La septième wilaya : la guerre du fln en France (1954-1962)
 9782020092319

Table of contents :
Préface
I. Les premiers pas du FLN en France
II. Le comité fédéral ou « Comité des Cinq
III. Le nidham ou l’organisation politico-administrative
IV. Les branches parallèles : travailleurs et étudiants
V. Le second front
VI. Presse et information
VII. Autour de l’Hexagone
VIII. La circulaire Michelet
IX. Barreaux et barbelés
X. Le collectif des avocats
XI. Les couloirs de la mort
XII. La logistique
XIII. Vraies filières et faux papiers
XIV. Évasions réussies. Évasions manquées
XV. Le MNA
XVI. Le plan « Théodore »
XVII. Le PCF face au FLN
XVIII. Le nerf de la guerre
XIX. Maldonne à Osnabrück
XX. Un ultra au FLN
XXI. Octobre à Paris
XXII. De Fresnes à Manhattan oula deuxième grève de la faim
XXIII. Hommes à abattre
XXIV. Répression et contre-répression
Questions pour conclure
Annexes
Index des noms
Table

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LA 7e WILAYA

A L I HAROUN

LA 7e WILAYA LA GUERRE DU FLN EN FRANCE 1954-1962

ÉD ITIO N S DU SEUIL 27, rue Jacob, Paris VI*

ISBN 2-02-009231-X.

C ÉDITIONS DU SEUIL, MAI 1986. La M da II taan 1957 M m* M copM oa nfw fcnM a JwtiaM à aaa atilMlioa collective. Tóete repréiiof lion on raprodectioe intégrale on pertkUe feite per qeelqee procédé qee oe aoit, aem le coocntcmeiit de I’eeteer oa de set eyents canee, crt Abate et ooastitee one ooouefepoe eeecrtoonéc per lee ertkftn 425 el nhrente de Code péeel

Préface

Le 1er novembre 1984, l’Algérie commémorait le trentièm e anniversaire de l’insurrection de novembre. Perçue au départ comme un trouble infligé à l’ordre public français, la guerre se term ine prés de huit années plus tard, par la reconnaissance du droit des Algériens à l’indépendance, non sans avoir causé aux deux peuples des traum atism es graves, parfois ingué­ rissables. Pour la génération née à l’issue du conflit et qui n’en a pas vécu les passions, c’est déjà de l’Histoire. D’aucuns ont cru pouvoir transcender cette Histoire, exorciser les démons du passé par la visite du président français au Carré des M artyrs à Alger, suivie de celle du président algérien au tombeau du Soldat inconnu à Paris. D’autres ont vu dans cette rencontre entre les deux chefs d’É tat des « retrouvailles historiques entre la France et l’Algérie [...], l’oubli définitif des déchirem ents passés [...], le dépasse­ ment des rancunes vieilles de plus de vingt a n s 1». Cependant la page n’est pas tournée pour tous. Au fronton de nom­ breuses mairies du midi de la France, le 1" novembre 1984, les drapeaux sont mis en berne « pour protester contre l’officialisation par le gouver­ nement français, en la personne de son ministre des Relations extérieures, de l’agression du FLN algérien contre la France il y a trente ans 1». Hélas, le temps d’une génération n’a guère, semble-t-il, paru suffisant pour cicatriser les plaies, effacer les m eurtrissures. Faut-il dès lors attendre, pour en parler sans passion, un plus long recul qui apaiserait les esprits? Certes, relater l’action du FLN sur le sol de l’Hexagone - ce qui est l’objet essentiel de l’ouvrage - n’est pas aisé. L’auteur est parfaitem ent conscient des risques de l’entreprise. D’abord à l’endroit de ceux qui, aujourd’hui, conçoivent encore et toujours le FLN comme l’agresseur de leur pays. Ils n’y verront rien d’autre que l’apologie d’une rébellion qui n’acquerra jam ais à leurs yeux son brevet de légitimité. Reste que s’ils veulent parcourir une page vraie de l’histoire nationale, qui ne refléterait pas seulement le dialogue avec eux-mémes, la réalité d'en face, telle que l’adversaire l’a vécue, n’est pas à dédaigner. De leur côté, les jeunes Algériens de la seconde génération d’émigrés, auxquels il n'a pas été donné de s’enthousiasmer pour une cause qui exalta leurs aînés, risquent d’y déceler la glorification d’un combat que ne justifient guère ni le 1. Le Mende. Il novembre 1983.

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La 7' wilaya développement excessif de rém igration ni le sort peu enviable qu’elle connaît actuellem ent en France. Pour un grand nombre, il paraîtrait peu plausible d’étre le soldat d’un camp, et de porter sur le conflit un regard non entaché de partialité. Mais l’engagement partisan pour la reconnaissance du droit à la liberté empêche-t-il de l’évoquer, surtout lorsque l’issue de l’événement a consacré la justesse d’une cause, celle de l’indépendance, dont personne aujourd’hui ne conteste le caractère inéluctable? Et puis, les acteurs d’une guerre qui d’un côté ébranla les bases séculaires du régime républicain en France, et de l’autre ramena sur la seine internationale l’Algérie éclipsée depuis cent trente-deux ans, doivent-ils emporter avec leur dernier souffle le « non-dit du vécu »? C’est pourquoi l’ouvrage traduit davantage l’opi­ nion de la direction collective de la fédération de France du FLN, en particulier celle d’Om ar Boudaoud et Kaddour Ladlani qui en suivirent la rédaction sans discontinuer, qu’il n'exprime le point de vue personnel de l’auteur. Ces pages voudraient retracer l’apport des milliers de femmes et d'hommes qui constituèrent la fédération et qui - fait sans doute unique dans l'histoire coloniale - , se trouvant émigrés sur le territoire même de la puissance occupante, forgèrent, durant la guerre d’indépendance, un instrum ent de combat original, et particulièrem ent efficace. Efficace au point que la réunion des dix colonels, tenue durant l’été 1959 pour donner une nouvelle direction au Front, proposait d’attribuer le statut de wilaya à la fédération. Dans sa session de décembre suivant, le Conseil national de la révolution algérienne (CNRA) consacrait ce statut. Il reconnaissait ainsi que la participation de l’émigration à la lutte de libération pesait d’un poids égal à celui de chacune des six wilayas, ou régions m ilitaires, composant l’Algérie en guerre. C ette décision de la plus haute instance révolutionnaire fut occultée puis méconnue, dès lors que, l’indépendance acquise, la foi m ilitante fit très souvent place à l'arrivism e politicien. Il était temps que ces pages fussent écrites afin de relater l’événement dans son exacte vérité. Pour en tenter l’approche, l’ouvrage s’inspire autant d’écrits rédigés dans l’ardeur de l’action quotidienne, que de témoignages recueillis dans la sérénité assurée par les lustres écoulés. Le cloisonnement, indispensable à la survie de toute organisation clan­ destine, ne perm ettait à aucun cadre du FLN en France, aussi haut placé dans la hiérarchie fût-il, de connaître dans ses détails le fonc­ tionnement d’un service ou d’un échelon parallèle. Aussi, plusieurs chapitres furent-ils soumis pour avis au plus grand nombre possible de cadres intéressés, et l’ensemble au chef du comité fédéral, ainsi qu’au responsable de l’organisation. D’autres épisodes ne purent être sérieu­ sement remémorés que par l’appel aux amis français, allemands, belges, suisses, qui vécurent avec les m ilitants du Front ces années douloureuses, mais combien fécondes, dans la conviction qu’en œuvrant pour la fin de la domination coloniale, ils préservaient ainsi l’am itié entre les

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Préface peuples de l’Europe dom inante et ceux du tiers monde émergeant à la vie. É crite avec la conviction que ceux qui ont vécu cette époque ont le devoir de dire ce qu’ils savent des divers aspects de la lutte et des hommes qui l'ont menée, que les citoyens ont le droit d’en connaître les m ultiples péripéties, l’œuvre tend au maximum d’objectivité accessible. C’est pourquoi le récit se cantonne à la narration événementielle, l’ouvrage demeure volontairem ent factuel et les noms propres sont abondamment cités. Sans doute des cadres importants ne sont pas mentionnés. Des événements notables ne sont pas relatés. Ces omissions, pour involontaires qu’elles soient, s’expliquent surtout par la quantité extraordinaire de militants appelés à exercer des responsabilités au sein de la fédération, et l’impossibilité de dresser, en un seul ouvrage, un tableau exhaustif de toutes ses activités. Enfin, notre objet n’est pas une exégëse de l'action du FLN sur le territoire français, encore que celle-ci ne soit par exempte d’erreurs. Les faits - tus jusqu’à nos jours - doivent d’abord être connus. L’analyse critique est subséquente. Elle est d’ailleurs souhaitable pour la guerre d’indépendance dans sa globalité, en deçà comme au-delà des frontières algériennes. Si ce livre révèle des éléments mal connus, ignorés ou dénaturés concernant le rôle de l’émigration en France, il aura satisfait l’ambition de ceux qui l’ont conçu. Apportant un m atériau de base nécessaire à la compréhension de cette époque, il contribuerait à l’écriture de l’Histoire à laquelle l’Algérie du Trentenaire, adulte et m ature, se doit de s’atteler sans exclusive chauvine, ni triomphalisme stérile, ni autocensure timorée. A lger, Paris. Cologne, 1982-1985.

CHAPITRE I

Les premiers pas du FLN en France

P ar ces jours froids de fin décembre 1954, à Sochaux, une sourde anim ation secoue les membres de la petite communauté d’émigrés algé­ riens, dont la plupart travaillent comme ouvriers sans spécialité aux usines Peugeot. Certains ont reçu, de correspondants anonymes, du courrier posté au C aire comprenant des tracts politiques, des appels au combat ou la déclaration du 1” novembre signée d’un sigle nouveau : FLN A l’époque, Le Caire abrite l’espoir de tous les opprimés du monde arabe. Raison de plus d’être vigilant et de ne s’en ouvrir qu’à des compatriotes très sûrs, puisque la lutte politique pour la liberté a pris depuis deux mois un tournant décisif et extrêmement dangereux, dés lors que l’on décide de faire parler la poudre. Ainsi ce qui se passe à Sochaux est simultanément vécu à Paris, à M arseille, à Lyon et dans bien d’autres villes de France. En effet, si dans son ensemble l’émigration algérienne applaudit à l’insurrection du 1er novembre 1954, minime est le nombre de ceux qui savent qu'elle est l’œuvre d’un mouvement nouvellement créé. Et moins nombreux ceux qui en font partie. Quel est donc ce mouvement qui prétend constituer un Front visant à rassembler les patriotes dans une lutte commune pour la libération nationale? D’où provient-il? Le nationalisme algérien s’était tout particulièrem ent affirmé au sein de l’émigration ouvrière à l’occasion des rem arquables conférences tenues par l’ém ir Khaled en 1924 à Parist idée aussitôt développée par Hadj Messali qui fixait, d’emblée, avec l’Etoile nord-africaine12, l’objectif d’in­ dépendance. Dissoute le 26 janvier 1937 par un décret ém anant du gouvernement du Front populaire, l'Étoile réapparaît le 11 mars de la même année sous couvert d’un Parti du peuple algérien (PPA), qui sera également dissous le 26 septembre 1939. Désormais clandestin et sévè­ rement réprimé par les régimes français successifs, le PPA n’en poursuivra pas moins son combat pour une Algérie indépendante malgré les lourdes condamnations de ses dirigeants. Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, Messali est libéré des 1. La délégation extérieure du FLN au Caire touche en même tempe phnieun villes de France : Paris, Marseille, Lyon où des militants MTLD (Mouvements pour le triomphe des libertés démocratiques), demeurés dans l'expectative, réagissent de même. 2. Mouvement prftnant l'indépendance oie l’ensemble du Maghreb, Algérie comprise; voir ittfra. p. 253.

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Les prem iers pas du F LN en France prisons françaises d’Afrique, le 11 août 1946, et rejoint aussitôt la France. La tactique politique du PPA semble alors évoluer. D is novembre, sous la nouvelle étiquette du MTLD (Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques), le parti se lance dans la campagne pour les élections à FAssemblée nationale française. Le combat devenant politique et se déroulant essentiellement en Algérie, le rôle prééminent joué par rém i­ gration s’estompe au profit de l’électorat algérien. Une fédération de France du MTLD voit le jour. Elle n’est plus qu’un organisme extérieur qui, en particulier, tire son importance du fait que les députés du parti viennent siéger au Palais-Bourbon à Paris. Mais elle ne pèse plus du poids de l’Étoile nord-africaine dans le mouvement nationaliste. En effet, dés le 15 février 1947, lors du prem ier congrès du PPA-MTLD, tenu clandestinement à Alger, il avait été décidé de mener l’action sur deux plans : l’un légal, celui du jeu parlem entaire dans le cadre des institutions françaises, l’autre clandestin, avec la mise sur pied d’une Organisation spéciale param ilitaire (l’OS) chargée de préparer la lutte arm ée. C’est pourquoi l’émigration ne pouvait participer - et partiellem ent encore qu’à l’action légale. Avec le temps et surtout la découverte de l’OS par la police, qui provoque son démantèlement en 1950, puis sa dissolution par la direction du parti, les tenants de l’action secrète param ilitaire se raréfient. Certains se sont-ils complu dans l’électoralisme? C 'est ce que semble leur reprocher Messali. Il en fera plus tard un de ses griefs essentiels contre le comité central. Mais, à cette époque, l’émigration le porte encore aux nues. Après son pèlerinage à La M ecque et un périple au Moyen-Orient, il devient l’un des personnages politiques les plus connus du monde arabe. Le 18 novembre 1951, à l’initiative du MTLD est créé un Comité algérien de réception des délégations arabes et musulmanes auprès de l’assemblée générale de l’ONU Comme l’ONU siégeait à Paris, avant qu’elle ne s'établisse définitivement à New York, le comité entendait profiter de cette situation pour susciter une action de soutien au mouvement d’in­ dépendance du M aghreb. Une réception m arquante est organisée le 2 décembre à Chantilly où Messali, en résidence forcée, accueille les plus hautes personnalités arabes et maghrébines présentes à P aris12. Leur venue à l’Hôtel du Parc illustrait, aux yeux émerveillés des travailleurs émigrés, et au regard sourcilleux de l’adm inistration française, l'audience internationale acquise par le leader algérien. 1. La cheville ouvrière en est M’Hamed Yazid, connu alore tous le pseudonyme de « Si Zoubir ». Il comprend pour le MTLD : des étudiants, des syndicalistes tel Said Slyemi, des représentants de professions libérales tels Beladjila, Haroun; pour l’UDMA : Boumeadjel et deux autres nenonnalités; pour les Oulémas : cheikh Yalaoui. 2. Entouré , Bourhane Berrah, Ahmed Boussalah, Hachemi Souhalili, Saïd Hadj Driss... ainsi que Mohamed H arbi, Omar Boudaoud, Ali Haroun et Kaddour Ladlani, représentant la fédération de France du FLN. Après avoir rappelé que « la fédération ne s’est jam ais départie de sa préoccu-12 1. Les étudiants algériens d'Europe de l’Est seront directement rattachés à l’UGEMA qui, après sa dissolution en France, va établir son siège à Tunis - 37, me Jean-Levacher où elle résidera jusqu’à l’indépendance. 2. Les quatre premiers constituant le comité exécutif de l’UGEMA.

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Les branches parallèles : travailleurs et étudiants pation m ajeure et constante d'aider au (dein épanouissement du mouve­ m ent estudiantin algérien sous les auspices de l’UGEM A », le chef du comité fédéral explique que l'Union, privée de son comité exécutif démissionnaire, « risquait de se trouver paralysée dans sa contribution à la lutte commune du peuple algérien ». En accord avec le précédent comité exécutif, l'assemblée décide le m aintien de l'UGEM A au regard des organismes estudiantins internatio­ naux et sa transform ation sur le plan interne en section universitaire du FLN . Comment, concrètement, se traduirait dans les faits cette double tâche? Sur le plan externe, l'UGEM A demeure. C ette formule va présenter l'avantage de sauvegarder pour l'avenir le mouvement étudiant Elle perm et également de m aintenir, auprès des milieux universitaires, un canal d'inform ation sur le déroulement de la guerre de libération. Enfin, elle constitue une présence permanente de la jeunesse algérienne dans toutes les m anifestations internationales de jeunes. Par contre, elle s'efface sur le plan interne français devant la SU, organisme clandestin dont les rouages sont calqués sur ceux de l'OPA; cette m utation se conçoit aisément, aucune condition de sécurité n’étant plus, depuis la dissolution, assurée par l’ancienne structure légale. L’UGEM A, désormais dans l’impossibilité d'organiser et de contrôler ses sections en France, ne peut plus poursuivre ses activités autrem ent que par le biais d'une organisation clandestine. D 'autre part, il convient de garder présent à l'esprit que si la grève a été levée, c’est avec la réserve expresse que l'étudiant devait se considérer mobilisable à tout m om ent Sa présence au sein de la section universitaire le prépare donc tout naturellem ent au rôle que les nécessités de la lutte peuvent du jour au lendemain lui attribuer. C 'est pourquoi la prim auté doit être accordée au travail politique, et la fonction organisationnelle de la SU parait primordiale. Elle devra encadrer l'ensemble des étudiants dans une structure particulière, parallèle à l’OPA, leur insuffler un esprit m ilitant d'ordre, de méthode et de discipline absolument indispensable pour tout mouvement révolutionnaire. Tenant compte de la présence des étudiants algériens dans toutes les universités françaises, les responsables de la S U c ré e ro n t cinq régions : - la région parisienne : université de Paris, qui groupe à elle seule le tiers des étudiants algériens en France; - la région de Normandie : universités d’Angers, Caen, Poitiers, Rennes, Rouen et Tours; - la région Sud-Ouest : Bordeaux et Toulouse; - la région Centre-Sud : Aix-en-Provence, Grenoble, Lyon, M arseille et M ontpellier; - la région Est : Besançon, Dijon, Nancy, Reims et Strasbourg. En décembre 1958, l’effectif recensé et contrôlé est de 1 857 étudiants ', 1 1. Dans ce chiffre ne tant p u comprit les maîtres d’internat et les lycéens des d a m s préparatoires aax grandes écoles.

