'être», un enchainement à l'être, « un emprisonnement dont il faut sortir», selon les mots de l' auteur. 40

Cette sortie de l' être pour tout ramener à soi se réalise dans la sensibilité grâce à la corporéité. C'est pour cette raison qu'Emmanuel Levinas conçoit qu'il y a adéquation entre corporéité et sensibilité. La corporéité c'est la totalité, le Même. Mais la sensibilité c'est la vulnérabilité du sujet qui le place dans la sphère de l'infini, dans le face à face. Une « obsession pour autrui». Pour situer cette thèse de la sensibilité, il nous est impérieux de situer celle du corps. Chez notre auteur, il y a imbrication entre la corporéité et la sensibilité du fait que « la corporéité de la conscience ( ...) se produit dans la sensation » (Levinas, 1949). D'ailleurs, dans Autrement qu'être ou au-delà de l'essence, l'expérience sensible se présente déjà comme vulnérabilité et maternité pour Autrui. C'est en allant à la découverte du visage que la corporéité prend son sens le plus original. Pour Emmanuel Levinas, le sensible s'incarne dans le Sujet qui fait expérience de vulnérabilité. Il y a un lien entre le sensible et le corps. C'est dans cette coïncidence entre le corps et le sensible que s'établit la transcendance. Cela s'explique par le fait qu'il n'y a plus séparation entre l'expérience du corps et celle de la sensibilité ; la deuxième rendant possible le dépassement du Même vers Autrui. La subjectivité corporelle constitue les sources de la transcendance qui est une liberté du soi, une liberté vis-à-vis de tout enfermement dans le Même en vue de s'ouvrir dans l'épiphanie du visage. Le visage est ainsi description dans sa matérialité, sa corporéité tandis qu'il est expression en ce qu'il est langage. Il y a donc à se libérer de la simple apparence du corps et se hisser au

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mveau de la contemplation de l'infini. Mais quid de l'infini ? 1.3.2. Infini et responsabilité

Infinitude, infiniment autre, autrement qu'être, l'autre de l'actuel, le visage, l 'illéité, l'altérité de l'autre : des concepts et des expressions remplis de sens et de significations que les ouvrages d'Emmanuel Levinas distillent à la lecture. Tout cela véhicule une seule représentation qu'est l'idée de l'infini. Pour les avertis, les concepts d'Emmanuel Levinas ne s'emploient pas abusivement. Ils disent et promènent sa philosophie qui se retrace dans son éthique. Toute cette démarche consiste à situer l'idée de l'infini sur le plan éthique. Le concept infini revêt une richesse incontournable de signifiance mais aussi une ambiguïté. Comme il a été démontré plus haut, c'est du Désir d'autrui que prend place l 'Œuvre, comprise comme ce mouvement de la rencontre du visage. Dans ce rendezvous du face à face, le Sujet se laisse interpeller par la misère et la souffrance d'autrui. Ne laissant rien pour compte, il découvre sa responsabilité face à autrui. Sans attendre la réplique, il est le générateur du salut pour Autrui en détresse. Une détresse qui se dit dans un langage interpellateur et d' ordre ou de commandement. Le Désir étant pour Autrui, il permet l'accueil du visage. Et pourtant le visage dépasse la simple figuration et l'ontologie pour se hisser au niveau de l' « autrement qu'être». C' est-à-dire qu' il existe un plus que ce que le face à face offre traditionnellement. C'est cet au-delà qu'Emmanuel Levinas entend par infini. Une transcendance de l' ontologie. Pour ce faire, l'infini « consiste, paradoxalement, à penser plus que ce qui est pensé en le conservant, ainsi, dans sa démesure, 42

par rapport à la pensée, à entrer en relation avec l'insaisissable, tout en lui garantissant son statut d'insaisissable » (Levinas, 1971 ). Le Désir dans son infinité, en accueillant le visage, fait appel à l'infinitude. Il (le Désir)« est creusé dans le Même par l'altérité d 'Autrui ( ... ) car seul le Désir, dans son infinité, est apte à s' ouvrir à l'infinitude de l'infini» (Plourde, 1996). L'infini se voit à travers Autrui et « ( ... ) se produit concrètement sous les espèces d'une relation avec le visage » (Levinas, 1968). Le visage qui transcende toute ontologie dans le rapport d'altérité est idée même d'infini. Il y a un surplus que la présence de l'infini ne cesse de dévoiler dans cette rencontre. Paradoxalement, puisque c'est dans le visage qu'a lieu l' interpellation à la responsabilité face à Autrui, le visage exprime l' infini, autrement dit, « le visage signifie l'infini » (Levinas, 1981). Or c ' est dans l'exposition du visage au Moi que prend naissance le sentiment de vulnérabilité. Et c'est dans l'accueil du visage que le Moi découvre sa responsabilité face à l ' Autrui. C'est donc toute l' éthique de l' altérité qui se dessine dans l'idée de l'infini. Limiter l' idée de l'infini qui s'ouvre dans l' altérité serait une erreur commise à l' encontre de l'éthique de responsabilité face à Autrui. C'est contre ce risque du détour qu' Emmanuel Levinas s'insurge en montrant qu'on est infiniment responsable d' autrui. Cette limitation de l' idée de l'infini est une marque ontologique qui ne laisse pas accéder à l' autrement qu'être en se limitant suffisamment à l' essence. En clair, dans la philosophie lévinassienne, le concept de l'infini a un double sens. Il s'agit de l ' Autre dont le visage exprime un langage et l 'Jlléité ou / 'absolument Autre, le Très-haut. L'Autre est infini en 43

ce qu'il est dépassement de la subjectivité. Or la subjectivité est le mode des égoïsmes, de la jouissance. Mais c'est dans la subjectivité que ce mouvement de sortie de soi se réalise à travers la sensibilité ou la vulnérabilité pour Autrui. L'altérité est infinie en ce sens qu'elle est supérieure à Moi et me convoque, de manière illimitée, à la responsabilité. Cet infini qui se dit dans l'Autre tire son origine de ! 'absolument Autre. Ce dernier est passé, mais il a strié sur le visage de l'Autre une trace qui lui donne sa supériorité. En effet, l 'absolument Autre est présent en l' Autre. Après avoir saisi cette orientation sur l'infini, il nous est important de situer l'idée de l'infini sur le plan éthique de la relation. Chez Emmanuel Levinas, c'est du face à face que provient la socialité. Et comme le soutient Simone Plourde, c'est pratiquement l'éthique qui surgit là où il y a socialité (Plourde, 1996). La rencontre de l'Autre est la rencontre de l'infini. Or c'est dans ce face à face qu' Autrui est senti. Par le fait de sentir, la subjectivité est sommée par l'Autre. La sensibilité est le lieu de la libération où la subjectivité se met infiniment en marche vers l'altérité. Il s'agit d'un passage de l'intéressement vers le désintéressement. Le désintéressement est exactement sorti de l'être, oubli de soi, pour pouvoir précisément s'ouvrir à l'autre (Levinas, 1974). Lee désintéressement c'est l'expérience de l'altérité. Et comme le soutient Emmanuel Levinas, le Moi, en relation avec l 'Infini, est une impossibilité d'arrêter sa marche en avant, impossibilité de déserter son poste selon l'expression de Platon dans le Phédon : c'est, littéralement, ne pas avoir le temps pour se retourner, ne pas pouvoir se dérober à la responsabilité, ne pas avoir de cachette d'intériorité où l'on rentre en soi, marcher en avant sans égard pour soi (Levinas, 1971). La relation avec 44

l'infini, qui est l'Autre, ouvre à la responsabilité infinie pour lui. Ainsi est-il que la responsabilité pour Autrui est une marche à l'Infini. Cette marche à l'Infini implique que la subjectivité soit affectée et exposé dans le face à face. Et c'est dans cette interlocution qu'il y a rencontre et accueil du visage. Il y a un lien à établir entre l'idée de l'infini et le visage. C'est dans la manifestation du visage que l' infini s'exprime. Accueillir le visage de l' Autre c'est entrer dans la dimension éthique, puisque c' est dans ce contact que génère la responsabilité pour Autrui. D'ailleurs, Emmanuel Levinas l'affirme : le visage signifie l'infini (Levinas, 1982). Comme il a été dit, la responsabilité pour l' autre est une marche dans et vers l'infini. C'est une responsabilité jamais voulue par la subjectivité. La subjectivité est responsable pour l'Autre indépendamment d' elle-même. Ce n'est pas non plus une modalité dont il a fait le choix. Il s' agit d'une responsabilité qui possède une triple caractéristique : elle est anarchique, inassumable et inconfortable (Birhaheka, 2017). En effet, la responsabilité est anarchique en ce sens qu'elle est au-delà (an) du principe (archè). L'anarchie c' est l'immémorial, le passé révolu. Ainsi, en parlant de la responsabilité comme anarchie, Emmanuel Levinas a surtout l'idée de faire comprendre que la responsabilité éthique ne commence dans aucune décision personnelle ou libre (Birhaheka, 2017). La responsabilité pour autrui nous a précédés sur le chemin de la rencontre d' Autrui. Nous sommes responsables indépendamment de nous et malgré nous. Emmanuel Levinas l'explique en ces termes : la responsabilité où je me trouve vient d'en deçà de la liberté, d'un antérieur-à-tout souvenir, 45

d'un ultérieur-à-tout accomplissement du non présent par excellence du non-originel, anarchique, d'un en deçà ou d'un au-delà de l'essence» (Levinas, 1974). On ne devient pas responsable, on l'est déjà. En plus, la responsabilité est inassumable. Non pas dans un sens dépréciatif qui voudrait faire croire en une responsabilité défavorable ou nuisible. Bien au contraire, l'inassumable de la responsabilité définit son abondance et son infinité face à tout ce qui peut être envisagé pour répondre à l'appel d' Autrui. On ne cesse pas d'être responsable car nous ne sommes même pas libres devant cette tâche noble. La responsabilité pour Autrui est surdéterminée originairement, c'est-à-dire débordant et précédant de loin notre liberté et notre conscience. Autrement dit, la responsabilité pour le prochain est également infinie d'abord parce que chaque homme est un prochain, ensuite parce que la subjectivité a, à l'endroit de chacun des proches, une dette infinie de l'humanité (Birhaheka, 2017). Devant Autrui, notre responsabilité est indéterminée. On ne saurait la contenir dans une action momentanée. Il s'agit d'un projet, d'une vision en perspective. Plus on est dans la marche d'une responsabilité inassumable, plus la marche à }' Infini se réalise. Finalement, la responsabilité est inconfortable en ce qu'elle impose une contrainte à la subjectivité. Contraint à la bonté, telle serait donc la situation concrète de la subjectivité requise pour la morale. Le fait que la contrainte ne souffre d'aucune dérobade ni d'aucune excuse possible fait évidemment d' elle une contrainte inconfortable (Birhaheka, 2017). En plaçant dans une situation d'inconfort, être responsable c' est être dans l'obligation d'agir pour l'autre. La contrainte qu'elle impose ne laisse pas de choix ni d'autre 46

possibilité au sujet. La seule possibilité qui s'offre c'est celle d' être responsable et responsable de l'Autre, pour l'Autre et par l'Autre. Il sied de spécifier que de la responsabilité pour autrui découle la proximité. Etre proche d' Autrui c'est reconnaître qu'on est l'un-pour-l'autre. C'est aussi avoir du souci pour l'autre, s'inquiéter pour lui. C'est en d'autres termes être en état permanent d'insomnie pour la souffrance et la misère de l'autre. C'est aussi rester veilleur éveillé, sentinelle pour Autrui. En ce sens, la responsabilité pour autrui se définit par le fait d'être pris en otage par lui. La subjectivité est réquisitionnée pour Autrui dans une responsabilité infinie. Dans cette infinitude, on ne cesse jamais d'être responsable. Et il n'existe pas d'excuse de ne pas l'être, puisqu'on ne saurait y échapper. La responsabilité à l'infini fait entendre qu'il n'existe pas de limite dans l'accomplissement du devoir pour Autrui. C'est un engagement qui se perpétue au-delà de l'espace et du temps. L'infini de la responsabilité ne traduit pas son immensité actuelle, mais un accomplissement de la responsabilité au fur et à mesure qu' elle assume; les devoirs s'élargissent au fur et à mesure qu'ils s'accomplissent. Mieux j'accomplis mon devoir, moins j'ai des droits (Birhaheka, 2017). Plus nous plions les genoux au service de l'Autre, nous réalisons que nous ne sommes qu'au début du commencement. Une responsabilité qui est un éternel commencement, qui dépasse l'actuel. C'est pourquoi, « dès lors qu'autrui me regarde, j ' en suis responsable sans même avoir à prendre des responsabilités à son égard, responsabilité qui va au-delà de ce que je fais » (Levinas, 1982).

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Méditer la question de la vulnérabilité chez un auteur comme Emmanuel Levinas requiert une attention particulière sur chaque aspect que son éthique renferme. C'est pour cela que nous avions voulu comprendre ce que cet auteur, qui a consacré toute sa pensée sur la question d 'altérité, a retenu sur la problématique de l'Autre, le rapport intersubjectif, la phénoménologie du visage, le sujet comme vulnérabilité. Dans sa vision du monde, Levinas laisse comprendre que l' être humain n 'est pas isolé de ses semblables. C'est un être en relation, qui se dépasse pour aller à la rencontre et la découverte du visage qui se dévoile dans un rapport de face à face. C' est à l' appel du visage que le Sujet répond. C'est dans cette rencontre qu' Autrui se manifeste et se dévoile en tant que « visage » face à la subjectivité. Ainsi va-t-on vers autrui par Désir. Dans cette phénoménologie prennent naissance le sentiment de vulnérabilité et la « faculté » de responsabilité qui engagent le Sujet envers Autrui. Une relation qui tend vers un mouvement à « sens unique», sans réciprocité. Dans cet élan, l' asymétrie renvoie à la passivité du sujet. Sentir c 'est être pris dans l'Autre (Calin, 2006). Ainsi la vulnérabilité estelle une souffrance qui génère la responsabilité pour autrui.

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RELATION ETHIQUE ET COVID-19 : RELEVER LES DEFIS D'ALTERITE AVEC EMMANUEL LEVINAS La résurgence de la pandémie de coronavirus est un casse-tête pour l'humanité entière. C'est depuis le terme de l' année 2019 que les humains se heurtent à une guerre qui ne semble pas encore dire son dernier mot. Un ennemi redoutable et presque invisible à l' œil nu, sur un terrain de bataille à multiples facettes ; bref, un épokhè. Tous les secteurs de la vie humaine sont touchés profondément par ce minuscule virus : l'économie, le social, la politique, le privé, la santé, l'environnement, le travail. Au sein de chaque secteur, certaines habitudes et attitudes ont connu un renversement de cap. L'inhabituel a laissé apparaître les failles longtemps entretenues par un système altruicide, qui a laissé croire que la félicité est atteinte au jour le jour. Coronavirus est non seulement révélateur mais aussi éducateur du genre humain. Avec cette pandémie, il s'est révélé que les rapports intersubjectifs ne sont pas restés intacts.

En effet, l'humanité s'est retrouvée face à une menace contre son intégrité. C'est pourquoi l'homme a mis sur pied une « technoprotection » puisque sa vie et sa survie en dépendent. Pourtant, il est curieux de constater que cette menace, ce minuscule virus siège et se promène dans et à travers l'humain. Il est donc impérieux de combattre ce virus. Dans le cas contraire, on deviendrait une menace contre l'intégrité de chacun. Lorsqu'on se soupçonne être porteur de ce virus, on s' évite pour se protéger. Et les rapports interpersonnels se trouvent gâchés. Les mesures barrières deviennent 49

quasiment altruicides dans la mesure où elles nous dispersent. Les égoïsmes sont entretenus et par conséquent, l'accès à autrui ne va plus de soi. Chacun cherche son salut au péril du vivre ensemble. Sous la houlette de l'éthique levinassienne, l' analyse des défis d'altérité en période de coronavirus nous emmène à questionner ce que devient le rapport intersubjectif face aux mesures barrières contre le coronavirus. Ce chapitre veut principalement questionner ces mesures barrières en ce qu'elles pourraient être utilisées pour la socialité ou l'insocialité. Pour cette dernière, il s'agit d'un pli dans l'ontologie du visage où c'est le Moi qui se protège pour se sauver sans sauver Autrui. L'on se protège contre autrui. L'accent est mis sur la subjectivité. Par conséquent, pas de relation éthique vers l'altérité ni d'infini qui se dit dans le visage del' Autre. Porter un masque, observer la distanciation sociale, se retirer dans le confinement deviennent ici des mesures qui barrent tout accès au visage de l'autre. Par contre, il y a lieu que les mesures barrières soient une technoprotection de salut pour Autrui. C' est la socialité. C'est en ce sens qu'intervient l'éthique levinassienne qui supériorise Autrui dans le face à face. Il ne s'agit pas ici de porter un masque ou d'observer la distanciation sociale ou encore de se retirer en confinement en vue de se protéger contre la menace que représente Autrui, porteur en acte ou en puissance de coronavirus. La proximité joue un rôle prépondérant. Si la proximité physique est menaçante, la proximité éthique est salutaire. Observer soigneusement relève alors de la prise de conscience que nous sommes responsables de la mort d' Autrui tant sur le plan éthique que physique. 50

Cet Autrui outragé, victimisé, ou menacé de coronavirus, crie au secours, sollicite la sensibilité du Sujet, en appelle à la responsabilité d' observer les mesures barrières contre Covid-19. Cela va plus loin jusqu'à faire appel à la responsabilité pour Autrui. Quand on se protège, c'est l'Autre que l'on protège également. L'altérité bénéficie donc de l'application des mesures barrières contre le Covid-19. Une question se pose : Pourquoi la pandémie de coronavirus facilite et/ou ne facilite pas la relation intersubjective ?

