La prodigieuse histoire du nom des éléments
 9782759823031

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Pierre Avenas avec la collaboration de Minh-Thu Dinh-Audouin

La prodigieuse histoire du

nom éléments des

Du même auteur Ouvrages sur les polymères : • Mise en forme des polymères. Approche thermomécanique de la plasturgie, avec J.-F. Agassant et J.-Ph. Sergent, B. Vergnes et M. Vincent, Lavoisier, 4e éd. 2014 [1re éd. 1982], préface de Pierre-Gilles De Gennes • Polymer processing. Principles and modeling, avec J.-F. Agassant, P.-J. Carreau, B. Vergnes et M. Vincent, Hanser Publishers, 2e éd. 2017 [1re éd. 1991] • “Etymology of main polysaccharide names”, Chap. 2 of The European Polysaccharide Network of Excellence (EPNOE), Research initiatives and results, P. Navard (ed.), Springer, 2012 Ouvrages d’étymologie avec Henriette WALTER chez Robert-Laffont : • L’Étonnante histoire des noms des mammifères. De la musaraigne étrusque à la baleine bleue, 2e éd. 2018 [1re éd. 2003], republié en 2 volumes « Le goût des mots » chez Points : Chihuahua, zébu et Cie, 2007 et Bonobo, gazelle et Cie, 2008 • La Mystérieuse histoire du nom des oiseaux. Du minuscule roitelet à l’albatros géant, 2007 • La Fabuleuse histoire du nom des poissons. Du tout petit poisson-clown au très grand requin blanc, 2011 • La Majestueuse histoire du nom des arbres. Du modeste noisetier au séquoia géant, 2017

Conception et mise en pages : CB Defretin, Lisieux Infographie : Minh-Thu Dinh-Audouin Imprimé en France ISBN (papier) : 978-2-7598-2302-4 – ISBN (ebook) : 978-2-7598-2303-1 Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés, réservés pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article 41, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinés à une utilisation collective », et d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (alinéa 1er de l’article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du code pénal.

© EDP Sciences, 2018

Ce n’est point en resserrant la sphère de la nature et en la renfermant dans un cercle étroit qu’on pourra la connaître ; ce n’est point en la faisant agir par des vues particulières qu’on saura la juger ni qu’on pourra la deviner ; ce n’est point en lui prêtant nos idées qu’on approfondira les desseins de son auteur. Au lieu de resserrer les limites de sa puissance, il faudra les reculer, les étendre jusque dans l’immensité ; il ne faut rien voir d’impossible, s’attendre à tout, et supposer que tout ce qui peut être, est. Buffon, Histoire naturelle

III

Chapitre : Préface

Préface LA PRODIGIEUSE HISTOIRE DU NOM DES ÉLÉMENTS L’UNESCO a décrété l’année 2019 « année internationale du tableau périodique des éléments chimiques ». Il y a en effet maintenant 150 ans que Mendeleïev a publié son célèbre tableau périodique qui rassemblait les 63 éléments chimiques connus à cette époque. Ils sont aujourd’hui 118 qui ont tous trouvé une place dans les cases laissées vides par Mendeleïev ! Il était donc utile d’établir un bilan et de rappeler l’histoire de ce tableau et l’origine du nom des éléments qui le composent. C’est ce qu’a réalisé Pierre Avenas, bien connu pour les rubriques étymologiques qu’il publie dans L’Actualité Chimique, revue de la Société Chimique de France. A priori, on aurait pu craindre une simple énumération des éléments classés par ordre alphabétique ou par date de leur découverte. Mais en fait l’auteur, en s’appuyant sur l’origine étymologique des noms, nous emmène dans une véritable odyssée de la matière minérale, vivante et même pensante. Il nous montre comment, derrière la simple dénomination des éléments, se cache en fait toute l’histoire de l’humanité, depuis les quatre éléments d’Empédocle jusqu’aux éléments radioactifs découverts récemment. D’ailleurs, le terme d’élément ne correspond pas seulement aux atomes du tableau périodique. Il s’applique tout autant aux objets qui composent un ensemble ou aux protéines, éléments du monde vivant. Les critères qui ont conduit à la dénomination des éléments chimiques sont très divers. Ils dépassent le plus souvent le simple domaine de la chimie pour s’inspirer d’autres disciplines, scientifiques ou culturelles. Le tableau périodique des éléments révèle le génie de Mendeleïev. C’est sans doute l’une des plus belles manifestations de l’esprit humain. À l’époque, on ne connaissait qu’une soixantaine d’éléments, caractérisés IV

La prodigieuse histoire du nom des éléments

par leur masse et leurs propriétés. On ignorait tout de la structure de l’atome avec son noyau et ses couches électroniques. Comment, à partir de si peu d’informations, pouvait-on dresser un tableau et surtout laisser des cases vides pour des éléments qui ne seront découverts que bien plus tard ? L’ouvrage commence tout naturellement par les quatre éléments d’Empédocle, le feu, l’air, l’eau et la terre, qui ont dominé la description de la matière jusqu’au 18e siècle. Il rappelle le rôle fondamental des métaux dans l’histoire de l’humanité, depuis l’âge du bronze jusqu’à l’âge du fer ! Le livre nous emmène ensuite vers d’autres horizons, tels que la mythologie, l’histoire ou la géographie. Il nous montre quels sont les hommes, les croyances ou les circonstances qui ont inspiré le nom de chaque élément. On parcourt ainsi toute l’histoire de l’humanité, depuis les pigments des peintures pariétales jusqu’aux éléments radiocatifs découverts tout récemment. Ces éléments, qui constituent en fait toute la matière, vivante et inanimée de l’Univers, jouent un rôle fondamental dans notre histoire. Bien au-delà de la simple chimie, Pierre Avenas nous ouvre un vaste horizon dans lequel sciences, histoire et humanités sont étroitement imbriquées. Jacques Livage Professeur au Collège de France Membre de l’Académie des Sciences

V

Chapitre : Avant-propos

Avant-propos LA PRODIGIEUSE HISTOIRE DU NOM DES ÉLÉMENTS L’année 2019 a été proclamée par l’UNESCO « Année internationale du tableau périodique des éléments chimiques ». Formulé en termes scientifiques, ce thème est plus familier qu’il n’y paraît, car nous employons tous les jours des noms d’éléments chimiques, comme celui de l’oxygène que l’on respire ou de l’hélium qui sert à gonfler les ballons. L’or et de l’argent sont aussi des éléments chimiques, comme le cuivre ou le fer et les innombrables autres métaux. Certains éléments sont réputés bénéfiques pour la santé, comme le phosphore pour le cerveau, le fluor pour les dents, le soufre pour les cheveux… et d’autres sont connus sous le nom d’oligoéléments, tels l’iode ou le sélénium. Et tout le monde sait que le sel de table est du chlorure de sodium, où se combinent deux éléments, le chlore et le sodium. Citons enfin le domaine de l’énergie où il est constamment question du carbone, mais aussi du silicium photovoltaïque et de l’uranium des centrales nucléaires. On voit que bon nombre d’éléments chimiques sont loin de nous être étrangers. On en a identifié aujourd’hui 118, dont 90 sont naturels sur la Terre où ils constituent la totalité de la matière, du règne minéral ou du règne vivant. Les éléments se combinent en effet dans les innombrables substances qui nous entourent, et dont beaucoup font partie de la vie quotidienne.

z Une démarche qui part de l’étymologie… Le présent ouvrage reprend la série d’articles, dits « clins d’œil étymologiques », publiés depuis 2012 dans l’Actualité Chimique, une revue de la Société Chimique de France1 (SCF). L’idée de base est d’y présenter 1. www.societechimiquedefrance.fr VI

La prodigieuse histoire du nom des éléments

l’origine étymologique des noms des substances, qu’il s’agisse d’éléments chimiques ou de composés tels l’amidon, le laiton ou le plexiglas. Mais ce n’est pas tout, l’objectif de l’ouvrage va bien au-delà.

z … et qui mène vers des mondes parfois insoupçonnés En effet, l’étymologie en dit long, souvent, sur la découverte de la substance évoquée, sur les chercheurs impliqués dans cette découverte, et même sur l’état de la science à ce moment-là. Toute une histoire qui a vite fait de nous mener vers d’autres domaines scientifiques ou culturels : botanique et zoologie, astronomie, histoire et mythologie, médecine et biologie, technique et industrie… Des noms qui font voyager, ne serait-ce que parce qu’ils sont donnés en français et, au minimum, en espagnol, anglais et allemand. Tant les titres des chapitres que les illustrations laissent libre cours à l’imagination. Mais le but de l’ouvrage est aussi de rendre plus familier le tableau périodique mis en relief dans le thème de l’année 2019.

z De la liste des éléments au tableau périodique En 1789, Lavoisier établissait le concept d’élément chimique et son Traité élémentaire de chimie donnait la liste de 23 éléments connus à cette date. Par la suite, on a découvert d’autres éléments, classés par leurs masses du plus léger, l’hydrogène, au plus lourd, l’uranium. Et en tenant compte de leurs propriétés, on les a rangés dans un tableau à plusieurs colonnes. Et c’est un polytechnicien et ingénieur des Mines, Alexandre de Chancourtois (1820-1886), qui fut le premier à introduire une périodicité dans ce classement, en 1862, sous la forme originale d’une hélice tracée sur un cylindre, la vis tellurique toujours visible à l’École des Mines de Paris. Puis, dans les quelques années suivantes, d’autres chercheurs, indépendamment les uns des autres, ont présenté cette périodicité dans un tableau à double entrée. Ce fut notamment le cas en Allemagne de Lothar Meyer et en Russie de Dimitri Mendeleïev, qui, le premier, a fait de ce tableau un outil prédictif. VII

Avant-propos

z Le tableau de Mendeleïev, périodique certes et surtout prédictif Mendeleïev (1834-1907), professeur de chimie à Saint-Pétersbourg, a marqué l’histoire de la chimie par sa publication de 18692, non pas tant par le concept de périodicité des éléments, déjà bien compris par d’autres, mais surtout en prédisant la découverte ultérieure d’éléments manquants à des emplacements restés vides dans son tableau des 63 éléments alors connus. Il prédisait en outre certaines propriétés de ces futurs éléments, dont trois ont été effectivement découverts de son vivant, ce qui a fait sensation. On trouvera ces trois éléments historiques dans La prodigieuse histoire du nom des éléments, et bien d’autres références au tableau périodique, dont on pourra suivre la construction tout au long de l’ouvrage. Mais pour les savants de l’Antiquité, les éléments étaient le feu, l’air, l’eau et la terre, un point de départ par lequel nous allons commencer, au chapitre 1.

2. E. Scerri, Le tableau périodique, Son histoire et sa signification, EDP Sciences, Paris, 2011, 349 p., p. 64 (1re éd. The periodic Table, its story and its significance, Oxford, 2006). VIII

Aide à la lecture z Conventions typographiques : en italique «   » < > [ ] *(devant un mot)

le mot lui-même le sens du mot forme graphique prononciation forme reconstruite, non attestée par écrit

Sauf quelques exceptions, les mots grecs sont translittérés, selon les normes usuelles : Įĺ a ȕĺ b Șĺ ê șĺ th ijĺ ph ȥĺ ps Ȧĺ ô Ȥĺ kh (devient prononcé [k], en latin et en français) ȣĺ u (devient en latin et en français) Exemple : grec ‫݋‬IJȣμȠȜȠȖȚĮĺ etumologia > latin etymologia > français étymologie Les mots écrits dans des alphabets spécifiques (cyrillique, arabe…) sont translittérés également.

z Quelques mots-clés – indo-européen : renvoie à une langue reconstruite, dont on pense qu’elle était parlée 5 000 ans avant notre ère dans une région proche de la mer Noire, et d’où proviennent les langues de la famille dite indo-européenne, comportant principalement le sanskrit, des langues d’Asie (persan, hindi…), et la plupart des langues d’Europe : le grec, le latin et les langues romanes dont elles sont issues (italien, espagnol, français…), les langues slaves (russe…), germaniques (anglais, allemand…), celtiques (breton…)… – atome : du grec atomos, « indivisible », qualifiant déjà une particule indivisible chez Aristote. C’est vers 1900 qu’a été comprise la structure de l’atome  : un noyau positif entouré d’électrons négatifs. Depuis lors, et c’est le cas dans le présent ouvrage, on parle tantôt d’éléments chimiques, tantôt d’atomes. IX

Aide à la lecture

– ion : un atome qui a soit capté un ou des électrons (c’est un anion, négatif), soit en a perdu un ou plusieurs (c’est un cation, positif). Créé par le physicien anglais Faraday en 1834, ce nom vient du grec ion, participe présent du verbe « aller », donc « allant, qui va », soit vers l’anode (le +), soit vers la cathode (le -). – isotope : du grec iso, « le même » et topos, « lieu », créé en 1913 par le physicien américain Soddy pour désigner des atomes d’une même case du tableau périodique, ayant donc le même numéro atomique (même nombre d’électrons), mais des masses différentes. Exemple : pour le carbone (numéro atomique 6) on connaît le carbone 14, qui est un isotope radioactif alors que l’isotope le plus courant, le carbone 12, ne l’est pas. z L’IUPAC (International Union of Pure and Applied

Chemistry) L’Union Internationale de Chimie Pure et Appliquée est une organisation non gouvernementale ayant son siège à Zurich. Créée en 1919, elle s’intéresse aux progrès en chimie, chimie physique, biochimie, etc. Elle a pour membres des sociétés nationales de chimie. C’est l’IUPAC qui valide la nomenclature chimique, dont les noms des éléments chimiques (ou des atomes), leurs symboles chimiques, leurs isotopes, etc. Exemple : l’IUPAC a validé récemment le nom du dernier élément identifié à ce jour, l’oganesson (Og), numéro atomique 118.

X

Les explorateurs d’éléments

Sommaire 1 Le feu, l’air, l’eau, la terre… et le 5e élément ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

1

Où l’on voit comment Lavoisier a fait émerger la chimie moderne

2 Au bonheur des artistes et des artisans . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

21

Où l’on se rappelle que les Anciens connaissaient 7 métaux

3 Dieux, mythes et légendes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

49

Où l’on se plonge dans la mythologie et l’astronomie

4 Voyages avec les mots. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

85

Où l’on trouve des noms de villes, de pays, et même de continents

5 Les goûts, les couleurs et les odeurs des noms . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

109

Où l’on perçoit le mot dans tous les sens du terme

6 Les explorateurs d’éléments . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

129

Où l’on voit comment ils ont baptisé leurs découvertes

7 Dans l’intimité des plantes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

165

Où la botanique est source d’inspiration

8 Histoires animalières . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

197

Où se rencontrent la zoologie et la chimie

9 Des produits du quotidien nous racontent . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

217

Où l’on découvre l’histoire des noms de produits usuels

Épilogue des épilogues . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

245

Table des matières . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

248

Références . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

252

Index . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

254

XI

CHAPITRE

Le feu, l’air, l’eau, la terre… et le 5e élément ?

1

Où l’on voit comment Lavoisier a fait émerger la chimie moderne 1 Terre, précieuse mine de diamant !. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4 2 L’air et l’eau, éléments de la vie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8 3 Une quête qui mène au feu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12 4 Le 5e élément… vers la quintessence ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16

Chapitre 1 : Le feu, l’air, l’eau, la terre… et le 5eÆOÆPHQW}"

LES ÉLÉMENTS DES ANCIENS ET DES ALCHIMISTES Les philosophes grecs de l’Antiquité ont d’abord pensé qu’un seul élément était à l’origine de tout, le feu pour les uns, ou l’eau pour d’autres, jusqu’à ce qu’Empédocle, au VeVLÅFOHDYDQW-&DIƂUPHOpH[LVWHQFHGHTXDWUH ÆOÆPHQWVSULPLWLIV}OHfeu, l’air, l’eau et la terre, non pas la Terre au sens de la planète, ni la terreVXUODTXHOOHSRXVVHQWOHVYÆJÆWDX[PDLVODterre au sens de l’ensemble des matières solides, considérées comme formant un seul élément. La description d’Empédocle, né dans la ville grecque d’Agrigente en Sicile, ÆWDLWSRÆWLTXHHWP\WKRORJLTXH}DLQVLOHfeu OXPLQHX[ÆWDLWFHOXLGH=HXVHW l’eau provenait des pleurs de Nestis, une divinité sicilienne. Ensuite Platon (vers 427-347 avant J.-C.), né à Athènes, adoptait une conception plus mathématique. Il supposait que les quatre éléments étaient formés de très petites particules, invisibles, ayant la forme de polyèdres réguliers, WHOVTXpÆWXGLÆVDXSDUDYDQWSDUOHV3\WKDJRULFLHQV}

/H FXEH KH[DÅGUH  D OpDSSDUHQFH OD SOXV VWDEOH GH OD terre, alors que le WÆWUDÅGUHSDUDËWSOXVPRELOHHWSOXVˆ}FRXSDQW}˜DJUHVVLIFRPPHOHfeu. L’octaèdre représente l’air et l’icosaèdre roule facilement, comme l’eau qui coule. 2ULOH[LVWHXQFLQTXLÅPHSRO\ÅGUHUÆJXOLHUFRQYH[Hle dodéFDÅGUHHWVHORQ3ODWRQ}ˆ}le Dieu s’en est servi pour le Tout, TXDQGLODGHVVLQÆOpDUUDQJHPHQWƂQDO}˜1. 



&HGRGÆFDÅGUHSUÆƂJXUDLWODQRWLRQGHeÆOÆPHQWH[SOLFLWÆH ensuite par Aristote.

1. Platon, Timée Critias, Timée 55 c, Les Belles Lettres, Paris, 2011, texte Albert Rivaud. 2

La prodigieuse histoire du nom des éléments

r Ai

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CHAUD

HUMIDE Ea u

SEC e rr Te

Aristote (384-322 avant J.-C.), né à Stagire en Macédoine, privilégie quant à lui les sensations que procurent les éléments, leurs qualités premières que sont le chaud et le froid d’une part, l’humide et le sec d’autre part. Selon lui, les quatre éléments découlent de ces qualités fondaPHQWDOHVDVVRFLÆHVGHX[½GHX[

FROID

0DLVQp\DYDLWLOTXHTXDWUHÆOÆPHQWVGDQVOp8QLYHUV}" /HFLQTXLÅPHÆOÆPHQW}l’éther Dans la mythologie grecque, Æther (grec Aithêr HVWOpXQGHVGLHX[SULPRUGLDX[ DVVRFLÆV½ODFUÆDWLRQGXPRQGH,OSHUVRQQLƂHODSDUWLHODSOXVOXPLQHXVHOD plus pure et la plus élevée de l’atmosphère, nommée en grec aithêr, nom qui se relie au grec aitheinˆ}EUØOHUÇWUHOXPLQHX[}˜HWGpRÖYLHQWéther en français. Pour Aristote2, le cinquième élément est cet éther, dans lequel baignent les ÆWRLOHVGXƂUPDPHQWHQURWDWLRQDXWRXUGHOD7HUUH Les alchimistes, continuateurs des Anciens Le principe des quatre éléments est resté en vigueur pendant tout le Moyen Âge et jusqu’au début du XVIIIe siècle. Quant au concept du cinquième élément, LO D LQVSLUÆ DX[ DOFKLPLVWHV OH WHUPH GH quinte essence, du latin quintus, ˆ}FLQTXLÅPH}˜HWessentiaˆ}QDWXUHGHVFKRVHV}˜SRXUGÆVLJQHUOHVWDGHXOWLPH GHWRXWHGLVWLOODWLRQGpRÖODQRWLRQSOXVJÆQÆUDOHDXMRXUGpKXLGHquintessence. Dans la 2de édition (1778) du Dictionnaire de chimie de Macquer, un collaborateur de Lavoisier, le mot éther a déjà son sens moderne de liquide très YRODWLOPDLVRQWURXYHHQFRUHOHVTXDWUHÆOÆPHQWV}OHfeu, l’air et l’eau, non décomposables, et la terre, dont l’émanation la plus pure est le quartz, à la place du diamant donné dans la 1re édition (1766). La théorie révolutionnaire de Lavoisier Or en 1789, dans son Traité élémentaire de chimie, Lavoisier publiait le premier tableau des éléments chimiques au sens moderne du terme, dont l’hydrogène et OpR[\JÅQHLVVXVGHODGÆFRPSRVLWLRQGHOpHDXOpD]RWHLVVXGHODGÆFRPSR sition de l’air, le carbone reconnu comme l’unique constituant du diamant… FHTXLUXLQDLWGÆƂQLWLYHPHQWOpDQFLHQQHWKÆRULHGHVTXDWUHÆOÆPHQWV 

En une décennie, était franchi un pas de géant, comme nous allons le voir. 2. Aristote, Du Ciel, Livre I, 270 b, Les Belles Lettres, Paris, 2003, texte Paul Moraux. 3

Chapitre 1 : Le feu, l’air, l’eau, la terre… et le 5eÆOÆPHQW}"

1

Terre, précieuse mine de diamant ! Le carbone (C), le charbon, le diamant, le graphite, le graphène et le fullérène Le diamant n’est constitué que d’atomes de carbone, qui forment des cubes empilés les uns sur les autres, un peu comme Platon imaginait la structure de l’élément terre !

Le diamant, un produit chimique ? Pourquoi pas. En 1766, à l’article terre de la 1re édition de son Dictionnaire de chimie, le chimiste français Macquer écrivait du diamant : « c’est la matière même de cette pierre que nous regardons comme la terre la plus simple, la plus pure & la plus élémentaire que nous connaissions ».