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Les branches parallèles : travailleurs et étudiants y compris la cinquantaine de « non-grévistes ». Près de 500 sont structurés au sein de la SU qui comprend déjà deux cellules. A cette époque, la répression qui s’abat sur la fédération n’épargne pas la SU : 31 étudiants sont arrêtés en décembre 1958 et janvier 1959. D’autres, recherchés par la police, sont dirigés vers les universités des pays limitrophes, où la fédération les prend en charge en leur attribuant des bourses. Les effectifs des étudiants algériens en Suisse et en Belgique, par exemple, iront en s’accroissant alors que celui de France régresse rapidem ent1. Ainsi, en septembre 1959, l’effectif des étudiants recensés et contrôlés par la SU s’élève à environ 1 400 pour la F rance2 alors qu’il avoisine le chiffre de 1 200 pour le reste des pays occidentaux et les pays socialistes. Devant ces départs massifs, le gouvernement français ne tarde pas à réagir, et la SU attire aussitôt l’attention de la fédération sur la bien­ veillance subite et non dépourvue d’arrière-pensées des autorités. Cellesci sollicitent de nombreux étudiants, soit pour occuper de hautes fonctions, soit pour présenter des demandes de bourses ou d’aides. «Toutes ces facilités ne sont en réalité que des manœuvres visant à détacher les étudiants algériens de la lutte libératrice et à les m aintenir dans les universités de France, car la désertion de celles-ci commence à se faire sentir et à inquiéter les autorités françaises3. » Mais ces autorités ne sont pas seules à m anifester leur inquiétude devant la nouvelle situation. La SU également, et pour des raisons inverses. Un nombre non négligeable d’étudiants, « sans en référer au préalable à notre organisation, ont sauté sur l’occasion et occupent actuellem ent de hautes fonctions (directeur de cabinet de préfet, membres du Conseil d’É tat français, etc.). 11 est donc nécessaire, afin de ne pas se heurter demain à une armée de “ colla­ borateurs ", de reconsidérer nos positions en vue de trouver une solution conforme à nos principes révolutionnaires 4 ». Une politique de souplesse et beaucoup de doigté perm ettront de récupérer ces « indisciplinés » et éviteront d’en faire des exclus, définitivement rejetés par la communauté algérienne. C’est également la SU qui, grâce au financement reçu de la fédération, va servir les bourses et aides diverses, envoyer les m andats aux étudiants détenus5, assurer les départs à l'étranger des sursitaires menacés d’incorporation dans l’armée française dont, pour la seule rentrée universitaire 1959-1960, la SU prévoyait une cinquantaine. Une autre difficulté, à laquelle il faut d’urgence trouver une solution, perturbe les responsables de la SU qui l’exposent au comité fédéral: 1. On comptait 2 790 inscrits pour l’année universitaire 1957-1958. Ils ne seront guère plus d’un millier pour 1960-1961. Sur lesquels 396 sont structurés au sein de la SU. 2. Rapport de la SU, septembre-octobre 1959. 3. Idem. 4. Rapport de la SU à la fédération, aAut I960. 5. Apres les mandes arrestations de décembre 1958, on en avait enregistré une trentaine. En octobre 1959, il n’en restait plus qu'une dizaine. Cependant, à mesure qu’ils étaient transférés de la SU à 1’organisatkm-mère ou à l’OS, ils tombaient également sous les coups de la répression, mais alors en qualité de responsables FLN et non comme étudiants.

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Les branches parallèles : travailleurs et étudiants celle des non-grévistes. Pour avoir ouvertement méconnu une directive nationale de l’UGEM A avalisée par le FLN, ils se trouvent, en fait, favorisés par rapport à leurs camarades plus disciplinés, puisqu’ils ont bénéficié ainsi de deux années universitaires d’avance. Pendant que les m ilitants boycottaient l’Université française, conformément à la ligne politique du Front, les non-grévistes ajoutaient des diplômes de plus à leurs titres..., moyennant quoi - et le risque n’est pas théorique - ils occuperaient des postes plus importants dans l’Algérie de demain. Tel est le raisonnement tenu ferme par 1’« aile dure » de la SU. Pourtant la sagesse et la modération l’emportent, dans ces altercations où, il faut le dire, certains non-grévistes ont parfois joué la provocation. C ette souplesse dans l’attitude à l’égard des non-grévistes s’impose d’autant plus que la SU n’est pas tellem ent convaincue de la foi m ilitante de tous les étudiants. Ce n’est pas tout. La politique d’accueil bienveillant pratiquée par l’adm inistration française, déjà signalée l’année précédente, voit ses effets démobilisateurs s’amplifier. Début 1960, la SU informe la fédération qu’une école nationale d’adm inistration spéciale est en voie de création. Y auront accès les étudiants en droit licenciés ou en fin d'études qui, après un stage de six à huit mois, pourront bénéficier de postes importants dans la fonction publique '. Bourses et aides sont plus généreusement distribuées. De hautes fonctions leur sont proposées. Certains qui, avec l’aval du Front, les auront acceptées, s’avéreront en fin de compte capables de missions périlleuses. En décembre 1960, dans un salon d’hôtel à Düsseldorf, trois hommes attablés devant leur café grillent leurs cigarettes, sans discontinuer. Houari Boumediene, chef d’état-m ajor de l’ALN, Abdelkrim Souici, membre du comité fédéral, et Saïd Hadj Driss, responsable de la SU attendent l’arrivée de Boudaoud. Pourquoi cette étrange rencontre? Bou­ mediene et ses deux adjoints, les commandants Slimane et Mendjli, en situation de mésentente avec le GPRA, sont venus discuter de problèmes im portants avec la fédération de France. Entre autres, la reprise du contact rompu avec la zone d’Alger et l’envoi d’étudiants au sein de l’ALN pour constituer les cadres qui lui font cruellem ent d éfau t12. Aussitôt après, Hadj Driss rejoint Paris où il charge Oulmane, un des étudiants qui avait, avec l’accord préalable de la SU, accepté une affectation à la Cour des comptes, de se rendre à Alger. A ce titre, il dispose évidemment de toutes les justifications pour éviter les investiga­ tions sourcilleuses de la police locale. E t c’est ainsi qu’un auditeur à la Cour des comptes française allait renouer le fil entre Alger et Ghardimaou, siège de l’état-m ajor de l’Armée de libération nationale algérienne. 1. C’est sans doute là une version métropolitaine - et tardive - de la «promotion Lacoste ». Pour détourner les cadres algériens du « leurre de l’indépendance promise par les rebelles », le gouverneur général leur avait facilité l’accès à certains postes dont ils étaient jusqu’alors pratiquement exclus. 2. Voir lettre de Boumediene à Omar (Boudaoud), annexes, document n* 7. Un peu plus d’un mois après la décision de la SU de faire appel au volontariat, environ 120 étudiants rejoignent les frontières algériennes.

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i t i l I (Ali Haroun), responsable des détentions, Serge Moureaux, avocat à Bruxelles, rapportait fin décembre 1960 : « L’affaire du Gaz de France (attentat du 23 août à Rouen) avec Tazbint, Aïnou z, S kali et Bourenane, déjà condamnés à mort dans d’autres affaires, est venue les 4 et S décembre 1960 devant le tribunal m ilitaire de Lille. Après deux jours de procédure (à la barre Oussedik, Zavrian, Marie-Claude Radziewski, Moureaux, Cécile Draps, Mercnies), nous avons obtenu le renvoi sine die. » Malgré leur situation critique, les quatre accusés brandissent à l’audience de février le drapeau FLN ce qui - on s’en doute - n’incitera pas des juges militaires survoltés à plus de clémence.

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Le second fro n t Ouahm ed Aïssaoui raco n te1 : « M ardi 20 août, je reviens de Paris informé de l’heure H (cinq jours pour tout préparer). Convocation des chefs de groupe à la ferm e de Baghdadi, située dans les environs de M iram as123. Le jour même nous y avons transporté les armes et explosifs. Nous ne disposons pas suffisamment d’explosifs pour prétendre attaquer tous les objectifs au même moment, mais notre artificier a su confectionner les bombes et charges nécessaires pour chaque équipe en faisant un m élange de cheddite et de nitroglycérine, dont il avait seul le secret Sam edi 24, nous avons remis tous les moyens disponibles, désigné les équipes, initié les élém ents à l’utilisation des charges télécommandées, procédé aux essais des détonateurs. » Dimanche, tout le monde était consigné. Ce n’est qu’à 22 heures que les chefs de groupe eurent connaissance de l’heure H. Nous quittâm es la ferm e, chacun partant vers son but. L’artificier et moi-même rejoignîmes une villa de la banlieue de M arseille, munis des bombes destinées aux objectifs de M arseille. Le chef de groupe de cette ville nous y attendait. L’artificier m et la dernière main aux engins, règle la m inuterie sur l’heure H et charge le tout dans la voiture. Il faut signaler que les frères du F L N ] nous ont prêté deux tractions avant. Ces deux véhicules devaient servir au transport des équipes depuis M arseille vers les lieux à attaquer. » Nous avons quitté la villa vers 23 h 30. Ben Djaghlouli, chef de groupe, nous précède de quelques m inutes à bord de la traction. L’arti­ ficier et moi-même suivons dans celle du frère Sam et, conduite par Rabah L... Nous devions rejoindre le chef de groupe en ville pour lui rem ettre les bombes. A peine avons-nous fait quelques centaines de m ètres que nous tombons en panne. Rien n’y fait. La boîte de vitesse est complètement bousillée. L’explosion des bombes allait se produire dans moins de trois heures. Il n’était plus possible de les désamorcer, les ouvertures étant soudées. La sœ ur Saliha, après une longue attente, peut enfin rejoindre la ville par auto-stop et ram ener un taxi dans lequel nous faisons le transbordem ent. En cours de route, nous trouvons le chef de groupe qui lui aussi était tombé en panne. Finalem ent, nous avons utilisé des taxis pour atteindre nos destinations. Les onze objectifs visés furent tous attaqués. M alheureusem ent, plusieurs charges n’ont pas fonctionné. Cela provenait de la défectuosité des détonateurs et des explosifs récupérés dans les carrières de la région, qui avaient été enterrés durant de longs mois. Nos responsables nous avaient promis trois tonnes de plastic. S’ils avaient tenu parole, ç’aurait été la catastrophe pour la France... » Puis Aïssaoui dresse, sans enjoliver, le détail des objectifs attaqués cette même nuit du 25 août et le bilan - somme toute modeste à ses yeux - de l’action dans sa zone : 1. Dans une mise au point adressée le 10 juillet 1972 au journal El Moudjahid, et que celui-ci n’a pas, semble-t-il, publiée. 2. A environ vingt kilomètres de Marseille. 3. C’est-à-dire, dans le jargon de l’époque, l’organisation-mère ou organisation politicoadm inistrative; les commandos s’intitulent membres de l’OS.

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Le second fro n t « Prem ière région : M ourepiane, Cap Pinède, Les Aygalades. Moyens utilisés : pour le prem ier objectif, une bombe à retardem ent, munie d’un mécanisme d’horlogerie. Pour le deuxième, deux petites bombes étanches à retardem ent. E t pour le troisièm e, deux charges télécommandées. Opération réussie sur les deux prem iers objectifs; pour le dernier, les charges n’avaient pas fonctionné. » Deuxième et troisième régions : raffineries de Berre, Lavéra, La M ède, Sète. Aucune charge télécommandée n’avait fonctionné. L’attaque elle* même, du point de vue organisation, avait pleinement réussi, puisque nos éléments, conduits par leurs chefs de groupe, avaient pénétré dans les lieux, placé les charges sur les vannes, déroulé les fils et en étaient ressortis sans avoir été remarqués. »Q uatrièm e région: Port-la*Nouvelle, La Rochelle. Les charges télécommandées ont fonctionné sur le prem ier objectif qui a brûlé '. » Froid et peu enclin à l'exagération, le responsable de l’OS pour la zone Sud est d'une modestie qui ne traduit sans doute pas les résultats réels de la « nuit rouge », ni l’im pact certain qu’elle obtint sur les mass media. Si la presse souligne les attentats manqués contre les dépôts des sociétés Shell et British Petroleum ¿ Saint-Louis-les-Aygalades près de M arseille, à La Mède, au Cap Pinède, à Frontignan près de M ontpellier, à la raffinerie de Lavéra, elle informe sans le vouloir que le FLN dispose désormais de techniciens capables d’utiliser des engins sophistiqués et des bombes télécommandées. Elle ne peut davantage passer sous silence que, sim ultaném ent à ces actions manquées, le dépôt de la Mobil Oil près de Toulouse brûle encore. Deux réservoirs ont sauté, provoquant un incendie dont les flammes atteignent plus de cent m ètres de hauteur et les colonnes de fumée sont visibles à vingt kilomètres alentour. Mobil Oil perdait ce jour 8 000 m ètres cubes de carburant. M ais c’est l’affaire de M ourepiane qui, tant par ses conséquences immédiates que par les péripéties judiciaires qui s’ensuivent, caracté­ risera dans les mémoires ce « second front » ouvert la nuit du 25 août 1958. Q uatorze ans plus ta r d 12, Albert-Paul Lentin décrit ainsi l’action : « L’opération capitale est cependant celle qui est dirigée contre le plus grand dépôt de stockage de carburant du sud*cst de la France, celui de M ourepiane, dans la banlieue nord de M arseille, non loin du p o rt Là, l’attaque est précédée par une manœuvre de diversion. Des Algériens allum ent, à 21 heures, plusieurs foyers d’incendie dans les forêts de l’Estérel de m anière que plusieurs équipes de pompiers chargées de 1. Dans sa lettre, Absaoui ajoute la cinquième région m ilitaire, qui ne constituait pas le Midi proprement dit puisqu’elle s’étend sur Lyon et le Centre. Il mentionne l’attaque du dépôt de carburant de la société Shell-Berre (au résultat nul par suite de l’alerte déclenchée par les chiens de garde), ainsi qu’une simple tentative sans plus de résultat contre l’Armurerie de Saint-Étienne. Il faudrait ajouter aussi pour cette région un projet de sabotage de l’usine à gaz de Lyon, interrompu par un incident imprévu. 2. Dans Historia-Magazine. n* 265, 27 novembre 1972.

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LA B A T A IL L E DE PA R IS

(C arte établie par Mohamed Onznani, artificier.)

Le second fro n t com battre le sinistre s'éloignent de M arseille A 3 h 15, l'explosion fait sauter les deux réservoirs et secoue tout le quartier de l'Estaque. Un incendie qui éclaire tout le ciel de M arseille ravage sept des quatorze bacs. Nouvelle explosion à 8 h 43 après que l'on eut fait évacuer en toute hâte les habitants des quartiers en danger, puis le soir, à 20 h 20, form idable explosion qui détruit toutes les installations qui avaient jusquelà échappé aux destructions. » Un pompier - Jean Péri - est tué. Il y a dix-neuf blessés, parm i lesquels le m aire de M arseille, Gaston Defferre, qui s'était rendu sur les lieux et qui a été touché à un pied. Le feu brûle encore à M ourepiane pendant dix jours... 16 000 m ètres cubes de carburant ont été détruits. » Rappelant les faits en 1972, AIssaoui estim ait prudem m ent que cette nuit du 25 août aurait pu être une catastrophe pour la France. Au moment même, le Provençal titrait : « C 'est une catastrophe nationale. » Le lendemain m atin, dès l’annonce par la presse et la radio des prem iers résultats de la vague d'attentats, le comité fédéral, qui avait déjà fait préparer par la commission de presse une déclaration explicative sur les buts de la « n uit rouge», la fait rectifier à la lumière des incendies gigantesques de pétrole qui continuent d'em braser le ciel du M idi : « Par la guerre à outrance en Algérie et la répression en France, les gouver­ nements français ne laissent plus aux Algériens d'autres moyens que l'action directe pour m anifester leur conviction patriotique [...]. C 'est pourquoi, conscient de ses responsabilités [...], après avoir pesé les risques et envisagé toutes les conséquences de ses actes, le FLN a décidé la destruction, partout où il se trouve, du potentiel de guerre ennemi et en particulier de ses réserves en carb u ran t12. » Le triom phalism e présomp­ tueux de la déclaration n'apparaissait guère à ses auteurs, dans l'euphorie des informations reçues. M ais il faut dire qu'ils étaient à l’unisson de la base capable alors de renverser, par sa foi, les montagnes qui lui barraient le chemin de l'indépendance. La fédération ne perdait pas de vue pour autant son but politique perm anent : faire comprendre à la grande masse que seul le colonialisme est à abattre. Q uant au peuple français, dont certains fils sont des alliés effectifs, il ne sera jam ais visé. « L’émigration algérienne - ajoute la déclaration - réaffirme toute son estime aux Français et Françaises qui, pour avoir compris l’idéal de liberté du FLN , sont jetés dans les prisons ou traînés dans la boue par les journaux et radios colonialistes », car ils seront demain « les véritables défenseurs des valeurs françaises en Algérie », contrairem ent aux colonels qui sont à l'honneur, « à Soustelle et ses 1. C’eût été évidemment une tactique valable pour le FLN, mais il semble que l’auteur ait été mal informé. En réalité, un des buts principaux de la nuit du 25 août avait été de brûler le maximum de forêts selon une ancienne directive du CCE qui entendait venger les forêts algériennes systématiquement arrosées au napalm par l’armée française sous prétexte d’en « sortir le fellagha comme le chacal de sa tanière ». Ainsi, l’ensemble des « groupes de choc » de l’organisation avait pour mission cette nuit-là de m ettre le feu aux forêts. Des orages locaux firent que l’opération « forêts » passa inaperçue. 2. Déclaration du 25 août 1958 diffusée à Paris les jours suivants.

