La terre de l’autre (1/2)

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La terre de l’autre (1/2)

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La

:3

terre de I'autre.

o

Une anthropologie des régimes d'approPriation foncière

v,

droit tr

société

Fondation Maison des Sciences de I'Homme La constitution d'une anthropologie du droit, avec ses mutations internes depuis le début des années 1960, s'est particulièrement

.:

o L

E

appuyée sur I'observation des politiques et des pratiques foncières à l'échelle de la planète, I'Afrique noire ayant été longtemps privilégiée.

.....................................50 Sortir d'un occidentalocentrisme < spontané )) ................................................,.. 5l Se donner les moyens de maîtriser la representation du monde où on vit..........52 Tentative de ..........54

L'

systématisation.................... s:l'invent une représe

ons....58 ............59

le territoire, déshumanisation et d'humanisation de l'étendue ......................................,...............

65 : une complémentarité fonctionnelle ,.............74 oE REIRÉsENTATToN : LA syMBolreuE DE

Conclusion au chapitre CHApnRE 2. LBs espnc¡s

I

L,APPRoPRIATIoN DE LA TERRE ET

Inhoduction..

SES

MATÉRIALISATIoNS ...,........ ,,,,............79

..........................79

Trois manières de penser I'ordonnancement du monde et la symbolique de la juridicité de I'appropriation. 82

Alliot...

La théorie des archétypes de Michel Le formatage unitariste, dualiste ou pluraliste de

7

.,........................... 83 la

juridicité ............................ 86

onort gt soclÉtÉ, vot-.

54, 20t

I

ETIENNE LE

LA TERRE DE L'AUTRE

RoY

Le modèle de répartition des terres, troisième modèle particulier d'un régime d'appropriation (( en communs .............................. 169 Conclusion de section et de chapitre 174 CH,cpnne4. SAVANES, FoRÊTs, S¡.uol-s. QUELeuES MoNTAcES ruRIDIQUES DE L,APPROPRÍATION ( EN COMMUNS ) DES TERRES ET DES

D.......................

TERRITOIRES CHEZ DES PEUPLES PASTEURS, SYLVICOLES, AGRICULTEURS I 77

Intoduction..

........................177 Les Nuer: le régime de I'exploitation des ressources du sol dans le contexte d'une société pastorale, mais aussi horticole et piscicole dans les savanes du Sud-Soudan 179 Considérations générales Le statut des exploitants Nuer...... La matrice nuer du régime juridique de I'exploitation des sols.....................,.. Modalités d'ajustements des rapports d'exploitation des ressources chez les Nuer (circum I 930) ............... Ultimes considérations.

Les Fang du Gabon : I'exploitation des ressources et la circulationdistribution des produits tirés de la grande forêt équatoriale

180

182 183 186 190

191

Présentation générale ........... L'exploitation des sols............ La de la tene..

191 193

200 204

En

Les Wolof de Sénégambie : un peuple de cavaliers, entre savane et sahel, à la conquête de I'espace et du temps....

20s

Présentation de la société..... L'exploitation des sols chez les Wolof. La distribution des produits de la tene.

(

Une approche en communs ))..

::î:l:: Ï

l::** Ï::::::i:i :::'"*:::::

Généralités... Les choix de

r37 t37 138

205 207

216

La répartition des tenes... Conclusion à la section trois .........,....... Conclusion au chapitre 4. CoNct-uslor.l À I-R nsuxtÈN4E pARTtE

222

231

231 233

Troisième part¡e La terre, objet de propr¡été pr¡vée entre dro¡ts exclus¡fs et absolus

et intervention publique

...235

INrRonucrtoN. UN MyrHE CHnptrn-e 5. L'n¡vBNttot¡

MODERNE, LA pRopRrÉTÉ nRIVÉE DE LA pRopRtÉTÉ pnlvÉe p,q,R foncière, d'user de I'ambivalence de la demière phrase (observer les dffirences pour découvrir les propriétés) et ainsi de justifier un point de vue qui use d'un regard sur l'autre pour découvrir le sens que les hommes donnent, généralement mais aussi spécifiquement, au cas p¿Ìr cas, aux rapports de propriétés z. Le choix du surtitre (La terre de l'autre) doit donc être interprété à la lumière de ces remarques. L'autre dont il est question ici est d'abord l'illustration de tous ceux qui, tout en ignorant les pratiques que les Occidentaux contemporains tiennent pour le droit et la propriété, rendent manifestes des modes spécifiques de sécurisation de leurs richesses et ressources (leur < patrimoine >, si modeste soit-il) et illustrent ainsi I'existence de régimes d'appropriation ou propriété foncière (lato sensu, cf. infra) plus ou moins originaux. La première ambition, quasi-ethnographique, de cet ouvrage est de faire connaître ces pratiques ( autres > non par quelque souci d'exotisme mais pour en percer les logiques à un moment où la transmodemité nous oblige à penser le futur à la lumière de I'ensemble des expériences humaines, qu'elles soient dominantes ou marginales, dès lors qu'elles contribuent à saisir la complexité de l'expérience de l'humanité et qu'elles peuvent recéler des solutions juridiques à nos problèmes de société, en particulier à nos problèmes de développement durable. Car l'autre est aussi le second élément d'un couple ou d'un rapport et, on I'oublie trop souvent, le droit de propriété est d'abord un rapport entre les

5. 6. 7.

quej'ai fait commenter par mcs étudiants apprentis anthropologucs I Claude LÉvt-SrnAuss, , in IJn droit inviolable et sacrë, la propriëtë,ADEF, Paris, 1991, p. I l-12.

l5

DRotr

ET

soctÉTÉ, vol-, 54, 20t I

LA TERRE

DE

INTRoDUcrroN cÉNÉRALE

L'ÀUTRE

dans l'usage des

J,:i:îïåiTl'':

par la théorie ju-

spécifique de rapports sociaux qui seront dits fonciers dans le contexte que décrit l'équation, c'est-à-dire en privilégiant quatre variables, l'économique (avec

la rente foncière), le juridique (avec le droit et

les

juridictions foncières),

les

modes d'aménagement de la nature et le politique, surtout le politique.

ridique en relation avec une philosophie un groupe huma ficiente, mais aussi légitime, de sécuri duction paisible de leurs conditions de et plus tard. e la Je ne cache pas que, depuis mon Jeu des lois de 1999, ma conviction de pour tiennent modemes que les Occidentaux la concìption de non universalité à la < le droit >> n'a fait que se rãnforcêr. Mais je réserve ces développements surtimon de troisième partie car ii me faut justifier aussi la seconde dimension tre : la terre.

La terre, substrat physico'chimique, support des rapports juridiques, pot¡t¡ques et économ¡ques ou dé¡té ?

^F:

+

,S

P

t,n,¡

J:

Juridique; A = Aménage-

7" ott

F:Foncier; S:rapport Social; E:Économie;

ments de la nature (modes d'); prtt = Politique aux échelles locale, nationale et ìnternationale ; T = Terre, comme terrain, terroir et territoire

La terminologie Approfondissant

le sens II du dictionnaire

Robert < le milieu

où vit

I'humanité n, cette équation foncière opère une distinction entre trois réalités dont nous empruntons les définitions au langage commun (le dictionnaire Robert) avant d'en préciser les applications dans le présent ouvrage. Ce que dit le dictionnaire

-

< parcelle, espace ou étendue aux formes déterminées, ou emplacement aménagé pour une activité particu-

-

lière > (Le Robert, 1996, p.2235) ; le terroir est défini (de manière évasive) comme: > loÉtendue de terre considérée du point de vue de ses aptitudes agricoles ; 2o Région rurale, provinciale considérée comme influant sur ses habitants > (Le Robert,

ques une < équation foncière > dans laquelle la terre apparaît comme un support

:

le terrain peut être entendu comme

1996,p.2238) ; le territoire, dont on ne retiendra pas I'usage médical est : < lo Étendue de la surface terrestre sur laquelle vit un groupe humain ; 2" Étendue de pays sur laquelle s'exerce une autorité, une juridiction; 4"Zone qu,un animal se réserve et dont il interdit I'accès à ses congénèrestt >>(Ibidem).

Les emplois retenus Chaque mot a une histoire singulière et chacune de nos histoires de chercheur a des interactions fortes avec certains mots qui constituent notre lexique plus ou moins partagé au sein d'une communauté épistémique, par ceux qui partagent un point de vue problématique commun. Le chercheur a ainsi buté sur des usages malheureux ou inconséquents d'un vocabulaire, surtout lorsque ces usages ne s'inscrivent pas dans la discipline initiale où il a été formulé comme concept. C'est, on le sait, le risque premier de I'interdisciplinarité auquel le seul

II

tégulations différents.

onorr Bt soctÉ,tÉ, voL.

54, 2ol

I

16

.

On se demande pourquoi le Dictionnaire Robcrt resheint cctte défìnition aux seuls animaux.

t7

onolt pt socrÉtÉ, vot-,

54,

20l

I

LA TERRE

DE

lNTRODUcl roN cÉNÉRALE

L'AUTRE

remède à opposer n'est pas de renoncer à cette interdisciplinarité mais de mobi liser un bon dictionnaire, puis une vigilance de chaque instant. Ainsi en est-il de ces trois termes qui paraissent d'une grande banalité, mais seulement si on reste inscrit à I'intérieur de la discipline, de la culture ou de

vent avoir selon les logiques de ces modes d'organisation de l'espace. Contentons nous, pour l'instant, d'identifier les faux amis. Si le mot terrain apparaît comme < sans histoire ) trop marquée, pas de même des notions de territoire et surtout de terroir.

il n'en va

Comme synonyme de parcelle, tenain décrit une unité de base de de l'homme sur la nature, créant un espace (dimension sociale) I'intervention sur lequel il exerce une maîtrise. un support qui peut être plus ou sera déiommé, ãe manière < tran appelé localement parcelle, jardin, cours, peuvent avoir une multifonctionnalité et tion si limitée de la nature qu'elle n'est I ainsi de l'outback australien qui pour un

'homme suppose spécialisé et qui e si ce terrain est

12. Supra, Étienne Lr Rov, < L'homme et I'espace au regard du droit >' 2009. 13. Ils correspondent au A de l'équation foncière, voir supra. 14. Émile LE BR|S, Étienne L¡ Roy et Paul MATHIEU, L'appropriation de la terre noi re, Karthala, Paris, I 99 I .

onotr gr socrÉrÉ, vol-

54, 2ol

I

t8

en Afrique

mances sur longues ou courtes distances, de I'agro-pastoralisme ou de I'hortopastoralisme avec ce qu'on appelait les < terroirs d'attache )) pour finalement découvrir que ce foncier était principalement redevable d'une représentation jusqu'alors ignorée, I'odologie (c1. infra, I" partie, chap. l). Notre marché de I'immobilier tant rural qu'urbain distingue ainsi une grande diversité de situations, avec des régulations propres: la valeur et le mode de négociation ne sont pas les mêmes pour une superficie et des avantages de localisation analogues pour une villa en pierres meulières ou un pavillon en béton des années 1950: de même le marché des vignobles et le régimes des appellations à origine contrôlée (AOC) poussent très loin, parfois à quelques parcelles, la spécificité d'un terroir (infra) et de ses régulations marchandes. La place du territoire dans les analyses foncières n'a pas été simple à sans doute, comme le révèle le sens 2 de la définition du Robert, apprécier, parce que le territoire est associé au politique et que peu de politistes, en dehors de Bemard Crousse de la Fondation Universitaire Luxembourgeoise d'Arlon (Belgique) ont pris au sérieux, dans le contexte francophone récent, les études foncières, couramment tenues pour < une affaire de juristes >. Pourtant, les démarches cornme celles de Bertrand Badiels ou de Marie-Claude Smouts illustrent la relation de complémentarité entre le < foncier > et la < tenitorialité >. Et les modèles de représentations d'espaces I'illustreront ultérieurement. La publication la plus récente de notre démarche fait du territoire l'alpha et I'oméga de la recherche. Tout rapport juridique repose initialement sur la reconnaissance d'un droit d'accès à une étendue sur laquelle on est susceptible de circuler, plus ou moins librement, plus ou moins facilement. Mais, sans accès à l'étendue, la série des droits qui vont pouvoir se différencier progressivement et donner naissance à des rapports fonciers de plus en plus complexes pour aboutir au droit de propriété < droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue > (art. 544 CC) ne peut être initiée. La représentation du territoire qui lui est associée et qui fait une place importante à I'imaginaire est donc < première >. J'avais eu tendance à I'oublier. Ma participation au programme < fédéral > canadien < Peuples autochtones et gouvemance > (PAG) sur On pourra remarquer tout d'abord que le Dictionnaire de la culture juridique (PUF,2003) en haitant de l'entrée < Régime > entend par là une typologie des systèmes constitutionnels examinés en théorie et en pratique. Alors que la référence à la notion de régime juridique paraît générale en droit ne serait-ce qu'avec les régimes matrimoniaux ou successoraux, on peut se toumer vers le dictionnaire Le Robert pour approfondir la juridicité de la terminologie. On y découvre que, selon le sens donné à < régime >, le juridique placé entre parenthèse dans l'intitulé ci-dessus est ou n'est pas un pléonasme. Régime peut en effet désigner < l'ensemble des dispositions légales qui organisent une institution, cette organisation> (Dictionnaire Le Robef, 1996, p. 1907). Dans ce cas, l'adjectif juridique est effectivement un pléonasme, les dispositions légales appartenant nécessairement à un ordre juridique. Par contre, si on retient le sens que la physique donne à ce terme, notre interprétation peut changer: < la manière dont se produisent certains mouvements > peut être associée à la série des ajustements s'opérant au sein du processus d'appropriation soit en raison des contradictions intemes soit par pressions extemes. Si le premier sens paraît aller de soi quand on analyse le droit de la terre, encore ne faut-il pas être victime des associations d'idées puis de questionnements qui sont liés, généralement de façon non critique, à la notion d'institution. A propos de lajustice, dans un ouvrage précédent30, je faisais la distinction entre institution et Institution pour souligner, par la majuscule de ce second graphisme, les caractéristiques particulières qu'a pÅsle vitam instituer, instituer la vie, dans le droit occidental modeme. Par ailleurs, quand on continue à explorer I'applicabilité de cette définition, les références au légal ou à la légalité

29.

30.

Jacques VANDERLTNDEN, < Les pluralismes juridiques >, in AFAD, Anthropologies et droits, élat des savoirs et orienlations conlønporaines, op. cit., p,25-76, Étienne LE RoY, Les Africains et I'listitution dà la Justice, entre mimétismes et métissages, Dalloz, Paris,2004.

27

¡norr er soctÉrÉ, voL,

54,20t

I

LA TERRE

DE

INTRoDUcrroN cÉNÉRALE

L'AUTRE

pose pas < lois > sòus

la mesure où les dispositifs étudiés ne rales et impersonnelles qu'on appelle e la juridicité présente dans nos cultu-

peuvent

ielèvent

la formule < régime d'appropriation foncière > la juridicité d'un dispositif foncier < traditionnel >, < modeme )), ou < durable >. Que suppose-t-il ?

Types et normes de régulation des rappotts fonciers cier est

par la r

ac

ué. Jadis3l Professeur

présente le livre II du Code est le régime < normal > d'

limitations dans les articles si) et les communaux. Glo

e peuvent alors se développer.

me de se préoccuper du < partiMais, est-il nécessaire de s' 37 comme le principal bénéficulier >, que le code prése ciaire des nornes du droit ainsi exposées ? Cette prime à la norme, évidente pour le juriste, n'est gée par I'anthropologue qui, renversant I'ordre ci-dessus ment > des acteurs pour identifier ensuite les normes qu'ils lement.

Le contenu d'un régime d'appropriation foncière

*

Laconfrontation de mes expériences des droits occidentaux et de la juridic!

sions, trois grands registres exprimant chacun des contraintes spécifiquement juridiques afin de déboucher sur un cadre explicatif exploitant les ressources argumentaires de la notion de régime. Ce sont

3l

:

des bénéficiaires et des principes d'interrelations, des < règles > d'appropriation soit de la terre soit de ses ressources soit des deux, des modes d'ajustements synchroniques et diachroniques.

Ils sont, nous l'avons remarqué dès les premières pages, l'alpha et I'oméga de nos raisonnements. C'est de leurs pratiques que nous partons pour identifier

les règles juridiques applicables et dont I'interprétation rejaillira ensuite sur leurs pratiques à venir. L'idéalisme de notre conception sous-jacente du droit lié à la modemité nous fait accepter que la diversité des intérêts, des passions, des personnalités des acteurs du foncier soit saisie juridiquement par la notion de < particulier > de I'article 537 CC. Cette abstraction est liée aux trois principe.s qui structurent cette société modeme, I'individualisme, le capitalisme et I'Etatisme. Il n'en est pas de même dans les expériences de sociétés ayant de la

juridicité une conception essentiellement réaliste ou, comme je préfère le dire maintenant, pragmatique. Sous réserve de mon incompétence pour ce qui conceme les sociétés asiatiques qui représentent plus de la moitié de l'humanité, 1à où j'ai observé le droit en action, c'est à partir et en fonction de leurs statuts quej'ai pu entrer dans la logique des prises en charge des règles, des conflits et de leurs modes d'ajustements. Je précise bien que le pluriel de statut peut s'appliquer à chaque acteur. Je postule que chacun appartenant à

plusieurs groupes distincts (ou < mondes >) dans lesquels il trouve par des rôles des réponses à ses besoins et des modes de manifestation de sa personnalité, y a une place spécifique (évolutive) qui correspond à une position que Mendras qualifie de status32. Lorsque cette position ouvre à des droits ou des obligations, donc que les comportements sont tenus pour sanctionnables, le status devient statut et les habitus de la société (qui relèvent de la juridicité) permettent de désigner ceux des statuts susceptibles d'être utilisés chez un même individu et dans ses relations avec les autres individus. Ce que, dans notre culture modeme, nous pratiquons implicitement quand nous devons apprécier la position d'un acteur est explicitement exposé dans la juridicité. B- Les règles d'appropriatio¡

33

Bien que norme et règle aient la connotation analogue de donner une valeur et de proposer une unité de mesure pouvant servir de référence dans le jugement d'un acte, c'est règle qui est utilisée ici pour sa qualité < anthropologique > de sa définition : (Le Robert,1996, p. 1908). L'avantage de cette définition est d'autoriser la prise en considération de catégories qui sont soit des norïnes. générales et impersonnelles (NGI) privilégiées dans notre expérience du droit, soit des modèles de conduites et de comportements (MCC) ou des systèmes de dispositions durables (SDD) ou habitus, pour ce qui conceme la juridicité t+. La notion même de règles a fait problème par des abus dans son usage ou par des confusions de langage qui ont autorisé à inventer des règles ou, surtout,

32. 33.

Hen¡i

rè de et les Ces

rights > de la terminoloLE Roy, < La ,,Banque"

gie

c'était pour moi en deuxième année de droit, en 1961, à I'université de Strasbourg et mon professéur de droit civil était François Tené auquel je dois ma curiosité pour ce domaine de la iccherche juridique. Nous retfouverons I'exposé du régime civiliste dans la troisième partie.

onorr er soclÉrÉ, vol,.

A - Des bénéficiaires

s4, 20l

I

28

34.

s 1990 >, in Éticnne Le Alain BBntn¡,nD, Lo sëcurisation foncière, op. cit., p. 339. e que je considère commc les trois fondcments dc lã juridicité, voir p.202-203.

29

DRolr

ET

soctÉTÉ, vol-, 54. 20t

I

LA TERRE

DE

Itt'r'nooucrou cÉr.¡Énnlc

L,AUTRE

ves et dans la loi. De même, I'idéologie foncière peut emprunter la voie de I'autochtonie, ou mobiliser le droit du sol, recourir aux valeurs de la consommation et du paraître social. Quant aux réferences juridiques impliquées, si elles concement en priorité la juridicité du mariage, de l'état civil ou du régime de droit personnel, les successions, elles peuvent concerner tous les aspects de la vie du droit, ne serait-ce qu'en raison de la qualité de l'appropriation foncière d'être un fait social total. D - Caractère systémique du régime

Finalement, on peut accepter I'idée que si un régime est l'ensemble de solutions actualisées ou actualisables expérimentées par les acteurs d'une société, selon les contraintes de règles qui doivent être ajustées au cas par cas, l'appropriation foncière pourra donner lieu à autant de montages, donc de régimes, que les principes d'ajustements I'autorisent pour former des ensembles < discrets >r. ces ensembles étaient peu nombreux tant que les sociétés restaient fermées et que les transformations intemes pouvaient être associées à des exigences endogènes. Mais, I'ouverture des échanges et des relations intemationales depuis le xvte siècle, les colonisations puis les politiques dites < de modernisation > durant le xx" siècle et la mondialisation généralisée à partir de la décennie 1990 ont introduit, de manière plus ou moins volontaire, une pluralité de régimes d' appropriation foncière. C'est ce que nous devons envisager maintenant.

Une pluralité de régimes d'appropriation foncière, conséquence de la transmodern¡té

C- Des modes d'ajustements synchroniques et diachroniques

cause de v

iffèrent. Le Chef de tene africain et le Conservaassurent bien la même fonction de sécurisation sa mémoire et ses habitus, l'autre dans ses archi-

aus teur de la mais I'un lci

35. Pierre BouRDlEU, Le sens pratique, Éditions 36. LARosE, Paris,3 vol., 1939' 37.

:A. -

38

de minuit, Paris, 1980, p' 68'

oblige celui par la faute < Tout íait quelconque de I'homme qui cause un dommage à autrui duqucl il est arrivé à le réparer >, art. 1382 CC. les D;';0.e, ces modalités d'ajustement mc paraissent cortespondre à ce^que-saisissent ; pr"i";y rules > du documeit de la Banque mondiale commenté en note 33 (LE RoY' 1996' p. 339).

onolt er soctÉrÉ, vot-

54, 20l

I

30

Elinor Ostrom dont on retrouvera I'influence dans plusieurs moments de cette recherche, écrivait en 1999 : 3e. Cette reconnaissance de systèmes mixtes passe, pour les tenants du libéralisme économique en matière foncière, par celle des régimes dits de

< propriété commune )), sous l'influence déterminante des auteurs américains, chercheurs et hommes politiques à I'origine plutôt conservateurs. La conversion de ces auteurs à une nouvelle problématique est donc un moment important qui s'est en particulier concrétisé au sein de I'International Centerfor Research on Environmental Issøes (ICREI) qui organisait la conférence intemationale d'Aix-en-Provence tenue du 26 au2Sjuin 2006 sur le thème < Les ressources foncières >40 et où on a vu plusieurs de ces auteurs affirmer leur nouveau credo. Était déjà symptomatique la déclaration de Bruce Yandle que rapportent Mireille et Max Falque dans l'article précité : (communication personnelle de G. Hardin et J. Baden, 1994) Ð (Falque et Falque, 2003, note 7). Cette erreur d'un chercheur, toujours possible, s'est transformée en effet en guerre de tranchées entre les < libéraux > et les < radicaux ) au sens américain, et a retardé d'au moins quinze ans la prise en compte positive des régimes d'appropriation foncière ( en corrununs ).

appropriation foncière.

Le tableau suivant, extrait d'un document de travail de la Banque mon-

FtcuR-n,

L¡,

l

de la traduction en français des fameux r) ou imvolonté contraire de quelques-uns qui est public raison en en æuvre possible à mettre Ces deux exãans le domaine public, des choses pressions, entrées dans I

(dans de inc

horreur pour lejuriste, a hérence terminologique sans en faire excessivement grief à leurs utilisateurs, puisqu'ils ne font que feement exploitée mais manifestement fort mal sciplinarité et de la critique' accès ) est un apport positif qu'il faut cepenPar nos auteurs, d'une version corrigée l'expliquent Il là, comme préciser. s'agit dant

produire soumise c

rno¡r er socrÉrÉ, vol-

54,201

Open access (non

I

32

I

OTvNERS AND

Owner Rishts Socially acceptable uses ; control ofaccess

Propríélé commune

+

wrrq

DurrES

Owner Duties Avoidance of

socially unacceolable uses Maintenance ;

contrainl rale of use

Citizens

Determine rules

certain obiectives

None

Capture

None

Maintain

995, p. 29, cxÍait dc La sécurisationfoncière en Afrique, op, cit., p.340.

Commentaires Property devant, selon moi, être traduit par appropriation et non par propriété qui estl'ownershþ on voit déjà les difficultés non d'une traduction mais d'une adaptation d'un tel modèle à une culture juridique civiliste. Ajoutons que réduire la réalité à une opposition Owner/non Owner est non seulement simpliste mais caricatural. Par ailleurs les catégories de bénéficiaires individual, collective et citizens sont juridiquement indéterminées. Tout cela est donc vague et flou, plutôt métaphorique. On retrouve sous des désignations assez stables les quatre régimes identifiés

ci-dessus par Mireille et Max Falque. Mais, State property n'est pas l'équivalent de < propriété publique )) et surtout de notre < domaine public > de la législation domaniale et foncière francophone. L'État n'est pas la seule col-

41. Ilord Bank, A continent

in transition: Sub-Saharian Africa in the Mid-l990's, Washington,

1995,76 p.

JJ

onorr

¡r

socrÉrÉ, vol-.

54,

20t

I

INTRoDUc:r'roN cÉNÉRALri

LA'|ERRE DE L'AUTRE

lectivité à devoir faire respecter certains objectifs (maintain certain obiectives) et il n'est propriétaire que pour ce qui correspond au domaine privé affecté de la législation

Relevons l'intérêt d'un

critère qui fait ces catégories

sent flrnalement les stéréotypes de la grande querelle des < communs

>>

que

lité plus ou moins grande, constituer des régimes d'appropriation foncière

j'ai

< pra-

tiquès >, tels qu'effectivement mobilisés et exploités par l'ensemble des utilisateurs.

On

un régime

* pas un

ensemble

et

l'entrée e sées des options que proposent tant le droit que lajuridicité'

La problémat¡que

pour d'appropriati des hommes

les montages contempo-

Cet ouvrage se donne

rains des régimes

perspective de recherche

en contexte de crise écod'une sécurisation idéologique. et logique, institutionnelle Ñous situant dans une perspective transmodeme, donc selon I'hypothèse à se renque les modes pré-modernes, ispositifs, contrer, à se compléter voire du droit, nous retrouveronJ les trois e la compluraliste respectant et en interprétation une dynamique, lecture une plexité des montages de pratique et d'institutions'

onotr pr socrÉrÉ, vol-.

54, 2ol I

34

Quelle que soit la vocation < généraliste > de la démarche anthropologique,

la compétence du chercheur est limitée à des domaines d'expériences plus ou moins prolongées et fecondes. Si ma vocation fut initialement d'asiatiste, elle ne put se concrétiser sur le terrain et c'est en Afrique, du nord au sud, d'est en ouest, que j'ai accumulé ces observations qui seront la base de mes arguments. La France (et ma Picardie natale) dès les années l97O,le Canada et la question des revendications territoriales des peuples autochtones colonisés avec Alain Bissonnette, depuis 1973 sont aussi deux ancrages importants m'ayant ouvert sur la question autochtone dans les trois Amériques et sur I'intégration européenne et la politique agricole commune (PAC) avec un autre ami, Francis Snyder. La question aborigène en Australie est aussi un champ d'analyse qui m'a toujours captivé avec un autre grand ami australien, Marc Gumbert. Les Wolof du Sénégal restent toutefois ma réference privilégiée, en dépit des aléas politiques qui m'avaient, de 1970 à 1976, interdit I'accès à ce pays par un ministre, Jean Colin, peu soucieux de me voir discuter ou contester sa politique de récupération jacobine de la réforme foncière adoptée en 1964. Les Comores de 1986 à 1996, Madagascar de l99l à 1998,le Mali de 1984 à 1996,le Burkina Faso de 1983 à 1997 ou le Niger de 1989 à 1997 m'ont fourmis de multiples occasions d'accumuler observations, analyses et propositions de politiques foncières souvent dans le cadre de l'Association pour la Promotion des Recherches et Études Foncières en Afrique (APREFA) que j'ai présidée de 1987 à 1997. J'y ai bénéficié de I'apport de mes collègues, amis et coéditeurs des ouvrages qui ont foumi la base substantielle des connaissances dans le domaine des études foncières africaines. Je pense en particulier à Émile Le Bris, Gerti Hesseling, Bemard Crousse, François Leimdorfer, Danièle Kintz et Paul Mathieu avec lesquels nous avons partagé les séminaires d'APREFA à la Fondation Universitaire Luxembourgeoise d'Arlon ou à Malève-Sainte-Marie en Belgique. Ces travaux feront I'objet d'une exploitation < à géométrie variable > qui tiendra compte au moins autant des difficultés, échecs ou contraintes de la recherche que d'avancées qui apparaissent rétroactivement là où on ne les attendait pas. On parlera de l'Afrique d'abord, puis de l'Amérique du nord et de l'Euope avec quelques ouvertures océaniennes qui tiennent plus à des compagnonnages qu'à des pratiques de terrains. Je me référerai aussi plus souvent à la question rurale qu'au foncier urbain sur lequel je n'ai travaillé que de 1980 à 1985 en association avec Alain Durand-Lasserve du CEGET-CNRS et Émile Le Bris dirigeant à l'époque le département D < Urbanisation et socio-systèmes

urbains > de I'ORSTOM. Tout ouvrage est nécessairement daté et les questions dont il traite reflètent non Seulement l'état de la recherche scientifique mais les problèmes que la société rencontre. Dans notre cas, et à la frn des années 2000, la société est < globale >, mondialisée depuis vingt ans et en crise avec de multiples facettes dont la principale est celle du marché capitaliste. Le débat dont je vais me faire l'écho, tout en le traitant d'une manière que j'espère moins conventionnelle et plus productive, a été relancé par Hemando

35

DRolr

ET

soctÉTÉ,

vol

54.

2ot

I

LA

.TERRE

[¡¡'rnooucr¡o¡¡ cÉ¡ Ér.¡le

DE L'AUTRE

de soto a2 paradoxes i'économi

art de manrer

ciété, les Wolof, dont les chefs étaient directement impliqués dans la vente des

Pauvres dans ionnement du

caPtifs 4ó'

marché.

L'ambition que je frxe à cet ouvrage n'est pas de me substituer aux acteurs du foncier des Suds et d'apporter à leur place les réponses qui, dans tous les cas, ne peuvent être qu'incroyablement plus sophistiquées que ce que je pourrais imaginer. Elle est de rendre intelligibles les contextes et les ressources que ces acteurs peuvent mobiliser pour répondre à leurs besoins de sécurisation foncière.

de réforme foncière (en faisant confiance au < ciel )) pour que des circonstances favorables en assurent l'applicabilité) que d'aborder à la base les contraintes de

la division intemationale du travail qui produisent la marginalisation l'exploitation des

et

< pauvres >

Le plan que je vais suivre, en quatre parties, va mettre au clair les choix successifs de cette introduction. La première partie ( Représentations d'espaces et espaces de représentations de I'øppropríation foncière : v¡sions du monde, territorìalités et ordon-

nancemenls spatiaux > va approfondir la lecture anthropologique que j'ai initiée ici avec un accent mis sur les représentations d'espaces pour mieux < libérer )) les recherches foncières de leurs attaches occidentales initiales.

La deuxième partie, a pour thème < Les régimes d'appropriatíon en ( communs l. Elle présentera les résultats originaux d'une recherche où la terre

qui est reproduite par les inst loppement produisant durant t

fait l'objet de < maîtrises spécialisées >. Elle fait une place importante à la mo-

Hemando de Soto sans aller

cause I'imaginaire des acteurs du foncier4 et un type de démarche qu'on emprunte à Benedict Anderson et à I'anthropologue indo-américain Arjun Appa-

délisation, pour des raisons que nous expliquerons. La troisième partie, sera la plus < classique > puisque sous le titre elle systématisera les connaissances accumulées sur les fonctionnements et dysfonctionnements de notre régime < modeme > d'appropriation. Enfin une demière partie sera plus prospective en envisageant précité. Arjun App¡ounÀ1, Après Ie colonialisme, Ies conséquences cuhurelles de la globalisalion, Payot Rivages, Paris, 2001.

onott

¡r

soclÉtÉ, vot-

54,

2oll

36

46.

Étienne LE RoY,

( Mythcs, violcnccs ct pouvoirs, lc Sónógal

dans la traitc nógrièrc

>r,

politi-

que africaine, vol. 7, scptcmbrc 1982, p. 52-72.

37

DRorr

ET

soctÉTÉ,

voL

54,20t

I

Première partie

Représentations d'espaces et espaces de représentations de I'appropriation foncière : visions du monde, territorialités et ordonnancements spatiaux

< Les hommes ne sont pas une espèce qui se contente de vivre en sociëté, c'est une espèce quí produit de la sociétë pour vivre, autrement dit, qui ¡nvente de nouveaux modes d'organisation de la société et de la pensëe.

Et elle a cette capacité pørce qu'elle a celle de transformer ses rapports øvec la nalure. ¡t (Maurice Godelier, 1984, p. 83)

lntroduction Cette introduction a pour objet de sensibiliser le lecteur à la double rupture que propose une lecture d'anthropologue du droit des phénomènes d'appropriation, d'une part entrer dans la société par ses acteurs, et non par ses norrnes et, d'autre part, intégrer le pluralisme dans les principales dimensions de la problématique de la recherche.

Entrer dans la soc¡été par I'imag¡na¡re de ses acteurs En ouverture de son ouvrage, < L'idéel et le matériel l, Maurice Goldelier développe l'hypothèse que < I'homme a une histoire parce qu'il transþrme la nqture. Ef, ajoute-t-il, c'est même la nature propre de I'homme que d'avoir cette capacité. L'idée est que de toules les forces qui mettent I'homme en mouvement, et qui lui font inventer de nouvelles formes de société, la plus proþnde est sa capacité de transþrmer ses relations avec la nature en transformant la nature elle-même. Et c'est cette même capacitë qui lui donne les moyens matériels de stabiliser ce mouvement, de lq fixer pour une époque plus ou moins longue dans une nouvelleþrme de société, de développer et d'étendre bien audelà de leurs lieux de naissance certaines des formes nouvelles de vie sociale qu'il a inventées47. I Il exploite ensuite une proposition qui recoupe assez largement des développements que nous formulions à la même époque, en 1983, lors du colloque international de Saint Riquier qui a donné naissance à Espaces disputés en Afrique noire48, sous la forme de représentations d'espaces et espaces de représentation. < Quelle est la

parl

de la pensée dans la production de la société et dans

sa reproduction ?

Le premier de ces faits était le constqt que nulle qction matérielle de I'homme sur la nature, entendons nulle action intentionnelle, voulue par lui, ne peut s'accomplir sans mettre en æuvre dès son commencement dqns I'intention des réalités < idéelles >, des représentations, des jugemenls, des principes de la pensée qui, en eucun cas, ne sauraient être seulement des refleß dans la pensée de rapports matériels nés hors d'elle, avanl elle et sans elle. Et ces réalités idéelles elles-mêmes n'apparaissent pas faites d'une

47. 48.

