La Sologne: Documents de littérature traditionnelle: Contes, légendes, chansons, vieux noëls, danses chantées, littérature courtoise, chansons politiques, littérature patoisante, vocabulaire [Reprint 2018 ed.]
 9783110877755, 9789027977359

Table of contents :
Avant-propos
CHAPITRE I. L'homme et ses semblables
CHAPITRE II. L'homme et ses compagnons les animaux
CHAPITRE III. Légendes
CHAPITRE IV. La chanson populaire en Sologne
CHAPITRE V. La littérature courtoise
CHAPITRE VI La littérature traditionnelle et populaire en Sologne au 20e siècle
Postface
Pièces annexes
Vocabulaire
Liste des informateurs
Table des matières

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SOLOGNE

BERNARD

EDEINE

ne Documents de littérature traditionnelle Contes, légendes, chansons, vieux noëls, danses chantées, littérature courtoise, chansons politiques, littérature patoisante,

vocabulaire

MOUTON ÉDITEUR • PARIS • LA HAYE LIBRAIRIE DE LA NOUVELLE FACULTÉ • PARIS

Diffusion en France : Librairie de la Nouvelle Faculté 30, rue des Saints-Pères 75007-Paris France Diffusion en dehors de la France : Mouton Éditeur B. P. 482 La Haye 2076 Pays-Bas I S B N : 2-7193-0834-X Jaquette de Helmut Salden

© 1975, Mouton & C o

A Simonne, ma chère petite femme A toi grâce à qui j'ai connu et aimé la Sologne.

En

Sologne...

Bois gravé de Maurice Golleau

Avant-propos

Nous avons tenté dans les deux premiers volumes de cet ouvrage de reconstituer le mieux possible, ou tout au moins de donner une idée de ce que furent la vie, les croyances, la mentalité du Solognot au cours de l'histoire, en face des changements qui ont eu lieu dans son cadre de vie sous l'influence d'événements politiques ou économiques. Nous avons essayé de montrer comment il s'était adapté techniquement au pays dans lequel il vivait et de comprendre à l'aide des notes du prieur de Sennely, de La Saussaye et des enquêtes directes que nous avons faites quelle était sa mentalité; mentalité en rapport certes avec ses besoins, mais aussi son cadre de vie général c'est-àdire les bois, les landes, les étangs qui étaient son horizon quotidien. Le cadre de vie agit sur le comportement des individus, il le pénètre. On ne le constate que trop bien de nos jours dans notre société en urbanisation constante et démesurée. C'était avant l'uniformisation qui nous attend ce qui donnait de l'originalité et de la personnalité à nos provinces ou aux « pays » si variés qui composaient la France en particulier, originalité dont nous sentons intimement le besoin même dans les générations montantes. Car du point de vue racial, c'est-à-dire de l'anthropologie physique, on sait de mieux en mieux, notamment par l'étude des groupes sanguins, qu'il n'y a pas de différences essentielles entre les hommes vivant sur des aires géographiques qui dépassent largement les frontières dites nationales. Nous avons remarqué que si le Solognot était défiant, moqueur, rusé, malicieux, il fallait retenir parmi ses qualités celles du cœur, sa charité, sa finesse d'esprit, sa prudence, son indépendance de caractère, qui sont en fait le corollaire de ses défauts, défauts qui ne sont pas inhérents au Solognot en tant qu'homme, mais dus à ses conditions de vie qui furent très dures à certaines périodes de son histoire. Cette finesse d'esprit, cette indépendance de caractère, doivent se traduire dans ce que l'on peut appeler la « littérature traditionnelle ». Car le Solognot avait aussi, bien entendu, une vie intellectuelle qui s'exprimait soit quand il pouvait laisser courir son imagination, soit quand ses loisirs le lui permettaient ou quand il en sentait le besoin. C'est pourquoi nous avons cru devoir réunir dans ce volume un certain nombre de documents de littérature traditionnelle qui compléteront l'étude que nous avons faite du Solognot de l'époque pré-machiniste.

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Avant-Propos

Nous donnons le texte non seulement des contes, légendes, chansons que nous avons pu recueillir par transmission orale, mais aussi par exemple des noëls parmi les plus connus en Sologne, que l'on retrouve dans les recueils spécialisés, vendus par les colporteurs dans le pays. Nous donnons aussi les chansons politiques locales ou générales, imprimées ou manuscrites qui circulaient en Sologne. D'autre part si chez les paysans, à l'occasion des veillées ou des fêtes, on composait des chansons de circonstance, dans la bourgeoisie et la noblesse rurale, en particulier au 18 e siècle, c'était un des passe-temps favoris de se livrer à des joutes poétiques ou de composer des vers sur les sujets les plus variés. Nous donnons plusieurs exemples de cette littérature semi-populaire. Enfin pour faciliter la compréhension de certains mots en patois que le lecteur aura rencontrés dans le texte, nous avons joint un glossaire, qui n'a pas la prétention d'être un dictionnaire du langage solognot. D'autre part ne peut-on pas se poser la question de savoir comment le Solognot va réagir devant l'agression quotidienne à laquelle notre civilisation de surconsommation et d'hypertension soumet les individus, et en particulier les enfants; comment le Solognot, économe et prudent par tradition et nécessité, voit venir vers lui notre société de gaspillage qui bouleverse notre vie pratique et morale? Va-t-il pouvoir garder encore cet humour, cette sensibilité, ses aspirations ou ses regrets qu'il traduisait si souvent en légendes, contes ou chansons ? Nous avons dit que les idées cheminaient autrefois par les chemins des hommes, mais maintenant, avec le développement de l'audio-visuel — cinéma, radio, télévision — et aussi l'automobile, le Solognot ne risque-t-il pas de se dépersonnaliser ? Il y a là un problème grave. C'est pourquoi dans une sorte de postface à cet ouvrage nous donnerons un rapide coup d'œil sur le comportement d'un groupe de très jeunes Solognots de quatre à quinze ans, entre 1945 et 1965, pour voir de quelle manière et sous quelle forme ils exprimaient leurs sentiments en face de certains faits courants pour eux, ou nouveaux, ce qui est la traduction d'une forme d'esprit et de pensée qu'il serait regrettable de voir disparaître, écrasée par une uniformité boulimique. Ce qui est inacceptable car la littérature populaire et traditionnelle est la forme d'expression qui reflète la conception que se fait de la vie un groupe de population donné, en dehors des catégories sociales ou techniques d'individus, tout comme la « religion », les croyances et les superstitions, aussi bien dans la mesure où cette littérature est originale, que dans la mesure où elle résulte d'apports extérieurs à ce groupe, mais apports acceptés et adoptés.

CHAPITRE

I

L'homme et ses semblables

Dans leurs relations entre eux, les Solognots se désignaient rarement par leurs noms de famille ou leurs noms de baptême. Dans les villages chacun avait un surnom. U n étranger était rarement connu par son nom ou son prénom, mais bien plus par le nom de son pays d'origine. Nous avons connu, à Romorantin, un vieil ouvrier serrurier que l'on ne désignait encore en 1938 que sous le nom de « pé Berry ». Vieille habitude puisque dans un acte du 18e siècle on trouve mention d'un certain Henri Pinault dit « Berry ». A Gièvres, il y a 60 ans, il y avait un tisserand que l'on ne connaissait que sous le nom du « Manceau ». A u 17e et au 18e siècles, les anciens soldats avaient tous un surnom qu'ils conservaient à leur retour dans leur village. Les compagnons ouvriers avaient eux aussi tous un surnom. C'est ainsi qu'on rencontre mention dans les actes d'un Baranger dit « l'Hyver », de François Haslin dit « l'Espérance », de François Marin dit « la Verdure », tissier en toile. Dans le registre du petit criminel des bailliages de Romorantin et Millançay de 1764 à 1788 nous avons noté à propos d'un incident survenu entre des « compagnons » : « entre honoré Ricquet dit la Sorne et le Picard, pierre paul Lauvenant dit le Vexin, pierre Taudy dit la douceur et le parisien, philippe Tafinot dit la couronne legatinois et Biaise Grillon dit le bien aymé le bourdelois tous compagnons chapeliers demeurant en cette ville et paroisse de Romorantin... »*. Dans le registre des déclarations de grossesse de 1784 nous avons noté : « françois Eloy dit la Guette domestique en ladite auberge du Dauphin à Millançay et Guillaume Caillault dit Beauceron compagnon couvreur »2; et dans le registre des audiences de police de 1785 : « Fouché dit l'oreille grasse »s. A Pontlevoy dans un acte du 12 juin 1538, on trouvait déjà les surnoms suivants: « Trois Poux, Quatre oreilles, Doux amys ». 1. A r c h . du Bailliage de R o m o r a n t i u et Millançay, A r c h . dép. de L o i r - e t - C h e r .

2. Ibid. 3. Ibid. 2

io

L'homme et ses semblables

Ces surnoms étaient extrêmement variés. M. V. Chevalier a bien voulu nous communiquer les surnoms suivants qui lui sont revenus à la mémoire et qui étaient employés à Souesmes vers 1870-1880 : « Bagosse, Bogoniau, Bobanc, Cul de Fer, Cul de Cambouis, Chie dans l'iau, Chomnasse, Pinuche, Bitonet, Bit'torte, Godillot, La Sagesse, Roquet, Chicane, Crotillard, Le Bardeau, Riquion, Chacrot, La Poule Enrhumée, Couille de Lard, Manas, Le Guibet, Cent-Guis, Tartault la Chique, Fénéniou, Bottot, Bottin, Mitau, Rondis, Broglie, Qu'en cul, Vinault, Jambe d'Ouasse, Tord Gueule, Le Dresson, Les Aluchons, Quarante Ans, Chachioux, Chauche-Dinde, Nez-fin, Paniau, Barbette, Panariou, Bondieu-Gars, Trois-Dieux, Flamme de Dieu, Bondio-bondio, La Vieille Monnaie, La Lambiche, Le Ministre, Poil de Carotte, Brin d'Amour, Sucrine, Jean Ramoneux, Mousseline, Jean des Merises, La Rondille, Binette, Bobosse, Cardinau, Pétouillon, Fernouillon, Gandois, Porniche, L'Grand-Nez, Pattemolle, Palette, Charnaïa, L'Bourgeois, Gueule d'Ane, L'iieuve Rouge, Meunier l'compagnon, Rapette, Gambetta, Quat'Pattes, Pantin, Capétien, L'tueux d'ioups, Tintin, Poiluche, Mapette, Goudi, Guernasse, Croc-Noir, Biriqui, Bijou des Dames, Gigot Raide, La Ménée, Binard, Poil de Chian, Nichon, Roûti, Cadol, Meunier-Poulou, Monecta, Couliche, Pâté d'Chenilles, Malakoff, Cul d'Fer-Blanc, Le Moine Blanc, Baudet, Bon-Beurre, Pataud, Corne en Cul, Tétenne, Petit-Gain, Pancrace, Marde au Cul, Breume-Pain ». Beaucoup de ces surnoms sont facilement compréhensibles. Cependant pour certains l'explication n'est pas si claire. Nous donnons ci-dessous une liste de mots de patois solognot qui aideront à les comprendre : Bagosser, c'est bégayer. Chomneux, c'est du chènevis; la chomnesse, c'est du mauvais chanvre. Un bardeau (en français bardot), c'est un mulet. Rique est le terme par lequel on désigne un mauvais cheval. Un chacrot est le plus petit d'une famille. Cent-Guis est unjuron courant en Sologne. On dit aussi Nom de Gui pour Nom de D... Des aluchons sont les engrenages en bois des moulins. Chachioux est l'équivalent de chassieux. Chaucher est le verbe qui a la même signification que « couvrir » mais qui ne s'emploie que pour les volailles. Bondieu-Gars est une exclamation. Bondio-bondio est unjuron. La sucrine est le vin chaud sucré que l'on porte aux nouveaux mariés le matin de leur première nuit de noces pour les réconforter. Bobosse signifie bosse.

L'homme et ses semblables

n

Un pétouillon est un individu qui a la mauvaise habitude de lâcher de petits pets à tout moment. Fernouillon est celui qui furète, qui cherche dans les détritus comme les chiffonniers. La palette de l'épaule c'est l'omoplate. Un lieuve c'est un lièvre. Biner veut dire embrasser. Breumer c'est désirer ardemment quelque chose. Dans chaque commune de Sologne il y avait autant de surnoms. Chacun était qualifié par un défaut physique ou moral, un tic, une habitude, un penchant, son caractère, un incident qui lui était arrivé. On se connaissait plus par le surnom que par le nom de famille. Souvent même les enfants conservaient le surnom donné à leurs parents. De province à province, de ville à ville, de commune à commune on se désignait par des sobriquets. On sait que les Berrichons et les Beaucerons appelaient les Solognots « Mangeux d'caillé », que les habitants d'Orléans sont encore appelés les « Guêpins », à cause sans doute de leur esprit caustique aussi mordant que le vinaigre qu'ils fabriquent ou plutôt aussi piquant que l'aiguillon d'une guêpe4. A Aubigny, Romorantin et Vouzon, dont l'activité principale était le tissage de la laine, on désignait les habitants sous le nom de « Cardeux ». A Presly-le-Chétif, c'est-à-dire le pauvre situé dans un pays maigre, on appelait les habitants « les Ch'tits d' Presly ». A Yvoy-le-Marron, dit encore « le Galeux » à cause de la fontaine des « Galoux », on disait les « Galeux ou Galoux d'Yvoy ». Ces sobriquets entre paroisses étaient d'autant plus facilement transmis qu'il y avait souvent rivalité entre garçons des paroisses voisines et qu'on ne manquait pas de se les lancer au cours des batailles qui avaient lieu.

4. En réalité, il se pourrait que le mot « guêpin » ait une relation avec le nom de Genabum (Orléans à l'époque celtique), donc avec le nom de ses habitants : Genabenses (De Bello Gallico, VII-11). Dans les noms d'origine celtique l'accentuation est ordinairement sur la syllabe initiale donc sur Ge prononcé gué; celle-ci s'est donc maintenue, tandis que la voyelle pénultième

atone a disparu. D'autre part b est une labiale sonore qui a donné p labiale sourde lorsque le mot a évolué. Mais ceci n'est qu'une simple hypothèse, c'est un problème délicat, affaire de spécialistes. Nous laissons donc aux phonéticiens le soin d'infirmer ou confirmer cette simple hypothèse.

CHAPITRE

II

L'homme et ses compagnons les animaux

L'homme de la campagne, obligé de vivre en contact permanent avec les animaux domestiques ou sauvages, utiles ou nuisibles, les a souvent personnifiés. Il les traite presque comme des compagnons, les faisant parler à certaines fêtes de l'année, leur attribuant certaines vertus, annoncer le temps qu'il fera, expliquant les particularités de leur existence, les mêlant intimement à sa propre vie, de laquelle il ne les sépare point. Il les aime ou les redoute, leur parle, note tous les détails de leur vie.

I. Comment on parle aux animaux Parler aux bêtes, les appeler aux champs, c'est « tahauder les bêtes ». Pour rappeler le chien, le berger dit : « Tâ-quiou la-a, tâ-quiou la-a ! ». Pour appeler les vaches on dit : « Lââ, ma bode, lââ, lââ, vins ma bode, vins! ». Pour appeler les bœufs les bouères « briolent » 1 : cri

jllJ>l|» J)J>JH|. J> J>J>J|p J> J>J>plO r|| La hi

la

la La hi

la

hou! La hi

la

la

hi-ret - te! Hou!

Pour exciter le chien contre les chieuvres qui s'égarent et les ramener on lui dit : « A chieu là-bas, à chieu, mords-les ! ». Pour appeler les chieuvres on dit : « Vins, mon biquet, vins ». Pour appeler les cochons on dit : « Gouri, gouri, gouri ». La bargèse pour ramener ses moutons dira en faisant trembler ses lèvres : « Tprou, tprou, trpou, ma belle, trpou-ou ! ». Pour appeler les canards on dit : « Goulu, goulu, goulu ». Pour appeler les mères dindes et leurs petits pour manger on dit : « Bine, bine... ». On avait un respect particulier pour les abeilles. On sait que comme aux bœufs on allait leur annoncer la mort du maître de la maison et qu'on leur en faisait i . Paul Besnard, D'Orléans à R'morantin. Le p'tit bouer, Paris, Éd. Cornély, 1906, p. 5.

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Ce que disent les animaux et en particulier les oiseaux

porter le deuil en mettant un crêpe aux ruches. O n les soignait avec délicatesse. Pour les rogner, c'est-à-dire leur enlever le miel on leur parlait tout en les enfumant avec des couânes, bouses de vache qu'on a ramassées séchées ou qu'on plaque contre les murs pour les faire sécher au soleil. Elles produisent en brûlant beaucoup de fumée. D e là vient qu'on en met brûler dans un réchaud qu'on promène ensuite sous les ruches afin d'étourdir les abeilles avec cette fumée qui ne leur est point préjudiciable, soit qu'on veuille y toucher sans être piqué, soit qu'on veuille les rogner 2 .

II. Comment on parle des animaux Il existe une étiquette à laquelle manque rarement, même de nos jours, un paysan, qui veut que pour être poli dans la conversation, on ne prononce pas le n o m de certains animaux, mais que l'on emploie une locution ou un mot que le bon usage a adopté à la place. C'est ainsi que pour ne pas dire « la grand'treue », on emploie en parlant de cet animal le terme respectueux de « grand'mé Michelle ». Lorsqu'on ne veut pas dire préalablement « au respect de vous » ou « au respect de la compagnie », pour un cochon ou un âne on dit aussi quand on veut en parler devant des personnes auxquelles on veut marquer du respect « mon p'tit bêtot ». Des animaux en rut. O n dit de la vache à ce moment qu'elle est « en chasse » ou « en ru » ; de la jument qu'elle est « en feu », de la treue qu'elle est « en reu », tandis que la chieuvre est « en leu » ou « en lué » ainsi que la brebis. Les chats à cette époque sont « en radouille », « en rahaude » ou « en ravaude » et la gent ailée de la basse-cour — coqs, dindons, canards, jars — sont « en amour », tandis qu'une femme dira d'un homme dans ce cas qu'il est « en malice ». D'une femelle qui ne veut pas laisser téter son petit les Solognots disent qu'elle est égeonne. Brebis, vaches, juments sont quelquefois égeonnes. Leurs petits sont alors dits égeons. Pour remplacer le pis de la mère égeonne, il y a une centaine d'années, on faisait une tétrolle en adaptant un tuyau de plume garni de linge à un vieux sabot qu'on remplissait de lait.

III. Ce que disent les animaux et en particulier les oiseaux Pour ceux qui les connaissent et qui peuvent les comprendre, les oiseaux parlent : le loriot en sifflant s'amuse à tahauder les bœufs. Savez-vous ce qu'il dit? « Allons, allons, piquez Griviau, Châtain, Charbonniau! Allons la vieille! ». La vieille, c'est la jument qu'on attache devant les boeufs dans l'attelage de labour (Châtres-Douy). 2. Recueil

de mots pour servir au vocabulaire

de la Sologne

dédié à l'auteur

du Vocabulaire

du Berry,

1844.

Ce que disent les animaux et en particulier les oiseaux

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Le merle, malicieusement, se moque du petit vacher. Il siffle : « Le p'tit vacher y m'a attendu Il a voulu m'prindre, il a pas pu. Je l'crains pu, je l'crains pu-u-u ! » (Douy) L'hiver a été dur pour les petits oiseaux et le merle tout content du retour du printemps chante en revoyant ses amis les boeufs : « Châtain, Griviau ! Oh ! Oh ! 3 Janvier, Février! Ça m'a coûté ben cher, ben cher Pour passer mon hiver. J'ai manqué geler La crotte au cul, la crotte au cul ! Ça m'a coûté dix écus, dix écus ! » (« La chanson du marlaud », Fontaines-en-Sologne) Dans les mauvaises années, le merle dit : « Cent écus la botte de paille : la rouine, la rouine ! » (Douy) La grive maligne agace la jeune bergère qui rit aux fleurs et aux oiseaux. Elle lui dit : « Tu ris bergère, tu riras pas toujours » (Douy) Le pia ou pic-vert quand il chante « Plu, plu, plu » vous annonce la pluie. L'alouette toute heureuse de prendre son essor chante au soleil : Quand elle s'envole : « P'tit Jésus du soleil, p'tit Jésus du soleil ». En haut de son vol : « J'ju'rai pu, j'ju'rai pu ! ». En descendant : « Bon Dieu qu' j'ai t-y monté haut! » (Douy) Ou encore : « T'p'tit bon Dieu, t'p'tit bon Dieu J'ju'rai pu, j'ju'rai pu! » En haut : « Ah! grand Dieu que j'suis haute, que j'suis haute! ». En descendant : «Bon Dieu d'Bon Dieu que j'ai t-y monté haut! » (Fontaines-en-Sologne) Le rossignol raconte ses aventures : « En r'venant de Paris Su' mon p'tit ch'val gris, gris, gris J'ai rencontré un p'tit bonhomme tout gris, gris, gris. J'i'ai tant battu-tu-tu-tu Il a fait un bouillon si doux, doux, doux Qu'il en est ruiclé, ruiclé, ruiclé [ressuscité] » (Douy) 3. U n bœuf griviau est un bœuf dont la couleur fauve est mélangée de gris.

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Contes et légendes concernant les animaux

Le pigeon ramier furieux que le coucou lui brise ses œufs, dit : « Ah ! Bon Dieu ¿'coucou ! Ah ! B o n Dieu d'coucou ! » (La Ferté-Imbault) Voici pourquoi la chouette a deux sortes de cris : « La chouette avait deux maris. L'un qui s'appelait Goyon, tout à fait désagréable, qui se saoulait. Il est m o r t d'avoir trop bu. Elle s'est remariée à un autre n o m m é C ô m e qui lui donnait toutes les fantaisies voulues. Elle est encore tombée veuve. C o m m e il était excessivement bon, quand c'est du beau temps, elle fait toujours C ô ô m e - C ô ô m e et quand c'est du mauvais temps elle crie Goyon-Goyon-Goyon » (Millançay).

IV. Contes et légendes concernant les animaux Ces contes et récits ont pour sujet des dialogues entre animaux ou bien ils expliquent leur comportement, leurs qualités ou leurs défauts. Voici le dialogue de la pitruche (mésange) et du robertiau (roitelet) lorsqu'ils se retrouvent au printemps; la mésange est l'éternelle compagne des bûcherons, tandis que son ami le roitelet passe l'hiver dans les greniers. C o m m e deux bons amis ils s'informent comment chacun a passé la mauvaise saison : «Alors Pitruche, as-tu ben passé toun hivé? — Pas mal Robertiau, j'ons suivi les bûcherons. J'mettains des bûches grousses coume ma cuisse dans l'feu. J'ons pas eu fré. Et toué ? — M o u é ! J'ons pas eu fré n o n p'us. J'suis restée dons les guarniers des rich' farmiers dons l'blé jusqu'à la ch'ville ». (Douy) Pourquoi le roitelet s'appelle-t-il ainsi ? « Les oisiaux voulant s'douner un roué, décidèrent qu'ça s'rait celui qui mont'rait l'p'us haut. Au départ l'roitelet s'cachain dans la queue d'I'aigle. Y partent, et coume de ben entendu c'est l'aigle qui monta l'pus haut. Mais quand il en a pu p'us, l'roubsi sortit d'sa queue et s'envola victorieux et frais. « C o u m e ç'atait un si p'tit oisiau, les outes y l'ont pas osé l'déclarer roué et y l'ont appilé roit'let ». (Douy) Certains conteurs malicieux ajoutent que l'aigle n'en fut pas jaloux, car c'était une femelle. Le roubsi s'était montré si entreprenant et si galant et elle en avait été si satisfaite qu'elle lui pardonna. Pourquoi le sapin et le lierre ont des feuilles en hiver ? « L'bon Dieu y l'avait fait des feuilles pour tous les a'bes, mais y l'avait né l'monde ou printemps. Aussi quand vint l'hivé, l'roubsi qui reste dans l'pays fut ben embêté.

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I. La « cucii lette » des essaims. (B.N.)

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2. Carte de Cassini (18 e siècle) sur laquelle on peut noter remplacement au nord-ouest d ' A u b i g n y de la ferme des Martinets, au sud de la ferme de la Gariolle et au sud de Clémont de la métairie et de la locature des Grands et Petits Nérots. (Coll. auteur.)

3. Sclles-Saint-Denis, chapelle Saint-Genou : fresque de la vie de saint Genou (démons poursuivant saint Genou qui s'en va vers le Berry et la Sologne).

4. Eglise de Lassay : fresque représentant Philippe du Moulin en saint Christophe.

5. L a s s a y - s u r - C r o i s n c : château d u M o u l i n (t s c sicclc), côté nord-ouest.

6. L a s s a y - s u r - C r o i s n c : g r a v u r e du 19 e sicclc représentant le château d u M o u l i n . ( M o n u m e n t s historiques.)

7. La recherche des trésors. Fouille d'un tumulus près de Mennetou-sur-Cher, au milieu du 19 e siècle. (Arch. de Loir-et-Cher.)

8. Pontlcvoy : la Pierre de Minuit. (Arch. de Loir-et-Cher.)

9- Le loup-garou. Dessin de Y a n ' Dargent (Légendes et superstitions des campagnes, i " vol., 1 5 février 1869).

Contes et légendes concernant les animaux

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Il alla d'mander à loger au chêne, qui r'fuse et tous les outes a'bes anvec. Seuls le sapin et le lierre voulurent ben l'ercevouère, aussi coume punition, l'roubsi enl'va les feuilles de tous les outes a'bes et depuis sa malédiction è continue ». (Douy) Pourquoi le rossignol chante-t-il la nuit ? « Un jour le langou fut invité à des noces. Ben ennuyé de paraître à cette fête avec son œil unique, il demanda à son ami le rossignol de lui prêter un de ses yeux. Celui-ci accepta. R a v i d'avoir deux yeux, à son retour des noces il refusa de rendre au rossignol l'œil que celui-ci lui avait prêté. « Le rossignol attendit la nuit et le langou s'étant endormi il reprit son bien. Mais le langou s'est juré paraît-il de reprendre l'œil qui lui allait si bien et le rossignol depuis ce temps chante toute la nuit pour éviter que pendant son sommeil le langou ne lui vole à nouveau son œil ». (Douy) Il existe une autre version de ce conte recueillie par Légier en 1808 : « Le rossignol et l'anvot suivant la croyance des Solognots, n'avaient qu'un œil chacun. Depuis très longtemps ils vivaient dans une bonne intelligence, mais le rossignol fut un jour invité de la noce. Il pria l'anvot de lui prêter son œil, afin de paraître à la noce avec deux yeux. L'anvot le lui prêta. Le rossignol de retour refusa de rendre à son ami l'œil qu'il lui avait prêté. L'anvot fâché jura de s'en venger sur lui ou sa progéniture. Mais le rossignol ingrat lui répondit : je ferai mon nid si haut, si haut si bas que tu ne le trouveras pas et voilà pourquoi l'anvot ne voit pas clair ». « L'opinion des Solognots, ajoute Légier, est que non loin du nid d'un rossignol, souvent sous l'arbuste où il est, on peut chercher on y trouvera certainement un anvot »4. Pourquoi le cochon d'Inde n'a pas de queue : « Ç'atait ou temps où Noé avait fait son batiau et s'proum'nait avec sa ménag'rie su l'eau. L'guiâbe voulait l'fair' péri et dounait des coups d'connes dans l'batiau. Alors pour boucher les trous, Noé s'sarvit des queues des cochons d'Inde coume d'étoupe ». (Douy) Pourquoi coupe-t-on la queue aux chats? « On coupe la queue aux chats parce que les chats ont le lizard au bout de la queue. C'est pourquoi le bout de leur queue remue sans cesse, se tortille tant qu'elle n'est pas coupée et qu'ils n'en sont pas débarrassés ». (Douy) 4. Légier, in Mémoires de l'Académie Celtique, t. X ; cf. aussi pièce annexe n° i.

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Contes et légendes concernant les animaux

Pourquoi pêche-t-on les poissons ? « Quand Dieu lâcha les grandes eaux, Pour qu'on put aller dans les îles, Ça bouscula les animaux Et Noé qui vivait tranquille. Et tous en se sentant mouillés Poussaient de grands cris, effrayés : Hi-han, mi-aoû, oua, oua, mmeu-mmeu, Bêe, bêe, couin, couin. N ' y avait qu'les poissons qui n'criaient point. Alors Noé fit un bateau Un bateau grand comme une église Et dit aux bêtes : venez sur l'eau Mieux que d'dans, on vit à sa guise. Et tous les animaux ravis Acclamaient Noé par ces cris Hi-han, mi-aoû, oua-oua, mmeu-mmeu, Bêe-bêe, couin-couin. N ' y avait qu'les poissons qui n'criaient point. Pour n'pas mourir de famine Faut dit-il que j'mange l'un d'vous Tous les animaux ingrats Criaient ensemble je n'veux pas Hi-han, mi-aoû, oua-oua, mmeu-mmeu, Bêe-bêe, couin-couin. N ' y avait qu'les poissons qui n'criaient point. Alors voyant qu'eux n'disaient rien Noé crut qu'c'était signe Qu'les poissons l'voulaient bien I' inventa la pêche à la ligne Tandis que tous les animaux R'merciaient l'ciel par ces mots Hi-han, mi-aoû, oua-oua, mmeu-mmeu, Bêe-bêe, couin-couin. N ' y avait qu'les poissons qui n'r'merciaient point ». (Douy)

Croyances concernant les animaux

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V . Croyances concernant les animaux « Q u a n d l'jars craille la nuit on dit : Tins, y mène pisser ses oies ». Si on attrape une coccinelle, il ne faut surtout pas lui faire de mal mais lui dire : « Marie, vole, vole, v o l e T o n mari est à l'école Y m ' a dit qu'si tu y allais pas Y t'coup'rait ta jolie robe d'soie A v e c ses grands ciseaux d'bois ». Les Solognots croient que les anguilles fraient avec les serpents. Ils disent que lorsqu'on prend une anguille au mois de mai « on entend siffler l'serpent » et qu'il n'est pas prudent de rester à l'endroit o ù l'on a entendu ce bruit. A Châtres une personne nous a affirmé avoir entendu très distinctement siffler le serpent en prenant une anguille. L'ayant fait cuire, elle eut des doutes et avant de la manger elle en donna à son chat qui en m o u r u t ( D o u y , 1944). Les Solognots croient encore que lorsqu'un serpent a sept ans sans avoir été v u de personne, il lui pousse des ailes et le j o u r m ê m e il va se rendre à la tour de B a b y l o n e . Cette tour est remplie d'animaux de toute espèce; l'on ne peut l'approcher que de sept lieues tant ces animaux sont méchants 5 . Les Solognots croient encore que le 13 mai de chaque année, tous les serpents de Sologne s'en v o n t et se réunissent sur le b o r d d ' u n étang o ù ils f o r m e n t un rouet plus gros q u ' u n poinçon et qu'avec leur bave ils fabriquent un diamant. V o i c i ce qu'écrivait Légier en 1808 à ce sujet : « U n maire de village... m e dit un j o u r , sans rire, qu'il était extrêmement surpris que l ' o n vantât tant le diamant de la couronne, appelé par lui le Franci, parce que, suivant lui, c'est François I e r qui l'a trouvé sur les bords d ' u n étang, en chassant dans la forêt de C h a m b o r d . R i e n , suivant lui, n'était plus facile que de s'en procurer un, et m ê m e des plus beaux. « T o u s les ans, au treize de mai, les couleuvres, les serpents et les anvots de la Sologne se réunissent en un seul m o n c e a u tous entassés ensemble, de manière que la masse fait un v o l u m e plus gros q u ' u n poinçon. « Q u a n d ils sont ainsi rassemblés sur les bords d ' u n étang situé entre A r d o n et J o u y , ils travaillent ensemble à la f o r m a t i o n d ' u n gros diamant. C h a c u n de ces animaux d é g o r g e une espèce de liqueur très brillante qu'il a sous la langue. Les deux plus habiles, o u reconnus tels parmi eux, reçoivent cette liqueur qui se congèle. Ils la pétrissent, 5. Légier, Traditions et usages de la Sologne, dans Mémoires de l'Académie Celtique, t. II, 1806, p. 204-224.

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et la besogne faite, chaque animal se traîne sur le diamant, qu'il polit par le frottement de son corps, et se retire dans l'étang. Le dernier d'entr'eux le jette dans l'eau, où il reste jusqu'à ce que, quelquefois en péchant, quelqu'un le trouve. « La précaution de le jeter dans l'eau a pour objet d'empêcher qu'il ne soit ramassé par un geai qui le porterait dans son nid et s'en servirait à nuancer les couleurs de ses ailes. Voilà même la raison pourquoi les geais ont des ailes si belles. Si l'on cherchait bien, on en trouverait sûrement dans les anciens nids de geais, car ce n'est qu'avec ce diamant que le premier de ces oiseaux a pu s'embellir, et sa postérité a hérité de cette magnificence due, comme on voit, dans le principe, à la sagesse des serpents. «J'ai vu moi-même un monceau de serpents et couleuvres réunis, et ce monceau m'effraya surtout quand j e l'eus séparé par deux coups de fusil et que deux des serpents seulement blessés faisaient des sifflements affreux en se dispersant »6. Voici une autre croyance concernant les serpents relevée encore par Légier : « On donne en Sologne le nom d'œuf codrille à un œuf qu'on croit pondu par un coq. Il est rond et gros comme un œuf de pigeon; il n'a que du blanc et point de jaune. Cet œuf contient un serpent; il n'éclôt que par la chaleur du soleil ou du fumier. Le serpent éclos se cache dans une fente de muraille. Toutes les personnes qu'il voit le premier meurent : s'il est vu au contraire le premier, il meurt lui-même. Il y a quinze ans, on fit brûler des ossements humains déposés dans le cimetière d'Ardon, parce que dit-on, ils recélaient un codrille, et que tous les habitants en allant à l'église, mouraient. Cet œuf est l'ovum anguinum, ou l'œuf de serpent des druides, selon E. Johanneau »'. C'est pourquoi le fumier facilitant l'éclosion des œufs codrilles et l'aubépin éloignant les serpents, on plante au milieu du fumier le I e r mai une branche d'aubépin. La Saussaye écrivait de son côté : « On croit que ces œufs, petits et allongés, sans jaune, et qui proviennent d'une maladie de la poule, sont pondus par le coq. On casse soigneusement la coquille et on jette le contenu au feu. Si l'œuf venait à éclore, il en sortirait un serpent nommé Cocodrille, dont la vue comme celle du basilic, tue celui sur qui elle s'attache. Cependant lorsqu'on est assez heureux pour l'apercevoir le premier, il faut s'empresser de lui crier Cocodrille j e t'ai vu, le reptile expire à l'instant même »8.

6. Légier, Notice sur les croyances de la Sologne et du Betty, dans Mémoires de l'Académie Celtique, t. IV, X de la collection 1809, p. 95. 7. Ibid.

8. La Saussaye, Journal historique et archéologique du Blaisois et de la Sologne, p. 28-32; ms n° 266bt*, Bibl. mun. de Blois.

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VI. Les animaux fantastiques La Galipotte. C'était, croyaient les gens, une espèce d'animal qui passait la nuit en galopant et en faisant un bruit infernal dans les cours de ferme. On disait aussi que c'était le Malin ou le Mauvais, c'est-à-dire le diable. Quand elle était passée il y avait toujours des volailles ou un cochon de disparu. Certains disaient même que c'était le curé et son bedeau qui faisaient cela avec un drap sur la tête, car chose étrange, quand les gens l'attendaient cachés soit à leur fenêtre, soit ailleurs avec leur fusil à piston pour tirer dessus, elle ne passait jamais. C'est que pour tirer sur la Galipotte, pour ne pas la manquer et la tuer, il fallait avoir soin de faire bénir les balles avant. Comme cela le curé savait qu'il y avait danger (Gy, Lassay, Millançay, 1943). Les Grandes Lices. La très vieille paysanne qui nous a parlé des Grandes Lices nous a dit : « Moi j'lai pas vu, mais ma grand-mère a vu ça : les grandes lices c'étaient des animaux qui avaient des grands pis coume des treues qui viennent de mettre bas, ç'atait grous coume des viaux et ça r'semblait à des grands chians, ça léchait les auges des cochons la nuit » (Selles-Saint-Denis, 1945). Les Birettes. On croyait aussi aux birettes. La birette est fort commune en Sologne. C'est un animal que l'on voyait se promener la nuit et qu'il est bien difficile de décrire étant donné qu'il change de forme comme il veut. De mauvais esprits disent maintenant que quelques garçons recouverts d'un drap blanc en savaient fort bien l'origine, mais ce n'est pas ce que disent encore la majorité des Solognots. J.-M. Simon dit qu'à La Ferté-Saint-Aubin vers 1840 on croyait que la birette était « un être bizarre, ayant les jambes, les pieds et la tête d'une chèvre et le corps d'une femme »9. La Saussaye raconte une savoureuse histoire de birette qui s'est passée à Vouzon vers 1830 : « Dans les bois de la Glacière, on entend souvent vers les deux heures du matin, surtout en hiver et à l'époque des Avents, pousser des cris plaintifs. Il faut se garder de s'y rendre car c'est un piège des follets, du loup-garou ou de la birette (femelle du loup-garou), pour vous attirer dans quelque précipice ou dans des étangs. Plusieurs paysans de l'endroit ont attesté la véracité du père Mallebran et la nuit qui a précédé mon arrivée on avait entendu le criou (c'est là le nom générique) pousser des lamentations vives et prolongées comme celles d'une personne qu'on assassinerait. M. Germon qui avait commandé qu'on le réveillât quand on entendrait les cris, dont on s'entretenait la veille devant lui, n'entendit rien quand il fut descendu dans la cour du château. 9. J . - M . Simon, Glossaire du parler solognot, Bibl. nat., Fr. nouvelle acqu. 13163, au mot « birette ».

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Les cris avaient cessé et il n'a pu me dire si ce ne sont pas des hurlements de loups ou de renards ou même des cris de chouette qui effraient ainsi les paysans. « Le père Mallebran a v u lui-même la Birette, sous la forme d'une poule noire. Il raconte qu'un soir qu'il partait fort tard de Vouzon, où il avait passé la journée à faire d'amples libations selon une habitude qu'on m'a signalée chez lui, il avait remarqué au clair de lune, une petite poule noire qui le suivait en sautillant entre ses jambes; après avoir vainement essayé de la tuer d'un coup de bâton, arrivé à un fossé, il se prépara à le sauter, lorsque la petite poule noire le franchit devant lui et tout d'un coup s'allonge, s'allonge en manière de bête dont il n'a pu me définir la forme, assez effrayante du reste, pour qu'il n'ait pas osé passer outre, préférant revenir au cabaret se remettre de sa peur à l'aide de quelque libations en plus, qui durent mettre en bel état un homme qui était déjà assez aviné pour avoir cru voir des choses semblables à celles qu'il me racontait de la meilleure foi du monde. En général c'est le dimanche en revenant du bourg où les paysans qui ne boivent que de mauvaise piquette pendant la semaine se gorgent de vin toute la journée, qu'ils voient ou entendent toutes les choses surnaturelles qu'ils racontent »10. A Lassay on nous a raconté l'histoire suivante que l'on peut intituler « Histoire des poires au père Plottu ou la Birette » : « L'pé Plottu était un bon vieux qui il y a bien quatre-vingts ans habitait au Pont. Il avait d'ia terre aux Mulonières, dans laquelle était une vigne et un grand jardin planté de biaux poiriers. A h ! ses pouères il les cultivait amoureusement, les soignait, les surveillait. Ç'atait sa passion. Elles avaient bonne réputation les pouères au pé Plottu. Elles étaint juteuses et gouleyantes à souhait. Mais gare aux drôles qui auraint voulu aller lui soubaster. L'pé Plottu avaint dit ben haut dans l'village et à qui voudraint l'savouère et surtout le répéter, que ceusses qui voudraint manger ses pouères, il les r'cevraint à coups d'fusil. « Pour mieux contempler et surveiller ses pouères, l'pé Plottu avaint tout exprès construit dans son jardin une loge et il y passait des journées entières à faire l'guet anvec son vieux fusil et aussite dans la benaiseté. Ses pouères mûrissaint et s'annonçaint coume ben hounêtes, des pouères à vindre soun âme au guiâbe. « Y avaint dans les envisons des Mulonnières, la farme des Hâs [haies]. L'bouaire et l'charr'tier des Hâs en allant aux champs voyaint les pouères qui grivolaint, s'doraint et dev'naint d'pus en pus appétissantes, provocantes meime coume une jolie bergèse. « Il ne faut tout de meime pas tenter l'guiâbe. Les deux gars guignaint don les pouères du pé Plottu et voulaint en meime temps jouer un bon tour au bounhomme. I' étaint guèse charitab'es. C'est point un vice d'aimer les pouères, tant pus qu'le pé Plottu pouvait en d'veni malade. Mais z'allez empêcher des drôles de c't âge de faire à leux tête. Et pis qualle idée il avait l'bounhoume d'monter la garde avec un fusil i o . L a Saussaye, Journal, op. cit., t. V I I , p. 262.

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d'I'air d'vous dire ' V'nez y don à mes pouères! '. Justement y avait c'sacré fusil et ma grand foué ç'atait tout d'meime ben risquer pour des pouères, d'attrapper un mauvais coup ou d'meime d's'faire saler l'fessier au p'tit plomb. « Un jour à la nuit tombée, l'pé Plottu entendit d'sa loge des voués. Ça disaint, une ch'tite voué: ' Hi-hi-hi ' et ça répondaint, une grousse voué: ' A h ! ah! ah! '. Et la ch'tite voué toute tremblante et menue a disaint encor' : ' Pauver âme, où m'port'rastu? ' Et la grousse voué y réponds : ' Dans la loge au pé Plottu '. L'pé Plottu l'vent coupé, s'demandaint s'il tait berlin. Il écoutait, pour sûr, les voués av'naint à sa loge. A la douce i' mit l'musiau à la porte d'sa loge et vit une drôle d'affaire qui pétonnait, la Birette, oui, çartain ç'atait la Birette. L'sang li fit qu'un tour, laissant son fusil et sa loge, i' sauvait, i' s'sauvait trouver sa boune femme au Pont. « Arrivé là, à bout d'vent, blanc coume un mort qui sort d'sa fousse, i' tomba dans la place sans pouvoir dire mot. Sa boune femme s'd'mandait s'il était pas d'v'nu berlot e' i' dit : ' Qui qu't'as don' ? — Quouèqu' t'as don évu ? ' — ' Hé-là... hé-là ' qui disait l'bounhoume. ' Hé-là, hé-là j'ai évu l'guiâbe, hé-là, hé-là '. — ' T'as bu l'guiâbe, t'as bu l'guiâb' ' disaint la boune femme qu'entendait dur. ' Boué don ben vit' d' l'iau bénite, l'guiâb' y sortira '. Avant qu'il ait eu l'temps d'mouver, sa boune femme li fit avaler un grand verre d'iau bénite. C'est ainsite qu'pour avouère evu la Birette, l'pé Plottu but d'I'iau bénite. « Vous dire, mon bon mossieu quand qui r'vint deux jours après dans son jardin a avaint pus d'pouères. La Birette ou l'guiâbe, c'est pas l'pé Plottu qui vous l'dira, é s'avaint mangé toutes les pouères. « A la ferme des Hâs y z'étaint deux drôles qui s'vantaient point d'ieux exploé, c'étaint l'bouaire et l'promier charr'tier. L'charr'tier portant l'bouaire sus son dos anvec un linceux par ed d'sus savaint ben qui qu'atait la Birette » (Lassay, 1943). La poule noire. Cet animal est l'objet d'une légende que nous n'avons pu retrouver. Un petit opuscule de sorcellerie est intitulé La poule noire. On l'invoquait dans des circonstances que nous n'avons pu préciser en disant : « Par trois fois ma petite noire si tu ne viens pas je m'en vais ». On sacrifiait une poule noire avant d'habiter une maison nouvelle.