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Le second fro n t complices du 13 mai, Guy M ollet et ses acolytes socialo-colonialistes ». Le texte affirme solennellement que « les civils ne seront pas intention­ nellem ent visés [...], à l’inverse de ce que fait l’arm ée française en Algérie qui bom barde (indistinctem ent) des régions entières ». C ar il faut bien s’en persuader, l’action menée dans la nuit du 25 août, sur le territoire français, ne constitue ni une «vaine et stérile entreprise terroriste» ni « un acte de désespoir ». Comme il fallait s’y attendre, la répression se d u rc it Un couvre-feu pour les Nord-Africains est instauré dès le 27 août dans le départem ent de la Seine, le 3 septem bre dans le Rhône, et le 4 en Seine-et-Oise '. Les « chasses au faciès » se m ultiplient à Paris, M arseille, Lyon, B elfort et les « transferts » en Algérie se développent. Tout « teint bronzé » devient suspect, et les Algériens emplissent les hôpitaux désaffectés, comme Beaujon, ou les casernes spécialem ent aménagées pour eux. Des milliers d ’entre eux sont « triés » au Vélodrome d’hiver, avant d’être internés dans les cam ps d’Algérie. « Retour aux sources », écriront les rares journalistes encore courageux, rappelant que naguère, au même Vél* d’hiv, les juifs étaient, avec la com plicité d'une partie de la police française, raflés puis parqués, avant d’être envoyés, dans des wagons plombés, vers les camps de la mort. N i tes contrôles renforcés ni les arrestations préventives n’em pêchent l’action déclenchée le 25 de se poursuivre, avec moins d’éclat peut-être mais non sans efficacité. A Paris, accrochage, dans la nuit du 27 au 28 août, d’une cellule de l’O S avec un groupe de policiers. Trois d’entre eux, Chauvin, Alfred D ufrie et Louis Rougerie, sont sérieusem ent blessés place Denfert-Rochereau, et l’adjudant-chef André Durau est atteint à la station de m étro Bonne-Nouvelle. Le 31 août, attaque réussie de dépôts d’essence à Aries et de l’usine à gaz d’Alès, qui explose. Le 1“ septem bre, les commandos essuient un échec devant le siège de l’Office algérien d ’action économique (OFALAC), avenue de l’Opéra, à Paris. Le 2, explosion d'une bombe près de Rouen. Le 3, sabotage de la voie ferrée Paris-Le Havre. Les commandos s’attaquent, le 4 septem bre, à l’aérodrome de M elun, et, le lendem ain, un sabotage entraine le déraillem ent d’un train de m archan­ dises à Cagnes-sur-M er dans le Midi. Ainsi, les éléments de la « Spéciale », aussi bien que les « groupes de choc » de l’organisation - car de nombreuses actions contre les policiers et gradés leur échoient - , continuent à se m anifester sur l'ensem ble du territoire français, surtout contre certains commissariats dans lesquels les Algériens sont soumis à de durs interrogatoires. Le 7 septem bre, une action mineure est menée contre l’aérodrome de Villacoublay. A Lyon, le poste de police de la place Jean-M acé est attaqué : le brigadier Armand Sudón est tué. E spérant rééditer leurs prouesses du 25 août contre les installations pétrolières, les « fidayines » du Midi visent les dépôts des banlieues de 1 1. DSpartement qui couvrait à l’époque toute la région parisienne autour de la capitale.

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Le second fro n t M arseille et de Bordeaux à Bègles, ee même 7 septem bre. Le résultat est mince. Le lendemain, c’est le tour de la centrale électrique de la Boisse, dans l’Ain. En rade de Toulon, les hommes de TOS tentent vainement de fixer des charges explosives sur les coques du cuirassé Jean Bart, de l’escorteur Bouvet et du sous-marin Dauphin. Cependant, le sabotage du paquebot Président de Cazalet, qui assure la liaison M arseille-Algérie et sert à l’occasion pour le transport des troupes, fait quelque bruit. Le 5 septem bre 1958, le navire quitte M ar­ seille vers 11 heures à destination de Bône '. A 12 heures, alors qu’il se trouve à une vingtaine de milles au large, il signale une explosion dans le com partim ent des ventilateurs de chauffe, immobilisant les machines, causant d'im portants dégâts et soufflant les cloisons. Un commencement d'incendie vite enrayé suit la déflagration. Le navire, en difficulté, est pris en remorque par le Djebel Dira qui se trouve dans les parages. Treize personnes sont blessées et un chauffeur, André Barreda, qui souffre de graves brûlures, succombe deux jours plus tard. L'enquête établit qu'une bombe placée dans le com partim ent des ventilateurs en était la cause. Lors de l’arrestation du groupe de M ourepiane, la police découvre qu’il s'agit des mêmes éléments. En tout, quatorze personnes dont deux femmes. L'offensive du 25 août se poursuivait. Entre-tem ps, parvenait à Paris le communiqué du CCE publié au C aire en date du 31 août 1958. Intitulé « Déclaration du Com ité de coordination et d'exécution de la révolution algérienne à propos de la guerre portée en France par le Front de libération nationale », le texte trahit, par la grandiloquence du titre, le soulagement de la direction établie en Égypte de voir le FLN reprendre un second souffle, après une lutte de quatre années, caractérisée, surtout les derniers mois, par un affaiblissement momentané mais certain de l'A LN , consécutif au « rouleau compresseur » passé sur l'A lgérie par les 800 000 hommes de l'arm ée française. A la veille des actions d'août en France, l’A LN m arque m ilitairem ent le pas en Algérie. La saignée qu’elle vient de subir affecte le moral des troupes. Ainsi, dans la wilaya III (Kabylie), les opérations commencées à l'époque avec 12 000 com battants se term inent avec 3 000 survivants2. Au point que le chef du départem ent de la guerre, au nom du CCE, sentait le besoin de diffuser par radio un ordre général n° 1 destiné à soutenir, à encourager et à fortifier la com bativité des djounouds1 : « G râce à votre dévouement, à votre esprit de sacrifice, à votre ardeur et votre discipline, vous réaliserez la victoire [...] *. » Assurément, le style ne salue pas un bilan triom phal. 1. Aujourd’hui redevenue Annaba. 2. Entretien avec Abdallah Bentobbal, confirmé par lea déclarations du commandant Hamimi, au cours de la table ronde tenue pour l’écriture de l’histoire de la révolution, 1* séminaire, octobre 1984. 3. Émission du Caire en date des 8 et 9 juin 1938. 4. Le texte complet de l’appel est publié dans El ttaudjakid. te 2 6 ,4 juillet 1938.

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Le piétinem ent du com bat, l’arrivée de De Gaulle au pouvoir proclam ant Tintégration des « Français à part entière » dans le giron de la m ère-patrie..., tout cela n 'était pas pour faire m onter la cote du CCE auprès des « Frères e t Alliés » arabes. Apprenant la nouvelle du 25 août, rapportée par les radios internationales1 et amplifiée par la presse du Moyen-Orient, la direction l’a reçue « comme un véritable ballon d'oxygène », au 32, rue Abdelkhalek-Sarwat, siège central du FLN au C a ire J. Alors que les dirigeants égyptiens, doutant d'une issue conforme aux aspirations algériennes, m anifestent depuis plusieurs mois une attention moins soutenue ¿ l’égard du Front, ils dem andent à rencontrer, dès le 26, les membres du CCE présents dans la capitale. Les Égyptiens paraissent réconfortés de n'avoir pas joué une carte perdante, en soutenant la lutte du FLN . Dès l'annonce de la nouvelle, Fethi Dib - du groupe des « officiers libres », compagnon et homme de confiance de N asser et aussi chef des services de renseignements égyptiens - souhaite rencontrer Krim et Bentobbal pour leur exprim er sa satisfaction de constater « que la révolution n 'a pas perdu son souffle ». En Tunisie, les deux hommes, en compagnie de Mahmoud Cherif, autre membre du CCE, sont égale­ m ent sollicités par Ahmed T lili et Tayeb M ehiri, membres du gouver­ nement. Ils les assurent que le combat continuera « quel que soit l’hommç au pouvoir en France » et «jusqu'à l'indépendance * ». Des wilayas d’Algérie, les messages arrivent qui traduisent le conten­ tem ent des djounouds particulièrem ent sensibles au fait que l'action du 25 août immobilise en France même 80 000 soldats. La wilaya II (Constantinois), quant à elle, accueillait avec une satisfaction évidente « l'élargissem ent du front constituant un encouragem ent pour l’ALN ». « Le moral des com battants algériens, rapporte un témoin, s’est élevé du fait que tous les nationaux s’avèrent alors mobilisés à l’intérieur des frontières, comme à l'extérieur, pour atteindre le même but : l'indépen­ dance du pays. Le fardeau est partagé par tous et devient donc moins lo u rd 1234.» Ainsi, la déclaration du 31 août entend-elle expliquer les buts straté­ giques de l'opération : « La prem ière offensive des commandos algériens s'est fixé un objectif essentiellem ent pétrolier pour une double raison : 1) frapper les réserves de carburant [...]; 2) prolonger sur le territoire français même la guerre que [...] l’ALN mène méthodiquement en Algérie. Il y a un an, le FLN avait promis de détruire le pétrole saharien en France même, U a tenu sa promesse. Il réaffirme sa volonté de rendre 1. Le CCE d’accord cor le principe de l'action n’était an courant ai daa modaHtàa d’exécution ni de la date, lainéee à l’initiative de la fédération. 2. Entretien avec Abdallah BentobbaL 3. Entretien avec Abdallah Bentobbal. 4. Entretien avec Salah Boudnider (dh «Saout el A rab»), colonel de la wilaya U, avril 19S4. 101

Le second fro n t infructueux tous investissements tendant à l’exploitation des richesses de l’Algérie, y compris le Sahara '. » On devine qui sont les destinataires du communiqué : les compagnies pétrolières et les investisseurs étrangers qui entendaient faire cause commune avec le capital français. « Par suite - ajoute le texte - toute participation étrangère, sous forme d’investissements, de capitaux ou d’autres moyens ne peut être considérée par le FLN que comme un acte d’hostilité vis-à-vis de l’Algérie com battante. » E t à l'égard du peuple français, le CCE appuie la déclaration de la fédération en soulignant « le caractère strictem ent stratégique de notre combat. Le choix des objectifs et des méthodes démontre notre désir d’épargner les populations civiles ». Si des atteintes à ces populations se produisent, elles n’auront pas été voulues, « les nécessités de notre lutte sont im pératives ». Le paragraphe final s’adresse aux « m oudjahidin des commandos et aux patriotes de la colonie algérienne en France [...] » : « Com battez farouchem ent l’ennemi en épargnant ceux qui sont sans défense. Vous savez m ourir en respectant les femmes et les enfants. C’est cet idéal qui est le gage de notre victoire. » La direction du front réaffirme le souci constant, à tous les niveaux, de se ménager l'opinion publique française pour la désolidariser de ses représentants politiques du moment. Ces politiciens apparaissent aux yeux du FLN, au même titre que les chefs de l’arm ée, comme personnellement responsables des m alheurs du peuple algérien et des morts inutiles du côté français. Certains sont donc inscrits, au même titre qu’un dépôt de carburant ou une usine d’arm em ent, comme objectifs à atteindre. Sur la liste, l’ancien gouverneur général d’Algérie, Jacques Soustelle. Difficile de comprendre l’itinéraire politique du spécialiste de la civilisation aztèque qui, d’intellectuel de gauche ouvert aux idées d’égalité des hommes et du droit naturel des peuples à leur liberté, se mue par son proconsulat algérien en champion de la domination coloniale, en défenseur d’un système fondé sur l’exploitation des ressources naturelles du pays conquis. On comprend encore moins le résistant qui fut aux côtés du général de Gaulle à Londres renier ouvertement ses options sur le com bat du juste contre l’occupant étranger. A moins de supposer que l’acte du patriote, respectable lorsqu’il porte le chapeau européen, dégénère en crim e quand il est accompli en djellaba sur le m assif de l’A urès3. O r il emploie son intelligence, comme m inistre 12 1. Texte publié dans El MoudJaUd.tr 29,17 septembre 1958, sous le titre « Coaunwiiqtié du CCE », de sorte qu’il ne reprend pas l’intitulé complet se trouvant dans le texte transmis du Caire à la fédération de France et ci-dessus commenté. 2. Heureusement pour l’honneur des résistants français, la plupart d’entre eux, même s’ils n’ont pas agi positivement en faveur du FLN, ont compris la légitimité de son action. Presque tous ceux qui ont animé les réseaux de soutien avaient en leur temps participé à la Résistance. L’éditeur Jean Subervie, qui publia clandestinement de nombreux journaux et ouvrages favorables au Front, donne plusieurs raisons à ses engagements parmi lesquelles celle-ci : « [...] en tant que résistant, je pensais que si j ’étais un jeune Algérien, je serais certainement dans un maquis » (Yvonne L lavador, La Poésie algérienne de langue française et la Guerre d'Algérie, Etudes romanes de Lund, Suède).

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Le second fro n t de l'Inform ation du nouveau gouvernement, à convaincre l'opinion que le résistant algérien, devenu par les subtilités d'un vocabulaire volontai­ rem ent dénaturé « fellagha » (étymologiquement : briseur de cr&nes), ne m érite guère (dus de considération que n'en inspire le sens originel du term e. En tout cas, quelque scrupule que l'on ait à porter la main sur un homme de science, celui qui est v id ce 1S septem bre 1958, avenue de Friedland, à Paris, par Mouloud Ouraghi et Abdelhamid Cherrouk, n 'a plus rien de commun avec l'ém inent ethnologue. Il s’est placé de luimême parm i les Lacoste et les Massu. A 9 h 30, alors que le m inistre, à bord de sa DS noire, arrive à son m inistère, Ouraghi lui tire plusieurs balles de colt dont l'une troue le veston à sept centim ètres du cœur. L'ancien gouverneur d'A lgérie se jette au plancher. Il se relève. Une rafale de m itraillette tirée par Cherrouk crépite. Il replonge. La voiture s'arrête. Soustelle en sort pratiquem ent indemne. Chaque homme a, dans sa vie, un jour de chance. Pour Jacques Soustelle, ce fut ce jour-là. Ouraghi est ceinturé par la foule dans les couloirs de la station de m étro Étoile. Cherrouk tire pour protéger sa fuite. Blessé, il est alors arrêté. Après la fusillade échangée avec les pedidera, on relève un passant tué - Jean Pacaut - et trois autres blessés : M arcel Breton, Henri M artin et Jean Tardieu '. Le jour même de l'atten tat de l'avenue de Friedland, les cars de po­ lice sont systém atiquem ent m itraillés, rue de Rivoli, dans le XV* arrondissem ent, à Vanves, à Issy-les-Moulineaux et à BoulogneBillancourt. Un m ilitaire est tué et deux autres blessés, rue Jean-M ermoz, à Joinville-le-Pont. A M etz, un capitaine de parachutistes est grièvement atteint. Le 21 septem bre, le m itraillage des voitures de police se poursuit : à Villejuif, à l'Haÿ-les-Roses, à Aubervilliere. Tandis que les « groupes de choc » attaquent le comm issariat d'Aulnaysous-Bois, où un inspecteur est blessé, l'O S fait sauter des usines de caout­ chouc de Kléber-Colombes et sabote le relais de télévision du Havre. Ce sont égalem ent deux éléments de la « Spéciale », deux femmes, Aïcha Aliouet et M arcelle X ..., qui tentent le sabotage du poste ém etteur clandestin de la DST, installé au troisième étage de la tour Eiffel. C ette action va soulever un tollé général d'indignation, présentant le FLN en France comme dirigé par « une équipe de terroristes ». Les moins indignés lui dénient tout sens politique. « Voyez donc, ils ne respectent même pas le symbole univer­ sel et innocent de la Ville Lumière! » On omet simplement de mentionner l'existence du relais radio spécial de la police, au sommet du monument. De toute façon, la bombe à retardem ent est préparée par C h aïeb 12 avec une charge calculée pour ne détruire que le poste, sans aucun risque pour la stabilité de la tour. L'engin est découvert avant qu'il n'explose. 1. Jugés par le tribune! m ilitaire de Périt, les deux m ilitants ont été condamnée i mort, puis graciés par de Gaulle. 2. Arrêté quelque temps plus tard, Chaïeb, l’artificier, est « interrogé » d’une manière telle par les agents de la DST, qu’il m eurt « de mort naturelle au cours de sa garde à vue »!

