La Renaissance Et Les Antiquites De La Gaule 2503516513, 9782503516516

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La Renaissance Et Les Antiquites De La Gaule
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Frédérique

LEMERLE

LA RENAISSAN CE ET LES ANTIQUITÉ S DE LA GAULE L'architecture gallo-romaine vue par les architectes, antiquaires et voyageurs des guerres d1talie à la Fronde

BREPOLS 2005

Conception graphique et mise en page Mickaël ROBERT © Brepols Publishers, 2005 ISBN 2-50}-51651-3 Dl 2005/ 0095/ 30 All rights reserved. No part of this publication may be reproduced stored in a retrieval system, or transmitted, in may form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, whithout the prior permission of the publisher. Printed in the E.U. on acid-free paper

Sommaire

Remerciements Avant-propos Introduction CHAPITRE I - LES ÉTRANGERS ET LES ANTIQUITÉS DE LA GAULE Premiers témoignages Étudiants et professeurs Géographes et voyageurs Anglais en route pour l'Italie Les artistes La culture italienne CHAPITRE II - LES FRANÇAIS ET LES RUINES DU ROYAUME La conquête du passé Le pouvoir et les antiquités Lémergence de la conscience antiquaire Cosmographies, dissertations et autres descriptions Les voyageurs Architectes et ingénieurs Le cas de Jacques Androuet du Cerceau Architectes « archéologues » du Midi de la France Claude Chastîllon et Étienne Martellange Influence des antiquités gallo-romaines CHAPITRE

III - ((

LES PLUS EXCELLENTES )) RUINES DE GAULE

La Gaule Narbonnaise Nîmes

Le Pont du Gard

p. p. p. p.

I7 23 24 28

p. 33 p. 35 p. 36

p. 39 p. 51 p. 52 p. 54 p. 57 p. 68

p.70 p. 73 p.74 p.76 p.77 p.79 p. 83 p. 83 p. 84 p. 88

LA

RENAISSANCE

ET

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ANTIQUITÉS

Arles

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GAULE

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Glanum

Orange Vienne Fréjus et Cimiez Toulouse

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L:Aquitaine

Saintes Poitiers Bordeaux Périgueux Dax Bourges Clermont-Ferrand, Puy-en-Velay, Orcines Royat, Néris-les-Bains, Bourbon-l'Archambault La Lyonnaise

Lyon Paris Autun Angers, Doué-la-Fontaine, Les Ponts-de-Cé Blois, Orchaise Bourbon-Lancy La Gaule Belgique

Boulogne Reims Besançon Langres Metz Plombières et Bourbonne-les-Bains Bavay Dijon Conclusion Illustrations Bibliographie Sources Index Crédits photographiques

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,g,

Remerciements

Je remercie vivement Pierre Gros et Alain Schnapp de leur soutien et de leurs encouragements, plus encore de leurs suggestions et conseils pour cette entreprise qui a demandé beaucoup de temps, d'énergie et de passion. J'adresse aussi un chaleureux merci à Yves Pauwels, mon complice dans la vie, qui a suivi attentivement l'évolution de mes travaux, à tous les amis qui m'ont aidée à un moment ou à un autre dans mes recherches, et au personnel du CESR qui m'a efficacement secondée, Claire Blin-David (Bibliothèque), Sébastien Busson (Informatique) et Mickaël Robert (Édition).

Avant-propos

'ANTIQUITÉ est aujourd'hui à la mode, la Gaule aussi. Les rééditions de l'ouvrage stimulant de Pierre Pinon, La Gaule retrouvée, disent assez l' engouement du public pour le sujet. Dans son histoire de l'archéologie nationale, il accorde quelques pages à la Renaissance, évoquant brièvement les grandes figures de Jean Poldo d'Albenas, d'Élie Vinet et de Jean Chaum eau. Les« premières observations archéologiques » remonteraient ainsi à la seconde moitié du XVIe siècle; quelque cinquante plus tard, Nicolas Bergier, inventeur de la première fouille, et NicolasClaude Fabri de Peiresc, « le plus célèbre des amateurs d'antiquités de son 1 PINON 1991, p. 17-23. temps», apparaissent comme les ancêtres des archéologues modernes 1 . Il 2 Manuel d'archéologie, I, Paris, faut remercier l'auteur de réhabiliter les antiquaires de la Renaissance; il Picard, 1931, p. l7-3L est vrai que l'époque, en dépit de la fascination qu'aux temps modernes 3 Sur la naissance de l' épigramoderne, voir WEISS 1973, phie elle fut la première à nourrir pour !'Antiquité, n'a pas joui dans la trachap. XI, p. 144-166. dition française d'une réputation de premier plan. C'est que les sources restent encore méconnues et peu utilisées malgré les travaux des érudits des xrxe et xxe sièdes. Trop d'archéologues encore, après Albert Grenier, continuent à voir dans les hommes du XVIe siècle les représentants de «l'âge du mythe archéologique», considérant que les recherches sérieuses ne commencent qu'au xvme siècle, dans le meilleur des cas au XVIIe siède 2 • En réalité la réception des antiquités de la Gaule à la Renaissance mérite qu'on y consacre plus d'attention. Pierre Pinon rappelle à juste titre la place centrale de l'étude des inscriptions dans la naissance de l'archéologie, mais il ne rend pas hommage aux antiquaires lyonnais ou dauphinois qui, quelques décennies seulement après leurs homologues d'Italie du Nord, pionniers en ce domaine, relevèrent les inscriptions de leur cité 3 • Dès 1507 le médecin et savant Symphorien Champier publiait les inscriptions éparses ou insérées dans les murs des églises

LA

RENAISSANCE

ET

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ANTIQUITÉS

DE

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GAULE

CHAMPIER 1507, ff E iir0 -v0 ; et des demeures privées de Lyon (Tropheum Gallorum). Il en indiquait la CHAMPIER 1537, ff. Dd iiiiv0 -Ee. localisation, expliquait les abréviations et les sigles. C'est lui encore qui La table de bronze, dont Roland en 1537 faisait connaître au public la table de Claude, découverte quelGribaux découvrit en 1528 deux fragments, fut achetée quelques ques années auparavant dans une vigne de la côte Saint-Sébastien 4 • À mois plus tard par les consuls, la même époque le juriste Aymar du Rivail avait réuni les inscriptions sur la proposition de Claude de Bellièvre, et installée l'année suidu Dauphiné dans son histoire des Allobroges (De Allobrogibus). En vante dans l'hôtel de ville. Le dis1539 le chanoine Rainouard rassemblait celles qui avaient été incluses à cours de Claude qu'elle reproduit est connu par ailleurs par la verNarbonne dans les murailles lors des travaux de fortificationss. Le grand sion, assez libre, qu'en fit Tacite autel de marbre dédié au dieu tutélaire d'Auguste, découvert en 1566 dans (An., XI, 23-25). Sur cet important document, voir P. FABlA, La les fondements de la vieille muraille de la cité, attirait l'attention d'Élie table claudienne de Lyon, Lyon, Vinet qui lui consacrait aussitôt une publication, le signalant ainsi à tous 1929. les savants d'Europe6. Jules-Raymond de Solier recueillait les inscriptions 5 Du RrvAIL 6014; Antiquitatum liber ex vetustissimis lapidibus de la Narbonnaise entre 1560 et 15807 ; Balthazar Burle celles d'Aix et de et monumentis nuper Narbonas la région à la fin du XVIe siècle 8 . Ces corpus d'inscriptions, qui attestent repertis ibique collectis ... Inscriptions et monuments antiques de la vitalité des recherches antiquaires, furent des références en la matière. Narbonne, recueillis par Antoine Anne de Rulman et Peiresc ne firent que prendre le relais dans le premier Rainouard, chanoine de S. Just, en r539, copiées par le Père Laporte tiers du xvne siècle. en 1712, Narbonne, Bibliothèque Il n'a pas fallu non plus attendre le Grand Siècle pour voir apparaîde la ville, ms. 22. 6 Narbonensium votum, et tre les collections d'antiques. Dès le début du xv1e siècle, les humanistes ar& dicatio, insignia antiquitalyonnais recueillaient les médailles, les statues et bas-reliefs, les fragments tis monumenta Narbone reperta d'architecture. Comme à Rome, les collections les plus considérables et in marmore è terra effesso, Bordeaux, 1572. Anne de Rulman les plus fameuses, celles de Claude Bellièvre et de Guillaume du Choul à reproduit l'inscription de l'autel Lyon, étaient exposées dans les jardins de leurs propriétaires9. En même dans les années 1630 (RuLMAN 8649, ff. 87-90). temps se constituaient les premiers cabinets de curiosité, où étaient ras7 SoLIER 758, SoLIER 759. semblées les pièces les plus fragiles et les plus précieuses, monnaies, 8 Manuscrits de l'histoire de Provence, Aix-en-Provence, Bibliomédailles, pierres gravées et bronzes. Le médailler exceptionnel de du thèque Méjanes, ms. 827, pièce Choul fit l'admiration de ses contemporains, d'Étienne Dolet à Jacopo 2. L:Aixois s'intéressait aux inscriptions romaines en général, de Strada 10 . Il permit à l'éminent numismate de concevoir l'ambitieux proFrance, d'Italie et d'Espagne, voir jet de traiter des antiquités romaines à partir des « médailles, inscriptions BuRLE 606. et simulacres depuis César jusques à Maximian » 11 • Les Provençaux ne 9 D'autres collections d'antiquités, moins célèbres en leur furent pas en reste: Lantelme de Romieu à Arles, à Aix Pierre Antoine temps, sont formées par MauBagarris, futur intendant du cabinet des Antiques d'Henri IV, se révélèrice Scève, le trésorier de France Jean Grolier, le doyen Claude de Talaru ou François Laurencin, prieur de Saint-Irénée (L. NIEPCE, Archéologie Lyonnaise ... , II, Les chambres de merveilles ou cabinets d'antiquités de Lyon, depuis la Renaissance, jusqu'en r789, Lyon, s.d., [1882]; VARILLE 1923, p. 464 sq.). Pierre Sala ne semble pas en avoir possédée dans sa belle demeure de l'Anticaille (FABIA 1934, p. 204-206). À la mort de Bellièvre, Nicolas II de Langes racheta sa maison du Gourguillon et le Jardin des Antiques (VARILLE 1923, p. 450). 10 E. DOLET, Carminum libri quatuor, Lyon, 1538, II, 49; J. STRADA, Epitome du thresor des antiquitez, Lyon, 1553, « Epistre au lecteur», p. 4. Sur G. du Chou!, voir J. GurLLEMAIN, « Lantiquaire et le libraire. Du bon usage de la médaille dans les publications lyonnaises de la Renaissance » Travaux de !Institut dHistoire de !'Art de Lyon, Cahier n° 16, p. 52-54. 11 Du CHOUL 212, f. 2v0 • Sur G. du Chou! et les antiquités gallo-romaines, voir infta, p. 59-60. 4

AVANT-PROPOS

rent aussi de grands collectionneurs, que le jeune Peiresc, déjà passionné par les monnaies antiques, fréquenta assidûment. À Bordeaux, Lyon, Langres, à Autun comme à Arles, Aix, Nîmes ou Narbonne, les érudits collectaient infatigablement les précieux legs de !'Antiquité. Mais tous les antiquaires ne s'intéressèrent pas à l'architecture monumentale. Les édifices gallo-romains demandaient pour être décrits, identifiés et étudiés, une culture architecturale qui ne fut partagée que par une élite, qui jusqu'ici n'a fait l'objet d'aucune étude d'ensemble spécifique. Les pages brillantes de Richard Cooper sur les antiquaires lyonnais, qui furent les premiers à s'intéresser aux monuments, ont rappelé l'intérêt de 1 2 Cf COOPER 1988, p. 171. 13 PINTARD 1983. leurs recherches tout en reconnaissant que malgré les études des Niepce, 14 Voir LEMERLE 2002-1, p. 287Varille ou Fabia, il restait encore beaucoup à faire 12 • Les passionnants 302. travaux de René Pimard sur les milieux érudits au XVIIe siècle excluent 15 Voir GEYMÜLT.ER 1887. 16 HAUTECŒUR 1965, I2, p. 501 nécessairement ces grandes figures de la Renaissance 3. Quant à l'incon53. tournable Peiresc, son rapport à l'architecture antique, et en particulier 17 http://www.cesr.univtours.fr/ Architectura/Galliaaux antiquités gallo-romaines, relève d'une autre approche: je reviendrai Romana/index.asp. sur cet aspect peu connu de son œuvre 14. Curieusement les historiens d'art, aussi fascinés par l'Italie que les architectes du règne de Henri II, ont rarement pris en compte les sources qui pouvaient attester une connaissance des vestiges de la Gaule. Il est extraordinaire que l' œuvre dessinée et gravée d'un artiste aussi important que Jacques Androuet du Cerceau, auteur d'une contribution majeure sur le sujet, n'ait jamais fait l'objet d'études depuis Heinrich von Geymüller 15. Que dire de Claude Chastillon ou d'Étienne Martellange? Les quelques pages que Louis Hautecœur consacre à l'influence des antiquités du royaume sur la pratique régionale sont longtemps restées sans écho 16 . Le cloisonnement des savoirs et l'étroitesse des points de vue ont retardé l'enquête sur la découverte et la réception des antiquités gallo-romaines, qui est pourtant fondamentale non seulement pour l'histoire de l'archéologie et l'histoire de l'architecture mais aussi, de façon plus générale, pour l'histoire du goût et de la curiosité. Pour mener à bien cette vaste entreprise, il fallait dans un premier temps recenser toutes les sources écrites et graphiques, françaises et étrangères. Car il eût été partial de négliger le point de vue des étrangers, fort diserts sur le sujet, comme de s'en tenir aux seuls antiquaires. Pour cette raison ont été consultés les textes des érudits qui ont traité des antiquités de Gaule, qu'ils fussent historiens, géographes, cosmographes ou topographes. Les récits de voyages et journaux dus aux personnalités les plus diverses ont procuré aussi de précieuses observations. Il fallait enfin compléter ces sources par les témoignages graphiques, recueils ou pièces isolées, conservés dans les différents fonds, que les artistes et les architectes avaient laissés des antiquités gallo-romaines, sans parler des traités d'architecture. Le corpus des textes et des images que j'ai établi sera bientôt intégralement mis en ligne sur le site du Centre d'Études Supérieures de la Renaissance 17. Si l'on ne peut prétendre à l'exhaustivité, il faut regretter la disparition de certaines sources. Qu'est devenue la Vraie et entière description, du pays de Poictou, du Rochelois et Isles

LA

1s LA CRorx ou MAINE/Du VERDIER I772-I773, II, p. 3I6. On ne connaît plus de cet auteur qu'une carte du Poitou et des pays voisins (N. GAILLARD, « Géographie historique de quelques descriptions de Poitiers et du Poitou qu'on rencontre dans des ouvrages de géographie et des voyages publiés aux XVIe et xvne siècles », Mémoires de la Société des antiquaires de l'Ouest, I836, II, p. q2-173). 19 Il est mentionné notamment par F. Porchier (Histoire de la ville et cité d'Arles, 1650, Bibliothèque de Lyon, ms. 9ro, f 43Vo). 20 BAY, ms. lat. 914I, f. 69; Carpentras, Bibliothèque Inguimbertine, ms. 607 (garde intérieure), cf]. SAUTEL, Vaison dans l'antiquité, Avignon, Aubanel, I926, I, p. 8. 21 La lettre datée du 29 mars est reproduite par Tamizey de Larroque (I888, IV, p. 43, n. 2). 22 Voir infra, p. n5. 23 Voir infra, p. 64-65.

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Marennes, avec une partie du pays de Saintonge de Pierre Rogier (ou Roger), donnée par La Croix du Maine comme imprimée à Paris, chez François Desprez, sans date 18 ? I.:ouvrage du médecin arlésien François Valeriola sur les antiquités de Glanum (La Mausole et Antiquités de Saint Remy) est lui aussi perdu 19 • Quelques manuscrits, faute d'avoir été copiés, ne sont plus connus que par leur titre, voire par une simple mention. On sait grâce à l'évêque de Vaison, Joseph-Marie de Suarès, l'existence des Antiquités de Rasteau, ville du diocèse de Vaison, au comté de Venisse, écrites en 1581 par un dénommé Jean-Aimes de Chevigny, Beaunois 20 . Isaac Peladan nous apprend dans une lettre adressée en 1647 au même Suarès qu'il est l'auteur d'un manuscrit sur les antiquités de Nîmes, dont nous n'avons gardé aucune trace 21 . D'autres textes partiellement transcrits, comme celui du dénommé Anfert par Harold de Fontenay ne peuvent plus être localisés 22 . On n'ignore pas le sort réservé aux recueils manuscrits de Peiresc par ses nièces. Il en fut sans doute de même de ses collections de dessins 2 3: que sont devenus les sept cents ou huit cents dessins de Philibert De l'Orme que l'Aixois avait acquis de ses héritiers?

La Gaule

Introduction

LA RENAISSANCE !'Antiquité ne fut à proprement parler ni découverte ni retrouvée. Le Moyen Âge en effet n'a pas ignoré les monuments antiques qui faisaient partie intégrante du paysage urbain. Les villes, héritières des cités gallo-romaines, ont progressivement absorbé les édifices antiques. Sans doute beaucoup d'entre eux furent-ils abandonnés et détruits pour servir de carrières. À Autun, les marbres et calcaires des belles ruines qui subsistaient fournirent la chaux dont était dépourvu le sol granitique de la cité; les matériaux du mausolée de Faverolles, l'un des plus grands de Gaule - il se dressait sur plus de vingt mètres de hauteur - furent récupérés pour les constructions modernes. Soit les antiquités furent transformées: c'est d'ailleurs souvent à ce prix qu'elles durent leur conservation. Il valait mieux en effet transformer des systèmes fonctionnels que les détruire. Les enceintes, même devenues trop vastes, furent conservées; les portes et les arcs de triomphe tinrent lieu de forteresse (Porte d'Auguste à Nîmes, arc d'Orange); ils furent incorporés dans les enceintes (Porte romaine de Langres) ou enclavés dans des bâtiments modernes (Porte Noire à Besançon). Les théâtres et les amphithéâtres furent englobés dans les fortifications (la Tour de Roland au théâtre d'Arles), servirent de citadelles (amphithéâtre de Nîmes, théâtre d'Orange) ou de bastions (amphithéâtres de Périgueux, de Tours ou d'Amiens). Les temples gardèrent une fonction religieuse, comme le préconisait Grégoire de Tours pour éviter de briser les habitudes par un prosélytisme 1 autoritaire 1 et ne furent détruits que lorsque les églises qu'ils abritaient Patrologie Latine, LXXV1I, 120 se révélèrent trop petites. Des édifices aussi remarquables que le temple · d'Auguste et de Livie à Vienne ou le « temple de Diane » à Nîmes purent ainsi être préservés. Les aqueducs furent réparés et développés: le pont du Gard, utilisé jusqu'au IXe siècle,

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devint par la suite un pont à péage2 . Les stations thermales continuèrent à être exploitées pour la vertu thérapeutique de leurs eaux: elles furent rétablies quand elles avaient été détruites par des cataclysmes ou mises à mal par les Chrétiens et les Barbares 3 . Les vastes complexes de thermes intra muros comme ceux de Cluny furent lotis à des boutiquiers et à des artisans; à Cimiez, les thermes de l'Ouest ou bains des femmes furent occupés par la cathédrale et son baptistère. Les légendes médiévales se sont volontiers abritées dans les ruines romaines, dont l'origine s'était souvent perdue au cours du temps : dans les romans de chevalerie, les arènes de Nîmes et d'Arles, les monuments d'Autun ou d'Orange devinrent des châteaux sarrasins, les amphithéâtres de Bordeaux et de Poitiers les résidences de Galienne, la belle Sarrasine épousée par Charlemagne4 . Les clercs de l'Empereur franc, qui s'était posé en héritier de la grandeur romaine, avaient déjà montré un intérêt patent pour les vestiges du passé païen. De leur côté, les artistes romans qui avaient sous les yeux un riche répertoire décoratif ne manquèrent pas d'y puiser leur inspirations. Victor Lassalle a montré comment l'art roman provençal « classique » fut influencé dans ses formes par les monuments antiques de la région. Les 1983. CROZET, « Survivances emprunts conscients et réfléchis révèlent la démarche très originale d' ar7 R. antiques dans l'architecture rotistes qui ont cherché dans l'antique moins des modèles que les éléments mane du Poitou, de l'Angoumois nécessaires au développement de leur art 6 . D'autres régions comme le et de la Saintonge », Recueil publié à l'occasion du cent cinquanPoitou, l'Angoumois ou la Saintonge, furent pareillement concernées7. tenaire de la Société Nationale des Prosper Mérimée note avec grande justesse que les pilastres cannelés de Antiquaires de France, Paris, 1955, p. 193-202; id., « Survivances anla cathédrale d'Autun, comme ceux de l'église de Saulieu, toute proche, tiques dans le décor roman du ne peuvent s'expliquer que par une référence explicite aux pilastres anPoitou, de l'Angoumois et de la Saintonge », Bulletin Monumentiques qui supportent l'entablement des portes d'Arroux et Saint-André tal, CXIV, 1956, p. 7-33. alors que les chapiteaux historiés sont par ailleurs parfaitement confor8 MÉRIMÉE 1835, p. 66, 70-7r. 9 DELUMEAU 1984, p. 80-rr7. mes à l'esthétique romane. Cette innovation fut à son tour imitée dans les petites villes et villages voisins 8 • On sut aussi procéder à un réemploi intelligent des matériaux: pierres d'appareil, fragments d'architecture, inscriptions, sculptures furent récupérés. Les colonnes antiques vinrent orner les chœurs, les baptistères et les nefs des églises (Notre-Dame-de-la-Major à Arles, abbaye d'Ainay à Lyon ... ) qui devinrent ainsi de véritables musées. D'une certaine façon les découvertes archéologiques du XVIe siècle prirent le relais des fouilles médiévales réalisées pour retrouver les reliques de saints : les plus célèbres du genre furent effectuées à Saint-Maximin par Charles d'Anjou, prince de Salerne et comte de Provence. La mise à jour d'un tombeau de marbre en 1279, identifié comme celui de Marie Madeleine, lui permit de créer sur ses terres un important lieu de pèlerinage. Mais les hommes de la Renaissance demandèrent à l'Antiquité bien d'autres leçons9. En Italie les érudits tentaient depuis Pétrarque de trouver des sources plus authentiques à

z Sur la destruction et la préservation des monuments romains, voir ADHÉMAR 1939, p. 44-70; sur leur réutilisation, voir P. PrNON, Réutilisations anciennes et dégagements modernes des monuments antiques: Arles, Nîmes, Orange et Trêves, Supplément à Gesarodunum, Tours, 1979· 3 BONNARD 1908, p. 142-147. 4 P. CouRTEAUT, « Bordeaux et le pays Bordelais dans les chansons de geste », Revue historique de Bordeaux et du département de la Gironde, 1913, p. 161-174. 5 ADHÉMAR 1939, p. 131-307; M. Durand-Lefebvre, Art gallo-romain et sculpture romane, recherches sur les formes, Paris, G. Durassié, 1937. P. Francastel, « Sculpture gallo-romaine et sculpture romane », Revue archéologique, 1944, p. 134-149. 6 L'influence antique dans l'art roman provençal, Paris, Boccard,

INTRODUCTION

10 Histori& de varietate fortun& travers les ouvrages des Anciens, dont ils collationnèrent soigneusement libri quatuor. . . nunc primi ediles manuscrits. Les textes grecs, latins, voire hébraïques, devinrent ainsi ti, & notis illustrati a Dominico accessibles à un plus grand nombre de lettrés. Les ruines de Rome, décriGeorgio, Paris, 1723, p. 5-25. 11 A. GH!SETTI GIAVARINA, tes pour la première fois en 1448 par Poggio Bracciolini dans le premier «La basilica Emilia e la rivalutalivre du De varietate fortunte Urbis Romte1°, furent évoquées par Flavio zione del Dorico nel Rinascimento », Bollettino del Centro di Studi Biondo plus scientifiquement, à travers les textes latins, dans la Roma perla Storia dell'Architettura, 29, instaurata (1474) et surtout dans la Roma triumphans (1482). Les papes 1983, p. 9-36. 12 Voir la fameuse lettre à prirent très vite conscience de l'importance des ruines: Pie II puis, à la Léon X (Munich, Bayerische demande expresse de Raphaël, Léon X prirent des mesures pour interStaatsbibliothek, Cod. Ital. 37b). dire leur mutilation et leur destruction. Les collections se multiplièrent, On a longtemps considéré que Baldassare Castiglione l'avait les jardins s' ornèrent d'antiques tandis que cabinets et bibliothèques écrite sur les instructions de Raabritaient les objets précieux. Paul II, Sixte IV, Jules II, Paul III furent phaël; elle est aujourd'hui attribuée de façon convaincante à de très grands collectionneurs. Si malgré leurs édits, ils ne surent pas Angelo Colocci, cf I. ROWLAND, toujours empêcher la destruction de monuments prestigieux, telle la « Angelo Colocci ed i suoi rapporti con Raffaello », Studi umabasilique Emilia, dépouillée de ses pierres et de ses ornements au début nisti Piceni, II, 1991, p. 217-225. du :xvre siècle et dont la splendeur passée n'est aujourd'hui attestée que 13 Cf F. LEMERLE, « Le codex italien du musée des Beaux-Arts par quelques membra disjecta sur le forum romain 11 , les souverains ponde Lille: les modèles d' architectifes donnèrent une formidable impulsion aux fouilles archéologiques. ture antiques et modernes de Raffaello da Momelupo (1504-1566) », Rappelons pour mémoire l'ambitieux projet de Raphaël d'établir un plan Revue du Louvre, 1997, p. 47-57; Y. précis de la capitale des Césars, qui comprenait, entre autres, les relevés PAUWELS, «La méthode de Serlio des monuments antiques 12 . Les fouilles entreprises à Rome même (fodans le Quarto Libro », Revue de l'Art, n9, 1998, p. 33-42. rum, Domus Aurea, thermes ... ) ou dans les environs, à la villa Adriana 14 LEMERLE 1994, p. 33-41; F. de Tivoli, se révélèrent extraordinairement fructueuses et eurent souvent LEMERLE, « On Guillaume Philandrier: Forms and Norm », Paune répercussion immédiate dans la pratique picturale et sculpturale per Palaces. The Rise ofthe Renais(découverte des grotesques à la Domus Aurea, de la statue d'Hercule sance Architectural Treatise, éd. par V. Hart et P. Hicks, New Haven/ et du groupe de Dircé aux thermes de Caracalla, pièces magistrales de Londres, Yale UP, 1998, p. 186la collection Farnèse). Les monuments antiques furent soigneusement 197; LEMERLE 2000-1, p. 33-43; F. LEMERLE et Y. PAUWELS, L'Arétudiés et dessinés par les architectes. Le Codex Barberini et le Taccuino chitecture à la Renaissance, Paris, Senese de Giuliano da Sangallo attestent le grand intérêt porté aux ruines Flammarion, 1998, p. IOI-Io4. italiennes à l'extrême fin du x:ve siècle et au début du x:vre siècle. On sait que Cyriaque d'Ancône (1391-1454) avait été un précurseur pour les sites de la Méditerranée. Très vite les vestiges firent l'objet de relevés précis (représentation en plan, élévation et perspective); ils furent cotés. Certains, à demi enterrés et partiellement détruits, furent restitués. Les praticiens s'attachèrent à la structure architecturale des édifices: les arcs par exemple leur procurèrent un modèle simple, véritable lieu commun qu'ils purent amplifier à l'envi 13. Le décor des édifices, pilastres et colonnes supportant des entablements, leur fournit le détail d'un langage ornemental dont le traité de Vitruve n'expliquait que les principales composantes. De cette confrontation entre les ruines et le texte du De architectura naquit la théorie des ordres, qui allait marquer durablement l'architecture européenne pendant près de trois sièclesl4. Le

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GAULE

public cultivé quant à lui disposait pour les ruines de guides ou topographies de la Rome antique, comme il utilisait des catalogues pour visiter (Di tutte le statue antiche, che per les principales collections de la ville 15 . Citons pour exemples les ouvrages tutta Roma, in diversi luoghi e case si veggono, in L. Mauro, Le antid'Andrea Fulvio, les Antiquitates Urbis (Rome, 1527), développement de chità della citta di Roma, Venise, son poème Antiquaria Urbis publié quatre ans plus tôt, et celui de Lucio 1542). 16 Topographia Antiqu12 Rom&, Fauno, De antiquitatibus Urbis Rom& (Venise, 1549). Mais il faut attendre Rome, 1534; Urbis Rom& Topo1544 pour trouver dans la Topographie de Bartolomeo Marliani, version graphia, Rome, 1544· 17 Cf WEISS 1973, p. 63-67, augmentée del' édition parue en 1534, un plan satisfaisant de la Rome an90-ro4. tique16. Celui que Léon X avait demandé à Raphaël ne fut jamais réalisé 1s r.; ouvrage est superbement et celui que Fabio Calvo, le collaborateur de l'Urbinate, avait publié en illustré par Giovanni Caroto, qui en 1560, à Vérone, publie à part 1527 dans sonAntiquae Urbis Romae cum Regionibus simulachrum n'était ses planches (De laAntiq[u}ita de pas assez précis. Louvrage de Marliani marquait alors un réel progrès par Verona, con novi agionti). 19 Cf F. PEREDA « Un tratarapport à Biondo 17. Mais les architectes ne se contentèrent pas des ruines do de elementos de arquitectura de la Ville éternelle et de ses environs immédiats; ils explorèrent aussi antigua: las Medidas del Romano de Diego de Sagredo », MARIAs/ celles de Spolète, Narni, Naples. Les antiquités de Vérone, comparables PEREDA 2000, p. 54-60. par leur qualité, sinon par leur nombre, aux vestiges de Rome, furent 20 SAGREDO 1526, f. E iiiv 21 Jan Cornelisz Vermeyen a étudiées en 1540 par Torello Sarayna dans son De origine et amplitudine ciréalisé une gravure sur bois de vitatis Veron& 18 • Celles de Dalmatie furent intégrées par Sebastiano Serlio cet aqueduc (Londres, British dans son ouvrage sur les antiquités (Terzo libro), publié la même année, Museum) d'après un dessin réalisé en 1534, cf N. DAcos, Roma à Venise. Andrea Palladio proposa trente ans plus tard dans le quatrième quanta fuit. Tre pittori jiamminlivre de son traité (1 quattro libri dell'architettura) une sélection des plus ghi nella Domus Aurea, Rome, Donzelli, 19% p. 68-69. beaux temples romains en Italie et en France. 22 Ingeniosa comparaciôn enLa péninsule ibérique est avec la France le pays qui, après l'Italie, tre lo antiguo y lo presente, dans La Sociedad de Bibliôjilos Espaconservait sur son territoire le plus grand nombre de ruines romaines. Les fioles, XXXIII, Madrid, 1898, lettrés y ont également manifesté très tôt un intérêt pour les monuments p. 150. Il existe un seul exemplaire de l'ouvrage (Londres, British romains. Les ruines de Mérida, de Tarragone et de Sagonte en Espagne, Library, C. 63. g. 27. (3)). celles d'Evora au Portugal sont bien connues au xvre siècle. Les antiquités 23 Traducciôn de los diez libros de Mérida, visitées avant 1491 par le philologue Antonio de Nebrija, sont de Arquitectura de Vitrubio, dans Fuentes literarias para la historia évoquées à plusieurs reprises dans ses ouvrages 19 . Elles sont citées en 1526 del arte espafiol, Madrid, 1923, I, par Diego de Sagredo comme des édifices dans lesquels on peut voir mip. 217. ses en œuvre les règles de Vitruve 20 . Les ruines d' Alcântara et de Ségovie où se dresse toujours le très bel aqueduc21 sont signalées en 1539 par Cristôbal de Villalôn 22 . Dans les années 1550 le théoricien Lâzaro de Velasco mentionne les ruines de Tarragone et de Sagonte, comme d'ailleurs celles de Nîmes et d'Arles 23 . En 1575 Ambrosio de Morales consacre un ouvrage complet aux antiquités espagnoles, Las Antigüedas de la ciudades de Espaiia, publié àAlcalâ de Henares. Lœuvre majeure du grand humaniste portugais André de Resende (mort en 1573), traite des antiquités lusitaniennes (De antiquitatibus Lusitani&): achevée par Diogo Mendes Vasconcelos, elle fut publiée à Evora en 1593 et connut un grand succès. Resende avait déjà publié en 1553 un livre sur l'antiquité d'Evora, Historia da antiguidade da ciidade Evora. 15 l:un des guides les plus connus est celui d'Ulisse Aldrovandi

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INTRODUCTION

I..:Hispanie de Trajan, d'Hadrien ou de Théodose, permit à la mo2 4 Sur l'Espagne et les ruines romaines, voir Earl E. RosENTHAL, «The Imanarchie espagnole d'affermir une unité politique retrouvée, mieux ge of Roman Architecture in Renaissande poser les bases idéologiques d'un empire24. ce Spain », Gazette des Beaux-Arts, déc. 1958, 6e période, 52, p. 329-346. On trouve en France la même évolution qu'en Italie, sans tou2 5 Sur ces érudits grecs, voir MATHOjours le décalage que l'on imagine. Dès le milieu du xve siècle, le REZ 1919, p. 199-203. pays s'était ouvert à l'humanisme. Après la prise de Constantinople, les érudits grecs n'affluèrent pas tous à Venise. Certains trouvèrent refuge dans le royaume où ils vécurent des pensions allouées par Charles VIII, Louis XII ou François Ier. Grégoire Typhernas, Andronicos Callistos, Hermonyme de Sparte, qui fut le maître de Guillaume Budé, enseignèrent à Paris, développant le goût du grec. Jean Lascaris contribua à enrichir la bibliothèque royale de Fontainebleau en manuscrits 25 . Très tôt prélats, souverains, grands personnages constituèrent de magnifiques collections d'antiques et d'objets d'art. Georges d'Amboise, Florimond Robertet, Jean Ango, François Ier, Henri II réunirent des œuvres magnifiques, venues pour la grande majorité d'Italie. On sait le rôle des ambassadeurs ou des cardinaux en poste à Rome ou à Venise, principaux pourvoyeurs des rois. Le cardinal Jean du Bellay fut lui-même un grand collectionneur; il rassembla statues, monnaies et gemmes, en faisant procéder à des fouilles sur le forum romain. Les personnages moins fortunés créèrent des collections plus modestes, au fil des découvertes archéologiques faites sur le sol national. Les antiquaires lyonnais et dauphinois se passionnèrent très tôt pour l'épigraphie. La France ou l'Espagne en fin de compte suivirent d'assez près les développements de la Renaissance italienne, et participèrent, chacune en fonction de sa propre histoire, à cet extraordinaire bond en avant que connut au xvre siècle l'archéologie, entendue au sens premier d' « archaiologia »,c'est-à-dire d'étude del' Antiquité, et non pas au sens moderne de discipline scientifique. Mais la France n'est ni l'Italie, ni l'Espagne. Le rapport aux ruines au xvre siècle n'est pas non plus le même pour l'humaniste lyonnais, provençal ou auvergnat. La proximité de la péninsule italienne pour le premier, la présence de ruines prestigieuses pour le second favorisèrent l'accès à la nouvelle culture et développèrent très tôt la conscience d'un patrimoine municipal ou régional; dans le troisième cas, l'absence de vestiges et l'éloignement des grands foyers culturels retarda la diffusion des idées nouvelles. Dans la pratique, les antiquités gallo-romaines furent diversement revendiquées et assumées par le pouvoir royal et municipal, les antiquaires, les architectes, ou les voyageurs. En revanche les étrangers qui sillonnèrent le royaume accordèrent la même attention à l'amphithéâtre de Nîmes qu'à celui de Vérone ou au Colisée, dans lesquels ils voyaient des monuments édifiés par les Romains. Cela explique en partie la précocité et la spontanéité de leurs témoignages .

• 21.

LES ÉTRANGERS ET LES ANTIQUITÉS DE LA GAULE

Chapitre I

entre le Nord et le Sud, trait d'union entre l'Espagne et l'Italie, le royaume de France, comme l'avaient été jadis les Gaules, est une terre de passage. À la Renaissance comme au Moyen Âge 1 , il est parcouru par de nombreux étrangers: jeunes aristocrates venus parachever leur formation par un voyage linguistique et touristique, professeurs et 1 J. VERDON, Voyager au Moyen étudiants attirés par ses célèbres universités, ambassadeurs et diplomates Âge, Paris, Perrin, 1998, p. 179-328. en mission. Il est aussi visité par des artistes appelés à la cour ou faisant partie de la suite de grands personnages, par des pèlerins de toutes conditions en route pour Saint-Jacques-de-Compostelle ou la Terre Sainte, par des négociants en quête de foires et marchés, enfin par de simples particuliers voyageant pour leur plaisir. Tous ne disposent pas du même temps, ni ne partagent le même intérêt pour les richesses du pays dans lequel ils vont séjourner, ou qu'ils vont seulement traverser. Tous ne jugent pas utile de livrer par écrit leur expérience. Il n'en reste pas moins que les journaux, récits de voyage, correspondances, et autres écrits parvenus jusqu'à nous apportent souvent un point de vue précoce et original sur les antiquités gallo-romaines. Bien avant la publication des grands traités, les Italiens les signalent ainsi que les Allemands ou les voyageurs venus de l'Europe de l'Est. En revanche les Anglais sont beaucoup plus discrets. Attirés par l'Italie, ils se contentent de traverser la France pour gagner au plus vite la péninsule, via Lyon, quand ils ne contournent pas le royaume par l'Allemagne et la Suisse. ARREFOUR

CHAPITRE

2

Le baron Leo de Rozmital, à la recherche de l'appui des rois européens en faveur de son beaufrère le roi de Bohême Georges Podiebrad, fit un tour d'Europe de 1465à1467 (The Travels ofLeo of Rozmital through Germany, Flanders, England, France, Spain, Portugal and Ita!y r465-r467, traduction et édition de M. LETTS, The Hakluyt Society, 2e série, CVIII, Cambridge, Cambridge UP, 1955). 3 Le pèlerinage de Hans von Waltheim en l'an r574, traduction d'A. FAuGÈRE et L'itinéraire de Jérôme Münzer en l'an r495, traduction de P. AMARGIER et J.L. CHARLET, Provence historique 1991, p. 465-474, 499-507, 521525, 533-541, 586-599. Sur H. von Waltheym (1422-1479), voir W PARAVIClNl, «Hans von Waltheym, pèlerin et voyageur », Provence historique 1991, p. 433-457. 4 Le journal a été édité par E.P. Goldschmidt (Itinerarium hispanicum Hieronymi Monetarii, Revue hispanique, XLVII, 1920, p. 4-144; GoLDSCHMIDT 1939, p. 55-75, 198-220, 324-348, 529539). Voir aussi la relation du séjour en Provence traduite par P. AMARGIER et J.-L. CHARLET dans L'itinéraire de Jérôme Münzer... , Provence historique 1991, p. 586-599. 5 MüNZER 431, f. rorv 0 = éd. GoLDSCHMIDT 1939, p. 6r. 6 MÜNZER 431, f. ro8v 0 = éd. GowscHMIDT 1939, p. 6869. Sur Münzer et le sud de la France, voir E. DEPREZ,« Jérôme

I

Premiers témoignages

Dès le xve siècle un certain nombre d'étrangers originaires de l'Europe du Nord ont voyagé en Europe et donc en France, comme l'attestent leurs journaux de voyages longtemps inédits 2 . Hans von Waltheym, patricien de Halle, se rendit en pèlerinage à la Sainte-Baume en 1474-1475, par la Franconie et la Suisse. Quelque vingt ans plus tard le médecin Jérôme Münzer (Monetarius), originaire de Feldkirchen, entreprit un voyage qui le conduisit également sur le même lieu. Si tous deux voyagèrent en Provence et en Dauphiné, leur curiosité personnelle ne leur fit pas porter le même regard sur les ruines qu'ils rencontrèrent. Après avoir passé le Rhône à Valence et suivi la route du Sud, Waltheim, homme cultivé qui sait lire et parler latin, se montre sensible au passé de la cité d'Orange, qui fut « aussi grande que Rome », mais se contente de mentionner les murs ruinés à l' extérieur3; l'arc romain surmonté d'une forteresse est englobé dans l'allusion générale au « château ». De toute évidence les démêlés du prince Guillaume de Chalon-Arlay avec le roi de France Louis XI retiennent davantage son attention. Mais son véritable centre d'intérêt tient au but de son voyage, un pèlerinage en l'honneur de Marie Madeleine dans les divers sanctuaires qui ont abrité la sainte. Aussi, sur le chemin du retour, l'étape à Arles est-elle expédiée en quelques lignes. En revanche, la relation de voyage de Münzer, qui séjourna en France entre 1494 et 1495 révèle une approche des ruines plus littéraire, pour ne pas dire humaniste 4 . Il a près de soixante ans lorsqu'il quitte sa patrie. Il n'en est pas à son premier voyage, puisqu'en 1476 il était parti étudier la médecine à Pavie, avant de s'établir à Nuremberg une fois le doctorat obtenu en Italie (1479). Lapparition de la peste en 1483 l'incite à fuir: il se rend à nouveau dans la Péninsule qu'il traverse jusqu'à Naples, puis regagne son pays et son poste, via Ravenne et Venise. Une nouvelle épidémie de peste lui fait reprendre la route en 1494· C'est l'occasion pour lui et ses trois compagnons de visiter les lieux de pèlerinage. Cette fois il traverse la France à deux reprises, en se rendant jusqu'à Barcelone par Genève, avant de remonter sur Paris et l'Allemagne par la Normandie, la Picardie et la Belgique. Il descend vers l'Espagne par Lyon, Avignon, Aix-en-Provence, Saint-Maximin, Marseille, Arles, Montpellier et Narbonne. Il ne manque pas de signaler les ruines qu'il a vues à Lyon, probablement celles de Fourvière («In monte autem Lugdunensi versus occidentem sunt vetustissime ruine »)5, et surtout celles del' amphithéâtre d'Arles qu'il identifie comme un théâtre: l'édifice remarquable par sa taille et son très bel appareil de pierre est tout naturellement comparé au théâtre de Vérone et au Colisée de Rome, qu'il avait admirés lors de son voyage précédent en Italie6. Münzer est l'exemple par-

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GAULE

Münzer et son voyage dans le Midi de la France, 1494-1495 »,Annales du Midi, 1936, p. 52-79; N. CouLET, « Gtinéraire provençal de Jérôme Münzer », Provence historique 1991, p. 581-585. Voir!' étude de K. VoRETZSCH sur les voyageurs allemands dans le Midi de la France, Volkstum und Kultur der Romanen, 1940, p. 88-89.

fait de l'humaniste cultivé. Formé à Leipzig, il a acquis lui-même en Italie une authentique culture architecturale, en l'occurrence une connaissance des principales antiquités italiennes que pouvait lui envier son homologue français Symphorien Champier7 . Le témoignage de cet homme curieux, possesseur d'une riche bibliothèque 8, est d'autant plus précieux, si ponctuel soit-il, qu'il offre un repère fort pour la fin du xve siècle. Un autre auteur germanique fournit au tout début du XVIe siècle . H u bert . peu connue sur 1es antiqu1tes . . , de 1a Gau1e. rh·1stonen une re1atlon Thomas Leodius se rendit à deux reprises en Espagne en traversant la France. Il suivait son protecteur Frédéric, le futur électeur palatin, qui accompagnait lui-même l'archiduc d'Autriche Philippe le Beau et sa femme, Jeanne la Folle. Le fils de Marie de Bourgogne quitta les Pays-Bas à la fin del' année 1501 et fit étape à Paris, Orléans, Blois, Saintes, Bordeaux et Bayonne. Le jeune Thomas, qui devint par la suite secrétaire et conseiller de Frédéric II, a gardé dans ses Annales le souvenir de ce voyage. Il remarque l'antiquité de Saintes, mais apprécie beaucoup Bordeaux « amœnissima ur bs » remarquable par son « magm'fi que » amp h"1th éâtre et ses Piliers de Tutelle non moins admirables. Philippe, une fois confirmé héritier présomptif de la couronne de Castille et d'Aragon par les Cortès, prit le chemin du retour. Lors de ce voyage qui cette fois passe par Narbonne, Montpellier, Nîmes et Lyon, Leodius ne manque pas de

7 Sur S. Champier, voir infra, p. 58. 8 E.-P. GoLDSCHMIDT, Hieronymus Münzer und seine Biblio-

thek, Studies 01 the Warburg Institute, Londres, IV, 1938. 9 L EODIUS l 6 24, p. 25, 33, II2, 32, 25, 33. Le récit de Leodius n'a

pas la sécheresse du récit officiel du voyage fait par Antoine de Lalaing («Voyage de Philippe le Beau en Espagne en 150I », Collection des voyages des souverains des Pays-Bas, publiée par L.P. GACHARD, Bruxelles, F. Hayez,

1876, t. I, p. 121 sq.). 10

Le journal fut publié la pre-

mière fois dans une édition critique établie en 1905 par L. Pastor (voir PASTOR 1905). Un essai de

T. de Wyzewa paru dans la Revue des Deux ,Mondes (15 septembre 1908 ), publié une nouvelle

fois dans Excentriques et aventuriers (Paris, 1910, p. 45-70), le révéla au public français. Une traduction française du voyage en France est donnée en 1913 par M. Havard de la Montagne (Voyage du Cardinal d'Aragon en Allemagne, Hollande, Belgique,

citer l'amphithéâtre de Nîmes, et les innombrables inscriptions que l'on peut y découvrir. A-t-il vu de près le Pont du Gard pour décrire l'aqueduc« triplici columnarum ordine », ou pare+ il après coup de colonnes cet édifice exceptionnel qui l'a manifestement impressionné? La mort d'Isabelle de Castille, en 1504, ramena Philippe en Espagne pour assumer l'héritage de sa femme incapable d'assurer la réalité du pouvoir. Frédéric ne l'accompagna pas cette fois et apprit avec tristesse la mort de l'archiduc survenue le 25 septembre 1506 à Burgos: il avait vingt-huit ans. En 1526 Frédéric et Leodius retournèrent en Espagne, empruntant pratiquement le même itinéraire qu'en 1501; il n'est plus question alors des antiquités déjà visitées. Mais l'intérêt demeure: Thomas mentionne cette fois les ruines de Tolède, comme lors du premier voyage celles de Barcelone, de Bordeaux et de Nîmes 9 . Plus encore que les voyageurs d'Europe du Nord et de l'Est, les Italiens furent attentifs aux édifices gallo-romains. Antonio de Beatis, chapelain du cardinal d'Aragon, l'un des personnages les plus cultivés et les plus riches de son temps, a rédigé le récit du voyage qu'entreprit son maître l'été 1517 et qui le conduisit en Allemagne, aux Pays-Bas, en France et en Angleterre 10 • Louis d'Aragon souhaitait rencontrer les grands de ce monde, l'empereur

CHAPITRE

I

France et Italie (r577-I5I8), Paris, Perrin et Oe, 1913). I;édition citée est celle d'A. Chastel, qui a traduit l'ouvrage de L. Pastor (CHASTEL 1987). 11 Éd. CHASTEL 1987, p. 191, 262-263. 12 HALE 1979, p. 59, IX. 13 D. Isabel!& Estensis Mantua& Principis !ter In Narbonensem Galliam, s. 1. n. d. Je remercie Tobia Toscano de m'avoir permis de localiser cet ouvrage rarissime. Equicola ne vit pas les antiquités du Languedoc. Il se rendit à Marseille, Aix-en-Provence et Arles (D. SANTORO, Il viaggio d'Jsabella Gonzaga in Provenza, Naples, 1913, p. 54, 57, 61). 14 Leurs récits sont purement politiques: voir par exemple LÉtat de la France sous Henri IV de John Carew, ou les lettres de François d'Aerssen, secrétaire de l'ambassade extraordinaire des Pays-Bas dépêchée à Paris pour détourner Henri IV de conclure la paix avec l'Espagne (J. NouAILLAC, Un employé hollandais à la cour de Henri N, Lettres inédites de François d'Aerssen à Jacques Valcke, trésorier de Zélande (I599-I603), Paris, 1908). Sur]. Carew et F. d'Aerssen, voir DUPUY 1957, p. 49-50. 1s Les diplomates italiens, une fois en poste, sont absorbés par la vie de cour et les différents événements religieux, politiques et dynastiques qui l'émaillent. Leur rapport à l'art, et surtout à l' architecture, reste souvent superficiel. Au mieux ils sont impressionnés par les grandes réalisations médiévales comme les cathédrales (Notre-Dame), ou contemporaines (châteaux de Gaillon ou de Chambord), cf M. H. SMITH, « Les diplomates italiens, observateurs et conseillers artistiques à la cour de François Ier», Histoire de !'Art, 35/36, 1996, p. 27-37.

Maximilien, Charles, le jeune roi d'Espagne, Henri VIII, François Ier, et nouer d'utiles contacts avec les membres exilés de sa famille, la branche napolitaine de la maison royale d'Aragon, dont il était lui-même un bâtard fastueux. Il entreprenait aussi un voyage pour le plaisir, dont rend bien compte la relation de Beatis. Le prélat n'est point pressé et ne lésine pas sur la dépense. Le voyage est conçu comme pur agrément, les étapes journalières ne sont pas trop longues (un peu moins de quarante kilomètres), les logis confortables et les trajets d'autant plus agréables que l'on jouit alors en Europe d'une paix relative. La curiosité de Beatis lui-même, jointe aux intérêts culturels du cardinal, livre au lecteur l'un des plus passionnants récits de voyage de la Renaissance: l'italien est attentif aux paysages, aux villes, aux mœurs et coutumes des habitants, comme aux monuments, reliques et œuvres d'art. Il est sensible aussi bien aux ruines italiennes (amphithéâtre de Vérone) qu'à celles de France. Il mentionne en effet sur le chemin du retour les vestiges de l'amphithéâtre et de l'aqueduc de Fréjus (27 novembre); pour Antibes (28 novembre), il est moins laconique et précise qu'il n'est pas parvenu à déchiffrer les inscriptions de l'arc, près duquel on voit des restes de la voie romaine (via Aurelia), et dont les blocs « di pietre bianche grossissime » le frappentll. Il est toutefois étonnant que le cardinal qui s'était rendu à Arles avec sa suite quelques jours auparavant (20 novembre) et en avait visité les principaux monuments, n'ait pas jugé bon de voir l'amphithéâtre. Il n'a pas souhaité non plus faire un détour par Nîmes. Faut-il y voir pour autant, comme le pense J. R. Hale, un manque d'intérêt de la part du cardinal et de son chapelain, qui serait un homme presque étranger au courant humaniste 12 ? Ce voyage est contemporain du pèlerinage d'Isabelle Gonzague à la Sainte-Baume, rapporté par Mario Equicola qui, malgré un récit fort lyrique sur !'Antiquité en général, ne signale aucune ruine précise; or Equicola n'est pourtant pas le premier venu 13. Si les diplomates anglais ou d'Europe du Nord, très vite opérationnels, n'avaient guère l'occasion de rencontrer sur leur chemin des ruines prestigieuses 14 , certains nonces, légats ou ambassadeurs, lorsqu'ils gagnaient leur nouveau poste, ne manquaient pas de se ménager des étapes « culturelles » dans les régions riches en vestiges de premier ordre 1 5. Les récits de voyage d'ambassadeurs ou de chargés de mission qui se rendirent en Espagne au début du Cinquecento, quoique laconiques, révèlent ainsi pour les ruines vues lors du trajet un intérêt

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ÉTRANGERS

ET

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ANTIQUITÉS

DE

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GAULE

réel, dont on a rarement l'équivalent chez les autres nations. Ceux de Francesco Guicciardini et de Janis da Tolmezzo paraissent très instructifs à cet égard. Au début de l'année l5II (1512 n. s.) Guich 152, 146-147, 135-136, 156158, 281-282. gueur, et six pour la largeur ». Il n'a pas de mot assez élogieux pour quali36 PLATTER A À V, ff. 17, I9, fier le « temple de Diane », dont la construction lui paraît irréprochable. 23 = éd. KEISER I968, p. 33, 38, 48; LE RoY LADURIE 2000, p. 83, Il admire le revêtement de la Tour Magne, si dur qu'on ne peut l'entamer. 88, 94-95. Mais c'est le Pont du Gard, l'édifice le plus apprécié des voyageurs, qui 37 Voir infra, p. 94. bénéficie de la plus longue description. Thomas du reste a une véritable passion pour les ponts, antiques ou modernes. Caqueduc nîmois ne pouvait que le ravir. Il en parle à trois reprises, pour rapporter les diverses opinions sur la fonction de ce « pont» au-dessus du Gardon, une autre pour sa description proprement dite: il est, comme toujours, sensible aux matériaux et aux techniques de construction, qu'il rapproche de ceux de l'amphithéâtre nîmois. Il a compté et mesuré les arches et les piliers. Il a visité tous les étages du pont et traversé le troisième niveau en rampant, à cause du vent violent qui souffle en permanence à pareille altitude. Il a découvert enfin près de Font d'Ouro une partie souterraine del' aqueduc, des voûtes« pétries d'un ciment dur et fort ancien »35. Thomas, qui emprunta la voie fluviale pour descendre la vallée du Rhône, ne négligea pas de se rendre par la suite à Orange pour y voir notamment les antiquités. Il ne les signale pas en passant comme il le fait pour les aqueducs de Lyon ou la Pyramide de Vienne, aperçue du bateau36. Comme tous les visiteurs érudits, il retient de l'arc qu'il attribue à Marius les bas-reliefs sculptés sur toutes les faces, et trouve pour sa part que la partie centrale a « davantage de splendeur, de grâce et de hauteur que les deux autres » (Fig. 3). Il rappelle que, selon certains, le « pan de muraille» faisait partie du théâtre, et le décrit rapidement, soulignant la qualité de la construction et la beauté du décor. Le dessin de deux travées de la façade extérieure du ftons scente, avec ses arcades et niches voûtées, illustre parfaitement son propos (Fig. 2). Il signale encore les vestiges d'un« Circ», selon l'identification traditionnelle, en réalité un temple, aujourd'hui détruit, qui était voisin du théâtre3 7 . Après les ruines imposantes de la Narbonnaise, seuls les vestiges monumentaux vus lors du vaste périple qu'il entame une fois obtenu le diplôme de doctorat, l'intéressent véritablement. Sur la route de Barcelone, Narbonne suscite peu de commentaires. Après l'Espagne, le jeune Platter regagne la France par Perpignan et Toulouse. À Bordeaux, le palais Gallien « construit en petits cailloux » lui

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rappelle l'amphithéâtre d'Augst, près de Bâle, qui avait fait l'objet de fouilles à la fin du xvre siècle3 8 ; les Piliers de Tutelle « en pierre de taille carrée», dépourvus de toit, ont toutes les caractéristiques d'une construction romaine. Il mentionne pour Poitiers les restes « complètement délabrés » de l'amphithéâtre, et les arcades encore visibles de l'aqueduc qui amenait l'eau jusqu'à l'édifice de spectacle3 9 . Mais il doit lui paraître bien anodin après le Pont du Gard. Au milieu du xvne siècle, les fils de Jacques Sobieski, qui était venu lui-même à Paris en l6IO, vinrent parfaire leur éducation en France. Si les jeunes Russes ou Hongrois ignorèrent les universités françaises, il n'en alla pas de même des Polonais qui furent nombreux à venir s'instruire en France aux xvre et xvne siècles 40 . Trente-six ans après leur père Jacques, qui avait gardé un excellent souvenir d'un voyage pendant lequel il avait visité des sites tels que Nîmes, Arles ou Vienne 41 , Marc et Jean, futur Jean III, achevaient à Paris leur tour d'Europe, complément indispensable à la formation de ces jeunes princes, sous la houlette de leur gouverneur Gawarecki. Ils étaient partis de Zolkow le 21 février 1646 pour étudier dans un premier temps en Hollande, entre autres, l'art de la fortification. La culture qu'ils devaient acquérir en France les incita à découvrir le pays dans un périple qui les mena d'Orléans à Tours, Angers, Nantes, Bordeaux, Toulouse, Carcassonne, Perpignan et Marseille. De là ils remontèrent sur Lyon, avant de regagner Paris par Nevers et Orléans 42 . Ils virent les principaux monuments gallo-romains, les amphithéâtres de Bordeaux, Poitiers et Saintes, et surtout les antiquités nîmoises qui les impressionnèrent beaucoup43. Les universités du royaume recrutaient à l'étranger des maîtres réputés. À la Renaissance, Écossais, Allemands, Suisses, mais aussi Italiens se fixèrent en France ou assurèrent ponctuellement leçons et conférences. Des professeurs célèbres ou des étudiants érudits, qui avaient eux-mêmes voyagé en France, écrivirent à leur intention des ouvrages qui leur permettaient de préparer au mieux leur peregrinatio academica. De très nombreux guides rédigés en latin parurent au début du xvne siècle. Ils s'adressaient aux étudiants mais aussi plus largement aux érudits de toute nationalité. Sil' ouvrage del' orientaliste Thomas van Erpen (De peregrinatione Gallica tractatu, 1631), suivi d'une description rapide de la France, essentiellement géographique, a l'austérité et la sécheresse du manuel 44 , il n'en va

3 8 Ces fouilles, les premières du genre en Europe, avaient été entreprises par le conseil municipal. Des dessins très précis avaient été réalisés en 1582 par Amerbach (SCHNAPP 1993, p. 179). 3 9 PLATTERAÀ V, ff. 399v"-400, 417"0 = éd. KEISER 1968, p. 440441, 463-464; LE Roy LADURIE 2000, p. 564-566, 585-586. 4o Certains traversaient aussi la France pour se rendre à SaintJ acques-de-Com postelle: ils faisaient étape à Nîmes et visitaient non loin de là le tombeau de saint Gilles, pour lequel ils avaient une dévotion particulière. Mais on a peu de traces de leur séjour (MATHOREZ 1919, p. 214-218). 41 Sur la relation de voyage de J. Sobieski, voir «Voyage en France », Polonia, numéro spécial du 25 décembre 1916; MANSUY 1912, p. 95-105; MATHOREZ 1919, p. 224-226; REKOWSKARusZKOWSKA 2002, p. 42-44. Sur la visite des antiquités galloromaines, voir J. SOBIESKI, Peregrynacja po Europie (r607-r6r3) i Droga do Baden (r638), publié par J. Dlugosz, Wrodaw/Varsovie/ Cracovie, 1991, p. n8, 159-160, 161, 164, 165. 42 Sur le voyage des frères Sobieski, voir MANSUY 1912, p. 105-129; MATHOREZ 1919, p. 229-230; REKOWSKARusZKOWSKA 2002, p. 4446. Sur la visite des antiquités gallo-romaines, voir S. GAwARECKI, Dziennik podrôzy po Europie fana i Marka Sobieskich przez Sebastiana Gawareckiego prowadzony .. ., publié par T. Paprocki,Varsovie, 1883, p. 86, 90-91, 105-106, n9. 43 En 1647, Guillaume VI le Juste, le landgrave de Hesse, fit un voyage similaire avec son précepteur Jacob von Hoff. Comme nous l'apprend son journal (Franzosischer reise beschreibung, Cassel, ms. hist., 4° 69), il se rendit entre autres à Nîmes, cf C. SCHMIDT,« Le Voyage d'un prince allemand en France de 1646 à 1648 », Bulletin historique et littéraire -Société de l'histoire du protestantisme français, 1899, p. 215-227. 44 Louvrage sera largement repris en 1639 par le P. Claude de Varennes (Voyage de France dressé pour l'instruction et commodité tant des François que des étrangers).