CHAPITRE

III

Légendes

Les légendes que nous avons recueillies peuvent se classer sous des rubriques différentes, d'après les thèmes dominants qui en sont le centre. Nous avons déjà vu qu'un certain n o m b r e de légendes se rapportant aux fontaines sacrées, plus exactement à leur origine, avaient toutes un élément c o m m u n : le bon saint ou la bonne sainte, tels un sourcier ou Moïse qui avec leur baguette faisaient sortir l'eau du sol en enfonçant dans la terre l'un son aiguillon, l'autre sa houlette. Nous ne reviendrons pas sur ces légendes concernant les bons saints pas plus que sur celles où un animal découvrait une statue de la Bonne Dame 1 . Nous donnerons ci-après un certain nombre de légendes classées d'après un élément principal qui leur est c o m m u n .

I. Légendes se rapportant aux sources ou fontaines, puits, gouffres, lacs, plantes La Malnoue. Dans la légende de la Malnoue nous retrouvons le thème d'une source qui jaillit parce qu'on a planté un aiguillon en terre et aussi le thème que nous rencontrerons très souvent, à savoir de la source qui menace d'inonder tout le pays et que l'on bouche avec des toisons de laine. Nous empruntons le récit de la légende de la Malnoue à E.-P. Larchevêque : « Lorsqu'on étudie la stratigraphie des couches géologiques superficielles de la Sologne, o n constate l'existence d'une couche aquifère qui s'étend sous tout le pays. C'est cette nappe d'eau qui alimente les innombrables sources d'eaux vives de la Sologne. Tantôt elle apparaît à la surface du sol en eaux jaillissantes, tantôt on la rencontre en faisant des forages ou en creusant des puits sous forme d'eaux remontantes. Il arrive assez fréquemment dans le creusage des puits, que lorsque l'on attaque cette veine aquifère, les eaux se précipitent impétueuses, et, faute de moyens d'épuisement suffisants, l'on a été plus d'une fois forcé d'abandonner les travaux. C'est ce qui se produisit au puits i. La Sologne, t. II, p. 706.

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du château du Chêne à Salbris. Le puits à marne des Vallées, de St. Viâtre, ne put, malgré tous les efforts, être épuisé. L'eau remontante y atteignait l'orifice venant de 17 mètres de profondeur. Le forage fut poussé jusqu'à 50 mètres à la recherche de couches absorbantes. Celles-ci furent atteintes et noyées, sans autre résultat que d'abaisser le niveau des eaux à 0,80 m au-dessous de l'orifice. C e vaste réservoir c'est la M a l noue. Partout en Sologne, la Malnoue est connue, partout elle est redoutée c o m m e un danger latent, et son n o m m ê m e porte l'empreinte des méfaits qui lui sont attribués. « Pour les Solognots, c'est un fleuve immense passant à ciel ouvert sous tout le pays, dans un vaste tunnel. Là, on l'entend bruire et gronder, c o m m e à la Gariolle, d ' A u b i g n y . Ailleurs aux Nérots, c o m m u n e de Clémont, lors des pluies calamiteuses, derrière la plaque de la cheminée surchauffée par les grands feux d'hiver, on l'entend grésiller. Aussi de temps immémorial, n'a-t-on déplacé cette plaque, quelques réparations qu'il y eût à faire à l'âtre, de peur que la plaque une fois levée la Malnoue ne se précipitât et engloutît la ferme et les environs. « Sur une réalité d'hydrographie géologique, la légende est venue broder ses récits merveilleux. C'est de bonne foi que les habitants du pays vous racontent les expériences faites pour s'assurer du cours de la Malnoue. Dans de certaines fontaines aux vastes sous-rives, appelées chaves dans le pays, vrais exutoires de la Malnoue, l'on a contraint des canards, préalablement marqués, à s'y introduire. Huit ou dix jours après on les retrouva sur le bouillon du Loiret, au château de la Source, à Olivet. Mais d'autres canards, messagers envoyés par cette voie souterraine n'ont jamais reparu. C'est que le Loiret n'est qu'un petit émissaire de la terrible Malnoue, dont la plus grande masse débouche à l'extrémité de son chenal souterrain en pleine mer. « R i e n ne prouve mieux la puissance du grand torrent caché que le terrible accident advenu à la ferme des Martinets, dans la vallée de la Nère, n o n loin d ' A u b i g n y . « Par une année de sécheresse, la couvraille des sarrazins, qui se fait la semaine de la St. Jean, se prolongea jusqu'en plein mois de Juillet, tant la terre s'était asséchée et durcie. Le travail en était rendu si pénible que l'on avait dû faire marcher l'attelée complète de douze boeufs, tandis qu'habituellement on n'en prend que huit au plus, conservant les autres c o m m e une réserve pour remplacer ceux que le travail a trop fatigués. Enfin, après une journée encore plus chaude et plus laborieuse qu'à l'ordinaire, l'attelage rentrait à la ferme, la dernière pièce de terre labourée. A peine arrivés sous le grand chêne aux bœufs, dès que la charrue fut décrochée, et avant que l'on ait eu le temps de les délier du j o u g , les douze bœufs harassés, dévorés de soif, tourmentés par des essaims de mouches et de taons, se précipitèrent vers l'abreuvoir o ù ils entrèrent accouplés deux à deux et encore tous les douze reliés par la chaîne de charrue. « Q u a n d on voulut les faire sortir de l'abreuvoir, on ne put y parvenir, car les deux premiers pris dans un sable mouvant, malgré tous leurs efforts, ne pouvaient s'en arracher. Ils s'enfoncèrent peu à peu et disparurent malgré les efforts combinés de

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tout le personnel de la ferme. O n ne put même pas sauver les ruelliers2 qui, moins avancés, se trouvaient près du bord de l'abreuvoir. « La nuit était survenue sur ce triste événement. O n ne fut pas peu surpris le lendemain matin de ne plus rien apercevoir dans l'abreuvoir, si ce n'est que le sable blanc et fin du fond, qui était devenu noir par le limon déposé à sa surface avec le temps, avait recouvré sa blancheur à la place où s'était passé l'événement de la veille. O n fit en vain des sondages immédiats, qui renouvelés quelques jours après en présence du propriétaire, demeurèrent sans résultats. «... Bien autrement grave fut la catastrophe qui terrifia Aubigny-sur-Nère et dont le souvenir, avec la tradition de la légende, s'est transmis jusqu'à nous. « En quittant la petite ville d'Aubigny, par la route de Bourges, à environ un kilomètre sur la gauche, se trouve une ferme appelée la Gariolle. A l'extrémité de l'oucheron3 de cette ferme, se voit un taillis de quelques hectares s'inclinant vers l'ouest. Cette inclinaison forme l'un des versants d'un petit vallon appelé la Malnoue, qui remonte vers le sud de quelques centaines de mètres; mais à l'opposé il se prolonge vers Aubigny d'un côté, et de l'autre contournant l'un de ses faubourgs (le faubourg du Cygne) traverse la route de Sainte-Montaine et va se perdre un peu plus bas dans la vallée de la Nère. « C'est sur l'emplacement de ce vallon, toujours appelé vallon de la Malnoue qu'eut lieu l'irruption soudaine du fleuve souterrain, dont nous allons tenter de retracer les péripéties d'après la légende. « Il y avait à la Gariolle un bouaire qui, depuis plusieurs années déjà conduisait l'attelée de bœufs de cette ferme. La moisson avait été pluvieuse et l'herbe, bien qu'abondante, n'avait que peu de propriétés nutritives. Aussi le bouaire voyait-il avec chagrin ses boeufs dépérir et l'époque des couvrailles approchait. Il se plaignait à tout le monde, cherchant des conseils. « U n jour qu'il avait parcouru tous les prés et pâtureaux des fermes voisines, il rencontra un homme qu'il ne connaissait pas. A ses plaintes l'inconnu répondit que ses bœufs maigrissaient parce qu'ils avaient déjà les dents usées et il lui remit quelques plantes qui devaient leur rendre l'appétit. Il lui promit aussi certain pot de certaine graisse qui, frottée sur les courroies des jougs, devait donner un pas alerte à ses bêtes. « Mais tout cela n'était rien à côté d'un aiguillon dont lui-même s'était servi dans sa jeunesse, et dont il voulait bien indiquer la fabrication au bouaire qui l'écoutait ravi, bouche bée. « L'aiguillon devait être en aubépine ; mais les aubépines assez longues pour être ainsi utilisées sans être trop grosses, ni trop noueuses, sont fort clairsemées. Cette aubépine ne devait être coupée qu'à un certain moment de la lune, entre onze heures et 2. O n appelle ruelliers les b œ u f s placés i m m é d i a t e m e n t d e v a n t l'avant-train de la charrue, la ruelle.

3. D e ouche, terre labourable o u j a r d i n attenant à la f e r m e et entouré de haies.

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minuit, par sept coups de serpe, dont le dernier seulement devait abattre la tige. Ils devaient être donnés un par nuit, toujours à la même heure, en prononçant des paroles cabalistiques que l'inconnu enseigna au bouaire. « Puis il fallait en prononçant d'autres mots, la faire griller sept fois sur un feu formé d'espèces de bois spéciales et à chaque fois il fallait recouvrir le feu avec une herbe différente dont la septième était la fougère qui devait être cueillie en fleurs, récolte qui ne peut être faite qu'après le feu de la St. Jean, entre onze heures et minuit seul moment de l'année où l'on puisse voir cette plante en floraison. « Ce n'était donc pas facile de mener à bonne fin la confection d'un pareil aiguillon. Mais s'il y parvenait, avec un tel talisman que ne pourrait-il faire ! Ses bœufs au contact de l'aiguillon, ne sentiraient plus la fatigue, plus ils marcheraient, plus ils seraient frais et dispos. D'ailleurs, tout ce qu'il toucherait serait comme enchanté. Le blé de semailles remué avec son aiguillon volerait sans peine de la main du semeur rendu infatigable. « ' Mais, ajouta l'inconnu, avant de s'éloigner, une fois fait, que cet aiguillon ne touche jamais à la terre; sinon crains les plus grands malheurs! '. « Pendant des semaines, le bouaire chercha, menant ses bœufs partout où il pensait trouver l'aubépine tant désirée. Il ne respectait rien, son troupeau dévastait tout, tandis qu'en proie à son idée fixe, il cherchait, cherchait toujours. Enfin, après bien des déboires, bien des mécomptes, il réussit à fabriquer le merveilleux aiguillon. « Tout changea dans l'attelée : les bœufs allaient, allaient sans repos sans arrêt. Les terres mouillées par des pluies continuelles, défonçaient sous la charrue, les bœufs y enfonçaient jusqu'au ventre. Loin de les dompter, on eût dit que la difficulté les activait encore. Le valet de charrue qui naguère gourmandait le bouaire sur sa paresse, qui allait jusqu'à lui jeter, à lui un bouaire, l'injure sanglante de vacher, ne savait plus que penser. Bientôt il fut à bout de forces. Les bœufs allaient toujours. Il n'en pouvait mais et le bouaire ne se sentait pas d'aise. « Il ne restait plus que la terre du petit oucheron de la maison à emblaver, si mouillé, si détrempé, qu'on l'avait gardé pour la fin, comptant toujours sur un retour du beau temps, qui n'était pas venu. Cette terre, qui eût en de bonnes conditions demandé plusieurs journées pour être emblavée, le fut en une seule. A peine si le fermier qui, d'ordinaire, eût peu fournir à semer pour quatre charrues, arrivait à semer pour sa seule attelée de bœufs, bien qu'avec une rapidité qui tenait du prodige, s'épandît la semence de sa main toujours ouverte. « Personne ne comprenait rien à ce train d'enfer. Le bouaire lui-même, échauffé à ce jeu, avait au milieu du jour jeté sa veste de côté. Enfin le dernier sillon était tracé. Et tandis que le fermier et le valet se reposaient ahuris d'une telle furie de travail, le bouaire courait ramasser sa veste. Gêné par son aiguillon pour passer son habit, il le fiche en terre, oublieux maintenant des recommandations que naguère lui avait faites son initiateur. Sa veste mise, il saisit son aiguillon, l'arrache pour regagner la ferme, mais il reste pétrifié d'étonnement et bientôt d'épouvante.

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« Dans le trou laissé par son aiguillon bouillonnait une eau blanche comme du lait. Elle montait, s'élevant de plus en plus, et tout à coup s'élançait dans les airs en une mince veine liquide qui avait des pieds et des pieds de hauteur. Bientôt ce fut une colonne d'eau grosse comme le bras; d'instant en instant elle augmentait, projetant en l'air la terre et les cailloux. Médusé par la peur, le malheureux bouaire restait cloué au sol. Bientôt il disparut avec son aiguillon dans le gouffre qui s'était creusé sous ses pieds. « Cependant l'eau se répandait au loin, et à la nuit, l'oucheron n'était plus qu'un lac à l'extrémité duquel l'on voyait un bouillonnement formidable. « Le fermier terrifié plaça son monde pour surveiller les progrès de l'inondation. Quant la lune fut levée il s'assura de la direction que prenaient les eaux et vit que la plus grande partie se dirigeait sur la vallée de la Nère, qui se trouvait déjà débordée. « Il courut à la ville prévenir le bailli des circonstances de la disparition de son domestique et de l'inondation imminente. A le voir si pâle et si défait, le bailli crut qu'il n'était pas dans son bon sens et le renvoya chez lui, lui répétant que d'ailleurs la ville ne craignait rien, que les tunnels sous lesquels coulait la Nère avaient absorbé des crues autrement considérables que les écoulements de son petit oucheron. « Mais à minuit la population se réveille, effarée, au son du tocsin. La ville était inondée. L'eau avait envahi toutes les maisons, sauf celles qui étaient groupées autour de l'église. La confusion fut inexprimable. La nuit se passa dans les transes au milieu de lamentables déménagements, au bruit des murs et des constructions qui s'effondraient dans les eaux. « Le jour vint montrer toute l'horreur du désastre. On dut s'occuper à sauver les habitants les plus compromis. Le bailli se souvenant un peu tard du fermier de la Gariolle, envoya aux renseignements. L'eau sortait toujours aussi impétueusement de l'oucheron de la Gariolle. « Le lendemain qui se trouvait être le mercredi, on résolut pour barrer la vallée, de démolir trois maisons dans l'endroit le plus bas de la ville. On se prit à pratiquer la brèche, et la violence du courant aidant, elle fut assez largement ouverte pour permettre aux eaux de baisser de deux pieds. « Mais la ville restait coupée en deux par le torrent qui s'écoulait par la brèche. L'on s'occupa le jeudi de visiter les ponts de la Nère que l'on trouva complètement obstrués par les buissons et les arbres que les eaux de la Gariolle avaient déracinés en creusant la vallée de la Malnoue, telle qu'elle est encore. Les ponts furent débouchés et les eaux en furent abaissées de quatre pieds. On put alors établir une passerelle entre les deux parties de la ville et ayant réquisitionné tous les chevaux, on entreprit de transporter à la Gariolle tous les matériaux que l'on pouvait trouver. On se proposait d'aveugler le gouffre. « Le lendemain fut employé à pousser un pont d'approche pour arriver le plus près possible du bouillon, qui heureusement n'était pas éloigné des bords du nouveau

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vallon. On réunit en un radeau tout ce que l'on avait pu se procurer et le samedi on le précipita du pont. Mais il ne tarda pas à se disloquer sous la violence de projection des eaux. Les charpentes prirent le fil de l'eau; les pierres coulèrent isolément à fond et ne réussirent qu'à déplacer le bouillon, qui se reproduisait aussi fort un peu plus loin. « Le dimanche était arrivé. On pensa alors à invoquer la protection divine. Après la grand'messe, toute la ville se rendit processiormellement à la Gariolle, croix en tête, bannières déployées et portant les reliques des saints. Le Saint Sacrement fut exposé pendant deux heures sur le pont de service; mais les eaux ne baissèrent point. Dieu ne voulut pas manifester sa puissance, punissant ainsi le manque de foi et la folle présomption des gens d'Aubigny, qui s'étaient d'abord fiés à leurs propres forces pour combattre le fléau. « Le soir même, le bailli réunit en un grand conciliabule tout ce que la ville comptait de gens de bon conseil. Chacun apporta son avis. Ce fut celui du délégué de la corporation des cardeurs qui fut adopté, et dès le lendemain on commença à le mettre à exécution. On réunit toutes les laines que l'on put se procurer et qui ne manquaient pas à Aubigny, où les corporations des cardeurs, filateurs, drapiers, foulonniers étaient très puissantes. On rassembla tout le fer que l'on trouva chez les marchands de fer et les habitants. « Les cordiers furent aussi mis à contribution : tous les cordages du pays furent réquisitionnés. L'on n'en excepta pas plus les cordes de levage pour les meules de moulin que celles des cloches de l'église. « Des laines on forma une grosse pelote, au milieu de laquelle fut logé tout le fer disponible. Le tout fut enserré avec des cordes et des câbles. En deux jours l'immense boule fut prête, et le lendemain, du pont rallongé jusqu'au nouveau bouillon, l'énorme balle fut précipitée dans le gouffre, qu'elle couvrit d'un opercule élastique et aveugla sans coup férir. Pour plus de sûreté le bailli fit jeter sur elle les portes de la ville et toutes sortes de matériaux. « Les eaux, qui depuis dix jours n'avaient pas sensiblement varié à la Gariolle, baissèrent immédiatement. Bientôt on put circuler autour de la balle de laine qui s'enfonçait peu à peu et qui, enfin, étant toute entrée, fut enterrée. « Le seigneur d'Aubigny prévenu, arriva de Paris. Il approuva les mesures prises; et comme on ne put désintéresser les corporations qui avaient abandonné leur laine et et les marchands de fer, il les exempta pour l'avenir de tous droits et redevances, faveur dont ils continuèrent à jouir jusqu'à la Révolution. « Depuis lors, pas un bouaire qui ne cherche l'aiguillon d'aubépine. Mais aucune de ces épines ne peut pousser assez vigoureusement partout où atteignent les eaux de la Malnoue. Aussi depuis lors, n'a-t-on revu l'aiguillon enchanté »4. 4. E.-P. Larchevêque, Essai géologique sur les couches surmontant l'argile à silex en Sologne. Légendes relatives

à la Malnoue, Bourges, chez Hippolyte Sire, 1892, p. 45-55.

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Dans cette légende nous avons rencontré un élément déjà rencontré dans certaines légendes relatives aux bons saints, celui de l'aiguillon planté en terre qui fait jaillir une source et un autre élément, celui de la source qui menaçant d'inonder le pays est bouchée avec de la laine, élément que nous allons retrouver dans d'autres légendes de Sologne. Chaon. « Située dans la partie du pays dite le ' vieux bourg ' l'église de Chaon est une des vieilles églises de la contrée. Une tradition populaire veut qu'elle ait été construite sur la Malnoue »5. Courmemin. « Le Moret est un marais situé près du bourg, autrefois il y avait une chaussée et un moulin, maintenant tout a été mis à sec. Mais au milieu de ce terrain il y avait un ragon avec des rouches. U n jour au moment de la fenaison un charretier dont les chevaux s'emballèrent passa avec tout son attelage sur ce ragon. Les chevaux et la voiture disparurent et on eut du mal à sauver le conducteur. O n boucha alors ce gouffre avec des toisons de laine (à ce moment la laine n'était pas chère), qu'on recouvrit de fagots et de terre. Et si vous alliez maintenant à cet endroit vous n'enfoncerez pas mais vous aurez l'impression de marcher sur un bateau. O n dirait que le sol flotte sur des eaux. O n a entouré cet endroit pour éviter que les bestiaux et les gens ne s'y perdent ». (Raconté par le grand-père de notre informateur âgé de soixantesix ans en 1944.) Gièvres (l'ancienne Gabris de la Table de Peutinger). « Il existe à Gièvres la célèbre fontaine de l'Erable. O n dit dans le pays qu'à une époque ancienne un seigneur a voulu la curer et que ce travail ayant donné trop d'écoulement aux sources qui l'alimentent, le pays fut tout inondé. Qu'ensuite on fut obligé de la boucher avec des toisons de laine. Aujourd'hui même on dit que le maire ayant voulu la curer, l'autorité s'y est opposée pour empêcher l'inondation du pays. Il paraît même qu'elle est pleine de bois qui empêchera cette inondation » (1854)6. « Les gens de Gièvres disent qu'au temps de l'existence de l'ancienne ville, cette fontaine devint un gouffre qui menaçait d'engloutir la contrée et que ses habitants ne parvinrent à conjurer ce malheur qu'en jetant toutes les toisons de leurs moutons dans ce gouffre qui fut alors comblé. «... les uns y voient (qui rapportent cette légende au culte du soleil) rappelée l'influence du bélier équinoxial du printemps qui fait cesser les ravages de l'hiver et ramène la belle saison »7. 5. A b b é C a m i l l e S e v a u x , La paroisse et commune de Chaon-en-Sologne au diocèse de Blois 1148-1903, Paris, 1904, p. 12. 6. N o t e Delaune. Papiers divers.

7. M . Jollois, Mémoire sur l'exploration d'un ancien cimetière romain, situé à Gièvres, et sur la découverte de l'emplacement de l'ancienne Gabris, Orléans, 1830.

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La Saussaye de son côté écrivait ceci : « Près de lui (le cimetière gallo-romain) se trouvaient un petit lac comblé depuis peu et la fontaine de l'Erable dont le n o m conserve le souvenir d'un arbre consacré et sur laquelle existe une légende absolument semblable à celle de la fontaine d'Herbault (à Thésée). O n y lavait les corps avant de les incinérer dans l'ustrinum reconnu au bord du lac, à l'incinération profonde du terrain... »8. Maray. Près du Tertre aux Morts, existe une fontaine qui a été bouchée suivant une tradition répandue dans toute la Sologne, par toutes les toisons du voisinage parce qu'elle inondait le pays. Millançay. Il y a au Vieux-Millançay une fontaine que l'on appelle le Gouffre. Cette fontaine qui n'est plus maintenant qu'une sorte de fondrière, était la source de la Bonne Heure, ruisseau qui faisait tourner il y a bien longtemps quelques moulins situés près de Millançay. Les meuniers de ces moulins ayant refusé de payer la rente ou les redevances pour leurs moulins au seigneur du Vieil Millançay, ce dernier prit le parti de faire boucher la fontaine; mais il ne pouvait y parvenir quoiqu'il eût fait jeter du bois, des pierres, des terres en abondance. Quelqu'un lui dit alors qu'il n'y réussirait qu'en emplissant la fontaine de laine et en couvrant cette laine d'une grille de fer. A cet effet il acheta toutes les laines de la foire de Saint-Genou (Selles-Saint-Denis). Depuis ce temps les meuniers ne pouvant plus tourner, leurs moulins ont été détruits. Il paraît qu'il y a quelques années on pouvait encore voir les restes de l'un de ces moulins près des Grands Etangs qui sont justement formés par le ruisseau de la Bonne Heure. M . Charles Quantin qui racontait ce fait à J. Delaune en 1851 y avait fait plonger des bois de plus de quinze pieds de long sans trouver la grille en fer9. O n prétend que c'est le Gouffre du Vieil Millançay qui une fois bouché a fait la source du Loiret (1943). Montrieux. « Nous avons encore rencontré à Courbanton, écrit La Saussaye, la fable des fontaines bouchées avec de la laine, on la raconte ici de la manière suivante : ' Le ruisseau sans n o m qui passe à Courbanton et à Montrieux, était jadis rivière à l'époque où Montrieux était ville. Son cours qui n'alimente plus que trois moulins en faisait alors tourner une dizaine, dont plus de la moitié appartenait au domaine de C o u r banton. Le seigneur de Villeny, village situé à deux lieues au-dessus de Courbanton, possédait sur son territoire les sources de la rivière et percevait à ce titre une redevance sur les meuniers de Courbanton. Il lui prit un jour fantaisie d'augmenter d'un setier de seigle la redevance de ces meuniers ; mais ceux-ci s'étant refusés à le payer, il imagina 8. Journal, op. cit.

9. N o t e s Delaune du 29 septembre 1851 et du 6 mai 1857. Papiers divers.

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pour les punir de faire tarir la principale source, espèce de gouffre d'une profondeur incommensurable; ayant fait ramasser une immense quantité de balles de laine il les fit jeter dans le gouffre en les couvrant d'une grille de fer pour les faire descendre jusqu'au fond. La source tarit presque entièrement et les meuniers furent ruinés; mais la moralité de la fable veut que le seigneur l'ait été aussi, car il perdit en outre des redevances des meuniers, ses moulins à lui, à l'exception d'un seul que l'on voit encore auprès de la fontaine. O n ajoute que toute cette eau, repoussée vers les entrailles de la terre, se fit jour plus loin et que ce fut là l'origine de la rivière du Loiret, dont la source extraordinaire est assez connue ' »10. Jules Delaune dans une note du 6 mai 1857 note la même légende qui comporte une variante à propos du seigneur qui avait voulu tarir la source : « Dans la commune de Montrieux, dit-il, sur le ruisseau qui vient passer à C o u r banton, o n dit aussi que le seigneur de Montrieux voulut faire payer une redevance aux meuniers et qu'à défaut pour ceux-ci d'avoir voulu la payer, le seigneur fit combler les fontaines qui se trouvent au nord du bourg et qui sont encore à rendre possible les moulins sur ce ruisseau » n . En 1864 Jules Delaune avait encore relevé une tradition, d'après M . Rouhier de Dhuizon, selon laquelle la fontaine Saint-Victor ayant menacé d'inonder le pays, on avait dû la bouclier avec des laines. Nous avons trouvé trace de cette légende en 1943 12 . Pruniers. A Pruniers ce n'est pas avec des laines que la fontaine qui allait inonder le pays avait été bouchée, mais avec une énorme pierre. Cette tradition signalée en 1857 par J. Delaune était encore connue en 1943, date à laquelle nous avons pu la vérifier. Delaune écrivait : « Il existe à Bâtarde une légende que l'on rencontre dans toute la Sologne. D e u x fontaines existent au bas des monticules que j e suppose être des tombelles. L'une d'elles a dit-on été bouchée par une pierre qui a été mise au fond, sans laquelle tout le pays aurait été inondé. En plongeant un bâton au fond on peut facilement toucher la pierre »13. Romorantin. Là ce ne sont plus des fontaines, mais des puits qui menaçaient la ville. J. Delaune relate qu'en 1865 un habitant de Romorantin, M . Chauveau, lui a d i t : « Q u ' u n puits existant autrefois entre le faubourg de Blois et la rue des Limousins, dès que le dernier coup de pioche a été donné, l'eau est venue en telle abondance qu'on a été obligé de jeter beaucoup de laine dedans pour empêcher l'inondation. Il y a 80 à 90 ans ». Il ajoute : « Derrière chez le père Leroy du faubourg St. R o c h , un puits a aussi menacé d'inonder. O n a été obligé de requérir les vignerons pour le boucher de pierres »14. 10. Journal, op. cit. 11. Papiers divers. 12. N o t e du 15 juin 1864. Papiers divers.

13. N o t e du 6 mai 1857. 14. N o t e du 4 décembre 1865.

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Soings. Fontaine d'Azery ou d'Ozeray (carte d'état-major d'Hadry). « En partant de Soings, dit La Saussaye, nous avons été gagner la vallée arrosée par la Croisne, petite rivière qui sort des étangs de la Bruère et d'une magnifique source qui fait tourner un moulin. Cette source venait d'être curée, on voyait tous les surgeons sortir du fond avec violence et en soulevant le sable du fond à 2 ou 3 pouces de hauteur. Les gens des environs prétendent que cette fontaine aurait englouti jadis le pays si on ne l'avait en partie comblée avec des balles de laine que l'on avait fixées à l'aide de grilles de fer » 15 . En 1877 « la femme Barbellion » disait à Jules Delaune : « Pour faire tarir l'eau d'une source ou un amas d'eau quelconque, il faut jeter de l'argent vif dedans, que si le lac de Soings a tari en 1872, sans se remplir depuis, c'est qu'un Esprit y aura jeté de l'argent vif ». Delaune précise : « Il y a 40 ans qu'il avait été aussi en partie desséché par une année de grande sécheresse, mais il n'avait pas été curé ni cultivé comme en 1872 et depuis »16. Thésée. « Au-dessous des Sept Pierres était une source, tarie maintenant appelée la Fontaine d'Herbault. D'après une tradition locale, cette source desséchée eut autrefois des eaux si abondantes qu'elle menaçait de ruiner le pays au loin par ses inondations et on fut obligé de refouler ses eaux dans la terre en comblant le bassin de la fontaine avec des toisons assujetties par des meules de moulin. Le dévouement apporté par les habitants à dépouiller leurs moutons pour fournir les toisons nécessaires à cette opération, fut, dit-on, l'origine de l'usage où l'on était dans la paroisse de Thésée de ne point payer la dîme des laines. Les eaux de la fontaine d'Herbault sourdent encore faiblement à certaines années et on est dans la croyance qu'elles annoncent d'une manière infaillible la cherté du blé pour l'année suivante. On croit encore qu'un jour elles couleront avec plus de violence que dans les temps passés et qu'elles occasionneront dans le Cher une crue et un courant tels que la ville de Tours en sera détruite, car il a été dit que Tours périrait par le Cher » 17 . Villeny. Gouffre du Mont-Collier. Nous avons relevé en 1943 une légende concernant ce gouffre, qui est peut-être la même que celle recueillie par La Saussaye à Courbanton : « Cette fontaine assez importante alimentait une rivière qui faisait tourner 14 moulins à foulon. Le propriétaire de la source voulut faire payer une redevance aux meuniers qui refusèrent. Voyant cela le propriétaire de la source voulut la boucher avec des laines qu'il acheta en quantité considérable dans tous les marchés de Sologne. Mais il avait beau mettre des laines et des laines dans la fontaine, celle-ci ne tarissait point. Il s'entêta à tel point qu'il se ruina complètement sans réussir dans son entreprise ». 15. Journal, op. cit., p. 158. 16. Note du 1 1 avril 1877.

17. La Saussaye, Mémoires sur les antiquités de la Sologne Blésoise, copie dactyl. des Arch. dép. de L.-et-C., p. 178.

Prêtres tués à l'autel

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II. Fontaines et trésors Dans quelques fontaines la tradition veut qu'il y ait un trésor caché : — A Nouan-le-Fuzelier La Saussaye dit que « près du Charbonnier, il y a une fontaine au fond de laquelle a été cachée, dit-on, une cloche d'argent qu'il n'a encore été donné à personne de découvrir »18. — A Pruniers on dit que sous la pierre de la fontaine du gardoir de Bâtarde un trésor est caché. Mais que si ce trésor revient à l'air libre, les eaux de l'étang de Bâtarde envahiront toute la propriété. On peut se demander si les légendes des fontaines bouchées ne sont pas le rappel d'un souvenir très lointain tel celui d'une tentative des premiers chrétiens pour boucher les fontaines sacrées objet de culte de la part de populations restées encore à demi païennes. Il ne serait pas impossible que ces légendes expliquent après coup un aspect de la lutte entreprise par les premiers évêques de la Gaule contre le culte des sources. En effet le second concile d'Arles en 442 ordonnait aux évêques d'empêcher d'adorer les arbres, les pierres et les fontaines. Saint Ouen, évêque de Rouen au 7e siècle, met dans la bouche de saint Eloi, évêque de N o y o n les mots suivants : « Bouchez les fontaines et coupez les arbres qu'on appelle sacrés »19.

III. Prêtres tués à l'autel On raconte en Sologne dans plusieurs communes que des prêtres furent tués à l'autel alors qu'ils disaient la messe, par de méchants seigneurs et que plusieurs églises de Sologne conservent la marque visible de ces assassinats. 18. Journal, op. cit., p. 247. 19. Dans une légende se rapportant à la construction de la chapelle de Notre-Dame de Vaudouant en Berry on trouve le thème de la fontaine aux eaux envahissantes associé à celui d'un objet lancé, marteau ou truelle, thème que nous avons noté dans les légendes se rapportant à saint Genou et à saint Eusice (cf. La Sologne, t. II, p. 750). « . . . Sous l'empire d'une ardeur croissante, chacun se mit à l'œuvre aussitôt, en attaquant vigoureusement les fondations au bord de la fontaine. Mais, à peine les avait-on ouvertes, que les ouvriers en furent chassés par les eaux qui les envahirent de toutes parts. On résolut alors de se placer sur un petit tertre paraissant offrir plus de sécurité, mais le même phénomène se produisit et l'on s'épuisa en vains efforts pour enlever les eaux qui revinrent plus abondantes et détruisirent les travaux. « Alors le maître maçon, découragé et ne sachant plus que faire lança son marteau dans les airs, par dépit ou par colère, selon ceux-ci, et, selon ceux-là, pour

s'en rapporter au jugement d'en haut, ainsi que cela se pratique plus d'une fois en semblable circonstance, au dire des légendes. « U n vent furieux s'éleva tout à coup et emporta le marteau, qui se perdit dans le tourbillon sans qu'on pût remarquer la direction qu'il prenait. « Le maître maçon l'ayant inutilement cherché aux alentours de la fontaine, était dans une grande perplexité, lorsqu'il entendit une génisse mugissant d'une façon extraordinaire, comme si elle eût été en proie à la dernière épouvante. « Ces cris d'effroi se succédant sans interruption, on traversa le fourré et l'on parvint à une belle clairière, couverte d'un épais tapis de verdure, où le marteau fut aperçu près de la génisse qui bientôt disparut aux yeux des assistants ébahis. Revenus de leur stupeur, ceux-ci comprirent, d'après les divers prodiges dont ils venaient d'être témoins, que l'emplacement désiré par la Vierge était définitivement indiqué » (Just Veillât, Pieuses légendes du Berry, Châteauroux, 1864, p. 300).

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Courmemin. Autrefois il y avait à Bourguébus un seigneur. C e seigneur jouissait de grands droits dans l'église, et le curé de Courmemin n'avait pas le droit de commencer la messe avant que le seigneur ne soit présent. U n jour le curé, las d'attendre le seigneur qui ne venait pas, commença la messe. Sur ces entrefaites le seigneur arrive et il en fut tellement courroucé qu'il tira son épée et tua le prêtre. U n e goutte de sang tomba sur l'autel et il a toujours été impossible de l'effacer (1944). La Marolle-en-Sologne. « Il y a sous le jubé une statuette du Père Éternel en costume papal, bénissant le monde urbi et orbi, qui paraît du temps de Louis X I V . M . le Curé pense, ainsi que cela est la tradition, que cela fait allusion à ce fait qu'un seigneur avait tué un des prêtres pendant qu'il officiait et qu'il serait allé à R o m e , que pour pénitence le pape lui aurait entr'autres choses commandé de placer dans l'église la statue du Père Eternel en souvenir de sa mauvaise action »20 (1860). Lassay. Dans les taillis de Valenciennes, derrière l'église de Lassay, il y avait le château d'un seigneur. C e château n'existe plus. Voilà pourquoi il est disparu : A l'époque des seigneurs, le curé devait attendre pour dire sa messe que le seigneur soit arrivé à l'église. O r , un j o u r que ce seigneur était parti à la chasse et qu'il n'en revenait pas, le prêtre las d'attendre, commença son office sans lui. Lorsque le seigneur revint, comme punition il voulut tuer le prêtre, mais celui-ci se retournant à son autel et s'adressant au seigneur en colère, lui dit : « Attends que j e montre ton maître et le mien » (c'est-à-dire, attends que j'aie fait l'Elévation). Aussitôt après l'Elévation le seigneur tua le prêtre à l'autel. Et il reste sur l'autel de l'église de Lassay trois gouttes de sang, encore visibles à droite, gouttes du sang du prêtre. Le seigneur après ce crime voulut rentrer à son château, mais le château avait été englouti sur place. Le prêtre fut enterré dans l'église de Lassay. L'enceinte de l'ancien château se voyait encore dans un taillis appelé taillis de Valenciennes, il y a quelques années, à cinquante mètres au nord de l'église (1943). Loreux. « Il existe un lieu-dit appelé Bréviande qui dépend de la Pinauderie, situé sur la route du Sous-Préfet, à droite de cette route, derrière la taille qui la borde. C e lieu contenait autrefois beaucoup de débris de constructions et était entouré de fossés. Les paysans disent qu'il y avait là un ancien château rentré en terre. O n y voyait une fontaine ou puits. « Le château était habité par un seigneur qui avait dit un j o u r au prêtre : ' Si par malheur tu commences la messe avant que j e sois arrivé, j e te tuerai '. O r un j o u r le seigneur se faisant trop attendre à une messe de fête — on ne dit pas si c'est à la messe 20. N o t e Delaune du i " octobre 1860.

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de minuit, — le prêtre commença sa messe. Le seigneur arriva courroucé et interpella le prêtre en plein office en le menaçant de le tuer. Le prêtre lui répondit : ' Attendez que j'aie montré mon maître et le vôtre '. Aussitôt après l'Elévation, le seigneur prit son pistolet et tua le prêtre sur l'autel. Le seigneur rentra à son château qui disparut aussitôt avec lui. Il paraît qu'on apercevrait le bout des cheminées en creusant un peu la terre. A u moment de Noël, on y entendrait aussi des cris »21.

Marcilly-en-Gault. « Il paraît qu'un étang situé au sud de la forêt de Bruadan avait été autrefois un château, lequel se serait affaissé et aurait été converti en marais. C'est exactement au lieu-dit les Châteaux qu'il y avait un vieux château. A une époque que l'on ne précise pas, le châtelain un j o u r de messe de minuit serait arrivé à l'autel et pour le motif que l'office avait été commencé avant son arrivée, aurait tué le prêtre à l'autel avec un mousquet. Le châtelain serait remonté à cheval pour rentrer chez lui, mais en arrivant dans la cour du château celui-ci se serait effondré et le seigneur aurait péri aussi »22. A cet endroit il y avait encore la fontaine dite du château. Il y a une centaine d'années il ne restait plus qu'une ou deux pierres débris de la fontaine. Pruniers. Voici plusieurs légendes telles qu'on les racontait entre 1845 et 1850, concernant les seigneurs de Bâtarde à Pruniers. « Le curé de Pruniers de cette époque disait que les anciens seigneurs de Bâtarde avaient très mauvaise réputation à Pruniers. « U n j o u r entr'autres, l'un de ces seigneurs arrivant à la messe au moment où le prêtre faisait l'Elévation, fut transporté d'une telle colère de ce qu'on avait commencé l'office sans l'attendre, qu'il alla aussitôt à l'autel pour tuer le prêtre; mais celui-ci lui ayant répondu qu'il voulût bien attendre qu'il eût présenté au peuple son maître et le sien, il consentit à laisser finir l'office et le tua aussitôt après ». « U n seigneur de Bâtarde était un autre j o u r en retard de se rendre à l'église; son carrosse était prêt et son domestique lui rappelait qu'il était temps de partir ; il répondit : ' Il faudra bien qu'on m'attende ou j e tue le prêtre '. A u bout de quelques instants néanmoins il monta en voiture au galop de ses chevaux qui traversèrent l'allée de son château qui mène à l'étang de Bâtarde ; mais arrivé là la terre s'ouvre, le carrosse, le seigneur et les chevaux disparaissent et il se forma immédiatement un étang au-dessus d'eux; c'est cet étang qu'on appelle aujourd'hui l'étang de Bâtarde; le domestique seul avait été épargné. C e qu'il y a de certain c'est que ceux qui pèchent l'étang ont remarqué dans le fond à beaucoup d'endroits des troncs d'arbres dans toutes les posi-

21. Notes Delaune du 4 décembre 1865 et du 7 octobre 1876.

22. Notes Delaune du 16 mars 1854 et du 4 décembre 1865.

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Temples et châteaux engloutis ou détruits

tions; ce qui prouve qu'il y a eu là un mouvement du sol, ce qui a pu donner lieu à cette tradition d'engloutissement du seigneur. C'est ce même seigneur croit-on qui avait déjà tué le prêtre à l'autel »23.

IV. Temples et châteaux engloutis ou détruits Nous venons de voir un certain nombre de légendes relatant la disparition ou plus exactement l'engloutissement dans la terre de châteaux, à la suite d'un crime particulièrement grave commis par le seigneur qui les habitait (Lassay, Loreux, Marcilly, Pruniers). Il est vraisemblable que ces légendes sont la trace de différends peut-être violents entre les seigneurs et le curé au sujet de droits de préséance comme on le constate dans les archives pour Lassay24. Mais d'autres légendes racontent la disparition de temples et de châteaux dans d'autres circonstances. Ardon. « Il existe sur la commune d'Ardon, non loin de la métairie de la Touche, vis-à-vis le lieu de Villiers, un marchais dit le Marchais R o n d , présumé être sans fond. Le Solognot ajoute à cette erreur, celle de prétendre qu'autrefois, sur son emplacement était bâti un temple (on ne dit pas à quel dieu il était consacré) mais ce temple est englouti dans cet abîme. U n e seule ardoise a surnagé pendant deux jours sur ses eaux alors bouillantes. U n e colombe a eu le courage de voltiger sur leur surface, de prendre cette ardoise avec son bec, et de la transporter au lieu où est actuellement construit l'église d'Ardon, construction qui n'a été faite que par ordre de cette colombe, qui serait d'après les Solognots le Saint-Esprit. « C e qu'il y a de très vrai, c'est que le 15 juin 1805 le laboureur de Villiers a failli périr en s'approchant témérairement de trop près de ce marchais avec sa voiture attelée de trois chevaux. La voiture et les trois chevaux ont disparu et l'homme qui la conduisait ne s'est sauvé qu'avec beaucoup de peine »25. Noyers. A l'endroit nommé le Pui-Fondu il y a une légende d'un château englouti à la suite d'un pacte avec le diable. O n y a trouvé une épée romaine 26 . Presly. « Sur la commune de Préli-le-captif, vulgairement connue sous le n o m de Proh-le-chétif existe le château de Laguette. Là, dit-on, existait autrefois un vieux château dont le maître était fort avare. Il mourut, et laissa sa veuve mère de deux enfants mâles, qui, en grandissant annonçaient les inclinations les plus vicieuses qu'ils justifièrent par la suite. Leur mère passait également pour une méchante femme. Le portier, 23. D'après J. Delaune. N o t e dans le dossier Bâtarde. Liasse Pruniers. Arch. Delaune. 24. Cf. notre t. II, pièce annexe n° 47.

25. Légier, Traditions et usages de la Sologne, op. cit. 26. La Saussaye, Mémoires sur les antiquités de la Sologne Blésoise, op. cit., 1844, p. 27.

