Le Concil de Basle : 1434 : les origines du théâtre réformiste et partisan en France 9004059296, 9789004474529, 9789004059290

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Le Concil de Basle : 1434 : les origines du théâtre réformiste et partisan en France
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LE CONCIL DE BASEE

(1434)

STUDIES IN THE HISTORY OF CHRISTIAN THOUGHT EDITED BY

HEIKO A. OBERMAN, Tübingen IN COOPERATION WITH HENRY CHADWICK, Oxford EDWARD A. DOWEY, Princeton, N.J. JAROSLAV PELIKAN, New Haven, Conn. BRIAN TIERNEY, Ithaca, N.Y. E. DAVID WILLIS, Princeton, N.J.

VOLUME XVIII

JONATHAN BECK

LE CONCIL DE BASEE (1434)

LEIDEN

E. J. BRILL 1979

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Les origines du théâtre réformiste et partisan en ÉDITION, INTRODUCTION, G^SSAIRftET NOTES CRITIQUES

PAR

JONATHAN BECK Préface de Daniel Poirion

LEIDEN

E. J. BKILL 1979

ISBN

90 04 05929 6

Copyright 1979 by E. J. Brill, Leiden, The Netherlands AU rights reserved. No part of this book may be reproduced or translated in any jorm, by print, photoprint, microfilm, microfiche or any other means without written permission from the publisher PHINTED IN THE NETHERLANDS

à Franco Simone in memoriam et

à Madame Enrica Simone Forni fid^i custodi

TABLE DES MATIÈRES Préface.

xi

Abréviations.xrv

ARRIÈRE-PLAN POLITIQUE, LITTÉRAIRE ET ECCLÉSIOLOGIQUE I. Le Concîl de Basic et l’histoire.

3

IL Analyse de la pièce.

7

III. Le manuscrit.

10

IV. L’attribution à Chastellain.

13

V. Historique des études sur le Concîl de Basic. VI. Date de composition

.

14 16

VIL Une «moralité politique»: satire, polémique et propagan¬ de conciliariste dans le Concîl de Basic.

27

VIII. Les prédécesseurs du Concîl de Basle.

32

IX. Le conciliarisme — Origines et développements jusqu’à l’époque de Bâle.

47

PRÉSENTATION DU TEXTE La langue du Concîl de Basle.

65

Voyelles, 65 — Consonnes, 68 — Morphologie, 68 — Voca¬ bulaire, 69 — Syntaxe, 69 Versification.

74

Traitement du texte.

75

LE CONCIL DE BASLE.

79

ANNEXES Commentaires et notes critiques.127 Glossaire.150 Table des noms propres.153 Table des citations, sentences et locutions proverbiales ....

154

Quelques leçons de l’édition de Kervyn de Lettenhove ....

156

Ouvrages cités.158 Index.164

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Je tiens à exprimer ma reconnaissance à ceux, et à celle, dont l’aide et le soutien ont rendu possible la réalisation de ce travail: M. Franco Simone (Turin) pour l’intarissable bienveillance avec laquelle depuis les tout premiers débuts de ce travail il m’a conseil¬ lé,

encouragé et guidé jusqu’au bout; MM.

Michael Freeman

(Harvard) et Lawton Peckham (Columbia) pour leurs contributions à la restauration des passages obscurs et corrompus du manuscrit; MM. Jean Bruneau (Harvard), Raymond Lebègue (Paris), Daniel Poirion (Paris), et Michel Rousse (Rennes) pour la généreuse patience avec laquelle ils ont lu ces pages, en y apportant autant de renseigne¬ ments précieux que de corrections judicieuses. Enfin et surtout, à Sharon M. Beck, pour sa patience. Atlanta, Novembre 1976

Postscriptum. Cet ouvrage n’aurait pu être publié dans cette col¬ lection sans le secours moral et matériel de Monsieur James T. Laney, ex-Doyen de la Candler School of Theolo^ à Emorj Universitj, à présent Président d’Emory; de Monsieur Charles T. Lester, Doyen de la Faculté des Arts et Sciences à Emory; et de Monsieur Heiko A. Oberman, Directeur de VInstitut fur Spàtmittelalter und Reformation de l’Université de Tübingen. A tous trois et de tout cœur j’ai l’honneur de témoigner ma profonde reconnaissance. Atlanta, Mai 1978

PRÉFACE Le texte ici édité est une moralité, c’est-à-dire une pièce allégorique mettant en scène des personnages qui figurent des idées abstraites. Le langage allégorique déconcerte parfois le lecteur moderne, peutêtre parce qu’il est habitué à d’autres formes d’allégories qui l’ob¬ sèdent aujourd’hui à son insu, surtout dans la pensée poHtique. Il faut donc saisir le procédé médiéval avec ses artifices, qui ne sont pas sans finesse. Nous nous trouvons ainsi en présence d’ab¬ stractions personnifiées comme Paix et Reformation ou Heresie. D’autres figures comme France et L’Église émanent naturellement de la prosopopée: elles représentent en fait une collectivité de gens, que justement les philosophes de l’époque comparent à un corps, politique ou religieux, selon une vieille métaphore que Christine de Pisan, pour la politique, et les docteurs en droit canon, pour la rehgion, ont remise à la mode. Mais un personnage comme Concil est une création singuhère, représentant une institution de circon¬ stance, à la limite même de ce qu’on pourrait appeler un événement. On devine la complexité intellectuelle des rapports ainsi établis, par le dialogue, entre ces créatures hétérogènes. En tout cas le procédé exploite les ressources figuratives du langage commun dont de banales métaphores se trouvent revalorisées. Les sotties et moralités, faisant parler le Monde ou le Temps, ne dédaignent pas les jeux de mots qui en résultent. C’est ce qui contribue à don¬ ner à un texte comme le nôtre un ton parfois comique, malgré la présence de beaux monologues lyriques comme la désolation de France, évoquant les malheurs de la guerre. En fait nous sommes dans la tradition mêlée de la satire, et M. Beck nous aide à repérer dans ce texte les signes de l’ironie, notamment par la représentation de Concil, et de son attitude attentiste et dilatoire, supposée provoquer l’irritation du public. Ce public on le voit d’abord fort limité dans l’espace et le temps. Il s’agit de clercs capables d’entendre le latin, les allusions au Con¬ cile de Bâle, à ses délibérations sur l’hérésie pragoise, à ses tentatives de réforme qui vont se traduire par quatre décrets publiés le 22 janvier 1435, et par les négociations diplomatiques dont il est l’instru¬ ment. L’auteur, qui trahit sa condition ecclésiastique par son ar¬ gumentation scolastique, sa culture, ses idées, prend parti en faveur

XII

PRÉFACE

d’une réforme en général, mais se montre aussi attaché à la cause conciliaire, c’est-à-dire une certaine tendance à promouvoir, au sein de l’Église, le pouvoir d’assemblée aux dépens de l’absolutisme de type monarchique plus favorale à la papauté. On comprend qu’il s’agit là d’une lointaine conséquence du Schisme qui avait partagé la Chrétienté d’occident. Mais on entrevoit déjà l’esprit de la grande Réforme qui la secouera au siècle suivant. Toutefois la réforme n’est pas ici une fin en soi, elle est un moyen. Identifiant Justice et Reformation (l’auteur insiste là-dessus), et développant le thème du baiser de Paix et Justice (^justitia et pax osculatae smt, Ps. LXXXIV 11), l’œuvre semble se faire l’écho d’un souci fondamental, celui de rétabUr la paix au royaume de France. Ce mouvement en faveur de la paix, qui va aboutir bientôt au traité d’Arras, le 21 septembre 1435, entre Français et Bourguignons, est sensible chez tous les écrivains de l’époque, notamment depuis le Lai de Paix d’Alain Chartier (en 1425). L’épopée de Jeanne d’Arc avait ranimé les espoirs guerriers, et rendu possible une victoire. Mais depuis sa mort on se fait une idée plus réaliste de la situation, et l’on associe subtilement les négociations de paix à l’effort militaire. Le nouveau patriotisme français commence à comprendre que, pour se débarrasser des Anglais, il faut d’abord mettre fin à la guerre avec la Bourgogne.

C’est d’ailleurs la thèse même de Charles

d’Orléans, prisonnier de l’Angleterre, celle qu’il développe dans ses ballades au même moment: Paix est trésor qu’on ne peut trop loer (ballade LXXV, éd. Champion). Le Concil de Basle est donc une pièce représentative d’une opinion plus large que celle de son public immédiat, l’opinion du peuple de France telle qu’elle se définit en ces années 1434-1435. Les choses ont bien changé depuis l’époque où Jean de Montreuil s’adressait «A toute chevalerie» pour donner avertissements, exemples,

et

incitation à mieux se battre: c’était vingt-cinq plus tôt. Peu à peu nous comprenons que l’histoire des idées, au XVe siècle, suit les fluctuations de la politique et les vicissitudes de la guerre. Il convient au contraire de rapprocher ce texte de la Moralité que composa Michault Taillevent à Arras, dans les dernières semaines de pourparlers *. Ainsi se dessine un mouvement d’idées que la collection qui publie ce livre aura bien contribué à faire connaître. _

Daniel Poirion

* Voir Robert Deschaux, Un poète bourguignon du XV siècle: Michault Taillevent, Genève, Droz, 1975, pp. 87-110.

