La syntaxe de l'imaginaire: étude des modes et des négations dans l'Iliade et l'Odyssée 9782903264123, 2903264120

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La syntaxe de l'imaginaire: étude des modes et des négations dans l'Iliade et l'Odyssée
 9782903264123, 2903264120

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LA SYNTAXE DE L'IMAGINAIRE ÉTUDE DES MODES ET DES NÉGATIONS DANS LILIADE ET LODYSSEE Louis BASSET

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COLLECTION DE LA MAISON DE LORIENT MEDITERRANEEN No SERIE PAILOLDGIQUE à

LA SYNTAXE

DE

L’IMAGINAIRE

ETUDE DES MODES ET DES NEGATIONS DANS L'ILIADE ET L'ODYSSÉE

COLLECTION

LA

DE LA MAISON DE L'ORIENT MÉDITERRANÉEN SERIE PHILOLOGIQUE 2

SYNTAXE

DE

N°20

L’IMAGINAIRE

ETUDE DES MODES ET DES NEGATIONS DANS L'ILIADE ET L'ODYSSÉE

Louis

BASSET

Ouvrage publié avec le concours du Centre National de la Recherche Scientifique

Éditeur-Diffuseur : Maison de l'Orient, 7 rue Raulin, F-69007 LYON Co-diffuseur: Diffusion de Boccard, 11 rue de Médicis, F-75006 PARIS

1989

« Toute appréhension du réel comme monde implique un dépassement cache vers l'imaginaire » Jean-Paul SARTRE

INTRODUCTION

Pour

toute

L'EXPRESSION

DE

A. L'IMAGINAIRE

HORS

l'Antiquité,

L’/liade

et

L'IMAGINAIRE

DE LA SYNTAXE l'Odyssée

ont

eu

l'autorité

d'une

tradition établie garantissant la vérité des faits qui y sont contés. On s'est cependant efforcé, dans le détail, d'épurer le μυθῶδες, c'est-à-dire

«ce qui ressemble à une fiction », à la lumière de l'eikóc, c'est-à-dire du vraisemblable. Car on a trés vite compris que l'inspiration épique, tout en conférant au récit l'autorité d'une révélation divine, avait tendance

à embellir les choses!. Pour un lecteur moderne, L'/liade et l'Odyssée sont au contraire des récits légendaires, des œuvres d'imagination. Malgré les fouilles de Schliemann sur le site de Troie, nous ne croyons pas à l'historicité de la Colère d'Achille et du Retour d'Ulysse, ni globalement,

ni dans le détail.

Nous lisons donc ces récits en pensant qu'ils sont historiquement faux, que ce qu'ils affirment avoir eu lieu n'a pas eu lieu. Et pourtant, nous ne nous indignons pas, nous n'y voyons pas un mensonge. Cette attitude est naturelle, puisque nous sommes habitués, en particulier par la lecture des romans, à la fiction littéraire, récit imaginaire qui feint d'étre vrai. Or la fiction littéraire est un phénoméne trés ancien,

aussi

ancien,

semble-t-il,

l'observe dés les origines n'étaient pas globalement littéraires. Mais on y trouve tels, en particulier dans les

que

la littérature.

En

tout

cas, on

de la littérature écrite. L'Iliade et l'Odyssée perçues par les Grecs comme des fictions de petits récits qui devaient étre lus comme comparaisons homériques?.

l. Par la bouche du poète, c'est la divinité qui parle, comme le disent les premiers vers de l'Iliade et de l'Odyssée. Mais voir Thuc. I, 9-10, pour des jugements de vraisemblance. 2. Voir deuxiéme partie, chap. III, B.

6

INTRODUCTION

La fiction littéraire est un récit imaginaire à l'indicatif, ne differant pas syntaxiquement d'un récit présenté comme véridique. L'indicatif n'est donc pas le mode qui « exprime les conditions constitutives de la réalité »?, ni méme celui par lequel on prétend les décrire (ce qui rendrait compte du mensonge). Pour que la fiction littéraire ne soit pas un mensonge, il faut que l'indicatif soit le mode par lequel le locuteur prétend décrire un univers de discours qu'il adopte. Seules les conditions de sa prise de parole permettent de déterminer s'il s'agit de l'univers réel ou d'un univers fictif. L'univers de discours de la fiction littéraire est un univers que le conteur s'est construit à sa fantaisie, en respectant plus ou moins la cohérence interne et la vraisemblance. Une fois cet univers fictif donné, tous les énoncés qui prétendent le décrire sont assertifs, c'est-à-dire prétendent à une vérité. Ils sont vrais s'ils le décrivent correctement, sinon ils sont faux*. On peut donc qualifier cet univers fictif d'univers de vérité, ou méme d'univers du réel, mais en ótant au mot réel sa valeur absolue, car il ne s'agit plus que d'un réel construit à l'imitation du réel. Un

degré

supérieur

de cette

imitation

est la μίμησις ou

représentation

dénoncée par Platon chez Homère et surtout dans la tragédie“. La μίμησις ne présente pas seulement des faits fictifs comme historiques, c'est-à-dire réels et passés, elle les présente comme actuels. Elle les reproduit par imitation. Platon visait seulement les paroles reproduites dans le style direct, fréquent dans les poémes homériques, et qui constitue le dialogue théâtral. Mais on peut aussi qualifier de μίμησις l'emploi du présent de narration qui, sans reproduire effectivement des faits passés, les décrit comme s'ils se produisaient devant les interlocuteurs. On passe ainsi de la représentation par des actes (comme dans l'action théátrale) à la représentation

par

la pensée,

purement

imaginaire.

Le

récit

homérique

n'use pas du présent de narration, mais on trouve à nouveau dans les comparaisons homériques un procédé analogue. Fiction littéraire et présent de narration ont ceci de commun que l'imaginaire ne s'y trahit pas par des marques spécifiques. Il y revêt au contraire les habits de la réalité. C'est pourquoi, un tel imaginaire reléve du procédé littéraire.

3. Humbert,

1960, $ 173.

4. Ainsi les mensonges d'Ulysse. Il est remarquable que ces mensonges, en s'opposant à la vérité légendaire, semblent nous ramener à la vérité historique (les faits contemporains à la composition des poémes), en évoquant un univers de commergants et de pillards. 5. Rép. 392 c-394 d.

6. Voir deuxiéme partie, chap. III, B.

L'EXPRESSION

DE L'IMAGINAIRE

7

B. L'IMAGINAIRE

DANS

LA SYNTAXE

À côté de l'imaginaire de μίμησις, conté et décrit à l'image du réel et méme de l'actuel, le grec ancien, comme le frangais et, vraisemblablement, toutes

les

langues

humaines,

peut

exprimer

un

imaginaire

sans

faux-

semblant, distingué du récit historique et de la description du réel. Pour cela, outre l'usage de termes lexicaux spécifiques, la langue a recours à des marques syntaxiques, qui sont en grec liées au verbe. En effet, en grec et dans les autres langues indo-européennes, un syntagme nominal ne nous permet pas à lui seul de discerner s'il renvoie à un objet imaginaire ou réel. Ainsi, que l'on dise « un homme » ou « cet homme », seul le contexte permet de savoir si l'homme dont il est question est présenté

comme

réel ou imaginaire.

En revanche, la syntaxe du verbe comporte plusieurs marques susceptibles d'indiquer le caractére imaginaire de l'énoncé et de son contenu, ou, comme on le dit d'une fagon plus imprécise, de caractériser un énoncé comme «subjectif» et non comme «objectif». En grec, ces marques sont essentiellement : 1. des marques modales : Subjonctif et optatif sont traditionnellement opposés à l'indicatif comme étant des modes dits subjectifs’. Mais les particules modales, Ke et ἄν, jouent aussi un róle dans les oppositions modales, tout spécialement quand elles accompagnent un indicatif secondaire, qui prend alors une valeur modale particuliére. 2. la négation: La négation μή, dite subjective, est opposée à la négation οὐ, dite objective?. Ces marques

syntaxiques se rencontrent,

réunies ou non, surtout dans

les systemes hypothétiques. En effet, les propositions conditionnantes introduites par ei « si », appelées protases, et les propositions conditionnées par elles, appelées apodoses, sont par excellence celles où s'exprime un imaginaire marqué comme tel. La conjonction ei «si» est donc aussi une marque syntaxique de l'imaginaire. Il faut cependant apporter deux précisions :

1. Il existe des constructions de caractère conditionnant qui ne font pas appel à la conjonction ei. Les subordonnées relatives et temporelles peuvent avoir un caractére conditionnant, mais aussi un participe apposé

(« Agissant ainsi, il réussirait »), un syntagme nominal (« Ce comportement serait préférable »), un infinitif (« Il ferait mieux

7. Humbert,

1960, 8 178.

8. Humbert,

1960, 8 610.

d'agir ainsi »), etc.

8

INTRODUCTION

2. Les propositions introduites par ei ne sont pas toujours des protases d'un systeme hypothétique. Elles ne sont pas toujours conditionnantes. Ei peut introduire un souhait à l'optatif (il est alors souvent renforcé en ei γάρ ou εἴθε). Il peut aussi, avec n'importe quel mode, introduire des propositions apparentées à des interrogations indirectes, ou à des complétives, ou à des subordonnées finales (sans compter l'interjection devant un impératif, mais ce n'est peut-être pas le méme mot)’. Cependant, la plupart de ces diverses structures syntaxiques et de ces divers emplois de ei expriment une hypothése, construction de l'esprit marquée comme telle. La forme la plus explicite, celle des systémes hypothétiques avec protase et apodose, ne sera donc que l'objet privilégié d'une étude des expressions syntaxiques de l'imaginaire. D'ailleurs, l'imaginaire peut s'exprimer aussi hors du cadre de l'hypothèse.

C. LES SYSTEMES

HYPOTHÉTIQUES

Protase et apodose sont interdépendantes, mais n'obéissent pas pour autant à une correspondance formelle rigide. Avec une forme donnée de la protase, on peut trouver n'importe quelle forme d'apodose, et inversement. Certains assemblages sont trés fréquents, d'autres trés rares. De plus, le lien entre protase et apodose est plus ou moins étroit. S'il est étroit, il peut parfois imposer certains assemblages. Il ne semble donc pas de bonne méthode de vouloir établir un classement des systémes hypothétiques qui tienne compte parallélement de la protase et de l'apodose. On aboutit ainsi à un classement inutilement compliqué, mais aussi dangereusement réducteur, puisqu'il met sur le méme plan des assemblages syntaxiquement très differents!®. Voici un exemple oü le lien entre protase et apodose est trés läche: Il. 23. 8934:

ἀτὰρ δόρυ Mnpıövn ἥρωι πόρωμεν, εἰ σύ γε σῷ θυμῷ ἐθέλοις « Mais donnons la lance au héros Mérion... si du moins tu y consentais en

ton

cceur. »

La protase est comme ajoutée aprés coup par repentir, dans un souci de politesse. Le subjonctif de l'apodose (« donnons ») est donc indépendant de l'optatif de politesse de la protase. Il exprime une exhortation d'abord énoncée sans condition. Il existe d'ailleurs une variante avec ἐθέλεις, sans doute lectio facilior reposant sur la forme habituelle de la protase d'un tel systéme (qu'on traduirait «si tu y consens »).

9. Voir Chantraine,

1953, 88 404, 414 et 416 R. II.

10. Voir le recensement et le classement de Chionidés, 1969, p. 92-5. On y distingue jusqu'à 24 types différents !

L'EXPRESSION

DE L'IMAGINAIRE

9

On pourrait établir des formes canoniques en ne retenant que les assemblages les plus fréquents lorsque le lien entre protase et apodose est le plus étroit. Mais cela suppose que les exemples rencontrés ont déjà été analysés et interprétés. Comme la protase offre moins de variétés dans sa forme que l'apodose, comme cette forme dépend moins d'éléments contextuels extérieurs au systéme, c'est en se fondant sur les formes de la protase que l'on peut établir un classement clair des systémes hypothétiques. C'est ainsi que, pour l'attique, les grammaires distinguent habituellement quatre types, essentiellement d'aprés le mode de la protase. En effet aux trois modes, indicatif, subjonctif, optatif, on peut opposer un quatriéme mode, l'indicatif secondaire modal, en admettant que l'identité formelle de l'indicatif secondaire temporel constitue un cas d'homonymie. En effet les deux valeurs correspondantes, irréel ou passé, s'excluent mutuellement et semblent hétérogénes : l'irréel n'appartient.pas au passé, il est atemporel. Voici donc les quatre types de protases en attique, avec les formes les plus fréquentes des apodoses correspondantes. 1. Type I: ei + indicatif temporel prendre n'importe quelle forme. Dém.

(à tous les temps).

L'apodose

peut

9, 4:

Εἰ... νῦν οὕτω διάκεισθε, οὐκ ἔχω τί λέγω. « Si vous êtes maintenant

ainsi disposés, je n'ai rien à dire. »

2. Type II: ἐάν ou ἄν + subjonctif. L'apodose peut prendre n'importe quelle forme. Elle envisage l'avenir ou un moment indéterminé dans le temps, mais exclut le passé. Lyc. Contre Léocrate 77 (serment des éphébes): "Av τις ἀναιρῇ τοὺς θεσμοὺς... οὐκ émtpéyo. « Si quelqu'un détruit les lois, je ne le laisserai pas faire. » 3. Type III: ei + optatif. L'apodose est le plus souvent soit à l'optatif (habituellement avec ἄν), soit à l'indicatif secondaire (parfois avec ἄν). Plat. Prot. 311 d:

Ei οὖν ἡμᾶς... ἔροιτο... τί Gv ἀποκριναίμεθα ; « Si donc on nous demandait... que répondrions-nous ? » Xen. An.

2.3.11:

Εἴ ng αὐτῷ δοκοίη... βλακεύειν, ἔπαισεν ἄν. « Si quelqu'un lui semblait paresser, il le frappait. » 4. Type IV: ei + indicatif secondaire modal (irréel). L’apodose est le plus souvent à l'indicatif secondaire modal, habituellement avec ἄν. Plat. Prot. 341 b-c: ET τίς σε ἤρετο... τί ἂν ἀπεκρίνω ; « Si l'on te demandait ... (hypothèse impossible), que répondrais-tu ? »

10

INTRODUCTION

L'ordre adopté ci-dessus est le plus fréquent. Il repose sur le parallélisme des types III et IV (avec ἄν dans l'apodose), opposés aux types I (sans ἄν) et II (avec

ἄν dans

la protase).

On

trouve

aussi

l'ordre

I, IV, II, III,

qui rapproche les deux types ayant un indicatif dans la protase (I et IV). Tout se passe en effet comme si le type IV s'était détaché du type

I pour se rapprocher du type III". Chez Homère d'ailleurs, si l'on s'en tient à la protase, il n'est pas facile de distinguer le type IV du type I. En effet, l'indicatif secondaire y est toujours temporel (passé). Seul l'emploi des négations suggére, de facon incompléte, la distinction des deux types. Aussi vaut-il mieux en ce cas prendre appui sur les formes divergentes des apodoses!?. Chez Homere en outre, on peut fonder des subdivisions sur la présence ou non de la particule modale (surtout dans le type II).

D. DES SYSTEMES

HYPOTHÉTIQUES

AUX

STRUCTURES

DE L'IMAGINAIRE

Voici donc quelles seront les étapes d'une étude des systémes hypothétiques chez Homere: 1. L'étude des négations et de leurs emplois dans les protases permettra d'opposer le type I aux trois autres types, y compris au type IV (premiere partie).

2. L'étude du subjonctif et de ses emplois en protase permettra d'opposer le type II au type I (deuxiéme partie). 3. L'étude de l'optatif et de ses emplois en protase et en apodose permettra d'opposer le type III à la fois aux types I et II (troisiéme partie). 4. L'étude de l'indicatif et de ses emplois en apodose permettra d'une part de préciser les cas où un indicatif futur (type I) semble équivaloir à un subjonctif (type II), d'autre part de montrer comment le type IV, avec indicatif secondaire, s'est séparé du type I pour s'opposer au type III (quatriéme

partie).

Des observations sur les emplois de ei et sur le lien entre protase et apodose seront faites dans le cours des parties ainsi définies. De méme, des emplois différents des particules modales seront évoqués à propos des différents modes auxquels ils sont associés. Une synthése de ces observations

sera apportée

en conclusion.

L'existence de plusieurs types de protases implique qu’autant de façons de concevoir l'imaginaire sont distinguées par la syntaxe. Sur ce point, le grec ancien paraît plus complexe que le latin et le français moderne. Dans ces langues, en effet, deux types fondamentaux seulement s'opposent :

11. L'ordre I, II, III, IV est en particulier celui de Schwyzer-Debrunner, L'ordre I, IV, II, III est celui de Kühner-Gerth, 1904, pp. 466-80. 12. Présence d'une particule modale dans le type IV (quatriéme partie).

1950, pp. 684-6.

L'EXPRESSION

DE L'IMAGINAIRE

11

1. Type I: Si + indicatif. Ce type correspond aux types I et II du grec, comme le montrent les traductions françaises des exemples grecs cidessus. Le latin aurait après si un indicatif présent ou futur.

Ce

2. Type II: Si + subjonctif en latin, et si + indicatif en -ais en français. type correspond aux types III et IV du grec (voir les traductions

françaises des exemples grecs)'?. Ces rapprochements permettent de penser qu'il existe une hiérarchie entre les oppositions marquées en grec, les types III et IV du grec s'opposant ensemble aux types I et II. On a habituellement essayé d'expliquer les différents types observés en faisant appel à deux critères: . 1. Ou bien on a essayé de les distinguer selon l'époque envisagée par l'hypothése (critére temporel). 2. Ou bien on a essayé de les distinguer selon le rapport plus ou moins étroit de l'hypothése avec le réel (critére modal). On a parfois présenté des explications qui combinaient les deux critéres!^. Il est vrai que le type II du grec envisage préférentiellement l'avenir. Mais il ne s'y limite pas, l'hypothése pouvant étre « générale ». De plus, les autres types aussi peuvent envisager l'avenir. On verra que méme le type

IV, que

l'on considére

souvent

comme

orienté

vers

le passé,

peut

porter sur l'avenir (c'est d'ailleurs le cas dans l'exemple que l'on a donné ci-dessus pour l'illustrer). Il est vrai aussi que l'hypothése du type IV parait étre la plus éloignée du réel, d'où son nom d'hypothése irréelle. Et l'on suggère souvent que la proximité du réel, c'est-à-dire la possibilité de réalisation de l'hypothése, décroit selon l'ordre I, II, III, IV. Mais cette opinion n'est pas confirmée par les faits. On verra par exemple que l'hypothése du type III n'est pas « moins possible » que l'hypothése du type II. Les considérations de temps et de possibilité sont donc au moins insuffisantes pour rendre compte des oppositions observées. D'ailleurs, en partant de la définition de l'imaginaire comme «ce qui n'est point réel » (Littré), on peut penser a priori que: 1. Les oppositions de temps étant des subdivisions du réel, l'imaginaire tend à étre atemporel. Toute délimitation temporelle n'y peut étre que secondaire et accessoire. 2. L'opposition entre réel et imaginaire, étant privative, est absolue et n'admet pas de degrés. De méme, l'imaginaire est possible ou impossible

13. Pour le latin, voir Ernout-Thomas,

1959, pp. 375-6. Pour le français, voir en particulier

la distinction faite par Tesniére, 1959, pp. 595-600, entre « conditionnelle » et « hypothétique ». Il y a bien sûr des subdivisions, dans les deux langues.

14. Ainsi Vairel, 1981, pour le latin.

12

INTRODUCTION

(comme dans l'irréel), mais il n'y a pas de degrés de possibilité. Il y a seulement des degrés de probabilité, et les oppositions que nous observons ne répondent pas à un calcul des probabilités. Aussi sera-til proposé ici un autre critére de distinction: on ne cherchera plus à distinguer des modalites d'un objet imaginaire; on essaiera de montrer que, dans les protases grecques, indicatif, subjonctif et optatif permettent de distinguer des objets imaginaires différents. Mais pour pouvoir distinguer de tels objets, il ne faut plus se contenter de formules vagues comme « le contenu de l'hypothése » ou « ce qu'envisage l'hypothèse ». Il faudra analyser l'énoncé hypothétique, sans omettre les indications qu'il porte sur son énonciation. On peut ainsi espérer isoler divers éléments constitutifs de l'énoncé, qui seront les divers objets sur lesquels l'hypothése est susceptible de porter. La

syntaxe

nous

fournit

avec

les

négations

un

outil

approprié

pour

isoler de tels éléments. En effet, les négations sont la traduction d'un conflit, conflit entre quelque chose qui se présente à l'esprit du locuteur, qu'on appellera contenu de l'énoncé, et l'attitude qu'adopte à son égard le locuteur, qu'on appellera source de l'énoncé. L'étude en premier lieu des négations où et μή du grec permettra donc de mieux préciser ces deux éléments et leurs variétés. Gráce à ce révélateur que constituent les négations, nous disposerons alors de trois objets différents susceptibles d'étre imaginaires, l'énoncé dans sa totalité, son contenu ou sa source. On pourra les faire correspondre respectivement aux types I (indicatif), II (subjonctif) et III (optatif). Enfin

on pourra rendre compte du type IV par un simple déplacement de la portée de la marque d'indicatif secondaire, du contenu de l'énoncé vers sa source. Des lors l'imaginaire ne se présentera plus comme un espace indistinct dont on cherche seulement à évaluer l'éloignement du réel ou de l'actuel, mais comme un espace structuré par les objets qui l'habitent. Des différentes espéces d'imaginaire ainsi définies résulteront diverses espéces de possibilité, qui ne seront pas définies par des degrés de probabilité.

PREMIERE

LES

PARTIE

NEGATIONS

Étude de l'opposition des négations grecques où et μή, en particulier dans leurs emplois après ei.

Distinction du point de vue de vérité, défini comme la source énoncé assertif, et de la représentation, contenu de l'énoncé.

d'un

Définition du type I des protases grecques, le seul à admettre l'emploi de où, comme exprimant une hypothèse d'assertion.

14

lere PARTIE - NEGATIONS

CHAPITRE

PREMIER

DESCRIPTION

DES

FAITS

L'emploi des négations dans les subordonnées hypothétiques de la langue homérique nous est assez bien connu, gráce surtout aux recherches philologiques de la fin du 19* siécle. Il faut cependant faire des réserves en ce qui concerne les relatives et temporelles ayant un caractére hypothétique. Le trop petit nombre d'exemples avec négation ne permet pas en effet en ce cas de bien établir l'usage. D'une facon générale, contrairement à ce qu'on a parfois avancé, l'usage homérique ne se distingue pas sensiblement de l'usage attique.

A. LES EMPLOIS

DE où ET DE μή APRES ei (OU ai)

Ont été recensés tous les emplois d'une négation où ou μή après la conjonction εἰ «si», ou sa variante ai, que la proposition ait réellement ou non une fonction de protase de système hypothétique. Un tableau général permettra de donner une vision d'ensemble de ces emplois:

type I

nombre total d'exemples :

type

environ 230

II

type III

type IV

environ 260

environ 230

67

exemples avec une

négation:

21

12

exemples avec οὐ:

1

2

exemples avec μή:

10

10

On

peut

en

outre

faire

des

7

0

0 7

observations

différents types, et ajouter cinq exemples

particulières

sans verbe.

46

46

à propos

des

CH. I - DESCRIPTION

15

1. Dans le type I (indicatif à tous les temps): Les exemples avec où sont tous des protases antéposées à leurs apodoses!, alors que les exemples avec μή sont des protases postposées à une exception pres: Od. 9. 410. La négation o0 est toujours séparée de la conjonction ei. Elle est devant le verbe, ou un nom, ou un pronom ou adverbe indéfini. Dans quatre exemples, elle apparait dans une proposition coordonnée à une proposition précédente (ei... premier verbe.. coordination. deuxième verbe avec οὐ). En revanche, la négation μή est généralement proche de la conjonction £l. Elle la suit immédiatement (el μή), ou n'en est séparée que par une particule (ei δὴ μή, dans deux exemples), ou par deux particules (ei μὲν δὴ μή en Od. 9. 410).

2. Dans le type II (subjonctif) : Dans ses deux emplois, où précède immédiatement les verbes ἐθέλειν et ἐᾶν). Dans l'un de ces emplois (Il. 20. 138-9), οὐκ εἰῶσι est coordonné par

Kai

à

une

proposition

précédente

sans

négation

(on

a

un

tour

paralléle dans le type I: Il. 4. 55-6). Des dix exemples avec μή, trois sont des protases antéposées, les sept autres sont postposés*. Μή suit immédiatement ei dans un exemple, en est séparé par une ou deux particules (surtout la particule modale) dans six exemples. Dans trois exemples, il apparait dans une proposition coordonnée: on a xai μή en Il. 14. 110-1, μηδ᾽ en Od. 1. 289 et 13. 182-3. Mais dans ce dernier exemple, on n'a pas une protase mais une fausse finale avec le sens

« pour voir si». 3. Dans le type III (optatif) : On n'a pas tenu compte de Il. 16. 97-9, introduit en fait un double souhait négatif.



AT γάρ...

μήτε...

μήτε...

1 Avec un present: Iliade 4 55, 9 434 ; Odyssée 2 274, 13 143, 19 85. Avec un futur: /liade 15 162 = 178, 15 213, 20 129, 24 296; Odyssée 12 382. Avec un aoriste gnomique : /liade 4 160. Cf. Lange, 1872, p. 456, n. 200; Vierke, 1876; Monro, 1891, p. 261; Tabachovitz, 1951, pp. 22-31. 2. Avec un présent: lliade 5 177; Odyssée

19 346. Avec un futur: Iliade 2 261, 2 387, 7

98, 9 231 ; Odyssée 24 434. Avec un passé : Odyssée 2 71, 22 359. Cf. Vierke et Monro, Il. II.

3. Iliade 3 288-9, 20 138-9. Cf. Monro, 1891, p. 261; Tabachovitz, 1951, p. 32; Chantraine, 1953, p. 333. 4. Avec protase préposée : Iliade

1 137 = 324; Odyssée

1 289 = 2 220, 14 398. Avec protase

postposée : /liade 14 110-1, 16 32, 18 91-3, 22 55; Odyssée: 5. Voir deuxiéme

partie, chap. II, B.

11 159, 13 182-3, 14 3734.

16

lere PARTIE - NEGATIONS

Des sept exemples avec urj6, un seul est une protase antéposée (Il. 9. 515-6). Μή y est séparé de ei par deux particules (ei μὲν yàp μὴ...) Ailleurs, μή suit immédiatement εἰ, sauf en Il. 20. 464-5, où μηδέ apparait dans

une

proposition

coordonnée

à

une

premiére

proposition

sans

négation. Mais il s'agit d'une fausse finale « pour voir si » aprés un verbe principal au passe’. 4. Dans le type IV (indicatif secondaire, κε ou αὖ dans l'apodose) : Μή apparait toujours dans une protase postposée et suit toujours

immédiatement «i$. Trois exemples de l'/liade font suite à une apodose à l'optatif avec κε: 5. 311-2, 5. 388-90, 17. 70-1. Les autres exemples font suite à une apodose à l'indicatif secondaire avec une particule modale. Dans onze exemples, dont dix de l'/liade, on a la succession ei μὴ áp(a). Dans d'autres exemples, la particule áp(a) ou ῥά apparaît dans une proposition dépendant de la protase. 5. Dans une protase sans verbe: On relève cinq exemples de ei μή postposé, suivi d'un syntagme nominal sans verbe exprimé, avec le sens « sinon, sauf ». L'apodose qui précéde a une valeur générale (quatre fois avec ἄλλος) et négative?. En voici un exemple. Il. 18. 192-3:

Ἄλλου δ᾽ où t£v οἶδα... εἰ μὴ Αἴαντος... « De personne je ne connais.... sinon d’Ajax... »

B. Où ET μή DANS

LES TEMPORELLES

ET LES RELATIVES

1. Dans les relatives à l'indicatif : L'emploi de où dans une relative lui óte toute valeur hypothétique ou conditionnelle.

Que

l'antécédent

soit

défini

ou

indéfini,

la relative

avec

6. Iliade 2 491-2, 5 215, 9 515-6, 20 464-5; Odyssée 5 178 = 10 343, 9 278, 16 103. Cf. Lange, 1872, p. 456. 7. Voir troisiéme

partie, chap. IV, B, 2.

8. 46 exemples, et 35 dans l'/liade: 11 311, 11 505, 166, 18 398, 18 734, 24 715. Ils 227, 23 242, 24

non 36 comme il est imprimé dans Tabachovitz, 1951, p. 2 156, 3 374, 5 312, 5 389, 5 680, 6 75, 7 106, 7 274, 8 91, 8 11 751, 12 292, 13 725, 14 259, 15 123, 16 700, 17 71, 17 531, 454, 20 291, 21 212, 21 545, 22 203, 23 155, 23 383, 23 491, sont 11 dans l'Odyssée: 4 364, 4 503, 5 427, 5 437, 13 385, 42, 24 51, 24 529.

9. Iliade

17 477,

18 193, 23 792, ; Odyssée

12 326,

17 383.

22. Ils sont 132, 8 218, 17 614, 18 23 541, 23 16 221, 21

CH.

I - DESCRIPTION

17

où n'apporte aucune restriction et se contente générale. Il. 2. 337-8: .. παισὶν ἐοικότες...

de décrire une catégorie

…, οἷς οὗ τι μέλει πολεμήϊα ἔργα « ..semblables à des enfants, qui ne se soucient pas des travaux guerriers. » On ne définit pas ici une catégorie d'enfants qui auraient la particularité de ne pas se mêler de la guerre. C'est la catégorie générale des enfants qui est décrite comme ne se mêlant pas de la guerre. La relative est donc descriptive. Elle contient une assertion négative et la négation serait où en attique, ausssi bien que chez Homere!®. Il faut distinguer de ce cas celui oü la relative définit dans une catégorie générale une sous-catégorie répondant à une condition. On en a un exemple homerique avec μή. Il. 2. 302:

μάρτυροι, οὖς μὴ κῆρες ÉGav θανάτοιο φέρουσαι

« (Vous êtes tous) témoins, ceux du moins que n'ont pas emportés les deesses du trépas. » Parlant des Achéens, Ulysse précise que ce qu'il dit ne concerne que les vivants. Or, aprés la bataille, il ne sait pas qui est vivant et qui est mort. La relative n'exprime donc pas une constatation. Elle restreint lextension de la catégorie « Achéens » au moyen d'une condition, celle d'étre vivant. La sous-catégorie ainsi définie peut étre dite ouverte, car on n'en connait pas les limites exactes!!. Une telle relative qui, contrairement à la précédente, ne constate pas, est hypothétique : un Achéen est témoin s'il n'est pas mort. 2. Dans les relatives au subjonctif : Les relatives au subjonctif ont souvent négation est alors μή.

une

valeur

hypothétique.

La

Od. 4. 165:

ᾧ μὴ ἄλλοι ἀοσσητῆρες ἕωσι

«(.. tout fils) qui n'a pas d'autres défenseurs. » L'emploi de μή et du subjonctif correspond à celui des protases de type II: «tout fils, s'il n'a pas d'autres défenseurs » (cas de l'hypothèse

dite « générale »)!2. La négation où apparait identique à celui de où immédiatement

devant

dans dans

le verbe

10. Malgré l'opinion contraire de Monro, 11. Humbert,

1960, $ 79, parle de méme

un seul exemple et dans un contexte les protases de type II, c'est-à-dire ἐθέλειν, comme

en Il. 3. 288-9. Dans cet

1891, p. 261, et Chantraine,

1953, p. 332.

de catégorie ouverte à propos du participe (avec

négation μή) après article.

12. Autres exemples: Odyssée 21 294, 23 119.

18

lere PARTIE - NEGATIONS

exemple (Il. 15. 492), οὐκ ἐθέλῃσιν est en outre coordonné premiere relative Il. 4. 55 (type I).

sans

négation,

comme

en

Il. 20.

138-9

par καί à une (type

II) et en

3. Dans les relatives à l'optatif : Lorsqu'une relative à l'optatif a une valeur hypothétique, sa négation est μή. Od. 11. 289-90: … ὃς μὴ... / … ἐλάσειε... « (Nélée refusait de la donner) à qui ne chasserait pes (= si l'on ne chassait pas)... »

Od.

11. 490:

… ᾧ μὴ βίοτος πολὺς εἴη « (Je préférerais servir un autre)... qui n'aurait pas grand'chére (= méme s'il n'avait pas grand'chére). » Lorsque la négation où apparait dans une relative à l'optatif, celle-ci n'a pas une valeur hypothétique de protase. La nuance peut étre consécutive. Od.

11. 366:

ψεύδεά τ᾽ ἀρτύνοντας, ὅθεν κέ τις οὐδὲ ἴδοιτο «... forgeant des mensonges, où l'on n'y verrait goutte (= tels qu'on n'y verrait goutte; et non: si l'on n'y voyait goutte). » Dans d'autres exemples le mode et la négation s'emploient comme dans

une

proposition

principale!

4. Dans les temporelles : Les temporelles à l'indicatif, qui renvoient à un fait constaté dans le passé, n'ont pas un caractére hypothétique. En revanche, les temporelles au subjonctif et à l'optatif, qui renvoient à un fait non constaté, se comportent

comme

les protases

correspondantes.

La négation

Avec le subjonctif, la négation est exceptionnelle!® homérique. Od. 17. 320:

On

est μή.

a un exemple

δμῶες δ᾽ εὖτ᾽ ἂν μηκέτ᾽ ἐπικρατέωσιν ἄνακτες « Mais les serviteurs, des que si leurs maitres

ne les surveillent

leurs maitres

ne les surveillent

plus (=

plus)... »

Avec l'optatif, Ste μή apparaît dans nettement hypothétique « sauf si »!5.

quatre

exemples,

avec

un

13. Ainsi Odyssée 3 319 (assertion de possibilité, avec ot), 4 699 (souhait, avec μή).

14. Cf. Lange, 15. Hiade

1872, p. 467 ; Chantraine, 1953, p. 334.

13 319,

14 248; Odyssée

16 197, 23

185. Cf. Lange,

1872, p. 465.

sens

CH. I - DESCRIPTION

19

IL 14. 248:

… ὅτε μὴ αὐτός ye κελεύοι « … lorsqu'il ne me l'ordonnerait pas lui-même (= sauf s'il me l'ordonnait). » Il existe en outre un exemple de ὅτε μή sans verbe, qui équivaut à ei μή sans verbe, avec le sens « sinon, sauf ». IL 16. 227:

οὗ τέ τεῳ σπένδεσκε, ὅτε μὴ Διὶ πατρί « Il ne faisait de libation à aucun dieu, sinon à Zeus père. »

C. RÉSUMÉ

DE LA DESCRIPTION

L'emploi de μή est de loin le plus important, et pas seulement par le nombre. En effet l'emploi de οὐ parait limité à deux cas, et de facon inégale : 1. Dans

les protases de type I, avec un indicatif, l'emploi de où est au

moins aussi important que celui de μή. Il est en outre original avec une répartition des deux négations selon que la protase est antéposée (emploi de où à une exception prés) ou postposée (emploi de μή). On observe aussi des places différentes dans la proposition pour μή (prés de la conjonction) et pour o9 (loin de la conjonction). 2. Avec le subjonctif (protases de type II et relatives correspondantes), l'emploi de οὐ, exceptionnel, semble conditionné par la présence des verbes ἐθέλειν « vouloir» et ἐᾶν «laisser ». On observe cependant un exemple proche de cet emploi exceptionnel dans le type I. En outre, on peut supposer que son absence dans les autres cas n'est qu'un fait de hasard. On considére généralement que cet emploi homérique différe de celui de l'attique en ce que l'emploi de où serait plus étendu chez Homére!5, C'est surtout l'emploi dans le type I qui passe pour singulariser la syntaxe homérique, car, pour l'attique, on ne reconnait habituellement que des emplois exceptionnels de οὐ. On trouve cependant en attique des emplois analogues à ceux d'Homére, dans des protases de type I. Eur. Jon 347: ei δ᾽ οὐκέτ᾽ ἔστι, τίνι τρόπῳ διεφθάρη ; « S'il n'est plus, de quelle façon a-t-il péri ? » On enseigne aussi que l'usage homérique de où est plus étendu dans

les relatives à l'indicatif ayant une valeur « générale »!7. Les exemples examinés ci-dessus sous B, 1 suggérent au contraire que l'usage homérique,

16. Goodwin,

1912,

p.

138, 8 385;

17. Cf. ci-dessus B, 1 et n. 10.

Chantraine,

1953,

$ 346.

20

lere PARTIE - NEGATIONS

sur ce point aussi, ne diffère guère de celui de l'attique: μή est employé seulement si la relative a réellement valeur hypothétique. Chez Homère en tout cas, l'emploi non exceptionnel de où dans les protases de type I antéposées distingue ce type de protases de tous les autres types, ainsi que des relatives et temporelles hypothétiques, quel que soit leur mode. D'un autre côté, l'emploi massif de μή dans les protases de type IV postposées distingue ce type de tout le reste. On peut en effet opposer la forte majorité de protases négatives, toutes avec μή, dans le type IV à la faible proportion des exemples avec négation dans les autres types!?. Quant aux temporelles et relatives hypothétiques, elles sont trés rarement négatives.

On étudiera donc d'abord les emplois de οὐ, qui, plus rares et plus circonscrits, se prêtent plus facilement à l'analyse. D'ailleurs, d'une façon générale, il est plus facile de définir la négation grecque où que sa rivale μή. Employée de préférence avec l'indicatif, cette négation est la négation assertive. Elle constitue le póle négatif de l'affirmation. Par elle, on peut donc tenter une analyse de l'assertion, c'est-à-dire de l'énoncé qui prétend décrire le réel (ou du moins l'univers de discours que l'on s'est donné). Les emplois de la négation μή, négation non assertive, sont beaucoup plus variés et donc moins faciles à cerner dans l'immédiat.

18. Cf. Lange, 1872, pp. 485 et 566.

LES

A. DISTINCTION

CHAPITRE

II

EMPLOIS

DE

DE DEUX



TYPES

D'EMPLOI

On considère généralement l'emploi de où dans les protases comme accidentel et exceptionnel. Trois sortes d'explication vont en ce sens: 1. On invoque les conditions rythmiques ou métriques. 2. On invoque la disparition de toute valeur hypothétique. 3. On invoque un emploi particulier de la négation comme négation de constituant. L'examen des faits montre que seule cette derniére explication est valable, mais seulement dans certains cas. Il y a donc d'autres emplois, qui n'ont rien d'accidentel. l. L'explication par les conditions

rythmiques

ou metriques:

Un emploi rare et inattendu de la langue homérique est souvent imputé aux

contraintes

du

metre.

Ainsi

Tabachovitz,

1951,

p.

34,

pense

que

l'emploi de οὐκ ἐθέλωσιν en Il. 3. 289 et de οὐκ εἰῶσι en Il. 20. 139 doit être destiné à éviter un hiatus qui abregerait la voyelle longue de μή. Mais il oublie que μή n'est généralement pas placé devant le verbe, mais près de la conjonction!?. L'aéde n'avait donc pas à craindre l'hiatus. La méme objection peut étre faite à son autre suggestion selon laquelle le mètre n'aurait pas admis μή à la place de la plupart des emplois de οὐ. De toute facon en effet, μή ne se serait pas trouvé à la méme place dans le vers. Plus généralement, de telles « explications » sont vigoureusement rejetées par Gonda, 1956, p. 203, n. 1. Il faut en effet beaucoup sous-estimer le 19. Voir ci-dessus chap. I, A, 1.

22

lere PARTIE - NEGATIONS

poète pour penser que employer un mot pour s'opposent.

les contraintes du mètre ont pu l'amener à un autre, alors qu'en général ces deux mots

2. L'explication par l'absence de valeur hypothétique : Pour l'attique, on explique souvent l'emploi de où dans une protase à lindicatif de type I en arguant que ces protases perdent alors toute

valeur

hypothétique.

Cette

perte

serait

due

à la force

assertive

de

l'indicatif, qui ferait de la protase l'équivalent d'une causale, d'une complétive ou d'une interrrogative indirecte. Elle deviendrait une causale lorsque ei prend le sens de ἐπεί « puisque », la cause n'étant plus hypothétique mais constatée. Elle deviendrait une complétive aprés un verbe de sentiment comme θαυμάζω εἰ «je m'étonne de ce que... », le sentiment reposant sur une constatation.

Elle deviendrait une interrogative indirecte aprés un verbe comme ἐρωτῶ ei «je demande si.. », qui est une demande d'assertion. Les deux derniers cas ne sont pas représentés dans nos exemples homériques de type I. D'ailleurs l’attique emploie alors aussi bien μή que où2!, Quant à l'explication par une valeur causale, elle n'est pas valable dans la majorité de nos exemples, oü il est impossible de voir une

constatation.

Od. 2. 274: εἰ δ᾽ où κείνου γ᾽ ἐσσὶ γόνος καὶ Ilnveloneing « Mais si tu n'es pas le fils de cet homme et de Penelope... » Athena ne peut en effet dire à Télémaque : « Puisque tu n'es pas le fils d'Ulysse » ! Si en revanche, on cherche un exemple où il est possible de constater le contenu de l'hypothèse, on en trouve un avec μή. Od. 9. 410:

Ei μὲν δὴ μή τίς σε βιάζεται « Si donc personne ne te fait violence... » En effet, les cyclopes, ayant cru comprendre que Polyphème leur a dit « personne ne me fait violence », pourraient lui répondre « puisque personne ne te fait violence ». D'ailleurs, méme lorsque l'hypothèse, avec οὐ, peut faire l'objet d'une constatation, l'emploi de ei, et non de ἐπεί, indique que le locuteur n'assume pas, momentanément, cette constatation. Il. 4. 160: ET rep γάρ τε καὶ αὐτίκ᾽ Ὀλύμπιος οὐκ ἑἐτέλεσσεν « Car même si l'Olympien n’agit pas (toujours) tout de suite... »

20. Cf. Humbert,

1960, 8 624.

21. Cf. Koppers,

1959, pp. 72-3 et 87.

CH. II - EMPLOIS DE οὐ

23

L'aoriste ἐτέλεσσεν exprime un fait d'expérience. Mais la présence de ei indique qu'ici Agamemnon ne prend pas à son compte cette expérience. Il se place seulement dans l'hypothèse où cette expérience est constatée. Donc, méme dans cet exemple, la protase conserve une valeur hypothé-

tique22, 3. L'explication de où comme On explique souvent qu'il y est étroitement

négation de constituant :

l'emploi de où dans une protase en affirmant lié à un mot particulier de la proposition, en

particulier au verbe??, L'association qui a été observée avec les verbes ἐθέλειν et ἐᾶν (voir chap. I) va en ce sens. Elle suggère que la proposition en ce cas demeure positive, la négation ne portant que sur un de ses constituants. Cependant, on ne peut ainsi expliquer tous les emplois de où, en tout cas pas dans le type I. Il suffit de se reporter aux exemples cités ci-dessus, Il. 4. 160 et Od. 2. 274, pour constater que la proposition introduite par ei y est sentie comme globalement négative. Il faut donc distinguer deux sorte d'emplois de οὐ: - OÙ négation d'un constituant de la proposition où il se trouve. - Οὐ négation de la proposition où il se trouve. C'est ce second emploi qui semble faire l'originalité des protases de type I.

B. Où NÉGATION

DE CONSTITUANT

Il est en fait assez difficile de bien distinguer les emplois de ob comme négation de constituant. C'est que divers phénoménes interférent et ont parfois été confondus sous les appellations « négation de mot» ou « négation partielle » (en anglais « special negative »). Moorhouse, 1959, p. 2, n. 1, distingue un phénomène formel et un phénomène syntaxique. Mais il est utile d'en distinguer aussi un phénoméne sémantique. 1. Les combinés négatifs constituent un phénoméne formel. 2. Le sens contraire est un phénoméne

sémantique.

3. La négation partielle est le phénoméne proprement syntaxique. Bien que recouvrant des réalités différentes, ces trois sortes de phénoménes peuvent se rencontrer conjointement. Il nous faut les examiner successivement pour ne pas les confondre et voir dans quelle mesure ils affectent le choix de la négation en grec ancien. l. Les combinés

négatifs, phénomène

formel:

Un combiné négatif résulte de l'agglutination d'une négation et d'un mot. Cette agglutination ne va pas jusqu'à la composition, les deux 22. Cf. Vairel,

1982.

23. Cf. Goodwin,

1912, p. 138.

24

lere PARTIE - NEGATIONS

éléments du combiné pouvant encore être séparés (par exemple par une particule). À cette restriction près, on peut considérer le combiné négatif comme une création lexicale ou morphologique. Le résultat est qu'on peut lui donner une signification simple, qui ne dissocie plus les deux éléments. Moorhouse, 1959, distingue trois types de combinés négatifs, selon la nature du second élément. - Combinés verbaux: οὐκ ἐθέλειν « refuser », οὐκ ἐᾶν « empêcher », où φάναι

« nier ».

- Combinés

rattachent

adjectivaux:

les combinés



πολύς

«rare»,



ainsi

οὐκ

adverbiaux,

participiaux, ainsi τὸ μὴ ὄν «le néant»

καλός

εἰκότως

«laid », etc.

«à

tort»,

S'y

ou

(Plat), τὸν οὐκ ὄντα «le mort »

(Thuc. 2,45).

- Combinés indéfinis ou négations quantitatives : οὐδείς et οὗτις « personne... ne... », οὐκέτι « ne... plus ». Ces trois types de combinés négatifs ont des comportements syntaxiques et sémantiques trés différents. On l'observe en particulier à propos de l'emploi de où en protase. a. Les négations quantitatives sont formées aussi bien avec μή qu'avec où. On

a μή τις en Od. 9. 410.

Donc

le choix

de où ‚dans οὐκέτι en Od.

19. 85, n'est pas provoqué par le phénoméne de la combinaison. De fait, le choix de où ou de μή dans une négation quantitative dépend de la nature de la proposition et du mode du verbe, ce qui suggére que les négations quantitatives sont des négations de proposition et non de constituant, bien qu'elles résultent d'une combinaison? b. Les combinés adjectivaux sont formés, les uns avec où (ainsi où καλός « laid », τὸν οὐκ ὄντα «le mort »), les autres avec μή (ainsi τὸ μὴ ὄν « le néant», τι μὴ μέγα « quelque chose non grand », Plat. Soph. 257 b). Et le choix, en ce cas, ne dépend pas de la proposition oü ils se trouvent. Pour expliquer ce choix, il faut partir des subordonnées relatives qui seraient les équivalents de ces combinés négatifs adjectivaux. Ainsi τὸ μὴ ὄν «le néant» équivaut à ὅ τι μή ἐστι, que nous traduirons « cela dont on ne dit pas qu'il est». En revanche, τὸν οὐκ ὄντα «le mort» équivaut à ὃς οὐκ ἔστι, que nous traduirons «celui dont on dit qu'il n'est pas (vivant) ». On expliquera plus loin comment l'emploi de μή ou de où donne des significations différentes à ces relatives, la première définissant une catégorie ouverte (avec une valeur hypothétique), la seconde définissant une catégorie fermée (avec ici une valeur générique). Un combiné négatif adjectival (ou adverbial ou participial) peut donc imposer l'emploi de où dans une protase. Mais ce type de combiné n'est

24. Voir ci-aprés, en 3, la définition de la négation de proposition. 25. Voir au chap.

III, C, l'emploi de μή dans

les relatives à l'indicatif.

CH. II - EMPLOIS

DE οὐ

pas représenté dans aucun emploi de οὐ.

25

les

protases

homériques

et ne

peut

y expliquer

c. Les combinés verbaux s'opposent aux précédents en ayant toujours la négation où. C'est d'ailleurs le maintien de où dans des propositions où l'on attend μή qui permet de les identifier en montrant que la négation n'y est pas libre, mais étroitement combinée avec le verbe. Il. 4. 300:

ὄφρα καὶ οὐκ ἐθέλων τις... πολεμίζοι « pour qu'on combattit, méme si on ne le voulait pas » C'est-à-dire : « méme si on s'y refusait. » Avec un participe hypothétique dans une subordonnée finale, on a deux raisons pour attendre la négation μή, si elle n'est pas combinée au verbe. En ce cas, μή peut lui-même introduire le combiné négatif. Il. 5. 233:

μὴ... ματήσετον, οὐδ᾽ ἐθέλητον « de peur qu'ils se montrent inutiles et refusent... » En revanche, il n'existe pas de combiné du type μὴ ἐθέλειν qui se maintienne là où l'on attend οὐ. Or les trois exemples homériques de où dans une protase ou une relative au subjonctif sont dans des combinés négatifs οὐκ ἐθέλειν et οὐκ ἐᾶν, qui fonctionnent ailleurs comme tels. Il s'agit donc d'une négation de constituant et le choix de où est indépendant de la proposition où il se trouve. Il est donc accidentel et exceptionnel. Pas plus que les protases de type III (optatif) ou IV (ind. sec. modal), les protases de type II (subjonctif) n'admettent réellement la négation où. Pour les protases de type I, on trouve deux emplois de où analogues, semble-t-il, aux précédents, en Il. 4. 55, avec οὐκ eiö, et en Il. 15. 215, avec οὐδ᾽ ἐθελήσει. Mais les autres emplois sont différents, en particulier en Il. 9. 434-6, où, pourtant, le verbe est ἐθέλειν. Il. 9. 434-6:

Ei μὲν δὴ vóotoy... βάλλεαι, οὐδέ tt πάμπαν ἀμύνειν... ἐθέλεις... « Si donc tu songes au retour et n'as pas du tout l'intention de défendre... » Ici le combiné négatif est la négation quantitative οὐ(δέ) t «pas du tout », et non le combiné verbal οὐκ ἐθέλειν « refuser ». I] en résulte que l'ensemble οὐ... ἐθέλειν ne constitue pas nécessairement un combiné verbal là où la négation où est admise par la proposition, comme c'est le cas dans le type I. Nous ne sommes donc pas obligés de voir un combiné verbal en Il. 4. 55 et Il. 15. 215 évoqués ci-dessus, contrairement à ce qui se passe pour les exemples de type II. Pour résumer, voici un tableau des combinés négations admises et leur portée syntaxique.

négatifs

indiquant

les

26

lere PARTIE - NEGATIONS

négations admises

portée

négations

quantitatives : où et μή

proposition

combinés

adjectivaux : où ou μή

constituant

combinés

verbaux : où

constituant

En fait, la notion de combiné verbal n'est pertinente que dans les propositions où l'on attend une négation μή. Οὐ est alors si étroitement lié au verbe qu'il forme un ensemble lexical avec lui et ne porte pas sur la proposition. Mais on a voulu aussi lier ce phénoméne formel et syntaxique, ainsi que celui des combinés adjectivaux, à un phénomène sémantique. 2. Le sens

contraire,

phénomène

sémantique :

C'est surtout depuis Jespersen, 1917, que les grammairiens distinguent une négation de sens contraire de la négation de sens contradictoire : - Avec un sens contradictoire, elle indiquerait l'absence de quelque chose, par exemple l'absence de beauté. - Avec un sens contraire, elle indiquerait la présence de la chose contraire,

par exemple

la présence

de la laideur.

Les combinés adjectivaux et verbaux, qui laissent la proposition positive, passent pour avoir une négation de sens contraire*. En fait sous l'appellation de sens contraire sont confondus des phénomènes différents : - L'interprétation forte suscitée par un emploi litotique. - L'équivalence du tour négatif avec le tour positif à prédicat contraire. - Le sens fort de certains tours négatifs, opposé au sens faible d'autres tours négatifs. C'est seulement à ce dernier cas que peut s'appliquer la distinction d'un tour négatif de sens contraire et d'un tour négatif de sens contradictoire. Mais l'observation des faits suggére une interprétation différente, qui ne suppose pas deux sens différents pour la négation. De plus, les notions de combiné négatif et de négation partielle ne paraitront pas pertinentes. En revanche, sur ce point, l'opposition de où et de μή paraitra, elle, pertinente. a. L'emploi

litotique :

À propos du sens contraire, Moorhouse, 1959, p. 28, parle de formes litotiques. Or la litote est un phénoméne stylistique qui, dans certaines conditions de discours, à l'aide souvent d'une intonation particuliére, donne

une interprétation forte à une expression dont le sens linguistique

26. Cf. Moorhouse,

1959, p. 28.

CH. II - EMPLOIS

DE οὐ

27

est faible. Ainsi «je ne te hais point» signifie seulement l'absence de sentiments hostiles. C'est la situation de Chiméne parlant à Rodrigue meurtrier

de

son

pére,

qu'elle

devrait

donc

hair, qui

permet

d'en

tirer

une information supplémentaire, plus forte. On est invité à interpréter cette absence de haine signifiée comme le signifiant du sentiment contraire. Mais

cette

interprétation

contraire

vient

de

la

situation.

La

négation,

elle, n'a qu'un sens contradictoire. b. L'équivalence du tour négatif et du positif contraire: Quant on a affaire à une opposition binaire, il se peut que ses termes se nient l'un l'autre sans laisser de place pour une valeur intermédiaire. Cette circularité apparait en particulier dans le domaine du possible. Ainsi : - δυνατός « possible » = οὐκ ἀδύνατος « pas impossible » - οὐ δυνατός « pas possible » = ἀδύνατος « impossible » Le couple ἐᾶν « laisser faire » / κωλύειν « empêcher » appartient à ce domaine du possible (à condition de ne pas donner à ἐᾶν un sens actif « donner

la permission »). Donc:

- ἐῶ « je laisse faire » = OÙ κωλύω «je n'empêche pas » - οὐκ ἐῶ «je ne laisse pas faire » = κωλύω « j'empéche » En ce cas, le contradictoire ne peut que coincider avec le contraire. Aussi est-il impossible de savoir si οὐκ £i en Il. 4 55, dans une protase de type I qui admet l'emploi de où, est ou non un combiné verbal négatif. S'il est un combiné négatif, οὐκ el signifie « j'empéche » ; sinon, il signifie « je ne laisse pas faire », ce qui revient au méme. Dans les autres types de protases, l'emploi de où permet de décider en faveur du combiné négatif, puisque la seule négation de proposition admise est μή. Mais l'emploi de μή, donc sans combiné négatif, n'apporte pas de différence de signification sensible. C'est ce qu'on observe, en attique, avec le combiné où φάναι « nier», et son contraire, le simple φάναι, qu'il faut donc traduire ici par « reconnaître »27, Plat. Ap. 25 b: ἐάν TE... οὐ φῆτε, ἐάν τε φῆτε « que vous le niiez, que vous le reconnaissiez. » Dem. 21, 205: ἄν τε ἐγὼ φῶ, ἄν τε μὴ φῶ «que

moi je le reconnaisse

ou ne le reconnaisse

pas. »

Tout au plus peut-on penser que l'emploi du combiné négatif (avec οὐ) donne plus de vigueur à l'expression. On observe donc pour le couple φάναι / ἀρνεῖσθαι une circularité analogue à celle du couple ἐᾶν / κωλύειν : φημί « je reconnais » = οὐκ ἀρνοῦμαι «je ne nie pas» οὗ φημι «je ne reconnais pas » = ἀρνοῦμαι « je nie »

27. 1} faut mettre à part les cas où φημί, surtout lorsqu'il est en incise, introduit un propos, avec le sens « dire, affirmer ».

28

lere

PARTIE

- NEGATIONS

c. Le sens fort de certains tours negatifs: Le cas évoqué ci-dessus est relativement rare. Le plus souvent, les predicats admettent des degrés et l'opposition de deux contraires laisse place à une valeur intermédiaire. Ainsi, un caractère est plus ou moins bon, une volonté plus ou moins forte, une dimension plus ou moins grande, alors qu'un fait n'est que possible ou impossible??. Les contraires ne sont alors que des extrêmes. Entre «bon » et « mauvais », il y a «ni bon,

ni mauvais »; entre

terme négatif

« aimer » et «hair»,

il y a « être indifférent ».

valeur intermédiaire

terme positif

*

*

« mauvais »

« ni bon, ni mauvais »

« bon »

En principe, la négation d'un extréme n'équivaut pas alors à l'affirmation de l'autre extrême, mais doit avoir une signification plus large, donc plus faible. C'est bien toujours le cas pour la négation du póle négatif de l'opposition: - Οὐ κακός ἐστι «il n'est pas mauvais » peut correspondre aussi bien à «il n'est ni bon, ni mauvais » qu'à «il est bon ». Son sens est donc plus large et plus faible que celui de ἀγαθός ἐστι «il est bon »29, Mais ce n'est habituellement pas le cas pour la négation du póle positif : - Οὐκ ἀγαθός ἐστι «il n'est pas bon » équivaut habituellement à κακός ἐστι «il est mauvais ». Ainsi, un plat qui n'est pas bon est mauvais. De méme, quelqu'un qui n'est pas grand est petit; si je n'aime pas le chou, c'est que je déteste ce plat.. Ici, le tour négatif a la méme signification que le tour affirmatif à prédicat contraire, ce qui est inattendu. Cette anomalie peut étre imputée soit à la négation, soit au prédicat qu'elle accompagne.

On

l'impute à la négation en disant qu'elle a, dans οὐκ ἀγαθός ἐστι «il n'est pas bon», un sens contraire, et, dans où κακός ἐστι «il n'est pas

mauvais », un

sens

seulement

contradictoire.

Comme

cependant

on

a dans les deux phrases la méme négation, on admet qu'elle y a des fonctions différentes : - Dans où κακός ἐστι «il n'est pas mauvais », elle serait normalement négation de proposition, avec un sens normalement contradictoire.

28. La possibilité des degrés. 29. Mais

existe

ou

n'existe

en cas de litote expressive

30. Cf. Moorhouse,

pas.

Il faut la distinguer

de

la probabilité,

ce sens faible sert à signifier le sens fort.

1959, p. 6; Ducrot, 1973, pp. 125-7.

qui admet

CH. Il - EMPLOIS

DE οὐ

:

29

- Dans οὐκ ἀγαθός £c « il n'est pas bon », elle devrait son sens contraire à son emploi comme négation de mot, dans un combiné négatif οὐκ ἀγαθός « pas bon» = « mauvais ». Malheureusement deux observations contredisent cette analyse: - OÙ κακός «pas mauvais» semble pouvoir constituer un combiné négatif aussi bien que οὐκ ἀγαθός, par exemple dans «un garçon pas mauvais». Or ce combiné négatif a le sens faible, tout comme la proposition οὐ κακός ἐστι « il n'est pas mauvais ». - Entre les deux énoncés frangais «il n'est pas mauvais » et « il n'est pas bon », on n'observe pas de différence d'intonation. Il est donc trés improbable que la négation y ait des fonctions différentes. Ils ont donc tous deux soit une négation de mot, soit une négation Il en était sans doute de méme en grec ancien.

de

proposition.

Si donc la dissymétrie sémantique observée n'est pas imputable à des fonctions différentes de la négation, elle ne peut provenir que d'une dissymétrie entre les deux predicats ἀγαθός « bon » et κακός « mauvais ». Or les oppositions

de ce genre

ont

été décrites comme

des oppositions

binaires privatives, avec un terme marqué, qui est le póle négatif, et un terme non marqué, qui est le póle positif?!. On sait d'autre part que, si le terme sémantiquement marqué ne peut porter que la signification de sa marque, le terme non marqué, lui, peut avoir deux significations, une signification neutre (ou faible) et une signification polaire (ou forte). Ainsi :

- Κακός à

fait

« mauvais », terme

dénué

de

bonté ».

Par

marqué,

n'a qu'un sens privatif fort « tout

conséquent,



κακός

(ἐστι)

n'a

qu'une

signification possible, que la négation soit de mot ou de proposition. Et au sens fort de κακός « mauvais » correspond normalement le sens faible de où κακός « pas mauvais ». - ᾿Αγαθός « bon », en revanche, terme non marqué, a deux significations possibles. La premiere, qu'on appellera bon-/, neutre ou faible, est celle des énoncés évaluatifs. Ceux-ci en effet disent moins que le simple tour positif, méme s'ils contiennent un comparatif ou superlatif de supériorité. C'est pourquoi « je veux bien » a moins de force que « je veux »; un plat meilleur qu'un autre n'est pas nécessairement bon; quoique trés stable dans le sang, l'oxyde de carbone n'y est pas stable (car il est difficile, mais pas impossible de l'éliminer). La seconde signification, qu'on appellera bon-2, est celle des assertions catégoriques positives. Elles font apparaitre le sens polaire fort, en faisant de la bonté non plus un continuum admettant des degrés, mais le pôle qui s'oppose à la méchanceté.

31. Cf. Ducrot, 1973, pp. 125-7. Cette dissymétrie est confirmée en grec par l'opposition des noms abstraits dérivés: on a μέγεθος, πλῆθος, τάχος, pour les termes neutres, en face de μικρότης, ὀλιγότης, βραδύτης, pour les termes polaires. Cf. Ch. de Lamberterie, « Vitesse,

rapidité,

dans Lalies 7).

lenteur:

fonctions

suffixales

en

grec

classique » (étude

à paraitre

30

lere PARTIE - NEGATIONS

sens privatif

sens faible

« mauvais » *--- « bon-1 » -—--— * (absence de bonte) (bonte relative)

sens polaire «bon-2» (bonté absolue)

Le tour négatif «il n'est pas bon » est donc susceptible d'avoir deux significations différentes. - Le sens habituel est « il n'est pas bon-] », sens fort fondé sur le sens

faible bon-1. Il équivaut à l'affirmation du contraire. Ainsi, en Il. 15. 215, οὐδ᾽ ἐθελήσει peut être compris soit comme un combiné négatif, avec une négation de mot exprimant le sens privatif « refuser », soit avec une négation de proposition portant sur le sens faible « consentir » de ἐθέλειν. La protase aura le méme sens, que l'on comprenne « s'il doit refuser » ou «s'il ne doit pas consentir ». Il serait d'ailleurs étrange qu'il en füt autrement, dans la mesure oü le combiné négatif verbal est une création de la langue qui dérive de l'assertion négative. - Mais le tour négatif peut aussi, sous certaines conditions, prendre un sens faible fondé sur le sens fort bon-2 du prédicat nié. Il faut pour cela que le tour négatif rejette expressément l'assertion catégorique positive «il est bon», oü apparait ce sens fort. C'est ce qui se produit dans lemploi polémique de la négation, et aussi avec une négation quantitative. S'il contredit une opinion suggérée, l'énoncé « il n'est pas bon » prend une intonation particuliére: pause entre « pas » et « bon », accent sur «bon ». Il signifie alors «il est faux qu'il soit bon », et affirme donc que l'assertion «il est bon » est fausse. On peut alors ajouter « mais il n'est pas mauvais non plus » Cet emploi polémique de la négation a donc pour résultat d'aboutir à une affirmation moins forte?2. De méme, «rien n'est bon », dont la négation est quantitative, peut étre suivi de « mais tout n'est pas mauvais ». On a donc à nouveau dans un tel énoncé le sens fort bon-2. C'est que « rien n'est bon » signifie « il n'y a rien qui soit bon », et affirme donc que l'assertion « cela est bon » n'est vraie à propos de rien??. Il apparait donc que dans son emploi habituel non polémique, l'assertion négative « il n'est pas bon » n'est pas le simple rejet de l'assertion positive

32. Cf. Ducrot,

1973, pp. 125-7.

33. Il n'y a donc pas de négation quantitative en Odyssée 13 143-4, où .. σε... οὗ τι τίει signifie « ne te respecte pas en quelque chose », c'est-à-dire « te manque de respect » (avec le sens faible « respecter »), et non «ne t'honore en rien » (ce qui impliquerait

la négation quantitative et le sens fort « honorer »).

CH. II - EMPLOIS

DE où

31

«il est bon ». Ce point sera développé quand il sera question de l'emploi de οὐ comme négation de proposition. Cependant, ce comportement de la négation οὐ, qui comme le «ne..pas» du français, sélectionne normalement le sens faible du prédicat, l'oppose à la négation μή, qui, elle, sélectionne le sens fort, au moins avec certains modes, et en particulier avec l'indicatif. d. Le sens des tours négatifs avec μή: Selon l'analyse proposée ci-dessus, le verbe ἐθέλξιν « vouloir» a un sens faible consentir (comme dans « vouloir bien »), à cóté du sens fort désirer, avoir l'intention de. De méme le verbe ὑποδέχεσθαι « recevoir» a un sens faible accepter, ne pas repousser, et un sens fort accueillir. Avec la négation μή, au moins à l'impératif et à l'indicatif, c'est le sens fort qui est sélectionné. Il. 2. 247:

ἴσχεο, μηδ᾽ ἔθελς οἷος ἐριζέμεναι βασιλεῦσιν « Contiens-toi, et cesse de prétendre rivaliser tout seul avec les rois. »3° Il. 18. 398: ei μή μ᾽ Εὐρυνόμη te Θέτις θ᾽ ὑπεδέξατο «.. si Eurynomé et Thétis ne m’avaient recueilli. » À ce dernier exemple on peut opposer le suivant, où le combiné négatif οὐχ ὑποδέχεσθαι « repousser » (à partir de «ne pas accepter ») suit la négation de proposition Dém. 19, 74:

μή.

ei μὴ... οὐχ ὑπεδέξαντο «... s'ils ne l'avaient repoussé... » La méme différence de comportement entre μή et où s'observe lorsqu'ils constituent tous deux des composés négatifs adjectivaux (ou adverbiaux). C'est ce que montre l'opposition suivante. - Eschine Contre Timarque 194: Eschine accuse ses adversaires d'avoir vécu où καλῶς

« sans décence », c'est-à-dire de façon infáme.

Le combiné

négatif a un sens fort parce que où sélectionne le sens faible « avec décence » de l'adverbe καλῶς « honorablement ». - Soph. Ajax 1349: Ulysse demande à Agamemenon de ne pas se réjouir de leurs succès μὴ καλοῖς « non glorieux ». Ulysse n'a pas honte de succès auxquels il a contribué. Mais il ne les trouve pas vraiment glorieux. Le combiné négatif a un sens faible parce que μή sélectionne le sens fort « glorieux » de l'adjectif καλός « honorable ».

34. Voir ci-aprés

35. Μὴ

ἔθελε

sous C, 4.

apparaît

dans

trois autres

exemples

homériques:

Iliade

1 277,

5 440, 7 111.

Le sens est toujours « cesse de vouloir ». On a donc eu tort de l'assimiler au latin noli « veuille ne pas » (Wackernagel, 1928, pp. 262-3).

32

lere

PARTIE

- NÉGATIONS

Il est d’autre part remarquable que dans le passage du Sophiste oü l’Etranger veut montrer que la négation n’exprime pas le contraire, Platon emploie constamment des combinés négatifs avec μή. Ainsi, l'Étranger affirme que n μὴ μέγα «un objet non grand » renvoie aussi bien à τὸ ἴσον « le moyen » qu'à τὸ σμικρόν «le petit » (257 b). En revanche, dans le Philébe, οὐκ... μέγα qualifie un écart « pas grand », c'est-à-dire petit (66 b). De plus, l'Étranger dit τὸ μὴ ὄν pour «le néant », qui, selon lui, n'est pas le contraire de τὸ ὄν « l'être ». En revanche, Thuc. 2, 45, emploie τὸν οὐκ ὄντα pour opposer le mort au vivant. e. Conclusions

sur le « sens

contraire »:

L'analyse proposée ci-dessus conduit aux trois mises au point suivantes.

- Il n'existe pas de négation de sens contraire opposable à la négation de sens contradictoire. La négation où, comme « ne...pas » en français, a toujours le sens contradictoire. Mais ce sens coincide parfois avec le contraire, soit qu'il n'y ait pas de terme intermédiaire (cas de οὐκ ἐῶ), soit que le prédicat prenne avec où un sens faible (cas de οὐκ ἐθέλω). - L'emploi dans un combiné négatif, comme négation de mot, bien que laissant à la proposition une valeur positive, ne modifie pas autrement le sens de la négation (qu'il s'agisse de où ou de μή). Surtout, il n'y a pas alors passage d'un sens contradictoire à un sens contraire. Un tel changement de sens serait paradoxal. Ces combinés négatifs sont en

effet ce qu'on a appelé des dérivés délocutifs!5, c'est-à-dire des créations de la langue à partir de faits de parole. Ainsi οὐκ ἐθέλειν « refuser» dérive de οὐκ ἐθέλω « je ne veux pas». De méme, τὸ μὴ ὄν «le néant » dérive de 6 τι μή ἐστι. Le sens de tels combinés négatifs est nécessairement fixé par la proposition dont ils dérivent. - Les comportements sémantiques des négations grecques où et μή, là ou elles s'opposent, sont différents, qu'elles soient négation de proposition ou négation de mot. On l'a observé dans le cas où un prédicat peut avoir un sens faible, que sélectionne

μή. Il qu'on grand faible

où, et un sens fort, que sélectionne

en résulte pour les tours négatifs un rapport de valeurs inverse, peut rendre approximativement en francais en opposant « pas » (où μέγα), et «non grand » (μὴ μέγα). Le sens plus large et plus du tour avec μή sera justifié par l'étude des emplois de où et de

μή comme

négations

de proposition.

3. La négation partielle, phénomène Si le prétendu

syntaxique :

sens contraire ne permet pas de caractériser la négation

d'un combiné négatif, on peut penser que sa combinaison avec un mot de la proposition peut lui donner une portée limitée à ce mot. On parle alors de négation partielle, la proposition étant sentie comme globalement

36. Cf. Benveniste,

1966, pp. 277-285.

CH. II - EMPLOIS

DE où

33

positive. Mais pour identifier avec certitude une négation partielle, il importe de définir d'abord ce qu'est une négation de proposition et quelle est exactement sa portée. On pourra dès lors lui opposer diverses sortes de négations partielles. On verra enfin si celles-ci peuvent justifier le maintien de où dans des propositions où l'on attend μή. a. La portée de la négation de proposition: La négation de proposition est celle qui fait sentir la proposition comme négative. On montrera: - qu'elle ne porte pas sur la proposition tout entiére, mais seulement sur

sa

partie

essentielle,

contrairement

à

ce

que

suggére

son

autre

appellation de négation totale. - que la partie essentielle sur laquelle elle porte n'est pas le verbe, mais le propos, bien qu'elle ait tendance à se rapprocher du verbe. - La négation de proposition ne porte pas sur toute la proposition:

On traduit souvent la négation de proposition en faisant précéder une proposition positive de «il n'est pas vrai que...» ou «il est faux que... ». C'est là considérer toute négation de proposition comme réfutatrice et polémique. Or, de la négation polémique on peut distinguer une négation simplement descriptive. La négation descriptive conserve les postulats (ou présupposés) de assertion positive, ce que ne fait pas toujours l'assertion polémique. Tout comme «le chat de la voisine est noir», «le chat de la voisine n'est pas noir » postule que la voisine a un chat. En revanche, on peut dire «il n'est pas vrai que le chat de la voisine soit noir; car elle n'a pas de chat »?7. L'énoncé «il n'est pas bon», sans intonation polémique, est senti comme négatif, aussi bien que «il n'est pas mauvais ». Or on a vu qu'il n'a pas le méme sens que l'énoncé polémique «il n'est pas vrai qu'il soit bon ». Il y a donc une négation de proposition simplement descriptive qui ne

porte

pas

sur

toute

la

proposition,

mais

seulement

sur

sa

partie

essentielle. - La négation de proposition ne porte pas toujours sur le verbe: On a souvent considéré que la négation de proposition porte sur le nœud central que constitue la relation sujet / verbe. Plus précisément, elle porterait sur le syntagme verbal dont le contenu serait ainsi dissocié du contenu du sujet. Aussi tendrait-elle à se rapprocher du verbe, tendance qui n'est d'ailleurs pas toujours réalisée en grec?®. Mais on

37. Cf. Ducrot, 38. Moorhouse,

1972, p. 104. 1959, pp.

1-4 et chap.

IV. Cf. aussi Jespersen,

1917.

34

ière PARTIE - NEGATIONS

peut

trouver

des

négations

de

proposition

qui

ne

semblent

pas

porter

sur le verbe, et, inversement, des négations portant sur le verbe qui ne sont pas des négations de proposition. Les négations quantitatives rendent la proposition globalement négative, tout en ne portant pas spécialement sur le verbe. En effet, « personne ne te respecte » équivaut

à «il n'est pas un

homme

qui te respecte »°°.

La négation quantitative fait de la proposition une négation d'existence. Inversement, on trouve dans nos protases de type I un emploi de où qui

manifestement

porte

sur

le

verbe,

sans

constituer

nécessairement

un combiné négatif, alors que la proposition paraît globalement positive. Od. 13. 143.4: .. EL πέρ τίς σε... οὗ τι τίει... « si quelqu'un ne te respecte pas en quelque facon... » Cette protase équivaut à «s'il y a quelqu'un qui ne te respecte pas », avec un contenu propositionnel positif «il y a quelqu'un qui..». La négation est donc partielle. C'est que le verbe, tout en étant le centre syntaxique de la proposition, n'en est pas le centre logique. Le centre logique est l'indéfini τις qui fait de la proposition « quelqu'un ne te respecte

pas » une

affirmation d'existence.

- La négation de proposition

porte sur le propos

logique:

Le nœud central sur lequel porte la négation de proposition n'est donc pas le centre syntaxique, c'est-à-dire celui de l'articulation sujet / verbe, mais le centre logique, celui de l'articulation theme / propos. Le theme est traditionnellement défini comme ce dont on parle, c'est-à-dire ce qui dans l'énoncé est simple rappel sans valeur informative nouvelle et n'est donc pas ce qui fait l'objet de l'acte de parole. Le propos, appelé aussi rhéme, est ce qu'on en dit, c'est-à-dire ce qui fait l'objet de l'acte de parole. La négation de proposition doit porter sur l'ensemble du propos, qu'elle qualifie négativement. Dans la pratique, on peut identifier le propos d'un énoncé en imaginant la question à laquelle il répond, car elle contient déjà le théme. Ainsi, « Ulysse m'a outragé » peut étre une réponse à « Que t'a fait Ulysse? ». Le propos est alors « m'a outragé ». Mais cet énoncé peut aussi répondre, avec une intonation différente, à « Qui t'a outragé ? ». Le propos est alors « Ulysse » (qui porte l'accent d’enonce). Quant à l'énoncé « Quelqu'un m'a outragé », il répond normalement à la question « Qu'est-il arrivé? », et la proposition

est alors

tout entiére

propos,

sans

théme

exprimé.

On

voit donc que le propos logique n'est réservé à aucun des termes syntaxiques de la proposition, bien que le cas le plus fréquent, avec l'intonation la plus banale, soit celui oü le groupe verbal est le propos. 39. Cf. Wackernagel, 1928, p. 270; Moorhouse, 1959, p. 10. Mais Jespersen, 1917, pp. 56-7, fidéle à sa définition de la négation « nexal » comme négation du verbe, considere que les négations

quantitatives

sont des « special negatives ».

CH. II - EMPLOIS

DE où

35

En illustration, voici deux avec une négation de propos lui. On a la forme μή attendue s'agit de protases de type II. Od. 1. 289: ei δέ κε τεθνηῶτος ἀκούσῃς « Mais si tu apprends qu'il Dem.

«Si

protases (dont lune n'est pas homérique) détachée du verbe et ne portant pas sur pour une négation de proposition, puisqu'il

μηδ᾽ ἔτ᾽ ἐόντος est mort et non qu'il est vivant... »

21, 109:

un

homme

se sert de sa richesse

non

pour

aider l'état (μὴ ἐπὶ

ταῦτα ἐν olc...), mais pour... » Dans les deux exemples, ce n'est pas le verbe qui apporte l'information essentielle, mais un complément. C'est pourquoi ce complément est présenté sous deux formes contradictoires, dont l'une est donc négative (la seconde dans l'exemple de lOdyssée, la premiére dans celui de Démosthéne). En frangais, le tour «c'est que » permet de détacher le propos: «Si ce que tu apprendras, c'est qu'il est mort, et ce n'est pas quil est vivant » ; « Si l'usage qu'il fait de sa richesse, ce n'est pas d'aider l'état, mais c'est de... » - La négation de propos

tend à se placer devant le verbe:

Pour Jespersen, 1917, p. 44, la négation de proposition (pour lui « nexal »), porte sur le verbe et en anglais se place prés de lui. Mais, par une sorte d'analogie, la négation partielle (pour lui « special »), qui devrait être éloignée du verbe, est souvent transférée auprès de lui, bien qu'elle porte sur une autre partie de la proposition. Il l'illustre par un exemple qui serait en français « Nous ne sommes pas ici pour dire des bétises ». Selon le contenu de

lui, dans cette phrase, la négation ne saurait dissocier «nous» du contenu de «sommes ici». Ce serait un

illogisme, car nous ne pouvons étre qu'ici! Le sens est donc « Nous sommes ici non pour dire des bétises », ce qui implique pour Jespersen une négation partielle, portant sur le complément de but, mais transférée auprés du verbe. Ce type d'analyse a souvent été à l'origine d'une explication syntaxique du prétendu sens contraire. En voici trois exemples pour le grec: - Οὐκ ἔστι καλός « il n'est pas beau » contiendrait une négation partielle et viendrait, par transfert, de où καλός

- ἐστι « il est - non

beau ».

- Οὐκ ἐθέλω... « je ne veux pas que... » viendrait de méme, par transfert, de ἐθέλω μὴ... «je veux que... ne..pas ». - Οὗ φημι...« je nie que..» viendrait, aussi par transfert, de φημὶ οὐ... « je dis que... ne... pas »*. Cette

explication

doit étre rejetée pour

- Le sens de ces tours négatifs

40. Cf. Wackernagel, non οὐκ ἐθέλω.

peut

1928, pp. 262-3. Moorhouse,

les raisons

étre expliqué,

suivantes:

sans transfert de

1959, p. 8, explique ainsi οὗ φημι, mais

lère

36

PARTIE

- NEGATIONS

négation, à partir d'un sens faible du prédicat, que ce sens faible s'oppose ou ne s'oppose pas (cas de φημί) à un sens fort (voir ci-dessus sous 2). - Pour tirer οὐκ ἐθέλω de ἐθέλω μὴ..., il faut non seulement un transfert, mais aussi un changement de négation. Il faut passer de la négation partielle μή à la négation apparemment propositionnelle od. C'est d'autant plus paradoxal que c'est en tant que négation partielle que ce où est ensuite censé se maintenir devant ἐθέλειν dans les propositions où l'on attend μή. - Il est difficile d'admettre la création des combinés négatifs οὐκ ἐθέλειν « refuser », οὐ φάναι « nier » si la négation ne se trouve devant ces verbes, sur lesquels elle est censée ne pas porter, qu'à la suite d'un transfert. Mais la principale objection à toute explication par un transfert de négation partielle est que l'analyse de Jespersen qui la fonde est fausse. La phrase « Nous ne sommes pas ici pour dire des bétises » est sentie comme globalement négative. Elle a donc une négation de proposition, bien que celle-ci ne porte pas sur le verbe, mais sur le complément de but, qui est le propos de l'énoncé («Si nous sommes ici, ce n'est pas pour dire des bétises »). | Or le verbe, centre syntaxique de la proposition, porte normalement les modalités du propos, qu'il en fasse partie ou non. Ainsi le souhait « Puissions-nous étre ici pour faire avancer la science!» porte sur le propos extérieur au verbe « pour faire avancer la science ». Nous ne

pouvons en effet souhaiter étre ici, oà nous sommes déjà! Et pourtant le souhait est exprimé syntaxiquement dans le verbe. De la méme façon, il n'y a pas transfert de négations partielles vers le verbe, mais tendance pour la négation de propos à s'attacher au verbe, méme lorsqu'il est hors de sa portée. Cette tendance s'observe méme en grec ancien, où pourtant la place de la négation est plus libre qu'en anglais ou frangais. Il. 4. 160-1:

Εἴ rep γάρ τε kai αὐτίκ᾽ Ὀλύμπιος οὐκ ἐτέλεσσεν, £x TE καὶ ὀψὲ τελεῖ... « Car même si l'Olympien ne réagit pas tout de suite, il a pourtant l'habitude de réagir, même plus tard. » La négation de la protase ne peut porter sur le verbe étéAgooev, avec un

aoriste

d'expérience,

car alors elle contredirait

l'affirmation

τελεῖ de

l'apodose (avec un présent de vérité générale). Quoiqu'elle précède ἐτέλεσσεν, elle porte sur l'adverbe αὐτίκ᾽ «tout de suite», qui est le propos de la protase. En opposant αὐτίκ᾽... οὐκ «ne … pas... tout de suite » et ὀψέ « plus tard », protase et apodose ne se contredisent pas, mais sont complémentaires, l'apodose corrigeant l'impression qu'on pourrait tirer de la protase. b. Les négations

partielles dans les protases:

Si la négation de proposition est une négation portant sur l'ensemble du propos, les négations partielles se définiront comme des négations

CH. II - EMPLOIS

DE οὐ

37

ne portant pas sur l'ensemble du propos. Trois possibilités se présentent: - Une négation partielle peut porter sur l'ensemble ou une partie du theme. Ainsi, l'énoncé «Il ne dépense pas sa fortune pour pouvoir la léguer à ses héritiers », dans son acception la plus naturelle, postule « il ne dépense pas sa fortune» (théme), et pose «c'est pour pouvoir la léguer à ses héritiers » (propos). C'est le théme qui est négatif, et la négation est une négation partielle. Le propos, c'est-à-dire la proposition, est positif. La preuve en est que dans un dialogue on ne contredira pas un

tel

énoncé

en

disant

«si»

(qui

contredit

une

négation),

mais

en

disant, par exemple: « Non, c'est pour faire une donation ! » - Une négation partielle peut aussi porter sur une partie seulement du propos. Ce cas est illustré par l'exemple de l'Odyssée 13. 143-4 évoqué plus haut. L'assertion d'existence « Quelqu'un ne te respecte pas » (= « Il y a quelqu'un qui..») est en effet tout entière propos (sans theme exprimé). La négation, qui ne porte que sur le verbe, laissant hors de sa portée l'indéfini existentiel, est une négation partielle. La proposition est sentie comme affirmative. On la contredirait en disant : « Non, personne ne me manque de respect. » - La troisiéme possibilité est celle des combinés négatifs, cas particulier des cas précédents, où la négation partielle s'associe à un mot pour former un mot nouveau. En particulier, dans le tombiné négatif verbal, même si le verbe fait partie du propos, la négation ne porte plus sur le propos proprement dit. Il. 20.