Trésors cachés

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seul du logis était charitable, et évitait le mal que la veuve et ses deux enfants faisaient ordinairement aux voyageurs 27 qui s'arrêtaient en ce mauvais lieu. U n jour un officier, fort mal à son aise, revenant de la Terre sainte, demanda l'hospitalité qui lui fut refusée avec dureté. A peu de distance de là résidait un vieil ermite 28 dans la misère, qui plus généreux que les habitans du château, le reçut avec douceur et humanité. Sur le rapport de cet ermite et de plusieurs notables du pays, des vexations exercées par la mère et ses deux enfans, il promit de revenir et de les faire punir. Instruits de sa menace, la terreur les saisit; ils abandonnèrent leur châtel, que la foudre détruisit le jour même de leur fuite. « O n ajoute qu'il fut nommé château de Laguette, par allusion aux maux que ces méchans faisaient continuellement, en étant sans cesse aux aguets pour exercer leur brigandage »29.

V . Trésors cachés La croyance aux trésors cachés est assez commune en Sologne, ce qui est normal étant donné la richesse archéologique du pays. Chaon. « Le château de la Trémouille situé à l'est du bourg, près du Beuvron, présente disent les paysans, les restes d'un château où l'on battait monnaie et la tradition veut qu'il y ait un trésor caché. Dans le bois qui y touche on a trouvé des allées carrelées. Le tout joint au Moulin Frou sur le Beuvron »30. En 1947, on racontait qu'à la suite d'une révolution les propriétaires étaient partis à Bordeaux. O n avait retrouvé dans les archives de cette ville qu'une toise d'or avait été enterrée à un vol de chapon d'une fenêtre du premier étage de l'ancien château. Dhuizon. La tradition rapporte qu'une toise d'or se trouve cachée dans la première enceinte de la motte des Méflets. Malgré les fouilles faites on n'y a rien trouvé. Cette motte des Méflets se serait appelée au 10e siècle, d'après le cartulaire Sainte-Croix d'Orléans, Montem Burgodunum et, au 13e siècle, Mont-Bourgeon 3 1 . 27. « O n v o i t près d u château u n g r a n d c h e m i n c o u v e r t d'herbes, sous lesquelles j ' a i déterré des pierres rangées par ordre. C e c h e m i n traversait la S o l o g n e et le B e r r i . Il n'est plus p r a t i q u é ; o n le n o m m e encore le chemin de Laguette ». [ N o t e de Légier, cf. note 29.] 28. « C e vieil ermite est, dit-on, Saint Jacques, p a t r o n et f o n d a t e u r p r é s u m é de la chapelle d ' A n g i l o n , qui ne présente q u ' u n c r e u x de r o c h e r o ù le saint devait être f o r t m a l à son aise ». [ N o t e de Légier, cf. n o t e 29.] 29. « D e s renseignements plus sûrs étaient, dit-on,

conservés à l ' a b b a y e de Loroy, voisine de ce châtel; mais l ' a b b a y e e l l e - m ê m e n'existe plus ». [ N o t e de L é g i e r ; cf. Notice sur les croyances de la Sologne et du Berry, op. cit., p. 96-97.] 30. N o t e D e l a u n e d u 3 m a i 1852. 31. Florance, L'archéologie préhistorique, protohistorique et gallo-romaine du Loir-et-Cher, dans Bulletin de la Société d'histoire naturelle de Loir-et-Cher, t. X X , 1928, p. 402.

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Trésors cachés

Lassay. O n dit qu'il a été caché une toise cube d'or, d'autres disent d'argent, dans le château du Moulin lors de sa construction et que malgré toutes les recherches on n'a jamais pu la trouver. A propos de ce trésor il existe une légende qu'une de nos informatrices nous a racontée en 1944 et que La Saussaye avait déjà notée une centaine d'années auparavant : « Philippe du Moulin, voulant cacher un trésor considérable, une toise carrée d'argent, fit pratiquer une cave dans les souterrains de son château. Pour que l'ouvrier chargé de pratiquer cette cachette ignorât le heu où il travaillait, toutes les nuits sous la direction du châtelain, celui-ci lui bandait les yeux pour l'y conduire. Mais non moins défiant qu'avare, le seigneur du Moulin s'étant aperçu à la fin de son travail, que ses précautions avaient été inutiles, et transporté de colère de voir son secret découvert, tira son épée et tua l'ouvrier. Bientôt après, bourrelé de remords, il alla se jeter aux pieds du Pape, et obtint l'absolution de son crime sous la condition de bâtir sept chapelles... « Les sept chapelles seraient : les deux construites dans l'enceinte du château du Moulin; une autre aujourd'hui détruite, dédiée à sainte Madeleine, qui était située dans le pré de la Fleur de Lys, sur le bord d'une fontaine et près d'un pâtureau portant encore le n o m de la sainte ; la chapelle de Saint-Loup, près Mur, complètement détruite ; une autre à Lanthenay. La sixième chapelle, dédiée à la Passion de N.S. Jésus-Christ et à N . D . de Pitié, est adossée au côté gauche de l'église de Lassay; elle possédait des reliques rapportées de R o m e par Philippe du Moulin. Cette chapelle, par laquelle on entrait au caveau qui renfermait le tombeau de Philippe, est bâtie en pierres de taille, d'un style aussi riche et aussi orné que le chœur de l'éghse. D e très grands privilèges y étaient attachés. O n ignore où la dernière aurait été construite »32. Jules Delaune en 1871 avait aussi relevé cette légende : « Les paysans disent que pour la rémission de ses péchés, le seigneur s'était obhgé à faire bâtir sept éghses et qu'il n'est jamais parvenu à faire la construction de la septième, que cette septième église se faisait dans un endroit où il existe tout à l'heure un marais et qu'à mesure que l'on construisait, le bâtiment s'effondrait ». Voici la version que nous avons recueillie en 1943 : « O n dit que Philippe du Moulin ayant commis un crime dut à titre de pénitence s'engager à bâtir treize chapelles. Il fit bâtir notamment celle de Veilleins et que la treizième chapelle étant presque terminée, il eut le malheur de dire : ' A u diable les chapelles, elles sont toutes aboulies '. Et toutes les chapelles en effet s'aboulirent [éboulèrent] si bien qu'il dut toutes les reconstruire ». Monthou-sur-Cher. O n dit que la grosse tour du château du Gué-Péan a été construite sur un énorme menhir et qu'un trésor est enfoui non loin à une distance ne dépassant pas le v o l d'un chapon. 32. La Saussaye, Le château du Moulin, dans Mém. Soc. des Se. et Let. de L.-et-C.,

t. IX, IIe partie, 1877, p. 150-151.

Trésors cachés

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Pruniers. « A u m o m e n t de la R é v o l u t i o n , le châtelain de Bâtarde s'enfuit habillé en paysan avec sa famille et une paire de bœufs. O n dit qu'il eut soin avant de cacher sa fortune dans la terre. Le château est démoli, mais les fermiers qui étaient restés ont trouvé le trésor et avec ont acheté la propriété » (1939). Il est exact qu'un trésor contenant des pièces d'or a été trouvé à Bâtarde il y a environ un demi-siècle, puisque nous avons v u une de ces pièces. Mais les monnaies d'or mises au j o u r étaient beaucoup plus anciennes. U n e autre tradition disait que pour trouver le trésor du château de Bâtarde il fallait observer le soleil dont les rayons un j o u r et à une heure donnés devaient passer par le sommet d'une tour et frapper le sol à une distance indiquée du pied de cette tour. Le malheur était que la tour en question avait été démolie. Le trésor fut trouvé en enlevant la souche d'un vieux chêne. Il était paraît-il uniquement constitué de pièces d'or du temps de Charles le Chauve. Saint-Viâtre. « Il y a une soixantaine d'années, dit Jules Delaune, tous les gens de T r e m blevif allaient dans les bois de Ferté (La Coquillaterie) faire des fouilles dans l'idée d ' y trouver des trésors. C'était une croyance générale. Ces bois sont situés à l'ouest de l'étang de Frogères... achetés par M r de la Selle de l'hospice de Romorantin... »33. Soings. « ... A Soings, la toise d'argent passe pour être au fond de la tombelle artificielle appelée le Grand-Montanjon. Pour le peuple, l'argent représente ici la quantité non le métal. Aussi quand ils racontent la fameuse légende, les paysans ont-ils grand soin d'ajouter à la toise d'argent, l'idée complémentaire : valant plusieurs millions »34. La Saussaye avait dans un ouvrage antérieur donné des détails plus complets sur cette légende : « Les traditions mythologiques abondent sur le compte des Montanjons... c'est là un des rendez-vous les plus célèbres des fées, dont c'est l'ouvrage, des sorciers et des esprits de toute la Sologne. Q u a n d nous entreprîmes notre fouille, on s'attendait fermement dans le pays à nous voir découvrir la cloche romaine et le bouclier du roi romain ; le propriétaire de la butte, qui avait fait avec nous un marché en forme, comptait bien, lui, partager la toise d'argent qu'elle renfermait. O n dit maintenant à Soings que toutes ces choses se trouvent dans l'autre butte; on dit aussi qu'il y a un souterrain qui conduit des Montanjons au Chastelher »35. La Saussaye dit encore à propos de Soings : « A Soings, plus qu'en aucun autre endroit de la Sologne blésoise, les traditions de la domination romaine, personnifiée, selon l'habitude populaire, sous le n o m de Jules César, subsistent encore, ainsi que les souvenirs de l'ancienne prospérité du pays. O n dit que Soings renferme dans ses ruines des trésors capables d'enrichir dix villages 33. N o t e Delaune du 7 avril 1888. 34. La Saussaye, Le château du Moulin, op. cit., p. 150, note 1.

3 5. Mémoires pour servir à l'histoire de la Sologne Blésoise sous la domination romaine, copie dactyl. des A r c h . dép. de L . - e t - C . , G/F 274, p. 61. 4

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Légendes relatives aux pierres et aux arbres

semblables. Le Solognot assez hardi pour s'aventurer seul sur les bords du lac ou vers les Montanjons, pendant la nuit de Noël, au moment de l'Elévation, peut jouir de la vue de tous ces amas d'or et d'argent, car dans la Sologne on croit fermement qu'à cette heure mystérieuse, tous les trésors cachés s'ouvrent. On raconte à Soings qu'une jeune fille se rendant un peu tard à la messe de minuit aperçut en descendant la tranchée du Lac, un trésor ouvert; elle courut chercher une de ses compagnes pour l'aider à l'emporter. Mais quand elles furent arrivées l'instant favorable était passé et elles n'aperçurent qu'une flamme sautillante à la place où il se trouvait. La plupart des habitants de Soings prétendent que le Lac dont la forme est celle d'un ovale assez régulier a été creusé entièrement par les soldats romains; plusieurs autres cependant croient de préférence qu'il est, comme les Montanjons, l'ouvrage des fées »36. Enfin La Saussaye cite une autre légende qui « prétend qu'au Châtelier, sur l'emplacement d'un cimetière gallo-romain, un porc faisait des voyages continuels des tumuli à la ferme de son maître jusqu'à ce qu'ayant fini par l'enrichir, il ne revint plus »37. Vernou. Il y a une soixantaine d'années, les vieux de Vernou disaient qu'il y avait un trésor de caché entre Notre-Dame de Vernou et la ferme de Lépinière. Ce trésor était composé, paraît-il, d'argenterie, plats et vaisselle d'argent, et que ce trésor était placé entre deux vinaigriers (1943). Ces croyances aux trésors cachés se retrouvent aux environs de la Sologne. De nombreuses traditions du Berry en font mention. C'est ainsi qu'à Glatigny près de Chabris dans l'Indre les gens disaient d'après J . Delaune que sous le seuil de la porte d'une des maisons du bourg, il y avait un poinçon plein d'argent, que sur ce poinçon se trouve un fusil à deux coups et qu'on n'a jamais défait les seuils pour savoir où est le poinçon. A Campaix (Indre) village situé aussi près de Chabris dans les terres des fermes qui sont à gauche de la route qui mène au château, les gens disent aussi qu'il y a un quart plein d'argent et qu'aussi on n'a jamais fait de fouilles pour le trouver 38 .

VI. Légendes relatives aux pierres et aux arbres Elles ne sont pas très nombreuses en Sologne ce qui s'explique sans doute en ce qui concerne les pierres par le fait que cette région est pauvre en monuments mégalithiques. Nous avons déjà donné les légendes se rapportant aux Vierges trouvées sous une pierre que léchait un bœuf 39 . Celles que nous citerons concernent des mégalithes, dolmens ou menhirs. 36. Ibid., p. 79-80. 37. Journal, op. cit., p. 147.

38. Note Delaune du 23 avril 1871. 39. La Sologne, t. II, livre III, chap. vi.

Légendes relatives aux pierres et aux arbres

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Quant à celles se rapportant aux arbres, la plupart ont trait à des arbres situés à côté ou sur des tombelles, c'est-à-dire des tumulus. Chaumont-sur-Tharonne et Yvoy-le-Marron. Le chêne de Miberlan. U n des tumulus du groupe de Villebourgeon a été coupé par le chemin qui va de la ferme de la Collardière à la route de Chaumont à Neung par Villebourgeon. Cette tombelle est placée sur le bord de l'ancienne voie romaine. « A u pied de la tombelle, dit La Saussaye, du côté de l'ouest est un vieux chêne, encore plein de vigueur qui la couvre de ses rameaux. Cet arbre s'appelle le chêne de Mi-brelan. Ce nom lui vient de ce qu'il se trouve placé dans l'un des angles de terre formés par l'intersection de quatre chemins et ces sortes de carrefours passent pour être les endroits que les sorciers et les diables choisissent de préférence pour tenir leur Brelan. Peu de villageois se hasardent à passer à minuit dans ce carrefour, certains qu'ils seraient d'y rencontrer la ronde du sabbat s'exécutant autour de la tombelle et du vieux chêne et à laquelle ils seraient forcés de prendre part au grave danger de leur âme »m. Sur cette tombelle et ce vieux chêne La Saussaye écrit encore : « Sa situation au point où le croisement de la route d ' Y v o y et de Chaumont forme quatre chemins, le voisinage du vieux chêne au pied duquel s'est vu pendant longtemps un de ces cercles de gazon desséché connu sous le nom de cercle des sorciers, ont fait choisir cet endroit pour y placer la ronde du sabbat. Elle s'exécute particulièrement dans les avents de Noël, à minuit autour du chêne qui en a retenu le nom de Chêne de mi-brelan. Pendant le brelan des diables et des sorciers, un réchaud plein de charbon ardent est placé dit-on au sommet de la tombelle et des feux merveilleux s'en élèvent incessamment; des cris plaintifs se font entendre dans les bois environnants, la ronde y répond par des hurlements de joie. Ces cris sont ceux des âmes qui sont tombées dans des pièges tendus par le diable; les personnes qui se dirigeraient vers l'endroit d'où ils partent seraient infailliblement entraînées par les esprits malins qui fréquentent ce lieu de perdition. Les voyageurs qui passent près du chêne de mi-brelan quand le branle des sorciers a lieu, sont forcés d'y prendre part »41. Chaumont-sur-Tharonne. « Entre Chaumont et Lamotte-Beuvron, sur le bord du chemin il y a un heu qu'on nomme Chêne-Chat. Ce lieu est encore suspect pour les anciens. On y entendait des miaulements de chat et jamais on y voyait de chat, et cela arrivait toujours la nuit »42. La Ferté-Beauharnais. « Entre La Ferté-Beauharnais et Millançay, un lieu se nomme le Bois au coq, parce que la nuit on y entendait un coq qu'on ne pouvait jamais voir »43. 40. Journal, op. cit., p. 91. 41. Mémoires pour servir à l'histoire de la Sologne Blésoise..., op. cit., p. 127.

42. Florance, Légendes et histoire naturelle, dans Bull, de la Soc. d'Hist. Nat. et d'Anthropol. de L.-et-C., t. IX, 1905, p. 118. 43. Ibid.

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Légendes relatives aux pierres et aux arbres

Pontlevoy. La Pierre de Minuit. La Pierre de Minuit est un dolmen composé de huit pierres, 3 pour le côté droit, 3 pour le côté gauche, 1 pour le fond et la table de couverture. Il y avait à côté plusieurs menhirs. Le dolmen est situé sur une petite éminence. La Saussaye au sujet de ce dolmen écrivait : « L'habitant des campagnes seul, respecte le vieux débris d'un culte qui n'est plus, mais qui se perpétue encore par de vagues croyances, des pratiques supersticieuses [sic] et nourrit dans l'esprit du villageois une religieuse terreur qui défend le dolmen celtique contre les empiétements de la charrue, dont le soc s'arrête à une distance respectueuse comme le marteau du maçon qui élève à côté une édifice de boue plutôt que de réduire en moellons les blocs énormes dont se compose le monument... «... De toutes les superstitions qui se rattachent à notre monument la plus remarquable est celle qui lui a fait donner le nom de Pierre-de-minuit. On croit que le dolmen tourne sur lui-même à minuit au moment de la consécration de l'hostie de la messe de Noël. A cette messe, le fermier de la métairie la plus proche du dolmen, offre chaque année le pain bénit de la pierre-de-minuit, cette pratique subsiste de temps immémorial et aucun fermier n'a osé y manquer, car ses bestiaux seraient morts infailliblement dans l'année... »44. Le D r Veau-Delaunay disait d'après la tradition que cette pierre était l'œuvre des fées et des sorciers qui s'y rassemblaient et que si quelqu'un osait s'en approcher il serait sur-le-champ mis à mort 45 . En 1846, Touchard-Lafosse dans son Histoire de Blois écrivait : « Tous les ans, à Noël, pendant l'office de la nuit au moment ' du bon Dieu de la messe ', cette pierre fait un tour complet sur elle-même; des groupes de fées toutes chatoyantes de pierreries viennent tenir conseil en ce lieu; et malheur au mortel indiscret qui oserait s'approcher d'elles; il serait soudainement aveuglé par l'éclat de leurs charmes et de leurs parures s46. Pouillé. Hameau de Pierrefitte. Dans ce hameau existait avant 1840 un beau menhir. Une tradition « disait que pendant certaines nuits d'hiver, lugubres et ténébreuses, Satan en personne venait parodier les saints mystères sur le plus haut peulvan. Les douze autres pyramidions servaient de stalle à douze sorciers, les acolytes obligés du Maudit. Mais si par suite de la mort de l'un de ces singuliers coryphées, Satan trouvait vacant un des sièges ordinairement occupés, celui-ci, qui ne voulait rien perdre de ses droits, faisait tant par ses séductions et ses maléfices qu'il entraînait à prendre la place vide, au moyen d'un pacte en forme, quelqu'un des jeunes garçons de la contrée. 44. Mémoires pour servir à l'histoire de la Sologne Blésoise..., op. cit., p. 1 1 2 . 45. Cf. pièce annexe n° 3. 46. G. Touchard-Lafosse, Histoire de Blois depuis

les temps les plus reculés jusqu'à nos jours, Blois, Imp. Félix Jahyer, 1846, gr. in-8°, p. 437. Cf. aussi Abbé J . B . E. Pascal, Notice historique et descriptive sur Pontlevoy, Blois, 1836, p. 3.

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Et combien les anciens du voisinage n'avaient-ils pas vu se renouveler de fois ce malheur épouvantable »47. Vineuil. La légendes des Pierres-Besses. Les Pierres-Besses étaient trois pierres levées de trois mètres de hauteur. Il n'en restait plus qu'une en 188448. Ce menhir est l'objet de traditions fabuleuses et passe pour être l'œuvre de Gargantua. « La neige tombait sur la terre non gelée et elle était un peu lourde. Gargantua venant de Vineuil se dirigeait vers Nanteuil (hameau de Vineuil), en suivant le grand chemin; la neige s'attachait à ses chaussures, ainsi que les pierres qui étaient dessous, ce qui le gênait dans sa marche. A un moment donné, il secoua si fort une de ses chaussures que neige et pierres allèrent tomber dans la plaine, à au moins cinq cent mètres de lui; au sud, les pierres entrèrent dans la terre et au dégel elles furent visibles et y restèrent, trois jusqu'à la moitié du siècle dernier et depuis une seule qui est le menhir des PierresBesses. « Jacques Pasquier me disait qu'il y en avait d'autres qui racontaient que Gargantua passant dans le climat des Pierres-Besses, après une forte pluie, fut incommodé par trois pierrres qui se trouvaient dans un de ses sabots. Pour s'en débarrasser, il prit son sabot et le secoua un peu fort; les pierres tombèrent, entrèrent profondément dans la terre et s'y fixèrent. Ce furent ces pierres qui donnèrent le nom au climat »49. Selles-sur-Cher. A Saugirard hameau côté Sologne, il y a la Pierre-qui-tourne. Elle fait un tour sur elle-même tous les cent ans.

VII. Légendes et croyances concernant les êtres fantastiques A. Les monstres Ennordres (canton de La Chapelle-d'Angillon, Cher). « Autrefois les jeunes fdles d'Ennordres tiraient au sort chaque année pour savoir laquelle d'entr'elles irait trouver un monstre qui l'attendait au milieu de la forêt. U n jour, un chevaher intrépide rencontra une de ces victimes éplorée, l'accompagna et tua le monstre. On voit encore, dans l'église de la commune, un tableau qui représente le chevalier transperçant le monstre avec son épée et la jeune fdle à genoux à côté de lui et priant »60. 47. A. Péan et Chariot, Excursions archéologiques sur les bords du Cher, 1842, ms. de la Bibl. mun. de Blois. 48. Abbé Hardel, Vineuil-les-Blois, communication faite au Congrès de l'Association Française pour l'avancement des Sciences, 13 e session, Blois, 1884, 2e partie, p. 713.

49. A. Fleury, La légende des Pierres-Besses, dans Bull, de la Soc. d'Hist. Nat. et d'Anthropol. de L.-et-C., n° 15, Blois, 1916, p. 85-86. Celui qui a détruit les deux « Pierres-Besses », c'est-à-dire jumelles, est mort dans l'année, comme la légende l'indiquait. 50. Martinet, Le Berry préhistorique, Bourges, 1878, in-8°, p. 1 1 2 .

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Seignolle dans son ouvrage En Sologne a donné de cette légende une version plus détaillée : « Dans le temps, il n ' y a pas ben longtemps — peut-être deux cents ans — y'avins la bête à sept têtes qui voulint manger eune fille du pays... Alors y'avins un tirage au sort entre celles de vingt ans. La celle qu'était désignée a Fallait à la croué des m a r teaux, qu'a s'trouvin sur la route des Naudins pas loin du bourg, — eune belle croué, mossieu, soué dit en passant, qu'elle étint toute couverte d'marteaux cloués d'sus. D'puis m o n jeune temps elle avins disparue. La fille attendions donc là et la bête la mangeait. « Mais eune foué, l'roué, qui passin à ch'val, rencontra la fille tirée au sort qu'allin gentement s'faire dévorer. Il lui d'manda où qu'elle allint. L'ayant su, il lui dit d'monter su son cheval à côté d'iui et tous deux arrivèrent devant la croué aux marteaux où attendint le monstre qui prit la colère. Avec son épée défunt c'roué lui trancha eune tête, si ben qu'elle en creva. « Vouéla tout l'histoire, mossieu. Dans not'église y a ben eune chose qu'a r'présente la bête mais c'est ben caché »51. U n autre informateur donna cette autre version à Seignolle : « Il y a bien longtemps, le seigneur du pays d'Ennordres vint à mourir en laissant deux fils. Selon la coutume, ce fut l'aîné qui lui succéda et le plus jeune fut obligé de partir, jaloux de son frère. « Il revint de longues années après et menaça de le tuer s'il ne lui accordait pas une faveur : ' Je veux, exigea-t-il, que, chaque année, tu me donnes une fille de ton village. Elles tireront au sort et j e serai libre d'en faire ce que j e désirerai... '. « Le Seigneur son frère, lui accorda de réaliser son désir, mais par scrupules, ne voulant pas qu'il soit dit que sa souveraineté ait de telles exigences, il fit courir le bruit qu'une bête à sept têtes vivait dans les bois et que pour laisser la population en paix, elle se contenterait, une fois l'an, de se repaître d'une fille. « Et, pendant des ans et des ans, à un m o m e n t de l'année, une fille s'en allait bien tristement à la croix aux marteaux, après avoir tiré le billet noir la condamnant à ce triste sort. Elle ne revenait jamais et chacun pensait que cette bête n'avait pas de cœur, ignorant que le frère de leur seigneur gardait les filles dans une tour du château et la jetait aux oubliettes chaque année quand une autre lui était amenée. « U n j o u r le n o m m é Georges (le conteur, dit Seignolle, m'a précisé que c'était saint Georges) assistait pour la première fois à ce triste tirage au sort. Il avait une belle au pays et, malheur, ce f u t elle qui tira le billet noir désignant la victime de l'année. « U n e grande colère le prit et il décida d'accompagner la jeune fille pour tuer le monstre. Il se cacha et attendit, il ne vit q u ' u n pauvre hère qui coiffa la belle d'un sac. Georges bondit de sa cachette pour châtier l'homme... Celui-ci dépourvu de comba51. Cl. Seignolle, En Sologne. Enquête folklorique, Paris, 1945, in-8°, p. 150.

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tivité, demanda grâce et lui apprit qu'il n'était qu'un domestique devant obéir à son maître, le frère du Seigneur. Georges lui ordonna d'aller chercher son maître, sinon il irait le tuer dans son château. « Informé, le frère du seigneur prit peur et vint à la croix aux marteaux. Georges voulut l'occire mais l'autre pour avoir la vie sauve, lui donna toute une fortune. Georges accepta à condition que plus jamais il n'exigerait une fille chaque année, en échange de quoi personne ne saurait la vérité sur le triste manège d'un noble seigneur. « Georges rentra à Ennordres avec sa belle et annonça qu'il avait tué la bête à sept têtes. On fit de grandes réjouissances et tout le monde fut content »52. Nanteuil près Montrichard. « U n énorme reptile, disait-on aux veillées du voisinage, avait fixé son séjour dans le Cher, sous de certaines ruines, non loin de l'embouchure des marais que formait alors, au midi de Nanteuil, le débordement hiémal du ruisseau de Ponchet; de là, ce monstre ravageait toute la contrée : il dévorait impunément les bestiaux, les enfants, les colons, les pèlerins inoffensifs. C'était une désolation générale. Nul n'osait aller l'attaquer dans le dédale d'osiers, de roseaux, de hautes herbes qui environnaient son repaire. Enfin un saint homme, venu d'une abbaye voisine, entreprit de se mesurer avec lui. Après avoir passé trois jours et trois nuits en jeûnes et en prières dans l'église de la Vierge, il sortit par une belle matinée de mai, ayant en main pour seule arme, le long voile de lin qui couvrait sur son autel l'image de la Mère du Sauveur. Il s'enfonça, aux yeux du peuple assemblé, dans les eaux fangeuses du marais. Quelques minutes s'étant écoulées, minutes qui semblèrent des heures, on le vit reparaître tenant enchaîné au voile béni le redoutable animal. Il le traîna sur le rivage où, grâce au contact du lien sacré, il expira dans les convulsions d'une affreuse agonie. « Il y a quarante ans à peine, la peau fourrée de ce crocodile, car c'était un crocodile, n'avait pas disparu, malgré la Révolution, de la voûte de la chapelle de Nanteuil où l'avait suspendue la piété des innombrables témoins de cette scène »53. « Une autre version raconte que ce crocodile se réfugiait sous une pierre immense (un dolmen?), soulevée, pour son entrée et pour sa sortie, par un énorme batracien, son associé »54. Nous avons rencontré une légende analogue à propos de saint Eusice et de saint Genou 55 . B . Les fées, les demoiselles, les dames blanches Fougères-sur-Bièvre. A Fougères il y a un dolmen et un menhir; sur leur origine la légende dit que « les fées ne possédant leur puissance que jusqu'au lever du soleil qui 52. Ibid., p. 1 5 1 - 1 5 2 . 53. A. Péan, Notice sur Notre-Dame de Nanteuil, dans Mém. Soc. des Se. et Let. de Biois, t. VI, p. 214.

54. Ibid., p. 215, note 1. 55. Cf. t. II, p. 750 et pièce annexe n° 58.

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arrivait sur l'horizon, elles furent obligées de laisser là leur fardeau, n'ayant pu franchir la rivière qui coule au bas de la pente du coteau nord »56. La Ferté-Saint-Cyr. A deux kilomètres au nord du bourg de La Ferté-Saint-Cyr, sur la route de La Ferté à Beaugency, et à cent mètres à l'ouest de la route, dans les bois de La Ferté, vis-à-vis le chemin qui conduit à la ferme de Tartégoult, on peut voir une enceinte carrée de trente-cinq mètres de côté, surélevée de trois mètres... Elle est boisée comme tout ce qui l'environne et elle est entourée de fossés d'eau profonde, de huit mètres de largeur. O n l'appelle la Motte-Rabeau. A son sujet il existe la légende que voici : « Les vieux racontent qu'on aurait jamais passé auprès de la Motte-Rabeau après onze heures du soir. O n y voyait danser quatre demoiselles n'ayant pas froid aux yeux, qui forçaient les passants à venir danser avec elles. U n e fois, il y a bien longtemps, un jeune homme pas peureux se risqua, et, après avoir dansé quelque temps avec les demoiselles, en les quittant emporta le chapeau de l'une d'elles, puis le mit chez lui dans son armoire. Mais le reste de la nuit il fut pris d'une grigne de dents qui le faisait horriblement souffrir. Il vit bien que c'était à cause de l'enlèvement qu'il avait fait. « Il alla donc revoir le chapeau de la demoiselle et s'aperçut que la tête était restée dedans. Terrifié, il résolut d'aller reporter le chapeau avec la tête; à minuit le lendemain, il retournait. Il vit les demoiselles qui dansaient encore, et que l'une d'elles n'avait plus sa tête; il ne douta pas que c'était celle qui était dans le chapeau qui manquait. Il la remit en place et après avoir dansé une ronde, il rentra vite chez lui. Il était complètement guéri, mais il se promit bien de ne plus retourner à la Motte-Rabeau la nuit car sa visite lui avait procuré trop d'émotions pénibles »67. La Marolle. Près de la ferme de la Pallière, il y avait des femmes sans tête qui dansaient la nuit. La fermière la mère Gauthier, il y a de cela soixante ans, ne pouvait jamais passer en carriole près des châtaigniers qui étaient près de la ferme sinon elle tombait les quat' patt' en l'air dans sa carriole. Elle sortait toujours à pied de sa ferme (1953). Marcilly-en-Gault. Il y a une terre dans la Brosse qu'on appelle la Terre des Fées. « A Bois-Blin chez M . Pestel, dit J. Delaune, il y a la tradition de la fileuse. Toutes les nuits la fileuse arrive à minuit dans la chambre à coucher avec sa quenouille, force la personne couchée à se lever et à filer à sa place. Pendant ce temps elle se couche et s'en retourne au j o u r (m'a raconté le maître). U n paysan de l'endroit prétend l'avoir vue »58. 56. Le Loir-et-Cher historique, t. VI, p. 154. 57. E. Florance, Classement des camps, buttes et enceintes du Loir-et-Cher, 3e et dernière partie, 6 e Congrès

Préhistorique de France, Session de Tours 1910, Le Mans, Monnoyer, 1911, tirage à part, 109 p., p. 69. 58. N o t e Delaune du 1 " juin 1869.

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Gievres. Au lieu-dit La Planche-Morand, la légende dit que trois dames blanches y font des crêpes la nuit de Noël. Ce lieu est situé tout près d'un ancien cimetière romain. Nouan-le-Fuzelier. Le lieu-dit Le Charbonnier est un site archéologique gallo-romain important fouillé par La Saussaye. Ce dernier rapporte sur ce lieu la légende suivante : « Toutes les nuits à l'heure de minuit, trois demoiselles sans têtes partent en carrosse du lieu de la Gravette, où l'on remarque deux tombelles et l'emplacement d'une forteresse, et suivent le vieux chemin de Blois jusqu'au bois du Charbonnier où elles descendent pour danser en rond dans le carrefour formé par quatre chemins, situé au milieu du bois et d'où elles retournent ensuite à la Gravette. Elles ne manquent jamais de dire en partant : ' Fouette cocher de la Gravette au Charbonnier ' et, en revenant : ' Cocher fouette du Charbonnier à la Gravette '. Tous ceux qui les rencontrent en route sont forcés de les embrasser. On ne dit pas à quel endroit; mais ce doit être aussi facile probablement que ce l'était à saint Denis d'embrasser sa tête quand il la portait dans ses mains»59. Pierrefitte-sur-Sauldre. Sur le bord de la Boute Vive, près de la ferme de Cerbois se trouve un tumulus. Une tradition rapportée par La Saussaye dit qu'une jeune fille venant de perdre son amant, l'ensevelit dans cet endroit et fit vœu de passer le reste de sa vie à lui élever un tombeau. En effet tant qu'elle vécut, elle y apporta constamment de la terre sur la pointe d'une aiguille et la tombelle du Cerbois fut le résultat de ce vœu 60 . Cette tombelle s'appelle encore tombelle du chemin Boucard. Le D r A. Dubois donne une version analogue de cette légende, mais plus précise : «Jadis, cette vallée appelée la terre Métaize, fort mal entretenue, ressemblait à un marécage de plusieurs milliers d'arpents. N'ayant aucune valeur, les deux paroisses voisines n'en voulaient pas et elle dépendait une année de Brinon pour la justice et les droits féodaux, et l'autre année de Pierrefitte (cette situation dura jusqu'à la R é v o lution). « U n jour le fils du seigneur de Brinon, grand veneur, y vint attaquer un énorme sanglier, connu dans toute la région, à cause de ses méfaits, et tandis que les chiens le tenaient au ferme, il s'avance vers lui, la dague à la main pour le servir. Malheureusement l'animal, simplement blessé se retourna et d'un coup de boutoir, ouvrant le ventre du jeune homme, l'étendit mort sur le sol. Ce dernier avait comme fiancée la demoiselle DE SULLY, on la prévint aussitôt. Elle alla trouver son père, lui demandant la permission de partir de suite au Cerf-Bois [sic?] et d'y rester jusqu'à la fin des funérailles; le père accepta et elle s'en vint emportant seulement l'ouvrage et l'aiguille qu'elle avait en mains, tellement sa hâte fut grande. Après avoir beaucoup pleuré, 59. Mémoires pour servir à l'histoire de la Sologne Blésoise..., op. cit. ; Journal, op. cit., p. 247-248.

60. Journal, op. cit., p. 236.

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elle décida de faire elle-même le tombeau de son fiancé en lui élevant un grand mausolée de terre, dont elle transporterait tout le sable avec son aiguille. Q u e de voyages elle dut accomplir : cela demanda des années et des armées; cela en demanda tant, qu'elle mourut à la tâche... n'ayant pas ainsi outrepassé la permission paternelle de rester pour l'inhumation, ni manqué de parole à son fiancé, à qui elle avait juré de ne le jamais quitter »61. Dans le Recueil de mots pour servir au vocabulaire de la Sologne dédié à l'auteur du Vocabulaire du Berry (1844) nous trouvons mention des légendes suivantes: « Q u a n d on est ensemblé, on boit, on mange et chacun dit son lai : C e u x de Pierrefitte sur Sauldre racontent les batailles singulières que se livrent les nuages au dessus de l'étang des Césars. C e u x de la Sabatterie et des Devins dans le m ê m e canton 62 voient des sorciers et des démons danser ensemble attisant de grands feux dont il ne reste aucune trace le lendemain. « A Champdivers jadis lieu seigneurial sur les confins du Berry, le fermier prétend que dans les nuits d'été lorsqu'il fait bien chaud, il revient quelquefois une grande fille blanche qui promène un vieillard en robe de soie pourpre, recouverte du manteau royal. Elle va, lui chantant des chansons dont le son est si d o u x qu'il se fait à peine entendre. A u x premières lueurs du j o u r cela commence à disparaître, enfin deux ou trois cris plaintifs se mêlent aux sons de l'angélus, voilà la finition »63. Romorantin. « Dans la motte à Beaumont 6 4 il y avait vers 1800 un espèce de caveau où l'on mettait des lapins, à l'endroit de la butte aujourd'hui depuis longtemps détruite; ce caveau s'appelait la cave des fées. « Le bâtiment de la caserne qui se trouve au sud sur le bord de la rivière, a été construit en conservant le mur du sud appuyé sur d'anciennes murailles très épaisses. C'était la courtine sud du vieux château de l'Ile Marin. La légende veut que ce soit là que les fées venaient donner à téter à leurs enfants »65. Selles-Saint-Denis. E n 1944 une de nos informatrices âgée de quatre-vingt-onze ans nous a donné cette histoire de fées : « M a grand-mère m'a raconté, qu'un soir à la veillée un h o m m e dont la f e m m e filait au rouet devant sa cheminée, la v o y a n t fatiguée lui dit : ' Bonne f e m m e v a t'en au lit, j'vas prendre ta place '. Aussitôt dit, aussitôt fait, v'ia Tbonhoume tournant le rouet. Mais le rouet tournait ben mal, bien que l ' h o m m e f î t de son mieux. T o u t à coup il aperçut descendant par la cheminée des fées qui le regardèrent et lui dire

61. D r A . Dubois, Sologne d'antan, Orléans, 1947, in-8°, 27 p., p. 26-27. 62. La Sabatterie à Souesmes, ou la Savaterie à Pierrefitte; les Devins à Presly.

63. Probablement le Petit et le Grand Chandivert à Nançay (carte de Cassini). 64. Cette motte était située dans la petite île de la Motte, actuellement jardin public. 65. N o t e Delaune du 31 octobre 1864.

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d'un air moqueur : ' C'est filant, filanche, dans son fusiau, ren n'embauche ' ! L'homme ne dit rien et continuait à filer comme il pouvait. Puis quand il en eut assez de les voir se moquer de lui, il ramassa des charbons de feu dans la cheminée et les jeta sur elles. « En colère elles lui demandèrent : ' Qui a fait ça ? ' — Il répondit : ' C'est moimême '. — ' Quel est ton nom ? ' — ' C'est moi-même ', dit-il. Alors les fées désemparées lui répondirent : ' Eh bien, si c'est toi-même, garde-le ', et elles disparurent par où elles étaient venues ». Selles-sur-Cher. La cour du château de Clamecy possédait jadis un puits très ancien, appelé le puits des fées. A u 13 e siècle on disait qu'il avait été construit par les Bonnes Dames et qu'il n'avait point de fond. Le puits serait paraît-il une citerne romaine tout simplement. On soutient de nos jours que l'eau de ce puits est salée parce que l'océan y apporte ses vagues par une voie souterraine66. Souesmes. Vallée des Combes. « Ce qu'on raconte, dit La Saussaye, d'une course nocturne exécutée dans la vallée des Combes par des femmes sans têtes, rappelle celle dont nous avons parlé à l'article du Charbonnier... Ce sont dit-on des fées, aussi au nombre de trois, vêtues de blanc, qui vont et viennent en dansant et se tenant par la main, d'un côté de la vallée à l'autre. Elles chantent cette phrase rimée : Qui me mène M e ramène. Qui me mènera Me ramènera. Et en effet ceux qui rencontrent le branle sont obligés de le conduire deux fois : pour l'aller et le retour d'un coteau à l'autre »67. Yvoy-le-Marron. La Motte à la Dame. Cette motte était le lieu où apparaissait la nuit une Dame Blanche. Voici ce qu'écrivait La Saussaye en 1884 sur cette légende : « M. Savart, maire d ' Y v o y , dont j'ai beaucoup à me louer pour sa bonne hospitalité et ses renseignements, m'a indiqué une grosse tombelle, entre Milbert et Rigoubert, ferme à nom germanique, qui s'appelle la Motte à la Dame, en raison de la croyance où l'on est que l'on rencontre souvent à la nuit une dame blanche se tenant sur son sommet. Cette croyance répandue dans toute la Sologne peut trouver son origine dans la mythologie des Franks comme dans celle des Gaulois. Les deux peuples accordaient un pouvoir surnaturel à certaines femmes privilégiées comme l'était Velléda chez les Germains et les Druidesses dans la Gaule »68.

66. Maurice Romieu, Histoire de Selles-en-Berry et de ses seigneurs, Romorantin, A. Standachar, 1899, in-40, 523 P-, P- 27 et 323.

67. Mémoires pour servir à l'histoire de la Sologne Blésoise..., op. cit., p. 166-167. 68. Journal, op. cit., p. 265.

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C . Gargantua Gargantua est un personnage dont on trouve peu de traces en Sologne. Il est plus connu en Touraine, et dans les régions limitrophes. Nous avons déjà signalé une légende le concernant à Vineuil 69 . La suivante a été notée par La Saussaye à Noyers dans la vallée du Cher. « Dans cette commune à quelque distance au nord-est et près de l'ancien grand chemin de Blois on voit un amas de roches semblables à celles des collines de la vallée, du côté du Nord. On l'appelle la motte Baudouin 70 . Diverses traditions font supposer que ce monticule était au temps des Celtes un lieu d'adoration. La plus répandue est relative à Gargantua, ce vieux mythe gaulois, altéré par le curé de Meudon. Fatigué d'une longue route, le géant se reposa dans la vallée à l'endroit même où s'élève aujourd'hui le vieux cône montagneux. Durant sa halte, il débarrassa sa chaussure du gravier et de la boue qui s'y étaient attachés depuis le matin et ces débris formèrent le monticule... Aujourd'hui l'œuvre de Gargantua, aplatie au sommet et minée de toutes parts supporte un moulin à vent dont les fondations reposent sur des substructions gallo-romaines de peu d'étendue et de peu d'importance »71. D . Le diable Romorantin. Nous avons recueilli cette légende à Lassay en 1943. « M . Augustin Normant il y a de cela cent cinquante ans, était parti en voyage avec son cabriolet et ses chevaux. Il rencontra sur la route un beau monsieur ganté qui demanda à M. Normant de l'emmener. Celui-ci accepta et l'emmena dans son château à Romorantin. Là ils se mirent à bavarder, mais le beau monsieur ne semblait pas pressé et ne s'en allait pas. M . Normant qui commençait à trouver le temps long et se demandait qui pouvait bien être ce beau monsieur et comment il allait pouvoir lui donner poliment congé était bien embarrassé. La conversation continuait et l'inconnu ne se préparait pas à partir. Aussi à la fin, M . Normant impatienté et n'y tenant plus, lui posa brutalement la question, lui demandant quand il allait se décider à partir. Le monsieur lui répondit avec un sourire étrange : ' J e m'en irai de chez vous quand je serai prié de le faire par un homme qui n'a jamais fait de tort à personne '. Alors M. Augustin Normant assez ennuyé, réfléchit et fit aller chercher le doyen de la Collégiale. Quand celui-ci fut arrivé le beau monsieur enleva ses gants, laissant voir ses griffes et dit : 'Je suis le diable et je ne sortirai pas d'ici car tu n'es pas un honnête homme, tu as un jour trouvé deux sous entr'autres choses et tu les a gardés '. M . Normant 69. Cf. supra, p. 45, la légende des Pierres-Besses à Vineuil. 70. Cette « motte » est située dans la section E I de

Ricoisne et de Saint-Lazare du cadastre de 1833 de la commune de Noyers-sur-Cher. 7 1 . Journal, op. cit., note sur une feuille volante en papier bleu.