➜ 'LDPDQWÆPDQDWLRQGpXQ}ÆOÆPHQWSXU}"

Ce texte était prophétique car le diamant est bien l’émanation d’un élément pur, certes pas de la terre, au sens ancien du terme élément, mais du carbone, un élément chimique au sens moderne du terme.

z Les diamants sont éternels, seulement au cinéma Toute matière très dure, y compris métallique, puis plus spécialement le diamant chez Théophraste, se nommait en grec adamas, adamantos, formé du a- privatif et du verbe damnêmi, «  dompter  ». Le diamant, aux propriétés exceptionnelles, était donc qualifié d’«  indomptable  » en grec, ce que le latin a repris sous la forme adamas, devenant en bas latin diamas, diamantis, d’où en français diamant, en italien et espagnol diamante, en anglais diamond et en allemand Diamant. Le a- privatif est tombé dans cette évolution, même en grec moderne, diamanti, comme si le diamant n’était plus « indomptable ». Une évolution prémonitoire. 4

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z Du diamant au charbon, lumière sur le carbone En 1773, Lavoisier, aidé notamment de Macquer, montrait en effet que, loin d’être éternel, le diamant porté à haute température brûlait en donnant le même gaz de combustion que le charbon. De là, il identifiait l’élément qu’il nommait « substance charbonneuse » en 1781, et que Guyton de Morveau baptisait carbone en 1787. Et le diamant est donc un cristal de carbone. Le mot carbone a été formé sur le latin carbo, carbonis, déjà à l’origine de charbon. En effet, le latin carbo, sans doute lié au verbe cremare, « brûler, cramer », a d’abord désigné le charbon de bois, puis surtout le charbon de terre. En français, charbon et carbone sont donc des doublets étymologiques, qui existent aussi dans les autres langues romanes, mais pas dans les langues germaniques : coal en anglais et Kohle en allemand ont une même origine, non pas latine mais germanique. français

italien

espagnol

anglais

allemand

charbon

carbone (m.)

carbón

coal

Kohle (f.)

carbone

carbonio

carbono

carbon

Kohlenstoff (m.)

L’allemand est un peu à part, avec Kohlenstoff qui traduit la « substance charbonneuse » de Lavoisier. Le CO2 par exemple se dit Kohlenstoffdioxid, mais aussi et même plutôt Kohlendioxid. Et le radical Carbon-/ Karbon-, s’emploie aussi, notamment, pour Carbonat, Carbonyl…

z La mine de plomb, l’écriture et le graphite Le charbon de bois est utilisé comme crayon noir depuis l’origine des temps, déjà sur des peintures rupestres, ce qui permet de les dater au carbone 14. Aujourd’hui encore, il sert à dessiner : c’est le fusain en français, nommé carboncino en italien par exemple. Dans l’Antiquité, on écrivait aussi avec une pointe métallique à base de plomb, ou encore par la suite avec une pierre nommée plombagine à cause de sa ressemblance avec du minerai de plomb (plumbago en latin). On appelait aussi cette pierre mine de plomb, où mine signifiait « minerai ». Mais le chimiste suédois Scheele a montré, à la fin du XVIIIe siècle, que cette plombagine, ou mine de plomb, n’avait rien à 5

Chapitre 1 : Le feu, l’air, l’eau, la terre… et le 5eÆOÆPHQW}"

voir avec le plomb, et que c’était en fait une forme particulière du carbone, encore meilleure que le charbon de bois pour l’écriture. Le minéralogiste allemand Werner lui donnera en 1790 un nom plus satisfaisant, graphite, du grec graphein, « écrire ». Toutefois, on emploie encore parfois en français l’expression crayon à mine de plomb, d’où le nom usuel de la mine d’un crayon en général. En allemand, le nom traditionnel du crayon noir est Bleistift, de Blei, « plomb », et Stift, « pointe, crayon », et en anglais, c’est même la mine d’un crayon en général qui se dit communément lead, c’est-à-dire « plomb ».

z Les petits derniers : les fullerènes… et le graphène Coup de théâtre en 1985  : on découvre une toute nouvelle forme du carbone, dont l’archétype est le C60, un ensemble sphérique de 60  atomes de carbone formant 20 hexagones et 12 pentagones, tel un microscopique ballon de ➜ )XOOHUÅQHVRXˆ}IRRWEDOOÅQHV}˜SRXUOH&60. football. Platon aurait sûrement aimé connaître cette étonnante molécule, lui qui imaginait des particules élémentaires en forme de polyèdres, même si les siens étaient réguliers, donc composés d’une seule sorte de polygones, alors que le C60 est un polyèdre semi-régulier, dit archimédien, car composé de deux sortes de polygones. Cette structure rappelait aussi les dômes géodésiques (c’est-à-dire reproduisant la forme de la Terre) de l’architecte américain Richard Buckminster Fuller (1895-1983), dit Fuller. De là, le nom fullerène a été donné en 1992 aux C60 et autres molécules apparentées, y compris les nanotubes découverts un peu auparavant. Dernier rebondissement en 2004  : on parvient à isoler en tant que nouvelle espèce chimique, nommée graphène, le feuillet de carbone plan constitutif du graphite.

6

7HUUHSUÆFLHXVHPLQHGHGLDPDQW}

z Épilogue : une mine de découvertes autour du carbone ! Entre le diamant jadis assimilé à l’élément terre et le dôme de Fuller imitant la Terre, le carbone est à la base de la vie sur Terre, et il prend des formes aussi variées que le diamant, le graphite, la fibre de carbone, le noir de carbone, les fullerènes et le graphène. Une diversité stupéfiante, si l’on ose dire en pensant à la chanson des Beatles Lucy in the Sky with Diamonds, où l’on peut lire LSD (Lysergsäurediethylamid), et dont les archéologues se sont inspirés1 pour nommer Lucy la célèbre australopithèque découverte en 1974 en Éthiopie…

➜ /HGÑPHJÆRGÆVLTXH½OpH[SRVLWLRQXQLYHUVHOOHGH0RQWUÆDO

Wikipédia, licence CC-BY-SA-3.0, Eberhard von Nellenburg.

3. Coppens, Yves, Le genou de Lucy, Poche Odile Jacob, Paris, 2000, 221 p., p. 155. 7

Chapitre 1 : Le feu, l’air, l’eau, la terre… et le 5eÆOÆPHQW}"

2

L’air et l’eau, éléments de la vie L’hydrogène (H), l’oxygène (O)… et l’azote (N)

Trois chimistes anglais, Cavendish, Priestley et D. Rutherford ont été les premiers à isoler respectivement l’hydrogène, l’oxygène et l’azote, mais c’est Lavoisier qui a mis en évidence les relations de ces gaz avec l’eau et l’air. Il a montré ainsi que deux éléments vitaux parmi les quatre de l’Antiquité, l’eau et l’air, se composent de trois éléments chimiques essentiels dans la construction du vivant : H, O et N.

z L’hydrogène génère l’eau, et l’oxygène l’acide… Dans leur Méthode de Nomenclature Chimique (1787), MM. de Morveau, Lavoisier, Bertholet et de Fourcroy désignent « le seul [élément] qui produise de l’eau par sa combinaison avec l’oxigène » sous le nom « Hidrogène, c’est-à-dire engendrant l’eau ». Lavoisier écrit dès 1789, du grec hudro-, « relatif à l’eau », de hudôr, « eau ». Dès lors, en français, l’élément hydro- renvoie tantôt à l’eau, comme dans hydroélectricité, tantôt à l’hydrogène, comme dans hydrocarbure. Dans la même publication, les auteurs adoptent « l’expression d’oxigène, en la tirant, comme M. Lavoisier l’a dès longtemps proposé, du grec oxus acide & geinomai j’engendre, à cause [du] grand nombre des substances avec lesquelles il s’unit à l’état d’acide. » Ce nom, écrit dès 1789, s’applique logiquement à un élément présent dans de nombreux acides, comme HNO3, H2SO4, H2CO3… Cependant, les auteurs sont allés ➜ 'LVSRVLWLIGH/DYRLVLHUSRXUVHVH[SÆULHQFHV servant à démontrer et caractériser trop loin en ajoutant que cet élément OHˆ}UDGLFDOFRQVWLWXWLI}˜GHOpHDX paraissait « être un principe nécessaire à qu’il baptise hydrogène. Traité élémentaire de chimie, 1789. l’acidité », puisqu’on a trouvé aussi des 8

L’air et l’eau, éléments de la vie

acides comme H2S ou ceux formés avec les halogènes (HF, HCl…), qui ne comportent pas d’oxygène. Et ce dernier point a soulevé la critique.

z … et pourquoi pas l’inverse ? Dès 1787, un certain de La Métherie, philosophe et minéralogiste, critiquait en effet la Nomenclature en observant que l’acidité n’était pas liée à la présence d’oxygène. En outre, il notait que l’eau comportait près de 90 % d’oxygène, en masse, soit beaucoup plus que d’hydrogène. De là à inverser les noms hydrogène et oxygène, il n’y avait qu’un pas… que toutefois personne n’a osé franchir. À ce petit jeu-là, tout en restant en relation avec l’eau, on pourrait aussi songer à inverser les noms aquarium et piscine, qui vient de piscis, « poisson » en latin, où piscina désignait un vivier de poissons. Il serait plus logique de se rendre à l’aquarium et de mettre ses poissons rouges dans une piscine. Mais reprenons notre propos...

z Encore deux écoles, pour nommer l’azote Toujours dans la Nomenclature de 1787, les auteurs déclarent à propos de l’azote : « il lui fallait un nom particulier, & en le cherchant nous avons également tâché d’éviter & l’inconvénient de former un de ces mots tout à fait insignifiants qui ne se relient à aucune idée connue […], & l’inconvénient peut-être encore plus grand d’affirmer prématurément ce qui n’est encore qu’apperçu » (sic). Forts de ce dernier argument, ils réfutent le nom alkaligène, considérant que la présence de l’azote était prouvée dans l’alcali volatil (l’ammoniac), mais pas dans les autres alcalis. Ils préfèrent tenir compte de la propriété « de ne pas entretenir la vie des animaux, d’être réellement non-vital », d’où le nom azote, du a privatif et du grec zôtikos, « vital », de zôê, « vie ». Malgré le soin avec lequel il a été choisi, le nom azote n’a pas entraîné l’adhésion de toute la communauté scientifique, même pas en France puisque, dès 1790, Chaptal lui préférait le nom nitrogène, en reprenant l’idée d’alcaligène, mieux ciblée sur l’acide nitrique. Et cette fois, le monde anglo-saxon a suivi ce nom dissident, d’où l’anglais nitrogen, « azote », attesté dès 1794. Le tableau ci-après montre qu’en italien, 9

Chapitre 1 : Le feu, l’air, l’eau, la terre… et le 5eÆOÆPHQW}"

on suit le français, mais qu’en espagnol, on suit l’anglais, alors qu’en allemand, les noms sont, en apparence, très différents. français

italien

espagnol

anglais

allemand

symbole

hydrogène

idrogeno

hidrógeno

hydrogen

Wasserstoff

H

oxygène

ossigeno

oxígeno

oxygen

Sauerstoff

O

azote

azoto

nitrógeno

nitrogen

Stickstoff

N

En fait, la langue allemande affectionne les noms composés de nature expressive, et cela se voit bien ici : Wasserstoff, de Wasser, « eau », et Stoff, « substance », a le même sens étymologique qu’hydrogène, et de même, Sauerstoff, de sauer, « acide », est pratiquement un calque d’oxygène. Quant à Stickstoff, de ersticken, « étouffer », c’est un nom inspiré du français azote, et pas du tout de l’anglais nitrogen. Enfin, si les noms des éléments H, O et N sont assez divers, ceux de leurs composés sont plus homogènes, et en général inspirés de l’anglais : français

italien

espagnol

anglais

allemand

ion

hydrure

idruro

hidruro

hydride

Hydrid

H-

oxyde

ossido

óxido

oxyde

Oxid

O2-

nitrure

nitruro

nitruro

nitride

Nitrid

N3-

azoture

azoturo

azida

azide

Azid

N3-

Par exemple en français, nitrure a éliminé azoture, qu’employait Lavoisier (mais plus tard, on a repris ce nom azoture pour désigner un sel de l’acide azothydrique, HN3, sel nommé azide en anglais).

z Épilogue : retour aux sources Cette rubrique illustre la part d’arbitraire qui subsiste dans toute appellation. Concernant l’hydrogène, on a vu que certains l’auraient volontiers nommé oxygène. Remarquons toutefois que le lien entre l’hydrogène et l’eau est double : si l’hydrogène engendre l’eau, on peut aussi extraire l’hydrogène de l’eau, par électrolyse notamment. L’oxygène aussi ? Certes mais l’oxygène est déjà disponible dans l’air, et on ne manque pas d’air. En fait, on peut 10

L’air et l’eau, éléments de la vie

voir l’eau comme un minerai (inépuisable d’ailleurs) d’hydrogène, ce que l’élément hydro-, « eau », rappelle opportunément. D’ailleurs, en français, le sens du suffixe -gène est tantôt actif comme dans fumigène « qui génère la fumée », tantôt passif comme dans exogène « qui est généré par l’extérieur ». Le mot hydrogène peut donc se comprendre dans les deux sens. En conclusion de ces deux premières rubriques, on est passé, grâce à Lavoisier, de trois des quatre éléments de l’Antiquité, air, eau, terre, aux quatre atomes les plus importants du règne vivant, le carbone, l’oxygène, l’hydrogène et l’azote. Ce dernier élément doit son nom en français au fait qu’il « n’entretient pas la vie », mais cela ne l’empêche pas de participer à la construction du vivant !

1

➜ Une

bulle d’air sous pression, lâchée au fond de l’eau à 50 cm de profondeur, remonte sous IRUPHGpXQDQQHDXMXVTXp½ODVXUIDFHRÖLOGLVSDUDËW4.

4. Honvault, Jacques, ConSciences, Voyage aux frontières de l’entendement, Les Cavaliers de l’Orage, Paris, 2013, 188 p., p. 180. 11

Chapitre 1 : Le feu, l’air, l’eau, la terre… et le 5eÆOÆPHQW}"

3

Une quête qui mène au feu Le phosphore (P) et le phosgène

Le nom de cet élément remonte visiblement au grec phôsphoros, de phôs, phôtos, « lumière », et pherein, « porter » ; cette étymologie reflète une double histoire, celle des mots et celle de la découverte, haute en couleur, du phosphore.

z Du grec phôsphoros au français phosphore En grec, l’adjectif phôsphoros signifiait «  qui porte la lumière  » et s’appliquait donc, au sens propre, à une torche qui éclaire. Puis en grec tardif, Phôsphoros désignait la planète Aphrodite (devenue Vénus, l’étoile du berger) tôt le matin, quand cette étoile est la plus brillante du ciel et qu’elle apporte en quelque sorte la lumière du jour. En latin, son nom était Phosphorus, ou Lucifer, de lux, lucis, « lumière », et ferre, « porter », alors que le soir, on l’appelait Hesperus, du grec Hesperos, de hespera, « soir ».

➜ Phôsphoros

désignait la planète Vénus, l’étoile du berger, apparaissant le matin. 12

Une quête qui mène au feu

Plus tard, les alchimistes ont donné le nom phosphorus aux substances luminescentes qu’ils rencontraient. L’une des premières découvertes, à Bologne en 1602, fut la luminescence du sulfure de baryum calciné, nommé phosphore de Bologne. Par la suite, le nitrate et le sulfure de calcium ont aussi été qualifiés de phosphores. Le grec phôsphoros a donc abouti en français à phosphore pour désigner au XVIIe siècle toute substance luminescente, et c’est dans ce contexte qu’est intervenue en 1669 la découverte extraordinaire, sinon rocambolesque, d’un alchimiste de Hambourg.

z Comment en cherchant l’or, on découvrit le phosphore Comme la plupart des alchimistes, Henning Brandt était obsédé par l’idée de fabriquer de l’or, et il était persuadé que le corps humain en contenait. Le nom de l’or en allemand, Gold, signifie « métal jaune », comme si ce métal s’identifiait à sa couleur, et de là à penser qu’une substance jaune devait contenir de l’or, il n’y avait qu’un pas. On le pensait ainsi de l’urine, et c’est sous l’influence de aurum, « or », que le latin urina, « urine », est devenu en bas latin *aurina, puis orine en français du XIIe siècle, redevenu urine en français au XIVe siècle (mais resté orina en italien et en espagnol). Et donc Brandt s’est mis en tête d’obtenir de l’or, ou au moins la Pierre Philosophale capable de transmuter le plomb en or… à partir de l’urine ! L’expérience cruciale eut lieu en 1669 : la distillation de l’urine poussée à l’extrême, suivie d’une calcination du résidu, a donné une substance blanche et cireuse, qui, loin d’être de l’or, avait la propriété inattendue de s’enflammer violemment à l’air et de luire dans l’obscurité.

z 2019, le 350e anniversaire de la découverte du phosphore Cette substance nouvelle était donc un phosphore, que d’autres alchimistes ont su produire sous des noms tels que phosphore de Kunckel ou d’Angleterre, jusqu’à ce que Lavoisier lui donne le statut d’élément chimique en lui réservant le nom phosphore, tout court. C’était bel et bien le premier élément chimique dont la découverte pouvait être 13

Chapitre 1 : Le feu, l’air, l’eau, la terre… et le 5eÆOÆPHQW}"

attribuée à une personne, Henning Brandt, qui avait trouvé en même temps une façon inattendue de produire du feu. Le mot phosphorescence dérive du nom du phosphore, qui est phosphorescent en effet, du moins au sens usuel du terme. Mais en toute rigueur, la phosphorescence est définie comme une luminescence d’origine purement électronique, alors que celle du phosphore est d’origine chimique (chimiluminescence). Autre curiosité : en grec tardif, phôsphoros a pour synonyme phôtophoros, que le français a emprunté au XIXe siècle, le photophore. D’où d’étranges doublets : phosphore en chimie et photophore pour l’éclairage.

➜ L’alchimiste

Henning Brandt, à la recherche de l’or et de la Pierre Philosophale, soudain illuminé par son ballon. Joseph Wright (1771). 14

Une quête qui mène au feu

'p2¶9,(17/(0273+26*¥1(}" On pourrait voir une sorte de synonyme de phosphore dans phosgène, dont le sens VHUDLWˆ}TXLJÆQÅUHODOXPLÅUH}˜0DLVSDVGXWRXW}OHFKLPLVWHDQJODLV-RKQ'DY\D obtenu le phosgène en 1812 par réaction du FKORUHHWGXPRQR[\GHGHcarbone sous OpDFWLRQGHODOXPLÅUHHWQRQSDVDYHFÆPLVVLRQGHOXPLÅUH} ?lumière Cl2 + CO A Cl2CO Donc étymologiquement, phosgène VLJQLƂH ˆ} TXL HVW JÆQÆUÆ SDU OD OXPLÅUH} ˜ (Q HIIHWOHVHQVGXVXIƂ[Hgène en français est tantôt actif, comme dans oxygène,ˆ}TXL génère OpDFLGH}˜WDQWÑWSDVVLIFRPPHGDQVexogène,ˆ}TXLHVWJÆQÆUÆSDUOpH[WÆULHXU}˜ (cf}OpÆSLORJXHGHODUXEULTXHSUÆFÆGHQWH 

z Épilogue tout feu tout flamme L’aventure du phosphore est un magnifique exemple de sérendipité : le phosphore obtenu par Brandt provenait des phosphates contenus dans l’urine, restée d’ailleurs pendant un siècle la seule source de phosphore. Cet élément a été tiré ensuite de l’os, et maintenant des phosphates dont les gisements résultent d’une lente accumulation de déjections animales, surtout du guano des oiseaux et des chauves-souris. À ce propos, la disponibilité du phosphore à long terme pose un problème sur lequel, si l’on ose dire, il est urgent de phosphorer… espagnol

italien

français

anglais

allemand

fόsforo

fosforo

phosphore

phophorus

Phosphor

➜ L’espagnol

fόsforo désigne aussi une allumette, porteuse du feu, et d’ailleurs inventée au XIXe siècle grâce au phosphore. 15

Chapitre 1 : Le feu, l’air, l’eau, la terre… et le 5eÆOÆPHQW}"

4

Le 5e élément… vers la quintessence ! L’éther, l’alcool éthylique, l’éthane, le méthane, le propane… et les alcanes

Tout chimiste a en tête la liste des premiers alcanes (méthane, éthane, propane, butane…), mais dans la vie courante, on connaît surtout le butane et le propane, ainsi que le méthane, dont il est souvent question à propos d’environnement. On parle moins de ➜ Aether, en latin, désigne le ciel en poésie. l’éthane, beaucoup moins en tout cas que de l’alcool éthylique, et d’ailleurs on pourrait croire que l’adjectif éthylique vient du nom éthane. En fait, c’est l’inverse car dans les textes de chimie, éthane est apparu bien après éthylique ou éthyle, et tous ces termes remontent au nom encore plus ancien de l’éther, un liquide organique connu pour sa grande volatilité.

z Une origine « éthérée » La première synthèse de l’éther date au moins au XVIe siècle, mais son nom est attesté seulement en 1730 dans un texte en anglais de Frobenius, sous la forme latine æther (aujourd’hui ether en anglais). L’auteur s’est inspiré du nom grec aithêr, devenu en latin aether, qui désignait la région supérieure de l’atmosphère, le ciel en poésie. On comprend que les chimistes aient adopté ce nom pour un produit volatil et inflammable, qui s’évapore en semblant se dissoudre dans l’air.