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pas de même des Itinéraires ou Délices, qui fleurirent au début du xvrre siècle. Essentiellement pratiques, ils présentent aux lecteurs les itinéraires les plus intéressants, qui donnent à voir les principales curiosités. La plupart sont consacrés à la France, qui com45 P. DrnoN, Le Voyage en mence à supplanter l'Italie par son rayonnement intellectuel45. Les ruiFrance des étudiants néerlandais nes tiennent une place importante dans un commentaire généralement au XVII' siècle, La Haye, 1963. 46 QuADT 1603, p. 24, 26, 30, concis. Leurs sources sont variées. Le géographe Matthias Quadt tire 32-33, 35-]6, 40-42, 47-51. une grande partie de ses informations de la Cosmographie universelle de 47 PoNTANus 1606, It., p. 4-7, François de Belleforest. Il est ainsi l'un des rares auteurs à signaler les anti9-w, 16, 19; Ap. !, p. 42-51, 52-53, 92-93. Ason retour, il s'établit en quités d'Argenton (Saint-Marcel), mais il ne dit rien des ruines d'Autun, Hollande et enseigna à l'univerde Besançon et de Reims, évoquées pourtant par le Français 46 . Sans doute sité d'Harderwijk. 4B HENTZNER 1617, p. 43, 46, n'a-t-il pas vu lui-même les antiquités de ces cités, imposantes mais moins 49-50, 55, 60, 66, 75, 164, 174connues que les édifices prestigieux de Nîmes, d'Arles, d'Orange ou de Sur Hentzner, voir BoNNAFFÉ 1895, p. 122-128. Bordeaux. Son guide est réédité en 1609, sans que ne figure son nom: les 49 ZINZERLING 1616, éd. cit. trente-deux cartes qui en faisaient un outil très complet ont été suppri1627, p. 353-476. L'ouvrage de Zinzerling a été traduit par Thamées. Cette édition est généralement attribuée à Gaspar Ens. lès Bernard (Voyage dans la vieille Litinerarium Galli& Narbonensis (Leyde, 1606) du jeune hollandais France, avec une excursion en Isaac Pontanus, venu poursuivre à Montpellier des études de médecine Angleterre, en Belgique, en Hollande, en Suisse, et en Savoie par commencées à Bâle, est unique. Le poème, accompagné d'un double ]odocus Sincerus, Paris/Lyon, appendice, s'attarde naturellement sur le séjour montpelliérain, occasion Dentu/Librairie nouvelle, 1859). pour l'auteur de décrire longuement les ruines majestueuses qu'il vit à Nîmes, Orange ou Arles. Il évoque plus brièvement celles de Bordeaux et de Poitiers 47. Paul Hentzner publia en 1618 l' Itinerarium Germani&, Galli&, Angli&, Itali&, relation de son voyage en Europe (1596-1600), en compagnie d'un jeune noble silésien dont il était le précepteur. En 1598 son itinéraire le mène de Bratislava en France, via Heidelberg, Bâle, Genève. Il parcourt ainsi le Lyonnais, le Dauphiné, le Languedoc, l'Aquitaine, avant de remonter sur Paris par Poitiers, Tours, Orléans et de s'embarquer à Dieppe pour l'Angleterre. De retour, il traverse à nouveau la France par Calais, Boulogne, Amiens, à nouveau Paris, Dijon et Besançon, et gagne sans encombre Bâle. Sensible à la richesse et à la fertilité du pays, à la beauté des villes du royaume, il ne manque pas de nommer les antiquités qu'il a vues sur son passage (Lyon, Vienne, Nîmes, Toulouse, Bordeaux, Poitiers, Bourges, Boulogne et Besançon), avec une mention spéciale pour le Pont du Gard, qui lui paraît admirable dans sa structure comme dans sa réalisation4 8 • Il ne s'arrête ni à Orange ni à Arles, ni à Saintes. Le succès de son Itinéraire semble confirmé par le fait qu'il est aussitôt cité comme référence (avec celui d'Isaac Pontanus) par l'avocat rémois Nicolas Bergier, auteur d'une originale Histoire des grands chemins de France publiée en 1622. Mais l'ouvrage assurément le plus complet est dû au jeune hollandais Just Zinzerling Qodocus Sincerus), qui visita la France de 16!2 à 1616. Son Itinerarium Galli& et Finitimarum regionum, publié à Lyon en 1616, comprend un important appendice consacré à Bordeaux dans lequel sont longuement décrites les ruines de la cité d' Ausone 49 . Si Zinzerling ne s'intéresse pas exclusivement aux vestiges archéologiques - il est en effet très curieux des

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réalités modernes et convaincu de l'intérêt linguistique de son voyage - il voit toutefois la France avec les yeux des auteurs latins et se montre très impressionné par les antiquités de la Gaules 0 • La« dissertation » publiée en 1607 à Paris par J. Jacob Crasser (De Antiquitatibus Nemausensibus dissertatio) n'est pas un« itinéraire» mais traite, comme l'indique son titre, des antiquités nîmoises. Le texte assez court - il ne comporte que quatre-vingt-cinq pages - est, selon la dédicace, un témoignage d'affection envers deux de ses amis. Crasser fit en effet un long séjour en Languedoc et enseigna trois ans à Nîmes. Il rappelle l'histoire de la cité et signale les principales ruines, l'amphithéâtre, la Maison Carrée qu'il rapproche du temple de Vienne, le « temple de Diane » et le bassin de la Fontaine, la Tour Magne et le Pont du Gard. Il mentionne l'arc et le« cirque» d'Orange, l'amphithéâtre d'Arles et de façon plus originale celui de Béziers 51 • En réalité le Bâlois s'intéresse avant tout aux inscriptions vues à Nîmes, Aix-en-Provence ou Vienne, qu'il retranscrit soigneusement. Il n'a d'autre ambition que de faire partager à ses amis et à un public plus large son expérience languedocienne. Au début du XVIIe siècle la « dissertation » du pasteur de Benweil n'a pas l'originalité des journaux de ses compatriotes Félix et Thomas Platter, ni celle des Itinéraires ou Délices contemporains; elle est pourtant rééditée à Lyon en 1627, couplée à !'Itinéraire de Zinzerling. La Topographia Callite publiée par Martin Zeiller en quatre volumes de 1655 à 1661, dont le texte superbement illustré par Gaspard Mérian est plus développé que les guides et itinéraires, nécessairement concis, ne fait que consacrer le succès de ces publications.

Géographes et voyageurs

50 D'autres jeunes Hollandais vinrent en France. Voir le journal manuscrit du lettré P. C. Hooft, fils du bourgmestre d'Amsterdam, qui y séjourna de juin 1598 à juin 1599, avant de gagner l'Italie (Reis-Heuchenis, publié en appendice dans le tome II de sa Correspondance, P. C. Hooft's Brieven, Leyde, Brill, 1855-1857), cf D. VAN DER CRUYSSE, « P. c. Hooft et la France d'Henri IV », Découverte de la France 1980, p. 481-490. Gysbert de With en 1634 et Nicolas Heinsius, le fils de Daniel, séjournèrent aussi dans le royaume en 1645-1646, cf H. BoTs, « Voyages faits par de jeunes Hollandais en France. Deux voyages types: Gysbert de With et Nicolas Heinsius », Découverte de la France 1980, p. 469-479. Les frères De Villers vinrent achever leur éducation en France, où leur grand-père avait été ambassadeur, voir le journal de voyage de deux jeunes Hollandais à Paris en r656-r658, publié en 1879 par A. P. Faugère. 5! GRASSER 1607, p. 35-38, 3839, 39-40, 43-44, 47-48, 37. 52 Ortelius cite les ruines d'Orange et de Nîmes et les écrits de Guillaume Paradin, Jean Poldo d'Albenas, Symphorien et Claude Champier, Jean Chaumeau (ÜRTELIUS 1570, 9, IO, 12). Un grand nombre de planches sont dues à Hogenberg.

De nombreux auteurs d'origine germanique ont signé des ouvrages importants pour la connaissance du monde. La Cosmographie de Sébastien Münster (Bâle, 1544), traduite en français en 1552, le Theatrum orbis terrarum (Anvers, 1570) publié par Abraham Ortell (Ortelius) ont donné au public lettré la possibilité de mieux appréhender un univers que les nouvelles découvertes et les différents explorateurs avaient considérablement étendu. Ces livres encyclopédiques étaient aussi très précieux pour l'Europe: on savait tout de la géographie, de l'histoire, des singularités de chaque pays, des mœurs et coutumes de ses habitants, comme de ses richesses ou de ses monuments antiques et moderness 2 . Ils furent de véritables guides pour les voyageurs patentés: Montaigne regrettait fort de ne pas avoir emporté son Münster pour le long périple qui le mena en Italie par l'Allemagne et la Suisse. Certains y recouru-

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rent pour nourrir leurs propres récits de voyage. On sait aussi le succès de l'atlas illustré de Georg Braun et Franz Hogenberg (Cologne, 1572-1618). Cette grande entreprise éditoriale du xvre siècle présente les plans et les vues des principales villes d'Europe et du monde. Chacun des six volumes porte un titre différent: le premier ( Civitates orbis terrarum, 1572) et le second (De pri:ecipuis totius universi urbibus liber secundus, 1575) concernent surtout les continents non européens. Les quatre derniers traitent plus spécifiquement de l'Europe ( Urbium pri:ecipuarum totius mundi liber tertius, 1588; Liber quartus urbium pri:ecipuarum totius mundi, 1588; Urbium pri:ecipuarum mundi theatrum quintum, 1598; Theatri pri:ecipuarum totius 53 Voir T. CoLETTA, « Atlanti mundi urbium liber sextus, 1618) 53 . Assistés de collaborateurs de grande di città »del Cinquecento, Naples, valeur, entre autres l'artiste Georg Hoefnagel, auteur des plus belles 1984, p. 62-63; R. ÜEHME, dans vues de villes, et le mathématicien, cartographe et physicien Jacob van Old European Cities. Thirty two r6'h Century City Maps and Texts Deventer, Braun et Hogenberg publient de superbes planches en couleur, from the Civitates Orbis Terrarum accompagnées au verso d'un commentaire rapide mais précis, qui prend of Georg Braun & Franz Hogenberg, Johannes Asmus, Hamen compte l'actualité et les publications les plus récentes 54 . Si la synthèse bourg, 1965, p. 9-17 (1re éd.: pour la France n'est pas fondamentalement originale puisqu'elle reprend Thames and Hudson, Londres, 1955). les ouvrages d'Ortelius, de Du Pinet et surtout la somme de Belleforest, 54 Voir J. Goss, Cartes ancienet que de nombreuses planches reprennent des vues déjà publiées, le nes des grandes villes d'Europe. Une sélection des plus beaux plans succès indéniable de l'entreprise éditoriale atteste la passion de connaîde Braun et Hogenberg, Paris, tre chez un public cultivé européen: le premier volume est traduit en Solar, 1992 (1re éd.: Londres, français dès 1574, sous le titre de Théâtre des différentes villes du monde. 1991). 55 Coulon publie un abrégé de Les ruines, qu'elles fussent de France, d'Italie ou d'Espagne, partie intél'ouvrage sous le titre Le Fidèle grante de ce que tout homme doit connaître à défaut de pouvoir les voir conducteur pour le voyage de France (Troyes, 1654), cf BABEAU in situ, n'ont pas moins d'intérêt que les us, coutumes ou curiosités de 1885, p. 86-89. Pour les antiquipays plus exotiques. Le superbe atlas de Gérard Mercator (Atlas minor), tés de Grenoble, de Vienne et d'Orange, voir Le Dauphiné et la traduit en français en 1614 par François de la Popelinière, doit beaucoup Maurienne au XVIIe siècle, extraits aux pionniers que furent en la matière Ortelius, Braun et Hogenberg. du voyage d'Abraham Golnitz, traduits et annotés par A. MAcÉ, L Ulysses gallo-belgicus, le journal de voyage qu'Abraham Golnitz Grenoble, Merle, 1858. publia à Leyde en 1631, au retour d'un périple entamé en 1628 qui l'a 56 BABEAU 1885, p. 79. mené d'Angleterre en France, après quelques étapes en Belgique, est le chef d'œuvre du genre. Réédité en 1655, adapté fort librement dès 1643 par le Jésuite Louis Coulonss, il connaît un succès considérable auprès des voyageurs de toutes nationalités désireux de mieux connaître la France. Le géographe, originaire de Dantzig, a la réputation d'être un excellent observateur56. C'est aussi un grand érudit qui a beaucoup lu. Ses notices géographiques et historiques sont très complètes: il cite Münster, Belleforest, le président de Thou, Duchesne, Pasquier, Masson, mais aussi Hentzner et Zinzerling. La riche synthèse qu'il propose des connaissances antiquaires est d'autant plus intéressante qu'il tire parti des auteurs de référence (Paradin, Rubys pour Lyon, Poldo d'Albenas pour Nîmes, Lipse pour les amphithéâtres, etc.) tout en confrontant leurs témoignages avec les réalités archéologiques qu'il a lui-même observées avec la plus grande perspicacité. Sans doute n'a-t-il pas visité tou-

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tes les cités susceptibles d'être mentionnées pour leurs vestiges romains: Boulogne, Metz ou Besançon manquent à l'appel. Mais il n'oublie aucune de celles qu'il a vues, des plus modestes (Arcueil, Blois, Angers, Poitiers) aux plus importantes (Orange, Arles, Nîmes, Bordeaux). Il est même remarquablement documenté pour un site tel qu'Orange, souvent cité, mais dont la plupart du temps les voyageurs ne retiennent quel' arc et le théâtre. Golnitz mentionne avant Joseph La Pise les ruines del' enceinte de la cité (identifiées dans les deux cas comme celles de thermes), les arènes et les aqueducs. Il a manifestement interrogé les habitants et les érudits locaux. Il est aussi l'un des rares auteurs à signaler les vestiges des amphithéâtres de Béziers et de Narbonne. Il n'hésite pas à critiquer Juste Lipse à propos de l'amphithéâtre d'Arles, quasi intact, que l'humaniste n'a pas dû voir lui-même pour le dire passablement ruiné. S'ensuivent des descriptions détaillées, qui révèlent un authentique savant et non un 57 GbLNlTZ 1631, p. 466-469, simple et habile compilateur57. :Lobservation est ici mise au service de 578, 580, 532-533, 555-557. la science. C'est sans doute l'une des raisons qui firent de son ouvrage 5s Sur les géographes allemands, voir N. BROC, La géograun guide indispensable pour tous les voyageurs, notamment septentriophie de la Renaissance (r420-r620), naux58. C'est une bible pour Élie Brackenhoffer, qui voyagea en France Paris, Bibliothèque Nationale, en 1643-16445 9 . Mais la lecture de Golnitz n'empêcha pas le naïf jeune 1980, p. 77-84, 173-185. 59 BRACKENHOFFER 729-73r. homme de décrire sous le nom de palais Gallien les Piliers de Tutelle de 60 LEHR 1927, p. 106-107, 137· Bordeaux et d'évoquer en dehors de la ville un édifice ovale, construit en 61 Le jeune Thomas, accompagné de son gouverneur, fit un brique, avec une grande place au centre et de nombreux passages, couloirs véritable tour de France: il gagna et voûtes (le véritable palais Gallien, autrement dit l'amphithéâtre) dont le sud par Orléans, Lyon, Vienne, Avignon, Marseille et rentra par la fonction reste, selon lui, à ce jour inconnue. Il passa une nuit à Nîmes Nîmes, Toulouse, Bordeaux et les (8 avril 1645) sans s'intéresser aux superbes antiquités de la ville6° ! villes de la Loire. Mais on ignore

Anglais en route pour l'Italie Au xv1e siècle les Anglais courent moins le monde que les Allemands. Il y eut bien de jeunes aristocrates venus parachever leur éducation sur le continent, tel le jeune Thomas Cecil, fils de Lord Burleigh, ministre d'Elizabeth en 1561-156361 , mais l'on connaît peu de récits de voyageurs britanniques avant la fin du siècle62 • S'ils laissent moins des itinéraires que des souvenirs de voyage, ils n'en sont pas moins érudits que les Allemands 6 3. Thomas Coryate, fils du recteur d'Odcombe, entreprit en 1608 (mai-octobre) un voyage soigneusement préparé qui le mena de France en Italie. Il regagna l'Angleterre par la Suisse, l'Allemagne et les Pays-Bas. Le personnage, dont l'excentricité est souvent mise en avant, n'en est pas moins un personnage cultivé, passionné d'histoire: il livre dans ses Crudities (Londres, r6n) un témoignage intéressant sur les quelques ruines qu'il vit en France, entre Calais et Lyon. Parfaitement

le contenu des visites prévues (G. GurLLEMlNOT, «Heurs et malheurs des jeunes voyageurs en France au XVIe siècle », Voyager à la Renaissance r987, p. 180 sq.). 62 F. MoRYSON, An Itinerary ...

containning his teen yeeres travell, Londres, 1617 (rééd. : Glasgow, 1907-1908, 4 vol.); P. MuNDY,

The Travels of Peter Mundy in Europe and Asia, r608-r667, publié par R. C. TEMPLE, Londres, 1907, t. l ( Travels in Europe, I608-I628). 6 3 Robert Dallington écrit en 1598 le journal de son court séjour en France, comme employé de l'ambassadeur en poste à Paris (The V"iew of Fraunce (sic), Londres, 1604; rééd: Londres, 1936; trad. fr. par E. EMERIQUE, Un

aperçu de la France telle qu'elle était vers l'an r598, Versailles, 1892).

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64 Coryats Crudites Hastily gobled up in jive Moneths travells, Londres, l6n, p. 8, 59;

rééd.: Glasgow, 1905, 2 vol. (éd. fac-similé, avec une introduction de W. B. ScHUTTLE, Scholar Press, Londres, 1978). Sur le voyage de Coryate, voir l'introduction de W. B. ScttuTTLE citée, p. v sq.; A. STEGMAN, « Les figures de voyage d'H. de Colli et de Coryate », Voyager à la Renaissance I987, p. 87-92. 65 Voir C. ANDERSON, « Gorgeous Palaces and Solemn Temples: Inigo Jones and New ldeas of Architecture », Théorie des arts

et création artistique dans l'Europe du Nord IfOO-I740, Lille, Collec-

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documenté, il n'oublie pas de signaler la Tour d'Ordre, à Boulogne, vue au début de son voyage« a very high and strong watch tower »,et les vestiges de Fourvière, à Lyon 64 . Coryate cite d'ailleurs Symphorien Champier, qui n'est pas la meilleure source lyonnaise, car trop ancienne. En Italie, il décrit aussi les antiquités, car l'architecture le touche au premier chef et son analyse des villas de Palladio est particulièrement attentive65. D'autres Anglais suivirent, Peter Mundy66 , Peter Heylin67, Richard Symonds 68 , et le riche et talentueux John Evelyn, auteur d'un volumineux journal. John Evelyn séjourna à plusieurs reprises à Paris dont il décrit en détail les édifices. Il y arriva à la fin de l'année 1643, avant de se rendre quelques mois plus tard en Italie. C'est l'occasion de prendre le chemin des écoliers (Orléans, Tours, Moulins, Lyon, la vallée du Rhône, Marseille) puis de s'embarquer à Cannes pour Gênes. Il a vu en cours de route tous les antiques importants: à Périgueux la Tour de Vésone et l' amphithéâtre, qu'il prit la peine de dessiner, l'« amphithéâtre» assez bien conservé de Vienne (en réalité le théâtre), enfin l'aqueduc de Fréjus 69 . Il signale également l'emplacement de l'amphithéâtre disparu de Bourges7°. Il ne fit pas un détour par Nîmes, ni par Arles, et se contenta d'apercevoir de loin la cité d'Orange. Ses notations brèves sur les antiquités ne suscitent aucun commentaire personnel. Elles font seulement partie des curiosités que tout gentleman se doit d'avoir vu. Les ruines de Gaule les plus prestigieuses ne méritent pas une étape spéciale. Le journal du futur traducteur de Fréart de Chambray se révèle de ce point de vue infiniment plus banal que le récit attachant de Coryate71 . Au milieu du x:vne siècle l'humanisme de la Renaissance est depuis longtemps oublié.

tion UL3 Travaux et recherches, 2002, p. 158. 66 À son retour de Constantinople, Mundy regagna Londres à la fin de l'été 1620 par l'Italie et la France. En une vingtaine de jours (24 août-13 septembre 1620) il atteignit Calais par Chambéry, Lyon, Nevers, Orléans, Paris, Beauvais, Abbeville et Boulogne: il signale seulement le Louvre et quelques curiosités parisiennes (op. cit., p. n9-134). Sur ce grand voyageur, voir l'introduction de R. C. Temple (op. cit., p. xiii-lxiii). 67 Le journal de Peter Heylin (1625) est fort pauvre du point de vue des antiquités gallo-romaines. Son voyage est bref et limité au nord de la France (C. J. GosSlP, « Les voyages en France de Les artistes Peter Heylin (1625) et de Richard Symonds (1649) », Découverte de la France 1980, p. 389-402). En dehors des diplomates, professeurs et étudiants ou des simples voya68 Il est l'auteur d'un jourgeurs, beaucoup d'autres étrangers furent amenés à traverser la France, à nal manuscrit (Londres, British Library, ms. Harl. 943), dont y résider temporairement, où à s'y fixer définitivement. Certains artistes des extraits sont reproduits dans P. MuNDY, op. cit., I, p. 217-235. 6 9 DoBSON 1906, I, p. 121, 126. Evelyn mélangea+ il ses notes pour faire succéder à l'étape de la Sainte-Baume (9 octobre 1644) la visite de Périgueux et de ses fameux antiques (ce dont ne s'est aperçu aucun éditeur), ville qu'il confond avec Fréjus, puisqu'il enchaine,« The place was formerly called Forum Julii, well known by antiquaries »? Le manuscrit de ce journal fut publié pour la première fois en 1818 par W. Bray (Memoirs Illustrative of the Lift and Writings ofJohn Evelyn ... , Comprising his Diary, from the Year I64I to IJOf-Ô). Sur Evelyn et la France, voir BABEAU 1885, p. 99-105; HALL 1980, p. 379-388 (bibliographie récente sur Evelyn et les éditions du journal). 7o DoBSON 1906, I, p. 117. 7 1 Il traduisit en 1668 son traité sur la peinture (An Idea ofthe Perfection ofPainting).

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72 De la peinture: dialogues de la péninsule ibérique qui se rendaient en Italie traversèrent l'ancienne avec Michel-Ange, traduit de l'itaNarbonnaise, tel le Portugais Francisco de Holanda, envoyé par Jean III lien par S. MATARASSO-GERVAIS, de Portugal se former en Italie au contact des maîtres et des œuvres. Aix-en-Provence, Alinea, 1984, p. 91-92. Quelques indications fournies dans ses dialogues sur la peinture confir73 C'est le trajet suivi par Beament l'itinéraire de Lisbonne, qu'il quitta en janvier 1538, jusqu'à Nice où tis pour aller à Antibes (CHASTEL 1987, p. 253-264). il arriva en mai. Il y rejoignit l'ambassadeur Dom Pedro Mascarenhas qui, 74 Antigualhas, El Escorial, avant de gagner Rome, fit étape dans la ville où François Jer et CharlesBiblioteca Real de San Lorenzo, Codex Escurialensis 28-I-20, f. Quint tentaient de négocier une paix durable sous l'arbitrage de Paul III. 54vo. Holanda précise qu'il suivit la voie romaine, c'est-à-dire la via Domitia, 75 Da Pintura Antigua, éd. d'A. qui le conduisit de Barcelone à Narbonne, puis à Nîmes. Selon ses dires, Gonzalez Garcia, Lisbonne, 1984, II, 1, p. 20. Sur la constitution du il la retrouva après avoir longé le Rhône, à Fréjus et Antibes: il s'agit cette codex, voir S. DESWARTE-RosA fois de la via Aurelia72 . Il remonta sans doute sur Avignon, puis coupa, « Francisco de Holanda et le Cortile di Belvedere », Il Cortile delle selon la route traditionnelle, par Tarascon, Salon-de-Provence, Saintstatue. Der Statuenhof des BelveMaximin, Brignoles73. Le peintre n'était point pressé puisqu'il mit près de dere im Vatikan, P. Von Zabern, Mayence, 1998, p. 389-391 et n. 9. cinq mois pour se rendre de Lisbonne à Nice. Un dessin du fameux livre 76 E. Tormo (Os Desenhos des Antigualhas, conservé aujourd'hui à la bibliothèque de San Lorenzo das antigualhas que vio Francisco D'Ollanda, pintor portude I.:Escorial, représente l'amphithéâtre de Nîmes en perspective, le rezgés, Madrid, 1940, p. 14), repris de-chaussée à moitié enterré et l'arène en partie occupée par des habitapar la plupart des auteurs postétions74. Cette vue tout à fait réaliste confirme l'intérêt de Francisco pour rieurs, estime qu'après avoir traversé la France Holanda retourna les ruines. On peut s'interroger sur le fait qu'il n'y ait qu'un dessin conpar la frontière atlantique. Selon cernant les vestiges du Sud-Est de la France, alors qu'il est avéré qu'il en R. Moreira (« Novos datos sobre Francisco de Holanda », Sintria vit d'autres, dont il dut garder un témoignage graphique. Mais le codex 1-11 (I), 1983, p. 663, n. 28), le de !'Escorial est un livre d'apparat qui propose une anthologie des dessins peintre aurait regagné directement le Portugal de Naples par réalisés par Holanda lors de son périple. Originellement destinés, comme voie maritime. il nous l'apprend lui-même, au roi et à son frère l'infant Dom Luis, ils ont 77 M. T. CARACCIOLO, « Le voyage à Rome du temps des fait l'objet d'une sélection et d'une rigoureuse réorganisation entre 1557 "Fiamminghi" »: la route franet 1571 pour aboutir aux Antigualhas que nous connaissons75. De toutes çaise et l'étape à Lyon », Bolletino façons il ne peut s'agir des originaux faits in situ: la plupart des dessins du d'Arte, Supplément au n° mo, 1997, p. 23-40; D. TERNOIS, codex, exécutés à la plume et à l'encre sur papier souvent préparé, ont été « Peintres et dessinateurs néernécessairement réalisés à l'atelier. Il paraît difficile de dater le dessin orilandais à Lyon du xvre au xvne siècle », Cahier n° 2 de l'Institut ginal en raison de la controverse qui oppose les spécialistes sur l'itinéraire d'Histoire de !'Art de l'Université de retour de Holanda qui quitta la Ville éternelle en même temps que de Lyon 2, 1976, p. 25-68. 7 8 Sur les Hollandais et les l'ambassadeur portugais après mars 154076 . Scandinaves en France, voir Des peintres septentrionaux allèrent eux aussi se former en Italie, MArnoREz 1921 , II, p. _ , 173 335 via Lyon, cité cosmopolite où ils travaillaient souvent quelque temps et 337-410. pour certains se fixaient définitivement. Plus sensibles au paysage qu'aux édifices antiques et modernes, ils ont laissé de leur passage des vues souvent pittoresques 7 7. Deux Néerlandais apportent au xvne siècle des témoignages originaux et précieux sur les ruines nationales: Joachim Duviert et Herman van der Hem78 . Joachim de Weert, Duwiert ou Duviert, par-

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courut la France entre 1609 et 1614- Il fut, selon Henri Bouchot, « un coureur de route dessinateur d'occasion » 79 . Parmi les nombreux dessins conservés à la Bibliothèque nationale et consacrés principalement à des vues de villes, plusieurs représentent les antiquités gallo-romaines. Les dessins, plus précis et élégants qu'on ne le dit, ont l'avantage de donner des représentations fidèles de certains édifices romains très rarement représentés comme la Tour d'Ordre de Boulogne, qui constitue dans la vue un étrange amer par sa structure pyramidale à étages en retrait les uns par rapport aux autres 80 • La vue de Dax datée de 1612 a le mérite de montrer le pont romain en pierre fortifié, aujourd'hui disparu car il fut emporté par une crue de l'Adour en 1770 81 (Fig. 4). On regrettera d'autant plus que l'artiste n'ait pas visité le Sud-Est de la France. Plus jeune que Duviert, Herman van der Hem fait partie des nombreux colons hollandais établis dans les grands ports atlantiques, Nantes, La Rochelle ou Bordeaux. On ne sait pour quelles raisons ce jeune artiste, originaire d'Amsterdam, demeura une dizaine d'années dans la capitale bordelaise où il mourut le 2 juin 1649, à l'âge de trente ans. Au vu des très nombreux dessins qu'il a laissés, conservés en France et en Autriche 82 , il apprécia beaucoup l'Aquitaine et plus particulièrement la cité dont les quais, l'estuaire et l'intense activité portuaire devaient lui rappeler son pays. Aussi a-t-il décliné à l'infini les vues du port de la Lune, masse compacte hérissée de clochers bordant l'estuaire, où l'on aperçoit souvent au premier plan les Piliers de Tutelle. Il ne fut pas seulement sensible aux paysages, à la Garonne qu'il descendit et remonta à plusieurs reprises, et dont il releva avec le plus grand soin les sites de ses rives, mais aussi aux monuments: il laisse une magnifique représentation des Piliers de Tutelle où la poésie des ruines se conjugue à la précision réaliste du peintre septentrional (Fig. 5). Mais il eut une tendresse particulière pour l'amphithéâtre ou palais Gallien, devenu alors un lieu mal famé du fait de sa situation excentrée. Les nombreux dessins de l'édifice, vus sous des angles différents, simples crayons ou représentations abouties d'une remarquable finesse, attestent la fascination qu'il éprouva devant la beauté sauvage de la ruine qui surgissait comme par magie d'un site abandonné et désert (Fig. 6). Larchitecture intéressait de toute évidence le jeune homme, comme le révèlent ses vues du phare de Cordouan ou du château et de la chapelle du duc d'Épernon, à Cadillac83 . Cet artiste, cité jusqu'ici pour la valeur documentaire de ses dessins sur Bordeaux et l'Aquitaine au temps de Louis XIII, mérite une étude approfondie qui lui accorde une place aussi importante que celle de ses compatrio-

BOUCHOT 1886, p. 6. DuvrnRT Vx 23. 81 Sur la vue de Dax, voir Bordeaux 1904, p. 16-17, 31; E.-]. DuFOURCET et G. CAMIADE, « Une vue de Dax en 1612. Léglise de Saint-Paul, sa crypte et son abside », Aquitaine historique et monumentale, II, Dax, 1893, p. 93-139. 8 2 La première collection fut recueillie par son père (HEM 26n). Son frère, le géographe Laurent van der Hem, inséra la seconde dans le tome V, consacré à l'Aquitaine, de l'exemplaire qu'il possédait de ! 'Atlas Major sive Cosmographia Blaviana, publié par Jean Blaeu en 1662 (HEM V), cf S. REINACH, « Le colosse d'Apollon à Délos », Bulletin de Correspondance hellénique, XVII, 1893, p. 130; G. GoYAU, Le vieux Bordeaux à la bibliothèque impériale de Vienne, Rome, 1894, p. 1-3 (Extrait des Mélanges d'archéologie et d'histoire, EFR, XIV); Bordeaux 1904, p. 13-16, 19-21, 23-24. 83 C. BRAQUEHAYE, « Dessins et inscriptions inédits des monuments funèbres de Bordeaux de la fin du x:vre siècle détruits en 1792 », Réunion des Sociétés des Beaux-Arts des départements, 1902, p. 405-419. 79

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tes qui séjournèrent ou firent étape à Lyon.

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La culture italienne Il serait sans doute absurde de voir en tout homme venu de la Péninsule un antiquaire averti, qui n'a d'autre idée que de visiter les ruines gallo-romaines rencontrées sur son trajet. Les motifs du voyage, la durée du séjour, l'itinéraire emprunté, les circonstances enfin limitaient souvent les visites. Tous ne décidèrent pas non plus de fixer leurs impressions par écrit et, lorsqu'ils le firent, le propos est souvent diplomatique, littéraire ou politique. Marco Tullio Garganello qui, séduit par la Provence, se fixa dans la cité papale où il avait accompagné le cardinal Farnèse, a laissé une correspondance qui est une vivante chronique de !'Avignon galante. À l'occasion elle nous apprend la visite en 1559 du poète Giovan Andrea dell'Anguillara et de quelques gentilshommes venus voir, entre autres, « l' anticaglie » de Glanum et le fameux Pont du Gard. Garganello connaissait parfaitement lui-même les édifices, comme Alexandre Farnèse, devenu depuis son correspondant, mais il n'a d'autre but que de 84 BENOÎT 1925, lettre XXX, divertir son patron tout en l'informant84 . Le long séjour en Provence de p. 87-88. Luigi Alamanni, exilé politique, inspira plus le poète que l' antiquaire85. 85 H. HAUTEVELTE, Un exilé Quant à la lettre que le Tasse adressa en r581 au comte Hercule de Contari, florentin à la cour de France au XVIe siècle, Luigi Alamanni (r495elle est avant tout la comparaison établie entre la France et l'Italie, docur556). Sa vie et son œuvre, Paris, ment plus important sur la situation en France à la veille de la SaintHachette, 1903, p. 26-6r. 86 Lettera ... nella quale si para86 Barthélemy que sur les antiquités du royaume . Mais il est évident que gona !'!tafia alla Francia, Venise, la tradition humaniste est plus ancienne en Italie qu'en France et que 158r. Le Tasse vint en France peu le rapport à !'Antiquité, à travers les ruines monumentales romaines, avant la Saint-Barthélemy, à la est au xvre siècle plus naturel et immédiat pour un habitant de Rome, Vérone ou Naples, que pour tout autre Européen. Le fait qu'à l'exception de la relation de Jérôme Münzer les premiers 3· ournaux de voyage conservés qui traitent des ruines visitées en France soient italiens (Guichardin, Beatis, Janis, Anonyme milanais) n'est pas indifférent. La précocité des

suite du cardinal d'Este, délégué par le pape auprès de Charles IX. 87

Voir O. BALBO, O. n'AMATo, Q PARIS et A. TERRANOVA, L'an-

ticocomeluogodimemoria,Rome, Casa del Libro Editrice, 19 8+

témoignages révèle l'écart culturel entre les deux nations. Encore dans les années r560 les commentaires d'un Symeoni sur les antiquités qu'il visita au cours de ses périples en France, d'une grande pertinence, sont plus modernes que la plupart des publications que l'on pouvait lire jusque-là; la familiarité avec les antiquités de son pays permettait rapprochements, identifications, datations, et autorisait des jugements assez sévères sur la négligence des Français vis-à-vis de leur patrimoine antique. Il est enfin avéré que les architectes italiens connaissaient fort bien les antiquités gallo-romaines: certains d'entre eux, et non des moindres, Giuliano da Sangallo, Fra Giocondo, Vignole ou Vincenzo Scamozzi, ont séjourné en France ou y ont résidé, comme Serlio à partir de r54r. En outre les ruines de Gaule, et plus spécialement celles de la Narbonnaise, ne les dépaysaient pas: elles étaient comparables en taille et majesté aux plus prestigieuses de l'Italie. Lieux de mémoire, elles étaient aussi les signes encore tangibles de ce qu'avait été la puissance et l'étendue de l'Empire Romain,« Roma quanta fuit »87.

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De tous les récits de voyage des Italiens en France, répertoriés par Marc H. Smith dans une passionnante étude, seules quelques figures, parmi les plus représentatives, ont été ici retenues 88 . On sait le rôle de la diplomatie vénitienne à la Renaissance. Les ambassadeurs, choisis parmi les familles patriciennes, ont toujours été fort respectés par les rois de France. Ils ont laissé des relations de leur séjour plus ou moins longues qui ont été publiées en grande partie au XIXe siècle par Niccolà Tommaseo et Eugenio Alberi 8 9. Ces documents essentiellement politiques fournissent quelquefois de riches indications sur la curiosité personnelle de leurs auteurs et sur les monuments qu'ils ont pu visiter, notamment lors du trajet qui les mena en France. Personnages cultivés, ils n'oublient jamais d'aller voir les antiquités quand l'occasion s'en présente. Ils sont frappés par l'état dégradé des ruines, qui ont la plupart du temps perdu leur décor sculpté et les statues qui les ornaient, et par le peu d'attention qui leur est généralement accordée; mais en connaisseurs ils en admirent la beauté intrinsèque. Ils en évaluent l'intérêt et l'importance, selon les matériaux utilisés, la taille, le décor. Surtout ils savent les décrire. Ils maîtrisent dès le début du xvre siècle le vocabulaire architectural diffusé par les premières éditions du traité de Vitruve, vulgarisé par la traduction commentée de Cesare Cesariano (1521), consacré enfin par les Regole generali de Serlio (1537), mais aussi par les planches des bases, chapiteaux et entablements de Serlio, gravés par Agostino Veneziano à Venise dès 1528. Les élites vénitiennes ont une connaissance directe des ruines monumentales d'Italie du Nord, de Vérone et Rimini, mais aussi de Dalmatie (Pola), et une culture architecturale que les milieux les plus cultivés en France, à quelques exceptions lyonnaises près, n'acquirent que beaucoup plus tard. Venu d'Espagne, où il était resté trois ans en poste, André Navagero dut gagner aussitôt son nouveau poste en France par Bayonne, Bordeaux, Poitiers, Orléans. Cet élève de Sabellicus, ami de Manuce, Bembo et Castiglione, qui écrivait un latin d'une grande finesse, a laissé une relation en langue vulgaire de son voyage en Espagne et en France. Elle fut publiée en 1563 à Venise, longtemps après la mort de l'auteur survenue à Blois en 1529, ce qui explique que cette édition, par ailleurs rare, soit si négligée 90 • Dans son trajet vers Paris le diplomate n'omet aucune ruine digne d'attention, et visite les antiquités de Bordeaux, Saintes et Poitiers. Il évoque rapidement celles de Lyon (aqueduc et vestiges de Fourvière). Les descriptions les plus longues concernent les édifices bordelais et l'arc de Saintes 91 . Elles sont tout à fait révélatrices de la culture de l'ambassadeur vénitien, qui fut considéré à son époque comme le parfait exemple de l'homme de lettres et dont Raphaël fit le portrait, aujourd'hui conservé à Rome (Galerie Doria-Pamphili). En effet, à la date où il écrit, il ne dispose d'aucun ouvrage, guide, cosmographie ou relation de voyage susceptible de diriger ses pas ou d'attirer son attention. Si à l'extérieur de la métropole bordelaise, l'amphithéâtre ne suscite de sa part d'autre

88 Les Italiens à la découverte de la France au XT/Ie siècle. Géographie, voyages et représentations de l'espace (Thèse pour le doctorat en histoire, Paris, EPHE, 1993), 3 volumes. 89 TüMMASEO 1838; E. ALBERI, Relazioni degli ambasciatori veneti, Florence, 1839-1863, 15 vol. Voir aussi O. FERRARA, Le XT/Ie siècle vu par les ambassadeurs vénitiens, traduit de l'espagnol par F. de MroMANDRE, Paris, Albin Michel, 1954· 9o Sur Navagero, voir ToMMASEO 1838, I, p. 3-9; Carlos V. Las armas y las Letras, Catalogue de l'exposition 14 avril-25 juin 2000, Grenade, Hôpital Royal, Madrid, 2000, p. 415-416 (notice ro8). 91 Sur le séjour à Bordeaux, voir P. CouRTEAULT, « Un ambassadeur vénitien à Bordeaux en 1528 », Revue historique de Bordeaux et du département de la Gironde, 1913, p. 368-372.

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réaction qu'une remarque à propos de son assez bon état de conservation, Navagero repère immédiatement intra muros un fragment de l'enceinte antique. Il laisse des Piliers de Tutelle une description tout à fait remarquable: il l'analyse dans sa structure (plan, élévation, voûte, accès), comme dans son ornementation (décor sculpté, pavement): « È questa sepoltura una fabrica quadrata, ma più longa che larga, fatta con bonissimi e grossissimi fondamenti di pietre fortissime, sopra li quali vi sono per il longo sette spazii tra colonne striate altissimi e bellissimi; e per il largo, cinque. Sopra le colonne vi è il suo archiotrave; e sopra l'architrave tanti volti, non molto alti, quanto i spazii tra le colonne di sotto. In mezzo d' ogniuno di questi volti, sono le sue pile quadre che vengono sopra le grande di sotto; e in ogn'una vi è una figura di mezzo rilevo, sl della parte di dentro corne di fuora. In cima di tutta l' opera è finita con il suo cornisone. Il piano che è abbraciato in mezzo di tutta questa fabrica mostra ch' era saleggiato di pietre grandi, delle quali an cor vi resta qualch' una; e sotto vi è un volto che di sotto terra va a torno a tutta questa fabrica, nel qual par quasi segno che se vi intrava per una scala per il piano di sopra. Pur si poteva anco forsi intrare per qualche porta da qualche parte, per esser tutta la fabrica (ancor che il volto sia sotto il piano) fondata perà sopra terra. Questo volto ha alcuni balconeti che li dan luce; e ll de sotto penso io che si mettevan le urne e le cenere di quelli de chiera la sepoltora92 ». 92 NAVAGERO 1563, éd. ToMOn ne saurait reprocher à l'Italien de n'avoir pas su identifier ce MASEO 1838, l, p. 18, 20. monument atypique. Les Français, bien des décennies après, Élie Vinet 93 NAvAGERO 1563, éd. ToMMASEO 1838, l, p. 20-21, 22-26. le premier, repris par une pléiade d'auteurs, )': virent sans plus de fonde94 MINUCCI, éd. BERNARD! ment un temple et se contentèrent d'indiquer les mesures de l'édifice, 1862, p. 86-87, 61-62, 78. Le le nombre de colonnes avec une mention spéciale pour la voûte plate journal de Minucci a été partiellement traduit par G. BRUYÈRE, souterraine de l'édifice; ils préféraient longuement commenter l'origine M. T. CARAccroLo-Aruzzou et du nom« Tutelle». Navagero mentionne encore un temple de moyenne ]. GurLLEMAIN (« Lyon 1549 », Travaux de l1nstitut d'Histoire de grandeur: ce témoignage est d'autant plus important qu'il est unique. Le !'Art de Lyon, 16, p. 173-18). silence de Vinet à son sujet semble indiquer que le monument disparut peu après son passage. Il décrit ligne par ligne, en les commentant, les inscriptions encore lisibles del' arc sur la Charente à Saintes, sans oublier les vestiges del' aqueduc. :Lamphithéâtre de Poitiers lui paraît, malgré son état délabré, avoir été plus grand que celui de Bordeaux9 3. Les témoignages plus tardifs d'Andrea Minucci et de Jérôme Lippomano, si brefs soient-ils, ne font que confirmer le regard averti que les Vénitiens posent sur les antiquités gallo-romaines. Ils ne sont jamais méprisants, bien au contraire. Minucci, excellent médecin, accompagna à sa demande le jeune Alvise Cornaro, Prieur de Chypre et Chevalier de Malte, désireux de se rendre à Paris. Partis de Venise le 5 octobre 1549, ils firent route vers Lyon par le Mont-Cenis. C'est l' occasion pour Minucci de décrire en détail cette ville cosmopolite, plus italienne que française, où il passa quatre jours complets. Il signale avec le plus grand naturel les antiquités lyonnaises qu'il a pu voir, de la modeste sépulture antique (le Tombeau des deux Amants) aux imposants vestiges d'aqueducs, qui lui paraissent en taille comparables à ceux de Rome. :Lltalien, qui a visité quelques jours auparavant les ruines imposantes de Vérone et l'arc de Suse, parle en connaisseur94 .

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Malheureusement le voyage fut de courte durée. Minucci et Cornaro étaient à peine arrivés à Paris, où Alvise retrouva son frère l'évêque de Trévise, que leur parvint la nouvelle de la mort de Paul III. Le clan Cornaro décida aussitôt de regagner au plus vite l'Italie. Minucci n'eut que huit jours pour visiter la capitale et ses prestigieux édifices. Le 18 novembre, il reprit pour sa part la route de Lyon, et regagna Venise début janvier par Suse et Turin. En 1551, nommé archevêque de Zara, il abandonna la médecine pour se consacrer à ses nouvelles tâches. La relation de Jérôme Lippomano, qui séjourna en France trois ans, fut rédigée par son secrétaire. Très précise et instructive quant à la vie trépidante d'un ambassadeur amené sans cesse à se déplacer pour suivre un roi toujours en mouvement, elle est sans doute moins personnelle que celle de Minucci et moins touristique que celle de Navagero, qui prit le temps de faire les étapes qu'il souhaitait. Lippomano gagna en 1577 son poste par la Bourgogne et la Champagne, et rejoignit Henri III à Tours. Ses déplacements se limitèrent à ceux de la cour (Châtellerault, Poitiers, Paris, Fontainebleau). Il quitta la France le 26 novembre 1579 et retourna en Italie, par Lyon. Poitiers, où il séjourna trois mois, est la seule ville mentionnée pour ses antiquités. Lippomano admire les arcades del' aqueduc poitevin qu'il vit à l'extérieur de la cité et met en relation l'édifice avec l'amphithéâtre, mais il s'étonne que l'on tînt si peu compte d'un tel bâtiment, «quasi tutto sotto terra »9 5. Il ne confond 95 Mérimée (1836, p. 178) quelpas le mégalithe situé non loin de la cité poitevine, connu sous le nom que trois siècles plus tard regretde Pierre Levée, avec une antiquité, même s'il reste intrigué par sa prétera pareillement l'indifférence sence96. Mais l'architecture contemporaine le séduit bien davantage: il durable des Français pour l'étude de leurs antiquités, qui a laissé n'a rien vu de plus beau que Chambord! perdre cet édifice. Il ne faut point s'étonner que les témoignages des Italiens sur les 96 L1PPOMANO, éd. ToMMASEO 1838, II, p. 312, 313. ruines soient encore plus pertinents et plus intéressants pour le lecteur 97 VARILLE 1923, p. 460-464. moderne dans la seconde moitié du XVIe siècle. Les diverses publications Sur Symeoni, voir RENucc1 1943-1 et 1943-2. de Fulvio, de Biondo, de Marliani ou de Sarayna, le développement des 98 PROVOST/MENESSIER/ études vitruviennes, les ouvrages de Serlio ont donné à tous les lettrés les LECLANT 1994, p. 61. références nécessaires. Le polygraphe florentin Gabriel Symeoni est sans doute le représentant le plus accompli de cette nouvelle génération d'antiquaires. Toujours en quête de protecteurs, il dut se résigner à une vie itinérante et mourut à Turin, accueilli par Emmanuel-Philibert de Savoie. Jamais la France n'eut un meilleur connaisseur de ses vestiges, dont rendent compte un premier ouvrage publié en 1558 en italien (Illustratione de gli epitafji et medaglie antiche) et en français (Les Illustres observations antiques), puis le Dialogo pio, édité deux ans plus tard, et enfin son ouvrage sur les antiquités de Lyon, resté manuscrit (!559). Sa science archéologique est moins précaire que ne le croit Mathieu Varille: Symeoni fut à bien des égards un pionnier. Il avait la sûreté de jugement d'un familier de l'antiquité romaine 97. Protégé de l'évêque de Clermont Guillaume Duprat, Symeoni eut l'occasion de se rendre à plusieurs reprises en Auvergne. Dans une région qui ne s'ouvrit que fort tard au courant humaniste, il est le seul en son temps à signaler des inscriptions et des pierres sculptées dans le Puy-de-Dôme98 , en particulier un fronton, de provenance inconnue, qui lui fut montré

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sur la porte d'un hôpital de Clermont par Antoine Alacris, chanoine de la cathédrale99. Loin de voir comme Claude Champier dans le château de Polignac, situé non loin du Puy-en-Velay, un édifice construit par Apollon, qui lui aurait valu son nom 100 , il se borne à signaler le masque du dieu, selon la tradition locale, tête barbue qui avait été trouvée sur la place publique et transportée à une date indéterminée au château. Surtout il identifie à l'intérieur du château les restes d'un temple qu'il attribue à Apollon (à cause du masque), « che è anchora hoggi tutto intero »;il le rapproche des ruines d'un autre édifice semblable, vu dans le château voisin de Solignac. Les archéologues modernes ne semblent pas avoir pris en compte ces observations, alors qu'ils ont trouvé dans le donjon du château de Polignac des voussoirs et une portion d'architrave antiques 101 • S'il ne s'agit pas d'un temple, comme le suggère Symeoni, de quel édifice est-il question, ou de quels fragments d'édifice? I.:inscription que l'humaniste a découverte « in un angulo del sinistro lato » dudit temple, base de statue avec une inscription en l'honneur de l'empereur Claude, confirme l'existence d'un site archéologique 102 . Le château de Polignac a de fait joui d'une incontestable célébrité auprès des antiquaires et voyageurs. Martellange le dessine en 1617, et Mérimée près de deux

99 SYMEONI 1560, p. 181-182. Voir ESPÉRANDIEU, III, n° 1595, p. 392-393. Ce bas-relief de granit, décoré d'un masque ailé de Méduse et de serpents bifides devait surmonter un monument funéraire. Litalien décrit aussi une borne milliaire cylindrique en arkose trouvée à Pérignat-sur-Allier et en donne une reproduction gravée (SYMEONI 1560, p. 188), cf RENucc1 1943l, p. 90-91. 100 CoRROZET/CHAMPIER 1540, f xlvii. 101 SYMEONI 1560, p. 148, 191192, 2oi. Voir PRovosT/RÉMY 1994, p. 83-84, 152. 102 SYMEONI 1560, p. 199. Voir PROVOST/RÉMY 1994, p. 83-84. 103 BnF, Estampes, UB 9a, 142; MÉRIMÉE 1838, p. 123. 104 SYMEONI 1558, p. 14, 150. 1os SYMEONI 16, f 4. Linitiative était due en l'occurrence au père de Jean Poldo d'Albenas (PoLDO n'ALBENAS 1559/r560,

p. 27).

siècles plus tard discute encore du fameux masque antique 103 . En 1557 Symeoni se rendit en Italie par Lyon, Vienne et Marseille. Ce fut l' occasion de recopier des inscriptions, d'aller voir les antiquités des principaux

106 Voir V. L. SAULNIER, « Un opuscule inconnu de Gabriel Symeoni », Bibliothèque dHu-

sites rencontrés sur la route, sans omettre le pèlerinage à Fontaine-deVaucluse pour rendre hommage à Pétrarque. À Vienne, il identifie parfai-

Genève, x, 1948, p. 131_133. 107 Voir infra, P· m-m.

manisme et Renaissance, Droz,

tementl' église Notre-Dame-de-la-Vie comme un temple antique mais manque de temps pour en demander un dessin. Au retour il visite Nîmes, ses Arènes, «un assai intero & bellissimo Amfiteatro o Coliseo »10 4. Il apprécie beaucoup l'initiative des Nîmois qui avaient fait installer à la Porte de la Couronne des vestiges dispersés 105. Mais Lyon est la ville que connut le mieux le Florentin pour l'avoir étudiée à loisir. Il y séjourna à plusieurs reprises, en 1539 aux côtés de François de Lorraine; il y résida de 1554 à 1556, peut-être y était-il encore en 1567. Il put ainsi surveiller l'impression de ses livres publiés pour la plupart par Guillaume Roville et Jean de Tournes. On sait aussi qu'il fréquenta Guillaume du Choul, passionné comme lui d'archéologie, à qui il adressa une lettre où il relatait le siège de Volpiano 106 . Il est sans conteste le premier à avoir entrepris une véritable enquête sur le terrain, en dépit des difficultés, puisqu'il subsistait peu de ruines visibles de la capitale des Gaules. Pierre Sala, Claude Bellièvre, Guillaume du Choul avaient déjà signalé les aqueducs, Bellièvre le théâtre. Du Choul avait reconnu dans l'abbaye d'Ainay des colonnes antiques qui avaient dû appartenir au sanctuaire confédéral 107 . Symeoni va beaucoup plus loin. Son ouvrage le plus abouti sur le sujet est le manuscrit dédié à Emmanuel-Philibert de

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Savoie, conservé à Turin. La mise en page très soignée et la qualité des illustrations révèlent qu'il avait sans doute l'intention de le publier. Hélas le manuscrit resta inédit jusqu'en 1846. Encore Jean-Baptiste Monfalcon jugea-t-il inutile de publier les cent quarante-cinq dessins à la plume, jugés médiocres 108 ! Le site exceptionnel de Fourvière est pour lors en grande partie couvert de vignobles; seules quelques maisons des champs, comme l'« Anticaille » qui avait appartenu à Sala, en viennent égayer le paysage. C'est là toutefois qu'on peut découvrir quelques vestiges du théâtre (probablement l'Odéon), dans la vigne de Barondeo, et d'édifices importants qu'il identifie comme la« Zecca »,le palais de Sévèrel09, ou des thermes: il se fonde pour cela sur les similitudes des vestiges lyonnais avec les ruines du Palatin et des thermes de Caracalla 110 • Peu importe que ces identifications ne soient pas nécessairement corroborées par les érudits modernes; l'Italien a indéniablement vu et reconnu des constructions romaines. Il a parfaitement identifié les vestiges de l'amphithéâtre, dans la vigne d'Auxerre sur la côte Saint-Sébastien (colline de la Croix Rousse) 111 (Fig. 7). Les dessins de la« Grotte Berelle », ou des vestiges qu'il attribue au palais impérial, dont la fonction aujourd'hui encore n'est pas clairement définie, fournissent aux archéologues modernes un témoignage très précieux 112 • Mais Symeoni n'a pu explorer, comme il le souhaitait, le sol de la cité si riche en vestiges de toutes sortes: à son grand regret, les Lyonnais, trop indifférents à leur patrimoine antique, n'ont pas procédé aux fouilles profondes qui seules auraient permis d'exBIER!, Tacuino di viaggio da Parigi a Venezia, Civi{tà Venezianahumer le forum, les somptueux édifices civils et religieux qui avaient Ponti et Testi, l'e série, l, Venise/ nécessairement orné Lugdunum. Plus systématique que les antiquaires Rome, 1959, p. 14-15, 18-22. lyonnais, collectionneurs avant tout, passionnés plutôt par les inscriptions et les ruines de Rome, !'Italien apporte paradoxalement le témoignage le plus complet sur les antiquités lyonnaises avant les grands érudits des xvne et xvme siècles, Jacob Spon et le Père Colonia. Quelques grandes figures del' architecture nous paraissent représentatives de cette culture qui fit longtemps défaut à leurs collègues français et européens. Fra Giocondo, Giuliano da Sangallo, Sebastiano Serlio et Andrea Palladio appartiennent à des générations différentes. Tous cependant ont étudié les ruines avec passion et ont laissé de leur activité archéologique des témoignages importants. Des antiquités aussi imposantes et grandioses que celles de la Gaule Narbonnaise, dont la qualité ne le cédait en rien à celles de Rome, ne les laissèrent pas indifférents. En revanche, Scamozzi, qui en 1600 rejoignit à Montbéliard la suite de Francesco Contarini, nouvel ambassadeur de la Sérénissime République auprès de Henri IV, n'eut pas l'occasion de les étudier 11 3.