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s'excusa et envoya chercher le curé de Saint-Étienne. Celui-ci arriva tout empressé, mais il fut fort effrayé quand il vit le diable en personne, il se signa promptement et sa sainte frayeur se changea en honte quand il sut pourquoi on l'avait appelé et que lui aussi fut récusé par le diable. M. Normant s'excusa confus et de plus en plus embarrassé fit aller chercher en désespoir de cause le bon aumônier de l'Hôtel-Dieu. Ce dernier arriva et on le mit au courant. Le diable lui dit alors : ' T u es un homme juste, tu n'as pris un jour que tu avais très soif en te promenant qu'une grappe de raisin et tu as laissé deux sous à la place. J e vais donc sortir d'ici si tu le veux, mais auparavant il faut que tu me dises si tu veux que je sorte d'ici en foudre ou en feu '. L'aumônier lui répondit : ' T u sortiras d'ici en foudre '. Le diable sortit immédiatement au milieu d'un coup de tonnerre effrayant qui secoua la maison de bas en haut ». Seigy (canton de Saint-Aignan). A propos d'un endroit de cette commune nommé La Sornière on raconte la légende suivante : « U n soir au coucher du soleil, un beau monsieur en habit brodé comme un général, apparut tout à coup à un pauvre pêcheur qui attachait son batelet au bord du Cher. ' Passe-moi de l'autre côté de la rivière, lui dit l'inconnu d'un ton qui ne souffrait point de réplique, j e te paierai largement '. « Aussitôt le pêcheur obéit; il détache sa toue, passe le monsieur brodé et quand celui-ci fut à terre, il dit au batelier : ' Tends-moi le pan de ta biaude, je veux l'emplir d'or '. « Le pêcheur entendit fort bien le frottement des louis qui tombaient dans sa biaude ; il en sentait bien le poids ; il les vit même tout luisants : mais voilà que les pièces d'or se métamorphosent en autant de serpents, pendant que l'inconnu s'évaporait en jetant au pêcheur un rire strident et moqueur. C'était le diable »72. Selles-sur-Cher. Le diable et ses suppôts causaient parfois de graves méfaits comme le raconte Pierre de Sainte-Catherine dans son Histoire de l'origine, progrez, décadence et rétablissement de l'Abbaie royale Nostre-Dame de Celle en Berry73 : « A neuf heures du soir le tonnerre commençant a gronder les sonneurs comme c'est la coustume coururent a l'Eglise pour sonner les cloches, mais quelque effort qu'ils fissent ils ne purent jamais les remuer. Aussitôt la foudre tombant sur le clocher le descouvrit de toutes les ardoises qu'il arrangea dans le cimetière sans les casser... La fraieur de cet accident fit mourir quelques personnes entre autres l'un des sonneurs qui asseura avant sa mort avoir entendu dans l'Eglise un grand bruit comme de voix humaines qui s'entredisoient : renverse le clocher... Dans le procès d'une sorcière qui fut quelque temps après bruslée en cette ville, il estoit rapporté que les diables s'estoient mis de la partie pour faire ce grand désordre » (1597). 72. Anthony Genevoix, La Chorographie du Département de Loir-et-Cher, Blois, 1844, p. 106-107.

73. 1614, Arch. dép. de L.-et-C., 30 H 32, registre in-40, 439 feuillets papier.

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On sait que cette « diablerie » eut lieu le jour de Saint-Nicolas et que pour éviter de tels accidents « dans la pomme dicelle plomberie qui est soubz le pied de la Croix est enclos dans une boiste des reliques de St Eusice et des Corps saints pour cmpescher les foudres et les tempestes qui ont accoustumé de destruire et ruisner le dict clocher comme on la veu plusieurs foys notamment le jour de St Nicolas il y a soixante et dix ans que la Croix du clocher tomba par terre devant la chapelle de St Jehan et entra deux pieds en la terre par le bout ou estoit posé le cocq et autres ruisnes presque par toutte la ville comme chascun le sçait »74. Soings. A la ferme de Corbrande le diable était venu habiter. A minuit tous les jours, il y a une quarantaine d'années, on l'entendait rabâter dans les greniers, les portes s'ouvraient toutes seules. On y allait de tous les villages voisins pour voir le diable. On y allait même de Courmemin. D'ailleurs il y a quelque chose d'extraordinaire dans cette ferme, une malédiction, car parmi les gens qui y ont habité, il y eut toujours en ce lieu maudit une personne morte malheureuse, soit brûlée vive, soit autrement (Courmemin, 1944). Thésée. L'homme à la valise. C'est une légende notée par Éloy Johanneau au commencement du siècle dernier. « U n inconnu, qui portait sur l'épaule une pesante valise, arriva de Nanteuil à Thésée par une nuit obscure. Voulant traverser le Cher, il appela à plusieurs reprises le passeux; mais comme celui-ci ne répondait point, l'inconnu qui semblait pressé, se jeta à l'eau, chargé de sa valise. Lorsque le passeux et les voisins éveillés enfin par l'appel réitéré de l'étranger, arrivèrent sur le rivage, ils furent témoins de si épouvantables prodiges, qu'ils s'enfuirent en se recommandant à Dieu ». A . Péan qui cite cette légende en fait le commentaire suivant dont nous lui laissons la responsabilité : « E. Johanneau, qui voyait dans l'homme à la valise le Verseau, dans la valise une tasse ou coupe, tasca, tirait de cette légende le nom de Thésée, sur la table de Peutinger Tasciaca. Pour nous, il nous semble y apercevoir le souvenir traditionnel de la destruction des cultes idolâtriques, pratiqués sur la marche des Turones et des Carnutes. Détruits à Nanteuil, ils se réfugient dans le vicus important de Tasciaca, où ils sont définitivement vaincus. Plusieurs circonstances militent en faveur de cette opinion : l'église de Tésée dédiée à Saint Georges vainqueur comme Saint Michel, du démon fauteur des idolâtries ; la vallée, théâtre de leur chute dans cette localité, désignée encore par le nom de Vau-St Georges, vis-à-vis une petite île du Cher laissant voir par les eaux basses, quelques ruines d'une vieille construction, couvertes d'inscriptions visibles encore il y a moins de cinquante ans »75. 74. Livre de raison de Pierre Poichevin chirurgien à Sellesen-Berry, 1666, p. 16-17 (coll. de l'auteur).

75. Notice sur Notre-Dame de Nanteuil, op. cit., p. 2 1 4 215.

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E. La chasse infernale C e thème très général se retrouve en Sologne o ù on le désigne sous différents noms. Chambord. La chasse du comte Thibault. Dans l'actuel parc de C h a m b o r d , à l'emplacement d'une porte du parc s'élevait au 12 e siècle une maison de plaisance ou un pavillon de chasse des comtes de Blois n o m m é Montfrault sur lequel existe une légende relevée par La Saussaye : « Lorsque le craintif solognot ayant marché sur l'herbe qui égare 76 , se trouve vers minuit près du pavillon de Montfrault, il est exposé à rencontrer la figure effrayante d'un chasseur nocturne, habillé de noir et accompagné de chiens noirs, qui n'est autre que Thibault de C h a m p a g n e dit le V i e u x et le Tricheur, premier comte héréditaire de Blois et l'un des types les plus complets de ces barons de fer des premiers temps de la féodalité. C'est encore lui que pendant les belles nuits d'automne on entend partir, à grand bruit d'hommes, de chevaux, de chiens et de cors, pour chasser à travers les airs et se rendre aux ruines de B u r y , o ù se fait la halte, et d ' o ù l'on revient à M o n t frault. Les mêmes bruits qui se sont fait entendre au départ continuent pendant tout le temps de la chasse aérienne, sans que l'on aperçoive ni chiens, ni chevaux, ni chasseurs »". Autre version de la m ê m e légende : « C'est de Thibault le Tricheur, comte de Blois au 10e siècle qu'il s'agit, dont la réputation de brutalité et de malfaisance s'est transmise jusqu'à nous. U n e tradition prétend qu'étant arrivé en retard à la messe qu'il avait coutume d'entendre avant de partir à la chasse, et le prêtre ne l'ayant pas attendu pour commencer, Thibault manifesta son mécontentement en tuant le prêtre à l'autel. E n punition de ses crimes, et ils étaient nombreux, il fut condamné après sa mort par la divine colère à chasser pendant l'éternité entière le m ê m e cerf sans jamais le prendre. D e B u r y , à la lisière de la forêt de Blois sur la rive droite de la Loire, à Montfrault, pavillon situé dans le parc de C h a m b o r d sur la rive gauche du fleuve à l'emplacement d'une très ancienne résidence des comtes de Blois, celui qui la nuit s'égare peut entendre certains soirs, passer la chasse infernale. « O n dit encore qu'un grand prince amant de la marquise de Clermont-Tonnerre avait été surpris avec la marquise par son mari à un rendez-vous de chasse au château de Montfrault. C e dernier avait tué le prince. O n ajoute que depuis ce temps le château est hanté et que la nuit la chasse vient sonner du cor au-dessus du château » (Bracieux). R o m i e u à propos de cette chasse du comte Thibault écrit : « La légende du Chasseur N o i r , q u ' o n appelle le roi H u g o n , légende particulière à nos pays, et o ù il est parlé de la chasse fantastique menée sur les bords de la Loire,

76. A p r o p o s de 1' « h e r b e qui égare » L a Saussaye raconte dans son Journal q u e l ' u n de ses closiers qui revenait de C h i t e n a y ayant f o u l é cette herbe ensorcelée se perdit p e n d a n t d e u x heures. Il ajoute q u e la

véritable raison en était p r o b a b l e m e n t le petit v i n de C h i t e n a y (p. 263). 77. L a Saussaye, Notice sur le château de Chambord, Blois, 1875, g r d . in-18 0 .

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se rapporte non pas à Thibaud le Tricheur mais à cette chasse magique bien connue du roi Arthur, qui ne s'arrête que tous les cent ans »78. Cependant en aucun lieu de Sologne nous ne l'avons entendue désigner sous le nom de chasse du roi Arthur. Chaumont-sur- Tharonne. La chasse à Ribaud. Le mot Ribaud semble être ici une déformation de Thibault. « Par les nuits froides d'hiver on entend aboyer parfois dans le ciel. C'est la chasse à Ribaud qui passe ». Notre informatrice ajoutait que « c'était probablement le bruit fait et les cris des voliers d'oies sauvages qui passent la nuit » (1943). Maray. « La chasse à Ribaud qui passe en aboyant, les nuits d'hiver pendant les veillées, c'était croyaient les gens le guiâbe [diable] qui coursait une âme » (1938). Lassay. A Lassay cette chasse s'appelait « la chasse à Briquet ». Nous n'avons pu savoir pourquoi ce nom de Briquet lui est donné. La vieille bergère qui nous donnait cette information disait : « C'était le diable qui monté sur un âne, coursait une âme qui n'était pas pure ». Elle ajoutait : « Les bouaires gardaient toute la nuit les bœufs dans les pâtis et pour se distraire ils se réunissaient et par exemple mettaient une petit poinçon dans un peuplier avec une chaîne dedans. Avec une corde, à deux en se reprenant, ils secouaient le peuplier et l'un faisait hi..., et l'autre han... Il y a de cela 50 ans » (1943). Saint-Aignan. La légende de la « Chasse Briquet » était fort répandue sur les bords du Cher. Le D r Maindrault de Montrichard prétendait même qu'elle faisait l'objet de motifs de sculpture dans la vieille église de Saint-Aignan qui date des 1 1 e et 12 e siècles79. F. Les revenants En Sologne on croit aux revenants et aux esprits. On désigne plus spécialement les esprits frappeurs ou bruyants sous le nom de rabâteux, rabâter signifiant faire du bruit. Lassay. On croit qu'il y a des revenants et des esprits qui hantent le château du Moulin lorsque celui-ci est inhabité. Mur. M . Jean Le Maire en classant des manuscrits de la bibliothèque municipale d'Orléans en 1953 a découvert une lettre d'un certain Duplessis adressée à Polluche le 24 juin 1749 relatant une histoire de maison hantée à Mur-de-Sologne : «Je veux vous faire part d'une chose extraordinaire, dont vous ne me saurez pas 78. M . Romieu, Histoire de Selles-en-Berry et de ses seigneurs, op. cit., p. 47. 79. Florance, Légendes et histoire naturelle, op. cit., p. 1 1 5 . L'auteur cite Touchard-Lafosse qui a repris la

légende de La Saussaye pour la Chasse du comte Thibault. Il dit aussi que la Chasse-Briquet est très connue dans la partie de la Touraine qui avoisine le Berry, et sur les bords du Cher qui touchent au Berry.

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mauvais gré : vous verez quand vous le voudrez, le fait tel que j e vous le raconte. Monsieur, c'est quelque chose d'inconcevable, surtout à ceux qui ne croient pas aux sorciers ny aux revenants. Dans la paroisse de Mur, icy près, à la métairie de la Tonnellerye 80 , qui appartient au nomé Guérin, laboureur, qui y demeure depuis un tems en la, ils sont continuelement tourmentes par un corps invisible qui leur a fait mil malices et les bat souvent a coups de bâton, ils ne voient que le bâton, ou l'instrument qu'il tient, qu'ils ressentent fort bien. Tantôt cet esprit (si vous le nomez ainsy) lorsqu'ils sont a manger, couvre de sandre ou de sable leur table et les mets; il leur jette des seaux d'eau sur le corps et dans leurs lits; il siffle fort bien et se fait entendre sans se faire voir, et quantité d'autres choses surprenantes; s'il y avait la quelque jeune et jolie fille, ausy bien come il n'y en a point, définissez moy cela, j e vous prie, si vous admettez les diables, (ce que j e ne crois pas) vous me payeriez de cette monoye; la chose est réelle et vulgaire, j e suis curieux de savoir ce que c'est et pourquoy cela agit ainsy, vous êtes au fait de tout, il ne dépendra que de vous de me tirer d'inquiétude, personne ici ne peut le deffinir... »81. Pruniers. Vers 1870 J . Delaune avait entendu l'histoire de revenants suivante, de la bouche du cousin d'une femme qui servait dans la ferme où cela se passait : « Une femme était morte laissant deux enfants. Elle venait les soigner le jour et la nuit et personne ne la voyait mais on l'entendait. Les enfants sont morts ensuite et elle avait dit : ' Quand je serai morte j e viendrai chercher mes petits enfants après leur mort '. Quelquefois on la voyait dans le jour dans le toit aux bestiaux avec ses petits enfants, ils venaient trouver le petit vacher. Une fois ce dernier n'ayant pas voulu les caresser, elle le poussa et le jeta par terre ce qui le rendit malade ». Saint-Viâtre. Il y a soixante ans et plus, il y avait ce que l'on appelait des rabâteux. C'était des gens peu scrupuleux qui faisaient peur aux gens, disent maintenant les esprits forts. Ils montaient dans les greniers la nuit, faisaient les revenants et en profitaient pour voler le blé. Les gens le savaient mais ils avaient peur quand même et n'osaient pas aller les surprendre. Souesmes. La Saussaye cite le cas d'un revenant, un scieur de long dit la légende, qui s'était noyé dans la Sauldre près de Souesmes. A minuit on entend les cris qu'il exhale en une phrase curieuse : « Rendez-moi mon vieux chapiau pourri, ma grand'cognée verrie-ie...ie... ! » [rouillée]82. 80. Sans doute la ferme dite « La Toiletterie » ( ! ?) sur la carte d'E.-M. 265,7-542,9. 81. Une métairie hantée à Mur-de-Sologne en 1749, dans Bulletin de liaison provisoire de la Société Archéologique Historique de l'Orléanais, 6e année, n° 22, marsavril 1953.

82. Journal, op. cit., p. 282 : « Auprès du climat de Simay et d'un petit chemin qui mène de Souesmes à Aubigny et loin de toute habitation on entend à minuit les cris d'un scieur de long qui s'est noyé dans la rivière de la petite Sauldre. Les paysans donnent un son tout particulier à la phrase qu'ils lui prêtent 5

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V . Chevalier qui habitait Souesmes dans son enfance a noté les mêmes paroles, que nous avons retrouvées en 1945 : « Et coume i s'douet, ces ch'mins et ces bois sont hantés; l'voyageur l'jour y entend des r'iais qui s'expliquent pas; la nuit, s'il entend les paroles fatidiques ' M o n chapiau pourri, ma cougnie verrie, malheur à lui ! ' »83. G . Les feux et lumières mystérieuses E n Sologne les lueurs et les feux que l'on aperçoit la nuit portent différents noms. La Saussaye n'a pas manqué de parler des croyances populaires attachées à ces feux o u lumières. « Les Brûlots, n o m qu'on donne en Sologne et ailleurs aux émanations phosphorescentes, très communes dans les contrées humides, affectionnent particulièrement dit-on, le séjour des tombelles; on aperçoit la nuit ces feux sautillant d'une butte à l'autre, s'entrelaçant, courant en jetant des petits cris, cherchant parfois à entraîner dans les étangs ou des précipices les voyageurs égarés, parfois aussi s'attachant obstinément à leurs pas. Il n ' y a pas d'autre m o y e n alors, pour s'en débarrasser, que de leur jeter un mouchoir qu'ils s'amusent aussitôt à tordre, c o m m e ils font de la crinière des chevaux qui paissent j o u r et nuit dans les bruyères de Sologne. Si au lieu d'un mouchoir on jetait un couteau, le Brûlot s'en couperait le cou et l'on ne serait plus quitté désormais par l'âme errante que l'on trouverait chaque nuit à ses côtés, quelque part qu'on allât, quelque m o y e n que l'on employât pour échapper à ses poursuites »84. Millançay. « Les Chandelles sont des feux, des lumières qui se promènent en faisant ' boudon, boudon, b o u d o n '. Il y avait sur la grand'route d'Orléans, un b o n h o m m e pas peureux qui restait à la Guinguette. E n rentrant un j o u r chez lui, le soir, il aperçut une chandelle qui venait vers lui en faisait ' boudon, boudon, b o u d o n '. Il s'arrêta et quand elle fut près de lui, il lui dit : ' B o n D i e u quèqu' tu m ' v e u x ? ' La chandelle s'approcha encore et il entendit une v o i x sourde qui lui répondit : ' C ' q u e j ' t e v e u x ! . . . J'te l'dirai p'us tard ! ' La peur le prit, il se sauva » (1945). Les brûlots et les chandelles sont les feux follets, que l'on appelle dans le nord de la Sologne pour ceux de ces feux qui vous suivent, du n o m de « culards, parce qu'ils s'attachent à votre cul ». et il serait impossible de la rendre m ê m e à l'aide de notation. O n p r o n o n c e l e n t e m e n t et en articulant f o r t e m e n t les R et à mesure q u e l ' o n a p p r o c h e de la f i n o n presse le m o u v e m e n t et o n élève la v o i x p o u r rester l o n g t e m p s sur la dernière v o y e l l e e n affaiblissant g r a d u e l l e m e n t le son c o m m e dans les cris de halage par e x e m p l e . »

83. V . C h e v a l i e r , En Sologne, à Souesmes (1872-1882). La route de Mén'teriol et ses en-coutés. Les prés de la cure. C e lieu hanté se t r o u v a i t au p i e d des bois de la C i m o i s e . 84. Journal, op. cit.y p. 2 1 6 et Mémoires pour à Vhistoire de la Sologne Blésoise..., op. cit., p. 93.

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On croyait encore en Sologne au Cheval Bayard. C'est le nom que l'on donne à une espèce de fantôme lumineux ou de lueur dont les bonds dans l'espace dit-on maintenant, n'étaient en réalité qu'une lanterne se balançant au bout d'une longue perche (Gy, Lassay, 1944). Saïbris. « A Salbris, dit La Saussaye, une tombelle isolée, très haute et plus en pain de sucre que celles que l'on rencontre communément se voyait il y a peu de temps au bas du village dans un pré au bord de l'eau. Elle vient d'être rasée, et les terres portées dans les prés, on n'y a rien trouvé d'étranger à la terre noire dont elle était composées. On racontait sur elle les fables ordinaires de dame blanche, de follets ou brûlots... »8S. « On croit aussi à Salbris et dans toute la haute Sologne, dit-il encore, que les follets frisent la crinière et la queue des chevaux auxquels ils témoignent de l'affection; ceux-ci deviennent les mieux nourris et les meilleurs de l'écurie par suite de la protection que leur accorde le follet »86. Il faut noter que la plupart des légendes que nous avons citées sont en rapport avec des lieux présentant un intérêt archéologique. Les Solognots ont ainsi donné une explication aux travaux faits de main d'homme dont ils ne pouvaient connaître l'origine mais qui les avaient frappés : menhirs, dolmens, tombelles, sites gallo-romains, vieux châteaux. Nous allons voir que certaines légendes à caractère historique ont parfois conservé le souvenir fort lointain d'un événement qui arrive jusqu'à nous très déformé par l'imagination populaire. VIII. Légendes et souvenirs historiques ou pseudo-historiques Fougères-sur-Bievre. « Une tradition fort ancienne, dit le baron de Fougères, rapportait que la grosse tour ronde du château avait été témoin d'un crime commis par un seigneur de Fougères qui, par jalousie, y avait enfermé sa femme, pour la faire mourir. On citait comme ayant été spécialement le théâtre de ce crime une chambre que l'on voit encore au haut de cette tour cernée par une galerie, d'où l'on disait que ce barbare époux se plaisait à venir fréquemment surveiller et injurier sa victime... ». «... Cette tragique histoire, dit encore Lambot de Fougères, était tellement répandue dans tout le pays que, pendant un voyage fait dans cette partie du Blésois, par M. de J o u y homme de lettres, elle parvint à sa connaissance. Sans prendre la peine de venir sur les lieux mêmes chercher de plus amples renseignements, ce littérateur jugea à propos de faire de cette histoire un chapitre de son ouvrage intitulé l'Hermite en 85. Mémoires...,

op. cit., p. 93.

86. Journal, p. 1 1 7 .

op. cit., p. 1 1 6 (note de mai 1834) et

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Province, qu'il orna d'une gravure et dans lequel il inséra une multitude de détails tous de son invention87. Néanmoins, beaucoup de personnes regardaient le fait principal comme un conte populaire, sans aucun fondement et aussi dépourvu de vérité que les détails inventés par M. de Jouy. « Cependant il y a quelque temps, on découvrit dans les archives déposées à Bourges (et provenant de l'abbaye de Chezal-Benoît qui possédait autrefois un prieuré à Fougères), un titre énonçant un fait arrivé à la fin du 1 1 e siècle, et qui pourrait bien avoir donné lieu à la tradition dont nous nous occupons. « Voici un extrait de ce titre qui est aujourd'hui entre les mains du propriétaire du château de Fougères : « In nomine Patris, ... anno ab Incarnatione, ... millesimo octogesimo septimo, ... Philippo regnante in Francia; ego Maria, uxor Mathoei Maxili, quamvis, sine culpa mea, dimissa sim ab illo, cum filiis meis, do ecclesiae ... tali pacto, ut nullam consuetudinem alicui reddatis, praeter istum puerulus, nomine Goslenum, quem monachum vobiscum facietis, ... « Evolutis deinde triginta fere duobus annis in loco Mariae nominatae altéra mulier Milesendis hujus fratres apud Felgeres adierunt, quatenus ipsorum precibus dimitteret calumniam quam eis imponebat, ... quod factum est. Huic dono; fuerunt isti testes; Fulcho de Calvo monte, Engebald de Felgeriis, Aimericus Borellius88. « Pour l'objet qui nous occupe, nous n'avons besoin de faire remarquer dans ce titre que deux faits principaux y énoncés; savoir l'expulsion du domicile conjugal d'une femme avec ses enfants, et l'obligation que cette femme imposait à des religieux de prendre avec eux et de faire moine un petit garçon nommé Gosselin. « Nous ferons encore remarquer que cette femme existait en 1087, qu'elle s'appelait Marie et son époux Mathieu Maxille; en outre qu'elle fut remplacée par une autre femme nommée Milesende, qui demeurait à Fougères, ce qui dénote qu'elle y avait elle-même habité. « D'après le titre que nous venons d'extraire, Marie aurait été répudiée sans l'avoir mérité par aucune faute (quamvis sine culpa mea dimissa sim), dit-elle dans ce titre; et, comme l'époque de son infortune ne précéda que de quelques années celle où le roi Philippe lui-même répudia la reine Berthe, ceux qui connaissent ce fait historique seraient assez disposés à croire que Marie a dit la vérité; et que, d'après les mœurs du temps, elle a été, comme la reine Berthe, victime innocente de l'inconstance de son mari »89. 87. Nous ne donnons pas le texte fantaisiste de M . de Jouy ; on le trouvera dans Collection des mœurs ou observations sur les mœurs, usages et coutumes de toutes les nations au commencement du XIXe siècle par M. de Jouy, membre de l'Académie Française, A Paris chez Pillet aîné rue des Grands Augustins n° 7, 1827, p. 180-188.

88. Le texte complet de cette charte a été donné dans la Revue de Loir-et-Cher, année 1907, col. 1 0 ; cf. aussi R . Porcher, Contres, dans Revue de Loir-etCher, 1904, p. 3 1 5 - 3 1 6 et 388. 89. Baron René de Fougères, Notes sur les antiquités de l'arrondissement de Romorantin, dans Revue de Loiret-Cher, 1908, col. 62, 63, 64.

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Voici une autre version de cette légende : « Partant auprès du roi, un seigneur de Fougères, l'histoire ne dit pas son nom, h o m m e sauvage et jaloux, interdit à sa femme de recevoir au logis aucun homme, quel qu'il fût. « A son retour il trouva aux pieds de sa femme un jeune page, qui lui présentait un livre d'heures richement enluminé, présent d'une de ses amies. Furieux à la vue du page, il le fendit en deux de son épée. Pour sa femme il se contenta de l'enfermer dans le donjon; puis il la fit passer pour morte, et lui fit faire des obsèques grandioses. « U n e autre forme de cette légende veut que le jaloux soit parti en croisade et ait oublié sa femme enfermée. Les deux s'accordent pour faire revenir le spectre de la malheureuse »®°. Lamotte-Beuvron. En 1951 nous avons découvert un petit groupe de tumulus à Beauval entre la route de Brinon et le canal. Le garde qui nous accompagnait et qui connaissait fort bien ces tumulus nous a raconté à leur sujet la légende suivante : « Le général César était à Pierrefitte (au lieu-dit Les Césars) et le général Tombelle était à La Motte, c'était un général gaulois. Ils se sont battus avec leurs armées. Le général Tombelle a été tué et enterré là avec ses soldats ». Lassay. Depuis 1728 messire Jacques Savare était devenu seigneur du Moulin du chef de sa femme. En 1736 le prieur-curé de Lassay était vénérable et discrète personne M . Marchant. Le prieur-curé partageait avec le seigneur du Moulin les grosses et menues dîmes de la paroisse et recevait du seigneur une indemnité en argent. Mais il partageait avec le seigneur certaines grosses réparations à faire à l'église. Tous ces droits et devoirs plus ou moins bien définis amenèrent des conflits qui s'envenimèrent tant et si bien qu'il fallut l'intervention de l'intendant de la Généralité d'Orléans et celle de l'évêque de Blois. Cependant le curé contesta au seigneur du Moulin les droits honorifiques dont celui-ci jouissait depuis toujours. Il y eut procès et les relations entre le seigneur et le curé devinrent de plus en plus mauvaises. U n j o u r dit-on le seigneur invectiva le curé en public et lui tua son chien d'où de nouvelles complications. Voici comment les gens racontent maintenant l'histoire des démêlés entre le seigneur et le curé : « A Lassay le curé, à la messe devait encenser le seigneur à part, lui offrir l'eau bénite avant les manants. U n jour comme le chien du curé courait après la chienne du seigneur, celui-ci tua le chien du curé, qui alors refusa en tout la préséance au seigneur. C o m m e ce dernier en faisait la remarque au curé, le curé lui répondit : ' Vous avez des droits comme le droit de jambage et vous n'en usez plus. E h ! bien moi, j e n'use plus du droit de vous encenser ' » (1944). 90. Version transmise par M . J. Martin-Demézil.

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Mareuil. Le Champ-Baras. « O n dit que dans le Champ-Baras, il y avait un château, le château de Baras ou fort de Barras qui était bâti de grandes briques, sur le dernier plan de la colline, à l'angle ou promontoire formé par le vallon de la Malpenée ou du Périllard et qu'il fut détruit par les Sarrazins. Des ruines se font remarquer près du hameau de la Benardière, dans un champ jonché de tuiles à rebords »91. Millançay. O n racontait en 1853 que « les R o m a i n s du Pont d ' A v i g n o n furent invités il y a quatre cents ans, à un repas, un midi, par le seigneur propriétaire de Bois-Fleuri (à Millançay) et qu'ils furent tous assassinés par lui ». O n notera qu'il existe aux A v i g n o n s près de N e u n g d'importantes ruines gallo-romaines 92 . Pierrefitte-sur-Sauldre. « Les groupes de tombelles sont regardés dans le pays c o m m e la sépulture d'une armée de Sarrazins défaits dans les plaines de Pierrefitte ; une fontaine et un moulin portent aussi le n o m des Sarrazins; j ' a i déjà parlé, dit La Saussaye, des traditions relatives à ce peuple, fort communes dans la haute Sologne et qui m ' o n t paru perpétuer le souvenir de l'immense terreur que répandit en France l'invasion sarrazine. U n fait incontestable, c'est que malgré le n o m qu'elles portent et les traditions qui s'y rattachent, les tombelles de Pierrefitte c o m m e celles de Salbris ne sont pas des sépultures »93. La Saussaye fait une erreur et c'est la tradition qui est exacte. Les tombelles de Pierrefitte sont bien des sépultures la plupart vraisemblablement de l'époque de Hallstatt. O n dit aussi à Pierrefitte que l'étang dit de César aurait été creusé par le général romain pour permettre aux chevaux de sa cavalerie de s'y abreuver (1952). Presly. Tradition rapportée par Légier : « Sur la m ê m e c o m m u n e de Préli-le-captif, est une gorge ou vallée que la nature a placée entre deux monticules. Cette vallée qui a plus d'un grand quart de lieue d'étendue, est totalement inculte, et couverte, en certains endroits, de h o u x et de genièvres très hauts. Le fond de la terre m ' e n a paru meilleur que celui des lieux qui l'avoisinent et qui sont cultivés. J'ai demandé à qui appartenait cette vallée. — A personne. — Pourquoi n'est-elle pas cultivée ? — Par respect pour le n o m qu'elle porte. — Enfin, c o m m e n t la désigne-t'on ? — Ici commence une nouvelle tradition populaire. ' Dans cette vallée m'a-t'on dit, il y a eu des armées innombrables englouties ; des peuples qui habitaient le pays de l'autre côté de la Loire, vinrent en grand n o m b r e déclarer la guerre aux paisibles habitants de ces climats ; leurs prêtres se mirent en prières, 91. A . Péan et Chariot, Excursions archéologiques sur les bords du Cher, op. cit. 92. N o t e Delaune du 4 janvier 1853. Cette tradition est assez curieuse et il serait évidemment osé d'y voir

le souvenir du massacre des citoyens romains qui eut lieu à Genabum en 52 avant Jésus-Christ. 93. La Saussaye, Mémoires pour servir à l'histoire de la Sologne Blésoise..., op. cit., p. 161.

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et Dieu permit que dans cette vallée, qui alors était un lac profond, les armées ennemies fussent ensevelies, et cette vallée s'appelle, depuis ce tems, le lac des armées. Examinez, m'ajouta-t'on, l'espèce d'herbe qui croît sur la superficie de ce terrain, ses racines forment une croûte, on pourrait dire un plancher, de l'épaisseur de plus de six pouces ; dans l'hiver, tout est mobile. On va sans crainte sur ce plancher qui ne fléchit jamais '. «Je vis en effet que ce que l'on me disait était vrai; ensuite on en vint à Saint Perli dit le chétif, qui fut fait seul prisonnier dans cette affaire; et qui obtint, par faveur spéciale, d'être sauvé seul dans la mêlée. Il reconnut cette faveur par des miracles qu'on ne m'a pas racontés, seulement on m'a assuré qu'il a maudit à toujours les terres et les bois où s'étaient campés ces peuples ennemis; que ces terres sont depuis stériles, et que ces bois qui forment plus de 10 000 arpens, ne peuvent croître ni mourir. J'ai vu ces bois qui réellement paraissent rabougris, c'est-à-dire très petits; mais journellement les villages voisins y envoient paître leurs troupeaux, ce qui, joint à la mauvaise qualité du terrain, est, suivant, moi, la vraie cause de leur non végétation. M . le préfet du Cher a en vain voulu, d'autorité, défendre ce pacage, bien persuadé, avec raison, que ces bois recépés et bien gardés auraient pris place parmi les propriétés nationales; mais le préjugé est si bien alimenté par l'intérêt des riverains, qu'il n'a pu parvenir à le déraciner, et ces bois et ces terres sont toujours frappés de la malédiction de Saint-Perli-le-chétif »94. Pruniers. Il y avait deux seigneurs à Pruniers qui avaient chacun leur château, les seigneurs de Bâtardes et de Champleroy. On raconte encore qu'un jour un seigneur de Bâtardes, on ne sait si c'est le même qui avait tué le prêtre à l'autel, se trouvant à l'église fut tellement fâché de voir qu'on avait présenté le pain bénit au seigneur de Champleroy avant lui, qu'il provoqua de suite ce dernier en duel, qu'ils sortirent à l'instant de l'église et que le seigneur de Champleroy fut tué et que le seigneur de Bâtardes poussa la barbarie jusqu'à aller aussitôt chez la Dame de Champleroy dire qu'on apprêtât à dîner à son mari. Les gens affirment que ce dernier fait est véridique. Il y a en tout cas, dans les archives du château du Moulin à Lassay une lettre de rémission obtenue par le seigneur de Bâtardes, malgré les instances de la Dame de Champleroy. Romorantin. La légende de l'origine de Romorantin telle que la rapportent, d'après une tradition dont nous ignorons la source, les anciens historiens de Romorantin étant peu connue mérite d'être racontée. La voici telle que la transcrit Jean-François Bidault en 1 7 1 0 : « De l'origine et fondation de la ville de Romorantin. Chapitre 1 : « Il ne faut s'estonner si nous entrons en doute de l'origine & fondation de la ville 94. Légier, Notice sur les traditions de la Sologne et du Berry (suite), dans Mém. de l'Académie Celtique, loc. cit., p. 98-100.

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de R o m o r a n t i n , & qui sont les premiers autheurs dicelle, pour ce que nos gaulois qui n'aymoient que les armes et la milice, ne s'adonnoient a escrire leurs faits m é m o rables, preferans leurs effets aux paroles & escrits, estimans que leurs louanges auroient plus d'éclat et de gloire, si les escrivains estrangers les celebroient dans leurs histoires; or dans cette obscurité & incertitude, nous ne pouvons reconnoistre la fondation de cette ville, n y quels ont été les premiers fondateurs de la ville de R o m o r a n t i n , & les premiers habitants d'icelle, que ce que nous aprenons du reverend père PETAU jesuiste et autres autheurs qui disent que le deluge étant arrivé l'an 1656, cent ans après la nativité de PHALEQ (ainsy qu'il se recueille des chapitres 10 & 11 de la genèse) advint la confusion des langues, & que N o Ë fit la division de la terre a ses trois fils, a SEM il donna l'asie, a CHAM l'egypte & l'affrique, & a IAPHET l'europe; que IAPHET eut un fds n o m m é GOMOR surnommé GALLUS, des quels sont venus les gaulois; & qu'il eut un frère n o m m é SAMOTHEZ qui s'arresta dans la gaule; la poliça et y regna, le quel SAMOTHEZ fut surnommé Dis, PLUTON, c'est ce qui se raporte au dire de CESAR lib. 6 de ses commentaires, que les gaulois apresent françois se maintiennent estre descendus du père D i s ; et disent cela pour avoir été révélé par les DRUIDES, Galli se omnes a dite pâtre prognatos praedicant id que a druidibus, proditum dicunt. O n remarque que quand les gomerithes enfans de IAPHET vinrent après la confusion de la tour de babel s'habituer dans les gaules, ils y bastirent plusieurs villes, entre icelles la ville de R o m o r a n t i n , qui est très ancienne, c o m m e on peut voir par l'etimologie de son n o m que les anciens luy donnent, l'appelant ROMA ANTIQUA, la quelle etimologie denotte qu'elle est une des plus anciennes villes du monde, nous pourrions m ê m e la reputer bâtie avant la grande rome, mais par respect a celle c y on laisse au lecteur a y faire telle reflexion et en tirer telle conséquence que b o n luy semblera, ce qui est vray est que les gomerithes du tems de N o Ë vinrent peupler la gaule, que le premier qui s'y achemina fut SAMOTHEZ. « O r cette ville de R o m o r a n t i n fut bâtie par les gomerithes enfants de IAPHET, elle est capitale de toute la Sologne, nous ne pouvons certainement dire l'année qu'elle fut bastie, mais il faut conjecturer que ce fut environ 350 ans après le déluge »9S. Jean-François Bidault indique d'autre part pourquoi la ville de R o m o r a n t i n est n o m m é e Roma minor: « Q u e la ville de R o m o r a n t i n est n o m m é e Roma minor a cause du raport qu'elle a avec la grande R o m e . Chapitre n : « Les autheurs qui ont donné ce n o m de Roma minor a la ville de R o m o r a n t i n ont eu juste raison, a cause de la conformité & semblance qu'il y a entre R o m o r a n t i n la petite r o m e et la grande rome, ces deux villes ayant d u raport l'une a l'autre, la grande 95. Cette légende a probablement pour auteur J.-F. Bidault, marié à une demoiselle Gallus, parente du nant général de R o m o r a n t i n .

lieute-

i o . A n i m a l extraordinaire (Orléans, vers 1820). ( B . N . )

1 1 . La chasse infernale du c o m t e T h i b a u l t (extraite de Notice sur le château de Chambord par M. de la Saussaye, 1836). (Arch. de L o i r - e t - C h e r . )

Blois,

13- R o m o r a n t i n . Dessin rehausse à la gouache. Vue prise en amont de l'emplacement de l'actuel pont Paul-Boncour. A gauche, le château (actuellement la sous-prefecture) ; la partie gauche a été démolie. A u centre, la grosse tour dite de César, démolie en 1 8 1 0 ; les moulins de la ville, le pont de bois, les moulins du chapitre; l'église Saint-Etienne. C e dessin a été exécuté entre 1790 et 1800. (Coll. auteur.)

1 2 . Château de Fougères-sur-Bicvrcs, tour d'angle, côté sud-ouest (gravure extraite de Notice historique et chronologique des châteaux de Fougères et du Gué-Pcan).

(Arch. de Loir-et-Cher.)

14- Château de Romorantin, vue Est. Dessin de Charles Bigame, 1846. (B.N.)

15- Porte de la Ville de R o m o r a n t i n : porte d'Orléans dite Porte Millon construite entre 1505 et 1 5 1 5 . Dessin de Charles B i g a m e , 1846. ( B . N . )

16. Roulier (litho, 1841). (B.N.)

17- Le Solognot (dessin de Jeanron). (13.N.)

i8. Le vieux moulin (gravure du iy1' siècle). (Arch. de Loir-et-Cher.)

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rome parce qu'elle est coupée par le fleuve du tybre & par le bastiment de la grosse tour, qui autrefois servoit de temple dédié a toutes les fausses divinitez, et qui depuis la religion catholique fut dédié par les chrétiens a la memoire de tous les Sts et finalement a la très Sainte vierge soub le titre de nostre dame la rotonde, la petite rome de même tant parcequ'elle est aussy coupée par la rivière de Saudre que par la grosse tour bâtie du tems de IULES C É S A R pendant le séjour qu'il fit dans les gaules & en cette ville, de laquelle tour il sera cy après parlé, cette ditte ville a été nommée par les latins pour second nom R O M A M I N O R par la reflexion cy dessus observée, et aussy ces mots R O M A M I N O R sont demeurez inscripts en lettres d'or au frontispice du clocher et au porche de la principale eglise de la ditte ville dont aussy sera cy après parlé. « Séjour de César a Romorantin pendant lequel il fit edifier quelques forts & maisons et donna plusieurs comm. a ses capitaines, lun desquels dit bastir deux forts audit isle Marin. Chapitre m : « Pendant le séjour que César fit en cette ville de Romorantin, il y fit construire outre la grosse tour, quelques autres forts et maisons, pour y rafraîchir son armée et pour y camper, il donna le gouvernement de cette susditte ville pour un quartier a T I T U S L A B I E N U S l'un de ses capitaines, aussy depuis ce tems la jusqu'à present le nom de ce capitaine est toujours resté, de manière que la porte de ce quartier s'appelle encore aujourd'huy la porte lambin, de plus donna pareillement le commandement d'une tour a une autre de ses capitaines qui se nommoit I A C Q U E M A R , dont le nom en est demouré a la ditte tour, et s'appelle encore aujourd'huy la tour jacquemar et en laquelle tour sont a present les meules, meulages, tournans et virans d'un moulin appelé le moulin de la ville, cette ville du tems de C É S A R etoit composée du quartier de l'isle marin séparé par la rivière du reste de la ville qui s'etendoit jusqu'à la porte audessus de la quelle est a present bastie la tour de l'horloge, qui fut assaillie de foudre et tonnerre le premier juillet 1709 a onze heures du matin, il y eut ce jour la meme cinq orages, a ce quartier de ville C É S A R en donna le commandement a un autre de ses capitaines nommé M A R I N U S , dont le nom est demouré au dit endroit appellé l'isle marin, & ce capitaine M A R I N U S faisant sa demeure au dit endroit de la ville il y fist bastir deux forts de bonne défense qui se communiquoient a la tour de jacquemar cy dessus nommée... »96. Le même historien de Romorantin relate d'après la tradition le fait suivant : « Plaisanterie du sieur Briquet le roy François I étant a Romorantin. « Ce meme R o y François I faisant un autre séjour a Romorantin tenoit auprès de luy le Sr Briquet qui etoit plus jovial que fou, avoit mille rencontres d'esprit très 96. Histoire et antiquitez de la ville de Romorantin, avec les noms et armoiries de plusieurs familles nobles qui demeurent tant audit Romorantin qu'aux environs, le tout dédié à Mr Gallus mon beau-père, conseiller du Roy en

l'élection de Romorantin par moy Jean-François Bidault bourgeois de cette ville le 25 may 1710, ms. de la Soc. d'Art et d'Archéologie de la Sologne, Romorantin.