z De l’éther à l’éthyle Beaucoup plus tard, Liebig élucidait la structure chimique de l’éther : CH3-CH2-O-CH2-CH3, qu’il définissait comme l’oxyde d’éthyle. 16

Le 5eÆOÆPHQWfYHUVODTXLQWHVVHQFH}

Il créait ainsi pour le radical -CH2-CH3 le nom éthyle, dont il donnait en 1840 cette jolie définition : « L’éthyle est le radical hypothétique de toutes les combinaisons éthérées ». D’autre part, cet oxyde d’éthyle (de diéthyle en fait) étant l’éther ordinaire, on a nommé éther toute molécule comportant un pont oxygène, R-O-R’, d’où aussi des polyéthers dont certains sont d’usage courant.

z De l’éthyle à l’éthane Le nom éthyle associe le radical éth- au suffixe -yle, formé sur le grec hulê, dont le sens initial est très concret  : le bois (bois sur pied ou bois coupé). Ensuite hulê désigne tout matériau de construction (bois, pierre…), d’où finalement toute matière, quelle qu’elle soit (concrète ou même abstraite). De là, le suffixe -yle a été adopté pour traduire l’existence matérielle des radicaux « hypothétiques », tels que le radical éthyle. Enfin, le nom éthane lui-même n’apparaît qu’en 1867 en anglais, ethane, déduit de éthyle par un changement de suffixe de -yle à -ane. Mais autant -yle a un véritable sens étymologique, qui remonte in fine au nom grec du bois, autant -ane est un suffixe formel, de forme latine, adopté définitivement au Congrès de Genève de 1892 pour les alcanes (ce terme étant lui-même formé de alc(ool) + -ane).

z L’éthane, un alcane parmi d’autres Le chimiste allemand Hofmann proposait en fait, dans sa publication en anglais de 1867, toute la série de noms methane (CH4), ethane (CH3-CH3), propane (CH3-CH2-CH3)…, formés sur les noms antérieurs des radicaux méthyle, éthyle, propyle… où : – méth- provient du grec methu, «  boisson alcoolisée  », l’alcool méthylique ayant été extrait du bois par distillation, et confondu avec l’alcool éthylique ; – prop- provient du grec pro, « devant », et piôn, « gras », car c’est à partir de 3 carbones qu’apparaissent, dans cette série, les propriétés d’acide gras. 17

Chapitre 1 : Le feu, l’air, l’eau, la terre… et le 5eÆOÆPHQW}"

Et Hofmann continue la série par des noms basés sur les chiffres en latin : … quartane, quintane, sextane… On a ensuite abandonné quartane au profit de butane, où but- provient du latin butyrum, «  beurre  » (plus de détails sur butane dans le chapitre 8, rubrique 2.). Enfin, la communauté scientifique a décidé en 1872 de nommer les alcanes à partir du 5e par des noms basés sur les chiffres en grec, et non plus en latin (sauf le nonane, resté sur le latin nonus, « neuvième », et non pas sur le grec ennea « neuf », comme pour l’ennéagone, polygone à 9 côtés).

z Des séries alphanumériques Si les noms des quatre premiers alcanes sont particuliers, à partir du 5e, ils deviennent donc purement numériques : pentane, hexane, heptane, octane (on connaît bien l’indice d’octane de l’essence)… C’est un peu la même chose pour les polygones, qui, à partir du 5e, s’appellent pentagone, hexagone, heptagone, octogone… même si dans ce cas les premiers noms, triangle et quadrilatère, sont déjà basés sur les chiffres 3 et 4, mais en latin. On peut aussi faire une analogie, un peu forcée peut-être, avec les noms des mois de l’année. En effet, le calendrier romain comportait initialement 10 mois, dont les 4 premiers avaient des noms différenciés (devenus mars, avril, mai, juin) alors que les noms des suivants étaient des numéros d’ordre : Quintilis, Sextilis, September, October… Par la suite, les mois de janvier et février ont été ajoutés, d’où le fait que maintenant, les 9e, 10e, 11e et 12e mois de l’année sont septembre, octobre, novembre et décembre (Quintilis et Sextilis étant devenus entre-temps juillet et août). Mais il y a plus étonnant : dans les grandes familles romaines5, il arrivait que seuls les quatre premiers prénoms des enfants soient variés, alors que les suivants étaient simplement Quintus, Sextus, Septimus, Octavius… (ou l’équivalent féminin). C’est l’origine de prénoms comme Quentin, Sixtine ou Octave, qui se donnent encore aujourd’hui. À ce propos, Ethan est un prénom d’origine biblique… mais non, la ressemblance avec éthane est purement fortuite. 5. Ifrah, Georges, Histoire universelle des chiffres, Lorsque les nombres racontent les hommes, Seghers, Paris, 1981, 568 p., p. 14. 18

Le 5eÆOÆPHQWfYHUVODTXLQWHVVHQFH}

z Épilogue cosmique Le mot éther est tombé bien bas. C’était le haut du ciel divinisé dans l’Antiquité, et c’est aujourd’hui un terme ordinaire en chimie peu usité. Dans les langues modernes, le dieu Æther est moins présent que son grand-père, Chaos, le dieu du vide primordial antérieur à la création, visible dans le mot chaos, et caché en outre dans le mot gaz. D’OÙ VIENT LE MOT GAZ}" Le savant néerlandais Jean-Baptiste Van Helmont (1579-1644) était philosophe, médecin, physicien et alchimiste. Il étudiait les interactions entre physique et physiologie, et il a cherché à comprendre la nature de la fumée qui s’élève au-dessus d’une ƃDPPH3RXUGÆVLJQHUFHWWHIXPÆH9DQ+HOPRQWHQHVWDUULYƽSURSRVHUXQPRWODWLQ nouveau, gasˆ}proche dérivé du nom chaos des Anciens}˜3DUFHPRWgas, emprunté dans toutes les langues (en français, gaz), il évoquait la matière ramenée par le feu DXFKDRVDXWHPSVGXGLHXJUHF&KDRVRÖDXFXQRUGUHQpÆWDLWHQFRUHLPSRVÆDX[ éléments du monde.

z 2019, le 260e anniversaire du tableau de Lavoisier Lavoisier établit en 1789 la notion moderne d’élément chimique et publie le premier tableau (encore imparfait et pas encore périodique) de ces éléments, comportant 33 « substances » : – 2 réminiscences des 5 éléments de l’Antiquité, le «  Calorique  » pour le feu et la « Lumière » pour l’éther ; – des composés comme la chaux ou la magnésie ; – et 23 éléments chimiques proprement dits  : le soufre et une quinzaine de métaux, dont il sera question dans les chapitres suivants, 19

Chapitre 1 : Le feu, l’air, l’eau, la terre… et le 5eÆOÆPHQW}"

ainsi que les 5 éléments de ce premier chapitre : H, O, N et C, qui « remplacent » en quelque sorte la terre, l’air et l’eau des Anciens, et le phosphore, P, très important lui aussi dans la construction des organismes vivants, puisque c’est aussi un atome essentiel de l’ADN. Ces 5 éléments figurent regroupés en haut du tableau périodique. 1 11

18 2

H hydrogène hydrogène 3

He 2

13

15 7 7

16 8 8

17 1

hélium

4

numéro atomique

symbole

B

N N

OO

10

Be

CC

9

Li

F

Ne

lithium

béryllium

nom

bore

carbone carbone

Azote Azote

oxygène oxygène

flfluor

néon

11

12

Na

Mg

sodium

magnésium

19

5

14 6 6

8

10

9

14

Al

Si

aluminium

silicium

16

1 17

18

S

Cl C

Ar

soufre

chlore ch

argon

25

26

29

30

V

Cr

Mn

Fe

Co

Ni

Cu

Zn

Ga

Ge

As

Se

Br

Kr

vanadium

chrome

manganèse

fer

cobalt

nickel

cuivre

zinc

gallium

germanium

arsenic

sélénium

brome

krypton

41

Y

Zr

Nb

yttrium

zirconium

niobium

55

56

Cs

Ba

césium

baryum

87

72 lanthanoïdes

88

Fr

Ra

francium

radium

43

Tc

49

50

Ru

Rh

Pd

Ag

Cd

In

Sn

Sb

Te

I

Xe

ruthénium

rhodium

palladium

argent

cadmium

indium

étain

antimoine

tellure

iode

xénon

48

78

79

Os

Ir

Pt

Au

Hg

Tl

Pb

Bi

Po

At

Rn

osmium

iridium

platine

or

mercure

thallium

plomb

bismuth

polonium

astate

radon

108

Sg

Bh

Hs

seaborgium

bohrium

hassium

57

58

59

60

61

109

110

111

Mt

Ds

Rg

meitnérium darmstadtium rœntgenium 62

63

64

112

113

114

83

115

84

54

Re

Db

82

53

rhénium

dubnium

81

52

W

Rf

80

51

tungstène

rutherfordium

77

47

Ta

107

76

46

36

tantale

106

75

45

35 3

Hf

105

74

44

34

hafnium 104 actinoïdes

73

42

Mo

molybdène technétium

32

P

Ti

Sr

31

15 15 phosphore phosphore 33

titane

strontium

28

12

Sc

Rb

27

11

scandium

rubidium

24

7

Ca

40

23

6

calcium

39

22

5

K

38

21

4

potassium 37

20

13 3

116

85

86

117

118

Cn

Nh

Fl

Mc

Lv

Ts

Og

copernicium

nihonium

flerovium

moscovium

livermorium

tennessine

oganesson

65

66

67

68

69

70

71

La

Ce

Pr

Nd

Pm

Sm

Eu

Gd

Tb

Dy

Ho

Er

Tm

Yb

Lu

lanthane

cérium

praséodyme

néodyme

prométhéum

samarium

europium

gadolinium

terbium

dysprosium

holmium

erbium

thulium

ytterbium

lutécium

95

96

Ac

Th

Pa

U

Np

Pu

Am

Cm

Bk

actinium

89

thorium

90

protactinium

91

uranium

92

neptunium

93

plutonium

94

américium

curium

berkélium

97

98

99

Cf

Es

californium einsteinium

100

101

102

103

Fm

Md

No

Lr

fermium

mendélévium

nobélium

lawrencium

➜ /HV$QFLHQVDYDLHQWWRXWFRPSULV}OHXUÆWKHUHVWOpÆOÆPHQWSULPRUGLDOGpRÖSURYLHQQHQWOHV

ˆ}SRXVVLÅUHVGpÆWRLOHV6}˜

6. Selon la phrase de Carl Sagan (1934-1996), reprise par Hubert Reeves dans Poussières d’étoiles, Seuil, Paris, 1994 (1re éd. 1984), 254 p. 20

CHAPITRE

2

Au bonheur des artistes et des artisans Où l’on se rappelle que les Anciens connaissaient 7 métaux

1 Un métal pour l’éternité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24 2 Noces de métaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28 3 Métaux et alliages emblématiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32 4 Le métal des arts martiaux. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36 5 Jeu de taquin entre métaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40 6 Des histoires sulfureuses . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44

Chapitre 2 : Au bonheur des artistes et des artisans

LES 7 MÉTAUX ET AUTRES ÉLÉMENTS CONNUS DES ANCIENS Au VIIIe}VLÅFOHDYDQW-&GDQVLes Travaux et les Jours, voici comment le poète grec Hésiode présente le mythe des âges de l’humanité1} – d’abord l’âge d’orHVWOpÆSRTXHLGÆDOHRÖHQDFFRUGSDUIDLWDYHFODQDWXUH GDQVXQSULQWHPSVÆWHUQHOOHVKXPDLQVQHWUDYDLOODLHQWSDV} – puis à l’âge d’argent, ils ont manifesté de la démesure (en grec hubris) et RQWDORUVFRQQXOHPDOHWODGRXOHXU} – l’âge de bronze IXW HQVXLWH XQ ¿JH JXHUULHU TXL ƂQLW SDU VpDQÆDQWLU OXLPÇPHVXLYLGHOp¿JHGHVKÆURVHWGHOHXUVÆSRSÆHVGRQWODIDPHXVH JXHUUHGH7URLH} tHQƂQOpâge de fer, actuel, est le temps le plus dur car la discorde y règne jusque dans les familles. Il est remarquable de trouver, comme marqueurs de cette fresque poétique, OHVPÆWDX[TXHOHVSUHPLHUVKXPDLQVRQWSXWURXYHU½OpÆWDWQDWLI}Opor et l’argent, le cuivre, transformé en bronze, et le fer. Après la vision purement métaphorique des âges d’or et GpDUJHQWFpÆWDLWXQHSUÆƂJXUDWLRQGHVJUDQGHV SÆULRGHVGÆƂQLHVSDUOHVDUFKÆRORJXHVPRGHUQHV}Opâge du bronze (entre }HW}}DQVHQYLURQDYDQW-& VXLYLGHOpâge du ferRÖFHVPÆWDX[ ont servi en particulier à fabriquer des armes et à faire la guerre.

➜ Or

des Scythes, pièce d’Athènes en argent, hache en bronze et fer de lance.

Les 7 métaux de l’Antiquité Un cinquième PÆWDOH[LVWH½OpÆWDWQDWLIOHmercure, un liquide qui a sans doute LQWULJXÆOHVSUHPLHUVKXPDLQV(QƂQOHV$QFLHQVRQWVXWUÅVWÑWH[WUDLUHGHOHXUV minerais le plomb, ainsi que l’étainOXLPÇPHDOOLÆDXcuivre dans le bronze.

1

/HV$QFLHQVFRQQDLVVDLHQWGRQFPÆWDX[XQFKLIIUHTXLQHERXJHUDSDV MXVTXp½ODƂQGX0R\HQŸJH(WLOVRQWSULVFRQVFLHQFHGHODQDWXUHSDUWLFXlière de ces 7 substances, qui constituaient de fait une première catégorie

1. Hésiode, Théogonie, Les travaux et les jours, Le bouclier, Paris, 1964, texte de Paul Mazon, Les travaux et les jours, p. 90. 22

La prodigieuse histoire du nom des éléments

FKLPLTXHFHOOHGHVPÆWDX[&pHVWHQFRUH$ULVWRWHTXLDFODULƂÆFHWWHTXHVWLRQ comme on va le voir à propos de l’étymologie du mot métal2. De la mine au minerai, puis au métal Le mot métal vient, par le latin metallum, du grec metallon, qui désignait à l’origine une mine, spécialement une mine d’or ou GpDUJHQWH[SORLWÆHSDU galeries. Ensuite, metallon a désigné une mine en général, puis toute producWLRQPLQLÅUHHWFpHVW$ULVWRWHTXLDGÆƂQLOHVPÆWDX[FRPPHÆWDQWˆ}les corps qui s’extraient des mines et qui sont fusibles ou malléables comme le fer, l’or, le cuivre}˜GpRÖƂQDOHPHQWHQJUHFmetallonˆ}PÆWDO}˜ Parallèlement, le mot mine, d’origine celtique, désignait d’abord aussi bien XQHPLQHTXpXQPLQHUDLGpRÖOpH[SUHVVLRQmine de plomb pour un minerai, et la mine d’un crayon comme on a pu le voir au chapitre précédent. Des éléments chimiques avant la lettre Sans vouloir réécrire l’histoire, on peut s’étonner que les Anciens n’aient pas FRQVLGÆUÆOHVPÆWDX[FRPPHGHVÆOÆPHQWV(QIDLWLOVQpÆWDLHQWSRXUHX[TXH des formes particulières de l’élément terreOXLPÇPHOpXQGHVÆOÆPHQWV feu, air, eau, terre). Les alchimistes ont persévéré dans cette conception puisqu’ils UÇYDLHQWSDUH[HPSOHGHWUDQVIRUPHUOHSORPEHQRUTXLOXLPÇPHQpHVWSDV absolument inaltérable. En conséquence, le mot terre pouvait désigner aussi en DQFLHQIUDQÄDLVWRXWHVXEVWDQFHH[WUDLWHGXVROWHOOHTXpXQXQPLQÆUDOFRPPHOH quartz nommé WHUUHYLWULƂDEOH, ou un minerai comme celui de tungstène nommé terre pesanteRXPÇPHXQPÆWDOWLUÆGpXQPLQHUDLGpRÖGHVWHUPHVVXUSUHQDQWV} – les terres raresTXLVRQWHQIDLWGHVPÆWDX[TXHOpRQWURXYHUDDXFKDSLWUH UXEULTXH} tOHVPÆWDX[alcalino-terreux YRLUOHFKDSLWUHUXEULTXH} TXLVRQWGLWV ˆ}WHUUHX[}˜HQFHVHQVTXpLOVRQWÆWÆGÆFRXYHUWVGDQVXQPLQHUDLFpHVW½ dire une terreSDURSSRVLWLRQ½FHUWDLQVPÆWDX[DOFDOLQVGÆFRXYHUWVGDQV GHVYÆJÆWDX[ 2QDSXYRLUDXFKDSLWUHTXH/DYRLVLHUDPLVƂQDXFRQFHSWGHV}ÆOÆPHQWVHQ publiant en 1789 le premier tableau des éléments chimiques. Ce tableau histoULTXHFRPSRUWHOHVPÆWDX[GHOp$QWLTXLWÆDLQVLTXHOHsoufre, une substance également trouvée à l’état natif, encore un élément chimique qui s’ignorait. 2

,OHVWWHPSVGHVpLQWÆUHVVHU½FKDFXQGHFHVPÆWDX[DLQVLTXpDXsoufre à la ƂQGHFHFKDSLWUHHWHQFRPPHQÄDQW½WRXWVHLJQHXUWRXWKRQQHXUSDUOpRU

2. Halleux, Robert, Le problème des métaux dans la science antique, Les Belles Lettres, Paris, 1974, 252 p., p. 45. 23

Chapitre 2 : Au bonheur des artistes et des artisans

1

Un métal pour l’éternité L’or (Au)

Les noms donnés à l’or en Europe sont variés : en grec ancien khrusos, d’origine sémitique et resté tel quel en grec moderne, en français or, du latin aurum, en anglais gold, en russe zoloto… Ces noms remontent en effet à plusieurs origines, dont l’une est liée à la couleur éclatante de ce métal, activement recherché par les humains depuis toujours.

z Le métal jaune par excellence C’est en effet, dans les langues slaves, à la même racine indo-européenne *gholtom que se rattachent les noms de la couleur jaune et ceux de l’or : par exemple en russe zoloto, « or », et žëltyj, « jaune », ou en polonais złoto, « or », et z˙ ółty, « jaune », d’où le nom du zloty : étymologiquement, l’argent polonais est en or. En allemand, on établit un rapport entre Gold, « or », et gelb, « jaune », et de même en anglais, entre gold et le vieil-anglais geolu, « jaune », devenu yellow en anglais moderne. Ces noms, et leurs équivalents dans les autres langues germaniques, se rattachent en effet à cette même racine indo-européenne, *ghel-, *gholtom, qui désigne la couleur jaune, et l’or par métaphore. Et cela explique la correspondance phonétique entre le russe zoloto, « or » (basé sur les consonnes z-l-t), et l’anglais gold (basé sur g-l-d). On a donc, dans les langues germaniques et slaves, un vaste ensemble des noms où l’or est désigné par une sorte de périphrase : le métal jaune, couleur jaune d’or en l’occurrence3. 3. Buck, Carl Darling, A dictionary of selected synonyms in the principal Indo-European languages, The University of Chicago Press, Chicago, 1949 (réimprimé 1988), 1515 p., p. 609. 24

Un métal pour l’éternité

z L’or, appelé par son nom Le latin aurum, « or », se rattache à une autre racine, *ausom, qui serait, elle, le véritable nom indo-européen de l’or. En dehors du latin et de ses dérivés dans les langues romanes (aur en roumain, oro, or…) et celtiques (breton aour…), cette racine *ausom n’a pratiquement pas laissé de trace dans les langues modernes. Comme on vient de le voir, pour une raison qui n’est pas connue, on a préféré dans les langues germaniques et slaves nommer l’or indirectement, « (métal) jaune », plutôt que de l’appeler par son propre nom. Cette situation n’est toutefois pas unique. On la retrouve un peu avec les noms de l’ours, dont le nom indo-européen est employé dans les langues romanes (latin ursus, ours…) et celtiques (breton art…), mais pas dans les langues germaniques et slaves, qui emploient une périphrase : l’animal «  brun  » dans les langues germaniques (bear, Bär…) et le « mangeur de miel » dans les langues slaves (medved’ en russe…). On parle dans ce cas de tabou linguistique, comme si certains peuples avaient évité de nommer l’ours explicitement, soit parce qu’ils le craignaient, soit parce qu’ils le respectaient, voire le divinisaient… comme on vénère aujourd’hui l’Ours d’Or, qui récompense les films au festival de Berlin !

➜ L’Ours

d’Or (Goldener Bär) du festival de cinéma de Berlin. Wikipédia, licence cc-by-2.0, Solar ikon.

Dans un autre registre, l’or a pu aussi faire l’objet de superstitions.

z De l’auréole à la dorure

➜ Le

loriot d’Europe š (Oriolus oriolus) est jaune d’or.

