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LA SAINTE-CHAPELLE DE PARIS ROYAUME DE FRANCE OU JÉRUSALEM CÉLESTE ?
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Culture et société médiévales Collection dirigée par Edina Bozoky
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LA SAINTE-CHAPELLE DE PARIS ROYAUME DE FRANCE OU JÉRUSALEM CÉLESTE ? Actes du Colloque (Paris, Collège de France, 2001)
édités par Christine HEDIGER
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© 2007, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium. All rights reserved. No part of this publication may be reproduced stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher. D/2007/0095/26 ISDN 978-2-503-52577-8 Printed in the E.U. on acid-free paper
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PRÉFACE
Ce volume réunit les communications d’un colloque international dédié à la Sainte Chapelle de Paris, organisé par Yves Christe et Peter Kurmann au Collège de France, du 6 au 8 décembre 2001. Ce colloque a rassemblé historiens de l’art et historiens afin de mettre en valeur la chapelle palatine de saint Louis comme entité artistique dans son contexte historique. La Sainte-Chapelle, un des plus fameux monuments gothiques, a été quelque peu négligée dans les années qui ont suivi les publications de Robert Branner sur son architecture, son décor pictural et son agencement liturgique, et de Louis Grodecki sur ses vitraux.1 Durant plus de vingt ans, on a estimé qu’il n’y avait pas grand-chose à ajouter aux conclusions de ces deux savants. C’est à partir des années 90 seulement que la recherche s’est à nouveau intéressée à ce prestigieux monument avec des méthodes et des questions nouvelles. Françoise Perrot et Jean-Michel Leniaud ont publié en 1991 un volume somptueusement illustré, qui a renouvelé nos connaissances sur l’état de conservation de l’édifice et sur sa signification idéologique.2 En 1994, dans une thèse de doctorat consacrée à ses vitraux, Alyce Jordan a proposé pour la première fois une restitution intégrale de la disposition des panneaux subsistants, avant les restaurations du milieu du XIXe siècle.3 Elle a ensuite tenté une restitution complète de l’état original de la vitrerie au moment de la consécration d’août 1248 et elle a réussi à démontrer que les artistes en charge du décor ont parfois appliqué des règles de composition comparables à celles des traités de rhétorique contemporains.
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R. BRANNER, Saint Louis and the Court Style in Gothic Architecture, London, 1965 ; R. BRANNER, « The Painted Medaillons in the Sainte-Chapelle in Paris », Transactions of the American Philosophical Society n.s. 58, part 2, 1968, pp. 5-42 ; R. BRANNER, « The Grande Châsse of the Sainte-Chapelle », Gazette des Beaux-Arts 1971, pp. 6-18 ; L. GRODECKI in : M. AUBERT et al., Les vitraux de Notre-Dame et de la Sainte-Chapelle (=Corpus Vitrearum Medii Aevi, France I), Paris, 1959. 2 J.-M. LENIAUD et F. PERROT, La Sainte-Chapelle, Paris, 1992. 3 A. JORDAN, Narrative Design in the Stained Glass Windows of the Sainte-Chapelle in Paris, phil. diss. Bryn Mawr College, Ann Arbor, 1994 ; publié dans une version augmentée par Brepols : A. JORDAN, Visualizing Kingship in the Windows of the Sainte-Chapelle, Turnhout, 2002.
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En 1997, Annette Weber a défendu une nouvelle interprétation des statues d’apôtres.4 Elle suggérait que les deux groupes d’apôtres, les « petits » et les « grands », reflétaient un décalage chronologique dans leur exécution en même temps qu’un changement idéologique dans leur conception. Elle a ainsi relancé la question de la datation du décor de la Sainte-Chapelle et de son état de conservation, mais aussi la question de la signification de la statuaire dans le programme général de la chapelle. Elle poursuit dans ce volume, avec de nouveaux arguments, une réflexion entamée il y a déjà une dizaine d’années. En 1999, Yves Christe a entrepris avec ses étudiants et de jeunes chercheurs une confrontation systématique entre l’iconographie des vitraux et celle de manuscrits royaux légèrement antérieurs, les Bibles moralisées.5 Cette vaste enquête collective a permis l’identification nouvelle d’un grand nombre de panneaux, surtout dans les verrières prophétiques, et de proposer une lecture plus précise du programme iconographique dans son ensemble. Les articles de Stanislas Anthonioz, d’Yves Christe, de Maya Grossenbacher et de Christine Hediger prolongent dans ce volume une enquête collective aujourd’hui arrivée à son terme. L’article de John Lowden fait écho à ce projet en apportant des réflexions critiques sur la question toujours controversée des rapports potentiels entre vitraux et manuscrits. La recherche a aussi progressé dans un autre domaine, souvent problématique, celui de la conservation du monument qui a été radicalement restauré au XIXe siècle. Pour les vitraux nous disposons de relevés à l’échelle 1 :1 dus au peintre Steinheil, de véritables facsimilés, avant la restauration du milieu du XIXe siècle. Ces documents précieux avaient déjà été signalés et utilisés par Françoise Perrot ; ils ont été systématiquement exploités tant par Alyce Jordan que par Yves Christe et ses collaborateurs. Pour ce qui touche à l’architecture et à la sculpture, les archives recèlent une grande masse de correspondances, de comptes et de rapports. Dans sa thèse de doctorat, Meredith Cohen a eu le mérite de les analyser pour la première fois de manière systématique. Elle en résume les résultats dans sa contribution. À son tour, Jean-Michel Leniaud embrasse le contexte général dans lequel 4 A. WEBER, « Les grandes et petites statues d’apôtres de la Sainte-Chapelle de Paris », Bulletin monumental 155, 1997, pp. 81-101. 5 Cf. les indications bibliographiques données dans la note 1 de la contribution d’Yves Christe à ce volume.
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se situe la grande restauration du XIXe s. Enfin, Françoise Perrot fait part de ses observations fondamentales relatives à la reconstitution de la rose occidentale, remplacée par une nouvelle composition au XVe siècle déjà. L’objet du colloque était de dresser une nouvelle synthèse des acquis récents et des hypothèses parfois provocatrices touchant à la Sainte-Chapelle. Dans ce but, deux contributions, celles de Stephan Gasser et de Jiři Kuthan sont consacrées à son architecture, à ses précédents et à son influence européenne. Deux autres, celles de Peter Kurmann et d’Annette Weber traitent de sa sculpture, celle, on l’a vu, de ses statues d’apôtres, et celle, moins connue, des arcatures du soubassement de la chapelle haute. Quant à la contribution de Willibald Sauerländer, elle traite à la fois de l’architecture, de son décor vitré et plastique, et de la volonté du roi de mettre en scène les reliques qu’il avait acquises à grand prix. Le colloque de Paris avait encore pour ambition de confronter les interrogations des historiens de l’art aux réflexions des historiens de saint Louis et de son temps. C’est le sujet de l’article de HansJoachim Schmidt. Il convenait aussi de mettre en valeur la fonction et la signification des reliques. C’est ce qu’illustrent les textes d’Edina Bozoky, d’Alexis Charansonnet et de Franco Morenzoni. Les sermons d’Eudes de Châteauroux étudiés par ces deux derniers auteurs rejoignent la réflexion sur la liturgie d’Éric Palazzo. Les attributs royaux et l’héraldique ont été savamment traités par Hervé Pinoteau. Toutes les questions liées à l’interprétation de la Sainte-Chapelle n’ont pas été résolues dans ce volume. Les textes qui le composent contribuent pourtant à une meilleure compréhension de son message politique et religieux. Tous mettent en valeur un fait évident : la Sainte-Chapelle a été conçue pour être non seulement un monument hors du commun, mais aussi un chef-d’œuvre exceptionnel. Le colloque de Paris était l’aboutissement d’un séminaire de troisième cycle organisé par Yves Christe et Peter Kurmann à l’Université de Genève et à l’Université de Fribourg. Il a donc bénéficié pour cela d’une contribution financière de la Conférence universitaire de Suisse occidentale (CUSO). Les organisateurs et l’éditrice remercient cette instance et son président, le professeur André Hurst. Un apport substantiel a également été fourni par la Fondation Ernst et Lucy Schmidheiny. Que son président, le Professeur Guenin, en soit ici vivement remercié. Nous savons gré également à l’Université de Frbourg pour
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une contribution à l’impression de cet ouvrage. Notre gratitude va enfin à nos hôtes du Collège de France, en particulier au professeur Guy Lobrichon. Christine Hediger
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LE ROI TRÈS CHRÉTIEN, SES INSIGNES ET LE CIEL Hervé PINOTEAU
La vérité au sujet de l’apparence du roi de France en tenue de sacre, disons pour être précis, au XIIIe siècle, fut pour moi le sujet de quelques textes depuis 1957 et une synthèse paraîtra d’ailleurs en 2003. Je vais donc résumer ce que j’ai trouvé depuis tant d’années, et me centrant bien naturellement sur saint Louis, je ne dirais rien sur les sacres des reines Marie de Brabant, Marie de Luxembourg, Jeanne d’Évreux et Isabeau de Bavière qui eurent lieu dans la Sainte-Chapelle de Paris. Je dois tout d’abord préciser la difficulté de la tâche, car il faut attendre une gravure du livre du sacre de Louis XV pour voir un roi de France correctement vêtu et équipé. J’ai fait scandale auprès de certains en 1972 lors d’une communication à la vénérable Société nationale des Antiquaires de France quand j’ai déclaré que le premier tableau montrant un souverain en une tenue de sacre véridique est celui de Napoléon Ier par Gérard ! Les tableaux de Charles X en tenue similaire sont mensongers et dans la gravure du livre non terminé de son sacre, l’artiste a trouvé bon de mettre le collier du Saint-Esprit sur l’épitoge d’hermine du manteau, ce qui était impossible pour un roi, alors que l’empereur avait porté son collier de la Légion d’honneur dans Notre-Dame de Paris. Je l’ai donc dit en 1972, prenez toutes les représentations voulues, dessins, peintures de manuscrits, fresque, vitraux, sculptures…rien ne peut donner le roi en tenue de sacre. Les sceaux sont d’utiles « monuments » à comparer entre eux (Robert-Henri Bautier l’a remarquablement écrit autrefois), mais ils montrent en fait le roi rendant la justice ainsi que l’ont écrit certains auteurs du Moyen Âge et du début de l’Ancien Régime en décrivant le sceau de majesté : avec ce sceau on serait plutôt avec une tenue simplifiée de cour couronnée. Le décor y est d’ailleurs fantastique, par nul n’a vu de roi les pieds posés sur des lions et paraissant sous un dais dont les courtines sont écartées par des anges.
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Il faut donc se tourner vers les Ordines des sacres français, ceux du Moyen Âge étant tous publiés savamment par mon ami Richard Jackson. Ces textes qui ne sont peut-être que des vœux, commencent à être précis pour notre propos au XIIIe siècle, puis viennent quelques comptes au début du siècle suivant ; il faut aussi lire les relations des témoins qui ne correspondent pas toujours aux textes des Ordines et des livrets distribués au public au XVIe. Dès le XVe, on a quelques ennuis à ce sujet et au XVIe des récits rédigés par des étrangers apportent de curieuses lumières sur la cérémonie. Nous devons donc mélanger bien des renseignements pour arriver à se faire une idée à peu près précise et je vais vous résumer l’affaire sans vouloir faire un cours de méthode. Il est utile de comprendre que nous sommes ici dans le monde de la plus vieille tradition politique de l’Europe, celle des rois Francs, mérovingiens puis carolingiens, l’essentiel de notre symbolique royale ayant été déterminée par des intellectuels de haut niveau connaissant la Bible (surtout la Vulgate) et les Pères de l’Église (surtout occidentale). Les Capétiens n’ont fait que récolter une belle moisson de symboles, et gens de mémoire durant des siècles, ils ont exploité, enrichi et affiné un ensemble de rites, de signes et de couleurs. Cette répétition de ce qui s’est passé in illo tempore, de cette liturgie ecclésiastico-politique, régulièrement améliorée, montre que l’on vivait en France dans une extraordinaire continuité. Il n’y avait pas de césures, et cette réflexion nous console un peu de n’avoir point chez nous de récits comme ceux des sacres d’Othon Ier comme roi de l’Est, de Richard Cœur de Lion à Westminster et de Baudouin Ier de Flandre comme empereur dans Sainte-Sophie de Constantinople. Je ne puis décrire en détail la genèse de l’équipement royal au IXe siècle, mais je ne cache pas mon admiration pour Charles II le Chauve et ses conseillers. Presque tout vient d’eux. Alors, maintenant, l’artisan de la Sainte-Chapelle, notre saint Louis en tenue de sacre, qu’en dire ? Tout d’abord qu’il ne dut porter celleci qu’une seule fois dans sa vie, et qu’il coiffa une couronne lors de son mariage, sans avoir l’obligation de porter les sceptres bien embarrassants et les divers lourds vêtement quasi ecclésiastiques qu’on lui donna à Reims quand il avait douze ans, et qui n’étaient évidemment plus à sa taille. Il n’est pas certain que saint Louis porta ultérieurement une couronne et tout montre qu’ il ne prit plus cet insigne dont il ne fut coiffé sur les « monuments » que pour affirmer son identité.
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le roi très chrétien, ses insignes et le ciel
Commençons donc par les vêtements. Les Ordines du XIIIe siècle qui sont en gros le reflet de la cérémonie du sacre de Philippe II Auguste en 1179 (cela se démontre) nous disent que le roi en camisole reçoit tout d’abord des bottines pour la chevalerie, mais cet épisode n’eut pas lieu pour saint Louis. Afin d’abréger la longue cérémonie rémoise, Blanche de Castille fit armer chevalier son garçon à Soissons, une semaine au paravent. Passons. Viennent ensuite la vêture de la tunique et du manteau, oubliant la dalmatique qui me paraît assurée par des témoignages que je ne puis donner ici. On aurait ainsi les ornements du sous-diacre, du diacre et d’un prêtre, mais ce dernier aménagé. En effet, le rédacteur de l’Ordo est bien ennuyé et le décrit comme une chape sans chaperon, ce qui est en partie vrai, car c’est un vêtement circulaire à l’origine et dont l’ouverture n’est plus devant, car on lui a fait faire un quart de tour sur la droite pour la simple raison que c’est un manteau franc attaché sur l’épaule droite et dérivé du paludamentum romain, ce qui n’a évidemment rien d’ecclésiastique. Le curieux patron de ce manteau, augmenté d’une traîne, et que le roi de France sera seul à porter durant des siècles (jusqu’en 1825), sera conservé pour les manteaux de l’ordre du Saint-Esprit qui étaient certainement copiés sur ceux plus anciens de Saint-Michel. Nul ne sait s’il y avait de la fourrure le 29 novembre 1226 pour doubler le manteau, et l’on peut imaginer que non, les vêtements du sacre étant doublés de satin rouge au XIVe siècle. Chose extraordinaire, bottines et vêtements arboraient un décor uniforme, alors que ces ornements étaient partout disparates en Europe. Et c’est là que les choses se corsent, car le décor était bleu (hyacinthe pour l’Ordo) semé de fleurs de lis d’or, décor donc identique aux armes du roi telles qu’elles furent inventées par Louis VII entre 1137 et 1147 comme je l’ai montré aux Antiquaires en 1982. Décor et armes étaient liés et l’on sait que les descendants de Louis VII eurent seuls des armes fleurdelisées. Ses frères et ses oncles ignorèrent ainsi les fleurs de lis : Dreux (donc Bretagne), Courtenay, Vermandois, Bourgogne, Portugal. Beaucoup d’indices prouvent que Louis VII porta effectivement les armes d’azur semé de fleurs de lis d’or comme on le dit en langue héraldique, et il est bien vain, comme on l’a fait depuis de tout récuser en bloc sous prétexte que le sceau royal ne montre pas d’écu fleurdelisé avant Louis VIII. Je n’en dirais pas plus ici. Il faut comprendre que Charles II le Chauve arbora déjà une tunique cosmique, car bleue et semée d’étoiles d’or sous forme archaïque,
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c’est-à-dire des gros points environnés de petits points, comme sur son Livre de prières (Munich) et son Psautier (Paris), ou des agglomérations de quatre points comme dans les Évangiles de Saint-Emmeram de Ratisbonne. Les Othon de Saxe eurent des manteaux cosmiques si l’on en croit Percy Ernst Schramm, et celui de saint Henri II à Bamberg est même orné d’une inscription soulignant qu’il montre la description du monde tout entier. Au début du XIVe siècle, Giovanni Villani vit à Saint-Denis des vêtements étoilés qu’il pensa avec raison antérieurs à ceux qui étaient fleurdelisés, au point d’ailleurs de les attribuer aux deux premières dynasties ! Tout ceci venait d’une méditation sur le vêtement du grand prêtre d’Israël décrit par la Vulgate, sa tunique superhumérale de couleur hyacinthe (donc bleue) selon l’Exode 28, 31, devenue robe talaire sur laquelle était figuré tout l’univers selon la Sagesse 18,24. Il est à noter que la traduction française de l’Ordo faite vers 1300 donnera la couleur violette au lieu du bleu et cela aura une influence plus tardive. Cependant l’hébreu tekhélet est traduit hyacinthus par la Vulgate, azur par la Bible du rabbinat, bleu (pur) par Gershom Scholem qui s’y connaissait et par bleu ciel par Guillaume Durand, évêque de Mende, qui l’écrivit dans son Rational des divins offices vers 1286. Donc bleu. Je reconnais que les descriptions des vêtements par l’Ordo ne sont peut-être que des phrases décrivant sommairement un décor plus complexe quoique avant tout fleurdelisé, si l’on en croit les vêtements de Jean II le Bon où restaient des traces du cosmos matériel, visible. Homme pieux s’il en fut, Louis VII changea d’univers en suivant les idées de saint Bernard qui durant des années commenta le Cantique des cantiques par quatre-vingt six sermons. Cet illustre contemporain souligna en effet qu’il y avait deux mondes, le matériel visible fait du soleil, de la lune et des étoiles, et le spirituel, celui du ciel des saints. Or si le Christ est un lis, sa Mère et les saints, semblables au Christ, sont aussi des lis. Le monde spirituel, autrement dit la Jérusalem céleste est donc un monde de lis ! Ceci devait aller de soi pour un roi qui évoquait parfois le ciel futur dans ses actes et qui fut accueilli dans la Jérusalem terrestre comme le Christ aux Rameaux, et sans doute le jour même de cette fête (1148). Déjà pour saint Basile le Grand, dit de Césarée (†379), le firmament visible est brodé de fleurs et ce sont des fleurs, le plus souvent des lis, qui sont semées sur les tombes médiévales en signe de vie éternelle souhaitée aux défunts. Sacré en 1131, à l’âge de dix ans, probablement avec les vêtements de son frère aîné décédé, Philippe qui fut sacré à l’âge de douze ans en 1129, Louis VII succéda pleinement à son père en 1137 et eut à
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le roi très chrétien, ses insignes et le ciel
prendre de nouveau vêtements de cérémonie pour son mariage et les cours couronnées. En 1147, il partit pour la croisade avec la nécessité de montrer sa présence dans l’armée avec un étendard qui n’avait rien à voir avec celui de Saint-Denis, porté en un autre endroit (voir ce qu’en dit Guillaume de Tyr lors du dangereux passage de l’armée vers le mont Kadmos), et qui dut être orné du nouveau décor, fort éloquent puisque fleurdelisé, donc cosmique, le livre de la Sagesse assurant qu’avec le juste tout l’univers combat contre les insensés (5,20 et 16,18). Passons aux insignes que je me refuse à nommer du ridicule anglicisme regalia, inconnu chez nous durant des siècles et qui n’a d’ailleurs point de singulier. Bien que non donnés à saint Louis dans la cérémonie rémoise, il n’est pas inutile d’évoquer les éperons et l’épée, la prière dite par l’archevêque n’étant connue qu’ultérieurement. On passera aussi sur l’anneau qui n’est pas certain. Le roi de France sera le seul à travers les siècles à conserver deux sceptres le grand et le petit, si on met de côté le roi d’Angleterre. Celui-ci reçoit encore de nos jours deux petits sceptres. Il se voit ensuite ôter l’un d’eux pour recevoir le globe crucifère, puis se fait enlever ce dernier pour récupérer le précédent sceptre, et va vers la sacristie ainsi équipé, ce qui ne l’empêche pas de sortir de celle-ci avec sceptre et globe. Charles II le Chauve est figuré avec le long sceptre ou le petit sceptre fleurdelisé, et on sait qu’il recevra deux sceptres du pape à l’assemblée de Ponthion en 876. Sur son deuxième sceau notre roi Lothaire aura aussi deux sceptres en 966. L’homme ayant deux mains, la Bible évoque d’ailleurs plus d’une fois deux sceptres sous la forme de sceptrum ou baculus et virga. Souvenons-nous par exemple du verset 4 du Psaume 22 : Virga tua, et baculus tuus, ipsa me consolata sunt. Le grand sceptre d’environ six pieds de haut sera finalement seul porté par le roi de France à travers les siècles. Napoléon Ier fera de même et les empereurs du Brésil le copieront, car leur symbolique sera déterminée par une mission artistique française de tendance bonapartiste ! Les souverains imiteront l’empereur des Romains porteur du court sceptre et du globe crucifère. Bâton du berger attribué à Zeus/Jupiter, ce long sceptre relie le ciel et la terre. Il est l’axe du royaume, et c’est par lui que descendent les grâces célestes, bénéfiques et fécondes. À son sommet figure un fleuron sous saint Louis (mais faut-il croire les sceaux ?), ou une fleur de lis (pourquoi pas, le sceptre fleurdelisé pouvant être signe de fécondité au XIIIe siècle si
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l’on en croit la châsse de saint Taurin d’Évreux), ou encore (pourquoi pas encore ?) un oiseau qui ne saurait être l’aigle impérial, mais bien, sans doute, le colombidé mâle, image de l’esprit du Seigneur (Isaïe 11,2), donc du Saint-Esprit, tel qu’on peut le voir au sommet du long sceptre trouvé dans le cercueil de Philippe IV le Bel et sur celui qui est figuré dans la main de son épouse la reine Jeanne de Navarre. Nous ignorons beaucoup de choses. Selon des prières tardives dans le siècle, cet insigne est relatif au pouvoir royal, à son mode d’exercice et au résultat post mortem pour le roi ayant bien régné, autrement dit l’arrivée au Royaume éternel, et c’est l’une des évocations de la sanction finale dans la cérémonie rémoise. Le court sceptre est une verge d’une coudée (mesure biblique) sommée d’une main d’ivoire. Son nom de main de justice n’apparaît qu’en 1461 pour les obsèques de Charles VII ! La prière qui accompagne le don de cette verge de vertu et d’équité est absolument extraordinaire car elle mêle divers versets bibliques relatifs au Christ (Jean 10, 9), au trône de Dieu (Psaume 44,7 ; Épître aux Hébreux 1,8), au peuple captif dans les ténèbres (Luc 1,79 dernier verset du Benedictus de Zacharie !) et au fait que c’est la clef de David, le sceptre de la maison d’Israël qui ouvre et que personne ne ferme, qui ferme et que personne n’ouvre, ce qui nous renvoie à Isaïe 22,22 avec la clef de la maison de David, qui ouvre, etc., attribut du bon intendant du Seigneur que l’on retrouve dans Apocalypse 3,17 au sujet du Seigneur lui-même et de l’Église de Philadelphie. C’est dire l’incroyable richesse de concepts de cette verge qui débouche sur le dernier livre de la Bible et le proche retour du Christ Jésus. Dès les Carolingiens, on trouve l’évocation du sceptre davidique (Sacramentaire d’Angoulême vers 800, Sacramentaire de Saint-Thierry, pour Louis II le Bègue en 878) et la main du sommet est par excellence son explication. En effet, selon Jérôme en ses Étymologies des noms bibliques, suivi d’Isidore de Séville, de Grégoire le Grand, de Bède le Vénérable, d’Alcuin (qui mourut en 804 après avoir écouté l’antienne O Clavis David !) et du dominicain Guillaume de Sauqueville vers 1300, sans oublier l’Anonyme normand vers 1100 qui semble connaître aussi cette étymologie, David veut dire main forte. Ce fut évident pour le sculpteur du porche de Saint-Bénigne de Dijon au milieu du XIIe siècle, car il nous montra David tenant le court sceptre à main. Cette verge est bien normalement le sceptre du Nouveau David et va comme un gant, si j’ose dire, au roi des Francs, et ainsi à Hugues Capet qui porta cet insigne sur son sceau. Le roi de France fut durant des siècles
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le roi très chrétien, ses insignes et le ciel
le seul souverain à porter la clé de David avec sa main, alors que les autres souverains pouvaient entendre la mystérieuse prière sans tenir un tel sceptre. Ironie de l’histoire, Napoléon Ier entendit cette prière dans NotreDame de Paris en 1804, mais Charles X l’ignora en 1825, la commission du sacre ayant décidé sa suppression ! C’était un bel insigne pour le roi de France, du roi de cette tribu de Juda du Nouvel Israël qu’est l’Église si l’on en croit notre antique tradition et les dires du pape Grégoire IX écrivant à saint Louis sa bulle Dei Filius, datée d’Anagni le 21 octobre 1239. Regardons, émerveillés, les vitraux du transept nord de la cathédrale de Chartres, contemporains de Louis VIII et de saint Louis : ils nous content la même chose ! Reste la couronne qui devint plus que jamais signe du pouvoir et du royaume dès Louis VI le Gros, donc signe de l’État. Depuis les oraisons du sacre datant de la deuxième moitié du IXe siècle, il nous est précisé que c’est un signe de gloire ; ses pierres signifient les vertus dont la pratique par le roi le mènera au céleste Royaume. Hincmar semble bien être l’artisan de ces idées. Cette couronne vient des Byzantins et des intellectuels des temps carolingiens lecteurs de la Bible (Vulgate et Septante). L’essentiel est de savoir que saint Louis dut sans doute être coiffé de la lourde couronne qui fut ultérieurement dite de Charlemagne (1451, 1517…), et qui était alors déposée dans le trésor royal, son dépôt à Saint-Denis n’étant fait qu’en 1260, acte ratifié en 1261. Cette prise de position peut être nuancée par le fait qu’il y avait à Saint-Denis une couronne de grand intérêt qu’on nommait la couronne du Seigneur, puis la sainte couronne et qui sera plus tard dite couronne de saint Louis, le roi y ayant ajouté une relique. Mais cet insigne reliquaire du fait de la sainte épine qui y était incluse (et la sainte épine avec le saint clou furent longtemps les deux reliques principales de l’abbaye) pose beaucoup de problèmes relativement à sa date de fabrication et je préfère traiter de la question dans un prochain livre. C’est pour cette raison que j’ai estimé qu’il était mieux de vous présenter une couronne très possible et qui coiffa de nombreux rois. Cet insigne de prestige était composé de deux éléments : 1) un cercle d’or en 4 parties, hérissé de 4 fleurs de lis, ensemble garni de 16 rubis balais (donc des spinelles), de 16 saphirs et de 16 émeraudes ; 2) une imposante coiffe conique de velours rouge dite tiare en 1517 et dont il y a de rares représentations à travers le Moyen Âge et la Renaissance.
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C’était là un ensemble bien propre à souligner la notion de prêtre et de roi, liée à Melchisédech (Genèse 14,18 ; Épître aux Hébreux 7). Théodulf d’Orléans, contemporain de Charlemagne, parla de son souverain comme d’un nouveau Melchisédech, roi et prêtre (De ordine baptismi 15 et 16 dans PL 105, 234–235) et Louis VII assimilait pour ainsi dire royauté et sacerdoce en soulignait sa qualité de quasi-évêque du fait de l’onction (diplôme de 1143). Je reviens alors au transept nord de Notre-Dame de Chartres, où l’ensemble des vitraux offerts par Louis VIII ou saint Louis met la royauté française en continuité de celle de Juda. Dans les lancettes qui figurent sous la rose, David et Salomon sont coiffés de couronnes normales ; Aaron a une coiffe conique rouge cerclée d’or, quand Melchisédech, prêtre et roi, porte une couronne d’or comblée de la même coiffe rouge. C’est ce que j’ai nommé « l’équation de Chartres », terme approuvé par le comte Blaise de Montesquiou-Fezensac, éditeur de l’inventaire du trésor de Saint-Denis (1634). Il est d’intérêt de constater que les Français ont choisi le nom de tiare en s’inspirant de la tiara du grand prêtre selon Exode 28,37 et 39, alors que mitra figure en 39,30 et dans Ecclésiastique 45,14 (corona aurea super mitram) et que cidaris, tiare basse, est dans Lévitique 8,9. Les empereurs (germaniques) des Romains garderons la mitre dans leur couronne, mais nul doute que la forme du regnum ou frigium pontifical vu et décrit en France au XIIe siècle lors des voyages de Pascal II et d’Innocent II fut pour quelque chose dans le développement de notre coiffe, bien que l’insigne pontifical, le phrygium, soit blanc « pour représenter la résurrection du Seigneur », comme l’assure la fausse donation de Constantin. Notre tiare royale était rouge, couleur liturgique des Apôtres, et sur elle se reflétait le ciel ! En effet, elle était semée de 12 troches de perles en forme de roses, une grosse perle environnée de 8 plus petites, autrement dit dessin d’une étoile connu de l’Antiquité aux Carolingiens, on l’a vu ci-dessus. Mais comme l’assurent Daniel 12,1–3 et le Seigneur dans Matthieu 13,43, les justes sont comme des astres au ciel, ce qui est non seulement renvoyer à la Jérusalem céleste aux 12 portes de perles, mais aussi, et surtout aux 12 justes par excellence, les Apôtres, car le roi peut être considéré comme le treizième d’entre eux. La couronne votive de l’empereur Léon VI (886–912) au trésor de Saint-Marc de Venise et la couronne hongroise dite « de saint Étienne » en sa partie latine (vers 1160–1180) sont elles aussi apostoliques. Mais nul doute que le casque étoilé de Constantin dut laisser des traces dans les esprits, l’illustre Raban Maur soulignant de son côté que les perles signifient la doctrine évangélique, l’espoir du Royaume des
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cieux, la charité et la douceur de la vie éternelle (De universo 17,8 dans PL 11, 472). Quant aux pierres précieuses représentant les vertus, elles forment sur cette couronne une triade de couleurs qui me semble rarissime, car je ne la trouve jusqu’ici que chez Honorius Augustodunensis mort vers 1157. Selon ce mystérieux auteur les trois vertus théologales sont symbolisées par le vert pour la foi, l’aérien, le céleste, donc le bleu pour l’espérance et le rouge pour la charité (Sacramentarium 29 dans PL 172, 762–763). Au début du XIIIe siècle, ce sera la triade vert, blanc, rouge qui s’imposera durablement pour un tel symbolisme et jusqu’au XVIIIe siècle. Bien d’autres enseignements peuvent être tirés de cette couronne, mais le décryptement final de tous ses messages aura lieu dans le livre à paraître en 2003. Plus que jamais l’inspirateur de cet insigne complexe et très coûteux me paraît être Louis VII passé par Byzance, je le montrerai, même si sa réalisation peut sembler un peu plus tardive, disons au début du règne de Philippe II Auguste, souverain qui semble assez éloigné des questions mystiques. Je veux pour terminer rendre hommage à mon feu ami bénédictin, dom Édouard Guillou, qui écrivit un superbe, anonyme et bien oublié parallèle érudit entre la chapelle du château de Versailles et la SainteChapelle du palais de Paris. Il terminait son texte sur l’édifice parisien avec ces fortes lignes difficiles à comprendre dans notre environnement contemporain qui un univers laïque et donc apostat : « Grâce à saint Louis, ce n’est pas seulement l’empire chrétien de Constantin que la France désormais relaye. Elle est devenue, elle doit rester une seconde Jérusalem, elle doit avoir à cœur d’être le saint royaume, la vraie fille aînée de l’Église, le vestibule de la Jérusalem des cieux. Elle doit être, avec l’Agneau, de tous les combats de la foi, se donner pour mission de glorifier et d’étendre le règne du Christ, l’unique et véritable Roi ».
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BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE DE L’AUTEUR 1. « Quelques réflexions sur l’œuvre de Jean du Tillet et la symbolique royale française », in : Archives héraldiques suisses, LXX, 1957, p. 2–25 ; repris et augmenté in : Vingt-cinq ans d’études dynastiques, Paris, 1982, ch. V. 2. « Une représentation du sacre de Claude de France (1517) et quelques considérations préliminaires sur les ‘insignes de Charlemagne’ », in : Hidalguía, Madrid, 100, mai-juin 1970, p. 313–336 ; repris et augmenté in : Vingt-cinq ans d’études dynastiques, Paris, 1982, ch. XIII. 3. « Les deux couronnes françaises de ‘Charlemagne’ », exposé du 16 septembre 1970 à l’université de Vienne, résumé in : Genealogica et heraldica. Kongressberichte du 10e Congrès international des sciences généalogique et héraldique, Vienne, 1972, t. 2, p. 721–725. Une communication faite le 12 janvier 1972 à la Société nationale des antiquaires de France ne fut publiée que pour la couronne de 1804, étant donné ce qui avait été déjà publié sur la première : Bulletin de la Société nationale des antiquaires de France (1972), Paris, 1974, repris et augmenté in : Vingt-cinq ans d’études dynastiques, ch. XVI. 4. « Autour de la bulle ‘Dei Filius’ », in : Itinéraires, Paris, 147, novembre 1970, p. 99–123 ; repris et augmenté in : Vingt-cinq ans d’études dynastiques, ch. XII. 5. « L’ancienne couronne française dite ‘de Charlemagne’, 1180 ?–1794 », Bulletin du Vieux Papier, Paris, 243, janvier 1972 ; 244, avril 1972, p. 351– 362 ; 245, juillet 1972, p. 381–399 ; repris et augmenté in : Vingt-cinq ans d’études dynastiques, ch. XV. 6. « La tenue de sacre de saint Louis IX roi de France, son arrière-plan symbolique et la ‘renovatio regni Juda’ », in : Itinéraires, 162, avril 1972, p. 120–166. Il y a là une reconstitution possible de cette tenue avec un dessin de Claude Le Gallo, montré lors de cette communication, et une étude sur les premières représentations de saint Louis. Repris et augmenté in : Vingt-cinq ans d’études dynastiques, ch. XVII. 7. « Couronne impériale et royale », « Lis (Fleur de) », in : Encyclopedia universalis, t. 18–20 (= Thesaurus index, t. 1–3), Paris, 1974–1975. 8. « La main de justice des rois de France, essai d’explication, résumé de la communication du 24 octobre 1979 », in : Bulletin de la Société nationale des antiquaires de France (1978–1979), 1982, p. 262–265. 9. « La création des armes de France au XIIe siècle, communication du 14 mai 1980 », Bulletin de la Société nationale des antiquaires de France (1980– 1981), 1982, p. 87–99. 10. Vingt-cinq ans d’études dynastiques, Paris, 1982, recueil de 22 articles qui reprend en particulier les nos 1, 2, 4, 5, 6, augmentés, commentés et illustrés, avec quelques rectifications sur les couronnes du roi et de la reine (dites successivement « de Charlemagne ») du fait des travaux de Mme Danielle Gaborit-Chopin et de M. Bernard Morel.
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le roi très chrétien, ses insignes et le ciel 11. « Premières notions de symbolique capétienne », Mémoire, Paris, 1985, n° II, p. 107–122. 12. « Armes de France et symboles capétiens », annexe III au livre collectif : Le miracle capétien (sous la direction de Stéphane Rials), Paris, 1987, p. 317–324. 13. « Les insignes du pouvoir des Capétiens directs », communication du 8 mai 1987 au 22e International Congress on medieval studies, Western Michigan University, Kalamazoo, parue in : Itinéraires, 323, mai 1988, p. 40–54. 14. « Les insignes du roi vers l’an Mil », communication du 23 juin 1987, parue in : Le roi de France et son royaume autour de l’an Mil, actes du colloque « Hugues Capet 987–1987. La France de l’an Mil, Paris-Senlis », Paris, 1992, p. 73–88 ; repris dans Cinq articles d’héraldique et de symbolique d’État, Paris, 2007, V. 15. « Encore Charles II le Chauve et sa symbolique », in : Emblemata, Saragosse, 2, 1997, p. 9–34. 16. « Deux triades de couleurs : vert, blanc, rouge et bleu, blanc, rouge », communication du 5 novembre 1997 parue en résumé in : Bulletin de la Société nationale des antiquaires de France, 2001, p. 228–229, et du 25 novembre suivant aux 5es Journées d’études au Musée de l’Homme, publié in : Fonctions de la couleur en Eurasie (= Eurasie n° 9, Collection Eurasie. Cahiers de la Société des études euro-asiatiques 9), Paris, 2000, p. 95–107. 17. « Une couronne de Charles le Chauve visible par tous », communication du 4 novembre 1998 résumée dans le Bulletin de la Société nationale des antiquaires de France, 2002, p. 236–338, publiée in : Emblemata, 6, 2000, p. 39–60. 18. « Les insignes du pouvoir », communication du 9 décembre 1999 publiée dans Actos del I Congreso internacional de emblemática general, Saragosse, 2004, t. 1, p. 595-605. 19. « Melchisédech et la royauté française », communication du 2 juillet 2000, publiée in : Autour de Melchisédech. Mythe. Réalité. Symbole, actes du colloque européen des 1–2 juillet 2000, organisé par l’Association des amis du Centre médiéval européen de Chartres, Chartres, 2000 (sic pour 2001), p. 85–95. 20. La symbolique royale française. V e-XVIII e siècles, La Roche-Rigault, 2003. 21. Saint Louis, son entourage et la symbolique chrétienne, Lathuile, 2005. 22. « Pouvoir. Objets et représentations en Occident », Dictionnaire mondial des images, Paris, 2006, p. 866-870.
Autres ouvrages [Dom Édouard GUILLOU, OSB], « Francia coronatur. La chapelle de Versailles et la Sainte-Chapelle », n° spécial (261–262 et 263–164 des 26 mai–2 juin et 9–16 juin 1960) de Nouvelles de chrétienté, bulletin (ronéotypé) hebdomadaire d’information et de documentation, Paris, 1960, le texte cité étant
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hervé pinoteau dans la deuxième partie, p. 88. Les mots « le saint royaume » viennent de la lettre de sainte Jeanne d’Arc au duc de Bourgogne, écrite le jour du sacre de Charles VII. Alors moine de Sainte-Marie de Paris, rue de la Source, dom Guillou (1911–1991) rédigea de nombreux textes de liturgie et d’histoire dans cette revue, dont l’un parut ensuite sous le titre : Versailles. Le palais du Soleil, avec préface de G. VAN DER KEMP, Paris, 1963, ouvrage souvent copié sans être cité. Bernard MOREL, Les joyaux de la couronne de France. Les objets du sacre des rois et des reines suivis de l’histoire des joyaux de la couronne de François Ier à nos jours, Fonds Mercator, Albin Michel, Anvers, Paris, 1988. Richard A. JACKSON, Ordines coronationis Franciæ. Texts and ordines for the coronation of frankish and french kings and queens in the Middle Ages, University of Pennsylvania Press, Philadelphia, 1995, 2000, 2 t. Jacques LE GOFF, Éric PALAZZO, Jean-Claude BONNE, Marie-Noël COLETTE, Le sacre royal à l’époque de Saint Louis, Gallimard, Paris, 2001. Cet ouvrage rend un grand service en publiant in extenso et en couleurs le manuscrit latin 1246 de la Bibliothèque nationale de France, manuscrit qui est par ailleurs totalement déconcertant, et pour deux raisons principales : 1) Son texte est un mauvais mélange d’Ordines français et étranger (R. Jackson Ordo XXI, datant de 1240–1250), donc une compilation loin de la réalité et qui n’a jamais été utilisé chez nous. En effet, pour ne s’en tenir qu’à la question des insignes et vêtements, le roi n’a jamais reçu chez nous de bracelets et de manteau dit pallium, lequel n’a évidemment rien à voir avec le pallium des prélats, bande de laine blanche semée de croix noires : ce pallium de sacre conservé en Angleterre est une chape ouverte par devant, réputée avoir le bas orné de quatre angles qui ont une signification relative aux quatre parties du monde. 2) Les illustrations sont d’une effarante nullité : alors que la royauté française fut liliacée, que le décor royal, étatique, fut criblé pendant des siècles par les fleurs de lis d’or en champ d’azur puis violet, il n’y en a pas une seule dans tout ce manuscrit ! Les vêtements du roi sont privés de ce décor naturel, le manteau est mal coupé, tunique et dalmatique normales sont absentes. L’étonnement grandit en voyant le roi recevoir l’épée des mains de l’archevêque après avoir reçu le manteau, le roi assis et couronné d’une banale couronne puis la recevoir plus loin debout et sans sceptre, puis recevoir ultérieurement un court sceptre fleurdelisé blanc, sans jamais tenir la verge à main d’ivoire, etc. Quant à la sortie du roi et de la reine avec un simple diadème, elle est invraisemblable. Ce manuscrit d’intérêt est un assemblage désordonné et fautif qu’il faut consulter avec prudence. Il a dû être réalisé pour un prélat concerné, désirant être encyclopédique, mais incompétent, illustré par des artistes n’ayant certainement jamais vu un sacre et le trésor de Saint-Denis, ce en quoi ils n’ont pas fait preuve d’originalité, leurs prédécesseurs et leurs successeurs ayant suivi les mêmes méthodes qui, pour les amateurs de réalité, ne peuvent être que désolan-
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le roi très chrétien, ses insignes et le ciel tes. Nous sommes là dans le domaine habituel de la mauvaise représentation et il suffit de regarder le folio de la Bible de Tolède (New York, Pierpont Morgan Library, ms. 240, f° 8) où l’on aime voir Blanche de Castille et saint Louis, alors que vêtements, insignes (le roi tient même un petit globe qui est le monde !) et sièges n’ont rien de français. Le siège du roi est polygonal comme un trône d’Orient, etc.
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fig. 1 : Louis IX en tenue de sacre, en imaginant, à tort, qu’il reçut l’épée Joyeuse à Reims, et sans que soit montrée la dalmatique.
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SAINT LOUIS, ORDONNATEUR ET ACTEUR DES RITUELS AUTOUR DES RELIQUES DE LA PASSION Edina BOZOKY
LE RÔLE DU ROI DANS LES CÉRÉMONIES La participation de Louis IX aux différents phases et rites de la translation des reliques de la Passion témoigne d’une implication exceptionnelle.1 Rappelons d’abord brièvement qu’il fut à l’initiative de l’acquisition de ces reliques en 1239 et en 1241, quand le jeune empereur latin de Constantinople, Baudouin II, connut des difficultés financières peu après son avènement au trône. Dans un premier temps, Louis lui versa 21.000 livres d’argent ; ensuite il envoya deux fransciscains à Constantinople pour chercher la couronne d’épines, que Baudouin lui a offerte en échange pour son aide. Mais entretemps celle-ci avait été remise en gage au podestat de Venise. Pour libérer la couronne des créditeurs vénétiens, les envoyés du roi de France entreprient alors des tractations à Venise. Louis IX dut payer 137.000 livres d’argent pour obtenir que les Vénétiens laissent partir la relique. Elle fut apportée en France par voie de terre, avec l’autorisation de l’empereur Frédéric II. Soulignons aussi la manière particulièrement démonstrative dont le roi participait aux translations. Lorsque la sainte couronne est arrivée en France, de Troyes, les convoyeurs prévinrent le roi qui partit alors à la rencontre cérémonielle des reliques. Cet événement eut lieu devant Sens, à Villeneuve-l’Archevêque, le 9 août 1239. La description de la susceptio – prise en charge – de la relique, rédigée par l’archevêque de Sens Gautier Cornut, met en relief l’exultation de toute la population venue accueillir la sainte couronne. Le roi vint nu-pieds, 1 Deux sources contemporaines relatent ces événements : GAUTIER CORNUT, « Historia susceptionis Coronae spineae », in : P. RIANT, Exuviae sacrae Constantinopolitanae, t. I, Genève, 1876, réimp. Paris, CTHS, 2004, p. 53–56 (également in : Recueil des Historiens des Gaules et de la France, t. 22, p. 27–32) et N. DE WAILLY, « Récit du treizième siècle sur les translations faites en 1239 et en 1241 des saintes reliques de la Passion », Bibliothèque de l’École des Chartes, 39, 1878, p. 401–415. Pour les détails des reliques, cf. l’excellent catalogue sur le trésor de la Sainte-Chapelle : J. DURAND et M.-P. LAFITTE, Le trésor de la Sainte-Chapelle, Paris, 2001. À voir également : Ch. MERCURI, Corona di Cristo, corona di re. La monarchia francese e la corona di spine nel Medioevo, Rome, 2004.
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vêtu seulement d’une tunique, et avec son frère Robert d’Artois, vêtu aussi simplement, prirent la relique sur leurs épaules. Des chevaliers, également pieds nus, formaient un cortège les encadrant sur le chemin menant à la ville. Les prêtres et les moines vinrent les acueillir, portant les corps des saints, comme si ces derniers désiraient rencontrer le Seigneur. La ville, ornée de tapis et de tentures, illuminée de cierges et de chandellesles cloches et les orgues résonnaient, retentissait des louanges au Seigneur et du son des cloches et des orgues. La couronne fut apportée dans la cathédrale Saint-Étienne de Sens où elle fut montrée au peuple (populis detegitur). Pour renforcer la dévotion du peuple et exalter Dieu avec plus de magnificence, ce fut le roi qui choisit le jour où la couronne devait arriver à Paris et être montrée dans un endroit qui fût digne d’elle.2 À la date retenue, venue de toutes les régions du royaume, une foule innombrable des deux sexes, ainsi que des religieux et des clercs séculiers de Paris et des ses environs se rassemblèrent. Le roi Louis, à pied, sans chaussures, y fut présent aussi, pour amener la couronne « comme l’arche du Seigneur » dans sa cité.3 Pour l’ostension de la couronne, on construisit une estrade très haute sur un champ près de l’église Saint-Antoine-des-Champs extra muros4 où l’on prêcha au peuple en l’exhortant à la pénitence. Après les admonitions, la couronne fut portée tout autour afin que tout le monde puisse la voir.5 Ensuite une procession menée par des prêtres et religieux se mit en route, avec la participation de la foule, et le roi porta la relique sur ses épaules jusqu’au palais royal.6 Deux ans plus tard, le roi obtint également non seulemennt une parcelle importante de la vraie croix, mais aussi toute une série de reliques de la Passion : la sainte éponge, la sainte lance, etc. Pour la réception de la croix, il fit de nouveau organiser une exposition solen2 ...Quia vero omne bonum in commune deductum clarius elucessit, volens idem rex et devotionem populi ampliare et Dei preconia magnificentius attollere, diem assignat in qua dicta corona Parisius deportetur, atque in loco eminenti et excelso cunctis qui aderunt ostendatur (DE WAILLY, « Récit du treizième siècle... » (op. cit. n. 1), p. 409). 3 ...adest inter eos et noster David rex Ludovicus, non precioso et eminente equo subvectus, non phaleris adornatus, sed pedes incedens et discalciatis pedibus, quasi archam Domini in civitatem suam Parisiensem cum gaudio mox ducturus (DE WAILLY, « Récit du treizième siècle... » (op. cit. n. 1), p. 410). 4 ...construitur eminens pulpitum, astantibus pluribus prelatis, ecclesiarum conventibus induitis sericis, exhibitis sanctorum pignoribus, in tanta populorum frequentia quanta unquam Parisius exierit ; monstratur loculus ex pulpito... (Historia susceptionis, p. 55). 5 Finita itaque predicatione, pretiossima illa margarita ut ab omnibus videri valeat honorifice per loci ambitum circumfertur... (DE WAILLY, « Récit du treizième siècle... » (op. cit. n. 1), p. 410). 6 DE WAILLY, « Récit du treizième siècle... » (op. cit. n. 1), p. 410.
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nelle à l’extérieur de Paris, puis il entra dans la cité en tenant dans sa main la croix nue, et la déposa avec les autres reliques dans le palais royal.7 Matthieu Paris décrit ainsi l’ostension processionnelle de la croix que le roi accomplit lui-même : « ...ladite croix fut apportée à Paris le vendredi qui précède le jour de Pâques [...]. On avait dressé près de l’église de Saint-Antoine un grand échafaud en manière de reposoir. Le roi lui-même y monta avec les deux reines, à savoir la reine Blanche, sa mère, et la reine Marguerite, sa femme, et avec ses frères, en présence d’archevêques, d’évêques, d’abbés et autres religieux, ainsi que de plusieurs nobles seigneurs français et d’une foule innombrable de peuple qui était à l’entour. Là, au milieu de l’allégresse universelle qu’inspirait un si glorieux spectacle, le roi, le visage baigné de larmes, éleva ladite croix dans les airs, et tous les prélats qui étaient présents entonnèrent d’une voix forte l’hymne : « Voici la croix du Seigneur » Après que tous l’eurent adorée avec vénération et dévotion, le roi, pieds nus, vêtu d’une simple tunique de laine, la tête découverte, et ayant fait prélablement un jeûne de trois jours, la porta jusqu’à la ville de Paris et jusqu’à l’église cathédrale de la bienheureuse Vierge, suivant en cela l’exemple du très-noble triomphateur, l’auguste Héraclius. Les frères dudit roi avec les reines susdites, après s’être aussi purifiés par la confession, le jeûne et les oraisons, suivaient à pied avec une dévotion semblable. Eux aussi portaient la couronne d’épines qu’ils élevaient dans les airs de la même manière, et présentaient aux regards du peuple ladite couronne que la miséricorde divine avait accordée l’année précédente au royaume de France [...] Quelques seigneurs soutenaient les bras du roi et de ses frères, qui portaient ce pieux fardeau, et les aidaient, de peur que, fatigués de tenir si constamment les bras élevés au ciel, ils ne laissassent retomber cet inestimable trésor. Et la chose fut réglée ainsi avec circonspection par la volonté des prélats, pour que ces saintes reliques fussent touchées respectueusement de cette façon au milieu d’un grand concours de peuple par ceux à la prudence desquels une si glorieuse conquête était due, à l’exemple d’Héraclius, dont nous avons fait mention. Après que le cortège eut fait station à l’église cathédrale, au son de toutes les cloches de la ville qui étaient en branle, et après qu’on eut lu solennellement des oraisons spéciales, le roi revint au grand palais, qui est au milieu de la ville, portant glorieusement, lui la croix, et ses frères la couronne, et suivi d’une superbe procession de
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DE WAILLY, « Récit du treizième siècle... » (op. cit. n. 1), p. 412.
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prélats, telle que jamais dans le royaume de France on n’en avait vu de plus solennelle ou de plus réjouissante ».8 La même année, Louis IX obtint d’autres reliques de la Passion, qui furent accueillies avec les mêmes solennités, et, portées par le roi et ses frères dans la cité, furent déposées avec la couronne et la croix.9 Ces rites occasionnels auraient été institutionalisés par le roi, qui se réservait la place d’officiant principal dans le déroulement des cérémonies. Une fois la construction de la Sainte-Chapelle terminée, le Vendredi Saint, Saint Louis, revêtu des habits royaux, le couronne en tête, exposa lui-même la Vraie Croix à la vénération des fidèles10. Avant de se croiser pour la seconde fois (1267), Joinville vit le roi monter à la tribune aux reliques, et faire porter la Croix en bas : « Je alai en la chapelle le roy et trouvai le roy qui estoit montez en l’eschaffaut aux reliques et fesoit apporter la Vraie Croix aval ».11 Le roi instaura aussi en 1244–46 trois solennités autour des reliques de la Passion : le 11 août, la Susception de la Sainte Couronne ; le 30 septembre, la fête des Saintes Reliques ; et le 3 août, la fête de la Croix de Victoire. À chaque fois, il conduisait, avec les évêques disponibles et les frères mendiants, une procession à travers le palais royal qui se terminait à la Sainte-Chapelle. « À cette procession, le bon roi, assisté des évêques, portait sur ses épaules les reliques susdites et derrière lui suivaient le clergé et le bon peuple de Paris ».12 Devenu à la fois ordonnateur et célébrant des rites autour des reliques insignes de la Passion, le roi participa par la suite à une dizaine de « relévations » ou translations de reliques.13 La plus spectaculaire fut sans doute la translation d’environ vingt-quatre reliques des martyrs de la légion thébaine (1262), que le roi avait sollicitées de l’abbé d’Agaune pour Senlis. Un cortège formé de 46 chevaliers transportait les châsses couvertes de draps de soie, depuis le château épiscopal de Mont-l’Évêque jusqu’à la cathédrale de Senlis. La dernière châsse fut portée par le roi lui-même et par son gendre, Thibaut de Champagne, roi de Navarre. 8 MATTHIEU PARIS, Chronica majora, éd. H. R. LUARD, Londres, 1972–1973, t. IV ; trad. A. HUILLARD-BREOLLES, Grande Chronique, t. 5, Paris, 1840, p. 117–119. 9 DE WAILLY, « Récit du treizième siècle... » (op. cit. n. 1), p. 413–415. 10 M. FÉLIBIEN, Histoire de la ville de Paris, t. I, Paris, 1725, p. 296. 11 JOINVILLE, Vie de saint Louis, § 733, texte et trad. présenté et annoté par J. MONFRIN, Paris, p. 362-365. 12 Témoignage du maître Geoffroi du Temple, chanoine de Reims, in : L. CAROLUSBARRÉ, Le procès de canonisation de Saint Louis. Essai de reconstruction, Rome, 1994, p. 131. 13 L. CAROLUS-BARRÉ, « Saint Louis et la translation des corps saints », in : Études d’histoire du droit canonique dédié à G. Le Bras, Paris, 1965, t. II, p. 1087–1112, ici p. 1100–1104.
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Comme Guillaume de Saint-Pathus l’écrit, « l’intention de benoît Roi était, à ce que l’on croit, que c’était une bonne et honnête chose que les saints qui avaient été chevaliers de Jhésus-Christ fussent portées par des Chevaliers. » Pour ces reliques, on entreprit la construction d’une chapelle et d’un couvent sous le vocable de Saint-Maurice, que le roi fonda comme la « propre chapelle des rois de France », et dont l’aspect rappelait celui de la Sainte-Chapelle de Paris. Ainsi le roi propagea luimême le modèle de la Sainte-Chapelle ainsi que l’organisation cérémonielle qu’il avait inaugurée pour les reliques de la Passion. Il convient de souligner l’aspect novateur, dans l’histoire la dynastie capétienne, de la déposition d’une collection de reliques dans la chapelle royale. Si les chapelles palatines des rois capétiens, et notamment celle de Paris, abritaient des reliques, avant Saint Louis, c’est l’abbaye de Saint-Denis qui jouait le rôle du principal sanctuaire royal. Depuis 1124, l’exposition des reliques sur l’autel de Saint-Denis lors d’une guerre devait garantir la défense du royaume par le saint et ses compagnons. En 1205 encore, lorsque l’empereur Baudouin fit cadeau à Philippe Auguste de plusieurs reliques provenant du palais de Boucoléon, le roi les remit personnellement, contenues dans deux récipients en or, à l’abbé de Saint-Denis. Parmi les reliques figuraient un gros morceau de la Vraie Croix, des cheveux de l’enfant Jésus, une épine de la couronne d’épines, une côte et une dent de l’apôtre Philippe ; un morceau du lange dont Jésus avait été enveloppé au berceau et un fragment de son manteau de pourpre. Elles furent déposées au-dessus des corps des martyrs à Saint-Denis, dans des reliquaires d’or et de pierres précieuses plus grands, renfermant aussi la tête de saint Denis et l’épaule de Jean-Baptiste. Changement significatif : après la construction de la Sainte-Chapelle, c’est là que Saint Louis et ses successeurs accumulaient désormais un important trésor de reliques. Louis IX s’érigea aussi en dispensateur de reliques et notamment de la couronne du Seigneur dont il distribua des épines, en cadeau à des établissements religieux, ou en échange contre d’autres reliques. D’après F. de Mély, il aurait prélevé ainsi au moins 25 épines entre 1248 et 1270 ;14 en tout, l’érudit a reconstitué le destin de 70 épines provenant de la Sainte-Chapelle. Les parcelles de reliques provenant
14 F. DE MÉLY, « Reliques de Constantinople. La Sainte Couronne d’Épines », Revue de l’Art Chrétien, 42, 1899, p. 91–103, 208–212, 318–324, 478–490 ; 43, 1900, p. 102–115, 218–230, 393–409, 491–507.
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de la Sainte-Chapelle de Paris servirent également à fonder d’autres chapelles princières nommées saintes chapelles.15 MODÈLES Dès le haut Moyen Âge, et surtout à partir du VIIIe siècle, princes, rois et empereurs d’Occident furent souvent à l’origine de translations de reliques. Chez les Capétiens, certaines translations servaient, selon les hagiographes, à la légitimation dynastique : ce fut le cas de la légende du « recouvrement » des reliques de Valéry et de Riquier par Hugues Capet.16 Robert le Pieux cherchait à obtenir la protection du royaume par la mise en valeur des reliques de plusieurs saints « nationaux », en premier lieu de saint Aignan à Orléans. Mais le modèle immédiat des actions de Saint Louis doit être cherché dans la légende de Charlemagne, élaborée à Saint-Denis. En effet, selon la légende dyonisienne, l’abbaye possédait des reliques christiques, réputées d’être provenues du trésor d’Aix-la-Chapelle. Si Charlemagne s’est réellement préoccupé de réunir des reliques provenant de la Terre Sainte, de Rome, etc. dans son royaume et avant tout dans sa capitale, Aix-la-Chapelle, c’est surtout la légende postérieure qui fit de lui un rassembleur et aussi un dispensateur de reliques hors pair. De nombreux monastères se réclament de Charlemagne dont les cadeaux de reliques auraient constitué un élément essentiel de leur fondation.17 La plus fameuse légende de reliques qui s’attache à Charlemagne fut rédigée à Saint-Denis vers la fin du XIe siècle (ou du premier quart du XIIe) et est connue sous le titre Descriptio qualiter Karolus magnus clavum et coronam Domini a Constantinopoli Aquisgrani detulerit qualiterque Karolus Calvus haec ad S. Dionysum retulerit.18 Selon ce récit, qui avait 15
C. BILLOT, « Les saintes-chapelles (XIIIe–XVIe siècles). Approche comparée de fondations dynastiques », Revue d’histoire de l’Église de France, 73, 1987, p. 229–248 ; « Le message spirituel et politique de la Sainte-Chapelle de Paris », Revue Mabillon, 63, 1991, p. 119–141 ; Les Saintes Chapelles royales et princières, Paris, 1998. 16 Cf. mon article « Le recouvrement des reliques des saints Valéry et Riquier », in : Saint Riquier à Saint-Riquier. Actes du colloque du Centre d’Études Médiévales de l’Université de PicardieJules Verne, Saint-Riquier, 9–10 décembre 2000, éd. D. BUSCHINGER, Amiens, 2001, p. 1–13. 17 Cf. A. G. REMENSNYDER, Remembering Kings Past. Monastic Foundation Legends in Medieval Southern France, Ithaca/London, 1995. 18 Éd. G. RAUSCHEN, Die Legende Karls des Grossen im XI. und XII. Jahrhundert, Leipzig, 1890, p. 45–66 et 121–125 (=Publikationen der Gesellschaft für Rheinische Geschichtskunde 7) ; cf. aussi CASTETS, in : Revue des Langues Romanes, 36, 1892, p. 407–474.
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pour objectif d’attribuer une origine glorieuse aux reliques possédées par l’abbaye, Charlemagne fut sollicité pour libérér la Ville Sainte par le patriarche de Jérusalem et par l’empereur de Constantinople. Après avoir accompli cette mission, il s’en retourna par Constantinople et, en récompense, il demanda à l’empereur des reliques gardées dans la capitale. Il obtint la couronne d’épines, un clou de la crucifixion, un morceau de la croix, les langes de l’enfant Jésus et un bras de saint Siméon. Plusieurs miracles témoignèrent de l’authenticité de ces reliques. Pour les honorer, Charlemagne décida de les montrer au peuple tous les ans durant la deuxième semaine de juin, le mercredi des Quatre-Temps d’été. En réalité, on ne connaît pas d’ostension de reliques à Aix avant 1238,19 mais dans la littérature, on attribua à l’empereur l’initiative de cette manifestation. Au XIVe siècle, Charlemagne sera même représenté comme officiant de l’ostension des reliques dans des miniatures des Grandes Chroniques.20 La légende de l’acqusition des reliques de la Passion par Charlemagne connut une certaine popularité, car elle fut mentionnée dans l’histoire des évêques de Metz,21 incorporée dans la Vita hagiographique de Charlemagne rédigée à l’occasion de sa canonisation en 1165 ; elle inspira aussi un poème en langue vulgaire plutôt ironique, le Pèlerinage (ou Voyage) de Charlemagne à Jérusalem et à Constantinople22 ainsi qu’une chanson de geste, intitulée Fierabras, écrite vers 1170 ou au plus tard à la fin du XIIe siècle.23 À Saint-Denis, des vitraux de l’époque de Suger – aujourd’hui disparus – célébraient aussi cette légende.24 Un vitrail de la cathédrale de Chartres est peut-être inspiré de la verrière de Saint-Denis. Un relief de la châsse monumentale de Charlemagne à Aix-la-Chapelle, exécutée entre 1182 et 1215, représente deux épisodes de l’obtention de la couronne d’épines par Charlemagne : Charlemagne s’agenouillle devant la relique, fleurie miraculeusement, que l’empereur 19 H. KÜHNE, Ostensio reliquiarum. Untersuchungen über Entstehung, Ausbreitung, Gestalt und Funktion der Heiltumsweisungen im römisch-deutschen Regnum, Berlin/New York, 2000, p. 153 sq. ; cf. aussi : Rhin-Meuse. Art et civilisation 800–1400, Cologne/Bruxelles, 1972, p. 142–149. 20 Cf. A. D. HEDEMAN, The Royal Image. Illustrations of the Grandes Chroniques de France, 1274–1422, Berkeley/Los Angeles/Oxford, 1991. 21 Gesta episcoporum Mettensium, MGH Script. 10, p. 538. 22 Le Voyage de Charlemagne à Jérusalem et à Constantinople, éd. P. AEBISCHER, Genève, 1965. 23 Cf. sur la légende de Charlemagne à Saint-Denis, J. BÉDIER, Les légendes épiques. Recherches sur la formation des chansons de geste, Paris, 1921 (2e éd.), t. III, p. 122–175. 24 Cf. MONTFAUCON, Monuments de la Monarchie française, t. I, p. 277 (pl. XXIV) qui reproduit deux médaillons de cette verrière. Cf. L. GRODECKI, Les vitraux de Saint-Denis. Étude sur le vitrail au XII e siècle, I, Paris, 1976, p. 118–121, fig. 174–182.
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Constantin lui a offerte ; le gant dans lequel Charlemagne recueille ces fleurs, le suit, suspendu aux rayons d’une étoile, pendant le voyage de retour. Selon la Descriptio, quelques reliques furent ensuite transportées par Charles le Chauve d’Aix-la-Chapelle à Saint-Denis :25 la couronne d’épines, un clou de la crucifixon, un fragment de la croix, tandis qu’il offrit le saint suaire à sa chapelle du palais de Compiègne. Mais ce n’est que bien plus tard que ces reliques figurent dans des rituels royaux. Avant son départ à la croisade en 1190, Philippe Auguste vint à l’abbaye Saint-Denis, pria devant les corps de Denis et ses compagnons, et, à la fin de la cérémonie, il fut béni par le saint clou, la couronne d’épines et et le bras de Siméon.26 En 1191, le père de Louis IX, unique héritier de Philippe Auguste, fut guéri d’une grave maladie (dysenterie) grâce aux mêmes reliques que les moines de Saint-Denis apportèrent à son chevet à Paris. L’évêque traça une croix sur le ventre du jeune Louis qui guérit le jour même. Selon la même tradition légendaire, Charles le Chauve aurait transféré à Saint-Denis également la cérémonie de l’ostension annuelle des reliques de la Passion. Mais c’est seulement au XIIe siècle que Suger témoigne du tumulte occasionné dans ces circonstances.27 À l’époque de Saint Louis, le vendredi saint de l’année 1232, alors qu’on vénérait le saint Clou, la relique s’est égarée dans la foule qui assistait à la cérémonie. Aux dires du chroniqueur Guillaume de Nangis, en apprenant la nouvelle, le jeune roi et sa mère en furent profondément ébranlés. Le roi « se mit à crier bien haut qu’il préfererait que la meilleure cité de son royaume fût détruite et périe », et fit rechercher la relique en promettant une grande récompense à celui qui la retrouverait. « Beaucoup d’hommes sages craignaient qu’à cause de cette cruelle perte advenue au début du règne il n’arrive de grands maleurs ou épidémies et que cela ne présageât la destruction – que Dieu l’en garde – de tout le corps du royaume de France ».28 Il est tout à fait certain que Saint Louis connaissait l’histoire des reliques de la Passion gardées à Saint-Denis, et le rôle éminent que, 25 L’épitaphe de Charles le Chauve mentionne également le don du clou et de la couronne d’épines : Plurima cum villis, cum clavo cumque corona / Ecclesiae vivus huic dedit ille bona. 26 RIGORD, Histoire de Philippe Auguste, § 76, éd., trad. et notes sous la dir. d’É. CARPENTIER, G. PON, Y. CHAUVIN, Paris, 2006, p. 274-275. 27 SUGER, « Écrit sur la consécration de Saint-Denis », in : Oeuvres, t. I, texte, trad. et comm. F. GASPARRI, Paris, 1996, p. 8–11. 28 GUILLAUME DE NANGIS, p. 320–326.
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selon la Descriptio, les empereurs Charlemagne et Charles le Chauve avaient joué dans leur acquisition et leur exaltation. Cette légende fut vulgarisée dès les années 1170 (ou tout au moins à la fin du XIIe siècle) par la chanson de geste intitulée Fierabras. Ici, Charlemagne, appelé « empereur de France », apporta lui-même la couronne d’épines et le saint clou à Saint-Denis ; mais une partie de la couronne fut envoyée à Compiègne.29 Selon le Pèlerinage de Charlemagne, l’empereur déposa la couronne d’épines et le clou sur l’autel de Saint-Denis, et divisa les autres reliques parmi les sanctuaires de son royaume.30 L’importance des reliques de la Passion à Constantinople même ne devait pas non échapper à Saint Louis. C’est l’église de la Mère de Dieu (Théotokos) du Phare, dans le palais impérial qui abritait la collection de reliques christiques qui y fut installée sous la dynastie macédonienne (depuis Basile Ier ?). Dans le Livre des Cérémonies, cette église est souvent mentionnée. Dans une récente communication, Paul Magdalino a souligné que « la fonction spéciale de l’église dans le calendrier liturgique est de lier l’empereur à la commémoration de la Passion du Christ ». C’est ici que la vénération de deux reliques de la Passion, de la Vraie Croix (le dimanche de la semaine du milieu du Carême : Livre des cérémonies, ch. 39) et de la sainte Lance (le vendredi saint : Livre des cérémonies, ch. 43) avait lieu.31 Par ailleurs, plusieurs témoignages attestent qu’à partir de la 2e croisade au moins, les Occidentaux venaient admirer ces reliques à Constantinople. Le roi Louis VII y fut accueilli en 1147 par l’empereur Manuel qui le conduisit aux lieux saints de la capitale.32 D’autres écrits (Odon de Deuil, etc.) révèlent qu’avant la prise de Constantinople en 1204, « la conception de la Sainte-Chapelle est déjà vive parmi les Latins ... et c’est la publicité byzantine qui l’a réveillée ».33 Dans son récit de la Conquête de Constantinople, Robert de Clari a clairement identifié la chapelle du Phare comme la Sainte-Chapelle, la décrivant dans des termes admiratifs : « Si en y avoit une /chapelle/ que on apeloit la Sainte Chapele, qui si estoit riche et noble qu’il n’y avoit ne gond ne veruele ne autres membres qui à fer apartenissent, qui tout 29
Fierabras. Chanson de geste, éd. A. KROEBER et G. SERVOIS, Paris, 1860, p. 183–188. Le Voyage de Charlemagne (op. cit. n. 20), v. 866–867, p. 85 : « Le clou e la corune si ad mis sur l’auter, / E les altres reliques depart par sun regnet. » 31 CONSTANTIN PORPHYROGÉNÈTE, Le Livre des cérémonies, texte établi et trad. A. VOGT, Paris, t. I, p. 150-151 et 168-169. 32 JEAN KINNAMOS, Epitomé II, 17, éd. Bonn, p. 86. 33 P. MAGDALINO, « L’église du Phare et les reliques de la Passion à Constantinople (VIIe/ VIIIe-XIIIe siècles) », in : Byzance et les reliques du Christ, J. DURAND et B. FLUSIN (éd.), Paris, 2004, pp. 15-30, ici p. 26. 30
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ne fussent d’argent ; ne si n’avoit colonne qui ne fust ou de jaspe ou de pourfire ou de riches pierres précieuses. Et li pavemens de la chapelle estoit d’un blanc marbre si lisse et si cler qu’il sembloit qu’il fust de cristal ».34 Il énumère aussi les reliques qui s’y trouvaient (deux pièces de la Vraie Croix, le fer de la Lance, du Précieux Sang, la Tunique du Seigneur, la Couronne d’épines « qui estoit de joncs marins aussi poignans comme fers d’alesnes » etc.). Il en ramena lui-même à Corbie de précieux échantillons.35 Dès l’établissement de l’empire latin à Constantinople, les reliques de la chapelle du palais impérial furent offertes en cadeaux dynastiques. En 1205, l’empereur Baudouin Ier de Flandre envoya à Philippe Auguste un important fragment de la Croix ainsi que d’autres reliques enchâssés dans un deuxième reliquaire. De même, en 1206 Henri Ier fit cadeau à son frère Philippe, comte de Namur, d’une grande croixreliquaire accompagnée de toute une série de reliques précieuses parmi lesquelles figuraient des épines de la couronne d’épines...36 SYMBOLIQUE DES OBJETS La couronne d’épines Moyen de dérision du Christ par ses ennemis, la couronne fut interprêtée dans la littérature chrétienne comme l’un des instruments du salut de l’humanité. Pour saint Jérôme, la couronne « supprima la vieille malédiction » ; pour Bède le Vénérable, la couronne est liée au rachat (à la susception) des péchés. Par sa forme, cet objet évoquait aussi un insigne royal, et, depuis l’Évangile de saint Jean, symbolisait l’intronisation authentique du Sauveur pour le royaume qui n’est pas de ce monde, pour le royaume de Dieu. Des épines furent d’ailleurs insérées dans la couronne qui se trouve aujourd’hui à Namur (qui est appelée dès 1207 Corona spinea), et qui avait servi au couronnement d’Henri de Flandre en 1206 à Constantinople.37 L’empereur l’avait confiée ensuite à son frère Philippe, comte de Namur. 34
ROBERT DE CLARI, « La conquête de Constantinople », in : Historiens et chroniqueurs du Moyen Âge, éd. A. PAUPHILET, Paris, 1952, p. 63 (=Bibliothèque de la Pléiade). 35 « Sanctuarium quod Robertus, miles de Clari, attulit Constantinopoli », éd. P. RIANT, Exuviae sacrae Constantinopolitanae, t. II, Genève, 1878, p. 197–198. 36 RIANT, Exuviae... (op. cit. n. 35), t. II, p. 74. 37 P.-E. SCHRAMM et R. ELZE, Das lateinische Kaisertum in Konstantinopel (1204–1261) : Herrschaftszeichen und Staatssymbolik, vol. III, Stuttgart, 1956, p. 839 sq., p. 881 ; M.-M. GAUTHIER,
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Selon l’Antiphonaire de Sens (XIIIe siècle),38 la couronne d’épines, envoyée au roi de France, scellait une alliance avec Dieu jusqu’au Jugement dernier : elle illuminera la Gaule, en répandant la grâce et la gloire. Posséder la couronne d’épines signifiait ainsi réaliser sur la terre une préfiguration du royaume de Dieu, un royaume de paix et de justice qui fut effectivement l’idéal de Saint Louis. Pour Gautier Cornut, l’obtention des reliques de la Passion était un signe d’élection donné par Dieu : « il semble bien et on croit que pour vénérer plus pieusement le triomphe de sa Passion, il a choisi spécialement notre France (Gaule) pour que de l’Orient à l’Occident soit loué le nom du Seigneur par le transfert opéré par notre Seigneur et Rédempteur de la région de la Grèce qu’on dit la plus proche de l’Orient à la France qui touche aux frontières de l’Occident, des instruments de sa très Sainte Passion ».39 Le caractère extrêmement précieux de la couronne d’épines eut son écho aussi dans le roman courtois. Dans le Perlesvaus, roman en prose du XIIIe siècle (avant 1230), son obtention est réservée au chevalier qui a vu le premier le Graal, en l’occurrence à Perceval. La couronne, appelée Cercle d’or dans le roman, est le prix du chevalier qui vainc le Chevalier au Dragon, dont l’écu renferme une gueule de dragon qui jette du feu et dévaste tout le pays.40 La sainte Croix La relique de la Croix dont Saint Louis instaurait l’ostension était le symbole de la victoire du Christ sur la mort, mais aussi – depuis la légende de Constantin – celui de la victoire militaire. Après la translation de la Croix à Constantinople par l’empereur Héraclius (635), ses successeurs en devenaient les gardiens et les dispensateurs. Les aires de la diffusion de la Vraie Croix ont été magistralement reconstituées par A. Frolow.41 Un lien étroit entre la relique et le pouvoir impérial s’est formé progressivement. Le chapitre du Livre des Cérémonies consacré à la Fête de l’Orthodoxie, atteste que « le trésor impérial Les routes de la foi. Reliques et reliquaires de Jérusalem à Compostelle, Paris/Fribourg, 1983, p. 136–138. 38 Cf. La Couronne d’épines au royaume de saint Louis, éd. G. GOYAU et alii, Paris, 1939 ; cf. aussi GAUTHIER, Les routes de la foi... (op. cit. n. 36), p. 162–164. 39 GAUTIER CORNUT, Historia susceptionis, p. XX. 40 Perlesvaus, éd. W. A. NITZE, T. A. JENKINS, Chicago, 1932, ,p. 200, 251–254. 41 A. FROLOW, La relique de la Vraie Croix. Recherches sur le développement d’un culte, Paris, 1961.
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possédait... vers le milieu du Xe siècle, trois fragments de la Vraie Croix ».42 On associait les staurothèques à l’idée impériale, en les désignant comme « bois précieux impérial », « croix impériale ».43 Non seulement les empereurs byzantins utilisaient les parcelles du bois de la Croix comme instruments d’alliance politique, mais ils participaient aussi, au côté du patriarche, au rituel de la vénération de la croix. Lors des cérémonies religieuses des grandes fêtes, l’empereur byzantin porta la croix de Constantin et la verge de Moïse, insignes impériaux, jusqu’à Sainte-Sophie. En raison de sa fonction nicéphore, la croix, contenant des parcelles de la Vraie Croix, figurait aussi très tôt en Occident parmi les insignes royaux et impériaux. Le roi wisigothique partait à la guerre après une cérémonie au cours de laquelle l’évêque lui avait remis une croix-reliquaire qui devait lui assurer la victoire.44 Le don des parcelles de la croix par Charlemagne apparaît dans plusieurs légendes de fondation monastique.45 La croix de l’empire romano-germanique, exécutée vers 1030–33 (aujourd’hui au Trésor impérial de Vienne), contenait un morceau de la Vraie Croix, avec des fragments du saint Clou provenant de la sainte Lance, une dent de Jean-Baptiste et un os du bras de sainte Cunégonde.46 Dans la deuxième moitié du XIe siècle, le compilateur du IIe livre de la Chronique d’Adémar de Chabannes, relatant l’ouverture de la tombe de Charlemagne par Otton III, prétendait que l’empereur avait été enterré avec sa couronne, contenant un fragment de la Vraie Croix.47 Nous avons vu que Philippe Auguste obtint un beau morceau de la Croix en 1205 qu’il déposa à Saint-Denis. En 1206 à Constantinople, pour le couronnement de l’empereur latin Henri Ier de Flandre, un morceau du Bois de la Croix fut monté en or (Venise, Trésor de Saint-Marc). Une inscription donne la signification de l’objet : « La main de Gérard a créé cet insigne de dignité qui fut commandé par le roi franc, aux mains pures, du nom d’Henri, devenu deuxième duc des Grecs, afin que béni par ce Bois même, il reste toujours en sécurité à la guerre, tel une muraille (CONDIDIT HOC SIGNUM GHIRARDI DEXTERA DIGNUM / QUOD JUSSIT MUN42
FROLOW, La relique de la Vraie Croix... (op. cit. n. 40), p. 74. FROLOW, La relique de la Vraie Croix... (op. cit. n. 40), p. 77, 279–279, 349–350. 44 Le Liber ordinum en usage dans l’église wisigothique et mozarabe d’Espagne du Ve au XIe siècle, éd. D. M. FÉROTIN, Paris, 1904, col. 149–152. 45 REMENSNYDER, Remembering Kings Past (op. cit. n. 15). 46 FROLOW, La relique de la Vraie Croix... (op. cit. n. 40), p. 263–264. 47 ADÉMAR DE CHABANNES, Chronicon, II, 25, éd. J. CHAVANON, Paris, 1897, p. 105. 43
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DUS REX FRANCUS DUXQUE SECUNDUS / GRAECORUM, DICTUS HENRICUS, UT HOC BENEDICTUS / BELLO SECURUS SEMPER MANEAT QUASI MURUS. / AMEN) ».48 Sans évoquer le sens des autres reliques déposées par Louis IX dans la Sainte-Chapelle, on doit souligner que la Grande Châsse, construite pour contenir cette collection exceptionnelle de reliques, avait typologiquement pour modèle l’Arche de l’Alliance. Ce n’est pas par hasard que les auteurs médiévaux décrivaient Louis comme un nouveau David.49 Comme l’a montré récemment Daniel H. Weiss,50 les représentations de l’Arche de l’Alliance dans des miniatures de l’époque de Saint Louis rappellent nettement l’architecture de la Grande Châsse ; quant à la tribune aux reliques qui la supportait, elle a été inspirée vraisemblablement par la façade du « temple de Salomon » (tenu pour tel par les Occidentaux) à Jérusalem, reconstruite dans les années 1160. À travers la représentation littéraire et iconographique, Louis apparaissait comme détenteur d’une nouvelle Arche de l’Alliance, et comme le successeur des rois du peuple élu.
INFLUENCE Le roi d’Angleterre Henri III Plantagenêt imita jalousement l’exemple de Louis IX. En 1247, il obtint du patriarche de Jérusalem le Précieux Sang du Christ, contenu dans une fiole de cristal.51 Il organisa la fête de la translation le 13 octobre, pour qu’elle coïncide avec la fête de saint Édouard, et confia à Matthieu Paris la tâche de mettre par écrit la cérémonie. Le cortège partit de l’église Saint-Paul de Londres, et le roi, « allant à pied et vêtu d’un humble habit, c’estdire d’une pauvre chape sans capuce », porta lui-même la relique, 48 Il Tesoro di San Marco, dir. H. HAHNLOSER, t. II, 1971, p. 139–142 ; FROLOW, La relique de la Vraie Croix... (op. cit. n. 40), p. 396–397 ; cf. aussi GAUTHIER, Les routes de la foi... (op. cit. n. 36), p. 76–78. 49 DE WAILLY, « Récit du treizième siècle... » (op. cit. n. 1), p. 410 : noster David rex Ludovicus, non precioso et eminente equo subvectus, non phaleris adornatus, sed pedes incedens et discalciatis pedibus, quasi archam Domini in civitatem suam Parisiensem cum gaudio mox ducturus ; Vita sancti Ludovici (écrite peu après sa canonisation, utilisée en partie pour les lectiones, en partie pour les sermones), in : Recueil des historiens de Gaule et de France, t. 23, p. 171 : Rex autem, velut alter David, ante archam ludens, thesaurum impreciabilem propriis gestans humeris, et velut alter Moyses, quia sacrosanctum erat quod in terram suam venerat, sublatis calciamentis pedibus incedebat nudis. 50 D. H. WEISS, Art and Crusade in the Age of Saint Louis, Cambridge, 1998. 51 Sur ce sujet, cf. N. VINCENT, The Holy Blood. King Henry III and the Blood Relics of Westminster, Cambridge, 2001.
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l’élevant au-dessus de son visage, et regardant constamment vers le ciel. Deux personnes soutenaient les bras du roi « de peur qu’ils ne tombassent de fatigue ». À Westminster, le roi fit le tour de l’église, du palais et de ses appartements avant d’offrir le Précieux Sang à saint Édouard dans l’église de Saint-Pierre de Westminster. Dans son prêche, l’évêque de Norwich souligna que le Précieux Sang était encore plus sacré que la croix. Aux dires même de Matthieu Paris, « il dit ces choses pour que, dans la possession d’un si grand trésor, l’Angleterre ne fût ni moins joyeuse ni moins glorieuse que la France ne l’était d’avoir obtenu la sainte croix... » De cette façon, l’événement s’inscrivait dans une compétition dynastique ; mais le cadeau, envoyé par le patriarche de Jérusalem, devait également redonner vigueur à l’idée de la croisade. Enfin, la translation du Précieux Sang, marquée de la présence des grands laïcs et ecclésiastiques, convoqués à cette occasion, servait aussi à exprimer la cohésion du royaume. En 1249, une autre relique christique vint s’ajouter au Précieux Sang : la pierre de l’Ascension, qui gardait l’empreinte du pied du Christ. Matthieu Paris la compara à la Véronique, qui avait conservé l’empreinte du visage du Christ. Le rite de l’exposition des reliques par Louis IX fut aussi imité par ses successeurs. Les rois de France gardaient d’ailleurs les clefs de la grille de fer doré, qu’ils ouvraient au moyen d’un code secret, « lorsqu’ils venoient eux mesmes exposer à l’adoration des fidèles ces saintes reliques les jours de vendredy saint et de Pasques ». En 1423, après la défaite des Français à Azincourt, lorsque Paris fut occupée par les Anglais, Jean de Lancastre, duc de Bedford, régent de France au nom d’Henri VI, « qui logeoit au Palais, monstra dans la Sainte-Chapelle la Vraye Croix, comme les Roys de France avoient accoutumé de faire ».52 Dans le Bénédictionnaire du duc, dont on connaît quelques miniatures grâce à des copies, on a représenté le duc agenouillé près de l’autel, tournant son regard vers la Grande Châsse ouverte. Les rois montraient aussi les reliques de la Sainte-Chapelle à des hôtes illustres. C’est ainsi que Charles V fit visiter la châsse à l’empereur Charles IV le 6 janvier 1378, jour de l’Épiphanie. L’empereur, souffrant de la goutte, eut beaucoup de difficultés d’accéder à la châsse : « pour ce que l’Empereur voult en toutes manieres monter en hault devant la dite chasse et veoir les saintes reliques et la montée soit greveuse et estroite, il n’y pot estre porté dans sa chaiere, mais se fit tirer par les 52
Paris, Arch. Nat., LL 630, p. 361, cité in : DURAND et LAFFITTE, Le trésor... (op. cit. n. 1), p. 127.
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saint louis, ordonnateur et acteur des rituels
bras et jambes contremont la vix et pareillement revaler atrès grand paine et travail et gervance de son corps pour la grant devocion qu’il avoit a veoir de près les dites saintes reliques. » Une fois arrivé en haut, l’empereur resta un long moment en prière devant les reliques, puis le roi lui montra et expliqua chaque relique. Charles IV baisa les reliques, puis fut porté en bas et voulut s’asseoir sur la chaire du trésorier de la Chapelle pour mieux voir les reliques pendant la messe. Lors de l’offrande, Charles V fit évoquer l’Adoration des Rois Mages par une cérémonie, mettant en scène trois chevaliers, ses chambellans, qui portaient respectivement l’or, l’encens et la myrrhe.53 À cette époque, l’empereur Charles IV est déjà arrivé à la fin de sa vie. Durant son règne, il suivait tout autant l’exemple de Charlemagne que celui de Saint Louis dans l’exaltation des reliques, voulant donner une légitimation sacrée à son pouvoir. Il favorisait grandement le culte de Charlemagne, ancêtre dynastique modèle, et contribuait également au développement du pèlerinage à Aix-la-Chapelle. La légende de l’acquisition des reliques par Charlemagne fut réécrite dans ce contexte. Pour la vénération des reliques-insignes de l’Empire, transférées à Prague (et déposées à la cathédrale Saint-Vit jusqu’en 1365 ou 1368), Charles IV demanda au pape d’instituer la fête des « Armes du Christ » (appelée aussi fête de la Lance et des Clous du Seigneur) à partir de 1354. Une ostension annuelle de ces reliques-insignes fut organisée à Prague le Vendredi après Quasimodo. De même, l’exemple de Saint Louis inspira le souverain dans l’exaltation des reliques à Karlstein.54 Dans la chapelle de la Vierge, sur le mur sud, sont représentés sur trois scènes la réception des reliques par l’empereur et leur déposition sur l’autel où est placé le reliquaire de la Croix (appelé aussi croix-reliquaire de Bohême). Tout près de cette chapelle se trouve l’oratoire de l’empereur ; au-dessus de la porte d’entrée, la croix-reliquaire est entourée des portraits de Charles IV et sa femme. C’est en ce lieu que les reliques de la Passion et probablement le trésor impérial furent déposés avant la construction de la chapelle haute, celle de la Vraie Croix, achevée en 1368–69. Les murs du passage conduisant à la Grande Tour, à la chapelle haute, représentaient les 53 « Relation de l’ostension des reliques de la Sainte Chapelle par Charles V à l’empereur Charles IV », in: Mémoire de la Société de l’Histoire de Paris, 36, 1909, p. 308-310. 54 Cf. I. ROSARIO, Art and propaganda : Charles IV of Bohemia, 1346–1378, Woodbridge, 2000 ; D. RUSSO, « Les modes de représentation du pouvoir en Europe dans l’iconograpie du XIVe siècle », in : Représentation, pouvoir et royauté à la fin du Moyen Âge. Actes du colloque organisé par l’Université du Maine les 25 et 26 mars 1994, Paris, 1995, p. 177–190. Voir aussi la contribution de J. Kuthan dans le présent volume.
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scènes de la vie de saint Wenceslas et de Ludmilla, apparentés à Charles. La chapelle haute, consacrée à la Vraie Croix, évoque la protection céleste du roayume et de l’empire par la figuration d’une armée de saints et saintes, symbolisant la Jérusalem céleste : cent-trente portraitsreliquaires tapissent les murs. Le cycle iconographique du palais et de ses chapelles révèle l’intention de l’empereur de faire le lien entre le passé (généalogie biblique, dynastique et hagiographique de l’empereur), le présent (collection de reliques de l’empereur) et le futur – ou plutôt l’éternité –, avec la représentation des portraits de saints. L’image de l’empereur joue un rôle de clé dans ce programme iconographique : en raison de sa participation à l’acquisition et à l’exaltation des reliques, il apparaît comme un maillon essentiel dans l’obtention du patronage divin pour l’empire. La même idée s’exprime également sur la peinture murale de l’Adoration des Mages (Chapelle de la Vraie Croix), où le troisième roi porte les traits de l’empereur. *** L’exaltation des reliques de la Passion par Louis IX reflète non seulement sa piété, mais également sa volonté de donner un nouveau sens à la représentation du pouvoir royal. En premier lieu, la référence à l’Ancien Testament, qui apparaît aussi bien dans les gestes du roi que dans l’iconographie et dans la fonction de la Sainte-Chapelle, désignait le roi comme successeur des rois de l’Ancien Testament, et surtout, comme le souverain d’un nouveau peuple élu. Deuxièmement, l’obtention des reliques de Constantinople, depuis longtemps convoitées par les Occidentaux, ainsi que les rituels établis autour d’elles et les distributions de leurs parcelles rendaient le roi capétien comparable aux empereurs byzantins et digne héritier de Constantin et d’Héraclius. La translation de ces reliques signifiait l’appropriation des objets sacrés étroitement liés au pouvoir impérial. Troisièmement, l’imitation et le dépassement du modèle carolingien établissaient également une continuité entre la royauté capétienne et l’empire carolingien, au moment où l’empereur germanique poursuivait le même dessein. Tous ces éléments, exprimés par l’art, le rituel et l’historiographie, conféraient un caractère quasi sacerdotal au roi de France, héritier et continuateur à la fois de la royauté d’Israël et des empires byzantin et carolingien.55
55 Voir ma synthèse sur cette problématique: La politique des reliques de Constantin à Saint Louis, Paris, Beauchesne, 2006.
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LA DÉVOTION DE LOUIS IX : EXCEPTION OU NORMALITÉ ? Hans-Joachim SCHMIDT
Louis IX, roi de France, est considéré comme un roi saint. C’est lui qui, après son décès, marqua l’idéal du prince pendant le bas Moyen Âge, et bien au-delà, en laissant le souvenir d’un roi exemplaire, fondateur d’une lignée régnante qui jouissait, non seulement de la légitimité d’une dynastie issue des Carolingiens et des premiers Capétiens, mais aussi de réputation de bon juge, de donateur aux monastères et aux pauvres ainsi que de défenseur de la foi. Le titre de Roi très Chrétien, dont tous les souverains de France se réclamaient, se justifiait par les actions et les paroles d’un monarque modèle dont l’auréole fut renforçée et cimentée par sa canonisation, sollicitée toute suite après sa mort par ses successeurs et ses anciens collaborateurs.1 La sainteté de Louis IX, déjà acquise par une piété populaire, fut finalement décrétée par le pape Boniface VIII en 1297. Cette canonisation fixa la perception de la vie de ce roi et le rehaussa dans les sphères de la sanctification non atteignables par d’autres monarques européens. Le roi Louis devint, par sa canonisation, une exception. Son prestige dépassa celui des autres rois médiévaux. L’imagerie de Saint Louis esquissée par les récits historiographiques, les rites liturgiques et les actes officiels, ne cache-t-elle pas – au sens propre – une conformité et une normalité ? Louis n’avait-il rien fait d’autre que de suivre les règles auxquelles tout roi devait s’accommoder pour le bon exercice de son office ? Cette question pose donc le problème suivant : Le prestige de Louis IX, considéré comme un saint et effectivement canonisé quelques années après sa mort, est-il vraiment le résultat d’une dévotion exceptionnelle ? Ou le comportement de ce roi saint et les appréciations dont il fut l’objet ne se situeraient-ils pas dans une normalité à laquelle les autres monarques de l’Occident européen se soumettaient 1
L. CAROLUS-BARRÉ, « Les enquêtes pour la canonisation de Saint Louis – de Grégoire X à Boniface VIII – et la bulle « Gloria Laus » du 11 août 1297 », Revue d’histoire de l’Église de France, 57, 1971, p. 19–30 ; A. VAUCHEZ, La sainteté en Occident aux derniers siècles du Moyen Âge d’après les procès de canonisation et les documents hagiographiques (=Bibliothèque des Écoles Françaises d’Athènes et de Rome 241), Paris, 1981, p. 415–418, 659.
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eux aussi ? Cette dévotion exceptionnelle est-elle uniquement due à des constellations politiques et religieuses qui n’ont rien à voir avec sa propre dévotion personnelle, en comparaison avec celle des autres ? En effet, le halo de sainteté – même sans avoir atteint la renommée acquise par Louis IX – entourait chaque roi ; il était fondé sur l’accomplissement exemplaire des devoirs qui s’imposaient, lorsque politique et dévotion, fonction royale et piété chrétienne devaient être combinées. Dès l’époque des rois mérovingiens, ceux-ci étaient considérés comme des personnages exceptionnels, dans la mesure où leur pouvoir émanait de Dieu lui-même, que leurs actions étaient conformes à la volonté divine et que leur sort était intimement lié à un destin surnaturel dont les faveurs devaient être conquises, faute de quoi la légitimité des rois risquait de s’amenuiser. Leur sanctification était nécessaire, ce qui ne signifie de loin pas que leurs vies furent irréprochables au regard des critères moraux, définis par l’Église. Il devait assurer le salut de son peuple en mettant à profit ses liens privilégiés avec la sphère divine ce qui garantissaient fécondité et succès. On considérait que cette sanctification était procurée grâce au sacre et à l’onction qui transféraient au rois par un acte liturgique une fonction sacerdotale. Ils étaient les oints du Seigneur. L’onction de Pépin, en 751, institua le modèle à imiter ; elle reposait sur une vision de la destinée du peuple franc tout entier qui en faisait plus que jamais le peuple élu, successeur du peuple hébreu. L’onction et le sacre de tout roi pouvaient être assimilés à ceux de David. Par conséquent, c’est sa fonction envers le royaume et le peuple qui transférait au sacre du roi son caractère religieux et n’affectait pas la personnalité de celui qui n’était que le porteur de valeurs détachées d’un accomplissement individuel.2 En 751, en effet, l’avènement de Pépin Ier, inaugurant la dynastie royale carolingienne, marqua le début d’une insertion plus accentuée de l’Église. Les évêques, qui la représentaient, transféraient aux rois la grâce divine qu’ils réclamaient et qui les assujettissait en même temps à une interprétation sacerdotale de leur fonction. Le roi fut intégré à la hiérarchie ecclésiastique, tandis qu’auparavant le prestige relevait du fait de leur lignage familial. Bien que même avant ce changement, quelques rois fûrent élevés au rang de saints, comme Sigismond, roi des Burgondes, Dagobert, roi des Francs austrasiens, 2
D. ALIBERT, « Sacre royal et onction royale à l’époque carolingienne », in : Anthropologie juridique. Mélanges Pierre Braun, Limoges, 1998, p. 14–44.
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la dévotion de louis ix : exception ou normalité ?
Edmond, roi d’Anglie occidentale, Édouard, roi de Wessex, Gunthramm, roi des Francs, le lien institutionnel entre la royauté et l’Église se renforça et la vénération aussi des rois saints à partir du VIIIe siècle, comme celui de Charlemagne, commença, toutefois bien après leurs décès, de réfléter une ambition dynastique des successeurs, dont l’intention était bien celle de mettre en relief plus une sainteté familiale qu’une vie personnelle extraordinaire.3 Sainteté familiale et sanctification institutionnelle allaient dans la même direction et commençaient à se rapprocher suite au sacre et à l’onction, donc dès le VIIIe siècle, à partir du moment où l’office du roi devint tâche religieuse. Dans l’Empire germano-romain – mais aussi, dans une moindre mesure, en Angleterre et en France, les rois, respectivement les empereurs, étaient, par conséquent, membres de plusieurs chapitres cathédraux, assumant ainsi une fonction sacerdotale sans pour autant se conformer à une discipline ecclésiastique.4 En France et en Angleterre, la capacité de chaque roi après l’accomplissement des cérémonies du sacre à guérir les malades et spécialement les écrouelles, étaient la démonstration la plus éclatante du pouvoir royal qui puisait ses ressources dans les profondeurs du miraculeux.5 La dévotion était inhérente à la personne royale. Elle ne pouvait en être dissociée parce qu’elle garantissait le rôle du rex salvator. Cependant, la dévotion du roi se manifestait également par des actes de piété, indispensables pour la mise en scène de la religion royale. Le roi se présentait comme le bienfaiteur de son peuple et plus précisément des pauvres. Le roi bienfaisant était un roi donateur. Ses actes de charité favorisaient donc les ecclésiastiques, leurs églises et leurs monastères, non parce qu’une relation de profits réciproques 3
R. FOLZ, Les saints rois du Moyen Âge en Occident (VIe–XIIIe siècles), Bruxelles, 1984 ; G. ALTHOFF, « Beobachtungen zum liudolfingisch-ottonischen Gedenkwesen », in : Memoria. Der geschichtliche Zeugniswert des liturgischen Gedenkens im Mittelalter, éd. K. SCHMID et J. WOLLASCH, (=Münstersche Mittelalter-Schriften 48), Munich, 1984, p. 649–665. 4 A. SCHULTE, « Die deutschen Könige und Kaiser als Kanoniker an deutschen und römischen Kirchen », Historisches Jahrbuch, 54, 1934, p. 133–177 ; J. FLECKENSTEIN, « Rex Canonicus », in : Id., Ordnungen formende Kräfte des Mittelalters, Sigmaringen, 1989, p. 193–210 ; H. FUHRMANN, « Rex canonicus – rex clericus ? », in : Institutionen, Kultur und Gesellschaft im Mittelaler. Festschrift für Josef Fleckenstein, éd. L. FENSKE et al., Sigmaringen, 1984, p. 321– 326 ; J. WOLLASCH, « Kaiser und Könige als Brüder der Mönche », in : Deutsches Archiv, 40, 1984, p. 1–20. 5 M. BLOCH, Les rois thaumaturges. Étude sur le caractère surnaturel attribué à la puissance royale particulièrement en France et en Angleterre, Strasbourg, 1924 ; J. EHLERS, « Der wundertätige König in der monarchischen Theorie des Früh- und Hochmittelalters », in : Reich, Regionen und Europa in Mitttelalter und Neuzeit. Festschrift für Peter Moraw, éd. P.-J. HEINIG et al. (=Historische Forschungen 67), Berlin, 2000, p. 3–19.
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prédominait, mais parce que ces actes étaient le signe perceptible par tous de la largesse royale, qui découlait de la surabondance dont jouissait et devait jouir le roi et à laquelle ses vassaux, ses fidèles et tous ceux qu’il dominait pouvaient s’attendre à participer. Par une mise en scène d’une surabondance, il prouvait ses capacités à entretenir des relations intimes avec Dieu, ce qui garantissait sa supériorité face à ses fidèles. Les rois s’entouraient de saints dont la présence leur étaient indispensables dans l’exercice du pouvoir qui réclamait une légitimité religieuse. Ce contact avec les saints devait être le plus concret possible et était garanti par les reliques. Les rois s’en dotaient en les donnant aux églises, véritables dépositaires du patrimoine royal et dispensateurs des grâces qui en découlaient. De cette manière les reliques, bien que réléguées aux institutions ecclésiastiques, n’en restaient pas moins en possession des rois qui – en tant que bienfaiteurs des églises – profitaient de leurs actions pour la quète du salut dans l’’au délà et, bien sûr, aussi pour des succès terrestres. En 1047, l’empereur Henri III fit don des reliques de saint Guidon à la cathédrale de Spire et favorisa le culte des apôtres Simon et Judas à Goslar ; son fils Henri IV fit transférer des reliques de Simon, d’Anasthase et des martyres d’Aix-la-Chapelle à Harzburg ; des particules de la croix furent intégrées à la couronne impériale ; Frédéric Ier participa d’une façon concrète aux élévations des reliques – à Lodi, à Augsbourg, à Aix-laChapelle. Le roi anglais Henri II assista à la cérémonie de translation d’Édouard dans l’Église de Westminster, et le roi de France Louis VII fit de même pour la déposition des reliques de saint Denis dans le chœur récemment construit de l’abbaye du même nom. L’engagement personnel confortait la position du souverain en le rapprochant de la sphère religieuse, mais il ne pouvait supporter une soumission qui risquait d’abaisser la dignité royale ou impériale.6 La mort de l’empereur Henri IV, en 1106, provoqua, selon l’auteur anonyme de la Vita Henrici quarti, des manifestations de deuil de la part des veuves et des orphelins ; ceux-ci pleurèrent la disparition de leur protecteur qui, effectivement, n’avait cessé, durant son règne, d’accorder des largesses aux pauvres de toute catégorie, y compris aux institutions ecclésiastiques.7 La dévotion du roi était en premier lieu 6
J. PETERSOHN, « Kaisertum und Kultakt in der Stauferzeit », in : Politik und Heiligenverehrung im Hochmittelalter, éd. J. PETERSOHN (=Vorträge und Forschungen 42), Sigmaringen, 1993, p. 101–147. 7 Vita Henrici IV imperatoris, éd. W. EBERHARD (=MGH SS rerum Germanicarum in usum scholarum 58), Hannover, 1899.
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la mise en scène de sa majesté, étroitement liée à la protection divine qu’il fallait implorer par l’intermédiaire des prêtres, mais aussi prouver par la largesse que le roi accordait à tous ceux qui sollicitaient sa grâce. En effet, il se situait comme le vrai suppléant de Dieu vis à vis de son peuple.8 Dans cette conception de la dévotion que je qualifierais de mythique, les prétentions des papes, pendant l’époque de la Querelle des Investitures, creusèrent une brèche. Le pape Grégoire VII, dans sa célèbre lettre à l’évêque de Metz Hermann en 1076, niait les fondements de la légitimité royale. La succession du père au fils et le transfert d’office dans la famille furent dépréciés, en tant que résultat des relations charnelles, qui risqueraient de faire accéder au trône un incapable ou un injuste ; par contre l’élection des chefs dans la hiérarchie ecclésiastique garantirait la promotion du meilleur. La dignité du roi devait s’incliner face au pouvoir des prêtres. Aucun roi, fut-il reconnu saint, n’avait accompli de miracles, aucun n’avait ressuscité des morts, guéri des malades, rendu la vue aux aveugles. Le pape déclara toute prétention des rois à une relation intime avec Dieu comme erronée. Les monarques furent rabaissés au niveau du laïc, dépourvu de liens privilégiés avec la sphère divine.9 La missive de Grégoire ne resta pas lettre morte, mais – comme chacun le sait – fut accompagnée d’une action politique et religieuse rigoureuse, poursuivie ensuite par ses successeurs. Elle constituait une vraie menace pour la sacralité du pouvoir royal. La lettre envoyée à l’évêque de Metz eut des répercussions lointaines : Elle fut en effet intégrée à partir du milieu du 12e siècle dans les collections du droit canonique. L’autorité du roi sortit de ce conflit affaiblie, son ancrage dans la religiosité relâché.10 Les défenseurs de la sacralisation du roi étaient vraiment sur la défensive. Bien que les anciennes prétentions ne fûrent pas abandonnées, elles perdirent cependant leur caractère évident. Des efforts supplémentaires furent nécessaires pour que les rois et les autres souverains séculiers soient en mesure de garder leurs prérogatives fondées sur la sacralité de la personne royale. Sous l’impulsion de Frédéric Ier, ce fut l’Empire lui-même, dont l’existence devait jouer un rôle 8 Y. SASSIER, Royauté et idéologie au Moyen Âge. Bas-Empire, monde franc, France (IVe–XIIe siècles), Paris, 2002, p. 116–139. 9 Das Register Gregors VII, éd. E. CASPAR (=MGH Epistolae selectae 2/2), Hannover, 1920, p. 544–562. 10 G. CONSTABLE, The Reformation of the Twelfth Century, Cambridge, 1996 ; A. ANGENENDT, Geschichte der Religiosität im Mittelalter, Darmstadt, 1997, p. 45, 312–319.
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décisif sur le chemin du salut éternel, qui fut déclaré saint.11 Otto de Freising, l’oncle de Frédéric, esquissa, dans sa chronique universelle une vue d’ensemble de l’histoire, qui attribuait au gouvernement de l’Empire une fonction de service divin et donc à l’accomplissement de ce service une forme de dévotion qui découlait directement de la majesté impériale et royale. La dévotion fut encore davantage détachée de la mystification de la personne et de la famille du monarque et rattachée au service rendu au royaume et à l’Empire, déclaré comme saint.12 La dévotion découlait, dans ce cas, de l’activité au profit d’une res publica qui acquit une valeur abstraite, dépassant toute vie indivduelle et favorisant les chemins divins vers le salut. Une nouvelle étape fut franchie par cette sanctification non plus uniquement du prestige personnel, mais de l’ensemble que représentait l’empire, respectivement le royaume. Diriger le pouvoir temporel revenait à promouvoir le salut de la chrétienté. Cette conception qui voulait sauvegarder les liens célestes avec la monarchie temporelle était confortée, en partie, par une interprétation conçue par quelques auteurs ecclésiastiques qui définissaient une place précise pour le pouvoir séculier en tant que partie intégrante d’un corpus christianum, doté de plusieurs groupes sociaux distincts, exerçant des fonctions différentes, toutes utiles pour le maintien du bon ordre, pour la défense de la foi chrétienne et pour sa propagation. Le rôle des bellatores, selon le schéma des trois ordres, incluait une fonction qui la distanciait clairement de celle des oratores. La différence élargissait encore plus le fossé entre le spirituel et le temporel en réservant la primauté au premier, ce qui risquait de diminuer les liens des laïcs et bien sûr aussi des rois avec le monde de l’au-delà. Mais elle ne leur imposait pas moins des obligations spécifiques, et même les précisait dans le domaine d’une dévotion qu’il fallait prouver en suivant les préceptes de la hiérarchie ecclésiastique, en vue d’une bonne conduite dans le cadre d’un rôle assumé dans la societé.13 11
G. KOCH, Auf dem Weg zum Sacrum imperium. Studien zur ideologischen Herrschaftsbegründung im 11. und 12. Jahrhundert (=Forschungen zur mittelalterlichen Geschichte 20), Berlin, 1972. 12 Ottonis episcopi Frisingensis Chronica sive Historia de duabus civitatibus, éd. A. HOFMEISTER (=MGH SS rerum Germanicarum in usum scholarum 45), Hannover, 1912 ; H.-W. GOETZ, Das Geschichtsbild Ottos von Freising. Ein Beitrag zur historischen Vorstellungswelt und zur Geschichte des 12. Jahrhunderts (=Beihefte zum Archiv für Kulturgeschichte 19), Köln, Wien, 1984. 13 G. DUBY, Les trois ordres ou l’imaginaire du Moyen Âge, Paris, 1978 ; J. LE GOFF, « Notes sur la société tripartite, idéologie monarchique et renouveau économique dans la Chrétienté du IXe au XIIe siècle », in : Idem : Pour un autre Moyen Âge, Paris, 1977, p. 80–90 ; O. G. OEXLE, « Die funktionale Dreiteilung der Gesellschaft bei Adalbero von Laon. Deutungs-
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La notion d’utilité prit de l’importance. Les monarques, et avec eux tous les nobles, devaient s’y conformer. La défense de la paix de Dieu et plus encore la participation aux croisades constituaient les activités de prédilection dans ce domaine, ce qui contribuait à justifier et même à sanctifier toute action des bellatores qui s’engageaient pour des desseins voulus par Dieu. Le statut des nobles et des rois en sortait renforcé. Le pape Urbain II, lors de son sermon à Clermont en 1095 proclamant le pèlerinage armé pour la conquête de Jérusalem, déclara que des zelatores Dei qui, auparavant, étaient des brigands et des meurtriers, allaient alors se mettre au service de l’Église.14 La lutte armée devint dès lors un fondement de la légitimité royale justement en favorisant les buts définis par l’Église. La dévotion découlait toujours de la dignité royale, mais était maintenant liée, plus qu’auparavant, à la soumission aux normes ecclésiastiques définies selon l’appartenance aux différentes catégories sociales. Cela n’entraîna pas l’abandon d’anciennes pratiques de dévotion, qui continuait à être marquée par les donations, les participations aux liturgies et les références à Dieu, formulées notamment dans les arengas des chartes15. Mais la dévotion fut élargie à l’accomplissement des actions militaires et judiciaires, considérées comme étant un vrai service divin, pourvu qu’il fût conforme aux volontés exprimées par les textes des ecclésiastiques, notamment par les miroirs des princes – d’un nouveau type à partir du 12e siècle –, les canons des synodes, les prédications comme celles de saint Bernard, les lettres de celui-ci ou de Hildegard de Bingen ainsi que les traités de moralité comme ceux de Walter Map et de Jean de Salisbury.16 Ce dernier esquissa une conception organologique du corpus christianum au service duquel les rois assumaient des devoirs spécifiques et distincts des autres, notamment des ecclésiastiques. On schemate der sozialen Wirklichkeit im früheren Mittelalter », in : Frühmittelalterliche Studien 12 (1978), p. 1–54. 14 G. ALTHOFF, « Nunc fiant Christi milites, qui dudum extiteunt raptores. Zur Entstehung von Rittertum und Ritterethos », Saeculum, 32, 1981, p. 317–333. 15 H. FICHTENAU, Arenga. Spätantike und Mittelalter im Spiegel von Urkundenformeln (=Mitteilungen des Instituts für Österreichische Geschichtsforschung 18), Graz, Köln, 1957, p. 113–116 16 BERNARD DE CLAIRVAUX, « Sermones super cantica canticorum », in : id., Opera, vol. 2, éd. J. LECLERQ et al., Rome, 1958 ; JOHANNES SARESBERIENSIS, Policraticus, éd. K. S. B. KEATS-ROHAN (=Corpus Christianorum. Continuatio Medievalis 118), Turnhout, 1993 ; Hildegardis Bingensis Epistolarium, éd. L. VAN ACKER (=Corpus Christianorum. Continuatio Medievalis 91), Turnhout, 1991 ; WALTER MAP, De nurgis curialium, éd. M. R. JAMES, C. N. L. BROOKE et R. A. B. MYNORS, Oxford, 1983 ; C. J. NEDERMANN et C. CAMPBELL, « Priest, Kings and Tyrants : Spiritual and Temporal Powers in John of Salisbury’s Policraticus », Speculum, 1991, p. 572–589.