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Légendes et souvenirs historiques ou pseudo-historiques

jolies qui divertissoient le roy en toutes maniérés, dans ce tems il arriva monsieur l'ambassadeur de venise, le quel après avoir eu audiance au roy se trouva malade d'une colique frenetique [s/c], cette maladie étant venue a la connoissance de monsieur Briquet il luy fut rendre visite en qualité de medecin du roy, revetu d'une robbe de palais & avec une grande gravité s'approcha du lict de monsieur l'ambassadeur, luy dit que le roy l'envoyoit vers luy pour s'informer de sa maladie et l'ayant connue, il luy proposa différents remedes pour sa guerison, le dernier fut qu'il luy ordonna pour souverain remede d'enfoncer son doigt dans sa bouche le plus avant qu'il pourroit & ensuitte encore plus avant dans son derrière, le rapporter dans sa bouche et ainsy continuer par différentes fois alternativement, que ce remede etoit infaillible pour la colique, a cette ordonnance monsieur l'ambassadeur reconnut le personnage, le quel incontinent retourna au roy luy dire l'ordonnance qu'il avoit donnée comme medecin a monsieur l'ambassadeur, ce qui donna un plaisir extreme au roy & a toute la cour, cecy veritable est couché dans cette histoire pour donner un peu de plaisir au lecteur qui se pourra trouver fatigué par la lecture de nos antiquitez, le quel reprenant son sérieux pourra continuer la lecture de ce qui s'est passé d'antiquité en nostre ville »97. Bien que ce ne soit pas une légende, mais un fait arrivé à Romorantin, fait qui est à l'origine d'une tradition, il nous faut rapporter l'accident dont fut victime François I er , le jour des Rois 1 5 2 1 . En voici le récit tel que le raconte Martin du Bellay dans ses Mémoires98 : « Le R o i étant à Rémorentin, vint la fête des Rois; le R o i sachant que M. de SaintPol avoit fait un R o i de la fève en son logis, délibéra avec ses suppôts d'envoyer défier ledit roi de mondit seigneur de Saint-Pol, ce qui fut fait, et parce qu'il faisoit grandes neiges, mondit seigneur de Saint-Pol fit grande munition de pelottes de neige, de pommes et d'œufs pour soutenir l'effort. Etant enfin toutes armes faillies pour la défense de ceux de dedans, ceux de dehors forçant la porte, quelque mal avisé jeta un tison de bois par la fenêtre, et tomba ledit tison sur la tête du roi, de quoi il fut fort blessé, de manière qu'il fut quelques jours que les chirurgiens ne pouvoient assurer de sa santé ». Nous savons par le président Hénault le nom de ce « mal avisé ». Il s'agissait du capitaine de Lorges, Sieur de Montgommeri. Cette famille de Montgommeri ne portait pas bonheur aux Rois de France, puisque en 1559 un autre Montgommeri blessa à mort dans un tournoi, le R o i Henri II, d'un coup de lance au front. C'est à partir de cet accident et pour en cacher les traces que François I er se mit à porter la barbe dit la tradition. Salbris. D'après La Saussaye une tradition singulière locale regarde les tombelles de Salbris comme les sépultures d'une armée de Sarrazins défaite dans cette plaine99. 97. Ibid. 98. Livre I, p. 27.

99. Journal, op. cit., p. 1 1 6 et Mémoires pour servir à l'histoire de la Sologne Blésoise..., op. cit., p. 90.

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Selles-Saint-Denis. Vigenne. « Le monument le plus ancien de la paroisse de Saint Genou doit être un assemblage de tombelles, analogues à celles qui se trouvent dans le voisinage de Salbris, mais elles sont encore plus écrasées peut-être. On les attribue ici comme à Salbris, aux Sarrazins qui furent vaincus par Saint Genou lui-même ou au moins par son intercession »10°. Selles-sur-Cher. Parmi les nombreuses légendes qui se rapportent à saint Eusice en voici une à caractère historique que donne le D r Bourgouin : « Childebert allant combattre les Goths qui étaient ariens et maîtres de l'Espagne et de l'Aquitaine rendit visite à St Eusice dans sa retraite et reçut de lui l'annonce du succès de son entreprise et promit de venir l'en remercier à son retour. Cependant le prince victorieux oublia sa promesse, il allait passer outre avec son armée quand un nuage s'étendit tout à coup sur sa vue; il s'aperçut de sa faute, se dirigea vers la cellule et recouvrant aussitôt la vue il s'écria : je m'y vois. On montre encore le lieu où s'accomplit le miracle et il a toujours depuis les paroles prononcées par le roi retenu le nom de Mi-voye. La mi-voye est en effet le nom d'un lieu situé à quelques pas au nord de Selles 101 , précisément à une distance égale de Bourges et de Tours, là où la voie romaine marquée par la table théodosienne, après avoir passé le Cher à Chabris, allait traverser la Sauldre au lieu dit : le Theil, bordée qu'elle était entre les deux rivières de tumuli qu'on y voit encore en grand nombre. « Childebert donna au saint qui lui avait prédit la victoire de l'or et ses prisonniers Goths pour défricher le bois autour de sa cellule et après la mort de St Eusice, il fit construire sur son tombeau une belle église »102. Theillay. Le diable vert. J . Delaune signalait en 1867 que « dans l'église on voit sur l'un des vitraux de la chapelle de gauche, lesquels étaient autrefois dans le fond du chœur, un Saint Michel pesant les âmes et au dessus différents monstres de l'enfer et particulièrement à droite un diable vert qui a une légende »103. Cette légende, J . Delaune n'avait pu en avoir connaissance. Nous avons pu l'obtenir. « Beaucoup de gens à Theillay ont entendu parler de la légende du diable vert mais ne la connaissent pas. M. le Curé nous a dit que le vitrail commémorait un différend qui existait avant la Révolution de 89 entre l'archevêque de Bourges et un membre de la famille d'Orléans. Le noble et l'archevêque empiétaient chacun sur les terres du voisin quand ils chassaient. Le noble essaya sans succès de prendre l'archevêque dans un traquenard alors qu'il portait le Saint Sacrement. Par contre l'archevêque fut plus heureux, il prit le comte en défaut et l'assigna en Cour de R o m e . 100. La Saussaye, Journal, op. cit., p. 127. 1 0 1 . Cadastre de Selles-sur-Cher de 1835 section A 5 de la Tizardière.

102. D r Bourgoin, Notice sur l'église abbatiale de Sellessur-Cher, copie ms. aux Arch. Delaune et à la Soc. d'Art et d'Archéol. de la Sologne, Romorantin. 103. Note Delaune du 8 septembre 1867.

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Contes et récits divers

« Le vitrail est divisé en deux parties, celle de gauche représente le noble agenouillé et faisant amende honorable, celle de droite représente saint Michel pesant les âmes du Seigneur et de l'archevêque, le diable vert s'apprêtant à s'emparer du coupable ». « Il existerait un livre sur cette histoire. Les comtes d'Orléans de R è r e doivent être au courant », nous a-t-on dit (1944). Vouzon. « Dans la Haute-Sologne à V o u z o n et notamment dans le canton de LamotteBeuvron, dit Delaune, on attribue ce qui est ancien et particulièrement les tombelles aux Sarrazins. O n suppose qu'elles ont servi à établir des campements, c'est c o m m e ailleurs les Césars »104. Yvoy-le-Marron.

« Les habitants d ' Y v o y racontent qu'à la suite d'un combat du tems

de la ligue, ou des Anglais et des Pagnots, cinq cents Anglais restés sur le champ de bataille, furent précipités tant tués que blessés, dans l'étang appelé depuis Etang des Oiseaux 1 0 5 ; c o m m e on jetait de m ê m e en si grand nombre alors dans la Seine et dans la Loire les corps des huguenots. « Souvent pendant la nuit on voit l'étang couvert d'oiseaux, mais il est impossible d'en tuer un seul, ils semblent s'évanouir devant le p l o m b du chasseur. La place o ù les Anglais avaient leur camp, se n o m m e encore la Butte aux Anglais, près Montcolliers c o m m u n e de Villeny, dont l'église aurait peut-être été brûlée alors, si déjà elle ne l'eut été »I06.

I X . Contes et récits divers Courmemin. « A u x Fertils, il y avait une vachère qui gardait ses vaches dans les pâtis de Liberiou. U n j o u r en gardant ses vaches elle donna le j o u r à un enfant qu'elle cacha dans le creux d'un vieux trognard. E t tous les jours en allant aux champs, elle tirait sa plus belle vache et en donnait le lait à l'enfant qui s'élevait ainsi. « Mais le charretier avait surpris le secret de la vachère et quand il la voyait il lui chantait malicieusement : Allons donc Nanette A p p o r t e donc ton pot Pour tirer Grivette Pour nourrir Gilot Dans le creux d'un chêne A u ber d'un houx 1 0 7 . 104. Note Delaune du 15 août 1857. 105. Carte E.-M. 290-563.

106. Recueil de mots pour servir au vocabulaire Sologne..., op. cit. 107. Ber = pied.

de la

Contes et récits divers

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« Mais comme le p'tit drôle n'entendait parler personne, il serait devenu hébreu108. Enfin heureusement pour lui l'affaire s'ébruita et le bébé fut ramené à la ferme où il fut élevé » (1944). Loreux. C'est l'histoire d'une plante miraculeuse, racontée par La Saussaye dans son Journal et qui montre avec quel empressement les Solognots pouvaient transformer un événement banal en un fait merveilleux, en particulier lorsqu'il était teinté de religion. « C'est par suite de cet esprit religieux que la plus grande partie de la population de Romorantin a été voir avec une curiosité, qui n'excluait pas entièrement la dévotion, une plante extraordinaire qui vient de croître miraculeusement, dit-on, sur la tombe d'un pauvre berger de Loreux enterré depuis longtemps. Cette plante qui ne ressemble à aucune autre est parvenue en cinq heures à une hauteur de trois pieds et affecte la forme d'un Saint Sacrement couronné de fleurs d'un bleu céleste. Si on en détachait quelque partie on ne pourrait plus toucher à aucun objet que l'on n'eut restitué la partie dérobée... etc... etc... « Tout ce qu'on me disait de cette plante me donna l'envie de la voir pensant que ce devait être au moins une curiosité naturelle de quelque mérite et me décidai à continuer mon voyage en Sologne par la paroisse de Loreux. « Quant à la fameuse plante de Loreux, c'est tout simplement une très belle vipérine (echium vulgare, famille des Boraginées) qui a acquis un développement considérable et réellement curieux, par l'adhérence de plusieurs tiges qui s'est faite au moment de la pousse. La tige unique qui est résultée de cette agrégation, est parvenue à près de trois pieds de hauteur (9 décimètres). Elle est couronnée d'une magnifique touffe de fleurs et la forme aplatie de cette tige rappelle parfaitement celle que présentent sur une plus petite échelle, les tiges d'asperges, dans lequelles on rencontre fréquemment ces sortes d'unifications. La persuasion où l'on est dans le pays que personne ne pourrait toucher cette plante, sans être paralysé aussitôt n'a pas empêché quelques mécréants de chercher à la gâter et on a pris le parti de l'entourer d'un treillis qui renferme également la fosse du berger qui d'idiot qu'il fut jadis est maintenant reconnu pour saint. « Un tronc placé près de là, porte une inscription, on y lit que les offrandes qu'on y porte sont destinées aux pauvres du village qui ne cessent de veiller à la conservation de la plante. Elle est effectivement gardée jour et nuit et le sonneur ou marguillier, comme on l'appelle ici fait l'office de démonstrateur. Le cimetière renferme beaucoup d'autres de ces plantes à leur état normal »109. Nanteuil. Dans sa Chorographie Anthony Genevoix écrivait : « On raconte, à une époque qui n'est pas fixée, qu'un voleur ayant voulu s'introduire dans l'église pour enlever les vases sacrés, sentit son pied s'enfoncer dans la pierre... Il crut que l'enfer s'ouvrait sous 108. Hébreu =

sourd-muet.

109. Journal, op. cit., p. 104-106.

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Contes et récits divers

lui, et il se sauva précipitamment avant d'avoir c o n s o m m é son crime. O n montrait encore, il y a quelques années, la pierre sur laquelle l'empreinte d'un pied était visible »110. A . Péan en donnait en 1860 une version analogue : « L e Harpailleur : Par une l o n g u e nuit de décembre, glaciale et brumeuse, un harpailleur s'était introduit dans l'église de Nanteuil, avec l'intention d'en dérober les vases sacrés et le trésor, dons célèbres de plusieurs générations de fidèles. Mais c o m m e il franchissait la nef, il sentit tout à coup l'un de ses pieds s'enfoncer dans la dalle sur laquelle il s'appuyait. Epouvanté, pensant que l'abîme, séjour éternel des maudits, s'ouvrait pour l'engloutir, il recula et s'enfuit sans avoir mis à exécution son v o l sacrilège. L'empreinte de son pied, cependant laissée dans la pierre dure et compacte, attesta le lendemain aux habitants du hameau, et sa tentative criminelle et la protection visible de la divine patronne de Nanteuil. O n montrait encore cette empreinte il y a peu d'années : elle a disparu tout récemment, lors de la restauration de l'église » n i .

Yvoy-le-Marron.

C e conte charmant se racontait à Y v o y vers 1870-1880. N o u s le

donnons tel qu'il nous a été conté par notre informatrice en 1951 : « Histoire du petit haricot. « C'était un malheureux qui n'avait plus ren du tout, qui ne savait c o m m e n t faire pour vivre. Il allait mendier. Il alla dans une ferme o ù on lui donna pour tout un haricot. « Il ne savait pas quoi en faire, mais il se dit si j e le mange, j'aurai p'us ren, j ' v a s l'semer. L'haricot il est bien v ' n u , il poussait, il poussait, il montait, il faisait des branches, ça faisait c o m m e une échelle. Il a m o n t é dans son haricot jusqu'en haut, dont il a pu causer au p'tit Jésus. Il a raconté sa misère et le p'tit Jésus lui a donné une petite tab'e. Il lui dit descend m o n p'tit b o n h o m m e avec ta tab'e. T u poseras ta tab'e dans un champ, tu diras ' d u pain, d'ia saucisse et du boudin ', tout arrivera sur ta tab'e. Mais le soir i' fallait qu'i' trouve un endroit p o u r aller coucher. Il a été coucher dans une ferme. I' d'mande si on voulait bien le coucher lui et sa tab'e. Mais i' dit fau'ra ren lui dire à ma tab'e. I' fau'ra pas lui dire ' du pain, d u vin, d'ia saucisse et du b o u d i n '. N o n m o n p'tit b o n h o m m e , on v e u t ren lui dire à ta tab'e. V a t'coucher. Q u a n d 1' p'tit b o n h o m m e fut couché, i' dirent à la tab'e ' d u pain, du vin, d'ia saucisse et d u boudin '. T o u t est arrivé su' la tab'e. « O ù qu'il a couché y avaint une tab'e absolument pareille. Q u a n d i' ont v u cette tab'e i' ont changé sa tab'e et pis le lendemain le p'tit b o n h o m m e a d'mandé sa tab'e. I' dit v o u s y avez ren dit à ma tab'e surtout. Mais non, on y a ren dit à ta tab'e. L e p'tit b o n h o m m e s'en va. Q u a n d il a eu faim, i' a c o m m a n d é sa tab'e, la tab'e lui apportait p u ren. Mais le p'tit b o n h o m m e i' n'a pas pensé q u ' o n lui avait changé sa tab'e, i' pensait qu'elle avait p'us d ' p o u v o i r . A l o r s i' dit ' J'vas r'tourner v o i r le p'tit Jésus '. 110. Op. cit., p. 81-82.

i n . A . Péan, Notice sur Notre-Dame de Nanteuil, op. cit., p. 215-216.

Contes et récits divers

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I' dit au p'tit Jésus, ma tab'e, e' m' donne p'us ren. Ti'ns dit le p'tit Jésus, j'vas t'donner un âne. T u diras à l'âne ' Crotte mon âne ' et tu ramass'ras sous lui d'I'argent tout c'que t'auras besoin. Le p'tit bonhomme a r'descendu son haricot avec son âne et i' dit ' Crotte mon âne ' et i' ramassait d'I'argent à poignée. L ' soir i' r'tourne coucher à la même ferme. I' d'mande s'i' peuvent l'coucher lui et son âne. — ' Mais oui mon p'tit bonhomme on va ben t'coucher '. ' Mais quand j ' s ' r a i parti m'coucher, i' faudra ren lui dire à mon âne, i' faudra pas i dire " Crotte mon âne " '. E u x aussitôt qu'il a été parti, z'ont dit ' Crotte mon âne ' et quand i' z'ont vu qu'il y donnait tout ça. A h ! mais i' z'ont dit ' On en a un pareil, on va z'y changer '. « Le matin le p'tit bonhomme va chercher son âne. I' l'emmène et i' lui dit ' Crotte mon âne '. Mais l'âne n'donnait ren. I' était ben embêté. I' r'monte à son haricot et r'tourna voir le p'tit Jésus. ' V'ia, qu'i' dit au p'tit Jésus, qu'l'âne i' veut p'us ren m'donner — ' A h ! ben i' y dit, mon p'tit bonhomme j'vas t'donner une barre. Descend avec ta barre et r'tourne coucher dans la même ferme avec ta barre. Et pis tu leur z'i diras qu'i' faut pas qu'i' disent " Barre-moi, barre " '. « I' r'tourna à la ferme le soir pour coucher et i' d'mande s'i' pouvaint l'coucher lui et sa barre. Mais oui mon p'tit bonhomme, on t'couch'ra ben. Mais i' dit ' Faudra ren dire à ma barre et pas z'y dire surtout " Barre-moi barre " '. Quand i' a été parti s'coucher, juste, i' z'ont dit ' Barre-moi barre '. Ça les a tous barrés, qu'i' n'pouvaint p'us bouger. I' z'ont app'lé le p'tit bonhomme. I' z'étaint ben embarrassés, i' l'ont prié et supplié qu'i' les débarre. Mais i' dit ' Oui j'vas vous débarrer, mais faudra m' rendre tout c' que vous m'avaint pris '. Et sitôt i' z'ont dit au domestique, rend-z'y tout c' qui appartient au p'tit bonuomme. Et pis sitôt i' z'ont été débarrés. « Le p'tit bonhomme i' a eu sa tab'e, son âne et tout c'qu'i' lui fallait pour vivre et a fini ses jours heureux » (1951). Pour clore ce chapitre sur les légendes de divers types que nous avons pu recueillir en Sologne, nous voudrions citer l'anecdote suivante qui peut donner une idée sur la façon dont peu se créer une légende. En 1952 M. le Professeur Leroi-Gourhan directeur du Centre de formation et de recherche aux études ethnologiques du Musée de l'Homme m'avait demandé d'organiser une enquête d'ethnologie sur le terrain dans une commune de Sologne particulièrement typique. Avec M . Granet, maintenant professeur d'université, nous avons — M . Leroi-Gourhan étant aussi sur place — dirigé cette enquête qui était faite par des étudiants spécialisés soit dans l'étude des comportements sociaux, des classes d'âge, de l'alimentation, de la psychologie de la population, des croyances religieuses, des techniques, ainsi que par des musicologues, des archéologues et des médecins. Nous savons grâce aux notes de Madame Montigny-Despré quelle fut la réaction de la population et en particulier des enfants lorsque avec notre groupe d'une vingtaine d'étudiants nous sommes arrivés dans cette commune.

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Contes et récits divers

« Les écoliers ont rapporté du ' catéchisme ' (c'est-à-dire lorsqu'ils s'étaient rendus à la leçon de catéchisme au bourg) une nouvelle imprévue et quelque peu inquiétante : « M'zelle, y a des Anglais d'arrivés à X , y viennent chercher des affaires aux Romains, même y z'ont trouvé un château-fort en fouillant sous les piles du pont de la Sauldre, y ramassent des cailloux pour les emporter, y font chanter tous les vieux bonhommes qui rencontrent et y prennent tout en photo ». Quelques jours plus tard : « M'zelle, les Anglais c'est des Français, y s'appellent Etudiants. Y sont repartis à Paris pasque y z'avint pus d'sous, mais y vont rev'nir à quatre-vingt... Pourvu qu'y trouvent pas des Gaulois ! » Autre réflexion plusieurs semaines après : « M'zelle, fermez pas la grille à clef, des fois qu'les Etudiants y r'viendrint ».

C H A P I T R E

IV

La chanson populaire en Sologne

La chanson est un des éléments essentiels de la littérature populaire. Elle a toujours bénéficié d'une vogue sans cesse renouvelée, car elle est une des manifestations importantes de toutes les fêtes populaires, accompagnant aussi bien les fêtes corporatives que les fêtes familiales et même le travail collectif ou individuel. Elle est la compagne inséparable de la plupart des fêtes traditionnelles que nous avons décrites et en particulier de ces repas, de ces ripailles qui marquaient la fin de la plupart des grands travaux saisonniers. Mêlée à la danse nous allons la rencontrer en Sologne vivante et légère, apanage de certaines familles de chanteurs ou de chanteuses que l'on invitait à toutes les réjouissances, familles qui se transmettaient leur savoir de père en fils ou de mère à fille. Nous nous sommes contenté dans le chapitre qui va suivre de réunir les chansons que nous avons pu recueillir soit par la tradition orale, soit dans les quelques rares ouvrages qui traitent de cette question. Nous avons sans honte noté les bribes même les plus informes de chanson, laissant à des chercheurs plus heureux le soin de les retrouver et de les compléter. Beaucoup d'ailleurs de ces bribes de chansons se rapportent à des danses. C'est qu'en effet autrefois quand on dansait en famille ou à la veillée, en petits groupes, la voix remplaçait l'instrument de musique. Ces rengaines musicales ont surtout servi de moyen mnémotechnique pour retenir les airs de danse. Si nous pouvions tirer de ces recherches une caractéristique générale de la chanson solognote ou des chansons particulièrement aimées des Solognots, nous dirions qu'en Sologne, c'est la mélodie qui domine, conforme d'ailleurs à la douceur de caractère de ses habitants. Peu de chansons, semble-t-il, remontent au-delà du 18 e siècle. Certaines, d'autre part, ont une aire de dispersion générale. Elles ne sont que des variantes de chansons connues dans d'autres régions. Nous n'avons pas cherché à en déceler le foyer d'origine, laissant ce soin aux spécialistes. U n certain nombre de chansons que nous citons ont déjà été publiées par Pierre D u f a y 1 ou Maurice Chevais 2 . C'est qu'à notre tour nous les avons retrouvées soit i. Pierre Dufay, La chanson populaire en Loir-et-Cher, dans Le Jardin de la France, 9e année, Blois, 1912, n° s 1 et suiv.

2. Maurice Chevais, Chansons populaires du Val de Loire : Orléans, Blois, Tours et pays avoisinants, Paris, 1925. 6

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Chansons de métiers ou de travail

telles que ces auteurs les ont publiées, soit avec quelques variantes, soit en un autre point de Sologne. Nous avons essayé de classer ces chansons en tenant compte du thème principal ou du titre. Il est évident que certaines auraient pu figurer dans d'autres rubriques que celles où nous les avons mises. I. Chansons de métiers ou de travail ou dont le thème principal est un métier. II. Chansons de conscrits et de soldats. III. Chansons d'amour et de mariage. IV. Chansons se rapportant aux fêtes périodiques. V. Vieux noëls. VI. Chansons à boire. VII. Chansons d'animaux. VIII. Airs de danse. IX. Chansons historiques, politiques et satiriques. X . Chansons diverses.

I. Chansons de métiers ou de travail ou dont le thème principal est un métier La complainte du roulier Roulier que tu as de peine D'aller la nuit et le jour, Tout ton équipage est ton apanage. Roulier c'est fini, tu n'y peux plus tenir. — Vous Messieurs les aubergistes Vous dites que vous ne gagnez rien Tous les jours vous faites bâtir, achetez du bien, Attrapez sur l'avoine, autant sur le foin, Et vous dites que vous ne gagnez rien. Vous êtes toutes canailles ensemble, Vous domestiques, servantes, bourreliers. Vous riez de nos travaux. Les fêtes et les dimanches, vous êtes à la danse, Tous bien retapés aux dépens du fermier. Qui finira notre fortune Ce sera le maquignon

Chansons de métiers ou de travail

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Qui nous changera une rosse Pour un bon cheval de limon. Il répète sans cesse : Oh ! la bonne bête. Pour finir le marché, Fermier, paye le café ! Cette chanson se chantait il y a un peu plus de soixante-quinze ans. Elle a été recueillie à Lassay en 1944. La jardinière Ce n'est que le refrain d'une chanson. Il a déjà été noté par Maurice Chevais3. 1

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Chansons de métiers ou de travail

La belle batelière Belle batelière dedans ton vaisseau Voudras-tu mi passer l'eau L'eau de la rivière ? L'beau monsieur fut pas sitôt monté, Qu'il commença à la badiner. — Pas tant monsieur, pas tant de badinage, Car vous êtes là, avec une fille sage. — Vot' petit cœur, il est donc bien cher ? Pour cent écus, pourrait-on l'avoir ? Mon petit cœur n'est pas plus cher qu'un autre, Pour cent écus mes amours sont les vôtres. — Voici de l'or, de l'or en abondance, Prenez-en ma mie, vous en serez contente. Ils ne furent pas plutôt de la rive éloignés Qu'il recommence à la badiner. Un peu, monsieur, un peu de patience Que nous soyons dans un lieu d'assurance. Quand ils furent à bord arrivés, L'grand lourdaud descend le premier. Belle batelière donne trois coups de perche en arrière, Et renvoie son vaisseau au fd de la rivière. — Tu t'en vas ma mie, tu n'as pas raison J'ai encore cent écus, pour qui y seront ? — Ni pour cent ni pour mille Ainsi je veux passer pour batelière habile. — Que dira papa Legrand De m' voir rev'ni' sans argent ? Tu lui diras qu'en passant la rivière Qu't'as joué avec la batelière!4 4. Cette chanson qui pourrait aussi bien s'intituler « L e grand lourdaud » nous a été chantée par une informatrice âgée de 67 ans, qui l'avait apprise à l'âge

de 1 0 ans de sa grand-mère alors âgée de 65 ans. O n la chantait donc déjà vers 1 8 3 5 (Lassay, 1943).

Chansons de métiers ou de travail

Le meunier Quand Christophe s'en va t'au marché C'est pour vendre ou ben ach'ter Ach'ter ou ben vendre du grain C'est pour vendre ou ben ach'ter. Sa femme est à la maison Le meunier la fréquente Mais elle s'est mis d'un si grand point Qu'elle a vu v'ni Christophe de loin. Meunier comment don' faire ? J'vois v'ni Christophe Oh ! mais meunier pour vous cacher Mettez-vous dans mon coff'e. Quand Christophe fut arrivé Personne m'en a fait l'off'e, Et nous voilà à court d'argent J'veux vend'e mon coff'e. Christophe qu't'es don' bête Vends don' p'utôt ma c'mode Car tu vendras tes ch'mises, ton linge. Oh! va, va, va Christophe! J'veux l'vend'e dix-huit cents francs Peut-être davantage Car j'sais pas c'qu'y a d'dans Ça pèse coume de la rage. Le plus petit de ses enfants Dit : l'meunier qu'il y a d'dans. N'en dis ren mon enfant N'en dis pas davantage. Nous allons b'entôt avoir vendu, livré, L'oiseau qu'est dans la cage Le premier qui l'a marchandé Le meunier se mit à parler

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Chansons de métiers ou de travail

Achète, achète l'coff'e, Personne n'en a fait l'ofF'e Depuis trois jours que j'suis d'dans La çarvelle a m'en tourne Oh va, va, meunier badin Tu n'iras plus à tes catins Ni à la femme à Christophe Car te voilà bientôt vendu et livré dans mon coff'e 5 . D'une chanson donnée par Ampère comme provenant du Loiret6 nous n'avons dans la région de Ligny-le-Ribault que retrouvé des débris informes. Aussi nous donnons le texte de celle d'Ampère : Chanson de berger

Dans le temps que j'étais berger Je houletais, je houletais J'ai rencontré un' belette Eli' m'a pris ma houlette. J'ai dit belette Rends-moi ma houlette Je n' te rendrai pas ta houlette Avant que tu n' m'aies hurlé J'ai été trouver le loup J'ai dit : Loup hurle-moi Pour que j'hurle la b'iette Qu'ell' m' rend' ma houlette — Je n' t'hurlerai pas Avant qu' tu n' m'aies donné cuisse. J'ai été voir veau J'ai dit : veau donn' moi cuisse Que j'cuisse le loup Que le loup m'hurle 5. Lassay, 1943. Maurice Chevais, op. cit., p. 126 a noté une chanson analogue dans la vallée du Cher, dont les paroles diffèrent un peu de celle-ci.

6. A m p è r e (enquête). Réponses à la circulaire ministérielle de 1852 sur la chanson populaire. Dossier Ampère (Bibl. N a t . , J tesj j Ja J- I

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tou-jours

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mours

Hirondelle jolie Tu chantes tes amours J'ai perdu mes amours Pour toujours. J'ai perdu mes amours.

Hélas, hélas ! ma fille, T u perdras ton honneur. Le dragon est trompeur, Séducteur, Le dragon est trompeur.

Ne pleure pas la belle Viens voir en garnison, Nous te régalerons, Bons dragons, Nous te régalerons.

La pauvrette est partie Son paquet sous le bras. Sa mère tant pleura, Trépassa; Sa mère en trépassa.

Adieu, adieu, ma mère, Et mon frère de lait; Je m'en vais m'en aller A u quartier, Je m'en vais m'en aller.

Les dragons, ils l'ont prise : D u soir jusqu'au matin, L'ont fait gagner son pain Sans chagrin, L'ont fait gagner son pain.

Pierre Dufay, loc. cit., 9 e année, n° i , p. 53.

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Chansons de conscrits et de soldats

Les soldats l'ont laissée En travers du chemin, Sans chemise et sans pain : C'est sa fin; Sans chemise et sans pain.

Et vous jolies fillettes, Qu'entendez ma chanson, N'suivez pas les dragons, C'est fripon N'suivez pas les dragons 10 .

Enter la Motte et Nouan (chanson de route) Su' la route de la Motte Enter la Motte et Nouan Pan, pan ! Dans la boue et la crotte Marchait nout' régiment Larira, larira, pan, pan ma vieille Larira, larira, pan, pan ! Pour la vivature Serr' ben ta ceinture ! Y sont pas rich' les paisans Enter la Motte et Nouan. Contr' la farme à Jean-Pierre Enter la Motte et Nouan Pan, pan! I' camp su' la terre Nout j oh régiment Larira, larira, pan, pan ma vieille Larira, larira, pan, pan ! L'colonel en colère Envoie un détach'ment Pan, pan! Demander à Jean-Pierre D ' y donner du log'ment Larira, larira, pan, pan ma vieille Larira, larira, pan, pan! Allez voir la fumelle ! Dit Jean-Pierre en r'niflant Pan, pan! 10. Léon de Buzonnière, Les Solonais. Scènes de la vie des champs, Paris, 1840, t. I, p. 362.

Chansons de conscrits et de soldats

Vous savez ben qu' c'est elle Qui tint l'gouvarnement ! Larira, larira, pan, pan ma vieille Larira, larira, pan, pan! La farmière et ses filles Quand qu'a n'ont vu l'iieutenant Pan, pan! S'tortillint coum' des ch'nilles Ben aise de content'ment Larira, larira, pan, pan ma vieille Larira, larira, pan, pan ! Madame vous ât's si belle Qui z'y dit nout' lieut'nant Pan, pan ! Que j ' vous nomm' colonelle De nout' biau ragiment Larira, larira, pan, pan ma vieille Larira, larira, pan, pan ! J'veux ben dit la farmière Douner mon consent'ment Pan, pan! Mais ma fill' la première Ail' épous'ra l'lieut'nant Larira, larira, pan, pan ma vieille Larira, larira, pan, pan ! Ma deuxième qu'est point bête A s'ra pour l'adjudant Pan, pan! Et tant qu'à ma cadette A pren'ra vout' sargent Larira, larira, pan, pan ma vieille Larira, larira, pan, pan ! L'caporal d'ordinaire Qu'a l'air ben accostant Pan, pan! Il aura nout' grand'mère

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Chansons d'amour et de mariage

Qu'est veuv' depuis dix ans Larira, larira, pan, pan ma vieille Larira, larira, pan, pan ! Enfin vout' factionnaire Qu'est à garder vout' camp Pan, pan! Epous'ra nout' bargère Et tout l'mond' s'ra content Larira, larira, pan, pan ma vieille Larira, larira, pan, pan ! Quand qu'i' sut les conv'nances L'colonel dit brav'ment Pan, pan ! En avant pour la France Et son repeuplement Larira, larira, pan, pan ma vieille Larira, larira, pan, pan ! Pour la vivature Serr' ben ta ceinture, Y sont pas rich' les paisans Enter la Motte et Nouan ! Cette chanson de marche dont les paroles sont de Da Costa et la musique de Paul Besnard et qui nous a été communiquée par Madame P. Golleau de Salbris semble avoir été inspirée par la vieille chanson populaire « Dans Paris y a-t'une vieille » dont nous avons retrouvé quelques extraits (cf. p. n o ) .

III. Chansons d'amour et de mariage L'amoureuse

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Chansons d'amour et de mariage

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La ! qu'avez-vous, la belle, Qu'avez-vous à pleurer ? A h ! si j e pleur', si j e soupire, C'est pour vous avoir trop aimé ! Le m o u t o n dans la plaine Est en danger des loups ; E t vous, et vous, jeunes fillettes, V o u s êt's en danger de l'amour. Le m o u t o n vit d'herbette, Le papillon de fleurs; E t vous jeunes fdlettes, V o u s ne vivez que de langueurs. 1 1

Mes amoureux Pour les compter mes amoureux O n peut les compter par douzaines Je faisais beaucoup d'effet sur eux E n leur comptant des turlulaines. M o n premier était grand causeur Et parlait beaucoup politique C'était un commis-voyageur Très enjôleur, mais bernique. U n j o u r me trouvant seule sans témoins I'm'prit la taille, c'est une misère Mais s'il avait été plus loin Plus loin, plus loin Je ne l'aurais pas laissé faire 12 . (Souesmes, 1943)

1 1 . C e t t e chanson a été d o n n é e par L é o n de B u z o n nière dans Les Solonais, op. cit., t. I. Il est p r o b a b l e q u e cette chanson est une chanson i m p o r t é e e n S o l o g n e d o n c qui n'est pas d u c r u ; il n ' y a pas de m o n t a g n e s en S o l o g n e .

12. Il y a trois autres couplets d o n t notre i n f o r m a t e u r n'a p u nous d o n n e r le texte.

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Chansons d'amour et de mariage

Voici une pastorale incomplète. La vieille chanteuse qui nous l'a communiquée nous a affirmé que le dernier couplet faisait partie de la même chanson (?). Il pleut, il pleut bergère Ramène tes blancs moutons, Allons sous ma chaumière Bergère vite allons. J'entends sur le feuillage L'eau qui tombe à grand bruit Voici, voici l'orage Voilà l'éclair qui luit.

C'est fait, viens donc près d'elle Eh bien don' la voilà. En corset qu'elle est belle Ma mère voyez-la ! (Gy, 1943) La petite Jeannette

1. La petite Jeannette En allant au marché, Sur son chemin rencontre Le fils d'un avocat. Trou la la, ça ne va guère, Trou la la, ça ne va pas. 2. Dans un chemin rencontre Le fils d'un avocat. La prend et la renverse Sur du foin qu'était là. Trou la la, ça ne va guère Trou la la, ça ne va pas. 3. La prend et la renverse Sur du foin qu'était là. Le foin était si sec

Qu'il en faisait cric-crac. Trou la la, ça ne va guère Trou la la, ça ne va pas. 4. Le foin était si sec, Qu'il en faisait cric-crac. Sa mère vint à passer, La trouve faisant ça. Trou la la, ça ne va guère, Trou la la, ça ne va pas. 5. Sa mère vint à passer La trouv' faisant ça. Courag', courag' ma fille, T'en mourras pas pour ça. Trou la la, ça ne va guère, Trou la la, ça ne va pas.

Chansons d'amour et de mariage

6. Courag', courag' ma fille, T'en mourras pas pour ça. Moi si j'en étais morte, Toi, tu n'serais pas là. Trou la la, ça ne va guère, Trou la la, ça ne va pas.

8. Ni ta sœur Joséphine, Ni ton frère Nicolas. N i d'autres petits frères, Qu'ton papa n'connaît pas. Trou la la, ça ne va guère, Trou la la, ça ne va pas.

7. Moi si j'en étais morte, Toi, tu n'serais pas là. Ni ta sœur Joséphine, Ni ton frère Nicolas. Trou la la, ça ne va guère, Trou la la, ça ne va pas.

9. Ni d'autres petits frères Qu'ton papa n'connaît pas. Qui ont le caractère Tout fait comme Nicolas. Trou la la, ça ne va guère, Trou la la, ça ne va pas.13

Si cette chanson nous montre une mère bien indulgente, la suivante raconte la histoire d'une fille dont le père était inflexible : C'est une fille de quinze ans, De plus ou moins, ou davantage. Son père la fit mettre à la tour, C'était pour la priver d'amour. Quand la belle fut dans la tour, Elle n'était r'gardée d'personne : Si j'avais un fidèle amant, Il viendrait mi voir plus souvent. Mais la belle j'irais bien vous voir, Si c' n'était offenser votr' père ! Donnez-moi la clef de la tour, J'irai vous y voir tous les jours. A h ! beau galant, venez-y donc, Quand les flambeaux d'amour s'allument, Quand les flambeaux sont allumés, Galant il est temps d'arriver. La belle qu'était dans la tour, Elle entendit de gros soupirs, 13. Pierre Dufay, \oc. cit., 7 e année, n° 2, p. 116.

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Chansons d'amour et de mariage

Regarde en haut, regarde en bas, Voit son amant qu'est au trépas. S'il ne fallait que de mon sang, Pour ressusciter mon amant, Il serait aussitôt vivant. La belle prend ses ciseaux fins, Et brave se perce une veine. Coule mon sang, coule au ruisseau, Pour mon amant qu'est au tombeau. Puisque mon amant est noyé, J e ferai comme la tourterelle, J e m'en irai finir mes jours, Là où ont fleuri mes amours. 14 (La Ferté-Saint-Cyr) Voici maintenant la chanson d'une belle qui se plaint de la froideur de son amant : Quel malheur d'être belle Près d'un amant glacé Tendre amant et plus cruel N'aurait pas tant balancé. L'autre jour sur ma chaise J e me balançais si bien, Mes yeux plus ardents que braise, Ne te demandaient-ils rien ? T u me mettais en désordre Et j e me disais tout bas : — Si le beau chien voulait mordre ? Mais tu ne m'entendais pas. L'autre jour dans ma pochette, T u y allais bien doucement, T u mis ta main fort discrète, T u n'osais aller plus avant. T u la retirais bien vite, Tu ne pris que mon couteau. Si t'avais pris le lièvre au gîte, Ce serait du fruit nouveau. 1 4 . Ibid., n ° 4, 1 9 1 0 , p . 2 2 6 .

Chansons d'amour et de mariage

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A u pied d'un buisson, seulette, D e tant loin j e l'vois venir : Je m e couchai sur l'herbette, Faisant semblant de dormir. Il m'appela la paresseuse ! D e tant loin qu'il m'aperçut : J'ai beau faire la dormeuse, Il ne m ' e n fait rien de plus. Q u o i , v e u x - t u que j e te dise? Si tu n'as jamais fait, N e t'en prend qu'à ta bêtise Si tu n'es pas satisfait. J'ai eu cette fantaisie : Ç a prouve bien que j'ai eu tort. Faut en avoir grande envie Auprès d'un pareil butor! 1 5 Les deux chansons suivantes ne sont pas solognotes. La première, la complainte d'Henriette, se trouvait imprimée au-dessous d'une image populaire vendue par les colporteurs. Cette image avait beaucoup de succès en Sologne. E n 1944 nous en avons retrouvé une collée sur la porte, à l'intérieur d'une armoire à la ferme de la Lombardière à Millançay, mais en mauvais état. Cette complainte est fort longue, le texte qui suit est incomplet, la mémoire de notre informatrice ayant été défaillante à plusieurs reprises. N o u s avons cru cependant nécessaire d'incorporer cette complainte ainsi que celle de Geneviève de Brabant dans ce chapitre car elles étaient très connues en Sologne.

La complainte d'Henriette Jeunesse trop coquette, Ecoute la leçon Q u e vous fait Henriette Et son amant D a m o n . V o u s verrez leur malheur Vaincu par leur constance Et leur sensible cœur R e c e v o i r récompense. 15. Cette chanson recueillie à Bracieux est donnée par Pierre Dufay, loc. cit., f année, n° 3, p. 158.

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Chansons d'amour et de mariage

Henriette était fille D'un baron de renom, Et d'ancienne famille Etait le beau Damon. Elle était faite au tour Elle était jeune et belle Et du parfait amour Il était le modèle. Damon plein de tendresse Un dimanche matin Ayant ouï la messe D'un père capucin, S'en fut chez le baron D'un air civil et tendre Je m'appelle Damon, Acceptez-moi pour gendre. Mon beau galant Ma fille n'est nullement pour vous Car derrière une grille Dieu sera son époux. J'ai des meubles de prix De l'or en abondance, Ce sera pour mon fils J'en donne l'assurance. Ah ! gardez vos richesses, Monsieur, et votre bien. Je vous fait la promesse Je n'y prétendrai rien. Comme vous j'ai de l'or, Tout ce que l'on souhaite Et de vos trésors, Je ne veux qu'Henriette. Ce vieillard malhonnête S'en fut sur ce propos En secouant la tête Et en tournant le dos.

Chansons d'amour et de mariage

Et ce père inhumain, Traîna la nuit suivante Dans un couvent bien loin La victime innocente. L'abbesse prit à tâche De lui troubler l'esprit. Elle lui parla sans relâche, De règle, d'habit. Prends ce voile aussitôt Ornes-en donc ta tête, Et les anges d'en haut En chanteront la fête. Ah ! Madame l'Abbesse, Ramassez vos bandeaux. Je ne puis par faiblesse Tomber dans vos panneaux. A un sort plus heureux Le dieu d'amour m'appelle. Damon a tous mes vœux J ' y resterai fidèle. On envoie d'Allemagne Une lettre au baron Qui lui dit que Guillaume Vient de perdre son nom Dans un sanglant combat Montrant son grand courage Et un seul coup dompta Ce guerrier redoutable. Le lendemain à la grille Henriette il va voir, Lui dit ma pauvre fille Je meurs de désespoir

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Chansons d'amour et de mariage

Qu'avez-vous donc cher père Qui vous chagrine tant ? Ma fille, ton pauvre frère Est mort en combattant, En défendant le Roi Au pays d'Allemagne Et je n'ai plus que toi Pour être ma compagne. Oh ! en ce moment même Mon père arrêtez Celui que mon cœur aime Vous me le donnerez. Depuis longtemps hélas On dit qu'en Italie Un jour à Castellas Il a perdu la vie. Adieu donc mon cher père Et toutes mes amies. Dedans ce monastère, Je veux finir ma vie, Passer mes tristes ans Sous un habit de nonne Prier pour mes parents, Que le ciel leur pardonne. Ah ! Madame l'Abbesse Donnez-moi un habit. Un saint désir me presse D'être de vos brebis. Coupez mes blonds cheveux Dont j'eus un soin extrême, Arrachez-en les nœuds. J'ai perdu ce que j'aime.

Adieu cher tourtereau

19- M o u l i n de Sologne. (Musée nat. des Arts et T r a d i t i o n s populaires.)

LE DÉPART DU CONSCRIT.

Je suis l'un pauvre conscrit. De l'an mille, huit cent dit; Faut quitter le Languedo . Le Languedo, le Languedo Oh ! Faut qmtter le Languede, Avec le sac sur le ilos.