11.1. Covid-19, une remise en question de nos assurances La responsabilité engage le Sujet pour l'Autre. C'est le fait, pour le Sujet, de répondre de quelque chose, de se trouver garant de sa vie ou celle des autres. Répondre de ses actes consiste à reconnaître que ce qui nous arrive aujourd'hui est la résultante d'un acte que nous avons posé à un certain moment. En d'autres termes, ce que nous vivons aujourd'hui est la conséquence du choix que nous avons opéré à un certain moment de la vie. Nous avons l'harmonie entre nous et la nature et en transgressant les lois, le pire arrive. C'est cette brisure de l'harmonie entre les hommes et la nature que Ka Mana (2021) désigne par sorcellerie. Pour lui, la sorcellerie conçoit que quelqu'un a brisé l'harmonie entre les humains, le cosmos, la transcendance au lieu de mettre et de maintenir du bien et de l'ordre dans nos relations les uns les autres. Cela impose un grand défi à toute l'humanité, qui a consacré des siècles à travailler pour l'amélioration des conditions de vie des hommes sur Terre. Cette guerre entre les humains et les virus renseigne un paradoxe non négligeable. Il fait remarquer premièrement qu'un virus infime, c'est-à-

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dire microscopique, est en train de bouleverser le cours de la vie des humains. Invisible qu'il est, coronavirus produit des conséquences considérablement visibles. Deuxièmement, il est à constater avec regret que ce virus infiniment petit produit un phénomène énormément grand allant jusqu'à la paralysie, voire l'asphyxie des efforts dans tout ce que l'homme a établi de certitude. Ce virus sème l'incertitude au cœur de l'humanité. En effet, l'homme de la modernité a tout prévu d'avance pour assurer son présent et son avenir. Les produits de la science et les technologies de pointe, les recherches les plus avancées en médecine, en sociologie et en économie de développement ont fait croire à l'humain qu'un mur est désormais élevé contre tout envahissement d'un ennemi imprévisible. L'homme moderne aurait su prévenir le prévisible pour faire face à l'imprévisible. Mais tout d'un coup, tout est assombri et réduit à l'incertitude. Doute, remise en question de l'homme face à son ouvrage, soupçon s'observent. Troisièmement, les puissantes nations du monde ont mis sur pied des armes de destruction massive, dont des armes chimiques, bactériologiques et nucléaires. Devant une telle hypersécurité, un petit virus vient s'imposer pour prendre le contrôle et imposer un nouvel ordre mondial. Quatrièmement, de plus en plus les certitudes établies sont humiliées et ne cessent de montrer leurs failles. Un problème visiblement de santé publique, voire mondiale, devient l'apanage des politiciens. Ils prennent le devant dans la décision sur la gestion de la santé des populations, se confondant aux spécialistes de santé publique et à des scientifiques. Les observateurs ne vont pas trainer de taxer la mise à nue des 52

hésitations, des tâtonnements et des erreurs de l' État tout au long de sa prise de décision (Rousselier, 2020). Ces quatre observations laissent pressentir que le défi du siècle n' est autre que la reconnaissance de la faillibilité de l'homme devant son ouvrage. C ' est Blaise Pascal (1962) qui n'a pas tardé de souligner que « l'homme n'est qu'un roseau, le plus faible de la nature: mais c' est un roseau pensant ». Michel De Montaigne (1952) quant à lui insinue que « la plus calamiteuse et fragile de toutes les créatures, c'est l'homme ». Une équivocité qui met la faiblesse de l'homme face à sa force rationnelle. Et Emmanuel Levinas (1971) l'avait déjà évoqué en soulignant que : « La crise de l' humanisme à notre époque a, sans doute, sa source dans l'expérience de l'inefficacité humaine qu'accusent l'abondance même de nos moyens d' agir et l'étendue de nos ambitions. Dans le monde où les choses sont en place, où les yeux, la main et le pied savent les trouver, où la science prolonge la topographie de la perception et de la praxis, même si elle en transfigure l'espace ; dans les lieux où se logent villes et champs que les humains habitent tout en se rangeant, selon divers ensembles, parmi les états, dans toute cette réalité « à l'endroit », le contre-sens des vastes entreprises manquées - où politique et technique aboutissent à la négation des projets qui les mène ». Peut-on dire que c'est la rationalité qui a fait défaut en cette période de pandémie ? Cette crise ne serait-elle pas la conséquence directe d'un système obscurantiste encadré jalousement depuis des décennies ? Avec la raison qui est la plus noble caractéristique de l'homme moderne, avec l'évolution des recherches scientifiques, comment se fait-il que l'homme ait pu garder ses

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lampes éteintes pour se retrouver dans une impasse qui le place délibérément dans une incertitude ?

11.1.1. Coronavirus : surprise ou impréparation ? Il sied de noter qu'avant la pandémie de coronavirus, le monde a fait face à d' autres épidémies et des pandémies de tous ordres : virus Ebola, les grippes, le chikungunya, le Zika, le MERS-corona en Arabie Saoudite ( ... ). Il y a eu par ailleurs le SARS (agent pathogène de la maladie covid- 19) pour lequel on dénota un cas importé qui est d'ailleurs passé au travers des filets de l'aéroport. Maintenant, il y a le corona chinois (Raoult, 2021) qui semble avoir surpris les scientifiques et les dirigeants. Une théorie que ne soutient pas Michel Collon (2020) qui présente une avalanche d'avertissements auxquels le monde a gardé une sourde oreille. Et c' est en faisant face au pire que « pour justifier leurs improvisations et tâtonnements du printemps 2020, les gouvernements occidentaux ont déclaré avoir été surpris par le coronavirus. En réalité, les avertissements avaient été nombreux et très précis ». Nous voudrions passer en revue certains d'entre eux. En fait, depuis 2002, certains chercheurs se sont mis au travail pour tenter d' étudier les risques de menaces liées à une éventuelle pandémie dans le monde. Des recherches d' anticipation auraient décrit noir sur blanc que le risque était imminent. En 2003, Didier Raoult découvre le risque d' apparition de mutants de virus respiratoires, en particulier de la grippe. Il prévient pour cela que notre préparation face à ces événements chaotiques est faible. En 2004, le National Intelligence Council relève : « Un autre scénario dont nous estimons qu'il pourrait stopper la mondialisation serait une pandémie. [ ... ] La globalisation serait mise en danger si 54

la contagion de la maladie stoppait les déplacements mondiaux et le commerce sur une période importante, obligeant les gouvernements à mettre des ressources considérables sur des secteurs de santé en surchauffe » (Ibid.). En 2015, à l'occasion d'une conférence « TED », Bill Gates, ce brillant philanthrope disait « nous ne sommes pas prêts » pour affronter un éventuel virus hautement contagieux qui vient. Malgré tous ces avertissements et bien d'autres, Michel Collon (2020) note que « rien » n'a été fait pour prévenir et éviter le pire auquel le monde assiste depuis les termes de l'année 2019. À cela s'ajoute la « sinophobie » et la méfiance qui ont caractérisé des dirigeants qui étaient à même de prendre des mesures contraignantes en vue de stopper la propagation du virus au-delà de la Chine. Dès que la Chine a identifié l'agent pathogène de ce nouveau virus inconnu, elle a tenu à informer le monde et les experts sur l'évolution de ses recherches et de son expertise. Mais il sera retenu que l'amertume des Européens a primé sur le sérieux des Chinois. « Nous avons assisté à une énorme manifestation de sinophobie, de racisme contre la Chine, de la part de nos gouvernements, mais aussi de nos scientifiques » (Ibid.). Un « orgueil d' exceptionnalisme occidental » qui a coûté la vie à plusieurs personnes du reste du monde. Dans ce cadre, le coronavirus a été banalisé, voire négligée suite à un eurocentrisme qui s'explique par ces hypothèses que Michel Collon présente (Ibid.). La première explique l'arrogance occidentale. Dans ce cadre, il n'est pas question d'écouter les Chinois et autres pays asiatiques qui ont affronté précocement le virus. Nous sommes à l'abri. Richard Horton, Directeur du Lancet, met ce facteur en avant. Dans ce contexte, les occidentaux n'étaient pas mécontents de voir 55

les chinois en difficultés. Ceux-là souhaitaient l'effondrement économique de la Chine, voire même un mécontentement populaire qui conduirait au changement du reg1me chinois. Par exemple, l'éditorialiste de France Culture Brice Couturier se réjouissait de voir dans cette crise « le Tchernobyl de Xi Jinping » qui décrédibiliserait le Parti communiste chinois. La deuxième hypothèse mentionne qu'il s'agit juste de l'incompétence. À ce sujet, Michel Collon remarque que nos dirigeants n'ont pas l'esprit scientifique. Ils n'ont pas fait l'effort de comprendre l'impact de la progression géométrique exponentielle qui mènerait à la catastrophe si des mesures de prévention radicales n'étaient pas prises. Dans cette perspective, « les mathématiques ont fait défaut » dans les conseils des dirigeants qui ont tenu un problème de santé entre leurs mams.

Citant Laurent Laffaurgue, Michel Colon distingue la progression exponentielle de la progression géométrique du virus. Il veut signifier par- là que la progression exponentielle tiendrait compte non pas du « nombre de contaminés ou le nombre de morts à un moment donné, mais le coefficient par lequel ces nombres sont multipliés quand on passe d'un intervalle de temps au suivant » (Ibid.). Ce qui importe ici n'est pas tellement le nombre de contaminés mais au contraire, la vitesse de contamination. Donc, le plus important n'est pas le nombre de personnes contaminées, mais bien la vitesse de contamination, et par conséquent, la rapidité de la réaction. La troisième hypothèse porte sur l' impréparation. Comme on n'a rien préparé sur le plan des masques, des tests et des autres équipements, il est impossible de 56

mettre en route les bonnes mesures et on se cache pour ne pas être discrédité et ne pas créer la panique. Plusieurs alertes avaient été données annonçant qu'un danger imminent guettait l'humanité. Mais, comme le constate Michel Collon, rien n'a été fait. La quatrième hypothèse repose sur l' économie. En testant un très grand nombre, on craint de découvrir trop de contaminés et de devoir arrêter les entreprises. Chaque pays, engagé dans la grande bataille de la concurrence économique internationale, a peur des pertes de profits qui l 'affaibliraient dans cette compétition. Tout cela montre à suffisance que le pire auquel l 'humanité est confrontée aujourd'hui a été entretenu depuis un certain moment où les décideurs politiques, les « mondialisateurs » et leurs acolytes, qui sont censés orienter le devenir du monde, ont fait un détour égoïste. Au lieu de contribuer à la construction efficace de notre maison commune, ils ont plus nourri le souci de leurs intérêts en vue d' accroitre leurs firmes. 11.1.2. Autrui et Covid-19: sur la trace de la source du virus

Depuis les derniers mois de l' année 2019, l'humanité entière se trouve dans une hypocondrie. Elle est victime sous plusieurs aspects, d'une pandémie de Coronavirus. L'irruption et la propagation de ce virus de Chine, à Wuhan, ont contribué à l' éclosion de nouveaux paradigmes et incertitudes. L' on se poserait alors la question de savoir les origines du « corona chinois » tel que le qualifie Didier Raoult. Les scientifiques et les hommes politiques qui détiennent le monopole d'expression sur cette question n'arrivent pas à se mettre d'accord sur la source de ce 57

fléau qui paralyse le monde. Certains soutiennent que le virus proviendrait d'une fuite du laboratoire alors que pour d'autres, c'est la chauve-souris qui serait pointée du doigt. Dans une lettre publiée dans Ouest-France dans la revue Science ce jeudi 13 mai 2021, un groupe de scientifiques affirme qu' « il n'y a pas assez d'éléments pour déterminer si l'origine du Covid-19 est naturelle ou si elle provient d'une fuite accidentelle d'un laboratoire ». Cette situation conduit à ce qu'ils fassent appel à une nouvelle enquête pour lever la confusion qui plane sur cette question. Dans le même cadre, la Radio France Internationale publie, en date du 30 mars 2021, que le rapport de l'équipe des scientifiques internationaux réunis par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) pour examiner les origines du coronavirus est un « début bienvenu, mais loin d'être concluant », selon Tedros Adhanom Ghebreyesus, chef de l'agence sanitaire de l'ONU, qui, parlant des origines du coronavirus, insinue : « Nous n'avons pas encore trouvé la source du virus - nous devons continuer à suivre la science et ne négliger aucune piste dans notre démarche » (OMS-Info, 2021). Aucune déclaration n'a jusque-là élucidé la vraie source de ce virus qui tarit l'humanité entière. On ne fait que passer d'incertitude en incertitude face à ces deux origines dont la naturelle et la scientifique. Concernant la source animale qui « n'est toujours pas claire», des études supplémentaires ont été menées par une équipe de l'OMS, celle des États-Unis et celle de la Chine, pour identifier le rôle que « les animaux sauvages d'élevage ont pu jouer dans l'introduction du virus sur les marchés de Wuhan et au-delà », selon le Chef de l'OMS (OMS-Info, 2021). 58

Et pourtant, la même source souligne que la théorie d'une fuite du laboratoire n'est pas exclue : « Bien que l'équipe ait conclu qu'une fuite en laboratoire est l'hypothèse la moins probable, cela nécessite une enquête plus approfondie, potentiellement avec des m1ss1ons supplémentaires impliquant des experts spécialisés, que je suis prêt à déployer », selon Tedros Adhanom Ghebreyesus (Ibid.). Le Patron de l'OMS conclut, via le même article, que « toutes les hypothèses restent sur la table ». Une manière de dire que les deux origines, dont la source animale et la théorie d'une fuite de laboratoire, restent les deux voies susceptibles d'orienter la recherche vers la clarté. Ces deux thèses ont soulevé une polémique entre la Chine et les États-Unis, les chinois accusant les étasuniens de politiser les origines du Covid-19. Comme ci-haut indiqué, la source naturelle du Covid-19 serait la chauve-souris qui l'a transmis à l'homme. La source scientifique proviendrait de la fuite d'un laboratoire. Dans les deux cas, c'est l'homme qui est concerné. C'est pour cela qu'on ne tarde pas de remarquer qu' on est confronté à un antagonisme où Autrui serait une menace. C'est lui qui a façonné le virus, c'est de lui que le virus provient, c'est par lui que le virus se propage. Qu'il s'agisse du travail de laboratoire, c'est-à-dire de l'initiative humaine, de la provenance animale, la source du coronavirus semble être l'autre ; cet autre qu'Emmanuel Levinas (1982) considère comme visage. Toutes les lignes qui suivent devront nous ouvrir à cette éthique où le même prend l'autre en charge. Avec cette pandémie, Autrui devient une menace contre la subjectivité est vecteur du virus. Le « face à face » n'a plus la même considération comme il a été 59

avant la résurgence du virus. L' accès au visage devient problématique et par conséquent le rapport intersubjectif est mesuré en fonction de la menace physique. Cette façon de regarder l'autre le marginalise. L'autre est bien là, mais comme s'il n'y était pas. L'évitement et l'indifférence face à Autrui, qui serait une menace, en est la conséquence. Autrui qui serait porteur du Covid-19 se révèle dangereux à cause de ce virus. Cette dangerosité met à mal le rapport intersubjectif. On vit dans une société d'hommes dont le rapport à l'autre et à la nature devient modifié par la présence du Covid-19. L'on se protège non seulement du virus mais aussi de l' Autre qui est supposé l'avoir. Chez l' auteur, l'Autre est visage. Le visage c' est la souffrance, la misère de l'Autre. Le Covid-19 étant une menace qui fait souffrir, il fait de l'homme un visage. Il le fait souffrir et c'est effectivement dans ce contexte qu'il interpelle le Sujet à la responsabilité. Il crie au secours, il lance un SOS. Cela s'explique par la crise sanitaire qui expose les sujets à la souffrance et à la mort, la crise économique, la crise psychologique, la crise sociale, etc. En fait, c'est contre cette menace qu'une guerre est initiée. C'est ce qu'on peut saistr de l' allocution du Président français du 16 mars 2020, qui consistait à annoncer les nouvelles mesures pour limiter la propagation du coronavirus. Dans cette allocution, le Président français Emmanuel Macron. Déclarait : « Nous sommes en guerre » (Le Monde, 2020). Par cette phrase, le Président français annonce la catastrophe. Il alerte, il prévient, il avise, il attire l'attention du plus grand nombre. Cette phrase ne vient pas déclarer la guerre, mais elle vient annoncer un état de guerre dans 60

laquelle l'humanité se trouve. Elle veut nous dire que la race humaine est menacée et nous faire comprendre qu'être en guerre avec son ennemi est une possibilité humaine (Finkeilkraut, 2003). Tout cela renseigne qu' il existe trois périodes qui appellent notre attention face à cette analyse. Il existe une période avant, pendant et après coronavirus. La période ante-Covid-19 nous renvoie à l'instant où le virus n'a pas encore fait sa parution. La socialité s'effectue sans tache. En cette période, en effet, le Sujet va vers Autrui sans difficulté. Pendant la période de Covid-19, la relation avec l'altérité est entamée, les sujets se soupçonnent et sont presque dispersés. Quant à la période après coronavirus, c'est celle qui devrait être pensée dans l 'aujourd'hui. Le pire serait de vouloir faire comme si c'est passé ; replier le confinement sous les draps épais d'un cauchemar soudainement défait par notre réveil pour imaginer que rien de pire n'arrivera (Leblanc 2020). Suite à cela, pourquoi le Covid-19 ne favorise-t-il pas cette relation de face à face ? Et pourquoi cette pandémie entame-t-elle la proximité ? Pourquoi la subjectivité ne doit-elle pas ne pas aller vers Autrui?

11.2. Défis d'altérité et mesures barrières contre coronavirus Dès l'apparition du coronavirus en Chine, des dispositions contraignantes ont été prises pour lutter efficacement contre le virus. Les mesures barrières comprennent entre autres le lavage systématique des mains, le port obligatoire de masque, la distanciation sociale, tousser dans les coudes, le confinement soit partiel soit général des territoires, la fermeture des frontières, etc. Mais le plus grand défi réside dans cette technoprotection et la relation intersubjective. Dans la 61

mythologie grecque, selon Kabamba (2021) : « Les réponses formulées reviennent aujourd'hui comme explication aux préventions contre le covid-19. L'eau, disait Thales, est à l' origine de tout ; elle est le principe premier. Avec la pandémie, il est recommandé de se laver plusieurs fois les mains à l'eau savonnée, pour se protéger. Dans la suite de Thalès, c'est l'air qui sera pris comme archè. Aujourd'hui, le masque adopté par la plupart des nations touchées est le signe que l' air transporte le virus et il faut se protéger ». En effet, il est remarquable qu' en l'observance des mesures barrières, c'est contre le virus que l'on se protège. Mais, au-delà du virus, force est de constater que c' est l'homme qui en est le réceptacle. C'est encore par lui que cette menace se propage de personne à personne jusqu'à construire une communauté d' individus contaminés. En cela, l' on devient menace, danger, voire dangereux les uns envers les autres. Par conséquent, le soupçon plonge les relations intersubjectives en détresse, poussant le Sujet à voir l' Autre comme une menace, un danger contre lequel il devrait se protéger; d'où une analyse conduisant à une réflexion minutieuse sur les mesures barrières. Puisqu' il en est ainsi, deux présupposés expliquent cette technoprotection selon qu' elle est pour le bien de l'altérité. En ce sens, les mesures barrières sont, soit pour-autrui d' où le règne de la socialité ou alors elle est contre-autrui, c'est le règne de l ' insocialité. Le premier plan vient corriger le second en ce que ce dernier ne favorise pas l'accès à Autrui. Il y a un dépassement à faire, qui va du contre-autrui vers le pour- autrui, dépassement qui change la donne du regard que le Sujet pose sur Autrui dans le face à face. C'est un dépassement de la menace qui obscurcit et brouille tout 62

accès au visage en qui l'infini se dresse, un dépassement de la simple considération d' Autrui en tant que menace, danger. C ' est dans ce dépassement que le sujet accède aux choses éternelles, infinies. Cette analyse porte essentiellement sur trois mesures barrières dont le port de masque, la distanciation sociale et le confinement. Avec le Covid-19, la relation intersubjective est en difficulté puisque l' Autre peut être porteur du virus. C'est pourquoi le « Je » se protège contre lui. C' est ce que les mesures barrières pourraient inspirer au premier plan. Il s' agit des mesures barrières contre le virus qui circule via l'Autre vers lequel le Sujet devrait aller. C' est, en d'autres termes, une technoprotection contre Autrui. Le rapprochement, la proximité et le face à face deviennent évitement, éloignement et/ou distanciation. Et bien que la face à face ait lieu, puisqu' on doit nécessairement aller vers Autrui, tout est dicté par l'inhabituel qui met tout sur le chemin de l'incertitude. La rencontre du visage s'effectue dans un environnement maquillé par cette technoprotection. Dans la rencontre du visage, il y a risque que cette technoprotection devienne un montage éthiquement altruicide, frustrant la manifestation du visage et par conséquent, limitant la sensibilité face à l'appel d 'Autrui, par la diminution de la chaleur humaine. Or chez Emmanuel Levinas, il y a une obsession pour Autrui. La subj ectivité est obsédée par l'Autre en vue de lui être dévoué. Les mesures barrières ne devraient donc pas barrer l'accès au visage. Elles expriment un langage selon lequel nous sommes en guerre contre un virus qui met l'humanité entière à genoux. L'obsession pour l'Autre en période de Covid-

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19 va de patr avec sa protection en tant que son responsable. 11.2.1. Du masque dans le rapport de face à face

Le port des masques en période de coronavirus est l'un des mécanismes de protection contre cette menace et contre l'agent porteur du virus. En portant un masque, l'on se rend compte qu'on est hors d'atteinte, à l'abri du danger. En même temps, l'on devrait se rendre compte qu' Autrui est hors du danger, protégé. En me protégeant, je protège Autrui. Dans l'histoire de l'humanité, les civilisations se sont servies des masques pour diverses raisons. « Le masque ( ... ) renvoie à l'enfance, au déguisement, à lajoie du travertissement. Il est celui qu'on porte pour faire peur ou pour se moquer » (Leblanc 2020). Le masque est un symbole, il transmet un langage lors de son dévoilement au public. C'est pourquoi dans les traditions africaines, par exemple, le masque ne se porte pas au hasard. Il y a des masques pour des cérémonies festives, des masques pour la danse, d'autres pour des cérémonies de deuil, lors du décès d'un chef coutumier. Il y a de même des masques pour célébrer les morts (les ancêtres), les divinités, les vivants. Considérant la grande importance des masques africains et l'impact qu'ils ont sur l'épanouissement et le développement de la spiritualité et les traditions, il y a lieu, pour les distinguer des masques européens, d'affirmer avec Oberle Philippe (1985) que « le Masque africain n'est pas un accessoire de théâtre, comme certains masques européens ( ... ) Le Masque africain n'est pas conçu comme objet d'art ( ... ) Le masque africain n'est pas un objet inerte ( ... ) Le 64

masque africain ne participe pas à des actes de sorcellerie ( ... ) Le masque africain n'est pas en régression». À la différence d'Oberle Philippe, il y a lieu de considérer que le masque est un objet d' art. Il est tiré du naturel par l'artiste qui en fait jaillir un objet de contemplation artistique. Le masque joue également le rôle de médium en ce sens qu' il permet à l'homme d'entrer en contact avec le monde mystérieux, habité par les ancêtres et l' absolu. À chaque sortie d'un masque, c'est un langage qui se dit, un message qui se donne, une attitude qui se tient. Qu'il soit de caractère sacré ou profane, tout masque incite une certaine posture qui est soit de crainte, soit de tremblement, soit d'émerveillement, soit de séduction voire d 'instruction.