138-9:

Ei δέ κ᾿ Ἄρης... ἢ Φοῖβος ᾿Απόλλων ᾽Αχιλῆ᾽... οὐκ εἰῶσι μάχεσθαι « Mais si Arès et Phébus Apollon... empêchent Achille de combattre... » Dans cette protase de type II (subjonctif), l'emploi de οὐκ signale un combiné négatif. Οὐκ ne porte donc pas sur un propos qui serait ᾿Αχιλῆ᾽ εἰῶσι μάχεσθαι « laissent Achille combattre », mais seulement sur le verbe ἐᾶν « laisser », d'ou οὐκ ἐᾶν « ne pas laisser » = « empêcher ». La négation est alors intérieure à une partie du propos positif. De ces trois cas de négation partielle, le premier n'est pas représenté dans les protases homériques. Le second n'apparait que dans un exemple (Od. 13. 143-4) du type I, où la négation où est admise comme négation de proposition. C'est seulement pour le troisiéme cas qu'est attesté, dans des combinés négatifs verbaux, le maintien de où là où la négation de proposition serait μή (type ID). Mais il s'agit d'un cas extrême où la négation partielle devient négation de mot. Il n'est donc pas certain que le simple phénoméne syntaxique de la négation partielle suffise à maintenir où là où l'on attend μή. En attique, on observe de méme le maintien de où dans un combiné négatif verbal (par exemple où φάναι, voir sous 2, b). On l'observe aussi dans un combiné négatif adjectival de sens fort, à l'intérieur d'une protase de type IV.

38

lere PARTIE

Lysias

- NEGATIONS

13, 62:

ei μὲν où πολλοὶ ἦσαν « S'ils étaient peu nombreux... » En effet le combiné où πολλοί a le sens fort de ὀλίγοι « peu nombreux, rares » qui est le contraire de πολλοί « nombreux ». Ainsi, au terme de cette étude des emplois de où comme négation de constituant dans les protases homériques, on ne peut que minimiser l'importance de cet emploi. Il ne peut justifier le choix de où que dans des combinés négatifs, et, chez Homére, uniquement dans les combinés verbaux οὐκ ἐᾶν « empêcher » et οὐκ ἐθέλειν « refuser ». On en a rencontré au plus cinq exemples. Sont sürs les trois exemples qui relévent du type II (deux dans une protase aprés ei: Il. 3. 289 et 20. 129; un dans une relative: Il. 15. 492). Les deux autres exemples, dans des protases de type I (Il. 4. 55 et 15. 215) peuvent aussi bien recouvrir des emplois normaux de où négation de proposition. Il reste en effet neuf exemples appartenant à ce type où la négation où n'est pas une négation de mot, méme si dans un de ces exemples (Od. 13. 143-4) elle est une négation partielle parce qu'intérieure au propos. ll y a donc au moins huit exemples où la négation οὐ est propositionnelle.

C. Où NÉGATION

DE PROPOSITION

Ni survivance, ni entrainé analogiquement par la présence de l'indicatif, l'emploi de ob comme négation de proposition dans les protases de type I a une signification propre. Il sert à marquer une assertion comme négative,

ce

qui

implique

que

les

protases

de

type

I expriment

une

hypothése d'assertion. L'assertion ainsi marquée comme négative n'est pas habituellement la négation d'une assertion positive. Elle signifie qu'une certaine représentation, contenu de l'énoncé, est rejetée au nom d'un point de vue de vérité, source de l'énoncé. 1. L'emploi de οὐ n'est pas une survivance: Il a souvent été enseigné que l'emploi de μή en protase est une innovation du grec, que μή y a peu à peu supplanté οὐ, d'abord dans les protases au subjonctif et à l'optatif (types II et III). En effet, considérée comme volontative et prohibitive, la négation μή se serait introduite dans ces protases à la faveur d'un sens de souhait ou de volonté que pouvait leur conférer le mode subjonctif ou optatif*'. I] y aurait eu ensuite une

4]. Voir ci-aprés, chap.

III, A, 1.

CH. II - EMPLOIS

DE où

39

extension analogique aux protases à l'indicatif, extension inachevée dans la langue homérique. Cette théorie s'appuie sur les faits suivants: - Les autres langues indo-européennes emploient habituellemnt dans l'hypothèse une négation correspondant à où. On a yadi na en sanscrit,

yezi nóit en avestique, si non en latin*? - En

grec

méme,

on

observe,

en tout cas à partir du

troisiéme

siécle

avant J.-C. une extension des emplois de μή au détriment de ceux de 009. On en conclut que μή a commencé à se substituer à où beaucoup plus tót, en particulier dans les protases. Mais c'est ne pas tenir compte de la spécificité de la syntaxe des négations en grec et de son histoire: - D'une part, l'opposition grecque de οὐ et de μή n'est pas nécessairement identique aux oppositions de négations observables dans d'autres langues indo-européennes. En tout cas, elle ne semble pas correspondre exactement à celle du latin entre non (qu'on rapproche de οὐ) et de né (qu'on rapproche de un). En particulier, μή n'a pas seulement des emplois prohibitifs. C'est pourquoi, son emploi dans les protases n'a pas été nécessairement introduit par des valeurs de volonté ou de souhait. - D'autre part, on peut difficilement imaginer une extension analogique de μή avant la langue homérique, ni à l'époque homérique. Jusqu'en attique en effet, l'opposition de où et de μή est en général bien marquée. Chez Homere, elle est plutót sémantique. En attique, elle commence à dépendre de constructions syntaxiques. C'est à partir de là que certains emplois ont pu être systématisés, au profit de μή, l'opposition sémantique s'étant affaiblie. Le

cas des

protases

de

type

I est caractéristique

de cette

opposition

demeurée vivante jusqu'à l'époque classique. En attique, où est encore employé comme négation de proposition dans des protases de type I (voir chap. I, C). Chez Homére, les négations s'équilibrent dans le type I. En revanche, dans le type. IV, qui a aussi le mode indicatif, μή est uniquement et massivement employé. Ce n'est donc pas la présence d'un indicatif qui aurait entrainé une plus longue résistance de ov. 2. L'emploi

de où n'est pas lié à celui du mode

indicatif:

L'indicatif admet plus souvent μή que où en protase, si l'on prend en compte le type IV. D'autre part,il n'est pas vrai que les modes subjonctif et optatif n'admettent en protase que la négation ur“. Déjà, Lange, 1872, p. 491-2, estimait que, si le cas s'était présenté, o0 aurait été employé dans une protase homérique à l'optatif avec particule modale. Il entendait sans doute par là un optatif assertif, ce qu'est effectivement l'optatif avec 42. Cf. Gonda,

1956, p. 203.

43. Cf. Wackernagel, 44. Contra:

Monro,

1928, p. 281. 1882, p. 261;

Hale,

1901, pp.

109-23.

4

lere PARTIE - NÉGATIONS

particule en attique (assertion conditionnée ou de possibilité), mais pas toujours chez Homère. Or un tel exemple s'observe justement en attique. Plat. Men. 91 d: τέρας λέγεις, εἰ... οὐκ ἂν δύναιντο λαθεῖν... ἀποδιδόντες... « Tu dis une chose étrange, si (tu dis qu) ils ne pourraient pas passer inaperçus s'ils rendaient... » En frangais, une telle protase n'est pas traduite avec un imparfait comme les protases de type III (ei ἔλθοις «si tu venais »). Il y faut la forme en -rais. Celle-ci est en effet possible aprés un si d’hypothese. Racine Phedre 2, 5: « Ou si d'un sang trop vil ta main serait trempée » (il faut sous-entendre «si tu me frappais toi-méme »). Ces protases sont en fait des protases de type I, qu'on ne définira donc plus par le mode indicatif en grec. D'ailleurs, on a vu que l'indicatif secondaire n'y correspond pas toujours à ce type, mais peut relever du type IV, qui exclut l'emploi de où. Ce qui fait l'originalité des protases de type I, quel que soit leur mode, c'est d'admettre la négation οὐ, parce qu'elles font porter l'hypothése sur une assertion, c'est-à-dire un jugement. Il en résulte que dans ces protases ei «si» peut étre développé en «si x dit ou estime que ». Ainsi l'exemple de Platon ci-dessus est le plus naturellement traduit par « si tu dis que... ». L'exemple paralléle de Racine signifie exactement « si tu estimes que... ta main serait trempée ». L'indicatif n'est que le mode le plus usuel de l'assertion, que peut aussi exprimer l'optatif grec avec äv ou le conditionnel frangais. 3. L'hypothése

d’assertion:

La possibilité de l'emploi de οὐ, négation assertive, est donc ce qui caractérise le mieux les protases de type I. Avec leurs apodoses, elles constituent un systéme hypothétique original signifiant que si l'on affirme la protase, il faut aussi énoncer l'apodose. Ainsi Il. 4. 160-1 signifie que si l'on admet l'assertion «il arrive à l'Olympien de ne pas réagir tout de suite», il faut dire aussi: «il a l'habitude de réagir, méme plus tard ». L'assertion de la protase implique qu'on énonce l'apodose. Un tel systéme hypothétique n'établit pas une relation entre deux faits (implication matérielle), mais entre deux actes de parole. En énongant cet avis sur le róle justicier de Zeus l'Olympien, Agamemnon n'assume pas de façon indépendante l'assertion de la protase. Il affirme seulement que cette assertion ne va pas sans celle de l'apodose, qui corrige l'impression pessimiste, peut-étre impie, qu'on pourrait tirer de la premiére assertion. C'est pourquoi on ne peut nier la valeur hypothétique d'une telle protase^. Méme lorsque la vérité de la protase parait, comme

45. Cf. Vairel,

1982.

CH. II - EMPLOIS

DE οὐ

4

ici, bien établie, son introduction après εἰ « si» suspend momentanément sa prise en charge par le locuteur. Cette assertion hypothétique est habituellement suggérée au locuteur par la situation où il se trouve, par ce qu'il sait, c'est-à-dire par l'information dont il dispose, laquelle est souvent indiquée dans le contexte précédent. C'est pourquoi une telle protase est souvent antéposée à l'apodose, faisant suite à un contexte qui suggère, sans vraiment l'imposer, l'assertion qu'elle introduit. C'est d'ailleurs le cas de toutes les protases homériques de type I avec οὐ. 4. L'assertion négative : Il a été établi que la négation de proposition ne porte pas sur toute la proposition, mais seulement sur ce qui en constitue le propos. La négation

pose

négativement

un

propos,

constituant

une

information

négative, laquelle est la traduction d'une expérience négative. Mais, partant de l'idée que l'expérience n'est que la réception de stimuli sensoriels, on a souvent considéré qu'elle ne peut pas étre négative. Ainsi Bergson écrivait: « Quand je dis: «cette table est noire », c'est bien de la table que je parle: je l'ai vue noire, et mon jugement traduit ce que j'ai vu. Mais si je dis: « cette table n'est pas blanche », je n'exprime sûrement pas quelque chose que j'aie perçu, car j'ai vu du noir, et non une absence de blanc. Ce n'est donc pas, au fond, sur la table elle-même que je porte ce jugement, mais plutót sur le jugement qui la déclarerait

blanche. je juge un jugement, et non la table »*. Cette idée d'une dissymétrie entre l'affirmation, qui décrirait un objet, et la négation, qui décrirait un jugement, est contestable pour deux raisons : - D'une part, l'énoncé positif peut lui aussi porter sur un jugement. C'est le cas lorsqu'il confirme, avec une intonation spéciale, un énoncé qui a été mis en doute. « Cette table est noire » équivaut alors à « Cette table est bien noire, malgré vos doutes ». - D'autre part, la négation n'est pas toujours réfutatrice ou polémique. Elle n'infirme pas toujours un jugement. Ducrot, 1972, p. 38, admet l'existence d'une négation descriptive, par exemple dans « Il n'y a pas un nuage au ciel ». Affirmation et négation descriptive sont donc symétriques, traduisant directement une expérience, et s'opposant au couple paralléle constitué par la confirmation et l'infirmation. C'est que l'expérience n'est pas la simple réception passive de stimuli sensoriels. Elle est orientée par les structures du vocabulaire et par l'état d'esprit du locuteur. Dans une circonstance donnée, avec un vocabulaire donné, je m'attends à percevoir quelque chose qui réponde au vocabulaire dont je dispose. L'expérience négative n'est alors rien d'autre qu'une attente déçue. 46. L'évolution créatrice (77€ édition),

Paris

PUF

1948, p. 247.

42

lére PARTIE - NÉGATIONS

Si, avec un prédicat de couleur, la négation est généralement sentie comme réfutatrice, c'est que notre vocabulaire nous permet de distinguer toute une palette de couleurs. Placés devant une table ou un mur, nous ne nous attendons pas à voir du blanc, mais une quelconque des couleurs pour lesquelles nous disposons d'un nom et que nous pouvons identifier. Mais imaginons un locuteur trés daltonien pour qui seule la couleur blanche soit identifiable. Il pourra décrire ce qu'il voit en disant « Ce mur n'est pas blanc ». Ce serait aussi le cas pour un locuteur dont la langue ne contiendrait que « blanc » comme terme de couleur. De tels locuteurs nous informeraient que ce qu'ils voient n'a pas la couleur qu'ils peuvent nommer. Il n'y aurait dans leur assertion négative aucune intention réfutatrice. 5. De l'expérience à l’assertion : Méme dans le cas de l'assertion positive « Cette table est noire », le jugement porté ne traduit pas exactement ce qu'on a vu, contrairement à ce qu'affirme Bergson. Quelqu'un d'autre, face au méme objet, jouissant d'une acuité visuelle semblable, pourra parler d'un bureau et dire qu'il est d'un brun sombre. C'est que deux facteurs de distorsion interviennent lorsqu'on passe de l'expérience à l'assertion. - D'une part, l'expérience repose sur une perception infiniment complexe. Le vocabulaire qui l'oriente est, lui, plus ou moins riche, mais toujours moins riche que la perception. On ne peut nommer toutes les nuances de couleur perceptibles, ni toutes les formes de table. On ne voit pas du noir, car il n'y a pas du noir, mais une infinité de noirs. - D'autre part, tout en étant infiniment complexe, la perception est cependant toujours fragmentaire et partielle. Elle n'est donc pas totalement contraignante et le locuteur est en fin de compte amené à faire un choix plus ou moins subjectif. On ne voit pas du noir, mais quelque chose qu'on décide d'appeler noir. Les conditions de l'assertion sont donc trés différentes de celles de la proposition logique. En logique, toute l'information est donnée et employée dés le départ et une fois pour toutes: elle est finie. C'est pourquoi la proposition logique ne peut étre vraie à un instant, fausse plus tard, vraie pour l'un, fausse pour l'autre. Le locuteur qui affirme ou nie, quant à lui, dispose d'une information partielle et changeante, qui l'améne à prendre parti. Il en résulte que l'assertion, tout en prétendant décrire le réel, qu'elle soit affirmative ou négative, fait doublement appel à la faculté d'imagination. - D'une part, elle implique que le locuteur se soit donné une certaine représentation de ce qu'il décrit, représentation liée aux structures de son vocabulaire et à ses attentes. - D'autre part, elle implique un choix subjectif parmi les données informatives, c'est-à-dire l'adoption d'un point de vue de vérité. Ce traitement subjectif est particulierement net dans une assertion catégorique comme

CH. II - EMPLOIS

DE où

43

καλός ἐστι «Il est beau ». Car, en fait, on ne peut avoir perçu qu'un assemblage de formes et de proportions, lequel est soumis à l'appréciation subjective du locuteur. Mais celle-ci est aussi à la source d'une assertion qui, comme « Cette table est noire », paraít objective. 6. Les

deux

éléments

constitutifs

de l'assertion :

L'assertion négative peut donc étre comprise comme le résultat d'un conflit dans l'information. Pour l'illustrer, voici comment peut être expliquée l'assertion οὐ καλός ἐστι « Il n'est pas beau ». - De premiers éléments d'information, l'état d'esprit du locuteur, la structure de son vocabulaire, lui ont suggéré la représentation, dans l'objet considéré, d'un degré quelconque, existentiel, de beauté. Cela peut étre traduit approximativement, sous une forme d'attente, en: « Existe-t-il en lui un certain degré de beauté ? » - D'autres éléments d'information, s'opposent, d'une façon quelconque, aux précédents. Le locuteur fait un choix en leur faveur. Il les désigne comme constituant le point de vue de vérité qu'il adopte dans une assertion qui contredit la représentation existentielle suggérée par les premiers

éléments d'information. Du fait de ce choix, on passe d'une information existentielle et particuliére à une assertion catégorique et universelle. On sait en effet, depuis Aristote, que la négation de l'existence particuliére d'un prédicat équivaut à l'affirmation universelle du prédicat contraire. C'est pourquoi, quand la négation est descriptive, « Il n'est pas beau », c'est-à-dire « Il n'existe pas en lui de degré de beauté », équivaut à «Il est laid »*". Ce passage du particulier à l'universel se produit aussi dans l'affirmation catégorique « Il est beau ». Pour l'énoncer, il faut en effet faire un choix en faveur d'observations particuliéres. Celles-ci ne peuvent révéler qu'un certain degré de beauté. Cette perception existentielle est universalisée par l'assertion « Il est beau », c'est-à-dire « Il a tous les degrés de beauté ». Dans l'assertion évaluative « Il est assez beau », la relativité de l'observation est préservée. Mais si alors le locuteur n'opére pas un choix exclusif dans les données de l'expérience, leur évaluation lui est personnelle. Elle est méme souvent subjectivement orientée, comme le montre l'opposition de peu et de un peu. Même en ce cas, les données de l'expérience sont gauchies par l'assertion. L'assertion négative n'est donc qu'un cas favorable où apparaît plus nettement un phénomène général à savoir la double fonction de l'information dans l'assertion.

47. En logique beau»

moderne,

équivaudrait

la formule signifiant « Il n'est pas de degré x tel que y à « pour tout degré

48. Cf. Ducrot, 1972, pp. 191-220.

x, y n'est pas x-beau ».

soit x-

44

lére PARTIE

- NÉGATIONS

- D'une part, l'information est, avec le vocabulaire (qui en fait partie), ce qui suggére le contenu de lénoncé. Ce contenu est habituellement une représentation existentielle, c'est-à-dire l'image mentale d'un prédicat appliqué au référent d'un sujet, dans une circonstance donnée. Mais parfois, le contenu de l'énoncé est une autre assertion. On a alors un énoncé sur un énoncé. C'est en ce cas que la négation est polémique. «Il n'est pas beau» signifie alors « Il n'est pas vrai qu'il soit beau », et non « Il est laid ». . - D'autre part, dans l'assertion, l'information est aussi, avec des restrictions et des préférences, à la source du jugement et de l'énoncé. Ce traitement subjectif de l'information constitue le point de vue de vérité adopté par le locuteur*?. 7. La négation assertive où dans les protases de type I: L'analyse

précédente

peut

étre

appliquée

aux

assertions

négatives

introduites par des protases de type I. Il faut cependant préciser que ces assertions demeurent hypothétiques et imaginaires, puisqu'elles ne sont pas assumées par le locuteur. Cela signifie que le locuteur n'adopte pas pour son compte, au moment où il parle, le point de vue de vérité qu'il désigne dans ces assertions. On peut distinguer plusieurs cas, selon que l'expérience est plus ou moins contraignante. Elle est trés contraignante en IL 4. 160 déjà évoqué, ou l'assertion hypothétique est « L'Olympien ne réagit pas (toujours) immédiatement ». On peut l'analyser ainsi: - D'une part, le róle justicier et la puissance de Zeus suggérent une représentation existentielle « Zeus punissant immédiatement les méchants ». - D'autre part, on a observé des cas oü un méchant n'a pas été immédiatement puni. C'est cette expérience qui est désignée comme le point de vue de vérité de l'assertion hypothétique. Ce point de vue, Agamemnon ne l'adopte pas expressément, et il exige qu'il soit assorti d'un point de vue de vérité complémentaire qui, sans le contredire, corrige l'impression qu'il pourrait donner. Dans d'autres exemples, l'expérience laisse plus libre le choix d'un point de vue de vérité. Od. 19. 85: Ei δ᾽ ὁ μὲν... οὐκέτι νόστιμός ἐστιν « Et si (tu pretends que) cet homme. ne peut plus revenir... » - D'une part, l'attente des gens d’Ithaque et l'absence de mauvaise nouvelle effective suggerent la representation existentielle « Ulysse rentrant chez lui ». 49. La Grammaire

de

Port-Royal

symbolise

le point

de

vue

au

moyen

de

la copule

étre.

Ainsi, « Richard fredonne » est analysé en « Richard est fredonnant », expression d'un jugement

sur la representation

de Richard fredonnant.

CH. II - EMPLOIS

DE οὐ

45

- D'autre part, la trop longue durée de l'absence permet, sans l'imposer, d'adopter un point de vue de vérité oà Ulysse n'est plus attendu. C'est justement Ulysse qui parle, sous un déguisement, et, s'il imagine cette assertion, c'est qu'il la préte à Pénélope. On peut méme imaginer une assertion contredisant l'expérience commune. Od. 2. 274: Ei δ᾽ où κείνου γ᾽ ἐσσὶ γόνος καὶ Πηνελοπείης « Mais si (l'on me dit que) tu n'es pas le fils de cet homme, et de Pénélope... » - D'une part, Télémaque est habituellement représenté comme étant le fils d'Ulysse. - D'autre part, l'attitude pusillanime de Télémaque suggère actuellement un point de vue contradictoire. Athéna, sous l'apparence de Mentor, n'imagine une telle assertion que pour piquer l'amour propre de Télémaque. Mais peut-étre a-t-on ici une négation polémique, avec le sens «il n'est pas vrai que tu sois le fils d'Ulysse ». En effet, on peut penser que n'est pas contredite ici une simple représentation existentielle, mais une opinion. La position initiale de où dans la protase est un argument en faveur de cette interprétation.

D. CONCLUSION

SUR

LES

EMPLOIS

DE où

Trois emplois différents de où ont été identifiés. 1. Négation

descriptive:

L'emploi le plus normal est celui de l'assertion négative descriptive. Il traduit un conflit entre un point de vue de vérité et une représentation existentielle. Ces deux éléments de l'assertion de réalité sont tirés de l'information, c'est-à-dire de l'univers de discours. Mais tous deux résultent en méme temps d'une construction de l'esprit, le locuteur n'étant pas un récepteur passif. On ne peut donc se donner une représentation du réel, ni adopter un point de vue sur celle-ci, sans faire aussi appel, dans une certaine mesure, à la faculté d'imagination.

2. Négation partielle : L'emploi de oó comme négation partielle, et en particulier comme négation de mot, dérive du précédent. Οὐκ ἐθέλειν «refuser» est un dérivé delocutif de οὐκ ἐθέλω «je ne veux pas». En effet οὐκ ἐθέλειν, c'est

«dire:

οὐκ

ἐθέλω»,

de

méme

qu'en

Salut ! », et non « accomplir le salut »°°. 50. Cf. Benveniste,

1966, p. 278.

latin

salutare,

c'est

« dire:

46

lere PARTIE - NEGATIONS

Ici encore, les faits linguistiques contredisent l’opinion de Bergson qui refuse à la négation «tout pouvoir de créer des idées sui generis, symétriques de celles que crée l'affirmation et dirigées en sens contraire »°!. C'est un point de vue de logicien, non de linguiste. Dans une langue donnée, non seulement le lexique contribue à la formation des énoncés (on ne parle donc pas seulement en fonction de ce qu'on voit), mais, inversement, les énoncés, positifs ou négatifs, qui schématisent ce qu'on voit, contribuent à la formation du lexique. 3. Négation

polémique:

Dans son emploi polémique, où tend à se placer au début de la proposition. Cet emploi s'observe en particulier lorsque où porte sur un ensemble de deux assertions. Dém.

18, 179:

Οὐκ εἶπον μὲν ταῦτα, οὐκ ἔγραψα δέ. «il n'est pas vrai que d'une part j'aie fait cette proposition, que d'autre part je ne l'aie pas rédigée. » Démosthéne nie ici que les deux propositions « J'ai fait la proposition » et « Je ne l'ai pas rédigée » soient vraies ensemble. C'est que la conjonction des deux propositions représente l'opinion de ses adversaires. Le où polémique traduit donc un conflit d'opinions, c'est-à-dire de points de vue de vérité. L'emploi polémique n'est donc qu'un cas particulier de la négation de proposition. C'est celui oü elle n'exprime pas seulement le rejet d'une représentation existentielle, mais aussi d'un point de vue de vérité, c'està-dire de toute une assertion, ou méme de deux ou plusieurs assertions. En ce cas, la portée de la négation est la proposition tout entiére (ou les propositions). Ainsi s'expliquent les différences sémantiques que l'on peut observer entre lemploi descriptif et l'emploi polémique. Outre le fait que la négation

polémique

peut

porter sur deux

propositions,

elle met

sous sa

portée des éléments du théme, qui ne sont pas posés, mais postulés. Aussi permet-elle, contrairement à la négation descriptive, de ne pas conserver les postulats de la proposition positive. Surtout, contrairement à la négation descriptive, elle ne produit pas une orientation subjective opposée à celle de la proposition positive correspondante. On l'a vu dans l'opposition de « Il n'est pas beau » (=« Il est laid ») et de «Il n'est pas beau» (= «Il est faux qu'il soit beau »). On peut l'observer aussi dans l'opposition de « Il n'est pas assez fort » (= «Il lui manque de la force »), et, avec négation polémique, de «Il n'est pas assez fort, il est trop fort ». Mais lorsqu'est moins marquée la schématisation qui fait passer d'une représentation existentielle à un

51. L'évolution créatrice (voir n. 46), p. 289.

CH. II - EMPLOIS

DE οὐ

47

point de vue de vérité, on n'obtient pas une difference sémantique sensible. C'est le cas en Od. 2. 274 où « tu n'es pas fils d'Ulysse » semble valoir « il est faux que tu sois le fils d'Ulysse » (voir ci-dessus sous C, 7). Le où descriptif et le οὐ polémique diffèrent donc par la nature de ce sur quoi ils portent, qui est le contenu de l'énoncé. Mais ils ont méme source, à savoir un point de vue de vérité. Ils ont donc tous deux, malgré

le caractére

subjectif de ce point

de vue, prétention

à dire

le vrai en

rejetant le faux??. Cette prétention à décrire l'univers de discours commun aux interlocuteurs est celle de toute assertion. Elle échoue en cas de mensonge ou d'erreur: - H y a mensonge lorsque le point de vue de vérité réel n'est pas celui qu'on prétend adopter. - Il y a erreur lorsque le point de vue de vérité réellement adopté est incompatible avec l'univers de discours). Ainsi, la notion de point de vue de vérité, telle qu'elle a été définie ici, est nécessaire pour distinguer le mensonge de l'erreur.

52. Cette négation

qui inverse

les valeurs de vérité de l'énoncé

53. L'erreur peut résulter d'une mauvaise information traitement de l'information (erreur de jugement).

peut être dite logique.

(erreur des sens), ou d'un mauvais

ière PARTIE

48

CHAPITRE

- NEGATIONS

III

LES EMPLOIS DE μή

Il y a deux façons de considérer l'emploi de μή dans les protases de systémes hypothétiques, selon que l'on minimise ou non l'emploi concurrent de où. - Si l'emploi de où est tenu pour toujours exceptionnel et marginal, on cherche à montrer que μή convient à ce type de proposition, par nature, ou bien que l'histoire de la langue l'y a imposé. On fait pour cela appel aux conceptions habituelles de μή, soit à celle d'un μή prohibitif, tirée surtout de son emploi dans l'expression de la défense, soit à celle, plus large, d'un μή subjectif. - Si en revanche on admet un emploi non marginal de οὐ, on y trouve l'occasion d'un examen de l'opposition de où et de μή. Cet examen permet de rejeter la conception trop étroite d'un μή prohibitif, ainsi que celle, trop vague, d'un μή subjectif. Il fait donc proposer une nouvelle définition des emplois de μή, définition que permet de vérifier et préciser l'examen des protases où seul μή est admis.

A. L'EMPLOI

DE μή N'EST PAS LA REGLE

EN PROTASE

On sait déjà qu'il existe un emploi non marginal de οὐ, dans les protases de type I. On peut de plus montrer que ni l'extension analogique, ni la structure méme des protases, n'ont pu imposer l'emploi de μή. l. L'analogie n'a pas pu généraliser l'emploi de μή: Pour justifier l'emploi de μή dans les protases, on part le plus souvent d'un μή prohibitif, qui se serait introduit dans certains types de protases (II et IID, soit à leur origine, soit au cours

ensuite généralisé dans toutes les protases.

de leur histoire.

Il se serait

CH. III - EMPLOIS DE μή

49

a. Les théories « paratactique » et « concessive » : Lange, 1872, suggère que ei μή suivi d'un optatif (type IIT) était à l'origine un souhait négatif, avec un μή prohibitif. Suivi d'une proposition en parataxe, un souhait aurait fini par prendre une valeur conditionnelle. IL 7. 28: "AA εἴ μοί τι πίθοιο, τό κεν πολὺ κέρδιον εἴη D'un sens « Allons, en ce cas, puisses-tu m'en croire, ce serait alors beaucoup mieux » (Chantraine, 1953, p. 275), on serait passé au sens « Si tu m'en croyais, ce serait beaucoup mieux ». De même, en français, il est tentant de tirer « Si j'étais riche, je serais heureux » de « Ah, si j'étais

riche ! Alors je serais heureux ». Aussi cette théorie est-elle très répandue. Et pourtant, Lange l'avait lui-même rejetée, en remarquant (o.l. p. 458) qu'un souhait négatif n'est pas chez Homère introduit par ei μή, mais seulement

par

p".

On

peut

ajouter

qu'on

ne

rencontre

chez

Homère

qu'une seule protase avec ei μή suivi d'un optatif qui soit antéposée à l'apodose. C'est le seul exemple avec négation où l'interprétation paratactique soit possible. Malheureusement le contexte ne suggere guére une valeur de souhait. Car on ne voit pas pourquoi Phénix souhaiterait qu'Agamemnon ne fasse pas de présents à son ami Achille (Il. 9. 515-6)°°. C'est pourquoi Lange, 1872, p. 459, avait finalement soutenu une version affaiblie de l'hypothèse paratactique. Il ne s'agirait pas d'un optatif de souhait, mais de «concession » (« Zugeständniss »). Cette valeur mal définie óte toute clarté à l'hypothèse, qui n'a généralement pas été retenue“. Pour justifier l'emploi d'un μή prohibitif, il fallait que le tour ait une valeur volontative. Comme une telle valeur n'est pas apparente dans les protases, méme à l'optatif, on l'a réduite à un minimum qui la rend à peine perceptible. C'est à quoi correspond sans doute ici la notion d'optatif de « concession ». Mais ne vaudrait-il pas mieux renoncer à donner à μή une valeur nécessairement prohibitive? b. La théorie

de la valeur

dérivée :

Tabachovitz, 1951, pp. 34-5, aprés avoir rejeté les théories précédentes, cherche la valeur volontative, non à l'origine de certaines protases, mais dans certains de leurs emplois dérivés. Il peut en effet arriver qu'un systéme hypothétique serve à faire pression sur un interlocuteur (par exemple: «Si tu ne pars pas, je t'en saurai gré »). C'est dans de tels

54. Cf aussi Wackernagel, 1928, p. 280. La seule exception (/liade 16 97-9) le balancement μήτε... μήτε..., qui est éloigné de la particule initiale.

55. Voir aussi la critique de Tabachovitz, 56. Pour traduire et μή, Lange usait d'une 1951,

p. 22, qualifie

ironiquement

de

s'explique

par

1951. longue

formule en allemand que Tabachovitz,

particulièrement

agréable.

Music,

1927,

pp.

1-ss.

soutient la théorie « concessive » avec des explications tout aussi compliquées. Ces vues été critiquées par Gonda,

1956, pp.

168-70 et 203 n. 1.

50

lére PARTIE - NÉGATIONS

emplois que la négation prohibitive se serait introduite d'abord, pour se généraliser ensuite. Mais quelle que soit la cause de l'introduction de μή, qu'elle soit originelle ou secondaire, on ne peut justifier un μή prohibitif que dans une partie des protases. Il faut ensuite invoquer l’analogie, qui repose

sur une

tendance

faudrait

pour

structure

à la régularisation mécanique

cela

que

syntaxique,

l'emploi

et donc

de

sans

μή

des emplois?"

soit mécaniquement

signification

propre,

Mais il

lié à une

ce qui n'est pas

le cas. De plus, la syntaxe homérique se distingue justement par l'absence de toute régularisation mécanique. L'absence de généralisation, qu'on observe par exemple dans l'emploi des particules modales, doit étre aussi le cas des négations. Enfin, pourquoi l'analogie se serait-elle faite au profit d'emplois qui, au départ, étaient minoritaires? 2. La structure des protases n'impose pas l'emploi de μή: Pour éviter le recours à l'analogie, tout en maintenant que l'emploi de μή est la règle, il faut justifier cet emploi par la structure méme des

protases. a. La théorie de μή prohibitif en structure profonde: Si l'on s'en tient à la conception d'un μή prohibitif, l'absence de toute valeur prohibitive apparente dans la majorité des exemples ne laisse qu'un recours : cacher une telle valeur dans une structure profonde. Ainsi Seiler, 1971, considére que la valeur prohibitive ne porte pas sur le verbe de la protase, mais sur un verbe profond (« higher verb ») qui serait un verbe d'énonciation: « What the speaker wants to exclude is not, or not necessarily, the propositional content of the protasis; he

wants to prevent the protasis from being stated in a positive form » (p. 81)58, Certaines commutations semblent confirmer cette hypothèse. Ainsi, en frangais, sí de.protase peut étre remplacé par admettons que, supposons que. Une hypothése peut donc étre introduite par l'impératif d'un verbe d'énonciation explicite. On peut penser qu'avec si un tel impératif est implicite, de méme en grec avec ei. Cela justifierait l'emploi de μή prohibitif dans ei μή, qui signifierait que le locuteur veut écarter l'énonciation de la protase. Mais, en y regardant de plus prés, on constate qu'il n'y a pas plus de volonté à ce niveau profond de l'énonciation qu'à celui de l'énoncé et de son contenu. On peut opposer les deux énoncés suivants: - « Admettons que jaie tort», hors contexte, exprime la volonté d'admettre la vérité de « J'ai tort ».

57. Cf. Schwyzer-Debrunner,

1950, pp. 594-5.

58. Les structures abstraites de Seiler sont en réalité bien complexes. Il est inutile ici d'en discuter

le détail.

CH. III - EMPLOIS

DE μή

51

- « Admettons que j'aie tort, méme alors tu dois m'obéir », oà « Admettons que » introduit une protase, n'exprime pas la volonté de reconnaître un tort ».

« Admettons que » subit ici le méme sort que « Répéte-le » dans « Répétele et je te gifle », où il perd la valeur injonctive qu'il a hors d'un tel contexte. L'emploi en protase fait perdre toute valeur injonctive, aussi bien au niveau de l'énonciation qu'à celui de l'énoncé et de son contenu. D'ailleurs, d'autres systémes hypothétiques sans si n'introduisent pas la protase à l'aide d'un mode de volonté: « Tu estimes que j'ai tort ? Obéis quand méme », « Tu le répétes? Je te gifle », « Tu le.répétes et je te gifle ».. C'est n'importe quelle valeur modale (injonction, mais aussi interrogation, affirmation) qui est effacée par la position en protase. Ce qu'on observe en fait, c'est l'absence en protase, quelle qu'en soit la forme, de tout acte d'énonciation oü le locuteur engagerait sa personne. L'hypothése n'est ni un jugement, ni un acte de volonté, à aucun niveau. Et d'une façon générale, la structure profonde serait un trop pratique et dangereux fourre-tout si on pouvait y cacher ce qu'on ne voit pas en surface. Dans le cas des protases grecques avec εἰ, on ne peut méme pas dire que l'absence de toute valeur de volonté visible vient de la position en protase. En effet, contrairement à ce qui a été avancé (Seiler, LL, p. 86), l'absence d'apodose ne fait pas automatiquement réapparaitre une valeur de volonté. Il. 1. 580-1: ET rep γάρ x’ ἐθέλῃσιν ᾿Ολύμπιος... ἐξ ἐδέων στυφελίξαι... « Et si l'Olympien prend l'envie de la (= Hera) précipiter de son siège ! » Héphaistos exprime seulement ici ce qu'il imagine devant la colère de Zeus. Et ce qu'il imagine est effrayant : il ne peut ni le désirer, ni le souhaiter. On peut ajouter que le grec serait la seule langue à avoir marqué par l'emploi d'une négation prohibitive une valeur de volonté qui serait inhérente à la structure profonde des protases. Ni le latin, ni l'indoiranien, qui possédent des négations prohibitives, ne les emploient dans des protases. Il est cependant vraisemblable que l'emploi de μή soit lié à une modalité de l'énonciation. On peut donc, pour l'expliquer, invoquer une structure profonde. Ce qu'il faut abandonner, c'est la conception d'un μή qui serait toujours prohibitif, puisqu'une telle valeur est manifestement absente de la majorité des exemples en protase.

b. La théorie de μή négation subjective : Dès la langue épique, il existe d'autres emplois de μή qu'il est très difficile de rattacher à une valeur prohibitive. - Μή peut introduire un serment ou une dénégation emphatique :

52

lere PARTIE - NÉGATIONS

Il. 19. 261:

Μὴ μὲν ἐγὼ κούρῃ Βρισηίδι χεῖρ᾽ ἐπένεικα. « (Je jure que) je n’ai pas porte la main sur la jeune Briseis. » - Μή peut negative:

introduire

une

question

orientée

vers

une

réponse

Od. 9. 406:

Ἧ μή τίς σ᾽ αὐτὸν κτείνει... « Est-ce que par hasard quelqu'un te frappe toi-même ? » De tels emplois, comme ceux en protase, ont conduit certains à qualifier μή de négation subjective. On précise alors qu'elle n'exprime pas seulement: une « tendance de la volonté », mais aussi une « construction de l'esprit »°°. L'emploi en protase correspond bien à cette derniére valeur. Mais la négation où aussi exprime une construction de l'esprit, puisqu'on peut mentir ou se tromper quand on l'emploie, ou simplement exprimer des points de vue différents. Οὐ n'est donc pas la négation objective « qui constate que l'idée exprimée dans le verbe n'est pas conforme à la réalité »9). La négation assertive où est, elle aussi, une négation subjective. Si la définition de μή comme négation prohibitive paraît trop étroite, sa definition comme négation subjective est en revanche trop large. Μή est seulement plus subjectif que οὐ, dans la mesure où il exprime une construction de l'esprit plus indépendante du réel. C'est cette différence de subjectivité qui rend la négation μή non assertive, et qu'il faut définir. On

pourra

la préciser

en examinant

les protases



les deux

négations

s'opposent.

B. L'OPPOSITION

DE μή ET où DANS

LES PROTASES

DE TYPE

I

Les études où est examinée l'opposition de μή et de où dans les protases de type I mettent l'accent soit sur le róle stylistique de cette opposition, soit sur son caractére structural. Mais en aucun cas elles ne parviennent à définir une véritable opposition sémantique. Le but de cette étude est au contraire de montrer que l'opposition structurale pressentie par certains ne provoque pas une simple différence d'expressivité, mais une véritable différence de signification. 1. L'opposition n'est pas stylistique: On a parfois eu recours à la notion d'emphase pour justifier l'opposition de μή et de où. Mais cette notion est si vague qu'on a pu considérer comme emphatique aussi bien l'emploi de μή que celui de οὐ.

59. Cf. Kühner-Gerth, 60. Chantraine,

1904, p. 178; Humbert,

1953, p. 330.

1960, 8 636; Chantraine,

1953, p. 331.

CH. III - EMPLOIS

DE μή

53

a. La négation μή n'est pas plus emphatique Mn

pouvait

étre

considéré

comme

emphatique

que où: en

tant

que

négation

subjective, mais aussi au terme de l'affaiblissement d'une valeur prohibitive. Ainsi selon Monro, 1882, p. 261, celle-ci a pu se réduire à l'expression d'un simple « recul du locuteur ». En tout cas, μή traduirait une intervention plus marquée du locuteur. On a voulu expliquer ainsi le fait que μή apparaît dans les protases de type I qui sont postposées, à l'exception de Od. 9. 410. Pour Chantraine, 1953, p. 333, les protases postposées « comportaient quelque emphase ». Monro, LI, explique, quant à lui, que l'ordre primitif normal était celui où la protase est antéposée, d'où le caractère emphatique de l'ordre inverse. Il est vrai que la protase postposée semble souvent ajoutée aprés coup, et prend de ce fait une valeur particuliére, restrictive. Mais Tabachovitz, 1951, p. 25, a objecté qu'on ne connait pas l'ordre primitif « normal » des systémes hypothétiques, et que, de toute fagon, ni emphase, ni « caractére prohibitif » ne sont liés à cet ordre. D'ailleurs, il existe malgré tout un exemple

de μή

en protase

de type

I antéposée.

La postposition

n'est donc qu'un facteur qui favorise son emploi, sans doute souvent en liaison avec une valeur restrictive. Encore faut-il en montrer le mécanisme. L'idée d'un μή expressif (« stressed ») est aussi soutenue par Koppers, 1959, qui imagine méme l'accompagnement d'une mimique appropriée du locuteur. Il en résulte que cet auteur rapproche ei μή du latin si non,

considéré

aussi

comme

expressif.

Par conséquent,

pour

ce qui

est

de l'expressivité, ei... οὐ correspondrait à nisi. Mais syntaxiquement et sémantiquement, ei... οὐ correspond à si non, et ei μή à nisi?!. La notion d'emphase, loin de rendre compte de l'opposition grammaticale de μή et de od, ne fait donc que brouiller les cartes. b. La négation où n'est pas plus emphatique que μή: La relation est inversée par Humbert, 1960, 8 625, pour qui la négation où est employée « quand on veut attirer fortement l'attention sur une hypothèse négative, considérée comme un fait menaçant ». Mais dans la plupart des protases de type I avec οὐ, il est bien difficile d'identifier un tel fait menagant. Ainsi, en Il. 4. 160, l'hypothése négative est l'absence de chátiment dans l'immédiat, ce qui n'est pas en soi menagant. Parfois, une menace est bien exprimée, mais dans l'apodose. Ainsi en Il. 15. 1624: «S'il ne veut pas m'obéir., qu'il prenne garde..». Mais une telle menace apparaît aussi bien dans les apodoses dont la protase contient un μή. Ainsi en Od. 24. 433-5: « Quelle honte.., si nous ne sommes pas décidés à venger... » Il n'est pas non plus possible que ei... οὐ porte une emphase liée au «caractère objectif de cette construction » (Monro, 1956, p. 204, n.),

61. Voir ci-après, sous 2 .

54

lere PARTIE - NEGATIONS

puisque cette construction n'est pas vraiment objective. Ainsi, « si tu n'es pas fils d'Ulysse » (Od. 2. 274), dit à Télémaque par quelqu'un qui sait bien qu'il est fils d'Ulysse, ne peut prétendre à l'objectivité. D'ailleurs, Monro, Li, et Koppers, o.L, vont jusqu'à se contredire, employant le même mot « contraste », l'un pour justifier l'emploi de οὐ, l'autre pour justifier celui de μή. Cela montre non seulement l'inutilité, mais aussi le danger du recours à l'emphase, laquelle est livrée à l'appréciation trop subjective des grammairiens. 2. L'opposition

a un

caractère

structural :

On a observé que μή et où n'occupent pas les mêmes positions dans la protase, μή suivant de prés la conjonction εἰ, alors que où est plus à l'intérieur de la proposition introduite, prés d'un verbe ou d'un nom. De plus, μή porte parfois sur un ensemble de deux propositions coordonnées dans la protase. Il. 2. 261-4: el μὴ ἐγώ ce... 6000 /../ αὐτὸν δὲ... ἀφήσω «.. Si je ne vais pas te dévétir.. et te renvoyer... »2

En une

revanche, où peut apparaître premiére

proposition

dans

une

proposition

coordonnée

à

qui est positive.

Od. 19. 85: Ei δ᾽ ὁ μὲν ὡς ἀπόλωλε καὶ οὐκέτι νόστιμός ἐστιν « Mais si cet homme est bien mort et ne peut plus revenir... »9 De ces faits, on peut tirer deux conclusions différentes, soit que l'on considère que ei μή constitue une locution conjonctive, soit que, tout

en séparant μή de ei, on considère qu'il est, dans les protases de type I, extérieur à la proposition introduite. Seule cette deuxième conclusion est correcte, mais elle ne permet pas, à elle seule, d’opposer l'emploi de μή à celui de οὐ. a. Ei μή ne constitue

pas une

locution

conjonctive :

Kühner-Gerth, 1904, p. 191, distingue typographiquement par un tiret le tour ei - où δώσεις du tour εἰ μὴ - δώσεις. - Le tour ei - où δώσεις introduit une hypothèse négative et signifie « dans le cas où - tu ne donneras pas ». - Le tour ei μὴ - δώσεις écarte une hypothèse positive et signifie « hors du cas où - tu donneras ». Cette distinction est la même que celle qui est habituellement faite en

latin

entre

si - non

et nisi. Si - non

signifie

exactement

«si

- ne...

pas », mais, selon Ernout-Thomas, 1959, p. 384, nisi, formé de ne + si, proprement «non pas si», avait la valeur restrictive de « à moins que... ne, sauf que ». 62. Autres exemples:

/liade

63. Autres

Iliade 9 434-6,

exemples:

18 91.3,

18 454-6; Odyssée 22 359-60. 15 162,

15 213-4, etc.

CH. III - EMPLOIS DE μή

55

Mais ei μή n'est pas vraiment l'équivalent structural de nisi, où la négation est intégrée à la conjonction, qu'elle précéde (de plus, ce n'est pas né prohibitif, mais la forme à voyelle bréve ne, qui correspond à où). D'ailleurs en grec, μή, qui suit la conjonction, peut en être séparé par une ou deux particules. Hors du type I, il peut méme apparaitre dans une deuxiéme proposition coordonnée. Od. 1. 289: ei δέ κε τεθνηῶτος ἀκούσῃς μηδ᾽ ἔτ᾽ ἐόντος « Mais si tu apprends qu'il est mort et non qu'il est vivant... » La position structurale particulière de μή ne l’attache donc pas à la conjonction £i. De plus cette position particulière se manifeste essentiellement dans le type I. Il n'y a donc pas de locution conjonctive ei μή analogue au latin nisi, lequel apparait dans tous les types de protases. Pour ce qui est du sens, ei μή n'a pas toujours la valeur restricive « à moins que », pas plus que nisi d'ailleurs, si l'on en croit Ernout-Thomas, 1959, p. 384, qui estime facile le passage au sens «si.. ne.. pas ». Pour le grec, cette position est celle de Kühner-Gerth, 1904, p. 189, qui considére simplement plus expressif (« weit nachdrücklicher ») le tour qui introduit le négatif, avec où, que le tour qui écarte le positif, avec μή. C'est reconnaítre en fin de compte qu'on ne fait pas correspondre à la différence structurale observée une véritable différence sémantique (de méme qu'en algébre additionner du négatif équivaut à soustraire du positif). b. La valeur polémique ne permet pas de caractériser la négation μή: Koppers, 1959, explique l'emploi de μή dans les protases par ce qu'elle appelle un « yes-no contrast ». Au moment où il énonce l'hypothèse avec μή, le locuteur aurait en tête une proposition positive qu'il rejette en la niant. Tandis que où serait une simple négation propositionnelle, μή contrasterait avec une affirmation qu'il nie. Μή serait donc une négation polémique ou réfutatrice. Koppers, o.l., p. 77, illustre cette analyse à l'aide de Od. 9. 410, le seul exemple de protase de type I avec μή qui soit antéposée. Contrairement aux autres commentateurs, elle ne se contente pas d'opposer ce el... μή τίς au Οὗτις du vers 408, lequel est le nom propre que s'est inventé Ulysse, mais peut être compris comme une négation OÙ τὶς « personne ne... ». Elle le rattache au double μή tig des vers 405 et 406. Od. 9. 406:

ἦ μή τίς σ᾽ αὐτὸν κτείνει δόλῳ ἠὲ βίηφι ; « Est-ce que par hasard quelqu'un te frappe toi-même, par ruse ou par force ? » Une telle question est orientée par μή vers le rejet de la réponse positive que serait κτείνει μέ τις « Quelqu'un me frappe », réponse que les cyclopes craignent et voudraient éviter, pour ne pas avoir à intervenir

(car ce sont de mauvais voisins).

56

lere PARTIE - NEGATIONS

C'est le même rejet de cette assertion positive qu'ils expriment à nouveau après la réponse ambiguë de Polyphème, au vers 410, dans une protase qui leur sert d’echappatoire. Aussi Koppers regrette-t-elle à bon droit de ne pouvoir traduire «if then not somebody... », c'est-à-dire « si ce n'est pas le cas que quelqu'un …», «si tu ne dis pas que quelqu'un (te frappe) », au lieu de l'usuel « if nobody... », c'est-à-dire « si personne ne ... ». Dans la plupart des cas, le « yes-no contrast » est moins explicite. L'idée positive qu'on rejette dans la protase est alors seulement suggérée par la situation, particuliére ou générale. Il. 2. 387: ei μὴ νὺξ ἐλθοῦσα διακρινέει μένος ἀνδρῶν «.. S'il n'était pas prévisible que (= n'était que) la tombée de la nuit séparera les fougueux prétendants. » Ici la protase écarte une prévision positive fondée sur l'expérience. Tous les emplois de μή dans les protases de type I se prêtent bien à cette analyse. Il en est de méme pour ses emplois dans les protases de type IV oü est écartée la constatation d'un fait passé. Il. 3. 374:

εἰ μὴ ἄρ᾽ ὀξὺ νόησε Διὸς θυγάτηρ ᾿Αφροδίτη

«.. n'était que la fille de Zeus, Aphrodite, s'en apergut bien vite. » Dans les protases des types I et IV, l'emploi de μή a donc bien un caractére polémique ou contrastif (rejet d'une assertion positive). Mais Koppers a tort d'en tirer le principe d'une opposition de μή à où dans toutes les protases, et cela pour deux raisons: - D'une part, la négation où aussi peut avoir une valeur polémique, comme on l'a vu ci-dessus. Un tel emploi polémique de où est méme assez vraisemblable

dans

la protase

de Od.

2. 274

(voir chap.

II, C, 7).

- D'autre part, μή est souvent employé dans des protases de type II (subjonctif) ou III (optatif) sans que soit sensible aucune valeur polémique ou contrastive. Od. 11. 159:

… flv μή τις ἔχῃ eoepyéa νῆα « (Il n'est pas possible de franchir l'océan), si l'on n'a pas un bon navire. » Ici, le contexte ne suggère pas, même implicitement, l'assertion positive «On a un bon navire ». Et cet emploi de μή, non contrastif, ne s'oppose pas à un emploi concurrent de οὐ, contrairement à ce que prétend Koppersf*. On peut ajouter que l'analyse de Koppers, tout comme les précédentes, n'aboutit pas à la définition d'une véritable différence sémantique. Pour elle aussi, l'opposition de μή et de où se ramène à une simple différence d'expressivité.

64. Koppers,

1959, 117. Les exemples invoqués contiennent en fait des combinés

négatifs

verbaux, ou bien sont du type de Plat. Mén. 91 d (voir ci-dessus, chap. II, C, 2), donc du type I.

CH. III - EMPLOIS

DE μή

57

c. La véritable opposition sémantique

de μή et de où:

La signification de μή le rend obligatoire (sauf combiné négatif verbal) dans les protases de type II, III ou IV, et seulement facultatif dans les protases de type I. De plus, avec l'indicatif, que ce soit dans le type I ou le type IV, μή prend une valeur contrastive ou polémique. Ces deux remarques correspondent à l'emploi général de μή. - D'une part, négation non assertive, μή est obligatoire avec le subjonctif et l'optatif dans leurs emplois non assertifs (expression de la crainte, d'une défense, d'un souhait négatif ; hypothéses négatives de type II ou III). - D'autre part, avec l'indicatif ou tout mode assertif, qu'il s'agisse d'une question où l'on craint une réponse positive, ou d'une dénégation emphatique, μή prend automatiquement une valeur polémique ou contrastive. C'est que μή, contrairement à οὐ, ne peut entrer dans une assertion,

mais

seulement

porter sur une

assertion.

La négation assertive o0 a été définie comme l'expression d'un conflit entre la source d'un jugement et l'objet ou contenu de ce jugement: - La source est alors un point de vue de vérité plus ou moins subjectif, mais s'appuyant sur une information. - Le contenu est selon les cas une simple representation (négation descriptive) ou toute une assertion (négation polémique). La négation non assertive μή peut porter sur les mêmes contenus que où. Dans l'emploi contrastif reconnu par Koppers, 1959, elle porte sur une assertion positive. Mais elle a aussi un emploi non contrastif, comme où, qui doit la faire porter sur une simple representation, par exemple en Od. 11. 159 (v. ci-dessus). Où et μή ne s'opposent donc pas par le contenu sur lequel ils portent. S'ils s'opposent, ce ne peut être que par ce qui est à la source de leur emploi. Or, à la source de l'emploi de μή, on ne trouve pas un point de vue de vérité que le locuteur se forge à partir de son information, mais un simple mouvement du locuteur présenté comme indépendant de toute information extérieure. Ce mouvement de rejet peut étre motivé par une crainte, un refus, un engagement personnel (serment), une conviction intime (dénégation emphatique). Il est en tout cas présenté comme venant uniquement du locuteur. Mn est donc en ce sens une négation plus radicale que où. En effet, où repousse un contenu d'énoncé au nom d'une information. Il y a donc, avec où, méme polémique, un a priori affirmatif. «Il est faux que» signifie « J'affirme qu'il est faux que ». C'est l'affirmation d'un point de vue contre autre chose (simple représentation ou autre point de vue). En revanche, avec μή le locuteur repousse un contenu en son nom propre. Il n'affirme rien qui lui soit extérieur. C'est pourquoi où prétend dire le vrai et entre dans un énoncé vrai ou faux, contrairement à μή. I] reste à appliquer cette analyse générale aux emplois de μή dans les protases. Gráce à elle, on pourra enfin, là oü les deux négations s'opposent, définir une véritable différence de signification, c'est-à-dire une différence dans les conditions de vérité des énoncés exprimés.

58

lere PARTIE - NEGATIONS

C. EXAMEN

SYSTÉMATIQUE

DES EMPLOIS

DE μή EN PROTASE

On étudiera successivement : - Les protases à mode assertif où μή s'oppose à où (type I). - Les protases et propositions à mode

assertif où μή est seul employé.

Il s'agit du type IV, des relatives hypothétiques à l'indicatif, de l'emploi elliptique de ei μή ou ὅτε μή (où l'on peut sous-entendre le verbe de la principale, qui est assertive). - Les protases au subjonctif ou à l'optatif non assertifs des types II et III où μή est seul employé. 1. Μή

opposé

à où dans les protases de type I:

Les protases de type I exprimant une hypothese d'assertion, y étre traduit « si l'on dit que ». - Ei... où introduit donc par hypothèse une assertion négative être traduit « si l'on dit que..ne.. pas ». - Avec ei μὴ..., le locuteur écarte par hypothèse, de son mouvement, une assertion positive, ce qui peut étre traduit « si l'assertion que », «si l'on ne dit pas que ». Or

on

constate

que,

toutes

choses

égales

par

ailleurs,

ei...

ei peut et peut propre j'écarte où,

qui

suppose une négation, exprime une condition plus forte que ei μὴ..., qui suppose seulement l'absence d'une affirmation. Ce dernier cas comprend en effet le précédent (celui d'une négation assertive), mais aussi le silence et lincertitude. L'hypothése a donc une plus grande extension. On l'illustrera ici en imaginant les hypothèses respectives des croyants, des athées et des agnostiques : - Hypothese des croyants: ei - θεοί εἰσι « Si l'on dit qu'il y a des dieux... » - Hypothese des agnostiques et des athées : ei μὴ - θεοί εἰσι « Si l'on ne dit pas qu'il y a des dieux... » En effet les agnostiques ne se prononcent pas et les athées autre chose. - Hypothese des athées seulement: εἰ - θεοὶ οὔκ εἰσι « Si l'on dit qu'il n'y a pas de dieux... »

disent

Le rapport entre l'hypothése introduite par εἰ μή et l'hypothèse introduite par ei... où est donc un rapport d’inclusion. Les exemples homériques avec ei... où permetttent de confirmer que ce tour

suppose

bien

une

assertion

négative,

en

excluant

le silence

ou

l'incertitude. Il. 15. 162-3: Ei δέ pov οὐκ ἐπέεσσι ἐπιπείσεται... φραζέσθω δὴ ἔπειτα... « Et s'il répond qu'il n'obéira pas à mes paroles..., qu'il prenne garde alors... »

CH. III - EMPLOIS

DE μή

59

La menace de Zeus s'applique seulement au cas oü Poseidon revendique son indépendance en l'affirmant. Le silence de Poséidon, qui pourrait passer pour un accord tacite, ne serait pas une condition suffisante pour que la menace s'applique. Il faut donc montrer que le tour ei μὴ..., en revanche, admet le cas du silence ou de l'incertitude, aussi bien dans les protases postposées de type I que dans son unique emploi en protase antéposée. a. Μή La

dans les protases de type I postposées :

postposition

de

la

protase

modifie

souvent,

avec

une

intonation

appropriée, la valeur informative du systéme hypothétique. Il en résulte habituellement pour la protase une valeur restrictive. La protase antéposée constitue normalement le théme de l'énoncé, et l'apodose qui suit en est le propos. Dans l'énoncé « Si tu viens, je reste », l'hypothèse définit le cas dont on parle, l'apodose énonce ce qu'on en dit. L'hypothése exprime alors une condition suffisante, mais non nécessaire. On peut dire en effet: « Si tu viens, je reste; mais si tu ne viens pas, je reste aussi. »

La postposition informative.

de la protase

peut

ne rien changer à

cette structure

Il. 1. 173:

Φεῦγε μάλ᾽, εἴ τοι θυμὸς ἑπέσσυται... « Fuis donc,

si (tu dis que)

ton cœur

le désire. »

La protase, qui renvoie aux propos précédents d'Achille, est ajoutée aprés coup, comme par repentir, pour rappeler dans quel cadre énonciatif il faut entendre l'apodose qui précéde. Elle constitue donc toujours un théme situant le propos qui vient d'étre énoncé. En frangais, une telle protase est prononcée

aprés une forte pause et sur une intonation basse,

l'accent étant sur « fuis donc ». Mais la postposition de la protase en fait le plus souvent sur l'apodose. En frangais, on peut avoir, sans pause, une seule forte, sur la protase. «Je reste si tu viens» signifie alors seulement si tu viens ». Ou bien l'on a, avec pause, deux fortes.

«Je

reste,

si tu viens » signifie

alors

« Je

reste,

mais

un propos intonation «Je reste intonations seulement

si tu viens ». Ce dernier cas est bien représenté chez Homére. Il. 19. 326-7: … Σκύρῳ μοι Evı τρέφεται φίλος υἱός εἴ που ἔτι ζώει γε... « Mon fils grandit à Scyros, si du moins il est encore vivant. » La condition est alors nécessaire et suffisante, et non plus seulement suffisante. Or une condition nécessaire est une condition minimum. 65. L'implication est alors réciproque, puisque l'implication du propos par le thème est symétrique de celle de l'apodose par la protase. « Je reste si tu viens » peut se retourner en: « Si je reste, (c'est que)

tu viens. »

60

lère PARTIE - NEGATIONS

Toutes les fois donc où l'absence d'une assertion, et non la présence de l'assertion négative contradictoire, est le minimum nécessaire pour énoncer l'apodose, on aura ei μή «si l'on ne dit pas que ». Le caractére nécessaire de la condition n'étant pas systématiquement lié à la postposition de la protase, on doit trouver ei... où postposé, dans des exemples analogues à Il. 1. 173 ci-dessus. C'est le cas en attique. L'absence totale d'un tel emploi chez Homére n'est donc qu'un hasard. Xén. An.

1, 7, 18:

Οὐκ ἄρα ἔτι μαχεῖται, εἰ ἐν ταύταις οὐ μαχεῖται ταῖς ἡμέραις « Eh bien, il ne livrera plus bataille, si tu prétends quil ne livrera pas bataille dans ces dix jours. » La protase rappelle une assertion négative que l'interlocuteur vient d'énoncer. Cependant, le cas le plus fréquent est celui où la postposition de la protase rend nécessaire la condition qu'elle exprime. On a alors toujours ei μὴ... exprimant le minimum nécessaire pour que l'apodose puisse être énoncée, c'est-à-dire non la négation explicite qui la justifierait, mais l'absence de l'affirmation qui la démentirait. Ainsi, en Il. 19. 326-7 ci-dessus, pour dire que son fils grandit à Scyros, Achille doit supposer l'assertion «il est encore vivant ». En revanche, il n'a pas besoin de l'assertion «il n'est pas mort », car en l'absence de l'information nouvelle « il est mort » son fils passe pour vivant. Il aurait donc pu dire ei μὴ ἀπόλωλε « si du moins on ne dit pas quil est mort ». Et lon voit pourquoi ei μή, qui indique que l’apodose peut être dite seulement si l'on ne dit pas que..., équivaut au latin nisi, qui indique que l'apodose ne peut étre dite si l'on dit que... Les neuf exemples homériques de ei μή postposé dans le type I ont pour effet ou bien de valider lapodose en l'absence d'une décision attendue ou d'une objection possible, ou bien de l'invalider en la présence d'une assertion. - Validation de l'apodose en l'absence d'une décision attendue : Dans trois exemples, l'absence d'une décision urgente est en soi le minimum nécessaire Il. 7. 97-8:

pour qu'on

craigne

le pire.

ἦ μὲν δὴ A60 τάδε ἔσσεται αἰνόθεν αἰνῶς εἰ μή τις Δαναῶν νῦν Ἕκτορος ἀντίος εἶσιν « Oui, ce sera une honte des qu'il ira affronter Hector. » De même, en Il. 9. 230-1, les ne promet pas de reprendre le sur les parents des prétendants - Validation de l'apodose en Dans trois exemples, l'absence comme un accord tacite, est adresse une demande.

plus affreuses,

si aucun

Danaen

ne dit

Achéens sont dans l'angoisse si Achille combat. En Od. 24. 433-5, la honte est s'ils ne décident pas de venger leurs fils. l'absence d'une objection possible : d'objection de l'interlocuteur, considérée le minimum nécessaire pour qu'on lui

CH. III - EMPLOIS

DE μή

61

IL 5. 174-7:

ἀλλ᾽ ἄγε τῷδ᾽ ἔφες ἀνδρὶ βέλος... εἰ μή τις θεός ἐστι... « Eh bien, decoche ton trait contre cet homme.., si l'on n'objecte quil est un dieu. » De méme, en Od. 2. 70-2, Télémaque demande à étre respecté gens d'Ithaque, si nul n'objecte qu'Ulysse leur fit du mal. En Od. 22. 60, Télémaque demande qu'on épargne Médon, si nul ne lui objecte a déjà été tué. Ces trois exemples ont une forte nuance restrictive moins

pas des 357. quil « à

que ».

- Invalidation de l'apodose en la présence d'une assertion: Dans trois exemples, l'apodose n'est valide que si l'on ne dit pas ce que justement on va dire. La protase permet donc de l'invalider. Od. 19. 344-6: … Οὐδὲ γυνὴ ποδὸς ἅψεται ἡμετέροιο εἰ μή τις γρηῦς ἐστι παλαιή... « Aucune de tes servantes ne touchera ἃ mes pieds, si tu ne me dis pas quil y a une vieille femme... » Ulysse sait qu'il y a parmi les servantes une vieille femme, Euryclée, et il veut que ce soit elle qui lui lave les pieds. De même en Il. 2. 25964, l'imprécation d'Ulysse contre lui-même n'est valide que s'il ne s'engage pas dans la promesse où il s'engage. En Il. 2. 386-7, la prévision que le combat ne cessera pas, n'est valide que si l'on ne prévoit pas en méme temps

que

la nuit y mettra

fin. Or cette derniére

prévision

est imposée

par l'expérience. De tels systémes hypothétiques prennent une valeur d'irréel: « Le combat ne cesserait pas, si la nuit ne devait y mettre fin. » b. Le seul emploi

de ei μή antéposé

dans le type I:

L'emploi de μή en Od. 9. 410 offre une double anomalie. Non seulement la protase est antéposée, mais elle renvoie à une assertion négative explicite. Il s'agit de la réponse de Polyphéme au vers 408, telle du moins que les cyclopes l'ont comprise, c'est-à-dire non avec Οὗτις, nom propre forgé par Ulysse, mais avec la négation quantitative οὔτις: « Personne ne me frappe, ni par force, ni par ruse. » Aussi, les commentateurs, estimant que μή tg équivaut en ce cas à οὔτις ont-ils généralement interprété cet emploi comme le moyen de mieux souligner le malentendu. Les cyclopes ont entendu une négation, non un nom propre, et l'emploi de μή τις au lieu de οὔτις permettrait de lever l’ambiguite®%. Mais si l'on admet l'analyse proposée ici, les deux négations ne sont pas équivalentes. Ei οὗτις σε βιάζεται signifierait « si tu dis que personne

66. Cf. Monro,

1882, p. 288; Tabachovitz,

1951, p. 33; Chantraine,

1953, pp. 333-4. La leçon

oct; de Clément d'Alexandrie est sans doute une lectio facilior et doit être rejetée.

62

lére PARTIE - NÉGATIONS

ne te fait violence », alors que ei μή τίς σε βιάζεται doit signifier « si tu ne dis pas que quelqu'un te fait violence ». Or deux faits ont pu inciter les cyclopes à donner ainsi, en employant μή, moins de précision à leur hypothese. D’une part, les cyclopes sont de mauvais voisins (Od. 9. 115). Furieux d'être réveillés en pleine nuit (vers 403-4), ils craignent une explication qui les forcerait à intervenir (vers 405-6). Ils cherchent donc le moindre prétexte pour s’excuser et rentrer chez eux (vers 411-3). Mais pour dire «c'est une maladie, on n'y peut rien », le minimum nécessaire est que Polyphème n'ait pas dit clairement « quelqu'un me fait violence », seul cas où leur intervention serait utile. Or, d'autre part, ils peuvent avoir des doutes concernant la réponse de Polyphème. En fait, c'était une réponse affirmative : « C'est Pas-quelqu'un qui me frappe, par la ruse, non par la force!» La césure au septième demi-pied détache et met en valeur δόλῳ « par la ruse ». De plus, Οὗτις signifie pour Polyphéme οὐτιδανός (vers 460), c'est-à-dire non pas « Personne », mais « Pas-quelqu'un », « Moins-que-rien », ce qui vise l'aspect chétif, à son point de vue, d'Ulysse. Sa réponse souligne avec indignation la traitrise d'un petit homme. Tout autre serait l'intonation de la réponse négative que les cyclopes ont cru comprendre : « Personne ne me frappe, ni par ruse ni par force. » Or la poésie épique fut d'abord une poésie orale. Aussi peut-on penser que, comme les auditeurs de l'aéde, les cyclopes ont perçu une intonation qui ne collait pas avec leur interprétation.

Peut-étre méme feignent-ils de comprendre ainsi autant qu'ils le croient. En tout cas, s'il y a doute, ils ont intérét à ne pas trop préciser leur interprétation, ce qu'ils feraient en employant οὔτις: «Si tu dis que personne ne...» Car alors Polyphéme pourrait protester. En disant, avec μή, «si tu ne dis pas que quelqu'un... », ils le laissent muet, car Polyphéme a dit Οὗτις « Pas-quelqu'un », et non ug « quelqu'un »9". Cet emploi de μή ne permet donc pas de prendre en compte un silence, comme les exemples précédents, mais une ambiguité. On retrouve cependant le rapport d'inclusion entre la signification de l'emploi de μή et celle de l'emploi de où. En effet, l'emploi de μή, en excluant « quelqu'un te fait violence », permet de couvrir les deux interprétations « Pas-quelqu'un te fait violence » et « personne ne te fait violence », tandis que l'emploi de οὔτις ne couvrirait que la seconde. 2. L'emploi exclusif de μή avec un mode

assertif :

L'emploi exclusif de μή avec un mode assertif, essentiellement l'indicatif, implique

une

postposition

structurelle

et une

condition

minimum.

67. Cf. Basset, 1979, où est aussi évoqué l'autre jeu de mot, fait par Ulysse au vers 414, entre μῆτις « ruse » et μή τις, Ces deux jeux de mot sont liés au jeu sur les négations. Ils font allusion aux deux aspects complémentaires d'Ulysse, chétif (pour Polyphéme) mais rusé. Tout ceci montre la grande subtilité du texte homérique.

CH. III - EMPLOIS

DE μή

63

a. Ei un et ὅτε μή sans verbe, signifiant « sauf », « sinon »: Les protases de type I postposées avec μή prennent souvent une valeur restrictive. En ce cas, l'ellipse du verbe (qui serait le méme que celui de l'apodose), donne à ei μή ou ὅτε μή le sens « sauf » ou «sinon». Il. 17. 475-7: … τίς γάρ τοι ᾿Αχαιῶν ἄλλος ὁμοῖος ei μὴ Πάτροκλος...... « Qui donc est ton égal parmi les Achéens, sinon Patrocle ? » C'est-à-dire : « … si l'on ne dit pas que Patrocle est ton égal? » Εἰ μή ou ὅτε μή suit habituellement une proposition de sens négatif et de portée générale (avec ἄλλος). Ei μή introduit donc une exception affirmative à une négation générale. Une telle exception est le minimum nécessaire pour que la négation générale soit valide, ce qui signifie que c'est la seule exception. b. L'emploi de μή dans les protases de type IV: N'était l'emploi exclusif, et fréquent, de μή, les protases de type IV ne se distingueraient pas des protases de type I. En fait, elles ne font que combiner la référence au passé, qui est constante®®, à la contradiction avec ce qu'on sait. Or ces deux faits s'observent isolément dans le type I: - Référence au passé sans contradiction avec ce qu'on sait: Od. 22. 357-9:

xai κήρυκα Μέδοντα σαώσομεν... / .. £i δὴ μή μιν ἔπεφνε Φιλοίτιος... « Et sauvons le heraut Médon, sauf si (= si tu ne dis pas que) Philoitios l'a tué... » - Contradiction avec ce qu'on sait sans référence au passé: Il. 2. 386-7: OÙ γὰρ παυσωλή ye μετέσσεται... εἰ μὴ νὺξ ἐλθοῦσα διακρινέει μένος ἀνδρῶν « Car il n'y aura pas d'arrét.., sauf que (= si l'on ne disait pas que) la tombée de la nuit arrêtera l'élan des guerriers. » La protase écarte une prévision confirmée par l'expérience. - Type IV ; référence au passé et contradiction avec ce qu'on sait: Il. 3. 373.4: Kai νύ xev εἴρυσσέν τε... εἰ μὴ ἄρ᾽ ὀξὺ νόησε... ᾿Αφροδίτη « Et un peu plus il l'entrainait, n'était que (= si je ne disais pas que)... Aphrodite s'en aperçut. » Ce dernier exemple ne se distingue du précédent que parce qu'il entre dans un récit. Dans les deux cas, l’apodose est en fait invalidée, car

68. Même

en Jliade 24 220, où ἐκέλευεν évoque

Priam. Contra : Chantraine,

1953, p. 283.

les conseils dejà donnés

par Hécube

à

64

lère PARTIE - NÉGATIONS

pour qu'elle soit valide, la condition minimum est d'écarter l'assertion introduite par ei μή. Or celle-ci est vraie et ne peut être écartée. La nuance n'est donc plus restrictive (« sauf si»), mais invalidante (« sauf que », « n'était que »). Le dernier exemple entre cependant dans un type original (type IV), lié au récit, alors que le précédent appartient à un discours. Il a en effet deux caractéristiques : - D'une part, l'apodose initiale fait une prévision sur la suite naturelle et vraisemblable du récit. Cette prévision est marquée par la particule KEV (voir quatriéme

partie, chap.

III, B).

- D'autre part, la protase introduit l'énoncé d'une péripétie qui interrompt cet enchainement naturel. Cette interruption est marquée par ei μή. C'est certainement de cet ensemble .. xev..., εἰ μὴ … qu'est né le type IV,

avec

ei μή

toujours

postposé.

Pour

que

le

récit

suive

son

cours

naturel, le minimum nécessaire serait l'absence de la péripétie qui l'invalide. Cependant, déjà chez Homère, la protase peut n'être introduite que par ei, avec, semble-t-il, une progression de l'Iliade (9 exemples) à l'Odyssée (11 exemples). Il y a déjà eu extension du type IV hors de son cadre originel. L'aboutissement sera, en attique, la séparation compléte du type I par modification de la valeur modale de l'indicatif secondaire, qui cessera d'étre assertif et temporel.

c. Μή dans les relatives hypothétiques à l'indicatif : Il ny a chez Homère qu'un seul exemple de relative négative à l'indicatif, c'est-à-dire qui restreigne par une condition l'extension d'une catégorie (voir ci-dessus chap. I, B). Elle est postposée et la négation est μή. Mais on aurait cette négation méme si la relative était antéposée. Car une telle relative exprime par nature une condition postposée et minimum, quelle que soit sa place dans la phrase. Avec l'indicatif en effet, il n'y a pas équivalence entre ὅστις « quiconque » et el τις «si quelqu'un »: - Avec l'indicatif, el ng signifie exactement « si l'on dit qu'il y a quelqu'un qui... », avec valeur existentielle de l'indéfini. Ce qui est supposé est une

assertion d'existence??. - Avec l'indicatif, ὄστις signifie «tout individu (dont l'existence est postulée) qui.. », c'est-à-dire « tout individu, à condition qu'il.» Ce qui est alors supposé n'est pas l'existence d'individus, mais leur appartenance à une catégorie que définit une condition”.

69. Avec

un

mode

non

assertif, τις n'a pas

cette

valeur

existentielle,

et el ti; devient

un

équivalent de ὅστις. 70. On distingue ainsi, de !’«&tre» l'appartenance à un groupe.

existentiel

un

«être»

simple

copule

qui

exprime

CH. III - EMPLOIS

DE μή

65

Cette condition, nécessairement postposee à la désignation de la catégorie (par l’antécédent ou simplement le relatif), est la condition minimum nécessaire pour qu'un individu appartienne à la catégorie désignée. Une telle catégorie est ouverte, car on ne peut en préciser les limites (ensemble flou). Elle s'oppose à la catégorie fermée, qui, elle, repose

sur une

constatation

qui

permet

d'en

préciser

les limites.

Dans

le premier cas, la négation est μή, dans le second, elle est ov. - Exemple de définition d'une catégorie fermée, avec o0: Od. 11. 122: … τοὺς... OÙ οὐκ ἴσασι θάλασσαν «... les gens qui ne connaissent pas la mer.» Est ainsi défini un peuple lointain, mythique, dont on parle en disant : «Ces gens-là ne connaissent pas la mer.» Leur éloignement permet d'établir une frontiére entre eux et les autres hommes. - Exemple de définition d'une catégorie ouverte, avec μή: Il. 2. 302: … O06 μὴ κῆρες ÉGav φέρουσαι «... ceux (parmi vous) que les déesses du trépas n'ont pas emportés. » Après batailles et épidémies, Ulysse ne s'adresse pas à ceux des Achéens qu'il sait être vivants, mais à tous les vivants, qu'il connaisse ou non leur sort. Il ne peut donc que poser comme condition minimum que nul n'objecte qu'ils sont morts. La catégorie définie est alors ouverte sur la

marge qui sépare ceux qu'il sait être morts de ceux qu'il sait être vivants. La frontière entre les vivants et les morts ne peut être précisée; elle est quelque part parmi ceux dont il ignore le sort. Ici encore, il y a donc un rapport d’inclusion, entre la catégorie ouverte définie avec μή et la catégorie fermée qu'on définirait avec où. La catégorie fermée, fondée sur une constatation, ne comprendrait que les survivants connus, alors que la catégorie ouverte, fondée sur une condition, comprend les survivants connus et inconnus. 3. L'emploi

exclusif de μή avec un mode

non assertif :

Dans les protases de type II ou III, dans les temporelles ou relatives correspondantes, le mode subjonctif ou optatif a une valeur non assertive. L'emploi d'une négation ne peut alors avoir pour source que la seule fantaisie du locuteur, sans prendre appui sur une donnée de l'information, d'où l'emploi exclusif de μή. Cet emploi n'est donc pas la marque d'une condition minimum, et n'a donc pas nécessairement la valeur contrastive ou polémique de ei μή suivi d'un indicatif. a. Avec le subjonctif : La protase est antéposée dans trois exemples, postposée dans sept exemples. Ici, on ne peut pas vraiment distinguer des protases qui écartent le négatif («hors du cas οὐ... ») des protases qui introduisent le négatif (« dans le cas oü.. ne.. pas»). En effet, ici ne s'opposent pas

66

lère PARTIE - NEGATIONS

assertion négative et absence d’assertion positive (ce qui n'est pas la méme chose), mais absence d'une éventualité et présence de l'éventualité contradictoire, ce qui revient au méme. Il. 1. 137 (avec protase antéposée) : εἰ δέ κε μὴ δώωσιν, ἐγὼ δέ κεν αὐτὸς ἕλωμαι « Mais s'ils ne la donnent pas, je la prendrai peut-être moi-même. » « Sauf s'ils la donnent » poserait les mêmes conditions de vérité. Il. 22. 54-5 (avec protase postposée) : … μινυνθαδιώτερον ἄλγος ἔσσεται, ἣν μὴ καὶ σὺ θάνῃς... « Plus breve

sera la peine, sauf si toi aussi tu meurs. »

« Si tu ne meurs pas aussi » poserait les mêmes conditions de vérité. Ce sont des facteurs stylistiques, liés en particulier à la position de la protase, qui font choisir l'une ou l'autre traduction. b. Avec l'optatif : La protase est antéposée dans un seul exemple. Le contexte y impose de traduire « si... ne... pas ». IL 9. 515: εἰ μὲν yàp μὴ δῶρα φέροι... « Car si Agamemnon

ne te faisait pas des présents... »

On ne peut traduire « sauf si Agamemnon te faisait des présents », car une telle hypothése impliquerait que les présents évoqués sont imaginaires. Or Agamemnon fait réellement des présents à Achille. Ce qui est imaginaire ici est donc l'absence de présents, situation décrite de facon négative, grâce à μή, et introduite par hypothèse, grâce à εἰ. En revanche, les six exemples de protases postposées admettent bien le sens « sauf si » excluant une situation fictive positive. Od. 9. 277-8:

οὐδ᾽ Gv ἐγὼ... πεφιδοίμην oÙte σεῦ οὔθ᾽ ἑτάρων, εἰ μὴ θυμός με κελεύοι « Je ne t'épargnerais pas, ni tes compagnons,

sauf si mon

cœur

m'y

incitait. »

Polyphéme n'a pas l'intention d'épargner Ulysse et ses compagnons. Ici donc, la protase écarte par hypothèse, grâce à ei μή, la situation où Polyphéme aurait cette intention, situation imaginaire décrite de facon positive.

L'emploi de μή en Il. 9. 515 distingue donc l'optatif non assertif du subjonctif non assertif. Cet exemple avec l'optatif est le seul oü une situation imaginaire est expressément décrite de facon négative, au moyen

de μή. Cette particularité sera expliquée par la signification optatif opposée à celle du subjonctif (voir troisiéme partie).

du

mode

CHAPITRE

IV

CONCLUSION À L'ÉTUDE DES NEGATIONS DANS LES PROTASES

A. LES DIFFÉRENTS

EMPLOIS

Voici les différents emplois relevés dans les protases de systèmes hypothétiques : - Un emploi marginal de où non limité, mais exceptionnel. C'est celui des combinés négatifs comme οὐκ ἐθέλειν et οὐκ ἐᾶν, véritables créations lexicales à partir d’assertions négatives. Il n'est pas possible de savoir si d'autres sortes d'emploi « partiel » exigeraient le choix de ov. - L'emploi de où assertif limité aux protases de type I qui introduisent une assertion négative (habituellement descriptive, exceptionnellement polémique).

- L'emploi polémique de μή dans les protases de type I ou IV qui, chez Homére, écartent par hypothése une assertion positive. - L'emploi non spécifié de μή dans les protases de type II ou III qui, indifferemment, introduisent le négatif ou écartent le positif. - L'emploi descriptif de μή dans la protase de type III de Il. 9. 515, qui introduit une fiction décrite de fagon négative. Ces divers emplois permettent d'opposer chez Homere: - D'une part les protases à l'indicatif (types I et IV), qui avec où introduisent positive.

une

assertion

négative,

et avec

μή

écartent

une

assertion

- D'autre part les protases au subjonctif (type II) pour lesquelles seul uñ est employé (sauf combiné négatif), sans qu'on puisse bien distinguer le cas du positif écarté de celui du négatif introduit, sinon pour des raisons stylistiques. - Enfin les protases à l'optatif (type III) qui, tout en ayant exclusivement μή, semblent permettre de distinguer le cas où une situation imaginaire décrite négativement est supposée, de celui oü une situation imaginaire décrite positivement est écartée par hypothése.