Mauricc GODELIER, L'idéel et le matériel. Pensée, ëconomies, sociét'ls, Fayard, paris, coll. < Lc livrc de pochc, biblio cssais >, 1984., p. 10. Bcmard CRoussE, Emilc Le BRIs. ct Eticnnc LE Roy. Espat'es disputës en Afrique noire, pra I i q ue s fo n c i è re s I o c q les, Kafthala Paris, I 986, p. 2 I -24.

4l

onorr

¡t

soclÉrÉ,

vol

54,

20l

I

R!PRÉSENTAT¡oNS D'EspAcES ET EspAcES DE REpRÉsENTATtoNs

LA

TIJRRE DE

Dti L'AppRopRt-At'toN FoNCIÈRÈ

L'AUTRE

on

et de I'homme' seule sorte. À côtë des reprësentqtions de la nature effets et étapes trouve des ,"preririàiio" d' b't' des moyens' des !1 qttendus

¿", o"t¡ln, ¿ir-himme, sur la nature et sur eu)c-mêmes,

des

organisent une séquence d'actions et leurs acteurs dans la sociëté' Des redoit faire quoi, quand' comment et orts mqtériels de l'homme avec lu ns' ù s'exercent et se mêlent trois foncitimer les rapports des hommes entre 1984, P.

Dans < L'Idéel et le matériel Ð, M.Godelier consacre, sous le titre < Territoires et sociétés dans quelques sociétés précapitalistes >, un chapitre où il expérimente ces niveaux d'analyses. On retrouvera ces analyses dans la suite de cette partie, à propos des représentations du tenitoire et dans la mesure où notre anthropologie de la juridicité recoupe sa problématique qui est celle d'une anthropologie économique, c'est-à-dire l'étude des et que l'on peut traiter comme des postulats.

2l)

I"- < la propriété peut s'appliquer à n'importe quelle réalité tangible et intangible I (p. 104) ; 2"- < Les règles de propriété se présentent toujours comme des règles normatives (...) simultanément, prescriptives, proscriptives et répressi-

Vingtansplustard,MauriceGodelierrevientSurcettedistinctionàpropos de ces ntielles et.s'incarnant

és re et

ves

ainsr une cla-

( Les règles de propriëté se présentent sous la forme de systèmes qui reposent simultanément sur plusieurs principes dffirents, voire opposés < (p. 107) ,' 4"- < Les systèmes de droits de propriëté distinguent toujours avec plus ou moins de précision la qualité (et par suite le nombre) de ceux qui

rification de la différenciation de I'imaginaire et du symbolique. idéel,

fait d'idëes, d'images

et

nt leur source dans la Pensée' bien un monde réel mais com-

idées, iugements, raisonnements' inbalement des réalités idëelles qui' en

possèdent des droits et lesquels > (p. I I0) ; 5"- K Une forme de propriétë n'existe que lorsqu'elle sert de règle

de ceux

inconnues tant que confinées dans l'esprit des individus' restent eux et agir sur par partagées être donc peuient ne qui les entourent et leur existence. e-t des procesLe domaine du symbolique, c'est l'ensemble des moygns des réalidans tafois à s'incarnant sus par t"rquat"î"i-iiäitn ¡a¿"U"t tës matérielles et des Pratiques concrète, visible, sociale' ("') mais il ne Peut acquërir d'ex sans s'incarner dans des signes sortes qui donnent naisssnce à aussi à des esPqces, ò des édific

r (p. 105);

3"-

pour s'approprier concrètement la réalité. La propriété n'existe réellemenl que lorsqu'elle est rendue efþctíve dans un procès d'appropriation concrète et par lui ) (p. I I l).

On constatera que ces points correspondent aux principes que nous avions dégagés à propos des régimes d'appropriation dans I'Introduction générale, avec une limite et un apport neuf. Peut-on ne pas distinguer entre propriété et propriété privée, donc ne pas

nt cette distinction entre l'imaginaire et

envisager spécifiquement cette demière quand on traite de I'appropriation de la nature en général, de la terre en particulier ? Sans doute le propos de I'auteur ne porte-t-il que sur des sociétés précapitalistes où la propriété privée de la terre ne se pose pas, en principe. Mais les risques d'ethnocentrisme y sont imp,ortants pour un lecteur non prévenu sl. Le premier point rappelle une vérité qui semble évidente, mais il est effectivement indispensable de rappeler ce principe qui a des implications essentielles dans le traitement juridique. Ce n'est pas en effet parce qu'une société contrôle

'existence concrète, visible' sociqle ))'

strictement I'exo-inaliénabilité de la terre donc limite l'exercice d'un droit de propriété foncière qu'elle ignore la propriété privé dans d'autres domaines, voire même pour des fonctions foncières qui peuvent être détachées du fonds de terre, tels des services fonciers équivalant à des servitudes. Une étendue peut

49.

5l 50.

onott

¡t

soclÉtÉ,

vol

54, 20l I

42

Peut-être y a+-il aussi là les t¡accs d'une prévention dcs anthropologucs à l'ógard desjuristcs dont Maurice Godelier considèrc dcvoir < laisser leurs thèses et hypothèses de côté > (1984, p.99). Il partage cette prévcntion avec Claude Lévi-Shauss, mais cllc pcut conduirc à rcjeter lcs questions juridiques avec lcs thòscs dcs juristes et, cn privilégiant unc conception économique de la propriótó, à ne rctcnir qu'unc des dimcnsions du problèmc.

43

onorr et soctÉlÉ, vol.

54,

20l

I

R-EpRÉSENTAT|oNS D'EspAcEs ET ESpAcEs DU REPRÉsENtATtoNs DE L'AppRopRt-A]'toN F'oNctÈRE

LA TERRE DE L'AUTRE

selon les principes du pluralisme.

De la pluralité des mondes au pluralisme des modes

d'appropriation foncière.

conceptions du droit pour les ouvrir à ce que je dénomme maintenant la juridicitês3. Au début de la décennie 1980, I'anthropologie du droit tant à l'échelle française qu'intemationale est convertie au pluralisme, même si cette référence recouvre une diversité d'interprétations qui restent toujours en discussion54. C'est aussi le temps qu'il faudra pour voir apparaître des constructions théoriques en sciences sociales fondées sur le pluralisme. Avant de présenter les deux démarches qui m'ont particulièrement enrichi, je voudrai dire quelques mots de I'obstacle sur lequel on a buté, obstacle qui peut sembler ridicule une fois qu'il est énoncé et intégré dans les dispositifs conceptuels mais qui n'en est que plus redoutable tant qu'il n'a pas été identifié et résolument traité. ll s'agit de ce que j'ai qualifié successivement comme l'unitarisme, le monologisme et enfin, à la suite de Paul Veyne, la monolâtrie. On reconnaitra dans l'usage du préfixe unus latin ov monos grec la référence au un puis au seul. L'unitarisme est la tendance intellectuelle à réduire la diversité des formes du social à I'unité imposée d'une catégorie qui est supposée résumer et subsu-

mer cette diversité selon une fonctionnalité à chaque fois spécifiée mais qui n'est en fait qu'une manière d'habiller un principe de structure de la société moderne d'héritage chrétien, voire judéo-chrétien pour ce qui concerne le monisme. Paul Veyne écrit entre autres, voisins) qu'à la légitimation d'un pouvoir politique de type monarchique (avec les Macchabées au ll" siècle avant J.-C.). Le culte du < un seul > ou monolâtrie après avoir dû, dans les quinze siècles suivants, composer plus ou moins avec la réalité d'une pluralité de croyances, de pratiques, d'explications et de représentations, a pu progressivement reprendre sa place monopolisatrice avec la conception occidentale de la modemité au nom de d'une explication unitaire. Cette démarche fut précieuse en ce qu'elle stimula le développement des sciences et des techniques au xx" siècle. Elle le fit cependant en considérant que I'homme est maître et possesseur du monde selon une formule de René Descartes que nous retrouverons

dans la troisième partie et, c'est le revers de la médaille, en négligeant la com-

plexité des phénomènes, surtout s'ils sont d'origine humaine. En ce début du 53.

54' 55. 52. -- Michel ALLtol(etol.),sacralitë,pouvoitetdroitenAfrique,tabletonde¡réparatoireorganir¿" pr. f. iuboìatoiré'd'unthropoiogie juridique de Paris, février 1978, Editions du CNRS', Paris, I 979.

nnott er soclÉrÉ,

vol

54, 2ol I

44

56.

Christoph EBERHARD et Édennc LE RoY, et obéit à un effet de réduction des divergences, de I'affirmation d'une cohérence, voire même d'une rationalité. Arjun Appadurai, privilégiant dans ses analyses le rôle de I'imagination, cherche à décrire, à partir de la notion de < mondes imaginés > de Benedict Andersonse, ce qu'il appelle des > (landscapes). Sa démarche a pour objet de re

(

paysages

historiquement s nète >60 (p. 7l). rels globaux >ll

).

La démarche des sociologues consiste

:

/es médioscapes, /es technoscape.r, les financesca-pes>, Sciences humaínes, no 64, 1996.

DRotr

ET

soctÉTÉ, vol-. 54,201 I

46

60.

qu'il n'existe pas de de réseaw de parenté, d'amitiés, de travail et de loisir

Benedict ANDERSON, ¿'rmaginaire national. Essai sur I'origine et I'essor du nationalisme, La Découverte, Paris, 199ó. A{un Après le colonialisme, Ies consé:quences culturelles cle la globalisation -APPADURAI, (trad. française de Modernity at large, Cultural Dimensions of Globalization), Payot, Paris petire bibliothèque, 2005 il99ó1.

47

DRorr ET soctÉTÉ,

vol

54, 20 I

I

LA TERRE DE L'AU'['RE

indo-

squ'ils et une

Chapitre

1

Les représentations d'espaces et les usages qu'elles autorisent central de notre analyse et qui justiethno-anthropologique avec les res6l' er chaPitre' je iux comparative a vais identifier les cinq représentations puis' dans un testé ;;õressil;"nt mis;J"* et de représentatio à"uii¿rn" chapitre, les espaces férentes échelles et dans différents contextes' pour illustrer la richesse des ressources dont dis ãimension spatiale de son activité'

t d'es d1t. ..

6l

LEF.}Y,

I

Tout le raisonnement de ce chapitre a pour origine un texte d'une dizaine de pages édité en 1963, rédigé par un anthropologue américain formé dans la tradi iion britannique et ayant travaillé chez les Tiv du Nigéria, Paul Bohannan. Paul Bohannan est d'abord connu par ses pairs pour sa monographie sur la justice chez les Tiv 62. Je devrais écrire surtout méconnu à cette époque charnière où la décolonisation politique aurait dû s'accompagner d'une décolonisation conceptuelle et mentale. Un test réalisé dans I'index des noms d'auteurs des deux volumes de la Pléiade (Paris, NRF), L'Ethnologie générale, paru en 1968 et L'Ethnologie régionale l, Afrique - Océanie, paru en 1972, indique qu'il est cité deux fois dans le premier ouvrage, et absent du second, pourtant consacré pour les deux tiers à I'Afrique. C'est un paradoxe assez classique, tout en étant éminemment regrettable, que c'est le texte de Garett Hardin dont on a parlé dans I'lntroduction générale ( de l'époque (et de maintenant). Jeune assistant, je demande en 1970 à un de mes étudiants de 3o cycle, John Louzier, maintenant avocat réputé et spécialiste de la question foncière en Nouvelle Calédonie, dans le cadre des exercices de présentation et d'analyse de la littérature scientifique, de commenter le texte de Paul Bohannan et je lui suggère d'accompagner sa présentation d'une traduction pour ceux des étudiants non anglophones. L'ensemble fait I'objet d'une insertion dans un docu-

62.

Le i eu des lois, 1999)'

onotr et soctÉtÉ,vol.54,20l

lntroduction

48

Paul B9HAI.INAN,

"¡¿úç

tice and Jugement among the ?"¡v, Oxford Univcrsity Press, Oxford, 1957

49

onorr gt soclÉrÉ, vol.

54, 20l I

REpRÉsENTATIoNs D'EspAcEs ET ESpAcEs DE REpRÉsENTA'uoNs Dtì L'AppRopRtATtoN l.oNctÈRE

LA TERRE DE L,AUTRE

63 qui synthétise I ants à systèce qui est en train de devenir une < e parmes þnciers négro-africai,?,t )) et qu avantie. J'y joins un commentaire de tro cet article. cées de En effet, ce texte ne résout pas le mystère du droit foncier en Afrique, mais il foisonne d'observations bonnes à penser. On va donc s'arrêter sur ce texte dans un premier temps, en reprendre les apports plus d'un demisiècle après.

ment de recherche

Puis dani un secondtemps, je décrirai cette (aventure> intellectuelle qui a conduit de la fin des années 1960 à la fin des années 2000 au développement

en vertu duquel une parcelle peut être "tenue", que ce soit sur lq base d'un droit ou d'un titre de propriëté, de location, d'un contrat, d'une succession, ou d'une simple possession defait ou de droit n. Tenure a donc la vocation de généralité qui lui permet d'être exploitée dans un contexte anthropologique, donc interculturel. Notre démarche va consister à déminer la terminologie et les représentations spontanées qui y sont associées pour illustrer I'existence d'une autre manière, pré-modeme plus qu'africaine, de voir le monde < où on vit >.

Sortir d'un occidentalocentrisme ( spontané

D

C'est I'auteur qui I'affirme dès les premières lignes, < (l)a réflexion concernqnt la terre a été et demeure encore très ethnocentrique >. Il propose donc au lecteur d'identifier avec lui les représentations spontanées que les sociétés occidentales modemes associent à < la terre >, à la manière de la tenir, de l'approprier, selon le langage du présent ouvrage, et enfin au régime juridique qui en résulte. C'est en recherchant que P. Bohannan décrit une représentation que je qualifierai de géométrique : I'analyse du foncier

64.

Apprendre à lire < la géographie populaire du monde L'article de Paul Bohannan s'intitule

Land, Tenure and Land-Tenure >65 et la John être et le

droit de tenure sur la terre >. L'Oxþrd Dictionnary indique cette définition correspond à celle du droit féodãl français, où la tenure est la concession d'une terre à titre précaire

< Les Occidentaux divisent la surface terrestre en utilisant une grille imaginaire, elle-même sujette ò des manipulations et des redéfinitions. Nous transposons sur le papier ou sur une sphère et notre problème reste à étqblir la corrélation entre cette grille et les particularités physiques de la terre et de la mer. Nous avons perfectionnë les instruments de mesure en relation avec la position des astres afin de mieux nous localiser sur la surface du globe. Il existe des règles précises pour symboliser I'information donnée pør nos appøreils de mesure et pour les appliquer à notre csdastre. Chaque portion mesurée devient par cefait une "chose

identifiable".l þ.30) < La carte occidentqle, comme celle des Polynésiens, a été inventée par des marins navigateurs. La grille est, ajoute-t-il, "parfaitement rigide" poinls " arbitraires". Elle repose moins sur une topologie que sur procédé astronomique. En conséquence, dans notre civilisation, lu tene est, entre aulres choses, un entité mesurqble et divisible en portions grâce à l'application d'un procédé mathëmatique de relevé et de cartographie. Cette notion complexe, qui est essentielle qu modèle occidental, doit être absolument comprise avant d'entreprendre une étude approþndie. l (p. 3l) et

ses

un

63.

I'analYse matricielle des oration e I vé r iJìc at ion re d'anthropologie juridiIa b

64.

65.

que, Paris, 197 l, p. 29-50. Cette démarche relève en fait de la sórendipite < qui est le don, grâce à une obscwation surprenante, i n'était pas recherché >. de faire des trouvailles et la faculté de découvrir, propos d'une démarche Éticnne Lg Rov, >

au Moyen-âge, permit, avec

les

voyages des grandes découvertes du xv' siècle, le passage de la cosmographie à la géographie modeme en maîtrisant la capacité à mesurer la surface du globe, ce qui est littéralement la fonction de la géométrie (cf. infra).

5l

DRorr

ET

socrÉTÉ, voL. 54, 20 I I

LA

REpRÉSENTATtoNS

|ERRB DE L'AU rRts

Puis, I'auteur décortique les idées sous-jacentes à notre conception de la tenure.

ll

remarque que

:

Le mot contient une plus grande ambigui'té. Il assume le fait que la terre, divisible en parcelles comme nous l'avons vu, peut être tenue, ce qui implique une relation entre une personne (individuelle ou groupe social) et une portion de tewe. J'appellerai cette relqtion "l'unité homme-chose". En anglais, on dëcrit cette unité en terme de propriété et on utilise des concepts verbaux courants comme propriété, location,
et < africain > sont effeótivement privilégiés dans ces deux aires culturelles mais, comme le

rinyu,

E

Dans la matrice géométrique (MG), l'étendue est dilatée au maximum pour -couvrir l'ensemble de la sphère terrestre. Elle est considérée comme une mosaique, un ensemble de polygones qui peuvent être chacun mesurés pour leur donner une valeur d'usage ou d'échange. Les modes de mesures peuvent être basés sur le calcul mathématique des superficies ou des unités de temps propres aux fonctions qui sont autorisées. Dans la matrice topocentrique (MT), l'étendue est ramenée à un ensemble -plus ou moins jointif d'espaces qu'on peut appeler génériquement des territoires (infra), avec une extension correspondant aux capacités et aux compétences de circulation des utilisateurs . Cet ensemble est rattaché à un point (topos) dont la fonctionnalité détermine la capacité d'attraction des usagers et des espaces. C'est une capacité d'attraction quasimagnétique mais différenciée selon chaque fonctionnalité. Chaque type de topos a donc sa < valence ) propre, qui peut être < enrichie ) par I'action organisatrice de I'homme et peut garder une empreinte particulière (quasi atomique) sur de longues ou très longues périodes.

MG : Chaque

Une obseruation préalable

suggère I'exemple

tATtoNs D'ESpACEs

54

limi-

non autorisé est une agressiorVtransgression et tout passage suppose un changement de qualité ou de statut (propriétaire/occupant, national/étranger, etc.). MT : chaque espace, aimanté à partir de son topos, voit sa fonctionnalité se -réduire avec la distance vis-à-vis du centre pour aboutir à des confins ou à un no man's land, zone tampon, territoire ouvert, non revendiqué ou non occupé. La délimitation devient de plus en plus précise avec la valorisation des activités et la pression démographique et/ou foncière, ce qui explique donc la tendance actuelle de populations à adopter les contraintes d'une matrice de type géométrique, sans nécessairement adopter un régime de propriété privée. Relations avec les autres espaces

MG : chaque espace devient une zone d'exclusivité et, tendanciellement,

-d'exclusion.

Dans les conditions du marché généralisé, au caractère exclusif on adjoindra le caractère absolu, autorisant la pratique du droit de propriété privée débouchant sur la sanctuarisation (Modèle quatre, infra). MT : des espaces même fonctionnalité se concurrencent, donc produisent -des confrns, voire desdelimites. Les espaces de fonctionnalités différentes se superposent, produisant un < feuilleté > qui peut concern€r, dans des exemples africains, entre cinq à dix types d'espaces superposés, considérés selon les fonctions de production, d'échange, de commercialisation, des pratiques religieuses ou initiatiques, des fonctions de résidence selon les périodes et les statuts, de domination politique, d'administration, etc.

Support technique, la Paul Bohannan a évoqué la révolution technique et conceptuelle que sup-pose l'invention puis la systématisation de la carte géographique entre le XVo

55

DRorr

ET

socrÉTÉ,

voL

54,201 I

LA

TERR-E DE

REPRÉSENTAT¡oNS D'BSpACES È1 rispAcEs DE REpRÉsENTAt'loNS Dtì L'AppRopRrAt roN rroNcrÈRE

L'AU'I'RE

XVIIe siècle en Europe. La nouvelle cartographie repose sur le principe d'un relevé de position à partir des étoiles, dont la < frxité > par rapport à

et le

I'observateur va permettre de s'affranchir des repères physiques ou naturels et de combiner une carte imaginaire à l'échelle de la planisphère et des cartes particulières à l'échelle du territoire politique, du terroir ou de la parcelle. Cette carte imaginaire est une sorte de filet jeté conventionnellement sur le llèles à I'

Mudùh Nvl

NIPRÉ$[r\lTATION TO POCINTAIOUI

les pôles

lopos:

le point de Greenwich avec la sucelui avant d'être de Paris-Montsouris fut celui Ce du début du XlX" siècle. Cette organisation d'esprit er en latitude et longitude la position de points, cer puis des polygones terrestres et de les restituer sur

lietJ, ici le

ntaîtri$e spÉcialilúe

:

centre de

...

droit de 0ð$ti0rr

les cartes géographiques et sur les cadastres. Cette technique est devenue si sophistiquée, par l'invention et l'usage quotidien

des GPS, systèmes de positionnement global par satellite, que nous en avons oublié tant les origines que les formes antérieures, moins systématiquement identifiables parce que associées à la matrice topocentrique, alors prépondérante, dans les ensembles urbains des anciens empires méditerranéens, asiatiques ou américains (voir infra). La matrice topocentrique semble reposer essentiellement sur une carte mé-

-morielle, par mobilisation

de la mémoire des acteurs. Je ne connais

pas

d'exemple d'une cartographie originale qui ne fasse que positionner des points sans, d'une manière ou d'une autre, les relier entre eux et les inscrire dans un modèle de carte propre à la représentation odologique de I'espace que I'on va découvrir dans les pages suivantes, sous la forme de I'itinéraire ou du portulan, puis sur une carte géographique < moderne >>. Par contre, si on abandonne la référence à la < graphie ) pour ne retenir que la carta/charte latine, la feuille servant à l'écriture et le récit qu'elle contient, on trouvera d'innombrables manifestations de ce topocentrisme dans la littérature mondiale, ancienne et récente. Pour fxer les représentations dans l'imaginaire de nos lecteurs, les deux figures -suivantes retiennent certaines des caractéristiques des explications précédentes.

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L'AU]'RE

Du foncier pastoral à une représentation odologique de I'espace L'analyse du foncier pastoral africain a constitué à partir du début des années 1980 et dans le cadre d'APREFA, avec Danièle Kintz en particulier, un défi d'autant plus délicat à relever qu'à un classique problème de recherche scientifique s'ajoutaient, en Afrique de I'ouest où je travaillais à l'époque, la crise écologique associée aux sécheresses des années 197l-1973 puis 19831984 et les conflits armés, intemes et internationaux où le pastoralisme fut un facteur déclenchant, ainsi dans le conflit entre le Sénégal et la Mauritanie, le Mali et le Burkina Faso.

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REPRÉ$ENTATIO

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Ue0metria: arpentage, mesure du sol, géometrie maîtrise absolue : le droit de disposer donc d'aliéner Ajustement des lormes dans un cadåstre +2

lJn lent chem¡nement sur la voie de nouvelles découveftes

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Le problème scientifique tenait à une mauvaise compréhension de I'objet foncier, trop associé au statut du fonds de terre et ainsi trop oublieux du statut des ressources associées au sol, sans doute en raison d'un principe du Code civil, hérité du droit romain, selon lequel la propriété de la surface entraîne la propriété du dessus (les ressources animales, végétales) et du dessous < le tréfonds > et les ressources rninières. En outre, ainsi qu'on I'a déjà évoqué à propos de I'analyse des terroirs, pour la recherche-développement il fallait trouver pour les sociétés pastorales les équivalents de ce qui était reconnu comme < du foncier > dans les sociétés agricoles, d'où la notion de < terroir d'attache > des troupeaux dégagée de manière pertinente par André Marty (IRAM) mais dont

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L'odyssée des espaces : I'invention de trois nouvelles représentations La référence homérique n'est pas une simple coquetterie littéraire, car I'histoire d'Ulysse est basée sur des récits de navigations, les portulans, qui sont une des bases de la connaissance d'une nouvelle représentation d'espace

certains experts auront tendance à exagérer I'applicabilité. Politiquement, les sociétés pastorales ayant été, au Sahel, dominantes, spoliatrices et plus ou moins esclavagistes avant la colonisation, la décolonisation est l'occasion de règlements de compte dont font les frais les pasteurs et qui

provoquèrent plusieurs mouvements de luttes armées au Mali, au Niger, au Tchad et plus récemment au Soudan, pour ne pas parler de la Corne de I'Afrique. Aux présupposés de la recherche s'ajoutent donc les préjugés et les discriminations politiques. Dans beaucoup de pays, la question foncière pastorale est explosive et la coopération intemationale se mobilise, avec plus ou moins de réussite, pour tenter de fournir les réponses à la hauteur des difficultés présentes et à venir, vu la pression agricole et I'insécurité foncière. Parmi les États fruncophones d'Áfrique de I'Ouest, les premiers à réagir, car les premiers concernés, furent les Nigériens avec un projet de Code rural qui, dans la version à laquelle j'ai contribué en 1989-90, ambitionnait de traiter à égalité des droits des agriculteurs et des pasteurs. En fait, de version en version, le Code rural deviendra un code des agriculteurs et il faudra donc envisager de le doubler par un véritable code pastoral, sans savoir trop bien ce qu'est un Code pastoral.

La Réorganisation Agraire et Foncière (RAF) burkinabée voulue par Thode cette réalité. Enfin, je consacrerai une rubrique aux deux dernières représentations qui ont émergé entre2004 et 2005.

DRolr ET socrÉTÉ, voÌ-

54, 20t

I

58

mas Sankara dès son coup d'État de 1983 et adoptée en 1984 pour donner une

légitimité à la révolution et au pouvoir populaire reflète le préjugé anti-

59

DROIT ET SOCIETE, VOL 54,2OI

I

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TERRTi DB

REPRÉSEN t'ATIoNS D'ESpACËs

L'AU]'RE

Nomades de l'époque et ce n'est que dans ses versions r pastoral sédentarisé ou semi-itinérant sera vraiment pris Le Mali est dans une situation voisine, avec une

meurtrière dans le Nord et des tensions entre agriculteurs et pasteurs dans I'ensemble des régions en lien avec le déliquescence du régime de Moussa

Traoré. Associé à différentes missions à l'initiative de la < Caisse Centrale de E, devenue Agence Française du Développeou sur le devenir de la stratégie cotonnière de de Développement des fibres Textiles), j'ai < tropical > puis j'ai été associé aux travaux u gouvemem€nt provisoire, liée préparatoires de la nouvelle et animale, d'autre part à la déà'une part à la relance de la et 1995 sur la montée en puiscentral-isation. Le tout débo (oFM), un outil de pilotage des poliMali du sance d'un observatoire Foncier le fort soutien de responsables avec par APREFA expérimenté publiques tiques ¿e ta iCCBã Bamako, mais systématiquement torpillé par la haute administration malienne dont les intérêts risquaient de pâtir du dévoilement des pratiques d'accumulation, de détoumement, de malversations et autres maux chroniques de cette phase particulière d'accumulation du capital et de généralisation du capitalisme dans les soci ont des expériences que je multiplie avec Plus que des conn s la Côte d'ivoire, un retour au Sénégal et les éleveurs, avec des I'arrivée dans I'océan indien, aux comores en 1986, à Madagascar en 1991. Il manque un déclencheur. ll aurait pu être la section < Le pastoralisme africain face àux problèmes fonciers 67( que je rédige en 1994, mais I'intitulé du

chapitre < Quelques aspects juridiques du pastoralisme > indique que la dettruñd" des éditeurs scientifiques conceme < le régime juridique du foncier pastoral> où j'illustre, en une dizaine de pages I'extrême diversité des solutions

liées à la vãriété des maîtrises foncières dont je traiterai systématiquement dans la quatrième partie du présent ouvrage. ll faut donc attendre deux ans et la préparation d'un colloque intemational anisé en novembre 1997 à Niamey sur ( Les d'abord Sahélienne > par André Bourgeot, avec le sociétés opologie Sociale du Collège de France et de concour concre

nslec I'idée Mais,

66.

67. 68.

69.

Kiti N AN vllt-328 tcr pris cn application du ZATU an VIII n"39bis,articlcs73 à82, l8l & l82,endatcdu4juin l99l' Philippc DAGET ct Michel GOlnOn (coord.), Pasloralisme, troupeaux, espaces et sociétés' Jc pcnsc cn particulicr au

Haticr, Paris, AUPELF-UREF, 1995, p.487-510. André BOURGEOT (dir.), Horizons nomades en Af ique sahéliente, sociétés, développement el dëmocratie, Karthala, Paris, 1999, 49lp Éticnnc LE Roy, < À la rcchcrchc d'un paradigmc pcrdu, lc foncicr pastoral dans les sociótés sahólicnncs >, ¡)¡ A¡dró Bourgcot (dir), Horizons nomades en Af ique sahélienne, sociélës, développement et démocralie, Karthala, Paris, 1999,491p' [p. 39'7-4121.

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foncier qui relevèrent le déh qu'un chercheur allemand spécialisé sur la territorialitê et ayant travaillé au Nord-Kenya, chez les Gabbra, Gunther Schlee. Lors de mon arrivée à Niamey, il m'attend dans le hall de I'hôtel, me tend un manuscrit et déclare péremptoire : ( lisez )) et me laisse interloqué. Il s'agit de sa communication qui recoupe de multiples façons ma note introductive < Le foncier, I'espace, et le territoire dans les sociétés sahélo-soudaniennes >>, Paris, LAJP, septembre 1997,9 p. Sans citer Bohannan, mais dans I'esprit de ses descriptions, Gunther Schlee introduit une distinction entre trois catégories d'espaces dont il associe les représentations à un critère que nous n'avons pas vraiment traité jusque mainteîant, la dimensionnalité. En outre, il introduit, presque incidemrnent, d'autres indications qui aboutiront quelques années plus tard à la présentation systématique de deux nouvelles (et actuellement demières) représentations. < Les formes de territorialité se gèrent comme des relations entre des personnes et des données géographiques. Ainsi, le sentimenl proþnd d'appartenir à un coin de terre ou à un pays natal est bien connu en Europe et peut même représenter une valeur morale. Mais on a tendance ò concevoir les unitës géographiques qui induisent de tels sentiments comme bidimensionnelles et circonscrites. On ne parle guère des formes de territorialité zéro-dimensionnelles, celles qu'implique par exemple la revendicalion d'un lieu sacré par un groupe cultuel. De tels lieux ont bien des coordonnées, mais pas d'extension définie; autrement dit ce sont des points, c'est-ò-dire des unités zéro-dimensionnelles. Il en existe en Europe comme partout ailleurs, bien qu'ils ne correspondent pas à notrefaçon habituelle de penser le "territoire". > [On relèvera ici seulement que ces unités zéro-dimentionnelles conespondent au modèle topocentrique décrit ci-dessus].

< Chez les groupes couchitiques dont il est question ici, on ne peut igno-

rer cette forme de représentation de I'espace et la manière dont on est qttaché à celui-ci. C'est ainsi qu'à I'occasion de leurs promotions de classes d'âge, les Gabbra effectuent tous les 14 ou 2l ans des migrations rituelles (en quelque sorte des pèlerinages) dans les montagnes et autres endroits sacrés liës aux mythes d'origine de leurs clans. Ces montagnes forment une chqîne qui borde et dépasse la frontière éthiopienne. La plupart de ces endroits n'ont pas d'extension déJìnie. L'un d'eux est entouré d'une zone où la chasse et lq collecte sont interdites. Cette zone, délimitëe par une bande de terre rouge, forme le cône de base d'une montagne sacrée. Mais ce type d'espace comportant des limites prëcises est I'exception. J'ai décrit d'ailleurs un conflit entre les Gabbra et des Boran qui y avaient pénétré et I'avaient profané. > (Schlee, 1989b, 1990b)
. Si on I'entend, au sens usuel conìme < grandeur réelle, mesurable, qui détermine la portion d'espace qu'occupe un corps )) (Le Roberl, 1996, p.646) on perçoit que cet auteur fait un lien nécessaire entre la notion d'espace et la capacité de le mesurer. Or, comme nous I'avons envisagé dès I'introduction générale, il y a des espaces non mesurables, non seulement les espaces mentaux mais les €spaces physiques non associés à la détermination d'une valeur métrique, mais à la permanence de I'organisation lignagère, à la sacralité de la terre et aux autels de pluie, etc., à travers les activités du quotidien. Je suis par contre en accord avec I'approche de la représentation odologique comme unidimensionnelle et, pour bien expliciter ses attributs je cite à nouveau le passage essentiel de I'auteur '. < Des "points" sont ainsi reliés par une route, une ligne, et il fout passer par cette route même si elle traverse une frontière internationale, ce qui pose des problèmes d'ordre politique, bureaucratique et de sécuritë. Il faut passer par cette route, et cette route doit être empruntée : si on ne le fait pas, elle attend, car c'est lq route des sncêtres. Il s'agit là d'une possession mutuelle entre un groupe de personnes et une ligne imaginaire sur le sol, c'est-à-dire une unité géographique unidimensionnelle. > 70.

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ESPACES DE REpRÉsEN tA1

loNS DE L'AppRopRtA iloN t.oNCr ÈRr

Une route est indiscutablement une ligne mesurable par sa longueur selon une unité qui peut être une durée combinée ou pas avec le véhicule de transport

(tant de jours à cheval, en voiture automobile). ou selon le critère de la vitesse de la pénibilité (risque de fatigue accru pour des bæufs, des che1en KnVH), vaux, des chameaux, selon les cas)...

La caractéristique de la route, que souligne G. Schlee par ailleurs, est qu'elle relie deux points en passant au moins par un troisième comme une condition de l'existence d'une route. Il faut trois points pour faire une route et il faut en fréquenter au moins trois (ainsi que d'autres éventuellelnent correspondant à des itinéraires de déviation, des raccourcis, des détours, des étapes possibles, etc.). Mais là n'est pas le principal pour I'analyse du foncier. La science des cheminements est d'abord celle des flux d'hommes et de ressources qui empruntent ces routes et des ressources dont ces hommes ont besoin pour répondre aux conditions parfois dangereuses ou extrêmes du milieu naturel qu'ils ont à affronter. Que I'on songe aux navigateurs que décrit Bronislaw Malinowski dans /es Argonautes du Pacifique occidental avant I'invention des instruments modemes et affrontant le grand océan avec de frêles pirogues ou aux caravanes traversant le Sahara et dépendant de points d'eau ou aux trappeurs dans le Grand-Nord canadien. L'accès à ces ressources (fruits, graines, herbages pour les animaux, eau, combustibles, abris, etc.) est une condition de survie plus ou mois immédiate ou différée de groupes entiers. Leur disponibilité est stratégiquement déterminante et, ainsi, les espaces associés à la route et les ressources qu'ils supportent combinent des contraintes differentes qui en faisaient généralement des < communs > dont on retrouvera I'impact dans plusieurs parties de cet ouvrage.