Par ailleurs, associé à la maladie Covid-19, le masque fait toujours aussi peur. L'expérience de coronavirus montre que porter un masque dans le face à face, à la rencontre de l' Autre est langage d'évitement, de peur d'être contaminé par l'Autre ou de le contaminer. Évitement, puisqu'il s'agit de se protéger contre l'Autre qui serait contaminé de coronavirus. À cause du Covid-19, les sujets rendent difficile la relation au moment où leur présence est difficile d'être intégrée. Elle est plus menaçante que pacifique, elle est plus inquiétante, hostile, répugnante, insupportable (Definance 1973). Or chez Levinas (1984) il s'agit d'un « face à face redoutable, d'une relation sans intermédiaire, sans médiation ». C' est dans ce cadre que le masque risque de constituer une barrière à la découverte du visage de l' Autre. Cela est dû au voilement du Sujet qui ne voit dans l'Autre qu'un danger à éviter. Par conséquent,« in fuga salus », comme le dit un adage latin (c ' est dans la 65

fuite qu'il y a le salut). Il y a risque d' un détour et comme le dit Emmanuel Levinas (1991), c'est le « visage qui devient masque ». Le masque en période de coronavirus ne facilite pas la relation éthique. On se soupçonne mutuellement à cause du virus et le face à face se réalise avec hésitation, peur, froideur. Par contre, il y a lieu de transcender cette perception ontologique du masque dans la rencontre d' Autrui. Dans ce cadre, il faudrait voir le visage au-delà du masque Covid-19 porté par les sujets. Le visage se manifeste à travers le masque. Compte tenu de cela, la visitation du visage produit ses effets à travers le Désir, un Désir métaphysique qui ouvre infiniment à l'infini. C'est dans cette considération que porter un masque revient à permettre la proximité qui désigne la sensibilité. Masqués sous Covid-19, les sujets découvrent dans le face à face la responsabilité de sécuriser l'Autre. Lorsque les sujets se masquent contre le Covid-19, ils acceptent de ne pas exposer Autrui au meurtre, que ce soit une mort éthique. Le masque de protection contre le Covid-19 possède un langage. Il suffit d'appréhender la manifestation du visage qui a lieu dans le face à face. Le masque Covid-19 ne cache pas cette manifestation mais la rend beaucoup plus perceptible du fait qu'il est expression du risque que nous courons : celui de nous contaminer, de souffrir, de mourir. Ce masque du Covid-19 alerte, il rappelle que « nous sommes en guerre », nous sommes fragiles, nous ne sommes pas exclus d'être frappés par ce virus. C'est pourquoi nous devons le porter soigneusement non pas seulement pour nous-mêmes mais aussi et surtout pour les autres.

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11.2.2. La distanciation et le face à face

Nous voudrions nous appesantir, ici, sur le concept de distanciation sociale dont la portée sémantique est tronquée voire frelatée. Elle a bonne presse mais n'émoustille pas la réflexion. En effet, s'il nous est loisible de nous référer à Madeleine Grawitz (2004), qui affirme que la distanciation sociale peut être définie comme un processus complexe par lequel les individus ou les groupes, les institutions sont en situation de rapprochement ou d'éloignement par rapport aux mœurs, aux valeurs, aux mythes, aux lieux, aux coutumes, aux rites, aux idéologies, aux préjugés, aux conditions matérielles voire existentielles, etc., où hiérarchie, rangs, statuts, classes, élites s' imbriquent. Si l'on s'en tient à cette définition, la distanciation sociale n'a rien à voir avec un simple écartement, une séparation interindividuelle. La distanciation sociale est un phénomène social total dans ses multiples dimensions. Elle revêt une haute portée symbolique, c' est-à-dire sociale (Tarot 1999). La distanciation sociale constitue une dominante interdisciplinaire mais surtout en sociologie et en anthropologie. Classons cette question selon que la distanciation sociale peut être culturelle, religieuse, juridique, historique, économique. S'agissant de la distanciation culturelle, notons que selon les aires culturelles, il existe, par exemple, une distanciation cultuelle entre l'initiateur et l'initié observée au cours d'un rite d'initiation. Chez les Bashi, (province du Sud-Kivu, en RD. Congo), le Kubandwa est le culte de Lyangombe (Lya -ngombe ). Le substantif ngombe signifie en mashi cabane des esprits, case de recréation, lieu privilégié de socialisation. Les 67

initiés appelés mandwa (pris en possession par l'esprit du chef suprême, l'esprit des esprits qu'est Lyangombe) ne peuvent incarner cet esprit qu'à l'issue des pratiques liées au spiritisme et à la médiumnité. Le néophyte se distancie de l'initiateur ou le parrain avant le rite d'initiation. Mais il devient l'alter ego de l'esprit de Lyangombe après la consécration unificatrice, et peut désormais jouir des prérogatives liées à son nouveau statut comme homme nouveau : protection contre les esprits maléfiques, la transcendance de sa nature humaine, intégration clanique, statut d'officier subalterne (Mulago, 1976). À propos de la distanciation religieuse, dans l'Église catholique, par exemple, le chemin catéchuménal comporte des moments et étapes ( accueil, temps de préparation, célébration de la parole, exorcismes, bénédictions, etc., jusqu'au baptême) importants marqués par des célébrations liturgiques. Il faut noter que le catéchumène ne s' improvise pas baptisé : il n'existe pas, loin s' en faut, d'auto-baptême. Il faut impérativement un temps d' apprentissage, d'intériorisation des valeurs propres à la foi chrétienne sous forme de rites riches en symboles mais aussi en enseignement catéchétique. Le futur baptisé avant son intégration à la communauté chrétienne, voire à « l'Église universelle » se trouve dans une sorte de distanciation catéchuménale.

Quant à la distanciation juridique, il n ' est pas étonnant d'affirmer que la distanciation sociale revêt aussi un caractère juridique. Il importe de préciser en effet que tous les phénomènes juridiques sont des phénomènes éminemment sociaux (Carbonnier, 1978 : 12-13 ). L' architecture du prétoire prouve à suffisance une distanciation entre les acteurs ou professionnels de 68

la règle du droit à l'égard des prévenus : l' autorité du juge et la position de l'inculpé ; entre le magistrat et le justiciable. Il s'agit d'une théâtralisation judiciaire mettant à dure épreuve les parties. Au cours de ce rituel, les professionnels de la robe se distancient des prévenus voire de l'audience. Pour J. Charbonnier (Ibid. : 44), « le rituel judiciaire (la robe, la distance et la lenteur, les gestes et les paroles) fait de la justice (civile et surtout pénale) un théâtre au cœur de la cité ». Du greffe à l' application de la loi, les seuils de juridicité et de processivité sont complexes, et constituent un champ de distanciation sociale irrécusable. Concernant la distanciation historique, soulignons qu' à l 'évidence, les individus, les groupes, les collectivités voire les institutions ne connaissent pas les mêmes trajectoires historiques, et les mêmes antécédents. Il ne s' agit pas d'une approche quantitative. L'histoire, selon les époques et les contextes, ne sera jamais la même. Elle est parsemée des discontinuités et continuités sans jamais être identique. Les événements historiques et les idéologies ou les utopies qu'ils charrient tracent aussi une distanciation sociale, car vécus dans les trames différentes par les individus et les institutions. Historiquement, les pratiques et logiques des sociétés traditionnelles, et en l'occurrence africaine caractérisée par la solidarité mécanique contrastent avec celles des sociétés contemporaines où pullulent les prédateurs et pyromanes sans aucun souci du bien commun. À cela s' ajoute la distanciation économique entre les riches et les pauvres. L'auteur de Le capital parle amplement de cette différence économique entre la classe des bourgeois et celle des ouvriers ou prolétaires. 69

Ces premiers étant les patrons, leurs avoirs viennent du travail des ouvriers commis à leur charge. Cette distanciation impose à l' ouvrier une dépense de force, mais ne forme une valeur pour lui. Elle forme, par contre, une plus-value qui a, pour le capitaliste, tous les charmes d'une création ex-nihilo (Marx, 1969). Compte tenu de ce qui précède, il sied de noter que lorsque le Covid-19 impose la distanciation interindividuelle, c' est la socialité qui est mise à défi. La distance qui doit s'observer entre individus ne résulte pas du néant. Il y a le conditionnement du coronavirus qui dicte ce type de comportement. À cet effet, on se distancie, du porteur du virus même. Se distancier de l' Autre, c' est éviter tout contact traditionnel avec lui à cause du virus. C ' est une distance juste pour se sauver en se rassurant qu' on est hors d'atteinte, à l'abri de la menace. Par conséquent, le « face à face » et la proximité sont ébranlés dans un contexte d'évitement, d'écartement et d'éloignement. Pourtant, chez Levinas (1982 : 31 ), la« relation sociale » ou encore la socialité est ce désir de libération de soi qui plonge le sujet dans une relation avec une altérité inassimilable. Il voit ainsi dans la « socialité du face à face » un rapport direct d' individu à individu, un « face à face redoutable ». D'après Levinas, « l' altruisme total » est au centre de la socialité. C'est un « intérêt désintéressé » pour l' autre, un « élan généreux », qui n ' attend rien en retour. La relation sociale se distingue de la relation éthique en ce que la première est relative au rapprochement du Même et de l'autre, tandis que la seconde renvoie au rapprochement du sujet. Avec Covid-19, la relation intersubjective est physique et éthique. Au niveau physique, nous nous 70

évitons pour ne pas nous contaminer. Nous nous approchons d'une manière ou d'une autre, mais c'est avec beaucoup d'attention. Au niveau éthique, nous comprenons que notre mode d'animal politique est vacillé par le Covid-19. C'est pourquoi nous pouvons vivre la proximité en assumant notre responsabilité pour Autrui, qui est celle de nous protéger pour protéger les autres en vue de nous sauver pour sauver les autres. En allant vers l'Autre, on veut lui venir en aide, devenir son messie parce qu'on est touché par sa souffrance. C'est, en effet, dans la relation éthique que la subjectivité est touchée par le malheur de l'Autre. Et le toucher, selon Petrosino et Rolland (1984), est pure approche, pure proximité. C'est dans la relation éthique que la subjectivité fait preuve de la responsabilité pour Autrui. Dans la distanciation sociale résultant du Covid-19, ce« face à face redoutable» est étouffé dans une socialité virée en évitement d' Autrui, qui en serait porteur. Covid-19 vient brimer la socialisation qui est un bien. Il détruit les socialisations en imposant un nouvel ordre social. Les individus ne se retrouvent plus comme avant et inventent une autre manière de poursuivre une socialité incertaine. Dans la distanciation physique, les individus observent un mètre tandis que dans la distanciation sociale, il s'agit d'éviter les attroupements. C'est pourquoi il a été recommandé de réduire le nombre des participants aux fêtes, aux deuils, et d'autres cérémonies pouvant faire appel à plusieurs personnes. En se distanciant contre-Autrui, la subjectivité opère dans le règne de l'insocialité. Dans ce règne, l' on n'est pas porté à s'ouvrir au visage de l' Autre puisqu'on l'ignore. Par conséquent, il expose l' Autre au 71

virus. Par contre, dans le règne de la socialité, l' on observe la distanciation physique et sociale pourAutrui. C'est à ce niveau que « la dimension de l'altérité qui se découvre dans cette mesure issue du combat contre le Covid-19 sépare afin de mieux rapprocher les individus et le collectif, le moi et l' autre, tous les autres dont moi-même » (Kabamba 2021 : 199). On pourrait dire qu'en se distanciant, on est en quelque sorte responsable parce qu' on évite de se contaminer. Autrement dit, c' est pour se protéger du virus que cette distance physique est obligatoirement observée dans la relation intersubjective. La distanciation sociale n'est, ici, ni un éloignement, ni un évitement. On la considère éthique lorsque l'on conçoit, dans cette séparation physique, que c'est effectivement pour l'intérêt de l' Autre que l' on se distancie de lui et là, c' est une sorte de responsabilité pour Autrui. Garder cette distance permet de protéger l' Autre du virus. Nous sommes tous exposés, et personne n 'est à l' abri de ce mal qui gangrène le monde. La distanciation sociale en période de coronavirus n ' est pas un mal. Mais le mal serait que le fait de se distancier physiquement soit un moyen de nous dissocier, au lieu de nous associer éthiquement pour vaincre le virus. La subjectivité ne peut pas ne pas rencontrer l'altérité, même si leur rapport est entamé par Covid-1 9. Il y a donc possibilité de garder un rapprochement physique, sous l'égide des conditionnements de la technoprotection, mais aussi et surtout un rapprochement éthique. En nous associant éthiquement, nous pouvons porter au cœur la souffrance de l' Autre et de l'humanité en vue d' apporter un soutien tant matériel (vaccins, 72

matériels de protection anti-covid, médicaments, etc.) que moral (accompagnement psychologique, expertise et expérience dans la lutte anti-covid, consulting, etc.) en lien avec les crises multidimensionnelles du Covid19. Cette pandémie nous ouvre à vivre une relation éthique, dans la socialité, en plus d'une relation physique. 11.2.3. Le confmement et le face à face La question du confinement est beaucoup plus

intéressante lorsqu'on interroge les contours liés à la problématique d'altérité en période de coronavirus. En effet, le terme confinement vient du latin confinum et dérive du verbe confinera qui veut dire confiner ou se confiner. Il porte deux sens au transitif. Premièrement c'est le rapprochement. Deuxièmement, c'est l'isolement. Au pronominal, c'est se retirer, se limiter à, c'est le retranchement (Larousse de Poche, 2014). En d'autres termes, le confinum « désigne à la fois la limite et le voisinage ou proximité. Le confinement n'est pas seulement un enfermement mais une possibilité de rapport de proximité avec soi et avec d'autres» (Saintot, 2020). Ainsi, le confinement peut-il être pour-Autrui lorsqu'il permet de s'isoler en vue de se protéger et protéger l'Autre. Il est, par contre, contreAutrui lorsqu'il établit un conditionnement d'éloignement, d'évitement des autres. Il y a donc possibilité de vivre la socialité que l'insocialité en période de confinement. Comme démontré plus haut, la socialité est le règne du pour-autrui tandis que l'insocialité est le règne du contre-autrui. Si l'on s'en tient à cette définition, on note qu'en période de coronavirus, le confinement renvoie les individus aux confins, au repli sur eux73

mêmes. Une manière de poser des limites strictes au rapprochement interindividuel. Si Covid-19 est venu changer nos modes de vie et nos habitudes, de nouvelles mesures s'imposent en vue de contourner le choc que ce phénomène produit. Avant coronav1rus, le mode d'accès au rapprochement intersubjectif allait de manière traditionnelle, c'est-à-dire selon les accoutumances et les habitudes sociales. Les mouvements cosmopolites, les échanges entre communautés et groupes sociaux n'avaient jamais connu un tournant comme celui que Covid-19 a pu imposer. Ce virus nous a tous retirés du mouvement interpersonnel, intercommunautaire et international. Tout d 'un coup, « nous sentons que nous sommes assiégés et que notre modalité d'animal politique vacille » (Leblanc, 2020) à telle enseigne que cet engrenage « asphyxie les rapports » interindividuels. Il y a impossibilité d'accéder à autrui dans un rapport physique. Il y a par contre évitement, fuite du contact, repli sur soi-même. Cela met en place une socialité « où tout s'absorbe, s'enlise et s' emmure dans le Même » (Levinas, 1984). L' on peut comprendre dès lors que l'enjeu du confinement sous coronavirus porte des conséquences considérables sur les rapports avec l'altérité. Il s'agit ici de se confiner contre une menace, pour éviter toute socialité élargie en instaurant un mode de vie beaucoup plus intermédiaire. Il s'agirait d'un évitement de chacun vis-à-vis de chacun, d'une communauté vis-à-vis d'une autre, d'une nation vis-àvis d'une autre, d'un continent vis-à-vis d'un autre. C' est une dispersion dans le nucléaire où toute individualité reste assoiffée de retrouver la lumière

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sociale. Cela nous emmène à considérer le confinement selon deux plans. Au premier plan, le confinement est l'une des mesures prises pour barrer la propagation du coronavirus. Mais nous avons montré qu' « il y a anguille sous roche ». Au-delà de barrer la propagation du coronavirus, ce sont les rapports interindividuels qui connaissent une barrière, qui sont mis sur la balance. Le confinement semble nous éloigner de nos frères et sœurs, il nous interdit des mouvements en société, il nous impose un mode de vie inhabituelle et nous fait observer une halte. Cette considération est beaucoup plus physique. Au second plan, le confinement n' est pas uniquement un mode d'évitement, mais un mode de rapprochement. Une considération éthique du confinement donne la possibilité de réconciliation avec soi-même en vue du rapport avec Autrui à travers les ressources spirituelles (Saintot, 2020) ; encore que ce rapport a lieu dans un contexte qui n'est pas traditionnel. C'est à ce niveau que le confinement est une opportunité de construction d'un projet social. Ce projet s'effectue dans un contexte des ressources spirituelles que les confinés retrouvent dans cet enfermement qui est proximité. Premièrement, il s'agit de l'intériorité, qui est la capacité à s'entretenir avec soi-même, à vivre avec ce plus proche et parfois étrange prochain, à ne pas déserter ce rendez-vous parfois difficile avec soi-même. L'ipséité est une modalité d'enfermement sur soi, qui permet l'ouverture vers Autrui. Pour que s' impose un rapport éthique, un dépassement vers Autrui s'impose.