(bit)

Le Maire, et aussi le Préfet. N e» sont tleux jolis cadets, (bit) 116 noas font tiré z'-au sort. Tiré x'-au sort, tiré a'-au sort, Ort; Ët nous (ont tiré z'-au s o r t , Pour BOUS cumknr' z'à la m v L

Propriété des t d i t e u r s >,I*po«é.)

i'.

\

.

125

Adieu ilonc cliers parents, N'oubliez pas votre enfant, (bu) Crivés li de temps en temps. De temps en temps, de t e m p t u u t n ; * . En; Crivés li de temps en temps, Pour lut envoyer de l'argent.

Adieu donc mon tendre c œ u r . Vous consolerés ma s œ u r ; Vous y dirés que fanfan, Que fanfan, que fanfan An; Vous y dirés que fanfan Il est mort x'en combattant.

Adíes donc chères beautés. Dont nos cœurs son'z'encliantta; (bit) Ne pteurés point not' départ Not'départ, not'départ Art-, Ne pleurés point not' départ, Meus reviendrons to'zou u r d .

0>i qu'a fait cette d u n a o a . N'en sont trois Jolis g a r ç o n ; La étiont faiseuz de bas, Ftiaetu de b a s , f a u t » é t l i Ab: II» étioot f a i u a i de ta, E U c ' l ' h e u r e ils m l

Inip. LitU. P u i a n n « O « E f i n a l ,

20

Sur l'air : Q * J e r M . A PHOC Biz^oo» honorable atfiftance, Pour entendre »¿citer en ce l i e u , L ' i n n o c e n c e reconnue •' * S e p t ans j e l'ai ebereb En eent d i f f é r e u s t i t u i P a r tous» p a y s j e cours C h e r c h a n t sans espéra n i C r i le q u i d o i t un jours? Terminer ui» iouffr-,-« P r i s par un t i t u x r o j l Il m e v e n d sans p i l l é , Et d ' o n etrur d é b e n u a i r f J'ai gardé ¡'amitié; M a i » sa i i l l e c u c h a n t c e Q u o i q u e charmante tt J M e voulait é p o u s e r | P o u r m o i quelle nouvel) Ei»«in , d e m e s r e f * ï « | C e t t e fille se r e b u t e . J P e n d a n t un e u et p a s E i l e m e persécute ; P a r son o r d r e ou m ' o b l l A d e r u d e s travaux ; \ L e u r souvenir m ' a f f l ^ e / En TOUS disant ces m o t | C i t a i t f a i t d e ma y»« J ' e n désirais la fin , Q u a n d le c i e l en T u r q u î C o n d u i t 1rs M . i t b u r i n s j . Ils b r i s e n t m e s liens , | A u p a t r o n :la m ' a c h è t e » P o u r m o i l e j o u r n\'?t t Sans ma cht're Her r i e t t i La novice éperdue S u c c o m b e à c e discours j C h a q u e 5 T o n souvenir m ' a e c a b î e , T e s soin* sont superflus : A d i e u , cher tourtereau , T a tendre t o u r t e r e l l e , A u - d e l à du t o m b e a u , O u i , t e sera fidèle.

A b ! madame Pabbesse, D o n n e * - m > i un h a b i t ; U n saint désir m e presse D ' ê t r e d e vos b r e b i s : Coupes mes blonds c h e v e u * , D o n t j V u a un soin e x t r ê m e , A r r a e h e i - e n les n o r u d s , J'ai perdu ce que j ' a i m e . Adieu donc, mon tber père, Et toutes m e s a m i e s : Dedans ce monastère J e v e u x finir ma v i e ,

Passer m e s tristes ans Sous un b a b i t d e n o n n e ; P r i e r p o u r mes p a r e n s , Q u e le c i e l l e u r p a r d o n n e . La voilà donc n o v i c e . L e grand dommage . hélas! Q u e sous un n o i r c i l i c e S o i e n t eachés tant d ' a p p a s . S o n p è r e v e u t encor L ' t r r a e h e r d e la g r i l l e ; M a i s son a m a n t est m o r t , E l l e v e u t rester fille.

O r , justement 'a v e i l l e D e sa p r o f e s s i o n , E c o u t e « la m e r r r i l l e D i g n e d'attention , Q u ' e n tout l i e u on p u b l i e : U n c a p t i f racheté , R e v i e n t de T u r q u i e , J e u n e et d e q u a l i t é . O n p a r l e dans la v i l l e D ' u n c a p t i f >i beau ; D ' u n e façon civile C h a c u n l u i f a i t cadeau.

A la v o i x d e la f i : ! « . D a m o n p e r d la n i s o n : î i v e u t f o r c e r la g r i « l * O u b n i l r r la maiso.i : Et , p o u r l e r e t e n i r . I l faut q u ' o n lui prc.-rcti D e lui f a i r e o b t e n i r Sa c o n s t a n t e H e n r i e t t e . L e v i e u x baron a r m e P o u r la profession ; U n e a m i t i é si v i v e L u i fait compassion ; L e v o i l à consentant D e signer l ' a l l i a n c e ; 11 veut dès ce m o r n - n t C o m b l e r l e u r e « p é r »ne-v L ' o n fit ce m a r i a g e T o u t en s o l e n n i t é , L e u r s p a r e n » de tout »e C h a c u n s ' j est t r o u v é . A p r è s tant de d o u l e u r « . D e traverses et de

HISTOIRE DE DAHON ET HENRIETTE

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Vieux noëls

123

Quand on veut m'emmené de ce tems On me fiche une entrave, (bis) Jeannette :

T u fais le délicat et blond, D u tems tu crains l'injuze; La nuit déjà couché le long, De ste vielle mazuze, Sou coume noute couchon, Craignois-tu la froiduze? (bis)

Guillaume :

Aga, Jeannette, t'as raison, T u parles comme un prête, Noute cuzé dans un sermon, N'en dit pas tant peut-être ? T u l'y ferois sa leçon, T u serois bian son maîte. (bis) Il veut surtout quoi qu'il en soit, Que l'on fasse l'offrande ? Puisque cela si fort l'y plaît, Faisons ce qu'il commande, Pour moi j'offre sans regret, Ce que j'ai de frelande. (bis) Madame Louise en chemin, Pour toute l'assemblée, Apporta saucisse et boudin, Et vin blanc de l'année, Et pis j'irons sans chagrin, Honorer l'accouchée, (bis) Quand je serons arrivez là, J e ferons la prièze; Chacun de nous haranguera, Et l'enfant et la mèze, Pour nous en cet état-là, Ils sont prêts à tout faize. (bis)

Voici une variante musicale de ce noël qui nous a été aimablement communiquée par M . Louis Bodin de Selles-sur-Cher :

124

Vieux noëls

Boutons noute habit le pus biau.

J> I J> J> J> - M I ! J) Ftons noute le pus biau Que ha - bit

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D'autres noëls sont connus en Sologne, mais d'après nos informateurs moins que les précédents. Le thème du noël suivant est la réjouissance des bergers apprenant la naissance du Christ. Il se chantait sur l'air : « Aux armes camarades » : Menons réjouissance, Jésus notre sauveur finit notre peur, Menons réjouissance, Courons demander sa faveur : Nous avons vu les anges Là-haut sur ces coteaux; Ah ! sortons de nos granges, Chantons tous ses louanges, Ah ! sortons de nos granges, Et quittons nos troupeaux. Bergers partons sur l'heure, Ça marchons promptement, fort joyeusement, Bergers, partons sur l'heure, Ne différons pas d'un moment !

Vieux noëls

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Allons dedans l'étable, Voir le triste séjour, O ù l'homme misérable Réduit cet adorable; O ù l'homme misérable, Lui fait tenir sa cour. Il n'a ni faste ni pompe Mais il est pauvrement, Sans soulagement, Il n'a ni faste ni pompe, En lui rendant hommage Offrons-lui du boubon ? Pour moi j'ai du fromage, Et deux pots de laitage Pour moi j'ai du fromage Pour ce divin poupon. Le noël ci-après se chantait dans la région de Gy et Lassay sur l'air de « La boulangère » : Voici la venue de Noël, La venue du messie, (bis) Qui par son testament nouvel Tous nos cœurs purifie, la la Tous nos cœurs purifie. Il est dedans Bethléem, Ce beau fils de Marie, Exposé au froid et au vent, (bis) Pour nous donner la vie, la la, Pour nous donner la vie. Sa naissance est dans les pleurs, Les soupirs et les larmes, (bis) Sa vie dans les sueurs et douleurs, Sa mort dans mille allarmes, la la, Sa mort dans mille allarmes. Il vient souffrir tous ces travaux, Ces rigueurs et ces peines, (bis) Pour nous tirer de tous les maux,

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Vieux

noëls

Où nous tenaient nos peines, la la, Ou nous tenaient nos peines. Allons voir ce verbe éternel, Gisant dessus la paille, (bis) Qui pour nous s'est rendu mortel, Dans une pauvre étable, la la, Dans une pauvre étable. Visitons cet Emmanuël Courons y bande à bande : (bis) A ce saint jour si solennel, Portons-lui des offrandes, la la, Portons-lui des offrandes. L'ange qui l'annonce aux pasteurs, Tous les hommes y convie, (bis) Pour aller présenter les cœurs, A l'auteur de la vie, la la, A l'auteur de la vie. Les bergers et les pastoureaux, En grande mélodie, (bis) Abandonnent tous leurs troupeaux, Pour voir le doux messie, la la, Pour voir le doux messie. Pour de Marie réjouir l'enfant, Entonnent leurs musettes, (bis) A ce petit Dieu triomphant, Disent leurs chansonnettes, la la, Disent leurs chansonnettes. L'un lui donne des agnelets, L'autre du bon fruitage, (bis) Ceux-ci donnent un plein pot de lait, En lui rendant hommage, la la, En lui rendant hommage. Trois Rois d'étrange région, Guidés par une étoile, (bis)

Vieux noëls

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Viennent apporter de beaux dons Au fils de la Pucelle, la la, Au fils de la Pucelle. L'un de l'or fin pour son présent Fait offre à ce beau sire, (bis) Et l'autre donne de l'encens, Le troisième la mirrhe, la la, Le troisième la mirrhe. Suivons ces pasteurs et ces rois, Pour voir ce roi des anges, (bis) Tant de nos cœurs que de nos voix, Raisonnons ces louanges, la la, Raisonnons ces louanges. Le noël suivant a un thème différent des noëls que nous avons vus, qui chantent la naissance du Christ, puisque celui-ci a trait à la conversion de la Samaritaine. Il se chantait sur l'air de « Belle bergère champêtre... »: Jésus plein d'amour extrême, Prit la peine, D'une pauvre âme chercher; Il traverse les campagnes Et montagnes Afin de l'aller trouver. Étant donc en Samarie, Il s'appuie Auprès du puits de Jacob, Saisi d'une lassitude Grande et rude, Qu'il ressentait plus que Job. Ses apôtres très habiles, A la ville, Etoient allés pour chercher, Des vivres pour le grand maître, De tout être Et lui donner à dîner.

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Vieux noëls

S'en vint la Samaritaine, Femme vaine, Au puits pour avoir de l'eau, Elle fut d'abord ravie De sa vie N'avoit vu homme si beau. Femme donne-moi à boire, T u peux croire, Que j e suis fort altéré De guérir ta conscience, Et je pense N'être de toi refusé. J e serois bien affligée, Très fâchée, De vous présenter de l'eau, Car étant Samaritaine, J'aurois peine, Qu'un juif but dans mon seau. Jésus tout rempli de flamme, Lui dit, femme, Appelle un peu ton mari, Et venez tous deux vous rendre, Sans attendre, Jusqu'à cet endroit ici. Faisant à cette semonce Sa réponse, Moi, j e n'ai point de mari, Dit-elle fort étonnée Et zélée, Du discours de Jésus-Christ. Mon propos est véritable, Admirable, Tes cinq maris ci-dessus Etant sortis de ce monde, Trop immonde, T u ne les possèdes plus.

28. Toilettes de fête (carte postale, début 20 e siècle). (Arch. de Loir-et-Cher.)

29. U n e noce solognote (carte postale, début 20 e siècle). (Arch. de Loir-et-Cher.)

30. « Laveuse à l'étang » (carte postale, début 20 e siècle). (Arch. de Loir-et-Cher.)

3 1 . U n e vieille maison à Fontainc (carte postale, début 20 e siècle).

32. Gravure sur bois en frontispice de

La

Grande Bible des Noëls sur la Nativité de JésusChrist,

éditée

chez Jacob-Sion

en 1788. (Coll. auteur.)

33. Frontispice des Noéls solognots recueillis et harmonisés par Jules

Brosset, organiste de

l'église cathédrale Saint-Louis

de Blois, Blois,

chez l'auteur, et Orléans, Herluisson, 1 8 9 1 . (Arch. de Loir-et-Cher.)

à

Orléans

Vieux noëls

J e dis bien plus, ma chère âme, Bonne dame, Que l'objet de tes appas Qui possède toute flamme, Est infâme, Et qu'il ne t'appartient pas. Il ne s'est vu de son âge, Tel langage Prononcer si saintement; Vraiment vous êtes prophète, Interprète, Du grand Dieu du firmament. Cette âme toute étonnée, Est fâchée, Que son crime est découvert, Qu'elle avoit tant pris de peine, Mais très vaine, De tenir long-tems couvert. Si tu savois ma chère âme, Bonne dame Combien vaut le don de Dieu, Tu me donnerais à boire, Et ta gloire, Commencerait en ce heu. J e me garde bien de faire, Telle affaire, Et j e vous ai déjà dit, Que j e suis Samaritaine, Et j'ai peine, De mettre ici mon crédit. J'ai de l'eau, ma bien-aimée, Fortunée, Pour ceux qui sont altérés, A qui Dieu donne la grâce, Qui efface, Les plus énormes péchés.

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Vieux noëls

Monsieur je ne puis comprendre, Moins entendre, Comment vous avez de l'eau; Car cette fontaine ronde, Est profonde, Vous n'avez ni pot, ni seau. Vous savez et devez croire, Que pour boire, Jacob nous donna ce puits ? Feriez-vous plus de merveilles, Non pareilles, Qu'il ne s'en est fait depuis ? Ha ! l'eau de cette fontaine, Est très saine, Mais celui qui en boira N'aura point ce qu'il désire, Et soupire; Car soif encore il aura. Mais celle que je donne, Est si bonne, Pour le tems non seulement, Mais pour la vie éternelle, Qui est celle, Qu'on boit dans le firmament. Seigneur je me sens saisie, De l'envie, De boire un peu de cette eau, Et donnez-m'en donc de grâce, Je suis lasse, D'en puiser dedans mon seau. Je sais fort bien que nos pères, Fort sincères, Ont toujours adoré Dieu, Sur cette haute montagne, Sans épargne, Et non pas en autre lieu.

Vieux noëls

Voici le temps qui s'approche, Sans reproche, Que vous n'adorerez plus De la manière ancienne, Mais chrétienne, Et reconnoîtrez Jésus. Moi qui suis Samaritaine, Suis certaine, Que le messie doit venir, Bient-tôt en terre descendre, Sans attendre Pour du tout nous avertir. Femme, celui qui te parle, Et regarde, Est le vrai fds du grand Dieu : Je suis le divin messie, Et ma vie, Sera connue en ce lieu. La pauvre Samaritaine, Toute pleine, D'un feu céleste et divin, Dit à Jésus débonnaire, Pour lui plaire, O souverain médecin ! Vous êtes donc ce prophète, Interprète, Qu'on nous annonce en tout heu ? Hélas vous êtes peut-être, Mon cher maître, Le souverain Homme-Dieu. Elle laisse là sa cruche, Sans embûche, Pour contenter son désir : Elle va d'abord se rendre, Pour apprendre, Cette nouvelle à plaisir.

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Vieux noëls

Elle court en Samarie, Toujours crie, Allez au puits de Jacob, Vous trouverez un prophète, Que peut-être, Vous verrez plus saint que Job. Allez donc sans plus attendre, Tous vous rendre Auprès du puits où il est : Il est le souverain maître De tout être, Il m'a dit ce que j'ai fait. Les apôtres arrivèrent, S'étonnèrent, Considérant le Sauveur, Parler seul à une femme, Tout en flamme, Et en furent touchés au cœur. L'un d'eux s'approchant lui donne, Chose bonne, De quoi lui faire un repas, Disant auteur de la vie, Je vous prie, N e me le refusez pas. Ma viande est de toujours faire, De mon père, La suprême volonté, Je suis pour sauver le monde, Tout immonde, L'ôtant de captivité. Au sortir de Samarie, Chacun crie, Courant sans contredit, Afin de pouvoir apprendre, Et attendre, Leur salut de Jésus-Christ.

Vieux noëls

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Chrétiens que chacun soupire, Et aspire, A ce trop aimable sort, Et qu'il nous soit favorable, Secourable A l'heure de notre mort. Seigneur, le peuple fidèle, Avec zèle, Vient vous bénir en ce tems, Donnez-nous à tous la grâce, Face à face, De vous voir au firmament. Pour en terminer avec les noëls connus en Sologne voici le dernier que nous avons noté et qui a pour thème la naissance de Jésus-Christ. Il se chantait sur l'air de « Vous me l'avez dit souvenez-vous » : Allons voir Jésus naissant, C'est le fils du Tout-Puissant, Remplissons tous nos hameaux Du son des hautbois et des chalumeaux, Remplissons tous nos hameaux De nos chants les plus nouveaux. Que tout chante en ces bas lieux, Comme on chante dans les cieux ! Tous les anges dans les airs Chantent gloire à Dieu, paix à l'univers ; Tous les anges dans les airs Forment de charmants concerts. Ça bergers, ne tardez pas, Accourez, suivez mes pas, Venez tous en ce beau jour, Au plus grand des rois faire votre cour, Venez tous en ce beau jour Pour répondre à son amour. Laissons nos moutons épars, Bondissant de toutes parts,

Nous ne craignons plus les loups, Un nouveau pasteur veille ici pour nous, Nous ne craignons plus les loups, Le ciel n'est plus en courroux. Mais quand ces fiers animaux Fondroient tous sur nos troupeaux : Pour un Dieu si plein d'appas, On compte pour rien les biens d'ici-bas, Pour un Dieu si plein d'appas, Que ne quitteroit-on pas ? Auprès du souverain bien, Tout le reste n'est plus rien : Un Dieu se donne aujourd'hui, Pour tout autre bien soyons sans ennui, Un Dieu se donne aujourd'hui, Nous avons tout avec lui. Le voici l'heureux séjour, Où triomphe son amour, Quelle ardeur vient m'enflammer ! Que de doux transports viennent me charmer Quelle ardeur vient m'enflammer ! Tout me dit qu'il faut l'aimer. Le voici le doux sauveur, Cet objet ravit mon cœur; Qu'il est beau, qu'il est charmant ! Qu'il mérite bien notre empressement ! Qu'il est beau, qu'il est charmant ! Qu'il nous aime tendrement ! Dans nos cœurs, divin enfant, Votre amour est triomphant, Nos cœurs se donnent à vous, Et c'est le présent le plus cher de tous; Nos cœurs se donnent à vous, C'est l'hommage le plus doux.

Chansons à boire

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Maurice Chevais 2 9 cite un noël particulier à Saint-Aignan-sur-Cher, imité de celui de Tours et de celui d'Orléans qui se chante sur l'air du noël très connu « Tous les bourgeois de Châtres, E t ceux de Monthléry... ». Il donne aussi une variante pour deux des couplets du noël que nous avons cité « Boutons nos habits les pus biaux... »30. T o u s ces noëls ne sont pas particuliers à la Sologne. Ils semblent avoir été répandus en Sologne à la fois par la tradition orale mais aussi par des recueils de noëls que nous avons trouvés dans plusieurs familles solognotes tel celui intitulé Noëls anciens et nouveaux publié à Bourges, recueil réimprimé à Bourges par la veuve Ménagé en 1845 dans lequel figurent tous les noëls que nous avons cités et cet autre recueil assez répandu en Sologne dit La Grande Bible des Noëls sur la nativité de Jésus-Christ imprimé à Orléans chez Jacob en 1786.

V I . Chansons à boire U n e fête de famille o u collective ne se concevait pas sans chansons, mais non plus sans beuveries, ce qui donnait du cœur à chanter. O n chantait et l'on buvait donc les jours de fête. Cependant nous n'avons que fort peu trouvé de chansons-invitation à boire. La première que nous citons a été notée par Jules Delaune le 28 février 1885 sans précision de lieu : Beuvons don m o n cher confrère Beuvons don du vin nouviau J'en avons, il faut en bouère Ç a rafraîchira l'cerviau. Il faut marier Cath'rine Avecques ton fils Michau ; J'crois qu'ils s'aiment; Par la morguenne E n faura finir bentôt. Q u e dounes-tu à ta fille N e crains ren, pari' hardiment J'doune à ma Cath'rine Quatorze ou ben quinze francs, U n corset de toile fine Qu'aile a gangné y a quat' ans. 29. M . Chevais, op. cit., p. 188.

30. Ibid., p. 190.

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Chansons à boire

Faura aller à la fouère Vend'e quat' de nos viaux S'ra pour payer l'notaire Ç a mont'ra ben haut. J'tuerons la grand' treue Loriante Et pis nous les marierons. Nous s'rons soixante sans les sarvantes A h ! morguenne, que j'rirons! U n informateur de Souesmes nous a indiqué deux vers seulement d'une chanson à boire que l'on chantait encore vers 1875-1880 : En la montant la belle pardit z'haleine En r'descendant, ben du soulagement. Il semble que ces deux vers proviennent d'une chanson analogue à celle que P. Dufay avait recueillie à La Ferté-Saint-Cyr. En traversant les vallons, les montagnes, J'ai z'entendu le rossignol chanteux, A h ! qui m'disait, dans son charmant langage, Les amoureux sont toujours malheureux. Refrain :

Tant que nous boirons, Nous tiendrons La faridondaine, La faridondon. Derrieu cheux nous, il y a un' montagne, Moi, mon amant, nous la montons souvent. En la montant, nous varsons bien des larmes, N ' e n r'descendant, ben du soulagement. Refrain Amis, buvons, caressons la bouteille, Amis, buvons et laissons-là l'amour, Laissons-les là tous ces cœurs infidèles, A v e c Bacchus finissons d'heureux jours. 31 Refrain

31. Pierre D u f a y , loc. cit., 9 e année, 1912, n° 3.

Chansons à boire

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La dernière des chansons à boire que nous avons pu noter était incomplète, nous n'avons pu obtenir que le refrain (Neung-sur-Beuvron). Nous la donnons telle que P. Dufay l'avait notée à La Ferté-Saint-Cyr 32 : Buvons ma commère (bis) Tra la la la li dera la la, Nos tonneaux sont pleins, Et nos, nos, nos Nos tonneaux sont pleins Refrain :

Et rin, tin, tin Nous partons demain. Et ri, qui, qui Nous n'sommes point partis, Voilà le bon, bon, Demain nous partons. Nos tonneaux sont pleins, (bis) Nos maris sont aux vignes, Tra la la la li dera la la, Nos maris sont aux vignes. Qui, qui, qui, qui, Qui travaillent bien, Et rin, tin, tin, tin. Refrain Qui travaillent bien (bis) Les mouches les piquent, Tra la la la li dera la la, Les mouches les piquent, Nous n'en sentons rien. Et nous, nous, nous Nous n'en sentons rien. Refrain Nous n'en sentons rien (bis) Ils boiv'nt d'ia piquette, Tra la la la h dera la la, Ils boiv'nt d'ia piquette,

32. Ibid. 10

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Chansons à boire

Et nous le bon vin, Et nous, nous, nous Et nous le bon vin. Refrain

Et nous le bon vin (bis) C'est l'curé d'ia paroisse Tra la la la li dera la la, C'est l'curé d'ia paroisse, Son, son, son, son, Son livre à la main. Refrain

Son livre à la main (bis) Il confessait trois filles, Tra la la la li dera la la, Il confessait trois filles, La, la, la, la, la Là-bas dans un coin. Refrain

Là-bas dans un coin (bis) Il monte sur la plus jeune, Tra la la la li dera la la, Il monte sur la plus jeune, Pour, pour, pour, pour Pour voir de plus loin, Refrain

Pour voir de plus loin, (bis) Mais il dit aux deux autres, Tra la la la li dera la la, Mais il dit aux deux autres, Vous, vous, vous, vous, Vous viendrez demain. Refrain

Vous viendrez demain, (bis) Je vous donn'rai d'I'herbe, Tra la la la li dera la la, Je vous donn'rai d'I'herbe,

Qui, qui, qui, qui Qui croît dans la main. Refrain Qui croît dans la main (bis) Qui guérit d'ia jaunisse Tra la la la li dera la la, Qui guérit d'ia jaunisse, Et, et, et, et Et du mal de rein. Refrain Et du mal de rein (bis) Ça fait grossir le ventre Tra la la la li dera la la, Ça fait grossir le ventre Et, et, et, et Et arrondir les seins. Refrain Et arrondir les seins (bis) Au bout de trente-six s'maines Tra la la la li dera la la, Au bout de trente-six s'maines Le, le, le, le Le mal n'est plus rien. Refrain Le mal n'est plus rien (bis) Mais l'curé d'ia paroisse, Tra la la la li dera la la, Mais l'curé d'ia paroisse, Lui, lui, lui, lui, Lui se porte aussi bien Et rin, tin, tin, Nous partons demain Et ri qui, qui, Nous n'sommes point partis, Voilà le bon bon bon, Demain nous partons.

I40

Chansons d'animaux

VII. Chansons d'animaux Nous avons déjà relevé en. Sologne des contes et légendes se rapportant aux animaux33. Il existe aussi quelques chansons ayant pour thème ou sujet principal un animal familier. Nous en avons classé certaines dans les chansons dites les « mensonges » ou dans les comptines34. Dans les papiers Delaune figure une chanson recueillie par ce dernier en 1892 et intitulée « Justice du temps passé ». On sait que sous l'Ancien Régime on faisait parfois comparaître en justice des animaux auteurs de crimes ou de délits. C'est le motif de la chanson suivante : « Une chèvre butinant partout sans garde, écrit Delaune, s'était mise à brouter les choux du voisin. Celui-ci la déféra à la justice du lieu, après l'avoir mise en fourrière. Conduite devant le bailli du ressort, elle prétendit n'avoir commis aucun méfait et sans se préoccuper de la sentence qui allait être rendue : Elle fit un pet au juge Une vesce au Lieutenant Un plein panier de crottes Pour messieurs les Sergents En fringuelottant de la gueule, En fringuelottant des dents. Nota: Il n'y avait aucun témoin du délit; la prévenue n'avait ainsi aucune condamnation à craindre et se borna à faire des incongruités à la justice en lui faisant ses adieux ». Maurice Chevais donne une version plus complète d'une chanson analogue35. Tous les Solognots connaissaient autrefois la chanson du merle que Pierre Dufay avait notée36 ainsi que Maurice Chevais37. Le merle, il a perdu son bec. Comment fera-t-il pour chanter, Le merle ? Comment chantera-t-il au bois ? Le merle il a perdu sa langue, Sa langue et son bec. Comment 33. Cf. supra, chap. n : « L'homme et ses compagnons les animaux », p. 12. 34. Cf. infra, p. 147.

35. M. Chevais, op. cit., p. 153. 36. Pierre Dufay, loc. cit., 7e année, n° 3, p. 161. 37. M. Chevais, op. cit., p. 157.

Chansons d'animaux

Le merle il a perdu un œil, Un œil et sa langue, Sa langue et son bec. Comment Le merle il a perdu sa tête, Un œil et deux yeux, Sa langue et son bec. Comment Le merle il a perdu son cou, Sa tête, un œil, deux yeux, Sa langue et son bec. Comment Le merle il a perdu une aile, Un œil et son cou, Un œil et deux yeux, Sa langue et son bec. Comment Le merle il a perdu l'autre aile, Une aile et deux ailes, La tête et son cou, Un œil et deux yeux, Sa langue et son bec. Comment Le merle il a perdu son dos, Une aile et deux ailes, Sa tête et son cou, Un œil et deux yeux, Sa langue et son bec. Comment Le merle il a perdu un' patte, Une patte et deux pattes, Son dos et ses ailes, Sa tête et son cou, Un œil et deux yeux, Sa langue et son bec. Comment

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Chansons d'animaux

Le merle il a perdu son cul, Son cul et son ventre, Un' patte et deux pattes, Son dos et ses ailes, Sa tête et son cou, Un œil et deux yeux, Sa langue et son bec. Comment fera-t-il pour chanter, Le merle ? Comment chantera-t-il au bois ? (Lassay, 1946) Chansons diverses Sous cette rubrique nous donnons des chansons qui ne pouvaient figurer dans les chapitres précédents. Quelques chansons concernent plus spécialement les enfants, d'autres se classent dans les chansons amphigouriques ou les « mensonges », d'autres sont inclassables parce que trop incomplètes, d'autres enfin n'ont peut-être qu'un caractère semi-populaire. Voici une chanson que l'on chantait pour endormir les enfants. Nous n'avons pu en noter que deux strophes : C'est à Paris qu'il y a trois filles Jean vire-j'on Jeannette. C'est à Paris qu'il y a trois filles Jean vire-j'on, tourne Jean sur le banc. C'est la plus jeune la plus gentille, Jean vire-j'on Jeannette. C'est la plus jeune la plus gentille Jean vire-j'on, tourne Jean sur le banc. (Bracieux-Fontaines-en-Sologne, 1946) Cette autre chanson générale en France servait, nous a dit le vieux Solognot qui nous l'a chantée, à apprendre à compter aux enfants. C'est de cette façon que sa grand-mère lui apprit à compter jusqu'à douze. On dansait aussi sur l'air de cette chanson. Que donnerai-je à ma mie Le premier mois de l'an ? Que donnerai-je à ma mie

Chansons d'animaux

Le premier mois de l'an ? Une parderiolle38 Qui vole, qui vole Une parderiolle Qui vole dedans les champs. Que donnerai-je à ma mie Le deuxième mois de l'an ? Douze côs chantant Une parderiolle Qui vole, qui vole Une parderiolle Qui vole dedans les champs. Que donnerai-je à ma mie Le troisième mois de l'an ? Onze poules pondant Douze côs chantant Une parderiolle

Que donnerai-je à ma mie Le quatrième mois de l'an ? Dix vaches à lait Onze poules pondant Douze côs chantant Une parderiolle

Que donnerai-je à ma mie ) Le cinquième mois de l'an ? i Neuf bœufs cornus Dix vaches à lait Onze poules pondant Douze côs chantant Une parderiolle

38. Parderiolle = perderiolle = perdrix.

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Chansons

d'animaux

Que donnerai-je à ma mie Le sixième mois de l'an ? Huit moutons tondus Neuf bœufs cornus Dix vaches à lait Onze poules pondant Douze côs chantant Une parderiolle

Que donnerai-je à ma mie Le septième mois de l'an ? Sept chians chassant Huit moutons tondus

Que donnerai-je à ma mie Le huitième mois de l'an ? Six lieuves aux champs Sept chians chassant

(bis)

(bis)

(bis)

Que donnerai-je à ma mie (bis) Le neuvième mois de l'an ? Cinq lapins grattant la terre Six lieuves aux champs

Que donnerai-je à ma mie (bis) Le dixième mois de l'an ? Quat' canards volant en l'air Cinq lapins grattant la terre

Que donnerai-je à ma mie (bis) Le onzième mois de l'an ? Trois pigeons ramiers volant au Quat' canards volant en l'air

Chansons d'animaux

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Que dormerai-je à ma mie j ,,, , Le douzième mois de l'an ? j ' ' Deux tourterelles Trois pigeons ramiers volant au bois Quat' canards volant en l'air Cinq lapins grattant la terre Six lieuves aux champs Sept chians chassant Huit moutons tondus Neuf bœufs cornus D i x vaches à lait Onze poules pondant Douze côs chantant Une parderiolle Qui vole, qui vole Une parderiolle Qui vole dedans les champs. 39 (Lassay, 1946) Cette chanson pourrait se classer dans les chansons dites à répétition c'est-à-dire où à chaque couplet on reprend l'énumération faite dans les couplets précédents. Voici une chanson que nous avons notée à Lassay où c'est le refrain qui est à répétition : Il y a un vallon, belle vous ne savez guères Il y a un vallon, belle vous ne savez pas. Le plus beau des vallons, ma dondaine, Le plus beau des vallons ma dondon. Dedans ce vallon, il y a belle vous ne savez guères, Il y a un pré, le plus beau des prés Belle vous ne savez pas, Le plus beau des prés ma dondaine, Le plus beau des prés ma dondon. La chanson se continue ainsi : Dedans le pré il y a un buisson, dedans le buisson il y a un arbre, dedans cet arbre il y a un nid, dans le nid il y a un œuf, dans l'œuf il y a un oiseau. Dessus l'oiseau il y a 39. A m p è r e , op. cit., t. V I , f ° 5 1 2 intitule cette chanson : « Les présents d'un amant à sa mie au mois de mai ». Il l'indique c o m m e provenant du Loiret.

Elle comporte de légères variantes par rapport à celle que nous donnons.

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Chansons d'animaux

un plumage, dessus le plumage il y a un château, dedans le château il y a une chambre, dedans la chambre il y a un lit, dedans le lit il y a une dame, une dame qui n'est pas seule... A u refrain on répétait tout ce que l'on avait déjà énuméré : L'oiseau est dans la plume La plume est dans le nid Le nid est sur la branche La branche est sur l'arbre L'arbre est dans le buisson Le buisson est dans le pré Le pré est dans le vallon M a dondaine, ma dondon. Nous n'avons pas pour ainsi dire trouvé en Sologne de chansons concernant la première enfance, telles les berceuses ou des chansons pédagogiques, c'est-à-dire destinées à apprendre ou à inculquer des principes moraux aux enfants du second âge, sauf la chanson de la « parderiolle » que nous venons de citer et qui, connue dans toute la France, n'est pas considérée comme une chanson pédagogique par les auteurs qui l'ont relevée. Nous n'avons pu noter que la chanson-formulette suivante : Pour distraire les petits drôles ou les drôlines, on leur disait souvent la chansonnette connue par son début « Prêchi-prêcha », en particulier pour leur faire prendre patience pendant qu'on leur passait leur chemise : Prêchi, prêcha M a chemise entre mes bras M o n chapeau sur mes cheveux Salut à ces messieurs (Romorantin-Lanthenay, vers 1900) O n passait sa main dans la petite chemise et on en agitait les bras « coume Mossieu l'Curé en surplis quand i' prêche ». A Villefranche-sur-Cher on disait : Prêchi, prêchimona M a chemise entre mes deux bras U n j o u r j e rentrais dans un cabinet noir O ù j e vis la mort Je lui ai fichu trois coups d'bâton Ai-je bien fait m o n maître ? O u i grosse bête !

Chansons d'animaux

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Arnold van Gennep a noté la même chansonnette à Blois40. On chantait encore aux enfants : Monsieur l'Curé est un bon bougre Il entend tout, il ne dit rien Il a coupé la queue à nos poules Pour couvrir la niche à son chien. (Romorantin, 1900) Les deux chansons qui suivent sont de la catégorie des « mensonges ». La première a été recueillie à Soings vers 1830 par La Saussaye qui l'a ainsi transcrite dans son Journal41 : Refrain : Allons, allons ma brunette Allons à l'ombrette. Ce fut un vieux ch'val mort Qui mangit nos avoines Allons... M'en fus y couper les quat' pattes I[l] courait comme d'ia poudre AllonsEn m'en allant j'ai trouvé Un p'tit pêcher couvert de mailles42 M'en fus le secouer I[l] n'en timbit un s'nelle43 A [lie] m'timbit sus l'grou-t-ortou J'en saignis par l'oreille A la maison i[l] avait de quoi rire La gross' treue qui faisait l'pain Le cochon qui fricassait les tripes, Ma femme qui était dans l'gueuche44 Et qui ponnait des œufs Allons, allons ma brunette Allons à l'ombrette. 40. A. van Gennep, dans Revue des Traditions populaires, t. X I X , 1904, p. 31-33. 41. La Saussaye, op. cit., p. 22. 42. Nèfles, fruit du mespiliis. [Note de La Saussaye.]

43. Cinelle, petite prune sauvage, baie de l'aubépine. [Note de La Saussaye.] 44. Endroit où se juchent les poules. [Note de La Saussaye.]

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Chansons d'animaux

Voici une chanson analogue que nous avons entendue à Lassay de la bouche d'un vieux Solognot qui la tenait de sa grand-mère : Prologue : J'vas vous chanter une p'tite chanson Qui n'est ni courte ni longue. S'il y a un mot de vérité J'aime mieux que l'on mi tonde. Quand j'entrais à la maison J'ai trouvé de quoi rire La grand' treue qui faisait l'pain Les p'tits cochons les miches L'grand cô qui chauffait l'four Qui s'en brûlait les griffes. Lon la qui s'en brûlait les griffes. L'araignée qu' était au soliviau Qui pissait dans sa ch'mise La mouche qu'était à la croisée Qui s'étouffait de rire Lon la qui s'étouffait de rire. (Lassay, 1946) Cet amphigouri a été noté à Soings par La Saussaye45. C'est une sorte de prière fantaisiste : « Prions Dieu pour Pion, pour Mion, pour la Veuve Champion qu'est morte étranglée dans c'te grand' vallée: la pauvre chère femme! Elle a vécu 1 1 3 1 années moins une demi-heure : n'on y a apporté une grand' croûte, longue comme le bras, elle l'a fort bien avalée. Le gendre au cousin Jean Denis qui a marié sa fille à un neveu qui avait rien, i[l] a donné en mariage quat' boissiaux de porriau, un septier d'oie, quat' vaches mâles, quat' beufs [s/c] femelles, cinq arpens de vaignes, ben plantées, ben marrées, en friche de cinq années. Le notaire qui a passé la pièce est mort étranglé au pied d'un saule i[l] n'a été ni planté, ni hamé46, ni déplanté, ni conterplanté. N'on a mis des citrouilles dans un panier défoncé; par hasard, si a [lies] n'ièvent pas n'on les mangera en commènauté ».

45. La Saussaye, Journal, op. cit., p. 22.

46. Hamé = soutenu, attaché. [Note de La Saussaye.]

Airs de danse

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VIII. Airs de danse A l'occasion des fêtes collectives ou familiales, on dansait beaucoup autrefois. Aussi avons-nous pu réunir un certain nombre d'airs de danse avec les paroles qui les accompagnaient. Beaucoup de danses ont rayonné autour de leur point d'origine et nous ne pensons pas que les danses relevées en Sologne soient originales. Emprunts, adaptations, superposition d'éléments divers, voilà probablement ce que sont les danses de Sologne. On dansait surtout aux noces et aux assemblées, parfois aux veillées, au son de la vielle et de la cabrette ou peut-être plus souvent au son du violon. Les danseurs assez souvent accompagnaient la musique en chantant, ce qui permettait aux veillées de danser en chantant sans instruments de musique « au son de la pincette ». De nos jours toutes les danses paysannes ont été éliminées par les danses à la mode et il est assez difficile de rencontrer des gens âgés, qui connaissent les danses rurales anciennes. La Saussaye au cours de ses voyages en Sologne entre 1830 et 1835 a noté plusieurs airs de danse, notamment des rondes, qu'il a transcrites dans son Journal47 et qu'il donne comme recueillies à Soings : Bon laurier dans nante48 Qui fleurit quand j ' l e d'mande Gai, gai mon bon laurier. Entrez dans la danse Gai, gai mon bon laurier Bon laurier dans nante Qui fleurit quand j ' le d'mande Gai, gai mon bon laurier. Faites-nous le pot à une anse49 Gai, gai mon bon laurier Bon laurier dans nante Qui fleurit quand j ' le d'mande Gai, gai, mon bon laurier. Faites-nous la révérence Gai, gai, mon bon laurier 47. Op. cit., p. 21-26. 48. Alias 1' nante, nant, vallée avec ruisseau. [Note de La Saussaye.] 49. C e couplet se chantant, celui qui est dans le rond

place un poing sur la hanche, quelquefois les danseurs en font autant; pendant le suivant on appuie les deux poings. [Note de La Saussaye.]

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Airs de danse

Bon laurier dans nante Qui fleurit quand j ' le d'mande Gai, gai mon bon laurier. La Saussaye a encore noté au même endroit cet autre fragment de ronde : J'irai dimanche à l'assemblée Fanchon vienras-tu z'avec moi ? A h ! nenni da, Mon papa N i veut pas Que mi dégroule d'un pas. Quoi feras-tu ma guinguinette, Quoi feras-tu De ton bossu ? J e le mettrai dans ma pochette

L'informateur de La Saussaye était un jeune garçon et à ce propos La Saussaye écrit : « Il est malheureux que mon petit bonhomme n'ait pu se rappeler cette dernière chanson qui paraissait assez originale et conservait davantage de traces de vieux langage. Encore confondait-il probablement avec une autre le peu qu'il en avait retenu, car le deuxième couplet n'est point du même rythme que le premier et n'en continue point le sens ». A G y en 1946 nous avons relevé ce refrain sur l'air duquel on dansait l'avant-deux du quadrille : Ramène les loups Ma chianne Garette, Ramène les loups Quand i' sont saouls. L'auteur du Vocabulaire du Berry écrivait en 1842 que dans le Berry on dansait la bourrée sur l'air d'une chanson de bergère que voici, analogue à la nôtre : Vire le loup Ma chienne Garelle Vire le loup Quand il est saoul. Laisse-le là Quand il est plat.

Airs de danse

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Le comte Jaubert commente ainsi ce texte : « C'est quand les loups sont repus qu'ils sont le moins à redouter pour les troupeaux et vice versa. Garelle = gariolé = de couleur briolée »50. La chanson suivante est elle aussi un air de danse, d'une danse qui se dansait à deux, chaque danseur faisant face à l'autre, sur une sorte de pas de polka : Chiberdi, chiberda, Ton père caresse ma mère. Chiberdi, chiberda, J e crois qu'i' n'en mourra. Tra la H, tra la la, tra la la la La H, la laire.

/T

(Lassay, 1940)

L'air de danse ci-après n'est certainement pas solognot. Il paraît importé du Massif Central. C'était une javotte la iouchka, Son pé la maria, Fouchtra de bougra, De la lichtoria De la machtagouine Et tanea iouchka. /T & (Lassay, 1938) Dans les danses les plus en vogue et les plus anciennes figure « le branle ». Aussi retrouve-t-on en Sologne de nombreux airs de branle qui se dansaient soit à la voix, au violon ou à la vielle. U n des branles les plus connus en Sologne était connu sous le nom de branle de Maray, commune de la vallée du Cher où se tient encore une foire célèbre, le 14 septembre de chaque année. Il est court, il est long Ton p'tit cotillon Nanette, Il est court, il est long, Il est berlon Nanette.

,T N (Lassay, 1943)

Voici encore un branle fort célèbre en Sologne (La Ferté-Imbault, Gy, Lassay, Souesmes) qui se dansait à la voix ou avec accompagnement de vielle : En avant la mé Bernaussiau Tape du cul, t'auras d'ia galette. En avant la mé Bernaussiau Tape du cul t'auras du gâtiau. 50. H. F. Jaubert, Vocabulaire du Berry et de quelques cantons voisins par un amateur du vieux langage, Paris, 1842, p. 55.