68

lére PARTIE - NÉGATIONS

B. L'OPPOSITION

DE où ET DE μή

Voici les nouvelles définitions proposées pour rendre compte de l'opposition de où et de μή, en particulier dans les protases. - La négation assertive où traduit un conflit dans l'information. C'est au nom d'un point de vue de vérité, c'est-à-dire d'un traitement plus ou moins subjectif des données de l'information, que le locuteur rejette un contenu d'énoncé, quelle que soit la nature exacte de ce contenu. - La négation non assertive μή permet au locuteur de rejeter un contenu d'énoncé, quel qu'il soit, en son nom propre, sans prendre appui sur des données de l'information. La négation μή est donc totalement subjective, alors que où, tout en ayant une part de subjectivité, montre que le locuteur prétend à une certaine objectivité. La négation οὐ, qui prétend donc dire le vrai en écartant le faux, a une plus grande valeur informative que μή, tout en ayant souvent une moindre force expressive (cf. le μή de dénégation emphatique ou de serment). Cette plus grande valeur informative a été observée en présence de l'indicatif et dans les combinés négatifs. Mais la différence est encore plus marquée si au tour avec où et l'indicatif on oppose un tour avec μή et un subjonctif, comme le montre le passage suivant. Il. 1. 135: ei μὲν δώσουσι... « S'ils me disent qu'ils donneront ...» L'hypothèse contradictoire serait: ei δ᾽ où δώσουσι « S'ils me disent qu'ils ne donneront pas.» L'hypothèse ei δὲ μὴ δώσουσι « S'ils ne me disent pas qu'ils donneront» aurait déjà une plus grande extension, supposant le silence aussi bien que la réponse négative. Mais Agamemnon a choisi une troisième possibilité. Il. 1. 137:

ei δέ κε μὴ 66000... « Mais s'ils ne finissent pas par donner... » En passant ainsi d'une hypothése sur l'attitude actuelle des Achéens à une hypothése sur leur attitude imaginée dans lavenir, Agamemnon semble donner une plus grande extension à la validité de la menace qu'il profére ensuite, en apodose. Mais surtout, il se montre moins exigeant, leur laissant la possibilité de changer d'avis, car pour l'instant Achille a répondu non et les autres Achéens se taisent.

C. LES OPPOSITIONS INTERNES À où ET À μή L'opposition de où et de μή repose sur ce qui est à la source de leur emploi. Il existe d'autre oppositions, internes à chaque négation, en fonction de ce sur quoi elle porte. Chaque négation a ainsi des emplois infra-propositionnels, propositionnels et supra-propositionnels.

CONCLUSION

69

- Emplois infra-propositionnels : Ce sont ceux des négations « partielles », et en particulier des combinés négatifs où la négation porte sur un seul mot. Οὐκ ἐθέλειν et οὐκ ἐᾶν sont tirés d'assertions négatives. Μὴ καλός «non beau » est tiré de ὃς μὴ καλός ἐστι «dont on ne dit pas qu'il est beau », donc d'un emploi supra-propositionnel de μή. En revanche, où καλός « pas beau », c'est-àdire «laid », est tiré de ὃς où καλός ἐστι «dont on dit qu'il n'est pas beau », donc d'un emploi propositionnel de ov. Ainsi s'explique la différence de sens de ces combinés. Un autre emploi infra-propositionnel de μή

est celui de τὸ μὴ φεύγειν« le fait de ne pas fuir » où il porte sur un infinitif?!. - Emplois propositionnels : Ce sont ceux où la négation a une valeur descriptive: où décrit alors le réel, μή décrit une situation imaginaire (avec l'optatif, voir Il. 9. 515 ci-dessus chap. III, C, 3). La négation porte alors sur la partie d'une représentation événementielle qui constitue le propos de l'énoncé. - Emplois supra-propositionnels : Ce sont ceux oü précisément sur une

la négation porte sur une proposition, et plus assertion, constituant alors un nouvel énoncé sur

un énoncé. Οὐ prend alors une valeur polémique (assertion contre assertion : « Il est faux que... »). Μή est contrastif ou polémique, exprimant un

rejet

non

assertif

(question

orientée

vers

une

réponse

négative,

dénégation emphatique ou serment négatif, protases de type I ou IV). Lorsqu'il accompagne une proposition à un mode assertif (indicatif), μή ne peut étre que supra-propositionnel. Avec le subjonctif non assertif, il semble impossible de distinguer un emploi supra-propositionnel du simple emploi propositionnel. La coexistence d'emplois infra-propositionnels, d'emplois propositionnels et d'emplois supra-propositionnels est souvent ce qui rend possible les

combinaisons de négations?2. D. ANALYSE

ÉNONCIATIVE

DE LA PROPOSITION

Dans leurs emplois propositionnels οὐ et μή dissocient les deux éléments énonciatifs fondamentaux de toute proposition. -Le contenu énonciatif, ou objet de l'énoncé, est alors une représentation, situation événementielle déterminée par la liaison d'un sujet et d'un prédicat, avec éventuellement

la mention

de circonstances.

-La source énonciative détermine la position que choisit le locuteur pour envisager cette représentation. Elle constitue un point de vue, lequel peut être conçu comme une simple détermination de sa volonté (d'où 71. Cet emploi a pour source un acte locutoire et non illocutoire. Cf. en particulier Récanati, 1979, pp. 223-ss. 72. Cf. Humbert,

1960, 8 651.6.

70

lère PARTIE

- NÉGATIONS

l'emploi de μή) ou s'appuyer sur une information, et est alors un point de vue de vérité (d'où l'emploi de où). Une troisième possibilité consiste pour le locuteur à s'appuyer sur une information toute fictive, imaginée par lui (d'où l'emploi de μή). L'étude des modes montrera l'importance syntaxique de cette distinction entre point de vue et représentation.

DEUXIEME

MODE

DE

PARTIE

LE SUBJONCTIF GREC LA REPRESENTATION IMAGINAIRE

Definition d’une valeur fondamentale du subjonctif grec. Application aux differents emplois, en particulier aux protases de type II. Première présentation du système modal du grec ancien.

72

2° PARTIE

CHAPITRE

COMMENT

DEFINIR

A. LES

- SUBJONCTIF

PREMIER

LE

SUBJONCTIF

GREC

EMPLOIS

Le subjonctif avait en grec homerique

des emplois forts differents.

1. Subjonctif assertant la possibilité d’une éventualité : Il. 6. 459: καί ποτέ τις εἴπῃσιν... « Et il se peut qu'on dise un jour... » Cet emploi homérique est inconnu de la prose attique. Chez Homère, il est souvent accompagné d'une particule ke ou &v. La négation est la négation assertive OU. 2. Subjonctif dit volontatif : Od. 22. 73: … ἀλλὰ μνησώμεθα χάρμης « Mais rappelons notre ardeur belliqueuse. » Cet emploi en proposition indépendante, à valeur d’exhortation, a été rapproché de certains emplois en subordonnées finales sans particule. Il n'y a jamais de particule ke ou ἄν (les finales avec particule reposent plutôt sur une valeur d'éventuel). Précédé de la négation μή, ce subjonctif passe pour exprimer la défense, une mise en garde, ou simplement la crainte (en particulier dans les complétives de crainte). 3. Subjonctif interrogatif : N'a pas toujours la valeur délibérative qu'on a. Avec valeur délibérative : Od. 15. 509: Πῇ... ἴω... ; « Οὐ dois-je aller ? »

lui attribue souvent.

CH. I - DEFINITION

73

b. Sans valeur délibérative : Od. 5. 465:

Ὥμοι ἐγώ, τί πάθω... ; « Malheur de moi, que va-t-il m'arriver ? » Pour une interprétation plus précise, voir ci-après chap. IV, C. Il n'y a pas de particule, ni, chez Homère, de négation. 4. Subjonctif d'hypothèse

dite éventuelle :

Cet emploi apparaît après el ou al, relatives, même dans certaines finales.

dans

des

temporelles

ou

des

Il. 1. 137:

εἰ δέ κε μὴ 5000... « Mais s'ils ne viennent pas à la donner... » Cet emploi apparait donc surtout en subordination. Cependant, chez Homère, ei ou ai suivi d'un subjonctif ne constitue pas nécessairement une proposition subordonnée. La particule ke ou ἄν est fréquente chez Homère, constante en prose attique. la négation est la négation non assertive uf.

B. LES VALEURS

Pour définir les valeurs du subjonctif grec, la tradition grammaticale moderne privilégie les emplois en proposition indépendante. C'est sans doute dans l'idée qu'un emploi subordonné dérive d'un emploi indépendant, idée liée à la thése qui veut que la subordination (hypotaxe) soit issue d'une juxtaposition d'indépendantes (parataxe). On distingue ainsi habituellement deux valeurs, la valeur de volonté et celle d'éventualité. On rattache à cette dernière le subjonctif aprés ei ou ai et dans les subordonnées équivalentes. Mais certains renoncent à rattacher la valeur délibérative à la valeur volontative et en font une valeur distincte!. Que l'on distingue deux ou trois valeurs d'emploi, la difficulté est de les dériver d'une valeur fondamentale unique. On penche le plus souvent pour une idée de futur?. C'est à la fois trop vague, car cela ne permet pas de distinguer l'indicatif futur, dont les emplois sont différents, et trop précis, car le subjonctif ne semble pas toujours se limiter à l'avenir (cf. le subjonctif d'hypothése générale). Quant au concept de « visualisation »

1. Ainsi Brugmann, 1913, p. 573, alors que volontative et prospective.

Delbrück,

1871,

ne distingue

que

des valeurs

2. Cf. Hahn, 1953. Les grammairiens de langue allemande semblent jouer sur l'ambiguité du mot Erwartung « attente », qui correspond soit à un désir (volontatif), soit à une prévision (judicatif).

74

2° PARTIE - SUBJONCTIF

de Gonda, 1956, il parait trop imprecis pour permettre d’opposer le subjonctif aux autres modes?. Faute de pouvoir donner une définition à la fois précise et générale du subjonctif grec, on s'est parfois contenté de lui chercher une valeur primitive,

renongant

à

le

décrire

comme

une

unité

sémantique

en

synchronie^. En fait cela revient à privilégier soit une valeur assertive, quand on fait du subjonctif un ancien futur, soit la valeur de volonté, c'est-à-dire les valeurs qui apparaissent en proposition indépendantes. Pourtant tout montre que, pour définir le subjonctif grec, il faut se libérer de l'opposition entre volonté et assertion. En effet, acte de volonté (injonction) et acte d'assertion (jugement), sont des actes énonciatifs de natures trés différentes et inconciliables. Ce ne peut donc étre pour le subjonctif que des valeurs d'emploi, qui se superposent à sa valeur propre. La grande variété des emplois du subjonctif montre qu'il est par lui-méme indifférent à cette opposition. Or ce sont les emplois indépendants qui se chargent le plus facilement d'une valeur d'acte énonciatif. Les emplois subordonnés dans un énoncé complexe ne sont pas nécessairement surchargés d'une telle valeur. L'hypothése en particulier se caractérise par l'absence de prise en charge enonciative®. Il vaut donc mieux, pour étudier le subjonctif grec, partir des emplois subordonnés, ou du moins des emplois où n'apparaît pas une prise en charge énonciative d'un type particulier. On retrouve ainsi l'opinion des grammairiens anciens qui faisaient du subjonctif un mode de subordination’. La valeur propre du subjonctif doit étre plus facile à cerner dans ces emplois, en particulier dans le subjonctif d’hypothese.

C. L'ORIGINE

DU SUBJONCTIF

D’HYPOTHESE

Le subjonctif d'hypothése apparait naturellement systémes hypothetiques (type ID. Il. 12. 223-5: … δἷ πέρ TE πύλας Kal τεῖχος ᾿Αχαιῶν ῥηξόμεθα..., εἴξωσι δ᾽ ᾿Αχαιοί οὐ κόσμῳ παρὰ ναῦφιν ἐλευσόμεθ᾽...

3. Voir ci-apres, sous Ὁ. Nous « representation ».

traduisons

le terme

anglais

dans les protases de

« visualisation » de Gonda

par

4. En allemand, Ürbedeutung opposé à Grundbedeutung. 5. Ainsi Hammerschmidt, 1892, p. 22, pour qui le subjonctif est primitivement un s'oppose à Delbrück, 1879, pp. 349-74, pour qui il est primitivement volontatif.

futur,

6. Voir premiere partie, chap. II, C, 7. 7. Ἢ

ὑποτακτικὴ

ἔγκλισις des grammairiens

grecs, traduit subjunctivus modus

en latin.

CH. 1 - DÉFINITION

75

« Méme si nous brisons les portes et le mur des Achéens, et si les Achéens reculent, nous ne reviendrons pas en bon ordre... » Selon la théorie de l'origine paratactique, le subjonctif d'une telle protase dérive d'un subjonctif d'exhortation ou d'un équivalent du futur. L'emploi en protase a alors pour effet d'effacer la valeur primitive, ou méme fondamentale, comme le suggérent les traductions suivantes: - Avec un mode de volonté: « Brisons les portes des Achéens, alors nous ne reviendrons pas en bon ordre. »? C'est le type de « Répète-le et je te gifle » où « répéte-le » n'exprime plus un ordre mais une simple hypothése. - Avec un équivalent du futur: « Nous briserons les portes des Achéens? Nous ne reviendrons pas en bon ordre. » C'est le type de « Tu le répètes ? Je te gifle », où l'indicatif n'exprime plus une assertion

effective.

De tels modeles sont, chacun pris en lui-méme, credibles. Mais ils ne sont pas applicables à la protase au subjonctif du grec, ne serait-ce que parce qu'il est impossible de choisir entre eux. En effet, certains indices (négation μή) suggèrent un mode de volonté en excluant l'équivalent d'un futur, alors que d'autres (emploi fréquent d'une particule ke ou ἄν) font l'inverse. On peut ajouter que de tels modéles suggérent que la protase, au moins à date ancienne, est antéposée. Or c'est plutót la postposition qui prédomine chez Homere. Mais surtout, les nombreux emplois du subjonctif aprés ei ou ai hors du cadre des systémes hypothétiques rendent impossible l'une ou l'autre de ces interprétations. Ces emplois sont chez Homére indépendants ou postposés à une proposition dont ils dépendent plus ou moins sans en étre la protase. Or ils n'ont la valeur ni d'un mode de volonté, ni d'un équivalent du futur, valeur qui devrait alors réapparaitre si elle n'avait été qu'effacée par l'emploi en protase. Ces

emplois

aprés

ei qui

ne

constituent

pas

des

protases

sont

donc

ceux dont il faut partir pour expliquer l'emploi en protase. C'est en effet à partir d'eux qu'on doit réaliser la construction paratactique des systémes hypothétiques correspondants. Et, dés à présent, on peut remarquer que la conjonction ei n'a pas ici le méme róle que dans les protases de type I. Alors que celles-ci contiennent un mode assertif (indicatif), le tour avec un subjonctif aprés εἰ contient un mode qui, en lui-même, n'est ni assertif, ni volontatif, puisqu'il peut avoir les deux valeurs. Le róle de ei est alors de l'empécher de se charger d'une telle valeur, que ce soit dans une indépendante ou une subordonnée’. 8. Une interprétation semblable a été proposée pour les protases à l'optatif. Voir premiere partie, chap. III, A, 1. 9. Mais avec l'indicatif, qui est par lui-méme assertif, el indique que l'assertion n'est pas assumée

par le locuteur.

76

2° PARTIE - SUBJONCTIF

D. VERS

UNE NOUVELLE

DEFINITION

DU SUBJONCTIF

HOMERIQUE

Pour étudier le subjonctif, on observera donc successivement : - Les emplois après el ou ai hors du cadre des systèmes hypothétiques. - Les emplois après si dans les protases de systèmes hypothétiques et les emplois apparentés. - Les emplois sans el, surtout dans les propositions indépendantes où il se charge de diverses valeurs énonciatives. On admettra que le subjonctif homérique est une catégorie syntaxique et a bien, comme tel, une valeur fondamentale. Mais celle-ci, étant indifférente aux déterminations énonciatives que sont l'assertion et la volonté, ne peut par conséquent qualifier la source de l'énoncé, ni comme point

de

vue

de

vérité

(assertion),

ni

comme

volonté

personnelle

du

locuteur (injonction), ni d'autre façon que ce soit. S'il ne détermine pas la source de l'énoncé, le subjonctif homérique n'en peut déterminer que le contenu. Or celui-ci a été défini comme une représentation événementielle obtenue par l'association d'un support nominal

(sujet) et d'un

prédicat verbal,

avec éventuellement

la mention

d'une circonstance, mais en excluant toute indication d'une attitude du locuteur à son égard (voir premiere partie, chap. II, C, 6). Par exemple, on peut avoir une représentation «les Troyens brisant les portes des Achéens », sans que soit précisé si elle correspond à un désir du locuteur ou à une

prévision.

Le subjonctif homérique détermine donc une représentation événementielle, et d'une facon qui l'oppose à l'indicatif. Or l'indicatif, tout en étant assertif (indiquant donc une certaine attitude du locuteur) a pour particularité d'évoquer une situation événementielle dans le réel, que ce soit dans le passé, le présent ou un futur senti comme prédéterminé. Ce réel est en effet l'univers spatio-temporel du discours, oü se situent les événements vécus ou prédéterminés. Le subjonctif sera dés lors le mode qui situe une représentation événementielle hors de ce réel, c'est-à-dire dans l'éventuel, à condition qu'on n'attache à cette notion aucune idée d'un jugement de possibilité. Ainsi l'événement « les Troyens brisant les portes des Achéens » est pour Polydamas parlant à Hector une éventualité, c'est-à-dire une représentation événementielle qui n'est située ni dans le domaine du vécu, ni dans le domaine du prédéterminé, qui est donc située hors du réel!

10. Voir, pour cette notion de représentation événementielle, premiere partie, chap. II, C, 6.

CHAPITRE

II

LE SUBJONCTIF APRES ei ou ai HORS D'UN SYSTEME HYPOTHETIQUE

A. LE SUBJONCTIF

APRES εἰ EN PROPOSITION

INDEPENDANTE

Le subjonctif est rarement employé après ei dans une proposition vraiment indépendante. On a relevé ici quelques exemples, parfois semblables, qui sont tous accompagnés d'une particule κε ou ἄν. L'énoncé paraît

toujours

comme

inachevé,

supposant

une

intonation

suspensive.

Le locuteur se contente d'envisager une éventualité sans indiquer une prise de position de sa part à son égard. Pour lui, cette éventualité peut être effrayante,

indifférente, ou tentante.

1. Cas où l'éventualité envisagée est effrayante: Il. 1. 580-1: et nep γάρ x’ ἐθέλῃσιν ᾿Ολύμπιος ἀστεροπητὴς ἐξ ἑδέων στυφελίξαι: ὁ γὰρ πολὺ φέρτατός ἐστιν. « Car imaginons que l'Olympien qui lance l'éclair veuille la précipiter à bas de son siège. C'est qu'il est de beaucoup le plus fort. » La querelle entre Zeus et Héra fait naitre dans l'esprit d'Héphaistos l'image d'une scéne éventuelle de bataille. Bien entendu, il n'en manifeste pas le désir, ni ne porte sur elle un jugement de possibilité. Il n'exprime donc aucune attitude personnelle, se contentant d'envisager. L'évocation en elle-méme, par son caractére effrayant, doit, dans son esprit, avoir une force de dissuasion. 2. Cas



l'éventualité

est indifférente

au locuteur:

Od. 21. 259-61 :

ὦν ἀλλὰ ἕκηλοι κάτθετ᾽- ἀτὰρ πελέκεάς γε καὶ εἴ κ᾿ εἰῶμεν ἅπαντας ἑστάμεν: οὐ μὲν γάρ τιν᾽ ἀναιρήσεσθαι ὀίω

78

2° PARTIE

- SUBJONCTIF

« Mais restez tranquilles. Quant aux haches, imaginons m&me que nous les laissions toutes en place... Car je ne crois pas qu'on les enlevera. » Après l'échec d’Eurymaque au concours de l'arc (vers 245-55), c'est au tour d’Antinoos de tenter sa chance (vers 186). Mais, pris d'inquiétude, celui-ci veut gagner du temps en repoussant à plus tard la suite du concours, sous le prétexte de la célébration d'une fête sacrée (vers 2578) Aussi demande-t-il aux prétendants de rester tranquilles et fait-il ensuite appel à l'échanson (vers 263). Quant aux haches plantées par Télémaque pour servir de cible, il na pas de volonté définie à leur sujet, mais imaginant comme une éventualité qu'elles restent en place jusqu'au lendemain, il n'y voit pas d'obstacle, puisque personne n'y touchera. En fin de compte, cela revient à proposer aux interlocuteurs l'éventualité envisagée. Mais c'est là un effet de sens, qui résulte de l'absence d'objection. Le tour avec ei, le subjonctif et la particule ke ne peut être mis sur le méme plan que l'impératif qui précéde et qui exprime la volonté expresse d'Antinoos. Antinoos se montre indifférent au sort qui sera fait aux haches!!.

3. Cas oü le locuteur imagine une éventualité qui le tente: Il. 22.

1114:

Ei δέ κεν ἀσπίδα μὲν καταθείομαι ὀμφαλόεσσαν καὶ κόρυθα βριαρήν, δόρυ δὲ πρὸς τεῖχος ἐρείσας αὐτὸς ἰὼν ᾿Αχιλῆος ἀμύμονος ἀντίος ἔλθω καί οἱ ὑπόσχωμαι Ἑλένην καὶ κτήμαθ᾽ ἄμ᾽ αὐτῇ... Vers

119-120:

Τρωσὶν δ᾽ αὖ μετόπισθε γερούσιον ὅρκον ἔλωμαι μή τι κατακρύψειν... Vers

122:

᾿Αλλὰ τί À μοι ταῦτα φίλος διελέξατο θυμός ; « Mais imaginons que je dépose mon bouclier bombé et mon casque puissant, et que, appuyant ma pique à la muraille, j'aille de moi-même me présenter devant le valeureux Achille, et que je lui promette Hélène et avec elle les trésors. Imaginons que jobtienne même ensuite le serment

des anciens

que

rien ne sera recélé..

Mais

pourquoi

mon

cœur

dispute-t-il ainsi ? » Face à Achille qui poursuit les Troyens, Hector imagine la conclusion d'un traité. Il se plait à imaginer les détails d'une scéne qui serait pour lui le salut. Emporté par sa réverie temporaire, il va jusqu'à imaginer un serment des anciens de Troie qui n'a rien à voir avec la décision qu'il a maintenant

à prendre.

de vraisemblance

Toute cette réverie ne contient

et n'exprime

11. De méme, en Îliade 21 567 en l'absence d'objection.

pas la volonté d'Hector.

est imaginée

une

éventualité

qui

sera

aucun jugement

Ce n'est qu'une

finalement

adoptée,

CH. II - APRES ei NON

CONDITIONNANT

tentation qu'il rejette lorsqu'il transigera jamais, vers 122-5).

79

revient

au sens

des

réalités

(Achille

ne

4. Signification générale de cet emploi: La volonté du locuteur n'est donc jamais exprimée dans ces emplois indépendants de subjonctif aprés ei, suscités aussi bien par la peur que par l'indifférence ou un désir momentane auquel on ne cède pas. N'est exprimé non plus aucun jugement sur la possibilité de l'éventualité envisagée. Ce n'est en effet qu'aprés coup qu'on présente des arguments, qui tantót sont en sa faveur, tantót la font rejeter. Antérieurement donc à tout acte de volonté et à tout jugement assertif, le locuteur se contente d'imaginer une éventualité, scéne qu'il se représente hors de l'univers des événements vécus ou prédéterminés, c'est-à-dire hors de son réel. Mais il présente cette éventualité comme une prolongation naturelle (sans que cela aille jusqu'à un jugement de possibilité) des événements qu'il vit. Cette derniére valeur est imputable à la présence de la particule ΚΕ, alors que la particule ἄν, employée dans un autre exemple, semble

souligner un revirement'?. Il. 21. 556-8: Εἰ δ᾽ ἂν ἐγὼ τούτους μὲν ὑποκλονέεσθαι ἐάσω Πηλεΐδῃ ᾿Αχιλῆι, ποσὶν δ᾽ ἀπὸ τείχεος ἄλλῃ φεύγω πρὸς πεδίον ᾿Ιλήιον ... « Mais imaginons que je les laisse être bouscules par Achille fils de Pelee, et que je fuie ä toutes jambes ailleurs, loin du rempart, vers la plaine d’Ilion... » Cette tentation d’Agenor prefigure celle d’Hector au chant 22, vers 11120, évoquée ci-dessus. Mais, fuyant avec le reste des Troyens vers les remparts de Troie, Agénor imagine ici une volte-face de sa part, vers une autre chance de salut. C'est sans doute à cela que correspond l'emploi plus rare, et expressif, de &v.

B. LES FAUSSES Le

subjonctif

aprés

εἰ, mais

FINALES surtout

une proposition principale, avec comme finale!?. On peut alors étre Mais ce serait d'abord une erreur volontative. Souvent, si une volonté

12. Voir ci-aprés, chap. III, C, 2. 13. Chantraine,

1953, 8 414.

« POUR aprés

VOIR SI »

ai, est

souvent

une valeur généralement tenté d'y voir un subjonctif de lier la valeur finale à est exprimée, c'est dans la

postposé

à

considérée volontatif. une valeur principale.

80

2° PARTIE - SUBJONCTIF

La subordonnée finale au subjonctif peut n'exprimer alors que le résultat envisagé d'une action délibérée, ce qui rend possible en grec la présence d'une

particule.

Il 1. 32: ἀλλ᾽ ἴθι, μή μ᾽ ἐρέθιζε, σαώτερος ὥς KE νέηαι « Mais

va,

cesse

de

m'irriter,

de

sorte

que

tu

partes

sain

et

sauf. »

Mais d'autre part, le subjonctif aprés αἱ (rarement ei), dans une proposition postposée, n'a pas une réelle valeur de finale. Le sens n'est pas « pour », mais « pour voir si ». La subordonnée n'exprime pas le but recherché, mais les éventualités que la principale fait apparaitre, qu'elles soient recherchées ou non. Il. 20.

172-3:

γλαυκιόων δ᾽ ἰθὺς φέρεται μένει, ἦν τινα πέφνῃ ἀνδρῶν, ἢ αὐτὸς φθίεται πρώτῳ ἐν ὁμίλῳ « L'œil

étincelant,

(le

lion)

fonce

tout

droit,

avec

rage,

pour

voir sil

tuera un homme ou périra lui-même au début de la mêlée ; » Le lion a sans doute l'intention de tuer un ennemi, mais pas celle d'étre tue! Mais il se peut que méme la traduction « pour voir si» soit trop précise. Elle implique en effet que c'est le lion qui, au moment de sa charge furieuse, imagine les éventualités qui s'ouvrent à lui. Ce n'est pas impossible. Le poéte peut préter au lion des facultés humaines, d'autant plus qu'il est le représentant métaphorique d'un guerrier. Mais il n'est pas non plus impossible que ce soit le poéte qui imagine les éventualités qui s'ouvrent dans son récit. En ce cas le subjonctif aprés ἦν (= εἰ + &v) garde une grande indépendance: « Le lion fonce tout droit, avec rage: peut-être va-t-ill* tuer un homme, peut-étre va-t-il périr lui-méme. » Cette traduction préserve l'ambiguïté du texte grec. On peut hésiter entre une interprétation locutorale (c'est le locuteur qui imagine), et une interprétation protagonistique (c'est le protagoniste, c'est-à-dire l'agent principal, qui imagine). Aucun signe formel ne permet de choisir, sauf peut-étre l'opposition de ei et de ai. En effet, ai est prépondérant dans les emplois postposés qui admettent l'interprétation protagonistique, alors que ei est seul employé dans les emplois indépendants. Il est vrai que c'est un signe de peu de poids, le tour indépendant étant rare et la tradition manuscrite parfois incertaine. Mais il est possible que al signifie proprement « pour le cas où »!5, En outre, sur le plan sémantique, le choix entre l'interprétation locutorale 14. En frangais, « peut-étre va-til » s'oppose à «il va peut-étre », qui serait plus assertif. De méme en grec fjv... ἢ... semble s'opposer à 7|... Y..., mais la nuance est faible (voir ci-aprés, chap. IV, A, 2).

15. Selon Haudry, correspondrait « àu Cas oü ».

1979, p. 35, αἱ pourrait être un ancien datif « pour le cas où», ce qui bien au sens « pour voir si ». El en revanche doit étre un ancien locatif

CH. II - APRÉS ei NON CONDITIONNANT

81

et l'interprétation protagonostique est le plus souvent libre. C'est que le discours direct est trés fréquent dans l'épopée homérique. Aussi le protagoniste de l'action principale est-il souvent aussi le locuteur de l'énoncé, en particulier lorsque le verbe principal est à la premiére personne. Il. 24. 357: γούνων ἁψάμενοι λιτανεύσομεν, at x’ ἐλεήσῃ « Touchant ses genoux supplions-le : peut-être va-t-il (ou bien pour voir s'il va) nous prendre en pitié. » De même, après un impératif, le protagoniste de l'action principale est l'interlocuteur, destinataire de la demande exprimée. L'éventualité est alors imaginée conjointement par les deux interlocuteurs. Il. 17. 652: Σκέπτεο νῦν, Μενέλαε διοτρεφές, al xev ἴδηαι « Regarde donc, Ménélas nourisson de Zeus: peut-être vas-tu (ou bien pour voir si tu vas) apercevoir... »

Mais même lorsqu'il y a ainsi identité de personne entre le locuteur, ou les interlocuteurs, et le ou les protagonistes de l'action principale, il est parfois nécessaire de distinguer deux moments de la vie d'une méme personne, ou deux róles différents. Souvent en effet, il est plus vraisemblable que l'éventualité soit imaginée au moment où l'on parle, annonçant un comportement Il. 21. 293:

à venir, qu'au

moment



l'on agira effectivement.

αὐτάρ tot πυκινῶς ὑποθησόμεθ᾽, al xe πίθηαι « Mais nous te donnerons un ferme conseil: peut-être vas-tu le suivre. » Ici la volonté de donner un conseil n'est pas soumise à une condition, la proposition introduite par ai n'est donc pas une protase!$. En revanche, lexpression de cette volonté fait naitre l'éventualité, et donc l'espoir, d'étre écouté. la proposition introduite par ai est donc plus juxtaposée que subordonnée. Elle constitue une aimable incitation à la confiance. L'interprétation protagonistique est la plus satisfaisante lorsque le protagoniste

n'est

pas

un

des

interlocuteurs,

et

que

son

activité

est

animée par un espoir. On peut alors traduire « dans l'espoir que ». Il. 18. 211-3: πυρσοί τε φλεγέθουσιν ἐπήτριμοι, ὑψόσε δ᾽ αὐγὴ γίνεται ἀΐσσουσα περικτιόνεσσι ἰδέσθαι, al κεν πως σὺν νηυσὶν ἀρῆς ἀλκτῆρες ἴκωνται « (Les assieges) allument des signaux de feu, en grand nombre, et la lueur qui jaillit s'élève très haut, pour être vue des peuples voisins, dans l'espoir qu'ils viennent sur leurs navires pour les préserver du désastre. » Mais même en ce cas il est possible que le poète exprime directement, par sympathie, le rêve des assiégés que suggère son récit: « peut-être vont-ils venir... »!? 16. Interprétation contraire de Mazon 17. Cf. la traduction de Mazon

dans

dans

sa traduction

la collection

Bude.

de la collection

Bude.

82

2° PARTIE - SUBJONCTIF

En fait, l'interprétation protagonistique, qui rend le tour dépendant de ce qui précède, n'est jamais nécessaire. Elle est d'autre part parfois impossible. En particulier, lorsqu'aucune activité délibérée n'est exprimée dans ce qui précède, l'éventualité envisagée n'est pas suscitée par une telle activité dans l'esprit d'un protagoniste. Elle est seulement suscitée dans l'esprit du locuteur par ce qu'il dit. L'effet de sens est plutót explicatif. Il. 6. 441-3: … ἀλλὰ μάλ᾽ αἰνῶς αἰδέομαι Τρῶας καὶ Τρφάδας ἑλκεσιπέπλους αἴ κε κακὸς ὥς νόσφιν ἀλυσκάζω πολέμοιο « Mais j'ai terriblement honte devant les Troyens et les Troyennes aux robes trainantes: imaginons que je reste comme un lâche à l'écart de la bataille. » L'éventualité imaginée est la cause du sentiment de honte. On peut donc traduire: « J'ai honte à l'idée que je reste..» Ce tour est à l'origine de la construction de ei avec le subjonctif aprés des verbes de sentiment. La cause, ou l'objet, du sentiment exprimé n'est alors qu'une éventualité. Le sentiment peut naitre en effet d'une simple représentation événementielle, sans que s'y ajoute aucun jugement de réalité!?. I] arrive méme qu'aucun effet de sens ne résulte de la postposition du tour avec &i et le subjonctif. Od. 1. 187-8:

ξεῖνοι δ᾽ ἀλλήλων πατρώιοι εὐχόμεθ᾽ εἶναι ἐξ ἀρχῆς, εἴ πέρ τε γέροντ᾽ εἴρηαι ἐπελθών « Nous nous vantons d’être l'un pour l'autre des hôtes de père en fils, de tout temps: imaginons même que tu interroges à ce sujet le vieux (Laerte) quand tu iras chez lui. » Après avoir affirmé à Télémaque ses liens d'hospitalité avec la famille de Laerte, Athéna-Mentès en imagine une éventuelle vérification. Cela peut être compris comme une aimable incitation à le faire. Dans tous ces exemples donc, le tour examiné est plutôt juxtaposé que subordonné à ce qui précède. L'interprétation protagonistique, qui subordonne, n'est jamais obligatoire, et parfois impossible. De plus, même l'effet de sens «dans l'espoir que» n'est pas vraiment celui d'une subordonnée finale « afin que ». C'est que l'éventualité espérée n'est pas congue comme le résultat attendu de l'action principale. Le lien entre les deux est plus lointain et incertain. Ce tour est habituellement accompagné de la particule ke propre à exprimer un enchainement naturel d'événements!?. L'absence de particule en Od. 1. 188 ci-dessus tient sans doute au fait qu'un enchainement n'y est pas exprimé. L'éventualité qui y est envisagée n'est pas conçue comme

liée à l'actualité par une sorte de prolongation naturelle.

18. C'est d'ailleurs le principe de toute fiction littéraire. 19. Voir ci-aprés, chap. III, C, 2.

CH. H - APRÈS el NON

C. FAUSSES

CONDITIONNANT

83

ET VRAIES INTERROGATIVES

INDIRECTES

Il est un autre emploi postposé du subjonctif après ei (plus rarement ai) ne constituant pas une protase de système hypothétique. C'est celui où il «a pu servir à constituer ce que l'on a appelé l'interrogation indirecte »2, Mais l'emploi interrogatif de ei s'observe surtout avec l'indicatiP!, Avec le subjonctif, il faut distinguer deux cas selon la nature de ce qui précède. - Si la proposition précédente signifie à peu près « j'ignore », le tour avec ei et le subjonctif n'exprime pas vraiment le contenu d'une ignorance. Le tour ne correspond pas à une interrogation indirecte. - Si la proposition précédente signifie à peu prés «je veux savoir », ou « pour savoir », le subjonctif aprés ei exprime bien le contenu d'une vérification à venir et a bien la valeur d'une interrogative indirecte? 1. Aprés un aveu d’ignorance: Il. 15. 16-7:

Où μὰν οἶδ᾽ ei αὖτε κακορραφίης ἀλεγεινῆς πρώτη Eradpnaı... Ces deux vers ont été ainsi traduits par Chantraine, « Je me demande

1953, p. 283:

si tu ne vas pas être la première en retour à recueillir

le fruit de ta fourbe cruelle... »2. Cette traduction, qui donne au tour avec ei et le subjonctif une valeur interrogative, introduit dans « si tu ne vas pas » une négation qui n'existe

pas dans la phrase grecque. La syntaxe exigerait donc plutôt: «je ne sais pas si tu vas recueillir. » Mais une telle traduction ne conviendrait pas semantiquement. En effet, Zeus n'avoue pas tant son ignorance de ce qu'il va faire qu'il ne menace Héra, qui lui paraît trop sûre de son impunité. C'est donc que la traduction avec une interrogative indirecte n'est pas correcte. Il faut revenir aux traductions proposées jusqu'ici pour le tour avec el et le subjonctif, qu'il soit indépendant ou postposé. Postposé ici aprés un aveu d'ignorance, il envisage une éventualité susceptible d'effrayer Héra. Il faut donc traduire: « Mais vraiment, je ne suis sür de rien: imaginons que tu sois (ou bien peut-étre seras-tu) la premiére à recueillir... » I] peut arriver d'ailleurs que la proposition précédente contienne un démonstratif exprimant l'objet de l'ignorance. Ce démonstratif renvoie

20. Chantraine,

1953, p. 283.

21. Ibid. p. 293. 22. Voir Monteil, 1963, pp. 145-6, pour une distinction comparable à propos des emplois de don. Mais ici, la distinction est liée à la présence du subjonctif dans la subordonnée. 23. CÉ. aussi la traduction de Mazon

dans

la collection Budé.

84

2° PARTIE - SUBJONCTIF

alors au contexte précédent (il est anaphorique), non à ce qui suit (il n'est pas cataphorique). Il. 20. 435-7: ἀλλ᾽ fitot μὲν ταῦτα θεῶν ἐν γούνασι κεῖται αἴ κέ σε χειρότερός περ ἐὼν ἀπὸ θυμὸν ἕλωμαι δουρὶ βαλών, ἐπεὶ ἡ καὶ ἐμὸν βέλος ὀξὺ πάροιθεν. « Mais vraiment, la decision sur ce point repose sur les genoux des dieux: peut-être vais-je t'ôter la vie, bien que je n'aie pas ta valeur, en te frappant de ma lance, car moi aussi j'ai un projectile pointu, et qui part. » Sur ces mots, Hector lance sa javeline. Achille vient de lui promettre la mort

(vers 429). Hector,

face à lui, reconnait

son

infériorité (vers 434

et 436). Mais pour autant, pense-t-il, les jeux ne sont pas faits. Face à l'assurance d'Achille, Hector peut encore imaginer sa propre victoire, d'autant plus qu'il se dispose à tirer le premier. Dans ces exemples donc, l'aveu d'ignorance qui précéde a une valeur polémique. Il s'agit de détruire l'assurance de l'interlocuteur. L'éventualité qui est ensuite envisagée justifie l'assertion que l'avenir n'est pas certain. La méme valeur polémique s'observe après le tour tig οἶδ᾽ : « Qui sait ? » Il. 15. 403:

Τίς οἶδ᾽ el κέν oi σὺν δαίμονι θυμὸν ὀρίνω « Qui sait ? Peut-être vais-je, avec l'aide d'un dieu, éveiller son ardeur... »2* Patrocle va tenter de persuader Achille de reprendre le combat, tentative que la colère d'Achille semble vouer à l'échec. Mais Patrocle imagine malgré

tout son succès, grâce

à une

intervention

divine. Il suggère

ainsi

que la situation, tout en ne le laissant pas prévoir, ne l'empêche pas absolument. La valeur polémique de ces exemples diffère de celle que prendrait, dans un contexte semblable, une interrogation, directe ou indirecte. Prenons comme exemple la situation où il est vraisemblable qu’Achille va tuer Hector.

- L'interrogation polémique serait : « Mais Achille va-t-il tuer Hector ? », ou bien: « Mais je ne sais pas si Achille va tuer Hector. » Elle reprend les termes de l'assertion jugée vraisemblable pour la mettre en doute. - L'interrogation polémique peut aussi étre négative, mais alors elle porte sur l'assertion contraire, celle qui est jugée invraisemblable : « Mais n'est-ce pas Hector qui va tuer Achille?», « Mais je ne sais pas si ce n'est pas Hector qui.. » À ce qui était au départ jugé probable, une telle interrogation substitue la probabilité contraire. - Le tour avec ei et le subjonctif semble étre proche du deuxiéme cas, car il suggére lui aussi ce qui est contraire au vraisemblable. Il s'en distingue cependant en ne substituant pas une nouvelle probabilité à celle qui est posée au départ. Avec ce tour, on ne change pas de

24. Cf. aussi /liade

16 860-1; Odyssée 2 332-3, 3 216.

CH. II - APRES si NON

CONDITIONNANT

85

probabilité : Hector sait bien qu’Achille a de meilleures chances que lui. Mais on en marque les limites: le probable n'est pas certain; on peut encore

imaginer une

autre issue.

Ainsi l'interrogation polémique, qu'elle soit ou non négative, opère sur des assertions et tend à modifier le probable, alors que le tour avec ei et le subjonctif ne parle que de l'imaginable et ne modifie pas le probable. C'est bien entendu au mode subjonctif qu'il faut imputer cette particularité. Le subjonctif, non assertif, y évoque un événement de l'avenir comme dépourvu de toute prédétermination actuelle. En toute logique, sil est ainsi non prédéterminé, on ne peut méme pas, pour l'instant, chercher à savoir s'il aura lieu ou non. En revanche, on peut prévoir la vérification à venir de l'éventualité qu'on imagine.

2. Aprés l'annonce d'une vérification à venir: IL 8. 531-4: νηυσὶν ἐπὶ γλαφυρῇσιν ἐγείρομεν ὀξὺν "Apna εἴσομαι εἴ κέ μ᾽ ὁ Τυδεΐδης κρατερὸς Διομήδης

πὰρ νηῶν πρὸς τεῖχος ἀπώσεται2", À κεν ἐγὼ τὸν

χαλκῷ δῃώσας ἔναρα βροτόεντα φέρωμαι « Auprès des nefs creuses, éveillons l'amer Ares. Je verrai si le fils de Tydée, le puissant Diomède, me repoussera des nefs vers le rempart, ou si, l'ayant déchiré avec le bronze, j'emporterai ses dépouilles sanglantes. » Hector, se disposant à reprendre le combat, présente deux issues comme non prédéterminées, seulement imaginables. Seule l'épreuve des faits pourra apporter sur ce point la connaissance. Ici on passe facilement d'une simple juxtaposition: « Je saurai: peutêtre va-t-il me repousser.., ou peut-être vais-je..», à une complétive de sens interrogatif: « Je saurai s'il me repoussera.., ou si... jemporteral... » Dans la traduction frangaise, on n'a pas pour cela besoin d'introduire une négation. C'est que l'éventualité exprimée par le subjonctif après εἰ, si elle ne peut faire l'objet d'une connaissance actuelle, pourra faire l'objet d'une connaissance à venir. Le verbe εἴσομαι « je saurai », ou « je veux savoir », est ici placé aprés un verbe d'action délibérée ἐγείρομεν «éveillons », qui fait imaginer diverses éventualités. Εἴσομαι ne fait donc que rendre explicite l'effet de sens « pour voir si » observé dans le cas des fausses finales. Celles-ci en effet étaient aussi postposées à l'expression d'une action délibérée faisant imaginer diverses éventualités. Le tour est tout à fait explicite lorsqu'on a, suivi d'un subjonctif, tva εἴδομεν εἴ κεν « afin que nous sachions si» (Il. 22. 244), ou ὄφρα ἴδητ᾽ ai x’ «afin que vous voyiez si» (Il. 4. 249), ou ὄφρα ἴδῃς ἦν « afin que

25. Cette

forme,

coordonnée

indicatif futur (Chantraine,

ici à φέρωμαι,

1953, p. 455).

est

bien

un

subjonctif

aoriste,

plutót

qu'un

86

2° PARTIE - SUBJONCTIF

tu voies si» (Il. protagoniste de montrent aussi envisagé, mais fausses finales. Il. 4. 247-9:

15. 32). Ces tours explicites montrent que c'est bien le l'action principale qui alors envisage une éventualité. Ils que le but recherché n'est pas la réalisation du fait sa vérification dans l'avenir, d'où notre appellation de

ἦ μένετε Τρῶας σχεδὸν ἐλθέμεν... ὄφρα ἴδητ᾽ αἴ κ᾿ ὕμμιν ὑπέρσχῃ χεῖρα Κρονίων :

« Ou bien attendez-vous que les Troyens viennent tout prés.., pour voir

si le fils de Cronos étendra sa main sur vous?» Agamemnon feint ironiquement de croire que l'inactivité des Achéens est délibérée, qu'ils veulent ainsi vérifier par l'expérience l'éventualité d'une intervention in extremis de Zeus.

D. CONCLUSION SUR L'EMPLOI HORS PROTASE DU SUBJONCTIF APRÉS ei OU ai

Finalement

deux types d'emplois ont été distingués.

1. Dans une situation donnée, un locuteur imagine une éventualité : Le tour peut alors être totalement indépendant. Il peut aussi être postposé à τίς οἶδ᾽ « qui sait? », ou à une expression équivalente, mais sans subordination. L'éventualité est imaginée contre l'assurance contraire d'un ou plusieurs interlocuteurs, avec donc une valeur polémique et souvent menagante. 2. Une activité délibérée fait imaginer une éventualité : Le subjonctif est alors le plus souvent introduit par ai. Le tour est le plus souvent simplement juxtaposé, ce qui permet alors toujours d'attribuer l'acte d'imagination au locuteur, sans subordination. Cependant, on peut aussi, souvent, l'attribuer au protagoniste de l'action principale, d'où le sens « pour voir si », et parfois « dans l'espoir que ». L'activité délibérée du protagoniste est alors animée par l'éventualité qu'il envisage. Cette interprétation protagonistique devient la seule possible lorsque le tour est introduit par ἵνα εἴδομεν εἰ « pour savoir si», ou des expressions équivalentes. En ce cas seulement on peut vraiment parler de subordination, le subjonctif après εἰ ou ai exprimant l'objet d'une observation qui, elleméme, est le but de l'action principale. Dans ce deuxiéme emploi, une éventualité est imaginée comme le prolongement d'une activité. Aussi la particule ke, qui souligne un enchainement naturel, est-elle réguliérement employée. Elle est fréquente de méme dans le premier type d'emploi, soulignant alors un prolongement de la situation actuelle. Mais en ce cas est aussi employée la particule

CH. II - APRES ei NON

CONDITIONNANT

87

äv, pour souligner un revirement de situation, c’est-ä-dire un enchainement moins naturel, dans un contexte polémique. Il arrive aussi en ce cas qu'aucune particule ne soit employée, lorsque l'éventualité envisagée pour

inquiéter

un

interlocuteur

est une

éventualité

un

peu

«en

l'air »,

c'est-à-dire non liée à la situation actuelle. C'est le cas en Il. 15. 16-7, évoqué ci-dessus, oü la menace que Zeus adresse à Hera demeure théorique. La valeur d'enchainement, naturel ou inattendu, qu'apporte l'emploi de κε ou ἄν, sera observée dans d'autres emplois du subjonctif (voir ci-aprés, surtout chap. IV, B). Dans tous les cas, c'est un acte d'imagination, portant sur un avenir non prédéterminé, qu'exprime le subjonctif aprés &i ou ai, qu'il soit le fait du locuteur ou d'un protagoniste. On se donne une représentation événementielle située hors du réel, sans s'engager à son sujet dans un acte de jugement ou de volonté. C'est pourquoi ce tour laisse la phrase en suspent, lorsqu'il est indépendant, donnant l'impression d'un énoncé incomplet, faisant attendre un acte énonciatif. C'est pourquoi aussi le tour tend à étre postposé pour s'appuyer sur un énoncé précédent qu'il prolonge. C'est pourquoi enfin il est voué à entrer dans un systéme hypothétique, pour constituer une protase reliée à une apodose.

2° PARTIE - SUBJONCTIF

88

CHAPITRE

III

LE SUBJONCTIF DANS LES PROTASES DE SYSTÈMES HYPOTHÉTIQUES

A. L'ORDRE

À tout énoncé

SITUATIONNEL

verbal personnel

DES PROPOSITIONS

correspond

une situation de discours.

Dans un texte cohérent, tout énoncé antérieur à un énoncé fait normalement

partie de la situation de discours de ce dernier. Mais lorsqu'un énoncé verbal personnel est subordonné à un autre, l'ordre des énoncés ne correspond pas toujours à leur ordre situationnel. Ainsi l'énoncé au subjonctif d'une subordonnée finale (aprés ὡς, Tva...), comme celui d'une fausse finale (après al ou ei), exprime une éventualité souvent suscitée par l'action principale. La situation de discours d'un tel énoncé au subjonctif est donc postérieure à celle de l'énoncé principal. C'est pourquoi une fausse finale, assez indépendante, est toujours postposée. Une finale est aussi habituellement postposée, mais peut étre antéposée, gráce aux progrés de la subordination qui rend les deux énoncés plus solidaires. Xén. Cyr. 1, 2, 15: ἵνα δὲ σαφέστερον δηλωθῇ πᾶσα ἡ Περσῶν πολιτεία, μικρὸν ἐπάνειμι « Pour que soit plus clairement exposée toute la constitution des Perses,

je reviendrai un peu en arrière. » Une subordonnée finale, comme une fausse finale, s'appuie sur un énoncé dont elle dépend, et qui contribue à sa situation de discours. En revanche, cet énoncé sur lequel elle s'appuie a, lui, une situation de discours indépendante de la finale ou fausse finale qui l'accompagne. Il y a dissymétrie sur ce point entre les deux énoncés, et la relation est une relation de simple dépendance. Dans un système hypothétique, l'ordre situationnel des deux énoncés en présence est inversé par rapport au cas précédent. L'énoncé introduit par ei a pour róle de contribuer à la situation de discours de l'énoncé

CH. III - SYSTÈMES

HYPOTHETIQUES

89

qui l'accompagne. Il constitue alors une protase, énoncé dépendant qui fait attendre une apodose où s'exprime un acte énonciatif. Mais celle-ci à son tour dépend de la protase qui contribue à sa situation de discours. La relation est alors une relation d'interdépendance, la relation de subordonné à subordonnant étant symétrique à la relation de conditionnant à conditionné. Les relations de dépendance ou d'interdépendance sont donc en partie liées à l'ordre situationnel. Il est cependant un cas où aucun ordre situationnel n'apparaît entre deux énoncés liés l’un à l’autre. C'est celui de la relation entre le terme comparé et le terme comparant d'une comparaison homérique. La cohérence situationnelle est en effet rompue par l'introduction du terme comparant. On verra que cette rupture peut être exprimée par le mode subjonctif. Cependant le terme comparant est lui-même souvent composé de plusieurs énoncés successifs. Entre ceux-ci s'établit une nouvelle cohérence situationnelle, et donc des relations de dépendance et d'interdépendance. On observera en particulier une interdépendance láche, non grammaticalisée, oü l'on peut voir une préfiguration des systémes hypothetiques de type II. L'étude de l'emploi du subjonctif dans les comparaisons homériques précédera donc celle de son emploi dans les protases de type II, avec el ou,

rarement,

al. On

pourra

ensuite

examiner

les propositions

appa-

rentées, c'est-à-dirc les relatives et surtout les temporelles au subjonctif. B. LE SUBJONCTIF

DANS

LES COMPARAISONS

HOMÉRIQUES

L'emploi des modes à l'intérieur du terme comparant d'une comparaison homérique parait à premiére vue trés complexe. Le mode subjonctif est d'emblée écarté des quatre cas suivants: - Les termes comparants sans forme verbale personnelle: Od.

11. 413:

νωλεμέως KTEÏVOVTO σύες ὧς ἀργιόδοντες « Ils etaient abattus sans pitie, comme des porcs aux dents blanches. » - Les termes comparants évoquant un fait fictif à l’optatif : Il. 2. 780: Oi δ᾽ ἄρα ἴσαν ὡς εἴ te πυρὶ χθὼν πᾶσα νέμοιτο « Ils allaient, comme si toute la terre était la proie du feu. » - Les termes comparants évoquant un fait passé à l'indicatif : I. 10. 285: σπεῖό uot ὡς ὅτε πατρὶ du’ Eoneo Τυδέι δίῳ « Suis-moi, comme tu as suivi mon père, le divin Tydée. » - Les termes comparants évoquant un fait intemporel à l'indicatif présent : Il. 22. 262:

ὡς οὐκ ὄστι λέουσι καὶ ἀνδράσιν ὅρκια πιστά

90

2° PARTIE - SUBJONCTIF

« De même qu'il n’est pas pour les lions et les hommes de pacte loyal... » Il reste le cas le plus fréquent. C'est celui où le poète compare les événements rapportés dans le récit à des événements se produisant parfois, ou pouvant se produire, sans détermination temporelle précise. On peut alors avoir soit l'indicatif aoriste d’experience?®, soit le subjonctif de l'éventualité imaginée. Le choix de l'un ou de l'autre dépend en partie seulement du contexte syntaxique. À l'intérieur du terme comparant sont introduites des subordonnées relatives, temporelles, ou des protases avec ei. Leur mode se détermine selon les mémes usages qu'ailleurs. Mais, ce qui est remarquable, on observe des changements de mode entre des propositions coordonnées. Pour décrire et justifier cette particularité, il convient d'opposer la première forme verbale personnelle du terme comparant aux autres formes verbales qui lui sont coordonnées. 1. La première

forme verbale personnelle du terme comparant:

Le terme comparant - Par une

peut être introduit de trois façons différentes :

conjonction

simple:

Cette conjonction est ὡς ou ἠύτε « comme » (voir Il. 22. 262 ci-dessus). On peut aussi avoir un relatif comparatif comme olog « tel que ». - Par une locution conjonctive complexe : ὡς est alors suivi d'une conjonction temporelle ὅτε ou ὁπότε, plus rarement de ei dans le groupe ὡς el τε (voir Il. 10. 285 ci-dessus). - Par un comparant nominal développé ensuite dans une relative ou une temporelle: Le

comparant

nominal

peut

être

lui-même

introduit

par ὥς postposé,

par un adjectif comme ἶσος, ἐναλίγκιος ou ἐοικώς « semblable à », par une conjonction simple ou une locution conjonctive complexe. Il. 12. 132-3: ἕστασαν ὡς ὅτε TE δρύες οὔρεσιν ὑψικάρηνοι al t' ἄνεμον μίμνουσι... « Ils s’y tenaient, comme des chênes à la cime élevée dans les montagnes, qui résistent

au vent. »

En prose classique, l'introduction par une conjonction simple serait normalement suivie d'un indicatif. Elle met en effet sur le méme plan terme

comparant

et terme

comparé:

« De

même

que... de

méme... » En

revanche, les introductions qui font intervenir, soit aprés ὡς, soit aprés un nom, une conjonction de temps (ὅτε), un relatif ou ei, se comporteraient vraisemblablement comme les subordonnées correspondantes. Le subjonctif serait donc alors normalement employé dans une temporelle, relative ou protase définissant une circonstance éventuelle.

26. On parle aussi d'aoriste gnomique, proverbe ou d'une maxime.

bien qu'il ne s'agisse pas à proprement

parler d'un

CH. III - SYSTEMES

HYPOTHETIQUES

9

On constate que l'usage homérique diffère sensiblement de ce qu'on attend : - Une conjonction simple est suivie 20 fois d'un subjonctif et 55 fois

d'un indicatif?”. - Une locution conjonctive complexe est suivie 31 fois d'un indicatif et 49 fois d'un subjonctif?®. On ne peut donc voir dans ὡς ὅτε ou ὡς el te l'introduction d'une temporelle ou d'une protase, avec le sens « comme quand » ou « comme si ». En effet, en ce cas, la valeur éventuelle de la temporelle ou de la protase exigerait l'emploi du subjonctif. Malgré un emploi plus rare de l'indicatif, ὡς ὅτε et ὡς εἴ τε se comportent à peu pres comme la conjonction simple ὡς « comme ». - Aprés une introduction nominale, on a 46 subordonnées à l'indicatif (dont

41

relatives

et 5 temporelles)

et

17 au

subjonctif

(15

relatives

et

2 temporelles)2. Comme dans le cas précédent, l'emploi de l'indicatif est surprenant, surtout dans les temporelles, ou, du moins, plus important qu'on ne s'y attendrait. La forme de l'introduction du terme comparant n'est donc pas ce qui détermine l'emploi du mode, pas plus, d'ailleurs, que l'ordre des termes comparé

et comparant.

- Avec un subjonctif aoriste : Il. 9. 481:

καί μ᾽ ἐφίλησ᾽ ὡς el te πατὴρ ὃν παῖδα φιλήσῃ « Et il m'aima comme un père aime son fils. » - Avec un indicatif aoriste: Il. 13. 492: λαοὶ ἕσπονθ᾽ ὡς εἴ τε μετὰ κτίλον ἕσπετο μῆλα « La troupe suivait comme des brebis suivent le belier. » On ne voit pas bien comment justifier l'opposition de ces deux exemples, tous deux avec la même introduction complexe ὡς el te. Aussi peut-on penser que le texte a été gáté au cours de la tradition manuscrite. En ce cas, comme l'indicatif ἕσπετο est une forme bien marquée, il est plus vraisemblable que le subjonctif φιλήσῃ du premier exemple a remplacé

un ancien indicatif pünoe(v) ou ἐφίλησεν (d'où, avec élision παῖδ᾽ épiAnoev}0. Ce

genre

de

faute,

paléographiquement

27. Subjonctif par exemple en Jliade 2 474, 5 161, lliade 11 113, 18 161, 20 490, 21 22, 22 19...

vraisemblable

10 485,

13 198,

(cf.

la pseudo-

15 323... Indicatif en

28. Indicatif en /liade 2 209, 3 33, 4 275, 4 422, 5 902... Subjonctif en /liade 4 130, 9 481, 11 292, 13 588, 15 605... 29. Indicatif en Iliade 9 14, 12 132, 12 433, 15 630, 17 674... Subjonctif en Iliade 2 394, 2 781, 5 136,

12 299,

17 109...

30. Un tel aoriste d'expérience est en effet normalement pourvu de l'augment. Cf. Chantraine,

1958, p. 484.

92

2° PARTIE - SUBJONCTIF

variante φιλήσει), a pu être favorisé par le sentiment, aux époques postérieures à Homère, que le subjonctif était plus normal après un ei introduisant une éventualité. Il a pu donc exister une tendance, après une telle introduction, à remplacer l'indicatif aoriste par le subjonctif aoriste, qui était souvent assez semblable, lorsque le mètre le permettait. C'est ce qui expliquerait la prépondérance du subjonctif aprés une locution

conjonctive

complexe.

Mais on ne peut éliminer ainsi tous les subjonctifs. L'opposition des deux modes demeure et doit être expliquée. Il faut pour cela examiner les cas où la forme de subjonctif est la mieux assurée, la moins susceptible d'avoir remplacé un ancien indicatif. On observe que de telles formes de subjonctif correspondent souvent soit à une terme comparant fantastique, soit à un

terme

comparant

a. Le terme comparant

inattendu.

est fantastique:

Il. 8. 338-9: Il y a sans aucun doute une anomalie dans limage du chien qui pourchasse seul (verbe au subjonctif ἅπτηται), et non en meute, un sanglier ou un lion. Cette anomalie souligne l'étrangeté de la fuite des Achéens devant le seul Hector. Il peut ainsi suffire d'un détail pour rendre

fantastique

une

image

qui appartient

à un

théme

métaphorique

connu. Il. 13. 198-9: L'image traditionnelle du lion emportant sa proie est renouvelée pour évoquer les deux Ajax. L'aéde a donc forgé l'image curieuse, sans doute peu réaliste, de deux lions formant une sorte d'attelage pour emporter ensemble une chèvre (duel oépntov). Il. 22. 93:

Hector attendant Achille est comparé à un serpent des montagnes, ou peut-être à un dragon (δράκων), qui attend (μένῃσι) un homme, repu de venin et plein de colére. L'image correspond bien peu à l'expérience, quelle que soit la traduction adoptée pour δράκων. Elle fait penser à une imagerie de conte populaire. Od. 4. 335.8: L'image de la biche qui abrite ses petits dans la taniére du lion et s'en va ensuite chercher páture (ἐξερέῃσι) est tout à fait insolite. C'est une critique ironique de l'attitude des prétendants, comparée à un comportement aussi absurde. Od. 19. 109-11: Ulysse déguisé en mendiant complimente Pénélope en comparant sa gloire à celle d'un roi parfait qui respecte constamment (ἀνέχῃσι) la justice et la piété, et vit par suite

dans

une

prospérité

telle évocation relevait sans doute de l'utopie, aussi que pour l'aéde et ses auditeurs aristocrates.

continuelle.

bien

pour

Une

Ulysse

CH. III - SYSTÈMES

HYPOTHÉTIQUES

b. Le terme comparant

93

est inattendu:

Des images isolées, n'appartenant pas à un théme métaphorique usuel, peuvent paraitre excessives, ou méme saugrenues, dans le récit oü elles se trouvent, tout en pouvant correspondre à une expérience réelle. Cellesci aussi débutent souvent avec un subjonctif bien établi. Il. 9. 3234: Achille se compare, peut-étre par dérision, à un oiseau donnant la becquée à ses petits (προφέρῃσι). IL 17. 389-90: Les combattants qui se disputent le corps de Patrocle sont comparés aux tanneurs qui tendent une peau (δώῃ τανύειν). Od. 5. 328: Le radeau d'Ulysse, fait de gros troncs assemblés, mais soumis à la tempéte, est comparé aux fleurs de chardon que le vent agglomére et emporte (φορέῃσιν). Od. 8. 523: Ulysse pleurant lorsqu'il écoute Démodocos est comparé à une épouse en pleurs (κλαίῃσι) sur le corps d'un guerrier mort, ce qui est une inversion des rôles, puisqu’Ulysse est un guerrier qui passe pour mort. Od. 22. 468-9: La pendaison des servantes infideles fait evoquer les oiseaux qui se sont jetés (Bv... ἐπιπλήξωσι) dans le filet d'un chasseur. Ces observations font penser que, tandis que l'indicatif aoriste fait appel à l'expérience pour dresser une comparaison, le subjonctif, lui, fait appel à la faculté d'imagination. Ce peut étre pour construire la représentation d'un événement qui ne répond pas totalement à l'expérience. Ce peut étre aussi pour créer un paralléle entre deux situations événementielles qu'on ne s'attend pas à voir rapprochées. En ce cas, on construit une représentation qui répond bien à une expérience, mais non aux habitudes, ni au contexte, et c'est cette grande distance métaphorique qui justifie un appel à l'imagination. En effet, tout fait d'expérience peut étre saisi par l'imagination, et si la forme n'est pas probante, on peut hésiter sur le mode choisi. Il. 5. 161-4: ὡς δὲ λέων £v βουσὶ θορὼν ἐξ αὐχένα ἄξῃ

πόρτιος ἠὲ βοός...

ὡς τοὺς ἀμφοτέρους ἐξ ἵππων Τυδέος υἱὸς

βῆσε κακῶς... « Imaginez qu’ un lion, bondissant dans un troupeau, rompe le cou à une vache ou à une génisse... C'est de cette façon que le fils de Tydée les fit tous deux durement descendre de leur char. » Il s'agit ici d'une comparaison réaliste et banale. Pourtant, c'est une forme de subjonctif que transmet la vulgate homérique, d'où, dans notre traduction, le recours à « imaginez » pour introduire le terme comparant.

94

2€ PARTIE - SUBJONCTIF

Mais la forme ἄξῃ de la vulgate a pu prendre la place d'un plus ancien ἄξεν, ou, avec augment, ἕαξεν (et élision de αὐχέν᾽}"}, c'est-à-dire d'un indicatif aoriste d'expérience. On comprendrait alors: « I| arrive qu'un lion. rompe le cou... C'est de cette façon que ». 2. Les verbes coordonnés

au premier verbe dans le terme compa-

rant :

Parmi les verbes coordonnés au premier verbe personnel du terme comparant on peut compter ceux qui apparaissent aprés le relatif faible 16, qui est encore proche d'un simple anaphorique. Il 19. 375-6:

Ὡς δ᾽ ὅτ᾽ ἂν ἐκ πόντοιο σέλας ναύτῃσι φανήῃ καιομένοιο πυρός, τό τε καίεται ὑψόθ᾽ ὄρεσφι « Imaginez que sur la mer apparaisse ἃ des marins la lueur d’un feu flamboyant : il brûle sur les montagnes... » Pour ces verbes coordonnés, l'usage homérique en ce qui concerne le choix du mode peut être résumé ainsi. - Après un premier verbe à l'indicatif, les verbes coordonnés qui suivent sont aussi à l'indicatif. Il n'y a qu'une exception en Il. 10. 360-2, où le subjonctif προθέῃσι est coordonné à l'indicatif présent ἐπείγετον, lui-même inhabituel en première place (présent d'habitude ?), et peut-être pris ici pour un subjonctif à voyelle brève (Chantraine, 1958, p. 458). - Après un premier verbe au subjonctif, les verbes coordonnés qui suivent sont aussi à l'indicatif. Il y a deux exceptions, en Il. 17. 520-2, et en Od. 19. 109-114, où six subjonctifs sont coordonnés. Mais ce dernier exemple est particulier: il s'agit de l'utopie du royaume idéal où règnent perpétuellement justice et prospérité. Il faut bien un effort d'imagination continu pour construire une telle utopie! Le fait remarquable est la possibilité de coordonner un indicatif à un subjonctif, les deux semblant être sur le même plan. C'est un tour propre aux comparaisons homeriques. On l’expliquera en admettant qu'une fois accompli l'effort d'imagination nécessaire pour construire une représentation, le poète se contente de décrire la scène imaginée, comme si elle constituait sa nouvelle situation de discours. Il. 22. 93-5: ὡς δὲ δράκων ἐπὶ χειῇ ὀρέστερος μένῃσι, βεθρωκὼς κακὰ φάρμακ᾽, ἔδυ δέ τέ μιν χόλος αἰνός, σμερδαλέον δὲ δέδορκεν ἑλισσόμενος περὶ χειῇ « Imaginez qu'un serpent des montagnes attende un homme, sur son trou, repu de poisons malfaisants : une atroce colère l'a pénétré ; il darde

un regard effrayant, love autour de son trou. »?? 31. "Eäßev résulterait d'une métathése de quantité, déjà attestée chez Homère 1958, pp. 68-74). 32. Voir aussi /liade

19' 375-6 cité ci-dessus.

(Chantraine,

CH. II - SYSTÈMES

HYPOTHÉTIQUES

95

On observe donc le passage du subjonctif qui introduit, par un effort d'imagination, un nouveau domaine de représentation, à l'indicatif qui exploite un domaine de représentation préexistant. Ainsi, cet emploi du subjonctif, qui donne représentation d'une scéne étrangére à la situation de discours préexistante, peut étre qualifié d'emploi non fondé. Mais il est en méme temps fondateur, car il peut introduire, pour les énoncés suivants, une nouvelle situation de discours. Ces deux propriétés appartiennent aussi au subjonctif des protases dans les systémes hypothétiques. On peut donc dire que la coordination d'un subjonctif et d'un indicatif dans les comparaisons homériques est une ébauche non grammaticalisée de systéme hypothétique.

3. Conclusion à l'étude des comparaisons homériques : La comparaison homérique développée permet d'interrompre la cohérence situationnelle du récit épique en y insérant un petit texte, plus ou moins long, dont la situation de discours n'est pas la méme que celle du récit qui l'entoure. Le passage d'une situation de discours à l'autre peut se faire de deux facons différentes. - Le poéte peut élargir, dans un premier temps, sa situation de discours à l'expérience générale. Il le fait en employant, à l'indicatif, un présent d'habitude ou plutót un aoriste d'expérience. L'expérience générale, qui contient à la fois les faits du récit principal et ceux du texte inséré, permet la transition d'une situation de discours à l'autre. - Le poéte peut sauter directement d'un domaine de représentation à un autre, soit qu'il sorte des limites de son expérience, soit qu'il renonce, pour une raison ou une autre, à passer par l'intermédiaire de son expérience. Il le fait au moyen du subjonctif. C'est donc un emploi qui marque une rupture avec ce qui précéde. Ainsi s'explique que la particule ke, qui souligne un enchainement naturel, soit absente au début des comparaisons homériques. Au contraire, la particule äv, qui souligne linattendu, est assez fréquemment employée, en particulier dans le

groupe ὡς ὅτ᾽ ἄν 53. C. LE SUBJONCTIF

DANS

LES PROTASES

L'emploi en protase n'est qu'un des emplois du subjonctif après ei (plus rarement aprés ai). Comme dans ses autres emplois, il y exprime une représentation imaginée comme

extérieure à la situation de discours,

et non rapportée à elle. Il s'agit donc d'un emploi non fondé. Mais, comme dans les comparaisons homériques, cet emploi est en méme temps fondateur, puisque la protase au subjonctif contribue à définir la

33. Cf. Iliade 19 375-6 cité ci-dessus, et Chantraine,

déjà faites sur l'emploi de äv.

1953, p. 347. Voir en outre les remarques

%

2° PARTIE - SUBJONCTIF

situation de discours de lapodose qui cependant quelques differences avec ce comparaisons homériques.

l'accompagne. On observera qui a été observé dans les

1. Position et fonction de la protase au subjonctif : D'après ce qui vient d'être dit, la protase est normalement l'apodose : l'acte d'imagination précède l'énoncé qu'il fonde.

avant

Il. 1. 166-7:

.. ἀτὰρ ἦν note δασμὸς ἵκηται σοὶ τὸ γέρας πολὺ μεῖζον... « Mais si un jour vient le partage, bien plus grande est ta part. » La protase est pourtant à peu

prés aussi souvent

postposée qu'antépo-

see”. On pourrait bien sûr attribuer ce fait au lien syntaxique, qui subordonne plus qu'il ne juxtapose ou coordonne. Cependant, il arrive que l'apodose soit coordonnée, ce qui suppose un lien syntaxique assez láche. Il

1. 81-2:

el περ γάρ τε χόλον γε καὶ αὐτῆμαρ καταπέψῃ ἀλλά τε καὶ μετόπισθεν ἔχει κότον « Supposons même que sur le coup il ravale sa colère. Mais par la suite il garde rancune. » En fait, quand la protase est postposée, elle peut prendre deux valeurs particulieres, la valeur restrictive (« si du moins ») et la valeur concessive (« méme

si»).

a. Postposition

d'une

protase

restrictive :

Il. 7. 173:

xai δ᾽ αὐτὸς ὃν θυμὸν ὀνήσεται, af κε φύγῃσι « Et il servira lui-même la cause de son cœur, si du moins il en rechappe. » La postposition de la protase en fait un propos sur l’apodose. Elle signifie alors: « Ce qui précède est vrai seulement si..» L'apodose est donc d'abord présentée comme vraie dans la situation de discours préexistante. Mais ensuite, une restriction exige pour cela qu'une éventualité se réalise. b. Postposition d'une protase concessive: Od. 1. 2034: où tot £n δηρόν γε φίλης ἀπὸ πατρίδος αἴης ἔσσεται, οὐδ᾽ εἴ πέρ «ἑ» σιδήρεα δέσματ᾽ ἔχῃσι « Il ne restera pas longtemps loin de sa patrie, méme fer viennent

si des liens de

à le retenir. »

34. Il y a environ 160 protases au subjonctif, sans compter environ ai ou ei postposés mais ne jouant pas un róle de protase.

90

subjonctifs

aprés

CH. III - SYSTÈMES

HYPOTHETIQUES

97

L'apodose est d'abord présentée comme vraie dans la situation de discours préexistante. La protase indique ensuite qu'elle est vraie aussi si une éventualité se réalise. Une telle protase ne restreint pas, mais élargit le domaine de validité de l'apodose. On voit ce qui rend aisée la postposition de la protase. C'est que, contrairement à ce qui se passe dans les comparaisons homériques, celleci n'introduit pas de rupture avec la situation de discours préexistante. La situation de discours de l’apodose est celle du contexte précédent augmentée d'une éventualité. Cette éventualité peut étre présentée comme: - une condition suffisante : la protase est antéposée (cf. Il. 1. 166 ci-dessus). - une condition nécessaire: la protase est postposée (cf. Il. 7. 173). - une condition simplement admise en plus: la protase, antéposée ou postposée, élargit le champ de validité de l'apodose (cf. Il. 1. 81 et Od. 1. 204 ci-dessus). Dans tous les cas on ne change pas de situation de discours. La situation de discours préexistante est seulement modifiée par addition d'une éventualité qu'elle ne contient pas. C'est ce qui distingue le systeme hypothétique de ce qui a été observé dans les comparaisons homériques. C'est aussi ce qui justifie un emploi bien plus fréquent des particules modales avec le subjonctif des protases.

2. L'emploi des particules modales : Puisque l'emploi d'une particule modale dans une protase au subjonctif est seulement facultatif dans la langue homérique, la particule doit y conserver toute sa signification. Mais il faut d'abord rappeler que «la contraction de ei ἄν en ἦν risque de ne pas être ancienne dans le texte homérique »?5, Donc, ou bien ἦν apparait dans un passage d'introduction tardive, à une époque oü l'usage de la particule tend à se généraliser, ou bien résulte de la normalisation d'un ancien ei sans particule (devant consonne), ou de εἴ x’ (devant voyelle). On ne peut donc tenir compte que de κε ou ἄν sans contraction. On commencera par l'étude des emplois de κε, qui est de loin le plus fréquent, donc certainement le moins marqué

sémantiquement.

a. L'emploi

de xe:

On enseigne généralement que, dans une protase au subjonctif, l'emploi de κε « semble avoir indiqué que l'on envisage un cas particulier qui se trouve ainsi souligné »*. On oppose ainsi l'hypothèse d'un fait qui se répéte, sans particule, comme par exemple en Il. 1. 81-2 cité ci-dessus,

35. Chantraine, 1953, pp. 281-2. 36. Chantraine,

1953, p. 279, d'aprés Monro,

1882, pp. 329-ss.

98

2° PARTIE - SUBJONCTIF

et l'hypothèse d'un fait particulier, isolé, avec ke, comme par exemple en Il. 7. 173 cité ci-dessus. Mais selon les observations de Howorth, 1955, pp. 73-8, c'est plutôt la référence à l'avenir qui favorise l'usage de la particule. L'hypothése d'un fait répété dans l'avenir peut en effet entrainer l'emploi de la particule. Il y a cependant des exemples qui montrent que ni l'évocation d'un fait isolé, ni sa localisation exclusive dans l'avenir ne sont déterminantes pour l'emploi de la particule. - On rencontre la particule avec une idée de répétition : Il 11. 391-2:



τ᾽ ἄλλως ὑπ᾽ ἐμεῖο, Kai el κ᾽ ὀλίγον περ ἐπαύρῃ

ὀξὺ βέλος πέλεται... « Bien au contraire, parti de ma main, méme mon javelot tranche et s'enfonce. »

s'il ne touche qu'à peine,

- On peut envisager sans particule un fait isolé dans l'avenir: IL 1. 338.41:

… TO δ᾽ αὐτὼ μάρτυροι ἔστων / …

… εἴ ποτε δ᾽ αὗτε χρειὼ ἐμεῖο γένηται... « Qu'eux-mémes me servent tous deux de témoins..., si une fois encore on a besoin de moi... » Jusqu'à présent, dans les autres emplois du subjonctif, on a observé que la particule xe soulignait un enchaínement naturel à partir de la

situation de discours". Or les protases au subjonctif ont pour fonction d'ajouter une éventualité à la situation de discours Il est donc normal que la particule Ke y soit fréquente: x& est employé chaque fois que cette éventualité ajoutée est sentie comme le prolongement naturel de la situation de discours, que cette éventualité soit ou non susceptible de se répéter. Il ne suffit pas, comme le dit Howorth, /.{, que l'éventualité soit envisagée dans l'avenir. Il faut qu'elle soit envisagée dans un avenir senti comme la suite naturelle du présent. Ainsi, en Il 11. 391-2 ci-dessus, Dioméde, en pleine bataille, peut imaginer le ou les coups qu'il donne et va donner comme le prolongement naturel de la situation oü il se trouve. Il emploie donc la particule, bien qu'il envisage un fait à répétition. En revanche, en Il. 1. 338-41 ci-dessus, Achille imagine une éventualité lointaine qui n'est pas un prolongement naturel de la situation présente, et que d'ailleurs, dit-il, Agamemnon n'est pas capable de prévoir en rapprochant l'avenir du passé (vers 343). Aussi n'emploie-t-il pas de particule, bien qu'il envisage l'avenir. À l'intérieur d'une comparaison homérique, la particule est employée pour imaginer un prolongement naturel de la nouvelle situation de discours que le poéte vient de se donner.

37. Voir ci-dessus, chap.

II, passim.

CH. III - SYSTÈMES

HYPOTHÉTIQUES

99

Il. 12. 299-302 :

βῆ ῥ᾽ (uev ὥς τε λέων ὀρεσίτροφος, ὅς τ᾽ ἐπιδευὴς

δηρὸν En κρειῶν, κέλεται δέ ἑ θυμὸς ἀγήνωρ … ἐλθεῖν

εἴ nep γάρ x’ εὕρῃσι παρ᾽ αὐτόφι βώτορας ἄνδρας

«Il allait comme un lion des montagnes. Imaginez quil soit depuis longtemps privé de chair: son cœur le pousse à aller s'en prendre aux moutons jusque dans leur solide demeure. Car même s'il y trouve des bergers... » Cet emploi du subjonctif accompagné de Ke peut être qualifié de prospectif. 1l faut cependant préciser que cela n'implique pas un jugement sur l'avenir. L'éventualité imaginée dans ces protases est seulement suggérée par la situation de discours, elle ne fait pas l'objet d'un jugement de possibilité. En outre, c'est la particule qui est porteuse de la valeur prospective, non le mode subjonctif. Sans particule, le subjonctif a en effet une valeur índéfinie. Il peut envisager une éventualité isolée dans l'avenir, mais sans lien avec le présent, comme en Il. 1. 338-41 ci-dessus. Mais il correspond alors le plus souvent à l'adoption dans l'apodose d'un point de vue général. Od. 7. 204-5: £i δ᾽ ἄρα τις καὶ μοῦνος ἰὼν ξύμθληαι ὀδίτης, οὗ τι κατακρύπτουσιν... «Si un voyageur solitaire les rencontre, ils ne se cachent pas. » En

imaginant

un

événement

non

situé

par

rapport

au

présent,

le

locuteur dépasse les limites de son expérience : il n'évoque pas seulement les cas où un voyageur a rencontré un dieu, mais aussi tous les cas où cet événement se reproduira. C'est ce dépassement, par induction, de l'expérience qui provoque l'idée de répétition indéfinie et la valeur générale. b. l'emploi

de ἄν:

Il y a six exemples seulement de ἄν après ei (sans contraction en ἦν) devant un subjonctif. Selon Chantraine, 1953, pp. 280-1, ils traduisent soit le « mouvement d'une pensée à laquelle on renonce », soit une « opposition » avec ce qui précéde,

soit simplement

une

Nous avons de fait observé un revirement de pensée indépendant,

« emphase ».

dans un emploi

en Il. 21. 556 (voir ci-dessus, chap. II, A, 3). Il

une idée d'opposition

dans deux exemples

y a de méme

où l'on a ei δ᾽ Gv... « mais

si.», pour introduire une éventualité qui s'oppose à ce vient d'être prévu : que les Troyens, au lieu de respecter leurs engagements, rompent le pacte (Il. 3. 288); que les Troyens, au lieu de continuer à s'exposer, dans la plaine, aux coups d'Achille, suivent le conseil donné par Polydamas de se réfugier derriére les remparts (Il. 18. 273). La valeur d'emphase apparaît plutôt dans trois exemples où l'on a el περ Üv..., avec une valeur concessive-conditionnelle « méme si ». Ce qu'on imagine ainsi est tantót une contre-attaque des chiens et des bergers

100

2° PARTIE - SUBJONCTIF

contre un lion (Il. 3. 25), tantôt le retour en fuite de deux guerriers qui partent

au combat

(Il. 5. 224 et 232).

Il s'agit donc en fait toujours d'un mouvement contraire à ce qu'on attend, et l'emphase, marquée par περ, n'en est qu'un résultat. La particule äv est donc elle aussi prospective. Mais au lieu de souligner, comme xe, un prolongement naturel de la situation de discours, elle en souligne un prolongement inattendu. Elle suggére donc une rupture entre la situation de discours et l'éventualité envisagée. On l'a déjà observé à propos de son emploi au début des comparaisons homériques, dans le tour ὡς δ᾽ ὅτ᾽ ἄν (voir ci-dessus, B, 3).

3. Valeur temporelle de la protase au subjonctif avec particule : La protase au subjonctif seul a une valeur indéfinie : l'éventualité n'est pas située par rapport au présent, elle est atemporelle. En revanche, la protase au subjonctif avec particule, que la particule soit ke ou ἄν, imagine une éventualité comme prolongement, naturel ou inattendu, du présent. Elle est limitée à l'avenir. Mais ce qui est ainsi limité à l'avenir est la représentation d'un fait, non

le fait lui-méme.

Habituellement,

un

fait se manifeste

de lui-méme.

Le moment de l'observation, celui oü se constitue la représentation du fait, est alors le moment du fait lui-méme. Mais il peut arriver qu'un fait demeure caché. En ce cas sa manifestation, qui en donnera représentation, peut demeurer éventuelle, à venir, alors méme que le fait ne peut étre qu'accompli. Od. 23. 79:

al κέν σ᾽ ἐξαπάφω, κτεῖναί μ᾽ οἰκτίστῳ ὀλέθρῳ « S'il se révèle que je t'ai menti, tue-moi de la plus misérable mort. » Euryclée a déjà annoncé à Pénélope le retour d'Ulysse. Devant son incrédulité, elle lui a proposé de contrôler ses dires au moyen d'un signe de

reconnaissance

(l'épreuve

de

la cicatrice).