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Deuxièmement, il est question de percevoir l'Autre, quel que soit son état de santé, comme une valeur absolue et donc, selon l'héritage kantien, comme une dignité, jusque dans l'épreuve des échéances et de la mort et par-delà le décès. Ici, l'Autre me concerne en tant que je suis épris de lui. C'est pourquoi une responsabilité s' établit en ce sens que « le Moi devant Autrui est infiniment responsable » selon Emmanuel Levinas (1949), qui conçoit que « approcher Autrui, c'est encore poursuivre ce qui déjà est présent, chercher encore ce que l'on a trouvé, ne pas pouvoir être quitte avec le prochain ». Or, ce qui est présent c'est la socialisation. C'est cette responsabilité infinie du Sujet face à Autrui qui s'exprime dans le respect de la dignité de l'autre qui n'est pas un moyen, selon les mots d'Emmanuel Kant, mais une finalité. Finalement, une dernière ressource réside dans la capacité à s'entretenir avec autrui dans la reconnaissance mutuelle afin de penser et réaliser le commun qui s'élabore dans les institutions sociales, politiques et dans le soin du monde. Il s'agit de reconnaître qu' Autrui me concerne et que je dois entretenir une relation de proximité. Ce rapprochement s'effectue avec les mesures barrières établies pour barrer la route au Covid-19. À l' ère de la globalisation sous Covid- 19, il n'est pas envisageable de nous disperser. Avec les mesures barrières, nous devrions consolider les liens d'intérêt commun. Par contre, une proximité sans mesure barrière en période de Covid-19 serait tant éthiquement que physiquement suicidaire. Nous risquerions de nous exposer au virus jusqu'au dépérissement. Les temps de quarantaine et de confinement sont des moments très cruciaux pour 76

l'humanité entière. Étant privés de nos proches, nous devrions prendre en compte les enjeux de cette crise sanitaire en vue de mieux lutter, surveiller et prévenir. Ce ne sont pas des moments où nous devrions nous sentir enfermés ou emprisonnés chez nous. C'est par contre le moment où nous devons prendre conscience que nous pouvons éviter le pire en nous isolant et capitaliser nos ressources spirituelles. Nous pouvons nous en sortir ensemble ou périr ensemble. Tout dépend de la manière dont nous prenons conscience que le danger est à notre porte, notre manière de réagir face à cette réalité, notre manière de vivre la responsabilité qui nous incombe, chacun en ce qui le concerne. 11.2.4. La vaccination anti-covid et le face à face

Il existe aujourd'hui, sur le marché pharmaceutique, plusieurs vaccins qui concourent à prévenir l'avancement fulgurant de coronavirus dans le monde : Pfizer, Modema, Johnson and Johnson, Astra Zeneca pour ne citer que ceux-là. Ces sociétés pharmaceutiques se disputent le marché et se perdent dans une guerre concurrentielle. C ' est une dispersion dans le nucléaire où toute individualité reste assoiffée de retrouver la lumière sociale : « Au lieu de coopérer tous ensemble ( ... ) pour trouver au plus vite un vaccin protégeant l'humanité contre ces dangers annoncés, chaque multinationale pharmaceutique a mené une guerre économique contre ses concurrents, elle s'est isolée pour garder jalousement ses secrets, elle s'est orientée vers les produits les plus rentables ( ... ) et elle tente tous les jours d'affaiblir ses rivaux pour gagner la bataille » (Collon, 2020). En dépit de cette considération et ce conflit d' intérêt, la piqure est- elle une réponse efficace contre coronavirus ? Comment prouver l 'efficacité des vaccins qui pullulent sur le marché pharmaceutique 77

mondial ? De quel vaccin les humains ont-ils besoin en vue de se protéger et protéger les autres contre l'avancement des affres liées à cette pandémie ? La vaccination est-elle nécessairement et uniquement une porte de sortie de cette crise sanitaire ? Les manifestations contre la vaccination du coronavirus ont-ils à nous apprendre ? La vaccination contre le coronavirus n'est que l'une

des nombreuses mesures permettant de mieux lutter contre le coronavirus. En se faisant vacciner, ce n' est pas uniquement notre individualité qui est mise hors d'atteinte. Aussi et surtout, la visée c'est que l'Autre soit mis hors d'atteinte du virus qui pourrait se propager entre nous. L'on se fait vacciner pour-autrui, pour le salut de l'Autre et de l'humanité. Coronavirus expose les sujets à la souffrance, au meurtre, à la mort. C'est pourquoi les mesures que nous devons prendre aujourd'hui, pour lutter contre ce mal, devront nous permettre de bien nous positionner et prévenir les prochaines crises. Pour cela, un vaccin anti-Covid-19 devrait être considéré comme un bien public mondial. C' est pourquoi il faut que les institutions publiques identifient et traitent les éventuels manques et obstacles, comme le risque de corruption dans les processus de distribution et d'attribution, pour faire en sorte que les populations aient un accès équitable aux vaccins (ONUDEC, 2020). À cause des inégalités sociales entre pays développés et pays en voie de développement, les pauvres risquent d'être exclus de l'accès au vaccin de qualité. Par conséquent, le risque de corruption et de falsification des vaccins est imminent à cause du taux élevé de demande sur le terrain. C'est ce que déplore l'Office des Nations Unies 78

contre la drogue et le crime (ONUDC, 2020) : Avec la demande mondiale urgente, il existe un risque que des vaccins falsifiés et de qualité inférieure entrent sur le marché. La corruption peut faciliter l'implication de groupes criminels organisés dans la fabrication et le trafic de vaccins falsifiés, et la production de vaccins de qualité inférieure par d' autres, en particulier lorsque les approvisionnements seront limités, aux premiers stades de la production et du déploiement des vaccins. Ce risque est encore aggravé en l' absence de mesures d'assurance qualité ou si ces mesures sont contournées pendant l'intervention d'urgence, ce qui aura des effets néfastes sur la santé de la population et érodera la confiance du public dans la sécurité et l'efficacité d'un vaccin (Ibid.). Rappelons que dans le face à face, Autrui commande « Tu ne tueras point ». Dans ce commandement qui émane de l'altérité, il y a l'interpellation contre le meurtre tant éthique que physique en période de Covid19. Se laver les mains signifie que la subjectivité refuse d'exposer l'Autre à l'épreuve du Covid-19. C'est l'un des moyens de refuser de commettre un meurtre, en épargnant l'Autre du danger. C' est une manière de répondre à cet appel du visage de l' Autre. C' est « exister pour autrui ; pour celui qui me fait face, celui qui souffre, celui face auquel je ne reste pas simplement là à le contempler, je lui réponds ( ...) » (Levinas 1982). Notre réponse c 'est de remplir nos devoirs d'humanité, remplir l'inassumable et l'inconfortable responsabilité pour Autrui. Indépendamment de notre volonté, nous sommes sommés de protéger l' Autre et de veiller pour lui. Prendre le destin de l'autre en main c'est se laisser porter par l'anarchique responsabilité qui nous incombe à son égard. La subjectivité porte 79

dans cette tâche noble, le devenir de l'humanité. Tout ce qui arrive aux autres fait de nous des coupables. Introduire la citation : « Autrement dit, la sensibilité contient un germe de responsabilité, nous sommes et devons être responsables parce que d'ores et déjà nous sommes, malgré nous, sensibles à ce qui advient aux autres et non pas autrement. Finalement, sensibilité et responsabilité s'imbriquent » (Birhaheka Kalusi, 2017). En fin de compte, nous ne pouvons pas nous en sortir si nous n'acceptons pas de changer nos manières de voir et de considérer l'Autre. Si nous faisons comme si coronavirus n'était pas là, c'est des vies humaines et l'avenir de l'humanité que nous mettons en danger. Nous devons accepter de changer notre vision du monde en la réadaptant constamment aux circonstances. D'autres crises samtaires et des pandémies peuvent surgir plus tard. Nous pourrions nous en sortir en fonction de notre manière d'intégrer les changements qu'elles apporteraient. Nous devons aujourd'hui nous préparer à les affronter, puisque tout peut basculer à tout moment. « Toujours est-il que dans ces situations de crise, il faut que les gens soient entraînés, il faut qu' ils puissent s'organiser, il faut qu'ils aient une taille suffisante» (Raoult, 2021 : 29).

11.3. La relation éthique face aux mesures barrières L'homme n'est donc pas comme un végétal ou un minéral. Il est vulnérabilité, affectivité, sensibilité. L'autre nous atteint au cœur même de notre être, au fond de notre engourdissement, de notre recroquevillement, et cela malgré nous (Birhaheka kalusi, 2017). Nous ne le dirons jamais assez, la subjectivité est vulnérabilité. Ainsi comprise, la vulnérabilité consiste en l'exposition de la subjectivité 80

au dehors, une ouverture à l'altérité. Plus spécifiquement, la vulnérabilité est comprise comme exposition à la souffrance de l'Autre. Du fait d'être vulnérable de la souffrance de l'autre, la subjectivité est sensibilité et affectivité. En tant que sensibilité, la subjectivité fait expérience de la passivité. Il s'agit du pâtir, de faire expérience de la souffrance. Par contre, en tant qu' affectivité, la subjectivité est émotionnelle. Dans les deux cas, il s'agit d'être affecté par Autrui. La subjectivité est toujours et déjà passivité et affectivité pour autrui. C'est ce que déclare Emmanuel Levinas (1974) quand il soutient que la passivité du pour-autrui exprime dans ce pour-autrui un sens où n'entre aucune référence à une préalable volonté. Le « pour-autrui » précède la subjectivité. Il ne dépend pas de sa volonté d'être vulnérabilité par et pour autrui. Il a commencé ailleurs, là où la subjectivité n'est pas, là où elle ne sera jamais. Mais elle commence avec l' Autre. Puisque l'Autre nous précède. C'est effectivement l'Autre qui parle et dont la subjectivité répond. La parole donnée par l'altérité en appelle à la réponse de la subjectivité ; une réponse qui sollicite la réplique du Sujet qui écoute et qui répond. Dans cette interlocution, la subjectivité effectue un mouvement de dépassement de soi pour s'ouvrir à l' Autre. Or, Autrui est visage. Dans cette ouverture, la subjectivité devient responsabilité pour Autrui. L'ouverture à la manifestation du visage de l'autre laisse la subjectivité dans l'obligation de lui répondre. Cette réponse du Sujet advient dans un environnement où la subjectivité pâtit de voir l' Autre souffrir, de constater que l'Autre est en besoin. Cette réponse n'est pas pure théorie. La responsabilité pour autrui n'est pas en soi un pur enseignement. C'est un 81

acte. Il s'agit d'accomplir des actes de Bonté en faveur d' Autrui. C'est dans cette Bonté que s'établit la relation éthique qui fait du sujet responsable du prochain. « Découvrir au Moi une telle orientation, c'est identifier Moi et moralité. Le Moi devant Autrui est infiniment responsable» (Szymokowiak, 1999 : 128). Cette responsabilité infinie tient de son infinité dans l'inactuel. Ce n'est pas dans l'ici et maintenant de la manifestation du visage que le Sujet devient responsable d 'Autrui. Bien au contraire, dans l'éthique levinassienne, je ne deviens pas responsable ; je le suis déjà au-delà de et malgré ma liberté. Il y a une confrontation entre cette responsabilité héritée et la liberté du sujet. Emmanuel Levinas (1968) soutient que le visage où se présente l'Autre absolument autre ne nie pas le Même, ne le violente pas comme l'opinion ou l'autorité ou le surnaturel thaumaturgique. Il reste à la mesure de celui qui accueille, il reste terrestre. Cette présentation est la non-violence par excellence, car au lieu de blesser ma liberté, elle l'appelle à la responsabilité et l'instaure. Non-violence, elle maintient cependant la pluralité du Même et de l'Autre. Elle est paix. La manifestation du visage qui en appelle à l'anarchique responsabilité pour autrui ne frustre pas la liberté subjective. Elle n'en dépend pas, puisqu'elle se suffit en elle-même pour engager la subjectivité sur le chemin de la diachronie ou mieux du service. « La liberté s'inhibe alors non point comme heurtée par une résistance, mais comme arbitraire, coupable et timide ; mais dans sa culpabilité elle s'élève à la responsabilité » (Ibid.). La responsabilité qui est anarchique, inassumable, inconfortable et incessible n'est pas un acte émanant du libre arbitre ni d'un acte de volonté. Elle s' apparente 82

par contre à un commandement, celui du visage. C'est une responsabilité absolue, c'est-à-dire, séparée de toute relation. En répondant à autrui, la subjectivité se substitue à lui. En faisant sienne la souffrance de l'autre, la substitution est la résultante de l'extériorité. Or c'est évidemment la subjectivité qui est extériorité, ouverture, Bonté. Au contact du visage de l'Autre, la subjectivité est bonté en assumant sa responsabilité. « La relation avec le visage se produit comme bonté » (Levinas, 1968). La bonté s'inscrit dans le pour- autrui. La bonté c'est agir pour autrui, en assumant l 'inassumable. Un autre point important qu'Emmanuel Levinas souligne à propos de la question de la Bonté est le fait qu' elle n'est pas superficielle. L'éthique levinassienne elle-même n'est pas oiseuse. Elle se pratique sur un terrain d'humanisme. Cette éthique est une praxis qui se réalise dans le face à face ou mieux dans la relation interindividuelle. À cet effet, Emmanuel Levinas ne tarde pas de souligner que la Bonté, s'inscrivant dans la modalité du pour autrui, vise l'autre. Pour lui, la bonté ne rayonne pas sur l'anonymat d'une collectivité s'offrant panoramiquement pour s'y absorber. Elle concerne un être qui se révèle dans un visage, mais ainsi, elle n'a pas l'éternité sans commencement. Elle a un principe, une origine. Elle ne se règle pas sur les principes inscrits dans la nature d'un être particulier qui la manifeste (car ainsi encore elle procéderait de l'universalité et ne répondrait pas au visage), ni dans les codes de l'État. Elle consiste à aller là où aucune pensée éclairante, c'est-à-dire panoramique ne précède (Ibid.). À en croire Emmanuel Levinas, la bonté ne vise pas une collectivité qu'il caractérise d'ailleurs d'anonymat. Car, la foule n'a pas d'âme, dit-on. Elle se réalise dans 83

un rapport d'individu à individu. Quand on prend soin d'autrui ou quand on le prend en charge, on lui fait face, on le regarde en face en découvrant son visage. La Bonté est subjectivité. En accomplissant la Bonté, la subjectivité s'ouvre à autrui. Ici, la Bonté devient dépassement de l'égoïsme, dépassement du Moi vers autrui. « Aventure absolue, dans une imprudence primordiale, la bonté est la transcendance même. La transcendance est transcendance d'un moi. Seul un moi peut répondre à l'injonction d'un visage » (Ibid. : 341 ). En tant que responsabilité pour autrui, la Bonté fait passer du sujet économique au sujet moral. Cette responsabilité, qui est tout autant abnégation du moi, n'est pas une décision libre, mais la mise en question par l'Autre de ma liberté comme pouvoir d'identification du Même. Elle s'appelle aussi bonté qui est le passage du soi économique, dont la priorité est la persévérance dans l'être, au Moi moral, défini comme effacement de soi devant l'altérité absolue de l'autre, « exposition » à l'autre (comme on tend une joue à la blessure), arrachement à soi ou encore « exil ». Le moi ou la subjectivité n'est donc pas défini comme essence identique à soi ou comme persévérance dans l'être, mais comme « interruption dans l'essence » et comme « autrement qu'être », c'est-à-dire comme le pouvoir proprement humain de sortir de l'ordre de la pure conservation de soi pour faire passer l'autre avant soi en un « après vous Monsieur » originel (Levinas, 1982). Au niveau du soi économique, le sujet s' identifie à l'avoir. Par conséquent, il ne peut que se définir comme être économique, c'est-à-dire comme être capable de garantir sa jouissance à travers la possession et le travail, comme être capable d' assimilation (Plourde, 1996). Par contre, au mveau du Moi moral, la 84

JOmssance égoïste n'a pas de structure définitive puisque la subjectivité doit rencontrer le visage de l'autre. À l'intérieur du monde de la jouissance perce le visage. Son épiphanie provoque la fracture du monde économique (Ibid. : 36). Dans cet « Après vous Monsieur », l'autre est priorisé. La subjectivité est extériorité. Il s'agit de la relation éthique qui met en exergue la responsabilité pour Autrui. La Bonté est responsabilité pour Autrui. Devant la souffrance d'autrui « coronisé », nous ne sommes pas libres d'être coupables, et donc libres d'être responsables pour lui. Nous possédons une place privilégiée à l'égard des responsabilités pour lesquelles personne ne peut nous remplacer et dont personne ne peut nous délier (Levinas, 1968). Malgré la présence perturbante du Covid-19, nous devons agir, aller à la rencontre de l'autre, et lui répondre. Les mesures barrières peuvent permettre de vivre dans une relation éthique. Alors que nous sommes masqués, obligés de nous distancier, de nous confiner et de fermer nos frontières aux autres, le visage de l'autre « coronisé » continue de nous interpeller. Il en appelle à la Bonté du sujet tenté de s'enfermer dans l 'insocialité. C'est-à-dire dans l'évitement et l'indifférence face à Autrui « coronisé ». Au contraire, malgré les mesures barrières, nous devons voir la misère dans laquelle gisent plusieurs personnes, familles, communautés humaines. Nous devons voir le visage de l'autre au-delà et à travers les mesures barrières pour lui répondre efficacement. Il s'agit de prendre en charge les besoins de l'autre qui souffre. Derrière le masque du Covid-19, il y a un humain qui est menacé de coronavirus ou qui est déjà porteur du coronavirus. Derrière la distance observée 85

dans le confinement ou la quarantaine, il y a des personnes et des communautés qui n'ont pas à manger, à boire, ni des équipements de riposte contre le Covid19 (masques, kits de lavage des mains, des gels hydroalcooliques, etc.) aux nécessiteux et dont l'économie est négativement affectée par cette crise. Devant une telle situation, il nous faut nous déposséder pour eux. Il nous faut quitter ce stade de jouissance égoïste en vue de nous faciliter le quotidien en pleine pandémie. Comme le dit Emmanuel Levinas (1974), « il faut s'arracher à soi», ou mieux il faut« arracher le pain de sa bouche » pour « donner » à l'autre qui est en besoin et qui souffre, dans l'observance des mesures barrières adoptées. Nombreuses organisations non-gouvernementales ont œuvré en ce sens. À travers elles, leurs financiers ont gratifié aux populations d'Afrique, par exemple, des kits de lavage de mains, des masques anti- Covid, des gels hydro-alcooliques. D'autres soutiennent l'économie des entrepreneurs dont les chiffres d'affaires ont connu un rabais en plein coronavirus. L'on constate que tant au niveau individuel qu' au niveau sociétal, les mesures salutaires devront être prises pour venir en rescousse à autrui dans sa détresse. Cet autrui n'est pas uniquement l'individu de la relation intersubjective. C'est également l'autre communauté, l'autre nation, l'autre continent. Devant la souffrance de son semblable, l'être humain ne reste pas insensible. Il va à sa rescousse en lui apportant le confort. Avec cette pandémie, c'est la relation intersubjective qui est menacée. Les relations interindividuelles, les mouvements cosmopolites, en l'occurrence, sont mis en difficulté. Covid-19 nous éloigne des autres, il nous isole et nous prive de nous retrouver. C'est pourquoi, 86

les mesures barrières ont été établies non pas pour perpétuer la menace du Covid-19 mais de l'éradiquer. Pour cela, les sujets ont le choix de vivre dans l 'insocialité ou dans la socialité. Dans cette même visée, l 'insocialité caractérise le refus d'observer les mesures barrières contre la pandémie de coronavirus. Ne pas porter correctement son masque, refuser d'observer la distanciation physique, sortir au moment où il faut rester chez soi, ne pas se laver fréquemment les mains, c'est s'exposer au suicide et cela ouvre une insocialité altruicide. Le Sujet se met et met l'Autre en danger en s'exposant et l'exposant au virus qui peut circuler à travers leur contact. Dans la socialité, par contre, on ne s'évite pas malgré la présence du virus. L' on se protège contre le virus tout en protégeant l'Autre. Le Sujet se protège pour l' Autre. Il s'agit d'une responsabilité qui ne dépend pas de la liberté ni de la volonté de la subjectivité. Si la distance physique évite plus la propagation du virus, nous devons tout de même accueillir le visage de l'Autre dans une relation éthique en prenant des précautions. Le Covid-19 représente une menace physique qui en appelle à regarder en face la réalité de l'homme fragile dans la société, et d' apprendre de ce malheur qui place les rapports interpersonnels dans l' impasse, des leçons de vie. Dans un monde village planétaire, l'homme devra reconnaître que les enjeux de ce virus dévastateur sont considérables. Au-delà du Covid-19, pourquoi et comment les sujets devraient-ils se rencontrer pour apporter une réponse durable aux crises multiformes liées à cette pandémie ?