MoNFALCO-'f 1846-2. Le monument dessiné ou gravé par Androuet du Cerceau (Du CERCEAU 1760, f. II; Du CERCEAU 904, f. ro8; Du CERCEAU 2 b, non folioté), sous l'appellation « Palativm. Se. Lvgdvni » incline à penser qu'il s'agirait du palais de Sévère. 110 SYMEONl 1558, p. 152; SYMEONl 16, ff 85, 88; SYMEONI 1560, p. 12-13. 111 SYMEONI 16, f 34; SYMEONI 1560, ibid. 112 SYMEONI 16, ff. 84v0 , 89. Sur Symeoni et les antiquités de Lyon, voir RENuccr 1943-1, chap. V. 113 Il chemina par Vesoul et Langres, dont il remarqua les fortifications. Arrivé dans la capitale le 20 février, il rentra à Venise quelques semaines plus tard avec Francesco Vendramin, le prédécesseur de Contarini. On a conservé le récit de ce voyage qui le conduisit de Paris à Venise (14 mars-II mai) par la Lorraine, l'Alsace et la Suisse, itinéraire qui ne permettait pas plus qu'à l'aller de visites « archéologiques ». Sur ce voyage et sa relation, voir F. BAR1os

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114 G. \!'\SARI, Les vies des :Larchitecte véronais Fra Giocondo séjourna longuement en France meilleurs peintres, sculpteurs et entre 1495 et 1505. Il quitta sans doute Naples en 1595 avec Charles VIII architectes, Paris, Berger-Levrault, et travailla pour Louis XII de 1500 à 1506: l'ingénieur dirigea à Paris la 6, p. 273-318; P. DE NOLHAC, « Recherches sur Fra Giocondo reconstruction du pont Notre-Dame, et réalisa dans tout le royaume de Vérone », Courrier de !'Art, divers travaux qui restent assez mal connus 114 . Il dispensa aussi dans la VIII, 1888, p. 77-79; LESUEUR 1931, p. n5-144; R. BRENZONI, capitale entre 1500 et 1505 des « cours » sur Vitruve, auxquels assistèrent « Una nuova revisione della bioGuillaume Budé et Jacques Lefèvre d'Étaples 11 s. On imagine mal que grafia fragiocondiana nelle Vite del Vasari », Studi storici veronesi, cet excellent connaisseur de l'antiquité n'ait pas profité de sa présence en !2, 1960, p. 59-72 et BRENZONI France pour aller étudier, au cours de ses déplacements professionnels, 1960; L. A. CIAPPONI, « Appunti per una biografia di Giovanni les principales antiquités gallo-romaines, même si aucun témoignage graGiocondo da Verona », !tafia phique original n'est conservé. En effet les trois recueils de dessins consermedioevale e umanistica, 4, 1961, vés à la bibliothèque du Musée de l'Ermitage à Saint-Pétersbourg (Codex p. 131-158 (la meilleure biographie de Giocondo). Destailleur A, B et C) attribués au Véronais à la fin du xrxe siècle par le us Sur ces conférences, voir baron von Geymüller ne sont plus considérés comme autographesl16. G. BuDÉ, Opera, III, Bâle, 1557, p. 167; LEFÈVRE D'ETAPLES, Le Codex Destailleur B comporte pourtant des représentations d' anti(Aristote) Libri Logicorum, Paris, quités françaises: l'amphithéâtre de Nîmes, le mausolée de Glanum, la 1503, Ire partie, f. 15; BRENZONI 1960, p. 27; LESUEUR 1931, p. 142Pyramide de Vienne, les thermes de Cluny et une fontaine « antique » à 144, HAUTECŒUR 1965, F, p. IO!; Dijon 117 • Les didascalies et les notes qui accompagnent un grand nomV Juî'ŒN, «Fra Giocondo et le début des études vitruviennes en bre des dessins de l'album, qui fut constitué par un architecte averti, France», Rinascimento, 1974, II, renvoient à l'époque de Giocondo et peut-être à Giocondo lui-même. Il 14, p. ro6-ro7. 11 est donc possible que l'on trouve dans ce recueil des copies pas toujours r, Cf GuKOVSKJ 1963, p. 263269; GEYMULLER 1891, p. 133fidèles d'originaux perdus du Véronais, d'où ces esquisses rapides, peu 158. précises dans le détail des ordres. 117 CODEX DESTAILLEUR B ff. 36, 44, n9, Saint-Pétersbourg, Les premiers relevés connus des antiquités nationales ont été réalisés 129, 130. Voir GuKOVSKJ 1963, à la fin du Quattrocento. Ils sont dus à un artiste de premier plan, l' archip. 266-268. 118 Giulio della Rovere, futur tecte préféré de Laurent de Médicis, Giuliano da Sangallo, qui accompapape Jules II, s'était enfui d'Ostie gna en 1494 à Lyon le cardinal Giulio della Rovere en exil volontaire 118 . en avril 1494, après la détérioration de ses rapports avec le pape, Ces dessins copiés « in pulito » d'après les études faites au cours de son et avait rejoint le rer juin à Lyon voyage dans le sud de la France sont conservés dans le Codex Barberini la cour de Charles VIII. 119 SANGALLO 4424, et le Taccuino senese, deux recueils qui témoignent de son exceptionnelle ff. II, 4ov Voir GIBELIN 1787, LAUconnaissance des ruines romaines. En 1496 Giuliano est à Avignon, siège RIÈRE 1885, p. 2ro-220; BoRsr épiscopal de son protecteur, et retourne à Lyon offrir à Charles VIII la 1985, p. 204-206. maquette de l'un des palais qu'il vient de concevoir pour le cardinal, probablement celui de Savone, dont les travaux ont débuté l'année précédente. Du 26 avril au 4 mai, il séjourne en Provence, comme nous l'apprennent les annotations du Codex Barberini. Il visite sans doute alors Orange, dont il dessine le théâtre et surtout l'arc, Arles où il voit le 1er mai le« belisimo Culiseo ».Il laisse encore un dessin de la Pyramide de Vienne, des tours antiques d'Aix-en-Provence, englobées dans le palais comtal dont il fournit le plan et l' élévation 119 • Le feuillet 35 du Taccuino senese reproduit au-dessus d'une base et d'un chapiteau ioni0



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ques d'après Vitruve le profil d'une base attique peu orthodoxe, relevée selon l'inscription « IN PROVENZA »: sa plinthe est constituée de deux réglets superposés, en retrait l'un par rapport à l'autre et son tore inférieur est terminé par une doucine. Cette base est 120 SANGALLO S. IV, 8, f. 35. très proche de celle reproduite dans le Codex Barberini au feuillet 15120. Voir BoRsr 1985, p. 10po7, 3or. Dans les deux cas, il s'agit de la base d'un pilastre, mais la dernière, sans 121 SANGALLO S. IV, 8, f. 13. mention de provenance, diffère de la précédente par sa plinthe quadranCimiez comportait trois thermes distincts: les thermes du Nord, gulaire. En revanche elle comporte un annelet entre les deux réglets sépales plus anciens (me siècle), rant le tore inférieur de la scotie. Ces représentations montrent l'intérêt étaient plus somptueux que les bains des hommes et des femproprement architectonique de Sangallo pour la variété des formes antimes à l'est et à l'ouest, de quelques, auquel Serlio ne se montrera pas insensible quelques décennies plus ques décennies postérieurs, dits thermes du Sud. Sur Cimiez et tard. Certaines antiquités l'ont particulièrement intéressé: les thermes de ses monuments, voir BENOÎT Cimiez près de Nice et les monuments d'Orange. Il a vu les premiers, 1977, plus spécialement p. 27lors del' étape à Savone, soit à l'aller soit au retour. À Cimiez il signale les 30 (amphithéâtre), 55-77 (thermes du Nord). traces d'un théâtre, en réalité l'amphithéâtre qui ne fut mis au jour en son 122 Voir infta, p. 97. entier qu'au XIXe siècle, et donne surtout l' ichnographie des somptueux 123 Voir MüNTZ 188 5, p. 196; vestiges de ce que l'on nommait depuis le Haut Moyen Âge le « temple C. FABRICZY, Die Handzeichnungen Giuliano's da Sangallo, Sroccarda, 19 02, p. Sr; G. ANGEus n'OssAT, «Un disegno di G. da Sangallo relativo alle terme di Cimelia pressa Nizza », Revue d'Etudes Ligures, 8, 1942, p. 21; P.-M. DuvAL, « Rapport préliminaire sur les fouilles de Cernenelum (Cimiez), 1943 », Gallia, 1 6 IV, 94 , P· 99; BENoh r977, p. 58-70; BoRSI 1985, p. 264-265. 124 SANGALLO 44 24 , f. 4 o. 125 Cf BoRsr r9S5, P· 20 3·

d'Apollon» et qui était le frigidarium, bien conservé, des thermes du Nord121. Lédifice rectangulaire terminé au sud par une abside aplatie abritait au xvre siècle une ferme du domaine Gubernatis, celui-là même où Peiresc découvrit bien plus tard des restes d'aqueduc 122 . Le relevé

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e Sanga o est extraor inaircment précis et inestima le par sa date, antérieure à la défiguration de l'édifice: les portes est du pseudo-temple étaient déjà fermées, mais le laconicum n'avait pas encore été transformé

en citerne. Le Florentin indique sur son plan, tout à fait fiable quant aux mesures, les baies d'éclairage, les communications des salles entre elles, une baie d'aération au sud, qui ne sont plus visibles aujourd'hui. On pardonnera à l'architecte d'avoir restitué des niches plates encadrées de deux niches semi-circulaires sur les murs de fond des salles ou galeries, sans doute pour leur donner une plasticité « moderne »12 3. Giuliano da Sangallo représente en plan et élévation le théâtre d'Orange, l'un des mieux conservés du monde occidental 124 . Avec les temples de la colline Saint-Eutrope l'édifice faisait partie d'un ensemble architectural consacré à l'empereur et au culte dynastique (datable de la fin du règne d'Auguste), défiguré jusqu'au XIXe siècle par des îlots d'habitations et de rues. À la différence des amateurs, comme Félix Platter un demi-siècle plus tard, il a immédiatement perçu l'unité de la construction et reconnu dans le «Pan de muraille» le mur de scène. Sa restitution est assez libre, mais assez réaliste avec ses deux colonnades superposées (en réalité il y en avait trois), même si le nombre d'arcades est beaucoup trop faible 12 s. La façade de palais du frons scenœ n'était pas aussi régulière que le voulait l'architecture quattrocentesque: son centre était marqué par la Porte royale, surmontée elle-même d'un édicule sous arcade, réservé à la statue de l'empereur. Sur les retours latéraux, plus hauts que ne les représente Sangallo,

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s'appuyait un auvent qui protégeait la somptueuse décoration de la scène et permettait aussi une meilleure acoustique. Mais c'est l'arc qui focalise toute son attention. Il en donne comme à son habitude une restitution, car l'édifice qu'il voit porte les stigmates de sa transformation au xme siècle en ouvrage de défense; en outre il est en partie enterré. Seul le décor semble encore lisible. Le Florentin donne des restitutions avec décor de chacune 126 SANGALLO S. IV, 8, ff. 22v0 , des faces 126 . Cet arc à trois baies est en effet symétrique, à l'exception de 23, 25. la décoration sculptée. Il supporte deux lourds attiques l'un au-dessus 127 SANGALLO 4424, f. 24v°. de l'autre. L'architecte dessine parfaitement l'attique inférieur décoré 128 SERLIO 1540, ff. III-IV 12 9 Identifié à tort par V Hart au-dessus de la baie centrale d'un fronton en saillie qui repose sur l'enet P. Hicks comme le pont d'Avitablement, présent également sur les côtés. Les baies de la façade sont gnon (Sebastiano Serlio on Architecture volume one. Books !- V of encadrées de colonnes corinthiennes cannelées et engagées. Même s'il « Tutte f'opere de l'Architettura fait ici preuve d'une exubérance pittoresque et d'une licence imaginae prospetiva » by Sebastiano Serlio. Traduit de l'italien avec une tive toutes personnelles, ses dessins annotés restent irremplaçables. Avec introduction et un commentaire les relevés de Peiresc, plus préoccupé par l'iconographie du monument de V. HART and P. HrcKs, Yale, Yale UP, 1996, p. 435, n. 16). que par sa structure, ils constituent des documents archéologiques de l30 Voir LEMERLE 2000-2, premier ordre. Un dessin du codex Barberini représente l'arc sans décor, ni inscription ni localisation: elle propose de fait le « lieu commun » de l'arc à une baie fourni par le modèle gallo-romain, c'est-à-dire une structure architecturale susceptible d'être développée et amplifiée dans une construction contemporaine 127. Les ruines du Sud-Est attirèrent aussi d'autres architectes italiens. Serlio, dans la dédicace à François Jer du Terzo Libro qu'il publie à Venise en 1540, regrette de n'offrir au roi qu'un ouvrage incomplet sur les antiquités puisqu'il ne comporte pas « quelle tante, e si belle antichità, che sono nel bel regno di Francia », que lui a vantées l'évêque de Montpellier, Guillaume Pellicier, ambassadeur auprès de la Sérénissime 128 • Et de citer le magnifique amphithéâtre de Nîmes, deux tours octogonales de l'enceinte de la cité, le temple de Diane, la Tour Magne, la «Maison corinthienne» (Maison Carrée), le Pont du Gard, les antiquités de Glanum, l'amphithéâtre d'Arles, celui de Fréjus et son« palazzo »(peut-être le palais du Gouverneur), le Pont de Saint-Chamas 129 , le temple de Vienne. Il évoque enfin tous les autres édifices de ce type dans le royaume de France, où il serait très heureux de venir résider, afin de les voir luimême, les mesurer et parachever l' œuvre déjà entreprise grâce à la libéralité du roi. Serlio vint en France un an plus tard pour s'y installer définitivement, mais il ne trouva jamais le temps de mener à bien ce projet qui eût été capital pour le devenir del' architecture française. La liste dressée par Serlio est l'une des plus complètes pour les antiquités de la Gaule Narbonnaise, les vestiges d'Orange étant omis pour des raisons diplomatiques évidentes 13°. En outre, l'Italien ne se contente pas de citer les édifices, comme eût pu le faire un homme qui sollicitait de François Jer protection et aide financière; il les décrit avec une précision telle qu'on ne peut voir dans son développement la seule translation des propos de l'ambassadeur. Bien que l'évêque de Montpellier fût un homme éminemment cultivé et de toute évidence conscient de la valeur des ruines de Nîmes, d'Arles ou de Glanum, il est peu probable que dans les

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années 1539-1540 il ait pu qualifier de« dorique» l'amphithéâtre de Nîmes, de« corinthien» le temple de la Maison Carrée, et surtout, de parler d'ordre rustique à propos des deux niveaux inférieurs du Pont du Gard. Seuls quelques architectes formés à Rome comme De l'Orme sont alors capables de dominer ce vocabulaire technique. Enfin eût-il pu mentionner les trois ordres superposés du mausolée de Glanum, qualifier l'ordre du podium « di opera Ionica Composita »? L'expression, typiquement serlienne, fait référence à la terminologie que le Bolonais a diffusée trois auparavant dans ses Regole generali. Elle est parfaitement adaptée pour caractériser des pilastres dont le chapiteau est ionique par ses volutes à balustres, mais corinthisant par son tailloir et sa corbeille (Fig. 8). Il s'agit en effet non pas d'un chapiteau composite canonique mais « composé», en ce qu'il relève de plusieurs « maniere », comme l'Antiquité en a donné maints exemples dont Serlio avait lui-même publié les plus 0 131 SERLIO 1537, ff. LXIIv beaux 13 1 . La description de cet édifice est, avec celle du Pont du Gard, LXIII. la plus développée et la plus complète. Les colonnes du second niveau, 132 Le monument est un cénotaphe constitué d'un socle, d'un précise l'architecte, sont sur l'angle; celles de l'édifice circulaire qui le arc à quatre baies et d'une thosurmonte sont au nombre de dix et cannelées, elles renferment deux los, à toit pyramidant qui constatues de marbre, plus hautes que la taille humaine, qui sont en l'état sacre l'héroïsation du personnage, lequel s'est illustré lors privées de leurs têtes et d'autres membres. Elles représentent un homme de la dernière campagne orienet une femme (en réalité deux hommes revêtus de la toge, le destinataire tale de César. L imperator 1' a personnellement récompensé du cénotaphe et vraisemblablement son fils) 1 3 2 . Quant à la description en lui octroyant la citoyenneté du Pont du Gard, elle est quelque peu erronée quant au nombre des romaine et en lui donnant son nom, comme l'indique le basarches. Serlio en mentionne cinq pour le premier niveau (au lieu de six) et relief situé à!' est. LÎnscription de trente-six (au lieu de trente-cinq) pour le niveau supérieur. Mais au final la face nord du tombeau révèle le compte est bon! L'étude de la dédicace de Serlio à François Ier confirme que l'édifice fut élevé par ses trois petits-fils. Sur le mausolée, voir que les Italiens ont une très bonne connaissance des principales ruines infta, p. 92-93. gallo-romaines, ce qui soulève le problème des sources. Car pour fournir 133 Kassel, Staatlichen Kunstsammlungen, Sammelband Fol. autant de détails, pour savoir les interpréter et les décrire avec une telle A 45, f. 25v Sur les sources de justesse, Serlio disposait d'une riche documentation iconographique. Or Serlio, voir LEMERLE 2000-2, p. 272-27+ pour le Terzo Libro (1540) il avait utilisé trois sources principales, le codex 134 Florence, GDSU, A 106. de Cassel dû à Herman Postma, les dessins de Baldassare Peruzzi et ceux 135 Cf G. VASARI, Le Vtte de'piu eccellenti pittori, scultori e archide Giuliano da Sangallo 133. Le codex de Cassel est essentiellement contetti .. ., Florence, G. Milanesi, sacré aux ruines romaines, mais un folio comporte le détail de l'imposte 1878-1885 (rééd.: Rome, Rizzoli, de l'arc d'Orange. De Peruzzi n'est conservé aucun dessin des antiquités 1973), IV, p. 36r. françaises. Mais son fils Sallustio donne sur un feuillet, entre autres sujets, une coupe perspective de l'amphithéâtre de Nîmes, qu'il a peut-être héritée de la documentation paternelle 13 4 • Les deux recueils de Sangallo conservés ne comprennent qu'une partie de la documentation amassée par l'artiste. Larchitecte florentin est peut-être l'une des sources directes de Serlio, par l'intermédiaire de Bramante et de Raphaël qui lui-même avait voulu avoir des relevés de toutes les antiquités romaines, y compris non italiennes 135. 0



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Palladio offre un cas assez proche de celui de Serlio. Si l'architecte ne s'est jamais rendu en France, il a toutefois reproduit au quatrième livre de son traité deux édifices nîmois, la Maison Carrée et le « temple de Diane », en réalité une salle cultuelle du 136 PALLADIO 1570, IV, 28sanctuaire de la Fontaine 136 . Trois études de ce dernier édifice conservées 29. Sur les temples nîmois, voir à Londres, représentent le plan et la coupe, son élévation intérieure et des infra, p. 85, 87. détails d'entablements et des chapiteaux 137 . S'il est sûr quel' architecte fit 137 PALLADIO, Londres, RIBA, XI, ff. l3-13v XIII, f. 18. Voir un voyage en Piémont, à la demande d'Emmanuel-Philibert de Savoie, ZoRZ1 1959, p. 83-84. lors del' été 1566, il est difficile de fonder l'hypothèse d'un séjour del' ar13B Cf PALLADIO 1570, dédicace du livre III; ZoRZ1 1959, chitecte en Provence sur la seule existence de ces dessins et planchesl38; p. 23. d'autant qu'à cette époque Palladio pouvait connaître les deux édifices 139 Sur la représentation de la Maison Carrée, voir l'étude par les gravures très précises de l'ouvrage de Poldo d'Albenas publié en fondamentale de P. Gros (1983, 1559-1560 (Discours historia! de l'antique et illustre cité de Nismes). La comp. q9-193). Sur Poldo d'Albenas, voir LEMERLE 2002-2, p. 163paraison des planches des Quattro libri avec celles du Nîmois ne laisse 172. d'ailleurs aucun doute sur la source palladienne, !'Italien se contentant l4o Procès verbaux de l'Académie d'aménager les schémas du Discours historia! (Fig. 9). Les différences de d'Architecture, I6JI-I68I, publiés par H. Lemonnier, Paris, l9n, I, mesure s'expliquent par le fait que Palladio a dû transcrire les pieds fran21 mai et 28 mai 1674, p. 73 et 74. çais en pieds vicentins. Mais à y regarder de près, il ne se contente pas Voir F. LEMERLE, « ~Accademia di architettura e il trattato di Palladio d'un simple plagiat: en professionnel, il améliore les planches, et surtout (1673-74) », Annali di architettura, sa connaissance de l'architecture religieuse du début de l'empire romain 12, 2000, p. 120. 141 L. PuPPl, Andrea Palladio. lui permet de compléter les relevés. Il restitue la moulure inférieure du Opera completa, Milan, Electa, podium de la Maison Carrée, partiellement abattu, et encombré à sa base 1973; éd. cit.: 1995, p. 216-221; B. BoucHER, « Nature and the par les déblais, et surtout l'escalier de façade, détruit depuis le x1e siècle, Antique in the Work of Andrea et partant non représenté par l'antiquaire nîmois 139 • En revanche il est Palladio », ]SAH, 59, 3, sept. moins heureux en plaçant de son propre chef« une feuille d'eau » sous la 2000, p. 296-3n. 142 SERLIO 1537, ff. LXIv0 console de la porte de cet édifice, comme l'observent en 1674 les memLXII; PHILANDRIER 1552, III, bres de l'Académie d'architecture, ou en inventant une troisième niche Dig., p. ro8 = éd. LEMERLE 20001, p. 169. dans l'axe de l'autel du «temple de Diane», alors qu'il n'y en a que deux comme chez Poldo d'Albenas 140 . Les édifices de Nîmes, quoique participant d'un programme édilitaire cautionné par Rome, n'en présentent pas moins des spécificités inconnues de Palladio. À la différence des architectes français, !'Italien tira parti de l'étude des antiquités nîmoises: il dote en effet l'ordre composite de la Loggia del Capitaniato (1565) à Vicence de la base attique de la Maison Carrée, caractérisée par une baguette supplémentaire au-dessus du tore supérieur et d'une double baguette entre le tore inférieur et la scotie, au lieu d'un réglet 141 . Cette citation mérite d'être signalée, d'autant qu'en l'occurrence Palladio préfère une base attique singulière au modèle théorique généralement retenu pour l'ordre composite, qui est une base corinthienne pour Serlio et Philandrier 142 . Dans les Quattro Libri publiés en 1570, il indique que la base composite peut être attique comme pour le corinthien, c'est-à-dire selon la typologie palladienne, une base dotée d'une baguette supplémentaire et d'une plinthe terminée en cavet (ce qui est le cas de toutes les bases pro0

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143 La plinthe de la base toscane, selon Palladio, se termine par un talon (PALLADIO 1570, I, p. 21). 144 Regola delli cinque ordini d'architettura, Rome, [1562] ; éd. cit.: Trattati .. . , Milan, Il Polifilo, 1985, f. XXX.

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posées dans le livre 1) 14 3, soit« composée de l'attique et de l'ionique», autrement dit corinthienne. Vignole pour sa part adopte une base attique vitruvienne 144 . C'est la preuve des liens étroits entre expérience archéologique, théorie et pratique, qui restent encore à approfondir, même pour un architecte de l'envergure de Palladio.

LES FRANÇAIS ET LES RUINES DU ROYAUME

Chapitre II

ne pas faire figure de parent pauvre auprès des autres grandes nations, les Français ont cherché à mettre en valeur leur spécificité en intégrant l'histoire des Gaulois à l'histoire universelle 1 . Cette quête des origines recourut à la généalogie et donc au mythe. Leurs voisins allemands firent de même, qui essayèrent de se rattacher en même temps à l'Empire romain, dont ils se considéraient les héritiers légitimes, et 1 Voir !'ouvrage passionnant de C.-G. Dubois sur la genèse paradoxalement aux Germains, ennemis jurés des Romains. Ces recherches et le développement du mythe des «antiquités», gauloises ou germaniques, n'avaient d'autre but que nationaliste gaulois (DUBOIS 1972), et du même auteur, La de retrouver une identité perdue, grâce à une ancienneté qui justifiait conception de l'histoire en France la prétention à l'Empire universel. Par les Francs, dont on faisait les au xv1e siècle (r560-r6ro), Paris, descendants des Troyens, la France se dotait d'un passé aussi ancien que Nizet, 1977· 2 Entre 1506 et 1549 !'ouvrage celui de Rome, mais en remontant aux Gaulois, elle se rattachait à la fut édité au moins six fois (K. M. civilisation hébraïque, bien antérieure. Selon la Bible, tous les peuples MuNN, A Contribution to the Study of jean Lemaire de Belges, ne descendaient-ils pas de Noé? Lltalien Annius de Viterbe en publiant New York, 1936, chap. III, § 2: à Rome en 1497 ses Antiquitates et des textes apocryphes attribués aux «The printed Editions»). grands historiens antiques (Bérose notamment) offrit aux Français la généalogie qui leur permettait de remonter de roi en roi jusqu'à Noé par l'intermédiaire des «vieux Gaulois » et de justifier leur leadership. Lœuvre, traduite en français dès 15n, ne cessa d'être rééditée. Les Illustrations de Gaule et singularitez de Troye, publiées en trois tomes par Jean Lemaire de Belges (Paris, 1509-1513), assurèrent à cette généalogie une diffusion exceptionnelle, attestée par un grand succès éditorial2: l'ouvrage restaurait en effet une histoire de France jugée corrompue et décadente, dans une tradition qui entendait établir par une antiquité incontestable les droits de ce quel' on pourrait bientôt nommer« la Nation OUR

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Voir l'excellente mise au point faite par C. Beaune jusqu'à Lemaire de Belges inclus (Naissance de la Nation France, Paris, Gallimard, 1985, chap. I). 4 Pareillement les Italiens vont oublier leur origine troyenne et romaine en revendiquant une filiation étrusque (Alberti, Biondo, Maffei ... ), cf SIMONE I974, p. 136. 5 Sur le mythe d'Hercule à la Renaissance, voir J. PouJOL, « Étymologies légendaires des mots France et Gaule pendant la Renaissance », Publications of 3

the Modern Languages Association ofAmerica, 72, 1957, p. 900-9I4; M. R. JuNG, Hercule dans la littérature française du XVI' siècle: de !'Hercule courtois à !'Hercule baroque, Genève, Droz, 1966, chap. II; R. E. AsHER, « Myth, Legend and History in Renaissance France », Studi francesi, 39, 1969, p. 409-419. 6 Lemaire de Belges inspira luimême de nombreux ouvrages, en particulier un livre publié en 1542 sans nom d'auteur par l'imprimeur lyonnais Jean Brotot,

L'arbre de France, déclaration de la garde antienne de Foy, de justice et Prouesse, le vol du temps, source de vérité. Narration des vingt et troys roys avant Francus ... , cf SIMONE 1974, p. 127 sq.

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France »3 . L adoption au Moyen Âge du mythe des origines troyennes des Francs, descendants d'un fils d'Hector nommé Francus ou Francion, qui sera encore célébré par Pierre de Ronsard, avait été sévèrement critiquée au xve siècle par la remarquable école historiographique italienne; aussi les humanistes furent-ils incités à prendre en compte l'origine des Gaulois, d'autant plus volontiers que la reconnaissance de leur supériorité militaire et culturelle les faisait éclipser Grecs et Romains4. Le mythe national créé par Lemaire de Belges, synthèse d'une tradition laïque et troyenne et d'une tradition chrétienne et davidique, qui faisait des Gaulois, à la religion pure, les descendants de Noé par son arrière petit-fils Hercule de Libye5, et du Roi de France l'héritier de David6, pouvait légitimer les prétentions du Royaume face à l'Empire ou à la Papauté, affirmer la suprématie naturelle du monarque « très chrétien » et justifier une candidature impériale. Autour des années 1550-1560 on assista à une floraison d'ouvrages historiques à la louange des Gaulois, qui révélaient le désir de s'affranchir de la tyrannie gréco-latine et la prise de conscience d'une grandeur de la civilisation française et de ses origines: les plus grandes cités du royaume, Lyon, Toulouse ou Marseille existaient bien avant Athènes ou Rome. C'est du reste la Gaule qui avait colonisé la Grèce7 • La crise gallicane, au milieu du siècle, favorisa le reditum ad stirpem celticams, consacré en 1578 par la Galliade de Guy Le Fèvre de la Boderie 9 . La Gaule, en tant que première demeure des arts, légitimait la primauté culturelle de la France moderne 1 o.

La conquête du passé

Voir par exemple G. DU BELLAY, Epitome de l'antiquité C'est dans ce contexte que l'on écrivit de nombreux ouvrages consacrés des Gaules et de France, Paris, 1556; R. CÉNEAU, Gallica hisà l'« antiquité» d'une ville, d'une province, d'un royaume, c'est-à-dire toria, Paris, 1557; J. PICARD DE à son ancienneté, dans des récits qui en faisaient l'histoire depuis les TouTRY, De prisca Celtop12dia, Paris, 1556. Les divers ouvrages origines jusqu'au présent le plus récent. Ils ont pour titre Antiquité(s) ou de G. Postel développent «la primauté de la gent gallique ». 8 Voir F. SIMONE, « Le "reditus regni Francorum ad stirpem Gallicam" et le "reditus regni Francorum ad stirpem Karoli" », Humanism in France at the End ofthe Middle Ages and in the Ear!:y Renaissance, éd. AH T. LEVI, Manchester University Press, 1970, p. n6-123. 9 La Galliade, ou De la révolution des arts et sciences, Paris, 1578; éd. cit., Paris, 1582, Cercle II, f. 44r0 • Dès 1554 Joachim Périon soutenait que les Celtes avaient transmis leur langue aux Grecs (Dialogorum de lingu12 gallicd! origine eiusque cum gr12ca cognatione libri quatuor) ; deux ans plus tard Jean Picard défendait la thèse que les Celtes avaient civilisé les Grecs et les Romains (De Prisca Ce!topedia lihri quinque). De fait la plupart des ouvrages publiés dans les années 1560-1580 (E. FoRCADEL, De Ga/forum Imperio et philosophia libri septem, Paris, 1579; N. TAILLEPIED, Histoire de l'estat et republique des Druides, Paris, 1585) ne font que consacrer la vulgarisation des mythes concernant la Gaule. 10 Après l'étude critique du mythe gaulois par le protestant Ramus (Liber de moribus veterum Gaüorum, Paris, 1559), ou son annexion à l'idéal politique du protestantisme par François Hotman (Fanco-Gallia, Genève, 1573), les recherches menées à la fin du siècle par des 7

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juristes remarquables comme Étienne Pasquier (Des Recherches de la France, Paris, 1560; Le second livre des Recherches de la France, Orléans, 1567; Les recherches de la France ... reveues et augmentées d'un livre, Paris, 1607), et Claude Fauchet (Recueil des Antiquités Gauloises et Françoises, Paris, 1579) débarrassèrent l'histoire de la Gaule et de ses habitants des mythes et des légendes, et contribuèrent à définir une nouvelle méthodologie historique (DUBOIS 1972, p. 103-125). Voir aussi A. TALLON, Conscience nationale et sentiment religieux en France au XVI' siècle, Paris, PUF, 2002.

Fleur des Antiquitez et sont consacrés à des villes aussi diverses que Rouen, Pontoise, Caen, Orléans, Vienne ... Histoires ou Mémoires historiques évoquent pareillement l'histoire de villes telles qu'Angoulême, Toulouse, ou d'états et provinces comme l'Anjou, la« République Séquanaise », le Berry ou la Bourgogne. Les manuscrits conservés présentent les mêmes caractéristiques. Il est glorieux de revendiquer l'antériorité d'une origine indigène. Lugdus, roi des Celtes, aurait fondé Lyon 2276 ans avant l'ère chrétienne. En l'absence de fondateurs parfaitement identifiés, le mythe troyen permettait des étymologies fausses, mais commodes: Paris devait son origine à Pâris, fils de Priam; Agénor, un autre de ses fils, aurait fondé Agen. Tolosanus ou Tolosus, autres princes troyens, seraient les fondateurs de Toulouse; ou selon une autre légende accréditée par les premiers historiens de la ville, ce serait Tolus, descendant de Japhet: la ville de briques aurait donc été créée bien avant Rome, en l'an 3916 de la création du monde. Les historiographes utilisaient aussi pour leur dessein les sources antiques ainsi que les chroniques et les chartes médiévales qu'ils complétaient par les listes d'évêques, de collèges, de rues, de ponts. Ces textes, purs ouvrages de compilation, sont plus que jamais d'actualité à l'époque où les rois de France, désireux d'asseoir leur autorité sur les puissances voisines, ont parfaitement compris que les arguments culturels sont de précieux atouts pour servir les intérêts politiques. C'est aussi l'époque où les humanistes et les artistes français cherchent à affirmer leur indépendance vis-à-vis de l'Italie, longtemps leur modèle. Peu importe si la Défense et Illustration de la Langue française s'inspire largement de Speroni: elle est avant tout le manifeste éclatant des ambitions nationales de la Pléiade, dont du Bellay se fait le porte-parole. La France dans les Regrets (IX, r) n'apparaît-elle pas comme la« mère des arts, des armes et des lois», comme l'avait été jadis la Gaule? Comme le souligne Claude-Gilbert Dubois, « la France de la Renaissance, tout imprégnée de culture italienne, fait sa crise d'adolescence: elle rejette la tutelle de son éducateur: elle cherche en elle-même la source de sa 11 DuBors1972, grandeur; elle ne veut rien devoir aux autres »11 • Parallèlement, la faveur p. 126. dont jouit !'Antiquité à la Renaissance amena les Français à intégrer leur passé romain, voire grec: Arles, ville natale de Constantin, pour ne citer que l'une des plus célèbres, avait pu passer pour une seconde Rome, « Gallula Roma », par la splendeur de ses monuments. La fondation romaine ou grecque confortait incontestablement l'ancienneté. Les historiens s'appuyèrent donc sur les auteurs anciens, essentiellement historiens et géographes qui avaient mentionné et décrit les villes et contrées de Gaule. Mais cette vision de !'Antiquité reste avant tout littéraire: il est rarement question d'antiques au sens archéologique du terme, c'est-à-dire de monuments laissés par les Anciens. Au mieux il est fait état d'inscriptions, de monnaies et médailles, d'urnes, de tombeaux et fragments épars d'architecture découverts

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lors de travaux d'urbanisme. Seule la présence de vestiges grandioses comme à Nîmes, Arles, Bordeaux, Saintes, Poitiers ou Autun incite quelques auteurs à en faire mention et à les décrire. Car les antiques, témoignages incontestables d'un passé prestigieux, confèrent aux cités qui les abritent une aura qui doit être partout reconnue et universellement célébrée. Mais des villes à l'antiquité incontestable comme Paris, Toulouse ou Lyon, offraient peu de ruines visibles et identifiables. On ne connaissait de Lutèce que le palais des Thermes, identifié comme la résidence de Julien !'Apostat, et non comme un complexe de bains. On ignorait tout du Capitole de Toulouse, sur les degrés duquel saint Saturnin était venu mourir. De Lyon seuls les aqueducs étaient apparents. On devinait quelques vestiges du sanctuaire confédéral à l'abbaye d'Ainay, et les pans de murs qui subsistaient de l'odéon et du théâtre demeuraient difficilement lisibles; l'amphithéâtre était enfoui sous les vignes.

Le pouvoir et les antiquités Les souverains, reçus solennellement par les autorités locales lors de somptueuses entrées, eurent l'occasion d'admirer personnellement les antiquités de leur royaume. Lorsque Louise de Savoie et Claude de France quittèrent Amboise le 20 octobre 1515 pour aller à la rencontre du vainqueur de Marignan, et faire par la même occasion un pèlerinage à la Sainte-Baume, elles s'arrêtèrent tout naturellement à Orange ainsi qu'en Arles, où l'on sait qu'elles visitèrent les Alyscamps, les Arènes et les vestiges du théâtre. 12 Sur le séjour en Provence Elles y revinrent en compagnie de François Ier qui les avait rejointes du roi et des deux reines, voir entre-temps à Sisteron 12 . En 1521 le roi, accompagné de Guillaume Budé, BAux/BouRILLYIMABILLY 1904, visita les antiquités d'Autun sous la conduite du juriste Barthélemy de p. 31-64. 1 3 CHASSENEUZ 1529, Pars II, Chasseneuz, futur président du Parlement de Provence. Il voulut voir consideratio V, f. 4. de près la célèbre Pyramide de Couhard et proposa, après examen, 14 BAux/BouRILLY/MABILLY 1904, p. 56-58; J. ]ACQUART, Frand'identifier le monument comme le tombeau d'un grand personnage 13. çois fer, Paris, Fayard, 1981, p. 253. Quelques années plus tard il manifesta un pareil intérêt pour les vestiges Au xvne siècle le souvenir de la visite royale restait très présent: de Nîmes qu'il vit à deux reprises en 1533 et 1535, tentant de déchiffrer «Il [François JerJ s'enfonça dans des inscriptions récemment découvertes ou d'entrer dans les caveaux de ces Portiques, & dans ces Cachots pour en descouvrir les merveilles. l'amphithéâtre 14 . C'est avec la plus grande satisfaction qu'il reçut en 1535 Il se mit à genou, pour lire les d'Antoine Arlier, magistrat humaniste et consul de Nîmes, en cadeau de Epitaphes qui gisoient à terre; la ville, la maquette en argent de l'amphithéâtre 15 . Sa sœur Marguerite Et secoua avec son mouchoir, la poussiere & la crasse qui couvrait devisait de son côté des antiquités de la cité avec Jeanne de Crussol, fille les characteres, pour en recueillir de Galiot de Genouillac et épouse du comte d'Uzès. Il faut aussi citer les inscriptions » (RuLMAN 1630, p. 15). les visites de Charles IX à Glanum, Arles, au Pont du Gard, à Nîmes, 15 Antoine Arlier avait pris Narbonne, Saintes, lors de son grand tour de France (1564-1565) dont la une part active à la réception de François Jer en 1533· Sur sa participation à l'entrée du Roi et sur la maquette de l'amphithéâtre, voir J. N. PENDERGRASS, Correspondance d'Antoine Arlier, humaniste languedocien r527-r545, Genève, Droz, 1990, p. 10.

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16 JouAN 1566. Sur le tour de relation fut publiée par Abel Jouan 16 • Les souverains qui découvraient France de Charles IX et Carheainsi les richesses de leur royaume au fil des étapes étaient enchantés par rine de Médicis, voir]. BouTIER, A. DEWERPE et D. NoRDMAN, un patrimoine qui en faisait les héritiers des Césars 17. Flattés dans leur Un tour de France royal. Le voyage orgueil et leur ambition, certains tentèrent de légiférer pour préserver de Charles IX (I564-I566), Paris, les monuments appelés à disparaître sous la pression des particuliers. Aubier, 1984. 1 7 Le thème du roi de France François Ier, le« Père des Lettres et des Arts »,fut à sa façon un pionnier: « imperator victorieux dans son il ordonna de débarrasser la Maison Carrée des éléments parasites qui apparence antique » est largement exploité dans les arts figuradéfiguraient sa façade et de dégager l'amphithéâtre nîmois: le couloir du tifs à partir de François Jer (A.-M. premier étage redevenu accessible permit d'en faire le tour. Pour achever LECOQ, François fer imaginaire, Paris, Macula, 1987, p. 215-257). les remparts de Narbonne, commencés sous Louis XII, le roi ordonna Guillaume Des Autels reprend le de réunir les fragments d'architecture subsistants qui provenaient en thème de la translatio imperii au bénéfice de la France (Remonsgrande partie de la nécropole gallo-romaine de la ville. De modestes trance au peuple Françoys, de son tombeaux décorés de frises à rinceaux d'acanthe, avec des amas d'armes, devoir en ce temps envers la majesté ou de triglyphes et métopes ornées de têtes de bovidés, furent ainsi placés du Roy, Paris, 1559). Sur le thème impérial, voir R. W. SCHELLER, en couronnement des nouvelles murailles et portes, aux côtés d'autres « Imperiales Ki:inigtum in Kunst fragments d'architecture (frises, corniches, colonnes, trophées, stèles). und Staatsdenken der franzi:isichen Frührenaissance », Kritische Cette curieuse création, qui fut poursuivie par ses successeurs, allia l'utile Berichte, 6, p. 5-24. à l'esthétique: elle eut le très grand mérite de préserver les antiquités 1s On pouvait encore les admirer in situ jusqu'en 1868, année de Narbonne et de faire de la cité un musée en plein air 18 • Lors de son où les fortifications furent démopassage à Arles, le roi se montra fâché de ce que l'amphithéâtre n'eût pas lies. Elles furent heureusement démontées et entreposées l'année été mieux conservé, défiguré à l'intérieur par les multiples constructions suivante au musée Lamourguier. qui en faisaient une véritable ville avec sa place et ses églises. Henri IV 19 Ordonnance datée de sepenvisagea de déblayer l'arène, sans résultat. Les souverains, absorbés par tembre 1548 (M. VACHON, La Renaissance française: l'architecdes tâches plus urgentes, oubliaient vite les édifices qui les avaient ravis et ture nationale, les grands maîtres n'insistaient pas auprès des élus municipaux. Ils devaient davantage compter Paris, Flammarion, maçons, [1910], p. q). sur leurs collaborateurs directs. C'est ainsi qu'en 1548 le connétable Anne de Montmorency, gouverneur du Languedoc et lieutenant général de Henri II, prit de sévères mesures pour la protection des antiquités de Nîmes 19. Mais le pouvoir royal n'eut jamais la volonté de prendre en charge les antiquités du sol national et de désigner un Raphaël français. En pratique ce furent les dirigeants des cités qui assumèrent la gestion du patrimoine antique. Les jurats, consuls et échevins se montrèrent en général respectueux de l'héritage des Anciens et soucieux de le préserver. À l'exception de quelques cadeaux diplomatiques, les découvertes les plus précieuses vinrent orner les édifices publics locaux. La table claudienne, document inestimable, qui révélait aussi la bienveillance de Claude envers sa cité natale, fut acquise en 1528 par les consuls lyonnais pour orner la Maison de la Ville; les consuls de Lectoure eurent pareillement à cœur d'orner la leur, construite en 1591, des vingt et un autels tauroboliques retrouvés cinquante ans plus tôt sous le chœur de la cathédrale Saint-Gervais,

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lors de la reconstruction du chœur20 . En 1594, les jurats bordelais, sans doute à l'initiative du procureur syndic Gabriel de Lurbe, firent installer les statues quel' on venait de découvrir au Mont Judaïque dans la grande salle de l'édifice municipal, sous des niches magnifiquement décorées avec l'inscription In memoriam antiquitatis et ad perpetuam Burdigal:e, qui exprime leur fierté de diriger une cité, dont l'antiquité avait été récemment mise en lumière par le docte Élie Vinet. Gabriele Symeoni, souvent critique envers les Français qui, à ses yeux, ne se préoccupaient pas suffisamment de leurs ruines, loue les Nîmois d'avoir su préserver leur amphithéâtre et réunir dans les murailles à l'entrée des portes les fragments antiques dispersés pour signaler la noblesse de la ville à tous ceux qui y pénétraient21 . Toutes les initiatives ne furent pas aussi heureuses: il faut sans doute regretter que les consuls, tiraillés par des exigences contradictoires, aient accepté d'échanger avec un particulier nommé Pierre Boys la Maison Carrée, jusque-là siège d'une partie de l'administration consulaire, contre un local plus vaste; cette initiative fut vigoureusement condamnée par Jean Poldo d'Albenas 22 • En 1576 les demoiselles de Seynes et Valeyrargues, alors propriétaires, refusèrent de la vendre à Louise de Clermont-Tonnerre qui souhaitait en faire une chapelle funéraire pour son défunt mari, le duc d'Uzès Antoine de Crussol. On ne sait, au vu des vicissitudes ultérieures que connut le bâtiment transformé en écurie, s'il faut regretter que l'intervention des consuls, très favorables à l'opération, n'ait pas permis au projet d' aboutir 2 3. De toute évidence, par une intelligente politique de conservation et d'ostentation, le pouvoir municipal fut conscient de s'approprier un passé prestigieux, en même temps qu'une ancienneté qui pouvait légitimer les privilèges et l'indépendance de la ville, face non seulement aux prétentions des cités voisines, mais surtout à une centralisation accrue de l'administration royale. Comme l'observe Yves-Marie Bercé, «le témoignage de l'antiquité d'une cité dans un âge où la coutume avait la plus grande force juridique était inestimable. Les pierres païennes devenaient comme les archives monumentales venant étayer les droits de la cité »24 . Revendiquées avec fierté, les ruines devenaient un enjeu de pouvoir dans les relations tendues des villes avec le Roi. Bordeaux, farouchement attachée à son indépendance, batailla longtemps. Cette résistance se solda un siècle plus tard par la démolition du Château Trompette et la construction d'une nouvelle citadelle, manifestation éclatante et redoutable del' autorité royale qui entraîna la destruction de tout le quartier avoisinant, où se trouvaient les Piliers de Tutelle. De fait c'est dans la seconde moitié du xvne siècle (arc du Rhône à Arles) et au xvrne siècle (Porte Bazée à Reims) que l'on procéda à la destruction de certains édifices antiques, pourtant bien conservés, non pour des motifs politiques, comme dans le cas

Le chœur avait été édifié contre la muraille antique qui avait été élevée à la hâte au rve siècle avec les matériaux disponibles pour se protéger des invasions barbares. Sur ces autels, voir R. ÉTIENNE, « La chronologie des autels tauroboliques de Lectoure », Bulletin de la Société archéologique, historique, littéraire et scientifique du Gers (Auch), 60, 1959, p. 35-42; UPART/PETIT 1993, p. 214-219. Sur les travaux du xvre siècle à Saint-Gervais de Lectoure, voir P. BONNARD, L'ancienne cathédrale de Lectoure, Congrès Archéologique de France, 128e session, 1970, Gascogne, p. 207-214 et p. 207, n. 4. 21 SYMEONI 16, f. 4. D'ALBENAS 1559/ 22 PoLDO 1560, p. 75-76. 2 3 Archives départementales du Gard, Registres des délibérations des consuls de Nîmes, 29 novembre 1576, LL 12. 24 « Le regard des voyageurs sur le passé. Exemples aquitains », Découverte de la France r9 so, p. 29 2-2 93 . 20

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bordelais, mais pour des raisons purement urbanistiques. Les intendants, relais efficaces de l'autorité royale, furent moins sujets à la sentimentalité que les dirigeants locaux.

L'émergence d'une conscience antiquaire Lantiquaire de la Renaissance est l'héritier d'une longue tradition. En effet, comme le rappelait Arnaldo Momigliano, l'histoire de l'antiquité, « archaiologia », fut inventée sans doute par Hippias et ses collègues, ces sophistes si méprisés de Socrate. Dès la fin du ve siècle, la science historique s'était scindée en deux: d'un côté l'histoire politique, limitée aux événements d'un passé récent, et de l'autre une recherche érudite qui s'attachait à un passé reculé, aux temps primitifs d'une cité. La distinction allait perdurer jusqu'au xrxe siècle. Dans la Grèce hellénistique cette« archéologie» tendit à s'affadir pour n'être plus qu'une histoire depuis les origines, comme l'envisagent les Antiquités judaïques de Flavius Josèphe, ou les Antiquités romaines de Denys d'Halicarnasse. C'est Varron qui à Rome fut le véritable promoteur des études archéologiques avec ses Antiquitates divin& et humante, étude systématique de la vie romaine, fondée sur la connaissance de tous les vestiges du passé, la langue, la littérature et les usages. Le Moyen Âge pour sa part n'a pas ignoré les travaux des Anciens sur les civilisations passées, mais a oublié la notion varronienne d' antiquitates. À la Renaissance, les érudits travaillèrent simultanément à partir des sources littéraires, épigraphiques et archéologiques, et reconstituèrent patiemment la chronologie, la topographie, le droit et la religion de Rome. Mais très vite le cadre géographique s'élargit: les antiquités de Grèce, d'Allemagne, d'Angleterre et de France devinrent des sujets d'étude. Ils commentèrent les historiens et les complétèrent, prenant modèle sur la Roma triumphans de Biondo, une étude ordonnée de la civilisation romaine 2 5. 2 5 A. MoMlGLlANO, ProblèComme nous l'avons déjà souligné, les humanistes, en France mes d'historiographie ancienne comme en Italie, s'attachèrent en premier lieu aux inscriptions, sans et moderne, Paris, Gallimard, doute en raison de la continuité littéraire qui existait à leurs yeux entre 1983, p. 244-293 (le texte original, « Ancient History and the les textes des auteurs latins et grecs et ceux qu'ils pouvaient déchiffrer Antiquarian », a été publié dans sur les monuments de leurs cités. La compétence personnelle acquise par journal ofthe Warburg and Courtauld Institutes, 3-4 juillet-déceml'expérience et les relations qui s'établirent très tôt entre les épigraphistes bre 1950, p. 285-}15). de l'Europe les mirent à même de lire et de connaître les principales 26 Voir Avant-propos, p. n-12. inscriptions du monde romain, et de les interpréter correctement, en attendant la publication des grands recueils. Le Lyonnais Symphorien Champier fut de ce point de vue un précurseur. Dans toutes les cités de la France du Sud-Est, les plus riches en vestiges de toutes sortes, les érudits se passionnèrent pour l' épigraphie 26 • Parallèlement les philologues cherchèrent à faire revivre le passé de leur ville en utilisant les auteurs anciens. Géographie, mœurs et histoire furent reconstituées à partir des citations savamment compilées de Strabon, Pline l'Ancien, Tacite, Bérose ... Dans ces textes, les cités antiques renaissaient

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avec les édifices qui les avaient ornées, lors de l'évocation des grands événements qui en avaient marqué l'histoire, ou les personnages célèbres à qui elles avaient donné le jour. Toutefois, en la première moitié du XVIe siècle les historiens n'accordent encore que peu d'attention à la réalité des vestiges archéologiques. Jean Bouchet, auteur des Annales d'Aquitaine (1524), et le juriste Barthélemy de Chasseneuz dans son Catalogus Gloria mundi (1529) se contentent de signaler les antiquités de Poitiers pour le premier, d'Autun pour le second. Dans les années 1530, Aymar du Rivail, au livre I de son 27 Le manuscrit, rédigé avant histoire des Allobroges (De Allobrogibus) restée inédite jusqu'au milieu 1536, intégralement publié par du XIXe siècle27, dresse le panorama le plus complet des antiquités du Alfred de Terrebasse, fut parDauphiné et des alentours, citant les vestiges de Vienne, de Grenoble, tiellement traduit (TERREBASSE 1844) et commenté par Antonin d'Orange, ou de sites moins célèbres comme Aix-les-Bains ou Die. Il est Macé (MACÉ 1852). suffisamment fin observateur pour rapprocher de lui-même le « prétoire 2s Du RlVAlL 6014, éd. MAcÉ 1852, p. 14, 50-53, 134-135; 78-79, de Vienne» (temple d'Auguste et de Livie) de celui de Nîmes (Maison Carrée), ou noter la parenté de l'arc de Die avec les portes antiques de 302; 14, 186. 29 Sur les antiquaires lyonnais, Grenoble 28 • Mais en matière d'étude des antiquités, ce sont encore les voir VARlLLE 1923, p. 428-469; Lyonnais qui font figure de pionniers. COOPER 1988, p. 161-174. 30 Voir R. FEDOU, Les homPour s'intéresser aux édifices gallo-romains, il fallait en effet une mes de loi lyonnais à la fin du grande familiarité avec le monde antique italien et la pensée humaniste Moyen Âge. Étude sur les origiultramontaine 29 • Depuis longtemps les échanges privilégiés entre Lyon et nes de la classe de robe, Paris, Les Belles Lettres, 1964; « Le legs du les cités septentrionales de la Péninsule, le dynamisme de grands imprimeurs Moyen Âge à l'humanisme lyoncomme Sébastien Gryphe, Jean de Tournes, Guillaume Roville, l'existence nais », L'humanisme lyonnais au xv1e siècle, Grenoble, PUG, 1974, enfin de cénacles cultivés faisaient de l'ancienne capitale des Gaules un p. 9-2I. carrefour culturel et artistique de premier plan. Les Sala, Champier, 31 SALA 5447, ff. 64v -71v". Le manuscrit, in-4° de 72 feuillets, Bellièvre, du Choul étaient aussi, chacun à sa façon, les héritiers de cette illustré, est un document hétéélite intellectuelle constituée par les hommes de loi qui avaient été au roclite qui rassemble pêle-mêle notes de lecture, épitaphes, insMoyen Âge les véritables «clercs du monde laïc » 30 . Sans doute Pierre criptions, rondeaux et autres pièSala (av. 1457- ?), heureux propriétaire del'« Antiquaille», villégiature au ces. Sur Sala, voir FABlA 1934· cœur de Fourvière où il reçut François Ier en 1522, ne consacre-t-il que 32 CHAMPIER 1529-1, in ALLuT 1859, p. 346, 343-344· Sur Chamquelques pages dans son manuscrit des Antiquités de Lyon aux ruines pier et son œuvre, voir ALLUT monumentales des aqueducs, ces« ars [arcs] qui sont partie à Lyon partie 1859. dehors près saint Hyrcanie, Chapka et plusieurs autres lieux »3 1 • Mais ces notes rédigées entre 1505 et 1514, n'en révèlent pas moins un intérêt précoce pour les vestiges locaux. Les ouvrages publiés en I529 et 1537 par Symphorien Champier sur les antiquités de Lyon (Ga/lia celticte, ac antiquitatis Lugdunensis civitatis ... campus; De lantiquite, origine, & noblesse, de la tresantique cite de Lyon) et de Vienne (Lantiquite & origine de la tresnoble & ancienne cite Metropolitaine & Primace des Allobroges Vienne) marquent une étape décisive. Le médecin est le premier à signaler comme antique le pont de Vienne reliant la cité à SainteColombe, à remarquer que le chœur del' église Saint-Jean à Lyon a été édifié en partie avec des pierres de marbre antiques. Comme Sala, il signale les vestiges monumentaux des aqueducs3 2 • 0

