La marche pour l'égalité et contre le racisme 9782354801335, 2354801335

Trente ans après, que reste-il de la Marche pour l’égalité et contre le racisme de l’automne 1983 ? Initiée par des jeun

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La marche pour l'égalité et contre le racisme
 9782354801335, 2354801335

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LA MARCHE POUR L’ÉGALITÉ ET CONTRE LE RACISME

Abdellali Hajjat LA MARCHE POUR L’ÉGALITÉ ET CONTRE LE RACISME

Éditions Amsterdam

© Paris 2013, Éditions Amsterdam. Tous droits réservés. Reproduction interdite. Crédit photographique : Photographie de la Marche pour l’égalité et contre le racisme (détail), Farid L’Haoua, 1983. Abonnement à la lettre d’information électronique d’Éditions Amsterdam : [email protected] Diffusion et distribution : Les Belles Lettres isbn : 978-2-35480-133-5

Table des matières

Abréviations

6

Remerciements

7

Introduction : Retour sur un événement fondateur

9

I.

Le laboratoire des Minguettes Micro-histoire d’un quartier populaire

19

2.

Émeutes ou rébellions ? Les « jeunes de cité » à la frontière du politique

45

3.

La peur de la rébellion

71

4.

L’improbable construction d’un consensus national « antiraciste »

103

Les ambiguïtés de l’apothéose parisienne

143

5.

Conclusion

187

Notes

193

Annexes

223

Abréviations ACL : Archives Cimade Lyon. ADR : Archives départementales du Rhône. AFT : Archives Farid Taalba. AJB : Archives Jean Blocquaux. ALG : Archives de la librairie La Gryffe. AMG : Archives Michel Gonthier. AMV : Archives municipales de Vénissieux. ASA : Archives Salika Amara. ATD : Archives Toumi Djaïdja. BDIC : Bibliothèque de documentation et d’information contemporaine. CAS : Centre d’archives socialistes.

6

Remerciements

Je tiens à remercier tou-te-s ceux et celles qui ont contribué, d’une manière ou d’autre, à rendre possible cet ouvrage. J’ai bénéficié de la confiance des acteurs/actrices de l’époque qui ont accepté d’être interviewés, en particulier Toumi Djaïdja, Djamel Atallah, Farid L’Haoua, Hamana Khira, Dalila Mahamdi, Larbi Revdi, Fatima Mehallel, Nacéra Dellal, Antonio Bafunta, Salika Amara, Christian Delorme, Jean Costil, Jean Blocquaux, Guy Fischer, Annie Campos, Alain Gillette, Bernard Grasset et Yannick Moreau. Je suis également redevable à celles et ceux qui ont mis à ma disposition leurs archives personnelles (Salika Amara, Toumi Djaïdja, Michel Gontier, Farid Taalba et Jean Blocquaux), ainsi qu’au personnel des archives publiques et associatives qui m’ont guidé dans les inventaires (Monique Damezin et Fabienne Jeannet des archives municipales de Vénissieux, Marion Gachet de la Cimade de Lyon, Frank Veyron et Gérard Petitjean de la BDIC de Nanterre). Je remercie enfin Michelle Zancarini-Fournel, Pierre Gilbert, Ahmed Boubeker, Farid Taalba, Mohamed Kaf et Nawal El Yadari pour leurs commentaires critiques du manuscrit, ainsi que Foued Nasri, Sophie Béroud et Youssef El Mamdouhi pour leur aide.

7

Introduction Retour sur un événement fondateur

« Tout groupe dominé produit, de par sa condition, un « texte caché » aux yeux des dominants, qui représente une critique du pouvoir. Les dominants, pour leur part, élaborent également un texte caché comprenant les pratiques et les dessous de leur pouvoir qui ne peuvent être révélés publiquement. La comparaison du texte caché des faibles et des puissants, et de ces deux textes cachés avec le texte public des relations de pouvoir permettra de renouveler les approches de la résistance à la domination. » James C. Scott, La Domination et les arts de la résistance. Fragments du discours subalterne, Paris, Éditions Amsterdam, 2008 [1992], p. 12.

Le trentième anniversaire de la Marche pour l’égalité et contre le racisme (15  octobre - 3  décembre 1983) est l’occasion de multiples commémorations publiques d’un événement fondateur de l’histoire de l’immigration en France : film réalisé par Nabil Ben Yadir, documentaires télévisés, reportages radiophoniques, numéros de revues et colloques, ouvrages de témoignages, réunions publiques, expositions, etc.* La « Marche » est devenue un objet de mémoire où se mêlent et s’affrontent les discours de multiples protagonistes : acteurs de l’époque longtemps restés silencieux (en particulier Toumi Djaïdja, initiateur de la Marche), militant-e-s immigré-e-s et de soutien, journalistes, membres du gouvernement, artistes, etc. Grâce à cette commémoration à large échelle, le grand public prend connaissance d’un événement dont le souvenir était jusque-là cantonné à des cercles confidentiels. En ce sens, le trentième anniversaire semble être marqué * Pour une présentation des commémorations, voir le blog « Actualité du 30e anniversaire de la Marche », à l’adresse : www.marcheegalite.wordpress.com (dernière consultation : août 2013). 9

Introduction

par un changement d’échelle et une pluralité des points de vue. Mais à défaut d’avoir encore le recul nécessaire pour analyser les trente ans de la Marche, revenons brièvement sur le vingtième anniversaire.

1.

Enjeux de mémoire

En décembre  2003, la reconnaissance du caractère exemplaire de la Marche est l’occasion pour le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin d’organiser une réception à l’Hôtel Matignon en compagnie d’« une centaine de personnes, symboles de la réussite des enfants d’immigrés ainsi que d’autres impliquées dans la politique d’intégration du gouvernement1 ». En commémorant la Marche, le gouvernement met en avant les enfants d’immigrés ayant « réussi », par opposition à tou-te-s les autres qui ont manqué de « volonté d’intégration »… La « responsabilité » des inégalités sociales et raciales, qui frappent lourdement la France des années 2000, est portée non pas par les pouvoirs publics, mais par les victimes elles-mêmes, qui ne feraient pas suffisamment d’« efforts d’intégration »2. Ainsi, le sens de la Marche est complètement renversé par rapport à sa justification initiale. Alors que les marcheurs dénonçaient les institutions qui favorisaient les inégalités (police, justice, patrons, bailleurs sociaux, etc.), la Marche est désormais réduite à une « légende dorée » de l’intégration3 : les « jeunes de cité » voulaient s’intégrer en 1983, contrairement à ceux d’aujourd’hui… Plus généralement, les marcheurs sont presque invisibles durant la commémoration de 2003, mis à part le prêtre Christian Delorme et le pasteur Jean Costil. Matignon omet d’inviter tous les autres, notamment ceux qui sont d’origine maghrébine…* Cette invisibilité s’articule avec une véritable lutte d’héritage politique, où les usages politiques du passé sont révélateurs des tensions sociales relatives à la « question immigrée » au début des années 2000. SOS Racisme : héritier « évident » de la Marche ? En octobre  2006, à l’occasion de la passation de pouvoir à la tête de l’association SOS Racisme (soutenue par le Parti socialiste) entre * La liste « officielle » des marcheurs est précisée au chapitre 4. 10

Retour sur un événement fondateur

Malek Boutih et Dominique Sopo, une journaliste du Monde écrit : « Malek Boutih est celui qui a négocié le virage de l’association, fait évoluer le discours du « droit à la différence » vers le « droit à l’égalité », transformé un outil de mobilisation de masse (Marche des beurs de 1983) en outil de lutte contre les discriminations (actions judiciaires, testing à l’entrée des boîtes de nuit)4. » Deux jours plus tard, le quotidien est contraint de publier un rectificatif : « Dans le portrait de Dominique Sopo, une formule ambiguë laissait entendre que la Marche des Beurs, en 1983, avait été organisée par SOS-Racisme. Or cette marche « pour l’égalité et contre le racisme » avait en fait révélé un mouvement d’opinion qui a permis, l’année suivante, la création de SOS-Racisme5. » Cette erreur du « quotidien français de référence » est révélatrice du traitement médiatique qui associe la naissance de l’association SOS Racisme à la Marche. À maintes reprises, notamment lorsque les journalistes dressent un portrait de Malek Boutih ou de Fadela Amara, cofondatrice de Ni  putes ni soumises, ils avancent l’idée que ceux-ci sont à l’initiative ou ont « participé » à la Marche pour l’égalité6. Fadela Amara l’affirme  elle-même : « J’ai participé à l’étape de Clermont-Ferrand, comme tous mes copains. Mais je n’ai pas pu monter pour la manifestation nationale à l’arrivée des marcheurs à Paris, mon père ne voulait pas en entendre parler. Je l’ai suivie à la télé7. » Ce témoignage est repris par d’autres sources8 et accrédité par sa biographie officielle, écrite en collaboration avec Sylvia Zappi, journaliste au Monde. Or il existe un problème de taille pour sa prétention au statut de « marcheuse » : la Marche n’est pas passée par Clermont-Ferrand… Signe de la prédominance du discours de l’association antiraciste, il faut attendre 2009 pour que sa version tronquée de l’histoire soit publiquement remise en cause par une journaliste du Journal du Dimanche 9. Comment expliquer cette reconstruction de l’histoire ? Il arrive que quelques journalistes connaissant particulièrement bien l’histoire de la Marche, en particulier Robert Marmoz, le correspondant lyonnais de Libération puis du Nouvel Observateur, et un autre correspondant lyonnais de Libération, Olivier Bertrand, entreprennent de contester cette filiation. Certains leaders de l’ex-mouvement « beur » ayant préparé, vingt ans auparavant, la première étape de la Marche, organisent une 11

Introduction

conférence le 15 octobre 200310. Au Forum social européen de SaintDenis, le Mouvement de l’immigration et des banlieues (MIB) anime le 14 novembre 2003 un atelier intitulé « mémoire des luttes ». De plus, le sociologue Ahmed Boubeker publie une tribune11 et le documentaire (inachevé) Mémoire en marche est diffusé12. La contestation de la filiation Marche-SOS Racisme s’opère aussi par certains acteurs qui cherchent moins à rétablir une vérité historique qu’à dénoncer la « récupération » de la Marche au nom de la lutte contre le « misérabilisme » et l’« angélisme » de la gauche13. Bien que la droite conservatrice au pouvoir semble apprécier cet argumentaire, il reste minoritaire et ne transforme pas la référence à la Marche pour l’égalité. Ce contre-discours est resté relativement confidentiel. Affaibli politiquement et inaudible médiatiquement, il n’arrive pas à s’imposer face au discours officiel de SOS Racisme qui bénéficie du soutien de la majorité des médias. À bien des égards, la commémoration de la Marche en 2003 révèle une lutte inégale d’héritage. L’hégémonie mémorielle s’explique par des dynamiques internes au champ journalistique. D’un point de vue strictement rhétorique, l’ambiguïté de la filiation de SOS Racisme avec la Marche demeure en raison du flou des expressions utilisées (« à la suite de » et « au lendemain de »). Les dépêches de l’Agence France Presse jouent également un rôle déterminant dans la « circulation circulaire de l’information14 ». En 2003, elle fournit aux rédactions des « bio-express », « avant-papier » et autres « dossiers-portraits » que celles-ci reprennent presque mot pour mot15. Compte tenu de l’emprise des dépêches dans le travail quotidien des journalistes, il n’est pas étonnant que la filiation entre SOS Racisme et la Marche soit devenue une « évidence » pour beaucoup. Construction de l’opposition « beurs laïques » vs « musulmans » La commémoration de 2003 révèle non seulement le rapport de force inégal dans la lutte d’héritage, mais aussi la construction, dans l’espace public français, d’une opposition entre « beurs laïques » et « musulmans fondamentalistes ». Certes, ce phénomène n’est pas nouveau (voir chapitre 5). Au moment de l’affaire Kelkal en 1995 (un « jeune de banlieue » soupçonné d’avoir organisé des attentats, abattu par la 12

Retour sur un événement fondateur

police quasiment en direct au journal télévisé), de nombreux journalistes soulignent le contraste entre, d’une part, une marche non violente pour l’égalité et, de l’autre, la période contemporaine qui serait marquée par la montée du « terrorisme islamiste » et le « repli communautaire » musulman. Un journaliste du Monde, Philippe Bernard, écrit en 1995 : « L’islam, pratiquement absent des préoccupations des jeunes issus de l’immigration maghrébine jusqu’à la fin des années 1980, est devenu aujourd’hui pour beaucoup l’une des rares, sinon la seule référence. Les révoltes urbaines, le « mouvement beur », les grèves de la faim de 1981 contre les expulsions, la « marche pour l’égalité » de 1983, les Jeunes arabes de Lyon et banlieue, considérés comme de dangereux radicaux en 1985 : toutes ces pages sont définitivement tournées. Beaucoup de ceux qui ont connu ces temps héroïques les assimilent aujourd’hui à une vaste duperie récupérée par le pouvoir de gauche ; une supercherie qui justifierait a contrario le repli actuel sur l’identité religieuse. Comme si certains des petits frères des « marcheurs pour l’égalité » de 1983 s’étaient fait pousser la barbe16. » En 2003, le discours n’est pas différent, si ce n’est que de nouveaux faits viennent alimenter cette opposition, notamment l’incarcération à Guantanamo de deux jeunes habitants des Minguettes (Nizar Sassi et Mourad Benchellali)17. Dans le contexte du débat sur la loi prohibant les signes religieux ostensibles à l’école publique, qui sera votée le 15  mars 2004, les journalistes tendent à juger favorablement les militants « beurs » et « laïques », qui seraient héritiers du temps de la Marche, par opposition aux militants musulmans, agents de la remise en cause du « pacte laïque » ou de la « cohésion nationale ». C’est ainsi que les deux principaux ouvrages commémorant la Marche parus en  2003, Générations Beurs et La Crème des Beurs, donnent la voix exclusivement à des militants ou personnalités « beurs » qui non seulement ont « réussi », mais ont aussi pris leurs distances d’une manière ou d’une autre avec la religion musulmane18. L’objectif de ces ouvrages est de dénoncer les représentations négatives à l’égard des immigrés maghrébins et leurs enfants en montrant que « l’intégration est possible » et qu’il existe une « élite laïque » de l’immigration. Mais ne participent-ils pas à reproduire la fausse opposition entre « assimilables » et « inassimilables » ? 13