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PARADIGME LEVINASSIEN DE LA VULNERABILITE SUBJECTIVE PENDANT ET APRES CORONAVIRUS La philosophie d'Emmanuel Levinas est une éthique de l'altérité. Il convient de saisir que le rapport intersubjectif est ici le fondement de cette pensée. La philosophie levinassienne pointe l'humain et l' assigne à une tâche noble, celle d'être sentinelle d'Autrui. Autrui qui est un concept contenant plein de sens. Le Sujet est plus que jamais le répondant premier du destin de l 'Autre, placé dans une relation de face à face. Quoi de plus qu'une éthique d' altérité.

Par ailleurs, l'éthique levinassienne, étant une philosophie de tout temps, trouve un champ d'application à travers la crise de coronavirus, qui a semblé défier la première caractéristique des humains : la socialité. Aujourd'hui, puisque le passé, le présent et l'avenir en dépendent, les défis liés à cette crise de coronavirus font appel à une perspective permettant de constituer un contre choc, une résilience en vue de pouvoir s'en sortir. Cette utopie émane originalement de l'éthique d'Emmanuel Levinas, crédible et apte à éveiller la conscience du plus grand nombre face aux enjeux du passé, du présent et de l' avenir, puisque la situation dans laquelle le monde se retrouve actuellement en appelle à l'histoire liée à cette crise sanitaire. C' est pourquoi, en regardant en face les défis auxquels l'humanité fait face, la crise de socialité en l'occurrence, il y a lieu de poser réellement une fondation pouvant relever le défi du temps et donner une nouvelle perspective, dans la considération 89

altruiste. Coronavirus a asphyxié les rapports intersubjectifs, et n'a pas permis que le Moi aille librement vers l'Autre, tout cela puisqu'un virus a établi sa demeure parmi les Sujets qui ont naturellement vocation de se socialiser. On ne va pas vers l'Autre immédiatement. Pour changer de cap et trouver une nouvelle issue d'approche d' Autrui, l'éthique levinassienne est une réponse à cette problématique. Au vu des crises multidimensionnelles un nouveau paradigme permettra de penser l'issue favorable. Il s'agit de remettre l'humain sur les traces de l'humanisme tel que le définit toute cette analyse. Une approche purement altruiste qui place l'humain dans la relation éthique. «Levinas appelle élection ce fait originel et unique en son genre qui fait que je me retrouve malgré moi et sans doute toujours un peu tard responsable du prochain » (Birhaheka, 2017) Cette responsabilité a précédé la subjectivité dans sa marche vers l'Autre. C'est là qu'il faudra comprendre Autrui dans ses multiples dimensions conceptuelles. D'où deux types d'engagements : l'un envers l'Autre en tant qu 'humain, et l'autre envers l'Autre del' Autre en tant qu'humanité. D'où, il s'agit de prendre soin d'Autrui. Prendre soin de l'humain, puisque c'est lui le centre de toute l'attention de l'éthique levinassienne. Autrui est le bénéficiaire de cette relation éthique, une éthique de responsabilité qui fait appel à l 'éthique du care. Emmanuel Levinas nous permet de penser l'homme selon le passé, le présent et l'avenir. C'est à travers sa théorie que cette approche donnera une nouvelle vision du monde. Les expériences faites dans le passé lui permettent de vivre les événements du présent et c' est dans le présent qu'il travaille pour assurer l'avenir. Cela permettra de poser des pistes de solutions pour 90

une altermondialisation où le sens du bien commun et du vivre-ensemble devrait être la chose la mieux partagée de tous. Si le Sujet ne doit pas ne pas aller vers Autrui, pourquoi et comment doit-il réaliser ce mouvement? Pourquoi prendre soin d' Autrui? Pourquoi et comment les politiques du vivre-ensemble construiront-elles une résilience pendant et après la pandémie de coronavirus ?

111.1. La vulnérabilité et le prochain coronisé Etre sensible, c'est être vulnérable. On devient sensible puisqu'un élément étranger a suscité cette réaction. Il s'agit de se laisser toucher par cet élément qui est extérieur à nous. Or chez Emmanuel Levinas, il existe d'une part la subjectivité et d'autre part l'altérité. Dans ce sens, la différence est établie entre la subjectivité et l'altérité. La subjectivité est le siège de la sensibilité, de la vulnérabilité. Le Sujet est toujours déjà sensibilité. En effet, être sensible ne dépend pas de notre décision ni de notre liberté. On ne choisit pas d'être sensible, (Birhaheka, 2017) on l' est nativement. Or, la sensibilité peut être comprise de deux manières. Elle est passivité ou faculté de ressentir des sensations, mais aussi elle est disposition à ressentir des sentiments, des émotions. Dans le premier cas, la sensibilité est la faculté que nous avons de souffrir, tandis que dans le second cas, elle est ( ... ) une forme d'affectivité (sentiment) (Ibid.). L' on comprend dès lors que la subjectivité est sensibilité, passivité, affectivité, vulnérabilité. Et c'est bien dans la subjectivité qu'est stimulée la responsabilité pour Autrui. Quant à l' altérité, c'est l'instance vocationnelle à la responsabilité du Sujet. L'Autre dont je suis différent et à qui je suis en même temps lié, par une 91

relation non seulement physique mais aussi éthique, en période de Covid-19. Dans la relation physique, l'accent est mis sur notre corporéité. Tandis que dans la relation éthique, l'accent est mis sur notre proximité à Autrui, sur la Bonté. Raison pour laquelle c'est la relation de proximité qui nous intime la responsabilité pour Autrui. Dans Autrement qu'être ou au-delà de l 'essence, l'on comprend bien que l'humain est l' agent moral qui a la capacité de bien orienter sa subjectivité. En fait la subjectivité n'est pas définie par une certaine appartenance à soi ou une appropriation. Par contre, l 'ipséité est relative à la manière dont le Sujet répond à l' appel de l' Autre. C'est une sortie de l'identique« Je» qui s'exprime par un « Me voici». L'ipséité est une réponse à une sollicitation, à une demande, à un commandement. « A ce commandement tendu sans relâche, ne peut répondre que « me voici » où le pronom « je » est à l'accusatif « moi » possédé par l'autre » (Levinas, 1974). Et la manifestation du visage de l'Autre fait effectivement appel à la réponse de la subjectivité. Or, chez Emmanuel Levinas, la vulnérabilité se comprend comme la résultante du fait que c' est la souffrance d' Autrui qui expose la subjectivité. Il y a une rencontre des sujets où le moi est dévoué pour l'Autre et souffre de le voir souffrant, et même exposé à la mort. C'est là que la subjectivité joue un rôle important dans cette éthique. Celui de se dévouer pour autrui qui souffre. En effet, nous devons regarder l'Autre au-delà de la pandémie de coronavirus pour reconnaître en lui le prochain. C'est-à-dire que ma proximité à lui n ' est pas limitée. C'est par Désir que la subjectivité va à la rencontre de l'autre. Et c'est dans cet aller qu'il y a 92

découverte du visage. A cet effet, même pendant la pandémie de coronavirus, « ... l'Autre, absolument autre, Autrui ne limite pas la liberté du Même. ( ... ) La relation avec l'autre en tant que visage guérit de l'allergie. Elle est désir, enseignement reçu et opposition pacifique du discours» (Levinas, 1974). Le Covid-19 a instauré une allergie dont les sujets devront se libérer en vue de la rencontre intersubjective. Cette allergie s' exprime par l'évitement et l'éloignement de l'Autre qui serait une menace, puisque porteur du virus. Le souci de l'Autre nous pousse à sa rencontre en vue de prendre soin de lui et de le prendre en charge. La rencontre du visage de l' autre guérit de cette allergie puisqu'on ne peut avoir d'excuse de ne pas rencontrer l'autre. Comme démontré précédemment, malgré Covid-19, nous devons regarder et rencontrer l'Autre au-delà de la technoprotection que cette crise sanitaire nous a imposée. Dans cette relation éthique, l'accueil du visage de l'Autre, en période de Covid-19, efface les menaces totalitaires et responsabilise la subjectivité. Covid-19 ne supprime pas la proximité des sujets. Dans cette proximité, qui n ' est pourtant pas uniquement spatiale, mais surtout purement éthique. Le contact de proximité ne consiste pas à franchir un espace mais maintient les sujets infiniment séparés et différents. Dans le face à face, le touchant et touché se séparent (Ibid.). C'est dans cette modalité d'être touché en étant séparé que la subjectivité découvre son élection. Raison pour laquelle «je n'ai pas choisi le prochain - mais j 'ai été choisi dans ce prochain» (Petrosino et Roland, 1984). Aussi, Sylvano Petrosino stipule : « de même que je n'ai pas choisi d'être élu, de même n' ai-je pas choisi d'être élu dans ce prochain, à partir de ce prochain. En tant que je suis élu de ce prochain, ce prochain me renvoie mon image. J'ai été 93

élu pour ce prochain. En tant que je suis placé à partir d' Autrui, Autrui définit ma place» (Ibid.). La place de la subjectivité est celle d'un être élu, interpellé, commis à la charge et au soin d' Autrui. La subjectivité ne choisit pas d'être élue pour Autrui. Elle l'est malgré soi. Cette élection est antérieure au sujet élu, elle est une réminiscence. Avec Covid-19, nous devons en être conscients, nous sommes d'ores et déjà élus pour Autrui. Notre élection à la responsabilité pour autrui nous engage activement pour son bien. Notre responsabilité pour autrui est une Bonté face au malheur du prochain. Il s' agit d'une responsabilité illimitée. Le prochain devance toute subjectivité sur le terrain de la rencontre. Le prochain me concerne au-delà de ma liberté. Et c'est effectivement Autrui qui me positionne, c'est lui qui me place à ma place juste qui est celle d'un être séparé, interpellé, commis à la charge et au soin de l' Autre. L ' accès au prochain étant entamé par le coronavirus, cette éthique levinassienne révèle un autre mode du face à face qui dépasse le traditionnel, c'est-àdire lié à l'être. Le prochain est celui qui m'a placé, élu, en vue de veiller sur lui, le protéger, le secourir. Notre engagement envers Autrui devient signifiant. Personne n ' est exclu d'être frappé par Covid-19. Il (Covid-19) ne choisit pas ses victimes en fonction de l'âge, du sexe, de la taille, de la race, du pays ou du continent. Toute l'humanité désormais participe à une seule et même lutte. Celle de vaincre cette menace commune, coronavirus. C'est pourquoi les moyens pour y parvenir devront être multidimensionnels : psychologiques2, 2

Dans l'accompagnement des personnes affectées psychologiquement par le renversement produit par Covid-1 9. A

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sociaux, économiques 3, environnementaux, politiques, sanitaires, etc. Ensuite, c'est encore l'Autre qui est exposé à la contamination du virus, à la blessure, à l'outrage et même à la mort, au-delà d'être un problème. Il est celui qui souffre, le fragile, le marginalisé. Dans l' exposition au coronavirus, l'Autre est celui qui est exposé au meurtre, à l' outrage, à la souffrance. Or, « le meurtre exerce un pouvoir sur ce qui échappe au pouvoir. Encore pouvoir, car le visage s'exprime dans le sensible; mais déjà impuissance, parce que le visage déchire le sensible. L'altérité qui s'exprime dans le visage fournit l'unique « matière » possible à la négation totale. Je ne peux vouloir tuer qu'un étant absolument indépendant, celui qui dépasse infiniment mes pouvoirs et qui par-là ne s'y oppose pas, mais paralyse le pouvoir même de pouvoir. Autrui est le seul être que je peux vouloir tuer » (Levinas, 1968). Autrui est celui qui, de sa souffrance, lance un appel et sollicite une intervention. Il est celui qui interpelle à la responsabilité. Il commande également en donnant un ordre qui touche la subjectivité et dicte son action. C'est pour cette raison que la subjectivité est plus que jamais convoquée à écouter l' appel lui venant de l'Autre, une interpellation à la responsabilité. Comme souligné plus haut, « le visage parle ». Et « la relation cette allure, l'on devrait établir des centres d' accompagnement et de thérapie pouvant permettre de soigner les malades qui ont connu de troubles psychologiques liés à la pandémie de coronav1rus. 3 De même que la mondialisation a permis de rendre globales les richesses des nations, de même elle devrait permettre que les moyens de lutte anti- Covid-19 soient globalisés. Chaque communauté humaine devrait accéder à la logistique anti-Covid19, aux vaccins de qualité, aux informations sur l'évolution de la crise sanitaire en vue d'agir en connaissance des causes. 95

éthique qui sous-tend le discours, n'est pas, en effet, une variété de la conscience dont le rayon part du Moi. Elle met en question le moi. Cette mise en question part de l'autre» (Levinas, 1968). Le discours du visage de l'Autre est l'expression de sa souffrance, et en même temps un commandement: « Tu ne tueras point». Obéir à ce commandement c' est déjà répondre de et pour l'Autre (l ' exposé) que le «je » expose à la souffrance due au coronavims. Une manière de concevoir que l' homme, en ce qui le concerne, devrait se laisser interpeller par le sort de son semblable. On devra choisir de poser des actes devant lesquels nous sommes répondant, au vu des conséquences qui devront en découler. Choisir de se protéger pour protéger les autres est salutaire pour tous puisque, Emmanuel Levinas (1971) le déclare, « personne ne peut se sauver sans les autres». Cela s'explique du fait que notre existence est comme un navire à bord duquel nous sommes tous embarqués. Envisager de sauter du navire pour se sauver seul est périlleux ; mais à plusieurs et avec tous sur la barque, nous donnons à celle-ci sa stabilité (Kabamba, 2021 ). Ainsi, le discours que produit le visage de l'Autre en période de coronavims est un discours qui interpelle. C' est un discours du visage qui se justifie par sa raison d'être. Le visage de l'autre dit de ne pas l'abandonner, de ne pas le laisser mourir. Il sollicite le soin, la prise en charge de ses besoins. Ce visage de l' autre coronisé en appelle à notre humanité. Quoiqu'il prolifère à travers le corpus humain, l'humain reste humain malgré ce que le temps et l' espace lui offrent en circonstance. Dans ce combat, il sied de comprendre que « la guerre suppose la paix, la présence préalable et non-allergique d'Autmi; elle ne marque pas le premier événement de la rencontre» (Levinas, 1968). L'autre est celui qui me 96

sollicite à faire du bien. C'est pourquoi son appel ne se fait pas violence. Par contre, elle est paisible. La responsabilité native du sujet l'engage naturellement pour autrui. Il ne s'agit pas de se protéger contre l'homme, ce qui pourrait faire entendre l'exclusion, mais de se protéger contre coronavirus. Plus nous y allons dans l'ordre dispersé, c'est-à-dire entretenant nos égoïsmes, plus nous perdons ce combat. Plus nous sommes solidaires, plus nous construisons des rapports interpersonnels solides et éthiques permettant d'accéder à un monde où« l'homme est pour l'homme». Comme dit plus haut, c'est par Désir que nous rencontrons les autres. De cette relation, nous entrons dans la réalité du prochain dont le visage nous interpelle. Notre réponse à cette interpellation découle de notre sensibilité à la souffrance et aux demandes constatées. En période de Covid-19, nous pouvons vivre cette vulnérabilité selon deux manières. Premièrement, nous devons répondre à l'appel du visage de l'autre coronisé en agissant. Le Visage comme autrui me précède toujours dans une antériorité qui n'est pas au passé, m'obligeant envers lui de toute éternité. . . » (Trigano, 1998). La réponse que nous devons apporter à l'autre n'a ni commencement ni fin. C'est une réponse qui a son début et sa fin dans l'éternité. Pour répondre à l'appel de l'autre coronisé, il nous faut être attentionné pour lui et tenir notre oreille aux appels qu'il nous lance. C' est ainsi que nous pouvons sortir et aller à sa rencontre. En période de coronavirus, certes, nous sommes obligés de respecter les mesures barrières dans cet aller. Notre réponse, c'est effectivement la praxis de la Bonté. Et c'est en offrant notre service à l'autre coronisé que nous pouvons atteindre le bonheur. Un bonheur qui n ' est pourtant pas 97

contemplative à l'idée des Grecs, mais qui découle de l'obligation de servir. Chez Emmanuel Levinas, si Autrui s'impose à moi, il suscite ma bonté. Qui entend la bonté comme praxis, sous-entend la miséri-corde. Il s'agit d'avoir un cœur qui souffre de la souffrance même de l' autre. C'est ainsi que nous pouvons cornpâtir avec l'autre. Au regard du nombre des décès et des malades du Covid-19 en Europe, aux Amériques, en Asie par rapport à l' Afrique, il en existe un grand écart. L ' Afrique semble souffrir moins que le reste du monde. Notre compassion devrait venir de là. Nous sommes dans une maison commune où la souffrance de l' autre doit être ma souffrance. L'exceptionnalisme africain pourrait empirer si nous ne gardons pas l ' œil ouvert sur l'avancement des mutations du virus Covid19. Deuxièmement, il s'agit de ne pas se dérober à la responsabilité pour Autrui. C'est une obligation d'aller à la rencontre de l' autre coroni sé. On ne saurait y échapper, ni se donner des excuses de ne pas pratiquer la Bonté en période de Covid-19. D 'ailleurs, Emmanuel Levinas (1971) veut en entendre par l'unicité du Moi: « Etre Moi, signifie ne pas pouvoir se dérober à la responsabilité, comme si tout l' édifice de la création reposait sur mes épaules. [ .. .]. L'unicité du Moi, c' est le fait que personne ne peut répondre à ma place ». La disparité est déjà diversion, et résistance à cette responsabilité native. Le moi étant totalement responsable, face à Autrui, il n ' a pas de remplaçant. La bonté du Sujet n'est pas de successeur. Personne d' autre ne peut mieux faire que le moi. Il ne s'agit pas d'être égoïste de sa bonté. Il s'agit plutôt d' en être fier. La fierté d' avoir nettoyé les plaies des blessés, d'avoir donné à manger et à boire aux nécessiteux, d' avoir vêtu les dénudés. « Pourtant, en même temps, le visage 98

d' autrui est dénué ; c' est le pauvre pour lequel je peux tout et à qui je dois tout » (Levinas, 1968). Si la subjectivité est requise à prendre l' autre en charge, ce dernier n ' a pas de dette à son égard, pour l'action accomplie. Edgard Morin (2011) dira que Chacun peut aujourd'hui agir pour l'humanité, c' est-à-dire contribuer d'abord à la prise de conscience de la communauté de destin de tous, et s'inscrire en elle comme citoyen de la Terre-Patrie. Cette action d'humanité est un aller sans attendre de retour. D'où les questions : Comment une véritable relation éthique pourrait-elle se fonder sur la pure passivité, sur la pure souffrance, sur l ' unilatéralité, la non réciprocité [ .. .]. Comment concevoir un don qui serait arraché à la pure passivité [ ... ] Le moi privé de centre autant que de périphérie peut-il encore rencontrer l' autre et que peutil lui apporter? (Haar, 1991). Il existe d' autres possibilités qui peuvent nous permettre de vaincre cette pandémie en tant qu' individus dans le face à face mais aussi en tant que communauté de destin, selon les mots d' Edgard Morin (Ibid.). Il s'agit des valeurs de solidarité, des politiques du vivre-ensemble, et des manières de prendre soin d' Autrui.