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Claude Bellièvre, pour sa part, n'envisagea jamais de publier son manuscrit sur les antiquités lyonnaises, Lugdunum priscum, auquel il travailla jusqu'à sa mort. Même sil' austère magistrat s'intéressa prioritairement aux inscriptions, il a réuni tous les textes 33 Il recopie en particulier des antiques et modernes qui avaient trait à Lyon 33 , et surtout en a décrit les passages de 1' ouvrage de Christoruines. Comme ses collègues, il admire les aqueducs aux superbes arcades, phe Milieu sur Lyon, De primordiis darissim& urbis lugduni comsignalant en outre le lieu-dit « Grotte Berelle », réservoir probable de mentarius (Lyon, 1545). l'aqueduc du Gier. Un conduit d'eau découvert dans le quartier Saint34 BELLIÈVRE 257, ff. 30-3ov Marcel le fait longuement réfléchir à sa fonction réelle. Il mentionne 79, 31-31v 16, 47v 35 Du CHOUL 212, ff. 86v 53, encore les vestiges du théâtre (ou de l'édifice de spectacle) qui était situé 75-75v à la Croix de Colle. Il est le premier à observer les vestiges des murailles 36 Antoine du Verdier affirme avoir vu le manuscrit chez de la ville d'Anse, forteresse située au nord de Lyon3 4 . Guillaume Roville, qui avait déjà Mais en cette première moitié du xvre siècle, la figure la plus achevée publié les Discours (La Bibliothèque, Lyon, 1585, p. 474), cf FABlA de l'antiquaire est sans conteste celle de Guillaume du Choul, auteur de 1934> p. 185, n. 7. livres importants (Discours sur la Castrametation et discipline militaire 37 Voir JouLIA 1988, Troisième partie, « Catalogue des parallèdes Romains, De la Religion des anciens Romains), numismate averti et les », p. 217 sq. collectionneur réputé. Dans le premier livre de ses Antiquités romaines, 38 M. Vitruvius per lucundum composé en 1538 sur l'invitation de François Jer, il a manifesté pour solito castigatior foetus, cum ftguris et tabula, ut iam legi et intellegi l'architecture antique un intérêt et une compétence hors pair. Il décrit possit, Venise, 15II. Une édition avec une grande précision le magnifique appareil de l'aqueduc du Gier, composite du De architectura, où figurent des planches tirées de évoque le fameux Tombeau des deux Amants, et les « colonnes fusilles Giocondo et Cesariano, parut à antiques de grosseur inextimable » à l'abbaye d'Ainay, dont il pense, à Lyon en 1523· Sur les éditions de Giocondo, voir L. A. CIAPPONl, juste titre, qu'elles ont appartenu au sanctuaire confédéral, ou à son « Fra Giocondo da Verona and 5 autel3 . Plus ambitieux que ses devanciers, il signale aussi le mausolée his Edition ofVitruvius »,journal ofthe Warburg and Courtauld de Glanum et la Pyramide de Saint-Symphorien à Vienne. Les superbes 47, 1984, p. 72-90. Institutes, dessins qui illustrent son manuscrit, apparemment destiné à l' édition36, Sur la perte des illustrations de sont dus à un jeune artiste talentueux, Jacques Androuet du Cerceau, qui Vitruve, voir P. GROS, « Vitruve et les ordres », Les traités d'archià référence La ro). (Fig. saura tirer parti de cette fructueuse collaboration tecture de /,a Renaissance, Paris, Vitruve (II, 7) à propos du type de maçonnerie utilisé dans les aqueducs Picard, 1988, p. 57-59. lyonnais montre que l'humaniste possède une culture architecturale remarquable pour l'époque, que confirme sa description très précise de fragments antiques, vestiges probables d'autels funéraires doriques avec des bucranes et des vases37. Un décor de triglyphes et de métopes, emprunté aux Grecs, était, selon lui, placé au-dessus del' architrave, au niveau de la frise (« zophore ») pour masquer les solives de l'architecture de bois qui reposaient perpendiculairement sur l'architrave et les trous entre les solives (Fig. n). La connaissance du traité de Vitruve est indéniable dans la description générale del' entablement dorique, avec la mention des six gouttes pendant sous les triglyphes, mais les détails de la décoration des métopes, non précisée par l'architecte romain, suggèrent d'autres sources, peut-être l'édition du De architectura publiée à Venise par Giocondo en 15n. Les illustrations de l'édition vénitienne étaient en effet un utile commentaire du texte vitruvien3 8 • Mais la 0

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planche placée sous le texte de Guillaume du Choul présente des bucranes et des patères de décor et d'esprit différents: les cornes des bucranes ne sont pas comme chez Giocondo ornées de perles, et le dessin des patères n'est pas semblable. En outre la mouluration de la corniche (en l'occurrence sans fronton) n'est pas identique. Elle est en revanche fort proche d'une planche de la série gravée en 1528 par Agostino Veneziano d'après les dessins de Serlio: les moulures de la corniche, plate-bande, cimaise sculptée de rais-de-cœur et couronnée par une doucine, sont rigoureusement les mêmes (Fig. 12). Seule diffère l'angle adopté: la perspective est oblique chez Serlio39. En 1537, Serlio (f. 20Yo) dessine une frise dont les bucranes ont des bandelettes entrecroisées entre les cornes; une enfilade de perles pend à chacune de ces dernières. Les moulures de la corniche sont dépourvues de décor. Sur Serlio et Veneziano, voir WB. DrnsMOOR, «The Literary Remains of Sebastiano Serlio », The Art Bulletin, 24, 1942, p. 64-65. 40 CoRROZET/CHAMPIER 1540, ff. xlviv0 • 4 1 CoRRozET1 55 0, ff. ro-rov". Les récentes recherches archéologiques n'ayant pas permis de retrouver le raccord principal qui menait aux thermes de Cluny, on ignore si l'approvisionnement en eau de l'édifice était assuré par l'aqueduc d'Arcueil, ou par l'une de ses dérivations, hypothèse jusqu'ici retenue. Sur lesthermes de Cluny et leur approvisonnement en eau, voir BurssoN 1998, p. 141162, 158-159. Sur les diverses éditians des Antiquitez, voir BoNNARDOT 1880, p. l-36; PACHTÈRE 1912, p. vi-x. 39

Le cas des Lyonnais est tout à fait représentatif de la lente éducation qui fut celle des antiquaires. Mais la culture architecturale de Guillaume du Choul reste exceptionnelle pour son époque. Il faut attendre de fait la seconde moitié du XVIe siècle pour que les Français parviennent à identifier et décrire les antiquités qui subsistent sur leur territoire. Jusque dans les années 1550, à quelques exceptions près, les antiquaires se bornèrent à mentionner et localiser les vestiges. Gilles Corrozet dans le Catalogue des villes et cités des Trois Gaules qu'il publie en 1535 cautionne la fondation 1égen d aire d es cités · d u royaume, conrorme r · d u temps et à cette a' l' air vision trojano-gauloise de l'histoire illustrée par Jean Lemaire de Belges, · ab on d amment. Sans d oute evoque-t' il 1es rumes · d'Autun ou d e qu'"l 1 cite Lyon; mais il ne fait que reprendre Chasseneuz et Champier. Claude Champier, le fils de Symphorien, qui ajoute en 1540 au livre de Corrozet un second livre intitulé Les Singularités de Gaule, est tout aussi général pour Bordeaux ou Nîmes. En cette dernière cité il y « a plusieurs choses antiques faictes par les Romains comme Teatres et aultres choses merveilleuses »40 ! La première édition de l'ouvrage le plus connu de Corrozet, la Fleur des Antiquités de Paris, parue en 1532, n'est qu'un tissu de fables. I.:édition de 1550 montre au contraire que l'auteur a acquis un sens critique certain; cette fois il s'intéresse aux ruines, suivant les fouilles de la capitale quand il n'y participe pas directement. Les vestiges visibles

dans l'hôtel de Cluny donnent lieu alors à un long développement qui révèle une science nouvelle: il met notamment l'édifice en relation avec l'aqueduc d'Arcueil, dont on avait découvert en 1544 des fragments intra muras, à la Porte Saint-Jacques 41 . La confrontation des textes et des ruines jointe à la conscience d'un patrimoine demandait une maturité intellectuelle et des connaissances architecturales qui ne furent acquises par les architectes français eux-mêmes qu'après la publication en 1537 des Regole generali (Quarto libro) de Serlio, première description illustrée des cinq ordres d'architecture, et surtout présentation rationnelle du vocabulaire ornemental à l'antique avec de nombreux exemples de portes, de cheminées, d'édifices privés ou religieux. En ce qui concerne les antiquaires, ces connaissances ne furent maîtrisées qu'après 1550, au moment où les ordres« classiques» faisaient leur apparition

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en France. De fait, c'est dans la seconde moitié du XVIe siècle que sont publiés les ouvrages de référence. Jean Poldo d'Albenas (Discours historia! de l'antique et illustre cité de Nismes, 15591560), Élie Vinet (L'Antiquité de Bourdeaus, 1565; Antiquité de Sainctes, 1568), pour ne parler que des ouvrages imprimés, vont confronter systématiquement les sources littéraires et les ruines. Les textes de Lantelme de Romieu et de Jean Genoux sur les antiquités d'Arles, quoique manuscrits, connurent une large diffusion en Narbonnaise grâce aux copies qui en furent faites, fort heureusement d'ailleurs puisque les textes originaux sont aujourd'hui soit mutilés (Genoux), soit irrémédiablement perdus (Romieu) 42 . Tous furent cités par 42 ROMIEU 221; GERTOUX 45r. les antiquaires ultérieurs. Lauteur qui eut sans doute le plus de succès est 43 L. DELARUELLE, Guillaume Budé. Les origines, les débuts, les incontestablement Poldo d'Albenas, lu aussi bien par Belleforest, Rulman, idées maîtresses, Paris, Champion, Peiresc, François de Rebatu que par Palladio et Ortelius, Thomas Platter 1907, p. 90. 44 Lettre à Charles Brachet du ou Jacob Grasser. La connaissance des traductions et commentaires de 9 janvier 1537 (H. ]ACOUBET, La Vitruve, la diffusion des grands textes théoriques modernes, l'éventuel correspondance de ]ehan de Boyssoné, ms. de Toulouse 834, résumée, séjour outre-monts enfin qui donnait la connaissance directe des grands classée et annotée, Toulouse, Priantiques romains, furent les conditions préalables à un discours pertinent vat, 1931, lettre 92, p. 51). 4 5 Lettre à Guillaume de Scève sur les ruines. Vitruve et Alberti forent les principales sources. Le cas du du 20 novembre 1537, citée par Toulousain Jean de Boyssoné est tout à fait exemplaire: Vitruve, écrit-il à R. de Boysson (R. DE BoYSSON, Guillaume Budé, l'a initié aux beautés de l'architecture antique 4 3; le Un humaniste toulousain, ]ehan de Boysson, Paris, Picard, 1913, juriste lit aussi quotidiennement Alberti, usant son exemplaire au point p. 184-185). de devoir en 1538 en racheter un autre 44 ! Et c'est tout naturellement qu'il 46 DESGRAVES 1977, p. 165, n° 95· 47 évoque dans sa correspondance les ruines nîmoises visitées en 1537 lors du C'est plutôt aux spécialisvoyage de retour de Paris à Toulouse, via Lyon 45 . Vinet possédait le traité de l'architecte romain dans l'édition composite lyonnaise de 1523 46 • La luxueuse traduction du De architectura, publiée en 1547 par Jean Martin (Architecture ou Art de bien bastir) et superbement illustrée par Jean Goujon, confirme l'intérêt de l'élite cultivée pour le traité de l'architecte

tes que s'adressait l' Épitomé de Vitruve publié en par Jean 1559 Gardet et Dominique Bertin. 48 1 LEMERLE l9% P· 33-4 ; LEMERLE 2000-1, p. 33-43. 49 LEMERLE 2000- 3, p. 93 -106; LEMERLE 2002- 2 , P· 163-17 2 ·

romain 47 • Elle fait du reste l'objet d'une réédition chez J. de Marnef et G. Cavellat en 1572. Signe de cette culture nouvelle, la plupart des antiquaires de la seconde moitié du XVIe siècle dominent le langage architectural des ordres (colonnes, pilastres, cannelés ou non); ils identifient au moins les trois ordres grecs (dorique, ionique, corinthien), et en connaissent les principales constituantes (base, chapiteau, entablement formé de l'architrave, de la frise et de la corniche). Les plus avertis d'entre eux ont lu le commentaire de Guillaume Philandrier, sinon dans sa première version romaine de 1544, du moins dans la belle édition lyonnaise imprimée en 1552 par Jean de Tournes. La fameuse Digression sur les ordres du livre III de ses Annotations sur Vitruve leur donne les clefs du nouveau langage à l'antique, mis au point à Rome au début du x:vre siècle dans le milieu de Bramante et Raphaël, et diffusé par Serlio 48 • On ne peut comprendre l'originalité et la modernité du Discours historia! de Poldo d'Albenas, si l'on néglige l'apport desAnnotations4 9 • De fait seuls les« studieux d'architecture» furent capables de s'intéresser aux ruines qui demandaient pour être appréciées une culture architecturale spécifique .

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Cette élite antiquaire entretenait en outre un lien affectif fort avec une ville, qu'elle fût natale ou adoptive, voire avec une province. Issus dans leur grande majorité des milieux parlementaires et universitaires, ses membres sont originaires des régions les plus riches en édifices insignes (Dauphiné, Provence, Aquitaine), sans parler de Lyon, vivier unique en son genre. Jean Poldo d'Albenas a consacré ses recherches à Nîmes, Lantelme de Romieu et Jean Gertoux à Arles. Jules Raymond de Solier embrasse toute la Provence, Anne de Rulman toute la Narbonnaise. Balthazar Burle, passionné d'inscriptions, a laissé cinq dessins autographes représentant en élévation perspective l'arc d'Orange, les monuments de Glanum (arc et mausolée), rarement reproduits, ceux de Vienne (pyramide et temple d'Auguste et de Livie), et de façon inattendue, et fantaisiste, l'arc de Saintes, identifié comme un aqueducs 0 • On sait peu de choses sur Romieu, collectionneur et numismate 50 BuRLE 606, ff. 317, 33ov0 averti. La personnalité de Gertoux, avocat à Arles, est à peine connue. Ses 331, 340, ap. 374v 319. Voir notes sur les antiquités arlésiennes et plus encore ses dessins constituent supra, p. 12. 5! SoLIER 759, f 117. Sur Solier, toutefois une source de premier ordre pour les chercheurs modernes voir A. LE MENN, «Jules Ray(Fig. 13-14). De façon générale, les témoignages de ces érudits sur les mond de Solier, premier "écrivestiges de la première province romaine et les découvertes archéologiques vain général" de la Provence», Provence historique, 191, janvierfaites tout au long du xvre siècle et dans le premier tiers du xvne siècle mars 1998, p. 3-28. sont une mine de renseignements jusqu'ici peu exploités; pourtant ils 52 Voir LEMERLE 2002-1, p. 293-294. complètent fort à propos la vision globale et touristique qui était celle 53 RuLMAN 8648-865r. La des voyageurs pour une région qui les attira spécialement. Solier, avocat Bibliothèque municipale de Nîmes (Carré d'Art) possède au Parlement d'Aix et jurisconsulte renommé, est en 1572 le premier une copie principale de ces à signaler les « quatre colonnes » de Riez, site peu connu à la limite manuscrits, héritée à la révolution du marquis d'Aubais (ms. du territoire de la Narbonnaise5 1 . Il y voit les vestiges d'un mausolée: 180), et plusieurs autres sous forPeiresc les identifiera avec raison comme les colonnes d'un temple dont mes d'extraits qui appartinrent, elles constituent la partie antérieure du podium 52 . Quelques décennies entre autres, au savant et collectionneur nîmois Jean-François plus tard Rulman, fils d'un Hessois installé à Nîmes, s'intéressa à la Séguier et à l'historien de la cité Narbonnaise. Il est l'auteur d'un manuscrit en quatre volumes: Récit, Des Léon Ménard. 54 RuLMAN 8648, ff. 146-149; Anciens Monuments, Qui Paroissent encore dans le despartements (sic) De 147, 151, 167 (dessins); RULMAN la Premiere et Seconde Gaule Narbonnoise 53 • Le premier (1627), composé de magnifiques dessins autographes sans légende, est un témoignage remarquable sur les antiquités essentiellement nîmoises (Fig. 15). Trois volumes manuscrits rassemblent les divers témoignages des Anciens sur la Narbonnaise ainsi que les propres observations de Rulman sur les divers sites antiques. La beauté du premier volume a généralement occulté les trois autres, non illustrés et de présentation austère. Ils présentent pourtant un grand intérêt par l'ampleur de l'enquête, qui s'étend de Toulouse à Fréjus, et par l'importance accordée à l'architecture antique sous toutes ses formes, même si les descriptions sont souvent laconiques. Les édifices religieux et civils retiennent l'attention du Nîmois autant que les aqueducs, les ponts et les routes. Lérudit est l'un des rares antiquaires à étudier le site de Béziers et à fournir des illustrations du «cirque», de l'aqueduc, d'une tour romaine et d'autres vestiges5 4 (Fig. 16), 0

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8649, ff. n3-n9v0 • Quelques années auparavant].]. Grasser avait signalé les ruines du« cirque» (1607, p. 37). Sur Béziers, voir M. CLAVEL, Béziers et son territoire dans !'Antiquité, Paris, Les Belles Lettres, 1970. 55 RuLMAN 8648, ff. q5, 177· 56 Voir infra, p. 74-76. 57 Cf LEMERLE 2002-2, p. 163à signaler les ponts antiques subsistants, comme ceux de Boisseron, q2.

d'Ambrussum ou de Sommières 55 . L'Jnventaire particulier publié en 1630 nous fait revivre la visite de la Nîmes antique faite sous sa houlette par le cardinal Giovanni Francesco Bagni, en particulier celle de l'amphithéâtre. L'extrême précision des détails (état des différents éléments d'architecture, connaissance approfondie des moindres recoins du bâtiment) autoriserait presque une restitution virtuelle des arènes. De toutes ces personnalités émergent celles, exceptionnelles, de Poldo d'Albenas et Peiresc. Le premier avocat, conseiller au Présidial de Nîmes, a publié une étude tout à fait originale et inégalée sur les antiquités nîmoises; le second, parlementaire respecté et savant universel, a réuni dans ses recueils manuscrits une information assez complète sur les antiquités nationales, mais éparpillée. La supériorité de Poldo d'Albenas sur ses collègues est d'avoir parfaitement dominé au milieu du xvre siècle la théorie architecturale la plus moderne et d'avoir su utiliser le pouvoir des images, comme en son temps Serlio pour le Quarto libro. Pour la première fois figurent en tête d'un ouvrage de ce type le plan orienté de l'enceinte antique de Nîmes et la vue cavalière de la cité moderne, où l'on voit les antiquités, dégagées pour l'occasion de toute construction parasite. Chacun des chapitres consacrés aux édifices nîmois (amphithéâtre, Maison Carrée, « temple de Diane », Pont du Gard) est accompagné de gravures hors-texte; seule de la Tour Magne n'est pas illustrée. L'amphithéâtre et les deux temples sont illustrés chacun de trois planches: il ne s'agit pas de simples élévations perspectives mais de relevés d'architecte, cotés, en pouces, pieds et toises (Fig. q, 18, 19, 20). Cette vision« archéologique» n'a pas d'équivalent en France en 1559, voire en 1557, date à laquelle fut accordé le privilège, y compris chez les architectes. Le Nîmois n'a sans doute pas dessiné lui-même avec autant de précision les édifices, mais il a de toute évidence guidé la main du dessinateur, non identifié à ce jour, qui prit en compte les exigences d'un spécialiste. À l'époque où Poldo d'Albenas publie le Discours historia!, ni Bullant ni surtout De l'Orme n'ont publié leurs traités. Or c'est chez Philibert, en 1567, quel' on trouve des relevés d'antiques aussi précis, où chaque moulure a été mesurée. Quant aux représentations de l'amphithéâtre et de la Maison Carrée données par Androuet du Cerceau dans les années 1540-1550, elles sont très éloignées des relevés du Discours historia! et relèvent d'une approche idéalisée de l'Antiquité56. Dans les années 1550 Poldo d'Albenas fait œuvre de pionnier grâce à une exceptionnelle culture architecturale. Le Nîmois a lu Vitruve, mais aussi les théoriciens modernes, Alberti et surtout Philandrier57. L'attention portée aux ordres et aux parties qui les constituent, comme l'extrême précision dans la succession des moulures des entablements ou des supports (colonnes et pilastres), dans l'ichnographie des chapiteaux, provient de la lecture approfondie du théoricien français, dont le commentaire est souvent cité. Poldo d'Albenas en outre fait preuve d'une familiarité étonnante avec les dessins d'architecture italiens, notamment avec le

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Codex Coner, ou l'une de ses copies, qui, en son temps, avait révolutionné la représentation architecturale par une perspective oblique. En revanche, il innove en représentant de trois quarts face les chapiteaux corinthiens et composites: il influence directement Gertoux qui dessine de la même façon, à la fin du XVIe siècle, un chapiteau corinthien de l'arc du Rhône (Fig. 13). Cette incontestable réussite éditoriale, due autant à la qualité du propos qu'à la modernité de l'illustration, n'a guère pour précédent que l'ouvrage de Torello Sarayna sur Vérone (1540), illustré par Giovanni Caroto, la Topographie de Rome de Marliani restant pauvre en illustrations, même dans sa version augmentée de 1544· Tous ceux qui s'intéressèrent à la cité nîmoise ont lu le Discours Historia! et s'y réfèrent. Dans sa Cosmographie universelle, Belleforest reprend le plan de la cité moderne avec ses ruines. Thomas Platter junior insère dans son manuscrit le calque de ce même plan qu'il a colorié à la plume. On sait encore la fortune des illustrations des deux temples nîmois dans le traité de Palladio. Mais le Discours historia! reste un hapax au XVIe siècle. Les relevés postérieurs des ruines bordelaises (Palais Gallien, Piliers de Tutelle) proposés en 1574 et 1580 par Élie Vinet, également lecteur de Vitruve, qui a par ailleurs repris l'idée du plan de la cité, sont infiniment plus simplistes. Poldo d'Albenas n'eut ni émule ni réel successeur. Lérudition du xvue siècle ne parvint pas à faire oublier la réussite du Discours Historia!, qui avait su allier au texte humaniste une illustration irréprochable, auquel l'édition lyonnaise avait assuré une large diffusion en France et en Europe. Peiresc, qui n'a rien publié de son vivant, a laissé outre une volumineuse correspondance avec les érudits d'Europe des recueils manuscrits dans lesquels il consigna minutieusement sa vie durant observations, inscriptions, lettres, copies et dessins. Il est sans doute le représentant le plus connu des antiquaires, même si l'on a jusqu'ici peu pris en compte son intérêt pour l'architecture antique. Le manuscrit latin 6012, conservé à la Bibliothèque nationale, contient un grand nombre de dessins des antiquités de la Narbonnaise: l'arc du Rhône et des vestiges des thermes du Sud à Arles, l'arc d'Orange (Fig. 21), l'arc et le mausolée de Glanum (Fig. 22), les thermes et le port de Fréjus, une colonne corinthienne découverte en 1628 à Marseille. Les notes sont généralement peu développées. Quelques lignes sur le monument à exèdre que l'on pouvait voir à Arles à l'hôtel de Laval sont néanmoins un témoignage de tout premier ordre5 8 . Le temple de Vernègues est le seul monument reproduit dans le manuscrit latin 8957 qui regroupe essentiellement des inscriptions antiques, de même que le manuscrit latin 8958. On trouve toutefois dans ce dernier la représentation d'un « bastiment 5S PEIRESC 6012, f. 32v Voir antique en forme de Naumachie», que l'antiquaire a vu à Cimiez en 1629 CoNSTANS 1921, p. 262 et n. I. et parfaitement identifié comme un château d'eau. Le plan est d'autant 59 Les ruines de ce réservoir de plus précieux que l'édifice, plus grand du double que son homologue l'aqueduc de Mouraille avaient été mises à jour lors de la consnîmois, n'existe plus 59 . Le manuscrit français 9530 réunit quelques truction de la villa édifiée par esquisses à la plume du pont de Saint-Chamas (Fig. 23) et d'un mausolée Jean-Baptiste de Gubernatis, consul de Nice. Sur cet édifice et délabré près d'Aix, et, de façon originale, des gravures de monuments le dessin de Peiresc, voir BENOÎT antiques (mausolée de Glanum, Porte de Mars à Reims ... ), qui 1977, p. 32-33. 0



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60 PEIRESC 9530, ff. 85, 86v prouvent un intérêt manifeste pour les ruines nationales et pas seulement 126; 127, 133v -135, n4. 60 méridionales • Peiresc aimait réunir une documentation importante sur 61 PEIRESC 1883, ff. 263, 228. 62 PEIRESC 667, f. 153· tout ce qui l'intéressait. On découvre ainsi des dessins sans légende de 6 3 PEIRESC 6012, ff. 141-142. l'arc et du mausolée de Glanum dans le manuscrit 1883 de Carpentras qui, 64 MONTFAUCON 1724, t. IV, sans être un dossier autographe de Peiresc, faisait partie de sa collection, IV, 3, p. 74-75. Les relevés concernent essentiellement le réperainsi qu'un très beau dessin du pont Julien, pont à trois arches jeté sur le toire décoratif exceptionnel de Coulon non loin de Bonnieux61 . l'arc (panneaux de dépouilles navales) qui est, comme celui de Une série de dessins sur les antiquités d'Autun, qui appartint aussi Carpentras, le seul à comporter à l'érudit, a été heureusement conservée dans le manuscrit 667 de la des trophées sculptés sur les faces latérales. collection Dupuy (Paris, BnF) : il s'agit des vestiges du théâtre et de 65 Voir MoNT!lAUCON 1724, l'amphithéâtre, des Portes d'Arroux et de Saint André (Fig. 24), des t. III, VII, 2, p. 167. temples dits de Janus, de Minerve, de Pluton, et de la Pyramide de 66 PEIRESC 1864, f. 268. Couhard. Peiresc indique de sa main au-dessus de la représentation des vestiges de l'amphithéâtre autunois « ce qui est peint en ce livre a esté tire sur les originaux ilia trame ans pour Mr le Président Jeannin et jay bien eu de lapeine de le tirer du peintre »6 2 • Il avait rencontré à Paris le président, natif d'Autun. De fait Peiresc n'est pas l'auteur de la plupart des dessins. De toute évidence l'humaniste savait dessiner, comme tous les hommes cultivés de son milieu. Certains dessins de l'arc de Glanum ont même été exécutés au crayon 63 . Mais la qualité des relevés qu'il souhaitait (précision des mesures, exactitude du décor, etc.) imposait de recourir à des hommes de l'art. Il employa donc souvent des professionnels pour copier les ruines, comme il le faisait pour tous les objets, animaux et plantes, sans hésiter à multiplier les sources. Lare d'Orange, note à juste titre Bernard de Montfaucon, est« ou croqué, ou dessiné cinq ou six fois par differentes mains. Après cela les diverses parties de cet arc se trouvent dessinées en quatorze feuillets, tantôt plus, tantôt moins mal »64 . Aussi Peiresc, qui n'est pas toujours satisfait du résultat, n'hésite-t-il pas à ajouter des corrections, comme sur le plan des thermes de Fréjus 6 5. De rares recueils comportent seulement des séries de notes, qui consignent les recherches du savant sur la Provence (Marseille, Toulon, Fréjus ... ). Les vestiges de Riez le passionnent, en particulier quatre colonnes au fût monolithique de granit gris, déjà signalées par Solier, qui se dressaient à l'ouest de la cité moderne dans un pré entre les ruisseaux du Colostre et de l'Auvestre6 6 . Le lecteur boulimique qu'est l'Aixois a lu naturellement Vitruve et ses commentateurs Philandrier et Barbaro. Sa bibliothèque comporte les principaux textes d'antiquaires français, italiens ou étrangers. En dehors des pionniers lyonnais qui fournissent une bonne partie de sa matière à Guillaume Paradin, et d'Aymar du Rivail, d'autres antiquaires apportèrent des contributions originales sur le Dauphiné. L'album de Pierre Rostaing, qui réunit cent quatre dessins exécutés dans les années 1560-1580, est unique en son genre: il présente principalement les réalisations monumentales romaines de Vienne (théâtre, pont romain, temple d'Auguste et de Livie, thermes, pyramide du cirque), et de précieuses illustrations des deux portes antiques 0

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67 Cf JAILLET 1923-1924, p. 3982; JAILLET 1971. 6s BARLET 17728. É. Chatel utilise les quatre dessins pour restituer les deux portes antiques de Grenoble(« Étude sur les portes del' enceinte gallo-romaine de Grenoble d'après deux dessins du xv1e siècle », Cahiers archéologiques, 38, 1990, p. q-24). 69 Voir supra, p. 61. Sur la bibliothèque de Vinet, voir DEsGRAVES 1977, p. 153-1)5. 70 VINET 1565, ff. B iv0 , C iiiiv0 ; VINET 1580, 210B. André Gouvéa, sollicité par le roi Jean III, avait emmené à Coimbra !'élite du corps professoral du Collège de Guyenne. Ce séjour se termina fort mal pour les Français après la mort de Gouvéa (DESGRAVES 1977, p. 7). 71 VINET 1565, f. C iiiiv n Le projet était pourtant assez avancé vers 1566 pour que Vinet ait pu en discuter avec son éditeur Enguilbert de Marnef. La lettre (Bordeaux, 18 décembre [1566 ?]) a figuré dans !'Inventaire des autographes et des documents historiques composant la collection de M. Benjamin Fillon, Série V à VIII, Paris, Charavay frères/ Londres, Frederic Naylor, 1878, p. 14, n° 681, if DESGRAVES 1977, p. 124. I..:ouvrage n'a pas été publié et l'on n'a gardé aucune trace du texte de Vinet. 73 Son oncle Claude, juriste, est l'auteur d'un ouvrage de numismatique (De numismate antiquo liber, 1618); son père Jean, seigneur de Palente, a recueilli de nombreuses inscriptions de Besançon. 74 Voir infra, p. 122. 0



II

de Grenoble (Porte Viennoise et Porte Traine) 67 (Fig. 25). Elles sont très proches de celles, à peine plus tardives, du juriste grenoblois Étienne Barlet, qui illustre son manuscrit de quelques dessins à la plume6 8 • Ses notes fournissent un commentaire qui est un utile complément au recueil de Rostaing. En comparaison, les Trois Gaules fournirent peu de grandes figures antiquaires. Bordeaux et Saintes trouvèrent en Élie Vinet un érudit compétent qui sut rendre compte de leurs monuments: il a lu Vitruve69. Son voyage au Portugal de 1547 à 1549 lui a permis d'étudier les antiquités d'Evora7°. Sa description des Piliers de Tutelle et du palais Gallien de Bordeaux comme celle de l'amphithéâtre (Fig. 26), de l'arc de triomphe et de l'aqueduc de Saintes furent reprises par la plupart des antiquaires, cosmographes et voyageurs. Il connaît également Bayonne, Dax, Tours et Paris, où il a vu des murs antiques de facture identique à celle del' enceinte de Bordeaux71 . Louvrage qu'il avait préparé sur Poitiers ne vit, hélas, jamais le jour72. Les autres cités, moins prestigieuses, Dax, Angoulême, Bourges, Rouen, Autun, eurent surtout leurs historiens (André de La Serre, François de Corlieu, Jean Chaumeau, Charles de Bourgueville, Pierre de Saint-Julien et Guillaume Paradin). Seule Besançon, pourtant pauvre en ruines monumentales, suscita des recherches approfondies, mais seulement au xvne siècle. Jean-Jacques Chifflet, premier médecin de l'archiduchesse Isabelle, de Philippe IV d'Espagne et du Cardinal Ferdinand, gouverneur des Pays-Bas, appartient à une famille cultivée73. Collectionneur lui-même, il est l'un des innombrables correspondants de Peiresc, toujours à la recherche de pièces rares. Parmi ses nombreuses publications figure un livre consacré à l'histoire de Besançon publié en

1618 (Vesontio civitas imperialis Zibera), dont la première partie concerne !'Antiquité et ses vestiges encore visibles. Son étude sur la Porte Noire est sans doute le témoignage le plus important et le plus complet sur ce monument, même si

la restitution et l'interprétation du décor de l'arc de

triomphe peuvent aujourd'hui susciter quelques critiques 74 . :Lutilisation intelligente des textes mais aussi des inscriptions et des monnaies confère

à l'ouvrage une grande qualité. La présence de nombreuses illustrations (monnaies, statues, monuments, etc.) en font une référence en la matière. On doit à Chifflet la description d'antiquités rarement signalées pour Besançon (enceinte, temples, cirque). Son témoignage sur les vestiges importants de l'amphithéâtre découverts en 1597, sur l'aqueduc d'Arcier et son bassin de distribution, reste très précieux. Il signale enfin d'importants vestiges

à Mandeure, l'antique Epomanduodurum.

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Des médecins ont apporté une contribution essentielle, quoique méconnue, sur les stations thermales. Jean Le Bon, attaché au cardinal de Guise, puis à Henri III, auteur par ailleurs de nombreux opuscules littéraires, a laissé deux ouvrages sur les installations de Plombières et de Bourbonne-les-Bains, dans lesquels il ne manque pas de décrire les 7 5 LE BoN 1576, éd. JouvE vestiges antiques encore visibles 75. On connaît peu l'ouvrage de Jean 1869, p. 21-22, 23-27, 28-30; LE Aubery sur les bains de Bourbon-Lancy et de Bourbon-l'Archambault, BoN 1590, éd. CAvANIOL 1865, ces « masses entrouvertes par les Ans » dont les « enrichissemens, fusils p. 13-16. Il est curieux que les deux ouvrages de Jean Le Bon marbrez, & jaspez ont supporté la sappe & les secousses du Temps », en aient été quasiment ignorés. Berattendant l'honneur d'être restaurés par Henri IV7 6 • Lentreprise mérite themin, auteur d'un Discours des eaux de Plombières (1615) ne le pourtant une mention spéciale, car le médecin du duc de Montpensier cite pas. L. Bonnard ne signale est un lettré, auteur d'une oeuvre importante et diverse. En l'occurrence il aucune étude sur les thermes de Bourbonne-les-Bains antérieure cite souvent Vitruve et son commentateur Philandrier; il connaît l'Italie au xvme siècle (1908, p. 456et peut comparer les installations des thermes de Bourbon avec celles des 462). Sur Jean Le Bon (mort en 1583), voir CAVANIOL 1865, p. 1-9, thermes de Dioclétien et de Caracalla77 • Le rapprochement est d'autant ]OUVE 1869, p. V1l-XV1. plus judicieux que les thermes de Bourbon-Lancy avaient été avec ceux 7 6 AuBERY 1604, Dédicace de Royat les plus vastes et les plus luxueux de la Gaule. Les descriptions « Au Roy », f. iii. 77 AuBERY 1604, f. 44v0. des bains de Bourbon-Lancy et de Bourbon-l'Archambault, sur lesquelles 7 8 Aubery cite encore les thernous reviendrons, sont les plus précises et les plus développées quant à la mes de Néris-les-Bains (AUBERY 1604, ff. 23v0, 25). Voir infra, forme et à la structure de ces établissements. Aubery mentionne encore p. 109. les thermes (ainsi que l'arc) d'Aix en Savoie 78 . Jean Banc, originaire 79 BANC 1605, ff. 33, IIJV0n8v0. I..:édition de 1605 « repade Moulins, doit beaucoup à son prédécesseur, même si La Mémoire raît » en 1618, sous un titre légèrenouvelée des merveilles des eaux naturelles, en faveur des « Nymphes rement différent (Les admirables vertus des eaux naturelles de Poufrançoises » (Paris, 1605) est plus souvent citée. L auteur présente les gues, Bourbon, & autres renomthermes gallo-romains qu'il a vus dans sa recherche des différentes sources mées de France). I..:imprimeur et de leurs applications thérapeutiques, principalement en Bourbonnais. Louis Giffart a rajeuni les exemplaires de la première édition par Le témoignage de Banc sur les ruines de Bourbon-Lancy,« les plus beaux une nouvelle page de titre. Les bains qui nous restent entiers de la curiosité de l'antiquité romaine »79, livres II et III gardent d'ailleurs la présentation d'origine: « A Paris, ainsi que sur les vestiges de ceux de Bagnols, Royat, du Mont-Dore, de Chez Pierre Sevestre Imprimeur Néris-les-Bains, Vichy, Bourbon-l'Archambault 80 , est assez complet. demeurant au Carrefour saincte Geneviesve. 1605. » Antoine Toignard, médecin de Charles III de Lorraine, François de 80 BANC 1605, ff. 137-137v0, Thybourel, chirurgien de l'évêque de Verdun, Dominique Berthemin, 130V0-131, 131V0, 128-128v0, 126v0, 123v°-124. médecin du prince de Lorraine, traitent des bains de Plombières. Jean 81 TorGNARD 1584, ff. 25-26v0 ; Manté s'intéresse aux établissements du Mont-Dore et de Vic, Michel THYBOUREL 416, I, 2; BERTHEMIN 1615, p. 76, 123; MANTÉ Baldit à ceux de Bagnols 81 . 1616; MANTÉ

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d. ; BALDIT 1651.

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Cosmographies, dissertations et autres descriptions Les recherches antiquaires trouvèrent rapidement un écho dans les divers ouvrages publiés au cours de la seconde moitié du xvre siècle. Les ruines, partie intégrante du nouveau paysage culturel, méritent désormais le détour au même titre que les grands édifices civils et religieux. Les antiquités gallo-romaines sont désormais citées dans les guides, cosmographies, descriptions, atlas et itinéraires. Le premier « guide touristique » de la Renaissance, La Guide de Charles Estienne publiée en 1552, et sans cesse rééditée, signale les antiquités majeures (Reims, Vienne, Arles, Nice, Nîmes) 82 • La Cosmographie universelle 82 En 1553 parait déjà la troisième édition, avec une importante de Sébastien Münster (Bâle, 1544), traduite en français en 1552 8 3, ne addition par rapport à la seconde, mentionnait que les antiquités de Besançon, Lyon et Poitiers; en revanche revue et augmentée, publiée en 1552, la même année que la prel'édition revue par François de Belleforest en 1575, si considérablement mière (EsTIENNE 1552), cf J. BoNaugmentée qu'il s'agit d'un autre ouvrage, a bénéficié des travaux des NEROT, La Guide des chemins de France de Charles Estienne, Paris, érudits locaux, imprimés et manuscrits. On y trouve les descriptions des Champion, 1936, I, p. 8-36. vestiges d'Autun, de Besançon, Langres et Périgueux comme des ruines 83 La version française, attribuée parfois à Münster luid'Antibes, d'Arles, de Fréjus ou de Nîmes. Les libraires Michel Sonnius même, est imprimée quatre fois et Nicolas Chesneau avaient en effet envoyé au printemps 1572 à travers (1552, 1556, 1565, 1568), cf G. tout le pays une circulaire invitant les autorités municipales et les élites ATKlNSON, La littérature géographique du voyage française de locales à participer à une description du royaume par l'envoi de mémoires la Renaissance .. ., Paris, Picard, et de plans: cette « description de la France », que les deux libraires 1927, p. 80-81,98-99, 134, 152. 84 La numérotation par pages, parisiens souhaitaient à l'origine tirer à part, fut finalement intégrée à la et non plus par colonnes, en est Cosmographie84 . Peu banale, cette initiative a le mérite de nous donner sans doute la preuve (SlMONIN 1987, p. 435 et n. 13). un instantané des connaissances antiquaires de l'époque, même si tous ss On conserve une copie de les destinataires ne répondirent pas; certains, comme l'historien Pierre leurs brèves notices, « Gratianopolitan>, de Rome sont pour lui des modèles à imiter ou citer. Il n'est pas sûr que MEFRIM, I06, 1994-2, p. 531-547. ru Du CERCEAU 904, 88. Les Bullant ait eu, comme Philibert, une grande familiarité avec les ruines de représentations connues de !' édiNarbonnaise. Pourtant il pouvait connaître les antiquités nîmoises grâce à fice sont rarissimes, voir infra p. IOO. l'ouvrage de Poldo d'Albenas. Paradoxalement De l'Orme et Bullant, à la différence de leurs collègues italiens et de tous les étrangers, considérèrent les édifices gallo-romains comme des antiquités de second ordre. Ces deux grands bâtisseurs du règne de Henri II, fascinés par l'Italie, pour créer une architecture à l'antique spécifiquement française préférèrent s'inspirer des modèles serliens, c'est-à-dire italiens. Rien non plus dans l' œuvre de Pierre Lescot ne montre une quelconque inRuence des ruines nationales.

Le cas Jacques Androuet du Cerceau Seul Jacques Androuet du Cerceau apporte une contribution majeure dans le domaine des antiquités nationales et se montre capable d'avoir une vision globale de l'antiquité romaine. Cet architecte non bâtisseur a laissé de nombreux dessins et gravures des édifices galloromains. Il reproduit en particulier les arcs de Langres, de Besançon (Fig. 27) et de Glanum, l'amphithéâtre d'Arles, les Piliers de Tutelle (Fig. 28) et l'amphithéâtre de Bordeaux, le temple d'Auguste et de Livie ainsi que la Pyramide de Vienne, le mausolée de Glanum (Fig. 29), le Pont du Gard, la Maison Carrée de Nîmes, les thermes de Cluny à Paris et le« théâtre» de Limoges. Quant à la« fontaine de Dijon» qu'il prétend antique, il s'agit de toute évidence d'une interprétation du puits de la chartreuse de Champmol. En l'état, la contribution graphique de l'Orléanais, est avec celle de Peiresc au siècle suivant, la plus importante en ce domaine, d'autant qu'il existe plusieurs versions des monuments, dessinées ou gravées. C'est aussi la plus complète puisqu'elle englobe outre les antiquités renommées de la Narbonnaise les ruines tout aussi imposantes de Bordeaux, de Paris, de Besançon ou de Langres. Elle appelle toutefois plusieurs remarques. De nombreux antiques parmi les plus célèbres ne sont pas présents: l'amphithéâtre de Nîmes, si universellement admiré, la Tour Magne, le« temple de Diane », le pont de Saint-Chamas, pourtant mentionnés par Serlio dans la dédicace du Terzo Libro, les vestiges renommés d'Orange (arc et théâtre). Au contraire le« théâtre» de Limoges, à l'état de ruines, est plutôt inattendu 111 •

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Androuet du Cerceau propose la plupart du temps des élévations, exceptionnellement des détails, mais jamais de plan. Aucun dessin n'est coté. Les édifices sont ainsi toujours représentés en perspective, envisagés chaque fois sous le même angle. Les variantes d'une représentation à l'autre sont réelles, mais au premier abord insignifiantes: vue de la Pyramide de Vienne avec ou sans paysage, Piliers de Tutelle au décor plus ou moins détaillé, Maison Carrée ou temple d' Auguste et de Livie avec ou sans degrés, etc. Il est très probable que l'artiste n'a pas vu les ruines qu'il dessine, les françaises pas davantage que les italiennes: aucun 112 Cf D. THOMSON, Renaisvoyage outre-monts n'est d'ailleurs attesté 112 . Certains édifices comme la sance Architecture. Critics Patrons Maison Carrée sont représentés de façon si peu réaliste qu'on peut douter Luxury, Manchester/New York, quel' auteur des Plus excellents bâtiments de France ait pu les dessiner ainsi, Manchester UP, 1993, p. 121, 127. Le séjour à Rome en 1533 avec le s'il les avait vus lui-même. La série de dessins des Piliers de Tutelle ou du cardinal Georges d'Armagnac, Pont du Gard révèle que l'artiste exploita plusieurs sources, de qualité impossible d'un point de vue chronologique, est une inventrès diverse: par exemple le nombre des arcades médianes et supérieures tion de A.-N. Dezallier d'Argende l'aqueduc de Nîmes n'est pas toujours le même, le bossage est présent ville (Vies des Fameux architectes, Paris, 1787, I, p. 317). ou non. Androuet du Cerceau reprit en outre certaines illustrations qu'il 113 Voir infra, p. n8-n9. avait réalisées pour le manuscrit de Guillaume du Choul, comme celles 114 New York, The MetropoliMuseum of Art, Scholz Coltan il reste le Pour Vienne. de Pyramide la de ou du mausolée de Glanum lection, 49.92.84, f. IOI. La Goldsne lui fut pas difficile de copier des dessins des antiquités françaises chmidt et la Scholz Collections ne forment en réalité qu'un seul qui de toute évidence circulaient d'un pays à l'autre. Comment Serlio exécuté vers 1570 par ensemble eût-il pu décrire de façon si précise les ruines de Narbonnaise s'il plusieurs artistes, if. E. d'Orgeix, n'en avait eu sous les yeux des représentations fidèles? Le manuscrit « The Goldschmidt and Scholz in The Metropolitan Scrapbooks Rawlison d'Oxford, dont on ignore l'auteur, consacré principalement of Art: A Study of Renaissance aux antiquités italiennes, offre une représentation des Piliers de Tutelle Architectural Drawings », Metropolitan Museum journal, 36, 2001, et de l'amphithéâtre de Bordeaux, et de façon plus originale une vue p. 169-206. des thermes de Bourbon-Lancy rarement illustrés 11 3. La parenté des Kunstbibliothek, 115 Berlin, Hdz 4151, ff. 63, 63v no-nov représentations des édifices bordelais avec certains dessins d'Androuet Sur ce codex et son attribution du Cerceau ou avec d'autres représentations d'antiquités romaines que à un artiste français, voir BERCl'on trouve chez différents artistes, la présence d'illustrations identiques KENHAGEN 1969, p. 65-76 et BERCKENHAGEN 1970, p. 1-31, encore était en s'il prouvent Saint-Pétersbourg, de B dans le Codex 65-76. besoin, la circulation de prototypes dont on méconnaît trop souvent 116 Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, ms. It. IV, 149 l'importance pour l'importation des formes, qu'elles fussent antiques ou (~5I05)' I. modernes. Tous ces recueils démontrent qu'il existait à la Renaissance des représentations, à défaut de relevés précis, des principales antiquités de la Gaule, dues soit à des Français soit à des étrangers: le Pont du Gard figure ainsi dans la Scholz Collection 114 , l'arc du Rhône et le temple du forum d'Arles sont illustrés dans le codex Destailleur B de Berlin 11 5. I.:une des rares représentations du théâtre d'Antibes est un magnifique dessin vénitien, mesuré « col piede de franza »116 • Les dessins circulaient d'un artiste à l'autre, d'un pays à l'autre, d'un 0

atelier à l'autre.

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Létude approfondie des diverses séries dessinées ou gravées par du Cerceau, et cela vaut pour les antiquités italiennes, révèle qu'indépendamment de la qualité de sources disparates, Androuet du Cerceau ne recherchait pas une vue réaliste du monument antique, relevé et coté dans ses moindres moulures. Les détails de la Maison Carrée 11? Du CERCEAU 2 r+ rés., ff. 5 (entablement, corniche de la porte, base) présents dans quelques recueils et 6; Du CERCEAU 209e, n. p. (ce restent des exceptions 11 7. r architecte en l'occurrence s'est contenté de codex contient des feuillets disrecopier un taccuino constitué par un professionnel qui a regroupé des persés); Du CERCEAU Schiller, ff. 4, 39V 33· détails d'ordres, d'entablements, de chapiteaux et bases d'édifices romains 11s Voir F. LKvrnRLE, « Jacet gallo-romains. Mais il n'a pas pour autant une vision différente de ques Androuet Du Cerceau et les Antiquités »,journal de la Renaisses collègues: l'antique, nous l'avons déjà rappelé à plusieurs reprises, sance », 2, 2004, p. 135-14+ n'a jamais été envisagé au :x:vre siècle comme un modèle à reproduire à 119 Du CERCEAU 395 (1919), cf GEYMÜLLER 1887, p. 106-108. l'identique. On n'a jamais copié le théâtre de Marcellus, le Colisée, le 120 Ed. 2 p. rés. L architecte Panthéon, ni l'arc de Septime-Sévère. Les édifices des Romains fournirent flamand Vredeman de Vries lui dédia deux de ses ouvrages avant tout des lieux communs à développer et amplifier. Ce n'est pas un ( Vtiri& Architectur& Form&; Livre hasard si du Cerceau publie en 1549 son livre des arcs, au moment même d'Architecture), cf GEYMÜLLER où l'architecture française se définit comme « altiloque » au Louvre, à 1887, p. 127-130. Anet ou Ecouen. Les vingt-cinq arcs rassemblent aussi bien des antiques italiens que des créations modernes. Lantiquité n'est qu'une solution parmi d'autres: l'arc de triomphe, dépouillé de sa réalité matérielle, accède au rang de modèle, d' exemplum 118 • Mais à la différence d'un De l'Orme ou d'un Bullant obnubilés par l'Italie, Androuet du Cerceau ne sous-estime pas les ruines nationales. Comme les Italiens, il a vu dans les antiquités de Gaule des réalisations romaines, et à ce titre dignes du même intérêt que les plus prestigieuses de la Péninsule. Cela explique que les nombreux recueils de dessins qu'il a constitués dans les années 1540-1550, du format de poche à l'exemplaire somptueux, associent les exemples gallo-romains aux antiquités italiennes. C'est le cas des deux magnifiques recueils aujourd'hui conservés au musée de Chantilly, dont l'un appartint à Marguerite d'Angoulême, la propre sœur de François Jer, ou à sa fille, Marguerite de France, duchesse de Savoie 11 9. Il en va de même du recueil conservé au cabinet des Estampes qui fut la propriété du général PeterErnst, comte de Mansfeld (1517-1604), collectionneur averti et amateur d'architecture 120 . Les recueils gravés sur cuivre, tel le Liber novus (1560), s'adressaient à un public plus large: ils montrent l'engouement d'une classe cultivée pour une antiquité idéale. 0

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Architectes « archéologues » du Midi de la France D'autres architectes moins célèbres se sont intéressés aux antiquités de la Gaule, soit qu'ils aient été amenés à détruire des édifices antiques sur ordre du Roi, comme Nicolas Bachelier à Toulouse, soit qu'ils aient découvert des vestiges lors de missions dans les Pyrénées et le midi de la France, tels le Bourbonnais Jean Gardet et le Parisien Dominique Bertin. En

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1549 Henri II autorisa la démolition du Château Narbonnais, établi sur un ouvrage défensif antique. Lopération fut menée à bien par Bachelier (1549-1555), qui put étudier au cours des travaux la structure et les matériaux de l'édifice romain originel, ainsi qu'un superbe arc de triomphe dégagé à l'occasion 121 • Antoine Noguier, chroniqueur attitré de l'Hôtel de ville de 1555 à 1558, fait dans son Histoire Tolosaine (1556) une longue description des deux monuments et rappelle à propos des murailles romaines de la forteresse les observations de Bachelier, dont il fait un éloge emphatique 122 • La culture du sculpteur architecte, praticien savant, ne doit pas étonner dans une ville qui était un centre intellectuel et artistique de premier plan. En 1533, il avait participé à l'entrée mémorable de François Ier dans la cité, l'une des premières entrées à l'antique en France. Jean Gardet et Dominique Bertin ont publié à Toulouse en 1559 (1560 n. s.) un Épitomé de Vitruve, composé d'une traduction de Vitruve illustrée, plus moderne que celle de Martin, et d'annotations sur les passages les plus difficiles. Ces dernières ne portent que sur les trois premiers livres, l'édition ayant connu de nombreuses vicissitudes 12 3. Nous savons fort peu de choses sur le philologue Gardet. Il fut vraisemblablement envoyé à Toulouse par le service des bâtiments du Roi pour la recherche et l'exploitation de marbre en compagnie de Bertin, dont en revanche l'activité dans les années 1550-1560 est bien documentée 124 • Dans les annotations de l' Épitomé il est fait allusion aux ruines de Saint-Bertrand de Comminges, à propos du blocage romain réalisé avec du mortier et des cailloux concassés 12 5. C'est la plus ancienne mention connue des vestiges de l'aqueduc visibles dans la plaine de Valcabrère 126 • Les fameux «commentaires d'Architecture » évoqués dans la dédicace des Annotations et cités à diverses reprises, « labeurs de plus longue poursuite et de beaucoup plus d'années »12 7 ne furent, hélas, jamais publiés. Peut-être retrouvera-t-on un jour les notes et les dessins qui en constituaient la matière principale.

Claude Chastillon et Étienne Martel/ange

1 2 1 Sur la démolition du Château Narbonnais par Bachelier, voir GRAILLOT 1914, p. 120-133. 122 NoGUIER 1556, p. 22-28. Voir infra, p. 98-99. 123 Voir à la fin du volume l'avis «Au Lecteur» de l'imprimeur G. Boudeville (n. p.). Le privilège date de 1555; un premier cahier fut publié en 1556. Sur Garder et Bertin et les antiquités, voir LEMERLE 2004. 124 GRAILLOT 1919, p. 290-294. 1 2 s GARDET/BERTIN 1559, An., p. 67. 126 Un siècle plus tard, l'intendant de Colbert, M. de Froidour, apportera de nombreux et précieux témoignages sur les ruines de la cité des Convènes (Lettres écrites par M de Froidour à M. de Héricourt et A. de Medon, publiées avec des notes par M. Paul de CASTERAN, Auch, 1899). Sur Saint-Bertrand de Comminges, voir R. MAY, Saint-Bertrand de Comminges (Antique Lugdunum Convenarum). Le point sur les connaissances, [Toulouse], r986. 127 GARDET/BERTlN 1559, An., p. 4, 67, 70. 12s Sur Chastillon, voir M. DuMOLIN, Essai sur Claude Chastillon et son œuvre, Paris, s.d., manuscrit dactylographié conservé à la Diblio thèque nationale (Estampes, YB 3 2725 4°); D. ]. BmssERET, «Les ingénieurs du roi au temps de Henri IV », Annales de la Section de géographie, LXXVII, 1964, p. 13-84; HERME-RENAULT 1981, p. 141163; M. PASTOUREAU, Les atlas français, xve-xv1e siècles, Paris, 1984 (avec liste des gravures); F. BouDON, « La Topographie française de Claude Chastillon: propositions pour une grille d'analyse des gravures », Les Cahiers de la recherche architecturale, 18, 1985, p. 54-65; ]. PROUST-PER-

En dehors des témoignages d'architectes qui œuvrèrent à Toulouse, il faut attendre le début du xvne siècle pour rencontrer des praticiens sensibles aux antiquités du royaume. Claude Chastillon, ingénieur et topographe royal, propose dans sa Topographie ftançaise les antiquités qu'il fut amené à voir lors de ses multiples déplacements avec l'armée, lors des sièges 128 • Les historiens de l'art,

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II

RAULT, «Claude Chastillon et sa bibliothèque parisienne», Les Cahiers de la Rotonde, 1997, p. n5-144; J.-P. RAvAux, Claude Chastillon (vers r560-r6r6) et sa Topographie française, à l'aide de renseign,ements inédits, Chalons en Champagne, 1998; F. BouDON et]. BLÉCON, « Le réel et l'imaginaire dans l'œuvre de Claude Chastillon »(contrat du ministère de !'Urbanisme, 1983), inédit; D. BmsSERET, Ingénieurs et fortifications avant Vauban. L'organisation d'un service royal aux XVI'-XVII' siècles, Paris, CTHS, 2000, p. 69-73. 129 Le nom de certains monuments n'a pas été complété; les préoccupés par les problèmes suscités par l' œuvre elle-même, publication lettres repères (A à Z) indiquées posthume et hâtive de cinq cents gravures, dont le dessein n'apparaît pas sur les gravures n'ont pas été suivies de la légende à laquelle elles clairement en raison sans doute de la mort brutale de l'auteur en 1616 12 9, renvoyaient. Certaines planches n'ont jusqu'ici accordé que peu d'attention à cet aspect de l'ouvrage. ne sont pas signées. On identifie l'intervention de cinq graComme pour l'ensemble du recueil, la seule cohérence est celle des veurs différents (Poinsart, Gauldéplacements du spécialiste des fortifications et des frontières, qui s'est tier, Boisseau, Briot et Duviert), cf HERME-RENAULT 1981, p. 148. rendu en Champagne (il est originaire de Châlons-sur-Marne où il résida 130 Ils avaient été jusque-là jusqu'en 1606), dans les Ardennes, en Picardie, en Ile de France et en attribués au peintre lyonnais François Stella, cf BoucHoT Berry. Il fit également un déplacement en Aunis et Saintonge en 1604 et 1886, p. 1-8. E.-L.-G. Charvet, 1605. Ses attributions ne lui permirent pas de couvrir toute la Guyenne, qui a laissé une biographie très fouillée de Martellange, conni surtout la France méridionale où se trouvaient concentrées les ruines naissait !'existence de deux gros les plus remarquables. En outre, la qualité générale des représentations, volumes de dessins, qui avaient jugée plutôt médiocre du fait de l'absence d'ombres portées, d'une vision été prêtés par le duc de Chaulnes au comte de Caylus, mais il schématique et d'une perspective maladroite (toutes sont loin d'avoir la n'en avait pas retrouvé la trace qualité de la planche représentant le phare de Cordouan) ne prédisposait (Biographies d'architectes. Etienne Martellange (r569-r64r), Lyon, pas les chercheurs à une étude « archéologique » considérée comme Glairon-Mondet, 1874, p. 2n).

marginale. Pourtant les antiquités proposées par Chastillon constituent un des ensembles les plus importants par le nombre (une vingtaine) et les plus originaux par le contenu. En effet à côté des ruines renommées de Poitiers (Fig. 30-31), de Saintes ou de Bordeaux figurent les vestiges plus modestes de Tonnay-Charente ou de Varaize, de Drevant-sur-Cher, ou encore ceux de Metz (Fig. 32), y compris le fameux aqueduc de Jouy-aux-Arches. La vue de Reims montre bien les portes antiques subsistantes, celle de Boulogne la Tour d'Ordre. Lui qui résida aussi à Paris ne manque pas de dessiner les vestiges des thermes de Cluny, connus depuis longtemps quoiqu'identifiés à tort comme le palais de Julien !'Apostat (Fig. 33). Cette représentation, l'une des plus anciennes, n'est pas gratuite et révèle une attention marquée pour !'Antiquité. Lon ne saurait faire grief à Chastillon d'une série sommaire et incomplète des antiquités nationales, pas plus qu'à du Cerceau ou Peiresc. Leurs contributions respectives sont restées chacune dans leur genre méconnues, ou pire, sousestimées. Les trois éditions que connut la Topographie en moins de quinze ans (1641, 1648, 1655) attestent cependant la faveur d'un type d'ouvrages purement visuels auprès d'un public désireux de découvrir sans se déplacer les richesses du royaume. Étienne Martellange, l'architecte des Jésuites, a laissé deux albums de dessins, dont la paternité lui fut à juste titre restituée par Henri Bouchot en 1886 1 3°. Le volume UB 9a, conservé au cabinet des Estampes, contient cinq dessins d'édifices antiques: la Pyramide de Vienne, la Porte d'Arroux (Fig. 34) et la Porte de Saint-André à Autun, le Tombeau des deux

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Amants, que le Lyonnais connaissait parfaitement, et le théâtre d'Orange. Il y faut ajouter plusieurs vues de Vienne, une vue partielle montrant notamment au premier plan le palais des Canaux, à l'emplacement des luxueux thermes dont les vestiges avaient valu son nom au palais, et sur la gauche, perdue dans les vignes, la Pyramide 131 (Fig. 35). 1 3 1 UB 9a, ff. 134, 93, n8, 164Ces dessins, réalisés entre l6n pour Autun et 1619 pour Lyon et Vienne, Sur les dessins de Vienne, voir sont tout à fait contemporains de ceux de Chastillon. Certains sont de jAILLET 1971, p. 20-31. simples dessins à la sanguine ou au crayon. D'autres plus soignés sont l3Z CAYLUS 1752-1763, III, 1759, 95o 96, 97, IOO et IOl; p. 356. pl. réalisés à la plume et lavés de bleu, et complétés à loisir, ce qui explique 133 Pantagruel, V, éd. M. sans doute l'incongruité de l'arbre couvert de son feuillage représenté HucHON, avec la collaboration sur le dessin de la Pyramide de Vienne, daté du mois de janvier (f. 134) ! Ils étaient assez fidèles pour que le comte de Caylus ait jugé bon de les reproduire au tome III de ses Antiquités; il les trouvait d'autant plus intéressants que « faits dans le commencement ·du dernier siècle », ils donnaient un état ancien des ruines 1 3 2 . Ces dessins de Martellange ont été réalisés assez tôt dans sa carrière, après un voyage à Rome où il resta jusque dans les années l603/r604, au moment où il entamait un tour de France au service de la puissante Compagnie.