Dans

cette

situation,

elle

peut imaginer dans l'avenir la représentation éventuelle d'un mensonge qui, lui, ne peut étre qu'accompli. En grec ancien, l'événement n'est pas un fait objectif, mais sa manifestation ou représentation, qui implique un centre d'observation. C'est ce que suggére limportance de la catégorie syntaxique de l'aspect, lequel situe un proces (un fait) par rapport à un moment d'observation auquel on se référe. Ainsi le théme de parfait donne représentation d'un procés dont le

terme précède le moment

d’observation?®. Τέθνηκε « il est mort » donne

une représentation actuelle d'un procés dont le terme est passé, d'oü la valeur d'état acquis. Le theme de présent donne représentation d'un procés en cours au moment de l'observation. Avec l'imparfait £6vnoxe «il mourait », cette 38. Voir Ruiperez,

1982. Il s'agit habituellement, mais pas toujours, d'un terme final.

CH. II - SYSTÈMES

HYPOTHETIQUES

101

representation appartient au passe, et son moment d’observation est intérieur au procès. Le theme d’aoriste donne une représentation globale, et parfois ponctuelle, d'un procès. Le moment d'observation est donc le plus souvent extérieur et postérieur au procès. C'est le cas pour le subjonctif aoriste ἐξαπάφω de Od. 23. 79 ci-dessus : le moment d'observation est placé dans l'avenir ; le procès lui est antérieur et est méme antérieur à l'acte de parole. D. LE SUBJONCTIF

DANS

LES RELATIVES

ET LES TEMPORELLES

Les relatives et les temporelles au subjonctif passent souvent pour des équivalents de protases au subjonctif. Il y a cependant des distinctions à faire, en particulier pour les temporelles. 1. Les relatives au subjonctif : Certaines relatives au subjonctif équivalent à une protase. Od. 17. 559: δώσει δέ τοι ὅς κ᾽ ἐθέλῃσι « Te donnera qui voudra ». On pourrait avoir une protase : « Si quelqu'un le veut, qu'il te donne!» Dans ces relatives, les particules s’emploient à peu prés comme dans les protases proprement dites. Cependant, on a observé que Ke est assez souvent employé dans des relatives dépendant d'un énoncé général. Aussi a-t-on pensé que Ke s'est substitué parfois à te. Mais on ne peut corriger systématiquement le texte. En fait, on peut dans la plupart des cas justifier l'emploi de Ke. Les relatives ont cependant développé un emploi de ke qu'on ne trouve pas dans les protases proprement dites. On envisage une éventualité tout à fait générale, mais qui s'applique particuliérement à la situation présente. Il. 3. 279:

ἀνθρώπους τίνυσθον, ὅτις κ᾿ ἐπίορκον ὀμόσσῃ « Vous chätiez les hommes, quel que soit celui qui prête un faux serment. » L'éventualité envisagée dans la relative est générale. Mais Agamemnon, qui s'appréte à faire un serment, peut l'envisager de sa situation particuliére. Ce sont de tels emplois de la particule qui ont pu favoriser sa généralisation dans les stades ultérieurs de la langue. Ruijgh, 1971, pp. 429-30, a en outre remarqué que xe est plus fréquent aprés ὅς qu'après ó(o)ug. C'est sans doute que ὄ(σ)τις a une valeur plus indéfinie « quel que soit celui

qui », qui est généralisante*!. 39. Ruijgh, 1985 (voir p. 9), considére que c'est toujours le cas. 40. Voir,

contre

Monro,

1882,

pp.

329-ss.

qui

corrige,

Chantraine,

1953,

p. 247

et Ruijgh,

1971, pp. 427-30. 41. Cf. Chantraine, 1953, p. 242 et Monteil, 1963, lequel oppose relatives définissantes et relatives indéfinies. Pour Ruijgh, 1971, pp. 427-30, ὅς κε signale une relative determinative.

102

2

PARTIE - SUBJONCTIF

Il faut d'ailleurs préciser qu'une relative au subjonctif, chez Homère, n'équivaut pas toujours à une protase. Elle peut être assertive, surtout avec une particule. Od. 18. 85-6: εἰς "Exetov... ὅς κ᾿ ἀπὸ ῥῖνα τάμῃσι... « ..chez Échétos, qui peut-être te coupera le nez. » La méme assertion de possibilité se trouve dans de nombreuses relatives postposées et consécutives. Od. 4. 756:

ἀλλ᾽ ἔτι πού τις ἐπέσσεται ὅς κεν Éypot « Mais il y aura encore quelqu'un pour tenir... » Le mot à mot est: « ..une personne telle qu'elle pourra tenir... » Dans la prose classique, ces relatives seraient au futur de l'indicatif,

ou auraient le verbe μέλλειν suivi d'un infinitif*2, 2. Les temporelles

au subjonctif :

Certaines temporelles au subjonctif sont proches d'une protase. Il. 6. 225: … OÙ δ᾽ ἐν Λυκίῃ, ὅτε xev τῶν δῆμον ἵκωμαι « Et toi, (tu es mon hôte) chez les Lyciens, quand je visiterai leur peuple. » C'est-à-dire : «.. si je visite un jour leur peuple. » Diomède, qui n'est pas sûr d'aller en Lycie, l'envisage comme une éventualité. Mais d'autres temporelles du méme type envisagent un fait prédéterminé : IL 9. 707:

αὐτὰρ ἐπεί Ke φανῇ καλὴ ῥοδοδάκτυλος "Has « Mais lorsque paraitra la belle aurore aux doigts de rose... » Ce n'est plus une éventualité, mais une certitude, ce qui rend l'emploi du subjonctif, a premiere vue, surprenant. Cet emploi du subjonctif, et non de l'indicatif futur, s'explique à la fois par la fonction des temporelles et par la nature propre de l'indicatif grec. Les temporelles se distinguent en effet des protases et des relatives sur deux autres points.

a. La temporelle

à l'indicatif est toujours au passe:

L'emploi d'un présent ou d'un futur donne à la conjonction ὅτε une valeur non temporelle, mais causale ou concessive. Ou bien il en fait

un adverbe relatif".

42. Cf. Humbert,

43. Humbert,

1960, pp. 243-4, et Basset,

1979, pp. 206-7.

1960, 8 630 R., et Ruijgh, 1971, pp. 485-9.

CH. III - SYSTEMES

HYPOTHETIQUES

103

- Avec valeur causale: Od. 13. 128-9: οὐκέτ᾽ ἐγώγε ner’ ἀθανάτοισι θεοῖσι τιμήεις ἔσομαι, ὅτε με βροτοὶ o0 τι τίουσι « Je ne serai plus respecté chez les dieux immortels, quand (= puisque) les mortels ne me respectent pas. » - Avec valeur relative: IL 2. 471:

&pn ἐν εἰαρινῇ, ὅτε τε γλάγος ἄγγεα δεύει «..au printemps, quand (= la saison où) le lait emplit les vases. » b. La temporelle à l'indicatif n'est jamais negative: La négation μή n'apparaît pas. La négation οὐ, trés rare après ὅτε, donne à la conjonction une valeur causale ou concessive, comme en Od. 13. 128-9 ci-dessus. Ou bien elle en fait un adverbe relatif. Plat. Prot. 320 c:

ἦν note χρόνος ὅτε... θνητὰ... γένη οὐκ ἦν. «Il y eu un temps où... les races mortelles n'existaient pas. » Ces faits montrent qu'il ne peut y avoir dans une véritable temporelle une assertion explicite. Pour dater l'événement de la principale par un autre événement, il faut se référer à la manifestation ou représentation de ce dernier, non à son assertion. Or l'indicatif grec et surtout l'indicatif primaire (présent et futur), ainsi que la négation οὐ, ont pour effet d'impliquer la référence à une assertion. Deux cas se présentent pour une temporelle. - Ou bien il est fait référence à un événement du passé: Cet événement passé est alors implicitement constaté. L'indicatif secondaire, sans négation, peut en donner représentation. La valeur assertive d'un tel indicatif est rendue implicite.

- Qu bien 1l est fait référence à un événement à venir: Cet événement à venir peut étre prédéterminé ou non, mais c'est sans importance pour le róle de simple datation qui est celui de la temporelle. De plus, on ne peut exprimer dans la temporelle une prédétermination, car cela supposerait une assertion explicite. Ainsi, l'indicatif futur, impliquant l'assertion actuelle d'un événement à venir, ne peut faire simplement

référence

à cet événement

à venir. La subordonnée

devient

alors relative. Od.

18. 272:

νὺξ δ᾽ ἔσται ὅτε δὴ στυγερὸς γάμος ἀντιθολήσει «La nuit viendra où l'hymen odieux me rencontrera. » Ici on ne fait pas simplement référence à un événement à venir, mais, sur un moment à venir, Pénélope fait une assertion actuelle. On peut opposer la temporelle de Il. 9. 707 cité ci-dessus. Seul convient donc, pour se référer à un événement à venir, le mode subjonctif qui donne représentation d'un événement sans indiquer de

2€ PARTIE - SUBJONCTIF

104

predetermination. Un tel emploi permet de préciser sa valeur comme représentation d'un événement hors du réel, c'est-à-dire à la fois hors du temps vécu et sans marque de prédétermination. Nous avons rencontré trois possibilités d'emploi: - L'événement

est atemporel

(valeur indéfinie).

- L'événement appartient à l'avenir et n'est pas prédéterminé (valeur prospective). - L'événement appartient à l'avenir et il y est simplement fait référence, qu'il soit ou non prédéterminé (valeur référentielle réservée aux temportelles). L'emploi des particules dans les temporelles au subjonctif correspond à celui des protases et des relatives au subjonctif. On remarque en particulier l'emploi presque constant de Ke aprés les conjonctions qui soulignent un enchainement naturel : εἰς ὅ xe, εἴως κε, ὄφρα κεῖ « jusqu'à ce que», «tant que». Avec les conjonctions comme ὅτε, ὁππότε, ἐπεί « lorsque », ke est employé pour envisager une éventualité, qui peut se répéter, à partir d'une situation particuliére, par exemple à l'intérieur d'une comparaison. Il. 20. 167-8:

ἔρχεται, ἀλλ᾽ ὅτε κέν τις ἀρηιθόων αἰζηῶν δουρὶ βάλῃ, ἐάλη τε χανών,,... «Il va. Mais lorsque l'un des jeunes chasseurs fougueux vient à le frapper de sa lance, il se ramasse, gueule ouverte. » Ici est évoqué, dans une comparaison, un lion harcelé par une troupe de chasseurs. Cette évocation constitue une situation de discours particuliere d'où est naturellement envisagé l'événement de la temporelle. Mais de tels emplois ont pu contribuer à une extension, puis généralisation, de l'emploi de la particule, la situation de discours particulière étant tirée d'une expérience générale. Comme dans certaines relatives (voir cidessus), une éventualité reposant sur l'expérience générale est appliquée à une situation particuliére. En revanche, l'emploi de ἄν, lorsqu'il est bien assuré, souligne une rupture avec la situation précédente. L'emploi aprés ὅτε apparait surtout dans le tour ὡς δ᾽ ὅταν qui introduit une comparaison“.

44. Il s'agit de ὄφρα non final. Ὄφρ᾽ ἄν est assez fréquent, mais toujours devant voyelle. et a donc pu se substituer à ὄφρα κ᾽.

45. Voir ci-dessus sous B, 3, et Chantraine, 1953, pp. 257-9 : &xtjv, forme contracte « suspecte » a dû se substituer à ἐπεί devant consonne ou à ἐπεί x’ devant voyelle.

CH. II

- SYSTÈMES

HYPOTHÉTIQUES

E. CONCLUSION

105

SUR LES PROTASES AU SUBJONCTIF

Comme les protases à l'indicatif, les protases au subjonctif ajoutent quelque chose à la situation de discours, quelque chose qui n'est pas donné dans celle-ci. Mais la différence de mode fait qu'elles n'y ajoutent pas la méme chose.

a. Les protases à l'indicatif (type I) ajoutent une assertion : L'assertion ajoutée n'est pas donnée dans la situation de discours car le locuteur ne l'assume pas au moment où il parle. Le sens est exactement «si l'on dit que » (voir premiere

partie).

b. Les protases au subjonctif (type II) ajoutent un événement: L'événement ajouté n'appartient pas à la situation de discours car il n'est ni vécu, ni prédéterminé au moment oü l'on parle. Il est donc représenté hors du réel. Le sens est exactement « s'il se manifeste que ». Dans les deux cas, le recours à la négation μή fait seulement qu'on ajoute une absence de quelque chose, absence d'assertion ou absence d'événement. La situation de discours de l'apodose est donc toujours la situation de discours préexistante augmentée de ce que lui ajoute la protase. L'apodose est alors un énoncé conditionné par l'addition ainsi faite à la situation de discours. La conjonction ei est donc capable d'introduire soit une assertion, soit une simple représentation événementielle. C'est qu'on peut définir une situation aussi bien par ce qu'on y affirme que par ce qui s'y passe. Il en est de méme

avec les relatives, car on peut définir des individus soit

par ce qu'on en dit, soit par des événements qui leur sont attachés. En revanche, les temporelles n'introduisent que des représentations événementielles car un moment de référence ne peut étre déterminé que par ce qui s'y passe.

106

2° PARTIE - SUBJONCTIF

CHAPITRE

IV

LE SUBJONCTIF SANS ei PRINCIPALEMENT DANS LES PROPOSITIONS INDEPENDANTES

Conformément à l'usage, on distinguera le subjonctif assertif, le subjonctif volontatif et le subjonctif interrogatif (dit souvent délibératif, voir chap. I, A).

A. LES EMPLOIS

ASSERTIFS

Un emploi du subjonctif sans ei peut être caractérisé comme assertif par la présence de la négation où. La présence d'une particule modale peut être aussi un indice, mais ni suffisant, ni nécessaire. On étudiera donc

successivement

les tournures

positives,

sans

et avec

particule,

et

les tournures négatives, sans et avec particule. 1. Les tournures

positives

sans

particule:

Trés rares, elles se raménent à deux formules assertant une possibilité. Il. 6. 459 = 7. 87:

καί ποτέ τις εἴπῃσιν... « Et peut-être qu'on dira un jour... » On a une formule semblable en Od. 6. 275. Il. 24. 551:

οὐδέ μιν ἀνστήσεις, πρὶν xai κακὸν ἄλλο πάθῃσθα « Tu ne le ressusciteras

pas, auparavant“

un autre malheur. »

46. TIpiv est adverbe et non conjonction.

tu vas peut-être même

subir

CH. IV - SANS el

107

On peut cependant y ajouter des exemples ä la premiere personne du singulier, qui, de ce fait, passent pour volontatifs. Mais l’idée d’intention peut être tirée d'une simple assertion de possibilité. Il. 9. 121:

ὑμῖν δ᾽ἐν πάντεσσι περικλυτὰ δῶρ᾽ ὀνομήνω « Je peux devant vous tous énumérer mes splendides presents. » En effet affirmer qu'on peut faire quelque chose, c'est souvent proposer de le faire. Dans ces exemples, contrairement à tous ceux qu'on a vus jusqu'à présent, un jugement est porté sur l'éventualité envisagée. Ce jugement ne peut étre qu'un jugement de possibilité, puisque l'éventualité, par définition hors du réel, n'est pas prédéterminée.

Ici, la possibilité demeure vague et indéfinie*". Elle n'est pas motivée, reposant seulement sur un constat Le ton demeure évasif.

de non

incompatibilité avec

le réel.

2. Les tournures positives avec particule: On a la particule ἄν dans deux exemples où est admise d'un revers de fortune.

la possibilité

Il. 1. 205:

ἧς ὑπεροπλίῃσι τάχ᾽ ἄν ποτε θυμὸν ὀλέσσῃ « À cause de son insolence, il se peut qu'il perde bientôt la vie. » Achille menace Agamemnon. De même en Il. 22. 505, Andromaque pense que son fils va peut-être connaître un triste sort, après la mort d’Hector.

Dans

les deux

cas,

la possibilité

la situation de discours (au chant 22 la mort

d'Hector)

fait envisager,

est motivée : un

élément

1 l'insolence d'Agamemnon, et admettre

comme

de

au chant

possible,

l'éven-

tualité d'un renversement de situation. Ici comme ailleurs, la particule &v souligne une rupture. Mais la particule employée est généralement Ke. Elle souligne un enchainement naturel ou bien elle apparait dans une alternative. a. Enchainement

naturel:

Ke entre dans une proposition fortement coordonnée à ce qui précède, par δέ ou καί, ou méme xai δέ. la proposition précédente exprime une exhortation, un ordre, une intention. Elle évoque donc le comportement attendu de l'un des interlocuteurs ou d'un tiers. On y enchaîne, avec δέ κε ou καί κε et le subjonctif, un autre comportement, souvent celui du locuteur (ἐγὼ δέ κε), qui est présenté comme une conséquence possible

du précédent.

47. Chantraine,

1953, p. 205, y voit «une sorte de futur affectif ».

48. Ainsi Iliade

1 184, 3 414,

14 235,

16 129.. Cf. Monro,

1882, p. 197.

108

2° PARTIE - SUBJONCTIF

Il. 14. 235:

πείθευ: ἐγὼ δέ κέ tot εἰδέω χάριν ἥματα πάντα « Écoute-moi. Et moi alors, il se peut que je t'en sache gré à jamais. » Hera ne s'engage pas dans une promesse de reconnaissance éternelle. Elle en

fait seulement

comme

dans l'exemple suivant.

miroiter

la possibilité.

Sinon,

on

aurait

le futur,

Il. 10. 378:

Ζωγρεῖτ᾽, αὐτὰρ ἐγὼν ἐμὲ λύσομαι... « Prenez-moi vivant. Alors moi je me ferai racheter. » Un seul exemple, légèrement différent, est sans coordination consécutive. Mais

l'anaphorique

(ou

relatif faible)

τῶν,

placé

en

tête

de

phrase,

en

tient lieu. Télémaque vient de dire qu'il y a beaucoup de « rois » en Ithaque. Od. 1. 396: τῶν κέν τις τόδ᾽ ἔχῃσιν, ἐπεὶ θάνε δῖος ᾿Οδυσσεύς « Alors il se peut que l'un d'eux règne sur ce pays, puisque le divin Ulysse est mort. » La possibilité est à la fois enchainée à ce qui précéde et motivée. Que Télémaque reconnaisse cette possibilité peut passer pour un consentement de sa part. Mais c'est là une valeur dérivée. b. Alternative :

La présence de xe dans une alternative interdit l'interprétation proprement délibérative. Le subjonctif avec xe peut apparaitre dans les deux termes de l'alternative. Il. 9. 701-2:

"AV À κε « Eh Mais tement)

ἦτοι κεῖνον μὲν ἐάσομεν, À xev ἴῃσιν, μένῃ... bien, laissons-le donc: il peut s’en aller, il peut rester. » il n’est pas certain qu’un jugement de possibilite (valant consensoit porté

sur chacune

des deux

éventualités.

Ainsi postposé,

le

subjonctif peut seulement exprimer une éventualité : « qu'il s'en aille ou qu'il reste. » La valeur assertive n'est certaine que lorsque le deuxième terme de l'alternative est négatif avec ot. Od. 1. 267-8: ἀλλ᾽ ἦτοι μὲν ταῦτα θεῶν ἐν γούνασι κεῖται,

fi κεν νοστήσας ἀποτίσεται, ἦε καὶ οὐκί «Eh

bien, la decision sur ce point repose

il va peut-être

rentrer et se venger,

sur les genoux

et peut-être

des dieux:

non. »

Il est vrai que ἀποτίσεται, forme ambiguë, pourrait aussi être un futur“. De tels exemples indiquent qu'on juge aussi bien possible chacune

49. Mais voir Chantraine, 1958, p. 455. Cf. aussi Odyssée 4 80 et 18 265 où ἀνέσει semble être un futur, mais c'est un hapax difficile à interpréter, d'ou la conjecture ἀνέῃ, subjonctif de ἀνίημι.

CH. IV - SANS ei

109

des deux éventualités, la situation ne permettant pas d'en éliminer une. Cette impossibilité de choisir peut être le fait non du locuteur, mais d'un protagoniste. Od.

15. 300:

ὁρμαίνων ἥ xev θάνατον φύγῃ, À κε Mon « Remuant des pensées : il peut échapper à la mort, il peut être pris. » L'alternative exprime les pensées de Télémaque: « réfléchissant qu'il pouvait aussi bien échapper à la mort, aussi bien étre pris. » De tels emplois peuvent étre rapprochés de l'emploi du subjonctif avec ei aprés un aveu d'ignorance (voir chap. II, C). Le subjonctif avec ei permet d’avancer une éventualité, sans rien affirmer, dans une intention polémique, pour ébranler l'assurance de l'interlocuteur. Ici aussi l'intention est de montrer que l'avenir n'est pas prédéterminé. Mais on le fait, de facon non polémique, en affirmant l'égale possibilité de deux éventualités contradictoires,

ce qui est un constat d'ignorance.

Comme avec ei et le subjonctif, le contexte précédant l'alternative peut exprimer un projet d'action destiné à lever l'incertitude. Il. 21. 225-6: πρὶν... Ἕκτορι πειρηθῆναι

ἀντιθίην, fi κέν με δαμάσσεται, À κεν ἐγὼ τόν «... avant d'avoir affronté Hector: il va peut-être me dompter, ou bien ce sera peut-être moi qui le dompterai. » Comme pour ei et le subjonctif dans un contexte semblable (voir chap. I, C), l'idée d'une mise à l'épreuve à venir peut créer un effet de sens interrogatif: «je saurai s'il me domptera.. ou si.» Il y bien peu de difference entre l'exemple ci-dessus, avec l'alternative fj... 7... « ou bien... ou

bien... », et Il. 8. 532-4

(voir chap.

172-3 (voir chap. II, B), où l'on a εἰ, ai ou

ἦν,

on

ne

peut

avoir

que

II, C), où l'on a ei... ἧ..., ou

ἦν... fi... (ἦν contenant l'expression

d'une

Il. 20.

ei). Or, aprés

éventualité,

sans

jugement de possibilité. Aussi, rien ne prouve que l'alternative }... 5... introduise de tels jugements. Il y a d'ailleurs des variantes, qui montrent qu'on confondait facilement ei, ou ai, ou ἦν, avec fj, et que donc les deux tours pouvaient passer pour équivalents. Il arrive que les termes de l'alternative ne soient pas tous deux au subjonctif. Le premier terme peut étre au futur, mais sans que cela soit

certain, dans un exemple°”. IL 11. 431-3:

σήμερον A δοιοῖσιν ἐπεύξεαι Ἱππασίδῃσι, /... N κεν ἐμῷ ὑπὸ δουρὶ τυπεὶς ἀπὸ θυμὸν ὀλέσσῃς « Aujourd’hui, ou bien tu tireras gloire des deux fils d’Hippase, ou bien peut-être, frappé de ma lance, tu vas perdre la vie. »

50. En Iliade 20 311, les deux termes sont vraisemblablement au futur, avec particule.

110

2€ PARTIE - SUBJONCTIF

La forme ἐπεύξεαι peut être un subjonctif ou un futur. Le futur parait

plus vraisemblable?!, à cause de l'absence de xe, habituel avec le subjonctif dans ces alternatives, et à cause du sens. Sóque fils d'Hippase, qui parle, est un guerrier bien inférieur à Ulysse, à qui il s'adresse. De plus Ulysse a déjà tué son frére. On peut donc penser que la mort de Sóque est dans

l'ordre des choses, c'est-à-dire prédéterminée,

d'où le futur dans

le

premier terme de l'alternative. Mais, Söque, prét à tirer, se donne encore une chance, d'où le subjonctif avec xe dans le second membre, avec une valeur polémique (il y a cependant une variante avec le futur ὀλέσσεις). Si l'ambiguité morphologique ne permet pas d'opposer sürement un futur à un subjonctif, plusieurs exemples, en revanche, opposent un subjonctif dans le premier membre à un optatif dans le second. C'est toujours pour exprimer l'égalité des chances. L'optatif ne correspond donc pas à une moindre probabilité, comme on l'a dit parfois. 1] correspond en fait à l'éventualité désirée par le locuteur. Od. 4. 692:

ἄλλον κ᾽ ἐχθαίρῃσι βροτῶν, ἄλλον κε puoin « Elle peut hair un mortel, elle peut cherir un autre. » La justice des rois est partiale dans un sens aussi bien que dans l’autre. Mais le locuteur préfère le cas où elle favorise (optatif φιλοίη). Ainsi s'exprime dans l’/liade le thème de l'égalité des chances au combat pour deux guerriers de valeur égale. En Il. 21. 225-6, cité plus haut, où il n'y a pas opposition de modes, Achille envisage d'affronter Hector. Dans un autre exemple, où il y a opposition de modes, c'est Hector qui envisage d'affronter Achille. Il. 18. 308:

στήσομαι, ἦ KE φέρῃσι μέγα κράτος, À xe φεροίμην

«Je ferai face: peut-être va-t-il remporter un grand triomphe, peutêtre vais-je le remporter pour moi. » Hector est ici au faîte de sa bravoure et de sa gloire. Rien ne lui résiste dans la bataille d'où Achille est encore absent. Aussi cede-t-il, malgré les conseils du prudent Polydamas, à son défaut, la fougue et la présomption. Il ne fait pas preuve de modestie et se considère momentanément comme l'égal d'Achille. L'optatif du second membre de l'alternative ne correspond donc pas à une moindre probabilité, mais seulement à l'éventualité qu'il désire??.

51. Mais opinion contraire de Chantraine,

1953, p. 211.

52. Chantraine, 1953, p. 311, a une opinion contraire. En outre, un papyrus a l'optatif des le premier membre, leçon qui résulte sans doute d'une harmonisation modale.

CH. IV - SANS ei

De méme,

111

dans l'Odyssée, s'exprime

le théme

de l'égalité des chances

entre le retour et la mort, d'Ulysse ou de Télémaque?*. Ulysse emploie une fois l'optatif dans le second membre la possibilité de son retour. Od.

de l'alternative, pour exprimer

12. 156-7:

ἀλλ᾽ ἐρέω μὲν ἐγὼν ἵνα εἰδότες Ti κε θάνωμεν Ni κεν ἀλευάμενοι θάνατον καὶ κῆρα φύγοιμεν « Mais je veux vous dire, quant à moi, les endroits où, une fois prévenus, peut-être allons-nous périr, peut-être, en nous protégeant, allons-nous échapper au destin de mort. » "]va ne peut être ici qu'un adverbe de lieu « les endroits où » introduisant une subordonnée qui compléte un verbe de déclaration (pour un tel emploi, voir Monteil, 1963, pp. 378-9). En effet un {va final n'admet pas la particule xe”. Aristarque lisait un subjonctif dans le second membre de l'alternative. La variation modale n'est donc pas tout à fait assurée. Il est clair qu'Ulysse veut informer ses compagnons des paroles de Circé. Or celle-ci n'a fait aucune prédiction. Elle a seulement signalé des passages dangereux et indiqué les moyens de s'en protéger. Dangers et conseils rendent donc la balance égale entre la mort et le salut. 3. Les tournures négatives sans particule: Le subjonctif avec où passe souvent pour un équivalent de futur, tout au plus emphatique?*.

Od.

Il a en fait plus de force.

16. 437:

οὐκ ἔσθ᾽ οὗτος ἀνήρ, οὐδ᾽ ἔσσεται, οὐδὲ γένηται « Cet homme-là n’existe pas, n'existera pas et ne risque pas d’exister. » Ce tour est ainsi souvent au terme d’une progression, apres un futur sans négation (Il. 15. 349-50), aprés un aoriste (Il. 1. 262). Mais il peut aussi être isolé. Dans tous les cas, il exprime une impossibilité générale, pouvant donc enchérir sur une simple affirmation de non existence : « il ne risque pas d'exister » a plus de force que «il n'existera pas ». Le tour au subjonctif indique en effet qu'une éventualité, sans restriction tempo-

relle, n'est pas imaginable?6. 4. Les tournures négatives avec particule: Exceptionnellement, la particule est toujours ἄν. Or on a vu que ἄν souligne une rupture ou une opposition entre la situation de discours

53. Cf. Odyssee

1 267-8,

15 300 (cité ci-dessus),

54. Cette interprétation m'a été proposée dans Chantraine, 1953, p. 272. 55. Cf. Goodwin, 56. Cf. Gonda,

1912, p. 97; Hahn,

18 265 (voir n. 49).

par J. Taillardat. Autre

1953, p. 80; Chantraine,

1956, p. 75, n. 2: «nor can I imagine... »

tentative

1953, p. 209.

d'explication

112

2° PARTIE - SUBJONCTIF

et l'événement envisagé. L'emploi exclusif de ἄν avec où et le subjonctif indique donc que l'éventualité envisagée s'oppose tellement à la situation de discours qu'elle est incompatible avec elle, c'est-à-dire impossible. Cet

emploi

a

par

suite

habituellement

une

valeur

polémique.

Le

locuteur rejette un espoir de l'interlocuteur, en le déclarant impossible à réaliser. Ce peut étre l'expression d'un refus. Il. 2. 488: πληθὺν δ᾽ οὐκ ἂν ἐγὼ μυθήσομαι οὐδ᾽ ὀνομήνω « Mais la foule, je ne peux la detailler, ni en donner les noms. » Cette formule apparaît à plusieurs reprises. Quelqu'un à qui on a demandé

de décrire une armée accepte de nommer

les chefs, mais refuse

de parler de la troupe. Ce

peut

être

aussi

l'expression

d'une

menace.

On

rejette

comme

chimérique un espoir qu'on préte à un interlocuteur. H. 3. 54: οὐκ dv τοι χραίσμῃ κίθαρις τά τε δῶρ᾽ ᾿Αφροδίτης « Pas de risque qu'elle te serve ta cithare, ni les dons d’Aphrodite. » Hector prête ironiquement à Alexandre l'intention d'aller au combat armé de sa cithare. La vigueur de ce tour en fait une négation renforcée, ce qui le rapproche du tour correspondant avec l'optatif, qui finira par le supplanter?". 5. Conclusion à

l'étude des emplois assertifs :

Comme dans les autres emplois du subjonctif, on observe dans les emplois assertifs l'expression d'une éventualité, représentation événementielle située hors du réel. Mais il s'y ajoute un jugement porté sur cette éventualité, soit de compatibilité avec le réel (possibilité), soit d'incompatibilité (impossibilité). On peut distinguer les cas suivants, selon le rapport

établi entre

réel et éventualité.

a. On ne connait pas d'obstacle à l'éventualité : Si l'on part du réel en général, on affirme une possibilité indéfinie, sans particule. Si l'on part de la situation particuliére du discours, on affirme qu'elle donne égalité de chances aux deux termes d'une alternative, avec la particule

κε.

b. On connait des arguments

en faveur de l'éventualité :

Le plus souvent, la possibilité correspond à un enchainement naturel à partir de la situation de discours particuliére, avec xt. Parfois, la possibilité suppose un renversement de situation, avec ἄν.

57. Voir troisiéme

partie, chap.

V, D.

CH. IV - SANS ei

c. On

connait

113

un empéchement

à l'éventualité

(avec

οὐ):

Si c'est le réel en général qui empêche, il n’y a pas de particule. Si c'est la situation particulière du discours qui empêche, on emploie la particule ἄν, marque d'un impossible renversement de situation.

B. LES EMPLOIS

VOLONTATIFS

Un emploi du subjonctif est volontatif lorsque le locuteur imagine une éventualité

en

liaison

avec

un

choix

de

sa volonté,

soit qu'il

la désire,

soit qu'il la repousse. Il en résulte deux conséquences: - D'une part, l'éventualité est placée dans l'avenir, mais n'est pas mise en relation avec la situation de discours. Elle n'est reliée qu'au locuteur et à ses intentions. C'est pourquoi il n'y a pas de particule. - D'autre part, l'énoncé n'a pour source que le seul choix d'une éventualité par le locuteur, sans adoption d'un point de vue de vérité qui soit

lié à la situation

seule négation

de

discours.

L'énoncé

possible est la négation

étant

donc

non

assertif,

la

non assertive μή (voir premiere

partie). En ce cas, elle exprime une attitude de refus : le choix du locuteur

soppose à l'éventualité envisagée. Outre l'opposition entre désir et refus, on peut distinguer le cas oü le locuteur se contente d'exprimer son choix et celui oü il le fait pour

modifier le comportement de son interlocuteur. Celui-ci est alors appelé à réaliser ou à éviter l'éventualité envisagée. On étudiera donc successivement le subjonctif de désir et de crainte, puis le subjonctif d'exhortation et de défense. l. Le subjonctif de désir: La

premiére

personne

du

singulier

ne

permet

guére

une

valeur

exhortative?. Lorsque le locuteur s'encourage lui-même, il se dédouble et se prend pour interlocuteur. Il le fait donc soit à la deuxiéme personne du singulier (grec ἀλλ᾽ ἄγε « eh bien, va! »), soit à la première personne du pluriel (frangais « allons! »). A la premiére personne du singulier, on ne peut exprimer qu'un désir ou un consentement concernant une éventualité. Il. 9. 121:

ὑμῖν δ᾽ ἐν πάντεσσι περικλυτὰ δῶρ᾽ ὀνομήνω «Et je desire (ou: je veux bien) enumerer, splendides presents. »

58. C'est la fonction conative de Jakobson, 59. Opinion

contraire de Monro,

devant

vous

1963, p. 216.

1882, p. 197, et Chantraine,

1953, p. 207.

tous,

mes

114

2° PARTIE - SUBJONCTIF

Mais ce peut être aussi l'expression d'une possibilité, qui serait une possibilité psychologique, « je peux » équivalant alors à «je veux bien » (voir sous A, 1).

Le subjonctif de désir est le plus souvent postposé à un encouragement ou à un ordre, qu'il motive. Il. 6. 340:

ἀλλ᾽ ἄγε νῦν ἐπίμεινον, ἀρήϊα τεύχεα δύω « Mais allons! pour l'instant attends-moi : je desire enfiler mon équipement de guerre. » Il prend alors une valeur finale: « attends-moi, que j'enfile.. » on peut opposer ce subjonctif, qui exprime la visée du locuteur, à celui qui, dans le méme contexte, mais avec coordination conséquence attendue (voir sous A, 2).

et la particule

xe, exprime

la

À d'autres personnes que la premiére du singulier, un tel subjonctif n'exprime pas non plus un encouragement ou un ordre. Aussi le sujet peut-il ne pas désigner l'agent responsable du procés envisagé et désiré. Il. 22. 130: εἴδομεν... « Je désire que nous sachions®... » On peut aussi avoir une troisieme

personne.

Il. 21. 60-1: ᾿Αλλ᾽ ἄγε δὴ καὶ δουρὸς ἀκωκῆς ἡμετέροιο γεύσεται... « Mais allons donc, (je désire) qu'il goûte aussi de la pointe de ma pique. » Achille s'encourage d'abord ἄνες ᾿Αλλ᾽ ἄγε δή. Le subjonctif γεύσεται « qu'il goüte » exprime ensuite un désir qui ne sera pas réalisé par un comportement

de son adversaire,

mais

de lui.

2. Le subjonctif de crainte (avec μή): Le subjonctif précédé de μή exprime la crainte lorsque le locuteur indique ainsi une attitude toute subjective de refus devant une éventualité, sans pour autant prétendre agir sur le cours des événements. C'est en fait la négation μή qui exprime alors ce sentiment de crainte. Le subjonctif ne fait que déterminer l'objet de la crainte comme une éventualité. Od. 5. 356-7:

Ὥμοι ἐγώ, μή τίς por ὑφαίνῃσιν δόλον alte ἀθανάτων... « Malheur de moi! de me

60. En

tisser encore

francais,

les

subjonctifs : sache, procès exprimé.

J'ai peur que un

l'un des immortels

ne soit en train

piège. »

«impératifs»

des

verbes

aie, sois. C'est peut-être

savoir, que

avoir,

être

sont

en

leurs sujets ne peuvent

fait d'anciens être agents du

CH. IV - SANS εἰ

115

Dans cette plainte solitaire, Ulysse ne cherche à modifier ni le comportement des dieux, ni le sien propre. La crainte est toute passive. En outre, la peur d'Ulysse est tournée vers l'avenir, bien qu'ici le fait redouté soit lui-même actuel. En effet, ce qui a suscité sa crainte est le conseil étonnant, donné par Ino, de quitter son radeau. C'est que ce que craint Ulysse n'est pas le fait en lui-méme, mais sa manifestation. Il craint de découvrir qu'un immortel est en train de lui tendre un piége. Le théme de présent, duratif, indique que le procés sera en cours au moment où, éventuellement, il se manifestera. Mais, en ce cas, il a déjà commencé.

Cet emploi du subjonctif est donc comparable à celui qui été décrit en Od. 23. 79, oà cependant on a un théme d'aoriste (voir sous C, 3). Dans une postposition explicative apparait la valeur finale. Il. 6. 431-2:

ἀλλ᾽ ἄγε νῦν ἐλέαιρε Kal αὐτοῦ μίμν᾽ ἐπὶ πύργῳ, μὴ παῖδ᾽ ὀρφανικὸν θήῃς χήρην τε γυναῖκα « Mais allons, maintenant aie pitié et reste sur le rempart, de peur que tu rendes ton fils orphelin et veuve ton épouse. » Après un verbe de crainte le tour devient complétif. Il. 11. 470:

δείδω μή τι πάθῃσιν... « Je crains qu’il ne lui soit arrive malheur... » Ici encore, comme en Od. 5. 356-7 ci-dessus, le fait redouté n'appartient pas

à l’avenir.

Il est

même

passé

(non

en

cours,

car

on

a un

aoriste

terminatif) : Menelas a entendu un cri d’Ulysse dans la mêlée, et, de fait, Ulysse a été blessé. Mais la découverte de ce malheur est toujours une éventualité pour Ménélas, qui est séparé d'Ulysse par la mêlée et ne voit pas ce qui est arrivé. Sa crainte

l'avenir. On voit imaginer

que une

la crainte éventualité

est donc

est

souvent

sans

donner

malgré

suscitée de

par

certitude.

tout tournée

un

indice

C'est

qui

pourquoi

vers

fait le

tour peut aussi justifier un aveu d'ignorance. Il. 10. 100-1:

.. Οὐδέ τι ἴδμεν μή πως καὶ διὰ νύκτα μενοινήσωσι μάχεσθαι « Et nous ne savons rien: il est à craindre qu'ils ne prennent envie de combattre méme pendant la nuit. » On peut comparer à cet emploi l'emploi du subjonctif aprés ei dans le méme contexte. Ici l'éventualité envisagée est redoutable pour l'ensemble des interlocuteurs. Apres el, elle est plutôt désirable pour le locuteur et redoutable pour son interlocuteur, d'où une valeur polémique (voir chap. II, C).

Le subjonctif aprés μή exprime dans ces exemples la crainte d'un événement, c'est-à-dire, plus précisément, de la manifestation d'un fait (et non du fait en lui-méme), ce que nous avons appelé une représentation événementielle.

Ce

tour

doit

étre

soigneusement

distingué

de

celui

qui

116

2° PARTIE - SUBJONCTIF

exprime la crainte d'une assertion, soit d'un subjonctif avec où.



μή est suivi

a. Crainte d'une assertion exprimée

soit d'un

indicatif,

à l'indicatif :

Od. 5. 300:

δείδω μή μοι πάντα θεὰ νημερτέα εἶπεν « J'ai peur d'avoir à constater que tout ce qu'a dit la déesse est La tempête prédite par Calypso vient d'éclater. Ulysse doit reconnaitre la vérité de ses dires. Mais un tel aveu est pour lui de menaces et lui fait peur. Ce type d'assertion qui fait peur, hésite à assumer, a été appelé cautious assertion par Goodwin, 1912, b. Crainte d'une éventualité exprimée

vrai. » donc lourd qu'on p. 92.

au subjonctif :

L'exemple précédent sera utilement opposé au suivant, où μή est suivi d'un subjonctif seul. Il. 1. 555:

Νῦν δ᾽ αἰνῶς δείδοικα κατὰ φρένα μή σε παρείπῃ « Mais maintenant, j'ai bien peur en mon cœur de découvrir qu'elle t'a séduit. » Certains indices suggèrent à Héra que Thétis a séduit Zeus en faveur d'Achille. Mais elle n'a pas encore de certitude, ce n'est qu'une éventualité qu'elle ne pourra vérifier que plus tard, lorsque Zeus exprimera ses nouvelles intentions. Il s'agit donc encore d'une éventualité à venir bien que le fait en luiméme

ne

soit

pas

à venir,

comme

en

Od.

5. 356-7

et

Il.

11. 470

cités

plus haut. Ce cas est sans doute plus fréquent qu'on ne croit et ne résulte pas d'une « earlier laxity of usage »9!. On a eu en effet tendance à croire que le fait était en lui-méme à venir chaque fois que c'était possible, méme lorsque le contexte donne des indications contraires, par exemple en Il. 11. 470. C'est qu'on trouvait anormaux des emplois du subjonctif qui semblaient porter sur le passé. En fait, ils sont normaux et portent bien sur une éventualité à venir. Il suffit pour l’admettre qu'on ait distingué le moment de référence, qui est celui d'une représentation événementielle, du moment du procès. L'opposition observée entre les deux exemples évoqués ci-dessus, Od. 5. 300 et Il. 1. 555, est intraduisible en frangais sans le recours à des périphrases explicatives. On dira en effet de la même façon «j'ai peur que la déesse n'ait dit la vérité » et «j'ai peur qu'elle ne t'ait séduit », sans distinguer le cas où l'on a en fait une certitude de celui où l'on n'a que des indices.

61. Goodwin,

1912, pp. 26-7. Cf. aussi Monro,

1882, pp. 72.3.

CH. IV - SANS εἰ

117

c. Crainte d’une assertion exprimée

au subjonctif avec où:

On rencontre μὴ où suivi d'un subjonctif, dans des phrases où la négation où ne peut être une négation de combiné verbal. Comme le subjonctif avec où exprime une assertion d’impossibilite (voir sous A, 3 et 4), il ne peut s'agir que d'une assertion d'impossibilité dont on a peur,

bien que cela n'ait généralement pas été vu. Il. 10. 39:

δείδω μὴ où τίς τοι ὑπόσχηται τόδε ἔργον « J'ai peur d'avoir à dire que personne ne peut te promettre cet exploit. »°° Qu'un Achéen parte de nuit pour aller espionner le camp des Troyens est un exploit qui paraît impossible à Ménélas. C'est pourtant ce que semble désirer Agamemnon. L'emploi de μή en tête de phrase atténue la force d'une assertion jugée désagréable. Ce μή de cautious assertion précède donc une assertion jugée trop forte. Or les assertions d'impossibilité au subjonctif avec οὐ sont encore plus fortes que les assertions à l'indicatif (voir sous A, 3 et 4). Ainsi s'explique cet emploi atténuatif de μή devant où et le subjonctif. 3. Le subjonctif d'exhortation: Un emploi du subjonctif seul est exhortatif lorsque le locuteur envisage une éventualité qu'il désire en incitant son ou ses interlocuteurs à la réaliser, ou du moins à y contribuer. Il faut pour cela que le subjonctif ne soit pas à la premiére personne du singulier. Il faut qu'il ne soit pas dans une proposition postposée ou subordonnée avec une valeur finale. Il faut enfin que le ou les interlocuteurs puissent étre agents responsables du procés exprimé. Ces conditions sont le plus souvent remplies à la premiére personne du pluriel, et trés rarement à la seconde du pluriel ou du duel. On considére habituellement que le subjonctif fonctionne alors comme un substitut de l'impératif. À la premiére personne du pluriel en particulier, il pallierait une lacune de l'impératif grec (alors que l'impératif frangais a une premiere personne du pluriel). C'est faire peu de cas d'une différence importante entre les deux modes. Alors que le subjonctif est un mode personnel, l'indicatif est fondamentalement un mode impersonnel. Sa forme premiére est le théme verbal nu, sans suffixe modal ni désinence. Le développement de désinences personnelles vient surtout de l'injonctif

indo-européen‘. 62. Est donc insuffisante la traduction habituelle « J'ai peur que personne ne te promette » (cf. Chantraine,

1953, pp. 336-7).

63. En revanche, en /liade 5 233, μὴ... οὐδ᾽ ἐθέλητον contient un combiné négatif verbal. On peut hésiter pour /liade 1 28 et 1 556, où de méme est possible un combiné verbal OÙ χραισμεῖν « être inutile ». 64. Cf. Monro,

1882, p. 191: Chantraine,

65. CÉ. Chantraine,

1953, p. 207.

1961, pp. 269-72, et ci-après.

118

2° PARTIE - SUBJONCTIF

Il en résulte que le subjonctif, mode personnel unissant un sujet à un prédicat, donne automatiquement représentation d'un événement. L'impératif au contraire, comme l'infinitif avec lequel il a des affinitésf$, n'exprime qu'un prédicat qui demeure virtuel, alors que le subjonctif lui apporte le support concret d'un sujet. Si donc l'impératif n'est qu'un appel direct à l'acte, le subjonctif exhortatif en revanche invite à contribuer à un événement imaginaire dont il donne représentation. C'est pourquoi le subjonctif exhortatif est habituellement au pluriel ou au duel. C'est qu'il appelle à collaborer à un comportement collectif. Selon que le locuteur lui-m&me envisage de participer ou non à ce comportement collectif, on a la premiére ou deuxiéme personne. a. Premiére

personne

du pluriel:

Od. 22. 73-7: … ἀλλὰ μνησώμεθα χάρμης

φάσγανά τε σπάσσασθε καὶ ἀντίσχεσθε τραπέζας ἰῶν ὠκυμόρων': ἐπὶ δ᾽ αὐτῷ πάντες ἔχωμεν ἀθρόοι... ἔλθωμεν δ᾽ ἀνὰ ἄστυ... « Mais rappelons notre ardeur belliqueuse ! Tirez vos épées et dressez vos tables contre les fleches promptes ä tuer. Contre lui, tous ensemble, tenons-nous serrés. Et montons vers la ville. » Dans ce passage, s'opposent en grec impératifs de la deuxième personne et subjonctifs de la première personne. Et pourtant, le locuteur Eurymaque a à participer à toutes les actions qu'il évoque. Lui aussi a une épée à tirer, et il la tirera (vers 79). Lui aussi à une table à dresser en bouclier, mais il n'aura pas le temps de le faire. Si alors il emploie l'impératif « tirez » et non un subjonctif de premiére personne, qu'on traduirait par «tirons », c'est qu'il s'agit d'un acte que chacun doit faire pour soi. Il en est de méme pour « dressez ». En revanche il emploie la premiére personne du subjonctif pour appeler à des comportements psychologiques (rappel de l'ardeur belliqueuse) ou physiques (création et marche d'une troupe compacte) qui ne peuvent étre que collectifs et solidaires. C'est que, pour inviter des individus isolés à constituer un groupe physiquement et mentalement homogene, il faut leur donner représentation du groupe désiré. De méme, pour que deux guerriers ennemis, mais liés par des relations d'hospitalité, puissent s'éviter dans la bataille, ils doivent simultanément s’ecarter l'un de l'autre, aussi bien dans l'attaque que dans l'esquive. Le subjonctif exhortatif donne une représentation de ce comportement désiré, à la fois complexe et solidaire. 66. Cf. l'emploi

d'anciens Benveniste,

impératif de l'infinitif. De plus, les impératifs aoristes δεῖξον et δεῖξαι sont

thémes

nus

avec

particule

1935, p. 132; Chantraine,

finale,

qui

1961, p. 272).

ont

pu

servir

aussi

d'infinitifs

(cf.

CH. IV - SANS εἰ

119

IL 6. 226:

ἔγχεα δ᾽ ἀλλήλων ἀλεώμεθα καὶ δι᾽ ὁμίλου « Évitons mutuellement nos javelines méme b. Deuxième

dans la mélée. »

personne du duel ou du pluriel:

Le subjonctif exhortatif à la deuxième personne du duel est exceptionnelf?. Il souligne la collaboration nécessaire de deux individus attelés à une táche commune. Il. 10. 442-3: "AMV ἐμὲ μὲν νῦν νηυσὶ πελάσσετον ὠκυπόροισιν ἠέ ne δήσαντες λίπετ᾽ αὐτόθι νηλέι δεσμῷ « Eh

bien

maintenant,

ἃ vous

deux

emmenez-moi

aux

nefs

rapides,

ou

bien laissez-moi ici, après m'avoir lié d'un nœud impitoyable. » Pour sa première demande, Dolon emploie un subjonctif duel. C’est qu'Ulysse et Dioméde devront encadrer leur prisonnier, s'ils le raménent aux nefs. Ils devront donc collaborer à une tâche commune que Dolon leur représente dans ses modalités. C'est d'ailleurs un argument en sa faveur: le fait qu'ils soient deux rend la chose plus aisée. En revanche, pour la deuxiéme demande, il emploie un impératif pluriel, car en ce cas les deux grecs n'auront pas à collaborer. Comme Ulysse et Dioméde dans la Dolonie, les deux Ajax forment un couple, où chacun est le complément de l'autre, surtout dans la défaite. Il. 13. 47:

Αἴαντε, σφὼ μέν TE σαώσετε λαὸν Αχαιῶν « Les deux Ajax, il faut qu'ensemble vous sauviez l'armée achéenne. » Seul le sujet est au duel. Le verbe pourrait étre au futur, mais est plus vraisemblablement au subjonctif pluriel$?. Ici Poseidon veut imposer aux deux Ajax sa vision du salut de l'armée achéenne. Cette vision préfigure la métaphore de l'attelage qui aux vers 703-8 met sous le méme joug deux guerriers différents, mais complémentaires: le grand Ajax, fils de Télamon, qui résiste aux pires assauts, et le rapide Ajax, fils d’Oilee, le spécialiste des contre-attaques. Poséidon veut donner aux deux guerriers une représentation de cette complémentarité qui doit sauver l'armée9?, 4. Le subjonctif de défense ou de mise en garde: Une valeur de défense ou de mise en garde apparait lorsque l'interlocuteur est l'agent responsable de la scéne imaginaire que le locuteur 67. Chantraine,

1953, p. 207.

68. Voir Chantraine,

1953, p. 207.

69. Il est vrai que dans le couple désigné par le duel Αἴαντε, le fils d'Oilée a sans doute pris la place de l'archer Teucros, (demi-)frére du fils de Télamon. Cette substitution suggére une modernisation de la tactique militaire évoquée. Mais, avec Teucros aussi, le salut de l'armée grecque reposerait sur une stratégie à la fois défensive et offensive, fondée sur la collaboration de deux guerriers différents et complémentaires (voir RJ. Edgeworth, « Ajax and Teucer in the /liad», Rivista di Filologia, 113, 1985, pp. 27-31.

120

2° PARTIE - SUBJONCTIF

repousse au moyen de μή. C'est là l'emploi proprement prohibitif de μή, oü le locuteur veut imposer à son interlocuteur son propre mouvement de rejet. La valeur de volonté repose donc tout entiére sur la négation, le subjonctif n'exprimant qu'une éventualité qu'on imagine. Aussi a-t-on bien tort de s'appuyer sur cet emploi pour établir l'existence d'un

subjonctif de volonté'?. La valeur de défense proprement dite apparaít avec la deuxiéme personne, l'interlocuteur étant à la fois agent responsable et sujet du procés exprimé. Aux autres personnes, on a plutót une mise en garde. a. Mise en garde (premiére

et troisiéme personnes):

Il. 1. 26: Μή c£, γέρον, κοίλῃσιν ἐγὼ παρὰ νηυσὶ κιχείω « Prends garde, vieillard, que je ne te rencontre pres des nefs. » Il peut arriver que

le locuteur s'adresse à lui même,

le dédoublement

de sa personnalité étant traduit par l'emploi de μή prohibitif. Il. 22. 123: μή μιν ἐγὼ μὲν ἵκωμαι ἰών... « Gardons-nous d’aller le supplier. » Avec

la troisième

personne,

on

peut

hésiter entre

une

mise

en garde

ou une simple expression de crainte. Od. 22. 213: Mévrop, μή σ᾽ ἐπέεσσι παραιπεπίθῃσιν ᾿Οδυσσεύς « Mentor, prends garde que par ses propos Ulysse ne te séduise. » On peut aussi comprendre «jai peur qu’Ulysse ne te séduise », ou plutôt

« ne t'ait séduit » (voir ci-dessus,

b. Défense

La - le - le On

(deuxiéme

sous

B, 2).

personne):

syntaxe de la défense en grec est originale. Elle oppose : tour avec μή suivi d'un impératif présent (l'aoriste est exceptionnel), tour avec μή suivi d'un subjonctif aoriste (le présent est inexistant). explique généralement l'opposition des thémes, à partir de valeurs

aspectuelles’!,

mais

non

celle

des

modes.

Bakker,

1966,

pp. 39-42, a

cependant montré que l'opposition des deux tours est plutót d'ordre temporel, le premier étant une défense à effet immédiat et non le second.

C'est aux

themes

aspectuels

qu'il attribue

une

telle différence"?

Mais

nous pensons qu'elle est davantage liée à l'opposition des modes. Il faut d'abord reconnaitre que l'emploi de l'impératif, mode de l'appel à l'action, pour exprimer la défense, est paradoxal. Or on a observé que 70. Voir en particulier Chantraine, 1953, p. 206. Mais, p. 207, on lit: « Avec la négation μή, il ne s'agit pas vraiment d'une volonté niée, mais d'une image que l'on écarte ». 71. En opposant par exemple déterminé et indéterminé (Chantraine, 1953, p. 230; Humbert, 1960, p. 180). 72. Voir aussi

Ruijgh,

1985, p. 28.

CH. IV - SANS ei

121

les textes les plus anciens de l'indien védique n'emploient pas la négation prohibitive mä avec un impératif, et les comparatistes considérent que la défense ne s'exprimait pas, en indo-européen, au moyen d'un impératif. Cet emploi est donc une innovation du grec. Elle doit résulter de l'origine composite de l'impératif grec. Les formes de celui-ci ne sont pas toutes des formes d'impératif proprement dit (théme nu, augmenté ou non de particules). Beaucoup sont issues de l'ancien injonctif indo-européen (théme d'indicatif, avec désinences secondaires et sans augment). Elles ont introduit les oppositions de nombre (pluriel -te, duel -tov), ainsi que de diathése (moyen -oo, -o0£). Or en indo-iranien, la défense s'exprime surtout par má suivi d'un injonctif. C'est donc en tant qu'ancien injonctif que l'impératif grec a pu étre employé dans l'expression de la défense. Ainsi Gonda, 1956, p. 45, fait de μὴ μίμνε « ne reste pas » une extension grecque à partir de μὴ μίμνετε « ne restez pas », ancien injonctif intégré à l'impératif.

L'injonctif indo-européen avait des emplois fort divers’*. C'est en tout cas un mode personnel, avec des oppositions de nombre et de diathese. C'est donc, contrairement à l'impératif et à l'infinitif, un mode donnant représentation d'un événement. Il est en outre morphologiquement proche de l'indicatif, avec des emplois de présent «général» et de « prétérit faible, de type narratif »7°. Comme l'indicatif donc, il donne représentation d'un événement situé dans le réel, mais sans spécification temporelle, et sans la valeur fortement assertive liée aux valeurs temporelles de l'indicatif. Intermédiaire entre indicatif et subjonctif, il se distingue de ce dernier par la localisation de ce dont il donne représentation : - Le subjonctif représente un événement hors du réel. - L'injonctif représente un événement dans le réel. Ainsi s'explique l'opposition entre les deux tours qui expriment la défense : - Avec le subjonctif, l'événement à venir imaginaire que l'on rejette est envisagé globalement (d'ou l'aoriste). - Avec l'impératif-injonctif, ce qu'on rejette appartient au temps vécu du réel. C'est normalement un événement qui a commencé à se manifester et dont on rejette la prolongation ou la répétition (valeur durative ou itérative du théme de présent). La défense

à l'impératif-injonctif,

étant ainsi naturellement

ouverte

du

vécu sur l'avenir, l'aoriste, qui donne une représentation globale, y est exceptionnel. On rencontre cependant deux exemples de défenses à effet immédiat et ponctuel. Le sens est « ne fais pas ceci qui est sous nos yeux ».

73. Voir Delbrück, 74. Voir Gonda, 75. Renou,

1879, p. 120; Wackernagel,

1956, pp. 33-46.

1952, p. 368.

1926, pp. 213-ss.; Humbert,

1960, p. 123.

122

2° PARTIE

- SUBJONCTIF

Il. 4. 410: τῷ μή μοι πατέρας ποθ᾽ ὁμοίῃ Evdeo τιμῇ « Ne mets donc pas ainsi nos pères au même rang que nous. » Sthénélos demande à Agamemnon de renoncer au rapprochement qu'il vient de faire. Od. 24. 248:

… OÙ δὲ μὴ χόλον ἔνθεο θυμῷ « Et toi ne te mets pas en colere. » Il s'agit de prévenir un éclat de colère imminent (on a ici un aoriste de mouvement brusque)’®. Avec l'impératif présent, la défense signifie « cesse de faire ce que tu fais, en cet instant ou en général ». Il. 22. 339: μή ne ἔα παρὰ νηυσὶ κύνας καταδάψαι ᾿Αχαιῶν « Ne me laisse pas prés des nefs être une proie pour les chiens des Achéens. » Hector supplie Achille alors qu'il est déjà dans la position du guerrier gisant sur le champ de bataille, blessé à mort par Achille, lequel vient de lui annoncer le sort qu'il réserve à son cadavre. Il. 24. 560: μηκέτι μ᾽ ἐρέθιζε, yépov,... « Cesse de m'agacer, vieillard. » Achille veut mettre fin aux prieres de Priam. Od.

16.

168:

… μηδ᾽ ἐπίκευθε «.. et cesse de cacher. » C'est-à-dire cesse de te taire ou de mentir. Athéna conseille à Ulysse de révéler son identité à Télémaque. Avec le subjonctif aoriste, le sens est nettement différent: «ne fais pas cela dans l'avenir». Trois exemples s'opposent respectivement à chacun des trois précédents. Il. 5. 684: Πριαμίδη, μὴ δή με ἕλωρ Δαναοῖσιν ἐάσῃς « Fils de Priam, veille ἃ ne pas me laisser comme une proie pour les Danaens. »

Contrairement à Hector en Il. 22. 339, Sarpédon n'est que légèrement blessé. Ses amis le ramènent vers l'arrière. La position de gisant n'est encore pour lui qu'une éventualité.

76. Il existe en outre deux exemples de défense à l'impératif aoriste de troisième personne (Iliade

16 200;

Odyssée

16 301).

Ils expriment

une

défense

dont

le destinataire

pas l'interlocuteur. Ils ne s'opposent donc pas à la mise en garde exprimée troisième personne du subjonctif qui, elle, est bien destinée à l'interlocuteur Odyssée

22 213 cité ci-dessus).

n'est

à la (voir

CH. IV - SANS ei

123

Il. 24. 568:

τῶ νῦν μή μοι μᾶλλον... θυμὸν ὀρίνῃς « Aussi maintenant veille à ne pas soulever davantage ma colère. » Après lui avoir demandé de cesser de l'irriter (vers 560 cité plus haut), Achille intimide Priam en lui faisant craindre un éventuel éclat de colére. Od.

15. 263:

εἰπέ μοι... μηδ᾽ ἐπικεύσῃς « Dis-moi... et veille à ne rien me cacher. » La requête « dis-moi » fait imaginer une éventuelle réponse trompeuse contre laquelle on met en garde. 5. Conclusion sur les emplois volontatifs du subjonctif : Les emplois volontatifs du subjonctif montrent qu'en fait il n'existe pas de subjonctif de volonté, de même que le subjonctif n'est pas par lui-même assertif. La valeur volontative doit être attribuée soit à un emploi particulier de la négation μή, soit à d'autres facteurs contextuels ou situationnels. La valeur volontative, dans ses diverses modalités, n'est donc qu'une valeur ajoutée qui donne à l'énoncé une source énonciative, laquelle est ici l'affectivité du locuteur, et non un point de vue de vérité comme dans les emplois assertifs. Le mode subjonctif, comme dans les autres emplois, ne

fait

par

lui-méme

que

spécifier

le

contenu

en

une

représentation

événementielle située hors du réel.

C. LES EMPLOIS

INTERROGATIFS

Parmi les emplois étudiés jusqu'à présent, certains, aprés εἰ ou dans une alternative avec particule xe, peuvent développer des effets de sens interrogatifs, s'ils sont postposés à certains verbes (voir chap. II, C). Ici il sera question d'emplois qui sont interrogatifs par eux-mémes, qu'ils soient

indépendants

ou

postposés.

L'interrogation

peut

étre

introduite

ou ne pas être introduite par un pronom ou adverbe interrogatif"". Ces emplois

sont

sans

valeur délibérative

particule (voir chap.

et sans

négation,

et ont

ou

n'ont

pas une

I, A).

1. Le subjonctif interrogatif de délibération: Les emplois de sens délibératif sont généralement sans pronom ou adverbe interrogatif. Ils entrent souvent dans une alternative et peuvent étre postposés.

77. Voir Chantraine, 1953, p. 10, qui, suivant l'usage, oppose l'interrogation « de mot» à l'interrogation « de phrase » ou « totale ». Mais en fait toute interrogation porte sur un propos (par opposition au theme). Il n'y a donc pas d'interrogation partielle au sens où a été définie ici la négation partielle .

124

2° PARTIE - SUBJONCTIF

Il. 16. 435-8:

Διχθὰ δέ μοι κραδίη μέμονε φρεσὶν ópuaívova N μιν ζωὸν ἐόντα μάχης ἀπὸ δακρυοέσσης θείω ἀναρπάξας Λυκίης ἐν πίονι δήμῳ

ἦ ἤδη ὑπὸ χερσὶ Μενοιτιάδαο δαμάσσω « Mais mon cœur est divisé et j'ai l'esprit agité: vais-je le ravir vivant au combat cruel et le déposer dans le pays prospère de Lycie, ou vaisje à l'instant l'abattre sous le bras du fils meurtrier de Ménoitios? » Zeus délibère sur le sort qu'il va réserver à Sarpédon. La phrase peut cependant commencer par un mot interrogatif (v. Od. 15. 509 cité chap.

I, A).

Dans les emplois proprement délibératifs, le locuteur a une décision à prendre et hésite devant une ou plusieurs éventualités. Mais dans d'autres exemples, c'est à un interlocuteur qu'il demande de prendre une décision. Il. 10. 62.3:

αὖθι μένω... ἦε θέω... « Dois-je rester là... ou dois-je courir... ? » A cette question de Ménélas, Agamemnon répond Αὖθι μένειν : « Reste là. » On voit que la volonté impliquée dans de tels emplois peut étre aussi bien celle d'un interlocuteur que du locuteur. C'est la preuve que cette valeur de volonté

est ajoutée

par le contexte.

Il peut

méme

arriver que

le subjonctif ne corresponde pas vraiment à l'attente d'une décision, mais seulement à un sentiment d'indignation devant une éventualité. Il. 15. 202-3:

τόνδε φέρω Διὶ μῦθον ἀπηνέα TE κρατερόν TE

À τι μετατρέψεις ;... « Dois-je porter ἃ Zeus ce propos inflexible et violent, ou changeras-tu d'avis? »

Il n'y a pas ici une véritable alternative. La dissymétrie modale permet d'opposer l'éventualité qui indigne, avec le subjonctif, dans le premier membre, à ce qu'on attend comme normal, avec l'indicatif futur, dans le deuxiéme membre. Le subjonctif de ces emplois n'exprime donc qu'une éventualité qu'on imagine. Il s'agit donc d'un emploi non pourvu d'une source énonciative, ni sentiment du locuteur, ni point de vue de vérité. C'est d'ailleurs cette absence de source énonciative qui rend l'énoncé interrogatif. On peut dire qu'il est non fondé. 2. Le subjonctif interrogatif d’aporie: On considére généralement comme prospectives les interrogations au subjonctif qui n'impliquent pas une décision à prendre, mais seulement une incertitude quant à l'avenir. Celles-ci sont toujours introduites par un mot interrogatif. On observe qu'en fait elle ne font pas attendre une

CH. IV - SANS ei

reponse’®.

Ce

125

sont

des

interrogations

oratoires

qui

expriment

plutôt

l'impossibilité d'imaginer une éventualité. Ce peut être une façon d'en nier fortement la possibilité. Il. 1. 150: πῶς τίς toi πρόφρων ἔπεσιν πείθηται ᾿Αχαιῶν « Comment imaginer qu'un des Achéens obéisse de bon cœur à tes paroles? » Cela revient à dire: « Il est tout à fait impossible qu'on t'obéisse. » Plus souvent, ce tour est l'expression d'une aporie: on ne peut méme pas imaginer la suite des événements. Ainsi Ulysse, aprés toute une succession de périls, ne se demande méme plus ce qui peut encore lui arriver, mais, de facon

plus expressive,

quoi imaginer encore.

Od. 5. 465: "Quot ἐγώ, τί πάθω ; τί νύ μοι μήκιστα γένηται ; « Hélas pour moi, quel malheur imaginer, quel dernier coup? » Ici Ulysse l'avisé, est « au bout du rouleau ». Pour une fois, il ne calcule plus et ne suppute pas l'avenir. Sinon il aurait employé un indicatif futur comme le fait Zeus dans l'exemple suivant. Il. 4. 14:

ἡμεῖς δὲ φραζώμεθ᾽ ὅπως ἔσται τάδε ἔργα « Mais nous, voyons comment ces choses se passeront. » Ainsi s'explique l'absence de particule dans ces emplois du subjonctif. On ne s’interroge pas sur un enchainement plus ou moins previsible, selon que l'on a ke ou ἄν. Entre la situation de discours et une éventualité qu'on n'arrive pas à imaginer, plus aucun enchainement n'est envisageable. L'énoncé n'a aucun caractére assertif: ce n'est méme pas une demande d'assertion. 3. Conclusion

sur les emplois

interrogatifs :

Contrairement aux emplois assertifs et aux emplois volontatifs, les emplois interrogatifs du subjonctif peuvent étre dits non fondés, c'est-àdire sans source énonciative. Le fait qu'ils peuvent prendre ou non une valeur délibérative montre que celle-ci n'est qu'un effet de sens. En outre ils ne prennent pas une valeur assertive, pas méme sous forme interrogative.

En particulier, le tour ti πάθω signifie « Quel malheur imaginer ? » plutôt que « Que va-t-il m'arriver ? ». Son maintien en attique n'est donc pas, ainsi qu'on le dit”, une survivance de l'emploi assertif homérique. Cet emploi du subjonctif est plutót à rapprocher des emplois aprés ei, où est seulement imaginée une éventualité.

78. Cf. Schwyzer-Debrunner, 79. Ainsi

Humbert,

1950, p. 318: « Fragen, auf die oft keine Antwort erwartet wird. »

1960, 8 187.

126

2° PARTIE - SUBJONCTIF

CHAPITRE

CONCLUSION

SUR

V

LE SUBJONCTIF

GREC

L'examen systématique des emplois du subjonctif a permis de le définir comme une catégorie verbale déterminant un contenu d'énoncé qui est une représentation événementielle. Une telle représentation résulte de l'association du syntagme nominal sujet et du verbe dans la liaison prédicative. Le subjonctif a la particularité de placer cette représentation événementielle hors du réel, c'est-à-dire hors du domaine des événements vécus ou prédéterminés, dans l'imaginaire. Cette localisation n'est pas par elleméme temporelle. Mais certains contextes, qui mettent la représentation imaginaire en relation soit avec la situation particuliére du discours, soit avec l'affectivité du locuteur, en limitent la localisation à l'avenir. Chez Homére, l'emploi des particules xe ou äv souligne le premier de ces deux cas. Mais entre la situation particuliére du discours et le réel en général des glissements sont possibles, qui favorisent une extension de l'emploi des particules. Ce phénoméne a commencé à se produire dans les relatives et les temporelles

(voir chap.

III, D).

A. LE SUBJONCTIF DANS LE SYSTEME (SANS L'OPTATIF) :

MODAL

La notion de représentation événementielle, fondamentale dans cette analyse, permet d'obtenir une première organisation du système modal grec, précisant comment se détermine le contenu de l'énoncé : - D'une part, elle permet d’opposer les modes qui représentent un événement aux modes qui ne le font pas, comme, parmi les modes non personnels, l'infinitif et le thème nu qui a servi comme impératif, lesquels ne font que nommer

un procès. Ceux-ci constituent le terme non marqué

de l'opposition. Mais les modes personnels sont aussi marqués par rapport au participe. Celui-ci en effet, qui implique un support nominal, donne

CH. V - CONCLUSION

127

bien une représentation mentale d'un événement, mais sans la situer par rapport au réel, comme le font les modes personnels. - D'autre part, elle permet d'opposer, parmi les modes personnels, le cas où un

événement

est représenté

hors du

réel (subjonctif)

au cas où

il ne l'est pas (indicatif, injonctif indo-européen). Ce dernier cas est peutétre à l'origine le terme non marqué de l'opposition, mais, par polarisation, il devient le cas où un événement est représenté dans le réel. Première

organisation

modale :

- Contenu - Contenu

représenté dans le réel: indicatif, injonctif. représenté hors du réel: subjonctif.

- Contenu

représenté

mais

non

situé : participe.

- Contenu non représenté : infinitif, impératif (sans désinence). Il a peut-être existé une période indo-européenne où l'indicatif n'était pas distinct de l'injonctif. Mais la langue homérique relève d'un état différent où le mode indicatif est nettement assertif. Il s'oppose à un ensemble impératif-injonctif, doté de désinences personnelles (la premiére personne demeurant exclue), et spécialisé dans la fonction proprement injonctive (volontative), non assertive. Cela suppose l'entrée en jeu d'un second critére de distinction modale, lequel ne détermine plus le contenu de l'énoncé, mais sa source situationnelle. D'où une nouvelle organisation modale, perpendiculaire à la précédente, selon que le mode indique que l'énoncé est fondé sur un point de vue de vérité tiré de la situation de discours, ou indique qu'il ne l'est pas, ou enfin n'indique rien sur ce point. Nouvelle organisation modale : - Mode fondé sur un point de vue situationnel de vérité (assertif) :indicatif. - Mode non fondé sur un point de vue situationnel de vérité (non assertif): nouvel impératif résultant de la réunion des anciens impératif et injonctif. - Mode ne précisant pas en lui-méme la nature du point de vue qui fait partie de la source énonciative: subjonctif (qui implique un point de vue sans le spécifier), infinitif (qui n'implique aucun point de vue). On obtient donc le tableau suivant pour la langue homérique. contenu dans

représenté

le réel | hors du

contenu

non

réel

assertif

indicatif

subjonctif 1

infinitif 1

non assertif

|imperatif

subjonctif 2

infinitif 2

représenté

128

2° PARTIE - SUBJONCTIF

B. LES EMPLOIS

DU SUBJONCTIF

Deux types principaux d’emploi sont donc possibles pour le subjonctif, comme le suggere le tableau ci-dessus. Ils sont distingues en particulier par le choix de la négation. Les emplois les plus nombreux (subjonctif 2 dans le tableau) sont les emplois non assertifs, c'est-à-dire non fondés sur un point de vue situationnel de vérité. Le point de vue, qui n'est pas rapporté à une donnée de la situation de discours, est en quelque sorte vide, simplement positionnel. Ces emplois se subdivisent à leur tour selon que l'énoncé est assumé

ou

non

assumé.

Les emplois non assumés sont les emplois en proposition subordonnée ou s'appuyant

dans ai,

sur une

le systeme mais

on

les

autre

proposition

hypothétique). trouve

aussi

Ils sont dans

des

(en postposition

souvent

précédés

subordonnées

explicative ou

de ei ou

finales,

de

relatives,

temporelles. Il existe cependant aussi des emplois de ce type qui sont indépendants, avec une intonation spéciale marquant le caractére inachevé de l'énonciation : le locuteur s'est donné une représentation événementielle comme contenu de son énoncé, mais il n'exprime aucune attitude énonciative à son égard. Ce peut étre aprés el, avec une intonation suspensive, ou dans une interrogative, qui peut prendre une nuance délibérative. Les emplois non fondés et donc non assertifs, mais assumés, indépendants

pour la plupart, engagent le locuteur dans l'expression du choix d'une éventualité, ou, avec la négation μή, de son rejet. Les emplois assertifs, fondés sur un savoir du locuteur (point de vue situationnel de vérité), expriment une assertion de possibilité. Il s'agit d'une possibilité événementielle, c'est-à-dire de ce qui peut se produire dans le cours du temps. Ces emplois sont déjà chez Homére les plus rares et disparaitront par la suite. L'emploi de la négation où peut suffire à marquer leur signification assertive. En son absence, elle devait étre marquée

par une

C. STATUT

intonation

MODAL

particuliére.

ET ÉVOLUTION

DU SUBJONCTIF

GREC

Le tableau ci-dessus suggére que le subjonctif homérique avait un statut modal ambigu, puisque, s'il caractérise le contenu de l'énoncé en en donnant une représentation située hors du réel, il ne caractérise pas le point de vue, contrairement aux autres modes personnels: indicatif, impératif dans une certaine mesure (qui ne devient pas complétement personnel, en tant que mode de l'ordre et de la défense), mais surtout, comme on le verra, optatif. C'est d'autre part un statut modal un peu paradoxal. On s'attend en effet à ce qu'une forme verbale caractérisant une représentation événementielle ait une valeur temporelle plutót que modale. C'est la caracté-

129

CH. V - CONCLUSION

risation du point de vue qui a normalement une valeur modale. De fait, on constate que la forme correspondant &tymologiquement au subjonctif grec en latin y est devenue un futur. Même en grec homérique, on a pu voir qu'il se charge souvent, grâce à l'emploi d'une particule, de spécifications de nature temporelle (vision prospective). Cependant l'absence de prédétermination qu'il implique l'empêche d'être un futur proprement dit, car elle a pour effet de placer l'événement « hors du réel ». Le subjonctif homérique est un héritage de l'indo-européen, langue où, semble-t-il, la caractérisation modale du point de vue comme assertif ou non est apparue secondairement (cf. le cas de l'injonctif). Mais il ne correspond plus aux tendances profondes de la langue. Il est donc voué à évoluer, soit vers une valeur plus nettement temporelle, comme en latin, soit vers une valeur plus nettement modale. Ce choix dépend de l'apparition secondaire d'une caractérisation du point de vue. Si celui-ci finit par étre caractérisé comme un point de vue

de

vérité,

la forme

évoluera

vers

une

valeur

temporelle

de

futur.

Mais en grec ancien s'était déjà constitué un futur à partir d'une forme de désidératif. Aussi est-ce l'autre évolution qu'on observe. Des l'époque classique, le subjonctif grec n'est plus susceptible d'avoir des emplois assertifs. Dés lors cette forme caractérise le point de vue qui est à la source de l'énoncé comme n'étant pas un point de vue situationnel de vérité, mais un point de vue simplement positionnel. Cette nouvelle caractérisation deviendra ensuite la valeur essentielle du subjonctif et la caractérisation du contenu finira par disparaitre. Ainsi a pu se constituer la valeur du mode subjonctif telle qu'on l'observe dans des langues modernes, comme le grec moderne ou le francais (oü cependant il est formellement un héritage du subjonctif latin, lui-méme héritage de l'optatif indo-européen).

TROISIEME

L'OPTATIF

MODE

Définition

d'une

DE

PARTIE

GREC

DISSOCIATION

ÉNONCIATIVE

valeur fondamentale.

Application aux différents emplois, en apodoses de systèmes hypothétiques.

particulier

dans

Intégration de l'optatif dans le système

modal du grec.

les protases

et

132

3€ PARTIE - OPTATIF

CHAPITRE

COMMENT

DÉFINIR

PREMIER

L'OPTATIF

GREC

À. LES EMPLOIS

Comme d'autres langues indo-européennes, par exemple le sanscrit, le grec ancien avait hérité de l'indo-européen un mode optatif disparu du latin, et par suite, des langues romanes. Cependant, l'ancien optatif indoeuropéen se retrouve dans le subjonctif latin. Les emplois de ce dernier correspondent donc plus à ceux de l'optatif grec qu'à ceux du subjonctif grec. En frangais moderne, y correspondent certains emplois des formes en -rais et aussi de l'imparfait (ou du plus-que-parfait) de l'indicatif. On distingue habituellement trois emplois de l'optatif grec: souhait, potentiel et subordination dans le passé (en particulier optatif oblique)!. il s'agit en réalité de quatre emplois, puisque l'optatif potentiel est à la fois un optatif d'hypothése (dans une protase) et un optatif d'assertion (dans une apodose ou une indépendante). Dans la syntaxe classique, ces quatre emplois sont nettement distingués par des contextes différents, c'est-à-dire la présence ou l'absence de la particule äv, le choix d'une négation où ou μή, l'introduction par la conjonction ei (ou un relatif, ou une conjonction de temps) ou par une interjection εἴθε ou ei γάρ. l. Hypothese: ei (μὴ) ἔλθοις... « Si tu (ne) venais

(Ρ85)....»

Le tour correspondant present

ou

l. Humbert,

parfait).

1960, 88

197-204.

en latin serait si suivi d’un subjonctif (surtout

CH. I - DÉFINITION

133

2. Assertion potentielle ou de possibilité : χαίροιμι ἄν (la négation serait où) « je

me

réjouirais », ou

«je pourrais

me

réjouir. »

En latin, on aurait un subjonctif, présent ou parfait. 3. Souhait :

εἶθ᾽ ἔλθοις « Ah! si tu venais ! ». S'il est négatif, le souhait subjonctif. 4. Subordination

est introduit

par μή.

Le

latin emploie

un

dans le passé:

ἔλεγεν ὅτι ἔλθοι « Il disait qu'il était venu. » La négation est où ou μή selon le type de subordonnée."Av est toujours absent, quel que soit le mode (indicatif ou subjonctif) auquel l'optatif se substitue. Le phénoméne syntaxique le plus proche, en latin et en français, est celui de la concordance des temps, qui est cependant différent". Le grec homérique connait un emploi plus étendu de l'optatif, qui peut y exprimer lhypothése ou l'assertion irréelle, non distinguée du potentiel, ainsi que le regret, non distingué du souhait. La prose classique fait alors appel à l'indicatif secondaire. Le latin emploierait un subjonctif imparfait ou plus-que-parfait.

B. LES VALEURS

On accorde habituellement à l'optatif grec les deux valeurs de souhait et de potentiel ou possibilité). On rapproche donc l'optatif d'hypothése, soit de celui de souhait, soit de celui de possibilité ; et on considére que loptatif de subordination dans le passé est un emploi secondaire en

partie analogique“. En général, on renonce à considérer l'une de ces deux valeurs comme une valeur fondamentale. On a parfois tenté de définir une valeur fondamentale plus abstraite, sans parvenir à opposer ainsi l'optatif aux autres modes, ni d'ailleurs à recouvrir tous ses emplois’. Aussi a-t-on le 2. Voir Basset, 1986. 3. Humbert, 1960, & 188. Mais Monro, 1882, 8 299, distinguait une valeur de simple supposition. 4. Chantraine,

1953, 8 330.

5. Pour Lange,

1874, pp. 3434, l'optatif avait la valeur de l'imaginaire (« Einbifdungskraft »).

Mais on peut en dire autant du subjonctif, et l'optatif oblique ne répond pas vraiment à la faculté d'imagination. Quant à la valeur « concessive » de Goodwin, 1912, Appendix I, p. 382, il est difficile de voir ce qu'elle signifie.

134

3° PARTIE - OPTATIF

plus souvent renoncé à définir l'optatif grec, en synchronie, comme une unité sémantique. On s’est contenté de lui chercher une valeur primitive. la tendance dominante parmi les grammairiens favorise alors la valeur de souhaité, d'où d'ailleurs il tire son nom depuis l'antiquité. Les arguments avancés ne sont cependänt pas probants : - D'une part, la notion de souhait n'est pas une notion plus « primitive » que celle de potentiel ou possibilité. - D'autre part, l'emploi de la particule ἄν ne spécifie pas la valeur de potentiel comme une valeur dérivée. En effet, chez Homére, la particule n'est pas nécessaire ; et l'on peut dire que le souhait est lui-même marqué par εἴθε ou εἰ γάρ.

- Enfin, le nom même donné à ce mode par les grammairiens alexandrins ne fait que refleter l’emploi le plus caracteristique ä leur &poque, sans rien dire d’une valeur originelle du mode. C'est pourquoi d'autres grammairiens ont pu privilégier la valeur de potentiel en mettant à l'origine de l'optatif la valeur d'un futur faible

ou atténué?. En fait, les uns et les autres font habituellement

leur choix en fonction

de la valeur primitive qu'ils choisissent pour le subjonctif, selon qu'ils y voient un ancien mode de volonté ou un ancien futur?. Tous en effet considérent que l'optatif est un mode paralléle au subjonctif. Il importe donc avant tout de vérifier si les faits justifient un tel rapprochement.

C. L'OPTATIF OPPOSÉ

AU SUBJONCTIF

ET À L'INDICATIF

Selon la thése uniformément admise, subjonctif et optatif forment un couple opposé à l'indicatif. Et pourtant l'examen des faits suggére plutót que l'optatif est opposé à un ensemble constitué de l'indicatif et du subjonctif. 1. Présentation

de la these

dominante:

On a rapproché l'optatif de souhait du subjonctif de volonté, et l'optatif potentiel du subjonctif éventuel. On en a déduit que l'optatif a les mémes valeurs

que

le subjonctif,

mais

atténuées:

le souhait

serait une

volonté

atténuée, le potentiel un éventuel atténué. De plus, on a admis que l'optatif de subordination dans le passé ne pouvait primitivement se substituer qu'à un subjonctif. Il serait donc 6. Depuis

Delbrück,

1871

1953, 8 314, et Humbert, 7. Ainsi Hammerschmidt,

et Monro,

1882.