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Airs de danse

Les airs de danse n'étaient pas très compliqués, c'étaient surtout des rengaines : J'ai une p'tite poule blanche qui pond une œu' E' n'en pond un, e' n'en pond deux, saperdieu ! Saperdieu e' n'en pond un, e' n'en pond deux J'ai une p'tite poule blanche [etc., et on reprenait] (Lassay, 1938) M o n pée M o n pée La queue Quand i' La queue

il a un p'tit chian blanc il a un p'tit chian blanc, i' branle quand i' fait du vent, fait du vent, la queue y branle, i' branle au vent ! (Lassay, 1938)

O n peut rapprocher cette rengaine de la chanson citée par Maurice Chevais « La barbe a lui branle »51. Notre vieille chanteuse nous affirmait que la rengaine suivante que l'on dansait au son du violon ou de la vielle « avait plus de cent ans » : Ç a Margot tu fais ben la fiarde Pour le p'tit bien qu' tou as Car j ' cré ben ma gaillarde Que ça durera pas. Ç a Margot tu fais ben la fiarde etc. (Lassay, Gy, 1938) Cette dernière rengaine a été notée aussi à Lassay : La mère Godichon du poil de son cochon S'est fait faire des mitaines, La mère Godichon du poil de son cochon S'est fait faire un manchon. Et moi par jalousie, du poil de mon bourri J' m'en suis fait faire une paire, Et moi par jalousie, du poil de mon bourri, J' m'en suis fait faire aussi. (i943) 51. Maurice Chevais, op. cit., p. 27.

34

« Le Vielleux » (18 e siècle). ( B . N . )

35. Vielle solognote du type guitare que nous

avons

découverte

à

Romorantin.

Le corps de l'instrument a été creusé dans un bloc de bois. Le plateau est en chènc, l'archet est en buis. Le clavier

(touches

à glissière) manque. Le corps même de la vielle paraît dater du 18 e siècle tandis que la tête formant la volute

porte-chevilles,

d'un travail particulièrement soigné, est de style Empire. (Coll. auteur.)

Dis

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36. L'expulsion des Jésuites. (B. N . )

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J.KS

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Airs de danse

153

Les deux chansons suivantes, incomplètes, se dansaient au son de la vielle ou du violon il y a une centaine d'années : Quand vindra dimanche Prendra mes biaux habits, Ma robe à larges manches Couleur de peau d'souris. Avec cette toilette Brillante comme le soleil Mon caraco, ma collerette Font un effet sans pareil. Rien qu'avec ce caraco J e pincerai l'cœur de Jeannot Rien qu'avec mon ki, mon ka, mon ro, Mon petit j oh caraco J e pincerai le cœur de Jeannot Avec mon ka, mon ki, mon ro, Mon petit joli caraco. (Lassay, février 1938) T'ens r'garde don' l'grand Nicolas Quand qu'i' s'est marié avé la p'tite Javotte Ben i' avait ren. Or à présent Y z'ont table, chandelier, bois de ht.

Comme c'est dimanche la fouaire Aurai l'gousset ben garni De quoi manger et bouère Danser jusqu'à lundi.

(Lassay, 1938) Nous avons déjà dit que dans toutes les fêtes on dansait et l'on chantait. Une des danses les plus populaires était les Olivettes. Le nom d'après notre vieille chanteuse viendrait d'Ohvet près d'Orléans. Telle est l'explication populaire. C'est une danse à figures : 11

154

Airs de danse

« On disposait trois ou quatre chaises au milieu de la pièce. Les danseurs se mettaient à la queue leu leu et il fallait suivre le premier en passant entre les chaises ». On chantait : Et h Ion la Laissez-les passer Les une, les deux, les trois, les olivettes Et H Ion la Laissons-les passer, Les olivettes après souper. (Lassay, 1938) Les enfants chantent encore à l'école en jouant à un jeu ou deux d'entre eux font une voûte de leurs bras sous laquelle les autres doivent passer puis se remettent à la suite les uns des autres : Et li Ion la Laissez-les passer Les î, les a, les a-louettes Et h Ion la Laissez-les passer Les alouettes après dîner.

Var. : après souper. (Romorantin, 1936)

Dans ce dernier cas on retrouve le même chant et le même air, mais avec une confusion phonétique, ayant entraîné une déformation, les enfants ne comprenant pas le sens du mot olivettes qui a été remplacé par le mot alouettes. Adrien Thibault dans son Glossaire du Pays Blaisois52 fait de cette danse la description suivante : « On place sur une même ligne trois chaises, en laissant entre elles un intervalle suffisant pour le passage des danseurs. Ceux-ci au nombre de trois, à la suite, l'un de l'autre, parcourent en dansant la ligne sinueuse formée par les intervalles, en contournant la chaise placée à chaque extrémité, pour refaire le même trajet en sens inverse : de sorte qu'on pourrait dire que leur parcours figure un 8 à trois panses. Le dernier danseur de la file, au lieu de faire comme le précédent le tour de la dernière chaise, tourne devant cette chaise et se trouve ainsi être à la tête de la file. Ce manège se répétant à chaque extrémité, et la danse étant menée grand train, il en résulte une confusion qui n'est qu'apparente et qui ne laisse pas de réjouir les yeux des spectateurs »53. A Maray on dansait le Bourguignon. Cette danse chantée se faisait avec un bâton tenu à chaque bout par un danseur. Ceux-ci devaient l'enjamber, le passer par-dessus 52. Adrien Thibault, Glossaire du Pays Blaisois, Blois et Orléans, 1892, in-8°, x v - 3 6 6 p.

Airs de danse

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leur tête sans le lâcher. Tout le monde les accompagnait en chantant, et plus le chœur chantait vite, plus les deux danseurs devaient accélérer leurs mouvements presque jusqu'à épuisement. La chanson énumérait les gestes à faire par exemple : « frottestoi le genou contre le mien, le nez, l'épaule, l'oreille... toutes les parties du corps y passaient ». Nous avons relevé à Courmemin en 1943 les paroles d'une autre danse à figures sans pouvoir obtenir la description des figures. Cette danse se chantait sur l'air « Chiberdi, chiberda » : — Bonjour ma cousine — Bonjour mon cousin germain. On m'a dit que vous m'aimiez Est-ce bien la vérité ? — Je ne m'en soucie guère — Je ne m'en soucie guère Passez par ici et moi par là Au revoir ma cousine et moi j ' m'en vas. Refrain:

Djibouli, djiboula On dit qu'elle est malade. Djibouli, djiboula On dit qu'elle en mourra.

A Mur en dansant en groupe on chantait : Jamais je n'oublierai La fille au coupeur de paille, Jamais je n'oublierai La fille au coupeur de blé. Avant de clore cet aperçu sur les danses de Sologne, il nous faut signaler que dans les pièces pour clavecin de Jean-Philippe Rameau, datées de 1724, se trouve une danse intitulée « Niais de Sologne ». Cette danse n'est probablement pas spécifiquement solognote, mais on ne pouvait pas ne pas en faire état53bis. 53. J . M . Simon, dans un ms. déposé à la Bibl. mun. d'Orléans et dans Deux anciennes danses solognotes d'origine provençale, dans Le Valentinois, journal hebdomadaire de Valence-sur-Rhône, n° du 29 janvier 1955 et n° 548 du 16 avril 1955, a tenté la reconstitution de cette danse et en a recherché l'origine : la farandole provençale dans laquelle il trouve des traces des danses de Dionysos ou de Bacchus. Nous

laissons à l'auteur la responsabilité de sa reconstitution et de son interprétation de cette danse, qui nous paraissent un peu osées. 53 bis. C e document nous a été aimablement indiqué par M . C . Poitou, professeur agrégé d'histoire à Orléans. Nous tenons à l'en remercier très vivement. (Cf. pièce annexe n° 4.)

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Chansons historiques, politiques et satiriques

I X . Chansons historiques, politiques et satiriques Si l'on entend par littérature populaire les récits, contes, légendes, chansons anonymes transmises oralement de génération en génération, on ne peut considérer c o m m e faisant partie de la littérature populaire dans ce sens restreint les chansons historiques, politiques ou satiriques, les pamphlets anonymes o u non, transmis par les colporteurs ou circulant sous le manteau à une époque o ù la presse n'existait pas ou à une époque o ù sa diffusion était insignifiante. Cependant manuscrits o u imprimés, anonymes o u signés ces documents du fait m ê m e qu'ils ont été conservés, copiés, chantés reflètent un état d'esprit, l'état d'esprit d'une partie de l'opinion o u de certaines couches sociales, surtout lorsqu'elles sont une production locale ou régionale. N o u s en avons retrouvé un certain nombre en examinant des archives de familles solognotes. N o u s avons tenté de les reclasser dans les époques o ù les événements auxquels ils font allusion se sont produits. U n e chanson enfantine communiquée par L é o n de Buzonnière à A m p è r e et intitulée « La T o u r prend garde » semble se rapporter au sac de R o m e par le Connétable de B o u r b o n en 1527. Il y fut tué alors qu'il portait les armes contre son pays 54 . A m p è r e qui en eut connaissance le 16 janvier 1854 en fait le commentaire suivant, d'après Buzonnière : « ' La T o u r prend garde ' est un véritable drame animé, solennel. Il se j o u e autant qu'il se chante. Les enfants y attachent une grande importance souvent ils cherchent à ajouter à l'effet par quelques simulacres de costumes. « D e u x groupes se forment. L ' u n se compose du D u c de B o u r b o n et de ses gardes. Le D u c est assis sur un trône, ses gardes sont à ses pieds. Le second groupe représente les assiégés. La plus grande et la plus forte des jeunes filles figure la forteresse. Ses défenseurs l'entouraient et pour lui donner autant que possible l'apparence d'un donjon, ils relèvent sa robe à la hauteur de sa tête. « U n capitaine se présente, tourne autour de la citadelle et s'adressant aux assiégés chante : La tour prend garde (bis) Car nous t'abatterons. Les assiégés répondent :

N o u s n'avons crainte (bis) Car nous la tenons bien.

Le capitaine :

J'irai me plaindre (bis) A u D u c q u e de Bourbon.

54. Ampère, op. cit., t. III, n° 293.

Chansons historiques, politiques et satiriques

Les assiégés :

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Allez vous plaindre (bis) Au Ducque de Bourbon.

« Le capitaine se retire, se présente au Duc, met un genou en terre et chante : Mon Duc, mon prince (bis) Je viens me plaindre à vous. Le Duc :

Cher capitaine (bis) Que me demandez-vous ?

Le capitaine :

Je vous demande (bis) La grâc' d'abattr' la tour.

Le Duc :

Prenez ce garde (bis) Et vous l'abatterez.

« Un garde se détache de la suite du Duc et accompagne le capitaine qui se présente de nouveau devant la tour. Alors la scène se renouvelle sans la moindre variante, les assiégeants repoussés comme la première [fois] vont encore implorer le secours du Duc qui leur octroie un second garde. « Troisième sommation, troisième refus et ainsi de suite jusqu'à ce que le Duc ait donné tous ses gardes. Alors au lieu de répondre au capitaine ' Prenez ce garde il chante : J'irai moi-même Et nous l'abatterons. « Puis il se lève de son siège se met à la tête de la troupe et le dialogue s'engage de nouveau : Le capitaine :

La tour prend garde (bis) Car nous t'abatterons.

Les assiégés :

Nous n'avons crainte (bis) Car nous la tenons bien.

Le capitaine :

Voici le prince (bis) Le Prince de Bourbon.

Les assiégés :

Malheur au prince (bis) Au Prince de Bourbon.

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Chansons historiques, politiques et satiriques

« Alors les assiégeants se ruent sur la tour et s'en emparent après une vive résistance ». Il ne serait pas impossible que cette chanson ne fût pas complète, car il semble qu'un couplet devrait se rapporter à la mort du duc, annoncée par l'avertissement des assiégés lancé au duc : « Malheur au Prince » ! C'est encore une chanson enfantine, chanson à résonance politique que la chanson de « Malbrough » notée par P. Dufay à Chémery : Malbrough s'en va t'en guerre, Vive la rose N e sait quand reviendra Vive ô gué le laurier, N e sait quand reviendra (bis) Vive la rose et le rosier. Il reviendra z'à Pâques, Vive la rose, Ou à la Trinité (bis) Vive la rose et le rosier55. Voici provenant de Romorantin copie manuscrite sur papier « Montgolfier » au fdigrane de 1768 d'une satire littéraire intitulée : « Les fameux couplets qui causèrent l'exil de J . B . Rousseau, désavoués par lui ou qui lui ont été faussement attribués; mis au jour en 1 7 1 0 » : Quelle fureur trouble mes sens ! Quel feu dans mes veines s'allume ! Démon des couplets j e te sens. Le fiel va couler de ma plume. Livrons-nous à l'esprit pervers Une foule d'objets divers Vient ici s'offrir à ma viie Quelle matière pour mes vers ! De nouveaux faits quelle recrue ! J e vois la Faye le Cadet, Qui se croit monté sur Pégase ; Mais son cheval n'est qu'un baudet, Et son frère n'est qu'un ... ase 55. Pierre Dufay, loc. cit., f année, n° 3, p. 163.

Chansons historiques, politiques et satiriques

Grands compliments, discours polis. Courage muse, tu molis [sur], Laisse leur fausse politesse; De leurs cœurs montre les replis Et les noirs tours de leur souplesse. Dis que le jeune, adroit escroc Qui... Madame de ... A les mains plus faites en croc Que ceux qui volent dans la rue. Mais que ne dis-tu de l'aîné Qu'à son visage boutonné On reconnoit le mal immonde Mal qu'à sa femme il a donné ! Et qu'elle rend à tout le monde. A son retour du Dauphiné, Nouvelle province de Suède Ou dans un réduit confiné Il éprouve le grand remède, Il vint à nous doux et humain, Canne de grenoble à la main, Pour faire croire le voyage Canne à Saurin le lendemain Qui ne le crut pas davantage. Au nom qui vient de me fraper [s/c] Ma fureur s'irrite et redouble. Comment se laisse t'on duper Par ce faux cœur, cette âme double ! Son zèle contre les frondeurs, Contre nos mœurs ses airs grondeurs, Dont il veut se faire un mérite, Cachent les noires profondeurs, Du plus scélérat hypocrite ! Je le vois ce perfide cœur Qu'aucune religion ne touche, Rire au dedans d'un ris moqueur Du Dieu qu'il confesse de bouche.

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C'est par lui que s'est égaré L'impie au visage effaré Condamné par nous à la roue Boindin athée déclaré Q u e l'hypocrite désavoue. Par l'un et l'autre est débauché Le jeune abbé de B..., Petit philosophe ébauché Au nés fait en bec de cicoigne. Q u a n d j e dis qu'il est débauché, J'entends aussi le gros péché, Le vrai péché philosophique, A u x J . . . tant reproché, D o n t Houdar fait leçon publique. Quel Houdar le poète Houdar, Ce moine v o m i de la Trape [sfc] ; Q u i sera brûlé tôt ou tard Malgré le succès qui nous frape [s/c] Etrange spectacle à nos yeux ! Quel exemple plus odieux Des tours de l'aveugle fortune La Motte a le front dans les cieux, Danchet rampe avec Rochebrune. Je te vois innocent Danchet, Ecouter les vers que j e chante, C o m m e un sot pris au trébuchet Grands yeux ouverts, bouche béante J'en mattrois mieux m o n bonnet Si j e voyais le caffé net, D e ce niais plus niais que Jocrisse Et du fade Rochebrunet Plus doux que le plus doux réglisse. O m o n cher ami Maumener Digne d'ailleurs de m o n estime, Si j e reviens au cabinet, J ' y suis entraîné par la rime.

Chansons historiques, politiques et satiriques

Qu'il est sale ce cabinet ? Que tu pèses cher Maumener Ta seule présence m'assomme Quand tes vers pâliront, Perrinet Quittera Genève pour Rome. Qu'entends-je ! c'est le Roitelet Qui fait plus de bruit qu'une pie, Mais plus il force son sifflet, Plus il semble avoir la pépie. Eviterois-tu le couplet ! Petit juge du Châtelet Et fils d'un procureur avide, Qui te laisse assés rondelet, Mais source pleine et tête vuide. Où va cet Icare nouveau ? Et jusqu'où sa raison s'égare! Il prend un transport au cerveau Pour le feu du divin Pindare Qu'incessamment il soit baigné Qu'après le bain il soit saigné Et saigné jusqu'à défaillance Des humeurs, s'il est bien soigné On rétablira l'alliance. Quel brillant habit C... on gagé d'h... le suisse? Sans se présent un vieux haillon A peine couvriroit ta cuisse. Mais de vices quel bordereau B B M Il faut qu'enfin l'orage crève, Dans le funeste tombereau Je te vois traîné à la grève. Ainsi finit l'auteur secret Ennemis irréconciliables Puissiez-vous crever de regret, Puissiez-vous être à tous les diables

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Chansons historiques, politiques et satiriques

Puisse le démon, couplet gai S'il le peut, embraser encor, Le noir sang qui bout dans mes veines Bien pour moi plus précieux que l'or De pouvoir augmenter vos peines. Au revoir. En appendice de ce poème il est écrit : « Le véritable paquet adressé à Monsieur BOINDIN et par conséquent le vrai corps du délit « Fait par SAURIN de l'Académie des Sciences ». Il est assez curieux de constater que la bourgeoisie ou la petite noblesse locale s'intéressait aux querelles littéraires de la capitale. Toujours à Romorantin voici encore la copie manuscrite d'un poème datant vraisemblablement de l'époque à laquelle les Jésuites furent expulsés du royaume, soit vers 1762-1764 : Soit du Pape maudit Celui qui en eux croit. A tous les diables soit Qui leur science suit, En enfer soit conduit Qui pour saints les reçoit, Soit lié d'un licol Soit pendu par le col Qui adhère à leurs vœux Qui les honore tous Qui veut faire leur coupe O qu'il est malheureux. Qu'il hait les Jésuites Soit mis en paradis Qui brûle leurs écrits Acquiert de grands mérites, Qui les nomme hypocrites Ses péchés soient remis, Qui les dit meurtriers Qui dit qu'ils sont sorciers, Sa pensée est divine. O qu'il est bien instruit Que c'est un bel esprit Qui ne suit leur doctrine.

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Le R o u x de Lincy dans son Recueil de chants historiques français cite « une chanson qu'un berger de la Sologne » avait chantée à l'un de ses condisciples de l'Ecole des Chartes, M . Alexandre Teulet. C'est une chanson, dit Le R o u x de Lincy, qui « a un caractère historique et semble faire allusion à quelqu'une des grandes favorites qui ont été célèbres pendant les deux derniers siècles ». Cette chanson populaire a beaucoup d'analogie avec celle bien connue intitulée « Le roi fait battre tambour » : C'est le roi entrant dans Parise, Salua toutes les dames; La première qu'il salua C'est la belle marquise. Marquis, t'es plus heureux qu'un roi D'avoir une femme si belle, Si tu voulais j'aurais l'honneur De coucher avec elle. A h ! mon roi, ça vous est permis, Car vous êtes roi de France; Mais si vous n'étiez pas mon roy, J'en aurais ma vengeance. Mary, ne te fâche donc pas, T'auras ta récompense, J e te ferai dans mes armées Beau maréchal de France. Habille-toi bien proprement Coiffure à la dentelle, Habille-toi bien proprement, Comme une demoiselle. Adieu ma mie, adieu, mon cœur, Adieu, mon espérance, Puisqu'il te faut servir le roi, Séparons-nous d'ensemble. Mais la reine lui fit un bouquet De ses belles fleurs de lyse, La bonne odeur de ce bouquet Fit mourir la marquise.

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Chansons historiques, politiques et satiriques

Le roi lui fit faire un tombeau D e ces belles pierres de lyse, Il envoya son Mirebeau A la mort de la marquise. 56 L'époque révolutionnaire est marquée par l'éclosion de toute une littérature nouvelle que de petits opuscules répandus dans les campagnes popularisaient. Le premier des documents que nous présentons est une complainte imprimée intitulée : « Louis X V I aux Français, air du pauvre Jacques, Popule meus quid feci tibi » : O , m o n peuple; que vous ai-je donc fait, J'aimais la vertus [s/c] la justice, votre bonheur fut m o n unique objet, & vous me trainez au supplice, (bis) Français, français, ce n'est que parmi vous, que Louis reçu la naissance, le m ê m e ciel, nous a v u naître tous, j'etois enfant dans votre enfance, (bis) O m o n peuple, ai-je donc mérité, tant de tourment & tant de peines, quand j e vous ai donné la liberté, pourquoy me chargez-vous de chaînes (bis) tout jeune encore tous les français en moi, v o y a n t leur appui tutélaire, j e n'étais pas encore votre R o y ; & j'étais déjà votre père. Q u a n d j'ai monté sur ce trône éclatant, que me destina ma naissance, m o n premier pas dans ce poste brillant, fut un édit de bienfaisance, (bis) Le b o n Henri long temps cher à vos cœurs, eut cependant quelque foiblesse, mais louis seize ami des bonnes mœurs; n'eut ni favoris ni maîtresse, N o m m e z les donc, n o m m e z m o i les sujets, dont ma main signa la sentence, 56. Recueil de chants historiques français depuis le XIIe jusqu'au XVIIIe siècle avec des notices et une introduction, par Le R o u x de Lincy, ancien élève pensionnaire à l'École royale des Chartes, 2e série, x v r siècle,

0,12 x 0,17 m, 616 p., Paris, Librairie de Charles Gosselin, 9 rue Saint-Germain-des-Prés, 1842, p. v i vra.

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un seul jour vit périr plus de français, que les vingt ans de ma puissance. Si ma mort peut faire votre bonheur, prenez mes jours j e vous les donne; votre bon roy déplorant votre erreur, meurt innocent & vous pardonne, (bis) O mon peuple, recevez mes adieux; soyez heureux j e meurs sans peines, puisse mon sang coulant sous vos yeux; dans vos coeurs éteindre la haine, (bis) Ce chant essayait de créer un mouvement de sympathie populaire en faveur du roi captif. Tout autres sont les seize commandements patriotiques par un vrai républicain, imprimés sur une feuille volante que nous avons retrouvé chez une vieille famille républicaine de Salbris : I « Aime ton Dieu par dessus toute chose, la Patrie comme toi-même ; ta vie n'est qu'un passage, elle n'appartient qu'à eux. Souviens-toi que tu es venu en ce monde nud, et que tu t'en iras de même. II L'or que tu possèdes ne t'appartenoit pas. Secoures tes semblables, comme s'ils ne formoient avec toi qu'une même famille, et n'aies jamais plus d'une ferme à cultiver. III Ton aisance est pour jouir sobrement, n'accapares pas, uses de tout, contente tes goûts avec prudence, point d'excès en luxe, ragoût, vin, ni femme. IV Sois soumis et fidèle à la Loi, respectueux envers tes représentans ; deffends la R é p u blique, protège les propriétés au péril de ta vie; obéis à ceux que tu as mis en place. V N e crains pas les tyrans, ils ne sont pas plus que toi. Combats nos ennemis par ton courage et tes vertus, et tu triompheras de leurs efforts. VI Souviens toi que tu as renversé le trône, et que le plus sûr rempart de la liberté, est l'homme qui ne craint pas la mort. Sois en tous tems valeureux et soldat magnanime.

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VII Songes que la liberté vaut toujours plus qu'elle ne coûte, ne regrette pas tes sacrifices; prends y garde que le passé t'instruise pour l'avenir. VIII Méfies-toi de ceux qui se vantent beaucoup; sois bien circonspect en élevant aux emplois ceux à qui la Révolution a été préjudiciable. IX Gardes toi des perfides caresses de ceux que l'on appelloit autrefois grands, des sourdes menées des aristocrates, et de ceux qui leur ont été attachés. X Conserves éternellement et transmets à tes descendans la mémoire des journées du 14 juillet 1789 et 10 août 1792. XI Fréquentes souvent les sociétés populaires, sans préjudice de ton devoir; méfies toi des grands parleurs, respecte le sexe, ne dérobe rien à tes concitoyens. XII N e sois pas délateur, injuste, mais surveille les ennemis de la liberté, et ne crains pas de dénoncer leur conspiration; ton silence te rendroit aussi coupable qu'eux. XIII N e juges jamais de leur conversion par leurs sacrifices, et redoutes la trahison, qui se couvre du masque de patriotisme et de la bienfaisance, comme le loup de la peau du mouton pour égorger les brebis. XIV Méfies toi de leurs écrits et de leur hypocrisie, sois fier avec eux sans hauteur; plains tes ennemis sans les craindre; pardonnes leur sans faiblesse et combats les sans frayeur. XV Gardes toi de prendre les drapeaux de la licence pour ceux de la liberté; empresses toi d'acquitter les contributions, c'est le devoir sacré d'un Républicain. XVI Souviens toi que tu as brisé tes fers, que les despotes sont sans humanité. Choisis bien tes législateurs, et surveilles attentivement les Ministres qui ont toujours fait le mal, et qui peuvent encore le faire ».

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Ces « commandements » ne manquaient pas de grandeur. Ils sont suivis du « Memento du Patriote » : « Citoyen bénis l'être suprême de t'avoir fait recouvrer la liberté, et sois convaincu que si tu n'observes pas ces commandements, tu rentreras sous le joug du despotisme pour n'en sortir jamais; souviens toi des journées du 14 juillet, 5 et 6 octobre 1789, l'An premier de la liberté, 20 juin, 10 août 1792, l'An premier de la République, et ne date le siècle nouveau que de ces époques mémorables. Songes à soutenir les ouvrages de tes pères, pour que tes neveux profitent de leurs conquêtes et des sacrifices qu'ils ont faits. Sois l'éternel rempart de la base fondamentale de la colonne de la liberté, érigée sur la ruine d'une des tours de la défunte Bastille, dont les débris sont disséminés sur la surface de l'univers, et que les mots distinctifs parmi les hommes tels que famille royale, princes du sang, Noblesse, Messeigneurs, Clergé, Privilégié, Bourgeois, Monsieur, Paysans et vassaux sont à jamais proscrits; penses que nous avons reconquis les droits que la nature nous avait contraints de céder à la force. N e souffres plus qu'une poignée d'individus, sous le vain titre de nobles prétendent de commander. Songes qu'il n'est nul Seigneur que Dieu, nul maître que la loi et que tous les hommes sont égaux; il n'y a que la vertu seule qui les distingue; étudies souvent tes droits, mais ne t'écarte jamais de tes devoirs. « L a sagesse, la justice, le désintéressement et l'amour que j'ai pour le peuple, que l'on ne cherche qu'à tromper, m'ont fait former ces vœux ; s'il faut en acheter l'accomplissement au prix du dévouement le plus douloureux, j e suis prêt à m ' y soumettre; braves françois en jurant de vaincre ou mourir pour la Liberté, l'Egalité et la R é p u blique, ne sens tu pas comme moi le filtre de la Patrie se mêler dans ton sang et embraser ton cœur, c'est ce filtre qui fait les héros, les grands hommes et les vertueux citoyens ; c'est lui qui m'inspire et qui ne peut jamais m'égarer. PALLOY, Patriote »

Pendant la Révolution de nombreux opuscules furent édités soit à Blois, soit à Bourges ou à Orléans. La plupart contenaient « les chants nouveaux ». Ils furent répandus dans le public. C'est ainsi qu'un petit recueil édité à Blois chez J.-F. Billaut en 1793 est intitulé Recueil de chansons patriotiques. Il contient à la fois des hymnes, des chants militaires et des rondes. Il commence par la « Marche des Marseillois » et est suivi sur le même air de « A u x Armes », hymne dédié aux Jacobins de Paris dont voici le premier couplet : Qu'une juste et sainte vengeance Brûle nos cœurs, arme nos bras ; Partons, les bourreaux de la France Sur nos s'avancent à grands pas. (bis)

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Partons, leurs hordes sanguinaires Dévorent nos braves guerriers... Changeons nos cyprès en lauriers, Vangeons [s/c] les mânes de nos frères ! A u x armes, citoyens ! formez vos bataillons, Marchez, marchez, qu'un sang impur abreuve vos sillons. L'auteur de cet h y m n e était F. Legall, jeune sans-culotte bas-breton. O n y peut lire ensuite un chant civique sur l'air « Vous qui d'amoureuse aventure » d'un certain Ad. S. Bloy dont voici le premier couplet : Veillons au salut de l'empire, Veillons au maintien de nos droits ; Si le despotisme conspire, Conspirons la perte des rois; Liberté, liberté, que tout mortel te rende hommage, Tyrans, tremblez, vous allez expirer [s/c] vos forfaits, C'est la devise des Français (bis) [Suivent plusieurs autres couplets.] Sur le m ê m e air que le précédent suit : « Résolution du vrai Patriote dédié aux R é p u plicains qui combattent les ennemis de la Vendée par Brutus Vialla » : Suivons le sentier de la gloire, Qu'elle précipite nos pas ; Voler et nous tendre les bras : Avançons, avançons, que tout cède à notre courage; Ecrasons, sous nos coups, le fanatisme révolté, Et que la m o r t soit le partage D e qui combat la Liberté, (bis) [Suivent trois autres couplets.] Le recueil contient encore deux chants de guerre sans noms d'auteurs, sur l'air « Aussitôt que la lumière ». Nous donnons le premier couplet de chacun de ces chants : A nos fusils, à nos piques, Courons, Français, il est tems; Plantons des rameaux civiques, A la barbe des tyrans. N e semons plus la mitraille

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37. Gravure en frontispice de YAhnanach du Père Gérard, Paris, 1792. (Coll. auteur.)

38. Napoléon et Joséphine. Gravure extraite des Etrcnnes Impériales et Royales pour l'année 1S10. 39. Napoléon à Arcis-sur-Aube, le 2 1 mars 1 8 1 4 . Gravure de R a f f e t .

(Coll.

auteur.)

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En signe d'hostilité; Faisons du champ de bataille U n champ de fraternité.

La fière Autriche nous brave, Français volons aux combats; Aux vainqueurs du turc esclave, Opposons d'autres soldats; Le destin des patriotes Est d'affranchir l'univers, Sur la tête des despotes, Peuples, nous romprons vos fers.

Y figure aussi la « Chanson des Sans-culottes » sur l'air : « C'est ce qui me console » : Amis, assez et trop long-tems, Sous le règne affreux des tyrans O n chanta les despotes... (bis) Sous celui de la Liberté, Des Loix et de l'Egalité, Chantons les Sans-culottes... (bis) [Suivent dix couplets du même style.] Également une chanson intitulée « U n père parlant à son fils », une ronde pour nos braves soldats « Républicains » sur l'air du « Vaudeville du Maréchal » : « Tôt, tôt... », dont l'auteur était T. Rousseau et dont voici le premier couplet : Au bruit ronflant de cent canons, Chantons valeureux compagnons, Chantons le succès de nos armes Sur les barbares Autrichiens : De Guillaume et de ses Prussiens, Doublons les mortelles alarmes : Tôt, tôt, tôt, Battons chaud, Tôt, tôt, tôt Bon courage, Contre les tyrans faisons rage. [Suivent sept couplets.] 12

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Ensuite une chanson dédiée aux Départements ainsi que « La Nouvelle Carmagnole pour la grande réunion des Français à Paris, le 10 août 1793 » dont l'auteur était le citoyen Claude R o y e r , envoyé de Chalon-sur-Saône, une chanson dite « Chanson Grenadière » sur l'air « Aussitôt que la lumière » par le citoyen R i o u f f dont nous donnons le premier couplet : A h ! ventrebleu ! quel dommage, Pauvre dupe d'Autrichien ! Que n'as-tu dans ton bagage Les droits de l'homme et le tien ! Pourquoi veux-tu que j e rentre Sous un régime maudit ? Faut-il donc t'ouvrir le ventre Pour t'ouvrir un peu l'esprit ?

L'ouvrage se termine par une chanson intitulée « Le Bonnet de la Liberté » et une ronde patriotique. « Le Bonnet de la Liberté » se chante sur l'air : « D u haut en bas » : Que ce bonnet A u x bons Français donne de graces ! Que ce bonnet Sur nos fronts fait un bel effet ! A u x aristocratiques faces, Rien n'a causé tant de grimaces, Que ce bonnet. Que ce bonnet Femmes, vous serve de parure, Que ce bonnet Des enfans soit le bourrelet; A vos maris j e vous conjure, De ne donner d'autre coëffure Que ce bonnet. De ce bonnet Tous les habitans de la terre De ce bonnet, Se couvrirons le cervelet, Et même un jour quelque commere

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Affublera le très-saint père, De ce bonnet. Notre bonnet Embellira toutes nos fêtes, Notre bonnet Se conservera pur et net ; Grand Dieu ! que les Bourbons sont bêtes De n'avoir pas mis sur leurs têtes Notre bonnet. Par un bonnet France assure toi la victoire, Par un bonnet Ton triomphe sera complet; Que les ennemis de ta gloire, Soient chassés de ton territoire Par un bonnet. Sur une feuille imprimée répandue en Sologne était propagé « L'Hymne en l'honneur de la Montagne » d'Aristide Valcour. Deux autres petits opuscules de chansons de l'époque révolutionnaire circulaient encore en Sologne. Ils contiennent surtout des chansons contre le clergé et quelques chansons d'amour. Le premier opuscule contient notamment « Les adieux de la Bastille à la ville de Paris et à toutes les forteresses de France », « Le bonheur sortant du cloître », plusieurs chansons d'amour et la chanson suivante dont voici quelques couplets : Chantez votre bonheur, Jeunes et gentilles nonnes, N e craignez plus personne, Bénissant tout de bon, La noble Nation : Vous ne serez plus gênées, Et vous serez mariées ; Voilà votre bon tems En dépit des parens. L'auteur anonyme n'oubliait pas le résultat pratique que pouvait en retirer la Nation comme l'indique le 3 e couplet : Ainsi, abandonnez Le bandeau et le voile

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Et vos robes de toile Et que vos favoris Deviennent vos maris ; La Nation vous partage, Il faut lui rendre hommage, Lui faisant des enfans, Soldats devenez grands. Recollets, capucins, Cordeliers et Minimes, Vos bigotes maximes Vous formoient un lien, Qui n'avançoit à rien. Mais aujourd'hui, dans la France, Profitez de l'ordonnance : Quittez vos capuchons, Pour avoir vos dondons. La chanson se continue par deux autres couplets du même genre. Cet opuscule se termine par une sorte de monologue en langage paysan qui a pour titre « Le peuple joyeux de sa liberté » : « Puisque j'ons la liberté, n'ayons plus l'âme inquiète, allons boire à la santé du Roi, d'Monsieur d'la Fayette, sans oublier 1' bon Bailly qu'est aussi not' bon ami; tout nous fait bien connoître qu' not' bonheur va bentôt r'naître. « On a vu qu'au tems jadis on se r'gardoit sans rien dire, mil sept cent quatre vingt dix nous permet d'chanter & d'rire; reprenons notre gaîté, profitons d ' n o t ' liberté; aux chiens d'Aristocrates on a coupé l'bout des pattes. « Ces chiens-là n' voulions t'y pas nous égratigner, nous mordre, heureus'ment qu' j'avions des bras & qu'à ça j'ons mis bon ordre, j ' leux avons rogné les crocs; à présent, ah ! qu'ils sont sots de voir leurs projets fondre et qu' avons sçu les confondre. « Les v'ià donc tous à quia, & nous, nous somm' un peuple libre, not' bon Roi consent à ça; abandonnons l'équilibre, marchons avec sûreté, la Municipalité toujours nous favorise j'nons plus peur de la surprise. « Soyons tous de bonne union; toujours bien d'accord ensemble pour sout'nir la Nation; en cas d'besoin qu'aucun n' tremble, soumettons-nous à la loi, aimons toujours not' bon Roi, il nous soutient, nous aime, j'savons 1' sout'nir tout d ' m ê m e ». Le second opuscule contient huit chansons. Les deux premières sont intitulées : « Le sifflet parisien » et « La nouvelle constitution française ». « Le sifflet parisien » s'en prend

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aux nobles et non au roi. « La nouvelle constitution française » se chante sur l'air « C'est ce qui nous désole ». E n voici le texte : Nos ennemis sont très puissans, Leurs complots sont très menaçans C'est ce qui nous désole, (bis) Mais le R o i chérit ses enfans, Il cherche à les rendre contens C'est ce qui nous console, (bis) Tous les districts sont en débats, O n crie et l'on ne s'entend pas, C'est ce qui nous désole ; (bis) Qu'ils consultent leurs intérêts, Ils retrouveront dans la paix T o u t ce qui nous console, (bis) Ils n o m m e n t cinq représentans ; Mais à peine sont-ils séans, Q u e chacun se désole; (bis) Bientôt au heu de les haïr, Ils finiront par les bénir. C'est ce qui nous console, (bis) Pourquoi voudroient-ils nous tromper : Ils gagnent tous à extirper T o u t ce qui nous désole, Et c'est pour mieux s'en acquitter Qu'ils envoyent nous consulter, C'est ce qui nous console, (bis) Pour prouver qu'on mourra de faim, Maint ignorant perd son latin, C'est ce qui nous désole; (bis) La province a grand intérêt D'entretenir notre teint frais, C'est ce qui nous console, (bis) La France a de bons députés, Laissez les faire et vous taisez Sur ce qui vous désole;

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Aisément ils viendront à bout De porter un remède à tout; C'est ce qui nous console. Les quatre chansons qui font suite à celles-ci sont uniquement des chansons d'amour. Elles sont destinées à faire passer les chansons politiques. L'une, « Le Jeu d'amour », se chante sur l'air « J'avois passé quatre-vingt ans ». Elle a pour thème l'inconstance d'une belle : J'aimois du plus parfait amour, Certaine brune faite au tour; Vénus étoit moins belle. Esprit fin, grâces et talens, Et l'art d'enchaîner les amans, N'étoient qu'un jeu pour elle.

Une autre, « La promenade dangereuse », sur l'air d' « Azémia aussitôt que je ... » raconte l'histoire d'une belle qui ne veut pas se laisser séduire et qui par accident laisse voir tous ses appâts : J e fus par certain jour d'hiver, Promener avec Lise, J e m'exposois gaiement à l'air; Malgré le vent de bise, Près d'un objet plein d'agrément, On brave la rigueur du tems, On brave, on brave la rigueur du tems ; Le vent du sein de ma bergère Soulevoit la gaze légère Et j e voyois & j e voyois, Et j e voyois son embarras Augmenter encore ses appas, Augmenter encore ses appas.

Suit une chanson racontant 1' « Histoire du pauvre Jean » qui est celle d'une docile enfant mariée à un vieux barbon. Celui-ci, le pauvre Jean, a bientôt compris sa sottise. Suit encore une autre chanson d'amour qui a pour titre « Déclaration d'amour », sur l'air « J e connois un berger discret » : L'amour veut-il soumettre un cœur ? Vos attraits sont ses armes ;

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Vous le rendez toujours vainqueur; Qui ne cède à vos charmes ? Ces lieux me semblent enchantés; Vous en êtes la cause ! Thémire est aux autres beautés Ce qu'aux fleurs est la rose, (bis) Qui peut vous voir un seul moment, U n moment vous entendre; Fût-ce le plus sincère amant, Est forcé de se rendre. Quand l'amour forge dans vos yeux Les traits dont il nous blesse, En vain l'on résiste à ses feux... Il faut brûler sans cesse! (bis) Ce second opuscule se termine par deux chansons politiques, « Le requiem aeternam du clergé de France » et « Chanson sur la Lanterne des Parisiens » dont voici un aperçu : La fièvre lente Tenoit le Parisien, L'âme tremblante Quoique bon citoyen, Espérant le bonheur, Il ne voit que malheur, Son esprit lui discerne D'exercer sa fureur Par la lanterne. U n réverbère Donna de la clarté A notre affaire Touchant la liberté, Puisque des partisans A u bien sont opposans; Le peuple que l'on berne, Condamne les tirans A la lanterne [Suivent six couplets.]

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L'ère de la liberté se termine avec Napoléon. Qu'à cela ne tienne ! La chanson politique se répand toujours dans les campagnes, mais cette fois elle chantera la gloire du Général ou de l'Empereur. C'est ainsi que nous avons trouvé une chanson manuscrite signée A. T. ayant pour titre « La Colonne », qui n'est probablement que la copie d'une chanson alors connue : Salut monument gigantesque De la valeur et des beaux-arts, D'une teinte chevalresque Toi seule colore nos remparts De quelle gloire l'environne Le tableau de tant de hauts faits ; Ah ! qu'on est fier d'être Français Quand on regarde la Colonne. Avec eux la Gloire s'exile Osa-t-on dire des proscrits, Et chacun vers le champ d'asile Tournoit des regards attendris; Malgré les rigueurs de Bellonne La gloire ne peut s'exiler Tant qu'en France on verra briller Des noms gravés sur la Colonne. L'Europe qui dans ma patrie Un jour pâlit à ton aspect, Et brisant ta tête flétrie Pour toi conserve du respect. Car des vainqueurs de Bellonne Des héros morts dans l'étranger Les ombres pour la protéger Planoient autour de la Colonne. Anglais fiers d'un jour de victoire Par vingt rois conquis bravement T u prétends pour tromper l'histoire Imiter ce beau monument. Souviens-toi donc race Bretonne Qu'en dépit de tes factions Du bronze de vingt nations Nous avons formé la Colonne.