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Le second fro n t

Pour suivre de l’intérieur de l'organisation les résultats de l’offensive du 25 août, la désignation des DPI auprès de chaque wilaya s'avère une heureuse initiative. Le prem ier message parvient de la III : « Lyon, le 22 août 1958. Je suis bien arrivé ici après mon court voyage. Malheu­ reusem ent le tem ps n’est pas clém ent : orages nombreux, mais de courte durée [entendez : rafles, perquisitions sans gravité]. Nos amis vont très bien et s’occupent de moi en me faisant visiter la ville [entendez : le contact est pris avec le responsable local qui s’occupe de mon héberge­ ment]. Rien de particulier à te dire. Bien fraternellem ent. Signé : René. » Ainsi, le 22, lorsque A bdelatif Rahal prend contact avec le chef de wilaya, il est très décontracté et ignore encore tout du déclenchem ent fixé au 25. Le 30, nouveau rapport : « [...] La réaction de la police est aveugle et désordonnée : rafles continuelles, contrôles d’identité en de nombreux points des villes, séquestrations, survols du territoire par les hélicoptères. La population civile se m et de la partie (attaques de cafés algériens et d’Algériens isolés par des bandes de jeunes). Un Algérien tué hier, un autre blessé à Villeurbanne [...]. Réaction des milieux français [...] : progressistes, chrétiens, UGS approuvent l’action contre les instal­ lations [...]. Les milieux réactionnaires sont “ atterrés ” : même ici on n’est plus tranquilles. A quoi servent ces arrestations répétées de gens qu’on baptise Mchefs ” [...]. Signé : René. » Le rapport de la w ilayaIV (N ord et E st), signé par «François» (M ustapha Francis), établi après contact avec les chefs d’am ala et chefs de zone, donne une idée plus réelle de l’activité de l’organisation concer­ nant sa principale mission : les forêts. Dans l’am ala du Nord, zone 2 qui couvre Lille, Roubaix, Douai et Valenciennes : un foyer dans chacune des forêts de Denain, Valenciennes et aux alentours de Courcelle, action qui passe totalem ent inaperçue, le responsable zonal l’ayant, à la suite d'une incompréhension, fixée dans la nuit du 23 au 24. Dans la zone 3 (M aubeuge, Charleville, Reims), les forêts des Ardennes sont visées à Fumay, Revain et Lousanville, de même que celles de M armorale. Divers foyers d’incendie éclatent, contrariés toutefois en partie par la pluie. En am ala de l’Est, la zone 1 comprend le territoire de Nancy, Thionville, M etz: la directive n’y arrive que quarante-huit heures avant la date d’exécution, et les principaux responsables viennent d’être appréhendés. Toutefois, une forêt à vingt-cinq kilomètres de Nancy, une autre près de Sainte-M arie sont visées, sans succès. Pour la prem ière, une préparation hâtive et la pluie vouent le projet à l’échec. Q uant à la forêt de SainteM arie, le groupe d’action est arrêté le samedi 23... alors qu’il se trouve précisément en inspection préalable sur les lieux. Tentative étouffée dans l’œuf! La zone 2 couvre Strasbourg, Mulhouse, Belfort. Les responsables locaux vont concentrer leurs efforts sur un seul point : la forêt d’H éricourt;

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Le second fro n t deux cents litres d’essence sont stockés. Vu le manque de temps pour les préparatifs e t aussi l'absence de lieu sûr, l'essence est conservée dans les réservoirs de deux voitures et des jerricans dans les coffres. Plusieurs foyers sont allum és en forêt mais les résultats sont inconnus du rédacteur du rapport. Cependant, la réaction de la police est immédiate. Toutes les agglomérations « nord-africaines » sont aussitôt investies : « C’est ce qui empêche - explique le rapport - les auteurs de revenir sur les lieux incendiés pour établir un bilan réel des dégâts. Le jour même, vastes mesures répressives : le régional de Belfort et une vingtaine de cadres de niveau subalterne sont arrêtés... Ce qui prouve, à notre sens, que les dégâts ont été im portants. » Comme pour effacer son échec relatif, l'am ala du Nord décide une action d’envergure dans la nuit du 14 au 15 septembre. Q uatre incendies sont allum és qui détruisent... du foin, de la paille et des récoltes. Exactem ent ce qu’il ne fallait pas faire, la fédération ne tenant absolument pas à voir le paysan français se dresser contre l'ém i­ gration. Incompréhension? Dépassement? Transgression de directive? On ne le saura jam ais de façon précise. K arl, le DPI de la II, établit son rapport le 29 août 1958 après la tenue d'un conseil extraordinaire de wilaya. Il en ressort qu'un adversaire imprévu, le tem ps, réduisit à néant les efforts en superzone 2. Dans cette circonscription, quatre groupes de deux m ilitants chacun localisent à l'avance des points précis dans les forêts de Saint-Germ ain, Sentis, Chantilly et Compiègne. Ils s'y rendent à l’heure dite, allum ent conscien­ cieusem ent les foyers et s'en vont. L'orage fait le reste. Sur l'étendue de la superzone ou am ala I, se trouvent les forêts de Fontainebleau, Sénart et Ram bouillet. Trois groupes de trois m ilitants chacun repèrent eux aussi les lieux à brûler et préparent les produits nécessaires. Au moment indiqué, les foyers sont allumés. M ais... « le bois était mouillé et la nuit à l'averse », précise le rapport. Néanmoins, l'essence répandue pour les foyers s'est totalem ent consumée. Les hommes n'eurent à déplorer aucune arrestation, mais tout de même deux blessés à la suite de la... collision de leur voiture avec un motocycliste. Heureusem ent, la déveine de l'équipe n'a pas été totale puisque les blessés, qui auraient pu, sous les trombes d'eau de cette fameuse nuit, contracter une sérieuse pneumonie, ont été transportés en un lieu plus dém ent, par une voiture de passage, celle d'un touriste allem and. Comme on le voit, les forêts de France n'ont pas eu trop à souffrir des bidons d’essence déversés par les m ilitants du Front, bien moins que celles d’Algérie arrosées au napalm par l’arm ée française. Dans leur engagement enthousiaste, les groupes de nidham auraient aussi bien tenté de faire sauter le blockhaus avec un pétard mouillé. M ais le fait est là : la directive a été exécutée. Dans son rapport du 1 6 septem bre 1958, «M arcel», qui évidem­ m ent ne pouvait dresser le bilan de l'incendie des forêts - la wilaya I couvrant Paris intra-m uros - tire plutôt les conséquences politiques et psychologiques de l’offensive: « L a totalité de l'ém igration algérienne

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Le second fro n t accueillit avec enthousiasme la nouvelle de Taction entreprise par nos fidayines durant la nuit du 24 au 25 août, en territoire français. Ce fut d’abord pour nos frères - du m ilitant de base au perm anent - une surprise complète tant le secret fut bien gardé! Certains virent en ces actions la suite logique de notre lutte pour l’indépendance (ceux-ci sont les plus nombreux) et souhaitent la poursuite de cette nouvelle forme de lu tte; d’autres y avaient déjà pensé sans trop y croire et sont aujourd'hui émerveillés - le mot n’est pas trop fort - par la synchro­ nisation des actions et l’ingéniosité des fidayines; d’autres enfin, très peu nombreux, voient leur désir de vengeance (né de l’assassinat de leurs parents en Algérie par l’arm ée colonialiste) satisfait. Le travail d’explication de nos m ilitants transform era, chez ces derniers, leur sentim ent en une vue plus réaliste, plus politique de cette nouvelle forme de lutte. Celle-ci répond donc m aintenant au désir de tous nos frères. » T raitant de la répression qui suivit, le rapport mentionne qu’elle « est des plus féroces. Les rafles monstres succèdent autom atiquem ent aux attentats et des centaines de frères sont emmenés dans les centres de triage [...] tels le Vélodrome d’h iv e r1, le Gymnase, la salle Japy et l’hôpital Beaujon. Parqués là. Us subissent les discours en arabe et en français. Le 2 6 août, ils furent invités à crier “ Vive la F ran ce” et répondirent par “ Vive le FLN ”, “ Vive la République algérienne ”. De nombreux internés furent alors sauvagem ent battus. On parle de cinq m orts des suites de sévices ».

Ainsi, dès les prem iers mots de son rapport, « M arcel » (Benezerfa), après avoir souligné l’enthousiasme de l’ém igration, note « la surprise complète tant le secret fut bien gardé ». Il reconnaît qu’U n’était pas luimême au courant de la date du 25 août, confirmant aussi bien les dires d’A bdelatif Rabal qui écrit le 22 de Lyon, dans l’ignorance de ce qui aUait se produire trois jours plus tard, que ceux de Benyounes responsable de région à l’époque. On sait que Aïssaoui, chef de tous les commandos du Midi, n’a disposé que de cinq jours pour préparer son action. O r, Francis Jeanson semble tenir aux auteurs des Porteurs de va lises12 un langage absolument incompréhensible pour ceux qui ont vécu l’événement, 1. Le DPI de It wilaya II adressait d’ailleurs, avec son rapport du 29 août, un compte rendu très instructif sur les conditions de détention du « Vél aTiiv », établi par un m ilitant oui y séjourna onze jours consécutifs. Un plan détaillé est dressé avec la position des 1«, 2a, 3* et 4* croupes et de l’allée centrale. Sont décrits aussi : la réception à coups de crosse par les CRS; leur acharnement contre les jeunes qui passent de l’interrogatoire i l'infirmerie, et contre les porteurs de blousons, considérés comme «chefs»; le comportement de ce brave gendarme qui se propose d’acheter du tabac aux in ten te, collecte dans un seul groupe 75 000 francs et disparait, ainsi que la naissance spontanée d’un service d’ordre interne du FLN réglant tous incidents entre les détenus. 2. Hervé Hamon et Patrick Rotman, ap. ciL. p. 112-113.

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Le second fro n t au point que l'entretien m érite d 'être rapporté dans son entier, pour en exam iner le contenu. Les auteurs écrivent : « A la mi-août, Francis Jeanson a rendez-vous avec O m ar Boudaoud. Stupéfait, il découvre les projets du FLN. “ Je dois te m ettre au courant des nouvelles directives, annonce le numéro un du comité fédéral. Nous allons porter la guerre en France. Nous voulons créer un clim at d'insécurité, ouvrir un second front, sem er la panique dans la population. Nous n'avons pas d’alternative : notre peuple subit depuis quatre ans la guerre coloniale. Il faut que les Fran­ çais sachent eux aussi ce qu’est la guerre. T ant pis s'il y a des vic­ tim es. » - Tu as bien fait de me prévenir, rétorque Jeanson. Je suis en complet désaccord. Vous courez au désastre : pendant quarante-huit heures, vous réussirez des actions spectaculaires. M ais après, vous serez fichus. Dans une France bouclée, vous ne pourrez plus bouger. » Tendu, Francis Jeanson plaide de toute son énergie : » -V o u s allez com prom ettre définitivement les chances de relations ultérieures entre le peuple français et le peuple algérien. Toute mon action depuis deux ans est fondée sur cette conviction : sauvegarder l'am itié franco-algérienne. Vous allez tout foutre en l'air. Le voudrionsnous, qu'il nous deviendrait impossible de poursuivre. N e comptez plus sur moi. J'arrête le réseau. » - Nous avons ce soir une réunion. Je vais transm ettre tes objections, concède Boudaoud, après une longue empoignade. Retrouvons-nous dans quarante-huit heures. ” » Le surlendem ain, O m ar et Francis se revoient dans une villa de la banlieue nord qui appartient au fils... d'un général. Boudaoud arrive souriant: “ J'ai envoyé quelqu’un à Tunis. Ils sont d'accord avec tes critiques. Nous donnerons des consignes très strictes à nos m ilitants : en aucun cas la population civile ne sera frappée. Il n'y aura pas d 'atten tat i l'aveuglette. ” » Au fond, l'Algérien est aussi soulagé que le Français. » O uf! comme dans les films à suspense. Mais c'est bien du roman. Il est proprem ent impensable qu'O m ar ait pu avoir l'idée d'inform er Francis de l'action projetée; en vertu du principe intangible du cloisonnement, seuls les plus hauts responsables de la fédération connaissaient la date. Ceux qui n’avaient aucun rôle à jouer dans l’action étaient strictem ent tenus dans l'ignorance. Ainsi en était-il du CCE lui-même, a fo rtio ri des amis du soutien. Si les propos sont impensables, l’entretien, lui, a été impossible. Comme on l'a vu, après la réunion term inée le 25 juillet en banlieue de Cologne, seuls, parm i les membres du comité fédéral, sont rentrés en France Kaddour, Saïd et Ali, pour assister à l'ultim e réunion de Sceaux. Abdelkrim et Om ar ont rejoint d’autres lieux, et ce dernier n'a pas remis les pieds en France avant le 25 août. Dès lors, ces retrou­ vailles dans la villa du fils d'un général (Catroux parait-il!) sont les conséquences d'une confusion. E t Boudaoud ne pouvait pas avoir envoyé

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Le second fro m quelqu’un à Tunis, puisqu’i la mi-août, il ne se trouvait aucun m embre de la direction nationale du FLN dans cette ville, le CCE siégeant encore au Caire. Plus grave. Les propos tenus laissent entendre que la fédération allait délibérém ent faire des victimes parm i la population civile française « pour que les Français sachent, eux aussi, ce qu’est la guerre ». Il faut espérer que le mot a dépassé la pensée de son auteur. Toute l’action de la fédération de France du FLN , depuis le ^ n o v em b re 1954 jusqu’au cessez-le-feu, a tendu au contraire à faire du peuple français un allié conscient, à le dissocier de ses gouvernements successifs engagés dans une « guerre imbécile et sans issue ». Dans ses plus récentes déclarations, la fédération proclam ait « que la situation actuelle [née du 13 mai 1958] démontre la nécessité de la jonction entre le mouvement anticolonialiste français et l’ém igration algérienne pour hâter le dénouement d’un pro­ blème qui leur est commun 1». Dans une adresse spéciale « Au peuple français », elle l’interpelle : « Il y va de ton intérêt d ’imposer à ton gouvernement la reconnaissance de l’indépendance de l’Algérie, seul moyen de m ettre un term e aux souffrances de notre peuple, seul moyen aussi pour toi de dissocier ta responsabilité de celle des crim inels de guerre fran çais123.» Rappelant la solidarité des devenirs, elle écrit : « Nom­ breux sont ceux qui ont compris que, sans la forte pression de notre arm ée de libération nationale sur l’arm ée de reconquête coloniale, celleci n’aurait pas manqué, lors des derniers événements [ceux du 13 mai], de se lancer dans un coup de force en France. A ceux-là, la fédération de France du FLN rappelle que la lutte pour le m aintien de leurs libertés en France doit nécessairem ent être associée à leur lutte pour l’indépen­ dance de l’A lg é rie \ » Sont-ce là des positions qui incitent à s’attaquer à la population française pour en faire un ennemi global et indifféren­ cié? Un atten tat aveugle? Quoi de plus facile à perpétrer? Quoi de plus terriblem ent m eurtrier qu’une bombe dans un wagon de m étro à 18 heures? Le FLN ne l’a jam ais entrepris. Il eût été, en effet, bien moins dangereux pour les m ilitants de com m ettre, dans l’anonymat de la foule, un tel forfait, que de s’introduire à découvert dans les tribunes d’honneur du stade de Colombes particulièrem ent surveillées pour la protection du président de la République et de tirer précisément sur Chekkal à ses cô tés4. E t pourtant, même lorsque certains témoins des horreurs commises par la répression ont proposé d’appliquer la loi du talion par un coup vengeur et spectaculaire, le comité fédéral ne l’a jam ais accepté. Comme il ne s’est pas davantage résolu à employer des méthodes de guerre bactério1. Communiqué, 17 mai 195S. 2. Paris, 22 mai 1958. 3. Paris, 30 juin 1958. 4. Chekkal, collaborateur des autorités françaises, fut condamné par le FLN et exécuté par Ben Saddok au Parc des Princes à Paris.

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Le second fro m logique en France, au risque de s'opposer à certains membres du GPRA *. Ces quelques rappels suffisent à établir que, si l'idée de 1*« attentat aveugle » a peut-être germé dans certains esprits, ce ne fut en tout cas pas dans celui des dirigeants de la fédération de France. U serait cependant profondément injuste que ces rem arques sur un épisode par­ ticulier de la lutte commune menée aux côtés du FLN par Francis Jeanson occultent si peu que ce soit un engagement courageux, dont le cours de l'H istoire a démontré toute la lucidité. M ais que la base de l'organisation ait voulu contribuer directem ent aux actions dont elle était témoin le 25 août, rien de (dus normal. Le rapport « M arcel » du 16 septem bre, analysé plus haut, précise d'ailleurs : «N os frères form ulent le vœu d 'être mis en possession de moyens de défense contre la répression, voire de participer activem ent à l’action. Une certaine nervosité se manifeste chez les éléments m altraités dans la rue ou les commissariats de police. » La répression ne s'est pas occupée seulem ent de ram asser tous les teints basanés123. Am éliorant son travail, appliquant, lorsque nécessaire, la méthode de 1'« interrogatoire poussé » qui se clôt généralem ent par la m ort de l'interrogé, la DST finit par repérer de nombreux agents de l'O S dans le M idi. Ainsi les treize membres du prem ier commando du cam p de Larache sont à leur tour appréhendés. Ce coup dur et les verdicts sévères qui s'ensuivirent - les treize furent condamnés à la peine capitale - ne découragèrent pour autant ni les m ilitants, nombreux à se porter volontaires pour entrer dans les rangs de la « S péciale2 », ni a fo rtio ri l'état-m ajor qui se devait d'être digne du comportement de ses hommes. A l'affût de toute rum eur selon laquelle, au sein du Front, une sourde hostilité opposerait les « intransigeants jusqu’au-boutistes » de la guerre, aux « politiques », partisans du compromis avec de Gaulle - les « durs et les mous, comme les caram els », ironisera plus tard Boussouf - la presse laisse entendre que la fédération a été désapprouvée par le GPRA qui vient de se constituer le 18 septem bre. A rthur Rosenberg, journaliste au Tag de Berlin-Ouest, publie une interview de Ferhat Abbas, le 25. A la question de 1’« offensive terroriste en métropole », le nouveau président du gouvernement provisoire aurait répondu : « La fédération de France réclam ait depuis longtemps notre accord. Nous le lui avons donné il y a quelques semaines en précisant que les agressions devaient être exclusi­ vement dirigées contre les objectifs économiques et m ilitaires. Q ue voulez1. A la suite de la mise au point par un chimiste hollandais d’une solution capable de répandre la maladie du charbon sur le bétail français, Boussouf, influencé par les élucu­ brations d’un de ses conseillers, demande au comité fédéral d’étudier la possibilité de répandre le produit en un seul jour sur le maximum de champs et de prés. Le CF s’y est formellement opposé. 2. Combien d Espagnols, de Portugais, de Yougoslaves ont été m altraités dans la foulée et combien de touristes sud-américains eurent été mieux inspirés de passer leurs vacances d’été 19S8 ailleurs (que sous le ciel de France). 3. Il y eut en effet un deuxième commando de huit éléments, envoyé en formation au Maroc en 1938, puis un troisième et un quatrième commando de vingt et un hommes en 1939.