Voir

les arguments

1892 ; Goodwin,

1912 (p. 375) ; Hahn,

8. Voir ci-dessus deuxiéme partie, chap. I, B et n. 5. 9. Chantraine,

1953, 8 330.

avancés

1960, 8 189. 1953.

dans

Chantraine,

CH. 1 - DÉFINITION

135

l'équivalent d'un subjonctif transposé dans le passé. Comme l’optatif a des désinences secondaires et le subjonctif des désinences primaires, on en a déduit que l'optatif est une sorte de subjonctif dissocié du présent. Or il est fréquent que le prétérit d'une forme prospective ne fonctionne pas seulement comme le passé de cette forme, mais aussi comme un prospectif ayant une valeur atténuée, proche du potentiel grec. Ainsi, en francais moderne, la forme en -rais fonctionne à la fois comme le passé du futur en -rai et comme un potentiel. Elle s'intègre dans un système construit à l'aide de deux

traits distinctifs, un

trait prospectif et un

trait

dissociatif, selon le tableau suivant.

non marqué dissociatif

non marqué

prospectif

« je chante »

« je chante-rai »

«je chant-ais »

« je chante-r-ais »

C'est sur ce modèle qu'on a interprété le système modal du grec ancien!?.

non

non marqué dissociatif

marqué

prospectif

indicatif primaire

subjonctif

indicatif secondaire

Mais on a eu tort de projeter dans

dans des langues modernes,

optatif

le grec ancien

sans tenir compte

un système

observé

des faits grecs.

2. Critique de la thèse dominante : On sait que le subjonctif grec comme le montre son emploi possibilité générale. Mais, outre subjonctif, d'autres objections, l'optatif, interdisent d'y voir un

n'est pas fondamentalement prospectif, pour exprimer une hypothèse ou une cette objection tirée de la valeur du tirées de la forme et des emplois de prétérit de subjonctif.

a. Objections tirées de la forme : Un emploi de l'optatif est morphologiquement marqué par une désinence, un suffixe, et éventuellement par une particule. - La

désinence:

Les désinences secondaires n'ont jamais été explicitement porteuses d'un trait dissociatif. D'une part, l'opposition de désinences primaires et 10. Voir surtout Seiler, 1971; et aussi Benveniste, 1951; Lazard, 1975. Gonda, 1956, p. Si, propose un système un peu moins intégré (l'optatif ajoute une valeur de « contingency » à celle du subjonctif).

136

3€ PARTIE - OPTATIF

secondaires est absente à bien des personnes!!. De plus, la désinence secondaire n'a jamais été réservée au passé, comme le montre son emploi à l'impératif dans d'anciennes formes d'injonctif (par exemple -oo à la deuxiéme personne de moyen). C'est qu'en indo-européen, les désinences secondaires étaient des désinences non marquées, face aux désinences primaires marquées. Il n'y a donc pas alors un trait dissociatif de passé, mais un trait associatif de présent. L'optatif n'avait donc pas de valeur

temporelle, pas plus que l’injonctif!?. En grec méme, le fait qu'une désinence primaire se soit introduite dans λέγοιμι, montre que les désinences secondaires de l'optatif ne sont pas significatives. D'ailleurs, à l'indicatif, c'est l'augment qui devient significatif, au détriment de l'opposition des désinences, au moins dans la prose classique. L'augment, lui, sera bien une marque de trait dissociatif, mais demeure totalement absent de l'optatif. - Le suffixe :

Les suffixes qui marquent l’optatif grec sont sans lien formel avec la marque de subjonctif, alors qu'en français -rais contient -rai. De plus, généralement ils ne sont pas identifiables comme étant des suffixes à

valeur prospectiveli, - La particule : Ke ou ἄν accompagne habituellement l'optatif de l'apodose potentielle. Cet emploi n'est pas parallèle à celui qui accompagne le subjonctif d’hypothese éventuelle, dans la protase. C'est là une grave dissymetrie, qu'on ne peut réduire en imaginant un déplacement secondaire de la particule entre apodose et protase. En effet, la particule est une marque verbale, et non une véritable particule de liaison, comme μέν οὐ δέ. Or, il est vrai qu'une marque verbale autonome peut changer de place dans la proposition, comme par exemple la négation, plus ou moins proche du verbe sur lequel elle porte. Mais on ne voit guère comment elle pourrait sintroduire dans une autre proposition!*. 11. Ainsi de nombreuses formes d’optatif ne s'opposent pas par leur désinence aux formes correspondantes de subjonctif: Aéyoits a méme désinence que λέγητε, etc. En sanscrit, le subjonctif peut avoir des desinences secondaires (Renou, 1942, p. 5). 12. Voir Gonda,

1956, p. 47.

13. Seulement comme suffixes de prétérit (Benveniste, 1951: Kurylowicz, 1964, pp. 140-1). Il faut peut-être excepter l'optatif « éolien », qui peut provenir d'un prétérit de désidératif (Taillardat,

1967).

14. La négation de l'apodose, par exemple, ne saurait entrer dans la protase. Or la particule modale lui est souvent associée. Ici même, on a pu expliquer l'emploi de la particule dans les protases au subjonctif sans supposer qu'elle y soit secondairement entrée. L'explication par un déplacement a pourtant été proposée par Howorth, 1955, pp. 84 9, puis reprise par Brunel, 1980, pp. 245-9. Voir une discussion plus détaillée dans

Basset, 1988.

CH. I - DEFINITION

137

Il n'y a donc dans l'optatif grec ni marque de passé, ni parallélisme formel avec le subjonctif, aucune relation analogue à celle de la forme en -rais avec -rai, ni à celle de l'anglais should avec shall.

b. Objections tirées des emplois: On se contentera d'examiner les emplois de l'optatif de souhait, de l'optatif potentiel ou de possibilité (assertif) et de l'optatif de subordination dans le passé. - L'optatif de souhait: Loin d'exprimer une volonté atténuée, l'optatif dit de souhait peut exprimer un désir trés vif, surtout aprés μή où il peut être coordonné à un impératif avec une valeur trés forte!5. En outre, il peut, surtout chez Homére, étre tourné vers le passé ou le présent pour exprimer un regret. Il. 11. 670:

εἴθ᾽ ὡς ἠδώοψι... «Ah! si j'étais jeune encore!» Dans un tel énoncé, le subjonctif est impossible. Cet optatif sera concurrencé par un indicatif secondaire. Il n’a rien qui puisse le rapprocher d'un subjonctif de volonté tourné vers l'avenir. - L'optatif de possibilité : Subjonctif et optatif peuvent tous deux exprimer une possibilité, et donc s'opposer. Mais alors, l'optatif n'exprime pas une possibilité qui serait moins possible, mais une possibilité désirée (voir deuxième partie, chap. IV, A). En outre, l’optatif de possibilité peut exprimer, surtout chez Homère, une possibilité concernant le passé, sans attente de quoi que ce soit, dans un emploi qu'on qualifie d’irreel ou de potentiel du passé. Il. 4. 223:

ἔνθ᾽ οὐκ ἂν βρίζοντα ἴδοις Αγαμέμνονα δῖον « Alors, tu n'aurais pas vu dormir le divin Agamemnon. » Après Homère, l'optatif peut toujours exprimer une possibilité simple raisonnement, qu'aucune éventualité ne peut confirmer.

de

Plat. Lois III 678 e:

Οὐκοῦν καὶ τέχναι ... ἠφανισμέναι ἂν εἶεν ἐν τῷ τότε ; « Donc les métiers aussi... devraient avoir disparu en ce temps-là. » L'Athénien suppute ce qui a dû se passer après le déluge. Or on a vu que le subjonctif de possibilité est toujours tourné vers une éventualité générale ou à venir (même si c'est pour découvrir un fait accompli). L'optatif de possibilité a donc une aire d'emploi plus large.

15. Voir ci-après, chap.

ΠῚ, C, Jliade 3 406-7.

138

3° PARTIE - OPTATIF

- L’optatif de subordination

dans

le passe:

Dans les complétives et interrogatives indirectes, l'optatif de subordination dans le passe, dit parfois oblique, se substitue habituellement à un indicatif non à un subjonctif. Il ne peut s'agir d'une extension analogique, comme on l'enseigne parfois!$. Car l'emploi de l'optatif oblique, toujours facultatif, n'obéit pas à un simple mécanisme syntaxique, mais doit apporter une nuance sémantique. D'ailleurs, on a déjà vu que la langue homérique ne se préte guére à des extensions analogiques selon des mécanismes

On

voit

donc

purement

que

dans

syntaxiques.

les emplois

envisagés,

l'optatif

n'entre

pas

seulement en concurrence avec un subjonctif, mais aussi avec un indicatif.

On pourrait montrer de méme à l'hypothèse à l'indicatif qu'à que quand on observe une nuance apportée par l'optatif 3. Proposition

que l'hypothése à l'optatif s'oppose autant l'hypothèse au subjonctif. On a vu de plus opposition entre subjonctif et optatif, la n'est pas celle d'une atténuation de valeur.

d'une nouvelle

interprétation:

Puisque ni la forme, ni les emplois de l'optatif ne l'opposent directement au subjonctif, puisqu'il posséde une aire d'emploi plus large que celle du subjonctif, il est préférable de l'opposer à l'ensemble constitué par le subjonctif et l'indicatif. Il faut donc que la valeur fondamentale de l'optatif permette de l'opposer à une valeur commune au subjonctif et à l'indicatif. On a vu ce qui différencie le plus indicatif et subjonctif: c'est la détermination du contenu de l'énoncé, representation événementielle dans le réel pour l'indicatif, hors du réel pour le subjonctif. En revanche, en ce qui concerne la source de l'énoncé, ils ne sont pas si nettement opposés. L'indicatif est assertif, le subjonctif peut l'étre ou ne pas l'étre. Mais les deux modes ont pour effet de centrer l'énoncé sur le locuteur, c'est-à-dire de déterminer une source actuelle, que ce soit un point de vue de vérité (énoncé assertif) ou non

(énoncé

non fondé ou volontatif).

La valeur fondamentale de l'optatif doit donc étre la détermination de la source comme non actuelle. En revanche, avec ce mode, le contenu de l'énoncé demeure indéterminé. Si c'est une représentation événementielle dans le réel, l'optatif s'oppose à l'indicatif. Si c'est une représentation événementielle hors du réel l'optatif s'oppose au subjonctif. - Le premier cas correspond au regret (voir Il. 11. 670, ci-dessus), à l'irréel ou potentiel du passé (voir Il. 4. 223, ci-dessus).

16. Chantraine, 1953, 8 330. Il est vrai que chez Homere l'optatif ne se substitue à un indicatif que dans des interrogatives indirectes, et non dans des complétives de déclaration. Mais c'est que les véritables complétives de déclaration y sont encore rares, et jamais aprés un verbe introducteur au passé (ibid. 8. 427).

CH. I - DÉFINITION

139

- Le second cas correspond au souhait réalisable dans l'avenir (« Puissestu venir!» et au potentiel de l'avenir (« Tu pourrais venir »). Si cette hypothése se révéle exacte, on pourra dire que l'optatif est bien dissociatif, mais que ce qu'il dissocie est à la source de l'énoncé, ce n'est pas son contenu. On le définira dés lors comme un mode de dissociation énonciative.

D. DES

EMPLOIS

NON

SPÉCIFIÉS AUX

EMPLOIS

SPÉCIFIÉS

La langue homérique permet, mieux que le grec classique, d'identifier une telle valeur fondamentale. Car elle connaît encore des emplois non spécifiés, où l'on peut voir cependant s'amorcer les différents emplois spécifiés, optatif d'hypothése et d'assertion potentielle, de souhait, de subordination dans le passé. On étudiera donc d'abord ces emplois non spécifiés, c'est-à-dire qui ne sont accompagnés ni de el, ni de elôe, ei γάρ, ni d'une négation, ni d'une particule". On étudiera ensuite les divers emplois spécifiés, en distinguant trois grandes catégories : - L'optatif précédé de μή (sans ei, ni particule), lequel n'exprime pas toujours un souhait négatif. - L'optatif précédé de ei, ou εἴθε, ei γάρ, qui correspond à divers emplois (hypothése, souhait), et peut étre aussi, aprés ei, la marque d'une subordination dans le passé. - L'optatif assertif, marqué par la présence éventuelle de la négation où et d'une particule Ke ou ἄν. Dans cette étude consacrée à la syntaxe de l'imaginaire, on ne se livrera pas à un examen systématique de l'optatif de subordination dans le passé. Il suffira de montrer en quoi il se distingue des autres emplois, tout en relevant de la méme valeur générale : alors que les autres emplois déterminent une source d'énoncé non actuelle et imaginaire, l'optatif de subordination dans le passé détermine une source d'énoncé non actuelle et passée.

17. Emplois neutres, selon Goodwin,

1912, Appendix 1.

140

3° PARTIE

CHAPITRE

LES

EMPLOIS

NON

- OPTATIF

II

SPECIFIES

DE

L’OPTATIF

A. L'ORIGINE DE L'OPTATIF D'HYPOTHÈSE

À l'origine de l'optatif d'hypothése, on rencontre des énoncés où un locuteur s'invente une situation de discours fictive et marquée comme telle, pour ensuite porter un jugement sur ce qui se passerait. Od.

14. 1935:

εἴη μὲν νῦν νῶιν ἐπὶ χρόνον ἡμὲν ἐδωδὴ ἠδὲ μέθυ... … ἄλλοι δ΄ ἐπὶ ἔργον ἕποιεν' « Nous aurions ἃ present pour longtemps nourriture et boisson..., d’autres s'occuperaient de notre travail... » Ulysse répond à Eumée qui lui a demandé de lui conter ses aventures. Il va

continuer

en

disant:

« même

ainsi, je n'achèverais

pas

en

un

an

le récit de mes malheurs. » Ulysse imagine une situation où lui et Eumée auraient tout le loisir de se consacrer au récit de ses aventures. Il se place par la pensée dans une telle situation, pour affirmer ensuite qu'alors un an ne lui suffirait pas. Les deux optatifs cités ci-dessus constituent donc une sorte de protase

de

type

III: « Même

si nous

avions

pour

longtemps

nourriture

et boisson, méme si d'autres s'occupaient.., méme ainsi je n’acheverais pas... ». Mais il n'y a pas de conjonction ei. Cet acte d'imagination d'Ulysse est tout différent de celui par lequel Héphaistos

imaginait

un mouvement

de colére de Zeus, qui est exprimé

par ei et le subjonctif (Il. 1. 580-1, cité dans la deuxième partie, chap. II, A, 1). - Pour Héphaistos le geste violent de Zeus est un événement imaginaire conçu

comme

susceptible

de devenir

réel, donc

de s'ajouter à la réalité

vécue. C'est un imaginaire de projection et d'addition.

CH. I - EMPLOIS

NON

SPÉCIFIÉS

141

- En revanche, le grand loisir qu'Ulysse imagine n'est pas concu comme susceptible de devenir réel, mais comme une situation qu'il substitue en pensée à sa situation réelle. Il s'agit d'un imaginaire de fiction et de substitution. Héphaistos imagine une éventualité, qui est le contenu de son énoncé. Il le fait depuis sa situation de discours, mais sans intégrer les données de celle-ci dans un point de vue situationnel de vérité. C'est donc un point simplement positionnel qu'elle constitue pour Héphaistos. En revanche Ulysse fait abstraction de sa situation de discours pour se donner un point de vue tout différent et imaginaire. L'imaginaire est donc alors à la source de l'énoncé. L'énoncé se donne pour fondement une situation toute fictive. C'est sans doute la raison pour laquelle la conjonction £i, qui définit une situation fictive, n'est pas nécessaire ici: le mode optatif, mettant l'imaginaire à la source de l'énoncé, suffit à nous placer dans une situation fictive. Cet imaginaire de fiction, qui est substitué à la situation du discours, ne peut étre relié à elle comme l'est l'imaginaire de projection, lequel peut étre envisagé comme un prolongement plus ou moins naturel de la situation du discours. Il est donc normal qu'on n'observe pas ici l'emploi d'une particule ke ou ἄν, qu'on a souvent vu accompagner un subjonctif pour souligner une idée d’enchainement à partir de la situation du discours. Ainsi s'explique tout naturellement la différence observée dans l'emploi des particules entre les protases de type II, au subjonctif, et les protases de type III, à l'optatif (voir ci-dessus chap. I, C, 2). Cette opposition entre un imaginaire de fiction, substitué au réel, et un imaginaire de projection, susceptible, lui, de s'ajouter au réel, n'a rien à voir avec la plus ou moins grande probabilité de ce qu'on imagine. Il est vrai que l'imaginaire de projection ne peut pas contredire la réalité, alors que l'imaginaire de fiction le peut, comme en Od. 14. 193-5 cidessus, oü Ulysse imagine une situation qu'il sait non conforme à la réalité. Mais un imaginaire de fiction peut aussi présenter une image fort plausible de la réalité, ce que ne peut faire non plus l'imaginaire de projection. Il. 14. 107-8:

Νῦν δ᾽ ein ὃς τῆσδέ γ᾽ ἀμείνονα μῆτιν évionot ἢ νέος ἠὲ παλαιός: ἐμοὶ δέ κεν ἀσμένῳ εἴη « Il y aurait maintenant quelqu'un qui me donnerait jeune

un meilleur avis,

ou vieux: j'en serais heureux. »

Contrairement à Ulysse dans l'exemple précédent, Agamemnon espere ici que ce qu'il imagine, pour dire ensuite qu'il en serait heureux, correspond à la réalité. C'est cependant une fiction de son point de vue, car il ignore pour l'instant s'il existe quelqu'un qui a un meilleur avis à donner. Une fiction peut donc être conçue comme décrivant la réalité, pour peu qu'on ne sache pas oü est la vérité. En somme, l'imaginaire de projection, placé hors du réel, ne peut étre que plus ou moins compatible avec lui. Il ne peut être ni le réel, ni son contraire. Il n'y a pas de telle restriction pour l'imaginaire de fiction.

142

3° PARTIE - OPTATIF

B. L'ORIGINE DE L'OPTATIF D'ASSERTION

Lorsqu'un décor imaginaire est déjà dressé, on peut asserter à partir de la situation imaginaire qu'il constitue, et qui est à la source de l'énoncé assertif. Il. 6. 476-81:

Ζεῦ ἄλλοι te θεοί, δότε δὴ kai τόνδε...

…/…

Ἰλίου ἶφι ἀνάσσειν:

καί ποτέ τις εἴποι... ... φέροι δ᾽ ἔναρα βροτόεντα

… χαρείη δὲ φρένα μήτηρ.

« Zeus et vous, tous les dieux, faites que mon fils aussi... regne en maître sur Ilion. Et un jour on dirait de lui. Et il rapporterait les dépouilles d'un ennemi. Et sa mère se réjouirait... » Aprés sa prière aux dieux, faite à l'impératif, Hector adopte un point de

vue

imaginaire



sa

prière

aurait

été

exaucée,

pour

évoquer

des

scènes imaginaires du règne de son fils. Cet emploi est très semblable, et formellement identique, aux précédents. On observe cependant deux différences. - D'une part, la situation imaginaire a déjà été introduite par le contexte précédent (prière à l'impératif). - D'autre part, les scènes imaginées le sont à partir de cette situation imaginaire déjà donnée, mais aussi à l’aide de ce qu’Hector sait du comportement habituel des rois et de leur entourage. L'énoncé devient dès lors un énoncé de jugement. À la source de cet énoncé se trouve un point de vue en partie imaginaire (règne du fils d’Hector), en partie tiré du réel (comportement

Il lien rien d'un être

des rois).

est vrai que cette interprétation assertive est tirée du contexte. Le avec ce contexte n'étant pas formellement indiqué dans le texte, n'empêche de voir dans les optatifs du texte la simple expression rêve. La pure fiction deviendrait alors le support du rêve, ou peutd'une suggestion faite aux dieux, ce qui serait l'origine du souhait

(voir ci-aprés).

Pour étayer l'interprétation assertive, il faudrait que soit souligné le lien qui fait de l'évocation du régne le prolongement de la priére qui précède: « Faites qu'il régne.. Alors on dirait..». Un tel lien serait naturellement marqué par la particule Ke. Ainsi s'explique l'emploi fréquent de celle-ci avec un optatif assertif: elle souligne un enchainement de la pensée à partir d'une fiction où l'on s'est placé. De fait, la particule est employée avec l'optatif en Od. 14. 196 et Il. 14. 108, aprés les optatifs seuls introduisant une hypothése évoqués plus haut (en A). Il est normal qu'un optatif d'hypothése soit suivi d'un optatif assertif.

En

revanche

aprés

un

autre

mode,

comme

l'impératif de

Il. 6.

476 ci-dessus, l'emploi de l'optatif assertif est concurrencé par celui de l'indicatif futur ou d'un subjonctif de possibilité. On a vu que ce qui sépare ces deux derniers est l'opposition du certain et du possible (voir

CH. II - EMPLOIS

NON

SPECIFIES

143

deuxième partie, chap. IV, A). Mais quelle nuance apporte l'emploi d'un optatif assertif ? Ce que suggére Il. 6. 476-81 évoqué ci-dessus est que la priére à l'impératif, si elle était exaucée, n'aurait pas seulement pour effet d'ajouter quelque chose à la situation de discours, mais modifierait celle-ci en profondeur. C'est ce qui donne aux scénes imaginées par Hector un aspect de réverie lointaine, et non d'une éventualité à laquelle il s'attende vraiment. C'est que l'effet escompté de la priére est fort éloigné dans le temps. Mais il peut s'agir d'une demande à effet beaucoup plus proche dans le temps. L'emploi de l'optatif suggére alors un renversement de situation.

Il. 3. 70-4: συμθάλετ᾽ ἀμφ᾽ 'EAgvn καὶ κτήμασι πᾶσι μάχεσθαι ὁππότερος δέ κε νικήσῃ... ... Οἴκαδ᾽ ἀγέσθωοἱ δ᾽ ἄλλοι φιλότητα καὶ ὅρκια πιστὰ ταμόντες ναίοιτε Τροίην ἐριθώλακα: τοὶ δὲ νεέσθων « Mettez-nous tous deux aux prises pour Hélène et tous les trésors... Que le vainqueur l'emméne.. Et vous autres, après avoir établi un traité d'amitié et un pacte loyal, vous vivriez dans une Troade aux beaux sillons. Quant à eux, qu'ils s'en retournent... » Páris-Alexandre propose un combat singulier entre lui et Ménélas, qui mettrait fin à la guerre. Le choix du mode permet de distinguer entre ce qu'il propose (à l'impératif) et le renversement de situation qui s'ensuivrait pour les Troyens. Aprés dix ans de guerre épuisante, les Troyens ne peuvent plus imaginer la paix et la prospérité comme une éventualité, mais seulement comme une fiction qui fait réver. L'emploi de l'optatif souligne le renversement de situation imaginée, qui est en outre

un renversement

désiré.

Il peut arriver qu'un optatif, méme seul, soit senti comme assertif, bien que le contexte précédent n'introduise aucune situation fictive. On n'a pas alors l'équivalent, sans subordination syntaxique, d'un système hypothétique, et l'assertion à l'optatif n'est pas immédiatement sentie comme conditionnée. La nuance peut être celle d'une assertion de possibilité proche d'une proposition (voir ci-après). Il. 23. 151:

Πατρόκλῳ fipot κόμην ὁπάσαιμι φέρεσθαι « Au héros Patrocle, je pourrais offrir ma chevelure à emporter. » On peut considérer qu'est ici implicite une condition « si tu y consentais ». En effet, Achille s'adresse au fleuve-dieu Sperchios, à qui sa chevelure

était primitivement dédiée. Un tel emploi repose donc sur une restriction mentale du locuteur, qui ne place pas tout à fait son énoncé dans sa situation de discours, mais dans une situation partiellement imaginaire. L'effet obtenu est ici celui d'un optatif de déférence ou de politesse. Trois possibilités s'offraient en effet à Achille.

144

3€ PARTIE - OPTATIF

- I aurait pu dire, sans condition : « J'offrirai ma chevelure à Patrocle. » En ce cas, il n’aurait pas tenu compte de la volonté de Sperchios, ni de son ancien

vœu.

- Il aurait pu dire: « J'offrirai., si tu me donnes ton consentement. » En ce cas, Sperchios aurait à manifester sa volonté pour délier Achille de son vœu. - En disant : « Je pourrais offrir... », il se place dans une situation fictive oü Sperchios serait d'accord. Si ce dernier ne proteste pas, c'est qu'il consent. Achille obtient ainsi un accord tacite, sans obliger Sperchios à se manifester, et sans paraitre lui manquer de respect. C. L'ORIGINE DE L'OPTATIF DE SOUHAIT

L'optatif de fiction peut étre employé pour exprimer un désir du locuteur, et agir ainsi sur quelqu'un, comme le subjonctif (par exemple dans une exhortation). Mais ce n'est pas de la méme chose qu'on exprime alors le désir. En effet, tandis que le subjonctif d'exhortation vise un comportement désiré, l'optatif vise d'abord une décision désirée, et par là, mais indirectement, Od. 24. 491:

un comportement.

Ἐξελθών τις ἴδοι, μὴ δὴ σχεδὸν dar κιόντες « Si quelqu'un allait voir dehors, de peur qu'il ne soient venus tout près. » On peut aussi traduire: « Quelqu'un pourrait aller voir... » Ulysse n'appelle pas directement à l'action. Il suggére à chacun de ses auditeurs, mais sans le prendre comme interlocuteur, de prendre la décision d'aller voir. Ce n'est pas une exhortation adressée à un interlocuteur ; c'est une invitation ou suggestion adressée « à la cantonade »: elle laisse pleine liberté de choix aux auditeurs. Un tel emploi de l'optatif exprime donc une décision que quelqu'un peut prendre, imaginaire. Or une décision est un acte dans lequel un énonciateur s'engage. Ce qui est fictif ici n'est donc pas seulement une situation mais un acte d'énonciation, füt-il tout intérieur. L'acte d'énonciation propre à Ulysse n'est que la manifestation d'un désir pour un objet fictif. Mais cet objet fictif est lui-méme un second acte d'énonciation, espéré par Ulysse, et dont l'énonciateur, non désigné comme interlocuteur, est cependant le destinataire de son propre acte

d’enonciation'®. L'emploi de l'optatif permet donc de suggérer, alors que celui de l'impératif d'ordre ou du subjonctif d’exhortation a pour but d'imposer la volonté du locuteur. Plus contraignant encore serait l'emploi de l'indicatif d'injonction: « Toi, tu iras voir dehors!» En effet, un tel énoncé ne lie pas l'avenir à la seule volonté du locuteur (comme dans le cas de l'exhortation), mais à une décision déjà prise et 18. C'est donc

un cas de polyphonie,

au sens de Ducrot

et al., 1980, pp. 33-56.

CH. II - EMPLOIS

NON

SPECIFIES

145

acceptée, et non plus seulement espérée (comme dans le cas de l'optatif de suggestion). Ainsi s'opposent les énoncés suivants. - « Toi, va voir! » ou « Qu'on aille voir ». Le locuteur cherche à imposer

sa volonté propre à un destinataire. - «Toi, tu iras voir!». L'indicatif assertif permet de présenter le comportement à venir comme imposé par la situation du discours. Celleci étant commune aux interlocuteurs, le destinataire est ainsi obligé, sauf s'il proteste, de se sentir co-énonciateur virtuel de l'énoncé. C'est comme un scénario déjà écrit qu'un metteur en scéne indique à un comédien. Il est plus difficile au comédien de contester une telle indication qu'une volonté personnelle du metteur en scéne. - « Toi, tu pourrais aller voir! », ou « Quelqu'un pourrait aller voir! ». L'optatif suggére à un destinataire une décision, sans l'imposer. Cette fois, c'est le scénariste

qui propose

un

scénario

à un

metteur

en scéne,

lequel peut le refuser. Cet optatif de suggestion peut prendre des valeurs diverses. La valeur de vœu ou de souhait proprement dit apparait lorsque les dieux sont à la fois les destinataires de l'énoncé et les énonciateurs potentiels d'une décision espérée par le locuteur. Il 1. 17: ὑμῖν μὲν θεοὶ δοῖεν... « Plaise aux dieux de vous accorder... » Une valeur un peu différente de consentement anticipé apparaît lorsque le locuteur se propose à lui-même de consentir à un arrêt à venir du destin. La relation est en partie inversée, le locuteur se faisant coénonciateur potentiel d'une décision des dieux. Il. 18. 98: αὐτίκα τεθναίην, ἐπεὶ οὐκ ἄρ᾽ ἔμελλον...

« Aussitöt (apres la mort d’Hector), je pourrais mourir, puisque je vois bien que je ne devais pas... » Thetis vient d’annoncer à Achille qu'il mourra peu de temps après Hector. De méme, avec les expressions du type καί τι πάθοιμι (Il. 21. 274) «je pourrais souffrir n'importe quoi», c'est-à-dire « advienne que pourra », le locuteur consent par avance à tout arrêt à venir du destin, quel qu'il soit. Mais il n'y a pas toujours un énonciateur potentiel susceptible de prendre une décision. À une situation de discours particuliérement pénible, le locuteur peut opposer une fiction agréable ou qui le vengerait de son malheur, sans vraiment espérer que quelqu'un en prenne la décision. Il. 24. 212-3:

… τοῦ ἐγὼ μέσον ἧπαρ ἔχοιμι ἐσθέμεναι... « Ah si je tenais, au cœur de ses entrailles, son foie, pour m'en repaitre ! » Hécube rêve d'une sauvage vengeance sur Achille meurtrier d’Hector. Mais la sauvagerie n'est peut-être que verbale. À elle seule, la fiction imaginée par Hécube est un baume pour sa douleur. Il n’est pas certain qu'elle espère réellement une décision des dieux en ce sens. Il en est

146

3° PARTIE - OPTATIF

ainsi surtout dans l'expression d'un souhait absurde ou irréalisable (regret). La fiction n'est alors qu'une utopie mentale où l'on se réfugie. L'espoir de la décision d'un destinataire, ou le consentement à une décision future, ne sont donc que des valeurs ajoutées. Ces effets de sens apparaissent sous certaines conditions: lorsque la fiction imaginée gráce à l'optatif, désirée ou acceptée par avance, est réalisable, et que quelqu'un, souvent la divinité, est susceptible de prendre la décision qui en fera une réalité. Mais le róle du mode optatif est seulement de définir comme fictive une situation qui pourrait étre à la source d'une telle décision. D. L'ORIGINE DE L'OPTATIF OBLIQUE

Dans une subordonnée complétive ou interrogative indirecte, l'optatif oblique sert à rapporter un énoncé du passé. Il s'oppose donc aux emplois qui viennent d'étre évoqués, qui font attendre un énoncé fictif, espéré ou accepté. Le point commun est cependant que, dans les deux cas, l'optatif sert à exprimer un énoncé situationnellement dissocié, c'està-dire dont la source n'est pas actuelle. On trouve d'ailleurs chez Homére des emplois intermédiaires où la source d'un énoncé fictif à l'optatif appartient au passé. C'est ce qu'on peut appeler un optatif d'ironie. Il. 2. 340:

ἐν πυρὶ δὴ βουλαί te γενοίατο μήδεά τ᾿ ἀνδρῶν « Au feu donc seraient (à vous entendre) les desseins et les projets des hommes ! » Aux Achéens decourages, Agamemnon a proposé la retraite. Nestor réagit vivement contre ce défaitisme. Une interprétation assertive, en sous-entendant

«si

nous

partions »,

n'est pas impossible. Mais la vivacité de la réplique suggére que Nestor rejette sur Agamemnon et les autres Achéens la responsabilité du point de vue qu'il exprime. Il exprime donc un point de vue qui n'est pas le sien, mais vient de s'exprimer dans les paroles des Achéens. Mais il le fait dans un énoncé qu'ils n'ont pas réellement prononcé, qui ne fait que suivre la logique de leur point de vue de défaitistes pour en montrer l'absurdité. C'est donc un point de vue du passé qui est mis à la source d'un énoncé fictif. Le locuteur peut pousser l'ironie jusqu'à feindre d'adopter le point de vue exprimé, avant de prendre ses distances. Od. 2. 23022:

μή τις ἔτι πρόφρων ἀγανὸς xai ἥπιος éoto ἀλλ᾽ αἰεὶ χαλεπός t' εἴη καὶ ἀίσυλα ῥέζοι. « Que plus un roi ne soit sage, accommodant (à vous entendre) sans cesse étre désagréable

À

l'assemblée

d'Ithaque,

Télémaque

et doux !... Mais il devrait

et commettre

s'est

heurté

à

des forfaits. »

l'hostilité

des

prétendants et à la passivité du peuple. Mentor y voit de l'ingratitude envers Ulysse, pére de Télémaque, qui fut un bon roi. Il feint d'abord

CH. II - EMPLOIS

NON

SPECIFIES

147

de l’accepter et en tire la conséquence qu'un bon roi ne sert à rien, qu'il n'en faut plus. Ce qui doit scandaliser ses auditeurs, tout en les mettant en contradiction avec eux-mêmes. Mais ensuite, l'emploi des optatifs εἴη et ῥέζοι marque que c'est de leur point de vue que le roi devrait être méchant, du moins de celui qu'on peut tirer de leur récente manifestation d’ingratitude, et qu'en fait il rejette. L'optatif d'ironie permet donc de stigmatiser une attitude passée, en la présentant comme la source d'un énoncé scandaleux. Cet énoncé est alors inventé par le locuteur. Il suffit que le contexte suggère que cet énoncé a été effectivement pensé pour que l'optatif devienne un optatif oblique. Od.

17. 368:

ἀλλήλους τ᾽ el(povto, τίς εἴη xai πόθεν ἔλθοι « Ils s'interrogeaient mutuellement : qui éfait-il, et d'où venait-il ? » L'aède exprime l'attitude interrogative passée des prétendants devant le mendiant, c'est-à-dire devant Ulysse déguisé. Il la présente comme la source d'énoncés effectivement pensés par eux, grâce au verbe introducteur £lpovto « ils s'interrogeaient », méme si ce n'est pas à la lettre. La présence d'un verbe introducteur permet donc de caractériser cet emploi, ce qui explique que l'optatif oblique se soit développé comme mode de subordination dans le passé. Mais ici l'emploi du pronom interrogatif simple τίς montre qu'on a encore une sorte de style indirect libre. En outre, ce n'est pas seulement dans des complétives ou interrogatives indirectes qu'on peut trouver un optatif rapportant une pensée du passé, mais aussi dans d'autres types de subordonnées (conditionnelles, finales...), comme on le verra ci-après (chap. IV, B). Aprés un verbe déclaratif au passé, l'emploi de l'optatif oblique dans la complétive n'est que facultatif. Cela permet de préciser sa valeur en opposant les deux tours admis par le grec. Le grec, qui ne connaît pas la concordance des temps, peut employer le temps, et méme parfois la personne, qu'on aurait au style direct. Thuc. 1, 90: ἀπεκρίναντο ὅτι πέμψουσι πρέσθεις « Ils répondirent qu'ils enverraient des ambassadeurs. » Mais la phrase grecque a ici un futur de l'indicatif « ils enverront ». On aurait aussi pu avoir un optatif futur πέμψοιεν, qu'on traduirait de la méme façon en français. Cet optatif oblique, puisqu'il n'est pas d'emploi mécanique, doit cependant porter une signification particuliére. Selon l'analyse proposée ci-dessus, l'optatif permet de rapporter une attitude mentale, ou point de vue, qui s'est exprimée dans le passé. C'est donc une pensée effective qui est rapportée à l'optatif, alors que l'emploi des temps et modes du style direct ne permet de rapporter que des paroles, ou du moins leur contenu. L'emploi de l'optatif oblique permet donc d'en dire plus que le tour sans optatif oblique.

148

3° PARTIE - OPTATIF

En effet, aucune des deux constructions ne permet de savoir le jugement du rapporteur sur ce qu'il rapporte: en aucun cas, il n'en garantit la vérité. En revanche, selon notre analyse, avec l'optatif oblique, on n'apprend pas seulement les paroles qui ont été prononcées (ou du moins leur contenu), mais aussi la pensée de celui qui les a prononcées : le rapporteur garantit donc sa bonne fois. Ainsi, dans l'exemple de Thucydide évoqué ci-dessus, l'absence d'optatif oblique suggére que l'historien ne garantit pas la bonne foi des Athéniens, lorsqu'ils promirent une ambassade. Or il se trouve justement que c'était une promesse fallacieuse. Ainsi, loin de mettre en doute, comme on le dit parfois, la vérité des propos rapportés, l'optatif oblique en garantit la bonne foi. Il est vrai qu'en faisant cela, il met l'accent sur un point

de vue subjectif et passé!?. On a parfois enseigné qu'Homére pouvait employer l'indicatif imparfait au lieu de l'optatif oblique dans une complétive declarative?". Mais il s'agit en fait d'un autre type de complétive, qu'on peut appeler complétive de connaissance. Il. 22. 438-9:

… OÙ γάρ οἵ τις... ἤγγειλ᾽ ὅττι ῥά οἱ πόσις £xtoOt μίμνε «Car on ne lui avait pas révélé que son époux

restait dehors. »

Dans ce type de complétive, on ne rapporte pas une pensée ni même seulement un propos. On peut dire: « Son époux restait dehors, et on

ne le lui avait pas dit.» Le locuteur garantit donc la vérité de la complétive : elle est vraie d'un point de vue actuel, ce qui exclut l'emploi

de l'optatif oblique?!. E. CONCLUSION

SUR

LES EMPLOIS

NON

SPÉCIFIÉS DE L'OPTATIF

Bien des exemples homériques qui viennent d'étre évoqués demeurent ambigus, puisque l'optatif n'y est pas spécifié, ni par un un mot introducteur,

ni

par

une

particule,

ni par

une

négation.

Aussi

peut-on

parfois hésiter entre les valeurs de souhait ou d’hypothese, entre celles de souhait ou d'assertion conditiohnée, d'assertion conditionnée ou de rejet ironique.

Cette absence de spécification et lambiguité qui peut en découler permettent d'établir l'unité du mode optatif chez Homére. La valeur qui

19. Pour un examen 20. Humbert, 21. Il n'en

détaillé de ces deux points, voir Basset, 1986.

1960, 8 315.

fait pourtant

pas une

affaire personnelle.

C'est en effet un

cas de ce qu'on

appelé présupposition ou préassertion (le locuteur n'est pas le seul ni le premier auteur

de l'assertion, cf. Ducrot et al. 1980, pp. 39-40).

CH. II - EMPLOIS NON

SPECIFIES

149

couvre tous ces emplois permet de l’opposer nettement à l'ensemble constitué par le subjonctif et l'indicatif. On voit en particulier que l'optatif ne se situe pas sur le méme plan que le subjonctif, bien que tous deux aient une valeur dissociative. - Le subjonctif dissocie le contenu de l'énoncé, c'est-à-dire une représentation événementielle, qu'il place hors du réel, s'opposant ainsi à l'indicatif. - L'optatif dissocie ce qui est à la source de l'énoncé, c'est-à-dire une attitude mentale, ou point de vue, qu'il place hors de l'actuel, s'opposant ainsi à l'ensemble constitué par l'indicatif et le subjonctif. La notion de dissociation commune aux deux modes subjonctif et optatif se définit par rapport à la situation de discours. Mais la situation de discours peut être elle-même définie de deux manières différentes. - Congue comme une situation événementielle, elle peut étre l'état du monde au moment oü l'on parle, état qui est la somme des événements vécus ou prédéterminés. C'est ce qu'on appelle le réel hors duquel le mode subjonctif place une représentation événementielle. - Congue comme une situation de pensée, elle peut étre l'état d'esprit des interlocuteurs au moment où l'on parle, état d'esprit qui résulte de leur savoir et de leurs sentiments. C'est l'ensemble des points de vue actuels hors duquel l'optatif place un point de vue temporellement décalé. Cette définition générale de l'optatif permet de rendre compte de ses divers emplois. - Tout d'abord, s'opposent les emplois qui placent un point de vue dans le passé (subordination dans le passé) et ceux qui placent un point de vue

dans

l'imaginaire

(optatif de fiction).

- D'autre part, s'opposent les emplois qui dissocient seulement un point de vue, l'acte d'énonciation demeurant actuel, et ceux qui dissocient aussi un acte d'énonciation, que ce soit dans le passé (optatif oblique), ou l'imaginaire (suggestion, vau)22. - Enfin, parmi les emplois de l'optatif de fiction, s'opposent les emplois qui dissocient un point de vue entiérement fictif (fiction pure, hypothése), et ceux qui dissocient un point de vue seulement en partie fictif (optatif d'assertion

conditionnée

ou

de possibilité).

C'est le contexte qui permet de déterminer ces divers emplois. Mais, dés la langue homérique, ils avaient commencé à étre spécifiés au moyen des particules et des négations.

22. Cas de polyphonie au sens de Ducrot et al., 1980, pp. 33-56.

150

3° PARTIE - OPTATIF

CHAPITRE

III

L'OPTATIF INDÉPENDANT PRÉCÉDÉ DE μή

Contrairement à ce qui est souvent enseigné, le tour indépendant avec μή suivi de l'optatif n'exprime pas toujours un souhait négatif, pas plus que le tour avec μή et le subjonctif n'exprime toujours une défense. Chez Homére en particulier, bien des exemples hátivement catalogués comme exemples de souhaits négatifs se prétent à une interprétation différente. Les diverses interprétations possibles reposent en fait sur les divers emplois possibles de la négation μή.

A. RÉCAPITULATION

DES EMPLOIS

DE μή

La négation non ‘assertive μή permet de rejeter un élément sans faire appel aux données de l'information, c'est-à-dire de la de discours, mais par la seule volonté du locuteur. Trois types ont été distingués selon la nature de ce qui est ainsi rejeté (voir

d’enonce situation d'emploi premiere

partie, chap. IV, B et C). - L'emploi infra-propositionnel porte sur un simple prédicat, verbe ou adjectif. - L'emploi propositionnel porte sur une représentation événementielle, contenu d'énoncé, c'est-à-dire sur l'ensemble de la relation entre un sujet et un prédicat. - L'emploi supra-propositionnel porte sur une proposition entiére, c'està-dire sur l'ensemble de la relation entre un point de vue, source d'énoncé, et une représentation événementielle, contenu d'énoncé. Avec un mode à désinences personnelles l'emploi infra-propositionnel relève des combinés négatifs verbaux, qui ont toujours où. Pour les autres types d'emploi, des divergences apparaissent selon les modes. - Μή précédant un indicatif ne peut être que supra-propositionnel. C'est un emploi introducteur de rejet. L'emploi propositionnel de la

CH. II - PRÉCÉDÉ

DE μή

151

négation exige alors οὐ, marque d'un conflit dans l'information. - Μή précédant un subjonctif peut être nettement supra-propositionnel. C'est le cas avec μὴ où suivi d'un subjonctif, qui repousse une assertion d'impossibilité (voir deuxiéme partie, chap. IV, B). Il est difficile d'y opposer un emploi simplement propositionnel, puisque le subjonctif ne détermine pas par lui-méme le point de vue adopté. D'ailleurs, dans l'expression de la défense ou de la crainte, μή exprime aussi un rejet et est donc introducteur. - Μή précédant un optatif peut être d'emploi propositionnel ou suprapropositionnel. Supra-propositionnel, il sera introducteur et exprimera un rejet issu du seul locuteur. Propositionnel, il sera interne à l'énoncé et exprimera un conflit entre point de vue et contenu représenté lorsque le point de vue est entiérement fictif, c'est-à-dire issu de la seule imagination du locuteur. Parmi les emplois introducteurs de rejet, on a aussi distingué selon que le locuteur rejette seulement pour son compte, comme dans l'expression de la crainte, ou qu'il veut imposer ce rejet à un interlocuteur, comme dans l'expression de la défense. L'emploi introducteur est donc conatif ou non conatif (voir deuxiéme partie, chap. IV, B, avec la référence de la note 58). De méme, l'emploi est non conatif, avec l'indicatif, dans une dénégation emphatique ou dans l'expression d'une assertion redoutée. Il est conatif en revanche dans une question oü l'on veut écarter une réponse

positive

(voir premiére

B. Μή

partie, chap.

III, A, 2).

INTRODUCTEUR NON CONATIF SUIVI D'UN OPTATIF

Devant un optatif, urj introducteur non conatif indique que le locuteur rejette, par engagement

personnel

ou conviction intime, un point de vue

fictif. Le tour est comparable à celui de μή devant un indicatif introduisant un serment ou une dénégation emphatique, oü le locuteur rejette une assertion. L'optatif donne cependant plus de force à l'expression, car il permet de ne pas limiter le rejet à l'actualité: il l'étend à tout point de vue

imaginaire.

- Le serment L'optatif donne plus radicale.

négatif : au serment

négatif une

valeur encore

plus définitive,

Il. 22. 304:

Μὴ μὰν ἀσπουδί ye Kai ἀκλειῶς ἀπολοίμην « Pas question pourtant de songer à mourir sans lutte et sans gloire ! » Il ne peut s'agir d'un souhait de la part d'Hector partant affronter Achille, mais bien d'un serment qu'il se fait à lui-méme. En employant l'optatif au lieu de l'indicatif futur, Hector ne s'engage pas seulement à

152

3° PARTIE

- OPTATIF

ne pas se comporter en lâche, mais à ne pas même y penser. Ce qu'il rejette n'est pas seulement l'acte, mais la pensée même de l'acte. - La dénégation

emphatique :

Le choix de l'optatif permet d'exprimer impossibilité totale et définitive. Od. 11. 613: μὴ texvnoóuevog und’ ἄλλο τι texvrjoatto « Pas question, aprés cette réussite, un autre!»

la conviction

intime

d'une

d'imaginer qu'on en réussisse encore

Le baudrier d'Héraclés est une telle réussite technique qu'aux yeux de l'aéde il interdit jusqu'à l'idée qu'on puisse en refaire un pareil. La réduplication d'un tel chef-d'œuvre n'est pas seulement impossible, elle est impensable. L'interprétation par une valeur de souhait a parfois été proposée. L'aspect effrayant du baudrier (cf. σμερδαλέος au vers 609) devrait, diton, faire souhaiter qu'on n'en refasse pas un pareil??. C'est oublier que le baudrier a justement pour fonction d'effrayer. Aussi, loin de souhaiter qu'on n'en refasse pas un pareil, devrait-on souhaiter qu'on en refasse beaucoup! Il y a ainsi plusieurs exemples oü la valeur de souhait, souvent proposée, convient moins bien que celle d'une conviction intime d'impossibilité absolue. Od. 7. 316: … μὴ τοῦτο φίλον Διὶ γένοιτο « Pas question de penser qu'un tel acte soit cher à Zeus!» Alkinoos vient de dire qu'il ne contraindra pas son hôte, Ulysse, à rester en Phéacie, contre son gré. Ce serait en effet transgresser les lois de l'hospitalité sur lesquelles veille Zeus ξείνιος (cf. Od. 9. 270, etc.). On ne saurait donc imaginer qu'un tel acte lui plaise. Dans ces conditions, voir ici le souhait « Puisse un tel acte ne pas plaire à Zeus!», comme

on le fait habituellement, n'est-ce pas faire injure à Zeus ??* C. Μή

INTRODUCTEUR

CONATIF

SUIVI D'UN OPTATIF

Devant un optatif, μή introducteur conatif appelle le destinataire de l'énoncé à se garder d'une pensée ou d'une intention qu'il pourrait avoir. Par rapport aux autres emplois conatifs de μή, le choix de l'optatif introduit deux particularités. 23. Chantraine, 1953, pp. 213 et 336. Mais V. Bérard a traduit : « L'artiste essaierait vainement de refaire... » 24. En Odyssée 1 403, ou Chantraine, 1953, p. 213, voit aussi un souhait, V. Bérard a traduit avec une interrogation oratoire exprimant l'impossibilité, ce qui semble mieux convenir.

CH. HI - PRECEDE

DE μή

153

- D'une part, le destinataire n'est pas nécessairement interlocuteur. Il peut étre tout auditeur potentiel, pas nécessairement présent dans la situation de discours. - D'autre part, il n'est incité à éviter ni une réponse dans l'immédiat (valeur de μή avec l'indicatif dans une interrogation), ni méme un comportement à venir (valeur de μή avec le subjonctif dans l'expression d'une défense). Il doit se garder en toute situation d'avoir ne serait-ce que la pensée d'un tel comportement, ce qui donne à l'exclusion une valeur trés générale et trés forte. Od. 20. 344: μὴ τοῦτο θεὸς TEAEGELEV « Se garde la divinité de l'idée d'accomplir cela!» L'idée que Pénélope soit chassée par lui indigne Télémaque. Aussi demande-t-il aux dieux de l'exclure à jamais. Il s'agit bien ici d'un vœu, mais non d'un simple souhait à contenu négatif. Télémaque n'est pas animé par un désir, mais par l'effroi, sentiment si vif qu'il lui fait repousser jusqu'à l'idée d'un tel comportement. Le locuteur peut aussi exprimer une mise en garde générale et définitive, sans préciser le destinataire de l'énoncé. Il. 18. 141:

τὼ μή τίς note πάμπαν ἀνὴρ ἀθεμίστιος εἴη « Aussi, que tout homme se garde à jamais de toute idée d'impiété ! » Enfin, lorsque le destinataire est l'interlocuteur, l'emploi de l'optatif après μή permet d'exprimer une défense definitive, avec plus de force que ne le ferait l'impératif présent ou le subjonctif aoriste. Il. 3. 406-7:

"Hoo παρ᾽ αὐτὸν ἰοῦσα, θεῶν δ᾽ ἀπόειπε κελεύθους, μηδ᾽ ἔτι σοῖσι πόδεσσιν ὑποστρέψειας Ὄλυμπον « Va t'installer chez lui. Abandonne les chemins des dieux. désormais jusqu'à l'idée de revenir sur tes pas dans l'Olympe!» Ici le subjonctif aoriste signifierait « Garde-toi désormais de Avec l'optatif, il n'y faut méme plus songer. Si Aphrodite quitte pour vivre avec Páris, il devient impensable qu'elle revienne dans

D. Mn

NON

Et écarte revenir ». les dieux l'Olympe.

INTRODUCTEUR

Avec un optatif, μή peut permettre de décrire de façon négative une fiction, et non plus d'écarter une fiction décrite de façon positive. C'est l'emploi simplement propositionnel, traduisant un conflit entre un point de vue fictif et une représentation événementielle. La fiction ainsi décrite de façon

ou

peut

décision

négative

étre

peut

suggérée

en ce sens, dans

être

à un

simplement

destinataire

évoquée

sur

susceptible

un souhait à contenu

négatif.

un

de

ton

de

prendre

regret,

une

154

3

PARTIE - OPTATIF

- Le regret:

La fiction évoquée est celle d'une situation oü élément désagréable de la situation de discours. Od.

n'existerait

pas

un

18. 79:

νῦν μὲν μήτ᾽ εἴης, Bovydus, μήτε γένοιο « Ah si seulement en ce moment tu n’existais pas, taureau vantard, et n'étais pas né!» Ce n'est pas seulement la position de μή dans le vers qui le rend non introducteur, mais aussi le contexte. En effet, Iros existe. Donc Antinoos ne peut rejeter cette existence en la concevant comme une fiction. En revanche, une situation où Iros n’existerait pas ne peut être conçue que

comme

fictive. C'est une telle situation que regrette Antinoos.

- Le souhait à contenu négatif : Une fiction négative est imaginée, désirée et suggérée des dieux.

au bon vouloir

Il. 16. 97-9:

Αἴ γάρ, Ζεῦ τε πάτερ καὶ ᾿Αθηναίη καὶ Ἄπολλον

μήτε τις οὖν Τρώων θάνατον φύγοι, ὅσσοι ἔασι...

μήτε τις ᾿Αργείων... « Puisse vous plaire, Zeus pere, Athena et Apollon, que pas un des Troyens n’echappe ä la mort, et pas un des Argiens!» Cet exemple est le seul où l'optatif avec μή, décrivant une fiction négative, est introduit par une marque de souhait, ici ai γάρ. C'est donc le seul exemple homérique de souhait à contenu négatif.

E. CONCLUSION

SUR L'OPTATIF INDÉPENDANT

PRÉCÉDÉ

DE μή

On voit que la notion de souhait négatif, au sens de souhait à contenu négatif, joue un róle trés faible dans les exemples rencontrés. C'est que devant un optatif, μή est le plus souvent introducteur. Par rapport aux autres modes qu'il concurrence, l'optatif a alors une valeur généralisante. Le rejet exprimé par μή introducteur n'est plus limité à la situation de discours

(indicatif

ou

impératif),

ou

aux

éventualités

qui

en

sont

la

projection (subjonctif). Il est étendu à toute situation fictive, hors de l'actuel et de l'éventuel. C'est pourquoi μή suivi de l'optatif a habituellement plus de force, et non, comme on le croit souvent, moins de force, que μή suivi d'un impératif ou d'un subjonctif. C'est seulement lorsque μή n'est pas introducteur, mais propositionnel et descriptif, que l'énoncé prend une valeur faible, de désir ou de souhait. Parmi les emplois introducteurs de μή, on a en outre fait les distinctions suivantes, selon le mode employé. 25. En lliade 14 84-5, on a αἴθ᾽ ὥφελλες... μηδ᾽... avec un infinitif.

CH. III - PRÉCÉDÉ

DE μή

155

- Devant un indicatif, μή sert à repousser une affirmation (interrogation craintive, dénégation emphatique ou serment négatif), c'est-à-dire un acte de parole, qui est une sorte d'événement. - Devant un impératif ou un subjonctif, μή sert à repousser un comportement consistant en actes physiques, ce qui est une autre sorte d'événement. - Devant un optatif, en revanche, μή sert à repousser un point de vue, pensée ou intention, ce qui n'est pas un événement, mais une attitude intérieure de l'esprit susceptible d'étre à la source d'un événement (que celui-ci soit un acte de parole ou un comportement non verbal). Ces distinctions illustrent la position particuliere de l'optatif dans le systéme modal grec. C'est un mode qui dissocie une source énonciative, laquelle ne reléve pas de l'ordre événementiel, mais de l'ordre mental.

156

3° PARTIE

CHAPITRE

OU

- OPTATIF

IV

L'OPTATIF PRECEDE de ci (ai), D'UN PRONOM RELATIF D’UNE CONJONCTION TEMPORELLE

A. LES DIVERS

EMPLOIS

DE L'OPTATIF APRES ei (ai)

Un énoncé est assumé par un énonciateur lorsqu'il exprime un choix,c'està-dire un jugement ou une volonté, effectivement effectué par celui-ci, dans un acte d’enonciation où il s'engage (acte d’assertion ou expression d'une volonté). L'indicatif, qui désigne un point de vue de vérité, implique par là une assertion. Cette assertion est normalement assumée par le locuteur dans un acte d'énonciation. Il faut une marque spéciale, comme la conjonction ei ou un ton interrogatif, pour pouvoir signifier une assertion à l'indicatif sans l'assumer. Le subjonctif en revanche ne suggére par lui-méme aucun acte d'énonciation, car il ne détermine aucunement un point de vue. Aussi le locuteur peut-il assumer à travers lui aussi bien un acte d'assertion que de volonté. Et pour empécher que soit assumé un tel acte, une marque spéciale est nécessaire, parmi lesquelles la conjonction ei ou ai, ou

un ton

interrogatif.

L'optatif, en revanche, en désignant un point de vue dissocié de la situation de discours, peut signifier que le locuteur n'engage pas sa responsabilité dans l'énoncé, c'est-à-dire n'exprime pas son propre point de vue. C'est pourquoi l'énoncé à l'optatif peut, méme sans ei et sans ton interrogatif, ne pas être assumé : servir de protase dans un système hypothétique, ou étre suggéré à un destinataire qui est un énonciateur

potentiel (voir chap. II, A et C). L'emploi de ei (ou ai) est cependant fréquent dans les énoncés à l'optatif non assumés. C'est sans doute pour les distinguer des énoncés à l'optatif assumés, qui sont de trois sortes.

CH. IV - PRECEDE

- Les

énoncés

DE ei

assertifs,

157

reposant

sur

un

point

de

vue

qui

n'est

que

partiellement dissocié, qui est en partie un point de vue de vérité (voir chap. II, B).

- Les énoncés rapportés, qui ont été assumés dans le passé par un énonciateur qui n'est pas le locuteur actuel (voir chap. II, D). - Les énoncés introduits par un μή supra-propositionnel de rejet, rejet qui est assumé par le locuteur (voir chap. III, B et C). La particule εἰ et l'optatif concourent donc à spécifier comme non assumés deux sortes d'énoncés. - Des protases de systémes hypothétiques, énoncés non assumés qui ont une motivation contextuelle, conditionnant une apodose. - Des énoncés de suggestion ou de souhait, dont la motivation est l'expression indirecte d'un désir du locuteur. Dans le premier cas, ei peut étre remplacé par un relatif ou une conjonction temporelle. Dans le second cas, il peut étre remplacé par ὡς exclamatif, ou renforcé, pour plus d’expressivite, en ei γάρ ou εἴθε (al γάρ, αἴθε).

Dans les deux cas la négation est μή. Mais elle est exceptionnelle dans le deuxième cas, où ce ne peut être qu'un μή non introducteur voir chap. III, D). Dans les deux cas, l'emploi d'une particule Ke ou ἄν est exceptionnel et correspond à des conditions particulières. Mais ei et l'optatif peuvent aussi être employés indépendamment l'un de l’autre, dans deux cas. - Dans les protases de type I, où ei introduit une assertion, il peut arriver que cette assertion soit à l'optatif assertif, normalement accompagné d'une particule, bien que l'indicatif soit le mode habituel (voir premiere partie, chap. II, C, 2). Il n'y en a cependant pas d'exemple sür dans l'Hiade et l'Odyssée?6. - Dans une subordonnée introduite par ei et dépendant d'un verbe principal au passé ou à l'optatif, l'optatif peut s'introduire comme substitut modal, à la place d'un indicatif ou d'un subjonctif. Cet emploi, bien représenté dans l'/liade et l'Odyssée, sera étudié avant ceux de l'optatif de souhait et d'hypothése.

B. L'OPTATIF SUBSTITUT

L'optatif non actuel - Si ce optatif dit

MODAL

APRES ei (OU UN RELATIF)

substitut modal a pour fonction de désigner le point de vue d'un protagoniste ou agent principal. point de vue est fictif (verbe principal à l'optatif), on a un d'attraction modale.

26. Ce serait possible en /liade 1 60, 11 792 et Odyssee 14 120. Mais une autre interprétation semble préférable. Voir ci-aprés sous C et D, et note 32.

158

3° PARTIE - OPTATIF

- Si ce point de vue est passé (verbe principal au passé), on a un optatif dit de subordination dans le passe. L'optatif oblique proprement dit (dans des énoncés rapportés au style indirect) est un cas particulier de l'optatif de subordination dans le passé. Il faut cependant distinguer selon que lemploi de l'optatif est facultatif ou obligatoire. On verra en effet qu'il est facultatif seulement lorsque le point de vue passé a été explicitement formulé, méme si c'est en un discours intérieur, c'est-à-dire dans le cas de l'optatif oblique proprement dit. Trois sortes d'emploi

de ei, normalement

suivis d'un indicatif ou d'un

subjonctif, peuvent étre suivis d'un optatif substitut modal. - Avec un ei d'interrogation d'indirecte, on rapporte une pensée interrogative, qui peut avoir été formulée. L'optatif est facultatif (optatif oblique proprement dit). - Dans les fausses finales « pour voir si » ou « dans l'espoir que », aprés un verbe principal au passé, on désigne un point de vue passé saisi à travers un comportement non verbal. L'optatif est obligatoire. - Dans les hypotheses dites de répétition dans le passé, c'est encore un comportement

non

verbal

qui

est

soumis

à

un

point

de

vue

passé.

L'optatif est obligatoire. 1. L'interrogation indirecte: L'optatif peut étre un optatif dit d'attraction modale. Od.

18. 375:

τῶ κέ μ᾽ ἴδοις ei QÀKa διηνεκέα προταμοίμην « Alors tu verrais si je tracerais un sillon droit. » Ce n'est pas une attraction modale purement formelle. L'optatif dans l'interrogative sert à designer un point de vue fictif. Ici c'est le point de vue qui serait celui d'Eurymaque s'il voyait Ulysse labourer devant lui. Cet optatif s'est substitué à un indicatif, car Eurymaque se demanderait en cette situation: « Trace-t-il un sillon droit ? » On a plus souvent un optatif de subordination dans le passé. Il. 19. 384-5:

Πειρήθη δ᾽ £o αὐτοῦ Ev ἔντεσσι δῖος ᾿Αχιλλεύς

εἰ οἷ ἐφαρμόσσειε καὶ ἐντρέχοι ἀγλαὰ γυῖα « Le divin Achille s'essaya dans ses armes, (se demandant) si ses beaux membres s'y adaptaient et y jouaient aisément. » La pensée interrogative d'Achille s'est manifestée dans un comportement non verbal. L'optatif, ici encore substitut d'un indicatif, est donc naturel pour désigner son point de vue passé. Mais l'indicatif peut étre maintenu, lorsque la pensée interrogative a été formulée. Il. 12. 59:

.. πεζοὶ δὲ pevoiveov εἰ τελέουσι « Les fantassins se demandaient

s’ils y arriveraient. »

CH. IV - PRECEDE

DE ei

159

Le verbe principal indique que la pensée interrogative fut formulée explicitement, méme si ce fut intérieurement. L'indicatif ne permet d'en rapporter que le contenu. L'optatif, qui mettrait l'accent sur le point de vue passé, n'est que facultatif. 2. Les fausses finales « dans l'espoir que »: L'optatif peut étre l'optatif dit d'attraction modale. Il. 10. 204-6:

… Οὐκ ἂν δή τις ἀνὴρ πεπίθοιθ᾽... /... ἐλθεῖν, εἴ τινά που δηίων ἕλοι... « N'y aurait-il pas un guerrier qui aurait le courage d’aller.., dans l'espoir qu'il se saisirait d'un ennemi? » Ici non plus, ce n'est pas un simple phénomène d’assimilation modale. Dans la principale est désigné un point de vue fictif à partir duquel serait faite la projection exprimée dans la subordonnée. Ici l'optatif s'est substitué au subjonctif qui exprimerait une telle projection à partir d'un point de vue actuel: « J'irai., dans l'espoir de me saisir d'un ennemi. » On a plus souvent un optatif de subordination dans le passé. Il. 4. 88:

Tlavöapov ἀντίθεον διζημένη, εἴ που ἐφεύροι « Elle cherchait Pandare égal aux dieux,

dans

l'espoir

qu'elle

le

trouverait. »

C'est l'état d'esprit d’Athena cherchant Pandare qui est le point de vue passé d'où est conçu l'espoir de le trouver. Il ne s'agit pas d'une pensée explicitement formulée, seulement d'une attitude mentale traduite dans un comportement. L'optatif est donc obligatoire. On a cependant parfois invoqué deux exemples apparemment contraires pour soutenir que l'optatif n'est pas obligatoire dans ce type de subordonnée, que le subjonctif avec ke peut être conservé aprés un verbe principal au passe?’. Mais dans aucun des deux exemples n'est réellement désigné un point de vue passé. Dans l'un, nous avons en fait affaire à un style indirect rapportant des paroles passées. Od.

17. 59-60:

εὔχετο... ἑκατόμθας ῥέξειν, αἴ κέ ποθι Ζεὺς ἄντιτα τελέσσῃ « Elle promit qu'elle sacrifierait une hécatombe, si Zeus accomplissait l'œuvre de vengeance. » Le sacrifice promis dans cet exemple est plutôt un sacrifice de remerciement qu'un sacrifice de demande. La subordonnée introduite par al xe est donc plutôt conditionnelle (« si») que fausse finale (« dans l'espoir que »). En tout cas, elle fait partie de la promesse explicite. C'est

27. Chantraine,

1953, pp. 282-3.

160

3° PARTIE - OPTATIF

le contenu verbal de la promesse qu'elle contribue à rapporter, non un état d'esprit passé. Dans le second exemple allégué, il s'agit d'un point de vue qui est encore actuel. Il. 7. 394:

xai δὲ τόδ᾽ ἠνώγεον εἰπεῖν &xoc, at κ᾿ ἐθέλητε « Voici ce qu'ils m'ordonnaient de vous dire, dans

l'espoir que

vous

consentirez... »

L'état d'esprit qui a poussé les Troyens à envoyer un messager aux Achéens est toujours actuel au moment ou celui-ci transmet le message. D'ailleurs, en un tel cas, il n'y a méme pas concordance des temps dans

la traduction française la plus naturelle?8. 3. Les conditionnelles

dites de répétition dans le passe:

On enseigne habituellement que, lorsque dans un systéme hypothétique l'apodose est au passé de l'indicatif et la protase à l'optatif, ce systeme évoque une répétition dans le passé. Mais l'idée de répétition est secondaire

Le

sens

l'extension

et on trouve des exemples

exact de

son

est

qu'un

agent,

comportement,

qui n'évoquent

dans

le passé,

c'est-à-dire

pas une répétition.

limitait

sa durée

ou

de

lui- méme

sa répétition,

à la présence de certains faits. Ce n'est donc pas le locuteur actuel qui constate l'association des faits exprimés en protase et de ceux exprimés en apodose. Il constate seulement la disposition dans le passé d'un agent à établir une telle association. D'où deux conséquences, concernant respectivement l'apodose et la protase. - D'une part, le verbe de l'apodose est toujours chargé d'une valeur d'inachévement, imperfective, inchoative ou intentionnelle. Il exprime en effet la disposition dans le passé, à agir de telle ou telle façon, dans telle ou telle éventualité. - D'autre part, le verbe de la protase ne renvoie pas à des événements constatés par le locuteur, mais à des éventualités considérées du point de vue passé de l'agent en question. Aussi est-il à l'optatif, qui se substitue au subjonctif avec ke normalement attendu pour envisager une éventualité. Cette substitution est obligatoire, car il ne s'agit pas d'une pensée explicitement formulée, seulement d'une attitude mentale présidant à un comportement non verbal. - Exemples

ne suggérant

pas

une

répétition :

Il. 3. 453:

où μὲν γὰρ φιλότητί γ᾽ ἐκεύθανον, εἴ τις ἴδοιτο « Car ils n’etaient certes pas disposes ἃ le cacher, si on le voyait. »

28. Autre exemple, tout à fait analogue, en /liade 1 207.

CH. IV - PRECEDE

DE ei

161

La disposition passée des Troyens à ne pas cacher Pâris-Alexandre est marquée par l'imperfectif exevdavov. Elle est naturellement limitée à l'éventualité, envisagée de leur point de vue passé, oü quelqu'un le verrait. En fait, personne ne l'a vu (vers 451). Le poéte ne constate donc aucune répétition. Il. 23. 748-9:

Kai τὸν ᾿Αχιλλεὺς θῆκεν ἀέθλον... ὅς τις ἐλαφρότατος...πέλοιτο « Puis Achille le deposa comme prix... pour qui serait le plus rapide. » On a ici une relative fonctionnant comme une protase. Le geste d'Achille, constaté à l'aoriste, débouche sur l'intention de laisser le prix exposé jusqu'à ce que le vainqueur l'emporte, éventualité envisagée de son point de vue passé. Comme il n'y a qu'un vainqueur, on n'a ici aucune idée de répétition. - Exemples

suggérant

une

répétition:

Il. 24. 768-71: ἀλλ᾽ εἴ τίς με... ÉVIRTOL../ ..., … ἀλλὰ σὺ τόν γ᾽... κατέρυκες « Mais si quelqu'un s'en prenait à moi... eh bien, toi tu le retenais. » Ce propos d'Hélène demeure vrai s'il est arrivé qu'on s'en prenne à elle, et qu'Hector, absent, n'ait pu intervenir. C'est qu'Héléne ne constate pas l'association rigoureuse et répétée de deux faits, mais seulement une disposition d'Hector, rendue par l'imparfait itératif κατέρυκες. Cette disposition était liée à une éventualité envisagée du point de vue passé d'Hector (il fallait qu'il soit présent pour intervenir). Le contexte suggere que cette éventualité s'est répétée plusieurs fois, mais Héléne ne sait pas combien de fois (elle a pu se produire en son absence). Il. 4. 232-3: Kai ῥ᾽ οὖς μὲν σπεύδοντας ἴδοι... τοὺς μάλα θαρσύνεσκε... « Et ceux qu'il voyait s'empresser, il les encourageait vivement. » On a ici une relative en fonction de protase. Dans l’apodose le suffixe -oK£, fondamentalement

imperfectif (d'où

sa valeur

inchoative),

exprime

la disposition passée d'Ulysse à répéter ses encouragements à tous les soldats qu'il verrait remplis d’ardeur. Cette éventualité est envisagée de son point de vue. Le poète ne sait pas combien de fois cela s'est produit. En revanche, quand le locuteur n'évoque que les occurrences d'une répétition auxquelles il a assisté, il les constate de son point de vue, sans

renvoyer

à une

disposition

passée.

En

ce

cas,

on

a un

indicatif

passé dans la subordonnée, et une valeur terminative dans la principale. Il. 1. 396-7: Πολλάκι γάρ octo... ἄκουσα εὐχομένης, ὅτ᾽ ἔφησθα... « Je t'ai souvent entendue t'en glorifier, quand tu disais que... » Il n'est pas question ici de la disposition d'un agent dans le passé,

162

3° PARTIE - OPTATIF

mais seulement de l'observation de faits qui furent associés par la force des choses, sans que cela résultât d'une intention passée. 4. Conclusion

sur l’optatif substitut modal :

Les emplois de l'optatif comme substitut modal illustrent la définition générale proposée ici. Ils renvoient à une attitude mentale fictive ou passée, susceptible d'étre à la source d'un énoncé. Lorsqu'une pensée formulée a effectivement résulté de cette attitude mentale, l'optatif n'est que facultatif, car alors on peut ne rapporter que le contenu de cette pensée. L'optatif substitut modal neutralise l'opposition entre indicatif et subjonctif. Il se contente de désigner un point de vue passé ou fictif, sans préciser si ce qu'on y envisage est un fait réel ou une éventualité. C'est la raison pour laquelle cet optatif, lorsqu'il se substitue à un subjonctif éventuel qui serait accompagné de Ke ou äv, n'est jamais accompagné de ces particules à valeur prospective.

C. L'OPTATIF DÉSIDÉRATIF APRES εἰ (εἴθε, ei γάρ, ...)

L'optatif désidératif aprés ei apparait normalement dans une proposition indépendante (suggestion, souhait). Il est normalement sans particule, puisqu'il évoque une fiction qui n'est pas liée à la situation de discours, contrairement à l'éventualité qui peut en étre le prolongement. Il. 16. 559: … ἀλλ᾽ εἴ μιν ἀεικισσαίμεθ᾽ ἑλόντες « Eh bien, si nous lui infligions l'outrage de nous saisir de lui!» La suggestion

porte bien sur un comportement

à venir, mais de façon

indirecte. Ce qu'elle suggère d'abord est un changement d'état d'esprit chez les interlocuteurs. Le comportement à venir ne peut donc étre envisagé comme le prolongement de leur situation actuelle. Cependant, un tel emploi désidératif de l'optatif peut étre assez étroitement relié, et presque subordonné, au contexte. En outre, il peut, exceptionnellement, être accompagné d'une particule Ke ou ἄν, dans des conditions qui restent à définir. 1. Lien

avec

le contexte

postérieur:

Le contexte postérieur peut étre une assertion à l'optatif, conditionnée par le souhait qui précède. Il. 17. 156-9:

Ei yàp νῦν Τρώεσσι μένος πολυθαρσὲς ἐνείη edo

αἶψά xe Πάτροκλον ἐρυσαίμεθα "IAıov εἴσω «Ah! si chez les Troyens il y avait une ardeur pleine d’audace !... Bien vite, nous aurions trainé Patrocle à l'intérieur de Troie. » Ceci n'est pas un simple système hypothétique, dans la mesure où la

CH. IV - PRÉCÉDÉ

DE εἰ

163

proposition introduite par £i γάρ « Ah! si...» conserve son indépendance et sa motivation interne, désidérative. Dans un simple systéme hypothétique, il y a totale interdépendance entre protase et apodose, et la protase n'a pas d'autre motivation que de préciser la source énonciative de l'apodose. L'optatif de souhait, dont la motivation est désidérative, est donc un emploi qui s'oppose à l'optatif de simple hypothése, dont la motivation est contextuelle. Il n'y a pas dérivation de l'un à l'autre. Ce sont deux

valeurs d'emploi différentes??. 2. Lien

avec

le contexte

antérieur :

Comme le subjonctif aprés ei, l'optatif aprés ei peut apparaitre dans une postposition à valeur explicative. On peut méme trouver des contextes antérieurs tout à fait identiques, par exemple τίς οἶδε « qui sait ? ». IL 11. 792:

τίς δ᾽ οἶδ᾽ el κέν ol σὺν δαίμονι θυμὸν ὀρίναις « Qui sait ? Si avec l'aide des dieux tu éveillais son ardeur? » Nestor suggére à Patrocle d'aller demander à Achille de reprendre le combat. Patrocle n'étant pas encore décidé, l'éventualité d'un succés ne peut étre envisagée que d'un point de vue imaginaire, celui oü Patrocle aurait pris la décision que lui suggére Nestor. En revanche, lorsque plus tard Patrocle aura donné son accord, il envisagera l'éventualité d'un succés à partir de son propre point de vue, donc avec le subjonctif (cf. Il. 15. 403, voir deuxième partie, chap. II, C)?0. Dans ces deux exemples, l'optatif désidératif fait donc attendre d'abord un changement d'attitude ou de point de vue, alors que le subjonctif prospectif fait attendre un événement. Mais l'opposition n'est pas toujours aussi nette. Od. 2. 350-1:

… ὃν σὺ φυλάσσεις κεῖνον ὀιομένη τὸν κάμμορον, εἴ ποθεν ἔλθοι «(le vin) que tu conserves, songeant à lui le malheureux: s'il pouvait revenir, d'où qu'il soit! » Le désir exprimé ici par Télémaque est moins le sien que celui de l'intendante Euryclée, gardienne de la cave d'Ulysse, que désigne le sujet des verbes précédents. C'est donc un emploi protagonistique. Ici il semble que soit seulement envisagé un événement: le retour d'Ulysse. Mais cet événement dépend d'une décision des dieux. Euryclée doit donc l'espérer indirectement, espérant d'abord que les dieux prennent une telle décision. D'autre part, le contexte montre que le retour d'Ulysse 29. Ceci contredit la théorie génétique de Lange,

1872. Cf. Chantraine,

1953, p. 275.

30. Exemple semblable avec l'optatif en Odyssée 14 120. Apres ἵνα εἴδομεν εἰ « pour voir si », l'optatif apparait une fois, mais coordonné à un subjonctif, et d'ailleurs avec une variante au subjonctif (/liade 22 243-6, avec δαμείη ou δαμήῃλ. L'optatif pourrait étre un optatif de l'alternative désirée (voir deuxiéme partie, chap. IV, A, 2).

164

est

3° PARTIE - OPTATIF

moins

envisagé

par

elle

comme

événement

extérieur

que

comme

irruption en elle d'un nouvel état d'esprit: ce qu'elle espère, c'est la joie et la féte du retour, oü coulera enfin le vin précieusement conservé. Ainsi, on peut dire que, malgré les apparences, c'est un changement de point de vue, chez les dieux ou chez les hommes, qui est escompté par Euryclée.

3. L'emploi exceptionnel d'une particule: La particule xe est employée exceptionnellement avec l'optatif désidératif. Cet emploi correspond au cas particulier oü une fiction a déjà été introduite dans le contexte précédent.

Od. 12. 113-4: el πως τὴν ὁλοὴν μὲν ὑπεκπροφύγοιμι Χάρυθδιν, τὴν δέ κ᾽ ἀμυναίμην... « Si, de quelque façon, je me soustrayais d'un côté à la funeste Charybde,

et alors me défendais contre l'autre... ? » La structure de l'énoncé, en particulier la liaison μὲν... δέ..., et le sens du passage montrent que les deux optatifs sont sur le méme plan et dépendent tous deux de ei. Autrement dit, ils ne constituent pas un ensemble hypothétique avec une protase suivie d'une apodose. Il n'y a pas du tout d'apodose, et ces optatifs sont des optatifs de suggestion. Ulysse suggére en effet, et propose, une tactique à Circé. Cette tactique aurait deux étapes. La particule xe permet d'enchainer la seconde étape à la première, comme un prolongement de la première attitude fictive proposée par Ulysse. Nous avons déjà rencontré un emploi analogue de x& en Il. 11. 792 cité plus haut. En effet, le vers précédent contenait déjà une suggestion à l'optatif: ταῦτ᾽ εἴποις « Si tu lui disais cela? » Le vers 792 ne fait que prolonger la fiction ainsi commencée: « Qui sait? Si alors tu éveillais son ardeur? ». On observera un emploi semblable de la particule, pour prolonger une fiction, dans les protases à l'optatif.

D. L'OPTATIF DE L'HYPOTHÉSE

POTENTIELLE

L'optatif d'hypothése potentielle, que ce soit aprés el, dans une relative ou dans une temporelle, résulte de la mise en forme syntaxique de la relation entre protase et apodose, telle qu'on a pu l'observer, sans spécification

syntaxique,

en

Od.

14.

193-7

et Il.

14.

107.8

(voir chap.

II,

A) Cette mise en forme syntaxique permet à la protase de ne pas toujours précéder l'apodose, bien qu'elle ait pour fonction de contribuer à définir la source énonciative de l'apodose. Il. 22. 20:

ἦ σ᾽ ἂν τισαίμην, el μοι δύναμίς ye παρείη « Je te chätierais bien, si j'en avais le pouvoir. »

CH. IV - PRECEDE

DE ei

165

Dans cette fonction conditionnante, l'optatif peut être opposé à la fois à l'indicatif et au subjonctif : - Le subjonctif suppose un événement, c'est-à-dire la manifestation d'un acte ou procés physique. - L'indicatif suppose un acte d'assertion, qui en tant qu'acte (de parole) reléve aussi de l'ordre événementiel. - Avec l'optatif, l'objet de l'hypothèse n'est plus un objet extérieur, d'ordre événementiel ; il est alors d'ordre mental: attitude intérieure, ou point de vue. Ainsi, dans l'exemple ci-dessus, la nuance exacte pourrait étre rendue

par la traduction

suivante : « Je te chátierais, sí je voyais que

jen ai le pouvoir. » Or une situation événementielle se modifie par addition: un nouvel événement n'efface pas les précédents, mais s'ajoute à la situation événementielle qu'ils constituent. En revanche, une situation mentale se modifie par substitution: un nouveau point de vue se substitue au précédent, méme s'il en garde certains aspects. Aux hypothèses d'addition qu'on obtient avec l'indicatif ou le subjonctif (protases des types I et ID, l'optatif oppose donc une hypothèse de substitution (protases de type

III).

Cette caractéristique permettra d'expliquer les particularités des protases à l'optatif, en particulier: - l'emploi, introducteur ou non, de la négation μή, - l'absence habituelle de particule, avec cependant des exceptions, dont il faudra rendre compte, - une relation particuliére avec l'apodose, qui lui permet d'influer sur le mode de celle-ci. On

examinera

successivement

ces trois points.

l. Les deux emplois de la négation μή: Devant un optatif, ei μή, avec μή introducteur, exclut par hypothèse un point de vue fictif ne contredisant pas la représentation événementielle contenue dans la protase (la négation n'est pas propositionnelle, mais supra-propositionnelle). Il. 2. 491-2:

ei μὴ ᾿Ολυμπιάδες Μοῦσαι... .. μνησαίαθ᾽... «.., sauf si les muses de l'Olympe me rappelaient... » Le point de vue fictif évoqué est celui où l'on verrait intervenir les muses (pour l'instant en effet, on ne les voit pas intervenir). Il est écarté

par hypothèse. En revanche, après ei et devant un optatif, un emploi non introducteur de μή permet au point de vue fictif, qui est alors introduit par hypothèse (et non écarté), de contredire la représentation événementielle contenue dans la protase (la négation est propositionnelle).