111.2. La solidarité comme responsabilité pour autrui A travers les mesures barrières, nous pouvons vivre l' éthique levinassienne pendant cette crise que connaît l' humanité. C' est-à-dire, repenser en quoi les rapports intersubjectifs en période de coronavirus peut avoir un sens éthique. Une opportunité de se remettre en question vis-à-vis du passé, du présent et du futur. Ce qui ne peut se réaliser que dans un passage qui s'explique dans le dépassement du Moi au niveau 99

subjectif pour la rencontre de l'autre. Les analyses précédentes y sont revenues amplement. En effet, le discours du visage est un discours de sollicitation adressé au Sujet vulnérable, interpellé, touché et sommé à la responsabilité pour Autrui. C' est pourquoi la subjectivité est perçue comme servante de l'altérité qui lui intime un ordre. Par-là, l'altérité est autorité. Non pas puisqu'il dominerait ou écraserait la subjectivité, mais puisque son autorité n' est autre qu'expression d'un appel auquel le Sujet ne doit pas ne pas répondre par des actes de bonté. L'altérité est perçue comme Maître. C 'est pourquoi la subjectivité lui obéit. « C'est pourquoi la relation avec autrui ou discours est non seulement la mise en question de ma liberté, l'appel venant de l' Autre pour m ' appeler à la responsabilité, non seulement la parole par laquelle je me dépouille, en énonçant un monde objectif et commun, mais aussi la prédication, l' exhortation, la parole prophétique » (Levinas, 1968). Un discours prophétique est une épiphanie du visage comme présence du tiers ou de l'humanité dans les yeux qui me regardent. Chez Emmanuel Levinas, il y a un appel à rejoindre l'humanité, lieu de socialité, « un monde objectif et commun». En effet, la philosophie levinassienne étant une philosophie de l' Autre, se conçoit sous le modèle du rapprochement des uns et des autres. C 'est pour cette raison qu' on ne saurait exclure l' idée de socialité dans sa pensée. Pour lui, la relation sociale provient de la libération de soi qui implique le sujet dans une relation à une altérité inassimilable » (Ibid.). C' est une socialité qui porte premièrement sur le rapport d'individu à individu avant de s'ouvrir à la généralité, un « socialisme exigeant du face à face avant celui de 100

l'être-ensemble ( ... ) » (Malka, 1989). C' est une « socialité ongmaire » qui établit un rapport interindividuel bâti autour d'un but commun et le rapport du face à face. L'idée d'Emmanuel Levinas n'est pas de baser uniquement cette socialité sur un collectivisme. Mais de la construire dans une promotion d' Autrui. C'est pour cette raison que, pour l' auteur, « Je ne me rapporte à Autrui qu'à travers la Société, laquelle n'est pas simplement une multiplicité d'individus ou d'objets, je me rapporte à Autrui qui n'est pas simple partie d'un Tout, ni singularité d'un concept » (Levinas, 1968). Le fait d'aller vers Autrui est déjà la prémisse de la formation de la société. A travers le face à face, il s'établit la rencontre d'individu à individu. Il s'agit d'un rapport qui brise la singularité et donne sens à la socialité. L'on ne peut pas concevoir l' être-ensemble sans ce mouvement vers l'Autre. A cette idée de socialité, Emmanuel Levinas pense que la solidarité a un sens propre, qui ne saurait s'éloigner de son éthique. Pour lui la solidarité ne serait pas une dévotion à un groupe d'individus, quoiqu'il ne rejette pas en bloc cette idée. Dans sa perspective, cette manière de concevoir, la solidarité est une sortie vers le prochain. C'est l' ouverture à l'autre qui attend mon service et mon aide. C'est une éthique du combat contre les égoïsmes, une éthique où « l'homme libre est voué au prochain, (puisque) personne ne peut se sauver sans les autres» (Levinas, 1971). Le primat accordé à Autrui est un principe. Pour Emmanuel Levinas, il faut séparer la solidarité de tout collectivisme ou groupe. Il faut comprendre que la relation interindividuelle chez cet auteur est une relation d'individu à individu, avant de s'ouvrir à l'humanité. Cette solidarité du face à face est une solidarité asymétrique, c'est-à-dire n' envisageant pas de flèche retour. Une solidarité extrêmement 101

orientée vers Autrui. Une solidarité qui n ' attend rien en retour et où« le Moi est solidaire du non-moi comme si tout le sort de l'Autre était entre ses mains » (Levinas, 1999). Ce n'est pas une prétention subjective. Il s' agit de prendre en main ses responsabilités face à Autrui. Ceci fait appel au moi humain. Cette solidarité voit le sujet humain engagé pour la cause de l'Autre, dans sa suprématie de ! 'absolument Autre, puisqu'il est trace. Une solidarité à « sens unique », impliquant l 'humain dans une socialité univoque, asymétrique, « une vocation» qui est « le sens ultime de l'humain». Dans la solidarité asymétrique, Emmanuel Levinas entend « un surplus de socialité » où se vit la libération de tout subjectivisme. Par ailleurs, il est important de savoir si la société résulte du fait que l'homme est un loup pour l'homme, ou si au contraire elle résulte du fait que l'homme est pour l'homme. Le social( ... ) vient-il de la guerre entre les hommes ou de ce qu'on a limité l'infini qui s' ouvre dans la relation éthique de l'homme à l'homme ? (Levinas, 1982) se demande Emmanuel Levinas. C'est dire, en d'autres mots que, c'est dans la relation éthique du face à face que le social prend source, non pas dans une relation altruicide. C' est dans le même sens que va Sartre pour qui l' humain ( ... ) se tient dans un rapport immédiat aux autres. Les autres sont mon enfer, mais en même temps ils sont ceux qui me font être » (Malka, 1989). D'où deux tendances : l'une tournée vers la collaboration et la solidarité, l'autre vers la survie individuelle, l'autonomie. Mais le social l'emporte nettement. ( ...)Nous sommes des mammifères sociaux. ( ... ) L'homme, un loup pour l'homme, c' est complètement faux (Raoult, 2021 ). La socialité qui est la résultante du face à face ne génère pas du conflit 102

entre les individus. C'est par Désir d'autrui que nous nous rencontrons pour nous socialiser. Avec coronavirus et malgré lui, la socialité ne devrait pas perdre sa place chez les humains. La pandémie de coronavirus ne devrait pas non plus constituer une menace contre le face è face . Avec l'éthique d'Emmanuel Levinas, le« Je» ne peut pas ne pas rencontrer l' Autre, malgré coronavirus. Puisqu'il en est ainsi, le rapport à Autrui devrait s'effectuer à travers l'éthique du pour-autrui et non pas dans les limitations de la menace que représente coronavirus. Puisque l' être humain est naturellement un être en société, être pourautrui est la règle d'or. Etre pour-autrui, c'est se sauver pour sauver les autres. Nous sommes voué de sortir de notre solitude, de nos peurs et des craintes qui asphyxient nos rapports en vue de nous ouvrir à l'Autre et construire ensemble un bloc de résilience contre la menace du coronavirus. C'est l' idée de construire une politique du vivre-ensemble où « l'homme est pour l'homme ». Vivre dans la solidarité asymétrique en période de coronavirus est un engagement à la responsabilité à deux niveaux : premièrement sur le plan micro-responsabilité et deuxièmement sur le plan macro-responsabilité. Sur le plan micro-responsabilité, la rencontre de l'Autre se réalise dans la rencontre intersubjective ou le face à face. C'est se rendre compte que, si nous ne nous protégeons pas, nous nous exposons et exposons les autres à la contamination, au risque de nous conduire à la souffrance, à l'outrage et à la mort. Autrui est celui qui porte la croix des conséquences du relativisme, de la banalisation, du relâchement, du laisser-faire et du laisser-aller face à la pandémie de coronavirus. Face à cela, l'observance des mesures barrières a été assurée 103

sous le contrôle répressif de l'Etat qui « est allé plus loin que jamais dans son histoire, par sa capacité à encadrer et à convaincre les individus. Cela peut apparaître comme une surprise car, non seulement « l'Etat tient » mais il tient par son côté « régalien », par sa capacité de surveiller et punir, de commander et d'obliger ( ... ) » (Roussellier, 2020). Soucieux des irresponsabilités individuelles qui ont fait descendre des milliers d' hommes et de femmes en« enfer sur terre », l' Etat a voulu maintenir l' observance forcée des mesures barrières, en vue de remettre les consciences dans l'éthique de responsabilité pour-autrui. Chacun devrait aller vers chacun, dans une socialité du face à face, en tenant compte du fait que coronavirus est une menace contre la vie de l'autre. D'où, la responsabilité de chacun face à l'Autre est effectivement de le protéger en ne le contaminant pas. Sur le plan macro-responsabilité, l' engagement va plus loin que le face à face. Le cadre se déploie au-delà du face à face pour établir une responsabilité à l'égard du commun. Il s'agit de voir l' outrage, la souffrance et la misère que nous faisons subir à l'humanité lorsque notre caractéristique de « jouissance », un subjectivisme totalitaire, prime sur notre sensibilité face au malheur des autres. Une jouissance, en période de coronavirus, qui entretient les égoïsmes des puissants face aux faibles, les inégalités sociales, le mercantilisme et un néolibéralisme capitaliste. Allusion faite aux conflits d' intérêts qui caractérisent certaines entreprises pharmaceutiques qui, au lieu de s' unir pour donner une réponse adéquate et salutaire à l'humanité, se dispersent sur le marché de la concurrence économique, sacrifiant le reste de l'humanité. A ce sujet, Didier Raoult (2021) énonce ce qu'il nomme « les règles du jeu économique », qui stipulent qu' à 104

partir du moment où l'économie est dans les mains de quelques gros monopoles très riches et très puissants, que toutes les décisions sont prises par des personnes privées en fonction de leurs intérêts personnels et que le jeu fonctionne sur base de la concurrence qui oblige chacun à faire mieux que son rival sous peine de disparaître, alors l'intérêt de la collectivité passera toujours après celui de cette poignée d'individus. On le voit très clairement dans le secteur des médicaments et des technologies médicales : celui qui rapporte du profit sera soigné et devra le payer cher, celui qui ne rapporte rien ne sera pas soigné ou le sera très mal. La leçon de Covid-19 est fondamentale : cette crise nous a montré l'incapacité du système économique actuel de répondre à temps et pleinement aux besoins des hommes. Il ne met en œuvre des moyens à production que dans la mesure où ça lui permet de générer un profit maximum. Et si non, débrouillez-vous ! La pandémie de coronavirus serait loin de consentir les Big Pharma et leurs suites à la solidarité asymétrique. Suite aux enjeux économiques, l'Autre a été exposé au meurtre, à l'outrage, à la blessure, à la souffrance, à la misère. Il est du droit des plus forts de venir en aide aux plus faibles, dit-on. Les inégalités sociales ont permis l' entretien des inégalités entre les humains. Or, nous sommes d'ores et déjà responsables d' Autrui sans que nous le décidions. Nous avons des devoirs envers Autrui, en ce moment où la pandémie de Covid-19 fait des ravages. Devant le visage d' Autrui coronisé, notre sensibilité est sollicité. Celle de lui répondre, de le prendre en charge et de nous mettre à son service. Par ailleurs, de cette jouissance économique qm caractérise le conflit d' intérêt économique, des puissances et des Big Pharma, pourrait jaillir une flamme de vulnérabilité pour le sort de l'humanité. Le 105

visage actuel de l'humanité, sa souffrance et sa misère devraient interpeller les puissants. C' est en ce sens que, la jouissance dans sa possibilité de se complaire en elle-même ( ... ) est la condition du pour-! 'autre de la sensibilité et de sa vulnérabilité en tant qu 'exposition à Autrui. Celle-ci n'a de sens que comme un « prendre soin du besoin de l'autre », de ses malheurs et de ses fautes ( ... ) (Levinas, 1974). Dans cette exposition à Autrui, nous sommes en contact avec le visage coronisé. La responsabilité pour autrui en appelle à la mise à la disposition des moyens efficaces non seulement pour lutter contre les crises de la pandémie de Covid-19, mais aussi pour prendre soin de ceux qui sont déjà atteints. En cela, la responsabilité matérialise la proximité en tant que souci, inquiétude, insomnie pour la précarité de l'autre coronzse. Sans responsabilité en tant qu ' hospitalité, générosité ou attention généreuse à la souffrance de l' autre, la proximité ne serait qu' un pis-aller (Birhaheka, 2017). En période de coronavirus, la vulnérabilité du sujet pour l'Autre rend possible la générosité voire la solidarité pour-autrui. Il faut voler à la rescousse de l'autre coronisé, protéger le sain et soigner l'atteint. Par ailleurs, au moment où nous faisons face à un ennemi commun, coronavirus avec sa cohorte de crises sous plusieurs facettes, il est cohérent que l'humanité se solidarise pour trouver une issue favorable et inclusive. Solidarité en faveur des pays pauvres qui n'accèdent pas aux soins de santé de qualité, aux pauvres qui n ' ont pas de possibilité de s'assurer des vaccins anti-covid de qualité, aux pauvres et aux nécessiteux qui sont à mal de mener efficacement un combat de vaillance contre cet ennemi commun. Si les ressources du sol et du sous-sol doivent être des richesses à intérêt général, a 106

fortiori les ressources pour lutter contre coronavirus (vaccins, logistique de riposte, médicaments, etc). C' est pour cette raison que la solidarité pourra créer et renforcer les liens (éthiques) particuliers au sein de la communauté : les gens se lient pour prendre soin de celui qui en a besoin. Je suis avec toi, tu es avec moi, nous sommes ensemble, pour lui. Nous, mais pas pour nous regarder, pour lui. La communauté créée par la solidarité se distingue de tant d' autres communautés parce que « pour lui » y vient avant nous » (Fischner, 1983). A cela s'ajoute une politique du vivre-ensemble pouvant propulser l'humanité vers des solutions durables pour les prochaines pandémies et d' autres maux auxquels la fragilité humaine est sans cesse exposée.

1113. De la socialité : une politique du vivre-ensemble Compte tenu de ce qui précède, il est douloureusement observé que loin de protéger l'Autre, certaines sociétés l'ont exposé au Covid-19. Spécialement en parlant de la géopolitique de Covid19, l'Afrique ne semble pas jouer la même danse que le reste du monde. Les raisons peuvent sembler simples : Arrivée timidement au début, le Covid-19 a traversé le continent Africain en flèche. Ceci dit, le nombre relativement bas des contaminés par jour, comparé au reste des pays, intrigue le monde et l' OMS. Une théorie avance que c 'est grâce au protocole intense de vaccins pour tous les enfants africains, même si certaines maladies étaient largement dépassées par l'Europe et l' Amérique du Nord, telles que le BCG, le Polio, ou le Rotavirus. Une autre théorie préconise que la souche du Covid-19 qui est arrivée en Afrique est différente d' autres variantes. En tout état de cause, la 107

mobilisation continue à travers le continent, le confinement est allongé pour assurer la disparition absolue du virus (Policy brief, 2020). Ce qui est différent des données d'observation dans les pays du Nord où la flambée des contaminations semble avotr dépassé le pic jusqu'à causer la catastrophe. Nous avons certes oublié que nous appartenons tous à un monde devenu village planétaire, « une maison commune » pour reprendre les mots du Pape François (2015), où nous partageons désormais un destin commun. Les pratiques démocratiques sont les mêmes malgré la divergence des opinions. Les richesses des nations sont devenues des biens communs, des patrimoines internationaux, et donc de la communauté internationale. Les conflits touchant les géants du monde deviennent des conflits internationaux comme les deux guerres mondiales. C'est pourquoi, quand il y a une épidémie qui devient progressivement une pandémie, on en appelle à une action commune, puisque c'est toute l'humanité qui est concernée. En fait, nous ne mourrons pas tous mais nous sommes tous exposés. A un ennemi commun, un engagement commun. Une raison de plus pour dire que notre responsabilité pour autrui trouve son sens face au sort qui serait réservé à Autrui ici et là. Ici pour dire l'autre en tant que singulier et là en tant qu 'humanité entière, car« le tiers (qui) me regarde dans les yeux d'autrui » (Levinas, 1968). Ainsi, les responsabilités devront être assumées par la subjectivité, censée avoir le souci de l'humanité avant, pendant et après la pandémie de coronavirus puisque, « tout ce qui se passe ici « entre nous » regarde tout le monde ( ... ) » (Levinas, 1968). Avant la pandémie de coronavirus où la rencontre de l'Autre n'était pas empiétée par le Covid-19. La socialité, a lieu dans l'immédiat, sans distance, sans 108

éloignement, sans masque. Pendant la pandémie puisqu'il s'agit de poser une action prophétique dans l'aujourd'hui. Une action prophétique veut dire que les solutions d' aujourd'hui qui devront nous permettre de vaincre et de maîtriser les prochaines pandémies. Au regard de la crise actuelle, les solutions prises devront préparer l'humanité, sur le plan moral aussi bien que matériel, à faire face aux crises qui peuvent surgir plus tard. Et après la pandémie pour que les engagements pris au présent soient une porte de sortie pour un changement conséquent en faveur de tous. Après Coronavirus ne devrait pas être comme pendant Covid19. Après la pandémie, nous ne devrions pas agir et être comme si nous n'avions rien vécu de pire. Si non, nous risquons de reprendre les mêmes habitudes qui ne favorisent pas le vivre-ensemble et la solidarité. Pour cette raison, on doit avaliser tous les efforts consentis par l'humanité pour tourner la page des crises du coronavirus devant permettre de « créer des lieux communs». C'est dire que « reconnaître Autrui, c'est donc l' atteindre à travers le monde des choses possédées, mais simultanément, instaurer, par le don, la communauté et l'universel. Le langage est universel parce qu'il offre des choses miennes à autrui. Parler c'est rendre le monde commun, créer des lieux communs. Le langage ( ... ) jette des bases d'une possession en commun» (Levinas, 1968). Le langage de coronavirus est un langage de crise. Un langage qui met à nu les défis au début de cette nouvelle décennie. Un discours qui laisse entrevoir les crises que Covid-19 n'a pas facilité la félicité des humains, a entretenu les inégalités sociales, la gourmandise des puissants. Ces grands défis (Raoult, 2021) révèlent que le « chacun pour soi » est totalement incapable de 109

résoudre un seul de ces problèmes. Premièrement, la crise économique. On constate que les grandes réunions G-7, paralysées par l'affrontement USA - UE, n'arrivent plus à décider quoi que ce soit. Même si on entend rester dans le cadre du capitalisme avec simplement une solution keynésienne pour la relance économique, elle nécessitera de grands investissements en infrastructures, une augmentation des salaires et des impôts sur les riches. Deuxièmement, la crise des réfugiés. Comment la résoudre sans une coopération internationale ? Les exodes mondiaux sont provoqués soit par le pillage des ressources, soit par la surexploitation de la main d'œuvre locale, soit par des guerres néocoloniales. Ce n'est pas en réprimant les réfugiés un peu partout qu' on s'en sortira, mais en les laissant vivre décemment là où ils vivent. Donc, en changeant globalement les relations économiques Nord-Sud. Troisièmement, le changement climatique. Plus personne ne soutient qu'on puisse s'en sortir par des mesures purement locales. Comment arrêter la déforestation, comment remplacer le pétrole, comment établir une agriculture respectueuse des sols, de l'eau et du niveau de vie des paysans en se débrouillant chacun de son côté? Quatrièmement, les pandémies. Elles sont par essence difficiles à circonscrire à un seul pays ou un seul segment du monde ou de la population. On a besoin de recherches et d'expériences approfondies pour mieux comprendre et mieux combattre tous les virus qui nous menacent. Il est absurde de prétendre régler un tel problème dans le cadre d'une concurrence entre firmes motivées par le profit maximum. La crise de Covid-19 a démontré combien le chacun pour soi est 110

nuisible. Si on décide de coopérer, il faut commencer par mettre fin aux politiques du Nord qui appauvrissent le Sud et l'empêche de bien prendre soin de ses populations. Pour vaincre les différentes crises que ce virus a pu révéler, aucune réponse n'est efficace qu'une alternative historique. Nous devrons considérer cette réponse selon le passé, le présent et l'avenir en quatre dimensions. Nous devons « envisager les politiques de l'être ensemble, du vivre-ensemble, de l 'agir ensemble et du rêver ensemble» (Ka Mana, 2021). Au niveau de l'être ensemble, l'on constate qu'à la venue du coronavirus, c'est l'être ensemble qui est menacé. Il est désormais difficile d'être ensemble comme avant, de se retrouver dans les lieux publics et communs comme d'habitude, de célébrer le social entre êtres naturellement sociaux, puisqu'il s'agit d'un virus qui habite le corpus humain et qui établit une dispersion, un évitement. Il s'agit donc de changer notre perception de l'homme. Notre regard posé sur l'homme, dans le face à face, est un regard éthique. Il engage l'individu responsable pour Autrui et recèle les liens de fraternité commune qui trace un destin commun. Nous devons être capables de regarder notre humanité comme un ensemble de liens où chacun de nous est en relation avec lui-même et avec Autrui. A cet effet, la fraternité humaine a ainsi un double aspect, elle implique des individualités dont le statut logique ne se ramène pas au statut des différences ultimes dans un genre ; leur singularité consiste à se référer chacune à elle-même ( ... ). Elle implique, d'autre part, la communauté des paires, comme si la communauté du genre ne rapprochait pas assez. Il faut que la société soit une communauté fraternelle pour être à la mesure de la droiture - de la proximité par excellence - dans laquelle le visage se présente à mon accueil (Levinas, 111