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Le second fro n t vous! Dans l’acharnem ent du com bat, les ordres sont partout trans­ gressés. » Si Abbas n’a pas formellement dém enti cette déclaration, le GPRA, pour sa part, n’a jam ais fait parvenir au comité fédéral un quelconque désaveu. Bien au contraire Mais certains journalistes avancent qu'à la suite des coups de boutoir de la DST, et du reniement de l’autorité suprêm e du FLN , le «deuxièm e front» ne pouvait que «s'effilocher, provoquant le repli de la direction de l’OS en Allemagne ». Que la répression ait été féroce, certes elle le fut. Qu’elle ait provoqué l’essoufflement de l'O S au point que sa direction ait préféré trouver refuge en Allemagne, c'est faux. T irant la leçon de l’arrestation de la m ajorité des membres du comité fédéral que Mohammed Lebjaoui tentait de constituer, Abbane avait recommandé à Om ar Boudaoud de ne jam ais réunir l’ensemble du comité fédéral en un lieu vulnérable. De la sorte, la décision avait été prise, avant le 25 ao&t, de disperser les cinq membres du C F dans leurs activités quotidiennes, les réunions plénières (au moins une fois par trim estre) devant se tenir hors de France. C 'est ainsi que le responsable de l'O S, Saïd Bouaziz, s’est constamment déplacé entre la France et l’Allemagne via la Belgique ou la Suisse, entre les années 1958 et 1962. C’est d'ailleurs au cours d’un retour en France en 1960 qu’il se fit interpeller dans une ville de l'E st en compagnie de M artin (l'abbé D avezies)2. A rrêté pendant vingt-quatre heures par la police locale, celleci le relâcha au vu de papiers parfaitem ent en règle... e t au nom d’un cousin dont il connaissait l’identité complète. Son adjoint opérationnel, N acereddine A lt M okhtar, a exercé sa res­ ponsabilité à Paris, jusqu’en mai 1960, date & laquelle, localisé par la DST, il fut convoyé clandestinem ent hors de France. L’OS continua de s’étoffer avec les trois autres groupes de commandos formés au cam p de Larache les années suivantes. Sa mission se poursuivit sous d’autres formes ’. Évidemment, il n’était pas question - et le FLN n’en a jam ais eu les moyens - de soum ettre tous les soirs le territoire français à une nuit du 25 août. C 'était simplement une bataille au cours d’une guerre de plus de sept ans. Il est certain, toutefois, que ce n’est pas ce « risque d'es­ soufflement » qui, « reconnu même par les membres les plus intransigeants du G PR A », les aurait ralliés à une décision d’arrêter les opérations m ilitaires en France. Le comité fédéral n’a jam ais reçu d'ordre daté du 27 septem bre lui enjoignant de « faire cesser les agressions4 ». Après une offensive de quelques semaines, le but fixé par la fédération paraissait 1. Voir, plus haut, le témoignage de Bcatobbel et la déclaration faite au Caire le 31 a o tt qui l ’adresse aux militants en ces termes : « Quant aux moudjahidin des commandos et à tous les patriotes de la colonie algérienne en France, le CCE salue en eux les dignes fils de l'Algerie. Leur courage force l’admiration et leur sang-froid le respect * 2. Le passage à la frontière avait d’ailleurs été assuré sans incident par deux membres des réseaux de soutien : un ami allemand et Anne Leduc dite « Barbara ». L’interpellation eut lieu près de Forbac. 3. Voir chapitre xxiii, « Hommes à abattre ». 4. Certains journaux ont inventé l’ordre et la date du 27 par référence i la déclaration du GPRA du 28 proposant l’ouverture de négociations.

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Le second fro n t relativem ent bien atteint. Quoi qu*il en soit, retenons cette date du 27, puisque des bilans officiels ont été établis jusque-là. Entre le 21 août et le 27 septem bre, ont été dénombrés 56 sabotages et 242 attaques contre 181 objectifs. Les opérations ont fait 188 blessés et 82 morts '. Nom breux ont été les m ilitants blessés et tués les armes à la main, déchiquetés par leurs engins, abattus par les forces de répression ou assassinés sous la « question ». C e st pourquoi, tout en dressant un constat globalem ent positif, pensant à toutes ces morts gratuites, fruits vénéneux du m épris de certains hommes persévérant à en m aintenir d'autres sous la sujétion, le comité fédéral aurait voulu espérer que cette bataille fût la dernière, abandonner les bombes inutiles au plus profond d'un étang sans poissons, et dire avec le poète : La grenade a son tem ps m ais le tem ps des cerises, celui que je préfère est encore celu i-là 2. H élas, de G aulle refuse le ram eau d'olivier tendu le 28 septem bre par le G PRA qui propose «une négociation sans préalable». Comme en Algérie, en France la grenade allait encore éclater. 11 n'y avait pas d’autre choix. Les cerisiers n'avaient pas encore fleuri.

CHAPITRE VI

Presse et information

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UNIVERSITY OF MICHIGAN

N ikita Khrouchtchev, président du Conseil des m inistres de l’Union des républiques socialistes soviétiques, est invité par le général de Gaulle en France où il doit arriver le 27 mars 1960. Son am bassadeur, Vinogra­ dov, est en possession d'une lettre ouverte, destinée au Prem ier Soviétique, où il est question des 400 000 travailleurs algériens surexploités et contraints d’ém igrer, des 12 000 qui croupissent dans les prisons et des m illiers d’autres dans les camps de France, des visées sur le Sahara. Il y est fait mention des Algériens qui, sur les champs de bataille d’Afrique et d’Europe, contribuèrent lors de la Seconde G uerre mondiale à la défaite du fascisme, et même de ceux du dix-septième Régiment de M arche qui, opposés aux troupes bolcheviques près d ’Odessa, au printemps 1919, refusèrent d’attaquer l’Armée rouge et furent l'objet d’une sévère répres­ sion... pendant qu’aux frontières de Pologne, le capitaine de Gaulle tentait de réduire l’arm ée révolutionnaire(. L’appel ne manque pas son but. Lorsque, plus tard, Khrouchtchev rencontrera Krim Belkacem, il lui confiera combien il y fut sensible. En efTet, dans la lutte que mènent les Algériens, un tract percutant, une déclaration convaincante, un communiqué opportun, un appel entendu, ou une mise au point qui arrive à son heure, font autant pour la cause qu’une embuscade dans les maquis ou l’atten tat contre un policier tortionnaire. Il serait vain de nier que le FLN a atteint son but aussi bien par les engagements arm és que par sa persévérance à l’ON U, autant par l’action de ses fidayines dans les villes que par l’information adressée au peuple français. Aussi le comité fédéral était-il parfaitem ent conscient de l’im portance d’un service d’information, qui soit capable à la fois d'expliquer la politique du FLN en France et de prendre le pouls de l’opinion des émigrés et du peuple au sein duquel ils vivent. Une Commission centrale de presse et d’information est donc installée dès juin 1958, à proximité du CF, et constam ment reliée à lu i3, avec des antennes qui la rattachent à chaque wilaya.1

1. Texte de le lettre ouverte, voir annexes, document n* 12. 2. A l’origine, elle ne comprend que trois membres : Aziz Benmiloud, Abdelkrim Chitour et Ali Haroun, responsable de la commission. Plus tard, Benmiloud sera appelé à d’autres fonctions. Belkacem Benyahya et H odne Bouzaber, dit « Salim », les remplaceront par la suite.

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Presse et inform ation Dans un café du boulevard Jourdan, face à la C ité universitaire, par un après-midi ensoleillé de la mi-août 1958, le responsable de la commis­ sion attend les éléments que la Section universitaire du FLN doit m ettre à sa disposition. Ali Kara-M ostepha, un garçon à l’œil noir, au cheveu dru, arrive l’air décidé. Il term ine des études de droit. Sans détail superflu, le responsable lui explique sa mission de délégué à la presse e t à l'inform ation auprès de la wilaya (le DPIW ). Ainsi, à chaque chef de wilaya est attaché un DPI qui, organiquement, dépend de lui, mais se trouve inséré dans la structure générale du service presse et information. Il est chargé de l’impression de tous les textes qu’il reçoit de la commission centrale et de leur diffusion dans deux directions : vers l’organisation qui s’occupe elle-même de les faire parvenir & tous les échelons, et vers l’opinion publique française par l’envoi aux journaux, personnalités, partis politiques, associations ou groupements hum anitaires. En sens inverse, et par des rapports réguliers, il doit informer la commis­ sion centrale de l’état d’esprit des m ilitants et de l’opinion publique française. Deux précisions avant de quitter Kara-M ostepha. Son pseu­ donyme : « Karl ». Son point de chute : Gustave Boulenoire 7, rue d ’Orsel, ParisX V III*. « K arl» est affecté à la w ilayaII. Il travaillera sous la responsabilité de Ham ada Haddad. Le temps de vérifier que des oreilles indiscrètes n’ont pas suivi l’entre­ tien, et l’agent de liaison amène un second élément. Mêmes explications, mêmes directives. Celui-ci est étudiant en chirurgie dentaire. Il se nomme M ustapha Francis, prendra le pseudonyme de « François » et sera affecté à la wilaya IV. Il n'a pas tiré le bon numéro, « François », car vu la forte im plantation M NA dans le nord et l’est de la France, cette wilaya est considérée à l’époque comme le « tombeau des cadres ». E t comme elle s'étend de la Norm andie à l’Alsace, le DPI y avait fort à faire. Toujours est-il qu’il n’y est pas encore installé et recevra sa correspondance chez un de ses amis africains : M amady Cam ara, cham bre 130, Fondation de la FOM à la C ité universitaire, 47, boulevard Jourdan, Paris XIV*. Il travaillera en bonne harmonie avec son chef de wilaya, Benaïssa Souami '. M ais il est temps de quitter le café du boulevard Jourdan. La rencontre avec A bdelatif Rabal, étudiant en droit et en sciences politiques, se fera ailleurs. Il sera affecté à la wilaya III (Lyon-M arseille et leurs régions). Les mêmes directives lui sont fournies, mais le contact avec son chef de wilaya à Lyon, d’où il écrit dès le 22 août, n’est pas des plus encourageants, car il y parvient à un moment particulièrem ent «orageux». Il réussit cependant à communiquer sa « boîte aux lettres » : René Gaggia, 12, rue Étienne Dolet à Lyon, et son pseudonyme « René ». Reste à doter la wilaya I (Paris-Centre) d’un DPI. Ce sera M ejdoub Benzerfa, instituteur dans la banlieue parisienne. Mêmes questions. Point de chute : l'école de garçons, rue Lazare-Carnot, ¿ Colombes, avec une « boîte aux lettres » de repêchage au nom de G abriel Durand, 208, rue 1 1. De son vrai nom Ahmed Benattig.

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Presse e t inform ation d ’Estienne-d’Orves à Colombes (Seine). Pseudonyme : « M arcel ». Mission term inée. Les quatre wilayas sont dotées de leurs antennes, et les ins­ tructions données; normalement, chacune d’elles devrait être à même de poursuivie son action, en cas de coupure avec le som m et De fait, quelques jours plus tard, après la nuit du 24 au 25 a o û t une sévère et brutale répression s’abat sur l'organisation, e t comme prévu, les contacts deviennent difficiles. Aussi le CF ne peut-il que se féliciter de la présence des DPI i leurs niveaux respectifs. Ils agiront avec com pétence et autant de courage que les responsables politiques de haut niveau. Leur mission n’était d’ailleurs pas sans danger: Ali Kara et M ustapha Francis « tom bent » avec les vagues d’arrestations de la fin de l’année, Rahal un peu plus tard Seul Benzerfa, grâce à sa couverture d’enseignant, tiendra encore assez longtemps. Avec de G aulle, son sens théâtral, son vocabulaire choisi, ses trouvailles pertinentes, une conférence de presse est, à chaque fois, un événem ent Aussi les cinq membres du comité fédéral sont-ils tous penchés sur le poste à transistor, éco u tan t attentifs comme on le devine, les nouvelles propositions du général. La déclaration term inée, Om ar relève la tête e t sans désem parer, dit : « Ali, réunis ta commission et réponda-lui. » Le soir même : « Alors, et cette réponse? - Il faut attendre d’avoir le texte sous les yeux, au besoin les commentaires de la presse, les avis des grandes form ations politiques. La commission a besoin d’y réfléchir sérieusem ent avant de rédiger un projet de réponse à soum ettre au com ité fédéral. - C’est bien la peine d’avoir été à l’école jusqu’à vingt ans e t d’exiger tout ça! » lance Om ar, désabusé. Pour le comité fédéral et son chef, la commission centrale doit être en m esure de rédiger, sur-le-champ, tous les communiqués, mises au p o in t appels et autres déclarations que les circonstances exigent. Mais elle a surtout, dans ses attributions, la publication régulière du bulletin intérieur d’inform ation, du bulletin organique, du bulletin d’éducation. Le prem ier est en moyenne rédigé mensuellement, les seconds sur demande de l’organisation et selon les indications qu’elle fo u rn it II arrive aussi qu’un bulletin spécial d’inform ation pour les cadres soit exceptionnellement écrit. A cette époque, la base réclam e très souvent d’être informée sur les activités de l’A LN , alors que la commission centrale se trouve dans l’incapacité d’y répondre, ses demandes répétées ¿ Tunis pour obtenir les bilans de l’action m ilitaire étant restées sans écho jusqu’à la fin de 1960. Comme pour rattraper son retard, le MALG (m inistère de l’Arm em ent et des Liaisons générales du GPRA) se m it à diffuser des communiqués que la commission centrale eut quelques scrupules à reproduire, tant les chiffres paraissaient peu en rapport avec la réalité. C ette tendance au triom phalism e dans les services de Boussouf n’était d’ailleurs pas nouvelle.1 1. Ils furent remplacés eu fur et à mesure de leurs arrestations par Laredj Sekkkm, Youcef Hendel (dit • Xavier »), MUoud Haanoun (dit • Jean »), Monamed Zouaoui (dit « M aurice »). et Abderrahmaae Khakli.

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Presse et inform ation Déjà, lorsqu'en 19S6 le journal Résistance algérienne était imprimé à Tétouan, M ahieddine Moussaoui avait, entre autres charges, celle de rassem bler les messages venant de toutes les régions de l’Oranie, d'en faire la synthèse et de publier le tableau des activités des maquis dans la wilaya de l'O uest. Devant des relevés qui passaient allègrem ent de l'optim ism e à la fantaisie, M ahieddine s'en ouvrit à Boussouf, alors chef de la wilaya V, pour les ram ener à des proportions raisonnables avant de les publier. « Depuis quand m ets-tu en doute les rapports de notre arm ée? répond sèchement le chef. - Mais, Si M abrouk ', à cette allure nous aurons, d'ici la fin de l'année, exterminé l’arm ée française dans toute l'O ranie! - Ce n’est pas ton affaire! » coupe définitivement Mabrouk. Cependant, comme le rédacteur tenait à conserver une certaine cré­ dibilité à sa rubrique, il y fit des coupes sombres, sans que d'ailleurs l'on s'en aperçût jam ais à l’état-m ajor de la wilaya. O utre ses activités ordinaires, la commission centrale est chargée d'un travail qui, pour être occasionnel, n'en est pas moins soutenu. Elle rédige des brochures sur des sujets tels que « La guerre d'A lgérie en images », « Le M NA », « Les Européens d'A lgérie », « La femme algérienne dans la lutte de libération », « Les rapports Algérie-Chine » (sujet im portant à l'époque). Une brochure qui se voulait périodique, FLN-Documents, était spécia­ lement destinée à l'opinion publique européenne. Elle a traité de thèm es aussi variés que « La fédération de France et l’opinion de la gauche », « La guerre d'A lgérie et l'opinion publique internationale », « La formation du GPRA - Aspect juridique », « Le lobby algérien », expliquant l'in­ fluence déterm inante des magnats de l'agriculture et de la politique en Algérie sur le gouvernement de Paris. Le numéro 5 de décembre 19S9 eut un retentissem ent particulier. T raitant de la question juive en Algérie, il s'intitulait avec optimisme : « Les juifs d'A lgérie dans le combat pour l'indépendance nationale. » Intégralem ent repris par le Congrès ju if mon­ dial à Londres, il fut diffusé par ses soins dans de nombreux pays du monde et traduit en plusieurs langues. Dans sa préface, le document rappelle les déclarations fermes de la charte de la Soum m am : «L a Révolution algérienne n’est pas une guerre civile, ni une guerre de religion... elle veut conquérir l'indépendance pour installer une Répu­ blique dém ocratique et sociale garantissant une véritable égalité entre citoyens d'une même patrie, sans discrim ination. » E t dans un appel lancé le 25 novembre 1959 aux « Algériens israélites », le FLN en France les invite à occuper « une part plus grande et plus active dans la lutte afin que demain vive, égale pour tous, la République algérienne... ». De telles positions, traduisant fidèlement les options FLN, ne pouvaient que confor­ ter les dém ocrates français - parm i lesquels de nombreux juifs - dans1 1. Nom de guerre de Boussouf.

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Presse et inform ation leur action en faveur du Front au sein des réseaux de soutien. D’ailleurs, sa diffusion ne fu t pas sans influence sur la décision, prise par certains ju ifs français du groupe Curiel, de promouvoir, grâce à leurs amis israéliens, un mouvement en faveur de l’indépendance de l’Algérie. Aussi un Com ité israélien pour une Algérie libre est-il annoncé par la presse de Tel-Aviv, le 28 décem bre 1960. Composé à l’origine de dix-sept m em bres fondateurs, tous personnalités éminentes, il comprendra tris vite une centaine d’adhérents israélites et musulmans. Parfois, les brochures prenaient la dimension de véritables livres. Ainsi en fut-il de la Pacification, qui rassem blait toute une série de documents su r la m anière dont la guerre d’Algérie était menée par les « pacifica­ teurs ». Publier cet ensemble sous le sigle « Fédération de France du FLN » l’aurait fait considérer, m algré la véracité des sévices relatés, comme un simple pam phlet de propagande. M alek, qui y collabora, accepta la paternité de l’ouvrage et le signa de sa véritable identité : Hafid Keramane, tandis que K ateb Yacine en écrivit la préface. La commission fournit aussi des articles i E l M oudjakid à Tunis, à Freies Algerien à Cologne ', à Free Algeria à L ondres12, ainsi qu’à des corres­ pondants étrangers occasionnellement. D ébut 19S9, il s’avire nécessaire d’ouvrir une école de cadres pour la form ation des responsables. La commission centrale, chargée de la rédac­ tion des cours, term inera son œuvre en novembre de la même an n ée3 et aura traité des sujets aussi variés que : l’histoire de l'A lgérie des origines i novembre 1959; la géographie de l’Algérie; le Front de libération nationale; la fédération de France; l’émigration algérienne; le syndica­ lism e; les régimes politiques; les systèmes et les régimes économiques; les organisations internationales; ces thèmes étant, chaque fois que possible, abordés du point de vue de l’Algérie com battante. En quelque sorte, la commission centrale aura été, pour la fédération, son service d’inform ation, de propagande et de renseignement, son service culturel et d’instruction m ilitante.

« Pedro 4 » est mécontent. Depuis le grand coup de boutoir de fin 1958, trois délégués à la propagande sur quatre ont été éliminés et les « antennes » auprès des wilayas sont pratiquem ent réduites au silence. Après avoir remis de l’ordre dans le nidham, « Pedro » informe les autres membres du C F que « le service presse et information est pratiquem ent inexistant sur le {dan organique. Ce qui se fait actuellem ent par le truchem ent de l’organisation n’est ni contrôlé sur le plan de la conception politique, ni 1. Voir chapitre vil, • Autour de l'Hexagone ».

2. Idem.

3. Lea rédacteurs en ont été Benmiloud, Benyahya, Chltonr et Haroun et lee coure ont été prindpatem ent assurés par Benyahya, Chitour et MoundjL 4. Kaddour Ladlani.