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/utW*o .. Rom. 94 [1973], 502-03). Procession joyeuse qui eut lieu à Paris en 1313 lors d’une série de fêtes organisée par Philippe le Bel, cette version médiévale du «théâtre dans la rue» comportait un épisode inspiré de la branche XVII du r. de Renart, qui avait pour but de satiriser la rapine et la «renardie» du pape, à qui Philippe le Bel vouait une haine implacable. Voir O, 164-67 pour une discussion des interprétations (dont certaines très fausses) de cette satire politique. Sur les spectacles (défilés, «montres», représentations théâtrales) organisés par les administrations municipa¬ les au cours des entrées royales de 1328 à 1515 (période donc postérieure à la

44

ÉVOLUTION DE LA MORALITÉ POLITIQUE

de Fqy et Loyalté

et la Moralité de 1427

Signalons, enfin, qu’en

1435 la Moralité d’Mrras (ou Moralité de Povre Commun) de Michault Taillevent met en scène une France éplorée qui raconte ses malheurs, auxquels la Paix d’Arras et le concile de Bâle doivent trouver remède par l’intermédiaire de Charité

Cette pièce, postérieure de 6

à 16 mois au Concil de B as le, appartient au sous-genre des moralités poHtiques que Kindermann appelle «panégyriques» — pièces célébratoires qu’il oppose aux moralités politiques «satiriques» (dont le Concil de Basle; ci. supra, p. 28, n. 58). Le ton et la raison d’être de la Moralité d’Arras (et ceci est caractéristique des pièces écrites pour les ducs de Bourgogne; cf. Chastellain) relèvent du désir de célébrer les initiatives prises par Philippe le Bon en faveur de la paix. Aucun adversaire partisan n’est visé, la critique dans cette pièce étant dirigée contre le personnage abstrait de «Guerre» (dans le Concil de Basle la critique est dirigée contre le pape d’une part, contre la coalition anglo-bourguignonne de l’autre). Et aux malheurs du Povre Commun le remède que propose Michault Taillevent est également abstrait: la «Charité» (alors que dans le Concil de Basle on propose aux malheurs de la France et de l’Église des remèdes législatifs concrets: décrets de réforme d’une part, de l’autre les ambassades pacificatrices conciliaires — lesquelles ont abouti, efProcession de Renart), voir Guénée, pp. 12-13, 25-29. L’usage de faire jouer des scènes religieuses lors d’une entrée royale semble être le développement du cérémonial traditionnel, auquel participait le clergé local et qui comportait une oraison prononcée par le roi dans l’église principale de la ville. Paraissent ensuite des thèmes laïcs, puis des mystères entiers, qui deviennent de plus en plus élaborés. Enfin, «au cours du règne de Louis XI, ... à côté des sujets religieux ou simplement divertissants, se multiplient les thèmes destinés à souligner la soumission de la ville au roi, et surtout à exalter la personne et l’institution royales» (Guénée, p. 27). Notons que cette politisation progressive aux XIV®XV® SS. du théâtre associé à l’institution de l’entrée royale correspond à la politisa¬ tion du théâtre sérieux en général dont nous avons parlé plus haut (pp. 40-41). 100 Pour les allusions historiques et politiques que Gustave Cohen croyait pouvoir déceler dans cette moralité, voir O, 167-69. Pour l’hypothèse de Ch. Lenient, qui s’imagina l’existence d’un ‘théâtre de guérilla’ parisien aux environs de 1420, dont témoignerait notamment la moralité représentée en 1427 au Collège de Navarre (ouvrage partisan, d’esprit nettement armagnac, mais dont les allusions sont si discrètement voilées que leur portée politique est à peine discernable), voir O, 169-74, et l’introduction de l’édition de la pièce par Robert et André Bossuat. J. H. Watkins, éd., «A Fifteenth-Century Morality Play: Michault Taillevent’s Moralité de Povre Commum, French Studies, VIII (1954), 207-32. Rééd. par Robert Deschaux, sous le titre La Moralité d" Arras, dans Un Poète bourguignon du XV^ siècle: Michault Taillevent (Genève: Droz, 1975), pp. 87-110. Ces deux éditeurs s’accordent à dater la pièce du mois d’août 1435.

ÉVOLUTION DE LA MORALITÉ POLITIQUE

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fectivement, à cette même Paix d’Arras célébrée par Michault Taillevent). En somme, si la Moralité d’Arras et son prédécesseur le Concil de Basle traitent les mêmes sujets, leurs auteurs respectifs s’y prennent de deux façons complètement différentes. *

* *

Quelque violentes que fussent les critiques anticléricales et anti¬ papales des moralistes de la tradition satirique et polémique, leurs œuvres n’ont contribué qu’accessoirement à préparer la voie à la propagande conciliariste de notre moralité. Le pape et le clergé pouvaient considérer les satires, les reproches et les remontrances des moralistes comme impertinents et audacieux, mais en aucun cas ils ne les considéraient comme des menaces ou des attentats au pouvoir ecclésiastique

L’auteur du Concil de Basle, moins violent

et moins polémique que les moralistes, n’en est que plus audacieux par la nature même de sa perspective. Sans doute était-ce imperti¬ nent selon le pape que de prétendre faire la leçon au haut clergé; mais prétendre leur donner des lois, comme l’ont fait les conciliaristes, voilà qui était dangereux pour leur pouvoir. La différence entre la tradition satirique et le Concil de Basle, c’est que là où les moralistes exhortent, les conciliaristes prétendent statuer. Prétention moins auda¬ cieuse à leurs yeux qu’elle ne pourrait le paraître aux nôtres. Reste un fait, et capital: entre 1409 et 1415 trois papes ont été déposés

Exception faite de la controverse de l’Université et des Frères Mendiants, situation qui dépasse cependant le cadre des écrits moralisants traditionnels pour entrer dans le domaine de la propagande payée. En tout cas, dans cette dispute, le pape Alexandre IV, soutenant les Mendiants pour défendre sa propre autorité, prit de vigoureuses représailles contre Guillaume de Saint-Amour (voir Regalado, pp. 108-09, 173). En outre, pour des raisons qui deviendront évidentes au cours de notre bref historique des origines et développements du conciliarisme, nous avons laissé également de côté les attaques dirigées contre les papes par les publicistes au service des différents empereurs (notamment Marsilius, Jean de Jandun et Ockham au service de Louis IV de Bavière), et par les réformateurs champions de la pauvreté apostolique et de la seule primauté de l’autorité des Évangiles (longue tra¬ dition commençant au XII® s. et allant jusqu’à la Réforme et au-delà: Arnaud de Brescia, Joachim de Flore, les Pauvres de Lyon, les Franciscains spirituels, Wyclif et les Lollards, Huss et les Hussites, etc.). Naturellement ces réformateurs et publicistes se sont tous vus condamner par les papes comme hérétiques, alors que les conciliaristes, eux, déposeront les papes schismatiques, au nom de l’Église universelle, en les traitant eux-mêmes d’hérétiques (infra, p. 53 sqq.).

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ÉVOLUTION DE LA MORALITÉ POLITIQUE

au cours de trois conciles généraux

Qr la déposition d’un pape par

un concile, cela ne s’était jamais vu, et les conciliaristes de l’époque de Bâle, enhardis par leurs succès et par ceux de leurs confrères à Pise et à Constance, s’enivraient du pouvoir qu’ils ne doutaient pas d’avoir définitivement acquis, et qui les autorisait non seulement à déposer Eugène IV et à réformer l’Église 1“®, mais aussi, selon eux, à mettre fin aux guerres qui sévissaient en France, en Bohême, en Allemagne et ailleurs. Pour cela, pour réussir là où les puissances séculières avaient échoué, ils comptaient sur leurs ambassades pa¬ cificatrices d’une part, et sur leurs projets de réforme universelle de l’autre

Mais ce qui nous intéresse surtout, ce sont les préten¬

tions des conciliaristes et l’expression que celles-ci ont revêtue. Ils prétendaient changer le monde par décrets. Et cette prétention a été propagée dans des traités et des sermons, en prose, en vers, en dialogues, et enfin, au théâtre.

Grégoire XII (1409, Pise), Benoît XIII (1409, Pise, et définitivement en 1417, Constance), et Jean XXIII (1415, Constance). Eugène IV sera déposé en 1439 par le concile de Bâle. C’est évidemment ce pouvoir de déposition qui a fait la grande force du conciliarisme. Dans son étude des aspects purement politiques du concile de Bâle, M. A. Black constate que «What Marsiglio had already said of the small State, Conciliarism applied to a larger community; the notorious weakness of ‘médiéval’ constitutionalism, namely the lack of sanctions enforceable by a legal process, without recourse to arms, seems to hâve been overcome» {Monarchy and Community, p. 41 ; c’est moi qui souligne). 1®® C’est en effet dans le décret par lequel les pères de Bâle déposèrent Eugène IV qu’on voit le mieux l’affirmation du principe de la supériorité du concile général sur le pape : «... cette divine providence a suscité par le Saint-Esprit le saint synode de Constance pour qu’il déclare et explique à tout l’univers cette vérité de foi catholique: que le concile général représentant l’Église universelle tient son pouvoir directement du Christ, et que tout homme, quel que soit son état ou sa dignité, cette dernière fût-elle papale, est tenu de lui obéir pour tout ce qui touche à la foi et à l’extirpation du schisme, ainsi qu’à la réforme générale de l’Église en son chef et dans ses membres. Déclarant de plus que si quelqu’un, quel que soit son état ou sa dignité, cette dernière fût-elle papale, refuse avec mépris et arrogance d’obéir aux ordres, statuts, ordonnances ou préceptes du même concile général dans les questions susdites et les choses qui s’y rapportent, à moins qu’il ne vienne à résipiscence, il devra être soumis à la pénitence qu’il mérite et dûment puni, et cela même en ayant recours, s’il est besoin, aux autres ressources du droit» (Concile de Bâle, 34® session; cité par Gill, p. 353, trad. G. Dumeige). ^®® Le Concile de Bâle se proposait trois buts: 1) l’extirpation des hérésies; 2) la suppression des guerres et le «rétablissement de la paix et la tranquillité»; 3) la réforme générale de l’Église «en son chef et dans ses membres» (v. la déclara¬ tion de «L’Intention du Concile de Bâle» [1ère session, 1431], in Gill, pp. 332-33). Sur les ambassades pacificatrices du concile de Bâle, v. Gill, p. 193.