1968). Dans cet être ensemble, il y a lieu de considérer d'autres dimensions : il s'agit de prendre compte de la dimension de notre intériorité et notre extériorité d'abord. Ainsi, tout en étant nous-mêmes, réaliser que nous appartenons à une maison commune où nous avons vocation de fraterniser avec d'autres peuples, d'autres civilisations en vue de mener une lutte tant sectorielle que commune contre ce fléau qui disperse l'humanité. Après, tenir compte de la dimension écologique en ce sens que nous sommes établis responsables des écosystèmes puisque nous sommes avec ces écosystèmes dans cet être. Ensuite, considérer que face à la transcendance, coronavirus nous apprend à être humbles. Ce virus traduit notre petitesse par rapport à la grandeur du principe non principé. Au niveau du vivre-ensemble, il sied de considérer le système des valeurs qui peuvent nous permettre de vivre et surtout de survivre-ensemble pendant et après Covid-19. Pour y parvenir, nous devons être capables de mettre ensemble des moyens nécessaires au niveau planétaire pour que chaque civilisation soit capable de vaincre la pandémie. Il faudra pour ce faire développer des stratégies communes de riposte au niveau national, régional, continental et international pouvant permettre de nous solidariser et de nous résilier face à ce virus qui ne facilite pas le vivre-ensemble. Au-delà de ces stratégies communes, une assistance technique mutuelle en vue d'avoir une réponse technique commune dans « le dépistage aux points d'entrée ; la prévention et le contrôle des infections dans les établissements de santé ; la gestion clinique des personnes gravement infectées par la COVID-19; le diagnostic et le soustypage en laboratoire; la communication des risques ; et la chaîne d'approvisionnement et le stockage » (MAEP, 2020). Dans cette stratégie commune, accepter que la 112

maison commune qui nous abrite contienne des richesses stratégiques dont toutes les civilisations de quatre coins du globe devront bénéficier dans le respect des règles. Au nom de la solidarité et de la coopération internationale, au nom du souci de l 'Autre et de la responsabilité à l 'infini pour l'Autre, le vivre-ensemble nous appelle à la responsabilité généreuse. Se délivrer du narc1ss1sme capitaliste qui caractérise le néocolonialisme à l' ère de la mondialisation. Or, la mondialisation est d'emblée économique et capitaliste. Ce faisant, l' économie mondialisée menace non seulement de « défaire » l' Etat social ( ... ), en accroissant les inégalités entre gagnants et perdants, mais encore la culture politique « libérale » des Etats nationaux (Geoldel, 2014). Au lieu de coopérer tous ensemble à partir de 2003 (cette année est le moment où les chercheurs ont commencé à alerter sur une éventuelle résurgence d'un virus) pour trouver au plus vite un vaccin protégeant l' humanité de ces dangers annoncés, chaque multinationale pharmaceutique a mené une guerre économique contre ses concurrents, elle s 'est isolée pour garder jalousement ses secrets, elle s'est orientée vers les produits les plus rentables (abandonnant donc la recherche d'un vaccin trop coûteux à leurs yeux) et elle tente tous les jours d'affaiblir ses rivaux pour gagner la bataille. Alors qu' il s' agit de la santé de l'humanité! (Raoult, 2021 ) C ' est à ce niveau que nous devrions nous demander ce que nous avons fait de notre responsabilité pour autrui, une responsabilité non choisie, face à ce malheur qui frappe l' humanité. Dans le vivre-ensemble, nous devrions fédérer les efforts et les recherches en vue de barrer la route à ce mal du siècle, et lutter comme un seul corps contre Covid-19.

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Dans la conception levinassienne, les inégalités sociales, conséquence de la domination et de la discrimination d'une poignée d'individus sur le reste de l'humanité serait une marque de la menace de l'i l y a, où la subjectivité se construit ontologiquement un monde de possession, d'exclusion et de jouissance. Audelà de cette misère humaine, Emmanuel Levinas entend le désintéressement qui ne peut se passer d'un donner qui ne saurait être le fruit d'on ne sait quelle générosité naturelle ( ... ) (Petrosino et Roland, 1984). Dans la considération de notre approche, le coronavirus serait une opportunité de changement de paradigme d'un monde où les gros poissons mangent les petits, un monde où les plus faibles sont éliminés et les plus forts se perpétuent, pour parler du darwinisme. Nous sommes responsables du sort de nos frères car, la responsabilité en face du visage me regardant comme absolument étranger ( ... ) constitue le fait originel de la fraternité (Levinas, 1968). Et pourtant, dans le vivre-ensemble la sensibilité se déploie dans la socialité. Elle (la sensibilité) détourne le moi de son égoïsme et l' ouvre à Autrui. Pour être capable de vaincre la pandémie, la solidarité devrait permettre d'accueillir le visage d'autrui coronisé, de le prendre en charge. « La crise Covid a démontré combien le chacun pour soi est nuisible » (Raoult, 2021). Certains profitent des richesses du sol et du sous-sol de la maison commune au détriment des autres. C'est en fédérant les multiples efforts et les richesses autour de nos problèmes et nos crises d'aujourd'hui que nous serons à même de venir à bout des prochaines menaces contre l'humanité. Plus nous avançons dans l'ordre dispersé plus nous restons insensibles face à la misère de l'Autre et de l'humanité. C'est pourquoi, « nous devons poser le vivre-ensemble 114

comme socle de relations de la coopération sociale, une manière de soutenir l'égalité ( .. . ) » (Kabamba, 2021) devant cette crise. Or, tel que le dit Emmanuel Levinas (1993), « Le tiers me regarde dans les yeux d'autrui». Compte tenu de la réalité des événements que nous traversons, nous devrons décider quelle est la meilleure solution pour sauver l'humanité dont le visage dresse un langage de crises multiformes. Dans ce vivre « entre nous », sauvegarder la politique du vivre-ensemble et non de domination, ni d'exclusion, ni de prédation. Nous devrons travailler ensemble pour une altermondialisation construite sur un système politique uni et non pas fondée sur les enrichissements des plus riches et la paupérisation des plus pauvres. D'où, une économie inclusive et globale pour toute l'humanité. C'est dans ce cadre que nous devrons être conscients que nous sommes ensemble pour un vivre-ensemble. Au niveau de l'agir ensemble, nous devons être capables de mener une lutte commune pour le salut de toute l'humanité. A un défi commun, une réaction commune, un engagement commun. L'humanité devra être unie pour mener une lutte d'ensemble. C'est en ce sens que Covid-19 peut être une chance de construire le devenir de l'humanité sur des valeurs communes. L'idée d'une humanité unie devra être inculquée pour avoir une vision de l'après coronavirus. Dans cet agir ensemble, considérer que nous ne pouvons pas nous en sortir sans travailler ensemble pour établir un plan stratégique à l'échelle des nations, des régions, des continents et du monde. A cet effet, « la santé publique globale a toujours été favorable à plus de coopération que toute autre situation internationale. ( .. .) Le contrôle de cette pandémie ne devrait pas être différent, il nécessite également une coopération réelle entre les différents acteurs avec un échange dans un esprit de 115

confiance. Le manque de coopération dans des moments pareils est intriguant, vu les risques énormes du virus sur l' équilibre des sociétés, des économies et de la finance mondiale. Les pays doivent coopérer et travailler ensemble de la même manière qu'ils l'avaient fait lors des pandémies précédentes » (Policy Brief, 2020). Ainsi, l'être ensemble fait appel au vivreensemble et à l'agir ensemble. Au niveau du rêver ensemble, nous devons être capables de rêver un monde pour un avenir commun. Une occasion de repenser l'imaginaire sur nos modes économiques, politiques, culturelles et géostratégiques. Dans ce rêver ensemble, changer nos modes de penser. D'où, sortir du mode concentré sur l'individu, l'individuel pour un mode de vie de la communauté humaine dans son ensemble. Une action humaine qui est en faveur de la sauvegarde et de la protection de la faune et de la flore, celle qui repense notre rapport à la nature, à l'homme, à la transcendance. Le Pape François (2020) soutient également cette démarche de former une communauté de destin commun : Certes, une tragédie mondiale comme la pandémie de Covid-19 a réveillé un moment la conscience que nous constituons une communauté mondiale qui navigue dans le même bateau, où le mal de l'un porte préjudice à tout le monde. Nous nous sommes rappelés que personne ne se sauve tout seul, qu'il n ' est possible de se sauver qu'ensemble. C'est pourquoi j'ai affirmé que la tempête démasque notre vulnérabilité et révèle ces sécurités, fausses et superflues, avec lesquelles nous avons construit nos agendas, nos projets, nos habitudes et priorités. À la faveur de la tempête, est tombé le maquillage des stéréotypes avec lequel nous cachions nos ego toujours préoccupés de leur image ; et reste manifeste, encore une fois, cette [heureuse] 116

appartenance commune, à laquelle nous ne pouvons pas nous soustraire : le fait d'être frères. Le souci de l'Autre est aussi le souci du bien commun et la fraternité humaine en est un acquis.

111.4. Le souci de l'Autre conjoint l'éthique du care pour-Autrui En effet, Emmanuel Levinas s' est donné la tâche de repenser l'humanisme avec une spécificité qui est propre à l' originalité de son éthique. Face à l' appel de « l'autre homme », le Sujet découvre le sens de son identité qui est d' aller vers Autrui. Cet appel de l'autre homme qui n ' est pas Moi est irréversible. Il dépasse toute autonomie, toute complaisance dans l' égo pour se déployer dans la réponse à cet appel, laquelle réponse est « Me voici», un « Me voici» pour l' Autre. Un appel qui sans cesse engage « une réponse de responsabilité » en faveur de l' Autre. « Cette responsabilité subie au-delà de toute passivité dont personne ne peut me délier en me relevant de mon incapacité de m'enfermer ; cette responsabilité à laquelle le Moi ne peut se dérober désigne ainsi l' unicité de l' irremplaçable. ( ... ) il faut penser l'homme à partir de la condition ou de l' incondition d' otage d'otage de tous les autres qui précisément, autres, n ' appartiennent pas au même genre que moi, puisque je suis responsable d'eux, sans me reposer sur leur responsabilité à mon égard qui leur permettrait de se substituer à moi, car même de leur responsabilité je suis, en fin de compte, et de l' abord responsable. C' est par cette responsabilité supplémentaire que la subjectivité n'est pas Moi, mais moi » (Levinas, 1971). Le fait de répondre par « Me voici » est déjà se vouer à la condition d' otage par l'Autre. L'homme est otage de l'Autre homme qui lui lance un appel, l'incite, le 117

sollicite, le sensibilise à travers la manifestation de son visage meurtri. Il y a donc une sortie de soi pour une ouverture à l'Autre dans la vulnérabilité qui responsabilise pour l'Autre. Il s'agit de prendre som d' Autrui dont le visage m'interpelle. Ainsi, l'éthique d'Emmanuel Levinas inclut l'éthique du care. Il s'agit de la manière dont, en cette période des crises liées à la pandémie de coronavirus, nous devrions envisager un changement de paradigme dans notre manière de prendre soin de l'homme, de la nature, de nos rapports à nous-mêmes et aux autres. Dans ce care intervient les dimensions précédemment détaillées, relatives à l'être ensemble, le vivreensemble, l' agir ensemble et le rêver ensemble. Nous devons prendre soin d' Autrui dans le soutien, l'assistance, la collaboration, la confédération des efforts pour une altermondialisation où tout le monde trouve son compte. Quid l' éthique du care ? Le care est une philosophie qui n'est pas loin de nos calendes. Dans un article publié par Mediapart en date du 4 avril 2010, c'est sur la place publique française que cette perspective voit le jour. C' est dans une déclaration de Martine Aubry qui déclarait qu ' « il faut passer d'une société individualiste à une société du care, selon le mot anglais que l' on pourrait traduire par "le soin mutuel"». Mais bien avant cette déclaration, les notions sur l' idée du care ont paru aux Etats Unis. Dès lors, à partir de l'éthique du care, un paradigme moral s'établit pour signifier notre« capacité à prendre soin d'autrui », « souci prioritaire des rapports avec autrui » (Gilligan, 2008). Le care est dès lors une manière de prendre soin, d'être attentionné, de manifester la sollicitude, de venir en aide, d'assister. Il nous place dans une posture d' interrogation sur le soin 118

dont nous faisons bénéficier les autres dans nos rapports intersubjectifs, dans nos rapports à l'humanité, au cosmos, à la transcendance. C'est ce qu'affirme Joan Tronto (2009), quand il définit le care comme une activité caractéristique de l'espèce humaine, qui recouvre tout ce que nous faisons dans le but de maintenir, de perpétuer et de réparer notre monde, afin que nous puissions y vivre aussi bien que possible. Ce monde comprend l'homme et son environnement, tout ce que nous cherchons à relier en un réseau complexe en soutien à la vie. L'éthique du care est multidimensionnelle lorsqu'on s'en inspire. Elle touche le social, la santé, la philosophie, la psychologie, la pédagogie, et s'articule autour des relations interpersonnelles etc. En tant qu 'éthique, les théories du care se présentent tantôt comme une disposition (une aptitude), tantôt - ou simultanément - comme une activité (une pratique concrète, en général socialement reconnue ou instituée) (Brugère, 2009). Le care se présente comme sagesse pratique (emprunté de Paul Ricœur). En tant qu'elle ne se réduit pas à la morale mais en tant qu'une morale pratique, le care comporte quatre phases (Tronto, 2009) qui suivent : Premièrement, le caring about, se définissant comme le fait de « se soucier de » quelqu'un ou de quelque chose. Dans ce premier aspect, le sujet entre en contact avec l' autre. Il découvre ses besoins et en même temps il reconnaît la nécessité de s' engager et d'y répondre. A cet effet, il établit les mécanismes pouvant le conduire à répondre à ces besoins ressentis par l'autre. Si tel est le cas, le caring about est pratique. Il implique la sortie de la subjectivité de son recroquevillement en vue d'aller à la rencontre de 119

l'autre dont il prend connaissance des besoins. Il s'agit d' être attentionné à Autrui, d'avoir le souci de l' Autre et de remédier à ses besoins. « Si nous ne sommes pas attentifs aux besoins de l' autre, il nous est impossible d'y répondre », précise Joan Tronto (Ibid.). Deuxièmement, le taking care of qui se traduit par le fait de « prendre en charge ». Après avoir constaté les besoins de l'Autre, il est question que l'on assume sa responsabilité qui n'est autre qu'une action qui réponde au besoin constaté. Il s'agit de « prendre en charge » Autrui dans ses demandes, ses sollicitations; du donner sans recevoir (selon la non-réciprocité levinassienne), une responsabilité pour-autrui. L' on se rend compte que « quelque chose que nous avons fait, ou n ' avons pas fait, a contribué à l' apparition de besoins de soin, et nous devons dès lors nous en soucier» (Tronto, 2009). Ce qui rejoint la perspective levinassienne qui conçoit que la manifestation du visage ouvre à la réponse de la subjectivité. Le visage d 'Autrui exprime un langage de misère, de souffrance, de besoins dont il faut répondre. Il est suppliant parce qu'il présente l'autre dans sa misère, son dénuement, sa faiblesse, son exposition à la mort ; il est magistral car il me somme de répondre de lui ; il m ' intime l'ordre d'agir, de ne pas le laisser mourir : c'est le « Tu ne tueras pas » ; c'est-à-dire tu prendras soin de l'autre (Birhaheka, 2021). Troisièmement, le care giving, traduit par le fait de « prendre soin ». Il s'agit d'un mouvement vers l'autre qui ressent le besoin. Une rencontre directe à travers son besoin, un contact interpersonnel. « Prendre soin, c'est éviter les distances politiques, économiques, et sociales » (Kabamba, 2017). L'on découvre ici le récepteur et l' aboutissement du soin à donner. Toute 120

l'attention est accordée à Autrui. Le Même est sommé, obligé d'en prendre soin au risque de le laisser mourir. Celui qui somme le même à ne pas laisser mourir : c' est l 'Illéité qui strie une trace, qui a laissé un commandement (Ibid.). Il y a singularité des relations et la situation qui fait appel à l'intervention de l'un envers l'autre. Un élément important que Joan Tronto (2009) déploie dans cet aspect est la dimension de la compétence dans la pratique du « prendre soin ». Il ne s'agit pas uniquement d'établir un rapport interindividuel. Il s'agit encore de procurer à l'autre un soin efficace correspondant à ses besoins. Quatrièmement, le care receiving, dans son aspect de « recevoir le soin ». A ce point, celui qui donne le soin devra reconnaître la manière dont le bénéficiaire réagit au soin reçu. Une manière de savoir si réellement la réponse donnée par le sujet coïncide au besoin ressenti par l'autre. Dans ce cadre, les résultats doivent être palpables, une évaluation qui implique la réaction de l'autre. Ici, il y a réciprocité dans la relation du care. A la différence de l' éthique d'Emmanuel Levinas, qui ne conçoit qu'une responsabilité asymétrique, c'est-àdire une action sans réciprocité. En fait, dans l'évaluation du soin donné, le sujet passe en revue la manière dont cela a été attribué en face de l'autre. Il attend de l'autre l'expression de satisfaction par rapport aux besoins répondus. C'est pourquoi le sujet devra agir avec efficacité. A la lumière de l'éthique lavinassienne et inspiré par les différentes crises liées à la pandémie de coronavirus, la sagesse pratique du care devient une réponse, ou mieux une autre réponse pouvant conduire à une altermondialisation responsable. Beaucoup de penseurs n'ont pas hésité de dénoncer le néolibéralisme 121

capitaliste et l'acharnement narcissique d'une poignée d'individus sur le bien commun, une pandémie qui profite aux multinationales et aux Big Pharma perdus dans un conflit d'intérêt économique. Au lieu de fédérer les efforts en vue de trouver une issue favorable, une porte de sortie de ces crises multiformes liées au coronavirus, ils se perdent dans le marché concurrentiel de vaccins. Pour parvenir à atteindre la sagesse pratique du care, nous devrions être capables d' Autrui en cette période de coronavirus, reconnaître que le soin de l'Autre est un impératif catégorique, selon les termes d'Emmanuel Kant. Le Désir d'Autrui devra nous élever à la rencontre de son visage outragé, blessé, en besoin. Nous ne pouvons pas être capables d' Autrui tant que nous n'allons pas à la rencontre de l'Autre. Une rencontre interpersonnelle qui nous fait découvrir la misère dans laquelle l'autre baigne. L'appel que lance Autrui nécessite une réponse au besoin qu'il ressent. Etre capable d 'Autrui c'est aussi la condition d'être pour-l'autre (Levinas, 1974). La vulnérabilité pour/ 'autre propulse le sujet au contact des besoins de l'Autre. Avec coronavirus, nous devrions être capables de prendre soin de l'Autre, de l'humanité et des écosystèmes en promouvant des politiques d'être ensemble, du vivre-ensemble, d'agir ensemble et de rêver ensemble. En ce sens, mettre sur la table les besoins des uns et des autres, établir des mécanismes d'y remédier pour y apporter solution, poser une action qui produise un résultat efficace et salutaire au profit de toute l'humanité. Compte tenu de cela, le souci de l'Autre qui se déploie dans l 'éthique du care peut être vécu au niveau particulier et au niveau général.