166

3° PARTIE - OPTATIF

Il. 9. 515:

ei μὲν yàp μὴ δῶρα φέροι ... «Si en effet il ne t'apportait pas des présents … » Le point de vue fictif évoqué ici est celui où l'on ne verrait pas Agamemenon apporter des présents (actuellement, on le voit en offrir). Ce point de vue est introduit par hypothèse. Permettant d'évoquer un point de vue (ici fictif) sur une représentation événementielle, l'optatif offre donc deux positions possibles pour la négation μή. Μή peut porter sur l'ensemble ; il est alors introducteur et supra-propositionnel. Il peut n'exprimer qu'une relation contradictoire entre le point de vue évoqué et la représentation événementielle ; il est alors simplement propositionnel. Ces deux positions n'ont pas été identifiables avec un subjonctif, mode qui ne détermine que la représentation événementielle. 2. L'emploi exceptionnel

d'une particule:

Comme avec l'optatif désidératif, la particule ke est exceptionnellement employée, pour souligner le prolongement d'une fiction. Dans la plupart des cas, il s'agit d'une fiction déjà introduite dans le contexte précédent. Il. 6. 46-50:

Ζώγρει... / … / … τῶν κέν tot χαρίσαιτο πατὴρ... εἴ κεν ἐμὲ ζωὸν πεπύθοιτ᾽... « Prends-moi vivant. Mon père alors t'en récompenserait, si alors il apprenait que je suis vivant.» Une fiction est ici développée en trois étapes, enchainées les unes aux autres par deux Ke «alors, par suite », dans l'ordre suivant, qui est l'ordre logique et non l'ordre du texte: - « Tu m'aurais épargné », à tirer de l'impératif initial. - « Alors mon pere l'apprendrait », à tirer de la protase finale. - « Alors il te récompenserait », assertion conditionnée de l'apodose. L'optatif de la protase est donc lui-méme enchainé à une premiere hypothése, implicite dans le texte?!. Il peut arriver que ce soit l'apodose qui introduit la premiere étape de la fiction, protase et apodose se conditionnant mutuellement. Il. 1. 59-60:

ων ὀίω ἂψ ἀπονοστήσειν, εἴ κεν θάνατόν γε φύγοιμεν « Je crois que nous ferons demi-tour, si ainsi nous devions échapper à la mort. » Ici κεν, traduit par « ainsi », pourrait être développé par « si 31. Autres exemples: Iliade 5 273, 8 196, 9 141 = 283, 10 381, 13 288, 23 592; Odyssée 2 76, 12 345, 13 389, 14 395. Dans une relative hypothétique : /liade 10 307; Odyssée 2 54, 4 600, 16 392 = 21 162, 19 403. Dans une temporelle hypothétique : lliade 9 304, 19

208, 24 227 ; Odyssée 2 78.

CH. IV - PRECEDE

DE ei

nous faisions demi-tour termes de l’apodose?. Un cas particulier est le sens « méme si alors prolongements fictifs du Il. 9. 444-5 : ὡς Qv... οὐκ ἐθέλοιμι

167

», c'est-à-dire

par une

hypothèse

reprenant

les

celui de l'hypothèse qui permet d'enchérir, avec ». Le locuteur indique qu'il ne se soucie pas des comportement fictif envisagé dans l'apodose.

λείπεσθ᾽, οὐδ᾽ εἴ κέν μοι ὑποσταίη θεὸς αὐτὸς ,... « Aussi je ne voudrais pas rester, même me

si alors la divinité elle-même

promettait. »

Ici xev, traduit par «alors», pourrait être rendu par «devant mon refus de rester ». On indique ainsi un prolongement de la fiction jusqu'où

l'assertion de l'apodose demeure valable. L'emploi de la particule ke a donc prolongement d'une fiction. Ainsi ce avec le subjonctif, un prolongement un prolongement événementiel, mais fictif, ce qui est un prolongement prolongement ne s'inscrit pas dans le

toujours pour effet de souligner le qu'on envisage n'est plus, comme de la situation de discours, qui est le prolongement d'un point de vue mental. Il en résulte qu'un tel temps, mais est purement logique.

3. La relation avec l'apodose: L'hypothése à l'optatif est une hypothése de substitution, donnant au locuteur un point de vue fictif, et modifie profondément la source énonciative de l'apodose. On s'attend donc, pour peu qu'elle soit strictement conditionnante, à ce qu'elle entraine l'emploi de l'optatif aussi dans l'apodose. C'est en effet l'optatif d'assertion conditionnée, lequel repose sur l'adoption d'un point de vue en partie fictif, qui est normalement employé dans l'apodose. Ce parallélisme du mode de la protase et de celui de l'apodose montre l'originalité des protases de type III à l'optatif, face aux protases de type I (indicatif) ou de type II (subjonctif), qui laissent toute liberté pour le mode de l'apodose. On rencontre cependant d'assez nombreux exemples sans parallélisme modal, méme hors du cas dit de répétition dans le passé (ou l'optatif est en fait substitut modal d'un subjonctif). Ces exemples se caractérisent tous par un lien plus láche entre protase et apodose. On peut distinguer trois cas, selon que l'apodose est sous-entendue, ou qu'elle est antéposée ou

postposée.

32. On pourrait aussi voir dans cette protase une protase de type I supposant une assertion :

«.. Si (tu admets que) ainsi nous échapperions à la mort» (cf. Plat. Men. 91 d cité dans la premiere partie, chap. II, C, 2). Exemples analogues en lJliade 2 597, 7 387; Odyssée 7 315. 33. Exemples el περ γάρ 15 545. Le x” ἐθέλοις

analogues, avec οὐδ᾽ el xev: lliade 9 445, 19 322, 22 220, 22 351, 23 346 ; avec xg : Iliade 2 123, 8 205, Odyssée 2 246-8; avec seulement ei γάρ xe : Odyssée seul exemples sans valeur concessive apparente est Odyssee 19 589, avec el « si tu voulais encore ».

168

3€ PARTIE - OPTATIF

a. L'apodose est sous-entendue : L'absence de parallélisme modal peut provenir simplement de ce que la véritable apodose est en fait sous-entendue. C'est d'abord le cas des comparatives conditionnelles avec ὡς εἰ «comme (ce serait) si» suivi d'un optatif. Il. 11. 389:

οὐκ ἀλέγω, ὡς εἴ ne γυνὴ βάλοι À πάις ἄφρων « Je ne m'en soucie pas, comme

(je ne m'en soucierais pas) si une femme

m'avait frappé, ou un enfant privé de raison. » C'est surtout le cas des nombreuses concessives conditionnelles avec καὶ ei ou οὐδ᾽ ei « (il en serait ainsi) méme si». I]. 9. 388-9: κούρην δ᾽ où γαμέω ' Ayauéuvovos "Atpefóao οὐδ᾽ εἰ χρυσείῃ ᾿Αφροδίτῃ κάλλος épilot «Je n'épouserai pas la fille de l'Atride Agamemnon, (je ne le ferais) méme (pas) si elle rivalisait en beauté avec Aphrodite d'or. » C'est enfin le cas de certaines relatives à valeur généralisante. Il. 17. 631:

τῶν μὲν γὰρ πάντων BéAe' ἄπτεται, ὅς τις ἀφείη « De tous les traits portent, quel que füt le tireur... » Diverses variantes permettraient de conjecturer le subjonctif habituel ἀφήῃ qu'on traduirait «quel que soit le tireur». L'optatif ἀφείη est cependant appuyé par des exemples analogues (Il. 23. 494, Od. 6. 286, etc.). Avec le subjonctif, on ne sortirait pas de la situation de discours: le tireur éventuel ne peut être que l'un des Troyens qui sont en train d'accabler les Achéens,

avec

l'aide de Zeus.

Avec

l'optatif on généralise :

on peut imaginer n'importe quel tireur, même un enfant ou une femme ; ses traits porteraient aussi, puisque Zeus dirige tous les traits ennemis. Il faut donc comprendre: « (et ils porteraient), quel que füt... » Dans tous les cas rencontrés, l'énoncé qui accompagne la protase est valide sans condition. Ce n'est donc pas une apodose, énoncé conditionné. Mais il est précisé qu'il serait aussi valide si on adoptait un point de vue imaginaire. Le rôle de la protase n'est donc pas alors de restreindre le champ de validité de l'énoncé qui l'accompagne, mais au contraire

de l'élargir#. b. L'apodose

est antéposée :

Lorsque l'apodose est placée avant la protase, elle peut facilement être énoncée d'abord sans condition, la protase apportant aprés coup une correction restrictive. Od. 19. 510-1:

Cette

protase

peut

étre une

relative.

… Ko(toio τάχ᾽ ἔσσεται ἡδέος ὥρη. 34. C'est ce que Tesnière,

1959, p. 595, appelle des « conditionnantes amplificatrices ».

CH. IV - PRECEDE

DE ei

169

ὄν τινά γ᾽ ὕπνος ἕλοι γλυκερὸς καὶ κηδόμενόν περ «Ce sera bientôt l'heure du lit bienvenu, du moins pour celui que prendrait le doux sommeil, tout chagrin qu’il füt. » Insomniaque, Pénélope ne peut adopter le point de vue qu'elle désigne dans la relative, et qui est pourtant celui d'où l'on peut énoncer l'assertion qui précède. C'est donc pour elle une façon d'indiquer que ce qu'elle

vient de dire ne s'applique pas à elle. c. L'apodose

est postposée :

Lorsque l'apodose est placée aprés la protase à l'optatif, elle est d'emblée conditionnée par elle et doit donc, en principe, étre aussi à loptatif. Les exceptions sont trés rares. Certaines ne sont peut-étre qu’apparentes, dans la mesure où l'on n'aurait pas une véritable protase, mais l'expression d'une suggestion. En ce cas en effet, il y a une plus grande indépendance entre les deux propositions. Il. 10. 222-3:

ἀλλ᾽ el τίς μοι ἀνὴρ ἅμ᾽ ἕποιτο xai ἄλλος, μᾶλλον θαλπωρὴ καὶ θαρσαλεώτερον ὄσται « Mais

un autre guerrier pourrait-il m’accompagner 2 Cela me

donnera

plus de courage et d’audace. »% Il y a cependant une veritable rupture de construction dans au moins un exemple. Od.

12. 345-7:

εἰ δέ xev εἰς ᾿Ιθάκην ἀφικοίμεθα...

αἶψά κεν ᾿Ηελίφῳ... νηὸν

τεύξομεν, ἐν δέ κε θεῖμεν ἀγάλματα... «Si

alors

nous

revenions

en

Ithaque.,

tout

de

suite

alors

nous

construirons à Helios un temple, ... et nous y mettrions des statues... » Le passage inhabituel de l'optatif dans la protase à l'indicatif futur dans l'apodose, puis à nouveau à un optatif coordonné, doit correspondre à une intention expressive. À ses compagnons de voyage affamés, Euryloque

a proposé de tuer les vaches d'Hélios. Mais il est urgent pour lui de faire à Hélios une promesse de compensation. C'est sans doute pour lui donner plus de poids qu'il feint de s'y engager depuis sa situation actuelle, cachant momentanément qu'il n'est pas en état de le faire?".

35. On

a de méme,

avec εἰ, une

telle restriction aprés coup

en /liade

1 60, 7 387

(voir ci-

dessus sous 2 et n. 32). 36. La variante moins bien attestée ἐστι (pour ἔσται) ferait de la seconde proposition un énoncé de valeur générale: « Cela donne du courage, quand on est deux à aller ensemble.» Voir aussi /liade 11 386 et Odyssée 4 388. 37. On

pourrait

corriger τεύξομεν,

ἐν en τεύξαιμ᾽ ἐν. En

/liade

10 346-7,

la forme

hybride

καραφθαίῃσι de la protase, qui ajoute une finale de subjonctif à un theme d'optatif, est à rejeter. Quelques manuscrits ont le subjonctif παραφθάνῃσι demandé par le contexte

(cf. aussi la conjecture

παραφθήῃσι

de Thiersch).

170

3° PARTIE - OPTATIF

Car ce n'est que chez lui, en Ithaque, qu'il serait en mesure de faire une telle promesse. La suite de la promesse marque à nouveau le caractère fictif de ce point de vue.

E. CONCLUSION

SUR L'OPTATIF PRÉCÉDÉ

DE ei

Chez Homère l'optatif précédé de ei sert à désigner deux sortes de points de vue non actuels: - L'optatif de subordination dans le passé marque un point de vue passé, point de vue d'un protagoniste, qu'un énoncé formulé ou simplement un comportement ait été lié à ce point de vue. - L'optatif de fiction marque un point de vue entièrement fictif, distingué et détaché de la situation de discours, d'où l'absence habituelle de particule. Mais la particule intervient parfois pour souligner un enchainement à l'intérieur de la fiction. Dans la fiction, l'objet imaginaire n'est pas directement un événement physique, mais est d'abord une attitude mentale. Aussi, lorsqu'un enchainement est marqué, celui-ci n'est pas temporel, mais logique. Dans le cas de l'hypothése, cette utopie mentale entraîne normalement l'emploi de l'optatif dans lapodose réellement conditionnée par elle.

CH.

V - ASSERTIF

171

CHAPITRE

L'OPTATIF

A. LES DIFFÉRENTS L’assertion

a été

définie

dans

V

ASSERTIF

TYPES

la première

D’ASSERTION partie

(chap.

II, C, 5 et 6)

comme un énoncé à la source duquel est désigné un point de vue de vérité, tiré des informations reçues par un locuteur. L'optatif peut être assertif, bien qu'il désigne un point de vue non actuel. Deux cas se présentent. - Il peut s'agir d'un point de vue de vérité adopté dans le passé par un premier locuteur et rapporté par un second locuteur. L'assertion en ce cas n'est pas assumée par le second locuteur, mais seulement signifiée et attribuée à un énonciateur, qui est le premier locuteur (voir ci-dessus, chap.

II, D).

- Il peut s'agir d'un point de vue de vérité partiellement fictif, c'est-àdire d'un point de vue tiré à la fois d'une fiction et d'informations reçues du réel (voir ci-dessus, chap. II, B). L'assertion à l'optatif est donc une assertion d'un type particulier. Hors du premier cas, qui est celui de l'optatif oblique, elle peut se définir de deux façons différentes, comme assertion conditionnée ou comme assertion de possibilité. L'assertion conditionnée s'oppose à l'assertion non conditionnée. Toute assertion d'apodose est conditionnée, quelle que soit la forme de la protase, pourvu que celle-ci ne soit pas seulement amplificatrice (voir cidessus note 34), ou ne soit pas une restriction faite aprés coup. L'assertion conditionnée à l'optatif n'est donc qu'un cas particulier d'assertion conditionnée. Sa particularité est que la condition modifie en profondeur son cadre énonciatif (voir chap. II, B).

172

3° PARTIE - OPTATIF

L'assertion d'existence

de (ou

possibilité

(ou

d’inexistence).

d'impossibilité)

Cette

dernière

s'oppose

est exprimée

à par

l'assertion le mode

indicatif, qui donne une représentation du réel. Mais il existait dans la langue homérique deux sortes d’assertions de possibilité, selon le mode employé, subjonctif ou optatif. Il importe de les distinguer. Ce

qui

permet

d'opposer

une

assertion

conditionnée

à une

assertion

de possibilité est la présence ou l'absence d'une condition dans le contexte. - Assertion

conditionnée :

Il. 6. 284-5: ei κεῖνόν γε ἴδοιμι... φαίην κε... « Si je le voyais.., alors je dirais. » - Assertion de possibilité : Il. 9. 57:

.. ἐμὸς δέ κε Kai πάϊς εἴης « Et tu pourrais

même

être mon

fils. »

Cette distinction n'est cependant pas fondamentale, dans la mesure où une condition est implicitement suggérée par l'assertion de possibilité. En fait, on passe insensiblement de l’assertion conditionnée à l'assertion de possibilité.

B. L'ASSERTION

CONDITIONNÉE

À L'OPTATIF

L'optatif distingue un certain type d'assertion conditionnée en déterminant d'une certaine façon la source de l'énoncé, alors que le contenu de celui-ci demeure indéterminé. Cette particularité a une incidence sur l'emploi de la négation οὐ, et surtout des particules ke ou ἄν. l. Indétermination

du contenu

de l’enonce:

Le contenu de l'énoncé conditionné à l'optatif est souvent la représentation d'un événement placé dans le présent ou l'avenir. C'est le cas de φαίην κε « alors je dirais » en Il. 6. 284-5 évoqué ci-dessus. Mais l'événement peut aussi étre représenté Il. 1. 232:

dans

le passé:

ἦ γὰρ ἄν, ᾿Ατρεΐδη, νῦν ὕστατα λωθήσαιο « Sans quoi, fils d’Atree, tu aurais aujourd’hui lance ton dernier outrage. » En outre, lorsque l'assertion à l'optatif peut être confrontée au point de vue du locuteur, elle apparaît le plus souvent comme fausse de ce point de vue. Ainsi, en Il. 1. 232 ci-dessus, le point de vue d'Achille

CH. V - ASSERTIF

173

est en fait qu'Agamemnon n'a pas fini de lancer des outrages, puisqu'il n'a pas été tué à la suite de celui qu'il vient de lancer. Mais il n'en est pas toujours ainsi. IL 19. 321-2:

… OÙ μὲν γάρ τι kaxótepov ἄλλο πάθοιμι, οὐδ᾽ εἴ κεν τοῦ πατρὸς ἀποφθιμένοιο πυθοίμην, « Car je ne souffrirais pas un plus grand malheur, même si j'apprenais la mort de mon père. » Achille aurait pu dire la même chose de son propre point de vue, sans condition : « Je ne souffrirai jamais un plus grand malheur. » De même, bien que τό xe βουλοίμην « je le voudrais » implique le plus souvent

qu'on

ne

veut

pas,

parce

que

toutes

les

conditions

ne

sont

pas

remplies, il arrive pourtant qu'on exprime ainsi un accord. Od.

11. 356-8:

el κε καί eig ἐνιαυτὸν ἀνώγοιτ᾽ αὐτόθι μίμνειν /.. καί κε τὸ βουλοίμην... « Même si vous me demandiez de rester ici un an, je l'accepterais. » Alkinoos vient de demander ä Ulysse de rester un jour. Ulysse exprime ainsi son accord. La relation du locuteur au contenu de l'énoncé est donc trés variable. Le contenu peut être placé n'importe où dans le temps. De plus, si le locuteur adoptait un point de vue entiérement tiré de la situation de discours, il dirait selon les cas la méme chose ou le contraire de ce qu'il dit d'un point de vue partiellement fictif. 2. Détermination

de la source

de l'énoncé:

À la source de tout énoncé conditionné, qu'il soit ou non à l'optatif, se trouve un élément hypothétique, c'est-à-dire non tiré de la situation de discours. L'emploi ou non de l'optatif dépend de la nature de l'hypothése, qui varie en fonction du mode de la protase. a. Subjonctif dans la protase: L'hypothése au subjonctif suppose la manifestation d'un événement physique s'ajoutant à la situation de discours événementielle: c'est une hypothese de simple addition événementielle. Une telle hypothése ne change rien à ce que le locuteur tire de la situation de discours, c'est-àdire à ce qu'il croit savoir. Le nouveau point de vue ainsi constitué n'est donc que le point de vue du locuteur enrichi d'un élément. C'est pourquoi une telle hypothése, qui n'impose aucun rejet du point de vue actuel, n'entraine pas par elle-méme l'emploi de l'optatif dans l'apodose. Il. 22. 86-7: … Εἴ nep γάρ GE κατακτάνῃ, OÙ σ᾽ ét ἔγωγε κλαύσομαι ἐν λεχέεσι... « Car 5}} te tue, je ne te pleurerai pas sur un lit funebre. » Pour affirmer «je ne te pleurerai pas sur un lit funèbre », Hécube

174

3° PARTIE - OPTATIF

adopte un point de vue tiré de sa situation de discours sans restriction, mais en l'enrichissant au contraire d'une éventualité : la mort hypothétique de son fils Hector. L'emploi en ce cas d'un optatif dans l'apodose a toujours une raison autre que l'hypothése au subjonctif. Le plus souvent, cet optatif n'est pas un optatif d'assertion conditionnée, mais un optatif d'assertion de possibilité. Od.

12. 287-8:

… πῇ κέν τις ὑπεκφύγοι αἰπὺν ὄλεθρον ἦν πὼς ἐξαπίνης ἔλθῃ ἀνέμοιο θύελλα ; « Comment pourrait-on éviter l'abime du trepas, si soudain arrive une bourrasque ? » L'apodose est ici une interrogation oratoire exprimant l'impossibilité du salut. Elle serait à l'optatif méme en l'absence de la protase?®. b. Indicatif dans la protase: L'hypothèse Elle ajoute à qui est aussi aussi, ne rien c'est-à-dire à Od. 6. 282:

à l'indicatif est aussi normalement une hypothèse d'addition. la situation de discours un acte d'assertion hypothétique, une sorte d'événement. Une telle hypothése peut donc, elle changer à ce que le locuteur tire de la situation de discours, son point de vue actuel.

βέλτερον, ei... πόσιν εὗρεν « (Je dis) tant mieux, si (l'on me dit qu) elle a trouvé un mari. » Pour dire « tant mieux », le Phéacien mal intentionné adopte un point de vue tiré de la situation de disours, sans restriction, mais enrichi de l'événement que constitue l'annonce de la nouvelle « Nausicaa a trouvé un mari ».

Cependant, l'élément ajouté est alors un événement d'un type particulier. C'est un acte d'assertion et cet acte d'assertion peut parfois contredire quelque chose que le locuteur tire de sa situation de discours. En ce cas, l'hvpothése l'oblige à faire abstraction de quelque chose qu'il croit savoir. Cette restriction mentale implique qu'il ne peut plus adopter son point de vue actuel. L'apodose est alors à l'optatif. Il. 1. 293-4:

Ἦ γάρ κεν δειλός τε καὶ οὐτιδανὸς καλεοίμην εἰ δὴ σοὶ πᾶν ἔργον ὑπείξομαι « Car je passerais certes pour lâche et méprisable, si vraiment (j'admettais que) je dois te céder en tout. » Achille prenant comme hypothèse l'énoncé qui accepte la prétention d’Agamemnon à être obéi, doit pour cela faire abstraction de sa propre opinion.

En

ajoutant

à sa situation

de discours

un énoncé

que

pour

sa

part il refuse, une telle hypothèse se substitue à ce qu'il pense. Ce n'est 38. Il en est de méme en Jliade 4 97-8, 9 362-3, 13 377.80, 17 38-9, 24 686 ; Odyssee 1 287-8, 11 104.

CH. V - ASSERTIF

175

plus une simple hypothèse d’addition événementielle, cela devient une hypothèse de substitution mentale. Ce phénomène se produit surtout avec une protase au passé, introduite par ei μή. IL 5. 311-2: καί νύ xev ἔνθ᾽ ἀπόλοιτο ἄναξ ἀνδρῶν Αἰνείας εἰ μὴ ἄρ᾽ ὀξὺ νόησε... ᾿Αφροδίτη « Alors aurait péri Énée chef de guerriers, n'était que (= si je ne disais pas que) de son regard perçant Aphrodite le vit. » L'aéde rejette par hypothèse un énoncé qu'en méme temps il affirme comme vrai. L'optatif dans l'apodose, en indiquant l'adoption d'un point

de vue non actuel, traduit la restriction mentale que cela implique?. c. Optatif dans la protase: L'hypothése à l'optatif, qui suppose l'adoption d'un point de vue fictif, oblige toujours le locuteur à faire abstraction d'une partie de son état mental. Ce peut étre, comme dans les exemples ci-dessus, quelque chose qu'il affirme

ou

pense.

Mais ce peut

étre aussi simplement

une absence

d'opinion, une ignorance. Il. S. 273: ei τούτω κε λάθοιμεν, ἀροίμεθά xe κλέος ἐσθλόν « Si alors nous les prenions tous les deux, nous y gagnerions une belle gloire. » Ne sachant pas s'il parviendrait à prendre les chevaux d'Énée, Diomede avait deux possibilités: - Il aurait pu faire une hypothèse au subjonctif, et employer l'indicatif futur dans l'apodose: « Si nous les prenons, nous gagnerons une belle gloire. » Il aurait alors supposé un événement présenté comme non prévisible, car placé hors du réel Cette imprévisibilité inhérente à l'événement lui permettrait d'en faire l'hypothése sans pour autant faire abstraction de son ignorance, donc sans restriction mentale. - Il a choisi une hypothése à l'optatif, ne supposant pas l'événement lui-méme, mais la prévision de l'événement. Une telle hypothése implique qu'il fasse abstraction de sa propre ignorance. L'optatif de l'apodose, en indiquant l'adoption d'un point de vue fictif, traduit cette restriction mentale. Ce choix de Dioméde lui permet de marquer de la considération pour ce qu'il ignore : son ignorance lui cache des faits qu'il pourrait connaitre, empéchement matériel, refus de son compagnon, volonté hostile des dieux ; des obstacles cachés peuvent vouer l'entreprise à l'échec. Il peut en résulter l'impression d'une moindre probabilité. Mais le plus souvent, on exprime ainsi de la déférence pour l'opinion ou l'intention non connue d'autrui ou des dieux. d'où des valeurs diverses de politesse ou de crainte superstitieuse. C'est le cas ci-dessus en Il. 5. 273, où Dioméde 39. On a plus fréquemment chap. III, B.

l'indicatif secondaire

avec

particule.

Voir quatriéme

partie,

176

3° PARTIE

- OPTATIF

suppose comme fictive une prévision de succès pour ménager à la fois la volonté des dieux et le bon vouloir de son compagnon, de qui ce succès dépend. L'assertion conditionnée à l'optatif se distingue donc des autres assertions conditionnées par une restriction mentale: le locuteur ne s'appuie que sur une partie de ce qui constitue son point de vue sur le monde. Il est fait abstraction du reste, qui est remplacé par quelque chose qu'il ne pense pas, soit qu'il pense le contraire, soit qu'il s'avoue non informé. C'est cette fiction, substituée à une partie.de son point de vue réel, qui entraine l'emploi de l'optatif. 3. L'emploi

des particules xe ou ἄν, et de la négation où:

On a vu qu'avec l'optatif aprés ei (souhait Ke est (rarement) employée pour indiquer le Cet emploi est trés général dans les assertions un point de vue en partie fictif qui est le introduite en protase. Il. 6. 284-5: ei κεῖνόν γε ἴδοι...

ou hypothese) la particule prolongement d'une fiction. conditionnées, où s'exprime prolongement de la fiction

φαίην κε...

« Si je le voyais..., alors je dirais... » Dans cet emploi, la particule n'a pas la valeur temporelle qu'elle avait avec un subjonctif. Elle ne permet plus d'envisager le prolongement événementiel

de la situation

de discours événementielle,

mais le prolon-

gement mental, ou logique, d'une fiction. La particule ἄν est rarement employée. Elle a une valeur expressive, soulignant un contraste entre les deux étapes de la fiction. Od. 2. 76: el x’ ὑμεῖς γε φάγοιτε, τάχ᾽ ἄν note καὶ τίσις εἴη

«Car

si c'était

serait ma

vous

qui

alors

mangiez

mon

bien,

rapide

en

retour

vengeance. »

L'absence de particule est tout à fait exceptionnelle dans les apodoses à l'optatif. Il s’agit alors moins d'une assertion conditionnée, avec enchainement logique, que d'une simple suggestion, ou d'un souhait. Il. 5. 214-5: αὐτίκ᾽ ἔπειτ᾽ An’ ἐμεῖο κάρη τάμοι ἀλλότριος φώς, ei μὴ ἐγὼ τάδε τόξα φαξινῷ ἐν πυρὶ θείην « Puisse alors quelqu'un d’autre aussitôt me couper la tête, si je ne jetais pas cet arc dans un feu flamboyant. »* La négation où est parfois associée à une particule (οὗ xev ou οὐκ ἄν, avec parfois les deux leçons attestées). L'ensemble est alors placé en tête de lapodose, ce qui suggère un emploi supra-propositionnel et polémique

de où.

40. Exemple identique en Odyssée 16 102. En Iliade 4 18, on a plutôt une suggestion qu'un souhait.

CH.

V - ASSERTIF

177

Il. 9. 125:

où κεν ἀλήιος εἴη ἀνὴρ ᾧ τόσσα γένοιτο « Il ne serait pas sans butin, l'homme qui recevrait tant. » On peut comprendre : « Je ne pense pas qu'il serait alors sans butin. » La négation

exprimerait alors un jugement

extérieur à

la fiction, portant

sur l'assertion conditionnée. Ce sens conviendrait assez bien à l'intention polémique d'Agamemnon, qui répond ici à Nestor, lequel lui a reproché d'avoir pris à Achille sa part de butin. Agamemnon vient de proposer de verser une forte compensation. Mais rien n'empéche de considérer le jugement négatif comme intérieur à la fiction, c'est-à-dire émis à partir d'un point de vue en partie réel, en partie fictif. L'emploi de où est alors simplement propositionnel et non polémique : « Je pense qu'alors il ne serait pas sans butin... »

C. DE L'ASSERTION

CONDITIONNÉE

À CELLE

DE POSSIBILITÉ

C'est la présence d'un contexte conditionnant qui distingue l'assertion conditionnée de l'assertion de possibilité à l'optatif. Mais ce contexte est plus ou moins explicite et plus ou moins détaché de l'assertion à l'optatif. On passe donc progressivement de l'assertion conditionnée à l'assertion de possibilité, à mesure que le contexte conditionnant perd de son autonomie. l. La parataxe:

Le contexte conditionnant Od.

peut étre un souhait à l'optatif.

15. 180-1:

Οὕτω viv Ζεὺς Bein... τῷ κέν τοι... εὐχετοῴμην « Plaise à Zeus d'agir ainsi..! En ce cas, nous t’invoquerions... » Ce peut étre aussi n'importe quel emploi de l'optatif. Il. 3. 52-3: Οὐκ àv δὴ μείνειας...

γνοίης χ᾽...

« Ne pourrais-tu pas affronter...? Alors tu apprendrais... » Mais l'énoncé conditionnant peut être aussi à un autre l'optatif, au subjonctif ou à l'impératif. Od. 2. 3324:

mode

que

Τίς οἶδ᾽ el κε... … ἀπόληται... οὕτω κεν... ὀφέλλειεν πόνον « Qui sait ? Peut-être va-t-il La mort de Télémaque est un ton polémique, comme une (voir deuxiéme partie, chap.

ἄμμι périr.. Il accroitrait ainsi notre besogne... » d'abord envisagée par les prétendants, sur éventualité non prévisible, mais imaginable II, C). Mais ensuite, le passage à l'optatif

178

3° PARTIE

- OPTATIF

indique une restriction mentale, les pretendants faisant une prevision marquée comme fictive, puisque ce qu'ils savent du réel ne leur permet pas de la faire. Cette prévision correspondrait à leurs plus chers désirs, comme c'est habituellement le cas avec l'optatift!. Le premier terme de la parataxe peut aussi étre une assertion négative

à l'indicatif. La fiction alors est tirée de ce qui vient d'étre nié. Il. 24. 35-8: τὸν νῦν οὐκ ErAnte... δαῶσαι

uf

τοί κέ μιν ὦκα

ἐν πυρὶ κήαιεν... « Voici

que

vous

n’avez

pas eu

le courage

de preserver

(son cadavre,

pour ses proches). Ceux-ci l'auraient brülé bien vite sur un bücher. » Pour énoncer cette derniére assertion, Apollon fait abstraction de quelque chose qu'il sait et qui est précisément ce qu'il vient de dire. On peut sous-entendre « sinon ». Les relatives consécutives,

aprés

forme syntaxique de ce type de Il. 14. 299: ἵπποι δ᾽ où παρέασι καὶ ἅρματα « Il n'y a là ni attelage ni char C'est-à-dire : « où tu monterais, 2. Le système

principale

négative,

sont une

mise en

parataxe. τῶν x’ Embaing où tu puisses monter. » s'il y en avait. »

hypothétique :

Le système hypothétique se distingue de la parataxe en ce que la protase n'a pas d'autre fonction que de préciser le cadre énonciatif de l'apodose. Elle n'a donc pas de véritable autonomie, et un changement de mode du subjonctif à l'optatif, comme ci-dessus en Od. 2. 3324, est en principe impossible entre protase et apodose à moins que l'optatif ne se justifie autrement que par la protase. Avec une apodose conditionnée à l'optatif, la protase est donc soit à l'indicatif (on fait abstraction d'un savoir, voir ci-dessus), soit à l'optatif (on fait abstraction d'une ignorance, voir ci-dessus).

d'un

savoir ou

La protase n'est pas toujours introduite par ei. A défaut de véritable autonomie sémantique, elle peut avoir une apparence d'autonomie syntaxique (voir chap. II, A). Avec

ei,

la

protase

est

le

plus

souvent

antéposée

(environ

3/4

des

exemples), contrairement aux protases au subjonctif. C'est certainement dû à une plus profonde modification du cadre énonciatif, l'hypothèse étant de substitution et non plus de simple addition, avec la dépendance modale que cela entraine. Les protases à l'optatif postposées sont le plus souvent restrictives, ou sont des concessives-conditionnelles (voir chap. IV, D, 3). 4l. I peut aussi arriver que l'emploi de l'optatif ne résulte pas du contexte mais qu'on ait un simple optatif de possibilité (Odyssée 10 269).

précédent,

179

CH. V - ASSERTIF

Les temporelles et les relatives hypothetiques à l'optatif de fiction fonctionnent tout à fait comme des protases de systèmes hypothétiques. 3. L'assertion

x

à condition

interne:

Le contexte conditionnant peut étre introduit dans l'assertion conditionnée. Le cas le plus proche du systéme hypothétique est celui du participe apposé hypothétique. Il. 24. 661:

ὧδέ κέ μοι ῥέζων κεχαρισμένα Being « Agissant ainsi, tu me

ferais plaisir. »

C'est-à-dire : « Si tu agissais ainsi... » La condition est davantage intégrée à l'assertion lorsqu'elle est seulement suggérée

par un complémént.

Il. 20. 367: καί κεν ἐγὼν ἐπέεσσι καὶ ἀθανάτοισι μαχοίμην « Moi aussi, avec des mots, je combattrais même les immortels. » Un point de vue fictif est suggéré aussi bien par ἐπέεσσι «avec des mots », que par καὶ ἀθανάτοισι « méme les immortels ». Dans certains cas, c'est le sujet lui-méme qui suggére une fiction. Le sujet implique en effet la présence de ce qu'il désigne à l'événement représenté. C'est cette présence qui peut définir un point de vue fictif.

Ainsi dans la formule φαίης xe « Tu aurais dit», il faut sous-entendre «si tu avais été là », d'où le sens indéfini «on aurait dit» (par exemple en Il. 3. 220). Il peut aussi s'agir d'un événement actuel. Il. 20. 358-9: οὐδέ K’ Ἄρης... οὐδέ x’ ᾿Αθήνη τοσσῆσδ᾽ ὑσμίνης ἐφέποι στόμα... « Ni Ares... ni Athena ne maitriseraient la gueule d'une telle mélée. » Il faut sous-entendre « s'ils étaient ici ». Méme un infinitif complément du verbe principal peut étre ce qui suggére

une

condition.

Il. 15. 197-8: θυγατέρεσσιν γάρ TE καὶ υἱάσι κέρδιον ein ... ἐνισσέμεν... « Il ferait mieux de s'en prendre à ses filles et à ses fils. » C'est-à-dire : « Il agirait mieux, s'il s'en prenait. » Il peut enfin en être ainsi du verbe principal lui-même, pourvu qu'il n'exprime pas le propos, c'est-à-dire ce qui est asserté. C'est le cas en particulier lorsqu'il est accompagné d'un attribut, ou d'un adverbe comme peia « aisément », sur lequel porte l'assertion. Od. 23. 60:

Οἶσθα yàp ὥς x’ ἀσπαστὸς ἐνὶ μεγάροισι φανείη « Tu sais en effet comme il serait bien accueilli, s'il paraissait en sa demeure. » Le mot à mot serait : « ... comme il paraitrait en sa demeure bien accueilli. »

180

3° PARTIE - OPTATIF

4. L'assertion de possibilité et ses variantes : L'assertion de possibilité à l'optatif n'est qu'une assertion conditionnée dont la condition est entièrement implicite. C'est en fait l'expression d'une certitude à laquelle il manque, pour étre compléte, un élément qui n'est pas précisé, ce qui la distingue de l'assertion de possibilité au subjonctif. Il. 2. 12: … Νῦν γάρ xev ἕλοις πόλιν... « Car maintenant, tu pourrais prendre la ville. » L'emploi du subjonctif signifierait : « Il se peut que tu prennes la ville », c'est-à-dire qu'il n'y a pas d'obstacle actuellement à la prise de Troie, sans que celle-ci soit pour autant prévisible. L'emploi de l'optatif signifie en revanche que certains faits connus rendraient la chute de Troie prévisible si l'on pouvait prendre en compte d'autres faits, non connus ou contredits par ce qu'on sait. Ces derniers faits ne sont pas précisés. Le sens exact est donc : « Maintenant, sous certaines conditions, tu prendrais

la ville. » La possibilité à l'optatif s'appuie donc toujours sur des données qui permettraient de prévoir ou d'affirmer. Selon la nature de ces données, la possibilité est materielle ou psychologique. On distinguera en outre selon que la possibilité est affirmée, niée (impossibilité) ou mise en question. a. La possibilité affirmée : On

affirme

moyens

une

nécessaires

possibilité

matérielle

pour accomplir

lorsqu'on

quelque

affirme

qu'on

a les

chose.

Il. 13. 815-6:

ἦ κε πολὺ φθαίη... πόλις ὑμὴ … ἁλοῦσα... « Longtemps

avant, votre

cité pourrait

Pour dire cela, Ajax se fonde vers 811

suggérée Zeus

et 814: « nous aussi avons

par

qui nous

le contexte,

bien

être prise. »

sur la valeur guerrière

des Argiens

(cf.

des bras »). La condition manquante,

est la volonté

de Zeus

(cf. vers 812:

« C'est

a domptés »).

Ce n'est pas, comme on le dit parfois, une affirmation atténuée, mais une affirmation forte, comme le montre l'emploi fréquent de la particule affirmative À. Seulement, elle est limitée, bridée par une restriction mentale implicite (ici: «si Zeus le voulait »). Si la condition manquante est la volonté de l'interlocuteur, l'énoncé peut devenir un appel à cette volonté, c'est-à-dire un ferme conseil. Od.

1. 288:

ἦ τ᾽ ἂν τρυχόμενός περ ἔτι τλαίης ἐνιαυτόν « Tu pourrais bien, malgré ta lassitude, attendre encore un an.» On peut sous-entendre « si tu voulais ».

CH. V - ASSERTIF

181

La possibilite est psychologique lorsque le locuteur se fonde sur sa propre volonté. C'est habituellement pour proposer son intention à la volonté de l'interlocuteur. On peut sous-entendre « si tu voulais ». Il. 9. 417:

xai δ᾽ Gv... παραμυθησαίμην « Et je pourrais méme conseiller, à rebours... »*? b. La possibilité niée (impossibilité) : L'impossibilité est matérielle lorsqu'on nie l'existence des moyens nécessaires pour accomplir quelque chose, quelle que soit la volonté qu'on y mette. Il. 17. 711: où γάρ πως ἂν γυμνὸς ἐὼν Τρώεσσι μάχοιτο « Car, sans armes comme il est, il ne pourrait se battre contre les Trovens. » Une telle assertion d'impossibilité est parfois accompagnée d'une concessive-conditionnelle

(Il. 8. 21-2, Od.

3. 226-7).

L'impossibilité est psychologique lorsqu'on nie l'existence de la moindre volonté favorable à un acte, quelles que soient les sollicitations extérieures. C'est le plus souvent l'expression d'un refus définitif du locuteur. Il. 1. 301:

τῶν οὐκ ἄν τι φέροις... « Tu n'en saurais rien emporter. » On peut sous-entendre « méme si tu le voulais » ou « quoi que tu fasses ».

Dans d'autres cas, il s'agit de l'absence de volonté d'un agent principal. Il. 24. 439: οὐκ ἄν τίς τοι... μαχέσαιτο « Personne ne saurait t'attaquer. » On peut sous-entendre « quelle que soit son audace ou sa force ». Dans tous ces exemples le sens est: « Un fait de la réalité rend telle chose impossible, et aucune modification fictive du reste de la réalité ne la rendrait possible. » c. La possibilité mise en question: S'interroger sur une possibilité matérielle est le plus souvent un procédé détourné et expressif pour la nier. C'est le cas de l'interrogation oratoire.

Il. 17. 149: Πῶς κε σὺ... σαώσειας... ; « Comment toi pourrais-tu sauver... ? » On peut sous-entendre « quoi que tu fasses ».

En revanche, s'interroger sur une possibilité psychologique, c'est habituellement se demander si l'interlocuteur ou un tiers consentirait à une action, en sous-entendant «si je le lui demandais ». Cela revient à faire une requéte polie. 42. Cf. Iliade

15 45 et 23

151, sans particule

(cité ci-dessus,

chap.

II, B).

182

3€ PARTIE

- OPTATIF

Il. 10. 303: Τίς κέν μοι τόδε ἔργον... τελέσειε; « Qui pourrait (= voudrait) accomplir pour moi l'action suivante ? » On peut donc toujours sous-entendre une condition qui modifierait le point de vue actuel. Cette condition n'est pas exprimée parce qu'elle résulte du contexte ou de la situation, ou bien parce qu'elle est indéterminée («quoi qu'on fasse »). L'assertion de possibilité n'est donc qu'un cas limite de l’assertion conditionnée. La possibilité psychologique conduit à des énoncés ayant une valeur volontative (proposition, refus). Ce n'est qu'un effet de sens dû au fait que l'assertion se fonde sur l'attitude du locuteur. L'optatif est alors souvent une marque de politesse indiquant qu'on prend aussi en considération d'autres elements, comme l'attitude d'un interlocuteur, dont

on

ne veut

pas paraitre

D. L'ASSERTION

préjuger.

DE POSSIBILITÉ À L'OPTATIF

Comme l'optatif, le subjonctif peut, chez Homère, exprimer une possibilité, matérielle ou psychologique. la possibilité psychologique peut alors s'exprimer dans une proposition, comme, en Il. 9. 121, ὀνομήνω «je

peux

vous

énumérer », c'est-à-dire

« je suis prêt

à vous

énumérer ».

Avec οὐ, le subjonctif peut de méme exprimer, comme l'optatif, une impossibilité ou un refus (voir deuxiéme partie, chap. IV, A, 1). Mais ce sont deux possibilités différentes. Celle qu'exprime le subjonctif est liée au cours

des événements

et suggére

une

attente, ce que

ne fait

pas celle qu'exprime l'optatif, qui demeure une possibilité logique et fictive. Cette opposition peut étre précisée à la fois à la source de la possibilité et dans son contenu. Il en résulte des emplois différents de la négation et surtout des particules. 1. La source de la possibilité : La possibilité exprimée à l'optatif n'est pas une possibilité moins bien fondée, donc de moindre probabilité. C'est seulement une possibilité exprimée avec plus de prudence, dans la mesure où l'on prend en considération certains éléments non connus du locuteur. Comme on l'a observé dans les alternatives qui opposent un subjonctif et un optatif, l'optatif correspond à l'alternative désirée. Il. 18. 308:

… À κε φέρῃσι μέγα κράτος, À KE pEpoiunv «Il

peut

aussi

bien

remporter

une

grande

victoire, je pourrais

aussi

bien la remporter pour moi. » On peut y voir l'indice d'une crainte superstitieuse. Le locuteur prend en considération la volonté divine, qu'il ne connait pas, par peur de se l'aliéner. On

peut

sous-entendre

« si la divinité

le voulait

bien ».

CH. V - ASSERTIF

183

De même, l’optatif de la proposition polie peut correspondre à une volonté bien arrêtée. En Il. 23. 151, Achille disant ὀπάσαιμι « j'offrirais volontiers » est en fait plus décidé qu’Agamemnon en Il. 9. 121, lorsqu'il dit ὀνομήνω « je peux énumérer ». Mais Achille doit prendre en considération la volonté de Sperchios, qui sera privé de l'offrande promise d'abord à lui, d'ou la condition implicite « si tu y consentais ». Selon l'importance de la restriction mentale ainsi pratiquée, le rapport entre la possibilité exprimée et ce qu'on considere comme vrai peut étre trés variable. L'optatif de politesse ne fait abstraction que d'une ignorance, celle oü l'on est de la volonté ou de l'opinion d'autrui. Il exprime donc ce qu'on considére en fait comme vrai. IL 19. 218: … ἐγὼ δέ xe σεῖο νοήματί ye npoßakoiunv « Mais pour la réflexion, il se pourrait que je te sois supérieur. » Ulysse a reconnu la supériorité physique d'Achille, mais il se réserve celle du jugement. S'il emploie l'optatif, c'est uniquement par respect de l'opinion d'Achille. On peut sous-entendre: « Si tu me l'accordais ». Mais l'optatif peut aussi indiquer qu'on fait abstraction d'un savoir. La possibilité exprimée est alors contraire à la vérité. Il. 9. 57: … ἐμὸς δέ κε καὶ πάις εἴης « Et tu pourrais même être mon fils. » Nestor sait que Diomède n'est pas son fils. Il fait abstraction de ce savoir pour n'en juger que d'après la différence d'âge. La

possibilité

au

subjonctif

est

en

revanche

une

possibilité

sans

restriction mentale. Elle ne fait abstraction ni d'une ignorance, ni d'un savoir. Prenant sa source dans tout le réel, c'est une possibilité que rien n'empéche (absence d'obstacle), alors que la possibilité à l'optatif est une possibilité que quelque chose permettrait (mise à l'écart d'obstacles connus ou

non).

La restriction mentale qu'implique l'optatif permet parfois de tromper un interlocuteur en lui celant une part de la vérité, mais sans mentir. Il. 2. 29: … Νῦν γάρ κεν ἕλοις πόλιν... « Car maintenant, il se pourrait que tu prennes la ville. » Ici Zeus trompe Agamemnon

en ne lui revelant que ce qui lui permettrait

de prendre bientôt la ville de Troie, c'est-à-dire l'accord unanime des dieux sur la chute finale de Troie (cf. vers 30-3). Il lui cache ce qui l'empêche dans l'immédiat (le délai demandé par la mère d'Achille, Thétis, et accepté par lui). Avec la négation où, le subjonctif signifie « quelque chose empêche que » (présence d'un obstacle). L'optatif en revanche signifie « rien ne permettrait que ». C'est là une expression plus forte de l'impossibilité. Cela peut expliquer pourquoi l'emploi de l'optatif est largement prédominant.

184

3€ PARTIE - OPTATIF

2. Le contenu de la possibilité : La possibilité au subjonctif, qui s'appuie sur tout le réel, est celle du réalisable. Le possible est alors un événement, situé hors du réel car non assuré par le réel, mais non empéché non plus, c'est-à-dire sans prédétermination actuelle. Ses conditions d'existence peuvent apparaitre dans le cours des événements. Une telle possibilité est d'ordre temporel, méme si elle a une valeur générale. La possibilité à l'optatif, qui ne s'appuie que sur une partie du réel, n'est pas celle du réalisable. Elle est d'ordre purement mental ou logique. Aussi le contenu d'une telle possibilité n'est-il pas fixé dans le temps et dans ses rapports avec la vérité, pas plus que celui de l'assertion conditionnée. On pourra par exemple opposer les exemples évoqués cidessus : - En Il. 2. 29, le contenu est placé dans l'avenir proche: « Tu pourrais bientót prendre la ville. » - En IL 9. 57, le contenu est placé dans le présent: « Tu pourrais être mon fils. » Le contenu peut aussi étre placé dans le passé. Il. 19. 90: ᾿Αλλὰ τί κεν ῥέξαιμι ;... « Mais qu’aurais-je pu faire ? » C'est ce qu'on appelle un potentiel du passe.

3. L'emploi des particules et de la négation où: Avec le subjonctif, les particules font attendre un événement: elles expriment un enchainement temporel. Avec l'optatif, elles enchainent un point de vue fictif à un autre, dans une succession logique ou mentale. C'est pourquoi on peut les trouver avec un optatif de possibilité portant sur le présent, comme en Il. 9. 57: «tu pourrais étre mon fils », ou sur le passé, comme en Il. 19. 90: « qu'aurais-je pu faire ? » Les particules sont plus souvent absentes avec un optatif de possibilité qu'avec un optatif conditionné. C'est sans doute que, toute condition étant implicite, l'enchainement qui fait attendre logiquement un point de vue en partie fictif est moins apparent, alors qu'un tel enchainement mental est rendu trés apparent par la liaison de l'apodose à la protase. Cette absence de particule s'observe surtout avec où. Il. 5. 303: .. 6 οὐ δύο γ᾽ ἄνδρε φέροιεν «..(un rocher) que deux hommes ne pourraient porter. »*

43. Cf. ausi /liade

19 321, 20 426-7 ; Odyssée

14 122,

17 455.

CH. V - ASSERTIF

185

Pour la méme raison, la particule est plus souvent &v. Souvent en effet, on enchaine moins un point de vue en partie fictif à un autre

point de vue

fictif qu'on

C'est

le

surtout

cas

ne l'oppose au point de vue

dans

le

tour

négatif

avec

οὐκ

réel et actuel. ἄν,

et

dans

les

interrogations oratoires (πῶς ἄν, τίς ἄν), tours qui ont souvent une valeur polémique (refus...) Mais l'affirmation aussi peut avoir un caractére polémique, en particulier

avec À τ᾽ ἄν. Ainsi en Od. 1. 288, Athena fait abstraction de la lassitude actuelle de Télémaque, pour affirmer une possibilité qui est un encouragement

s'opposant

à l'attitude

de

Télémaque

(voir ci-dessus

sous

C, 4).

Il en est de méme avec xai... ἄν. Il. 9. 417: καὶ δ᾽ ἂν toig ἄλλοισιν ἐγὼ παραμυθησαίμην « Et je pourrais même conseiller au contraire à vous autres, quant à moi... » Achille fait une proposition qui s'oppose à l'attitude de ses interlocuteurs et à ce qu'ils attendent de lui. La

fréquence

de

cette

valeur

polémique

souvent introductrice, est alors polémique « il est faux que ».

suggère

que

la négation

supra-propositionnelle,

avec

le

οὐ,

sens

Il. 24. 439:

οὐκ ἄν τίς τοι... μαχέσαιτο « Il est faux que quelqu'un pourrait t'attaquer. » Mais cette valeur n'est pas toujours assurée. Elle est en tout cas improbable lorsque où n'introduit pas la proposition et suit méme la particule, que ce soit ἄν ou κε. Il. 8. 143: … ἀνὴρ δέ κεν où τι Διὸς νόον εἰρύσσατο « Mais un homme, cela ne saurait repousser le dessein de Zeus. » L'antéposition de ἀνήρ «un homme » permet de définir d'emblée un point de vue fictif, en sous-entendant « quoi qu'il fasse ». De ce point de vue fictif, on est logiquement conduit à celui qui ferait rejeter toute représentation d'un homme l'emportant sur Zeus^. Avec l'optatif, la particule peut donc se trouver devant la négation, sans doute parce qu'elle détermine en ce cas le point de vue qui est à la source de l'énoncé, lequel est hors de la portée de la négation simplement propositionnelle. En revanche, lorsque la particule détermine

le contenu événementiel, avec un subjonctif ou un futur, elle est sous la portée de la négation propositionnelle. Il n'est qu'elle soit toujours en ce cas placée aprés.

44. Exemples

analogues,

16 85, 19 348.

avec

xev:

Odyssée

14

155, 20 368;

avec

donc

dv:

pas

Iliade

étonnant

1 271, Odyssee

186

3° PARTIE

E. CONCLUSION

SUR

- OPTATIF

L'OPTATIF ASSERTIF

Les principaux résultats de l'étude de l'optatif assertif sont les suivants : - Il n'y a pas de différence fondamentale entre l'assertion conditionnée à l'optatif et l'assertion de possibilité à l'optatif, que distingue seulement le caractére plus ou moins implicite d'une condition ou restriction mentale. - Il y a en revanche une différence essentielle entre les assertions à l'optatif, qui retranchent à leur source une part du réel, et les autres assertions, qu'elles soient conditionnées ou non. Avec l'optatif, l'énoncé a bien encore

à sa source

un point de vue de vérité, mais c'est un point

de vue de vérité partiel. On observera cependant par la suite la parenté de l'emploi posthomérique de l'indicatif secondaire avec ἄν. - L'opposition entre le subjonctif, qui détermine le contenu représenté dans l'énoncé, et l'optatif qui détermine le point de vue mis à la source de l'énoncé , a pour conséquence une opposition parallele dans les emplois des particules. Avec le subjonctif, elles font attendre un contenu d'énoncé, c'est-à-dire un événement, dans un enchainement temporel; avec l'optatif, elles font attendre un point de vue, dans un enchainement mental.

CH.

VI - CONCLUSION

187

CHAPITRE

CONCLUSION

SUR

A. DÉFINITION

VI

L'OPTATIF

GENERALE

Tous les emplois de l'optatif homerique d'indiquer l'adoption d'un point de vue qui partiellement, de l'actualité du locuteur. À ce peuvent correspondre ou ne pas correspondre d'énonciation non actuels. En effet, l'optatif ne à un acte mental

explicite non

actuel, mais

ont pour caractéristique n'est pas tiré, au moins point de vue non actuel un énonciateur et un acte renvoie pas par lui-même

seulement

à un état d'esprit

non actuel, ce qu'on a appelé ici un point de vue.

B. DISTINCTION

DES

EMPLOIS

Les emplois de l'optatif se divisent en deux catégories principales selon qu'ils désignent un point de vue non actuel dans le passé ou dans l'imaginaire. - Dans le premier cas, il s'agit d'un optatif dit de subordination dans le passé. Lorsqu'au point de vue passé a été associé un acte mental explicite, on a l'optatif dit oblique (style indirect dans le passé). - Dans le second cas, il s'agit d'un optatif de fiction. Celui-ci est assertif ou non assertif. Il est assertif lorsque la fiction est associée à des facteurs de

vérité

tirés

du

réel.

La

fiction

pure,

non

assertive,

a un

caractère

hypothétique lorsque sa fonction est uniquement de préciser le cadre énonciatif d'une apodose. Non hypothétique, la pure fiction a des emplois divers, plus ou moins volontatifs (suggestion, consentement anticipé, vœu). Ils renvoient souvent à un acte mental attendu qui consisterait à adopter le point de vue fictif désigné. Enfin, il faut mettre à part les emplois qui sont introduits par un μή supra-propositionnel de rejet total et définitif, que ce soit par conviction intime ou par volonté.

188

3 PARTIE - OPTATIF

Chez Homère, il n'y a pas encore de véritable caractérisation morphologique de ces divers emplois. L’optatif d’ironie, optatif désignant un point de vue passé source d'un énoncé fictif, permet même d'établir une continuité entre les deux grandes catégories d'emplois. On peut donc considérer que, dans cet état de langue du moins, l'optatif conserve son unité sémantique, qui permet de l'opposer aux autres modes personnels.

C. POSITION

DE L'OPTATIF DANS

LE SYSTEME

MODAL

La définition générale à laquelle on est arrivé n'oppose pas l'optatif au seul subjonctif, mais à l'ensemble constitué par le subjonctif et l'indicatif. Ces trois modes répondent donc à deux oppositions modales, celle qui oppose le subjonctif à l'indicatif et celle qui oppose l'optatif à l'ensemble des deux autres. Ce sont deux oppositions binaires, la premiére concernant le contenu représenté dans l'énoncé, la seconde concernant le point de vue qui est à la source de l'énoncé. D'où le tableau suivant: contenu

représenté

dans le réel point de vue

actuel non actuel

situé

hors du réel subjonctif

indicatif optatif

Par rapport à ce tableau, l'infinitif pourrait étre défini comme un mode à contenu verbal non représenté (voir deuxiéme partie, chap. V, A), et le participe comme un mode à contenu verbal représenté mais non situé. Tous deux seraient donc extérieurs au tableau (dans les deux cas aucun point de vue n'est spécifié). En revanche, l'impératif-injonctif serait placé dans la méme case que l'indicatif. Celui-ci se distingue par l'adoption d'un point de vue situationnel de vérité, tandis que l'impératif-injonctif signifie l'adoption d'un point de vue simplement positionnel. Mais dans les deux cas, c'est pour représenter un contenu verbal dans le réel, et le point de vue adopté est actuel. Ce tableau est une représentation des oppositions modales dans le grec homérique. Il ne tient pas compte des oppositions temporelles, et en particulier de l'opposition entre indicatif primaire et indicatif secondaire, laquelle jouera aussi, aprés Homére, un róle modal. Il ne tient pas compte non plus de l'opposition entre point de vue assertif (c'est-à-dire de vérité) et point de vue non assertif, qui permettrait de distinguer des emplois différents du subjonctif et de l'optatif. Cette derniére opposition n'est devenue constitutive du systéme modal que dans les langues modernes.

CH. VI - CONCLUSION

D. STATUT

189

MODAL

ET EVOLUTION

DE L'OPTATIF GREC

L'optatif grec porte une valeur générale de dissociation énonciative souvent représentée dans les langues, mais par des formes verbales diverses. En français, cette valeur semble être portée par les formes en -rais, mais aussi parfois par l'imparfait, et, à titre d’archaisme, par le subjonctif imparfait ou plus-que-parfait. En latin déjà, le subjonctif, qui était à l'origine un optatif, n'avait pas toujours cette valeur dans sa forme de présent. La valeur de dissociation énonciative y a été de plus en plus réservée aux formes d'imparfait et de plus-que-parfait. On observe donc une tendance à marquer mieux cette valeur par des formes de passé. Cette tendance s'observera aussi en grec, dès l'époque classique, avec l'apparition de l'indicatif secondaire modal (voir quatriéme partie, chap. III). Cet emploi de formes de passé pour signifier une valeur, pourtant nettement modale, de dissociation énonciative, a fini par faire tomber en désuétude l'emploi de l'optatif grec, qui a disparu du grec moderne. C'est que ce mode souffrait de deux facteurs de déséquilibre, liés à la notion

méme

de dissociation

énonciative.

- D'une part, une dissociation énonciative correspond à un effort du locuteur pour s'extraire de son propre point de vue. Mais il existe naturellement une sorte de force d'inertie qui tend à recentrer l'énoncé sur le locuteur?. Il en résulte une usure des procédés d'expression qui auront donc besoin d'étre renouvelés. Or les marques qui s'usent le moins facilement sont celles qui portent ailleurs une valeur de passé, qui est par elle-méme une valeur de dissociation (mais de dissociation du contenu).

- D'autre part, la valeur de dissociation énonciative ne caractérise pas autrement les énoncés, qui peuvent étre assertifs ou non. Il en résulte une grande disparité dans les emplois, d'où soit la perte de l'unité du mode, soit la spécialisation dans un type d'emploi, de préférence l'emploi non assertif, qui détermine alors une nouvelle valeur du mode. L'optatif indo-européen, qui n'était pas une forme de passé, a dü subir une usure de sa valeur de dissociation énonciative, comme le montrent déjà certains emplois du subjonctif latin, qui en est issu, et certains emplois tardifs de l'optatif grec. En outre, en grec la disparité de ses emplois, de plus en plus spécifiés, a favorisé la disparition du mode en tant qu'unité

syntaxique.

Aujourd'hui, en grec moderne, la valeur de dissociation énonciative est portée par des formes de passé (aprés les préverbes θά et va). Quant au subjonctif latin, issu de l'optatif indo-européen, il s'est prolongé dans les subjonctifs des langues romanes, en particulier du frangais. La valeur de dissociation énonciative s'y est trouvée réservée à des formes dites de passé, que concurrencérent des formes en -ais ou -rais, d'abord dans 45. Voir les notions d'« évasion du nynégocentrisme » et de « réinvasion du nynégocentrisme »

dans Damourette-Pichon,

1911-36, pp. 12, 473, 603.

190

3€ PARTIE

- OPTATIF

les emplois assertifs. La valeur générale du mode, dès lors, n'est plus celle de dissociation énonciative, mais celle de mode non assertif. Les héritiers du subjonctif latin, ex-optatif indo-européen, ont donc rejoint l'héritier du subjonctif grec, qui, lui, était un véritable subjonctif indo-européen (voir deuxiéme partie, chap. V, C). Dans les deux cas, des évolutions convergentes ont eu pour effet de constituer un mode défini comme non assertif, en face de l'indicatif assertif. Celui-ci en effet s'était dés la préhistoire constitué en mode de l'assertion, gráce aux oppositions temporelles, à partir de l'ancien injonctif indo-européen.

QUATRIEME

PARTIE

L'INDICATIF

Définition générale de l'indicatif grec. Cas particulier du futur avec particule et aprés ei. Développement

posthomérique

de l'indicatif secondaire

modal.

192

4° PARTIE - INDICATIF

CHAPITRE

DÉFINITION

A. LA MARQUE

DE

PREMIER

L'INDICATIF

MORPHOLOGIQUE

GREC

DE L'INDICATIF GREC

Morphologiquement, l'indicatif grec apparait à première vue comme un mode non marqué. En effet, il y a des suffixes d'optatif, et le subjonctif est marqué par la voyelle thématique ou son allongement, mais il n'y a pas de suffixe d’indicatif. Cette absence de suffixe peut faire croire que l'indicatif est semantiquement non marqué, qu'il n'y a pas de valeur modale propre à l'indicatif. De fait on a constaté que l'indicatif a des emplois divers. L'indicatif primaire affirme ou nie l'existence d'un fait actuel, mais aussi d'un fait habituel (présent de vérité générale). Le futur a des emplois désidératifs, et méme injonctifs (à la deuxième personne), qui s'écartent, semble-t-il, de la valeur assertive. Dans un serment, l'indicatif peut être précédé de μή, négation non assertive. Enfin, l'indicatif secondaire a pris une valeur non temporelle et nettement modale, que ce soit dans l'hypothèse, l'assertion

(irréel), ou

dans

l'expression d'un

regret.

On a donc un éventail d'emplois qui parait, à premiére vue, trop vaste pour étre compatible avec une valeur modale précise, ce qui serait le corollaire de l'absence de suffixe modal. Mais c'est là une vue fausse, aussi bien en ce qui concerne la forme que les emplois. L'indicatif grec n'est en effet qu'un héritier partiel du mode non marqué qu'était l'injonctif indo-européen!. Il s'en distingue par l'addition de marques temporelles: désinences primaires opposées aux désinences secondaires, puis augment.

Ce sont ces oppositions temporelles qui sont la marque formelle de l'indicatif, subjonctif et optatif n'étant susceptibles que d'oppositions aspectuelles?. C'est d'elles que dépend l'unité du mode, car elles lui conférent une valeur modale précise, celle de l'assertion de réalité.

1. Cf. Gonda,

1956, pp. 36-40 et Renou,

2. L'optatif futur n'existe que comme

1952, p. 368. substitut de l'indicatif futur.

CH. I - DÉFINITION

193

L'indicatif grec est fondamentalement assertif car il met toujours à la source de l'énoncé un point de vue de vérité. D'autre part, l'assertion qu'il exprime est une assertion de réalité, car il place toujours le contenu de l'énoncé dans le réel, c'est-à-dire le passé, le présent, ou un avenir prédéterminé. La source de l'énoncé est tirée du réel et le contenu appartient au réel, c'est-à-dire à ce qu'on s'est donné comme situation de discours. Le subjonctif et l'optatif, eux, ne sont pas toujours assertifs*, et, lorsqu'ils le sont, ils expriment une assertion non de réalité, mais de possibilité, qu'il s'agisse d'une possibilité événementielle (subjonctif) ou logique (optatif). L'indicatif temporel a donc une définition modale précise qui l'oppose aux autres modes. Si certains emplois semblent s'en écarter, c'est à cause de valeurs dérivées, contextuelles. Ainsi en est-il du futur d'injonction. Od. 22. 27.8: … Οὐκέτ᾽ ἀέθλων ἄλλων ἀντιάσεις... « Tu ne jouteras plus ailleurs. » Les prétendants expriment ici leur vision de l'avenir, qu'ils considèrent comme prédéterminé par leur volonté. Ils font donc d’abord un acte d’assertion de réalité. Ce n'est que secondairement que cet acte peut être interprété comme un ordre: « Ne pense plus jouter ailleurs. »°

B. LINDICATIF DANS

LES PROTASES

DE TYPE I

La spécificité modale de l'indicatif a été reconnue à propos des protases de type I qui sont habituellement à l'indicatif et sont les seules à admettre normalement

la négation assertive où (voir première

partie). Les protases

de type I expriment donc une hypothèse d'acte d’assertion. Ei doit y être compris «si l'on dit que», et ei μή «si l'on ne dit pas que ». Le rapport qui s’etablit alors entre protase et apodose n’est pas un rapport entre des événements physiques, comme avec les protases de type II («s'il se produit que »), ni un rapport de points de vue, comme avec les protases de type III («s'il se trouvait que»). C'est un rapport entre des énoncés, celui de la protase étant assertif. L'ensemble du systeme signifie : « Si l'on dit que.., alors je dis que... » C'est là l'origine des emplois que pour le frangais on a qualifié de marginaux, comme par exemple l'emploi oppositifé.

3. Voir

premiere

partie,

en

passé, l'assertion demeure

particulier

chap.

II, C.

Cependant

implicite (voir deuxiéme

dans

les

temporelles

partie, chap. III, D, 2).

4. Et le subjonctif ne peut plus étre assertif en attique. 5. Cf. Chantraine,

1953, p. 201. Pour l'indicatif avec μή, voir premiere partie, chap. III.

6. Cf. Ducrot, 1972, pp. 175-9.

au

194

4° PARTIE - INDICATIF

Il. 4. 160-1: ET περ γάρ τε καὶ αὐτίκ᾽ Ὀλύμπιος οὐκ ἐτέλεσσεν Ex TE καὶ ὀψὲ τελεῖ, σύν τε μεγάλῳ ἀπέτισαν «Car si (lon dit qu’) il arrive ἃ l'Olympien de ne pas agir à l'instant méme, (je dis pourtant qu) il a coutume de réagir, méme plus tard, et (qu)il arrive qu'on paie sa dette avec un gros intérét. » Dans cet exemple, les verbes de la protase et de l’apodose sont à l'aoriste gnomique ou au présent d'habitude. L'ensemble indique que là où l'on affirme le premier fait d'expérience, on doit aussi affirmer le second, pour éviter que le premier ne serve d'argument à une attitude impie. On observe de méme

quelques protases de précaution oratoire, du type

de « Si tu as soif, il y a de la bière au réfrigérateur »?. Il. 14. 337-8: AM’ ei δή ῥ᾽ ἐθέλεις... ἔστιν τοι θάλαμος... « Mais si (tu me dis que) tu desires (coucher avec moi), (je reponds que) tu disposes de ta chambre. » Dans ces emplois dits marginaux, la verite de l’apodose n’est pas conditionnée par la protase: il n'y a aucune implication matérielle. Ce que conditionne la protase, c'est le bien fondé ou l'à-propos de l'acte de parole que constitue l'apodose.

C. LES CAS DU FUTUR

ET DE L'INDICATIF SECONDAIRE

La définition modale de l'indicatif grec est liée à sa valeur temporelle. Or il y a deux cas oü cette valeur temporelle a été mise en doute et méme niée. Il s'agit du futur et de l'indicatif secondaire. Le futur a parfois été considéré comme proche du subjonctif éventuel, jusqu'à pouvoir se confondre avec lui dans certains de ses emplois. C'est surtout le cas du futur en protase, et aussi du futur lorsqu'il est accompagné de l'une des particules dites modales, usage essentiellement homérique?. Mais on montrera ici que méme dans ces emplois le futur conserve une valeur proprement temporelle, ou, parfois, plutót aspectuelle, ainsi que la valeur modale d'assertion de réalité, qui est propre à l'indicatif. Le futur homérique s'oppose donc toujours au subjonctif. L'indicatif secondaire a développé en attique des emplois modaux oü il exprime l'irréel, ou le regret, et non le passé. Dans l'/liade et l'Odyssée, on peut distinguer, parmi les systémes hypothétiques, un type IV, caractérisé par l'usage des temps secondaires, l'usage presque constant d'une particule dans l'apodose, et l'usage fréquent de μή dans la protase, à l'exclusion de où. Ces systèmes hypothétiques ont bien une valeur 7. Cf. Ducrot,

ibid. De méme

8. Cf. Schwyzer-Debrunner,

chez Homere: 1950, 8 392.

Iliade 6 150,

10 433; Odyssee

19 85...

CH. I - DEFINITION

195

d'irréel. Mais en méme temps, on peut constater que les temps secondaires de la protase et de l'apodose y renvoient toujours au passé. C'est donc que l'indicatif secondaire garde toujours chez Homère sa valeur temporelle, ainsi que sa valeur assertive.

L'unité du mode indicatif, assertif et temporel, est donc préservée dans la langue homérique. Ce n'est qu'aprés Homére que cette unité sera rompue par la constitution d'un indicatif secondaire modal et non temporel. Les systémes hypothétiques de type IV chez Homére permettent d'expliquer l'apparition de ce nouvel emploi de l'indicatif secondaire.

196

4° PARTIE - INDICATIF

CHAPITRE

FUTUR

A. LE PROBLEME

II

ET SUBJONCTIF

DE LA CONFUSION

ENTRE

FUTUR ET SUBJONCTIF

1. Similitudes :

Des similitudes de forme et d'emploi pouvaient provoquer la confusion de l'indicatif futur et du subjonctif homériques. L'indicatif futur était souvent identique à un subjonctif aoriste sigmatique, à voyelle thématique bréve chez Homére. C'est le cas des formes en -OOJEV, -GETE, -σομαι, -σεαι, -σεται, -σόμεθα, c'est-à-dire celles où la syllabe

commengant par la sifflante est bréve. Quand cette syllabe est longue, outre le cas de -ow qui est toujours ambigu, on observe parfois des incertitudes

dans

la tradition

manuscrite : -GEt ou

-σῃ, -σουσι

ou

-σωσι,

«σεσθε ou -σησθε. À ces similitudes formelles s’ajoutaient des similitudes d'emploi, surtout aprés ei et avec les particules ke ou ἄν. On a souvent considéré qu'il n'y avait pas alors de différence sémantique entre futur et subjonctif. En fait trois attitudes sont possibles. - Ou bien, on admet qu'il n'y a pas, d'une facon générale, de différence sémantique nette entre futur et subjonctif, l'un n'étant qu'une variante emphatique de l'autre, ou méme qu'il n'y a pas de différence du tout dans la langue homérique. - Ou bien, tout en admettant une opposition sémantique entre futur et subjonctif, on pense qu'elle est neutralisée après ei et avec ke ou ἄν. - Ou bien enfin, on admet que futur et subjonctif s'opposent dans tous les cas, méme après ei et avec κε ou ἄν. L'examen des faits montre que seule cette derniére attitude est correcte. 2. Futur et subjonctif s'opposent : En faveur de la premiére de ces trois attitudes, on peut trouver des arguments dans la morphologie et l’etymologie. D'une part, certains auteurs considérent que le futur grec est issu non seulement d'un ancien désidératif sigmatique, mais aussi d'anciens subjonctifs à voyelle bréve

CH. II - FUTUR

ET SUBJONCTIF

197

d'aoristes sigmatiques?. D'autre part, c'est un fait que des formes isolées qui fonctionnent chez Homére comme des futurs sont d'anciens subjonctifs. Le cas le plus sûr est celui de ἔδομαι, mais c'est possible aussi pour

βέομαι et κείω9, Cependant

cet

argument

peut

facilement

être

retourné.

Des

faits

exceptionnels comme ëéôoua montrent que le grec homérique distingue futur et subjonctif. En effet, chez Homére, c'est un futur, non un subjonctif. Quelles que soient leurs origines, méme si elles étaient toujours identiques!!, futur et subjonctif s'opposent dans le systéme verbal du grec homérique. Il y a donc une opposition sémantique. Ici méme (voir deuxiéme partie, chap. IV, A), à propos des emplois indépendants et assertifs, on a opposé le futur de la réalité et le subjonctif de la possibilité, qui sont en contraste en Od. 16. 437: - οὐδ᾽ ἔσσεται « et il n'est pas près d'exister », ou «il n'existera pas ».

- οὐδὲ γένηται «et il n'a aucune chance d'exister »!2, 3. L'opposition n'est pas neutralisée aprés ei et avec κε ou ἄν: Plus subtile est l'attitude arguant de l'existence de formes ambigués, dans une langue qui a encore des subjonctifs à voyelle bréve, pour conclure à la possibilité d'une confusion dans certains emplois. Des formes de subjonctif à voyelle bréve, interprétées fautivement comme des futurs, auraient suggéré l'idée que le futur pouvait concurrencer le subjonctif dans certains de ses emplois. Par suite, d'authentiques futurs

se seraient introduits dans ces emplois. Mais il faut pour cela que les subjonctifs à voyelle bréve ne soient plus compris comme tels, d'où soit leur réfection, avec voyelle longue si le métre le permet, soit leur réinterprétation fautive comme futurs. Or la vulgate conserve de nombreuses formes à voyelle bréve qui sont des subjonctifs sans que le doute soit possible, soit que la forme ne soit

pas ambigué!^, soit que la syntaxe l'exige (par exemple après {va final). Le subjonctif à voyelle bréve a donc toujours été compris comme tel dans la tradition épique. Par conséquent, le futur n'a pu s’introduire secondairement et fautivement dans les emplois concernés. D'ailleurs il ne s'est pas introduit aprés ἵνα final. Si donc on le trouve aprés ei et avec ke ou ἄν, c'est qu'il y avait sa place dés l'origine, et concurremment au subjonctif auquel il 9. Ainsi Hahn,

1953.

10. Cf. Chantraine,

11. Ce qui demeure

1958, pp. 452-3.

improbable. Cf. Meillet-Vendryes,

1963, pp. 210-1.

12. Selon Hahn, 1953, p. 80, on n'aurait pas un contraste syntaxique des seulement un contraste lexical entre γίγνομαι « naître » et εἶναι « être ». 13. Schwyzer-Debrunner,

14. Cf. Chantraine,

1950, pp. 352.

1958, pp. 454-60.

modes,

mais

198

4° PARTIE

- INDICATIF

s'oppose. Certes cette opposition n'était pas assez forte pour empêcher certains flottements lorsque les formes étaient identiques. Elle était cependant assez sensible pour maintenir, aprés ei comme avec ke ou ἄν, des formes du type -oet, -oovot, sur des thèmes ambigus (Il. 1. 175, 8. 424, etc.). Le maintien de la voyelle thématique brève en syllabe longue, non exigée par le mètre, montre que de tels exemples étaient compris

comme

nécessitant

un

futur,

contrairement

à ceux



l'on

a

adopté la nouvelle écriture -op, -oco 5. Le

grec

posthomérique

connaít

toujours

l'emploi

du

futur

aprés

ei,

opposé à celui du subjonctif!®. En revanche, son emploi avec ἄν y est mal attesté!". Mais cela ne prouve pas que l'usage homérique, qui, lui, est bien attesté, n'était plus compris aprés Homére. Le fait méme que la tradition ait transmis de tels futurs, sans introduire systématiquement un subjonctif là où mètre et parenté formelle le permettaient, montre qu'ils étaient reconnus et compris comme tels. Comme le subjonctif assertif, c'est une tournure que, semble-t-il, on n'emploie plus, mais qu'on peut encore comprendre. On a donc retenu, dans l'étude qui suit, les formes de la vulgate qui devaient étre comprises comme des futurs. Ce sont: - des futurs non sigmatiques (3 avec particule, 6 aprés &i)!$, - des futurs sigmatiques, mais sans aoriste sigmatique semblable (8 avec particule, 12 aprés ei, 3 aprés ei et avec particule)!?, - des

futurs

sigmatiques,

mais

avec

une

flexion

moyenne

propre

au

futur (1 avec xe, 3 apres ei), - des futurs sigmatiques, mais avec maintien d'une voyelle thématique breve en syllabe longue (13 avec particule, 9 aprés ei, 3 aprés ei et avec

particule)?! 15. La

vulgate

ne

Chantraine,

16. Humbert,

conserve

les subjonctifs

à voyelle

brève

que

si le mètre

l'exige. Cf.

1958, p. 454.

1960, 8 359.

17. Schwyzer-Debrunner,

1950, 8 392.

18. Avec particule: /liade 4 176, 17 241, 22 66-7 (cf. Chantraine, Iliade 1 61, 2 387, 7 98, 12 59, 20 26; Odyssée 23 286.

1958, p. 452). Apres ei:

19. Avec particule: Jliade 1 139, 2 229, 3 138, 9 167 (cf. Chantraine, 1958, p. 418), 14 2678, 20 335 (malgré Chantraine, 1958, p. 455, qui est tenté de corriger le texte), 22 70-1, 23 675; Odyssee

16 438. Apres

el: Iliade

129, 24 57, 24 206 (cf. Chantraine, 193, 21

170. Aprés εἰ (ou f) et avec

1 135, 2 261,

12 248,

13 97, 15 186,

17 418, 20

1958, p. 418), 24 296 (avec négation o9) ; Odyssée 10 particule: /liade 5 212-4,

15 215 ; Odyssée

(en Odyssée 18 265, la forme ἀνέσ a est obscure ; cf. Chantraine,

16 238

1953, p. 295).

20. Avec particule: /liade 1 523. Apres ei: Iliade 1 294, 15 162, 17 154. 21. Avec particule: /liade 1 175, 8 404-5, 9 61-2 (il y a des variantes -op, -σαι moins bien attestées),

9

155,

10

44,

10 282,

14

239,

17

515;

Odyssée

1 83

(var.

mc,

5 37,

16 260,

16 297, 19 558. Aprés ei: Iliade “σαῖς moins bien attestées), 2 367, 8 153, 13 375, 14 62; Odyssée 2 115, 12 382, 16 274. Apres ei et avec particule: /liade 17 557-8 (var. -σωσιν dans

un manuscrit

secondaire) ; Odyssée

15 524 (var. καί pour κε),

16 260-1.

CH. II - FUTUR

ET SUBJONCTIF

199

Pour le dernier cas, on n’a retenu que les formes bien attestees, generalement sans variante. On a parfois admis la presence d’une variante moins bien attestée (avec voyelle longue) qui se trouve d'ailleurs correspondre à la possibilité de deux interprétations : voir ci-aprés l'étude de Il. 9. 61-2. Nous n'avons pas pris en compte ici cinq de ces formes à voyelle bréve maintenue, qui sont coordonnées à des futurs indubitables

comptabilisés dans les cas précédents?"

On a donc retenu 25 futurs avec particule, 30 aprés ei, 6 après εἰ et avec particule. Ces nombres ne sont pas limitatifs. Dans d'autres exemples, une forme ambigué (sigmatique à voyelle bréve en syllabe bréve), ou l'incertitude de la tradition, peut recouvrir un futur. Ces nombres suffisent cependant à attester dans la vulgate homérique l'emploi du futur avec particule et aprés ei, emploi opposable à celui du subjonctif dans les mémes

contextes.

B. LE FUTUR

AVEC

PARTICULE

l. Classement des exemples : La particule xe ou &v accompagne un futur, et une fois deux futurs, dans 30 exemples différents. On peut les classer de la façon suivante. - 12 propositions sont des indépendantes coordonnées aprés un énoncé envisageant l'avenir (futur, impératif, infinitif d'ordre, subjonctif d'exhortation, présent de prédiction). La coordination se fait sept fois par δέ

κε, trois fois par οὐδέ xe, une fois par kai κε et une fois par δ᾽ Av. Il existe toujours un enchainement temporel entre le contenu de la proposition précédente et celui de la proposition où se trouve la particule. - 10 propositions sont des relatives, aprés une principale plus ou moins

tournée 'vers l'avenir. Six de ces relatives sont des relatives de liaison, marquant un enchainement avec ce qui précéde. Trois sont des relatives consécutives. Une peut être considérée comme une relative d'incise?^. - 6 propositions sont introduites par ei, dont trois sont des protases de système hypothétique, et trois sont des interrogatives indirectes?*. - 2 propositions semblent exiger l'emploi d'un subjonctif, si en Il. 9. 167 on a bien une relative déterminative avec le sens «ceux que je 22. Iliade 12 249, 15 162 = 178, 15 215, 24 206. 23. Avec δέ κε: lliade 1 139, 1 523, 3 137.8, 14 238-9, 14 267, 17 515; Odyssée 16 296-8. Avec οὐδέ κε: Iliade 8 404-5, 9 61-2; Odyssée 19 557.8. Avec καί κε: Jliade 4 176. Avec δ᾽ ἄν: Iliade 22 66-7. 24. Relatives de liaison: Jliade 1 175, 2 229, 9 155 = 297, 22 70-1, 23 675; Odyssée 5 36. Relatives consécutives: /liade 10 43-4, 10 281-2; Odyssée 16 437.8. Relative en incise : Iliade

17 241.

25. Dans une protase: /liade 5 212, 15 213-5, Odyssée 15 523-4, 16 238, 16 260-1.

17 557-8.

Dans

une

interrogation

indirecte :

200

4€ PARTIE - INDICATIF

désignerai », et si en Il. 20. 335 on a bien une temporelle avec le sens « quand tu te heurteras à lui ». Tous ces exemples, sauf les deux derniers, sont des propositions qui admettent normalement le futur sans particule. Cela nous incite à mettre en doute l'interprétation la plus souvent proposée pour ces deux exemples. L'ensemble des exemples ainsi classés peuvent étre répartis en deux catégories, selon qu'ils soulignent ou non un enchainement avec le contexte précédent. Un enchainement est indiqué dans 21 exemples (12 indépendantes coordonnées, 6 relatives de liaison, 3 relatives consécutives).

Il reste donc 9 exemples où un enchainement avec le contexte précédent n'est pas apparent. 2. Les exemples

soulignant un enchaînement :

On a déjà observé l'emploi du subjonctif, et non du futur, avec particule pour souligner un enchainement (voir deuxiéme partie, chap. IV, A). Ainsi l'exemple suivant contient à la fois une relative de liaison et une coordination. Od. 4. 388-91: τόν γ᾽ εἴ πως σὺ δύναιο... λελαθδέσθαι ὅς κέν τοι εἴπῃσιν... / . καὶ δέ κέ τοι εἴπῃσι... « Ah, lui, si tu pouvais le saisir! Lui qui alors te dira peut-être. Et alors il te dira peut-étre encore... » Dans cet emploi, le subjonctif avec particule indique qu'une possibilité va étre ouverte par ce qui vient d'étre envisagé. Plus rien ne s'opposera alors à tel ou tel fait, sans garantie cependant de réalisation. On a vu que dans le méme contexte le futur employé seul donne, lui, une telle garantie (LL) Il en est de méme pour le futur accompagné d'une particule. Il. 1. 522-3:

᾿Αλλὰ σὺ μὲν νῦν αὖτις ἀπόστιχε... .. ἐμοὶ δέ κε ταῦτα μελήσεται... « Mais toi, pour l'instant retire-toi.. Et alors moi je veillerai à cela... » On

exprime

ainsi

un

une certitude confiante

engagement

ferme

(Il. 9.