Influence des antiquités gallo-romaines Lattitude de De l'Orme et de Bullant est somme toute révélatrice del' état d'esprit des praticiens et de certains lettrés au milieu du xvre siècle. Les édifices gallo-romains n'ont pas l'aura des antiquités italiennes et partant ne méritent pas de fournir des modèles ou d'être mentionnés, sauf pour leurs qualités techniques. Montaigne, qui porte sur les ruines romaines un regard particulièrement pénétrant, ne cite pas une seule fois dans les Essais celles de la ville dont il fut maire à deux reprises. Rabelais rend un hommage ponctuel au Pont du Gard et à l'amphithéâtre de Nîmes, créés par son géant Pantagruel «en moins de troys heures »1 33 lors de son tour de France des universités! Les « studieux d'architecture» ne réagirent pas autrement. Ni Maurice Scève ni Jean Martin n'ont songé à intégrer les ruines du royaume dans les entrées de Henri II et de Catherine de

de D. MOREAU, Bibliothèque de la Pléiade, Paris, Gallimard, 1994, p. 23r. 134 Sur l'entrée de Henri II et de Catherine, voir les deux albums publiés par Guillaume Roville, en français et en italien, avec des gravures de Bernard Salomon, La magnificence de la superbe

et triumphante entrée de la noble et antique Cité de Lyon faicte au Treschretien Roy de France Henry deuxiesme de ce Nom, et à la Royne Catherine son Espouse le XXIII de Septembre M D. XLVIII.; V. E. GRAHAM, « I.:humanisme lyonnais à travers les entrées triomphales au xvre siècle », L'Humanisme ryonnais au XVIe siècle, 1974, p. 18p99. 135

Délie, XXVI, XCV.

Sur l'humanisme français et les entrées triomphales, voir F. GÉBELIN, «Un manifeste de l'école néo-classique en 1549: l'entrée d'Henri II à Paris », 136

Bulletin de la Société de !'Histoire de Paris et de !'Ile de France, LI, 1924, p. 35-45; HAUTECŒUR 1965, J2, p. 63-65; Y. PAUWELS, Propagande architecturale et rhétorique du Sublime: Serlio et les Joyeuses entrées de 1549 », Gazette des Beaux-Arts, mai 2001, p. 221-236. «

Médicis à Lyon en 1548 pour le premier 13 4, à Paris en 1549 pour le second. Or le poète résidait dans la ville de France qui s'intéressait alors le plus aux antiquités; il n'oubliait pas d'ailleurs de célébrer dans sa Délie le site exceptionnel de sa cité natale, le Mont de Vénus (Fourvière) « semé de marbres à maintz monceaux », ses « Aqueductz, deplorable ruyne »135. Il eût pu être tentant d'associer à d'antiques arcs de triomphe nationaux, et non serliens, l'image de Gallia omniprésente dans le programme iconographique 136. Les poètes

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II

et les humanistes, qui étaient les mieux armés pour admirer et connaître l'antiquité romaine, surtout dans les années 1550, n'ont donc pas songé à tirer parti du filon national en le joignant au mythe gaulois, comme si ce dernier n'avait d'existence propre que de façon éphémère. Martin pour sa part est sans doute trop influencé par Serlio pour envisager d'autres sources. Les rapports du pouvoir avec les antiquités nationales, quoique bienveillants de principe, étaient en fin de compte trop lâches et ténus pour une véritable utilisation politique et artistique. Au xvne siècle, elles ne seront pas davantage « invoquées comme preuve de la vocation nationale au classicisme »137. Guillaume Philandrier, expert en ruines s'il en fût, ne mentionne 137 PÉROUSE DE MoNTCLos dans ses Annotationes les thermes de Chaudes-Aigues que parce qu'ils lui 1982, p. 241; 2001, ibid. ont permis de vérifier les principes vitruviens des étuves (laconicum) 138. Sa 13 8 PHlLANDRIER 1552, V, IO, remarque ajoutée en 1552 dans la version augmentée de son commentaire an. 13. 139 BONNARD 1908, p. 407atteste pourtant l'existence d'une station thermale gallo-romaine, 409. confirmée par les fouilles du x1xe siècle qui mirent en évidence des 140 D. MÉTRAL, Blaise de Vigenère Archéologue et critique d'art piscines, des voûtes souterraines, des baignoires et précisément des cabinets (I523-I596), Paris, Droz, 1939, d' étuves 139. Si le théoricien se contente de citer les amphithéâtres de p. 80-212. 141 R. CRESCENZO, « Blaise de Nîmes et d'Arles dans une longue liste d'édifices italiens similaires (Albe, Vigenère et !'architecture: textes Vérone, Otricoli), c'est quel' enjeu des Annotationes dépasse à ses yeux le anciens et monuments modernes », Architectes et architecture cadre national et que la Gaule a priori ne l'intéresse pas. Le cas de Blaise de dans la littérature française, TraVigenère est à peine différent. Chroniqueur, critique et théoricien del' art, vaux de Littérature, XII, Paris, le secrétaire des ducs de Nevers, n'est pas plus disert sur les monuments et Klincksieck, 1999, p. 123-135. 14 2 V1GENÈRE 1584, V, l, an. les sites dans ses commentaires de la Guerre des Gaules de César (1576 et « ATQVE omnes ad portum lccium 1584) 140 . On n'y trouve pas une topographie gauloise aussi passionnante convenire jubet ». 143 VlGENÈRE 1584, VII, 2, que la topographie romaine exposée dans les Décades de Tite-Live (r583). an. (( GERGOVlAM Boiorum oppiCelui qui consacrait des pages brillantes au Septizonium ne mentionne dum». 144 P. CttoNÉ, Emblèmes et aucune ruine monumentale de Gaule 141 . L'humaniste identifie avec pensée symbolique en Lorraine, Calais le fameux Portus Iccius, où César embarqua ses troupes pour passer Paris, Klincksieck, 1991, III, 2, p. 661-724. la Manchel4 2 , ou plus modestement le lieu dit Gergovia ou Gergobina, non pas avec Montluçon, selon l'acception commune, mais plutôt avec «Néry» (Néris-les-Bains) dont il se plaît, en tant que Bourbonnais, à signaler les« baings d'eau chaude, & plusieurs grands vestiges d'antiquitez »14 3. De fait, comme tous ceux qui firent le voyage d'Italie, Vigenère s'est enthousiasmé pour les ruines de Rome et, faute peut-être de bien connaître celles de son propre pays, il ne leur accorda qu'une faible attention. De même JeanJacques Boissard, savant cosmopolite réfugié à Metz après 1560 en raison de ses sympathies pour la Réforme, dynamise incontestablement le foyer messin, sans pour autant s'intéresser réellement aux antiquités de Metz et à celles de Besançon, ville dont il est originaire 144. En revanche, les antiquités du royaume eurent une influence réelle sur la pratique locale, dans les régions riches en vestiges significatifs. Le tempietto du mausolée de Glanum, comme

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145 HAUTECŒUR le rappelle Louis Hautecœur, eut une belle descendance 14 5. De la même 1965, I2, p. 5r. Certains autres exemples façon que les artistes romans avaient puisé des éléments décoratifs dans les cités (influence de l'arc de Sainvestiges de Narbonnaise, beaucoup de praticiens dans la seconde moitié tes sur le château de Dampierresur-Bouronne, celle de l'arc de du xvre siècle, soucieux d'adopter le nouveau langage à l'antique, faute Constantin ou du pont de Saintde culture italienne ou théorique, reprirent le décor des antiquités qu'ils Chamas sur le château de la Tour-d'Aigues) sont moins conavaient sous les yeux. Selon leur degré d'érudition, l'imitation fut plus vaincants. ou moins maladroite. La spécificité de certains décors ne fut pas perçue: 146 LEMERLE 1996, p. 297-306. 147 Le Premier tome de !'Archil'entablement non canonique du théâtre d'Arles avec son «architrave tecture .. ., Paris, F. Morel, 1567, f frise » à protomes de taureaux et « quadriglyphes » et sa frise à rinceaux, fut imité dans son décor aussi bien à Arles même, qu'à Nîmes, Beaucaire, Uzès, voire à Bournazel. Soit il fut purement et simplement recopié, soit les motifs taurins et les quadriglyphes furent seuls repris dans une frise dorique traditionnelle. Quelquefois la source n'est perceptible que dans la forme particulière des glyphes très aigus1 46. L architecte du château de la Tour-d'Aigues, !'Italien Ercole Nigra, cite sans doute sciemment dans le pavillon d'entrée le décor à glyphes du tailloir des chapiteaux corinthiens de la Maison Carrée (Fig. 3637). C'est un travers français, comme le notait déjà Philibert De LÜrme à propos des marbres, de ne trouver bon que ce qui vient d'Italie« ou de quelque païs estrange 14 7. »

LES PLUS EXCELLENTES RUINES DE GAULES

Chapitre III

les plus remarquables, et partant les mieux connues à la Renaissance et au xvne siècle, furent les théâtres, les amphithéâtres, les arcs de triomphe et les temples dont les vestiges restaient facilement identifiables. Elles sont concentrées en ce qui fut jadis la Gaule Narbonnaise, vaste région quis' étendait de Genève au-delà de Toulouse, de Vienne à Marseille, et descendait jusqu'aux Pyrénées. La Gaule Transalpine devenue Narbonnaise fut en effet la première province romaine (125-120 av. J.-C.) et se vit dotée de remarquables complexes urbains (Arles, Nîmes, Orange) qui révèlent la sollicitude du pouvoir impérial pour une région dans laquelle les Romains voyaient le prolongement naturel de l'Italie, voire une autre Italie. La Gaule «Chevelue» de Jules César, plus tard les Trois Gaules sous Auguste, Aquitaine, Lyonnaise et Belgique, regroupait des populations dont le degré de culture n'atteignait pas celui de la première provincia, qui avait déjà depuis des siècles profité de l'influence hellénique de Marseille et de ses comptoirs. Aussi les ensembles monumentaux et les édifices remarquables y sontils moins nombreux et les témoignages plus rares. Même l'Aquitaine, la plus vaste province romaine, qui s'étendait des Pyrénées à la Loire, ne pouvait rivaliser avec les grands ensembles urbains comparables à ceux de la Narbonnaise. ES RUINES

La Gaule Narbonnaise La qualité exceptionnelle des monuments conservés explique l'intérêt qu'ils suscitèrent à la Renaissance. Ils furent d'autant plus fréquentés que les principales cités, Arles ou Nîmes, étaient autant d'étapes pour les pèlerins, artistes, voyageurs et diplomates qui venaient des

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III

péninsules ibérique et italienne ou suivaient la vallée du Rhône. C'est du reste à cette situation stratégique entre Nord et Sud, entre l'Espagne et l'Italie, que ces villes devaient leur existence et leur prospérité. Paradoxalement, Narbonne, la première capitale de ce joyau de la Gaule romanisée, n'offrait au xvre siècle que des lambeaux de sa splendeur passée: il n'y avait plus trace des constructions majeures qui l'avaient ornée. On ignorait jusqu'au site de son Capitole qui avait été comparable à la Maison Carrée de Nîmes ou au temple d'Auguste et de Livie à Vienne. Les seules antiquités mentionnées par Félix Platter, de Thou, Pontanus ou Grasser, sont les vestiges enchâssés dans les remparts. Rulman est l'un des rares antiquaires à faire allusion aux édifices qu'il était difficile de localiser, l'amphithéâtre, depuis lors aplani, les aqueducs, les arcs, les marchés et les temples. Il ne mentionne pré1 RuLMAN 8649, ff. 86v -87, cisément que « la porte romaine » où l'on pouvait lire une inscription 1 . 92vo. Les antiquités du Comtat Venaissin n'ont guère attiré. Lare tétrapyle de 2 MÉRIMÉE 1835, p. 130. 3 « Du trophée d'armes », CarCavaillon qui matérialisait au centre de la ville la rencontre de deux voies, pentras, Bibliothèque Inguimn'est jamais évoqué; il est vrai qu'il fut longtemps enclavé dans le palais bertine, ms. I741, ff. 41v -42. épiscopal. Mérimée le verra fort mutilé, mais seulement engagé par une 4 L édifice est parfaitement visible sur les vues de Bellefode ses faces latérales dans un mur d'enceinte 2 . Quant à l'arc de triomphe rest (1575) et Maretz (« Le plan de Carpentras, lui aussi longtemps enclavé dans les cuisines del' évêché, il geometrique de la ville d'Aix », 1622, Aix-en-Provence, Biblion'est décrit (laconiquement) qu'en 1649 par Antoine Barbier de Valaisse3: thèque Méjanes, Fst. B l). Sur le il ne fut visible sous toutes ses faces qu'au début du xrxe siècle. L arc palais comtal, voir J. S. PrTTON, Histoire de la ville d'Aix capitale romain de Die resta à l'écart des routes empruntées par les voyageurs. de la Provence, Aix, 1666; sur sa Aix-en-Provence possédait encore deux tours antiques (Tour du Trésor et destruction, voir A.- E. GIBELIN, Lettre sur les tours antiques qu'on a Tour du Chaperon), vestiges d'une porte en demi-lune, et un mausolée demolies à Aix en Provence ... , Aix, (Tour de !'Horloge) englobés dans le palais comtal4 , mais pour les visiB. Gibelin-David et T. Emericteurs l'attrait principal de la ville résidait dans sa fondation par Sextius et David, 1787. s Il envoie son frère Valavez en la richesse de ses cabinets. Marseille, l'une des villes les plus anciennes, étudier l'inscription (TAMlZEY n'offrait aucune ruine somptueuse. Peiresc est l'un des premiers à s'inDE LARROQUE 1888, 6, p. 631; 5, p. 330, n. l). téresser au «Trophée des Alpes» à La Turbie 5 . De Grenoble, Rabot et 6 Voir supra, p. 65. Gilbert, Rostaing et Barlet, ne citent que les portes 6 • 7 DAVITY 1614, p. 62. 0

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Nîmes La cité de Nemausus était la plus prestigieuse de toutes aux yeux des antiquaires et la mieux connue des étrangers. Au xvne siècle, les seules antiquités nationales citées par Pierre Davity dans ses Etats, Empires et Principautez du Monde sont les deux merveilles nîmoises, l'amphithéâtre et le Pont du Gard, dont les pierres «sont de grandeur extraordinaire »7. La Maison Carrée, le« temple de Diane» et son bassin, bien conservés, complétaient cet ensemble architectural prestigieux que le Discours historial de Poldo d'Albenas avait révélé en 1559 au monde lettré. Le Nîmois avait présenté sur fond de la ville moderne les monuments qui apparaissaient

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PLUS

EXCELLENTES

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GAULE

dans leur état originel. Lenceinte encore bien visible, dont il avait restitué le tracé, montrait l'ampleur de la ville antique 8 • Nîmes offre la particularité d'offrir deux sites différents: celui du forum avec les portes, la Maison Carrée et les Arènes, et la source au pied du mont Cavalier. Le Capitole, plus connu sous le nom de Maison Carrée, est l'un des temples les mieux conservés du monde romain9. Ce pseudo périptère posé sur un stylobate au centre d'une petite place, elle-même surélevée, frappait tout visiteur, même royal, et suscitait l'admiration pour sa perfection. Il occupait jadis l'extrémité sud du forum face à la curie. Sans doute dédié à l'origine au culte de Rome et d'Auguste, il devint très vite un temple dynastique, consacré aux deux fils adoptifs d'Auguste, Caïus et Lucius Cesar, assimilés à leur mort à des demi-dieux. Il joua le rôle autrefois assigné au Capitole, nom qu'il porta longtemps au Moyen Âge

(Capdueil). Malgré sa structure parfaitement lisible (cella précédé d'un pronaos), auquel on accédait par un escalier frontal, détruit à l'époque de Poldo d'Albenas, mais judicieusement restitué par Palladio et reconstitué au XIXe siècle), le bâtiment ne fut pas toujours identifié comme temple: basilique de Platine pour la plupart des auteurs, malgré le témoignage de

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PoLDO o'ALBENAS I559/r560, p. 24, 26. Lenceinte, édifiée avec grand soin, fut la plus importante construction de la cité: elle nécessita près de I30 ooo tonnes de pierre, extraites des carrières voisines (FICHES/VEYRAC I996, p. I75). Sur !'enceinte, voir P. VARENE, L'enceinte gallo-romaine de Nîmes: les murs et les tours, 53e supplément à Ga/lia, Paris, I992; GROS r99I, p. 44-45. 9 Sur cet édifice exceptionnel, voir R. AMY et P. GRos, La Maison Carrée de Nîmes, 38e supplément à Gallia, Paris, I979' ainsi que la synthèse récente de J.-L. Fiches et A. Veyrac (I996, p. 278288). 10 PoLDO o'ALBENAS I559/ I560, p. 73-78; SERLIO I540, f. III; DEYRON I656, p. 46-49. 11 PLATTER A À V, f. 66 = éd. KEISER I968, p. ro7. La façade en outre se trouvait masquée par l'église Saint-Étienne-du-Capitole (détruite lors des guerres de religion).

Poldo, palais corinthien pour Serlio qui n'avait pas vu l'édifice, prétoire pour Jacques Deyron 10 • Les détériorations subies après sa cession à un particulier qui adossa à sa face sud une maison à deux étages avec un escalier qui entaillait plusieurs colonnes, et aménagea au nord un pigeonnier, le défigurèrent longtemps. Lécroulement de la maison mitoyenne, vers 1591, permit à Thomas Platter de voir l'édifice isolé et de noter en fin observateur que malgré son nom actuel de Maison Carrée, elle comptait «de chaque côté IO belles colonnes de pierre (seules les 3 premières étaient libres, les autres étant engagées dans le mur de la cella) et 6 sur les côtés les plus étroits »11 • Trente colonnes corinthiennes en effet constituent avec la porte et l'entablement l'essentiel du décor, dont les planches de Poldo d'Albenas, réinterprétées par Palladio, permettent de saisir toute la qualité: superbe corniche de la porte, magnifiques rinceaux de la frise, luxueuses moulurations de la corniche où sont associés oves et dards, rais-de-coeur, denticule, grecques et rosaces (Fig. 18-9). Peu après la visite de Platter, la maison Carrée fut vendue au sieur Brueys, qui en fit une écurie. Lamphithéâtre, encore appelé les Arènes, émerveilla les visiteurs par la beauté de sa

construction. Édifié au sud de la ville, près de l'enceinte augustéenne, il était à la Renaissance encore bien conservé en raison de sa transformation en forteresse par les Wisigoths. Mieux connu que son homologue arlésien, pourtant de taille supérieure - mais tous les voyageurs ne se rendaient pas à Arles - il comptait au rez-de-chaussée soixante travées, obturées depuis le Moyen Âge à l'exception des deux portes, et était surmonté d'une galerie à arcades, ornée de pilastres toscans. L attique qui couronnait jadis l'édifice avait depuis longtemps disparu.

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Le dessin de Francisco de Holanda montre l'état de l'amphithéâtre vers 1537 12 . Le cœur était occupé par des habitations, ce qui transformait la cavea en un véritable quartier de la ville. Malgré le dégagement du couloir du premier étage suite à la visite de François Ier en 1533, on ne pouvait deviner l'ingénieux agencement des m&niana qui permettaient d'emplir ou évacuer l'édifice sans gêner les spectateurs. La restitution qui fut faite de la structure par Poldo d'Albenas, et ses relevés du décor permettent une vision archéologique assez juste (Fig. 17). Le Nîmois reproduit en outre un des deux protomes de taureau qui ornaient l'entrée principale, ainsi que deux bas-reliefs souvent signalés par les visiteurs: la louve allaitant Rémus et Romulus et un combat de gladiateurs. Peiresc gardait plusieurs dessins de trois phallus réunis en un unique corps ailé monté sur deux pattes de bouc et becqueté par deux oiseaux, motif aujourd'hui quasi effacé. Il y avait une variante de ce dernier motif (clochette et femme chevauchant les phallus) sur un pilastre de la travée 46, déposé depuis 1829 au musée de la ville. Le motif phallique indiqué« dans les frises » (deux phallus d'inégale longueur) se voyait encore au XIXe siècle sur le linteau formant corniche, du côté de l'arène, aux voussoirs del' arc du second niveau de la travée 2813. Le bas-relief avec les deux gladiateurs est encore en place à la travée 7, mais très détérioré. C'est le seul aujourd'hui qui reste de la série représentant les jeux del' amphithéâtre: il ornait à l'extérieur les parapets garantissant les arcades de la galerie du second niveau. Ces bas-reliefs furent dessinés par Rulman 14 • Ce dernier et Thomas Platter ont su le mieux faire revivre le prestigieux monument par leurs descriptions à la fois précises et vivantes 15. Les deux portes de la ville qui subsistaient furent rarement évoquées. La Porte d'Auguste, située à l'est de l'enceinte (anciennement Porte d'Arles) et qui marquait l'entrée de la via Domitia était pourtant construite en grand appareil. Elle avait, il est vrai, perdu le portique supérieur de sa façade, et les deux tours semi-circulaires qui l'avaient encadrée avaient quasiment disparu sous le« doublage» médiéval, lors de la construction d'une forteresse du temps de Charles VI. En 1656 Deyron signale qu'une partie des deux tours était encore visible dans les« masures» du château royal. La qualité del' édifice ne lui échappe pas, puisqu'il lui paraît aussi beau que la basilique (la Maison Carrée), malgré son état délabré. Ce furent les démolitions du rempart en 1793 qui entraînèrent la redécouverte de cette porte, décorée de pilastres corinthiens, dotée d'un entablement supporté par deux avant-corps de taureau en guise de console et d'une petite colonne ionique entre les deux baies principales. Mais les travaux causèrent aussi la destruction des tours dont on ne peut plus voir aujourd'hui que le tracé matérialisé par des dalles. La Porte de France (qui doit son appellation à une visite de Louis XIV en 1660), connue au Moyen Âge sous le nom de Porta Spana ou Hispana, est beaucoup plus simple: construite en pierre de taille pour la partie inférieure mais en petit appareil pour les écoinçons de part et d'autre de la voûte, elle est signalée et représentée par Rulman. Le dessin montre parfaitement l'arche unique flanquée de chaque côté d'une tour semi-circulaire, égale-

Voir supra, p. 37. Sur la partie supérieure des pilastres de la travée 9 sont représentés à l'est la louve et à l'ouest les motifs phalliques (A. PELET, Description de l'amphithéâtre de Nîmes, Nîmes 1853, p. rn6, n2n6). Sur le monument, voir FICHES/VEYRAC 1996, p. 336350). Peiresc conservait deux dessins de la femme chevauchant les phallus (PEIRESC 667, ff. 98, 131). 14 RuLMAN 8648, f. 20. 15 PLATTER A À V, ff. 63v"-65 = éd. KEISER 1968, p. rn5-10; RuLMAN 1630, p. 8-13, voir supra, p. 63. 12

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ment en petit appareil, et surmontée d'une galerie aveugle décorée de quatre pilastres toscans. La partie intérieure est détruite ainsi que les deux tours 16 • 16 RuLMAN 8648, f. 15. Sur De l'Augusteum, situé aux abords de la source de la Fontaine, les l'enceinte de Nîmes et ses portes, antiquaires et les voyageurs ne virent que la source, dont la profondeur et voir FICHES/VEYRAC I996, p. 175le débit les intriguèrent beaucoup. Cette émergence karstique, provenant 207. 17 Il faut imaginer à l'origine de la garrigue nîmoise, coule toute l'année avec des débits irréguliers. Ses une très grande aire entourée de eaux sourdent dans un« bassin», vasque en forme de cône den mètres de portiques au centre de laquelle l'eau de source était acheminée profondeur, limité par le rocher sur deux côtés et au sud par deux escaliers dans un nymphée central. Au semi-circulaires. Un mur puissant épousait ses contours irréguliers. On milieu de ce nymphées' élevait un admira surtout l'ensemble de constructions qui subsistaient sur le côté massif quadrangulaire sur lequel trônait un autel monumental, occidental du portique délimitant le sanctuaire des eaux, sanctuaire indicantonné de quatre colonnes; gène transformé en lieu de culte dynastique; la magnifique salle rectanà la périphérie du portique, on rencontrait à l'ouest « le temple gulaire de plan basilical, couverte en berceau, entourée de salles annexes, de Diane ». Cette salle cultuelle était connue sous l'appellation de« temple de Diane »17 • Pour avoir servi située sur l'axe de l'autel devait assumer une fonction religieuse. au Moyen Âge d'église à des Bénédictines, l'édifice bâti en grand appareil À la limite nord-est s'élevait un avait été préservé: ses voûtes, protégées par un toit à double pente, étaient théâtre, aujourd'hui disparu, cf P. GROS et A. CoNGÈs, « Le restées intactes, comme le montrent les gravures de Poldo d'Albenas, sanctuaire des eaux à Nîmes », reprises par Palladio, de même que son décor intérieur (Fig. 19): l'Italien Revue archéologique du Centre, avait parfaitement apprécié la qualité exceptionnelle de l'édifice. Chacune 22, 1983, p. 131-172. Les vestiges furent dégagés à partir de I739· des parois de la salle était rythmée par cinq niches encadrées de colonnes Sur l'Augusteum, voir FICHES/ et couronnées de frontons alternativement segmentaires et triangulaires. VEYRAC I996, p. 241-268. Dans le fond étaient ménagés trois compartiments aux superbes plafonds. La voûte se composait de façon très originale d'arcs étroits et larges, simulant des doubleaux. Un superbe dessin de Rulman montre l'un des deux escaliers qui permettaient d'accéder à des constructions mitoyennes, aujourd'hui disparues (Fig. 15). Considérée unanimement aux XVIe et XVIIe siècles comme un temple dédié selon les auteurs à Vesta (Poldo d'Albenas), aux divinités infernales (Palladio), à Platine (Rulman), Isis et Sérapis (Deyron), la salle était à l'origine une salle cultuelle, qui pouvait abriter une bibliothèque, autre fonction que l'on peut attribuer au monument. Seules les guerres de religion le mirent à mal: l'église bénédictine fut pillée et transformée en remise par un fermier. En 1576 la façade de l'édifice fut détruite lors de l'incendie causé par l'embrasement d'un stock de bois qui y avait été entreposé. Lannée suivante les Nîmois eux-mêmes le démolirent sur toute la partie méridionale pour éviter qu'il ne serve de retranchement au maréchal de Bellegarde. Au XVIIe siècle Henri de Rohan en fit tirer de nombreux matériaux pour les fortifications qu'il établit en I622. La célèbre Tour Magne, construite sur le Mont-Cavalier, à l'endroit le plus haut de la cité, en retrait de la muraille, avait été le symbole du pouvoir impérial conquérant, un amer signalant l'importance de la cité autant que l'Augusteum (sanctuaire de la Fontaine) quis' étalait à ses pieds. Au xne siècle elle jouait un rôle militaire et fut utilisée par la suite lors de la guerre contre les Anglais; pendant les guerres de religion, elle fut englobée dans un petit fort

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RuLMAN 8648, f. 105. Voir supra, p. 62-63. 20 ROMIEU 221, XLVI, p. IO!; PLATTERAÀ III, f. 74= éd. LbTSCHER 1976, p. 226; Tttou qn, p. 87. 2l SERLIO 1540, f. III; PEIRESC 9530, f. 86v0 • Sur le pont de Saint-Chamas, voir la synthèse (rapide) de F. Gateau et

bastionné, démantelé lors de la paix d'Alais. Le dessin de Rulman montre que l'édifice était déjà fort ruiné dans le premier quart du xvne siècleI 8 . On ne voit pas son soubassement polygonal; on devine le décor de pilastres qui ornait l'intérieur de la tour octogonale. La terrasse qui devait la couronner a totalement disparu.

alii, Carte archéologique de la Gaule, L'Étang-de-Berre, IJII,

Le Pont du Gard

1s 1

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Paris, 1996, p. 281-282). 22 BERGIER 1622, IV, p. 696. PoLDO n'ALBENAS 15'59/ 1560, p. 88. 2 4 Éd. KcEFFER 1892, p. 80 (PLATTERAÀ III,f. 58 =éd. LbTscHER 1976, p. 201). 25 LEonrns 1624 , p. 33 ; BRAc23

Les ouvrages d'art comme les ponts n'ont pas laissé les hommes du 1 d b b 1 en su sistait e eaux exemp es xvre sièc1e in d i f'Liérents, d' autant qu''l comme le pont Julien à Bonnieux, ou les ponts de Boisseron, d'Ambrussum et de Sommières, signalés par Rulman 19 . Le pont de Saint-Chamas, édi-

fi.ce à une arche en plein cintre enjambant la Touloubre, dit Pont Flavien à cause du dédicant (1er siècle), construit en grand appareil et encadré par deux arcs de triomphe jumeaux surmontés aux angles d'un lion sculpté, est assez remarquable pour avoir retenu l'attention de Lantelme de Romieu et de Rulman, ainsi que d'hommes curieux comme Félix Platter ou le futur président de Thou2 o. Serlio, qui n'a pas vu l'édifice mais en connaît certainement des représentations, n'hésite pas à le mentionner parmi les ruines remarquables de Gaule. Peiresc laisse deux esquisses rapides, l'une de l'arc de triomphe avec l'inscription et un détail du décor des moulures de la corniche, une autre du pilastre corinthien qui fait saillie sur les angles 21 (Fig. 23). Mais aucune de ces constructions n'égale en prestige le Pont du Gard, le plus connu des aqueducs antiques, qui doit sa notoriété autant à la qualité de sa construction qu'à sa parfaite intégration dans le paysage nîmois. Il serait l'une des réalisations d'Agrippa en dehors de l'Italie22 • Même s'il n'est mentionné par aucune source antique, l'ouvrage de près de 49 mètres de hauteur a séduit tous les observateurs avec ses séries d'arches superposées, son grand appareil et l'harmonie de ses proportions. C'est un fragment de l'aqueduc de Nîmes qui conduisait les eaux de la Fontaine d'Eure (Font d'Ouro) près d'Uzès jusqu'à Nîmes (château de Nîmes, Arches du Pont-Rou près de Vers, pont de la Lône, pont de Bornègre), et dont Thomas Platter observa une partie souterraine près d'Uzès. Il servait désormais de pont, comme le rappelle Poldo d'Albenas, «pour la commodité des gens du païs, & pour abreger le chemin de deux lieues, ou environ »2 3. Le jeune Félix Platter résume très simplement la fascination que l' édifice suscita: « C'est une merveilleuse construction à trois étages, dont le premier à six arches, le second onze, et le troisième trente-cinq. Il est en grosses pierres de taille, et d'une hauteur prodigieuse, joignant deux montagnes. Tout au haut se trouve un canal ouvert par où passait l'eau »2 4 (Fig. n). De Leodius à Brackenhoffer2 5, en passant par l'Anonyme milanais, Serlio, Thomas Platter, Esprinchard, Pontanus, Grasset, Bergeron, Bergier ou Golnitz (qui cite en outre les vers élogieux de Théodore de Bèze), tous expriment la même admiration 26 •

KENHOFFER 73 1, éd. LEHR 19 27, p. 138. 26BÈZE 157 6," In Pontis triplicis aqu:oeductum ... »,p. 180.

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La planche bien connue de Poldo d'Albenas représentant sa face occidentale, vue de la rive gauche, très proche du dessin qu'en tire Rulman quelques décennies plus tard, en est la meilleure illustration (Fig. 20); c'est à son aune quel' on peut juger les innombrables versions d'Androuet du Cerceau et les dessins d'autres artistes, comme ceux des amateurs.

Arles 27 Voir GRos 1987, p. 339-363; La cité à laquelle son soutien à César avait valu de prendre la place GROS 1991, p. 34-38. de Marseille comme grand emporium, gardait des vestiges importants 2s Inf, IX, n2-n5. de l'ensemble monumental dont Auguste l'avait doté: amphithéâtre, 29 PLATTER A À V, ff. 85v -86 = 2 éd. KEISER 1968, p. 132-133· théâtre, arcs, forum et cirque 7. Aussi la plupart des voyageurs français 30 ROMIEU 221, IV, p. 9-10. et étrangers s'arrêtèrent-ils à Arles pour visiter les Arènes et le fameux Sur !'amphithéâtre, voir CONSTANS 1921, p. 298-324. cimetière des Alyscamps, peuplé de légendes. La nécropole de l'Est aux 3! SANGALLO 4424, f. 4ov magnifiques tombeaux, païens et chrétiens, célébrée par Dante28 , consDu CERCEAU 904, f. 44; SERLIO 1540, f. IIII. tituait aussi la dernière étape avant Saint-Gilles pour les pèlerins qui se 32 CONSTANS 1921, p. 346-349. rendaient à Saint-Jacques-de-Compostelle. Quant à l'amphithéâtre, le parti monumental de sa façade extérieure, construite en belle pierre de taille avec deux rangs d'arcades superposées, en faisait le plus célèbre de Gaule Narbonnaise. Malgré sa transformation en forteresse au Moyen Âge, malgré les maisons quis' élevaient à l'emplacement del' arena et en défiguraient totalement la structure intérieure, il témoignait à lui seul de la magnificence de la cité et impressionnait aussi bien Jérôme Münzer en 1494 que Thomas Platter un siècle plus tard. Ce dernier admirait plus la beauté de son appareillage de pierre que sa taille jugée, à tort, inférieure à celles de Nîmes 29 . Romieu qui décrit l'édifice en détail le dit plus beau que 0

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son homologue nîmois. Il ignore que le bâtiment servit de modèle à ceux qui furent construits dans la région3o. Dessiné par Sangallo et du Cerceau, mentionné par Serlio3 1 , le bâtiment intéressait au premier chef les architectes italiens qui pouvaient établir une comparaison avec leurs propres modèles (Colisée, amphithéâtres de Vérone ou de Pola ... ). Antiquaires et voyageurs citent aussi deux magnifiques colonnes corinthiennes, non loin de l'amphithéâtre, dont les chapiteaux supportaient un entablement, qu'ils attribuèrent à un prétendu temple de Diane 32 . Ces colonnes de marbre coloré faisaient en réalité partie du ftons scen& du théâtre (fin 1er siècle). Cet édifice comparable au théâtre de Marcellus à Rome, qu'avaient orné de superbes statues (Vénus conservée au Louvre, la« déesse au nez cassé», ou l'Auguste du musée d'Arles), était devenu tout à fait méconnaissable après divers pillages et un incendie. Les habitations qui en avaient êhvahi le cœur, comme aux Arènes, avaient fait oublier tout souvenir du site. Le collège d'Arles, auquel succéda en 1664 le couvent de la Miséricorde, s'était installé à l'emplacement de la scène. Seules quelques travées du mur qui encerclait la cavea subsistaient encore au nord, au niveau du rez-de-chaussée. Au sud, le mur extérieur, percé de trois rangées d'arcades ornées de pilastres doriques, était intact sur toute

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sa hauteur parce qu'une tour de défense, dite Tour de Roland, avait été appuyée au-dessus de l'une des deux grandes portes de l'édifice. Toutefois on distinguait mieux le décor extérieur côté nord33. Romieu admira l'étonnant entablement parfaitement conservé à l'arc de la Miséricorde, constitué d'une «frise-architrave» à triglyphes encadrés alternativement de patères et de protomes de taureaux, d'une frise à rinceaux finement sculptée d'amours, d'oiseaux, d'animaux fantastiques, et d'une corniche à modillons3 4 . Gertoux dessina les fragments du mur extérieur du théâtre, au nord comme au sud 35 . Rebatu, qui copia en 1655 son manuscrit, a reproduit un dessin de l'arcade septentrionale (Fig. 14). Gertoux n'a pas manqué de rapprocher ces vestiges qui ne furent identifiés comme ceux du théâtre qu'au milieu du XVIIe siècle36, d'un autre édifice arlésien contemporain, l'arc du Rhône, qui présentait le même type d'entablement, placé cette fois au-dessus non plus de pilastres doriques, mais de colonnes corinthiennes (Fig. 13). Peiresc en donne également deux précieuses esquisses37. La représentation la plus ancienne de cet arc, détruit en février 1684, se trouve dans le codex Destailleur B, conservé à Berlin3 8 • C'est le seul arc d'Arles connu des antiquaires à la Renaissance: l'Arc admirable avait été détruit lors de la guerre de Cent Ans et l'on n'avait point encore découvert dans le rempart les vestiges de l'arc municipal3 9 . Du forum et des monuments qui avaient orné la cité les antiquaires n'ont connu que quelques rares témoignages, ceux de la façade (postérieure) tétrastyle d'un temple, dit temple du forum (sans doute le Capitole) et ceux du portique qui entourait la place, et de la double galerie souterraine, les extraordinaires cryptoportiques, « caves antiques grotées », utilisées par les particuliers avec l'autorisation des consuls 40 • Peiresc décrit en quelques lignes les ruines d'un monument antique situé dans l'hôtel de Laval (aujourd'hui Museon Arlaten) 41 • Lors de leur venue à Arles Catherine de Médicis et Charles IX admirèrent l'obélisque, vestige de la spina du cirque, découvert peu de temps auparavant à l'extérieur de la Porte de la Roquette (1564). Au XIIIe siècle, Gervasius de Tilbury avait pu voir au même endroit un des deux édicules qui devaient encadrer l'obélisque: ce dignitaire de la cour pour le royaume d'Arles parle d'un autel posé sur deux colonnes d'une très grande hauteur (« duabus immense celsitudinis columnis ara superposita »), sur lequel les Arlésiens auraient immolé chaque année des victimes humaines 42 . Ce témoignage est à l'origine de l'assimilation erronée faite par les antiquaires de la Renaissance de ces deux colonnes, disparues à leur époque, avec celles du temple dit de Diane (théâtre), situées pourtant à l'intérieur de la ville. Une très belle série de dessins consacrée à tous ces édifices est

33 Cf J. SEGUIN, Les antiquitez d'Arles traitées en maniere d'entretien, et d'itinéraire, Où sont décrites, plusieurs nouvelles Découvertes qui n'ont pas encore veu le jour, Arles, 1687, I, p. 37. 34 Sur cet entablement singulier, voir LEMERLE 1996, p. 297306. 35 GERTOUX 451, cahier II, n. p. 36 C'est l'architecte arlésien Jacques Peytret, collaborateur de Mansart à l'hôtel de Ville, qui fut le premier à l'identifier. Sa découverte fut publiée par Claude-François Terrin (La Vénus et l'obélisque d'Arles, Entretien de Musée et de Callisthène sur la prétendue Diane d'Arles, Arles, 1680; « Nouvelles découvertes du théâtre de la ville d'Arles, sa description et sa figure », journal des Savants, XII, 20 août 1684, p. 297). Sur le théâtre, voir CONSTANS 1921, p. 278-297. 37 PEIRESC 6on, ff. 30, 3rv0 • 38 Ff. rro-rrov 0 • Sur l'arc du Rhône, voir CONSTANS 1921, p. 237-248; A. VON GLADISS, « Der "Arc du Rhône" in Arles », RM, 79, 1972-I, p. 17-87. 39 Sur les arcs d'Arles, voir B. FoRNASSIER, « Les arcs de triomphe d'Arles », Histoire de !'Art, 27, 1994, p. 19-29. 40 ROMIEU 22I, V, p. II. 41 PEIRESC 6on, f. 32v0 • Sur le temple du forum et le monument de l'hôtel de Laval, voir CONSTANS 1921, p. 254-262, 262270. 42 Otia imperialia, dans Script. rerum Brunsvic., éd. Leibnitz, I, p. 9i4, cité par CONSTANS 1921, p. 329, n. r. Sur le monument vu par Gervasius, voir CONSTANS 1921, p. 329-330.

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due à un artiste originaire de Nevers, Jean Sautereau. Les relevés à la sépia, datés pour certains de 1652, sont généralement cotés en palmes « à luze de Roume »43. frère de Richelieu, 43 Le Le pont romain qui reliait le centre monumental de la cité à Alphonse-Louis Duplessis, carTrinquetaille et le pont de Fourques sur le petit Rhône ne sont mentionnés Lyon, de dinal-archevêque grand amateur d'antiques, avait ou dessinés que par les connaisseurs 44 ; les aqueducs par les seuls Arlésiens. demandé des dessins à l' archiUn dessin exécuté par Rebatu en 1640 représente une vue cavalière des tecte lors de son séjour en Prodeux rives du Rhône à Arles, où l'on pouvait encore voir l'attache du pont vence en 1640. Si les dessins du cardinal sont perdus, les relede bateaux qui subsistait45 . La découverte en 1570 d'un canal de plomb vés de Sautereau ont été condans le Rhône par des mariniers, puis d'un autre en 158546 , accrédite la servés dans deux recueils formés au xvm siècle par l'avocat Jean présence d'aqueducs à Arles (aqueduc de Trinquetaille). Romieu évoque Raybaud et par Louis Natoire aussi l'aqueduc construit à l'époque d'Hadrien, dont il vit des vestiges (SAUTEREAU 796, ff. 54-61; SAUTEREAU 31, ff. n-12). Sur Sauteremarquables à Barbegal (aqueduc d'Eygalières); il aboutissait, selon lui, rau, voir F. BENOÎT, « Dessins à une fontaine place de la Trouille et au palais de Constantin (« palais d'antiquaires arlésiens des xvrr et xvm siècles », Gazette des de la Trouille»), en lequel il ne reconnaît pas un établissement thermal Beaux-Arts, XVII, 1937, p. 65(thermes du Nord) 47. Cet aqueduc amenait l'eau venue d'un versant des 74; Le goût de l'antique r990Alpilles au-delà de Saint-Rémy et rejoignait à sept kilomètres d'Arles r99r. Quatre siècles d'archéologie arlésienne, Arles, 1990-1991, l'aqueduc édifié sous Auguste, qu'il doublait. Au xvue siècle Peiresc menp. n 75-76, 78-79). tionne la découverte d'un bain antique à Arles, décrit par le sieur Borel, 44 ROMIEU 221, XIII, p. 25; SAXI 1629, p. 2; Bours 1640, témoignage le plus ancien sur les thermes du Sud48 . p. 154-155. Sur le pont, voir Les antiquaires virent aussi de nombreux vestiges, qu'ils ne purent CONSTANS 1921, p. 175-176. 45 Il l'avait adressé au Pariidentifier. À l'abbaye de Saint-Césaire, les divers fragments (bases, colonsien Dubuisson-Aubenay, à sa nes ... ) signalés par !'Anonyme Nicolay, ou Rebatu, provenaient d'un demande, qui l'a soigneusement conservé parmi ses notes temple antique (angle sud-est de l'enceinte) 49 . Un temple de la Bonne (DUBUISSON-AUBENAY 4418, Il. Déesse, symétrique du précédent (angle nord-est des remparts), avait p.), cf L.-A. CONSTANS, «Notes fourni les huit belles colonnes de porphyre, qui ornaient l'église Notresur quelques inscriptions d'Arles », REA, 1920, p. 294-297; emporfirent les IX Charles et Médicis de Catherine Major. la Dame de CONSTANS 1921, p. 341-345. ter, au grand dam des Arlésiens, avec d'autres pièces rares prises aux 4 6 ROMIEU 221, XI, p. 22; GERTOU:X, dans REBATU 902, p. 178Alyscamps et à Saint-Honorat. Elles furent irrémédiablement perdues 179; ROMIEU 221, X, p. 21. 50 dans le naufrage à Pont-Saint-Esprit de la barque qui les transportait . 47 Sur les thermes du Nord, 0

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Glanum De Glanum, sanctuaire salyen del' eau guérisseuse5 1 , l'on ne connut longtemps que les « Antiques », c'est-à-dire l'arc de triomphe, porte monumentale de la ville, et le mausolée cénotaphe voisin, qui avait été édifié à

voir CoNSTANS 1921, p. 273-277. 4s PElRESC 6012, f. 52. Sur les thermes du Sud, voir CONSTANS 1921, p. 270-273. 49 ANONYME NICOLAY 242, f. 3; REBATU 4378, [ 13 = LAURIÈRE s. d., p. 9. Sur le temple, voir CONSTANS 1921, p. 349-350. 50 Cf ROMIEU 221, VII, p. 13. Sur le naufrage, voir Comte C. DE VILLENEUVE, Statistique du

département des Bouches-du-Rhône, II, 1824, p. 438; A. BLANCHET, «Les sarcophages de Charles IX à Pont-Saint-Esprit», REA, 1919, p. 222-223. Sur l'étape à Arles, voir JouAN 1566, ff. 27v0 , 29v0 -30. 5 1 Voir

GRos I991, p. 31-34.

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5z Excellent et Moult Utile Opuscule à tous necessaire ... , Lyon, 1555, « Proeeme ». 53 « Salon, Manso!, Tarascon, de SEX. l'arc,JJ Où est debout encor la piramide,JJ Viendront livrer le prince Dannemarc:JJ Rachat honni au temple d'Artemide » (C. IV, 27). 54 NOSTRADAMUS, Les premieres Centuries ou Prophéties, 1555, édition et commentaire de !'Épître à César et des 353 premiers quatrains par P. BRIND'AMouR, Genève, Droz, 1996, p. 500, n. 36. 55 C'est l'inscription du mausolée qui a incité P. Rivarel à écrire son poème: « en laquelle Tour il y a un Épigramme que sa signification m'a obligê à escrire ce traité, non tant pour entendre que mon pouvoir soit suffisent de ceste emprise, mais pour mouvoir aux entendemens plus experimentez de s' esveiller et vouloir prendre la peine d' escrire et en déclarer d'avantage » (RrvAREL 1609, « Epistre »,p. 67). 56 BAY, Codex 5236, f. 192; Codex de Dresde, r. II, f. 67. C'est la plus ancienne mention connue des antiques, en dehors de textes médiévaux d'ordre administratif (ROLLAND 1969, p. 10). 57 PoLDo D'ALBENAs 1559/ 1560, p. 149, 225; RuLMAN 8649, ff. 36v0 -37; ROMIEU 221, XLIIIXLIV, p. 96-98. 58 BOMY 1633. 5 9 BuRLE 606, ff. 33ov0 -33r. 60 Sur la description de Serlio, voir supra, p. 48. Sur le monument, voir ROLLAND 1969, p. 1978; P. GROS, « Le mausolée des Julii et le statut de Glanum», RA, 1986, p. 65-80; M. PRovosT, dans GATEAu/GAZENBEEK 1999, p. 276-285 (bibliographie récente, p. 285). Sautereau donne un siècle plus tard une très belle version du monument (SAUTEREAU 796, f. 267).

III

la gloire del' aïeul Julius et de son fils par sa famille: il était situé comme il se doit à l'extérieur du pomerium. Michel de Nostredame est si fier de ces monuments qu'il se dit né dans la Gaule Sextrophée, « Sextrophaea natus Gallia », c'est-à-dire dans la région où se dresse le trophée de Sextus5 2 • L'inscription dont il cite le début dans les Centuries se trouve non pas sur l'arc, mais sur le mausolée53. Attribue-t-il par amplification à Sextus les deux édifices? Il est peu probable en revanche qu'il voie dans la partie intermédiaire du mausolée un arc de triomphe, comme l'envisage Pierre Brind'amour 54 . Quoiqu'elles aient fait l'objet en 1609 d'un poème dû à Pierre Rivarel 55 , ce furent, il faut le reconnaître, les ruines les moins fréquentées de la Narbonnaise. Seul un Italien comme Alciat ne pouvait manquer d'aller les voir en 1521 alors qu'il enseignait le droit à l'université d'Avignon56. Elles n'intéressèrent que les connaisseurs, antiquaires et architectes. Simplement mentionnées par Poldo d'Albenas et Rulman, elles sont étudiées plus en détail par Lantelme de Romieu, qui commente longuement les bas-reliefs et l'inscription du mausolée, ainsi que le décor de l'arc57. Peiresc fit des relevés des bas-reliefs de ce dernier (Fig. 21). L'inscription passionna les érudits au point qu'en 1633 Jean de Bomy lui consacra un opuscule 58 . Les deux édifices furent esquissés par Balthazar Burle5 9 . En 1538 Guillaume du Choul qui voyait dans le mausolée l'illustration parfaite du monument funéraire romain, en proposait la première description proprement architecturale, complétée par un dessin fort précis, exécuté par du Cerceau à qui il dut fournir le modèle (Fig. 29). En 1540 dans la dédicace du Terzo Libro Serlio apportait toute sa compétence à décrire avec finesse cet édifice qu'il n'avait pas vu, mais dont il avait sous les yeux une représentation suffisamment détaillée pour en comprendre et apprécier la structure inédite à trois niveaux (socle, massif intermédiaire en forme d'arc quadrifrons et tholos sommitale) ainsi que le décor 60 . Romieu s'intéressa moins à l'aspect du monument turriforme qu'à la dédicace inscrite sur l'architrave de la face nord et aux statues de taille différente abritées par la rotonde du sommet, identifiées comme celles du consul Marius et de son collègue Catulus, de corpulence moindre, ou de la femme de Marius, Julia, tante de Jules César. Il s'agit probablement de celles du dénommé Julius, récompensé de sa participation à la dernière campagne orientale de César par l'octroi de la citoyenneté romaine, et de son fils. Selon l'antiquaire arlésien, le mausolée et l'arc auraient été édifiés en l'honneur de Marius « tant estimé pour la merveilleuse victoire qu'il eut contre les Cimbres et Teutons, qui estoient allemands et gaulois,

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en nombre de trois ou quatre cent mille, desquels il triompha en grand magnificence »61 . En revanche son interprétation des bas-reliefs du socle nord et ouest (combat de cavalerie, combat d'infanterie) est tout à fait juste. Peiresc pour sa part fit reproduire l'élévation et surtout le décor (bas-reliefs du socle), comme il avait fait pour l'arc62. Lare, très endommagé, plus banal aussi dans sa structure (arc à une baie), appelé à la Renaissance le« Portail Sarrazin», suscita moins d'intérêt. Du Cerceau ne le dessine qu'une seule fois 63 . Les caissons de la voûte en berceau disposés en nid d'abeilles, le décor feuillagé des archivoltes et les frises des impostes, les bas-reliefs (couples de prisonniers de la face est) ont pourtant retenu l'attention de Lantelme de Romieu 64 .

Orange

61 ROMIEU 221, XLIII, p. 9295. Sur!' origine et le destinataire du monument, voir ROLLAND 1969, p. 71-78. Il semble qu'il y ait eu en Narbonnaise des édifices analogues, à Arles, Alleins, SaintJulien-lès-Martigues, Vernègues et Aix-en-Provence (CONSTANS 1921, p. 363-365; ROLLAND 1969, p. 71, 73; P. GRos, L'Architecture

romaine 2. Maisons, palais, villas et tombeaux, Paris, Picard, 2001, p. 412-414). 62 PEIRESC 6012, après f. 134, ff. 135-138, 139v0 -140, 142-144, 24r. J;antiquaire possédait aussi une vue du mausolée et de l'arc (PEIRESC 1883, ff. 261, 260). 63 Du CERCEAU 1760, 23. 64 ROMIEU 221, XLIII-XLIV, p. 96-98. Sautereau, dans les années 1650, laisse de très belles représentations du monument à !'état de ruine ou restitué (SAUTEREAU 796, ff. 264v0 , 266, 267, 274). Sur l'arc, voir ROLLAND 1977; M. PROVOST, dans GATEAu/GAzENBEEK 1999, p. 289-295 (bibliographie récente, p. 294-295). 65 LA PISE 1639, p. 14. 66 Voir supra, p. 29.