Introduction

Les journalistes spécialistes de l’immigration déplorent eux aussi le « déclin des laïcs19 » et se font l’écho des « musulmans laïcs20 » : « La montée de l’identité musulmane ne signe-t-elle pas l’échec de la Marche et de l’intégration21 ? » demande Philippe Bernard à Christian Delorme. Dans cette perspective, l’actualité de la « montée de l’identité musulmane » devient antinomique de la Marche « emmenée des HLM lyonnais à l’Élysée, bigarrée, joyeuse, triomphante, [qui] avait le goût d’une revanche soft contre la misère subie par les parents22 ». Ce discours est appuyé par certains sociologues, comme Alain Touraine, selon lequel « nous sommes actuellement dans une phase de désintégration marquée à la fois par le rejet des groupes minoritaires et par le repli communautaire. […] Le mouvement actuel est à l’opposé de la marche des Beurs en 1983. On était alors en pleine phase d’intégration, de montée de confiance. […] Maintenant, les jeunes de banlieue disent : on ne se sent plus français23 ». Certains « beurs laïques » affirment : « Nous avions prévenu, à l’époque, des risques de repli communautaire. Aujourd’hui nous en payons le prix24. » D’autres condamnent la reconnaissance étatique de mouvements « fondamentalistes » avec la création du Conseil français du culte musulman (CFCM) : « L’année 1983 voit également la naissance de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF). Intronisée récemment au sein du CFCM par le ministre Nicolas Sarkozy, cette association proche des Frères musulmans est à cette époque peu connue. L’UOIF, dont l’objectif est de récupérer et d’encadrer le malaise des banlieues, « n’aura de cesse, par un travail de sape efficace et consciencieux, de séduire les Beurs pour les convertir à un islam radical » », explique Rachid Kaci, auteur de La République des lâches25. Ainsi, la commémoration des vingt ans de la Marche est révélatrice des luttes d’héritage et de positionnement des différentes catégories d’enfants d’immigrés, mais aussi de la construction d’une vision binaire de l’« élite » de l’immigration partagée entre « laïques » et « fondamentalistes ». La Marche en tant qu’objet mémoriel est perçue sous le prisme du « problème musulman26 ». Elle est soit mystifiée, soit disqualifiée : elle représenterait soit le « symbole » de la volonté d’intégration des enfants d’immigrés post-coloniaux, soit les « illusions » des demandes d’égalité et la « récupération » de SOS Racisme. 14

Retour sur un événement fondateur

2.

Perspective socio-historique

Au-delà du mythe positif ou négatif de la Marche, tout le monde s’accorde à dire qu’elle symbolise l’apparition des enfants d’immigrés post-coloniaux dans l’espace public français. Auparavant, l’immigration maghrébine était généralement considérée comme un phénomène provisoire et représentée dans l’opinion publique par la figure du travailleur immigré, célibataire et sans enfants27, occultant ainsi notamment la présence féminine dans l’immigration28. À partir du début des années 1980, les enfants d’immigrés post-coloniaux font la Une de l’actualité, notamment lors des rébellions urbaines de la banlieue lyonnaise et de la grève de la faim des jeunes de SOS Avenir Minguettes29. Pour la première fois dans l’histoire de France, cette catégorie de la population va faire l’objet d’un discours médiatique et politique au niveau national, et la manifestation finale à Paris, qui rassemble environ cent mille personnes, produit un immense espoir et un unanimisme antiraciste dans l’opinion publique. Si le traitement médiatique de l’événement est bien connu30, on sait finalement peu de choses sur la Marche, les marcheurs et les conditions de possibilité de cette action collective. Cet ouvrage propose de revenir sur les faits historiques tels qu’on peut les analyser au travers des archives disponibles et des entretiens avec les acteurs de l’époque. En complétant les écrits existants31, il s’agit de proposer, à tou-te-s celles et ceux qui s’intéressent à cet événement, un regard fondé sur une démarche scientifique, c’est-à-dire visant à respecter les règles de la méthode en sciences sociales. Notre perspective socio-historique cherche à inscrire la Marche dans une histoire longue, au croisement de l’histoire des classes et des banlieues populaires (en particulier celle de la ZUP des Minguettes à Vénissieux), de l’histoire de l’immigration post-coloniale, de l’histoire des mobilisations dans le sillage des « années 196832 » et l’histoire politique française. Il s’agit d’abord de revenir sur les origines des tensions sociales ayant précédé la Marche, en analysant la « lutte des classes interne » à la classe ouvrière aux Minguettes (chapitre 1). Cette ZUP (zone à urbaniser en priorité) emblématique de la banlieue lyonnaise constitue un véritable laboratoire où les relations entre la classe ouvrière stabilisée 15

Introduction

(ouvriers professionnels et employés) et la classe ouvrière précarisée (ouvriers spécialisés et jeunes chômeurs) se détériorent progressivement durant les années 1970. Dans un contexte de crise économique et de montée du chômage des jeunes, l’exacerbation des tensions sociales est le résultat d’un processus social complexe, lié aux modalités de peuplement des immeubles, au phénomène de mobilité résidentielle, à la politique discriminatoire d’attribution des logements sociaux, à la logique de ségrégation sociale et ethnique et à la crise d’encadrement de la jeunesse ouvrière. Ces transformations de l’espace social des Minguettes favorisent les conflits entre la fraction la plus aisée des classes populaires et les bandes de jeunes enfants d’ouvriers spécialisés, qui constituent le vivier des rebelles de 1981 et 1983. Durant l’été 1981, des centaines de jeunes défient la police et participent à une rébellion urbaine, devenue le symbole de la « crise des banlieues ». Le 21 mars 1983, une seconde rébellion a lieu dans le quartier Monmousseau des Minguettes, qui se termine par une manifestation, une grève de la faim des jeunes et la création de l’association SOS Avenir Minguettes. Au travers d’une analyse fine de la configuration locale, il s’agit d’expliquer les conditions de possibilité des deux rébellions et le passage d’un mode d’action émeutier à un mode d’action non violent (chapitre 2). L’organisation des habitants de Monmousseau s’inscrit dans un rapport de forces inégal vis-à-vis des forces de police et de la municipalité communiste de Vénissieux, dirigée par Marcel Houël. Pour saisir les enjeux politiques du contentieux persistant, encore aujourd’hui, entre les jeunes des quartiers populaires et les autorités de l’État (municipalité, police et justice), il est nécessaire d’expliquer la grande difficulté de la police à reconnaître les déviances policières violentes* et d’analyser les soubassements idéologiques de la « peur de la rébellion » (chapitre 3). * On préfère cette formulation, proposée par Cédric Moreau de Bellaing, à « bavures policières » (la notion de « bavure » n’est pas très claire) ou « violences policières ». Cette dernière expression est tautologique : dans un État moderne, la police dispose du monopole de la violence physique légitime, donc l’action de la police (arrestation, garde-à-vue, etc.) est en elle-même violente. Dans les relations entre la police et la population, c’est avant tout l’usage déviant de cette violence qui est en jeu, dans la mesure où il remet en cause sa légitimité. 16

Retour sur un événement fondateur

L’étude préalable de la situation aux Minguettes permet ainsi de mieux comprendre l’appel de SOS Avenir Minguettes et de la Cimade à organiser une « Marche pour l’égalité ». Après avoir été blessé par balle par un policier, Toumi Djaïdja propose sur son lit d’hôpital de sortir de l’impasse locale en imitant les marches des Amérindiens et des Noirs états-uniens qui revendiquent leurs droits civiques. Au départ de Marseille, les marcheurs sont loin d’imaginer le succès final de leur action collective. Il s’agit donc de comprendre les raisons du succès de la mobilisation antiraciste (chapitre  4), en mettant en lumière l’alliance improbable entre les jeunes de SOS Avenir Minguettes, la Cimade Lyon, les associations de soutien, les mouvements de « jeunes immigrés », certains membres du gouvernement socialiste et certains journalistes. Si l’unanimisme antiraciste suscité par la Marche ne doit pas occulter certaines ambiguïtés (la « carte de séjour dix ans » pour les étrangers comme seule « victoire », l’occultation de la question post-coloniale, etc.), il est indéniable qu’elle favorise une sorte « mai 1968 » des enfants d’immigrés post-coloniaux au travers d’une prise de parole généralisée (chapitre 5).

17

1.

Le laboratoire des Minguettes Micro-histoire d’un quartier populaire

« La stigmatisation qui est, en apparence, le produit du territoire stigmatisé finit toujours, en réalité, par produire un territoire propre […]. Sous l’effet de la discrimination spatiale, qui est aussi et nécessairement une discrimination sociale et culturelle par l’intermédiaire de l’espace, certaines cités des banlieues des grandes agglomérations (Paris, Lyon, Grenoble, Marseille, etc.), cités de transit et cités de HLM habitées exclusivement ou majoritairement par des familles immigrées, surtout maghrébines, ont été revendiquées durant les affrontements récents comme de véritables territoires « indépendants » qu’il s’agit de s’approprier contre la population française, nationalement et socialement différente, et surtout contre la police gardienne de l’ordre social et spatial : « nous sommes ici chez nous ! », « nous sommes sur notre territoire ! », « la cité est à nous ! ». Cela doit être entendu comme ceci : « Nous (stigmatisés) sommes chez nous, dans notre espace stigmatisé qui nous stigmatise et que nous stigmatisons. » Ces slogans sont, en la circonstance, autant de manifestations d’auto-affirmation. » Abdelmalek Sayad, La Double Absence, Paris, Seuil, 1999, p. 364.

Vénissieux est une ville populaire limitrophe de Lyon (7e et 8e arrondissements) et de Bron au nord, de Saint-Fons à l’est, de Saint-Priest à l’ouest et de Feyzin et Corbas au sud (carte 1). Située au cœur de la banlieue est, c’est l’un des poumons industriels de l’agglomération : une partie de la population, majoritairement ouvrière, travaille dans les petites, moyennes et grandes entreprises situées à proximité1. En dehors des zones occupées par le secteur industriel, la ville est divisée en plusieurs quartiers et sous-quartiers, plus ou moins enclavés les uns par rapport aux autres : Moulin-à-vent, Viviani et La Borelle (nord), 19

Chapitre 1

Carte 1.1 ©OpenStreetMap

Charréard (ouest), Vieux-Vénissieux (centre) et les Minguettes (ouest), sachant que la ville est littéralement coupée en deux d’est en ouest par une ligne de chemin de fer et le boulevard périphérique. La ZUP des Minguettes est créée par un arrêté du 6 janvier 1960 dans une zone agricole vierge de 270 hectares et en altitude, le centreville étant situé en contrebas de la colline (carte  2). La  position géographique du « plateau » donne ainsi l’impression d’une citadelle ou d’une enclave relativement éloignée des autres parties de la ville. Son aménagement est confié par l’État au Service de l’équipement de la région lyonnaise (SERL) et sa construction est largement imposée à la municipalité communiste, qui parvient néanmoins à négocier un droit de regard sur la composition du parc de logements et la programmation des équipements publics. Le plan de masse est 20

Le laboratoire des Minguettes

Carte 1.2. © OpenStreetMap

esquissé par l’architecte-urbaniste Eugène Beaudoin (1898-1983) et réalisé par Frank Grimal (1912-2003, concepteur des ZUP de Bron-Parilly et de La Duchère)1. En  1974, la ZUP est composée de 9 015 logements, dont 7 166 logements sociaux (HLM et ILM, 79 %) et de 1 849 logements en accession à la propriété (21 %), dont 1 596 appartements (18 %) et 253 pavillons individuels (3 %)2. Les logements sociaux sont gérés par les grands bailleurs de la région, tels que Logirel, l’Office départemental des HLM (ODHLM), l’Office public des HLM (OPHLM), la Société Villeurbannaise, la Société Lyonnaise, la SACOVIV (ville de Vénissieux), le SIAL, Alpes-et-Forez, Rhône-Logis, Clair-Logis, La Sauvegarde, Simmottel et La Chaumine. La ZUP sort de terre en trois tranches (1967-1968,  1969-1970 et  1971-1974) et en seulement sept années, soit la période de construction la plus courte de l’histoire des grands ensembles de France ! Cette rapidité est rendue possible par l’application à grande échelle de la préfabrication des 21

Chapitre 1

éléments en béton et des méthodes de construction rapides : une seule grue sert à construire plusieurs tours qui sont donc très proches l’une de l’autre (ce qui pose par la suite des problèmes de stationnement, d’aires de jeu pour enfants, etc.). La concentration temporelle et spatiale s’explique avant tout par l’urgence sociale provoquée par la crise du logement en France en général et dans la région Rhône-Alpes en particulier. Dans les années 1960, la région lyonnaise doit faire face non seulement aux milliers de mal-logés, de ménages issus du baby-boom d’après-guerre et d’expulsés des opérations de rénovation urbaine du centre-ville de Lyon (Part-Dieu, Guillotière, etc.), mais aussi à l’afflux massif de familles étrangères (européennes et maghrébines) et de rapatriés d’Algérie (« pieds-noirs » et « harkis ») après l’indépendance de 1962. Ainsi, à la fin du programme en  1974, le plateau des Minguettes est habité par 34 359 personnes, réparties entre les différents sousquartiers (Monmousseau, Démocratie, Pyramides, Armstrong, Léo Lagrange, Darnaise et Rotonde).

1.