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attribuait aux rois le soutien à l’Église et aux pauvres, l’exercice de la justice et la lutte armée contre les ennemis de la foi. Le risque de manquer aux devoirs de la part de ce membre du corps chrétien n’était pas mince et pouvait mettre en cause la légitimité du roi, soumis par cette conception à des évaluations quant à l’accomplissement de sa fonction. Le tyrannicide, justifié ou plus ou moins accepté par Jean de Salisbury, n’était que l’échappatoire extrême d’une situation où le roi était confronté à des exigences accrues. La dévotion, devenue fonctionnelle, se voyait exposée à une évaluation quant à ses intentions et à ses résultats. La majesté royale était, à partir de la fin du XIe siècle, attachée à un service, défini par les instances religieuses. Une nouvelle étape aussi bien dans la religiosité que dans la conception politique de la royauté s’opéra dès le début du XIIIe siècle. Sous l’impulsion des communes et des confréries qui avaient renforcé une position déjà bien acquise à cette époque, l’action du roi devait promouvoir l’utilité publique ou, si l’on veut, le bien publique. Les chartes et les lettres de Philippe II promettaient de faire valoir le bienêtre des sujets et le bon état – status – du royaume. La fonction du roi était au service d’une institution qui – si abstraite fut-elle – prit un sens moral, sans pour autant s’assimiler à une valeur purement religieuse.17 La réception du droit romain et celle de la philosophie d’Aristote intensifia cette évolution qui mit le monarque devant des attentes de plus en plus fortes pour exercer sa sollicitude à cet ensemble que les historiens d’aujourd’hui appellent l’État moderne. La fonction du roi prenait donc une forme nouvelle : celle d’un serviteur au profit d’une entité politique.18 Le maintien du pouvoir royal était indispensable pour la vie humaine et d’autant plus s’il s’agissait d’une bonne vie. Assumer cette tâche représentait plus que la seule défense du pouvoir royal, c’était aussi réaliser un idéal qui consistait à consolider la paix, la tranquillité des citoyens et la justice au profit de tous. En valorisant 17
G. SIVÉRY, Philippe Auguste, Paris, 1993. M. GRABMANN, Studien über den Einfluß der aristotelischen Philosophie auf die mittelalterlichen Theorien über das Verhältnis von Kirche und Staat (=Sitzungsberichte d. Bayer. Akad. d. Wiss., Phil.-hist. Abt. 1934, Heft 2), München, 1934 ; F. VAN STEENBERGHEN, Aristotle in the West, Louvain, 1955 ; J. DUNBABIN, « Aristotle in the Schools », in : Trends in Medieval Political Thought, éd. B. SMALLEY, Oxford, 1965, p. 65–85 ; T. STRUVE, « Die Bedeutung der aristotelischen « Politik » für die natürliche Begründung der staatlichen Gemeinschaft, » in : Das Publikum politischer Theorie im 14. Jahrhundert, éd. J. MIETHKE, München, 1992, p. 153– 171 ; C. FLÜELER, Rezeption und Interpretation der aristotelischen Politica im 13. Jahrhundert. Studien, Texte, Quellen (=Bochumer Studien zur Philosophie), Amsterdam, Philadelphia, 1993 ; Id.., « Politischer Aristotelismus im Mittelalter. Einleitung », Vivarium. An International Journal of Philosophy and Intellectuel Life of the Middle Ages and Renaissance, 2002, p. 1–13. 18
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les conditions de la vie humaine en tant que telle et conçue sans renvoi à la vie céleste, ces buts se dissociaient partiellement d’une rationalité religieuse.19 Mais sous une rhétorique qui prétendait favoriser le bien public, il ne fut pas moins mené une politique des égoïsmes dynastiques. Ce décalage n’était pas uniquement le résultat d’une hypocrisie, mais surtout d’une évolution des mécanismes du pouvoir et des formes de la dévotion religieuse, toutes les deux s’opérant durant le XIIIe siècle. L’emploi de l’argent comme instrument politique et l’augmentation de la pression fiscale menèrent à creuser un clivage avec les préceptes religieux. Ceux-ci imposaient des restrictions quant à l’augmentation des revenus par une fiscalité oppressante et n’admettaient que sous grandes réserves les accumulations d’argent et les procédés rationnels des opérations monétaires. La contradiction semblait inévitable entre les instruments politiques et financiers d’une part et les exigences religieuses d’autre part réclamant plus qu’auparavant un mépris du monde et favorisant même l’abandon des richesses au profit d’un idéal qui était présenté comme celui des apôtres. La vita apostolica mettait en cause une rationalité qui s’avérait tout de même indispensable tant pour la politique que pour l’économie. La pauvreté volontaire fut la réponse la plus provocante face à l’économie de l’argent.20 L’exercice du pouvoir royal se voyait dès lors lui-aussi remis en cause. Comme les commerçants, les rois devaient affronter cette nouvelle conception de la vie idéale du chrétien. Les exigences aussi bien politiques qu’économiques ne la rendaient pas évidente à suivre. La contradiction entre l’efficacité et la moralité semblait n’offrir aucune issue, alors qu’elle s’avérait d’autant plus urgente que sans une légitimité religieuse et donc éthique tout pouvoir royal risquait d’être aléatoire. La concurrence entre les puissants nécessitait d’une part une utilisation de plus en plus intensifiée des moyens financiers, une mise 19 Chartes et diplômes rélatifs à l’histoire de la France : Recueil des actes de Philippe Auguste, éd. H. F. DELABORDE, t. 1, Paris, 1916, 416 sq. ; E. A. R. BROWN, « Royal Salvation and Needs of State in Late Capetian France », in : Order and Innovation in the Middle Ages. Essays in Honor of Joseph R. Strayer, éd. W. C. JORDAN et al., Princeton (N.J.), 1976, p. 365–83 ; D. M. BELL, L’idéal éthique de la royauté en France au Moyen Âge d’après quelques moralistes de ce temps, Paris, 1962, p. 155, 194 ; J. KRYNEN, L’empire du roi. Idées et croyances politiques en France 13e–15e siècle, Paris, 1993 ; Id. (éd.), Droit romain, ius civile et droit français, Paris, 1994 ; Id., « Représentation, pouvoir et royauté à la fin du Moyen Âge » in : Actes du colloque organisé par l’Université du Maine 25–26 mars 1994, éd. J. BLANCHARD et P. CONTAMINE, Paris, 1995 ; P. HIBST, Utilitas Publica – Gemeiner Nutz – Gemeinwohl. Untersuchungen zur Idee eines politischen Leitbegriffes von der Antike bis zum späten Mittelalter (=Europäische Hochschulschriften, Reihe 3 : Geschichte und ihre Hilfswissenschaften 497), Frankfurt a. M. etc., 1991. 20 L. K. LITTLE, Religious Poverty and the Profit Economy in Medieval Europe, Londres, 1978.
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en service d’une administration plus performante des impôts et l’emploi de plus de personnels tant militaires que civils. D’autre part, il fallait également un assentiment du pouvoir par les gouvernés qui, pour qu’ils acceptassent les nouvelles contraintes, réclamaient un fondement religieux du pouvoir. Les deux pressions, imposées simultanément, risquaient d’être inconciliables, notamment parce que les efforts pour gains et profits matériels s’attiraient les critiques plus fulgurantes que jamais. Pour les commerçants comme pour les monarques, il devenait de plus en plus important de s’associer aux nouvelles formes religieuses, inaugurées notamment par les ordres mendiants, sans pour autant négliger les devoirs et les contraintes, liés à leur profession, et sans perdre de vue le profit politique, respectivement économique. Accorder des donations aux frères et aux couvents, chercher l’affiliation à leurs confréries, favoriser leur implantation dans telle ou telle ville étaient des moyens de réconcilier les gains financiers – tant par des impôts que par des profits – avec la finalité d’acquérir le salut éternel. L’arrangement qui consistait à contracter un commerce salutaire en échangeant le temporel avec l’éternel, le séculier avec le céleste – comme le dit une formule répétée tant de fois dans des chartes de donation – offrait une solution, qui fut favorisée justement par la pauvreté des frères mendiants qui, dépourvus de biens fonciers, dépendaient plus que les autres religieux du transfert de l’argent liquide et des rentes perpétuelles.21 Les mendiants présentaient notamment dans leurs sermons une conception de la société qui réservait aux commerçants, aux affaires économiques, aux transactions monétaires et aussi aux taxations une appréciation favorable, qui respectait les exigences propres à ces pratiques estimées comme indispensables au bon fonctionnement de l’économie et de l’État.22 Dès la deuxième moitié du XIIe siècle, les laïcs aspiraient à assimiler vie quotidienne et recherche du salut éternel, donc à faire entrer la dévotion dans le domaine des activités familales, économiques et politiques. Pour cela, ces champs d’acitivité réclamaient une revalorisation morale et religieuse. La piété devait sortir du cercle exclusif des 21 J. CHIFFOLEAU, La comptabilité de l’au-delà. Les hommes, la mort et la religion dans la région d’Avignon à la fin du Moyen Âge (vers 1320–vers 1480), (=Coll. de l’École Française de Rome 47), Rome, 1980 ; C. H. LAWRENCE, The Friars, 2e éd. London, New York, 1995. 22 H.-J. SCHMIDT, « Allegorie und Empirie. Interpretation und Normung sozialer Realität in Predigten des 13. Jahrhunderts », in : Die deutsche Predigt im Mittelalter, éd. V. MERTENS et J.-J. SCHIEWER, Tübingen, 1992, p. 301–33 ; Id., « Societas christiana in civitate. Städtekritik und Städtelob im 12. und 13. Jahrhundert », Historische Zeitschrift, 257, 1993, p. 297– 354.
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moines et des prêtres et devenir une affaire à la portée de tous, sans se conformer à des exigences qui rendaient impossible l’accomplissement des devoirs temporels. En outre, il fallait dépasser les prérogatives du clergé et l’exclusivité monastique pour que les laïcs puissent aussi participer d’une manière intime au savoir et aux pratiques de la foi. Beaucoup de fidèles n’acceptaient plus d’abandonner les devoirs religieux aux ecclésiastiques, de sorte que leur rôle comme intermédiaires incontournables pour le contact avec Dieu fut mis en cause.23 Cependant, la volonté de concilier les exigences des normes religieuses aux intérêts ne cessa de se heurter aux nécessités d’une bonne gestion de l’économie et de l’État. La seule solution consistait à sanctifier vie professionnelle et vie politique et de les rapprocher d’une fonctionnalité religieuse. La pauvreté volontaire ne pouvant être qu’une fuite reprochable à ceux qui devaient assumer les responsabilités imposées par la fonction séculière, l’application d’un auto-abaissement ne pouvait être qu’une exception, une pratique limitée dans l’espace temporel pour rendre conciliable l’exercice du pouvoir et la soumission aux préceptes divins. Ce qu’une Élisabeth de Thuringe avait pratiqué, à savoir une séparation totale de la cour princière, une soumission sans réserve à un prêtre – Conrad de Marburg – et un abandon absolu de toute dignité noble, était une voie extrême et n’offrait pas un modèle à imiter et surtout n’était pas une solution pour les puissants en quête d’une justification religieuse de leurs activités politiques.24 On faisait preuve d’une assiduité ostentatoire dans l’accomplissement des tâches de l’office tout en se soumettant à une pratique dévotionnelle plus exigeante qui empruntait ses formes à la vie monastique traditionnelle et à la dévotion récente des ordres mendiants. En mettant en avant le problème de la richesse, en proposant une vie alternative aux nouveaux fonctionnements de l’économie, ceux-ci offraient la possibilité aussi bien aux riches qu’aux puissants d’associer leurs idéaux par des offrandes et mieux encore par l’imitation partielle de leur mode de vie. La vertu de l’humilitas acquit une valeur énorme pour les mouvements religieux laïcs de cette époque et par-là même pour les rois. En tant que modèle, ceux-ci devaient 23
R. MANSELLI, La religion populaire au Moyen Âge. Problèmes de méthode et d’histoire, Paris 1975 ; R. et C. BROOKE, Popular Religion in the Middle Ages, London, 1984 ; Volksreligion im hohen und späten Mittelalter, éd. P. DINZELBACHER et D. BAUER, Paderborn, 1990. 24 P. G. SCHMIDT, « Die zeitgenössische Überlieferung zum Leben und zur Heiligsprechung der heiligen Elisabeth », in : Sankt Elisabeth. Dienerin, Fürstin, Heilige, Sigmaringen, 1981, p. 1–6 ; M. WERNER, « Die heilige Elisabeth und Konrad von Marburg », in : Sankt Elisabeth... (op. cit.), p. 45–69.
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perfectionner leur dévotion sans pour autant mettre en danger la rationalité politique de leur comportement. La nouvelle religiosité soulevait le problème de l’argent, de la richesse, ainsi que du contraste entre riches et pauvres et exigeait une dévotion inédite. L’humilité devint une vertu que les puissants devaient eux aussi pratiquer. En s’humiliant, en faisant semblant de vivre en pauvreté, les riches et les puissants espéraient se libérer de leurs péchés, inextricablement liés à leur fonction. Sans se démettre véritablement de leurs richesses et donc de leurs ressources financières, indispensables instruments pour accomplir les exigences de la concurrence entre les pouvoirs, les rois adoptèrent une attitude qui combinait aussi bien le prestige de leurs fonctions que les nouvelles formes de la religiosité du XIIIe siècle et l’appréciation de la pauvreté volontaire. Loin de l’appliquer, les rois essayaient tout de même de l’imiter. Saint Louis fut l’un des premiers monarques en Europe à comprendre les nouvelles conditions et exigences de la dévotion et de la politique. Ne pouvant pas résoudre le dilemme de concilier les deux, il laissait cependant apparaître l’image d’un roi idéal – conservant toutes les prérogatives de son pouvoir et ses apparences. Il s’acquittait d’une dette en faisant des oeuvres charitables qui ne se bornaient pas à la condescendance traditionnelle d’un roi donateur, mais s’exposait intimement aux aspects les plus concrets et même les plus dégoutants de la misère. Le contact avec les ordres mendiants et les privilèges qui leur furent accordés – l’office dans la Sainte-Chapelle fut conféré aux Franciscains – sont les signes d’une importance accrue que le roi réservait à cette concrétisation de la pauvreté volontaire, même si le roi n’était pas en mesure de la pratiquer lui-même.25 Pourtant Louis IX en personne s’est soumis au rituel du lavement des pieds de douze pauvres, de sorte que ce rituel, tout à fait traditionnel dans le monde des moines et des ecclésiastiques, n’était pas un acte symbolique, mais acquit la valeur d’un acte concret dans le but de mettre le roi en contact direct avec les aspects les plus tangibles et les plus matériels de la misère. Bien que déconseillée, il ne suivait pas moins cette pratique que les autres dans son entourage avaient en dépit. Le roi assu25 L. K. LITTLE, « Saint-Louis Involvement with the Friars », in : Church History, 33, 1964, p. 125–148 ; D. BERG, « L’imperatore Federico II e i Mendicanti. Il ruolo degli Ordini mendicanti nelle controversie tra papato e impero alla luce degli sviluppi politici in Europa », in : Ordini religiosi e società politica in Italia e Germania nei secoli XIV e XV, éd. G. CHITTOLINI et K. ELM (=Annali dell’ Istituto storico italo-germanico in Trento. Quaderni 56), Bologna, 2001, p. 45–114, p.68–69, 97.
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mait personnellement les exercices liturgiques et les châtiments pénitentiels, exécutés normalement et exclusivement par les moines dans leurs monastères. Le souci de concrétisation, la volonté de se mêler à la vie de ceux qui recevaient les dons royaux, la velléité de prendre part à une existence religieuse dans les monastères fit du mode de vie de Louis IX une exception. Celle-ci résidait dans la pratique d’une dévotion poussée au-delà des limites jusqu’alors respectées des conventions de la bienséance, ce qui donnait naissance à une concrétisation de la dévotion, de sorte qu’elle ne se bornait pas à des actes symboliques, mais s’engageait à soumettre le corps du roi et toute sa personne aux rites de soumission aux préceptes de l’Église. La dévotion du roi combinait non seulement des éléments traditionnels, tels les actes liturgiques, les donations, les engagements pour les croisades, pour la justice, mais incluait aussi des éléments d’une nouvelle dévotion. Elle mettait la personne du roi au contact avec une pratique concrète de la charité et de l’auto-abaissement, faite par lui-même et non par l’intermédiaire des ecclésiastiques mandatés grâce à des donations. Louis accomplissait de façon ostentatoire les devoirs de la confession et assistait aux prédications. Cette implication personnelle à la liturgie ne devrait pas cacher un autre aspect : Il y avait une sorte de déritualisation de la dévotion ; celle-ci se rapprochait du concret et du corporel et se détachait partiellement des signes et des symboles qui, normalement, préservait les monarques d’entacher leur dignité et d’abaisser leur majesté. Louis IX, roi de France, fut lui-même exposé aux pratiques qui montraient un souverain sans un filtre protecteur le séparant des actes de soumission.26 L’exception de la dévotion de Saint Louis ne réside donc pas dans son engagement pour l’achat de la couronne d’épines et pour la construction de la Sainte-Chapelle qui en fin de compte entrent dans la ligne d’une tradition bien établie, d’une dévotion royale pratiquée par maints de ses prédécesseurs et maints des monarques européens. L’exception se situait dans cette approche de la vie monastique et ecclésiale qui restai, bien sûr, inaccessible à un prince, mais qui n’exerçait pas moins une attractivité accrue en vue d’atteindre un niveau réservé jusqu’alors aux moines et aux prêtres. La mise en cause de l’exclusivité sacerdotale qui correspondait aux aspirations de beaucoup de laïcs dès la fin du XIIe siècle transparaît dans le comporte26 JEAN DE JOINVILLE, Vie de Saint Louis, éd. J. MONFRIN (Lettres Gothiques), Paris, 1995, p. 558–563, 588–597 ; sur les différentes pratiques dévotionnelles : J. LE GOFF, Saint Louis, Paris, 1996, p. 745–778.
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ment de Louis. Après 1200, le nombre de laïcs canonisés augmenta, les personnes mariées se virent revaloriser par les prédicateurs, les aspirations des gens de métier à accomplir des performances plus strictes et plus prestigieuses de sainteté se renforcèrent.27 La dévotion de Louis IX était conforme à une religiosité récente. Bien que prescrite par le Concile de Latran IV en 1215 et préparée notamment par les ordres mendiants, elle se propagea également grâce à une partie du clergé séculier, en premier lieu par celui attaché à l’Université de Paris. Tous contribuaient à imposer une pratique fondée sur un engagement personnel et une connaissance de la foi rendue possible par les sermons destinés à des larges publics laïques et donc prononcés très souvent en langue vernaculaire.28 L’application de cette nouvelle forme de dévotion fit alors son entrée dans le milieu de la cour royale et atteignit la personne même du roi. Une nouvelle pratique de l’humilité consistait à le ramener au niveau de tout chrétien, de simple laïc. Cela risquait de niveler les différences hiérarchiques, de rabaisser la majesté royale, en la soumettant aux règles établies pour tous, promues par des mouvements religieux et élaborées par les institutions ecclésiastiques. Mais Louis IX y tenait de tout cœur. La preuve la plus pertinente résidait dans les recommandations léguées à son fils aîné et successeur, le futur roi Philippe III, ainsi que les recommandations destinées à ses autres enfants.29 Le fait que tout roi fut astreint à une dévotion impeccable ne doit pas surprendre et va de soi. Mais cette nouvelle forme de piété ne se contentait plus de déléguer les observations des rites liturgiques et des prières aux prêtres, vrais professionnels de la pratique dévotionnelle. Par contre, des obligations précises étaient recommandées aux personnes du lignage royal : prières quotidiennes, confessions, auditions des prédications, vénérations pour le saint Sacrement, offices divins également quotidiens. Les exigences se rap27 D. D’AVRAY et M. TAUSCHE, « Marriage Sermons in « Ad status » Collections of the Central Middle Ages », Archives d’histoire doctrinale et littéraire du Moyen Âge, 47, 1980, p. 71– 119 ; VAUCHEZ, La sainteté en Occident... (op. cit. n. 1), p. 410–413. 28 Constitutiones concilii quarti Lateranensis una cum commentariis glossatorum, éd. A. GARCÍA Y GARCÍA (=Monumenta iuris canonici. Series A : Corpus glossatorum, vol. 2), Rome, 1981 ; R. FOREVILLE, Latran I, II, III et Latran IV (=Histoire des conciles oecuméniques 6), 2e éd, Paris, 1984 ; M. ZINK, La prédication en langue romane avant 1300, Paris, 1976 ; N. BÉRIOU, La prédication de Ranulphe de la Houblonnière, Paris, 1987. 29 Le texte primitif des enseignements de Saint Louis à son fils, éd. H. F. DELABORDE, Bibliothèque de l’École des Chartes, 1912, p. 73–100, 237–54 ; GAUFRIDUS DE BELLOLOCO, « Vita sancti Ludovici », in : Recueil des historiens de la Gaule, vol. 20, p. 7 ff., 26 ff. ; « Gesta sancti Ludovici noni », in : Recueil... (op. cit.),p. 47–50 ; Recueil... (op. cit.), p. 79 ; JOINVILLE, Vie de Saint Louis (op. cit. n. 26), p. 588–597.
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prochaient de celles imposées à un moine. Louis IX fut, en effet, un des premiers monarques en Europe occidentale à assumer un rôle actif dans les offices liturgiques : participation aux processions à pieds nus, autoflagellations, carêmes, pèlerinages réguliers, débats sur les thèmes de la foi, prières réglées sur le rythme de la vie monastique. La pénitence du roi était accompagnée par des amendes en argent pour restituer les injustices de son administration. C’est ainsi que la dévotion royale s’accompagnait de l’action politique dans un but de réconcilier les deux.30 Salimbene da Parma raconte comment, lors de la visite de Louis au monastère des Franciscains à Vézélay, le roi se mêla aux frères, se blottit au milieu d’eux sur le sol et assista, dans cette position, à la messe. Lors d’une autre visite chez les Franciscains, il vint non in pompa regali, sed in habitu peregrini ; il marchait à pied ; il implorait les prières de frères en s’agenouillant devant eux.31 De même, Jean de Joinville raconte de quelle manière Louis se défit de ses vêtements et de ses insignes royaux. Selon cet auteur, Louis pratiquait une dévotion hors norme qui ne correspondait pas à un roi. Jamais un laïc ne vécut plus saintement. L’exception réside justement dans le fait qu’un personnage, extérieur à l’ordre ecclésiastique, essaya de se conformer à ses préceptes et à franchir la délimitation entre laïcs et prêtres. La difficulté de se démettre du luxe et de l’appât de la majesté royale n’était pourtant pas mince. Joinville rapporte que Louis respectait toujours le cérémonial officiel de la cour lors de la réception des gentilshommes étrangers, leur réservant les honneurs auxquels ils avaient droit. Il se présentait dans la somptuosité qui lui était réservée et qu’il avait l’obligation de montrer lors des rencontres politiques.32 Pour combiner la majesté royale avec l’idéal religieux, le roi s’adonnait très souvent à une humiliation secrète, mais qui en vérité ne fut pas moins publique et augmentait encore l’éclat de sa dévotion. Bien que loin du regard extérieur, elle restait cependant visible à son entourage et à ses sujets afin qu’ils puissent ainsi ressentir cette piété qui dépassait les limites de la convention et ainsi acquérait un prestige plus grand encore.33 Concilier vie courtoise et idéal religieux n’était 30
E. R. LABANDE, « Saint-Louis pèlerin », Revue d’histoire de l’Église de France, 57, 1971, p. 5–18. 31 SALIMBENE DE ADAM, Cronica, I, éd. G. SCALIA (=Corpus Christianorum. Continuation Mediaevalis 125), Turnhout, 1998, p. 335–342. 32 JOINVILLE, Vie de Saint Louis (op. cit. n. 26), p. 544–-547. 33 JOINVILLE, Vie de Saint Louis (op. cit. n. 26), p. 21, 249 et passim ; LABANDE, « Saint-Louis pèlerin » (op. cit. n. 30), p. 5, 17.
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pas chose facile et, dans le but de combler les contradictions, le saint roi consultait Hugues d’Hyères, frère franciscain et adepte d’une pauvreté rigoureuse. Mais celui-ci critiqua la présence d’un grand nombre de moines à la cour, ce qui mettait, selon lui, en danger leur soumission aux règles monastiques. De plus, il n’accepta pas l’idée que la cour du roi soit transformée en monastère. La volonté du roi, bien que réprimée par Hugues, ne renonçait pas pour autant à concilier cour et cloître.34 La vie religieuse du roi se conformait aux normes des ordres religieux, de sorte que Louis combinait sa fonction de souverain temporel et son aspiration à prendre partie intégrante à la vita religiosa des moines. Il adoptait leurs rites auxquels la règle les soumettait, il suivait une partie de leur mode de vie, il aspirait à prendre part à leur vie en commun, sans pouvoir pourtant se dérober aux obligation dues à sa fonction.35 Sa dévotion dépassait tout de même les limites d’une décence jusqu’alors insurmontable par la dignité royale et anéantissait les différences entre prêtre et simple fidèle. Le roi cessait d’être mûni des signes de son pouvoir pour devenir justement ce fidèle dépourvu de toute empreinte de prééminence. Joinville, et avec lui bien d’autres auteurs, racontent comment Louis, lors de ses pèlerinages ou de nombreuses participations aux processions et aux messes, renonçait aux pompes et même aux insignes de sa majesté et se présentait comme simple fidèle, s’humiliant devant les reliques des saints et l’hostie, donc devant le corps du Christ. Ses habits et ses repas démentaient la somptuosité à laquelle un roi avait droit. La position suprême du roi ne pouvait cependant pas être cachée, et cela en aucun cas, au risque de la mettre en danger. L’humiliation du roi, par laquelle il démontrait une nouvelle forme de dévotion, servait à la mise en scène d’un monarque idéalisé d’un nouveau type. Parce que la dévotion de Louis IX répondait aux exigences contemporaines quant aux pratiques de la religiosité de tout chrétien, elle était une réponse adéquate aux problèmes surgissant au XIIe et au XIIIe siècles. Mais pour un roi, se conformer simplement à des exigences communes de tout le monde ne suffit pas. Un certain héroisme devrait montrer l’exception royale. En résultait une sorte de surenchère dans la pratique religieuse. Par là même, le non-respect de la dignité royale contribuait encore plus à mettre en valeur cette velléité de se démarquer. Mais, par le fait du 34
JOINVILLE, Vie de Saint Louis (op. cit. n. 26), p. 536–539. J. RICHARD, Saint Louis, roi de France féodale, soutien de la Terre sainte, Paris, 1983, p. 418–428. 35
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prestige énorme de Louis, il devint un être caché derrière un imaginaire, s’imposa comme un personnage dépersonnalisé et créa un modèle à imiter. La dévotion de Louis IX créa une nouvelle normalité. Celle-ci renforça le prestige royal et stabilisait donc le pouvoir. Mais, en se heurtant aux obligations de la fonction royale, elle mit paradoxalement pas moins en cause la rationalité politique. L’héritage légué par Saint Louis à ses successeurs fut lourd. Le dilemme était d’autant plus grand que les deux systèmes, celui d’une religiosité plus exigeante et celui d’une efficacité politique s’intensifièrent au XIIIe siècle. Les procédés administratifs et les instruments financiers s’améliorèrent dans le but de consolider et d’élargir le pouvoir. La naissance de l’État moderne eut lieu justement à cette époque et réclama une mise en place d’institutions de contrôle pour mieux encadrer les sujets. La justification de lever de nouveaux impôts se heurtait à des problèmes moraux majeurs.36 Deux solutions s’offraient pour combiner moralité et opportunité ainsi que pour combler le décalage entre les deux : d’une part la mise en scène d’un pouvoir royal s’engageant pour le « bien public », d’autre part la pratique d’une religion royale impliquant la personne du roi lui-même. La légitimité de l’action politique s’imposait, elle découlait du bien apporté aux sujets. Par conséquent, on constate les efforts accrus de Louis lui-même et des ses successeurs pour l’amélioration de la justice, pour la lutte contre les infidèles – notamment en s’engageant dans les croisades – pour la suppression des abus, pour la répression des vices, ce qui nécessitait, bien sûr, une intensification du pouvoir royal. Mais cela ne suffisait pas. Une dévotion visible, même pratiquée prétendument en cachette, devait s’y ajouter pour justifier une extension du champs d’action du roi, qui commençait à
36 Chartes et diplômes relatifs à l’histoire de la France : Recueil des actes de Philippe Auguste, éd. H. F. DELABORDE, t. 1, Paris, 1916, 416 sq. ; J. R. STRAYER, On the Medieval Origins of Modern State, Princeton (N.J.), 1973 ; E. A. R. BROWN, « Royal Salvation and Needs of State in Late Capetian France », in : Order and Innovation in the Middle Ages. Essays in Honor of Joseph R. Strayer, éd. W. C. JORDAN et al., Princeton (N.J.), 1976, p. 365–83 ; État et Église dans la genèse de l’État moderne. Actes du colloque organisé par le C.N.R.S. et la Casa de Velázquez, Madrid 30 nov.–1er déc. 1984, éd. J.-P. GENET et B. VINCENT (=Bibliothèque de la Casa de Velázquez 1), Madrid, 1986 ; L’État moderne : le droit, l’espace et les formes de l’État. Actes du colloque Baumeles-Aix, 11–12 oct. 1984, éd. N. COULOET et J.-P. GENET, Paris, 1990 ; État moderne : Genèse, bilans et perspevtives, éd. P. GENET, Paris, 1990 ; Economic Systems and State Finance, éd. R. BONNEY (=The Origins of the Modern State in Europe, 13th to 18th Centuries, Theme B), Oxford, 1990 ; HIBST, Utilitas Publica (op. cit. n. 19) ; J. KRYNEN, L’empire du roi. Idées et croyances politiques en France XIIIe–XVe siècle, Paris, 1993.
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s’intéresser au moeurs de ses sujets dont la conduite de vie devenait l’objet d’une intervention du souverain et de ses agents. Les deux tendances – celle d’une augmentation du pouvoir et celle d’une piété plus exigeante – ne se sont pas uniquement limitées à Saint Louis. La nouvelle dévotion commença à s’imposer comme un modèle à imiter, de sorte que Saint Louis, justement par sa dévotion, compliquait l’exercice du pouvoir pour tout roi et tout successeur désireux de concilier idéal religieux et efficacité politique. Le petit-fils de Louis IX, Philippe le Bel subit les conséquences de ce dilemme, dont il résultait une forme de cynisme qui semblait être propre moins à des caractéristiques personnelles que due aux contradictions de cet héritage.37 Bien sûr, la personnalité de Louis IX semblait d’autant plus éclatante aux yeux de la postérité qu’elle se distinguait considérablement de l’image que les détracteurs de l’empereur Frédéric II – un contemporain de Louis IX – présentait, en lui attribuant les caractéristiques d’un ennemi farouche de l’Église et même de la foi chrétienne. En réalité, il ne s’acquittait pas moins que les autres monarques européens de son époque de ses devoirs dévotionnels. Ses donations aux ordres religieux étaient immenses, son zèle pour combattre les hérétiques était incontestable, ses efforts pour la croisade s’avéraient évidents malgré les reproches formulées par le pape Grégoire IX.38 Cependant, la dévotion de l’empereur se cantonnait dans les limites d’une pratique traditionnelle qui plaçait le monarque dans une position de supériorité, lui conférant une fonction spécifique dans le corpus christianum. Elle le préservait néanmoins des obligations propres aux gens de l’Église, aux moines et aux prêtres, en lui évitant encore plus tout acte d’humiliation volontaire.39 La conception d’une royauté au service de l’Église et de la chrétienté était tout à fait conforme aux volontés et aux actes de Frédéric II. L’introduction du livre législatif 37 E. M. HALLAM, « »Philip the Fair and the cult of saint Louis », in : Religion and National Identity, éd. S. MEWS (=Studies in Church History 18), Oxford, 1982, p. 201–214 ; K. WENCK, Philipp der Schönen von Frankreich, seine Persönlichkeit und das Urteil seiner Zeitgenossen, Marburg, 1905 ; H. FINKE, « Zur Charakteristik Philipps des Schönen », Mitteilungen des Instituts für österreichische Geschichtsforschung 26, 1904, p. 201–22 ; J. FAVIER, Philippe le Bel, Paris, 1978. 38 R. FAWTIER, « Saint Louis et Frédéric II », in : Atti del Convegno intern. di Studi Federiciani, dicembre 1950, Palerme, 1952, p. 97–101 ; « Federico II e le istituzioni ecclesiastiche del regno », in : Federico II, éd. M. S. CALÓ MARIANI, R. CASSANO, Rome, 1995, p. 101–105 ; F. CARDINI, « La crociati di Federico II », in : Federico II (op. cit.), p. 117–124 ; W. STÜRNER, Friedrich II. Der Kaiser, Darmstadt, 2000, p. 75–98, 130–169, 539–548. 39 H.-M. SCHALLER, « Die Frömmigkeit Kaiser Friedrichs », Deutsches Archiv, 51, 1995,p. 493–514.
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pour le royaume de Sicile – connu sous le nom des constitutions de Melfi et plus tard désigné comme le Liber augustalis – établissait l’idée que le devoir du roi consistait à ramener tous les sujets aux prescriptions morales, faute de quoi ils seraient livrés à leur propre volonté toujours soumise aux maux du péché originel.40 Frédéric assumait une fonction, justifiée par le maintien du bon ordre, mais l’exercice du pouvoir l’éloignait des autres laïcs, de sorte que le roi n’était plus astreint à la même dévotion à laquelle une religiosité séculière récente tenait : humiliations, confessions publiques des péchés, pénitence ostentatrice, assistance aux prédications. Par conséquent, on ne trouve ni de soumission aux obligations humiliantes, ni d’ajustement de la pratique dévotionnelle à une existence monastique. La majesté n’était pas entachée par une autodégradation volontaire et elle était détachée d’un abaissement manifeste, évitant l’auto-humilitation qui était au contraire si importante pour Louis IX et qui devait combler le fossé entre le laïc et le religieux. Les actes liturgiques auxquels l’empereur participait n’entachaient donc pas sa supériorité. La célébration du transfert des reliques de sainte Élisabeth à Marbourg, en 1236, en est un exemple évident. Bien que Frédéric marchât à cette occasion pieds nus et vêtu d’un habit gris emprunté aux Cisterciens et que, dans une lettre adressée au ministre général des Minorités, Élie de Cortone, il estimait la sainte comme une vraie adepte de la pauvreté volontaire, il ne renonça pas à montrer la dignité et la richesse de sa position : Frédéric II mit une couronne d’or sur le crâne de la sainte défunte et déposa un gobelet d’or dans son sarcophage. Après cette visite, un notaire impérial composa un récit, rapportant les événements de Marbourg dans une rhétorique empruntée aux panégyriques de la latinité classique, pour vanter les qualités exquises du monarque.41 De même, les liturgies auxquelles Frédéric assista lors de sa visite au Saint-Sépulcre à Jérusalem lui offrit non seulement l’occasion d’être couronné roi de Jérusalem, mais aussi de manifester une supériorité qui n’était même pas mise en cause par les caractéristiques du pèlerinage qu’il voulut don40
Die Konstitutionen Friedrichs II. von Hohenstaufen für sein Königreich Sizilien, éd. H. CONRAD et al. (=Studien und Quellen zur Welt Kaiser Friedrichs II. 2), Cologne, Vienne, 1973 ; W. STÜRNER, Peccatum und Potestas : Der Sündenfall und die Entstehung der herrscherlichen Gewalt im mittelalterlichen Staatsdenken (=Beiträge zur Geschichte und Quellenkunde des Mitelalters 11), Sigmaringen, 1987. 41 H. BEUMANN, « Friedrich II. und die heilige Elisabeth. Zum Besuch des Kaisers in Marburg am 1. Mai 1236 », in : Sankt Elisabeth... (op. cit. n. 24), p. 151–169 ; PETERSOHN, « Kaisertum und Kultakt... » (op. cit. n. 6), p. 117–123.
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ner à sa visite. L’humilité, l’aspiration à une pauvreté volontaire – du moins dans quelques aspects extérieures, la soumission à la même discipline qu’une nouvelle religiosité laïque exigeait, l’exposition aux touchers de la misère la plus concrète et l’imitation de la vie des moines, étaient pour Frédéric incompatibles avec la dignité royale et impériale. Il les réserva néanmoins au crépuscule de la vie, lorsque il mourut dans les habits d’un Cistercien selon les allégations rapportées par le chroniqueur anglais Mathieu de Paris.42 Les pratiques excessives d’auto-humiliation et d’autoflagellation auxquelles l’empereur Otton IV s’adonnait, en attendant sa mort en mai 1218, montrent déjà des tendances à une autre attitude, apte à concilier la position du monarque et la piété laïque. La Narratio de morte Ottonis IV, probablement écrite par l’abbé Frédéric du monastère cistercien de Walkenried, rapporte que l’empereur mourant, malgré sa grande faiblesse physique, se jetait à terre, implorait la rémission de ses péchés, pendant que des prêtres, autour de lui, chantaient des textes liturgiques. Il montait son regard vers le haut et accomplissait des prières ; il dénudait son dos et se faisait flageller en demandant aux prêtres de le battre plus fortement encore.43 Otton ne pratiqua ces actes qu’à la fin de sa vie. D’ailleurs, ceux-ci provoquèrent un certain ahurissement dans son entourage qui craignait que le monarque ne mette en danger la dignité de la personne impériale. Ces actes de dernières instances se détachent complètement du reste de l’existence d’Otton. Ils ne peuvent pas être pris en compte pour l’appréciation d’une dévotion à long terme ou même marquant toute sa vie. De fait, seuls quelques textes isolés de Cisterciens, restés fidèles à l’empereur, font référence à ces tentatives de piété tardive, qui ne permirent d’ailleurs pas à élever le défunt au statut de saint. Le comportement d’Otton, perçu encore comme une sorte de déraisonnement et d’abjection de sa position impériale, signalait tout de même les premiers indices d’une autre conception de la dévotion royale que Louis IX de France réussit finalement à réaliser et à imposer comme un nouveau modèle. La dévotion de Louis IX était une exception, mais parce qu’elle représentait quelques chose d’inédit, non parce que les autres rois n’étaient pas dévots. En dépassant les limites jusqu’alors imposées, elle élargit le champs d’une piété qui n’était plus uniquement fonc42 MATHAEUS PARISIENSIS, Chronica maiora, éd. H. R. LUARD, vol. 5 (Rer Brit 57,5), London, 1882, p. 216. 43 MGH Const., vol. 2, éd. L. WEILAND, Hannover, 1896, p. 51.
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tionnelle, mais désormais individuelle. Aussi individuelle que fut la dévotion de Louis, le fait qu’elle attirait de l’admiration fit naître une vague d’imitateurs. Elle devint un modèle dès le vivant de Louis et encore davantage après sa canonisation. « Ceux de la lignée du roi voudront lui ressembler par leurs bonnes actions, comme ce serait grand déshonneur à ceux qui ne voudraient imiter ses oeuvres ».44 Les successeurs du roi, pendant la vie desquels ces lignes furent écrites, en étaient conscients et essayaient non seulement de suivre une politique religieuse favorisant les ordres et les églises, mais aussi et surtout mettre en pratique une attitude de dévotion personnelle.45 Aussi la fondation de la Sainte-Chapelle, en tant que lieu de dépôt de reliques, fut imitée dans les principautés de France et en Savoie en vue de créer un centre de culte pour la famille princière : Dijon et Chambéry, Bourges et Bourbon, Dunois et Rion étaient les lieux de ces copies construites par des ducs issus ou proches de la dynastie capétienne.46 La sainteté et la canonisation de Louis IX confirmaient un modèle valable pour chaque roi, du moins en France. Un modèle fit son apparition. Il formait la pratique et la manifestation d’une dévotion qui devait s’approcher de celle de Louis, de sorte que, d’exceptionnelle, elle devint conventionnelle. Hors de France, une certaine émulation se faisait aussi remarquer par le roi anglais Henri III qui ne voulait pas céder le pas au roi de France. Lui aussi assistait aux chapitres provinciaux et généraux des ordres mendiants, leur concédant des donations et recevant en contrepartie des prières pour le bien du royaume. Les successeurs continuèrent d’entretenir ces relations. Comme Louis, le roi d’Angleterre intervenait personnellement aux chapitres généraux des ordres en participant aux délibérations, ainsi qu’aux prédications, aux prières et aux messes officiées à cette occasion.47 Les rois de Castille, Alphonse le Sage et son fils Sancho IV, de même que ceux d’Aragon, notamment Jacques Ier ne faisaient pas seulement des donations aux ordres et aux églises, mais s’impliquaient directement dans 44
Jean de Joinville (op. cit. n. 26), p. 598–603. R. AVERKORN, « Landesherren und Mendikanten in den burgundischen Territorien vom 13. bis zum 15. Jahrhundert », in : Könige, Landesherren und Bettelorden. Konflikt und Kooperation in West- und Mitteleuropa bis zur Frühen Neuzeit, éd. D. BERG, Werl, 1998, p. 207– 276, p. 213–215. 46 Revue d’histoire de l’Église de France, 78, 1987, p. 229–252. 47 C. H. LAWRENCE, The Friars. The Impact of the Early Mendicant Movement on Western Society, London, New York, 1994, p.169 sq. ; Le roi Édouard Ier finança en 1289 l’alimentation de tous les frères prêcheurs rassemblés au chapitre général à Trèves, Annales Colmarienses maiores, éd. P. JAFFÉ (=MGH SS 17), Hannover, 1861, p. 202–232, p. 216–217. 45
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la vie religieuse des monastères, en accomplissant eux-mêmes les rites prescrits pour les moines. L’ambition de composer des textes religieux et de se faire prévaloir par une activité littéraire montre une volonté de sortir du rôle passif de roi récepteur des grâces délivrées par les prières, les sermons et la liturgie, offertes par les ecclésiastiques. Elle remettait en cause ainsi l’exclusivité de ces derniers.48 Le résultat de cette évolution est paradoxal : La normalité découlait de l’exception. Une personne avait réalisé l’idéal qui était donc perçu comme réalisable par d’autres aussi. C’est l’exception qui définissait une nouvelle normalité. Dans ce sens, le règne de Louis IX marquait le début d’une étape dans la royauté française et dans la religion royale. De nouvelles exigences morales en découlèrent. Des dédommagements pour les victimes de la politique étaient requis et aussi prévus dans les testaments du roi Philippe IV, dont le premier date de 1288. Les sommes prévues pour le remboursement des dettes et les indemnisation de tous ceux qui on dû versés des douanes et des impôts, considérés comme injustes et illégaux, parce que nouveaux, dépassaient de loin les possibilités financières du royaume, ainsi que toutes les donations au profit des monastères. Le financement de la croisade promise et les oeuvres de charité risquaient d’épuiser le trésor royal. Ceci n’empêcha cependant pas les successeurs de Philippe IV – à savoir ses fils Louis X, Philippe V et Charles IV – de revenir dans leurs testaments aux derniers vœux de leur père défunt et d’exprimer le regret de ne pas les avoir respectés.49 La norme – introduite, légitimée et fixée par la sainteté de Louis IX – modelait la dévotion royale après sa mort. Cette piété était marquée par la soumission aux nouvelles dispositions du contrôle de l’âme qui résultaient en grande partie des décrets du quatrième concile de Latran en 1215 : les obligations de se confesser régulièrement, pénitences, l’exploration de la conscience individuelle, l’ap-
48 A. LOPEZ, « Confessores de la familia real de Castilla », Archivo Ibero-Americano, 16, 1929, p. 5–75 ; P. LINEHAN, The Spanish Church and the Papacy in the Thirteenth Century, Oxford, 1971, p. 223–229 ; id., « The Politics of Piety : Aspects of the Castilian Monarchy from Alfonso X to Alfonso XI », Revista Canadiense de Estudios Hispanicos, 9, 1985, p. 385–404 ; K. HERBERS, « Politik und Heiligenverehrung auf der iberischen Halbinsel. Die Entwicklung des « politischen Jakob » », in : Politik und Heiligenverehrung... (op. cit. n. 6),p. 177–276, p. 258–259 ; S. AGUADÉ NIETO, « Alfonso X y las ordenes mendicantes », in : Könige, Landesherren und Bettelorden... (op. cit. n. 45), p. 277–301. 49 BROWN, « Royal Salvation... » (op. cit. n. 36), p. 365–83.
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prentissage des dogmes de la Chrétienté et l’écoute des prédications.50 La nouvelle dévotion du roi se distinguait fondamentalement de l’ancienne, dans le sens où ce n’était plus de la famille ou de la fonction du roi que découlait le prestige religieux, ce n’était plus la majesté royale qui mettait le monarque en contact avec les choses divines, mais la manifestation d’une religiosité individualisé, fondée sur l’interrogation de la conscience et sur l’évaluation de chaque action selon les prescriptions de l’Église. De plus en plus de laïcs aspiraient à une participation plus directe à la connaissance menant au salut éternel et ne désiraient plus limiter leur engagement à l’assistance aux cérémonies officiées par les prêtres. Les rois ne pouvaient plus attendre que la dévotion soit inhérente à leur personne ou à leur office. Au contraire, leur fonction exigeait d’eux, davantage qu’à d’autres, l’attachement personnel aux préceptes plus stricts, qui contraignaient plus que jamais chaque individu, y compris chaque laïc, à se soumettre à un contrôle des ses émotions et de ses motivations. Parce que la piété ne se contentait plus, au XIIIe siècle, d’exécuter des règles et des rites, elle exigeait, en plus, l’épanouissement d’une âme intimement attachée à Dieu. Elle demandait la reconversion individuelle et le mépris du monde et des désirs temporels au profit d’une orientation qui attendait le bonheur – beatitudo – par le salut éternel. La responsabilité pour atteindre celui-ci résidait dans chaque individu et ne pouvait plus être reléguée aux prêtres ou aux communautés religieuses. Au lieu de transférer la pratique de la dévotion aux ecclésiastiques, l’idéal consistait, pour le laïc, à les imiter. La différenciation des trois ordres, avec leurs obligations différentes, ne suffissait plus à légitimiter la position royale, il fallait la rapprocher de la fonction sacerdotale. Mais celle-ci ne pouvait plus s’acquérir uniquement par l’office royale, elle exigeait un effort personnel et une dévotion qui ne tolérait plus une exception, auparavant accordée aux rois et aux princes. Les rois étaient considérés comme les autres laïcs dont un grand nombre aspirait à une vie exclusivement destinée à la pratique d’une piété réservée depuis le XIe siècle et jusqu’au début du XIIIe siècle aux ecclésiastiques. Le monopole réclamé par ceux-ci, comme intermédiaires exclusifs entre temporel et éternel et entre séculier et spirituel, n’était pas contesté, mais les laïcs aussi 50
Constitutiones concilii quarti Lateranensis... (op. cit. n. 28) ; M. MACCARONE, « ‘Cura animarum’ et ‘parachialis sacerdos’ nelle costituzioni del quarto concilio lateranense », in : Pievi e parochie in Italia. Atti del VI Convegno si storia della Chiesa in Italia, Firenze 21–25 sptt. 1981, Rome, 1984, p. 81–195.
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entraient ou pouvaient entrer en contact intime avec Dieu et aspirer à une connaissance profonde des révélations bibliques, ne se contentant plus d’une assistance passive à la liturgie. Loin de dissocier dévotion religieuse et obligation laïque, la vie de Louis IX visait à les combiner, de sorte que le champ de la dévotion dépassait les cercles exclusifs des soi-disant « professionnels » de la religion, à savoir ceux qui, dans les monastères, restaient encerclés dans un endroit spécial et fermés au monde. La dévotion en tant qu’obligation générale pour tout chrétien de participer à des actes concrets de vénération, de charité et surtout d’humilité n’excluait plus les rois et les princes. Elle devint une norme pour tous. Les monarques ne devaient plus faire exception. La question posée par le titre de cet article part finalement d’une fausse alternative. En vérité, la dévotion de Louis IX, justement parce qu’elle est une exception, fait naître une normalité nouvelle. Louis canonisé battit en brèche une ancienne conception de la sacralité du roi, transférée principalement par la cérémonie du sacre. Celui-ci restait bien sûr indispensable, mais il devait être accompagné par une pratique concrète et personnalisée de la dévotion. La sainteté de la fonction céda la place à celle de la personne. La piété devint une valeur individuelle. Personne, même le roi, ne pouvait se dérober de cette évolution, de sorte qu’une sacralisation de la royauté passait nécessairement par une pratique dévotionnelle qui ne tolérait plus une exception, même exigée par un roi. En tant que chef suprême, le roi n’était plus lié à la sphère divine par sa position hiérarchique supérieur, mais suite à l’accomplissement des préceptes religieux, d’autant plus exigeants que les rois continuaient à être des modèles, sans que leur fonction ne puisse cependant la leur garantir. La dévotion changea de forme, elle devint une vertu de l’âme. Elle n’était donc plus conciliable à une mise en scène de la somptuosité royale et, surtout, ne découlait plus de la fonction du roi. Elle exigeait un effort, elle devenait un mérite. Mais parce que la majesté royale et sa mise en scène dans les cérémonies de cour ne cessèrent pas de répandre un faste de plus en plus impressionnant et à être tout à fait nécessaire pour l’exercice du pouvoir, la dévotion du roi n’était finalement réalisable que dans un contexte dans lequel il se conformait à des actes considérés comme exceptionnels, tout en restant attaché à ses devoirs et à ses intérêts politiques. Un certain héroisme en découlait, mais aussi une sorte d’hypocrisie – les deux susceptibles de concilier les exigences d’un pouvoir, fondé sur les instruments et les institutions de plus en plus sophistiquées, qui augmentaient son efficacité et sa
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légitimité. Celle-ci ne pouvait pas se passer d’un fondement religieux pour trouver un attachement solide parmi les sujets et sans lequel la puissance eût été aléatoire. Au dépend de l’exclusivité royale, mais en gagnant un surplus de légitimité, la dévotion alimentait une piété populaire qui ne cessait de voir, dans la personne, du roi le garant du bien public. Tout en étant un fait social de premier ordre, la religion royale en tant qu’idéologie politique, se fondait sur une pratique qui devait être d’abord individuelle. Le rôle du chef réclamait une dévotion qui relevait d’une exception, mais accomplissait en même temps une exigence qui représentait la normalité. La contradiction est évidente, mais elle était liée à la fonction du roi. La sainteté était bien sûr exceptionnelle, mais elle favorisait aussi l’implantation d’une normalité nouvelle. Louis IX incarna cette évolution et fut le premier roi qui dépassa la tradition du « bon roi » et du « roi bienfaiteur » pour devenir un individu dévot. La légitimité royale en sortit renforcée pour Louis lui-même, mais aussi pour ces successeurs.51
51 R. FOLZ, « La sainteté de Louis IX d’après les textes liturgiques de sa fête », Revue de l’histoire de l’Église de France, 57, 1971, p. 31–46.
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PRÊCHER SUR LES RELIQUES DE LA PASSION À L’ÉPOQUE DE SAINT LOUIS Alexis CHARANSONNET et Franco MORENZONI
Dans son recueil de documents pour servir à l’étude des translations de reliques de l’Orient vers l’Occident – dont les deux tomes ont paru à Genève en 1876 et 1878 – le comte Riant avait déjà souligné l’importance pour l’étude de ce sujet de la littérature parénétique, tout en déclarant avoir laissé de côté ce type de documents à cause du travail de dépouillement trop considérable qu’il aurait fallu mettre en œuvre pour les repérer.1 Notre travail n’a pas l’ambition de pallier cette lacune, mais uniquement de tenter de mieux comprendre quels pouvaient être les thèmes abordés dans les sermons prononcés lors de la fête de la Sainte Couronne et de celle des Reliques et d’examiner quelle était la place que les prédicateurs réservaient au thème de la royauté. Pour l’essentiel, nous avons privilégiés les sermons qui datent d’avant 1274 et qui ont été prononcés à Paris, à la Sainte-Chapelle ou ailleurs ; nous avons cependant choisi d’examiner également deux sermons prononcés pendant la première croisade de Louis IX ainsi que quelques autres sermons sur la Couronne d’épines prêchés en dehors du royaume de France. Il est certain qu’à l’occasion des cérémonies organisées pour fêter la translation de la Sainte Couronne en 1239 et des autres reliques en 1241–42, plusieurs sermons ont été prononcés. D’après le récit de l’archevêque de Sens Gautier Cornut, il semblerait qu’un sermon ait été prononcé à la cathédrale Saint-Étienne le jour même de l’arrivée de la Couronne d’épines, soit le 11 août 1239.2 Quelques jours plus tard, le 19 août, lorsque la relique est arrivée à proximité de Paris, on sait que près de l’église Saint-Antoine on avait construit une estrade, un eminens pulpitum, afin que l’assistance puisse l’admirer et qu’un 1
P. É. D. RIANT, Exuviae sacrae costantinopolitanae. Fasciculus documentorum minorum, ad exuvias sacras constantinopolitanas in occidentem saec. XIII translatas, spectantium, et Historiam quarti belli sacri imperijque gallo-graeci illustrantium, 2 vol., Genève, 1876 et 1878 (rééd. Paris, 2004). Le troisième volume, dû à F. DE MÉLY, a paru à Paris en 1904. 2 Defertur in ecclesiam protho-martyris Stephani, populis detegitur, et tante cause iocunditatis aperitur (G. CORNUT, Historia susceptionis corone spinee, éd. RIANT, Exuviae sacrae costantinopolotanae... (op. cit. n. 1), p. 55).
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sermon avait été prononcé devant une foule de fidèles très nombreuse.3 Lors de la réception de la Vraie Croix en septembre 1241 et, peu après, sans doute en août 1242,4 de la Croix de Victoire, de la Sainte Lance, de l’Éponge et de quelques autres reliques, des cérémonies analogues avaient été organisées aux portes de Paris, au cours desquelles deux sermons avaient été prononcés.5 D’après ce que rapporte le chroniqueur Albéric de Trois-Fontaines, le sermon donné le 19 août 1239 près de Saint-Antoine, aurait porté sur les grands privilèges que le royaume de France avait déjà obtenus de Dieu et souligné l’importance de celui qu’il venait de recevoir, tout en précisant que des fragments de la Couronne d’épines étaient déjà conservés à Saint-Denis et à Sens. Selon la relation anonyme de la translation de la Couronne, qui qualifie Louis IX de « notre David » et précise que le roi était venu en toute humilité pour transporter la relique « quasi archam Domini » dans sa ville de Paris, le peuple n’aurait eu droit à cette occasion qu’à un bref sermon exhortant à la pénitence et à la nécessité de s’abstenir de tout péché dans le futur, pour éviter que selon la prophétie de Tobie « les jours de sa fête ne se transforment en jours de deuil ».6 Autrement dit, le sermon aurait insisté sur l’idée que le nouveau privilège qui venait d’être concédé au royaume entraînait aussi une plus grande responsabilité de chacun vis-à-vis de Dieu. Aucune source ne permet en revanche de savoir quels ont été les thèmes abordés par les sermons prononcés lors de l’arrivée de la Vraie Croix et de la Croix
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Octava die extra muros, iuxta ecclesiam B. Anthonij, in campi planitie, construitur eminens pulpitum, astantibus pluribus prelatis, ecclesiarum conventus indutis sericis, exhibitis sanctorum pignoribus, in tanta populorum frequentia quanta unquam Parisius exierit ; monstratur loculus ex pulpito, diei felicitas et causa gaudij predicatur (RIANT, Exuviae sacrae costantinopolotanae... (op. cit. n. 1), p. 55)). L’auteur anonyme de la Translatio sancte corone Domini nostri Ihesu Christi évoque lui aussi la présence d’une foule immense. Le récit anonyme de la translation a été édité par E. Miller dans le premier des deux articles qu’il a consacrés à l’ouvrage de Riant parus dans le Journal des Savants de mai et juillet 1878 ; l’édition se trouve aux p. 295–302 et le passage sur la foule nombreuse à la p. 296 ; le récit a été réédité la même année par N. DE WAILLY, « Récit du treizième siècle sur les translations faites en 1239 et en 1241 des saintes reliques de la Passion », Bibliothèque de l’École des Chartes, 39, 1878, p. 408–415. 4 Pour la datation des différentes translations, cf. A. FROLOW, La relique de la vraie Croix, recherches sur le développement d’un culte, Paris, 1961, p. 427–30 ; C. BILLOT, « Le message spirituel et politique de la Sainte-Chapelle de Paris », Revue Mabillon, n. s. 2 (63), p. 120. 5 Cf. Translatio sancte corone (op. cit. n. 3), p. 297 et p. 301. 6 Congregatisque omnibus ad locum predicte ostensioni paratum, fit exortatio predicationis ad populum, in qua breviter ammonetur commissorum sordes detergere peccatorum et a commitendis precavere in posterum, ne juxta propheticum sermonem ‘dies festi sui convertantur in luctum’ (Translatio sancte corone (op. cit. n. 3), p. 297).
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de Victoire, ni d’ailleurs d’identifier les prédicateurs qui ont pris la parole lors de ces différentes cérémonies. L’archevêque Gautier Cornut qui faisait partie, comme on le sait, de l’entourage très proche de Blanche de Castille et de Louis IX, a sans doute pris la parole lors de l’arrivée de la Couronne à Sens.7 Mais il est peu probable que le sermon qu’il a prononcé à cette occasion soit celui qu’on trouve au début du traité qu’il a écrit sur demande du roi pour relater les circonstances de l’achat et du transport de la relique. Il est plus vraisemblable que le sermon, qui exhorte à célébrer la fête du jour, ait été rédigé pour le premier anniversaire de l’arrivée de la Sainte Couronne dans sa ville. Aucun élément ne permet d’ailleurs de dire que le sermon a été donné en présence de la nouvelle relique et, puisque l’archevêque est décédé en avril 1241, il paraît raisonnable de penser que ce texte a été proposé aux fidèles à Sens le 11 août 1240.8 Sans entrer dans les détails, l’archevêque invite tout d’abord à rendre grâce à Dieu pour le cadeau qu’il a consenti « à notre peuple et à notre royaume », dit-il, et souligne que toute l’église gallicane et le peuple des Francs doivent se réjouir d’avoir été choisis pour être le lieu de conservation de la Sainte Couronne. Grâce à Louis et à sa mère Blanche, ajoute-t-il, le Seigneur a voulu en quelque sorte couronner le royaume de France et, de même qu’il avait choisi la Terre de la Promesse pour manifester les mystères de la Rédemption, il a choisi « notre Gaule » pour que le triomphe de sa Passion soit vénéré avec une plus grande dévotion.9 Cette comparaison est proposée de manière plus explicite également par l’auteur anonyme de la translation qui remarque que, grâce à l’arrivée de la Croix de Victoire, la ville de Paris est devenue presque une autre Jérusalem et que les reliques y sont désormais conservées « pour la gloire de Dieu et la protection du royaume », signe que ce texte a été rédigé lorsque les reli7
Sur Gautier Cornut, cf. J. RICHARD, Saint Louis, Paris, 1983, en particulier p. 43 et p. 84–86, J. LE GOFF, Saint Louis, Paris, 1996, passim ; sur le rôle de l’archevêque lors du brûlement du Talmud voir en dernier lieu A. TUILIER, « La condamnation du Talmud par les maîtres universitaires parisiens, ses causes et ses conséquences politiques et idéologiques », in : Le brûlement du Talmud à Paris, 1242–1244, éd. G. DAHAN, Paris, 1999, p. 63–65, qui mentionne aussi un exemplum de Thomas de Cantimpré qui met en scène l’archevêque de Sens. 8 Cf. DE WAILLY, « Récit du treizième siècle... » (op. cit. n. 3), p. 406. Contrairement à ce qu’écrit N. de Wailly, il nous semble que le début de l’opuscule n’est pas un simple exorde, mais un véritable sermon qui aurait été utilisé en quelque sorte comme introduction à la partie plus proprement historique du récit. 9 G. CORNUT, Historia susceptionis corone spinee... (op. cit. n. 1) p. 45–47 ; le passage a été traduit en français par LE GOFF, Saint Louis (op. cit. n. 7), p. 141–142.
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ques étaient désormais à la Sainte-Chapelle,10 dont l’auteur relève d’ailleurs au passage le plan somptueux.11 L’arrivée de la Couronne d’épines et des autres reliques de la Passion a entraîné l’institution d’au moins deux fêtes : celles de la Sainte Couronne, qui à Paris avait été fixée au 11 août, et celle dite des reliques, fixée au 30 septembre. Ailleurs, la fête de la Couronne était cependant célébrée à d’autres moments de l’année liturgique : ainsi, par exemple, le lectionnaire conservé aux Archives Générales de l’Ordre des Prêcheurs à Rome, et qui peut être daté d’environ 1256, explique que les dominicains célébraient la fête de la Couronne le jour qui suivait l’Invention de la Croix car le 11 août était l’octave de la SaintDominique.12 Au couvent dominicain de Vicence de la Sacra Corona, la fête avait été fixée au premier dimanche après l’octave de l’Ascension. D’après la relation anonyme de la translation, à Paris la fête de la Sainte Couronne aurait été instituée par Louis IX après l’arrivée de la Croix de Victoire, et donc vraisemblablement après août 1242, sur conseil et avec l’assentiment de l’évêque de Paris, c’est-à-dire de Guillaume d’Auvergne.13 S’il est probable qu’à Paris, aussi bien pour la fête du mois d’août que pour celle du mois de septembre, on prêchait à plusieurs endroits de la ville, et bien sûr à la Sainte-Chapelle, les sermons qui nous sont parvenus et qui peuvent être datés du règne de Saint Louis ou des toutes premières années qui ont suivi sa mort, sont relativement peu nombreux. C’est principalement dans les collections de sermons léguées par Robert de Sorbon avant 1274 à la bibliothèque du collège qu’il avait fondé, qu’on trouve une dizaine de sermons qui permettent de se faire une idée des thèmes qui étaient abordés à cette occasion par les prédicateurs.14 Les collections ont conservé environ 2400 ser10
Cf. Translatio sancte corone… (op. cit. n. 3), p. 301. L’auteur qualifie aussi Louis IX de « David noster » et précise qu’il est venu accueillir la vraie Croix « non precioso et eminente equo subvectus » (ibid., p. 296). 11 …ubi in edificata non multo post per eundem regem basilica, pretioso scemate constructa, honorifice reservatu » (ibid., 297). 12 Cf. F. I. LOMASTRO TOGNATO, « Monumenta reliquiarum » di S. Corona di Vicenza, Padova, 1992, p. 8, n. 2 et p. 10. 13 Quia vero melius memorie commendatur quod frequentius iteratur, de consilio et assensu dyocesani episcopus, dictus rex statuit et decrevit ut annis sibi succedentibus iiio idus augusti a Parisiensi populo sollempniter observetur…, (Translatio sancte corone... (op. cit. n. 3), p. 301–302). Guillaume d’Auvergne n’est pratiquement jamais mentionné en relation avec les reliques de la Passion et, pour des raisons que nous ignorons, n’était pas présent à la Dédicace de la Sainte-Chapelle. 14 Il s’agit des manuscrits Paris, BnF, lat. 15959, 15955, 15964, 16471, 15951 et 15954. Les trois premiers volumes de la collection contiennent des sermons de tempore, alors que les
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mons, dont la plupart sont des sermons pour ainsi dire « parisiens » ou rédigés par des prédicateurs qui ont séjourné pendant des périodes assez longues à Paris. Les manuscrits ont été selon toute vraisemblance copiés à Notre-Dame ou dans des milieux proches du chapitre. On y trouve la presque totalité des sermons connus de Guillaume d’Auvergne ainsi que quelques dizaines voire quelques centaines de sermons de Philippe le Chancelier, de Guiard de Laon, d’Eudes de Châteauroux, etc.15 C’est dans le deuxième volume de la collection consacré au sanctoral qu’on trouve deux cahiers dans lesquels ont été copiés dix sermons que les rubriques désignent comme étant De sancta corona ou dont elles précisent qu’ils ont été donnés In festo reliquiarum.16 Il est certain que ce petit corpus a été réuni en fonction de la fête du 11 août, car il se trouve immédiatement après les sermons prévus pour la saint Laurent et avant ceux pour l’Assomption de la Vierge. Le recueil ne comporte en revanche aucun sermon pour la fête du 30 septembre, ce qui pourrait suggérer qu’à cette époque on attachait davantage d’importance à la célébration du mois d’août.17 Les dix sermons ont été copiés par cinq copistes différents : le premier copiste a copié les deux sermons attribués explicitement à Guiard de Laon, ainsi qu’un troisième qu’on peut également rendre à l’évêque de Cambrai ;18 le deuxième un sermon de Nicolas de
trois autres sont de recueils de sermons de sanctis et de communi sanctorum. Un septième volume, contenant des sermons ad status, ne nous est pas parvenu (cf. N. BÉRIOU, « La prédication synodale au XIIIe siècle d’après l’exemple cambrésien », in : Le clerc séculier au Moyen Âge, Paris, 1993, p. 232, n. 13). 15 La liste des incipit, avec quelques oublis et imperfections, a été établie par J. B. SCHNEYER, « Repertorium der lateinischen Sermones des Mittelalters für die Zeit von 1150–1350 », in : Beiträge zur Geschichte der Philosophie und Theologie des Mittelalters. Texte und Untersuchungen, Bd 43, Münster, 1969–1990, (dorénavant RLS), t. 5, p. 230–312, sous « Robertus de Sorbonio ». La plupart des sermons datent vraisemblablement d’une période qu’on peut situer entre 1220 et la mort de Robert de Sorbon. 16 Paris, BnF, lat. 15951, f. 115r–129bis. 17 Cela pourrait être vrai uniquement pour le milieu où ont été confectionnés les manuscrits, car on sait grâce à Guillaume de Saint-Pathus que Louis IX essayait d’être à Paris pour la célébration du 30 septembre (« …et lors chevaucha jusques a Paris, pour estre a la feste des saintes reliques ; car lendemain de la saint Michiel il avoit acoustumé a fere la celebracion et la feste des saintes reliques a Paris », Vie de Saint Louis par le confesseur de la reine Marguerite, éd. H.-F. DELABORDE, RHF, t. 20, p. 75). Les sermons d’Eudes de Châteauroux en particulier ne paraissent pas correspondre à la date du 11 août, voir ci-dessous. 18 RLS (op. cit. n. 15), t. 5, n. 1818 et n. 1819 ; RLS (op. cit. n. 15), t. 3, n. 325 et n. 326 ; P. C. BOEREN, La vie et les œuvres de Guiard de Laon, 1170 env. – 1248, La Haye, 1956, p. 271– 272, n. 107, p. 286, n. 234. Le sermon qui se trouve au f. 115vb–116ra n’a été répertorié ni par J.-B. Schneyer ni par P. C. Boeren.
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Biard,19 le troisième trois sermons d’Eudes de Châteauroux20 et les deux derniers copistes respectivement un et deux sermons anonymes.21 L’étude de ce petit corpus n’est pas exempte de difficultés. Quelques sermons ne peuvent pas être attribués et la datation de la plupart demeure incertaine. De même, pour plusieurs sermons il est impossible d’établir le lieu où ils ont été donnés et pour d’autres il faut se contenter d’hypothèses difficiles à confirmer. Le premier cahier s’ouvre par un sermon qui est attribué à Guiard de Laon, personnage assez bien connu qui a été chanoine de NotreDame à partir de 1221, est devenu chancelier de l’université en 1237 et évêque de Cambrai à partir de 1238 jusqu’à sa mort survenue en 1248. La rubrique qualifie le sermon De sancta corona, mais, à la lecture, on s’aperçoit que Guiard traite surtout de l’épine, ou d’une des épines, de la Couronne, et qu’il prêche presque certainement en présence de celle-ci. Le sermon porte sur les quatre raisons pour lesquelles Dieu à voulu léguer cette épine aux hommes :22 afin qu’ils l’utilisent comme un cure-dent pour débarrasser les dents des péchés de langue ; afin qu’ils piquent leur cœur pour le purger de tout péché ; pour l’enfoncer dans le pied de ceux qui veulent courir vers le péché et faire en sorte qu’à cause de la douleur ils soient obligés de revenir en arrière ;23 et, enfin, pour qu’ils puissent se servir de l’épine comme d’une broche, par exemple celles que les moniales utilisent pour retenir le voile de l’humilité, etc. Le sermon ne fait aucune allusion à la Sainte Couronne et paraît avoir été donné par Guiard de Laon à Saint-Denis, alors qu’il occupait encore la fonction de chancelier. Il confirme tout de même qu’avant l’arrivée de la Couronne il y avait déjà une certaine 19
RLS (op. cit. n. 15), t. 5, n. 1820 ; t. 4, n. 163 RLS (op. cit. n. 15), t. 5, n. 1821 et n. 1822 ; t. 4, n. 856–858. 21 RLS (op. cit. n. 15), t. 5, n. 1823–1825. 22 Huius corone habemus spinam nobis missam multiplici de causa. Prima ratio est quoniam Dominus mittit nobis illam ad dentes nostros furgandos et mundandos […]. Secunda ratio est ad pungendum cor quasi clibano ad euacuandum saniem peccatorum et timorem superbie […].Tercia ratio est quia hac spina nos pungit et inclauat pedem affectus currentis ad peccatum. Vnde Prou. I : pedes eorum ad malum currunt et festinant ut effundant sanguinem […]. Item alia ratio est quoniam hac spina coniungitur duo ad inuicem uel ampliora ; unde precepit Dominus fieri quinquaginta fibulas ad complandum cortinas templi ad inuicem (Paris, BnF, lat. 15951, f. 115rb–va). 23 Cette idée est illustrée l’exemplum suivant : Similiter quando quis impeditur ne possit libere currere ad peccatum, configitur a Domino hac spina, sicut fabri ythalici faciunt palefridos romipetarum ; inclauant, et post unam dietam emunt illos. Quod faber ille facit per maliciam, hoc idem Dominus per misericordiam, quoniam propter infirmitates quas inmittit hominem iuuenem et lasciuum conuertit ad penitentiam et peccata dimittere facit, et cet. (ibid., f. 115va). 20
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tradition, à Paris et ailleurs, de prêcher sur les reliques de la Passion, et qu’après la translation on a estimé que le réemploi de ces sermons était tout à fait envisageable. Le deuxième sermon attribué explicitement à l’évêque de Cambrai reprend presque la totalité des thèmes développés dans le premier. Plus que d’un véritable sermon, il s’agit en réalité d’une esquisse de sermon, tout au moins dans sa partie initiale, qui n’est en fait qu’une liste de citations bibliques. Les vingt premières ont été réunies autour du mot « épine », celles qui suivent autour du mot « couronne » ou « diadème », alors que les dernières semblent avoir été retenues car elles comportent le mot ou l’idée d’époux ou d’épouse. Ce qui est plus intéressant, c’est que les citations sont présentées dans l’ordre des livres de la Vulgate et que leur place à l’intérieur des chapitres est indiquée grâce au système A–G, c’est-à-dire grâce au système utilisé par les concordances bibliques réalisées par l’équipe de dominicains dirigée par Hugues de Saint-Cher.24 Puisqu’on estime généralement que c’est vers 1239 que les premières concordances bibliques ont été terminées, il semblerait que ce sermon ait été prononcé par Guiard de Laon, sans doute à Saint-Denis, alors qu’il était déjà évêque de Cambrai. Entre ces deux sermons figure un sermon anonyme, mais qui peut être rendu au même Guiard, qui comporte un passage qui semble faire référence à la Couronne d’épines : reprenant en partie les versets 12 et 13 du Psaume 64, le sermon invite le public à regarder comment le Seigneur a couronné l’année de ce bienfait, comment les champs du Seigneur sont pleins de richesses, voyez, ajoute-t-il, la couronne de la victoire, l’abondance des vertus ; déjà les pacages du désert deviennent gras ; dans l’Église, le Christ est ceint avec la couronne des croyants.25 L’insistance sur l’idée que la couronne apporte désormais de grands bienfaits pourrait suggérer que le sermon a été prononcé l’année même
24 Voici le début de la liste : Priusquam intellegerent spine et cet., Psalmus LVII f. ; Item 117 ; Exarserunt sicut ignis in spinis de spina, Psalmus XXXI b ; Dum configitur spina, Cant. II a ; Sicut lilium inter spinas, Ecclesiastici XXVIII g (ibid., f. 116rb). 25 Corona nobis est incarnatio, non contumelia. Videte iam quomodo benedixit corone anni benignitatis huius, quomodo campi eius repleti sunt ubertate, uidete coronam uictorie, uirtutum copiam ; iam pinguescunt speciosa deserti credentium, corona Christus in ecclesia cingitur (ibid., f. 115vb–116ra). Le début de cette citation, notons-le d’emblée, donne la tonalité générale de nos sermons : une question théologique, le mystère de la royauté du Christ en son apparence contradictoire, l’incarnation, intéresse les orateurs, plus que les aspects ‘coutumiers’, comprenons humains, de la royauté.
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de l’arrivée de la sainte relique, dans un endroit que rien ne permet d’identifier mais peut-être en présence d’un auditoire féminin.26 Le sermon suivant, dû à Nicolas de Biard, a été donné selon la rubrique le jour de la fête des reliques.27 Nicolas de Biard est un personnage assez difficile à cerner. On sait qu’il était un frère mendiant, mais on ne sait toujours pas s’il était dominicain ou franciscain. Auteur de deux collections de sermons qui ont connu une diffusion assez importante, ainsi que d’un recueil de Distinctiones et de la Summa de abstinentia, Nicolas de Biard paraît avoir prêché surtout à Paris. Le sermon pour les reliques ne fait pas partie des deux collections, mais il a été conservé par au moins un autre manuscrit.28 Sans entrer dans les détails, on peut remarquer que le sermon, qui a pour thema le verset 37 du Psaume 36, « Garde l’innocence et considère l’équité, car les reliques appartiennent à l’homme pacifique », a été prononcé en présence d’un auditoire qui comprenait des personnages importants.29 Après avoir montré comment et pourquoi il faut garder l’innocence, le sermon développe la deuxième partie du verset thématique en distinguant trois types de reliques : celles d’Adam et d’Ève (le péché originel), celles du diable (les péchés mineurs, que parfois la pénitence ne permet pas d’éliminer et grâce auxquels le diable essaye de réintroduire les péchés les plus graves) et enfin les reliques de Dieu. Sans faire preuve d’une très grande originalité, Nicolas de Biard insiste sur l’idée que la mémoire de la Passion doit inciter à la conversion, et que c’est grâce à celle-ci qu’il est possible de se libérer des vices les plus dangereux, tels que l’avarice, la luxure ou l’orgueil. C’est dans ce contexte que le prédicateur précise que dans ce monde Dieu a toujours servi et prêché la paix et que ceux qui 26
Le début du sermon paraît en effet s’adresser à des moniales : Non ergo de Syon eas uocat quas ad uidendum Deum uocat ; uel non ad uisionem Dei, sed ad uidendum Salomonem in dyademate eas uocat. Si concluse estis, nolite egredi donec uos Christus inuitet (ibid., f. 115vb). 27 In festo Reliquiarum, frater .N. de byart (ibid., f. 117rb, marge inférieure). 28 Il s’agit du manuscrit Paris, BnF, lat. 18081, f. 136vb–138rb. Dans ce manuscrit, la rubrique indique qu’il a été donné pour la fête des Innocents (« In festo sanctorum innocentium »). 29 C’est du moins ce que laisse supposer le passage suivant : Propter commoditatem, ut ita fructuose predicet quod omnes tangat nec alicui magno parcat, uel paruo, ut non sit sicut miluus qui non audet uolare ad gallinas uel capones, sed ubi uidet pullos ibi salit, ibi uolat. Sic cum pauperculis uetulis predicamus ibi salimus, ibi aperte hanc uel illam tangimus, sed cum predicamus magnatibus, prelatis uel aliis non audemus eos tangere, nec ad eos accedere […].Non debet ergo predicator alicui parcere licet magnus sit, nec celare ueritatem. Debet tamen obseruare modum docendi, tempus et locum. Ideo dicebat Dauid : non abscondi ueritatem tuam a consilio multo, quasi diceret : licet multi prelati sint congregati in concilio multo, in palliamento non abscondi ueritatem ab eis (Paris, BnF, lat. 15951, f. 117va–vb).
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aiment la paix et essayent de toutes leurs forces de la promouvoir, peuvent être appelés fils de Dieu. Et il ajoute : « si je voulais louer .N., et s’il était convenable de louer un homme en sa présence, je pourrai dire, puisqu’il s’agit d’un homme de paix, que ces saintes reliques de Dieu, qui sont ici présentes, lui ont été confiées car les reliques appartiennent à l’homme pacifique ».30 S’il ne fait pas de doute que Nicolas de Biard prêche en présence des reliques de la Passion – il précise un peu plus loin qu’il n’est pas étonnant que notre visage se transforme à la vue de ces reliques, car même le soleil a retiré sa lumière au moment de la mort du Christ31 – rien ne permet de savoir si le sermon a été donné à Saint-Denis ou déjà à la Sainte-Chapelle, ni d’ailleurs d’identifier avec certitude en Louis IX l’homme de paix auquel il fait référence.32 Tout comme ceux donnés par Guiard de Laon sur l’épine de SaintDenis, les deux sermons qui pourraient avoir été prononcés lorsque les reliques de la Passion étaient déjà à Paris proposent un enseignement qui est pour l’essentiel une invitation à la conversion et à la pénitence. On n’y trouve ainsi aucune allusion à l’un ou à l’autre des thèmes qui auraient été évoqués lors de la réception des reliques, ni d’ailleurs une quelconque allusion au plus grand prestige que la royauté capétienne aurait acquis grâce à l’achat de celles-ci. Les trois sermons suivants permettent d’en savoir un peu plus sur les circonstances précises dans lesquelles les Chrétiens du temps de Louis IX ont pu assister aux célébrations liturgiques liées aux reliques de la Passion, et entendre les prédicateurs en commenter le sens. Car les trois discours qu’Eudes de Châteauroux (1190 ?–1273) a consacrés à cette fête offrent une particularité, par comparaison avec le reste du 30
Et hoc est quod dicitur Mathei V : Beati pacifici quoniam filii Dei uocabuntur. Si uellem laudare .N. et fas esset hominem laudare in eius presentia, possem dicere, cum sit homo pacis, quod hee sunt reliquie sancte Dei, que hic presentes sunt, sibi sunt commisse quoniam sunt reliquie (suppl. om. cod.), sicut dicit presens auctoritas (ibid., f. 119ra). 31 Quia debent semper esse in cogitatione nostra que Deus pro nobis sustinuit, quot confusiones, quot molestie ei facte sunt. Que, si bene considerentur, non est uultus hominis qui inde non mutaretur, ut uultus qui ante erat letus, respiciens has reliquias, debet esse tristis et lacrimosus. Similiter, qui ante erat pinguis et rubicondus, debet postea pallidus et macillentus esse. Et in hiis debet esse preparatio siue ornatus uultus nostri. Nec est mirum si mutatur uultus noster in consideratione harum reliquiarum, quia inde sol mutauit faciem suam, quia obscuratus fuit in morte Domini ; et licet pro amore solis non fuerit Christus passus, tamen, quia eum fecerat, mutauit faciem suam et retraxit lumen suum (ibid., f. 119ra–rb). 32 Si la Sainte Couronne se trouvait encore à Saint-Denis, en admettant que c’est à SaintDenis qu’on l’a déposée pendant la construction de la Sainte-Chapelle, l’homme de paix auquel fait référence Nicolas de Biard pourrait être également l’abbé.
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corpus ici examiné : s’ils ont bien été copiés dans les recueils de Robert de Sorbon, ce dernier les a repris des propres collections que l’orateur, devenu cardinal, a fait réaliser à la Curie, et dont il supervise l’édition à compter de 1260 environ.33 Leur attribution ne fait ainsi aucun doute ; mieux, les renseignements procurés par la tradition manuscrite de ces collections d’auteur permettent d’avancer pour chacun une date où ce discours a été donné, de proposer des hypothèses concernant le public qui l’aura entendu, bref de contextualiser ces trois textes au plus près. Le mot « texte » doit être stricto sensu conservé à leur égard, car il est évident que le cardinal Eudes de Châteauroux a retravaillé pour l’édition ses performances orales ; on peut cependant démontrer assez aisément que tous les sermons de ces collections qui se rapportent à des événements précis, et que l’orateur réunit généralement sous l’appellation de sermons de circonstances (De casibus), correspondent à une parole réelle. La carrière d’Eudes de Châteauroux et les mentions des chroniqueurs attestent suffisamment qu’il a effectivement prêché, et même que dans ce domaine, il a atteint une indéniable notoriété, dont le siècle suivant au moins devait conserver la mémoire.34 33 Sur Eudes de Châteauroux et son œuvre homilétique, voir F. IOZZELLI, Odo da Châteauroux. Politica e religione nei sermoni inediti, Padoue, 1994. Je me permets d’autre part de renvoyer à A. CHARANSONNET, « L’évolution de la prédication du cardinal Eudes de Châteauroux (1190( ?)–1273) : une approche statistique », in : De l’homélie au sermon. Histoire de la prédication médiévale, éd. J. HAMESSE, Louvain-la-Neuve, 1993, p. 103–142 ; Idem, « Du Berry en Curie. La carrière du cardinal Eudes de Châteauroux (1190 ?–1273) et son reflet dans sa prédication », Revue d’histoire de l’Église de France, 86, 2000, p. 5–37. Tout cela repris dans Idem, L’université, l’Église, l’État dans les sermons du cardinal Eudes de Châteauroux (1190 ?– 1273) , Thèse dactylographiée de Doctorat d’histoire soutenue à l’université Lumière Lyon 2, octobre 2001, dir. N. Bériou. On y trouvera, volume 1 tome 2, les détails relatifs à la tradition manuscrite (p. 579–590), ainsi que, volume 2, le texte des trois sermons, édités d’après les manuscrits d’Orléans, Bibl. Mun. 203 (désormais cité O) et Arras, Bibl. Mun. 876 (désormais cité A), respectivement aux p. 729–732 (RLS (op. cit. n. 15), n° 856 : f. 284va–285va dans O ; f. 80ra–81ra dans A) ; 742–744 (RLS (op. cit. n. 15), n° 857 : f. 285va– 286vb dans O ; f. 81ra–82rb dans A) ; 762–766 (RLS (op. cit. n. 15), n° 858 : f. 286vb–288ra dans O ; f. 82rb–83va dans A). À la lecture des versions qui figurent dans les collections de Robert de Sorbon (dont le manuscrit contenant les trois sermons, Paris BnF, lat. 15951, sera désormais cité P), il est apparu évident que ce dernier ou ses copistes ont eu sous les yeux la première édition des sermons du cardinal, envoyée à Paris « avant la mort d’Alexandre IV » (survenue le 25 mai 1261) aux dires mêmes de l’orateur, et dont le manuscrit d’Orléans représente probablement tout ce qui subsiste. 34 Sur les mentions par divers écrivains contemporains de la prédication d’Eudes de Châteauroux, cf. CHARANSONNET, L’université…(op. cit. n. 33), p. 112 note 64 et p. 113 note 66 ; et sur le souvenir qu’il a laissé, voir l’édition (Saint Louis roi de France, textes de F. AVRIL et M.-T. GOUSSET, préf. J. RICHARD, Paris, 1990, éd. du Chêne) du manuscrit enluminé intitulé Livre des faits de Monseigneur saint Louis, BnF, fr. 2829, datant du XIVe siècle, où plusieurs miniatures représentent le cardinal en train de prêcher : d’après les p. 94–95, où
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Le premier sermon a été selon toute vraisemblance prononcé à l’occasion de la consécration, le 26 avril 1248, de la chapelle haute du monument-écrin voulu par le roi pour abriter les saintes reliques du Sauveur. Toutes les sources concordent pour affirmer que le cardinal, devenu entre-temps légat pour la France de la croisade de Louis IX, a présidé cette cérémonie de dédicace, entouré des plus grands prélats du royaume et même de certains venus de l’étranger (l’archevêque de Tolède par exemple). La localisation de ce premier sermon à la Sainte-Chapelle demeure toutefois une hypothèse très probable, non une certitude, dans la mesure où le texte mentionne, parmi les reliques dont on célèbre la fête, les clous ayant servi à crucifier le Christ.35 Or on sait qu’un saint clou, déposé à la basilique royale de Saint-Denis, était possédé par les Capétiens antérieurement aux reliques acquises par l’intermédiaire de l’empereur latin de Constantinople Baudouin, la tradition dionysienne faisant remonter cette acquisition et ce don au Carolingien Charles le Chauve. Quelques années avant l’arrivée des reliques constantinopolitaines, en 1233, le roi Louis IX avait témoigné de sa vénération à l’égard du saint clou de Saint-Denis, volé puis miraculeusement réapparu.36 PhilippeAuguste avait lui aussi fait don de reliques du Sauveur à Saint-Denis.37 Il n’est donc pas exclu que le premier sermon sur les reliques de la Sainte-Chapelle d’Eudes de Châteauroux, maître en théologie et orateur actif à Paris au plus tard en 1229, ait été prononcé dans la basilique dionysienne à une date et dans des circonstances différentes de celles ici proposées.38 La tradition manuscrite des collections de l’auteur, si précieuse soit-elle, ne permet pas de trancher définitivement sur ce point, puisque les trois discours qu’Eudes de Châteauroux sont identifiées les scènes peintes, Eudes de Châteauroux est repérable aux f. 21, 36v, 43, etc. 35 Le texte dit : De numero horum testimoniorum sunt hee sacre reliquie : sancta corona, crux, clavi, sudarium, sepulchrum, spongia, ferrum lancee et alia, sicut xii lapides quod filii Israel de Iordane traxerunt testimonium perhibent quod ipsi Iordanem sicco vestigio transierunt (cf. CHARANSONNET, L’université (op. cit. n. 33), p. 731, lignes 56–58 ; f. 120rb, P ; f. 285rb, O ; f. 80vb, A) : est-ce à dire que les auditeurs ont ces reliques sous les yeux ? Une telle interprétation appuierait la date et les circonstances ici proposées. 36 Cf. Dom M. FÉLIBIEN, Histoire de l’abbaye royale de Saint-Denys en France, Paris, réédition de 1973, p. 97 (don de Charles le Chauve) ; p. 228–232 (vol et réapparition miraculeuse du saint clou). LE GOFF, Saint Louis (op. cit. n. 7), donne p. 124–127 la traduction du récit de l’épisode par Guillaume de Nangis. 37 Dom FÉLIBIEN, Histoire de l’abbaye royale... (op. cit. n. 36), p. 215–216. 38 Il faudrait alors songer à une fourchette chronologique entre 1242, où l’ensemble des reliques christiques acquises par Louis IX, précisément énumérées par le sermon d’Eudes, sont à Paris, et 1248, où la Sainte-Chapelle est achevée.
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a donnés sur les saintes reliques sont déjà copiés dans la première édition produite par le scriptorium cardinalice, parue fin 1260–début 1261, et qui regroupe l’activité homilétique de l’orateur depuis au moins 1229, sinon plus tôt. Divers détails toutefois, qui seront évoqués plus loin, et surtout le contenu théologique d’ensemble de ce premier sermon, font cependant nettement pencher la balance en faveur de l’hypothèse d’abord évoquée, qu’il correspondrait à la circonstance, si importante pour le royaume de Louis IX, et de très peu antérieure au départ de son armée pour la croisade, où fut dédicacée la SainteChapelle. Il était tout à fait logique qu’un prédicateur de la trempe du cardinal, qui s’était d’abord fait connaître du souverain comme maître en théologie de l’université de Paris, et lui devait probablement son ascension à la pourpre ainsi que sa première légation, tout juste renouvelée par Innocent IV pour qu’il guidât spirituellement les croisés outremer, que ce prédicateur ait aussi été choisi par le roi pour présider une telle cérémonie et lui conférer tout son sens religieux. Les deux autres sermons posent moins de problèmes : c’est presque certainement durant l’expédition elle-même qu’ils ont été donnés, respectivement à Damiette en Égypte, où l’armée chrétienne venait de débarquer, le 30 septembre 1249, puis le 30 septembre 1251 en Terre sainte proprement dite, où les croisés s’étaient transportés après la défaite et la captivité du roi en Égypte. Ils prouveraient ainsi que la mémoire des précieuses reliques n’a cessé d’accompagner les combattants et de donner à l’expédition son sens spirituel fondamental. Cette date du 30 septembre se déduit de la rubrique figurant dans les manuscrits du cardinal, valable pour les trois sermons : in festo reliquiarum sancte capelle regis Francie, désignant ainsi la fête de ce nom célébrée en leur honneur par le palais capétien.39 Quant aux années proposées, 1249 pour le second et 1251 pour le dernier des trois sermons ainsi rubriqués, leur très forte probabilité s’appuie sur des allusion textuelles, sur lesquelles on reviendra le moment venu. Trois discours sur le même sujet, mais trois contextes fort différents, donnent ainsi sa saveur spécifique à la contribution du cardinallégat, dans le cadre plus général de la prédication parisienne suscitée 39
Voir supra, n. 4 et 12 pour les différentes fêtes des saintes reliques et leurs dates. Eudes de Châteauroux est toujours très précis dans la rubrication de ses manuscrits, mais procède lui aussi, comme Robert de Sorbon dans ses cahiers, à des regroupements de sermons prêchés à différentes dates, lorsqu’il les édite (tout cela amplement discuté dans CHARANSONNET, L’université… (op. cit. n. 33), passim). De plus, entre les années 1240 et 1260, l’accent mis sur la principale fête célébrée à la Sainte-Chapelle a pu se déplacer, voir supra, n. 17.
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par la présence, depuis 1239, de la sainte couronne puis des autres reliques christiques dans la capitale capétienne et ses alentours. Revenons au premier sermon de la série, qui pose on l’a vu un problème de localisation, donc de datation. Les raisons principales qui conduisent à préférer malgré tout la Sainte-Chapelle comme lieu, plus précisément sa consécration le 26 avril 1248, tiennent au contexte global dans lequel il s’inscrit. Eudes de Châteauroux en effet n’en est pas alors au premier de ses discours visant à faire prendre la croix aux combattants, puis à les conforter dans leur choix. De tous les prédicateurs de croisade, il est même celui qui offre la plus belle série du genre à l’historien. L’ensemble des années 1245–1248, celles de sa première légation confiée par le pape au concile de Lyon, fait alterner sermons de croisade à proprement parler, et sermons de circonstances, liés à cette expédition et son organisation.40 De ce point de vue, et d’autres sources l’attestent, l’événement de la fin d’avril 1248 symbolise, outre l’aboutissement d’un grand projet, l’unité retrouvée du royaume derrière son souverain, après la très dure année 1247 où Louis IX et son légat, malgré une familiarité ancienne et une sympathie mutuelle évidente, se sont trouvés en porte-à-faux. La cause majeure de ce malaise passager entre Regnum et Sacerdotium fut constituée par la révolte des barons français contre la fiscalité pontificale, révolte appuyée fermement, avec un sens aigü du réalisme politique, par le Capétien, quelque prix religieux qu’il ait accordé au grand pélerinage guerrier de sanctification qu’il mettait sur pied, quelque révérence qu’il ait eue pour le successeur de l’apôtre Pierre et son représentant en France.41 Eudes de Châteauroux dresse lui-même la liste, dans ce premier discours, des reliques qui protègent le royaume capétien et l’expédition proche de son départ : on y trouve bien sûr la sainte couronne, entrée le 19 août 1239 à la chapelle Saint-Nicolas du Palais-Royal, portée par les deux Princes capétiens aînés, le roi et son frère Robert 40
L’ensemble de ces textes est édité par CHARANSONNET, L’université… (op. cit. n. 33), vol. 2 ; on en lira le commentaire ibid., vol. 1, t. 1, p. 97–271. Une partie de ces sermons, ceux consacrés stricto sensu à la croisade, sont édités et traduits par C. MAIER, Crusade propaganda and ideology. Model Sermons for the Preaching of the Cross, Cambridge, 2000. 41 Un moment fort de cette unité retrouvée, presque contemporain de la consécration de la chapelle reliquaire, est la condamnation du Talmud en mai 1248, objectif poursuivi avec acharnement par Eudes de Châteauroux, alors simple maître en théologie et chancelier de l’université parisienne, dès 1244. La très bonne connaissance de la liturgie juive dont témoignent ses trois sermons sur les saintes reliques a évidemment partie liée avec ce fait. Sur le contexte d’ensemble des années 1247–1248, cf. CHARANSONNET, L’université… (op. cit. n. 33), p. 153–169.
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d’Artois ; s’y ajoutent les autres reliques christiques venues ensuite, par le même canal, grossir le trésor : la vraie croix, les clous, le saint suaire, un fragment de la pierre du saint sépulcre, la sainte éponge, le fer de la sainte lance « et d’autres ».42 C’est à l’arrivée de la seconde série que le roi dut, pensent les historiens, concevoir le projet de la Sainte-Chapelle,43 véritable reliquaire dont le programme iconographique trouve sa clef dans la verrière dite précisément des reliques.44 Les motifs politiques de Louis IX sont désormais bien éclairés : au modèle de roi thaumaturge et sacralisé dont il hérite,45 et que symbolise, aux plans architectural comme historiographique, le sanctuaire dionysien traditionnel, le souverain ajoute celui du roi représentant laïc du Christ, conforme à sa spiritualité personnelle et bien accordé à la dévotion dolente du XIIIe siècle, notamment celle des Ordres mendiants, pour l’humanité souffrante et humble du Sauveur ; une nouvelle chapelle royale, à l’image de ce que Charlemagne a fait construire à Aix, s’avère nécessaire.46 42
Cf. supra, n. 35. Cf. LE GOFF, Saint Louis (op. cit. n. 7), p. 146–148 ; J.-M. LENIAUD, et F. PERROT, La Sainte-Chapelle, Paris, 1991, p. 53 et p. 81–117. 44 Cf. LENIAUD et PERROT, La Sainte-Chapelle (op. cit. n. 43), p. 181 ; voir aussi p. 184 où les auteurs, après avoir montré que la « bande dessinée » en vitrail constituée par les 1113 panneaux figurés se répartit en deux grands cycles, historique et spirituel, selon le schème exégétique chrétien traditionnel, insistent sur la différence qui existe pourtant entre ce programme et ceux alors connus, des XIIe et début du XIIIe siècles, par exemple ceux préconisés par Suger pour Saint-Denis. Selon eux, ce qui frappe est l’importance accordée à l’Ancien Testament et le caractère historique accentué de la narration, presqu’entièrement linéaire et centrée sur la royauté, phénomène qu’ils relient aux conceptions du souverain en la matière, surtout p. 192–193 ; ils qualifient l’ensemble, p. 187, de « vaste mise en image de la théologie de l’histoire où le roi régnant trouve tout naturellement sa place ». On discutera plus loin cette appréciation. 45 M. BLOCH, Les rois thaumaturges. Étude sur le caractère surnaturel attribué à la puissance royale particulièrement en France et en Angleterre, Paris, 19832, demeure fondamental. Les historiens postérieurs ont logiquement nuancé les dates et analyses qu’il propose, notamment J. LeGoff qui a voulu reculer le processus de sacralisation de la royauté capétienne, lequel connaît selon lui un achèvement tardif sous sa forme pleine et originale, en gros durant le règne de Louis IX précisément (voir en dernier lieu son texte dans J. LE GOFF, É. PALAZZO, J.-C. BONNE et M.-N. COLETTE, Le sacre royal à l’époque de Saint Louis…, Paris, 2001, p. 19–35) : je demeure convaincu avec M. BLOCH (op. cit., p. 29–30) et le témoignage de Guibert de Nogent que l’essentiel est joué dès le XIIe siècle. Si une restriction s’impose, c’est plutôt que, depuis et sous l’impulsion d’Innocent III, les papes, qu’Eudes de Châteauroux représente, ont stimulé une tendance concurrente, au moins aussi forte, à la désacralisation du pouvoir laïc, cf. R. FOLZ, « Le sacre impérial et son évolution (VIe–XIIIe siècle) », in : Le sacre des rois. Actes du colloque international d’histoire sur les sacres et couronnements royaux (Reims, 1975), Paris, 1985, p. 89–100. 46 Sur la culture historique et la spiritualité du roi, voir en particulier LE GOFF, Saint Louis (op. cit. n. 7), p. 141 et p. 858–886 ; LENIAUD et PERROT, La Sainte-Chapelle (op. cit. n. 43), p. 188–191. Ces derniers citent la lettre d’Innocent IV du 24 mai 1244 où le pape écrit au 43
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La disposition du programme iconographique des vitraux ne doit donc rien au hasard.47 Au nord et au sud, du côté de la nef,48 figurent les scènes historique de la Vulgate,49 car c’est là que se tient le public laïc présent aux cérémonies ;50 le sens en est limpide : inscrire la royauté capétienne dans la continuité historique des rois oints de la Bible, ce qui explique la présence côté sud, en conclusion de ces vitraux, de scènes d’histoire contemporaine.51 À l’est, du côté du chœur où se déroule la célébration liturgique, les scènes figurent, de part et d’autre de la Passion du Christ, les prophètes et les apôtres : même ici, le Nouveau Testament tient beaucoup moins de place que l’Ancien, les deux Jean, le Baptiste et l’Évangéliste, étant présentés davantage comme prophètes que comme saints.52 Si le côté sud ne suit pas, contrairement aux verrières du nord, l’ordre des livres bibliques,53 c’est que le concept que le commanditaire a voulu exprimer est celui de la persona mixta du souverain, à la fois roi et prêtre sur le modèle de Melchisedek54 et du Christ : ce dernier guide Louis IX, qui lui-même conduit son peuple au salut ; cet aspect est particulièrement net en face de ces dernières scènes, dans la verrière des Nombres située juste au-dessus de la niche où le roi prenait place : scènes d’onction et évocations sacerdotales, associant Moïse et Aaron, signiroi que c’est le Christ lui-même qui le couronne à l’occasion de cette translation (éd. RIANT, Exuviae (op. cit. n. 1), p. 128–129) : …nec immerito reputamus, quod te Dominus in sua Corona spinea, cuius custodiam ineffabili dispositione tue commisit excellentie, coronauit ; il faut ici faire la part de la rhétorique propre à la chancellerie pontificale, surtout lorsqu’on connaît les positions théocratique de ce pape ; et celles des circonstances, puisqu’Innocent IV, qui séjourne alors à Lyon pour préparer le concile devant déposer Frédéric II, ne peut se passer de l’appui du Capétien (cf. A. MELLONI, Innocenzo IV. La concezione e l’esperienza della cristianità comme regimen unius personae, Gênes, 1990, p. 80–131). 47 On suit ici l’analyse détaillée de LENIAUD et PERROT, La Sainte-Chapelle (op. cit. n. 43), p. 131–181, quitte à revenir ensuite sur leur interprétation d’ensemble. 48 Cf. LENIAUD et PERROT, La Sainte-Chapelle (op. cit. n. 43), p. 124, le plan qui permet de suivre le commentaire. 49 L’ordre suit celui des livres de la Bible au nord, mais non au sud, voir les explications ci-dessous. 50 LENIAUD et PERROT, La Sainte-Chapelle (op. cit. n. 43), p. 184. 51 LENIAUD et PERROT, La Sainte-Chapelle (op. cit. n. 43), p. 192 ; la verrière est celle dite « des reliques », où figure Louis IX avec les instruments de la Passion. 52 LENIAUD et PERROT, La Sainte-Chapelle (op. cit. n. 43), p. 184. 53 Dans l’ordre, des scènes de Tobie, Judith et Esther précèdent celles des Livres des Rois, juste avant la verrière des reliques. 54 LENIAUD et PERROT, La Sainte-Chapelle (op. cit. n. 43), p. 192–193. Sur la figure de Melchisedek, cf. G. WUTTKE, Melchisedech der Priesterkönig von Salem : eine Studie zur Geschichte der Exegese, Giessen, 1927 ; J. FUNKENSTEIN, « Malkizedek in der Staatslehre », Archiv für Rechts- und Sozialphilosophie, 41, 1954, p. 32–36 ; R. E. LERNER, « Joachim of Fiore as a Link between St. Bernard and Innocent III on the Figural Significance of Melchisedech », Mediaeval Studies, 42, 1980, p. 471–476.
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fient sans équivoque cette mixité de la personne du souverain.55 La fonction eschatologique du Capétien, guidant son peuple vers le Jugement, achève de trouver son expression dans la rosace de l’Apocalypse à l’ouest, redoublée à l’extérieur du bâtiment par la représentation du Jugement dernier sur le tympan. C’est bien l’Histoire, et à travers elle l’influence du renouveau de l’exégèse littérale à partir du second XIIe siècle, qui est au centre de cette composition ;56 de ce point de vue la présence des prophètes au milieu des scènes historiques ne constitue pas une rupture : d’une part parce que l’histoire et la prophétie, entendue dans son sens orthodoxe, ne sont pas de nature fondamentalement différente au Moyen âge ;57 d’autre part parce que l’exégèse, Eudes de Châteauroux en fournit moult exemples, applique fréquemment les prophéties ou les actions de personnages historiques de l’Ancien Testament aux circonstances contemporaines. Cette notion de la continuité historique entre royauté d’Israël et royauté capétienne ouvre le texte des indulgences que les prélats présents à la consécration, six archevêques et onze évêques, concèdent aux visiteurs en avril 1248.58 Il est clair que la croisade n’a pu que conforter et accélérer la réalisation d’un tel programme, puisqu’elle constitue la première étape de cette marche vers le Royaume. 55 Toutes ces analyses procèdent fondamentalement d’E. KANTOROWICZ, Les deux corps du roi. Essai sur la théologie politique au Moyen Âge, Paris, 1989 (traduction de The King’s two Bodies. A Study in Mediaeval Political Theology, Princeton, 1957). Un bel exemple de cette assimilation au type de Melchisedech figure dans une enluminure du Psautier de saint Louis (Paris, BnF, lat. 10525, f. 6v), reproduite dans LENIAUD et PERROT, La Sainte-Chapelle (op. cit. n. 43), p. 95. 56 C’est là le fil rouge de B. SMALLEY, The Study of the Bible in the Middle Ages, Oxford, 19842. 57 Sur la nature de l’histoire et son apparentement à la prophétie, voir B. GUENÉE, Histoire et culture historique dans l’Occident médiéval, Paris, 1980, surtout p. 20s. En faveur de la prophétie qu’on peut qualifier d’ « orthodoxe », par opposition à une exégèse prophétique dissidente, voire hérétique, le plus souvent à usage politique elle aussi, Eudes de Châteauroux devait s’engager très fortement quelques années plus tard, lors de la sévère bataille théologico-politique qu’il eut à mener pour défendre l’orthodoxie, contre l’Introduction à l’Évangile éternel du Franciscain Gérard de Borgo San Donnino, s’inspirant lui-même de Joachim de Fiore, puis contre les partisans impériaux et leurs manifestes prophétiques attribués à Joachim, dans le cadre de la conquête du royaume de Naples par Charles d’Anjou, frère de Louis IX (cf. CHARANSONNET, L’université… (op. cit. n. 33), p. 279– 384). 58 Éd. J. DE LABORDE, Layettes du Trésor des chartes, t. 3, Paris, 1875, p. 26, n° 3652 : Si populus Israel, qui sub legis umbra viuebat, frequenter accedens oraturus ad locum quem elegit Dominus ut ibi poneret nomen suum, vota et denaria plurima offerebat, multo fortius populus christianus… tenetur ecclesias… congruis honoribus frequentare… Sane, cum capella illustrissimi Regis Francorum… fuerit a reuerendo patre Odone, Dei gratia Tusaculanensi episcopo, legato sedis apostolice, nobis eidem assistentibus, dedicata…
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Cette vision de l’Histoire et du sens précis de la croisade semblent largement partagée par le légat, à lire le sermon pour la fête des saintes reliques qu’il délivre, selon l’hypothèse proposée, le 26 avril 1248, à l’occasion de la consécration officielle de la Sainte-Chapelle, et qui apparaît à beaucoup d’égards comme un exposé théologico-historique des vitraux que les présents ont sous les yeux.59 Le texte en est très proche par l’esprit de celui des indulgences qu’il concède le 27 mai 1248, où il rappelle sa consécration et adopte un ton très personnel.60 Mais il souligne dans son discours, avec beaucoup plus de netteté que ne semblent le faire les vitraux, du moins si l’on s’en tient à l’analyse du monument proposée ci-dessus, la nature fondamentalement différente de la Nouvelle Alliance inaugurée par le Sauveur, notamment la supériorité des rites et des reliques chrétiens sur ceux dont a hérité le Judaïsme ; le contexte contemporain de la condamnation du Talmud interdit de négliger ce contraste. Un autre sermon de croisade, de peu antérieur, exaltait le bois de la croix ;61 celui-ci illustre la même réflexion théologique sur la Passion du Christ, attribuée sans doute trop unilatéralement à l’influence du cercle mendiant royal. Au-delà des vitraux à strictement parler, l’ensemble de la chapelle-reliquaire où il est prononcé constitue un hymne à ce mystère central de l’économie du salut chrétien, puisque quatre éléments structurent le message religieux de l’édifice :62 la châsse contenant les reliques, où sont représentées la Crucifixion, la Flagellation et la Résurrection ; les vitraux ; la retombée des arcs, où figurent les apôtres, rarement présents dans les chapelles palatines existant antérieurement ;63 des scènes de martyre dans des médaillons 59
Pour en finir avec les problèmes de datation de ce sermon, si la fin d’avril 1248 paraît hors de doute, on ne peut affirmer que le discours a été donné le jour même de la consécration, car si le rôle majeur d’Eudes de Châteauroux lors de cette cérémonie est assuré (voir note précédente), aucune source ne mentionne explicitement un sermon de sa part le jour de la dédicace. De plus, l’orateur dans l’édition de ses sermons en a regroupé un certain nombre sous la rubrique des dédicaces d’églises ; or les trois sermons pour la fête des saintes reliques forment un groupe distinct de cet autre pour les dédicaces, au sein même des sermons « de circonstances » (« De casibus » dans les manuscrits). 60 Cf. l’éd. RIANT, Exuviae… (op. cit. n. 1), p. 136–137 : …unde noster animus, in quadam magna extasi pre ammiratione suspensus, quodam modo expauescit, quia non potest tanta Dei magnalia dignis attollere laudibus, vel debita honorificencia resonare, licet assurgamus ad quas possumus gratiarum actiones multiplices exsoluendas ; nos volentes ut eadem capella, quam in honore sancte Corone ac victoriossime crucis prefate consecrauimus, in octauis Resurrectionis dominice… 61 Cf. CHARANSONNET, L’université… (op. cit. n. 33), édition du texte p. 697–699 ; commentaire p. 115–119. 62 Cf. LENIAUD et PERROT, La Sainte-Chapelle (op. cit. n. 43), p. 94–96. 63 LENIAUD et PERROT, La Sainte-Chapelle (op. cit. n. 43), p. 96 ; les auteurs lisent à juste titre dans cette innovation la volonté d’insister sur le compagnonnage terrestre du Christ
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peints. Or tout le sermon d’Eudes de Châteauroux, chef spirituel de la croisade, à la Sainte-Chapelle, est centré sur la succession PassionRésurrection-Rédemption, exactement comme la châsse contenant les reliques.64 Sa valeur n’en est que soulignée. Le caractère unique de la venue sur terre du Sauveur structure en deux parties le discours, en considérant dans un double sens littéral un verset des Psaumes, livre biblique cher au roi :65 « Merveilleux sont tes témoignages, aussi mon âme les scrute » ; c’est au sens strict du terme la littera, entendue comme l’étude grammaticale du sens des phrases, qui détermine les deux significations possibles de la citation : « tes merveilles, c’est à dire ce qui témoigne de toi », ou bien : « tes merveilles, c’est à dire ce dont tu portes toi-même témoignage ».66 La suite du texte traite sans les distinguer explicitement ces deux catégories de témoignages ; on s’aperçoit cependant que les opera du Seigneur se rapportent à la première catégorie, et ses verba à la seconde, de sorte que l’orateur suit en fait deux pistes : la première interprétation mène à contempler la création, la seconde à considérer la rédemption que le sacrifice du Christ a procuré aux hommes ; l’introduction appuie ces deux interprétations par quatre citations de l’Évangile de Jean :67 on ne peut établir plus clairement le lien entre ancienne
et la valeur de symbole ecclésiologique du collège apostolique. 64 Cf. R. BRANNER, « The Grande Châsse of the Sainte-Chapelle », Gazette des Beaux-Arts, 77, 1971, p. 5–18, surtout p. 15s., où l’auteur démontre que la châsse n’est pas uniquement un reliquaire, réalisant l’équation politique couronne royale = couronne d’épines, mais aussi un manifeste exaltant le dogme de la Rédemption : « C’était plutôt le thème de la rédemption, Christ comme source de grâce à travers lequel l’humanité serait rachetée, Christ le prêtre-victime, médiateur des activités rédemptrices de Dieu… » ; voir aussi la conclusion de l’auteur p. 16 sur la signification globale de la décoration de la châsse. Compléter, pour la position de la Grande Châsse à l’intérieur du sanctuaire, par C. REYNOLDS et J. STRATFORD, « Le manuscrit dit ‘Le pontifical de Poitiers’ », Revue de l’Art, 84, 1989, p. 61–80. 65 Et qui réside à la base de l’éducation religieuse, puisque c’est là que les enfants chrétiens apprenaient à lire, cf. D. ALEXANDRE-BIDON et D. LETT, Les enfants au Moyen âge, Ve–XVe siècles, Paris, 1997, p. 85–86. 66 Sur la « littera », cf. G. DAHAN, L’exégèse chrétienne de la Bible en Occident médiéval, XIIe–XIVe siècle, Paris, 1999, p. 242–262. 67 CHARANSONNET, L’université… (op. cit. n. 33), édition p. 729 : Hoc duobus modis poteste intelligi. Mirabilia testimonia tua (Ps. 118,129), id est que de te testantur, vel ea que tu ipse testaris. Testimonia enim que de ipso Domino testantur mirabilia sunt et ideo perscrutanda. Testantur enim de Domino non tantummodo verba, immo opera, que sunt testimonia valde credibilia ; immo talia que homo non potest non credere, et quibus humana ratio aliquam tergiversacionem non potest contradicere. Unde Iohanne v° : Opera que ego facio testimonium perhibent de me (Io. 5,36). Et in eodem : Scrutamini scripturas in quibus putatis vitam eternam habere, ille sunt que testimonium perhibent de me (Io. 5,39). Et in eodem : Qui misit me Pater perhibet de me (Io. 5,37). Et in eodem : Vos misistis ad Iohannem et ipse testimonium perhibuit veritati (Io. 5,33).