Gunthcr SCHLEE, < Nomadcs ct État au nord du Kcnya >, in André BouRGEor (dir'), Horizons

soci cxtrai au rcgard du droit, rapports foncicrs

nomades en Aj'ique sahélienne, 491p. [p.224-225]. J'ai citó cct

droits, état

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RttpRÉsËNTATToNS

LA TERR! DE L,AUTRtj

Modùle

D'tsspAcÈs E1' ESpAcES DE REpRÉsENl A'l'toNs DE L'AppRopRtAl'loN r,oNCtÈRE

appropriées privativement puisque consommées pour assurer la reproduction du groupe. Au contraire de I'article 552 CC, le régime public du fonds (la route) est different de celui, privatisé, des ressources et éventuellement du tréfonds. Nous aurons à revenir sur ces questions dans les troisième et quatrième parties. Mais retenons dès maintenant que la représentation odologique est liée à la circulation, suppose un prélèvement de ressources renouvelables ou une extraction de ressources non renouvelables nécessitant des régulations qui peuvent être fort complexes et impliquer non seulement des individus mais des groupes, des ethnies, des sociétés parfois largement différenciées et qui nouent ou doivent nouer des accords d'exploitation des ressources qui pour être stables et hables doivent être < gagnant-gagnant >. Un des principes est d'aménager un équilibre entre des droits liés à l'ancienneté de l'exploitation, I'ordre d'anivée, les disponibilités locales et les urgences. Dans la partie nord-est du lac Tchad nos interlocuteurs nous disaient bénéficier de < cent > (chiffre mythique bien évidemment) accords de ce type avec I'ensemble des populations sédentaires et nomades impliquées par le mouvement des animaux sur de longues périodes.

N4

REPRÉSENTATION ODOLOGIOUE OE L'ESPACE

odos :la voie, route, chemin logos : savoir, connaissailcg 0dologie : la connaissance des chaminements, la sciencs des déplacements maîtrise : droit de rélèvement

Caractéristiques

-

par rapport à l'étendue : la représentation est conçue à partir d'une ligne allant d'un point à un autre et incluant ses abords et ses dépendances ; son marquage : par le chemin, la route et le cheminement ; sa relation avec les autres représentations est son trait fonctionnel dominant, en mettant en contact des lieux, des territoires et des autorités sur les espaces ; le support technique est la carte routière, l'itinéraire, le portulan.

La sanctuarisation et le territoire, deux représentations contraires

de déshuman¡sat¡on et d'humanisation de l'étendue

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Dans le contexte modeme, la contradiction est plus forte: si l'étendue est seulement traversée et donc < publique )) au sens d'ouverte à tous, c'est selon des conditions qui sont < politiques ) et qu'on retrouvera avec la notion de territoire comme représentation élémentaire d'espace, les ressources sont, elles,

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54, 20t I

64

Quand on revient à la citation de Gunther Schlee, on remarque qu'il évoque (( notrefaçon habituelle de penser le < tetitoire n et qu'il a une description d'une montagne sacrée équivalant à ce que j'appellerai la sanctuarisation. < La plupart de ces endroits n'ont pas d'extension déJìnie. L'un d'eux est enlouré d'une zone où la chasse et la collecte sont interdiles. Cette zone, délimitée par une bande de terre rouge, forme le cône de base d'une montagne sacrëe. Mqis ce type d'espace comportant des limites précises est I'exception. J'qi décrit silleurs un conflit entre les Gabbrq et des Boran qui y avaient pénétrë et I'avaient profoné >.

On peut, comme I'auteur, traiter le territoire comme ne relevant pas directement de notre problématique de l'appropriation ou ces sites sacrés comrne étant une application particulière d'une théorie de la zéro-dimensionnalité ou une exception (délimitation précise) d'un cas général (non délimitation). Dans les années 1960 et 1970, je tenais ces espaces (bois sacrés, lieux d'initiations, puits ou arbres abritant des génies, autels d'ancêtres), dans mes travaux sur le régime foncier des Wolof puis des Diolas du Sénégal, comme une application de la représentation topocentrique. De nouveaux travaux de terrain durant les

65

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REpRÉsENTATIoNs D'EspAcES ti't EspAcEs DE REpRÉSENTA üoNS DE L'AppRopRtATtoN r.oNctÈRE

LA TERRE Dti L'AU'fRË

années 1990 et courant 2000 ont modifié ma perception de la réalité. Je vais à nouveau la caractériser brièvement avant de distinguer ces deux dernières représentations. Autoriser et interdire I'accès, humaniser ou déshumaniser la nature

En mars 1999, j'accompagne Olivier Barrière dont je suis le directeur de I'IRD (Institut de recherche sur le Développement) dans une mission de terrain en pays Bassari, entre I'extrême est de la Gambie, la Guinée et le parc du Niokolo-Koba au Sénégal oriental. Nous sommes reçus dans la communauté rurale de Sélimata où Olivier Barrière va, les années suivantes, inventer avec ses interlocuteurs bassari et peuls un droit local de l'environnement métisse, stage à

susceptible de prendre en charge les valeurs et représentations endogènes dans

l970,la circulation à I'intérieur du parc soumise à autorisations (rares) et les activités dans la zone tampon (sur un kilomètre en pourtour de la limite du parc national) également contrôlées et non exemptes de tracasseries dans les années

allant au-delà de la protection de la faune et de la flore. Enfin, une troisième

partie dite zone périphérique et incluant la communauté rurale de Sélimata voit ses activités économiques également influencées par le statut du parc. Ici se joue lejeu dangereux du braconnier et du garde forestier avec de telles tensions que, selon nos auteurs, I'armée sénégalaise est maintenant venue porter assistance aux gardes-chasse.

Nous avons donc recueilli des témoignages, nécessairement contradictoires, de gardes menacés dans leurs vies et de chasseurs qui prétendent dépendre encore, selon leurs témoignages, substantiellement des ressources du parc et or-

un langage et la technique du droit modeme sénégalaisTt. Nous retrouverons

phelins de certains lieux < sacrés >.

ces questions dans la quatrième partie.

Il y a là une pratique d'interdiction et d'expulsion des populations, fondée sur des exigences de préservations de richesses fauniques ou floristiques indéniables mais qui ont pour conséquence de faire perdre à des populations non seulement leurs ressources alimentaires et leurs zones d'activités parfois pluricentenaires mais également des éléments du paysage, des sites ou des espaces aménagés par leurs ancêtres et qui constituent des éléments déterminants de leurs identités. Leur disparition brutale parce que non négociée ni maîtrisée induit une destruction de ces identités et un véritable naufrage des sociétés. En 2005, je retoume au Canada pour participer à un des < grands travaux ) frnancé par le gouvernement fédéral canadien et intitulé Peuples autochtones et gouvernance (PAG) où j'assure la direction d'un volet portant sur les revendications territoriales des Premières nations. Quand on interroge les Innu, populations indiennes des réserves du Nord-Québec sur leur rapport au territoire, revient comme un leitmotiv leur amputation d'une part d'eux mêmes à la suite des grands aménagements hydro-électriques dits de la Baie James et d'accords que nombre d'entre eux tiennent pour scélérats parce qu'ils leur interdisent I'accès à leurs territoires de chasse et au mode de vie qui était celui de leurs anciens 74. Et leurs voisins Innuit septentrionaux transmettent des messages analogues pour avoir vécu durant la guerre froide un mécanisme de contrôle et d'expulsions dans le cadre militaire. On parlait dans ce contexte militaire, de sanctuarisation. Il m'est alors apparu que ce terme pouvait être d'usage plus large quand, pour des raisons religieuses, militaires ou maintenant écologiques, la présence de I'homme est considérée comme impossible sur les lieux qu'il occupait régulièrement et qu'il se trouve ainsi dépossédé d'un patrimoine qui est au moins mémoriel mais qui peut être financier voire remettre en question ses conditions de reproduction au moins sur le moyen terme. La définition que j'avais donnée initialement de l'espace comme une fraction socialisée de l'étendue fait que nous sommes ici en face d'un non espace puisque les populations en sont exclues et que les formes de spatialité sont dissoutes pour retrouver artificiellement les formes < initiales > de l'étendue ( na-

Les Bassari sont souvent tenus par les autres Sénégalais, et en des termes peu flatteurs, comme les demiers représentants de civilisations agraires qui ont partout ailleurs disparu ou se sont folklorisées. Initiations et cultes agraires étaient encore marginalement pratiqués et Catherine et Olivier Barrière en ont publié de merveilleux témoignages dans un ouvrage somptueux 72. Les Bassari sont tenus pour des autochtones. 73' Leut histoire èst connue depuis le XIII" siècle. Victimes de multiples exactions, il faillirent disparaître à la fin de l'époque pré-coloniale sous les razzias des Peuls du Fouta Djalon. Ils ne sont que quelques milliers mais manifestent un réel dynamisme et une forte capacité d'adaptation aux nouveaux enjeux de la modemité, à condition que cette modernité tienne compte d'un mode de vie singulier. Ce sont des chasseurs-collecteurs qui se sont convertis de manière sélective à l'agriculture et à l'élevage en adoptant la technologie qui les accompagne. Mais ils sont chasseurs dans l'âme et la viande de chasse occupait une place importante dans leur régime alimentaire. Or la chasse ne peut se faire que dans le parc du Niokolo-Koba. Créé en 1926 atteignant en 2003 1.138.000 ha

il est, nous disent les auteurs,

plus grand parc national d'Afrique de I'ouest > (C' et O. Barrière,2005, p. 137). C'est surtout un site du pahimoine mondial, intégré dans le réseau Man and the biosphère (MAB). C'est ainsi une aire protégée intégrale exempte de tout résident humain. Les habitants de certains villages ont ainsi été expulsés . Mais cette notion n'existe pleinement que lorsque les membres d'une sociëté se servent de ces règles pour organiser leurs conditions concrètes d'appropriation. >

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(Idem,p.ll4) Cette lecture comparative met en évidence qu'on doit distinguer deux conceptions du territoire s'imbriquant l'une dans I'autre mais ayant des finalités spécifiques. Ces deux conceptions s'imbriquent I'une dans I'autre parce qu'elles ont une fonction commune d'humanisation de la nature à laquelle on peut accéder en qualité de membre d'un groupe et en respectant toutes les conditions qui sont associées à ce statut de membre de ce groupe-là, dans cette situationlà. La difference tient au fait que dans un sens premier, le territoire est une étendue à laquelle on accède paisiblement et qu'on transforme ainsi en un espace partagé, en y exerçant responsabilité et liberté nous disent les Innu ou les droits de conquête et de libre circulation et d'échanges commerciaux prétendaient les voyageurs marins et commerçants européens des xvl" au xvlle siècles quand ils découvraient, selon leurs standards, ces espaces < américains >. À cette représentation qui peut être suffisante dans des sociétés de chasseurs collecteurs où la reproduction des groupes est substantiellement associée à la parenté et à l'exploitation des ressources et non à leur transformation, d'autres sociétés vont ajouter des modèles de plus en plus sophistiqués dans la mesure où le territoire deviendra le lieu physique puis mythique de la reproduction de populations de plus en plus nombreuses (donc politiquement différenciées) et dont les procès de productions sont de plus en plus sophistiqués. Dans le langage actuel, on considérera selon cette seconde acception le territoire comme le support de la gouvernance du groupe et dans le contexte de la société moderne, le cadie d'exercice de la sõuveraineté, la souveraineté étant à l'État ce "o--e que la propriété privée est à I'individu : une, absolue et indivisible.

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75 dénommer cette suite de Karl Schmitt et des analyses de Caroline Plançon le nomos la de terre. représentation

Morlêl¿ Na6

tofiitrucl¡ons ldóellës succússivës, dÈ l'étendue àu tërritÕ¡re

Marquage spatial

--

La sanctuarisation suppose la disparition de tout marquage inteme mais sa multiplication aux limites ou frontières pour communiquer sur I'interdit et justifier toute répression. Le passant est informé par des tableaux de toutes les contraintes qui pèsent sur lui et des amendes dont il pourrait être I'objet en cas de non respect de la réglementation. Celle-ci peut concemer non seulement le rapport aux ressources (ne pas cueillir, ne pas ramasser, emprunter tel passage, etc.) mais le rapport aux autres et son propre comportement (ne pas jeter de détritus, crier ou écouter une radio, accepter de ne pas accéder à certains lieux (e pense par exemple au site d'Uluru au centre de l'Australie dont on tente de décourager I'escalade par les touristes).

Parallèlement, la territorialisation induit un marquage de plus en plus exde I'accès, dont sont informés < discrètement )) ceux qui ont I'usage de ces espaces aux formes proches de la sanctuarisation évoquées ci-dessus avec la tenitorialité de l'État modeme, en particulier en situation de guerre froide ou chaude.

-plicite en passant de la forme minimale

Relations avec les autres espaces Elle est non pas nulle mais négative dans le cas de la sanctuarisation. Mais, -en niant une réalité antérieurement reconnue et organisée, elle peut se voir opposeÍ une épreuve de vérité dont il n'est pas évident que la solution soit conforme à I'objectif initialement prévu de protection de la nature. Par exemple, la grande guerre du chasseur et du garde-chasse ne cesse de se dérouler dans les grands parcs d'Afrique (spécialement les régions des Grands lacs et de

organisat¡on éventuelle :

El forêt E prairie Ølac E monlag re

¡ndívídu

- p oliliq ue autorité, súr le$ homm es = - inslltutionnelle = Élat, commune, communaulé "

foncièrs = appropdation des t€rres 0l des ressourcos Ë.

Lêtrrr¡er04 2010

La territorialisation suggère un processus d'humanisation progressive d€ l'étendue, faisant passer de l'exercice d'un droit d'accès sur un espace ( ouvert > à des formes d'organisation qui ne sont pas seulement foncières mais aussi politiques, liées à l'exercice d'un pouvoir d'autorité sur les hommes et, par ceux-ci, sur les terres et leurs ressources. De ce fait, le rapport au territoire accompagne, phase par phase, le déploiement des modes d'appropriation. On peut ainsi, reprenant et étendant une formule antérieure, préciser que le foncier est au contrôle des terres ce que le territoire est au contrôle des hommes. Ainsi, foncier et territoire seront-ils plus ou moins associés ou dissociés selon que I'organisation sociale autonomisera, ou non, ces deux champs de pratiques et les rendra, ou non, complémentaires ou concurrentiels. On pourrait aussi, à la

l'Afrique australe, au Zimbabwe et au Mozambique) dont les ressources naturelles font les frais. Elle est positive et déterminante dans la territorialisation. La représentation -du territoire est ainsi première à la fois parce que c'est à partir de l'idée de territoire que les autres représentations peuvent apparaître et que c'est à elle qu'on revient toujours au terme de la mise en jeu de ces autres représentations pour en constituer le cadre institutionnel, qu'il soit celui de la communauté, de la commune ou de l'État. Pour redire autiement le même parallélisme, là où il y a autorité sur une étendue, il y a territorialité. Là où il y a appropriation d'un espace, il y a rapport foncier. L'homme est privilégié dans la territorialité et la ressource dans le foncier mais les deux jouent I'un par I'autre et I'autre par

l'un, selon la pétition que nous proposait Maurice Godelier en ouverture

de

cette partie : < Les hommes ne sont pas une espèce qui se contente de vivre en société, c'est une espèce qui produit de la société pour vivre, autrement dit, qui invente de nouveaux modes d'organisation de lq société et de la pensée. Et elle a cette capacité parce qu'elle a celle de transþrmer ses rapports avec la nature. > (Maurice Godelier, 1984, p. 83)

75.

Carolinc PLANÇoN, < Tcrritorialitó ct normativitó (nomos) dans I'histoirc dcs idócs juridiqucs, politiqucs ct anthropologiqucs. Unc lccturc dc la gouvcmancc autochtonc au Canada >, à¡ Picrrc Nonn¡u (cd.), Gouvernatlce autoclttone (. . .), op. cit., p. 77 -98.

onort er socrÉrÉ, voL.

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r

72

IJ

DROIT ETSOCIETE, VOL 54, 20I

I

LA TERRE

DE

RtrpRÉSENTAT|oNS

L'AUTRE

Support technique Daãõ les deux cas, les bornes et panneaux de délimitation, d'information ou d'interdiction sont essentiels. Sont aussi,essentiels les textes juridiques qui assurent le fondement des classements ou déclassements, les régimes de police,

D'ESpAcBs E't' ESPACES DE REpRÉsBNt'A'uoNS DE L'AppRopRtA uoN r.oNctÈRE

¡'est pas un boulet et se révèle même déterminante quand il s'agit de comprendre les racines idéologiques des pratiques d'appropriation qui sont les nôtres, Occidentaux de ce début de xxl'siècle, et qu'on tentera de systématiser dans la igence épistémologique est donc la première conclusion ce chapitre.

les ges

est celui du culturalisme qui suppose, parallèlement au précédent refus, de remettre en question I'autre pilier de ma formation intellec-

au lecteur le compte rendu d'un symposium organisé conjointement par I'UNESCO, le CNRS et le MNHN en 1998 sur le thème < Sites sqcrés ( naturels y, diversité culturelle et diversité biologique ll, je voudrais felever une re-

nées au racisme. Nous avons repéré dès les premières lignes du texte de Paul Bohannan le stéréotype supposant que les Occidentaux pensent comme ceci et les

pro

ruelle, I'anthropologie, son discours sur l'autre qui peut être essentialisé et

marque de Claudine Friedberg qui pouna être exploitée dans la quatrième parIie:7 Dans tous les cas se pose le problème de savoir qui a la responsabilítë de ces lieux. En effet, il ne s'agit pas de savoir à qui ils appartiennent dans le sens occidental du terme, puisque, selon la formule mqintenant bien connue "ce n'est pas la terre qui appartient aux hommes mqis ces derniers qui appartiennent ò lq terre". De la même façon, ce sont ceux qui ont la charge de ces lieux sacrés qui leur appartiennent et non l'inversel6. >

Gonclusion au chap¡tre

I

: une complémentarité fonctionnelle

J'ai choisi de présenter ces cinq représentations d'espaces en suivant le fil de ces micro-découvertes qui progressivement ont fait sens en relation avec d'autres paramètres qu'on i sentation dans la quatrième et à la gestion patrimoniale en fait trois refus, refus

l'historicisme. J'entends bien par juridisme cette mauvaise manie des ethnologues que déMinuit, 1980) de formuces systèmes de disposionnent sens à la pratique.

la critique épistémologique de la représentation implicite de l'espace qu'ont les Occidentaux et en l;associant à une lecture compréhensive d'une représentation qui interdit tant la propriété privée que la formulation de normes générales et impersonnelles, je me suis mis dans la position de découvrir d'autres explications pouvant donner plus de sens à des pratiques qui restaient autrement partiellement incomprises, voire incompréhensibles. Malgré les apparences, une bonne formation juridique

76. 77.

( compte rendu de Symposium "Sites sacrés 'naturels"" diversité culturelle et diversité biologique >>, Natures, Sciences Sociëtës,1999,n" 1,p.79. Éticnne LE Roy, < L'homme, la terrc, le droit, quatre lectures de la juridicité du rapport foncier>>, in Olivicr BennlÈnE et Ala¡n RocHEGUDE, (dir.), Cahiers d'Anthropologie du Droit 2007-2008, < Foncier et environnement en Afrique, des acteurs aux droits >, Karthala, Paris,

conduire du stéréotype au présupposé, puis au préjugé et par des voies détour-

Africains conìme cela. Dans le même ordre d'idées se développera, mais c'est

une autre histoire que je réserve au chapitre suivant, l'un comme le contraire de I'autre, puis I'autre qui devra être éliminé par l'un, au nom de I'UN. Après avoir dépassé cette première césure qu'on pourrait qualifier de raciale, j'en ai rencontré une auhe plus professionnelleTs, qui associe des représentations à des modes de productions ou des activités professionnelles. La compréhension de ce qui fait la force de la représentation géométrique à l'époque moderne est si substantiellement associée au capitalisme qu'on peut oublier ce qui I'a précédée avant le xv" siècle. De même, c'est en confrontant les pratiques des chasseurscollecteurs, des pasteurs, des pisteurs et des caravaniers et en mettant I'accent sur les caractères particuliers de leurs déplacements dans I'espace qu'on a compris l'originalité de la représentation odologique. Mais elle n'est pas propre à ces groupes. Elle est seulement privilégiée par eux dans des circonstances qui rendent la mobilité incontoumable et la mobilisation de cette représentation caractéristique de ces groupes. Ajoutons, pour compliquer encore notre perspective, que lorsque I'OTAN (Organisation du Traité de l'Atlantique Nord) sanctuarise le Grand-Nord canadien en fixant les Innuit pour installer des stations d'écoute et de surveillance contre le voisin soviétique, il reproduit des pratiques qui sont celles des bois sacrés où on vient se mettre à l'écoute des esprits et des forces de la nature. Il est d'ailleurs intéressant de constater que les Guinéens, comme le rapporte Moustapha Diop 7e, associent dans une même explication les forêts sacrées précoloniales et préislamiques et les forêts classées de l'époque coloniale : les unes et les autres (souvent les mêmes) leur sont interdites pour des motifs qui leur sont rationnellement étrangers s'ils sont musulmans (pour les bois sacrés) et ignorants du droit domanial pour les forêts classées. On pose donc qu'aucune de ces représentations d'espaces n'est caractéristi-

que d'un type de groupe ou d'un type d'activités. Nous avons colnmencé à nous en rendre compte lorsque, travaillant avec le conseil communal de prévention de la délinquance (CCPD) de la ville de Valence (Drome) en 1994-1995 sur les pratiques des bandes d'adolescents à Valence-le-haut, nous avons re-

Claudine FRIEDBERG,

2009, p. 129-157

onorr er soclÉrÉ, vot-,

.

54, 20l I

74

78.

Celle-ci n'cxcluant pas cellcJà, ainsi dans la famcuse présentation du Tutsi pastcur ct sómitc

79.

et du Hutu agriculteur et hamitc au Rwanda du pré-gónocidc. Moustapha DtoY, Réþrnes foncières et gestion cles ressources nalurelles en Guinée, enjeux de patrimonialitë et de propriétë dans le Timbi au Fouta Djalon, Karthala, Paris, 2007.

75

onorr

¡t

soclÉrÉ, voL.

54,

20l

I

LA l.ERRË

DE

REpRÉsENtAt loNS D'ESpAcES Et ESI'ACES DE REpRÉsENtA iloNS Dts L'At¡pRopRIAt loN FONCIËRH

L'AUTRE

ce présentations ãemière. De

ciaient de manière logique et effrciente les relogique et topocentrique en privilégiant cette dans la banlieue parisienne ont permis depuis d'en systématiser les implications 80. La deuxième conclusion que je tire de ces travaux est que ces cinq représentations sont susceptibles de se retrouver dans toutes les sociétés et à toutes les société ne les déphases de leur histoire, ur un thème comveloppe et ne les assoc on peine à imagimu.t Jont donc suscepti 81. et la complexité le nombre ner Le refus de I'historicisme conduit enfin à ne pas chercher à périodiser le développement de ces représentations et, plus ou moins explicitement, à ne pas considérer certaines de ces représentations comme plus < primitives )) ou archaïques que d'autres, ce que contemporaine, de voir la repré plus extrêmes du capitalisme et miner les pratiques de collecte d ce à ce type de lecontributions succes-

connu que

sues D83. Faute de matériaux exploitables, nous devons donc nous contenter de ã faire parler > les seules données à notre disposition selon les exigences classiques de la preuve scientifique. Cette attitude ne conduit pas seulement à la prudence quant aux données du passé rnais à I'exigence d'intelligibilité et d'exhaustivité pour ce qui conceme la période contemporaine. Dès lors que nous savons qu'elles existent et que nous avons appris à observer leurs manifestations, ces cinq représentations d'espaces sont susceptibles d'être repérées dans tous les groupes et dans des situations innovantes non seulement comme le supporl de pratiques d'appropriation mais aussi comme des marqueurs de I'identité individuelle et collective. La connaissance des espaces de représentation va le favoriser.

associé la naissance de la représentation topocentrique au Néolithique et la matrice géométrique au marché généralisé et au capitalisme. On y est poussé par des corrélations que I'on découvrira par la suite (infra,3" et 4'parties) et qui conduisent à mettre en parallèle une complexification progressive des droits d'appropriation et une õomplexité différentielle des représentations d'espaces. Ces parallèles semblent pertinents et ont fait progresser la recherche, mais un parallèle reste ce que sa ãéfir'tition nous dit qu'il est, une ligne ou une surface qui ne recoupe jamais

I'autre.

J'ai eu à affronter cette historicité de I'origine des productionsjuridiques en

fo

Sacco 82 se présentant comme un

Quels sont les arguments susceptibles droits en I'absence de toute source directe ? Comment se construisent ces suppositions qui sont des conjectures, sans doute les plus crédibles compte tenu de l'état de nos connaissances, mais qui ne relèvent pas du régime de la preuve historique (document) ou anthropologique A. Marliac, préhistorien africaniste à I'IRD, ou de) l'état durci en faits d'artéfacts parfai-

ibles ò tout moment par d'autres archéolo'

80. 81. 82.

Éticnne LE ROY et lbra NDIAYE, ai-je ajouté par la suite 84. Mais si l'incidence d'une telle symbolique semble logiquement incontestable, les manières de les prendre en considération, c'est-à-dire de les repérer, de les évaluer et de les critiquer, relèvent de pratiques exceptionnelles car nous sommes peu préparés à les reconnaître au sens de les identifier et d'accepter leur présence et leur impact.

84.

Sur ces distinctions voir notrc

Louis Dumont conclut ainsi cette analyse

:

>,

Le Monde,l3 mai 2009' p' 7

idée, elle acquiert la propriété de subordonner, d'englober son

contraire36. > Or, c'est ce principe de I'englobement du contraire qui est au fondement du référent foncier précolonial > qui, lors des Journées d'études sur les problèmes fonciers en Afrique (sept. 1980) va relancer la recherche francophone en sciences sociales dans le domaine 87. A un premier niveau, les expériences traditionnelles et modemes des sociétés africaines sont qualifiées de foncières, semblent identiques et paftagent les rnêmes attributs. Mais, à un second niveau, les expériences traditionnelles sont saisies dans un modèle qui les représente, trait pour trait, cornme le contraire des expériences modemes, celles-ci apparaissant dès lors comrre les seules susceptibles de répondre aux exigences des politiques de développement. Ainsi, sans avoir postulé une infériorité de principe des expériences endogènes, les chercheurs introduisent un biais de présentation qui justifie ce qu'on ne peut écrire explicitement mais qui est réellement poursuivi : I'expulsion des solutions dites ( traditionnelles > du < champ foncier > 88. Quand on a pris conscience de I'existence puis des effets d'un tel principe, c'est tout un pan de la recherche qui doit être reconsidéré car cette présentation au mieux ouvre à la caricature, au pire à I'occultation de tout ce qui sort de l'épure du modèle ainsi conçu à partir de ce que I'on veut faire advenir. Et ce travail de reconceptualisation n'ayant jarnais été mené à terme, faute de volonté et de patience, la connaissance des approches pré-modernes du foncier en Afrique reste encore lacunaire ou empreinte d'ethnocentrisme à des degrés qu'on a du mal à apprécier chez chacun d'entre nous. Dans le contexte africain des deux premières décennies des Indépendances, on devinait çe que le développeur cherchait à faire advenir sous le paravent du < référent foncier précolonial >. D'abord la supériorité de la modemité, le principe de I'englobement du contraire étant, selon Louis Dumont, une manifestation centrale de I'idéologie moderne et de I'individualisme égalitaire, introduisant un effet de masque du rapport hiérarchique. Ensuite, et surtout, la légitimité de la généralisation de la propriété privée, comme condition du fonctionnement de l'échange généralisé, donc du marché capitaliste, autre grande invention de la modernité. Nos analyses étaient, à l'époque, au moins partiellement influencées par le matérialisme historique et le marxisme, mais les conclusions n'ont rien perdu de leur acuité en mettant en évidence la constitution de tnonopoles fonciers, le rôle des États et de leurs classes dirigeantes. Nous en reparle
est père, fils et esprit, en soulignant l'égalité des composantes de Dieu, en particulier en affirmant que Jésus-Christ est consubstantiel à son père. On avait alors trouvé un équilibie entre ce qu'on estimait être les < trois composantes d'une divinité >, équilibre qui sera cependant progressivement remis en question au Moyen Age pár les multiples compétitions entre la papauté et I'Empire romano-gelrnanique puis avec les nouvelles royautés avant que la réforme protestante, entre 1520 et 1530, n" scelle la frn, dáns l'espace êuropéen, de funité eschatologique. À I'occasion du concile de Trente, de 1545 à 1563, l'Église romaine reformulera, dans le cadre de la Contre-réforme, la dogmatique catholique où le < trois en un > de Nicée deviendra le < Un en trois >, en introduisant à propos du mystère eucharistique le concept neuf de transsubstantiation du pain et du vin dans le corps et le sang du christ et justifiant un dépassement (une subsumation) des composantes de la divinité dans I'unité proclamée de Dieu. Dans ces divers exemples, on a repéré I'incidence de manières de penser

qu'on dénommera unitarisme, dualisme et pluralisme et que nous allons apprendre à distinguer dans une première section, pour en identifier les implications dans un deuxième point et développer quelques applications dans une demière rubrique.

Trois man¡ères de penser I'ordonnancement du monde et la symbol¡que de la juridicité de l'appropr¡at¡on Le fait que nos manières de penser et d'organiser les catégories de l'esprit humain reproduisent de façon stéréotypée des formulations qui tendent, selon les traditions, à reproduire les principes d'unité, de dualité ou de pluralité était apparu dans les années 1970 comme purement accidentel ou circonstanciel. Lzur répétition dans le temps et dans I'espace, leur présence dans des situations ou des contextes imprévus ont sonné I'alerte. Ce n'est pas de la pensée pré-logique à la Lucien Lévy-Bruhl. Ce n'est pas non plus de la pensée totémique car le mécanisme intellectuel ne repose pas sur des associations par analogie mais sur des processus de groupement et de re-

onorr pr soclÉrÉ, vol.

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82

loNs DE L'AttRopRlA l-toN roNClÈRE

sroupements qui seront donc plus ou moins réducteurs de la diversité des situaiions (du < réel >), selon que l'on va de la mise en çause du principe d'unité à celui de pluralité qui, commençant à trois données, peut en associer plus si toutes ces références sont unies par la même symbolique. Car c'est bien de symbolique dont il s'agit, non seulement dans le contexte de la dogmatique chrétienne que nous venons d'évoquer avec le triangle de Nicée mais de tout système de pensée qui recourt à un principe général de classifrcation et de stratification (le UN, le DEUX ou le TROIS et plus) pour les combiner éventuellement et organiser son système d'institutions et donc, pour ce qui nous concerne, les rapports entre les hommes à propos de l'appropriation de la terre et de ses ressources.

Au point de départ de cette recherche, il y a un aphorisme que développe Michel Alliot au fondement de sa théorie des archétypes institutionnels : < dismoi comment tu penses le monde, je te dirai comment tu penses le droit >. Sa matière est constituée des croyances que nous disons religieuses parce qu'elles relient le visible à I'invisible et, parfois, des pratiques dites sacrées parce

qu'elles nous coupent du profane et nous obligent à des rituels particuliers. Mais son objet ce sont les conceptions du monde qui ont conduit M. Alliot à distinguer trois grandes traditions. Nous allons caractériser ces trois traditions en suivant cet auteur puis j'indiquerai pourquoi on a tenté d'aller plus loin vers une lecture symbolique d'un principe de cohérence dans I'ordonnancement du mondc, donc du droit.

La théorie des archétypes de Michel

Alliot

< Pour toute société, le monde invisible explique le monde visible : il lui donne cohérence et sens. D'où I'importance de la parole par laquelle I'invisible se manifeste et celle des rites quí permettent øu visible d'øgir sur I'invisible. D'où l'ímportance qussi de se réfërer à I'invisible pour comprendre le monde visible non seulement comme un ensemble møis aussi dans chacune de ses manifestations. Or, l'invisible des trois univers en questiott apporte trois explications dffirentes du monde visible : monde incréé de la tradition chinoise, monde crée dans la tradition égtptienne et africaine mais par une divinité qui ne s'est que progressivement distinguée de lui, monde de la tradition du Livre soumis à un Dieu radicalement distinct auquel il doit sa création à I'origine et à chaque instant de façon continue. Une telle divergence ne saurait être écartée par quiconque cherche à comprendre les phénomène.s juridiques. r (Alliot, 2003 [983], p. 310)

À partir de cette relation entre une représentation d'une origine du monde dans le néant, l'incréé ou le chaos et les figures du créateur, respectivement Dieu, le divin ou une instance fécondante, I'auteur distingue trois archétypes selon lesquels le monde s'est organisé: le principe de soumission dans les sociétés issues de la tradition abrahamique, de I'identification dans les sociétés

83

DRorr

ET

socrÉTÉ, voL.54,20l

I

RÈpRÉSEN] ATIoNS D'ÊspACÈs

LÀ r'ERRE DE L'AU'I'RE

que I'univers a une nécessité de créer éternellement des vies, d'évoluer, de se mouvoir (...) Lø loi d'hqrmoniser signifie le modèle d'existence de l'univers et son ordre de croissønce et de mouvement (...) L'harmonie

çonfucéennes et de la différenciation dans les traditions animistes. Et c'est là où on peut commencer à deviner la structure symbolique propre à chaque tradition.

Dans

la tradition abrahamique

est la loi générale de tout ce qui se fait dans l'univers. >

La création du monde à partir du néant par une instance unique, Dieu, extérieure, supérieure, omnipotente et omnisciente va conduire à la hiérarchisation des créations pour aboutir à I'homme, conçu à l'image de son créateur puis déchu de son statut en raison de la faute originelle qui le condamne au travail et à I'enfantement dans la douleur. Comme le souligne Michel Alliot, le monde aurait pu être créé autrement, ou ne pas être créé. Cette création est purement discrétionnaire et elle pourrait être effacée. L'homme est donc en totale dépendance à l'égard de son créateur et, de ce fait, la frgure qui va prendre (tardivement) la plãce de Dieu dans le monde profane comme son avatar, l'État modeme, pourra mobiliser I'archétype divin de la soumission à son profit. En outre, ce processus repose sur une exo-genèse, I'ordonnancement venant de cette instance extérieure et supérieure et les humains n'ayant pas d'autre possibilité que de I'accepter, ou de se révolter. Dans la tradition confucéenne Cette tradition, ne I'oublions pas, est loin de résumer les conceptions chinoises sur le monde :
identifiés et nommés représentations d'espaces. Cette lecture qui est applicable aux sociétés de chasseurs-collecteurs (Pourtier, 1986, infra) comme à nos montages d'institutions les plus contemporains suggère donc d'approfondir le se-

L'AppRotRIA IIoN foNCtÈRË

La seconde question a trait au réseau comme un maillage, un barrage filtÍant, un grillage ou un filet (le en anglais, qui se décomp ose en intra net et inter net selon le développement du réseau de communications électroniques

devenu en quelques années si indispensable). Gordon Woodman (2002, p.43) nous dit que la réalité de la pratique du common law relèverait plutôt du principe de différentes rencontres, collisions, agrégations, à nouveau comme dans la physique quantique mais à l'échelle de groupes sociaux. Rappelons enfin que ces espaces de représentation ont une fonction essentiellement symbolique, au sens ( grec D qu'ils expriment le partage d'une valeur, d'une fonctionnalité, d'un principe d'organisation permettant d'expliquer ou de justifier comment une part de l'étendue est traitée en espace et, plus ou moins explicitement, selon quels investissements des acteurs, donc selon quels rnodes d'appropriation. Ceci a deux conséquences.

onotr

rr

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L'AppRopRlAIroN FoNcrÈRE

D'une part une forme symbolique peut avoir des significations différentes dans les diverses cultures selon ce qu'on

y associe comme valeur, fonction ou

orincipe d'organisation. On doit donc se méfier de prétendus

dite initiatique ou < symbolique > (mais caricaturée si son usage fait seulement æuvre d'occultation de ce qu'on entend investir dans les non-dits et spécialement dans le rapport à l'invisible). D'autre part, la manière d'investir cette symbolique et d'en rendre compte dépend d'un contexte personnel, circonstances de temps et de lieux où on peut dire ou ne pas dire, et du niveau d'information, de formation ou d'initiation (dont le terme est I'au-delà de la vie dans des situations africaines que j'ai ap-

ässociés à une pensée

prochées).