Conflits internes aux classes populaires et ségrégation résidentielle

Entre 1968 et 1974, la composition sociale des ménages habitant aux Minguettes ne connaît pas de bouleversements majeurs (figure 1.1)3. Les « chefs de ménages » (selon la catégorie utilisée par l’INSEE) ouvriers qualifiés et ouvriers spécialisés sont les plus représentés : respectivement 37 % et 29 % en 1968, 33 % et 28 % en 1974. En ajoutant les manœuvres et le personnel de service, on constate une surreprésentation des différentes composantes de la classe ouvrière, dont la proportion passe de 75 % à 71 % entre 1968 et 1974. Les classes moyennes (employés, cadres, professions libérales et commerçants) restent une minorité puisqu’elles ne représentent que 17 % de la population en 1968 (21 % en 1974). À partir du milieu des années 1970, la désindustrialisation se fait durement sentir à Vénissieux : 6 000 emplois industriels sont supprimés dans la ville entre 1976 et 1980. Le taux de chômage passe de 4,5 % en 1974 et à 13 % en 1982 (contre 8 % dans la région Rhône-Alpes), sachant qu’il s’agit majoritairement de 22

Le laboratoire des Minguettes

femmes (57 % en 1974 et 1982) et que la part des étrangers parmi les chômeurs augmente (30 % en  1974, 37 % en  1982)*. En  1981, le chômage touche environ un millier de jeunes entre seize et vingtcinq  ans (taux de chômage de 30 %, et plus particulièrement 36 % pour les jeunes femmes et 40 % pour les jeunes étrangers) et environ trois mille personnes sur l’ensemble de la commune de Vénissieux (10 % de la population active), dont 50 % de moins de vingt-cinq ans4. Non Actifs Autres PersoServ Manœuvres OuvSpe OuvQual Employés CadMoy ProfLib/CadSup Patrons/Commerçants Agric

Figure 1.1. Composition sociale des Minguettes entre 1968 et 1982 (ménages) Source : Groupe de sociologie urbaine, Étude démographique et sociologique de la ZUP des Minguettes à Vénissieux, rapport pour le SERL, décembre 1977 ; INSEE, Recensement de la population, 1982. En 1982 : fusion des OuvQual dans OuvSpe.

La relative stabilité de la composition sociale des Minguettes entre 1968 et 1974 masque des inégalités de progression et de répartition territoriale. En effet, le nombre de ménages issus des classes moyennes progresse beaucoup plus vite que celui des ménages ouvriers (+ 289 % pour les cadres moyens, + 239 % pour les employés, contre + 181 % pour les ouvriers qualifiés et + 201 % pour les ouvriers spécialisés) et les classes moyennes et les ouvriers qualifiés sont surreprésentés dans les zones pavillonnaires d’accession à la * Nous ne disposons pas de statistiques « croisées », c’est-à-dire ici de la proportion de femmes étrangères. Les statistiques données ici sont, comme dans le reste du livre, exhaustives. 23

Chapitre 1

propriété et dans certains immeubles locatifs. Donc le monde des ouvriers spécialisés, composé en partie de travailleurs étrangers, et le monde des ouvriers qualifiés et des employés, composé majoritairement de travailleurs français, se côtoient sans forcément se rencontrer et leurs relations peuvent s’avérer conflictuelles (voir infra). Ces conflits trouvent leur source non seulement dans un clivage social, mais aussi dans un clivage ethnique Français/Européens/ Maghrébins : la composition sociale des Minguettes masque en effet une tendance à la ségrégation résidentielle des étrangers en général et des Maghrébins en particulier. En  1974, les ménages étrangers représentent 14 % des ménages (7 % européens et 6 % maghrébins)5. Mais la proportion de ménages étrangers varie considérablement en fonction du type logement (location ou propriété privée), de l’architecture des bâtiments (tours, barres ou petits immeubles), des quartiers et des bailleurs sociaux (figure  1.2). Les étrangers disposent très rarement de logements en accession à la propriété (immeubles SCIC aux Pyramides, pavillons à la Darnaise), en ILM (Armstrong, Léo Lagrange) et dans les bâtiments gérés par certains bailleurs (Sacoviv, La Chaumine, Alpes-et-Forez). À l’inverse, ils sont surreprésentés dans les immeubles HLM, les grandes tours et logements gérés par Logirel, la Société Villeurbannaise, l’OPHLM et l’ODHLM. Ils sont ainsi concentrés dans les tours de Monmousseau et de Démocratie, ainsi que dans les petits immeubles de Léo Lagrange, des Pyramides et d’Armstrong (entre 20 % et 30 % de ménages étrangers), sachant que ces immeubles concentrent 41,7 % de l’ensemble des ménages étrangers des Minguettes. La logique de ségrégation résidentielle est accentuée pour les ménages maghrébins (figure 1.3), qui sont absents de la totalité des immeubles en accession (Pyramides, Armstrong et Léo Lagrange), des logements locatifs gérés par Alpes-et-Forez et des pavillons individuels (La Rotonde) : six zones d’habitation (les plus sombres de la figure  1.3) regroupent 47,2 % de l’ensemble des ménages maghrébins des Minguettes en 1974. Le processus de ségrégation résidentielle peut s’expliquer par l’inégalité de ressources financières permettant l’accession à la propriété, qui est elle-même liée au statut social des étrangers, notamment des Maghrébins surreprésentés parmi les ouvriers spécialisés. Elle résulte 24

Le laboratoire des Minguettes

Figure 1.2. Proportion de ménages étrangers habitant aux Minguettes en 1974 (en %).

Figure 1.3. Proportion de ménages étrangers maghrébins habitant aux Minguettes en 1974 (en %). 25

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aussi des pratiques de gestion des logements sociaux. D’une part, certains bailleurs institutionnalisent la discrimination antimaghrébine dans l’accès au logement en instaurant un « seuil de tolérance » (chapitre  3). D’autre part, certains bailleurs, tels que Logirel et les offices HLM, ont l’obligation de loger certaines catégories de la population, comme les fonctionnaires (État, collectivités territoriales) et les familles rencontrant des difficultés sur le marché immobilier. C’est ainsi que le Fonds d’action sociale pour les travailleurs immigrés, organisme public chargé de favoriser le logement des étrangers6, réserve plusieurs dizaines de logements pour des ménages européens et maghrébins (134 appartements en 1969)7. Les étrangers sont concentrés dans certains immeubles, qui sont en quelque sorte « sacrifiés » puisqu’on y loge les locataires jugés par les bailleurs comme présentant le plus de risques en termes locatifs8. La ségrégation sociale et ethnique est accentuée par la mobilité résidentielle d’un nombre croissant de ménages habitant aux Minguettes, le nombre de départs (le fait de quitter un logement) passant de seulement 11 en  1967 à 1167 en  19739. Les ménages partants se dirigent soit vers les communes de Lyon, Villeurbanne et les autres villes de la banlieue est lyonnaise (environ deux tiers), soit vers les Minguettes (plus d’un quart). On observe ainsi un « phénomène important de redistribution de la population dans la ZUP même10 » : certains locataires d’un logement social cherchent à obtenir un logement en accession à la propriété, en ILM ou en HLM dans un autre quartier des Minguettes. Contrairement à l’idée répandue que les Blancs auraient « fui » les Minguettes en raison des tensions avec les Maghrébins (chapitre 3), les départs sont avant tout motivés par une logique d’ascension sociale, l’inadaptation à l’environnement physique et social (insuffisance des équipements, notamment pour les enfants, et des transports publics) et le coût de plus en plus élevé des logements* (augmentation des loyers et des charges locatives)11. Il s’agit donc d’une mobilité promotionnelle (accession à la propriété), adaptative (taille inadaptée du logement, distance trop * Le prix du loyer d’un appartement T4 (81 m2) de la ZUP passe de 312 francs à 496 francs entre décembre 1967 et juillet 1978, soit une augmentation de 63 % (AMV 226W104. Sacoviv, « Progression des loyers », 6 avril 1979). 26

Le laboratoire des Minguettes

importante au lieu de travail, etc.) ou négative (contrainte financière), qui touche très inégalement les groupes sociaux. Elle est « particulièrement importante chez les cadres moyens, décroît des employés aux ouvriers [et] est faible chez les [ouvriers spécialisés]12 » ; elle est très élevée chez les ménages jeunes avec peu ou pas d’enfants et réduite dans les familles plus nombreuses, plus âgées ; et elle « concerne davantage la population française et étrangère européenne que les Maghrébins13 ». Ainsi, la mobilité résidentielle externe et interne aux Minguettes provoque d’importantes transformations de la composition sociale et ethnique : « renforcement de la population ouvrière, notamment sans qualification dans les zones où elle est déjà majoritaire ; maintien et même augmentation de la population maghrébine […] ; persistance et même renforcement des employés et des ouvriers qualifiés dans les zones les plus appréciées et les copropriétés ; diminution des cadres moyens qui viendront d’autant moins à la ZUP que la prépondérance ouvrière sera plus caractérisée14 ». Par conséquent, les ménages maghrébins, dont une partie importante sont des familles nombreuses, ont le plus de probabilité d’être « captifs » dans certains quartiers des Minguettes, parce qu’ils sont surreprésentés parmi les ouvriers spécialisés et qu’ils ont moins de chances de trouver un logement ailleurs en raison des discriminations ethniques pratiquées dans le marché immobilier, et de la difficulté de trouver un grand logement adapté à la taille des familles. Ce phénomène de ségrégation sociale et ethnique est très marqué dans les quartiers accueillant déjà une forte proportion d’étrangers maghrébins, ce qui préoccupe grandement les organismes HLM et les pouvoirs publics, et en particulier la mairie de Vénissieux qui cherche absolument à maintenir les ouvriers qualifiés et les classes moyennes. Dans la mesure où ils interprètent les conflits avec les jeunes comme des conflits raciaux et le dépassement d’un « seuil de tolérance » (chapitre 3), « les élus de Vénissieux et les directeurs d’organismes régissant les immeubles à HLM ont décidé de ne pas relouer les appartements libérés […] pour tenter d’endiguer cette croissance de la population étrangère15 ». En effet, la mairie « préfère […] laisser plusieurs centaines de logements inhabités plutôt que de les attribuer 27

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à d’autres familles d’asociaux [sic]. Des courts de tennis ont même été construits près du groupe des Minguettes pour tenter d’attirer de nouvelles couches sociales…16 ». Le maire communiste de Vénissieux, Marcel Houël, l’avoue en privé devant le Conseil économique et social en 1982 : « Les 1 800 logements vides de la ZUP des Minguettes le sont uniquement parce que j’ai obtenu [en 1975] du préfet de région, préfet du Rhône, qu’il soit fait interdiction aux offices d’HLM de relouer les logements vacants à des familles étrangères. Car, si nous n’avions pas obtenu cela, les logements ne seraient pas vacants : ils seraient occupés, mais par des familles d’immigrés17. » C’est ainsi que l’Agence d’urbanisme de la Communauté urbaine de Lyon considère que « les logements vacants des Minguettes pourraient être occupés du jour au lendemain » par des familles étrangères, mais que « si cette situation se réalisait, on aurait aux Minguettes la création d’un vaste ghetto et cette solution nous semble inacceptable ». L’objectif est « d’éviter le départ des populations actuellement en place, d’accueillir de manière sélective un certain nombre de ménages immigrés socialement et culturellement intégrés [sic] [et] de maintenir à terme un certain nombre de logements vacants18 ». Le refus (non avoué publiquement) d’accueillir

Figure 1.4 : Taux de logements HLM vacants aux Minguettes entre 1979 et 1984 (en %). Source : AMV 226W161. Association inter-organismes pour la gestion locative des Minguettes (AGELM), 1985.

28

Le laboratoire des Minguettes

de nouvelles familles maghrébines conduit inévitablement à l’augmentation du taux de vacance des logements HLM. Avant la rébellion de  1981, le taux de logements vacants de l’ensemble du parc HLM se situe entre 16 % (1979) et 19 % (1980), mais la politique de non-attribution de logements sociaux est différente selon les bailleurs : le taux se situe entre 30 % et 40 % à Monmousseau (Logirel), Démocratie (OPHLM) et la Darnaise (OPHLM), tandis qu’il est inférieur à 10 % à Armstrong (ODHLM) et les autres quartiers des Minguettes. Les quartiers Monmousseau et Démocratie ont donc été petit à petit « vidés » de leurs habitants jusqu’à ce que les rébellions de 1981 et 1983 discréditent l’image de ces quartiers et que la démolition d’une tour de Monmousseau en 1983 achève le processus d’évacuation voulu par les organismes et la municipalité. Il n’est donc pas étonnant que la population chute de 30 % entre 1975 et 1982 (passant d’environ 35 000 à 25 300)19. Le dépeuplement de la ZUP entraîne une transformation radicale de la composition sociale (figure 1.1) : la proportion de ménages ouvriers (qualifiés et spécialisés) chute, passant de 61 % en 1974 à 38 % en 1982, tandis que celle des inactifs, des employés et des cadres augmente, passant respectivement de 4 % à 25 %, de 10 % à 24 % et de 1 % à 10 %. Compte tenu des logiques de mobilité résidentielle et de la politique discriminatoire d’attribution de logements HLM, ce n’est pas un hasard si Monmousseau et Démocratie sont marqués par un processus de ségrégation sociale et ethnique, d’autant plus que les statistiques disponibles ne permettent pas de voir le fait que, parmi les ménages français « restants », on retrouve des originaires des DOM-TOM* et des familles d’origine algérienne. Pour ces dernières, il s’agit de ménages dont le chef était « harki » auxquels la préfecture du Rhône a attribué jusqu’au début des années 1970 une soixantaine de logements dans les tours de Monmousseau gérées par Logirel20. * L’histoire des Antillais des Minguettes reste à écrire. En 1982, 1 620 habitants de la ZUP sont nés dans un DOM-TOM, soit 630 ménages. 60 % des ménages se sont installés dans la ZUP en 1975 et provenaient de Vénissieux (hors-ZUP). Cette population est composée de 480 jeunes de seize à vingt-cinq ans et de 990 actifs (dont 470 employés, 370 ouvriers et 150 chômeurs), la majorité étant fonctionnaires aux Hospices civils de Lyon. 50 % des agents hospitaliers vivant aux Minguettes sont des femmes originaires des DOM-TOM. 29

Chapitre 1

2.