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et nouvelle lois, entre Ancien et Nouveau Testaments.68 Le premier point du sermon consiste en une réflexion théologique sur la création, reprenant la conception augustinienne que l’apparence des créatures donne une idée du Créateur, qui en disposant tout en ordre, en poids et en mesure, a montré sa puissance, sa sagesse et sa bonté ; de même Il a montré son éternité en créant tout sans que le principe de sa création puisse être compris des hommes, ainsi que son unicité, en étant au principe de tout le créé.69 Le second point aborde les oeuvres de la « recréation »70 et compte au nombre de ces œuvres les saintes reliques énumérées : la sainte couronne, la croix, les clous, le suaire, le sépulcre, l’éponge, le fer de la lance, et d’autres encore ; le caractère de preuves matérielles que ces reliques revêtent est souligné par un parallèle avec l’Ancien Testament : dans Josué (4,1 ss.), les fils d’Israël ont extrait douze pierres du Jourdain pour prouver qu’ils l’avaient effectivement traversé à pied sec.71 La proximité du départ en croisade comme de la condamnation définitive, à peu près contemporaine, du Talmud, se devinent quand l’orateur affirme avec habileté que « C’est là l’œuvre de rédemption, un témoignage d’amour du Seigneur si violent que les Juifs, les Sarrasins et les autres infidèles ne peuvent croire que Dieu ait aimé les hommes à ce point ».72 La com68 Ici comme ailleurs, Eudes de Châteauroux aborde le sens littéral d’un point de vue englobant, très caractéristique de l’évolution de l’herméneutique biblique à partir d’Hugues de Saint-Victor ; à strictement parler en effet, le Nouveau Testament n’est pas susceptible d’interprétation historique au sens traditionnel de l’expression, c’est-à-dire comme annonçant les événements à venir, s’accomplissant dans une révélation, puisqu’il est lui-même la Révélation. Il ne peut que narrer la vie et les paroles du Christ venu sauver les hommes ; à moins de s’engager dans la direction, potentiellement dangereuse, d’une lecture prophétique de cette partie de la Bible et plus particulièrement de l’Apocalypse, comme s’y sont risqués divers exégètes, mais particulièrement Joachim de Fiore à la fin du XIIe siècle. 69 Cf. CHARANSONNET, L’université… (op. cit. n. 33), édition p. 730 : Ostendit enim se esse eternum, quia illud per quod facta sunt omnia non potest intelligi esse factum. Similiter, per quod omnia sumpserunt exordium, exordium habere non potuit. Et quia omnis numerus ab unitate incipit, oportuit ut ille a quo omnia [sunt] sit unicus. Sic ergo opera creationis quedam testimonia sunt Domini. 70 CHARANSONNET, L’université… (op. cit. n. 33), édition p. 731 : Opera vero recreationis sunt testimonia mirabilia Domini, quod nos diligat…. 71 Cf. supra, n. 35. 72 Cf. CHARANSONNET, L’université… (op. cit. n. 33), édition p. 731 : Hoc est opus redempcionis, quod est adeo violentum testimonium amoris Domini, quod Iudei, Sarraceni et alii infideles credere non possunt quod Deus homines tantum dilexerit. On notera ici la mise sur le même plan des Juifs et des Sarrasins, éloquente : c’est bien la preuve que l’affaire du Talmud a profondément ébranlé la vision que l’auteur se fait de la Synagogue et de son rôle historique, cela d’autant plus que les développements qui suivent enchaînent les parallèles avec l’histoire du peuple hébreu et des témoignages de sa foi, qui préfigurent ceux du Christ. Du point de vue théologique toutefois, le rapprochement entre Juifs et Sarrasins n’apparaît pas comme purement polémique : ce que ces deux peuples rivaux monothéistes refusent
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paraison de la même croisade avec l’Exode est implicite et assimile le peuple de France aux Hébreux ; avec toutefois un avantage aux Chrétiens, car après l’évocation des grandes étapes de la fuite d’Égypte et de la traversée du désert, où Dieu a nourri Israël et ouvert devant elle la Mer Rouge, l’auteur conclut que « Les fils d’Israël tenaient en grande vénération ces témoignages, la manne, la verge, les tables et le deutéronome ; en beaucoup plus grande vénération devons-nous tenir ces témoignages que nous avons sous la main..., car ils sont de bien plus de valeur que ceux-là, eux qui témoignent de notre rédemption et de l’amour ineffable dont Dieu nous a aimés ».73 Le principal mérite de cette comparaison des deux Testaments ne consiste donc pas simplement à situer la royauté capétienne dans le droit fil de la royauté biblique, ce qui minorerait la signification théologique du sacrifice du Christ ; sa valeur, rappelée dans les menus détails concrets que chaque relique signifie, marque un degré supérieur par rapport à l’amour que le Dieu de l’Ancien Testament avait montré pour son peuple, en le soutenant dans les épreuves et en l’instruisant. Ce saut qualitatif d’un Testament à l’autre est bien l’exact correspondant du « saut herméneutique » accompli par l’exégète lorsqu’il interprète spirituellement la Bible. Un public en large part laïc se voit ainsi invité à retrouver, sous une forme renouvelée car beaucoup plus concrète, matérialisée, celle des instruments de la Passion, le sens de la Bible conduisant à la compréhension du mystère divin : par là le Chrétien s’identifie au Christ qui l’a créé puis recréé.74 On ne saurait sous-estimer la densité du commentaire et du message, inscrit dans la tradition de la méditation de la Passion, mais renouvelé des tendances historicisantes de l’exégèse comme de la
d’admettre, nous dit l’auteur, c’est l’Incarnation. Les Chrétiens, on le sait, avaient bien conscience que Judaïsme et Islam convergeaient pour dénoncer leur « faux » monothéisme, cf. N. DANIEL, Islam et Occident, Paris, 1993, en particulier p. 237–259. 73 Cf. CHARANSONNET, L’université… (op. cit. n. 33), édition p. 731 : In magna veneracione habebant filii Israel ista testimonia, Mahu scilicet, virgam et tabulas et Deuteronomium. In multo maiori debemus habere ista testimonia que pre manibus habemus, sanctam coronam scilicet et crucem etc., quia multo maioris rei sunt hec testimonia quam illa, scilicet redempcionis nostre et tam ineffabilis dilectionis qua Deus dilexit nos. 74 Cf. CHARANSONNET, L’université… (op. cit. n. 33), p. 732 : Et ideo ista testimonia valde sunt mirabilia. Et ideo ea debemus corde intentissimo perscrutari et ea habere pre oculis ut nos inflamment ad amorem Dei et inducant nos et stimulent ut ei vicem pro nostro modulo repandamus, ut ille qui nos creauit et recreauit nos glorificet Ihesus Christus...
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spiritualité doloriste du XIIIe siècle ;75 synthèse qui donne sa pleine dimension eschatologique à la croisade. Le second sermon doit être placé dans un contexte très différent du précédent. L’armée chrétienne vient de débarquer à Damiette, choisie comme tête de pont, puisque l’objectif est de mettre à la merci les Égyptiens en marchant sur Le Caire ou Alexandrie. Heureux présage, quasi miracle, la ville est tombée sans presque de résistance ;76 par contre, avant de poursuivre son expédition, le roi attend le renfort de son frère Alphonse de Poitiers, qui tarde. Début octobre 1249, sur le conseil de Joinville qui a vu un autre prélat pratiquer ainsi avec succès, alors que le navire où le sénéchal se trouvait était égaré en mer, Eudes de Châteauroux fait « crier » trois processions trois samedis de suite, pour hâter la venue du comte et protéger son voyage.77 Le chroniqueur précise que les deux premiers samedis, le légat donne un sermon devant le roi et les barons, à qui il accorde une indulgence plénière.78 Il serait tentant de faire correspondre le second sermon conservé dans les manuscrits avec l’un des deux discours du légat évoqués par Joinville. La rubrique, in festo sanctorum reliquiarum, ne concorde cependant ni avec le 9 octobre ni avec le 16, mais suggère que la date la plus probable pour ce sermon est le 30 septembre 1249. Qu’il s’agisse d’un sermon donné durant la croisade, ce sont les termes mêmes de l’orateur qui le suggèrent, car il apostrophe ainsi les croisés : « Ainsi le Seigneur a-t-il ces temps-ci enivré le roi de France, ses frères, ses soldats et le peuple de ce même royaume afin de faire d’eux sa volonté ; si en effet ils n’avaient pas été enivrés, ils n’auraient pas pris la croix ».79 Une autre allusion, déjà évoquée, prouve que le ser75
Voir dans ce sens SMALLEY, The Study of the Bible (op. cit. n. 56), p. 284s., sur le désir d’imitation aussi littérale que possible du Christ par François d’Assise. 76 Cf. pour les sources chrétiennes J. RICHARD, « La fondation d’une église latine en Orient par saint Louis : Damiette », Bibliothèque de l’École des Chartes, 120, 1962, p. 39–54 ; J. MONFRIN, « Joinville et la prise de Damiette (1249) », Comptes rendus de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres, 1976, p. 268–285 ; pour le point de vue consonnant des sources musulmanes, A.-M. EDDÉ, « Saint Louis et la Septième croisade vus par les auteurs arabes », Cahiers de recherches médiévales, 1, 1996, p. 65–92, article repris in : Les relations des pays d’Islam avec le monde latin du milieu du Xe siècle au milieu du XIIIe siècle, éd. F. MICHEAU, Paris, 2000, p. 72–111. 77 Cf. JOINVILLE, Vie de saint Louis, éd. J. MONFRIN, Paris, 1995, § 180 ; la date fournie par le chroniqueur est : « après la Saint-Rémi », fêtée le premier octobre. Les samedis qu’il évoque pourraient en toute hypothèse tomber les 9, 16 et 23 octobre 1249, puique le 24, le comte de Poitiers est arrivé à Damiette (ibid., § 182). 78 JOINVILLE, Vie de saint Louis (op. cit. n. 77), § 181. 79 Cf. CHARANSONNET, L’université… (op. cit. n. 33), édition p. 745 : Sic Dominus inebriauit hiis temporibus regem Francie, fratres eius, militiam et populum eiusdem regni ut de eis faciat volun-
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mon est prononcé très probablement en Égypte, devant Damiette à peine conquise, car Eudes de Châteauroux, évoquant le débarquement des croisés, s’exclame : « Quelle plus grande audace peut exister, que d’attaquer le paganisme là où sa puissance était la plus grande ? ».80 Outre que ce passage confirme le caractère stratégique d’une attaque contre le sultanat ayyubide d’Égypte, on note l’usage du passé (« là où sa puissance était la plus grande »), signe que le débarquement devant Damiette a déjà eu lieu. La date du 30 septembre proposée pour ce sermon a déjà été justifiée d’après la rubrique : seule la fête de cette date, parmi les nombreuses solennités liturgiques dont la venue des reliques du Christ en France avait donné l’occasion, porte exactement ce nom.81 Insistons : l’armée chrétienne, durant son séjour à Damiette, doute malgré ses succès initiaux, dans la mesure où les renforts que doit conduire Alphonse de Poitiers, frère du roi, n’arrivent pas ; le ton du sermon, qui cherche visiblement à réconforter les croisés, correspondrait bien à un tel climat, fin septembre 1249. Pour expliquer la discordance entre ces déductions et les dates procurées par Joinville, on peut songer à une erreur de mémoire du chroniqueur, qui écrit longtemps après les faits, ou encore à un respect dans l’esprit, mais non à la lettre, du temps de la liturgie par lui. Quoi qu’il en soit, Joinville se rappelle que durant cette période, à la veille du départ pour les terres inconnues du sud égyptien, le légat a prêché, et il n’est pas indifférent que le sermon de croisade qui paraît se rapprocher le mieux de ces dates soit consacré aux plus tatem. Nisi enim fuissent inebriati, crucem non assumpsissent. On notera une autre allusion, qui confirme que nous ne sommes plus en France : à la fin du texte, l’orateur, pour illustrer les bienfaits spéciaux que Dieu a accordé aux Chrétiens, se donne lui-même en exemple et déclare : « Il [Dieu] m’a donné de faire des études, alors que mes concitoyens, qui possédaient davantage de moyens que moi pour payer un séjour aux écoles, ne l’ont pas fait ; il m’a donné d’entendre l’Écriture sacrée ; de fréquenter une agréable société, d’être promu prêtre, de devenir par sa volonté son prédicateur et d’être conduit ici avec vous ; il m’a fait votre pasteur » (éd. cit. p. 746 : Et ut de aliis taceam, de me possum ponere exemplum. Dedit michi Dominus ut essem in studio, quod non est datum conuicaneis meis qui plura habebant de quibus in scolis poterant habundantius sustentari. Dedit michi ut audirem sacram scripturam, quod fui in bona societate, quod promouit me in sacerdotem, quod voluit et fecit me predicatorem suum, quod adduxit me hic vobiscum. Fecit me pastorem vestrum). 80 Cf. CHARANSONNET, L’université… (op. cit. n. 33), édition p. 745 : Item vinum audaces facit. Que maior audacia quam aggredi paganismum ex illa parte in qua erat amplior fortitudo ? 81 Cf. BILLOT, « Le message spirituel... » (op. cit. n. 4), p. 126 pour les trois fêtes fondées par Louis IX en 1244–1246 (et supra, n. 4) : le 11 août, la susception de la Sainte Couronne ; le 30 septembre, la fête dite des « saintes reliques », correspondant à l’arrivée d’un grand fragment de la vraie croix avec d’autres reliques ; le 3 août, la fête de la Croix de la Victoire, correspondant à son arrivée le 3 août 1242 avec la sainte Lance et la sainte Éponge ; à quoi il faut ajouter les deux fêtes traditionnelles de l’invention (3 mai) et de l’exaltation (14 septembre) de la croix, ainsi que la fête de la dédicace du 26 avril.
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saintes reliques que possède le royaume capétien, celles du Seigneur, dont une partie au moins a été transportée avec l’expédition si l’on se fie aux chroniqueurs.82 Le début du sermon est très différent de celui prononcé pour la dédicace de la chapelle haute en 1248 : ce dernier était introduit, de la façon la plus classique, par les deux modes, c’est-à-dire les deux sens de l’Écriture, selon lesquels le thème biblique du sermon était à entendre ; ici, Eudes de Châteauroux part bien du thème biblique qu’il a choisi, tiré d’Osée, mais pour interpeller ses auditeurs : « Vous savez, très chers, qu’aujourd’hui, nous célébrons la fête des saintes reliques que le Seigneur nous a léguées comme une sorte de mémorial de ce qu’il a réalisé et accompli pour nous... » ;83 tout le premier paragraphe du texte insiste sur cette fonction mémoriale des reliques christiques, joliment comparées au début du premier point du développement au cadeau que l’ami nous fait pour que nous conservions son souvenir.84 Signe que les croisés sont enfin parvenus au terme de leur quête, la reconquête des lieux où le Christ a vécu, l’exégèse du verset biblique choisi comme thème est entièrement littérale : sans aucun doute possible pour sa première partie (memoriale eius) ; exégèse littérale de fait pour la seconde partie, car l’interprétation du « vin du Liban » n’est 82 L’orateur évoque ces reliques comme si une partie d’entre elles au moins était sous les yeux des auditeurs (cf. CHARANSONNET, L’université… (op. cit. n. 33), édition p. 744) : Has sanctas reliquias : crucem, sanctam coronam…. Les chroniqueurs décrivent effectivement le légat, lors de l’entrée dans Damiette, portant la sainte Croix, cf. ibid., vol. 1, t. 1, p. 221 note 140. Par ailleurs, cette énumération pose un problème : O et P donnent la même liste de reliques, respectivement aux f. 286ra et 121ra (… crucem, sanctam coronam, peplum eiusdem et pannos infancie saluatoris et alia pignora) ; A, plus tardif, qui reprend les sermons de O mais en ajoute de nouveaux, complète ainsi la liste (f. 81va) : « … crucem, sanctam coronam, ferrum lancee, pallium, sanguinem, arundinem, syndonem, lac virginis gloriose, peplum eiusdem et pannos infancie saluatoris et alia pignora ». La différence principale pourrait être constituée par l’absence du saint Sang dans la première version, alors qu’à cette époque (années 1240–1250), une polémique sur l’authenticité de cette relique sévit dans le milieu des théologiens, polémique qui a débuté lorsque le roi d’Angleterre Henri III, dans une volonté quasi explicite de faire pièce au trésor amassé par Louis IX à la Sainte-Chapelle, a fait don d’une relique de ce type, à lui offerte par le patriarche de Jérusalem, aux moines de Westminster (voir en dernier lieu N. VINCENT, The Holy Blood. King Henry III and the Westminster Blood Relic, Cambridge, 2001). 83 Cf. CHARANSONNET, L’université… (op. cit. n. 33), édition p. 742 : Scitis Karissimi quod hodie celebramus festiuitatem sanctarum reliquiarum quas Dominus nobis reliquit quasi quoddam memoriale eorum que pro nobis pertulit atque gessit. 84 Les mots précis de l’orateur sont imprégnés de l’univers mental féodal : « Il est habituel de donner à son ami de temps à autre un anneau ou une médaille ou autre chose de la sorte, afin que le bénéficiaire conserve le souvenir du donneur » (ibid., édition p. 742–743 : Consuetudo enim est dare amico suo aliquando anulum vel cisum vel aliquid huiusmodi, ut recipiens memoriam habeat conferentis).
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pas allégorique au sens exact, mais métaphorique (ces reliques comme le vin du Liban doivent nous enivrer), incluse à ce titre dans le sens littéral tel que le mouvement exégétique du XIIIe siècle l’a redéfini en l’élargissant.85 Le texte est entièrement structuré sur la fonction de mémoire : alors que le sermon de 1248 à Paris fonctionnait sur la scansion création-rédemption, en plein accord avec l’iconographie du lieu où il prenait place, la Sainte-Chapelle, celui-ci ne dit rien de la création, mais divise en deux parties ce qui, dans le discours parisien, n’en faisait qu’un et constituait le second point du développement : ici, pour souligner davantage, sur les lieux mêmes où prennent place quelques-uns des grands événements bibliques, notamment l’Exode du peuple élu de l’Ancien Testament, le parallèle entre l’Ancienne et la Nouvelle Alliances, l’auteur consacre un premier point aux bienfaits octroyés par le Seigneur à Israël pour éviter que son peuple ne l’oublie, bienfaits dont les principales fêtes juives commémorent, au sens exact, l’institution, et dont les grandes reliques placées dans l’arche d’Alliance, la manne, la verge, les tables et le Deutéronome, rappellent le souvenir ;86 le second point démontre toute85 Sur la métaphore comme partie intégrante de l’exégèse littérale au XIIIe siècle, voir en dernier lieu DAHAN, L’exégèse chrétienne... (op. cit. n. 66), p. 426–435. 86 Le parallèle Juifs d’hier – Chrétiens d’aujourd’hui est particulièrement expressif dans le commentaire d’un passage du Deutéronome : « De même, dans le Deutéronome viii, après que le Seigneur a énuméré les bienfaits qu’il a donnés à son peuple en le conduisant hors d’Égypte, en le menant par le désert et en l’introduisant en terre promise, il ajoute… » (suit la citation de Dt. 8,11–14, qui se termine par une mention de l’Égypte) ; la traduction ne peut malheureusement rendre la travail de l’auteur sur la langue, son vocabulaire et ses sons (cf. CHARANSONNET, L’université… (op. cit. n. 33), édition p. 743 : Similiter in Deuteronomio viii°, postquam enumerauit Dominus bona que fecerat populo suo educendo eum de Egipto et deducendo per desertum et inducendo in terram promissionis…). La même volonté de serrer de près le parallèle entre Ancienne et Nouvelle Alliances, reposant in fine sur les conceptions herméneutiques de l’orateur, se traduit par le fait que le premier point du sermon use exclusivement de citations vétéro-testamentaires, surtout extraites des Livres prophétiques, tandis que le second introduit, commentant la valeur du sacrifice christique, des citations néo-testamentaires (par exemple, éd. cit. p. 744 : O quomodo gauderet quis si certus esset quod imperator vel rex eum diligeret ! Io. iii° : Sic Deus dilexit mundum ut unigenitum suum daret (Io. 3,16) ; immo Filius seipsum dedit et tradidit semetipsum, redempcionem pro multis. Quod attendens apostolus dicit ad Galatos ultimo : Michi autem absit gloriari nisi in cruce Domini nostri Ihesu Christi (Gal. 6,14)). Dans le même ordre d’idées, se situe la mention quasi exhaustive des principales fêtes juives. Sont citées d’une part les trois plus anciennes, qui marquent la rythme des saisons (éd. cit., p. 743 : Propter hoc, ne ipsi obliuiscerentur beneficia Domini antedicta, instituta fuerunt festa : Pascha, Penthecostes, Cenophegia. Propter hoc etiam reposita fuerunt in archa mahu, virga et tabule et deuteronomius. Et ideo etiam tabernaculum illud tabernaculum testimonii dicebatur…), à savoir : au printemps, le fêtes des Azymes, très tôt liée avec la solemnité de la Pâque ; en été, la fête de la moisson, dite la fêtes des Semaines ou Pentecôte ; en automne, la fête de la récolte, devenue la fêtes des Huttes (ou, dans les textes grecs, des Tentes, terme rendu en latin par « tabernacula »). D’autre part, les fêtes plus récentes ne sont pas négli-
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fois que tout cela n’est rien en comparaison de ce que le Christ a fait pour les Chrétiens, dont le mémorial culmine sous la forme des saintes reliques, mais qui se traduit aussi dans l’institution des six grandes fêtes christiques, l’Annonciation, la Nativité, la Circoncision, le Baptême, la Passion et la Résurrection.87 Le mélange de notations spirituelles et de comparaisons triviales,88 caractéristique d’une prédication qui s’adresse largement aux laïcs, fournit de nombreux arguments en vue de crédibiliser un objectif essentiel : vous les croisés qui, enivrés et fous de Dieu, avez quitté tout ce qui vous était cher pour suivre le Christ, vous constituez le nouveau peuple élu ;89 d’où l’apostrophe qui suit : « Ainsi le Seigneur a enivré ces temps-ci le roi de France, ses frères, les guerriers et le peuple de ce même royaume pour faire d’eux sa volonté ; car s’ils n’avaient point été ivres, ils n’auraient pas pris la croix. Cela, c’est ce mémorial de la Passion du Seigneur qui l’a accompli, semblable au vin, mieux, supérieur au vin du Liban ». Présent aussi ce qui constitue, si l’on peut dire, la marque d’authenticité des sermons d’Eudes de Châteauroux, à savoir l’engagement personnel de l’auteur dans l’entreprise et sa pleine confiance dans la protection divine : il nous livre ainsi le seul passage d’où l’on peut, gées (éd. cit. p. 743–744 : Sic et in Hester festum Phurim, id est Sortium, fuit institutum, ut Iudei in memoria haberent quomodo Dominus populum suum liberauerat ab excidio quod ei Aman procurauerat. Similiter temporibus Machabeorum festum enciniorum institutum fuit, ut in memoria haberent quomodo Deux eis restituerat templum) : celle des Sorts ou Pourim, et celle de la Dédicace ou Hanoukka. 87 Cf. CHARANSONNET, L’université… (op. cit. n. 33), édition p. 744 : Hec autem omnia predicta beneficia parua fuerunt immo quasi nulla, in comparacione eorum beneficiorum que Dominus nobis contulit et que pro nobis sustinuit atque gessit. Et ideo ad reuocandum ea ad memoriam instituta sunt festa in Ecclesia Dei : Annunciationis, Natiuitatis, Circumcisionis, Baptismi, Passionis et Resurrectionis, ut nullus possit hec ignorare nec possit se excusare si hoc ignoret. 88 Ainsi par exemple : « Nous aimons les chiens car ils nous témoignent des signes d’amitié » (CHARANSONNET, L’université… (op. cit. n. 33), p. 745) : Diligimus canes quia nobis signa amicitie ostendunt), constat qui suit de près un paragraphe de haute tenue sur la valeur rédemptrice du sacrifice du Christ : « Qu’est-ce qui doit autant réjouir le cœur de l’homme, que la pensée que le Seigneur l’a aimé au point de se sacrifier soi-même pour lui ? » (ibid., p. 744 : Quid ita debet letificare cor hominis, sicut quando recogitat quod Dominus eum tantum dilexit quod seipsum pro eo dedit ?). 89 Voir en particulier CHARANSONNET, L’université… (op. cit. n. 33), p. 745, aux lignes 71–87, tout le passage sur le thème de la folie sage, qui sauve les hommes qu’elle paraissait devoir perdre, avec à l’appui de nombreux exemples. Parmi ceux vétéro-testamentaires, on en trouve deux, sans doute point par hasard, qui mentionnent des rois, David et Jéhu, ce dernier oint par un disciple d’Hélisée, que les conseillers royaux jugent fou : allusion au choix de Louis IX de débarquer en Égypte, que certains des Grands qui l’accompagnaient auraient critiqué ? L’exemple néo-testamentaire mentionne, là encore intentionnellement, la furie du Christ décrite par Marc : implicitement, on retrouve toujours les deux modèles proposés à Louis IX, celui de la royauté biblique et de la royauté du Christ, ainsi qu’une probable allusion à ses décisions stratégiques.
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prudemment, tirer quelques renseignements sur ses origines sociales et culturelles, passage où s’entend une véritable action de grâce à l’intention du créateur, moment d’effusion qui rappelle l’étonnement d’un saint François devant les bienfaits du Christ, ainsi qu’un manifeste clair des fonctions essentielles du prêtre chrétien, la prédication et la sollicitude pastorale pour le troupeau confié à ses soins.90 Le troisième sermon aborde les mêmes thèmes dans un contexte encore renouvelé, puisque l’expédition de croisade, du point de vue de ses objectifs majeurs, a échoué. Ce n’est pas sans amertume que le légat tente alors un bilan explicatif, évidemment indispensable pour convaincre l’armée que le choix de Louis IX de demeurer en Orient est malgré tout justifié. Ce dernier sermon de la série consacrée par Eudes de Châteauroux à la fête des saintes reliques paraît devoir être daté du 30 septembre 1251, c’est à dire peu après l’arrivée en terre sainte, à cause d’une allusion, en tout début du sermon, permise par l’exégèse du verset choisi comme thema du discours. Pour justifier le choix du thema, l’orateur s’appuie en effet sur une citation du Livre de l’Exode (16,32), où Dieu rappelle aux Israëlites le pain dont il les a nourris dans le désert, lorsqu’il les a fait sortir du pays d’Égypte. Sortir d’Égypte, c’est précisément ce qui vient d’arriver aux croisés.91 Il y a toutes les raisons de penser, lorsqu’on a fréquenté un peu longuement la prédication du cardinal et qu’on connaît ses méthodes d’exégèse biblique, que le thema n’a pas été choisi au hasard et comporte d’abord une signification littérale : nous sommes en Terre sainte, et c’est aux vaincus de la première partie de l’expédition que l’orateur, 90
Cf. supra, n. 79. L’allusion à l’Égypte, à l’origine de la proposition de datation du sermon, se lit au tout début (cf. CHARANSONNET, L’université… (op. cit. n. 33), édition p. 763) : Hec precepit Dominus Moysi ut esset in memoriale filiis Israel beneficii quod Dominus eis contulerat cibando eos tali cibo, scilicet mahu, et in tali loco, in deserto, et tanto tempore, scilicet quadraginta annis et quousque ipsi gustauerunt fructus terre Chanaan. Unde ibidem preponitur : Iste est sermo quem precepit Dominus : Imple gomor ex ea et custodiatur in futuras generationes ut nouerint panem quo alui eos in solitudine quando educti estis de terra Egipti (Ex. 16,32). L’orateur reprend ici, en citant le verset immédiatement antérieur à celui qu’il a choisi pour thème biblique, le parallèle strictement observé dans les deux premiers sermons sur les reliques, montrant que les actions de Dieu en faveur d’Israël préfigurent celles en faveur des Chrétiens dans le Nouveau Testament. On peut proposer une seconde raison, moins convaincante, de privilégier la date de 1251 : des trois sermons qu’on trouve dans les manuscrits, relatifs à la fête des saintes reliques, celui-ci vient en dernier ; on peut supposer que cet ordre correspond à celui de la prédication réelle (mais on possède des exemples contraires, où l’ordre dans les manuscrits du cardinal n’est pas celui qu’imposerait la chronologie). Trois dates demeurent possibles : 30 septembre, 1251, 1252 ou 1253 (le roi embarque à Acre pour la France le 25 avril 1254). 91
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à l’occasion de cette fête chère, veut redonner espoir, tout en essayant, exercice difficile auquel s’était déjà livré saint Bernard par exemple, d’expliquer les raisons d’une défaite.92 Avec ce discours, c’est très probablement la prédication de croisade du légat qui prend fin ; il récapitule donc, en les condensant, des thèmes présents dans à peu près tous les sermons antérieurs, et procure un bon résumé de la façon dont, mentalement, des hommes tels Eudes de Châteauroux, Joinville ou Louis IX ont vécu l’expédition. À cet égard, le texte reflète intensément la dévotion, par ailleurs bien documentée, du roi pour la croix et les reliques.93 Le premier point du sermon, selon une méthode éprouvée, contextualise le verset thématique choisi dans l’Exode : « Moïse dit à Aaron : prends un vase, mets-y la manne, un plein gomor, et place-le devant le Seigneur, afin de le préserver pour vos générations » ;94 en remontant un peu en arrière dans le chapitre biblique, jusqu’à la sortie d’Égypte, l’orateur met plus pertinemment en valeur le parallélisme des situations. La trame substantielle du sermon est la suivante : la manne, donnée miraculeusement par Dieu aux Israëlites dans le désert, correspond aux reliques que le Christ a laissées en mémoire de lui ; sans doute parce que cette idée a déjà été développée, sous des formes proches, dans le précédent sermon consacré aux reliques, mais plus sûrement parce que les croisés se sont désormais transportés sur les lieux mêmes où vécut le Christ, Eudes de Châteauroux ne prend pas même la peine de justifier cette typologie. Le thème de la commémoration, à travers l’institution de la messe, est très fort chez les Chrétiens, puisqu’il évoque les mots mêmes de la consécration eucharistique ;95 significativement, lorsque Guillaume de Saint-Pathus 92
Cf. E. SIBERRY, Criticism of crusading (1095–1274), Oxford, 1985. Cf. supra, n. 17 pour le témoignage de Guillaume de Saint-Pathus ; et ibid., dans le sixième chapitre, tout le paragraphe intitulé « De sa devocion a la vraie croiz aorer ». Voir aussi les extraits du § 36 de Geoffroy de Beaulieu (trad. L. CAROLUS-BARRÉ, Le procès de canonisation de saint Louis (1272–1297). Essai de reconstitution, Rome, 1994), qui débutent ainsi : « En outre, ayant un véritable culte pour la croix, il montrait une telle révérence pour le signe de la sainte croix… ». 94 Cf. CHARANSONNET, L’université… (op. cit. n. 33), édition p. 763 : Dixitque Moyses Aaron : sume vas unum et immite mahu quantum potest capere gomor et repone coram Domino ad seruandum generationes vestras (Ex. 16,33). 95 Voir J.-A. JUNGMANN, Missarum sollemnia. Explication génétique de la messe romaine, t. I, Paris, 1950, p. 30s. pour le commentaire du récit évangélique, surtout p. 32 pour la commémoration, et passim. R. CABIÉ, Histoire de la messe des origines à nos jours, Paris, 1990, p. 14s. en particulier, sur la transformation très précoce de l’eucharistie (ce que l’auteur nomme le passage de la Cène à la Messe, entre le Ier et le IIIe siècle), marquée par l’apparition de la Mémoire ou Anamnèse, et celle du Récit de l’Institution. 93
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évoque la dévotion du roi pour la croix, il entrelace cette évocation de mentions de son comportement durant la messe, dont cette dévotion est indissociable, juste avant de passer à la dévotion du souverain pour les reliques.96 De cette façon, le sermon porte autant sur la Passion que sur ce qui conserve sa trace, comme l’énonce clairement le passage suivant : « Ainsi le Seigneur a voulu que ses saintes reliques fussent conservées et non perdues, parmi tant d’adversités qui sont survenues à la Chrétienté, afin que nous nous souvînssions du bienfait que le Seigneur nous a apporté par sa Passion ; c’est ainsi que nous le fêtons, pour rappeler par cette fête cet événement à notre mémoire ».97 L’auteur poursuit son propos en esquissant, non plus seulement un rappel des malheurs d’Israël, comme il l’a déjà fait ailleurs – par exemple dans un autre sermon de croisade, pour l’anniversaire de la mort de Robert d’Artois, l’aîné des frères du roi, piégé comme on sait lors de la victoire à la Pyrrhus de la Mansourah98 –, mais une mise en parallèle alternée d’événements vétéro- et néo-testamentaires, série inaugurée par l’évocation de l’institution du sabbat. Il conclut ce premier point en énumérant avec précision, comme dans les deux sermons précédents sur ce thème, les reliques : mais ici, il lie chaque relique au moment précis de la Passion qu’elle rappelle ; et revient à son verset thématique, en en confirmant l’exégèse typologique, par l’interprétation suivante de sa première partie : l’injonction de Moïse a été adressée à Aaron, ce qui signifie que les prêtres, et tout particulièrement les prélats, le pape, les patriarches et les archevêques, ont une responsabilité particulière dans la commémoration de la Passion ; ils doivent avoir « devant les yeux le Seigneur suspendu à la croix ».99 Il semble qu’on puisse difficilement mieux exprimer le sentiment de l’importance des fonctions pastorales du sacerdoce, plus particulièrement concernant la hiérarchie ecclésiastique. Le second point met en garde, selon une idée fréquente chez l’auteur, contre la perte de vue spirituelle, intérieure, de la valeur des processions où l’on porte la croix : ce qui compte n’est pas la pompe que revêtent parfois ces cérémonies, leur ostentation luxueuse, mais 96
Cf. supra, n. 93. Cf. CHARANSONNET, L’université… (op. cit. n. 33), édition p. 763 : Sic Dominus voluit ut iste sancte reliquie inter tot aduersa que Christianitati acciderunt seruarentur et non amitterentur, ut memores essemus beneficii quod nobis contulit Dominus in sua Passione. Et ideo etiam festum de hiis agimus, ut per festum hoc ad memoriam reuocemus. On note ici l’assimilation implicite de la Chrétienté au royaume capétien qui détient ces reliques. 98 Cf. CHARANSONNET, L’université… (op. cit. n. 33), édition du sermon p. 750–756. 99 CHARANSONNET, L’université… (op. cit. n. 33)., p. 763 : Unde et Dominus papa, patriarche et archiespiscopi crucem deferunt ante se ut semper habeant pre oculis Dominum suspensum in cruce. 97
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le cœur de l’homme qui y participe. Sur la base de cette opposition entre apparence extérieure et vérité intérieure, face à un public sans doute composé en partie de guerriers, Eudes de Châteauroux propose alors un parallèle entre littérature profane et histoire sacrée commémorée par la liturgie : dans la liturgie, le cœur du célébrant comme celui des participants doivent prendre part à la cérémonie ; lorsqu’on entend la chanson de Roland, la mort du héros ne touche pas le cœur de celui qui la chante, mais seulement de ceux qui l’écoutent, et encore, parfois seulement.100 La différence entre le statut, purement interprétatif, du jongleur, et celui qu’on peut nommer « mémorial » ou « réitératif », du célébrant liturgique, n’est pas de trop pour solenniser et sacraliser davantage la cérémonie aux yeux des laïcs. Ces derniers sont ensuite comparés à des rapaces qui oublient l’oiseleur sitôt qu’il les a nourris.101 Les points suivants du sermon suivent pas à pas les fragments syncopés du thème, selon l’une des méthodes du sermon universitaire dont l’auteur use finalement assez rarement, même s’il la maîtrise parfaitement et l’emploie lorsqu’il l’estime adaptée. Sa théologie témoigne d’un sens humain profond, au cœur des réflexions et expériences chrétiennes de ce siècle :102 « Ainsi le cœur de l’homme fut formé par Dieu à son image et à sa ressemblance, non par quelque artifice ».103 Un peu plus loin, son interprétation de la Passion appuie sur l’écart entre le sort terrestre du Christ aux différents moments de son calvaire, et l’incompréhensible sagesse dont par cet acte il voulut témoigner ;104 non sans noter que, peut-être à la faveur des événements survenus en Égypte, l’incrédulité a gagné certains rangs chré-
100 Ibid., p. 764 : Verecundum etiam est ne ista memoria tota sit de foris, ita quod non tangit cor, sicut tangebat cor illius qui dicebat, Tren. iii : Memoria memor ero et tabescet in me anima mea (Lam. 3,20). Sicut memoria mortis Rotholandi non tangit cor eius qui de eo cantat, sed tangit aliquando corda eorum qui audiunt. 101 CHARANSONNET, L’université… (op. cit. n. 33), p. 764 : Ipsa enim beneficia faciunt eos obliuisci. Succedentibus enim prosperis, obliuiscuntur sui interpretis, Gen. xl° (Gn. 40,23), sicut ancipiter obliuiscitur eius qui pauit eum et satietas generat in eo hanc obliuionem. 102 Cf. A. VAUCHEZ, La spiritualité du Moyen âge occidental, Paris, 19942, p. 131ss. 103 Cf. CHARANSONNET, L’université… (op. cit. n. 33), édition p. 765 : Sic cor hominis a Deo formatum est ad ymaginem et similitudinem ipsius (Gn. 5,3), non aliquo artificio. 104 CHARANSONNET, L’université… (op. cit. n. 33), édition p. 766 : Que maior humilitas quam inter latrones suspendi ? Ibi fuit incomprehensibilis sapientia, unde Ia ad Cor. i° : Quod stultum est Dei, sapientius est omnibus hominibus (1. Cor. 1,25). In hoc dedit nobis exemplum constantie et patientie.
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tiens : « Les sots et les incrédules ont la nausée de ce sacrifice et ne peuvent supporter une telle douceur ».105 Des précisions érudites sur la capacité de l’unité de mesure des Hébreux, le gomor, fournissent une ultime métaphore filée sur les deux dernières séquences du verset thématique et aboutissent logiquement à l’idée que la mémoire de la Passion conduira les fidèles de cœur à voir Dieu le Père face à face. Cette longue méditation sur la Passion, en point d’orgue d’une croisade « ratée », est un indice supplémentaire, si besoin était, de la valeur avant tout religieuse que revêtent, chez Eudes de Châteauroux comme semble-t-il chez les autres prédicateurs ici examinés, la sainte couronne et les autres reliques christiques. Bien sûr, les circonstances politiques et militaires précises qui encadrent ces trois discours ne peuvent être ignorées. Mais tout indique que le roi lui-même partageait cette vision, unissant Passion, reliques et avènement du Royaume. Signe de cette connivence spirituelle, le légat prédicateur a rapporté de Terre sainte de nouvelles reliques christiques dont on lui avait fait présent, et qu’il distribue, en 1257, successivement au sanctuaire de Neuvy-Saint-Sépulcre dans son Berry natal, puis à son frère Hugues, alors trésorier de l’Église de Tours et futur évêque de Poitiers ;106 à cela s’ajoute, à la veille de sa mort, le legs aux Dominicains d’Orvieto, chez qui il a choisi de reposer, d’une épine de la couronne du Christ, elle-même don de Louis IX ; cette épine accompagne le legs des manuscrits de la seconde édition de ses sermons ; l’association du témoignage de l’humanité du Christ et d’une vie de prédication de sa Parole est hautement significative.107 Louis IX de la même façon a
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CHARANSONNET, L’université… (op. cit. n. 33), édition p. 766 : Sed stulti et increduli nauseant super hoc nec possunt tantam dulcedinem sustinere. 106 CHARANSONNET, L’université… (op. cit. n. 33), vol. 1, t. 1, p. 23–24, n. 21, et p. 266– 267. 107 Une note figure en tête du manuscrit de Rome, AGOP XIV, 34, l’un des cinq volumes de sermons légués par le cardinal au couvent des Frères prêcheurs d’Orvieto, et a d’abord été transcrite par J.-B. PITRA, Analecta novissima spicilegii solesmensis. Altera continuatio, t. II : Tusculana, Frascati, 1888, p. xxvii, note 1. Son contenu indique qu’elle n’est pas de la main d’Eudes de Châteauroux, ce que confirme E. PANELLA, « Autografi di Bartolomeo di Tebaldo da Orvieto », Archivum Fratrum Praedicatorum, 62, 1992, p. 135–174, qui juge p. 157–158, n. 55, qu’il s’agit d’une écriture de la fin du XIVe siècle ; il donne une meilleure transcription de la note p. 158, dont voici un extrait : Nota quod iste venerabilis pater et magister in sacra theologia dedit conuentui urbeuetano unum calicem totum aureum et crucem etiam ex toto de auro spina de corona Domini nostri Iesu Christi, quam spinam donauit beatus Ludouicus rex Francie predicto domino cardinali….
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largement fait profiter ses amis spirituels du trésor de reliques qu’il avait accumulé.108 Passé le témoignage très circonstancié d’Eudes de Châteauroux, on retombe dans l’anonymat avec trois sermons contenus dans le second cahier de la série rassemblée par Robert de Sorbon. Il est certain que le premier sermon a été prononcé pour la fête de la Sainte Couronne et en présence de celle-ci, et donc très probablement à la Sainte-Chapelle.109 Rien ne permet cependant d’affirmer qu’il a été donné devant le roi ni d’ailleurs qu’il a été prononcé avant 1270. Le sermon, rédigé dans un style plutôt recherché et nettement plus long que tous les autres, a pour thema le verset 25 du Psaume 135 (Qui dat escam omni carni), un verset très rarement choisi par les prédicateurs, à tel point que parmi les quelques dizaines de milliers de sermons du répertoire de J.-B. Schneyer, il est le seul à proposer ce verset thématique. Après avoir rappelé dans le prothème la nécessité de méditer attentivement sur chacune des étapes de la Passion, le prédicateur anonyme explique qu’il ne faut pas s’étonner du caractère joyeux de la fête de la Couronne, car si la Parascève est un jour de tristesse pendant lequel il faut remémorer les souffrances du Christ, la fête du mois d’août est celle qui doit célébrer la récolte abondante née des saintes épines.110 Le sermon développe par la suite un enseignement assez savant qui traite des quatre couronnes qui ont été ou seront portées par le Christ : la couronne de l’humanité, celle de la Passion, de la justice et de la gloire.
108 Voir le recensement de ces dons dans BILLOT, « Le message spirituel... » (op. cit. n. 4), p. 139 ; outre Eudes de Châteauroux, on notera deux récipiendaires particulièrement intéressants pour notre propos : le métropolitain de Tolède en 1248 et l’évêque de Vicence Bartolomeo da Breganza, évoqué sous peu. 109 Preciosa sit et graciosa nobis hec corona, licet fuerit spinosa, quia spine iste saluti nostre sunt fructuose et sterilis non est in eis (ibid., f. 123rb). 110 Non miretur ergo uel indignetur ortodoxorum quispiam si iocunda corone dominice sollempnitatis paucos dies nunc expendat in laudibus redemptoris. Quia etsi hec corona capiti saluatoris ad penam et ludibrium in die parasceues fuerit applicata, tamen, quia dies illa non est gaudii sed meroris, quando membra compatiuntur capiti et musica in luctu sit importuna, narratio differtur interim hec gratulabunda festiuitas, in qua recolligimus salutis nostre messem de spinarum semine propagatam. Illa die meroris euntes ibant fideles et flebant quando salutis sue semina metebantur, uenientes autem nunc ueniunt cum exultatione portantes manipulos uite sue… (ibid., f. 123rb–va). Un peu plus loin, le sermon souligne l’importance du mois d’août : Pulchre autem in augusto sanctarum spinarum iocundam messem recolligimus, quando quasi in augusto speciali sacre benedictionis augmentum ex copiosis diuine largitatis beneficiis confidentius expectamus… (ibid., f. 123va).
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C’est bien sûr dans le ventre de la Vierge que le Christ a reçu la couronne de l’Incarnation : en choisissant comme ornement la chair humaine, Dieu a voulu parer ce qui n’a aucune valeur par ce qui est précieux, ce qui est humble par ce qui est excellent, ce qui est transitoire par ce qui est éternel, et accomplir ainsi son plus grand miracle, car « c’est un plus grand miracle d’avoir triomphé dans la chair fragile de toutes les iniquités spirituelles que d’avoir créé le ciel et la terre ».111 Dans le long passage consacré à la couronne de la Passion, le sermon développe d’abord quelques réflexions à caractère ecclésiologique pour ensuite mentionner quelques-uns des devoirs des rois. Le sermon explique ainsi que de la tête couronnée d’épines du Christ est sorti le baume qui doit descendre à travers la barbe d’Aaron jusqu’à l’extrémité du vêtement, c’est-à-dire la grâce qui doit se répandre par le biais du sermon des prédicateurs jusqu’aux extrémités de l’Église.112 Reprenant l’idée augustinienne que la tête est le siège de tous les sens et que c’est dans le sommet de la tête que réside celui qui doit présider à la monarchie de tout le corps, à savoir le tact, il explique que c’est pour ce motif que le diadème est également le signe de la dignité royale.113 La forme circulaire de la couronne doit rappeler à ceux qui régissent les autres qu’ils doivent exercer leur fonction avec circonspection, constat qui fournit l’occasion de rappeler que les rois doivent exercer la justice en se faisant assister par la sagesse et la miséricorde, qu’ils ne doivent jamais agir de manière précipitée et toujours faire l’effort de prévoir ce qui est utile et équilibré ; qu’ils ne doivent jamais s’enorgueillir et dévier du chemin du droit pour faire une faveur aux amis ou par amour pour quelque chose de familier, et enfin qu’ils ne doivent jamais quitter la voie du 111
Quomodo dicimus Deum carne adornari preciosum uili, excellentem humili, eternum temporali ? Sed ideo caro humana potest dici ornamentum Dei, quia Deus in ea maius miraculum fecit quam per se prius fecerat. Maius est enim in carne fragili omnes spirituales nequicias triumphasse, quam celum et terram fabricasse. Miranda magis uictoria est per carnem omni miserie naturaliter obnoxiam hominem redemisse, quam Deum quicquid uult potentem hominem plasmauisse (ibid., f. 123vb–124ra). 112 Pios igitur huiusmodi corone aspiciamus apices, medicum nostrum propter necessitatem honorantes ; unguentum in capite descendat in barbam, id est barbam Aaron, et inde descendat in oram uestimenti eius. Vnguentum medicinalis misericordie descendat a capite Ihesu spinis pro nobis coronati in barbam, hoc est in sermonem predicantium fortiter et laudantium, quo mentes audientium purgantur et compurgantur. Et sic ad extremos ecclesie descendat unguentum gratie saluatoris (ibid., f. 124ra–rb). 113 In uertice enim capitis solus tactus uiget, qui in omnibus sensibus quasi rex principatur. Vnde, cum totius corporis monarchie presideat princeps omnium sensuum loco et potestate sublimior, dignitatis regie signum non indigne possidet dyadema. Ideo etiam congrue corona cultus est capitis, eo quod in capite est domestica camera sensuum et cellule rationis, operationibus inuentioni, discretioni et memorie deputate (ibid., f. 124va).
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Seigneur en succombant à la colère, en recherchant la vindicte ou en privant les ennemis de justice.114 Dans une longue digression, le prédicateur anonyme évoque également la Passion et plus précisément le rôle de la Couronne d’épines utilisée à la fois pour dérider le Christ, mais sans que la tête du Sauveur souffre, et pour indiquer à ceux qui ne pouvaient pas lire la raison de la crucifixion.115 Objet sans aucune valeur, que même les soldats n’ont voulu se partager, la Couronne a par la suite acquis une valeur inestimable grâce à la volonté divine.116 La fin du sermon est consacrée à la couronne de justice et à celle de gloire. Elle propose une réflexion assez compliquée qui vise en quelque sorte à mettre en évidence le caractère à la fois éternel et historique de ces deux couronnes, en distinguant par exemple trois couronnes de gloire : celle de la gloire éternelle des trois personnes de la Trinité qui est là depuis toujours, celle de la double nature du Christ et enfin celle que le Christ possédera pleinement après le Jugement lorsqu’il sera au milieu des élus. Les quatre couronnes « principales » sont à nouveau présentées dans la conclusion par le biais de l’explication de ce que le prédicateur appelle la « prophétie mystique » de Zacharie 6,14, verset qui évoque la couronne qui devait servir de mémorial dans le Temple du Seigneur, et qui permet donc aussi, 114 Nec uacat a misterio quod figura corone capite regis circulariter circumcingit, ut qui regulariter uult preesse et prodesse pro se et pro suis, cautus sit et in omnibus circonspectus […] Retro sit corona, ne qui preest retro cadat, sed posteriorum oblitus ad anteriora se extendat. Retro sit corona ut qui mittit manum ad aratrum, retro non aspiciat ne regno Dei ineptus fiat. Ante sit corona, ne nimis sit iniustus, sed iusticie sue sapientiam et misericordiam habeat assistrices. Ante sit corona, ne in preceps ruat, sed studeat moderata et utilia in posterum prouidere. A dextris sit corona, ne in elationem animi uirtutes eum et successus prosperitatis ad uanitatem extolant. A dextris sit corona, ne amicorum fauore uel rei familiaris amore a iuris tramite ad iniurie deuia se flectat. A sinistris sit corona, ne delinquendo uiam Domini derelinquat, ne per iram ultionem querat, ne inimicis suis iniuste differat uel auferat iusticie complementum (ibid., f. 124va–vb). 115 Licet autem inter preludia passionis dominicie ab illudentibus ad ludibrium et punctionum aculeum fuerit imposita capiti innocenti spinea corona, pie tamen et sobrie credi potest in ipso crucifixionis articulo eam minime defuisse, et pendente corpore et membris confossis solum caput a pena tunc uacuum exstitisse (ibid., f. 124vb) ; Pretenderant enim Iudei causam crucifixionis Christi quod se regem faciebat, dicentes Pilato : si hunc dimittis non es amicus Cesaris. Omnis enim qui se regem facit contradicit Cesari. Propter hoc imposuerunt super caput eius causam ipsius scriptam : hic est Ihesus nazarenus rex Iudeorum. Forsitan intentione simili signum cause mortis eius coronam capiti impositam, omnibus etiam litteras nescientibus ostendebant (ibid., f. 125ra). 116 Hinc est quod contumelia crucis et spinei dyademati uersa sunt in decus sacramenti. Merito itaque omnipotens nominatur, ad cuius nutum omnis res ita permutatur. Mirabilis igitur omnium artifex sapientia noua et inaudite inuentrix alquimie, non de argento aurum mutatis substantiis faciendo, sed super aurum ditando spinas inimicorum in suas species remanentes. Sic enim ignobilia et contemtibilia elegit Deus et ea que non sunt, ut ea que sunt destrueret et iuncorum paupertas inestimabili precio uinceret aurum, argentum et lapidem preciosum (ibid., f. 125rb).
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tout au moins implicitement, de rappeler la présence physique de la Couronne d’épines. Ce très long sermon anonyme paraît avoir été prévu pour une assistance cultivée, capable de suivre le parcours somme toute plutôt compliqué proposé par le prédicateur et de saisir le jeu subtil des correspondances établies entre les différentes couronnes mentionnées par le texte biblique, tout comme de comprendre l’idée de fond du sermon qui est celle de montrer comment la Couronne d’épines participe à des temporalités différentes et représente une invitation qui s’adresse à tout chrétien pour l’encourager à tout mettre en œuvre pour mériter celle qui sera donnée aux élus. Dans cette perspective, au-delà des réflexions sur les devoirs du roi, le sermon est avant tout une exhortation à la pénitence et au combat contre le péché. L’avant-dernier sermon est le seul qui consacre un développement au thème de la royauté du Christ ou, plus précisément, explique de manière assez détaillée les trois caractéristiques qui rendent celle-ci incomparablement supérieure à la royauté terrestre.117 Cette supériorité est manifeste tout d’abord du point de vue de la majesté du royaume : alors que les autres rois sont particuliers, le Christ est le roi universel ; elle est également supérieure parce que ce roi est le seul à pouvoir instituer les autres rois : c’est en effet le Christ qui a institué les rois et leur a conféré un certain nombre de droits ; lorsque les rois agissent de manière injuste, par exemple en opprimant les pauvres ou en profitant de leur fonction pour promouvoir au sein de l’Église leurs proches ignorants à la place des clercs bons et cultivés, ils ne règnent cependant plus avec l’approbation du Christ mais uniquement avec sa permission. Enfin, la royauté du Christ est supérieure du point de vue de la puissance, car les rois, même s’ils vivent longtemps, finissent toujours par devoir abandonner leur royaume quand ils meurent : par conséquent, précise le sermon, ils sont comme les rois de la fève qui ne règnent qu’un court moment. De plus, même les rois les plus puissants, comme par exemple Alexandre le Grand, ne peuvent transmettre à leurs enfants qu’une partie de leur royaume, alors que le Christ donne à chacun l’intégralité du sien.118 En opposant systé117
Primo ergo notatur regalis dignitas cum dicit regem. Iste est rex ad presens et excellit alios reges in tribus. Primo in excellentia maiestatis regie. Secundo in aliorum regum institutione. Tercio in ipsius regni inexterminata potestate (ibid., f. 128rb). Sur la royauté du Christ le travail essentiel demeure celui de J. LECLERCQ, L’idée de la royauté du Christ au moyen Âge, Paris, 1959. 118 Alii reges sunt particulares, iste uniuersalis, quia rex omnium regum et regnorum […]. Item excellit in aliorum regum institutione. Vnde ipse instituit et reges et iura ipsorum, Prou. VIII : per me reges regnant et legum conditores iura decreuunt et cet. Cum iniquas leges condunt non est a Deo sed
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matiquement un roi à des rois, le singulier au pluriel, le sermon développe une réflexion qui vise à mettre en évidence surtout ce qui différencie les deux types de royauté et à rappeler que celle qui est exercée sur terre par des hommes n’a en définitive pas grand-chose de comparable avec la royauté du Christ. Quant au dernier sermon, peut-être de Robert de Sorbon,119 il développe l’idée que la fête de la Couronne est une invitation à méditer la passion du Christ et les deux formes de douleur qu’il a supportées.120 Assez habilement, le prédicateur distingue entre la douleur physique du Christ causée par les péchés charnels – à laquelle il faut penser surtout pendant la période de Carême – et la douleur intérieure provoquée par les péchés spirituels, sujet de réflexion auquel incite plus spécifiquement la fête du mois d’août.121 L’échantillon offert par la collection de Robert de Sorbon permet avant tout de constater que les thèmes abordés par les prédicateurs lors des deux fêtes consacrées aux reliques de la Passion étaient somme toute assez variés. À l’exception tout à fait notable d’Eudes de Châteauroux, les clercs qui ont pris la parole à la Sainte-Chapelle ou ailleurs ne semblent cependant pas avoir fait preuve d’une très grande originalité. Leur discours reste pour l’essentiel centré autour de la Passion et de la nécessité de la pénitence et, comme nous l’avons vu,
a se ipsis […], Ysaie X : ue qui condunt leges iniquas ut opprimant in iudicio pauperes, sicut qui illos opprimunt quibus posset esse profectus in ecclesia Dei ut bonas et litteratas personas et suos ignorantes cognatos promouent et etiam qui eis aliquando in officio seruierunt. De talibus dicit Dominus per prophetam : ipsi (ipse cod.) regnauerunt, sed non ex me, scilicet approbante, sed ex me permittente. Item excellit in exterminata regni potestate. Alii reges etsi aliquamdiu uiuant tandem dimittunt regnum per mortem. Sed potestas eius potestas eterna, et regni eius non erit finis […]. Alii reges sunt reges fabe qui regnant per breuem horam. Eccli. IX : rex est hodie et cras morietur. Item reges terreni dant parua dona, quia aliquando partem regni, sicut legitur in libro Mathei I de Alexandro magno rege, cum deberet mori, dimisit pueris scilicet regnum illum, et cet. Sed rex noster cuilibet dat totum regnum suum […] (ibid. 128rb–va). 119 Pour chaque occasion liturgique, les copistes des recueils ont utilisé un ou plusieurs cahiers. Assez souvent, quelques sermons de Robert de Sorbon, toujours anonymes, ont été copiés à la fin du dernier cahier utilisé. L’attribution de celui-ci à Robert de Sorbon, très hypothétique, est suggérée à la suite d’une citation attribuée explicitement à Guiart de Laon que Robert de Sorbon tenait comme un des meilleurs prédicateurs de son temps (Et dicitur ibi in Euuangelio quod assumpsit Christus Ihesus discipulos suos secreto, id est ad priuatum et secretum consilium. Sic exponit dominus Guiardus Camerancensis (ibid., f. 129vb). 120 Nunc est tempus flendi et non ridendi, compatiendo scilicet saluatori nostro hodie pro nobis passo. Et tempus loquendi, non tacendi, ad exhortandos nos mutuo ad compassionem et fletum (ibid., f. 129ra). 121 Et propter hunc duplicem dolorem eius, bis in anno fit mencio de eius passione, scilicet nunc et dominica tertia in quadragesima. Nunc pro dolore interiori, tunc pro exteriori, eo quod illis tribus diebus plus solito multiplicantur cause illius doloris per gulam, per luxuriam […] (ibid., f. 129vb).
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les allusions au thème du pouvoir royal visent avant tout à souligner la condition inexorablement humaine de la souveraineté terrestre. Ce constat est confirmé par les deux122 sermons donnés à la SainteChapelle en 1272–73 conservés par le recueil de Pierre de Limoges magistralement étudié par Nicole Bériou.123 Le premier a été prononcé pour l’anniversaire de la Dédicace de la Sainte-Chapelle par Jean d’Orléans, chancelier de l’université. Le deuxième par Jean de Samois, gardien du couvent des franciscains, pour la fête des reliques. Jean d’Orléans, qui a choisi comme verset thématique le passage du deuxième livre des Chroniques qui décrit la Dédicace du Temple par Salomon et son peuple, constate d’emblée que ce passage peut aussi s’appliquer à Louis IX et à son peuple,124 mais développe par la suite son sermon autour de l’idée que chacun doit être le roi et l’évêque de son propre temple, thème courant dans les sermons pour la Dédicace.125 Quant à Jean de Samois, dans un sermon qui s’ouvre par le rappel des souffrances infligées au Christ et développe par la suite, assez subtilement, un enseignement à caractère moral destiné aux puissants, il fait référence au vitrail de la Passion pour expliquer l’idée que chaque péché commis par un chrétien blesse à nouveau le Christ, idée, dit-il, qui est confirmée ad litteram par Zacharie 13,6 (« J’ai reçu ces blessures dans la maison de ceux qui m’aimaient »), mais qui, ajoute-t-il, dans cette chapelle peut être confirmée par la vue.126 Il souligne plus loin que les saintes reliques ont toujours été auprès des savants, d’abord en Grèce, où le clergé était autrefois florissant, et maintenant à Paris, où se trouve, dit-il, la source de toute la sagesse.127 122 Nous laissons de côté un troisième sermon, donné par le dominicain Jean de Troyes pour la fête de la Sainte Couronne en présence du roi et de l’archevêque Eudes Rigaud qui n’a été conservé que de manière fragmentaire. Le sermon développe le thème des cinq couronnes qui ont été portées par le Seigneur (Paris, BnF, lat. 16482, f. 17va–vb et 130vb). 123 N. BÉRIOU, L’avènement des maîtres de la Parole. La prédication à Paris au XIIIe siècle, 2 vol., Paris, 1998. 124 [Dedicatio]. Cancellarius parisiensis in capella regis. Dedicauerunt templum Domini rex et filii Israel. Quod dicitur de rege Salomone et filiis Israel potest dici de rege Francie bone memorie et de populo (ibid., f. 28ra). Un prédicateur anonyme évoque l’accueil festif que Saint Louis a réservé à la Sainte Croix (cf. BÉRIOU, L’avènement des maîtres... (op. cit. n. 123), t. 1, p. 301, n. 53). 125 Rex et episcopus debet esse quilibet nostrum se dedicans Deo. Quilibet enim uir et similiter mulier habet non modicum regnum regere, scilicet corpus et animam, que ualde periculosa sunt ad regendum (ibid., f. 28ra). 126 Hiis ergo plagatus, et cet. Hiis est demonstratiuum ad litteram hic, sed in hac capella potest esse demonstratiuum ad oculum (ibid., f. 131va). 127 Vnde semper fuerunt iste reliquie apud sapientes. Primo in Grecia, ubi uigebat tunc clerus, nunc autem Parisius, ubi est fons totius sapientie (ibid., f. 131va).
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Si Jean de Samois s’empresse de bénir l’action de celui qui a fait venir les reliques et les a installées aussi honorablement – bénédiction qu’il élargit à celui qui poursuivra ce qui a été commencé, allusion à Philippe III qui est présent au sermon – il n’insiste guère sur cet aspect.128 C’est paradoxalement dans les sermons pour la fête de la Couronne d’épines prononcés en Italie, et plus précisément à Vicence, que la famille royale et Paris font l’objet de remarques qui mettent davantage en évidence leur rôle. Évêque de Limassol et plus tard de Vicence, en 1259 le dominicain Barthélemy de Breganze a reçu à Paris de Louis IX, à côté de qui il avait séjourné en Palestine, une des épines de la Sainte Couronne et un morceau de la Vraie Croix, qu’il avait ramenés en Italie en passant le col du Simplon enneigé. En 1260, Barthélemy avait remis les reliques à l’église de la Sacra Corona du couvent des dominicains de Vicence. Trois des sermons qu’il a donnés pour la fête de la Couronne entre 1264 et 1270 ont été conservés.129 Ils permettent de constater que l’évêque de Vicence n’hésitait pas, quand il prêchait sur la Couronne, à magnifier le roi de France et sa mère. Ainsi, pour n’évoquer qu’un seul exemple, dans un sermon il compare ouvertement Blanche de Castille à Hélène, à qui on doit l’invention de la Croix de Victoire, et son père Constantin, qualifié de conservateur des saintes reliques, au très dévot roi Louis, tout en soulignant que si la couronne avait été transférée dans un premier temps de Jérusalem à Byzance, elle avait dû par la suite quitter cette ville à cause de la perfidie de celle-ci, et que désormais c’était Paris qu’elle couronnait de gloire et d’honneur.130 Quelques remarques en guise de conclusion. Si l’on juge d’après les sermons qui ont été conservés par les recueils de Robert de Sorbon et de Pierre de Limoges, il semble bien que les prédicateurs qui ont pris la parole lors de la fête de la Couronne et des Saintes Reliques ont abordé assez rarement le thème de la royauté. Lorsqu’ils l’ont fait, ce n’était certainement pas pour amener leur contribution à l’élabo128 Benedictus qui istas [reliquias] apportauit et tam honorifice collocauit, et qui continuabit inchoatum (ibid., f. 131va–vb). Le reste du sermon propose une longue description des blessures infligées par le péché au corps social, description « au service d’une mise en garde à l’adresse des hommes de pouvoir » (BÉRIOU, L’avènement des maîtres... (op. cit. n. 123), t. 1, p. 344). 129 L’ensemble du dossier a été publié et étudié par F. LOMASTRO TOGNATO, I « Monumenta reliquiarum » di S. Corona di Vicenza, Padova, 1992. Les trois sermons sur la Couronne d’épines de l’évêque de Vicence ont été édités aux pages 149–156. 130 Ibid., p. 153.
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ration d’une idéologie au service de la glorification du pouvoir royal ou de la personne du roi, mais plutôt pour rappeler le caractère transitoire et limité du pouvoir des rois et pour exprimer, comme l’écrit Nicole Bériou à propos des sermons donnés devant le roi, « une conception de la royauté ministérielle, et subordonnée à celle du Christ ».131 Les thèmes présents dans les deux relations de la translation, tout comme celui suggéré en 1244 par Innocent IV du Christ qui aurait lui-même couronné Saint Louis, ne semblent guère avoir inspiré nos prédicateurs. Certes, ce constat repose sur un nombre limité de sermons qui datent tous d’avant 1273–74, et il est possible que le recours à des textes d’autre nature132 ou l’examen des sermons prononcés à d’autres occasions – notamment les sermons donnés pour l’Exaltation de la Croix (14 septembre) – ou postérieurs aux limites chronologiques que nous nous sommes fixées, permettrait de repérer des attitudes différentes. On peut néanmoins noter que Boniface VIII, dans le deuxième sermon sur la canonisation de Saint Louis qu’il a prononcé à Orvieto le 11 août 1297, le jour donc où à Paris on fêtait la susception de la Couronne, ne fait aucune allusion à celle-ci.133 Le témoignage d’Eudes de Châteauroux, sans doute le plus « engagé » politiquement de tous les orateurs ici évoqués, incite lui aussi à nuancer les interprétations trop schématiques des historiens de la Sainte-Chapelle concernant les reliques du Christ, qui concluent un peu vite à l’exaltation sans frein de la royauté élue des Capétiens. C’est oublier qu’un conseil clérical éclaire le Prince et que l’exégèse chrétienne traditionnelle, si attachée qu’elle soit à la lettre de l’Écriture, en vise l’Esprit. En ce sens, la seule vraie royauté dont les reliques léguées par le Sauveur à son peuple puissent témoigner, c’est de la Sienne, Eudes de Châteauroux s’emploie quelques années plus tard à le démontrer contre le frère de Louis IX, Charles d’Anjou. Au plan théologique, à l’issue du Jugement dernier, tous les bons chrétiens seront rois avec et dans le Christ vu facie ad faciem, c’est l’une des doxologies préférées du cardinal. Il revient dans ce cadre au souverain temporel de montrer l’exemple, ce que le futur Saint Louis a fait avec brio. Les combattants de la Septième croisade, à défaut d’entendre un programme de propagande capétienne, ont écouté un guide spirituel, s’adressant d’abord à leur foi, pour la conforter dans la gloire 131
BÉRIOU, L’avènement des maîtres…(op. cit. n. 123), t. 1, p. 311. Sur ces aspects cf. J. KRYNEN, L’empire du roi. Idées et croyances politiques en France, XIIIe–XIVe siècles, Paris, 1993. 132 Voir par exemple le passage de la Chronique anonyme des rois de France finissant en l’an 1286 cité par BILLOT, « Le message spirituel... » (op. cit. n. 4), p. 138. 133 Le sermon a été publié dans RHF, t. 23, p. 152–153.
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comme l’adversité. Si le message présente moins d’originalité qu’on ne le voudrait, il confirme sur un point la spécificité profonde du Christianisme médiéval : les deux pouvoirs, le spirituel et le temporel, s’y exposent d’emblée et très longtemps à la fois comme distincts et indissociables. C’est surtout dès le XIVe siècle qu’on trouve un certain nombre de textes qui utilisent amplement le thème de la présence des reliques à Paris pour souligner la supériorité de la royauté française. C’est le cas, par exemple, du discours construit comme un véritable sermon prononcé peut-être en 1365 par le conseiller de Charles V Ancel Choquard devant le pape Urbain V, discours qui avait pour objectif de convaincre le pape de ne pas quitter Avignon pour rentrer à Rome. Ancel Choquard insiste sur l’idée que les reliques sont en France par la volonté de Dieu, que désormais la sainteté de la France est plus grande que celle de la Terre Sainte et que les reliques de la SainteChapelle sont bien plus précieuses que celles qui étaient conservées dans l’arche, ce qui l’amène à observer que Saint Louis, par l’engagement dont il a fait preuve pour obtenir les reliques, a acquis la dignité du premier ordre et ses successeurs le titre de gardiens spirituels des saintes reliques, reliques qu’ils ont été chargés par le Seigneur de conserver jusqu’au jour du Jugement dernier.134 Le thème de la translatio reliquiarum est par ailleurs associé à celui de la translatio studii,135 mais contrairement à Jean de Samois qui n’avait que suggéré de manière rapide cette association, Ancel Choquard y consacre un long développement, afin bien entendu de prouver la supériorité de Paris sur Rome et l’élection des rois de France et de leur peuple.
134 Et uerisimiliter credendum est, quod eedem reliquie sancte que adesse uerisimiliter creduntur in die iudicii, […] ab ipso saluatore et angelis eisdem assistentibus continuo conseruentur, et quod eisdem assistat diuina presentia cum multiplici angelorum comitiua, quasi precipuus Domini thesaurus in terris, cuius thesauri Christus cum suis angelis spiritualibus […] et filius uester christianissimus rex Francie custos existit spiritualis […]. Ipse est enim qui, contemplatione meritorum in prouincias maritimas strenuissimo milite pro fide et hiis sanctissimis reliquis obtinendis, primi ordinis dignitatem fuit consecutus ; ideoque altissimarum dignitatum honoribus subiungatur […]. Rex iste et suus populus prepositi signo et uexillo pretiosissimo imperatoris nostri, scilicet saluatoris nostri, qui per hoc signum triumphauit diuino iudicio, ad idem sunt promoti ; ideoque inter electos, id est inter alios principes et populos a Christo electos, clarissimi sunt et ampliori prerogatiua digni, quos diuini lateris, id est signorum diuinorum comitatus, illustrat (Paris, BnF, lat. 14644, f. 6v). L’édition de C.-E. DU BOULAY, Historia universitatis parisiensis, Paris, 1665–1673, t. 4, p. 396–412), est très fautive. Une nouvelle édition de ce texte paraîtra dans Studi Medievali en 2007. 135 Sur cet aspect, cf. C. BEAUNE, Naissance de la nation France, Paris, 1985, p. 300–303.
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LA LITURGIE DE LA SAINTE-CHAPELLE : UN MODÈLE POUR LES CHAPELLES ROYALES FRANÇAISES ? Éric PALAZZO À la mémoire de Jean Michaud
Il y a tout juste trente ans, Robert Branner publiait un article relativement bref mais néanmoins fondamental pour aborder une question complexe et délicate concernant la définition de l’espace liturgique – au sens ecclésiologique du terme – des rois de France à partir du XIIIe siècle.1 Prenant appui sur des erreurs relevées dans des ouvrages émanants de liturgistes de renom – par exemple Victor Leroquais pour ne pas le nommer – le savant américain suggérait d’établir une distinction de fond entre la Sainte-Chapelle de Paris et la notion de Capella Regis. Tout en reconnaissant, si j’ose m’exprimer ainsi, le bienfondé de l’erreur régulièrement commise, Robert Branner n’en déplorait pas moins les conséquences néfastes sur les recherches concernant la Sainte-Chapelle et notamment celles relatives aux manuscrits non attribuables à un usage dans ce très haut-lieu liturgique de la royauté française à partir du XIIIe siècle. Finalement, Robert Branner proposait de distinguer la Capella Regis, considérée comme une institution à part entière au même titre, par exemple, que la chancellerie royale, de la Sainte-Chapelle de Paris, perçue comme une chapelle royale prestigieuse parmi tant d’autres. Dans ce contexte, Robert Branner affirmait que les usages de la Capella Regis – en particulier ceux relevant de la liturgie – ne devaient pas nécessairement être assimilés avec ceux pratiqués à la Sainte-Chapelle. Et l’auteur de mettre en garde à la fin de son article : « The conclusion of this paper is a simple and by now obvious one. When we read a note like the one written on the flyleaf of a manuscript in Paris from 179 : ‘C’est l’ordinaire de la chapelle’, we should bear in mind that it is probably the Capella Regis, not the Sainte-Chapelle, that is in question ».
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R. BRANNER, « The Sainte-Chapelle and the Capella Regis in the Thirteenth Century », Gesta 10/1, 1971, p. 19–22.
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La présente contribution vise à revisiter l’hypothèse de Branner en changeant d’angle de vue. Partant du principe que la Capella Regis n’est pas assimilable stricto sensu à la Sainte-Chapelle en tant que telle, on peut néanmoins tenter d’approfondir le rapport exact qui existe entre l’institution d’une part et le lieu d’autre part. En effet, la fondation de saint Louis dans l’Ile de la Cité a connu dès le XIIIe siècle un succès de vaste ampleur, l’érigeant rapidement au titre de modèle. Les travaux de Claudine Billot ont bien montré le rôle et l’importance de la Sainte-Chapelle de saint Louis auprès des autres chapelles royales de l’époque et même au-delà du XIIIe siècle.2 Ce prestige dont a joui très tôt la Sainte-Chapelle eut-il des répercussions sur la façon même de concevoir l’organisation des autres chapelles royales, notamment pour ce qui concerne la liturgie, ainsi que sur leurs significations historiques ? Pour tenter de répondre à cette question, je poserai dans un premier temps le problème de la notion de liturgie-modèle à l’époque de saint Louis. Pour cela, j’exposerai succinctement la triple signification politique, liturgique et historique d’un document majeur de la liturgie autour de saint Louis – le ms. Paris, BnF, lat. 1246 (autrefois connu sous l’appellation d’ordo du sacre) – que j’ai eu la chance de pouvoir étudier de manière approfondie en collaboration avec Jacques Le Goff, Jean-Claude Bonne et Marie-Noël Colette.3 D’une certaine manière, la comparaison entre les deux monuments liturgiques de saint Louis – le premier un manuscrit, le second un édifice prestigieux – permettra de comprendre la vision qu’avait l’entourage du souverain, voire le roi lui-même, de la façon de concevoir la notion de liturgie-modèle. Ces modèles étaientils potentiellement et facilement exportables ? Telle est la question qui sera ensuite examinée sur la documentation liturgique connue de la Sainte-Chapelle et de celle vraisemblablement en usage dans d’autres chapelles royales et reflétant sans doute certains traits rituels originaires du modèle parisien. Pour ce faire, je m’appuierai notamment sur un ordinaire liturgique rarement, voire jamais cité dans les études consacrées à ce thème, le ms. Paris, BnF, lat. 1435 dont l’origine demeure incertaine. Enfin, en guise de conclusion, j’essaierai de poser en des termes différents de ceux de Branner l’opposition entre la liturgie de la Sainte-Chapelle et le rituel de la Capella Regis. 2
Voir en particulier C. BILLOT, « Le message spirituel et politique de la Sainte-Chapelle », Revue Mabillon, n.s., t. 2 (t. 63), 1991, p. 119–141. Voir également les différentes contributions du catalogue Le trésor de la Sainte-Chapelle, Paris, Musée du Louvre, 2001. 3 J. LE GOFF, É. PALAZZO, J.-C. BONNE et M.-N. COLETTE, Le sacre royal à l’époque de saint Louis, Paris, 2001.
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I. « L’ORDO DU SACRE » ET LA NOTION DE MODÈLE LITURGIQUE AU TEMPS DE SAINT LOUIS Le ms. lat. 1246 de la Bibliothèque nationale de France apparaît à tous égards comme un véritable monument de la liturgie du temps de saint Louis. Les 44 folios de ce manuscrit, parfaitement homogène sur le plan codicologique, ne contiennent qu’un seul texte liturgique, l’ordo du sacre du roi de France. À la suite de Victor Leroquais, on a longtemps pensé qu’il s’agissait d’un fragment de pontifical, étant donné que le livre liturgique épiscopal comprend habituellement le rituel du sacre et de couronnement des souverains. Or, il n’en est rien. En effet, l’analyse précise du contenu textuel du lat. 1246, combinée à celle de l’aspect matériel du manuscrit, ne laisse aucun doute sur son genre particulier et atypique. Premier d’une lignée de nouvelle génération de livres liturgiques – les livres de couronnements – le lat. 1246 appartient à un type liturgique original qui se caractérise par un contenu unique, le rituel du sacre, et l’homogénéité codicologique. Le lat. 1246 contient le texte idéal du rituel du sacre, fruit d’une combinaison originale réalisée à partir de diverses sources liturgiques. En premier lieu, on notera l’ancrage volontairement rémois du texte du lat. 1246. Dans ce manuscrit en effet, les rubriques sont pour une très large part empruntées aux textes des deux ordinaires de Reims connus dans la première moitié du XIIIe siècle. Cet ancrage rémois du lat. 1246 est confirmé ailleurs dans le texte, notamment par les nombreuses mentions des principaux lieux de culte de la cité de Reims, depuis le palais jusqu’à la cathédrale, en passant par l’église Saint-Remi. L’euchologie – c’est-à-dire les prières – de l’ordo du sacre s’appuie essentiellement sur la rencontre inédite de plusieurs traditions liturgiques antérieures au XIIIe siècle, en particulier la tradition issue des différents ordines francs ainsi que celle du Pontifical romano-germanique du Xe siècle. La composition liturgique originale et atypique du lat. 1246 trahit les desseins idéologiques et politiques poursuivis par ses concepteurs. En effet, l’ordo du sacre de la BnF constitue un texte idéal du rituel du sacre. La combinaison dans son texte d’éléments forts disparates, avec cette insistance toute particulière sur la liturgie de Reims, est manifestement le fruit d’une intention délibérée et destinée à servir une volonté politique. Ce manuscrit n’a pas été conçu pour servir dans la liturgie ou à l’occasion d’une cérémonie précise. Il a été réalisé à des fins essentiellement mémoriales et politiques. Peut-être conservé très tôt dans la bibliothèque des rois de France, le lat. 1246 demeure
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sans postérité textuelle. En effet, tous les livres de couronnements français après lui, notamment le livre de couronnement de Charles V conservé à Londres, montrent un contenu liturgique non plus idéal mais manifestement destiné à servir dans le cadre du rituel. Autrement dit, le lat. 1246 n’a jamais, en aucune manière, constitué un modèle liturgique. Il représente en quelque sorte un acte idéologique et politique voulu sans doute par saint Louis et les membres de son entourage. Le contexte historique des années 1250 forme le cadre parfait pour saisir la signification idéologique de ce manuscrit. L’ordo du lat. 1246 met au tout premier plan, ne serait-ce que par l’insistance si grande sur les onctions pratiquées sur le corps du roi, l’image liturgique idéal du souverain chrétien. D’une certaine manière, l’originalité du texte du lat. 1246 trouve sa justification dans la volonté des concepteurs de construire aussi par la liturgie la Royauté sacrée et la figure idéale du roi chrétien. Or, ceci correspond vraisemblablement à la volonté de saint Louis et de son entourage d’asseoir solidement, au retour de la croisade en 1254, la figure idéale du roi chrétien telle qu’elle s’affirme dans le rituel du sacre du lat. 1246. Par cet exemple, on mesure l’importance accordée au milieu du XIIIe siècle par saint Louis et ses proches à la notion de modèle liturgique idéal, destiné à servir des intérêts politiques et idéologiques. Je relève par ailleurs à propos du lat. 1246 le caractère non exportable de ce modèle liturgique, véritablement centré autour de la personne du roi très chrétien, saint Louis, ainsi que, de ce fait, sa postérité quasi inexistante. Qu’en est-il à propos de l’autre grand monument – au sens propre comme au figuré – de la liturgie du temps de saint Louis, la Sainte-Chapelle.
II. LE MODÈLE LITURGIQUE DE LA SAINTE-CHAPELLE, D’APRÈS LES MANUSCRITS ET LES USAGES À partir des statuts de la première fondation de la Sainte-Chapelle en janvier 1246, la célébration de la liturgie apparaît comme l’une des activités essentielle des chapelains attachés au fonctionnement du lieu.4 La messe et l’office doivent être célébrés chaque jour aussi bien dans la chapelle haute que dans la chapelle basse. À ce moment déjà, la Sainte-Chapelle est avant tout considérée comme la chapelle du roi, 4
C. BILLOT, « La fondation de saint Louis. Le collège des chanoines de la Sainte-Chapelle (1248–1555) », in : Le trésor... (op. cit. n. 2), p. 98–106.
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desservie par ses propres aumôniers et ses chapelains. À certaines occasions, principalement lors des grandes fêtes, comme par exemple celles consacrées au culte des saintes reliques, le roi assiste à la liturgie. Mais généralement, il se contente de soutenir toute une série de célébrations liturgiques, principalement de type commémoratif, en relation notamment avec les membres défunts de la famille royale. Les trois temps forts de la liturgie de la Sainte-Chapelle au XIIIe siècle demeurent cependant les célébrations qui se déroulent le 11 août, fête de la susception de la Sainte Couronne, le 30 septembre (fête dite des « Saintes Reliques ») et le 26 avril, jour de la dédicace de la SainteChapelle. Dès le milieu du XIIIe siècle, la liturgie de la Sainte-Chapelle « déborde » le cadre précis de l’édifice. En effet, de nombreuses processions sont organisées lors des grandes fêtes. Des processions qui se déploient largement dans le tissu urbain de Paris. On relève notamment l’importance accordée à l’ostension des reliques de la Passion le Vendredi Saint, jour où le roi lui-même procède dans la chapelle haute à l’ouverture de la grande châsse avec ses propres clefs, selon une tradition remontant à saint Louis si l’on se réfère au témoignage de Joinville. Au XIIIe siècle et même après, l’activité des chanoines de la Sainte-Chapelle qui concerne la liturgie comprend la célébration des messes quotidiennes et les heures canoniales, des offices particuliers pour les défunts de la famille royale, ainsi que pour les chanoines et même certains laïcs. Les principales fêtes du calendrier liturgique de la Sainte-Chapelle restent celles mentionnées précédemment auxquelles viendra s’ajouter en 1309 la fête de saint Louis instituée cette année-là et célébrée le 25 août. Il semble bien que dès les origines, le trésor de la Sainte-Chapelle contienne de nombreux livres et parmi eux plusieurs manuscrits destinés à la célébration de la liturgie.5 Les différents inventaires du trésor de la Sainte-Chapelle tout au long du Moyen Âge et même après font mention de livres liturgiques traditionnellement rencontrés dans ce genre de document et correspondant aux usages liturgiques habituels. Les manuscrits liturgiques ayant de façon certaine appartenus à la Sainte-Chapelle sont rares, si l’on se réfère en tout cas à la documentation conservée. Parmi eux, citons en premier lieu des évangéliaires réalisés au XIIIe siècle et qu’il serait souhaitable de réétudier à nouveaux frais du point de vue de leur contenu liturgique, deux obituaires 5 J. DURAND, « Le trésor sous saint Louis », in : Le trésor... (op. cit. n. 2), p. 137–141 et M.-P. LAFFITTE, « Les manuscrits répertoriés dans les inventaires du trésor de la SainteChapelle », in : Le trésor... (op. cit. n. 2), p. 144 et ss.
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du XVe siècle, un rituel des funérailles également du XVe siècle et enfin un ordinaire datant de 1471. Outre le fait que ces différents manuscrits ne sont pas identifiables dans les inventaires du trésor de la SainteChapelle, ils ne nous apprennent pas grand chose sur le déroulement du rituel excepté l’ordinaire. Ce manuscrit (Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, ms. 114) est précisément daté grâce à une mention du folio 264v : 1471. Par ailleurs, sa provenance est certaine puisque le folio 7 contient la rubrique suivante : Breve seu ordinarium tocius servicii divini, tam temporalis hyemalis et eciam estivalis...secundum usum sacre cappelle palacii regalis Parisius. Il s’agit bien d’un ordinaire décrivant l’usage liturgique de la Sainte-Chapelle à la fin du XVe siècle. En plus de tout ce que contient habituellement un ordinaire, le manuscrit de l’Arsenal introduit des éléments relatifs à la direction du choeur par le chantre de la Sainte-Chapelle. Bien que tardif, ce manuscrit fait sans doute figure de seul témoin entièrement fiable pour connaître avec une relative précision la liturgie propre de la Sainte-Chapelle et il a fait récemment l’objet d’une présentation exhaustive et précise de la part de B. HagghHuglo.6 Appartenant à un type d’ordinaire relativement peu fréquent du fait à la fois de sa division en parties bien distinctes du calendrier liturgique, comme de son contenu original mêlant des messes votives, des processions et des jeux liturgiques au rituel complet de la messe et de l’office, le ms. Arsenal 114 mentionne de nombreuses fois des éléments du rituel de la Sainte-Chapelle, tels que les processions à l’intérieur – aussi bien dans la chapelle haute dédiée au Christ que dans la 6
B. HAGGH, « An Ordinal of Ockeghem’s Time from the Sainte-Chapelle of Paris : Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, ms. 114 », Tijdschrift van de Koninklijke Vereniging voor Nederlandse Mziek Geschiedenis, XLVII, 1/2, 1997, p. 33–71. À la note 6 de la p. 68 de son article, B. Haggh mentionne d’autres manuscrits liturgiques conservés et ayant vraisemblablement appartenus à la Sainte-Chapelle, tel le Paris, BnF, lat. 978 (ordinaire de 1479 que Branner voyait à l’usage de la Capella regis) ou bien encore le lat. 1435 que je présenterai de façon plus détaillée plus loin dans mon article et que Barbara Haggh mentionne sous une cote erronée (lat. 1345). L’auteur cite également une série d’autres manuscrits liturgiques de la SainteChapelle en dehors des ordinaires. Parmi eux, je relève l’intérêt probable du ms. Bruxelles Bibl. Royale, IV 472 supposé être du XIIIe siècle et contenant des offices et des messes. Je ne peux dans le cadre de cette simple contribution reprendre à la base l’étude de ces manuscrits mais, à n’en pas douter, une belle thèse serait à entreprendre sur ce groupe de codices. Elle permettrait sans doute de préciser l’importante question de l’origine du cursus liturgique de la Sainte-Chapelle, que je crois pour ma part pour une grande partie issue de la tradition issue du rituel pratiqué à Notre-Dame de Paris (à propos duquel on pourra consulter les travaux de Craigh Wright) ainsi que d’éclaircir celle relative aux rapports entre la liturgie de la Sainte-Chapelle et l’abbaye de Saint-Denis (voir les recherches de A. W. Robertson). À titre d’exemple d’une recherche précise sur un aspect du cursus liturgique de la Sainte-Chapelle, mentionnons la contribution de K. Gould, « The Sequences De Sanctis reliquis as Sainte-Chapelle Inventories », Mediaeval Studies, 43, 1981, p. 315–341.
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chapelle basse dédié à la Vierge – comme à l’extérieur du bâtiment ou bien encore les célébrants requis pour tel ou tel jour ainsi que leurs vêtements et les objets liturgiques utilisés. Ces différents éléments ne sont cependant pas de nature à éclairer de façon importante la compréhension de l’utilisation du double espace liturgique que représente la Sainte-Chapelle. Différents autels de la chapelle haute comme de la chapelle basse sont bien mentionnés mais la détermination de leur emplacement respectif demeure incertaine, de même que l’existence ou pas d’un jubé ou d’une barrière de choeur. Le contenu liturgique reste à étudier de façon approfondie mais à première vue, il apparaît clairement que la liturgie de la Sainte-Chapelle est bien celle d’un collège de chanoines célébrant quotidiennement. Le prestige d’un rituel royal ne concerne que quelques fêtes dans l’année et encore, le roi ne semble pas forcément présent à chacun de ces jours. Le calendrier des folios 1–6 ne révèle aucune particularité significative sur le culte des saints à la Sainte-Chapelle et l’on n’est pas surpris de constater que des autels soient consacrés à saint Louis, à saint Jean l’Évangéliste et à saint Michel. Considérant cependant que la liturgie mise au point pour la SainteChapelle au milieu du XIIIe siècle a, de façon plus ou moins rapide pu devenir un modèle liturgique destiné à l’exportation dans d’autres chapelles royales, il faut être attentif à d’autres manuscrits dont l’origine à la Sainte-Chapelle n’est pas attestée mais pouvant néanmoins refléter sa liturgie. Parmi ces manuscrits, l’attention doit se porter sur des livres liturgiques décrivant le rituel, c’est-à-dire les ordinaires. Or, il existe un manuscrit qui, jusqu’à présent, n’a jamais été pris en compte – du moins à ma connaissance – par les spécialistes de la Sainte-Chapelle : le ms. Paris, BnF, lat. 1435. De petite taille – il ne mesure que 17,5 cm sur 11,5 cm, ce manuscrit présente une homogénéité codicologique avec ses 48 folios parfaitement bien conservés et témoignant d’un soin certain apporté par le ou les copistes qui ont transcrit le texte. Sans être pour autant un manuscrit « de luxe », le lat. 1435 est de facture soignée indiquant une noble destination ou du moins un usage liturgique prestigieux. Ce manuscrit dont le titre est Ordinarium tenendum in capella regis constitue un ordinaire festif à l’usage de la Sainte-Chapelle de Paris,7 7
Sur le f. 1r, anciennes cotes : Rigault MDCCCXCIX, Dupuy 1379, Regius 4627. Ff. 1r et 48r : cachets de la bibliothèque royale. Le manuscrit apparaît pour la première fois dans un inventaire de la chapelle du duc de Touraine dressé en 1388 (AN, KK 264, fol. 18). Il figure au chapitre des livres que Mgr d’Orléans (Louis d’Orléans) a fait prendre de l’exécution de Dame (Blanche de France, femme de Philippe, duc d’Orléans, †1392) :
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ou bien de la chapelle royale, si l’on prend en considération les mises en garde de Robert Branner, conseillant de distinguer la liturgie de la Sainte-Chapelle de celle de la capella regis qui présentent cependant de nombreux points communs. Il contient essentiellement les indications rubricales concernant la couleur des vêtements, les ornements de l’autel, le nombre de cierges, la présence du diacre et du sous-diacre, le nombre de chanteurs pour les cérémonies, les encensements, les cloches à sonner. À de nombreuses reprises, on indique simplement more consueto (ff. 1r–17r.) laissant supposer l’existence d’une pratique liturgique connue, qui n’a pas besoin d’être transcrite. On y rencontre très peu de pièces propres à chaque fête, pour la messe et pour l’office ; seuls quelques incipits d’antiennes, de répons, de versets, de proses, d’oraisons sont transcrits. L’indication des autels ne s’accompagne pas de description sur la topographie des processions, à l’intérieur ou à l’extérieur de l’édifice. On ne trouve pas non plus de description précise sur le lieu de déroulement de drame liturgique, comme le Quem quaeritis (ff. 17v–18r). Il doit s’agir d’un manuscrit officiel et pratique servant au cérémoniaire ou au sacristain pour la préparation des grandes cérémonies de l’année qui se déroulent à la Sainte-Chapelle ou dans une chapelle royale. Son contenu ne prévoit rien sur les livres liturgiques utilisés lors des cérémonies, excepté peut-être la mention du f. 18r : cetera sicut in ordinario (s’agitil d’un autre ordinaire plus complet ou bien d’une référence implicite à « ce qui se fait » habituellement ?). Il s’inscrit vraisemblablement dans une longue suite d’ordinaires en usage à la chapelle royale depuis le milieu du XIIIe ; peut-être même en copie-t-il un exemplaire. Le contenu liturgique (ou plutôt de la description des cérémonies) sépare le temporal et le sanctoral. Seules les principales fêtes de l’année sont mentionnées, ce qui correspond à un usage festif pour les « Item un ordinaire à l’usage de la Sainte-Chapelle... puisé XII sols parisis » (cf. n.a.f. 20925, f. 24, n° 12). Les incipits repères du manuscrit sont indiqués dans un inventaire de la vaisselle d’or et d’argent de Louis d’Orléans, rendu en septembre 1396. Le manuscrit apparaît encore dans une liste de manuscrits de Charles d’Orléans, rapportés d’Angleterre, dressée en 1440 : « Un ordinaire de la chapelle du Roy commençant Sabbato in Adventu Domini... » (Toutes ces informations sont tirées d’une note manuscrite de F. Avril déposée au Département des manuscrit de la BnF). P. CHAMPION, La librairie de Charles d’Orléans, Paris, 1910, p. 83 ; H. OMONT, Anciens inventaires et catalogues de la Bibliothèque nationale, I : la librairie royale à Blois, Fontainebleau et Paris au XVIe siècle, n° 525, p. 77 et n° 116, p. 163 ; M. HUGLO, « Les débuts de la polyphonie à Paris : les premiers organa parisiens », in : Aktuelle Fragen der Musikbezogenen Mittelalterfoschung, Forum Musicologicum III, s. d., p. 129 (sur la substitution des séquences aux hymnes dans la liturgie des chapelles royales).
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cérémonies de la Sainte-Chapelle ou de la chapelle royale. À côté des nombreux saints parisiens, on rencontre les caractéristiques propres à la Sainte-Chapelle : 30 septembre pour les reliques (f. 36r), le 3 février pour le chef de saint Blaise (f. 42r), le 3 mai, invention de la croix (nisi in capella regia parisiensi..., f. 31r), le 11 août pour la sainte couronne (f. 33v), le 25 août pour saint Louis (f. 34v), le 23 novembre pour la saint Clément (f. 47v). On se trouve en face d’un livre de tradition locale, en l’occurence celle de la liturgie de la chapelle royale, peut-être même la Sainte-Chapelle. L’analyse codicologique atteste que le contenu est présent dans son intégralité et qu’il existe une parfaite homogénéité entre celui-ci et l’aspect matériel du codex. Peu de pièces liturgiques sont transcrites in extenso étant donné la nature descriptive du manuscrit. On relève cependant un certain goût pour les pièces de chant, avec la notation musicale. On en veut pour preuve la table des intonations des proses et des tropes du Kyrie (ff. 39r–48v). La mention du f. 19v fait allusion à la fondation de Jean de Beaumont, maître d’Hôtel du roi, mort en 1338 ; celle du f. 38r à celle du roi Jean le Bon à l’occasion de la fête de saint Martin. Certaines mentions peuvent aider à préciser la date du manuscrit : 25 août : saint Louis (1298, mais la fête est instituée en 1309, f. 34v), 19 août : Louis, évêque de Toulouse (canonisé en 1317, f. 34r) ; on relève cependant l’absence de fête telle le Corpus Christi (1318). La mention de première main du roi Jean (f. 38r) pourrait suggérer une réalisation vers 1350–1364. Il se peut que le manuscrit reprenne, dans ses grandes lignes, le contenu d’un manuscrit plus ancien, mais qu’il a été réalisé dans la seconde moitié du XIVe siècle. On rencontre une seconde mention du roi Jean le Bon au f. 13v, pour l’adoration de la croix : Post eum rex statim adorat eamdem...teste rege Iohe apud castrum de valle Rueil ano MCCCLIII ; s’agit-il d’un château de ce roi où aurait servi le manuscrit, la date de 1353 donne-t-elle une date précise pour le manuscrit ? Si cette hypothèse s’avérait juste, il s’agirait alors d’un témoin de la liturgie de la chapelle royale du temps de Jean le Bon, en usage dans l’une des chapelles castrales du roi. Son contenu reprendrait celui des livres identiques en usage à Paris, notamment à la Sainte-Chapelle. Il attesterait de la persistance et de la force de la codification de la liturgie de la chapelle royale, sur le modèle de celle de la Sainte-Chapelle. Si l’on met de côté l’importante lacune concernant la fête de la dédicace de la Sainte-Chapelle le 26 avril, le contenu de cet ordinaire reprend de façon fidèle l’essentiel des caractéristiques liturgiques de la prestigieuse chapelle parisienne, connues grâce e à l’ordinaire de l’Arsenal mais datant de la fin du XV siècle. À tel
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point qu’on pourrait se demander si ce manuscrit n’a pas été réalisé pour un usage à la Sainte-Chapelle et s’il ne s’agit pas là d’un ordinaire destiné au service liturgique du lieu. Ce flou concernant l’usage liturgique du lat. 1435 est peut-être révélateur du fait que la liturgie de la Sainte-Chapelle s’est rapidement imposée comme un modèle liturgique reproduit dans les autres chapelles royales. Compte tenu de l’importance de la double signification politique et spirituelle de la Sainte-Chapelle, il y a fort à croire que cette signification se soit aussi accompagnée d’une composante liturgique, comme si le rituel observé dans ce monument devait servir de référence à toutes les autres chapelles royales.
CONCLUSION La liturgie de la Sainte-Chapelle, si difficile à connaître de façon relativement précise et détaillée, me semble toutefois pouvoir être appréhendée à partir de la notion de modèle liturgique. En effet, à l’instar de ce que Claudine Billot a rappelé du point de vue du message spirituel et politique de la Sainte-Chapelle, on peut considérer, après ce que j’ai exposé dans cette communication, que l’influence de ce lieu s’est également exercée sur le versant de la liturgie. Entre le XIIIe et le XVIe siècles, les fondations de Saintes-Chapelles sont légion. Parmi elles, il faut distinguer les chapelles royales, telles que Vincennes, Le Vivier-en-Brie par exemple, des Saintes-Chapelles princières créees par les descendants de saint Louis. En leur sein, des reliques détachées de la Sainte-Chapelle de Paris sont déposées, créant ainsi une sorte de réseau liturgico-spirituel des Sainte-Chapelle. Plusieurs Sainte-Chapelle fleurissent loin de la capitale et veulent exprimer le pouvoir des princes. Certaines d’entre elles sont considérées telles de véritables répliques du modèle de la Sainte-Chapelle parisienne. L’adoption de ce modèle déborde le cadre strict de la référence symbolique. Dans tous les cas, la Sainte-Chapelle est copiée pour son architecture, pour ses reliques et jusqu’à la manière de célébrer la liturgie. À ce propos, on a vu que, pour embrasser le plus largement possible le rituel de la Sainte-Chapelle de Paris, il fallait non seulement prendre en considération les manuscrits liturgiques, trop peu nombreux et tardifs, attribués avec certitude à l’usage du lieu, mais aussi et je dirai surtout, étudier de près d’autres livres liturgiques – tel cet ordinaire lat. 1435 conservé à la BnF – plus proches dans le temps du rituel du XIIIe siècle que les manuscrits conservés de la
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Sainte-Chapelle eux-mêmes. Ces manuscrits constituent des témoins privilégiés du déroulement de la liturgie à la Sainte-Chapelle. Sur un autre plan, la présentation du lat. 1435 démontre que saint Louis et son entourage ont véritablement conçu la Sainte-Chapelle comme l’expression d’un modèle destiné à se diffuser un peu partout à travers le royaume. Tel n’était pas le cas, pour des raisons liées à la fois aux circonstances historiques de sa réalisation et à sa fonction liturgique et idéologique, pour l’ordo du sacre de Saint Louis, connu à travers le lat. 1246. La Sainte-Chapelle et ce manuscrit forment néanmoins les deux volets d’un seul et même dyptique de nature à la fois idéologique et politique. Je voudrais pour terminer revenir un instant sur la distinction entre la Sainte-Chapelle et la Capella regis si fondamentale aux yeux de Robert Branner évoquée au début de cette communication. Par certains aspects, les mises en garde de Branner étaient justifiées et il est toujours aujourd’hui impératif de ne pas céder à la tentation d’associer trop étroitement, voire d’assimiler, tout ce qui touche ou ce qui provient des chapelles royales françaises à la Sainte-Chapelle de Paris. Mais force est de constater que ce monument unique et exceptionnel a exercé une influence considérable tant du point de vue de l’architecture, de celui du culte des reliques, que du point de vue de la liturgie et de sa signification politique. Autrement dit, la Sainte-Chapelle de Paris n’est pas simplement à tous égards un monument majeur du XIIIe siècle, c’est aussi une construction mentale, intellectuelle, qui véhicule l’idéal de la royauté française, largement diffusée jusqu’à la fin du Moyen Âge. Pour cela, la liturgie a joué un rôle de premier plan. À ce propos, ne peut-on pas oser le rapprochement entre le caractère de modèle manifestement voulu pour la SainteChapelle et celui tout aussi essentiel de la liturgie de la Chapelle papale au XIIIe siècle, codifié à travers l’ordinaire de la Curie dans la première moitié du XIIIe siècle et exprimant l’idée ecclésiologique selon laquelle la liturgie de la Chapelle papale est le modèle pour la liturgie de l’Église universelle.8 Ne peut-on considérer que saint Louis et son entourage aient aussi conçu une liturgie modèle, exportable et destinée à servir de référence dans l’ensemble des chapelles royales françaises.
8 P.-M. GY, « L’unification liturgique de l’Occident et la liturgie de la Curie romaine », in : Liturgie de l’Église particulière et liturgie de l’Église universelle, Conférences Saint-Serge 1975, Rome, 1976, p. 155–167.
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ARCHITECTURE GOTHIQUE ET MISE EN SCÈNE DES RELIQUES. L’EXEMPLE DE LA SAINTE-CHAPELLE Willibald SAUERLÄNDER
Je me permettrai de commencer par faire un aveu. Au moment où je communiquais par lettre à Peter Kurmann le titre de cette conférence, « Architecture gothique et mise en scène des reliques. L’exemple de la Sainte-Chapelle », je ne connaissais pas encore l’admirable catalogue : Le trésor de la Sainte-Chapelle que Jannic Durand a rédigé pour la belle exposition du Louvre.1 Ce que je vais dire aujourd’hui est en grande partie tiré de la véritable mine d’or que représente ce catalogue où sont minutieusement analysés les reliques et les reliquaires de la Sainte-Chapelle. Je me limiterai donc à tenter de situer ces informations dans un contexte plus général et à mettre en lumière le caractère très particulier de la mise en scène des reliques dans la Sainte-Chapelle, ainsi que le rôle essentiel qu’elles ont joué dans la conception du programme de la chapelle haute. Je dois encore préciser que j’ai préparé cette conférence loin de Paris, c’est-à-dire sans avoir accès aux manuscrits ni à l’ordinaire de la Sainte-Chapelle mais en ayant toutefois à ma disposition la totalité de la bibliographie depuis Morand. Je prends pour point de départ le tableau bien connu, attribué à l’école de Rogier van der Weyden et représentant l’exhumation du corps de saint Hubert dans l’église Saint-Pierre à Liège (pl. 1).2 L’acte solennel a lieu dans un sanctuaire avec déambulatoire et chapelles rayonnantes. Sur les huit piliers ronds, on reconnaît les statues des apôtres. Au-dessus du retable de l’autel s’élève un tabernacle avec la statue de saint Pierre qui veille sur la cérémonie. Le corps du saint est levé et va être déposé dans une châsse dorée qui est posée sur l’autel. La scène se déroule sous les regards d’un grand nombre de fidèles 1
J. DURAND (éd.), Le trésor de la Sainte-Chapelle, Paris (Musée du Louvre), 2001. – Je tiens à remercier la secrétaire de la chaire d’histoire de l’art de l’Université de Fribourg, Mme Loyse Revertera qui a bien voulu revoir sur le plan linguistique le texte de ma conférence rédigée en français. 2 Pour le tableau représentant l’exhumation de saint Hubert voir : M. DAVIES, National Gallery Catalogues. Early Netherlandish School, London, 1955 (2), p. 128, no 783.
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qui se pressent derrière la grille du chœur. On peut voir sur cette châsse, au centre, sous le gâble, saint Hubert avec le crozier et un olifant. Je n’entrerai pas dans les détails de l’iconographie qui sont en rapport avec les textes concernant l’exhumation du saint en 825, avant la translation de son corps à l’abbaye de Saint-Hubert. Je montre cette image parce qu’elle révèle de manière exemplaire l’exaltation et surtout la visualisation des reliques dans le cadre d’une architecture gothique, thème qui constitue justement le sujet de cette conférence.3 Passons maintenant de Saint-Pierre de Liège à Saint-Denis. Suger parle à deux reprises de l’élévation des corps des Saints Patrons à l’occasion de la construction du nouveau chœur gothique. Dans De Administratione il écrit : Sacratissima dominorum nostrorum corpora in volta superiore quam nobilius locari oportuit.4 Un passage du De Consecratione est encore plus explicite : De dominorum nostrorum translatione soliciti, sacratissimas eorum lecticas ornamentum iri votive animabamur ; et ubi gloriosius adventantium obtutibus et conspicabilus transferrentur eligentes.5 Ce passage est fondamental. Il montre que, dès son apparition à SaintDenis, la mise en scène spectaculaire des reliques faisait partie du programme – de l’iconologie – des grandes églises gothiques. Malheureusement, l’installation des trois châsses des Saints Martyrs décrite par Suger demeure pour nous un mystère du fait que nous n’en possédons aucune vue ancienne fiable. Le fameux tableau du Maître de Saint-Gilles ne montre que l’autel principal avec l’antependium de Charles le Chauve, la croix de saint Éloi et le tombeau du fondateur Dagobert. L’autel des trois martyrs avec les châsses se trouvait plus à l’est. La Cosmographie de Munster en indique l’emplacement mais non la forme6. L’idée d’une telle mise en scène est donc née à SaintDenis et elle a fortement marqué le programme des églises gothiques. La visualisation des reliques allait devenir un phénomène de mode 3 Pour ce qui concerne saint Hubert, son exhumation et sa translation, voir : Lexikon der christlichen Ikonographie, vol. 6 : Ikonographie der Heiligen. Crescentianus von Tunis bis Innocentia, col. 547–551. 4 SUGER, De rebus in administratione sua gestis XXXI, 23. Voir E. PANOFSKY, Suger on the abbey church at Saint-Denis and its treasures, Princeton, 1946, p. 54. 5 SUGER, Libellus alter de consecratione ecclesie Sancti Dionysii V, 25–28. PANOFSKY, Suger... (op. cit. n. 4), p. 104 6 Pour le tableau du Maître de Saint-Gilles voir G. RING, A Century of French Painting 1400– 1500, London, 1949, Cat. No 139, fig. 136. Pour l’illustration dans la cosmographie de Munster, voir J. FORMIGÉ, L’abbaye royale de Saint-Denis. Recherches nouvelles, Paris, 1960, p. 91, pl. 77. Pour la reconstruction de l’autel des trois martyrs voir en dernier lieu : S. ALBRECHT, Die Inszenierung der Vergangenheit. Die Klöster von Glastonbury und Saint-Denis, München, 2003, p. 157–160.
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qui se signalerait surtout par l’élévation des châsses dans les nouveaux chœurs. Les exemples étaient nombreux mais aucun ne subsiste aujourd’hui. Ce n’est qu’à travers les textes et quelques rares images que l’on se peut faire une idée de ces mises en scène des corps des saints. Je ne citerai ici que quelques cas fameux. Le chœur de la cathédrale de Noyon étant achevé, en 1157, le corps de saint Éloi y fut decenter et honorifice elevatum, et tam clero quam populo Dei monstratum (et) in praesenti theca aurea devotissimme repositum fuit.7 Ainsi donc, saint Éloi fut élevé, montré au peuple et déposé dans une châsse dorée qui se trouvait dans le nouveau chœur gothique. Dans le chœur de Notre-Dame de Paris – derrière le maître-autel – sur l’autel de saint Marcel, se trouvait la châsse du saint posée sur une tribune et dominée par un ciborium qui n’est pas sans rappeler celui que l’on voit au-dessus de la grande châsse de la Sainte-Chapelle. Cette même disposition apparaît encore sur une gravure représentant le Te Deum à l’occasion du mariage de Louis XIV en 1660 (pl. 2).8 Elle dominait visuellement tout le chœur. Cette installation, datant des années soixante du XIIIe siècle, était donc postérieure à celle de la Sainte-Chapelle, mais déjà au XIIe siècle une châsse de saint Marcel avait été exposée dans ce chœur. À SaintRémi de Reims, on peut encore voir aujourd’hui – très restauré – le tombeau de saint Rémi au centre du chœur gothique qui abritait autrefois la châsse du saint. Mais ce mausolée date de 1533 à 1537 et correspond aux habitudes sépulcrales du XVIe siècle. On aimerait bien savoir si, au Moyen Âge, la châsse de saint Rémi n’était pas, elle aussi, placée sur une tribune au centre du chœur gothique.9 Nous sommes bien renseignés par les sources et par quelques images sur la mise en scène spectaculaire de la châsse de saint Thomas Becket qui se trouvait dans le chœur de la cathédrale de Canterbury. Matthew Paris décrit ainsi la translation de 1200 : transtulit archiepiscopus Stephanus corpus beati Thome archepiscopi et martyris, de subopaco cripte loco in eminenciorem ecclesie locum et in feretro, auro et gemmis artificio incomparabili composito, collocavit.10 La nouvelle châsse, tirée de l’obscurité de la 7 C. SEYMOUR Jr., Notre-Dame in Noyon in the twelth Century. A study in the development of gothic architecture, New York, 1965 (2), p.47, note 21. 8 Pour cette gravure, voir K. KRAUSE, Der « Voeu de Louis XIII ». Die Chorausstattung von Notre-Dame in Paris unter Ludwig XIV, München, 1989, p. 10/11, pl. 1. Voir aussi A. TEMKO, Notre-Dame of Paris. The biography of a cathedral, New York, 1952, p. 290. 9 Pour le mausolée de saint Remi dans le choeur de l’abbatiale, voir A. GÖSSET, La basilique de Saint-Remi à Reims. Histoire, Description, Construction, Reims, 1900, p. 53 et pl. XXI. 10 Voir O. LEHMANN-BROCKHAUS, Lateinische Schriftquellen zur Kunst in England, Wales und Schottland vom Jahre 901 bis zum Jahre 1307, Vol. 1, München, 1955, p. 242/43, N° 864.
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crypte, fut élevée dans un nouveau chœur gothique et déposée sur une tribune supportée par des colonnes, mise en scène qui est représentée dans les vitraux du chœur (pl. 3).11 C’est probablement l’exemple le plus spectaculaire de l’exposition d’une châsse dans un chœur gothique. Mais il faut citer un deuxième cas intéressant en Angleterre, parce qu’il est investi d’une grande importance sur le plan politique et est de plus très bien documenté : il s’agit de la châsse de saint Édouard le confesseur qui se trouvait dans le chœur de l’abbatiale de Westminster. Le support de cette châsse avec son décor des Cosmates existe encore. Une illustration de la Vie de saint Édouard le Confesseur représente la châsse qui se trouve entre la statue du roi Édouard et celle d’un pèlerin auquel il offre son anneau (pl. 4). Des malades sont agenouillés devant la châsse et des pèlerins s’en approchent. Cette image est fictive – la châsse n’était pas encore achevée quand la miniature fut peinte – mais elle rend de manière très vivante la vénération populaire dont faisait l’objet le reliquaire du Saint Roi qui était exposé sur la tribune au centre du chœur gothique de l’abbatiale.12 Pour en finir avec les exemples revenons en France. Derrière le maître-autel de la cathédrale d’Amiens s’élevait une tribune supportant huit châsses de saints locaux. Il semble qu’il n’existe aucune vue ancienne du chœur représentant cette disposition. Nous ne disposons que de plans sur lesquels figurent les supports de la tribune derrière le maître-autel. La vue d’une tribune des châsses appartenant au chœur de la cathédrale d’Arras peut nous permettre de nous faire une idée de la manière dont se présentait une telle installation. Encore faut-il rester prudent du fait que la vue de la tribune d’Arras n’est qu’une reconstitution du XIXe siècle13. Au centre de la tribune d’Amiens s’élevait la châsse du plus vénéré des patrons locaux, saint Firmin. Le tympan de l’un des portails occidentaux de la cathédrale montre l’invention et la translation des reliques de saint Firmin – l’image se présente comme un vidimus monumental qui certifie la présence du corps saint.14 La mise en scène des reliques que Saint Louis venait de recevoir de Constan11 Pour cette image qui fait partie du vitrail des miracles de saint Thomas Becket, voir M. H. CAVINESS, The windows of Christ church Cathedral Canterbury (=Corpus Vitrearum Medii Aevi, Great Britain, Vol. II), London, 1981, p. 187, pl. 112, fig. 246. 12 Pour la châsse de saint Édouard le Confesseur et son installation dans le choeur de l’abbatiale de Westminster, voir P. BINSKY, Westminster Abbey and the Plantagenets. Kingship, and the Representation of Power 1200–1400, New Haven/London, 1995, p. 52 ss. 13 Pour la reconstruction de la tribune des châsses dans l’ancienne cathédrale d’Arras, voir DIDRON, Annales archéologiques IX, pl. I. 14 Pour cette disposition à Amiens, voir W. SAUERLÄNDER, « Reliquien, Altäre und Portale », in : Kunst und Liturgie im Mittelalter. Akten des internationalen Kongresses der Bibliotheca
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tinople et de l’Orient Chrétien entre 1239 et 1247 et qui devaient être déposées dans la nouvelle chapelle qu’il faisait construire en vue de leur dépôt et de leur vénération correspondait donc à une coutume bien établie autour de 1240. L’élévation des reliques dans les sanctuaires n’est pas une invention de la nouvelle architecture gothique. Cette coutume est bien plus ancienne.15 Mais l’architecture gothique avec sa tendance à la visualisation du sacré prêtait à la mise en scène des châsses et des reliquaires une splendeur nouvelle et nulle part ailleurs leur magie mystérieuse ne se manifeste d’une manière aussi spectaculaire qu’à la Sainte-Chapelle. Mais il faut souligner que la présentation des reliques dans la Chapelle royale diffère de tous les autres exemples que je viens de montrer. Une mise au point critique s’impose au moment d’entreprendre une analyse de l’exposition des reliques de la Sainte-Chapelle. Dans ses belles études sur le style de la cour de Saint Louis, Robert Banner a parlé à plusieurs reprises des médaillons peints de la Sainte-Chapelle et de Westminster Abbey en ces termes : « The Sainte-Chapelle was literally constructed as a reliquiary, an enormous mock –metal shrine complete with imitation repoussé Apostles along the sides and with effects of enamel and chased gold, the whole turned outside in. »16 En tant que description de l’apparence de la Sainte-Chapelle, que nous ne connaissons que dans son état restauré par Lassus, cette phrase peut être plus ou moins appréciée mais, en tant que constatation des faits, elle est tout simplement fausse. Elle met en question la clarté du programme et le rend incompréhensible. Tenons-nous-en donc à la formule utilisée par son fondateur, Saint Louis, dans la Prima et la Secunda Fundatio Sanctae Capellae. Il y parle de la venerabilis illa et sacra capella, in qua eadem sacrosancta corona Domini, crux sancta et aliae quamplures pretiosae Reliquiae repositae continentur, quae ut divinae laudis obsequio jugiter honorentur, et idem locus in perpetuum debito et devoto divini cultus servitio frequentur17 Le roi ne fonde donc pas une châsse mais Hertziana und des Nederlandse Institut te Rome. Rom 28.–30. September 1997, éd. N. BOCK et al., München, 2000, p. 120–134. 15 R. KROOS, « Vom Umgang mit Reliquien », in : Ornamenta Ecclesiae. Kunst und Künstler der Romanik, vol. 3, Köln, 1985, p. 25–50. 16 R. BRANNER, Saint Louis and the Court Style in Gothic Architecture, London 1965, p. 56–65. Idem, « The Painted Medaillons in the Sainte-Chapelle in Paris », Transactions of the American Philosophical Society, n.s. 58, part 2, 1968, p. 5–42. Idem, « Westminster Abbey and the French Court Style », Journal of the Society of Architectural Historians, XXIII, 1968, p. 3–18. La phrase citée se trouve en p. 16. 17 S.-J. MORAND, Histoire de la Sainte-Chapelle Royale du Palais, Paris, 1790, Pièces justificatives, p. 2 et surtout p. 8.