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LE CONCILIARISME JUSQu’À BÂLE

IX. LE CONCILIARISME—ORIGINES ET DÉVELOPPEMENTS JUSQU’A L’ÉPOQUE DE BALE “Il n’y a presque plus que la France où il soit permis de dire que le Concile est au-dessus du Pape.” — Pascal (Br. 871)

Comme toute œuvre de combat, le Concil de Basle n’a de sens que si l’on connaît la nature et l’objet de la dispute. Aussi faut-il, pour permettre d’apprécier la signification et la portée de cette pièce et de ses successeurs, une définition des «théories conciliaires», en tenant compte de leur genèse et évolution, leurs tenants et adver¬ saires, leur importance dans l’histoire — non seulement celle de l’Église, mais dans l’histoire générale de l’Occident

A ce dernier

égard, rappelons-nous deux choses: si les conciles n’avaient pas mis fin au Grand Schisme, celui-ci aurait facilement pu mettre fin à l’Église catholique romaine; d’autre part, sans le mouvement conciliaire et les impulsions auxquelles il a permis de se préciser, il n’y aurait pas eu la Réforme. Or quel a été et d’où est venu ce mouvement conciliaire? Le terme «théories conciliaires» — dont la plus importante affirme que le concile général est supérieur, en autorité, au pape — désigne plus généralement l’ensemble des doctrines de gouvernement ec¬ clésiastique formulées au XIsiècle par des hommes d’église soucieux de trouver une solution à la crise constitutionnelle pro¬ voquée dans l’Église catholique par le Grand Schisme d’Occident (1378-1417). Si la supériorité du concile sur le pape devint le prin¬ cipe essentiel du conciliarisme, ce fut par nécessité pratique; il est hors de doute que si l’unité avait pu être restaurée à l’Église par un autre moyen, le «Mouvement Conciliaire» ne se serait jamais produit. Mais lorsqu’en 1378 l’Église, par un étrange malentendu, s’est trouvée partagée entre deux papes rivaux, la question de savoir qui détient le pouvoir ecclésiastique ultime cessa d’être une question abstraite — un sujet de spéculations et de débats dans les facultés 1®’' «The cataclysm which, during the Reformation, shook Europe initsvery foundations, cast its shadows back to the first half of the fifteenth century. ... The factors which led to the outbreak of the Great Schism présent themselves as the harbingers as well as the first distinctly audible rumblings of the events which were to culminate in the Reformation of the early sixteenth century. The period that lies between the outbreak of the Schism and the burning of the law books by Martin Luther manifestly demonstrated ail the signs of the coming révolution». Walter Ullmann, The Origins of the Great Schism (London, 1948; réimpr. Hamden Connecticut, 1972), «Préfacé to the 1972 Reprint», pp. xxi-xxii.

48

LE CONCILIARISME JUSQu’À BÂLE

de théologie — pour devenir un problème réel, un cas d’urgence à résoudre. Chacun des deux papes schismatiques refusait résolument d’abdiquer, tous deux se disant canoniquement élus et au-dessus de tout jugement humain

Pouvait-on supporter une Église à

deux têtes — impossibilité juridique, monstruosité inconcevable pour l’esprit allégorisant et anthropomorphique des canonistes médiévaux (Gerson parlera avec horreur de ce «monstrum biceps»)? Il fallait donc trouver un moyen légal d’en couper une. Ce moyen, ce dernier ressort, fut le conciliarisme. Solidement ancrés dans le Droit canon et la tradition canoniste, les principes des conciliaristes ont fini, à cause de l’impérieuse nécessité d’unité dans l’Église, par l’emporter sur les arguments en faveur de l’ab¬ solutisme pontifical. Ce triomphe du conciliarisme s’est manifesté dans les conciles tenus à Pise (1409) et à Constance (1414-1417) par lesquels les deux (puis trois) papes rivaux furent déposés au nom de l’Éghse universelle. Car selon la thèse conciliaire, le concile général représentait les intérêts (résumés dans la formule: le «bienêtre général de l’Église») de l’Église universelle dont, en tant que représentant, il exerçait l’autorité Cependant, une fois le problème du Schisme résolu, le conciliarisme n’a pas disparu. Au contraire, il se «multiplia» en se diversifiant: le conciliarisme de l’époque du Schisme se transforma en diverses formes d’antipapalisme (curialisme chez les défenseurs des préro¬ gatives du Collège des Cardinaux, sécularisme chez les rois, l’empereur et leurs apologistes, gallicanisme chez les hommes d’Église français, réformisme radical chez les Bohémiens hussites, etc.). A Pise et à Constance on devait nécessairement s’attaquer au pouvoir du pape; il y en avait deux, il n’en fallait qu’un seul. Mais en s’attaquant au pape au nom de l’unité et du bien-être général de l’Église, on 1®* Les schismes papaux antérieurs s’étaient produits, le plus souvent, par la nomination contre le pape romain d’un (anti)pape impérial. Le ‘grand’ schisme de 1378 représente la première double élection majoritaire par un même Sacré Collège. ^®® Le décret Sacrosancta du concile de Constance (4® session, 30 mars 1415) déclare : «... que ce synode lui-même, légitimement assemblé dans l’EspritSaint et formant concile général, représentant l’Église catholique militante, tient son pouvoir directement du Christ; tout homme, quel que soit son état ou sa dignité — cette dernière fût-elle papale — est tenu de lui obéir pour tout ce qui touche à la foi et à l’extirpation du schisme susdit ...» trad. A. Lauras (in Gill, p. 307). D’ailleurs tous les décrets et communiqués du concile de Bâle débutent par la formule, «Sacrosancta generalis synodus Basiliensis in spiritu sancto legittime congregata, miversalem ecclesiam representans ... ».

LE CONCILIARISME JUSQu’À BÂLE

49

s’est rendu compte que l’on pouvait s’attaquer à lui pour d’autres raisons. A mesure qu’on formulait, élaborait et assimilait les arguments en faveur du bien-être général de l’Église (^generalis status ecclesiaé), on s’est rendu compte que ces arguments impliquaient la nécessité d’une réforme générale de l’institution même de la papauté On s’est rendu compte, enfin, que le pape — même s’il n’y en avait qu’un, et même si celui-là n’était pas précisément schismatique ou hérétique — pouvait, en vertu du pouvoir qui lui était conféré, en abuser comme ses prédécesseurs sur le siège de Pierre en avaient souvent abusé. Du moins, c’était l’opinion d’un nombre considé¬ rable de laïcs, de partisans des pouvoirs séculiers, d’évêques locaux. Au concile de Bâle, Eugène IV sera obHgé de s’incliner devant les prescriptions conciliaires les plus radicales. Bâle montre à quel point on avait appris — peut-être trop bien appris — les leçons de Gelnhausen, Langenstein et Niem; de d’Ailly, Gerson et Zabarella. D’un concile convoqué ad rejormandam eccksiam, l’assemblée de Bâle dégénéra, selon l’opinion de certains, en une commissio ad humilitandum papam. Mais avant d’en venir au conciharisme de l’époque de Bâle, tel qu’il se reflète dans notre moralité, il convient de remonter un peu en arrière, et de résumer, d’après l’excellente et riche étude de M. Brian Tierney

la provenance et les développements des «fon-

Ainsi on constate dans la confirmation du décret Sacrosancta promulguée une semaine après celui-ci (5® session) cet intéressant ajout (cf. la note précédente) : «Tout homme, quel que soit son état ou sa dignité — cette dernière fût-elle papale — est tenu de lui obéir [au concile] pour tout ce qui touche à la foi et à l’extirpation du schisme susdit, ainsi qu’à la réforme de la susdite Église de Dieu en son chef et dans ses membres ...» (in Gill, p. 308; c’est moi qui souligne). Foundations of the Conciliar Theorj (Cambridge Univ. Press, 1955; réimpr. 1968). Dans les pages qui suivent seront résumés certains points essentiels de cet ouvrage; n’espérant pas améliorer la présentation par M. Tierney des fonda¬ tions du conciliarisme — présentation lucide et compréhensive — je me suis contenté de l’abréger. Pour de plus amples renseignements, on se reportera à l’histoire en 2 vols, des Origines du Gallicanisme de Victor Martin (Paris, 1939), où les thèses conciliaires en général et leurs rapports avec le gallicanisme en particulier sont étudiés à fond. Pour les aspects spécifiquement politiques du conciliarisme bâlois — les principes et arguments popularisants et démocrati¬ sants qu’il fournit aux théoriciens de la monarchie constitutionnelle, l’effroi qu’il inspira aux absolutistes voyant dans le conciliarisme la négation du principe même de la monarchie (= Hiérarchie = Ordre) — on consultera avec profit la monographie de M. Antony Black, Monarchy and Community : Politisai Ideas in the Dater Conciliar Controversy, 1430-1450 (Cambridge U. P., 1970). Soulignant le fait que «Baslean Conciliarism and Eugenian Papalism [constituent] distinctive political doctrines of vital importance in themselves» (p. ix), M. Black montre com¬ ment «the strategy of conciliar theory .. . rested on the idea that the Church