De aurum vient en latin aureolus, « doré », d’où aureola corona, « couronne dorée », et finalement auréole en français. On reconnaît aussi aurum dans aurifère et les noms des ions aureux (Au+) et aurique (Au3+). Mais dès le bas latin, aurum a été concurrencée par la forme orum, qui l’a emporté dans les mots usuels : or, orfèvre, dorer, doré… orpailleur, 25

Chapitre 2 : Au bonheur des artistes et des artisans

orpiment (du latin auripigmentum), le sulfure d’arsenic… ou encore le nom d’un oiseau au plumage jaune d’or, le loriot, de l’ancien français oriol, du latin aureolus, « doré ». Pour les poissons, le français accepte daurade ou dorade. Toutefois, on écrit de préférence daurade royale, pour un poisson qui a effectivement des taches dorées sur le front et sur les côtés de la tête, et dorade rose ou grise pour des poissons qui n’ont rien de doré mais qui doivent leur La daurade royale (Sparus aurata) a comme nom de dorade à leur ressemblance ➜ des sourcils dorés. Gianni Neto. avec la daurade royale. D’ailleurs parmi ces poissons, seule la daurade royale a un nom lié à l’or en latin chez Pline l’Ancien, aurata, et en grec chez Aristote, khrusophrus, comportant ophrus, « sourcil », et où l’on retrouve le grec khrusos, « or ».

z Épilogue et immortalité Dans de nombreux mots grecs, apparaît l’élément khrus(os), devenant en latin puis en français chrys(o), et il renvoie soit à l’or, soit à la couleur jaune de l’or. Ainsi l’immortelle, cette plante à fleurs jaune d’or venue d’Orient, se nommait en grec helikhrusos, c’est-à-dire « or du soleil ». Comme ses fleurs ne se fanent pas, ce qui fait écho à la durabilité de l’or, elles servaient dans l’Antiquité à confectionner les couronnes mortuaires. Puis en latin l’immortelle se nommait helichrysus, ou encore chr ysanthemon (avec anthemon, «  fleur  »), d’où vient en français le chrysanthème, la fleur des cimetières. Les ➜ L’immortelle (Helichrysum stoechas), utilisée dans chrysanthèmes sont bien l’Antiquité pour les couronnes mortuaires. 26

Un métal pour l’éternité

issus de fleurs sauvages jaunes, mais malgré leur nom, de nombreuses variétés de chrysanthèmes cultivées aujourd’hui ne sont pas jaunes. Enfin, une statue est dite chryséléphantine lorsqu’elle est faite d’or et d’ivoire.

➜ 6WDWXHFKU\VÆOÆSKDQWLQHGH=HXV½2O\PSLHODWURLVLÅPHPHUYHLOOHGX

Monde, réalisée par le sculpteur grec Phidias vers 436 avant J.-C. Gravure de 1815.

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Chapitre 2 : Au bonheur des artistes et des artisans

2

Noces de métaux Le mercure (Hg), l’argent (Ag), le platine (Pt) et le cinabre

Le mercure natif existe dans la nature et il a certainement fasciné les premiers humains par son aspect argenté et sa fluidité, en particulier sous la forme de gouttelettes étrangement mobiles. En outre, les Anciens ont extrait ce métal de son principal minerai, le sulfure de mercure, nommé cinabre, du latin cinnabaris, lui-même du grec kinnabari. C’est d’ailleurs dans le cinabre que l’on trouve la plus grande partie du mercure natif.

➜ Gouttelettes

de PHUFXUHQDWLIH[VXGDQW d’un échantillon de cinabre rouge (αHgS). 3KRWR}-HDQ0LFKHO/H&OÆDFpK0XVÆH de Minéralogie de l’École des Mines-ParisTech.

z De l’argent liquide, comme l’eau Tant en grec chez Théophraste qu’en latin chez Pline l’Ancien, le mercure était nommé d’après sa ressemblance avec l’argent. Celui tiré du cinabre était comparé à de l’argent liquide en grec, arguros khutos, du verbe khein, « couler », ou à de l’argent vif, animé, en latin argentum vivum. De là d’anciennes appellations du mercure dans les langues romanes et germaniques  : en français vif-argent, en italien argento vivo, en espagnol plata liquida, en anglais quicksilver… et en allemand Quecksilber, qui est resté en usage dans cette langue. Les Anciens avaient remarqué que le mercure natif était encore plus fluide, et ils le comparaient carrément à de l’eau : en grec hudrarguros, de hudôr, « eau », et arguros, « argent », d’où en latin hydrargyrus, devenant en ancien français hydrargyre et en latin médiéval hydrargyrum, qui explique le symbole chimique Hg.

28

Noces de métaux

Cependant, en anglais et dans la plupart des langues romanes, ces noms anciens sont sortis d’usage entre la fin du Moyen Âge et le XVIIIe siècle.

z Le métal jumelé avec la planète Mercure Le mercure fait partie des sept métaux connus dans l’Antiquité et associés aux sept astres non fixes observables à l’époque. Après quelque hésitation, le vif-argent a été associé à Mercure, dont la vélocité autour du Soleil évoquait la fluidité et la mobilité des gouttelettes de ce métal. Finalement, sans doute pour éviter des confusions, on a nommé le métal d’après la planète plutôt que d’après l’argent en anglais dès 1386 et dans les langues romanes (anglais mercury, français mercure, italien et espagnol mercurio), le mercure étant dans ces langues le seul des sept métaux anciens à porter le même nom que son astre associé. Quant au dieu Mercure des Romains, assimilé à l’Hermès des Grecs, il était principalement le protecteur des commerçants. En latin, son nom Mercurius se relie d’ailleurs à merx, mercis, «  marchandise  », d’où mercator, «  marchand  », merces, «  prix d’une marchandise » (et merci en français). En outre, les attributions d’Hermès et du dieu égyptien Thot se combinent dans celles du mythique Hermès Trismégiste, à l’origine de l’hermétisme et des textes dits hermétiques, développés par les alchimistes. Or ceux-ci ont accordé une grande importance au mercure et à ses associations avec d’autres substances : les amalgames. ➜ Mercure

29

ou Hermès, dieu du commerce.

Chapitre 2 : Au bonheur des artistes et des artisans

z Ce métal qui « épouse » d’autres métaux Le nom amalgame, du latin alchimiste amalgama attesté au XIIIe siècle, a longtemps été considéré comme une déformation du grec malagma, « onguent », emprunté par Pline en latin, et lié au verbe grec malassein, en latin malaxare, « amollir », d’où malaxer. Cependant, dans le Littré (supplément 1886), on a supposé un lien entre amalgama et l’arabe al-djam’a, « la réunion », ou aussi « le mariage », l’amalgame étant parfois présenté par les alchimistes comme un mariage entre le mercure et un autre métal. Aujourd’hui, cette origine arabe est retenue comme probable dans les dictionnaires, mais force est de reconnaître que l’étymologie d’amalgame est encore, si l’on ose dire, assez hermétique.

z Histoire d’argent On a pu constater plus haut que les noms de l’argent en Europe sont de trois sortes. - Le grec arguros, « argent », de l’adjectif argos, « blanc, brillant » (à ne pas confondre avec son homonyme, argos, « inerte », d’où vient le nom de l’argon), devient en latin argentum, d’où argent en français, argento en italien… Des navigateurs italiens sans doute sont à l’origine du nom de l’Argentine, où ils auraient trouvé des objets en argent réalisés par les Amérindiens. - L’anglais silver et l’allemand Silber appartiennent à une autre famille de noms, germano-slave (en serbe srebro, d’où le nom de Srebrenica, où se situent d’anciennes mines d’argent). - L’espagnol plata, « argent », est à part (avec le portugais prata) : il vient du latin médiéval plata désignant une plaque de métal, en particulier d’argent. En Argentine, les Espagnols ont nommé Rio de la Plata (« rivière d’argent ») un vaste estuaire censé conduire à la légendaire montagne d’argent de la Sierra de la Plata. Et ce n’est pas tout, car le nom d’un troisième métal apparaît dans l’épilogue.

30

Noces de métaux

z Épilogue gris argenté L’explorateur et scientifique espagnol Ulloa a découvert en Colombie un métal natif ressemblant à l’argent, mais en moins brillant. En 1748, il le nomme platina, diminutif de plata, « argent », qui est traduit en français par platine, d’abord féminin comme platina, puis masculin, de même qu’en espagnol où son nom devient platino. De là dans les autres langues : l’italien platino, l’anglais platinum, l’allemand Platin… Sans vouloir faire un amalgame, on constate une connivence étymologique entre le mercure, l’argent et le platine.

➜ )UHVTXHGHVP\VWÅUHVGURLWH9LOODGHV0\VWÅUHV3RPSÆL ,WDOLH RÖOHcinabre

largement utilisé comme colorant rouge dans les peintures.

31

(HgS) a été

Chapitre 2 : Au bonheur des artistes et des artisans

3

Métaux et alliages emblématiques Le cuivre (Cu), le zinc (Zn), le cadmium (Cd), le bronze et le laiton

Le laiton nous donne l’occasion d’évoquer aussi ses composants principaux, le cuivre et le zinc. Même s’il a pu être produit incidemment en petites quantités dans l’Antiquité, le zinc n’a été identifié qu’à la fin du XVIIe siècle. On l’a nommé alors en allemand zinch, aujourd’hui Zink, peut-être de Zinke, «  dent de fourche  », à cause de la forme de certains cristaux de zinc à la sortie du four de métallurgie.

➜ &ULVWDX[GHQGULWLTXHVGHzinc

formés dans le four de métallurgie.

Contrairement au zinc, le cuivre est bien connu, nommé et exploité, pur ou en alliage, depuis les temps les plus reculés.

z Le cuivre et le bronze à travers les âges Le cuivre et l’étain font partie des sept métaux connus des Anciens, qui en tiraient un alliage de la première importance, le bronze, auquel ils donnaient cependant le même nom qu’au cuivre : – en grec, khalkos, « cuivre, bronze », d’où en français l’élément chalco-, « cuivre » : ainsi en préhistoire, le chalcolithique est la période du début de l’industrie du cuivre, période intermédiaire entre le néolithique et l’âge du bronze ; d’où aussi la chalcopyrite (CuFeS2) ; – en latin classique aes, aeris, « cuivre, bronze », d’où viennent le nom poétique du bronze en français, airain, ainsi que le nom du cuivre, un peu surprenant, en italien rame, par l’intermédiaire d’un dérivé latin, aeramen, « cuivre, bronze ». Puis en latin tardif, apparaît pour le cuivre le nom cyprum, dérivé de Cyprus, «  Chypre  », à cause de l’abondance des mines de cuivre à 32

Métaux et alliages emblématiques

Chypre. Ce nom évolue en cuprum, d’où sont issus la plupart des noms du cuivre en Europe. La naissance légendaire de Vénus sur le rivage de Chypre est l’une des raisons de l’ancienne correspondance entre le métal cuivre et la planète Vénus. Quant au mot bronze, c’est un emprunt à l’italien bronzo, dont l’origine est incertaine : d’un nom persan ? Ou bien du nom de Brindisi, où, selon Pline l’Ancien, on produisait un bronze réputé ? Les informations qui précèdent sont rassemblées dans le tableau ci-après, où les noms qui sont à l’origine d’une série d’autres sont écrits en gras : grec

latin

ital.

franç.

esp.

anglais

allemand

inconnu

inconnu

zinco

zinc

cinc

zinc

khalkos

aes, aeris cyprum, cuprum

rame

cuivre

cobre

copper

Kupfer

khalkos

aes, aeris

bronzo

bronze

bronce

bronze

Bronze

Zink

z Le laiton depuis l’Antiquité Les Anciens pouvaient-ils produire du laiton, alors qu’ils ne connaissaient pas le zinc  ? Oui car ils en connaissaient certains minerais, comme la calamine (silicate de zinc), dont ils tiraient, en combinaison avec le cuivre, un alliage entre cuivre et zinc. Cet alliage se nommait oreikhalkos en grec (= « cuivre de montagne », sans doute à cause de mines situées en montagne), d’où orichalcum en latin, écrit aussi aurichalcum, sous l’influence de la couleur jaune d’or du laiton, parfois nommé cuivre jaune. Certains dictionnaires usuels du français comportent encore le nom archaïque orichalque, supplanté de nos jours par laiton, qui est d’une tout autre origine.

33

Chapitre 2 : Au bonheur des artistes et des artisans

➜ Un

sanglier en tôle de laiton du 1er}VLÅFOHDY-&}UÆSOLTXHUÆDVVHPEOÆHDX Keltenmuseum de Hallein (Salzbourg) de l’enseigne gauloise découverte en 1989 à Soulac-sur-Mer (Gironde).

Wikipédia Creative Common, Licence CC-BY-SA-3.0, Wolfgang Sauber.

Le nom laiton, attesté en français au XIIIe siècle, était laton en ancien français, lui-même relié à l’espagnol laton (aujourd’hui latón), attesté d’abord sous la forme allaton (en 852), avec un début en al- laissant penser à une origine arabe. D’après les dictionnaires étymologiques d’espagnol et de français, laton est en effet un emprunt à l’arabe lǴt͌n, « laiton », lui-même relié au turc ancien altun, désignant l’or (aujourd’hui altan), ou le cuivre dans quelques rares dialectes. Toutefois, cette étymologie est controversée : l’espagnol laton pourrait avoir la même origine germanique que le français latte, le laiton étant fourni aux artisans sous forme de plaques allongées, des lattes. C’est ainsi que s’explique le nom du fer blanc (fer étamé) en espagnol, lata, et en italien, latta, travaillé également à partir de lattes : une explication basée sur la forme des demi-produits utilisés, et non plus sur la nature des métaux. Remarquons enfin que les noms du laiton en anglais, brass, et en allemand, Messing, sont complètement différents et d’origine obscure. grec oreikhalkos

latin orichalcum

italien français espagnol anglais ottone

laiton 34

latón

brass

allemand Messing

Métaux et alliages emblématiques

z Épilogue et florilège de métaux Revenons au minerai de zinc nommé calamine, déformation de son nom en latin, cadmia, emprunté au grec kadmia, dérivé de Kadmos, nom du légendaire fondateur de l’ancienne cité grecque de Thèbes, et cela parce que ce minerai, nommé aussi pierre de Kadmos, était extrait de mines voisines. Or on a découvert un métal très proche du zinc (juste en dessous de lui dans la colonne 12 de la classification) dans cette calamine, d’où le nom de cadmium que le chimiste allemand Stromeyer lui a donné en 1817, à partir du latin cadmia, « calamine ».

➜ 7URXYƽ9L[HQGDQVODWRPEHG XQHSULQFHVVHFHOWHFHFUDWÅUHJUHFVDQVGRXWH

fabriqué en Italie, pèse 200 kg et mesure 1,64 m de haut. &UDWÅUHGH9L[EURQ]H9,HVLÅFOHDY-&0XVÆHGX3D\V&K¿WLOORQQDLVt7UÆVRUGH9L[ Châtillon-sur-Seine, Côte-d’Or © Mathieu Rabaud – RMN Grand Palais.

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Chapitre 2 : Au bonheur des artistes et des artisans

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Le métal des arts martiaux Le fer (Fe), la sidérite, la pyrite, l’hématite et la magnétite

Plusieurs minerais de fer, déjà bien connus dans l’Antiquité, avaient un nom en grec ancien traduisant leur propriété la plus marquante : la pyrite (FeS2), du grec pur, « feu », car c’est une pierre à feu ; l’hématite (Fe2O3), du grec haima, «  sang  », car, réduite en poudre, c’est un pigment rouge ; la magnétite (Fe3O4), du grec Magnês lithos, « aimant », car elle est magnétique (voir le chapitre 4 rubrique 4). Mais le carbonate de fer (FeCO3) naturel n’a été décrit qu’en 1845, par le minéralogiste autrichien Haidinger, qui l’a nommé sidérite, simplement du grec sidêros, « fer », ce qui ne traduit aucune propriété remarquable. Ce nom grec du fer se retrouve dans sidérurgie, ou dans sidéroxylon, le nom d’un arbre au bois très dur, appelé aussi « bois de fer ». Et ce qui frappe, c’est l’absence de relation évidente entre les noms du fer en grec sidêros (resté en grec moderne), en latin ferrum, en anglais iron, en allemand Eisen…

z Le fer qui tombe du ciel La Terre comporte un noyau métallique (le nife = Ni + Fe) constitué principalement de fer (≈ 85 %) et de nickel (≈ 7 %). De même, parmi les astéroïdes, d’où proviennent les météorites tombant régulièrement sur la Terre, certains ont aussi un noyau composé en majorité de fer, et dans une moindre mesure de nickel. C’est pourquoi on trouve des météorites très riches en fer, les sidérolites, du grec sidêros, « fer », et lithos, « pierre ». Elles ont servi à fabriquer des objets en fer dit météoritique, bien avant la métallurgie de l’âge du fer proprement dit. C’est le cas du poignard placé dans la tombe de Toutankhamon (mort vers 1 350 av. J.-C.). ➜ Poignard

en fer de Toutankhamon. 36

Le métal des arts martiaux

Les hommes ont compris très tôt que les pierres d’apparence métallique qu’ils trouvaient sur le sol étaient tombées du ciel et provenaient de la fragmentation des corps célestes visibles sous forme d’étoiles filantes ou de bolides lumineux. Pline l’Ancien par exemple affirme « qu’il tombe fréquemment des pierres » et il rapporte avoir vu de ses yeux dans un champ « une pierre qui venait de tomber ».

➜ 3OLQHOp$QFLHQDIILUPHˆ}TXpLOWRPEHIUÆTXHPPHQWGHVSLHUUHV}˜f

Fotolia.com – JohanSwanepoel.

On savait donc que le fer météoritique venait du monde sidéral, du latin sideralis, « relatif aux étoiles, sidéral », de sidus, sideris, « étoile », et il est tentant par conséquent de rapprocher sidéral du grec sidêros, « fer ». Une hypothèse séduisante, même si elle est un peu sidérante (sidération vient, avec certitude cette fois, du latin sideratio, « action funeste des astres », de sidus, sideris, « étoile »). Hélas, cette hypothèse n’est pas validée par les linguistes, qui font remarquer à ce propos que l’initiale /s/ en latin correspond souvent à l’initiale /h/ en grec, comme par exemple le nom du sel : sal, salis en latin, mais hals, halos en grec (cf. halogène). À ce jour, on ignore encore l’origine de sidêros, le nom grec du fer, qui a par ailleurs un autre rapport avec les astres.

37

Chapitre 2 : Au bonheur des artistes et des artisans

z Le fer et Mars Chacun des sept métaux connus dans l’Antiquité avait un correspondant parmi les astres, et pour le fer, c’était la planète Mars, elle-même dédiée à Mars, dieu de la guerre. Cette association reposait d’une part sur la couleur rougeâtre de la planète, rappelant le rouge de l’hématite ou du fer rouillé, et d’autre part sur le fer en tant que matériau des armes et de la guerre, qui elle-même fait couler le sang, rouge lui-aussi (d’où le nom hématite). Et ce qui est fantastique, c’est que tout cela avait un côté prémonitoire : la couleur rouge de Mars est justement due au fer, allié à l’oxygène dans l’hématite présente à la surface de la planète, et le rouge du sang est dû aussi au fer dans l’hémoglobine. Pour les alchimistes en tout cas, un autre nom du fer était mars, d’où l’adjectif martial dans le sens de « relatif au fer ». En médecine, on parle de carence martiale pour la carence en fer, responsable de l’anémie, et dans le langage courant, on parle d’un air martial ou des arts martiaux, dont l’escrime par exemple, où l’on croise le fer.

➜ La

planète Mars, vue au télescope… et un globule rouge, vu au microscope.

z Pas de nom indo-européen pour le fer Tout comme le grec sidêros, le latin ferrum, « fer » (d’où en espagnol, hierro), est d’origine obscure, et il n’a visiblement pas de rapport avec le grec, ni d’ailleurs avec la racine germano-celtique *isarnon, que l’on retrouve dans les noms de fer en breton houarn, ainsi qu’en allemand 38

Le métal des arts martiaux

Eisen et en anglais iron. En fait, on pense que le fer, autre que celui des météorites trouvées fortuitement, n’était pas connu du monde indoeuropéen.

z Épilogue de super-héros et d’anti-héros Quel rapport entre Ysengrin, le loup du Roman de Renart, Iron Man, un super-héros de Marvel, le Grand Ferré, héros picard de la guerre de Cent Ans, Sidêrô, personnage de femme cruelle dans la mythologie grecque ? Réponse : le nom du fer et sa dureté, moins visible dans Ysengrin, où pourtant l’élément Ysen- se relie bien à l’allemand Eisen, « fer ».

➜ ,URQ0DQHVWLOWRPEÆGXFLHOFRPPHXQDVWÆURÌGH}"

Anthony Stark, alias Iron Man, apparaît en 1963 (en anglais, starkˆ}ULJLGH}˜ 

39

Chapitre 2 : Au bonheur des artistes et des artisans

5

Jeu de taquin entre métaux Le plomb (Pb), le molybdène (Mo), l’étain (Sn), la galène, la molybdénite et la cassitérite

La galène est un produit chimique qui a brillé dans l’histoire de la radio, car la TSF a pris son essor dans la première moitié du XXe siècle grâce au poste à galène. On avait découvert en effet qu’un cristal de galène était un semi-conducteur et qu’on obtenait une diode en appliquant une pointe métallique sur ce cristal. La galène a donc ouvert la voie au silicium, composant essentiel de toute l’électronique moderne.