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bien une chapelle dans laquelle les reliques sont déposées et où elles seront honorées lors des offices divins et il parle d’un lieu qui sera in perpetuum consacré au service du culte. Or, en l’absence d’une stricte distinction entre la chapelle en tant que bâtiment et les reliques qui y sont déposées, le programme de la Sainte-Chapelle, répétons-le, devient incompréhensible. Le Roi a installé dans cette chapelle un collège de chanoines, avec des tâches bien définies. La sainte messe devait y être dite tous les jours, les heures de prière respectées.18 Il est probable, sinon prouvé, qu’il y avait dès le début un jubé qui séparait le chœur liturgique de la nef et qu’il y avait des stalles pour les chanoines.19 Il s’agissait d’une chapelle de cour formellement institutionnalisée. Dans le Privilegium que Innocent IV accorde au personnel de la Sainte-Chapelle, le pape parle de la capella Parisius infra septa domus regiae que le Roi construit opere superante materiam.20 Cette formule panégyrique a fait l’objet d’interprétations diverses. Branner y a vu une confirmation de son idée de la chapelle conçue comme une châsse de pierre, d’autres y ont vu une référence à la lumière néoplatonicienne et à la Jérusalem céleste.21 Je suis sceptique. Opus superante materiam est un topos panégyrique usé par la chancellerie papale qui ne pouvait se faire qu’une vague idée de l’apparence de la chapelle en cours de construction à Paris. Il me semble plus raisonnable de s’en tenir aux mots de Mattew Paris qui parle de la capella mirifici decoris.22 Ceci dit, je puis enfin aborder le problème de la mise en scène des reliques dans cette chapelle. La tribune des reliques qui s’élève dans le polygone du chœur est accessible par deux escaliers à vis et couronnée d’un ciborium qui sur18
MORAND, Histoire... (op. cit. n. 17). On ne sait rien sur le jubé qui a dû exister dès le XIIIe siècle. En 1367 Charles V a fondé deux autels « de la nef ». Voir MORAND, Histoire (op. cit. n. 17), p. 127. Mais il n’est pas prouvé que ces autels se trouvaient devant le jubé. Le plan Sellier publié par Morand montre deux autels à droite et à gauche de la porte du jubé. La gravure de Ransonette, également publiée par Morand, montre le jubé avec ces deux autels. Mais cette disposition datait du temps d’Henri II. Voir DURAND, Le trésor... (op. cit. n. 1), p. 236. 20 Pour ce privilège, voir MORAND, Histoire... (op. cit. n. 17), Pièces justificatives, p. 2/3. 21 BRANNER (op. cit. n. 16), p. 57. Branner rappelle que cette formule d’origine ovidienne (Métamorphoses II/5 : « Argenti bifores radiabant lumine valvae. Materiam superabat opus ») se trouve ailleurs dans « l’ecphrasis médiéval ». O. VON SIMSON, « Opere superante materiam. Zur Bedeutung der Sainte-Chapelle zu Paris », in : Mélanges Jacques Stiennon, Liège, 1982, p. 597–613) interprète cette formule panégyrique en relation avec la lumière « spirituelle » « platonicienne » des vitraux de la chapelle. 22 MATTHEW PARIS, Chronica Majora, IV, 92 cité par BRANNER, Saint Louis... (op. cit. n. 16) p. 16, note 41. 19
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monte la châsse. Cette disposition, derrière et au-dessus du maîtreautel, n’est pas très différente des exemples que nous venons de voir, les formes du ciborium étant celles du gothique parisien des années 40, mais l’effet visuel est totalement différent. Dans les chœurs à déambulatoire et chapelles rayonnantes, les châsses s’élevaient devant les arcades du rond-point et au-dessous du triforium ou des tribunes. Dans la Sancta Capella, la tribune, telle qu’elle apparaît sur la gravure de Ransonette (pl. 5), est juste assez élevée pour permettre à la châsse de se détacher sur le fond lumineux des vitraux. Grâce à son socle, elle est encore surélevée et se trouve au-dessus des têtes des statues d’apôtres adossées aux piliers. Cette disposition résulte d’un savant calcul. La châsse dorée apparaissait dans une sorte d’empyrée de lumière. Jamais la mise en scène des reliques n’avait été aussi spectaculaire ni aussi mystérieuse. Il nous est malheureusement impossible de restituer la magie ingénieuse de cette installation. La grande châsse a disparu, la tribune et le ciborium sont des copies plus ou moins fidèles de Lassus et enfin, la gravure de Ransonette représente un ciborium déjà restauré et privé de son couronnement23. Dans la mesure où le dessin qui figure dans un missel Parisien du début du XVe siècle et la copie d’une initiale qui montre le Duc de Bedford en prière devant la châsse sont suffisamment fiables, on peut supposer que ce couronnement disparu était assez haut et la tour centrale du ciborium très volumineuse (pl. 6)24. Dans ce cas, châsse et ciborium dominaient l’espace intérieur de la chapelle. Mais cette grande châsse que nous ne connaissons que par quelques vues anciennes et de manière très imparfaite pose bien des problèmes qui n’ont peut-être pas été suffisamment discutés. Tous les exemples que nous avons cités concernaient des châsses – feretra, civières – qui contenaient les corps, les os des saints vénérés. Elles présentaient sur l’un des frontons l’image du saint « enseveli ». Je cite en exemple le front de la châsse de saint Servais à Maastricht (pl. 7)25. 23
Pour la restauration de Lassus, voir : F. GEBELIN, La Sainte-Chapelle et la conciergerie, Paris, 1937, p. 16. J.-M. LENIAUD, Jean-Baptiste Lassus (1807–1857) ou le temps retrouvé des cathédrales, Paris, 1980, p. 59–61 ; J. DE GROOTE, « Architectes et archéologues à la Sainte-Chapelle », Formes (Bulletin de l’Institut d’Histoire de l’Art de Strasbourg), 1979–1982, Printemps 1982, p. 13–20. 24 Pour le Missel à l’usage de Paris, Bibl. Mazarine Ms. 406, voir DURAND, Le trésor... (op. cit. n. 1), p. 124, No 25. Pour la copie du Bénédictionnaire-Missel du Duc de Bedford, Ibid., p. 127, No 27. 25 Pour la châsse de saint Servais à Maastricht et sa position – soit avec l’image du Sauveur, soit avec celle de saint Servais tournée vers l’autel – voir R. KROOS, Der Schrein des Heiligen Servatius in Maastricht, München, 1985, p. 298–315.
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Or, à la Sainte-Chapelle, une telle disposition était irréalisable. Il était impensable de déposer les reliques de la passion du Seigneur ressuscité dans un feretrum, dans une châsse-civière. Aussi, la Fundatio secunda »de 1248 ne parlait-elle pas d’une châsse mais de la capsa sacrarum reliquarum, c’est à dire le réceptacle des saintes reliques.26 Dans le même sens, Geoffroy de Beaulieu dit à propos de Saint Louis preciosam et admirabilem thecam fieri fecit ad predictas sacras reliquias honorifice recondendas.27 Ainsi la capsa ou theca de la Sainte-Chapelle n’est pas une châsse dans le sens habituel du terme mais bien une armoire à reliques telle qu’on en rencontre dans les trésors ou les sacristies. Je donne en exemple le dessin de l’armoire à reliques de la cathédrale de Noyon réalisé par Carresse avec, peintes sur les portes, les figures des saints dont les reliques y sont conservées (pl. 8).28 Dans la Sainte-Chapelle au contraire, l’armoire à reliques n’est pas reléguée dans la sacristie ou dans la salle du trésor mais exposée au-dessus de l’autel. Elle est devenue une châsse-armoire. Une nouvelle étape dans l’histoire de la visualisation des reliques est ainsi franchie. Sur le front de cette châssearmoire était représenté le Christ en croix et, presque certainement, portant la couronne d’épines. Cette image faisait évidemment référence aux deux plus précieuses reliques qui y étaient déposées : la couronne d’épines et la grande croix. Munie de cette image, la châssearmoire au-dessus de l’autel devenait une sorte de retable et il faut se rappeler qu’au XIVe siècle on rencontrera des retables à reliques. Je cite en exemple l’autel de l’abbaye cistercienne de Marienstatt avec toute une batterie de bustes-reliquaires de saintes.29 Dans la SainteChapelle, l’image du Christ au front de la châsse-armoire est également la Croix triomphale de la Sainte-Chapelle, telle qu’on la voit ailleurs au-dessus du jubé, sur la poutre de gloire. Les autres images qui figurent sur les côtés de la châsse-armoire – la flagellation et la résurrection – font référence à deux autres reliques conservées dans
26 MORAND, Histoire... (op. cit. n. 17), Pièces justificatives, p. 11. Dans la partie qui traite du luminaire de la Sainte-Chapelle, le roi ordonne que, pour une « missa solemnis » douze cierges doivent brûler « circa capsam sanctarum reliquiarum ». 27 DURAND, Le trésor... (op. cit. n. 1), p. 107/108 et p. 112, note 5. 28 Pour ce dessin, voir E. VIOLLET-LE-DUC, Dictionnaire raisonné du mobilier français, vol. I, article „armoire“, p. 10. 29 Concernant les retables à reliques, voir H. KELLER, « Der Flügelaltar als Reliquienschrein », in : Studien zur Geschichte der europäischen Plastik. Festschrift Theodor Müller, München, 1965, p. 125–144 et en dernier lieu : N. WOLF, Deutsche Schnitzretabel des 14. Jahrhunderts, Berlin, 2002, surtout p. 356–361.
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la capsa : le carcan de fer et la pierre du Sépulcre.30 On remarquera à quel point est ingénieuse et tout à fait unique l’exposition des reliques de la passion dans la Sainte-Chapelle. Je devrais peut-être ajouter que, contrairement à l’opinion de Robert Branner qui nous a donné la première étude sérieuse de la grande châsse, je suis convaincu que toute cette installation – tribune, ciborium, châsse-armoire s’élevant au-dessus du mur du socle dans la zone des vitraux – relève d’une conception cohérente et n’est pas le résultat d’un changement de plan.31 L’ouverture de la capsa aux grandes fêtes et à certaines occasions particulières – telles que la visite du Duc de Bedford – correspond à l’habitude générale de montrer les reliques à l’occasion des grandes fêtes.32 Mais quand on ouvrait les serrures de la capsa de la SainteChapelle et quand on la tournait, ouverte, vers la nef, les reliques se présentaient comme exposées dans une grande vitrine (pl. 9) et leur visualisation revêtait un éclat proprement hallucinant du fait que la plupart d’entre elles se trouvaient contenues dans des récipients de cristal. On sait que l’utilisation du cristal de roche pour la mise en valeur les reliques s’est répandue au XIIIe siècle en occident et que cet usage faisait partie de la nouvelle mise en scène des reliques à l’époque gothique.33 Mais, dans le cas de la capsa de la Sainte-Chapelle, nous observons une accumulation encore jamais vue de reliques incluses dans des récipients de cristal (pl. 10). C’était le cas de la couronne d’épines qui était déposée dans une coupe de cristal et sans doute entourée par les statues des douze apôtres, de la grande croix ainsi que de la croix avec le fer de la lance. Le sang du Seigneur, le lait de la Vierge, le carcan et l’éponge étaient également conservés dans du cristal34. Il faut se méfier de toute explication triviale de cet étonnant phénomène – à l’instar de qui se fait dans les médias visuels modernes. Le cristal, à la fois transparent et impénétrable était, dans l’allégorie médiévale, depuis Isidore de Séville et Hrabanus Maurus
30 Pour le « carcan de fer » (le lien au moyen duquel on croyait que le Seigneur avait été attaché) voir DURAND, Le trésor... (op. cit. n. 1), p. 69. Pour la « pierre du Sépulcre », ibidem p. 72 31 Voir R. BRANNER, « The Grande Châsse of the Sainte-Chapelle », Gazette des Beaux Arts, 1971, p. 6–18. 32 Voir KROOS, « Vom Umgang mit Reliquien » (op. cit. n. 15). 33 Voir, toujours, J. BRAUN, Die Reliquiare des christlichen Kultes und ihre Entwicklung, Freiburg, 1940, p. 100–109. 34 DURAND, Le trésor... (op. cit. n. 1), p. 124–137 et ibidem, les illustrations, fig. 3. et Catalogue nos 28, 29, 30 et 31.
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un symbole de la pureté35. Honorius Augustodunensis met ce symbolisme de la pureté en relation avec le corps du Christ36. Le prophète Ezéchiel parle de aspectus cristalli horribilis et l’apocalypse décrit le mare vitreum simile crystallo qui s’étendait devant le siège de Dieu.37 Ainsi, la mise en scène des reliques dans la Sainte-Chapelle ne tend pas seulement à les rendre visibles mais à révéler leur magie miraculeuse. On y assiste à une gradation spectaculaire des luminosités qui va de la couleur lumineuse des fenêtres jusqu’à la pureté du cristal des reliquaires en passant par l’or de la châsse-armoire. Je vais maintenant aborder brièvement le problème des références aux reliques dans les autres parties du programme de la chapelle. En ce qui concerne les vitraux, je me limiterai à deux remarques d’ordre topographique. Comme on l’a toujours fait remarquer, la position de la fenêtre avec les scènes de la passion dans l’axe du choeur est hautement symbolique. Certes, on retrouve ailleurs cette même disposition mais, à la Sainte-Chapelle, cette localisation est certainement en rapport avec les reliques de la passion qui sont contenues dans la châsse-armoire qui se trouve justement devant cette fenêtre. Si l’on peut se fier à la répartition des scènes telle qu’elle se présente aujourd’hui, le couronnement d’épines devrait se trouver directement derrière la châsse-armoire et le ciborium (pl.11).38 La position de la fenêtre très mal conservée qui représente l’histoire et la translation des reliques est, elle aussi, significative. On y voit l’ostension de la couronne d’épines (pl.12)39. Cette fenêtre qui se trouve à droite de l’entrée de la chapelle haute joue le même rôle de vidimus – d’affirmation de la translation – que d’autres scènes analogues figurant sur les tympans de certains portails. Nous avons mentionné l’exemple d’Amiens.40 Le symbolisme des douze statues d’apôtres, dont on connaît bien l’état de conservation très inégal et qui n’est jamais intégral, semble au premier abord indépendant des reliques qui se trouvent au centre de la chapelle. Columnae enim sunt apostoli, cette affirmation métaphorique que j’emprunte à Hrabanus Maurus représente un topos omni35 ISIDORUS, Etymologiae, Lib. XVI, Caput XIII, « De crystallis », PL 82, 577/78. HRABANUS MAURUS, De Universo, Lib. XVI, Caput IX, PL 111, 472/74. 36 HONORIUS AUGUSTODUNENSIS, Gemma Animae 3, 100, PL CLXXII, 668B sq. 37 Ezéchiel I, 22/23 ; Apocalypsis IV, 6/7. 38 Voir L. GRODECKI in : M. AUBERT et al., Les vitraux de Notre-Dame et de la Sainte-Chapelle (=Corpus Vitrearum Medii Aevi, France I), Paris, 1959, p. 198. 39 Voir GRODECKI (op. cit. n. 38), p. 307. 40 Comparer avec SAUERLÄNDER, « Reliquien, Altäre und Portale » (op. cit. n. 14).
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présent dans l’exégèse médiévale. Citons à nouveau Suger qui écrit dans De Consecratione : Medium quippe duodecim (columnae) Apostolorum exponentes numerum.41 Ainsi, la présence de douze statues d’apôtres sur les douze colonnes de la chapelle est d’un symbolisme évident qui pourrait se retrouver dans n’importe quelle église. Il va de pair avec celui qui veut que les douze statues d’apôtres portent les douze croix de consécration.42 Cette analogie entre les douze croix de consécration et les figures des douze apôtres porteurs des croix se retrouve ailleurs mais, dans la Sainte-Chapelle, le symbolisme des douze apôtres qui entourent les reliques de la passion du Seigneur est bien plus spécifique. Nous retrouvons ce même symbolisme dans le passage de la Fundatio Secunda dans lequel le roi ordonne que, à l’occasion des fêtes annuelles et pour la messe des saintes reliques, ardeant duodecim cerei circa capsam sanctarum reliquiarum sex videlicet ab uno latere et sex ab alio.43 Il s’agit-là d’un symbolisme parallèle à celui des douze statues d’apôtres qui entourent la châsse-armoire. Enfin, toutes les représentations du reliquaire de la couronne d’épines montrent la coupe de cristal entourée des statues dont il est pratiquement impossible qu’elles représentent d’autres figures que celles des douze apôtres44. Dans cette perspective, les croix de consécration qui se trouvent entre les mains des apôtres sur les colonnes doivent faire référence, au-delà de leur symbolisme général, aux reliques et surtout à la grande croix. Il est évident qu’avec une telle interprétation je me distancie nettement de l’opinion selon laquelle les douze statues d’apôtres auraient été créées en deux étapes successives45. Leur présence lors de la consécration de 1248 s’impose, non seulement rituellement, mais également d’un point de vue matériel. Les statues et les colonettes font partie des même blocs de pierre. Or, il est difficile d’imaginer que l’on aurait arraché aux colonettes dans la chapelle achevée une partie de leurs 41 B. REUDENBACH, « Säule und Apostel. Überlegungen zum Verhältnis von Architektur und architekturexegetischer Literatur im Mittelalter », Frühmittelalterliche Studien. Jahrbuch des Instituts für Frühmittelalterforschung der Universität Münster, 14, 1980, p. 310–351. Pour le passage de Hrabauns Maurus voir PL 11, 403 D–404 A. Pour le passage de Suger, voir PANOFSKY, Suger... (op. cit. n. 4) p. 104, 9/10. 42 Voir J. SAUER, Symbolik des Kirchengebäudes und seiner Ausstattung in der Auffassung des Mittelalters. Mit Berücksichtigung von Honorius Augustodunensis, Sicardus und Durandus, Münster, 1964, p. 11. 43 MORAND, Histoire... (op. cit. n. 17), Pièces justificatives (Voir aussi note 26). 44 Voir DURAND, Le trésor... (op. cit. n. 1), p. 114 fig. 3., p. 117, fig. 5, p. 125, 129, 131, 132. 45 Pour un avis opposé au mien et, à mon sens,, insoutenable, voir A. WEBER, « Les grandes et les petites statues d’apôtres de la Sainte-Chapelle de Paris », Bulletin Monumental, 155, 1977, p. 81–101.
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fûts pour y intercaler les éléments comportant les statues. Les douze statues d’apôtres porteurs des croix de consécration étaient certainement en place lors de la consécration de la chapelle en 1248. Le dernier point de cet essai concerne les quadrilobes représentant les martyrs. C’est de nouveau à Robert Branner que nous devons l’étude fondamentale à ce sujet.46 Je ne crois pas que le choix des martyrs ait été motivé par leur présence dans les églises parisiennes comme le supposait Branner. Nous savons à quel point la chapelle royale était une institution exempte. Certains, parmi les noms des martyrs que l’on peut encore déchiffrer sont en relation avec les reliques de la chapelle, d’autres concernent de grands martyrs romains ou du royaume de France. Tous les martyrs sont représentés au moment de leur supplice et reçoivent la couronne du martyr de la main des anges sculptés dans les écoinçons (pl. 13). Rassemblés autour de la couronne d’épines, couronne du Christ souffrant, les martyrs, en sont, en raison de leur passion, les dignes successeurs47. Ils reçoivent la couronne céleste qu’ils vont porter comme le Christ portait la couronne d’épines. Je ne crois pas avoir apporté beaucoup d’éléments nouveaux dans cette conférence et je me rends bien compte que de nombreux points devraient être approfondis à la lumière des textes, des calendriers, de l’ordinaire etc. Mon intention était seulement de mettre en lumière la belle cohérence d’un programme que le zèle raisonneur des archéologues et des critiques du style a eu trop souvent tendance à démanteler et à déconstruire.
46 47
BRANNER, Saint Louis... (op. cit. n. 16). Voir les sermons de saint Augustin sur les Martyrs, PL 38, 1247 ss.
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fig. 1 : Exhumation du corps de saint Hubert, École de Rogier van der Weyden ?, Londres, National Gallery.
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fig. 2 : Te Deum chanté à Notre-Dame de Paris en 1661, gravure de Jean Marot.
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fig. 3 : Miracle à la châsse de Thomas Becket, vitrail, Canterbury, Cathedral, Trinity Chapel.
fig. 4 : Pèlerins à la châsse de saint Édouard le Confesseur, miniature, Cambridge, University Library. Es. 359, fol 30.
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fig. 5 : Sanctuaire de la Sainte-Chapelle du Palais, Gravure de Ransonette.
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fig. 6 : Le duc de Bedford devant la Grande Châsse, Copie du fol. 83v. du Bénédictionnaire-Missel du Duc, Paris, Musée du Moyen Âge.
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fig. 7 : Saint Servais entre deux anges, châsse de saint Servais, Maastricht, Saint-Servais.
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fig. 8 : Armoire à reliques, dessin de Carresse, Noyon, cathédrale.
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fig. 9 : La Grande Châsse ouverte, gravure anonyme.
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fig. 10 : Les reliques de la Grande Châsse, Psautier-Livre d’Heures de la famille Petit, New York, The Pierpont Morgan Library, Ms. 67.
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fig. 11 : Le Couronnement d’épines, fenêtre de la Passion, Paris, Sainte-Chapelle.
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fig. 12 : L’Ostension de la Couronne d’épines, fenêtre de l’histoire des reliques, Paris, Sainte-Chapelle.
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fig. 13 : Martyre de saint Sébastien, médaillon, Paris, Sainte-Chapelle. (figs. 1-13 photos : Zentralinstitut für Kunstgeschichte, München).
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LES ÉPINES DE LA COURONNE DU CHRIST, LA SAINTE-CHAPELLE DE PARIS ET SON RAYONNEMENT EN BOHÊME
Jiří KUTHAN
Le rayonnement de la culture française s’est manifesté très tôt en Europe centrale. Il semble que cette influence ait été renforcée par le décès de l’empereur Frédéric II qui mit fin à une époque de haute culture de cour dont le développement était indissociablement lié à la personnalité de ce souverain et à la dynastie des Hohenstaufen. Au cours des années qui suivirent la mort de l’empereur Frédéric II, le règne du roi Přemysl Otakar II (†1278) inaugura pour le royaume de Bohême une période de forte expansion à la fois territoriale et politique. C’est également sous son règne que l’architecture française, telle qu’elle se présente à la Sainte-Chapelle de Paris exerça une grande influence en Bohême. Ceci est surtout valable dans le cas d’édifices exceptionnels, en rapport direct avec la personne du souverain et sa cour, notamment dans le cas de chapelles construites dans les châteaux royaux. Ainsi, la chapelle du château royal de Zvíkov, de par sa forme (segmentation des parties basses du mur périphérique par des arcades aveugles et utilisation de supports engagés, présence de réseau de fenêtres) rappelle sans aucun doute les modèles français bien que, beaucoup plus simple et modeste, elle soit bien éloignée de la perfection et du raffinement de l’architecture parisienne, et surtout bien qu’elle ne présente pas l’extraordinaire légèreté de la construction française dite «en squelette». Parmi d’autres édifices de Bohême, l’église Saint-Sauveur du monastère pragois de Sainte-Agnès de Bohême, qui devait vraisemblablement servir de mausolée au roi Přemysl Otakar II a subi dans sa configuration l’influence des chapelles du temps de Louis IX. Relativement peu de temps après l’achèvement de la Sainte-Chapelle de Paris, on trouve également en Bohême des chapelles doubles. Elles sont plus modestes que la célèbre chapelle parisienne et de dimensions beaucoup plus réduites. Leur aspect conservateur relève des traditions de l’Europe centrale. Mais, tout comme la Sainte-Cha-
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pelle était un édifice unique, indissociablement lié à la personnalité du souverain et à sa cour, destinée de plus à abriter de précieuses reliques, de même les chapelles doubles érigées dans les années cinquante et soixante du XIIIe siècle en Bohême étaient des édifices à destination particulière. La chapelle double construite sur le site de l’abbaye de Plasy en Bohême occidentale, encore conservée à ce jour, représente un exemple de ce type.1 Ce monastère est le premier monastère cistercien en Bohême à avoir été fondé par un souverain régnant et se trouvait ainsi sous le patronage de la dynastie des Přemyslides. On peut se faire une idée de la vocation originale de cette chapelle en se basant sur une mention qui figure dans une chronique baroque du monastère. Nous savons ainsi qu’à proximité de cette chapelle se trouvait autrefois une « residentia regia »,2 une résidence royale. Bien que la présence d’une résidence royale sur le site d’une abbaye ne soit pas conforme à l’esprit cistercien, on en trouve des exemples ailleurs en Europe au XIIIe siècle. La chapelle double de Plasy, que l’on qualifiait de «royale», faisait donc vraisemblablement partie d’une résidence royale édifiée sur le site de l’Abbaye. Sa construction n’est donc pas liée aux besoins de la communauté monacale mais à ceux du souverain. Il est certain que les chapelles doubles françaises, édifiées dans le milieu de la cour française, lui ont servi de modèle. En l’an 1259, le Chapitre général de l’ordre cistercien traita de la fondation d’une nouvelle abbaye que le roi Přemysl Otakar II avait l’intention de fonder.3 Il s’agissait vraisemblablement du monastère de Zlatá Koruna où la nouvelle communauté s’établit le 6 avril de l’an 1263 venant de Heiligenkreuz en Basse-Autriche. Dans les chartes les plus anciennes concernant Zlatá Koruna, ce monastère porte les noms de Sancta Corona ou Sancta Spinea Corona.4 En l’an 1270 le chapitre général de l’ordre donna son accord à l’abbé de Zlatá Koruna pour célébrer la fête de la 1
A. PODLAHA, Topographie der historischen und Kunst-Denkmale im Königreiche Böhmen Bd. XXXVII. Der politische Bezirk Kralowitz, Prag, 1916, p. 204–210; J. KUTHAN, Die mittelalterliche Baukunst der Zisterzienser in Böhmen und in Mähren, München-Berlin, 1982, p. 130–134. Selon la chronique de l’abbaye de Plasy de 1744 la chapelle a été élevée autour de l’an 1265 sous l’abbé Gerhard: A. PODLAHA, «Popisy kláštera a kostelů v Plasech v rukopise z r. 1744 (Description de l’abbaye et des églises à Plasy dans le manuscrit de l’an 1744)», Památky archeologické 23, 1909, p. 229. 2 PODLAHA, «Popisy kláštera... » (op. cit. n. 1), p. 225, 229. 3 J. M. CANIVEZ, Statuta Capitulorum Generalium Ordinis Cisterciensis ab anno 1116 ad annum 1784, tome 2, Louvain, 1934, p. 459, n° 52. 4 J. ŠEBÁNEK, S. DUŠKOVÁ (éd.), Codex diplomaticus et epistolaris regni Bohemiae V/1, Pragae, 1973, n°391, p. 580.
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le rayonnement en bohême sainte couronne.5 D’après les notes de l’abbé Johannes de Viktring le roi de Bohême Přemysl Otakar II obtint du roi de France (vraisemblablement de Louis IX) une épine de la couronne du Christ qu’il offrit au monastère de Zlatá Koruna.6 Le plus ancien bâtiment de cette abbaye, probablement édifié du vivant du roi Přemysl Otakar II, est une chapelle double. Le choix de ce type d’architecture peut sans doute s’expliquer par le fait que la précieuse relique (une épine de la couronne du Christ) avait été transférée de la Sainte-Chapelle de Paris à l’abbaye de Zlatá Koruna. La culture française de l’époque de Louis IX se répandit sous les formes les plus variées dans les territoires gouvernés par le roi Přemysl Otakar II qui comprenaient l’Autriche, la Styrie, la Carinthie et la Carniole et y pénétra par des voies diverses. On peut citer en exemple le fait que l’abbé Bohuslav, de l’abbaye de Zwettl en Basse Autriche, rapporta de France une statue de la Madonne7 qui fait encore partie à l’heure actuelle de la collection du monastère. L’influence de l’art français en Bohême fut également sensible à la fin du XIIIe et au début du XIVe siècle sous le règne du roi Venceslas II (†1305). On la retrouve dans l’architecture de l’église de l’abbaye cistercienne de Sedlec édifiée suivant le plan d’une cathédrale. De même, une fondation du roi Venceslas II, l’abbaye cistercienne Aula Regia (Zbraslav, Königsaal), aux portes de Prague, qui était destinée à servir de mausolée royal, rappelle irrésistiblement les lieux de sépulture des rois de France à Saint-Denis ou l’abbaye cistercienne de Royaumont, où reposent de nombreux membres de la maison royale. Le roi Venceslas II, fondateur de l’abbaye Aula Regia à Zbraslav près de Prague, lui offrit de l’argent qui servit à l’achat de livres à Paris.8 5
J. M. CANIVEZ, Statuta Capitulorum Generalium Ordinis Cisterciensis ab anno 1116 ad annum 1784, tome 3, Louvain, 1935, p. 89. 6 J. E. BOEHMER, Fontes rerum germanicarum, I, Stuttgart, 1843, p. 311; J. KADLEC: «Dĕjiny kláštera Svaté Koruny (Histoire de l’abbaye de la Sainte Couronne) », České Budějovice, 1949, p. 16, rem. 15: épines de la couronne du Christ disposée dans le reliquaire en cristal (« Spina domini in cristallo posita») répertoriant les objets de valeur de l’abbaye de Zlatá Koruna déposés au château de Český Krumlov. Mathias Pangerl estime que ce répertoire apparut en 1425, Jaroslav Kadlec suppose qu’il se rapporte aux années 70 du 15e siècle. M. PANGERL, «Urkundenbuch des ehemaligen Cistercienserstiftes Goldenkron in Böhmen», in: Fontes rerum austriacarum II, Bd. 37, Wien, 1872, p. 417; KADLEC (1949), p. 117; J. KUTHAN, «Kunstschätze der Zisterzienserklöster in Böhmen und Mähren. Ein Beitrag zur Geschichte mittelalterlichen Kunstgewerbes», Cistercienser Chronic, 95, 1988, p. 23, 34 (n. 33). 7 R. SUCKALE, Studien zu Stilbildung und Stilwandel der Madonnenstatuen der Ile-de-France zwischen 1230 und 1300, phil. Diss. München, 1971, p. 105; K. KUBES et J. RÖSSL, Stift Zvettl und seine Kunstschätze, St. Pölten-Wien, 1979, p.43. 8 J. EMLER, Fontes rerum bohemicarum 4, Pragae, 1884, p.55.
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jirˇi kuthan Sous le règne de Jean de Luxembourg qui devint roi de Bohême en 1310, les relations culturelles entre la France et la Bohême s’intensifièrent encore. C’est à cette époque qu’une deuxième épine de la couronne du Christ, jusque là conservée à Paris fut transférée en Bohême. Elle avait été offerte par le roi de France Charles IV à la demande d’Élisabeth, épouse de Jean de Luxembourg et mère du futur empereur Charles IV.9 Une mention dans la chronique de Zbraslav à propos des constructions du roi Jean de Luxembourg montre que les caractéristiques de l’architecture française étaient bien connues en Bohême et que ľon y travaillait à la manière française.10 L’évêque de Prague Jean IV de Dražice, qui avait vécu à Avignon durant les années 1318-1329 fit venir de France le maître ďœuvre, Guillaume11 et en 1344, lorsque débuta la construction de la nouvelle cathédrale, on confia le travail à l’architecte français Mathieu d’Arras. La création artistique connut un essor important en Bohême sous le règne de l’empereur Charles IV qui fut sans doute le bâtisseur le plus important de toute l’histoire de ce pays et le plus grand commanditaire d’œuvres d’art. L’extraordinaire dimension intellectuelle et spirituelle de sa personnalité vint sans doute du séjour qu’il fit à la cour de France où son père, Jean de Luxembourg, avait emmené le petit Charles en avril 1323. La reine de France, Marie, qui décéda malheureusement l’année suivante, était la soeur de Jean et la tante de Charles. Celui-ci ne quitta la France qu’ en 1330, deux ans après la mort du roi de France Charles IV survenue en 1328 et l’intronisation de Philippe VI de la dynastie des Valois (1328-1350). Il consacra même le troisième chapitre de son autobiographie à ce séjour en France. À Paris le jeune Luxembourg apprit à lire et s’initia aux Écritures saintes. Son attirance pour la spiritualité et sa 9 Chronique de Zbraslav, livre II, chapitre XVII: … Hoc anno Elizabeth, regina Boemie, a diversis personis et ecclesiis sollempnes sanctorum reliquias obtinuit, ipsasque, que nude erant, cum gemmis preciosis in tabulis et monstranciis aureis et argenteis decentissime decoravit. Ad devotam peticionem eciam eiusdem regine Karulus, rex Francie, sibi unam spinam, sive particulam ad unius digiti longam, sed gracilem de sacrosancta corona spinea Domini destinavit, que cum devocione populi et processione cleri tocius Pragensis Vo kalendas Novembris reverentissime est suscepta et cum aliis regine reliquiis collocata; EMLER, Fontes... (op. cit. n. 8), p. 280. 10 Chronique de Zbraslav (EMLER, Fontes... (op. cit. n. 8), p. 331). Sur l’année 1335 (livre 3, chapitre 11): Eodem tempore Johanes, rex Boemie, tam in castro Pragensi quam in Maiori civitate in domo habitacionis sue mandavit plurimum edificari et eciam modo Gallico laborari. 11 K. CHYTIL, «O mistru Vilémovi, stavitel z Avignonu (Maître Guillaume, le bâtisseur d’Avignon) », Památky archeologické a místopisné, 12, 1882–1884, p. 415–420; J. ZACHOVÁ (ed.), Chronicon Francisci Pragensis, Fontes rerum bohemicarum. Series Nova, tome 1, Praha, 1997, p. 81.
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le rayonnement en bohême piété profonde apparaisent dans la manière dont il rendit hommage, dans son autobiographie, à Pierre de Fécamp, le futur pape Clément VI dont les sermons l’avaient vivement impressionné. Ces liens entre Charles et la France se trouvèrent en outre renforcés par ses fiançailles avec Blanche de Valois, demi-sœur du roi Philippe VI. Toute sa vie, Charles IV fit preuve d’une connaissance approfondie du milieu français et en particulier du milieu parisien. Il était sans aucun doute fortement impressionné par la manière dont le pouvoir des rois de France était auréolé de sainteté et sanctifié par la possession des reliques les plus sacrées de la chrétienté, celles-là mêmes qui permettaient à Louis IX de se présenter face au monde chrétien, comme rex christianissimus, le roi trés chrétien. La forte impression ressentie par Charles à la SainteChapelle de Paris où étaient déposées les reliques renforça sans doute sa piété personnelle et sa dévotion envers les reliques. Ce fut sans doute là que Charles comprit à quel point la possession de précieuses reliques renforçait, en le sacralisant, le pouvoir temporel d’un souverain et ce fut également là que naquit la passion avec laquelle il collectionna des reliques sa vie durant.12 La cathédrale Notre-Dame de Paris ainsi que d’autres églises françaises influencèrent profondément le jeune Charles. Ce fut sans doute aussi de là que vint son intention de construire à Prague une nouvelle église métropolitaine à la manière des cathédrales françaises. Le souvenir du lieu de sépulture des rois de France à Saint-Denis fut certainement à l’origine de son intention d’élever de nouveaux monuments funéraires pour les rois de Bohême dans la cathédrale Saint-Guy de Prague. L’influence de l’art français est sensible durant les années du règne de Charles aussi bien dans le domaine de l’architecture (elle est également perceptible dans l’œuvre du second maître de la cathédrale de Prague, Peter Parler) que dans celui de la sculpture (certaines œuvres sculptées de Bohême rappellent, entre autres, le tombeau du roi de France Charles IV à Saint-Denis que l’empereur Charles IV avait visité lors de son voyage à Saint-Denis le 4 janvier 1378). À Paris, le jeune Charles de Luxembourg fut certainement en contact avec l’université et ce fut sans doute cette expérience qui le poussa à fonder l’université de Prague peu de temps après la mort de son père. Les chartes de Charles mentionnent clairement comme modèle l’université de Paris.13 12 Cf. J. V. POLC, «’Vášeň Karla IV. po ostatcích svatých (“La passion” de Charles IV pour les reliques saintes)» in: Česká církev v dĕjinách (L’église tchèque dans l’histoire), Praha, 1999, p. 133–151. 13 Dans des actes du 7 avril de l’an 1348, Charles IV accorde aux docteurs, maîtres et élèves de l’Université de Prague, les mêmes privilèges, attributs et libertés que ceux des universités de Paris et de Bologne. Lorsque Charles IV s’adressa au chapitre général des dominicains
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Outre la fondation de la cathédrale et de l’archevêché de Prague (1344), celle de la Nouvelle ville de Prague (1348) avec plusieurs monastères et d’églises ainsi que l’université de Prague (1348), c’est la mise en chantier du château de Karlštejn qui représente l’un des éléments les plus marquants de l’activité fondatrice de Charles. Juste après avoir mentionné que le jour de la Saint-Marc de l’an 1348 Charles avait posé la première pierre de la Nouvelle ville de Prague, un chanoine du chapitre pragois de St Guy rapporte que l’empereur avait ramené d’Autriche des cépages sélectionnés qu’il fit planter sous le château de Karlštejn dont la construction avait débuté à cette époque. Selon le texte du manuscrit dit de Bautzen qui date de la fin du XVIe siècle, Charles inaugura en personne le 10 juin de l’an 1348, les fondations du château dont la première pierre avait été posée par l’archevêque de Prague Ernest de Pardubice. Le fait est douteux, car la présence de Charles IV ce même jour est attestée également ailleurs.14 Cependant il est hors de doute que la construction de Karlštejn débuta au plus tard en 1348. Le concept de la construction et de la décoration du château fit visiblement fait l’objet de modifications au cours de sa réalisation. Malgré toutes les questions qui demeurent sans réponse, une chose est sûre : le château fut construit non seulement comme une résidence royale située dans une région qui, depuis des temps immémoriaux, constituait une réserve de chasse des souverains de Bohême, mais il devait avant tout représenter une «cité sacrée». Dans ce sens, Karlštejn fait penser au château des rois de France à Vincennes, notamment après les reconstructions entreprises sous Louis IX qui le dotèrent d’une chapelle abritant de précieuses reliques, une épine de la couronne du Christ entre autres. Nous disposons de deux copies tardives d’une charte, portant malheureusement des dates différentes (1348 et 1358) et dont l’original ne nous est pas parvenu, par laquelle le frère de Charles, Jean Henri de Luxemréuni à Bologne en les sollicitant d’envoyer de nouveaux maîtres à l’université de Prague il exprima son souhait que les maîtres déclament de telle façon «que notre université se réjouisse de succès la glorifiant comme à Paris et à Oxford». 14 Cf. F. KAVKA, «Účel a poslání hradu Karlštejn ve svĕdectví písemných pramenů doby Karlovy (Objectif et mission du château de Karlštejn dans le témoignage de sources écrites de l’époque de Charles)», in: J. FAJT (ed.), Magister Theodoricus. Dvorní malíř císaře Karla IV (Maître Theodoricus. Peintre de la cour de l‘empereur Charles IV. Décoration artistique des lieux saints du château de Karlštejn), Praha, 1997, p. 16–17; L. GOTTFRIED, «Výběr archivních pramenů k historii hradu Karlštejna a jeho umĕlecké výzdobĕ (Choix de sources d’archives sur l’histoire du château de Karlštejn et sa décoration artistique)», in: FAJT, Magister Theodoricus (op. cit.), p. 35.
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le rayonnement en bohême bourg, attribua un fonds au doyen de Karlštejn et à ses successeurs pour assurer le service quotidien de la messe à la chapelle Saint-Palmace au château.15 D’autres sources viennent confirmer l’existence de cette chapelle. Le missel de Karlštejn mentionne une chapelle de la Sainte-Trinité.16 En plus de celle-ci, le château de Karlštejn accueillait une chapelle consacrée à saint Nicolas17 et une autre dédiée à sainte Catherine, dont on estime qu’elle aurait été originellement consacrée à la Passion du Christ.18 D’autres lieux de culte sont mentionnés dans la charte de fondation du chapitre de Karlštejn de 1357 octroyée par Charles IV et dans laquelle il est expressément écrit: 19 «Nous avons construit dans notre château de Karlštejn, que nous avons entièrement érigé depuis les fondations et que nous avons décidé de nommer Karlštejn d’après notre nom Karl, ceci afin de perpétuer notre mémoire, deux chapelles, l’une en l’honneur du glorieux martyre et en son nom et l’autre, qui lui est contigüe, en l’honneur de la glorieuse et toujours vierge Marie, mère de Dieu. » Selon la chronique écrite par le chanoine du chapitre de Prague, Beneš Krabice de Weitmühle, l’archevêque de Prague, Jan Očko de Vlašim le 9 février 1365, « un dimanche, après la fête de la Purification de Marie, a consacré la chapelle de la tour du château de Karlštejn. L’Empereur a érigé ce château, un ouvrage extraordinaire, avec d’imposantes fortifications comme on peut le voir encore aujourd’hui, et dans la plus haute tour il a construit une grande chapelle dont il a orné les parois d’or pur et de pierres précieuses; et il l’a munie de saintes reliques et d’habits sacerdotaux destinés au Doyen et au chapitre ou au collège qu’il y avait fondé et il l’a ornée de précieuses peintures. Dans le monde entier il ne se trouve aucun château ni aucune chapelle dont l’exécution soit aussi remarquable, et ceci à juste titre car il y conserve les insignes du pouvoir impérial et les trésors de tout son royaume».20 Dans une charte datée du 28 avril 1367, l’empereur Charles IV exonéra la propriété du peintre Théodoric située dans le village de Mořina 15
KAVKA, «Účel...» (op. cit. n. 14), p.17. KAVKA, «Účel...» (op. cit. n. 14), p.18. 17 La chapelle est mentionnée dans le texte de l’acte de fondation du chapitre de Karlštejn de 1357. Cf. F. FIŠER, Karlštejn. Vzájemné vztahy, tří karlštejnských kaplí (Karlštejn. Relations mutuelles, les trois chapelles de Karlštejn), Kostelní Vydří, 1996, p. 265–270. FAJT, Magister Theodoricus (op. cit. n. 14), p. 143–153. 18 Mentionné dans la chronique de Václav Hájek de Libočany. FAJT, Magister Theodoricus (op. cit. n. 14), p. 15. 19 FIŠER, Karlštejn... (op. cit. n. 17), p. 266. FAJT, Magister Theodoricus (op. cit. n. 14), p. 144. 20 EMLER, Fontes... (op. cit. n. 8), p. 533; GOTTFRIED, «Výběr...» (cf. note 14), p.33–34. 16
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jirˇi kuthan près de Karlštejn de toutes charges et impôts. Il honora ainsi l’œuvre de Théodorique à Karlštejn: «Nous avons remarqué la splendide ornementation artistique de notre chapelle de Karlštejn que notre très fidèle et très aimé Maître Théodoric, notre peintre et serviteur, a embelli avec tant d’art et de talent en l’honneur de Dieu tout puissant et pour la gloire et à la louange de notre majesté royale».21 On a trouvé de nombreuses sources d’inspiration à la conception de la chapelle qui se trouve dans la grande tour du château de Karlštejn,22 parmi celles-ci figure naturellement la Sainte-Chapelle de Paris, bien que les deux chapelles diffèrent sous de nombreux aspects. La Sainte-Chapelle s’élève dans une résidence royale qui se trouve en pleine ville et celle de Karlstein dans un château isolé. La Sainte-Chapelle est un édifice indépendant et son architecture représente un exemple brillant de la construction dite «en squelette» caractéristique du gothique parisien. La chapelle de Karlštejn, quant à elle, s’inscrit dans la masse puissante de la grande tour du château et de ce fait déjà présente un aspect tout différent. Tandisque l’architecture de la Sainte-Chapelle est à la fois somptueuse et très élaborée, celle de la chapelle de Karlštejn est beaucoup plus simple et c’est son ornementation qui en fait un véritable joyau. Enfin, l’espace supérieur de la Sainte-Chapelle s’élance tout en hauteur tandisque celui de la chapelle de la Sainte Croix à Karlštejn est beaucoup plus large. On pourrait poursuivre l’énumération des différences qui les séparent. Et pourtant on constate aussi des ressemblances indiscutables entre les deux constructions. Ainsi Saint Louis fonda un chapitre à la SainteChapelle de Paris23 et Charles IV en fit autant à Karlštejn en l’an 1357. Il est vrai que la Sainte-Chapelle parisienne est une chapelle double et que celle de la tour principale de Karlštejn ne comprend qu’un étage mais la chapelle de la petite tour peut rappeler l’étage inférieur de la SainteChapelle étant donné qu’elle est consacrée à la Vierge Marie, comme c’est le cas de l’étage inférieur de la Sainte-Chapelle. Enfin la destination de la Sainte-Chapelle et de celle de Karlštejn est la même, toutes deux étant destinées à abriter servir les reliques les plus précieuses de la chrétienté, avant tout celles liées à la passion du Christ. 21
FAJT, Magister Theodoricus (op. cit. n. 14), p.346–348. Pour terminer sur ce point on se rapportera à J. FAJT et J. ROYT, «Umĕlecká výzdoba velké vĕže hradu Karlštejna. Ecclesia triumphans (Décor artistique de la grande tour du château de Karlštejn)», in: FAJT, Magister Theodoricus (op. cit. n. 14), p.176–181. 23 Sur l’ancienne tradition de fondation de chœurs religieux avec les chapelles de cour voir : F. SEIBT, «Karlstein», in: Kaiser und Kirche. Aufsätze aus den Jahren 1978–1997, München, 1997, p. 178–179. 22
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le rayonnement en bohême Les reliques conservées à la Sainte-Chapelle de Paris impressionnèrent sans doute fortement le jeune Charles, et ceci pour toute sa vie. Charles était certainement bien conscient du fait que la possession de ces reliques contribuait à assurer la position exceptionnelle dont jouissaient les rois de France, aussi bien en France que dans le reste du monde chrétien. Par sa piété profonde, Charles était attaché à ces reliques à titre personnel, mais il poursuivit également par là un but politique qui répondait à la nécessité de sacraliser le pouvoir temporel du souverain. Ce furent sans doute ces motifs qui poussèrent Charles à construire à Karlštejn une « chapelle-reliquaire » abritant des reliques qui, en nombre et en valeur, devaient égaler celles de la Sainte-Chapelle. Les saints représentés sur les panneaux de la chapelle de Karlštejn se voyaient en quelque sorte dotés l’une présence physique grâce aux reliques insérées dans les encadrements. Enfin, l’utilisation de matériaux nobles dans la magnifique décoration de la Sainte-Chapelle évoque un monde surnaturel, l’or et les pierres précieuses utilisés dans l’ornementation de la chapelle de Karlštejn produisent le même effet. Ainsi les deux chapelles font référence à la Jérusalem Céleste du chapitre XXI de l’Apocalypse de Saint-Jean. Il est encore un fait plus significatif qui met en relation la Sainte-Chapelle et celle de Karlštejn: celle-ci abritait deux épines de la couronne du Christ que vraisemblablement le futur roi de France et Dauphin Charles V avait offertes à l’empereur Charles IV lors d’une réunion de la Diète impériale à Metz à la fin de l’année 1356.24 Cet événement est représenté sur une peinture murale dans la chapelle de la tour basse dédiée à la Vierge Marie. Deux épines de la couronne du Christ se trouvent encore aujourd’hui dans le reliquaire en forme de croix confectionné sur commande de Charles IV et qui se trouvait à l’origine à KarlŠtein.25 Cette croix était montrée lors des fêtes pragoises de la présentation des reliques. Cette cérémonie est décrite de deux manières différentes dans un manuscrit conservé à la bibliothèque du chapitre de Prague (Cod. IX.). Ces
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La charte de Jean le Bon, roi de France, concernant le don de deux épines de la couronne du Christ date de mai de l’an 1356 A. PODLAHA et E. ŠITTLER, Chrámový poklad u sv. Víta v Praze. Jeho dĕjiny a popis (Le trésor de la cathédrale Saint Guy à Prague. Son histoire et sa description), Praha, 1903, p. 119; RBM VI, n° 363). Dans cet acte, il est mentionné que le cadeau fut remis par le dauphin à l’empereur. Il apparaît que ceci put vraisemblablement avoir lieu à Metz, car il n’y a pas d’autres sources écrites conservées concernant cet événement. Cf. F. KAVKA, Vláda Karla IV. za jeho císařství 1355–1378 (Le règne de Charles IV. Sous son empire. 1355–1378), t. 1, Praha, 1993, p. 96–97, p. 104 (n. 28). 25 E. ŠITTLER et A. PODLAHA, Soupis památek historických a uměleckých v království českém. Král. Hlav. Město Praha : Hradčany II, část první. Poklad svatovítský (Répertoire des monuments historiques et artistiques du royaume de Bohême. Capitale royale de Prague : Vol II Hradčany, 1ère partie Le trésor de St-Guy, Praha, 1903, p. 32–42.
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jirˇi kuthan deux descriptions mentionnent une grande croix contenant de précieuses reliques, parmi lesquelles deux épines de la couronne du Christ.26 Charles IV possédait encore une autre épine de la couronne du Christ. Celle-ci fut enchâssée dans le creux d’une croix reliquire placée au point d’intersection de deux arcs au sommet de la couronne royale de Bohême. La précieuse relique fut identifiée par l’inscription †HIC†EST†SPINADE-CORONA-DOMINI. L’insertion de l’épine sacrée dans la couronne du royaume de Bohême eut un antécédent interéssant – la couronne Saint Louis de l’abbaye de Saint-Denis, celle qui aurait été montrée à l’empereur Charles IV lors de sa visite de Saint-Denis le 4 janvier 1378. Dès le milieu des années cinquante du XIVe siècle, l’empereur Charles IV offrit à la cathédrale Saint Guy de Prague une statue en argent doré représentant Saint Louis qui tenait dans la main une châsse en cristal contenant un fragment de la couronne du Christ.27 La dernière épine de la couronne du Christ fut offerte à Charles IV peu avant sa mort par le roi de France Charles V. Selon les Grandes chroniques de France, le 8 janvier 1378 «au matin, Charles vint visiter personnellement l’empereur et lui offrit un magnifique coffret en jaspe, ferré d’or et de pierres précieuses et contenant une épine de la couronne sacrée et un os de saint Martin». Une autre épine de la couronne du Christ se trouvait encore en Bohême sous le règne de Charles IV. On conçut pour celle-ci un somptueux reliquaire, conservé de nos jours à Baltimore. Les attributs de cette œuvre identifient le commanditaire. Il s´agissait de Jan Volek, fils illégitime du roi de Bohême Venceslas II, qui depuis l’an 1334 jusqu’à son décès en septembre 1351 exerçait la charge d’éveque à Olomouc. Une autre épine de la couronne du Christ parvint entre les mains de l’empereur Charles IV. Celui-ci l’offrit en 1365 à l’église Sainte-Madeleine de Wrocław, conjointement à une relique d’os de sainte Marie-Madeleine et à une partie de la Sainte Croix. Par l’acquisition de la couronne d’épines du Christ et d’autres reliques et leur transfert à Paris, le roi de France fondait la réputation de Paris comme «ville sainte». De la même manière Charles IV souhaitait aussi faire de Prague une ville sainte, car seule une telle ville pouvait assumer le rôle de résidence non seulement des rois de Bohême, mais également de l’Empereur du Saint Empire Romain. Les églises fondées par Charles IV à Prague, de par leur destination et leur consécration font référence à des lieux tels que Rome, Milan, Ravenne ou Aix-la-Chapelle, lieux dans 26 27
PODLAHA et ŠITTLER, Chrámový poklad... (op. cit. n. 24), p. 56, 57. PODLAHA et ŠITTLER, Chrámový poklad... (op. cit. n. 24), p. 21.
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le rayonnement en bohême lesquels avaient autrefois résidé des souverains de l’Empire romain. Charles IV se procura de nombreuses reliques, pour la cathédrale de Prague et d’autres églises de la ville, qui mettaient Prague en relation avec ces villes et avec d’autres lieux saints de la chrétienté. Charles espérait sans doute légitimer par ce biais l’accession des Luxembourg au trône impérial. Les expositions solennelles de reliques et d’objets du culte qui se tenaient à Prague concouraient également à ce but. Dans la mesure où l’on peut parler à ce propos de « l’idée fondamentale » que Charles IV se faisait de Prague, les notions de chrétienté universelle et d’empire y jouaient un rôle essentiel, même si l’influence française s’y faisait nettement sentir. Nous avons mentionné un peu plus haut le fait que le type des cathédrales françaises avait servi de modèle à celle de Prague, mais un autre édifice religieux se conformait également aux modèles français. Il s’agit de la chapelle de Tous les Saints située dans le château de Prague. Cette chapelle fut entièrement reconstruite au XIIIe siècle et en l’an 1338 Charles y fonda un chapitre, fait qu’il évoque dans son autobiographie.28 Selon les notes de l’année 1343 de la chronique de Franciscus de Prague, Charles: « éleva la chapelle royale du château de Prague, qui est dédiée à tous les Saints, avec l’assentiment de Monsieur Jan, évêque de Prague dans le Christ, et de l’ensemble du chapitre de l’église de Prague, au rang de collégiale. Il y fonda et commanda également un doyenné et une prévôté et onze prébendes pour chanoines. Il consacra et offrit en l’honneur de Dieu et de la Sainte Vierge Marie et de Tous les Saints de nombreuses reliques richement ornées d’argent et de pierres précieuses, divers habits sacerdotaux richement décorés, de nombreux calices et ostensoires et d’autres objets liturgiques et tout ce qui était nécessaire à la prospérité et à la décoration de la collégiale sus-mentionnée».29 D’après la chronique du chanoine de la cathédrale Saint-Guy Beneš Krabice, il fit en sorte que la prévôté et les prébendes des chanoines incombèrent au fondateur et à ses successeurs, les rois de Bohême.30 Ceci fait irrésistiblement penser à une fondation analogue du roi de France Louis IX à la Sainte-Chapelle.31 28 W. W. TOMEK, Základy starého místopisu Pražského IV. Hrad Pražský a Hradčany (Les bases de l’ancienne topographie de Prague, Partie IV. Le château de Prague et Hradčany), Praha, 1866, p.125. EMLER, Fontes... (op. cit. n. 8), p. 436, 492. 29 Chronique de François de Prague, chap. XVI. J. ZACHOVÁ (ed.): Fontes rerum bohemicarum. Series Nova, tome I, Prague, 1997, p.181. 30 EMLER, Fontes... (op. cit. n. 8), p. 492. 31 Pour les relations entre la chapelle de Tous-les-Saints du château de Prague et la SainteChapelle, cf. par exemple J. PAVEL, Karel IV. Lucemburský. Vlastní životopis (Charles IV de Luxembourg. Autobiographie), Praha, 1970, p.122–123.
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jirˇi kuthan La chapelle de Tous-les-Saints fut entièrement reconstruite par Peter Parler lui-même, si l’on s’en rapporte à une inscription qui figure audessus de son buste dans le triforium de la cathédrale de Prague. (… et perfecit chorum istum anno domini MCCCLXXXVI quo anno incepit sedilia chori illius et infra tempus prescriptum etiam incepit et perfecit chorum omnium sanctorum).32 Cette chapelle fut fortement endommagée en l’an 1541 par un incendie et, depuis cette époque, il ne subsiste d’elle que des vestiges.33 La disposition et la conception globale de cette chapelle, aussi bien que sa richesse architectonique rappelle sans aucun doute la Sainte-Chapelle de Paris. La chapelle de Tous les Saints, située à une place importante, dans le château de Prague, a également servi de modèle à l’extérieur de la Bohême.34 Lorsque, au début de 1378, l’Empereur Charles IV visita Paris, il se rendit à la Sainte-Chapelle le jour de l’Épiphanie et se fit tirer par les bras et les jambes pour monter l’escalier en colimaçon jusqu’à la châsse. Ainsi, peu avant sa mort, le vieil empereur retourna à l’endroit qui l’avait si fortement impressionné et inspiré, tant dans sa passion pour les reliques que dans ses exploits de grand constructeur et de commanditaire.
32 A. PODLAHA et K. HILBERT, Soupis památek historických a umĕleckých v království českém. Král. hlavní mĕsto Praha: Hradčany 1. Metropolitní chrám sv. Víta (Répertoire des monuments historiques et artistiques du royaume de Bohême. Capitale royale de Prague: Hradčany, t. 1. Église métropolitaine St-Guy), Prague, 1906, p.125; I. HLOBIL, P. CHOTĚBOR et Z. MAHLER, Die Kathedrale von St. Veit, Bd.1. Der Dombau. Gedenkausgabe zum 650. Gründungstag der Kathedrale von St. Veit, Prague, 1994, p. 41. 33 J. SOKOL, «Parléřův kostel Všech svatých na Pražském hradĕ (L’église de Tous-les-saints de Parler au château de Prague)», Umĕní XVII, Praha, 1969, p. 572–582. V. KOTRBA, «Katalog architektury (Catalogue de l’architecture)», in: J. PEŠINA (ed.), České umĕní gotické 1350–1420 (L’art gothique de Bohême 1350–1420), Praha, 1970, p. 83. D. LĺBAL in: A. LEGNER (ed.), Die Parler und der Schöne Stil 1350–1400. Europäische Kunst unter den Luxemburgern. Ein Handbuch zur Austellung des Schnütgen-Museums in der Kunsthalle Köln, Bd. 2, Köln, 1978, p. 627. 34 On suppose qu’elle fut le modèle pour l’église de la Sainte-Croix de Dresden et pour l’église du château de Altenburg en Saxe. Cf. H. J. KRAUSE, in: LEGNER, Die Parler... (op. cit.. n. 33), p. 553–554.
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fig. 1 : Zvíkov (Klingenberg). Château royal. Chapelle du palais.
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fig. 2 : Plasy (Plaß). Abbaye cistercienne. Chapelle royale.
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fig. 3 : Zlatá Koruna (Goldenkron). Abbaye cistercienne. Vue générale.
fig. 4 : Zlatá Koruna (Goldenkron). Chapelle des Anges gardiens.
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fig. 5 : Karlstejn (Karlstein). Château royal. Chapelle de la Sainte-Croix.
fig. 6 : Karlstejn (Karlstein). Château royal. Église de la Sainte-Vierge dans la tour inférieure du château. Peinture murale représentant la remise de deux épines de la couronne du Christ à l’empereur Charles IV.
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fig. 7 : Croix de couronnement du royaume de Bohême. Trésor de la cathédrale Saint-Guy à Prague.
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fig. 8 : Reliques du trésor de la cathédrale Saint Guy à Prague. Gravure sur cuivre datant de 1690. En haut au milieu, la croix de couronnement content deux épines de la couronne du Christ (Photo d’aprés PODLAHA et ŠITTLER, Chrámový...(op. cit. n. 24), p. 131).
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fig. 9 : Couronne du royaume de Bohême : dans la croix-reliquaire située au sommet de la couronne se trouve enchâssée une épine de la couronne du Christ (Photo d’après K. CHYTIL, A. PODLAHA et K. VRBA : Soupis památek historických a ume˘leckých v království ˇceském. Král. hlavní me˘sto Praha : Hradcˇany III. Korunovacˇní klenoty království ˇceského/Registre des monuments historiques et d’art dans le royaume de Bohême. Capitale royale de Prague : Château de Prague III. Joyaux de couronnement du royaume de Bohême, Praha, 1912, p. 46).
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L’ARCHITECTURE DE LA SAINTE-CHAPELLE. ÉTAT DE LA QUESTION CONCERNANT SA DATATION, SON MAÎTRE D’OEUVRE ET SA PLACE DANS L’HISTOIRE DE L’ARCHITECTURE1 Stephan GASSER
Bien que la Sainte-Chapelle en tant que monument puisse être considérée comme une oeuvre du XIXe siècle,2 de par sa structure architecturale, elle reste un bâtiment gothique du milieu du XIIIe siècle. C’est cette structure qui n’a été que très peu modifiée au cours des siècles précédents – à l’exception toutefois de la Chapelle dite de Saint Louis, de la rose de la façade ouest, des flèches des tourelles d’escalier et de la grande flèche –3 qui fera l’objet de cette étude. En comparaison avec d’autres monuments du XIIIe siècle, la SainteChapelle est bien datée par les sources écrites. Néanmoins, il n’a pas été possible jusqu’à présent de déterminer la date exacte du début de sa construction et celle de son achèvement, généralement fixée à 1248, est toujours remise en question. Il est donc essentiel, si l’on veut faire le point sur les différentes thèses élaborées jusqu’ici de commencer par un retour aux sources écrites. En 1204, suite à la chute de Constantinople, le plus important ensemble de reliques de la passion 1 Je tiens à remercier Nicolas Galley et Loyse Revertera pour avoir revu mon texte sur le plan linguistique, le français n’étant pas ma langue maternelle, ainsi que Pierre-André Ottoz pour son esquisse du pilier engagé de Saint-Germain-en-Laye. Je remercie également Stefan Matter qui a étudié les sources écrites concernant la datation de la Sainte-Chapelle dans le cadre d'un 3e cycle donné aux universités de Fribourg et Genève. La première partie de mon texte sera basée sur son travail et elle est le résultat des nombreuses discussions que nous avons pu avoir à ce sujet. La dissertation de R. WESSEL, Die Sainte-Chapelle in Frankreich. Genese, Funktion und Wandel eines neuen Raumtyps, Düsseldorf, 2003 (http://deposit.d-nb.de/cgibin/dokserv?idn=973939761) m‘est parvenu malheureusement trop tard pour l’introduire dans ce texte. 2 « So wie die Sainte-Chapelle ab 1837 restauriert wurde, ist sie ein ‚Monument historique‘, ein Denkmal der französischen Neugotik ebenso wie des 13. Jahrhunderts. » (W. SAUERLÄNDER, « Die Sainte-Chapelle du Palais Ludwigs des Heiligen », Jahrbuch der Bayerischen Akademie für Wissenschaften, 1977, p. 92–115, ici p. 95. Voir aussi J.-M. LENIAUD et F. PERROT, La Sainte-Chapelle, Paris, 1991, p. 15. 3 Pour les transformations postérieures et la restauration du XIXe cf. LENIAUD et PERROT, La Sainte-Chapelle (op. cit. n. 2), p. 15–48.
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du Christ tomba entre les mains des croisés. Baudouin II, troisième empereur latin de Constantinople qui se trouvait dans une situation financière catastrophique, proposa en 1237 à Louis IX d’acheter la Sainte Couronne d’Épines. Le roi de France accepta immédiatement et à l’issue d’un voyage aventureux, raconté par Gauthier Cornut, archevêque de Sens, la précieuse relique parvint à Paris le 19 août 1239. Elle fut alors déposée dans la chapelle Saint-Nicolas du palais royal.4 Deux ans plus tard, Louis acheta d’autres reliques à Baudouin, dont un important fragment de la Vraie Croix. Cette acquisition est racontée dans la chronique de l’an 1241 de Matthieu Paris ainsi que dans un récit de Gérard de Saint-Quentin qui mentionne également la translation de 1239 et cite les reliques achetées en 1242.5 Ces deux chroniqueurs nous apprennent également que le roi avait décidé de bâtir une chapelle pour y placer ses nouvelles reliques.6 Une bulle du 24 mai 1244 rédigée par Innocent IV autorisa la fondation d’un collège de chanoines pour la Sainte-Chapelle et parle de cette dernière comme capellam Parisius… tuis sumptibus duxeris construendam.7 La chapelle est à nouveau mentionnée en janvier 1246, dans une lettre parlant d’une première fondation par Louis IX : fundavimus et aedificavimus...capellam, in qua eadem sacrosancta corona Domini, crux sancta et aliae quamplures pretiosae reliquiae repositae continentur8. D’après des inscrip4
GALTERUS CORNUTUS, « De susceptione Coronae Spineae Jesu Christi », in : Recueil des Historiens des Gaules et de la France, 22, 1865, p. 26–32. Sur les translations de reliques en 1239, 1241 et 1242 J. LE GOFF, Saint-Louis, Paris, 1996, p. 140–146 ; J. DURAND, « La translation des reliques impériales de Constantinople à Paris », in : Le trésor de la Sainte-Chapelle, catalogue d’exposition, Paris, 2001, p. 37–41. Sur les reliques de la Ste-Chapelle voir aussi: J. DURAND (éd.), Byzance et les reliques du Christ, (Association des Amis du Centre d‘Histoire et Civilisation de Byzance), Paris, 2000; C. MERCURI, Corona di Cristo, corona di re. La monarchia francese e la corona di spine nel Medioevo, Rome, 2004. 5 H. R. LUARD (éd.), Matthaei Parisiensis monachi sancti Albani chronica majora, A. D. 1240 to A. D. 1247, vol. 4, London, 1877, p. 90–92. N. DE WAILLY, « Récit du 13e siècle sur les translations faites en 1239 et 1241 des saintes reliques de la Passion », Bibliothèque de l’École des chartes, 39, 1878, p. 401–415. 6 ...et coronam ... ad ipsius regis palatium deportatur, ubi in edificata non multo post per eundem regem basilica, preciosa scemata constructa, honorifice reservatur (cité d’aprés Wailly (cf. n. 4), 410). Rex igitur Francorum, non procul a palatio suo, capellam mirifici decoris dicto thesauro regio convenientem jussit fabricari, in qua ipsum honore condigno postea collocavit (cité d’aprés LUARD, Matthaei Parisiensis... (op. cit. n. 5), p. 92). 7 Cité d’après S.-J. MORAND, Histoire de la Sainte-Chapelle royale du Palais, Paris, 1790, Pièces justificatives, 3 ; voir aussi É. BERGER (éd.), Les registres d’Innocent IV, vol. 1, Paris, 1884, p. 122, nr. 717. 8 Cité d’après MORAND, Histoire... (op. cit. n. 7), Pièces justificatives, 3. Sur la première fondation C. BILLOT, « La fondation de saint Louis. Le collège des chanoines de la SainteChapelle (1248–1555) », in : Le trésor de la Sainte-Chapelle, catalogue d’exposition, Paris, 2001, p. 98–100, 106.
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tions malheureusement disparues mais publiées par Jacques du Breul en 1612, la Sainte-Chapelle fut consacrée le 26 avril 1248.9 Avant de s’embarquer à Aigues-Mortes pour la septième croisade, Louis IX accorda, le 29 août 1248, de nouvelles lettres de fondation.10 Rupert Schreiber a été jusqu’à présent le seul à mettre en évidence une éventuelle corrélation entre la décision du roi d’acquérir la Sainte Couronne en 1237 et le début de la construction de la Sainte-Chapelle.11 En effet, même si la fameuse relique fut déposée en août 1239 dans la chapelle Saint-Nicolas, ancien oratoire du palais édifié au cours du XIIe siècle, il n’est pas exclu que la décision de construire une nouvelle chapelle ait été prise avant l’arrivée de la Couronne à Paris. Depuis les recherches de Fernand de Mély, on a maintes fois émis l’hypothèse que les travaux aient pu commencer aussitôt après cette première translation.12 De Mély et ses successeurs se sont basés sur une note provenant des livres de comptes royaux qui signale un paiement effectué au début du mois d’octobre pro cereis factis ante sanctam Coronam ex quo adducta fuit ad sanctum Dionisium.13 On a interprété le ad sanctum Dionisium comme une référence à la translation de la relique vers l’abbatiale de Saint-Denis, et l’on en a déduit que celle-ci aurait été rendue nécessaire par le début des travaux. Cependant, Stefan Matter a clairement démontré que cette expression fait référence à une date et non pas à un lieu et que le paiement susmentionné fut effectué entre l’arrivée de la Couronne le 19 août 1239 et la fête de Saint Denis, c’est-à-dire le 9 octobre.14 Pour justifier une 9 J. DU BREUL, Théâtre des Antiquitez de Paris, 1612, liv. 1, 137. Pour la date exacte de la consécration, M. AUBERT, « La date de la dédicace de la Sainte-Chapelle de Paris », in : Bulletin monumental, 106, 1948, p. 141–143. 10 MORAND, Histoire...(op. cit. n. 7), Pièces justificatives, 8–13. Sur la deuxième fondation BILLOT, « La fondation de saint Louis... » (op. cit. n. 8), p. 100–101. 11 R. SCHREIBER, Reparatio ecclesiae nostrae. Der Chor der Kathedrale von Tours, Messkirch, 1997, p. 73. 12 F. DE MÉLY, Exuviae Sacrae Constantinopolitanae, vol. 3, Paris, 1904, p. 275 ; J. GUEROUT, « Le Palais de la Cité, des origines à 1417 », Mémoires des Sociétés historiques et archéologiques de Paris et de l’Île-de-France, 1, 1949, p. 57–212 ; 2, 1950, p. 21–204 ; 3, 1951, p. 7–101, ici 1, 1949, p. 159 ; R. BRANNER, « The Painted Medaillons in the Sainte-Chapelle in Paris », Transactions of the American Philosophical Society, 58/2, 1968, p. 5–42, ici p. 5, n. 2 ; LENAIUD et PERROT, La Sainte-Chapelle (op. cit. n. 2), p. 52, 188 ; D. H. WEISS, Art and crusade in the age of Saint Louis, Cambridge, 1998, p. 16 ; BILLOT, « La fondation de saint Louis... » (op. cit. n. 7), p. 98 ; DURAND, « La translation... » (op. cit. n. 4), p. 39. 13 « Itinera, dona et hernesia anno domini 1239, inter Ascensionem et Omnes Sancteos », in : Recueil des Histoiriens des Gaules et de la France, 22, 1865, p. 597–616, ici p. 605. 14 S. MATTER, Die schriftlichen Quellen zur Datierung des Baubeginns der Sainte-Chapelle in Paris, travail de séminaire dactylographié, Fribourg, 2001. En plus, deux biographes de Louis IX provenant de Saint-Denis (l’anonymus de Saint-Denis et Guillaume de Nangis), ne mentionnent aucune translation des reliques à Saint-Denis dans leurs récits détaillés.
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datation postérieure à 1239 ou à 1241, Dieter Kimpel, Robert Suckale et Helmut Bauer s’appuient sur les récits de Matthieu Paris et de Gérard de Saint-Quentin.15 Malheureusement, ces textes furent rédigés après l’érection de la Sainte-Chapelle et se contredisent quant au ’terminus post quem’ de cet édifice, ce qui les rend discutables lorsqu’il s’agit de fixer une datation exacte. En fait, le récit de Gauthier Cornut qui ne mentionne pas encore la nouvelle chapelle mais seulement celle dédiée à Saint-Nicolas, peut être considéré comme le plus fiable et si ce texte est bien, comme l’a suggéré Natalis de Wailly, un sermon composé pour l’anniversaire de la translation de la Couronne d’Épines,16 il pourrait alors justifier une datation postérieure au mois d’août 1240. En effet, l’anniversaire du 19 août 1240 est le seul auquel ait assisté Gauthier Cornut qui mourut en avril 1241. Toutefois, la date de 1241, que propose l’historiographe Gérard Dubois en 1710 pour le début des travaux, reste invérifiable.17 François Gebelin a été le premier à proposer pour le début des travaux de construction de la Sainte-Chapelle une date postérieure à la bulle papale du 24 mai 1244.18 Et pourtant, son interprétation de la mention apparaissant dans cette bulle et qui fait référence à la construction de cette chapelle comme à un événement futur, a déjà été remise en question par Robert Branner. C’est à juste titre que Branner a vu dans l’expression capellam Parisius...tuis sumptibus duxeris construendam une déclaration dépourvue de référence temporelle précise.19 Ce passage devrait plutôt être traduit comme suit : « la construction de la chapelle que tu es en train d’entreprendre ». Ainsi, elle confirmerait la conclusion retenue par la recherche jusqu’à aujourd’hui qui situe le début des travaux avant le mois de mai 1244.20 Par contre, la datation proposée 15
D. KIMPEL et R. SUCKALE, Die gotische Architektur in Frankreich 1130–1270, éd. revue et augmentée, Munich, 1995, p. 401 ; H. BAUER, Der Apostelzyklus der Sainte-Chapelle in Paris. Studien zur Ortung eines Bildmotivs, Munich, 1983, p. 35. 16 DE WAILLY, « Récit du 13e siècle... » (op. cit. n. 5), p. 403–407 ; de même Franco Morenzoni dans sa contribution dans ce même volume. 17 Anno eodem MCCXLI ut existimo coepta est sancta capella (G. DUBOIS, Historia ecclesiae parisiensis, Paris, 1710, 353, cité d’aprés SCHREIBER, Reparatio ecclesiae nostrae... (op. cit. n. 11), p. 73). 18 F. GEBELIN, La Sainte-Chapelle et la Conciergerie, Paris, 1931, p. 8–9. Dans le même sens D. JALABERT, La Sainte-Chapelle (Nefs et clochers), Paris, 1947, p. 2 ; A. BOINET, Les Églises parisiennes. Moyen Âge et Renaissance, Paris, 1958, p. 234–263, ici p. 235 ; L, GRODECKI, SainteChapelle, Paris, s. d. [1962], p. 14. C. SCHNAASE, Geschichte der bildenden Künste, vol. 5, Düsseldorf, 1856, p. 136 a déjà opté pour cette datation, mais sans arguments concrets. 19 R. BRANNER, St Louis and the Court Style in Gothic Architecture, London, 1965, p. 64, n. 26. 20 Entre autres J.-P. BABELON, « Sainte-Chapelle (La) », in : Dictionnaire des églises de France, vol. 4, Paris, 1968, IVc, p. 56–61, ici p. 57 ; L. GRODECKI, La Sainte-Chapelle, 2e éd., Paris,
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par Henri Stein,21 postérieure à la fondation du collège des chanoines en janvier 1246, n’est pas plausible. Il est plus probable que cette fondation révèle un état de travaux avancé, comme l’a remarqué François Gebelin, conclusion qui semble à l’heure actuelle faire l’unanimité.22 Il est même possible que le gros oeuvre ait été déjà terminé à ce moment-là, comme l’ont supposés Branner et d’autres,23 et que l’on ait consacré le temps restant jusqu’à la consécration de 1248 au décor intérieur. Cependant, on ne peut pas exclure que la date de cette consécration ait été fixée après l’achèvement complet du bâtiment gothique et en fonction du départ imminent du roi pour la septième croisade. On peut toutefois exclure que la durée des travaux ait été beaucoup plus longue en raison des dimensions restreintes de cet édifice dont le financement était assuré. Nous pouvons donc conclure que la construction de la Sainte-Chapelle débuta entre 1237 et 1244 et qu’elle fut terminée autour des années 1246/1248. La deuxième partie de mon exposé, étroitement liée à des problèmes méthodiques, sera consacrée à la place de la Sainte-Chapelle dans l’histoire de l’architecture ainsi qu’à l’identification du maître d’oeuvre. L’analyse des formes, méthode habituellement utilisée par les historiens d’art pour attribuer des oeuvres lorsque les sources écrites font défaut, ne peuvent qu’aboutir à des conclusions erronées si l’on ne fait pas une distinction nette entre les concepts de type, de motif et de style. Le choix du type d’un bâtiment est normalement déterminé par sa fonction et par la tradition. Autrement dit, il ne dépend pas directement du constructeur mais plutôt du commanditaire. Dans la sélection des motifs, comme par exemple dans le choix 1975, p. 6 ; SAUERLÄNDER, « Die Sainte-Chapelle... » (op. cit. n. 2), p. 99 ; J. BONY, French Architecture of the 12th and 13th Centuries, Berkeley, Los Angeles, London, 1983, p. 386 ; O. VON SIMSON, Das Mittelalter II, (=Propyläen Kunstgeschichte vol. 6), Francfort s. M./Berlin, 1990, p. 86 ; LENAIUD et PERROT, La Sainte-Chapelle (op. cit. n. 2), p. 101 ; KIMPEL et SUCKALE, Die gotische Architektur... (op. cit. n. 15), 401 ; L. DE FINANCE, La Sainte-Chapelle. Palais de la Cité, Paris, Paris, 1999, p. 6. 21 H. STEIN, Le Palais de Justice et la Sainte-Chapelle de Paris. Notice historique et archéologique, Paris 1912. La même date est donnée sans argumentation précise par DECLOUX et DOURY, Histoire archéologique, descriptive et graphique de la Sainte-Chapelle du Palais, Paris, 1865, p. 7 ; F. DE GUILHERMY, Description de la Sainte-Chapelle, 2e éd., Paris, 1874, p. 5–6. M. DUMOLIN et G. OUTARDEL, Les églises de France. Paris et la Seine, Paris, 1936, p. 47. 22 GEBELIN, La Sainte-Chapelle... (op. cit. n. 18), p. 8–9. 23 BRANNER, St Louis and the Court Style... (op. cit. n. 19), p. 64–65 ; BABELON, « SainteChapelle » (op. cit. n. 19), p. 57 ; KIMPEL et SUCKALE, Die Gotische Architektur... (op. cit. n. 15), p. 401 ; WEISS, Art and crusade,... (op. cit. n. 12), p. 16.
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de tel ou tel remplage, l’architecte, s’il n’invente pas, choisit ordinairement un élément faisant partie d’un ensemble de modèles utilisés dans sa région. Lorsqu’il s’agit de l’attribution d’une œuvre à un maître en particulier, il est donc nécessaire d’analyser le style de l’édifice et d’étudier comment types et motifs sont réalisés dans le cadre de cette oeuvre spécifique. Le choix d’un lieu pour la conservation des nouvelles reliques à Paris s’imposait. Comme Charlemagne à Aix-la-Chapelle, comme le roi Alphonse II à Oviedo ou les empereurs byzantins à Constantinople et d’autres encore, Louis IX était obligé, suivant la tradition, de conserver les reliques de la passion dans la chapelle palatine de sa résidence principale, en l’occurrence dans son palais sur l’Île de la cité. Ainsi, il se situait dans une continuité prestigieuse et significative à la fois sur le plan de l’histoire du salut et sur celui de la politique monarchique de droit divin.24 Cette tradition devait se perpétuer en France durant les siècles suivants, entraînant l’édification de nombreuses saintes chapelles.25 Comme l’a démontré Inge Hacker-Sück,26 le choix du type d’édifice, celui de la chapelle double, est déterminé par le même genre de considérations et, d’après une étude récente de Matthias Müller, il est même possible de citer le monument qui est à l’origine de ce type d’édifice. La Sainte-Chapelle serait une copie – au sens large du terme et selon la définition de Richard Krautheimer – des chapelles-Golgotha de l’église du Saint-Sépulcre de Jérusalem.27 Dans le cadre d’un 24
Pour la signification religieuse et politique de la Sainte-Chapelle, voir O. VON SIMSON, « Opere superante materiam – Zur Bedeutung der Sainte-Chapelle », in : Mélanges d’histoire, d’histoire de l’art et d’archéologie, offerts à Jacques Stiennon, Liège, 1982, p. 597–615, ici cité d’aprés : O. VON SIMSON, Von der Macht des Bildes im Mittelalter. Gesammelte Aufsätze zur Kunst des Mittelalters, Berlin, 1993, p. 139–145 ; H. BELTING, « Die Reaktion der Kunst des 13. Jahrhunderts auf den Import von Reliquien und Ikonen », in : Ornamenta Ecclesia, Catalogue d’exposition, Cologne, 1985, vol. 3, p. 173–183, ici p. 174 ; C. BILLOT, « Le message spirituel et politique de la Sainte-Chapelle », Revue Mabillon, 63, 1991, p. 119–141, ici p. 121–122. Pour les différentes fonctions de la Sainte-Chapelle (reliquaire, chapelle royale privée, église collégiale, église paroissiale pour le personnel du palais), cf. LENAIUD et PERROT, La Sainte-Chapelle (op. cit. n. 2), p. 86–92. 25 C. BILLOT, Les saintes chapelles royales et princières, Paris, 1998. 26 I. HACKER-SÜCK, « La Sainte-Chapelle de Paris et les chapelles palatines du Moyen Âge en France », Cahiers archéologiques, 13, 1962, p. 217–257. 27 M. MÜLLER, « Paris, das neue Jerusalem ? Die Ste-Chapelle als Imitation der GolgathaKapellen. Hans-Joachim Kunst zum 65. Geburtstag », Zeitschrift für Kunstgeschichte, 59, 1996, p. 325–336. R. KRAUTHEIMER, « Introduction to an Iconography of Medieval Architecture », Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, 5, 1942, p. 1–33. J. KRÜGER, Die Grabeskirche zu Jerusalem. Geschichte–Gestalt–Bedeutung, Regensburg, 2000, p. 240, n. 287, a rejeté l’hypothèse de Müller sans arguments convaincants, préférant proposer comme modèle la salle de la cène à Jérusalem, édifice qualifié de mater omnium ecclesiarum (sur la salle de la
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renouvellement de cette église au milieu du XIIe siècle, les deux chapelles superposées du XIe siècle ont été réaménagées et on y a ajouté un porche ouvert à deux étages. Cette disposition, qui était rare au XIIIe siècle, n’apparaît pas dans les chapelles doubles antérieures à la Sainte-Chapelle. Les similitudes structurelles de ces édifices se trouvent renforcées du fait de la parenté thématique entre le Golgotha et la chapelle parisienne : le premier étant le lieu de la Passion du Christ, le second étant celui de la conservation de ses reliques. Il faut encore ajouter que, d’après Stephen Murray, la Sainte-Chapelle reprend les dimensions, transposées en pieds royaux parisiens, du Temple de Salomon tel qu’il est décrit dans le septième chapitre du Livre des Rois.28 Néanmoins, en ce qui concerne le détail de la disposition de la chapelle double parisienne, ses précurseurs directs sont les chapelles épiscopales françaises de la fin du XIIe et du début du XIIIe siècle citées par Hacker-Sück.29 L’exemple qui s’en approche le plus est celui de Reims (fig. 1 et 2) : chapelle à deux étages indépendants sur plan longitudinal, composée de quatre travées oblongues et d’une abside polygonale à sept pans. Compte tenu de cette longue tradition, l’interprétation de la chapelle haute comme structure supérieure d’un chevet de cathédrale, proposé par Hans Sedlmayr et développée par Wolfgang Schenkluhn,30 n’est pas convaincante. En ce qui concerne les motifs, je me limite ici à quelques exemples significatifs. Depuis les recherches d’Eugène-Emmanuel Viollet-leDuc pour son dictionnaire d’architecture, on a souvent comparé certains motifs architecturaux de la Sainte-Chapelle avec ceux de la cathédrale d’Amiens (fig. 3–5).31 Il est vrai que la raideur des contrecène J, KRÜGER, « Der Abendmahlssaal in Jerusalem zur Zeit der Kreuzzüge », Römische Quartalschrift für christliche Altertumskunde und Kirchengeschichte, 92, 1997, p. 229–247). 28 S. MURRAY, « The architectural envelope of the Sainte-Chapel, form and meaning », in : Pierre, lumière, couleur. Études d’histoire de l’art du Moyen Âge en l’honneur d’Anne Prache, F. JOUBERT et al. (éd.), Paris, 1999, p. 223–230, ici p. 229–230. 29 Il s’agit de chapelles à deux étages séparés sur plan longitudinal avec abside semi-circulaire ou polygonale, p. ex. à Paris, Noyon, Meaux, Reims (HACKER-SÜCK, « La SainteChapelle de Paris... » (op. cit. n. 26), 232–235). Par contre, les chapelles palatines germaniques sont conçues sur plan central et leurs étages sont liés par un espace central. 30 H. SEDLMAYER, Die Entstehung der Kathedrale, Zürich, 1950, p. 377. W. SCHENKLUHN, Ordines studentes : Aspekte zur Kirchenarchitektur der Dominikaner und Franziskaner im 13. Jahrhundert, Berlin, 1985, p. 201–202. 31 E. VIOLLET-LE-DUC, Dictionnaire raisonné d’architecture française du IXe au XVIe siécle, 10 vol., Paris, 1854–1868, ici vol. 1, p. 2–3, 93–94, vol. 2, p. 331, n. 2, p. 148–149. De même surtout G. DURAND, Monographie de l’église Notre-Dame, cathédrale d’Amiens, 3 vol., Amiens/ Paris, 1901–1903, ici vol. 1, p. 33–34 ; HACKER-SÜCK, « La Sainte-Chapelle de Paris... » (op. cit. n. 26), p. 240 ; BRANNER, St Louis and the Court Style... (op. cit. n. 19), p. 62–63 ; BONY, French Architecture... (op. cit. n. 20), p. 388 ; KIMPEL et SUCKALE (op. cit. n. 15), p. 404 ; S.
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forts qui sont à la fois fortement saillants et très minces, les trilobes superposés des fenêtres du polygone, les triangles sphériques des fenêtres latérales basses et l’arcature du socle aux écoinçons percés de l’étage inférieure, tous ces motifs se trouvent rarement ailleurs que dans la Sainte-Chapelle et dans la cathédrale picarde.32 On notera toutefois qu’à l’exception des triangles sphériques, ils se trouvent à Amiens dans les chapelles rayonnantes dont la datation antérieure à la Sainte-Chapelle est remise en question sur la base d’une analyse dendrochronologique.33 Les gâbles au-dessus des fenêtres perçant la corniche, motif dont les précurseurs sont, depuis le XIIe siècle, les frontons des portails, des fenêtres et des arcades des jubés,34 se trouve à la fois à la Sainte-Chapelle (fig. 6) et, quoique sous une forme plus simple, dans les cathédrales de Cambrai et de Tournai. Mais l’antériorité de Cambrai, hypothèse proposée par Jean Bony, est bien aléatoire compte tenu de la datation incertaine de notre chapelle.35 Les autres motifs de la Sainte-Chapelle sont des formes habituelles de l’architecture de la région parisienne : l’arcature du socle de la chapelle haute avec ses quadrilobes est conforme à un modèle parisien des années vingt du XIIIe siècle (Brie-Comte-Robert, Saint-Seve-
MURRAY, Notre-Dame Cathedral of Amiens. The power of change in gothic, Cambridge, 1996, p. 66 ; SCHREIBER, Reparatio ecclesiae nostrae... (op. cit. n. 11), p. 75–76 ; DE FINANCE, La Sainte-Chapelle... (op. cit. n. 20), p. 9. 32 La comparaison des fenêtres latérales de la chapelle basse avec celles des tribunes de la cathédrale de Paris (BRANNER, St Louis and the Court Style... (op. cit. n. 19), p. 63, KIMPEL et SUCKALE (op. cit. n. 15), p. 403) n’est pas valable, car ces dernières sont une invention de la restauration sous Viollet-le-Duc et Lassus (A. ERLANDE-BRANDENBURG, Notre-Dame de Paris, Paris, 1991, p. 225). Les écoinçons percés par des lobes sont assez fréquents dans les triforiums anglo-normands, par ex. à Caen (St.-Étienne), Bayeux, Coutances, St.-Quentin, Petit-Andelys, Wells, Lincoln etc. 33 L’analyse dendrochronologique a indiqué une date entre 1241 à 1254 pour les tirants en bois utilisé pour voûter les travées droites du choeur (A. PRACHE, « L’emploi du bois dans la construction des cathédrales au XIIIe siècle », in : Le bois dans l’architecture, Actes des Colloques de la Direction du Patrimoine, Paris, 1995, p. 34–38, ici p. 36–37). La direction générale des travaux menés de l’ouest à l’est (nef, transept, choeur) parle en faveur d’une construction des chapelles en question après le milieu du 13e siècle (C. LAUTHIER, La fenêtre dans l’architecture religieuse d’Île-de-France au XIIIe siècle. De Saint-Leu-d’Esserent à la cathédrale de Beauvais, thèse dactylographiée, Paris IV Sorbonne, 1995, p. 263 ; A. ERLANDEBRANDENBURG, « La Sainte-Chapelle de Paris », in : La Sainte-Chapelle, l’art au temps de saint Louis, Dossiers d’archéologie, 264, 2001, p. 10–17, ici p. 15). Néanmoins, MURRAY, Notre-Dame Cathedral of Amiens... (op. cit. n. 28), p. 66 retient pour des raisons stylistiques l’ancienne datation qui faisait remonter la construction des chapelles aux années trente du XIIIe siècle. 34 E. LEFÈVRE-PONTALIS, « Les origines des gâbles », Bulletin monumental, 81, 107, p. 92–112. 35 BONY, French Architecture... (op. cit. n. 20), p. 386.
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rin de Paris, Cormeilles-en-Vexin etc.) ;36 le type du portail du porche supérieur à guirlandes végétales entre les colonnettes apparaît à Paris et dans sa région durant les années trente (Saint-Severin de Paris, chapelle royale de Saint-Germain-en-Laye, le transept sud de SaintDenis etc.) ;37 les fenêtres quadripartites de la chapelle haute qui remplacent complètement le mur entre les piliers et la façade ouest avec ses trois arcades aveugles gigantesques à l’intérieur et sa rose rayonnante à écoinçons ajourés sous un grand gâble, se retrouvent à l’abbatiale de Saint-Denis et sont connues depuis les années trente aussi ;38 les chapiteaux de la chapelle basse à abaques en forme d’étoile apparaissaient déjà autour de 1200 dans l’abbatiale cistercienne de Châalis.39 D’autres motifs comme les socles polygonaux, le décor des chapiteaux (crochets, flore naturaliste),40 les chapiteaux à bec des arcs doubleaux alternant avec les chapiteaux rectangulaires des ogives et les chapiteaux rond des remplages, le profil torique à filet etc. étaient monnaie courante à l’époque de la Sainte-Chapelle. Lorsqu’il s’agit d’attribuer un bâtiment à un maître en particulier, seule compte une similitude parfaite des motifs, laissant supposer l’utilisation de patrons identiques.41 À la Sainte-Chapelle, l’étude des plans des piliers et des profils des bases, des tailloirs et des ogives ne met pas en évidence suffisamment de concordances pour permettre
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BONY, French Architecture... (op. cit. n. 20), p. 383, p. 525, n. 27. BRANNER, St Louis and the Court Style... (op. cit. n. 19), p. 143. 38 BRANNER, St Louis and the Court Style... (op. cit. n. 19), p. 63. L’actuelle rose flamboyante a remplacée une rose rayonnante, visible sur des miniatures des Très Riches Heures du duc de Berry et du livre d’heure d’Étienne Chevalier (sur la rose du XIIIe siècle, voir la contribution de Françoise Perrot dans ce même volume). Le remplage des fenêtres quadripartites se retrouve à l’identique dans les fenêtres hautes du choeur de la cathédrale de Tours dont la date postérieure à la Sainte-Chapelle est loin d’être certaine (SCHREIBER, Reparatio ecclesiae nostrae... (op. cit. n. 11), p. 73–74). 39 Cette forme n’est pas une nouveauté dans la Sainte-Chapelle, comme suggèrent KIMPEL et SUCKALE (op. cit. n. 15), p. 403. À part Chaâlis, il y a des exemples antérieurs à la chapelle parisienne dans la collégiale de Saint-Quentin, mentionnés déjà par BONY, French Architecture... (op. cit. n. 20), p. 527–528, n. 38. 40 Sur le décor des chapiteaux D. JALABERT, « La flore sculptées de la Sainte-Chapelle », Bulletin archéologique du comité des travaux historiques et scientifiques, 1932/1933, p. 739–747. KIMPEL et SUCKALE (op. cit. n. 15), p. 404 ont proposé à juste titre une interprétation iconologique pour justifier le fait qu’on ait choisi pour chaque étage une forme de chapiteaux différents : des chapiteaux à crochets à la chapelle basse et des chapiteaux à flore naturaliste dans la chapelle haute. 41 C’est ce qu’a démontré Christoph Brachmann pour un groupe d’églises à Metz (C. BRACHMANN, Gotische Architektur in Metz unter Bischof Jacques de Lorraine (1239–1260) : Der Neubau der Kathedrale und seine Folgen, Berlin, 1998). 37
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une quelconque attribution.42 Examinons par exemple les plans des piliers engagés de quelques édifices traditionnellement mis en relation avec notre chapelle (fig. 7 a–d) : À la Sainte-Chapelle, on trouve un pilier du type gothique primitif avec un noyau cruciforme auquel s’ajoutent des dosserets rectangulaires et des colonnettes engagées de différentes dimensions. Les piliers de Saint-Denis sont du même type, mais les fûts qui montent jusqu’aux voûtes sont séparés par des gorges détachées. Dans les autres édifices, les piliers sont d’un type plus moderne. Dans la chapelle royale de Saint-Germain-en-Laye, toutes les colonnettes sont séparées par des gorges détachées alors que dans les chapelles rayonnantes d’Amiens, le pilier est composé par un faisceau de fûts à peine détachés les uns des autres. Jusqu’à maintenant on a proposé quatre maîtres différents comme architectes de la Sainte-Chapelle. Pierre de Montreuil, architecte de la Chapelle de la Vierge de Saint-Germain-des-Prés et de la façade sud de Notre-Dame de Paris, a été cité comme maître d’oeuvre de la Sainte-Chapelle dans la tradition historiographique et ceci depuis la Description de Paris de Germain de Brice, texte datant de la fin du XVIIe siècle.43 On a également attribué la Sainte-Chapelle à l’architecte des chapelles rayonnantes de la cathédrale d’Amiens. Branner propose Thomas de Cormont, alors que Kimpel/Suckale et Schreiber avancent le nom de Robert de Luzarches.44 On a aussi considéré, quoique plus 42
Il n’y a pas de concordance entre les profils de la Sainte-Chapelle et de la cathédrale d’Amiens, affirmé par VIOLLET-LE-DUC, Dictionnaire... (op. cit. n. 31), vol. 2, p. 331, n. 2 et BRANNER, St Louis and the Court Style... (op. cit. n. 19), p. 63. 43 G. DE BRICE, Description nouvelle de la ville de Paris, 1698, vol. 2, p. 366. Suivi entre autres par MORAND, Histoire... (op. cit. n. 7), p. 30 ; SCHNAASE, Geschichte der bildenden Künste (op. cit. n. 18), p. 136 ; DECLOUX et DOURY, Histoire... (op. cit. n. 21), p. 7 ; GUILHERMY, Description... (op. cit. n. 21), p. 6–7 ; VIOLLET-LE-DUC, Dictionnaire... (op. cit. n. 31), vol. 2, p. 425 ; G. DEHIO et G. VON BEZOLD, Die kirchliche Baukunst des Abendlandes, 2 vol., Stuttgart, 1887–1901, ici vol. 2, p. 114 ; VON SIMSON, Das Mittelalter (op. cit. n. 20), p. 67. Sous réserve aussi STEIN, Le Palais de Justice... (op. cit. n. 21), p. 192–194 ; DUMOLIN et OUTARDEL, Les églises de France... (op. cit. n. 21), p. 47 ; JALABERT, La Sainte-Chapelle... (op. cit. n. 18), p. 22 ; BOINET, Les Églises parisiennes, p. 237 ; GRODECKI, La Sainte-Chapelle (op. cit. n. 20), p. 30 ; M. BOUTTIER, « La reconstruction de l’abbatiale de Sainte-Denis au XIIIe siècle », Bulletin monumental, 145, 1987, p. 357–386, ici p. 372. Francis Salet a même supposé que Pierre de Montreuil ne fut pas seulement l’architecte de la Sainte-Chapelle, mais aussi le sculpteur des statues d’apôtres les plus modernes (F. SALET, « Les statues d’apôtres de la Sainte-Chapelle conservées au musée de Cluny », Bulletin monumental, 109, 1951, p. 135– 157, ici p. 138). Sur Pierre de Montreuil : R. SUCKALE, « Pierre de Montreuil », in : Les bâtisseurs des cathédrales gothiques, catalogue d’exposition, Strasbourg, 1989, p. 181–185. 44 BRANNER, St Louis and the Court Style... (op. cit. n. 19), p. 62 ; KIMPEL et SUCKALE (op. cit. n. 15), p. 404 ; SCHREIBER, Reparatio ecclesiae nostrae... (op. cit. n. 11), p. 76. Sur Thomas de Cormont et Robert de Luzarche en dernier lieu MURRAY, Notre-Dame Cathedral of Amiens... (op. cit. n. 31), p. 78–86.
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rarement, Jean de Chelles, constructeur de la façade nord de NotreDame de Paris, ainsi que le maître inconnu des premières parties de l’abbatiale de Saint-Denis datant du XIIIe siècle comme les auteurs potentiels de notre chapelle.45 Comme je l’ai déjà dit, l’analyse des motifs ne semble pas permettre de résoudre ce difficile problème d’attribution. Il faudra donc confronter le style des édifices des différents maîtres que je viens de citer avec celui de la chapelle parisienne. Les oeuvres de Pierre de Montreuil (fig. 8) sont caractérisées par une netteté cristalline. Les étages sont liés entre eux par un fin voile d’arcatures, profils, contreforts, piliers engagés, gâbles etc., appliqués aux parois avec une extrême délicatesse. Ces éléments qui ne ressortent guère de la surface murale et les niches peu profondes, produisent un effet de vibrante légèreté. La Sainte-Chapelle, au contraire, présente une architecture statique et optiquement bien ancrée, tout le bâtiment étant tendu dans un réseau de lignes bien définies. À l’extérieur (fig. 6), les étages sont nettement séparés par une bande murale accompagnée de deux corniches ininterrompues faisant office de larmier, tandis que les contreforts fortement saillants produisent de puissantes verticales. À l’intérieur (fig. 5), le bandeau profilé formé par les socles et les bases prolongés des colonnettes, la corniche prononcée, les appuis plats des fenêtres et la dissonance numérique entre l’arcature basse et les lancettes des fenêtres renforcent les horizontales qui ne sont interrompues que par les piliers engagés aux angles prononcés. La surface murale qui n’existe que dans les parties inférieures, est allégée par des arcades aveugles d’une plasticité accentuée et par un décor sculptural somptueux. L’architecture des chapelles rayonnantes d’Amiens présente la même clarté, mais avec un décor plus modeste et le traitement des détails est plus rustique (fig. 9 et 10).46 De plus, les éléments qui renforcent les lignes horizontales à l’intérieur de la 45
Sous réserve DUMOLIN et OUTARDEL, Les églises de France... (op. cit. n. 21), p. 47 ; JALABERT, La Sainte-Chapelle... (op. cit. n. 18), p. 22 ERLANDE-BRANDENBURG, « La Sainte-Chapelle.. ». (op. cit. n. 33), p. 15. Sur Jean de Chelles : KIMPEL et SUCKALE (op. cit. n. 15), p. 410–421. Les attributions trop exhaustives à Jean de Chelles proposées par BOUTTIER, « La reconstruction... » (op. cit. n. 43), p. 379–380, ont déjà été critiquées par R. SUCKALE, « Neue Literatur über die Abteikirche von Saint-Denis », Kunstchronik, 1990, p. 62–80, ici p. 76. Sur le maître de Saint-Denis C. A. BRUZELIUS, The 13th-Century Church at St-Denis, New Haven/London, 1985. L’étude de U. HEINRICHS, Der Saint-Denis-Meister zwischen Troyes und Paris, travail de maîtrise dactylographié, Fribourg-en-Brisgau 1989, ne m’a pas été accessible. 46 DURAND, Monographie... (op. cit. n. 31), p. 33–34 a déjà remarqué quelques différences stylistiques importantes entre les chapelles d’Amiens et la Sainte-Chapelle.
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Sainte-Chapelle sont absents à Amiens, de sorte que les verticales y sont prépondérantes (fig. 4 et 5). Socles et bases ne sont pas prolongés le long du mur, la corniche renonce au décor végétal, les appuis des fenêtres sont raides et l’arcature aveugle correspond aux lancettes des fenêtres. Jean de Chelles et le maître de Saint-Denis ont été cités comme des architectes potentiels de la Sainte-Chapelle en raison de ressemblances entre l’ordonnance des façades du transept de Paris et de Saint-Denis et celle de la façade ouest de la chapelle parisienne. Étant donné que cette dernière, dans sa partie supérieure, est aujourd’hui une oeuvre du gothique tardif, une comparaison stylistique entre Saint-Denis et la Sainte-Chapelle est plus facile à établir à partir des travées droites du choeur de ces monuments (fig. 11). L’abbatiale royale arbore des proportions plus larges, résultant des dimensions beaucoup plus importantes des couronnements de fenêtre. Comme celle de la Sainte-Chapelle, l’élévation de Saint-Denis présente un caractère bien structuré bien que la structure de cette dernière présente moins de relief. Les fûts engagés montant sans interruption du sol aux voûtes, ne ressortent guère de la surface murale, les corniches et le réseau des remplages sont équivalents en ce qui concerne leur poids optique et les étages supérieurs sont liés entre eux par les meneaux des lancettes des fenêtres descendant jusqu’au sol du triforium. L’analyse stylistique ne permet donc pas de trancher en faveur de l’un ou l’autre de ces maîtres et il faut de plus tenir compte de deux facteurs importants. Tout d’abord il ne faut pas sous-estimer que le fait d’opter pour tel ou tel parti pris stylistique n’était pas déterminé uniquement par les aspects concrets de la réalisation mais également par les prétentions du commanditaire. Ainsi, dans le cas de la Sainte-Chapelle, les reliques les plus importantes de la chrétienté requéraient le style le plus élevé, à la fois opulent et somptueux. Comme l’a indiqué Branner, une architecture évoquant une pièce d’orfèvrerie s’imposait.47 Deuxièmement, le langage formel d’un architecte du XIIIe siècle pouvait beaucoup varier d’un chantier à l’autre, comme l’a démontré Peter
47 L’analogie entre la Sainte-Chapelle et l’orfèvrerie, qui ne se rapporte pas seulement à l’architecture, mais avant tout à la richesse de son décor sculptural et pictural (BONY, French Architecture... (op. cit. n. 20), p. 400–401), apparaît déjà dans les sources contemporaines à la construction (bulle du pape Innocence IV). Dans la recherche scientifique, elle fut indiquée pour la première fois par BOINET, Les Églises parisiennes (op. cit. n. 18), p. 235 et développée par BRANNER, St Louis and the Court Style... (op. cit. n. 19), p. 57–58.
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Kurmann, sur la base de l’exemple de Gauthier de Varinfroy.48 Ces problèmes pourraient être résolus au moyen d’une comparaison plus technique. Ainsi Viollet-le-Duc et Kimpel/Suckale ont fait des parallèles entre la Sainte-Chapelle et cathédrale d’Amiens en se fondant sur l’usage massif du fer dans les deux édifices.49 Pourtant, le métal était en usage dans l’architecture gothique, depuis le milieu du XIIe siècle pour renforcer le squelette de pierre. L’emploi de crampons et de bandes de fer apparaît à Notre-Dame de Paris déjà durant les années 1220/1230 et a été repris de manière plus développée à la Sainte-Chapelle et dans le choeur de la cathédrale de Tours.50 En outre, à Amiens, une bonne partie du chaînage date d’une restauration de 1497 et, d’après Schreiber, la manière d’utiliser le fer deux siècles plus tôt à Amiens et à la Sainte-Chapelle représenterai la différence la plus importante entre les deux chantiers.51 Michel Bouttier, en se basant sur le mode de construction des remplages, a attribué la Sainte-Chapelle à Pierre de Montreuil.52 Il a été contredit à juste titre par Robert Suckale, car ce mode de construction était fréquent durant les années 1240 et donc facile à imiter.53 Pour voûter l’espace large mais bas de l’étage inférieure de la Sainte-Chapelle (fig. 3), l’architecte a inséré deux fils de colonnes minces. Kimpel/Suckale ont comparé cette disposition au système de contrebutement reposant sur deux pieds (« Zweibeinsystem ») qui se trouve à l’extérieur de la cathédrale d’Amiens.54 Cependant, cet aménagement me semble plutôt dériver du système anglo-normand du mur épais, évidé par des
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P. KURMANN, « Gauthier de Varinfroy et le problème du style personnel d’un architecte au XIIIe siècle », in : Les bâtisseurs des cathédrales gothiques, catalogue d’exposition, Strasbourg, 1989, p. 187–194. 49 VIOLLET-LE-DUC, Dictionnaire... (op. cit. n. 31), vol. 2, p. 331, n. 2 ; KIMPEL et SUCKALE (op. cit. n. 15). 50 J.-L. TAUPIN, « Le fer des cathédrales », Monumental, 13, 1996, p. 18–27. A. ERLANDEBRANDENBURG, « Pierre et métal dans l’architecture gothique, résumé de la communication », in : L’innovation téchnique au Moyen Âge, Actes du VIe congrès international d’archéologie médiévale, Paris, 1998, p. 219. Pour Paris ERLANDE-BRANDENBURG, Notre-Dame de Paris (op. cit. n. 32), p. 154–155. Pour Tours, SCHREIBER, Reparatio ecclesiae nostrae... (op. cit. n. 11), p. 64, 85–87. À juste titre, SCHREIBER, Reparatio ecclesiae nostrae... (op. cit. n. 11), p. 74, n. 355 a remarqué qu’il n’est pas évident que le chaînage en fer du dessus des voûtes de la Sainte-Chapelle, provenant de la restauration du XIXe siècle, reprend une construction médiévale. 51 DURAND, Monographie... (op. cit. n. 31), p. 205–206 ; SCHREIBER, Reparatio ecclesiae nostrae... (op. cit. n. 11), p. 78, n. 384. 52 BOUTTIER, « La reconstruction... » (op. cit. n. 43), p. 372. 53 SUCKALE, « Neue Literatur... » (op. cit. n. 45), p. 76. 54 KIMPEL et SUCKALE (op. cit. n. 15), p. 401–402.
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coursières.55 Dans le choeur de la Trinité de Caen, par exemple, la calotte de l’abside repose sur deux rangées de piliers intérieurs, se détachant légèrement du mur auquel ils sont rattachés par des berceaux transversaux. Durant la période gothique, ce dédoublement du mur s’est étendu aux parois latérales de quelques chapelles, créant l’illusion d’un espace à trois vaisseaux.56 On en trouve des exemples dans les chapelles supérieures des transepts des cathédrales de Laon et de Soissons et à l’étage supérieur de la chapelle épiscopale de Reims (fig. 12), chapelle double déjà citée comme étant l’ultime précurseur typologique de la Sainte-Chapelle. À l’étage inférieur de la chapelle parisienne, le système en question a abouti à la création d’une véritable nef à trois vaisseaux voûtés individuellement. Compte tenu de tous ces aspects, il nous est impossible de confirmer ou d’infirmer l’attribution de la Sainte-Chapelle à l’un des architectes cités plus haut. Je renonce donc, contrairement à ce qui s’est fait jusqu’à maintenant dans la recherche, à attribuer la Sainte-Chapelle à un architecte précis. L’histoire de l’art des maîtres, que j’ai délibérément écartée ici, ne se justifie que lorsqu’il est possible d’attribuer plusieurs oeuvres à un même architecte sur la base de sources écrites, ce qui nous fournit des renseignements à la fois sur l’art de bâtir en général et sur la manière de travailler d’un architecte en particulier. Il n’en demeure pas moins que la Sainte-Chapelle reste un monument de première qualité quoique que son architecte n’ait pas été un inventeur de formes ni de techniques. En effet, durant les années quarante du XIIIe siècle, à peu près tous les éléments nécessaires à l’édification d’un monument de la classe de notre chapelle étaient réunis à Paris. La performance personnelle du maître d’oeuvre de la Sainte-Chapelle réside plutôt dans le fait d’avoir réalisé un monument aussi remarquable à partir du type d’édifice demandé par le commanditaire et des motifs existants. Par la parfaite maîtrise de son travail, l’architecte a donné à la Sainte-Chapelle le rang élevé qu’elle occupe à juste titre encore aujourd’hui dans l’architecture gothique.
55 J. BONY, « La technique normande du mur épais à l’époque romane », Bulletin Monumental, 98, 1939, p. 153–188. 56 BONY, French Architecture... (op. cit. n. 20), p. 169–172.