155,

14. 238-9

et 267),

(Il. 1. 175, 3. 137-8, 17. 515, 23. 675, Od.

16. 297-

8, etc), une prédiction (Od. 5. 37). Dans plusieurs cas, le futur avec particule vient aprés un autre futur, sans particule, exprimant déjà une prédétermination (Il. 4. 176, 22. 66 et 70). En Od. 19. 558, le futur avec

particule vient aprés un présent de prophétie. Ce n'est que lorsque la proposition est négative qu'il devient plus difficile de distinguer entre l'emploi du futur et celui du subjonctif. C'est qu'avec où le subjonctif exprime une impossibilité et a autant de force, sinon plus, que le futur qui affirme la non réalisation dans l'avenir. Il. 9. 61-2: … πάντα διίξομαι: οὐδέ κέ τίς μοι μῦθον ἀτιμήσει...

« J'exposerai tout le détail. Et alors

personne ne méprisera mon avis. »

CH. II - FUTUR

ET SUBJONCTIF

201

Mais des variantes moins bien attestees permettent de lire un subjonctif ou un optatif au lieu du futur. Le subjonctif signifierait : « Et alors pas de risque qu'on méprise mon avis. » Il aurait simplement une plus grande force expressive. Dans les relatives consécutives, on peut de même opposer la conséquence

nécessaire, avec le futur, et la conséquence subjonctif.

seulement

possible, avec le

Il. 10. 43-4:

Χρεὼ βουλῆς ἐμὲ καὶ σὲ... … ἥτις κεν ἐρύσσεται ἠδὲ σαώσει « Nous avons besoin, toi et moi, du conseil qui gardera et sauvera (les Argiens)... »

L'emploi du futur souligne ici l'urgence d'un plan qui sauvera effectivement l'armée grecque, et ne soit pas seulement susceptible de la sauver. Deux exemples semblables permettent d'opposer futur et subjonctif dans ce contexte. Od. 16. 437-8: .. Οὐδὲ γένηται ὅς κεν Τηλεμάχῳ ... χεῖρας ἐποίσει « Et il ne risque pas d'exister l'homme qui portera la main sur Télémaque. » S'attaquer au jeune Télémaque est un acte facile, auquel n'importe quel prétendant peut se déterminer. Mais personne ne le fera, car Eurymaque

prend

Télémaque

sous

sa protection.

Le futur exprime

une

prédétermination, déclarée impossible par le subjonctif précédent. Od. 6. 201-3: … Οὐδὲ γένηται ὅς κεν Φαιήκων ἀνδρῶν ἐς γαῖαν ἵκηται δηιοτῆτα φέρων... « Et il ne risque pas d'exister l'homme capable de venir apporter la ruine en Phéacie. » Ruiner la Phéacie est en soi une entreprise si difficile qu'on ne peut imaginer un homme capable de la mener à bien. C'est donc ici une possibilité qui est déclarée impossible. L'étude des exemples soulignant un enchaînement permet donc de dissocier les valeurs respectives du futur et de la particule. - Le futur garde sa valeur propre. Il exprime un fait à venir présenté comme prédéterminé et, de ce fait, intégré au réel. Les particules κε et ἄν n'ont donc pas une valeur modale au sens où on l'entend habituellement. Elles n'ótent rien de sa « réalité » au fait exprimé?6. 26. On considère généralement que les particules dites « modales» du grec ont méme valeur que des modes, mais avec plus de force (Delbrück, 1871, p. 90; Wackernagel, 1926,

p. 223;

Schwyzer-Debrunner,

1950,

p. 306;

Meillet-Vendryes,

étayé cette thèse d'un rapprochement injustifié avec la particule 1953, pp. 52-5). "Av et κε auraient ainsi le pouvoir de faire du subjonctif (Chantraine, 1953, p. 225). Tout cela était déjà suggéré qui les qualifiait de δυνητικοί ou de ἀναιρετικοί, c'est-à-dire de ou du non-réel.

1963,

p. 223). On

a

man du Hittite (Hahn, futur un équivalent du par Apollonios Dyscole, particules du possible

202

4€ PARTIE

- La particule, qui « alors, en ce cas, le faire aussi à propos est à l'origine d'une

- INDICATIF

souligne l'enchainement, peut être traduite par cas échéant ». Cette constatation, que l'on a pu de certains emplois avec le subjonctif et l'optatif, conception très ancienne des particules ke et ἄν,

dont le rôle serait de lier l'énoncé à ce qui precede?”. Mais ce róle de liaison contextuelle (non coordonnante), pour fréquent qu'il soit, n'est qu'un emploi des particules ke et ἄν, et d'ailleurs plus particulièrement de Ke. Ἂν n'apparaît qu'une fois dans les exemples précédents,

pour

prédire

un

avenir

menagant,

en

Il. 22.

66-7,

et porte

donc, comme ailleurs, l'idée d'un renversement de situation. Il est d'autres emplois de ἄν, mais aussi de κε, qui ne soulignent pas une liaison contextuelle, en particulier avec le futur.

3. Les exemples sans liaison contextuelle : La relative de Il. 17. 241 annonce

un fait proche dans l'avenir.

Il. 17. 240-1.

.. Πατρόκλοιο ὅς κε τάχα Τρώων κορέει κύνας... «... de Patrocle, qui va bientöt rassasier les chiens des Troyens. » Le contexte ne suggere pas ici une valeur de possibilite. Au moment où il parle, Ajax considère que la depouille de Patrocle est perdue, puisque ses amis cèdent devant les Troyens et que leur vie même est en danger. L'énoncé de la relative n'est pas non plus relié à ce qui précède, et encore moins conditionné par ce qui précède. En revanche, le contenu de la relative est un fait à venir prévu comme la suite naturelle de ce que voit Ajax, c'est-à-dire de la ruée des Troyens emmenés par Hector. Comme Ajax ne dira ce qu'il voit qu'aux vers 2434, il ne s'agit pas ici d'un enchainement

contextuel,

mais

seulement

d'un

enchainement situationnel. Ceci permet de réinterpréter les deux exemples apparemment anomaux qui avaient été relevés. Il suffit de considérer qu'en Il. 9. 167 τούς n'est pas un relatif, mais un démonstratif anaphorique, et qu'en Il. 20. 335 ὅτε n'a pas une valeur proprement temporelle, mais causale, avec le sens « maintenant

où,

puisque ». Dès

lors,

ces

deux

exemples

annoncent

un

fait à venir prédéterminé et prolongeant la situation actuelle. Il. 9. 167: Ei δ᾽ ἄγε, τοὺς ἂν ἐγὼ ἐπιόψομαι, oi δὲ πιθέσθων « Eh bien allons! Je vais au contraire, moi, les désigner, et eux, qu'ils

obéissent ! »28 27. Denys le Thrace les avait classées parmi les συμκλεκτικοὶ σύνδεσμοι « particules copulatives » (cf. Ruijgh, 1971, p. 67), ou «qui lient ensemble ». Plus prés de nous, Gonda, 1956, pp. 135-6, estimait que leur róle est de restreindre la validité de l'énoncé en impliquant une condition. 28. Méme dans

interprétation de Chantraine, la collection

Budé

(« que ceux

1953, p. 167; mais traduction contraire de Mazon que je vais ici désigner

soient

préts à obéir »).

CH. I - FUTUR

ET SUBJONCTIF

203

La particule ἄν semble ici souligner le changement d'attitude de Nestor, qui, après avoir demandé à Agamemnon d'envoyer des messagers, en prend lui-même l'initiative. Il. 20. 335: ἀλλ᾽ ἀναχωρῆσαι, ὅτε xev συμθλήσεαι αὐτῷ « Mais retire-toi du combat, maintenant où (= puisque) tu vas certainement l'y rencontrer. » L'interprétation habituelle «lorsque tu l'y rencontreras » exigerait un

subjonctif?. En outre, ce que Poseidon demande

à Énée, ce n'est pas

de renoncer au combat seulement lorsqu'il rencontrera Achille, mais d'y renoncer immédiatement (il l'en a d'ailleurs lui-méme retiré), et de n'y retourner qu'aprés la mort d'Achille (vers 337-8). De fait, il ne sera plus question d'Énée dans l'Iliade. C'est qu'Achille est maintenant omniprésent dans la bataille, et plus personne ne pourra l'éviter. La variante avec ὅτε δή au lieu de ὅτε xev doit être une lectio facilior, qui a pour mérite de mieux souligner un sens causal « attendu que ». On verra ci-aprés que l'indicatif futur aprés &i exprime la prévision hypothétique d'un événement à venir. Il en est de méme lorsque cet indicatif futur est accompagné d'une particule. La particule a seulement pour effet d'indiquer que l'événement prévu est envisagé comme le prolongement de la situation actuelle. Il. 15. 213-7: al xev ἄνευ ἐμέθεν...

/ …

Ἰλίου aineıvfig πεφιδήσεται, οὐδ᾽ ἐθελήσει .. / ἴστω τοῦθ᾽... « Si malgré moi, (il prévoit qu’) il va épargner la haute Ilion, et refuser...,

qu'il sache ceci... »30 L'hypothése que fait Poséidon est provoquée par l'attitude de Zeus, qui lui interdit d'aider les Achéens. Poséidon suppose donc une prévision actuelle d'un avenir qui serait la suite naturelle de l'attitude de Zeus. Dans une interrogation indirecte, l'incertitude porte sur la prévision qu'on peut faire en examinant la situation actuelle. Od. 16. 260-1: καὶ φράσαι εἴ κεν νῶιν ᾿Αθήνη σὺν Διὶ πατρὶ ἀρκέσει... « Et reflechis si Athena avec Zeus Père va nous suffire. »?! D'ailleurs, dans une interrogation indirecte non deliberative, le subjonctif n'est possible qu'après l'annonce d'une vérification par l'expérience (voir deuxiéme

partie,

chap.

IL

C).

Pour

une

prévision,

« réfléchis si », seul est possible le futur qui annonce

29. D'où la conjecture συμθλήξαι (cf. Chantraine,

1958, p. 455).

30. Autres exemples: /liade 5 212-4, 17 556-8.

31. Autres exemples: Odyssée 15 523-4 (après olôe), 16 237-9.

comme

ici

aprés

le prédéterminé.

204

4° PARTIE - INDICATIF

Même

dans une relative consécutive, la particule

enchaînement

peut souligner un

situationnel, plutôt que contextuel.

IL 1. 174-5:

… πάρ᾽ ἔμοιγε καὶ ἄλλοι οἵ κέ με τιμήσουσι...

« Aupres de moi il y en a bien d’autres qui vont m’honorer. » Avec le subjonctif aussi, nous avions rencontre des emplois de la particule sans liaison contextuelle, du même type que ceux-ci (voir deuxième partie, chap. IV, A). On peut dire que le contexte est implicite, pourvu qu'on ne parle pas de conditionnement implicite. En effet, ce qu'on peut sous-entendre dans les exemples ci-dessus, c'est « étant donné la situation actuelle », et non «si les conditions s'y prêtent »?2. 4. Conclusion

sur les emplois

de xe et &v avec le futur:

L'emploi de κε et ἄν avec le futur est parallèle à leur emploi avec le subjonctif. Mais cela n'entraine pas la synonymie des deux tours. Il faut en effet distinguer la valeur relevant de la particule de celle qui reléve du mode. Le róle de la particule, avec futur et subjonctif, est de lier un événement situé dans l'avenir à la situation actuelle, que ce soit ou non au moyen d'un enchainement contextuel. la particule ἄν souligne une liaison inattendue, un contraste entre la situation actuelle et ce qui est envisagé, d'où un emploi volontiers polémique et emphatique. Ainsi, K€ et ἄν caractérisent un emploi discursif du futur, emploi dans lequel l'avenir est envisagé comme le prolongement de la situation particuliére du discours, ce qui l'oppose à un futur historique, qui adopte un point de vue plus général C'est à peu prés l'opposition du futur périphrastique du frangais moderne « il va chanter » et du futur simple « il chantera ». Ce qui est en question est l'attitude du locuteur, le point de vue discursif ou historique qu'il adopte. Aussi peut-on passer de l'un à l'autre. Il. 4. 176:

Kai κέ τις ὧδ᾽ ἐρέει... « Et voici alors ce qu'on va dire.» Agamemnon fait une prévision subjective de Ménélas. Ibid.

liée à la blessure

actuelle

182:

Ὡς noté τις ἐρέει... « Voilà ce qu'on dira un jour.»

32. C'est sans doute à cause de ce type d'emploi que Denys le Thrace avait rangé äv et κε non seulement dans les συμπλεκτικοὶ mais aussi dans les rnopaxAnpouanxoi σύνδεσμοι « particules

explétives »,

« employées

pour

Ruijgh, 1971, p. 67). Pour le grammairien de sens (cf. ibid.).

remplir

le vers

ou

orner

la

phrase»

(cf.

Tryphon cependant, elles n'étaient pas vides

CH. II - FUTUR

ET SUBJONCTIF

205

Agamemnon conclut son propos en prenant du recul et en répétant sa prevision d’un point de vue objectif et historique. Deux préjugés doivent être abandonnés concernant les particules dites modales ainsi employées avec un futur. - Elles n'ont pas pour effet de diminuer la certitude concernant le contenu

de l'énoncé, qui est toujours

présenté

comme

prédéterminé.

- Elles n'ont pas pour effet de restreindre la validité de l’assertion, l'assertion conditionnée n'étant qu'un cas particulier de leur emploi. Le futur de discours est proche de la valeur étymologique du futur grec en -σω, ancien désidératif. Il est assez fréquent chez Homère, mais subsiste en attique. En effet, malgré les corrections d'éditeurs, l'attique connait encore quelques emplois de &v avec un futur. Plat. Phéd.

61 c:

σχεδὸν οὖν, ἐξ ὧν ἐγὼ ἤσθημαι, οὐδ᾽ ὁπωστιοῦν ἄν cot ἑκὼν εἶναι πείσεται. « Sans doute, d'après mon expérience personnelle, il ne va t'écouter de bon gré. » La particule manque cependant dans une partie de manuscrite. La rareté de ce tour en attique peut être due à la du tour périphrastique avec μέλλω, le futur en -sw étant nettement historique.

C. LE FUTUR

pas du tout la tradition concurrence devenu plus

APRES ei

On rencontre 36 exemples différents où ei est suivi d'un ou plusieurs futurs (voir nn. 18 à 20). On pourrait cependant y ajouter une dizaine d'exemples où la forme verbale est ambigué, mais où le sens et le rapprochement d'exemples analogues incitent à voir un futur”. 1. Classement

des exemples:

30 exemples sont des protases de systémes hypothétiques, les 6 autres sont des interrogatives

indirectes.

La signification de l'indicatif futur dans une protase n'est ni la « vérité »

ou la « réalité » de l'hypothèse*{, ni l'indifférence à la réalité de l'hypothèse’, ni une simple valeur emphatique de menace? 6. Il est trés facile de touver des contre-exemples à chacune de ces théses. Ou alors, il faut tant les affaiblir qu'elles perdent toute signification. Il n'est pas non plus nécessaire

33.

Iliade 5 350,

5 717, 9 231,

10

115,

18 268,

Chantraine,

1958, p. 455), 24 434-5.

34. Chantraine,

1953, p. 284; Humbert,

35. Hentze, 36. Goodwin,

1909, p. 131; Brugmann, 1912, p. 165.

21

463;

Odyssee

1 389,

5 417,

16 238-9

1960, pp. 220-1.

1913, p. 511; Schwyzer-debrunner,

1950, p. 684.

(contra

206

4° PARTIE - INDICATIF

d'opposer deux futurs, dont l'un ne serait qu'un doublet emphatique du subjonctif, et l'autre, exprimant une intention ou une nécessité actuelle,

serait en fait un présent’. Il est possible de définir tous les emplois du futur en protase d’apres la définition des protases de type I, telle qu'elle a été donnée ici. Forme de l'indicatif, le futur fait porter l'hypothése sur un acte d'assertion. Il n'importe guère que le contenu de l'assertion hypothétique soit une intention actuelle ou un événement à venir, selon que le futur est un présent désidératif ou un vrai futur. Ainsi, en Il. 1. 135, ei μὲν δώσουσι peut être compris soit « s'ils disent quils ont l'intention de donner », soit «s'ils disent qu'ils donneront ». Quelle que soit la traduction adoptée, l'opposition est nette avec Il. 1. 137 ei δέ ke μὴ δώωσιν «mais s'ils ne donnent pas», où ei avec le subjonctif exprime l'hypothése d'un fait à venir, non celle de sa prévision actuelle. Le

futur

en

protase

exprime

donc

une

assertion

suggére, sans l'imposer au locuteur. De méme rogation

indirecte

sert à mettre

en question

que

la

situation

le futur aprés ei d'inter-

une

assertion

suggérée

par

la situation. On distinguera donc les trois cas suivants. - € (avec parfois où) introduit par hypothèse une assertion suggérée dans le contexte précédent. - εἰ μή écarte par hypothèse une assertion suggérée par le contexte précédent. - ei fait porter une interrogation sur une assertion suggérée par le contexte précédent. C'est donc dans le contexte précédent qu'on peut trouver des éléments qui suggérent une assertion sans l'imposer. Il ne s'agit pas de trouver des indices qui la rendent vraie ou vraisemblable, ni qui la rendent indifferemment ou vraie ou fausse?®. I] n'est méme pas nécessaire que assertion en question préexiste dans la pensée d'un interlocuteur. Il suffit que la situation la suggere.

2. L'hypothèse avec εἰ et un futur: Le cas le plus net est celui oü l'hypothése reprend les propos d'un interlocuteur. Il. 8. 153: el περ γάρ σ᾽ Ἕκτωρ ye κακὸν... φήσει « Si jadmets (comme tu le prétends) qu'Hector te traitera de lâche... » Nestor reprend ici, sans les prendre à son compte, les propos de Diomede au vers 148: Ἕκτωρ γάρ note φήσει... «Car Hector dira un jour... » On a le méme mouvement en Od. 21. 169-71. 37. Monro,

1882, pp. 230 et 239; Goodwin,

1912, p. 166; Kühner-Gerth,

1898, p. 466.

38. Selon Barbu, 1960, pp. 169-70, l'indicatif en protase permet de « simuler l'ignorance de la réalité objective ».

CH.

II - FUTUR

ET SUBJONCTIF

207

Plus souvent l'hypothèse, sans reprendre expressément des propos antérieurs, porte sur une assertion qui en est déductible. Il. 1. 294: ei δὴ coi πᾶν ἔργον ὑπείξομαι... «... Si vraiment j'admets (comme tes propos le suggèrent) que je dois te céder (ou: te céderai) en tout. » Achille réagit ici aux propos d’Agamemnon qui se prévaut de son titre

de chef de l'armée grecque””. Mais le locuteur ne réagit pas toujours à des propos. Il peut réagir à des

faits,

ce

qu'indique

fréquemment

la présence

de

δή

en

début

de

protase. Ce que ces faits suggérent est souvent l'assertion de leur persistance dans l'avenir. Il. 1. 61: εἰ δὴ ὁμοῦ πόλεμός τε δαμᾷ καὶ λοιμὸς ᾿Αχαιούς « .. si vraiment nous admettons que guerre et peste ensemble continueront à dompter les Achéens. »* Les faits actuels peuvent aussi suggérer au locuteur l'assertion d'un fait à venir qui en est le prolongement. Il. 8. 423.4:

.. εἰ ἐτεόν γε τολμήσεις Διὸς ἄντα... ἔγχος ἀεῖραι « .. si vraiment tu prétends que tu oseras lever ta lance contre Zeus. » Les préparatifs guerriers d'Athéna suggérent à Iris la prétention d'Athéna

à aller affronter Zeus*!. Dans une situation donnée, une hypothése au futur peut s'opposer à une hypothése au subjonctif, pour supposer ce que la situation laisse prévoir. Il. 18. 268: … εἰ δ᾽ ἄμμε κιχήσεται ἐνθάδ᾽ ἐόντας «Si nous admettons (comme la situation le laisse prévoir) quil nous trouvera

ici... »

L'hypothése au subjonctif en revanche permet de supposer n'est pas prévu, un changement de tactique, surtout avec ἄν. Ibid. 273: Ei δ᾽ àv ἐμοῖς ἐπέεσσι πιθώμεθα... « Mais

si nous

suivons

mon

ce

qui

avis... »

Les Troyens &tant dans la plaine de Troie, il est previsible qu’Achille les y trouvera. Aussi κιχήσεται, au vers 268, doit-il être un futur malgré l'ambiguïté de cette forme. Il s'oppose au subjonctif du vers 273 qui introduit le conseil nouveau de retourner derrière les remparts. 39. Autres

exemples:

/liade

12 248-50,

15

185-6,

une forme ambigué en Iliade 21 462 3. En propos lointains dans le passé. 40. Autres exemples:

17

154-5, 24 56-7; Odyssée

Iliade

13 375, l'hypothèse

23 286-7. On

renvoie

a

à des

/liade 13 97-8, 15 213-7, 20 129-30 (formes ambigués en 2 258-9, 5 350-

1, 5 715-7); Odyssée 2 115-22 (forme ambigué en 5 417-20). 41. Autres exemples: /liade 15 162-3, 17 416-8, 17 556-8, 24 206-7 (formes 114-5, 18 268-70) ; Odyssée 16 274-5 (forme ambigue en 1 389-90).

ambigues

en

10

208

4

Dans les exemples précédents, un propos antérieur de fait constitue un argument en faveur de l’assertion si le locuteur manifeste son scepticisme personnel à exemple en Il 8. 423, avec ἐτεόν γε « vraiment »). Il méme lorsque ce qui suggère l'assertion n'est qu'une demande dont le locuteur ne connaît pas la réponse. Od. 12. 382:

PARTIE

- INDICATIF

ou une situation suggérée, même son égard (par n'en est pas de question ou une

el δέ pot où τίσουσι βοῶν ἐπιεικέ᾽ ἀμοιθήν « Mais si vous me répondez qu’ ils ne me paieront pas le prix de mes boeufs... » Hélios vient de demander aux autres dieux le chátiment des compagnons d'Ulysse. La prédétermination de ce chátiment repose sur la réponse

des dieux, non encore connue“. Dans un tel contexte, l'emploi du subjonctif indique que l'hypothèse ne vise pas la réponse actuelle, mais le comportement à venir, comme le montre

l'opposition

de Il. 1. 135 et 137 (voir ci-dessus en

L'idée qu'il y a une prédétermination qui étre provoquée par une allusion au destin. Il. 5. 212: ei δέ κε νοστήσω Kal ἐσόψομαι... « Mais si mon destin est de rentrer et de Aux vers précédents, Pandare a affirmé destin funeste (κακῇ atom). Enfin, le locuteur, placé devant un choix prend telle ou telle décision. Il. 20. 26:

1).

n'est pas connue

revoir... » être venu

à Troie

peut aussi

pour

à faire, peut supposer

un qu'il

Ei yàp ᾿Αχιλλεὺς οἷος ἐπὶ Τρώεσσι μαχεῖται « Car si je decide qu’Achille combattra seul contre les Troyens... » C'est ici la volonté de Zeus qui prédétermine l'avenir, quelle qu'elle soit. D'ailleurs il a décidé le contraire, et l'hypothése est en fait contraire à la réalité. Pour qu'on ait un futur dans la protase, il suffit donc que des éléments de la situation permettent de considérer l'avenir comme prédéterminé. Mais il n'est pas nécessaire qu'ils le prédéterminent dans le sens de l'hypothése, ni qu'on sache en quel sens ils le prédéterminent. 3. L'hypothèse

avec εἰ μή et un futur:

Suivi d'un futur, εἰ μή peut correspondre à une réaction d'impatience devant l'absence de la réponse attendue à une demande. Il. 7. 98:

ei μή τις Δαναῶν νῦν Ἕκτορος ἀντίος εἶσιν « ... S'il n'est pas dit par un Danaen qu'il ira à l'instant affronter Hector.»

42. Autres exemples:

/liade

| 135-6, 24 296-8.

CH. II - FUTUR

ET SUBJONCTIF

209

Hector a provoqué au combat les chefs de l’armée grecque. Tous sont d'abord restés silencieux (vers 92-3). Ménélas y voit motif de honte, si ce silence

continue“.

Il peut arriver que l'assertion écartée par hypothèse soit en fait une promesse du locuteur. L'hypothèse, alors contraire à ce qu'affirme le locuteur, conditionne une imprécation qu'il lance contre lui-même. Il. 2. 261-3: ei μὴ ἐγώ ce... ἀπὸ μὲν φίλα εἵματα 6000 .. / αὐτὸν δὲ... ἀφήσω «.. si je ne m'engage pas ἃ t'ôter tes vêtements. et à te renvoyer... » Ulysse se voue au malheur s'il ne s'engage pas vraiment à faire ce qu'il dit. C'est pour lui un moyen indirect de renforcer son engagement. Il peut arriver enfin qu'une assertion ainsi écartée étant vraie, l'hypothèse ait pour effet d'infirmer ce que dit l'apodose. Il. 2. 387: ei μὴ νὺξ ἐλθοῦσα διακρινέει μένος ἀνδρῶν « si je ne prévoyais pas que la tombée de la nuit séparera les fougueux prétendants. » Cette hypothèse infirme l'affirmation que le combat ne cessera plus. L'ensemble prend alors une valeur d'irréel: « Le combat ne cesserait plus, si la nuit ne devait pas séparer les combattants. » 4. L'interrogation

indirecte

avec

ei et un

futur:

Ei suivi d'un subjonctif ne peut prendre une valeur interrogative qu’apres un verbe annongant la vérification à venir, par l'expérience, d'une éventualité (voir deuxième partie, chap. II, C). En revanche, εἰ suivi d'un futur peut prendre une valeur interrogative aprés un verbe qui exprime une interrogation actuelle concernant l'avenir. C'est que le futur permet de considérer l'avenir comme prévisible. IL

12. 59:

πεζοὶ δὲ pevoiveov εἰ τελέουσι « Et les fantassins se demandaient La question Contrairement

s'ils y arriveraient. »

que se posait chaque fantassin était: « Y arriverai-je? ». au grec, le français fait ici concorder les temps“.

De méme aprés un aveu d'ignorance, l'emploi du futur de prévision fait apparaitre un sens interrogatif, que ne permet pas le subjonctif. Od.

15. 5234:

… ἀλλὰ τά γε Ζεὺς οἶδεν εἴ κέ σφι πρὸ γάμοιο τελευτήσει κακὸν ἦμαρ « Mais Zeus sait ceci: s'il doit avant le mariage amener

pour eux une

sinistre journée. »

Si

on

donnerait

lisait

τελευτήσῃ,

leçon

non

attestée

semble-t-il,

ce

subjonctif

le sens suivant, sans valeur interrogative : « Mais cela, Zeus

le

43. Autres exemples, avec formes ambigues: /liade 9 230-1; Odyssee 24 433-5. 44. Autres exemples: lliade 1 83, 14 61-2 (mais el τι... ῥέξει peut aussi être une protase) ; Odyssée 10 192-3, 16 260-1 (forme ambiguë en 16 238).

210

4° PARTIE - INDICATIF

sait: peut-être va-t-il amener... » En ce cas, l'exemple ne serait plus isolé, mais à rapprocher d'autres exemples semblables avec le subjonctif (voir deuxiéme partie, chap. II, C). Il y a un passage où s'opposent nettement le subjonctif d'éventualité, qui ne permet qu'une vérification par l'expérience, donc aprés coup, et le futur de prévision. Il. 2. 365-6:

γνώσῃ ἔπειθ᾽... … ὅς κ᾿ ἐσθλὸς ἔἕῃσι... « Tu sauras

ensuite

(= apres

la bataille)

qui sera un brave. »

Ibid. 367: γνώσεαι δ᾽ ei... πόλιν οὐκ ἀπαλάξεις « Et tu sauras si tu ne dois pas detruire la ville. »

La

bataille

à venir

permettra

de

mettre

à l'épreuve

la valeur

combattants et de prévoir par là l'issue de la guerre. On constate donc que futur et subjonctif s'opposent dans gatives indirectes de la méme fagon que dans les protases. 5. Examen

des apodoses

des

les interro-

des protases au futur:

L'apodose elle aussi est un contexte utile pour justifier l'emploi du futur dans la protase. En effet, puisque avec le futur on fait l'hypothèse d'une prévision actuelle, on peut dans l'apodose en tirer une inférence actuelle. En revanche, avec le subjonctif, on fait l'hypothése d'une éventualité, souvent limitée à l'avenir. La conséquence qu'on en tire est alors située dans l'avenir. Avec le futur, l'apodose est conditionnée par un fait actuel (qui est une prévision); avec le subjonctif, elle l'est par un fait à venir. Il en résulte qu'avec le futur dans la protase, ce que dit l'apodose n'est pas conditionné par le fait prévu, mais par sa prévision, et peut donc étre antérieur au fait prévu. C'est le cas dans la majorité de nos exemples, l'apodose pouvant étre au passé ou au présent. Mais c'est le cas méme lorsqu'elle est au futur Il. 12. 248-50:

εἰ δὲ où δηιοτῆτος ἀφέξεαι, ἠέ τιν᾽ ἄλλον .. ἀποτρέψεις πολέμοιο αὐτίκ᾽... ÖAEGGEIG « Mais si tu pretends t'écarter de la bataille ou en détourner quelqu'un, tu périras à l'instant. »

45. Apodose au passé: Iliade 5 715, 15 185; Odyssée 59-60, 5 350-1, 8 423, 9 230.1 6. Apodose à 8; Odyssee 1

2 122. Apodose

au présent: /liade 1

13 98, 13 374 ; Odyssée 5 419-20, 21 169, 24 433. Apodose nominale : /liade ; Odyssée 23 287. Apodose absente (marque de satisfaction) : Jliade 1 135l'optatif de possibilité actuelle: /liade 1 293, 17 417, 21 462, 24 56, 24 297. 3%. Apodose à. l'impératif: Iliade 15 163, 15 217. Apodose au futur (mais

visant un futur plus proche que celui de la protase): Zliade 10 114-5, 12 250.

CH. Il - FUTUR

ET SUBJONCTIF

211

Hector ne veut pas, semble-t-il, châtier Polydamas d'une éventuelle conduite défaitiste, il veut prévenir celle-ci. C'est que les propos trop sages et trop prudents que Polydamas vient de tenir lui ont suggéré qu'il est déterminé à suivre une telle conduite. On

voit

que

la

protase

au

futur,

comme

toute

protase

de

type

I,

n'établit pas une relation entre des faits, mais entre des énoncés, entre deux « actes de parole successifs », d'où, avec le futur aussi, des emplois dits « marginaux » (voir ci-dessus n. 6). Ce sont ceux où apparaît le plus nettement la signification du tour: si l'on affirme l'assertion de la protase, il faut aussi énoncer l'apodose, sans que soit pour autant conditionnée la vérité de celle-ci, mais seulement sa pertinence. Od.

2. 115-22:

ei δ᾽ ἔτ᾽ ἀνιήσει γε πολὺν χρόνον υἷας ᾿Αχαιῶν … ἀτὰρ τοῦτό γ᾽ ἐναίσιμον οὐκ ἐνόησε « Si (nous admettons qu'elle chagrinera encore longtemps les fils des Acheens.... cependant (nous ajoutons qu'elle n'a pas songé à ce fait important... »

On a ici ce qu'on a appelé l'emploi « oppositif ». Le lien entre protase et apodose étant fort láche, on peut le rendre ainsi: «Sans doute chagrinera-t-elle.. Mais elle n'a pas songé... » En grec, l'apodose est alors souvent introduite par une particule comme ἀτάρ « cependant » ou ἀλλά « mais » (Il. 8. 154).

Cette relation entre deux énoncés, et non entre deux faits, est parfois rendue explicite dans l'apodose, lorsque dans celle-ci un mot fait allusion à l'assertion de la protase. Il. 15. 185-6: .. ὑπέροπλον ἔειπεν εἴ μ᾽... καθέξει

« Il a prononcé des paroles excessives, s’(il a dit qu)il me contraindra... » Dans certains exemples de ce type, on peut voir l'amorce du tour où εἰ suivi d'un indicatif devient complément d'un verbe de sentiment. Od. 21. 169-70: … Νεμεσσῶμαι δέ τ᾽ ἀκούων εἰ δὴ τοῦτό γε τόξον ἀριστῆας κεκαδήσει « J'enrage de l'entendre, si (tu dis que) cet arc affligera des braves. » La présence de ἀκούων montre qu'Antinoos réagit à un énoncé, non

à un événement. Mais il en serait de méme sans ἀκούων. La subordonnée serait alors comprise comme complétant le verbe de sentiment : « J'enrage à la pensée que... » D. CONCLUSION

SUR

L'OPPOSITION

DU FUTUR

ET DU SUBJONCTIF

On a vu que l'indicatif futur s'oppose toujours au subjonctif, même avec particule dite modale et après ei. C'est une opposition modale, entre l'indicatif, mode de l'assertion de réalité, et le subjonctif, qui d'une part n'est pas toujours assertif, d'autre part ne peut exprimer qu'une assertion de possibilité.

212

4° PARTIE

- INDICATIF

Cette opposition modale laisse au futur grec grec la possibilité de deux emplois différents, ceux de présent prospectif ou de futur proprement dit. Présent

prospectif,

il

donne

une

représentation

du

présent

comme

préparant un procès. C'est une valeur aspectuelle symétrique de celle du parfait, ou rétrospectif, qui donne une représentation du présent comme résultant d'un procès. Entre ces deux valeurs se situe celle du présent duratif ou perspectif, qui donne une représentation du présent comme celle d'un procès en cours. Tant que cette valeur aspectuelle domine, le présent prospectif fait couple avec le présent perspectif, constituant l'actuel opposé au non actuel ou passé. C'est la structuration verbale que suggère la formule homérique qui oppose l'ensemble de ce qui est et va être à ce qui était. Il. 1. 70: … τά τ᾽ ἐόντα τά τ᾽ ἐσσόμενα πρό τ᾽ ἐόντα « Ce qui est, ce qui se prépare

à être, ce qui était auparavant. »*6

L'ordre adopté ici est en effet contraire à notre usage, qui nous fait suivre l'ordre linéaire passé, présent, futur. La langue homérique connaissait donc le systéme suivant d'oppositions verbales. dans le réel déterminé

hors du réel

(vécu) : indicatif

non actuel

indéterminé

actuel: ind. primaire rétrospectif

ind. second.

| perspectif

prospectif

présent

forme en -ow

parfait

subjonctif

Un tel système est rompu là où la forme en -o@ fonctionne comme un futur proprement dit, non plus comme un aspect, mais comme un temps. Il donne alors représentation d'un avenir présenté comme prédéterminé, élargissant le réel, qui n'est plus seulement l'univers du vécu, mais celui de ce qui peut être connu, déterminé ou prédéterminé. On a alors le système suivant. dans le réel : indicatif déterminé

(vécu)

non actuel ind. second.

46. Cf. Basset,

hors du réel prédéterminé

indéterminé

futur

subjonctif

actuel parfait

1979, p. 226.

présent

CH. II - FUTUR

ET SUBJONCTIF

213

Les deux systèmes ont coexisté dans la langue homérique. Qu'il soit temps ou aspect, le futur grec appartient à l'indicatif et s'oppose au subjonctif. Le futur temps peut être historique ou discursif. Cette dernière valeur peut être marquée par la particule ke ou ἄν. Le futur discursif exprime une vision prospective, depuis la situation particulière du discours, d'un événement à venir. On ne doit cependant pas le confondre avec l'aspect prospectif, qui, lui, donne une vision du présent comme préparation d'un procés. En effet, temps et aspects établissent des relations paralléles, qu'on peut dans les deux cas qualifier de rétrospectives, perspectives, prospectives, mais à deux niveaux différents. Ce ne sont pas les formes des relations qui distinguent temps et aspects, ce sont les objets mis en relation. Au niveau inférieur, l'aspect est l'expression d'une relation entre représentation événementielle qu'on se donne et le procés exprimé.

la

représentation événementielle procés

terminé

procés

(rétrospectif)

en cours

procés

(perspectif)

préparé

(prospectif)

Il existe une quatriéme sorte de relation aspectuelle, lorsque le procés a son terme dans la représentation événementielle : c'est l'aspect terminatif ou totalisant de l'aoriste grec. Au niveau supérieur, le temps, d'abord discursif, est l'expression d'une relation entre le point de vue du discours et la représentation événementielle qu'on se donne. point de vue 4

représentation

du passé (ind. secondaire)

représentation

représentation

du présent (ind. primaire)

du futur (futur proprement

dit)

Le subjonctif grec se rattache à la catégorie du temps dans la mesure où il établit une quatrième forme de ce type de relation, celle où le point de vue discursif est relié à une représentation située hors du réel, qui peut étre un futur non prédéterminé. C'est cet aspect indéterminé, imaginaire, qui l'empéche d'étre réellement une catégorie temporelle. Le

futur

grec,

ancien

désidératif

en

-0w,

signifiant

d'abord

«je

me

dispose à », est passé d'une valeur aspectuelle à une valeur temporelle par simple déplacement de la relation prospective, que symbolise cidessus la flèche “a. Ce futur, d'abord discursif, devient historique lorsque le point de vue adopté n'est plus celui de la situation particuliére du discours, mais un point de vue objectif, c'est-à-dire général, étendu à tout l'univers du discours. Il n'y a plus alors vision prospective, de l'actuel vers le futur, mais simple constatation d'un écart entre présent et futur. C'est à peu prés la nuance qui distingue en frangais « il parlera » de « il va parler ».

214

4° PARTIE

CHAPITRE

DANS

- INDICATIF

III

L'INDICATIF SECONDAIRE LES SYSTÉMES HYPOTHÉTIQUES

A. LA QUESTION

DE L'IRRÉEL

La tradition grammaticale et nos traductions distinguent nettement deux sortes de protases homériques, qui sont pourtant identiques morphologiquement : elles contiennent un indicatif secondaire. Il. 15. 724: ἀλλ᾽ εἰ δή pa τότε βλάπτε φρένας... Ζεύς « Mais si (jadmets que) Zeus égarait alors nos esprits... » Il. 24. 220: ei μὲν γάρ τίς μ᾽ἄλλος ἐπιχθονίων ἐκέλευεν « Car si un autre mortel m'avait donné cet ordre... » Ce sont les formes différentes de l'apodose (présence d'une particule xev dans celle du second exemple) qui permettent de classer la première de ces protases dans le type I, et la seconde dans le type IV. Or on dit généralement que les protases de type IV et leurs apodoses expriment l'irréel, ce qui soulève plusieurs questions. Tout d'abord, cet irréel a-t-il une marque morphologique chez Homère ? Ne peuvent l'exprimer ni la particule de l'apodose, qui a d'autres valeurs, ni l'indicatif secondaire des deux propositions, qui chez Homére renvoie toujours au passé*'. Cette valeur n'est donc qu'un effet de sens contextuel. Ce n'est qu'aprés Homére que l'indicatif secondaire cesse de marquer le passé dans les protases et apodoses de ce type. Il devient alors la marque d'une nouvelle catégorie verbale, de type modal, qu'on appelle l'irréel.

47. Voir ci-dessus

premiere

partie, chap.

III, C, 2 (avec

la note 68) et Shipp,

1972, p. 227.

CH. III - INDICATIF SECONDAIRE

215

Mais quelle est la signification exacte de cette nouvelle catégorie ? Sa dénomination suggère que l'énoncé est contraire à la réalité. Pourtant on parle aussi parfois d'un potentiel du passé exprimé grâce aux mêmes

moyens morphologiques“. D'autre part, il arrive à cet irréel d’être tout à fait conforme à la l'exemple suivant. Isocrate

XXI,

réalité,

au

moins

dans

lapodose,

comme

dans

11:

xai ei μηδὲ πώποτε διενοήθη ἀδικεῖν, tor’ ἂν ἐπήρθη « Même s'il n'avait jamais songé à l'injustice, alors il y aurait été poussé. » Il faut en effet comprendre : « Il a été poussé à l'injustice, et il y aurait été poussé, même Si... » Il convient donc, méme

si

l'on

conserve

le terme

traditionnel,

d'en

préciser le sens. Enfin, dans quelle mesure l'unité de l'indicatif secondaire est-elle rompue par l'apparition de cette nouvelle valeur? N’est-ce qu'un cas particulier d'une valeur générale? Dans l'apodose, l'opposition se faitelle

entre

&Avov

et ἔλυον

ἄν,

c'est-à-dire

entre

passé

et

irréel, ou

entre

λύοιμι ἄν et EAvov ἄν, c'est-à-dire entre potentiel et irréel ? Dans ce dernier cas, la rupture de l'unité sémantique de l'indicatif secondaire serait bien plus radicale. On

essaiera

de

répondre

à ces

questions

en

étudiant

successivement

les emplois de l'indicatif secondaire avec particule, puis après εἰ, chez Homere principalement, mais en táchant d'expliquer l'évolution ultérieure.

B. L'INDICATIF SECONDAIRE

AVEC

PARTICULE

L'emploi d'une particule ke ou ἄν avec un indicatif secondaire est à premiére vue paradoxal. On a vu en effet qu'avec le futur, comme avec le subjonctif, ces particules soulignent une vision prospective, alors que le propre de l'indicatif secondaire est de marquer une vision rétrospective. La particule semble nous orienter vers un événement à venir, alors que la désinence

nous

oriente

vers un

événement

passé.

Pour que le paradoxe ne soit qu'apparent, il faut que ces deux orientations contraires ne soient plus toutes deux temporelles, quand elles sont réunies dans un énoncé comme le suivant. I]. 5. 679-80: καί νύ κ᾽ ἔτι... κτάνε... εἰ μὴ... « Et il aurait tué encore.., n'était que... » Or on sait que la désinence secondaire garde chez Homére sa valeur temporelle de passé. C'est donc la particule qui perd sa portée temporelle. On peut faire une premiére hypothése en ce sens, en rapprochant 48. Chantraine,

1953, p. 227.

216

4

PARTIE

- INDICATIF

l'emploi de la périphrase prospective avec μέλλειν au passé, dans le méme contexte, avec la méme nuance d’irreel*”. Od. 13. 384-5: φθίσεσθαι... ἔμελλον εἰ μὴ... « Jallais périr.., n'était que... » La périphrase exprime -ici ce qui se préparait dans le passe. Elle a donc valeur d'aspect prospectif dans le passé. On peut être tenté de faire la méme analyse pour l'exemple avec x’... κτάνε. On dirait que la particule n'y exprime plus une vision prospective, qui serait temporelle, mais un aspect prospectif. Mais le rapprochement de κ᾽... κτάνε et φθίσεσθαι ἔμελλον est illusoire parce que les structures des deux tours sont différentes. Dans φθίσεσθαι ἔμελλον, une marque temporelle de passé (augment et desinence secondaire) est appliquée à une périphrase prospective φθίσεσθαι μέλλειν. Il est en effet normal que la marque temporelle porte sur une forme aspectuellement marquée. Dans x’... κτάνε en revanche, xe est appliqué à une forme κτάνε qui est déjà marquée aspectuellement (aoriste) et temporellement (passé). Ke, qui n'est donc pas sous la portée de la marque temporelle, mais l'a sous sa portée, ne peut étre une marque d'aspect. Le tour à rapprocher de x’... κτάνε n'est donc pas φθίσεσθαι ἔμελλον mais celui où, toujours dans le méme contexte, la particule ke accompagne un optatif. Il. 5. 311-2: καί νύ κεν ἔνθ᾽ ἀπόλοιτο... εἰ μὴ... « Et il aurait alors péri. n'était que... » Nous avons vu en effet qu'avec l'optatif la particule n'indique plus un enchainement temporel, mais un enchainement logique. C'est que la vision prospective qu'elle exprime ne porte plus sur un contenu événementiel, mais sur le point de vue qui est à la source de l'énoncé. On peut considérer que ke a un rôle semblable dans x’... κτάνε et n'annonçe pas ce qui était sur le point de s'accomplir (comme l'auxiliaire μέλλειν), mais ce qu'on est sur le point de penser. I] reste

cependant

à expliquer

l'opposition

entre

l'optatif ἀπόλοιτο

de

Il. 5. 341 et de l'indicatif secondaire κτάνε de Il. 5. 679. On sait que l'optatif a justement pour effet de désigner un point de vue non actuel, qui est ici un point de vue fictif auquel on s'attend. En revanche, l'indicatif secondaire κτάνε «il tua » implique un point de vue réel et actuel, lequel ne peut étre l'objet d'une vision prospective. Pour résoudre ce nouveau paradoxe, il faut admettre que Ke devant κτάνε a un emploi supra-propositionnel analogue à celui qu'on a défini pour les négations. En ce cas, ke n'annonce ni un contenu événementiel 49. Cf. Basset, 1979, pp. 177-80.

CH. III - INDICATIF SECONDAIRE

d'énoncé,

ni

un

point

de

217

vue

source

d'énoncé,

mais

tout

un

énoncé.

Selon cette hypothèse, Il. 5. 679 peut être interprété de la façon suivante: « Et je m'attends que (el μὴ)...»

à dire

(κ᾿

qu'il

a encore

tué

(ἔτι...

κτάνε),

si ce

n'est

A l'appui de cette hypothèse, on peut évoquer un emploi analogue de l'adverbe ὀλίγου « presque », qui indique qu'il s'en est fallu de peu pour que l'énoncé soit vrai C'est alors un modificateur d'énoncé, suprapropositionnel. Il donne à l'énoncé une valeur d'irréel et un xev coordonné introduit alors un enchainement logique, lui aussi irréel. Od. 14. 37-8:



γέρον, ἦ᾽ ὀλίγου σε κύνες διεδηλήσαντο

ἐξαπίνης, καί κέν μοι ἐλεγχείην κατέχευας « Vieillard, pour un peu mes chiens te mettaient en pieces, en un instant, et je présume qu'alors tu devenais pour moi source de honte. » On ne peut traduire « mes chiens t'ont presque mis en piéces », puisque

Eumée a rappelé ses chiens, qui n'ont pas eu le temps de toucher Ulysse. Ὁλίγου modifie ici l'énoncé, non le contenu de l'énoncé. Il y a cependant une différence importante entre cet emploi de ὀλίγου et l'emploi correspondant de xev. Avec ὀλίγου «il s'en est fallu de peu pour que je dise que», il a manqué quelque chose pour que l'énoncé soit

reconnu

vrai. Avec

que », il manque mais

rien

ke

«je

encore quelque

n'indique,

sinon

m'attends

à dire

que»

ou

«je

présume

chose pour qu'il le soit dés à présent,

peut-étre

le

contexte,

qu'il

ne

le

sera

pas.

Autrement dit, ὀλίγου implique l'irréel alors que Ke ne l'implique pas. Parmi ces emplois de xe, on doit donc pouvoir distinguer des cas où le contexte n'indique pas que la présomption est incorrecte, et des cas où il l'indique. Il peut l'indiquer de deux façons, soit qu'il contredise assertion présumée, soit qu'il indique seulement que la présomption part de prémisses non remplies dans la réalité. Au premier cas correspond ce qu'on appelle un irréel, au deuxiéme cas correspond ce qu'on appelle un potentiel du passé.

l. Le contexte n'infirme pas l'assertion présumée : D'aprés ce qui vient d'étre dit, l'interprétation proposée ci-dessus suppose que cet emploi supra-propositionnel de la particule soit observable avec n'importe quel indicatif, présent comme passé, sans provoquer une valeur d'irréel?. De tels emplois existent mais sont rares. Leur rareté dans le grec ancien, puis leur désuétude ont sans doute eu pour effet d'en diminuer encore le nombre dans les éditions (corrections d'éditeurs), tendance qui a pu se manifester dés la tradition manuscrite (variantes)?!. Dans plusieurs de ces exemples la particule est aisément interprétable comme un modificateur d'énoncé et non de contenu. C'est en particulier 50. Avec le futur qui représente un contenu propositionnel à venir, l'emploi de la particule peut toujours

étre propositionnel.

51. Voir Kühner-Gerth,

1898, p. 210.

218

4€ PARTIE - INDICATIF

le cas du groupe τάχ᾽ ἄν, où τάχα lui-même peut perdre son sens temporel « bientót » pour le sens logique « peut-étre », n'indiquant plus la proximité d'un événement, mais celle d'une assertion. Cet emploi de τάχ᾽ ἄν s'observe à l'époque classique.

Soph. O.R. 5234:

Ἀλλ᾽ ἦλθε μὲν δὴ τοῦτο τοὔνειδος τάχ᾽ ἂν ὀργῇ βιασθὲν... « Mais ces injures lui sont venues, je presume, sous la violence de la colere. » Sans connaître les faits, le coryphée propose une explication vraisemblable du comportement d'Œdipe. Il s'attend à une confirmation. De tels emplois de la particule s'observent aussi chez Homère, sans τάχα, et méme Il. 14. 484:

avec

un indicatif présent.

… τῷ Kal κέ τις εὔχεται ἀνὴρ « C'est pourquoi, je presume que n'importe quel homme se félicite... » Un enchainement logique, d'énoncé à énoncé, est souligné par τῶ «c'est pourquoi ». L'assertion introduite a une valeur générale (τις «un quelconque »). Elle ne repose donc pas uniquement sur l'expérience, mais sur une induction amplifiante. La présence d'un xe de présomption est donc naturelle. Cependant, le manuscrit A porte, dans l'interligne, une variante t£, qui a été adoptée par les éditeurs. Od. 2. 86: .. ἐθέλεις δέ κε μῶμον ἀνάψαι « Et je presume que tu veux nous jeter un bläme. » Antinoos propose une interprétation ironique des propos de Télémaque.

Il en attend confirmation. Les éditeurs ont cependant adopté la variante ἐθέλοις, optatif qui ne se justifie guère en ce contexte. Od.

3. 255:

ἦτοι μὲν τόδε κ᾽ αὐτὸς Öleaı... « D'ailleurs, je présume que toi-même tu le devines. » Nestor s'attend à ce que Télémaque lui confirme d'un signe de tete qu'il a bien déjà en tête ce qu'il va lui dire. Ici on a parfois voulu voir

καὐτός

avec crase de καί ou élision

insolite??. Des

éditeurs ont aussi

adopté la correction γ᾽. D'autres exemples font encore plus nettement allusion à un énoncé à venir. Od.

14.

1634:

… τίσεται ὅς Kev... ἐνθάδ᾽ ἀτιμάζει ἄλοχον... « Il punira tout homme dont on va lui dire qu'il outrage ici son épouse... » Il y a une variante tig. Mais ke permet de souligner la nécessité d'une dénonciation. En effet, à son retour, Ulysse ne pourra découvrir lui-méme les coupables. L'indicatif aprés Ke indique donc qu'on prévoit une 52. Chantraine,

1958, p. 85.

CH. III - INDICATIF SECONDAIRE

dénonciation,

alors qu'avec

219

un subjonctif, on prévoirait une découverte

par l'expérience?.. C'est ainsi qu'on peut expliquer deux emplois, à premiére vue surprenants, de la particule avec un indicatif secondaire. Od. 4. 546-7: fj γάρ μιν ζωόν ye κιχήσεαι, À xev ᾿Ορέστης κτεῖνεν... « Car ou bien tu trouveras Égisthe encore vivant, ou bien on va te dire qu'Oreste l'a tué. » On a proposé les corrections xai (Bekker) et μιν (Wilhelm). Pourtant, Protée, devin qui prévoit sans avoir confirmation de ce qu'il prévoit, distingue les deux alternatives: ou Ménélas verra (futur κιχήσεαι), ou on va lui dire ce qui s'est passé (kev suivi d'un passé). Il. 13. 676-7 : … τάχα δ᾽ ἂν καὶ κῦδος ᾿Αχαιῶν ἔπλετο... « Et je vais bientôt dire que ce fut même le triomphe des Achéens. » Dans ce passage, l'aéde doit décrire des événements simultanés sur deux théatres différents du combat: l'aile gauche des Troyens cède au moment où l'aile droite, animée par Hector, continue sa pression sur les Achéens. Comme le récit s'attache aux faits et gestes d'Hector, l'aède annonce qu'il parlera plus tard de la défaite de l'aile gauche, bien qu'elle soit déjà consommée. C'est ce qu'il fera aux vers 758-64, lorsqu'Hector, sur

le conseil

de

Polydamas,

ira

secourir

l'aile

gauche,

et

ne

trouvera

que des morts et des fuyards blessés. Ainsi, quoique formellement identiques aux emplois à valeur d'irréel, ces emplois de la particule devant indicatif secondaire n'ont pas cette valeur. C'est qu'ici le contexte n'infirme en aucune fagon les prévisions d'assertion qui y sont faites. 2. Le contexte contredit l’assertion présumée : La rareté des exemples précédents suggére que l'emploi d'une particule κε ou ἄν avec un indicatif secondaire est naturel surtout lorsque le contexte infirme l'énoncé présumé. Il faut donc non seulement identifier de

tels

contextes,

mais

aussi

montrer

pourquoi

le

tour

apparait

de

préférence dans de tels contextes. On expliquera ainsi qu'il ait fini par se charger d'une signification produite à l'origine par le contexte. Le mot contexte est d'ailleurs ambigu. Il peut désigner, dans un sens étroit,

le

texte

qui

précède

ou

qui

suit

la

proposition



se

trouve

l'emploi en question. A ce contexte externe s'oppose un contexte interne, celui qui dans la proposition entoure l'emploi. Enfin à ces contextes 53. Voir dans la deuxiéme partie, chap. IV, B, 2, l'opposition parallele, dans l'expression d'une crainte, de μή avec subjonctif (crainte de faire une découverte) et de μή avec indicatif (crainte d'avoir à reconnaitre

une assertion).

220

4° PARTIE - INDICATIF

explicites s'oppose, dans un sens large, un contexte situationnel implicite. Mais

on passe

progressivement

des uns aux autres.

Les contextes qui contredisent le plus nettement l'assertion présumée sont des contextes externes correspondant aux modeles suivants. - Modele

1:

καί (νύ) κε ou ἔνθα κε + ind. second. + ἀλλὰ + ind. second. Le sens est:

« Et alors je m'attends (à dire) que X eut lieu, mais Y (excluant X) eut lieu. »** - Modele

2:

καί (νύ) xe ou ἔνθα κε + ind. second. + ei μὴ + ind. second. Le sens est:

« Et alors je m'attends (à dire) que X eut lieu, si ce n'est que Y (excluant X) eut lieu. »°° - Modèle

3:

Ind. second. + À ke ou à τ᾽ ἂν + ind. second. Le sens est:

« Y (excluant X) eut lieu, sans quoi je m'attendrais (à dire) que X eut lieu. »°® Les deux premiers modèles ont un concurrent bien moins représenté (3 exemples seulement): ἔμελλε ou ἦθελε + inf. + ἀλλὰ ou ei μὴ + ind. second. Le sens est: « Il allait (ou: il se disposait à) accomplir X, mais (ou: si ce n'est que) Y (excluant X) eut lieu. »°7 Il semble donc que le poète préfère prévoir la suite de sa narration et non celle des événements contés?*. Est ainsi suggéré un dialogue implicite avec ses auditeurs, dialogue qui aurait pour objet le récit: « Voici ce que vous croyez que je vais dire... Eh bien non... ». Ce procédé sert à mettre en valeur une péripétie, un retournement du récit, en jouant avec les réactions de l'auditoire. C'est là un des indices que narrateur et auditoire interviennent dans la narration épique. 54. Iliade 5 22.3, 17 319-23; Odyssée 4 441-4, 14 32-4, 19 282.3, 20 2224, 21 128-9.

7 278-80, 9 79-81,

11 565-6,

11 630-2,

12 71-2,

55. 43 exemples qu'on trouvera dans la note 8 de la premiere partie (en ôter /liade 5 311. 2, 5 388, 17 70, qui ont un optatif dans l'apodose). En français, à «je m'attends à ce que » (+ subjonctif) s'oppose «je m'attends que» (+ indicatif); cf, Grevisse, 1961, pp. 988.9. On peut ainsi traduire l'opposition de xe propositionnel (avec subjonctif ou futur) (ici avec

et de κε supra-propositionnel 56.

Avec

κε:

Iliade

3 56,

5 885,

15

228,

273, 20 305. Avec ἄν: Iliade 5 201 57. Iliade 6 52-5, 21

58. Cf. l'opposition

177-9; Odyssée

de

20

ind. secondaire). 94,

22

(= Odyssée

16;

Odyssée

9 228), 8 455,

9 302,

12

445,

14

19 271.

13 383.5.

la narration, du

récit et de l'histoire dans

Genette,

1972.

367-70,

20

CH. III - INDICATIF SECONDAIRE

221

Dans les trois modèles, la négation où peut précéder la particule. Elle est elle-méme alors supra-propositionnelle. Le sens général est que le récit précédent ne fait pas prévoir ce qu'on va dire. En voici un exemple, du modèle 1. Il. 5. 22.3: οὐδὲ γὰρ οὐδέ κεν αὐτὸς ὑπέκφυγε κῆρα μέλαιναν, ἀλλ᾽ Ἥφαιστος ἔρυτο... « Car on ne s'attend pas, on ne s'attend pas (à dire) que lui-même échappa au noir trépas; mais Héphaistos le sauva. » En ce cas, Y (Héphaïstos le sauva) n'exclut pas mais implique X (il échappa au trépas). La répétition expressive de οὐδέ souligne encore plus l'aspect miraculeux du salut d'Idée. Le modele 2 offre de méme un exemple négatif en Od. 24. 41-2. À la place de la négation, on peut avoir un πῶς d'interrogation oratoire, modificateur d'énoncé et non de contenu, donc supra-propositionnel. Il. 22. 202-3: Πῶς δέ κεν... ὑπεξέφυγεν... εἰ μή οἱ... ἥντετο...

« Comment s'attendre (à dire) qu'il echappa..., si ce n'est que vint à lui... » Enfin, dans

le modèle

3, où κε se substitue

à À κε.

Od. 12. 445-6: Σκύλλην δ᾽ οὐκέτ᾽ £ace πατὴρ ἀνδρῶν τε θεῶν TE ἐσιδέειν- οὐ γάρ κεν ὑπέκφυγον αἰπὺν ὄλεθρον « Le père des dieux et des hommes a empêché Skylla de voir; sans quoi on ne s'attendrait pas (à constater) que j'ai échappé à la mort abrupte. » Les trois modèles présentent entre eux des différences. - Dans le modèle 3, le contexte contredisant la prévision est placé avant.

La

prévision

en

tire

un

caractère

polémique,

ce

qui

provoque

parfois le choix de äv. - Dans le modèle 3, la prévision est donc faite nécessairement en faisant abstraction de ce qui vient d'être dit. C'est pourquoi, il est difficile de traduire en français sans recourir à la forme en -rais, comme dans l'exemple ci-dessus. - Cela vaut aussi, dans une moindre mesure, pour le modèle 2: En effet, bien que placé après la prévision, le contexte qui le contredit constitue avec elle un ensemble syntaxique, ce qui suggère qu'il est déjà intériorisé au moment où l'on fait la prévision. Il parait donc plus naturel de traduire:

« Alors je m'attendrais

(à dire) que..., n'était que... »

Cependant, les conditions habituelles du récit font que ce qui vient d'être dit vaut aussi pour le modèle 1, quoique de façon moins contraignante. C'est que le poéte est un conteur omniscient, qui connait d'avance la suite du récit. Il s'ensuit qu'il ne peut faire une prévision incorrecte sur le récit sans faire abstraction d'une partie de son savoir. Pour cela, il prend le point de vue d'un auditeur qui ne connaîtrait pas la suite du récit et se fonderait uniquement sur ce qui précède. Dans ces conditions, le fait méme qu'il se contente de présumer une suite vraisemblable du récit suggére qu'elle est contraire à la réalité. En

222

4° PARTIE - INDICATIF

effet, selon un principe d'exhaustivité, on parle sur un sujet donné pour

en dire tout ce qu'on présenter un énoncé

en sait?

comme

Donc, quand

seulement

on sait ce qui est vrai,

présumé

implique

plus ou moins

qu'il n'est pas vrai. Il n'y a que deux exceptions à ces inférences tirées des conditions du récit. - Ou bien, le locuteur ne sait pas ce qui s'est effectivement passé. C'est le cas de Protée en Od. 4. 546-7, devin éloigné du lieu des événements, qui présume ce qui a dü se passer, mais ne l'a pas constaté (voir cidessus). Le poéte en revanche sait tout par révélation divine (cf. Il. 1. l et Od. 1. 1). - Ou bien, le locuteur sait ce qui s'est passé, mais les nécessités du récit l'obligent à en repousser le rapport à plus tard. C'est le cas en Il. 13. 676-7, oü le poéte doit décrire successivement deux scénes simultanées en des lieux différents

(voir ci-dessus).

La rareté de ces exceptions fait que, dans un récit, toute assertion qui n'est pas assumée, mais infirmée par la réalité,

seulement méme en

présumée, tend à étre regue comme l'absence de contexte contradictoire

explicite. Par suite, une telle présomption est implicitement marquée comme ne tenant pas compte d'une partie de ce qu'on sait: elle est faite d'un point de vue de vérité partiel. 3. Le contexte fonde la présomption sur une condition non remplie: On observe quatre nouveaux modeles différents, oü la présomption est fondée sur une condition non remplie dans la réalité, condition exprimée aprés, avant ou en méme temps que la présomption, sous forme de systéme hypothétique ou non. Ils seront numérotés de 4 à 7. - Modéle

4:

Kai κε ou ἔνθα κε + ind. second. + ei + ind. second. Le sens

est:

« Et alors je m'attendrais (à dire) que X eut lieu, si je disais qu’ eut lieu

Y (impliquant X et contraire à la réalité). »°0 Il. 15. 459-60: … καί κεν ἔπαυσε μάχην... εἴ μιν... ἐξείλετο θυμόν « Et alors je m'attendrais quil öta la vie. » Ce modèle 4 semble être une - Modele

mit

fin au

extension

combat, du

modèle

si je disais

quil

lui

2.

5:

Expression d'un regret + (τῶ) ke + ind. second. Le sens est: 59. Cf. Ducrot, 1972, p. 134. 60. Iliade 15 459, 16 617 ; Odyssee 3 255, 11 317, 13 137 (seul exemple avec ἄν), 14 67, 23 218.

CH. III - INDICATIF SECONDAIRE

223

« Il aurait fallu que Y (impliquant X) eüt lieu; en ce cas, je mattendrais

(à dire) que X eut lieu. »5! Od. 2. 1834: … καταφθίσθαι... dpelec οὐκ ἂν τόσσα... ἀγόρευες « Tu aurais dû périr; (en ce cas) je ne mattendrais pas (= je n'aurais pas) à constater que tu débitais de tels propos. » Ici on a un ensemble négatif οὐκ ἄν supra-propositionnel, avec une valeur nettement polémique (opposition à τόσσα «les propos que tu tenais »). En ce cas, Y (ta mort) exclut X (les propos que tu débitais). - Modèle

6: C'est le modèle 4 inversé.

Ei + ind. second. + (τῶ) κε + ind. second,

Le sens est:

|

« Si je disais qu’ eut lieu Y (impliquant X), alors je m'attendrais (à dire)

que X eut lieu. »2 Od. 23. 21-3:

ei γάρ τίς μ᾽ ἄλλη... ταῦτ᾽ ἐλθοῦσ᾽ ἤγγειλε... TO κε τάχα... μιν ἐγὼν ἀπέπεμψα... « Car si je disais qu'une autre est venue m’annoncer cela, en ce cas je mattendrais (à dire) que je l'ai renvoyée ausitöt. » - Modèle

7:

La condition

non

remplie

est intérieure

à l'énoncé

avec

xe, ou

méme

totalement implicite®?. Il. 9. 545:

… OÙ μὲν γάρ κε δάμη παύροισι « Car je ne m'attendrais pas (à dire) qu'il a été dompté par peu d’hommes. » C'est-à-dire « si je disais que peu d'hommes l'ont attaqué ». Le sanglier a bien été tué, mais il a fallu pour cela beaucoup de chasseurs. Avec ces modèles 4 à 7, l'assertion présumée n'est pas nécessairement infirmée par la constatation de ce qui a eu lieu. C'est pourquoi, si où peut encore

constaté, négation Il. 23. … ἀλλ᾽

étre une

négation

supra-propositionnelle

rejetant ce qui est

comme dans l'exemple ci-dessus, il peut aussi étre une simple propositionnelle, ce que signale sa position non initiale. 546-7 (modele 5): ὥφελεν ἀθανάτοισιν

εὔχεσθαι:

τῶ κ᾽ οὔ τι πανύστατος

ἦλθε...

61. Iliade 3 41, 11 382, 19 61, 21 280, 21 432, 22 427, 23 547 ; Odyssée 2 184 (seul exemple avec ἄν), 5 311, 13 205, 18 402, 24 32, 24 381. 62. Iliade 5 897, 8 366, 16 686, 23 526; Odyssée 4 172-4, 4 732, 9 497, 23 21, 24 284. 63. Autres

exemples:

lliade

16

638;

Odyssée

9 211,

9 334,

10 84,

11

emplois semblables avec l'optatif (troisiéme partie, chap. V, C, 3).

330,

24

90.

Cf.

les

224

4° PARTIE - INDICATIF

« Mais il aurait dû invoquer les immortels. En ce cas, on s'attendrait (à dire) quil n'est pas arrivé le dernier. » On ne peut imputer la place de où à la présence d'un indéfini, car on a οὐκ ἂν δή ποτε en Il. 19. 271. Od. 9. 211

(modele

7):

… τότ᾽ ἂν où τοι ἀποσχέσθαι φίλον ἦεν « Des lors, je m'attendrais (à dire) que s'en priver n'était pas agréable. »

L'infinitif ἀποσχέσθαι

«s'en

priver»

suggère

une

condition

implicite,

non remplie: Ulysse ne s'est pas privé de ce vin délicieux. L'emploi simplement propositionnel de où produit un sens fort «ce n'était pas agréable », c'est-à-dire « c'était désagréable », alors qu'un emploi suprapropositionnel ne produirait qu'un sens faible (simple absence d'agrément, voir première partie, chap. II, B). Ce sens fort, lié à un ton ironique et à la suggestion qu'au contraire Ulysse s'est régalé, explique le choix de äv qui souligne une opposition. Les modèles 4 à 7 n'opposent pas explicitement l'assertion présumée à ce que le locuteur sait avoir eu lieu. Le contexte plus large peut parfois le faire, mais de moins en moins quand on va du modèle 4 au modèle 7. En fait, si l'énoncé marqué par la particule est seulement présumé, ce n'est plus parce que le locuteur sait qu'il est contredit par les faits, mais parce qu'il adopte un point de vue qui n'est pas le sien, en s'imaginant dans une situation qui n'a pas existé. Dans l'exemple cidessus, c'est celle où Ulysse n'aurait pas bu. Or une situation qui n'a pas existé ne se préte pas à l'observation. Tout ce qu'on en peut dire n'est que le fruit d'un raisonnement de vraisemblance. Si donc l'énoncé «alors ce n'était pas agréable » est présumé, c'est qu'on part du point de vue contraire au point de vue réel, celui oü Ulysse n'aurait pas bu. 4. Irréel et potentiel du passé : Deux effets de sens légérement différents sont donc liés au contexte. A propos d'événements passés, présenter une assertion comme simplement présumée et non assumée, suggére l'une des deux inférences suivantes: - Ou bien, on a constaté un événement contraire à celui qui est évoqué. C'est l'effet de sens traditionnellement appelé irréel. - Ou bien l'événement évoqué ne peut étre l'objet d'une constatation, parce que pour l'évoquer on adopte un point de vue en partie contraire au point de vue de vérité. Et il n'importe pas que l'événement évoqué ait eut lieu ou non dans la réalité. C'est l'effet de sens souvent appelé potentiel du passé. On pourrait donc opposer irréel et potentiel du passé en disant que l'un définit un contenu irréel, alors que l'autre définit un point de vue irréel (ce qui apparaît surtout dans les modèles 4 à 7). Mais en fait, dans le premier cas aussi le point de vue adopté contredit en partie le point de vue de vérité, à cause de l'abstraction qui est faite d'une partie de ce qu'on sait. Il s'agit donc seulement de deux variantes d'une méme

CH. II - INDICATIF SECONDAIRE

225

signification generale. Sauf cas exceptionnels, comme 4. 546-7

(voir ci- dessus),

chez Homère,

l'emploi

d'une

Il. 13. 676-7 et Od. particule

avec un

indicatif secondaire indique qu'une assertion sur des événements passés est présumée parce qu'on part d'un point de vue en partie contraire au point de vue de vérité. Il faut distinguer cette signification de celle qui résulte de l'emploi d'un verbe exprimant une intention, une disposition, une nécessité,

comme ἐθέλειν, μέλλειν, κέρδιον εἶναι, etc. Employés au passe, sans particule, ces verbes peuvent indiquer que la disposition, l'intention, tout en ayant existé, n'ont pas eu les prolongements attendus. Il. 22. 177-9: … ἤθελε... dan... ἀλλὰ πρὶν 'Axu UG... θυμὸν ἀπηύρα « Il voulait

briser.., mais auparavant

Achille

lui öta la vie. »

En ce cas, le frangais dit plutót « aurait voulu briser » pour marquer la non réalisation de l'intention. Employés au passé, mais avec particule, les mémes verbes indiquent que la disposition, l'intention, etc. sont envisagés d'un point de vue en partie contraire à la réalité. Od. 9. 334: oi δ᾽ ἔλαχον τοὺς ἄν κε Kal ἤθελον αὐτὸς ἑλέσθαι « Ceux que le sort designa, moi-même j'aurais voulu aussi les choisir. » Il faut sous-entendre «si j'avais eu à choisir ». C'est ce qu'on appelle un potentiel du passé. En fait, l'intention envisagée a bien existé dans la réalité, mais elle n'a pas eu à s'exercer*^. De méme

en frangais, « Je serais venu méme

sans ton appel » implique

« je suis venu ». La forme en -rais composée n'indique donc pas l'irréalité du fait évoqué, mais l'adoption d'un point de vue en partie contraire à ce qu'on sait (celui ou l'on n'aurait pas été appelé). Ainsi, chez Homere, l'emploi d'une particule avec un indicatif secondaire prend une valeur semblable à celle de l'optatif assertif, mais plus précise. Celui-ci en effet indique l'adoption d'un point de vue en partie imaginaire, soit que l'on fasse abstraction d'une partie de ce qu'on sait, soit que l'on fasse abstraction d'une ignorance (voir troisiéme partie, chap. V, D). Avec l'indicatif secondaire et une particule, on fait seulement abstraction d'un savoir. C'est pourquoi l'optatif peut étre employé avec particule dans les modeles 1 à 7 quand on n'a pas besoin de préciser l'irréalité du point de vue adopté. Il. 4. 223 (modèle 7):

Ἕνθ᾽ οὐκ Gv... ἴδοις ᾿Αγαμέμνονα... 64. Certains ont corrigé ce conglomérat ἄν xe en ἄρ κε. On a une opposition semblable entre Odyssée 20 332 (κέρδιον ἦεν sans particule qualifiant une conduite effective) et Iliade 5 201 (κέρδιον ἦεν avec ἄν qualifiant une conduite qu'on n'a pas eue).

226

4€ PARTIE

- INDICATIF

« Alors, on n'aurait pas vu Agamemnon... » Il faut sous-entendre

personne pas

« pour peu qu'on se soit trouvé

du grec ayant

nécessaire

de

là ». La deuxiéme

ici la valeur indéfinie de notre

préciser

que

ce

témoin

imaginaire

«on»,

il n'est

pas

existéó5.

n'a

Aussi adopte-t-on, avec l'optatif, un point de vue seulement contrairement à Ulysse dans l'exemple suivant. Od.

imaginaire,

24. 61:

.. ἔνθα κεν OÙ τιν᾽... νόησας « Alors, tu n’aurais νὰ personne... » Il faut sous-entendre « pour peu que tu te fusses trouvé là ». Ulysse, qui s'adresse à l'ombre d'Achille aux enfers, ne peut que souligner son absence de l'assemblée qui célébra ses funérailles. Aussi adopte-t-il, avec l'indicatif secondaire, un point de vue qui contredit sur ce point la réalité. 5. L'indicatif secondaire

avec particule après Homère :

Dans les emplois de l'époque classique, deux faits nouveaux apparaissent : - L'indicatif secondaire est employé avec äv pour évoquer des événements aussi bien présents que passés, et méme futurs. Le tour devient alors l'expression d'un irréel atemporel. - L'indicatif secondaire est employé avec ἄν pour exprimer une répétition dans le passé, en particulier avec une protase à l’optatif. a. L'irréel atemporel: L'usage homérique a permis de définir un effet de sens habituel de la combinaison de l'indicatif secondaire avec une particule. On peut avoir l'impression que la particule dans ce contexte a eu tendance à se charger de cette nouvelle valeur, comme le suggére notre traduction par «on s'attendrait que ». C'est sans doute d'ailleurs cet emploi qui avait poussé le grammairien grec Apollonios Dyscole à qualifier ke et ἄν de σύνδεσμοι ἀναιρετικοί « particules destructives », c'est-à-dire « d'irréel ».

Ainsi s'explique peut-être le seul emploi de ei... Ke suivi d'un indicatif

secondaire®”. IL 23. 526: εἰ δέ κ᾽ ἔτι προτέρω γένετο δρόμος « Si la course avait encore duré plus avant... » Dans cette protase, le po&te imagine un prolongement previsible de son récit, ce que souligne la présence de xe. Mais cela laisse entendre qu'en fait il ne peut pas le prolonger ainsi, et que donc l'hypothése est contraire à la réalité, ce qu'on peut expliciter ainsi: «Si je pouvais 65. On a de méme

l'optatif en /liade 5 311, 5 388, 17 70 (modele 2), 1 232 = 2 242 (modele

3), 2 81, 24 222 (modèle 66. Kühner-Gerth,

67. On a cherché à

6) ; Odyssée

1 236 (modèle 4).

1898, p. 211.

l'éliminer (cf. Chantraine,

1953, p. 283).

CH. III - INDICATIF SECONDAIRE

227

continuer en disant que la course a encore duré... » Dans cet exemple limite, ke signale donc une valeur d'irréel, mais il ne peut en devenir pleinement la marque. Il y a en effet antinomie entre la valeur d'irréel qui est établie a posteriori, et ce qu'il y a de proprement prospectif dans la particule. En revanche, il suffit que la marque rétrospective qu'est l'indicatif secondaire n'ait plus une fonction temporelle, mais logique, pour qu'elle prenne la valeur d'irréel. Dés lors en effet, l'indicatif secondaire n'a plus pour fonction de marquer un contenu événementiel comme passé. On dira qu'il marque un point de vue comme révolu, c'est-à-dire comme rendu caduc par un apport de savoir. Mais ce point de vue révolu est cependant actuel, car il s'agit d'une antériorité logique; il est logiquement antérieur à un savoir. C'est à quoi correspond l'irréel atemporel posthomérique, tel qu'il sera analysé ci-aprés dans les protases. Dans

les apodoses,

et avec

ἄν,

deux

particularités

de

cet

irréel

sont

à signaler: - Comme dans les systemies à l'optatif (type III), la particule marque un enchainement logique dans la fiction, avec la seule différence que le point de vue fictif est marqué comme contredit par le point de vue de vérité. - L'énoncé étant assertif, avec négation où, ce point de vue n'est qu'en partie contraire au réel. C'est encore pour le reste un point de vue de vérité. Plat. Banquet 180 c:

ei μὲν yàp εἷς ἦν ὁ ἔρως, καλῶς ἂν εἶχε « Si l'amour

était unique,

ce serait bien. »

Pour dire «ce serait bien », il faut adopter un point de vue où l'amour serait unique,

aussi un

ce qui est contraire

point

c'est ce que

de vue

pense



à ce que

il est bien que

pense

Pausanias.

Mais

l'amour soit unique,

c'est

et cela,

Pausanias.

B. La répétition dans le passé: La particule áv est employée facultativement. L'imparfait seul peut exprimer la répétition par sa valeur aspectuelle durative. On peut opposer l'usage attique de la particule à l'usage homérique du suffixe -oxe/o-. Xén.

An.

2, 3, 11:

el ng αὐτῷ δοκοίη... βλακεύειν, ἔπαισεν ἄν. « Si quelqu’un lui semblait paresser, il le frappait. » Il. 2. 198-9:

ὃν δ᾽ αὖ... ἴδοι βοόωντα... τὸν... ἐλάσασκεν... « Celui

qu'il voyait crier, il le rudoyait. »

Cet emploi de áv avec un indicatif secondaire ne correspond pas à l'adoption d'un point de vue irréel. Xénophon sait que Cléarque a réellement frappé des soldats qui paressaient. L'aoriste ἔπαισεν a donc valeur temporelle de passé, et l'assertion est une assertion de réalité. Mais il ne sait ni le nombre, ni l'identité des soldats frappés par Cléarque. Il tire seulement de ce qu'il sait, par induction logique, que le comportement de Cléarque était systématique et lié à ce qu'il voyait.

228

4° PARTIE - INDICATIF

Il en résulte deux conséquences. - Dans la subordonnée, l'optatif exprime le point de vue passé de Cléarque, car c'est ce point de vue qui commandait son comportement. - L'assertion de la principale, oü s'affirme l'aspect systématique du comportement de Cléarque, n'est pas le fruit de la seule expérience. Elle est présumée à partir de l'expérience. C'est la particule &v qui en grec a pour róle de réduire ainsi l'affirmation à une présomption. Cet emploi est donc assez semblable à celui de Soph. O.R. 523-4, oü le coryphée présume qu'CEdipe a parlé sous l'effet de la colère, sans en étre sür (voir ci-dessus). De méme, en Od. 4. 546-7, Protée présume αὐ Oreste a déjà tué Égisthe (voir ci-dessus). Dans tous ces cas, l'information est insuffisante pour assurer une assertion. Celle-ci n'est donc pas assumée fermement, mais seulement présumée. Dans l'exemple ci-dessus, Xénophon aurait pu employer un imparfait seul ἔπαιεν. Cet autre usage du grec classique rejoint l'usage homérique illustré ci-dessus par Il. 2. 198-9. En effet, comme l'imparfait, le suffixe -oxe/o-

est

une

marque

imperfective,

indiquant

que

le

procès

ou

sa

répétition dure au-delà du moment où on le represente‘®. L'emploi de ce suffixe ou de l'imparfait indique donc que le locuteur donne une représentation partielle du procés. C'est une assertion qui dans le passé un procés orienté vers son accomplissement.

représente

On observe donc la concurrence des deux tours suivants: - Celui

avec

ἄν permet

de

présumer

une

assertion

donnant

complete

représentation d'un contenu événementiel passé. - Celui qui repose sur un aspect imperfectif permet d'assumer, sans restriction, une assertion donnant représentation incompléte d'un contenu événementiel passé. Cette concurrence est paralléle à celle qui a été observée entre l'expression d'un prolongement attendu du récit, avec particule, et l'expression d'un prolongement naturel des événements contés, avec un verbe comme μέλλειν. Lorsque les événements constatés semblent orientés vers un achévement donné, on peut en effet, à défaut de constater un achévement effectif, soit s'attendre à le constater, soit constater un début de réalisation. 6. Conclusion

sur l'indicatif secondaire

avec particule:

Les emplois de la particule avec l'indicatif secondaire reposent sur une valeur logique, et non plus temporelle, de la particule. Aprés Homere lindicatif secondaire avec particule prend aussi, le plus souvent, une valeur logique. Ces valeurs logiques tiennent à un changement dans la portée de ces marques morphologiques. Elles ne portent plus alors sur le contenu événementiel évoqué, mais sur l'énoncé lui-méme ou le point de vue qui en est la source. Chez Homére et en attique, pour présenter un fait isolé ou un comportement systématique comme non constatés mais inférés, la particule 68. D'où

ses valeurs « inchoative » et « déterminée » (Chantraine,

1958, pp. 316-25).

CH. III - INDICATIF SECONDAIRE

229

permet de présumer une assertion que le locuteur n'est pas (encore) en mesure d'assumer. Dans les conditions du récit homérique, mais aussi dans le dialogue, cette valeur répond habituellement à une situation particuliére. Le locuteur ne peut présumer l'assertion qu'en faisant abstraction d'une partie de son savoir, adoptant ainsi un point de vue en partie irréel. Dans la langue posthomérique (le premier exemple est de Xénophane), l'indicatif secondaire connait un nouvel emploi, où il ne note plus un contenu

événementiel

passé, mais

un point

Cette derniére évolution sera examinée l'étude de l'indicatif secondaire après ei. C. L'INDICATIF SECONDAIRE

de vue

de

irréel.

fagon

plus

précise

dans

APRÉS ei

Chez Homére, l'indicatif secondaire fonctionne toujours comme un passé. En attique, il peut étre aussi une marque modale d'irréel atemporel. Il convient donc, pour étudier son emploi aprés ei comme celui avec particule, d'examiner en quoi l'état de langue homérique prépare l'état de langue ionien-attique postérieur. l. L'indicatif secondaire

en protase chez Homére:

Dans 67 exemples, l'indicatif secondaire aprés ei exprime une hypothese que le locuteur sait contraire à la réalité, dont 46 avec ei μή. C'est une trés forte majorité, mais non la totalité des hypothèses à l'indicatif secondaire (voir par exemple Il. 15. 724 et Od. 22. 359). Il a été montré que ces hypothéses ne constituent qu'un cas particulier

des protases de type I, oü sont combinées la référence au passé et la contradiction avec ce qu'on sait (voir premiere partie, chap. III, C, 2). En effet, rien n'empéche qu'une protase de type I exprime une hypothése contraire à la réalité. Faisant l'hypothése d'une assertion sur le réel, elles peuvent étres aussi bien contraires au réel que conformes à lui. De fait, le locuteur peut avoir, hors hypothése, trois positions différentes quant à l'assertion de l'hypothése. - Ou bien, il ne sait rien de sa vérité. C'est le cas en Od. 22. 359 (voir première partie /./.). - Ou bien, il en reconnaît la vérité. C'est le cas en Il. 15. 724 (voir cidessus sous A). - Ou bien, il en reconnait la fausseté. C'est le cas en Il. 24. 220 (voir sous A).