➜ /pDQFÇWUHGHODGLRGHFRPSRVDQWFOÆ

du poste à galène. www.FurnishYourCastle.com

z La galène, un minéral brillant C’est dans l’Histoire Naturelle de Pline l’Ancien (1er siècle) qu’apparait le latin galena, d’où galène en français (galena en anglais et espagnol, Galenit en allemand). Ce nom latin est l’équivalent du grec galênê, un nom attesté sept siècles plus tôt dans l’Odyssée pour désigner le calme de la mer, la tranquillité. De là vient l’adjectif grec galênos, « calme », qui était aussi le surnom du grand médecin grec du IIe siècle, Galien, le père de la galénique. Mais quel rapport avec la galène ? Aux origines du grec, galênê était plus précisément le calme de la mer qui brille sous le Soleil, un sens que l’on a rapproché du verbe grec gelan, « briller ». Et la métaphore de la mer aux reflets argentés pourrait donc expliquer l’emploi de galênê pour un minéral brillant tel que la galène, souvent argentifère. Certes, cet emploi n’est pas attesté antérieurement aux écrits de Pline, mais celui-ci, connaisseur du 40

Jeu de taquin entre métaux

➜ Des reflets argentés sur la mer

et sur la galène.

grec et de son histoire, ne pouvait ignorer le sens profond de galênê. Il nommait en tout cas galena le sulfure de plomb, mais aussi parfois d’autres minerais de plomb, voire le plomb lui-même  : encore des imprécisions de vocabulaire, inévitables à cette époque.

z Le plomb et l’étain, une histoire de faux jumeaux En grec, le nom du plomb était molubdos, et celui de l’étain kassiteros (qui subsiste en français dans le nom du dioxyde d’étain, la cassitérite). Puis, le nom du plomb en latin était plumbum (d’où le symbole Pb, le français plomb, l’espagnol plomo), mais Pline a plutôt compliqué le sujet en nommant l’étain plumbum album (= plomb blanc). De plus, il employait dans certains cas molybdoena comme synonyme de galena. Enfin, sous le nom stagnum, il décrivait un alliage de plomb et d’argent servant alors à revêtir l’intérieur des récipients en cuivre : cet alliage sera remplacé par l’étain, qui sera alors nommé à son tour stagnum, puis en bas latin stannum, d’où le symbole Sn, le français étain et l’espagnol estaño, alors qu’en italien, c’est de stagnum que vient stagno, « étain ». Et de stannum viennent aussi les qualificatifs stanneux (avec Sn2+) et stannique (avec Sn4+). Notons que toutes ces références gréco-latines ne se retrouvent pas dans les langues germaniques, où le plomb (anglais lead et allemand Blei) et l’étain (anglais tin et en allemand Zinn) ont d’ailleurs des noms d’origine obscure. Le tableau ci-après rassemble les noms donnés au plomb, à l’étain et au molybdène, depuis le grec ancien jusqu’aux langues modernes : Grec

molubdenos

Latin

plumbum (nigrum)

Bas latin

kassiteros plumbum album stannum

Français

molybdène

plomb

étain

Espagnol

molibdeno

plombo

estaño

Anglais

molybdenum

lead

tin

Allemand

Molybdän

Blei

Zinn

41

Chapitre 2 : Au bonheur des artistes et des artisans

z Ça a la couleur du plomb, la consistance du plomb… mais ce n’est pas du plomb Pour ajouter à la confusion, certains minéraux ont été pris à tort pour du plomb. Ce fut le cas de la plombagine ou mine de plomb, ainsi que d’un minéral nommé jadis la molybdène. Il faudra attendre 1778 pour que le chimiste suédois Scheele démystifie ces appellations : la plombagine, c’était du graphite (voir le chapitre 1, rubrique 1) et la « molybdène », c’était en réalité le sulfure d’un nouveau métal, nommé ensuite le molybdène (Mo), son sulfure devenant la molybdénite (MoS2). Remarquons que ces deux «  faux plombs  », molybdénite et graphite, sont encore aujourd’hui associés dans la composition d’une huile dite molygraphite. Dans la même veine, le sulfure de zinc, la blende, a longtemps été confondu avec la galène, et d’ailleurs nommé fausse galène. Son nom vient de l’allemand blenden, « tromper », car on s’attendait, en vain, à en tirer du plomb. Une histoire qui rappelle celle du nickel, nommé d’après son minerai « trompeur », dont on cherchait, en vain, à tirer du cuivre (voir le chapitre 3, rubrique 5). À noter qu’une variété de blende, la sphalérite, a été nommée en 1847 à partir du grec sphaleros, « trompeur », toujours à cause de la confusion avec la galène.

z On peut encore épiloguer sur le plomb et l’étain Les noms modernes sont sans équivoque, mais dans le langage courant, les anciens noms ont la vie dure. Ainsi on parle du tain, la couche réfléchissante d’un miroir, et donc d’une glace sans tain. Mais ce tain (altération de étain) était un amalgame d’étain et de mercure, abandonné depuis longtemps au profit d’une métallisation (souvent à l’argent). En vérité, même un miroir réfléchissant est aujourd’hui « sans tain ». Et que dire du plomb, qu’on élimine de la plomberie, des plombages, surtout dentaires, ou des plombs de chasse. Il n’y a guère qu’avec l’essence sans plomb qu’il s’agit réellement de plomb, justement pour dire qu’il n’y en a pas. Plus inattendu, le nom d’un oiseau marin, le plongeon, vient du bas latin plumbio, de plumbum, « plomb »,

➜ Plongeon

arctique (Gavia arctica).

Wikipédia Creative Commons, CC-BY-SA-2.0, Steve Garvie. 42

Jeu de taquin entre métaux

car il disparait rapidement et longtemps sous l’eau, comme le plomb du pêcheur. Plus tard, du latin populaire *plumbicare viendra le verbe plonger, qui donc, à l’instar du nom de l’oiseau, remonte à la métaphore du plomb coulant à pic. Mais le comble du faux-ami revient au Plomb du Cantal, à 1 855 mètres d’altitude. Au XIIIe siècle, son nom était Pom de Cantal, à cause de sa cime arrondie, comme une pomme (en ancien français, pom, « pommeau »). Et finalement, la montagne a dû évoquer plutôt la lourdeur du plomb (plom en ancien français) que la rondeur d’une pomme ! Encore un faux plomb, au risque de plomber le discours !

➜ $X[FRQILQVGXV\VWÅPHVRODLUHFRQQXGHV$QFLHQV6DWXUQHPHWSUÅVGHWUHQWHDQV½IDLUH

OHWRXUGX6ROHLO½}}NPGHFH6ROHLOTXLOpÆFODLUH½SHLQHXQHSODQÅWHSHVDQWHHWWHUQH rappelant le plomb auquel on l’associait déjà dans l’Antiquité. Une association qui a la vie dure SXLVTXpHQFRUHDXMRXUGpKXLOHVDWXUQLVPHHVWXQHLQWR[LFDWLRQDXplomb.

43

Chapitre 2 : Au bonheur des artistes et des artisans

6

Des histoires sulfureuses Le soufre (S), l’antimoine (Sb) et l’alcool

Un acide xanthique est de formule générale :

Sa réaction chimique avec un alcool (R’OH) donne un xanthate (réaction d’estérification) :

Ce nom est formé sur le grec xanthos, « jaune », à cause de la couleur jaune de la plupart des xanthates (esters ou sels), que l’on nomme aussi dithiocarbonates, car 2 des 3 atomes d’oxygène de l’élément CO3 y sont remplacés par un atome de soufre. Ce qui nous conduit à évoquer le soufre, mais pourquoi thio ?

z Le soufre, l’élément des dieux En grec le soufre se disait theion qui, déjà dans l’Iliade et Odyssée, désignait la fumée de soufre, servant notamment aux purifications. Le rapprochement est tentant avec theion, neutre de l’adjectif theios, « divin, relatif aux dieux », dérivé de theos, « dieu ». On peut imaginer la volonté divine exprimée par un oracle entouré de vapeurs sulfureuses. On pense aussi au verbe thuein, « offrir un sacrifice aux dieux », auquel se rattache thuia, le nom du thuya de Barbarie, ce conifère odoriférant d’Afrique du Nord dont le bois était brûlé comme de l’encens. De theion est tiré l’élément thio-, dans thiochimie, « chimie du soufre », et qui désigne un atome de soufre comme on vient de le voir dans dithio44

Des histoires sulfureuses

carbonate. C’est le cas aussi dans un thiosulfate, où un soufre remplace l’un des 4 oxygènes de SO4, et qui combine donc les noms du soufre en grec et en latin.

z Le soufre en latin En effet, le nom du soufre en latin est sulpur, qui devient sulphur sous l’influence du grec, puis tardivement sulfur, d’où en italien zolfo, en français soufre, en allemand Schwefel, alors que l’anglais a conservé sulphur (ou sulfur en Amérique), et que l’espagnol azufre vient de l’ancienne expression (piedr)a sufre, « pierre de soufre ». latin sulpur, sulphur, sulfur

italien espagnol

français

anglais

allemand

zolfo

azufre

soufre

sulphur, sulfur

Schwefel

solfuro

sulfuro

sulfure

VXOSKLGHVXOƂGH

6XOƂG

La forme latine sulfur a inspiré de terme sulfure en français et l’équivalent dans les langues romanes, mais l’anglais, ayant conservé sulphur, « soufre », a privilégié sulphide, sulfide, « sulfure », imité par l’allemand. Plus généralement, l’anglais emploie le suffixe -ide (cf. chloride) et le français -ure (cf. chlorure), sauf pour oxyde (anciennement oxide).

z Toutes sortes de sulfures Dans son Histoire naturelle, Pline l’Ancien remarque à juste titre que le soufre « a la propriété d’agir puissamment sur de très nombreuses substances » et il présente plusieurs minéraux qui sont des sulfures, tels que la galène (PbS), la pyrite de fer (FeS2), le cinabre (HgS), ou encore une poudre fine nommée en latin stibium (relié au grec stimmi, stibi), composant principal du fard dont on se maquillait les yeux déjà en l’Égypte ancienne.

45

Chapitre 2 : Au bonheur des artistes et des artisans

➜ 3RUWUDLWGpXQHGDPHDX[\HX[IDUGÆVVXUOHWRPEHDX

de Menna, dans la vallée des nobles, en Égypte.

On sait aujourd’hui que ce stibium devait être le plus souvent un composé de plomb comme la galène, mais dans le courant du Moyen Âge, les alchimiste ont dû nommer stibium le minerai d’un métal voisin (un métalloïde en fait) nommé en latin médiéval antimonium (lié au grec stimmi ?), d’où en anglais antimony, en allemand Antimon, en italien et espagnol antimonio, et en français antimoine, dont la forme étrange, anti-moine, n’a pas manqué d’inspirer des légendes « monacales ». Le symbole chimique de l’antimoine est resté Sb et la stibine est aujourd’hui le trisulfure d’antimoine (Sb2S3). 50

51

Sn

Sb

étain

antimoine

82

83

Pb

Bi

plomb

bismuth

L’antimoine était facilement confondu avec le plomb ou l’étain, ou encore le bismuth, que l’on trouvera au chapitre 3. 46

Des histoires sulfureuses

z Épilogue cosmétique Ce fard est connu sous son nom arabe, le kôhl, et c’est de al-kôhl que vient le mot alcool désignant d’abord une poudre raffinée analogue au stibium ancien, puis tout produit raffiné, y compris un liquide obtenu par distillation, donc y compris les essences telles que l’esprit-de-vin, que Lavoisier a finalement recommandé de nommer alkool. Ensuite, on a généralisé la notion de fonction alcool (-OH) en chimie, d’abord en allemand Alkohol. Beaucoup plus tard, on a défini la fonction thioalcool (-SH), ou thiol, ou encore mercaptan, d’un ancien nom latin mercurius captans, « qui capte le mercure ». Ces molécules soufrées réagissent en effet avec le mercure, qui était jadis l’un des 3 principes alchimiques, à côté du soufre justement, et du sel.

➜ Un

solfatare (de l’italien solfatara) est un dépôt de VRXIUHGØDX[ÆPDQDWLRQVGHgaz sulfurés dans les régions volcaniques, pleines de mystères.

47

Chapitre 2 : Au bonheur des artistes et des artisans

Après les 5 éléments du chapitre 1, ce sont 13 autres qui apparaissent au chapitre 2, dont 6 métaux dits de transition, 5 métaux dits pauvres, 1 métalloïde (Sb) et un non-métal (S). 1

18

1

2

H hydrogène 3

He 2

13

hélium

4

numéro atomique

9

10

Be

symbole

B

C

N

O

F

Ne

nom

bore

carbone

Azote

oxygène 16 16

fluor

néon

13

12

Mg magnésium

25

K

Ca

Sc

Ti

V

Cr

Mn

Fe

Co

Ni

potassium

calcium

scandium

titane

vanadium m

chrome h 42 42

manganèse ma

fer

cobalt

nickel

Mo

Tc

37

20

38

21

39

4 22

40

5 23

41

Rb

Sr

Y

Zr

Nb

rubidium

strontium

yttrium

zirconium

niobium m

55

56

Cs

Ba

césium

baryum

87

88

Fr

Ra

francium

radium

43

tecchnétium molybdène technétium

44

9 27

28

45

46

11 29 29 Cu

Cu cuivre cuivre 47 47

14

15

17

18

Al A

Si

P

S

Cl

Ar

1230 30 Zn

aluminium um minium

silicium

phosphore

soufre soufre

chlore

argon

Znzinc

Ga G

Ge

As

Se

Br

Kr

zinc 48 48

gallium galllium

germanium 50 50

arsenic 51 51

sélénium

brome

krypton

Sb Sb

Te

I

Xe

antimoine antimoine

tellure

iode

xénon

31 3

49

32

Ru

Rh

Pd

Ag Ag

Cd Cd

In

Sn Sn

ruthénium

rhodium

palladium

argent argent

cadmium cadmium

indium m

étain étain 82 82

34

52

35

53

36

54

7878

79

Ta

W

Re

Os

Ir

PtPt

Au AU

Hg Hg

Tl

Pb Pb

Bi

Po

At

Rn

tantalee

tungstène

rhénium

osmium

iridium

or or 111

mercure mercure 112

thallium m

plomb plomb 114

bismuth

polonium

astate

radon

109

platine platine 110

Mt

Ds

Rg

73

105

74

106

75

107

76

108

Rf

Db

Sg

Bh

Hs

rutherfordium

dubnium

seaborgium

bohrium

hassium

57

58

59

60

61

77

meitnérium darmstadtium rœntgenium 62

63

64

8080

33

Hf 104

actinoïdes

24

7

hafnium

72 lanthanoïdes

6

10

8 26 26

19

3

8

17

béryllium

Na

7

16

Li

sodium

6

15

lithium 11

5

14

81

113

83

115

84

116

85

117

86

118

Cn

Nh

Fl

Mc

Lv

Ts

Og

copernicium

nihonium

flerovium

moscovium

livermorium

tennessine

oganesson

65

66

67

68

69

70

71

La

Ce

Pr

Nd

Pm

Sm

Eu

Gd

Tb

Dy

Ho

Er

Tm

Yb

Lu

lanthane

cérium

praséodyme

néodyme

prométhéum

samarium

europium

gadolinium

terbium

dysprosium

holmium

erbium

thulium

ytterbium

lutécium

95

96

Ac

Th

Pa

U

Np

Pu

Am

Cm

Bk

actinium

89

thorium

90

protactinium

91

uranium

92

neptunium

93

plutonium

94

américium

curium

berkélium

97

98

99

Cf

Es

californium einsteinium

100

101

102

Md

No

Lr

mendélévium

nobélium

lawrencium

➜ /p$WRPLXPGH%UX[HOOHVzXYUHGpDUWHWSURXHVVHWHFKQLTXHWRXW½ODIRLVHVWXQK\PQHDX

progrès scientifique au service de l’Humanité. C’est une allégorie du métal, du fer et de sa structure cristalline, de l’atome et de l’élément chimique dans toute son universalité. /p$WRPLXPDÆWÆFRQVWUXLW½OpRFFDVLRQGHOp([SRVLWLRQXQLYHUVHOOHGH

48

103

Fm fermium

CHAPITRE

Dieux, mythes et légendes

3

Où l’on se plonge dans la mythologie et l’astronomie 1 Des dieux et des planètes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52 2 &LHORXHQIHU}" . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56 3 Prométhée et les terres cachées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60 4 Hélène de Troie et les sucres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64 5 Des nains démoniaques 6 La peur du loup-garou

......................................................

68

........................................................

72

7 Vanadis et Thor, le jour et la nuit

..........................................

76

8 Les oracles d’Amon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80

&KDSLWUH'LHX[P\WKHVHWOÆJHQGHV

021',(848(//()$0,//(} Dans la généalogie gréco-latine qui suit, on retrouve CHAOS, dont le nom a servi à former le mot gazVRQSHWLWƂOV£7+(5SHUVRQQLƂFDWLRQGHl’éther, ainsi qu’une partie de son immense descendance sur 5 générations. CHAOS (Vide primordial) 1\[ (Nuit) 1

Gaïa/Tellus (Terre) Ouranos/Uranus (Ciel)

Pontos (Mer) Aphrodite/Vénus

2

£7+(5

Cronos/Saturne (un Titan)

Hypérion (un Titan)

Séléné/Lune

Japet (un Titan)

Thaumas

Prométhée

Iris

3

Hélios/Soleil

3

Héra/Junon =HXVJupiter Déméter/Cérès Hadès/Pluton Poséidon/Neptune

4 Héphaïstos/Vulcain Arès/Mars 4 Hermès/Mercure

Tantale

5

Niobé

Pallas Athéna/Minerve Hélène

,OH[LVWHGHVYDULDQWHVGDQVOHVOÆJHQGHV$LQVL$SKURGLWH9ÆQXVHVWSDUIRLV SUÆVHQWÆHFRPPHXQHƂOOHGH=HXVHWHOOHHVWFRQVLGÆUÆHLFLFRPPHQÆHGH l’écume de la mer fécondée par Ouranos. De son séjour à Chypre vient son surnom Cypris, du latin Cyprusˆ}&K\SUH}˜GpRÖDXVVLHQODWLQcuprum, le nom du cuivre, métal abondant à Chypre et associé à la planète Vénus. Tout se tient.

➜ La naissance de Vénus,

50

vers 1484/1485 par Botticelli.

La prodigieuse histoire du nom des éléments

La mythologie gréco-latine dans l’astronomie… /H6ROHLOOD/XQHHWOHVSODQÅWHVLGHQWLƂÆHV½OpÆSRTXHIRUPHQWXQHQVHPEOHGH DVWUHVTXLÆWDLHQWTXDOLƂÆVHQJUHFGHplanêtes, pluriel de planetosˆ}HUUDQW}˜ FDULOVVRQWPRELOHVSDUUDSSRUWDX[FRQVWHOODWLRQVƂ[HVGXFLHO&HWWHSDUWLFXODULWÆHVWDSSDUXHVLLPSRUWDQWHDX[$QFLHQVTXpLOVRQWGRQQƽFHVDVWUHVOHV QRPVGHGLYLQLWÆVP\WKRORJLTXHVGHSUHPLHUSODQ HQURXJHFLFRQWUH }-XSLWHU trône entre son père Saturne, et ses enfants Mercure et Mars, ainsi que Vénus. (WSRXUQRPPHUODQRXYHOOHSODQÅWHLGHQWLƂÆHHQRQDWRXWQDWXUHOOHPHQWIDLWDSSHO½8UDQXVOHSÅUHGH6DWXUQH(QƂQOHVGHX[GHUQLÅUHV planètes découvertes, Neptune et Pluton, ont été dédiées à des frères de -XSLWHUVDQVRXEOLHUOHVGHX[JURVDVWÆURÌGHV&ÆUÅVHW3DOODV …et dans l’alchimie puis la chimie /HV$QFLHQVSXLVOHVDOFKLPLVWHVRQWDVVRFLÆOHVDVWUHVQRQƂ[HVTXpLOV REVHUYDLHQWDX[PÆWDX[TXpLOVFRQQDLVVDLHQWVDQVSRXUDXWDQWOHXUGRQQHU le nom des astres, sauf pour le mercure tardivement puisque ce métal liquide VpHVWORQJWHPSVQRPPƈ}YLIDUJHQW}˜ Puis à l’époque moderne, les chimistes ont volontiers nommé des éléments chimiques à partir de la mythologie, en passant, ou pas, par l’intermédiaire de l’astronomie. C’est le chimiste allemand Martin Klaproth qui a initié cette démarche en 1792 en nommant l’uranium à partir du nom de la planète Uranus, fraîchement découverte. Dans la généalogie ci-contre, 14 noms sont écrits en caractères gras et se devinent sous les noms de 14 éléments chimiques. Il sera question de ces FRXSOHVˆ}GLYLQLWÆÆOÆPHQW}˜GDQVOHVSDJHVTXLVXLYHQWPDLVSDVGXFRXSOH Hélios-héliumFDULOHVWWUÅVSDUWLFXOLHUHWVDQVUDSSRUWDYHFODP\WKRORJLH} l’élément a été découvert dans le Soleil, comme on le verra plus loin dans le Chapitre 6 (sur les gaz nobles). Ainsi que d’autres mythologies /HVQRPVGpRULJLQHJUHFTXHHWRXODWLQHVRQWFHUWHVOHVSOXVQRPEUHX[GDQV le vocabulaire de la chimie, mais on y trouve aussi des noms inspirés des contes et légendes germaniques et scandinaves. 2QUHPRQWHPÇPHHQFRUHSOXVORLQGDQVODQXLWGHVWHPSVVLOpRQFRQVLGÅUH le nom de l’ammoniac, qui renvoie au dieu Amon de l’Égypte ancienne. 9R\DJHRQVVDQVSOXVWDUGHUGDQVOHVP\WKHVHWOÆJHQGHV} 51

&KDSLWUH'LHX[P\WKHVHWOÆJHQGHV

1

Des dieux et des planètes /pXUDQLXP} 8 OHQHSWXQLXP} 1S  le SOXWRQLXP} 3X OHWHOOXUH} 7H OHVÆOÆQLXP} 6H  le FÆULXP} &H HWOHSDOODGLXP} 3G

En 1792, le pharmacien et chimiste allemand Martin Klaproth publiait un mémoire commençant ainsi en français : « Les philosophes anciens, prévenus de l’idée que notre globe était le centre de l’Univers, […] furent frappés du rapport numérique qu’ils trouvèrent entre les sept métaux qu’ils connaissaient, & les sept planètes qui existaient selon leur hypothèse »1. C’est à partir de ce rappel historique que l’auteur justifiait, comme on va le voir, le nom même de l’uranium.