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dations» du conciliarisme. Sans ces «fondations», le conciliarisme «mûr» (époque du Schisme) et le conciliarisme «flamboyant» et déjà décadent (époque de Bâle) sont incompréhensibles. Les «Fondations» du conciliarisme Ce n’est pas chez Marsiglio et Ockham qu’il faut chercher les origines du conciliarisme, selon B. Tierney, ni dans le constitutionalisme séculier

il faut les chercher dans la tradition juridique de

l’Éghse elle-même, c’est-à-dire dans le Droit canon et la tradition canoniste was the real sovereign; [les conciliaristes] related this to the sovereignty of the whole people in secular government, and thus became involved in a broad tradition of popular sovereignty. . .. It was at Basle that the implications of Conciliarism as a political theory were fully developed; the Basleans did indeed evolve ideas which, already latent in European tradition, were to be developed on a similar pattern on many future occasions» (p. 8). Exemples dans la note suivante. C’était la thèse de J. N. Figgis: «... the Conciliarists seemed to hâve discerned more clearly than their predecessors the meaning of the constitutional experiments, ... to hâve thought out the principles that underlay them, ... to hâve discovered that arguments applicable to government in general could not be inapplicable to the Church» {From Gerson to Grotius, 2® éd. [Cambridge, 1916], pp. 41-70; cité dans Tierney, p. 10). Cette explication, selon laquelle le conciliarisme serait l’analogie ecclésiologique des développements constitution¬ nels qui avaient eu lieu dans divers royaumes séculiers depuis le XII® siècle, est insuffisante selon Tierney: «The essential point that Dr. Figgis overlooked was that, when the conciliât writers surveyed their problems, they would naturally turn for guidance, not to the customs of France, or the laws of England, or the constitutional practices of Spain, but rather to the great mass of ecclesiastical jurisprudence, to the common law of the Universal Church and the works of its great interpreters» (p. 11). Mais si la pensée politique séculière n’a pas compté pour grand’chose dans l’élaboration du conciliarisme, celui-ci en revanche léguera beaucoup à celle-là, d’après A. Black, qui cite «the direct influence of conciliarism on sixteenth- and seventeenth-century thinkers» (p. 8); observe sinon une influence directe de Jean de Ségovie sur Locke et Rousseau, du moins des coïncidences frappantes dans leurs formulations respectives du principe représentatif («both Locke and Rousseau seem to follow Segovia in attempting to apply the private-law notion of représentation to the relation between govern¬ ment and people» — textes pp. 28-29); et affirme que Jean de Ségovie «was the first thinker to formulate [d’après le modèle corporatif] ... the concept of trust as the basis of society and government. ... In its monarchical form, it would turn up again in Thomas Eliot (1601), in Bodin and in Hegel. ... While such ideas were to find new application in America, and to be developed more fully by Locke and Rousseau, their basic pattern [la formulation ségovienne] would change little» (pp. 51-52). P. Ourliac effleure cette question en donnant à la fin de sa «Sociologie du Concile de Bâle» quelques indications de «l’influence souvent insoupçonnée des idées et des pratiques bâloises dans la ‘crise de la con¬ science européenne’» (p. 32). Cf. n. 125 infra. Le Droit canon {Corpus juris canonici) comprend les écrits juridiques des

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La question de l’influence que les publicistes impériaux (surtout Guillaume d’Ockham) ont exercé sur les conciliaristes est plus com¬ plexe. Ockham est beaucoup cité par Pierre d’Ailly, très peu par Gerson, démanges, Zabarella

Il est vrai que la notion à’epikeia

(«équité») d’après Aristote {Éthique à Nicomaque) mise en avant par Conrad de Gelnhausen, Gerson et d’autres se trouve chez Ockham et chez Marsigho; mais, dit Tierney, Ockham’s technique of appeaUng to «necessity» and «the spirit of the law» did not originate with the Franciscan master himself but had roots deep in the theological and juristic traditions of the thirteenth century. ... In particular, the principle, «Quod non est hcitum lege nécessitas facit licitum» had actually been incorporated in the Decret aies of Gregory IX [1234] as a régula juris. It may be added that the same principle was invoked by Hostiensis in midthirteenth century to prove the well-known Conciliar doctrine that the Cardinais could exercise during a vacancy powers that normally belonged to the Pope alone. ... The appeal from the letter of the law to the intention of the legislator and the principles of equity had [in addition] already made its appearance in the Glossa Ordinaria to Gratian’s Decretum Dans son article (1954) sur le conciliarisme d’Ockham, Tierney s’attache à montrer qu’à peu près tout ce que les conciliaristes du XIV® siècle ont emprunté à Ockham venait soit directement de la tradition canoniste (citations du Decret, des Décrétâtes, de canonistes), soit indirectement, par voie des écrits de philosophes, théologiens et juristes qui l’y avaient puisé

Sans nier que pour certains d’entre

Pères et les décrets pontificaux et conciliaires réunis dans le Decretum de Gratien (1140), et les Décrétâtes promulguées en 1234 par Grégoire IX. La «tradition canoniste» comprend de très nombreux commentaires, gloses et interprétations du Decretum et des Décrétâtes faits par des juristes canonistes (décrétistes et décrétalistes). Pour les ouvrages les plus importants de l’un et de l’autre groupe, V. Tierney, pp. 15-19 et 254-66. Outre le Droit canon, les canonistes firent appel, pour appuyer les arguments de leurs interprétations et gloses, au droit romain {Digeste de Justinien, 533), notamment en ce qui concerne le droit corporatif (principes d’autorité et de responsabilité réciproque entre chef et membres d’une corporation). Dans les traités de Gerson sur le Schisme, Ockham est nommé, au total, quatre fois; Marsiglio n’est mentionné qu’en termes défavorables (Morrall, op. cit., pp. 118-20). En revanche, «dans tous les traités conciliaires importants, on ne peut guère tourner de page sans remarquer des références au Decretum et aux Décrétâtes)') (Tierney, p. 12). “S «Ockham, the Conciliar Theory and the Canonists»,of the History 0/Mar, XV (1954), 44. it® Par exemple (outre les principes de nécessité et àtéquité cités ci-dessus): la théorie ockhamiste de dominium et du pape comme dispensator a été élaborée au 5

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LE CONCILIARISME JUSQU’À BÂLE

les conciliaristes le Dialogus d’Ockham ait été une source utile d’argu¬ ments (et sans s’étendre sur l’influence du Defensor pacis

Tierney

veut montrer que les sources fondamentales des théories conciliaires sont à chercher ailleurs : To understand the origins of a constitutional crisis in the Church, we must surely turn to the background of constitutional law from which ail parties in the crisis sought to defend their daims. Without a study of the canonists we can never hope to understand in ail its complexity the polity of the médiéval Church; for to sketch in outline the growth of the Corpus Juris Canonici from the appearance of Gratian’s Decretum to the outbreak of the Great Schism is, in effect, to record the process by which the Church became a body politic, subject to one head and manifesting an external unity of organization (1955, pp. 13-14). Grégoire XII et Benoît XIII ont été déposés par le Concile de Pise, Jean XXIII et (de nouveau) Benoît XIII, par le Concile de Constance, et Eugène IV par le Concile de Bâle. Comme on le sait, la déposition d’un pape par un concile général ne s’étalt jamais vue auparavant. Or comment s’est accomplie cette révolution dans l’Église? Par quels moyens ces quatre successeurs de Saint Pierre ont-ils été dépossédés de la tiare par ces trois conciles généraux? Pour répondre à ces questions, essentielles pour la compréhension du Concil de Bush, il faut connaître non pas tout le Droit canon mais simplement certains principes juridiques de base qu’ont éla¬ borés les canonistes. Rappelons que ces derniers avalent cherché, bien avant le Schisme, à définir les limites de l’autorité du pape Or en ce qui concerne le conclHarisme, il nous suflRra de retenir trois doctrines canonistes, qui dérivent et se ramènent d’ailleurs à un XIII^ siècle par Huguccio et par Jean de Paris; celle du bonum commune, devancée par la notion du générait s status ecclesiae ; celle du pouvoir ecclésiastique conféré dans l’acte humain d’élection, devancée par Huguccio; celles surtout de la déposition d’un pape hérétique, et de l’autorité infaillible de l’Église résidant non dans le pape mais dans l’Église universelle {congregatio fidelium), devancées et élaborées en détail par les canonistes dès le XII® siècle (notamment par Huguccio). Voir P. E. Sigmund, «The Influence of Marsilius on Fifteenth-Century Concili'a.nsm)), Journal of the History of Ideas, XXIII (1962), 392-402. Ainsi, pour ne citer qu’un exemple, K. Pennington voit dans la défense par Hostiensis, contre le pape, du droit des évêques de dispenser dans des cas de collation de bénéfices multiples «a striking example of a concrète limitation on papal legislative power» chez un canoniste éminent dès le XIII® siècle («Thirteenth-Century Canonists and Pluralism», Spéculum LI [1976], 47). En ceci Hostiensis serait allé plus loin que ses successeurs (Durantis, Zabarella) qui semblent ne pas s’être rendu compte des «implications ecclésiologiques de cette question» (ibid., n. 53).

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seul principe absolument fondamental: c’est que le pape pouvait errer en matière de foi, mais l’Église universelle était infaillible Étaient dérivés de ce principe fondamental (la possibilité d’un pape hérétique — et toute théorie conciliaire est fondée là-dessus) les trois doctrines suivantes concernant (1) le jugement et la dépo¬ sition d’un pape hérétique