En 1639 Joseph de La Pise, auteur de la première étude globale sur les antiquités de la cité (Tableau de l'histoire des Princes et Principauté d'Orange), constate avec une certaine amertume que parmi tous les auteurs anciens et modernes « qui se sont curieusement addonnés à la recherche des antiquités de l'Europe », aucun n'a décrit celles d'Orange, pourtant fort renommées et dignes du plus grand intérêt. Le silence de Lipse, qui a consacré un ouvrage aux amphithéâtres, s'explique, comme l'indique La Pise dans les marginalia du texte, par la haine que l'humaniste vouait au prince d'Orange, en guerre avec le roi d'Espagne dont il était devenu l'historiographe65. La Pise ignorait naturellement les dessins de Sangallo et de Martellange, ou les notes et dessins consignés par les voyageurs de la Renaissance, comme les frères Platter ou Jacques Esprinchard. Il n'avait pas lu, semble+ il, l 1tinerarium de Zinzerling ou l' Ulysses Belgico-Gallus de Golnitz assez prolixes sur les antiquités de la ville. Orange, il faut le rappeler, n'est pas une étape obligatoire. Beatis par exemple, après Montélimar, descend sur Avignon par Bollène et Sorgues, avant de prendre la route d'Arles. Thomas Platter prend la route d'Uzès, par Bagnols. Il ne visita Orange que beaucoup plus tard, en 1597, lors de son séjour montpelliérain. Si en 1552 Félix fait le détour, c'est sans doute parce qu'il fait route depuis Vienne avec Pierre Danès et que l'humaniste a souhaité visiter cette cité au passé prestigieux. Félix note dans son journal avoir vu «un arc de triomphe romain, avec quelques bas-reliefs, et un autre vieux mur »66 . En effet de tous les vestiges encore visibles (enceinte, amphithéâtre, Augusteum, théâtre, arc, aqueducs) deux seulement à la Renaissance retinrent l'attention: l'arc et le théâtre. Lare, édifice à trois baies, surmonté d'un double attique, marquait au nord en avant de l'enceinte l'entrée de la colonie, d'où sa fréquente localisation «vers la route de Lyon»; il avait été transformé au xme siècle en

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donjon par les princes des Baux qui l'avaient remblayé et doté d'un glacis à la base et d'un crénelage dans sa partie haute, lui donnant un aspect singulier (Fig. 3). Il intéressa au premier chef Sangallo qui en a proposé des restitutions avec décor et une version 67 Voir supra, p. 47. quasi abstraite, qui en est comme l'essence67 . Il n'avait pas été élevé en R. voir d'Orange, l'arc 68 Sur l'honneur de Marius, comme on le croyait au xv1e siècle, mais édifié sous AMY et alii, L'arc d'Orange, l5e Tibère, à un moment où le pouvoir était remis en cause par plusieurs supplément à Gallia, Paris, 1962. 69 EsPRINCHARD 4, éd. CHATEmouvements séditieux. Il présente ainsi un programme iconographique NAY 1957, p. 250-25r. spécifique tendant à affirmer, ou réaffirmer, la puissance de Rome: il 70 remplacement des gradins et de la scène était occupé par des commémore l'écrasement de la révolte des Gaulois de Sacrovir en 2r. Ses maisons et de petites places; une panneaux de trophées et de dépouilles rappellent que toute tentative de rue était dans le prolongement de l'accès principal par l'est. Ce n'est résistance à la puissance romaine est vouée à l'échec. C'est précisément le qu'au xvne siècle que le théâtre répertoire décoratif exceptionnel de l'arc (panneaux de dépouilles navafut débarrassé des aménagements médiévaux. Sur la restitution de les), le seul avec celui de Carpentras à comporter des trophées sculptés Sangallo, voir supra, p. 46. sur les faces latérales, qui frappa Esprinchard ou Thomas Platter, même 71 Du RivAIL 6014, éd. MACÉ s'ils n'en comprirent pas la teneur exacte. Peiresc fit lui-même des relevés I852, p. 134· 72 BELLET 1991, p. 43-44. rapides (Fig. 22), mais recourut à des professionnels pour en reproduire 73 PLATTERA À V, ff. l57v", l57tous les motifs 68 . 157V0, l56v 0 = éd. KEISER 1968, p. 205, 204-205, 203-204; LE RoY Quant au vieux mur signalé par Félix, il s'agit ni plus ni moins que LADURIE 2000, p. 266, 265-266. du proscenium du théâtre. Esprinchard remarque qu'il est fait «de très 74 PLATTER A À V, f. 158 = éd. KEISER 1968, p. 205; LE RoY grosses pierres de roche amoncelées les unes sur les autres, sans chaux et LADURIE 2000, p. 266-267; LA ciment »69 ; Thomas plus érudit, rappelle que, selon certains, le « pan de PISE 1639, p. 8. Sur cette tour, muraille » faisait partie du théâtre antique. Il le décrit rapidement, soulivoir BELLET 1991, p. 27 sq. gnant la qualité de la construction et la beauté du décor. Le dessin de deux travées de la façade extérieure du frons scente illustre parfaitement son propos, avec ses arcades et niches voûtées et ses corbeaux percés d'ouvertures destinés à supporter les hampes qui devaient accueillir un vélum (Fig. 2). Dès la fin du xve siècle, Sangallo avait pourtant perçu immédiatement l'unité de la construction, malgré les îlots d'habitation qui en altéraient déjà l'intérieur, et identifié le mur de scène7°. La précision apportée par du Rivail sur l'alimentation de l'édifice par les eaux de la Meyne nous invite à imaginer que le théâtre avait pu accueillir des naumachies71 . Thomas Platter est l'un des rares auteurs à signaler les vestiges voisins d'un « Circ », selon l'identification traditionnelle, en réalité un temple, aujourd'hui détruit, élevé à proximité du théâtre, les deux édifices faisant partie d'unAugusteum. Les vestiges lui paraissent d'autant plus imposants que le temple était relié par deux escaliers latéraux à un hémicycle, situé à un niveau inférieur, qui communiquait lui-même avec le théâtre 72 . «C'est un bâtiment semi-circulaire avec, à son rebord, un mur haut et puissan~: il comporte des cellules carcérales, bâties en pierres quadrangulaires ainsi qu'en grosses pierres de taille ». Létat fort délabré del' ensemble ne lui permet pas d'en saisir la structure, encore moins la fonction73. La tour ronde enfin qu'il remarque est probablement une tour de l'enceinte antique, que La Pise identifie à tort comme une partie des thermes 74 . Ce dernier a consacré de très nombreuses

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pages aux monuments d'Orange et en a donné de très belles représentations gravées sur cuivre.

Il décrit l'état de la ville quelques années après les grands travaux de fortification entrepris par Maurice de Nassau entre 1620 et 1623 qui détruisirent une grande partie de l'enceinte antique, en particulier sur la colline. Il doit lui-même faire souvent appel à sa mémoire: il se souvient avoir vu jadis l'amphithéâtre s'élever sur douze pieds de hauteur et fait procéder à des fouilles pour dégager la naissance des arcs et des portes et en donner la représentation la plus fidèle possible75 (Fig. 38). Sans doute faut-il corriger certains points concernant le tracé du rempart antique7 6 . Pas plus que Thomas Platter, il ne sait lire les vestiges contigus au théâtre. Mais les nombreuses illustrations de son ouvrage constituent une documentation de premier plan77: la façade septentrionale du théâtre, la plus souvent représentée, est très proche de la vue de Martellange; la face méridionale avec ses gradins est une intéressante restitution7 8 • Les gravures des différentes faces de l'arc, des détails (voûtes, corniche, chapiteau ... ) du décor sculpté complètent superbement les relevés de Peiresc79 . La connaissance et l'exploitation de ces documents iconographiques auraient sans doute permis une restauration plus exacte au xrxe siècle 80 •

Vienne I.:ancienne métropole des Allobroges est la première ville de la vallée du Rhône visitée pour ses antiquités par les voyageurs venant de Lyon 81 . Elle est bien connue pour son passé romain, attesté par de nombreuses inscriptions et des vestiges importants. Les ruines cependant n'étaient pas toutes aisément identifiables. La Tour d'Orange ou des Canaux signalée par Thomas Platter devait son nom au fait qu'elle avait été construite sur les vestiges d'un portique antique qui faisait partie des thermes connus alors sous le nom de Palais des Canaux (ou des Chanaux). Seul Rostaing en donne une illustration 82 • Du Rivail pour sa part décrit les aqueducs qui y aboutissaient8 3. De même le temple d'Auguste et de Livie, trans-

75 LA PISE 1639, p. 34-35 (planche vis-à-vis p. 34), 6-8, 14. 76 BELLET l99I, p. 27-28. 77 LA PISE 1639, p. l)-18, 9-28, 3I-33, 29-30. 78 MARTELLANGE UB 9a, f. 164; LA PISE 1639, entre les pages 14 et 15. 79 LA PISE 1639, voir les trois planches insérées entre les pages 22 et 23, 24 et 25, 26 et 27, 28 et 29. 80 P. GROS, « Carc d'Orange. Les principes de la restauration et leurs limites », Archéologie et projet urbain, Rome, De Luca, 1985, p. 107-108. Sur les antiquités d'Orange, voir BELLET 1991. 81 Voir LEMERLE 2003, p. 9-

2r. 8 2 JAILLET/BRESSE I923-1924, p. 80. La Tour d'Orange (dite aussi Tour des Canaux), édifiée par les derniers rois de Bourgogne sur les vestiges du portique, doit son nom au fait que le prince d'Orange, Louis de Chalons, y avait été enfermé sous Charles vn (CHORIER 1658, p. 382-383). 83 RosTAING 9910, f. 9I; Du RrVAIL 6014= éd. MACÉ 1852,

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Sur le temple, voir PELLETIER 1982, p. 446-452. 84

formé à la fin de !'Antiquité en l'église Notre-Dame-de-la-Vie, est rarement mentionné. Il faut l'œil averti de Serlio, de Symeoni, ou beaucoup plus tard de Grasser pour l'identifier en tant que tel 84 . Seuls les érudits locaux, Rostaing et Barlet, furent capables d'en proposer des restitutions assez fidèles, compte tenu du fait qu'ils ne pouvaient en voir l'arrière, englobé dans les constructions voisines. Ils représentent un temple périptère hexastyle, dont chaque grand côté est doté de dix colonnes, alors qu'il ne compte en réalité que six colonnes libres et deux pilastres engagés dans le mur du posticum (Fig. 25). Ces dessins à la plume n'ont pas

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85

III

naturellement la qualité des représentations antérieures mais peu réalistes d'un professionnel tel que du Cerceau85. Si l'on trouve assez peu de représentations du temple d'Auguste et de Livie, il n'en va pas de même pour la ruine la plus célèbre de Vienne: la Pyramide de Saint-Symphorien, alors au milieu des vignes, et qui était de fait non pas le Tombeau de Pilate, comme le croyaient encore certains, mais l'arc quadriftons qui avait servi de base à l'obélisque sur la meta du cirque. Lornement principal de la spina, sans doute détruit lors de l'invasion de 275, avait été rapidement reconstruit au début du rve siècle, la simple pyramide remplaçant l'obélisque brisé. Giuliano da Sangallo en a donné une des plus anciennes vues. C'est une restitution de l'édifice: l'ordre y est doté de chapiteaux corinthiens 86 . Du Cerceau quant à lui qui illustra en 1538 le manuscrit de Guillaume du Choul, donne du monument une vision comparable, également à chapiteaux corinthiens, mais plus simple. Une fois de plus, les représentations les plus fidèles de la pyramide, dite encore l'Aiguille par les Viennois, sont dues aux érudits locaux, Rostaing et Barlet, qui ont respecté son état d'inachèvement, comme l'auteur du Codex Destailleur A ou celui d'un français anonyme 87 qui restituent toutefois un piédestal sous les colonnes. Ces vues sont très proches des dessins d'Étienne Martellange, qui a gommé une quinzaine de trous sur les faces du piédestal, résultats des incises pratiquées dès le Haut Moyen Âge pour récupérer les scellements en plomb des blocs de pierre, sans doute jugés peu esthétiques (Fig. 35). La pyramide est privée de sa pierre terminale: il faut donc accueillir avec la plus grande prudence les propos de l'historien de Vienne Nicolas Chorier qui rend responsable de cet état de fait un Milanais, propriétaire du site, lequel aurait décidé de la démolir vers 1608 mais y aurait renoncé à cause de l'intervention de Pierre de Boissat, «le chef de la justice de Vienne » 88 . Pour le naturaliste Pierre Belon, l'édifice est incontestablement aussi le plus célèbre obélisque de France même s'il reconnaît qu'il relève pour la forme plus de la pyramide que del' obélisque, « quanquam ad Pyramidem magis accedat quàm ad Obeliscum »89 . C'est sans doute ce monument que transfigure Jean Cousin le père dans le caprice architectural «Jeux d'enfants dans un paysage de ruines »90 . Quant aux artistes nordiques qui descendirent la vallée du Rhône pour gagner l'Italie par la voie maritime, ils furent pour leur part plus séduits par le paysage du Dauphiné que par les monuments de la cité9 1 . Du Rivail, Rostaing et Barlet apportent aussi des renseignements précieux sur d'autres monuments. Le Pont de Trajan, le seul des trois ponts romains qui ait subsisté jusqu'en 1651, date à laquelle il fut emporté par une crue, avait quatre arches encore intactes; il avait été fortifié par une tour à chaque extrémité, comme le montre le dessin de Rostaing9 2 • Longtemps

Ce dernier en effet a laissé plusieurs versions de l'édifice, dessinées et gravées, qu'il appelle « les halles antiques de Vienne». 86 SANGALLO 4424, f. 7v0 • Voir aussi le dessin conservé à Saint-Pétersbourg (CODEX DEsTAILLEUR B, f. n9). 8 7 RosTAING 99ro, f. 26; BARLET 17728, f. 41 ; Berlin, Kunstbibliothek, OZ ro9, f. 38v 0 ; Paris, ENSBA, Collection Masson, Recueil n° 27, f. 15). Sur le monument, voir PELLETIER 1974, p. 6-15. 88 CHORIER 1658, p. 348-349. 89 De admirabili operum antiquorum et rerum suspiciendarum praestantia, Paris, 1553, f. 6v0 • l:ouvrage rend compte des voyages que !'apothicaire du cardinal de Tournon fit en Europe centrale, en Italie, en Grèce, en Asie et en Égypte. 90 Le dessin est conservé à Paris, au Musée du Louvre (Département des Arts graphiques, Inv. 9966). 91 Tels l'anonyme Fabriczy ou II. C. Vroom, cf G. CHOMER, « Une vue de Vienne (vers 1590) au Metropolitan Museum de New-York», Bulletin de la Société des Amis de Vienne, 89, 1994, p. ro4-ro7. 92 Cette représentation (RosTAING 99ro, f. 94) est très proche de la gravure qui figure en tête de l'ordonnance de l'archevêque Pierre Palmier, datée durer novembre 1555 (Vienne, Bibliothèque municipale).

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attribué à Tiberius Gracchus qui l'aurait bâti lors de son passage en Gaule, comme le croyait Champier, repris par du Rivail et Belleforest93, il fut appelé Pont de Trajan à cause d'une inscription découverte sur le quai du Rhône 94 . Le pont, malgré son origine antique, retint peu l'attention des visiteurs: Thomas Platter, qui a une véritable passion pour ce type d'ouvrages, dessine le Pont de Gère, plus récent, tout en l'attribuant pareillement à T. Gracchus 95 ! Rostaing et Barlet dessinent aussi le castrum du Pipet, citadelle rectangulaire fermée à l'ouest par les constructions semi-circulaires du théâtre, parfaitement apparentes96. Il faut attendre la première moitié du XVIIe siècle pour que les historiens s'intéressent sérieusement aux monuments de la rive droite. Jean du Bois en 1605 est ainsi le premier à voir dans le « Palais du Miroir » un édifice antique, construit par T. Gracchus: il s'agit en réalité de thermes. Il est repris par Jean Le Lièvre en 1623 97.

Fréjus et Cimiez

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CHAMPIER1529-2, éd. ALLUT 1859, p. 394, 397, 406; Du RivAIL 6014 = éd. MACÉ 1852, p. IO; BELLEFOREST 1575, I, 2, col. 323. 94 Cf BERGIER 1622, p. 697698. Linscription avait été originellement découverte dans la maison des Canaux (CHORIER 1658, p. 50). Sur le pont de Trajan, voir J. LEBLANC, «Pont du Rhône entre Vienne et SainteColombe », 46' Congrès archéologique de France, Vienne, 1879, Paris, 1880, p. 89-97; }AILLETBREssE 1923-1924, p. 81-82; PELLETIER I974' p. 52-54; PELLETIER I982, p. I24-125. 95 PLATTER A À V, f. 22v0 (dessin inséré entre les feuillets 22 et 23) = éd. KEISER I968, p. 47. 96 RosTAING 9910, f. 63; BARLET I7728, f 30. 97 Antiquatae sanctae ac senatoriae Viennae Allobrogum Gallicorum sacrae et prophanae plurimae antiquitates, Lyon, I605, p. 20; J. LE LIÈVRE Histoire de !'Antiquité et Saincteté de la Cité de Vienne en la Gaule celtique ... , Vienne, I623, p. I5. Au milieu du xvn° siècle, Nicolas Chorier publie une véritable somme sur la cité de Vienne (CHORIER 1658). 98 Voir supra, p. 47. 99 BELLEFOREST I575' I, 2, p. 336; BERGERON 5560, f 379v0 ; PEIRESC 1864, f. 267V0 ; PEIRESC 9530, f. 273Yo; PEIRESC 6012, ff.

Les voyageurs qui gagnent l'Italie par voie terrestre, après Aix, font étape à Fréjus. En 1517, Beatis signale l'amphithéâtre en ruine, identifié comme un théâtre, l'arc dont il n'a pu lire les inscriptions et des vestiges de voirie antique. Serlio cite lui aussi l'amphithéâtre, « cosa grande a mirarlo », ainsi qu'un antique palais 98 . De fait l'aqueduc de Fréjus, construit en petit appareil horizontal traditionnel, ainsi quel' amphithéâtre de la ville, bâti lui aussi en petit appareil avec des rangées de briques, impressionnent moins les visiteurs que leurs voisins monumentaux d'Arles ou de Nîmes, en belle pierre de taille. Belleforest est laconique. Le jeune Bergeron n2-u4. 100 signale seulement l'aqueduc. Seul un érudit qui connaît parfaitement la Voir supra, p. 46. région comme Peiresc s'intéresse à l'ensemble du site99. Dès la fin du xve siècle, Giuliano da Sangallo dessinait les vestiges de l'important complexe thermal de Cimiez, situé près de Nice, bien avant que Michel de l'Hospital ne les célébrât en vers, en même temps que l'amphithéâtre et les aqueducs 100 .

Toulouse À l'extrémité de la Narbonnaise, Toulouse est sur le trajet de ceux qui après Nîmes et Narbonne continuent leur route vers Bordeaux. Même si la cité, où la pierre à bâtir est plutôt rare, offre peu de ruines intramuros, les voyageurs s'informent de ses antiquités. Les plus curieux

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LABROUSSE 1968, p. 92-98.

102

J.-M. PAILLER, Tolosa 2002,

p. 20I. 1o3 Cf Chanson de la Croisade, 179, 3-6. Raymond VII

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découvrent à l'extérieur les restes d'un amphithéâtre et d'un aqueduc. En raison des nombreux vestiges archéologiques découverts à VieilleToulouse (amphores, briques, monnaies ... ), les premiers historiens locaux situèrent à l'extrémité ouest des collines du Lauragais le site primitif de la cité, qui serait descendue sur les bords de la Garonne à l'époque impériale romaine. Selon Michel Labrousse, les deux sites avaient coexisté, les villageois avaient abandonné progressivement le premier, attirés par l'activité économique de la ville, premier marché des vins importés d'Italie 1 0 1 • Les recherches récentes ont montré que Tolosa, la capitale des Volques Tectosages, était en réalité une fondation ex nihilo d'époque tibérienne 102 , Rome souhaitant protéger les accès menant au cœur de la Narbonnaise. À la Renaissance, on voyait encore les restes de la muraille antique qui avait été en majeure partie abattue avec ses tours par Simon de Montfort, lors de la Croisade des Albigeois 10 3; elle est encore parfaitement identifiable au xvne siècle sur les plans de Melchior Tavernier et de Jouvin de Rochefort 104 . En 1556 Antoine Noguier décrit l'appareil de ses fondations, « étant au dehors maçonnees de petites carrees pierres, farsies par dedans de gros cailloux cimentés et amoncelés à force de puissans mortiers, & endurcis betums » 10 5. Il avait en effet assisté à partir de 1549 à la démolition du fameux Château Narbonnais 106 et de la Porte dite de l'inquisition (Porte Narbonnaise), l'une des trois portes principales del' enceinte 107. Le blocage utilisé, comparable à celui de l'amphithéâtre de Lardenne, était si dur« qu'un journalier pionnier avait peine d'en démolir une cane le jour »1° 8 . Les fortifications toulousaines étaient complétées au sud par un ouvrage défensif isolé, construit plus tard (sans doute au IVe siècle), ancêtre du Château Narbonnais. Celui-ci, longuement décrit par Noguier, qui consigna quelques observations de Nicolas Bachelier 109 , est incontestablement d'origine romaine par les matériaux. Tout aussi antique est l'arc triomphal, identifié comme un portail « de singulier artifice & naïve excellence, enrichi de beaucoup d' ornemens d' Architecture [... J & entaillé de pierre blanche »110 , quel' on découvrit englobé dans la fortification, lors des travaux de démolition. La gravure publiée d'après un dessin de Servais

ordonna une décennie plus tard de détruire totalement le rempart, ordre exécuté partiellement, puisqu'en 1345, le futur Jean le Bon encourageait les Toulousains à relever leurs murailles, ce qui fut fait. Le rempart fut détruit dans le premier quart du XIXe siècle. 104 La vue la plus ancienne de Toulouse figure à la fin de l'ouvrage de Nicolas Bertrand (BERTRAND 1515). 105 NocurnR 1556, p. 22. Sur Noguier et les antiquités de Toulouse, voir LEMERLE 2004. 106 La démolition du Château Narbonnais fut décidée par le Parlement qui y rendait ses arrêts. Le monument édifié par les Romains, devenue la résidence des rois Wisigoths, auxquels avaient succédé les Comtes, était devenu château royal après la réunion du comté à la Couronne et avait abrité au xve siècle le nouveau Parlement pour lequel on construisit des bâtiments sans le moindre plan d'ensemble. Le vieux château, qui apparaissait obsolète et mal adapté, fut dans un premier temps réparé en 1536 et 1538, puis finalement démoli. Sur l'intervention de Bachelier, voir GRAILLOT 1914, p. 127-133. 101 La ligne des remparts ayant été déplacée au sud au xrve siècle, elle avait été remplacée de fait par la porte du Château Narbonnais. Il y avait une autre porte sur le tracé du rempart, dite La Porterie, vers le nord, qui menait aux routes de Cahors et d'Albi. La porte Saint-Étienne était située à l'est. Sur les portes romaines, voir LABROUSSE 1968, p. 269-272 1os NocurnR 1556, p. 22. 109 NoGUIER I556, p. 23-2+ Henri II autorisa en 1549 la démolition du Château Narbonnais; Nicolas Bachelier, chargé des travaux, la réalisa dans les cinq ans qui suivirent. Voir aussi CATEL 1633, p. 256-258. Sur le Château Narbonnais, voir LABROUSSE 1968, p. 281-287. Sur l'enceinte, voir l'état de la question par R. DE FILIPPO, Tolosa 2002, p. 212-217. llü NoGUIER I556, p. 24-

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Cornoaille 111 , jointe à la description très précise de la structure architecturale de l'arc et de son décor, donne une juste idée de ce monument aujourd'hui disparu, parent du Trophée de la Turbie, des arcs de Carpentras et d'Orange par sa décoration (Fig. 39). 1'.historien toulousain ne peut faire le rapprochement avec ces édifices qu'il ne connaît pas, et le trouve presque plus gothique qu'antique: il est pourtant antérieur à l'enceinte, et a fortiori à la forteresse, à laquelle il fut tardivement incorporé 112 • Les vestiges de l'aqueduc de Lardenne, le plus important des deux ouvrages qui alimentèrent Toulouse, aux pilliers de « terre cuite ... si bien conjoints, liés & amoncelés ensemble que la morsure des ans caduques ne les peut du tout démolir »11 3, sont signalés dans la campagne à la Cépière et à Saint-Cyprien 114 • Les ruines imposantes près du Château de Bourrassol, connues dès le xve siècle sous le nom des « bains de la Reine Pédauque », n'autorisèrent pas les antiquaires locaux à y voir de simples citernes voûtées. Ils ignorent où l'aqueduc franchissait la Garonne pour entrer dans la ville. Guillaume Catel voit « dans la maison de M. Raché )) la dernière arcade du Pont Vieux dont il soupçonne l'origine romaine 11 5. C'était probablement un pont-aqueduc qui amenait dans la ville les eaux de source de la terrasse de Lardenne. Lhistorien est encore le premier à décrire l'aqueduc de Guilhemery, plus modeste, resté pourtant en usage au Moyen Âge et à l'époque moderne 116 . Lamphithéâtre qui s'élevait à une demi lieue de la ville, près du Château de Saint-Michel-du-Touch, dont l'arène était, selon Godefroy, envahie par une véritable forêt, fut souvent identifié au siècle précédent comme un théâtre ou des thermes. On voyait encore dans la partie supérieure quelques ornements qui pouvaient étayer ces hypothèses 11 7. De fait en dehors de l'enceinte, de l'amphithéâtre et de l'aqueduc de Lardenne, il ne restait presque plus aucun des édifices qui avaient orné la cité aux beaux murs de brique, célébrée par Ausone 118 . On situait bien les fameuses Écoles toulousaines, où se seraient formés Virgile et Stace, « en la rue appellee la Cavallerie & Bourgeoisie» et l'on montrait encore au début du xvne siècle une« tour de Virgile», dans la rue du faubourg Saint-Michel, mais ces assertions tenaient plus de la fable que de la vérité historique 11 9. Quant aux temples on n'en gardait plus que le souvenir littéraire ou historique. Certains virent dans l'église Notre-Dame-de-la-Daurade le temple d'Apollon mentionné par Orose (V, 15, 25), qui avait abrité une grande partie du trésor des Tectosages, le fameux « or de Toulouse », arraché par le consul L. Servilius Cepio en représailles de la rébellion de la ville contre Rome (rn6a) 120 • D'autres le retrouvaient dans l'église Saint-

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111 Le dessin demandé au peintre S. Cornoaille fut gravé par Guiraud Agret. Sur l'édition de l' Histoire tolosaine, voir L'Humanisme à Toulouse (r480r580), catalogue de l'exposition, Toulouse, 20 avril-22 mai 2004, n° 78, p. IOl-I03. 112 Sur l'arc triomphal de Toulouse, voir LABROUSSE 1968, p. 287-290. 113 NoGUIER1556, p. 69. 114 BERTRAND 1515, f. nv 0 ; NoGUIER 1556, p. 68-69; CHABANEL 1621, p. 42; CATEL 1633, p. 126-128; GODEFROY 220, ff. 58v0 -59. Sur l'aqueduc de Lardenne (II-IIIe siècles), voir LABROUSSE 1968, p. 389-401. l15 CATEL 1633, p. 194-195. Sur le Pont Vieux, voir LABROUSSE 1968, p. 306-309, 397-399. 116 CATEL 1633, p. 128. Sur l'aqueduc de Guilhemery, voir LABROUSSE 1968, p. 401- 407. 111 NoGUIER p. 68. Voir la description plus précise laissée par Godefroy qui signale quelques arcades entières et les caves où l'on enfermait les animaux. Il remarquait aussi, avec justesse, que le bâtiment était construit avec les mêmes matériaux que l'aqueduc (GODEFROY 220, ff. 58v0 -59v0 ). Sur l'amphithéâtre de Purpan, voir LABROUSSE 1968, p. 445-455; C. DOMERGUE, ].-M. PAILLER, C. Rrcco et M. SrNcKER, Tolosa 2002, p. 242-250. 118 Ordo urbium nobilium, XII, 98-99. On ne savait rien de son théâtre, situé sur la rive droite de la Garonne, découvert seulement au x1xe siècle lors de travaux urbains et dont les recherches récentes ont révélé !'emplacement exact (non loin de l'hôtel d'Assézat), cf A. BADIE, Tolosa 2002, p. 233-24r. 119 NoGUIER 1556, I, p. 47; CATEL 1633, p. 391-392. Sur ces Écoles, voir LABROUSSE 1968, p. 505-520. 12 Cf BERTRAND 1515, f. 4v0 ; NoGUIER 1556, p. 30. D'autres y virent un temple de Jupiter

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Amon (cf BELLEFOREST 1575, I, 2, p. 362), Félix Platter celui d'Isis (PLATTER A À. III, f. 94), Jean de Chabanel, celui de Minerve (1621, p. 64-65, 70). Sur ce temple, voir LABROUSSE 1968, p. 128-129. Sur le trésor, voir le récit de Posidonios rapporté par Strabon (IV, l, 13).

cf BERTRAND 1515, f. xii; BELLEFOREST 1575, I, 2, p. 362. Sur le temple d'Apollon et la Daurade, voir LABROUSSE 1968, p. 412-417. 12 2 CATEL 1633, p. 123-124123 Epig., IX, 99, 3. 1 2 4CATEL1633, p. 123-12+ Sur le temple de Pallas, voir LABROUSSE 1968, p. 429-433; ].-M. PAILLER, Tolosa 2002, p. 298-299. 121

12s 126

Passio sancti Saturnini, 5. Cf R. DE FILIPPO, Tolosa

2002, p. 220-229. Sur les antiquaires et les temples de Toulouse, voir LEMERLE 2004. 127 Voir par exemple Du CERCEAU 1760, 82. 12s Sur ces dessins, voir L. GurBERT, «Anciens dessins des monuments de Limoges >>, Bulletin de la

Société archéologique et historique du Limousin, XLIX, 1900, p. 1820, n° 30; p. lp6, n° 34; p. 23-24, n° 3r. Quant à la vue de Duviert de 1609, elle ne représente pas l'amphithéâtre, cf L. GurnERT, op. cit., n° 40, p. 32-34.

Quentin (ou Quintin) 121 . Au xvne siècle Jean Chabanel identifiait le temple de Minerve avec Notre-Dame-la-Daurade 122 . Les« ruines d'un édifice très somptueux » découvertes dans la rivière près du Bazacle par Pierre Souffron et Dominique Bachelier incitèrent Guillaume Catel à y voir un temple peut-être de Pallas, puisque les colonnes de marbre noir de trois pieds et demi de diamètre avaient des corniches où « estaient entaillés des hiboux »122 , hypothèse que pouvaient confirmer les vers de Stace évoquant la « palladienne Toulouse »123 . Les blocs de marbre, les bas-reliefs et les colonnes utilisés en remploi provenaient sans doute d'un édifice, voisin de la Daurade. En effet la chaussée du Bazacle avait été édifiée au xne siècle, et consolidée ultérieurement, avec des matériaux antiques 124 . Plus passionnelle qu' archéologique fut pour les antiquaires toulousains la localisation du Capitole, lié au martyre de saint Saturnin dont le crâne avait été brisé sur les marches du monument romain et dont le taureau furieux avait traîné le cadavre jusqu'à ce que se rompît la corde qui les liait: il n'en restait pas la moindre trace 12 5. On identifie aujourd'hui le Capitole avec le temple du forum dont les fondations du podium furent retrouvées en 1998 place Esquirol126.

L'Aquitaine Les ruines d'envergure que purent admirer et étudier les antiquaires et les voyageurs se concentrent dans les cités qui furent les capitales successives de la province, Saintes, Poitiers et Bordeaux. Ils virent également d'intéressants vestiges à Périgueux, l'antique Vesunna, à Dax ou à Bourges. LAuvergne est assez pauvre en ruines: seules les stations thermales qui firent la richesse de la région telles que Royat, Bourbon-l'Archambault, Néris-les-Bains attestaient un glorieux passé. Les sites d'Argenton-sur-Creuse ou de Saint-Bertrand-de-Comminges restèrent confidentiels. Le théâtre et l'amphithéâtre de Limoges qui subsistaient encore au XVIIe siècle furent rarement mentionnés et dessinés. La restitution de l'élévation partielle que donne du Cerceau du« théâtre» ne permet pas de déterminer avec certitude s'il s'agit bien de cet édifice puisque c'est aussi sous ce vocable que l'artiste désigne l'amphithéâtre de Bordeaux 12 7. Les dessins de la fin du XVIe siècle (aujourd'hui perdus) copiés par Pierre de Beaumesnil ne sont pas plus éclairants, puisque les deux monuments sont reproduits dans leur état de ruines 12s. Mais, selon un manuscrit du xvne siècle, des vestiges du théâtre situé au bas de la ville subsistaient sur « quarante pas geometriques et 18 pieds de haut, tirant sur le midy, espais de 7 pieds, le

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tout basti à chaux et ciment de petites pierres carrees »12 9. Quant à l' amphithéâtre, sis à la périphérie nord-ouest de la ville gallo-romaine sur un coteau, il avait servi de carrière au Moyen Âge; au début du xvme siècle l'intendant Claude Boucher d'Orsay en fit niveler (1712) puis ensevelir (1718) les ruines pour créer la promenade à qui il donna son nom. Par ailleurs l'on pouvait encore voir quelques fragments des enceintes de Bayonne, d'Agen ou d'Angoulême 1 3°. À Agen Thomas Platter observa, outre les vestiges du rempart près de l'église Saint-Étienne, ceux du pont romain détruit par les Sarrasins pour repousser Charles Martel 1 31 •

Saintes

129 Annales manuscrites de Limoges, éd. p. 24-25. Sur l'amphithéâtre et le théâtre, voir J. PERRIER (avec la collaboration de J.-P. LousTAUD et de D. DussoT), Carte archéologique de la Gaule, La Haute- Vienne 87, Paris, 1993, p. 94-95> 96-97. 130 Selon Corlieu (1566, p. 14), l'intérieur des murailles d'Angoulême était « faict & massoné de pieces d'autres pierres qui auparavant avaient servy a autres edifices, comme colomnes, frises & soubassements, qui monstre que jadis lesdites murailles furent faictes des ruynes de quelques Temples, ou autres superbes bastiments autres-fois bastis au mesme lieu, Indice d'une très grande & non recordable ancienneté». 131 PLATTER A À V, ( 393v0 = éd. KErsER 1968, p. 440. En 1606 Jean Darnalt, auteur d'un petit livret consacré aux antiquités d'Agen et de sa région, plus historique qu' archéologique, n'en dit pas un traître mot. 1 3 2 NAVAGERO 1563, éd. cit. TOMMASEO 1838, I, p. 22-2+ 133 Cf JOUAN 1566, ff. 56-56v° = éd. GRAHAM/ALLISTER JOHNSON 1979, p. 123.

Tous les voyageurs venant de Bordeaux ne faisaient pas étape à Saintes. Soit ils traversaient l'estuaire à Blaye et gagnaient La Rochelle (Thomas Platter, Esprinchard), soit ils remontaient sur Poitiers par Pons et SaintJean-d'Angély, sans prendre nécessairement le temps de visiter la ville et ses environs immédiats (Anonyme milanais, Félix Platter). S'ils le font, les antiquités sont souvent expédiées en quelques lignes, échos sans doute des propos tenus par les guides locaux: ils mentionnent les ruines de l'amphithéâtre, parfois celles d'un aqueduc, et surtout l'arc de triomphe situé à l'extrémité du pont sur la Charente, rares vestiges monumentaux encore visibles de l'important programme édilitaire qui avait accompagné la fondation de Mediolanum Santonum. En 1528 le diplomate vénitien Andrea Navagero, qui vient d'Espagne, est suffisamment curieux et cultivé pour signaler dans son journal les trois édifices ainsi que l'enceinte: c'est l'un des témoignages les plus précoces et les plus complets connus sur les antiquités de la première capitale de l'Aquitainel3 2 . Saintes avait été fondée ex nihilo à l'endroit où l'on pouvait passer la Charente sur un pont de pierre, sans crainte des marées. Lare de triomphe s'élevait précisément à l'endroit où la route de Lyon, par Clermont et Limoges, franchissait le fleuve. Il est aujourd'hui déplacé de quinze mètres par rapport à son site antique, après les travaux effectués sur les quais de la Charente au xrxe siècle. Cet arc routier à deux baies, au sobre décor, qui matérialisait l'entrée dans la cité, impressionna la plupart des voyageurs. Catherine de Médicis et Charles IX ne manquèrent pas de l'admirer 1 33. Les plus cultivés, de Navagero à Peiresc, furent intrigués par ses inscriptions qu'ils tentèrent de déchiffrer. Une fois de plus l'acuité du Vénitien étonne. Aucun détail ne lui échappe: ni la structure de l'arc, « bellissimo arco antico con dui volti », ni son état« in parte ruinato; pur si vede tutto », ni la localisation ou l'aspect des inscriptions, « inscrizion in tre linee, bellissime lettere antiche grande, ma perà che vanna in ogni linea diminuendo», ne sont omis. Les lettres sont si abîmées qu'il ne peut lire le nom de l'em-

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pereur à qui il pense l'arc nécessairement dédié (l'arc construit par un notable local est en réalité consacré à Germanicus et à Drusus Minar). Un très beau dessin de van der Hem représente le pont avec l'arc de triomphe 134. Le témoignage des deux auteurs d'origine saintongeaise qui dans la seconde moitié du XVIe siècle étudièrent les antiquités de la cité n'apporte pas d'éléments nouveaux. Si ! 'Antiquité de Saintes d'Élie Vinet fut reprise par tous les antiquaires, l'ouvrage de Nicolas Alain, De regione Santonum resta plus confidentiel l35. Les antiquaires admirèrent deux autres monuments majeurs: l'amphithéâtre et l'aqueduc. L'amphithéâtre extramuros, dont les gradins étaient adossés en partie aux flancs d'un vallon était sinon le plus grand, du moins le mieux conservé d'Aquitaine. Vinet le rapproche à juste titre de ceux de Poitiers, de Périgueux et de Bordeaux. Plus naïvement Alain identifie l'édifice comme un théâtre qu'il pense avoir été construit par l'empereur Gallien. De l'amphithéâtre, Chastillon a laissé une très belle représentation 1 36. L'ingénieur militaire donne aussi une vue del' aqueduc dont des vestiges importants s'élevaient dans la campagne, très semblable à celle publiée par Zeiller en 1661 dans sa Topographie. Vinet et Alain les signalent« del' autre caste de la ville, tirant vers Saint Iehan d'Angeli »137. En dehors de ces grands édifices, on pouvait encore voir à l'entrée de la ville des pans de l'enceinte antique. Les thermes qui couronnaient le coteau de Saint-Saloine ne semblent pas connus; les antiquaires n'ont vu aucun des grands entablements de Saintes, les frises doriques et les corniches conservés aujourd'hui au musée lapidaire, qui confirment le développement de la ville sous le Haut-Empire, fragments magnifiques provenant des temples, des portiques et des édifices publics qui avaient été démantelés pour servir à la construction hâtive de l'enceinte du BasEmpire138. On connaît peu de vues anciennes de la ville. Celle de Braun et Hogenberg est sans doute la plus célèbre (Fig. 40)1 39 . Ernest Labadie a vu un« plan en noir» dans un exemplaire de! 'Antiquité de Saintes appartenant à un bibliophile bordelais: il est absent des éditions que nous avons consultéesI4o.

134 HEM V, pl. 45. Sur la cité antique, voir L. MAURIN, Saintes antique, Saintes, I978. Le dessin de B. Burie ne peut être retenu, puisqu'il représente un édifice à quatre arches, d'ailleurs identifié comme un aqueduc (BuRLE 606, f. 3I9). 135 VINET I57I, f. B ii v 0 ' II; ALAIN I598, p. 2I = éd. AUDIAT I889, p. 45, 47. 136 VINET I57I, ff B ii, IO; ALAIN I598, p. 23 = éd. AUDIAT I889, p. 5I; CHASTILLON I64I, n3. I64I, II3; 137 CHASTILLON VINET I57I, ff B ii-ii v°, IO; ALAIN I598, p. 24-25 = éd. AumAT 1889, p. 55. 13s D. TARDY, Le décor architectonique de Saintes antique. Les chapiteaux et les bases, 5e supplément à Aquitania, CNRS, Paris, I989; Le décor architectonique de Saintes antique. II. Les entablements, 7e Ssupplément 7 à Aquitania, Paris, I994139 Sur la topographie de Saintes d'après la vue reproduite dans l'ouvrage de Braun et Hogenberg, voir A. BAUDRIT, Saintes au XVI' siècle. Thèse pour le Doctorat ès Lettres, Faculté des Lettres de Bordeaux, I957, I, p. I8 sq. 140 Étude Bibliographique sur les éditions de Saintes et Barbezieux d'Élie Vinet, Saintongeois (Bourdeaus, IS68, ISJI et IS84), La Rochelle, Imprimerie nouvelle Noe! Texier, I904, p. 20.

Poitiers La seconde capitale de l'Aquitaine, offrait à la Renaissance peu de témoignages visibles d'un passé pourtant glorieux: Saintes avait perdu sa prééminence administrative et politique à son profit entre la fin du rer siècle et le milieu du ne siècle. Deux ruines majeures sont signalées

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par les voyageurs et les antiquaires: l'amphithéâtre et les restes de l'aqueduc dont subsistaient d'importants vestiges parfaitement visibles sur le plan de Jean d'Ogerolles (1563). Ce plan, reproduit dans l'ouvrage de Du Pinet, est repris dans la Cosmographie de Belleforest et l'édition de Münster de 1598. Lannaliste Bouchet, repris par tous les auteurs, tient sur l'amphithéâtre un discours plus humaniste qu' archéologique. Les Italiens sont les seuls à apporter des précisions importantes: Navagero en 1528 donne une idée de sa taille en le comparant à celui de Bordeaux, qui lui semble plus petit; l'édifice est déjà en partie ruiné, « ruinato, dell qual perô si vedeno alcune parte in piè ». Un demi-siècle plus tard, Lippomano trouve le beau « coliseo » assez délabré et s'indigne qu'il soit entièrement sous terre et laissé à 141 NAVAGERO 1563, éd. cit. l'abandon: « ara è quasi tutto sotto terra, e se ne fa poco conta »141 . Seule TOMMASEO 1838, I, p. 24, 26; la gravure de Chastillon donne à la fin du xvre siècle une représentation LrrroMANo, éd. ToMMASEO 1838, p. 312. précise du monument, qui domine une éminence de la ville (Fig. 31). S'il 142 GODEFROY 220, f. 172; y avait à l'intérieur de la cité de nombreuses « conduites d'eau », les vestiPLATTER A À V, ff. 417v -418 = ges les plus impressionnants de l'aqueduc se voyaient à l'extérieur, près de éd. MISER 1968, p. 462, 464; BOUCHET 1545, f. viiv Parigné (d'où le nom qui est lui souvent donné d'« Arceaux de Parigné»). 14 3 BouCHET 1545, f. vi . Vinet Ce sont les grandes arcades représentées par Chastillon (Fig. 30). En 1638 les mentionne pareillement dans !'Antiquité de Saintes (VINET 1565, Godefroy voyait encore des arcades entières« pres dun Hermitage». Selon f. C iiiiv Mais au xvne siècle, Lippomano et Thomas Platter, lequel signale de nombreuses conduites FONTENY (1614, p. 413) est l'un des rares auteurs à les évoquer. d'eau et aqueducs ou égouts souterrains ayant au total huit lieues de 144 VINET 1565, ff. B iiv -D ii. longueur, l'aqueduc aboutissait à l'amphithéâtre. D'après Bouchet et ses Des gravures de Léo Drouyn garépigones, il arrivait au Palais, édifice jouxtant les arènes bâti par Gallien, d'où son nom 142 . Lannaliste signale encore des « vestiges et restes des grandes muralles jusques pres et joignant la riviere du Clain, qui demonstre qu'aultres fois y a eu de grands et sumptueulx edifices »14 3. On regrette d'autant plus que l'Antiquité de Poitiers et autres villes et bourgs de pays de Poitou de Vinet n'ait jamais vu le jour. C'eût été le troisième volet du triptyque sur les capitales de l'Aquitaine, après les études consacrées à Bordeaux (1565) et à Saintes (r571). 0

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Bordeaux Dans L'Antiquité de Bourdeaus, publiée en 1565 et rééditée en r574, Élie Vinet décrit les trois principales ruines de la cité, « le Palais Tutele, le Palais Galliene, et des murs, qui font ung quarré au milieu de la ville ». I..:humaniste étudie en premier lieu l'enceinte de forme rectangulaire, sur laquelle Ausone, dans un célèbre poème dédié à sa ville natale (Ordo urbium nobilium, XIX) a laissé de précieuses indications. Il en retrouve le tracé régulier et décrit avec précision les matériaux qui constituent le rempart antique: pierres de taille pour le soubassement, pour la plupart blocs de remploi, disposés par assises de hauteur variable qui confirment une datation tardive, et petit appareil en moellons soigneusement taillés et assisés, séparés par des lits de brique 144 . Mais Vinet s'attarde principalement sur les deux édifices dont il restait des

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dent le souvenir de l'enceinte (Archives historiques du département de la Gironde, 1, 1859, p. 425-426; Bordeaux vers I4SO, Bordeaux, 1874, coll. Archives municipales de Bordeaux, p. 89). Les portes antiques sont très mal connues: la porte Dijaux serait la porta Iovia, déformation de Porta]ovis selon G. de Lurbe (1594, p. 60), étymologie confortée par la découverte d'importantes substructions antiques, qui furent aussitôt attribuées à un temple de Jupiter. Sur l'enceinte de Bordeaux, ses portes et ses tours, voir ÉTIENNE 1962, p. 204-2n; D. BARRAUD, J. LINIÈRES et L. MAURIN, Enceintes romaines 1996, « Bordeaux», p. 15-75. Sur les éditions de L'Antiquité de Bourdeaus, voir E. LABADIE, Étude bibliographique sur les éditions de !'Antiquité de Bourdeaus d'Élie Vinet, Saintongeais, La Rochelle, Imprimerie nouvelle Noe! Texier et fils, 1907. l45 NAVAGERO 1563, éd. CÎt. ToMMASEO 1838, l, p. 18; VINET 1565, ff. A iiiiv0 -B iv0 • Perrault remarquait qu'il ne pouvait s'agir ni d'un temple ni d'une basilique (PERRAULT 24713, f. 128v0 = éd. BONNEFON 1909, p. 185). Sur les Piliers de Tutelle, voir ÉTIENNE 1962, p. 187-19r. 146 Peu avant leur destruction, il en manquait sept (PERRAULT 24713, f. 127v0 = éd. BONNEFON 1909, p. 183). 147 I..:élévation perspective et le plan sont gravés par Pierre Lepautre d'après les dessins du manuscrit (PERRAULT 24713, ff. 127v0 , 128 =éd. BONNEFON 1909, p. 183-184) pour la seconde édition du Vitruve (Les dix livres d'Architecture de Vitruve, Paris, 1684, p. 219). 148 VINET 1565, f. B ii-B iiv0 • 149 LIPSE 1584, «Ad Lectorem » (après p. 32).

ruines importantes, les Piliers de Tutelle et le palais Gallien. Mentionnés par tous les voyageurs français et étrangers, ils furent également souvent représentés aux XVIe et XVIIe siècles, et figurent en bonne place dans les vues de villes. Ces témoignages sont d'autant plus précieux que les Piliers furent démolis en 1677. Leur colonnade était formée de huit supports corinthiens sur la longueur et de six en largeur reposant sur un double stylobate, et surmontée d'un rang d'arcades ornées de caryatides. Lédifice monumental, difficile à identifier selon les critères traditionnels, intrigua tous les visiteurs. Lambassadeur vénitien Navagero y vit un tombeau, Vinet un temple de la Tutèle, interprétation qui fut sans cesse reprise jusqu'à Perrault 145. Il s'agit sans doute d'un enclos à claire-voie qui menait au second forum de la cité construit sous Septime-Sévère. Tous les observateurs furent sensibles à l'originalité de la structure architecturale: le double stylobate, en raison de la déclivité du terrain vers la Garonne (au xvre siècle le stylobate inférieur servait de cave, le supérieur avait un beau parement de pierre), la beauté des colonnes cannelées, la superposition des arcades au-dessus de la colonnade, et le décor majestueux des caryatides en bas-relief, de 3 m de hauteur, adossées aux piédroits des arcades. À l'époque le bâtiment ne comportait plus que dix-huit colonnes 146 (Fig. 28). Au siècle suivant les Piliers, quis' élevaient à l'emplacement del' angle nord-ouest de l'actuel Grand Théâtre construit par Victor Louis, furent sacrifiés par Louis XIV, comme tout le quartier, pour aménager la nouvelle citadelle qui devait remplacer le Château Trompette. Claude Perrault, qui admira l'édifice en connaisseur lors de son voyage à Bordeaux: en 1669, en a laissé la représentation la plus achevée 14 7. Le palais Gallien, second monument gallo-romain attesté, date pareillement del' époque sévérienne. Vinet l'identifie sans peine comme amphithéâtre, mais forge une étymologie aussi savante que fausse, en assurant que c'est l'empereur Gallien qui le fit édifier. Cette opinion fut répercutée par les savants et consacrée au XIXe siècle par la graphie palais Gallien (avec deux 1) 148. En réalité l'appellation est médiévale: Galiena (Galienne), la belle Sarrasine épousée par Charlemagne, en aurait fait sa résidence. La description précise qu'en donne Vinet fit autorité au point que Juste Lipse, dans son petit ouvrage sur les amphithéâtres, y renvoie purement et simplement le lecteur 14 9. Lamphithéâtre, situé à l'extérieur de la ville, était passablement ruiné, mais gardait d'importants vestiges (Fig. 26). Construit comme un colisée sur terrain plat, en petit appareil interrompu toutes les sept assises par un chaînage de brique, et avec

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des gradins en charpente, il ne pouvait rivaliser avec ses magnifiques homologues nîmois et arlésien, quoiqu'il fût d'une taille équivalente à celui de Nîmes (il pouvait recevoir 15 ooo spectateurs). Mais les visiteurs étaient impressionnés par les six enceintes, c'est-à-dire les six murs ellipsoïdaux à arcades qui soutenaient les gradins. Ils pouvaient encore voir les restes de deux portes monumentales, situées à l'extrémité du grand axe. Le bâtiment conservait encore, comme le note Esprinchard, « grande quantité de fenestrages qui sont encore en leur entier ». Le lieu, rendez-vous des duellistes et des prostituées, avait fort mauvaise réputation, mais dégageait une certaine beauté à laquelle fut sensible un artiste comme van 150 EsPRINCHARD 4, éd. CHAder Hem 15° (Fig. 5). Seul Stendhal y vit la ruine la plus laide qui fût 151 ! TENAY 1957, p. 275; HEM V, En dehors des trois plus importantes antiquités de la cité bordelaise, 5. Sur le palais Gallien, voir Vinet a également observé des vestiges d'aqueduc « par les champs qui ÉTIENNE 1962, p. 191-195. 151 «Je n'ai jamais vu de ruine sont vers la porte Saint Julien, et de la part qu'est le chemin de Bazas et antique aussi laide; cela est plus Toloze », signalés aussi par Gabriel de Lurbe à la fin du XVIe siècle. Les laid que la pyramide de Vienne » (Voyage dans le Midi de la France, deux branches découvertes dans la ville par les archéologues modernes 15 mars 1838, éd. DEL L1TO 1992, se réunissaient en effet en un parcours unique, en direction du moulin p. 609). Sur les voyageurs à Bordeaux, voir L. DEsGRAVES, Voyad'Ars, sur la route de Toulouse 152 • Selon Vinet, la fameuse fontaine geurs à Bordeaux du dix-septième Divona en marbre de Paros, célébrée par Ausone, devait être reliée à siècle à I9I4, suivi d'extraits du l'aqueduc; en réalité ce somptueux château d'eau fermant à l'ouest le « Voyage dans le Midi » de Stendhal, Bordeaux, Mollat, l99L 153 port intérieur était alimenté par la Devèze . La question de Gabriel de 152 ETIENNE 1962, p. 88. Lurbe sur le type d'édifice qui avait pu renfermer les statues trouvées en l53 VINET 1565, f. D iiiiv0 ; ÉTIENNE 1962, p. 212. 1594 par le Sieur de Donzeau dans un champ dont il était propriétaire, l54 LURBE 1594, ff. R l-lv près du prieuré Saint-Martin, c'est-à-dire au Mont Judaique, reste sans ÉTIENNE 1962, p. 86. 155 Une autre planche repréréponse: il s'agit vraisemblablement d'un temple de culte impérial15 4 . sentait l'autel « des Tutelles ». Si Vinet n'a pas proposé de relevés cotés des antiquités bordelaises Ces gravures furent particulièrement prisées puisque beauou saintongeaises, comme Pol do d' Albenas l'avait fait pour les édificoup d'exemplaires d'Ausone en ces nîmois, il a parfaitement compris la valeur de l'image. Les gravures sont aujourd'hui privées: on les hors-texte publiées dans la réédition de L'Antiquité de Bordeaus en 1574, retrouve en revanche chez les collectionneurs. C'est notamment le représentant en particulier les Piliers de Tutelle, l'amphithéâtre, ainsi que cas des Piliers de Tutelle (Bibliole plan de Bordeaux, qui furent reprises dans son édition commentée thèque de Bordeaux, MF 3690 rés.) et du palais Gallien (Biblio1 d'Ausone en 1580, confèrent à ses ouvrages une grande modernité 55. La thèque de Bordeaux, Collection ruine n'est plus un monument abstrait mais une réalité tangible, insérée Delpy, C. 23, pl. XXIII). 156 Gêilnitz (1631, p. 618) ne dans un contexte urbain et connue de tous. Lhumaniste fit plus qu'écrire manque pas ainsi de citer Zinzerla première histoire de Bordeaux; il sut en reconstituer le passé, à travers ling et signale même au lecteur intéressé les pages concernées. les diverses sources écrites et l'étude sur le terrain. Zinzerling, amoureux de la dernière capitale de l'Aquitaine au point de lui consacrer un appendice, reprit de larges passages et fit connaître au monde germanique les antiquités d'une région qu'il avait fort appréciée 156 • 0

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Périgueux De son passé romain Périgueux conservait deux ruines majestueuses dans « La Cité », quartier délimité par l'enceinte antique du Bas-Empire: la Tour de Vésone, citée à l'occasion par Vinet dans son Antiquité de Saintes et longuement décrite par Belleforest dans sa Cosmographie, ainsi qu'un amphithéâtre, magnifique aux dires de Belleforest et Lipse 1 57. 0 157 VINET 1571, f. B iiiv , 14; La tour, dit le cosmographe, est« faite de pierre carree d'un derny pied BELLEFOREST 1575, I, 2, col. 203; d' espoisseur d'une toise, & haute de cents piedz, & armee par dehors de LIPSE 1584, p. 62. 158 Voir ]. LAUFFRAY, La Tour gros doux, & crochets de fer qui paraissent: au reste sans apparence de de Vésone à Périgueux, 49e supporte, ny fenestre, mais enduite dedans, & dehors d'un fort ciment fait plément à Ga/lia, Paris, 1990. de chaux & de tuille, de maniere que ceux qui la voyent, sont en soucy, 159 BELLEFOREST 1575, ], 2, col. 201-202. Cf C. GrRARDYde quoy est ce que cette tour pouvait servir, veu la figure & la forme de CAILLAT, Enceintes romaines son bastiment: les uns estans d'advis, que c'estoit un temple de Mars: 1996, «Périgueux», p. 127-154. les autres, voyans deux voyes souterraines, & voutees conduisans a cette tour, ont creu (ce qui est asses vraisemblable) qu'un temple estait elle bien, mais sacré a la deesse Venus: & est loing du costé de Midy d'environ cinquante toises de la cité a present habitee, d'autant que Perigueux est party en deux villes, ainsi que verrez ci apres ». Belleforest ne soupçonne pas dans ce curieux vestige du temple de Vesunna Petrucoriorum un bâtiment inspiré du Panthéon de Rome par son habillage monumental, sa vaste cella cylindrique, et son avant-corps monumental à six supports, qui renvoyait aussi au sanctuaire celtique à plan centré et préau périphérique par sa colonnade circulaire. Cette construction grandiose, consacrée à Tutela VesunnaAugusta, avait fait partie d'un ambitieux programme édilitaire qui fut réalisé tout au long du ne siècle 1 5 8 . Dans le premier quart du xvne siècle, les auteurs se contentèrent de reprendre Belleforest. :Lamphithéâtre, plus ancien (il avait été achevé dans la seconde moitié du rer siècle) s'élevait sur le plateau et dominait la cité de Vesunna, capitale des Pétrucores. Lappellation « les Rolfies » donnée à l'édifice vient de la grosse tour de ce nom, forteresse construite par les comtes du Périgord au xne siècle dans les Arènes avec les matériaux trouvés sur place. Le château de la Rolphie fut rasé en 139i. S'il servit un temps de bastion avancé, il fut bien vite concédé au couvent des Visitandines et transformé en carrière. Le plan de Belleforest qui montre le rempart indépendant de l'amphithéâtre, reproduit au sud la Porte romaine, l'une des trois attestées avec la Porte de Mars et la Porte Normande, témoignage inestimable puisque l'édifice fut détruit en q83. Cette porte à une baie flanquée de deux tours est du même type que la Porte de Mars, porte principale de la ville 1 59.

Dax Une modeste cité de l'actuel Sud-Ouest a également attiré l'attention des humanistes. Dax ou plutôt Acqs fut créée à l'époque d'Auguste autour des eaux thermales, d'où le nom qui lui resta

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jusqu'à la Révolution. Elle gardait à la Renaissance son enceinte romaine et quelques vestiges antiques sur lesquels André de La Serre a laissé un bref mémoire manuscrit. Son plan de 1568 avec les principaux monuments est un témoignage unique sur l'aspect de 160 LA SERRE 4055, f. 6r. la ville dans la seconde moitié du XVIe siècle 160 . On y voit notamment 161 « Notes sur la topographie l'un de ses plus beaux ornements, l'enceinte du Bas-Empire,« aussi belle, de Dax gallo-romain », REA, III, forte et bien flanquée qu'autre qu'on trouve », dont la plus grande partie 1901, p. 217. 162 LA SERRE 4055, ff 55-6r. visible au xrxe siècle, faisait encore l'admiration de Camille Jullian 1 6 1 . 163 Le dessin de Duviert est La Serre en idéalise le circuit, représenté comme un rectangle régulier. reproduit (et commenté) dans DuFOURCET/CAMIADE, II, 1893, On aperçoit une poterne entre la Tour Mirande et la première tour du p. 93-139 et pl. h. t. Voir aussi rempart occidental, ce que semblent confirmer les historiens et archéoWATIER 1986, fig. 3; MAURIN/ WATIER 1996, p. Io6 et fig. 75. logues modernes. Le Dacquois précise que la Porte Saint-Vincent, située 164 VINET 1580, 129 B. à l'ouest (elle menait à la route de Bayonne), était la seule porte antique 165 CHAUMEAU I566, p. 224, 235-236. Sur !'enceinte tomaine, restée encore ouverte 162 ; elle fut détruite au milieu du xrxe siècle. Le voir CHEVROTITRoADEC 1992, dessin à la plume de Joachim Duviert, daté de 1612, représentant une vue p. IOl-102. 166 CHAUMEAU 1566, p. 235. cavalière de Dax (avec le pont romain) et de Saint-Paul, est également !'amphithéâtre, voir CttESur du plus grand intérêt car on y voit le rempart 163 (Fig. 4). Aucune tour de VROT/ TROADEC, 1992, p. 92. l'enceinte antique ne semble subsister au milieu de la face nord, à l'est du château, alors quel' artiste en figure quatre à l'est. La Serre décrit aussi les thermes qui faisaient la célébrité de Dax; Vinet quant à lui signale dans son commentaire d'Ausone les piscines entourées de degrés de marbre, « vetusta solia marmorea » 164 .