➜ Martin

Klaproth (1743-1817).

z Les 7 métaux de l’Antiquité Les Anciens en effet, puis les alchimistes, ont cultivé une sorte de numérologie basée sur le chiffre 7, en associant les 7 métaux connus depuis toujours aux 7  astres non fixes (Soleil, Lune et 5  planètes identifiées à l’époque), portant eux-mêmes les noms de 7  divinités mythologiques gréco-latines. Après quelque hésitation pour certaines planètes2, les correspondances suivantes se sont imposées : le Soleil et l’éclat de l’or, la Lune et sa lumière d’argent, le rouge de Mars et du fer employé pour la guerre, le jaune de Vénus et de son miroir en cuivre (métal abondant à Chypre, l’île de Vénus), le blanc de Jupiter, de son éclair et de l’étain, la pâleur de Saturne dont la lenteur (tour du Soleil en 30 ans) s’accorde avec la pesanteur du plomb, et au contraire la vélocité de Mercure (tour du Soleil en 3 mois) qui évoque la fluidité du mercure (anciennement vif-argent) et l’agilité des commerçants. 1. Klaproth, Martin, Mémoires de l’Académie royale des sciences et belles-lettres, Berlin, 1792, p. 172. 2. Halleux, Robert, Le problème des métaux dans la science antique, Les Belles Lettres, Paris, 1974, 252 p., p. 154. 52

Des dieux et des planètes

3 % 5 0

8 Étain 7 Fer Mercure Mercure 6 Civre Or

Soleil

Jupiter

Argent

Lune

Mars

Plomb

➜ Tableau

Vénus

Saturne

alchimiste.

z Et dix de plus… En fait, dès l’Antiquité, on a utilisé, mais sans parvenir à les identifier, d’autres métaux que les 7 primitifs, le plus souvent en composition dans divers minéraux. Mais seuls ces 7 métaux étaient connus en tant que tels, et ils le sont restés… jusqu’à la fin du Moyen Âge, où apparaissent le zinc et l’antimoine, et surtout au XVIIIe siècle, où sont découverts le platine, le bismuth, le cobalt, le nickel, le manganèse, le molybdène, le tungstène. Il faut y ajouter l’arsenic, et l’on arrive aux 17 « substances simples métalliques » du tableau de Lavoisier de 1789. Constatant donc en 1792 que déjà 17 métaux étaient connus, Klaproth écrivait, non sans humour, que « comme le catalogue des planètes ne fut point grossi à mesure, les métaux nouveaux furent privés de ces pompeuses dénominations empruntées du système planétaire, & réduits à des noms imposés par le hasard, ou par des mineurs obscurs ». Il pensait sûrement aux « mineurs obscurs » des mines de cobalt et de nickel que l’on trouvera plus loin dans ce chapitre (rubrique 5). Quant au « hasard », on pouvait l’attribuer à des noms comme zinc ou antimoine, dont les étymologies sont pour le moins obscures, et plus encore au nom bismuth, apparu au XVe siècle en allemand, Wismut, d’origine complètement inconnue (d’où aussi Bismut en allemand, bismuth en français et anglais, bismuto en espagnol).

z Uranus et l’uranium Klaproth a étudié la pechblende, un minéral déjà utilisé dans les céramiques, mais dont la structure était inconnue. Il a montré que ce minéral était l’oxyde d’un nouveau métal, qu’il nommait en 1792 en ces termes : « Je me prévaux des droits incontestables de tout inventeur, & je donne à ce métal nouveau le nom d’Uranium, ou Urane, emprunté de la planète Urane, dont la découverte est également récente ». En 1781 en effet, l’astronome germano-anglais Herschel découvrait la planète 53

&KDSLWUH'LHX[P\WKHVHWOÆJHQGHV

Uranus (d’abord Urane), un astre que d’autres avaient vu auparavant, mais qu’ils avaient pris pour une étoile fixe car son déplacement est très lent (tour du Soleil en 84 ans). Uranus venait logiquement après Jupiter et Saturne, puisque Uranus est le père de Saturne et le grandpère de Jupiter. En suivant explicitement la tradition ancienne, Klaproth associait donc le dernier métal identifié à la toute nouvelle planète, ajoutant ainsi le couple Uranus-uranium aux 7 couples « astre-métal » de l’Antiquité. Dans le même esprit, il donnait en 1798 son nom au tellure à partir de Tellus, le nom latin de la déesse Terre. En effet, la Terre n’étant plus le centre de l’Univers depuis longtemps, elle ne pouvait pas rester la seule planète sans correspondant, même si, en l’occurrence, le tellure est un métalloïde. De plus, on a détecté en 1801 et 1802 les deux premières planètes naines, ou astéroïdes, Cérès et Pallas, dont les noms ont inspiré ceux des deux métaux identifiés peu après, le cérium par Klaproth lui-même, et le palladium (du latin Pallas, Palladis) par le physicien et chimiste anglais Wollaston.

z Planètes transuraniennes et métaux transuraniens Enfin, deux autres planètes ont été découvertes ensuite, et nommées selon la tradition mythologique : Neptune, trouvée en 1846 grâce au calcul précis de Le Verrier, et Pluton en 1930 (devenue planète naine en 2006). On a mis plus de temps cette fois à nommer des métaux neptunium et plutonium. Ce fut aux États-Unis, au cours des travaux de physique nucléaire dans les années 1940, à partir des noms des planètes, et aussi par analogie entre deux filiations : celle d’Uranus, grand-père de Neptune et Pluton, et celle de l’uranium (on parle parfois de noyau père et de noyau fils), donnant le neptunium et le plutonium par désintégrations successives du type ci-dessous, où les atomes apparaissent dans l’ordre des planètes :

54

Des dieux et des planètes 25

26

29

30

Ti

V

Cr

Mn

Fe

Co

Ni

Cu

Zn

Ga

Ge

As

Se

titane

22

vanadium

chrome

manganèse

fer

cobalt

nickel

cuivre

zinc

gallium

germanium

arsenic

sélénium

40

23

41

Zr

Nb

zirconium

niobium

72

73

24

42

43

Mo

Tc

molybdène technétium 74

27

28

33

34

49

50

Ru

Rh

Pd

Ag

Cd

In

Sn

Sb

Te

rhodium

palladium

argent

cadmium

indium

étain

antimoine

tellure

76

78

79

Ta

W

Re

Os

Ir

Pt

Au

Hg

Tl

Pb

Bi

Po

tungstène

rhénium

osmium

iridium

platine

or

mercure

thallium

plomb

bismuth

polonium

91

92

93

81

94

82

83

52

tantale

90

80

51

Hf

58

77

47

hafnium

57

75

45

48

32

ruthénium

44

46

31

84

95

96

La

Ce

Th

Pa

U

Np

Pu

Am

Cm

Bk

lanthane

cérium

thorium

protactinium

uranium

neptunium

plutonium

américium

curium

berkélium

97

➜ /HV}PÆWDX[GHOp$QWLTXLWÆ HQURXJH HWOHV}QRXYHDX[PÆWDX[GH.ODSURWKHQ HQEOHX 

'HVQRPVGpLQVSLUDWLRQDVWURQRPLTXH}l’uranium, le neptunium, le plutonium (les planètes, en vert), le tellure et le sélénium (en jaune), le cérium et le palladium (les astéroïdes, en violet).

z Épilogue lunaire Le Soleil, la Lune et les planètes ont donc chacun un métal associé (ou un métalloïde pour la Terre), et la Lune est même favorisée car, en plus de l’argent, elle a un non-métal, le sélénium, nommé ainsi par Berzelius en 1818 à partir du nom grec, Selênê, de la déesse de la Lune, à cause de l’extrême proximité de cet élément avec le tellure. Une belle convergence symbolique, sur trois millénaires, entre mythologie, astronomie et chimie, que traduit bien l’étymologie des noms de l’uranium et des premiers transuraniens.

➜ 0ÆWDX[DVVRFLÆVDX[DVWUHVGHSXLVOp$QWLTXLWÆHWFHX[TXLRQWÆWÆQRPPÆVGpDSUÅVGHVDVWUHV½

partir de 1792. L’hélium n’apparaît pas, car la logique de son nom est toute autre, une logique d’ailleurs purement astrophysique.

PLUTON ET LE CÉLÈBRE CHIEN PLUTO Le chien de Mickey a été nommé Pluto par Walt Disney en 1930 pour célébrer la découverte de Pluton par les astronomes américains. À noter qu’en anglais, Pluton se dit Pluto, comme le chien, du latin Pluto, Plutonis. Au contraire, en français on distingue Pluton et Pluto, le nom du chien qu’on oublierait presque d’associer au dieu des Enfers, dont le chien était d’ailleurs Cerbère…

55

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2

Ciel ou enfer ? Le WLWDQH 7L OHzirconium (Zr), le WDQWDOH 7D OHniobium (Nb) et l’iridium (Ir)

Comme on vient de le voir, les Anciens, puis les alchimistes, associaient les métaux aux astres, eux-mêmes dédiés aux divinités : ainsi, mercure désigne à la fois le métal, la planète et le dieu. Et en 1792, le chimiste allemand Klaproth renouait avec cette tradition en nommant l’uranium en référence à la planète Uranus, elle-même dédiée au dieu du Ciel. Mais certains noms de métaux sont directement inspirés de la mythologie gréco-latine, sans l’intervention d’un astre, et c’est encore Klaproth qui a donné l’exemple avec le titane.

z Une histoire de Titans En 1795, Klaproth découvrait en effet un autre métal, qu’il baptisait Titanium en précisant que ce nom était « comme pour l’uranium, inspiré de la mythologie » : une association d’idées naturelle car les Titans sont des fils d’Uranus. Ils sont au nombre de six, et le plus jeune Titan est Saturne, le père de Jupiter (ou Zeus). À ce propos, le plus gros satellite de la planète Saturne ne s’appelle-t-il pas Titan ? Si, mais ce nom ne date que de 1847, bien après le choix de Titanium par Klaproth. Celui-ci a réalisé en tout cas un énorme travail en chimie, un travail titanesque si l’on ose dire. En effet, en plus de l’uranium, du tellure, du cérium et du titane, Klaproth a aussi identifié pour la première fois en 1789 le zirconium à partir d’un zircon de Ceylan. C’est du nom de ce minéral (ZrSiO4) en allemand, Zircon, qu’est dérivé le nom zirconium.

z Du fils de Zeus à l’oiseau En 1802, le chimiste suédois Ekeberg découvre, dans un minéral de Suède, un nouveau métal à propos duquel il écrit : « En me prévalant de l’usage qui admet des dénominations mythologiques, et pour exprimer l’impuissance du nouveau métal de se saturer des acides dans lesquels on le plonge, je lui ai appliqué le 56

&LHORXHQIHU}"

nom de tantalium ». L’impossibilité pour ce métal de réagir avec les acides lui rappelait l’impossibilité de se nourrir pour Tantale, ce fils de Zeus qui, ayant gravement offensé les dieux, fut condamné à la faim et la soif éternelles : plongé jusqu’au cou dans l’eau du Tartare, aux Enfers, il ne pouvait ni boire car l’eau fuyait sa bouche, ni manger car dès qu’il tentait de cueillir un fruit, le vent l’éloignait de lui.

➜ La

tentation de Tantale dans OH7DUWDUHDX[(QIHUV Gravure Bernard Picart, Le Temple des muses (1733).

Ekeberg n’était toutefois pas le premier à s’inspirer du supplice de Tantale (Tantalus en latin). En effet, en 1750, un ornithologue avait nommé tantalus une sorte de cigogne d’Amérique, que l’on voit marcher dans l’eau en y plongeant sans cesse son bec, comme si elle ne pouvait jamais se rassasier. Linné a retenu en 1766 le nom de genre Tantalus pour cet oiseau, d’où son nom en français, tantale. Ekeberg, universitaire à Uppsala, près de Stockholm, s’était inspiré du nom d’oiseau établi par l’illustre Linné, professeur avant lui à Uppsala ?

➜ Tantale

d’Amérique (Mycteria americana, que Linné classait dans le genre Tantalus). Wikipédia, Creative Commons, cc-by-sa-2.0, Bernard DUPONT.

z La fille cachée de Tantale En 1801, le chimiste anglais Hatchett avait identifié, à partir d’un minéral d’Amérique du Nord, un nouveau métal qu’il a nommé colum57

&KDSLWUH'LHX[P\WKHVHWOÆJHQGHV

bium, de Columbia, le nom poétique de l’Amérique. Mais la confusion s’est ensuite installée entre ce columbium et le tantale d’Ekeberg, car les deux métaux avaient des propriétés voisines. On a même pensé que peut-être ils ne faisaient qu’un, puis, en isolant les métaux, le chimiste allemand Rose a montré en 1844 que le tantale d’Ekeberg contenait en fait un autre métal, qu’il a nommé niobium, du nom de Niobé, la fille de Tantale, et qu’il a identifié… au columbium. La confusion a perduré car le même métal est longtemps resté nommé colombium aux États-Unis et niobium en Europe, et c’est en 1950 que la communauté scientifique a tranché en faveur de niobium. De columbium vient columbite, le nom du minéral (Fe,Mn).(Nb,Ta)2.O6, où l’on trouve le tantale et le niobium en proportions variables.

z Épilogue irisé En 1804, le chimiste américain Tennant découvre un autre métal, caractérisé par la diversité de couleurs de ses sels. En s’inspirant d’Iris (Iris, Iridos en grec), la messagère des dieux, personnification de l’arc-en-ciel, il nomme ce métal iridium. En grec, iris, iridos désignait déjà l’arc-en-ciel, ou la fleur d’iris (chez Théophraste), ou l’iris de l’œil (chez Galien). En français : irisé, « aux couleurs d’arc-en-ciel », iridacée, « plante de la famille de l’iris », irien, iridien, « relatif à l’iris de l’œil », des mots qui n’ont de rapport avec iridié, « qui contient de l’iridium », que par la mythologie grecque. français

italien

espagnol

anglais

allemand

titane

titanio

titanio

titanium

Titan

tantale

tantalio

tantalio

tantalum

Tantal

niobium

niobio

niobio

niobium

Niob

iridium

iridio

iridio

iridium

Iridium

58

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➜ 3DUPLOHVIOHXUVGpLULVODPHVVDJÅUHGHVGLHX[HWSHUVRQQLILFDWLRQGHOpDUFHQFLHO,ULV

assure le lien entre le ciel et la terre. Artwork © Josephine Wall.

59

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3

Prométhée et les terres cachées Le cérium (Ce), le lanthane (La), le VDPDULXP} 6P  l’europium (Eu), le praséodyme (Pr), le néodyme (Nd), le prométhium (Pm), le gadolinium (Gd) et le WHFKQÆWLXP 7F

Les 17 terres rares dessinent une sorte d’équerre dans la classification périodique : le scandium, l’yttrium et le lanthane en colonne, et les 14 autres lanthanides en ligne 6, du cérium au lutécium. Colonne 3 21

Sc scandium 39

Y

Ligne 6

yttrium 57

58

59

60

61

62

63

64

65

66

67

68

69

70

71

La

Ce

Pr

Nd

Pm

Sm

Eu

Gd

Tb

Dy

Ho

Er

Tm

Yb

Lu

lanthane

cérium

praséodyme

néodyme

prométhéum

samarium

europium

gadolinium

terbium

dysprosium

holmium

erbium

thulium

ytterbium

lutécium

15 lanthanides ➜ Les

17 terres rares, dont les 9 de la série de l’yttrium (en rouge) et 8 de la série du cérium (en bleu).

Une pierre trouvée à Ytterby, près de Stockholm, a fourni les terres rares de la série de l’yttrium, mais c’est à partir d’une autre pierre, trouvée à Bastnäs dans l’intérieur de la Suède, que l’on a découvert la seconde série de terres rares, la série du cérium. Deux origines géographiques voisines en Suède, mais des noms très éloignés, car yttrium est attaché à son petit village d’Ytterby, comme on le verra au chapitre 4, rubrique 1, alors que cérium entraîne à des centaines de millions de kilomètres de la Terre !

z Cérium, un nom astronomique et mythologique La « pierre pesante de Bastnäs » a été étudiée par plusieurs équipes, dont celles des chimistes allemand Klaproth et suédois Berzelius, qui ont mis en évidence un nouveau métal, auquel ils ont, en 1804, « donné 60

Prométhée et les terres cachées

le nom de cérium, d’après la planète de Cérès ». Celle-ci venait en effet d’être découverte et dédiée à la déesse romaine de la fécondité et des moissons. Klaproth ne pouvait qu’approuver ce choix, lui qui avait renoué en 1792 avec les relations métal-planète de la tradition antique. Plus tard, Berzélius dédiera le vanadium à Vanadis, dite parfois la Cérès des Scandinaves (voir la rubrique 7).

➜ L’astéroïde Cérès et la déesse romaine.

:LNLSÆGLDFFE\VD%RUJKHVH&ROOHFWLRQSXUFKDVH

z Cachés dans le cérium, le lanthane et son jumeau En 1839, le chimiste suédois Mosander découvre un « nouveau métal qui ne change que peu les propriétés du cérium, et qui s’y tient pour ainsi dire caché. » D’où le nom de lanthane qu’il lui donne, du verbe grec lanthanein, « être caché ». Une idée dont s’inspirera peut-être Ramsay en 1898 pour nommer le krypton, du grec kruptein, « cacher » : deux façons de dire « caché » en grec, pour désigner d’abord une terre rare cachée dans le cérium, puis un gaz rare caché dans l’argon. Mosander a montré que le cérium cachait encore un autre métal, qu’il a nommé en 1842 didyme, du grec didumos, « jumeau », le jumeau du lanthane en quelque sorte. Mais on s’est aperçu assez vite que ce didyme lui-même n’était pas un corps simple…

z Un jumeau peut en cacher d’autres Dans un minerai du sud de l’Oural, la samarskite, du nom de l’ingénieur des mines russe Samarsky-Bykhovets, on a trouvé aussi du didyme, et le chimiste français Lecoq de Boisbaudran y a détecté par analyse 61

&KDSLWUH'LHX[P\WKHVHWOÆJHQGHV

spectroscopique en 1879 un premier métal, qu’il a baptisé samarium, d’après samarskite, puis en 1886, un second métal qu’il a nommé gadolinium, en l’honneur du minéralogiste finlandais Johan Gadolin, le pionnier de la découverte des terres rares, que l’on retrouvera au chapitre 4, rubrique 1. Et finalement, le chimiste autrichien Auer von Welsbach a prouvé que ce didyme lui-même était en fait constitué de deux métaux voisins, pour ne pas dire eux-mêmes jumeaux. Dans un Bulletin de la Société Chimique de France de 1886, il explique avoir abouti « d’abord au sel vert et enfin au sel rose, qui correspondent aux deux éléments du didyme, le praséodyme et le néodyme. » De vrais jumeaux aux noms assez étranges, où l’élément -dyme sert de suffixe, associé d’une part à praséo- du grec prason, « poireau », prasinos, « vert tendre comme le poireau », et d’autre part à néo-, de neos, « nouveau ». Mais pourquoi néo- ? Pourquoi pas « rhododyme », par symétrie, pour le métal au sel rose ? Notons ici qu’Auer von Welsbach a aussi découvert la possibilité de doper grâce à des oxydes de terres rares la lumière émise par un bec de gaz ; d’où son invention du bec Auer, une lampe d’éclairage très en vogue à la Belle Époque. C’était une sophistication du bec Bunsen, mis au point par le chimiste allemand Bunsen, chez qui d’ailleurs Auer avait travaillé.

➜ Publicité

Art déco pour le bec Auer.

Puis le chimiste français Demarçay identifiera en 1901 dans le minerai du samarium un métal qu’il nommera europium : un nom rassembleur pour des travaux menés dans plusieurs pays, de la Suède à l’Oural, frontière naturelle de l’Europe.

z Épilogue prométhéen Toutefois, l’histoire ne s’arrêtait pas à l’europium, car on avait découvert les éléments 57, 58, 59, 60 et 62, 63, 64, mais l’élément 61 restait introuvable. Ce métal est en effet la plus rare des terres rares, car tous ses isotopes sont radioactifs et à relativement courte durée de vie.

62

➜ Prométhée,

puni, enchaîné avec l’aigle.

Prométhée et les terres cachées

Il faudra attendre 1945 pour que l’élément 61 soit identifié au moyen du réacteur nucléaire d’Oak Ridge (Tennessee), dirigé alors par le chimiste américain Coryell. Et l’histoire retient que l’épouse de Coryell, Grace, a donné l’idée en 1948 de nommer ce nouvel élément prométhium, car ceux qui cherchaient à maîtriser l’énergie nucléaire lui rappelaient Prométhée dérobant le feu aux dieux de l’Olympe. Prométhée a aussi enseigné aux hommes la technique (en grec tekhnê), et l’on avait d’ailleurs nommé en 1937 technétium, du grec tekhnêtos, « artificiel », l’élément 43, décelé dans le molybdène irradié, et alors inconnu dans la nature. Les éléments technétium 43 et prométhium 61 étaient donc les deux seuls éléments, parmi les 92 premiers, inconnus dans la nature. On a trouvé depuis le technétium à l’état de traces (dans un minerai d’uranium), mais pas le prométhium. Le prométhium, la dernière terre rare identifiée, est donc le seul des 92 premiers éléments à n’avoir jamais été trouvé sur Terre. C’est, si l’on ose dire, une terre rarissime, et elle a bien été dérobée, sinon aux dieux, du moins au-delà de la condition terrestre.