(2) l’interdiction faite au pape de

Si le Decretum et tous les canonistes en général ont admis le principe de la faillibilité du pape, c’est qu’ils y ont été bien obligés, l’exemple d’un pape hérétique s’étant déjà produit dans le cas — souvent cité et commenté — d’Anastase II (Tierney, 1955, pp. 38, 42-45). D’ailleurs, le pape Marcellinus aurait adoré des idoles, et Gratien affirme que St. Pierre lui-même avait erré en matière de foi (Tierney, 1955, p. 38). Or Jésus-Christ avait promis (Matt., XVI, 18-19) de garantir l’Église romaine d’erreur, et Gratien, en exigeant que toute dispute touchant la foi soit réglée par le Saint-Siège, appuyait de force textes vénérables l’affirmation que l’«Église romaine» était toujours restée «sine macula et ruga, et sine ulla haereticorum insultatione» (Tierney, 1954, p. 63 et 1955, p. 41). Cependant Gratien employait de manière interchangeable les termes «Église romaine», «pape» et «Saint-Siège». Aussi légua-t-il à l’ingéniosité des décrétâtes ce beau paradoxe: une «Église romaine» immaculée à la tête de laquelle pouvait se trouver un pape hérétique. Huguccio résolut le problème en distinguant le pape (faillible) de l’Église universelle {«congregatio fidelium))), laquelle était incapable d’errer. Cette séparation abstraite par laquelle le pape était écarté en principe de la congregatio fidelium infaillible s’avérera, par la suite, d’une importance absolu¬ ment fondamentale. Que faire d’un pape hérétique? Question épineuse à laquelle le Decretum ne donnait pas de réponse très claire. D’une part il y est dit plusieurs fois que le pape est au-dessus de tout tribunal humain (y compris conciles généraux). Mais il s’y trouve, d’autre part, un texte qui prévoit — du moins implique — le jugement et déposition d’un pape hérétique : «[Papa] a nemine est judicandus, nisi deprehendatur a fide devius» (Tierney, 1955, p. 57). Mais pas un mot sur la procédure. Huguccio, dans son interprétation de ce texte, affirmait nettement qu’un pape hérétique pouvait être déposé, l’hérésie dans un pape étant particulière¬ ment nocive pour l’Église universelle. Én outre, Huguccio spécifiait que ce seul cas judiciable — l’hérésie — comprenait non seulement erreurs de foi, mais n'importe quel crime notoire puisque dans un pape n’importe quel crime notoire nuisait au generalis status ecclesiae, équivalait donc à l’hérésie. Cependant, Huguccio respectait les restrictions juridiques établies par le Decretum en faveur du pape (il n’avait aucun supérieur juridique, aucun tribunal n’était par conséquent compétent de juger un pape; un inférieur ne pouvait accuser un supérieur, et tous étaient inférieurs au pape). Il faut admirer l’ingéniosité (non la hardiesse) de la solution trouvée par Huguccio : un pape ne pouvait être accusé que lorsqu’il avouait publiquement adhérer à une hérésie connue et déjà condamnée. Ainsi aucun besoin de l’accuser (il s’accusait lui-même), aucun besoin non plus d’un tribunal, car dès le moment qu’un pape adhérait à une hérésie, il cessait par cela même d’être pape (principe de la «dégradation automatique»). Or les gloses postérieures omettaient ou rejetaient ces distinctions et restrictions si soigneusement établies par Huguccio (sans pourtant préciser qui jugerait un pape hérétique), tout en gardant l’argument d’Huguccio selon lequel n’importe quel crime notoire dans un pape équivalait à l’hérésie (p. ex. le refus obstiné du pape de réformer l’admini¬ stration de l’Église, argument avancé à Constance [cf. É. F. Jacob, op. cit..

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dispenser contre le décret d’un concile, général en tout ce qui con¬ cernait les articles de foi

et (3), doctrine extrêmement importante

dans l’évolution du conciliarisme, l’interdiction faite au pape de dispenser contre le décret d’un concile général en toute matière concernant le generalis status ecclesiae l^a Théorie corporative de T Église^ Hostiensis et Jean de Paris Au cours du XIII® siècle s’est élaborée dans les écrits canonistes une notion de la structure administrative et juridique de l’Église qui allait être indispensable pour la mise en action aux XIV® et XV®

siècles

des

doctrines

conciliaires.

Cette

notion

identifiait

la structure administrative hiérarchique de l’Église à la structure constitutionnelle et représentative

d’une corporation.

A la tête

d’un ordre, diocèse ou monastère se trouvait un supérieur — sorte de procurateur dont la juridiction était établie par élection — qui Ch. 2, « Theoty and Fact in the General Councils ... », pp. 139-40]). Le principe de la dégradation automatique fut rejeté sans équivoque dans le Rosarium (1300) du décrétaliste Guido de Baysio, qui, le premier, déclara cette notion insuffisante. Le pape soupçonné d’hérésie devait être accusé devant un tribunal, et il ajouta sans ambiguïté que ce tribunal serait un concile général. D’autres canonistes après lui allaient concourir à cette opinion (Tierney, 1955, pp. 58-65, 213-15). Cette doctrine découle logiquement de celle qui contraste la faillibilité du pape en matière de foi à l’infaillibilité de l’Église universelle, dont le concile général était le représentant. Pourtant un concile général était supérieur au pape en matière de foi, selon les décrétistes, seulement si ce concile était légitime, c’est-à-dire convoqué et présidé par le pape. Un concile convoqué par quelqu’un d’autre que lui (on pensait aux puissances séculières dans leurs disputes avec les pontifes) expressément pour agir contre le pape, ne lui était pas supérieur. « The transition from the idea of a superiority inhérent in Pope-and-Council to that of a superiority in the Council acting against the Pope is one of the most important developments in conciliât theory between the twelfth century and the fourteenth ... In reading the Decretist sources one cannot escape the impression that these writers were far more interested in defending the Church against abuses of papal power than in upholding at ail costs the doctrine of papal immunity from judgment. Their arguments did open up an important breach in the principle of papal supremacy. ... The Decretists themselves did not explicitly formulate the doctrine of a judicial supremacy of the Council over the Pope, but their assertions that the Pope could be judged a tota ecclesia and their views concerning the superiority of a Council in matters of faith could quite easily lend themselves to the conciliât interprétation ...» (Tierney, 1955, pp. 55, 66-67). Dans les écrits décrétistes du XII® siècle, la nécessité de préserver generalis status ecclesiae se présentait toujours comme un argument en faveur de la limitation plutôt que de l’extension du pouvoir du pape (Tierney, 1955, p. 51). On avait d’ailleurs tendance à utiliser la notion du bien général de l’Église d’une manière très générale. Huguccio, par exemple, l’avait invoquée contre la doctrine de l’injudiciabilité du pape en disant qu’aucun statut ecclésiastique ne pouvait être interprété d’une manière préjudiciable au generalis status ecclesiae.

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agissait en son nom. Innocent IV commença d’appliquer cette doctrine de corps à toute l’Église (Gill, pp. 13-14, suivant Tierney [1955]). L’idée que chaque unité ecclésiastique (chapitre, diocèse, mona¬ stère etc.) formait un corps distinct, et que toutes ces unités formaient ensemble une corporation plus grande mais fonctionnant toujours selon les mêmes principes (consentement, délégation du pouvoir, représentation, responsabilité), n’était pas une analogie abstraite mais la constatation nécessaire d’un fait banal: l’Église catholique était non seulement la communauté des fidèles, le corpus mjsticum Christi, mais aussi une organisation multinationale ayant à s’occuper dans le sphère terrestre de ses affaires administratives quotidiennes. Aussi était-il naturel pour les canonistes, étant plutôt juristes que théologiens, de voir dans le corpus mystique aussi une corporatio juridique, à laquelle ils appliquaient pour la définir les principes administratifs du droit civil par lesquels était régie n’importe quelle autre corporation ^^3^ Or l’organisation corporative implique la participation des mem¬ bres à la conduite des affaires de la corporation, et quand les canonis¬ tes définissaient les rapports entre tête et membres, le terme congregatio fidelium faisait place volontiers à celui du populus, tandis que le rôle mondain du prélat était de servir à’(iadministrator» de l’église à laquelle il présidait. L’autorité du corps ne résidait pas uniquement dans la tête, elle était diffuse dans les membres. Le prélat recevait sa juridiction d’une délégation humaine, dans l’acte de son élection. Cette conception de l’autorité administrative et juridique des évêques allait bientôt être appliquée au pape. Ce fut le dominicain Jean de Paris qui déduisait les applications pratiques de ces principes. Ce n’est pas le pape seul, dit-il, qui est l’autorité suprême dans l’Église. Comme lui, les autres prélats tienGerson, à l’époque de Pise (janvier 1409), constatera qu’un état séculier n’est autre chose qu’un «corps mystique civil» (£>e Unitate Ecclesiastica, Du Pin, II, 114d), Déjà en 1405 dans son sermon Vivat Rex, Gerson avait parlé du roi comme tête d’un «corps misticque» dont les diverses classes sociales forment les membres (cette allégorie, qui remonte au Policraticus de Jean de Salisbury (et se trouve même chez Aristote), sera repris en 1407 par Christine de Pisan dans son Livre du corps de poli de). «Once these ideas had been transferred from the technical sphere of corpo¬ ration theory to the publicistic literature on Church government, they became important éléments in the growth of subséquent théories of conciliar authority» (Tierney, 1955, p. 165). C’est le traité de Jean de Paris, De Potestate regia etpapali (1302), qui a opéré ce «transfert». Cf. l’introduction de la traduction récente de A. P. Monahan,of Paris on Royal and Papal Power (New York: Columbia University Press, 1974), pp. i-xlix.

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nent leurs pouvoirs directement de Dieu; les princes temporels également. Le pape n’est pas la «suprême puissance créée» puisque toute l’Église, ou même le collège des cardinaux, Ixii sont égaux ou supérieurs. Comme administrateur d’une corporation, il a pouvoir d’agir aussi longtemps qu’il cherche le bien général, mais il peut être jugé, voire déposé pour hérésie ou incompétence, puisque son autorité vient de l’Église et n’existe que pour son bien. Son «ordre», il le reçoit certes directement de Dieu, mais pas plus que les autres évêques, tout comme saint Pierre qui, en tant qu’évêque, n’était que l’égal des autres apôtres. Il y a une primauté dans l’Église et le pape la détient, mais elle lui est conférée par délégation humaine, les cardinaux tenant la place de l’ÉgUse. Ét de même qu’ils agissent en son nom en conférant, ils peuvent agir au nom de l’Église en repre¬ nant (Gill, pp. 18-19). Ainsi Jean de Paris, dans ses arguments sur la structure interne de l’Église — arguments qu’au XIsiècle les canonistes partisans de

l’absolutisme

papal

allaient

rejeter

comme

scandaleusement

radicaux — n’a fait que réunir celles parmi les vieilles doctrines décrétalistes qui insistaient sur l’autorité supérieure de la congregatio fidelium, avec les théories corporatives des canonistes antérieurs, comme Hostiensis, à qui Jean de Paris emprunte les trois princi¬ pes suivants, qui formeront le noyau du conciliarisme au XIV® siècle : 1) Structure corporative de l’Éghse universelle; le pape lui sert de tête; 2) l’autorité de la corporation ne réside pas uniquement dans la tête mais aussi dans les membres ; 3) la juridiction de tout prélat est dérivée, limitée et revocable, étant conférée par délégation humaine dans l’acte de l’élection et non instituée par Dieu. Tierney conclut que le traité de Jean de Paris, De Potestate, représente by far the most consistent and complété formulation of concihar doctrine before the outbreak of the Great Schism; and his arguments could be more readily assimilated than those of some later publicists (such as Marsiglio) because they were so firmly based upon wellknown and generally accepted juristic principles. Indeed, . . . John’s Work was simply an exercise in applied canonistic theory, AU the doctrines upon which he based his arguments had been hammered out in detail by the thirteenth century canonists; John’s achievement was to pubücize some of the logical corollaries that would follow from an unreserved application of those doctrines to the Papacy . . . (1955, p. 177).