Notre démarche s'apparente ainsi à la recherche de ces < lieux de mémoire > qui ont captivé I'histoire contemporaine en France. Mais les espaces de

représentations ne sont pas seulement des réceptacles d'informations et de connaissances, des lieux de stockage de nos expériences humaines, Associés dans ce que nous avons déjà appelé des < matrices spatio-temporelles >> (supra, Introduction générale) ils sont aussi, par leur mobilisation, des producteurs d'espaces, des transformateurs de l'étendue en unités sociales dotées de caractéristiques propres qu'il appartient à chaque observateur d'identifìer et d'interpréter.

L'exercice suivant n'a donc d'intérêt que comme un excitateur de nos curiosités. I1 n'a pas pour objet de proposer de nouveaux formalismes ou d'en critiquer de plus anciens mais d'aborder ces fonnes avec la disponibilité et la légèreté du défricheur afin de témoigner de la liberté de l'être humain à conce-

voir et à construire les espaces du possible. Des formes symboliques pour décrire et mesurer l'espace ef son appropr¡ation Nous avons déjà pris connaissance de ces formes puisqu'elles sont à la base de la représentation géométrique de I'espace identiflrée dans le chapitre premier. Ces formes sont aussi innombrables qu'on peut imaginer de polygones. On ne saurait prétendre les recenser toutes ni, pour chacune, proposer la symbolique que suggèrent ses applications connues. On va donc retenir trois formes de base, le triangle, le carré et le cercle autorisant des combinaisons de ces formes simples, dont la fameuse pyramide dont on a déjà évoqué la place dans la recherche néo-institutionnelle. Le triangle, formé par trois droites qui se coupent et sont limitées à leurs

points d'intersection est sans doute une des figures les plus fréquentes de I'architecture. On en trouve des usages en astronomie, en musique, en agriculture, en arithmétique et, bien entendu en géométrie. En alchimie, le triangle est le symbole des trois principes du grand æuvre, le soufre, le mercurç et le sel (ou I'arsenic). La symbolique, comme nous I'avions déjà appréhendée dans le modèle du concile chrétien de Nicée, est donc d'associer des éléments ou principes différents pour en faire un produit comrnun, une æuvre, et promouvoir la pluralité dans l'unité.

97

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I

REpRÉsENt'At'toNS D'ËspACEs

LA TERRE Dn L'AUt RE

Le cercle est une surface plane que limite une ligne courbe appelée circonference dont tous les points sont à égale distance d'un même point intérieur appelé centre. C'est donc ce point qui fait le cercle. Mais c'est la circonférence qui en fait une forme géométrique. En géométrie, si le point vient à disparaître, il est toujours possible de I'identifier à partir de la circonférence et au milieu d'une ligne réunissant deux points opposés de la circonférence, le diamètre. Par contre, dans une représentation topocentrique, si le point dit centre disparaît c'est I'ensemble de sa matérialisation qui s'évanouit. Dans la diversité des usages, sans doute au moins aussi grands que pour le triangle, on voit apparaître deux dimensions de la symbolique du cercle, d'une part ce qui appartient à un ensemble (dans le cercle) et ce qui lui est étranger (hors du cercle), d'autre part et en conséquence le cercle est associé à la notion de partage qui est, rappelonsle, à la fois ce qui réunit et ce qui divise ou différencie. Mais la symbolique de ce qui réunit paraît la plus forte. Traitant, à la suite de Robeft Vachon, des conceptions de ceux que nous dénommons en français des lroquois et qui se disent Haudenosaunee, Christoph Eberhard remarque à propos des nations qui les constituent : Plutôt que de s'en remettre à un pouvoir supërieur, ò l'instar du Léviqthan de Hobbes, et de s'inscrire dans une matrice pyramidale (...), c'est vers la symbolique du cercle qu'elles se tournent pour penser leur cohabitation harmonieuse. Dans le cercle, tous sont égaux. Nul ne peut
(Larousse, circum 1900, II, P.522) C'est peut-être la notion de carré magique qui nous livre I'idée symbolique la plus utile à comprendre le rôle de cet espace de représentation comme un idéal de perfection. Non seulement les quatre côtés et les quatre angles sont égaux mais, en outre, I'inscription de chiffres dans des compartiments égaux, selon un ordre naturel, produit toujours le même résultat quelle que soit la lecture en ligne, en colonne ou en diagonale. Je me suis limité ici à ne décrire que trois figures de base, lesquelles peuvent être combinées entre elles et, surtout, donner lieu à des applications d'une extrême diversité. Retenons au moins de ces brèves explications que ces formes géométriques ont pour intérêt, comme espaces de représentations, de nous mettre sur la piste de ces valeurs et dispositifs qu'une société considère comme centraux (cercle) dans sa vision de son organisation et dans la mise en scène de ses rapports de pouvoir en valorisant ou en niant la pluralité des inscriptions de ses membres (triangle). L'idée de partage ouvre ensuite notre recherche sur la sélectivité des appartenances et la justihcation de principes d'exclusion, permettant ainsi de désigner l'étranger et le membre de la société. Enflrn, ces formes géométriques, avec I'idée de perfection qui peut y être associée (carré) sont des outils performants pour exprimer la conception sous-jacente de I'exercice du pouvoir politique. Et de la théorie de I'appropriation fondée sur un droit exclusif et le plus souvent absolu. Nous y reviendrons à propos des jardins. Des formes symboliques empruntant à des métaphores cosrniques pour se sifuer sur l'étendue et dans le temps

Le GPS nous a, ces demiers temps, rendu sensible à I'utilité de disposer d'un point d'observation et de référence situé hors de notre globe pour faciliter nos positionnements et notre circulation sur l'étendue terr€stre. Parmi les catégories ou de classes d'objets susceptibles de servir d'espaces de représentation on en relèvera trois.

L'étoile, comme objet singulier peut apportcr des indications de direction (l'étoile polaire au Nord ou la Croix du Sud selon que l'on est au dessus ou au dessous de l'Équateur) ou de temps selon deì périodicités dont traite l'astronomie. Elle est associée alors au topocentrisme. Mais ce sont les regroupements d'étoiles qui ont à la fois excité I'imagination des hommes et facilité ses déplacements. Elles sont plus ou moins étroitcment associées aux représentations d'espace que nous avons identifiées, en particulier à la représentation odologique.

106. Christoph EBERHARD, < Lc ccrcle commc ouvcrture pour la paix. Détour par dcs visions amórindicnncs et tibótainc du Droit )), ID., ( Lc droit cn pcrspcctivc intcrculturcllc, imagcs réfléchics dc la pyramidc ct du réseau >>, Revue hterdiic'iplinait'e d'Etudes juridiques, vol.49, 2002, p.313-314. Robcrt Vachon a été dircctcur dc l'lnstitut Intcrculturcl dc Montréal ct un dcs pionnicrs du dialoguc intcrculturcl à l'óchcllc mondialc.

nnorr Br socrÉrÉ, vol.

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I

98

La constellation est ( un groupe apparent d'étoiles présentant une figure conventionnelle déterminée, vue de terre >.(Robert, 1996, p.45 l) par exemple la Grande Ourse contenant l'étoile polaire ou la Petite Ourse. Le caractère pu-

99

DRO¡T ET socrÉTÉ. vol.54,201 |

REpRÉsENl At'toNS D'ESpACES ET ESPACES DB REpRÉsEN]-A l roNs DE L'AppRopRrA l

LA TERRE DE L'AUTRE

rement conventionnel de ces regroupements fait des constellations des types très originaux d'espaces de représentations, fondés sur la ftction qui leur a donné naissance. Parcelles dispersées dans l'étendue, territoires émiettés peuvent mobiliser la métaphore de la constellation pour introduire l'idée d'unité ou de récurrences là où un simple coup d'æil constate un désordre. La nébuleuse est ( tout corps céleste dont les contours ne sont pas nets )) Ses deux applications les plus notables sont d'une part la voie lactée, dans notre galaxie et d'autre part la nébuleuse extra galactique défrnie comme < énorme ensemble d'étoiles, d'amas d'étoiles et de matière interstellaire, sa dimension comparable à la voie lactée >. En tant que métaphores, les notions de constellation et de nébuleuse interferent avec des catégories proprement géographiques comme I'archipel qui originellement désignait la mer Egée caractérisée par ses très nombreuses îles et qui, métaphoriquement, connote I'idée d'une dispersion selon un principe d'unité plus ou moins conventionnel (ainsi pour les douze îles de la Grèce orientale en limite de la Turquie dites Dodécanèse). J'ai eu à en vivre une application particulière en préparant la réforme foncière de la République Fédérale Islamique des Comores à partir de 1986. Cet État qui a accédé à I'indépendance en 1975 est-il composé de trois ou quatre îles ? Mayotte, en raison de I'ancienneté de son rattachement à la République française, est-elle naturellement conduite à devenir un département de plein droit après avoir dû se contenter pendant trente ans d'un statut vague et inceftain ? Pour certains, les critères d'appartenance géographique sont < nébuleux ) et seuls comptent les décisions prises démocratiquement. Pour d'autres, j'en parlais avec feu le président Abdallah, les quatre îles sont comme une constellation et toute soustraction d'une île fait disparaître la cohérence d'ensemble du dispositif; donc altère I'idée même d'une national! té comorienne. Nous n'étions pas loin dans nos débats de I'exigence de la reconquête de I'Alsace-Lorraine en L914. Des formes pour identifier des modes de rattachement ou de détachement des individus à des espaces spéc,'flgues Nous retrouvons ici la problématique du réseau pour en identiher au moins trois applications. Je rappelle tout d'abord la définition que j'en donnais en2002l. , Politique africaine, vol' 21, 1986, < Politiques þncières et terri' toriales >,p. l0-21.

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REp¡rÉseN r,c

LA TERRE DE L,AU'fRE

lroNs D'ESpACES Et'

ESPACES DE REIRÉsÊNt A

IloNs DE L'AppRopRrAl roN r.oNCrÈRE

Quant au château, si I'on se retourne, reflété tout entier sur les eaux, iJ lui suffit d'une risée pour disparaître, englouti corps et biens, rotondes et dômes, hautes fenêtres, æils-de-beuf et cheminées.

moment où sera ouvert I'espace consacré auxfutures plantations, et en-

Un trouble vous prend, celui des masques et travestis, une sorte de

quement du consensus. S'il se rëqlise, les exploitants se trouvent réunís en une seule plantatiott, sinon ils se dispersent. Dans chaque communauté, on rencontre à lafoß l'une et I'autre solution: un grand jardin

plus léger, moins engoncé de vous-même. Pour un peu, vous vous quitteriez pour aller rejoindre Dieu sait qui (...) Malheur à celui ou à celle, femme ou iardin, qui ne surprend pas son visi-

danse

;

vor,ts vous sentez

teur.

Et puis la paix revient. Vous avez gagné le vertugadin, I'amphithëâtre de pelouse qui surplombe le canal. Au loin, près de I'horizon, l'Hercule Fqrnèse vous protège tandis qu'une þntaine, la Gerbe, s'amuse avec le soleil. Votre plein fait de surprises, I'heure est à votre repos. Vous goutez le jeu des lignes et l'écho des pentes qui, d'un bout à I'autre, s'appellent et se répondent. Des accents vous parviennent comme un chæur, une hrtrmonie des formes, la musique muette, celle que seul l'æil

perçoittt3.

>

jardin Yanomami, un ordre lignager temporairement introduit dans un trou de la forêt équatoriale américa¡ne

Le

Jacques Lizot a fait des Indiens Yanomami, installés à cheval sur la fron-

tière séparant le Vénézuéla du Brésil, des descriptions d'une très grande richesse dont nous extrayons ces notations relatives auxjardins ; Le jardin, en langue vernaculaire, c'est le trou, la clqirière (theka). Lorsqu'on I'ouvre, on coupe d'abord le bois mort à la machette, puis les arbres à la hache. On attend que lø végëtation se dessèche avant d'allumer des feux qui sont øliment,és et déplacés aufur et ò mesure sur le sol. Les plantations prennent place sur I'espace brûlé. Pour agrandir la surface disponible, on essarte en coupant la þrêt suivant une direction constonte. Lø partie dujardin qui est à I'avant de l'axe de progression en est le nez (hikari bei ke theka). La partie opposée, celle qui sera qbandonnée au fur et à mesure que s'épuiseront les plantations, et le iardin livré peu à peu à la végétation, en est le cul (hlkari bosi ka theka). >
, p. 128-165

nents d'eilutologie,

ll3.

ÉrikORSENNA, Portraitd'unltotunehew'eux,AndréLeNôtre,Fayard,Paris,2001,p.53-55.

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REPRÉsEN'|-A r'¡oNs D'EspACEs E'l ÈspACES DE REpRÉsBNl A-rloNS DE

LA lERRE DE L'AU.TRE

nels des sites à la fois beaux et créatifs. Avec son épouse Nur Jahan,

les graviers blancs avec application, et laissez lø magie du Ryôan-ji s'imprégner en vous tls. ))

À Tivoti (Latium,

(...) Jahangir conçut certains des plus beaux jardins d'Inde, comme ceux de Shalimar au Cachemire. (...) Comme dans les autres iardinsmausolées moghols, le visiteur est particulièrement frappé par

ttatie) te jardin à l'itatienne sur /es traces de l'empereur

Hadrien et du cardinal Hippolyte

ll

I'imposante et constante géométrie, bien que de multiples éléments nécessitenl d'être restaurés. Le mausolée lui-même adopte laforme d'une table renversée ; il est constitue de grès rouge et blanc crème et hqbillé d'un minaret à chaque angle. À I'intérieur, les tombes sont ornées de marbre et de pierres semi-précieuses, oux nombreux motifs floraux.

d'Este

Avec la villa Adriana, nous remontons aux origines romaines du jardin à l'italienne dont la villa d'Este, dont l'architecte fut Pirro Ligorio, est, selon mon ouvrage de référence du jardin-mausolée de Jahangir

(Lahore, Pakistan) Le jardin < musulman )) ne se résume pas à cet exemple moghol. La Perse, la Turquie, l'Andalousie offrent aussi d'autres lectures du jeu des formes, de la lumière et de I'eau. Mais cette référence < géométrique > est une façon de mar-

quer la dette que nous avons à l'égard de I'intelligentsia des pays arabomusulmans dans la transmission et le développement des connaissances scienti fiques. Le mausolée de Jahangir, quatrième empereur moghol qui régnø de 1605 à 1627, est érigé dans un des plus admirables jardins-mausolées de I'Inde du Nord. Il illustre la tendance àfaire des lieux de repos éter
(Brazzavillc, Écolc de droit, 1973, l" éd.1972) et sont rcstées au fondemcnt dc ma plaicformc thóoriquc systémat isée dans Le jeu des lors (Éticnne LE RoY, 1999). 125. Il s;agit plus ici d'un dcssin quc d'un desscin. La notion dc projet suppose dans cc typc dc société unc architccture mais non unc intentionnalité systématiqucmcnt mise cn æuvre commc on I'obscrvc dans les sociétós dites ( prométhéennes ))'

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l'individualisne de Louis Dumont (1984) pour en comprendre toutes les implicationsl26. Je relève seulement deux observations. D'une part, la pensée de l'époque en mettant en évidence le rôle moteur du couple individualisme v/s collectivisme reste emprisonnée par le principe de I'englobement du contraire dont on a déjà dit, à la suite de L. Dumont, I'impact particulièremcnt accablant. Car, en réduisant à deux termes la question des composantes de la société, les révolutionnaires de 1789 niaient la troisièr¡e dimension dont ils étaient issus, les communautés, qu'elles soient à pot et à feu dans les campagnes ou d'ateliers pour I'artisanat et le négoce dans les villes. Dès mes premiers travaux au Sénégal, je suis convaincu qu'il existe un troisième terme entre I'individualisme et le collectivisme, le communautarisme, cette demière formule se distinguant des deux précédentes (qui valorisent respectivement les intérêts de I'individu ou du groupe t27) par la recherche d'un équilibre, toujours sous tension et remis en question, entre les intérêts des uns et de I'autre. En fait I'un par I'autre, le groupe par I'individu et I'individu par le groupe (Le Roy, 1999,p.156,227). J'ai qualifié précédemment cette définition de rustique car elle n'est guère sophistiquée et d'une certaine irnprécision. Mais deux faits vont rne conduire à m'en tenir là. Quand on compare encore, en la frn des années 1960, les sociétés africaines et européennes contemporaines, on peut facilement admettre que ces sociétés africaines ne sont, < globalement >, ni individualistes ni collectivistes, surtout quand le collectivisme est revendiqué par des régimes socialistesl2s qui illustreront leur totale étrangeté par rapport aux modes locaux d'organisation 126.

lly définit en particulicr le holismc commc ( une icléologie qui valorise la totalité sociale et néglige ou subordonne I'ittclividu humain, (.,.) Par extension, une sociologie est holiste si elle part de la société globale et non pas de I'indiviclu supposé donné indépendanlaent > (Louis

DuMoNr, 1983, p.263). 127. Nombrc dc distinctions doivcnt ôtrc

ici opórécs. L'individu n'cst pas simplcmcnt la pcrsonnc juridiquc modcme, mais aussi l'ôtrc humain à composantc pluralc dcs traditions animistcs

africaincs ou indicnncs. On pcut aussi opércr unc distinction cntrc dcux typcs dc rcgroupcmcnts en ( groupcs > introduitc par Gicrke en latin, rcprisc par Barkcr cn anglais ct populariséc par Louis f)umont quc jc citc à propos dc I'institution dc la Justicc (Ëticnnc LE Roy, 2004): < il nousfaut distinguer universilas, ou tutité organique (corporate), de la societas ou assocíatiott (parlnershíp) et dans laquelle les membres restent distincts en dépit de leur rclation et où I'unité est aínsi < colleclive )) est non organique l (Louis DUMONT, 1983, p. 82). Lc collcctivismc au scns du xx" siòclc, tcl qu'cxpórimcntó par lcs dictaturcs fascistcs ou marxistcs (léninistc ou maoistc), corrcspondrait à la rcchcrchc (tout cn la dónonçant commc lc rappcllc Dumont) d'une unitó organiquc ct viscrait ainsi plus la fusion holistc dans unc totalité (øøiversilas) quc la réunion des mcmbrcs d'un groupc cn societøs. 128. J'ai pcrsontrcllcmcnt cxpérimcnté unc vcrsion < scicntifiquc > du socialismc marxistc tropicalisé ou, plus cxactcment < óquatorialisé > puisqu'il s'agissait dc la Rópubliquc populairc du Congo durant lcs dcux annócs univcrsitaircs oùj'ai africanisé, à la dcmandc lc I'a¡nbassadcur dc Francc Picrrc Hunt, lcs cnscigncmcnts d'histoirc dcs Institutions à l'Écolc dc droit dc I'univcrsité dc Brazzavillc, en l97l-1972 ct 1972-1973. L'un dc mcs choix pódagogiqucs était dc donncr à mcs ótudiants la capacité dc sc mouvoir dans un mondc juridiquc complcxc où l'óconomic forlncllc ct la justicc ótaicnt dominóes par un individualismc juridiquc issu du droit colonial, la vic publiquc organiséc sclon lcs principcs dc la dogmatiquc du collcctivismc soviétiquc ct la vic familialc ct localc toujours organiséc sclon lcs principcs du communautarismc bantou au nom dc la < tradition >. Pour survivrc dans dc tclles sociótés il faut apprcndrc à.conjugucr la < pluralité dcs mondcs >, théoric quc jc dóvcloppcrai dans mon Jeu des lois (Éticnnc LE Roy, I 999), à la suitc dc Boltanski ct ihévcnot ( I 9é i ¡.

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sociale. Pour dire les choses sitnplement, prétendre que les sociétés africaines sont cornmunautaires est dans le contexte intellectuel et politique de l'époque < acceptable >>, mais à condition de n'y pas rester car la crainte de I'enfermement dans le primitivisme est toujours présente dans les têtes et I'englobement du contraire reste une tentation dominante des sciences sociales. Il faut donc contrecarrer la tendance à revenir au couple individualisme versus collectivisrne. Mais c'est un second fait qui va bouleverser ma perception du problèrne : aucune société, au moins à l'époque contemporaine, n'a un projet ( pur D. Dans chacune, on peut trouver des éléments correspondant à I'individualisme, au collectivisme ou au communautarisme, selon les époques, les acteurs, les enjeux, les contextes, etc. Dès lors, ce n'est plus en les opposant qu'on peut comprendre leurs efficacités mais en analysant leurs complémentarités. Et le communautarisme sur lequel je vais, entre autres, travailler plus ou moins occasionnellement en Afrique puis en Europe pendant au moins une trentaine d'années, peut aussi être lu coûtme I'illustration d'une combinaison d'individualisme (en périodes de prospérité) et de collectivisme (en temps de crises) avec la recherche constante d'équilibres entre des tensions (ou tentations) extrêmes.

Des régimes de juridicité inhérents aux d¡vers proiets de soc¡été Alors, pourquoi en faire tant cas ? 11 y a une relation substantielle entre ces projets de sociétés, plus ou moins purs, plus ou moins métisses, et la qualiflrcation des rapports de droit. C'est nne autre des avancées de la recherche en anthropologie du droit que d'avoir admis que I'essence de l'individualisme tient dans la distinction entre le privé et le public, avec un jeu constant sur la part à reconnaître à ces deux dimensions de la juridicité, mais que cette distinction n'est pas universelle. Elle suppose en effet, avec la référence romaine au publicum,laconnaissance de liturgies politiques inscrivant les membres de la société dans un proto État de type comme celles qu'observait Louis Dumont en Inde. De ces discriminations nait une contradiction entre le sens commun et l'énonciation de la norme juridique. Là où le droit se proclame applicable à I'ensemble des citoyens, émerge I'idée qu'il existe des règles qui, ( par nature >, donc selon la culture propre à ce groupe, s'appliquent ou ne s'appliquent pas aux dominants. Un tel système est non seulement inégalitaire mais aussi discrétionnaire et discriminatoire et sa reproduction dans des sociétés qui se prétendent profondément démocratiques selon une règle du jeu individualiste provoque de véritables scandales. On le voit en 2008-2009 à propos de la remise en cause de privilèges et immunités bénéficiant aux élus (Parlementaires en particulier) ou aux Ministres, que ce soit en France, en Grande Bretagne ou en Allemagne. Dans des sociétés socialistes qui se disent collectivistes, je vois apparaître cette distinction entre l'empereur chinois et ses rnandarins d'une part et le peuple de I'autre, les membres du parti communiste soviétique et le prolétariat, les caciques du parti unique entourant le chef Führer ou caudilho et la masse populaire de l'autre. Mais je reste prudent quant à la généralité du processus et je m'en tiendrai, dans les lignes suivantes, au régime en ( communs >, celui qui est donc, au sens littéral, lié au communautarismel2e.

Des habitus fonciers On qualihe usuellement ces régimes d'appropriation de < systèmes coutur>, mais l'adjectif coutumier a perdu une très grande partie de sa capacité descriptive et interprétative du fait du laxisme des utilisations qui en ont été fai-

miers

129. Prcnons I'cxcmplc de la fóodalité. J'évoqucrai dans la troisièmc partic lc rógimc féodal curopécn mais il ne sera pas traité ici cn tant quc tcl car il rn'apparaît commc un modc politiquc dc domination symboliquc dc I'cspacc, la rclation fóodale (dc ficf1 étant fondéc sur lc rapport dc confiancc, d'homme à hommc, puis la sécurité juridiquc dc la tcnurc assuróc par I'appartcnancc aux communautés, donc par lc rógimc dcs communs pour lcs paysans ct par lcs lignagcs pour la noblessc.

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tes. Car, à nouveau ici aussi, le syndrome du principe de I'englobement du contraire a frappé et la coutume est appréhendée au prisme de la loi et comme son double négatif(Le Roy,2004). Dès 1969, les Wolof du Sénégal m'avaient apporté quelques distinctions essentielles que j'exploite en conclusion de la thèse d'Etat (Le Roy, SFDR, 1970), pour y revenir ensuite en les confrontant avec les matériaux lari et bakongo du Congo en 1972, les expériences des Diolas de Casamance en l9l9' Mais, il me faudra attendre les années 1990 pour admettre que le recours à cette terminologie non seulement n'explique rien mais complique tout, en nous enfermant dans une conception du droit (positif, lié au monopole de la loi) qui nous interdit de comprendre ces expériences originales de la juridicité. Je ne me suis dès lors plus contenté de qualiher telle expérience de coutumière ou de définir la coutume selon le régime des sources du droit positif, j'ai cherché à comprendre ce que les diverses références à la coutume connotaient pour admettre dans Le ieu des lois (Le Roy, 1999) qu'elles véhiculaient deux réalités différentes, des modèles de conduites et de comportements (MCC) et des systèmes de disposition durable (SDD) susceptibles d'être intégrées dans la théorie d'un régime tripode de juridicité avec les norrnes générales et impersonnelles (NGI) qui sont le cadre d'expression de la loi et de ses dérivés. Si j'ai eu tendance à associer I'expérience africaine aux modèles de conduites et de comportements et l'approche confucéenne de la régulation aux systèmes de dispositions durables, j'avais, là aussi, senti une complexité inéductible faisant des trois piliers (NGI, MCC, SDD) les composantes de la juridicité susceptibles d'être connues et exploitées par toutes les sociétés (ou presque) t:0. Et plus je reviens à mes matériaux initiaux de terrain, plus il me semble nécessaire de penser I'organisation de ces régirnes (( en communs )) en terme d'habitude plutôt que de coutume. Habitude sera tenu par moi comme la traduction < grand public > de la notion d'habitu^s si heureusement exploitée par Pierre Bourdieu dans son anthropologie des Kabyles algériens des années 1950 (Bourdieu, 1980, 1986). Je ne reviendrai pas sur des analyses déjà menées pour centrer mon propos sur quelques idées nouvelles et sur la conséquence que j'en avais tirée dès 1969 sur le plan du modèle descriptif de ce régime ( commun > et ( en communs D, modèle qui ne peut être normatif/prescriptif comme dans la description du droit mais formel, en identifiant les corrélations entr€ les données qui < constatent > la juridicité des rappofis sociaux étudiés indépendamment de l'énonciation possible de catégories normatives formulées.

La notion latine de I'habitus et sa non traduction en frança¡s Ce n'est que récemment que j'ai eu la curiosité d'ouvrir mon dictionnaire latin à l'entrée habitus qui a quatre acceptions complérnentaires: lo Manière

d'être, dehors, aspect extérieur, 2" Mise, tenue, 3" Manière d'être, ëtat, 4" Ma130. J'ai illustré réccmmcnt ccttc analysc dans ma contribution < Pouvoir ct droit dans unc société "pré-étatiquc" à pouvoir ccntralisé, cxcmplc dcs royaumcs wolof du Sénégal > à I'ouvragc collcctifdc l'Arao,Anthropologies et droits..., (op. cit.),2009,p.157-166.

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nière d'être acquise, disposition physique qui ne se dément pas (Gaffiot, 1950,

o.732). ' Le français ne traduit pas ce terrne, sans doute embarrassé par des associations d'idées qui contreviennent à < la manière > d'aborder les problèmes de régulation dans la société modeme. Dans le dictionnaire Le Robert et à I'entrée habitus, ces acceptions sont regroupées en deux signifiants, I'un dit médical, I'autre sociologique : I 2 qui rapproche I'habitus de la coutume n'est pas valorisé et, encore moins, la reconnaissance d'une autorité associée à ce type de pratiques et ouvrant à des engagements dans la société. Cette idée, c'est Pierre Bourdieu qui en développe les implications.

L'habitus dans la soc¡olog¡e de Pierre Bourdieu Je me réfère ici principalement à un article de 1986 dans lequel P. Bourdieu met en parallèle les expériences du droit (la codification) et de la régulation selon le sens pratique (l'habitus) au regard d'une critique du juridisme défini comme < la tendance des ethnologues à décrire le monde social dans le langage de la règle et à faire comme si l'on qvait rendu compte des pratiques sociales dès lors qu'on a énonc,¿ la règle explicite selon laquelle elles sont censés être

produiteJ )) l3l.

des principes générateurs des pratiques, il a observé l'habitus comme à associer une régularité à une règle et une règle à une énonciation systématique (tant de forme que de fond) qu'il nous vient difficilement à l'esprit qu'il puisse exister des règles qui se connaissent seulement par la socialisation au quotidien, s'identifient par une gestualité spécifique et se transmettent par des moyens qui ne relèvent pas de I'explicite mais d'un implicite organisé en sorte qu'à toutes les récurrences associées à des usages correspondent des occurrences relationnelles tenues pour des contraintes et donc sanctionnées. Et, parmi ces moyens, le principal est la pression sociale, la crainte de perdre la face, de déroger, de ne pas répondre aux obligations liées à son statut, etc. Si on veut dire cela de manière plus académique et juridiquel32, on prétendra que le droit est autonome alors que la juridicité (dont fait partie I'habitus colrme SDD) est hétéronome. Le droit repose non seulement sur des noünes générales et impersonnelles mais celles-ci sont considérées comme constituant un registre particulier, ( autonome >, qui a la prétention de se reproduire et contrôler, voire de s'auto reproduire par autopoïésis ainsi queje I'explique dans la référence citée ci-dessus. C'est pour cette raison qu'on poulra dire du droit qu'il est < positif > en reposant sur des sources et des modes de fonctionnement qui lui sont propres, au moins dans la théorie et selon les juristes. La juridicité est hétéronome. Elle est comme le bemard-l'ermite, ce crustacé qui se loge dans des coquilles abandonnées, à cette différence près que les règles de lajuridicité s'inscrivent dans des régulations bien vivantes, de la parenté, de la religion, des rapports au sacré ou aux pouvoirs, de la morale, etc. Le signe diacritique de la juridicité n'est donc ni dans la neutralité de la norme comme le supposait Jean Carbonnier 133 ni dans son autonomie (donc selon des critères de séparation ou d'opposition), mais au contraire de liaison ou de relation entre des champs (la parenté, le politique, la production ou la redistribution des ressources) qui doivent être mis ou ne pas être mis en rapport pour produire certains effets. L'image d'une installation électrique, de ses câblages, interrup132. Éticnnc LE Roy, < Autonomic du droit, hétóronomic dc la juridicité >>, in ,

vol. 57, n' 2,2007, p.341-351.

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teurs, disjoncteurs, etc., peut rendre compte, comme métaphore, d'un dispositif qui repose essentiellement sur des objets et des techniques mais suppose, tant pour la conception que pour la mise en ceuvre. des régularités et la connaissance de ces régularités, sous peine de destruction du réseau. On retiend¡a donc de ces observations que nous avons à rendre compte de rapports qui sont observés à l'état pratique, à travers des gestes et des manières de faire, mais aussi de dire, supposant une répétition, avec une certaine élasticité dans le dispositif qui, I'une et I'autre, rendent les conduites probables mais pas inéluctables ou imposées sans contestation ni discussion. Nous somnles dans une problématique de pluralisme juridique dans laquelle les opportunités sont choisies selon des stratégies qui permettent d'optimiser au mieux différentes contraintes. Là où le droit exige I'application d'une norme, I'habitus comme fondement de lajuridicité ouvre à divers possibles que chacun connaît et auquel il est préparé à adapter ses actions, ce qui ouvre une sécurité au moins aussi grande que la mobilisation d'une norme générale et itnpersonnelle tout en ne

profitant, c'est là sa contrainte pour l'étranger, qu'à ceux des membres du groupe (communauté etlou société) socialisés dans ces habitus. Nous I'avions déjà approché, mais il y a lieu de le souligner ici, ce modèle de sécurisation foncière repose sur un principe d'endogenèse. C'est ce qui vient de I'intérieur du groupe qui est privilégié et lajuridicité n'a pour vocation que de s'appliquer

( frères > aux ( communaux )) (selon des degrés variables de distinction) et non à tous indifféremment. Au regard des valeurs de la modernité liées à I'exigence d'universalité, le régime (( commun > d'appropriation ( en communs )) est sélectif et inégalitaire, a-démocratique sans être antidémocratique car on évitera de confondre dans nos analyses les principes de < aux mêmes D, aux

structure du champ foncier qu'on examine dans cette partie et les choix contemporains de politique foncière qui doivent intégrer la complexité des si-

il faut rendre compatibles des expériences de régulation foncière aux logiques substantiellement différentes. Au regard des exigences de pluralisme, de dynarnique et de complexité qui caractérisent une lecture anthropologique du phénomène juridique, la formalisation des habi¡¡s fonciers non seulement exclut la formulation d'une norme comfite nous venons de I'expliquer, mais suppose aussi, pour être connue et exploitée par < I'autre >, celui qui n'est pas socialisé dans cet habitus, d'être modélisée. tuations et où

La modélisation

La modélisation est un procédé d'exposition des principes présidant à l'élaboration puis à I'exploitation d'ensembles que I'on peut considérer, selon leur degré de structuration, comme des phénomènes, des systèmes ou des processus 134. La modélisation suppose le respect des certains principes et a des conséquences spécifiques.

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34. La distinction est déjà préscntc dans mon drons plus loin.

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tles lois (Éticnnc LE RoY, I 999). Nous y rcvicn-

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Ln RÉcrME D'AppRopRIAltoN I.ONClÈRÐ ( EN coMMUNS

LA '|ERRE DE L'AUTRE

familières ambiguës D. (...)