➜ Cérès, déesse romaine de la fécondité et des

PRLVVRQVfGpRÖOHQRPFÆUÆDOHV )DOODLWLOXQHGÆHVVHSRXUUÆFROWHUGHVWHUUHVUDUHV}" 63

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4

Hélène de Troie et les sucres L’inuline et l’insuline

L’inuline occupe une place particulière parmi les sucres lents (les polysaccharides) d’origine naturelle. Elle a été découverte en 1804 par le pharmacologiste allemand Valentin Rose Junior, à partir de racines d’une plante réputée depuis l’Antiquité pour ses vertus médicinales, la grande aunée. Le terme inuline vient du nom latin de cette plante, lui-même emprunté au grec.

➜ La

grande aunée (Inula helenium) atteint trois mètres de haut. L’inuline (à droite) est un polymère de fructose.

z Une plante enracinée… dans la mythologie Théophraste qualifiait en grec la grande aunée de panacée de Chiron, ce qui renvoie deux fois, et à la mythologie, et à la médecine. En effet, Chiron (du grec kheir, « main », cf. chirurgien) était le Centaure omniscient, donc aussi médecin et chirurgien : ce fut le précepteur d’Asclépios, devenu lui-même le dieu de la médecine, dont la fille Panacée (du grec pan, « tout », et akesis, « guérison ») guérissait tous les maux, d’où la panacée dans le langage courant. 64

Hélène de Troie et les sucres

Plus tard, Dioscoride donnait à la même grande aunée un autre nom grec, helenion, rappelant à nouveau un personnage mythologique, cette fois Hélène (grec Helenê), dont l’enlèvement a provoqué la guerre de Troie. Mais en quoi la plus belle femme de l’Antiquité, après Aphrodite, est-elle concernée ici ? La réponse réside dans un mélange de sciences naturelles et de légendes. Au cours de son retour de Troie, la belle Hélène avait dû être éloignée sur l’île de Pharos pour échapper aux avances du roi d’Égypte. Or Pharos, proche du delta du Nil, était infestée de serpents, et il a donc fallu donner à Hélène une plante guérissant leurs morsures, plante nommée helenion, «  herbe d’Hélène  ». Une variante de la légende affirme que cette plante est née sur l’île des larmes mêmes d’Hélène. Toujours est-il que, par analogie, quelques autres plantes censées soigner les morsures de serpents ont aussi été nommées en grec helenion, et c’est le cas de la grande aunée, puisque, selon Théophraste, « on l’utilise contre les vipères. »3

➜ %LHQDSUÅVOHSDVVDJHGp+ÆOÅQH$OH[DQGULH

sera créée en face de l’île de Pharos, sur laquelle sera érigée la septième merveille GXPRQGHOH3KDUHGp$OH[DQGULHDLQVLQRPPÆ GpDSUÅVOHQRPGHOpËOHGpRÖYLHQWILQDOHPHQW le mot phare en français.

z D’Hélène à l’inuline, une recombinaison linguistique ? Le grec helenion a été emprunté par le latin, en évoluant vers des noms variés de la grande aunée : de la forme elena vient son nom anglais, elecampane (de ele(na) campana), puis de elna vient aunée en français, et ella devient Alant, « aunée », en allemand. Et la surprise vient de son nom latin inula, employé par Pline l’Ancien, que l’on relie aussi à helenion, en admettant que les consonnes /l/ et /n/ se sont échangées dans l’évolution. Un tel échange est parfaitement répertorié par les 3. Amigues, Suzanne, Théophraste, Recherche sur les plantes, À l’origine de la botanique, Belin, Paris, 2010, 414 p., p. 355. 65

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linguistes, sous le nom de métathèse, un nom familier aux chimistes qui l’appliquent aussi, mais à un échange de positions d’atomes sur une molécule au cours d’une réaction. En 1753, Linné nommait en tout cas la grande aunée Inula helenium, et du nom de genre Inula dérive inuline, en anglais inulin, en espagnol inulina, en allemand Inulin…

z De l’inuline à l’inSuline L’inuline est aujourd’hui un prébiotique, qui présente de l’intérêt dans certains régimes alimentaires, par exemple en cas de diabète. Mais dans ce dernier cas, on connaît mieux le rôle plus important de l’insuline, dont le nom ne diffère fortuitement d’inuline que par l’ajout d’une lettre : inuline + s = insuline. L’insuline a été nommée en 1909 à partir du latin insula, « île, îlot », car on avait constaté que cette protéine était sécrétée par des cellules du pancréas regroupées dans des amas cellulaires dits (en 1905) « îlots de Langerhans », du nom de leur découvreur.

z Épilogue insulaire L’insuline n’est certes pas, comme l’inuline, riche de références à l’Antiquité, mais c’est tout de même au latin, encore une fois, que son nom remonte directement : insuline a rejoint la grande famille des mots comme péninsule, insulaire, isolé, île… qui descendent du latin insula, « île ». Avec inuline et une lettre de moins, tout était différent et l’on évoquait la belle Hélène au désespoir sur une île de la Méditerranée… Une autre histoire d’île, dirait-on, mais on ne s’étendra pas sur ce qui n’est qu’une coïncidence.

66

Hélène de Troie et les sucres

➜ Hélène

de Troie, qui donna le nom helenion à la grande aunée.

67

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5

Des nains démoniaques Le nickel (Ni), le cobalt (Co) et l’arsenic (As)

Dans les dictionnaires étymologiques, au nom nickel, on fait référence à celui du cobalt, et réciproquement. En effet, ces deux métaux, situés côte à côte juste avant le cuivre dans la classification périodique, ont des noms d’une même origine, liée à la mythologie germanique. 25

26

30

Fe e

Ni Ni

29

Mn

Co Co

28 28

Cr

Cu C

Zn

Ga

Ge

As

chrome

manganèse

fer

cobalt cobalt

nickel nickel

cuivre c

zinc

gallium

germanium

arsenic

24

27 27

31

➜ 7HOVGHX[IUÅUHVLQVÆSDUDEOHVnickel

32

33

et cobalt ont

une origine commune.

Il est préférable de commencer par le cobalt, car son histoire est la plus ancienne des deux.

z Un métal énigmatique et des minerais malfaisants L’histoire du cobalt commence avec celle des pigments minéraux, qui remonte à la plus haute Antiquité. Déjà en Égypte ancienne, on obtenait un verre d’une couleur bleue intense grâce à un pigment particulier, nommé beaucoup plus tard bleu de cobalt car il était basé sur ce métal resté longtemps inconnu.

➜ Masque mortuaire

de Toutankhamon, PRUWYHUV}DYDQW-& Les bandes bleues sont en verre coloré par le cobalt.

On a continué à utiliser ce pigment (où le cobalt restait incognito) dans l’art des vitraux au Moyen Âge par exemple, mais il a pris une plus grande importance avec l’exploitation de minerais découverts au XVe 68

Des nains démoniaques

siècle en Europe, surtout en Saxe et en Bohême. Le pigment était alors obtenu par grillage de ces minerais, et on le nommait saffre (aujourd’hui safre), un nom lié à celui d’une pierre bleue, le saphir (du grec sappheiros, «  saphir  »). Cependant, les mineurs allemands rencontraient des difficultés de tous ordres. D’abord ils cherchaient, en vain, à extraire du cuivre de ces minerais, ce cuivre bien connu depuis l’Antiquité comme matériau et même comme base de pigments, tels que le bleu égyptien (d’un usage différent de celui du bleu de cobalt). En outre, les mineurs subissaient de graves intoxications dues aux fumées dégagées par le grillage des minerais  : rien d’étonnant si l’on sait qu’il s’agissait de sulfures ou d’arséniures. Pour toutes ces raisons, les mineurs détestaient ces minerais, qu’ils affublaient du nom allemand Kobold donné aux petits lutins de la mythologie germanique. Les Kobolds, gentiment taquins et facétieux dans la vie quotidienne, fréquentaient le monde des mines souterraines. D’ailleurs, les célèbres petits nains de Blanche Neige étaient de gentils Kobolds. Mais certains autres pouvaient devenir malfaisants et dangereux dans ces mines ; on les accusait de détruire le travail des mineurs et de leur causer tous les ennuis possibles.

➜ /HVQDLQV HQFRUHOHFKLIIUH}} 

de Blanche-Neige étaient de gentils kobolds fréquentant leurs mines, à la recherche du nickel FDFKÆ}"3RXUOpLQVWDQW c’est Simplet qui est caché…

Le chimiste suédois Georg Brandt a finalement identifié le métal fantôme en 1735 et lui a donné le nom du minerai, en suédois kobolt, repris dans toutes les langues : Kobalt en allemand, cobalt en français et anglais, cobalto en espagnol… Et la malédiction du cobalt s’est poursuivie avec celle du nickel.

z Un vrai faux minerai de cuivre Parmi tous les minerais découverts à partir du XVe siècle en Europe, il en était un dont les reflets rouges laissaient vraiment penser qu’il contenait du cuivre à coup sûr. Mais il s’avérait encore une fois impossible de 69

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tirer la moindre parcelle de ce métal, et le grillage du minerai dégageait encore des fumées toxiques. Et pour cause : c’était en fait de l’arséniure de nickel (NiAs), nommé aujourd’hui nickeline. Les mineurs se sentaient encore une fois harcelés par un Kobold, auquel ils ont donné, comme c’était la coutume, un petit surnom affectueux, comme pour l’amadouer : Nickel, diminutif de Nikolaus. Ils ont même nommé ce minerai KupferNickel, de l’allemand Kupfer, « cuivre », c’est-à-dire le « petit Nicolas du cuivre », parce qu’il fait semblant de contenir du cuivre, mais n’en donne point, pis encore, il empoisonne. Le chimiste suédois Axel Frederik Cronstedt a finalement identifié le métal inconnu en 1751 et, s’inspirant manifestement du nom du cobalt, il l’a nommé nickel, repris tel quel dans beaucoup de langues (níquel en espagnol). Par un curieux hasard, le nom allemand Kupfernickel s’utilise toujours aujourd’hui, mais pour désigner le bien réel cupronickel, l’alliage entre le cuivre et le nickel.

z Épilogue : in cauda venenum… Le nom du nickel, issu de la mythologie germanique, semble indépendant de l’Antiquité gréco-latine tellement présente dans tout le vocabulaire de la chimie… du moins à première vue, car le nom Nicolas remonte au grec Nikolaos, du grec nikê, « victoire », et laos, « armée, foule, peuple ». Notons enfin que Brandt, à côté du cobalt, a aussi identifié et nommé l’élément arsenic, alors que jusque-là ce nom arsenic désignait divers composés toxiques contenant du soufre ou de l’arsenic. Il a fait, si l’on ose dire, d’une pierre deux coups.

70

Des nains démoniaques

ARSENIC ET SON ÉTYMOLOGIE POPULAIRE Le nom arsenic vient du latin tardif arsenicumOXLPÇPHGXODWLQFODVVLTXHarrhenicum, un emprunt au grec arrenikon ou arsenikon, qui désigne chez Aristote l’arsenic jaune, ou orpiment (As2S3 UÆSXWÆSRXUDYRLUODFRXOHXUGHOpRU/HJUHFHVWOXLPÇPHXQ HPSUXQW½XQPRWSHUVDQVLJQLƂDQWˆ}FRXOHXUGpRU}˜(QIDLWWRXVFHVPRWVVHVRQW DSSOLTXÆV½GHVFRPSRVÆVWR[LTXHVd’arsenic ou de VRXIUHRXGHVGHX[HWPÇPH½ d’autres poisons. Par ailleurs, le grec arsên (ou arrên HVWXQWHUPHDQFLHQVLJQLƂDQWˆ}P¿OH}˜TXHOpRQ a, par étymologie populaire, rapproché de arsenikon, la dureté d’un poison étant associée à un mâle tempérament. Et l’on trouve en grec tardif, comme dérivé de arsên, ˆ}P¿OH}˜OpDGMHFWLIarsenikosˆ}P¿OHPDVFXOLQ}˜TXLODLVVHSHQVHU½WRUWqu’arsenic VLJQLƂHˆ}P¿OH}˜VHORQVRQÆW\PRORJLH

➜ Kobold,

la créature du folklore germanique qui causait les accidents dans les mines.

71

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6

La peur du loup-garou Le tungstène (W) et le wolfram

En français, le tungstate de fer et de manganèse se nomme wolfram, qui est un faux ami car en allemand Wolfram ne désigne pas ce minerai, mais le tungstène lui-même : le même métal sous deux noms bien différents, en français tungstène et en allemand Wolfram, où l’on se demande pourquoi apparaît le nom du loup (Wolf), ou encore le prénom allemand Wolfram. Tout d’abord, pourquoi le loup  ? En premier lieu, le minéralogiste allemand Agricola au XVIe siècle signale que ce wolfram ressemble à un minerai d’étain sans pour autant contenir d’étain. Plus tard, le chimiste suédois Wallerius a repris ce propos et on en a déduit que l’étain avait été dévoré... par un loup ! Une métaphore typique du langage ésotérique des alchimistes, assimilant par exemple l’antimoine au loup gris… qui engloutit l’or. Qui plus est, selon Wallerius, le wolfram pouvait se confondre aussi avec du minerai d’antimoine. Enfin, la fusion du wolfram produisait des suies noirâtres qui encrassaient les fours de métallurgie, comme des traces d’un loup malfaisant. Le nom wolfram renvoie donc à l’image du méchant loup, un peu comme, dans un autre domaine, le nom du houblon chez Pline l’Ancien est lupus, car le ➜ Logo de la bière Lupulus. Le latin lupulus, diminutif de lupus, signifie houblon, épuisant le sol et étouffant ½ODIRLVˆ}ORXYHWHDX}˜HWˆ}KRXEORQ}˜ qui fait dépérir les plantes voisines. les plantes voisines, serait comme un †}ˆ}%UDVVHULHOHV})RXUTXHWV}˜ loup pour les autres plantes. – www.lupulus.be D’autre part, selon Wallerius, le latin spuma lupi, synonyme de wolfram, incite à voir dans l’élément -ram un dérivé d’un ancien nom allemand, 72

La peur du loup-garou

Rahm, « salissure ». Étymologiquement, wolfram, en minéralogie, signifie donc « bave de loup ». Mais revenons à la question du prénom Wolfram.

➜ ([WUDLWGHODSDJHGXWUDLWÆGH0LQÆUDORJLHGH:DOOHULXV

1750.

z L’homme aussi est un loup… Précisons d’abord que ce prénom existait bien avant les traités de minéralogie. Par exemple, Saint Wulfran fut évêque de Sens au VIIe siècle et Wolfram von Eschenbach fut un grand poète allemand de la fin du XIIe siècle. En fait, Wolfram fait partie des nombreux noms de baptême, d’origine franque en général, basés sur deux racines. Ainsi, Wolfram est basé sur wulf, « loup », et hram, « corbeau », son élément -ram n’étant donc pas le même que celui du nom de minerai. Quant au loup, il est présent dans les deux cas, mais avec des connotations opposées, négative dans les termes (al)chimiques, et positive dans les noms d’hommes : le nom Wolf lui-même existe, le loup étant vu comme un héros, un guerrier valeureux, et prudent dans sa progression à pas de loup, ce qu’évoque le prénom Wolfgang (Gang, « démarche »). Wolfram combine ici les qualités du corbeau (divinisé dans la mythologie scandinave) et celles du loup : une double référence à des animaux mythiques qui se voit aussi dans Arnolphe (arn, « aigle », + wulf) ou Bernolf (bern, « ours », + wulf). Et le loup apparaît encore dans Rodolphe (hrod, « gloire », + wulf), Raoul (rad, « conseil », + wulf) ou… Adolphe (adal, « noble », + wulf). Le prénom a-t-il finalement joué un rôle dans la formation de Wolfram, le minerai ? Une chose est sûre : les premiers (al)chimistes qui ont articulé ce nom ne pouvaient pas l’ignorer. Or c’est bien la forme Wolfram qui apparaît d’emblée dans les textes de minéralogie, et non pas *Wolfrahm par exemple, qui ne semble pas attesté. Il est donc 73

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vraisemblable que le prénom ait influencé la formation du nom du minerai. N’était-ce pas, au fond, une façon de donner un nom humain à un minerai qui posait des problèmes, un peu comme ce fut le cas de Nickel (= petit Nicolas), comme si Wolfram avait aussi été un Kobold (voir la rubrique précédente) ?

z Du lourd minerai au nouveau métal C’est seulement en 1779 que la présence d’un métal inconnu dans le wolfram est soupçonnée, par le chimiste anglais Peter Woulfe, au nom assurément prédestiné ! Or en 1781, le chimiste suédois Scheele identifie, sans l’isoler, un nouveau métal dans un autre minerai, le tungstate de calcium, nommé alors en suédois tungsten (de tung, « lourd », et sten, « pierre »), à cause de sa densité de 6, très élevée. Scheele donne le même nom en suédois, tungsten, à ce nouveau métal. Deux ans plus tard enfin, le chimiste espagnol Juan José d’Elhúyar, avec l’aide de son frère Fausto, repartent du wolfram et en tirent un métal, qui s’avère être le même que celui de Scheele, et ils écrivent : « Nous donnerons à ce nouveau métal le nom de Volfran, en le prenant de la matière dont nous l’avons retiré. »

z Épilogue obstiné

➜ Le

tungstène va disparaître au profit des LED.

Pendant longtemps, les noms basés sur l’allemand Wolfram et sur le suédois tungsten ont coexisté, de même que les symboles chimiques W et Tu. Jusque vers 1950 encore, des débats opposaient les « proWolfram » et les « protungsten ». La tendance était de préférer Wolfram, mais les chercheurs anglo-saxons, considérant la masse de publications existantes avec l’anglais tungsten, n’ont pas accepté de changer. Aujourd’hui, la majorité se range du côté Wolfram, et le symbole W est admis par tous, mais il y a de notables exceptions comme l’anglais tungsten ou le français tungstène… 74

La peur du loup-garou

En suédois, c’est un comble, tungsten est sorti d’usage et le tungstène se dit volfram. Nul n’est prophète en son pays ! Mais le nom scheelite, du tungstate de calcium, honore tout de même le chimiste suédois. Formule chimique

anglais

français

espagnol

allemand

suédois

W

tungsten

tungstène

wolframio

Wolfram

volfram

(Fe,Mn)WO4

wolframite

wolfram(ite),

wolframita

Wolframit

volframit

CaWO4

scheelite

scheelite

scheelita

Scheelit

scheelit

➜ L’Étoile mystérieuse,

page 11. Le professeur Calys a découvert son nouveau métal ½SDUWLUGXVSHFWUHOXPLQHX[GHOp¦WRLOHP\VWÆULHXVH H[DFWHPHQWFRPPHl’hélium l’a été à partir GXVSHFWUHOXPLQHX[GX6ROHLO,OHPSORLHOpÆOÆPHQW –stèneˆ}SLHUUH}˜GHtungstène. A-t-il pensé aussi au neveu d’Aristote, Callisthène, du grec kallos, ˆ}EHDXWÆ}˜HWsthenosˆ}IRUFH}˜}"'HWRXWHIDÄRQ le calystène était une illusion. Hergé/Moulinsart 2017.

75

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7

Vanadis et Thor, le jour et la nuit Le vanadium (V), le WKRULXP 7K OHchrome (Cr) et le rhodium (Rh)

C’est une histoire pleine de péripéties que celle de la découverte du vanadium, dont le nom nous entraîne dans la mythologie scandinave, certainement moins présente que les références gréco-latines dans les appellations de la chimie.

z Une découverte incomprise, au Mexique En 1801, l’histoire commence pourtant à Mexico, où le minéralogiste del Rio annonçait la découverte d’un nouveau métal dans un minerai du Mexique. Cependant, la communauté scientifique a considéré que le métal en question n’était que du chrome impur. En fait, c’est del Rio qui avait raison. On a compris plus tard qu’il avait bien trouvé le vanadium, situé dans la classification juste à côté du chrome que Vauquelin venait d’identifier, et de nommer en 1798 à partir du grec khrôma, « couleur », à cause de ses sels diversement colorés. Le métal que del Rio pensait, à juste titre, avoir trouvé, produisait d’ailleurs des sels de couleur rouge intense, d’où le nom erythronium, du grec eruthros, « rouge », qu’il avait proposé, en vain. ➜ Le

minéralogiste espagnol Andrés Manuel del Río (1764-1849) a fréquenté les écoles des mines d’Espagne et d’Allemagne, a connu Humboldt et travaillé avec Lavoisier, avant de partir en Nouvelle-Espagne, GHYHQXHOH0H[LTXHHQ 1821. Il est l’infortuné découvreur du vanadium.

➜ Vanadinite,

Pb5(VO4)3Cl.