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Durand et Zaharella Dans son Tractatus de modo generalis concilii celehrandi (1311/12), Guillaume Durand le jeune (Guilielmus Durantis, évêque de Mende) critique la centralisation du pouvoir ecclésiastique dans le SaintSiège, et revendique contre le pape et les cardinaux les droits des évêques locaux. Ce traité marque une étape importante dans le développement du conciliarisme. Non seulement Durand y a réuni tout ce qu’avaient dit avant lui les canonistes au sujet de la restriction du pouvoir papal, mais il étend ces principes par une interprétation beaucoup plus large et tout aussi militante que seront les théories conciliaristes que cet ouvrage anticipe, et peut-être prépare. Durand concluded that no Pope could establish a new law contrary to the canons of earlier Councils without summoning a new Council for the purpose, and in support of this principle he further cited a Roman law doctrine which had long been accepted by the canonists, which had been used by some of the earlier Decretists in their discussions on conciüar authority, and which, ironically enough, had been included in Boniface’s own Lîher Sextus as a régula juris: (dllud quod omnes tangit, secundum juris utriusque regulam ab omnibus debeat communiter approbari» (Tierney, 1955, pp. 191-92) Les décrétistes n’avaient admis de restrictions imposées par un concile général sur le pouvoir pontifical de législation (par la pro¬ mulgation de décrets) qu’en ce qui touchait aux articles de la foi. Durand a pu élargir ce principe en tirant logiquement de deux docC’est à propos de l’application séculière de ce principe {quod omnes tangit) par les théoriciens de la monarchie constitutionnelle, que M. A. Black formule dans un passage qui résume l’une des idées maîtresses de son livre, l’importance du mouvement conciliaire pour la pensée politique ‘moderne’ (à partir du XVIII® s.): «Eventually the egalitarian, ‘statist’ éléments inhérent in rationali2ed monarchy came into the open, and the daim was once again heard that ‘what concerna ail should be approved by ail’. Laws concern the whole people; therefore, if the sovereign can make laws, his power must stem from and résidé in the whole people. . .. But it was surely Conciliarism that mediated between the médiéval and the modem conceptions of popular government. For it took up the ideology of the commune and transplanted it onto the large scale. Though parliamentary movements had similar aspirations, these were hardly, at least until the English Révolution, so explicitly worked out, in theory or in practice. In the short-term, Conciliarism established within the Church—^for two décades—first the practice of constitutionalism, involving the full accountability of the ruler, and secondly the theory of popular sovereignty. In the long term, it anticipated, whatever its actual influence, the aspirations of later parliamentarianism, which followed a similar pattern, with the theory of democracy supporting constitutionalism in practice» (p. 134). Cf. supra p. 6, n. 6.

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trines canoniques ^^8 la conclusion que toute décision concernant le bien général de l’Église devait être prise par «tête» et «membres» ensemble, réunis en concile général. Étant parti d’une notion déjà établie (le pape ne pouvait pas ordonner à l’encontre de décrets de conciles antérieurs). Durand en renchérissant déclara qu’un concile devait être convoqué toutes les fois que des statuts concernant le bien général de l’Église étaient à promulguer. Enfin, en terminant son traité. Durand quite certainly went far beyond anything that his predecessors had envisaged. The Council was not to be an extraordinary assembly summoned at rare intervals for some spécial purpose, but was to meet regularly every ten years (Tierney, 1955, p. 195). Cet appel pour l’institutionalisation du concile général trouvera son expression juridique au concile de Constance dans le décret Frequens (39® session, octobre 1417), lequel ordonnait que des con¬ ciles généraux fussent célébrés «de dix ans en dix ans». Ainsi les affirmations et revendications de Durand ont été indeed novel and full of significance for the future. Earlier canonists had seen in the General Council only a final court of appeal in matters of faith, or an instrument of coercion which could bring about the déposition of a Pope who proved grossly unworthy of his office. Durantis, on the other hand, wished to assign to the Council a regular constitutional rôle in the government of the Church, to make it the necessary channel for taxation and ail important législation (Tierney, 1955, pp. 195-96; c’est moi q\xi souligne). En ce qui concerne les conciles qui allaient avoir lieu bientôt, Tier¬ ney résume ainsi l’importance du traité de Durand : The painstaking citation of every possible text in the Decretum which could be made to bear an anti-papal interprétation was itself an im¬ portant contribution to the growth of conciUar ideas. Indeed, this ... Work, with its appeals for radical reform of the Church «in head and members », its proposais for regular meetings of General Councils, its blistering denunciation of venality and corruption in the curia, strikes for the first time the authentic note of the Conciüar Movement properly so-called (ibid).

D’une part le principe décrétiste du generalis status ecclesiae, et de l’autre, la notion corporative d’après laquelle l’autorité ecclésiastique centrale (tête) devait respecter les droits de chaque église locale (membres). Dans l’esprit de Durand, le principe quod omnes tangit (universellement admis) n’était qu’une synthèse de ces deux autres.

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Les différents éléments de pensée conciliaire éparses dans la tra¬ dition canoniste n’ont été réunies dans une synthèse systématique que vers la fin du XIV® siècle; cette s^mthèse a été l’œuvre de Franciscus Zabarella, at once a cardinal, an eminent Conciliarist, and a most distinguished canonist. Moreover, his Tractatus de schismate was a work of pure canonistic scholarship, a comprehensive survey of ail the conciliât éléments in the glosses of the preceding two centuries, fusing together in one System of thought ideas which had formerly seemed unconnected or even incompatible (Tierney, 1955, p. 220). Résumé de toute la tradition canoniste antérieure, voici la définition de Zabarella de l’autorité du pape par rapport à l’Église universelle: le pouvoir que détient le pape lui venait de la communauté ecclésias¬ tique entière dont il était le chef et envers laquelle il était responsable. Lorsque la communauté ecclésiastique crée un prélat (évêque, car¬ dinal, pape) par élection ou consentement, et lui confère par cet acte l’exercice du pouvoir qui réside dans cette communauté, le prélat a la responsabilité de nhene administrare't»-, car si la communauté lui confère l’exercice du puvoir, elle ne le lui abandonne pas pour autant, et s’il en abuse, elle peut reprendre ce pouvoir par la déposition du prélat. De la théorie à la pratique : Pise, Constance et Bâle A partir de 1378 les «théories» conciliaires seront mises à l’épreuve, transformées

d’abord

en

revendications,

prétentions,

menaces,

ensuite en actions lorsqu’un concile général (Pise) sera convoqué, non par un pape, mais par des cardinaux, en vue de la déposition de deux «papes» considérés comme schismatiques invétérés, donc hérétiques. Le Schisme arracha les canonistes à leurs spéculations, mais ce sont ces spéculations qui ont préparé les travaux des con¬ ciles, car ce problème devenu réel du pouvoir suprême de l’Église allait être débattu aux conciles de Pise, de Constance et de Bâle dans les termes et selon les catégories de ces mêmes spéculations et arguments canonistes dont nous avons parlé et qui s’étaient élaborés au cours des deux siècles depuis le Decretum de Gratien. A l’époque du Schisme qui aboutit aux conciles de Pise et de Constance, les plus influents parmi les conciliaristes sont Conrad de Gelnhausen

Henri de Langenstein

Dietrich de Niem

Epistola concordiae (1380). «The first major work of conciliar scholarship to appear after the outbreak of the Schism. Its central feature was a sharp distinc¬ tion between the Universal Church (the whole congregatio fidelium) and the Roman

60

LE CONCILIARISME JUSQU’À BÂLE

Pierre d’Ailly

Jean Gerson

Franciscus Zabarella

Il n’est

pas besoin d’examiner de près les nuances de l’ecclésiologie de chacun, car leurs divers systèmes de gouvernement ecclésiastique se fondent tous sur la même prémisse concernant la nature de l’Église catholique. Cette prémisse comporte d’une part la distinction établie par les

canonistes

entre l’Église universelle

{congregatio fidelium)

et l’égHse de Rome (Pape et cardinaux), et l’affirmation d’autre part que celle-là était supérieure à celle-ci. Tous les arguments appuyant la supériorité juridique et législative du concile général dérivent de cette prémisse, dont nous verrons la formulation drama¬ tique et la défense dans le Concil de Basle. Ce concile, on le sait, représente l’aboutissement des tendances les plus radicales du mouvement conciliaire, les pères de Bâle ayant poussé plus loin — le plus loin possible — les prétentions de leurs prédécesseurs.