Les principes d'une modélisation Ces principes sont, pour l'essentiel, empruntés à un logicien, André Régnier, professeur à I'université Paris 7 au temps où j'y finalisais ma thèse d'ethnologie sous la direction de Robert Jaulin et Philippe Richard' André Régnier publiait en l97l une petite merveille sous la forme d'un texte de 22 pages < Mathématiser les sciences de I'hommç ? ¡¡ 135 où, tout en répondant par la négative à la question qu'il posait136, proposait une conception de la modélisation que j'ai alors fait mienne et qui a déjà été illustrée implici-

(p. 20)

lV - ( En tant qu'objet abstreit correctement défini, le modèle nous offre þutes les ressources du raisonnement logique. La logique est formelle, elle prouve en faisant régner une n,écessité dans la syntaxe du discours > (p.21)

tement dans la première partie. Cette conception repose sur cinq propositions qu'on peut traiter comme des

Nous n'aurons qu'exceptionnellement à nous réclamer de la logique majs (p.23-2a) ves

Les conséquences de méthode concevoir un modèle c'est donc sélectionner un ensernble de questions que I'on traite comme un champ de forces. André Régnier propose de faire les distinctions suivantes. Il convient tout d'abord . Comme le reconnait I'auteur, > et la spécificité du régime d'appropriation qui, I'un et l'autre, supposent autant de formes que de critères de þartages, de mises en commun, dans le passé, dans le présent et dans le

futur'

-

ment. Dans ce cas, note André Régnier , donc susceptibles d'offrir une ossature aux modèles qui vont en être déduits. Puis, dans le quatrième chapitre, j'interrogerai le rapport entre la théorie et les faits et je chercherai, par I'ethnographie de trois sociétés, à identifier sous quelles conditions et dans quelle mesure la complexité des situations sur le terrain peut effectivement être saisie et comparée, compte tenu de l'état de données actuellement exploitables. Ceci me conduit aussi à préciser le sens de la formule ( en coûrmuns >r dans l'intitulé de cette partie. J'ai d'abord écrit < appropriation commune ) en transposant le concept anglais de common properties. Cela avait l'avantage de rendre compte que nous sommes en face d'un mode usuel d'appropriation pour au moins les deux tiers de I'humanité, mais le sens juridique n'était pas immédiatement perceptible pour un lecteur francophone. J'ai donc écrit < appropriation

"en commun"

>)

pour préciser qu'il s'agissait d'un mode spécifique d'organi-

137. Étienne LE RoY,

lntroduction > de la terre et de ses ressources suppose de respecter quelles contraintes liées à la définition de ce qu'on entend par l'ensemble commun/communauté/communautarisme. Cet ensemble de trois termes repose sur le principe du partage au double sens de ce qui tient ensemble

Un régime d'appropriation

(( en communs

et qui nous réunit et de ce qui nous différencie. Tout régime (( en communs )) est donc conçu à partir de < biens > (au sens nonjuridique) et de lignes de partage et de clivage selon que le bien réunit ou divise, lignes qui peuvent prêter à des exclusions et être interprétées comme des frontières dans un contexte où rien ne peut être tenu pour étanche, où la < porosité > dont parlait Boaventura de Sousa Santos en analysant I'interlégalité 138 ss¡ u¡ phénomène structurel exprimant les multi appartenances des acteurs à autant de groupes que la société accepte que des < Biens > soient estimés assez polarisants pour constituer réellement ou symboliquement le cadre ou le cæur de la socialisation des individus. On se rappellera que, dans ce type de société, tout est toujours pensé et organisé en termes ou instances multiples, spécialisés et interdépendants. Nous allons en tenir compte pour répondre aux trois questions suivantes. Quels rapports ( typiques > et quels attributs formels ? Quelles questions < habituelles > sont prises en considération pour concevoir le rapport entre les faits et la théorie ? Quel ordre on propose pour en traiter la juridicité ? D'un point de vue documentaire, je me réfère à un ensemble de travaux élaborés dans le cadre de l'équipe d'analyses matricielles que j'animais au Laboratoire d'anthropologie juridique entre 1969 et 1979 puis à quelques documents synthétiques présentant la démarche dans d'autres enceintes scientifiques. Jusqu'en 2008, ils étaient consultables à la Bibliothèques d'études africaines de I'université Paris l, cenhe Malher. 138. Boaventura DE SousA SANTos, < Droit: une carte de la lecture déformée. Pour unc conception post-modeme du droit >, Droit et Sociëtë, n" 10, I 988, p. 363-389.

t3s

DRolr

ET

soctÉTÉ, voL. 54, 20l l

LA

rl.ìRRFr DË

LE RÉcrMri D'AppRopRrAïoN r.oNctÈRE

t-'ÀIJTRE

Pour en simplifìer la citation, on adoptera les codages de présentation suivantes : Étienne Le Roy, Théorie, application et exploitation d'une analyse matricielle -des systèmesþnciers nëgro-africaines*, LAJ, Paris, l9l0,ll5 p.' TAE 1970. Étienne Le Roy, Systèmeþncier et développement rural, essai d'anthropo-logie juridique sur la répartition des terres chez les LVolof ruraux de la zone arachidière Nord, Sënéga¿ thèse pour le doctorat d'Etat en droit, Faculté de droit et des sciences éconorniques. Paris, 1970, SFDR 1970. Étienne Le Roy (éd.), John Louzier, Oumar Nchouwat Njoya, François -Njoungong, Nathanael Tonyé, Documents complémentaires à une théorie d'une analyse matricielle des systèmes fonciers négro-africains*, LAJ, Paris, 1971, sérninaire de recherche, ll7 p., DCT 1971. Étienne Le Roy (éd.), Denis Fagla Ahouangan, Jacques Lankouandé, Marcel -Nguéma-Mba, Hervé Sidibé, Le système de distribution des produits de la terre, modèle particulier d'une anølyse matricielle des rapports de l'homme à la terre en Afrique noire*, LAJ, Paris, 19'72,2" édition 1975, 153 p. ; SDP 1975. Étienne Le Roy Étienne (éd.), Denis Fagla Ahouangan, Germain Adingni, des terres, modèle particulier d'une analyse matricielle des rapports de l'homme à la terre en Afrique noire, LAJ, Paris, 1973, 143 p. ; SRT 1973. Étienne Le Roy, Histoire des institutions d'Afrique noire,Brazzaville, École de -droit, centre d'enseignetnent par coffespondance, 1973, (1" ed. 1972)' HIAN

-Hervé Sidibé, Le système de rëpartition

1973.

Étienne

Le Roy, < Modes

négro-africains de production

-d'exploitation des sols, contributiorls

et

systèmes

économiques, juridiques et politiques à un

modèle anthropologique >>, dans Etud"s sur le Droit de la terre en Afrique noire, vol.I, LAJ, Paris, 1974, p. l-20, EDT 1974-1. Étienne Le Roy, 1974, , Communication au séminaire interdisciplinaire de I'ORSTOM, Le développement: idéologies et pratiques, ORSTOM' Paris, 1983, p. 160-172,

DIP 1983.

Étienne Le Roy, < Matrices et espaces, Contribution à une théorie des rap-ports entre I'homme et la terre en Afrique noire >>, Bulletin Production pastorale et soci,lté,n" 13, automne 1983, p. 89-97, PPS 1983. Étienne Le Roy Étienne (êd.), Le dossier agraire de I'Afrique de I'ouest,Pa-ris, LAJP, 1983 Contributions de Denis Fagla Ahouangan (Fon, Bénin), Ma-

madou Traoré (Malinké, Mali), Mamadou Wane (Toucouleurs, Sénégal), 515p. DAAO 83, première synthèse de ces travaux. Refusé par deux éditeurs: trop long, trop critique

onorr er socrÉrÉ, voI-.

54, 20t I

?

(

EN cot\iMUNS

)

thèse d'ethnologie, Eléments d'une théorie des rapports de l'homme à la à l'élaboration méthodique et épistémologique de I'analyse matricielle, soutenue à l'université Paris 7 en juin gT2.reposart sur les documents marqués x.

Ma -rcrre en Afrique noire, entièrement consacrée

Une approche pluraliste de la structure des rapports d'appropriat¡on ( en communs D Généralités Les rapports d'appropriation dont nous allons modéliser les occurrences sont initialement déduits, comme la liste précédente l'illustre, de travaux africanistes portant sur les parties occidentale et centrale du continent et concernent des situations que nous aurions qualifié de traditionnelles ou de coutumières si cette terminologie avait la précision qu'on attend d'une modélisation. Pour répondre à cette exigence, on posera donc que ce qui réunit ces sociétés c'est le fait que leurs régimes fonciers ne reposent pas l3e sur la propriété privée et donc I'objet de notre recherche est d'identifier puis d'analyser ce qui, parmi les règles d'appropriation que ces sociétés mettent en æuvre, en tient lieu. Les données réunies depuis plus de quarante ans me conduisent, en fait, à distinguer deux situations, les sociétés qui ne connaissent pas encore la propriété et celles qui en démultiplient les implications par des régimes de propriété commune/communaux. ll y a d'une part des sociétés qui ne se posent pas la question de la propriété de la tene d'une manière spontanée etprivilégiée. Là où j'ai observé des régimes d'appropriation ( en communs >>, à un moment (à la fin des années 1960 et au cours des années 1970) et dans des circonstances qui déjà soumettaient nornbre de comportements au capitalisme, le droit d'aliéner était connu, mais,

plus ou moins vivement condamné, il n'était pas la principale règle du jeu. Dans ces sociétés, nous I'avons appréhendé dès I'introduction générale, la bonne question est celle de I'appropriation de I'usage de la tene à des activités et selon des fonctions reconnues par la société pour assurer sa reproduction. Et il y a d'autre part nos sociétés contemporaines dans lesquelles les régimes de propriété privée ont abouti à des contraintes ou des excès tels que sans remettre en cause la généralité du régime de propriété privée, on a inventé progressivement depuis le début du xxe siècle deux régimes complémentaires qui, tenninologiquement, semblent s'inscri¡e en continuité avec le régime propriétariste alors que, structurellement, ils manifestent des ruptures ou des innovations. Il s'agit ici du régime civiliste des communaux (art. 542 CC) qui est un régime de propriété < des habitants d'une ou de plusieurs communes )) et non d'appropriations (en communs )). La propriété privée est reconnue rnais son exercice limité. ll relève de la troisième partie de cette recherche. Le second a pour origine les droits de propriété littéraire et artistique et est dénommé plus généralement régimes de droits de propriété intellechrelle. Ces droits ont le caractère absolu du droit d'aliéner mais leur 139. À titrc cxclusif ou substitutif comme on lc vcna plus loiu

136

137

onorr sr socrÉrÉ, vol.

54,

20l

r

Lti RÉcrME D'AppRopRlAîoN r.oNcrÈRE (

LA 'tERRE DE L'AU fRE

exercice suppose le respect de contraintes qui les soumettent à des obligations particulières. lls ne relèvent pas directement de ce champ de recherche. Je n'en dirai donc que quelques mots ci-dessous (p. 140) ainsi qu'à propos de la gestion patrimoniale dans la quatrième partie mais il est remarquable de relever dès cette deuxième partie les concordances de dispositiß, donc les continuités de structures avec les modes d'appropriations en communs.

Les choix de base L'option que nous prenons ici est de tirer les conséquences du pluralisme juridique que nous posons comme fondement des régimes d'appropriation ( en communs >. Nous en identifions ici les principes de base pour approfondir leur économie dans les sections suivantes. Le pluralisme commençant à trois dans les pensées juridiques endogènes africaines, c'est sur cette base qu'ont été conçus les modèles d'habitus fonciers, chaque rapport juridique supposant la mobilisation d'au moins trois données qui sont inscrites dans un schéma triangulaire, la somme de ces représentations formant un système qui peut ensuite repondre aux contraintes de dynamique et de complexité que nous illustrerons concrètement dans le quatrième chapitre. Nous poserons ici en axiome que I'essence du rapport juridique. d'appropriation des terres et des ressources en communs repose sur trois variables, un statut, un usage et un support dont nous représenterons la relation ainsi :

Ftcunp No 3 RAPPORT JURIDIQUE

(

EN COMMUNS

EN coMMUNS

)

Le double fléchage indique que nous sommes face à trois lectures possibles qui sont par ordre d'importance décroissant pour un anthropologue du droit : o I stetut/suPPoRT /usAGE 2o supponr/srATuT/ usAcg 3o

us¡cp/supPoRT /srATUT

Mais, le rapport juridique lui-même est construit sur la base d'une double articulation entre statut et support et entre usage et support, support qui, rappelons le, peut être un lieu ou un fruit, au sensjuridique, produit de la terre. Selon le point de vue adopté (enjeu, interlocuteur, contexte...) la formulation peut changer mais, globalement, c'est toujours le même principe de structure qui demeure. Et, par cette double articulation interdisant des manipulations discrètes ou cachées des rapports sociaux, la sécuritéjuridique était assurée.

La somme de ces relations constitue un régime juridique d'appropriation que nous représentons sous la forme de matrice.

T¡sLBRu No 2 PnwCIpBS DE LECTURE MATRICIELLE

A

B

C

1

)

z STATUT

J

Légende

USAGE

SUPPORT

Légende Statut : position et fonction dans le groupe Usage : Type d'activité privilégié Support: Catégorie d'espace ou de ressource

onorr

rr

soctÉrÉ,

vol.

54, 20l

I

138

.'., *, Â, c symbolisent ici des termes vernaculaires désignant des lieux, des lieux-dits ou des produits. Chacun est caractérisable par ses coordonnées matricielles. .'. : Nl, + : B/2, ¡: Cl2, C: Al3 etc. Ils peuvent se lire ainsi : si A est un mode de contrôle par découverte, B mode de contrôle par conquête, C mode de contrôle par attribution, si I est un mode d'utilisation de la terre pour I'agriculture, 2 utilisation pour la résidence, 3 utilisation pour les activités de chasse, pêche ou élevage, alors on peut donc définir .'. cornme un droit portant sur la terre agricole au titre de la découverte, + comme un droit portant sur une terre résidentielle au titre de la conquête, n également comme un droit résidentiel mais au titre de l'attribution. Enfin c porte sur les terres de brousse au titre de la première occupation....

Extrait du Jeu des lois (Paris, LGDJ, 1999, p. 41)

139

DRorr

ET

socrÉTÉ, voL. 54, 20t l

LA

TERRE DE

LE RÉCIME D'APPROPRIA'|ION

L'AUTRE

La plasticité et I'adaptabilité du < modèle > matriciel sont évidentes car il existe toujours des cases à remplir, même si, pour ce faire, on doit distinguer, au sein de I'une ou I'autre des catégories < primaires >, des critères < secondaires

>

(entre zones de cultures, entre première occupation et réoccupation,

conquête militaire ou religieuse, etc.).

Une dernière notation nous introduit déjà aux problèmes de transposition que nous aurons à traiter dans la quatrième partie: trois types d'énoncés sont utilisés ci-dessus en respectant le principe d'interprétation pluraliste, donc la temarité. Mais, dès qu'il est remis en cause, d'autres sont possibles et, en particulier la relation directe entre l'acteur et le support (sans référence donc à un usage convenu et habituel), qui autorise un droit individualisé , ius in re, abstrait des circonstances de temps et de lieu, qui pourra devenir monétarisé, (( marchand > puis < privé >. Cette simplification est une des différences sensibles du droit de propriété privée avec les droits de propriété intellectuelle qui sont donc un apport de la période moderne et qui proposent une structure de formalisation dont le parallélisme avec le régime d'appropriation ( en cornmuns > est frappant. FIcuns

Srnucrunp

DES

No 4

DRotrs oB pRopnrÉrÉ INTELLECTUELLE

(

EN COMMUNS

)

tout en se promettant de la reprendre quand les citconstances le permettraient ou en proposant à la jeune génération de chercheurs de reprendre cette question comme une tentative de faire avancer le métissage juridique et institutionnel. Ces options posées, la deuxième section introduira le lecteur aux différents modèles qui ont été élaborés pour rendre compte de la complexité des rapports juridiques.communautaires, selon qu'ils sont considérés par les acteurs/opérateurs .omme < intemes, intemes-externes ou externes D aux communautés de réference et selon les contraintes propres à des régimes juridiques d'appropriation < à l'état >. -pratique Puis une troisième

section systématisera la présentation des régimes juridi-

ques d'appropriation en sachant qu'on a déjà démêlé certains éléments de leur

complexité. On se rappelle que I'identification du régime juridique doit être prêcêdêe par un repérage des statuts d'acteurs et que la construction du régime doit être accompagnée de la connaissance des modalités d'ajustements synchroniques et diachroniques, corrme on I'a repéré dès I'introduction générale.

Trois régimes d'appropr¡at¡on ( en communs ) selon le primat de rapports fonciers internes, internes-externes ou externes

À AUTEUR

I'ONCÌÈRE

I'origine de ces travaux, en

1970

(TAE 1970), seuls deux régimes

d'appropriation étaient identifiés selon les exigences de rapports intemes et extemes et ce n'est qu'en 1971 (DCT l97l-7) que les relations internes-externes, dites aussi d'alliance, seront théorisées comme une dimension constitutive des rapports de I'homme à la terre. On va donc suivre comment ces modèles se sont progressivement construits puis organisés à partir d'un scénario comlnun qui recoupe les histoires de fondations de villages ou de lignages collectés depuis les années 1960.

Le scénario : une h¡sto¡re de m¡gration qui se répète cont¡nûment

UTILITÉ (.$

OBJET

Légende

Auteur: le créateur Utilité : la satisfaction qu'un bien ou qu'un service procure Objet: matière ou æuvre sur laquelle porte un droit ou une obligation. J'avais esquissé en2002 avec Sigrid Aubert un parallèle entre les droits fonciers dits coutumiers et les droits de propriété intellectuelle. Nous nous étions demandés si, sur la base de cette homologie de structure, il ne serait pas çoncevable de faire bénéficier les droits coutumiers du bénéfice des régimes de propriété intellectuelle. Cette question était apparue saugrenue à notre référé de la Rewe Natures, Sciences, Sociëtés et nous n'avons pas poussé plus avant cette réflexion

onolr pr socrÉrÉ, voL.54,20l

l

t40

C'est une histoire finalement assez banale qui est généralement à I'origine de la fondation des nouveaux ensembles humains. La faim, la maladie, des personnalités qui se < frottent > trop directement entre fils et père par exemple ou oncle et neveu, la surpopulation ou le simple désir de voir du pays poussent un individu ou un petit groupe (dont la composition, nous dit cette histoire, est représentative de l'organisation sociale ultérieure) à tenter I'aventure et se risquer

hors des espaces occupés par son groupe d'origine. ll devient donc étranger. Mais pas nécessairement ennemi car il existe en Afrique de I'Ouest ou du Centre des solidarités interethniques en relation avec une parenté inter-totémique que la littérature présentait comme < à plaisanterie > ou < à libre parler > et qui ouvrent à des procédures d'hospitalité. Pourtant, le risque est important, en particulier au temps de la traite négrière car celui qui ne peut se réclamer de la protection d'une communauté est susceptible de perdre son identité et ainsi de se retrouver dans la condition au mieux de serf ou d'esclave de case, au pire d'esclave de guerre vendu sur les marchés et destiné à I'exportation vers les Amériques, le Maghreb, la Turquie ou I'Arabie. Mais, en cas de réussite, on

r4l

DRorr

ET

socrÉTÉ, vol.54,201

r

LA l

ERRE DE

LÈ RÉctt'48 D'AppRopRIA'lloN r.oNcrÈRE

L'AU l'RE

devient un héros fondateur en associant à sa lignée tous les droits de première occupation d'un territoire. C'est une appropriation plénière du territoire, qualifiée de < droit de premier ordre >>, recherchée comme la situation idéale à partir de laquelle toutes les autres situations foncières et les droits résultent des démembrements de I'appropriation initiale. Mais il s'agit d'un processus qui s'inscrit dans le temps, peut connaître des difflrcultés de concrétisation et, à travers les étapes que doit respecter le processus d'appropriation ( en communs >, fait l'expérience de contraintes spécifiques qui vont donner naissance, en réponse, à trois régimes particuliers d'appropriation, I'exploitation des sols, la distribution des produits de la terre et la répartition des terres. Pour le moment, on ne s'interrogera pas sur le degré d'institutionnalisation de I'ensemble de ces réponses mais on s'intéressera aux contraintes qu'il faut maîtriser et aux conséquences qui en sont tirées. On partira d'un modèle identifiant la séquence et les étapes du processus aboutissant à une appropriation foncière. T¡,gLgau No 3 Lns Érnpes D'uNE APPROPRIATION Phases

Procédures

Arrivée Fixation stabilisation

Implantation Installation Contrôle

Léeitimation

Appropriation

Domaines de régulation Trois modes aux effets n¡oDres Accords de voisinace Maîtrise territoriale interne Partage reconnu des esDaces entre qroupes

Détaillons les trois premières étapes pour en extraire les données qui seront à la base des modèles ultérieurs.

L'implantation : des choix qu¡ vont déterminer le régime de réparti' tion des terres La présence ou I'absence d'occupants, I'accès à une exclusivité ou non des espaces revendiqués sont les deux variables principales qui sont axiomatisées à partir des récits de fondation et qui vont donner naissance à trois situationsjuridiques typiques de la répartition des terres. TegLgAU No 4

AccoRo D'TMpLANTATIoN sutre À PRÉsENCE ou Occupant

Accord

+

Légende : ns non significatif;

EN

coMMUNs

)

5

EXCLUSIVITÉ DE L'IMPLANTATION ET LÉSION ÉVENTUBLL¡ DES DROITS ACQUIS

Exclusivité

Lésion

+ +

+ +

Solution réservation NS

annexlon autorisation

T¿.gLnRu N" 6 ASSoCIATION DE CES DEUX CRITÈRES DANS LES TROIS STATUTS TYPES (EN GRIS) DU RECIME DE REPARTITION

Découverte Dépossession

Arrangement

Réservation Annexion Autorisation

Prem Co¡

Attr

L'articulation de ces positions juridiques dans les statuts et le régime que de la répartition sera précisée dans la section trois.

juridi-

L'installation, des accords entre vo¡s¡ns qu¡jettent les bases de régimes d'échanges dits de circulation /distribution des produits de la terre Dans la version de 1970, à un moment où la notion de régime de circulation/distribution n'est pas encore identifiée en tant que telle, où on observe des produits qui circulent à des moments particuliers, cette phase intermédiaire est associée aux procédures d'alliances et à un processus sur lequel nous sommes en train de réaliser des découvertes originales, la parentalisation comme mode d'extension à la résidence et au partage d'interdits cortmuns des rapports aux ancêtres donc à ta filiation et au mariage (infrcr). Prendre en considération la communication s'effectuant entre les groupes par le moyen des produits tirés du travail de la terre, de I'extraction de ressources fruitières ou tninières s'impose dès que des travaux de terrain dans des sociétés plus segrnentaires que les Wolofdu Sénégal sur lesquels je travaille mettent en évidence le rôle prépondérant de cette circulation. Fin 1970, Marcel Roch Nguema Mba part au Gabon tra-

Il ramène des conclusions intéressantes : les Fang ne se préoccupent guère de répartition des teres car ils sont dans la situation de migrants récents et leur grande affaire c'est la circulation des produitsl40, comme condition de l'échange, donc de la vie en société. vailler sur les rapports de I'homme à la terre chez les Fang.

ABSENCE D'occuPANTS

Situation découverte

+ +

TReLBnu No

(

ns

dépossession

+

*

arrangement

présence ; * absence

'140.

Marcel Roch NcuÉtvla MB4 Droít traditiontel de la terre et développenrent rural chez les Fang du Gabon, Thèsc de doctorat dc spécialité cn sociologic juridique, Univcrsité Paris l, 1972.

onorr Bt soclÉrÉ, vol.

54, 20l I

t42

143

onorr er soclÉtÉ, vol.

54,

20l

r

LE RÉcrME D'AI,pRopRIA'¡loN

LA TERRE DE L,AUTRT'

En 1912, le séminaire d'anthropologie juridique du LAJ organise ainsi son travail autour de cette question et l'élargit à la distribution des produits dès lors que la circulation des produits prend des formes qui recoupent la définition économique de la distribution comme (Le Robert, 1996,p.665). On pose alors comme axiome que la distribution des produits de la terre est I'ensemble des opérations à partir desquelles des produits considérés dès lors comme des richesses détenues par le groupe circulent soit à l'intérieur soit à I'extérieur du groupe selon des principes d'organisation qui relèvent d'un modèle général des rapports de I'homme à la terre (SDP 1975, p. 5)' Dans ce document, je cite Georges Balandier dans sa description du marché, du t,émo (association proche d'une tontine) et le malaki chez les Ba-Kongo (RPC). Prenons lafête mqlaki : < Il s'agit là encore, par des moyens indirects, de < lier > des individus et des groupements en les faisant participer à un circuit d'échangeLe caractère de renþrcement de la parenté et des alliances est ffirmé au départ, à la faveur de la fête de sortie de deuil. On voit donc, au premier abord, que le malakí est destiné à redonner de la vigueur përiodiquement aux qlliances existantes et, surtout, à élargir le champ des alliances. Les < amis > ou les individus acceptanL ou souhaitant, l'établissement de liens plus étroits avec le donneur du malaki viennent ainsi ,ltendre considérablement le domqine limité des qlliances à caractère matrimonial que ce dernier a pu nouer. Ce sont les richesses, et non plus les qlliqnces qui servent à constituer des relations nouvelles (...) Les liens qui se créent sont loin d'exclure I'idée de compétition pacifique, de supériorité manifeste à l'égard des individus et groupements entrés dans le circuit des échangest4t. > On pense naturellement aux données réunies par Marcel Mauss dans son célèbre Essai sur le don à propos de la kula mélanésienne ou du potlatch chez les Kwakiult de Colombie britannique. Dans mon analyse (SDP 1975), je relève deux axes de lecture des données (que nous ferons converger dans la troisième section), les cadres de circulation des produits qu'on dénommera des réseaux et les statuts des acteurs de la circulation des produits. Commençons par ceux-ci, en raison de leur simplicité. Les statuts-types Pour identifrer les statuts-types des acteurs de la circulation je pose, en extrapolant les données Ba-Kongo (chez qui je travaille à cette époque où j'enseigne àBrazzaville), trois facteurs essentiels, la place de l'individu dans la société, dans ou hors de son groupe d'appartenance, son statut personnel et sa place dans I'activité économique.

l4l.

Gcorgcs BALANDIER, Sociologie acnelle de I'Afrique noire, Pafjs, PUF, 1960, coll. < Bibliothèquc dc sociologic contcmporaine >, p. 350.

DRorr

ET

socrÉTÉ,

vol.

54, 20l

I

144

FoNCIÈRt

(

EN coMMUNS >

T¡gLBRu N" 7 POSITION PAR RAPPORT AU CROUPE dans

hors

solution

+

+

intermédiaire

+

utilisateur

+

représentant ns

Légende : ns non significatif;

* présence ; -

Outre cette position juridique,

je

absence

pose axiomatiquement à partir de

considérations tirées de mes observations de terain que le statut de distributeur est affecté par deux autres variables que j'introduis dans les deux tableaux suivants :

TRsLenu N"

8

Mopn, o'rxrÉcRATtoN Parentalisation Alliances matrimoniales Alliances politiques et religieuses

T¡.sLsRu No 9 STATUT D'ACTIF

Producteur Transformateur Consommateur

Ces trois critères seront exploités dans la matrice des statuts de distributeurs, infra,3'section. Plus originale est I'analyse des modes d'utilisation des produits.

Les réseaux de circulation des produits de la terre Prenons une autre citation de Georges Balandier : < En dehors de I'usage banal des biens consommables, qui assure la subsistance, il convient de mentionner les consommations massives, à caractère rituel ou somptuaire, imposées par les fêtes des associations d'initiés, la fondation des march,és ou les cérémonies annuelles honorant les ancêtres.

145

onorr ¡r socrÉrÉ. vol.54,20r

l

LA

LE RÉcrME D'AppRopR¡A'uoN !'oNCrÈRE

IERRÊ DE L'AUTRE

Le jeu de ces quatre variables permet d'identifier sept paramètres qui sont ici, selon notre méthode, axiomatisés et dont la co-variation va structurer cha-

cun des six réseaux que nous dénommerons < élémentaires > et < complémentaires > pour mieux apprécier leur utilisation selon les potentialités institutionnelles des sociétés (infra, appareillage juridique).

La distinction entre ces deux types de réseaux sera largement éclairée par les développements relatifs à l'appareillage juridique des sociétés.

)

,o Critères

o 63

.o

Dans ce type de société, la circulation des produits s'effectue au sein de trois ensembles que l'auteur dénomme des < circuits économiques > ou des

< L'organisation du travail et donc de la production, la répartition des ressources, la r,épartition et la distribution des ressources, enfin l'accumulation différentielle de ces mêmes ressources þiens de consommation, biens rares à signification sociale, moyens de prestige ou de I'alliance, facteurs de production) permettent le développement d'inégalités mais au sein de systèmes non politiques 142. , (RDT, l5)

EN coMMUNS

TRgr-sRu No 10 CnITÈnes DISTINCTIFS DES RÉSEAUX DE CIRCULATIoN DES PRODUITS

Quant à la circulation des biens (hors des marchés et des défis économiques) elle est principalement rëgie par les échanges matrimoniaux et par les obligations résultant de la parenté et de I'alliance. Cette énumération sommaire suffit à montrer qu'une part considérable des biens produits ne concerne pas la simple subsistance, mais contribue à l'expression de certains rapports sociaux ou à la recherche d'avantages sociaux. r (Balandier, 1960, p. 349)

>144, en s'efforçant de retenir plutôt les bonnes ouestions que pose un marxisme alors triomphant que les réponses dont le caràctère convenu et idéologiquement déterminé apparaît dès cette époque comme une faiblesse de ces travaux. Le modèle originel de 1970 ne propose qu'une modélisation du statut des acteurs de I'exploitation des sols et ne se prononce qu'indirectement sur les principes orientant le régime juridique et les modalités d'ajustement, ce qui sera réalisé avec le document de 1974.

Les sfafufs des exploitanfs dans un rég¡me d'appropriation

(

en

COmmUnS ))

Pour ce qui conceme les statuts, je distingue, comrne dans les deux régimes déjà identifiés, trois dimensions qui vont permettre de construire une matrice du statut des exploitants et pour lesquelles j'introduis, en les axiotnatisant, les distinguos suivants : Je définis I'exploitation des sols comme < I'utilisation d'espaces destinés à permettre un faire-valoir des sols et des ressources qui y sont associées >. Je propose ensuite d'observer successivetnent les capacités d'user du sol, donc les modes dejouissance, - la nature des modalités d'alliance destinées à assurer la fertilité/fécondité

-

des sols,

la mise en æuvre de la force de travail et les modes de production. indépendamment d'un régime de propriété ou de ce qui en tient lieu dans une appropriation < en communs >. Ils font co-varier deux facteurs, les droits exercés, partiels ou totaux, et les espaces exploités, également totalement ou partiellement, et donnent naissance à quatre positions selon le tableau suivant :

-Les modes de jouissance sont entendus

TasI-e¡uNo 1l Mooes

DE JoutssANCE AUToRISANT L'EXPLOITATION

Droits de jonissance

Esoaces exploités

Position de I'acteur

T

T

possesseur

T

P

P

T

détenteur délégataire

P

P

affectataire

Légende : T: Totalité. 143. Volumc

ll,

P: Partialité

1975. Lc volutnc

lll

cn était lc Dossier ugraire de I'AJi'ique de I'Ouest (1976-

1983) à la suitc duqucl la rcchcrchc matricicllc scra suspcnduc au profit dc travaux sur lcs politiqucs fonciòrcs.Yoir EnjeuxJonciers en Afique noire, Karthala, Paris, 1982. 144. Emmanucl TERRAv, < Lc rnatórialismc historiquc dcvant lcs sociétós scgmcntaircs ct lignagòrcs >>, in Le tnauisne devqnt les sociétës primitives, Maspéro, Paris, 1972.

t49

onolr sr socrÉrÉ. vol.

54. 20l

r

LE RÉclMIi D'AppRopR¡ATIoN l-oNctÈRE

LA TERRE DE L'AUTRE

Les alliances fécondatrices ont perdu depuis les années 1960 une part de leur intérêt théorique, à une époque où on travaillait encore les religions de terroir et les représentations de la terre-mère. On doit cependant rappeler les principales distinctions qui peuvent être mobilisées dans les analyses à venir. Dans TAE 1970, je distinguais entre alliances sacrificielles et alliances politiques. Au sein des alliances sacrificielles entre alliances fondatrices, fortifiantes et cathartiques. Au sein des alliances politiques, celles à fondement stratégique ou confrérique, plutôt économiques. Ces alliances renforcent ou fragilisent le statut des exploitants selon des exemples qui seront présentés ultérieurement. Les modes de production. C'est donc la grande question de I'anthropologie économique, alors florissante, et de sa version marxienne en particulier. Dans TEA 1970, j'en ai une conception simple, littérale comme < manières de foumir des biens matériels par le recours à certains types d'activités >. Sans avoir encore une vision claire de I'enjeu de la distinction entre communauté et collectivité, je centre I'analyse sur le rapport individu/groupe, la part que le premier prend dans les activités du second en identifiant le degré de liberté (grand ou réduit) dans la participation au travail et le degré de sanction, (faible ou fort).

FoRMES DE coopÉRATroN ET posITIoNS DU PRoDUCTEUR Existence d'une sanction

+ +

+ +

Position de I'acteur par contribution par solidarité þar convention par mutualité

Je propose ensuite, dans EDT 1974 (lt.l), de distinguer entre quatre modes production selon la combinaison de ces formes de coopération que réalisent de les unités de base de l'exploitation des sols. Le développement différentiel de I'appareil juridique de chaque société induit que ce modèle de I'exploitation, unique dans sa conceptualisation, puisse se prêter à des applications aussi différentes qu'il existe de réponses, au moins typiques. Je propose à titre axiomatique de considérer, du plus simple au plus institutionnalisé : qu'à la famille est associée une forme de coopération par solidarité, au village une forme de coopération par mutualité, à l'appareil administratif une forme de coopération par contribution et à I'individu cornme personne juridique et producteur indépendant la forme de coopération par convention. Puis je propose quatre modes de production familiat, comprenant les divers types de famille conjugale, restreinte ou

-

-élargie, local, comprenant les familles et les classes d'âge ainsi que les groupes de -producteurs réunis selon des principes de coopérative,

54, 20l I

1s0

coMMUNS

)

.-- proto-étatique qui, outre les unités précédentes familiales ou villageoises, intègre les dispositifs administratifs de travail par corvée ou de fiscalité,

..- colonial, un mode de production qui mobilise l'ensemble des unités précédentes en y adjoignant l'individu, comme présenté ci-dessus. Et

j'en fais enfin un montage dynamique dans le tableau ci-dessous.

TABLEAUNO 13 CoMBINAISON DES FORMES DE CooPÉRATIoN ET DES MoDES DE PRoDUCTIoN Formes de coop.