Bourges Selon le témoignage de Jean Chaumeau (1566), la quasi-intégralité de l'enceinte romaine d'Avaricum, qui couronnait la partie haute de la cité antique et dont il subsiste aujourd'hui d'importants vestiges, était encore parfaitement visible. Le rempart du Bas-Empire comprenait quatre portes principales, citées par l'historien: la Porte Gordaine à l'est, la Porte Neuve dite encore Saint-André au nord, la Porte Turonoise ou Auronaise à l'ouest, la Porte« SaintPaul » (actuelle Porte de Lyon?) au sud. La puissante fondation de l'enceinte, construite probablement au milieu du rve siècle, est constituée exclusivement de fragments d'architecture monumentale de réemploi. Réparé avec les matériaux de l'amphithéâtre, le rempart fascinait par les superbes fragments d'architecture «non retaillés» qu'il offrait au regard, colonnes doriques cannelées, pièces d'architraves, frises et corniches, chapiteaux doriques, ioniques et corinthiens 16 5. Camphithéâtre était avec le rempart le seul témoin monumental du passé antique, puisque ses « vestigies (sic) & fondemens sont encores apparens en un lieu estant à present enclos dans la ville, qu'on appelle la fosse des Araines »166 • Cédifice, installé au nordouest de la ville, non loin del' enceinte, apparaît sur le plan de Nicolas de Nicolay (1567) sous la mention« La fosse des Arennes »,mais on n'en distingue plus que le circuit ovale, l'édifice

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N1COLAY 2790, 2e pl. Cf CHAUMEAU 1566,

p. 234. 169 Sur ce sanctuaire, voir PROVOST/MENESSIER/LECLANT 1994, p. 144· l70 BELLEFOREST 1575, I, 1, entre les pages 226 et 227. 171 BELLEFOREST 1575, I, 1, col. 228-229 (seconde numérotation par colonne). Sur la vue de Clermont, voir G. RouCHON, (( Le plus ancien plan de Clermont-Ferrand dessiné par François Fuzier (1575) », Revue d'Auvergne, 42, 1928, p. 65-71. Sur les thermes de Clermont, voir PROVOST/MENESSIERI LECLANT 1994, p. 133-136. 172 CHADUC 1513, ff. 128-162. Sur les Schediasmata dont fait partie le recueil de dessins, voir E. DESFORGES, G. et P.-F. FOURNIER, J.-J. HATT et F. IMBERDIS,

III

ayant été utilisé comme carrière de pierres 167 . Les différentes strates que les particuliers ne cessaient de mettre à jour lorsqu'ils entreprenaient des travaux confirmaient non seulement l'importance de la cité antique, située au cœur des voies de communication terrestres et fluviales du bassin ligérien, mais révélaient aussi les destructions successives qu'elle avait subies 168 .

Clermont-Ferrand, Puy-en-Velay, Orcines

Les rares vestiges de l'antique Augustonemetum, fondée à !'époque d'Auguste sur une butte d'origine volcanique, apparaissent sur les plans de Symeoni (1560) et de Belleforest (1575). Chez !'Italien la carte de la Limagne d'Auvergne montre en effet pour Clermont des ruines que l'on identifie aujourd'hui avec le sanctuaire des eaux de Vasso Galate 16 9. Quant au plan du peintre clermontois François Fuzier, gravé pour la Cosmographie de Belleforest, il fait apparaître les grands murs romains 170. Nouvelles recherches sur les origines Le Commingeois, dont le commentaire reprend les connaissances des de Clermont-Ferrand, Clermontérudits locaux, fait allusion à la Tour des Sarrasins, située « au bas du Ferrand, Institut d'Études du Massif Central, 1970, fasc. V, faubourg de la porte du Cerf», et considérée à juste titre comme antique: p. 463-464. Sur Chaduc antiil s'agit en réalité de ruines de thermes 171 . La rareté des témoignages s' exquaire et collectionneur, voir A. ScHNAPPER, Le Géant La Licorne plique en partie par la pénétration tardive de la Renaissance en Auvergne; La Tulipe, Collections françaises il n'y eut guère d'intérêt antiquaire avant la fin du XVIe siècle et le début au XVII° siècle, Paris, Flammarion, 1988, p. 203-204. du xvne siècle. Louis Chaduc et Jean Savaron possédaient des cabinets de 173 SAVARON 1607, p. 60-61. curiosités renommés. Le premier, conseiller au présidial de Riom depuis Sur J. Savaron, voir A. VERNIÈRE, « Le Président Jean Savaron, éru1594, a laissé de nombreux manuscrits, où il a dessiné des sarcophages, dit, curieux, collectionneur, et des fragments d'architecture découverts dans la région et les vestiges des ses rapports avec les savants de thermes du Mont-Dore 172 • Le second, magistrat lui aussi, évoque dans son temps >>," Bulletin historique et scientifique de l'Auvergne, 1892, un ouvrage sur Clermont publié en 1607, cette« ville où l'on ne sçaurait p. 64-84, n2-132, 156-171. si peu fouyr dans terre quel' on ne trouve des antiques medaillons, medal174 SAVARON 1607, p. 282. les, urnes, arches sepulchrales, inscriptions Romaines & Chrestiennes, thermes, aqueducs, marbres, poterie d'une merveilleuse rougeur & polissure, mazures, & autres monuments d'antiquité » 17 3. De fait aucun édifice antique n'est alors identifié, en dehors de quelques thermes publics et d'un temple à« Wasso », auxquels Savaron fait seulement allusion 174 . Au Puy-en-Velay, de Thou en montant à la cathédrale en 1582 remarque un mur bâti à l'antique où il voit « encores toutes entières les deux lettres Grecques qui signifient le nom de JESUS-CHRIST ». S'agit-il de l'inscription du bloc quadrangulaire, réutilisé comme linteau au porche sud-est de la cathédrale, portant au revers Scutari, monogramme du Christ et Papa

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vive Deo avec le premier mot divisé en deux par un chrisme, accosté de l'a et de l'w 175 ? Il est sûr qu'un sanctuaire consacré aux forces naturelles et au cycle des saisons, raison d'être du vicus, se trouvait sur le versant

sud du mont Corneille, site de la cathédrale et du baptistère, ou de la place du For voisine, comme le confirment les découvertes ultérieures de murs et de fragments sculptés 17 6 • Le témoignage du jeune de Thou, apparemment méconnu, serait alors du plus grand intérêt. Au début du xvne siècle, sur le sommet du Puy-de-Dôme des ruines sont signalées pour la première fois par André Duchesne: il s'agit du sanctuaire de Mercure, à Orcines 177.

Royat, Néris-les-Bains, Bourbon-l'Archambault Le Massif central doit sa renommée au nombre et à la qualité de ses sources thermales. Connues depuis l'antiquité, elles n'ont pour la plupart d'entre elles jamais cessé d'être exploitées. Seuls quelques sites exceptionnels sont retenus. Belleforest signale d'importants murs romains à Royat 17 8 , en réalité vestiges de thermes somptueux, qui avaient valu à la cité sa renommée, mais qui avaient été ruinés de fond en comble à la suite à de nombreuses catastrophes: ils sont identifiés comme tels un peu plus tard, en 1605, par Jean Banc qui les appelle les « bains de Chamalieres, ou de S. Marc »179. Les thermes de Royat furent avec ceux de Bourbon-Lancy les plus importants de Gaule. À la suite de Nicolas de Nicolay (1569) et de Jean Aubery (1604), Jean Banc décrit les piscines des thermes de Néris-les-Bains. Dallées de marbre et entourées de marches qui servaient de sièges aux baigneurs, elles frappaient par leur forme polygonale irrégulière. Elles étaient en outre traversées de murs séparatifs percés pour la circulation des eaux chaudes. Ces bassins subsistèrent jusqu'au xixe siècle 180 . Les mêmes auteurs décrivent encore avec précision les thermes de Bourbon-l'Archambault, les trois puits et le bassin à ciel ouvert à usage de piscine dans lesquels ils ne pouvaient voir que des ouvrages romains, ce qu'ont confirmé les fouilles archéologiques réalisées au x1xe siècle 181 . Nicolay joint un dessin du bassin où se baignent des hommes et des femmes: on aperçoit non loin un puits circulaire et le long d'une des murailles trois tuyaux polygonaux, ouverts comme des cheminées. Sur la gauche quatre femmes lavent le linge, illustrant son commentaire 182 .

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17s THou 16n, II, p. 89. Sur l'inscription (CIL XIII, 1575a), voir PROVOST/RÉMY 1994, p. 98. 17 6 PROVOST/RÉMY 1994, p. 86; sur le sanctuaire proprement dit, voir p. 90-98. 177 «il y a au sommet maintes marques et vestiges de !'Antiquité » (DUCHESNE 1609, éd. cit. 1614, I, p. 619). 178 BELLEFOREST 1575, l, l, col. 229 (seconde numérotation par colonne). La seule vue de Royat que nous connaissons pour le XVIe siècle est une minuscule vignette qui figure dans La vita et metamorfoseo d'Ovidio de Symeoni (Lyon, 1584); elle est beaucoup trop générale pour reproduire le moindre vestige. Lévêque Duprat avait en effet confié à Symeoni le soin de diriger les travaux qui devaient permettre de conduire à Clermont les eaux d'une source de Royat, dite la Petite Grotte, cf M. DoussE, « Une vue de Royat au xv1e siècle dans un livre de Symeoni le Florentin », Revue d'Auvergne, 49, 1935, p. 49-54. 179 BANC 1605, ff. 13-13v0 , 0 13ov -13r. Sur les bains de Royat, voir BONNARD 1908, p. 388-396. 180 N1coLAY 3243, f. ro9; AuBERY 1604, f. 25; BANC 1605, ff. 128-128v0 • Blaise de Vigenère mentionne aussi les bains de Néris dans ses commentaires de César (VIGENÈRE 1584, p. 331). Sur les bains de Néris, voir BONNARD 1908, p. 423. 181 Sur les bains de Bourbonl'Archambau!t, voir BONNARD 1908, p. 444-448. 182 N1coLAY 3243, f. n5, cf BONNARD 1908, p. 446. Un roman médiéval, Flamenca, confirme que la station thermale, était fréquentée par les seigneurs au Moyen Âge (C.-V LANGLOIS, La Société française au XIIJC siècle d'après dix romans d'aventure, Paris, Hachette, 1904 (2 e éd. revue), p. 146-148).

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III

La Lyonnaise La Lyonnaise, bien que moins étendue que l'Aquitaine, gardait de nombreux témoignages de !'Antiquité: plusieurs cités comme Angers, Autun, Lutèce, dont le territoire avait été rattaché à la province sous Auguste, avaient été des pôles importants. La station thermale de BourbonLancy possédait des bains célèbres fréquentés par l'aristocratie. De Tours Élie Vinet est l'un des rares auteurs à signaler l'enceinte pourtant bien conservée, mais il n' évo183 VINET I565, f. Ciiii v 0 . que pas l'amphithéâtre 18 3. Non loin de la cité tourangelle, le monument Beaumesnil a laissé de très beaux dit la pile de Cinq-Mars, la plus célèbre du genre, est juste signalé en dessins de l'enceinte (1784), FascinaLa dans voir P. PINON, 1599 par l'observateur Thomas Platter, mais n'est point identifié comme tion de l'antique I700-I770. Rome antique 184 . D'autres cités comme Rouen livraient sans doute des tomdécouverte, Rome inventée, Paris, beaux, médailles, monnaies et objets divers, mais point de monument. Somogy, I998, p. I63-I64, I66. 184 PLATTER A À V, ff. 436v Les érudits virent en l'église Saint-Lô l'ancien temple des Idoles. Non loin 437 = éd. MISER I968, p. 491. de Pontoise Nicolas Taillepied repère les «marques» d'un pont de bois 185 Recueil des Antiquitez et singularitez de la ville de Pontoise, antique« au dessoubs du chasteau Montbelien »18 5. 0-

Rouen, I587, p. 8-9. is6 Cf STRABON, IV, 6, IL Sur les origines de Lugdunum, voir l'étude récente d' A. PELLETIER, « Pour une nouvelle histoire des origines de Lugdunum: l' enseignement de l'archéologie », Les villes de la Gaule Lyonnaise, Caesarodunum, XXX, 1996, p. I67-

Lyon

Bien que la colonie romaine n'ait été fondée qu'en 43 av J.-C. par le lieutenant de César L. Munatius Plancus, la cité passe pour l'une des 177. plus anciennes de Gaule. Une tradition, reprise par les antiquaires de la 187 Voir DuREAU 1990, pl. II. Renaissance, veut que le roi des Celtes Lugdus ait été le premier bâtisseur, Aucune ville en France, à l' exception de Paris, ne disposait d'un puisqu'il donna son nom à la ville. D'un passé incontestablement glorieux plan comparable a.]. GRISARD, l'« acropole» de la Gaule Celtique, selon l'expression de Strabon 186 , à qui Notice sur les plans et vues de la ville de Lyon de la fin du xrve au sa situation stratégique dans le système de communication mis en place commencement du XVIIIe siècle, par Rome avait valu l'attention bienveillante de l'administration impéLyon, Mougin-Rusand, I89I, riale, ne gardait à la Renaissance que peu d'édifices grandioses, comme le chap. IV, p. 25-53; J. RossrAUD, « Du réel à l'imaginaire: la reprémontre l'exceptionnel plan scénographique de Lyon dressé entre 1545 et sentation de l'espace urbain dans 1553 18 7. On y voit dans le quartier de la Croix-de-Colle une partie du mur le plan de Lyon au 16e siècle », dans DuREAU I990, p. 29-45. colossal qui enveloppait l'odéon, ruines qui furent identifiées comme 188 PLATTER A À V, f. 19 = éd. celles d'un théâtre ou d'un amphithéâtre, et sur la droite un mur en U, MISER 1968, p. 38. seul élément visible de ce quel' on sait aujourd'hui appartenir au théâtre. Thomas Platter signale de façon plus confuse « de très somptueux bâtiments près de la Croix de Colle», qu'il distingue des vestiges d'un« amphitheatrum »visibles dans les vignobles de Fourvière 188 . Les deux incendies qui ravagèrent la capitale des Trois Gaules sous Néron et sous SeptimeSévère ne sauraient seuls expliquer la rareté des vestiges del' ensemble monumental exceptionnel qui l'avait orné. La ville possédait deux édifices de spectacle à Fourvière, cas unique avec

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Vienne: un théâtre construit sous Auguste, agrandi sous Hadrien, l'un des plus vastes après celui d'Autun, et un odéon, édifice réservé aux déclamations et à la musique (début ne siècle); à l'ouest du grand théâtre s'élevait un temple de Cybèle (ne siècle). Plus au nord, un forum majestueux qui donna son nom à la colline (Forum vetus) occupait ce site extraordinaire. Des édifices qui l'entouraient on sait peu de choses: il faut toute la sagacité de Gabriel Symeoni pour repérer les vestiges d'une bâtisse importante, un palais selon lui, hypothèse reprise un demi-siècle plus tard par Claude de Rubys 189 , et que n'infirment pas 189 SYMEONI 16, ff. 85, 88; les archéologues modernes. Les ruines de la vaste esplanade, soutenue RuBYS 1604, p. 4r. par un mur de terrasse étayé par des contreforts, sur laquelle ouvrait la 190 Cf G. PARADIN, Mémoiporte monumentale du forum, étaient connues au Moyen Âge et à la res de l'histoire de Lyon, Lyon, A. Gryphe, 1573> p. 255. Renaissance sous l'appellation de Châtel-Boc, aujourd'hui sous celle de 1 9 1 MlNUCCI, éd. BERNARD! mur Cléberg 190 • La terrasse porta sans doute dans l'antiquité un sanc1862, p. 87. Sur les quatre aqueducs construits par les Romains tuaire dédié à quelque protecteur de la cité. Une fausse étymologie de (aqueduc du Mont d'Or, aqueFourvière, Forum Veneris, conduisit les antiquaires à imaginer un temple duc de Craponne, aqueduc de la Brévenne et aqueduc du Montdédié à la déesse de l'Amour. Le site de Fourvière, abandonné vraisemPilat ou du Gier), voir C. GERblablement par ses habitants dès le rve siècle, fut alors systématiquement MAIN DE MoNTAUZAN, Les aqueexploité d'autant que l'éboulement de l'année 840 emporta le forum. ducs antiques de Lyon. Etude comparée d'archéologie romaine, Telle la collis hortulorum à Rome, Fourvière disparut sous la végétation, Paris, E. Leroux, 1908, p. 49-135. jusqu'à ce que quelques privilégiés eussent le bon goût d'y installer leur 192 Du CHour. 212, f. 87. 193 BEI.LIÈVRE 257, f. 16; maison de plaisance afin d'y mener une vie d' otium cum dignitate. SYMEONI 16, f. 34v SYMEONI Seules des portions d'aqueducs extra muros, comme les splendides 1560, p. 13. arcades de Chaponot de l'aqueduc du Gier, attestaient par leur importance la splendeur de la ville qu'ils avaient desservie (Fig. ro). Les principaux témoignages sur Lugdunum ou plutôt Lugudunum, conformément aux inscriptions, concernent donc essentiellement les ouvrages hydrauliques des Romains, fort importants en dehors de la ville. Lyonnais et visiteurs furent sensibles à leur aspect colossal comme à la beauté de leur structure. :Laqueduc du Gier construit sous Hadrien est sans doute le plus considérable, mais aussi le plus parfait des quatre aqueducs, et son appareillage digne des plus grandes constructions officielles romaines. :Litalien Minucci en 1549 ne s'y trompait pas:« si vedono alcune ruine d'acquedotti non minori di quelle che si veggono intorno Roma »191 . Le tronçon de Chaponost compte encore soixante-douze arches presque intactes, en opus réticulé que le jeune Androuet du Cerceau a soigneusement reproduit sur les deux arcs qu'il dessina pour le manuscrit de Guillaume du Choul 192. Bellièvre et Symeoni ont été, semble-t-il, les seuls à localiser les vestiges del' amphithéâtre près de la côte Saint-Sébastien, actuelle Croix-Rousse 193 (Fig. 7). Quant au sanctuaire confédéral consacré à Rome et Auguste avec son autel enclos par des colonnes porteuses de victoires, qui avait été édifié au-dessus du confluent du Rhône et de la Saône, c'est-à-dire en dehors de l'espace urbain, on n'en gardait plus guère que le souvenir. Mais les colonnes monolithes de l'autel, connues par des monnaies, furent repérées par du Choul à la basilique Saint-Martin 0

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CHAPITRE III

l94 Voir supra, p. 59. Sur les colonnes d'Ainay, voir A. AumN et P. QuoNlAM, «Victoires et colonnes de l'autel fédéral des Trois-Gaules; données nouvelles '" Ga/lia, 1962, p. ro3-n6. 195 VARILLE 1923, p. 425. 196 RuBYS 1604, 1, p. 60. Le monument est parfaitement représenté sur le plan scénographique de Lyon (DUREAU 1990,

pl. ro). VINET 1565, f. C iiiiv0 . Sur les thermes, voir P.-M. DuvAL, Paris antique des origines au troisième siècle, Paris, Hermann, 1961, p. 141-142. 199 Du CERCEAU 2 b ; CODEX DESTAILLEUR B Saint-Pétersbourg, f. 129. 200 Voir supra, p. 60. 197

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d'Ainay: elles avaient été recoupées par le milieu pour soutenir la coupole du chœur 194 . De fait au xne siècle tous les grands édifices romains avaient servi de carrières: l'église d' Ainay, l'église Saint-Jean et son cloître, le pont de la Guillotière avaient été construits avec les matériaux antiques. Lyon avait été, selon Mathieu Varille, « le plus merveilleux chantier de démolitions gallo-romaines qui fût en France et peut-être même en Italie »195. L un des édifices les plus souvent décrits et représentés à la Renaissance fut un édicule dorique, aujourd'hui disparu, dit Tombeau des deux amants 196. Labsence d'inscription avait donné lieu à de multiples interprétations; selon une tradition médiévale, il était la sépulture d'Hérode Antipas et de sa femme, morts en exil à Lyon, d'où son nom. En 1604 Rubys le décrit ainsi: Ceste antique sepulture, qui se voit encores pour le jourd'huy haut eslevée sur quatre grandes colonnes, avec leurs chapiteaux de pierre, entre les portes de Veize & de Pierre Seize, & pres du Convent de frere Jean Bourgeois, ou des Cordeliers de l'observance: fut jadis leur sepulture.

Paris De Lutèce peu de ruines monumentales subsistaient au xvre siècle. Le jeune E. Knobelsdorf n'en cite d'ailleurs aucune dans la description, ou plutôt dans le poème laudatif qu'il consacre à la ville (Lvtetite Parisiorvm descriptio, 1543). Les antiquaires ne mentionnent guère que les vestiges du plus grand des trois complexes thermaux qu'avait abrités la cité. «Palais des thermes» ou« palais de César», c'est ainsi que l'on nommait les thermes du Nord; on y voyait en effet les bains de la demeure où Julien !'Apostat aurait résidé. Ruiné dès la fin du me siècle, dépouillé de sa décoration, l'édifice dut à son nouveau statut d'habitation privée de conserver ses caves et ses salles voûtées. C'est à cause de la solidité de la construction, bien observée par Vinet qui la comparait aux murailles d'autres cités romaines 197 , que l'on y appuya à la fin du xve siècle l'hôtel de Cluny: les parties couvertes furent alors utilisées comme dépendances de l'hôtel avec lequel elles communiquaient. La gravure exécutée en 1610 d'après le dessin de Claude Chastillon montre au-dessus des voûtes de la salle centrale un jardin suspendu, dont l'existence, déjà attestée au xvre siècle, contribua sans aucun doute à la conservation de la salle: il sera détruit sur ordre de Louis XVIII avec les constructions qui l'entouraient pour enclore l'ensemble de la ruine antique avec l'hôtel parisien des abbés de Cluny, dans un souci de valorisation du patrimoine 198 (Fig. 33). Cette vue réaliste est plus précise et partant plus intéressante que les dessins d'Androuet du Cerceau ou du codex Destailleur conservé à SaintPétersbourg199. Belleforest et ses successeurs, reprenant Corrozet, mirent en relation l'édifice gigantesque avec l'aqueduc d'Arcueil 200 . Quant à l'identification d'une construction antique rive droite, sur l'emplacement du Grand Châtelet, due à Julien à !'Apostat ou à Jules César

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selon les auteurs, il est difficile d'en juger aujourd'hui la pertinence. Il n'est pas impossible que le bâtiment construit en n30, remanié sous saint Louis et Charles V pour contrôler l'axe de circulation nord-sud de la ville, ait recouvert en partie une construction plus ancienne, forteresse et barrière d'octroi. Les auteurs qui signalent les ruines parisiennes au xvne siècle reprennent largement leurs prédécesseurs et ne livrent guère de nouveautés. En revanche le site de Montmartre dont les antiquaires du xvre siècle n'avaient pas su identifier les ruines encore visibles, fut mieux exploré. En effet le Mont de Mercure ou Mont de Mars (avant d'être le Mont des Martyrs) avait dû abriter les temples de ces divinités. Le pan de muraille que l'on aperçoit sur la pente occidentale de la Butte, représentée en arrière plan dans la Pietà de Saint201 Paris, Louvre, Inv. 856r. Germain-des-Prés201 est sans aucun doute celui mentionné par André Un anonyme allemand en serait 202 Duchesne et Jacques Dubreul comme le reste du temple de Mercure • l'auteur (C. STERLING et H. ADHÉMAR, Peintures: École franHenri Sauvai précise qu'un pan de mur de ce temple «où il restait une çaise, XIV', xve, et xv1e siècles, niche remplie d'une figure de deux ou trois pieds, qui passait pour Paris, RMN, 1965, pl. 137). une idole » aurait été détruit par un orage en 1618, le jour de la sainte 202 DUCHESNE 1614, I, p. II4; DuBREUL 1612, IV, p. H5r. Ursule, l'une des patronnes de l'abbaye de Montmartre. Le témoignage 203 SAUVAL 1724, II, p. 350; de F.-N. Baudot Dubuisson-Aubenay, au milieu du xvne siècle, confirme DuBurssoN-AUBENAY 4404, f. 176Yo. l'existence del' édifice20 3. D'autres vestiges sont signalés par Sauval sur la 204 SAUVAL 1724, II, p. 349, pente méridionale, dans l'enceinte del' abbaye des Bénédictines, en parti351. 2os Paris, BnF, Estampes, HD culier ceux d'un temple de Mars, établis sur une terrasse si épaisse« qu'on 4 b, IO. tient qu'elle servit à Henry IV pour braquer le canon lorsqu'il assiégea 206 DuBc1ssoN-AUBENAY Paris »204 • Sur la vue de l'abbaye de Montmartre par Martellange on voit 4404, f. l76v Sur les temples et la villa de Montmartre, voir nettement des murs épais, restes d'une puissante fondation antique qui BurssoN 1998, p. 516-522. peut être identifiée avec celle du temple 20 s. Dubuisson-Aubenay enfin est 201 Cette identification est combattue en 1640 par É. le premier à signaler des vestiges d'un bâtiment sur la pente septentrioLadone, qui justifie son point nale de Montmartre, ceux d'une villa, dite de la Fontaine-du-But, où l'on de vue par !'absence de ruines 206 visibles. Un plan ancien daté voyait alors« le château de César, ou la tour de Canes ou Ganelon » • 0



du IO juillet 1627 représente pourtant le circuit du rempart romain (Autun, Bibliothèque de la Société Eduenne, Recueil «Fouilles du Mont-Beuvray», cf J.-P. GUILLAUMET, Bibracte. Bibliographie et plans anciens, Documents d'archéologie française, 57, Paris, 1996, p. 70, 72).

Autun

Autun éclipsa aux yeux des antiquaires ses voisines Mâcon ou Chalonsur-Saône. Ils y virent l'antique Bibracte, dont le site véritable, le massif du mont Beuvray, à vingt-sept kilomètres environ de la cité autunoise, ne fut identifié que par quelques-uns 207 • Il est vrai que la création d'Auguste, comme l'indique son nom Augustodunum, conservait des vestiges qui attestaient une importance stratégique évidente, au carrefour de voies naturelles (Saône, Rhône et Loire). Lenceinte qui épousait la configuration du terrain possédait des portes, qui passent pour les plus belles du genre avec leurs deux tours encadrant un corps central percé de quatre baies, les deux du milieu plus larges, réservées aux attelages, et deux latérales plus petites pour les

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III

piétons (Porte d'Arroux, Porte de Saint-André, Porte de Saint-Andoche). Il subsistait des temples (temple de Janus, temple d'Apollon), un théâtre et un amphithéâtre, des aqueducs, des monuments funéraires parmi lesquels la fameuse Pyramide de Couhard, près de la route d'Autun à Lyon, qui dominait la nécropole antique: ce monument, dévasté pour ses urnes, inscriptions et tombeaux, avait perdu son revêtement de calcaire blanc, 2os En 1640 l'abbé Nicolas réutilisé pour l'église voisine 208 (Fig. 41). Barthélemy de Chasseneuz, le Jeannin de Castille, petit-fils du premier historien de la ville, qui eut en 1521 l'honneur de présenter à président du Parlement de BourFrançois Jer les édifices romains les plus remarquables, les mentionne gogne, fit creuser l'orifice qui subsistait dans les flancs de l'édifice dans son Catalogus Gloriae mundi (Lyon, 1529), plusieurs fois réédité au (FONTENAY 1889, p. 272-273). cours du xvre siècle. L enceinte antique ainsi que les Portes d' Arroux et de Elle servait toujours de carrière au XIXe siècle (MÉRIMÉE I835, p. 69). Saint-André avaient été remarquées dès le début du siècle par l'anonyme Sur la Pyramide de Couhard, voir marchand milanais 209 . En 1542, Guillaume Paradin, dans son ouvrage REBOURG 1993, p. 28. 209 ANONONYME MILANAIS sur les antiquités de Bourgogne, se contente de reprendre Chasseneuz210 . 24180, ff. 7-7V = éd. MONGA En 1575 Belleforest ajouta un plan, procuré par Saint-Julien, l'un de ses 1985, p. 54-55. 210 CHASSENEUZ 1529, Pars II, nombreux informateurs, qui le reprit lui-même en 1580 dans sesAntiquitez consideratio V, f. 4; Pars XII, d'Autun 211 • Tous deux restent assez vagues: Saint-Julien a beau confronter consideratio LX, ff. 65, 65v 66, les édifices cités par Eumène et les vestiges encore visibles, il considère que 67V PARADIN 1542, p. 125-127. 211 SAINT-JULIEN 1580, entre l'on ne peut rien dire des temples de Cupidon, de Pluton et de Proserpine, les pages 192 et 193· ni de l'emplacement exact du Capitole. Le lecteur pourrait presque dou212 SAINT-JULIEN 1580, p. 203204. ter qu'il ait vu les ruines. Comme Paradin, Saint-Julien mentionne une 213 Il les disposa au grand et tour près du pont d' Arroux et un vieux pan de muraille, vestiges du tempetit Montjeu (FONTENAY 1889, p. 45-46). ple dit de Pluton. Il signale que la tour, en réalité un monument funéraire 214 PEIRESC 667, ff. 139, 141turriforme, était ornée de« plusieurs effigies d'oiseaux »212 . 143, l48v l50-I54. Pierre Jeannin (Autun 1540-Paris 1623), Certains particuliers avaient tiré profit des intéressantes découvertes conseiller puis président au Pararchéologiques faites lors des travaux d'édification du nouveau rempart lement de Bourgogne (1581), cf pour relier la ville haute de l'évêque (où se trouve la citadelle de Rivault) PAPILLON 1742, l, p. 335-339; DLF xvr siècle, p. 63r. et la ville basse de Marchaux, jusqu'alors entités isolées au milieu de la 215 PEIRESC 667, f. l5L Voir vaste enceinte romaine. I.:abbé Jeannin, entre autres, frère du président FONTENAY 1889, p. I77-204du Parlement de Bourgogne, avait pu ainsi constituer une belle collection, dispersée après sa mort. Il s'agissait de vestiges que l'on venait de déterrer de la Porte de Rome (détruite au Moyen Âge), dite aussi Porte des Marbres ou ès Marbres à cause de la somptuosité de ses matériaux, qui avaient déjà servi à édifier le porche de la cathédrale21 3. Une série de dessins réalisés probablement à la fin du xvre siècle pour le président Pierre Jeannin sont connus par les copies qu'en fit faire Peiresc quelque trente ans plus tard. Ils donnent l'état des principales antiquités, théâtre et amphithéâtre (tous deux déjà fort ruinés), portes, temples et autres monuments 214 . I.:un d'eux présente l'élévation extérieure de l'amphithéâtre qui fut entièrement détruit au xvme siècle21 5. Situé à l'est de la ville, non loin du théâtre quasi contemporain, l'amphithéâtre d'Autun est à ce jour le plus grand édifice de ce type connu en Gaule. On retrouve dans la suite des dessins de Peiresc des représentations de la Porte d'Arroux 0

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avec le détail de son décor architectural et de son pavement, ainsi que de la Porte de SaintAndré (Fig. 24). Les vestiges du temple d'Apollon, cités sous le nom de« maison de monsieur Saint Symphorien», y figurent aux côtés de la Pyramide de Couhard216 . 21 6 PElRESC 667, f. l42v Trois bâtiments identifiés comme temples sont représentés dans ces desL édifice est aussi mentionné sins. Du temple de Janus, temple de type celtique à corps quadrangulaire, sous le nom de « vieille tour de situé aux portes de la ville dans le quartier de la Genetoye, ne subsistaient saint Fauste ». On découvrit sur le site divers objets, décrits par que les hauts murs sud et ouest de la salle cultuelle. La partie rectanguAnfert, cité par H. de Fontenay laire de la tour méridionale de la Porte de Saint-Andoche, encore visible, (1889, p. 150). 217 PEIRESC 667, ff. 141,150. qui avait été préservée dans le monastère du même nom, est considérée à 21 s PEIRESC 6 67, f. l48v La tort comme un temple de Minerve 21 7. Le« temple de Pluton» au nord présence d'un autre édifice de ce type appelé la Gironette, situé de la Porte d' Arroux, au pied de l'enceinte, était en réalité un monument près du pont Saint-Andoche, funéraire circulaire dit aussi la « Tour près la rivière »21 8. sur la rive droite de !'Arroux, fut identifié comme un temple Deux sources du début du xvne siècle apportent véritablement un de Proserpine (R.EBOURG 1993, éclairage original sur Autun, avant les ouvrages publiés par Étienne p. 146). 219 Je remercie André StrasLadone en 1640 et Edme Thomas en 1650. Le manuscrit d'un certain berg, secrétaire perpétuel de la Anfert fournit incontestablement les descriptions les plus détaillées des Société Eduenne et Mme Demaprincipales antiquités de la ville (Porte de Rome, temple d'Apollon,« temzure, arrière petite-fille de Harold de Fontenay, de m'avoir si aimaple de Pluton », Pyramide de Couhard, ou vestiges du Capitole). Nous blement aidée dans mes recherne le connaissons qu'à travers les larges extraits qu'en a donnés Harold ches, demeurées hélas vaines, pour retrouver le manuscrit de Fontenay, qui fut propriétaire du document219 . C'est à ce mystérieux Anfert, qui fut sans doute mis en Anfert que l'on doit l'identification et la description la plus ancienne vente en 1940. 220 ANFERT l6ro, cité par Fondu théâtre, souvent confondu avec l'amphithéâtre voisin: les habitants (1889, p. 180-181). Le théâtre tenay appelaient indifféremment l'ensemble de ces ruines « les Grottes »22 0. est dit « les caves Joyaux », déforC'est à lui encore que l'on doit d'utiles éléments descriptifs concernant mation probable de « Jolyot », nom d'un habitant d'Autun qui 221 le temple de Janus . Il signale aussi un édifice en forme d'hémicycle, soit avait élu domicile dans les dit la« Tour de Jouère », ruine semi-circulaire en arrière d'un aqueduc, souterrains du théâtre, soit les utilisait comme magasins (FONdans le quartier Saint-Andoche, visible sur les plans de Belleforest (1575) TENAY 1889, p. 178-179). et de Saint-Julien (1580)222. 221 On trouvait dans]' édifice un « pavement à la mosaïque, la ruine Étienne Martellange, qui fit étape dans la cité autunoise en mai l6n, d'un piédestal ou d'un autel, et a laissé un dessin des deux portes les mieux conservées: la Porte d'Arautour plusieurs ruines de grands bâtimems », cité par H. de Fomeroux (ou Porte de Sens) et la Porte de Saint-André (ou Porte de Langres) nay (r889, p. 219, et n. 4). (Fig. 34). Larchitecte de la Compagnie de Jésus a retenu les façades, les 222 Passage cité dans REBOURG plus homogènes et les plus pittoresques, côté campagne, comme celle de 1993, p. 9r. Le monument connu au xrxe siècle comme temple de la Porte de Saint-André, avec ses deux avant-corps en saillie dont l'un est Jupiter ou Palais (DEJUSSIEU 1846, masqué par l'église du même nom. Ce dessin al' avantage de nous présenp. 62; FONTENAY 1889, p. 128129), reste à ce jour non identifié ter la porte telle qu'elle était avant la restauration erronée de Viollet-le(R.EBOURG 1993, p. 91-92). Duc. C'est à cette même époque (1610) que l'on dégageait les fondations de la Porte de Rome au sud (ou Porte de Marbre). 0

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CHAPITRE

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Quelque trente ans plus tard, l'avocat Etienne Ladone consacre un poème latin aux antiquités de la cité (Augustoduni ... Antiquitates) comportant des annotations précises et concises sur les vestiges les plus importants. Louvrage d'Edme Thomas (De antiquis Bibracte seuAugustoduni monimentis libellus), qui s'inspire beaucoup de Ladone, est une présentation rigoureuse des ruines d'Autun, synthèse des textes littéraires et de l'étude des vestiges encore visibles ou dont la mémoire gardait encore le souvenir. Il a l'avantage d'être impeccablement illustré (plans et vue de la ville antique et moderne, schémas, édifices 223 Une édition augmentée de antiques majeurs) 22 3. Sept dessins conservés à Paris sont vraisemblablel'ouvrage est publiée en français ment les études préparatoires réalisées pour la publication224 (Fig. 41). Le dix ans plus tard à Lyon, chez G. Barbier, voir DEJUSSIEU 1846. livre publié par Léonard Bertaut en 1653 (La tres-ancienne et tres-auguste 224 Le manuscrit (ANONYME Ville d'Autun) n'est qu'un panégyrique ampoulé à la gloire du nouvel évêFRANÇAIS 403I) est un recueil de que Dony d'Attichy, et à ce titre fort décevant quant aux ruines. L'illustre copies de pièces datées de I320 à I628. L'édition de 1650 mentionne douze gravures. Aucun des exemplaires consultés (Paris, BnF; Bibliothèque de Bordeaux) ne comporte la 12e planche annoncée dans le texte. Le fait que l'abbé Papillon (1742, II, p. 388) signale seulement onze planches laisse à penser que la douzième n' a jamais été gravée. 2 2 s LADONE I640, p. 134. Sur cette enceinte tardive de date inconnue, dont une partie resta en usage au xvre siècle, voir REBOURG 1994, p. 133-134. 226 BouRDIGNÉ 1529, f C iii. 227 TARTIFUME 995, III, f. 80. Le dessin fut mis au net en 1635 (éd. CrvRAYS 1932, p. 170). 228 MÉNARD 1637, p. 2-7. Sur l'édifice, voir PROVOST 1988-2, p. 95-96. 22 9 GoDEFROY 220, ff. I38v0 139v0 • Le collège des Oratoriens qui s'étaient installés à Angers comme de nombreux ordres religieux au XVIIe siècle, était célè-

Orbandale ou l'Histoire ecclesiastique de la ville et cité de Chalon sur Saône qu'il publie en 1662 avec Pierre Cusset est à peine plus intéressant. En ce

domaine Ladone avait ouvert la voie en signalant dès 1640 les vestiges de la muraille antique de la cité225.

Angers, Doué-la-Fontaine, Les Ponts-de-Cé Lan tique juliomagus ne conservait de son passé que son théâtre-amphithéâtre, édifice de spectacle mixte, comme on en trouve beaucoup dans la Gaule intérieure et particulièrement en Lyonnaise. Au début du XVIe siècle, selon Jean de Bourdigné, on n'en voyait plus que les fondations: l'édifice déserté et planté de vignes, identifié comme théâtre, n'était plus propice qu'aux visions et aux fantômes. Il s'élevait à l'extérieur de la ville dans le lieu dit« Grohan »226 . Belleforest et la plupart des auteurs qui reprennent son commentaire n'apportent aucune autre précision. Le monument angevin, sans doute édifié à l'époque flavienne, se caractérise par un mur entourant les gradins qui outrepasse le demi-cercle, une orchestra ovale, un bâtiment scénique réduit à un podium, d'où son identification avec

un théâtre. En 1605 Jean Hiret le dit« encores en son entier au Chasteau de Grohan », c'est-àdire que l'on en voyait encore le circuit; en 1609 Jacques Bruneau de Tartifume en laisse une esquisse rapide 227 . De fait la description la plus précise est donnée en 1637 par Claude Ménard, lieutenant de la prévôté d'Angers, qui consacre à l'édifice une monographie, la première du genre 228 (Fig. 42). Le monument était assez impressionnant pour avoir été représenté dans un tableau que le jeune Godefroy vit en 1638 au Collège des Pères de l'Oratoire et auquel il renvoie le lecteur désireux d'avoir une juste idée de« lun des plus beaux (comme sans doute vous mesme le conjecturerez qui ait iamais esté »229 . En dehors du théâtre-amphithéâtre,

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bre; il fut reconstruit au siècle suivant. Le tableau vu par Godefroy n'est plus localisé. Nous remercions J. Bouley, archiviste de la Maison Pierre de Bérulle à Paris, de nous avoir aidée dans nos recherches. Sur Godefroy et l'amphithéâtre, voir CHAMBRIER 2004, chap. I.

Hiret et Ménard sont les seuls à mentionner des vestiges del' aqueduc qui desservait les thermes de l'Esvières 2 3°. Érudits et voyageurs mentionnent aussi volontiers le pseudo amphithéâtre de Doué-la-Fontaine. Mais dans ce cas précis ils se trompent en y voyant une construction romaine. Ils' agit en réalité d'une vaste carrière à ciel ouvert, aménagée au xve siècle en édifice de spectacle. L'illustre Juste Lipse, lui-même abusé par son informateur Cornelius Aquanus, le décrit et l'illustre, malgré quelques doutes et réticences, cautionnant de son autorité une identification erronée qui fut sans cesse reprise au xvne siècle231 . Belleforest considère que ce sont encore les Romains qui ont bâti le« Pont de Sée ou Ceé, dit en latin Pontes Ctesaris ». Lipse, repris mot à mot par Pontanus, évoque encore plus précisément l'existence d'un pont antique, appelé localement« pont du Sey », ou encore pont de César. Ce témoignage semble fondé puisque les études archéologiques menées en 1849 confirment une construction romaine 2 3 2 •

Blois, Orchaise

230 HrRET 1618, p. 415; MÉNARD 999-1000, ms. 1000, f. 78. Les érudits d'Anjou se sont dans l'ensemble intéressés assez tard aux trouvailles archéologiques, voir J. Louvet, journal ou récit véritable de tout ce qui est advenu digne de mémoire tant en la ville d'Angers, pays d'Anjou et autres lieux depuis l'an r560 [à r634] (publié dans la Revue de l'Anjou et de l'vfaine-et-Loire, 1854, 1855, 1856) et le Père Barthélémy Roger, Histoire d'Anjou, Bibliothèque municipale d'Angers, ms. IOOl (publié par A. LEMARCHAND dans la Revue de l'Anjou et de Maine-et-Loire, l, 1852, p. 3-55). 2 3 1 L1PSE 1584, p. 22-3r. Sur le monument, voir O. CouFFON, « Lamphithéâtre de Douces (Maine et Loire) », Bulletin de Mayenne-Sciences, 1913, p. l93. 232 BELLEFOREST 1575, l, l, col. 59 (seconde numérotation par colonne); LrPSE 1584, éd. cit. 1598, p. 71; PoNTANUS 1606, Append. I, p. 107. Sur les fouilles du xrxe siècle, voir PROVOST 1988-2, p. 69.

Belleforest signale à Blois de fort beaux aqueducs dont l'origine romaine paraît incontestable, même si l'antiquité de la cité n'est cautionnée par aucun auteur ancien. Le témoignage du Commingeois, généralement bien informé par les érudits locaux, mérite d'être rapporté, car il est le plus ancien: il en évoque les parties souterraines, « grandes cavernes & grottesques voutees, partie par l'art du maçon industrieusement elabourees, partie gravees dedans le roch mesme », où trois hommes à cheval pourraient aller de front. Braun et Hogenberg reprennent le texte à leur compte et Thomas Platter mentionne lui aussi l'anecdote des trois hommes à cheval: il n'a sûrement pas vu le monument, pas plus qu'au siècle suivant la plupart des auteurs. François Chateaunières de Grenaille admire ses arcades « si artistement dressées par endroits dans le roc, voire comme enrichies de grotesques, que l'artifice de ce temps se tromperait s'il osoit entreprendre de faire mieux». En 1682 l'historien de Blois Jean Bernier est plus circonspect. De fait il n'est point aisé d'identifier ce qui appartenait au bourg romain, implanté au débouché du vallon de l'Arrou, c'est-à-dire au pied du promontoire du château. On peut voir aujourd'hui à l'extérieur de l'agglomération, au nord, un aqueduc taillé dans le roc dont le canal de deux mètres de haut et de quatre-vingts centimètres de large permettrait

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CHAPITRE

233 BELLEFOREST 1575, l, I, BRAuN/HoGENBERG p. 313; 1572-1618, II, «Blois, 14 »; PLATTER A À V, f. 444 = éd. KEISER 1968, p. 500-5or; GRENAILLE 1643, p. 760-761; BERNIER 1682, p. 3r. Sur l'aqueduc, voir PRovosT 1988-1, p. 85. 234 BELLEFOREST 1575, l, I, p. 312; BERNIER 1682, p. 202. Sur Orchaise, voir PROVOST 1988-1, p. 90. 235 En 1585 il chargea Donon, Contrôleur des Bâtiments, et Baptiste du Cerceau « de remettre aucunement l'ancienne commodité des Bains accablés & confondus dans leurs ruines, de stoupper les canaux, tant des fontaines que de la vuidange desdicts Bains, ou deja la longueur du temps avait ensevely le nom avec la forme de la chose » (AUBERY 1604, ff. 54v0 -55). 2 3 6 NICOLAY 3243, ff. 159-160. 2 37 NICOLAY 3243, f. 160. 238 Une gravure d'Israël Silvestre, beaucoup plus tardive, montre également l'édifice en rotonde du grand bain (BONNARD 1908, p. 440-441). 239 CODEX Oxford, f. 19. 2 4° AUBERY 1604, V-VII.

III

le passage d'un homme à cheval, mais non de trois: il alimentait une dizaine de fontaines, et l'on en attribue traditionnellement la construction aux Romains 2 33. À Orchaise, située à deux lieues de Blois, Belleforest signale des « ruines de plusieurs beaux edifices, comme des Arcades, & des murs despaisseur merveilleuse», qui prouvent que la ville, selon certains, avait été le grenier de César (Horreum Ctesaris). Bernier, à la fin du xvne siècle, estimait les preuves insuffisantes, mais les vestiges qu'il avait sous les yeux étaient peut-être si dégradés qu'il devenait difficile de juger de la pertinence du témoignage de Belleforest et de ses prédécesseurs. On ne connaît aujourd'hui qu'un souterrain-refuge, sur la rive gauche de la Cisse 234 .

Bourbon-Lancy

La station thermale, à l'est de Moulins, qui avait été l'une des plus somptueuses de Gaule, fut très à la mode au XVIe siècle: la qualité de ses sources chaudes et la magnificence des installations, quoique dégradées, attirèrent Catherine de Médicis et la famille royale. Henri III la préféra à toutes les autres. Il entreprit d'ailleurs une campagne de restauration sans précédent pour leur rendre leur antique beauté 2 35. En 1569 Nicolay, familier de la cour et d'origine bourbonnaise, est le premier à décrire le complexe thermal qui depuis !'Antiquité n'avait cessé d'être exploité, en particulier le spectaculaire grand bain, « faict en forme de piscine ronde, estant environné de degrés en façon de théatre, auquel on entre par cinq portes faictes à l'antique de grosses pierres sans chaulx ni sable cramponnées de fer »23 6 • Il ajoute un dessin colorié qui le représente comme une tour placée au milieu d'un bassin et reliée par un mur au bord, dans lequel s'ouvre un puits circulaire2 37. Les eaux thermales étaient en effet captées dans plusieurs puits dont le plus grand, luxueux, de forme circulaire était appelé le Limbe. On voit parfaitement sur le dessin les niches pratiquées à l'intérieur du bain et les cinq portes rectangulaires séparées par des contreforts 2 3 8 • Il existe une autre représentation de ces bains dans un recueil de dessins contemporain, conservé en Angleterre, qui confirme l'intérêt qu'ils ont suscité chez les architectes 2 3 9 • Létude la plus complète consacrée aux bains de Bourbon-Lancy est due à Jean Aubery: il en analyse la structure, détaille longuement le « Bain Royal », en forme d'amphithéâtre, compare les matériaux, le plan des diverses installations comme les étuves, l'organisation hydraulique avec les prestigieuses ruines de Rome 240 . Jean Banc se montre tout aussi sensible à la qualité et à l'ingéniosité des réalisations qu'au luxe du décor, n'hésitant pas à comparer le

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grand bain aux arènes d'Arles ou de Nîmes. Il décrit également le Limbe, à l'extérieur en « fort cyment de plusieurs pièces de marbres de diverses couleurs», avec un« bort de marbre blanc, relevé d'un pied de terre, de pareille espesseur, troüé à usage de treillis de fer, pour deffendre de péril les moins advisez »241 . Aujourd'hui, à l'exception du puits du Limbe, toutes les constructions signalées par les antiquaires ont disparu et leur ornementation a été dispersée. Richelieu fit enlever douze statues de marbre. D'autres sculptures vinrent enrichir les collections des musées de Paris et d'Autun. Les fragments d'architecture, colonnes, chapiteaux, entablements furent transportés à Mâcon en 18042 4 2 .

BANC 1605, ff n4v0 -n8v0 • BONNARD 1908, p. 443. 243 Sur !'état de la question au début du xvne siècle, voir J.J. CHIFFLET, Portus Iccius Iulii C12saris demonstratus, Anvers, 1627. Pour !'époque moderne, voir DELMAIRE 1994, p. 63. 241

242

244 Chronique de Guînes et d'Ardres, éd. GoDEFROY-MÉNIL-

GLAISE, Paris, 1885, p. 226-227. 245 SUÉTONE, Vies, Calig., 46. 246 LE SUEUR 632, éd. DELSEILLE 1879, p. 3.

La Gaule Belgique La province de Belgique s'étendait de Bâle à la côte d'Opale, du Rhin aux abords de la vallée de la Seine. Elle est surtout remarquable par son réseau routier, créé par le pouvoir central à des fins essentiellement militaires. Il est organisé autour de deux grands axes partant de Langres, l'un axé sur la Manche et la mer du Nord (Reims, Soissons, Arras, Boulogne), l'autre remontant vers le Rhin (Metz, Trèves et Cologne). Il n'est donc pas étonnant que certaines villes comme Boulogne, Bavay, Reims, Metz, Langres, Besançon et Dijon aient gardé quelques vestiges romains importants qui furent signalés par les antiquaires, principalement au xvne siècle.

Boulogne Un souvenir de l'antiquité s'attachait à la région et passionnait les esprits: la localisation du fameux Portus Itius, d'où Césars' était embarqué pour son expédition bretonne. Celui-ci était, selon toute vraisemblance, situé sur l'estuaire de la Liane24 3. À Boulogne, dès le Moyen Âge, le chroniqueur Lambert d'Ardres avait repéré des vestiges romains 24 4. De fait seule la ruine monumentale de la Tour d'Ordre (ou d'Odre) dans la ville basse monopolisa l'attention des érudits locaux ou des voyageurs au début du xvne siècle. Lancien phare romain, construit par Caligula en 39, fut emporté en 1644 par l'éboulement d'un pan de falaise 24 5. Depuis longtemps il servait aux Boulonnais de fort avancé et était entretenu comme tel. En 1596 Guillaume Le Sueur rapporte que les Anglais nommaient « le vieil homme » cette « tour d'admirable structure, de hauteur insigne, d' espaiseur mémorable, bastie de briques fort larges avec rangs de pierres bizes joinctes et liées de ciment, estant à huit angles et pans; desquelz chacun contient vingt et huict piedz ou environ de front et face »246 . Cette description correspond à la représentation qu'en donne Joachim Duviert en l6II: un édifice de plan octogonal,

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241 CHASTlLLO~ 1641, 129. Sur les représentations de la tour, antérieures à sa chute, voir A. DE

RosNY, Album historique du Bou-

lonnais, Boulogne, 1892, pl. XV, XVI, XVIII, XX l et 3. 248 LE SUEUR 632, éd. DELSElLLE 1879, p. 3-5; BOUCHIER 1655, IV, p. 145, § 13-14. Sur le monument, voir DELMAlRE 1994, p. 290-292. 249 CHASTILLON 1641, 59· 250 ESTIENNE 1553, p. 64. éd. 1025, 251 V1NCHANT HACHEZ 1896, p. 306.

à assises superposées. D'autres vues, comme celles de Claude Chastillon ou Nicolas Tassin, donnent aussi une bonne idée de l'édifice 247 (Fig. 43). On accédait à la lanterne par un escalier intérieur qui desservait trois chambres superposées, situées à mi-hauteur. Si la description la plus ancienne de la Tour d'Ordre est due à Guillaume Le Sueur, plus sensible à sa structure et à son aspect extérieur qu'à sa distribution intérieure, la plus complète est celle du jésuite Guillaume Bouchier qui a visité l'édifice en 1616 et 1624. Il distingue notamment deux types de construction, la partie inférieure, plus ancienne et typiquement romaine, et le sommet de l'édifice, restauré sous Charlemagne. L'ouvrage encore magnifique en l'état n'a d'égal à ses yeux que le phare d'Alexandrie248.

Reims Il existe fort peu de témoignages sur Reims, dont les superbes arcs de triomphe pouvaient mériter le détour de la part de voyageurs curieux d'antiques. C'étaient les seuls vestiges monumentaux de Durocortorum qui, après avoir été le siège du gouverneur de la province, avait connu une grande prospérité sous le Haut-Empire, comme l'atteste son plan régulier, parfaitement lisible dans la vue de Chastillon249 . À la fin du IIe siècle, elle avait été comparable en taille à Nîmes ou Narbonne, et abrité les édifices qui siéent à pareille agglomération, Capitole, amphithéâtre, aqueduc, arcs de triomphe. Les quatre arcs qui marquaient l'entrée de la cité, la Porte de Mars et la Porte Bazée à chaque extrémité du cardo (N-S), la Porte de Cérès et l'arc de Vénus pour le decumanus (E-0), établissaient la jonction entre des axes routiers majeurs, vers Trèves au nord, Boulogne à l'est, Lyon au sud. Ils sont signalés en 1553 par Estienne25°. En 1609 François Vinchant, originaire de Mons, en route pour l'Italie fait tout naturellement étape à Reims et mentionne seulement la« porte de Bacchus », c'est-à-dire la Porte Bazée, sur laquelle on pouvait encore voir l'effigie du dieu 251 . Mais les ruines de la cité ou de la région n'étaient pas assez célèbres pour qu'il prît le temps de s'y intéresser; après Dôle, il renonça à voir Besançon, pour se diriger vers Lausanne et gagner au plus vite la péninsule. Sur les deux vestiges majeurs de Reims, la Porte de Mars et la Porte Bazée, la contribution la plus complète est incontestablement celle de Nicolas Bergier. Dans son Histoire des grands chemins de l'Empire Romain, l'auteur, rémois de naissance, décrit longuement les deux arcs monumentaux qui subsistaient encore à son époque: la Porte Bazée et la Porte de Mars, le plus grand arc monumental du monde romain. La Porte de Mars, qui ne fut pleinement dégagée et restaurée qu'au xrxe siècle, avait une structure originale avec ses quatre piliers reliant trois baies de hauteur et de largeur presque égales. Sans doute élevé au IIe siècle, cet arc monumental d'une longueur de trente-deux mètres, dont les baies avaient été conçues pour servir de passage aux piétons et aux voitures,

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marquait l'entrée septentrionale de l'enceinte du Bas-Empire. Il semble qu'il n'ait pas été une véritable porte, car il n'était pas situé exactement à l'entrée de la ville. Au XVIIe siècle il était « encores en entier» et l'on pouvait admirer le décor de ses trois voûtes représentant le mythe de la fondation de Rome à l'est, le mythe de Léda et du cygne à l'ouest. La voûte centrale était décorée d'un exemplaire, unique, de calendrier rural. Ce décor avait été décrit par Floart, auteur d'un ouvrage sur l'Église de Reims, dont Bergier cite le témoignage, d'autant plus précieux que la porte était comblée de terre depuis 1544- I.:arcade droite à demi découverte en 1595 permit au Rémois de découvrir« la figure de la Louve Romaine, & des deux petits enfans Remus & Romulus, dans le plat fond de la voute: & de part & d'autre dans deux quadrangles qui occupent les pendans d'icelle voûte, les figures de Faustulus & d'Acca Laurentia ».Quant au calendrier de la voûte centrale, et aux cygnes signalés par l'historien médiéval sur les voûtes latérales, il ne pouvait les voir. Seule la restauration du XIXe siècle a révélé le décor décrit quelque peu naïvement par Floart2 5 2 . p. 2851622, 252 BERGIER La Porte Bazée était déjà à demi ruinée: il ne restait plus que la voûte 287, 289. Sur le monument, du milieu et des vestiges des voûtes latérales, décrits ainsi par Bergier: voir F. LEFÈVRE, « Historique Larcade restant peut avoir vingt cinq pieds de hauteur du rez de chaussee: dont la voûte est portee sur les deux grosses piles qui tenaient le milieu des quatre qui sont ordinaires aux Arcs de triomphe, ayant quelque huict pieds d' espesseur. Chacune de ces piles estait accompagnee de part & d'autre de colomnes striees ou canelees, qui n'avaient de saillie que moitié de leur corps: ainsi que l'on voit par les restes de leurs stiles. Larcade est ornee par le dehors de sa rondeur, de grandes feuilles d'Achante gravees dans les bords exterieurs de ladite arcade. Mais au dessous de la voûte, y a un plat fond quarré, & environné de bordures chargees de roses gravees à l'antique: dans le quarré ou plat fond de ladite voûte, se voit un triton dont la partie d'embas finissant en poisson fait plusieurs tours & circonvolutions en forme de roulots, sur l'un desquels est aussi une Venus toute nuë, qui tient le Triton embrasse »2 53. «

Cette description du décor est capitale pour les archéologues puisque la porte fut détruite en 1752. Quant aux éléments d'architecture qui avaient orné les deux arcs, bases, chapiteaux, entablements, il n'en restait plus que quelques fragments. Les gravures des deux portes insérées dans !'Histoire de Reims de Bergier, publiée après sa mort, sont d'intéressantes restitutions 2 5 4 •

Besançon

de la "Porte de Mars" », MSAM, XCV, 1980, et du même auteur, La Porte de Mars de Reims, Paris, 1985; G. PrcARD, « La "Porte de Mars" à Reims »,Actes du 9f Congrès national des Sociétés savantes, Reims, 1970, Paris, 1974, p. 59 sq. 253 BERGIER 1622, p. 285, 287289. Sur la porte Bazée, voir B. FouQUERAY et R. NEiss, « La Porte Bazée », Études Champenoises, 2, 1976. 254 BERGIER 1622, p. 288; BERGIER 1635, ff. C3, C4, Dr, D2. Son fils Jean publia les deux livres qui étaient achevés, avec le sommaire des quatorze autres qu'aurait comportés l'ouvrage. 255 La ville eut pourtant un amphithéâtre et un Capitole (A. CASTAN, « Le Capitole de Vesontio et les Capitoles provinciaux de l'empire romain », Lectures faites à la Sorbonne en I868, p. 47-77= Mémoires de la Société d'émulation du Doubs, IV, 1868, p. 201-235).