A. Black constate en particulier la hardiesse des

pères de Bâle renchérissant sur les prétentions de leurs confrères de Constance: church (understood as Pope and Cardinals), together with an uncompromising assertion that the former was superior to the latter» (Tierney, 1955, pp. 3-4). «Oeuvre solide et rigoureuse qu’on regarde avec raison comme le premier exposé dogmatique et complet de la théorie conciliaire. ... Gelnhausen avait eu l’occasion d’expliquer, de vive voix, en présence de Charles V, les avantages du projet de concile, ... et sur l’invitation formelle [du roi], Gelnhausen fît [de cette présentation] l’objet d’abord d’une courte épître \Epistola hrevis, 1379], puis d’un traité complet, YEpistola concordiae . . . (N. Valois, op. cit., I, 324-25. Valois ne fait pas peu de cas du fait que c’est «à l’initiative de Charles V qu’on doit la rédaction de l’ouvrage le plus hardi et le plus concluant qui existe en faveur du concile» [ibid.]). Epistola concilii pacis (1381). Examen des obstacles à la réunion d’un concile, et des raisons qui militent en faveur de l’adoption du projet. Langenstein voyait dans le concile général le moyen d’accomplir non seulement l’unification mais la réforme générale de l’Église. Largement imitée de YEpistola concordiae de Gelnhausen, l’épître de Langenstein est en forme dialoguée. De modis uniendi ac reformandi ecclesiam in consilio miversali (1410). Ed. H. Heimpel, Dialog über und Reform der Kirche (Leipzig, 1933). Ce traité fut longtemps attribué à Gerson. Epistola Eeviathan ad pseudoprelatos ecclesie pro scismate confirmando (1381). Ouvrage en faveur du concile général dans lequel d’Ailly, se servant d’un artifice satirique transparent, met dans la bouche de Satan les critiques du projet de concile (voir Valois, I, 359). Son Apologia concilii Pisani est de 1411, et l’important De ecclesiae de 1416. Supra, nn. 75, 93. Supra, pp. 57-59. Dans le chapitre consacré à Zabarella par W. Ullmann (Origins of the Great Schism, pp. 191-231), on trouvera un bref mais riche exposé de la pensée de Zabarella et de sa position par rapport à ses prédécesseurs. Le traité De Schismate de Zabarella fut composé entre 1402-08.

LE CONCILIARISME JUSQu’À BÂLE

61

Whereas Constance claimed that the council was the pope’s superior in the spécifie cases of heresy, schism and the need for reform, Basle and its supporters ... claimed for the council the unlimited sovereignty previously claimed by popes. ... This political theory produced a form of Conciliarism radically different from that of Constance. The council is now no mere emergency weapon with «occasional» power, ... it is the normal vehicle of the church’s suprême authority. . . . Papal theory had indeed been turned on its head (pp. 7, 21-22). Cette innovation — la subordination au concile, non de tel pape hérétique dans tel cas exceptionnel, mais de la papauté elle-même, de façon permanente — constitue, conclut Black, un «radical develop¬ ment ... far beyond anything dreamed of at Constance; it brought about the constitutional realization of the doctrine that the whole community-in-assembly was sovereign» (p. 39). De plus, le concile peut maintenant traiter n’importe quelle affaire ecclésiastique, et le pape n’a qu’à exécuter les décisions du concile, quand ce dernier n’est pas assemblé, et éviter de faire ce que le concile aura interdit C’était le point ultime qu’ont atteint les prétentions conciliaires, on ne pouvait aller plus loin. Devenant de plus en plus rigide et dogmatique, voire tyrannique, le conciliarisme de la belle époque, celle à laquelle appartient notre pièce, allait bientôt, après la dépo¬ sition d’Eugène IV (1439), se trouver au bout de ses forces, s’étant épuisé dans les fureurs du concile de Bâle finissant. Mais au-delà de ses excès et de ses désordres, il faut voir dans le conciliarisme de Bâle non seulement l’expression d’une volonté authentique et unanime de restaurer à l’Église son autorité et sa dignité compromises par trop d’abus notoires, mais aussi, pour réaliser cette réforme, la foi des pères de Bâle dans une institution humaine — le concile général et représentatif. Charnière du Moyen Age et de la Renaissance, l’Église représentée par le concile de Bâle est définie par ses théoriciens à la fois comme un corps mys¬ tique et comme une corporation; la «congregatio fidelium» est en même temps une «personne publique», une institution juridique et législative. Cette ambiguïté fructueuse constitue un aspect important et trop peu reconnu du paradoxe — seulement apparant — de l’huma¬ nisme chrétien du XV® siècle «Concilium congregatum potest in omnen actionem sicut papa; sed non congtegato concilie, papa cum cardinalibus tenet locum concilii, ut que constituit concilium exequantuf, que inhibuit caveantur» (Jean de Ségovie, cité in Black,

P-40)-

..

.

, , ,

.

Entendons «humanisme» non dans son étroit sens littéraire (vénération des Anciens), mais plutôt comme un anthropocentrisme politique et religieux:

62

LE CONCILIARISME JÜSQU’À BÂLE

c’est le déplacement de perspective par lequel l’Église et la Monarchie (organismes administratifs) sont définis de plus en plus par rapport aux hommes que par rapport à Dieu, définition qui comporte en même temps la désacralisation de la personne du roi et de celle du pape (désormais des «administrateurs»). «Humanis¬ me» en somme qui répond à une nouvelle confiance dans les institutions humaines, et dans la capacité de l’homme de les dominer au lieu simplement de les subir. Rappelons en outre qu’à côté de cet éclectisme intellectuel des humanistes chré¬ tiens, c’est au concile de Bâle, exprimant, selon P. Ourliac, «la plainte des humbles et les ambitions des bourgeois», qu’on retrouve «toute la fermentation sociale du moyen-âge finissant» («Sociologie du Concile de Bâle», p. 32).

PRÉSENTATION DU TEXTE

LA LANGUE DU CONCIL DE BASEE La langue du Concil de Basle est le francien du quinzième siècle, avec une légère teinture de traits dialectaux, surtout du Nord. La plupart de ces traits se retrouvent cependant dans d’autres textes de l’époque nettement franciens, et, dans le Concil de Basle, les formes franciennes apparaissent côte à côte avec des traits susceptibles d’être considérés comme dialectaux. Ceux-ci se trouvent souvent (mais pas uniquement) à la rime; leur difFusion assez large à l’époque et leur caractère peu marquant nous dispensent en tout cas d’y voir autre chose que des variantes libres de la langue littéraire standard. Voici le relevé des particularités phonétiques; 1. Voyelles i) devant nasale ; a)

âin pour éin\ plain {TA), fraint {\AA), Jaint {iVS), plaine (420), attaint (464), demaine («demène», 510), faindre (764), fainte (926). Selon Gossen, «la graphie ain en tant que résultat de è [+ nasale n’est pas particulière à la seule scripta picarde, mais se trouve dans des scriptae de l’Ouest et du Centre ... ainsi que dans celles du Sud-Est et de l’Est. ... Le picard, comme le francien et d’autres parlers d’oïl, a confondu les produits de è [-b nasale et à'a [+ nasale, mais il a générahsé la graphie ain»

C’est ce que notre texte ne fait pas

{peine, 131; peine^, 286), et la graphie inverse de Christïans (525, 565), rimant avec Pragïens (564), suggère assez net¬ tement la prononciation [ên] pour l’époque. Noter aussi au mains («au moins» 20). b) an pour en\ pran (418), prandre (462), sans (930), presans (1096), prant (1132); amploie (426), commança (690), commantierent (834), commançons (1092, 1095). b') Et l’inverse, en pour an\ se vente {\sente, 915), et venter {'.con¬ tenter,

969).

Cette alternation est francienne.

Le picard

par exemple, à part une demi-douzaine de mots, n’a pas confondu en étymologique avec an (Gossen, pp.

65-66,

par. 15). Excepté les exemples cités, notre texte ne le fait ^ Ch.-T. Gossen, Grammaire de l'ancien picard (Paris, 1970), p. 69, par. 19.

66

PRÉSENTATION DU TEXTE

pas non plus, mais tandis qu’en picard an et en ne riment presque jamais, dans le Concil de Bush, de nombreuses rimes prouvent que ces deux graphies représentent le même son; ainsi venge'.ange (116-17), ans\dens\contens (197-98, 200), France'.audience (347-48), France'.reverence'.obéissance (409, 41113), sens'.enfans (512-13), semence'.ordonnance (578-79), inohediencewantance

grande'.amende (698-99), audience'.France',

meschance'.délivrance (712-16), hors et ens'.trois ans (897-98), presans'.rens (1096-97); ci. femme'.infâme (126-27). c) enjin: entention (73, 230, 728) à côté de intention (99, 1017, 1100). Cette hésitation entre afr. entention et la forme plus neuve intention (sous l’infl. du latin) n’est peut-être pas purement graphique, et trahirait aussi la fluctuation dans la pronunciation parisienne entre /î/ et /ç/. Selon Pope, «the lowered pronunciation

...

was not fully accepted

in educated Parisian speech before the later sixteenth century», mais elle avait pénétré dans les parlers du Sud(est) et du peuple de Paris dès la fin du treizième siècle d)

en pour on-, en (=«on»; 40, 313, 885-86). Développement caractéristique d’une assez large aire, surtout au Sud et au Centre (Pope, p. 182, par. 478); en picard, on s’attendrait plutôt à an (Gossen, p. 90, n. 41).

ii) devant (alvéo-)palatale : a)

aige pour âge, aiche pour ache-. visaige (334), saiche (771, 819). Selon Gossen, ces graphies ai et a dans les suffixes -a{ï)ge et -a{î)che étaient interchangeables pour bien des scribes picards, franciens et «interprovinciaux» (pp. 53-54, pars. 6-7). Notons que saiche rime avec hache (770), et qu’à part visaige, les mots en -âge dans notre texte s’écrivent tous sans i devant g {langage'.vojage'.message'.sage'.courage'.passage (263-73), lignage-, langage (612-13), labourage-.village (672-73), passage-.sage (112223).

b) aign pour agn, ongn pour oign-. compaignie (710, 1039), eslongne (926),

eslongner (1078).

Comme le remarque Gossen,

la

question est en partie d’ordre purement graphique, n mouillé pouvant être représenté par les graphies {i)ng, {i)gn{f), {f)ngn{î) (p. 119, par. 62). En effet, nous trouvons aussi dans notre

^ Mildred K. Pope, From Latin to Modem French (Manchester Univ. Press, 1934; réimpr. 1961), pp. 174, 175; pars. 452, 454.