Solidarité

Mutr¡alité

x x

x

Contribution

Convention

Modes. de prod.

Familial Local Proto-étatique

Colonial

X X

X X

x

x

X

de I'exploitation des sols.

Le zonage comme principe d'organisation de l'exploitaflon des so/s Là où l'anthropologie économique privilégie le rôle du travail et des notions correspondant selon E. Tenay, à des catégories de produits (Terray, 1972, p.99), je préférais à l'époque et je crois ce choix toujours justifié, parler de modes d'utilisation et de procès d'utilisation afin de ne pas interférer avec des représentations du travail propres aux sociétés capitalistes. En 1974, je considérais que seules les données de terrain pouvaient nous donner le matériau nécessaire à des réponses satisfaisantes. Je notais ainsi que < les recherches de Schapera sur les Tswana (Botswana) avaient déjà montré que I'espace exploité était réparti en trois catégories au sein desquelles s'effectuaient toutes les activités de production. Une telle distinction se retrouvait dans les travaux de F. Crine sur les Luunda septentrionaux, puis dans ceux effectués dans le cadre du Laboratoire d'anthropologie juridique pour l'Afrique de I'Ouest et l'Afrique centrale. Dans toutes ces approches, deux critères émergent : la présence ou I'absence d'aménagement du sol, - I'attente ou non d'une fertilité de l'espace. - La co-variation de ces critères permet de supposer que les procès d'utilisation de l'espace s'inscrivent dans des catégories spatiales, des zonages, qui ont la fonction de réseaux l4s d'utilisation.

telles que

I

onon gt soclÉrÉ, vol.

EN

Nous analyserons comment, dans la section trois, s'articulent les modes de jouissance et les formes de coopération pour caractériser les statuts du régime

TReLBeuNo 12 Desré de participation

(

45. En donnant au termo un scns plus contemporain.

l5l

onorr

¡t

soclÉtÉ,

vol.

54,

20l l

LA 'rERRri

DE

LE RÉcrME D'AppRopRrAl roN r.oNclÈRÈ

L'AU'l RE

L,appare¡llage jur¡d¡que de I'appropriation

Tesr-eA.u No 14

ZoN¡ces Aménagement

Fertilité

+ +

+

+ Légende ;

* présence, -

Solution Terres cultivables Terres de résidence Terres de brousse Espaces de passage

absence

Le réseau des terres cultivables, réunissant I'ensemble des espaces qui ont

fait l'objet d'un aménagement, même sommaire, dévolus à I'agriculture ou à I'horticulture, peut comprendre plusieurs sous-réseaux correspondant à des produits différents, à des techniques différentes (sous pluie, inigué) ou à des périodes différentes d'aménagement. Le réseau des terres de résidence, s'il n'occupe pas un volume important d'espaces a un rôle essentiel, outre la reproduction simple et élargie des membres de I'unité de production, pour la socialisation des membres du groupe (lieux de pouvoirs, de parole, de pratiques religieuses) et la production artisanale. ll fait également I'objet de distinctions intemes Est dit génériquement terres de brousse I'ensemble des espaces qui, sans être aménagés (mais en recourant à des techniques spécihques telles que glues, poisons) ou très sommairement (pièges et filets temporaires pour la chasse et la pêche), permettent l'exploitation de la nature avec ses ressources en fruits, en bois, en founages et les matières premières minérales ou végétales du sous-sol. Ce que je dénornme rnaintenant, de manière générique, ( espaces de passage > était en 1974 une possibilité non exploitée qui ne paraissait pas perli nente pour les sociétés à dominante agricole. Mais, depuis, les travaux sur les sociétés pastorales et leur foncier, puis la prise de conscience de la place parti-

à reconnaître à I'odologie comme représentation d'espace (supra, partie) conduisent à intégrer cette réponse comme cumulative ou alternative à celle des terres cultivables dans les sociétés de pasteurs ou de chasseurs-

culière

l"

collecteurs. Ces réseaux d'utilisation constitueront une des dimensions des régimes diques d'exploitation des sols.

juri-

Au terme de ces dffirentes phøses et øprès øvoir trouvé et mis en æavte Ies solutions ødøpttíes à leurs besoins de production et d'échange, Ies sociétés

vont pouvoír dísposer d'un régíme qui légitinte, tant pour leurs membres que pour lears voísins, Ies normes d'øppropriation de l'espace, Et de ce faít, ce régime sera doté d'une øatorité quí autorisere ls sonctìon de ses droíts et oblígatìons et serø ainsi tenu pour < juridiqae n. Ces réponses répondent à des régularités qui permettent de prévoir comment les solutions d'exploitation, de circulatiorVdistribution des produits et de répartition des terres vont, ou ne vont pas, s'ajuster dynamiquement, selon un appareillage juridique propre.

onorr er socrÉrÉ, vot-.

54, 20l

l

152

(

en communs

(

EN

cot\1MUNS

)

D

Est depuis longtemps révolu le temps où on tenait toutes les sociétés non occidentales pour ( primitives )), sans, pourtant, que la connaissance de leurs régulations juridiques ait significativement progressé. La qualification de coutumières largement associée à ces sociétés cache en fait un abime de préjugés et de simplifications qui ont fait I'objet d'une recherche systématique au sein du Laboratoire d'anthropologie juridique de Paris. Ce n'est pas le lieu pour en faire le bilan. Tout au plus doit-on relever la permanence de deux choix puis une évolution entre les premières publications vers 1974 et la représentation qu'on peut en donner maintenant. Deux idées restent présentes au long de ces quarante ans de recherche.

Tout d'abord, à I'inverse de ce que postulaient les ethnologues coloniaux marqués par l'évolutionisme et les chercheurs en droit du développement préoccupés de justifrer I'imposition du droit moderne, donc occidental à l'époque, les sociétés africaines n'ont cessé et ne cessent pas de bouger et de s'adapter aux contraintes du présent, mais à leur manière. On retrouve ici un des princi pes du Jeu des lois (Le Roy, 1999) : ( tout change et la seule chose qui ne change pas c'est que tout change >. Deuxièmement, la question qui traverse le domaine complexe de la production des noÍnes régulant les comportements de la vie en société a été (et reste pour une part difficile à mesurer) la contribution de la parenté et du politique au façonnement de la juridicité. La connaissance de I'appareillage, entendu comme la manière de faire tenir ensemble des matériaux d'origine différente, appliquée au phénomène juridique a donc dû trouver des solutions pour faire cohabiter des réponses fondées sur la parenté, le politique ou le religieux puis des modèles d'organisation lorsque la complexité de la construction sociale a

exigé d'intégrer, selon le principe de la complémentarité des differences, des montages d'origine diverse. Dès les premières thèses de doctorat au milieu des années 1960, la recherche du LAJ est concentrée sur la thématique ( structures de parenté et développement )), I'intuition du fondateur du laboratoire, Michel Alliot, étant que la parenté est la structure profonde des sociétés africaines communautaires et qu'elle reste ainsi toujours présente dans les comportements et les régulations.

Il y a cependant une évolution notable entre la première publication de 1974t46 et ce que nous en présentons maintenant. La démarche des années 1970 est marquée par le structuralisme de Claude Lévi-Strauss, par ses références théoriques comme par sa tenninologie. Les modèles lévi-straussiens sont fixes ou figés dans une lecture synchronique alors que les analyses dynamiques vont prendre progressivement le dessus, introduisant le mouvement, et sinon I'incertitr.rde, au moins la possibilité d'opportunités ouvrant les réponses des acteurs vers des multiples possibles, voire des improbables. La terminologie 146. Éticnnc LE RoY, < Justicc africainc ct oralité juridiquc, unc róintcrprótation dc I'organisation judiciairc "traditionncllc" à la lumiòrc d'unc thóoric génóralc du droit oral d'Afriquc noirc >, Bulletitt de I'htstihtt Fondamental d'Afi'ique noire,t.XXXY| séric B, no 3, 1974, p.559-591 [p. s7al.

153

onolr er socrÉrÉ. vol.54.20r

l

LA t

tsRRE DE

LE RÉctMti D'AppRopRIAl loN t oNC¡ÈRE

L'AU'I'RE

s'en ressent. J'ai distingué dans les pages précédentes trois

régimes

d'appropriation selon la nature du rapport juridique, interne (l'exploitation des sols), interne-exteme (la circulation des produits) et externe (la répartition des terres). Pour qualifier I'appareillage caractéristique de chaque fype de rapports j'avais emprunté la distinction des Structures élëmentqires de la parenté entre structure élémentaire et structure complexe celle-ci associée par l'auteur à la conception occidentale de la parenté. ll y avait derrière cette terminologie de possibles présupposés ethnocentriques qu'il a fallu explorer et dépasser. Une autre difhculté tenait à la qualification des sources de lajuridicité dont on sentait bien qu'elles n'étaient pas les mêmes chez les Pygmées et chez leurs voisins Kongo, chez les Wolof et chez les Peuls au Sénégal. Mais, jusqu'à la construction d'une théorie des fondements de la juridicité se substituant à une approche, plus classique des sources du droit,j'étais enfermé dans un lexique bien simpliste qui nous parlait de coutume, parfois de mythe ou utilisait des < mots du droit )) sans en maîtriser I'effet castrateur. La distinction, dans l'introduction de cette deuxième partie, entre les habitus comme systèmes de dispositions durables, les modèles de conduites et de comportements puis les norrnes générales et impersonnelles me semble mieux coller avec mon matériel de terrain et donc me donne envie d'approfondir cette esquisse.

T¡sI.aeuNo Types de structure

oolitioue

sociale

Parenté absorbe

Holisme fonctionnel

Relations

le politique Parenté

englobe le politique Politique intègre la parenté

juridicité

Inteme à la eommunauté

Exploitation

Modèles de Conduites et de Comoortements

Interne+ inteme/extçme entre deux communautés Intemst-

Exploitation et Distribution des

SDDi-MCC+

inteme./exteme

Cunma¡dernenæ du prince (NGI)

+ exteme

f)

SDD + des fonctions

Spécialisation des institutions

juridique

S]¡stðmes de

ÐisÐositions Durables

(+Mee Diversilìcation

Régime d'appropriation

Rapport

Fondements de la

EN

coMMUNs

dcs sols

(

enhe "n" communautés

D

produits de la

tflrÊ Exploitation, Dicríbution et Rénartition des tgnçs

Légende

En souligné, les solutions qui sont privilégiées à ce niveau de développement de I'appareil juridique. Holisme : système d'explication global. SDD : Système de dispositions durables ou habitus MCC : Modèles de conduites et de comportements NGI : Normes générales et impersonnelles (lois étatiques ou commandements du prince dans un contexte proto-étatique.

)

"n" désigne un nombre, variable selon chaque société mais déterminé, de communautés appartenant à l'ensemble régulé par une norrne commune et dite, sous cet angle, une société. J'ai repris plusieurs fois, durant plus de trente-cinq ans, la présentation d'un tel tableau, jamais satisfait parce qu'on ne peut l'être de tenter d'enfermer dans quelques principes l'infinie capacité des hommes à broder de nouvelles applications sur le motif de la norme. Il est en effet très troublant de constater des correspondances et des homologies entre des données différentes selon des niveaux de lecture qui se recoupent, domaine par domaine. J'avais été frappé par ces occurrences en réalisant l'africanisation du cours d'histoire des institutions à l'École de droit de I'Universitê deBrazzaville en première année en l97l1972 puis dans les quatre années de licence en droit en 1972-1913. La parenté, le mariage, I'organisation judiciaire, la théorie des biens, les accords juridiquement validés (les contrats en droit civil) et les rapports fonciers en constituaient des applications notables. La présentation la plus récente date de 2004t47. Commentaires ef conséq uences

Avant de commenter cette différenciation progressive des instances sous I'effet d'une diversification ou d'une spécialisation, je fais remarquer au lecteur quej'ai cru devoir ajouter entre parenthèses et avec un point d'interrogation

15

NIVEAUX D'APPAREILLAGE JURIDIQUE parenté et

(

des

Modèles de conduites et de comportements (MCC ?) dans une case qu'en 2004 j'associais uniquement aux habitus. Quand j'interroge mes matériaux de terrain, ils ne me permettent pas d'avoir une réponse claire parce que les réponses de mes interlocuteurs wolof sont marquées par la complexité des situations où le politique a intégré la parenté et, ainsi, il y a un jeu d'influences croisées entre les trois fondements de la juridicité. Il faudrait donc repartir sur le tenain dans un type de société répondant à la définition où la parenté absorbe le politique pour apprécier la part respective des MCC et SDD à ce niveau de formalisation, tout en reconnaissant qu'il s'agit plus d'une question qui relève de I'esthétique de la recherche que de sa capacité explicative, au moins à l'échelle où nous situons actuellement cette analyse. L'enseignement principal de ce tableau est d'illustrer ce principe fondamental des droits endogènes africains d'une différenciation progressive, passant d'une complexité à une autre selon un procédé que Mamadou Wane, associé au

DAAO

1983, qualifrait d'empilemsnl

148.

D'une part, les sources de juridicité ne s'annulent pas mais se complètent dès lors qu'il n'est pas possible de revenir à l'acte initial et, par une procédure parallèle, d'en faire disparaître les occurrences. C'est ainsi que les alliances de fondation entre une lignée et un esprit de lieu avaient un caractère de perma-

147. ÉticnneLERoY, LesAfricainsetl'lnstítutiondelaJustice,op.cit.,p.T4. 148. Mamadou WANE, ( La tcchniquc dc I'cmpilcmcnt dans lcs sociótés traditionncllcs >, Jacqucline ct Éticnne Lc Roy (éds.), IJn passeur entt'e les moncles, le lívre cles anthropologuei du droit, disciples et amis du rectew' Michel Alliot, Publications de la Sorbonnc, Paris, 2000,

p.319-324.

¡norr er soclÉrÉ, voL. 54, 20l I

ts4

155

onorr pr soclÉrÉ, vol.

54,

20l l

LA TERRE

LE RÉcrME D'AppRopRIAlloN toNCtÈRE

DE L,AU'I.RE

première ocnence et obligeaient les conquérants à respecter les héritiers de la du prêtres des ^sol' cupation en en faisant, au moins,

'C'est pourquoi on observe généialement des dédoublements fonctionnels

progresselon le piincipe du vase communiquant, le nouveau dispositif vidant plutôt sa disparition, à prétendre sivemeni I'ancien de toute fonctionnalité sans à son - effacement. je considère D'autre part, j'ai limité la présentation à trois situations que

comme typiques'des sociétés ãfricaines précoloniales. Avec la colonisation, préfère nous entions dans une autre logique qui ãu principe de l'empilement de désituations à des ainsi celui de la substitution, sans y pãrvenir, aboutissant reconsans c'est-à-dire, pluralisme, sans doublement, de pluralité des registres Je naissance instituìionnelle de la complémentarité des solutions disponibles. reviendrai sur cette situation < de confrontation > ultérieurement. Errfin, le passage d'une forme structurelle à I'autre peut être assez bien dotravaux cumenté sut i" ptuã de I'histoire politique. TAE 1970 avait exploité des de propermettaient qui coloniale l'époque ãe français britanniques ou belges,

pÀr"", pou. qu"iq'.r", sociétés une périoãisation des institutions à partir du ivrrr" ,ièc1", fe qui est à la fois très court quand on sait que I'humanité est appu* tu. le coniinent africain et relativement long pour_ d'autres- sociétés qui

n'étaient encore connues qu'à partir et qu'en fonction de la conquête coloniale. Mais cette relative connaiisanôe de l'histoire politique n'est pas celle du droit foncier qui reste encore à généraliser trente-sept ans après I'avoir initié avec mes étudiants de Br azzav llle. En conséquence, dans la poursuite de la présentation de notre modèle, nous alidéallons modiflreil'ordonnancement adopté dans cette section selon le scénario un pour adopter > Appropriation et < Implantation/Installation/Contrôle typique de du.régime ãrãË O'",,potition qui suivra celui de la complexité croissante terdes répartition à la sols des ôo.-uns >>, de I'exploitation I'appropriation n .", ån purrunt par"nla phase intermédiairè de la circulation des produits. Cette déen matière de justice, à I'inciclence du principe est, en òutre, frdè|", marche

"o--" à'"ndog"nár" rempíaçant dans les sociétés communautaires afiicaines (Le Roy 2004)

;lui

d'exogãnèse propre aux sociétés chrétiennes puis occidentales.

Les modèles d'exploitation des sols, de circulation des produits et de répartition des terres, pour rendre compte de lá dynam¡que de I'appropr¡at¡on en communs des terres Rappelons l'économie générale de la démarche de modélisation. Nous ,o*å, en cours d'identifiõation d'un modèle qu'on peut qualifier de < général > se proposant de couvrir I'ensemble des pratiques concernant l'appropriation (( en communs )). ' òe modèle général sera une des trois parties d'un modèle global qui réunira relatidans cet ouurugi", avec le présent modèle, les observations et conclusions u"r uu* parties"tiois et quãtre et portant respectivement sur |e régime domanial

nnorr er soc¡ÉrÉ, voL.

54, 20l

I

156

(

LN coMMUNS >

etprivê d'appropriation et sur la gestion patrimoniale et les nouvelles gouvernances foncières du développement durable. Ce modèle général se décline donc en trois modèles particuliers, maintenant bien identifrés par les lecteurs (exploitation. circulation, répartition) dont les

principes de distinction viennent d'être justifiés par référence

à la notion d'appareillage juridique. ll nous reste donc à préciser le contenu de ces trois modèles particuliers, contenu qui a déjà été évoqué plusieurs fois mais qu'on va axiomatiser avant d'en fixer les formes. T¡sr-Bau N" l6 INrÉcn¡.rloN ons MooÈLes D'AppRopRIATIoN GLOBAL

DE LA TERRE

GENERAUX

PARTICULIERS

ELEMENTAIRES

Appropriation en

Exploitation Distribution

Statuts Régime juridique

Répartition

Ajustements

((

communs

))

Rapports

juridiques de

I'homme

Régime domanial et propriété privée

Voir

Législation Institutions Titres

3o partie

àla terre

Gestion patrimoniale

Plans locaux Codes de bonne

Voir 4o partie

conduite, etc.

La modélisation des conna¡ssances utiles au déroulement de I'analyse matricielle des régimes d'appropriation ( en communs le modèle élémentaire

D,

Un régime d'appropriation foncière suppose de disposer des connaissances relatives aux norrnes qui déterminent les relations entre les hornmes à propos des choses ou ressources objets de I'appropriation. Cela conceme en fait deux réalités distinctes, les normes qui parlent spécifiquement de ces relations et celles qui concernent d'autres aspects de la vie sociale, économique, juridique ou politique et qui interfèrent avec les précédentes pour en assurer I'adaptabilité, I'applicabilité et la réplicabilité. Les premières, dites spécifiques, constituent le régime juridique. Les secondes, issues de différents domaines d'organisation de la société et dites généralistes, vont représenter un ensemble plus lâche qu'on dénommera < les modalités d'ajustements )). Le régime juridique

Il met en relation des modes de contrôle des acteurs de l'exploitation, de la distribution ou de la répartition et des modes d'utilisation des supports conformes aux usages reconnus.

En droit moderne, on le retrouvera dans la troisième partie, c'est la relation hommc-chose qui est privilégiée dans la formulation d'un droit qui porte sur la

t57

DRotr

ET

soclÉTÉ, voL. i4, 20l I

LÈ RÉctME D'AppRopRIAION

LA'I.ERRE DÈ L'AUTRE

chose (iøs in re) et qui ne correspond pas seulement au matérialisme de la so-

ciété moderne mais aussi à la généralisation de l'écriture juridique et d'une conceptualisation du rapport de propriété qui est saisi tant dans son universalité (art. 544 CC) que dans sa matérialité (titre foncier ou acte écrit de transmission des droits). Dans les droits endogènes africains, I'absence d'écriture ne signifie pas seulement celle d'un document faisant preuve de la matérialité d'un droit, elle suppose un régime de preuve qui fait tenir dans la relation d'homme à homme ce que la documentation permet d'associer à la relation homme/chose. Ce que j'ai

appelé < modes de contrôle des acteurs > est donc un dispositif cen-

tral d'un régime d'appropriation. En outre, un second facteur interfere, le mode de formulation de la norme juridique, laquelle n'est qu'accessoirement associée

à des nonnes générales et impersonnelles ainsi que je f illustrais précédemment avec les fondements de la juridicité. Dans les modèles de conduites et de comportements et dans les systèmes de dispositions durables, ce sont les manières de dire, de vivre et de penser, tenues

pour les pratiques usuelles du groupe qui sont les enjeux de lajuridicité et dont la transmission doit être réglée par des procédures d'apprentissage du respect des comportements associés à des positions sociales hiérarchiquement organi sées et sanctionnées, les statuts.

oNClÈRË

(

EN

coMMUNs

)

croissance progressive. On ne I'a repris que de manière simplifiée pour ne pas surcharger un texte déjà complexe. Les modalités d'ajustements synchroniques et diachroniques, donc à un moment donné pu,s sur de longues périodes. Je les ai qualihées de normes généralistes en ce qu'elles ne sont pas seulement identihables dans le modèle général des rapports de I'homme à la terre.

Par ailleurs, leur traitement ne relève pas principalement des principes de I'analyse matricielle et leur présentation se fait à partir de tableaux unidimensionnels se lisant généralement en colonne et avec une prétention réduite à l'axiomatisation parce que c'est de la responsabilité de chaque chercheur d'identifier ce qui, dans cette société, permet au systèrne de fonctionner. Il y a toutefois quatre contraintes qui doivent être documentées: les types d'acteurs, les actes (avec leur gestualité) et les conflits, donc les sanctions.

Le modèle de I'exploitation des sols On reprend ici les différents modèles dont les matériaux ont été réunis antérieurement.

Matrice des exploitants et tableaux synthétiques

Les sfafufs Ce sont donc à partir de ces positions sociales que sont élaborées les explications qui, comme SDD ou MCC, vont faire fonction de normes, la norme étant ce qui permet de mesurer la conformité ou non d'une pratique avec ce que le groupe attend du comportement de l'individu dans la situation donnée. Dénommer un statut n'est pas simplement désigner un acteur en le différenciant des autres acteurs, c'est lui assigner des comportements typiques, donc le charger d'une fonction normative pour lui-même et pour les autres en tant que partie d'un ensemble de statuts qui font système au sein de la société. Ceci a au moins deux conséquences. L'enquête de terrain doit non seulement permettre de relever les droits et obligations, les visions et les représentations associés à

chaque acteur dans cette position particulière, elle doit en outre apprécier la place de ce statut parmi tous les autres statuts pour respecter la hiérarchie des normes, reflet de la hiérarchie des statuts, donc de I'organisation de la société. La sécurité juridique dépendant alors de la sûreté associée au montage des statuts, ceux-ci doivent faire I'objet d'un contrôle tel qu'ils ne puissent être facilement manipulés. C'est la raison pour laquelle un statut est défrni au moins par deux variables non directernent recoupables et dont la co-variation s'opère rnentalement par I'usager avec l'énoncé du titre statutaire, mais que nous restituons par une matrice dès lors que nous n'avons pas été endo-culturés dans ces enchaînements de facteurs. À cette matrice des statuts était associée originellement une représentation diagrammatique de la transmission de I'autorité dans le régime considéré, en particulier pour la répartition des terres, afin d'identifter le rang à reconnaître, dans la matrice du régime juridique, aux modes de contrôle exercés par le groupe sur les activités considérées et selon un principe de dé-

onorr er socrÉrÉ, voL.54,20t

t

I

158

Avec la co-variation des modes de jouissance et des formes de coopération que nous avions identifiés dans la section précédente, on voit apparaître seize statuts-types correspondant aux modes d'exploitation des sols. Dans une lecture d'anthropologie du droit, on privilégie le mode de jouissance comme critère premier de distinction.

Teel-eeuNo l7

SrRrur ¡unloteuE

DES EXPLOITANTS

MdJ Possesseur

Détenteur

Délégataire

Affectataire

FdC par

solidarité murualité contribution convention

|

a

e

I

m

b

f

I

c d

û

k

n o

h

I

D

égende

MdJ: modes de jouissance ; FdC :formes

de coopération.

Nb : toutes ces matrices sont construites selon un principe de hiérarchie discriminant les catégories inscrites de la gauche vers la droite et du haut vers le bas du plus au moins valorisé. Le tableau se lit ici en colonne, la forme de coopération étant rapportée au

mode de jouissance privilégié

:

159

onorr gt socrÉrÉ, vol.54,20r

I

LA TERRE

DE

LFì RÉctMÈ

L'AUTRE

(a): possesseur par solidarité; (b) : possesseur par mutualité;(c): possesseur par contribution; (d) : possesseur par convention; (e) : détenteur par solidarité ; (f) : détenteur par mutualité ; (g) : détenteur par contribution ; (h) : détenteur par convention; (i) : délégataire par solidarité; O : délégataire par mu-

Structure des sfafufs d'exploitant selon le modèle du mode de production. La combinaison des enseignements tirés du tableau l7 précédent et du tableau no l3 ci-dessus permet de désigner seize modes de contrôle où la combinaison se fait inversement, selon une lecture d'anthropologie économique, à partir des formes de coopération auxquelles sont rapportés les modes de jouissance.

T¡sI-BA,uNo 18

Solidarité po, dt, dl, af

familial

x

local oroto-étatique colonial

X

Mutualité po, dt, dl, af

x

Contribution po, dt, dl,

X

X

x

X

X

X

T¡.sr-BA.u No l9 D'EXPLOITATION DES SOLS

NÉGIIT,IE ¡URIDIQUE

MooÈle rHÉonteue Col

a

U

b

c

d

f

b

h

I

J

k

I

m

n

p

o

AI A2 A3 B1

B2 B3 C1

af

D3

Convention po, dt, dl,

af

x

affectation Ce tableau suppose donc un développement inégal des statuts selon la complexité croissante des modes de production.

La matrice du régime juridique de I'exploitafion des so/s Le régime juridique est la somme des solutions observées ou observables, ici les modalités de sécurisation de I'exploitation des sols. Le régime juridique est donc constitué par trois éléments : des modes de contrôle (Co), des modes d'utilisation (U) et des catégories d'espaces support respectivement d'un mode de contrôle et d'un mode d'utilisation. Les modes de contrôle (Co) sont identifiables à partir des 16 statuts-types définis dans le tableau no 17. Les modes d'utilisations (U) sont appréhendés à partir des zonages en quatre catégories d'espaces, terres de cultures (A), tenes de résidences (B), terres de brousse (C) et tenes de passages (D). Chacun des zonages est subdivisible en sous-rubriques. On en a introduit ici trois pour cha-

160

M¡TRICE OU

D2

Légende : Modes de prod. : Modes de production tels que définis ci-dessus.

54, 20l I

coMMUNs ))

D1

X = solution privilégiée; po: possession; dt:détention; dl: délégation; af:

onorr Br socrÉrÉ, vol-.

EN

C2 C3

HlÉReRcHrB DES STATUTS D'EXpLotrANT sELoN LE oÉvsloppN4eNT DES MoDES DE pRoDUCTIoN Modes d'exploitation Modes de production

(

cun mais ils sont susceptibles d'être plus nombreux. Le quatrième chapitre nous offrira des exemples illustratifs de ces multiples potentialités.

tualité; (k) : délégataire par contribution; (l) : délégataire par convention;

(m) : affectataire par solidarité ; (n) : affectataire par mutualité ; (o) affectataire par contribution; þ) : affectataire par convention. Ce sont ces définitions qui sont exploitées en colonne dans la matrice no 19. Des sous-distinctions peuvent toujours être apportées pour spécifier des positions juridiques originales au sein des seize statuts-types ainsi identifiés.

D'AppRopRtAlloN I-oNCtÈRE

EDI 1974-l (p.30-31) propose trois opérations d'exploitation de la trice

ma-

:

Introduire chaque catégorie d'espace objet d'exploitation dans la case au type de compétences exercées sur cet espace, selon I'utiliconespondant sation considérée. L'exercice vise à placer I'ensemble des catégories d'espace recensées lors de I'enquête de terrain dans une case en en créant autant qu'il peut être nécessaire par subdivision pour que chaque catégorie d'espace soit située dans une seule case.

Concevoir un lexique de chacun des termes utilisés pour ces espaces, in- les informations relatives aux compétences identifiées et aux Lrsages troduire reconnus, aux variantes, analogies, exemples et contre-exemples. Ces infonnations sont recensées dans une fiche selon la technique du Dictionnaire d'anthropologie juridique dont le corpus juridique wolof (RJW 1976) est une application que nous retrouverons plus loin. Remplir autant de matrices que de périodes caractéristiques de l'évo- du régime juridique de l'exploitation des sols. À défaut, utiliser une tylution pographie permettant d'identifier les âges différents des applications en vue d'en restituer la profondeur historique.

161

onorr er socrÉrÉ, vot-.

54,20t

I

LE RÉGIME D,APPROPRIATION FoNCIÈRE

LA TERRE DE L,ÂUTRE

Modalités d'ajustements de l'exploitation des so/s Je citais en 1974 Paul Mercier remarquant que à ( p ) renvoyant aux modes d'exploitation identifiés dans la matrice des régimes juridiques en abscisse sont susceptibles d'être mobilisés par les quatre modes de production (Feutllns, VILLAcES, Pnoro-Erers, CoLoNIAL) qui proposent, selon le développement de I'appareil juridique, des réponses spécifiques. Pour rendre compte des échanges et contre-échanges (dons et contre-dons dans la terminologie maussienne), ce modèle carré permet identifier ce que chaque exploitant donne et reçoit, puis, en projection, les solutionsjuridiques et judiciaires en matière de règlement des conflits.

T¡sr-eRu No

2l

MOoeS DE RÈGLEMENT DES CONFLITS ENTRE EXPLoITANTS Mode soécifique de oroduction S

T U 149. Paul MERcIER, Histoire de I'anthropologie, PUF, Paris, 1971, coll. < Sup

onorr

¡r

socrÉtÉ, vol-.

54, 2ol

l

162

>,p.172

V

163

¡norr ¡r socrÉtÉ, vot.54,201

I

LA TERRE

DE

LE RÉclMË D'AppRopRIATIoN t oNCIÈRE

L'AUTRE

Pour chacun des quatre modes de production identifiables dans la société étudiée, les lethes S à V orientent le chercheur à introduire successivement les sources du droit ou de lajuridicité (S), les autorités appelées à trancher (T), la nature de la décision, ou son absence (U), les effets notoires (V). il les accompagnera de tous les commentaires susceptibles de faire prendre conscience tant du sens des pratiques des acteurs que des logiques qu'ils mettent à l'æuvre.

Le modèle de circulation des produ¡ts de la terre

Dans la section précédente, nous avons caractérisé le statut de I'acteur de la relation de circulation/distribution par la combinaison de deux variables, la position par rapport au groupe et la place de I'individu dans l'organisation éco-

intermédiaire et utilisateur. Pour l'impact de I'organisation économique, je postule de même une décroissance des statuts de producteur, de transformateur et de consommateur. La position de transformateur est particulièrement importante par ses incidences tant économiques que symboliques et fait l'objet d'un traitement qui sépare son bénéficiaire du reste du groupe, surtout s'il est forgeron mais aussi s'il est tisserand, travailleur du bois ou joailler. Chez les Wolof par exemple, ces différents artisans font l'objet d'une véritable ségrégation et on parle à leur égard d'un système de castes qui n'a cependant rien à voir avec I'Indouisme. Leur impact dans la vie sociale, économique et politique est tel que, comme I'a souvent souligné Michel Alliot (Alliot , 2003),leur différence avec les autres catégories sociales est d'autant plus marquée que leur complémentarité structurelle s'impose à l'ensemble de la société.

-

TesI.enu No 22 AcrEURs DE LA crRcuLATIoN/DISTRIBUTIoN

Place dans le groupe représentant

intermédiaire

utilisateur

dans l'économie

producteur

cL

ß

Y

transformateur

ô

t

n

consommateur



0

(D

Les lettres grecques déterminent les neuf modes types de contrôle de la circulation/distribution selon les définitions suivantes : cr = contrôle au titre d'une représentation/production B = contrôle au titre d'une intermédiation/production

onorr er soclÉrÉ, vol-.

54,201 I

164

coMMUNs ))

y:

contrôle au titre d'une utilisatior/production ô = contrôle au titre d'une représentation/transformation g = contrôle au titre d'une intermédiation/transformation = contrôle au titre d'une utilisatior/transformation contrôle au titre d'une représentation/consommation ?ú =

I

0 = contrôle au titre d'une intermédiation/consommation g = contrôle au titre d'une utilisatiot/consommation

variables particulièrement significatives des modes de socialisation de leurs tulaires les données du tableau n" 8 qu'on rappelle ci-dessous :

nomique. Toute matrice étant organisée par des principes de préférence qui vont du * ôu -, on doitjustifier l'ordre des critères retenus. la place de I'individu dans le groupe, on retient le degré de respon- Pour sabilité de l'acteur dans I'organisation du régime de circulation/distribution. Je postule donc par ordre décroissant I'incidence des positions de représentant,

DES

BN

On reportera dans chacune des cases les statuts identifiés lors de l'enquête de terrain en détaillant les significations et connotations et en retenant comme

La matrice des acfeurs de la circulation-distribution

MnrRrcB

(

TesI.eeu N" 8 BIS MooB o'tNtÉcRATIoN

ti-

PAR

Parentalisation Alliances matrimoniales Alliances politiques et religieuses

Le régime juridique de la circulation/distribution des produits de la terre Suivant ici RDT 1975, (p.32 et s.), on peut aborder l'élaboration de ce modèle élémentaire d'un point de vue théorique et d'un point de vue pratique.

D'un point de vue théorique, il s'agit de porter sur un axe horizontal le contenu des relations homme/homme conune modes de contrôle et, sur un axe vertical, les rapports hommes/choses inscrits dans les réseaux de circulation/distribution, comme modes d'utilisation, pour identifier produit par produit les corrélations observées. TesLs,Au No 23 RÉcINle JURIDIQUE DE CIRCULATIoN/DISTRIBUTION Cts ot nÉss;ux ÉLÊMENTATRES Modes de contrôle

O(

p

v

ô

t

ïì

x

o

I

Réseaux d'utilisation Subsistance Nécessités sociales Prestige

165

onorr

¡t

soclÉtÉ,

vol.

54,

20l

I

LE RÉclME D'AppRopRIATIoN FoNCtÈRÈ

LA TERRË DE L'AUTRE

T¡,nleeu RÉcus ¡untorQuE

DE

Modes de contrôle Réseaux

d'utilisation

ct,

p

ctRcuLenoN/otsrRIBUTIoN

coupLÉunNr.unrs ô

v

fl

e

Frcune N"

x

0

I

5

circuit commercial : petite production marchande circuit financier: promotion foncière et immobilière Réseau monopolitistique /// circuit étatique: monopole foncier étatique

Réseau mercantile Réseau capitalistique

Nécessités sociales Prestige

/l/

lll

Ces phénomènes illustrent l'émergence de cultures cortmunes ls2 ds¡1 n6ug retrouverons les effets dans la quatrième partie.