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Presse e t inform ation dans ses effets sur l'opinion, ni même sur le plan financier. Il est tempe de rem édier à cette situ atio n 1». Ce n 'était pas l'envie qui m anquait. Il fallait seulement parer au plus pressé, et d'abord recoller les morceaux dans les services vitaux de la fédération. Pendant quelques mois, il s'agit de pourvoir les postes laissés vacants par les arrestations. 1* août 1959 : message du responsable de la commission centrale aux nouveaux DPI : « Suite ¿ ma précédente note, tous les DPIW sont avisés qu'ils doivent se trouver en Suisse le lundi 10 août au plus tard. J'attendrai M arcel à Lausanne le 10 août à midi au buffet prem ière classe, gare du chemin de fer [...]. En cas de difficulté, téléphoner à Lausanne au 26.90.42 et dem ander W ilhelm. En tout état de cause la communication téléphonique ne doit être donnée qu’à partir de la Suisse. N e pas voyager en groupe, mais séparém ent. Fraternellem ent à tous. » M ais le message ne parvient pas à tem ps à ses destinataires. La réunion du 10 août est reportée au 4 septem bre. S’y retrouvent M arcel, seul rescapé du prem ier groupe, Sekkiou qui a remplacé Kara à la wilaya II, et Zouaoui qui, en juin 1959, s'installe à M arseille pour la wilaya III bis. Le compte n'y est pas. Il reste à pourvoir Lyon, ainsi que tout le Nord et l'E st. L'objet principal de la réunion123 aura été de préciser le rôle du DPIW et sa place au sein de la wilaya, pour éviter les conflits de compétence qui ont pu parfois surgir comme dans la III. Il est demandé à tous les chefs de wilaya d'aider au maximum les DPIW à installer leur service et à redém arrer. Après quoi, grâce aux instructions reçues, ils seront à même de poursuivre seuls leur mission. Les DPIW sont invités à transm ettre mensuellement deux rapports, autant que possible le 5 et le 20, et, si nécessaire, un rapport extraordinaire. Pour uniformiser ces rapports, éviter des erreurs ou des oublis, un plan type est établi qui comprendra cinq chapitres : - un prem ier, concernant « le travail effectué », mentionne les textes reçus de la CC, le nombre d'exem plaires imprimés, les conditions de diffusion, etc.; - l e deuxième rapporte l'opinion de l'ém igration, exprimée par les m ilitants, les cadres et les non-militants. Ce chapitre sera particulièrem ent inspiré de la synthèse des rapports politiques et des informations diverses ém anant de la base et que le CW est invité à m ettre à la disposition de son D PI; - un troisièm e chapitre est consacré à l'opinion française vue à travers les partis politiques, les syndicats, les églises, l’homme de la rue; - le quatrièm e traite des principaux événements de la période écoulée, vus par rapport à la guerre d’A lgérie; - enfin, un dernier développement sera consacré aux points classiques 1. Note de Ladlani, à Péris, 22 mars 1939. 2. La réunion de Lausanne se tiendra en fait les 6 et 7 septembre 1939, dans des conditions de sécurité absolue, fric e à l’aide précieuse de M arie-M af(Meine Bnimagne, journaliste à la Gazette.

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Presse et inform ation dans toute organisation révolutionnaire: «vœux, suggestions, autocri* tique ». C’est peut-être un carcan pour le rédacteur, mais aussi un cadre utile pour rapporter l’essentiel. Les services de police se sont toujours étonnés et parfois moqués de la rigidité des rapports exigés par la fédération de ses cadres. Ils le comprendront... avec retard '. En général, le travail d’impression est effectué par des Français solidaires de la Révolution algérienne (hommes de gauche, m ilitants communistes en rupture avec le parti, syndicalistes, chrétiens progressistes, etc.) qui, souvent par le biais de la Section universitaire ou de l’AGTA, se sont approchés du DPIW . M ais celui-ci ne doit pas s’en rem ettre totalem ent à l’aide des « am is français ». Il dispose nécessairem ent, dans l’étendue de sa wilaya, d’un moyen d’impression indépendant, exclusivement FLN, pour tirer les textes internes ou assurer le dépannage en cas de difficulté. Conscient de sa mission et de son rôle de m ilitant engagé, le délégué à l’information s’avère souvent, dans ses rapports, d’une franchise rugueuse. Après tout, le C F veut connaître l’opinion de la base pour en tenir compte et ajuster ses propos. Il sera servi. Certains m ilitants iront contester jusqu’au choix du prem ier président du GPRA. Sur sa personnalité, les comm entaires ne sont pas rares. Pourquoi n’a-t-on pas mis à la tête du gouvernement l’un des «historiques», ou un «vrai m aquisard»? On rappelle les déclarations de Ferhat Abbas sur l’Algérie qui ne peut être une nation. Nom bre de rapports se consolent à l’idée qu’il s’agit seulement d’un « gouvernement provisoire * ». Les écrits de la commission centrale, pourtant censés exprim er les vues du comité fédéral, ne plairont pas toujours, et le DPIW s’en fera l’écho. « Au sujet du tract du 1* novembre 1959, nos cadres estim ent qu'il a été rédigé sous l’optique "à distribuer aux Français". Nous n’y avons pas trouvé, rappelés avec émotion, toutes les souffrances du peuple algérien, les assassinats, les regroupés, les déplacés, ceux qui souffrent dans les prisons et camps d’Algérie et de France \ » La base ne manque pas de franchise à l’égard de ses chefs! T raitant de l’état de l’opinion française, le DPI rapporte l’action des communistes à M arseille : des affiches collées sur les murs de la ville m ontrent une table ronde, vide, avec deux chaises également vides qui sem blent attendre Ferhat Abbas et le général de Gaulle. Pour être plus explicite, le placard porte une inscription : « Pour la paix en Algérie. N égociations.» Com mentaire du rap p o rt: «C ette m anifestation exté­ rieure des communistes est malheureusement démentie par les directives123 1. Voir annexes, document n*6, l’étude de la PRG tu r l’organisation de la fédération de Fiance du FLN. 2. Citation d’un rapport de la base joint pour information par le DPIW à son rapport de septembre 19S8. Ces observations qui, sans être nombreuses, étaient tout de meme notables, ont incité le CF à expliquer, dans le bulletin intérieur suivant, le point de vue de la plate-forme de la Soummam, selon lequel « l’Indépendance ne sera ni l’ouvre d’un homme ni celle d’un parti, mais d’un front ouvert à tous les patriotes sincères sans exclusive ». D’ailleurs, de telles remarques n’ont plus paru dans les rapports suivants. 3. Rapport du DPIW III Mr pour la wuaya Lyoo-Marsetlie, 21 février 1939.

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Presse e t inform ation im pératives du parti communiste, qui dem andent, dans la wilaya III Ms en particulier, à tous ses membres, de ne fournir aucune aide, si minime soit-elle, aux m ilitants FLN '. » Comme pour confirmer son appréciation, le DPIW joindra, le mois suivant, l’article de la M arseillaise du 12 novembre 1959 en réponse au M éridional qui dénonçait, comme communiste attachée au FLN , le docteur Annette Roger, arrêtée alors qu’elle véhiculait Daski, chef de la wilaya III b is J. L’auteur, responsable communiste, y explique que l’attitude du docteur Roger est incom patible avec la ligne politique, les objectifs et les méthodes du PC. Ainsi, grâce aux antennes réparties à travers la France, et auxquelles on n’a jam ais suggéré l’autocensure, la commission centrale et, par voie de conséquence, le comité fédéral, se trouvaient-ils dans les conditions optim ales pour réagir à l’unisson de la base.

La recherche de l’harmonie n’empêche cependant pas de relever des fausses notes. A la conférence du général de Gaulle du 16 septem bre 1959, reconnaissant aux Algériens le droit ¿ l’autodéterm ination, le GPRA avait répondu, par la déclaration du 28, que la fédération se devait évidemment de difTuser et d’expliquer cette position au mieux. Dans un « Appel au peuple français » daté à Paris du 17 octobre 1959, elle rappelle que, pour une mise en pratique effective de ce droit, des garanties sont indispensables, car « une consultation valable ne saurait avoir lieu sous la pression d’un gigantesque appareil m ilitaire et policier. Aucun Français de bonne foi ne fera grief au GPRA de s’assurer d’un minimum de garanties essentielles». Le texte, destiné principalem ent aux Français, tombe cependant entre les mains des m ilitants FLN qui, dans une grande partie de l’organisation, n’apprécient pas du tout ce « minimum » et font écrire au DPIW : « Il est nécessaire de rappeler aux Français que seul un “ m a x im u m ” de garanties donné au GPRA peut amener une discus­ sion sérieuse pour un cessez-le-feu. » Un cadre bien inspiré calm era les esprits en assurant que ce fut seulement là une erreur de frappe! M ais les problèmes de langage auront parfois un dénouement moins heureux. Dans une région du Nord où la brigade de gendarm erie s’avérait particulièrem ent tracassière, les m ilitants s’en plaignent, et le DPI le mentionne au chapitre « Opinion de notre ém igration ». L’information est passée à l’organisation qui, le mois suivant, donne comme directive de « ne pas céder à la provocation policière ». Au rapport organique mensuel, on relève que «deux gendarmes rencontrés par nos m ilitants ont été abattus... conformément aux directives du mois ». La base avait compris qu’il ne fallait jam ais reculer devant les forces de l’ordre!12

1. Rapport du DPIW III bu du 21 novembre 1959.

2. Voir chapitre xvii, « Le PCF fece 4 l'action du FLN en France ».

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Presse et inform ation La gare centrale de Bruxelles, si elle ne présente pas l’intérêt de la gare du M idi, où Ton peut facilem ent disparaître dans la foule, avait l’avantage d ’éviter de longs déplacem ents à travers la ville pour rejoindre un appartem ent qu’un ami belge m ettait, pour la circonstance, à la disposition des DPI. Rendez-vous était fixé pour le 7 janvier 1961 sur le quai entre les délégués à l’information des quatre wilayas et le responsable de la commission centrale. Il est environ 18 heures lorsque « M arcel » 1 et « Alain » 123 se croisent du regard; un peu plus loin arrivent « Patrick » 3 puis « Xavier » 45au bout du quai. Tous sont ponctuels. Détaché, « Alain » prend tris naturellem ent la direction de la sortie pour rejoindre le lieu de réunion... qui n’aura jam ais lieu, les quatre s’étant, comme par enchantem ent, évanouis dans la foule des voyageurs. Trois ou quatre jours plus tard, « Xavier » transm et à « Alain » son rapport sur les conditions de l’enlèvement : « A peine avions-nous fait dix m itres du lieu où tu nous as quittés que des inspecteurs belges descendent de trois voitures civiles et nous embar­ quent. A l’arrivée dans leurs locaux, conciliabules et discussions. Certains affirment que nous étions cinq et qu’il en manque un. Les autres sou­ tiennent que nous n’étions que quatre au moment de l'interpellation... Interrogatoire tris d é ta illé [...]. Le policier ’’ m échant’’ qui tape ma déclaration sort avec le procès-verbal. Le “ gentil ” enchaîne qu’il regrette de tout cœur ce qui nous arrive [ ...] .44Que voulez-vous, en France aussi la situation n'est pas calm e [...]. Il y a pas mal d 'attentats [...]. Le FLN se durcit de plus en plus [...]. La police française fait ce qu’elle peut en Algérie. Sans les Français ce serait la pagaille générale, le chaos. C’est comme au Congo, il faut sauver la population [...]. ” » Un troisièm e inspecteur entre, furieux. “ Votre déclaration est fausse. Toutes les autres concordent. Sauf la vôtre [...]. ” Un autre inspecteur, particulièrem ent hargneux, ne s’empêche pas de crier : “ Tous vos compa­ triotes sont des m enteurs. ” Je rétorque aussitôt : “ 11 y en a autant parmi les vôtres. ” Interloqué, il essaie de se justifier : **Sur quatre déclarations, il n’y en a pas deux qui concordent. A supposer qu’il y en ait une seule de juste, il en reste trois fausses. ” Je maintiens ma position. “ On sait que tu es le patron. On t’a vu parler dans le hall de la gare à quelqu’un. (C ’était toi.) On le connaît. C ’est M a rc }. C’est d’ailleurs lui qui vous a pris en voiture après que vous ayez fait le trajet Paris-Lille en train et traversé clandestinem ent la frontière. Tu te fais appeler Xavier dans les milieux algériens [...]. ” » E ntre un homme qui semble être le patron, et parle posément, sans le fort accent flamand des précédents. MMonsieur, mon travail est d’assurer la sécurité de mon pays. Celle des autres pays ne m’intéresse 1. 2. 3. 4. 5.

Pseudonyme de Benzerfa, D PIW II. Pseudonyme de Haroun, responsable de la commission centrale. A lt Ouali Mohamed, DPI de la wilaya III bis. Youcef Hendel, DPI de la wilaya I. Abdelmadjid Tirouche, responsable du FLN en Belgique de 1938 à 1961.

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Presse et inform ation pas. Il y a actuellem ent des troubles en Belgique. Comprenez que nous exercions une surveillance particulière. Des étrangers viennent chez nous pour comploter et préparer la subversion. M aintenant, je dois prendre une décision en ce qui vous concerne : ou bien vous me déclarez que vous êtes seulem ent venus ici pour vous réunir - comme le reconnaissent d'ailleurs vos amis - et je ferm e les yeux, ou bien vous m aintenez votre déclaration, et je considère que vous êtes effectivement venus pour comploter contre la sécurité belge. Je serai alors obligé de vous inculper et de vous écrouer. Vous serez remis à la justice belge qui vous poursuivra pour atteinte à la sécurité du territoire. Je maintiens la thèse du voyage touristique. ” Form alités anthropom étriques... G are du M idi, on nous m et dans le train, tout en s'excusant presque de nous faire accompagner très discrètem ent - par des policiers qui s'assureront bien que nous n'en descendrons pas avant l'autre côté de la frontière. » Finalem ent il sem blait bien que l'aventure causait plus de peur que de mal. En fait, dans la même semaine, deux des DPIW furent arrêtés à leur domicile. Le troisièm e, sentant la surveillance se resserrer autour de lui depuis l’incident, se réfugie en Suisse. Q uant à « Xavier », malgré le changement d’affectation et toutes ses justifications sociales, il était désormais dans le collim ateur gr&ce aux informations « confraternelle» ment » fournies par les collègues belges à la police française, qui, n'ayant pu rien prouver contre lui, l'arrête tout de même trois mois plus tard, et le fait interner en Algérie. Contre vents et marées, les délégués tenteront - et ils y réussiront passablem ent - de tenir leurs réunions au moins tous les trim estres. Ce sera grâce à l'activité inlassable de l'am i M artin ', tantôt dans les combles d'une église genevoise, tantôt chez les prêtres ouvriers de Seraing, dans la banlieue liégeoise, où les « délégués » partageront le pain et le sel avec ces « frères» d'un genre nouveau. Ils m ettaient leur humble logis à disposition, sans dem ander le moins du monde ce que l'on allait y fa ire 123. Les rencontres se tiendront parfois dans les Ardennes, à Lustin, dans la maison de campagne du m inistre belge Charles M oureaux, qui ne saura jam ais ce qu'a pu abriter sa belle dem eure*. Parfois encore à la frontière près de Sarrebrttcken, grâce â l'hospitalité d'un pasteur, ami de M artin. M algré tout, le contact entre les DPIW ne sera jam ais longtemps rompu, et les réunions se poursuivront.

M ais que sont devenus tous ceux qui ne sont pas cités ici? Abdallah, dont seul le prénom dem eure en nos mémoires? « Antoine », qui n'a laissé 1. L’abbé Robert Devastes, oui aera plue tard incarcéré poar aoa action en faveur des Alfériens. 2. Citons parmi ces prêtres ouvriers : Courtois, Schuwers et Flafothier. 3. Voir c h a p it r e vu, « Autour de l’Hexatone ».

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Presse et inform ation qu’un pseudonyme? « Bertrand », on se souviendra de lui Le 5 septem bre 1960, pour un m alheureux incident de m inuterie en panne, il se trompe de porte, sonne chez le voisin qui appelle aussitôt la police. Pour comble de m alchance, le poste est à moins de cent mètres. « Bertrand » n’a pas le tem ps de descendre les cinq étages dans l’obscurité, que les policiers bloquent déjà l’entrée de l’immeuble. Ce qui entraînera, outre son arres* tation, celle de Christiane Zuber, qui, à vingt-quatre ans, agrégée de philosophie et licenciée d’histoire et de géographie, allait poursuivre ses réflexions sur la sagesse à la prison de la Roquette. « Alain », responsable d e l’antenne de M arseille, va laisser perplexes ses amis en donnant comme point de chute, en avril 1960 : « M arcelle Boutin, Secrétariat particulier d u m aire, Hôtel de Ville, M arseille.» Par message ultérieur, il dut confirm er à la commission centrale qu’il ne s’agissait pas d’une plaisan­ terie, sans préciser toutefois si le m aire, M. Gaston Defferre, était au courant. Ainsi, les DPI n'ont pas été de quelconques « correspondants de guerre clandestins» ou une sorte de journalistes de la fédération. Ils fu rent des cadres au plein sens du term e. Beaucoup seront arrêtés, emprisonnés comme Kara, Rabal, ou torturés comme Francis. D’autres passeront à « l’organique » pour rem plir des fonctions de chef de wilaya et m ême de « contrôleur », avant de tom ber sous les coups de la répression. « X avier», DPIW de Paris-Centre, reprend la direction organique du collectif après l’arrestation du précédent responsable. «M arcel» sera arrêté, suite à la dénonciation de la police belge, qui l’interpelle à la gare centrale de Bruxelles dans les prem iers jours de janvier 1961. Rares furent ceux qui ne payèrent pas de tribut à la répression.1

1. De aoo vrai nom, A bdem hm ane Khaldi, DPIW III (Lyon).

CHAPITRE VII

Autour de l’Hexagone

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UNIVERSITY OF MICHIGAN

Chez Georges Laperche, professeur d'histoire à l'athénée de Chênée prés de Liège, en Belgique, le facteur vient livrer un colis. C ’est sans doute un livre. L'em ballage porte la mention « Presses universitaires de France ». Le professeur l'ouvre avec d'autant plus d'intérêt qu'il traite de la pacification vue par un auteur algérien. Aussitôt, une terrible déflagration retentit. La bombe explose, crache deux cent cinquante clous de sabot, arrache les mains et la moitié du visage de la victime. Le professeur m eurt dans l'am bulance qui le transporte à l'hôpital. La veille, 25 mars 1960, à Linkebeek, faubourg de Bruxelles, le même colis piégé avait été adressé à un autre professeur, Pierre Legreve. En son absence, son épouse ouvre le paquet. Par m iracle, la machine infernale ne fonctionne pas. M“ Legreve découvre une petite boîte m étallique encastrée au milieu des feuillets et appelle la police qui désarme l'engin. C 'est la consternation dans toute la Belgique et la Main rouge est aussitôt mise en accusation par la presse. Mais, comme tient à le rectifier im m édiatem ent le FLN \ la M ain rouge désigne communément une branche des services secrets français, spécialisée dans l'action terroriste contre les patriotes de Tunisie et du M aroc jusqu'à l’accession de ces pays à l'indépendance, ensuite contre les Algériens et leurs amis. Ces agissements sont connus depuis longtemps des autorités belges. Ils n'ont été possibles et n'ont pris l’am pleur qu'on connaît que parce que ce service dispose de moyens im portants en France, en Afrique du Nord, en Allemagne fédérale (parm i les troupes françaises d'occupation), en Italie (spécialem ent auprès des ambassades et des consulats français), et bénéficie de complicités im portantes, en Belgique notamment. Longue est déjà la liste des crim es perpétrés... L'assassinat de Ferhat Hached en Tunisie, ceux de m aître Sebti et M. Lemaigre-Dubreuil au M aroc, la tentative d'assassinat de Ben Bella à Tripoli en 1956, les attentats contre m aîtres Aït-Ahcène à Bonn, Thuveny à Casablanca, Ould Aoudia à Paris, l'atten tat manqué contre Tayeb Boulahrouf à Rome qui se solda par la mort d'un enfant et plusieurs blessés graves, tous italiens, celui de Francfort contre un Algérien qui eut les deux mains arrachées, l’assassinat d'A kli Aissiou à Bruxelles et combien d'autres commis dans l'im punité totale.I. I. Coaunaniqaé de le fédération de Frenoe da FLN, pabëé à Bnuwllee, 8 avril i960.