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fig. 1 : Paris, Sainte-Chapelle, plans (d’après Viollet-le-Duc).
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fig. 2 : Reims, chapelle archiépiscopale, plans (d’après Viollet-le-Duc).
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fig. 3 : Paris, Sainte-Chapelle, intérieur de la chapelle basse (d’après Kimpel/ Suckale © Hirmer Verlag, München).
fig. 4 : Amiens, cathédrale, intérieur de la chapelle d’axe (d’après Kimpel/Suckale © Hirmer Verlag, München).
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fig. 5 : Paris, Sainte-Chapelle, intérieur de la chapelle haute (photo : Archiv Peter Kurmann).
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fig. 6 : Paris, Sainte-Chapelle, extérieur (photo : Peter Kurmann).
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fig. 7 : Plan des piliers engagés : a) Sainte-Chapelle (d’après Murray), b) Saint-Denis (d’après Dehio/Betzold), c) Amiens (d’après Murray), d) SaintGermain-en-Laye (esquisse d’après Ottoz).
fig. 8 : Paris, cathédrale, transept sud.
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fig. 9 : Amiens, cathédrale, détail de l’arcature aveugle de la chapelle d’axe.
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fig. 10 : Paris, Sainte-Chapelle, détail de l’arcature aveugle de la chapelle basse.
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fig. 11 : Saint-Denis, abbatiale, choeur, étage supérieure (d’après Kimpel/ Suckale © Hirmer Verlag, München).
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fig. 12 : Reims, chapelle archiépiscopale, intérieur de la chapelle haute (d’après Kimpel/Suckale © Hirmer Verlag, München).
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LA SAINTE-CHAPELLE : MONUMENT DU XIXe SIÈCLE1 Jean-Michel LENIAUD
Ruinée par l’incendie de 1630, la Sainte-Chapelle avait été consciencieusement relevée par la suite si l’on en juge par la comparaison de deux gravures de Ransonnette publiées par le chanoine Morand, le dernier historiographe de la fondation de Saint Louis avant la Révolution : l’une donne une vue du monument avant 1630 ; l’autre, à la fin de l’Ancien Régime2. Lorsque la Révolution commence, le collège des chanoines avait déjà été supprimé par décision de Louis XVI en 1787 et dans ce lieu désormais dépourvu d’affectataire, la nationalisation des biens du clergé fit le reste. En 1791, la Grande Châsse fut détruite, les reliques portées à Saint-Denis, le grand orgue installé à Saint-Germain l’Auxerrois. En 1793, les reliquaires et autres objets d’or et d’argent furent envoyés à la Monnaie pour y être fondus, la flèche abattue, la toiture mutilée, les couronnes, fleurs de lys et têtes de dauphin martelées, la sculpture des porches vandalisée. Piètre consolation : l’intention qu’on avait eue en 1790 de démolir l’édifice n’avait pas été suivie d’exécution. Peut-être dans l’objectif de lui donner une réutilisation qui lui garantît sa survie, on envisagea de transformer la chapelle haute en salle du conseil général de la commune : on possède un projet en élévation indiquant la disposition des tribunes, il ne laissait rien des décors, des vitraux, des sculptures. Sous le Directoire, un club connu sous le nom de Cercle de la Sainte-Chapelle tenait là ses séances. Puis on y installa un magasin à farines. En 1803, le bâtiment fut affecté au dépôt des archives judiciaires ; les travaux qui s’en suivirent achevèrent de détruire la partie inférieure des verrières et conduisirent à la
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Sur la restauration de la Sainte-Chapelle, voir mon livre : Jean-Baptiste Lassus (1807-1857) ou le temps retrouvé des cathédrales, Paris, 1980 ; en collaboration avec F. PERROT, La SainteChapelle, Paris, 1991 et ma contribution : « Félix Duban, architecte de la Sainte-Chapelle », in : Duban. Les couleurs de l’architecte, Paris, 1996, p. 70-77. Également : « Un monument du XIXe siècle », Dossiers d’archéologie, n° 264, 2001, p. 18-27. 2 S.-J. MORAND, Histoire de la Sainte-Chapelle royale du Palais enrichie de planches, Paris, 1790.
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réédification d’un escalier extérieur côté sud par les soins d’AntoineFrançois Peyre (1739–1823). La Sainte-Chapelle se transforma en lieu d’investigation archéologique : Alexandre Lenoir, qui a succédé à Doyen comme garde du dépôt des Petits-Augustins, s’ingénie à rassembler ce qui ne peut pas être détruit ou fondu. En 1793, il s’adjoint un ancien élève de l’architecte archéologue David Leroy, Charles Percier : le jeune homme relève de nombreux monuments de l’époque médiévale, à SaintDenis, mais aussi à la Sainte-Chapelle. On doit de précieux lavis d’écoinçons d’arcs, de fleurs de lys, d’anges, de motifs à cabochons et d’éléments de décors du jubé. Félix Duban et Jean-Baptiste Lassus, les futurs restaurateurs du monument, en eurent-ils connaissance avant qu’ils ne missent au point leur projet ? Rien ne permet cependant de le garantir. Il faut attendre 1837 pour que cette lamentable situation évolue. À cette date, les projets d’agrandissement du palais de justice font craindre pour la survie du chef d’œuvre du règne de Saint Louis. L’année précédente, Lassus a présenté au Salon un travail historique et graphique sur l’édifice. Bientôt, la décision est prise de financer de grands travaux de restauration. Duban s’en voit confier la responsabilité ; il demande l’aide de Lassus, lequel enrôle à son tour Violletle-Duc. L’agence de la Sainte-Chapelle est née.
UN CHANTIER PILOTE Le chantier de la Sainte-Chapelle offre l’originalité d’apparaître comme le premier d’une longue série d’opérations de restauration sur le patrimoine monumental hérité du Moyen Âge : si l’on excepte les décisions prises par Napoléon Ier en 1895 et 1806 et les travaux entrepris depuis cette époque, c’est la première fois que l’État décide la restauration d’un édifice pour la seule raison qu’il apparaît comme un chef d’œuvre d’architecture. En effet, la reconstruction des cathédrales de Valence et d’Orléans décidée au XVIIe siècle par le pouvoir royal avait moins obéi à une volonté monumentale qu’à un objectif dans l’ordre de la politique confessionnelle. Et, pour ce qui concerne l’abbatiale de Saint-Denis, les travaux conduits par Debret donnent lieu depuis le début des années 1830 à une telle campagne de dénigrement de la part des spécialistes des arts du Moyen Âge (Ludovic Vitet, Prosper Mérimée, Adophe-Napoléon Didron, François de Guilhermy et quelques autres) qu’ils ne peuvent guère être considérés,
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malgré plus d’un point commun, comme la propédeutique au chantier de la Sainte-Chapelle3. Le chantier de la Sainte-Chapelle veut trancher, en effet, sur le précédent par son ambition archéologique. Celle-ci est marquée par le choix que fait le Gouvernement de Félix Duban qui, pour être le beau-frère de François Debret, s’affiche comme le porte-parole de l’« architecture nationale » et l’un des maîtres à penser de la nouvelle génération romantique. Quant à Lassus et Viollet-le-Duc, ils appartiennent à ce petit groupe de médiévistes qui montent à l’assaut des institutions et s’emparent progressivement des commandes à la commission des monuments historiques, au comité des arts et monuments et, plus tard, aux Édifices diocésains. Si l’on ajoute que le même homme, le conseiller d’État Jean Vatout, préside la commission des monuments historiques et le conseil des bâtiments civils et qu’en sa qualité d’ancien bibliothécaire du duc d’Orléans, il compte parmi les fidèles les plus intimes du nouveau monarque, on prendra conscience plus encore de l’« entrisme » des amis du Moyen Âge. La démarche de ceux-ci est facilitée par le contexte général de la politique culturelle de la Monarchie de Juillet. Avec un « volontarisme » inédit, le régime de la charte de 1830 entend signaler son action par une série de « coups » médiatiques : à l’annonce du chantier de la Sainte-Chapelle font suite la loi du 22 juin 1845 qui ordonne la restauration de l’amphithéâtre d’Orange, de l’abbatiale de SaintOuen de Rouen et du château de Blois et celle du 11 juillet suivant qui finance le grand chantier de Notre-Dame de Paris. Loin de constituer des actes isolés, ces décisions font logiquement suite à la création du service des monuments historiques et à la mise en œuvre du musée de l’histoire de France à Versailles ; elles s’inscrivent également dans le cadre de la politique de grands travaux en faveur des monuments laissés inachevés depuis l’Empire et la Restauration et parmi les mesures destinées à stimuler l’économie du bâtiment. L’annonce en 1837 de la restauration de la Sainte-Chapelle annonce donc une ère nouvelle : les édifices du Moyen Âge vont être restaurés avec le soin qu’ils méritent. Pour autant, et en application d’une sorte de statut d’exception que l’abbatiale de Saint-Denis partage longtemps avec elle, les travaux ne sont pas soumis au contrôle 3
Voir mon livre : Saint-Denis de 1760 à nos jours, Paris, 1996 et « La restauration du décor peint de la Sainte Chapelle haute par Duban, Lassus et Boeswillwald (1839-ca. 1881) » in : Die «Denkmalpflege» vor der Denkmalpflege, Akten des Berner Kongresses 30. Juni bis 3. Juli 1999, éd. V. HOFFMANN, J. SCHWEIZER et W. WOLTERS, Berne, 2005, p. 333-360.
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de la commission des monuments historiques. Ils restent assujettis au régime commun des Bâtiments civils, dont la compétence s’étend à l’ensemble des constructions publiques et déférés au rapport de l’inspection générale, tout particulièrement à celui d’Augustin Caristie (1783-1862) dont la rigueur et la pertinence méritent d’être soulignées. Ce constat permet de relativiser la fortune critique des travaux de la commission des monuments dont on s’est habitué à penser, depuis les études de Paul Léon4, qu’ils ont apporté enfin, après des décennies d’incompétence du Conseil, une rigueur archéologique nouvelle. Il n’est rien, en fait : l’opération de la Sainte-Chapelle avec ses difficultés techniques (l’érection de la flèche) et la diversité des métiers d’art en jeu montre que le conseil des Bâtiments civils était apte à diriger la restauration d’un monument médiéval. Le même constat conduit, en outre, à reconsidérer l’importance du chantier de l’abbatiale de Vézelay dont Paul Léon a fait, en raison de la personnalité de son architecte, Viollet-le-Duc, le point de départ de la restauration monumentale en France. Ainsi, à une historiographie qui s’est, de ce fait, centrée sur la personne et la doctrine de l’auteur du Dictionnaire raisonné, il faudrait en opposer une autre, essentiellement marquée par Duban, une doctrine radicalement différente et une pratique qui s’est malheureusement trouvée limitée aux chantiers de la Sainte-Chapelle et de Blois. Car la doctrine restauratrice de Duban est radicalement différente de celle de Viollet-le-Duc. Le second, en donnant la priorité à la construction, en vient à condamner les décors hétérogènes comme nuisibles à l’économie générale du bâtiment et contraires à la raison architecturale. L’unité de style qu’il préconise à l’article « Restauration » du Dictionnaire raisonné ne condamne pas tant les collages d’époques différentes que les rhabillages en style à la mode, les trompe l’œil et, plus généralement, tout geste gratuit de décor. À l’inverse, Duban se laisse séduire par les décors de toutes sortes, les peintures murales, les lambris, les sculptures ; il aime la couleur, restitue ce qui manque, invente s’il le faut. Son appétence pour le travail du décorateur dont le château de Blois va bénéficier pendant près de vingt-cinq ans se trouvera balancée à la Sainte-Chapelle par la personnalité de son adjoint, Lassus : ancien élève de Henri Labrouste qui prônait dans son enseignement l’architecture comme construction décorée et non comme décoration construite, le futur restaurateur de Notre-Dame combine une conception structurelle du gothique avec les idées de 4
P. LÉON, La Vie des monuments français. Destruction, restauration, Paris, 1951.
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son patron. À la Sainte-Chapelle, monument du XIIIe siècle certes, mais transformé profondément à la fin du Moyen Âge et pendant la Renaissance, les partis à choisir vont faire l’objet de vifs débats.
SPÉCIFIER LA RESTAURATION DE LA SAINTE-CHAPELLE : UNE RESTAURATION ÉCLECTIQUE La reconstitution de la flèche et celle de l’escalier méridional ont posé, en effet, des questions totalement inédites. Pour la première, une fois admis le principe de la reconstitution, les restaurateurs ont été conduits à choisir laquelle rétablir. On sait qu’ils se sont refusés à relever celle de 1630, comme étant d’un gothique batard, qu’ils ont hésité entre une flèche imaginée dans le goût du XIIIe siècle, comme au temps de Saint Louis et une flèche dans le style flamboyant. Duban et surtout Viollet-le-Duc se montraient particulièrement favorables à la solution du XIIIe siècle. Lassus, en revanche, passablement convaincu que la Sainte-Chapelle était dépourvue de flèche à l’époque de Saint Louis, fit accepter le principe de la reconstitution de la flèche du milieu du XVe siècle. Semblable question fut posée pour l’escalier au flanc sud qui permettait d’accéder directement du niveau du pavé du Palais à la chapelle haute, sans passer par la chapelle basse. Malgré les travaux de Peyre sous l’Empire, ceux du XVIIe siècle et l’incendie de 1630, il subsistait des vestiges décorés de l’escalier construit en pierre à l’extrême fin du XVe siècle, en remplacement sans doute de l’escalier médiéval en bois. Lassus en attribuait l’initiative à Louis XII et en faisait le contemporain de celui de la chambre des comptes. C’est celui-ci qu’avec Duban, il choisit de proposer de reconstituer. Le peu de place que laissèrent les travaux du Palais au flanc sud et, peut-être aussi l’absence d’opportunité politique et budgétaire, ne permirent pas aux architectes de donner suite à leur projet : on aurait pu apprécier au pied de la chapelle de Saint Louis une construction caractérisée par un gothique tardif marié aux premières manifestations de la Renaissance. Si on coiffe un tel édifice d’une flèche de style flamboyant, on voit combien les deux architectes ne voulaient pas s’embarrasser de principes rigides sur l’unité de style. Le collage des époques et la restitution d’éléments décoratifs qui n’étaient en rien contemporains de la construction d’origine fondent une pratique dans l’ordre de la restauration qui tient de l’éclectisme, celui qui ne réprouve pas le défaut
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de logique entre le décor et la structure. L’escalier « Louis XII », avec son mélange de motifs en gothique tardif et de la proto-Renaissance, ses ogives, ces spirales et ces fleurons qui voisent avec les doubles L couronnés et les dauphins héraldiques, ne manqueront de paraître aux yeux d’un viollet-le-ducien convaincu, tel que Lassus en a publié le projet de restitution5, comme une monstruosité stylistique et constructive. La flèche aussi, avec ses arabesques flamboyantes et sa décoration proliférant ne pourra que choquer le regard du même, habitué à caractériser les productions de la fin du Moyen Âge comme décadentes. Ainsi voit-on s’affirmer à la Sainte-Chapelle l’ambition d’un projet en matière de restauration, le contraire de celui que Viollet-le-Duc a fondé sur le principe de l’unité de style, celui d’une restauration éclectique : il veut montrer les strates de la construction et de la décoration, refuse les raisonnements rigides, vise à satisfaire le regard en lui procurant du plaisir.
FONDER UNE DÉONTOLOGIE Le travail de restitution, tel que Quatremère de Quincy et quelques autres en ont fixé les règles à l’usage des pensionnaires de l’Académie de France à Rome et des archéologue, se fonde sur la collecte et l’exploitation d’une documentation précise et variée : des textes, des représentations, des vestiges enfouis ou non. Curieusement, cette méthode de projet dont les monuments de l’Antiquité ont été les bénéficiaires n’a pas été immédiatement appliquée à ceux du Moyen Âge : Alexandre Lenoir, au musée des monuments français, fait montre d’une absence de rigueur, d’une fantaisie, sinon d’une malhonnêteté intellectuelle qui peuvent s’excuser seulement par le succès immense que son entreprise a connu. François Debret, à Saint-Denis, tente bien de rassembler une documentation mais l’entreprise le dépasse par sa dimension et sa complexité. Duban a pratiqué à Rome les méthodes laborieuses de la restitution. Lassus, en présentant au salon de 1836 son travail historique et graphique sur la Sainte-Chapelle, a très certainement emprunté les mêmes voies : faute de connaître cette recherche, nous en sommes réduits à le supposer. L’un et l’autre ont fondé le projet de restaura5
F. DE GUILHERMY, La Sainte-Chapelle de Paris après les travaux commencés par M. Duban , terminés par M. Lassus, ouvrage exécuté sous la direction de M. Calliat, texte historique par M. de Guilhermy, Paris, 1877, in-fol., pl. 48.
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tion sur la recherche d’une documentation précise : vestiges sculptés et fragments de tous ordres, dessins anciens, iconographie contemporaine de la construction, textes d’archives, imprimés, tout a été rassemblé, au prix de beaucoup de science et de temps, par les deux architectes, Lassus, en particulier, qui s’avère un inlassable découvreur de documents. Les deux architectes s’adjoignent les services d’un archéologue qui passe pour l’un des plus compétents de son temps : François de Guilhermy, s’entourent des avis d’un physicien pour les questions d’optique et de vitrail : Chevreul, consultent des commissions. Duban, beau-frère de Debret dont les travaux de Saint-Denis sont alors violemment critiqués pour manquer de prudence archéologique et se réaliser sans avis d’experts compétents, a retenu la leçon : sous la Monarchie de Juillet, l’engouement pour le Moyen Âge impose une rigueur absolue et les meurs démocratiques, la concertation. Sous l’angle de la déontologie documentaire, le chantier de la Sainte-Chapelle inaugure une ère nouvelle. Cette rigueur intervient aussi dans l’ordre des travaux et des coûts. Avant qu’il ne fasse l’objet d’une intervention, le moindre vestige est calqué, relevé avec précision pour la documentation ultérieure : les dessins d’apôtres dans leur état d’origine et le projet de leur restitution en témoignent ; de même, les grands albums rassemblées par Steinheil des relevés de vitraux avant les interventions ; ou encore, ceux que le même a dressés pour la restauration des médaillons6. Doit-on déposer de vitraux pour les restaurer ? Le cahier des charges portera que les déplacements devront être limités au maximum. Fautil établir avec précision le devis des travaux de polychromie dont le caractère extrêmement nouveau ne permet pas de chiffrer le coût avec précision ? Le principe de la restauration d’une travée type est fixée, de façon à établi un coût qui servira de base à la restauration des travées suivantes. Elle concerne enfin la qualité des travaux. Malgré les dégradations et les tentatives absurdes de dérestauration des médaillons, elle éclate encore aux yeux : le parti adopté, les techniques employées, l’unité du dessein ont conduit sinon à une résurrection exacte du décor du temps de Saint Louis – ce que personne ne sera jamais en état de garantir –, du moins à proposer une solution particulièrement convaincante. Il n’en reste pas moins que le regard d’aujourd’hui sera conduit à regretter qu’aucun repère ne permet de distinguer les ves6
J. MAIREY, « Les médaillons peints de la Sainte-Chapelle, restaurations et techniques », Livraisons d’histoire de l’architecture, no 1, 2001, p. 75-88.
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tiges originaux de la restitution du XIXe siècle. On demandait à la fin de sa vie au sculpteur Victor Geoffroy-Dechaume qui avait consacré tant d’art à la restauration des statues d’apôtres de la chapelle haute de se rappeler quels étaient ceux des apôtres qui étaient l’œuvre de son ciseau quels étaient ceux qui dataient du Moyen Âge : la qualité de la sculpture et, il faut dire, l’uniformité de la polychromie somptueuse qui les ornaient, ne permettaient pas à l’un des meilleurs spécialistes du temps, Robert de Lasteyrie qui enseignait alors l’archéologie médiévale à l’École des chartes, de distinguer les uns des autres. Las ! L’artiste répondit qu’il ne s’en souvenait plus7. Il fallut attendre les investigations patientes de Francis Salet pour rendre à chacun ce qui lui appartenait8. Ainsi pourrait-on être fondé à soutenir que les travaux, par leur excès de qualité, ont conduit à l’élaboration d’un faux. Selon les points de vue forgés au cours de la seconde moitié du XXe siècle une telle affirmation n’est pas dénuée de fondement : on répondra en défense qu’il n’est guère de chantiers, hormis celui de Blois, qui, au XIXe siècle, qui puissent justifier d’un tel débat et que ce seul constat confirme l’exemplarité des travaux de la Sainte-Chapelle.
QUELQUES CAS PARTICULIERS : POLYCHROMIE ET MOBILIER Les archives des Monuments historiques possèdent de magnifiques relevés datés de 1845 et dus à Émile Boeswillwald (1815–1896) : fragments sculptés, chapiteaux et vestiges de peintures murales sont transcrits avec art et exactitude (ill. 1–2). Deux mentions manuscrites confirment l’importance du conseil des Bâtiments civils : deux certificats garantissant que les dessins sont conformes à l’original. Le premier est de la main d’Augustin Caristie, inspecteur général des Bâtiments civils, alors prodigieusement actif et réputé fort hostile à l’architecture gothique ; le second, de celle de Prosper Mérimée, inspecteur général des monuments historiques. Celui-ci cède à l’évidence le pas au premier et se contente de se ranger à son avis, confirmant ainsi le rôle subalterne des Monuments historiques par rapport au Conseil dans la restauration du monument. 7 J.-M. LENIAUD, « Geoffroy-Dechaume à la Sainte-Chapelle », in : De Plâtre et d’or. GeoffroyDechaume (1816-1892), sculpteur romantique de Viollet-le-Duc, 1998, p. 173-180. 8 F. SALET, « Les apôtres de la Sainte-Chapelle », Bulletin monumental, 1951, p. 145-156.
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Les documents apportent une autre information, de type totalement différent. Le lavis de Duban inscrit sur les inventaires du département des arts graphiques du Louvre et portant le millésime de 1847 ne constitue en rien un projet de restauration. C’est, au contraire, une sorte de « fantaisie architecturale », comme Duban aimait à en peindre : on y voit deux demi travées, une statue d’apôtre sur sa console, un autre apôtre posé au sol et un écoinçon ; l’état de la peinture simule un état antérieur à la restauration. Cependant, la colonne qui porte l’apôtre est ornée de châteaux de Castille sur fond rouge où se dessine un réseau losangé couleur or. Pourtant, le projet de restauration d’une travée type dont on peut dater l’élaboration autour de l’année 1842 prévoir certes les fonds rouges et le quadrillage en losange, mais nullement les châteaux de Castille : on observe à leur place un motif ornemental. Faut-il donc considérer ce projet comme inachevé dans certains de ses détails et supposer que l’artiste aurait substitué dans la hâte une forme vague à la place des châteaux de Castille ? Il est peu probable qu’un détail héraldique aussi important ait été laissé dans l’imprécision. Faut-il plutôt supposer que la preuve de la présence des châteaux de Castille a été établie entre 1842 et 1847 ? Ou, au contraire, que ce motif a été inventé par les restaurateurs dans le but d’harmoniser les peintures murales avec les vitraux qui alternent eux aussi fleurs de lys et châteaux de Castille ? Aussi longtemps que le doute n’aura pas été levé sur ces questions, il sera difficile d’affirmer avec certitude que Blanche de Castille a joué un rôle indispensable dans la construction de la Sainte-Chapelle. Dans l’ordre de la réalisation, il faut prendre conscience de l’importance de l’effort qui a été accompli par les restaurateurs pour identifier les matériaux et les techniques originelles et tenter de réutiliser les premiers, puis ressusciter les secondes. Ceci ne les a pas pour autant empêché d’inventer volontairement une iconographie, là où n’existaient plus de peintures. C’était le cas au revers du mur occidental dont les peintures avaient été détruites — à moins qu’elle n’eussent jamais existé — lors de l’installation des orgues successives. Dans le projet initial, approximativement daté de l’année 1842, les architectes avaient prévu une série de compositions centrées sur le couronnement de la Vierge. La réalisation conduite par le peintre Steinheil en 1856 lui a substitué le Christ en majesté entouré d’anges adorateurs et six représentations de scènes préfigurant l’institution de l’eucharistie. Ainsi les restaurateurs ne se sont pas interdit de faire œuvre de création en inventant des décors nouveaux.
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Une planche de dessins dus à Lassus montre que les restaurateurs étaient prêts à faire plus encore d’expériences. On y trouve représentés plusieurs projets : un autel avec suspension eucharistique, des stalles (ill. 4), un modèle de lustre (ill. 3) et surtout, et plus étonnant, une représentation du porche entièrement revêtu d’une polychromie bleue et rouge. S’agit-il de propositions de décors éphémères pour des cérémonies ? Ou celles-ci reposent-elles, du moins pour ce qui concerne le décor polychrome, sur l’observation de vestiges aujourd’hui disparus ? Aux médiévistes de répondre. Méritent enfin un commentaire spécial les relevés par Charles Percier du décor des archivoltes de la tribune des reliques. L’architecte signale par une mention manuscrite que ce décor a été modifié depuis l’époque originelle : il observe des fonds bleus et des fonds rouges, les seconds plus anciens que les premiers ; il peint une bordure de rinceaux là ou Duban et Lassus restituent une alternance de fleurs de lys et de châteaux de Castille ; il propose deux modèles de fleurs de lys, lesquels ont été repris dans la restauration de la tribune, de même que le motif du L couronné, ; il reproduit encore des motifs ornementaux dont certains ont été restitués, d’autres, de caractère nettement Renaissance, ne l’ont pas été. Il se dégage une impression générale, au vu des relevés de Percier : le décor de la tribune a été considérablement transformé à la fin du XVe siècle et peut-être même plus tard. Le L couronné, interprété par les restaurateurs comme celui de Saint Louis, pourrait être, en fait, celui de Louis XII. Cette confusion aurait pu conduire ceux-ci à forger un état intermédiaire, fait d’éléments du XIIIe siècle juxtaposés à des motifs Renaissance. Ici encore, une observation sérieuse de l’œuvre de Duban et Lassus se justifierait, voire s’impose.
LA SAINTE-CHAPELLE : UN MONUMENT DU XIXe SIÈCLE ? Si l’on s’en tient à l’importance de l’œuvre du XIXe siècle à la Sainte-Chapelle, il s’avère incontestable que l’édifice et son décor date tout autant du Moyen Âge que du XIXe siècle. La liste des « interpolations », pour reprendre un terme appartenant aux techniques des éditeurs de texte, est considérable, elle reste encore insuffisamment dressée : une étude critique est nécessaire. Mais à la différence des éditeurs de textes qui considèrent les interpolations comme des « pollutions » qui portent atteinte à la pureté originelle du texte, il faut au contraire s’habituer à considérer les interventions du XIXe siècle
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comme des enrichissements du monument initial : à la Sainte-Chapelle, la qualité des restaurations atteint le niveau du chef d’œuvre. Ceci étant, le XIXe siècle n’a pas réussi à rendre à l’édifice la vocation monumentale qui était la sienne sous l’Ancien Régime. La SainteChapelle accompagnait les fastes de la vie monarchique, au même titre que Saint-Denis et la cathédrale de Reims, elle était, en outre, le lieu de culte privilégié du Parlement de Paris : c’est là que se déroulaient la plupart des cérémonies religieuses qui ponctuaient le calendrier judiciaire. La Seconde République entreprit de rendre à la chapelle restaurée une fonction d’importance dans le cadre des institutions : à partir de 1849, on y célébra la messe solennelle pour la commémoration de l’institution de la magistrature. L’entreprise resta sans lendemain : le peu de crédits accordés à Boeswillwald pour achever la restauration de la chapelle basse et, notamment des décors de celleci (ill. 5), les luttes religieuses, la volonté sinon de supprimer le Concordat, du moins de le borner en d’étroites limites, conduisirent à retirer à la Sainte-Chapelle la seule fonction commémorative qui lui avait été confiée. Elle acquit tout de même une valeur de symbole suffisante pour que les Communards entreprissent de l’incendier à l’instar du Conseil d’État, de la cour des comptes, de l’Hôtel de Ville et du Palais de Justice : sans succès. Par la suite, elle dut se contenter de jouer, grâce à sa haute flèche, le rôle de signal urbain, puis de produit touristique de masse.
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fig. 1 : Boeswillwald Émile (1815-1896), Sainte-Chapelle, chapelle haute, relevé aquarellé, 1845, Paris, Arch. Monuments historiques.
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fig. 2 : Boeswillwald Émile (1815-1896), Sainte-Chapelle, chapelle haute, relevé aquarellé, 1845, Paris, Arch. Monuments historiques.
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fig. 3 : Duban Félix (1798-1870), Lassus JeanBaptiste (1807-1847), Sainte-Chapelle, lustre pour la cérémonie de l’investiture, février 1848, Paris, Arch. Monuments historiques.
fig. 4 : Duban Félix (1798-1870), Lassus Jean-Baptiste (1807-1847), Sainte-Chapelle, stalles, décor pour la cérémonie de l’investiture, février 1848, Paris, Arch. Monuments historiques.
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fig. 5 : Boeswillwald Émile (1815-1896), Sainte-Chapelle, chapelle haute, relevé aquarellé, s.d., Paris, Arch. Monuments historiques. (Figs. 1-5 photos : J.-M. Leniaud)
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LA ROSE DE LA SAINTE-CHAPELLE ET SA RECONSTRUCTION Françoise PERROT
L’Apocalypse marque le point d’aboutissement du programme développé dans les vitraux de la chapelle haute, qui doit être sommairement rappelé ici.1 Dans les quatre baies à quatre lancettes au nord et au sud de la nef et, à l’entrée du chœur, dans les deux premières baies à deux lancettes, l’histoire du peuple élu est racontée depuis la Genèse jusqu’au livre des Rois que prolonge « naturellement » celle de leur lointain successeur, Louis IX, commanditaire de la chapelle, qui s’est illustré par l’achat de reliques insignes de la Passion.2 Dans l’abside, autour de l’autel et, à partir des années 1260, de la tribune des reliques, les baies accueillent la Passion du Christ et le récit de son Enfance, enchâssées au coeur d’un cycle prophétique qui inclut les deux derniers prophètes, Jean-Baptiste et Jean l’Évangéliste, le prophète de l’Apocalypse. La place de la rose de l’Apocalypse dans cet ensemble n’a pas encore reçu toute l’attention qu’elle mérite, sans doute parce que, du fait de sa refection à la fin du XVe siècle, son style plus moderne tranche avec celui du XIIIe siècle et ne la relie pas visuellement au reste de la vitrerie. Or, au XIIIe siècle, l’Apocalypse offre encore une image allégorique de l’Église, envisagée dans son long cheminement depuis son avènement jusqu’au retour du Christ, à travers bien des tribulations. Comme l’a bien résumé Y. Christe, « c’est une image de l’Église pérégrinante, toujours menacée, en lutte pour conserver son intégrité ».3 1 Pour une nouvelle appréciation du programme de la vitrerie dans son ensemble, voir en dernier lieu F. PERROT in : J.-M. LENIAUD et F. PERROT, La Sainte-Chapelle, Paris, 1992, p. 127 sq. [nouvelle édition révisée, 2007]. Les études en cours autour d’Y. Christe ont fait ressortir les liens iconographiques entre la plupart des verrières et les Bibles moralisées : c’est, en partie, la raison de ce colloque ; on se reportera donc aux Actes pour la bibliographie sur ce sujet. 2 Le contenu du trésor de la Sainte-Chapelle vient d’être reconsidéré par J. DURAND dans le catalogue de l’exposition Le trésor de la Sainte-Chapelle, Paris (Musée du Louvre), 2001. Il est regrettable, cependant, que cet ouvrage n’ait pas mieux établi le lien avec l’architecture de la chapelle et le programme qui l’accompagne. 3 Y. CHRISTE in : Apocalypse de Jean, fac-simile du ms. Douce 180 conservé à la Bodleian Library d’Oxford, accompagné de la traduction en français et d’une étude de Jean Grosjean avec des commentaires d’Yves Christe et de Montague Rhodes James, Paris, 1981, p. 65–80.
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Or, au moment où s’élève la Sainte-Chapelle, le roi s’apprête à se lancer dans la lutte contre les Infidèles, pour la défense de l’Église dont lui, vicarius Dei, est reconnu comme le principal soutien. Ainsi l’exposé apocalyptique prolonge-t-il la verrière consacrée au roi vivant – la dernière de la nef au sud, proche de la façade – qui, en assurant la sauvegarde des principales reliques de la Passion, fait non seulement acte de piété, mais se présente comme le serviteur de l’Église. On comprend mieux ainsi qu’une rose illustrant l’Apocalypse ait clôturé le cycle iconographique de la chapelle haute. Celle que l’on voit actuellement a été reconstruite après le 15 janvier 1485. Suivant les termes de Henri Stein, « le 15 janvier 1485, le roi ordonne de faire payer au chapitre tout ce qui peut lui être dû des rentes sur le domaine, afin d’employer ces sommes aux réparations devenues tellement nécessaires ».4 La restauration a repris l’iconographie précédente, ce qui n’a rien que de très habituel. La peinture murale offre de très nombreux exemples de cette pratique qui consiste à rajeunir une image, sans modifier son contenu iconographique. Le programme sculpté peut également faire l’objet de restaurations, voire de reconstructions, qui maintiennent les principaux sujets – par exemple à la façade occidentale de la cathédrale de Bourges.5 En matière de vitrail, les roses du transept d’Angers illustrent ce genre de pratique. Les documents conservés pour les années 1451 et 1452 montrent que le verrier Robin André a été chargé de refaire les vitraux « comme autre foiz a esté », c’est-à-dire en respectant les sujets initialement traités, le Jugement dernier au nord et l’Apocalypse au sud – même si ce respect n’a pas empêché quelques modifications. Dans le cas angevin, la maçonnerie des années 1240 a été maintenue.6 À la Sainte-Chapelle de Paris, non seulement les panneaux de vitraux ont été refaits à neuf, mais aussi la maçonnerie : le réseau flambloyant tranche aussi nettement que la peinture sur verre avec le
4 H. STEIN, Le Palais de Justice et la Sainte-Chapelle de Paris, Paris, 1912, p. 121–122 (avec indication des sources). 5 Pour le maintien et les modifications des principaux thèmes dans les portails, voir L. BRUGGER, La façade de Saint-Étienne de Bourges. Le Midrash comme fondement du message chrétien, Poitiers, 2000, en particulier p. 55–74. Sur les modalités du chantier, voir É. HAMON, « La cathédrale de Bourges : bâtir un portail sculpté à l’époque flamboyante », Revue de l’art, 138, 2002–4, p. 19–30. 6 Chanoine URSEAU, « Quelques détails de la rose du croisillon nord de la cathédrale d’Angers », Réunion des sociétés des beaux-arts des départements, 1912, p. 3–9 (reproduction du marché passé pour la réfection des deux roses) ; L. GRODECKI et J. HAYWARD, « Les vitraux de la cathédrale d’Angers », Bulletin monumental, 124–1, 1966, p. 53 sq.
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reste du décor. Ce sont les modalités de la construction de cette nouvelle rose que l’on examinera d’abord. Pour tenter de cerner la composition initiale, dont il sera question plus loin, je me suis d’abord demandé si la restauration de la fin du XVe siècle n’avait pas conservé, et donc réutilisé, des éléments de l’œuvre primitive. En effet, Jean Lafond7 avait noté au passage le caractère archaïque de l’oculus au centre de la rose flamboyante telle qu’il se présente actuellement : une ouverture circulaire à six redents, comparable a priori avec celle des roses du XIIIe s. Cette remarque m’a conduite à un examen plus attentif de la rose actuelle et de son insertion dans la façade. C’est le résultat de ces observations que je présente ici.
LA STRUCTURE OCCIDENTALE DE LA SAINTE-CHAPELLE, VUE DE L’EXTÉRIEUR La façade proprement dite est précédée d’un porche à deux niveaux de circulation : au rez-de-chaussée, il conduit directement à la chapelle basse ; au premier étage, la terrasse couverte qui prend appui sur le rez-de-chaussée, permet l’accès à la chapelle haute par une grande porte à doubles battants de part et d’autre d’un trumeau. Jusqu’au XVIIe siècle, époque de grands changements dans l’organisation du palais de la Cité, cet espace relativement protégé, délimité par une balustrade, constituait, en quelque sorte un nœud de communication : d’abord avec le palais royal, au nord-ouest, mais aussi avec la cour sud par un escalier, au moins depuis le temps de Louis XII, disparu.8 La sommet de ce porche est traité en terrasse ouverte, qui n’est pas destinée à la circulation courante, bien qu’elle soit couronnée d’une balustrade semblable à celle de l’étage inférieur.9 Sur sa face ouest, cette structure tripartite suit les dispositions de la chapelle basse – un vaisseau central entre deux collatéraux très étroits. Cette structure, en avant de la façade, a bel et bien une fonction architectonique qui n’a pas été soulignée jusqu’ici : renforcée à cha7
J. LAFOND, in : Les vitraux de Notre-Dame et de la Sainte-Chapelle de Paris (CVMA, France I), Paris, 1959, p. 313. 8 Sur les différentes modifications et sur le problème de l’accès à la chapelle haute, voir LENIAUD et PERROT, La Sainte-Chapelle... (op. cit. n. 1), p. 26–27. À noter la trace d’une ouverture (une porte ?) donnant vers l’extérieur, dans la tourelle sud, et qui a été bouchée à une époque indéterminée. 9 Tous ces éléments ont subi des restaurations au cours des temps.
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cun des angles nord-ouest et sud-ouest par trois contreforts arrêtés au niveau de la terrasse supérieure, elle assure le contrebuttement de l’édifice sur son côté ouest. En effet, la maçonnerie du porche inclut latéralement les deux contreforts principaux directement liés à la façade, qui ne deviennent visibles qu’au-dessus de la seconde terrasse. Par ailleurs, ces grands contreforts sont imbriqués avec les tourelles d’escalier octogonales qui encadrent la façade et jouent, elles, le même rôle que les contreforts soutenant la nef ; du reste, les faces nord et sud de ces tourelles, sur les deux-tiers de leur hauteur avant le comble, comportent les mêmes importants ressauts10 que les autres contreforts latéraux qui étayent la nef sur ses deux étages ; le décor change au-dessus d’un petit gâble situé au niveau des grandes fenêtres. Au-dessus du porche, le mur de façade est directement visible sur ses deux derniers niveaux : celui de la rose, surmontée du pignon. La rose au réseau flamboyant s’insère entre les deux grands contreforts occidentaux. Quant au pignon, ajouré d’une rose secondaire, il est partiellement masqué par la balustrade qui se situe dans le prolongement de celle qui couronne l’ensemble de l’édifice à la base du toit. Après avoir décrit la structure occidentale de la Chapelle, attardons-nous maintenant sur son décor. Sur le réseau flamboyant de la rose et ses prolongements dans les écoinçons du mur aveugle, nous aurons l’occasion de revenir. Voyons d’abord le décor des tourelles d’escalier. Deux pans de chaque octogone sont percés de meurtrières qui assurent l’éclairage de l’escalier. Jusqu’aux deux-tiers environ de la hauteur avant le comble, la nudité du mur n’est interrompue que par les corniches qui marquent les différents niveaux de la structure (la base des fenêtres de la chapelle basse ; le sol de la chapelle haute, où une corniche plus importante surmonte une frise sculptée, qui ceinture également le porche ; la base des fenêtres de la chapelle haute) – sauf sur la face traitée en contrefort. Dans la partie haute, entre le sommet du petit gâble coiffant ce contrefort et la balustrade située au niveau du pignon, des arcs en tiers-point reposant sur des colonnettes en délit et garnies de petits chapiteaux à crochets ornent chaque pan des tourelles ; la hauteur des colonnettes est partagée en deux niveaux par des corniches assez minces correspondant aux ressauts des contreforts latéraux, qui impriment leur rythme à l’épiderme de tout l’édifice. Au-dessus de la balustrade, les tourelles se prolongent par un niveau proche de celui qui 10
Ceci se voit mieux du côté sud, le côté nord étant englobé dans le palais de justice.
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vient d’être décrit : les colonnettes en délit montent jusqu’à une corniche garnie d’un feuillage sculpté du même type que celui déjà signalé à la jonction entre chapelle basse et chapelle haute. La nature de ce décor montre que, jusqu’à ce niveau, les tourelles appartiennent à la construction du XIIIe siècle. Le même constat s’applique au pignon triangulaire, qui a résisté aux différents incendies de la toiture, où trois médaillons en forme de carrés quadrilobés aveugles entourent une rose, au centre, ajourée pour l’aération des combles ; le dessin de ces roses appartient au XIIIe s.11 En revanche, le traitement change avec le dernier niveau des tourelles et leur toiture qui encadrent le pignon : les arcatures aveugles relèvent du décor flamboyant (arcs en accolade reposant sur des petites piles à base prismatique prises dans la maçonnerie ; crochets sur les arêtes de la toiture). Ceci relève manifestement de la campagne de travaux qui a vu la réfection de la rose. Son réseau flamboyant a été analysé par E. Viollet le Duc dans son Dictionnaire ;12 la sculpture qui garnit la gorge entourant l’ouverture renvoie également au répertoire flamboyant (feuilles de chou frisé avec petits animaux), tout comme le prolongement aveugle du remplage. Mais, il faut surtout souligner le fait qu’elle est construite en avant du pignon dont nous venons de parler et qu’ainsi, elle prend appui sur la terrasse qui coiffe le porche. La maçonnerie du mur où est insérée la rose est appuyée contre les contreforts du XIIIe s., et non pas construite en prolongement de ceux-ci : la « couture » du mortier est clairement visible entre le mur de la fin du XVe siècle et les contreforts.
LA FAÇADE OCCIDENTALE DE LA CHAPELLE HAUTE VUE DE L’INTÉRIEUR À la partie inférieure du mur, une haute arcade trilobée reproduit la partition en coupe latérale de la chapelle basse (vaisseau central 11
Le remplage de la rose centrale ne me paraît pas entièrement d’origine, mais les trois quadrilobes le sont. Les rampants du gâble sont garnis de crochets refaits pour la plupart pendant la grande restauration du XIXe s., mais renvoient au vocabulaire de l’art rayonnant. Les vues anciennes de la chapelle montrent ces dispositions (voir LENIAUD et PERROT, La Sainte-Chapelle (op. cit. n. 1), p. 17 et 26–27 en particulier). 12 E. VIOLLET-LE-DUC, Dictionnaire raisonné de l’architecture française, t. VIII, Paris, 1866, p. 62–64.
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entre deux collatéraux très étroits), avec ouverture centrale pour la porte déjà décrite. À cet emplacement se sont succédé plusieurs orgues depuis le XIIIe et jusqu’au XVIIIe siècle dont les installations successives ont endommagé le décor peint d’origine – tout comme les verrières latérales. Le décor sculpté qui surmonte l’arcade précitée, est sommé d’une balustrade ajourée, à motifs trilobés, qui fait retour sur les murs nord et sud – l’étendue de la restauration est difficile à apprécier à cause de la peinture qui date, elle, du XIXe siècle. Il est bien clair que la maçonnerie incluant la rose n’est pas sur le même plan que le mur intérieur : un espace existe entre l’arc doubleau ouvrant sur la chapelle et le mur occidental, qu’il est possible de mesurer précisément en se plaçant à l’étage, dans le passage ménagé derrière la balustrade déjà signalée. Entre le formeret extérieur au doubleau primitif et le plan du remplage de la rose en place, la profondeur est de 0,91 m. Des observations complémentaires ont été faites en compagnie de M. Alain Baudu13, assistant de l’architecte-en-chef des monuments historiques Alain-Charles Perrot : les tirants métalliques qui ceinturent la chapelle haute au niveau des amortissements des verrières ont été prolongés vers l’ouest, tant du côté nord que du côté sud ; dans l’espace en avant de la rose actuelle, un autre tirant a été placé transversalement entre les tourelles nord et sud, dont l’ancrage est visible dans les tourelles elles-mêmes. Enfin, malgré la peinture, il est possible de repérer sur le mur nord, en lumière frisante, les modifications du harpage : une sorte de « couture » verticale apparaît entre le mur du XIIIe et celui du XVe siècle. Dernière remarque concernant la rose elle-même : l’oculus est légèrement décentré vers le sud.14 Une autre observation n’a pas trouvé d’explication. Il s’agit d’un décrochement vers le sud, dans la voussure qui surmonte la rose ; peut-être correspondait-il à un élément qui aurait dépassé de la première façade. Remarques depuis le comble : les trous pratiqués dans les voûtes et chemisés de bois pour passer les cordes, qui permettaient l’usage des paniers à partir desquels on entretenait les vitraux15, se voient 13
Qu’il soit vivement remercié pour sa compétence et sa patience. Entre les murs nord et sud, la distance mesure 10,13 m ; du centre de la rose vers le sud, la distance est de 5,020 m alors qu’elle est de 5,115 m vers le nord. 15 La dernière utilisation à la Sainte-Chapelle remonte à 1839 (Paris, Médiathèque du Patrimoine, Archives de la commission des monuments historiques, dossier 2088). Cf. F. PERROT, « Des verriers à la corbeille ? », Dossiers Science et Vie, 69, juin 2002, p. 58–60. 14
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devant chacune des baies, y compris devant l’emplacement de l’ancienne rose. À partir de ces différentes séries d’observation, il est permis de formuler une hypothèse : quand, après 1485, la reconstruction de la rose a été entreprise, l’ancienne rose avait été laissée en place ; bien que « menaçant ruine », sa présence laissait l’espace de la chapelle haute intact et permettait donc le maintien de la liturgie. En effet, les travaux pouvaient ainsi se passer à l’extérieur du volume de la chapelle, en utilisant le toit de la terrasse signalée plus haut comme relais auquel une petite porte inscrite dans l’angle nord de la nouvelle rose donnait accès ; l’ancien ouvrage a dû être démoli après l’achèvement de la nouvelle rose et les matériaux de démolition sortis par cette même porte. Pour en quelque sorte « visualiser » ce que dut être le chantier pendant la réalisation, on peut se transporter dans le transept de la cathédrale de Laon. Rappelons d’abord que, au cours du premier tiers du XIVe siècle, le mur sud fut percé, en partie basse, d’un portail facilitant la communication avec le quartier canonial et, au-dessus, d’une vaste fenêtre à six lancettes surmontées d’une rose. Dans le bras nord, le portail existait déjà16, mais le montage d’une baie en pendant à celle du sud fut envisagé, mais n’aboutit pas. Pourtant les travaux avaient débuté et, avec une avance d’un siècle et demi environ sur le chantier de la Sainte-Chapelle de Paris, fournissent un point de comparaison intéressant, à ceci près qu’à Laon, les travaux avaient lieu à l’intérieur de l’édifice. En effet, les constructeurs ont mis à profit la tribune découverte qui ceinture entièrement le transept, vers l’intérieur, et, prenant appui sur elle, ont monté le jambage occidental (c’est-à-dire à gauche pour le spectateur) de la future ouverture en avant de la rose et des lancettes du XIIe siècle17.
LA COMPARAISON AVEC LES MONUMENTS VOISINS ET CONTEMPORAINS Des observations précédentes, il ressort également que la forme et les dimensions de la rose d’origine pourront, avec des prises de mesure 16
Depuis la deuxième campagne de reconstruction, pour permettre l’accès à la cathédrale. Voir de X. MASSARY, « La cathédrale [de Laon] : architecture et décor », in : Laon. Une Acropole à la française (=Cahiers du Patrimoine n° 40), Amiens, 1995, p. 273. 17 Ibid., p. 273, 278 et fig. 309.
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précises, être déterminés. Cela nous ramène à notre propos initial : cerner les formes d’origine. Quelques panneaux réemployés donnent des formes, comme des trilobes. Cette partie de l’étude est à poursuivre18. La rose est une composante importante dans l’architecture du XIIIe siècle19. À l’époque de la construction de la Sainte-Chapelle, les exemples sont nombreux en Ile-de-France et sur ses marges. Il serait intéressant de recenser très précisément les chantiers royaux, ceux auxquels le roi s’est intéressé personnellement20. Le Nain de Tillemont a bien montré l’intérêt marqué par Louis IX pour les constructions qu’il a commanditées, à commencer par Royaumont. Malheureusement, les destructions ont été nombreuses, qui auraient pu fournir des éléments de comparaison pour le monument qui nous occupe. Cependant, tout en gardant en mémoire l’importance des lacunes, il est possible d’évoquer un chantier à la fois contemporain et voisin de la Sainte-Chapelle, celui de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Dans la décennie 1240–1250, les chapelles qui doublent les bas-côtés de la nef, puis celles du chœur sont terminées ; la travée prolongeant le bras nord du transept est en cours de construction par Jean de Chelles depuis 1245 environ21 ; le 12 février 1258 commencent les travaux pour la travée symétrique au sud, achevés par Pierre de Montreuil.22 Dans son Traité des louanges de Paris (1323), Jean de Jandun s’extasie : « ...Ce n’est pas tout : dites-moi dans quelle église je verrai une croix d’une pareille grandeur, dont un bras sépare le chœur de la nef. Enfin l’on me ferait plaisir de me dire où je pourrais voir deux semblables roses se faisant face mutuellement en ligne droite, roses auxquelles la ressemblance a fait donner le nom de la quatrième voyelle ».23
18 Entamée par F. PERROT, « Prolégomènes à l’étude de la rose de la Sainte-Chapelle : les panneaux du XIIIe siècle », in : Iconographica. Mélanges offerts à Piotr Skubiszewski, éd. R. FAVREAU et M.-H. DEBIÈS, Poitiers, 1999, p. 183–186. 19 Voir l’article « Rose », dans VIOLLET-LE-DUC, Dictionnaire... (op. cit. n. 12). 20 Voir en particulier R. BRANNER, St Louis and the Court Style in Gothic Architecture, Londres, 1965. 21 Voir D. KIMPEL et R. SUCKALE, L’Architecture gothique en France 1130–1270, Paris, 1990, p. 400 sq. 22 P. KURMANN, « Un Colosse aux pieds d’argile. La chronologie de la sculpture française du XIIIe siècle repose-t-elle sur des dates assurées ? », in : Épigraphie et iconographie, Actes du colloque tenu à Poitiers les 5–8 octobre 1995, Poitiers, 1996, p. 146–147. 23 Texte édité par de LE ROUX DE LINCY, Paris, 1846, p. 46 sq.
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Or, il me semble qu’un examen attentif de la façade nord du transept fait ressortir des affinités avec la Sainte-Chapelle24 – malgré les restaurations. C’est d’abord, à l’extérieur, la superposition des plans qui font de la façade de Notre-Dame la première façade écran. Toutes proportions gardées, cette manière de laisser voir ce qui se passe en arrière, à travers des éléments décoratifs ajourés se trouvait déjà à la SainteChapelle. Ainsi sur le pignon du XIIIe siècle (mentionné plus haut), les carrés quadrilobés aveugles sont traités en relief, comme en avant du mur ; le même traitement se retrouve sur les tourelles d’escalier dans les niveaux qui appartiennent encore au XIIIe siècle.25 Tout ceci participe à un allègement visuel du monument. À Notre-Dame de Paris, le revers de la façade nord (à l’intérieur donc), au niveau du portail, présente des fenestrages aveugles proches de ceux de la Sainte-Chapelle : deux baies à quatre lancettes groupées deux par deux avec un quadrilobe surmontées d’un tympan encadrent un fenestrage curviligne. Les proportions plus élancées, les tympans en tiers-point diffèrent de la Sainte-Chapelle, cependant il est permis de se demander si Jean de Chelles ne s’est pas inspiré de ce qu’il a vu sur le chantier voisin. Dernier point de comparaison : la statue de la Vierge du portail de Notre-Dame est la seule ancienne de toute la statuaire des trumeaux de la cathédrale. Les proportions sont particulières, avec un buste bien réduit par rapport à la partie du corps qui va de la peinture jusqu’aux pieds ; le déhanchement est encore peu accentué ; le drapé forme des becs débordants sans excès. Or ces différentes remarques s’appliquent tout autant à la Vierge qui ornait le trumeau de la chapelle basse.26 Là encore les similitudes n’excluent pas les différences sensibles en particulier dans le traitement des visages.
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Viollet le Duc pensait que la rose ouest de la Sainte-Chapelle de Saint-Germer-de-Fly reproduisait le tracé de celle de la Sainte-Chapelle de Paris. En rapportant cette remarque, J. Lafond souligne que la rose de Saint-Germer, construite vers 1260, « dérive en ligne directe de la rose nord de Notre-Dame de Paris » (LAFOND, Les vitraux... (op. cit. n. 7, p. 313 n. 3). 25 Dans ma communication, j’avais fait allusion à la balustrade qui court à la base du toit : ayant eu l’occasion de remonter dans le comble, j’ai pu remarquer, avec M. Baudu, que les murs latéraux et de l’abside avaient été rehaussés sur une hauteur correspondant à deux, voire trois assises de pierres à une époque restant à déterminer. La balustrade n’est donc plus celle d’origine et ne saurait être invoquée ici. 26 Si l’on admet qu’il s’agit bien de celle conservée actuellement chez les Assomptionnistes – le buste de l’Enfant est refait.
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Il est intéressant de noter que les affinités ainsi mises en avant entre la Sainte-Chapelle et la façade nord de Notre-Dame sont sans équivalent avec la façade sud, où la modénature est traitée avec plus de relief dans chaque plan, plus de recherche dans la sculpture décorative, un autre rythme. Enfin, je souhaiterais verser deux séries d’observations à ce dossier dont l’objet est, rappelons-le, de retrouver le dessin de la rose du XIIIe s. – quête qui n’est pas dénuée d’une dose certaine d’utopie... Pour ce faire, deux types de documents peuvent être invoqués : les représentations de la façade occidentale de la chapelle avant 1485 et les comparaisons avec les oeuvres voisines et contemporaines. Les documents antérieurs à 1485 représentant la façade occidentale de la Chapelle - Les Très riches Heures du duc de Berry (Chantilly, Musée Condé), fol. 6 v° : le mois de juin, dans le calendrier. Le Palais de la Cité apparaît derrière le mur d’enceinte, avec la Sainte-Chapelle sur la droite. La rose apparaît au-dessus de la balustrade qui ferme la terrasse surmontant le porche de la chapelle basse, enserrée entre les contreforts qui contrebuttent la façade. Elle comporte huit grands fuseaux subdivisés par un léger meneau central, qui prennent appui contre les quadrilobes à l’extrémité des fuseaux, et est inscrite dans un grand carré, percé de quatre petits écoinçons, sur lequel repose la balustrade en avant du pignon orné d’une petite rose, au centre, accompagnée de trois éléments aveugles dans les angles. Les détails multipliés dans le rendu des bâtiments composant le palais donnent une certaine crédibilité à cette représentation. Cette partie de la page du calendrier, attribuée aux Limbourg, est antérieure à 1416. - Les Heures d’Étienne Chevalier (Chantilly, Musée Condé), Heures de la Croix : Portement de croix (n° 16). La partie droite de l’île de la Cité forme le fond de la scène, avec les deux derniers étages de la façade occidentale de la Chapelle. La rose, inscrite dans un carré complété par deux ajours dans les écoinçons supérieurs, présente vingt deux fuseaux autour d’un centre étrésillonné. Le pignon est traité comme dans les Très riches Heures, les quadrilobes aveugles étant mieux détaillés et les contreforts de façade enserrant l’ensemble. Ces enluminures de Jean Fouquet sont datées par les savants de la période 1452–1460.
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- Jean Froissart, Chroniques (Londres, British Library, Harl. ms. 4379, fol. 3 : Entrée de la reine Isabeau de Bavière à Paris).27 Cette vue de la Cité, datée de la seconde moitié du XVe siècle, réunit plusieurs monuments importants, dont les façades occidentales de la Sainte-Chapelle et de la cathédrale Notre-Dame. Ce document, qui m’avait paru au premier abord, plus fidèle que les précédents, est en fait plus stéréotypé. En ce qui concerne la Chapelle, les proportions entre le pignon et la rose sont probablement moins proches de la réalité ; j’avais fondé quelques espoirs sur la représentation de la rose elle-même, avec ses fuseaux aboutissant à des médaillons (quadrilobés ?), jusqu’à ce que je m’aperçoive que le même poncif se retrouvait pour rendre le haut de la rose ouest de Notre-Dame, qui ne correspond en rien à ce qui est conservé. En revanche, le peintre rejoint ses prédécesseurs dans la figuration de la rose enserrée entre les contreforts de façade. Ces documents n’ont bien entendu qu’une valeur relative. S’ils n’apportent pas de précision sur le dessin exact du remplage, en particulier sur le nombre de compartiments, ils concordent sur deux points : l’insertion de l’étage de la rose entre les contreforts de la façade et sa liaison avec le pignon. D’autres types d’objet pourraient avoir valeur documentaire, par exemple l’orfèvrerie. La châsse de Nivelles – ou plutôt ce qui en est conservé – montre sur un pignon une rose dont les ajours forment une alternance de trilobes et de quadrilobes qui pourrait être aussi un reflet de ce qu’a été la première rose de la Sainte-Chapelle.28 Ces indications ne sont que des éléments apportés à un dossier complexe auquel le regard des historiens de l’architecture gothique devrait apporter une aide importante et… attendue. Post scriptum : La recherche d’images susceptibles de donner des indications sur la composition de la rose du XIIIe siècle ne peut être qu’aléatoire tant les documents figurés, tels que les livres illustrés par exemple, sont nombreux. Je viens seulement de prendre connaissance d’une page d’un Missel, conservé à la Bibliothèque Mazarine (ms. 406, fol. 7). La scène, inachevée, montre le dauphin Louis de Guyenne assistant à une messe à la Sainte-Chapelle : le dessin semble d’une précision quasi archéologique, comme le fait remarquer Inès VillelaPetit (Le Bréviaire de Châteauroux, Paris-Châteauroux 2003, p. 22–24). 27 Cf. M. WHITELEY, « Deux vues de l’hôtel royal de Saint-Pol », Revue de l’art, 128, 2000– 2, p. 49–53. 28 Voir en dernier lieu le catalogue de l’exposition Les rois maudits. L’art au temps de Philippe le Bel et de ses fils, Paris, 1999, n° 117.
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La rose apparaît au-dessus des portes ouvertes, partiellement cachée par l’orgue, avec plusieurs fuseaux rayonnant à partir de l’oculus central et des trilobes entre les extrémités. Cette représentation a particulièrement retenu mon attention, à cause de ces trilobes qui correspondent à un panneau conservé. L’inachèvement du dessin le rend difficile à lire, car l’écriture au recto est trop présente. Dès que cela sera possible, un examen en laboratoire sera tenté.
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fig. 1 : Paris, Sainte-Chapelle, extérieur : les hachures marquent les interventions sur la façade occidentale postérieures à 1485. Ce qui n’est pas hachuré correspond à la campagne du XIIIe s. (Photo : Peter Kurmann).
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fig. 2 : Paris, Sainte-Chapelle, Côté droit de la rose, avec décor sculpté flamboyant (Photo : Françoise Perrot).
fig. 3 : Paris, Sainte-Chapelle, Le remplage de la rose flamboyante (à droite sur le cliché) est lié au contrefort du XIIIe s. (à gauche) par un joint de mortier continu (Photo : Françoise Perrot).
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LA SAINTE-CHAPELLE DU MOYEN ÂGE À LA LUMIÈRE DES ARCHIVES DE LA RESTAURATION : PROBLÈMES ET SOLUTIONS1 Meredith COHEN
Loin de briller dans toute la splendeur de son état original, la Sainte-Chapelle de Paris surgit du passé comme une mosaïque de formes diverses datant de siècles différents. Des études récentes ont révélé les modifications apportées au XIXe siècle à l’architecture, aux vitraux ainsi qu’aux médaillons peints, mais les médiévistes ne sont pas encore parvenus à déterminer exactement ce qui subsiste de la sculpture du treizième siècle.2 L’identification de ces éléments apportera une contribution décisive à l’élaboration du corpus de l’art médiéval et nous donnera des renseignements importants sur les sources et les techniques des sculpteurs et des maçons qui ont travaillé à la Sainte-Chapelle.3 L’analyse visuelle qui représente la méthode traditionnelle d’identification dans le domaine de l’art, ne permet pas de résoudre ce problème étant donné qu’il est presque impossible de distinguer la sculpture du XIXe siècle de celle du XIIIe en raison de l’épaisse cou1 Je suis très reconnaissante à M. Peter Kurmann de m’avoir invitée à joindre ce travail au sien après une discussion sur le sujet dans le cadre du colloque et après une visite sur le site de la Sainte-Chapelle. De plus, je tiens à remercier M. Jean-Michel Leniaud pour m’avoir fait partager ses connaissances magistrales sur ce sujet et pour les observations judicieuses qu’il a faites à propos de cet article. 2 Voir J.-M. LENIAUD, Jean-Baptiste Lassus (1807–1857) ou le temps retrouvé des cathédrales, Paris-Genève, 1980 ; R. ECHT, « Émile Boeswillwald als Denkmalpfleger. Untersuchungen zu Problemen und Methoden der französischen Denkmalpflege im 19. Jahrhundert », Saarbrücker Beiträge zur Altertumskunde, 39, 1984, p. 87–96, 199–212 ; J.-M. LENIAUD et F. PERROT, La Sainte-Chapelle, Paris, 1991 ; J.-M. LENIAUD, « J.-M., Félix Duban, architecte de la Sainte-Chapelle », in : Félix Duban, Les couleurs de l’architecte, S. B. e. F. HAMON (éd.), Paris, 1996 ; F. P. CHAPPEY, De Plâtre et de l’Or. Geoffroy Dechaume (1816–1892) Sculpteur romantique de Viollet-le-Duc, Paris, 1998 ; A. JORDAN, « Rationalizing the Narrative : Theory and Practice in the Nineteenth-Century Restoration of the Windows of the Sainte-Chapelle », Gesta, 37 :2, 1998, p. 192–200. J. MAIREY, « Les médaillons de la Sainte-Chapelle : restaurations et techniques », Livraisons d’histoire de l’architecture, 1, 2001, p. 75–88. 3 Le premier chapitre et le premier appendice de ma thèse élaborent ce thème avec plus de détails qui l’est ici. Voir M. COHEN, The Sainte-Chapelle of Paris : Image of Authority and Locus of Identity, thèse de doctorat, Columbia University, 2004.
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che de polychromie qui recouvre l’intérieur du bâtiment. De plus, les restaurateurs ont travaillé dans le style du treizième siècle, ce qui rend l’identification des originaux encore plus difficile et incertaine. La pertinence de l’analyse visuelle étant ainsi remise en question, le recours à des sources écrites semble plus fiable que l’observation. C’est pour cette raison que les médiévistes se tournent de plus en plus vers les archives des restaurations du XIXe siècle pour savoir ce qui a été refait à cette époque.4 Les résultats de l’étude de ces documents ont bien montré à quel point il est nécessaire de s’y référer avant d’entreprendre toute analyse visuelle ou archéologique d’un bâtiment du Moyen Âge. Mais les archives des restaurations offrent-elles systématiquement des renseignements nouveaux sur le Moyen Âge ou bien se contentent-elles d’accorder plus d’autorité à nos observations ? Leurs écrits ne jouent-ils pas le même rôle que les tituli des tympans et des vitraux médiévaux dont la présence se justifie parfois plus par le pouvoir du mot que par leur efficacité sur le plan didactique ? Cet essai met en lumière les problèmes qui se posent lors de l’identification d’éléments médiévaux et les solutions que proposent les archives et surtout, il présente un document-clé concernant la restauration de la sculpture de l’intérieur de la Sainte-Chapelle (voir appendice). La restauration de la Sainte-Chapelle a débuté officiellement en 1836, lorsque Félix Duban fut nommé architecte en chef et JeanBaptiste Lassus premier inspecteur.5 Les travaux n’ont réellement commencé qu’en 1841, après que les premières sommes importantes avaient été versées par le Ministère des Travaux Publics, même s’il s’avère que les restaurateurs ont fait quelques interventions sur la chapelle avant cette date.6 Grâce à des fonds généreux, la restauration a avancé très rapidement au début, à l’intérieur comme à l’extérieur. On dispose déjà d’une chronologie détaillée pour la période allant de 1836 à 1857, soit jusqu’à la mort de Lassus.7 Émile Boeswillwald est entré en fonction en 1857.8 En 1872, Paul Boeswillwald, fils 4 Notamment, C. A. BRUZELIUS, The 13th-century church at Saint-Denis, New Haven et Londres, 1986 ; P. BLUM, Early Gothic Saint-Denis : restorations and survivals, Berkeley, 1992. S. MURRAY, « Notre-Dame of Paris and the anticipation of Gothic », Art Bulletin, 80 :2, 1998, 229–253. P. PLAGNIEUX, « Saint-Germain-des-Prés et les débuts de l’architecture gothique », Bulletin monumental, 2000, 1–86 : cette liste n’est pas définitive. 5 LENIAUD, Jean-Baptiste Lassus... (op. cit. n. 1), 191–194. 6 JORDAN, « Rationalizing the Narrative... » (op. cit. n. 1). 7 LENIAUD, Jean-Baptiste Lassus... (op. cit. n. 1), 191–194. 8 Paris, Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine. Arch. Mon. Hist. Sainte-Chapelle. Dossier 2072. En ce qui concerne les travaux d’Émile Boeswillwald et de son fils Paul, l’ouvrage de Rudolf Echt constitue une première approche (op. cit. n. 1).
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d’Émile, a été nommé à son tour architecte en chef pour restaurer à nouveau ce qui avait été endommagé lors de l’incendie du Palais de Justice en 1871.9 Même si les portes de l’édifice se sont ouvertes au public en 1873,10 la restauration de la Sainte-Chapelle ne s’est jamais réellement achevée.11 Le travail du début de la restauration est différent de celui de la fin, tant en ce qui concerne l’ampleur des travaux que leur exécution. Au début des travaux de restauration, en 1836, il n’existait pas de directives officielles concernant ce type de travail, la Commission des Monuments historiques venant d’être constituée.12 Alors que l’historicisme ne jouait aucun rôle à l’époque des restaurations antérieures, les restaurateurs de la Sainte-Chapelle se sont proposés de travailler suivant une méthode qu’ils appelaient « archéologique ». Lors de toute intervention, ils se baseraient en premier lieu sur ce qu’ils trouveraient sur place, sinon les restaurations se feraient dans le style du XIIIe siècle, soit en s’inspirant directement d’ouvrages contemporains de l’édifice en question, soit sur la base de l’étude des architectes savants du Moyen Âge (ce fut surtout l’option choisie par Lassus). Cependant, la méthode « archéologique » a évolué au fur et à mesure que les architectes se succédaient et également suivant l’évolution de la pratique de la restauration en France.13 Dans leur intention de mener une restauration scientifique, les restaurateurs ont tenté de consigner toutes leurs interventions. Les archives de la restauration de la Sainte-Chapelle sont donc considérables. Dans les Archives des Monuments Historiques (à la Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine), il n’existe pas moins de vingtsept cartons d’archives remplis de correspondances, de devis, de rapports et de mémoires, de comptes et d’attachements, ainsi que de plans et de dessins à l’aquarelle, de journaux des travaux, de registres
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Paris, Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine. Arch. Mon. Hist. Sainte-Chapelle. Dossier 2072, par arrêté ministériel du 12 janvier, 1872. 10 Paris, Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine. Arch. Mon. Hist. Sainte-Chapelle. Dossier 2077. 11 Je tiens à remercier J.-M. Leniaud de m’avoir aidée à prendre conscience de ce point. 12 Guizot a créé le poste de premier Inspecteur des monuments historiques en 1830 et Ludovic Vitet en a été le premier titulaire. La Commission des Monuments Historiques n’a été fondée qu’en 1837. Voir F. BERCÉ, Les Premiers Travaux de la Commission des monuments historiques, 1837–1848, Paris, 1979. 13 Les premières directives formulées par la Commission des Monuments historiques ont paru en 1849 sous la forme d’un mémo et la théorie de la restauration de Viollet-le-Duc n’a paru qu’en 1866.
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et de calques des vitraux.14 D’autres documents se trouvent aux Archives Nationales.15 En ce qui concerne le travail du médiéviste, il faut souligner que les archives décrivent seulement les interventions et quelques observations faites lors de la restauration du XIXe siècle et non toutes les modifications effectuées au cours des siècles précédents.16 Or, l’identification d’éléments datant du treizième siècle (ou d’un autre) ne requiert en fait pas la connaissance préalable de ce qui s’est fait au dix-neuvième ou à une autre époque, mais bien une analyse de ce qui n’a pas été modifié au cours des siècles. Les archives de la restauration de la Sainte-Chapelle représentent donc bien une aide pour y parvenir mais leur apport reste limité. Premièrement, les documents présents dans les archives ne sont pas exhaustifs. Des lacunes importantes subsistent concernant la période allant de 1836 à 1840 et les années 1849–1850, date à laquelle Lassus devint architecte en chef. De plus, en ce qui concerne la sculpture, on ne dispose pas de rapports pour les années 1854 et 1855. Après 1863, le volume des archives diminue alors que des bons pour des travaux importants sur la façade de la chapelle haute et l’intérieur apparaissent jusque dans les années 1880.17 On peut de plus se demander d’une part, si tous les travaux réalisés ont été consignés par écrit et d’autre part, si tout ce qui est mentionné a bien été réalisé. Les restaurateurs étaient limités par le budget qui leur était accordé pour ce projet. Pendant les années de Duban, par exemple, le budget et les versements ont été importants, mais à partir
14 Paris, Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine, cotes n. 2066–2068, 80/14/11, 80/14/12, 80/14/13, 80/14/14, 80/14/15, cartes et plans. La Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine dispose de procès verbaux de la Commission des Monuments Historiques dans lesquels on retrouve des discussions sur la Sainte-Chapelle. Voir BERCÉ, Les Premiers Travaux... (op. cit. n. 11). 15 Paris, Archives nationales F.21.1644 (1855), C. 847, C. 858, F.17.3294 (Instruction Publique), F13 528a, F21 (1866). C.R.M.H. Dossier 6655. 16 L’édifice a subi des modifications importantes dès le retour de la Croisade de Louis IX en 1254 et celles-ci se sont poursuivies pendant cinq siècles jusqu’à sa destruction par les révolutionnaires et les réaménagements datant de l’Empire. Voir R. BRANNER, « The Grande Chasse of the Sainte-Chapelle », Gazette des beaux-arts, s. 6, 77, 1971, 5–18. A. WEBER, « Les grandes et les petites statues d’apôtres de la Sainte-Chapelle de Paris : hypothèses de datation et d’interprétation », Bulletin monumental, 155 :2, 1997, 81–101, 180–182. Voir aussi ECHT, « Émile Boeswillwald... » (op. cit. n. 1) ; LENIAUD et PERROT, La Sainte-Chapelle, (op. cit. n. 1). JORDAN (op. cit. n. 2), et M. COHEN, « Restoration as Re-creation at the Sainte-Chapelle, » RES, Journal of Anthropology and Comparative Aesthetics, 48, 2005, 145-164. 17 Paris, Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine. Arch Mon. Hist. Dossier 2087.
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de 1855 le budget a été réduit et Lassus l’a souvent dépassé.18 Il est probable qu’à ce moment l’architecte en chef n’ait pas tout consigné. Mais il est aussi tout à fait possible que les entrepreneurs aient exagéré l’ampleur des travaux effectués. En effet, il semble qu’ils aient majoré le prix de leur travail, sachant que pour finir il serait sensiblement revu à la baisse par le vérificateur à qui incombait la tâche difficile de faire correspondre les réalisations avec les devis et le budget.19 Il faut ajouter que l’exactitude des archives dépend de la mémoire de leur rédacteur, ce qui peut poser des problèmes. En effet, ce que l’on appelle un « mémoire » est souvent une compilation de documents rédigés par des employés de l’entrepreneur et les éléments qui le constituent n’ont parfois été rassemblés que plusieurs mois après les faits. En dépit des efforts fournis pour les rendre aussi complets que possible, le temps et la (dés)organisation ont pu affecter l’exactitude des comptes. À l’occasion de ce colloque, Monsieur Leniaud nous a informé du fait que même Geoffroy-Dechaume avait éprouvé des difficultés à se souvenir des apôtres qu’il avait restaurés. Ceci jus18 Paris, Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine. Arch Mon. Hist. Dossier 2077. Le budget annuel était de100’000 francs à partir de 1841 et était planifié pour une durée de cinq ans. En 1855, il a été réduit de moitié pour l’année fiscale et ramené à 50’000 francs. Il existe une correspondance sur ce point, en particulier une lettre du 12 Mars 1855 concernant les dépenses pour l’année1854. Le Ministre demande que Lassus suspende tous les travaux jusqu’à ce que les entrepreneurs soient payés : « Je vous répète, le point important, c’est la suspension des travaux jusqu’au paiement complet de toutes les dépenses ». 19 Si le budget était fixé pour les cinq premières années à 100.000 francs, le devis ne l’était pas. Le premier devis rédigé en 1839 et qui allait servir pour cinq ans est d’un montant de 460.000 francs et décrit : « […pour la] chapelle haute : la restauration du mur, colonnes, bases, chapiteaux, nervures, clefs et pour pierres, taillés [sic], moulures et épannelages de sculptures : 2200 francs…aux arcatures, la restitution d’un grande partie des colonnettes, bases et chapiteaux, sculptés, la restitution d’une partie des arcades taillés de moulages et des couronnements sculptés (ibid de parties des anges au dessus des arcades, de parties de socle, bases, etc. pour pierres, tailles, moulures, épannelages de sculptures, agrafes, en fer, point : 1500,00francs. » Dossier 2078. Le deuxième devis officiel ne parut qu’en 1844. À propos de la différence entre les devis et l’exécution, de Noue [Ministre] écrit en 1843 : « le devis en état estimatif dressé par M. Duban pour les ouvrages de sculpture et peintures de décoration à l’intérieur de la Sainte-Chapelle ne me paraît susceptible d’aucune modification. Les estimations des ouvrages de sculpteurs doivent être admises de confiance ; il serait en effet bien difficile de soupçonner sur le plus ou le moins d’exactitude de prix de travaux de ce genre dont le fini de l’exécution, la délicatesse des détails, le mérite artistique peuvent varier à l’infini. Et on ne saurait mieux faire que de s’en rapporter à ces égards a l’expérience et à la sagesse de l’architecte…. J’ai vérifié que le devis de 460.000 francs qui reste de base aux travaux qui s’exécutent depuis trois ans ne comprenait ni sculpture ni peinture et que ce devis présent aujourd’hui se compose d’articles entièrement en dehors du premier devis. » Dossier 2068.
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tifie la nécessité du travail du vérificateur, mais tous les mémoires n’ont pas été vérifiés et/ou signés par les architectes. Faut-il en déduire qu’ils ne sont pas valables, même s’ils représentent les seules attestations de certaines interventions ? Enfin, la dénomination des interventions peut également poser un problème. Ainsi, le mot « archéologie », par exemple, a aujourd’hui un sens totalement différent de celui qu’il avait au XIXe siècle. Que doit-on comprendre quand un entrepreneur écrit qu’il a ‘restauré’ quelque chose ? En quoi l’action de ‘restaurer’ diffère-t-elle de celle de ‘refaire’ ? Est-ce que ces mots suggèrent d’avoir ‘resculpté’ ou ‘retaillé’ des pierres ? En ce qui concerne les termes techniques, quelle est la différence entre ‘agrafe avec scellement en cuivre’ et ‘scellement’ tout court ? S’agit-il d’une simple abréviation au niveau de l’écrit ou se trouve-t-on face à deux formes d’intervention différentes ?20 Tout cela mène à la conclusion peu satisfaisante que les archives sont très vagues et les informations qu’elles fournissent assez limitées. Cependant, on peut tirer de l’analyse de tel ou tel document en particulier des conclusions décisives. C’est le cas du document que je présente ci-dessous et qui est l’un des plus détaillés et des plus complets que l’on puisse trouver sur la restauration de la sculpture. Ce document, un mémoire des restaurations effectuées sur les sculptures, date de septembre 1843 et il est signé à la fois par Henri de Triqueti, sculpteur, par Perrin, vérificateur, et enfin par Duban, architecte en chef. Une version incomplète de ce même document date de juillet de la même année. On peut en déduire que la plupart de ces travaux étaient achevés à cette date et que le document a été rédigé plus tard.21 Le travail sculptural mentionné dans ce document a probablement suivi de près ou a été exécuté en même temps que les travaux de restauration de la quatrième travée, en 1842.22 En 1843, la plus grande partie de la Sainte-Chapelle était en cours de restauration et notamment, à l’extérieur, la balustrade du couronnement, et à la façade occidentale, les tourelles, la rose et le grand pignon. En ce qui 20 Cela coûtait le même prix : voir les documents concernant la première et la deuxième travée côté sud (à droite en entrant). 21 Paris, Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine. Arch. Mon. Hist. Sainte-Chapelle. Dossier 2087. Il en existe aussi une copie datant d’octobre. Perrin n’a signé que le 3 décembre 1843. 22 Une lettre du 6 Janvier 1842 nous informe que ce travail était presque terminé, Paris, Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine, Arch. Mon. Hist. Sainte-Chapelle. Dossier 2077.
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concerne l’intérieur de la chapelle haute c’était le cas de deux travées latérales, du jubé, de la peinture d’une travée et des colonnettes, en plus de la restauration de la sculpture de l’arcature aveugle du mur du soubassement.23 Je n’ai pas trouvé d’autres documents relatifs à ces réfections de la sculpture, mais des travaux importants ont été également réalisés quand Lassus est devenu architecte. Ils ont débuté avec la restauration et l’installation des statues d’apôtres dans la chapelle haute.24 Il est possible que d’autres travaux aient été effectués sur la sculpture du soubassement pendant cette période, mais il n’existe pas de documents à ce sujet. Dans son mémoire, le sculpteur Henri de Triqueti décrit ses interventions à l’intérieur de la chapelle haute sur le mur du soubassement pour toutes les travées sauf la quatrième à partir de l’ouest du côté nord (qui était déjà restaurée) et la troisième du côté sud. Il a demandé pour ces travaux un montant de 11’188,00 francs, mais il n’en a reçu que 8’427,50 après la vérification et les ajustements imposés par le budget.25 Triqueti a restauré des feuilles, des chapiteaux et des détails des anges, soit entièrement, soit en partie, pour la plupart avec des agrafes et des scellements en cuivre. Il en a également sculptés en pierre neuve. Il y a peu d’exemples de reconstitutions de fragments d’aussi petite dimension effectuées à l’aide d’agrafes et de scellements en cuivre, cette technique étant normalement destinée à de grandes pierres, comme des colonnes ou des chapiteaux. Nous pouvons en tirer la conclusion que la technique consistant à déposer ou ajouter des pierres munies d’agrafes a été relativement fréquemment utilisée lors de ce type de restauration. On peut en déduire également que le sculpteur n’éprouvait aucune crainte concernant la rouille du métal de l’agrafe et du scellement. Un autre moyen d’évaluer l’étendue des interventions sur la SainteChapelle est de considérer le montant payé au sculpteur (le chiffre qui figure sur la colonne la plus à droite du document édité), les paiements pour les procédures étant relativement cohérents pendant toute cette campagne d’interventions. On remarquera ainsi notamment que ce qui était restauré au moyen d’agrafes et/ou de scellements en cuivre était payé moins de la moitié de ce qui était restauré en pierre dure. Par exemple, dans la première travée du côté nord, 23
LENIAUD, Jean-Baptiste Lassus... (op. cit. n. 1), 192. Ibid., 194. 25 Ce prix final se trouve dans les documents annexés concernant le mois d’octobre (dossier 2087), ainsi que dans un « État des sommes dues pour travaux » dans le Dossier 2068. 24
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les feuilles autour des ogives restaurées avec des agrafes et des scellements en cuivre ont été payées dix francs pièce alors qu’un revers d’une feuille sculptée en pierre dure en valait vingt-cinq. De même, un chapiteau restauré avec des agrafes et des scellements en cuivre (première travée côté nord) ou simplement scellé (deuxième travée côté sud) était payé quinze francs pièce, tandis que les chapiteaux restaurés entièrement en pierre dure valaient deux cent à deux cent cinquante francs pièce. Lorsque seule la moitié d’un chapiteau était remplacée (comme c’est le cas dans la quatrième travée du côté sud), le sculpteur n’a touché que la moitié de ce qui était payé pour un chapiteau entier. Les culs-de-lampes qui étaient tous sculptés en pierre dure sur les travées du sud ont été payés entre trois cents et quatre cent cinquante francs. Du point de vue des coûts, l’usage de l’agrafe et la pose de scellements représentent donc une intervention beaucoup moins conséquente qu’une réfection entièrement réalisée en pierre. On ignore la raison exacte de ces différences de prix mais elles peuvent se justifier, dans le cas d’une restauration tout en pierre, par le travail de taille plus important sur la partie restaurée, par la valeur accordée à la qualité ou à la finition des détails de la partie restaurée, ou encore en raison des capacités des sculpteurs qui y ont travaillé. 26 Les restaurations en pierre dure concernant surtout la sculpture du XIXe siècle ; ce qui nous intéresse ici est la restauration avec des agrafes et/ou des scellements en cuivre qui, semble-t-il, concernait surtout des pierres médiévales. Celles qui avaient été restaurées avec des agrafes et/ou des scellements avaient d’abord été enlevées de leurs emplacements puis remplacées par cette technique. Cette procédure a notamment été utilisée lors de la restauration du mur du soubassement derrière l’arcature, sur lequel Texier, le maître de maçonnerie, remplaçait des pierres.27 On a parfois utilisé des pierres neuves (c’est le cas du troisième chapiteau de la première travée du côté nord, et des chapiteaux de la quatrième travée du côté sud). Généralement les chapiteaux étaient-ils retaillées ou au moins nettoyées avant d’être remplacées avec l’agrafe. Étaient-ils replacées dans leur position et à leur emplacement original ?28 Si l’on sait que des chapiteaux étaient déposés pour permettre d’effectuer des travaux à l’arrière, peut on en déduire que l’on a procédé de la même manière 26
Voir note 19. Un mémoire dans le dossier 2080 rédigé par Texier indique que son équipe a fait des interventions importantes sur le mur de soubassement de la chapelle haute pendant l’année 1843. 28 Ce n’est pas toujours le cas avec les vitraux. 27
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dans la zone des arcs suppotés par les colonnettes ? Est-ce que, dans ce cas, la restauration avec des agrafes comprenait l’enlèvement de parties entières d’éléments décoratifs comme, par exemple, le feuillage taillé dans la mouluration de l’arcade ? Si le document paraît vague sur certains points, il est encore plus difficile de déterminer exactement où les interventions ont eu lieu dans chaque travée. Quand le sculpteur mentionne qu’un ange a été restauré avec des agrafes dans la travée deux par exemple, lequel des quatre anges de la travée était concerné ? Et quand il écrit à propos de la première travée qu’ « un chapiteau des colonnes supportant les ogives [a été] sculpté en pierre dure », duquel des sept chapiteaux de cette travée s’agissait-il ? Même si le sculpteur décrit précisément les travaux qu’il a effectués sur chaque chapiteau, il est très difficile de discerner quel revers a été refait dans le premier chapiteau, lequel n’a été qu’à moitié restauré etc. Ces incertitudes signent l’échec de la méthode « archéologique », en raison du fait que, malgré tous les détails fournis, les documents ne représentent guère que des factures détaillées. En dépit des ambiguïtés, on peut arriver à des conclusions plus éclairantes. De manière générale, il semble que l’objectif de cette campagne ait été en premier lieu le remplacement des pierres qui étaient dans le plus mauvais état et le perfectionnement de la sculpture existante. Il y a très peu de cas où les parties endommagées ont été entièrement remplacées par des pierres neuves. En ce qui concerne les chapiteaux de ce soubassement (à l’exclusion de ceux de la façade occidentale et des deux travées qui ne sont pas inclus dans ce document), seuls sept d’entre eux ont été entièrement remplacés et quatre l’ont été à moitié.29 Vingt chapiteaux ont été restaurés avec des agrafes et des scellements en cuivre, tandis que six ont été seulement scellés. Les chapiteaux des troisième, sixième, septième et huitième travées (les trois dernières se trouvent dans l’abside) n’ont pas subi de restauration ou celles-ci ne sont pas mentionnées. On peut en déduire que, s’il n’y a pas eu d’autre intervention ici pendant ou avant la restauration, les chapiteaux sont pour la plupart des originaux et ont été apparemment très peu touchés.30 29 Contrairement à ce que j’ai trouvé ici, ECHT (« Émile Boeswillwald... » (op. cit. n. 1), p. 206) est parvenu à la conclusion que seuls six chapiteaux ont été sculptés à nouveau, et seulement deux à moitié refaits—est-ce qu’il s’agit d’un autre document ou bien d’une mauvaise lecture ? 30 Sur le style des chapiteaux voir : D. JALABERT, « La flore sculptée de la Sainte-Chapelle », Bulletin archéologique du Comité des travaux historiques et scientifiques, 1932–33, p. 739–747.
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En ce qui concerne les anges des écoinçons, le sculpteur a accordé beaucoup d’attention aux mains, aux couronnes, aux ailes et aux corps tandis que les têtes, sauf une (dans la cinquième travée du côté nord) semblent avoir été conservées. Les couronnes paraissent ne pas avoir été plus restaurées que les autres parties des anges, car seules huit d’entre elles ont été restaurées avec des agrafes et des scellements en cuivre et deux en pierre dure, et cela pour des prix différents. On ne peut donc pas supposer que les couronnes aient été plus endommagées que le reste lors de la Révolution.31 Elles ont probablement été quelque peu abîmées, comme les autres parties du soubassement, lors de l’installation des casiers pour les archives de l’Empire. Si l’on admet que l’on n’a procédé à aucune nouvelle restauration sur le soubassement depuis lors, on peut considérer que la plupart des anges n’a été que très peu restaurée. Les feuilles dans la moulure des arcs du soubassement ont également fait l’objet d’interventions poussées, mais le but de l’opération semble plutôt avoir été le perfectionnement de certaines parties que le remplacement de la plupart de la sculpture. Nous pouvons donc constater qu’une partie importante de la sculpture végétale de l’intérieur de la chapelle haute est restée in situ et qu’elle a été très peu restaurée. Il est donc légitime de l’inclure avec un niveau de certitude élevé dans le corpus de la sculpture médiévale. En conclusion, les archives peuvent nous fournir des renseignements très précieux sur ce qui reste du Moyen Âge, mais seulement après une étude très approfondie. Néanmoins, tout comme l’analyse visuelle, les archives posent nombre de problèmes et si cette brève étude nous révèle l’étendue d’une campagne de restauration et l’état de conservation d’une partie de la sculpture intérieure de la SainteChapelle, elle constitue seulement un premier pas dans la recherche concernant le bâtiment médiéval. Au delà des méthodes utilisées ici, seule la science dure nous apporterait des informations plus précises. Bien que difficile à mettre en œuvre, cela aurait cependant plu aux restaurateurs de la Saint-Chapelle.
31 Voir A. ERLANDE-BRANDENBURG et D. KIMPEL, « La Statuaire de Notre-Dame de Paris avant les destructions révolutionnaires », Bulletin monumental, 136 :3, 1978, p. 213– 266.
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APPENDICE Ministère des Travaux Publics32 Exercice 184333 Mémoire des ouvrages de restauration de sculptures exécutés à la Sainte-Chapelle d’après les ordres de Monsieur Duban, architecte, par Monsieur de Triqueti, entrepreneur demeurant à Paris rue de Clichy, no 23 ___________________ Sculptures intérieures de la Sainte-Chapelle. ___________________ Sculpté en pierre dure et restauré en mastic : les feuilles autour des ogives, les anges, les chapiteaux supportant les ogives, etc… ___________________ Savoir. À gauche en entrant34 1ère Travée ___________________
32
Cette transcription présente les écrits dans un format similaire à l’original. L’orthographe a été corrigée et les abbréviations remplacées par les mots complets. Les nombres de gauche indiquent les nombres d’éléments complétés qui ont été vérifiés par le vérificateur. Quand il y a une différence entre ce nombre et celui donné par le sculpteur, ceci est indiqué dans une note de bas de page. La première colonne de nombres à droite correspond au prix donné en francs par le sculpteur, qui a écrit en encre noire (elle est devenue marron). La deuxième colonne à droite représente le prix ajusté par le vérificateur, qui apparaît en encre rouge au-dessus du prix du sculpteur qu’il a barré. La troisième colonne de nombres, si elle existe, correspond au prix final, écrit au crayon, que l’on trouve dans la copie de ce mémoire. La différence entre ce prix et celui du vérificateur est souvent indiquée dans la marge de gauche. Je ne l’ai pas indiquée ici. Le prix „à reporter“ était à la fois en bas de page et en haut de chaque nouvelle page. La répétition n’est pas faite dans cette transcription. 33 Arch. Mon. Hist. Sainte-Chapelle. Dossier 2087. Écrit dans la marge de gauche « septembre » et « Chapitre 1er ». Le mémoire a une copie qui date d’octobre dans le même dossier et celui-ci a dans la marge de gauche : « Faire un double de ce mémoire pour le Bureau ». Une deuxième note au crayon indique : « faire en deux pour expédition d’après les chiffres à l’encre noire c’est à dire [ ?] avant sa vérification ». 34 Coté nord.
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8 1
feuilles autour des ogives restaurées avec agrafes et scellements en cuivre35 revers de feuille sculpté en pierre dure à reporter36
120 80 35
25
155 105
__________________ Suite de la 1ère Travée ___________________ 1 6
chapiteau des colonnes supportant les ogives sculpté en pierre dure idem restaurés avec agrafes et scellements – au 3ème chapiteau sculpté en pierre un revers en cuivre un grand cul-de-lampe supportant les grandes figures marqué E37
280 210
230
110 90
90
35
25
25
590 412,50 442,50
___________________ 2ème Travée ___________________ 6 1 1 4
feuilles autour des ogives restaurées avec agrafes et scellements en cuivre idem sculpté en pierre dure ange restauré avec agrafe, etc. couronnes supportées par les anges, restaurées avec agrafes et scellements en cuivre
130 48
60
32 15 70
25 10 60
20 10 60
35 Le sculpteur a écrit 9 ; ce nombre représente celui noté par le vérificateur. En crayon dans la marge de gauche « 6 gd, 2 petites ». 36 Les reports du sculpteur sont additionés en sucession page après page, tandis que ceux de la deuxième colonne à droite du vérificateur et ceux de la troisième colonne à droite correspondent seulement à l’addition de tous les prix par page. 37 Écrit en rouge à gauche : « cul-de-lampe à oiseau ».
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6 1
chapiteaux restaurés avec agrafe, etc. idem sculpté en pierre dure de 0,35cm sur 0,14cm au dessus et à la réunion des ogives restaurées 3 petites chimères grand cul de lampe marqué F39
1
à reporter
155 120 300 220
120 240
50
3038
30
480 300
340
2402 1545,50 1672,50
___________________ 3ème Travée ___________________ 20 5 1 4
feuilles autour des ogives restaurées avec agrafes et scellements en cuivre feuilles sculptées en pierre dure chimère à la réunion des ogives sculptée en pierre et raccords en mastic petites couronnes supportées par les anges restaurés avec scellements et agrafes en cuivre les anges restaurés avec agrafe
245 160
200
160 125 35 30 70
60
90
75
___________________ 5ème Travée40 ___________________
5
38 39 40
sculpté en pierre la tête de l’ange idem les mains et les couronnes restaurées en pierre le bras et l’encensoir de l’autre ange revers de feuilles autour des ogives sculptés en pierre
100 80 105 80 85 70 162 125
Ce nombre se trouve dans la copie d’octobre. Dans la marge de gauche : « à terminer ». Saut de la quatrième travée.
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1
chapiteau sculpté en pierre et supportant les ogives ayant 0,35cm de hauteur sur 0,14cm de diamètre à reporter
310 250
3764 1055
1095
110 90 20 15 120 80
100
___________________ 6ème Travée ___________________
2 10 2
sculpté en pierre dure mains aux 2 anges et une partie de l’aile restauré l’autre avec agrafe, etc. feuilles restaurées avec agrafe et scellements en cuivre idem sculptées en pierre
70
50
___________________ 7ème Travée ___________________
2
au 1er ange sculpté en pierre les 2 mains et une partie de l’aile à l’autre ange, une main et une partie de l’aile feuilles restaurées avec agrafe etc. et 2 idem sculptées en pierre
115 95 95
75
35 65
16 40
20 50
___________________ 8ème Travée ___________________
4
les mains des anges et les ailes sculptées en pierre feuilles restaurées avec scellements
120 90 55
32
40
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2
idem sculptées en pierre
65 à reporter
40
50
463441 623
675
À droite en entrant42 ___________________ 1ère Travée ___________________ 9
feuilles autour des ogives restaurées avec scellements en cuivre idem sculptées en pierre chapiteau en pierre dure ayant 0,35cm de hauteur sur 0,10cm idem restaurés avec agrafe un grand cul-de-lampe marqué R
2 1 5
120 72
90
60 40 270 200
50 230
85 75 495 315
75 345
185 112 40 20
140 30
125 90 85 75 185 120
90 75 120
___________________ 2ème Travée ___________________ 14 3
5 2
feuilles autour des ogives restaurées avec scellements et agrafes chimères restaurées avec scellements restauré un des anges refait en pierre la main et l’encensoir chapiteaux restaurés avec scellements idem restaurés en pierre ayant l’un 4 revers en pierre et des raccords avec scellements, etc. un grand cul-de-lampe marqué Q à reporter
41 42
540 397,50 397,50 6874 1516,50 1642,50
Le report ne correspond pas à la somme de la page qui donne 50 francs de plus. « c’est le côté sud ».
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___________________ 4ème Travée43 ___________________ 5 3
7
2
feuilles autour des ogives restaurées avec scellements revers sculptés en pierre au 1er ange restauré en pierre l’encensoir et l’aile au 2ème ange la couronne et l’aile restaurées en pierre 3ème ange la couronne, l’aile et le corps restaurés en pierre chapiteaux restaurés en pierre et mastic dont un sculpté entièrement. 1er chapiteau un revers en pierre, le reste avec agrafe 2ème chapiteau sculpté entièrement ayant 0,35.cm 0,10 3 ème idem un revers en pierre, le reste avec agrafe 4 ème idem 2 revers en pierre, le reste avec scellement 5 ème idem un revers en pierre, les autres avec agrafe 6ème chapiteau sculpté la moitié en pierre plus 2 revers en pierre, le reste avec agrafe 7 idem sculpté en pierre plus de la moitié grands culs-de-lampe supportant les figures marqués O et P à reporter
43
105 50 90 85
60 75
85
75
90
80
50
35
75
295 225 45
30
92
60
60
40
190 140
150 125 1010 795 9221 1790
1805
Saut de la troisième travée.
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___________________ 5ème Travée ___________________ 4
feuilles autour des ogives restaurées avec agrafes et scellements en cuivre idem en pierre aux 2 anges refait les mains et l’encensoir en pierre dure chapiteau de 0,35cm sur 0,10cm sculpté en pierre un autre chapiteau de 0,35 sur 0,10cm de diamètre sculpté en pierre
1
1
55
32
40
35 20 195 160
25 160
275 210
225
260 200
225
___________________ Moulage à la Sainte-Chapelle des chapiteaux et autres fragments etc. fourniture de plâtre et laiton pour les scellements. ___________________ Savoir. ___________________
14
4
Pour le moulage sacs de plâtre fin fournis à 2,25 francs le sac Laiton pour scellement modèles pour les grands cul-de-lampe Total Règlement
220 120 31.50
120 31,5044
10,50 6 885 600
6 600
11.188 1379,50 1432,50 –8014,5045
44 Ce nombre se trouve dans la copie d’octobre. 45 Écrit en rouge par Perrin. Le document copié d’octobre mentionne le « règlement » de « 8427,50 francs » et la somme de « 8014,50 francs » est barrée.
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Le présent mémoire, montant à la somme de onze mille cent quatre vingt huit francs certifié véritable par l’entrepreneur soussigné, et remis à M. architecte, le [date non précisée] H. de Triqueti [signature en noir] Le vérificateur soussigné propose de régler le présent mémoire à la somme de huit mille quatorze francs cinquante centimes. Paris, le 3 Décembre 1843 Perrin [signature en rouge] Vu par l’architecte soussigné. Félix Duban [signature en noir]
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LA RESTAURATION DES VERRIÈRES PROPHÉTIQUES DE LA SAINTE-CHAPELLE DE PARIS AU XIXe SIÈCLE Stanislas ANTHONIOZ
Avec la restauration des verrières de la Sainte-Chapelle,1 Guilhermy, Steinheil et Lusson se virent confier une tâche immense. Ils devaient non seulement réparer la plupart des panneaux, mais surtout recréer des scènes entières, afin de combler de nombreux vides. En 1850, c’était en effet près du tiers des vitraux historiés qu’il fallait refaire !2 Cette situation était notamment due au fait que chaque baie avait été, en 18033, amputée à sa base de tout le décor vitré. Il s’agissait donc de remplacer ce dernier par des panneaux neufs, qui s’intégrassent harmonieusement dans l’ensemble du XIIIe siècle. Le baron F. de Guilhermy4 (1808–1878) était un des meilleurs connaisseurs du vitrail au XIXe siècle, et c’est à ce titre qu’il se vit confier la direction archéologique des travaux. Sa mission, extrême1
C’est en 1837 que fut décidée la restauration de la Sainte-Chapelle. Duban, Lassus et Viollet-le-Duc entreprirent les travaux qui comportèrent, en 1839, une réfection sommaire des vitraux. Il s’agissait de mettre quelques plombs neufs et de poser quelques verres blancs. En 1843, après la réparation du gros œuvre, on décida de la restauration et de la restitution complète des verrières. De l’initiative de Duban, un concours fut organisé en 1846, auquel vingt-cinq peintres verriers se présentèrent. Le lauréat, Henri Gérente, mourut en 1849, avant même d’avoir pu commencer le travail qui lui avait été confié. Ce fut donc Antoine Lusson, classé second, qui lui succéda. 2 Selon Jeanette Dyer-Spencer, « Les Vitraux de la Sainte-Chapelle de Paris », Bulletin monumental, XC, 1931, p. 342), seulement 720 des 1134 scènes sont antérieures à la restauration. 3 Cette année-là, la chapelle haute fut transformée en dépôt d’archives judiciaires. On y plaça contre les parois une double rangée de casiers, ce qui nécessita de murer les fenêtres jusqu’à une hauteur de 2,50 mètres environ. Les vitraux qui se trouvaient là furent démontés, et une partie d’entre eux servit à boucher les trous dans le haut des verrières. Qu’advint-il des autres ? Le nombre de panneaux historiés enlevés est estimé à environ 175. Beaucoup d’entre eux durent être détruits au cours du démontage et du transport. Enfin, un certain nombre fut vendu, notamment à un peintre verrier nommé Oran, qui habitait le voisinage et qui les dispersa. Aucun des vitraux vendus ne fut retrouvé lorsque commença la grande restauration de la Sainte-Chapelle en 1837. 4 Guilhermy ne signant que de l’initiale de son prénom, F. de Guilhermy, cela entraîna de nombreuses erreurs. De ses cinq prénoms, Roch François Ferdinand Marie Nolasque, il choisit le troisième. Pourtant depuis le XXe siècle, l’usage veut, à tort, qu’il soit nommé François de Guilhermy.
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ment complexe, consistait à la fois à trier les panneaux anciens, afin, si nécessaire, de leur trouver un nouvel emplacement, et à concevoir le programme iconographique de complément.5 Responsable de la fabrication des vitraux, le peintre verrier Antoine Lusson s’adjoignit l’aide du cartonnier Louis Charles Auguste Steinheil (1814–1885) : « Afin de répondre en tous points aux exigences de l’important travail dont il s’agit, je me suis assuré, pour ce qui concerne la composition des cartons, l’habile collaboration de Mr Steinheil dont l’intelligence et le savoir viendront ajouter au succès de cette restauration ».6 Avant toute réparation, Steinheil faisait un relevé de chacun des panneaux de la Sainte-Chapelle. Exécutées à l’échelle 1/1, ces aquarelles reproduisent avec fidélité chaque scène, restituant même la qualité des pièces de verre. Les relevés ont été regroupés verrière par verrière dans vingt albums de grande taille, conservés à l’Hôtel de Croisille, à Paris ;7 l’un d’entre eux est uniquement constitué des relevés des panneaux éliminés au cours de la restauration. Ces albums s’ouvrent généralement sur un plan de la verrière et incluent, outre les reproductions des panneaux anciens, les projets de panneaux neufs exécutés selon les directives de Guilhermy. Parfois, le relevé du panneau dans son état ancien coexiste avec celui du panneau destiné à le remplacer. La comparaison entre les deux versions permet souvent de mieux comprendre la démarche des restaurateurs. Lors du démontage de chaque verrière, les panneaux déposés étaient donc reproduits en couleurs. Guilhermy se chargeait alors de les classer, de décider de leur élimination ou de leur réemploi et d’indiquer quels sujets étaient à faire à neuf. Lusson exécutait alors les restaurations nécessaires ou réalisait les cartons dessinés par Stein5
Dans une lettre (Cf. n.a.f. 24015, fol. 499) datée du 12 janvier 1850 et adressée à Lassus, le baron de Guilhermy posait les conditions de sa participation à la restauration des verrières. Avec le temps, on se rendra compte qu’il a presque entièrement renié ses convictions premières. Pour Guilhermy, en janvier 1850, il était hors de question d’entreprendre un remaniement général des vitraux de la Sainte-Chapelle. La restauration ne devait consister qu’en la réparation et la consolidation des vitraux anciens, sans que ne fût modifié l’ordre de 1848. De même, les panneaux neufs ne devaient intégrer que la partie basse des verrières, détruite en 1803. Tous les vitraux auraient donc été neufs sur plus de deux mètres. 6 Lettre écrite par Lusson au Mans et datée du 10 juillet 1847, adressée À Monsieur Duban architecte, Membre de la commission pour le concours des vitraux de la Ste Chapelle, Archives des monuments historiques, Hôtel de Croisille, Paris, cote 2088 : Restaur. Vitr. Steinheil avait établi sa réputation en participant à la réalisation du premier vitrail archéologique de France, celui de la Passion à l’église de Saint-Germain-l’Auxerrois (1839). 7 Hôtel de Croisille, Paris, cote 80/151/01–20. Ces albums devraient prochainement faire l’objet d’une restauration au Fort de Saint-Cyr.
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heil. Une fois le travail approuvé par l’architecte, on remontait la verrière avant de commencer la restauration de la suivante, évitant ainsi de permuter accidentellement des panneaux d’une fenêtre à une autre. Les travaux commencèrent par les baies de l’abside.8 Ils furent interrompus en 1853 par manque de crédits, alors que seules la fenêtre A Translation des reliques à écrire en italique et la rose n’étaient pas encore restaurées, et prirent fin au début de l’année 1855 pour la première Exposition Universelle de Paris. La restauration des vitraux de la Sainte-Chapelle était soumise à un mot d’ordre : il fallait que l’œuvre nouvelle se fonde dans l’ancienne, que l’illusion soit parfaite. Trois possibilités s’offraient aux restaurateurs pour la composition des nouvelles scènes : – les concevoir de toutes pièces, tirant pour cela profit des connaissances archéologiques de Guilhermy et de Steinheil, et de l’inventivité de ce dernier ; – les calquer sur, ou les recomposer d’après les nombreux vitraux anciens, éliminés ou conservés, de manière plus ou moins fidèle. À ce propos, Steinheil procéda souvent à des démarquages, en ne modifiant que légèrement l’image qu’il copiait. Généralement, il empruntait à la baie même les éléments des panneaux qu’il créait, les verrières étant déposées successivement ; – les composer en s’inspirant d’autres oeuvres du XIIIe siècle. Lorsque Guilhermy entreprit ses restaurations à la Sainte-Chapelle, il se rendit compte de l’étroite corrélation entre les vitraux et le volume II d’une Bible moralisée en trois volumes9, alors conservée à la Bibliothèque impériale à Paris.10 Il en conclut qu’une des sources iconographiques des verrières de la Sainte-Chapelle pouvait se trouver dans le manuscrit de Paris. Pour obtenir des vitraux archéologiques aussi fidèles que possible à leurs modèles, le plus simple n’était-il pas d’adopter la méthode de travail des artistes qui avaient œuvré à la Sainte-Chapelle au XIIIe siècle ? En agissant ainsi Guilhermy, Steinheil et Lusson
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La fenêtre H fut restaurée en 1850. Pour la désignation des baies par des lettres (A à O) et la numérotation des panneaux, j’ai adopté la classification de : M. AUBERT, L. GRODECKI, J. LAFOND et J. VERRIER, Les Vitraux de Notre-Dame et de la Sainte-Chapelle de Paris (=Corpus Vitrearum Medii Aevi, France, volume I), Paris, 1959. 9 Ces trois volumes ont été regroupés dans l’édition de A. DE LABORDE, La Bible moralisée conservée à Oxford, Paris et Londres : reproduction intégrale du manuscrit du XIIIe siècle, 5 vol., Paris, 1911–1927. 10 Cette Bible se trouve aujourd’hui à la Bibliothèque Nationale de France à Paris (ms. lat. 11560). Les deux autres tomes sont dispersés entre la Bodleian Library d’Oxford (MS Bodl. 270b) et le British Museum de Londres (MSS Harley, 1526 et 1527).
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marchèrent directement sur les traces des peintres verriers du Moyen Âge.11 Guilhermy décida donc de mettre à profit les enluminures de ce deuxième volume qui illustre les livres suivants : Job, les Psaumes, les Proverbes de Salomon, l’Ecclésiaste, les Cantiques des cantiques, la Sagesse, l’Ecclésiastique, le Prologue et les Prophéties d’Isaïe, les Prophéties, Lamentations et l’Oraison de Jérémie, les Premières et Deuxièmes visions d’Ezéchiel, ainsi que Daniel. Il chargea Steinheil de copier certains médaillons de la Bible afin d’introduire dans les verrières prophétiques J (Isaïe), G (Daniel), F (Ézéchiel) et E (Jérémie) des scènes qui n’y figuraient pas. S’il avait eu accès aux volumes I et III de cette Bible, Steinheil aurait probablement procédé de la même manière pour composer les panneaux modernes des baies O à K et D à B. Quelques années auparavant, en août 1847, Henri Gérente avait été envoyé à la Bodleian Library d’Oxford, sur rapport de Guilhermy, dans le cadre de la restauration de Saint-Denis.12 Aurait-il constitué à cette occasion un dossier sur la Bible d’Oxford, ou Steinheil aurait-il fait lui-même le voyage à cette fin ? En effet, quelques rares panneaux des baies O à K, correspondant au volume I de la Bible, présentent des similitudes avec certaines scènes de ce dernier. Ainsi, O–258 (la Création de la lune, du soleil et des étoiles) peut être rapproché du médaillon G3 du folio 4 de la Bible d’Oxford, et O–232 (la Création des poissons et des oiseaux), des médaillons D1 des folios 3 et 4. Ces scènes sont cependant si fréquentes dans l’iconographie chrétienne que leur schéma de composition a été fixé bien avant le XIIIe siècle. Par exemple, la Création de la lune, du soleil et des étoiles de Steinheil est comparable à un médaillon du Psautier de Saint Louis13 (du début du XIIIe siècle) ; de même, la Création des poissons et des oiseaux de la Sainte-Chapelle est similaire à celle figurant sur un ivoire conservé au Musée de la cathédrale de Salerne (la figure du Christ est presque identique à celle de la Création 11
La décision du baron de Guilhermy fut par la suite vivement critiquée, et plusieurs chercheurs soutinrent que la Sainte-Chapelle était antérieure à la Bible moralisée. Les récentes recherches du Professeur Yves Christe et de son équipe ont permis de démontrer l’influence des Bibles moralisées sur les vitraux de la Sainte-Chapelle. D’autres manuscrits que la Bible d’Oxford-Paris-Londres entrent cependant en compte. À ce propos, se référer à la bibliographie donnée par G. LINI dans son article « La Bible du roi : le Deutéronome et Josué dans les Bibles moralisées et les vitraux de la Sainte-Chapelle », Cahiers de civilisation médiévale, 2003, p. 24. 12 Il y avait alors copié les dessins de Gaignières, relatifs aux tombes royales, et en avait rapporté un volumineux dossier. 13 Folio 7 du Psautier de Saint-Louis, conservé à la Bibliothèque Universitaire de Leyden.
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du firmament et séparation des eaux), ou dans une scène du folio 6 de la Bible de Walter14 (tous deux du XIIe siècle).15 Eu égard au nombre très restreint de vitraux modernes présentant des similitudes avec les médaillons de la Bible d’Oxford, il paraît peu probable que Steinheil se soit rendu en Angleterre. Cette parenthèse porte néanmoins à croire que Guilhermy et Steinheil recherchèrent d’étayer leur dossier archéologique au moyen d’autres documents.
ISAÏE Vingt-quatre scènes composent la lancette consacrée au prophète Isaïe. Seuls les six panneaux manquant à la partie basse de la baie depuis 1803 (J–92, J–101, J–102, J–108, J–109 et J–110) ont dû être refaits. L’ordre iconographique de la verrière ayant été remanié, ces derniers ont depuis intégré les compartiments J–24, J–43, J–50, J–60, J–109 et J–110. J–109/J–110 : Quatre rois (Isaïe, I, 1) Les quatre rois des panneaux J–109 et J–110 illustrent Isaïe, I, 1 : « Révélation concernant le royaume de Juda et la ville de Jérusalem. Isaïe, fils d’Amots, la reçut du Seigneur à l’époque des rois Ozias, Yotam, Ahaz et Ezékias de Juda ». Bien que ce passage biblique soit également illustré dans le manuscrit de Paris, au folio 97 (D1), il n’existe pas de ressemblance frappante entre les deux versions. Les panneaux de Steinheil semblent être de composition libre. J–60 : Isaïe devant le roi Achaz (Isaïe, VII) (fig. 1) Ce demi-quadrilobe, qui fait pendant au panneau J–59, est une composition originale de Steinheil. À l’exception de la tête, la figure d’Isaïe a été calquée systématiquement sur celle du roi Achaz du panneau adjacent. Selon les auteurs du Corpus Vitrearum Medii Aevi16, la scène pourrait illustrer Isaïe, VII, 14.