Mercantile Capitalistique Monopolistique

Les modalités d'ajustement entre /es règles de circulation/distribution

Pratiquement, on partira des listes de produits déjà relevées et on les distribuera case par case selon le mode de contrôle dont ces produits font I'objet. On distinguera deux régimes selon que la société connaît, ou non, des réseaux dits complémentaires (mercantile, capitalistique, monopolistique). Dans le SDP 1975, (p. l8-19), j'observais la présence, à partir de la période coloniale, de nouvelles formules d'encadrement de la circulation des produits sous I'impact de la colonisation ls0. Je nommais ces ensembles des circuits et je considérais que leurs critères de differenciation tenaient aux caractères public ou privé (et non interne/exteme ou externe) ou direct ou indirect dans I'activité de distribution. Je relevais entre eux les differences suivantes : Teer-sRu No 25 LES CIRCUITS COLONIAUX

Circuits commercial financier

)

CoNVERGENCES : CIRCUITS NÉOMoDERNES DE PRoDUCTIoN DU SoL URBAIN

Subsistance

Critères

tiN coMMUNS

rnais une rencontre et un ajustement des dispositifs endogènes et exogènes sous l5l. les effets d'un marché foncier proto-capitaliste en milieux urbains

No 24

C¿s on soctørÉs À nÉ¡st¿ux

(

pnve

public

+ +

+ +

étatique

direct

indirect

+

+ + +

+

des produits de la terre. Dans le SDP 1974 (p. 36), je relevais que < si on en croit G. Balandier, une démarche dynamique . Communication au séminaire Resritution et valorisalion des recherches urbaines dans le Tiers-Monde, Méthodes et pratiques, Bordcaux, GRET ct Interurba-CEGET, 17-19 avril 1986. Ces donnécs ont été amplcment développécs lors de séminaires sur la gestion urbaine à I'EHESS dans les années 1990 avcc E. Le Bris, A. Marie et A. Osmont. 152. Étienne LE RoY, < L'élaboration dc la culture communc commc réponse à la crise de l'État ct dcs économies en Afrique francophone >>, La culture, otage du dëveloppement ?, Gilbert RIST (dir.), L'Harmattan, Paris, 1994, p.99-l 18. 153. Georges BALANDIER,I¿thropologie politique,P\JF, Paris, 1969, coll. < Sup >>,p.23. l54.Je référais ici à Jean-Louis BourrLL¡ER, , ¡r¡ Jean PotRlER (éd.), Ethnologie gënërale,Gallima¡d, Paris, 1968, coll. < Pléiades >>,p.243.

167

DRotr

ET

socrÉTÉ, vol-. 54, 20l I

LE RÉcrME D'AppRopRIA1'toN t oNCtÈRE

I-A TFìRRF; DÈ L'AUTRE

Pour les procédures, on distingue successivement le type de < forum > (assemblée, instance, etc.) où elle peut être observée, son objet (la nature de l'obligation), le lieu où elle est exécutée, les prestations qui y sont associées et les bénéficiaires. Pour l'analyse du conflit, il conviendra d'en énoncer les termes, d'en préciser la nature et la portée pour le groupe, d'identifier I'autorité appelée à trancher, de dégager les fondements de la règle ou du cadre normatif dont elle s'inspire et enfin d'apprécier les effets de son intervention, en se rappelant que tous les conflits n'ont pas pour vocation d'être < réglés > comlne on I'a déjà indiqué. Ce modèle est une synthèse d'un ensemble de travaux de terrain qu'il conviendra de présenter par ailleurs en utilisant la technique des fiches du Dictionnaire d'anthropologie juridique (DAJ) dont on a déjà indiqué la pertinence comme outil de validation des résultats. Dans le tableau snivant, le symbole (G) désigne dans chaque réseau le type de groupement dont les activités sont ici considérées cornme représentatives des pratiques analysées. La taille de l'unité familiale, I'existence de subdivisions dans les unités de résidence (quartiers, village, canton...), le degré d'approfondissement généalogique des organisations lignagères sont autant de facteurs influençant la dynamique des réseaux. T.cgt-g,{u No 26 PnocÉouRgs D'AJUSTEMENTS TNTERNES AUX RÉSEAUX DES PRODUITS DE LA TERRE

DE CIRCULATION/DISTRIBUTION

Réseaux

Sub

NéS

Pres

Merc

Capi

Mono

Procédures

(G)

(G)

(G)

(G)

(c)

tG)

Forum Obiet

(

EN coMMUNS

)

Le modèle de répartition des terres, troisième modèle particulier

d'un régime d'appropriation

. Nous allons en détailler les trois modèles élémentaires.

Lieu Prestations

Bénéficiaires R GLEMENT D Termes

Légende : Les six réseaux sont respectivement Sub : subsistance, Né S : nécessités sociales, Pres : prestige, Mer : mercantile, Capi : capitalistique, Mono : monopolistique Les trois demière colonnes en grisé ne sont susceptibles d'être exploitées que dans les sociétés où I'appareil de pouvoir est assez différencié des hiérarchies liées à la parenté pour autoriser l'exercice d'un pouvoir politique et juridique autonome.

onorr sr socrÉrÉ, vol. s4.20t

l

168

La matrice des acfeurs de la répartition des ferres Le stahrt des acteurs de la répartition des teffes est déterminé par la co-variation de deux facteurs, les modes d'établissernent dans I'espace et la natrue de I'autorité dite de régulation foncière qu'ils exercent, indifférenciée ou différenciée.

r69

onorr ¡.r socrÉrÉ, vol.54,20r

I

LE RÉclMË D'AppRopRIATIoN FoNCIÈRE

LA TERRË DE L'AUTRE

Les modes d'établissement nous sont déjà connus par le tableau

-que nous reproduisons ci-après. CovrsNersoN

DE

n'6 þ.

143)

les terres

Arrangement

x:

Prea

c Á

La régulation foncière est ici approchée par deux critères, la compétence et les attributions, affectant trois statuts-types identifiés à partir de l'association ou non du contrôle sur les hommes et du contrôle sur les terres.

Srarurs

DES ACTEURS

Homme

Terre

oul

oul

Statut

non

Compétence Suprématie au titre de la conservation Police des hommes au titre de

Chefde terre Seigneur de terre

non

ou1

TesLseu N" 27 oe Le nÉpA,nrtrloN sELoN L'oBJET

leur adminishation Production au moyen de règles de sestion

Maître de terre

oul

DE,

LA RÉcuLRrloN

Attributions Pouvoir direct sur les hommes et sur les terres

Pouvoir sur les hommes, indirectement sur les terres

Pouvoir sur les terres, indirectement sur les hommes

Ces deux séries de facteurs sont croisées dans la matrice des acteurs de la répartition.

Tesr-B¡u No 28 MATRICE DEs STATUTS D'ACTEURS DE LA RÉPARTITION

nnort

¡r

'

Comme on l'avait déjà expérimenté, les statuts des acteurs relevés lors de I'enquête de terrain sont reportés dans chacune des cases, en employant la terminologie originale (avec un lexique annexé) et en introduisant autant de subdivisions au sein des neufcritères pour que chaque statut bénéficie d'une seule case, donc d'un traitement original, sauf homologies dûment justifiées. Dans TAE 1970 j'accompagnais cette identification des statuts d'une représentation diagrammatique de la matrice pour mettre en évidence les transferts d'autorité sur la terre déterminant I'ordre en fonction duquel la société hiérarchise ses statuts, donc organise ses modes de contrôle, ce qui est utile quand la société combine plusieurs modes de contrôle de I'autorité sur la terre. La représentation diagrammatique exploite la désignation alphabétique de chacune des neuf cases de la matrice des acteurs. Sur la base de < qui commande à qui ? >> on décrit la hiérarchie des modes d'organisation de l'autorité sur la terre qu'on présente sous la forme de formule de type u/v/y, quand I'autorité réside dans un conquérant qui n'a pu se faire reconnaître que seigneur de terre (u), exerçant son pouvoir sur ses cornmensaux (v) qui eux-mêmes commandent à des maîtres de terre (y) conquis et intégrés dans le nouveau dispositif politique. Dans SRT 1973 (ft.26), j'en avais déduit un système de codage des transferts de l'autorité sur la terre distinguant entre vecteurs verticaux, horizontaux et obliques, système qui permettait d'afftner la modélisation et de pousser la comparaison entre sociétés d'une manière assez sophistiquée. On ne la reprend pas pour ne pas surcharger un ouvrage déjà assez difficile à maîtriser pour le lecteur. On ne reprend pas non plus la place des rapports de parenté dans la détermination des statuts en fonction de ce qu'on avait appelé (dans SRT 1973,

Attributaire

q

r

s

t

u

Le régime juridique de la répartition des ferres

w

x

v

Nous retrouvons la combinaison entre modes de contrôle, que nous avons identifiés cidessus avec les acteurs de la répartition et les modes d'utilisation que nous avons déjà exploités en matière d'exploitation des sols et qui prennent ici une signification plus territoriale: terres cultivables, terres résidentielles,

aux autres régimes d'appropriation et ont été préalablement identifiées.

sur les hommes et

terres de réserve l5s.

;

contrôle au titre d'une attribution dans le cadre d'une suprématie-sur les

hommes et les terres

t:

;

Conquérant

: hommes et les terres ; r : contrôle au titre d'une conquête et d'une suprématie s:

;

l"'occupant

Modes de contrôle associés aux statuts : q contrôle au titre de la première occupation et d'une suprématie sur les

les terres

)

p.22-23) les modes de fixation par appartenance à une communauté d'ancêtres, de résidence ou de croyance car ces dimensions de I'analyse sont communes

Etablissement Réeulation Chefde terre Seisneur de terre Maître de terre

coMMUNs

contrôle au titre d'une conquête et d'un pouvoir de gestion sur les tenes ; y = contrôle au titre d'une attribution et d'un pouvoir de gestion sur les terres.

nÉpnnttrtox

Réservation Annexion Autorisation

Découverte Dépossession

EN

v = contrôle au titre d'une attribution et d'un pouvoir de police ; w = contrôle au titre d'une première occupation et d'un pouvoir de gestion sur

TegtBAU No 6 gls cES oeux cnrrÈngs DANS LES TRots STATUTS TYPES DU RÉGrME oe

u = contrôle au titre d'une conquête et d'un pouvoir de police

(

;

contrôle au titre d'une première occupation et d'un pouvoir de police

socrÉrÉ, vol-.

54, 20l

I

t70

;

155. Aucun des cherchcurs qui ont participé à la conception et à l'expérimcntation de ccttc démarche n'a relevé dc différences significatives dans la tcrminologie dcs modcs d'utilisation des espaces entre exploitation dcs sols et répariition dcs tencs. Mais il est évident que la question

t7l

onorr

Br socrÉrÉ,

vol.

54,

20l

I

LA TERRE

DE

LE RÉGIME D'APPROPRIATION }-ONCIÈRE (( EN COMMUNS ),

L'AUTRE

TABLEAU NO 29 RÉcltr¿e runrDreue DE Contrôle q

r

s

Lr nÉpentlrtoN t

Utilisation

u

DES TERRES

w

x

v

Ce privilège du représentant à accéder seul à la vie juridique.( externe )) est ntut un principe de rêgulation que d'exclusion car la pluralité des statuts auxgenre, ãuels p"ut accéder le membre d'une société au titre de sa lignée, de son laprise en sa réputation, ou de notabilité de sa expérience, de son âge, á,,on chaque I'invisible_rend à rapports professionnelles ou des des activités compte par là I'art de tricoãcteur bénéficiaire d'une part du tricotage social, entendant social. puis tissu du lien ier les rapports sociaux pour en faire du

pe cè-fait, deux problèmes me paraissent conduire les modalités d'ajus-

Terres

tement dans la répartition, d'une part l'organisation du politique dans son rapport à la parenté, á'autre part,laconstruction de I'espace comme territoire.

cultivables

Parenté et politique Dans SRT 7elZ,1p.ZS et s.) je distinguais entre normes parentales et normes politiques, les unes et les autres interférant directement dans la théorie de

Terres

Résidentielles

la représentation juridique.

Terres

. Ce qui est essentiel, c'est I'architecture de ce dispositif complexe et ceci pour des raisons qui ¡'ont rien à voir avec quelque ethnographie nostalgique. Nos sociétés, au Nord comme au Sud, redécouvrent les exigences d'une gestion ( en communs ))

No 30

ET pRESTATI0NS D'AJUSTEMENTS

DANS LA RÉp¿,nrtrtoN DES TERRES

Normes

(

o I

ÉÉ FO oÈ

z9

Òo ,o k

Procódure Intitulé

parce que c'est une des hypothèses crédibles d'un développement durable que ã'associer I'ensemble des parties prenantes à des décisions qui, engageant I'avenir, doivent trouver leurs fondements dans la longue histoire de leurs so-

ciétés. C'est donc dans cet esprit qu'on découvrira dans le chapitre suivant quelques expériences africaines avant d'en comparer les enseignements avec celles du Nord, dans la troisième partie.

Nature Obiet Responsable Parties

Effets

Prestation Intiruló Nature

Montant Responsable

Exécution Effets sociaux

Territoire et politique La répartition des terres est le principal domaine de la régulation des sociétés où on peut observer, dans sa plus grande spécificité, donc dans sa très réelle complexité, le régime de I'appropriation des terres ( en communs >. N'oubliant

jamais que la répartition ne peut jamais apparaître indépendamment des deux autres dimensions de I'appropriation, on dispose avec ce niveau d'analyse, de I'ensemble des informations qui permettront de répondre aux questions que nous avons commencées à poser depuis le début de I'ouvrage, en particulier comment cohabitent diverses représentations d'espaces et comment les différents acteurs enjouent pour produire leurs territoires de vie.

Conclusion de section et de chapitre Avec ces considérations, nous en avons terminé avec la partie théorique de

la présentation de la démarche d'analyse matricielle, élaborée entre 1969 et 1975 et revisitée en 2009 en simplifiant un exposé qui avait tendance, au milieu des années 1970, à sacrifier au formalisme et qui, sans prétendre < mathématiser les sciences humaines >, favorisait les ressources du codage et de la mise en équations. Non sans intérêt, mais les priorités de la recherche ne sont plus dans le détail de dispositiß qui ont eu de grandes chances de disparaître depuis la fin des années 1960, sous l'effet des calamités qui se sont abattues sur les sociétés

DRorr ET socrÉTÉ, vol-. 54,201 l

t74

17s

nnorr sr socrÉrÉ, vol.

54,

20l I

Chapitre 4 Savanes, forêts, Sahels.

Quelques montages juridiques de I'appropriation ( en communs > des terres et des territoires chez des peuples pasteurs, sylvicoles, agriculteurs

lntroduction Anivé à ce point de la présentation des résultats, I'anthropologue ne peut cacher au lecteur les difficiles choix qu'il a dû faire pour assumer les réelles contradictions entre le souci d'illustrer la pertinence des modèles proposés dans le chapitre précédent et I'exigence d'une démarche qui doit être d'abord ethnologique donc sensible à la qualité des matériaux de terrain. Nous devrions, dans ce chapitre 4, exploiter les applications qui ont été proposées dans chacun des documents de référence de I'analyse matricielle identifiés dans I'introduction de cette partie. Or ce choix, logique, n'en pose pas moins des problèmes pratiques. Car ces matériaux utilisés dans les documents d'analyse matricielle des années 1970 souffrent visiblement de diverses limites. Ils sont anciens, incomplets, contradictoires et produits par des étudiants en cours de formation. Ce ne sont pas toujours des données de première main et elles n'ont pas fait I'objet de tous les recoupements que suppose la prudence scientifique. Des sources utilisées par lesjeunes chercheurs de l'époque ne sont pas identifiées. Les transcriptions de termes utilisés ne sont pas coordonnées, faute de connaissance par certains des principes ayant présidé à la collecte de la terminologie par les auteurs cités à une période où la linguistique était encore marginalisée. Et on pourrait continuer ainsi, ad nauseam. Tout cela n'est que trop vrai et pourtant ! Je voudrais rappeler ici ce qu'écrivait André Régnier, cité au terme de l'introduction de cette deuxième partie; (Essai sur I'origine des langues, cité par Claude Lévi-Strauss, Anthropologie structurale deux, Plon, Paris, 1973,p.47). Notre argumentation de base repose sur trois colpus utilisés dès I'origine de ces travaux, mais pas sous la forme où ils seront présentés. Pour les Nuer qui représentent la première section de ce chapitre, je ne dis-

posais en 1967-68 que de la version anglaise originale dans son édition de 1950. La traduction de Louis Evrard, en 1968, avec une préface de Louis Dumont dans l'édition de 1994, constitue un apport important. Ensuite, dans la deuxième section, outre les informations de l97l,j'exploi terai la thèse de doctorat de spécialité de Marcel Roch Nguema Mba snr les Fang du Gabon, soutenue en1972 en y associant des informations que j'ai pu collecter personnellement au Gabon en 1998 et auprès de certains collègues fang, particnlièrement Isaac Nguema, haut magistrat et ancien ministre, président de la commission des droits de l'homme et des peuples de I'OUA, qui

m'avait honoré de son arnitié. Enfin, dans la troisième section, je mettrai de I'ordre dans 1'énorme corpus de données collectées sur le terrain au Sénégal de 1969 à 1999, relativement aux rapports des Wolof à I'espace et aux ressources. Le choix de ces trois sociétés correspond dès les premiers travaux d'analyse matricielle (TAE, 1970, p.26-29) au souci d'une double répartition des exemples retenus, l'une d'ordre géographique et écologique et I'autre d'ordre plus

DRorr

ET

socrÉTÉ,

vol.

54, 20l I

178

(

EN

coMMUNs

)

Ácononrique propre à illustrer des modes de production différents. Nous avons ilnc d'abord une société de pasteurs, les Nuer, vivant en Afrique de l'Est, dans

Sud-Soudan d'élevage et aussi de polyculture. Ensuite les Fang repré.*taient une société de sylvicoles et d'horticulteurs, arrivés à la fin du XtX" siècle migration ,ui t" riuug" de I'océan Atlantique, entre Cameroun et Gabon après une dans Enfin, les Wolof, centrale. forêts de l'Afrique les à travers niuri-centenaire Sahel, sont devenus agriculteurs Savane et I'Afrique, entre de Occident i'extrême précolonial essentiellement iaute de pouvoir continuer à reproduire un modèle I'organisation des territoires et, aux hommes, des I'exploitation sur fondé sueffier la traite des esclaves. sur siècles, xvltle ivll'et Chacune de ces sociétés représente une histoire complexe dont on ne saisira que quelques traits, une histoire qui n'est guère plus typique qu'une autre mais oui peut nous permettre d'entrer dans ces logiques d'organisation. Si, pour les Ñu"i, Euant-Pritchard donne pour consigne < cherchez la vache >> (1994,

i^.tu.t

p. 33), je relevais une préoccupation analogue pour parler des Wolof dans i'introduction de ma thèse de 1970 en parlant d'une < civilisation du cheval > eîayant repéré, outre leur amour de I'animal et la place qu'il tient dans leur histoire, I'atnpleur de la terminologie que ceux-là y consacrent. Quant aux Fang, ils étaient réputés < sortir de I'arbre ) colnme nous le verrons dans

I'introduction de la section deux.

Les Nuer : le régime de I'exploitation des ressources du sol dans le contexte d'une soc¡été pastorale, ma¡s aussi horti' cole et piscicole dans les savanes du Sud'So¡¡d¿¡ tsl La manière selon laquelle le Nuer traite son bétail et la place centrale que l'élevage occupe dans la société ont fait de la monographie d'Evans-Pritchard, rédigée à la suite de plusieurs séjours au Soudan durant les années 1930, r.rne référence ethnologique mondiale. Mais le centre d'intérêt de l'auteur tenait aux institutions politiqués caractéristiques de ces < sociétés sans État > qui I'ont fait également connaître comme théoricien du structuro-fonctionnalisme. Si donc ses descriptions du mode de vie des peuples nilotes apportent de bonnes illustrations des activités de production, certaines infonnations relatives aux catégories utilisées par les Nuer dans I'organisation de leur système d'exploitation des sols restent lacunaires. L'ouvrage n'est pas une monographie foncière' Dans I'attente de nouvelles monographies portant sur le foncier de sociétés pastorales, ce texte n'en reste pas rnoins précieux, au rnême titre que I'ouvrage de Marguerite Dupire sur les Peuls que j'avais exploité à la même époquelss.

157. Sourccs: Edward Evan Ev¡Ns-PnlTcHARD, The Nuer, a Descríptiott of the Modes ol'Livehootl ancl Political lilstitutions of a NiloÍic People, O.tJ.P. Oxford, 1950 [l't cd. Clarcndon Prcss, 193?]. Vcrsion française Les Nuer, clescription des nodes de vie et des inslitutions polï tiques d'un peuple nilote, Gallimard, Paris, 1994, coll. , [1" cd 1968]' Traduit par Louis Evrard, préfacc dc Louis Dumotrt. 158. Margucritc DuPIRE, Peuls nonndeg Institut d'cthnologic, Paris, I 966.

179

DRorr

ET

socrÉTÉ, vol.54,201

I

LA

,I.ERRÐ

DE

LE RÉGIME D'APPROPRIA]ìON T'ONCIÈRE

L'AUTRE

Après quelques considérations générales sur la société, son écologie et ses ctroix d'organisæion sociale et productive, je réunirai des éléments de réponse puis autorisant ã remplir les matricei des exploitants, du régime d'exploitation

< Chøque tribu, chaque section tribale a ses pâturøges et ses points d'eau. La division politique recoupe étroitement la répartition de ressources naturelles dont la propriëté trouve généralement son expression

Gonsidérations générales

dans les noms de clans ou de lignages. > (1994,p.34)

Des contraintes écotogiques qui dictent les rapports de I'homme à la terre < L'économie des Nuer est à Ia fois pastorale et agricole, mais leur pays se prête mieux à l'élevage qu'a l'agrículture et ne les encourage pas ò

auprofit de l'horticulture.

L'auteur précise Plus loin

>

(1994,p'76)

:

nomade sont I'une et qui exige la transhuNuer, des I'autre incompatibles avec l'économie de la sqison huvillages des dimensions et les mance. L'emplacement mide, de même que la direction du mouvement de la saison sèche, sont < IJne vie tout

à

fait sédentaire, une vie tout à fait

déterminés par-l'ëcologie. Le rythme ,lcologique partage I'année en deux, la saiion humide où on réside dans le village et la saison sèche où on vit au camp ; la vie au camp se divise elle-même en deux parties, c'est-à-dire une première përiode de petits camps temporaires, et une période plus nrãive de grandes concentrations dans des sites où on revient chaque année. Ð (1994' p. ll6) Ces indications permettent de comprendre que pour répondre à ces contrain-

tes écologiques, les Nuer font implicitement appel à trois des représentations que nous avons identihées dans la première partie.

La première de ces représentations est celle de I'espace auquel on peut accéder, ce que nous uuoni déno-mé le territoire. L'auteur présente plusieurs cartes des áéplacements de saison humide à la saison sèche tant à I'intérieur du pays Nuer qù" .ur les marges des pays Dinka ou Shilluk, selon des déplacemËnts qui sont réguliers ou iabituelÃ, exprimant cependant au mieux des priorités dani I'accès u.r^."rrou.""s qui sont ici d'abord l'herbe, mais aussi le pois-

son et accessoirement, car le pays Nuer est plat et faiblement arboré, le bois de construction. Les représentations cartographiques de ces territoires dans I'ouvrage (1994,p. 29,8^0,81; suggèrent deJ lignes et des limites, mais les descriptioñs dìs u.iiuit¿r tuppor"niplutôt que le territoire est conçu à partir de deux autres représentationi, la représentaiion odologique, surtout évoquée dans la circulatioì des villages aux camps de saison sèche et la représentation_topocentrique mise en évidence à propos de la vie au village en période humide, autour des parcs à bæufs ou kraals et selon les

onorr nr soclÉrÉ. vol.54,20l

I

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DN COMMUNS

Une organisation des rapports qui privilégie l'échette de Ia tribu et une réponse plus politique que juridique

des modalités d' ajustement.

,"ir"rr", le rapport

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activités horticoles'

180

Si, dans la version originale, I'auteur parle bjen d'ownership quand il traite du

statutjuridique de la propriété des ressources (1950, p. l6), les développements que nous avons consacrés à la notion d'appropriation tendent à considérer que l'usage de la notion de propriété appliquée à la terre est ici métaphorique. Þar contre, elle est pertinente pour ce qui conceme le bétail (1994, p.34l3i). Cette observation est renforcée par la notation suivante illustrant qu'il n'existe pas de système de répartition des terres :

Sollicite avis Organise campement

Partage les tâches communes

médiation

Sollicite

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Rappelons les protagonistes derrière les formes d'exploitation : (a) Membres de la tribu unis par une solidarité fondée sur la possession commune des ressources. (e) Chef de famille étendue agissant au titre d'une solidarité avec détention des ressources de la famille. (i) Membres de la famille, qu'ils soient cheß de ménages ou membres individuels intervenant par délégation de droits comlnuns. (i) bis Chef à peau de léopard et notables participant au règlement des différends. (f) Chef de campement de saison sèche, initiateur des activités hors du village. O Résidents dans les campements de saison sèche. (n) Membres du village, acteurs et bénéficiaires de la vie quotidienne

des décisions

Partage des

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LE RÉcrME D'AppRopRIAÏtoN r,oNCtÈRE

chefest sacré et le sang ne doit pas être répandu dans saferme.

de differencier notre analyse en distinguant les conflits selon le

T¡sr-pRu N' 34

DN

coMMUNs

)

honte s'ils ne føisaient aucun effort pour venger I'homicide. Le meurtrier, lui, en vivant chez le chef comme son invité à partir du moment où son bras a été incisé jusqu'au règlement final, dispose d'un asile, car le

Deux types de conflits sans règlements définitifs Dans une perspective comparative, on a proposé dans le chapitre précédent mode d'exploitation à l'échelle de la famille et du < local >, dans notre cas l'échelle du village et de la tribu. Le tableau suivant (lecture en ligne) présente les deux principaux types de conflits, mettant I'un et l'autre en cause le bétail et, pour les razzias, le rapport au territoire.

(

l

(1994,

p. 180) La description se poursuit par la conduite de la négociation entre le chef à oeau de léopard et la famille de la victime pour le versement d'une compensaiion qui peut aller jusque cinquante têtes de bétail. La négociation va durer au moins plusieurs semaines et on y retrouve les < trucs >, < ficelles > et procédés qu'on observe dans toutes pratiques de médiation et de négociations. < La cou-

pour le compromis. Néanmoins il convienl que les propørents refusent de prêter l'oreille au chef avant qu'il ait ëpuisé tous ses arguments. Et quand ils Jìnissent par øcquiescer, ils d,lclarent qu'ils acceptent ce bëtail dans le seul souci d'honorer le chef et non point pour remplacer par des animaux la vie d'un homme qui leur était cher. )) (1994, p. I 8 I ) E. E. Evans-Pritchard a ensuite une formule, . ll indique également que le système résidentiel repose sur deux traits : une extrême dispersion et une très grande disproportion entre les populations composant les villages, de quelques unités à plusieurs centaines (1972, p.84). < Le dzal (village) comportait deux rangées de cases rectangulaires accolées les unes et les autres ; son élément essentiel était le corps de garde, êbène. C'est dans cette unique habitation qui est d'ailleurs la plus imposante du dzal que vivent à longueur de journée tous les hommes du nda-ebor. Elle était placée au plus près possible des coses personnelles du représentant. > (1972, p. 86)

Les sfafufs d'exploitants L'auteur souligne que < /a þrce de I'homme découlera de sa qualité de membre du groupe. L'individu est très peu de chose s'il ne s'appuie pas sur la hiérarchie qui l'encadre et (...) lø hiérarchie sociale elle-même n'est basée que sur l'interdépendance des membres au sein du groupe dans lequel toute la vie est une question d'équilibre et d'échange (...) Au départ et øu regard de la terre en général, nul n'est considér,ë comme seul propriétaire > (1972, p. 109). De ce fait, I'exploitation est basée sur deux modes, , par mutualité, < au sein de segments résidentiels nettement plus étendus >> (Idem).

160. Éticnne LE Roy, < L'agriculture moderne à la périphérie de Libreville (Gabon) >, in UcAc' Cítadins et rurqux en Afrique subsaharienne, Karthala-UCAC, Paris, 2000, Cahiers de

I'UCAC, p.41-65.

DRorr

ET

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193

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20l I

LE RÉctME D'AppRopRIATloN FoNctÈRE

LÀ T[]RRË DE L'AUTRE

(m)



(b)

coMMUNs

)

L'emplacement d'un village abandonné (elík) appartient exclusivement aux membres du groupe qui I'avaient quitté et à leurs descendqnts. L'élik ne devait jamais être occupé par les membres d'un groupement

Modes

d'exploitation (e)

EN

Ainsi, chaque membre à part entière du village peut en disposer pour ses dffirentes activités, n'importe quand, n'importe où (sauf respect du droit de première installation).

T¡.sr-BeuNo 35 LES ACTEURS DE L'EXPLoITATION DES SOLS CHEZ LES FANC oTRCUMLES oÉsurs DE LA coLoNIsATIoN

(a)

(

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Modes de

,étranger. D (1972, p. 135)

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:

représentant juridique du groupe à l'échelle considé(Sur la notion, rée, aîné. essentielle, de représentant,voir 1972-p. I 14 16l). Rappel des statuts liés aux modes de contrôle : (a) possesseur par solidarité, (e) détenteur par solidarité, (i) délégataire par solidarité, (m) affectataire par solidarité, (b) possesseur par mutualité, (n) affectataire par mutualité. Lexique: avtma, ce qu'on partage, la communauté, la parenté, ayon, clan et aussi le plus dispersé et relqtivement > (1972-p. 95) ; Zê,les descendants de Nzame ancêtre des Fang et fils direct du créateur, le groupe des Fang ; nda case, famille conjugale ou

L'auteur relève également la dimension religieuse et la place des alliances avec le monde invisible : Eø

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Dans un tel modèle, le statut d'esa est particulièrement important quand il y associe celui de ntôle, comme représentant d'une pluralité de familles restreintes au sein d'une famille étendue ou ndq-ébor. Cette fonction de représentation du groupe par un individu est d'essence communautaire et sera à la base de la conclusion des alliances et des échanges entre les différents partenaires. T¿,st BRu No 39 DEs AcrEURs DE LA cIRcuLATIoN/DISTRIBUTIoN ENTRE 1839 ET 1842, DONC AU MOMENT DU ( CONTACT ) COLONIAL

Mernrcp

Place : dans le groupe .dans l'économie

La circulation des produ¡ts de la terre Le mot circulation connote une partie d'un système plus global et tra' duít surtout t'idée d'un mouvement imprimé aux produits de la terre qui est I'aspect sous lequel le Fang appréhende la distribution et qui rend le mieux compte de la réalité. ) (SDP 197 5, p. 7l)
> çhez les Nambikwara, en vérité aussi peu chefferie que cette théopragmatique de la représentation du groupe par un individu placé en situarie tion de séniorité ou d'aînesse que nous a présenté M.-R. N'Guérna Mba. Dès les années 1970, j'étais convaincu qu'on ne pouvait expliquer la dynamique des rapports juridiques et l'originalité de I'organisation communautaire sans disposer d'une théorie de la représentation juridique qui échappe aux tropismes des conceptions civilistes 162. Deux autres idées émergent fortement de ces analyses, la place de la solidarité et le rôle des échanges chez les Fang. Une première représentation apparaît valorisée chez les Fang, celle de la terre corrure un lieu et un facteur d'inclusion, un motif et une occasion de partage. Une solidarité en émerge comme condition même de la vie en société avec des faceffes originales : une société hiérarchisée selon des critères d'âge et de genre mais aussi très égalisante quant aux conséquences pratiques de ces distinctions ; de même, si les prestations sont obligatoires, elles doivent être accomplies de manière spontanée et volontaire, au risque d'être accusé d'avarice. C'est pourquoi le rôle des échanges est si crucial dans une société dont les membres sont dispersés dans la grande forêt. Sans échanges il n'y a pas de société et, sans société, I'homme est avalé par l'environnement de-

< chefferie

venu hostile, c'est un des sens du mythe fondateur fang. On va retrouver cette idée de l'échange avec le mythe wolof de fondation de la société qui nous transporte dans le delta du fleuve Sénégal, à I'extrême ouest de

l'Afrique.

Les Wolof de Sénégambie : un peuple de cavaliers, entre savane et sahel, à la conquête de I'espace et du temps Présentation de la soc¡été En associant dans le titre la conquête du temps à celle de l'espace, j'ai cherché à faire entrer de prime abord le lectenr dans cç qr.ri représentait pour rnoi une sorte de paradoxe au milieu des années 1960 lorsque j'ai découvefi cette société. D'un côté, on pouvait I'associer à une très réelle traditionnalité par son expérience de systèmes proto-étatiques de royautés soudaniennes < typiques > dans I'imagerie coloniale, son rôle dans le commerçe des esclaves, sa stratification sociale très rigide (nobles, hommes libres, captifs, castés) et, de I'autre, elle s'est voulue, dès sa fondation vers le xlvt siècle, < modernç >> au sens où on

I'entendait au xvte siècle en France, inscrite dans la réalité des faits les plus contemporains et en prise avec les problèmes régionaux voire continentaux. C'est une société qui fait échapper à ce que certains appellent les dogonneries, tout en étant totalement africaine, mais/et ou parce qr.re radicalement métisse. C'est le sens de son mythe de fondation.

En guise de transition L'auteur vient d'évoquer l'æuvre de Marcel Mauss, mais nous pourrions aussi citer les Tristes tropiques de Claude Lévi-Strauss et sa description de la

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162. Éticnnc LE RoY, < Lcs chcffcrics traditionncllcs ct lcs problòmcs dc lcur intógration >, à¡ Górard Coxec (êd.), Les inst¡ttúions adntinislratives des États .fi'ancophones d'A/ì'ique noire, Economica, Paris, 1979, p. 105-132.