La colonie algérienne rapatriée

Durant la guerre d’Algérie (1954-1962), le terme « harkis » désigne les « Français musulmans d’Algérie » (FMA) ayant combattu aux côtés de l’armée française, qui sont considérés comme des « traîtres » ou des « collaborateurs » par les nationalistes algériens (Front et Armée de libération nationale, FLN et ALN)21. Après l’indépendance de 1962, le sort réservé aux « harkis » et à leurs familles ayant survécu à la guerre est dramatique : ils subissent soit l’emprisonnement, voire la mort, en Algérie, soit l’exil brutal et le regroupement dans les « camps de harkis » du Sud de la France, notamment ceux de Bias (Lot-et-Garonne), Bourg-Lastic (Puy-de-Dôme), La  Rye (Vienne), Larzac (Aveyron), Rivesaltes (Pyrénées-Orientales) et Saint-Maurice l’Ardoise (Gard). Les trajectoires de certaines familles arrivées aux Minguettes et dont le père était « harki » sont marquées par la stigmatisation et les difficultés à se loger et à travailler en métropole. Dans l’immédiat après-guerre, les « harkis » isolés qui arrivent à l’aéroport de Bron ou à la gare de Perrache sont porteurs d’un billet bleu, au risque d’être identifiés et agressés par des « commandos » FLN surveillant la gare22. Ils sont accueillis à la gare par le Service d’accueil des Rapatriés d’Algérie, dont les permanences sont assurées par le Service d’assistance technique (SAT) de Lyon, qui est chargé de déterminer ou non leur qualité de rapatriés et de les héberger à la Maison de l’Afrique du Nord (trente places à Lyon) avant leur transfert au camp de Larzac23. Ainsi, du point de vue de la préfecture, la présence des « harkis » est pensée comme temporaire parce qu’ils sont censés être transférés dans les camps de regroupement : « Les rapatriés musulmans ne doivent pas, en principe, séjourner dans l’agglomération lyonnaise qui n’est pas une circonscription d’hébergement24. » Fin juin 1962, 1 440 familles sont disséminées dans l’agglomération lyonnaise dans plusieurs bâtiments réquisitionnés par la préfecture. Mais de nouvelles familles arrivent tardivement à Lyon à la fin des années 1960, suite à la signature d’un accord bilatéral entre la France et l’Algérie permettant la libération de « harkis » après le temps de détention du père dans une prison algérienne. Après un passage par les camps du Sud de la France, elles sont installées soit dans des 30

Le laboratoire des Minguettes

camps provisoires de la région lyonnaise, comme à Brignais, soit dans les cités de transit de la banlieue lyonnaise, notamment dans la cité SNCF de Vénissieux. Ensuite, le caractère temporaire de la présence des « harkis » dans l’agglomération lyonnaise est remis en cause par le refus de beaucoup de familles de vivre dans les camps et leur volonté de rester sur place, ce qui leur permet de bénéficier de logements réservés aux Français musulmans d’Algérie (FMA) dans les grands ensembles nouvellement construits à Grigny, Vaulx-enVelin et Vénissieux. Les premières tours de la ZUP des Minguettes sont construites en septembre 1966 et, fin 1967, 64 logements sont attribués aux FMA25 – malgré la fin de la colonisation de l’Algérie, la catégorie FMA continue d’être utilisée par l’administration française, signe de la persistance de catégorisations coloniales dans le contexte post-colonial26. C’est ainsi qu’entre 1967 et 1971, la ZUP des Minguettes, en particulier dans les quartiers Monmousseau et Démocratie, accueille une soixantaine de familles de « rapatriés musulmans », qui partagent l’histoire de la famille Kiar (encadré 1.1). Puisqu’elles ont la nationalité française, elles n’apparaissent pas dans la catégorie d’étrangers maghrébins de la figure  1.3, mais elles sont considérées comme tel par les ménages français et étrangers européens. Comme le note une enquête de la préfecture du Rhône, il existe de vives tensions entre les « rapatriés musulmans », les Français de métropole et les étrangers algériens : « Les rapports entre Français Musulmans et Algériens restent tendus et dernièrement on a vu des employeurs refuser ou regretter de recruter des Français Musulmans en raison des risques de conflit à l’intérieur même de l’entreprise ; l’intervention ferme et décidée du contrôleur social du Service de la main-d’œuvre a limité au maximum cette psychose chez les employeurs. […] Quant à la population européenne elle est indifférente et parfois hostile, ne faisant pas la distinction entre Français Musulmans et Algériens27. » Cette absence de distinction est confirmée par les témoignages d’anciens habitants de Monmousseau. Un des marcheurs de 1983 se souvient de son arrivée aux Minguettes et évoque l’existence d’une « ligne de démarcation » entre « Nord-Africains » et « Européens » : 31

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encadré

Encadré 1.1 : Histoire d’une famille « harki » des Minguettes Après l’assassinat de son frère par des membres de l’ALN, M. Kiar* (né en 1932) s’engage comme goumier (soldat « indigène ») dans une des Sections administratives spécialisées (SAS) créées en 1955 par le gouverneur général d’Algérie, Jacques Soustelle, pour « pacifier » les campagnes algériennes et contrecarrer l’influence du FLN. M. Kiar est arrêté le 20 juillet 1962, quelques jours après la proclamation d’indépendance (5 juillet), et échappe aux massacres de plusieurs dizaines de milliers de « harkis » qui se multiplient jusqu’en octobre28. Abandonné comme les autres « supplétifs » par les autorités françaises, qui ne prévoient pas de plan de rapatriement, il est incarcéré dans le groupe pénitentiaire de la Maison-Carrée, près d’Alger, entre le 20 novembre 1962 et le 6  octobre  1967. Alors que les accords d’Évian, signés le 18 mars 1962, sont censés garantir l’absence de mesures de police et de justice contre les « supplétifs », il fait partie des 13 500 « harkis » détenus des prisons algériennes recensés par la Croix-Rouge en 196529. Ses enfants sont donc élevés par sa famille durant ses cinq années de détention, puis il fait partie des 1 333 « harkis » rapatriés dans le cadre d’un accord entre la France et l’Algérie. La famille quitte donc l’Algérie le 6 octobre 1967 pour le « centre de transit » du Château de Lascours à Laudun (Gard), vit un temps dans le camp de SaintMaurice l’Ardoise, puis rejoint la région lyonnaise où elle est prise en charge par le Service de liaison et de promotion des migrants (SLPM) qui aide à la recherche d’emplois et de logements. Après un séjour au foyer de Notre-Dame-des-Sans-Abris (Lyon 7e), la famille emménage le 16 février 1971 dans un appartement de la ZUP des Minguettes, « réservé » par la préfecture auprès du bailleur Logirel30. Les enfants ont tous moins de onze ans à leur arrivée à Monmousseau et subissent de plein fouet la crise de l’encadrement de la jeunesse par l’école publique, le secteur de l’animation et, plus tard, par le travail, qui favorise l’émergence de « bandes » de jeunes vers fin des années 1970. Selon un habitant des Minguettes, « il y avait de tout [dans les bandes] : des filles, des garçons, des « Gaulois » comme des Français d’origine arabe ou des Arabes tout court31 ». Les « Français d’origine arabe » désignent les enfants de « harkis », qui pouvaient faire l’objet de « boutades quotidiennes32 ». La trajectoire des enfants de « harkis » est marquée non seulement par la violence de la guerre d’Algérie et l’exil

* Nom fictif. 32

Le laboratoire des Minguettes

forcé en France, mais aussi par le racisme anti-arabe, la stigmatisation des « harkis » et l’incapacité de l’école publique à les insérer dans le monde du travail. Un « harki » de la ZUP résume ainsi son expérience : « Je suis un peu comme les Palestiniens sans patrie. L’Algérie ne veut plus de nous et la France nous rejette33. »

La  seule chose qui m’a frappé à cette époque-là, c’est qu’il y avait une ligne de démarcation, spécifiquement par rapport à Monmousseau parce que c’est là que j’ai grandi. Il y avait les grandes tours verticales et puis il y avait les fameuses barres immenses [et horizontales]. Quand on est arrivé en 1970, j’avais vraiment senti, et je n’étais pas le seul, qu’il y avait une grosse différence entre la population, blanche, installée dans les barres, et le reste qui était installé dans les tours34. La logique de ségrégation sociale et ethnique est donc directement ressentie par les habitants de Monmousseau, qui se sentent relégués dans un espace en voie de dégradation avancée (logements vides, saleté à cause des défauts d’entretien, etc.), même si, « en aucune façon, les Minguettes – ou même tel quartier – ne sont devenus des ghettos à l’image d’Olivier de Serres [à Villeurbanne]35 ». Les  logiques de mobilité résidentielle, de discrimination dans l’accès aux logements sociaux et de ségrégation sociale et ethnique se conjuguent ainsi avec un autre phénomène, la crise d’encadrement de la jeunesse ouvrière, qui favorise l’émergence de bandes de jeunes.

3.

Crise d’encadrement de la jeunesse ouvrière

L’arrivée rapide et massive d’environ 35 000 habitants bouleverse radicalement la démographie de Vénissieux et provoque des difficultés en termes d’équipements, qui ont été en partie traitées par la municipalité. Mais le maire communiste Marcel Houël est bien « obligé de constater [en 1976] que le manque d’équipements collectifs contribue à la dégradation des conditions de vie des habitants de la ZUP36 ». De fait, la principale préoccupation concerne l’encadrement de la jeunesse : les enfants, adolescents et jeunes adultes (moins de vingt ans) représentent 53 % de la population (18 130) contre 47 % d’adultes (16 229) en  1974. Cette surpopulation juvénile, 33

Chapitre 1

associée aux difficultés parentales et aux dysfonctionnements du système scolaire et du secteur de l’animation, participe à affaiblir les mécanismes de contrôle social de la jeunesse. En effet, les établissements scolaires sont littéralement surpeuplés et manquent de moyens matériels et humains pour accueillir les 12 085 élèves inscrits en 1973-1974 dans les classes de maternelle, primaire et de collège37. Par exemple en  1975-1976, 75 % des classes de 6e comptent plus de trente élèves en raison du manque de professeurs38. Par ailleurs, l’inadéquation entre les attentes scolaires et les dispositions à la culture légitime des enfants d’ouvriers favorisent l’échec scolaire39, qui est un phénomène massif aux Minguettes. Le ministère de l’Éducation nationale cherche à le contrecarrer en créant des classes spécialisées, notamment les classes pré-professionnelles de niveau (CPPN) et les classes de pré-apprentissage (CPA), créées par circulaire le 10 mars 1972. En 1981, le Centre information jeunes du Service municipal de la jeunesse reçoit plus de cinq cents demandes de stages de pré-formation ou de formation professionnelle émanant de jeunes de seize à vingt-deux ans40. Parmi ceux-ci, 80 % sont en situation d’échec scolaire (parcours du premier cycle inachevé ou achevé en classe de CPPN ou CPA) et 90 % appartiennent à la classe ouvrière, 50 % sont des filles et 66 % sont d’origine maghrébine. Au collège Elsa Triolet, vingt-deux élèves parmi les trente-sept de la CPA n’ont pas réussi à trouver un employeur, et seize élèves qu’aucun collège n’acceptait ont été pris en charge dans le cadre d’une CPPN. Ce n’est donc pas un hasard si les taux de réussite au brevet des collèges et au baccalauréat sont extrêmement faibles. Le seul lycée des Minguettes (Jacques Brel), à la fois général et technologique, dont la moitié des élèves résident à Vénissieux pour l’année scolaire  1980-1981 (l’autre moitié venant d’autres communes), a des taux de réussite au Bac allant de 23,8 % (Bac G2 gestion) à 51,6 % (Bac G1 administration) pour les filières technologiques, et de 55,4 % (Bac D mathématiques et sciences de la nature) à 85,7 % (Bac A2 latin-langues) pour les filières générales41. Dans la mesure où les difficultés scolaires touchent à la fois les enfants d’immigrés et « une forte minorité des ménages français (notamment la fraction la moins qualifiée et la plus pauvre de la classe ouvrière), c’est la 34

Le laboratoire des Minguettes

crise scolaire et l’inadaptation du système scolaire qui se concrétise aux Minguettes42 ». De plus, le quartier des Minguettes connaît une crise importante du secteur de l’animation, financé en quasi-totalité par la ville et représenté par les maisons de quartier (notamment le foyer Claude Debussy et la Maison de la Démocratie), la Maison de la jeunesse et de la culture (MJC) et les locaux communs résidentiels (LCR). Cette forme d’encadrement de la jeunesse connaît de grandes difficultés d’abord en raison d’un manque de moyens techniques : les différentes activités du foyer Debussy ont par exemple « très vite buté sur des problèmes de locaux (sécurité, manque de place)43 » pour accueillir tous les enfants souhaitant y participer. De fait, la majorité des enfants sont exclus de ces dispositifs, d’autant plus qu’ils sont monopolisés par les classes moyennes et les classes populaires favorisées, qui définissent le fonctionnement et les modalités d’accès aux activités. Ce monopole est illustré par la composition des postes de direction et la nature des activités proposées aux enfants des Minguettes. La Maison de la Démocratie, quartier éponyme d’où est déclenchée la rébellion de  1983, ouvre ses portes fin  1978 et offre un local de 316  m2, avec une salle polyvalente de 87,5  m2. Mais le conseil d’administration est essentiellement composé de représentants d’associations déjà constituées, proche de la section locale du Parti communiste, et de membres de la municipalité, à l’exclusion des habitants du quartier. En conséquence, ces locaux servent avant tout à l’organisation de réunions dont « une grande partie des participants […] (et la plupart des responsables du CA) ne sont, en fait, pas du quartier44 ». La mainmise sur les dispositifs d’animation par certains militants se traduit aussi dans la nature des activités. Au foyer Debussy, les bénévoles proposent des activités souvent en décalage par rapport aux attentes des enfants d’ouvriers, telles que la gymnastique, la photographie, la randonnée, etc.45 Parce que ces espaces collectifs sont faiblement intégrés dans les sociabilités de quartier, ce n’est pas un hasard si les conflits se multiplient entre les jeunes et les animateurs. Par exemple, ceux qui participent aux ateliers photo du foyer Debussy utilisent les appareils sur un mode ludique et non comme le souhaitent les organisateurs, 35