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Conservée à Michelbeuren, en Autriche. Se référer aux illustrations de : J. ZAHLTEN, Creatio Mundi, Darstellungen der sechs Schöpfungstage und naturwissenschaftliches Weltbild im Mittelalter, Stuttgart, 1979. 16 AUBERT, GRODECKI, LAFOND & VERRIER, Les Vitraux... (op. cit. n. 8). 15
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J–50 : Charbon ardent présenté aux lèvres d’Isaïe (Isaïe, VI, 7) Ce passage d’Isaïe n’a pas été reproduit dans la Bible de Paris. Pour composer le carré sur pointe J–50, Steinheil emprunta la plupart des éléments à des panneaux de la Sainte-Chapelle : Isaïe, le séraphin et son tison ardent, et le décor architectural. – La figure d’Isaïe s’inspire des panneaux J–47, J–58, J–69 et J–82 dans la lancette droite de la baie J, tous exécutés d’après un même carton. Elle est à quelques détails près (position des mains) leur image inversée. – Le séraphin a pu avoir pour modèle le panneau ancien L–100, ou le médaillon G1 du folio 105 de la Bible de Paris. Dans tous les cas, l’ange flamboyant se tient debout sur une roue. Il a trois paires d’ailes (une lui voilant le corps, une autre à ses côtés, et la dernière se croisant au-dessus de sa tête), est nimbé, et porte un foulard noué autour du cou. Le tison ardent qu’il tient à la main est semblable à celui tenu par l’ouvrier du panneau ancien J–92. – Quant à la colonnette soutenant deux arcatures et aux deux tours encadrant la scène, elles peuvent notamment rappeler le panneau ancien F–76. Cependant les deux tours pourraient également avoir été calquées sur le même modèle que celui à l’origine du panneau moderne F–16, dont il sera question plus bas. J–43 : Scène d’idolâtrie. (Isaïe, IX, 2) Le demi-quadrilobe J–43 est aussi une composition originale de Steinheil. La statuette et sa niche ont toutefois été calquées sur un panneau ancien, J–108. J–24 : Trône de Salomon (en rapport avec Isaïe, IX, 2–6) (fig. 2) Pour créer ce carré posé sur la pointe, Steinheil s’est inspiré du médaillon G1 du folio 108 de la Bible de Paris (fig. 3), qui illustre Isaïe, IX, 6 : « [Le Seigneur] a mission d’étendre son autorité et d’assurer une paix sans fin. Il occupera le siège royal de David et régnera sur son empire, pour l’affermir et le maintenir en établissant le droit et l’ordre de Dieu, dès à présent et pour toujours. Voilà ce que fera le Seigneur de l’univers dans son ardent amour ». L’enluminure montre un personnage couronné au nimbe crucifère, assis sur un trône dont les pieds sont soutenus par des créatures fantastiques. Il est flanqué de trois personnages debout, dont deux coiffés d’un bonnet. La scène se situe au-dessus d’une arche, selon une formule fréquente dans les
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médaillons de la Bible de Paris. Seuls quelques détails ont été modifiés dans la version de Steinheil : les personnages qui flanquent le Seigneur sont au nombre de deux, et celui de gauche a la tête nue ; les créatures soutenant le trône ont pris l’apparence de lions ; en outre, une triple arcature sert de support à la scène.
DANIEL17 Consacrée à Daniel, la lancette droite de la fenêtre G comporte quatorze quadrilobes, plus un trilobe. Ce dernier (G–97) est moderne, tout comme les panneaux G–79 et G–53. En 1850, les trois panneaux G–97, G–91 et G–85 manquaient en bas de la verrière. L’un d’entre eux, maintenant au Victoria and Albert Museum de Londres, représente Suzanne innocentée, et Les deux vieillards arrêtés (Daniel, XIII, 61– 62). Ignorant son existence, Guilhermy choisit de compléter la verrière par un panneau figurant le Roi ordonnant que l’on fasse périr les sages de Babylone (Daniel, II, 12–13). Pour les auteurs du Corpus Vitrearum Medii Aevi, il pourrait aussi s’agir du Roi ordonnant que Daniel soit jeté dans la fosse aux lions (Daniel, VI, 16). La présence du lion dans la partie droite du quadrilobe semble en effet faire référence à l’épisode de Daniel dans la fosse aux lions. G–97 : Prise et destruction de Jérusalem (Daniel, I, 1–2) Le trilobe dessiné par Steinheil représente une architecture symétrique dont les deux tours latérales sont en train de s’effondrer. Ce panneau semble être une composition originale. G–79 : Le roi ordonnant que l’on fasse périr les sages de Babylone (Daniel, II, 12–13) Au centre du quadrilobe G–79, un personnage couronné et tenant un sceptre est assis sur une banquette. De la main droite, il désigne au personnage debout sur sa droite un lion, placé dans le lobe droit du panneau. Le fauve est séparé du reste de la scène par une bande ondulée. Ce procédé est utilisé dans la Bible de Paris, notamment aux 17 Pour une étude complète de la lancette consacrée à Daniel, voir : Y. CHRISTE, G. LINI et M. GROSSENBACHER, « La Bible du roi : Daniel et Ezéchiel dans les Bibles moralisées et les vitraux de la Sainte-Chapelle », Arte Medievale, 2e s., 14, 2000, p. 73–99.
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médaillons G1 et G3 du folio 208, pour représenter la fosse aux lions. Une architecture fait pendant à l’animal dans le lobe gauche. Seule la partie supérieure du panneau est ancienne : la couronne, le haut du sceptre, la main du roi et l’architecture au sommet du quadrilobe. Le reste est la création de Steinheil. Il est donc impossible d’identifier la scène originale de ce panneau d’après les quelques éléments qui en subsistent. Cependant, on peut rapprocher ces derniers des médaillons D1 du folio 204 (Nabuchodonosor ordonne que soit adorée la statue d’or) et G1 du folio 205 (les Trois Hébreux sauvés de la fournaise).18 Dans les deux cas, Nabuchodonosor se trouve au centre de la composition, sous une architecture. Couronné, il regarde vers la gauche et désigne la direction opposée de sa main droite. Il ne tient en revanche pas de sceptre. G–53 : Nabuchodonosor rampant comme une bête (Daniel, IV, 24–25 et 32–33) Le quadrilobe G–53 a été recopié sur un panneau rejeté des XVe et XVIe siècles (fig. 4).19 Avant 1850, celui-ci était intégré à la baie F (F–21). Les deux versions montrent au premier plan, le roi à genoux, en référence à sa vie parmi les animaux sauvages. Derrière lui se trouvent deux personnages debout, l’un (Daniel), tête nue, et l’autre (un mage ?), coiffé d’un bonnet. Un élément végétal occupe la partie gauche du quadrilobe. Ces deux panneaux, de composition identique, reprennent le médaillon G1 du folio 206 de la Bible de Paris (fig. 5). Dans le manuscrit, la scène se déroule sous une architecture. À gauche, Nabuchodonosor, assis, l’air pensif, porte la main gauche à son visage. Il regarde Daniel, debout devant lui, qui lui prédit son sort pour les sept années à venir : « Tu vas être chassé d’entre les hommes ! Tu vivras parmi les animaux sauvages, tu te nourriras d’herbe comme les bœufs, tu seras trempé par la rosée ! Tu demeureras dans cet état pendant sept ans, au bout desquels tu reconnaîtras que le Dieu TrèsHaut est le maître des royaumes humains et donne la royauté à qui il 18
Les deux scènes se réfèrent à des passages de Daniel, III. Dès le XIIIe siècle, les vitraux de la Sainte-Chapelle subirent de nombreux dommages. Avant les modifications du XIXe siècle, ils en portaient encore clairement la marque. Toutes les verrières ne semblaient pas aussi homogènes qu’elles le sont aujourd’hui, car les restaurations successives avaient adopté le style de l’époque à laquelle elles avaient été réalisées. De plus, de nombreux bouche-trous, apparemment étrangers à l’édifice, furent insérés dans certaines fenêtres (principalement dans les baies O, K, A). Ces verres dataient des XIIIe, XVe et XVIe siècles. C’est depuis l’incendie de 1630, qui s’était déclaré dans les combles et le clocher, que l’on se servit de verre de remploi pour réparer les verrières.
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veut » (Daniel, IV, 22). Dans la partie droite du médaillon figure précisément le roi à quatre pattes, broutant de l’herbe sous la rosée du ciel. À l’arrière-plan se trouvent les mages (coiffés d’un bonnet) qui n’ont pas pu interpréter son rêve. La différence majeure entre le manuscrit et le vitrail – dont la technique exige une réduction du nombre de détails – réside dans la simplification de la scène. Dans les deux versions de la Sainte-Chapelle, un élément végétal a remplacé Nabuchodonosor pensif, le groupe de mages est représenté par un seul homme, et le décor architectural a quasiment disparu.
ÉZÉCHIEL20 La verrière d’Ézéchiel est composée de trente panneaux historiés, dont treize modernes (F–93, F–94, F–88, F–81, F–82, F–64, F–46, F–33, F–28, F–15, F–16, F–9 et F–10). Avant la restauration de 1850, les huit panneaux situés au bas de la baie manquaient. F–93/F–94 : Ézéchiel captif près du fleuve Chobar et Le roi Joakim prisonnier (Éz., I, 1–2) Les deux demi-quadrilobes F–93 et F–94 représentent chacun un homme assis dans un décor végétal. Coiffé d’un bonnet, le personnage en F–93 lève la tête et la main gauche vers le ciel ; il tient un livre dans la main droite. En F–94, l’homme, couronné, pose sa tête sur sa main droite, l’air pensif. Les figures d’Ézéchiel et du roi Joakim ont été inspirées par les médaillons G1 et G3 du folio 183 de la Bible de Paris qui illustrent le passage d’Ezéchiel, I, 1–3 : « Le cinquième jour du quatrième mois de ma trentième année, moi, Ézéchiel, fils du prêtre Bouzi, je me trouvai parmi les déportés juifs sur les rives du Kébar ; je vis le ciel s’ouvrir et Dieu m’envoya des visions. C’était la cinquième année depuis que le roi Joakim avait été déporté. Là, dans le pays des Babyloniens, sur les rives du Kébar, le Seigneur m’adressa sa parole, et sa puissance me saisit ». En G1, Ézéchiel, coiffé d’un bonnet, est assis face à un groupe d’hommes, au moment de sa vision. Il désigne ces personnages de la main droite, tout en levant la main gauche au ciel, en direction du Seigneur et des quatre anges qui l’entourent dans une nuée, tous 20 Pour une étude complète des deux lancettes consacrées à Ézéchiel, voir : CHRISTE, LINI et GROSSENBACHER, « La Bible du roi. Daniel et Ézéchiel... » (op. cit. n. 17).
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représentés en buste. Pour créer la figure du prophète, Steinheil s’est inspiré à la fois de ce médaillon et des autres représentations d’Ézéchiel dans les panneaux anciens de la baie. En F–93, Ézéchiel est représenté pour ainsi dire dans la même position que dans le médaillon G1. En revanche, le livre qu’il tient dans la main droite semble être une référence à un panneau ancien, F–75. Ce dernier montre le prophète, livre en main, dans une scène qui devrait suivre immédiatement celle de F–93, puisqu’elle illustre Ézéchiel, I, 4–25 et III, 23–25. Le roi du quadrilobe F–94 se tient quant à lui exactement dans la même attitude que l’homme au centre du groupe dans le médaillon G1 ; il n’est par contre pas couronné. Ce détail se retrouve toutefois en G3, où un homme, ici couronné, se tient dans une position identique. Dans les panneaux F–93 et F–94, la composition a été passablement simplifiée, puisque seul un personnage a été retenu. Enfin, Ézéchiel regardant au ciel trouve un équivalent dans les panneaux supérieurs F–87 et F–88, où sa vision est représentée. F–88 : Vision de l’ Éternel dans sa gloire (Éz., I, 26 à II, 2) Ézéchiel et le Christ triomphant du panneau F–88 ont été empruntés au médaillon G3 du folio 189. Dans la Bible moralisée le Christ est assis sur un trône ; le dossier de celui-ci a disparu dans la version de Steinheil. Le halo flamboyant d’Ézéchiel, I, 27 change lui aussi de forme : « Je vis que cette forme scintillait comme du métal brillant et qu’elle paraissait entourée de feu. Au-dessus et au-dessous de ce qui semblait être sa taille, je voyais comme du feu l’inondant de clarté ». Afin de simplifier la scène, Steinheil n’a pas conservé les quatre Vivants de la Bible parisienne ; il les a remplacés par les quatre roues d’Ézéchiel, I, 15–2121, dont le modèle figure dans le panneau ancien F–75. Par contre, il a ajouté un arbre et un cours d’eau afin de situer clairement la scène sur les rives du Kébar. Le quadrilobe F–88 présente en outre des liens avec le panneau ancien F–5122, dont la composition a été en partie empruntée au médaillon G3 du folio 189. Steinheil s’est inspiré du buste du Seigneur dans son lobe supérieur pour dessiner le Christ en majesté de F–88. 21
« En les observant je vis à côté de chacun d’eux une roue qui touchait terre. Les roues offraient l’aspect scintillant d’une pierre précieuse. Elles étaient toutes semblables et paraissaient construites de telle manière qu’elles s’imbriquaient les unes dans les autres […] ». 22 Guilhermy identifie F–51 comme étant la Vision des quatre animaux symboliques d’Éz. X, 18–22. Les auteurs du Corpus Vitrearum proposent en plus Éz. I, 15–25 et Éz. III, 12–14. Mais il pourrait peut-être aussi simplement s’agir de la version ancienne de F–88 : la Vision de l’Éternel dans sa gloire, de Éz. I, 26 à II, 2.
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F–81 : Dieu donne à Ézéchiel le livre pour qu’il le mange (Éz., II, 8 à III, 2) Cette scène semble être une composition libre de Steinheil. Pourtant, Dieu donne à Ézéchiel le livre pour qu’il le mange est également représenté dans le médaillon G1 du folio 191 de la Bible de Paris. Seule la main de Dieu émergeant d’un nuage et tenant un parchemin au sommet de la scène est similaire à celle de la Sainte-Chapelle. On retrouve en revanche à la gauche d’Ézéchiel les cercles concentriques, et à sa droite les quatre Vivants des panneaux anciens F–75 et F–87. Mais si les quatre créatures de F–87 ont chacune quatre têtes humaines, Steinheil a remplacé trois d’entre elles par une tête de lion, de bœuf et d’aigle.23 F–82 : Ézéchiel assis parmi les captifs (Éz., III, 15–16) Le quadrilobe F–82 montre Ézéchiel assis parmi les captifs. Le médaillon G1 du folio 193 illustre le même passage biblique : « J’arrivai à Tel-Abib, auprès des déportés installés sur les rives du Kébar. Je restai sept jours parmi eux, dans la plus complète stupeur. Au bout des sept jours, le Seigneur m’adressa la parole […] ». Seul le buste d’Ézéchiel, inversé, a été repris dans le vitrail : même posture, même gestuelle et même habillement. Contrairement au manuscrit, Steinheil a représenté les déportés, sans bonnets, assis de part et d’autre du prophète. De plus, seule la main de Dieu est visible au sommet de la scène, alors que dans la Bible de Paris, le Seigneur apparaît à mi-corps, flanqué de six anges. F–64 : Ézéchiel saisi par les cheveux (Éz., VIII, 3) « [Une forme qui avait l’apparence d’un homme] étendit une sorte de main et me saisit par les cheveux. Alors, dans cette vision envoyée par Dieu, je sentis son Esprit me soulever dans les airs et me transporter à Jérusalem. Je me retrouvai du côté intérieur de la porte nord de la ville, à l’endroit où l’on a placé une statue qui est un affront insupportable à Dieu ». Ce passage biblique est également représenté dans le manuscrit de Paris, au médaillon G3 du folio 197, qui illustre en outre Ézéchiel, VIII, 5–6 : Dieu me dit : « Ézéchiel, regarde en direction du nord. C’est ce que je fis. Au nord de la porte il y avait un autel et je vis que la statue insupportable à Dieu se trouvait près de l’entrée 23
Lorsque Guilhermy composa le vitrail des Visions d’Ézéchiel pour la chapelle Saint-Cucuphas de Saint-Denis, il le fit copier à peu près à l’identique sur celui de la Sainte-Chapelle (F–81).
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menant à l’autel. Il ajouta : Ézéchiel, vois-tu bien ce qui se passe ? Les gens d’Israël s’adonnent à des pratiques vraiment abominables pour m’éloigner de mon sanctuaire. Mais tu vas voir encore d’autres pratiques tout aussi abominables. » Le panneau de Steinheil, très différent de l’enluminure, laisse à penser qu’il est une création originale. Les auteurs du Corpus Vitrearum Medii Aevi ont attribué cette scène à Éz., VIII, 3, soulignant que des roues avaient été représentées sans raison à côté du prophète. Pourtant, la présence du Tétramorphe se justifie entièrement si l’on poursuit la lecture jusqu’à Éz., VIII, 4 : « La glorieuse présence du Dieu d’Israël m’apparut là, telle que je l’avais déjà vue dans la vallée. », c’est-à-dire, en compagnie des quatre Vivants. F–46 : Ézéchiel quitte sa maison (Éz., XII, 7) (fig. 6) Le quadrilobe F–46 illustre Ézéchiel, XII, 7 : Ézéchiel quitte sa maison porté par des hommes en présence du peuple. Ce panneau est presque identique au médaillon D3 du folio 201 (fig. 7). Dans la Bible moralisée, Ézéchiel est représenté en train de franchir le seuil de sa demeure, porté par un homme coiffé d’un bonnet noué sous le menton. Sur leur gauche, trois personnages assistent à la scène. En F–46, la foule a été réduite à un seul personnage, mais des détails comme le couvre-chef du porteur ou la lampe, suspendue au-dessus de ce dernier, ont néanmoins été reproduits. F–33 : La vision des deux aigles (Éz., XVII, 3–7) La vision des deux aigles n’apparaît pas dans la Bible de Paris. Steinheil a donc composé lui-même la scène du panneau F–33, en s’inspirant toutefois de panneaux existants. Ainsi, dans le lobe supérieur du quadrilobe, le Seigneur en buste au-dessus d’un bandeau nuageux rouge a été littéralement copié sur le panneau ancien F–69. De même, la posture d’Ézéchiel se retrouve presque à l’identique dans les panneaux F–75 (inversé) et F–81. F–28 : La vision des ossements ressuscités (Éz., XXXVII, 7–10) Le panneau F–28 reproduit le médaillon G1 du folio 202. Dans la partie supérieure de celui-ci, on peut voir le Seigneur en buste, codex en main, au-dessus d’une bande nuageuse. De la main droite, il désigne à Ézéchiel debout à gauche, le bras droit levé, cinq sarcophages ouverts. Trois d’entre eux contiennent un corps enveloppé dans un
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linceul ; dans les deux autres sont assis des personnages ressuscités, les bras levés et les mains jointes. Des arbres entourent la scène. À quelques différences près, les mêmes éléments se retrouvent dans le vitrail de Steinheil : le Seigneur est figuré par un bras émergeant d’un nuage ; le prophète lève le bras gauche (et non droit) en direction de quatre sarcophages ouverts (au lieu de cinq) ; seul un élément végétal a été retenu. F–16 : Ézéchiel prosterné devant l’Éternel (Éz., XLIII) Ce passage de la Bible n’est pas illustré dans le manuscrit de Paris. La composition du panneau F–16 semble donc être originale. Toutefois, le Seigneur en buste au-dessus d’un bandeau nuageux rouge, dans le lobe supérieur du quadrilobe, a été littéralement copié sur celui du panneau ancien F–51. Quant aux architectures de part et d’autre des personnages, elles s’inspirent librement de plusieurs panneaux anciens (F–22, F–39, F–40, etc.) qui utilisent le même procédé pour délimiter la scène. F–15 : L’ange mesure le temple (Éz., XL, 5 à XLI) Bien que ces chapitres du livre d’Ézéchiel ne soient pas illustrés dans la Bible de Paris, le panneau F–15 peut être de par sa composition rapproché à la fois du médaillon G1 du folio 203 et du panneau ancien F–40. Dans les trois représentations, le prophète et l’ange sont dans la même posture. L’arcature à l’arrière-plan reproduit plus ou moins fidèlement celle du quadrilobe F–40. Quant aux deux niches qui délimitent la scène, il en existe plusieurs exemples dans les verrières de la Sainte-Chapelle, notamment dans le panneau ancien F– 57. F–10 : Jérusalem céleste (Éz., XL, 5 à XLII, 20) Le quadrilobe F–10 montre une cité à la perspective typiquement médiévale. Ce genre de vue cavalière sur une cité dont les remparts forment un losange peut être rapprochée d’un panneau rejeté de la baie K. F–9 : Mystère de la porte fermée (Éz., XLIV, 2) Le panneau F–9 s’inspire à la fois du médaillon G1 du folio 203 de la Bible de Paris et du panneau ancien F–40, lui-même très proche de la première image. Steinheil a aussi calqué la figure du Christ sur celle
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de F–40, alors que pour la position des personnages il a imité le manuscrit. Il a en outre adopté un autre parti pour représenter la porte fermée d’Ézéchiel, XLIV, 2 : « Le Seigneur me dit : Cette porte restera fermée, on ne devra jamais l’ouvrir. Personne n’y passera car moi, le Seigneur, le Dieu d’Israël, je suis entré par là. » La porte a été simplifiée au point de se transformer en une niche. Elle fait désormais partie du décor architectural qui délimite la scène, d’après un schéma souvent utilisé dans la fenêtre F (F–22, F–57, F–63, etc.).
JÉRÉMIE24 La lancette de Jérémie comprend vingt-cinq panneaux historiés, parmi lesquels six modernes (E–55, E–56, E–87, E–88, E–91 et E–92). L’un des panneaux arrachés à la partie basse de la baie en 1803 se trouve aujourd’hui au Victoria and Albert Museum de Londres.25 Il représenterait la Naissance de Jérémie et occupait vraisemblablement l’emplacement E–88. Des quatre verrières prophétiques, seul le vitrail de Jérémie compte exclusivement des panneaux modernes dont le modèle se trouve dans les miniatures de la Bible moralisée de Paris. E–91/E–92 : Naissance de Jérémie (Jérémie, I, 5) (fig. 8) Tout comme les panneaux anciens E–89 et E–90 représentant la Naissance du fils de Tobie, les panneaux E–91 et E–92 sont complémentaires. La scène originale de la Naissance de Jérémie étant aujourd’hui connue, il est intéressant de la comparer à celle conçue par Guilhermy, Steinheil et Lusson, qui ignoraient l’existence du panneau du Victoria and Albert Museum. Guilhermy a donc choisi de représenter la scène sur deux panneaux, comme cela était le cas en E–89 et E–90. La mère de Jérémie, étendue sur un lit, occupe le bas des deux panneaux. En E–91, la sage-femme tient dans ses bras le nouveau-né, qui joint les mains, en prière. Le Seigneur, au nimbe crucifère, apparaît à mi-corps dans la partie supérieure de E–92 ; de la main droite, il fait le geste de bénédiction. Cette scène a été copiée sur celle du médaillon 24 Pour une étude complète de la lancette consacrée à Jérémie, panneaux anciens et modernes, voir : Y. CHRISTE et L. BRUGGER, « La Bible du roi : Jérémie dans la Bible moralisée de Tolède et les vitraux de la Sainte-Chapelle », Cahiers archéologiques, 49, 2001, p. 101–116. 25 Inv. n° 1222–1864.
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G3, folio 130, de la Bible de Paris (fig. 9). Dans le manuscrit, deux éléments viennent s’ajouter : un décor architectural qui surplombe les deux tiers de la scène, et un homme assis (le père de Jérémie ?), coiffé d’un bonnet, dans la partie gauche du médaillon. Steinheil n’a retenu ni l’un ni l’autre, probablement pour faciliter la lecture du panneau. E–87/E–88 : Vision de la chaudière bouillante (Jérémie, I, 13–14) Pour créer ces deux panneaux, Steinheil s’est également inspiré d’un médaillon de la Bible de Paris. Cette image (D1, folio 131) représente deux personnages, debout au-dessus d’un arc (ce dernier fait souvent office de socle dans les médaillons de la Bible de Paris), de part et d’autre d’un chaudron. Celui de gauche, au nimbe crucifère, lève la main gauche tandis que le personnage de droite pointe sa main droite vers le ciel. Une arcature occupe les deux tiers de la scène. Audessus du Seigneur, une tête d’animal souffle fort ; il s’agit vraisemblablement de la personnification du vent ou des malheurs venant du nord : « Le Seigneur reprit la parole pour me demander : Et maintenant, qu’aperçois-tu ? Un chaudron bouillonnant, répondis-je ; il est tourné vers moi depuis le nord. Alors le Seigneur m’expliqua : C’est du nord, en effet, que le malheur va jaillir contre tous les habitants du pays » (Jérémie, I, 13–14). Au sommet des panneaux E–87 et E–88, un halo blanc a remplacé la tête de l’animal, et le décor architectural a disparu. En revanche, tous les autres éléments du médaillon ont été repris, jusqu’aux deux anneaux à chaque extrémité du chaudron et à la petite arche dans la partie inférieure des panneaux. E–55/E–56 : Jérémie en prison dicte à Baruch la parole de Dieu (Jérémie, XXXVI, 1–5) Les deux panneaux E–55 et E–56 ont eux aussi été copiés sur un médaillon de la Bible de Paris (D3, folio 150). Celui-ci montre deux personnages assis face à face, au-dessus d’une arcade servant de socle. Ils sont abrités par deux arcs trilobés, eux-mêmes surmontés d’éléments architecturaux. Le personnage de gauche, coiffé d’un foulard, lève la main droite ; en face de lui, un homme tonsuré, vêtu d’un habit à capuche, tient dans les mains de quoi écrire sur le parchemin placé devant lui. Dans la version de Steinheil, coupée en deux afin de s’adapter au cadre, le personnage écrivant sous la dictée n’est plus représenté comme un moine : il porte un bonnet sur la tête. Quant à
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Jérémie, il est désormais tête nue. Steinheil a conservé dans la partie supérieure des panneaux E–55/E–56 un fragment de l’arcature trilobée, mais a éliminé le reste du décor architectural, faute de place. E–27 : Dieu de colère, arc et glaive dans les mains (Lamentations, II, 1–4) Le médaillon E–27 est en grande partie restauré. En 1850, il était composé de plusieurs éléments étrangers à la scène originale. Seuls ont été conservés la main avec le glaive, la partie inférieure de l’arc, le bas des vêtements du Seigneur et la ville. Le Dieu de colère a probablement été copié sur celui du médaillon D3 du folio 162 de la Bible de Paris. Dans le manuscrit figure le Seigneur portant un nimbe crucifère et armé de l’arc et du glaive, repris presque à l’identique dans la version de Steinheil ; il est en revanche représenté à mi-corps, au-dessus d’un groupe de personnages. Steinheil n’a pas remanié les éléments originaux du panneau, mais a adopté le parti des peintres verriers du XIIIe siècle en le complétant par une partie de la scène correspondante dans la Bible de Paris.
CONCLUSION Le travail de restauration qu’effectuèrent entre 1850 et 1855, le baron de Guilhermy, Louis Steinheil et Antoine Lusson sur les verrières de la Sainte-Chapelle, est considérable. L’édifice avait alors perdu plus du tiers de son décor vitré ! Sur les conseils de Guilhermy, Steinheil dessinait les cartons, et en surveillait l’exécution, confiée à Lusson. Afin de retrouver l’unité de style initiale et d’obtenir ainsi un résultat harmonieux, tous les panneaux postérieurs au XIIIe siècle furent éliminés. Grâce à leur remarquable qualité iconographique, les nouveaux panneaux réussirent à se fondre parfaitement parmi ceux d’origine. La comparaison des panneaux de Steinheil avec les médaillons de la Bible moralisée de Paris met en évidence le rôle important que cette dernière a joué lors des restaurations de 1850–1855. À de nombreuses reprises Steinheil s’est inspiré de ses enluminures. Il y a puisé tous les éléments des six panneaux modernes de la verrière de Jérémie (E–55, E–56, E–87, E–88, E–91 et E–92). Par contre, dans celle d’Isaïe, seul un panneau sur six (J–24) reproduit un médaillon de la Bible. Dans la lancette de Daniel, ce sont deux panneaux sur trois (G–79 et G–53),
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et dans le vitrail d’Ézéchiel, huit sur treize (F–93, F–94, F–88, F–82, F–46, F–28, F–15 et F–9), qui ont été, au moins partiellement, copiés sur ce manuscrit. En ce qui concerne les verrières prophétiques, près des deux tiers des panneaux modernes présentent donc des similitudes avec des illustrations de la Bible moralisée de Paris, le reste ayant été composé par Steinheil, le plus souvent d’après des panneaux anciens, éliminés ou conservés, qui se trouvaient dans la baie qu’il restaurait. Il n’existe, à ma connaissance, aucune trace de correspondance entre Guilhermy et Steinheil. Pourtant, les deux hommes ont dû régulièrement prendre contact, afin de s’accorder sur la restauration de chacune des verrières et sur l’invention des panneaux neufs. Un tel témoignage permettrait sûrement de reconstituer avec davantage d’exactitude l’histoire de chaque panneau moderne. Il reste à espérer que ces documents existent bel et bien, et surtout qu’ils réapparaîtront dans un proche avenir.
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fig. 1 : Sainte-Chapelle, vitrerie de la Chapelle haute, Isaïe devant le roi Achaz, panneau J-59 (ancien) et J-60 (composition de Steinheil).
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fig. 2 : Sainte-Chapelle, vitrerie de la Chapelle haute, Thrône de Salomon, panneau J-24 (composition de Steinheil).
fig. 3 : Bible moralisée en trois volumes, Paris, BnF lat. 11560, fol. 108, G1 (Photo : Bibliothèque nationale de France, Paris).
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fig. 4 : Sainte-Chapelle, vitrerie de la Chapelle haute, Nabuchodonosor rampant comme une bête, panneau G-53 (panneau des XVe et XVIe siècle (rejeté).
fig. 5 : Bible moralisée en trois volumes, Paris BnF lat. 11560, fol. 206, G1 (Photo : Bibliothèque nationale de France, Paris).
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fig. 6 : Sainte-Chapelle, vitrerie de la Chapelle haute, Ézéchiel quitte sa maison, panneau F-46 (composition de Steinheil).
fig. 7 : Bible moralisée en trois volumes, Paris, BnF lat. 11560, fol. 201, D3 (Photo : Bibliothèque nationale de France, Paris).
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fig. 8 : Sainte-Chapelle, vitrerie de la Chapelle haute, Naissance de Jérémie, panneaux E-91 et E-92 (composition de Steinheil).
fig. 9 : Bible moralisée en trois volumes, Paris, BnF lat. 11560, fol. 130, G3 (Photo : Bibliothèque nationale de France, Paris).
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UN AUTOPORTRAIT MORAL ET POLITIQUE DE LOUIS IX : LES VITRAUX DE SA CHAPELLE Yves CHRISTE lupo redeunti Ces trois dernières années, j’ai entrepris à Genève, seul, puis avec quelques étudiants, un réexamen complet de la vitrerie de la SainteChapelle.1 Nous avons d’abord écarté les identifications du Corpus vitrearum – ce sont en général, presque au mot près, celles du baron de Guilhermy – quitte ensuite à les maintenir, après vérifications. Pour cela, nous avons adapté aux connaissances actuelles une stratégie suggérée en 1850 déjà par Guilhermy dans ses instructions à Steinheil, celle de confronter la totalité des panneaux subsistants, les originaux ou relevés de Steinheil, aux Bibles moralisées antérieures aux vitraux. Il s’agit des deux versions en un seul volume de Vienne, ÖNB 2554 (= Vl), ÖNB 1179 (= Vl) et des deux versions presque jumelles en trois volumes : et la Biblia de San Luis, à Tolède et à la Pierpont Morgan Library (= T), et la Bible dispersée entre Oxford-Paris-Londres (= OPL). Il nous est cependant apparu qu’il fallait ajouter à ce lot la copie napolitaine d’une Bible moralisée en un volume exécutée à Paris avant 1230, BnF fr. 9561, manuscrit quasi inconnu et injustement écarté du débat, en dépit des mises en garde répétées de R. Haussherr et aussi de nous-mêmes.2 1 Y. CHRISTE, « La ‘Biblia de San Luis’ y los vitrales de la Sainte-Chapelle de París », in : Biblia de San Luis, Catedral primada de Toledo, vol. II Estudios (R. GONZÁLVEZ RUIZ (éd.), Barcelone-Madrid, 2004, 449-477. Voir aussi Y. CHRISTE, « Les Bibles moralisées et les vitraux de la Sainte-Chapelle : le vitrail de l’Exode », Bulletin Monumental, 157, 1999, p. 329346 ; Y. CHRISTE, « Le Livre d’Esther dans les Bibles moralisées et les vitraux de la SainteChapelle », Arte Cristiana, 801-802, 2000-2001, p. 411-428 et 17-22 ; T. MORARD, « À propos du remplage de la verrière d’Esther », Arte Cristiana, 801-802, 2000-2001, p. 23-30 ; M. BUCHER et A. HÉRITIER, « La Bible du roi : Isaïe dans les Bibles moralisées et les vitraux de la Sainte-Chapelle », Cahiers Archéologiques, 48, p. 89-103 ; G. LINI, M. GROSSENBACHER et Y. CHRISTE, « La Bible du roi. Daniel et Ezéchiel dans les Bibles moralisées et les vitraux de la Sainte-Chapelle », Arte Medievale, II ser., 14 :1-2, 2000, p. 74-99 ; C. HEDIGER, « Le vitrail des Juges à la Sainte-Chapelle », Cahiers Archéologiques, 49, 2002, 85-100 ; Y. CHRISTE et L. BRUGGER, « La Bible du roi : Jérémie dans la Bible moralisée de Tolède et les vitraux de la Sainte-Chapelle », Cahiers Archéologiques, 49, 2002, p. 101-116. 2 Sur les Bibles Moralisées en général, voir l’étude magistrale de J. LOWDEN, The Making of the Bibles Moralisées, 2 vol., Pennsylvania State University, 2000, où toute la question a été
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Tous les cycles vétérotestamentaires ayant été traités ou passés en revue, un premier bilan a pu être établi, même s’il n’est que provisoire. Il a été publié en 2004 dans le Commentaire à l’édition de la Biblia de San Luis des Éditions Moleiro. Du copieux dossier déjà réuni, je retiendrai quelques éléments, dont la relecture éclaire l’état d’esprit du roi et l’idée qu’il se faisait de sa mission, de sa fonction et de sa personne à la veille de s’embarquer pour la Terre Sainte. La Sainte-Chapelle a deux histoires : celle de sa construction et celle de sa reconstruction. Et c’est à dessein, appliquant à la Chapelle voulue par Louis IX le jugement de Demetrio de los Rios sur la cathédrale de León, que j’utilise le terme de reconstruction, et non celui de restauration, car le monument insigne que nous avons aujourd’hui sous les yeux est une restitution du XIXe siècle, du moins pour ce qui touche à son épiderme, à son enveloppe visible, intérieure et extérieure. Ceci vaut aussi pour son décor vitré, pourtant original pour plus de la moitié, pour presque les deux tiers si l’on s’en tient aux relevés « archéologiques » de Steinheil. Entre 1850 et 1853, puis en 1855, tous les panneaux « anciens » ont été déposés et relevés pour être ensuite restaurés et remontés selon un ordre neuf et arbitraire, en fonction d’une relecture radicale du programme primitif que des siècles d’incuries avaient il est vrai brouillé. C’est ainsi que deux panneaux seulement ont conservé leur « ancien » emplacement, celui d’avant 1850, dans les verrières d’Esther et des Rois. Lorsque l’on regarde l’état de cette dernière sur le relevé rapide de Steinheil, on comprend mieux l’embarras des restaurateurs et surtout des autorités culturelles d’alors (fig.1a et 1b). Au début de l’année 1850, le baron de Guilhermy s’était pourtant résolu à ne rien modifier. Dans une courte lettre à J. B. Lassus, il se propose de garder en l’état tous les panneaux en place, après remise en plombs et simples « consolidations ». Seuls seraient ajoutés des sujets neufs dans les parties manquantes des quinze baies de la nef et du chœur, dépouillées à leur base, sur quelque deux mètres, de tous leurs vitraux, lorsque la Sainte-Chapelle fut transformée en 1803 en dépôt d’archives judiciaires (pièce 1). revue ; voir aussi R. HAUSSHERR, Bible moralisée : Codex Vindobonensis 2554 der Österreichischen Nationalbibliothek, Kommentarium, Graz, 1973 ; et Y. CHRISTE et L. BRUGGER, « Quelques images de la Genèse, de l’Exode et du Lévitique dans la Bible moralisée napolitaine de Prais et les Bibles moralisées du début due XIIIe siècle », in : Iconographica. Mélanges offerts à Piotr Skubiszewski, Poitiers, 1999, p. 49-61 ; Y. CHRISTE et L. BRUGGER, « Une Bible moralisée méconnue : la Bible napolitaine de Paris, BnF fr. 9561, fol. 1r-112vo », Arte Cristiana 91 (817), 2003, p. 105-124.
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Ce premier parti, « moderne et archéologique », fut hélas ( ?) rapidement abandonné. En 1853, alors qu’il ne restait à « restaurer » que la baie de l’histoire des reliques et la rose de la fin du XVe siècle, Guilhermy justifie dans une autre lettre à Lassus un revirement doctrinal complet (pièce 2). Le décor vitré a été entièrement recomposé, avec pour conséquence une nouvelle série d’amputations de panneaux anciens. Ces panneaux déclarés « hors de service », parfois perdus, sont heureusement consignés dans les vingt albums de relevés à l’échelle 1/1, oeuvre de Steinheil, lesquels, compte tenu de l’importance des restaurations et des manipulations du milieu du XIXe siècle, constituent aujourd’hui les véritables originaux. Indépendamment de leur valeur archéologique, ces albums en lambeaux sont aussi, pour eux-mêmes, un chef-d’œuvre de la peinture historique du XIXe siècle.3 Tel qu’il est conservé, le décor vitré de la Sainte-Chapelle n’est donc plus celui qu’avaient voulu Louis IX et Blanche de Castille. C’est celui du baron de Guilhermy, de Steinheil et de Lusson. C’est aussi celui que les historiens de l’art, sans trop s’en rendre compte, appréhendent aujourd’hui dans le volume du Corpus vitrearum préparé par L. Grodecki. En effet, la lecture des panneaux qui nous est proposée est calquée sur celle de Guilhermy, ses propositions d’identification n’ayant été modifiées que superficiellement, comme pour masquer une dépendance jamais avouée. Un exemple illustrera notre propos. Dans la verrière de l’histoire de l’acquisition des reliques, aujourd’hui transformée en histoire de la vraie croix, l’identification retenue par L. Grodecki pour le panneau 125 est celle-ci : « Heraclius retournant à Jérusalem portant la croix ». C’est celle de Guilhermy et de Dyer Spencer : « Heraclius s’en retourne à cheval portant la croix comme un étendard ». Le sujet est dit incertain et le panneau partiellement ancien. Or, il apparaît que ce panneau a été complètement manipulé par Steinheil et Guilhermy. 3
Sur la disposition des panneaux avant leur dépose, leur restauration et leur remontage, voir surtout A. A. JORDAN, Narrative Design in the Stained Glass Windows of the Sainte-Chapelle in Paris, thèse de Bryn Mawr College, Ann Arbor, 1994. Sur la Sainte-Chapelle, voir J.-M. LENIAUD et F. PERROT, La Sainte-Chapelle, Paris, 1991. Sur ses vitraux, voir J. DYERSPENCER, Les vitraux de la Sainte-Chapelle de Paris, thèse inédite de l’École du Louvre, Paris, 1924 ; et L. GRODECKI, in : M. AUBERT et alii, Les vitraux de Notre-Dame et de la Sainte-Chapelle de Paris, (=Corpus Vitrearum Medii Aevi, France, I), Paris, 1959. Nous disposons désormais pour les relevés de Steinheil d’une version sur CDRom accompagnée d’un inventaire critique complet, réalisée par V. SIFFERT, M. GROSSENBACHER et G. LINI. Une copie du tout est déposée à Paris, à la Médiathèque du Patrimoine, Hôtel de Croisilles.
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Le relevé de l’état antérieur à 1853 est clair : à l’origine, le panneau 125 ne figurait rien d’autre qu’une charge de cavalerie, avec au centre un « champion », et pas un roi, monté sur un cheval blanc, fonçant vers la droite, tête baissée, épaules en avant, lance tenue à l’horizontale. Steinheil, au tome 15 de ses relevés, propose même en regard de l’ancien panneau sa propre proposition de relecture. Le champion a été redressé et couronné ; la lance horizontale a été supprimée et remplacée par une croix verticale à longue hampe et à double traverse, « la croix comme étendard ». Le cadavre étendu sur le sol a évidemment disparu (fig. 2 et 3). Pour restituer, du moins en partie, les séquences originales, deux voies restent à explorer : a) celle d’un retour à la distribution des panneaux avant les interventions radicales du milieu du XIXe siècle ; b) celle d’une confrontation systématique de tous les relevés avec les Bibles moralisées, accessoirement aussi avec d’autres Bibles royales du XIIIe siècle, la Bible de Saint-Jean d’Acre ou la Bible du cardinal Maciezowski :4 a) En 1850, l’ordre existant était déjà très perturbé, pour ne pas dire complètement brouillé. Pour s’en rendre compte, il suffira de se référer aux schémas de restitution d’A. Jordan. On peut toutefois espérer – je suis pourtant moins optimiste que ma savante collègue américaine – que quelque chose de l’ordre original subsistait encore dans cet étrange méli-mélo. b) Comme l’avait pressenti Guilhermy, une part substantielle des panneaux anciens trouvent leur équivalent, parfois littéral, dans ce qu’on appelle aujourd’hui les Bibles moralisées. La confrontation des vitraux avec les médaillons de ces somptueuses Bibles royales permet de corroborer, de préciser, mais surtout de modifier les identifications ponctuelles aujourd’hui admises, lesquelles, répétons-le, sont pour l’essentiel, en dépit de quelques corrections de Dyer Spencer ou de Grodecki, celles qu’a imposées Guilhermy, en justification de son nouvel ordre de lecture. Il convenait donc de sortir des très profondes ornières creusées par 150 ans de consensus savant. C’est ce que nous avons tenté de faire avec aujourd’hui ces premiers résultats : 4 Sur ces manuscrits, voir les travaux récents de Daniel Weiss, en particulier D. WEISS, The Pictorial Linguage of the Arsenal Old Testament, thèse de John Hopkins University, 1992 ; D. WEISS, Art and Crusade in the Age of the Saint Louis, Cambridge University Press, 1998, et son commentaire à l’édition en facsimilé de la Bible du cardinal Maciejowski, chez Faksimile Verlag à Lucerne.
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I. Une seule Bible moralisée, celle de Tolède, a servi de « modèle » pour les quatre baies et verrières des prophètes. Tous les panneaux conservés d’Ezéchiel et de Daniel trouvent leur équivalent dans le t. 2 de ce manuscrit. C’est le cas en grande partie aussi pour Isaïe, un peu moins pour Jérémie, dont un tiers des panneaux semble s’écarter du « modèle ». II. Un seul cycle biblique, celui des Juges, est en revanche indépendant de cette série de manuscrits. III. Pour le reste des verrières vétérotestamentaires, c’est à l’ensemble des Bibles moralisées qu’il faut se reporter. Leur utilisation est importante dans les cycles du Deutéronome et de Josué, dans celui de Job ou des Rois. Elle est moins fréquente ou plus occasionnelle pour l’Exode, les Nombres, Judith, Job, Tobie et Esther. La baie de la Genèse, lacunaire, échappe à toute évaluation. IV. Au même titre que le modèle de la Bible française de Naples, la vitrerie de la Sainte-Chapelle constitue un autre « remake », celui-ci politique, des Bibles moralisées. À ce jour (2003), les quatre verrières prophétiques, celles du Deutéronome et de Josué, celle des Juges et partiellement aussi celle d’Esther, ont été étudiées en détail. Pour la Genèse – presque réduite à rien – l’Exode, les Nombres, Job et Judith et enfin les Rois, le traitement en cours a néanmoins touché tous les panneaux. Ceci nous a conduit à modifier près d’un quart des identifications du Corpus vitrearum, proportion qui approche les 50% pour Ezéchiel et Daniel. Les résultats acquis, même s’ils restent provisoires, nous autorisent pourtant à émettre quatre hypothèses : 1) Même si la Biblia de San Luis semble avoir joué un rôle primordial dans la conception du programme biblique, toutes les Bibles moralisées ont été mises à contribution, y compris celle que nous restitue le manuscrit napolitain BnF fr. 9561. 2) La nouvelle ’Bible moralisée’ que nous propose la Sainte-Chapelle est à son tour, comme les cinq précédentes aujourd’hui connues, une version nouvelle, à ce titre ’originale’. Elle ne comporte évidemment pas de moralisations figurées, celles-ci, occasionnellement, étant intégrées aux illustrations littérales. 3) Le remake monumental de la Sainte-Chapelle est de nature plus politique que moral ou typologique. Il se présente comme une sorte de testament politique laissé par Louis IX avant son départ pour la Terre Sainte. Tel qu’il a été conçu, il ne devrait donc pas avoir été imaginé avant la fin de l’année 1244, avant la décision dramatique du roi de se croiser. En ce sens, il est le manifeste du roi croisé qui s’ap-
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prête à « guerpir ses terres et possessions », à prendre la croix pour s’en aller outremer quérir son salut, non sans avoir désolé les siens (cf. Vf 4r D1–D2). 4) C’est enfin, à travers une illustration très libre et très particulière de la Bible, une sorte de portrait, d’autoportrait moral et politique du roi, marqué à l’occasion de quelques touches intimes. C’est d’abord son image d’un roi croisé, d’un roi pèlerin que Louis IX a voulu imposer dans la baie axiale consacrée à la Passion. L’« erreur » de composition dénoncée par Grodecki au sommet du vitrail n’en est évidemment pas une ; elle est volontaire et parfaitement révélatrice des intentions du souverain après 1244. Au lieu du Christ de l’Ascension, les dix disciples et les deux saintes des panneaux 25, 26, 27 et 28 – 25–26 ne faisant que répéter 27–28 – contemplent le Christ en pèlerin d’Emmaüs, d’abord en route, puis à table, sur le point de se dérober aux regards des ses deux compagnons. À la veille de prendre à son tour le chemin de Jérusalem, c’est en nouveau Cléophas que s’imagine le roi. C’est en pèlerin aussi – mais en pèlerin armé comme Josué – qu’il s’en ira à la rencontre du Christ ressuscité (fig. 4). En juillet 1244, Jérusalem rendue aux chrétiens par la diplomatie était à nouveau tombée aux mains des Sarrasins. Peu de temps après, l’écrasante défaite des chrétiens à la Forbie avait encore ajouté au désastre. Ces événements ont apparemment suscité l’aggiornamento des panneaux 61–62 et 70–71 formant un carré sur la pointe au milieu de la baie d’Isaïe. Il illustre, sur le modèle du même sujet dans la Bible de Tolède, Is 5, 1–7. Mais au lieu du clos avec le Christ à côté de sa vigne, le même schéma nous restitue une enceinte crénelée – au lieu du plessis rustique – complètement dépouillée de sa végétation. La tour centrale est demeurée, mais sans son pressoir ; au lieu du Christ, debout à gauche, on ne voit plus, au même endroit, qu’un spectateur, peut-être le prophète affligé. C’est là l’image de désolation des versets 5 à 7, en figure de Jérusalem déchue, en remplacement du clos florissant qu’était la domus Israël des jours heureux (fig. 5–6). On comprend mieux dès lors l’inscription MA(O)META qui accompagne l’idolâtre du panneau 108, au bas de la verrière. Le prophète impie a ici remplacé le juif idolâtre du médaillon 98G3 de T (fig. 7). À l’inverse, la tente du roi Josué, le conquérant de la Terre Sainte, est sommée d’une fleur de lys (panneau L–114 et surtout L–41) et parmi les soldats du panneau L–59, deux portent un bouclier marqué d’une fleur de lys et d’une castille. Dans cette même baie, l’apparition de l’ange du Seigneur à Josué (Jos 5, 13–20) a subi une modification
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décisive. L’ange du Seigneur, le Christ, ne se contente plus de brandir une épée dégainée ; il la remet au roi, qui ensuite se prosterne à ses pieds (fig. 8–9). L’allusion à Louis IX, libérateur espéré de la Terre Sainte, paraît évidente, d’autant que sur le panneau L–127, en illustration de la traversée du Jourdain, c’est Josué lui-même, les pieds nus, qui élève seul dans ses mains la châsse de l’arche d’Alliance. Ici encore l’allusion au roi qui avait porté lui-même le coffret de la couronne d’épines à son entrée à Sens et à Paris ne fait guère de doute. Josué, général des armées d’Israël, est transformé en roi, en roi-prêtre, en souverain armé par Dieu (fig. 10–11).5 C’est pourtant dans la verrière de Jérémie, baie E, située dans le prolongement naturel du regard du roi, lorsque celui-ci prenait place dans sa loge, que l’écho des tragiques événements de 1244 est le plus sensible. Les extraits des prophéties et des lamentations du prophète sont agencés de manière à dérouler une longue et douloureuse méditation sur la déchéance de Jérusalem, ville ruinée et tombée sous la coupe des infidèles. Les modifications apportées au « modèle », ici encore la Bible de Tolède, sont riches de sens. Ainsi, la transformation en Synagogue déchue (panneau 33) de la fille de Sion, figure de l’Ecclesia, du fol. 160r G1–G2 (fig. 12–13). On comprend mieux aussi que les vifs reproches du prophète à Jérusalem, l’épouse fidèle devenue une reine prostituée (panneaux 15–16), soient associés au sommet de la baie à un médaillon où un roi accablé contemple une ville en feu, où un lion dévore une tête humaine (fig. 14–15, 16–17). Le panneau 3 (olim 45), qui résume le médaillon 132v G1 de T où est illustré le début de la prophétie (Jr 4,7), sert de conclusion au cycle de la Sainte-Chapelle. C’est donc à bon droit que Guilhermy l’a déplacé de 45 en 9. Il a subi au passage une modification substantielle. Le roi armé qui, debout, à droite, sur le médaillon 132v G1, donnait l’ordre de saccager et d’incendier la ville, a été remplacé par un roi accablé de douleur, assis à gauche, en face d’une cité ruinée. Ce roi qui contemple Jérusalem, ville déchue et en feu, est certainement le roi Louis IX méditant sur les malheurs de la cité sainte retombée aux mains de l’ennemi en 1244. L’assimilation de Josué – et de David – à Louis IX est soulignée par une autre particularité – particularité considérée parfois comme une erreur – du couronnement de la baie L, où figure, par anticipation, si l’on s’en tient à l’ordre des Livres bibliques, l’histoire de Ruth et de 5
La verrière de Josué a été publiée par G. LINI, in : Cahiers de Civilisation médiévale, 30, 2003, p. 23-51.
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Booz. Dans le lobe L–3, on voit en effet Ruth, et non Booz, retirant sa botte au plus proche parent de son défunt mari. À l’inverse de ce qui est dit dans la Vulgate, Flavius Josèphe et l’Histoire scolastique de Pierre Comestor attribuent ce geste à la jeune veuve qui reçoit ainsi l’autorisation d’épouser Booz. Ce recours à une source apocryphe n’est pas gratuit, bien au contraire. Ruth, une Moabite, une étrangère de souche royale, est en effet devenue par son second mariage l’arrière-grand-mère de David, fils de Jessé, fils d’Obed. Ruth et Booz, avec le jeune Obed sur les genoux de sa mère, siègent d’ailleurs ensemble sur un trône commun au sommet de la baie dans le lobe supérieur de la rose (cf. la même image en Vl 85v G1). Ruth se trouve ainsi dans une situation égale à celle d’Aliénor d’Aquitaine, grandmère de Blanche. Elle aussi, par son second mariage, est devenue l’arrière-grand-mère du roi Louis IX et c’est elle qui, seule, avait choisi à Palencia la fiancée du futur Louis VIII (fig. 18–19). Au passage, on notera que le retrait de la botte a disparu dans O(PL), et par conséquent dans les manuscrits de sa descendance, le miniaturiste de l’exemplaire d’Oxford n’ayant rien compris au dessin préparatoire gravé en creux.
B Nous voilà désormais confrontés à des annotations de nature dynastiques, dont la verrière des Nombres, celle qui domine au nord la loge du roi, nous livre un enracinement biblique des plus étonnants. À la base de ces quatre baies s’étendent aujourd’hui vingt couronnements royaux, dont deux sont modernes. Le schéma est à peu près le même, que le prince soit flanqué de deux ou de six acolytes, voire même d’un seul pour les figures de Moïse et d’Aaron, bénéficiaires eux aussi d’un couronnement. Si le texte de la Vulgate avait été respecté, les seize couronnements princiers seraient ainsi conservés. En Nm 1, 5–16, Dieu ordonne en effet à Moïse, ainsi qu’à Aaron, de désigner d’abord douze chefs de guerre, puis en Nm 3, 14–37, quatre chefs de clans sacerdotaux – les trois chefs des trois clans et Eléazar, princeps principum levitorum, ce qui fait seize « rois ». Le respect de la vérité biblique n’étant pas un impératif ni dans les Bibles moralisées, ni dans les cycles de la Sainte-Chapelle, on ne s’en tiendra pas à cette obligation, d’autant que cet alignement protocolaire et répétitif ne peut s’organiser que sur quatre registres, avec vingt-quatre cases disponibles, ou pour le moins vingt-deux, si l’on admet qu’il était
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introduit par l’ordre donné par Dieu à Moïse de recenser son peuple. Dans la Bible, Moïse se contente de désigner douze, puis quatre chefs de clans guerriers et sacerdotaux. Il n’est nullement question de leur couronnement, à plus forte raison du couronnement de Moïse et d’Aaron. Dans les Bibles moralisées en un seul volume – Vf, Vl et N – on passe d’ailleurs directement du recensement exigé par Dieu à la fabrication des deux trompettes – trois en N et à la Sainte-Chapelle – qui serviront à donner le signal du départ (Nm 10, 1 sq) (fig.20). Il en va autrement dans les Bibles en trois volumes. Immédiatement après la scène du recensement – T60rD1 et O66rD1 – s’intercale une longue suite de douze couronnements royaux, celle des seuls princes des tribus astreintes au service armé, de Ruben à Nephtali, la tribu de Joseph ayant été dédoublée, afin de libérer les fils de Lévi pour le service du Tabernacle (fig. 21–22). Ces couronnements ou investitures royales sont figurés de diverses manières. Le prince, tantôt debout, tantôt assis, reçoit un long sceptre fleurdelisé. Déjà couronné, il siège sur son trône entre deux acolytes qui touchent au soutiennent son diadème. À l’occasion aussi, il est porté sur son siège, comme un pape sur sa sedia gestatoria. Il arrive encore, comme Gad, qu’il soit simplement acclamé. L’image finale – T64rG1, O70rG1 – montre deux de ces très nobles princes – nobilissimi principes – portés sur un trône de menuiserie par de hauts seigneurs laïcs. Dans deux cas au moins, le roi en train d’être couronné est accompagné d’un enfant – 61v et 67vD1, 62r et 68r G3. Les seize couronnements originaux de la Sainte-Chapelle sont de nature plus hiératique, la solennité du rite étant encore accentuée par la reprise des mêmes cartons. Les « rois » sont toujours assis, de face, même lorsqu’ils imposent la main sur un jeune prince héritier, ainsi sur les panneaux M–144 et M–146 exécutés à partir du même carton. Dans la plupart des cas, c’est le rituel des médaillons T63vG1 et O69vG1 qui a été retenu. Le roi, déjà couronné et assis sur son trône, est entouré de « pairs », pares, qui touchent et soutiennent sa couronne. En M 165 et 166, les deux témoins acclament ou désignent leur roi. En M–160, 161, 162 et 163, le témoin de droite vient peut-être de tendre le sceptre au roi. En M–145 enfin, le roi ne tient dans sa main gauche levée, à la hauteur de sa poitrine un simple sceau, de la taille d’une pomme, timbrée d’une fleur de lys. À aucun moment, il n’est fait allusion au rite de l’onction (fig. 23–24–25–26). Il n’échappera à personne que cette galerie de couronnements des princes d’Israël n’est pas comme on l’a dit un « simple remplissage
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dont l’intérêt iconographique est faible » (Grodecki, p. 126). Absente dans les Bibles moralisées en un volume, réduite à celle des douze chefs des tribus guerrières dans les versions en trois volumes, elle est étendue à celle des princes des lévites à la Sainte-Chapelle. On notera surtout dans la baie R un schéma répétitif privilégié : celui qui dans l’ordo du sacre des rois à Reims clôturait cette longue cérémonie. Une fois oint et couronné par l’archevêque de Reims, le roi était conduit par les douze pairs du royaume jusqu’à son trône élevé sur une estrade. Ceux-ci soutenaient sa couronne, en témoignage de leur soutien à la couronne de France. C’est donc l’hommage des grands, des six pairs ecclésiastiques et des six pairs laïcs, qui est mis à l’honneur dans la verrière des Nombres, juste au-dessus du trône du roi. Qua imposita, omnes pares tam clerici quam laici manum apponunt corone et eam undique sustentant. Tunc archiepiscopus coronam sustinentibus re-(fol. 25v)-gem taliter insignitum deducit in solium sibi preparatum (texte identique dans l’ordo de Reims de 1200).6 On est loin de la « fronde » de ces mêmes « magnats » qui avait suivi le couronnement du jeune Louis en 1223, à la mort de son père et lors de la première régence de Blanche de Castille. Le roi a depuis pacifié son royaume : En nouveau Moïse, il l’a réorganisé, en a assuré les assises et les frontières ; il a surtout fait taire murmures, séditions et révoltes. À la veille de s’en aller outremer, cette fois sous les traits de Josué, il peut estimer sa mission intérieure achevée. Il en dresse une sorte de bilan à travers l’oeuvre législatrice, à l’occasion guerrière aussi, du « roi » Moïse et de son frère, le « pape » Aaron.7 La galerie des rois de la Sainte-Chapelle manifesterait-elle la volonté de Louis IX de soustraire sa légitimité à la puissance ecclésiastique ? Avant même que Samuel ne procède à l’onction de Saül, puis de David, il y avait des rois en Israël. C’est d’ailleurs sous la forme des couronnements de la verrière des Nombres que Jephté dans celle des Juges est investi comme roi (K–41 et 42). Les Bibles moralisées en un volume ont elles-mêmes utilisé ce schéma, ainsi pour le couronnement d’Abymelech en Vl 71v ou pour celui de David comme roi de Juda en Vf 61 (fig. 27). Ce qui est mis en évidence, ce n’est donc pas l’onction, ni même le couronnement par l’autorité ecclésiastique, 6
Voir l’édition et le commentaire de cet ordo par J. LE GOFF, É. PALAZZO, J.-C. BONNE, M. N. COLETTE, Le sacre royal à l’époque de Saint-Louis, Paris, 2001. 7 À partir de son « onction baptismale » par Moïse au sommet de la verrière de l’Exode (panneau 39), Aaron est en effet régulièrement doté d’une tiare conique.
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l’archevêque de Reims, mais l’acquiescement par les pairs, rite secondaire lors de la cérémonie du sacre, essentiel, sinon primordial dans la chapelle du roi. A-t-on voulu suggérer qu’avant que saint Rémi ne sacre Clovis, il y avait déjà des rois légitimes chez les Francs, des rois déjà investis de prérogatives sacerdotales, à l’image d’Aaron et des quatre « rois » lévites ajoutés aux douze « rois » de tribu des Bibles moralisées en trois volumes ? Le mauvais état de conservation de la verrière des Rois nous prive hélas de vérifications. Ni l’onction de Samuel, ni celle du jeune David ne sont conservées. Ne subsiste que l’investiture de David comme roi du panneau 60, bâtie sur le schéma des couronnements de la baie des Nombres (fig. 28). N’est-ce là qu’un hasard ? Le schéma du « couronnement » des Nombres peut être pris en mauvaise part, par exemple à l’occasion de l’investiture de Roboam, fils indigne de Salomon : Populus Israel significat gentes mundi qui faciunt aliquem regem de quo sunt postmodum penitentes (cf. T, t.2, 133v G1–G2). Le roi Roboam, assis, fait le geste du seigneur. À gauche, un évêque touche sa couronne, alors qu’à droite un laïc agenouillé lui tend un sceptre. Dans la verrière des Nombres, comme dans celle de l’Exode, Aaron, même associé à Moïse, est régulièrement confiné dans un rôle secondaire. Dans la verrière des Nombres, il a pourtant reçu comme attribut la tiare conique qui le fait ressembler à un pape. Moïse continue pourtant à tenir le premier rang, préséance qui est toujours soulignée, même si Aaron, presque en comparse, est présent dans des épisodes où sa présence n’est pas requise. 8 De l’Exode aux Nombres, l’iconographie de Moïse s’est modifiée. Dès sa rencontre avec Dieu dans le buisson ardent, Moïse est doté de ses cornes rouges. C’est dès cette rencontre aussi qu’il aura comme attribut la « verge droite » que lui a donnée Dieu, au lieu du gourdin arrondi qu’il arborait précédemment. La donation de la verge sur le Sinaï n’est illustrée que dans les Bibles en un volume. Elle a été supprimée dans la Bible en trois volumes, mais réintégrée à la SainteChapelle dans le panneau N–130. Entre-temps, le roi avait acquis cette insigne relique qui figure en dix-huitième position dans la quittance de 1247 (fig. 29–30). Ce « repentir » n’est pas anodin. C’est directement de Dieu, sur le Sinaï, que Moïse reçoit ce sceptre, bien avant de recevoir les tables de la Loi. Et on a vu que c’est de Dieu que Josué a directement reçu le 8
Voir Y. CHRISTE, « La bible du roi : le livre des Nombres dans les Bibles moralisées et les vitraux de la Sainte-Chapelle », Studi medievali, s. 3, 45 :2, 2004, 1-24.
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glaive. Ce détournement évident de la vérité biblique est d’autant plus remarquable que l’ordo du sacre à Reims met bien en évidence la remise au roi de l’épée et du sceptre, virga (fol 26v et 28), par l’autorité ecclésiastique, en l’occurrence l’archevêque de Reims. Accipe gladium per manus episcoporum ; accipe virgam. En quelque sorte, le rituel biblique inventé pour le décor de la Sainte-Chapelle prend à contre-pied celui des ordines du sacre. La figure sacerdotale, puis presque papale d’Aaron, est donc bien assujettie à celle de son frère Moïse, élu de Dieu, guide de son peuple, législateur et chef de guerre, et enfin « roi », roi thaumaturge et grand ordonnateur de la liturgie du Tabernacle. La relecture historiée de l’Exode, du Lévitique et des Nombres des baies N et M fait ainsi ressortir la supériorité de l’imperium sur le sacerdotium. Moïse a désigné seul et le successeur de son frère, le jeune Eléazar, et le sien, Josué, à qui Dieu en personne remettra l’épée. Les Bibles moralisées en un seul volume, on l’a vu, ne comportent pas la longue séquence des couronnements des princes de tribus. Elles ne présentent pas non plus dans le livre des Nombres la répétition de l’aménagement des instruments du culte dans le Tabernacle, illustrée dans les seules Bibles en trois volumes. Vf, le manuscrit initial, a certes perdu deux bifolios de son 3ème cahier, soit deux folios pour ce qui touche aux Nombres. Ces lacunes ne concernent cependant que la fin de l’histoire de Balaam et le scandaleux épisode de l’hébreu forniquant avec une sarrazine (sic) à l’intérieur même (sic) de la tente de l’Alliance. Le recours à Vl, sur ce point complet, et à la Bible de Naples, où l’équivalent d’un folio, entre 89r et 30v, a toutefois été oublié, permet d’affirmer que cette innovation, qui n’apparaît que dans les Bibles en trois volumes, a encore été développée dans la baie M. Aux couronnements royaux de la base de la verrière étaient ainsi associées l’œuvre législatrice et sacerdotale de Moïse et d’Aaron, leur sollicitude pour la maison de Dieu, déjà abondamment illustrée dans la verrière précédente, celle de l’Exode. Ici encore la restitution de l’ordre primitif s’avère impossible. Il convient néanmoins de rassembler les panneaux qui ont trait à l’aménagement du sanctuaire, série très riche où est magnifiée la piété de Moïse, et par conséquent aussi celle du roi Louis. On retiendra surtout le sujet du panneau M–141 où Moïse dépose sur un autel, ou derrière celui-ci, une arche qui a la forme d’une châsse ou d’un édicule couronné d’une fleur de lys. À son tour, Josué déposera l’arche sur l’autel de Silo en L–40. Moïse le législateur est aussi un guerrier. Cette même châsse, il l’élève devant
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ses troupes, en compagnie d’un acolyte, peut-être Josué, vêtu comme lui d’un haubert et ceint d’une épée (fig. 31–32). Le programme biblique de la Sainte-Chapelle est évidemment un programme religieux. Il n’a cependant pas été conçu par des ecclésiastiques pour un édifice en leur possession, mais par des laïcs, le roi et sa mère, afin de servir de véhicule à un message idéologique où le politique affleure presque partout. Ici, c’est en effet le roi qui commande, pas un abbé, un évêque ou des chanoines. Il était donc normal que les relations entre le sacerdoce et le pouvoir royal soient exprimées en des termes différents de ce qu’on peut voir ailleurs où l’Église ne cesse d’affirmer son point de vue, ainsi à Reims, dans la cathédrale du sacre. Dans sa longue marche vers la croisée du transept, le roi pouvait contempler dans les fenêtres hautes de la nef une galerie continue d’archevêques de Reims et de rois de France, ses ancêtres. Mais dans les fenêtres hautes du chœur où le roi ne pénétrait pas, l’archevêque Henri de Braine († 1249) s’était entouré de ses onze églises suffragantes, en compagnie de la Vierge et du Christ en croix. Les roses étaient consacrées à la prédication des apôtres, ceux-ci, avec quelques disciples, se mêlant aux évêques de la province de Reims. De son haut trône dressé sur une estrade, le nouveau roi était ainsi appelé à contempler une transposition contemporaine des sept églises d’Asie d’où il était exclu.9 Le programme vitré de Notre-Dame de Reims est à peu près contemporain du manuscrit BnF lat 1246, où l’ordo du couronnement est entrecoupé d’une riche série de miniatures. Ces deux documents répercutent avec solennité la doctrine de l’Eglise, de la priorité du sacerdotium sur l’imperium. Il était donc naturel que l’image du roi entouré des pairs ne figurât qu’en marge de cette longue suite illustrée. Au fol. 26r, elle n’occupe que l’un des quartiers enluminés, en bas, à gauche. Il suffira de comparer cette page à la verrière des Nombres pour mesurer la distance qui sépare ces deux conceptions contemporaines ou presque de la légitimité royale (fig. 33). Les manipulations successives de l’image du recensement des tribus et de l’élection de leurs chefs, d’abord dans les Bibles moralisées, puis à la Sainte-Chapelle, éclairent d’une lumière nouvelle le nouvel agencement des sépultures royales à Saint-Denis. L’inhabituelle orga9 Voir à ce propos P. KURMANN, « Le couronnement de la Vierge du grand portail de Reims clef du système iconographique de la cathédrale des sacres », in : De l’art comme mystagogie. Iconographie du Jugement dernier et des fins dernières à l’époque gothique, Y. CHRISTE (éd.), Poitiers, 1996, en particulier p. 96-99.
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nisation spatiale de la croisée du transept montre que cette opération menée pas Saint Louis dès les années 1260 était prévue de longue date. Et comme dans le vitrail des Nombres, les princes anciens et modernes ont tous l’allure de rois du milieu du XIIIe siècle. Plus on remonte dans les siècles anciens, plus le temps est aboli, Moïse, le premier roi « chrétien » de la Sainte-Chapelle, ayant une physionomie qui n’est guère différente de celle de saint Louis. C’est cependant dans la verrière d’Ezéchiel que les ambitions politiques du roi se sont exprimées avec la plus vif éclat. Ici, elles revêtent même un caractère messianique, comme dans la représentation du roi promis conversant avec Dieu dans le Tabernacle du panneau F–21, projection dans l’avenir ou réalisation présente d’un panneau équivalent du vitrail de l’Exode, N–43, où Moïse déjà s’entretenait avec Dieu sous la Tente de l’alliance. Dans la Bible moralisée de Tolède, comme dans la Vulgate, le roi promis rompt le pain avec Dieu – cf T 203v G3. À la Sainte-Chapelle, et aussi en O(PL) 203v G3, le roi ne fait que converser avec Dieu. La prophétie d’Ezéchiel est cependant associée dans la baie F à une autre prophétie messianique, celle du désert qui refleurira et se couvrira de lys empruntée au Livre d’Isaïe (Is 35, 1–2). Le panneau F63 reproduit manifestement le médaillon T 118r D3 de la Bible de Tolède, mais avec une correction significative. Les lys ne sont plus déposés sur le sol, dans un simple vase, entre Isaïe et un groupe de trois juifs étonnés ; ils apparaissent dans le ciel, blancs sur fond bleu, sous un aspect déjà héraldique et liés à leur base par une couronne d’or (fig. 34,35,36,37). L’allusion aux lys de France est on ne peut plus claire. La confrontation des panneaux anciens subsistants et des médaillons de la Bible de Tolède a permis de modifier plus du tiers des identifications admises. L’ordre du « récit » n’a toutefois pas pu être retrouvé. Si l’on admet que l’ordre des chapitres biblique était respecté, le médaillon avec le roi promis et celui des lys devaient se trouver au sommet de la verrière, en diptyque, sous les deux immenses fleurs de lys qui couronnent les deux lancettes. Plus généralement, la confrontation des vitraux de la Sainte-Chapelle et des Bibles moralisées permet de préciser, de corriger, voire même de modifier radicalement bon nombre d’interprétations acquises. Elle permet surtout de mettre en évidence les transformations subies par ces « modèles » manuscrits à l’occasion de leurs transpositions monumentales. On l’a vu, ces manipulations ne sont pas gratuites ; elles révèlent des glissements de sens vers une expression plus politique, où se manifeste la volonté de reporter sur la personne du
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roi Louis – et non plus sur celles de rois chrétiens en général – les vertus et les prérogatives des grands acteurs de l’histoire biblique. Avec la verrière de l’acquisition des reliques, cet enracinement de la mission du roi régnant dans l’histoire du peuple élu trouve son prolongement dans les tempora novissima, le temps de l’Eglise en expansion sous les empereurs chrétiens. Si l’invention de la croix par sainte Hélène au bas de la verrière est une restitution quasi complète de Guilhermy – seul le panneau 143 pourrait s’y référer – le récit de la prise de Jérusalem par le roi des Perses, de sa défaite et de la reprise de la ville et de la croix par Héraclius semble attesté, même si les quelques panneaux originaux qui s’y rapportent sont impossibles à identifier. Ces scènes de guerres et de pillages renvoient pourtant une nouvelle fois au tragique destin de Jérusalem, à ses malheurs et à ses renaissances. Ici encore, les allusions à Louis IX, nouveau Constantin, nouvel Héraclius, sont à peine voilées. L’étude en cours de la verrière des Rois devrait nous en dire plus, surtout si son programme se prolongeait sur des scènes tirées d’Esdras et de Néhémie où sont relatés les épisodes du retour des exilés de Babylone et de la reconstruction de Jérusalem.10 Pour l’instant, en guise de conclusion, j’ajouterai ces quelques remarques sur la rose de l’Apocalypse. Celle-ci fut entièrement refaite vers 1480, mais quelques fragments originaux du XIIIe siècle ont miraculeusement subsisté : trois des Vieillards de l’Apocalypse et un épisode introductif au septenaire des trompettes, l’ange à l’encensoir d’Ap 8,5, (fig. 38–39). Il apparaît ainsi qu’en marge ou autour d’une adoration des Vieillards, le sujet principal de la rose, s’agglutinaient différents épisodes narratifs.11 L’adoration des Vieillards de la Sainte-Chapelle est un évident rappel de celle de l’église palatine de Charlemagne à Aix. Quant au sens qu’il faut accorder à son cycle narratif, il paraît non moins évident aussi. Comme cela est répété dans tous les commentaires, en particulier dans celui qui accompagne, dans sa version longue ou brève, l’Apocalypse des Bibles moralisées, la version latine de Vienne et les deux versions jumelles de Tolède et de Londres, il résume allégoriquement le temps de l’Eglise, ces tempora novissima, ce sixième âge du monde, dans lequel s’inscrit l’action du roi, une action qui peut-être revêtait dans l’esprit de Louis IX une dimension messiani10 En attendant, voir ici même, la contribution de M. Grossenbacher qui prépare une thèse sur le vitrail des Rois. Ajourd’hui achevée, elle a été soutenue en mai 2007. 11 Voir F. PERROT, « Prolégomènes à l’étude de la rose de la Sainte-Chapelle : les panneaux du XIIIe siècle », in : Iconographica... (op. cit. n. 2), p. 183-186, ainsi que sa contribution, dans ce volume même.
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que. Le hasard a voulu que du cycle du XIIIe siècle ne subsiste que l’ange versant sur la terre le feu de son encensoir d’Ap 8,5, figure dont l’apparition au début du troisième septenaire de l’Apocalypse inaugure les débuts et non pas la fin des temps nouveaux. Souvenons-nous enfin que la chapelle palatine de Charlemagne à Aix était assimilée à une Jérusalem céleste par avance établie sur la terre. C’est du moins ce que nous dit la longue inscription versifiée, œuvre d’Alcuin, qui court au-dessus des arcades du rez-de-chaussée. Dans une lettre à son souverain, le même Alcuin va même plus loin : cette fois, c’est le royaume de Charles qui est une Jérusalem céleste, et celle-ci, nouvelle Roma Aeterna, ne périra pas par « les flammes chaldéennes ». On peut penser que ces idées étaient encore connues au XIIIe siècle. Elles l’étaient encore aux temps de l’empereur Frédéric Barberousse qui offrit à la chapelle d’Aix une couronne de lumière en forme de Jérusalem céleste, réduction aux proportions exactes de l’octogone carolingien. À sa manière, la Sainte-Chapelle ressuscite l’idéologie monumentale de Sainte-Marie d’Aix.12
12 Cf. C. HEITZ, « Retentissement de l’Apocalypse dans l’art de l’époque carolingienne », in : L’Apocalypse de Jean, Y. CHRISTE (éd.), Genève, 1976, p. 231-235. Cum lapides vivi pacis conpage ligantur / Inque pares numeros omnia conveniunt / Claret opus domini totam qui construit aulam / Effectusque piis dat studiis hominum / Quorum perpetui decoris structura manebit / Si perfecta auctor protegat atque regat / Sic deus hoc tutum stabili fundamine templum / Quod Karolus pinceps condidit esse velit (MGH, poetae lat. aev. carol., I, 432). Cf. d’Alcuin aussi cet extrait d’une lettre à Charlemagne (MGH, ep. IVI 198) : Dum vestrae potentiae gloriosam sublimitatem non periturae Chaldeis flammis Hierusalem scio, sed perpetuae pacis civitatem pretioso sanguine Christi constructam regere et gubernare, cuius lapides vivi de caritatis glutino colliguntur et caelestis aedificii ad altitudinem ex diversis virtutum gemmis muri consurgunt…. Cité et commenté par R. KONRAD, « Das himmlische und das irdische Jerusalem im mittelalterlichen Denken », in : Speculum historiale. Festschrift J. Spörl, Freiburg-München, 1965, p. 527-529.
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fig. 1 : Baie des Rois, dessin de Steinheil avant dépose et restauration, détail.
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fig. 2 : Sainte-Chapelle, baie A, panneau 125, projet de restauration (t. 17, fol. 25).
fig. 3 : Le même panneau, avant restauration (t. 17, fol. 26).
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fig. 4 : Sainte-Chapelle, baie H, panneaux 18 et 21 (t. 9, fol. 31 et t. 8 fol. 36).
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fig. 5 : Sainte-Chapelle, baie J, panneau 61–62, 70–71 (t. 6, fol. 23).
fig. 6 : Bible de Tolède, t. 2, médaillon fol. 103v G3 (photo d’après La biblia de San Luis (Éd. Moleiro)).
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fig. 7 : Sainte-Chapelle, baie J, panneau 108 (t. 6, fol. 47).
fig. 8 : Sainte-Chapelle, baie L, panneau 102 (t. 4, fol. 29).
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fig. 9 : Bible de Tolède, t. 1, médaillons fol. 83v D1 (photo d’après La biblia de San Luis (Éd. Moleiro)).
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fig. 10 : Sainte-Chapelle, baie L, panneau 127 (t. 4, fol. 22).
fig. 11 : Sainte-Chapelle, baie A, panneau 98 (t. 17, fol. 47).
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fig. 12 : Sainte-Chapelle, baie E, panneau 33 (t. 11, fol. 13).
fig. 13 : Bible de Tolède, t. 2, médaillons, fol. 160r G1–G2 (photo d’après La biblia de San Luis (Éd. Moleiro)).
fig. 14 : Sainte-Chapelle, baie E, panneaux 15–16 (t. 11, fol. 32–33).
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fig. 15 : Bible de Tolède, t. 2, médaillon fol 160r D3 (photo d’après La biblia de San Luis (Éd. Moleiro)).
fig. 16 : Sainte-Chapelle, baie E, panneau 9 (t. 11, fol. 16).
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fig. 17 : Bible de Tolède, t. 2, médaillon fol 132v G1 (photo d’après La biblia de San Luis (Éd. Moleiro)).
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fig. 18 : Sainte-Chapelle, baie L, panneau 1 (t. 4, fol. 64).
fig. 19 : Sainte-Chapelle, baie L, panneau 2 (t. 4, fol. 64).
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fig. 20 : Paris, BnF fr. 9561, fol. 87r.
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fig. 21 : Bible de Tolède, t. 1, fol. 60r (photo d’après La biblia de San Luis (Éd. Moleiro)).
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fig. 22 : Bible de Tolède, t. 1, fol. 61v (photo d’après La biblia de San Luis (Éd. Moleiro)).
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fig. 23 : Sainte-Chapelle, baie M, panneau 146 (t. 3, fol. 23, même carton que 144, fol. 25).
fig. 24 : Sainte-Chapelle, baie M, panneau 160 (t. 3, fol. 19).
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fig. 25 : Sainte-Chapelle, baie M, panneau 164 (t. 3, fol. 15).
fig. 26 : Sainte-Chapelle, baie M, panneau 151 (t. 3, fol. 30). Couronnement de Moïse.
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fig. 27 : Sainte-Chapelle, baie K, panneau 41 (t. 5, fol. 14). Couronnement d’Abymelech.
fig. 28 : Sainte-Chapelle, baie B, panneau 60 (t. 16, fol. 10). Couronnement de David.
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fig. 29 : Sainte-Chapelle, baie N, panneau 130 (t. 2, fol. 38).
fig. 30 : Paris, BnF fr. 9561, fol. 51r.
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fig. 31 : Sainte-Chapelle, baie M, panneau 141 (t. 3, fol. 35).
fig. 32 : Sainte-Chapelle, baie L, panneau 40 (t. 4, fol. 55).
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fig. 33 : Paris, BnF lat. 1246, fol. 26r.
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fig. 34 : Sainte-Chapelle, baie F, panneau 21 (t. 10, fol. 8).
fig. 35 : Sainte-Chapelle, baie F, panneau 63 (t. 10, fol. 28).
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fig. 36 : Bible de Tolède, t. 2, médaillon fol. 203v G3 (photo d’après La biblia de San Luis (Éd. Moleiro)).
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fig. 37 : Bible de Tolède, t. 2, médaillon, fol. 118r D3 (photo d’après La biblia de San Luis (Éd. Moleiro)).
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fig. 38 : Sainte-Chapelle, baie C, panneau 6 (t. 14, fol. 69).
fig. 39 : Sainte-Chapelle, autrefois baie A, t. 17, fol. 89 (original à Champs-sur-Marne).
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ANNEXE I Paris, Médiathèque du Patrimoine, Sainte-Chapelle, Dossier 2088 Lettre de F. de Guilhermy à l’architecte Lassus
Mon cher Lassus, Voici donc le moment arrivé de la restauration des vitraux de la Sainte Chapelle. C’est aussi l’occasion de vous dire franchement ce que j’en pense. La fenêtre du fond de l’abside par laquelle il s’agit de commencer ne donne lieu à aucune difficulté sérieuse, du moins quant à l’ensemble. Rien de plus simple que de compléter les scènes de la Passion. Cependant il y aurait dès à présent une question assez grave à décider, celle de savoir ce qu’on fera des deux ou trois panneaux qui ont été rapportés d’ailleurs pour combler des lacunes, et qui n’appartiennent évidemment pas à la série des sujets de cette fenêtre. Quand vous aurez épluché toutes les verrières de la Chapelle, vous aurez peut-être cent panneaux ou fragments de panneaux dépareillés. Quelle en sera la destination ? Passons aux autres fenêtres. Je me suis livré à une étude sommaire des sujets qui les composent, et je suis arrivé à me rendre compte de l’ensemble. Quant aux détails et surtout à la combinaison des sujets entre eux, ce serait un travail très long, très fastidieux et très peu utile, dont je n’ai absolument pas le loisir de m’occuper. Lorsqu’il a été question pour la première fois de ce travail, ma position n’était pas ce qu’elle est aujourd’hui, et mes obligations avaient un caractère tout différent. Maintenant je me dois avant tout aux fonctions dont je suis chargé ; je ne puis entreprendre à leurs dépens aucun travail considérable. D’ailleurs, je ne puis approuver le système de restauration qui consisterait à faire un remaniement général de tous les vitraux de la Sainte Chapelle. Mon opinion est celle-ci, – Laisser en place tous les panneaux, sauf tout au plus une exception pour deux ou trois fenêtres, celles du fond de l’abside, dont les sujets sont tellement populaires qu’on ne peut regarder le complément comme une nécessité. – Ne pas laisser sortir de la Sainte Chapelle un seul des vitraux qui s’y trouvent quand même on ne saurait en donner l’explication.
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– Ne faire disparaître aucune des traces des restaurations successives dont les vitraux ont été l’objet. – Se contenter, en ce qui concerne les vitraux anciens, de nettoyer, de remettre en plomb et de boucher les trous. Le raccommodage et la consolidation des anciens vitraux dans leur état et dans leur ordre actuel étant terminés, on aurait à chercher le meilleur système à suivre pour l’établissement de vitraux neufs dans la zone aujourd’hui vitrée en blanc dans tout le pourtour. On pourrait ou chercher un ordre de sujets qui occuperait cette zone entière, ou placer à chaque fenêtre une légende analogue à celles des parties anciennes conservées. Puis on constaterait que tout est neuf jusqu’à 1m 50 ou 2 m , je ne sais au juste, et nos successeurs auraient à s’énerver sur le reste tant que bon leur semblerait. Autrement, nous nous chargerions d’une responsabilité dont je ne me donne pas d’avoir ma part. Tout ceci vous explique pourquoi je n’ai pas mis plus d’empressement à m’occuper de la mission dont je m’étais chargé provisoirement et sauf étude ultérieure de la question. Si vous partagiez ma manière de voir, mes fonctions deviendraient une espèce de sinécure et je n’aurais plus de motifs pour chercher à m’en affranchir. Sinon, je vous prierais de m’en tenir quitte. Je trouve tout naturel qu’on ne pense pas comme moi. Mais je ne puis agir contre mes convictions. Sur ce, mille amitiés Votre tout affectionné Frs de Guilhermy ce 12 Janvier 1850.
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ANNEXE II Paris, Médiathèque du Patrimoine, Sainte-Chapelle, Dossier 2088 Note sur la restauration des vitraux de la Sainte Chapelle
Dans la Chapelle Haute, il y avait quinze grandes fenêtres à restaurer. Une seule ne l’est pas encore (Août 1853). C’est la première au sud, la dernière dans l’ordre des sujets présentés. Dans le cours de la restauration, un certain nombre de panneaux anciens, quinze ou vingt environ, est resté sans emploi. Il ne faut pas s’en étonner. Il n’y avait pas une seule fenêtre qui n’eût été réparée et complétée dans ses parties hautes au moyen de panneaux retirés des parties basses qui avaient été vitrées en blanc. On ne s’était fait aucun scrupule de porter des panneaux d’une fenêtre à l’autre. Aucun ordre n’avait été observé dans la remise en place des vitraux descendus à diverses époques, notamment en 1780, pour être nettoyés et réparés. Quelques panneaux évidemment étranger à la Sainte Chapelle avaient aussi été introduits. Les sujets ont été trouvés mêlés et intervertis. La difficulté du classement était grande. Pour parvenir à restituer à chaque fenêtre ce qui pouvait lui appartenir, il aurait fallu commencer par déposer les vitraux de toutes les fenêtres, et par faire un classement général. C’était certainement le procédé le plus rationnel. Mais de graves inconvénients pouvaient résulter d’une pareille opération. La chapelle se serait trouvée complètement privée de clôture pendant les trois années que la restauration aura duré. Mais ce qui aurait été beaucoup plus fâcheux, c’est que malgré toutes les précautions prises, il n’aurait pas été possible d’éviter la perte ou la destruction d’un grand nombre de panneaux. On sait avec quelle promptitude des vitraux démontés se réduisent à peu près à rien. Il a donc paru préférable de ne démonter les verrières que successivement, chacune après la restauration complète de la précédente. On eut imposé la condition de réemployer tous les panneaux dont la place pouvait se retrouver dans la suite des légendes, même quand il aurait fallu forcer un peu l’interprétation. On eut rencontré des difficultés de détail insurmontables. Pour ne citer qu’un fait, des panneaux appartenant à la première fenêtre se sont retrouvés dans la quatorzième, alors que la première était restaurée depuis longtemps et l’échafaudage descendu.
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Le replacement de ces panneaux exigeait une dépense hors de proportion avec l’avantage qui en serait résulté. Les panneaux non replacés pourraient être conservés au Musée de Cluny, très pauvre jusqu’à présent en vitraux anciens. La quinzième fenêtre, celle qu’il s’agit de restaurer maintenant, est la plus intéressante au point de vue historique. Elle représente, non pas, comme on l’avait pensé, l’histoire de S Louis, mais celle de l’acquisition, de la susception et de la translation des reliques en l’honneur desquelles ce prime fit construire la Sainte Chapelle. Les vitraux ont été, aussi bien que tous les autres, exécutés du temps de S. Louis. Comme la première fenêtre au Nord où il restait à peine quelques fragments de l’ancienne verrière, celle-ci avait dû grandement souffrir de l’incendie qui, au XVe siècle, causa la destruction des verrières de la rose occidentale. Elle a été réparée au moyen de panneaux empruntés à d’autres fenêtres, et dont plusieurs paraissent se rapporter à l’histoire de Josué représentée aux vitraux de la quatrième fenêtre au Nord. En raison du caractère particulier de la verrière qu’il s’agit de restaurer, on a cru devoir en retirer rigoureusement tout ce qui était étranger à l’histoire des saintes reliques. C’est un sacrifice de vingt un panneaux, dont quelques uns retrouveraient facilement leur véritable place dans les fenêtres déjà rétablies. Des translations de reliques célèbres ont été représentées, comme à la Ste Chapelle, sur les vitraux des Cathédrales du Mans, de Troyes et de bien d’autres églises. Dans les panneaux conservés S. Louis est représenté cinq fois. On y voit aussi le Cte d’Artois, frère de ce prime, et une reine qui, suivant toute probabilité, serait Blanche de Castille. Ce n’est pas ici le lieu de discuter le plus ou moins de vérité de ces figures comme portraits. Ce qui est hors de doute c’est que ce sont des représentations faites du vivant même de ces personnages. On en citerait difficilement d’autres du même temps qui eûssent un pareil caractère d’authenticité. Il est indispensable que dans les panneaux nouveaux on reproduise avec la plus scrupuleuse exactitude, pour ces trois figures historiques surtout, les types des panneaux anciens. Il serait aussi très important de faire exécuter des calques coloriés des divers panneaux où sont représentés S. Louis , sa mère et son frère. Pour compléter la fenêtre, on a cru devoir choisir dans la légende dorée les circonstances principales de l’invention et de l’exaltation de la Sainte Croix. C’est la première partie de l’histoire des Saintes Reliques avant leur translation dans la Chapelle du Palais. 9 Août 1853
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LE VITRAIL DES ROIS : SIX PANNEAUX PROVENANT DE LA VERRIÈRE DES NOMBRES1 Maya GROSSENBACHER
1. FRANÇOIS DE GUILHERMY ET LES RESTAURATIONS 2
Avant que la restauration des vitraux de la Sainte-Chapelle ne débute, F. de Guilhermy, qui avait été désigné responsable archéologique, se faisait une idée très précise de la manière dont il comptait s’acquitter de sa mission. Son intention était de « laisser en place tous les panneaux, sauf tout au plus une exception pour deux ou trois fenêtres, celles du fond de l’abside, dont les sujets sont tellement populaires qu’on ne peut regarder le complément comme une nécessité. Ne pas laisser sortir de la Sainte-Chapelle un seul des vitraux qui s’y trouvent, quand même on ne saurait en donner l’explication. Ne faire disparaître aucune des traces des restaurations successives dont les vitraux ont été l’objet. Se contenter, en ce qui concerne les vitraux anciens, de nettoyer, de remettre en plomb et de boucher les trous. Le raccommodage et la consolidation des anciens panneaux dans leur état et dans leur ordre actuel étant terminés, on aurait à chercher le meilleur système à suivre pour l’établissement de vitraux neufs dans la zone aujourd’hui vitrée en blanc dans tout le pourtour. On pourrait ou chercher un ordre de sujets qui occuperait cette zone entière, ou placer à chaque fenêtre une légende analogue à celles des parties 3 anciennes conservées ». On sait aujourd’hui qu’il ne resta guère 1
Ce travail a pu être mené à terme grâce aux subsides du Fonds national suisse de la recherche scientifique et de la Fondation E. et L. Schmidheiny. Que tous deux en soient remerciés. 2 Les principaux ouvrages sur la vitrerie de la Sainte-Chapelle sont : M. AUBERT, L. GRODECKI, J. LAFOND et J. VERRIER, Les vitraux de Notre-Dame et de la Sainte-Chapelle de Paris (=Corpus Vitrearum Medii Aevi, France, vol. 1), Paris, 1959 ; J. DYER SPENCER, Les vitraux de la Sainte-Chapelle de Paris, thèse de l’École du Louvre, Paris, 1924 ; J.-M. LENIAUD et F. PERROT, La Sainte-Chapelle, Paris, 1991 ; A. A. JORDAN, Narrative Design in the Stained Glass Windows of the Sainte-Chapelle in Paris, thèse de Bryn Mawr College, 1994 ; A. A. JORDAN, Visualizing Kingship in the Windows of the Sainte-Chapelle, Turnhout, 2002. 3 Lettre du 12 janvier 1850 de F. de Guilhermy à l’architecte Jean-Baptiste Lassus (Paris, Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine, dossier 81/075-01/0031/24).
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fidèle à ses projets ; pour des raisons inconnues – pressions externes, immensité de la tâche ? –, F. de Guilhermy n’hésita pas à intervenir, parfois radicalement, sur certaines verrières, au point d’en mélanger les panneaux ou d’éliminer ceux qu’il jugeait « hors de service ». C’est ainsi que les six panneaux dont il sera question plus bas furent déplacés en bloc de la verrière des Nombres (baie M)4, située au nord, à celle des Rois (baie B), au sud. Comme les autres fenêtres de la nef, ces dernières sont constituées de quatre lancettes, surmontées d’un réseau comprenant deux petites roses et une grande rosace centrale. 2.1 LES SIX PANNEAUX ET LEUR CONTEXTE AVANT RESTAURATION Avant l’intervention des restaurateurs, ces panneaux occupaient le haut du vitrail des Nombres. Ils étaient disposés dans une même rangée, à l’emplacement actuel des panneaux M56 à M63. À côté de la représentation de Moïse et Aaron assis, située alors à l’extrême gauche (actuellement panneau M102), se trouvait une scène de lapidation devant des vignes, aujourd’hui panneau B47 de la fenêtre des Rois [fig. 5].5 Lui succédait l’actuel B50, figurant deux rois en pleine discussion [fig. 13]. Une seconde scène de lapidation, cette fois sans décor végétal, faisait suite à ce panneau ; elle se trouve encore en place dans la baie des Nombres (panneau M103) [fig. 7]. Venait ensuite le quart d’ovale B48, qui représente une conversation entre deux personnages : un roi et un personnage nimbé [fig. 9]. Ce même personnage nimbé apparaissait dans le panneau suivant, l’actuel B45, où il s’entretient avec un homme en tunique courte [fig. 1]. Le panneau B46 figure encore une conversation entre deux personnages, ici un roi et une reine [fig. 3]. Enfin, le dernier panneau, aujourd’hui B49, met en scène deux personnages devant un édifice [fig. 11]. Au-dessous de cette rangée se trouvaient des panneaux illustrant Moïse parlant au peuple et, probablement, la mort de Marie (Nombres 20). Parmi les scènes de la rangée supérieure ont été reconnus la consé-
4 La désignation des verrières et des panneaux de la Sainte-Chapelle suit AUBERT, GRODECKI, LAFOND et VERRIER, Les vitraux... (op. cit. n. 2). 5 Les relevés des panneaux de la Sainte-Chapelle, témoins de l’état antérieur à la restauration du milieu du XIXe s., serviront ici d’illustrations. Exécutés à l’échelle 1 :1 par Louis Charles Auguste Steinheil, ils sont conservés en vingt volumes à la Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine à Paris (cote 80/151/01–20).
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cration du tabernacle par Moïse et Aaron (Nombres 7) et ce dernier faisant cesser la punition de Dieu (Nombres 16). Deux questions se posent d’emblée : quel lien y a-t-il entre les six scènes aujourd’hui dans le vitrail des Rois et le livre des Nombres ? Un roi et une reine ont-ils véritablement une place dans ce récit antérieur à l’établissement de la royauté en Israël ? On pourrait objecter qu’à l’instar de Josué ou de David dans sa jeunesse des personnages qui ne sont pas de condition royale portent sans autre la couronne à la Sainte-Chapelle. Dans le Corpus Vitrearum, Louis Grodecki supposait d’ailleurs l’appartenance des six panneaux au récit de Josué, non pas dans la verrière L qui lui est presque entièrement consacrée, mais 6 dans la baie des Nombres. Josué fait, en effet, une brève apparition dans ce livre biblique en tant que successeur de Moïse désigné par le Seigneur (Nombres 27, 18 et suiv.). Rattacher les six scènes à ce récit semble toutefois aussi problématique que de les associer à celui des Nombres. Sur ce point, L. Grodecki subit peut-être l’influence de F. de Guilhermy qui avait introduit précisément dans le vitrail des Nombres une « élection de Josué », au moyen d’un panneau neuf, M42. Abstraction faite des princes d’Israël au bas de la fenêtre, les principaux protagonistes de cette verrière sont bel et bien Moïse et Aaron, aux attributs caractéristiques : des cornes pour le premier et un bonnet pointu pour le second. 2.2 LE PROBLÈME DE L’IDENTIFICATION DES PANNEAUX Dans ses notes sur la restauration, F. de Guilhermy indiquait à propos de ces six panneaux qu’ils « [appartenaient] à une des deux 7 fenêtres des Rois, au sud » et qu’ « ils y [seraient] rétablis ». Il y voyait en effet des illustrations du troisième livre des Rois, plus préci8 sément de l’histoire du prophète Élie et du roi Achab. C’est pourquoi il décida de les remployer dans la partie supérieure de la baie B, où alternent panneaux de grande dimension et groupes de panneaux de plus petite taille, comme dans la baie M. Aux demi-fuseaux réunis du vitrail des Nombres fait toutefois pendant un seul quadrilobe « à pointes » – selon l’expression de L. Grodecki – dans le vitrail des Rois. 6
AUBERT, GRODECKI, LAFOND et VERRIER, Les vitraux... (op. cit. n. 2), p. 276. Notes sur la restauration de la baie des Nombres, Paris, Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine, dossier 81/075-01/0031/24. 8 Voir Paris, Bibliothèque nationale de France, nouv. acq. fr. 6118 : F. DE GUILHERMY, Notes sur les monuments de Paris, vol. 1, 1848–1853, fol. 284r–285v, ainsi que les notes sur la restauration de la baie des Rois, Paris, Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine, dossier 81/075-01/0031/24. 7
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Quant aux petites scènes, celles de la baie des Rois sont logées dans des quarts de quadrilobe tandis que, dans la baie des Nombres, les petits panneaux, plus larges, ressemblent davantage à des quarts d’ovale légèrement entamés. C’est pourquoi les six panneaux provenant du vitrail des Nombres durent subir une réduction, principalement en largeur, afin de s’adapter aux dimensions plus élancées des compartiments de leur vitrail d’adoption. F. de Guilhermy les inséra côte à côte dans le 16e registre, à la suite d’un premier panneau, B44. Moderne, celui-ci représente « Élie au désert visité par l’ange » (3 Rois 19, 4 et suiv.). La scène sert d’introduction au cycle du prophète censé se dérouler dans les six panneaux déplacés qui se succèdent selon leur numérotation actuelle, de B45 à B50. Le dernier panneau de la rangée, B51 – situé à l’emplacement du panneau B89 avant la restauration – , représente une figure féminine tombant à la renverse. Celle-ci a été interprétée par F. de Guilhermy comme « Jézabel précipitée », mais cette identification est sans doute à réviser ; il s’agirait plutôt de Michol condamnée à mourir sans descendance par David, après qu’elle s’est moquée de lui quand il 9 dansait devant l’arche. Les six panneaux déplacés devenaient ainsi les seules illustrations consacrées au troisième livre des Rois dans les lancettes de la baie B, s’ajoutant aux six lobes de la rose principale relatifs à l’histoire de Salomon. Les identifications de F. de Guilhermy ont été reprises sans grands changements par ses successeurs. Ainsi, Jeannette Dyer Spencer n’y apporta aucune modification – son étude, il ne faut pas l’oublier, 10 porte principalement sur les baies prophétiques. Les autres par contre ont mis en doute ses propositions : L. Grodecki les désapprouva à maintes reprises, sans toutefois les revoir ; quant à Alyce Jordan, elle ne les adopte généralement pas mais tente d’explorer de nouvelles 11 voies.
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Comparer avec l’illustration des Bibles moralisées en trois volumes : Tolède, trésor du chapitre de la cathédrale, t. 1, fol. 118r D3 et Oxford, Bodleian Library, MS. Bodl. 270b, fol. 150r D3 (Les médaillons des bibles moralisées sont désignés par les lettres G ou D selon qu’ils appartiennent à la colonne gauche ou droite et sont numérotés de 1 à 4 de haut en bas). 10 DYER SPENCER, Les vitraux de la Sainte-Chapelle...(op. cit. n. 2), p. 138. 11 AUBERT, GRODECKI, LAFOND et VERRIER, Les vitraux... (op. cit. n. 2), p. 291 ; JORDAN, Narrative Design... (op. cit. n. 2), pp. 391–393 et JORDAN, Visualizing Kingship... (op. cit. n. 2), pp. 116–121.
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3.1 L’HISTOIRE D’ÉLIE ET ACHAB DANS LES BIBLES MORALISÉES En raison de ces controverses, il paraissait nécessaire de soumettre 12 les panneaux à un nouvel examen, par le biais des Bibles moralisées. Ces manuscrits – ou leurs matériaux préparatoires – constituent une source iconographique importante pour la vitrerie de la Sainte-Cha13 pelle, ce qui n’avait d’ailleurs pas échappé à F. de Guilhermy. Un premier sondage portant sur le couronnement de la baie des Rois a montré que ce vitrail aussi présente des liens étroits avec les illustra14 tions des Bibles moralisées. Les identifications de F. de Guilhermy serviront de point de départ ; chaque panneau sera ainsi confronté aux illustrations des manuscrits qui correspondent au passage biblique indiqué par lui. L’histoire d’Élie, intimement liée à celle d’Achab, est rapportée dans les quatre Bibles moralisées du premier tiers du XIIIe s. : la Bible française de Vienne, la Bible latine de Vienne, le tome 1 de la Bible de Tolède, et 15 le volume conservé à Oxford de la Bible en trois volumes dispersés. Le prophète Élie y fait son apparition directement après la condamnation de l’autel de Béthel par l’homme de Dieu, qui meurt dévoré par un lion (3 Rois 13, 11 et suiv.). Élie est donc introduit en même temps que le roi Achab, auquel il annonce une période de sécheresse (3 Rois 17, 1). Suivent divers épisodes, tirés des chapitres 17, 18, 19, 21 et 22. 3.1.1 LE PANNEAU B45 « Élie appelle à lui Élisée. » C’est ainsi que les trois auteurs qui se sont prononcés sur la question, F. de Guilhermy, J. Dyer Spencer et L. Grodecki, ont identifié le premier panneau, B45, illustration de 3 Rois 12 Sur les Bibles moralisées, voir l’ouvrage fondamental de J. LOWDEN, The Making of the Bibles moralisées, 2 vol., University Park, 2000. 13 F. de Guilhermy utilisa, notamment dans le vitrail d’Ézéchiel (F), des images de ce qu’il nommait « emblemata biblica » – la Bible moralisée conservée à Paris – comme modèles pour des panneaux neufs. Voir G. LINI, M. GROSSENBACHER et Y. CHRISTE, « La Bible du Roi. Daniel et Ézéchiel dans les Bibles moralisées et les vitraux de la Sainte-Chapelle », Arte Medievale, s. II, 14, 2000 : 1–2, pp. 83–85 et la contribution de S. ANTHONIOZ dans ce volume. 14 M. GROSSENBACHER, « La Bible du Roi. Prélude à l’étude du vitrail des Rois de la Sainte-Chapelle: les panneaux du réseau supérieur» Cahiers Archéologiques 51, 2003-2004, pp. 93-104. 15 Vienne, Österreichische Nationalbibliothek, Codex 2554 (Vf) ; Vienne, Österreichische Nationalbibliothek, Codex 1179 (Vl) ; Tolède, trésor du chapitre de la cathédrale, t. 1 (T) ; Oxford, Bodleian Library, MS. Bodl. 270b (O).
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19, 19 [fig. 1]. À gauche, un premier personnage coiffé d’un nimbe est assis sur une banquette ; ses pieds nus dépassent de sa robe. Il porte un codex fermé dans la main droite et paraît s’entretenir avec un second personnage, debout en face de lui. Celui-ci porte une cagoule, ainsi qu’un mantelet par-dessus sa tunique courte. De la main gauche, il tient un outil à la poignée horizontale, qui semble être une houe. Une architecture, composée d’une colonne et d’un gâble, encadre les deux personnages. Le panneau B45 évoque effectivement la scène de la rencontre d’Élie et Élisée, telle qu’elle apparaît dans les quatre Bibles moralisées (Vf fol. 54*v G3, Vl fol. 123v G1, T fol. 138r D3 et O fol. 170r D3) [fig. 2]. Tous les manuscrits montrent le prophète et son futur disciple dans un champ. Élisée y est représenté retournant la terre à l’aide d’une charrue tirée par deux bœufs, tandis qu’Élie lui tend son manteau (absent du médaillon de Vl). Le Seigneur apparaît en pied aux côtés des protagonistes, sauf dans la Bible française de Vienne. Si la scène des manuscrits diffère de celle du vitrail, c’est avant tout dans la représentation du supposé Élie. Les Bibles montrent en effet le prophète – debout – sous l’aspect d’un personnage barbu, voire d’un vieillard, sans attribut particulier si ce n’est parfois un chapeau. Dans la Bible latine de Vienne, il incarne même une sorte d’homme sauvage, hirsute, qui contraste particulièrement avec le personnage « civilisé » et coiffé d’un chapeau à pointe de la Bible de Tolède. Or, dans le panneau B45, il figurerait comme un homme d’allure jeune, 16 imberbe et nimbé, un livre fermé à la main. Parmi les autres éléments divergents, on peut mentionner la figure divine qui n’apparaît pas dans le panneau de la Sainte-Chapelle. Une dernière modification importante concerne le matériel agricole, réduit à l’essentiel, et aussi l’absence du manteau. Bien que le schéma iconographique soit loin d’être identique, le panneau B45 rappelle les médaillons des Bibles moralisées en trois volumes dans la disposition des personnages, avec Élie à gauche et Élisée à droite, tenant de la main gauche le manche de la charrue.
16 De la même manière, la figure de Suzanne nouvellement identifiée dans la lancette de Daniel (panneaux G35 et Victoria & Albert Museum, inv. 1221–1864) est nimbée. Voir LINI, GROSSENBACHER et CHRISTE : « La Bible du roi. Daniel et Ézéchiel... » (op. cit. n. 13), pp. 91–95.
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3.1.2 LES PANNEAUX B46–B48 Réunis, les panneaux B46, B47 et B48 constitueraient un triptyque illustrant le récit de la vigne de Nabot, au chapitre 21 du troisième livre des Rois. Le premier, B46, est unanimement considéré comme représentant le couple royal « Achab et Jézabel » [fig. 3]. L’image est généralement associée à la discussion du roi avec la reine qui fait suite au refus de Nabot de céder sa vigne à Achab (3 Rois 21, 5–7). En face du roi, qui pointe la main droite en avant, la reine semble particulièrement agitée. Une inscription blanche sur fond noir court au-dessus des protagonistes. On y lit : IEZABEZ. Quant au décor architectural, il est similaire à celui du panneau précédent. L’attitude mouvementée des personnages se retrouve dans les médaillons des Bibles moralisées illustrant cette scène (Vf fol. 55r D1, Vl fol. 123v D1, T fol. 139v D1 et O fol. 171v D1). Seuls les deux manuscrits de Vienne représentent Achab à gauche et Jézabel à droite, soit dans le même ordre que le panneau de la Sainte-Chapelle. Dans la version latine toutefois, Jézabel est assise pendant qu’elle s’entretient avec son époux, alors qu’elle est debout dans les autres Bibles. Dans les médaillons de Tolède et Oxford, la figure de Nabot, à droite devant sa vigne, illustre en quelque sorte les paroles du roi [fig. 4]. Selon F. de Guilhermy, suivi par L. Grodecki, le panneau suivant, B47, représenterait la « lapidation de Nabot » ourdie par Jézabel (3 Rois 21, 13) [fig. 5]. À gauche, un premier personnage, vêtu d’une tunique courte, soulève des deux mains un objet ovale – une grosse pierre – au-dessus de sa tête. Un second personnage, agenouillé, lui tourne le dos ; sa tête et ses mains jointes en un geste de prière sont teintées de rouge. En haut du panneau, une bande ondulée sert de support à trois pieds de vigne. Dans les Bibles en un volume, la lapidation de Nabot est combinée à celle de sa confrontation avec les faux témoins en présence de la reine (Vf fol. 55r G3 et Vl fol. 123v D3). Les médaillons des Bibles en trois volumes (T fol. 140r G1 et O fol. 172r G1) représentent le châtiment indépendamment [fig. 6]. Dans tous les cas, deux personnages mettent à mort Nabot ; leurs vêtements courts, dans les Bibles en trois volumes, les caractérisent comme bourreaux. À Jézabel, qui assiste à l’exécution dans le manuscrit de Tolède, s’est substitué un roi dans celui d’Oxford ! La composition des Bibles moralisées, pour autant qu’elle ait exercé une influence sur la vitrerie, aurait été dras-
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tiquement simplifiée. Ne figurent en effet sur le panneau que les protagonistes essentiels : le bourreau et sa victime. La représentation de vignes au-dessus d’eux servirait à situer la scène et aurait été empruntée au premier médaillon des Bibles consacré à cette partie du récit, représentant la conversation d’Achab et de Nabot. Dans sa thèse, A. Jordan met d’abord le panneau B47 en rapport avec la lapidation du vitrail des Nombres, aujourd’hui M103 [fig. 7]. Dans un paysage rocheux, un personnage vêtu d’une tunique courte est sur le point de frapper d’une lourde pierre un second personnage agenouillé devant lui, dont les mains et le visage sont également rougis. Cette scène se trouvait à proximité des six panneaux avant qu’ils ne soient déplacés dans le vitrail des Rois. L. Grodecki l’avait identifiée 17 comme le « violateur du sabbat lapidé » de Nombres 15, 35–36. Faudrait-il en déduire que les ceps de vigne de B47 se réfèrent à la faute commise par l’homme, surpris en train de ramasser du bois ? Dans ce cas, il aurait probablement suffi de représenter de simples arbres. On s’expliquerait en outre mal la double représentation d’une scène qui ne revêt pas une importance particulière dans le récit des Nombres. Écartant dans un second temps cette première hypothèse, A. Jordan propose d’attribuer la scène de lapidation de la fenêtre des Rois à la lancette d’Isaïe. Le panneau B47 lui paraît succéder au panneau J72 [fig. 8], intitulé par L. Grodecki « Dieu punira ceux qui ont dévoré la vigne », en référence à Isaïe 3, 14–15. Ce panneau représente plusieurs quadrupèdes, apparemment trois moutons et une chèvre, broutant le feuillage d’arbustes aux branches ornées de petites vrilles. Dégainant son épée, le Seigneur apparaît dans une nuée au-dessus de la scène. L’illustration de ce passage dans les Bibles moralisées en trois volumes (Tolède, trésor du chapitre de la cathédrale, t. 2, et Paris, Bibliothèque nationale de France, ms. lat. 11560, fol. 102r D1) est similaire au panneau de la Sainte-Chapelle. Si elle présente, outre des animaux, des hommes comme destinataires des paroles du prophète, elle ne met pas pour autant de lapidation en scène. Selon A. Jordan, la composition du panneau B47 s’adapterait sans problème au format des demi-quadrilobes de la lancette d’Isaïe. Mieux encore : cette scène s’insérerait dans un demi-quadrilobe gauche, constituant ainsi une
17 Le schéma des panneaux B47 et M103 est similaire à celui d’un panneau de la verrière du Deutéronome et de Josué, L85. Ce dernier constitue la troisième illustration de ce supplice à la Sainte-Chapelle ; c’est toutefois une femme qui est mise à mort.