20s

onorr er socrÉrÉ, vol.54,201

|

LA

TEITRE DE

LE RÉcrME D'AppRopRIAÏON t oNCtÈRE

L'AUTRE

Ce mythe se rappofte à des faits qui se sont déroulés au xle siècle, la conquête almoravide venant du Maroc en passant par la Mauritanie et qui a abouti à un bouleversement des structures impériales alors en place autour de la moyenne et de la haute vallée du Sénégal et à une première islamisation de la région. Le mythe présente le héros fondateur de la société Wolof, auquel on donnera le nom Ndiadyane N'Diaye, comnle le < flrls > du conquérant almoravide, mais plus vraisemblablement, pour tenir compte des écarts de chronologies on pourïa le considérer colrme un descendant, orphelin de père et qui, révolté du remariage hypogamique de sa mère, fit semblant de se suicider dans le fleuve Sénégal. Mais, bon nageur, il adopta un mode de vie aquatique qui le conduisit, au fil de I'eau, dans le delta du fleuve, non loin de l'endroit où sera construite la ville actuelle de Saint-Louis du Sénégal. Dans un lieu alors abandonné, il fut témoin d'un conflit entre pêcheurs qui en venaient aux mains, conflit qu'il régla, tout en restant muet, de façon si parfaite que les pêcheurs convainquirent les autres villageois d'en faire leur chef. Pour õe faire, ils lui tendirent un piège et le firent prisonnier. Mais notre héros qui avait encore les apparences physiques d'un génie aquatique refusa de communiquer jusqu'à ce qu'une jeune femme, Afo, en jouant sur la faim et sans doute de ses channes, ne le conduise à parler. Pour préparer sa cuisine elle posait intentionnellement sa calebasse sur deux cales, ce qui aboutissait à la renverser. < Trois cales > finit par crier le génie excédé et affamé, montrant ainsi qu'il était un homme comme un autre. I1 devint fondateur d'un royaume, le Walô, puis de I'empire du Djolof. Il est surtout un héros civilisateur qui a fondé uncsociété nouvelle sur une langue, le wolof, composée d'emprunts au socé, au peul, à I'arabe et au sérer, et une culture protomodeme fondée sur la recherche du compromis, la pratique de I'arbitrage, le sens du métissage et de l'ouverture vers l'étranger. Nous connaissons les Wolof par les premiers voyages de découverte des navigateurs européens, singr.rlièrement Ca Da Mosto, vénitien au service de la courónne du Portugal en 1450. Nous possédons donc des informations écrites concordantes qu'il m'a été donné de recouper avec les récits de fondation de villages ou d'unités politiques plus larges et qui permettent de distinguer quelques grandes périodes en parallèle à une conquête coloniale qui commence avec la fondation des premiers comptoirs de traite et qui s'achève vers 1885. Jusque 1549 ou 1566, nous soûtmes face à un empire segmentaire, le Djolof' extrêmement décentralisé. Suite à I'arrivée des navigateurs européens et sous I'effet de I'inversion des courants d'échanges profrtant maintenant aux côtiers, après la bataille de Danki la province du Cayor prend son indépendance et entraine celle de quatre autres royaumes, Walo, Baol, Sine et Salum, le Djolof étant isolé. À la fin du XVrre siècle (1696 pour le Cayor et le Baol), les systèmes polyarchiques alors dominants cèdent à des régimes de plus en plus monocratiques en réponse aux pressions coloniales, à des guerres religieuses þartis musglmans¡, ã d", ,onflìtt successoraux ou à des opérations militaires entre États concurrents pour le monopole de la traite négrière. Enfin, à partir de 1817, date ofhcielle de la réoccupation de Saint-Louis par les Français, chaque royaume va tenter de présewer son indépendance puis son autonomie puis sa simple

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206

(

EN

coN.tl,luNs

)

existence, en se fondant dans I'organisation de la colonie du Sénégal qui sera le laboratoire de la colonisation < à la française >. Ajoutons enfin que si, lors de f indépendance de 1960, les Wolof constituent plus de 40o/" de la population du nouvel État, la langue est parlée par près des trois-quart de la population et la culture wolof doit être tenue pour la < culture çollrnune < des Sénégalais. J'ai déjà dit des Wolof qu'ils sont un peuple de cavaliers. J'avais en 1970 relevé plus de vingt tenres connotant la robe, I'allure, l'âge du cheval alors que la tenninologie pour les autres anirnaux est des plus rustique : à un terme désignant la catégorie d'espèce Qtak pour les bovins) on ajoute masculin (bu gor)

ou féminin (bu djgen). Le cheval est nn instrument de conquête puis d'administration qui a autorisé la mise en place d'un systèrne politique relati-

vement centralisé même

s'il

reposait sur des polyarchies ou des instances

d'esprit polyarchique. La représentation d'espace la plus notable est topocentrique, à partir des lieux de commandeûrent, des lieux de pèlerinage, des marchés et des sièges des chefferies de terres, les larnanats, institutions à I'origine sérer et qui ont fourni à la société non seulelnent ses soubassements fonciers rnais sa fonne communautaire d'organisation. Les Wolof ont développé des formes originales d'organisation qui n'ont pas toujours été appréciées à leurjuste valeur car on a trop souvent été impressionné dans d'autres sociétés par les solutions les plus exotiques sans voir f intelligence de dispositifs des Wolof qui, rnalgré un milieu plutôt diff,rcile, avaient inventé les métissages, I'hybridation institr.rtionnelle et f interculturalité bien avant que les sciences sociales n€ tentent de les théoriser. Le géographe Paul Pélissier a été, en particulier un de ces observateurs à I'exotisrne prégnantl63, donc ethnocentriques, qui cherchaient le terroir à la française 1à où il fallait investir des formes beaucoup plus originales de rapports à I'espace et de sécurisation foncière. < Le grand æuvre )) des Wolof est leur système de répartition des terres auquel j'ai consacré ma thèse d'État en droit (SFDR 1970). Sa sophistication a représenté pour moi un coup de chance en me faisant d'emblée entrer dans une société non seulement néo-modeme mais fondamentalement complexe, ce que j'ai pu ensuite appliquer à d'autres sociétés africaines pour concevoir le cadre théorique d'un modèle général des rapports juridiques de I'homme à la terre. Compte tenu de la quinzaine de pages que je puis y consacrer, c'est plus l'esprit de ce modèle général que je tenterai de restituer que de prétendre faire justice de ia complexité des données propres à chacun des trois niveaux d'analyse.

L'exploitation des sols chez les Wolof Peu développée originellement (TAE 1970), la recherche sur les systèrnes d'exploitation des sols chez les Wolof s'est enrichie d'un point de vue théorique entre l91l et 1914 (DCT 1971 etETD 1974 | &.2, CJW 1976) et a fait I'objet d'une présentation large dans Le dossier agraire de I'Afrique de I'Ouest (DAAO, 1983-1, p.921262) dont je m'inspire ici. Résumer soixante-dix pages 163. Pau[ PELISSIER, Les paysans du Sénégal, les cit,ilisations agroires nance,Fabrègtc, Saint Yricx, 1966, cartcs.

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LE RÉcrMri D'AppRopRrATloN FoNCrÈRÊ

L'AU]'RE

en quatre ou cinq ne laissera apparaître que le squelette d'une réalité beaucoup plus riche. Première observation : nous sommes en face d'un système juridique qui ¿ progressivement perdu de son impofiance à proportion de la montée en puis-

ianõe d'un appareil d'État et d'une spécialisation de I'appareillage juridique fondant une autonomie du politique et autorisant un régime juridique de répartition des terres. Dominant à l'origine, il n'est vraisemblablement plus directement observable en ce début du xxt" siècle. Mais, faut-il le souligner, il n'a que

rarement été observé en tant que tel (sauf par le naturaliste Adanson en 1752) et selon les critères indigènes, c'est-à-dire selon les habitus des groupes locaux. Deuxième observation: I'exploitation des sols est naturellement directement liée ar¡x conditions climatiques (une saison pluvieuse de trois mois), pédologiqqes (des sols plutôt sableux, mais plusieurs types de sols induisent des conditions parliculières de cultures), techniques (avec l'iler, outil à sarcler debout, remarquablement adapté aux rnils et sorghos), et les itinéraires techniques, les rotations et les rares fumuresl64. Troisième observation: I'organisation agricole a toujours été guettée par trois dangers principaux, les feux de brousse, I'augmentation de la population et I'extension des cultures. Ces deux demiers sont devenus préoccupants durant la seconde parlie du xx' siècle.

Le statut des exploitants L'organisation sociale repose sur une stratification de trois types de groupements, la maisonnée (keur), le village (deuk) et le pays-royaume (rew), qui foumissent I'ossature des modes de production. Pour en souligner l'incidence, les rapports entre leurs membres sont parentalisés selon le principe d'une parentê (mbok) résidentielle çomme une des trois dimensions des systèmes africains de parenté (supra,l'exemple Fang et Le Roy, Le jeu des loís, 1999).Par ailleurs, aux trois types de communautés correspondent trois types de représentant (borom) : borom keur pour les mbok keur, borom deuk pour les mbok deuk et borom sa/(le souverain représentant la terre) pour les mbok rew. Les niveaux du village et du pays voient < idéalement > le pouvoir exercé selon le principe du primus inter pares (le premier parmi des égaux) au sein de conseils, respectivement ngadje wa deuk et ngadje rewt6s. Tout individu appartient nécessairement à chacun de ces trois regroupements auxquels il doit allégeance et se trouve ipso facto en position de pluralisme juridique. L'organisation lignagère bilinéaire n'est vraitnent privilégiée que dans les familles nobles. Par ailleurs, la circulation des individus entre ces différents groupes sur la base de rapports de parenté, d'affinité, de conversion religieuse, de clientélisme, etc' multiplient les occasions de multi-appartenances. De tous temps, les processus d'émiettement et regroupements des unités de résidence ont caractérisé le rapport à l'espace. Depuis une çentaine d'années, c'est surtout l'éclatement de la grande famille colnme unité de base de l'exploitation qui a retenu l'attention, ainsi que la dis64. Suzannc JeeN, Les jachères en Afi'ique tropicale, interprétatiotr technique et J'oncière, lnstitut d'cthnologic, Paris, 1975, p.30 ct s. 165. Pathé DIAGNE, < Dc la dómocratic traditionncllc >>, Présence aJi'icaine, j]uin 1976' p.29-30.

I

DRorr

ET

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208

(

EN coMMUNS

)

oarition des groupes de travail coopératif (xamb) à l'échelle du village. On a 'oarlé d'individualisation. Il aurait mieux valu parler de recomposition cotrunu'nautaire à des échelles plus restreintes ou nouvelles (autour des confréries musulmanes). Le chef de maisonnée (borom keur) a d'abord dû reconnaître I'autonomie des chefs de famille polygames comme borom rux, chef de coin (un coin de la concession commune), puis celui du borom diebol (chef de faàille ménage) voire Inaintenant celle des nouveaux mariés (borom sell) puis des célibataires masculins.

Quant aux formes de coopération, elles cornbinent solidarité et rnutualité directement associées au cornmunautarisme et, pour la mutualité, en phase avec les valeurs coraniques, la coopération par contribution introduite par I'adrninistration royale comme instrument de sa fiscalité < en nature > et la convention liée à I'impact de l'économie capitaliste et des valeurs modernes des périodes coloniale et contemporaine. On a ainsi observé quatre formes typiques de production par solidarité farniliale, mutualité villageoise, contribution étatique et convention interindividuelle (modeme). La structure de direction et de contrôie du système d'exploitation combine donc traditionnellement deux principes d'organisation, I'un "patriarcal" sous la forme < mak mom l, I'aîné possède, I'autre politique selon le principe ,le roi cornmande. Mais ce roi n'est pas propriétaire de son royaume ou des teres de son royaume ou même des terres du lignage royal qu'il gère directement comme tout chef de famille. Il est borom søl responsable de la terre comme un porte-bonheur car la syrnbolique du couronnetnent royal le souligne, il est le garant de la fertilité des sols cornrne de la sécurité des habitants. ll avait donc sans doute originellement certaines caractéristiques de rois-prêtres et était resté jusqu'au xlx" siècle à la fois un intercesseur et une sorte de fusible électrique susceptible de sauter (rnise à mort secrète) en cas de sécheresses et autres catastrophes naturelles ou militaires. Il est par ailleurs remarquable de souligner que la langue wolof dispose d'une tenninologie spécifiquement adaptée à ce régirne juridique de I'exploitation des sols. À parlir du substantif ruom, possession/posséder, divers suffixes viennent d'une part préciser qu'il s'agit d'une position ou d'un statut (Àat) puis spécifier les rapports juridiques particuliers. Avant de les détailler, il convient de préciser qre mom est distingué de øm, avoir la faculté d'user et de lèw, êIre propriétaire avec un droit sur la chose exclusifet absolu s'il ne porte pas sur la terre. Mom désigne r.rne position juridique spécifique ouvrant à un droit de ges-

tion dont on retrouvera les implications théoriques dans la quatrième partie avec la théorie des maîtrises foncières. Malgré I'islamisation ancienne des Wolof qui s'est généralisée à la suite de la conquête coloniale et comme une réponse au démantèlement des organisations monarchiques, la fonction sociale de représentation du groupe par I'individu caractérisée par la notion de borom était associée à d'autres représentations dans lesquelles on voit apparaître le rôle d'intercesseur. J'avais encore observé en 1969 lerôle des borom keur et borom deuk comme borom xerem (responsables d'autels d'esprits ou de génies) dans les cultes de fertilité dans la me-

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ERIìE DE

LË RÉctME D'AppRopRrA'iloN

L'AUI RE

sure où les esprits locaux étaient conciliables avec les djins ou Jinn musulmans. Mes informateurs m'ont depuis indiqué que ces < vieilleries > avaient cessé d'être pratiquées, remplacées par des prières à la mosquée.

T¡.eLeRu No 42 JURIDIQUE DES EXPLOITANTS WoLoF SupnRposrrloN AU DÉBUT DU xxE stÈcI-g DE RÉctMES ENDOcÈNES

Srarur

MdJ

Possesseur

FdC par

Momkat

Solidarité familiale originelle Mutualité villageoise (ante

XVI"

borom keur (a) borom deuk

Détenteur Momandokat borom

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Contribution

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Xamb

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monarchique

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Affectataire

ngaje wadeuk,

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Délégataire Momalkat

eNrÉnleuns

Les positions juridiques au titre des droits de jouissance (source : Dictionnaire Kobès)

:

Momkat,le possesseur < celui qui a la maîtrise sur une chose en raison de la -position qui lui est reçonnue au sein du groupe et dont la fonction est de veiller sur son intégrité et sur son bon usage >. Momandokat, ceux qui possèdent ensemble (( sans en être ni s'en prétendre

-I'unique

possesseur )).

ceux qui possèdent pour quelqu'un, les délégataires, en raison de -leurMomalkat, ou d'un actejuridique particulier. statut Momlokqt, ceux qni font posséder, les affectataires de tâches particulières.

-

Lexique

keur: chef de maisonnée/famille étendue ; borom deuk: chef/maître/ représentant de village ; borom suf le monarque (åør) comme représentant de la Borom

:

: chef de ménage ; > ; borom diebot tene; borom jabar : épouse ; dom : enfant ; bgaje wa deuk : assernblée des gens du village ; lèw :

nak: berger de vaches ; xamb: groupes de travail coopératifvillageois; iara.f: officier royal, adrninistrateur-percepleur et farba, (de far le partisan), la sam u

clientèle politique soutenant le parti au pouvoir auxquels on peut associer les bénélrciaires d'apanages royaux '. samba linger: héritiers royaux ; linger: sæur ou tante du souverain, cheftaine des femrnes du royaume ; abakat, I'emprunteur ; surga, celui qui est dans un rapport de domesticité, au service de1, jam: source de richesse, captif; badolo: sans force, roturier, qui vit de son travail , navetane : travailleur agricole de I'hivemage (navet, hivemage, saison des pluies).

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54, 20l

l

210

FoNcrÈRE

(

EN

coMMUNS

)

lié

à

Le régime juridique de I'exploitation des sols chez les Wolof

Ce que nous dénommons

ici les

modes d'utilisation des sols est

l'existence de trois grandes catégories d'espaces en fonction desquelles les autres espaces objets d'une exploitation vont être identifiés de A à L puis traités. Nous allons en présenter l'éconornie avant de construire la matrice et de la retnplir avec les données résultant de nos enquêtes de terrain. Alø, otr la campagne cultivée. Son exploitation est abordée en fonction d'un cycle de mise en culture que nous synthétisons ainsi : A Sunjan, terre en cours de défrichement, B Gor, tene défrichée et utilisée pour une période de 3 à 4 ans ; C Jati, tene en voie d'épuisement ; D Naji, terre épuisée rnais utilisée par les veuves ; E, Nlar (deuxième) terre remise en culture après jachère. La superficie est en rapport avec la position sociale, économique, politique ou religieuse du bénéficiaire. Le défrichement et I'essartage sont réalisés par l'homme durant la saison sèche, jusqu'en avril puis les sols sont ameublis (traditionnellement à l'iler), semis en début de saison humide en juillet, puis deux à trois sarclages en août /septembre, récoltes fin septembre /début octobre (travaux parlagés par les hommes et les femmes) puis stockage et commercialisation généralisée depuis le xxt siècle. Ouverture des champs pour vaine pâture aux troupeaux en novembre. Deuk ou les espaces à usage résidentiel : L'habitat groupé étant privilégié chez les Wolof, c'est le terme désignant le village qui connote le principe résidentiel. On utilise aussi la référence au quartier (gox) pour les gros villages et on dit des hameaux qu'ils sont des deuk bu ndaw (village le petit). C'est la construction de cases (nek), traditionnellement en matières végétales et en banco, qui est la marque de I'affectation de l'espace à la résidence. Organisé autour d'une place, d'un puits ou de la résidence du borom deuk,le village ne connaissait en général pas de quartiers spécialisés d'artisans, ceux-ci, castés, étant rattachés à des familles dominantes. La subdivision essentielle est donc entre le village (deuk) F et la maisonnée enfermée derrière sa tapade en tiges de mil (keur) G. L'islamisation a introduit des habitus nouveaux à l'égard de I'inhumation avec des cimetières musulmans (sëga)H. J'y ai associé en I des espaces dits t,!r,!, frappés d'une interdiction et caractérisant le phénomène de sanctuarisation. On en reparlera avec la répartition des tenes. Jeri, ou les espaces de brousse: On peut regrouper les divers espaces en trois ensembles J ou Gol espace boisé, K deg,l'êtang, les marais ou marigots, L manding, les espaces désertiques avec une pauvre végétation. J'ajouterai une remarqu€ tirée de travaux de terrain au Sénégal en 1982 et portant sur la juridicité du régirne ainsi constitué: v=ztt 2 F,C= gSu:

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LE RÉclME D'AppRopRIATtoN FoNctÈRE

LA TERRE DE L'AUTRE

La distribution des produits de la terre La distribution des produits chez les Wolof a fait I'objet d'un traitement systématique dans SDP 1975,p.43171 et ces données ont été reprises dans la fiche < Le distributeur > du corpus juridique wolof RJW 1976, p.165-178. Ce document décrit en particulier les processus historiques ayant conduit à l'émergence de réseaux de distribution dans le cadre de l'organisation proto-étatique puis la désorganisation des échanges commerciaux internes dans l'économie coloniale. Ce sont en effet ces questions qui ont plus particulièrement retenu I'attention des voyageurs européens qui sont nos principales sources. Ce sont ces réseaux dits < complémentaires >>, caractéristiques d'un appareil juridique où les rapports politiques sont clairement distingués de ceux issus de la parenté, que nous allons privilégier. Du xvlle au xlx" siècle, ces réseaux se complexifient comme l'illustrent les récits d'André Brüe, de Le Maire, Labat ou Mollien (RJW 1976-p. t74lr7s).

Le statut des acfeurs de Ia circulation/distribution T¡,sr-eA.u No 46 MATRICE D'ACTEURS TYPIQUES DE LA CIRCULATION/DISTRIBUTION AU XVIIIE SIÈCLE, ROYAUMES DU WALO ET DU CAYOR

Place dans le groupe Représentant

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En colonne, on a introduit dans la catégorie < producteur >, par ordre décroissant d'incidence, des acteurs représentatifs des trois modes de production royal (a) (åør, souveraín, djawdin, conducteur de travaux ou intendant, iam, captifs) famitial (b) (borom keur, chef de la maisonnée, borom rux chef de fa' mille étendue, borom djeul chef de ménage, øwo, première épouse) et villageois (c) (borom deuk, chef de village, xamb, gloupe de travail coopératif)'

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, ques VANDERLTNDEN (dir.), La réception des sysîèmes juridiques ; implantation et destins, Bruylant, Bruxelles, 1994, p. 29 l -330.

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222

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EN coMMUNS ))

les se sont successivement rencontrés et progressivement inscrits dans des principes d'organisation assez unifrés pour qu'on puisse parler d'un régime de répartition des terres dans chacun des Etats wolof, le royaume du Cayor étant plus j'ai réalisé I'essentiel de mes þarticulièrement privilégié puisque c'est là que travaux de terrain. Le modèle originel est le lamanat sérer qu'on peut caractériser, selon une

terminologie convenue mais guère satisfaisante, comme une chefferie foncière fondée sur la découverte et la première occupation puis I'accueil et I'installation de migrants. Au moins jusqu'au xvte siècle, ces lamanats constituent la base de I'organisation sociale, économique et politique de I'Empire du Djolof. La constitution de royaumes indépendants va alors autoriser l'émergence d'un modèle royal basé sur I'alliance et f interdépendance des grands lamanats et sur la réservation des terres inoccupées (constitution du momel u bur, possessions du souverain) dans I'interstice des chefferies foncières. Puis, à la flrn du xvile siècle et en particulier sous I'effet de la traite européenne l6e, les pouvoirs centraux se renforcent, virent à l'autocratie et à I'arbitraire et entrent en concurrence avec les nouveaux pouvoirs musulmans qui émergent dans la région. Une administration royale dont on a repéré les interventions dans le paragraphe précédent se généralise et tente d'imposer par la conquête et la dépossession un monopole foncier royal, ce qui n'aboutira pas en raison de la résistance acharnée tant des chefs de terres que des paysans qui, de plus en plus souvent, vont se convertir à I'lslam et trouver auprès des marabouts (serigni) les défenseurs de leurs intérêts de travailleurs libres de la terre. Le troisième modèle est donc constitué initialement de < domaines de charitê>> (lèw u sarax) affectés par les souverains au profit de ceux de leurs marabouts employés dans l'administration et qu'ils entendaient récompenser. De tels domaines où le titulaire n'est en principe qu'un maître de la terre vont ensuite se multiplier sur le modèle du lamanat, surtout sur les zones frontières Puis, sans doute sous I'influence maure puis toucouleur, un idéal de théocratie islamique tenta de prendre forme, gênêra guerres et destructions et ne fut arrêté au milieu du xtxe siècle que par la pax gallica, la paix française, au profit d'un

pouvoir colonial qui entendait rafler la mise foncière mais ne fut finalement guère plus heureux que ses prédécesseurs pour des raisons que nous découvrirons dans la troisième partie de cet ouvrage en parlant de la réforme foncière sénégalaise de 1964.

C'est donc cette interdépendance des solutions que nous allons découvrir dans les tableaux suivants dont on ne saurait exploiter entièrement la richesse, en renvoyant faute de place le chercheur aux documents de réference. Les acfeurs de la répartition des ferres Les définitions des catégories de base ont été données dans le chapitre 3. H désigne les hommes et T les terres. En gris foncé le modèle lamanal originel et en grisé clair la réponse maraboutique. Les autres cellules relèvent du modèle 169. Éticnnc LE RoY, ( Mfhcs, violenccs ct pouvoirs, lc Sénógal dans la traitc nógriòrc que africaine, n' 7, I 98 I , p. 52-79.

223

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LA

TERR.E Dti

LE RÉctMti D'AppRopRIATloN FoNctÈRE (( EN coMMtJNs

L'AUTRE

monarchique classique (xvltf -xtx'siècle). Pour < seigneur de terre >> on distingue trois échelles: du souverain l), du premier cercle 2) et du second cercle 3) de ses parents et grands officiers. La ligne < maître de tene >r/monarchie correspond à l'implantation de domaines royaux et de paysans libres sur des terres

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Le régime de répartition des ferres ã

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non encore réservées.

ç TABLEAU NO 49 MATRIcE DES STATUTS D,ACTEURS DE LA RÉPARTITION CHEZ LES WOLOF 1"t

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Lexique : lamqn = chef /prête de terre suite à un feu de brousse ; cheix : maître/chef de confrérie musulmane, enseignant ; bur : souverain ; serigni lamb : marabouts au tambour, installés aux frontières et chargés d'avertir en cas de tentative de pénétration de l'ennemi; serigni fac tol: marabouts- cultivateurs (serign au sing.) ; linguère, sæur ou tante du souverain, cheftaine des femmes du royaume, bénéficiaire d'un apanage particulier ; kangam: chef territorial ou de circonscription ; djaraf : représentant des hommes libres, admi nistrateur central (équivalent à un premier ministre) ou local ; laman rock: chefde terre par la hache lourde de bucheronnage; seugtef: héritier présomptit bénéficiaire d'apanage; djawdin: représentant des lamans au conseil de

gouvemement; borom day : maître de terre par le feu courant, statut du laman dans ses relations avec le borom ngødyo ; borom léw, maître par le pointu du sabot du cheval, responsable d'une circonscription administrative chargé de l'exploitation d'un domaine royal (distinguer par l'accentuation du borom lèw, < propriétaire > ci-dessus) ; borom ngadyo : maître par la hache légère d'essartage sur une surface déjà dégagée par I'incendie primordial ; borom dok : maître par la découpure, paysan libre bénéficiaire de droits délégués par une autorité supérieure.

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de Marcel Mauss a quelque difficulté à échapper à la logique du marché et de l'échange généralisé ainsi que je I'ai exploré à propos de l'apparition des contrats fonciers au Sénégal, à la fin du xlxe siècle et sous I'impact de l'économie arachidière, donc du

marché généralisé

l7l. J'avais souligné que cette

économie nouvelle des

contrats se situait dans une logique qui préfère le partage à l'échange : à l'égard de ma propre culture, et en particulier de ma formation juridique, a été dès les années 1960 déterminante.

La deuxième obligation du chercheur est ensuite de faire prendre au sérieux ces résultats sans pour cela succomber au scientisme ou au formalisme quantitatif. J'ai procédé ici comme le pêcheur qui amorce puis joue avec sa ligne, son

flotteur, son appât pour attirer son poisson, le lecteur. J'ai ainsi volontairement < oublié > certaines questions qui pouvaient décourager le néophyte et que le spécialiste pourra ultérieurement retrouver. Je pense en particulier à deux questions. La première est la place de la sacralité de la terre et des cultes chtoniens, plus généralement des alliances sacrificielles. Sans doute cela relève-t-il d'une anth'ropologie plus religieuse que juridique mais ce type d'argument n'est maintenant plus recevable puisque nous sornmes en face de faits sociaux totaux. Au vrai, il est exhêmement difficile d'en parler car les informations sont si indirectes, ( rapportées >r et souvent décontextualisées qu'on peut affrrmer que ces questions sont incontoumables sans être capables d'en prendre vraiment la mesure. Une autre question que j'ai négligée conceme les procédures de codage des données, donc des modèles afin de saisir chaque donnée, de I'enregistrer puis de pouvoir lui faire subir tous les traitements que la logique formelle autorise selon la conception d'André Régnier (supra,Introduction 2" partíe).

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54, 20t I

232

233

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socrÉTÉ, vol-. 54, 20l I

LA TERRE DE L,ÂUTRE

La troisième obligation du chercheur est enfin de persévérer pour conduire jusqu'à son terme, la publication, ce qui est enfin réalisé. Mais il y a là quelque vertige. Le désintérêt de la communauté scientiflrque pour ces travaui n'était-il pas, avec raison, causé par la faiblesse du modèle, une hypothèse que chaque chercheur doit constamment avoir en mémoire car s'il a droit à l;erreur, il n'a pas droit à l'ambiguïté, au flou ou à I'incertain ? Ainsi, à supposer que mes postulats de base soient faux ou non fondés, il n'en reste pas moins que õette pêche scientifique a ramené dans nos filets des données qui incontestablement ont une cohérence en ce qu'elles sont partagées et qu'il convenait donc d'en mesurer I'utilisation. On avait indiqué également que la propriétê êtait une de ces grandes inventions de la modemité et qu'il convenait d'en restreindre l'appli cation aux seuls contextes auxquels elle était manifestement destinée. On avait enfin indiqué qu'on s'en expliquerait plus longuement dans la troisième partie, ce qui est le cas maintenant. La question dont nous traitons ici est saturée de mythologie, donc d'idéologie. A partir d'une image d'un rapport social et juridique, dénommé la propriété, dominé par I'exclusion de l'autre, on (le juriste, mais aussi I'homme qu'on présume < honnête >) fait comme si celle-là a toujours existé, que toutes les formes auxquelles on l'associe sont équivalentes les unes aux autres et qu'elles ont en particulier la même effrcacité économique et la même légitimité juridico-politique. Ce faisant, on reproduit inconsciemment la philosophie idéaliste desjuristes queje n'ai cessé de traquer depuis trente ans (Le Roy, 1999) et qui ajoute à une approche mythique puis à une clôture (idéo)logique une mystique de la propriété foncière < inviolable et sacrée >r. Pour positionner le débat, on I'ouvrira par une remarque de Joseph Comby,

de l'Association Des Etudes Foncières (ADEF), en 1989, à l'occasion du deuxième centenaire de I'article 17 dela déclaration des droits de I'homme et du citoyen. Pour cet auteur, la réference à la propriété est une invention récente et fragile. < La coutume de Paris, dans sa rédaction déJìnitive de 1580, n'utilise-telle jamais le mot propriétë et si le mot propriétaire est utilisé plusieurs

fois, c'est toujours pour désigner le tenancier du sol dqns ses relations avec le seigneur censier qui possède une rente sur ce sol. Les légistes de la Renaissance ont ensuite inventé un droit romain de la propriété sur mesure susceptible de foire progresser la propriété bourgeoise contre la propriétéfëodale, en extrapolant un passage anodin du Digeste de Justinien pour en tirer une exaltation du droit de propriétë consacrë, qu nom de Rome, jus utendi et abutendi. Mais c'est surtout Pothier qui, au milieu du xynf siècle, allait lancer laformule dufomeux

237

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20l I

LA TERRE, oBJE't DÈ pRopRlÉ1

LA TERRE DE L'AUTRË

triptyque de I'usus, dufrucas et de I'abusus qui traduisait < la mystique de I'omnipotence du propri'ëtairet72. > Cette mystique va effectivement marquer tout I'imaginaire du xlx" siècle et d'une partie du XX". Et ce n'est pas seulement la littérature juridique qu'on pourrait convoquer ici, mais la littérature générale et en particulier Balzac, Stendhal, Martin du Gard, Mauriac ou Giono. Avec finalement cette conviction dont se fait l'écho la Révolution nationale sous Vichy que seule là où, avec I'article 16 de la déclaration du 24 juín 1793, on réintroduira un concept plus philosophique : < le droit de propriété est celui qui appartient ò tout citoyen dejouir et de disposer à son gré de ses biens, de ses revenus, du fruit de son travail et de son industrie >. Cette formulation deviendra ensuite la définition commune, après la fameuse < correction de la faute d'orthographe > de 1789 (supra et Comby, idem,p. l2).

172. Joscph CoMBY, < L'impossible propriété absolue )), ¿r¡ Christian ATIAS e, al., Un droit invioIable et sacrë, la propriété, ADEF, Paris, I 99 l, p. I 6.

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238

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pRlvÉE ËN'I'RE DRotrs ExcLUsrF's tj't'AtlsoLUS Ef INTIIRVENTIoN pUBLIQUE

La seconde explication est, elle, davantage associée à un souci de rationalisation et de simplification du régime foncier de I'Ancien régime. Comme on le retrouvera plus loin, à propos du régime féodal français, les droits sw la terre et

étaient partagés entre une multiplicité d'ayants droit entraînant grande insécurité juridique. une ainsi C'est donc la réinvention du propriétaire qui est le grand apport de la période révolutionnaire et qui sera consacré en 1804 dans I'article 537 CC sous la formule des . Comme le remarque Gérard Beaur parlant de l'æuvre révolutionîaitet73, et d'un Etat développé. Si les Anglais ont pensé la propriété en terme de < moralité des institutions britanniques>> (infra), dans leurs colonies africai nes, les Français ont supposé que, par la propriété privée, ils allaient introduire < la civilisation )) et les conditions du marché et qu'en imposant directement

þar le régime de la domanialité à la française) la propriété par des réformes foncières on aboutirait nécessairement à une généralisation de la propriété privée, puis, par voie de (par I'obligation de I'immatriculation) ou indirectement

conséquence, du marché capitaliste. Or cette proposition n'est pas vérifiée ni en théorie ni par les précédents historiques européens. On doit donc se demander si l'inverse ne serait pas préféra-

ble à explorer : ce serait la généralisation du marché qui entrainerait celle de 173. Et sous réserve de supposcr avcc < rcdécouverte )) une répétition là où il y a cn partic invcntion, cn particulicr à l'égard du modèlc romain (voir infra). Sur toutcs ces qucstions on lira avec bonheur I'ouvragc très complémentaire, publié après la rédaction dc ccttc partic, et que j'exploiterai occasionncllsmcnt, de Gérard CHoUQUET, La terre dans le monde romain, anthropologie, droit, gëographie, Éditions Errances, Paris, 2010. 174. Gérard BEAUR, ( L'accession à la propriété en 1789 >, ¡r¡ Christian ATIAS e¡ al., Un droit inviolable et sacré, la propriété, op. cit., p. 29. 175. Selon le présupposó cthnocentrique de l'époque, la civilisation est cellc dcs nations colonialcs et repose sur trois pilicrs, l'ótatisme, le capitalisme et I'individualismc.

239

onolr pr soctÉrÉ, vol.

54,

20l I

LA TDRRE DE L'AUTRE

droits possessifs qui se transformeraient en droit de propriété privée, sous I'effet du marché, l'État n'ayant pour fonction que de garantir le libre et paisible exercice des droits ainsi constitués. C'est cette thèse, classiquement libérale il faut le reconnaître mais j'y inhoduirai une dose critique, que je vais approfondir dans cette troisième partie pou¡ considérer la propriété privée et son équivalent anglais I'ownership comme le droit du marché capitaliste, à la fois condition de son fonctionnement et conséquence de son efficacité pour transformer des choses en biens dans le domaine du foncier. Nous allons opérer en deux temps. Dans le chapitre 5, je reconstituerai l'histoire de la fabrique du droit de propriété, son origine < par le bas et le contrat >>, en mettant en évidence deux facteurs, l'un topologique, ce sont les praticiens et les opérateurs sur les marchés qui I'ont inventé, I'autre plus politique car ce sont des choix de société qui s'affichent. Par contraste, le chapitre 6 analysera comment les États ont pris le relais et ont prétendu à partir du xtxe siècle intervenir < par le haut et par la loi r> en vue de généraliser la propriété foncière avec des résultats assez médiocres pour qu'on soit conduit à s'interroger actuellement sur l'efftcacité des politiques publiques à l'échelle internationale. Comment sécuriser le foncier de quatre à cinq milliards d'être humains ? Doit-on persévérer dans l'être propriétariste, ou ne doit-on redécouvrir les vertus d'une approche