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c’est-à-dire en « vrai photographe amateur ». Le foyer est « rapidement envahi par des masses de jeunes et adolescents – notamment maghrébins – totalement incompatibles avec d’autres clientèles46 » telles que les personnes âgées (club du troisième âge). Dans le quartier Démocratie, la Maison est construite sur un terrain libre qui était jusque-là utilisé par les jeunes comme aire de jeu, ce qui les a obligés à aller jouer ailleurs, notamment sur les parkings et au pied des immeubles, favorisant ainsi les dégradations de la Maison et les conflits avec les automobilistes et les gardiens d’immeubles. Dans la nuit du 26  février  1981, la Maison est vandalisée. Les policiers retrouvent des inscriptions au feutre noir sur les murs, non dénuées d’humour noir et politique, qui révèlent l’hostilité d’une partie des jeunes à l’encontre du président de la République de l’époque, Valéry Giscard d’Estaing, de la municipalité et des dispositifs d’animation. En supposant qu’ils ont été commis par un ou des jeunes du quartier, ces actes révèlent le fait que ceux-ci n’investissent pas les lieux contrôlés par les représentants de la mairie : J’ai bien manger – j’ai bien bus – j’ai la peau du ventre bien tendu – merci beaucoup – signé – un inconnu Municipal – vive la Liberter – I Love you. Monsieur et Madame, je vous remercie pour ces belles choses dont vous nous avesoffer – Nous espérons revenir – veuillez remplir les bureaux pour notre prochain retour. Veuillé agrées mes salutations distingués – A biento et merci pour se petit festin – avec tous mes remerciements – Merci pour tous. A mord GiscarDestint. Tous les types de ce quartier sont des pommé. Monsieur et Madame, avant de commencer le travail veuillez bien nettoyé ce sol il y a un sacrés désordres. Merci47. Cependant, certains dispositifs de loisir et d’animation sont mieux investis par les jeunes des Minguettes : la MJC et l’Association sportive des Minguettes (ASM). La MJC, dirigée par M. Marel, est située en bas du plateau, à proximité de la mairie, emploie six animateurs (dont quatre à mi-temps) et est fréquentée par quatre cents adhérents en 1978-1979. Les activités sont là aussi en décalage par 36

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rapport aux attentes des enfants d’ouvriers, mais la MJC comprend un foyer qui « fonctionne relativement bien […] depuis qu’un animateur (jeune Maghrébin) en assure la responsabilité48 ». Du coup, un groupe d’une quinzaine de jeunes s’est vraiment approprié la MJC, quitte à ce qu’il monopolise les animateurs et les locaux, et empêche l’arrivée d’autres jeunes. La direction décide alors de fermer temporairement le foyer et lance une activité de karaté qui attire massivement les jeunes du quartier. À la fin des années 1970, le foyer reste « la seule activité de ce type à fonctionner durablement49 », notamment en raison des bonnes relations entre l’animateur et les jeunes. Autre lieu de prédilection des jeunes, l’ASM est une « puissante association omnisports » qui est « de loin la plus active des associations des Minguettes50 ». Créée en décembre 1969 par des bénévoles, notamment M. Roblin et Jean-Louis Fernandez (frère de Luis51), elle accueille environ mille adhérents de tous âges qui pratiquent différents sports au Stade Delaune et à la piscine municipale, situés entre la rue des Martyrs de la Résistance (Pyramides) et la rue du 8 mai 1945 (Armstrong et Darnaise). Avec plus de cinq cents adhérents, le club de football, dont la réputation nationale et internationale est portée par des joueurs tels que Luis Fernandez et Alim Benmabrouk, permet de « toucher une forte proportion de la population la plus paupérisée [et] satisfait une partie de la population la moins défavorisée, contribuant à la fixer sur place52 ». Cependant, le nombre d’animateurs et la sur-utilisation des équipements sportifs, dont la capacité reste insuffisante pour faire face à la demande, fait que l’ASM est obligée de « refuser du monde, ce qui permet indirectement une certaine sélection53 ». Or la sélection s’opère selon des logiques affinitaires et familiales, laissant de côté les jeunes n’ayant aucune attache avec des membres du club. Globalement, les structures d’encadrement de la jeunesse ne parviennent pas à faire face au surplus démographique* : sur environ * Notons que certains groupes sociaux gèrent collectivement et de manière autonome l’encadrement de leurs enfants, en particulier la communauté juive, qui dispose d’un LCR dans la tour 201 (Rotonde) ou envoie les jeunes dans des structures religieuses extérieures au quartier (la synagogue est construite en 1984), et la communauté espagnole très structurée par le Foyer espagnol, créé dans le centre-ville de Vénissieux par d’anciens réfugiés antifranquistes. Le premier lieu de culte musulman est inauguré en 1985 à Monmousseau. 37

Chapitre 1

18 100 jeunes de moins de vingt ans comptabilisés en  1974, on retrouve environ 12 200 scolarisés (maternelle, primaire et secondaire, dont plus de 500 en échec scolaire) et 5 900 non scolarisés ; parmi ces jeunes, entre 1 000 et 1 500 sont adhérents à l’ASM et à la MJC. Il existe un véritable « vide pour les enfants de 10 à 16 ans54 » qui fréquentent les établissements scolaires de la ZUP. D’après le directeur du Service municipal de la Jeunesse, M. Notar, « le nombre de jeunes sérieusement en difficulté sur les Minguettes [atteindrait ainsi] un chiffre supérieur à 1 00055 ». Dès lors, on comprend mieux pourquoi la rue devient un vecteur de socialisation privilégié pour une grande partie des jeunes des Minguettes : c’est le seul espace qui leur appartienne vraiment, auquel ils peuvent complètement s’identifier et qu’ils peuvent s’approprier. La centralité de la rue et de la bande comme lieu de socialisation juvénile (chapitre  2), qui peut avoir une dimension délinquante56, participe à provoquer des conflits avec les habitants les plus favorisés, qui se mobilisent fortement en direction des pouvoirs publics pour dénoncer le « problème » des jeunes, surtout maghrébins.

4.

Mythe de l’insécurité, pétitions et autodéfense

Tous les témoignages d’habitants des Minguettes et les rapports de police montrent que, de la construction des premières tours en 1966 jusqu’à la fin des années 1970, il existe un faible niveau de violence entre habitants. Il est bien sûr difficile de se faire une idée précise de la réalité de la délinquance dans la mesure où les chiffres de la police sont une construction statistique qui n’est pas le fidèle reflet de l’état « réel » de la délinquance : les chiffres dépendent de la volonté des victimes d’aller porter plainte, de la (non) précision du processus de comptabilisation et/ou de l’intensité de l’activité répressive (plus on réprime, plus on « fait du chiffre »). De plus, il n’est pas possible de connaître les chiffres spécifiques à la ville de Vénissieux car les statistiques disponibles englobent les faits de délinquance constatés dans l’ensemble du département du Rhône. On peut néanmoins discerner quelques caractéristiques générales de la délinquance vénissiane grâce aux informations fragmentaires des rapports de la police judiciaire. Alors que la population rhodanienne s’accroît de 4,5 % entre  1974 et  1980, on 38

Le laboratoire des Minguettes

constate durant cette période une croissance de 58,2 % du nombre de crimes et délits constatés dans le département (passant de 55 104 à 87 148) sachant que celle-ci résulte principalement de l’augmentation des faits de « délinquance » (passant de 44 882 à 72 529) – la « grande criminalité » et la « criminalité moyenne » passant respectivement de 741 à 1 439 et de 9 481 à 13 18057. Mais cette croissance globale ne se répartit pas équitablement entre les cinq circonscriptions distinguées par la police judiciaire (figure  1.5) : ville de Lyon (Centre), Villefranche (Nord), Tarare (Ouest), Givors-Grigny (Sud) et Est-lyonnais (Bron, Saint-Priest, Saint-Fons, Décines, Vaulx-en-Velin, Vénissieux, Villeurbanne). En effet, on constate des variations importantes entre ces zones du département en termes de taux de délinquance (nombre de faits de délinquance pour mille habitants). Entre  1976 et  198058, le taux de délinquance départemental passe de 31,72 ‰ à 49,04 ‰, mais on distingue deux types de situations : les deux circonscriptions au-dessus de la moyenne départementale (Lyon et Villefranche) et les trois autres situées en dessous (Givors, Est-lyonnais, Tarare). Ainsi, le taux de délinquance dans l’Est-lyonnais est inférieur et croît

Rhône Lyon Givors Tarare Villefranche Est-lyonnais

Figure 1.5 Taux de délinquance dans le Rhône entre 1976 et 1981 (en ‰). Source : Ministère de l’Intérieur (Direction centrale de la police judiciaire), Aspects de la criminalité en France d’après les statistiques de la police judiciaire, Paris, La Documentation française, 1976-1981. 39

Chapitre 1

moins vite que ceux de la ville de Lyon et de la zone de Villefranche. Entre 1976 et 1980, le taux Est-lyonnais passe de 14,84 ‰ à 27,5 ‰, tandis qu’à Lyon il croît de 44,16 ‰ à 62,15 ‰ et à Givors-Grigny de 24,56 ‰ à 31,18 ‰. Il  faut attendre l’année  1981 pour que le taux de délinquance de la zone Est-lyonnaise dépasse celui la zone de Givors-Grigny, sachant que les deux zones ont un profil économique et sociologique comparable à cette période (emploi industriel, composition sociale à majorité ouvrière, taux de chômage élevé, etc.). Avant le début des années  1980, les différents acteurs sociaux et politiques de Vénissieux font bien le constat de la multiplication des faits de délinquance aux Minguettes, mais cette réalité n’est pas (encore) leur principale préoccupation. À l’occasion du conseil municipal extraordinaire du 29 octobre 1976, organisé sous un chapiteau installé au milieu de la ZUP, les premières doléances des acteurs locaux portent essentiellement sur le chômage des jeunes, l’enseignement, le sport, l’immigration, le logement et les loyers. La question de la délinquance en tant que telle est reléguée, dans le compte rendu du conseil municipal publié dans le journal Vénissieux Infos, aux « quelques points qui n’ont pas pu être abordés » : « S’il est vrai que la délinquance des jeunes pose un problème, elle ne reste que le fait d’une infime minorité. La jeunesse dans son ensemble est sérieuse et travailleuse mais quelles perspectives lui offrent ceux qui nous gouvernent59 ? » L’idée d’un phénomène marginal est vérifiée par les chiffres du commissaire de Vénissieux/Saint-Fons qui identifie, en septembre 1980, vingt-deux « familles connues défavorablement » des services de police et quarante-trois « délinquants multirécidivistes » dans la commune de Vénissieux60. Parmi ces derniers, quatre sont des filles ; dix-huit sont mineurs, vingt et un ont entre dix-huit et trente ans et quatre ont plus de trente ans ; vingt-trois ont la nationalité française (dont deux Français de naissance, vingt d’origine algérienne et un d’origine espagnole), vingt sont étrangers (seize Algériens, trois Tunisiens et un Espagnol). Il s’agit surtout de petite délinquance, c’est-à-dire de vol à l’étalage, de cyclomoteurs, parfois par effraction, et d’« outrage et rébellion ». Ainsi, la délinquance est considérée comme le fait d’une « infime minorité » et n’est pas encore construite en problème public que les 40

Le laboratoire des Minguettes

autorités politiques et policières doivent régler en priorité. En ce sens, on peut parler d’un équilibre, fragile et précaire, dans les relations sociales aux Minguettes. Bien que des tensions sociales entre les habitants apparaissent dans l’Est-lyonnais dès septembre 1971, notamment dans la cité Olivier de Serres à Villeurbanne et à la Grapinière à Vaulx-en-Velin61, il s’est construit aux Minguettes une sorte de modus vivendi où la qualité des relations sociales n’est pas encore affectée par les divisions internes aux classes populaires produites par la montée du chômage et la précarité sociale, même si celles-ci se font de plus en plus présentes. Globalement, les relations sociales sont « dans l’ensemble, bonnes ou acceptables62 » aux Minguettes jusqu’à la fin des années 1970*. Mais, comme le souligne une enquête sociologique menée dans le quartier en 1979-1980, il existe un « véritable mythe de l’insécurité […] qui va très au-delà des faits63 ». Ce mythe de l’insécurité est produit par la mobilisation de plusieurs acteurs sociaux, en particulier issus des classes populaires les plus favorisées, qui ne supportent plus les jeunes qui « traînent » au pied des tours des Minguettes. Les pouvoirs publics sont en effet sollicités par des plaintes, des lettres individuelles ou des pétitions pour qu’ils interviennent et règlent leurs conflits avec telle ou telle bande de jeunes : « la montée du nombre des plaintes témoigne de la constitution d’un véritable mythe de l’insécurité – alimenté par des faits réels (petits vols, casse, dégradation d’espaces communs, de boîtes aux lettres, caves…)64. » En effet, « la coexistence de ménages appartenant à des groupes ethniques ou sociaux trop différents est parfois difficile ou, au moins, conflictuelle65 ». Il s’agit surtout des conflits entre « la fraction la plus aisée et la plus moderniste de la classe ouvrière (ouvriers qualifiés, employés, techniciens, grosso modo) et des fractions plus traditionnelles – françaises aussi bien qu’immigrées ; la première ne supporte pas – ou plus – le mode de vie populaire des * Les relations de voisinage étaient considérées comme normales (« plutôt bonnes » ou « bonnes ») par la très grande majorité (78 %) des 1 000 ménages rencontrés par le Groupe de sociologie urbaine en 1975. L’appréciation des partants (entre juin et décembre 1975) sur les Minguettes est positive sur le logement (66 %) et négative en raison de la saleté (22 %), la taille de la ZUP (22 %), les mauvaises relations (15 %), les équipements insatisfaisants (7 %), le bruit (7 %), l’insécurité (4 %) et les transports (2 %). 41