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A utour de l'H exagone M ais contre deux paisibles citoyens belges, pourquoi ces crim es, œuvre indiscutable des services secrets français? C e st que le professeur Legreve, socialiste, et le professeur Laperche, homme de cœur, m ilitent au sein du Comité pour la paix en Algérie, créé en 1958. Tout en affirmant son option, le comité n’entendait pas m ettre des œillères à ses adhérents, ni leur tenir uniquement un discours favorable aux thèses FLN. Évitant tout manichéisme, il leur proposait de s’inform er auprès des partisans de l’Algérie française et des ultras. Dans le bulletin de juin 1959, figurent parmi la bibliographie présentée au lecteur, ä côté des ouvrages de Charles-André Julien ou de Charles-Henri Favrod, ceux de Jacques Soustelle, de Georges Bidault ou d’Alain de Serigny qui n'ont jam ais accepté l’abandon du régime colonial. Mais cette dém arche compréhensive du comité est encore un crim e inexpiable aux yeux des services secrets français '. Il faut terroriser ces professeurs, pour leur m ontrer qu’il leur en cuira de se m êler des « affaires intérieures » du grand pays voisin. Comme il faut terroriser l’ém igration algérienne en Belgique. Akli Aissiou, étudiant à l’université libre de Bruxelles, est abattu deux semaines auparavant dans le couloir de son immeuble, dans les mêmes conditions que l’avocat Ould Aoudia l’avait été le 24 mai 1959 à Paris : d’une balle de revolver doté d’un silencieux. Quel but recherche la M ain rouge? « Provoquer la peur, le désarroi, puis la panique, parm i les braves gens qui, scandalisés par les méthodes françaises en Algérie, font connaître la réalité de cette guerre coloniale et œuvrent pacifiquement à sa fin. Rendre les Algériens indésirables en Belgique puisqu’ils seraient alors considérés, sinon comme les auteurs, du moins comme la cause de troubles graves à l’ordre p u b lic12. » Ces «braves gens» ne paniqueront pas et d’autres, non moins braves spécialement les avocats - , obtiendront après une longue lutte qu’il soit mis fin aux extraditions. Les attentats de Liège et de Linkebeek ne feront que confirmer le comité belge dans ses convictions : lutter contre l’emploi de la force, informer et convaincre. Ainsi, il tiendra des conférences, publiera régulièrem ent son bulletin et plusieurs brochures qui, adressées aux autorités gouvernementales belges, les am èneront à tem pérer quelque peu leur ardeur profrançaise.

1. Pendant longtemps on parlera de la Main rouge. D’ailleurs, peu importe l’appellation, • l’essentiel est de savoir que les contre-terroristes qui opèrent dans toute l’Europe occiden­ tale, de Rome i Hambourg et de Cassel i Zeebrugge, disposent de moyens techniques et financien considérables et de vastes complicités internationales. [...] construire ces petites machines infernales (la bombe incrustée dans un livre), ce n’est pas un travail d’amateur. Cela demande au contraire un laboratoire et des connaissances techniques très poussées, puisque nos spécialistes éprouvent toutes les peines du monde à en désamorcer un exemplaire. Enfin, chacun peut considérer que la machine a été exécutée dans le grand style des services secrets». (Pourquoi pas?, d'avril 1960, revue belge paraissant à Bruxelles...) On ne voit évidemment pas d’autres agents que les services secrets français. 2. Communiqué de la fédération de France du FLN, 8 avril 1960.

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A utour de l'H exagone L’agent de liaison belge qui ram ène en Belgique « Si Ali », du comité fédéral, lui présente la personne qui doit le prendre en charge cette nuitlà. « M arc Dujardin. Salut! » Ali ne peut s’em pêcher de réprim er un sourire. L’agent, sa mission term inée, s’en va aussitôt. Heureusem ent. C ar le fou rire secoue Ali. « Alors, lance-t-il à son contact avec l’accent de l'ém igré d’Azazga qui se veut du Poitou, tu es monsieur Dujardin! M arc, d’accord, puisqu’on t’a toujours surnommé ainsi à Paris dans le nidham, mais pourquoi D ujardin? - C ’est un nom qui fait très belge francophone, répond l’intéressé. La publicité du digestif Dujardin est sur tous les murs et ça me facilite beaucoup les prem iers contacts. Je te dirai qu’en pays flamand où j ’ai commencé à étendre l’organisation et à chercher des soutiens, je suis M ark van den Hoven. Il vaut mieux passer inaperçu, n’est-ce pas Si A li?» Tout en parlant, Dujardin - de son vrai nom Abdelmadjid Tirouche reprenait instinctivem ent son accent des faubourgs d’Alger, l’intonation qu’on attribuera, après l’indépendance, à « Moh Bab-El-O ued1 ». De fait, « M arc » pouvait passer pour n’importe quel Européen du Nord. M ince, grand, le teint clair et le cheveu fin, son physique lui perm ettait toutes les audaces. N ’est-ce pas lui qui m it Kaddour Ladlani dans tous ses états? Alors qu'il était censé exploiter, l'année précédente, du côté de Denfert-Rochereau à Paris, une pseudo-épicerie qui n’était en fait qu’une « planque » du Front, des éléments de l’OS y avaient abandonné une vieille m itrailleuse inutilisable. Em barrassé par ce dépôt plutôt encom brant, il l’enfouit dans un m atelas, prit le fardeau sur ses épaules, et, tranquillem ent, rem onta le boulevard pour restituer le « colis » à ses légitim es propriétaires. C ’est avec un tel chargem ent que Kaddour, ahuri, le vit passer devant les policiers qui faisaient la ronde autour de la prison de la Santé. Une intrépidité bonhomme, alliée à une grande douceur, perm ettait à « M arc » d’obtenir beaucoup de ses amis. Ainsi, M. Jacquem in, directeur des douanes en retraite, n’avait pu résister à son charm e. Il m it à la disposition du Front la propriété qu'il possédait aux environs de Bruxelles. De même Serge et H enriette M oureaux12 adoptent M arc qui fera de toute la fam ille M oureaux des partisans fidèles de la cause algérienne. C’est d’ailleurs à Lustin, sur les bords de la Meuse, dans la maison de Charles M oureaux, alors m inistre de l’Instruction publique belge, que se retrouveront les membres du collectif des avocats avec ceux du comité fédéral pour des réunions de coordination. Le jeune Philippe M oureaux3, étudiant à l’époque, aura maintes fois servi de chauffeur, au volant de 1. C’est un peu, per rapport eu perler français, l’accent du titi parisien. 2. S e n e Moureaux, responsable du collectif des avocats belges. 3. Philippe, plus tard professeur et docteur en histoire, appartiendra à divers cabinets ministériels. Aujourd'hui, ministre-président de la communauté française.

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A utour de l'H exagone la grosse voiture paternelle. Il en sera de même de la fam ille de M arc Sommerhausen, président du Conseil d’É tat belge, auprès de laquelle les Algériens trouveront une aide discrète et une amicale compréhension. C’est donc autant sur la base de convictions politiques que de rapports humains, que vont se nouer les relations du FLN avec ses amis belges. Il faut dire que la fédération avait envoyé dès 1957 des éclaireurs tel Aziz Benmiloud, qui, lors d'un second voyage les 23, 24 et 25 juin 1958, donne plusieurs conférences à liè g e et à Bruxelles, sous les auspices du Comité pour la paix en Algérie, et prend des contacts qui s’a v érait des plus fructueux. Si le Comité pour la paix en Algérie ne parvient pas, comme il le dem andait, i am ener le gouvernement ¿ modifier sa politique pro-française, à observer une neutralité absolue dans le conflit algérien, du moins ses interventions contre la répression qui frappe les Algériens et les extraditions abusives porteront-elles leurs fruits. Dans un document trans­ mis aux autorités, publié sous la responsabilité de Jean Godin, élaboré en collaboration étroite tant avec les avocats qu’avec l’organisation du Front en Belgique, le comité demande qu’il soit mis fin aux renvois et expulsions abusifs, et surtout aux extraditions. Faire accepter que l’action - même violente - du FLN en France fût politique n’était pas à l’époque chose facile. L’un des buts du adloque juridique qui se tiendra à Bruxelles, les 18 et 19 m ars 1961, sera justem ent de tenter d'y parvenir, pour m ontrer que le gouvernement français n’avait aucun droit de solliciter e t encore moins d’obtenir l’extradition des Algériens réfugiés dans les pays lim itrophes.

Dans l’esprit d’un Français conscient de ses devoirs, instituteur dans la casbah d’Alger, germe, ce samedi 22 juin 1957, une idée terrible. Demander à ses jeunes élèves, âgés de dix à quatorze ans, de développer le sujet suivant : « Que feriez-vous, si vous étiez invisible? » Ce que ces enfants vont écrire en toute naïveté est absolument accablant. Les devoirs remis à des mains sûres vont sortir d’Algérie et aboutir à la fédération qui les fait lire aux membres du comité belge. Ils en sont bouleversés. Mais ces vérités accablantes doivent être clamées. Si l’opinion publique française ne supporte pas encore de les entendre, du moins devront-elles être publiées hors de France. E t, grâce à eux, la postérité saura avec stupeur les phantasm es atroces qui habitaient en 1957 les jeunes écoliers de la casbah '. Vingt-six ans plus tard, le lecteur se trouve encore angoissé, la gorge nouée, et les yeux humides, devant ces enfants prêts à tous les sacrifices :1

1. Et Us pacifièrent Alger, édité par le Comité pour la paix en Algérie.

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A utour de l'H exagone « Si j ’étais invisible, je dévaliserais la banque, je tuerais des hommes, je volerais du pain, des pommes, des figues, des taxis. Je tuerais aussi les policiers. Je libère les prisonniers. Où je tue, où je vole, personne ne m e voit. E t si je veux être le roi, je le ferais. Je volerais des m itraillettes, des revolvers, des bombes et je les déposerais au M ilk-B ar1, ¿ la C a fétéria 1e t je tuerais aussi Robert Lacoste, Bourgès-Maunoury, et c’est moi qui a tué Ali Chekkal en sortant du stade, ils ont pris un innocent, un passant, mais ce n’est pas lui qui l’a tué, c’est moi. Qui m’a dit tué les soldats? C’est ma tête, et je tue, je tue les m ounafiqine2. J ’attaque les paras de M assu, ces misérables, ces voleurs, ces imbéciles, ces idiots, ces crétins, a b a s l e s p a r a s d e m a s s u ! J ’irais jusqu’à Guy Mollet et Robert Lacoste. Je les tuerais. J ’irais au djebel Aurès, je donnerais du courage à nos frères les g l o r ie u x m o u d ja h id in 1 que je trouverais làbas, je lancerais des grenades aux paras qui viendraient là-bas dans ce lieu saint, et lorsque nous apporterons l’Indépendance, je lèverais moimême le drapeau. Puis si je mourais, ça fait rira. J ’aurais fini la mission qu*Allah4 me confierait. » 13 ans et 4 mois. « Je vais étrangler les parachutistes et dévaliser la banque. M ettre une bombe au com m issariat et délivrer les prisonniers. E t je vais ensuite voler les bijoux. E t je délivre mes trois frères prisonniers des soldats. E t je m assacrerai tous les Français grands et petits sur mon chemin. E t je volerai les m itraillettes, des pistolets autom atiques, des m itrailleuses, des bombes de toutes sortes, et m itraillerai les soldats. E t j ’irai tuer avec le MAT 49 les mouchards aux soldats français. E t puis je monte au djebel Aurès avec les fusils, les m itrailleuses pour gagner l’indépendance de l’Algérie. Vive l’Algérie libre et indépendante! » 11 ans. « Je tuerais les paras qui font la torture aux hommes comme des Indiens. Je poserais des bombes dans les bars, dans les casinos, dans les casernes. Je tuerais tous les paras de Massu. J’attaque les convois d’arm es, et je les donne aux hommes à Paul-C azelless. Je volerais des bijoux aux femmes françaises comme font les paras de M assu: ils prennent les photos de femmes pour les m ontrer aux hommes. Ils ne peuvent pas prendre Alger. Elle appartient aux Arabes. Vive les moudjahidin! » 13 ans et 4 mois. Tout com m entaire est superflu. 1. 2. 3. 4. 3.

L’enfant vite lea lieue où dea attentats à la bombe avaient été déjà oommb en 19S6. Mounafiqine : pluriel de mouaafaq : traître. Ce sont (es soldats de l’A nnée de libération algérienne. Dieu. Camp de concentration où sont internés les détenus politiques algériens.

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A utour de l'H exagone

Du 16 au 23 mai 1958 se tient, à la Liederhalle de S tuttgart, sous la présidence d’Erich OUenhauer, le congrès du SPD, le parti social-démo­ crate allemand. Le bureau est constitué de socialistes modérés qui tiennent surtout à préserver les bons rapports, difficilement noués après la guerre, avec leurs amis socialistes des pays d’Europe occidentale, spécialem ent leurs invités français. Mais un « fau co n 1», jeune délégué de Cologne, va perturber le bel ordonnancement des débats, en dénonçant les horreurs de la guerre d’Algérie - celle que mène M. Guy M ollet et ses amis - et saluer les représentants du FLN présents dans la salle sur son invitation. Tollé général : accuser un parti frère de telles monstruosités! Les repré­ sentants de la SFIO ne pouvaient le supporter : ils quittent le congrès comme d’ailleurs le feront la plupart des porte-parole de la France dans les réunions internationales. Tout au fond, aux derniers rangs du balcon, se tiennent Aziz Benmiloud, Belkacem Benyahya, Hadj Cherchali, Moha­ med H arbi et Ali Haroun. A la demande du député W ischnewsld12 - le jeune faucon perturbateur - , ils ont été désignés par la fédération pour prendre les «contacts utiles». Le voyage de S tu ttg art n’aura pas été vain. Blachstein, député SPD de Hambourg, s’intéresse vivement aux pro­ blèmes de décolonisation. Georg Jungglas, de l’aile gauche du parti, est dans les coulisses. Il se dépense sans compter pour faire connaître les représentants des « fellaghas » 3 à ceux qui espèrent entendre enfin un autre son de cloche sur cette guerre, menée par le pays « de la liberté, de l’égalité et de la fraternité ». Parm i les plus intéressés, Heinz M athiessen, Fred G ebhardt, Menne M aïer, trois jeunes responsables des « Fal­ ken », m anifestent une curiosité non dépourvue de sympathie. Les délégués de la fédération sont invités à venir s’expliquer un peu partout en Allemagne et même dans la zone de Berlin. Les discussions seront longues, difficiles et passionnées. A leurs dépens, les envoyés du FLN comprendront que l'idée de la France, « m ère des arts, des armes et des lois », est bien ancrée dans l’opinion. Il va donc falloir expliquer les motifs réels de la colonisation, rem onter à la conférence de Berlin de 1884-1885, pour rappeler dans quel but l’Europe industrielle a entendu se partager l’Afrique comme un énorme gâteau, raconter les « exploits » de M assu, pour ébranler tant soit peu la conviction des auditoires. Après quelques semaines, il s’est trouvé un peu partout des hommes convaincus 1. Let jeunet du SPD te nomment en effet die Falken, let faucoos. 2. Hans Jürgen Wischnewski sera parmi lea prem ien et lea plus fidèles soutient de la cause algérienne en RFA. Les prem ien fonds nécessaires aux besoins du FLN seront transférés de France en Allemagne grâce à son aide. Plusieun fois ministre du gouvernement social-démocrate, ses avis seront, même à l’époque du chancelier Adenauer (chrétiendémocrate). sérieusement pris en considération. Son intérêt continu pour les pays arabes lui vaudra plus tard, auprès de la presse allemande, le sobriquet de «nenwisch ». 3. Voir supra, p. 103.

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A utour de l ’H exagone que la lu tte en Algérie n’était pas menée par « des bandits, des hors-laloi, des musulmans fanatiques ou des bolcheviques camouflés ». Compre­ nant qu'il s'agissait d’un com bat libérateur, tendant à m ettre fin à l'injuste régim e de domination coloniale, certains s'engageront davantage.