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Et vous qui domptez les usages Guerriers vous pouvez désormais Du sort mépriser les outrages, Les héros ne meurent jamais; Vos noms, si le temps vous moissonne Iront à la postérité Vos brevets d'immortalité Sont burinés sur la Colonne. Proscrits sur l'onde fugitive Cherchez un destin moins fatales [sic], Pour moi comme la sensitive J e mourrai sur le sol natal; Et si la France un jour m'ordonne De chercher au loin le bonheur J'irai mourir au champ d'honneur Ou bien aux pieds de la Colonne. Autre chanson manuscrite sur papier de l'époque intitulée « Bertrand au tombeau de son Général ». Ce sont les adieux de Bertrand aux restes de l'Empereur à Sainte-Hélène. Ce poème reflète certainement les sentiments des vieux soldats de l'Empereur qui étaient nombreux en Sologne. Le général Bertrand était d'ailleurs originaire du Berry. Il accompagna Napoléon en exil et y resta jusqu'à la mort de l'Empereur. Avant de quitter le rivage Où dort pour jamais un héros, Bertrand près du rocher sauvage A sa tombe adresse ces mots : C'est donc là que le Dieu du monde A vu ses beaux jours se flétrir, Sur un roc au milieu de l'onde, Le sort le condamne à mourir. Ah ! donnez lui compagnons de sa gloire Seulement une larme, un soupir par victoire Et plus que lui jamais Français N'aura coûté de pleurs et de regrets. Après avoir contraint la terre A trembler vingt ans sous ses pas, Ici le rival du tonnerre Fut forcé d'enchaîner son bras

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Après avoir lancé la foudre J'ai vu l'oiseau de Jupiter Ici presque réduit en poudre Courbé un front longtems si fier. Celui qui du haut des collonnes Forçait les rois à se cacher Celui qui donnait des couronnes A pour tombe un creux de rocher Celui qui balançait Dieu même Hélas le vainqueur des vainqueurs Tomba loin de son diadème N'a plus d'autels que dans les cœurs. Du monde on[?] avec les provinces A ses pieds brûler leur encens Il eut pour esclaves des princes Et des rois pour ses courtisans. Partout où grondait son tonnerre Les peuples venaient l'adorer Il est rentré dans la poussière Et moi seul ose le pleurer. Lorsque sonna sa dernière heure Un nuage obscurcit mes yeux, Et dans la céleste demeure J'apperçus tous nos demi dieux. Tous ces preux qu'en France on regrette Tendaient les bras à ce héros Et la mort planant sur sa tête Pleurait sur la coupe de sa faux. Moi qui partageais son martyre A l'Europe qui l'assista Couvert de son sang j'irai dire Vous que sa gloire épouvanta Etes vous contens de l'épreuve Qui l'a plongé dans le cercueil Et permettez vous que sa veuve Ses fils et mère portent le deuil

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Du grand homme que j e regrette Refusant tout bienfait nouveau J e ne veux qu'une violette Qui croisse au pied de son tombeau Avec moi j'emporte ses armes Nul monarque n'y touchera Encore couvertes de mes larmes U n jour son fils les portera. Adieu dernier espoir des braves, Le destin me dicte la loi D'aller vivre au sein des esclaves Qui jadis rampaient devant toi. Mais quand finira ma carrière Que l'on m'accorde dans ce heu Près de ta tombe un peu de terre C'est là mon seul et dernier vœu. 1 8 1 5 ! Louis X V I I I succède à Napoléon. La chanson ne pouvait manquer de prendre part à l'événement jusque dans les bourgs de Sologne, comme le prouve la chanson suivante, composée par un auteur du cru, qui chante cette fois la gloire des Bourbon. Elle est imprimée avec en-tête, un motif avec les trois fleurs de lys. Elle s'intitule « Chanson d'un soldat retraité sur les bords du Cher », sur l'air du « Confiteor » : Fixé près d ' l a vill' de Menn'tou Avec sa pension de retraite, U n soldat échappé d'Moscou Chantoit, enfin la Paix est faite! (bis) Mon cher Païs! (bis) quand j ' te revois, J ' dis, c'est au R o i que j e le dois, Vive à jamais, vive le R o i ! Il y a six ans quand on m'força D ' partir pour aller à la guerre, Que de pleurs ma Mère versa ! Quel fut le chagrin de mon Père (bis) Mes chers Parens! (bis) quand j'vous revois, J ' dis, c'est au R o i que j e le dois, Vive à jamais, vive le R o i !

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Je r'çus la promesse en quittant M a douce et gentille bergère, Q u e si j e revenois vivant, Elle seroit ma ménagère (bis). Chère M a n o n ! (bis) quand j ' t e revois J' dis, c'est au R o i que j e le dois, V i v e à jamais, vive le R o i ! E n Espagn' j'eus a supporter U n soleil toujours sans nuages, C o m b i e n il me fit regretter Des bords du Cher les d o u x ombrages! (bis) Bocages frais! (bis) quand j ' v o u s revois, J' dis, c'est au R o i que j e le dois, V i v e à jamais, v i v e le R o i ! A l'hôpital o u dans les champs J'aurois donc fini ma carrière, Si 1' R o i n'fut pas venu z'à temps, Je n' chant'rois plus pour ma bergère (bis). Si j ' puis encor (bis) chanter queuqu' fois, J' dis, c'est au R o i que j e le dois, V i v e à jamais, v i v e le R o i ! O vous qu'écoutez mes chansons, C r o y e z en m o n expérience, Restons fidèles aux BOURBONS, Si nous voulons sauver la France (bis) Et que chacun (bis) de bonne foi, A l'envi dise c o m m e moi, V i v e à jamais, v i v e le R o i ! Il est à peu près certain que cette chanson de propagande ne fut pas composée par un ancien soldat de Napoléon, mais par un prêtre ou un membre de la noblesse locale chez laquelle on avait l'habitude de rimer à la moindre occasion. Différents événements importants de la Seconde Restauration servirent encore de prétexte à des chansons de propagande politique. C'est ainsi qu'une cantate en 116 vers dont l'auteur était L. Merson trésorier de la légion de Loir-et-Cher, cantate imprimée chez Marne à Tours, fut distribuée dans le Blésois et la Sologne. Elle était intitulée « le 8 juillet », date du retour de Louis X V I I I après les C e n t Jours. Elle fut aussi publiée dans La Gazette de Tours.

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La France, après vingt ans de troubles, de misère, De la paix goûtait les douceurs ; Louis avait fermé le temple de la guerre, Louis avait tari la source de nos pleurs, Quand, tout à coup, la perfidie, Vint livrer à la tyrannie L'antique palais de nos Rois 5 7 : Rappelant ainsi les alarmes A u sein de la patrie en larmes, Dont le crime usurpe les droits58. Plein de rage et d'orgueil, le despote s'élance A u x champs terribles des combats. Vous qui suivez son char, son aveugle arrogance Vous dévoue au trépas. Et toi, peuple brillant, peuple brave et fidèle, Trahi par la fortune inconstante et cruelle, Longtems encor de ce tyran pervers, Que doit frapper la justice éternelle, Porteras-tu les fers ? N o n ! non ! le ciel nous est propice ; Pour nous les Dieux ont combattu; Le crime a paru dans la lice, Et déjà le crime est vaincu. Néron tombe avec son Empire, Et de son aveugle délire Recueille les horribles fruits ! Craignant la mort qui l'environne, Lâchement le monstre abandonne Les soldats qu'il avait séduits. De Henri l'éclatant panache Apparaît encor à nos yeux; A ce signe pur et sans tache, Les Français confondent leurs vœux. Louis revient ! Dieux, quelle ivresse ! Quels concerts, quels chants d'allégresse 57. Allusion à l'arrivée de Napoléon aux Tuileries le 20 mars 1 8 1 5 .

58. Cette cantate fut publiée en supplément de la Gazette de Tours, le 8 juillet même.

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Retentissent de toutes parts ! Il revient!... La France est sauvée!... De la paix l'olive adorée Remplace les foudres de Mars. L'affreuse Bellone Déserte un séjour Où l'air ne résonne Que de cris d'amour, Où l'airain ne tonne Que pour annoncer, Que pour proclamer Que le Roi pardonne. Fils de Saint-Louis, Ta sagesse immense Confond les partis ; Ta seule présence Rend à l'espérance Les Français unis. Le passé s'oublie, Et ta voix chérie Enfin nous rallie Au drapeau des lis. Ils brilleront d'une splendeur nouvelle, Ces nobles lis, emblèmes de l'honneur; Ces fleurs de lis, dont la tige immortelle Resta debout plus royale et plus belle, Lorsque loin de nos bords, sous un ciel protecteur, D'illustres fugitifs venaient verser sur elle Les larmes saintes du malheur*. O France ! ô ma chère patrie ! Elève, élève, enfin, tes chants religieux ! Et que leur sublime harmonie Monte jusqu'au trône des cieux! Vois les fils des antiques preux, Phalange fidèle et sacrée**. Arborer parmi nous l'enseigne révérée Qu'illustrèrent jadis les faits de leurs aïeux.

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Vois ces guerriers vieillis par la victoire, Dont le sang pur coula dans cent combats, Se reposer, après vingt ans de gloire, Sous les lauriers moissonnés par leurs bras. Rendus à l'empire des ondes, Vois ces innombrables vaisseaux, Du commerce aux cent bras ranimant les travaux, Apporter dans nos ports les tributs des deux mondes; Vois, du nord au midi, tous les peuples divers Ne former qu'un peuple de frères, Qui tous furent soumis à d'éclatants revers, Et dont les communes misères Préparaient dès long-tems la paix de l'univers. Vois rayonnantes d'espérance, Ces mères presser leurs enfans, Sûres que, désormais, une juste puissance Ne les ravira plus à leurs embrassemens. Vois partout l'active industrie, Des canaux de l'Etat alimenter le cours ; Du toit du laboureur l'indigence bannie, Et la jeune vierge attendrie, Sourire au tendre objet de ses chastes amours, Et que naguère, hélas! suppliant pour ses jours, Ses pleurs redemandaient à Bellone en furie. Vois un Roi qu'éprouva trop long-temps le malheur, Un Roi dont la grande âme a sauvé la patrie, Ramener parmi nous le calme et le bonheur. Ce n'est plus ce triomphateur, Qui, ne croyant qu'au droit affreux des armes, Etale aux yeux de ses sujets en larmes, Tout l'appareil de sa fausse grandeur; C'est un ange de paix, que l'Europe révère ; C'est l'héritier des vertus de Henri; Il veut régner sur son peuple chéri, Moins en héros, moins en maître qu'en père. O Roi-martyr ! veille, du haut des cieux, Sur les destins de ton auguste frère ! Conserve à ses enfans ce monarque pieux; Trompant l'ordre du tems, dont la faux meurtrière

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Tranche indifféremment et les jours d'un Tibère Et les jours d'un Roi vertueux ! Puisse le cours de son règne prospère S'étendre jusqu'à nos neveux! !... * Allusion à la retraite des princes et de leurs plus fidèles serviteurs. ** Les officiers de la maison militaire du R o i qui s'étaient ralliés en Belgique.

Les royalistes avaient éprouvé de grandes craintes avec le retour de Napoléon pendant les Cent Jours et ils n'étaient pas sûrs que la majorité des Français éprouvassent de l'enthousiasme pour la royauté rétablie. On fit donc près du peuple une propagande acharnée en faveur de la royauté et de Louis XVIII, glorifiant la paix et les grands rois de l'Ancien Régime restés populaires tels que Saint Louis et Henri IV. Ainsi une feuille volante imprimée à Valence chez J. F. Joland circulait en Sologne. Elle contient quatre chansons. Une première sans titre : Amis, enfin voici le jour Qu'attendait tout Français fidèle; Guidés par l'honneur et l'amour, Suivons Louis qui nous appelle. Ventre Saint-Gris ; au nom du fils d'Henri, Français, au fond de l'âme, Des anciens preux redis le nom chéri : Mon Dieu, mon Roi, ma Dame. Par des cruels et longs malheurs La France, hélas ! se vit abattre ; Mais le Ciel, pour sécher ses pleurs, Lui rend les enfans d'Henri Quatre, Ventre, etc. Au blanc panache, aux fleurs de lis, Que tout bon Français se rallie : Fidélité porte son prix, Par le bonheur elle est suivie, Ventre, etc. Au noble fils du Béarnais, Rendons son antique couronne, Et qu'il entende tout Français

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Répéter autour de son trône : Ventre Saint-Gris, au nom du fils d'Henri, Français, au fond de l'âme, Des anciens preux redis le cri chéri : Mon Dieu, mon R o i , ma Dame. La seconde chanson qui se voudrait de caractère populaire est en « langage paysan ». Elle est intitulée « Louis X V I I I à Napoléon, Ot'-toi d'ia que j ' m y r'mette », sur l'air « Rendez-moi mon écuelle ». Enfin v'ia qu 'je r'voyons à Paris Louis XVIII, débonnaire; Il nous rapporte les fleurs de lis, C'est c'qu'il faut pour not' gloire. D'sus mon trône t'as osé monter ! Not' bon R o i que rien n'inquiète, Lui dit : pour trois mois je t'ai laissé, C'est à mon tour d'm'y r'mettre. (bis) De Gand quand not' R o i est parti Pour revenir en France, Il fit dire à tous ses amis : Vivez en espérance. D'sus mon trône, etc. A u retour de Louis de Bourbon Les Napoléonistes Ont dit, c'est fini pour tout d'bon, Hélas! que j e som' tristes! D'sus mon trône, etc. Pour trois mois Louis X V I I I a cédé Son palais des Tuil'ries; Il dit à Napoléon délaissé T'as fait un' grand' fohe. De mon trône, etc. Vient ensuite une chanson intitulée « Vive le R o i » dans laquelle on vante la clémence du roi et la paix qu'il doit apporter à la France : U n Bourbon le plus magnanime, De France reprend les Etats, 13

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Nous ne verrons plus de victimes Morts ou blessés dans les combats ; Q u e les vrais amis de la France, D e bon cœur chantent c o m m e moi; Vive à jamais Louis plein de clémence! Vive le Roi, Vive le R o i ! (bis) O m o n Roi, dans cette puissance, Q u e vous calmerez de douleurs ! Avec vous la gaîté s'avance, Déjà se raniment nos cœurs; Q u e les vrais amis de la France D e bon cœur chantent c o m m e moi : Vive à jamais Louis plein de clémence ! Vive le R o i , vive le R o i ! Loin de nous livrer à Bellone, Vous voulez la tranquillité ; O j o u r heureux où la couronne Ornera votre Majesté ! Tous les vrais amis de la France, Alors chanteront c o m m e moi : Vive à jamais Louis plein de clémence ! Vive le Roi, vive le R o i ! Allez consoler vos familles, Vivez en paix, braves soldats ; Faites aussi le bonheur des filles, Q u i par-tout vous tendent les bras. Heureux dans notre belle France, Jusqu'au ciel élevons nos voix, Et répétons avec constance : Vive l'héritier de nos Rois ! Enfin la dernière chanson figurant sur cette feuille de colportage a pour titre : « C H A N SON : Sur l'heureux retour de Louis XVIII, R o i de France », sur l'air : « V'ià c'que c'est qu' d'avoir du cœur ». Elle exalte particulièrement la paix que doit apporter la royauté retrouvée : Ah ! que les Français sont contens D e revoir le beau drapeau blanc ! Français, chantons à l'unisson : Vive à jamais Louis B o u r b o n ! Nous revoyons le bon Louis,

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Lui et ses belles fleurs de lis. Ne craignons plus Napoléon, Car il est parti tout de bon; Nous ne verrons plus nos enfans, Toujours pleurans, toujours soupirans. Ils n'iront plus dans les combats, Nous les serrerons dans nos bras. A jamais plus de trahison, Sous le règne des Bourbons. Français, répétons à jamais : Vive l'héritier de nos Rois ! Nous serons heureux sous ses lois, Vive, vive, vive le R o i ! Nous allons voir refleurir Le commerce avec le plaisir : Sous le règne de Napoléon Nous étions à l'oppression; La paix nous fera à jamais Jouir de ses plus doux bienfaits Par

BOUDARD,

chanteur.

Prétexte à de nombreuses chansons ou poèmes destinés à toucher le cœur des foules fut la naissance du duc de Bordeaux le 29 septembre 1820. Ainsi à Bourges fut imprimée une ode sur la naissance de Monseigneur le Duc de Bordeaux dont l'auteur était un certain V . H. Berry, probablement un pseudonyme. Voici le premier couplet : France réjouis-toi : que des chants d'allégresse Retentissent partout en ce jour fortuné; Que tous les vrais Français partagent ton ivresse, L'Enfant royal est né. Suivent douze couplets du même style dont le dernier que voici : Des Bourbons à jamais la race indestructive [5/c] Effacera les noms des plus fameux guerriers; U n Prince bienfaisant fera croître l'olive A l'ombre des lauriers. Toujours au sujet de la naissance du duc de Bordeaux fut imprimée, cette fois à Blois à l'imprimerie de Mme V v e Jahyer, imprimeur du R o i , mais après l'assassinat du duc

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de Berry, sur une feuille double de format 0,195 X 0,125, des stances ayant pour titre « La Nouvelle Valentine à son Fils », sans nom d'auteur : Stances

Vous n'avez point trahi votre sainte promesse : Secrets pressentimens, songe religieux; C'est Henri; c'est un fils que dans mes bras je presse, C'est lui que tout un peuple appelait de ses vœux; Mais, combien d'amertume à ma joie est unie; Je sens battre son cœur ; j'entends ses premiers cris. O mon Charles, est-il vrai que sans toi ton Amie Ait embrassé ton Fils. Oui, pour jamais, hélas! tu fermas la paupière Sur le sein où ton Fils dort du premier sommeil; Le Ciel qui recueillit ta mourante prière, Gardait à ma blessure un si doux appareil. J'ai pu vivre pour lui, pour lui j'offris ma vie*, Et si ses jours des miens avaient été le prix, Je voulais que ma mort utile à la patrie, Lui conservât ton Fils. Puissent du moins ses traits me rendre ton image ! Mais comme un son lointain par l'écho répété ! A h ! trop de ressemblance userait mon courage, Seule, elle occuperait mon regard attristé, Je ne dois plus nourrir une douleur trop chère. Les destins de la France en moi sont accomplis. Cedez deuil de l'épouse, au devoir de la mère; Je suis mère d'un Fils. J'ai connu dans ton sein, chère et fatale France, Le comble de la joie et l'excès du malheur; Je te confie encore ma dernière espérance, Et tu n'entendras plus la voix de ma douleur, Peut-être, ais-je du sort désarmé la colère; Peut-être, (heureux retour des maux que je souffris) ; Ma jeunesse abreuvée à cette coupe amère, L'épuisa pour mon fils.

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J'ai pu dans ma détresse invoquer l'Italie, Lorsque j e vis briser le plus heureux lien; Mais aujourd'hui la France est seule ma patrie, Ses lois seront mes lois, et son peuple est le mien « C'est un Français de plus, Français que j e vous donne, « A h ! que par votre amour ses droits soient affermis, « E t n'ajoutez jamais au poids de la couronne « Q u e doit porter m o n Fils. Mais quoi son bonheur seul occupe-t'il ma crainte, Le sang dont j e naquis m'impose d'autres lois. Courageuse d'Albret, et vous, ô R e i n e sainte, A vos leçons la France a du ses plus grands R o i s , E t par mes seuls malheurs j e vivrais dans l'histoire; N o n , j e v e u x que la page où vos noms sont inscrits, Dise aussi : CAROLINE a partagé leur gloire, U n Henri fut son fils. Je te vois au récit des hauts faits de tes pères, Envier leurs vertus bien plus que leurs grandeurs : Souvent tu pleureras leurs augustes misères, Et moi, de mes baisers, j e sécherai tes pleurs. Mais, sur ton Père, hélas ! respecte m o n silence, T u sauras seulement, qu'il aima son pays, Q u ' i l sut à la valeur unir la bienfaisance. Imite-le m o n Fils. Et toi, qui souriait aux caresses d'un père ? D e m o n bonheur passé triste et d o u x souvenir; M a fille ! ne crains pas de m'être un j o u r moins chère. M o n Charles t'a bénie à son dernier soupir : U n e mère n'a point d'inégale tendresse, Entre mes deux enfants m o n cœur reste indécis ; Mais la fille des R o i s peut bien, dans son ivresse, Etre fière d'un Fils. * Souvenez-vous que l'Enfant que j e porte est à la France, en cas de danger, n'hésitez pas à le sauver, m ê m e au dépens de ma vie. Paroles de S.A.R. Madame la Duchesse de Berry à M. Desneux.

N a p o l é o n meurt le 5 mai 1821 à Sainte-Hélène. La monarchie n'avait donc plus rien à craindre de l'usurpateur. Mais il fallait tenter d'extirper le bonapartisme cher au

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cœur de bien des Français. Circulent alors dans les villes et les campagnes des feuilles volantes telle celle dont nous donnons copie ci-dessous dans lesquelles on tente de ridiculiser l'Empereur et que nous avons aussi retrouvée en Sologne. Cette feuille est intitulée « Histoire de Napoléon, racontée dans une fête de village ». « Silence ! Je vais vous raconter l'histoire de Napoléon, particulier très connu, né dans l'île de Corse, petit gueux de pays situé à deux portées de fusil de la mer, et ousque les habitans ont l'habitude fatiguant [s/c] de s'assassiner de père en fils. Ses parens, qui étaient dans une parfaite débine, le mettent à l'école militaire, rempli de dispositions, avec un petit chapeau à 3 cornes, les mains sur le dos, imitant déjà son portrait. C e jeune h o m m e travaillait beaucoup qu'il en avait les y e u x creux, et la figure, parlant par respect, couleur d'une culotte de nankin. V o y a n t ça les maîtres d'école dirent : Voilà un jeune h o m m e qui a réellement du goût pour l'artillerie. Alors à force de piocher, étant parvenu à un âge très-jeune, le voilà général... très-maigre, toujours très maigre, mais de grands cheveux; ah! des grands cheveux par exemple. Le g o u vernement de cette époque, qui était composé de cinq particuliers ornés de plumes, le gouvernement le fait venir et lui dit : A h ça! m o n b o n h o m m e , c'est pas tout ça... Il faut que tu t'en ailles en Italie, ousque les Autrichiens nous embêtent à quarante sous par tête, et il faut que tu leur donnes une poussée que le diable en prenne les armes. Lui qui entend ça avec sa figure jaune et ses grands polissons de cheveux qu'il avait toujours, il leur dit : C o n v e n u ! assez causé ! E t il file en Italie (qui est la patrie du vermichel et des cordes à violon). Il traversa le Saint-Bernard; une montagne élevée, trois fois Montmartre, où ce qu'il y a une fameuse hospice, tenue par des moines. Us ont des chiens caniches, qui sont chargés par le gouvernement d'aller gratter les particuliers sous les neiges. C'est une grande philantropie de la part de ces caniches-là, m o i j e n'aimerais pas ça n'ayant pas été dressé à la chose... Faut être petit, faut être pris tout petit pour cette profession-là. U n e fois en Italie il administre aux Autrichiens une pile des plus célèbres et revient à Paris avec des millions de milliasses de drapeaux et autres petits objets glorieux, plein les Invalides. Mais un instant, voilà m o n luron qui part pour l'Egypte

A h ! D i e u de Dieu, mes pauvres amis, c'est là un territoire

maussade (à ce que m'a dit m o n cousin Baptiste qui était tambour dans la 27 e , et qui jouit d'une j a m b e de bois pour le quart d'heure), au pays o ù il fait 160 degrés de chaleur en plein cœur de l'hiver, et o ù vous ne rencontrez pour vous désaltérer que du sablon fin, fin, fin, fin, et des cocodrilles qui se promènent c o m m e des bons bourgeois, avalent les chrétiens avec armes et bagages, selon les botanistes. Pas à dire, il y a pas d'auberges, la grêle en nature; et puis des vieilles colonnes cassées, hors de services, et des grands scélérats de pains de sucre, en pierre, o ù ce que ces gens-là tiennent leurs rois au frais ; ce qui paraît leur plaire généralement dans cette contrée émaillée de chameaux. « C'est à cette époque-là que les Mamelucks ont eu de l'agrément, tous ceux qui n'ont pas eu le bonheur suprême d'attraper un boulet de canon, se sont trouvés provi-

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soirement noyés dans le Nil. Napoléon, qui n'était alors que Bonaparte, voyant cette grande infusion de Mamelucks, dit : ' voilà qui est délicieux ! ' après ça il repart pour la France, laissant dans le pays un appelé le général Kléber. Ce général s'est même trouvé assassiné par un gueux de l'endroit qui fut fait mourir au moyen d'une bayonnette sur quoi on le pria de s'asseoir, qui est la manière de guillotiner parmi ces peuples mahométans. Alors Napoléon épousa son épouse, belle femme très jolie et remplie de plusieurs qualités et de douceur, étant née à la Martinique (pays des cannes à sucre). Le voilà donc qui recommence à dauber sur les ennemis et qu'il leur y en donne à à Eylau, à Friedland, à Austerlitz, ah ! nom d'un petit bonhomme ! quelle contre-danse ! et quels scélérats de vaincus, tous étrangers, ils parlent tous allemand, je ne sais pas comment ils font pour se comprendre. Cependant Napoléon se disait : ' U n petit moment, si j e venais à décéder, qui est-ce donc qui prendrait les brides du gouvernement. Je suis vexé parce que voilà Joséphine (qui est ma femme) que j'ai pour elle la plus grande considération, mais mon Dieu! mon Dieu! l'impératrice est si majeure qu'elle ne pourra jamais me faire cadeau du moindre petit roi de R o m e ; ma position est de la dernière trivialité '. Il va donc droit à l'empereur d'Autriche qui était un grand maître, parfaitement poudré avec une grande queue. Napoléon lui tient ces propres paroles : ' A la demande générale du public, j'aurais besoin de votre fille dont je suis très épris n'importe laquelle '. L'empereur d'Autriche voyant un homme très bien et qui avait une bonne place lui donne sa fille complètement. U n quart d'heure après Napoléon va se promener en Russie avec 800 mille lapins Mais ils rencontrent un voleur de froid, un froid que le feu gelait, et qu'il ne s'est un peu réchauffé qu'à la grande incendie de Moscou. Après avoir brûlé leur ville de fond en comble, les ennemis sont donc venus à Paris, et ces gascons-là disaient qu'ils nous avaient vaincus. Voyant tant de monde acharné à son individu, c'est alors que le pauvre usurpateur dit cette parole à jamais célèbre : ' J e m'en vas ! ' Comme de fait, il alla faire un tour à l'île d'Elbe, d'où ce qu'il revint nous faire une petite visite d'amitié ; après quoi l'infortuné héros fut, par les anglais, conduit de brigade en brigade jusqu'à l'île de Sainte-Hélène. Et à présent croiriez-vous bien que dans cette Angleterre, dans ce pays si renommé pour sa générosité et pour les qualités brillantes de son cirage, on veut faire croire que Napoléon est mort ? et dire que chez nous il y a des gens assez petits pour ajouter foi à une pareille indécence ! lui mort ? jamais ! Ils ne le connaissent pas, il en est incapable. Il fait le mort, mais il creuse, il creuse , et un beau jour il sortira de son trou avec son petit chapeau et deux millions de Nègres pour le bonheur de la patrie!... et voilà l'histoire de Napoléon ». Il est bien évident que ce factum a été composé par des royalistes. L'allusion aux « cinq particuliers ornés de plumes », allusion moqueuse aux cinq membres du Directoire et l'emploi dans le texte du mot « usurpateur » pour désigner Napoléon ne peuvent laisser aucun doute à ce sujet. Cette feuille n'est pas datée. Il semble que sa diffusion

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ait eu pour but principal en dehors de celui de discréditer l'Empereur, de confirmer que Napoléon était bien mort, « dead as a door-nail » (aussi mort qu'un clou de marteau de porte) comme dirait Dickens, et qu'il fallait que les bonapartistes se mettent bien ce fait dans la tête. Cette feuille de propagande royaliste a donc dû être distribuée aussitôt après la mort de Napoléon, c'est-à-dire dans la seconde partie de l'année 1 8 2 1 . Décembre 1 8 2 2 : Montmorency, ministre des Affaires étrangères de Louis XVIII, obtient du congrès de Vérone que la France, l'armée française, rétablisse Ferdinand VII sur le trône d'Espagne. Ce fut une promenade militaire dont le duc d'Angoulême, chef de l'expédition, retira toute la gloire. Cette guerre fut soigneusement préparée dans l'opinion publique par une série de chansons. Une chanson manuscrite que nous avons retrouvée à Romorantin en est la preuve. Elle s'intitule « Vœux d'un soldat français », sur l'air : « Dans cette plaine où l'Angleterre » : J e suis soldat la loi m'appelle J e pars gaiment au champ d'honneur Combattre tous ces infidèles Qui s'opposent à notre bonheur. Tremblez ennemis de la France, Tremblez à l'aspect des Français; Songez donc que cette puissance Peut vaincre et chanter à la fois. Servir son roi, défendre sa patrie, Boire souvent, caresser son amie Etre fidèle observateur des lois, Voilà les vœux de tout soldat français. S'il faut que j e parte en Espagne, De bon cœur, je verrai Madrid, S'il faut y faire une campagne, Il y fait chaud, c'est midi Mais les Français sont peu timides Sachant rire et sachant mourir ; Lorsque conduits par de bons guides Ils battent et disent avec plaisir : Servir son roi, etc. Certes pour une juste cause J e me battrais jusqu'à la mort, Et s'il faut j e me dispose A lutter contre le plus fort.

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A u x ennemis nous ferons face, Qu'ils craignent l'ardeur des Français ; Bientôt ils demanderont grâce, Mais nous redirons ces couplets : Servir son roi, etc. Toujours animé de courage, Toujours hardi comme un lion J e ne crains ni sang ni carnage, J'ai d'un brave l'ambition J'irai au travers la muraille Toujours j e suivrai nos drapeaux; J e foncerais [s/c] sur les canailles, Tout en réitérant ces mots : Servir son roi, défendre sa patrie, Boire souvent, caresser son amie, Être fidèle observateur des lois, Voilà les vœux de tout soldat françois. N e circulaient pas seulement des feuilles volantes, mais comme nous l'avons vu à des époques précédentes, de petits recueils de chansons. Tel celui imprimé à Orléans chez Darnault-Maurant et qui contient cinq chansons, les quatre premières étant sans nom d'auteur. La première, « Couplets à son altesse royale M g r le Duc d'Angoulême », sur l'air du « Mont St. Jean » a encore pour thème l'expédition d'Espagne ( six couplets) : A renverser la monarchie On s'occupait chez nos voisins ; Déjà l'effroyable anarchie Nous présageait les Jacobins. D'une liberté frénétique Deux monarques portaient les fers, Et la péninsule hispanique Etait le foyer des pervers, Le foyer des pervers. O mon pays ! pour célébrer ta gloire, Avec transport j e chante la victoire, Et j e fais crier aux échos : Vive le R o i ! la France et nos héros! (bis)

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La seconde chanson est une chanson satirique qui tourne en ridicule les arguments de ceux qui étaient contre cette guerre, tel le député libéral Manuel qui fut expulsé pour avoir combattu le projet de cette expédition. « Le marchand de fagots à la mode ou le Ier avril 1823 », sur l'air des « Portraits à la mode », tel en est le titre : J'ai mon dicton, c'est qui vivra verra; Mais dieu-merci pourtant on vieillira, Sans voir le tems qui réalisera Les absurdités que l'on brode. Pour débiter les fagots qu'on fera, Dans ma patente on m'autorisera, Et dès ce soir sur ma porte on lira Marchand de fagots à la mode. Chez l'Espagnol notre armée entrera, Elle payera quand elle en sortira, Nous dit toujours le libéral ultra Que notre succès incommode. Ensuite il dit : « C'est Mina qui battra ; Napoléon dès l'instant criblera; Enfin Louis au plutôt vannera » ; Voilà des fagots à la mode59. Après trois couplets du même ton, la chanson se termine par celui-ci : Un autre dit : je crois que l'on vaincra; Mais quel malheur il en résultera ! Noble et curé chacun nous vexera Comme dans l'ancienne méthode. Ah ! pauvre Charte ! on la déchirera, L'inquisiteur chez nous s'établira; Les biens rendus, la dîme et cœtera, Qui veut des fagots à la mode ? Dans cette propagande politique par la chanson, on usait toujours des mêmes vieilles « ficelles » pour émouvoir la sensibilité populaire. Aussi la chanson suivante, composée à l'occasion du passage annoncé de S.A.R. M^r le duc d'Angoulême à Orléans et dans 59. Mina était un chef de guérillas espagnoles qui lutta contre Napoléon et Ferdinand VII. Nous ne savons si c'est la chanson qui popularisa son nom en

Sologne, niais on dit encore « c'est la bande à Mina » pour désigner une bande de vauriens ou de gens peu intéressants.

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l'Orléanais à son retour d'Espagne, est en langage dit « paysan ». Son titre est : « Récit d'un villageois royaliste », air : « La garde royale est là ». Elle comporte dix couplets :

I er couplet : C' tantôt 1' désir, l'impatience, M ' faisaient dire à tout moment : C ' Prince fameux c't appui d ' l a France R'pass'ra-t-i par Orléans ? Tandis que j ' m'échauffe la bile, Louise accourt et m' dit comm' ça : « Mon Dieu ! François, à c'te ville « Qu'eu gaîté partout ign'a ! « Quand j'vois ça, « Quand j'vois ça, « J'dis l'Duc d'Angoulême est là ! » 3e couplet :

D'ia bonn' caus' qui nous enflamme J'causons tout l'iong d ' n o t ' chemin. — « Quoi-t'es-c' donc (m' demande ma femme) « Qu'un eultra, qu'un roquentin60 ? » — L ' z'habits d'ceux qu'ainsi l'on nomme Jamais on n' les r'tournera, Pour son R o i , comm' un brave homme, Chacun d'eux, tant qu'i vivra, Se flatt'ra Se flatt'ra D'êt' un roquentin zultra.

9e et 10 e couplet : J ' r'gagnons la ru' Royale Et j ' suivons jusqu'au Martroi, L ' Prince et la Gard' Nationale, En criant : Vive le R o i ! J ' voyons tout' les réjouissances Que Monsieu' 1' Maire ordonna, Les mats, les lampions, les danses, Et 1' feu d ' j o i ' qu'il alluma. Tout c'feu là, Tout c'feu là, Dans nos cœurs toujours flamb'ra! 60. Roquentin = royaliste.

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Morguenne! aujourd'hui j ' régale, Buvons tous à not' bon R o i ! Puis à la Famill' R o y a l e ; Buvons itou d ' b o n aloi. A c grand vainqueur dont 1' visage Annonc' la bonté qu'il a, D'main matin, dans mon village, Tout' la foui' qui 1' salura t S>écrira, » > S écrira Vive un Prince comme c' tila ! La quatrième chanson de ce petit recueil, est une chanson satirique contre les libéraux. Elle porte le titre : « L'incrédule libéral » et se chante sur l'air « Ça n' se peut pas », en sept couplets. Le premier couplet prend à partie le Journal des Débats : Amis laissons le gobe-mouche Vivre dans sa crédulité; Nous ne devons ouvrir la bouche Que pour dire la vérité. Méprisons ce menteur nuisible, Qu'on nomme Journal des Débats, Tout ce qu'il donne est impossible, Ça n' se peut pas ; ça n' se peut pas. Les six autres couplets ont toujours pour thème l'expédition d'Espagne contre laquelle étaient les libéraux. Quant à la dernière chanson, dont l'auteur nous est-il dit était : Garnier, SapeurPompier de la Garde Nationale, elle avait été chantée le 28 décembre 1823, au banquet offert par la ville d'Orléans à M M . les Officiers du bataillon de guerre du 6e régiment de la Garde Royale. Elle célèbre les exploits du Prince et de ses soldats en Espagne, en cinq couplets du plus pur style pompier. La pacification de l'Espagne et le retour de l'armée française en 1823 inspirèrent encore à Gaudeau, ancien principal du collège de Romorantin, alors principal du collège de Blois, des stances qui furent imprimées chez la V v e Verdier à Blois et lues à la Société littéraire et philharmonique de Blois, le 14 décembre 1823. Il y avait quinze couplets. Voici les trois premiers : La révolte avait dit : Non, le sceptre des Rois, N'enchaîna point encor mes vœux ni ma furie ;

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J'en jure par l'enfer, aux champs de l'Ibérie Le trône d'un Bourbon, va tomber à ma voix. L'honneur a répondu : nobles soutiens des Lys, Rangez-vous sous mes lois : que mon héros vous guide; Voyez l'hydre du mal, aux colonnes d'Alcide, De Pélage égare les enfans avilis. Soudain se sont levés nos guerriers valeureux; Bientôt ils ont franchi les rochers de Pyrène, Et pareils aux vieux pins que le torrent entraîne, Les rebelles frappés ont roulé devant eux.

M. le Principal était très orthodoxe. L'opposition libérale à cette expédition d'Espagne avait été très forte, le nombre de chants, de poèmes que nous avons retrouvés le prouve. La propagande était bien faite. Le dernier exemple que nous citerons est une chanson faite à Romorantin par le capitaine de la Compagnie des Grenadiers et dédiée à ses officiers, sous-officiers et soldats, portant la date du 26 août 1823. Elle se chante sur l'air des « Habitans des Landes » et fut chantée par l'auteur à la fin du banquet qui réunit ladite Compagnie de Grenadiers. On verra que le capitaine était un médiocre poète : O vous dont la vigilance Fait de vos chefs des amis, Pour moi quelle jouissance De vous voir tous bien unis Soit au camp, soit à la table, Partout où l'on vous verra Votre ardeur infatigable Est telle que l'on dira On dira (bis) Les grenadiers sont tous là (bis) Nous sommes tous ce me semble Grenadiers de bon aloi Et nous saurons tous ensemble Procurer notre ardeur au R o i . Pour une tête si chère Chacun de nous veillera

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Q u a n d il s'agira de faire C e qu'il nous ordonnera. O n verra (bis) Tous les grenadiers sont là (bis) Pour notre cause chérie Prêts à nous faire tuer A DIEU, SON R O I sa patrie C h a c u n sera tout entier. U n capitaine fidèle Jamais ne vous quittera Et pour seconder son zèle Q u i toujours redoublera Il verra (bis) Tous ses grenadiers sont là. (bis) Le capitaine fut très applaudi. Il est vrai que c'était à la fin d'un banquet. 1824. Louis X V I I I meurt. Il est remplacé par Charles X . Le roi est mort, v i v e le roi. Le seul document que nous ayons découvert dans des papiers de famille à R o m o r a n t i n est un cantique « en l'honneur de Sa Majesté Charles X » écrit à la main sur une feuille volante : V e n e z Français, le D i e u dont la puissance Fait triompher et le trône et la foi V e u t aujourd'hui qu'on chante dans la France Gloire au très Haut, vive notre b o n R o i . V i v e la France V i v e le R o i Toujours en France Les Bourbons et la foi. Q u a n d nos tyrans respirant la vengeance Faisaient régner la terreur et l'effroi Q u a n t tout sembloit perdu pour notre France N o u s espérions toujours en notre R o i . Vive... Il est à nous ce gage d'alliance D u vieil honneur et de l'antique foi T o u t cœur français redit en sa présence V i v r e et mourir pour son Dieu, pour son R o i . Vive...

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Honneur, louange, amour, reconnaissance, Pour tes bienfaits, grand Dieu : car c'est à toi. Que nous devons le salut de la France Que nous devons le retour de son Roi. Vive... Reine des cieux protège l'héritage Que les Bourbons ont soumis à ta loi Montre toi mère achèves ton ouvrage Daigne veiller sur la France, sur son Roi. Vive... De tes exemples exauçant la prière Déjà sur nous tu répands tes bienfaits Et de nos lys soutenant la bannière Promets la gloire aux Bourbons, aux Français. Vive... 1830. Les almanachs, tel celui de Mathieu Laensberg édité à Rouen chez la Vve Trenchard-Behourt, fort répandus en Sologne, ne contenaient pas de chansons ou d'articles politiques, sinon le portrait de la famille royale ou la liste des membres de cette famille. Ils étaient en tout cas très orthodoxes et fort prudents. Mais la chanson politique reprend son essor avec Louis-Napoléon. Dès 1840 ou 1841 certains petits opuscules de colportage, tel celui de 12 pages imprimé à Tours chez De Goisbault-Delebreton et intitulé L'Indicateur

Universel

ou description des cinq parties du monde..., v e n d u par Lisebach et

son épouse, est intéressant à analyser par la diversité des informations que l'on y rencontre et la propagande politique qui s'y trouve. Si les trois premières pages sont consacrées à Paris, à ses monuments — passons sur sa fondation en 700 avant J.-C. par un capitaine romain du nom de Lucus accompagné d'une centaine de ses soldats —, si on y donne ensuite l'itinéraire des principales routes de France, la page 7 est consacrée à un article intitulé « Coup d'œil sur Napoléon », qui est un éloge de Napoléon qui ne pouvait que réjouir le cœur des vieux grognards et des bonapartistes encore nombreux. Nous pensons que cet éloge de Napoléon diffusé donc vers 1842, c'est-à-dire dans une période où le règne de Louis-Philippe est émaillé de troubles violents qui se continuent depuis 1834, est déjà une action discrète bien qu'indirecte en faveur de Louis-Napoléon, le neveu de l'Empereur, le futur Napoléon III, qui le 28 octobre 1836 avait fait à Strasbourg une tentative pour prendre le pouvoir, tentative qui échoua, ce qui lui valut d'être exilé en Amérique. Voici cet article : « L'histoire de Napoléon s'étant propagée dans tous les pays avec une rapidité incroyable, voilà pourquoi il deviendrait inutile de tracer au leeteur [51c] autre chose

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Chansons historiques, politiques et satiriques

que ce qui touche les trahisons et les embûches que quantité de traîtres tendirent à ce grand capitaine. Jettons les y e u x un m o m e n t sur son grand courage, ses vastes entreprises et son grand génie dans l'art de conduire une armée formidable. C'est par lui que les monts glacés du Saint-Bernard furent franchis et rendus praticables; car il est vrai que jamais aucun monarque n'en avait conçu le projet [sic]. « Là, il réclame ses victoires et les lauriers que les Français avaient cueillis. ' O ù sont tous ces trophées, disait-il, qui devaient rendre la France immortelle, et perpétuer le souvenir de tant de hauts faits acquis au prix du sang de tant de braves ? ' « Tandis que Napoléon, d'une v o i x de tonnerre, s'exprimait ainsi, l'assemblée murmurait sourdement sur la perte du héros de notre siècle, quand tout-à-coup un monstre déchaîné s'échappa de la foule, armé d'un poignard, en dirigeant ses pas précipités vers ce grand h o m m e , et allait lui porter le coup fatal, lorsqu'un grenadier de la garde l'arrête d'une main vigoureuse, en criant : Vengeance ! on assassine notre général! Dans l'instant, l'assemblée de ces tigres fut dissoute par les baïonnettes de nos braves, puis les dispersèrent, entraînant avec elles remords et la honte 6 1 . « N a p o l é o n a été vainqueur dans quatre-vingt-quatorze batailles ou combats. Les Autrichiens ont été battus deux-cent-trente-trois-fois, les Prussiens quarante-deux fois, les Anglais trente-deux fois, les Espagnols cent douze fois, les Russes cinquantequatre fois et les troupes alliées quarante-huit fois ». V o i c i la « N o u v e l l e règle du j e u de billard » : « i . La Belgique nous remet la queue. 2. L'Angleterre marque les coups. 3. La France touche du gros bout. 4. La Prusse manque de touche. 5. La Hollande reçoit le coup de bas. 6. Le général Chassé fait triplot. 7. La duchesse de B e r r y est collée sous bande. 8. L e roi de Hollande se perd. 9. La Russie manque de point. 10. L e Choléra-Morbus finit par un carambolage. 11. La France gagne la partie. 12. Le lecteur paie les frais »62. 61. Allusion probable à la tentative d'assassinat de Bonaparte (vraie ou fausse) dont fut accusé Barthélémy Arena, membre du Conseil des Cinq-Cents le 18 Brumaire et qui entraîna le coup d'Etat, où le Conseil des Cinq-Cents fut chassé à Saint-Cloud par les grenadiers commandés par Murât et à la suite duquel Bonaparte fut n o m m é Premier Consul. 62. Cette « règle du j e u de billard » fait état de la

situation politique de l'Europe au moment où la Belgique en 1830 se soulève contre la Hollande. La France prend alors immédiatement la Belgique sous sa protection. A u x conférences de Londres l'opposition du roi de Hollande, Guillaume de Nassau, est réduite, malgré le soutien que lui apportent la Prusse, l ' A u triche et la Russie. La France refusa d'annexer la Belgique et Louis-Philippe ne voulut pas accepter

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S E R V A G E

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MARS.

40. G r a v u r e satirique très rare, en c o u l e u r , représentant la noblesse royaliste ( M . G u i n g u e t du S e r v a g e , habit bleu roi (fleurdelysé) reprenant le c h e m i n de l ' é m i g r a t i o n sur le dos d ' u n valet habille à l'anglaise au m o m e n t d u retour

de Napoléon

( C o l l . auteur.)

de

l'île de l ' E l b e

(pluie d e violettes impériales)

en mars

1814

(Giboulées

de

mars).