Chapitre 1

secondes66 ». Ainsi, « une grande partie des problèmes de voisinage sont le fait de cette fraction plus aisée de la classe ouvrière67 », dont la colère se cristallise sur la jeunesse. Ces conflits reflètent les luttes internes aux classes populaires et révèlent le fait que c’est « tout un mode de vie populaire […] qui n’est pas supportable et supporté par les ménages « employés français »68 ». En effet, « les familles nombreuses, par la liberté accordée à leurs enfants, l’absence d’une stricte « surveillance », par le flou des horaires, incarnent le mode ancien d’éducation populaire avec lequel une fraction croissante des familles populaires françaises a voulu rompre pour maximiser les chances de promotion de leur descendance69 ». Dans les quartiers où ils sont majoritaires, notamment dans les copropriétés et les immeubles gérés par les bailleurs SCIC et Alpes-et-Forez, « les ménages populaires – même français – se voient soumis à une tentative de normalisation, notamment dans l’usage des espaces communs, les jeux des enfants qui sont le lieu et l’occasion principale des conflits de voisinage70 ». Autrement dit, la « possibilité même de vivre selon un modèle « ouvrier » ou « populaire » est donc bien un enjeu social central aux Minguettes71 ». C’est en ce sens qu’il faut comprendre non seulement la volonté de « normaliser » les comportements des enfants d’ouvriers de la part des animateurs, des travailleurs sociaux et des élus (qui monopolisent les positions de pouvoir dans le secteur associatif ), mais aussi l’interpellation des pouvoirs publics (commissaire, maire et préfet) au sujet de la montée de la délinquance des jeunes. Le fait de solliciter des agents institutionnels de normalisation (police, mairie, bailleur, animateur, etc.) est un bon indicateur de la crise de contrôle social de la jeunesse. Contrairement à la majorité silencieuse des ouvriers spécialisés, la minorité d’habitants très mobilisée contre l’insécurité se sent menacée et démunie face à un nombre disproportionné de jeunes par rapport au nombre d’adultes et aux lacunes de l’encadrement social. La fraction la plus aisée de la classe ouvrière, qui occupe objectivement une position sociale dominante aux Minguettes, se sent en quelque sorte « dominée » dans les espaces communs et publics par les jeunes, les immigrés et les plus pauvres. Elle réagit « en recourant à la seule modalité d’action 42

Le laboratoire des Minguettes

qu’[elle] croi[t] pouvoir maîtriser : l’intervention institutionnelle (la police, la ville, l’office [HLM]) ». C’est ce qu’illustre la pétition suivante, signée par onze propriétaires de maisons individuelles et adressée au maire en octobre 1980 : [Nous] avons des problèmes qui s’aggravent de plus en plus, il ne se passe pas un jour [sans] que nous n’ayons l’intrusion de garnements de la ZUP surtout ceux de la rue de la Démocratie qui pénètrent dans nos propriétés en sicaillant [sic] les grillages, saccageant et volant tout sur leur passage, mais ce qui devient encore plus grave est leur visite des caves, garages et leur vandalisme contre les appartements, ex : fracture de fenêtre et de congélateur chez M. [X.] etc. Nous exigeons tous que des mesures fermes et rapides soient prises afin d’interdire l’accès de ce terrain vague en le supprimant ou le clôturant dans l’immédiat d’une manière ou d’une autre. Nous comptons Monsieur le Maire sur votre action auprès de la Courly [Communauté urbaine de Lyon] pour mettre un terme le plus vite possible à cette situation d’insécurité, car nous en avons assez d’être volés et insultés chez soi72. Les plaintes, lettres et pétitions sont révélatrices de la crise d’encadrement de la jeunesse et des conflits internes aux classes populaires. Dans la mesure où une partie des enfants d’ouvriers spécialisés sont aussi des enfants d’immigrés maghrébins ou de « harkis », le discours se cristallise sur les « jeunes Arabes » (chapitre 3) tout en appelant à une présence policière plus importante aux Minguettes. Il se met ainsi en place un véritable « cercle vicieux, puisque ce repli [vers les institutions] qui trouve son origine dans la différence, pourtant minime, de situation sociale, et d’âge […] empêche précisément consensus et contrôle social informel de fonctionner73 ». Ce cercle vicieux exacerbe les tensions sociales et débouche sur un phénomène certes minoritaire, mais révélateur de l’état des relations sociales : l’achat de chiens de garde ou de défense (« la seule forme d’autodéfense socialement et juridiquement tolérée74 ») et la création de « comités d’autodéfense ». En août 1979, sept à huit locataires du boulevard Lénine créent un groupe d’autodéfense, baptisé « La Darnaise ». Les membres de ce groupe, « encore à l’état embryonnaire, effectueraient des rondes, 43

Chapitre 1

particulièrement la nuit, avec la participation d’un chien-loup [et] seraient décidés à procéder [eux]-mêmes à l’arrestation d’éventuels délinquants… et à les livrer ensuite aux services de police75 ». Ces  groupes se multiplient dans l’Est-lyonnais et dans d’autres quartiers populaires de France, au point de faire la Une des médias locaux et nationaux76. Finalement, l’exacerbation des tensions sociales qui s’opère progressivement durant la décennie 1970 est le résultat d’un processus social complexe, qui articule les modalités de peuplement des immeubles, le phénomène de mobilité résidentielle, la politique discriminatoire d’attribution des logements sociaux, la logique de ségrégation sociale et ethnique et la crise d’encadrement de la jeunesse ouvrière. Ces transformations de l’espace social des Minguettes favorisent les conflits entre la fraction la plus aisée des classes populaires et les bandes de jeunes enfants d’ouvriers spécialisés, qui constituent le vivier des rebelles de 1981 et 1983. Mais si ces transformations font partie des conditions de la révolte, elles ne sont pas en elles-mêmes suffisantes pour expliquer les phénomènes émeutiers analysés dans le prochain chapitre.

2.

Émeutes ou rébellions ? Les « jeunes de cité » à la frontière du politique

« Le recours collectif à la violence s’inscrit toujours dans le système de représentations par lequel la communauté désigne sa place dans l’ordre du monde. Ces images mentales qui se traduisent en actes renvoient donc à du sens et le conflit est à lire non comme pur désordre, mais comme révélateur d’une cohérence autre. » Jean Nicolas, La Rébellion française, Paris, Seuil, 2002, p. 13.

Les historiens et les sociologues des quartiers populaires s’accordent à dire que les rébellions des Minguettes sont les symboles de la « crise des banlieues1 ». Elles ont fait l’objet de nombreuses analyses, s’appuyant surtout sur le discours médiatique, mais on sait finalement peu de choses des acteurs de l’époque, et en particulier des rebelles eux-mêmes. Cette lacune est d’autant plus problématique que, parmi les rebelles de 1981 et 1983, on en retrouve certains à l’origine de la Marche pour l’égalité et contre le racisme, événement fondateur de toute une génération de militants immigrés et des quartiers populaires2. Ce chapitre propose une analyse de la configuration locale qui permet d’expliquer les conditions de possibilité des rébellions des Minguettes de l’été 1981 et du 21 mars 1983, sachant que la seconde développe une caractéristique sans précédent dans l’histoire des rébellions urbaines : le passage d’un mode d’action émeutier (actes violents et illégitimes juridiquement contre la police) à un mode d’action légitime (manifestation, sit-in, grève de la faim, pétition et création d’une association).

1.

Contester l’autorité policière : les rébellions de l’été 1981 et du 21 mars 1983

Pour comprendre l’usage de la violence physique par certains habitants des Minguettes au début des années 1980, il est certes important de 45

Chapitre 2

souligner les « causes de la colère », c’est-à-dire les facteurs sociaux tels que la concentration de la pauvreté, la déstructuration de la classe ouvrière, le chômage massif, la ségrégation spatiale, le racisme, etc.3 Cependant, il peut être intéressant de l’analyser aussi en l’inscrivant dans une configuration sociale et politique ainsi que dans les rapports de force qui structurent le quartier, en particulier entre les jeunes et la police, en faisant l’hypothèse que les rébellions des Minguettes s’expliquent en grande partie par la rupture d’un certain équilibre, fragile et précaire, dans les relations entre jeunes et police. Cet équilibre repose jusqu’au début des années 1980 sur l’existence de deux formes d’institution sociale : les bandes de jeunes et la police, dont l’action contre la délinquance est légitimée et acceptée par les habitants du quartier tant qu’elle n’est pas perçue comme une attaque à leur dignité ou à leur honneur social. On se gardera donc d’employer le terme polémique de « zone de non-droit » dans la mesure où, aux Minguettes, l’action de la police est généralement acceptée et rarement empêchée. De fait, les jeunes qui appartiennent aux fractions les moins intégrées du monde ouvrier s’approprient certains espaces urbains dont une des fonctions consiste à les soustraire au regard des différentes formes d’autorité (familiale, éducative, scolaire et policière). Ils se retrouvent non seulement dans la rue, mais aussi dans la cafétéria Casino du centre commercial Vénissy, dans le snack « L’Ami Burger » et, pour ce qui concerne la bande de jeunes de Monmousseau, dans le local mis à disposition par le bailleur social Logirel au pied de la tour n° 10. L’appropriation de ces espaces publics est parfaitement bien illustrée par l’affiche du Cinquième Festival des travailleurs immigrés, organisé à la Bourse du travail de Lyon les 28 et 29 mai 1980 (ill. 2.1). Dessinée par Last  Siou, sympathisant du groupe Zaâma d’Banlieue (voir chapitre  5)4, elle montre comment la présence policière dans le quartier peut être perçue comme une forme d’intrusion, à la fois physique et symbolique, dans des lieux publics dont, justement, une des fonctions sociales est de permettre d’échapper au regard des formes d’autorité. Cette configuration favorise l’émergence de « bandes », peu structurées et constituées d’amis du même quartier, qui se distinguent des « blousons noirs5 » (« loubards » des années 1950-1960) par leur origine sociale et leur lieu d’habitation. 46

Émeutes ou rébellions ?

L’espace vénissian de la petite délinquance est marqué par des figures telles qu’Amar Djaïdja et Frédéric Henry ; selon plusieurs acteurs du quartier, ces deux figures bénéficient du soutien d’une partie de la population des Minguettes qui les aide occasionnellement, d’une manière ou d’une autre, à fuir la police. Petit à petit, une sorte de mythe populaire, a fortiori imaginaire et parfois exagéré, s’est construit : celui d’un Amar Djaïdja « Robin des bois » ou « bandit social6 » qui vole aux riches pour distribuer aux pauvres. [Amar Djaïdja] avait même un côté Robin des Bois pour le quartier. Je me souviens une fois où il avait cambriolé je ne sais plus quel magasin de nourriture, un magasin du type Casino. Et le lendemain dans l’immeuble, […] [quand] quasiment l’ensemble des habitants […] ouvrait leur porte, il y avait devant un paquet de café, une bouteille d’huile [petit rire]. Il avait aussi ces côtés-là. Je me souviens qu’à une époque, il avait fait la distribution de survêtements à tous les gamins de son quartier […]. Mais bon, ça restait quand même de la délinquance et on va dire qu’il était un peu aux portes […] du banditisme7. Or, à partir du début des années 1980, l’équilibre de la configuration est progressivement bouleversé par deux facteurs, provoquant une montée de la tension sociale. Le premier réside dans le fait qu’un des moyens les plus efficaces à la disposition de la police pour lutter contre la délinquance et obtenir des renseignements est la menace d’expulsion des étrangers, qui représentent environ la moitié des « délinquants multirécidivistes » identifiés en juin 1980. C’est le principe de la « double peine » : l’étranger est condamné une fois pour le délit ou le crime commis et il peut l’être une seconde fois en étant expulsé du territoire français8. Or après la grève de la faim contre les expulsions menée par Christian Delorme, Jean Costil et Hamid Boukhrouma en avril  1981, le gouvernement socialiste nouvellement élu décide de suspendre les expulsions des jeunes étrangers (mai-juin 1981)9. La police de Vénissieux se sent alors en quelque sorte « trahie » par le gouvernement. Lors d’une entrevue avec le maire communiste de Vénissieux Marcel Houël, le 1er juillet 1981 (avant la rébellion de fin juillet), le préfet de police Jean Chevanche exprime le ressentiment 47

Chapitre 2

de ses troupes : « La suspension des expulsions ne peut que rendre plus difficile l’action des services de police ; aucune menace ne pèse sur les malfaiteurs étrangers. On assiste d’ailleurs à un retour massif des délinquants expulsés10. »

Illustration 2. 1

48

Émeutes ou rébellions ?