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paire idéale avec le panneau J72, demi-quadrilobe droit ! Pourtant, cette solution n’est pas des plus satisfaisantes. Il faudrait en effet admettre que l’on est passé d’une représentation animale à une représentation humaine des coupables. De plus, la présence vengeresse de Dieu en J72 laisse supposer que celui-ci interviendra directement et non au travers de l’action d’un bourreau. Or, la lapidation est généralement le résultat de l’application par les hommes de la justice 19 divine. Le passage de la Vulgate reste par ailleurs muet sur le type de punition qui attend ceux qui ont ravagé la vigne. Quant au troisième élément de la triade, le panneau B48, il a été identifié par F. de Guilhermy et ses successeurs comme « Élie réprimandant Achab » du crime commis contre Nabot (3 Rois 21, 19 et suiv.) [fig. 9]. À gauche, un roi est assis sur une banquette ; il tourne la tête vers un second personnage – nimbé, pieds nus et portant un livre fermé – qui apparaissait déjà dans le panneau B45. Pointant la main gauche en avant, ce personnage semble se diriger vers la droite, où s’élève un petit arbre rouge. La scène est encore une fois encadrée d’une architecture composée d’une colonne et d’un gâble. L’identification proposée du panneau B48 pose un problème du point de vue des Bibles moralisées, car les reproches d’Élie à Achab n’y sont tout simplement pas traités. L’image de la Sainte-Chapelle rappelle en revanche un autre médaillon des Bibles, qui illustre l’annonce de la fin de la sécheresse (Vf fol. 53*v G3, Vl fol. 121v G1, T fol. 137v D1 et O fol. 169v D1) [fig. 10]. L’épisode survient au chapitre 18, après le massacre des prêtres de Baal. Dans les quatre Bibles, Élie est représenté en prière devant un champ de blé et/ou des arbres. C’est l’image du manuscrit latin de Vienne qui se rapproche le plus du panneau de la Sainte-Chapelle : elle montre en effet le prophète priant à gauche devant des arbres alors qu’Achab trône à droite, l’épée à la main. Comme pour le personnage assis du panneau B45, nous aurions affaire en B48 à une figure d’Élie très assagie, si on la compare à sa représentation dans les Bibles moralisées.
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Parmi les panneaux modernes, créés par F. de Guilhermy pour combler les trous qui existaient en 1850, figure un demi-quadrilobe gauche (actuel J60). Sur le vitrail d’Isaïe, voir M. BUCHER et A. HÉRITIER, « La Bible du Roi. Isaïe dans les Bibles moralisées et les vitraux de la Sainte-Chapelle », Cahiers Archéologiques, 48, 2000, pp. 89–103. 19 Voir Nombres 15, 34–35, à propos du violateur du sabbat.
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3.1.3 LES PANNEAUX B49–B50 Les sujets des deux derniers panneaux, B49 et B50, ont été rattachés par F. de Guilhermy, J. Dyer Spencer et L. Grodecki à un événement du début du chapitre 22 : les rois Achab et Josaphat consultant les prophètes avant de partir au combat. Tous reconnaissent dans la scène du panneau B49 « le prophète Michée emprisonné » (verset 27) [fig. 11]. Un premier personnage à gauche, vêtu d’une tunique courte bicolore, semble menacer un second personnage, agenouillé et tourné vers la droite ; l’homme est barbu et coiffé d’un bonnet conique. La scène se déroule devant un édifice surmonté d’une tour crénelée et représenté en perspective. L’emprisonnement de Michée figure dans les quatre manuscrits. Dans les Bibles en un volume, Michée est représenté déjà emprisonné : à l’intérieur d’un mur d’enceinte dans le manuscrit français (fol. 56r G1) ou dans une tour dans le manuscrit latin (fol. 125v G1). En revanche, les Bibles de Tolède (fol. 141v G1) et d’Oxford (fol. 173v G1) montrent Achab et Josaphat ordonnant la mise en prison du prophète [fig. 12]. Dans toutes les images, à l’exception de celle de Vf, ce dernier est coiffé d’un bonnet mou. Si l’architecture du panneau de la Sainte-Chapelle évoque l’édifice indépendant de la Bible latine de Vienne, la position de Michée dans le vitrail rappelle davantage les médaillons de Tolède et Oxford. Seul l’un des deux serviteurs aurait été retenu, tandis que les figures de rois des Bibles en trois volumes auraient été rejetées. Le dernier des six panneaux, B50, illustrerait quant à lui le début de ce même chapitre 22 (verset 2) [fig. 13]. Les deux personnages couronnés, apparemment en pleine conversation, ont en effet été identifiés comme « Achab et Josaphat ». À droite, un mur d’enceinte flanque le désormais habituel arc qui fait office de décor. Les deux rois apparaissent fréquemment dans les médaillons des Bibles moralisées, ce qui laisse plusieurs possibilités pour l’interprétation de la scène. Parmi elles, on peut mentionner la consultation des faux prophètes, la prédiction de Michée ou encore son emprisonnement. Cette dernière scène s’inscrit particulièrement bien dans le contexte : en inversant les panneaux B49 et B50, on restitue l’illustration des Bibles en trois volumes avec Achab et Josaphat, à gauche, assistant à l’emprisonnement du prophète, à droite.
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4.1 LE TÉMOIGNAGE DES BIBLES MORALISÉES D’une manière générale, la confrontation des six panneaux provenant de la baie des Nombres avec les illustrations des Bibles moralisées ne vient contredire aucune des identifications déjà proposées. Elle apporte néanmoins des nuances aux interprétations existantes et permet d’obtenir une nouvelle séquence qui suit le déroulement du récit biblique. Il convient donc de placer d’abord la rencontre d’Élie et Achab (B48) [fig. 9], qui fait pendant à celle d’Élie et Élisée (B45) [fig. 1]. Si ces deux panneaux sont sans nul doute apparentés, leurs relations respectives avec les Bibles moralisées diffèrent. Le premier semble directement inspiré des manuscrits, au point que son identification doit être revue : la scène se rapporterait en effet à la rencontre des deux protagonistes au chapitre 18 – qui coïncide avec la fin de la sécheresse – et non aux reproches du prophète au roi du chapitre 21 – après la mort de Nabot. Dans le cas du second panneau, en revanche, les analogies entre les images des Bibles moralisées et celle de la Sainte-Chapelle sont plus ténues. L’interprétation de la scène du vitrail trouve toutefois une justification dans le schéma iconographique du panneau. Le récit se poursuit avec la paire consacrée à l’histoire de Nabot. Le panneau B46 [fig. 3], représentant le couple royal, fait figure d’exception en nommant l’un des personnages. Apparemment ancienne, l’inscription confirme la présence initiale d’un panneau représentant Jézabel. Quant à la scène de la lapidation de Nabot en B47 [fig. 5], elle est similaire à la vocation d’Élisée en ce qu’elle peut être identifiée comme telle, sans nécessairement correspondre à une image des Bibles moralisées. Ce qui n’est pas le cas des deux derniers panneaux, B50 [fig. 13] et B49 [fig. 11], qui font écho à une seule scène des Bibles moralisées : Achab et Josaphat ordonnant l’emprisonnement de Michée. 4.2 LA QUESTION DU STYLE Il reste à aborder la question du style, principal argument de L. Grodecki contre les décisions de F. de Guilhermy. Les six panneaux, que l’auteur du Corpus Vitrearum rattache à l’« atelier principal », se distinguent en effet du reste des panneaux en place dans le vitrail des
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Rois. L’exécution plus soignée de ceux-ci est, toujours d’après L. Gro20 decki, caractéristique de l’« atelier d’Ézéchiel ». Faut-il pour autant voir dans ces différence un obstacle à l’appartenance des panneaux au vitrail des Rois ? Il arrive parfois que différentes mains se reconnaissent dans un même vitrail ; on pourrait supposer que c’est le cas aussi du vitrail des Rois de la Sainte-Chapelle. Toutefois, la différence de style semble plutôt liée à la question de l’emplacement des panneaux avant l’intervention de F. de Guilhermy. 4.3 L’EMPLACEMENT AVANT RESTAURATION En effet, seul un hasard extraordinaire aurait pu réunir ces six panneaux dans la verrière des Nombres, si vraiment ils n’y étaient, dès l’origine, pas destinés. Du point de vue de leur style, ils pourraient certes s’intégrer à la baie des Nombres ; leur iconographie, en revanche, n’a aucun rapport avec le récit biblique correspondant, comme si les images s’étaient « trompées de vitrail ». Ce phénomène ne peut simplement s’expliquer par une erreur au moment de la mise en place des panneaux, auquel cas ceux-ci seraient dans le style des panneaux du vitrail des Rois. Il faut donc envisager l’hypothèse suivante : une erreur serait survenue au cours de la répartition du travail, déjà. Un membre de l’« atelier principal », disposant d’un mauvais lot de cartons, aurait exécuté dans son propre style des panneaux qui n’étaient en fait pas destinés à la verrière des Nombres, mais bien à celle des Rois.
20 Sur le style des panneaux, voir AUBERT, GRODECKI, LAFOND et VERRIER, Les vitraux... (op. cit. n. 2), pp. 91–93.
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fig. 1 : Paris, Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine, relevé, 80/151/16, fol. 22.
fig. 2 : Tolède, Trésor du chapitre de la cathédrale, t. 1, fol. 138r D3 (photo d’après La Biblia de San Luis (Éd. Moleiro)).
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fig. 3 : Paris, Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine, relevé, 80/151/16, fol. 23.
fig. 4 : Oxford, Bodleian Library, MS. Bodl. 270b, fol. 171v D1(photo d’après A. De Laborde, La Bible moralisée, Oxford-Paris-Londres).
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fig. 5 : Paris, Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine, relevé, 80/151/16, fol. 24.
fig. 6 : Oxford, Bodleian Library, MS. Bodl. 270b, fol. 172r G1 (photo d’après A. De Laborde, La Bible moralisée, Oxford-Paris-Londres).
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fig. 7 : Paris, Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine, relevé, 80/151/03, fol. 61.
fig. 8 : Paris, Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine, relevé, 80/151/06, fol. 38.
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fig. 9 : Paris, Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine, relevé, 80/151/16, fol. 25.
fig. 10 : Vienne, Österreichische Nationalbibliothek, Codex 1179, fol. 121v G1 (photo : Österreichische Nationalbibliothek, Wien).
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fig. 11 : Paris, Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine, relevé, 80/151/16, fol. 26.
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fig. 12 : Tolède, Trésor du chapitre de la cathédrale, t. 1, fol. 141v G1 (photo d’après La Biblia de San Luis (Éd. Moleiro)).
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fig. 13 : Paris, Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine, relevé, 80/151/16, fol. 27.
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SAMSON – TYPUS CHRISTI ODER VERKÖRPERUNG DES DURCH DAS FLEISCH VERFÜHRTEN VERSTANDES ? DAS SAMSONFENSTER DER KATHEDRALE VON AUXERRE UND DAS RICHTERFENSTER DER SAINTE-CHAPELLE IN PARIS1 Christine HEDIGER
Les cycles narratifs dédiés aux héros du Livre des Juges sont rares. Heureusement, la vitrerie du XIIIe siècle a conservé deux récits détaillés des tribulations de Samson, dans la baie des Juges de la Sainte-Chapelle et dans un vitrail du déambulatoire de la cathédrale d’Auxerre. L’analyse et la comparaison de ces deux cycles montrent combien le contexte et la fonction didactique des oeuvres a influencé leur iconographie. À Auxerre, il s’agit d’une verrière de cathédrale destinée à être vue et lue par tous les fidèles, à la Sainte-Chapelle, d’une verrière d’une chapelle privée, dont l’accès était réservé au roi et à son entourage immédiat. Le message de ces deux vitraux est par conséquent sensiblement différent : à Auxerre, Samson est présenté comme un modèle idéal pour les fidèles ; à Paris, dans la chapelle du roi, l’humiliation de Samson est en revanche utilisée comme leçon morale destinée au souverain.
Die Geschichte der Richter, der militärischen Führer des jüdischen Volkes, wurde in der mittelalterlichen Monumentalkunst nur selten dargestellt. Auch Samson, den populärsten Protagonisten dieses biblischen Buches, trifft man zwar als Einzelfigur wiederholt an, sein Leben wurde aber nur selten als ausführlicher narrativer Zyklus gestaltet. In Frankreich haben sich jedoch gleich zwei solch seltene Beispiele von Samsonzyklen in Glasfenstern des 13. Jahrhunderts erhalten : das Samsonfenster des Chorumganges der Kathedrale von Auxerre und das Richterfenster der Sainte-Chapelle in Paris. Vorliegender Artikel hat sich eine vergleichende Analyse der Ikonographie 1
Mein Dank geht an Françoise Perrot, die mir ihre photographische Dokumentation grosszügigerweise zum Studium zur Verfügung gestellt hat, an Herrn Jean-Daniel Pariset von der Bibliothèque du Patrimoine in Paris, der mir die freundliche Erlaubnis zum Abdruck der Steinheilschen Kopien gab und an die Fondation Ernst und Lucy Schmidheiny für die finanzielle Unterstützung.
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dieser beiden zeitlich nicht weit auseinanderliegenden Zyklen2 zum Ziel gesetzt.
DAS RICHTERFENSTER DER SAINTE-CHAPELLE Das Richterfenster der Sainte-Chapelle öffnet sich in der Nordmauer der königlichen Kapelle, als erstes Fenster der Apsis.3 Es besteht aus zwei Lanzetten und beherbergt 644 rechteckige narrative Glasscheiben, die immer paarweise als Bildträger für eine Szene dienen. Der Erhaltungszustand des Glasfensters ist schlecht. Von den 64 narrativen Scheiben in situ sind nur noch 24 original und die erhaltenen Scheiben befinden sich wohl kaum mehr am ursprünglichen 2
Die Glasfenster der Sainte-Chapelle entstanden vor 1248. Aufgrund von rein stilistischen Kriterien hat Virginia Raguin die Glasmalereien der Kathedrale von Auxerre zwischen 1230 und 1250 datiert (V. RAGUIN, Stained Glass in Thirteenth-Century Burgundy, Princeton, 1982, S. 113/114). Möglicherweise sind die Glasfenster der Kathedrale aber älter und in ihrer Gesamtheit um 1235 zu datieren. In ihrem Vortrag anlässlich des Kolloquiums von Auxerre hat Françoise Gatouillat nämlich angemahnt, die Entstehungsgeschichte der Glasfenster nicht zu stark von der Baugeschichte der entsprechenden Bauteile zu trennen, da ein Raum, dessen Fensteraussparungen noch nicht gegen aussen abgeschlossen sind, zur Liturgie nicht genutzt werden kann. Wenn auch ab und zu provisorische Verschlüsse zur Anwendung gekommen sind, war man in der Regel sicher besorgt, die Glasfenster so rasch wie möglich zu installieren, um den Raumabschluss sicherzustellen und die Gebäude in Gebrauch nehmen zu können. Wenn aber die Glasfenster der Kathedrale zeitgleich oder nur wenig später entstanden als ihr architektonischer Rahmen, müssen sie in die 30er Jahre des 13. Jahrhunderts datiert werden. Die Diskussion über die Datierung der Glasfenster der Kathedrale von Auxerre bleibt offen. Sie hat für das Samsonfenster allerdings keine tiefgreifenden Konsequenzen : das Samsonfenster wird auch von Raguin zu den ältesten Fenstern der Kathedrale gezählt und die Datierungsspanne, die sie vorschlägt (1233–1244) unterscheidet sich nicht grundlegend von der von Gatouillat vorgeschlagenen (gegen 1235). 3 Grodecki bezeichnet in seinem Corpus Vitrearum-Band (M. AUBERT, l. GRODECKI, J. LAFOND et J. VERRIER, Les vitraux de Notre-Dame et de la Sainte-Chapelle de Paris (=Corpus Vitrearum Medii Aevi, France, vol. 1), Paris, 1959) die Fenster der königlichen Kapelle mit Buchstaben von A bis O. Ich übernehme im Folgenden seine Bezeichnungen, sowie seine Numerierung der Glasscheiben. Für einführende Informationen zur Glasmalerei der Sainte-Chapelle vgl. neben dem obenerwähnten Corpus Vitrearum-Band die Arbeiten von Jeannette Dyer-Spencer (J. DYER-SPENCER, Les vitraux de la Sainte-Chapelle de Paris, thèse de l’école du Louvre, Paris, 1924 (unpubliziert) ; J. DYER-SPENCER, « Les vitraux de la Sainte-Chapelle de Paris », Bulletin Monumental, 1932, S. 333–407), das prächtig illustrierte Buch von J.-M. LENIAUD und F. PERROT, La Sainte-Chapelle, Paris, 1991, sowie die Dissertation von A. A. JORDAN, Narrative Design in the Stained Glass Windows of the Sainte-Chapelle in Paris, phil. diss. Bryn Mawr College, 1994, vor kurzem in Buchform bei Brepols erschienen : A. JORDAN, Visualizing Kingship in the windows of the Sainte-Chapelle, Turnhout, 2002. 4 AUBERT, GRODECKI, LAFOND et VERRIER, Les vitraux... (op. cit. n. 3), S. 159) gibt fälschlicherweise die Zahl von total 72 Glasscheiben. Es sind in Wirklichkeit nur 68 : vier ornamentale Scheiben in der Form von halben Dreipässen in den Lanzettabschlüssen und 64 narrative Glasscheiben.
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Bestimmungsort im Glasfenster. Ein Teil der heute fehlenden mittelalterlichen Scheiben waren im Genesisfenster (Fenster O) der SainteChapelle zum Ersetzen von zerstörten Scheiben benutzt worden. Die Restauratoren des 19. Jahrhunderts entfernten sie dann von dort, um mit modernen Ergänzungen einen kohärenten ikonographischen Genesiszyklus wiederherzustellen. Elf dieser im 19. Jahrhundert entfernten Scheiben haben glücklicherweise überlebt und werden in verschiedenen Museen aufbewahrt. Vier Scheiben sind zwar heute verschwunden, über ihr Aussehen können wir uns jedoch dank der Kopien, die der Maler Steinheil vor der Restaurierung von jeder einzelnen Scheibe anfertigte, ein recht genaues Bild machen.5 Von den restlichen figürlichen Scheiben – einem guten Drittel des Richterfensters – fehlt jede Spur. Sie gingen entweder in Brüche oder haben die Sainte-Chapelle verlassen, noch bevor 1850 zu Beginn der Restaurierungsarbeiten alle Glasscheiben kopiert wurden. Die Ikongraphie des Fensters ist Szenen aus dem Leben des Gideon, des Abimelech, des Jephta und des Samson gewidmet. Die Hauptzahl der Szenen stellen aber Episoden aus dem Leben Samson dar :
Ankündigung der Geburt Sam- Zwei halbrunde Glasscheiben, sons an seine Eltern die sich im 19. Jh. im Genesis(Richter 13, 3–14) fenster befanden. Sie wurden von Steinheil kopiert (Bd. 18, fol. 35 und 26). Das Original der rechten Scheibe wird im Musée Vivant Denon in Chalon-surSaône aufbewahrt. Das Opfer der Eltern Samsons (Richter 13, 15–22)
Zwei halbrunde Glasscheiben, die sich im 19. Jh. im Genesisfenster befanden. Sie wurden von Steinheil kopiert (Bd. 18, fol. 45 und 24). Die Originale werden im Musée de Cluny (Cl. 14479) aufbewahrt.
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Diese vom Maler L. C. Steinheil angefertigten Kopien werden heute in 20 grossformatigen Bänden in der Médiathèque du Patrimoine in Paris aufbewahrt (Signatur 80/151(01– 20)).
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Samson tötet den Löwen (Richter 14, 6)
Zwei ursprünglich halbrunde Glasscheiben, die zu einer einzigen runden Glasscheibe kombiniert wurden und sich im 19. Jahrhundert im Genesisfenster befanden. Sie wurden von Steinheil kopiert (Bd. 18, fol. 43). Die Originale werden im Musée de Cluny (Cl. 14479) aufbewahrt.
Hochzeitsbankett (Richter 14, 10ff.)
Zwei rechteckige Glasscheiben. Sie wurden von Steinheil kopiert (Band 5, fol. 12 und 13). Die Originale befinden sich in situ (K 23/24).
Hochzeit des Samson (Richter 14, 7)
Zwei rechteckige Glasscheiben. Sie wurden von Steinheil kopiert (Band 5, fol. 15). Die Originale befinden sich in situ (K 27/28).
Samson steckt die Felder der Phi- Eine halbrunde Glasscheibe lister in Brand (rechte Hälfte), die sich im 19. (Richter 15, 4–5) Jahrhundert im Genesisfenster befand. Sie wurde von Steinheil kopiert (Bd. 18, fol. 32). Das Original ist verloren. Samsons Kampf gegen die Philis- Zwei halbrunde Glasscheiben, ter mit Hilfe der Eselsbacke die sich im 19. Jh. im Genesis(Richter 15, 15–16) fenster befanden. Sie wurden von Steinheil kopiert (Bd. 18, fol. 33 und fol. 40). Das Original der rechten Hälfte wird im Musée de Cluny (Cl. 14481) aufbewahrt.
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Weibliche Figur mit einem Begleiter (Dalila im Gespräch mit den Philistern oder Frau des Samson, die des Rätsels Lösung verrät) (Richter 16, 5 oder 14, 15)
Eine halbrunde Glasscheibe (rechte Hälfte), die sich im 19. Jahrhundert im Genesisfenster befand. Sie wurde von Steinheil kopiert (Bd. 18, fol. 36). Das Original wird im Centre des Monuments Historiques in Champssur-Marne (Caisse 652 No. 5) aufbewahrt.
Dalila schneidet Samson die Zwei rechteckige Glasscheiben. Haare ab (Richter 16, 19) Sie wurden von Steinheil kopiert (Band 5, fol. 9). Die Originale befinden sich in situ (K 9/10). Samsons Blendung (Richter 16, 21)
Eine halbrunde Glasscheibe (linke Hälfte), die sich im 19. Jahrhundert im Genesisfenster befand. Sie wurde von Steinheil kopiert (Bd. 18, fol. 38). Das Original wird im Musée de Cluny (Ds. 1895 / Cl. 14480) aufbewahrt.
Samson vor dem Mühlstein (Richter 16, 21)
Zwei ursprünglich halbrunde Glasscheiben, die zu einer einzigen runden Glasscheibe kombiniert wurden und sich im 19. Jahrhundert im Genesisfenster befanden. Sie wurden von Steinheil nicht kopiert. Die Originale werden im Musée de Cluny (Cl. 14478) aufbewahrt.
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Der blinde Samson (Richter 16, 22)
Eine halbrunde Glasscheibe (linke Hälfte), die sich im 19. Jahrhundert im Genesisfenster befand. Sie wurde von Steinheil kopiert (Bd. 18, fol. 52). Das Original wird im Musée de Cluny (Cl. 14477) aufbewahrt.
Samson zerstört den Tempel (Richter 16, 29–30)
Zwei rechteckige Glasscheiben. Sie wurden von Steinheil kopiert (Band 5, fol. 20). Die Originale befinden sich in situ (K 11/12).
Der zerstörte Tempel (Richter 16, 29/30)
Zwei rechteckige Glasscheiben. Sie wurden von Steinheil kopiert (Band 5, fol. 46). Die Originale befinden sich in situ (K 7/8).
Anders als die meisten anderen Glasfenster der Sainte-Chapelle, deren Bildkompositionen frappante Analogien zu den entsprechenden Darstellungen in den Bible moralisée Handschriften aufweisen, ist die Ikonographie des Richterfensters gänzlich unabhängig vom entsprechenden Zyklus in den königlichen Handschriften.6 Für die originelle Ikonographie der Sainte-Chapelle lassen sich keine direkten Vorbilder finden. Einige Darstellungen ähneln stark den 6
Zur Ikonographie der Glasfenster der Sainte-Chapelle im Allgemeinen und im Besonderen zu ihrem Verhältnis zu den Bible moralisée Handschriften, einer Gruppe von um 1220/1230 von der Königsfamilie in Auftrag gegebenen illustrierten Prachthandschriften vgl. M. BUCHER und A. HÉRITIER, « La Bible du Roi. Isaïe dans les Bibles moralisées et les vitraux de la Sainte-Chapelle », Cahiers Archéologiques, 48, 2000, S. 89–103 ; Y. CHRISTE, « Les Bibles moralisées et les vitraux de la Sainte-Chapelle de Paris : le vitrail de l’Exode », Bulletin Monumental, 157, 1999, S. 329–346 ; Y. CHRISTE, « Le livre d›Esther dans les Bibles moralisées et les vitraux de la Sainte-Chapelle », Arte Cristiana, 89 : 801, 2000, S. 411–428 und 88 : 802, 2000, S. 17–22 ; M. GROSSENBACHER, G. LINI und Y. CHRISTE, « La Bible du Roi : Daniel et Ezéchiel dans les Bibles moralisées et les vitraux de la Sainte-Chapelle », Arte Medievale, s. II, 14, 2000, S. 73–99. Y. CHRISTE und L. BRUGGER, « La Bible du roi : Jérémie dans la Bible moralisée de Tolède et les vitraux de la Sainte-Chapelle », Cahiers Archéologiques, 49, 2001, S. 101–116. G. LINI, « La Bible du roi : le deutéronome et Josué dans les Bibles moraliées et les vitraux de la Sainte-Chapelle », Cahiers de Civilisation Médiévale, 46, 2003, S. 23–51.
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entsprechenden Illustrationen in zwei Handschriften des 13. Jahrhunderts, die wohl ebenfalls aus dem königlichen Umkreis stammen, der sog. Maciejowskibibel7 und dem Psalter Ludwig des Heiligen8. Andere Darstellungen findet man hingegen ähnlich nur in zwei byzantinischen Handschriften, den vatikanischen Oktateuchhandschriften9 wieder. Das Glasfenster scheint also aus verschiedenen Quellen zu schöpfen, wenn es sich denn nicht von einem heute verlorenen Modell inspirieren ließ, wobei in jedem Fall die byzantinische Tradition eine bedeutende Rolle spielte.10
DAS SAMSONFENSTER DER KATHEDRALE VON AUXERRE Das Samsonfenster der Kathedrale von Auxerre liegt auf der Nordseite im Chorumgang (Fenster 11). 11 Auch von diesem Fenster haben 7
Dieses « Bilderbuch » ohne Text wurde von Daniel Weiss zwischen 1244 und 1254 datiert und einem Pariser Atelier zugeschrieben. Sie wird in der Pierpont Morgan Library in New York (M. 638) aufbewahrt. Drei Folio wurden abgetrennt, zwei (fol. 43 et 44) werden heute in Paris aufbewahrt (Paris, BnF ms. nouv. acq. 2294), das Dritte befindet sich heute im J. Getty Museum in Los Angeles (83.MA.55). Vgl. S. C. COCKERELL et alii, A Book of Old Testament Illustration of the Middle of the Thirteenth Century, Cambridge, 1927 ; S. C. COCKERELL und J. PLUMMER, Old Testament Miniatures, New York, 1969 ; H. STAHL, The Iconographic Sources of the Old Testament Miniatures, Pierpont Morgan Library M. 638, phil. diss. New York University, 1974 ; D. WEISS, Die Kreuzritterbibel, Luzern, 1999. 8 Paris, BNF ms. lat. 10525. Dem Psaltertext vorangestellt sind die Bilder eines ausführlichen alttestamentlichen Zyklus, der nach 1253 entstand. Cf. M. THOMAS, Le Psautier de saint Louis. Scènes de l’Ancien Testament, Graz, 1970 ; W. C. JORDAN, « The Psalter of SaintLouis (Bibliothèque Nationale, Ms. lat. 10525) : The Program of the Seventy-eight Full-Page Illustrations », The High Middle Ages, ACTA, VII, 1980, S. 65–91. 9 Alle Oktateuchhandschriften sind einander eng verwandt und scheinen von einem gemeinsamen Vorbild abzuhängen. Zwei Handschriften werden in der Vatikanischen Bibliothek (Vat. 747 und Vat. 746) aufbewahrt. Eine dritte Handschrift befand sich in Smyrna. Sie verbrannte im Jahre 1922 und ist heute nur noch dank Photographien und verschiedenen Beschreibungen bekannt. Eine vierte Handschrift befindet sich im Topkapi Serayi in Istanbul und eine letzte Handschrift wird im Vatopedikloster auf dem Mont Athos aufbewahrt. Die Oktateuchhandschriften beinhalten Text und Illustrationen zu den fünf Büchern Mose, zu Josua, Richter und Ruth. Vgl. J. LOWDEN, The Octateuchs : A Study in Byzantine Manuscritps Illustration, Pennsylvania, 1992 ; K. WEITZMANN und M. BERNABÓ, The Byzantine Octateuchs (=The illustrations in the manuscripts of the Septuagint II), Princeton, 1999. 10 Für eine eingehendere Analyse des Richterfensters der Sainte-Chapelle vgl. meinen monographischen Artikel : C. HEDIGER, « Le vitrail des Juges de la Sainte-Chapelle de Paris », Cahiers Archéologiques, 49, 2001, S. 85–100. 11 Zu den Glasfenstern von Auxerre vgl. F. DE LASTEYRIE, « Description des verrières peintes de la cathédrale d’Auxerre », in : Annuaire statistique et historique du Département de l’Yonne, 5, 1841, S. 38–46 ; R. FOURREY, « Les verrières historiées de la cathédrale d’Auxerre, XIIe s. », Bulletin de la Société Scientifique de l’Yonne, 83, 1929, S. 6–101 ; J. LAFOND, « Les
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sich nur zwei Drittel der originalen Glasscheiben erhalten, aber die Verluste lassen sich klarer umreißen als im Fall der Sainte-Chapelle. In Auxerre fehlt der gesamte Beginn des Zyklus. Diese Szenen waren in den unteren Registern des Fensters untergebracht und fielen den zerstörerischen Händen der Hugenotten zum Opfer, die im Jahre 1567 alles zerstörten, « was sie mit ihren Stecken erreichen konnten ».12 Die vier zerstörten untersten Register des Samsonfensters wurden dann später mit mittelalterlichen Scheiben ersetzt, die Genesisund Exodusszenen darstellen und in runde und halbrunde Medaillons eingeschrieben sind. Uns interessieren hier nur die fünf oberen Register des Fensters, die dem Samsonzyklus gewidmet sind. Die Szenen sind in unregelmäßig ovale Medaillons mit blauem Hintergrund eingeschrieben und erzählen das Leben Samsons von der Brandstiftung an den Feldern der Philister bis zum Tod und zum Begräbnis des Helden. Die Ausführlichkeit der Erzählung, die ganze fünf Register einnimmt, macht es wahrscheinlich, dass in den unteren vier Register ebenso ausführlich die Jugendepisoden dargestellt waren und somit das gesamte Fenster dem Leben Samsons gewidmet war. Der Erhaltungzustand der Glasscheiben kann ohne Gerüst in situ nicht endgültig bestimmt werden. Nur eine Detailanalyse im Atelier könnte darüber sicheren Aufschluss geben. Von außen betrachtet weist das Fenster allerdings eine recht gleichmäßige Oxydierung auf, was dafür spricht, dass die Kompositionen zu großen Teilen noch original sind. Nur einige blaue Glasstücke des Hintergrunds sind weniger korrodiert und daher wohl spätere Restaurierungen. Bisher wurde der bemerkenswerten Ikonographie des Samsonfensters noch keine eingehende Studie gewidmet. Die älteren Untersuchungen beschränkten sich auf eine Identifizierung der dargestellten Szenen. Ich werde in der Folge deshalb relativ ausführlich Szene für Szene beschreiben und analysieren und sie mit den Szenen des SainteChapelle Zyklus vergleichen.
vitraux de la cathédrale Saint-Étienne d’Auxerre », Congrès Archéologique (Auxerre 1958), 1959, S. 60ff. ; RAGUIN, Stained Glass... (op. cit. Anm. 2) ; Corpus Vitrearum France, Recensement III, Les vitraux de Bourgogne, Franche-Comté et Rhône-Alpes, Paris, 1986, S. 111–127. 12 « tout ce qui était à portée de bâton », vgl. LEBEUF, Histoire de la prise d’Auxerre par les Huguenots, Auxerre, 1732, S. 136 ; zitiert bei LAFOND, « Les vitraux... » (op. cit. n. 11) S. 61 Anm. 1.
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Samson steckt die Felder der Philister in Brand (Richter 15, 4) : Halbmedaillon 1 und Medaillon 2 (vgl. Abb. 1, unteres Register, links und Mitte) Die Szene erstreckt sich über zwei Medaillons. Im linken Medaillon (No. 1) erscheint der bärtige Samson mit langem Haupthaar. Er trägt ein bis zu den Knöcheln reichendes Gewand und einen Mantel. Sein junger bartloser Begleiter trägt eine kurze Tunika und wendet eben seinen Kopf zu Samson zurück. Beide tragen je eine Gruppe von Füchsen, die sie an ihren Schwänzen hochheben. Samson ist eben damit beschäftigt, die Schwänze seiner vier Füchse, die er dann mit einer am Schwanz befestigten Fackel in die Felder der Philister schicken wird, mit Hilfe eines Stricks zusammenzubinden. Diese Handlung wird in der Kunst nur sehr selten dargestellt und man findet sie in der Sainte-Chapelle nicht. Eine analoge Darstellung ist mir nur von einem elfenbeinernen Spielstein bekannt, der im Louvre aufbewahrt wird (Abb. 4) :13 Samson hebt in seiner Rechten die Füchse an ihren Schwänzen hoch, während er mit der Linken eine Lampe hält. Im rechten Medaillon (Medaillon 2) rennen die Füchse, welche die Felder der Philister mit ihren Fackeln in Brand stecken, von links nach rechts davon. Die Flammen haben bereits von den Getreidefeldern Besitz ergriffen, die über ihnen dargestellt sind. Das Grundschema dieser Szene unterscheidet sich klar vom häufigeren Darstellungstyp, den man in der Sainte-Chapelle (Abb. 5), in der Maciejowskibibel14, im Psalter Ludwig des Heiligen15 und in den Oktateuchhandschriften16 findet. Alle diese Werke zeigen Samson links kauernd, eben damit beschäftigt, die Schwänze von zwei Füchsen zusammenzubinden, während weitere Tiere bereits nach rechts davonrennen. Die Füchse sind dabei in mehreren Registern übereinander dargestellt ohne sich gegenseitig zu verdecken, sodass ihre Körper zusammen mit dem Hintergrund ein dekoratives Muster bilden. In Auxerre hingegen bilden die Tiere eine kompakte Gruppe, und ihre Körper verdecken sich zu einem großen Teil. Die in Oxford aufbewahrte
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Paris, Louvre, No. DA 10003 ; vgl. V. B. MANN, « Samson vs. Hercules : A carved cycle of the twelfth century », ACTA The high Middle Ages, 7, 1983, S. 5, fig. 2 ; A. KLUGE-PINSKER, Schachspiel und Trictrac. Zeugnisse mittelalterlicher Spielfreude aus Salischer Zeit, Sigmaringen, 1991, S. 79–81. 14 New York, Pierpont Morgan Library, M. 638, fol. 14v. 15 Paris, Bibliothèque nationale de France, Ms. lat. 10525, fol. 58r. 16 Vat. 747 fol. 249v, Vat. 746 fol. 492r, Vatopedi fol. 440r.
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Bible moralisée behandelt die Szene ähnlich :17 Samson steht rechts und gibt mit erhobenem Zeigfinger den Füchsen das Startsignal. Diese entfernen sich in der Gruppe gegen links in Richtung eines Kornfeldes, das wie in Auxerre durch ein mit Ähren gefülltes Quadrat dargestellt wird. Schließlich wird sowohl in der Bible moralisée wie auch im Glasfenster von Auxerre die Standfläche für die Figuren durch eine Brücke gebildet. Über dem Kopf der Protagonisten in Auxerre verläuft eine Inschrift, die rechts beschnitten ist. Man liest heute noch : SENSUM FOTI(N ?). In neun anderen Medaillons (Medaillons 1, 3, 4, 5, 6, 7, 9, 10, 11, 12) kehrt eine ähnliche Inschrift wieder. Acht Inschriften lauten gleich : SENSUM FORTIN. In der Inschrift in Medaillon 1 scheint man den R von FORTIN vergessen zu haben und das N ist halb beschnitten. Die Inschrift in Medaillon 7 ihrerseits ist unvollständig. Das Inschriftenband besteht heute aus drei Glasfragmenten. Die beiden Stücke rechts gehören zusammen und ergeben SUMFORTIN. Es handelt sich also um Fragmente unserer Inschrift. Das linke Stück hingegen stammt wohl ursprünglich nicht aus unserem Fenster und liest MOEN, Buchstaben, die mit unserer Inschrift nichts zu tun haben. Bereits im 19. Jahrhundert wurde die Inschrift des Samsonfensters transkribiert.18 Die meisten Forscher gingen davon aus, dass die Inschrift fehlerhaft überliefert sei und der Künstler an Stelle des lateinischen « SAMSON FORTIS » das fehlerhafte « SENSUM FORTIN » bringe.19 Jean Lafond hat als erster richtig bemerkt, dass ’fortin’ die korrekte Form eines altfranzösischen Adjektivs ist, das zu den häufigsten Epitheta Samsons gehört.20 Der Gebrauch von SENSUM für SAMSON hingegen findet keine befriedigende Erklärung,21 ich 17 Oxford Bodl. 270b, fol. 116r. Zu den Bible moralisée Handschriften vgl. das nunmehr unumgängliche Standardwerk John Lowdens : J. LOWDEN, The making of the Bibles moralisées, 2 vol., Pennsylvania, 2000 (mit Literaturangaben). 18 RAGUIN, Stained Glass... (op. cit. Anm. 3) S. 167 ; F. DE GUILHERMY, Notes manuscrites sur la cathédrale d’Auxerre, correspondant aux visites en 1854, 1858 et 1864, Paris, BnF, ms. nouv. Acq. fr. 6095, fol. 691 ; DE LASTEYRIE, « Description... » (op. cit. Anm. 11), S. 44. 19 So DE LASTEYRIE, « Description... » (op. cit. Anm. 11) und FOURREY, « Les verrières historiées... » (op. cit. Anm. 11), S. 167 ; beide zitiert bei LAFOND, « Les vitraux... » (op. cit. Anm. 11), S. 66 Anm. 5. 20 So bestätigt es der Eintrag im Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous ses dialectes du IXe au XVe siècle (Ed. F. GODEFROY), t. 4, Paris, 1885, S. 100 ; vgl. auch A. TOBLER und E. LOMMATZSCH, Altfranzösisches Wörterbuch, vol. 3, Frankfurt a. M., 1954, Sp. 2162. Beide Wörterbücher geben zahlreiche mittelalterliche Beispiele des Gebrauchs von ’fortin’ als Beinamen des Samson. 21 In den obengenannten Wörterbüchern variiert die Schreibweise des Namens Samson zwar zwischen « Samson », « Sanson », « Sampson » und « Sansson », aber in keinem Fall ist ein Vokalwechsel, wie in unserer Inschrift belegt.
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möchte hier lediglich darauf hinweisen, dass die beiden Wörter französisch ausgesprochen phonetisch sehr ähnlich sind, was der Grund für eine fehlerhafte Schreibweise sein könnte. Samson in Gaza (Richter 16, 3) : Halbmedaillons 3 und 4 (vgl. Abb. 1, unteres Register rechts und oberes Register rechts) Das untere Medaillon (No. 3) stellt Samson dar, der eben die Tore von Gaza wegträgt, eine Szene, die in der Sainte-Chapelle nicht erhalten ist. Samson ist eben daran, die Türflügel auf seine Schultern geladen, eine Reihe von kleinen Hügeln zu erklimmen. Diese Szene ist zwar eine der am häufigsten dargestellten des Samsonzyklus, aber die Haltung des Helden, der die Türflügel gegen vorne gekippt hält, ist nicht häufig. Man findet sie auf einem Email aus dem Maasgebiet22, wo Samson die Flügel jedoch einzeln unter seine Arme geklemmt hält und nicht, wie in unserem Glasfenster, beide Flügel auf der rechten Schulter trägt. Zu erwähnen wäre hier zudem noch eine heute isolierte Glasscheibe aus Alpirsbach, die in Stuttgart aufbewahrt wird :23 Die Komposition ist hier zweigeteilt. Links hebt Samson die Türflügel aus den Angeln, rechts trägt er sie weg auf einen Hügel. Die Beinposition des Helden und die Reihe von kleinen Hügeln sind dabei sehr ähnlich wie in der Darstellung von Auxerre. Auch hier zeichnen die Türflügel zudem eine Linie, die gegen vorne nach unten verläuft. Samson trägt in Alpirsbach jedoch eine kurze Tunika, währenddem er in Auxerre wie in allen anderen Szenen sein langes Gewand und seinen Mantel trägt. Im oberen Medaillon (No. 4) erscheint Samson vor einem geöffneten Stadttor. Mit leicht geneigtem Kopf steht er da und hält mit der linken die Mantelenden fest, während er mit der Rechten einen Redegestus skizziert. Der eine sichtbare Torflügel weist genau dieselben Beschläge auf, wie die Türen, die Samson im unteren Medaillon wegträgt. Es handelt sich also wohl auch hier um die Tore von Gaza. Die Platzierung des Medaillons erlaubt es jedoch nicht, der Glasscheibe einen sicheren Platz im chronologischen Ablauf der Erzählung zuzuweisen. Ein Vergleich mit den Oktateuchhandschriften ist hier erhellend : In der Handschrift Vat. 746 und ihrer Kopie, die im Kloster Vatopedi aufbewahrt wird, finden sich ganze vier Szenen, die die Geschichte von Samson in Gaza erzählen. Die erste Vignette stellt 22 Es wird in London, im British Museum aufbewahrt. Vgl. M.-M. GAUTHIER : Émaux du Moyen Âge occidental, Fribourg, 1972, no. 117. 23 Vgl. L. GRODECKI, Le vitrail roman, Fribourg, 1977, S. 268, Abb. S. 181.
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Samson links vor einem Stadttor dar. Daneben erscheint Samson wiederum vor einer Stadtarchitektur in ein Gespräch mit der Prostituierten verwickelt (Vat. 746 fol. 493r ; Vatopedi fol. 441v). Eine zweite Vignette zeigt links das Paar im Bett, während die Bewohner der Stadt bereits Samson vor dem Stadttor erwarten, das sie abgeschlossen haben. Rechts davon sieht man Samson, der die Tore von Gaza auf dem Hügel abstellt (Vat. 746 fol. 493v ; Vatopedi fol. 442r) Wegen der Übereinstimmungen mit der Darstellung in den Oktateuchhandschriften möchte ich vorschlagen, in der Szene in Auxerre ebenfalls Samson vor den Toren von Gaza zu erkennen, der sich zu der Prostituierten begibt. Die Glasscheibe ist also wohl nicht mehr an ihrem originalen Ort erhalten. Sie sollte vor der Szene stehen, in der Samson die Türflügel wegträgt. Wahrscheinlich hat man die Glasscheiben 3 und 4 - entweder schon bei der Montierung oder aber bei einer Restaurierung - verwechselt. Quellwunder aus der Eselsbacke (Richter 15, 18-–19) : Medaillon 5 und Halbmedaillon 6 (Abb. 1, Mitte und links) Die beiden Medaillons in Auxerre stellen nicht den spektakulären Kampf zwischen dem nur mit einer Eselsbacke bewaffneten Samson und den Philistern dar, wie er in der Sainte-Chapelle anzutreffen ist. Man hat sich im Gegenteil dafür entschieden, nur das Wunder darzustellen, das auf den Kampf folgt : Gott ließ nämlich aus der Eselsbacke auf wunderbare Weise eine Quelle entspringen, an der sich der vom Kampf durstige Held erquicken konnte (Medaillon 5). Im Medaillon 5 ist Samson in dem Moment dargestellt, als er sich nach vorne gegen die Eselsbacke beugt und eben einen gefüllten Kelch an seine Lippen hebt, um zu trinken. Die Szene wird von einer Arkade gerahmt. In der Oktateuchhandschrift in Vatopedi ist derselbe Moment illustriert (fol. 441v) : der Held hat ein Knie auf den Boden gestellt und beugt sich eben nach vorne, um zu trinken. Dieser Darstellungstyp kontrastiert mit einem anderen Schema, das die übrigen byzantinischen Handschriften anwenden : Samson steht aufrecht und hebt direkt die Eselsbacke an seine Lippen (Vat. 746 fol. 493r, Homelien des Gregor von Nasianz (Paris, BnF gr. 510, fol. 347b). Das Halbmedaillon 6 zeigt Samson vor demselben Arkadendekor im Begriff zu beten. Er ist niedergekniet und hebt Haupt und Hände in einer emphatischen Geste zum Himmel. Das Glasfenster in Auxerre kombiniert also die Figur des trinkenden mit der des betenden Samson. Letztere Szene, die selten ist, findet man auch im Psalter Ludwig
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des Heiligen (fol. 60r), wo jedoch die Szene mit dem trinkenden Samson fehlt. Anders als im Glasfenster steht Samson hier zwar aufrecht, aber er hebt seinen Blick gegen den Himmel und hat seine Hände in Gebetshaltung zusammengelegt wie die Samsonfigur in Auxerre, während das Wasser bereits aus der Eselsbacke quillt, die vor ihm auf dem Boden liegt. Dalila schneidet Samson die Haare ab (Richter 16, 19) : Halbmedaillon 7 (vgl. Abb. 2, unteres Register links) Die Szene beschränkt sich auf die Darstellung der beiden Hauptfiguren Samson und Dalila und stellt bloß den Schlaf des Helden, nicht das Haareschneiden selbst dar, eine Schere ist auf jeden Fall nicht zu erkennen. Samson hält die Augen geschlossen und seine Hände sind mit einem Seil gebunden. Er hat sein Haupt auf Dalilas Schoss gelegt. Ein kleiner roter, artischockenförmiger Baum im Hintergrund zeigt an, dass die Szene sich im Freien abspielt. Dieses Detail findet sich sonst nur in der Maciejowskibibel24 wieder, wo aber drei bewaffnete Philister der Szene beiwohnen. Die Szene der Sainte-Chapelle spielt hingegen in einem Innenraum. Zwei männliche Zuschauer beobachten, wie Dalila mit einer großen Schere Samson das Haar schneidet (Abb. 6). Blendung des Samson (Richter 16, 21) : Medaillon 8 (Vgl. Abb. 2, unteres Register, Mitte) Zwei Philister, in kurzer Tunika und im Kettenhemd greifen Samson an, dessen Haupthaar glatt rasiert ist. Einer der Philister ist mit einem Schwert bewaffnet, der andere versenkt eben eine kurze Spitze in Samsons Auge. Samson ist in einer widersprüchlichen Haltung wiedergegeben, seine Füße ruhen auf dem Boden, als ob er stehen würde, sein Torso aber erscheint wie liegend in die Rundung des Medaillons eingebettet. Der Geblendete hat nicht mehr wie in der vorhergehenden Szene gebundene Hände, sondern bewegt seine Hände gestikulierend in Hilflosigkeit und Schmerz. In einer Miniatur der Gregor von Nasianz-Handschrift in Paris25 ist Samson während seiner Blendung aufrecht wiedergegeben. Das hinten gekrümmte Werkzeug, womit ihm das Auge ausgestochen wird und die Handhaltung des Ausführenden mit dem leicht nach hinten geklappten Handgelenk 24 25
New York, Pierpont Morgan Library, M. 638, fol. 15r. Paris, BnF, gr. 510, fol. 347v.
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sind der Glasscheibe in Auxerre und der Pariser Handschrift gemeinsam. Die Blendung wird nämlich in Auxerre, wie auch in der SainteChapelle und den Handschriften des 13. Jahrhunderts26 nur mit einer einfachen Spitze durchgeführt, wohingegen in den Oktateuchhandschriften27 Hammer und Meißel zum Einsatz kommen. In anderen Werken schließlich, wie auf einem Kapitell im Kreuzgang von Monreale28 und auf einem Relief in Santa Restituta in Neapel29, wird nur der nackte Finger benutzt. In der Sainte-Chapelle hat sich von dieser Szene nur die linke Hälfte erhalten. Samson liegt auf dem Boden, die Hände wohl hinter dem Rücken zusammengebunden, während sich ein Mann über ihn beugt und ihm eine Spitze ins linke Auge taucht (Abb. 7). Samson muss den Mühlstein drehen (Richter16, 21) : Medaillon 9 (vgl. Abb. 2, unteres Register rechts) Im Vordergrund betätigt Samson, mit geschlossenen Augen und glattem Schädel, nach vorne gebeugt den Hebel, der den Mühlstein antreibt. Hinter ihm scheint ein Philister das Mahlwerk zu bedienen. In der Sainte-Chapelle gibt es keine äquivalente Szene. Man hat dort einen anderen Moment dargestellt, nämlich den, als Samson erschöpft von der schweren Arbeit, die ihm die Philister abverlangen, vor dem Mühlstein zu Boden sinkt (Abb. 8). Der blinde Samson wird von einem Kind geführt (Richter 16, 25–26) : Medaillons 10 und 11 (vgl. Abb. 2, oberes Register rechts und Mitte) Im rechten Medaillon erkennt man Samson mit glattrasiertem Kopf und geschlossenen Augen. Er trägt ein langes Gewand und einen Mantel. Er hält in seiner Rechten einen Blindenstab und stützt seine Linke auf der Schulter eines Kindes ab, das ihm als Führer dient. Das Kind trägt eine kurze Tunika und stützt sich ebenfalls auf einen Stock ab, hält aber seine Augen weit offen. Das Paar geht von links nach rechts. Die Komposition des linken Medaillons ist beinahe identisch, 26 So in der Maciejowskibibel (fol. 15r), im Psalter Ludwig des Heiligen (fol. 61v) und in den Bibles moralisées (Wien Österreichische Nationalbibliothek, Cod. 2554 fol. 63r, Wien Österreichische Nationalbibliothek, Cod. 1179, fol. 78, Oxford, Bodl. 270b, fol. 118) 27 Mit der Ausnahme von Vat. 747 fol. 251r, wo ebenfalls nur eine Spitze gebraucht wird. 28 Vgl. R. SALVINI,The Cloister of Monreale and Romanesque Sculpture in Sicily, Palermo, 1964. 29 Zu den Reliefs von S. Restituta vgl. P. CLEMEN, Romanische Monumentalmalerei in den Rheinlanden, Düsseldorf, 1916, S. 152/153, Abb. 119.
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außer dass Samsons Haare bereits wieder nachgewachsen sind und ihm über die Schultern reichen und dass die beiden sich von rechts nach links bewegen. Auch in der Sainte-Chapelle scheint eine ähnliche Szene existiert zu haben. Allerdings hat sich nur die linke Hälfte davon erhalten (Abb. 9). Samson berührt mit der linken Hand seine erloschenen Augen und hält in der anderen einen langen Stab. Das Kind, das wohl auf der verlorenen rechten Scheibe dargestellt war, kann Samson daher nicht wie in Auxerre direkt an der Hand geführt haben. Wahrscheinlich ist, dass es den Blinden wie auf einem Relief in Santa Restituta in Neapel am Stockende führte. Die Darstellung, die der Szene in Auxerre am nächsten kommt, befindet sich auf einem Relief, das den Zugang zur Krypta der Kathedrale von Pécs in Ungarn schmückte (Abb. 10).30 Es wird heute im bischöflichen Museum derselben Stadt aufbewahrt. Das Relief stammt wohl aus der Mitte des 12. Jahrhunderts und wendet genau dasselbe ikonographische Schema an wie die Glasscheibe in Auxerre : Samson, der ebenfalls einen Mantel in antiker Manier trägt, der auf der Schulter fixiert wird, hält einen langen Stab in seiner Rechten und stützt seine Linke auf der Schulter des Jungen ab, der ihn führt und der ebenfalls einen Stock in der Hand hält. Samson zwischen den Säulen des Tempels (Richter 16, 25–26) : Medaillon 12 (vgl. Abb. 2, oberes Register links) Samson steht zwischen zwei Säulen, deren Kapitelle er mit seinen Händen umfasst. Links und rechts neben ihm entfernen sich eben zwei Jungen, während sie ihren Blick noch zu Samson zurückwenden. Der in Auxerre angewendete Darstellungstyp hängt von der sogenannten byzantinischen Formel31 ab, die Samson zwischen zwei Säulen darstellt, wie er den Tempel zum Zusammenstürzen bringt, indem er die beiden ihn flankierenden Säulen einreißt. So wird die Szene in den Oktateuchhandschriften und in den meisten anderen byzantinischen Handschriften dargestellt.32 In der Sainte-Chapelle hat man hingegen das sog. westliche Schema der Szene angewendet : Samson
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Eine Abbildung der Darstellung, die uns hier interessiert, gibt A. SCHEIBER in seinem Artikel : « Samson uprooting a tree », in : No graven images. Studies in Art and the Hebrew Bible (Hg. J. GUTMANN), New York, 1971, S. 416–426. Dieselbe Photographie puliziert auch G. ENTZ in seinem Artikel : « L’architecture et la sculpture hongroises à l’époque romane dans leurs rapports avec l’Europe », Cahiers de Civilisation Médiévale, 9, 1966, S. 1–11. 31 Vgl. MANN, « Samson vs. Hercules... » (op. cit. Anm. 13), S. 16. 32 Vat. 747 fol. 251r ; Vat. 746 fol. 495r, Vatopedi fol. 445r.
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reißt den Tempel ein, indem er eine einzelne Säule umarmt und sie so zum einstürzen bringt (Abb. 11). Der zerstörte Tempel (Richter 16, 29–30) : Medaillon 13 (vgl. Abb. 3, links) Dieses Medaillon stellt den Bauschutt des zerstörten Tempels dar, unter dem die Philister und Samson begraben wurden. Man erkennt den Helden im Vordergrund an seinem gelben Gewand und dem blauen Mantel. Begräbniszug (Richter 16, 31) : Medaillon 14 (vgl. Abb. 3, Mitte) Zwei Träger stützen eine Bahre, auf welcher der Leichnam des Samson unter einem weißen Leichentuch ruht. Im Zentrum trauert eine Frau ; sie hat die verhüllten Hände an ihre linke Wange gelegt. Meines Wissens kommt eine entsprechende Szene in keinem anderen Samsonzyklus vor. Einbalsamierung von Samsons Körper (Richter 16, 31) : Medaillon 15 und 16 (vgl. Abb. 3 rechts) Rechts beugen sich ein Mann und eine Frau über den nackten Leichnam Samsons, der auf seinem Totenbett ruht und schütten Öl aus ihren Krügen über ihn, um ihn einzubalsamieren. Zwei weitere Figuren, wohl die Träger, schauen traurig zu. Oberhalb der drei letzten Szenen ist ganz oben im Fenster in einer einzelnen Scheibe ein Engel dargestellt, welcher der Handlung beiwohnt. Die in den Medaillons 14-16 dargestellten Szenen sind in der Sainte-Chapelle nicht wiedergegeben, wo der Zyklus mit der Zerstörung des Tempels endet. Auch sonst sind die Szenen wohl nur sehr selten dargestellt worden. Man findet eine Totenklage über dem Leichnam von Samson nur auf einem romanischen elfenbeinernen Spielstein dargestellt (Abb. 12) :33 Samsons eingesalbter und mit Stoffbändern kreuzförmig eingewickelte Leichnam34 liegt auf dem Totenbett und wird von zwei trauernden Figuren flankiert, während ein Engel vom Himmel herabschwebt, um den Leichnam mit einem Leichentuch zuzudecken.
33 London, British Museum, Dalton No. 166, vgl. MANN, « Samson vs. Hercules... » (op. cit. Anm. 13). 34 Dieses Detail findet man auch in der Oktateuchhandschrift Vat. 747, fol. 251r.
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Wie für das Glasfenster der Sainte-Chapelle, kann man auch für die Ikonographie des Fensters in Auxerre kein einzelnes direktes Modell festmachen, an dem sich der Auftraggeber hätte inspirieren können. Die Analogien mit romanischen Werken, wie den elfenbeinernen Spielsteinen sind zwar bei einigen Szenen frappant, die heute erhaltenen Werke konnten aber kaum als direkte Vorbilder für den Zyklus in Auxerre dienen. Die zitierten Kleinobjekte zeigen aber, dass eine reichere ikonographische Tradition des Samsonlebens existierte, als man aufgrund der heute erhaltenen monumentalen Werke erwarten würde. In diese vielgestaltige romanische Tradition schreibt sich auch das Fenster in Auxerre ein. Die Leserichtung des Glasfensters verläuft mit wenigen Ausnahmen von unten nach oben im Buhstrophedon. Das fünfte, siebte und neunte Register sind in der Tat von links nach rechts zu lesen. Das achte Register liest sich von rechts nach links, das sechste ist problematisch. Die Darstellung von Samson vor einem Stadttor macht an seinem heutigen Aufstellungsort keinen Sinn. Ursprünglich muss diese Szene für das untere Register ganz rechts vorgesehen gewesen sein, die dort untergebrachte Darstellung von Samson, welcher die Stadttore von Gaza wegträgt, muss hingegen als nachfolgende Szene für das sechste Register ganz rechts bestimmt gewesen sein. Aber auch die Chronologie der anderen beiden Szenen des sechsten Registers, die Darstellungen des Wunders des aus der Eselsbacke quellenden Wassers und des betenden Samsons, ist problematisch. In keinem anderen Zyklus kommen diese beiden Szenen nebeneinander vor. Nach dem Bibeltext bittet Samson Gott um Wasser bevor das Wunder geschieht und er trinken kann, hingegen ist in der Bibel von keinem Dankgebet Samsons die Rede. Da das Wasser in der Darstellung aber schon aus der Eselsbacke quillt, während Samson betet, könnte die Szene auch an ihrem originalen Bestimmungsort sein und ein Dankgebet Samsons darstellen, das aber durch den Bibeltext nicht legitimiert würde. Die Leserichtung des sechsten Registers verläuft also wohl wie die des achten von rechts nach links.
GEMEINSAMKEITEN UND EIGENTÜMLICHKEITEN DER BEIDEN ZYKLEN Ein Vergleich zwischen den ikonographischen Gesamtprogrammen in Auxerre und der Sainte-Chapelle gestaltet sich schwierig, da beide Glasfenster viele Einzelszenen verloren haben : In der Sainte-
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Chapelle sind ein Drittel der Glasscheiben verloren und die ursprüngliche Anordnung der Szenen kann nicht mehr sicher rekonstruiert werden. Das Auswahlverhalten des Auftraggebers kann daher nur aus den erhaltenen Scheiben rekonstruiert werden und bleibt dementsprechend hypothetisch. Die Absenz von Szenen kann überhaupt nicht als Argument angeführt werden, denn die Szenen können auch erst im Laufe der Jahrhunderte verlorengegangen sein. In Auxerre hingegen ist die Anordnung und die Chronologie der erhaltenen Darstellungen recht gut zu rekonstruieren, hingegen fehlt uns der gesamte Beginn des Zyklus, sodass die Jugendepisoden überhaupt keinem Vergleich unterzogen werden können. Die Analyse der Einzelszenen hat aufgezeigt, dass die Ikonographie der beiden Glasfenster voneinander völlig unabhängig ist, auch wenn die beiden Ensemble fast zeitgleich entstanden. Nur sechs Szenen kommen überhaupt in beiden Zyklen vor. Drei der sechs wählen völlig andere Darstellungstypen und auch die drei übrigen weisen wesentliche Unterschiede auf. Die Ikonographie des Glasfensters in Auxerre knüpft an die romanische ikonographische Tradition an, während das Glasfenster der Sainte-Chapelle (wie auch die Maciejowskibibel und der Psalter Ludwig des Heiligen) aus einer anderen Tradition schöpft und eine neue « gotische » Ikonographie begründet. Die Unterschiede zwischen Auxerre und der Sainte-Chapelle beschränken sich aber nicht nur auf die Auswahl der Szenen oder die Wahl der ikonographischen Schemata, sie manifestieren sich ebenfalls in der Art und Weise, wie die Figur des Samson dargestellt wird. Die Samsonfigur der Sainte-Chapelle hebt sich in der Tat klar von der traditionellen Darstellung ab : gemäß dem Bibeltext ist der Nazaräer Samson von Geburt an von seinen Eltern Gott geweiht, was ihm verbietet, seine Haare zu schneiden. In zwei Szenen der Sainte-Chapelle ist er jedoch ohne seine langen Haare als mittelalterlicher Prinz dargestellt. In den Szenen der Hochzeit und des Hochzeitsbanketts ist das junge Paar nach der Mode des 13. Jahrhunderts gekleidet (Abb. 13). Die Braut trägt als Kopfbedeckung den « Touret », das weibliche Modeaccessoire der Epoche. Die Haare Samsons sind halblang im Pagenschnitt frisiert und unten in eine Außenwelle gelegt, wie dies die fürstliche Frisur der Zeit verlangte, die manche Autoren als Haartracht « à la mode de Saint Louis »35 bezeichnen. Samson trägt überdies den Tasselmantel des 13. Jahrhunderts, den er in einer eleganten Geste mit der einen 35 Vgl. M. PRADALIER SCHLUMBERGER, Toulouse et le Languedoc : la sculpture gothique XIIIe–XIVe siècles, Toulouse, 1998, S. 84.
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Hand am Riemen festhält. Es ist schwierig, in seiner Figur den Kraftprotz zu erkennen, von dem uns die Bibel erzählt. Der Samson der Sainte-Chapelle ist nicht der unkultivierte, wilde, kräftige Kerl der biblischen Erzählung, sondern ein feingliedriger, raffinierter, bartloser Prinz, der etwas androgyn wirkt. Diese Darstellungsart, die wenig Rücksicht nimmt auf den biblischen Text ist typisch für die Ausstattung der Sainte-Chapelle. Ein Grossteil der alttestamentlichen Szenen wurde aktualisiert und ist eher in der Welt des 13. Jahrhunderts angesiedelt als in alttestamentarischer Zeit. Da sie sich in der dargestellten höfischen Welt wiedererkennen konnten, wurden die Betrachter der Glasmalerei dadurch direkt angesprochen und mit einbezogen. Die Glasmalereien der Sainte-Chapelle richteten sich in der Tat ausschließlich an die adlige Gesellschaft des französischen Königshofes, die allein Zugang zur Oberkapelle hatte. In Auxerre findet man hingegen keine Spur von vergleichbarer Aktualisierung der Samsonfigur, die im Gegenteil noch ganz der romanischen Tradition verpflichtet ist. Der Held wird durchgehend als reifer, bärtiger Mann wiedergegeben, der ein langes Gewand und einen Mantel in antiker Manier trägt und dem die langen Haare über die Schultern heruntereichen. Die konstatierten Unterschiede in der Darstellung der Samsonfigur sind nicht nur durch die Benutzung unterschiedlicher Vorbilder bedingt, ihnen liegen auch zwei verschiedene Auffassungen von der Bedeutung der Samsonfigur zu Grunde, die auf widersprüchlichen exegetischen Diskursen basieren : Die patristische und mittelalterliche Exegese interpretiert die Samsonfigur in erster Linie als Präfiguration Christi. Besonders zwei Episoden seines Lebens liegen dieser Auslegung zugrunde. Der Kampf mit dem Löwen gilt den Exegeten als ein alttestamentlicher Typ der Auferstehung Christi. Samson, der die Tore von Gaza wegträgt hingegen präfiguriert die Höllenfahrt Christi. Diese christologische Interpretation begründet die Popularität des Helden aus dem Richterbuch und seine Präsenz auf zahlreichen typologischen Werken. Samson ist aber ein zwiespältiger Charakter und schon die Kirchenväter haben die Figur auch negativ interpretiert, als Sinnbild der Seele, die Tugend und Gnade verliert, da sie der Wollust nachgibt. Diese Interpretation basiert in erster Linie auf einer moralisierenden Auslegung der Liebesgeschichte zwischen Samson und Dalila, die Samson ins Verderben bringt und letztlich seinen Tod herbeiführt. Der Verrat der Dalila an Samson stellt also bildlich dar, welche Gefahr das Fleischliche für den Gläubigen darstellt. Beide diametral entgegengesetzten Auffassungen, die einmal Samson als positives, einmal als negatives Sinnbild interpretieren, schei-
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nen in der christlichen Exegese schon immer nebeneinander existiert zu haben. Die Typologie hatte es den Christen in der Tat ermöglicht, auch zwiespältige Figuren - wie in unserem Falle Samson - als positive Vorbilder in den Dienst zu nehmen, während die jüdischen Exegeten Samson viel strenger beurteilen und verurteilen.36 Auch in den Bible moralisée Handschriften findet man die positive und die negative Interpretation nebeneinander. So greift man z. Bsp. in der französischen Wiener Handschrift37 bald auf die christologische, bald auf die moralisierende Interpretation zurück. Mit Ausnahme der Episode von den Füchsen, welche die Felder der Philister in Brand stecken (diese werden mit den Häretikern gleichgesetzt, welche die Christen korrumpieren), werden alle dem Verrat der Dalila vorausgehenden Episoden christologisch interpretiert. Die Szene des Verrats und die darauffolgenden werden hingegen moralisierend ausgelegt mit Ausnahme der zwei letzten Episoden, wo Samson, der den Philistern zur Belustigung vorgeführt wird und der den Tempel zerstört, wiederum mit Christus gleichgesetzt wird. Die Zitatauswahl in den Randglossen der Glossa ordinaria38 privilegiert in der Regel ebenfalls die christologische Interpretation der Samsonfigur. Neben der Episode von Dalila, die Samson die Haare abschneidet, wird jedoch an den Rand ein Isidorzitat39 gesetzt, das besagt, dass Samson, dem die Haare geraubt werden, der gebunden, geblendet und zur Mühle geführt wird, nicht Christus bedeutet, sondern den Menschen, dessen Vernunft vom Fleisch in die Irre geführt wird.40 Aber auch in der Glossa ordinaria wird das Ende der Erzählung, also der Tod des Samson, mit Bezug auf Gregor den Grossen, wiederum christologisch ausgelegt. 36 Vgl. L. H. FELDMANN, « Josephus’ version of Samson », Journal for the Study of Judaism, 19, 1988, S. 171–214. 37 Wien, Österreichische Nationalbibliothek, Cod. 2554. Der Samsonzyklus findet sich fol. 61v–64v. 38 Ich habe die Faksimileausgabe der Editio princeps von Adolph Rusch, Strassburg 1480/8 benutzt : herausgegeben von K. FROEHLICH und M. T. GIBSON (Hg.), Biblia Latina cum glossa ordinaria, Turnhout, 1992. 39 Man findet eine fast gleichlautende Passage in den Mysticorum Expositiones Sacramentorum seu quaestiones in Vetus Testamentum des Isidorus de Sévilla (vgl. PL Bd. 83, Sp. 390). Dasselbe Argument findet sich wortwörtlich in den Questiones super librum Judicum, einst dem Beda zugeschrieben, wieder (vgl. PL Bd. 93) und in den Comentaria in librum Judicum des Rrabanus Maurus (vgl. PL Bd. 108). 40 Quod mulier subdola caput samsonis rasit et allophilis illudendum tradidit, quod captivatus est, quod cecatus et ad molam deputatus, non in his Christus sed illi figurantur qui tantum Christi nomine gloriantur et malis actibus iugiter implicant. Vir enim sensus rationalis intelligitur. Caro autem mulierem significat. Si enim mulieri id est carni nostre blandiente libidine vel aliis malis operibus consenserimus gratia spiritus sancti quod nacarei crine significatur nudati expoliamur atque decipimur.
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In der Sainte-Chapelle markiert die Szene von Dalilas Verrat ebenfalls einen Wendepunkt in der Erzählung. Man hat nämlich auch in der Sainte-Chapelle den beiden Interpretationsmöglichkeiten Rechnung getragen und wie in den Bible moralisée Handschriften und der Glossa die Erzählung zweigeteilt. Die Kernszene von Dalilas Verrat wird dabei durch ihren roten Hintergrund herausgehoben, während alle anderen Szenen sich vor einem blauen Hintergrund abspielen. Die Darstellung der Hauptfigur vor und nach dieser Kernszene ist grundverschieden. Samson, der vor der Verratsszene als adliger, eleganter Jüngling auftritt, wird nach der Verratsszene als mitleidserweckende Gestalt dargestellt, die nurmehr eine einfache Tunika trägt. Der Vergleich mit dem Zyklus in Auxerre macht klar, dass es sich hier nicht nur um ein unbedeutendes Detail handelt. In Auxerre bleibt die Behandlung der Hauptfigur während der ganzen Erzählung konstant. Auch der schwach gewordene, geschundene Samson ist noch eine respektheischende Figur und trägt auch in diesen Szenen als Ehrenzeichen noch immer seinen Mantel in antiker Manier. Während das Glasfenster in Auxerre wohl Samson allein gewidmet war, befindet sich Samson in der Sainte-Chapelle in der Gesellschaft von anderen Protagonisten aus dem Richterbuch, Gideon Abimelek und Jephta. Dabei ist der Ruf seiner Begleiter nicht besser als sein eigener : Gideon präfiguriert zwar durch das Vlieswunder die jungfräuliche Empfängnis Mariä, ist aber an und für sich ein ungläubiger Zweifler. Abimelek repräsentiert den Usurpator par excellence. Ohne jeglichen Anspruch auf die rechtmäßige Nachfolge bringt er bei seiner Machtergreifung unzimperlich alle seine Brüder um, um seine Macht zu sichern. Die Exegese setzt ihn mit dem Antichrist gleich. Jephta schließlich sieht sich wegen eines unvorsichtigen Schwurs gezwungen, seine eigene Tochter zu opfern. Die christlichen Kirchenväter konnten dieses Menschenopfer nicht gutheißen.41 Meist verurteilen sie die Tat Jephtas denn auch und legitimieren lediglich die Passivität Gottes vor dem Horror eines ihm dargebrachten Menschenopfers durch die typologische Bedeutung der Episode, welche das Opfer Christi präfiguriert.42 In die Reihe dieser zwiespältigen Gestalten reiht sich in der Sainte-Chapelle also auch Samson ein, der trotz seines Status als Gottgeweihter ein ziemlich unmoralisches Leben 41 Vgl. K. WEITZMANN, « The Jephtah Panel in the Bema of the Church of St. Catherine’s Monastery on Mount Sinai », Dumbarton Oaks Papers, 18, 1964, S. 351/352. 42 Halten wir hier der Vollständigkeit halber fest, dass die Figur des Jephta in den Bible moralisée Handschriften viel positiver interpretiert wird. Jephta bedeutet hier Christus, während seine Tochter die Synagoge verkörpert.
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führt und sich mehrmals mit Philisterinnen einlässt. In Auxerre ist Samson der einzige Protagonist und die Auswahl der Szenen drückt eine positivere Sichtweise aus. Die Frömmigkeit des Helden wird durch das Wunder der Eselsbackenquelle unterstrichen. Der Akzent wird hier klar auf die Frömmigkeit des Helden und weniger auf seine Kraft gelegt, denn der eigentliche Kampf mit der Eselsbacke wird ja nicht dargestellt. Auch das oberste Register des Fensters mit den Trauer- und Begräbnisszenen unterstreicht die Würde und Anerkennung des Helden, während in der Sainte-Chapelle der Zyklus mit dem Tod Samsons endet. Durch die Präsenz des Engels über dem Begräbniszug bekräftigt auch noch die überirdische Instanz, dass es sich bei Samson um einen frommen und gottgefälligen Mann handelt. Die Botschaften der beiden Glasfenster sind also grundverschieden. Das Fenster in Auxerre präsentiert Samson als würdige Figur, die auch im Unglück noch Respekt verdient und legt den Akzent auf die Szenen, die den Helden in einem positiven Licht erscheinen lassen. Der Zyklus endet mit einer versöhnlichen Note, der Anerkennung der Verdienste des Helden nach seinem Tode. Die positiv präsentierte Figur Samsons, eine Präfiguration Christi, wird so zu einem positiven Vorbild für jeden Christen. Die Botschaft der Sainte-Chapelle ist komplexer. Das Samsonleben wird hier als moralisierendes Exempel vorgeführt : Während der Held in den Jugendszenen als beneidenswerter mittelalterlicher eleganter Prinz dargestellt ist, mutiert er von dem Moment an, als er seiner Wollust nachgibt, d.h. vom Verrat durch Dalila und dem Verlust seiner Haartracht an, zu einer bemitleidenswerten, elenden Figur. Die Geschichte endet böse, nämlich mit dem Tod des Helden und kein versöhnlicher Abspann tröstet wie in Auxerre über den tragischen Tod hinweg. Samson, dessen Darstellungsweise das mittelalterliche, höfische Publikum zur Identifizierung auffordert, führt hier für den Betrachter exemplarisch vor, was geschieht, wenn die Vernunft sich vom Fleisch verführen lässt und auf diese Art soll das angesprochene Publikum vor solch verderbenbringendem Verhalten gewarnt werden.
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Abb. 1 : Kathedrale Auxerre, Samsonfenster (MH 248 908) (Photo : Arch. phot. coll. MAP © CMN, Paris).
Abb. 2 : Kathedrale Auxerre, Samsonfenster (MH 248 909) (Photo : Arch. phot. coll. MAP © CMN, Paris).
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Abb. 3 : Kathedrale Auxerre, Samsonfenster (MH 248 910) (Photo : Arch. phot. coll. MAP © CMN, Paris).
Abb. 4 : Samson trägt die Füchse ; Spielstein im Louvre, No. DA 10003 (Photo d’après MANN, „Samson vs. Hercules“ (op. cit. n. 13).
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Abb. 5 : Samson setzt die Felder der Philister in Brand ; Kopie der Glasscheibe aus der Sainte-Chapelle, Paris, Médiathèque du Patrimoine 80/151 (18) fol. 32.
Abb. 6 : Dalila schneidet Samson die Haare ; Kopie der Glasscheibe in der Sainte-Chapelle, Paris, Médiathèque du Patrimoine 80/151 (5) fol. 9.
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Abb. 7 : Samsons Blendung ; Kopie der Glasscheibe aus der Sainte-Chapelle, Paris, Médiathèque du Patrimoine 80/151 (18) fol. 38.
Abb. 8 : Samson vor der Mühle ; Glasscheibe im Musée du Moyen Âge, Paris (Inv. 14478) (Photo : Françoise Perrot).
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Abb. 9 : der blinde Samson ; Kopie der Glasscheibe aus der Sainte-Chapelle, Paris, Médiathèque du Patrimoine 80/151 (18) fol. 52.
Abb. 10 : der blinde Samson ; Reliefplatte im bischöflichen Museum von Pécs, Ungarn (Photo d’après ENTZ, „L’architecture...” (op. cit. n. 30).
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Abb. 11 : Samson zerstört den Tempel ; Kopie der Glasscheibe in der Sainte-Chapelle, Paris, Médiathèque du Patrimoine 80/151 (5) fol. 20.
Abb. 12 : Trauer um Samson ; Spielstein im British Museum in London, Dalton N° 166 (Photo : d’après MANN, „Samson us. Hercules” (op. cit. n. 13).
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Abb. 13 : Samsons Hochzeitbankett ; Kopie der Glasscheibe in der Sainte-Chapelle, Paris, Médiathèque du Patrimoine 80/151 (5) fol. 12/13.
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LES ROIS ET LES REINES DE FRANCE EN TANT QUE ’PUBLIC’ DES BIBLES MORALISÉES : UNE APPROCHE TANGENTIELLE À LA QUESTION DES LIENS ENTRE LES BIBLES MORALISÉES ET LES VITRAUX DE LA SAINTE-CHAPELLE John LOWDEN
PRÉFACE Depuis les travaux de Steinheil et de Guilhermy, au milieu du XIXe siècle, jusqu’aux recherches actuelles, notamment celles du professeur Christe et de son équipe à Genève (à qui je suis très reconnaissant de m’avoir si généreusement communiqué plusieurs articles, textes à paraître et mémoires de licence), les chercheurs ont observé des liens plus ou moins étroits entre les vitraux de la Sainte-Chapelle et les miniatures des Bibles moralisées.1 Je ne saurais traiter ici, dans son 1
Les études fondamentales sur les Bibles moralisées sont celles de A LABORDE, La Bible moralisée illustrée conservée à Oxford, Paris et Londres. Reproduction intégrale du manuscrit du XIIIe siècle accompagnée de planches tirées de Bibles similaires et d’une notice, 5 vol., Paris, 1911–27 (=Société française de reproductions de manuscrits à peintures, vol. 5 intitulé Étude sur la Bible moralisée illustrée) ; R. HAUSSHERR, Bible moralisée. Faksimile-Ausgabe im Originalformat des Codex Vindobonensis 2554 der Österreichischen Nationalbibliothek, Graz/Paris, 1973 (=Codices Selecti, XL–XL*), et plusieurs autres études du même auteur parmi lesquelles la plus récente est : « Über die Auswahl des Bibeltextes in der Bible moralisée », Zeitschrift für Kunstgeschichte, 51, 1988, p. 126–46 ; H.-W. STORK, Die Bibel Ludwigs des Heiligen. Vollständige Faksimile-Ausgabe im Originalformat von MS M. 240 der Pierpont Morgan Library, New York, Graz, 1995 (=Codices Selecti 102, 102*) ; S. LIPTON, Images of Intolerance : The Representation of Jews and Judaism in the Bible Moralisée, Berkeley et Los Angeles, 1999 ; J. LOWDEN, The Making of the Bibles moralisées, 2 vol., 1. The Manuscripts, 2. The Book of Ruth, University Park, 2000 ; Biblia de San Luis, Catedral primada de Toledo, vol. II Estudios (R. GONZÁLVEZ RUIZ (éd.), Barcelone-Madrid, 2004. Sur les vitraux de la Sainte-Chapelle, voir en premier lieu M. AUBERT, L. GRODECKI, F. LAFOND et J. VERRIER, Les vitraux de Notre-Dame et de la Sainte-Chapelle de Paris, Corpus Vitrearum Medii Aevi, France 1.1, Paris, 1959. Pour les liens entre les Bibles moralisées et la Sainte-Chapelle, voir les études suivantes récentes ou à paraître : Y. CHRISTE, « Les Bibles moralisées et les vitraux de la SainteChapelle : le vitrail de l’Exode », Bulletin monumental, 157, 1999, p. 329–346 ; M. BUCHER et A. HÉRITIER, « Isaïe dans les Bibles moralisées et les vitraux de la Sainte-Chapelle », Cahiers archéologiques, 48, 2000, p. 89–103 ; Y. CHRISTE, « Le Livre d’Esther dans les Bibles
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ensemble ou en détail, de ce vaste sujet, si important et complexe, car il faudrait pour cela faire appel aux données considérables, souvent encore inédites, des recherches en cours. Je me limiterai donc, dans l’ensemble, aux manuscrits de la Bible moralisée et ne mentionnerai les vitraux de la Sainte-Chapelle qu’en passant. Cette enquête limitée aux Bibles moralisées m’autorise néanmoins à émettre certaines hypothèses, provisoires bien sûr, peut-être même audacieuses, sur l’interprétation des vitraux et des manuscrits, et des liens qui les unissent. Ma problématique repose sur la notion de « public royal », notion permettant des comparaisons ou des oppositions révélatrices – public/ privé, visible/invisible, laïc/religieux – à mon avis également appropriées à la Sainte-Chapelle et aux Bibles moralisées. J’essayerai en même temps d’affiner ou, mieux, de nuancer ces contrastes. Je compte par ce biais voir si les liens qui existent entre les vitraux de la SainteChapelle et les Bibles moralisées, plus ou moins évidents quand on les confronte image par image, résultent de la consultation systématique par les peintres verriers d’un ou de plusieurs manuscrits enluminés de grand luxe ou sont plutôt le résultat de procédés d’atelier et de l’utilisation de formules communes. J’espère donner un embryon de réponses à cette question au terme de mon enquête.
INTRODUCTION AUX BIBLES MORALISÉES DANS LE CONTEXTE DES VITRAUX DE LA SAINTE-CHAPELLE Au moment de la consécration de la Sainte-Chapelle en 1248 (date généralement acceptée pour la fin des travaux sur les vitraux, mais ne constituant pas un ’terminus ad quem’ si le rôle de Blanche de Castille aux côtés de son fils Louis IX est admis), et déjà lors de l’acquisition de la couronne d’épines en 1239, les rois et les reines de France pos-
moralisées et les vitraux de la Sainte-Chapelle I », Arte cristiana, 88, 2000, p. 411–28 ; Y. CHRISTE, « Le Livre d’Esther dans les Bibles moralisées et les vitraux de la Sainte-Chapelle, II », Arte cristiana, 89, 2001, p. 19–22 ; G. LINI, La Bible du Roi : Le Deutéronome et Josué dans les Bibles moralisées et les vitraux de la Sainte-Chapelle, Mémoire de licence (Université de Genève, [2001]) ; Y. CHRISTE, « Les Bibles moralisées et lex vitraux de la Sainte-Chapelle : l’Exode de la Baie N« ; Y. CHRISTE, « L’hommage discret de Blanche de Castille à sa grandmère, Aliénor d’Aquitaine : la rose de Ruth » ; Y. CHRISTE, « La Bible du roi : Jérémie dans les Bibles moralisées et les vitraux de la Sainte-Chapelle », Cahiers archéologiques ; Y. CHRISTE, « Un autoportrait moral et politique de Louis IX : les vitraux de sa chapelle » ; M. GROSSENBACHER, « La Bible du roi. Prolégomènes à l’étude de la verrière des Rois : les panneaux du réseau ».
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sédaient au moins quatre Bibles moralisées. Toutes ont survécu sous quelque forme jusqu’à nos jours. La première, selon les arguments détaillés que j’ai avancés ailleurs, est le codex 2554, Bible moralisée en français de la Bibliothèque nationale d’Autriche à Vienne.2 Selon moi, ce manuscrit a été conçu pour Blanche de Castille – femme de Louis VIII (1223–1226) – probablement au début des années 1220. Etant donné l’organisation du codex et ses contenus linguistiques et visuels, nous sommes probablement en présence de la première bible de la série. La deuxième qui ait survécu est le codex 1179, Bible moralisée en latin de la Bibliothèque nationale d’Autriche.3 Ses derniers médallions, accompagnés de vers en marge, suggèrent que le destinataire prévu ait éte le roi Louis VIII (Pl. 1).4 Il se peut que cette Bible moralisée était préparée selon les directives de Blanche de Castille, comme version digne d’un roi, c’est-à-dire plus luxueuse des points de vue matériel et artistique que le manuscrit français de Vienne, et beaucoup plus ambitieuse dans son étendue biblique. Le manuscrit latin de Vienne date du milieu des années 1220. Le chef d’atelier du manuscrit latin est, selon toute probabilité, celui du manuscrit français de Vienne. Les troisième et quatrième Bibles moralisées, toutes deux en trois volumes, sont des bibles jumelles. Il s’agit d’abord de la bible en trois tomes du trésor de la cathédrale de Tolède, la Biblia de San Luis, dont le dernier cahier (M240) se trouve à la Pierpont Morgan Library à New York.5 La deuxième est divisée entre trois bibliothèques. Le premier tome, MS Bodley 270b, se trouve à la Bodleyenne à Oxford ; le deuxième, MS lat. 11560, à la Bibliothèque nationale de France, et le troisième partagé entre MSS Harley 1526 et Harley 1527, à la British Library à Londres.6 La dernière feuille de la Bible moralisée de 2 Voir les éditions en fac-similé de HAUSSHERR, Bible moralisée... (op. cit. n. 1) ; et de G. GUEST, Bible Moralisée. Codex Vindobonensis 2554. Vienna, Österreichische Nationalbibliothek, London, 1995 ; et les études de H.-W. STORK, Bible moralisée Codex Vindobonensis 2554 der Österreichischen Nationalbibliothek. Transkription und Übersetzung, (=Saarbrücker Hochschulschriften, 9), St. Ingbert, 1988 ; H.-W. STORK, Die Wiener französische Bible moralisée Codex 2554 der Österreichischen Nationalbibliothek (=Saarbrücker Hochschulschriften, 18), St. Ingbert, 1992 ; LOWDEN, The Making... (op. cit. n. 1), vol. 1, p. 11–54. 3 LIPTON, Images of Intolerance... (op. cit. n. 1) ; LOWDEN, The Making... (op. cit. n. 1), vol. 1, p. 55–94. 4 Illustration en couleur dans LOWDEN, The Making... (op. cit. n. 1), I, pl. III. 5 La Biblia de San Luis (op. cit. n. 1) ; STORK, Die Bibel Ludwigs des Heiligen... (op. cit. n. 1) ; LOWDEN, The Making... (op. cit. n. 1), vol. I, p. 95–137 ; 6 LABORDE, La Bible moralisée... (op. cit. n. 1) ; P. STIRNEMANN, « Une note sur la Bible moralisée en trois volumes, conservée à Oxford, Paris, et Londres, et ses copies », Scriptorium,
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Tolède (celle du cahier de New York) nous montre, dans une ’imagecolophon’ beaucoup plus élaborée que celle de Vienne 1179, un roi et une reine, sans doute Louis IX et, très probablement, Blanche de Castille (Pl. 2).7 Sous chaque image de chaque cahier des deux premiers tomes de Tolède et d’ Oxford-Paris-Londres, on trouve un dessin préparatoire semblable, exécuté au stylet, soit par report d’un manuscrit à l’autre, soit plus probablement à partir d’un modèle d’atelier commun.8 La situation dans les troisièmes tomes est plus complexe. La trace de dessins préparatoires obtenus par décalquage au stylet (rendu possible par l’emploi d’un seul côté des feuilles de parchemin) n’apparait qu’au 13ème cahier de Tolède III, qui correspond au 10ème cahier de Harley 1527. Les cahiers 1–12 de Tolède III sont pleins d’anomalies techniques dues, selon moi, à certains changements d’orientation.9 Ainsi, le premier plan adopté pour Tolède III prévoyait des textes en latin et en français, en une sorte de synthèse des deux manuscrits de Vienne, mais concernant ici les Evangiles, qui apparaissent pour la première fois dans une bible moralisée. Pendant la première phase de production, les artisans travaillent sous la direction du chef d’atelier du manuscrit latin de Vienne.10 Après le changement de parti, le style dominant devient tout à fait différent. L’explication de ce phenomène sans précédent est le suivant :11 au milieu des années vingt, Blanche de Castille avait commandé une Bible moralisée pour son fils Louis IX. Le projet n’était pas très avancé quand la commanditaire changea ses intentions. Elle commanda une deuxième Bible moralisée, identique à celle qui était en préparation, accordant un délai de fabrication assez court. Pour faciliter la collaboration d’une grande équipe d’artistes, on décida de décalquer les 53, 1999, p. 120–124 ; LOWDEN, The Making... (op. cit. n. 1), vol. I, p. 139–87. 7 Plusieurs fois reproduites ; cf. LOWDEN, The Making... (op. cit. n. 1), vol. I, pl. en coul. X ; aussi J. LOWDEN, « ‹Reading› Images and Texts in the Bibles moralisées : Images as Exegesis and the Exegesis of Images », in : Reading Images and Texts : Medieval Images and Texts as Forms of Communication, M. HAGEMAN et M. MOSTERT, Turnhout, 2005, p. 495525. 8 Les détails se trouvent dans LOWDEN, The Making... (op. cit. n. 1), vol. I, p. 119–21, 167–77. 9 LOWDEN, The Making... (op. cit. n. 1), vol. I, p. 122–7 ; plus généralement, F. BOESPFLUG et Y. ZALUSKA, « La part de l’artiste dans la conception iconographique de la Bible moralisée. Quelques notations à partir du cycle des Évangiles des exemplaires de Tolède et d’Oxford-Paris-Londres », in : Mélanges Anna Rozycka Bryzek, Cracovie, 2001, p. 287–308. 10 LOWDEN, The Making... (op. cit. n. 1), vol. I, p. 3–42, 83–86. Comparer les suggestions de R. BRANNER, Manuscript Painting in Paris during the Reign of Saint Louis (=California Studies in the History of Art 18), Berkeley et Los Angeles, 1977, p. 37–41, et les schémas p. 157–61. 11 LOWDEN, The Making... (op. cit. n. 1), vol. I, p. 177–80.
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dessins préparatoires. Il est possible que le mariage proche de Louis IX et de Marguerite de Provence en 1234 ait précipité l’adoption de cette solution. Les manuscrits de Tolède et d’Oxford-Paris-Londres seraient un genre de ’Bibles moralisées pour elle et pour lui’ (la reine et le roi de France) comme l’étaient les deux manuscrits de Vienne (cod. 2554 ’pour elle’ et cod. 1179 ’pour lui’) à la génération précédente. Dans les années 1240, la maison royale de France possédait peutêtre encore un cinquième livre d’images d’un type analogue aux Bibles moralisées, mais cependant distinct. Il est connu par une copie du quatorzième siècle, ayant probablement appartenu à la famille royale angevine de Naples et aujourd’hui conservé à la Bibliothèque nationale de France, manuscrit fr. 9561.12 Y. Christe a souligné l’importance du manuscrit de Naples, en particulier pour ce qui concerne la problématique des rapports Bibles moralisées/Sainte-Chapelle. La mise en pages de ces quatre manuscrits (à l’exclusion du manuscrit napolitain), propre aux Bibles moralisées et tout à fait caractéristique, est organisée autour de huit médallions disposés dans un genre d’armature qui ressemble fortement à celle d’un vitrail, notamment dans la première Bible moralisée, le manuscrit français de Vienne. Dans ce dernier, les huit images sont regroupées dans un rectangle central, encadré par les textes/légendes. Il est important de noter que la façon de ‘lire’ les images n’est pas directive : la première image biblique est placée au sommet à gauche, sa moralisation au-dessous ; la deuxième image biblique se trouve au sommet à droite, sa moralisation au-dessous ; on passe alors au troisième registre d’images à gauche pour la troisième, puis on continue de haut en bas ou de gauche à droite.13 Dans les trois autres Bibles moralisées, en revanche, la mise en pages a été complètement repensée. La lecture de la page y est régulière et sans ambiguïté : de haut en bas à gauche, puis de haut en bas à droite. Les textes/légendes sont toujours situés à gauche des images (exception faite de la section bilingue de Tolède), et donc en quelque sorte ’avant’ les images. Cette priorité apparente du verbal sur le visuel est toutefois spécieuse, il est important de le souligner, 12
Y. CHRISTE et L. BRUGGER, « Quelques images de la Genèse, de l’Exode et du Lévitique dans la Bible moralisée napolitaine de Paris et les Bibles moralisées du début du XIIIe siècle », in : Iconographica. Mélanges offerts à Piotr Skubiszewski, R. FAVREAU et M.-H. DEBIÈS (éd.), Poitiers, 1999, p. 49–61 ; L’art gothique siennois, catalogue d’une exposition à Avignon, musée du Petit Palais, Florence, 1983, no. 73, p. 202–5 (texte de François Avril). 13 Pour une discussion avec schémas des modes de ‘lecture’ de ces pages : LOWDEN, The Making... (op. cit. n. 1), vol. I, p. 28–30, 67, 70.
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car les textes/légendes étaient toujours (pour l’ensemble des quatre Bibles moralisées des années vingt et trente du treizième siècle) ajoutés aux images plutôt que l’inverse.14 Aucun vitrail, j’insiste sur ce point, et aucun autre type de manuscrit ne combinent des images bibliques et des images moralisantes selon un tel schéma. Soulignons aussi que, bien que les créateurs de vitraux (tout comme ceux de la Sainte-Chapelle) aient souvent recherché une varietas frappante dans la forme des armatures15 – sujet intérressant en soi – la mise en pages d’une Bible moralisée est répétée sans le moindre changement sur des centaines de pages. Il faut bien dire que c’est, à juste titre, le contenu et non la forme de ’quasi-vitrail’ de ces manuscrits qui a depuis longtemps attiré l’attention des spécialistes. Bien que les quatre premières Bibles moralisées soient toutes en partie lacunaires, elles ne montrent aujourd’hui pas moins de 12.862 images, à peu près dix fois le total de celles de la Sainte-Chapelle (elles-mêmes assurément lacunaires). La moitié des images des les Bibles moralisées (6.431) sont bibliques, les autres moralisantes. Pour cette raison, les Bibles moralisées sont une mine inépuisable d’iconographie. Qu’elles soient à l’origine du projet ambitieux de la Sainte-Chapelle n’a rien d’étonnant. Il n’est pas non plus surprenant que deux tels cycles, conçus au même endroit pour les mêmes mécènes (j’assimile Blanche de Castille à Louis IX) à quelque dix ou quinze ans d’intervalle, aient des liens importants. Comment définir ces liens et leur signification reste un problème qui ne peut être traité ici que provisoirement et brièvement.
LA NATURE DES LIENS BIBLES MORALISÉES/SAINTE-CHAPELLE Les études récentes et actuellement sous presse d’Y. Christe et de son équipe à Genève font état du savoir actuel sur les liens Bibles moralisées/Sainte-Chapelle.16 S’aidant des relévés 1:1 de Steinheil, Y. Christe a confronté les données des vitraux aux quatre ’vraies’ Bibles moralisées et au manuscrit napolitain (étudiant les textes et les images). À partir de comparaisons systématiques et détaillées, l’équipe 14 LOWDEN, The Making... (op. cit. n. 1), index s.v. ‘BIBLES MORALISÉES, critical approaches to, artists before scribes’. 15 Plus généralement voir W. KEMP, The Narratives of Gothic Stained Glass, Cambridge, 1997, p. 3–88. 16 Voir les travaux cités en note 1 et ailleurs dans ce volume.
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propose une lecture nouvelle de plusieurs scènes de vitrail et, donc, plusieurs changements importants dans l’ordre narratif des panneaux. Laissant derrière elle l’interprétation classique de Grodecki, cette approche transforme radicalement notre connaissance des vitraux. Je doute cependant que les Bibles moralisées aient joué le rôle précis envisagé dans ces études. Ce n’est pas parce que l’on a relevé dans une ou plusieurs fenêtres des liens iconographiques avec un ou plusieurs manuscrits que l’on doit tirer la conclusion que tel manuscrit était, à quelque moment que ce soit, accessible aux peintres verriers de la Sainte-Chapelle. Les comparaisons sur lesquelles reposent cette hypothèse n’apportent pas la preuve, selon moi, de similitudes indiscutables. L’étude comparative de l’histoire d’Isaïe, comme l’ont déjà souligné les auteurs, en est une bonne illustration ;17 l’inversion de plusieurs scènes dans le vitrail par rapport aux manuscrits est par exemple frappante. Une question s’impose tout naturellement : à partir de quel degré de similitude entre deux images est-on en droit de conclure que le peintre verrier a copié une miniature spécifique ? Si je doute que des manuscrits aussi précieux que les Bibles moralisées aient pu séjourner dans un atelier de peintres-verriers pendant un grand laps de temps, la question ’Qui a vu les Bibles moralisées ?’ me paraît en revanche pertinente, et c’est sur elle que je vais m’attarder maintenant et concentrer mes efforts.
QUI A VU LES BIBLES MORALISÉES ? LE PREMIER CERCLE : LE ROI ET LA REINE DE FRANCE La mise en pages d’une Bible moralisée a, en principe, pour but d’orienter et d’ordonner la lecture des images et des textes. De surcroît, nous avons la chance de savoir sans ambiguïté qui a pu voir et lire ces livres. Les Bibles moralisées nous donnent elles-mêmes la clé quand, à la fin du manuscrit latin de Vienne (Pl. 1), elles nous montrent l’image d’un roi, à coup sûr Louis VIII, et, à la fin de la Bible de San Luis, celles d’une reine et d’un roi, Louis IX et très probablement sa mère Blanche de Castille (Pl. 2). Le manuscrit Oxford-Paris-Londres a malheureusement perdu sa dernière page, qui correspondait
17 BUCHER et HÉRITIER, « Isaïe dans les Bibles moralisées... » (op. cit. n. 1), en particulier leurs remarques p. 101.
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à celle de la Bible de San Luis,18 et le manuscrit français de Vienne ne comporte pas d’image en colophon ; je pense malgré tout que leur destination royale ne fait pas de doute. Parce que les rois et les reines de France sont les commanditaires de ces livres autant que leur lecteurs (et j’insiste sur l’importance de distinguer les rôles de commanditaire/lecteur, distinction trop souvent ignorée dans nos études),19 on doit en conclure que ceux qui ont produit ces livres ont tenu compte de leur destination. Dans ces conditions, il est parfaitement légitime de considérer chaque image et chaque texte du point de vue d’un utilisateur très specifique : un personnage historique bien attesté. Examinons, par exemple, une image choisie presque au hasard dans le livre des Juges de la Bible de San Luis (c’est le troisième médaillon du verso du folio 91v, Pl. 3). Pour le besoin de l’exercice, nous tiendrons le rôle de Louis IX. Nous (c’est aussi, ici, le ’nous’ de majesté) voyons un roi imberbe, coiffé de la couronne et tenant de la main gauche un grand sceptre, qui ordonne de la main droite à trois hommes brandissant des épées de massacrer un groupe de jeunes hommes, au centre. À droite, un jeune homme s’est caché derrière un long rideau blanc, pour échapper au massacre. L’image est accompagnée d’une brève légende : Abymelec interfecit omnes fratres suos pret(er) Iepte qui sub cortina se abscondit. (Abimélec tua tous ses frères sauf Jephté qui se cacha sous un rideau. [Les mots cités d’après la Vulgate sont soulignés.]) Cette légende est une paraphrase assez libre de Juges 9,5. Le texte donne incorrectement au frère le nom de Jephté (sujet des chapitres suivants de Juges [11–12]) alors qu’il s’agit de Jotham. En outre, la Vulgate ne fait aucunement mention du rideau, détail le plus frappant de l’image. La Bible rapporte seulement que Jotham s’est échappé (absconditus est). Revenons au manuscrit (Pl. 3). Pour le lecteur/spectateur royal la clé de l’image et du texte biblique se trouve juste au-dessous. On peut en effet voir l’Antéchrist, facilement reconnaissable à son triple visage et sa couronne de pointes (formule iconographique maintes fois répé18
Comparer les schémas des cahiers des deux manuscrits : LOWDEN, The Making... (op. cit. n. 1), vol. I, p. 288–98, et en particulier p. 298. 19 Quelques observations dans J. LOWDEN, « The Royal/Imperial Book and the Image or Self-Image of the Medieval Ruler », in : Kings and Kingship in Medieval Europe, A. DUGGAN (éd.) (=King’s College London Medieval Studies 10), London, 1993, p. 213–40, spécialement p. 215–6 et fig. 5.
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tée dans les Bibles moralisées). À l’instar du roi Abimélec, l’Antéchrist, tenant un grand sceptre, ordonne à trois hommes barbus, coiffés d’un genre particulier de couvre-chef juif,20 et brandissant des épées et un bâton, de massacrer cinq religieux tonsurés. La comparaison avec l’image biblique est frappante, mais nous pouvons noter trois différences significatives : dans l’image moralisante, il n’y a pas d’équivalent au rideau à droite. Il n’y a pas non plus d’ équivalent à Jephté/Jotham se cachant. Au centre, nous voyons un frère dominicain – semble-t-il – qui s’agenouille en prière devant l’Antéchrist. Dans l’image biblique il n’y a pas d’équivalent au dominicain aux pieds d’Abimélec. La brève légende nous informe que la signification morale est la suivante : Abymelec sig(nifi)c(at) Antichr(istu)m qui per Iudeos et ministros suos faciet int(er)fici Chr(ist)ianos et fideles i(n) Chr(istu)m credentes. (Abimélec signifie l’Antéchrist qui fait tuer les Chrétiens et les fidèles croyant en Christ par les Juifs et ses ministres.) Nous pouvons noter deux énigmes dans la moralisation. Ni le texte ni l’image ne nous offrent d’équivalent à Jephté (ni au rideau). Le texte pourtant bref de la moralisation contient une redite frappante : quelle est la différence entre ’christianos’ et ’fideles in Christum credentes’ ? Le dominicain manquerait-il de fidélité à sa foi ? On n’en est pas sûr. Laissons de telles questions ouvertes pour le moment. J’ai choisi pour des raisons évidentes une image dans laquelle le roi de France aurait pu contempler un roi de l’Ancien Testament (vêtu à la mode du treizième siècle), dans ce cas évidemment un modèle royal à rejeter. (Rappelons que les livres de l’Ancien Testament présentent beaucoup de personnages royaux qui sont loin d’être des modèles pour un bon roi chrétien.) Mais il est évident que le registre des thèmes traités dans les Bibles moralisées est très étendu. Ceux-ci ne s’adressent pas uniquement à un roi ou une reine mais – et cela concerne la majorité des images – aux chrétiens et aux prédicateurs en général. Les textes et les images révèlent souvent la face cachée des prélats, religieux, évêques et prédicateurs, qui comptent autant de bons que de mauvais. Ces religieux présentent un interêt plus vif, peut-on dire, pour les fabricants de ces manuscrits que pour leurs commmanditaires.21 20 Sur cet élément dans le langage visuel des Bibles moralisées, consulter l’étude de LIPTON, Images of Intolerance... (op. cit. n. 1), p. 15–19. 21 Michael Camille était persuadé que le public des Bibles moralisées était religieux et non royal : M. CAMILLE, « Visual Signs of the Sacred Page : Books in the Bible moralisée », Word & Image, 5, 1989, p. 111–36, spécialement p. 126.
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QUI A VU LES BIBLES MORALISÉES ? LE DEUXIÈME CERCLE : LES RELIGIEUX PROCHES DU ROI ET DE LA REINE Cette observation nous mène au deuxième cercle du public de ces livres. Imaginons Louis IX face à une Bible moralisée, disons la Bible de San Luis de Tolède. Comment reconstruire ses actions ? Bien sûr, la lecture d’un livre, même un livre en trois tomes de grand format (pas moins de 400 × 600 mm, ouvert), constitue un acte privé pour tout lecteur, royal ou non. Mais que représente la ’lecture privée’ pour un roi ? Je doute fort que ce soit nécessairement un acte solitaire, car une Bible moralisée n’est pas un livre de prière ou de dévotion personelle. Je préfère penser que le roi aurait consulté sa Bible moralisée en privé, mais généralement pas seul. Son compagnon aurait été un religieux, son chapelain favori, son confesseur peut-être, selon les circonstances. Le rôle de ce religieux aurait été d’ expliciter les textes et les images au roi. J’insiste sur l’interprétation (’lecture’) des images parce que pour moi les textes sont davantage des légendes que des commentaires élaborés. La combinaison texte/image d’une Bible moralisée, toujours complexe et répétée plusieurs milliers de fois, nous donne des espèces d’exempla (au total plusieurs milliers d’exempla) qui nous aident à construire une analyse verbale et spirituelle plus approfondie. Ce sont le religieux ou le chapelain royal qui peuvent expliquer tous les détails de l’image et les nuances du texte, un peu comme nous avons essayé de le faire dans le cas d’Abimélec et de l’Antéchrist. Évidemment, il est impossible de reconstituer avec certitude les détailles d’une discussion des médaillons entre le roi et un religieux, mais telle approche discursive aurait permis aux participants d’éclaircir bien des énigmes et des anomalies dont fourmillent les Bibles moralisées. Par exemple, jouant le rôle du chapelain royal, nous pourrions suggérer que le rideau et l’homme qui s’échappe (éléments mentionnés plus haut dans notre discussion ; voir Pl. 3) signifient (dans les termes et dans le langage visuel de notre manuscrit) qu’un bon chrétien (cf. Jephté/Jotham) échappe à l’Antéchrist grâce à (p. ex.) l’Évangile (image d’un livre, cf. le rideau). Ce religieux-interprète fonctionnerait donc comme catalyseur métaphorique qui déclenche la réaction entre le roi et son livre, un ’vrai’ catalyseur, pas entièrement indispensable, mais certainement efficace. Quel est donc cet homme clef (un type de personne, pas nécessairement une personne particulière) qui va expliquer au roi sa Bible moralisée ? Ce religieux est sans doute enthousiaste pour la Bible
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moralisée. Il croit vivement l’efficacité du projet spirituel de la Bible moralisée : communiquer par l’intermédiaire d’un livre d’images les vérités historiques et morales de la Bible à son ’public’ royal. Il est aussi un exégète et un critique de son sujet (mais, il faut le dire catégoriquement, pas du tout au niveau élevé d’un maître de la Sacra pagina de l’université de Paris).22 Il joue en réalité trois rôles distincts : c’est lui, ou quelqu’un comme lui, qui en premier lieu peut concevoir le cycle. C’est quelqu’un comme lui aussi qui peut surveiller et diriger la production d’un tel livre. Et c’est lui enfin qui présente les résultats – qui discute le livre – en privé à son public. Bref, c’est lui dont nous voyons l’image symbolique à la fin de la Bible de San Luis (Pl. 2) : la troisième personne de la miniature en colophon. Là, il est représenté seul, en tant que personnage, et il est possible qu’un seul homme ait joué tous ces rôles, mais il est plus probable, selon moi, que nous ayons affaire à plusieurs personnes se partageant, selon leur enthousiasme, les différentes sections de l’Ancien et du Nouveau Testament (les livres prophétiques, par exemple, ou les Évangiles).23 Quant au cycle des vitraux de la Sainte-Chapelle, on est en droit de penser qu’un ou plusieurs religieux de l’entourage du roi et de la reine aient pu jouer un rôle parallèle dans la conception des vitraux (point à peine controversé, je crois), mais qu’ils aient pu aussi, à l’occasion, expliquer la signification et les subtilités d’images à première vue peu visibles ou peu intelligibles (ou les deux à la fois), c’est moins certain.
QUI A VU LES BIBLES MORALISÉES ? LE TROISIÈME CERCLE : LES ARTISTES DES BIBLES MORALISÉES Du rôle d’un (ou de plusieurs) religieux nous arrivons au troisième et dernier cercle du public des Bibles moralisées, cercle pour l’étude duquel nous sommes heureusement très bien renseignés, grâce à des données presque inépuisables. Le public le mieux informé, le plus homogène, qui ait pu voir les Bibles moralisées, ce sont les artisans qui ont fabriqué les manuscrits mêmes. On peut voir, de même, leur 22 Pour le manque de connaissances exégètiques de la Bible, voir LOWDEN, The Making... (op. cit. n. 1), vol. II, passim. 23 Supposition qui reste à confirmer par des recherches systématiques dans les Bibles moralisées.
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représentant à la dernière page de la Bible de San Luis (Pl. 2) (et dans la Bible moralisée de Louis VIII à Vienne, Pl. 1), un laïc (dans les deux manuscrits) travaillant (dans le fragment de New York) pour le roi et la reine, ses mécènes, et sous les instructions et le contrôle d’un religieux. La Bible moralisée de Tolède nous présente dans cette image les trois cercles de public simultanément. L’encadrement rectangulaire de ces ’cercles’ fictifs dans l’image ne diminue pas d’autant sa valeur d’exemple. L’achèvement des quatre Bibles moralisées nécessita le travail d’une équipe variable de plusieurs individus, tous à ce jour anonymes, pendant une période d’une quinzaine d’années, d’environ 1220 à 1234 ou 1235.24 Une étude comparative de ces quatre manuscrits révèle des relations singulières entre les images et les textes des membres de la ’famille’.25 En résumé, aucun manuscrit n’est la simple copie d’un autre. Mais chaque manuscrit—exception faite du premier, le manuscrit français de Vienne—témoigne d’une connaissance souvent détaillée et précise de ses prédécesseurs. Comment expliquer cette position mouvante et complexe ? La méthode classique de la critique de textes suppose plusieurs modèles perdus, qui constituent les liens entre les manuscrits survivants dans arbre généalogique.26 Mais ce processus ne peut expliquer les Bibles moralisées : les différences entre les manuscrits sont beaucoup trop profondes. Il faut donc proposer une méthode de production tout à fait différente : les manuscrits, malgré leur ressemblances, ne sont pas copiés les uns d’après autres. À mon avis, les Bibles moralisées sont assemblées dans un ou plusieurs ateliers, en faisant de temps en temps appel à un manuscrit de luxe, mais en recourant le plus souvent à une gamme de modèles : à des schedula pour les textes/légendes, parfois en forme d’ incipit seulement (notamment pour les textes bibliques) ; et, pour les images, à des ’dossiers d’atelier’ de formes diverses, probablement des esquisses, des croquis, et peut-être aussi des images détaillées. Pour les manuscrits jumeaux de Tolède et d’Oxford-Paris-Londres, les artisans ont utilisé des stylets pour décalquer de l’un à l’autre les dessins préparatoires,ou un modèle d’atelier commun, méthode de travail qui a été évoquée plus haut. Mais, même dans ce cas, les milliers de 24 Pour les équipes, BRANNER, Manuscript Painting... (op. cit. n. 10), p. 32–57 et schémas p. 157–75. Comparer les remarques dans LOWDEN, The Making... (op. cit. n. 1), vol. I, index s.v. ‘BIBLES MORALISÉES, critical approaches to, artists and attribution’. 25 LOWDEN, The Making... (op. cit. n. 1) passim. 26 Comparer le schéma de HAUSSHERR, Bible moralisée... (op. cit. n. 1), p. 28, et discussion dans LOWDEN, The Making... (op. cit. n. 1), vol. II, p. 204–6.
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textes assez courts des deux manuscrits montrent presque constamment des différences. À mon avis, c’est cette combinaison de modes de production qui peut également nous aider à comprendre les vitraux de la Sainte-Chapelle. Une Bible moralisée n’est pas une copie au sens propre d’une autre Bible moralisée, bien qu’il y ait beaucoup de ressemblances et, de temps en temps, une quasi-identité entre les manuscrits. Les vitraux, de même, ne sont pas copiés d’après une Bible moralisée quelconque, conservée ou perdue, bien qu’ils présentent beaucoup de ressemblances avec tel ou tel manuscrit, et, de temps en temps, (précisément comme pour les manuscrits) une quasi-identité. Les liens vitraux/manuscrits, qui sans aucun doute existent, sont à expliquer par les circonstances d’atelier, non par l’imitation ou fautive ou libre d’un ou de plusieurs modèles précieux mis à disposition par le roi. Je pense que les artistes qui avaient pour tâche de préparer le programme et les esquisses des vitraux étaient peut-être quelques-uns de ceux qui avaient travaillé dix ans auparavant à la Bible de San Luis et au manuscrit Oxford-Paris-Londres. Mais même si ce n’étaient pas les mêmes, ils connaissaient le mode de travail des miniaturistes des Bibles moralisées (notamment, l’emploi de formules de composition pour les personnages, les gestes, les vêtements, etc.). Peut-être même, avaient-ils libre accès aux documents d’atelier de ces miniaturistes, si ce n’est aux manuscrits enluminés eux-mêmes.