Dans le cas de l'hypothèse avec ei μή, l'hypothèse est contraire à la vérité si le locuteur, hors hypothèse, reconnait la vérité de l'assertion écartée par hypothése. Cependant, dans le cas particulier où l'hypothése contredit la vérité reconnue par le locuteur, le rapport entre protase et apodose est profondément modifié. Le point de vue qui est à la source de l'apodose ne peut plus étre défini par ce que sait le locuteur augmenté de l'hypothése. Pour faire entrer l'hypothése dans ce nouveau point de vue,

230

4° PARTIE - INDICATIF

le locuteur doit faire abstraction, dans ce qu'il sait, de ce qu'elle contredit. L'hypothèse n'est plus alors une hypothèse d’addition (comme avec les protases de type II), mais de substitution (comme avec les protases de type

III).

D'ailleurs, ces hypothèses sont le plus souvent avec ei μή, dont le rôle est clairement d'écarter une assertion reconnue comme vraie, c'est-à-dire de la retirer du point de vue du locuteur. Il. 5. 311-2:

Kai νύ κεν ὄνθ᾽ ἀπόλοιτο... εἰ μὴ ἄρ᾽ ὀξὺ νόησε... « Et alors il aurait péri.., si je ne disais pas qu’ (= n'était qu’) Aphrodite le vit. » Mais le résultat est le même avec ei qui, ajoutant le contraire de ce qu'on sait vrai, oblige à le retirer du point de vue réel. Il. 2. 80-1: εἰ μέν τις τὸν ὄνειρον ᾿Αχαιῶν ἄλλος Evione ψεῦδός κεν φαῖμεν... « Si un autre Achéen avait conté ce songe, nous y verrions un mensonge. »

Nestor fait l'hypothèse de l'assertion «un autre a conté ce songe ». Une telle hypothèse l’oblige à retirer de son point de vue la connaissance du fait que c'est bien Agamemnon qui l'a conté. Aussi l'apodose porte-t-elle une marque particuliére, si elle est vraiment conditionnée : - Dans

deux

exemples,

on

a un

verbe

dit de

« modalité », ἔμελλον

en

Od. 13. 384 et κέρδιον Nev en Od. 20. 331. - Dans six exemples, on a l'optatif avec particule? - Dans tous les autres exemples, on a un indicatif secondaire avec particule. Le premier tour suggére qu'un fait qui était attendu ne s'est pas réalisé. Les deux autres suggérent qu'il n'est pas constaté. L'optatif avec particule indique expressément qu'on fait abstraction d'une partie du point de vue réel. Cet emploi de l'optatif assertif, qui implique une restriction mentale, n'est pas lié au fait que l'indicatif de la protase soit à un temps du passé. Il peut aussi accompagner une protase à l'indicatif présent ou futur, pourvu qu'elle fasse l'hypothése d'une assertion contraire à ce que pense le locuteur. Il. 1. 29344:

… KEV δειλός... καλεοίμην ei δὴ coi... ὑπείξομαι « Je serais traité de lâche, si jadmettais que je te cederai... »7 Ὁ Chez Homère donc, l'hypothèse contraire à la réalité n'est pas nécessairement à l'indicatif secondaire, pas plus que l'hypothése à l'indicatif 69. Iliade 2 81, 5 311, 5 388,

70. La voix moyenne

17 70, 24 222; Odyssee

(Chantraine,

est plutót un futur qu'un

1 236.

1953, p. 284) et le contexte

subjonctif.

(cf. δή) font que ὑπείξομαι

CH. III - INDICATIF SECONDAIRE

331

secondaire n'est nécessairement contraire à la réalité. Les deux faits ne vont ensemble que dans la majorité des cas. Mais la prépondérance statistique de leur association, liée à la présence de la particule dans l'apodose, fut une condition du changement syntaxique qui s'accomplit aprés

Homére.

2. L'indicatif secondaire

modal

en protase aprés

Homére:

Le premier exemple connu de protase à l'indicatif secondaire n'évoquant pas un fait passé semble étre celui du fragment de Xénophane. ei χεῖρας ἔχον βόες... « Si les bœufs avaient des mains... »! Dans cet emploi, l'indicatif secondaire, le plus souvent un imparfait duratif, ne peut étre traduit comme au stade homérique avec «si l'on disait que » suivi d'un passé. Car il faudrait le faire suivre d'un présent: «Si lon disait que les bœufs ont des mains..» C'est que l'indicatif secondaire ne marque plus le passé, mais une valeur d'irréel, qui n'est plus seulement celle de l'hypothése, mais est désormais attachée au verbe. De méme, le groupe ei μή ne peut plus être traduit comme un groupe introducteur

« n'était que » écartant

une

assertion

vraie

sur le passé.

Soph. Ant. 755:

ei μὴ πατὴρ ἦσθ᾽... « Si tu n’etais pas mon pere... » Ici, « n'était que» serait suivi d'un présent: «n'était que tu 65...» L'imparfait ἦσθα a dés lors pour fonction d'indiquer non le passé, mais le fait que «tu n'es pas mon père » est une assertion qui ne correspond pas au point de vue d'Hémon parlant à Créon. Il en résulte que l'emploi de μή n'est plus supra-propositionnel, rejetant une assertion positive, mais seulement propositionnel. Cette nouvelle valeur modale de l'indicatif secondaire est souvent interprétée comme résultant d'un glissement métaphorique du sens de l'expression non actuel. Aprés avoir qualifié un fait passé, cette expression en viendrait ainsi à qualifier un fait non réalisé. On a pourtant bien des indices que ce n'est pas un fait qui est déterminé comme non réel par cette nouvelle valeur modale. Ainsi, lorsque l'hypothése irréelle est négative, elle l'est en niant un fait qui est bien réel. Par exemple, au vers 755 d'Antigone ci-dessus, l'hypothèse est irréelle parce qu'elle nie le fait réel de la paternité de Créon à l'égard d'Hémon. En effet, l'énoncé qui habituellement exprime la non réalité d'un fait est l'assertion négative. Or il n'y pas synonymie entre «s'il avait fait

71. Cf. Humbert, 1954, 8 362. Delaunois, 1974, pp. 8-11, y qu'on peut traduire avec un plus-que-parfait: «si les On objectera que ce plus-que-parfait n'exprime pas le dire « si j'étais venu demain » quand on sait qu'on ne

voit un irréel du passé, parce bœufs avaient eu des mains... » passé, mais l'irréel, car on peut viendra pas demain.

4° PARTIE - INDICATIF

232

beau avait En une Par

» et «il n'a pas fait beau », ne serait-ce que parce qu'après « s'il fait beau » on peut ajouter « mais il n'a pas fait beau »?2. outre, après une première hypothèse irréelle, on peut en enchaîner autre qui corresponde à la réalité, et qui pourtant sera aussi irréelle. exemple, on peut dire en français: « S'il était venu, et si alors tu

avais agi comme

tu as agi... »

Enfin, si l'hypothése irréelle exprimait un fait comme non réalisé et opposable à ce qui est réalisé, elle serait limitée au passé et au présent, et ne pourrait

porter sur l'avenir. Or on trouve

des hypotheses

irréelles

comme «si tu étais venu demain ». En grec classique, l'opposition en protase de l'optatif potentiel et de l'indicatif secondaire irréel n'est pas d'ordre temporel, comme le montrent les exemples suivants, et contrairement à ce qui a été dit/?. Ces exemples montrent que ce ne sont pas les faits qui décident de l'hypothése, mais ce que pense le locuteur au moment où il parle, c'est-à-dire son point de vue. Plat. Mén. 74 b:

el τίς σε ἀνέροιτο... ei αὐτῷ εἶπες... el cot εἶπεν... εἶπες δήπου Av... «Si quelqu'un te demandait (hypothèse jugée possible). si tu lui répondais (hypothèse jugée impossible). s'il te disait, tu dirais sans doute... » À partir de la seconde hypothèse, on passe à l'indicatif modal, parce que Socrate pense que, le cas échéant, son interlocuteur ne fera pas la réponse

qu'il

suppose.

Le

contenu

de

cette

seconde

hypothèse

et tout

ce qui s'ensuit sont pourtant postérieurs à celui de la première hypothèse, qui est à l’optatif. On ne peut donc dire que l'indicatif secondaire modal soit tourné vers le passé. Plat. Prot. 311 b.c: el τίς σε ἤρετο... τί ἂν ἀπεκρίνω ; « Si l'onte demandait. que répondrais-tu? » Cet exemple avec l'indicatif secondaire s'oppose au suivant où l'on a l'optatif. ibid. 341 d:

ei οὖν ἡμᾶς... ἔροιτο... τί àv ἀποκριναίμεθα ; « Si donc on nous demandait... que répondrions-nous ? » Il n'y a pourtant aucune différence temporelle entre les deux hypotheses, toutes deux placées dans l'avenir. La seule différence est que l'on sait que la premiére question n'aura pas lieu, car Hippocrate n'a pas l'intention de s'y exposer (cf. 311 b: ei ἐπενόεις «si tu avais l'intention de... », avec indicatif secondaire).

Ces exemples, et les faits évoqués qui est irréel dans l'hypothése irréelle de l'énoncé, mais le point de vue qui en modal fait donc porter l'hypothése sur 72. Ceci contredit

Wagner,

précédemment, montrent que ce n'est pas le contenu événementiel est la source. l'indicatif secondaire un point de vue marqué comme

1939, p. 44.

73. Cf. surtout Brunel, 1980, p. 236, pour qui l'optatif est « ouvert sur l'avenir » et l'indicatif secondaire « orienté vers le passé ».

CH. III - INDICATIF SECONDAIRE

233

contraire au point de vue de vérité du locuteur. Quant au contenu, il est, selon les cas, conforme ou contraire à la réalité. On fera donc les analyses suivantes : - «Si tu n'étais pas mon père » fait l'hypothéese d'un point de vue irréel d'où serait nié le fait réel de la paternité de Créon. En grec, le choix de la négation non assertive μή découle de l'adoption d'un point de vue qui n'est pas du tout un point de vue de vérité. - « S'il avait fait beau » fait l'hypothèse d'un point de vue irréel d'où serait affirmé un fait irréel. En revanche «il n'a pas fait beau » nie un fait irréel (le beau temps) d'un point de vue réel. - Dans « s'il était venu, et si tu avais agi comme tu as fait », la seconde hypothese part d'un point de vue irreel d'ou l'on affirmerait un fait qui en ce cas se trouve conforme à la réalité.

D. PASSÉ

ET IRRÉEL

Le passage de la valeur de passé à celle d'irréel repose donc sur un changement de portée. La marque d'indicatif secondaire cesse de porter sur le contenu événementiel de l'énoncé pour porter sur le point de vue qui est à la source de celui-ci. Il ne s'agit pas d'un glissement métaphorique. D'ailleurs, on ne voit pas comment le passé pourrait étre une image de l'irréel. En effet, il s'oppose au présent à l'intérieur du réel, qui luiméme s'oppose à l'irréel. Mais si le passé est du réel, comment pourraitil exprimer l'irréel? Il n'y a pas de relation métaphorique entre des contraires.

L'illusion d'un lien métaphorique entre passé et irréel provient sans doute de lambiguité du mot actuel. Opposé à passé, ce mot signifie habituellement présent. Mais il peut aussi, dans certaines conditions, étre opposé à virtuel et aux mots qui s'y rattachent, y compris irréel. Il a alors une plus grande extension et signifie réel. D'où l'impression fausse que passé (réel non présent) et irréel, pouvant tous deux étre opposés au méme mot actuel, s'opposent à la méme chose et sont par conséquent

semblables'^. La méme erreur ferait considérer que lhumain et le végétal sont semblables, puisque les mots humain et végétal s'opposent tous deux au méme mot animal. Mais le mot animal n'a pas la méme extension, selon qu'on l'oppose à humain ou à végétal. Dans le premier cas, il exclut l'étre humain,

dans

le second

il le comprend.

Le type de relation qui crée l'ambiguité commune aux mots actuel et animal existe aussi pour le mot réel. Opposé à éventuel, ce mot qualifie 74. Vairel, 1978 et 1979, suppose ainsi le passage d'une valeur de « moindre actualité » à une valeur de « moindre actualisation ». Pour les deux sens du mot actuel, voir le dictionnaire de Littré (cf. aussi l'anglais actual).

234

4° PARTIE

- INDICATIF

un contenu événementiel comme déterminé ou prédéterminé (voir deuxième partie et ci-dessus, chap. II, D). Opposé à irreel, il qualifie le point de vue de vérité du locuteur. Le premier emploi détermine le réel au sens large (l'ensemble des contenus événementiels déterminés ou prédéterminés), lequel contient l'opposition entre l'irréel et le réel au sens étroit.

Mais ensuite, ce réel au sens étroit n'est rien d'autre que l'actuel au sens large. Il contient donc l'opposition du passé et de l'actuel au sens étroit (de méme l'animal au sens large contient l'opposition entre l'humain et l'animal au sens étroit). Le francais ne dispose pas de terme pour distinguer ces deux emplois du mot réel, selon qu'il s'oppose à éventuel ou à irréel. Le mot vrai, opposé à faux, ne qualifie ni le contenu événementiel, ni le point de vue adopté, mais l'énoncé lui-méme.

CONCLUSION

235

CHAPITRE

CONCLUSION

IV

SUR LES MODES ET DU GREC CLASSIQUE

A. DISSOCIATIONS

INTERNES

LES

TEMPS

ET EXTERNES

L'étude de l'indicatif secondaire aprés ei a confirmé les conclusions de l'étude de ses emplois avec particule. Dans les deux cas, il devient modal dans la mesure oü il ne porte plus sur un contenu événementiel, mais sur le point de vue adopté. De ce fait, il n'a plus une valeur temporelle, mais logique. Passé et irréel sont donc des valeurs d'emploi, la seconde étant conditionnée par un contexte particulier et ayant apparu tardivement dans la langue. La signification générale qui sous-tend ces valeurs d'emploi peut étre replacée dans lensemble des oppositions temporelles et modales du grec. Celles-ci déterminent soit le contenu événementiel de l'énoncé, soit le point de vue qui est à la source de celui-ci. Elles le font en fonction de la situation de discours, qui prend ainsi un róle double. - En tant que situation événementielle, elle permet de déterminer temporellement le contenu de l'énoncé. - En tant que situation de connaissance, elle permet de déterminer logiquement la source de l'énoncé. Mais qu'elle soit événementielle ou de connaissance, la situation du discours donne lieu à deux sortes d'oppositions : - Une opposition externe dissocie de la situation du discours ce qui lui est extérieur. Le subjonctif place ainsi un événement hors de la situation de discours événementielle, c'est-à-dire hors du réel vécu, dans l'éventuel. Parallèlement, l'optatif, place un point de vue hors de la situation de connaissance, c'est-à-hors des savoirs et des ignorances du locuteur (point de vue

non

actuel).

236

4

PARTIE

- INDICATIF

- Une opposition interne dissocie, dans la situation de discours, ce qui est éloigné du locuteur de ce qui en est proche. Ainsi, l'indicatif secondaire temporel oppose, dans le réel vécu, l'événement passé à l'événement présent. Parallélement, l'indicatif secondaire modal oppose le point de vue irréelau point de vue réel, sans faire sortir le locuteur de ce qu'il connaît. L'indicatif secondaire est donc la marque des dissociations internes, alors que subjonctif et optatif marquent les dissociations externes.

B. LA HIÉRARCHIE

DES OPPOSITIONS

DE POINT DE VUE

Du fait de l'existence d'un optatif oblique, les oppositions de point de

vue constituent un système complet et symétrique où l'opposition externe

actuel / non actuel domine une double réel (il s'agit de réel au sens étroit).

Point de vue actuel réel

indicatif | temporel

non

l'inverse.

indicatif second. modal

C'est du

interne

réel / non

Point de vue non actuel

non réel = irréel

Mais habituellement

opposition

réel = passé

|

non réel =

optatif oblique

optatif de fiction

le réel (pris au sens large) comprend moins

fictif

le cas en ce qui concerne

l'actuel, et

les oppositions

de contenu. Aussi peut-on prévoir une tendance à inverser la hiérarchie des deux oppositions. Une opposition réel / non réel dominerait alors deux oppositions actuel / non actuel. Or plusieurs faits suggérent qu'une telle inversion a bien eu lieu dans la langue classique. - D'une part le rapprochement de l'indicatif temporel et de l'optatif oblique est suggéré par la création de l'optatif futur. Avec cette forme, l'optatif oblique entre pleinement dans le système temporel, qui exige que

la source

de l'énoncé

soit (ou ait été) un

point de vue de vérité.

- D'autre part, le rapprochement de l'indicatif secondaire modal et de loptatif de fiction est suggéré par le parallélisme des types III et IV dans les systémes hypothétiques. Le type IV a cessé d'étre un cas particulier du type I (hypothése d'assertion), pour devenir un cas particulier du type III (hypothése de fiction). Alors les formes de la fiction (point de vue non réel) s'opposent aux formes temporelles (point de vue réel).

"EAvov ἄν est alors plus proche de Avoyı ἄν, avec intégration de ἄν comme particule « modale », que de £Avov. Dans cette nouvelle opposition de l'irréel et du potentiel, c'est-à-dire en fait de l'impossible et du possible, l'irréel est le terme marqué. C'est pourquoi l'optatif continue à être employé lorsque l'hypothése est absurde, pour laquelle l'impossibilité

CONCLUSION

237

n'a pas besoin d'être marquée’. Eschyle Agam.

37:

οἶκος δ᾽ αὐτός, ei φθογγὴν λάθοι... « Mais la maison elle-même, si elle prenait la parole... » La valeur d'irréel correspond ainsi à l’adoption d'un point de vue marqué à la fois comme non réel et actuel; c'est donc qu'il contredit

ce que pense le locuteur. C. LES OPPOSITIONS

MODALES

ET TEMPORELLES

DU GREC

CLASSIQUE

La valeur d'irréel s'intégre dans le systéme des temps et des modes selon les oppositions suivantes, qui font la synthése des résultats acquis dans l'étude du subjonctif et de l'optatif (voir deuxiéme partie, chap. V et troisiéme partie, chap. VI) dans celle du futur (voir ci-dessus, chap. IL, D),

et enfin

dans

celle

de

l'indicatif

secondaire

modal.

Il s'agit

du

systéme temporel et modal du grec classique, ou le subjonctif spécifie désormais un point de vue non assertif et donc non situationnel, et oü s'est constitué un indicatif secondaire modal. 1. Les

oppositions

concernant

En ce qui concerne constituent

un

pollentes),

selon

systéme

une

le contenu:

le contenu de l'énoncé, les oppositions identifiées de

six oppositions

hiérarchie

binaires

permettant

(privatives

d'opposer

les

ou

sept

équi-

types

suivants :

0. Contenu non représenté : infinitif (l'infinitif se contente de nommer un procès). 1.0. Contenu représenté, mais non situé (par rapport à la situation de discours) : participe. 1.1.0. Contenu représenté, situé, hors du réel: subjonctif (imaginaire de projection). 1.1.1.0. Contenu représenté, situé, dans le réel, non temporel : impératifinjonctif et indicatif secondaire modal. 1.1.1.1.0. Contenu représenté, situé, dans le réel, temporel, prédéterminé : futur proprement dit (indicatif et optatif). 1.1.1.1.1.0. Contenu représenté, situé, dans le réel, temporel, déterminé, non

actuel:

indicatif secondaire

temporel.

1.1.1.1.1.1. Contenu représenté, situé, dans le réel, temporel, déterminé, actuel: indicatif primaire de présent.

75. Brunel, 1980, pp. 235-6, objecte que le choix devrait étre toujours libre. Mais le contexte et la situation (en particulier la référence à des événements passés) imposent souvent la présence de la forme marquée.

238

4° PARTIE - INDICATIF

2. Les oppositions Les oppositions les trois derniers,

concernant

le point de vue:

de point de vue distinguent b, c, d, ayant

chacun

deux

quatre

types, a, b, c, d,

variantes,

bl, cl, dl

et b2,

c2, d2, selon que le point de vue désigné l'emploi du mode optatif.

n'est pas ou est dissocié par

a. Absence

non personnels.

de tout point de vue: modes

L'infinitif correspond (voir ci-dessus). b. Présence - bl. Sans

à un contenu 0 et le participe à un contenu

d'un point de vue non situationnel: modes dissociation:

(contenu 1.1.1.0). - b2. Avec dissociation:

subjonctif optatif

de

(contenu

1.1.0),

subordination

1.0

non fondés.

imperatif-injonctif secondaire

ou

de

répétition dans le passé. c. Présence d'un point de vue situationnel non réel : modes de fiction. - cl. Sans dissociation (point de vue actuel vue réel) : indicatif secondaire modal (contenu

contredisant 1.1.1.0).

le point

de

- c2. Avec dissociation (point de vue non actuel): optatif potentiel. d. Présence d'un point de vue situationnel réel : modes de l'assertion. - dl. Sans dissociation (point de vue du locuteur): indicatif temporel (contenus 1.1.1.1.0, 1.1.1.1.1.0 et 1.1.1.1.1.1). - d2. Avec dissociation (pensée rapportée): optatif oblique substitut d'indicatif temporel, y compris optatif futur (par référence à la situation de discours d'un premier locuteur). Dans ces oppositions n'apparaissent pas les distinctions d'emploi des modes de fiction: hypothése, désir, suggestion.. En outre, dans leurs emplois avec particule, ces modes de fiction sont en méme temps des modes d'assertion, le point de vue adopté étant en partie non réel, en partie réel.

CONCLUSION

GENERALE

L'étude des marques syntaxiques de l’imaginaire, en particulier dans les systèmes hypothetiques de l'Iliade et de l'Odyssée, permettent: - de définir la valeur de ces différentes marques syntaxiques, négations, modes,

particules, conjonction

ei (ou ai),

- de distinguer les structures syntaxiques où elles apparaissent, - de distinguer différentes formes et expressions de l'imaginaire dans la syntaxe grecque, et de les comparer avec ce qui se passe dans une langue moderne comme le français, comparaison qui peut être étayée par des faits de vocabulaire.

A. LES MARQUES

SYNTAXIQUES

Toutes les analyses proposées ici reposent sur la distinction préalable,

obtenue grâce à l'étude des négations, des trois éléments suivants: - L'énoncé verbal proprement dit, autonome ou dépendant, assumé ou non par un énonciateur, fondé ou non sur une source situationnelle, assertif ou non. L'énoncé assertif, comme une proposition logique, est vrai ou faux. - La source énonciative peut étre seulement un choix, positif ou négatif, d'un énonciateur. Mais ce choix peut étre lié à un point de vue situationnel. Ce point de vue peut étre tiré, au moins en partie, d'une situation de discours (point de vue réel ou de vérité rendant l'énoncé assertif). Il peut étre aussi le fruit de l'imagination du locuteur. En l'absence de choix d'un énonciateur, l'énoncé est non assumé. En l'absence de point de vue situationnel, il est non fondé, qu'il soit ou non assumé. - Le contenu de l'énoncé n'est pas le simple procés abstrait, tel que

l'exprime l'infinitif, mais la représentation du procés dans une circonstance donnée,

méme

purement

le sujet. Il ne s'agit méme

imaginaire,

avec un support

référentiel qui est

pas du fait objectif tel qu'il se produit, mais

dif fait subjectif, tel qu'il se manifeste

et qu'on

se le représente.

Les

valeurs d'aspect expriment les diverses relations qui peuvent s'établir entre le procés exprimé et le contenu représenté (voir quatriéme partie, chap. II, D).

240

\

Tout

énoncé

un contenu contenu

CONCLUSION

détermine

donc

en

principe

une

source

énonciative

représenté. Mais*il peut arriver qu'un énoncé

un autre

énoncé

(énoncé

prenne

et

pour

polémique).

Les marques syntaxiques qui ont fait l'objet de cette étude ont pour fonction de mettre en relation source énonciative et contenu d'énoncé, à la fois entre eux et avec la situation de discours. Celle-ci est une situation de connaissance ou de pensée si elle est mise en relation avec un point de vue situationnel de vérité. Elle est une situation événementielle si elle est mise en relation avec un contenu événementiel. Elle peut en outre être conçue

comme

large ou étroite :

- Conçue comme large, la situation de discours est l'univers de discours. Elle définit alors une vérité stable, avec une vision « panoramique » des événements, ce qui suscite une attitude objective. - Conçue comme étroite, la situation de discours est limitée à l'instance du discours. Elle définit alors une vérité momentanée, liée à des événements contemporains, ce qui suscite une attitude plus subjective. l. Les négations : Les négations expriment un conflit entre la l'énoncé. - Avec μή, la source ne doit rien à la situation subjective, elle est soit la seule volonté du dépendant, d'un protagoniste), soit un point de - Avec

où, la source

est, au

moins

en

partie,

source

et le contenu

de

de discours. Entièrement locuteur (ou, en emploi vue imaginé par lui. tirée d'une

situation

de

discours. C'est un point de vue de vérité, qui n'est que partiellement subjectif. Ob est donc la négation assertive. Μή et où ont trois sortes d'emploi: - L'emploi propositionnel les fait porter sur un contenu simplement représenté, événementiel. - L'emploi supra-propositionnel les fait porter sur tout un énoncé (emploi polémique). - L'emploi infra-propositionnel les fait porter sur un constituant du contenu 2. Les

représenté. modes:

Les trois modes personnels du grec ancien sont sémantiquement marqués. À l'indicatif l'opposition des désinences et l'augment tiennent lieu de marques modales. Mais chez Homere, l'indicatif secondaire sans augment (plus fréquent dans le récit que dans le discours!) est le vestige d'une forme personnelle non marquée en valeur modale (appelée injonctif). Les valeurs modales sont en grec ancien imbriquées aux valeurs temporelles: leur fonction est de déterminer soit le contenu, soit la source de l'énoncé, soit méme les deux, par rapport à la situation de discours. - L'indicatif grec détermine à la fois la source et le contenu de l'énoncé, 1. Cf. Chantraine,

1958, p. 484.

A - MARQUES

SYNTAXIQUES

241

en les plaçant tous deux dans l’univers de discours. Aussi exprime-t-il fondamentalement une assertion (point de vue tir& du reel) de realite (contenu situé dans le réel). - Mais l'indicatif secondaire crée une dissociation interne à l'univers de discours.

Portant

d'abord

sur le contenu

de l'énoncé,

il oppose,

dans

l'univers événementiel (réel au sens large), ce qui est passé à ce qui est présent. Mais après Homère, il peut aussi porter sur le point de vue source de l'énoncé. Il oppose alors, dans l'univers de la connaissance, ce qui est contredit par ce qu'on sait (irréel) à ce qui s'y conforme (réel au sens étroit). L'indicatif secondaire, qui est d'abord uniquement temporel, acquiert ainsi une nouvelle valeur, modale. Il y perd sa valeur assertive. À ces deux emplois de l'indicatif secondaire, qui créent des dissociations internes à l'univers de discours, répondent les deux modes, subjonctif et optatif, qui eux créent des dissociations externes à l'univers du discours. - Le subjonctif, qui porte sur le contenu de l'énoncé, oppose à l'univers événementiel (pré)déterminé (réel au sens large) celui des événements non (pré)déterminés (éverituel). - L'optatif, qui porte sur la source de l'énoncé, oppose à l'univers de connaissance actuel celui des points de vue non actuels, fictifs ou passés. Le mode subjonctif ne portait chez Homère aucune indication sur la source situationnelle de l'énoncé, sauf, par absence de la marque correspondante, qu'elle n'y est pas dissociée de la situation de discours. L'énoncé au subjonctif peut donc y étre non fondé (point de vue simplement positionnel) ou assertif (point de vue situationnel de vérité) selon le contexte. Inversement, l'optatif ne porte aucune indication sur le contenu de l'énoncé qui peut étre placé dans le réel ou dans l'éventuel. Quoiqu'ils définissent un point de vue non réel, indicatif secondaire modal et optatif de fiction ont cependant des emplois assertifs, lorsque le contexte indique que le point de vue adopté n'est que partiellement différent du point de vue réel. 3. Les particules dites modales: Augment

et particules

ont des fonctions

symétriques

qui reposent

sur

une conception étroite de la situation de discours. À partir de l'instance du discours, l'augment exprime en effet une vision rétrospective, alors que les particules partie, chap. II, D).

- L'augment (événement

expriment

détermine

passé

une

vision

prospective

ce qui est dépassé dans

ou point de vue

caduc,

donc

(voir

quatriéme

l'instance du discours

irréel).

- Les particules déterminent ce qui est préparé dans l'instance de discours. Comme l'augment, les particules peuvent porter sur le contenu ou sur la source de l'énoncé. Mais, gráce à leur qualité de mots autonomes, elles

peuvent

aussi

porter

sur

tout

un

énoncé,

dans

un

emploi

supra-

propositionnel, comme les négations. - Elles portent sur le contenu lorsqu'elles accompagnent un indicatif futur ou un subjonctif. Le subjonctif est alors senti comme prospectif,

CONCLUSION

242

et le futur est un futur de discours. Ayant acquis une valeur temporelle, la forme de futur exprime un avenir prédéterminé, créant une nouvelle dissociation interne à l'univers événementiel, alors que la valeur éventuelle du subjonctif repose sur une dissociation externe. Avec ces formes verbales, les particules expriment un enchainement temporel d'événements. Sans particule en revanche, on a une vision « panoramique » de leur succession

(futur

de

récit,

subjonctif

indéfini).

Mais

la nuance

se

perd

après Homère, l'emploi des particules devenant automatique, restreint au subjonctif éventuel d'hypothése. - Les particules portent sur la source de l'énoncé lorsqu'elles accompagnent un optatif de fiction ou un indicatif secondaire modal. Un point de vue en partie fictif est alors logiquement enchaine à un point de vue

fictif précédemment défini ou implicitement suggéré. En emploi assertif, cet enchainement partie avérées

repose

sur un jugement

dont

les prémisses

sont

en

et en partie fictives?.

- Les particules portent sur tout un énoncé lorsqu'elles acompagnent un indicatif non futur et non modal. Outre quelques exemples isolés, homériques et attiques, cet emploi concerne surtout l'affirmation en attique d'un comportement systématique dans le passé: une expérience totale faisant défaut, l'assertion d'un tel comportement n'est pas assumée mais seulement présumée. Cet emploi supra-propositionnel souligne en effet un enchainement logique conduisant à présumer une assertion.

Qu'il soit temporel ou logique, l'enchainement est nuancé chez Homére selon que l'on a κε ou ἄν. "Av indique une plus forte intervention du locuteur. L'enchainement est plus inattendu. D'où la fréquence de äv avec où supra-propositionnel ou avec une particule affirmative d'insistance. Ainsi s'exprime une attitude polémique, dans un contexte d'affrontement. En revanche κε domine surtout dans les enchainements de type consécutifs. Il est constant dans le tour eig ὅ κε «jusqu'à ce que». Ke fait donc suivre une pente naturelle de l'instance de discours, tandis que ἄν s'oppose d'une certaine façon à cette pente naturelle. L'opposition de xe et de ἄν évoque donc, métaphoriquement, celle des adverbes ou prépositions κατά «en descendant » et ἀνά «en remontant »°. Cette opposition suggère que la coexistence de κε et ἄν chez Homère

est un

archaisme,

et non

l'apport

de couches

dialectales

différentes,

éolienne et ionienne*. Il est donc peu probable que ἄν soit issu, par suite d'une mauvaise coupure, de *xav, degré zéro de xev devant voyelle, 2. C'est pourquoi on peut dire le vrai à partir du faux, ce qui scandalise (Goodman, 1947). En fait, c'est à partir d'un mélange de vrai et de faux. 3. Rien ne confirme la distinction tranchée de Casselmann,

ejus qui loquitur, dv ad rem est peut-étre

plus souvent

ipsam

les logiciens

1854, p. 4: « κέν ad cogitationem

refertur », sinon que l'enchainement de la pensée

naturel que

celui des faits.

4. Ceci a déjà été suggéré par Chantraine, 1953, p. 348 et n. 1, qui renvoie à Wackernagel. Déjà van Leeuwen, 1887, avait reconnu qu'on ne peut attribuer les emplois de ἄν à une couche ionienne et ceux de Ke à une couche éolienne du texte homérique. Il soutenait

pourtant

que ἄν équivaut à xe et lui est postérieur (pp. 76-83).

B - MARQUES

SYNTAXIQUES

243

conformément à l'hypothèse de Forbes’. Les inscriptions arcadiennes de Tégée ont plutôt el x’ ἄν, avec agglutination des deux particules, comme

parfois chez Homère‘. On peut donc admettre que les deux particules ont même ancienneté. Ke{v) pour sa part remonte certainement à la particule démonstrative indo-européenne *ke- (éventuellement augmentée d'un élément nasal), qu'on retrouve dans κατά, mais aussi dans καί, κατι-, où elle est agglutinée

à des particules différentes’. "Av d'autre part a été rapproché depuis Meyer, 1880, et jusqu'à l'hypothése de Forbes, des particules latine et gotique an. Pour rejeter ce rapprochement, Forbes a invoqué la différence de fonction entre ἄν, particule modale en grec, et an particule introduisant un énoncé dubitatif ou interrogatif en latin. Cette objection tombe si l'on admet, comme on l'a fait ici, qu'une particule peut porter sur l'énoncé ou sur un élément de l'énoncé. On a méme identifié un emploi supra-propositionnel de ἄν, qui porte une valeur de présomption, somme toute proche du an dubitatif en latin. Mais on a aussi rapproché ἄν de ἀνά (Hermann, 1831), et de l'allemand und (Elferink, 1970, p. 92). On peut en tout cas admettre des origines paralléles et la constitution ancienne d'un couple oppositionnel, peut-être lié de quelque façon à celui de κατά et ἀνά. Les dialectes ionien et éolien auraient simplement éliminé l'une des deux particules, ce qui leur a fait perdre une nuance de type subjectif conservée chez Homére. 4. La conjonction

&i (ou oi):

Ei a pour fonction d'introduire un énoncé non assumé par le locuteur au moment oü il parle. Trois cas peuvent se présenter. - Ou bien, l'énoncé introduit n'est pas fondé, c'est-à-dire ne désigne aucune

source

énonciative.

Ei

porte

alors

sur

un

contenu

d'énoncé

imaginaire, lequel est exprimé par un subjonctif (type II). - Ou bien, l'énoncé introduit, sans étre assumé par le locuteur, désigne un point de vue fictif ou passé, qu'il ne peut adopter. Ei porte alors sur ce point de vue, exprimé par l'optatif, et aussi aprés Homére par l'indicatif secondaire modal (type III, puis aussi IV). - Ou bien, l'énoncé introduit est fondé sur un point de vue actuel que le locuteur n'adopte pas explicitement. Ei porte alors sur un énoncé assertif non assumé, exprimé habituellement par un indicatif (type I). On voit que £l montre les mémes oppositions d'emploi que les particules, portant

soit sur un contenu

un énoncé. Ces différences traductions suivantes:

d'énoncé,

soit sur un

d'emploi

peuvent

5. Hypothese de Forbes, 1958, reprise par Palmer, Lee, 1967, avec de bons arguments. 6. Iliade

comme

11

187,

11

202,

13

127,

24 437;

Odyssée

point de vue, soit sur

étre

explicitées

1980, pp. 90-ss., mais combattue 5 361,

6 259,

9 334,

&l-ra, d'un « conglomérat de particules » (cf. Taillardat, 1981).

7. Cf. en particulier Casselmann,

dans

1854, p. 5 et Taillardat, 1981.

18

318.

les par

Il s'agit,

244

CONCLUSION

- Ei + subjonctif suppose un événement: «s'il se produit que... » -Ei + optatif (ou ind. second. modal) suppose un point de vue: «s'il apparaissait

que... »

- Ei + indicatif temporel suppose une assertion: « si l'on dit que... » Dans tous ces emplois, ei place les interlocuteurs dans une situation fictive déterminée par un événement, un point de vue, ou un énoncé imaginaires. Ei se comporte donc comme un adverbe relatif de relative déterminative signifiant « au cas où ». D'ailleurs les relatives déterminatives possèdent les mêmes types hypothétiques, avec les mêmes modes, que les protases introduites par ei. Si elles ne sont pas hypothetiques, elles correspondent à ἐπεί «en ce cas où», « puisque » (qui introduit une assertion assumée par les interlocuteurs). Ei est habituellement interprété comme un ancien locatif d'une particule démonstrative anaphorique *e-/o-, avec le sens «en ce cas »*. L'emploi en protase de systéme hypothétique résulterait alors du passage à un emploi relatif (comme pour *yo- et *so-/to-), sans doute par l'intermédiaire d'une valeur cataphorique, c'est-à-dire présentative (« en ce cas, à savoir... »). L'emploi désidératif, expressif et renforcé en εἴθε, ei γάρ, doit en être un cas particulier lié à l'absence d'apodose (cf. le francais « Ah! si... »). On peut aussi rendre compte de l'emploi en interrogation indirecte, lié à la présence d'un verbe introducteur. Cet emploi introduit un énoncé que le locuteur n'assume pas mais propose au choix de son interlocuteur (ei se comporte alors comme tout relatif déterminatif susceptible d'avoir les emplois

d'un

interrogatif indirect).

L'emploi dans les fausses finales a plutót la valeur d'un datif que d'un locatif: « pour le cas oü..», « pour voir si..» Or il correspond le plus souvent à la forme af. C'est un argument en faveur de ceux qui interprétent cette forme comme celle d'un datif!?, de méme que la forme à (Chypre et Épire) doit être celle d'un ancien instrumental de la méme

particule!!. En ce cas, la coexistence chez Homère encore,

comme

nuance

perdue dans les dialectes.

celle

de

Ke

et

&v,

un

B. LES STRUCTURES

archaisme

de ei et de ai sera où

se

conserve

une

SYNTAXIQUES

En l'absence de véritable protase, on a observé des phénoménes de coordination entre des énoncés syntaxiquement indépendants, mais sémantiquement liés l'un à l'autre par des contraintes contextuelles (coordination consécutive d'un subjonctif assertif ou d'un futur; modeles 1, 3 et 5 dans la quatrième partie, chap. III, B). 8. Chantraine, 9. De méme

1953, p. 275 et 1968, p. 316. αἴθε, ai γάρ « pourvu

que ». Cf. Hentze,

10. Cf. la théorie d'un datif en -ai (Haudry, 11. Chantraine,

1968, p. 316.

1905.

1979, p. 35).

B - STRUCTURES

Les

SYNTAXIQUES

propositions

245

introduites

par

ei peuvent

être

totalement

indépen-

dantes, être dépendantes d'une proposition principale, ou être en relation d'interdépendance avec une apodose. 1. L'indépendance: Énoncés

non

assumés,

donc

sentis

comme

incomplets,

les

énoncés

introduits par ei ne sont pas naturellement indépendants et répondent à la recherche d'un effet expressif de mise en suspens. Le cas le plus fréquent est celui de ei, ou εἴθε, ei γάρ, suivi d'un optatif désidératif, puis aprés Homére d'un indicatif secondaire de regret. C'est un énoncé expressif qui traduit une sorte d'évasion mentale, sans réelle prise en charge par le locuteur, avec éventuellement attente d'une prise en charge par un destinataire (souhait, voir troisiéme partie, chap. IV, C). Dans quelques exemples, ei est suivi d'un subjonctif. Le tour exprime une éventualité sans que le locuteur s'engage à en affirmer la possibilité ni manifeste

sa volonté.

D'où

un

effet

d'attente

(voir

deuxième

partie,

chap. II, A). Ei est suivi d'un indicatif (futur) dans un seul exemple qui soit apparemment indépendant. Il. 1. 135: ἀλλ᾽ ei μὲν δώσουσι γέρας... 'Axavoí « Mais si (l'on me dit que) les Achéens veulent me donner ma part d'honneur... » C'est en fait une protase qui conditionne le silence d’Agamemnon, silence qui est d’acceptation (on peut imaginer une mimique d’acquiescement). Il faut comprendre: «Si les Acheens me répondent qu'ils donneront,

je ne dis rien (= c'est bon). »

2. La dépendance : On passe insensiblement de la parataxe postposée à l'hypotaxe. Ce changement a pour effet de substituer au point de vue du locuteur celui de l'agent principal ou protagoniste, d'où, éventuellement, l'emploi de l'optatif substitut modal. Différents effets de sens ont été observés. - La valeur explicative laisse une grande indépendance à la proposition introduite par εἰ, surtout aprés tig οἶδ᾽ « qui sait? ». Mais elle est aussi à l'origine des complétives avec ei dépendant d'un verbe de sentiment. Od. 21. 250-3: οὗ τι γάμου τοσσοῦτον ὀδύρομαι... MET

ἀλλ᾽ εἰ δὴ τοσσόνδςε Bing ἐπιδευέες εἰμέν «Ce n'est pas tant sur le mariage que je me que nous

soyons

en force

lamente,

mais

à l'idée

si inférieurs. »

- L'effet de sens « pour voir si » est lié à l'emploi du subjonctif ou de l'optatif. - L'effet de sens interrogatif est avec le subjonctif lié à certaines

246

CONCLUSION

conditions contextuelles (après un verbe annonçant une vérification venir). Il est plus libre avec l'indicatif, y compris le futur.

à

3. L’interdependance : L'interdépendance entre protase et apodose n'empêche pas que l'apodose soit parfois introduite par un mot de coordination. C'est le signe d'un relative autonomie. Il. 4. 261-3: el περ γάρ τ᾽ ἄλλοι... δαιτρὸν πίνωσιν, σὸν δὲ πλεῖον δέπας αἰεὶ ἔστηχ᾽... « Imaginons que les autres boivent leur part.., (mais) ta coupe à toi est toujours remplie. » C'est souvent, comme ici, pour souligner une opposition entre les deux

propositions!?. La relation

d'interdépendance

entre

protase

et apodose

est sujette à

variations : - La protase peut exprimer une condition suffisante, ou, si elle est postposée, nécessaire et suffisante. - La protase peut étre strictement conditionnante, ou étre simplement élargissante, quand l'apodose est vraie sans condition et vraie aussi avec

la condition

exprimée.

C'est

seulement

lorsqu'elle

est conditionnante

qu'est éventuellement prise en compte dans l'apodose une modification de point de vue par substitution. - La protase exprime une hypothése d'addition ou de substitution. Dans

le premier

cas

(types

I et II), rien

n'est

retranché

de la situation

de discours. Dans le second cas (types III et IV), il faut faire abstraction d'une ignorance ou d'un savoir. - Le lien syntaxique entre protase et apodose doit varier selon que l'hypothèse porte sur une assertion (type I) sur un point de vue (types IIl et IV), ou

l'apodose,

sur un

événement

(type

de type

I sont

les protases

de type II, comme

II). En

particulier,

par rapport

plus excentrées que

à

les protases

le suggère l'opposition suivante! :

- Type I: « Si l'on dit que.., alors je dis que... » - Type II: « Je dis que, s'il se produit que..., alors... »

C. SUBJECTIVITÉ

ET OBJECTIVITÉ

EN GREC

ANCIEN

ET EN

FRANCAIS

En fin de compte, les analyses proposées ici distinguent quatre niveaux différents dans un énoncé:

- Le niveau de l'énoncé proprement dit détermine un acte de parole avec

des interlocuteurs

dans

une

situation de discours.

12. Cf. ἀλλά en /liade 1 81-2 et 280-1, adtép en Jliade 3 288-90, etc. 13. Cf. à propos de l'anglais, l'étude transformationaliste de Haegeman-Wekker,

1984.

C - SUBJECTIVITE

- Le niveau

ET OBJECTIVITE

de la source

un énonciateur,

247

de l'énoncé

détermine

un point de vue, ou

ou les deux.

- Le niveau du contenu de l'énoncé détermine la représentation d'une situation événementielle qui a pour support référentiel le référent du sujet). - Le niveau inférieur est d'ordre lexical. Il détermine un proces abstrait avec sa structure actancielle, mais sans représentation spatio-temporelle (avant la promotion d'ün actant en sujet, c'est-à-dire en support référentiel). On peut admettre que toutes les catégories verbales peuvent étre définies par rapport à ces différents niveaux et à leurs éléments. Rien n'empéche donc d'observer des distinctions semblables dans une autre langue, par exemple en francais moderne. Cependant, en francais moderne, certaines distinctions sont moins

nettes, sans doute

en est moins subjective. C'est ce que semble sur le vocabulaire du vrai et du réel. 1. Aperçu

parce que la syntaxe

confirmer un petit aperçu

de syntaxe contrastive du grec et du français :

Le frangais moderne (comme le latin) ne connaít que deux types principaux de systémes hypothétiques. Ils correspondent respectivement aux hypothéses d'addition et aux hypothéses de substitution du grec: - Type I: si + indicatif quelconque (= I et II du grec). - Type

II: si + formes

d'indicatif en -ais (= III et IV du grec).

Des subdivisions sont cependant possibles, qui correspondent aux divisions du grec, mais imparfaitement : Dans le type I, l'indicatif futur, souvent exclu, est cependant parfois admis : - Type I, 1: «Si vraiment tu viendras demain » (= I du grec)'®. - Type I, 2: «Si tu viens demain » (= II du grec). Dans le type II, les formes composées sont parfois employées pour marquer une valeur d'irréel, sans considération temporelle: - Type - Type

II, 1: «Si II, 2: «Si

Voici comment

tu venais demain » (= III du grec). tu étais venu demain » (= IV du grec).

on peut

grec et I, 1 et I, 2 du

rendre

compte

des nuances

entre

I et II du

frangais.

- Le type I, 1 du frangais suppose une assertion objective, c'est-à-dire une assertion vraie pour tous. Le sens est exactement « s'il est reconnu par tous que» = «s'il est vrai que ». C'est une hypothése de vérité, pas tout à fait identique à «si quelqu'un dit que », hypothése d'assertion subjective du grec. - Le type I, 2 du frangais suppose un fait objectif et ne correspond pas tout à fait au type II du grec, qui suppose non le fait lui-méme, mais l'événement qui le manifeste, qui lui donne sa représentation subjective. En français le sens exact est « s'il arrive que », en grec, c'est « sil se manifeste que ». Si le grec distingue nettement hypothese d'assertion et hypothese de 14. Cf. Grévisse,

p. 103-4.

248

CONCLUSION

manifestation, le français distingue peu hypothèse de vérité et hypothèse de réalité, de méme que vrai et réel sont peu distincts dans le vocabulaire!5.

Voici comment on peut rendre compte des nuances entre III et IV du grec et II, 1 et II, 2 du francais. - Le type II, 1 du frangais suppose une situation de vérité non actuelle, donc fictive. Le sens exact « s'il était vrai que » ne correspond pas tout à fait à «s'il apparaissait que», hypothese de point de vue non actuel du greclé. - Or une situation de vérité, notion objective et générale, ne peut étre qu'actuelle ou non actuelle, c'est-à-dire liée ou non à la situation de discours. En revanche un point de vue, qui est subjectif et particulier, peut en outre étre actuel et non réel, c'est-à-dire étre lié à la situation de discours mais en contredisant le point de vue réel du locuteur. C'est le type de point de vue que caractérise l'indicatif secondaire modal du grec. Le système dominant du français n'a pas d'irréel analogue à celui du grec. Mais il a la possibilité de spécifier comme caduque et devenue impossible une situation de vérité non actuelle. Il a pour cela recours à la forme composée, celle-ci perdant alors sa valeur temporelle pour une valeur modale, comme dans « si tu étais venu demain » qui implique «tu ne viendras pas demain »". Il faut cependant pour cela que le contexte empéche toute interprétation temporelle. Ainsi «s'il avait plu hier » n'est pas ainsi spécifié, car on peut le dire sans savoir s'il a plu hier. Il faut cependant se garder de trop figer les systémes. Si, dans les protases hypothétiques, l'imparfait francais correspond bien à l'optatif grec, il a des emplois différents qui en font un irréel. Dans « Un peu plus, le train partait sans moi », il correspond à un indicatif secondaire modal du grec. Ne serait-ce pas la marque d'une détermination plus subjective, l'expression d'un point de vue actuellement caduc? Le plusque-parfait du subjonctif dans «s'il eüt été là » peut aussi déterminer un point de vue subjectif!s. Inversement le grec tend à rendre plus objectives ses déterminations syntaxiques, comme le montrent l'affaiblissement de l'opposition de où et μή, l'emploi devenant mécanique de ἄν, la généralisation de l'augment.. 15. L'emploi de l'indicatif dans «si tu viens demain » suggére que l'indicatif francais est moins assertif que l'indicatif grec (en tant que mode non marqué ?). Aussi le francais confond-il habituellement l'hypothèse à vérifier («s'il est vrai que ») et l'hypothese à réaliser (« s'il arrive que »).

16. Il y a de méme une correspondance imparfaite entre l'optatif oblique du grec (point de vue passé) et l'imparfait francais de concordance des temps, qui est « un imparfait de récit » (situation de vérité passée, cf. Le Guern, 1986, pp. 26-9). 17. Le tour avec forme

en -ais composée

le plus-que-parfait du subjonctif, qu'il

est apparu

au XVII*

siècle, en concurrence

a presque supplanté (Wagner,

avec

1939).

18. De facon analogue, la valeur parfois non temporelle, mais encore aspectuelle de « j'ai mangé » (= «je suis repu ») suggère une conception plus subjective du contenu verbal (non

le fait en lui méme,

mais

tel qu'il est perçu).

C - SUBJECTIVITE

ET OBJECTIVITÉ

249

Néanmoins, on peut dire qu'en général grec ancien et français moderne sopposent comme le plus subjectif au plus objectif, surtout sur les deux point suivants :

-Là où le français détermine un fait, le grec représentation d'un fait dans une conscience. -Là où le français détermine

ancien

déterminait

une situation de vérité valable

la

pour tous,

le grec ancien déterminait un point de vue particulier. Ce résultat est une confirmation de l'opinion exprimée par Guillaume, 1929, p. 48: « L'hypothèse, primitivement élément intérieur de visée, est devenue en français moderne un élément extérieur objectivable sur la ligne d'actualité. » 2. Le vocabulaire du réel et du vrai en grec et en français: Le français parle en principe d'un fait réel et d'une assertion vraie, c'est-à-dire conforme au réel. Mais la distinction n'est pas trés tranchée. Réalité et vérité peuvent se confondre dans l'usage courant, et on a vu que réel n'a pas le méme sens selon qu'il est opposé à éventuel ou à irréel. Confusion et ambiguité tiennent sans doute à l'objectivité des termes. En effet la vérité repose directement sur la réalité des faits, vérité et réalité s'impliquent réciproquement. Rien

dans

le

grec

homérique

ne

correspond

exactement

aux

mots

français réel et vrai, qui sont positifs et objectifs. Les deux mots homériques qui s'en rapprochent le plus, ἀληθής et νημερτής, sont négatifs et subjectifs,

comme

l'a montré Levet, 1976!?.

᾿Αληθής signifie étymologiquement «non voilé ». Ce mot qualifie le réel en tant qu'il est dévoilé à une conscience humaine. Ce n'est pas « le réel qui est », mais le réel qui se manifeste dans l'expérience. Pour un Grec donc, les faits objectifs en eux-mémes ne suffisent pas à établir la réalité, et par suite la vérité; encore faut-il qu'ils soient perçus comme tels. Cette conception subjective de la réalité, que révéle le vocabulaire, se trouve correspondre à ce que que nous avons dit du contenu de l'énoncé à partir de nos analyses syntaxiques: c'est un événement représenté,

qui n'est pas ce qui arrive, mais

ce qui se manifeste.

Aussi peut-on dire que le mensonge hypothétique d'Euryclée à Pénélope doit étre découvert pour exister comme événement. Νημερτής, quant à lui, qualifie étymologiquement l'absence d'erreur (ἁμαρτάνειν « se tromper »), c'est-à-dire « l'interprétation droite ». Pour un grec donc, la vérité ne découle pas simplement des faits, ni méme de leur simple observation, mais d'une juste interprétation de ce qu'on observe. Cette conception de la vérité est illustrée par la notion de point de vue de vérité que nous avons tirée de l'analyse syntaxique de l'énoncé assertif. L'énoncé assertif est fondamentalement senti comme résultant d'un traitement personnel de l'information. 19. Voir Li. pp. 78-105 pour ἀληθής et 141-60 pour νημερτής. 'Eteóc, ἔτυμος, ἐτήτυμος signifient « vérifié, véridique ». Un autre mot négatif, ἀτρεκής, qualifie l'énonciation sincére (ibid. pp. 124-40).

250

CONCLUSION

Les termes grecs ne caracterisent donc pas le fait reel et la proposition vraie (au sens logique de cette expression), mais l'expérience revelatrice et le jugement correct. Ces deux notions subjectives sont relativement indépendantes l'une de l'autre, contrairement à celles de réalité et de vérité. En effet l'expérience révélatrice n'implique pas nécessairement un jugement correct, alors que la réalité d'un fait s'exprime automatiquement

dans

une

proposition

vraie.

On pourrait facilement poursuivre cet aperçu sur le vocabulaire grec. Ainsi le ψεῦδος n'est pas le contraire du vrai, c'est-à-dire le faux, mais l'invention subjective??. Dans l'ensemble, les termes grecs du vrai et du faux reposent sur des significations plus subjectives que leurs homologues frangais. Cette plus grande subjectivité se retrouve dans les significations des catégories verbales du grec. De ce fait, celles-ci distinguent plus nettement qu'en frangais source énonciative et contenu de l'énoncé verbal. C'est pourquoi l'analyse syntaxique a abouti à distinguer trois sortes d'objets imaginaires qui déterminent les différents types de protases grecques: une assertion (type L et chez Homere type IV), un événement vue (type III, et aprés Homére type IV).

20. Levet,

1976, pp. 201-14.

(type

II), un

point

de

LEXIQUE

Actuel / non

actuel:

actuel est ici toujours employé au sens temporel de présent. Est non actuel tout ce

désigné est simplement positionnel, le choix

qui n'est pas présent (passé, avenir prédéterminé ou éventuel, point de vue non

un énoncé de volonté. Un énoncé non assumé parait incomplet (intonation suspensive). Il peut être interrogatif. Il est souvent lié à un autre énoncé (souvent introduit par &i ou ai).

actuel). Sont ainsi qualifiés soit un événement soit un point de vue. Addition (hypothèse d’): Hypothese qui modifie la situation de discours de l'apodose (situation événementielle) en y ajoutant, sans rien retrancher, un élément

imaginaire, assertion ou représenta-

porte

sur

un

contenu

événementiel,

dans

Combiné négatif : Phénoméne formel groupant une négation avec un mot et devenu fait de langue, mais sans aller jusqu'à la composition (les deux

tion événementielle. Terme opposé à substi-

éléments

tution.

doit pas étre confondu avec le phénoméne syntaxique de la négation partielle.

Apodose : L'énoncé conditionné dans un systéme hypothétique, déclaré valide dans une situation de discours modifiée par la protase.

peuvent

encore

étre séparés).

Ne

Conatif : Un énoncé est conatif lorsqu'il sert à modifier le comportement d'un destinataire. C'est souvent une valeur d'emploi dérivée.

Aspect :

Modalité de la représentation du proces exprimé par un verbe. Relation qui s'établit entre un moment de représentation et le moment du procés (plus précisément le terme du procès ou sa durée). L'aspect s'oppose à la vision, qui comporte des déterminations parallèles (rétrospectif, perspectif, prospectif), mais à un autre niveau. Assertion :

Conditionnante : V. élargissante. Contenu d'énoncé : Ce qui se présente à l'esprit du locuteur et sur quoi il peut prendre position. C'est habituellement une représentation événementielle, mais ce peut être aussi toute une proposition. Locution opposée à source d'énoncé.

Proposition qui repose sur un point de vue de vérité, c'est-à-dire au moins en partie sur

des données tirées de la situation de discours. Elle est vraie ou fausse. Assumé

/ non

Un énoncé choix d'un teur actuel, peut être situationnel assertif. Si

assumé :

est assumé lorsqu'il exprime le énonciateur, qui est soit le locusoit un locuteur passé. Ce choix l'adoption d'un point de vue de vérité, dans un énoncé en revanche le point de vue

Contradictoire / contraire : Distinction faite souvent entre la valeur faible de certains tours négatifs (« pas petit » qualifie aussi bien le moyen que le grand), et la valeur forte d'autres tours négatifs (« pas grand» équivaut habituellement à « petit», contraire de «grand»). Il a été montré ici que cette différence sémantique ne vient pas de la négation, mais de la dissymétrie de certains couples de contraires, comme le couple grand / petit.

APPENDICES

252

Délocutif : Caractérise un mot de la langue dérivé, dans sa forme et dans son sens, d'une élocution, c'est-à-dire d'un fait de parole.

Fiction :

a) Récit imaginaire

qui imite

le récit vrai

(fiction littéraire). Se caractérise par l'adop-

tion d'un univers de discours fictif. b) Invention de l'imagination grammaticale-

Destinataire :

Non pas la personne à qui l'on s'adresse, qui est l'interlocuteur, mais celle sur qui l'on veut agir en parlant. Dissociation

A

lieu

énonciative :

quand

marquée

la source

comme

de

l'énoncé

est

non actuelle, qu'il s'agisse

seulement d'un point de vue ou d'un énonciateur.

Discursif : Qualifie l'emploi d'un temps de l'indicatif, en particulier du futur, lié à l'adoption d'un point de vue centre sur la situation de discours

ment marquée comme telle. Ce n'est pas alors l'univers du discours mais le point de vue adopté qui est donné comme fictif. En ce sens, fiction s'oppose à projection, comme une autre variété de l'imaginaire.

étroite,

et

non

sur

tout

Fondateur : Tout énoncé qui contribue à définir la situation de discours d'un autre énoncé peut étre dit fondateur. Mais le cas le plus remarquable est celui des comparaisons homeriques oü un énoncé introduit une nouvelle situation de discours, sans lien avec la situation précédente. Il y a alors rupture de la cohérence situationnelle du texte.

l'univers

du discours. Terme opposé à historique.

Élargissante : Qualifie certaines protases qui ne sont pas strictement conditionnantes, en ce que l'apo-

dose est déclarée valide sans condition. Elles indiquent seulement que l'apodose est aussi valide avec la condition exprimée.

Fondé / non fondé: Un énoncé est fondé lorsqu'à sa source est un point de vue intégrant les données d'une situation, réelle ou fictive. Un énoncé non fondé, qui ne se donne pas une source situationnelle, désigne un point de vue de simple localisation temporelle (le moment d'ou l'on envisage le contenu: point de vue positionnel).

Énoncé : Unité de discours. Production d'une propo-

Historique:

sition dans une situation de de communication minimal de modifier la situation de relation interlocutorale. Il a

Qualifie un emploi du futur lié à l'adoption d'un point de vue de vérité général, centré sur une situation de discours élargie à l'univers de discours. Terme opposé à dis-

discours. Acte dont l'effet est discours et la un contenu et

une source.

cursif.

Énonciateur : Non

pas

Imaginaire :

la personne

qui

parle

(locuteur),

est, a été,

Non réel (au sens étroit de réel). Peut qualifier aussi bien un récit (fiction littérai-

Énonciation : Les modalités de la production d'un énoncé qui sont signifiées dans l'énoncé produit.

de vue (fictif), ou une representation événementielle (éventualité). Ce sont autant de variétés de l'imaginaire. La syntaxe grecque distingue les trois derniers cas.

mais

celle

par

sera, pourrait

qui

un

énoncé

étre assumé.

Fausses finales: Propositions avec

al et un

re), une

subjonctif

(et

généralement Ke), postposées et exprimant la vision imaginaire d'un protagoniste (mais pas nécessairement sa visée). Le sens est « pour voir si».

assertion

(non

assumée),

un point

Indéfini : Qualifie un emploi du subjonctif lié à l'adoption d'un point de vue général, non centré sur la situation de discours étroite. Terme opposé à prospectif.

253

LEXIQUE

Partielle (négation) : Contrairement à la tradition qui qualifie de partielle toute négation ne portant pas sur le prédicat verbal, nous qualifions ainsi toute négation ne portant pas sur l'ensemble du propos logique de l'énoncé, que le prédicat verbal en fasse partie ou non. Terme opposé à propositionnel, au sens de infra-propositionnel. Point de vue: Position mentale à partir de laquelle et, éventuellement, grâce à laquelle est envisagé un contenu d'énoncé. Cette position mentale n'est pas nécessairement

liée à la situation

de discours. Ce concept est central dans les analyses proposées ici: le point de vue est intermédiaire entre la situation de discours et la representation événementielle, sur laquelle il porte. Un point de vue peut intégrer ou non les données d'une situation (point de vue situationnel ou simplement positionnel). Un point de vue qui intègre au moins en partie les données d'une situation de discours est un point de vue de vérité. Polémique : Est polémique tout énoncé dirigé contre des opinions exprimées. Ou bien, il les infirme en énonçant un démenti (par exemple avec négation supra-propositionnelle), ou bien il se contente de suggérer une éventualité contraire.

Prédicat : Ne doit pas être pris au sens propos et ne s'oppose

sens grammatical, compléments

désigne

immédiats,

le verbe

et ses au

circonstanciels.

présomption :

Qualifie l'énoncé assertif auquel le locuteur s'attend par raisonnement de vraisemblance, mais qu'il ne peut assumer dans l'immédiat, faute de connaissances suffisantes. Prohibttif : Un des emplois négation

μή, lié

concu

Centre logique de la proposition. Désigne ce qui du point de vue défini dans la proposition, est susceptible d'étre l'objet d'un acte de parole. Terme opposé à théme. Proposition :

En grammaire traditionnelle, la proposition est un ensemble constitué par un sujet, un prédicat (verbe et compléments), éventuellement une négation et des compléments circonstanciels.

correspond compte de

Dans

notre

analyse,

cela

à un énoncé sans prise en l'énonciateur et de son choix.

La proposition exprime donc tout ce qui est soumis à l'énonciateur pour un acte de

parole.

Ce

peut

événementiel;

ce

étre

un

peut

étre

simple

contenu

aussi

un

point

de vue situationnel sur un contenu. Propositionnel / infra-propositionnel / supra-propositionnel : L'emploi d'un morphéme ou d'un mot outil est propositionnel lorsqu'il porte sur tout le propos centre d'une proposition. Il est infra-propositionnel lorsqu'il porte sur autre chose à l'intérieur de la proposition. Il est supra-propositionnel lorsqu'il porte sur toute une proposition, ou plus d'une proposition. Prospectif : Qualifie ce qui est dirigé vers le non encore acquis. Nous distinguons |’ aspect prospectif (qui part d'une situation événementielle oü un procés est en préparation) et la vision prospective (qui part de la situation de discours, faisant attendre soit une situation événementielle à venir, soit un point de vue logiquement inféré, soit enfin un énoncé présumé).

Terme

opposé

à rétrospectif.

Protagoniste :

(mais à une

pas

le seul)

fonction

de

la

conative.

Projection (imaginaire de): Imaginaire

Propos:

de

Pris au

par opposition

sujet et aux compléments Présumé,

logique

pas à thème.

du réel (au sens large de réel), et non comme se substituant à lui. Concerne les représentations événementielles. Terme opposé à fiction.

comme

un prolongement

L'agent principal dans une proposition principale,

à qui

sont

attribués

vue exprimés

dans

les propositions

données.

les

points

de

subor-

APPENDICES

254 Protase:

Dans un système hypothétique, l'énoncé qui précise le domaine de validité de l'apodose, en modifiant sa situation de discours. Reel: Situé dans l'univers du discours. Terme distinct de vrai qui qualifie ce qui est conforme à l'univers du discours. Réel a deux sens selon qu'il qualifie ce qui est observable dans l'univers du discours (en ce sens large s'oppose à éventuel), ou ce qui est observé dans l'univers du discours (en ce sens étroit s'oppose à irréel). Représentation :

a) Traduction du grec μίμησις : imitation ou image actuelle d'événements passés ou mythiques (jeu des comédiens, paroles rapportées au style direct). b) Image mentale d'une situation événementielle. Une telle image est suscitée par lassociation d'un nom et d'un prédicat verbal, le verbe étant au participe, avec éventuellement, un complément circonstanciel (ex. représentation

de « Jean

partant

à

l'école hier matin »). Une telle représentation est normalement le contenu d'un énoncé. C'est en effet à son sujet que le locuteur prend position, en adoptant un point de vue (ex. point de vue selon lequel « Jean n'est pas parti à l'école hier matin »). Rétrospectif : Qualifie ce qui est dirigé vers le révolu. L'aspect rétrospectif part d'une situation événementielle



un

procès

est

achevé.

cela fasse apparaitre indépendant.

texte

vue, situationnel ou non, centré ou non sur

la situation de discours. Substitution (hypothèse de ): Hypothése qui modifie la situation de discours de l'apodose (situation de connaissance) en en retranchant un élément qu'elle remplace

par

un

point

de

vue

ou

une

assertion imaginaire. Terme opposé à addition. Theme: « Ce dont on parle dans un énoncé », c'està-dire ce que le contexte et la situation permettent éventuellement d'isoler comme n'étant pas ce qui est communiqué, mais à propos de quoi opposé à propos.

Univers du Lorsque la tielle n'est événements role, mais passés,

on

communique.

Terme

discours : situation de discours événemenpas étroitement limitée aux contemporains à l'acte de paélargie à tous les événements

présents,

qu'ils

soient

et même

à venir

prédéterminés,

elle

pourvu

devient

l'univers du discours. Vision:

de vue

ment

caduc.

nouveau

Source d'énoncé : Tout ce qui est désigné dans un énoncé comme contribuant à sa production en exprimant une attitude envers son contenu. Cela comprend à la fois le choix fait par un énonciateur et toute sorte de point de

La vision rétrospective part de la situation de discours, soit qu'une situation événementielle y appartient au passé, soit qu'un point y est devenu

un

Regard

porté un

par

locuteur

le locuteur passé)

tation ou, éventuellement,

(éventuelle-

sur une

représen-

sur un point de

Situation de discours:

vue ou même

Ce qui est présenté dans un énoncé comme

toujours d'une situation de discours. Elle détermine des valeurs temporelles ou modales. Terme opposé à aspect.

étant les circonstances de sa production. Ce peut étre la réalité ou une fiction adoptée par le locuteur (fiction littéraire). La situation de discours est à la fois situation événementielle et situation de connaissance.

Tout énoncé de discours,

produit modifie la situation diversement selon qu'il est

assumé ou non. La cohérence situationnelle d'un texte ne peut étre rompue sans que

une assertion).

La vision part

INDEX

DES

PASSAGES

ETUDIES

Cet index recense uniquement les passages cités, traduits et commentés. On trouvera éventuellement aux pages indiquées, en particulier dans les notes, des listes d'exemples semblables à ceux qui sont cités ici. Iliade 1 17: 145. 26: 120. 32: 80. 59-60: 166. 61: 207. 70: 212. 81-2: 96. 135: 68, 245. 137: 66, 68, 73. 150: 125. 166-7: 96. 173: 59. 174-5: 204. 205: 107. 232: 172. 293-4: 174, 207, 230. 301: 181. 338-41: 98. 396-7: 161. 522-3: 200. 555: 116. 580-1: 51, 77. 12 (= 29): 180, 183. 80-1: 230. 198-9: 227. 247: 31. 261- 4: 54, 209. 302: 17, 65. 337-8: 17. 340: 146. 365-6: 210. 367: 210. 386-7: 56, 63, 209. 471: 103. 488: 112. 491-2: 165. 780: 89. 52-3: 177. 54: 112. 70-4: 143. 279: 101. 373-4: 56, 63. 406-7: 153. 453: 160. 14: 125. 88: 159. 160-1: 22, 36, 194. 176: 204. 182: 204. 223: 137, 225. 232.3: 161. 247-9: 86. 261-3: 246. 300: 25. 410: 122. 22-3: 221. 161-4: 93. 174-7: 61. 212: 208. 214-5: 176. 233: 25. 273: 175. 303: 184. 311-2: 175, 216, 230. 679-80: 215. 684-5 : 122. 46-50: 166. 225: 102. 226: 119. 284-5: 172, 176. 340: 114. 431-2: 115. 441-3: 82. 459 (= 479): 72, 106. 476-81: 142. 28: 49. 97-8: 60, 208. 173: 96. 394: 160. 143: 185. 153: 206. 338-9: 92. 423-4: 207. 531-4: 85. 57: 172, 183. 61-2: 200. 121: 107, 113. 125: 177. 167: 202. 323-4: 93. 388-9: 168. 417: 181, 185. 434-6: 25. 444-5: 167. 481: 91. 515-7: 66, 166. 545: 223. 701-2: 108. 707 : 102. 39: 117. 434: 201. 62-3: 124. 100-1: 115. 204-6: 159. 222-3: 169. 285: 89. 303: 182. 378: 108. 442-3: 119. 356-8: 210. 389: 168. 391-2: 98. 431-3: 109. 470: 115. 670: 137. 792: 163. 59: 158, 209. 132-3: 90. 223-5: 74. 248-50: 210. 299-302 : 99. 47 : 119. 198-9: 92. 492: 91. 676-7 : 219. 815-6: 180. 107-8: 141. 235: 108. 248: 19. 299: 178. 337-8: 194. 484 : 218. 16-7: 83. 162-3: 58. 185-6: 211. 197-8: 179. 202-3: 124. 213-7: 203. 403: 84. 459-60 : 222. 724 : 214. 97-9: 154. 227: 19. 435-8: 124. 559: 162. 149 : 181. 156-9 : 162. 240-1 : 202. 389-90 : 93. 475-7 : 63. 631 : 168. 652 : 81. 711 : 181. 98 : 145. 141 : 153. 192-3: 16. 211-3: 81. 268 : 207. 273 : 207. 308 : 110, 182. 398 : 31. 90: 184. 218: 183. 261: 52. 321-2: 173. 326-7: 59. 375-6: 94. 384-5 : 158. 26 : 208. 138-9 : 37. 167-8 : 104. 172-3 : 80. 335 : 203. 358-9 : 179. 367 : 179. 435-7 : 84. 60-1: 114. 225-6: 109. 293: 81. 556-8: 79. 20: 164. 54-5: 66. 86-7: 173. 93-5: 92, 94. 111-22: 78. 123: 120. 130: 114. 1779: 225. 202-3: 221. 262: 89. 304: 151. 339: 122. 438-9: 148. 151: 143. 526: 226. 546-7: 223. 748-9: 161. 893-4: 8. 35-8: 178. 212-3: 145. 220: 214. 357: 81. 439: 181, 185. 551: 106. 560: 122. 568: 123. 661: 179. 768-71 : 161.

256

APPENDICES

Odyssee 1 187-8: 82. 203-4: 96. 267-8: 108. 288: 180. 289: 35, 55. 396: 108. 2 76: 176. 86: 218. 115-22: 211. 183-4: 223. 230-2: 146. 274: 22, 45. 332-4: 350-1: 163. 3 255: 218.

4 5 6 7 8 9 11 12 13 14 15

165: 17. 335-8: 92. 388-91: 200. 546-7 : 219. 692:

110. 756: 102.

300: 116. 328: 93. 356-7: 114. 465: 73, 125. 201-3: 201. 282: 174. 204-5: 99. 316: 152. 523:93. 211: 224. 277-8: 66. 334: 225. 406: 52, 5S. 410: 22. 122: 65. 159: 56. 289-90: 18. 356-8: 173. 366: 18. 413: 89. 490: 18. 613: 113-4: 164. 156-7: 111. 287-8: 174. 345-7: 169. 382: 208. 445-6: 221. 128-9: 103. 143-4: 34. 384-5 : 216. 37-8: 217. 163-4: 218. 193-5: 140. 180-1: 177. 263: 123. 300: 109. 509: 72. 523-4: 209.

16

168: 122. 260-1: 203. 437 : 111, 197. 437.8: 201.

17 18 19

59-60: 159. 320: 18. 368: 147. 559: 101. 79: 154. 85-6: 102. 272: 103. 375: 158. 85: 44, 54. 109-11: 92. 344-6: 61. 510-1:

20

344: 153.

21 22 23 24

169-70: 211. 250-3: 245. 27-8: 193. 73-7: 72, 118. 21-3: 223. 60: 179. 79: 61: 226. 248: 122. 491:

Textes posthomériques Démosthéne

259-61 : 77. 213: 120. 357-9: 100. 144.

168.

63. 468-9: 93.

9 4: 9. 18 179: 46. 19 74: 31. 21

194: 31.

Lycurgue

77:9.

Contre Léocrate

13 62: 38. Ap. 25 b: 27. Phéd. 61 c: Banquet 180 c: 227. Soph. 320 c: 103. Lois III 678 e: Sophocle Ajax 1349: 31. Ant. 755: Thucydide 1 90: 147. 2 45: 24. Xénophane Frag. 15: 231. Xénophon

An.

152.

(par ordre alphabétique des auteurs)

Eschine Contre Timarque Eschyle Agam. 37: 237. Euripide Ion 347: 19. Isocrate 21 11: 215. Lysias Platon

177.

109: 35. 21 205:

27.

205. Phil. 66 b: 32. Men. 74 b: 232. 91 d: 40. 257 b: 24. Prot. 311 b-c: 9, 232. 311 d: 9, 232. 137. 231. O.R. 523-4: 218.

1 7 18: 60. 2 3 11: 9, 227. Cyr.

1 2 15: 88.

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εἰς τὴν ταξινόμησιν

τῶν

ὑποθετικῶν

λόγων

τῆς

APPENDICES

258

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références

ont

été

faites

1940: Greek-English Lexicon (9* éd.), Oxford. aux

éditions

dans la Collection des Universités de France et V. Bérard pour l'Odyssée.

et

traductions

des

(Bude), de P. Mazon

Belles

Lettres

pour l'7liade

TABLE

DES MATIERES

PREMIÈRE CHAPITRE

PARTIE.

PREMIER.

LES NÉGATIONS

DESCRIPTION

DES FAITS

Α. Les emplois de où et μή aprés ei (ou ai) .......................... B. Où et μή dans les temporelles et les relatives .......................,... C. Résumé de la description..................................................

CHAPITRE

II. LES EMPLOIS

A. Distinction de deux types d'emploi

......................................

D. Conclusion sur les emplois de où.................................

III. LES EMPLOIS

Ι4 16 19

DE où

B. Οὐ négation de constituant ................................................ C. Οὐ négation de proposition ....................................,.......,..

CHAPITRE

Nu

hors de la syntaxe .......................................... dans la syntaxe ......................................,.,.... hypothetiques ..................................,.....,..... hypothétiques aux structures de l'imaginaire .............

οὐ

L'imaginaire L'imaginaire Les systèmes Des systèmes

Θ

σου»

INTRODUCTION

21 23 38 45

DE μή

L'emploi de μή n'est pas la règle en protase ............................. L'opposition de μή et de où dans les protases de type I................ Examen systématique des emplois de μή en protase ....................

48 52 58

262

TABLE DES MATIERES CHAPITRE

A. B. C. D.

IV. CONCLUSION À L'ÉTUDE DANS LES PROTASES

Les différents emplois .................................................... L'opposition de où et de μή ...................................., Les oppositions internes à où et à μή ............................. Analyse énonciative de la proposition ...............................,....

DEUXIÉME CHAPITRE A. B. C. D.

DES NEGATIONS

PREMIER.

PARTIE.

COMMENT

67 68 68 69

LE SUBJONCTIF

DÉFINIR

LE SUBJONCTIF

GREC ?

Les emplois....................,.........................., hen Les valeurs ................................,.......,..,,,.... L'origine du subjonctif d'hypothése ....................................... Vers une nouvelles définition du subjonctif homérique .................

72 73 74 76

CHAPITRE II. LE SUBJONCTIF APRES ei (ai) HORS D'UN SYSTEME HYPOTHÉTIQUE A. Le subjonctif après ei en proposition indépendante ..................... B. Les fausses finales « pour voir si»............................,...........

77 79

C. Fausses et vraies interrogatives

indirectes ................................

83

D. Conclusion ...................................................,....22

86

CHAPITRE A. B. C. D. E.

IH. LE SUBJONCTIF DANS LES PROTASES DE SYSTEMES HYPOTHÉTIQUES

L'ordre situationnel des propositions ..................................... Le subjonctif dans les comparaisons homériques ........................ Le subjonctif dans les protases.......................,........,........... Le subjonctif dans les relatives et les temporelles ....................... Conclusion .............................,......,..,,....,..,,..,......,2..

88 89 95 101 104

CHAPITRE IV. LE SUBJONCTIF SANS εἰ, PRINCIPALEMENT DANS LES INDÉPENDANTES A. Les emplois assertifs ..............................,....................,... B. Les emplois volontatifs .................................................... C. Les emplois interrogatifs ..................................................

CHAPITRE

V. CONCLUSION

SUR LE SUBJONCTIF

106 113 123

GREC

A. Le subjonctif dans le systeme modal (sans l'optatif) ..................... B. Les emplois du subjonctif ................................................. C. Statut modal et évolution du subjonctif grec.............................

126 128 128

TABLE DES MATIERES

263

TROISIÈME CHAPITRE

PREMIER

PARTIE.

COMMENT

L'OPTATIF DÉFINIR

L'OPTATIF GREC

coul»

. Les emplois ...........................,.........,,,.,,22.,4424 . Les valeurs .....................,........,,.,.,,,,44202 ee . L'optatif opposé au subjonctif et à l'indicatif ............................. . Des emplois non spécifiés aux emplois spécifiés .........................

CHAPITRE

II. LES EMPLOIS

NON

SPÉCIFIÉS

DE L'OPTATIF

090w>

L'origine de l'optatif d’hypothese ...................................,......

. L'origine de l'optatif d'assertion .........................,......,.......... L'origine de l'optatif de souhait ........................................... . L'origine de l'optatif oblique .............................................. . Conclusion ..............................................,......

CHAPITRE

III. L'OPTATIF INDÉPENDANT

PRÉCÉDÉ

DE μή

. Récapitulation des emplois de pm................................,

moom»

. Μὴ introducteur non conatif suivi d'un optatif .......................... . Μή introducteur conatif suivi d'un optatif ............................... . Μή non introducteur suivi d'un optatif................................... Conclusion .................,.......,.............................2

CHAPITRE

σοῦ»

Les divers emplois

IV. L'OPTATIF PRÉCÉDÉ

DE εἰ (ai)

de l'optatif aprés εἰ (ai) ........................

. L'optatif substitut modal après ei (ou un relatif) ........................ . L'optatif désidératif aprés εἰ (εἴθε, al y@p).......................... . L'optatif de l'hypothèse potentielle ....................................... Conclusion .............................,.......,,..,,...,.,,.,., eene

CHAPITRE

V. L'OPTATIF ASSERTIF

moo»

. Les différents types d'assertion .............................,.......,.,,.. . L'assertion conditionnée à l'optatif........................................ De l'assertion conditionnée à celle de possibilité ........................

. L'assertion de possibilité à l'optatif ......................,......,......... Conclusion .............................,...,.................,,,,.4.04422..

CHAPITRE compl»

. . . .

VI. CONCLUSION

SUR L'OPTATIF

Définition générale ...................................................... Distinction des emplois .................................................... Position de l'optatif dans le systeme modal .............................. Statut modal et évolution de l'optatif grec ...............................

264

TABLE DES MATIERES QUATRIEME CHAPITRE

PREMIER.

PARTIE.

L'INDICATIF

DÉFINITION

DE

L'INDICATIF

GREC

A. La marque morphologique de l'indicatif grec ............................ B. L'indicatif dans les protases de type 1.................................... C. Les cas du futur et de l'indicatif secondaire .............................

CHAPITRE

II. FUTUR

192 193 194

ET SUBJONCTIF

A. Le probléme de la confusion entre futur et subjonctif ..................

196

B. Le futur avec

199

particule

modale

...........................,...............

C. Le futur après El ..... lisse n

hn

D. Conclusion .......................................,.,....,...,,...,.,...22.

205 212

CHAPITRE III. L'INDICATIF SECONDAIRE DANS LES SYSTÉMES HYPOTHÉTIQUES A. La question

de l'irréel

...........................,.........................

214

B. L'indicatif secondaire avec particule ...................................... C. L'indicatif secondaire aprés El .................................... D. Passé et irréel...... suseHt

215 229 233

CHAPITRE IV. CONCLUSION SUR LES MODES ET LES TEMPS DU GREC CLASSIQUE A. Dissociations internes et externes ......................................... B. La hiérarchie des oppositions de point de vue ..........................

235 236

C. Les oppositions modales

237

et temporelles du grec classique ..............

CONCLUSION

GÉNÉRALE

A. Les marques syntaxiques .................................................. B. Les structures syntaxiques ...................................,,............ C. Subjectivité et objectivité en grec ancien et en français .................

239 244 246

APPENDICES

Lexique ...........ssesesseseesesle s eere ehe Index des passages étudiés ................................................... Notice bibliographique .................................,..,..,,,..,..,2

I«P.

A.

BoNrEMPs,

Limoues

(France).

-

Dépôt

legal:

Novembre

1989.

-

Imp.:

N"

251 255 257

7031-89