Dès 19S7, plusieurs travailleurs algériens poursuivis par les forces de répression avaient fui la France pour trouver refuge en Allemagne fédérale. Parm i eux, Ali Guellal, condamné pour son action politique en France, était, après sa libération, arrivé à S tuttgart. Les syndicats locaux lui offrent leur appui. Un Comité d'aide aux ouvriers algériens est mis sur pied dès 1958 par Louis Pilz, président du syndicat DGB de S tuttgart, F ritz Henker (véritable cheville ouvrière du com ité), membre du bureau du DGB, et Karl Schwab. Le groupe de Cologne, quant à lui, propose la publication d'un pério­ dique pour mieux faire connaître au lecteur de langue allem ande, dont les journaux puisent essentiellem ent aux sources officielles françaises, l'au tre face de la réalité algérienne. En septem bre 1958, le prem ier numéro de Freies A lg erien 1 est publié par 1’« Arbeitskreis der Freuden Algeriens » (Cercle de travail des amis de l'A lgérie), sous la responsabilité du gérant, Hans Jürgen W ischnewski2. Dans son éditorial de présentation « W arum Frets A lg erien 3 », l'éditeur explique la nécessité d'un tel journal pour le lecteur de la République fédérale d'Allem agne. L'idée de créer des cercles d'am is de l’Algérie fait tache d'huile. La gestation de ces groupements suppose évidemment des hommes convaincus pour les ani­ mer dans chaque pays, et des moyens à leur disposition pour publier les informations de source algérienne. Depuis 1958, l'ém igration est prati­ quement encadrée en France, ce qui procure des ressources suffisantes pour faire face aux besoins. Le comité fédéral est habilité par les instances supérieures à engager, sous sa propre responsabilité, toute dépense utile. Q uant aux hommes, il faudra les faire recruter par leurs amis politiques des pays voisins. Les Allemands de Cologne vont donc m ettre certains éléments de la commission de presse en relation avec les jeunes socialistes de Copenhague. Le 1" novembre 1958, paraît un numéro double (3 et 4), et, avant la fin de l'année, Freies Algerien en est déjà à son quatrièm e numéro. Si les prem iers tirages sont financés par la fédération pour une moyenne de 2 000 deutsche M ark 4 chacun, les ventes et les abonnements perm ettent bientôt au journal de vivre de ses propres ressources. T irant à 5 000 exem plaires au départ, il développera son tirage tout au cours de 1. L'Aigérle libre.

2. Le journal est édité par Bocbdröckerei und Verlag, R. Reddigau, KfihhEhrenfeld, Hansem annstraae, 5. 3. « Pourquoi l’Algérie libre? » 4. Ea 1958, 1 deutsche M ark ■ 1 nouveau franc.

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A utour de l'H exagone son existence et aura très tôt un im pact certain. C e st W illy Könen, député de Düsseldorf au Bundestag, qui écrit au journal ses encourage­ ments dans une lettre du 18 novembre 1958. C e st aussi la mère d’un jeune engagé de la Légion étrangère qui réclam e de l'aide pour ram ener à la maison son fils m ineur, expliquant qu'il fut trom pé, puisque dans sa lettre du 1 6 août 1958, il disait «être parti i Sidi-Bel-Abbès pour continuer ses études » [j /c]. Ainsi, jusqu'au cessez-le-feu, avec une régu­ larité qui ne souffrira aucun contretem ps, Freies Algerien publiera 24 numéros et poursuivra son rôle de porte-parole du Front de libération nationale dans les pays de langue germanique. En juin 1959, une délégation1 est reçue au siège central de la DGE à Düsseldorf. Willy R ichter, président de la Confédération, rem et ¿ la délégation une lettre d'introduction pour tous les syndicats de la Répu­ blique fédérale, les invitant à aider et à faciliter le séjour des travailleurs algériens réfugiés. Muni d'une telle recommandation, Saïd Slyemi, dési­ gné pour installer une antenne de l'AGTA à S tuttgart, y trouvera l'accueil le plus favorable. Ainsi, un bureau du syndicat algérien sera installé dans l'imm euble même de la DGE, m algré les menaces de la Main rouge ou les lettres anonymes adressées aux responsables locaux des syndicats allem ands12, dont la position était d'autant plus inconfortable que le gouvernement fédéral tenait par-dessus tout à ne pas froisser son allié français. C 'est d'ailleurs en cette qualité que la France demande l'extradition de certains Algériens réfugiés dans le Bade-W urtemberg. Éclairé par les syndicalistes, le procureur d 'É tat, Richard Schm id, refuse d'y donner suite et ira même jusqu’à défendre son point de vue devant les autorités supérieures fédérales, les incitant à refuser désormais les extraditions d’Algériens à destination de la France. Avec l'installation de Saïd Slyemi à S tuttgart, l'activité en faveur de l'A lgérie s'étend à plusieurs domaines. Le comité d'aide s'élargit, comprenant désormais des membres du SPD, des syndicalistes de la DGB, des Jeunesses socialistes (« die Falken »), les catholiques de « C aritas », les « Evangelisches Hilfswerke », les « Arbeiterwohlfart » (organisation de gauche à caractère hum anitaire), les « N ature Freunde» (les Amis de la nature) dont les maisons serviront pour de nombreux séminaires et écoles de cadres. M ais ce seront surtout les « Falken » qui s'engageront le plus avant dans l'aide à la lutte de libération algérienne. Le secrétaire de la section du Bade-W urtemberg, Menne M aïer, convaincra même ses amis d'héberger les déserteurs français, de leur trouver des emplois. C 'est avec M eier et M öller que « M aurienne » (J.-L. H urst) vient prendre contact pour répartir les jeunes Français parm i les familles allemandes. Jeune Résistance va d'ailleurs travailler en harmonie étroite avec les « Falken ». 1. Elle comprend Abdelkader Maacbou, secrétaire de l’UGTA, Ahmed Mostefaoui, membre du bureau de l’AGTA, Said Slyemi, membre de l’AGTA, Mouloud Kacem du bureau du FLN à Boon. 2. Entretien avec Fritz Henker, 13 juillet 1983.

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A utour de l'H exagone Les tracts, rédigés par les Français eux-mêmes, seront acheminés et répartis par les jeunes socialistes allemands dans les casernes de la zone d ’occupation française à Tübingen, Reutlingen, Fribourg, Constance. On travaillera dans le même sens à Francfort où le docteur Thönossen et le m aire de la ville, M öller, seront parm i les plus actifs du groupe. M ais les Allemands ne furent pas les seuls.

En avril 1960, un membre du comité fédéral rencontre les Danois, quelque part en Hollande, et, le 1 6 m ai, arrive l’accord: «Envoyez désorm ais régulièrem ent toutes vos publications ¿ E. Fritze, Langebrogade 6, Opgang E, Copenhagen... L’ami qu’Ali a vu dernière­ m ent pense pouvoir commencer à publier le journal à partir de juin. C ette publication exigera un peu plus de 1 000 deutsche M ark par numéro. Nous sommes disposés à couvrir l’excédent car nous sommes certains que cette publication s’avérera d’une grande utilité pour toute la Scandinavie. » En fait, le numéro 1 paraîtra à l’occasion du 1* novembre 1960, sous la responsabilité du gérant Jens O ustrup Jensen et, plus tard, sous celle de D orrit Hansen, lija Thiele et Jan Stage '. A Stockholm, Mohamed-Chérif Sahli, qui sera pendant plusieurs années le représentant du FLN pour les pays Scandinaves, restera (par l’inter­ m édiaire du point de chute de Cologne : « Postfach 185. Köln 1 », une boîte postale près de la gare centrale) en contact perm anent avec des membres de la Commission centrale de presse et d ’information de la fédération de France du FLN, qui recevront ainsi la revue de la presse suédoise traduite et l’alim enteront en informations provenant de Tunis ou du comité fédéral. Dans un minuscule appartem ent au 45-46, Chandos Place à Londres, Mohamed Kellou a installé ce qu’il appelle pompeusement la « London D elegation» du FLN . Il s’applique à faire un travail d’information. Difficilement, il adresse à la presse anglaise quelques' communiqués et aux bureaux du FLN à travers le monde, des revues de presse qu’il tape sur un m isérable papier à en-tête. C’est que le budget alloué par Tunis suffit à peine pour vivre. En m ars 1959, la fédération est avisée des possibilités qui s’offrent de créer en Grande-Bretagne un comité pour l’A lgérie « très représentatif », et d’éditer une revue mensuelle du genre de Freies Algerien. On lui demande quel budget elle peut y affecter. Soucieuse de ne pas court-circuiter la voie hiérarchique, elle donne un accord de principe et invite son correspondant à prendre contact avec la délégation FLN sur place, qui doit décider. Le 28 mai arrive un message qui ne souffre aucune am biguïté : « J ’ai vu à plusieurs reprises vos frères. Ils font un très bon boulot. Ils dem andent confirmation écrite par lettre 1 1. Algler-Frit (l’Algérie libre) tara pour siège Hojstrupvej 28, Vankae.

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A utour de l'H exagone de votre engagement de les aider financièrement et régulièrement pour la publication projetée. » La fédération ne va-t-elle pas em piéter sur les prérogatives du ministère des Affaires étrangères? N e va-t-on pas l'accuser de s'étendre & des pays qui ne sont pas de sa compétence, si elle accepte de prendre en charge la revue anglaise? Il ne faut pas oublier qu'un gouvernement provisoire existe dont les m inistères ont strictem ent délim ité les compétences res­ pectives... Un peu plus tard, Kellou fait parvenir à la fédération un échantillon des efforts qu’il déploie : la copie au carbone d'un texte où il apprend au lecteur que « dans le numéro du 2 octobre 1959, l'organe travailliste Tribune annonce sous la signature de John M arulius (nom de plume de M. M ichael Foot, éditeur) la publication de la G angrène1 en GrandeBretagne ». E t Kellou renouvelle sa demande à O m ar Boudaoud. Il manque d'inform ations et naturellem ent de moyens m atériels. Le comité fédéral ne peut que confirmer la promesse d'aide faite par son chef. Dès lors sera créé le comité des « British Friends of the Algerian Revolution » 123 qui va publier, à partir d'avril, la revue Free Algeria \ Elle aura pour gérant responsable John Baird, député i la Cham bre des communes, qui se dépensera sans com pter pour sa diffusion. Plusieurs parlem entaires britanniques collaboreront à la rédaction, sans com pter John Baird luimême, qui écrira plusieurs éditoriaux. Stan Ambery, Fenner Erockway, députés, Antony Wedgwood-Benn, député et membre du comité national exécutif du Labour Party, qui prononcera un im portant discours le 24 juin au Central H all de W estm inster (meeting au cours duquel Claude Bourdet prendra la parole), Stephen Swingler, Sheila Bagnali et bien d'autres apporteront aussi, par la parole et la plume, leur aide à l'avènem ent d'une paix juste en Algérie.

Si Abdelwahab n'est pas content. Recherché par la police de Lyon où il exerçait déjà des responsabilités politiques au temps du MTLD, il est affecté à Genève pour s'occuper surtout des transitaires. Mais il a l'irrésistible besoin de « structurer » tous les Algériens rencontrés sur sa route, avec application stricte des règles immuables de l'organisation: discipline, cloisonnement, respect de la voie hiérarchique et autres prin­ cipes qui ne sont pas du goût de la soixantaine d'étudiants qu'il va recenser en Suisse. S’il ne rencontre aucune difficulté m ajeure auprès des ouvriers algériens qu'il a déjà organisés en cellules, groupes, sections et dont il peut préciser 1. Voir infra, p. 416. 2. Let amis britanniques de la révolution algérienne. 3. L’Algérie libre; siege établi 7, Lyndhurst Gardens London N.W .3, im prim eur: 11-13 New Roaa E.I. (document n* 6, 32 Ms).

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A utour de l'H exagone le chiffre i une unité p ris - Genève : 25; Lausanne : 22; Berne : 12 et Zurich 43 - , il a toutes les peines à faire comprendre aux étudiants la nécessité de s’organiser selon les principes du Front. Plutôt individualistes, ceux-ci lui paraissent réticents devant les règles régissant les m ilitants d’une organisation politique. Il s’en plaint. Ils ne respectent pas comme il le voudrait les principes du nidham e t lui .reprochent de n’avoir que ce mot à la bouche. D’ailleurs, pour eux, il est « Monsieur Tronidham ». Ce sobriquet, qui au dem eurant n’a rien d’irrespectueux, n’empêchera pas, en fin de compte, Si Abdelwahab de mener « dans le respect de la discipline du Front » son travail de responsable. M ais la Suisse étant un pays neutre à vocation hum anitaire, c'est par le biais de l’aide aux réfugiés algériens qu’il mène son travail de sensi­ bilisation politique. Il va fournir aux divers comités d’aide, en rapport avec la Croix-Rouge suisse, toute la documentation reçue de la délégation extérieure du FLN ou de la fédération de France, et leur sera une source abondante d’informations. Il est d’ailleurs, en ce domaine, parfaitem ent épaulé par le Comité suisse contre le racisme et le colonialisme qui publie un B ulletin d'inform ation anticolonialiste '. Tout en poursuivant le but assigné : informer pour aider ¿ une véritable compréhension du conflit algérien et des problèmes qu’il pose à toutes les consciences, ce modeste comité, faible par le nombre de ses adhérents, mais puissant par leur conviction, va com battre sur plusieurs fronts. Jean M ayerat, président du conseil communal d’Yverdon, en Suisse, veut dépasser le verbalisme des gens de gauche et m anifester d'une manière concrète et agissante sa solidarité envers ceux qui luttent pour leur liberté. Il est arrêté à la frontière française transportant des exemplaires d '£ / M oudjahid, le journal du FLN. Évidemment, les autorités françaises le traduisent en justice. Des réactions hostiles à semblable démarche s’exprim ent à Yverdon et dans la presse. Le comité, avec courage, le soutiendra de tous ses modestes moyens. Il ne peut voir dans l'acte de M ayerat qu’une « action d’avant-garde, comme celles qu’entreprenaient pendant la dernière guerre les Suisses qui aidèrent la résistance française et que personne n’oserait aujourd’hui condamner, en arguant de notre neutralité ». Dans le cadre de son travail d’information, le comité croit bon d’envoyer une lettre de Jean-Paul Sartre à Pierre-Henri Simon, professeur français à l’université de Fribourg, qui avait publié en 1957 Contre la torture. Il fut l’un des prem iers en France, par son courageux plaidoyer, à dénoncer l’emploi systém atique de méthodes barbares et inhumaines par l’arm ée française en Algérie. Bientôt, le comité va recevoir une réponse dont il se souviendra : « Ayant écrit, il y a trois ans, le prem ier livre contre la torture, je ne pense pas être suspect d’hyperaationalism e français. Mais je tiens à vous dire. Monsieur, que votre intervention dans un dram e de 1 1. Éditeur et rédacteur responsable : Michel Contât; — «ai taévHablamrat

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• La preuve ? Une copie d ’un au teu r inconnu adressée à un d e stin a ta ire in co n n u , tro u v é e chez un hom me qui se défend ^de Tavoir jam ais vue. ^

_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _j A aa destina­ taire la e ra no — tr ra v ée d u e dm aaadHIaai lara a aa ra — A a a t data k ao aao v — rhes «m teamma «ni aa Atfsad de Tavoir Jamela vra. T a lk « préoaale k _ p r r a n al a tlk rara t k a ra te par k DAT. aa p ara étayer aoa rapport accosataur m atra k a avocate r a e caBactif ». On aomprrad. déa h r i «aa, A fan* dira ns 4a SA lu v la r IM l. k rsa val 4 s r a f b l r t A m a date aM érkraa

t k Jute ice da TarCkrair« da . U m itatko da k d é lm tk a ana trad ictoirv. rn a tré k 4a 'la police k s magistral«, droite 4a la dé­ la. «olatA roraéai étimiaéa. rf* __ _____ taa d k que «r multipliatrat imp aatm“sal 11 camp» rampa d'Iatrro rairat. «é* vices r i torture«.

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pelUigne hors 1rs iacldoats de aroc éd rat mah ip liés à Testréma para énerver k r Aprs mina te aa ralentir k rythme. La réprm aka algérien«« Atari cm------- ---------------- ^ ------¡ate dévalant. A t • k a , dénoncer caik-aL La Iribanal drraaaM tribnaa aa dépit I ra «Barte 4« Ta cens al ion. El k ify k mémo dm u p o ri fad le la ira «na T aanm atlu rafk rç aH da cnararvar « v e r s te coatea k o la réalité. U ate para do sal «laal 4a ealr k réf rsm lsa s'kdim rar 4o «a « w k 4Meara rail r a r i k d a s réclrt tradltk aa a llm d’a u Jaatim « r r ila a aflm même ra b o rd abrita u déyadéa, l a aatara n i a * 4e k ré a rt mi an ripArAaaaa a p ra k it caite défrara arif ta n k — oa T’abolit k a 4a loato dé­ frara. Ce «ne k roloati Arpond. «al • n m o k a k terigaa 4a ara en av k Ik a s, avait réalisé ra k t e a a r u t u AlgArk, daaa Im terrttelrm «al k l étairat aoamla, a u « Jaoüra » à aa in u lé ra . évadé* dm prlaclpm ri 4m formas, al d u s tegoslk k t n'avaM a k a évidam asut m plaça. Mak I n te r da frapper k a ééka* •rnra, après avoir attenté mm irr ite 4a h dééraw, parca ««*0 » a a l rte ponda par dm lacbalgam an o islk a é o u aaterprira 4a r Aar»ral»« r s a r hitante 4a arirv Jaatica. c’ate «aca ra détanraar U Jusllea 4e ras voAm, rallllaar à u a m u r a b a branpa», lan a danta, daos k drama « a 'ik aat p k a « u tout autre araaoré «t véca. Ira avortes do « caBactif » u l servi avec u a pa»«ioa parfois dlfBclIm m u t sapporiable k missten n u * t k a a r ik u ’ra re lamps 4a lé p a la * tira Jadiciairr ik avaient aaaamé». Mate, emoara ils Toot écrit t « L'aracol a ’a paa A coa atetar U pnaitka d» a u d ir a i do boni dm lèvres ri va aa trvm bkat de paar, U doit doll kU pren­ dra A a u compta te k aontrair u «*«a alter s . Tous T u t sont roue JasA cri iaataal te l'a b o rd IT OaM •d k «ul Ta payée do m via. Sam v ra -------------u s -a o n e rariri« «umk k