67

PRÉSENTATION DU TEXTE

texte esloîgne'.tesmoigne (941-42), loing\besoing (1098-99). Cepen¬ dant Tinterprétation de ces graphies en ce qui concerne la voyelle reste malaisée à cause de la tendance qui s’est manifestée au Sud(-est) aussi bien que dans la koiné lit¬ téraire à développer un yod devant les palatales yî et X (v. Pope, p. 162, par. 408). iii) devant r: a pour e: parte (455). Cette graphie appellée par la rime (:départe) trahirait «une influence des dialectes du Sud et de l’Est» (Schwan-Behrens, p. 132, par. 213), mais c’est un trait assez répandu en moyen français

on trouve p.ex.

«il y a ou plus parte ou plus gaigne» dans Pathelin (v. 274). iv) a prétonique pour e: desohaïr (318), ohaïr (627), avesques (737), acepte («excepte», 1131). Ce trait est peu distinctif^; et dans le cas de desobaïr et à’obaïr, sans doute ne s’agit-il que d’enrichir la rime {haïr dans les deux cas), car ailleurs l’auteur écrit toujours obéissance (413, 635, 1147) et inobedience (590). La graphie avesque est exceptionnelle également, car ailleurs on trouve evesques (975) et arcevesques (976). Quant à la forme acepte, là il faut se demander s’il ne s’agit pas d’une inadvertance scribale (il est clair d’après le contexte que le sens de ce mot est «excepte»), plutôt que d’une graphie exceptionnelle (au v. 496 d’ailleurs le scribe écrit excepter'). v) 0 prétonique pour ou et vice versa; approuche^ (2), coulouree (55), voulentiers (265, 368), voulentê (365), demourra\cPm rPorra (470-71), prouffit (501), prouffite (813), prouffiter (857), prouffitable (1004),

reproMcher'.toucher

(918-19); povet^

(373),

norris

(573),

morir {6^6), povoir (963), rigoreuse (1142). Pope résume la situation ainsi: «In the course of late Middle and early Modem French, Old French u in countertonic syllables ... was either lowered to

0

or replaced analogically by o in a considérable number

of words. Discussion over the pronunciation became heated, people ranging themselves in two camps, the «ouystes» and «non-ouystes», and pronunciation was only settled in the seventeenth century» (p. 211, par. 582). On remarque déjà une con¬ sidérable variation dans notre texte, par exemple norris (573), ® E. Schwan et D. Behrens, Grammaire de l'ancien français, trad. de la 12® éd. allemande par O. Bloch (Leipzig, 1932). ^ Se rencontrant en picard, wallon, lorrain, mais aussi dans le Centre et dans rOuest (Gossen, p. 85, par. 29, qui renvoie sur ce point à Schwan-Behrens, p. 120).

6

68

PRÉSENTATION DU TEXE

mais nouroissoie (540) et nourrie (705); morir (686), mais mourir (1^6); popeii (373) et povoir (963), mais pourraj (251). On trouve, en outre, à la tonique, la rime insolite trouble:noble (112-13). vi) rimes

en yod-j-voyelle rvoyelle

maniérés'.naguaires

(1025-26).

simple.

Selon

Dieux'.deux (387-88),

Châtelain,

il

s’agirait

de

picardismes vii) réduction de ai à e. Attesté par bien des rimes (p. ex. concubinaires: gueres, Al6-11', faite-.guette, 923-24; maniérés'.naguaires, 1025-26), aussi bien que par la graphie moderne gueres (621), ce phénomène semble avoir amené la graphie inverse de mait pour met (1025). 2. Consonnes i) manque du d épenthétique : voulrés (105), Jaulra (120), venra (164) et chaura (862). Cette consonne de liaison id ou b dans les groupes secondaires Vr, nW, m’I) qu’on trouve en français, manque en picard, wallon,

lorrain,

bourguignon et franc-

comtois (Gossen, p. 116, par. 61). Notons pourtant que dans notre texte, ces formes sans consonne de liaison sont moins nombreuses que celles qui l’ont; vouldrés (112), vouldra (813), vouldriés (868, 1205), vouldroit (983, 1152). ii) ng maintenu en position finale: craing (401), loing-.besoing (109899). Selon Pope, «it is difficult to détermine the date of the dentalisation of yi final. The notation gn {nf) persisted into the sixteenth century but rhymes between words ending in n and p, began in the thirteenth century» (p. 169, par. 435.1). iii) assibilation de r intervocalique : malewyeuse (175). C’est le seul exemple de ce phénomène dans notre texte. Selon Pope, ce trait était caractéristique surtout des régions du Centre et du Sud-est. Elle ajoute: «In the fifteenth and sixteenth century this pronunciation had some vogue in Parisian speech» (p. 157, par. 399). iv) se pour ce (21, 311, 477) et vice versa (388). La réduction de l’affriquée ts (c) à x au cours du treizième siècle explique cette confusion purement graphique (cf. Pope, p. 125). 3. Morphologie i) désinence du subj. à la 3® p. sg. en -t-. m’aist Dieux (388, 559), m’est Dieux (574), Dieu leur {vous, nous) doint (250, 930, 1093), ® H. Châtelain, Recherches sur le vers français au XV^ siècle (Paris, 1908), pp. 11-12, 14, 38.

69

PRÉSENTATION DU TEXTE

que chascun voit droicte voie (924), cest quant ad ce point (1160). Notons qu’il s’agit pour la plupart de formules figées. On trouve, en outre, un seul cas où le t semble avoir été rétabli (par mégarde?) à la 3® p. sg. d’un verbe en -er à Vindicatif'. 620

Ce que les autres ont mesfait Ne m’alege/ gueres mon fait.

ii) désinence de la 1® p. pl. en -on', fablon (479), bouton (747). Cette terminaison se trouve « à l’Ouest et dans une partie de la Picardie, — mais autre part aussi», dit Fouché

Ajoutons qu’il s’agit

dans les deux cas de mots à la rime. Partout ailleurs dans notre texte on ne trouve que la terminaison attendue en francien {-ons). iii) fut./cond. des verbes avoir et savoir en ar- et sar-'. n^are:^ (293), aroient (658), arés (695, 1057), are'q^ (742), aroit (867); saroit (533, 664). «Northern», selon Pope, «but also current in Paris» (p. 369, par. 976). iv) fut. syncopé d’un vb. en -rer'. durront (1074). v) vecy pour vee^q^ cy («voici»), 394, 990. Trait picard, selon Gossen (p. 86, par. 30). Mais on trouve ailleurs dans notre texte les formes attendues en francien: vee^ (12), cree^ (452), etc. vi) confusion (graphique) de se — ce (cf. 2.iv supra). vii) en — «on» (cf. l.i.d supra). 4. Vocabulaire Nul régionalisme dans notre texte, et, à part un petit nombre d’archaïsmes (p.ex. quant = «avec», 711;

24, 432, [mais visaige,

334]; vulgal, 631), il n’y a à signaler qu’un hapax: gresse (567) au sens de «querelle, contestation» (v. glossaire). 5. Syntaxe La syntaxe du Concil de Basle est en général très claire et régulière, et c’est elle en effet qui dans la plupart des cas d’inadvertances scribales, a permis de rétablir sinon la forme primitive du passage en question, du moins d’apporter au texte une émendation satisfaisante. Sont résumées ci-dessous quelques particularités de la syntaxe du Concil de Basle qui permettent de constater l’état de certains dévelop¬ pements du francien de 1434-35 par rapport à l’ancien français et à la langue moderne. * P. Fouché, Morphologie historique du français', le verbe (Paris, 1967), p. 191.

70

PRÉSENTATION DU TEXTE

1. Ordre des mots i) pronoms: comme en afr., le compl. dir. précède le compl. indir. : «je le vous dy» (435, 775, 1075 etc.). Conformément également à l’afr., dans les constructions avec un vb. conjugué et un infinitif, le pron. pers. (de même que en) précède le vb. dont dépend l’infinitif’. En précède j (v. 1181). ii) impératifs (v. pronoms toniques, infra, 2.ii.e) iii) inversion: un adverbe ou expression adverbiale ne cause pas toujours inversion du suj. et du vb. («it is a dominant tendency [en moyen français] and not the rule it had been in Old French»)

Ainsi

trouve-t-on p.ex.

«Sans

doute je seray

bien aise / Se paix par moy peut estre asseur» (1020-21). 2. Adjectifs: accord àt grant et de tel au féminin. Notre texte permet de constater l’état encore indécis de la généralisation de la désinence féminine dans le francien aux environs de 1435; il est intéressant à cet égard de noter que ce développement n’est pas uniforme, et varie selon qu’il s’agit de grant ou de tel. Ainsi on trouve 9 exemples de tele fém.

et un seul exemple de tel fém. {en tel guise,

49), tandis que la situation est exactement l’inverse pour grant: seulement 2 exemples de grande {grandes oppressions, 204, et qui ne Fait eu [mortalité] grande, 698), et 12 exemples àt grant féminin Davantage usité, l’adjectif grant a été plus résistant que tel à l’acquisition de Ve féminin 3. Pronoms i) {ce) qui et {ce) que. Il est intéressant de constater à l’égard de l’absence ou de la présence de l’antécédent indéfini ce ’ Je /« puis bien dire (37) ; qui me deussent acroistre (66) ; il s'en fault taire (364) ; ainsi la veuille Dieu tenir (403); pour tant en veuil je prendre soing (462); ou on en peut trouver (584) ; de tant se doivent plus haïr (626) ; ne me puis soustenir (650); je ne le scay a qui dire (656); ne me fault il plus faindre (764); tel en parle qui se feust teuz (902); se te voulssissez révoquer (1107); je ne leur scay comment complaire (1116); s’a vous me volez ralier (1226). * R. Gardner et M. Greene, A Brief Description of Middle French Syntax (Univ. of North Carolina Press, 1958), p. 143. ® tele peine (131), tele meschance (232), provision tele (488), tele maniéré (883), conclusion ... tele (913), tele puissance (972). Cf. la distinction des pronoms dans la formule '-T ’ji* i'^'i;'*'

. oyiyv'_ ‘

• ’^i

-•