Le second facteur tient au fait que la police ait l’impression, réelle ou supposée, que le territoire des Minguettes n’est plus sous contrôle, non pas parce que le niveau de délinquance explose (chapitre  1), mais parce que certains suspects réussissent à lui échapper. C’est le cas par exemple d’Amar Djaïdja, qui réussit à plusieurs reprises à tromper la vigilance des forces de l’ordre et à prendre la fuite. Il est interpellé en flagrant délit et gardé à vue pour le braquage manqué du magasin Intermarché de Pierre-Bénite le 28 novembre ; le 29 puis le  30  novembre, cinq policiers de la Sûreté urbaine de Lyon se rendent avec lui aux Minguettes pour perquisitionner son domicile familial et interpeller ses complices présumés. Alors que la première perquisition à domicile se déroule sans incident, la seconde est l’occasion pour Amar Djaïdja de s’échapper grâce à l’aide d’habitants du quartier, comme le relate Le Progrès : Laissant le malfaiteur à la garde de deux d’entre eux, les trois autres fonctionnaires pénétraient dans l’immeuble [pour interpeller un complice présumé]. Mais leur présence dans ce quartier « chaud » de l’est lyonnais n’était pas […] passée inaperçue. Aussitôt des petits groupes de quelques individus se formaient à proximité des voitures. Des petits groupes qui se fondirent rapidement en un seul d’une vingtaine de personnes lorsque retentirent les cris d’un des garçons appréhendés. […] Les voitures de police étaient alors prises d’assaut, secouées et les policiers insultés. Dans la confusion, une des portières s’ouvrait et Djaïdja, menottes aux poings, en profita pour disparaître. Couvert par les acteurs de cette scène, il courait jusqu’à une voiture qui démarrait aussitôt. L’oiseau s’était envolé11. Selon la police, la foule est composée « en majorité de jeunes Maghrébins ainsi que des femmes de type nord-africain, qui se dispersaient sans courir. Certaines de ces femmes poussaient des cris hostiles et injurieux12 ». L’inspecteur au volant de la voiture de police précise que « toutes les portières étaient verrouillées et qu’il n’est par conséquent pas possible de les ouvrir de l’extérieur. C’est [Amar] Djaïdja qui, en se contorsionnant, a dû pouvoir ouvrir la portière13 ». Tout se passe comme si la suspension des expulsions et le sentiment de perte de contrôle territorial avaient bouleversé l’équilibre des rapports de 49

Chapitre 2

force entre les jeunes, la petite délinquance et la police. On peut alors considérer que ce déséquilibre débouche sur une présence policière accrue* et sur la succession d’incidents mineurs qui peuvent dégénérer, comme durant les rébellions de l’été 1981 et de mars 1983. Comme le souligne a posteriori Toumi Djaïdja, habitant de Monmousseau et petit frère de Amar**, la dégradation du bâti et des relations sociales s’est opérée assez brutalement, provoquant un cycle de montée en tension entre les jeunes et la police : Dans les années 1980, il y avait comme une forme de dégradation qui commençait à s’opérer dans le quartier… Une dégradation physique, matérielle. […] Les tensions sont arrivées à une vitesse ! Il y a eu un revirement, un souffle de l’enfer sur les Minguettes. Ça a basculé dans le côté obscur. […] Et la police a commencé à s’imposer davantage, se faire remarquer…14 Les rébellions urbaines de l’Est-lyonnais durant l’été 1981 s’inscrivent dans cette perspective, non spécifique aux Minguettes puisqu’elles se déroulent en même temps dans les cités Olivier de Serres à Villeurbanne et de la Grapinière à Vaulx-en-Velin. Les mêmes processus analysés jusqu’ici aux Minguettes se sont produits dans ces autres quartiers populaires de la banlieue lyonnaise : surpopulation juvénile, échec scolaire, crise d’encadrement de la jeunesse, etc. En  1976, c’est à Olivier de Serres que sont inventés les « rodéos15 », qui deviennent un mode d’action émeutier privilégié en raison de ses dimensions sociale * Présence accrue et violente confirmée par les mères de Monmousseau : « Pendant l’été 81, les policiers nous faisaient rentrer chez nous dans nos couloirs à coup de pied et de pistolets dégainés dans le dos ou sur le ventre. C’était le Ramadan et on nous insultait : « Rentrez chez vous, on en a marre de vous » » (ATD. Lettre des mères des grévistes de la faim et les mères du quartier, envoyé au Premier ministre, Vénissieux, 30 mars 1983). ** Après la fuite du 30 novembre 1981, Amar échappe à nouveau aux policiers le 10 mars 1982 et se réfugie en Italie. Il est finalement interpellé par la police italienne dans la nuit du 30 au 31 mars 1982 et extradé en France en janvier 1983, malgré la grève de la faim qu’il mène pendant cinquante-deux jours pour contester son extradition. Quelques années plus tard, « il mourra dans des circonstances confuses à la frontière du Maroc et de l’Algérie » (Azouz Begag et Christian Delorme, « Rouiller, s’arracher, s’intégrer, se défoncer… », Écarts d’identité, no 67, 1993, p. 12). 50

Émeutes ou rébellions ?

(voler une grosse cylindrée dans des quartiers riches), « ludique » (« jeu » pour adolescents et jeunes adultes), virile (défi entre garçons) et contestataire (course-poursuite avec la police). Le rodéo constitue ainsi une pratique sociale qui cristallise la tension entre la police et les jeunes des banlieues lyonnaises, et qui se transmet d’une cité à l’autre, voire d’une région à l’autre (notamment à Marseille et Avignon), au travers de l’accumulation d’une « expérience émeutière ». Au final, on dénombre environ deux cent cinquante voitures brûlées à la fin de l’été 1981 sur l’ensemble du territoire national16. Si les rébellions urbaines de l’été 1981 sont les premières à avoir été médiatisées, elles ne s’articulent pas à une logique de mobilisation collective comme en 1983 aux Minguettes. De ce point de vue, il est intéressant de revenir sur la chronologie précise de la seconde rébellion du 21 mars 1983 (encadré 2.1), qui est à l’origine de l’organisation d’une grève de la faim par les jeunes du quartier, de la création de l’association SOS Avenir Minguettes et, plus tard, de la Marche pour l’égalité. Selon un rapport des Renseignements généraux, « un état comparatif de la délinquance entre les premiers trimestres des années  1982 et  1983 dans l’agglomération lyonnaise fait apparaître une stagnation de la délinquance globale (+0,01 %) [et] ce phénomène général se répercute dans l’ensemble des communes de l’Est lyonnais17 ». Cependant, les événements du 21 mars 1983 « ont démontré […] la tension qui régnait dans ces quartiers et qui risquait de dégénérer violemment au moindre incident entre les forces de l’ordre et jeunes immigrés18 ».

21 mars : affrontements entre une partie de la population et les forces de l’ordre. 8 h : perquisition dans la tour n° 10 de Monmousseau ; rassemblement d’environ trois cents habitants (jeunes et mères de famille). 9 h 30 : dispersion et retour des cent à cent cinquante jeunes chez eux. 10 h 30 : contrôle d’identité d’un jeune ; opposition de la dizaine de jeunes encore présents ; retour des autres jeunes. 11 heures : arrivée des élus locaux puis des responsables préfectoraux et policiers. 51

encadré

Encadré 2.1 : Chronologie de la rébellion du 21 mars 1983

encadré

Chapitre 2

12 heures : cortège de trois cent cinquante personnes vers la mairie et le commissariat ; barrage policier ; sit-in ; dispersion. 12 h 30 : retrait des forces de police. 25 mars : arrestation de « Tunch » suite aux événements du 21 mars. 28 mars : début de la grève de la faim. 7 avril : réunion à la préfecture ; fin de la grève de la faim. 27 avril : création de l’association SOS Avenir Minguettes et mise en place de la première Commission locale de prévention. 18  mai : début du chantier de récupération réalisé par les jeunes du quartier. 4 juin : intervention des forces de police à la Cafétéria Casino. 9 juin : destruction de la tour n° 6 du quartier Monmousseau. 20 juin : intervention policière suite à une course-poursuite automobile ; Toumi Djaïdja est grièvement blessé par une balle tirée par un policier ; lancement de l’idée d’une Marche pour l’égalité.

Le 21 mars à 8 heures, « le commissariat de Vénissieux procède à une perquisition dans [le local des jeunes de la] tour n° 10 de l’avenue Gaston Monmousseau, où, selon des renseignements, des cambrioleurs avaient déposé le butin d’un cambriolage d’un magasin de fourrures commis au cours du week-end à Chambéry19 ». Par ailleurs, compte tenu d’incidents ayant eu lieu les jours précédents (contrôle d’identité ayant mal tourné, jets de bouteilles contre la police, etc.), un fourgon de gardiens de la paix est placé en renfort à proximité du local puis, après que ceux-ci aient été la cible de projectiles, une section d’intervention se rend au bas de la tour. Mais une autre descente de police est organisée au même moment, sans coordination avec la précédente. Selon le témoignage d’éducateurs spécialisés arrivés sur les lieux à 8 h 45, à l’origine de l’affrontement du 21 mars, il y a d’abord un contrôle d’identité qui tourne mal : vers 9 h 30, de nombreux jeunes [parmi les cent à cent cinquante présents au départ] conscients de la gravité de la situation avaient pris le parti de rentrer chez eux afin d’éviter toute réaction incontrôlable des groupes, ce qui réduisit considérablement le nombre de « belligérants » (mais cela n’a pas été relaté [par la presse]) et permit à la police de perquisitionner la tour 10 […]. Un calme 52

Émeutes ou rébellions ?

relatif régnait dans le quartier. Hélas, vers 10 h 30, quatre inspecteurs [d’une autre équipe] se sont dirigés vers la tour pour contrôler l’identité de deux jeunes adossés contre le mur, les deux jeunes ne se sont pas refusés au contrôle mais il y a eu un mouvement de recul et de refus au moment où un des inspecteurs a demandé à un jeune de l’accompagner vers les forces de police pour s’assurer par radio de son identité. C’est à ce moment-là que la dizaine de jeunes présents s’est opposé à cette décision qu’ils interprétaient comme une arrestation20. Cette présence accrue des forces de l’ordre produit sur les jeunes de Monmousseau l’effet d’être « attaqués », comme le souligne le préfet de police Bernard Grasset : « Deux descentes de police au même endroit pour deux affaires différentes : […] une affaire qui était une affaire de délinquance traditionnelle, l’autre qui était je sais plus quoi. Voilà les jeunes [qui] croient qu’ils sont attaqués21. » Ainsi, après la perquisition fructueuse et le contrôle d’identité, les enquêteurs sortant du local et la section d’intervention en couverture devant la porte d’entrée sont la cible de jets de pierre et de barres de fer. Une première charge permet aux policiers de se dégager mais les rebelles se rassemblent près de la sortie du quartier et visent les véhicules quittant les lieux. Il aura fallu un tir nourri de grenades lacrymogènes et une nouvelle charge pour que l’ensemble des forces de police puisse sortir du quartier. Au total, douze personnes parmi les forces de l’ordre sont blessées (dont le préfet de police Grasset et le directeur départemental de la police urbaine), un gardien de la paix est hospitalisé (luxation de l’épaule) et une douzaine de véhicules de police sont endommagés. Ces informations provenant des rapports de police sont confirmées par un des jeunes habitants de la tour n° 10 : Il y a eu la descente de police et après, ça a commencé à partir en bagarre générale. D’autres unités policières sont arrivées et d’autres gens, venus d’autres quartiers, sont arrivés, puis c’est monté en mayonnaise. La sauce est montée très vite et, en fin de matinée, on s’est retrouvé dans une bataille rangée. Il y avait des unités de différents corps policiers, des unités de gardes mobiles, des lacrymogènes. Je me suis retrouvé en bas de la Démocratie avec un flic 53

Chapitre 2

qui avait un flingue, braqué sur moi. Il avait ramassé un coup de bâton par une mère de famille. Parce que ça impliquait non seulement les jeunes, mais aussi nos parents. Ma propre mère, ce jour-là, avait ramassé une grosse baffe par une femme flic dans l’ascenseur. […] Heureusement que […] le préfet de l’époque avait quand même du sang-froid […] parce qu’il a débarqué, il était là. […] Vu la situation, je pense que s’il avait donné l’ordre de rentrer dans le tas, il y aurait eu énormément de dégâts. Je pense que c’est un préfet qui a mesuré le danger, qui a mesuré où ça pouvait aller et qui avait fait le choix de faire le retrait, pour apaiser22. Ainsi, la contestation de l’autorité policière par des habitants de Monmousseau le 21 mars 1983 s’inscrit dans le cadre d’une configuration globale où les conditions de l’équilibre des tensions sociales ont peu à peu été bouleversées par le sentiment de perte de contrôle territorial et la suspension des expulsions, qui débouchent sur le renforcement de l’activité policière, perçue comme une forme d’atteinte à la dignité sociale des habitants. Compte tenu de ce sentiment d’humiliation collective, l’équilibre qui s’était établi est rompu et, pour les habitants, ne mérite plus d’être maintenu : la croyance en la légitimité de l’action policière se fissure.

2.

Désarmer la police symboliquement

La rébellion de 21 mars 1983 est assez exceptionnelle dans la mesure où d’anciens rebelles émeutiers décident d’adopter, immédiatement après les échauffourées, un mode d’action non violent. En effet, « après le retrait des forces de police de la cité, un cortège de 350  jeunes habitants de la cité s’est constitué et s’est approché du commissariat de Vénissieux où il a été arrêté par un cordon de police. Après négociation [avec la municipalité], une réunion a été décidée pour les jours à venir et les manifestants se sont dispersés à 13 h 1523 ». Face au barrage élevé par les policiers devant l’hôtel de ville, les femmes et les jeunes décident d’organiser un sit-in sur la route avant de se disperser. Plus tard, le 25 mars, un jeune des Minguettes, Antonio Manunta alias « Tunch », est arrêté suite à la publication dans Le Progrès de photos des événements du 21 mars où son visage apparaissait. Sa libération fait partie 54

Émeutes ou rébellions ?

des revendications des jeunes de Monmousseau qui s’engagent, avec le soutien de militants d’extrême gauche et/ou pro-immigrés, dans une grève de la faim (28 mars - 7 avril) et créent l’association SOS Avenir Minguettes (27 avril). L’idée de la grève de la faim semble revenir aux jeunes des Monmousseau, en particulier Toumi Djaïdja, soutenus par le père Christian Delorme* et le pasteur Jean Costil, tous les deux permanents de la Cimade (Comité inter mouvements auprès des évacués), membres du Mouvement pour une alternative non-violente (MAN) et militants lyonnais du mouvement de soutien des immigrés, qui avait déjà utilisé ce mode d’action pour faire suspendre les expulsions des double-peine en 1981. Le pari de 1981 est reproduit en 1983. Cette nouvelle grève de la faim est ainsi l’occasion de réactiver les réseaux militants mobilisés deux ans plus tôt : Delorme et Costil mettent à la disposition des grévistes leurs ressources politiques et sociales, en particulier leur capital social (important dans les réseaux socialistes et chrétiens) et leur capital symbolique positif vis-à-vis des autorités politiques et des médias. C’est d’ailleurs le fait que Delorme ait défendu publiquement les rebelles sur FR3, le 22 mars 1983, qui brise le consensus médiatique visant à les disqualifier**. Au départ, le groupe des onze grévistes de la faim rassemble non seulement des jeunes de Monmousseau (Ahmed Atallah, Lakhdar * Delorme n’officiait pas à Vénissieux, mais à Saint-Fons depuis 1977 : « contrairement aux idées reçues et parfois savamment colportées, je ne suis pas le curé des Minguettes ! Ce quartier, j’y suis venu de l’extérieur à la demande de certains éducateurs qui, eux, travaillaient sur place » (Par amour et par colère, Paris, Éditions du Centurion, 1985, p. 90). L’église des Minguettes était dirigée par le père Gilles Couvreur (1927-2006), membre du Secrétariat pour les relations avec l’islam de l’Épiscopat (voir son livre Musulmans de France. Diversité, mutations et perspectives de l’islam français, Paris, Éditions de l’Atelier, 1998). ** Son intervention médiatique provoque des protestations virulentes de la part des syndicats de police. Delorme se sent alors obligé de se justifier : « En essayant d’expliquer les réactions violentes d’une partie de la jeunesse d’origine immigrée des Minguettes[…], j’ai pu donner l’impression, de fait, que je prenais fait et cause pour une seule des « parties » en présence. […] Je sais […] que personne n’est « ni tout à fait blanc ni tout à fait noir », et je ne suis pas prêt à défendre n’importe quoi de la part des jeunes des banlieues » (ADR 2519W18. « Déclaration à la presse », Lyon, 24 mars 1983). 55