QUELQUES SUGGESTIONS En conclusion, l’établissement de comparaisons ou d’oppositions bipolaires telles que public/privé, visible/invisible, laïc/ecclésiastique, demeure problématique. Ce genre de termes suppose des positions extrêmes, mais ces extremités sont relié, en pratique, par une sorte de continuum. Nos investigations ne doivent pas se déplacer aux extremités, mais de long en large sur un tel continuum selon des circonstances multiples. Bien que cela paraisse paradoxal, nous pouvons, nous devons même, parler de plusieurs publics pour un objet qui resta toujours privé. Un livre comme la Bible de San Luis théoriquement visible pour le roi, ne l’a probablement pas été, à en croire son parfait état de conservation pour ce qui concerne les pages de son deuxième tome.27 Chaque page donc a probablement sa micro-his27
Question discutée dans LOWDEN, The Making... (op. cit. n. 1).
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toire de ’visibilité’, difficile à reconstruire. Quant au contraste laïc/ ecclésiastique, les Bibles moralisées sont à la fois laïques (de par leur production et leur utilisation) et ecclésiastiques (de par leur conception et leur interprétation) mais elles sont avant tout royales (de par leur commande et leur utilisation), catégorie qui, sans s’opposer aux autres, est certainement exceptionnelle. Je salue la contribution d’Y. Christe (et celle de son équipe) qui a su montrer comment les Bibles moralisées peuvent nous aider à comprendre et à reconstruire le contenu des images et des vitraux entiers de la Sainte-Chapelle. Mais en tant que spécialiste des Bibles moralisées, j’estime qu’il est quelque peu réducteur de chercher dans ces manuscrits les modèles spécifiques des vitraux. Je préfère une situation plus vague et plus imprévisible. Une observation-clé concerne la mémoire visuelle des artistes médiévaux. J’imagine que les artistes qui ont dessiné pour un seul projet des centaines d’images, peut-être des milliers, pouvaient traduire une idée en image sans hésitation, et très souvent sans consulter d’avantage de modèles que ceux qu’ils avaient en mémoire. Je pense donc que les Bibles moralisées offrent des modèles génériques, des formules et des modes de composition, tous facilement transférabless d’un atelier de miniaturistes à un atelier de peintres verriers. Les Bibles moralisées sont peut-être aussi une source pour les dessins préparatoires des vitraux. Finalement, les religieuxiconographes des manuscrits sont peut-être aussi ceux qui ont conçu et dirigé les travaux sur l’ensemble des vitraux, voir même qui les ont expliqués à leur public. Je pense que Louis IX et Blanche de Castille auraient vu la SainteChapelle, non comme la simple transcription d’une Bible moralisée (car le contenu des vitraux est historique, celui des manuscrits essentiellement moral), mais plus généralement comme un réalisation sublime du royaume de France. Les Bibles moralisées sont aussi des créations exceptionnelles et sans égales, certes très différentes des vitraux, mais royales et françaises par excellence.28
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Je remercie Maya Grossenbacher d’avoir corrigé le langage de cet article.
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fig. 1 : Vienne, Bibliothèque Nationale d’Autriche (ÖNB), cod. 1179, fol. 246r (Photo : Österreichische Nationalbibliothek, Wien).
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fig. 2 : Vienne, Bibliothèque Nationale d’Autriche (ÖNB), cod. 1179, fol. 246r (détail) (Photo : Österreichische Nationalbibliothek, Wien).
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fig. 3 : New York, Morgan Library, MS M. 240, fol. 8r (Photo : Morgan Library, New York).
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fig. 4 : Tolède, Biblia de San Luis, vol. I, fol. 91v (Photo d’après La Biblia de San Luis (Éd. Moleiro)).
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APOSTEL FÜR KÖNIG LOUIS IX – NEUE ÜBERLEGUNGEN ZU DEN APOSTELSTATUEN DER SAINTE-CHAPELLE Annette WEBER
Les statues d’apôtres de la Sainte-Chapelle font partie des chefs-d’œuvres de la sculpture gothique et jouent un rôle important pour la compréhension et la datation de la sculpture monumentale française. Comme chacun de ces douze apôtres porte une croix de consécration, la recherche a toujours supposé que toutes ces statues étaient achevées et étaient en place en août 1248 pour la consécration de la chapelle. Jusqu’ici, les différences stylistiques et iconographiques entre apôtres aux pieds nus de style « classicisant » et apôtres de style « courtois » aux pieds couverts sous les vêtements ont toujours été expliquées par l’intervention de deux maîtres différents et non pas par un décalage chronologique ou un changement de programme. Il s’avère qu’une comparaison entre les statues originales des 3e et 4e piliers sud révèle non seulement des différences stylistiques et iconographiques, mais encore des différences de taille entre ces deux groupes de statues, une conception unitaire étant invraisemblable. La présente communication tend à démontrer que ces différences sont le résultat de modifications liturgiques et architecturales survenues au cours de la construction de la chapelle qui s’est poursuivie au-delà de la consécration de 1248. Dans un premier temps, on semble avoir exécuté rapidement, et pour cette raison sans doute indépendamment des piliers devant lesquels ils devaient prendre place, les six apôtres de grandeur nature. Leurs pieds nus et leur attitude apaisée semblent correspondre à l’idéal franciscain de l’imitatio Christi que saint Louis favorisait à l’époque de la translation des reliques. L’autre groupe a vraisemblablement été réalisé plus tard, quand la grande châsse fut installée sur la tribune des reliques. Plus grands que nature et vêtus de manière plus raffinés, ils correspondent à la nouvelle présentation des reliques sur la tribune, même s’ils sont raccordés aux autres apôtres plus petits par leur croix de consécration placée toujours à la même hauteur. Le changement de taille et de conception dans ces six derniers apôtres serait donc le résultat d’un changement de parti, comme cela est arrivé pour les apôtres de la paroissiale de Freiburg i. Br. où leur taille s’adapte exactement au cadre architectural qui a évolué. Un phénomène semblable s’observe dans les adjonctions au premier Evangéliaire de la Sainte-Chapelle. Dans ce manuscrit, comme pour le décor sculpté de la chapelle, les innovations formelles sont en étroite concordance avec le sens des images.
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Wer heute die Sainte-Chapelle betritt, wird zunächst von der Farbenpracht der Fenster überwältigt und geblendet, die Apostelstatuen nimmt man erst auf den zweiten Blick wahr. Dennoch spielen sie als Meisterwerke der französischen gotischen Skulptur in der Kunstgeschichte eine mit den Glasfenstern vergleichbare bedeutsame Rolle. Die stilistische Einordnung der Apostelstatuen wirft jedoch bis heute Fragen auf. Seit Francis Salet (1951) die Statuen im Musée National du Moyen Âge in entscheidenden Teilen wieder zusammengefügt und damit den Originalbestand neu definiert hat1, geht die Forschung davon aus, dass die zwölf originalen Apostelstatuen während der Bauzeit der Sainte-Chapelle zwischen ca. 1242 und 1248 entstanden sind, sich jedoch in zwei unterschiedlichen Stilgruppen einteilen lassen2 : gotisch-klassizistisch und preziös-höfisch, wobei die Zuweisung der Statuen zu diesen Gruppen differiert : als sicher preziös-höfisch gelten nur die beiden Statuen am vierten und fünften Pfeiler nord der Sainte-Chapelle. Ausgangspunkt des nachfolgenden Überlegungen zu den Aposteln der Sainte-Chapelle ist die Beobachtung, dass die laut Francs Salet (1954)3 nachweislich originale Apostelstatue des dritten Pfeilers süd (Abb. 1) auf einer ersichtlich modern ergänzten etwa 15–20 cm hohen Basis steht und dadurch dennoch nicht die gleiche Höhe erreicht wie die größere Nachbarstatue am vierten Pfeiler süd (Abb.2), die gleichfalls auf einer modern ergänzten, jedoch nur wenige cm hohen Basis steht. Außer diesem Größenunterschied beider Statuen fällt die unterschiedliche Gestaltung des Standmotivs auf : die Statue am dritten Pfeiler süd zeigt leicht nach außen gestellte, bloße Füsse, die nach der Zeichnung von 1844 aus den Archives des Monuments historiques4 zweifelsfrei original sind (Abb. 3b). Mantel und Gewand enden wie abgeschnitten über den Knöcheln etwa 10 cm über der originalen Basis, die kaum größer ist als die Fuß-Standfläche und in den modern 1
F. SALET, « Les Statues d’Apôtres de la Sainte-Chapelle conservées au Musée de Cluny », Bulletin monumental, 109, 1951, p.135–157 2 C. GNUDI, « Le Jubé de Bourges et l’apogée du ‘Classicisme’ », Revue de l’art, 3, 1969, p. 18–37. W. SAUERLÄNDER, Gotische Plastik 1140–1270, München, 1970, p. 152f. ; L. GRODECKI, La Sainte-Chapelle, Paris, 1975, p. 67sq. 3 F. SALET, « Nouvelle note sur les statues d’apôtres de la Sainte-Chapelle », Bulletin monumental 112, 1954, Mélanges, p. 357–363. Bereits der Architekt Guilhermy hatte in : La Ste Chapelle après les restaurations, Paris, 1857 und in : Itinéraire archéologique de Paris, p. 317 festgestellt, daß die Apostelstatue am dritten Pfeiler süd original sei. Francis Salet hatte dem zunächst widersprochen (vgl. Bulletin monumental, 109, 1951, p. 141 Anm. 2) korrigierte sich aber nach dem Fund der Zeichnung 1954. 4 Vgl. SALET, « Nouvelle note... » (op. cit. Anm. 3) ; Archives des Monuments historiques : Sainte-Chapelle. « Dessin des statues anciennes telles qu’elles se trouvaient en 1844 ».
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ergänzten Sockel integriert wurde. Die Apostelstatue des vierten Pfeilers süd (vgl. Abb. 2) hingegen lässt trotz offenkundiger Restaurierungen erkennen, dass die Gewänder die Füße ursprünglich fast vollkommen verhüllt und sich in Knickfalten auf der Basis gestaut haben, so daß diese erheblich größer gewesen sein muß als die der Apostelstatue mit bloßen Füssen. Diese Unterschiede sind nicht restaurierungsbedingt, denn die Lithographie der Apostelstatue am vierten Pfeiler süd von 1841 aus dem Musée Carnavalet (Abb. 3a)5 und die sehr präzise Zeichnung der Apostelstatue des dritten Pfeilers süd, die vor der Restaurierung und Wiederaufstellung (vgl. Abb.3b) entstand, belegen, daß beide Statuen trotz ergänzter Stäbe, zumindest eines Kopfes (3. Pfeiler süd), sowie teilweise der Weihekreuze original sind. D.h. es bestehen bei den Apostelstatuen außer den immer wieder diskutierten Stilunterschieden und dem Motiv der bloßen bzw. verhüllten Füße, das schon Cesare Gnudi (1969) angemerkt hat6, auch noch Größenunterschiede, die erklärt werden müssen. Die Beobachtungen an den Figuren in der Sainte-Chapelle wurden an den Originalstatuen im Musée National du Moyen Âge und an zwei Abgüssen im Musée des Monuments historiques überprüft. Dabei ergab sich folgendes : aus den zwölf, teilweise schwer beschädigten und stark restaurierten, aber von Francis Salet als original ermittelten Apostelstatuen lassen sich aufgrund original erhaltener Gewandunterkanten sechs Statuen ermitteln, deren Gewänder so hoch über dem Boden endeten, dass die Füße ursprünglich deutlich zu sehen gewesen sein müssen.7 Von diesen sechs befinden sich heute fünf in mehr oder minder fragmentiertem Zustand im Musée de National du Moyen Âge : Cl. 18664 : Torso ohne Füsse, Gesamthöhe 135cm. Cl. 18665, Statue ohne Füsse, der geneigte Kopf wurde von Francis Salet wieder aufgesetzt, Gesamthöhe 165 cm,8 Cl. 18666 Statue ohne Füsse, der jugendliche Kopf wurde von Francis Salet wieder aufgesetzt, Gesamthöhe 164 cm Cl. 18667, Statue ohne Füsse, der bärtige Kopf wurde von Francis Salet wieder aufgesetzt, Gesamthöhe 165 cm 5
Publiziert von A.ERLANDE BRANDENBURG, in : Bulletin monumental, 129, 1971, p. 69 (Chronique). 6 GNUDI, « Le Jubé de Bourges... » (op. cit. Anm. 2), S.33, Anm. 22. 7 Vgl. die ausführlich vorgestellten Ergebnisse der Verfasserin : « Les grandes et les petites statues d’apôtres de la Ste. Chapelle de Paris », Bulletin monumental, 155, 1997, S. 81–101. 8 A. ERLANDE-BRANDENBOURG, Y. LEPOGAM und D. SANDRON, Guide des collections, Hotel National du Moyen Âge, Paris, 1993, Kat. Nr. 154.
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Cl 18669, Statuenfragment, Unterkörper bis zur Taille, Gesamthöhe 98 cm. Die sechste Apostelstatue, die als einzige noch ihre originalen Füße besitzt, steht mit modern ergänztem Kopf und Stab in der Rechten (s.o) am dritten Pfeiler süd in der Ste Chapelle. Anhand dieser Apostelstatue mit den originalen Füssen läßt sich das bei den fragmentierten Statuen im Musée de Cluny zu ergänzende Fußmaß von ca. 10 cm ermitteln und damit deren ungefähre Gesamthöhe erschließen.9 Sie scheint bei diesen sechs Apostelstatuen je nach Kopfneigung und Haltung etwa 170– 175 cm erreicht zu haben. Die Statuen sind damit also lebensgroß (Abb. 4).10 Von dieser Gruppe unterscheiden sich die vier als original angesehenen Apostelstatuen in der Sainte-Chapelle, die jeweils am vierten und fünften Pfeiler süd und nord platziert sind, sowie das Fragment im Musée National du Moyen Âge Cl. 18668 in der Größe, im Motiv und im Stil.11 (Abb. 5). Von Apostelstatuen am vierten und fünften Pfeiler nord, deren Abgüsse sich im Musée des Monuments historiques befinden, wurden 1995 die Maße abgenommen : sie messen 189cm ohne Sockel. Diese Figuren sind also mehr als 10 cm größer als die lebensgroßen sechs Apostelstatuen mit den bloßen Füßen, Damit ergibt sich auch ein Unterschied in der Bedeutungsgröße : die vier Apostel in der Ste Chapelle und das Fragment im Musée National du Moyen Âge sind im Verhältnis zur vorherigen Gruppe eindeutig überlebensgroß. Eine weitere Gemeinsamkeit der überlebensgroßen Apostelstatuen besteht darin, daß sich bei ihnen die Gewandmassen auf dem Boden stauen und die Füße entweder vollständig oder fast bis auf die Fußspitzen verdecken. Diese Maß- und Motivunterschiede werden durch 9
1997 hatte die Verf. (vgl. Anm. 7) das bei den kleinen Apostelstatuen zu ergänzende Fußmaß mit 5–6 cm zu niedrig angesetzt, worauf Mme. Francoise Baron zu recht aufmerksam gemacht hat. Die hier angegebenen Maße zur Fußhöhe basieren auf vor Ort vorgenommenen Schätzungen. 10 Bloße Füße zeigt außerdem auch noch die Petrusstatue am sechsten Pfeiler nord der Sainte-Chapelle. Sie gilt seit Guilhermy (1857) als original und soll von Perrey ergänzt worden sein (vgl. dazu SALET, « Nouvelle note... » (op. cit. Anm. 3). Die Autopsie der Verfasserin ergab, daß zumindest Kopf, Hände mit Attribut, sowie die ungelenk angestückten Füße nicht original sind, und das Übrige, wenn nicht ganz modern, so doch stark überarbeitet und ergänzt ist, dass diese Statue ohne genauere Untersuchung nicht als Original dieser Gruppe zugeordnet werden kann. 11 Zu dieser Gruppe gehört außerdem der Apostel Paulus am sechsten Pfeiler süd, der jedoch als nicht original gilt, vgl. SALET, « Nouvelle note... » (op. cit. Anm. 3), wenngleich seine Komposition weitaus überzeugender und stimmiger wirkt als die geklitterte Petrusstatue am sechsten Pfeiler nord.
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den unterschiedlichen Stil der beiden Gruppen nochmals betont. Bei den lebensgroßen Apostelstatuen mit bloßen Füßen verdeutlicht die Gewandführung die Körpertektonik, sei es, daß das Gewand eng um den Körper gezogen wird wie bei Cl. 18664 (vgl. Abb. 4 unten links) und damit die runde Form betont, die sich weitgehend von der Säule löst, oder daß die von der Schulter schrägfallende Gewanddrapierung die Neigung des Kopfes unterstützt wie bei Cl. 18665 (vgl. Abb. 4 oben links). Dagegen werden die Gewandmassen der überlebensgroßen Apostelstatuen mit verhüllten Füßen sehr frei und oft diagonal über den Körper hinweg geführt, so daß aus tief zerklüfteten Faltentälern und hohen Graten eigenständige Gewandbäusche mit entstehen, die nicht der Körpertektonik folgen (vgl. Abb. 5 oben links und mitte). Sie erinnern an zeitgleiche Goldschmiedestatuetten, bei denen Effekte der Treibarbeit dazu dienen die Kostbarkeit zu steigern. Die auf Schaueffekte ausgerichtete Gewandführung der überlebensgroßen Statuen erfordert durch die sich auf dem Boden stauenden Stoffmassen nicht nur eine andere, größere Basis als bei den lebensgroßen Aposteln, sondern außerdem einen anderen, eher dem Oval angenäherten Statuengrundriß, der die Säule viel weiter mit einbezieht als es bei den lebensgroßen Apostelstatuen der Fall ist. Ebenso unterschiedlich sind die Köpfe beider Apostelgruppen gestaltet : während sich die lebensgroßen Apostel durch eine sehr individuelle Haartracht, Gesichtsform und Gesichtausdruck auszeichnen und durch ihren ernstem Ausdruck und gesenkten Blick innerlich konzentriert wirken, blicken die überlebensgroßen Apostel in über ihr Weihekreuz hinweg in die Ferne, die noblen, von preziös manieristisch Lockentuffs ummantelten Gesichter zeigen keine vergleichbare innere Anspannung. Gemeinsam sind den beiden Apostelgruppen die Weihekreuze, wobei jedoch auch hier Unterschiede erkennbar sind : die lebensgroßen Apostel haben einmal Scheibenkreuze auf hohem Fuß, wie sie auch als Altargerät benutzt werden konnten, vor der Brust getragen, so wie es die Statue am dritten Pfeiler süd noch zeigt sowie der überlebensgroße Apostel mit überlangen rechten Arm am vierten Pfeiler süd, der jedoch das Kreuz etwas tiefer hält. Dagegen tragen alle anderen überlebensgroßen Apostel Scheibenkreuze ohne Fuß ebenfalls etwas tiefer vor dem Leib. In der tieferen Position und wegen des nicht vorhandenen Fußes erscheinen die Kreuze der überlebensgroßen Aposteln jedoch absolut auf der gleichen Höhe wie bei den lebensgroßen Aposteln. Dieses Detail in der Gesamtkomposition lässt erkennen, daß die Apostel trotz ihrer ikonographischen Unterschiede
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als Einheit gesehen werden sollten. Deutlich zeigt dieses Prinzip die Apostelstatue am vierten Pfeiler süd mit dem überlängten linken Arm, der das Kreuz mit Fuß hält. Dieses Detail verdeutlicht, daß die überlebensgroßen Apostelstatuen auf die Gestaltung der lebensgroßen reagieren. Das Ausmaß dieser Reaktion wird noch deutlicher, wenn man den für beide Gruppen etwas unterschiedlichen Herstellungsvorgang berücksichtigt. Im Gegensatz zu den meisten anderen gleichzeitigen Säulenfiguren sind alle originalen Apostelstatuen der Sainte-Chapelle ohne Säulenteil gehauen, auch wenn sie als Säulenstatuen erscheinen. 12 Sie wurden getrennt von der Architektur gearbeitet und haben im Rücken lediglich eine konkave Ausbuchtung, die ihre geplante Anpassung an den Pfeiler berücksichtigt. Vermutlich wurde die getrennte und damit mögliche zeitlich parallel laufende Herstellung von Statuen und Architektur wegen des großen Zeitdrucks gewählt, mit dem die Chapelle erichtet wurde. Technisch nehmen die Apostelstatuen damit eine Zwischenstellung zwischen den echten, d.h. aus einem einzigen Block gehauenen Säulenfiguren wie z.B. den Aposteln der Westfassade von Amiens ein, und den als Nischenfiguren frei geschaffenen, einst in das Gewände des Südportals von Notre Dame de Paris eingestellten Apostelstatuen, deren Fragmente sich heute im Musée national du Moyen Âge befinden.13 Dennoch sind die kleinen Apostelstatuen ihrer Konstruktion nach keine Freifiguren gewesen, denn die völlig frei gearbeiteten Knöchel und Füsse werden das Gewicht der nahezu vollrunden Gewandstatue kaum zu tragen vermocht haben, wenn man sich vor Augen führt, dass die 2 Meter große nackte Adamstatue der Fassade von N.D. de Paris bei erheblich geringerer Masse noch zusätzlich von einem Baumstumpf gestützt wird. Technisch muß zumindest bei den lebensgroßen Apostelstatuen das Gewicht wesentlich von einer rückseitigen Verankerung am Pfeiler aufgefangen worden sein. Die Montage der lebensgroßen Apostelstatuen dürfte wegen der fragilen blossen Füsse, die bezeichnenderweise
12 Die an den Statuen des Musée national du Moyen Âge gemachte Beobachtung wurde von Professor Kurmann als außergewöhnlich indiziert – die genaue Untersuchung der Rückenpartie bei den Apostelstatuen steht noch aus. Vgl. dazu auch H. BAUER, Die Apostelstatuen der Sainte-Chapelle in Paris, Dissertation München, 1984, S. 92ff, der zuerst darauf aufmerksam gemacht hat, dass die Apostel nicht mehr als Säulenstatuen gearbeitet worden sind, sie jedoch als Freifiguren ansieht. 13 Vgl. D. KIMPEL, Die Querhausarme von Notre Dame de Paris, Dissertation Bonn, 1971, S. 182–187.
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auch die offensichtlich zuerst weggebrochenen Teile darstellen, nicht einfach gewesen sein. Bei den überlebensgroßen Aposteln verringert sich das Standproblem dadurch, daß die sich auf der Basis stauenden Gewänder eine größere Standfläche bieten. Man kann sich fragen, ob das Motiv der nahezu verhüllten Füsse nicht auch aus den Erfahrungen während der Herstellung und Montage mit den lebensgroßen Aposteln entwickelt wurde, dass mithin die Gestaltung der überlebensgroßen Statuen auf die entwicklungstechnisch früheren Gruppe der lebensgroßen Apostelstatuen aufbaut. Für diese Überlegung spricht außer den in Bezug auf die Körperhöhe unterschiedlich positionierten Weihekreuzen auch, daß die lebensgroßen Apostel der Sainte-Chapelle mit zu den spätesten Apostelstatuen gehören, die wie in Chartres, Reims und Amiens die bloßen Füße vom Knöchel an deutlich zeigen. Nachfolgende Darstellungen zeigen wie die überlebensgroßen Apostel der Sainte-Chapelle sehr häufig nur noch die bloßen Fußspitzen, wie z.B. an der Porte Royale von St. André in Bordeaux, wo von den zwölf als Nischenfiguren gearbeiteten Aposteln nur einziger betont bloße Füsse aufweist, der Pilgerapostel Jacobus, d.h. das Motiv hatte hier eine bestimmte ikonographische Bedeutung. Dadurch dass die Apostelstatuen der Sainte-Chapelle frei gehauen wurden, konnten sie in ihrer Größe unabhängig von der Architektur festgelegt und als letztes Element evtl. zusammen mit zugehörigem Piedestal und Baldachin separat eingefügt werden. Heute, nach den Restaurierungen des 19. Jahrhunderts orientiert sich der Abstand von Piedestal zu Baldachin durchweg an den Maßen der überlebensgroßen Apostel, weshalb man dem einzigen originalen lebensgroßen Apostel mit Füßen zusätzlich sockelte, um ihn in der Höhe anzupassen. Die Frage ist, wie man mit den unterschiedlichen Statuengrößen im 13. Jahrhundert umging. Geht man von der Annahme aus, dass die zwölf Apostelstatuen mit den zwölf Weihekreuzen zusammen geplant, ausgeführt und tatsächlich zur Einweihungsfeier am 26. April 1248 vollendet waren, dann ist es seltsam und durch kein weiteres Beispiel belegt, daß man bei einer Apostelserie, die das Ebenbild Christi spiegeln sollte, in der gleichen Entstehungszeit zwei so unterschiedliche Erscheinungsbilder samt unterschiedlicher Blockgrößen verwendet hätte, selbst bei Arbeiten von mehreren Bildhauern. Darüber hinaus gehen die Größen- und Stilunterschiede bei den Apostelstatuen der Sainte-Chapelle mit dem motivischen Unterschied der bloßen und verhüllten Füßen einher, den man offensichtlich in dieser Zeit,
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wie das Beispiel der Apostelstatuen der Porte Royale von Bordeaux verdeutlicht, auch dazu benutzte, um ikonographische Aussagen zu machen. Somit stellt sich die Frage, welche ikonographische Bedeutung diese unterschiedliche Gestaltung hatte. Eine solche Variation erscheint dann sinnvoll, wenn entweder die Statuen unterschiedliche Bedeutung hatten, oder wenn von vorneherein unterschiedliche Standorte für die einzelnen Statuen vorgesehen waren14, oder wenn es während ihrer Herstellung in der Sainte-Chapelle eine Umplanung gegeben hat. Der Lösungsvorschlag, daß sämtliche Differenzen allein durch unterschiedliche, jedoch zeitgleich auftretende Kunstströmungen und verschiedene Bildhauer bedingt seien, wobei man jedoch kein Auge für Größen- oder Motivunterschiede gehabt hätte, da sie eben immer wieder vorkämen, erscheint unbefriedigend angesichts der Beobachtung, dass die beiden Apostelgruppen der Sainte-Chapelle entwicklungstechnisch aufeinander aufbauen und daß die Position der Weihekreuze in Bezug auf die absolute Höhe sorgfältig abgestimmt wurde. Daß Maßproportionen bei der Komposition von Apostelfiguren eine gewichtige Rolle spielen und Hinweise auf Ausführung und Positionierung geben, belegen die wohl um 1260 geschaffenen Strebepfeiler-Apostel am Freiburger Münster.15 Diese Statuen lassen sich nach Größe und Qualität der Ausführung in zwei Gruppen aufteilen : die 210 cm hohen Apostel der Südseite sind sorgfältig und detailliert als Rundplastik skulptiert, da sie unter freischwebenden Baldachinen stehen, die den Blick auf die Statuen nicht behindern.16 Dagegen stehen die nur 199 cm großen und in der Oberfläche weniger detailliert bearbeiteten Apostelstatuen der Nordseite unter Baldachinen, die durch vier Säulen gestützt werden und damit die All-
14 Dieses könnte etwa die unterschiedlichen Größen der Apostelstatuen für die Hospitalkirche St Jacques aux Pélérins in Paris Anfang des 14. Jahrhunderts erklären, die nicht nur von zwei verschiedenen Bildhauern (Guillaume Nourriche und Robert de Lannoy) in zwei Abschnitten im Abstand von zwei Jahren geschaffen worden sind, sondern nach den Überlegungen von Françoise Baron auch noch an sehr unterschiedlichen Stellen in dieser vom üblichen gotischen Sakralraum abweichenden Hospitalkirche platziert waren. Vgl. dazu F. BARON, « Le décor sculpté et peint de l’hôpital Saint Jacques-aux-Pèlerins », Bulletin monumental, 133, 1975, S. 29–72, hier S. 34. 15 Zur Datierung und zur kunstgeschichtlichen Einordnung vgl. P. KURMANN, « Skulptur und Zackenstil », Zeitschrift für schweizerische Archäologie und Kunstgeschichte, 40, 1983, S. 109– 114. 16 Für eine Abbildung der grossen Apostel vgl. O. SCHMITT, Gotische Skulpturen des Freiburger Münsters, Frankfurt am Main 1926, Abb. 29-41.
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ansicht der Figuren behindern.17 Die geringere Größe der Apostelstatuen auf der Nordseite wird, wie sich bei der Abnahme zur Restaurierung und Vermessung ergeben hat, eindeutig durch die anders konstruierten Baldachine bestimmt, worunter die Nordseitenstatuen maßgenau passen. Die veränderte Konstruktion der Baldachine hängt wiederum mit dem insgesamt veränderten Aufbau der Münsternordseite zusammen, deren Statuenschmuck zeitlich dem der Südseite nachfolgt.18 Um die Mitte des 13. Jahrhunderts waren die Planer der Freiburger Münsterbauhütte also in der Lage, den Bildhauern eine um 10 cm geringere Höhe und qualitativ jeweils unterschiedliche Ausführung der Apostelstatuen genauestens vorzugeben. Maße und Ausführungsqualität resultierten aus architektonischen Vorgaben für die Konstruktion der wenig späteren Münsternordseite und waren somit keinesfalls dem Belieben des Bildhauers überlassen. Offenkundig nahm man zugunsten der Baufortentwicklung architektonischen Veränderungen in Kauf, die das einheitliche Erscheinungsbild der Apostelstatuen als Serie störten. Diese Unterschiede fielen jedoch bei den hoch auf den Strebepfeilern stehen Figuren kaum auf, zumal die beiden Münsterseiten nicht in Gegenüberstellung miteinander verglichen werden können. Der gleichbleibende Standort und die gleichartige architektonischen Einfassung mittels Baldachin genügten offenbar, um die Einheit der Apostelstatuen zu garantieren. Dennoch gibt es bei gotischen Apostelserien, die als Einheit wahrgenommen werden sollten und zwar gerade bei den in die Architektur eingebundenen Säulenfiguren, wie bei der Serie der Portalapostel von Amiens19, deutlich sichtbare Größenunterschiede. Sie fallen zudem bei einer Serie, die uniform wirken sollte, da die Apostel das Ebenbild Christi vertreten, recht deutlich ins Auge. Die Frage ist, ob in Amiens der Apostel mit dem entschieden größeren Kopf im linken Gewände wirklich zufällig entstand, etwa dadurch, daß der Bildhauer sich in der Gesamthöhe der Statue in bezug auf die tragende Säule 17 Für eine Abbildung der keinen Apostel vgl. SCHMITT, Gotische Skulpturen... (op. cit. n. 16), Abb. 45, 49-51. 18 Für diese Angaben danke ich Frau Heike Mittmann, Kunsthistorikerin am Freiburger Münsterbauverein und Herrn Christian Leuschner, dem Bildhauermeister der Dombauhütte des Freiburger Münsters, der mir freundlicherweise die exakten Maße der Apostelstatuen an der Nord- und Südseite anhand neuer fotometrischer Aufnahmen ermittelte. Gemessen wurde die Statue des Johannes am 3. Pfeiler süd (Gesamthöhe mit Sockel 2,19m) und die Statue des Andreas am 3. Pfeiler nord (Gesamthöhe mit Sockel 2,09m). 19 Für eine Abbildung der Portalapostel von Amiens vgl. SAUERLÄNDER, Gotische Plastik... (op. cit. n. 2), Abb. 162.
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verschätzte, oder ob ein solcher Unterschied nicht auch ikonographisch bedingt sein könnte. Dafür, daß Größenunterschiede Bedeutungsunterschiede sein können, gibt es genügend Beispiele, sogar in Amiens am mittleren Westportal selbst : dort ist der Beau Dieu deutlich größer als sein Apostelgefolge am Gewände.20 Diese Unterschiede sprechen eher gegen einen Zufall, sondern dafür, daß das Gespür für die Bedeutung und Wirkung von Maßen und Proportionen nicht nur in der gotischen Architektur21, sondern auch in der gotischen Skulptur aufs höchste entwickelt gewesen sein muß. Mit einer solchen Annahme geht die Feststellung konform, daß ein gotischer Maler Hilfslinien und Rasterung nutzte, um eine Apostelserie mit Kreuzen in der Kapelle Sainte Catherine de Montbellet (Saône et Loire) um 1300 gleich groß und möglichst gleich proportioniert zu gestalten.22 Faßt man die Beobachtungen und Überlegungen zusammen, so ergibt sich als erste Folgerung, daß die Apostelstatuen der SainteChapelle nicht mehr das ältere Konzept einer geschlossenen Serie von Säulenstatuen vertreten, deren uniformitas das Ebenbild Christi spiegelte, wie es die Serie der Apostelstatuen am Südportal in Chartres und am Westportal in Amiens zeigen. Sie vertreten im Gegenteil einen ähnlich abrupten Stilwechsel wie Petrus und Paulus in der Reihe der sechs Apostel am Nordportal von Reims.23 Während die Differenzen in Reims als Ergebnis eines Stilwandels gesehen werden, der mit dem Visitationsmeister nach einer zeitlichen Unterbrechung in der zweiten Hälfte der 1230er Jahre einsetzte, gelten die Apostel der Ste Chapelle nicht als Beispiel eines aufgrund zeitlicher Unterbrechung erfolgten Stilwechsels, sondern als Vertreter unterschiedlicher, aber gleichzeitiger Stiltendenzen24, wobei dennoch die preziös-manieristischen Apostel als die entwicklungsgeschichtlich jüngeren Statuen angesehen werden, deren Wirkung sich erst nach der Mitte des 13. 20 W. SCHLINK, Der Beau Dieu von Amiens – Das Christusbild der gotischen Kathedrale, Frankfurt am Main, 1991, S. 70. 21 So beobachtete Louis Grodecki, z.B. daß die westlichsten Apsisfenster der Ste. Chapelle um der optischen Wirkung der Architektur willen 35 cm schmäler konstruiert wurden. L. GRODECKI, La Sainte-Chapelle, Paris, 1975, S. 26. 22 M. THIBOUT, « À popos des peintures murales de la chapelle Sainte-Catherine de Montbellet (Saone et Loire) », Bulletin monumental, 108, 1950, S. 85–89. 23 P. KURMANN, La Façade de la Cathédrale de Reims, Architecture et sculpture des portails – Étude archéologique et stylistique, Paris-Lausanne, 1987, Vol. I, S. 168. 24 SALET, « Les Statues d’Apotres... » (op. cit. Anm. 1), GNUDI, « Le Jubé de Bourges... » (op. cit. Anm. 2), SAUERLÄNDER, Gotische Plastik... (op. cit. Anm. 2), GRODECKI, La SainteChapelle (op. cit. Anm. 2).
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Jahrhundert enfaltet.25 Ihre motivisch und stilistische Differenzen scheinen somit einer künstlerischen Umbruchsphase zu entspringen, in der augenscheinlich unter großem Druck mit neuen Ausdrucksformen experimentiert wurde. Was trieb die Bildhauer zu einer Differenzierung nicht nur des individuellen Ausdrucks, sondern der gesamten statuarischen Auffassung ? In welchem Zeitraum entwickelten sich die unterschiedlichen Konzepte ? In den Umkreis der klassisch anmutenden Apostelstatuen der Sainte-Chapelle hat Cesare Gnudi aufgrund stilistischer Verwandschaft auch die Reliefskulpturen des Lettners von Bourges26 datiert.27 Heute wird jedoch dessen Stil nicht mehr als Resultat eines besonderen, klassischen Idealen verpflichteten Kunstwollens gesehen, sondern als ein spezieller Modus, der einer bestimmten inhaltlichen bzw. von didaktischen Vorgaben geprägten Ausdrucksweise vepflichtet ist. Seine klare und anschaulich konzipierte Formensprache, die Gnudi als ‚klassisch’ empfand, diente – analog zu dem von den Bettelorden geprägten neuen Predigtstil – dazu, Laien die Inhalte der Heilsgeschichte so verständlich und einprägsam wie möglich zu vermitteln, sie war gewissermaßen der stilus humilis für gens simples.28 D.h. die besondere Position der Lettnerskulpturen innerhalb des Sakralraumes an der Schranke des eigentlichen Sanktuariums und ihre besondere Aufgabe gegenüber ihrem Publikum bestimmte ihren Stil maßgeblich mit. Dasselbe Phänomen der einprägsam-schlichten und daher klassisch anmutenden Formensprache findet sich nicht allein bei den Lettnerskulpturen von Bourges, sondern ebenso auch bei den in dem Jahrzehnt vor und nach der Mitte des 13. Jahrhunderts entstandenen Lettnern von Chartres, Mainz, Naumburg und Amiens. Auch sie zeichnen sich durch eine ebenso klare und didaktisch einprägsame Darstellung aus, ohne deshalb aber notwendig alle gleichzeitig entstanden oder gar voneinander abhängig sein zu müssen. Die Aufgabe bestimmte hier den Stil.29
25
KURMANN, La Façade... (op. cit. Anm. 23), p. 283. Für eine Abbildung der Lettnerreliefs vgl. SAUERLÄNDER, Gotische Plastik (op. cit. Anm. 2), Abb. XXX. 27 vgl. GNUDI, « Le Jubé de Bourges... » (op. cit. Anm. 2). 28 F. JOUBERT, Le Jubé de Bourges, Paris, 1994, S. 76–81 et 86ff. R. RECHT, Le croire et le voir, Paris, 1999, S. 299–305, zu dem neuen Predigtstil, cf. N. BÉRIOU, L’avènement des maîtres de la parole – La prédication à Paris au XIIIe siècle, Paris, 1998, 2 Bde. 29 Zum Lettner von Bourges vgl. JOUBERT, Le Jubé... (op. cit. Anm. 28), zum Lettnerstil : A. WEBER, « Die Entwicklung des Judenbildes im 13. Jahrhundert und sein Platz in der Lettner- und Tympanonskulptur », Städel Jahrbuch, N.F., 14, 1993, S. 47–49. 26
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Wenn es also in der Entstehungszeit der Sainte-Chapelle denkbar ist, daß ein bestimmter Skulpturenstil auch aus didaktisch – inhaltlichen Vorgaben resultieren konnte, wie sie die Bettelorden maßgeblich vermittelten, dann sei analog dazu die Frage gestattet, ob die stilistisch und motivisch so unterschiedlichen beiden Gruppen der Apostelstatuen in der Sainte-Chapelle, einem königlicher Repräsentation verpflichteten, d.h. einem religiösen Gebäude, das zugleich eminent politischen Charakter hatte, nicht nur eine höhere Stilsprache vertraten, sondern auch jeweils unterschiedliche politisch/historische Botschaften vermittelt haben könnten. Diese Frage unterstellt nicht, daß von vorneherein zwei Apostelgruppen geplant gewesen wären, sondern daß sich das Statuenkonzept während der Bauzeit, die in einer Zeit der politischen und religiösen Veränderungen entstand, sehr rasch gewandelt hat, bzw. auch von den Wünschen des immer wieder neu planenden königlichen Bauherrn abhängig war. Daran schließt sich die Frage,ob alle Statuen tatsächlich bereits anläßlich der Weihe 1248 vollendet waren, selbst wenn dies ursprünglich so geplant war, oder ob nicht Umplanungen ihre Fertigung bis nach der Weihe 1248 verzögert haben könnten. Die zeitgleiche Geschichte bietet Anhaltspunkte dafür, daß die Statuen nicht nur das bereits von Abt Suger für den Chor von St. Denis beanspruchte Konzept der Apostel als Symbole der Stützen der Kirche visualisiern und sich deshalb allein auf die Weihe beziehen, sondern auch eine Aufgabe in Hinblick auf die Selbstdarstellung Louis IX erfüllt haben könnten. Zunächst einmal dürfte ihre Position über den Köpfen des Königs und seiner engsten Umgebung sie wie persönliche Schutzpatrone haben wirken lassen – eine Funktion, die die Apostel für den König schon in der dreigeteilten Ausgabe der Bible moralisée übernommen hatten : Im Medaillon, das den Text des Psalm 119 (120) Levavi oculos meos in montes unde veniet et auxilium meum illustriert, erscheinen vier mit Schwertern und Schilden gewappnete Apostel über dem im Bett liegenden König.30 Gleichzeitig müssen die lebensgroßen Statuen mit den betont blossen Füßen Zeitgenossen auch an das Auftreten der Bettelorden erinnert haben, deren Frömmigkeit und Bußpraxis Louis IX stark geprägt
30 Bible moralisée tripartite (Oxford, Paris, Londres), Paris BnF lat. 11560, fol. 32, A. DE LABORDE, La Bible moralisée de Oxford, Paris, Londres, Paris-London 1911–1927, Bd. II, fol. 256c.
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haben.31 Bei einem der wichtigsten Ereignisse seiner Regierungszeit, bei der feierlichen Einholung der Reliquien 1239, imitierter er ihre dem Armutsideal geweihte Erscheinung und erschien demütig mit bloßen Füssen und nur mit einer einfachen cotte bekleidet. Mit dieser Erscheinung, stellte sich Louis IX zugleich ganz bewußt in die Nachfolge der byzantinischen Kaiser, zumal des Heraclius, der bereits im siebten Jahrhundert apostolischem Vorbild folgte, als er die Kreuzesreliquien nur mit einem einfachen Habit bekleidet bloßen Fußes nach Byzanz zurückbrachte. Daß dieser Vergleich bewußt inszeniert wurde, geht nicht nur aus der Chronik des Matthieu Paris hervor, der anlässlich der Translation von 1239 das Beispiel Kaisers Heraclius ausdrücklich erwähnt32, sondern auch daraus, dass dieses Ereignis auch im ersten Fenster der Südseite der Sainte-Chapelle dargestellt ist – zusätzlich zur translatio von 1239. Louis IX präsentierte sich somit als derjenige, der die Tradition der byzantinischen Kaiser, die die Reliquien, und zumal die Dornenkrone vor ihm besessen hatten, fortführte. Damit reklamierte er zugleich deren Würde. Schon Konstantin der Gr. hatte die Reliquien, vor allem das Triumphkreuz zur eigenen Legitimation genutzt und deklarierte sich selbst schließlich als Pionier der Christianisierung als apostelgleich.33 Die Reliquientranslation kann als Legitimations – und Gründungsakt für die Herrschaft Louis IX gelten, weswegen dieses Ereignis auch mit soviel Aufwand bis hin zum Verfassen einer offiziellen Chronik in könglichem Auftrag inszeniert wurde. Mit ihren bloßen Füssen, dem schlichten Erscheinungsbild und der ernsten Würde präsentieren die lebensgroßen Apostel gleichsam das Modell, das der König an diesem Tag imitiert hatte und perpetuierten somit die Erinnerung daran. Der zweite große Ideenkreis, für den die Apostel insbesondere als Märtyrer stehen, ist die Verbreitung und Verteidigung des christlichen Glaubens. Apostel stehen für die Mission, eine Idee, die gleichfalls von den Bettelorden mit neuer Intensität propagiert wurde und der Louis IX höchste Bedeutung zumaß. Seine königliche Aufgaben sah 31
Vgl. die Überlegungen der Verf. (wie Anm. 7), S. 90–92. BAUER, Die Apostelstatuen... (op. cit. Anm. 12), S. 127. Zitat des Matthäus Paris in bezug auf Louis IX : edoctus exemplo nobilissimi triumphatoris Eraclii Augusti (zit. Nach der Angabe bei BAUER, Die Apostelstatuen... (op. cit. Anm. 12). 33 BAUER, Die Apostelstatuen... (op. cit. Anm. 12), S. 125 ; nach Eusebius errichtete Konstantin eine Apostelkirche mit zahlreichen Reliquien, die ihm zugleich als Grablege diente. Konstantin betrachtete sich als apostelgleich, als Wegbereiter des Christentums ; darin sah er seine Mission und damit stand ihm die Würde des Heiligen zu. Vgl. dazu auch A. EFFENBERGER, « Konstantinsmausoleum, Apostelkirche – und kein Ende ? », in : Lithostroton, Festschrift Marcel Restle, Stuttgart, 2000, S. 69. 32
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er offensichtlich ähnlich wie Missionspflichten an, was in einem weiteren Medaillon der dreigeteilten Ausgabe der Bible moralisée zu folgender Parallele führt : die Illustration zum Kommentar des Psalm 19 (20) In hoc psalmo intrepat propheta in persona Christi illos qui gloriantur in deliciis suis instigante diabolo. Unde dicit ipsi obligati sunt et ceciderunt. E contrario consolatur apostolos et alios suos qui relinquerunt omnia propter dominem. Dicens nos autem surreximus& refecti sumus zeigt Christus mit Krone, der sich gegen den vom Teufel geleiteten jüdischen Wucher wendet, zugleich aber auch die Apostel in ihrem Weg bestärkt.34 Die spezifische Form der Mission war der Kreuzzug, dem sich der König nicht erst nach seiner schweren Krankheit 1244 verpflichtet fühlte. Schon 1241, als der Konflikt mit den Mongolen, die als die apokalyptischen Völker Gog und Magog galten, unmittelbar bevorzustehen schien, sah sich Ludwig IX als Kreuzfahrer, wobei er sein eigenes Martyrium um der Erfüllung der eschatologischen Prophezeihungen willen nicht ausschloß.35 Gleichzeitig beinhaltete die Idee der Mission noch einen weiteren, für den französischen König in Hinblick auf die Eschatologie wichtigen Aspekt : erst nach Vollendung der irdischen Sendung der Apostel konnte das Jüngste Gericht beginnen, das in der Sainte-Chapelle in der Westrose dargestellt war und wofür der französische König die Dornenkrone gleichsam als Unterpfand besaß, denn sie würde der Weltenherrscher am Gerichtstag tragen. Als derjenige, der die irdische Mission der Apostel fortsetzte, spielte der König somit eine wichtige sakrale Rolle im Heilsgeschehen. Ludwig IX, der soweit ging, daß er einen Dorn der Reliquienkrone in seine eigene Krone integrierte, muß sich mit diesen Ideen in einem sehr hohen Maße identifiziert und auch aus diesem Grunde seine eigene Sakralisierung propagiert haben. Als er schließ selbst 1249 in den Kreuzzug aufbricht, ist die Sainte-Chapelle vollendet und geweiht, sie erscheint gleichsam als historisches und politisches Vermächtnis, sollte der König im Kampf gegen die Ungläubigen als Märtyrer fallen. Der Gedanke des Martyriums infolge der Mission war also dem König wohlvertraut und ist auch in der Sainte-Chapelle sichtbar. Die ersten Bilder in der Oberkapelle unmittelbar über den Köpfen der Betrachter sind die Medaillons mit Martyriumsszenen, die von Engeln bekrönt werden. Darüber wiederum stehen die Apostel an den Pfeilern. Die Krone des Martyri34 Bible moralisée tripartita (Oxford, Paris, London), Paris BnF lat. 11560, fol. 7, A. DE LABORDE, La Bible moralisée Oxford-Paris-Londres, Paris, 1911–1927, Tome III, Taf. 231 Aa. 35 J. LE GOFF, Saint Louis, Paris, 1998, S. 148f.
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ums, die auch der Königsnische zugeteilt wird, bildet gleichsam die Vorstufe zur Heiligkeit. Die lebensgroßen Apostel der Sainte-Chapelle erfüllen also eine multiple Aufgabe : aufgestellt an den Pfeilern der Kapelle und versehen mit den Weihekreuzen stellen sie die Fundamente der Kirche dar. Zugleich aber dienen sie als persönliche Vorbilder und Patrone des französischen Königs, der sich mit ihrem Handeln in höchstem Maß identifizierte. Die feierlich, ernste und zugleich maßvolle Erscheinung der lebensgroßen Apostel spiegelt ein Modell der Christoformitas, das Louis IX in den Jahren 1239 –1249 bewußt imitiert zu haben scheint, um seine eigene Handlungen zu legitimieren. Im Vergleich zu den lebensgroßen Apostel mit bloßen Füssen scheinen die überlebensgroßen geradezu die gegenteilige Auffassung zu verkörpern, denn ihre prachtvolle Gewandung, die kostbaren Fibeln und ihre majestätische Haltung lassen sich in keiner Form mit Begriffen wie Demut oder Bußfertigkeit assoziieren. Sehr wohl aber gehen sie konform mit dem liturgischen Prunk, den Louis IX zu besonderen Festen speziell in der Sainte-Chapelle wünschte.36 Bedenkt man darüber hinaus die Aussage Jean Jeauduns, daß die Apostelstatuen ursprünglich vergoldet waren37, dann muß die prachtvollere Erscheinung der überlebensgroßen Apostel mit ihren sich auf dem Boden stauenden, voluminösen Gewändern noch deutlicher hervorgetreten sein. Sie müssen wie überlebensgroße Goldschmiedestatuen gewirkt haben, die in ihrer Pracht mit dem goldenen Reliquienschrein wetteiferten, der 1249 erstmals erwähnt wird.38 Wenn man bedenkt, dass in der gleichzeitigen Theologie die vergoldete Statue als Modell der perfectio, der moralischen Vollkommenheit verstanden wird, dann scheint es berechtigt zu fragen, ob nicht die überlebensgroßen Apostel diesen Aspekt besonders betonen. Durch ihre prachtvolle Erscheinung könnten sie als Ebenbilder vollendeter Tugend verstanden werden und deswegen als würdiges Gefolge des himmlischen Königs, der in der Sainte-Chapelle durch seine Dornenkrone präsent ist. Selbst wenn das Fronleichnamsfest erst im Laufe des 14. Jahrhunderts institutionalisiert wurde, so war dennoch der mit ihm assoziierte Gedanke der Majestas Domini, von Christus als König, bereits im 13. Jahrhundert liturgisch vorgeformt 36
LE GOFF, Saint Louis (op. cit. Anm. 35), S. 564. D. KIMPEL-R. SUCKALE, L’architecture gothique en France, 1130-1270, Paris, 1990, p. 405, Anm. 50. 38 J. DURAND, « La Grande Châsse aux reliques », in : Le trésor de la Sainte-Chapelle, J. DURAND und M.-P. LAFFITTE (Hg.), Paris, 2001, S. 107. 37
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und gerade von Klerikern, mit denen Louis IX immer wieder zu tun hatte, propagiert worden.39 Daß das Bild der Majestas Domini und die mit ihm assoziierten Vorstellungen für Louis IX und damit in der Sainte-Chapelle von besonderer Bedeutung waren, bedarf keiner besonderen Erläuterung. Sie war in den Reliquien dauernd präsent und das bildlliche Leitmotiv der Kapelle von der Darstellung am Trumeau bis zum obersten Teil des Apsisfensters. Irdische und himmlische Majestät verschmolzen miteinander am Karfreitag, in dem Moment, als der König die Tribüne hinaufstieg, um die Reliquien feierlich zur Schau zu stellen ; der König wurde dadurch zur « realen Erscheinung ». Diesen Eindruck des über die menschlichen Sphäre erhabenen Königs müssen die längs des Kapellenschiffs platzierten Apostelstatuen nochmals betont haben. Über den Köpfen der Betrachter schwebend, bildeten sie gleichsam dessen himmlisches Gefolge und sakralisierten damit seine Person. In diesem Kontext muß die majestätische Erscheinung der überlebensgroßen Apostel besonderes Gewicht gehabt haben, da sie hervorragend geeignet war, die Sakralität des Königs und mit ihm der französischen Monarchie zum Ausdruck zu bringen. Diese Überlegungen verknüpfen das Bildkonzept der überlebensgroßen Apostel mit der besonderen Karfreitagsliturgie in der Ste Chapelle, die das Vorhandensein des Schreins und seine Platzierung auf der Tribüne voraussetzt. Der Schrein wird erstmals in der zweiten Gründungsurkunde am 29. August 1249 als capsam sanctarum reliquiarum erwähnt, wobei nicht ersichtlich ist, ob er damals schon auf einer Tribüne stand.40 In der ersten Gründungsurkunde von 1246 hingegen ist nur von den sanctuaria, d.h. den Heiltümern und dem Altar die Rede, vor dem Tag und Nacht drei Kerzen zu je drei Pfund brennen sollten, aber nicht von der capsa.41 Die zweite Urkunde von 1249 bestätigt nicht nur die liturgische Einrichtung der Sainte-Chapelle von 1246, sondern erweitert sie nicht unbeträchtlich, indem sie 39 Dazu gehörte unter anderem der Dominikaner und Kardinallegat Hugo von St. Cher. Vgl. auch J. LECLERCQ, L’idée de la royauté du Christ au Moyen Âge, Paris, 1959 sowie auch den von Thomas von Aquin geschriebenen Hymnus, der zur Liturgi des Fronleichnamfestes gehört. 40 C. BILLOT, « La fondation de Saint Louis – Le collège des chanoines de la Sainte-Chapelle (1248–1555) », in : Le trésor de la Sainte -Chapelle (op. cit. Anm. 38), S.100. R. BRANNER, « The Grande Châsse of the Sainte-Chapelle », Gazette des Beaux Arts, 1224, 1971, S. 8 (Datum von 1249 nach Claudine Billot). 41 Le trésor de la Sainte-Chapelle (op. cit. Anm. 38), Kat. Nr. 23 ; die Passage lautet : videlicet tres ceres continue nocte et die in bacilibus argenteis ante sanctuaria et altare ardentes quos quibus tres libres ponderabit …
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die Anzahl der Kleriker und deren Einkünfte erhöht und die Anzahl der Kerzen, die anlässlich der Jahresfeste und der Messe der Saintes Reliques brennen sollten, vervierfacht.42 Diese Angabe präzisiert außerdem die Position der Kerzen zu Seiten der capsa ; das hat wohl so ausgesehen, wie es die Kopie der Miniatur aus dem Missale Jean Jouvenal des Ursins und ein Missale für Paris überliefern43, dass die Kerzen auf dem um die Tribüne umlaufenden Sims standen. Robert Branner weist nun darauf hin, daß die unterschiedliche Terminologie von sanctuaria und capsa fragen läßt, ob der Schrein überhaupt schon 1246 existiert hat, oder ob er nicht tatsächlich doch erst nach diesem Datum geplant worden ist.44 Theoretisch könnte er auch erst dann in Angriff genommen worden sein, nachdem der Besitz der Reliquien endgültig besiegelt war. Dies geschah jedoch erst im Juni 1247, als Baudouin II die Zessionsurkunde unterschrieb, mit der er nicht nur den rechtlichen Erwerb der Reliquien durch Louis IX bestätigte und sie im einzelnen aufzählte, sondern auch jeglichen Anspruch auf Rückkauf der von ihm zunächst nur verpfändeten Reliquien aufgab.45 Die Überlegung, dass die Grande Chasse erst nach der endgültigen Bestätigung des rechtmäßigen Besitzes im Juni 1247 begonnen worden sein könnte, bedingt die Frage, ob Louis IX eine so aufwendige Kapelle für Reliquien errichtete, die er zwar bezahlt hatte, deren eventuellen Rückkauf er aber, da es sich um ursprünglich nur verpfändete Objekte handelte, nicht definitiv ausschließen konnte. Angesichts der ständigen Geldnot Baudouins konnte er zwar davon ausgehen, daß ein solcher Rückkauf kaum erfolgen würde, andererseits hatte er herausragende Heiltümer des lateinischen Kaiserreiches aus zweiter Hand erworben, was nach mittelalterlichem Pfandrecht durchaus legal war, aber keine sehr hochangesehene Form der Erwerbung darstellte. In diesem Zusammenhang muß man sich klarmachen, daß die Sainte-Chapelle, auch wenn ihre Funktion als Schrein für die Reliquien immer wieder hervorgehoben wird, laut der ersten Gründungsurkunde von 1246 zunächst einmal für das Seelenheil der königlichen Familie, d.h. für Louis IX selbst, seine Eltern und seine Vorgänger bestimmt war. Erst danach kommt die Angabe, dass der Bau auch für 42
BILLOT, « La fondation de Saint Louis... » (op. cit. Anm. 40). Le trésor de la Sainte-Chapelle (op. cit. Anm. 38), Cat.no. 27. 44 BRANNER, « The Grande Châsse... » (op.cit. Anm. 40). Vgl. auch J. DURAND, « La Grande de Châsse... » (op. cit. Anm. 38), S. 110, Fig. 5. und cat. 25. 45 Le trésor de la Sainte-Chapelle (op. cit. Anm. 34), Cat. no. 11 und Text gedruckt vgl. Cat. no. 31. 43
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und um die Reliquien herum gebaut worden sei.46 Mit der Errichtung des Schreins dokumentierte Louis IX gewissermaßen sichtbar und offiziell, daß die vorher schon in kostbaren Einzelbehältern bewahrten Reliquien nun als Ganzes, als neues Heiltum endgültig sein legitimer Besitz waren, zu dem er persönlich die Schlüssel besaß. Aufgrund dieser Beobachtungen und Überlegungen muss man sich fragen, ob es nicht parallel mit der Planung und Errichtung des Schreins zu einer Umplanung im Bereich der Apsis der Sainte-Chapelle gekommen sein kann. Dazu hätte dann der nachträgliche Einbau der Tribüne gehört, ob im Anschluss an das Jahr 1247 oder noch später bleibt zu klären, und damit verbunden eine Umplanung bei denjenigen Apostelstatuen, die im Tribünenbereich standen. Es erscheint denkbar, dass diese sich wegen der Tribünenarchitektur nicht nur auf deren Größe bezogen, sondern wegen der unmittelbaren Nachbarschaft zum Schrein auch gestalterisch anders konzipiert wurden. Zwei weitere Beobachtungen zu der Grande Châsse stützen diese These : Die königlichen Rechnungslisten weisen erst für 1248 den hohen Geldbetrag von 680 Pfund „pour les travaux d’or, d’argent et de pierres précieuses, pour les reliques de la Chapelle de Paris” auf – eine Angabe, die sich nach Robert Branner sehr wahrscheinlich auf die Anfertigung des nahezu drei Meter hohen Reliquienschreins beziehen läßt.47 Ein so hoher Schrein, der, weil er drehbar konzipiert war,48 noch auf einem Sockel auf dem Altar montiert worden sein muß, kann von Anfang an wegen seiner Höhe und der geringen Arkadenhöhe der Tribüne nicht darunter sondern nur darauf gestanden haben. Reliquienschrein und die nachträglich eingepassste Tribüne müssen jedoch aufeinander bezogen gestaltet worden sein. Waren beide Teile bereits zur Einweihung der Sainte Chapelle am 26.April 1248 vollendet oder vielleicht doch erst später, und mit ihnen die Apostelstatuen um die Tribüne ? Daß man mit Umplanung, Ergänzung und Neuerungen der Ausstattung der Sainte-Chapelle während und kurz nach der Bauzeit rechnen muß, beweist das erste Evangeliar der Sainte-Chapelle (Paris, Bibliothèque nationale de France, Manuscrits latin 8892).
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BILLOT, « La fondation de Saint Louis... » (op. cit. Anm. 40), S. 99. R. BRANNER «The Grande Châsse...» (op. cit. Anm. 40) p. 7-8; vgl. auch J. J. DURAND, La Grande Châsse... (op cit. Anm. 38), p. 107. 48 J. DURAND, La grande châsse... (op. cit. Anm. 38), p. 111-112. 47
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Im Unterschied zum zweiten und dritten Evangeliar (BnF lat. 9945 und ms. lat. 17326), die einen einheitlich illuminierten und verfaßten Text sowie die Kreuzigung wie üblich auf der Vorderseite des metallenen Einbands aufweisen, zeigt das erste Evangeliar die Kreuzigung auf der Rück- statt auf der Vorderseite und die Auferstehung als ungewöhnliches Thema auf der Vorderseite.49 Beide Szenen sind zusätzlich in gleichfalls sehr ungewöhnlicher Form von einer Niello-Bordüre gerahmt, die die zwölf Apostel zu Christi Himmelfahrt, Noli me tangere, den ungläubigen Thomas und Christus im Limbus zeigt, während die klugen und törichten Jungfrauen sowie der Kampf der Engel mit Dämonen die Kreuzigung einfassen (Abb. 6). Der illuminierte Text ist in zwei Abschnitten entstanden, wobei offenbar einem älteren, vielleicht für die ehemalige königliche Hofkapelle St. Nicolas bestimmten, vor 1239 entstandenen Evangeliar (vgl. Abb. 7a) ein folio mit vier Seiten mit der Liturgie für die Feste der Sainte-Chapelle nachträglich angefügt wurde (vgl. Abb. 7b).50 Dieses mit großer Sorgfalt ergänzte folio hat Robert Branner aufgrund enger Verwandschaft mit einem anderen, mit Sicherheit erst nach 1253 entstandenen illuminierten Manuskript um 1255–60 datiert, während er den silbervergoldeten Einband aufgrund seiner ungewöhnlichen Ikonographie zur Sainte-Chapelle in Bezug setzte und ihn in deren Bauzeit zwischen 1242–48 datierte.51 Nach Branners Beobachtungen wäre das erste Evangeliar sowohl während wie auch nach der Bauzeit der Kapelle ergänzt worden : zunächst hätte es während der Bauzeit einen hoch qualitätvollen, silbervergoldeten Einband erhalten, dessen ungewöhnliche Auferstehungs-Ikonographie deutlich Bezug auf die Ikonographie der SainteChapelle nimmt. In der Zeit nach der Rückkehr Louis IX von seinem ersten Kreuzzug nach Frankreich wurde dieser Einband offenbar auseinander genommen, um das Manuskript um den Teil mit den Festen der Ste Chapelle zu ergänzen. Daß diese Ergänzung erst einige Zeit nach der Einweihung der Sainte-Chapelle erfolgt sein kann, lässt nicht nur der Stil der Miniaturen vermuten, der mehrfach in Manuskripten 49 Damit wird ein Hauptmotiv des Grande Châsse wiederholt. Vgl. dazu J. DURAND, La Grande Châsse... (op. cit. Ann. 38) S. 111. 50 R. BRANNER, « Le Premier évangliaire de la Sainte-Chapelle », Revue de l’art, III, 1969, S. 37–48. 51 BRANNER, Le premier évangéliaire... (op. cit. Anm. 50), R. BRANNER, « The Grande Châsse... » (op.cit. Anm. 40), S. 10 und R. BRANNER, Manuscript Painting during the Reign of Saint Louis, Berkeley, 1977, S. 64f, 129f. Die im Katalog Le trésor de la Sainte-Chapelle (op.cit. Anm. 38), Cat.no. 35 unter Verweis auf Branner vorgeschlagene Datierung des ergänzten Teils (folio 29 von BnF lat. 8892) als « 1240–1248 » bzw. « peu après 1239–40 » widerspricht dessen Beobachtungen und publizierten Datierungen von 1255–1260.
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aus der Zeit um1260 belegt ist (vgl. das in diese Zeit datierte dritte Evangeliar, Abb. 7c)52, sondern auch die Tatsache, daß das Weihefest der Sainte-Chapelle auch noch im zweiten Evangeliar (Paris, BnF lat. 9455) fehlt, obwohl es das erste vollständig verfügbare Evangeliar für die Liturgie der Ste Chapelle bis 1248 darstellte.53 Stilistisch lassen sich sowohl beim Einband des ersten wie beim Einband des zweiten Evangeliars Parallelen zu den kleinen Apostelstatuen ziehen. So wird das Gefühl für die Rundung des Körpers jeweils durch die tektonisch angelegten Gewänder vermittelt, wenngleich die Drapierungen motivisch und qualitativ unterschiedlich ausfallen : St. Jean des zweiten Evangeliars entspricht den lebensgroßen Apostelstatuen der Ste Chapelle mit blossen Füssen, während St. Jean des ersten Evangeliars einerseits noch an Gewandstatuen des Muldenfaltenstils erinnert, aber dafür die Füße fast völlig verhüllt zeigt. Beim ersten Evangeliars wird der weiche Schmelz der vergoldeten Oberfläche genutzt, um Körperlichkeit ebenso wie weich fallende Stoffdrapierung herauszuarbeiten, während beim zweiten Evangeliar Draperien mittels kantiger Grate akzentuiert werden. Beide Einbände unterscheiden sich jedoch deutlich vom dritten, um 1260–1270 datierten Evangeliareinband. Sowohl bei der Figurendarstellung der Kreuzigung wie bei der Majestas Domini führen hier Gewanddrapierungen diagonal über den Körper hinweg und negieren so die Körpertektonik ; Maria und Johannes erscheinen dadurch in ihren Proportionen überlang. Hier betonen die Faltengrate noch deutlicher den Metallcharakter, was ähnliche Effekte wie bei den großen Apostelstatuen erzeugt. Diese auf kostbare Pracht hin angelegte Wirkung muß ursprünglich noch durch den Steinbesatz des Evangeliars gesteigert worden sein. Die bei den Evangeliaren gemachten Beobachtungen ergeben somit ein ähnliches Bild wie bei den Apostelstatuen : aus der SainteChapelle überliefert, sind sie ihrer Enstehung und Konzeption nach uneinheitlich, umgearbeitet und ergänzt. Diese Uneinheitlichkeit betrifft auch den Stil, denn parallel gearbeitete Werke wie der Einband des ersten und des zweiten Evangeliars weisen deutliche Unterschiede auf. Diese Beobachtungen bestätigen erneut den Eindruck, dass während der Bauzeit der Ste Chapelle intensiv mit neuen Formen experimentiert wurde – jedoch nicht unabhängig von der Bildaus52 BRANNER, Manuscript Painting... (op. cit. Anm. 51), S. 123–128, Vgl. dazu auch die Miniaturen des dritten Evangeliars der Sainte-Chapelle (Paris, BnF lat. 17326), das von der Forschung durchweg zwischen 1260–1270 wird und deutliche stilistische Parallelen zum ergänzten Teil (folio 29) des ersten Evangeliars der Sainte-Chapelle (BnF lat. 8892) aufweist. 53 Le trésor de la Sainte-Chapelle (op.cit. Anm. 38), cat.no. 36, S. 157.
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sage. Es erscheint kaum als Zufall, daß Ergänzungen und Umarbeitungen besonders das erste Evangeliar betreffen, dessen Einband sich durch eine ungewöhnliche neue, dem Auferstehungsgedanken verpflichtete Ikonographie auszeichnet. Überträgt man diese Schlussfolgerungen auf die Apostelstatuen, so kann man ihre unterschiedliche Stiltendenzen als Ausdruck von aufeinander aufbauenden, sich rasch verändernden neuen Bildgedanken verstehen, um den neuen Inhalten der Sainte-Chapelle auch visuell gerecht zu werden. Auch wenn man davon ausgehen kann, dass die Serie der 12 Statuen zur Weihe 1248 vollendet sein sollte, da ja alle Apostel die Weihekreuze tragen, muß die Frage offen bleiben, ob sie es angesichts der knappen Planungszeit für Tribüne und Schrein auch waren oder ob nicht die Neuplanung der Tribüne ihre Vollendung verzögerte.
DIE NACHWIRKUNG DER APOSTELSTATUEN AUS DER SAINTE-CHAPELLE Konnten die Apostelstatuen der Sainte-Chapelle überhaupt als Vorbilder dienen ? Geht man davon aus, daß der Zugang zur Oberkapelle schon wegen der Sicherheit des enorm kostbaren Reliquienschatzes limitiert sein mußte, und darüber hinaus dem König, seiner Familie und der engsten Umgebung vorbehalten war, dann erscheint eine Nachwirkung angesichts der Abgeschlossenheit kaum denkbar. Dieser Annahme widerspricht jedoch bereits ein exemplum aus dem 13. Jahrhundert, das sich auf Louis IX als « roi juste » bezieht. Auch wenn nicht ermittelt werden kann, ob die Geschichte so in allen Einzelheiten tatsächlich stattgefunden hat, so hat sie doch einen historischen Kern. Sie berichtet von einer Adelsfamilie, die nicht zur Entourage des Königs gehörte, aber dennoch unter dem Geleit eines seiner Söhne am Karfreitag in die Kapelle, d.h. wohl die Sainte-Chapelle zu ihm vordringen konnten, um dort Gnade für einen ihrer Angehörigen zu erflehen. 54 Das exemplum besagt nichts anderes, als daß der Zugang zur Sainte-Chapelle nur über Beziehungen zur königlichen Familie selbst zu erlangen war. Somit war er ein exklusives Privileg, weshalb Joinville sicherlich nicht nur aus Ergriffenheit berichtet, daß er dem König beim Erklimmen der Tribüne und beim Vorzeigen der Reliquien am Karfreitag in der Sainte-Chapelle zusehen durfte.55 Hier 54 55
LE GOFF, Saint-Louis, (op.cit. Anm. 31), p. 370. JOINVILLE, Vie de Saint Louis, J. MONFRIN (Hg.), Paris, 1995, p. 364–365.
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schwingt auch der Snobismus eines bevorzugten Höflings mit. Indem die königliche Familie den Zugang limitierte, besaß sie ein Machtmittel, das Prestige sicherte und Konkurrenz anstachelte. Mit der SainteChapelle als Prestigeobjekt ließ sich also hervorragend Politik machen. Unter dieser Annahme erscheint es trotz eingeschränkter Zugänglichkeit der Kapelle möglich, dass die Apostelstatuen durchaus als Vorbilder gedient haben können, fragt sich nur wo und unter welchen Vorzeichen. Daß die Bildhauer, die St. Denis im Auftrag von Louis I X 1263/1264 zur königlichen Grablege ausbauten, Kenntnis von den Apostelstatuen der Sainte-Chapelle gehabt haben können, erscheint plausibel56, daß von dieser Kenntnis auch die Retabel im Chorumgang und das wohl in Paris entstandene Retabel von St. Germer de Fly profitiert haben könnten, erscheint möglich.57 Sie sind Zeugnisse für jenen liturgischen Prunk, den Louis IX zu bestimmten Anlässen wünschte. Im Retabel von St Germer de Fly werden die einzelnen Figuren wie Ecclesia, Synagoga, Engel, Apostelfürsten und ein König, der dem Erscheinungsbild von Louis IX entspricht, durch eine hoch differenzierte Gewandgestaltung charakterisiert, wobei das Auf und Ab der Säume nicht nur trachtbedingt ist, sondern auch ikonologische Aussage : die Apostelfürsten beziehen ihre Würde auch aus ihrer Gewandfülle und stehen gleichsam sicher, während Synagoga schon durch die tiefen Knickfalten zwischen ihren Füssen als Wankende charakterisiert wird. Eine exklusive Verbindung könnte es nach Bordeaux gegeben haben, der Stadt, die unter der Herrschaft des Schwagers von Louis IX stand, dem englischen König und Rivalen Henri III. Er hat mit Sicherheit die Sainte-Chapelle gesehen, als er Weihnachten 1254 zusammen mit vielen Angehörigen auf Einladung Louis IX in Paris feierte.58 Für die schon erwähnten Apostel der Porte Royale der Kathedrale St. André hat Willibald Sauerländer 1970 mit aller Vorsicht angesichts des heutigen Zustands ein Entstehungsdatum zwischen 1250–60 vorgeschlagen und auf die Apostelstatuen der Sainte-Chapelle als eine der Voraussetzungen für die Stilbildung verwiesen.59 Die Frage sei daher gestattet, ob dieses Portal mit seinem statuarischen 56
A. ERLANDE-BRANDENBOURG, Le roi est mort, Paris, 1975. A. ERLANDE BRANDENBOURG, Y. LEPOGAM und D. SANDRON, Guide des collections, Musée national du Moyen Âge, Paris, 1993, Kat. Nr. 159, S. 132f. ; SAUERLÄNDER, Gotische Plastik... (op. cit. Anm. 2) S. 177f. 58 LE GOFF, Saint-Louis, (op.cit. Anm. 31), p. 258. 59 SAUERLÄNDER, Gotische Plastik... (op. cit. Anm. 2), p. 190. 57
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Aufwand nicht auch deswegen so bewußt und gezielt an Pariser Vorbilder anknüpft, um eine gleichberechtigte Position desjenigen zu demonstrieren, der auch Geldgeber der Kathedrale war.60 Mit anderen Worten : wirkten die Apostelstatuen und mit ihnen der bis dahin ungekannte Aufwand und Ausstattungsluxus der SainteChapelle nicht doch als Vorbilder eines neuen religiös motivierten Prunks, der zugleich legitimierte und politisches Prestige versprach ? Dann wäre es verständlich, dass immer wieder dort, wo man sich ausdrücklich auf das opus francigenum als Vorbild bezog, um seine eigene Position zu demonstrieren, sei es in Straßburg, Köln oder Wimpfen, die Apostelstatuen der Sainte-Chapelle zitiert wurden. Auf die Genauigkeit und Qualität der Ausführung des Zitats kam es dabei allerdings weniger an als auf den demonstrativen Anspruch.
60 P. ARAGUAS, J.-P. DUPLANTIER, B. FAYOLLE-LUSSAC, J. PALARD, La cathédrale inachevée – St. André de Bordeaux, Bordeaux, 1998, Chronique p. 12, 1245 stiftete Henri III der Kirche 25 Mark Silber.
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Abb. 1 : Originale Apostelstatue der Sainte-Chapelle vom dritten Pfeiler süd (Photo : RMN, Paris).
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Abb. 2 : Originale Apostelstatue der Sainte-Chapelle vom vierten Pfeiler süd (Photo : RMN, Paris).
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Abb. 3a : Lithographie der Apostelstatue vom vierten Pfeiler süd von 1841 (original Musee Carnavalet. Photo : RMN, Paris).
Abb. 3b : Zeichnung der Apostelstatue vom dritten Pfeiler süd vor der Restaurierung 1844 (original: Archives des Monuments historiques. Photo : RMN, Paris).
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Abb. 4 : Statuen und Statuenfragmente von sechs lebensgroßen Aposteln aus der Sainte-Chapelle, deren Füße ursprünglich ganz zu sehen waren. Bis auf die Abb. unten Mitte befinden sich die Statuen heute im Musée National du Moyen Âge (Photos : RMN, Paris, Photomontage der Autorin).
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Abb. 5 : Statuen der fünf überlebensgroßen Apostelstatuen aus der SainteChapelle mit verhüllten Füßen sowie ein Fragment der sechsten Statue im Musée National du Moyen Âge (Photos : RMN, Paris, Photomontage der Autorin).
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Abb. 6 : Einband (Vorder- und Rückseite) des ersten Evangéliars der SainteChapelle, Paris, Bnf, ms. lat. 8892. (Photos : RMN, Paris).
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Abb. 7a, b, c (Photos : RMN, Paris. Photomontage der Autorin) a) fol. 9v aus dem ersten, vor 1239 vollendeten Teil des ersten Evangeliars der Sainte-Chapelle, Paris, Bnf, ms. lat. 8892. b) fol. 29v aus dem letzten, um 1255–60 vollendeten Teil des ersten Evangeliars der Sainte-Chapelle. c) fol. 148v aus dem dritten, um 1260–1270 vollendeten Evangeliars der Sainte-Chapelle, Paris, Bnf, ms. lat. 17326.
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HIMMELSBOTEN AUS AMIENS. BEMERKUNGEN ZU DEN ENGELN DER BLENDARKATUR IN DER OBEREN SAINTE-CHAPELLE Peter KURMANN
L’ARCATURE BASSE DE LA CHAPELLE HAUTE: À PROPOS DES ANGES AUX ÉCOINÇONS Après la perte des cycles des deux portails causée par l’iconoclasme révolutionnaire et mis à part les grandes statues des apôtres, les reliefs montrant des anges dans les écoinçons de l’arcature basse de la chapelle haute sont les seuls témoins de la sculpture figurée de la Sainte-Chapelle. Jamais la recherche ne s’y est intéressée. Bien qu’il s’agisse d’oeuvres d’une qualité assez modeste, elles ne sont pas dénuées d’intérêt. Stylistiquement elles s’apparentent étroitement à certains groupes de sculptures qui se trouvent aux portails occidentaux de la cathédrale d’Amiens. Iconographiquement ces anges dont la plupart tiennent des couronnes rappellent la tradition antique de l’aurum coronarium qui dans le premier tiers du XIIIe siècle a gagné une nouvelle actualité dans les débats théologiques concernant la doctrine sur la grâce divine.
Der Eindruck der wunderbaren Leichtigkeit, den das Innere der Oberkapelle dank der riesigen Fenster vermittelt, läßt vergessen, wie robust die Struktur dieses Bauwerks eigentlich ist. Das kann man anhand des beträchtlichen Abstands sehen, in welchem die Fenster gemessen an den Gewölbevorlagen nach außen versetzt sind. Tatsächlich bilden die stark in den Innenraum vorspringenden Dienstbündel zusammen mit den Strebepfeilern und dem hohen Mauersockel ein solides Gerüst.1 Im Inneren wird dieser Sockel von einer eleganten Blendarkatur verschleiert. Sie setzt sich pro Joch aus drei Spitzbogen zusammen, von denen sich jeder in zwei Dreipaßbogen unterteilt, und diese lassen im Couronnement genügend Raum für einen großen Vierpaß. Der Blattdekor dieser Zone der Sainte-Chapelle, insbeson1
Besonders deutlich hat auf den robusten Charakter der Sainte-Chapelle Grodecki hingewiesen : L. GRODECKI, Sainte-Chapelle, Paris, s.d. (Caisse nationale des Monuments historiques), S. 31ff., 51.
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dere derjenige der Kapitelle der Blendarkatur, ist wegen seiner herausragenden Qualität mit Recht berühmt. In geradezu naturalistischer Wiedergabe zeigt er häufig botanisch bestimmbare Pflanzen.2 Die Vierpässe der Arkatur umschließen freskierte Martyriumsszenen, deren Figuren teils mit Gold hinterlegt, teils mit Glaseinlagen versehen sind, so daß die Bilder den Eindruck vermitteln, als handle es sich um riesige Emails.3 Die beiden großen mittleren Zwickel, welche von den drei Bogenstellungen der Blendarkatur in jedem Joch ausgespart werden, füllt jeweils die Büste eines Engels aus. Die in starkem Hochrelief ausgearbeiteten Himmelsboten breiten Flügel und Arme aus, und in jeder Hand halten sie eine Krone. Die Brustbilder tauchen aus einem Wolkenband an der unteren Spitze des Zwickels auf. In den beiden halben Zwickeln, die sich an den äußeren Begrenzungen der Joche ergeben, schwingt ein im Profil dargestellter Engel ein Weihrauchfaß. Der gleichmäßige Rhythmus der Bogenstellungen der Blendarkatur wird im dritten Joch auf der Nord- wie auf der Südseite durch eine große Nische unterbrochen, deren flacher Bogen von zwei Nasen bestückt ist. Über die Funktion dieser Nischen lassen uns die Quellen im Ungewissen4. Auf der äußeren Laibung der Flachbogen steigt ein Engelsreigen empor, der eine am Bogenscheitel angebrachte Christusbüste beweihräuchert. Alle diese Engelsfiguren werden in den Beschreibungen der SainteChapelle nur deswegen erwähnt, weil sie im engsten ikonographischen Zusammenhang mit den Märtyrerszenen in den Vierpassmedaillons stehen, aber niemand hat sie bisher einer eigenen Betrachtung für würdig gefunden. Dies ist erstaunlich, denn wie wir sehen werden, nehmen die Zwickelengel im « Bildsystem » der Sainte-Chapelle einen wichtigen Platz ein. Aber man kann gut verstehen, daß sie von den Kunsthistorikern vernachlässigt wurden, handelt es sich doch um qualitativ eher bescheidene Werke. Mit ihren ausdrucksarmen, 2
D. JALABERT, La flore sculptée des monuments du Moyen Âge en France, Paris, 1965, S. 100– 102. 3 R. BRANNER, The Painted Medallions in the Sainte-Chapelle in Paris, Philadelphia, 1968 (=Transactions of The American Philosophical Society, new series, vol. 58, part 2). 4 Im allgemeinen wird die nördliche Nische als Aufenthaltsort des Königs, die südliche als diejenige der Königin bezeichnet, z.B. von Branner (BRANNER, The Painted Medallions... (op. cit. Anm. 3), S. 14 und von J.-M. LENIAUD und F. PERROT, La Sainte-Chapelle, Paris, 1991, S. 91, die sich auf den Bericht über den Besuch Kaiser Karl IV. Im Jahre 1378 berufen. Vgl. ebenfalls B. BRENK, « The Sainte-Chapelle as a Capetian Program », in : Artistic Integration in Gothic Buildings, V. C. RAGUIN et alii (Hrsg.), Toronto/Buffalo/London, 1995, S. 195–213, bes. S. 199–201, 203, 204ff.
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häufig etwas plumpen Gesichtern und ihren stereotypen Gesten bilden sie einen negativen Kontrast zu den berühmten, auf der gleichen Höhe an den Dienstbündeln angebrachten Apostelstatuen. Auch wenn in der Kapelle selber nur die Hälfte aller Mitglieder des Zwölferkollegiums als Originale gelten können, weiß jeder Betrachter, daß er vor Werken steht, die zu den großen Meisterwerken der hochgotischen Plastik gehören.5 Doch nicht nur die bescheidene künstlerische Qualität der Engel stand einer Wertschätzung im Wege, sondern wohl auch die Zweifel, die sich bezüglich ihres Erhaltungszustands aufdrängen. In welchem Maße handelt es sich nach den Restaurierungen des 19. Jahrhunderts überhaupt noch um mittelalterliche Originale ? Ich teile in dieser Hinsicht den vorsichtigen Optimismus, zu dem sich Meredith Cohen aufgrund eines umfassenden Studiums der Restaurierungsakten des 19. Jahrhunderts bekennt. Die von ihr untersuchten Quellen stellen nur in einem Fall explizit fest, daß ein Engelskopf vollständig erneuert wurde (im fünften Joch auf der Nordseite).6 Man wird also davon ausgehen können, daß es sich bei der übergroßen Mehrheit der Zwickelengel um Originale des 13. Jahrhunderts handelt. Eigentlich spricht schon die künstlerische Qualität der Relieffiguren dafür. Die Gesichter dieser Engel wirken für Werke des 19. Jahrhunderts zu rustikal, zu wenig süßlich. Ein historisches Argument stützt diese Meinung. Wenn sogar die Apostelstatuen den revolutionären Ikonoklasmus überstanden haben, bevor sie 1797 von Alexandre Lenoir in das Musée des Monuments français gebracht wurden7 (es war die unvorsichtige Abnahme der Figuren, die zur unfreiwilligen Zerstörung zweier davon führte)8, so gilt dies für die Engel ganz gewiß ebenso. Offensichtlich beschränkten sich die in der Sainte-Chapelle von den Jakobinern veranlaßten Zerstörungen in erster Linie auf das Äußere, d.h. auf die Portale und den Dachreiter. Der Bildhauer Daujon, der 1793 beauftragt wurde, Kronlilien und Wappen zu entfernen, scheint die Kronen der Zwickelengel im Kapelleninneren verschont zu haben.9 Vielleicht waren sie für die Verantwortlichen in politischer Hinsicht bedeutungslos, da sie sich nicht unbedingt auf das französische Königtum bezogen, oder sie fielen schlicht zu wenig auf. Ziemlich sicher blieben nach 1803, als die Sokkelzone der Oberkapelle für mehrere Jahrzehnte hinter Archivrega5 6 7 8 9
Siehe den Beitrag von Annette Weber in diesem Band. Siehe den Beitrag von Meredith Cohen in diesem Band. LENIAUD und PERROT, La Sainte-Chapelle (op. cit. Anm. 4), S. 33. Ibidem. H. STEIN, Le Palais de Justice et la Sainte-Chapelle de Paris, Paris, 1912, S. 127.
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len verschwand,10 die dekorativen und figürlichen Elemente der Blendarkatur vor absichtlichen Zerstörungen verschont. Das schließt nicht aus, daß gerade beim Anbringen der Regale stark hervorstehende dekorative Elemente der Blendarkatur beschädigt wurden, aber davon dürfte in erster Linie das Blattwerk an den Kapitellen, an den Laibungen der Arkaden und am Gesims der Fenstersohlbank betroffen gewesen sein. Nicht von ungefähr berichten die Restaurierungsakten von zahlreichen wieder angestückten Blättern, in viel geringerem Maße von einigen neu angebrachten Händen und Kronen, und eben nur in einem Fall von einem erneuerten Engelskopf.11 Diese Einschätzung berechtigt uns, die Zwickelengel stilkritisch zu werten, mit anderen Worten in die Geschichte der französischen Skulptur unter der Regierung des hl. Ludwig einzuordnen. Das fällt beileibe nicht schwer. Die Köpfe sämtlicher Engel in der Blendarkatur der Oberkapelle vertreten einen dicklichen, runden Typus mit starkem Kinn, den man in dieser Weise nur an der Kathedrale von Amiens wieder findet, und zwar vor allem in der Archivoltenzone des Weltgerichts- und des Firminusportals, an letzterem aber auch im Tympanon. Ebenso ist die Physiognomie der Pariser Engel, denen bei relativ geringfügiger Variation immer etwas Plumpes anhaftet, mit derjenigen vieler Figuren in Amiens geradezu identisch. Kennzeichnend für beide Gruppen ist eine « provinzlerische Biederkeit »12. Es ließen sich Dutzende von Vergleichen anstellen. Wir lassen es mit ein paar Beispielen bewenden. Der albern lächelnde Kronenengel auf der Südseite des zweiten Jochs (zweiter von Osten her gezählt) der SainteChapelle mit seinen Henkelohren (Abb. 1) ist einem der sechs Bischöfe, die auf dem untersten Streifen im Tympanon des Amienser Firminusportals thronen, wie aus dem Gesicht geschnitten (es handelt sich um den mittleren der rechten Hälfte, Abb. 2). Der Pariser Kronenengel mit spiralförmigen Schneckenlocken und einem besonders breiten Gesicht (Nordseite des 4. Joches, zweiter von Osten her gezählt, Abb. 3) hat in Amiens mehrere Vergleichspartner ; zu nennen wäre etwa der einen Kelch haltende Bekenner in der linken Archivol10
L. GRODECKI, « Sainte-Chapelle de Paris », in : Les vitraux de Notre-Dame et de la SainteChapelle de Paris, M. AUBERT et alii (Hrsg.), Paris, 1959 (=Corpus vitrearum medii aevi, France vol. 1), S. 73 ; LENIAUD und PERROT, La Sainte-Chapelle (op. cit. Anm. 4), S. 16. 11 Siehe den Beitrag von Meredith Cohen in diesem Band. 12 W. SAUERLÄNDER, « Die kunstgeschichtliche Stellung der Westportale von NotreDame in Paris », Marburger Jahrbuch für Kunstwissenschaft, 17, 1959, S. 1–55, Zitat (in bezug auf Werke in Amiens) S. 25.
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tenhälfte des Mittelportals (Abb. 4)13. Was die Haartracht betrifft, so zeigt in Amiens auch der Verkündigungsengel am linken Gewände des Marienportals die spiralförmigen Schneckenlocken14. Er dürfte in dieser Hinsicht das Vorbild für manch andere Amienser Archivoltenfiguren abgegeben haben15. Das spitze Lächeln des Engels mit dem Weihrauchfaß an der Südseite des vierten Jochs der Sainte-Chapelle (Zwickel auf der Ostseite, Abb. 5) ist das Merkmal mehrerer Figuren in Amiens ; hervorgehoben sei der Engel, der in der linken Archivoltenhälfte des Weltgerichtsportals eine Krone in den Händen haltend die Seligen am Himmelstor empfängt (Abb. 6). Auch für den Engel, der im östlichen Zwickel der ersten Apsiswand auf der Südseite der Sainte-Chapelle das Weihrauchfaß schwingt (Abb. 7), gibt es verschiedene Vergleichsbeispiele in Amiens. Ich nenne etwa einen Engel mit gefalteten Händen am innersten Bogenlauf auf der linken Seite des Gerichtsportals (Abb. 8)16. Für beide dieser massigen Köpfe sind der schmallippige Mund sowie das hervorstehende Kinn die kennzeichnenden Merkmale. Diese wenigen Vergleiche reichen aus, um die enge Verwandtschaft zwischen verschiedenen Gruppen der bildhauerischen Ausstattung der Westportale von Amiens und den Zwickelengeln der Sainte-Chapelle zu dokumentieren. Erstaunlich ist diese Verwandtschaft keineswegs. Bereits Viollet-le-Duc hatte auf die formalen Analogien hingewiesen, die zwischen der Architektur der Kathedrale von Amiens und derjenigen der Sainte-Chapelle bestehen. Mehrmals hat man sie damit erklärt, daß einer der namentlich bekannten Architekten des pikardischen Bauwerks die königliche Palastkapelle entworfen habe.17 Auch Robert Branner glaubte dies, aber er hat das Bild insofern differenziert, als er einen wechselseitigen Austausch zwischen der Amienser Bauhütte und den wichtigen Werkplätzen der Hauptstadt während des ganzen zweiten Viertels des 13. Jahrhunderts postulierte18. 13 Mittelportal, linke Archivoltenhälfte, 5. Bogenlauf von außen nach innen, 2. Figur von unten nach oben gezählt. 14 W. SAUERLÄNDER, Gotische Skulptur in Frankreich 1140–1270, München, 1970, Taf. 167 ; gute Detailaufnahme des Kopfs in P. CLEMEN und M. HÜRLIMANN, Gotische Kathedralen in Frankreich, Zürich/Berlin 1937, Taf. 87 unten. 15 Darunter wohl am auffälligsten die lockenförmige Haartracht des apokalyptischen Reiters am Mittelportal, rechte Archivoltenhälfte, 4. Bogenlauf von außen nach innen gezählt, zuunterst. 16 Mittelportal, linke Archivoltenhälfte, innerster Bogenlauf, 5. Figur von unten nach oben gezählt. 17 Siehe den Beitrag von Stephan Gasser in diesem Band. 18 R. BRANNER, St. Louis and the Court Style in Gothic Architecture, London, 1965, S. 24–28.
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Die kunsthistorische Forschung, die sich mit der Skulptur beschäftigte, hatte ihrerseits eine gegenseitige Beeinflussung der Pariser und Amienser Bildhauerateliers längst erwogen. Einerseits wissen wir dank der detaillierten stilkritischen Analysen von Wolfgang Medding19 und Willibald Sauerländer,20 wie stark die Gestaltung der Bildhauerarbeiten an der pikardischen Kathedrale von Vorbildern in Paris – zu nennen ist hier in erster Linie das Marienkrönungsportal von Notre-Dame – bestimmt war, andererseits haben diese Autoren vermutet, daß ein Pariser Werk wie das große Figurenportal von Saint-Germainl’Auxerrois die Skulptur der Westfassade von Amiens voraussetzt.21 Was die stilistisch fortschrittlichen Teile der figürlichen Ausstattung des Honoratusportals am südlichen Querhaus der Amienser Kathedrale betrifft, so haben Dieter Kimpel und Robert Suckale mit Recht die Frage gestellt, ob nicht das pikardische Werk für die Herstellung der innovativen Pariser Werke aus der Zeit kurz vor der Mitte des 13. Jahrhunderts, insbesondere des nördlichen Querhausportals von Notre-Dame, wichtige stilistische Voraussetzungen geliefert hat22. Bezüglich der Zwickelengel wie auch der Apostelfiguren der SainteChapelle erklärten sich die beiden Autoren jedoch außerstande, Verbindungen zu Amiens zu erkennen23. Wir sind hinsichtlich der Engelsbüsten anderer Meinung, denn ihr formaler Zusammenhang mit zahlreichen Figuren der Amienser Portale ist evident. Was die Apostelfiguren der königlichen Palastkapelle betrifft, so zeigt immerhin der sogenannte Hosea an der Amienser Westfassade eine Gewanddrapierung, die zwar seitenverkehrt aber ansonsten sehr genau diejenige eines der Jünger Christi wiedergibt,24 die sich heute im Musée national du Moyen Âge Thermes de Cluny befinden. Über das zeitliche Verhältnis beider Figuren zueinander kann man nur Vermutungen anstellen, aber in Anbetracht der ungleich größeren Qualität des Pariser Beispiels dürfte wohl das Original aus der Sainte-Chapelle 19
W. MEDDING, Die Westportale der Kathedrale von Amiens und ihre Meister, Augsburg, 1930. 20 SAUERLÄNDER, «Die kunstgeschichtliche Stellung... » (op. cit. Anm. 12). 21 MEDDING, Die Westportale... (op. cit. Anm. 19), S. 101 ff. ; SAUERLÄNDER, « Die kunstgeschichtliche Stellung... » (op. cit. Anm. 12), S. 44–46. 22 D. KIMPEL und R. SUCKALE, « Die Skulpturenwerkstatt der Vierge Dorée am Honoratusportal der Kathedrale von Amiens », Zeitschrift für Kunstgeschichte, 36, 1973, S. 217–265, hier S. 252ff. 23 Ibidem, S. 254 f. ; in Anm.125 werden die Engelsbüsten zwar expressis verbis erwähnt, aber die Verbindung mit Amiens-West nicht gesehen. 24 P. KURMANN, La façade de la cathédrale de Reims, Paris/Lausanne, 1987, Textbd. S. 277, Abb. 963 und 964.
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stammen und der Amienser Prophet dessen Kopie sein. Das bestätigt den mehrfachen und wechselseitigen Austausch zwischen den Bauhütten und Skulpturenateliers in Paris und Amiens, den Branner postuliert hat. Dieses Beziehungsgeflecht wirft einige Fragen auf. Einerseits ist die architektonische Verwandtschaft zwischen der pikardischen Bischofskirche und der Pariser Palastkapelle nicht derart eng, daß der Architekt der letzteren zwangsläufig mit einem der namentlich bekannten Bauleiter in Amiens identisch sein muß.25 Dennoch haben einige der Amienser Bauformen zweifellos als Leitmotive für die Gestaltung der Sainte-Chapelle gedient. Ein Austausch zwischen beiden Werkplätzen hat also in baukünstlerischer Hinsicht sicher stattgefunden, zumindest ein solcher von Zeichnungen oder vielleicht sogar von Planrissen. Auf der anderen Seite ist der gestalterische Zusammenhang zwischen den genannten Gruppen von Bildwerken in Amiens und den Engeln der Sainte-Chapelle noch eindeutiger faßbar als derjenige im Bereich der architektonischen Formen. Er ist so eng, daß man durchaus zu behaupten versucht ist, die gleichen Bildhauer, die an den oberen Teilen der in den 1230er Jahren fertiggestellten Amienser Westportale tätig waren, seien kurze Zeit später nach Paris gegangen, um in der Sainte-Chapelle zu arbeiten. War dies tatsächlich der Fall, so ist zu fragen, warum man sich für ein Bauwerk des allerhöchsten Anspruchsniveaus mit einer Gruppe von Bildhauern begnügte, deren Werke von bescheidener Qualität sind. Aber haben die Zeitgenossen des hl. Ludwig dies auch so empfunden ? Wir wissen es nicht, obwohl es wenig wahrscheinlich ist, daß im 13. Jahrhundert visuelle Gestaltungsweisen vollkommen anders eingeschätzt wurden als heutzutage. Vielleicht ist der Qualitätsunterschied zwischen den Engeln und den Aposteln als bewusst angestrebte Differenz der Artikulation innerhalb des gesamten Formenrepertoires zu interpretieren, wobei dies nicht im Sinne der verschiedenen genera dicendi der Rhetorik verstanden werden soll26. Die Engel vertreten zweifellos ebenso die himmlische Sphäre wie die Apostel und die Bilderfolgen der Glasmalereien und stehen deshalb in der Skala der Wertigkeit keineswegs auf einer niedrigeren Stufe als die übrige figürliche Ausstattung. Es wäre aber wohl im Hinblick auf die Bildaussage unangemessen gewesen, jeden einzelnen Engel als individuell gestaltete 25
Siehe den Beitrag von Stephan Gasser in diesem Band. Zum Problem der « Stillagen » und zur Kritik dieses Begriffs, siehe M. C. SCHURR, Die Baukunst Peter Parlers, Ostfildern, 2003, S. 127ff. 26
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« Persönlichkeit » zu charakterisieren, so wie dies die Bildhauer der Apostel als ihre Pflicht betrachteten. Entsprechend seinem Sinngehalt ruft das ikonographische Motiv des Kronen- und Rauchfassengels unweigerlich nach einer repetitiven Aufreihung, denn es ist, wie zu Recht immer betont wurde, integrierender Bestandteil der zahlreichen Märtyrerszenen. Die an der Kathedrale von Amiens entwickelte serielle Herstellung zahlreicher Figuren hatte fast zwangsläufig zur Folge, daß die Bildhauer zwischen ein paar wenigen, nur geringfügig differenzierten Typen von Physiognomien auszuwählen hatten. Diese schmale Palette von Ausdrucksmöglichkeiten reichte auch in der Sainte-Chapelle für die Ausarbeitung der Zwickelfiguren vollkommen aus. Stilgeschichtlich gesprochen waren die Bildhauer durchaus auf der Höhe ihrer Zeit, wie die Drapierungen der Gewänder aus schweren Stoffen zeigen, deren Brechungen und Rundungen sich gegenseitig in der Schwebe halten. Ohne dieses Thema erschöpfend behandeln zu wollen, seien zum Schluß ein paar Bemerkungen über den Sinngehalt der Kronen- und Rauchfassengel in der Sainte-Chapelle angefügt. Wie bereits mehrfach angedeutet beziehen sich diese Figuren in erster Linie auf die Martyriumsszenen in den Vierpaßmedaillons der Blendarkatur. Die Kronenträger verheißen den Heiligen die himmlische Seligkeit, die durch ihr Martyrium in einer besonders engen Weise die Nachfolge des gekreuzigten Heilands angetreten haben. Die Rauchfassengel halten die Erinnerung an die Liturgie wach, die am Todestag jedes der dargestellten Märtyrer, also am Tage seines Eintritts in das Paradies, gefeiert wird. Die Betrachter der Märtyrerszenen – und in der SainteChapelle handelt es sich um keine geringeren als den König und seine engsten Höflinge – sind aufgerufen, das Exemplum der Märtyrer wenigstens insofern zu befolgen, als sie die Gnadenmittel der Kirche wahrnehmen, die Sakramente empfangen und die Sünde bekämpfen sollen. Innerhalb der Bilderfolgen, die in der Sainte-Chapelle die Heilsgeschichte illustrieren, kommt den Engeln die vornehme Aufgabe zu, die himmlische Glückseligkeit zu vertreten, welche die göttliche Gnade den Auserwählten zuteil werden läßt. Das Bildmotiv des Kronenengels geht auf die Tradition des aurum coronarium der Antike zurück.27 Mit diesem Ausdruck bezeichneten 27 Dazu grundsätzlich und zum Folgenden : T. KLAUSER, s.v. « Aurum coronarium », in : Reallexikon für Antike und Christentum, Bd. 1, Stuttgart, 1950, Sp. 1010–1019. Weitere Ausführungen und Literaturangaben zu diesem Thema in BRENK, « The Sainte-Chapelle... » (op. cit. Anm. 4), S. 200f.
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die Römer die Geschenke – vor allem in Form goldener Kränze – mit denen die Untertanen den Kaiser bedachten. Die frühchristliche Kunst bemächtigte sich des Themas, was theologisch einerseits mit den Geschenken, welche die drei Magier aus dem Morgenlande dem Christuskinde darbrachten, begründet wurde und andererseits mit den Kränzen, welche gemäß der Apokalypse die 24 Ältesten vor dem Thron Gottes niederlegen. Daraus entwickelt sich in der frühchristlichen Kunst das Thema der Prozession von Heiligen, die goldene Kronen in den Hälten halten, z.B. an den Langhauswänden von S. Apollinaro nuovo in Ravenna. Im Apsismosaik von S. Vitale in Ravenna überreicht Christus einem Engel die Märtyrerkrone, der sie dem heiligen Kirchenpatron weiterreicht.28 Ihrem Sinngehalt nach stehen auch die Kronenengel der Sainte-Chapelle durchaus noch in der frühchristlichen Tradition der traditio coronae. In der gotischen Monumentalskulptur erscheint das Motiv wohl zum ersten Mal kurz vor 1230 an der Westfassade der Kathedrale von Wells in der Vierpaßreihe an der Blendarkatur des Erdgeschosses, wo neben mehreren als Büsten wiedergegebenen Kronenengeln auch solche auftreten, die Palmen oder liturgische Geräte in den Händen halten. Auf diese Weise werden die Kronenengel in die Darstellung der himmlischen Liturgie eingebunden.29 Die von der Formgelegenheit her sich aufdrängende Anbringung von Engeln mit weit ausgebreiteten Flügeln im Dreieckfeld eines Bogenzwickels scheint indessen eine Erfindung des Concepteurs der Sainte-Chapelle gewesen zu sein.30 In einigen Fällen hat sie Schule 28 F. W. DEICHMANN, Ravenna, Hauptstadt des spätantiken Abendlandes, Kommentar, Bd. 2, 2. Teil, Wiesbaden, 1976, S. 165–166 ; Bd. 3, Frühchristliche Bauten und Mosaiken von Ravenna, Taf. 311, 351–356. 29 J. SAMPSON, Wells Cathedral West Front, Stroud, 1998, S. 153ff. (ikonographische Interpretation der gesamten Fassadenskulptur), S. 253–258 (Katalog aller Engelsbüsten). Stark plastisch aus der Wandfläche hervortretende Zwickelengel gibt es schon an der Blendarkatur des Hugo-Chors in Lincoln, wenn auch, so weit ich sehe, nicht als Kronenträger (siehe P. KIDSON, Courtauld Illustration Archives, Archive 1, Cathedrals and Monastic Buildings in the British Isles, Part 3, Lincoln, St. Hugh’s Choir and Transepts, London, 1977, Taf. 1/3/40–46) und ebenso an den Emporenöffnungen des Chors von Chichester Cathedral (vgl. U. ENGEL, Die Kathedrale von Worcester, München/Berlin, 2000, S. 159f., Abb. 213). 30 Es soll nicht übersehen werden, daß an einem gotischen Außenbau lange vor der Errichtung der Sainte-Chapelle Zwickelengel erscheinen, nämlich an den Chorkapellen der Kathedrale von Reims (dort an den Kanten der Apsidenpolygone, ebenfalls mit ausgebreiteten Flügeln, aber als Ganzfiguren). Siehe SAUERLÄNDER, Gotische Skulptur... (op. cit. Anm. 14), Taf. 250–253 u. S. 163. – In Westminster Abbey wurde kurz nach 1245 das Motiv der Kronenengel offensichtlich von der Sainte-Chapelle übernommen (P. BINSKI, Westminster Abbey and the Plantagenets, New Haven/London, 1995, S. 39). Immerhin stellt sich doch die Frage, ob nicht englische Beispiele wie die Zwickelengel von Chichester (vgl. Anm. 29) oder der Emporenöffnungen von Worcester Cathedral früher als die Engelsserie der SainteChapelle entstanden sind. Es handelt sich jedoch bei den englischen Beispielen nie um
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gemacht. So am Westportal der Kirche von Rampillon, wo Kronenund Rauchfassengel die Zwickel der Arkatur ausfüllen, in der am Gewände die Apostel stehen.31 Auch in Rampillon treten diese Engelsbüsten als Überbringer einer besonderen Auszeichnung für die als Märtyrer gestorbenen Apostel auf, was wiederum die Kohärenz des Bildprogramms in der Sainte-Chapelle selber bestätigt, in welcher die Apostelfiguren auf der gleichen Höhe wie die Märtyrerszenen und die Engel der Blendaraktur angebracht sind. Zwar fungieren die Apostelfiguren vordergründig als Träger der Weihekreuze, aber ebenso sind sie als die prominentesten Vertreter der Märtyrer in deren Reihe einzuordnen. Deshalb kommt den kronentragenden Engeln in der Sainte-Chapelle eine Schlüsselfunktion zu. Unter den Theologen der Pariser Schule spielte im frühen 13. Jahrhundert die Frage nach der Hierarchie der Auserwählten eine große Rolle. So vertrat etwa Wilhelm von Auxerre die Meinung, daß nur drei Kategorien von Seligen, nämlich den Märtyrern, den heiligen Jungfrauen sowie den Bekennern außer der Krone noch die aureola als Belohnung vorbehalten bleibt, was in der bildlichen Darstellung mit dem Heiligenschein identisch ist.32 Weil die Verdienste dieser Heiligen alles übersteigen würden, was der großen Schar der Gläubigen als gute Werke angerechnet werden könne, müßten sie auch eine besondere Auszeichnung erhalten. Vielleicht sollten denn auch in diesem Sinne die Zwickelengel den König und seine Höflinge daran erinnern, daß die Rangordnung eine systematische Aufreihung von Kronen- und Rauchfaßengeln, sondern um solche mit Phylakterien und Musikinstrumenten, also um die Darstellung des « himmlischen Hofstaats ». Zu Worcester siehe ENGEL, Die Kathedrale... (op. cit. Anm. 29), S. 159 f. und 216 ff. 31 SAUERLÄNDER, Gotische Skulptur... (op. cit. Anm. 14), Taf. 180 und 181 u. S. 150f. ; einer der Zwickelengel hält hier einen Kelch, gute Aufnahme in A. CARLIER, L’église de Rampillon, Paris, 1930, Taf. 72, 2. – Weitere Kronenengel sind am Chorgestühl der Kathedrale von Poitiers zu sehen, das aus der Amtszeit des Bischofs Jean de Melun (1235–1256) stammt, das Motiv ist dort aber weitgehend sinnentleert, da es mit Tierdarstellungen und phantastischen Köpfen vermischt ist. Zum Chorgestühl von Poitiers allgemein : Y. BLOMME, Poitou gothique, Paris, 1993, S. 260 f. In England setzt sich die Tradition der als « himmlischer Hofstaat » fungierenden Engel durch die Beispiele am ehemaligen Lettner von Salisbury Cathedral und im Angel Choir in Lincoln nach der Mitte des 13. Jahrhunderts fort. Zum Lettner von Salisbury siehe A. GARDNER, English Medieval Sculpture, Cambridge, 1951, S. 110 (hier um 1260 datiert) sowie N. PEVSNER und P. METCALF, The Cathedrals of England, Southern England, Harmondsworth, 1985, S. 278 (hier um 1235–50 datiert) ; zum Angel Choir in Lincoln siehe T. A. HESLOP, « The Iconography of the Angel Choir in Lincoln Cathedral », in : Medieval Architecture and its Intellectual Context, Studies in Honour of Peter Kidson, E. FERNIE und P. CROSSLEY (Hrsg.), London/Ronceverte, 1990, S. 151–158. 32 B. BOERNER, Par caritas par meritum. Studien zur Theologie des gotischen Weltgerichtsportals in Frankreich – am Beispiel des mittleren Westeingangs von Notre-Dame in Paris, Freiburg/Schweiz, 1998 (=Scrinium Friburgense Bd. 7), S. 254f.
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im Himmel nicht unbedingt diejenige auf Erden widerspiegelt, daß es mit anderen Worten in der Ewigkeit allein auf die Verdienste jedes einzelnen Gläubigen ankommt und daß diesem, sofern er gerettet wird, auf jeden Fall eine Krone zu eigen sein dürfte33.
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Vgl. dazu die Ausführungen von BRENK, « The Sainte-Chapelle... » (op. cit. Anm. 4), S. 200f., 204, der sich auf die Engelsfiguren im Rahmen der beiden Nischen beschränkt.
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Abb. 1 : Paris, Sainte-Chapelle, Oberkapelle, Blendarkatur im 2. Joch, Südseite, 2. Zwickel von Osten nach Westen gezählt, Kronenengel.
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Abb. 2 : Amiens, Kathedrale, nördliches Westportal, Tympanon, unterstes Register, rechte Hälfte, thronender Bischof.
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Abb. 3 : Paris, Sainte-Chapelle, Oberkapelle, Blendarkatur im 4. Joch, Nordseite, 2. Zwickel von Westen nach Osten gezählt, Kronenengel.
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Abb. 4 : Amiens, Kathedrale, mittleres Westportal, linke Hälfte der Archivolte, hl. Bekenner.
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Abb. 5 : Paris, Sainte-Chapelle, Oberkapelle, Blendarkatur im 4. Joch, Südseite, östlichster Zwickel, Rauchfassengel.
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Abb. 6 : Amiens, Kathedrale, mittleres Westportal, linke Hälfte der Archivolte, Kronenengel am Himmelstor.
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Abb. 7 : Paris, Sainte-Chapelle, Oberkapelle, 1. Apsiswand auf der Südseite, linker Zwickel, Rauchfassengel.
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Abb. 8 : Amiens, Kathedrale, mittleres Westportal, linke Archivoltenhälfte, betender Engel.
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TABLE DES MATIÈRES
Préface par Christine Hediger . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
1
Hervé Pinoteau – Le roi très chrétien, ses insignes et le ciel . . . . .
5
Edina Bozoky – Saint Louis, ordonnateur et acteur des rituels autour des reliques de la Passion . . . . . . . . . . . . . . . .
19
Hans-Joachim Schmidt – La dévotion de Louis IX : Exception ou normalité ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
35
Alexis Charansonnet et Franco Morenzoni – Prêcher sur les reliques de la Passion à l’époque de saint Louis . . . . . . .
61
Éric Palazzo – La liturgie de la Sainte-Chapelle : un modèle pour les chapelles royales françaises ? . . . . . . . . . . . . . . . . .
101
Willibald Sauerländer – Architecture gothique et mise en scène des reliques. L’exemple de la Sainte-Chapelle. . . . . . . . . . .
113
Jirˇi Kuthan – Les épines de la couronne du Christ, la Sainte-Chapelle de Paris et son rayonnement en Bohême . . .
137
Stephan Gasser – L’architecture de la Sainte-Chapelle. État de la question concernant sa datation, son maître d’oeuvre et sa place dans l’histoire de l’architecture . . . . . . . . . . . .
157
Jean-Michel Leniaud – La Sainte-Chapelle : monument du XIXe siècle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
181
Françoise Perrot – La rose de la Sainte-Chapelle et sa reconstruction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
197
Meredith Cohen – La Sainte-Chapelle du Moyen Âge à la lumière des archives de la restauration : problèmes et solutions . . . . .
211
Stanislas Anthonioz – La restauration des verrières prophétiques de la Sainte-Chapelle de Paris au XIXe siècle . . . . . . . . . .
229
Yves Christe – Un autoportrait moral et politique de Louis IX : les vitraux de sa chapelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
251
Maya Grossenbacher – Le vitrail des Rois : six panneaux provenant de la verrière des Nombres . . . . . . . . . . . . . .
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table des matières
Christine Hediger – Samson – Typus Christi oder Verkörperung des durch das Fleisch verführten Verstandes ? Das Samsonfenster der Kathedrale von Auxerre und das Richterfenster der Sainte-Chapelle in Paris . . . . . . . . .
315
John Lowden – Les rois et les reines de France en tant que ‘public’ des Bibles moralisées : une approche tangentielle à la question des liens entre les Bibles moralisées et les vitraux de la Sainte-Chapelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
345
Annette Weber – Apostel für König Louis IX – Neue Überlegungen zu den Apostelstatuen der Sainte-Chapelle . . . . . . . . . . .
363
Peter Kurmann – Himmelsboten aus Amiens. Bemerkungen zu den Engeln der Blendarkatur in der oberen Sainte-Chapelle . . .
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