Outre quelques vestiges antiques et des appellations qui se référaient à un passé romain évident, Besançon, à qui les textes médiévaux donnaient le nom grec de Chrysopolis, offrait à la Renaissance peu de ruines majestueuses2 55. Seul subsistait un arc triomphal, dit la Porte Noire ou Porte de Mars. C'est d'ailleurs l'unique bâtiment mentionné par la plupart des auteurs, qui l'identifièrent à une porte de la ville, et non à un arc, en raison sans doute de sa situation à

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CHAPITRE

III

l'entrée de la cité et au rôle que l'édifice jouait au Moyen Âge, voire dès le Bas-Empire quand il fut intégré à l'enceinte. Cet arc à une baie, flanqué de piles étroites et orné d'un ordre double de colonnes engagées, était déjà au xv1e siècle en fort mauvais état: les façades latérales avaient disparu dès l'époque médiévale, absorbées par la construction de 256 Aujourd'hui encore l'arc maisons canoniales, et la face méridionale demeura invisible jusqu'au enterré de plus d'un mètre, x1xe siècle256. La représentation de la façade septentrionale que donne à privé de son attique, est encastré sur un côté dans le Rectorat plusieurs reprises du Cerceau est une restitution personnelle de l'artiste (ancien palais de !'Archevêque) qui n'a pas vu le monument (Fig. 27). Son seul mérite est de mettre en et sur l'autre dans l'actuel archelumière un décor abondant, plaqué sur une structure à deux niveaux, vêché. Sur la Porte Noire, voir WALTER 1986. Nous renvoyons où les colonnes portent un entablement à ressaut, qui caractérise préà la bibliographie donnée par cisément l'une des dernières grandes compositions iconographiques du l'auteur (p. 16-17). 257 Voir aussi Du CERCEAU monde romain. Du Cerceau restitue des supports classiques (colonnes 1760, 75; ANDROUET DU CERioniques cannelées au rez-de-chaussée, sur piédestal en saillie mais avec CEAU 1560, 13. 25s WALTER 1986, p. 281 sq. un entablement continu, corinthiennes à l'étage, dotées d'un entable259 GoLLUT 1592, p. 49. ment à ressaut, et pilastres sur la paroi) ; les colonnes encadrent des niches 260 CHIFFLET 1618, XL-XLII et les planches 2 et 3. Voir H. WALornées de statues (celles du second niveau sont ornées de pilastres et surTER, «Jean-Jacques Chiff!et: la montées de frontons triangulaires). Il interprète librement la façade, sans première exégèse des sculptudoute à partir d'un dessin en sa possession dont nous ignorons le degré res de la Porte Noire de Besançon >>, Hommages à Roland Fiede précision, et de sa connaissance des édifices romains où la structure tier, Besançon, 1984, p. 575-578. architecturale prime sur le décor 257 • Il n'est donc pas étonnant que sa 261 Voir par exemple la lettre 38 de Julien !'Apostat. Pour l'enceinte restitution soit éloignée de l'édifice réel, où la profusion des sculptures voir aussi César, GG, I, 38, 6. fait disparaître la surface murale, les colonnes et les pilastres, créant par la même un type architectural spécifique 258 • :Lhistorien Louis Gollut pour sa part a bien saisi la valeur d'un tel monument et son rapport avec la propagande impériale (il fut construit sous Marc Aurèle). Et pour lui qui a « veü la plus part des bonnes villes des Gaules, d'Italie, & d'une partie de l'Hespagne n'y en havoit beaucoup d'autres de plus belle proportion, marque & facture, si nous exceptons ceux qui restent a la Cité de Rome, mere de ces magnifiques grandeurs » 259. Au début du xvne siècle, Jean-Jacques Chifflet essaya non seulement de dater le monument, mais surtout d'interpréter les sculptures: la restitution du décor de l'arc peut être jugée fantaisiste par les archéologues modernes, elle n'en est pas moins méritoire, vu 1' état des bas-reliefs comme celui des connaissances sur l'architecture romaine officielle en Gaule260. Dans l'ensemble, les descriptions des antiquaires de la Renaissance, confrontés à des sources antiques incontestables faisant allusion à une enceinte, à des monuments splendides et àla présence de rares vestiges monumentaux, se révèlent décevantes 261 . En dépit d'un foyer archéologique particulièrement actif constitué autour de Jean-Jacques Boissard, l'épigraphie, comme toujours, a réuni savants et collectionneurs plus facilement que les ruines. En revanche, la connaissance approfondie que Chifflet avait du site, ses investigations continuelles, sa grande culture (son père était lui-même passionné d'antiquité) reconnue par Peiresc dont il est l'un des correspondants, lui donnent cette vision globale qui fait nécessairement défaut

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aux auteurs étrangers à la réalité locale. Les quatre colonnes corinthiennes (aujourd'hui disparues) qu'il décrit et rapproche d'une inscription concernant la réfection d'un portique dédié à Mars Vesontius appartenaient sans doute au péristyle du temple consacré à ce dieu: ce sont les seuls vestiges de ce qui était la Citadelle, partie du centre monumental qui occupait la boude du Doubs. Il signale un grand hémicycle près du bassin de distribution par lequel se terminait l'aqueduc d'Arcier: il s'agit, selon toute vraisemblance, des 262 CHIFFLET 1618, éd. cit. vestiges d'une fontaine monumentale 262 . Quant au théâtre, des fouilles 1650, I, p. 56-58, 121-123. récentes devant l'église Saint-Pierre semblent en avoir trouvé quelques 263 Cf CHIFFLET 1618, éd. cit. 1650, I, 31, p. n9. Sur les monutraces. Lamphithéâtre est le seul édifice public dont l'emplacement sur ments de Besançon, voir FRÉla rive droite du Doubs, au nord-ouest de la cité antique, ne pose aucun ZOULS 1988, p. 137-157. problème2 63. 264 GEYMÜLLER 1887, p. 109no. 265

BELLEFOREST 1575, I, 1,

p. 390. Sur ces deux portes augustéennes, voir JoLY 2001,

Langres

p. 48-51. 266 Il est l'auteur d'un ouvrage

Au XVIe siècle on voyait à Langres, intégrés dans!' enceinte du Bas-Empire d 1 d h et servant de portes à l a cité, d eux arcs d e triomp e: au épart e a route de Sens et de Reims la Porte Romaine, percée de deux baies qui avaient été murées au Moyen Âge, et à la sortie Nord l'arc dit de Longe-Porte car il avait été incorporé en 1588 à la porte de ce nom. Ce dernier fut détruit en 1850 par le Génie militaire. Les deux arcs devaient présenter

intitulé, De l'état et mutation des

temps de l'antiquité de la ville de Langres (Lyon, 1550). Sur R. Roussat, voir

H. FLAMMARION,

M. GUYARD, A. JouRNAux, R. MAY et G. VIARD, Histoire de

Langres des origines à nos jours. La vie d'une cité, Caen, 1988, P· 164.

un décor proche, sinon identique, pour être englobés sous l'appellation« les arcs de Langres ». Avec leurs deux baies encadrées de cinq pilastres corinthiens, surmontés d'une frise de boucliers et d'armes, ils étaient assez remarquables pour que plusieurs artistes en aient laissé des dessins ou des gravures, comme les frères Wyssenbach et du Cerceau264 . Belleforest, repris par tous les auteurs, voyait dans ce décor triomphal les symboles de la victoire des Romains sur les Germains 26 5. Le passé antique était encore visible dans le rempart romain, qui avait été restauré à la fin du rxe siècle par l'évêque Geilon, et comportait de nombreux vestiges, fragments d'architecture, inscriptions, stèles, statues, réutilisés pour l'occasion. Aussi très tôt les collectionneurs langrois conservèrent-ils dans leurs demeures ou leurs jardins les antiques qu'ils pouvaient recueillir lors de travaux d'entretien ou des restaurations des fossés et des murailles. Richard Roussat orna ainsi l'entrée de sa maison de statues et de stèles funéraires, et agrémenta son jardin de frises, de rinceaux et d'autres vestiges 266 . Son neveu Jean (15431610) aménagea pareillement son bel hôtel rue Vernelle (maison Béligné). Celui qui fut neuf fois maire de la cité tira des fouilles auxquelles il avait lui-même participé plusieurs mémoires, dont une somme intitulée Recherches et Antiquités de la Ville de Langres. On regrettera d'autant plus la perte de cet ouvrage, en plusieurs volumes, signalé par La Croix du Maine, que Roussat avait réuni de nombreux manuscrits et transcrit de nombreuses inscriptions. Seuls ont été

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267 Premier volume de la Bibliothèque du sieur de La Croix Du Maine, Paris, 1584, p. 585. Voir aussi Le Père Jacques LELONG, Bibliographie Historique de la France, éd. FONTETTE, Paris, J .-T. Hérissant, q68-1778, III, p. 216. Jean Roussat correspondit avec Gru ter: les copies des inscriptions qu'il envoya au savant allemand sont conservées à la bibliothèque de Leyde dans les papiers de Scaliger. Les inscriptions qu'il recueillit sont reproduites dans les ouvrages de ses successeurs, comme les Recueils des Antiquités de Langres de Charlet et d'André. Sur ce personnage tout à fait passionnant, grand serviteur de l'État et défenseur acharné de sa ville, mais aussi chercheur et savant, voir DESSEIN 1940, p. 173-176. 268 Voir par exemple le manuscrit anonyme Antiquités de Langres, la plupart trouvées en travaillant aux fortifications hors des portes de la ville qui regardent le Levant et le Couchant, en r672 et r673, manuscrit déposé chez le Dr Bourrée à Châtillon-surSeine (FRÉzoULs 1988, p. 366). 269 V1GNIER 200, p. 3; GAuLTHEROT 1649, p. 92. 270 GAULTHEROT 1649 , p. 71; V1GNIER 200, p. 26. Sur Langres et ses monuments, voir FRÉZOULS 1988, p. 384-405; JOLY 2oor. Sur les collectionneurs et antiquaires de Langres aux xv1e et xvne siècles, voir JoLY 2001, p. 22-23. 27! FRÉZOULS 1982, p. 332-336. 272 CHASTILLON 1641, 68.

III

préservés deux précieux dessins de sa main, représentant une arcade de l'arc de Longe Porte, sous ses deux faces, dont le décor est déjà délabré26 7 (Fig. 44). En dehors des arcs parfaitement visibles, on ne pouvait reconstituer le centre monumental de la cité des Lingons. La plupart des attributions, faites souvent dans la seconde moitié du xvne siècle au hasard des découvertes archéologiques, demeurent des hypothèses 268 • Ainsi la localisation par Jacques Vignier, l'historiographe jésuite du diocèse de Langres, du Capitole sous l'hôpital Saint-Laurent et sous une maison qui le jouxte, d'après la découverte de colonnes et de monnaies faites en i655, reste sans fondement. !:existence d'un théâtre ou amphithéâtre, établie par l'avocat Denis Gaultherot d'après les murs découverts en 1642, ne paraît pas convaincante269 • En revanche celle de thermes, au vu des structures mentionnées au sud de la ville par Gaultherot et Vignier, semble plus pertinente2 7°.

Metz

Cantique Divodurum, installée sur une terrasse alluviale, jalon important entre les routes Lyon-Trêves et Reims-Strasbourg, s'était considérablement développée sous le Haut-Empire (amphithéâtre, thermes). Vers la fin du me siècle, à la suite des premières invasions, la cité s'était protégée par un rempart. Cela ne l'empêcha pas d'être mise à sac par Attila en 4 5i. La ville, assiégée en outre par Charles Quint en i552, ne livrait plus à la Renaissance aucun vestige de temple digne de ce nom. Les thermes dits du Musée et du Carmel, l'un des trois établissements de bains, avaient été partiellement détruits au Moyen Âge. Les fouilles modernes ont révélé l'existence des deux autres. Aujourd'hui il est encore difficile de reconstituer ce qu'avait été le centre monumental de Metz d'après les comptes rendus de fouilles du x:vrne siècle. Dans la cour de l' Évêché on voyait un bâtiment rectangulaire, dit à l'époque« Maison Quarrée », qui se trouvait dans l'axe de l'ancien forum, sans doute un temple (ou une basilique) transformé avant le Ve siècle en l'église Saint-Étienne 2 71, dont Chastillon en 1614 dessinait les vestiges 2 72. À côté de nombreux fragments épars, difficilement identifiables, quelques ruines monumentales focalisaient l'attention des antiquaires: deux édifices de spectacle et l'aqueduc de Gorze. En effet la ville, qui avait été alimentée par plusieurs aqueducs, conservait près de Jouy-aux-Arches les ruines spectaculaires de cet aqueduc, dont Ortelius et Vivianus donnèrent en 1584 une description précise et une représentation gravée fort explicite qui fait apparaître un petit appareil de

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LES

PLUS

EXCELLENTES

RUINES

DE

GAULE

calcaire au parement soigné (Fig. 45) 27 3. Chastillon, trente ans plus tard, reproduit la suite d'arcades bien conservées de la partie aérienne de cet aqueduc de part et d'autre de la Moselle 274 • La cité antique possédait aussi un grand amphithéâtre, au sud-est de la ville, construit au IIe siècle dans un endroit plat et marécageux, plutôt inattendu pour ce type d'édifice. Ses ruines imposantes furent nivelées à la fin du xvne siècle pour être recouvertes par la« redoute du Pâté ». Sa position excentrée explique que le bâtiment, abandonné dès la fin du me siècle, ait fourni des matériaux pour l'enceinte et présenté rapidement un état d'abandon perceptible chez Chastillon 2 75. Au nord-ouest de la ville, près d'un bras de la Moselle, se trouvait un édifice accolé au mur d'enceinte, de taille moindre que le précédent, un odéon ou un théâtre 2 7 6 . Le même Chastillon montre un segment du mur extérieur de l'édifice qu'il identifie comme un amphithéâtre, formant partie intégrante del' enceinte (Fig. 32).

273 ÜRTELIUS/VIVIANUS 1584, p. 46-48. La description est reprise textuellement par Zinzerling (1616, éd. cit. 1627, p. 1920), qui l'attribue pourtant à P. van Dieve (DIVAEUS 1584). Sur l'aqueduc, voir FRÉzouLs 1982, p. 319-323. 274 CHASTlLLON 1641, 65. 275 CHASTILLON 1641, 63. 276 Sur ces édifices, voir FRÉZOULS 1982, p. 313, 329-332. 277 LE BoN 1576, éd. JouvE 1869, p. 23-29; TOIGNARD 1584, f. 26v0 ; MONTAIGNE, éd. GARAVINl 1983, p. 83. Sur les thermes, voir BoNNARD 1908, p. 466-470. 278 THYBOUREL l6n, I, 2; BERTHEMIN 1615, p. 123-124279 LE BON 1590, éd. ]OUVE 1865, p. 14-16. Sur la station thermale antique, voir BONNARD 1908, p. 456-462.

Plombières et Bourbonne-les-Bains Lantiquité des thermes de Plombières est signalée au XVIe siècle par Jean Le Bon et Antoine Toignard dans les ouvrages qu'ils publient sur la station thermale et la vertu de ses eaux. Il semble en effet qu'il y ait eu sept piscines ou étuves d'origine antique. Le Bon décrit en détail ces divers bains, le « bain de la Royne, dit des Dames, et anciennement le bain de Diane » en forme d'amphithéâtre, le bain du Chesne, dit bain de l'Ange, de forme ovale, le bain des lépreux et verolés, etc. Toignard est avant tout sensible à la qualité del' appareillage des pierres et au ciment exceptionnel des Romains« qui avaient pour lors une façon de bastir & cimenter fort brave & subtile & de dureé quasi perpetuelle comme se voit encores en leurs hippodromes, arenes, Colisee, place d' ancone, saincte Marie rotunde, Thermes de Diocletian, & autres ruines tant à Rome qu'ailleurs». Dans son journal Montaigne est plus laconique, mais il va à l'essentiel en signalant l'antiquité du bain principal« bâti en forme ovale d'une ancienne structure. Il a trente-cinq pas de long et quinze de large »277 • Une gravure publiée en 1553 dans le De balneis de Tommaso Giunta représente la piscine principale, confirmant la célébrité de la station ainsi que la qualité de ses installations. Au siècle suivant les contributions de Thybourel et de Berthemin n'apportent rien de sensiblement nouveau 2 7 8 . Quant aux thermes de Bourbonne-les-Bains, Le Bon en décrit surtout les sources, la guerre entre le duc de Bourgogne et le roi de France au siècle précédent ayant mis la région à feu et à sang. Des divers bains que comptait la station thermale, seul le plus grand garde le souvenir d'un certain luxe: il est« plus long que large de grande grandeur pour toutes gens riches et pauvres [... ], iadis estait ce quarre fermé, où estoyent grandes galleries, et au reste couvert »2 7 9 • Près de deux siècles plus tard, en 1770, Diderot confirme l'intérêt suscité par

·125·

CHAPITRE

2so Voyage à Bourbonne-lesBains en Champagne, dans Voyage à Bourbonnne, à Langres et autres récits. Ouvrage collectif, Paris, Aux Amateurs de Livres, 1989, p. 25-}6. 281 BERGIER 1622, p. 96-98. 282 TAMlZEY DE LARROQUE 1888, 6, Annexe IV, p. 693. 283 Voir le plan d'Édouard Bredin (« Le vray Pourtraict de la ville de Dijon», 1574) et celui de Lepautre (« Plan de !'ancienne et nouvelle ville de Dijon », 1696) dans L. BoNNAMAS, « Les anciens plans de Dijon »,Mémoires de la Société Bourguignonne, XXV, 1909, p. 347-441. 284 RrcHARD 1585, ff. 25-28v0 • Sur Dijon antique, voir FRÉzour.s 1988, p. 231-263.

III

les eaux fort chaudes de la station thermale et en décrit rapidement les installations, relevant avec soin une inscription latine de l'époque galloromaine280.

Bavay

Bavay intéressa assez peu les antiquaires de la Renaissance. Les ruines assez importantes qui subsistaient, notamment les « grandes et larges chaussées», témoins d'un important carrefour routier, avaient toutefois dès la fin du Moyen Âge retenu l'attention des chroniqueurs et des poètes comme Lucius de Tongres ou Jacques de Guise, mais aussi donné lieu à de nombreuses fables. Les comtes de Hainaut seraient les descendants de Bava, prince troyen, onde de Priam, qui aurait fondé la cité. Cette dernière aurait été également dévastée par Jules César. Nicolas Bergier se moque de ces assertions et rappelle avec justesse que César n'avait pu con naître Bavay, comme d'ailleurs la plupart des villes de Gaule Belgique. Juste Lipse avant lui, rappelle+il, avait déjà balayé ces légendes et attribué les ouvrages de la ville et les fameuses chaussées aux Romains 281 . Le site, à l'écart des itinéraires traditionnels des voyageurs, n'attire en réalité que les spécialistes. Au retour de son périple en Europe du Nord en 1606 (Angleterre, Provinces-Unies, Pays-Bas espagnols) Peiresc ne manque pas de s'y arrêter: il voit en compagnie de l'historien de Louvigny les ruines du « cirque», en réalité l'enceinte de la cité antique2s2.

Dijon Au XVIe siècle on ne connaissait presque rien du castrum antique de Dijon, qui avait dû son développement à son implantation de part et d'autre de la voie Chalon-Langres. Lenceinte du Bas-Empire fut détruite à partir de 1443 et son tracé ne peut guère être restitué qu'en confrontant la description de Grégoire de Tours (Histoire des Francs, III, 19) et les plans anciens des xvre et xvne siècles 28 3. Le témoignage del' avocat Jean Richard est d'autant plus à prendre en considération que l'on ignore presque tout des temples, des arcs et des édifices de spectacle de la cité. La lecture de stèles alors mises à jour lui fait croire à l'existence d'un temple de la Fortune, et le pavement qu'il a vu« in sacello quodam perantiquo ad œdem Divi Benigni », du même type que celui de Préneste, ne fait que renforcer sa conviction. Il semble que ces découvertes proviennent de la nécropole occidentale qui s'étendait sur près de deux hectares extramuros, où s'élevaient des monuments chrétiens, en particulier la basilique Saint-Bénigne284 .

·I26·

Conclusion

u TERME de notre enquête sur la réception des antiquités de la Gaule par les divers acteurs étrangers et français, il faut mettre en lumière l'apport spécifique des érudits de la Renaissance et de la première moitié du XVIIe siècle. Une première remarque s'impose: les ouvrages de référence furent publiés dans leur grande majorité avant 1600. Les monographies de Corrozet, Poldo d'Albenas, Vinet et Paradin sur Paris, Nîmes, Bordeaux et Lyon, la Cosmographie de Belleforest, l' œuvre de Braun et Hogenberg qui en fut le relais, furent inlassablement recopiées au siècle suivant dans les guides, itinéraires et relations de voyages. Mais souvent la compilation systématique fit oublier les sources véritables et imposa les ouvrages les plus récents comme nouvelles références, tels l' Itinerarium Gallice de Zinzerling (1616) et l' Ulysses Belgico-Gallicus de Golnitz (1631) qui fut repris par tous les rédacteurs ultérieurs de guides. Ce bréviaire des voyageurs fut ainsi plagié par le jésuite Louis Coulon dans son Ulysse .françois, publié en 1643; il inspira le Père Claude de Varenne dont le Voyage de France dressé pour l'instruction et commodité tant des François que des estrangers (1639) servit entre autres de guide à John Evelyn 1 • Dans la 1 HALL1980, p. 38I. première moitié du XVIIe siècle, les contributions véritablement nouvelles furent rares. Duchesne, en dépit de sa vaste enquête sur les antiquités nationales, ne renouvela pas fondamentalement les connaissances sur le sujet. Seules les contributions de Chiffiet sur Besançon et de La Pise sur Orange se révèlent importantes. Par ailleurs, les sites qui se trouvaient à l'écart des grands foyers intellectuels et des itinéraires des voyageurs, comme Autun, n'ont suscité qu' assez tard des études approfondies. Les sources graphiques recensées sont hétérogènes: elles vont du dessin et de la gravure isolés, plan, élévation ou détail, à la série cohérente dessinée ou gravée représentant le

LA

RENAISSANCE

ET

LES

ANTIQUITÉS

DE

LA

GAULE

monument en plan, élévation, détails du décor (base, chapiteau, entablement, corniche). Ces séries, réalisées par des professionnels, sont généralement cotées. Elles sont rares et concernent souvent les mêmes monuments (Maison Carrée,« temple de Diane» à Nîmes), comme dans le cas de Poldo d'Albenas et de Palladio. Les dessins préparatoires à l'édition ont parfois été conservés, au moins partiellement, comme pour l'ouvrage d'Edme Martin sur les antiquités d'Autun. D'autres représentations dues à un même artiste sont des variations sur plusieurs monuments comme souvent chez du Cerceau (Piliers de Tutelle, Pont du Gard, Pyramide de Vienne). Quelques artistes comme Chastillon ont heureusement laissé de nombreux témoignages: ce sont les élévations des principales antiquités rencontrées lors de ses déplacements de topographe royal. Il se révèle l'ancêtre des ingénieurs des Ponts et Chaussées, qui dans la seconde moitié du xvme siècle signalèrent systématiquement les découvertes archéologiques faites lors des travaux de voirie, mais dessinèrent aussi les ruines du terri2 toire national 2 . Il est aussi un pionnier en s'intéressant à ce qu'il désigne PINON 1991, p. 43-46. 3 Voir BoRSI 1985, p. 70, 28r. sous le nom de camp romain et qui est probablement un oppidum celti4 BOUCHOT 1886, p. 3. que. Les autres sources, un tiers environ, relèvent d'amateurs. Elles sont moins disparates, les antiquaires s'attachant en général à une ville: Gertoux dessine ainsi les antiquités d'Arles que l'on trouve complétées par Rebatu qui a copié le manuscrit originel, aujourd'hui incomplet. Peiresc qui s'intéressait beaucoup à l'iconographie a relevé en détail les bas-reliefs de l'arc d'Orange, ou du mausolée de Glanum. Mais comme chez les architectes, les édifices concernés sont peu nombreux; en outre, tous les antiquaires ne savent pas dessiner. Rostaing constitue un cas unique avec son album sur les antiquités de Vienne. Si les gravures publiées dans les divers ouvrages ont pu fournir une information immédiate, il est plus difficile de rendre compte de la circulation des dessins. Il est avéré que les relevés de l'arc d'Orange et de la Pyramide de Vienne par Sangallo connurent une certaine diffusion chez les professionnels puisque des copies en sont connues 3 . Les études que Palladio consacra aux deux temples nîmois, conservées aujourd'hui à Londres, restèrent sans doute confidentielles, mais les gravures qu'il fit réaliser pour les Quattro Libri ont naturellement relayé l'ouvrage de Poldo auprès du public italien. Tous ces documents furent des références en leur temps et le restent aujourd'hui: les restitutions du théâtre d'Orange ou des thermes de Cimiez par Sangallo ont été exploitées par les archéologues modernes. Il n'en va pas de même des illustrations insérées dans les manuscrits. Si ces derniers ont manifestement circulé en leur temps, ils finirent par être oubliés. Le manuscrit de Guillaume du Choul, aujourd'hui conservé à Turin, n'a toujours pas fait l'objet d'une étude sérieuse. Quant aux dessins de Peiresc, il fallut attendre le XVIIIe siècle pour voir Montfaucon en publier certains. Les dessins de Martellange sur les antiquités d'Autun, de Vienne ou d'Orange furent aussi exploités à la même époque par le comte de Caylus qui y voyait des vestiges moins dégradés que ceux qu'il avait sous les yeux4.

. 128.

CONCLUSION

La méthode antiquaire ou la préhistoire de l'archéologie En matière de numismatique et d'épigraphie, qui sont des branches de l'archéologie, la contribution majeure des antiquaires français à la Renaissance a déjà été évoquée. Il reste à apprécier leur rôle dans la connaissance des ruines monumentales de la Gaule. Comme tous les gens cultivés, ils sont passionnés par l'histoire et en même temps de plain-pied avec leur époque: ils ont compris qu'était en train de s'écrire cette nouvelle histoire que décrit Georges Huppert5, et ils en ont tiré les leçons. En historiens 5 L'idée de !'histoire parfaite, Paris, Flammarion, 1973, p. 15« modernes », ils ont donc étudié des sources de première main, c'est-à30. 6 VINET 1571, f. A iiv dire les vestiges archéologiques aussi bien que les textes antiques, sans se 7 Powo o'ALBENAS 1559/r560, contenter d'établir entre eux de vagues relations; ils ont lutté contre les p. 22. affabulations diverses sur les origines mythiques des cités. Vinet, le plus 8 Ode discourant sommairement les antiquitez de Nismes (Powo critique à cet égard, estimait que « celui qui veut rechercher l'antiquité o'ALBENAS 1559/r560, ff. 5-6v de quelque lieu, s'en doit aller voir, & bien visiter les vieilles murailles, 9 PoLDO o'ALBENAS 1559/r560, p. 8r. regarder par tout, s'il n'i à (sic) point quelque pierre qui parle, feuilleter 10 PoLoo o'ALBENAS 6 tous les vieux aucteurs, qui en peuvent avoir faict mention » • Les anti1560, p. 70, 74. 11 PoLDO o'ALBENAS quaires en effet ne furent pas uniquement des hommes de cabinet; ils 1560, p. 8r. furent aussi des gens de terrain. Poldo d'Albenas a lui-même relevé l'an1 2 VINET 1565, f. C iiii-D iv guleux circuit des antiques murailles, qu'il a soigneusement« compassé, & mesuré », et dont il a suivi« au plus prés [... ] au quadrant, & sauterelle les lignes, comme elles sont ou droictes, ou poinctues, ou obliques » 7 • Il a arpenté les différents sites de sa cité natale, étudié les principaux monuments en compagnie de son ami Jacques Pineton, lequel, bien des années plus tard, évoque avec émotion l'agréable souvenir de leurs promenades 8 . Ils ont aussi beaucoup observé, manifestant un évident sens critique. Le Nîmois identifie la salle cultuelle du sanctuaire de la Fontaine, alors « temple de Nonnains de l'ordre de sainct Benoist», comme un temple, d'après un conduit encore visible, «tuyau de la cheminee par ou sesvaporoit la fumée des sacrifices bruslés »9 . Les plus savants ont lu Vitruve, comme du Choul et Vinet, ou, comme Poldo, ils ont la culture architecturale la plus moderne qui soit. Le Nîmois prouve longuement que la Maison Carrée ne peut être la basilique de Plotine mentionnée par Spartien, car l'édifice n'a aucune des caractéristiques de la basilique décrite par Vitruve et après lui par Alberti et Philandrier 10 . Il réfute, textes à l'appui, que le « temple de la Fontaine » ait été consacré à Vesta, comme l'affirment certains de ses compatriotes, cela en raison de son plan quadrangulaire et non circulaire, et de sa situation excentrée par rapport à la ville 11 • Vinet, en considérant avec attention le plan régulier de Bordeaux, en déduit que la ville a été une fondation directe des Romains, et quel' enceinte carrée qui est encore observable par endroits est postérieure: les fragments d'architecture qui ont servi à la construire après les invasions barbares accréditent l'hypothèse qu'elle n'a pas été la muraille originelle 12 . Jean Chaumeau a constaté par lui-même qu'il fallait chercher le sol d'Avaricum plusieurs mètres en dessous du niveau de Bourges : les diverses destructions qu'avait connues la cité par le passé 0



0

).

0

• 129.



LA RENAISSANCE

ET

LES

ANTIQUITÉS

DE

LA

GAULE

ont déposé autant de strates, visibles dans les diverses caves superposées 13. Certes, nous n'en sommes pas encore à une véritable étude stratigraphi1s Carmina, 22. Le site fut que, mais Chaumeau a parfaitement compris et pris en compte, dans le exploré les siècles suivants (H. SmN, Carte Archéologique de la cas de Bourges, l'importance des phénomènes de sédimentation. Gaule, La Gironde, 33/r, 1994, Beaucoup ont voyagé en France et à l'étranger; souvent ils se sont p. no-rn). 6 1 Voir supra, p. n8-n9. rendus en Italie comme Champier, Sala, Bellièvre, du Choul, du Rivail, 17 Voir supra, p. 63. Le Bon, ou Chiffiet et Peiresc au siècle suivant. Ces expériences leur ont 18 SYMEONI 1560, p. 151 sq. Voir PROVOST/MENESSIER/FouRNIER permis de mener de fructueuses comparaisons. Vinet a étudié les anti1994, p. 267. quités d'Evora; il a visité aussi Bayonne, Dax, Saintes, Poitiers, Tours et 19 Cf PINON 1991, p. 28. 20 PINON 1991, p. 28. Paris. Il reconnaît à Bourg-sur-Mer, étape sur la grande voie romaine de Bordeaux à Saintes, au lieu-dit Les Gogues, parmi les vignes, les restes d'une « vieille muraille » qui ressemble assez à celles de Bordeaux et au Palais Gallien 14 . Bien avant Arcisse de Caumont, il vient de découvrir les vestiges d'une villa gallo-romaine, peutêtre celle que Pontius Leontius, grand ami de Sidoine Apollinaire, possédait dans le castrum de Burgus15. Vinet donne aussi un bon exemple des qualités d'observation des antiquaires. Ainsi, l' attention portée aux matériaux et aux techniques de construction est-elle chez lui particulièrement aiguë, et ses analyses en ce domaine révèlent de sa part une approche rationnelle. Il y a loin entre le poète Pierre de Brach, célébrant de façon dithyrambique dans son « Hymne de Bourdeaux» (1576) les ruines de la dernière capitale de l'Aquitaine et le méthodique Vinet! De même, le médecin Aubery a analysé avec attention le système hydraulique des bains de Bourbon-Lancy, qu'il compare avec celui des grands thermes de Rome 16 • I.:acuité des observations d'Anne de Rulman est tout aussi notable. Dans les pages remarquables qu'il a consacrées à l'amphithéâtre de Nîmes, il explique au cardinal de Bagni dans le moindre détail la structure de l'édifice. I.:amphithéâtre pourtant défiguré à son époque revit dans toute sa splendeur, avec ses galeries hautes et basses, ses prisons pour esclaves, ses « cachots » pour les bêtes, son système hydraulique, son vélum 17. Leur passion leur fit aussi explorer des voies nouvelles, comme celles de la topographie. Symeoni, qui résida longtemps en France, réussit à identifier l'ancienne Gergovie décrite par César avec le plateau de Merdogne, en prenant la peine de confronter le commentaire de la Guerre des Gaules avec les réalités du site 18 . La première fouille archéologique sur le sol national fut conduite par Bergier qui, passionné par les voies romaines, fit creuser dans le jardin du couvent des Capucins à Reims jusqu'à neuf pieds de profondeur pour mettre à jour une portion de chaussée composée de trois couches 19 • «Pour vérifier sa théorie des trois couches», écrit Pierre Pinon,« il ouvre deux autres fouilles à Châlons-sur-Marne et sur le grand chemin d'origine romaine de Reims à Mouzon. Bergier est aussi un des inventeurs de la prospection archéologique de surface quand il découvre la voie romaine de Reims à Château-Porcien »20 . 13 CHAUMEAU 1566, VI. 14 VINET 1565, f. G iii.

• 130.

CONCLUSION

Disons enfin que la première ébauche de topographie urbaine gallo-romaine est esquissée par l'auteur (ou les auteurs) des Annales manuscrites de Limoges (1638) 21 . L élite antiquaire eut, quoiqu'on pense, une véritable« démar-

che scientifique», presque naturelle à ces J·uristes, professeurs et médecins de profession, habitués à mettre quotidiennement en œuvre leur capacité de jugement. Ils travaillaient en réseaux et n'hésitaient pas à communiquer le fruit de leurs recherches. Au xvre sièc1e, 1a science est déJ'à «une entreprise co 11 ective », pour reprendre la belle formule de René Pintard22 . Certes, ils étaient des amateurs, comme du reste le seront longtemps leurs successeurs, et leurs travaux se limitaient à leur cité ou à leur région. Pourtant ils ont répertorié tous les sites majeurs; les principaux édifices,

21

PERRIER 1993, p. 29. 6 PrNTARD l9S3, P· 9 · 2 3 Discours sur les monumens publics de tous les âges et de tous les peuples ... Prin22

cipaux monuments dont les Romains ont embelli diverses villes de Gaule, Paris, 1775, p. II s, 120, 12 6, 129, 131, 135· 24

C. C. VERMEULE, «Aspects of Sciemific Archaeology in the SeventeenthCenturp,ProceedingsoftheAmerican Philosophical Society, 102, 2, 1958, p. 193-214; C. DAUVERGNE, Un moteur de la révolution scientifique: la curiosité dans la correspondance de Nicolas Claude Fabri de Peiresc (I5So-I 6J1), conseiller à la cour d'Aix-en-Provence, Thèse de doctorat en histoire, Grenoble, 1997 , Villeneuve d'Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2000. 2s Sur Peiresc, voir LEMERLE 2002- 1, P· 28 7-3 02 ·

des arcs, théâtres, amphithéâtres et temples jusqu'aux aqueducs et complexes thermaux, furent décrits et représentés. Lorsqu'en 1775 l'abbé de Lubersac dresse la liste des principales antiquités gallo-romaines', il ne lui reste qu'à signaler quelques découvertes ponctuelles: des restes d'amphithéâtre à Narbonne, à Cahors, à Tintiniac, à Néris-les-Bains et à Grand, ceux d'un aqueduc à Cahors et Dôle23. En même temps des savants comme Peiresc ont apporté à l'archéologie une dimension qui dépasse les frontières traditionnelles de son propre pays ou de l'Italie, en s'intéressant aux antiquités d'Afrique, d'Égypte et de Grèce. La connaissance personnelle de la plupart des sites français et italiens, une culture architecturale unique en font une personnalité exceptionnelle. Lié encore à la pensée renaissante, il incarne néanmoins un nouveau type de savant, lecteur de Bacon, aux exigences scientifiques comparables à celles d'un Mersenne ou d'un Descartes 24 . Peiresc est probablement l'esquisse de l'archéologue moderne; il eût pu en être le modèle si l'archéologie n'avait pas été pour lui qu'une passion parmi d'autres. Esprit pénétrant et exigeant, il fut le premier à envisager l'étude des monuments à grande échelle, dans le cadre du pays et hors de ses frontières. Il eut pour principe de réunir sur chacun la documentation la plus complète possible. Il a observé plusieurs fois les antiquités de la Narbonnaise et réalisé lui-même des esquisses. Les relevés qu'il demande aux professionnels viennent compléter sa documentation: les vues doivent être conformes à la réalité et envisagées sous plusieurs angles. La rigueur du juriste, habitué à recouper les témoignages, le conduit à multiplier les sources, comme pour l'arc d'Orange, voire à corriger les documents obtenus pour la restitution des thermes de Fréjus. Les dessins, assez grands pour permettre une bonne lecture des détails, doivent être cotés et avoir fait l'objet de mesures faites in situ, afin que les proportions soient respectées 25 . C'est à ce prix que l'antiquaire, exerçant son jugement, peut analyser, comparer et identifier. Mais Peiresc n'a rien publié; après sa mort, ses manuscrits furent dispersés et certains détruits. Ses études archéologiques, comme du reste la plupart de ses travaux, restèrent inachevées.C'est peut-être la faillite del' érudit aixois d'avoir pu croire quel' on pouvait mener

·IJI•

LA RENAISSANCE

2 6 William Camden est l'auteur d'une description historique et géographique des îles Britanniques (Britannia, Londres, 1586). Selon A. Schnapp (r993, p. 169), c'est lui qui a donné à l' archéologie anglo-saxonne « un cadre de référence (l'histoire régionale), une méthode d'observation (la combinaison des données littéraires avec la description du paysage) et une technique d' exploration (l'étude attentive des sources toponymiques et numismatiques) ». 2 7 Oie Worm est l'auteur d'un traité sur les antiquités danoises, Danicorum monumentorum libri sex (Copenhague, 1643). Il y définit une méthode fondée sur l'analyse du paysage archéologique (ScHNAPP 1993, p. 195-203). 28 Jacob Spon fut avec Ezéchiel Spanheim l'inventeur de la numismatique et l'épigraphie modernes (SCHNAPP 1993,

ET

LES

ANTIQUITÉS

DE

LA

GAULE

de front des recherches dans des domaines aussi différents que l'histoire, l'archéologie, les mathématiques ou l'astronomie. Il ne fut ni Camden pour donner les outils nécessaires à fonder une archéologie nationale26, ni Worm pour définir une méthode archéologique 27.

La naissance de l'archéologie

Les recherches antiquaires ne pouvaient évoluer qu'avec un changement de point de vue. Comme Peiresc, certains savants avaient compris qu'ils devaient se dégager des textes et essayer de déchiffrer les objets et monuments du passé comme les pages originales d'un gigantesque livre d'histoire. Dès 1622 Bergier proposait de définir une typologie des voies de communication. En 1673, Jacob Spon faisait de même pour la numismatique et l'épigraphie. Comme le proposait John Aubrey dans ses Monumenta Britannica (1670) 28 , il fallait parvenir à« ordonner objets et monuments selon un ordre chronologique, identifier les variables qui permettent cette mise en ordre, comparer les types ainsi dégagés les uns p. 220-229). aux autres »29 . Les Français, comme d'ailleurs les Italiens, se sont mon29 ScHNAPP 1993, p. 235. trés plus lents que les Anglais, les Scandinaves ou les Allemands, pressés Louvrage d'Aubrey resta manusd'écrire une histoire locale, pour appliquer ces principes aux fouilles et crit (Oxford, Bodleian Library, ms. Top. Gen. c. 25) mais cirà entamer une vaste enquête3°. Longtemps la chasse au trésor, négation cula et fut lu comme l'un des de toute avancée archéologique, resta de mise. En outre les ruines furent grands traités d'archéologie du xvr1e siècle. souvent détruites au XVIIe siècle, sacrifiées sur l'autel du développement 30 ScHNAPP 1993, p. 166-215. urbain. La France ne sut pas légiférer de façon efficace sur la protection 3 1 En 1662 est créée à Uppsala, en Suède, la première chaire d'ardes Antiquités, ni créer tôt des institutions comme le firent les pays scanchéologie; en 1666, auprès de dinaves31. Aussi, malgré quelques initiatives heureuses, comme celle de cette même université est établi un Collège des antiquités, Sublet de Noyers qui en 1642, peu avant sa disgrâce, confia au peintre financé par le trésor royal. Louis Bertrand la tâche de dessiner les antiquités du midi de la France, 32 I. PANTIN, Les Fréart de ou la mission identique attribuée par Colbert en 1669 à l'architecte Chantelou. Une famille d'amateurs au XVII' siècle entre Le Mans, Mignard, neveu du peintre 32 , Louis XIV ordonnait en 1675 la destrucParis et Rome, Le Mans, C & R tion des magnifiques Piliers de Tutelle à Bordeaux, de l'aveu de Claude éditions, 1999, p. 34> 44; H. LEMONNIER, Procès verbaux de Perrault l'un des plus insignes monuments qui fussent restés en France. l'Académie d'Architecture, I67ILes consuls d'Arles faisaient démolir en 1684 l'arc du Rhône, car il entraI68I, Paris, Schemit, 19II, I, Introduction, p. XLVII-XLVIII. vait la circulation. La situation du Tombeau des deux amants à Lyon à un carrefour sur le chemin de Bourgneufle fit condamner en 1707. Au début du xvme siècle, l'amphithéâtre de Limoges fut enseveli pour faire place à une promenade. La porte Bazée à Reims, fort délabrée, fut rasée en 1752. Cependant, le pouvoir municipal sut prendre quelquefois de belles initiatives. En 1689 la ville de Nîmes subventionna l'aménagement du temple

CONCLUSION

33 Cf P. GROS, « Le "Jardin de la Fontaine; cinquante plus tard, après la découverte du sanctuaire de la Fontaine" de Nîmes. Un de Nemausus, elle autorisait la création d'un vaste parc, «le Jardin de la exemple d'intégration réussie? », Fontaine »33 . Archéologie et projet urbain, Rome, De Luca, 1985, p. 101-103. Fort heureusement Roger de Gaignières parcourait le Royaume 3 4 Antiquités des Gaules (Paris, et faisait dessiner tous les monuments qui lui paraissaient dignes d'inBnF, Estampes, Ve 3). 35 Les recherches sur le britérêt, antiques ou non, et dont sans son intervention nous aurions quetage de Marsal et sur quelperdu toute trace3 4 . C'est à lui que l'on doit l'idée d'un inventaire des ques antiquités de Tarquimpol en Moselle, avaient été publiées Antiquités. Il remit en effet en 1702 au tuteur des Académies, le comte pour la première fois en 1740 de Pontchartrain, un rapport en ce sens. Mais l'ambitieux projet, si fondé (Recherches sur la nature et l'étendue d'un ancien ouvrage des fût-il, n'eut l'heur de séduire ni le Roi ni l'Académie des Inscriptions et Romains, appelé communément Belles-Lettres. Quelques décennies plus tard, Trudaine, nommé en 1743 briquetage de Marsat;. directeur des Ponts et Chaussées, encouragea ses ingénieurs à relever les 3 6 Les cahiers de dessins de Beaumesnil sont aujourd'hui monuments découverts lors des travaux de fortifications (amphithéâtres dispersés (Paris, BnF, Déparde Metz et Besançon). Lingénieur royal Félix-François le Royer d'Artezet tement des estampes et Académie des Inscriptions et Bellesde la Sauvagère, directeur du corps du génie, publiait en 1770 un intéLettres; bibliothèques d'Agen, ressant Recueil d'Antiquitez dans les Gaules, qui traite essentiellement des d'Aix-en-Provence, de Limoges et Poitiers). ruines de Saintes, des enviro~s de Tours (Pile Cinq-Mars) et de Vannes35. 37 D. Devienne apporta aussi Quelques années avant la Révolution, Pierre de Beaumesnil, grâce à l'aide d'utiles compléments (Éclaircissements sur plusieurs antiquités troude Necker et à l'appui de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, vées dans les fondements de l'intenprojetait de publier ses Recherches générales sur les antiquités et monumens dance de la ville de Bordeaux en de la France avec les diverses traditions. Ses superbes relevés des antiquités l'année r756, Bordeaux, 1757). 38 En 1663 une commission de du centre, du sud-ouest et du sud de la France, infiniment plus pittoresquatre membres avait été charques que ceux des ingénieurs, restèrent inédits36. gée de travailler aux inscriptions, devises et médailles, le statut offiDe fait les recherches novatrices datent du siècle des Lumières. ciel d'Académie fut accordé par Les travaux de l'abbé Baurein enrichissent les descriptions de Vinet sur Louis XIV en qor. 39 CAYLUS 1752-1763, « AvertisBordeaux3 7 ; il faut attendre les études de Colonia sur Lyon, de l'Abbé sement», VII-VIII. Courtépée sur la Bourgogne par exemple pour voir progresser réellement les connaissances archéologiques. Ce n'est pas un hasard si c'est à cette même époque que sont publiés les ouvrages fondateurs de Montfaucon ou de Caylus, qui renouvellent la vision des ruines. L'Antiquité expliquée et représentée en figures (1719-1724) du bénédicitn de Saint-Maur est la première tentative globale d'explication, l'illustration constituant un complément indispensable comme le précise le titre. Cette somme en quinze volumes, véritable manuel d'archéologie, rendait compte de toutes les ruines connues, y compris des antiquités nationales. Le comte de Caylus, auteur de nombreux mémoires publiés par l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres3 8 explora d'autres pistes que Montfaucon. Dans son Recueil d'antiquités égyptiennes, étrusques, grecques, romaines et gauloises en sept tomes (1752-1768), il proposait non seulement des relevés graphiques originaux, réalisés pour l'occasion, mais il considérait les monuments antiques comme des outils de savoir. Les monuments n'étaient plus pour lui «le supplément et les preuves de l'histoire »39. Comme l'écrit Alain Schnapp,

. 133.

LA RENAISSANCE

ET

LES

ANTIQUITÉS

DE

LA

GAULE

« en mettant en valeur un double principe d'évolution et de distinction culturelle, Caylus contribue à jeter les bases d'une typologie descriptive qui est au cœur de l'archéologie moderne »40 . Winckelmann, de son côté, bouleversait l'approche de l'art antique en établissant une chronologie stylistique dans son Histoire de l'art de l'Antiquité41 • Curieusement le mouvement néo-classique, qui a valorisé et promu d'autres ruines que celles de Rome et de l'Italie, a complètement ignoré les vestiges nationaux, pourtant nombreux et souvent de très grande qualité. Les pensionnaires de l'Académie de France à Rome qui écumaient l'Italie et la Grèce pour en ramener de splendides relevés, délaissèrent les ruines 243. d'architecture, ou 43 Cours prestigieuses de leur pays. Les quelques voix qui s'élevèrent alors pour Traité de la décoration, distribudéplorer l'attrait irrésistible exercé par les ruines d' outremonts, de la Sicile tion et construction des bâtiments, contenant des leçons données en à l'Asie mineure, s'en prenaient en réalité à l'anticomanie ambiante 42 • r750 et les années suivantes, Paris, Jacques-François Blondel souhaitait que l'on s'intéressât à l'architecture Desaint, II, p. 95, 221, 229; III, p. 54-55; IV, p. 53, II, p. 22i. nationale plutôt qu'aux ruines gréco-latines, non pour entreprendre une 44 Ces tableaux, commandés histoire de l'architecture qui prît en compte les édifices antiques natiopar Louis XVI pour Fontainebleau, furent peints en 1786 et naux mais pour comprendre les œuvres de François Mansart, à ses yeux 1787; ils sont aujourd'hui conser«le Dieu de l'architecture »4 3. Si les architectes parisiens demeurèrent vés au Louvre et portent les titres suivants: « Intérieur du temple dans l'ensemble indifférents, il n'en fut pas de même de certains artistes de Diane à Nîmes », « Le pont à la sensibilité préromantique comme Hubert Robert qui consacra une du Gard », « La Maison Carrée, série de tableaux aux ruines du Sud-Est, le temple de Diane à Nîmes, le les Arènes et la Tour Magne à Nîmes», «Lare de triomphe et Pont du Gard, ou à des fantaisies archéologiques où se trouvent réunis l'amphithéâtre d'Orange». la Maison Carrée, l'amphithéâtre et la Tour Magne à Nîmes, ou l'arc de 45 PINON 1991, p. 84 sq. Glanum et le théâtre d'Orange 44 . Les publications antiquaires classiques se multiplièrent: le Recueil de monuments pour servir à l'histoire générale et particulière de la France d'Aubin-Louis Millin (1790), les Monuments de France classés chronologiquement (18161826), le Recueil de monuments antiques de Grivaud de la Vincelle (1817) 45 • Mérimée publia sa série de notes de voyages. On sait le rôle de ces ouvrages et l'usage qu'en fit Stendhal pour rédiger son Voyage en France (1838), en apparence si vivant, spontané et personnel. La révolution historique et naturaliste du XIXe siècle allait bouleverser les données et voir l'archéologie se constituer en science positive. On est désormais très loin de l'approche des antiquaires des x:vre et xvue siècles qui étaient partis du présent pour établir une histoire ancienne, nécessairement anachronique, à l'aide des textes antiques et des édifices subsistants. Si le panorama dressé ici ne prétend pas à l'exhaustivité - il reste sans doute des documents à découvrir - il permet de dégager l'importance des recherches conduites par ces antiquaires au savoir immense et éclectique, qui ont consacré aux ruines gallo-romaines une grande partie de leur vie, à une époque où il était sans doute plus facile de s'intéresser aux monnaies, médailles ou inscriptions. Même sil' archéologie, en tant que discipline scientifique n'apparaît qu'au XIXe siècle, il était légitime de rendre hommage à ces érudits qui ont su à leur

40 ScHNAPP 1993, p. 297. Sur les contributions de Montfaucon et Caylus, voir SCHNAPP 1993, p. 287-292, 292-297. quatre volumes de 41 Les l'ouvrage furent traduits de l'allemand par Michael Huber (Leipzig, 1781). Sur]. J. Winckelmann, voir Johann Joachim Winckelmann, r777-r768, édition établie par T. W. GAEHTGENS, Hambourg, Meiner, 1986. 42 MoNTCLos 1982, p. 242-

. 134·

CONCLUSION

époque participer au progrès du savoir sans ménager ni leur temps ni leur fortune. Leur contribution méritait d'être mise en lumière et prise en compte par les divers spécialistes. En étudiant !'Antiquité« à corps perdu, massivement et goulûment», selon la belle expression de Verdun-Louis Saulnier46 , avec la volonté de parvenir à une connaissance objective du réel à travers les divers témoignages qui subsistaient, les hommes de la Renaissance et leurs successeurs du xvne siècle ont contribué à jeter les fondements de l'archéologie.

46 « I.:humanisme français aux premiers temps du livre », L'humanisme ftançais au début de la Renaissance, Paris, Vrin, 1973,

p.

IO.

Fig. 1 - F. Platter. Pont du Gard (Bâle, Bibliothèque de l'Université, ms. A À III 3 (n° 1-3), f. 58).

Fig.

2 - T. II Platter. Orange, théâtre (Bâle, Bibliothèque de l'Université, ms. A À V, 7-8, entre les feuillets 156 et 157).

Fig. 3 - T. II Platter. Orange, arc de triomphe, façade septentrionale (Bâle, Bibliothèque de l'Université, ms. A À V, 7-8, entre les feuillets 157 et 158).

Fig. 4 - J. Duviert. Dax et Saint-Paul (Paris, BnF, Estampes, Vx, 23, ff. 294-295).

Fig. 5 - H. van der Hem. Bordeaux, Piliers de Tutelle (Paris, BnF, Estampes, Collection Destailleur, Ve 26n, 33).

Pio- (, - H

v~n rle-r H t>m . Rorrle~ux. amnhithéâtre (Vienne. Bibliothèaue nationale.

Atlas Blaeu. V,. ~Ci.~~.~ di :3 ·Seb.S~no •

nef·ho. "l~n.~ d3 OserrA· ·.

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Fig. 7 - G. Symeoni. Lyon, amphithéâtre (Turin, Regio Archivio di Stato, ms. ].A.X. 16, f. 34v

0

).

Fig. 8 -

Mausolée de Glanum, ordre du podium (cliché auteur).

L ·~· · .

Fig. 9 - A. Palladio. Nîmes, Maison Carrée, mouluration de la porte, détail des rinceaux de la corniche (/ quattro libri... , Venise, 1570, IV, p. 117) .

Fig.

IO -

J. Androuet du Cerceau. Lyon, aqueduc du Gier (G. du Choul, Turin, Biblioteca Reale, ms. Var.

Fig. II - J. Androuet du Cerceau. Entablement dorique (G. du Chou!, Turin, Biblioteca Reale, ms. Var. 212, f. 20v0 ) .

Fig.

212,

12 -

f. 87).

A. Veneziano (d'après Serlio). Entablement dorique.

Fig. 13 - J. Genoux. Arles, arc du Rhône, chapiteau corinthien (Miscellanea Ad historiam Civitatis Arelatis, Aix-en-Provence, Bibliothèque Arbaud, ms. Q. 451, cahier I, n. p.) . .

.

:\

(,

Fig. 14 - F. de Rebatu (d'après J, Genoux). Arles, théâtre, élévation de l'arcade méridionale (Mémoires concernant la ville d'Arles ... , Aix-en-Provence, Bibliothèque Méjanes, ms. 902, p. 322).

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Fig. 15 ......

-A. de Rulman. Nîmes, "temple de Diane" (Paris, BnF, ms. fr. 8648, f. 24).

Fig. 16 - A de Rulman. Béziers, cirque (BnF, ms. fr. 8648, f. 148) .

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Fig. 17 - Nîmes, amphithéâtre (J. Poldo d'Albenas, Discours historiai. .. , Lyon, 1559/r560).

Fig. 18 - N îmes, Maison Carrée, ordre corinthien (J. Poldo d'Albenas, Discours historiai. .. , Lyon, r559/r560) .

Fig. 19 - Nîmes, " temple de Diane ", entablements, chapiteaux du tabernacle et soffites Q. Poldo d'Albenas, Discours historia!.. ., Lyon, l559/r560).

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Fig.

20 - Pont du Gard

Q. Poldo d'Albenas, Discours historia!... , Lyon, 1559/1560).

Figure du pont du Ga:d.

Le prtmkr ejlaige. lf.arcs,chfljèun.!J'.pifs,da,,, Œuurt'J:hafampi!Ltflre aaepejfeur1.f.pi!J.Parqsoy Je Pontpremkr,parou!eaupaffeo11dtpils tn/ongueur +Jt eJ à; ~aulttur .!;.pifs. L'efjaceentre !t premiero~dredes aiuaux f.5 ledmxkfme "de baultmr 7.piés,f5ii.poukes. '' ·. · ·.. · · · . Lefecond e.Jlaige,ou ordre des arceauxcontienr 11.arceAHX. Cbafam aret11uade1argedefvn4fAHtrt51f. pilsf.5yau. piUajmchaamdt IJ.pwdt /fJrgf.La!.ngueurde adeuxiefmtponteftde74t(.p~ls.Lelargedec~deuxefmepont,IÛ.l11mfponâe~uparepetÀ/itultrt,Az1.piétl!iJdCe.Eto~tMhautetn1

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