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Au niveau particulier, il s'agit de considérer que prendre soin de l' autre se réalise dans la singularité des rapports individuels. L'éthique levinassienne est une praxis. « C'est avec Emmanuel Levinas que le sens de la responsabilité se lit correctement. Le seul visage de l 'autrui suffit pour nous interpeller » (Kabamba, 2017). Ainsi, dans le souci de l'autre, nous devrions, en période de coronavirus, approcher les autres pour reconnaître leurs souffrances et leurs besoins en vue d'y répondre efficacement. En reconnaissant les besoins des autres, nous pouvons établir des mécanismes d'y répondre en vue de leur prise en charge. Ici, le souci de l'autre c'est aller à sa rencontre. L'abondance de l'avoir ne nuit pas celui qui amasse les biens, dit-on ; néanmoins, elle ne devrait pas être abondance pour la jouissance égoïste. A telle enseigne qu'on ferme l'oreille à l'appel du malheureux, du souffrant de la faim, de la soif, des démunis, des prisonniers, de celui qui n'a pas de moyens nécessaires pour se protéger et se faire soigner contre Covid-19. Nous devrions prendre Autrui en charge, arracher le pain de notre bouche pour le partager aux autres. En ce sens seulement nous pouvons appliquer le vivreensemble et considérer que la misère d' Autrui coronisé nous concerne. Nous sommes tous comme dans un même bateau qui chavire. Et nous devons tous lutter pour que nous nous en sortions en tant que communauté humaine. Nous devons prendre soin d'abord de notre relation intersubjective qui est entamée de coronavirus. En nous protégeant convenablement et en protégeant les autres, nous pouvons nous retrouver en vue de nous résilier contre le désastre causé par Covid-19. Nous devons également prendre soin de l'autre dans la proximité 123

intersubjective. Si nous nous enfermons, nous laissons les autres en souffrance, sans personne pour les aider. Nous pouvons participer à la collecte des fonds ou des biens en espèce qu'organisent certaines organisations locales, qui ont élaboré des programmes de rescousse aux démunis. Nous devons savoir écouter le cri de détresse qui sort de la bouche d' Autrui. Au niveau général, nous considérons que les Etats ont des devoirs envers leurs citoyens. Le care étant souci, la prise en charge, le soin de l'autre, et la réception du soin, les Etats ont cette charge de l'appliquer à l'égard des populations coronisées. Le rapport de l'Union Africaine portant riposte de l'Afrique contre le Covid-19 en matière de bonne gouvernance (UA, 2020), évalue les processus par lesquels les mesures sont prises et mises en œuvre par les États membres de l 'UA au niveau national. Ceux-ci ont soit eu recours aux mécanismes juridiques et institutionnels existants, soit en ont établi de nouveaux pour faire face à la pandémie. Les mécanismes ainsi mis en place sont axés sur premièrement sur les mesures juridiques et institutionnelles, deuxièmement sur les mesures de prévention et de contrôle de la maladie, troisièmement sur les mesures sociales et humanitaires et finalement sur les mesures fiscales et monétaires. Le rapport examine l'efficacité de ces mesures en termes de résultats souhaitables, d'impact sur la jouissance des droits de l'homme, d'égalité de traitement des citoyens et de responsabilité du gouvernement envers le public. Aux niveaux continental et sous-régional, le rapport examine la manière dont l' Afrique a riposté face au Covid-19, notamment la « Stratégie continentale commune de l'Union africaine contre le Covid-19 », la fourniture 124

centralisée d'un soutien technique, l'approche multilatérale dans la mobilisation des ressources et la gouvernance de la paix et de la sécurité. Au niveau sous-régional, le rapport fournit un compte rendu détaillé des mesures multilatérales mises en œuvre par l 'UA et les communautés économiques régionales (CER), notamment la CEDEAO, l'IGAD, l'EAC, la SADC et le COMESA. Au milieu de tout ce bouleversement, quelque chose pourtant n'est pas effondrée: c'est l'Etat. Le Covid-19 ne détruit pas l'Etat (Roussellier, 2020 :33). Il a maintenu sa force de gestion des citoyens. En pleine pandémie de coronavirus, elle doit établir des réponses aux diverses demandes et besoins des populations et y répondre de manière efficace et efficiente. L'Etat doit ainsi être aux pieds des besoins des hôpitaux qui devront soigner les malades du Covid-19, en leur approvisionnant sur le plan logistique ; lutter contre la crise alimentaire causée par Covid-19, monter des mécanismes de riposte et d'accompagnement psychologique des populations affectées par le changement brusque lié à cette pandémie. En nouant des partenariats avec d'autres Etats, l'on peut apprendre de l'expertise et de l'expérience des autres face à la gestion de la pandémie en vue de la bonne gouvernance. Vaincre la pandémie de coronavirus n'est pas un acquis. Elle a défié toutes nos assurances et nos certitudes. Raison pour laquelle nous viendrons à bout de cette pandémie si nous luttons en tant que communauté de destin commun, dans un village planétaire. « Le Covid-19 est donc une planche du salut» (Kabamba, 2021).

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Penser l'avènement d'un nouveau monde qui prend à cœur l'Autre est tout l'effort qu'Emmanuel Levinas déploie à travers ses œuvres. Cela advient au contact du

visage de l'autre, lequel visage exprime toute la misère d'une altérité en quête de sens, de rescousse, d'aide, du care. Au contact du visage de l'Autre la vulnérabilité éveille la responsabilité pour-autrui. Avec les différentes crises que la pandémie de coronavirus a pu mettre à nu, ce chapitre est venu montrer combien il est possible de se sauver tout en sauvant les autres, tel que notre auteur l'a soutenu. A travers ces crises que coronavirus a révélées, il n'est pas temps de survivre si nous maintenons notre vécu sur des rapports de dominations, d'évitement, d'exclusion, d'enrichissement des uns au détriment des autres. Se sauver tout en sauvant les autres en cette crise de coronavirus requiert une ouverture au visage de l'autre et du monde. A l'ère de la globalisation, nous devons être capables de nous rapprocher tout en prenant soin de notre maison commune. Prendre soin de nos rapports les uns envers les autres, prendre soin de notre rapport à la transcendance en reconnaissant notre petitesse par rapport aux événements qui dépassent notre entendement, prendre soin de notre monde et des écosystèmes, dans le souci du Bien d' Autrui. Ainsi, nous devons lutter contre une « globalisation et progrès sans cap commun » tout en étant conscients que nous sommes dans « un même bateau » et, nous sommes une communauté de destin commun. Raison pour laquelle nous avons une responsabilité devant la manifestation du visage de notre humanité. Un visage hémorragique et coronisé. Il est donc possible que nous périssions ensemble ou que nous nous sauvions ensemble. Cela est possible si et seulement si le souci 126

de l'Autre précède nos égoïsmes et nos modes de Jouissance narc1ss1ques car, comme le soutient Emmanuel Levinas, la subjectivité est vulnérabilité, c'est-à-dire arrachement à la jouissance, dévouement à l'autre. Nous avons le choix de nous sauver tous ou de périr tous.

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CONCLUSION En effet, la philosophie en tant que domaine du savoir, a vocation de maîtriser et d'avoir un mot à dire sur la totalité du réel. Or, le réel est constitué de l'homme, de la nature et de la transcendance. Ramener l'homme au cœur de la préoccupation philosophique a été notre intérêt dans cette lecture d'Emmanuel Levinas, en période de Covid-19. Il ne s'agit pas de réinventer l'homme. Il s'agit par contre de réveiller en lui l' imaginaire éthique face aux défis actuels. Cet imaginaire se préoccupe essentiellement du bien d 'Autrui et de toute l'humanité. C'est ce que voudrait dire le Pape François (2020) quand il pense que le désir et la recherche du bien d'autrui et de l'humanité tout entière impliquent également la recherche d'une maturation des personnes et des sociétés dans les différentes valeurs morales qui conduisent à un développement humain intégral. C'est ce que le Pape François appelle bene-volentia qui signifie le fait de vouloir du bien de l'Autre. Le souci d' Autrui étant au cœur de ce travail, il implique que le soucieux de l'altérité se dévoue entièrement pour lui. C'est un acte purement moral qu'est de se dévouer entièrement à Autrui. Ce souci devra être orienté premièrement vers l'Autre et deuxièmement vers l'Autre de l'Autre. Dans les deux cas, C'est le visage de l'individu qui me fait face, et celui de l'humanité, qui ravive ce souci de la bene-volentia. Notre responsabilité pour Autrui ne peut être stimulée que par le fait de se laisser toucher par la misère de l'Autre et celle de l'Autre de ! 'Autre. C'est bien dans cette prise d'otage que nous sommes dévoués à lui. Dans toutes les sociétés au monde, l'application de cette éthique n'a pas été effective. Raison pour laquelle 129

il s'est observé le relâchement de la part de ceux mêmes qui devraient protéger leurs corps et ceux des autres contre le virus. Il a été difficile pour certains d'accepter que nos modes de vie pourraient un jour changer en raison d'une menace imminente. C' est là que l'Etat va prendre le management de cette crise sanitaire, en vue de contraindre les sujets à revenir à l' ordre. Il joue un rôle intéressant quant à la gestion de la res publica, y compris des citoyens. L' opinion questionne toujours sur les raisons qui font que l' Etat soit le premier manager de la crise sanitaire et que les agents de santé et les scientifiques soient placés en second rang. Certains le justifieront par le fait que le coronavirus a touché tous les aspects de la vie de l'homme, sauf l'Etat : « Au milieu de tous ces bouleversements, quelque chose pourtant ne s' est pas effondré : c'est l' Etat. Les fils invisibles qui relient les injonctions venues de l'Etat et l' obéissance des citoyens n'ont pas rompu. Le Covid-19 ne détruit pas l'Etat » (Rousselier, 2020). Tous les autres secteurs auraient montré leurs limites, sauf l' Etat. Et pourtant c'est encore l'Etat qui dirige la cité et ses composantes. Il a maintenu et assuré sa capacité de gestionnaire des affaires publiques. Et la pandémie de coronavirus étant un problème de santé publique, l' Etat et les pouvoirs doivent à la fois diriger, agir, décider tout en faisant face aux critiques à ciel ouvert et à flux tendu. Le gouvernement est donc toujours attendu pour sa force (celle qui permet de protéger les vies, la paix civile, et les emplois) mais il est soumis à la critique immédiate de ses faiblesses qui semblent s' étaler inexorablement jour après jour (Ibid.). Si l'Etat a su se maintenir au milieu de ce tourment, quel a été le sort des scientifiques et des agents de santé ? Quel est le rôle de chacun dans cette lutte ? 130

En fait, reconnaître que personne n'est exclu d' apporter une solution à cette crise sanitaire, c' est une preuve d'ouverture d'esprit. Chaque secteur de la vie en société devrait concourir à la quête d'une solution durable en cette période de crise. L'Etat a surtout œuvré à maintenir le contrôle et la punition des citoyens en vue de l'observance des mesures barrières. Il s'agit notamment du port de masque et du confinement. Sur ce, Didier Raoult donne une orientation quant au rôle que chaque instance doit jouer: On a eu l'impression dans un certain nombre de cas que certaines décisions ont été politiques - je les pense politiques - , comme le confinement, le masque dans la rue. Il n'y a pas de données scientifiques qui permettront de prouver ça parce que c'est des notions d'écosystème. Ces décisions ont été déchargées sur des scientifiques, et des décisions médicales ont été préemptées par le politique. Là, je suis vraiment en désaccord. Donc il y a une vraie réflexion à avoir sur la part du politique, sur la part du médecin, sur la part du scientifique. Il poursuit en disant que le scientifique doit amener de la connaissance supplémentaire sur une maladie nouvelle, donc ça ne peut être une connaissance que progressive, il faut organiser la mise en place et la progression de la connaissance. Les médecins doivent faire le métier de médecin, qui est de soigner. Les politiques doivent organiser la société et la santé publique, et c' est toujours difficile parce que la limite entre les uns et les autres est toujours un peu complexe (Raoult, 2021). Tous ces rôles devront se compénétrer puisque tous visent un seul aspect, celui de contribuer à vaincre le coronavirus. Dans ce cadre, si chacun joue son rôle sans se substituer à l' autre, les solutions idoines ne devront pas trainer d'être retrouvé.

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En définitive, le coronavirus nous a frappés à plein cceur. Il a fragilisé nos systèmes de santé, nos économies, nos rapports intersubjectives. Il a dévoilé notre façon de cultiver la terre et de la soumettre. Dans une société consumériste, il y a lieu de revoir notre rapport à la nature et à l'homme. Au-delà de l'urgence sanitaire, Alain Deneault pense que la pandémie de coronavirus, aussi douloureuse soit-elle, doit être l'occasion pour la planète d'observer une halte salvatrice et de repenser son modèle de production et de consommation. Dans la fièvre du coronavirus qui s'empare du monde, avec son lot de morts et d'effets collatéraux, il est naturel de s'allier solidairement pour faire front commun à la pandémie, mais il faut se garder de verser dans un optimisme béat. Il recommande, à cet effet, de ne pas trop se gargariser de slogans triomphants, du genre « Tout ira bien », car, prévient-il, non, tout n'ira pas bien si on continue comme on l'a fait. C'est la leçon qu'il faut tirer, il ne faut pas se fermer les yeux en disant : « tenons bon et bientôt tout continuera comme avant». A mieux le comprendre, on ne devra pas si vite chanter les chants d'action de grâce. Par contre, c'est le moment de s'organiser comme il se doit, de préparer, prévoir le prévisible pour faire face à l'imprévisible, dit-on. Nous vivrons d' autres épidémies voire des pandémies dans les années suivantes. Il est grand temps que les scientifiques soient écoutés, bien encadrés, outillés et suivis en vue de mener des recherches à bon terme. L'on devra se soucier des systèmes de santé qui devront répondre efficacement à la demande des soignés. La précarité dans laquelle le coronavirus a rencontré les établissements sanitaires a été un terrain favorable à la propagation de ce virus en impactant considérablement sur les chiffres. Si covid-19 nous a surpris, il ne pourra pas nous surprendre pour la prochaine fois, si et 132

seulement si nous nous y prenons dès aujourd'hui. « Et enfin, la vraie leçon, c'est que pour les nouvelles maladies il faut être prêt, il faut être rapide, il faut être organisé et il faut avoir l'esprit ouvert » (Ibid.). Il nous est loisible de nous en tenir à la conclusion selon laquelle investir plus sur le social serait la réponse efficace à cette crise. La crise Covid-19 a donné raison à Einstein : les pays qui ont obtenu les meilleurs résultats ont appliqué des principes socialistes : investir dans le bien-être, une approche sociale d' aide aux victimes, la santé avant l' économie, la sécurité avant le profit. Les pays capitalistes les plus riches sont aussi ceux qui (à l'exception del' Allemagne) affichent les pires résultats. Cependant, les expériences passées ont montré qu'il ne suffit pas de se proclamer socialiste pour l'être et que les politiques doivent être jugées sur base des pratiques réelles (Raoult 2021 ). En définitive, l'humilité scientifique l' oblige, nous ne pouvons pas nous rassurer d'avoir mis un point final à cette recherche. La thématique du coronavirus offre plusieurs portes d' analyse des enjeux qui se présentent au quotidien. Coronavirus peut être vu selon la philosophie, la sociologie, les sciences environnementales, la politique, l'économie, la médecine, etc. Chaque domaine du savoir peut s' inspirer des données sur le terrain et en interpréter le sens. Mais la philosophie, plus particulièrement, nous a permis de concilier les idées et la réalité. Reconnaissant que l' être humain n'est jamais parfait, nous ne pouvons pas nous arroger de penser que cet ouvrage est parfait. Mais c'est dans son imperfection-même que le lecteur devra trouver sa parfaite perfection. Considérant que 133

beaucoup peut encore être dit à ce sujet, nous concédons aux autres chercheurs et à nous-même de poursuivre ultérieurement cette noble entreprise, pour le salut et le devenir du monde.

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142

TABLE DE MATIERE AVANT PROPOS .................... . ...... ... ...... ..... 7 DU RAPPORT A L'ALTERITE: UNE ETHIQUE POUR AUTRUI .......................................... 13 1.1. Du RAPPORT A AUTRUl. ..••••....•••...••••...••••..•••••..••••.•.•••••..••••..•••• 14

/.1.1. Du Même à Autrui: un dépassement de la subjectivité

.............................................................. .............................. 18 /.1.2. Fondement du rapport à Autrui .................................22 1.2. DE LA VULNERABILITE A LA RESPO NSABILITE POUR AUTRUl. .............. 25 1.3. DE LA PHENOMENOLOGIE DU VISAGE •• ....• ••...•.. •••• ..••.•• ..••.•• ..••••... 35

1.3.1. Du visage comme expression de l'infini......................37 /.3.2. Infini et responsabilité ................................................42

RELATION ETHIQUE ET COVID-19: RELEVER LES DEFIS D'ALTERITE AVEC EMMANUEL LEVINAS ................................ ......... .......... 49 11.1. (OVID-19, UNE REMISE EN QUESTION DE NOS ASSURANCES.......•.... 51 11.1.1. (ORONAVIRUS: SURPRISE OU IMPREPARATION? ............•....•.•... 54

11.1.2. Autrui et Covid-19: sur la trace de la source du virus .............................................................. ..............................57 11.2. DEFIS D'ALTERITE ET MESURES BARRIERES CONTRE CORONAVIRUS •... 61

11.2.1. Du masque dans le rapport de face àface ................ 64 11.2.2. La distanciation et le face à face ............................... 67 11.2.3. Le confinement et le face à face ................................ 73 11.2.4. La vaccination anti-covid et le face à face................. 77 11.3. LA RELATION ETHIQUE FACE AUX MESURES BARRIERES ........... •....... 80

143

PARADIGME

LEVINASSIEN

DE

LA

VULNERABILITE SUBJECTIVE PENDANT ET APRES CORONAVIRUS .............................. 89 111.1. LA VULNERABILITE ET LE PROCHAIN CORON/SE .. . ..... . ........ ....•....... 91 111.2. LA SOLIDARITE COMME RESPONSABILITE POUR AUTRUI ••..••••..••••..• 99 111.3. DE LA SOCIALITE

: UNE POLITIQUE DU VIVRE-ENSEMBLE .... . .•... . .... 107

111.4. LE SOUCI DEL' AUTRE CONJOINT L'ETHIQUE DU CARE POUR-AUTRUI ............................................................................................... 117

CONCLUSION .......................................... 129 TABLE DE MATIERE ................................ 143

144

Le Covid-19 sous le regard d'Emmanuel Levinas En période de pandémie de Covid-19, la relation intersubjective est entamée. De plus en plus, les individus cherchent à se séparer, à observer une distanciation pour se protéger contre autrui. Le face-à-face, prôné par Emmanuel Levinas, questionne. Or, la relation éthique qui engage le sujet à la responsabilité pour Autrui consiste à se protéger pour Autrui et non contre Autrui. Le sujet accomplit l 'Œuvre en se protégeant pour protéger et sauver l'autre en période de pandémie. L'éthique de responsabilité d'Emmanuel Levinas ne conçoit pas l'évitement des sujets. Nous ne pouvons pas nous éviter ni fuir notre responsabilité pour Autrui. Le Covid-19, loin de mystifier le face-à-face, le renforce et appelle à la contemplation du visage d'autrui qui se lit dans la souffrance de l'humanité entière. C'est dans la manifestation du visage qu'il y a une vocation à prendre soin d'autrui en période de crise sanitaire.

Ferdinand Cito Cibambo est né à Bukavu, en République démocratique du Congo. Après ses études philosophiques dans la faculté des Lettres et Sciences Humaines à l'Université Officielle de Bukavu (UOB), il se forme au journalisme Web. Il est assistant de recherche à l'Université de Développement Durable en Afrique Centrale (UDDAC). Charles Bashige Atsi Bushige est congolais d'origine. Il est philosophe, professeur à l'Université Officielle de Bukavu (UOB), au Sud-Kivu, République Démocratique du Congo. Il est doyen de la faculté des Lettres et Sciences Humaines.

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Illustration de couverture: AdobeStock, Wikicommons

ISBN: 978-2-38541-272-2

16 € 9

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