Le chimiste anglais Wollaston aura plus de chance en 1805 en proposant rhodium, du grec rhodon, « rose », à cause de la couleur rose de ses sels en solution. 76

Vanadis et Thor, le jour et la nuit

z La redécouverte, en Suède Près de trente ans plus tard, le chimiste et minéralogiste suédois Nils Gabriel Sefström, examinant «  une espèce de fer remarquable par son extrême mollesse », montrait qu’un nouvel élément était responsable de cette propriété, et redécouvrait ainsi le vanadium. Sefström travaillait alors chez son ancien professeur, Berzelius, qui écrivait en 1830  : «  Nous n’avons pas encore fixé définitivement le nom de cette substance. Nous l’appelons provisoirement vanadium, de Vanadis, nom d’une divinité scandinave. » Berzelius laissait la primeur de l’annonce à Sefström, qui confirmait, dès 1831, le nom du nouveau métal : « Comme le nom est indifférent par lui-même, je l’ai dérivé de ➜ Jöns Jacob Berzelius. Vanadis, surnom de Freyja, principale déesse de la mythologie scandinave. » Un nom peut-être pas si indifférent que cela, puisqu’il lui permettait de signer cette découverte d’un nom scandinave. Compte tenu de l’originalité des travaux de Sefström, la communauté scientifique a effectivement retenu vanadium, au détriment d’erythronium proposé par del Rio.

z Vanadis, une déesse inspiratrice Dans la mythologie scandinave, les dieux se répartissent entre les Ases, qui ont des pouvoirs de justice et de guerre, et les Vanes, tournés vers la fertilité et la prospérité. Freyja fait partie des Vanes, d’où son surnom de Vanadis. Comme Vénus chez les Romains, elle est la déesse de la fécondité et de la beauté, des qualités illustrées par le vanadium, qui est remarquable par la diversité et les riches couleurs de ses dérivés. Berzelius était, semble-t-il, inspiré par Vanadis4. Dans une lettre de 1831 à son confrère allemand Wöhler, célèbre pour avoir réussi la synthèse de l’urée, voici à peu près ce qu’il écrivait : vous avez frappé 4. Weeks, Mary Elvira, Discovery of the Elements, 3rd ed. revised 1935 (1st 1933), Journal of Chemical Education, Easton, Pa, USA, 371 p., p.88. 77

&KDSLWUH'LHX[P\WKHVHWOÆJHQGHV

une fois à la porte de Vanadis, elle n’a pas répondu, et vous n’avez pas insisté, mais quelque temps après Sefström n’a cessé de frapper à sa porte, elle a fini par s’ouvrir, et « de cette union est né le vanadium ». Une puissante métaphore que Wöhler a prise du bon côté puisque la même année, il écrivait cette fois à Liebig : « je suis un âne » de ne pas avoir découvert le vanadium dans le minerai mexicain. Pour terminer sur ces échanges, citons encore Berzelius, consolant Wöhler en lui disant que la synthèse de l’urée nécessitait plus de génie « que la découverte de 10 nouveaux éléments. » Que d’émotion autour du vanadium… et de la belle Vanadis... qui, plus tard, a aussi inspiré les astronomes, puisqu’un astéroïde découvert en 1884 a été baptisé Vanadis : encore une correspondance entre un astre et un métal, mais a priori fortuite cette fois.

z Thor, une autre divinité scandinave Berzelius avait déjà puisé dans la mythologie scandinave pour nommer thorium en 1818 un métal qu’il croyait nouveau, à partir du nom de Thor, le dieu du tonnerre et des éclairs. Armé de son marteau, ce dieu est un avatar de Jupiter et de Donar dans la mythologie germanique. Plus tard, lorsque Berzelius découvre, réellement cette fois, un nouveau métal en 1829, à peu près en même temps d’ailleurs que la redécouverte du vanadium, il reprend ce nom thorium, à bon escient cette fois. Dans la classification, le thorium (Th), 90e élément et 2e actinide, est fort éloigné du vanadium (V), 23e élément et 3e métal de transition. Pourtant, dans la symbolique des jours de la semaine, le jeudi/Thursday/ Donnerstag, dédié à Jupiter, Thor et Donar, précède juste le vendredi/ Friday/Freitag, dédié à Vénus, Frigg et Freyja, dite Vanadis, parfois confondue avec Frigg. Latin

Français

Espagnol

Anglais

Allemand

Jovis dies (jour de Jupiter)

jeudi

jueves

Thursday (jour de Thor)

Donnerstag (jour de Donar)

Veneris dies (jour de Vénus)

vendredi

viernes

Friday (jour de Frigg)

Freitag (jour de Freyja)

78

Vanadis et Thor, le jour et la nuit

z Épilogue et couple alchimique Grâce au grand chimiste suédois Berzelius, la mythologie scandinave est représentée dans la classification des éléments par le vanadium et le thorium. La déesse Vanadis, parmi les Vanes, en face du dieu Thor, parmi les Ases, symbolisant le vanadium, un oligoélément, qui rend l’acier ductile et donne des dérivés de toute beauté, en face du thorium, deux fois plus lourd, radioactif, et dont l’oxyde résiste aux très hautes températures… Serait-ce une référence implicite à la philosophie du yin (la terre sombre, la souplesse, le « féminin ») et du yang (le ciel lumineux, la dureté, le « masculin »), à la base de l’alchimie chinoise ?

➜ /HFRXSOHGHODP\WKRORJLHQRUGLTXH})UH\MDRX9DQDGLVGÆHVVHGHODEHDXWÆ

HWGHODIHUWLOLWÆHW7KRUGLHXGXWRQQHUUH}HWGHODJXHUUH}XQHDOFKLPLHGHV principes contraires inspiratrice des noms des éléments chimiques YDQDGLXP} 9  et WKRULXP 7K }

79

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8

Les oracles d’Amon L’ammoniaque, l’ammoniac, l’ammonium, une amine et un amide

Contre toute attente, l’histoire du mot ammoniac nous entraîne jusqu’en Égypte ancienne, où le dieu égyptien Amon (Ammôn en grec) a été qualifié de « roi des dieux ». Les Grecs l’ont assimilé à Zeus, puis les Romains à Jupiter. Les temples d’Amon ont pris dans l’Antiquité une importance considérable, en particulier celui de l’oasis de Siwa, située aujourd’hui au nord-ouest de l’Égypte, tout près de la frontière libyenne.

z Un point de repère géographique À cause de l’immense réputation de ce temple, où l’on recevait les oracles d’Amon, la ville voisine a pris en grec le nom d’Ammôn et sa région le nom d’Ammônis, devenu presque synonyme de Libye. Tout naturellement, est apparu l’adjectif qualifiant l’appartenance géographique : Ammôniakos, « de Libye ».

z Une résine bénéfique On a trouvé dans cette région des plantes exsudant une résine à laquelle on attribuait, dès l’Antiquité, de multiples vertus, médicinales et autres : on l’utilisait en particulier, et c’est toujours le cas, en enluminure pour poser la feuille d’or. Cette résine, récoltée sous forme de « larmes », a été nommée en grec ammônikon, puis en latin ammoniacum, et finalement en français gomme ammoniaque.

➜ Gomme

ammoniaque.

Comme on le voit, l’adjectif ammoniaque ne signifie pas ici que cette gomme contient de l’ammoniac, mais qu’elle est originaire de régions voisines d’un ancien temple d’Amon, exactement comme la gomme arabique est appelée ainsi parce qu’on la trouvait dans des régions de langue arabe. 80

Les oracles d’Amon

z L’origine de l’ammoniac Indépendamment de la gomme ammoniaque, on récoltait un tout autre produit tiré des accumulations de sable imprégné de déjections et d’urine des chameaux, très nombreux à séjourner dans les oasis comme celle du temple d’Amon. Ce produit portait, pour la même raison, le même nom grec, ammôniakon, que la gomme ammoniaque, mais cette fois c’était bien un sel d’ammonium pouvant dégager de l’ammoniac NH3.

➜ Le

dieu Amon.

Notons ici que Pline l’Ancien rapprochait ammôniakon et même Ammon du grec ammos, « sable », qui appartient pourtant à une autre famille de mots, d’où viennent en français le nom savant de la vipère des sables, l’ammodyte, et l’adjectif ammophile, « qui vit dans le sable » (à ne pas confondre avec ammonophile, pour une plante qui métabolise l’ion ammonium). Ce rapprochement entre Ammon et ses dérivés et ammos, « sable », relève en fait d’une étymologie populaire. Du grec ammôniakon vient en définitive le mot ammoniaque en français, attesté dès le XVIe siècle, puis du gaz ammoniac, dans la Nomenclature de 1787. Ce produit est d’ailleurs resté fabriqué à partir d’urée naturelle jusqu’à ce qu’un procédé de synthèse à partir de l’azote atmosphérique soit mis au point au début du XXe siècle. C’est ainsi que le nom d’un grand dieu de l’Égypte ancienne est à l’origine du mot ammoniac en français, ainsi que dans les autres langues : anglais ammonia, allemand Ammoniak, espagnol amoníaco… En 1809, le chimiste anglais Humphry Davy5 a l’intuition que l’ammoniac, dont il a obtenu un amalgame avec le mercure, doit être une substance « métallique dans sa propre nature », qu’il nomme « ammonium, dans le but de faciliter la discussion qui la concerne ». Cela se confirme avec Berzelius qui identifie en 1825 l’ion ammonium comme étant NH4+. 5. Davy, Humphry, Annales de chimie et de physique, 1, 70, 1809, p. 258. 81

&KDSLWUH'LHX[P\WKHVHWOÆJHQGHV

Par la suite, on nommera une amine un composé NH2R ou NHR1R2 ou NR1R2R3, et un amide un composé RCO-NR1R2.

z Quel rapport avec des fossiles d’ammonites ? Pourquoi ce nom d’ammonite ? Ces fossiles ont-ils été trouvés d’abord en Libye, ou bien le métabolisme supposé de ces céphalopodes disparus faisait-elle intervenir l’ammoniac ? Pas du tout, et c’est encore vers le dieu Amon qu’il faut se tourner. En effet, le bélier était l’animal principal dédié à ce dieu, qui était lui-même représenté sous l’aspect d’un homme, tantôt à tête de bélier, tantôt à tête humaine portant des cornes de bélier.

➜ Ammonite

rappelant les cornes d’Amon. Wikipédia,

cc-by-sa-3.0, Eduard Solà.

Or les ammonites enroulées en spirales ont rappelé des cornes de bélier aux hommes qui les trouvaient, et cela bien avant la compréhension de ce qu’étaient réellement des fossiles, qui ne remonte qu’au XVIIIe siècle. Déjà chez Pline l’Ancien, on trouve l’appellation Ammonis cornu, devenue en français cornes d’Ammon jusqu’au XVIIIe siècle, et finalement ammonites.

z Épilogue inattendu Les noms de l’ammoniac et de l’ammonite se rejoignent, si l’on ose dire, dans la même inspiration divine et mythologique.

➜ L’ammoniac

(NH3), le dieu Amon, la gomme DPPRQLDTXHGH/LE\H} ˆ}Ammôniakos}˜  et les ammonites (en rappel de la forme des cornes de Bélier du dieu Amon)… GHVOLHQVGHSDUHQWÆLQVRXSÄRQQÆV} © Jr RGEN LIEPE.

82

Les oracles d’Amon

Aux 5 éléments du chapitre 1, puis 13 éléments du chapitre 2, s’ajoutent ici les 29 éléments du chapitre 3. 1

18

1

2

H hydrogène 3

He 2

13

hélium

4

numéro atomique

9

10

Be

symbole

B

C

N

O

F

Ne

nom

bore

carbone

Azote

oxygène

fluor

néon

12

Mg magnésium

19

20

13 3

22

21

Ti 22 Ti

K

Ca

Sc

potassium

calcium

scandium andi

37

38

Rb

Sr

rubidium

strontium

55

Ba baryum

87

39

titane titane 40 40

Zr Zr

Y

72

Hf

lanthanoïdes hanoïdes

hafnium

88

Fr

Ra

francium

radium

5 23 23

V V

vanadium vanadium 4141

Nb Nb

yttrium zirconium niobium niobium ttriu zirconium

56

Cs césium

4

104

7373

Ta Ta tantale tantale 105

6 24 24

7

8

9 27 27

Cr Cr

25

26

Mn

Fe fer

42

manganèse 4343

chrome chrome

Mo

TcTc

44

Ru

molybdène technétium uthénium technétium ruthénium 74 74

W W

tungstène tungstène 106

75

76

Re

Os

rhénium

osmium

107

108

Rf

Db

Sg

Bh

Hs

rutherfordium

dubnium

seaborgium

bohrium

hassium

actinoïdes tinoïdes

57

57

La La

lanthane lanthane

58

58

CeCe

89

cérium cérium 9090

Ac

ThTh

actinium thorium thorium

59 59

Pr Pr

praséodyme praséodyme 91

60 60

Nd Nd

61

61

10 28 28

Co Co

11

Ni Ni

cobalt cobalt 45 45

nickel nickel 4646

12

14

S

Cl C

Ar

soufre f 34 34

chlore ch

argon

arsenic arsenic

sélénium sélénium 5252

29

30

Zn

Ga

Ge

zinc

gallium

germanium

31

32

As As

49

50

Pd Pd

Ag

Cd

In

Sn

Sb

Te Te

palladium palladium

argent

cadmium

indium

étain

antimoine

tellure tellure

78

79

Ir Ir

Pt

Au

Hg

Tl

Pb

iridium iridium 109

platine

or

mercure

thallium

plomb

110

111

Mt

Ds

Rg

meitnérium darmstadtium rœntgenium 62

62

63

63

64

112

113

82

114

83 83

Bi Bi

bismuth bismuth 115

84

35 3

36

Br B

Kr

brome br

krypton

53 5

54

I

Xe

iode io

xénon

85 8

86

Po

At A

Rn

polonium

astate as

radon

116

117 1

118

Cn

Nh

Fl

Mc

Lv

Ts T

Og

copernicium

nihonium

flerovium

moscovium

livermorium

tennessine tenn

oganesson

64

65

Pm SmSm Eu Eu Gd GdTb Pm

néodyme prométhéum prométhéumsamarium samariumeuropiumeuropium néodyme gadoliniumgadolinium terbium 92 92 93 93 94 94 95 96 97 5

Pa

UU

Np m Np Pu Pu Am

Cm

Bk

protactinium

uranium uranium

neptunium américium icium neptuniumplutonium plutonium

curium

berkélium

➜ Le

81

51

Se Se

Rh

80

18

P phosphore h h 33 33

rhodium rhodium 77 77

17

Si silicium

Cu

48

16

Al aluminium

cuivre 47

15

8

17

béryllium

Na

7

16

Li

sodium

6

15

lithium 11

5

14

66

67

68

69

70 7

71

Dy

Ho

Er

Tm

Yb Y

Lu

dysprosium

holmium

erbium

thulium

ytterbium ytte

lutécium

98

99

Cf

Es

californium einsteinium

100

101

102 1

103

Fm

Md

No N

Lr

fermium

mendélévium

nobélium nob

lawrencium

point le plus nouveau ici est le début de remplissage des parties des lignes 6 et 7 situées HQEDV} t}OHODQWKDQHHWOHVODQWKDQLGHVVXLYDQWVVRQWGHVWHUUHVUDUHV} t}OHthorium et la série uranium, neptunium, plutonium font partie des premiers actinides.

83

&KDSLWUH'LHX[P\WKHVHWOÆJHQGHV

➜ Une

mystérieuse trainée blanchâtre est visible dans le ciel étoilé. Elle est appelée Voie lactée, ½ODVXLWHGHV$QFLHQVTXLYR\DLHQWXQˆ}FHUFOHODLWHX[}˜}HQODWLQcirculus lacteus, en grec galaxias kuklos, de gala, galactosˆ}ODLW}˜GpRÖYLHQGUDOHQRPGXgalactose au chapitre 8. On sait aujourd’hui que la Voie lactée est l’amas d’étoiles auquel appartient le Soleil, vu sur ODWUDQFKHGpRÖVRQQRPGHJDOD[LHTXLYLHQWGRQFGHFHOXLGXODLW0DLVSRXUTXRLFHOD}" 'DQVOD}P\WKRORJLHJUHFTXH}=HXV}DSODFÆVRQILOV}QRXYHDXQÆ+ÆUDFOÅVVXUOHVHLQGHVRQ ÆSRXVH}+ÆUDDORUVHQGRUPLHDILQTXHOHEÆEÆDEVRUEHOHODLWGLYLQ/RUVTXp+ÆUDVpHVWUÆYHLOOÆH en sursaut, elle a repoussé ce bébé inconnu, et un jet de son lait s’est répandu dans le ciel, formant cette fameuse Voie lactée.

84

CHAPITRE

4

Voyages avec les mots Où l’on trouve des noms de villes, de pays, et même de continents

1 Une bonne récolte en Scandinavie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88 2 France et Allemagne, face à face . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92 3 En Écosse, du côté du loch Ness . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96 4 Sur les bords de la mer Égée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100 5 En passant par l’Irlande . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105

Chapitre 4 : Voyages avec les mots

QUAND LES DÉCOUVREURS FONT DE LA GÉOGRAPHIE Les noms anciens… On reste encore dans le monde des légendes avec le nom mythique d’une mystérieuse contrée nordique, Thulé GpRÖOHthulium TXLÆWDLWSHXWÇWUHOD Scandinavie, nommée en latin Scandia GpRÖOHscandium). La carte ci-dessous situe diverses régions et villes européennes dont les appellations latines transparaissent dans des noms d’éléments chimiques. On a vu déjà que cuivre remonte à Cyprus ˆ} &K\SUH} ˜ cadmium à Cadmea, citadelle de Thèbes, et bronzeSHXWÇWUH½Brundisiumˆ}%ULQGLVL}˜/HVDXWUHVQRPVGHODFDUWH DSSDUDËWURQWGDQVOHVSDJHVTXLVXLYHQWRÖOpRQWURXYHUDDXVVLOHrhénium, nommé d’après Rhenus, le nom latin du Rhin.

SCANDIA Holmia • Hafnia • GERMANIA Lutetia • GALLIA

RHUTENIA

Brundisium •

MAGNESIA Cadmea • (Thebae) CYPRUS

… et les modernes Les noms d’éléments chimiques d’origine géographique sont parfois liés au OLHXRÖOHXUPLQHUDLDÆWÆWURXYÆSDUH[HPSOHSUÅVGHGHX[YLOODJHVQRUGLTXHV Strontian en Écosse et Ytterby en Suède, qui ont acquis ainsi une certaine célébrité, dans le monde de la chimie en tout cas. 3OXVVRXYHQWRQWLHQWFRPSWHGXSD\VRXGHODYLOOHRÖOpÆOÆPHQWDÆWÆGÆFRXvert. D’autre fois encore, ce qui est pris en compte, c’est le pays natal du GÆFRXYUHXURXSOXWÑWGHODGÆFRXYUHXVHVpDJLVVDQWGHGHX[JUDQGHVGDPHV de l’histoire de la chimie. 86

La prodigieuse histoire du nom des éléments

1ÆH0DULD6NĜRGRZVNDHQ½9DUVRYLH0DULH&XULHDUULYHHQ)UDQFHHQ 1891, et elle manifeste son attachement à la Pologne en nommant en 1898 le polonium. Marguerite Perey, née en 1909 près de Paris, a travaillé dans l’équipe de Marie Curie, et elle a découvert et nommé le francium en 1939.

➜ 2019,

le 80e anniversaire de la découverte du francium.

Marguerite Perey : Musée Curie (coll. Institut du Radium).

Une mondialisation tardive Tous les noms géographiques cités jusqu’ici sont européens, et l’europium HQHVWOpH[HPSOHOHSOXVÆYLGHQW&pHVW½ODVXLWHGXGÆYHORSSHPHQWGHOD SK\VLTXHQXFOÆDLUHDX[¦WDWV8QLVTXHOp$PÆULTXHDSSDUDËWUDGDQVOHWDEOHDX périodique, avec l’américium en 1950, puis très vite d’autres noms d’éléments DUWLƂFLHOVTXLVHURQWSUÆVHQWÆVSOXVORLQDXFKDSLWUH} Il est maintenant grand temps de partir en voyage.

87

Chapitre 4 : Voyages avec les mots

1

Une bonne récolte en Scandinavie L’yttrium (Y), l’ytterbium (Yb), le WHUELXP 7E l’erbium (Er), l’holmium (Ho), le scandium (Sc), le WKXOLXP 7P  le dysprosium (Dy), le lutécium (Lu) et le hafnium (Hf)

Les 17 terres rares dessinent une sorte d’équerre dans la classification périodique et se répartissent en 2 séries : la série du cérium déjà évoquée dans le chapitre 3, rubrique 3, et la série de l’yttrium à laquelle nous arrivons. Colonne 3 21

Sc scandium 39

Y

Ligne 6

yttrium 57

58

59

60

61

62

63

64

65

66

67

68

69

70

71

La

Ce

Pr

Nd

Pm

Sm

Eu

Gd

Tb

Dy

Ho

Er

Tm

Yb

Lu

lanthane

cérium

praséodyme

néodyme

prométhéum

samarium

europium

gadolinium

terbium

dysprosium

holmium

erbium

thulium

ytterbium

lutécium

15 lanthanides ➜ Les

17 terres rares, dont les 8 de la série du cérium (en bleu) et les 9 de la série de l’yttrium (en rouge)

z Au commencement était une pierre noire du côté d’Ytterby Les terres rares, chimiquement très proches les unes des autres, sont souvent intimement associées dans les mêmes minerais. C’est ainsi que l’yttrium, et 8 autres éléments ensuite, ont été découverts dans une même pierre noire trouvée en 1788 tout près du petit village d’Ytterby, proche de Stockholm : une origine minéralogique commune qui va se traduire par une parenté exceptionnelle entre les noms de ces 9 éléments, ou de presque tous.

88

Une bonne récolte en Scandinavie

➜