Chapitre 2

Daoui, Toumi Djaïdja, Rachid Elbouri, Patrick Henry, Mourad Keraima, Kamel Lazhar, Mohamed et Mourad Marif, Farouk Sekkaï) mais aussi un militant de soutien, Michel Gontier, issu de la mouvance libertaire et antimilitariste lyonnaise. Installé dans un appartement inoccupé au rez-de-chaussée de la tour n° 10 prêté par le bailleur Logirel, le groupe de grévistes se réduit à six au bout de quatre jours à cause de plusieurs défections, qui s’expliquent par la difficulté de tenir le jeûne et l’apparition de problèmes de santé (un suivi médical est assuré par quatre médecins dont Lucien Pitti, militant d’extrême gauche de Vaulx-en-Velin24). La grève est soutenue par des militants des Minguettes (Hamana Khira, Sif Guerdi, Toufik Kabouya, Dalila Mahamdi, Michel Ganozzi qui est un maoïste établi à l’usine Câbles de Lyon), quelques médias lyonnais (Radio Léon, Radio Canut, le mensuel Cosmopolis) et de nombreuses organisations associatives ou politiques (Cimade, MAN, Association médicale franco-palestinienne, Comité de soutien aux prisonniers tunisiens, Union communiste française marxiste-léniniste, Organisation antiraciste révolutionnaire pour l’unité Français-Immigrés, etc.). Elle bénéficie aussi du soutien de plusieurs chanteurs et groupes musicaux lyonnais, tels que Carte de séjour, Ramane, Ahl Noujoums, Iznaguen et Single Track, qui se produisent lors d’un « rassemblement populaire de soutien » au pied de la tour n° 10 le 10 avril 198325. De plus, Delorme et Costil parviennent à convaincre quatre personnalités lyonnaises à jouer le rôle de « négociateurs » entre les jeunes et les autorités : Paul Bouchet (avocat de gauche), Marie-Josèphe Sublet (députée du Rhône), François Cordier (secrétaire de l’Union départementale de la CFDT) et le père Albert Decourtray (archevêque de Lyon)26. Les grévistes reçoivent même la visite du Consul adjoint de l’Algérie à Lyon, du responsable régional de l’Amicale des Algériens en Europe et du dirigeant régional du Front national des rapatriés de confession islamique. Ces soutiens politiques et associatifs permettent aux jeunes de Monmousseau, qui souffrent d’une image de délinquants dans les médias locaux et nationaux, non seulement de trouver une légitimité politique et sociale mais aussi d’être auditionnés par plusieurs cabinets ministériels. 56

Émeutes ou rébellions ?

Mais compte tenu de la faible politisation des jeunes de Monmousseau, pourquoi ont-ils recours à la manifestation et à la grève de la faim et ne continuent-ils pas l’action émeutière ? Selon la vision dépréciative des Renseignements généraux, « après les affrontements du 21 mars, leur « image de marque » tant auprès de la presse écrite et parlée que de la population et des élus locaux s’était considérablement dégradée [et c’est] par simple opportunisme et pour redonner crédit à leur cause qu’une alternative non violente a été adoptée pour soutenir leur action27 ». Cette disqualification des jeunes ne rendant pas compte de la complexité de la situation, il est indispensable de mettre en lumière trois réalités pour comprendre le recours à la grève de la faim par les rebelles. Tout d’abord, il faut souligner le fait que la pratique du répertoire d’action militant, notamment l’organisation d’un « comité de soutien » et la grève de la faim, n’est pas quelque chose d’inconnu pour les jeunes. Le quartier des Minguettes n’est pas un « désert politique » avant 1983 ; il s’inscrit dans un espace local et national de circulation des expériences militantes dans les quartiers populaires. En effet, des militants actifs y habitent : Hamana Khira, Sif Guerdi, Toufik Kabouya (engagés à la fin des années 1970 dans le collectif informel Zaâma d’Banlieue), Dalila Mahamdi, Michel Ganozzi, etc., qui jouent un rôle déterminant dans l’organisation de la grève de la faim. Ainsi, des comités de soutien à des jeunes incarcérés sont mis en place avant 1983 par ces habitants politisés du quartier : affaire Sélim Guéchi (accusé d’avoir fait un rodéo) et Nordine Hammar (tous deux interpellés et condamnés à deux ans de prison en 1981) et affaire Gilles Cascarino (interpellé et condamné pour deux hold-up qu’il nie avoir commis en 1982)28. Ces affaires sont l’occasion pour les jeunes des Minguettes de découvrir les pratiques militantes telles que les réunions, la recherche de soutiens, etc., surtout pour les petits frères des habitants politisés (citons par exemple Djamel Mahamdi et Mohamed Khira, membres de SOS Avenir Minguettes). Par ailleurs, les jeunes sont en contact dès 1981 avec les premiers mouvements de « jeunes immigrés », au travers d’échanges avec Zaâma d’Banlieue et Rock Against Police (chapitre 4), ce qui leur permet de prendre conscience de la dimension nationale de la question des banlieues. 57

Chapitre 2

Ensuite, la rébellion du 21 mars montre que les mères de famille sont directement impliquées dans la contestation des déviances policières. Certaines « mères du quartier » sont mobilisées au sein d’association de défense de locataires, notamment au sein de la Confédération syndicale du cadre de vie, et certaines d’entre elles soutiennent activement la mobilisation de leurs enfants29. Enfin, la pratique de la grève de la faim, héritée des prisonniers politiques algériens pendant la guerre d’indépendance, se « banalise » à partir des années 196030 : elle est utilisée, comme on l’a vu, par Amar Djaïdja en avril 1982 pour éviter son extradition, et elle est couramment utilisée en prison pour clamer son innocence (par exemple, par Cascarino en 1981), demander de meilleures conditions de détention ou protester contre l’expulsion des double-peine*. La grève de la faim fait donc partie de leur univers des possibles. Néanmoins, le recours à la grève de la faim n’est pas évident puisque, selon le président de SOS Avenir Minguettes, « [le choix de faire une grève de la faim] n’était pas unanime. Mais [pour] une bonne partie de ceux qui devaient prendre d’une certaine façon la décision du choix des actions à mener [...] il s’est avéré que c’était […] la voie de la sagesse31 ». Du point de vue de Toumi Djaïdja et de « ceux qui devaient prendre la décision », l’usage de la violence physique était considéré comme une impasse : En réalité, ils nous collaient à la peau l’idée qu’on était voyous, violents, en marge de la société […]. C’était déjà partir avec ces handicaps... [Si on] rajoute encore de la violence, d’une façon ou d’une autre, elle se retourne contre nous. Le rapport de force était défavorable, c’était évident. La presse commençait à monter en épingle, juste avant la grève de la faim, que les fondements mêmes de la République étaient peut-être en danger, que la société française était en danger par le biais de ces banlieues qui sont en marge de la société... […] Ils avaient monté, […] vendu le truc * Lors de la grève de la faim contre la double peine d’avril 1981, plusieurs détenus des prisons lyonnaises, dont Mohamed Khira, s’engagent dans le comité de soutien en diffusant des tracts (ADR 2511W33. Note du cabinet du préfet, « Diffusion de tract dans les prisons de Lyon », 22 avril 1981). Je remercie Foued Nasri de m’avoir communiqué cette archive. 58

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tellement bien que, en réalité, il n’y avait pas d’autre alternative que de procéder de la sorte, c’est-à-dire de la non-violence. C’était même impératif à mon avis parce qu’on partait au casse-pipe32. L’action non violente est donc rendue possible par la prépondérance des partisans de ce mode d’action et d’une analyse pragmatique de la configuration et des relations d’interdépendance entre les jeunes de cités, la police, les médias, les associations de soutien aux immigrés et le champ politique, à l’échelle locale et nationale. Ainsi, la stratégie non violente implique des modes d’action jugés plus « efficaces » que l’action émeutière pour lutter contre les déviances policières violentes. Ces rebelles arrivent en effet à la conclusion que le rapport de force avec la police locale leur est défavorable dans le cadre d’une bataille de rue. Comme le souligne l’appel des onze grévistes, « lorsque nous nous exprimons par la violence, nous sommes encore plus rejetés [et il] semblerait même qu’on cherche parfois à nous pousser à des réactions violentes, pour que cela permette contre nous une répression plus violente encore33 ». Par le recours aux modes d’action légitimes, ils font d’une pierre deux coups : non seulement ils « court-circuitent » les moyens dont dispose la police pour emporter la partie (l’arrestation, la garde à vue, la poursuite judiciaire, voire l’emprisonnement), mais ils renversent aussi l’image stigmatisante du « jeune délinquant violent ». Autrement dit, le recours à l’action non violente, qui est fondé sur le constat pragmatique de l’inégalité du rapport de force, permet de renverser le stigmate du délinquant violent et participe à « désarmer la police » symboliquement. Ensuite, le basculement de l’action émeutière à l’action politique légitime est aussi rendu possible par l’alliance opérée par Delorme et Costil avec les militants chrétiens et non violents. La question de l’influence de Delorme sur les jeunes de SOS Avenir Minguettes a fait couler beaucoup d’encre, que ce soit pour louer sa supposée capacité à les détourner de la violence, ou pour disqualifier les jeunes « ouailles » qui se seraient détournées de leur radicalité au profit d’un discours « œcuménique » : on a soit vanté sa capacité de « pacification », soit dénoncé sa responsabilité dans l’absence de « radicalisation ». Cette dernière critique est formulée par une partie 59

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du naissant mouvement autonome des « jeunes immigrés », et en particulier par les militantes lyonnaises de Zaâma d’Banlieue qui accusent SOS Avenir Minguettes d’être « manipulés par les curés* » (voir chapitre 5). Il semble plus pertinent de parler non pas de pacification ou de récupération, mais de convergence stratégique. Si le choix de basculer de l’action émeutière à l’action politique légitime s’explique par la conscience d’un rapport de force inégal avec les forces de police, le sens de l’action non violente est relativement différent pour ces hommes d’Église. En effet, pour ces militants chrétiens, la non-violence relève non seulement d’une stratégie politique mais aussi d’un principe éthique et religieux puisque, de leur point de vue, la grève de la faim revêt une dimension sacrificielle et purificatrice. Or cette dimension est étrangère aux habitudes des jeunes des Minguettes. Ces jeunes et ces militants chrétiens convergent bien dans l’action non violente, mais en ayant emprunté des chemins tout à fait différents. Et, du point de vue des grévistes de la faim, cette stratégie se révèle efficace dans la mesure où elle permet de « renvoyer la balle » à la police qui est sommée de reconnaître l’existence de déviances policières violentes.

3.

SOS Avenir Minguettes : politique ou apolitique ?

De fait, la police est assez désemparée face à une mobilisation qui porte des revendications précises directement auprès du Premier ministre socialiste, Pierre Mauroy, et qui fait des « délinquants » des interlocuteurs privilégiés auprès des pouvoirs publics. Si le gouvernement socialiste réserve un accueil favorable aux revendications des grévistes, c’est non seulement en raison du soutien apporté par les réseaux chrétiens et socialistes de Delorme et Costil, mais aussi de la victoire des tenants de la « prévention » sur ceux de la « répression » * C’est aussi l’analyse des Renseignements généraux : « Les manifestations antérieures et postérieures au 21 mars 1983, les affrontements entre les forces de l’ordre et les immigrés ainsi que leur grève de la faim ont permis de mettre partiellement en lumière les divers organisations, associations ou partis qui manipulaient ou qui apportaient une aide directe ou indirecte à ce mouvement » (ADR 1858W01. Renseignements généraux, « Agitation parmi les jeunes immigrés dans l’est lyonnais et perspectives », 2 mai 1983, p. 2). 60

Émeutes ou rébellions ?

parmi les membres du gouvernement. En effet, comme le souligne Jean Blocquaux, membre du cabinet de Georgina Dufoix (secrétaire d’État chargée de la Famille et des Travailleurs immigrés), les rébellions urbaines de l’été 1981 ont provoqué un vif débat entre ministres : Il y avait eu les incidents des Minguettes à l’été 81. [Est ensuite organisée] une réunion inter-ministérielle avec Mauroy, où il y a eu un vrai débat entre, d’un côté, [Gaston] Deferre [ministre de l’Intérieur] qui était pour de la répression à tout va et, de l’autre côté, Nicole Questiaux [ministre de la Solidarité nationale entre 1981 et 1982], Georgina Dufoix et [Robert] Badinter [ministre de la Justice] qui disent qu’il faut qu’on travaille sur la prévention. Mauroy a terminé la réunion en disant aujourd’hui j’arbitre pour ce que proposent Badinter, Questiaux, Dufoix. Si c’est la pagaille à nouveau l’été 82, on changera de politique34. Comme l’opération « anti-été chaud » rencontre un certain succès en 1982 (chapitre 3), le Premier ministre maintient sa politique de « prévention », même après la rébellion du 21 mars 1983. C’est ainsi que le gouvernement accueille favorablement l’appel public lancé par les grévistes le 28  mars, qui repose sur trois revendications principales, relatives à l’égalité de traitement devant la police et la justice, au droit au travail et au droit au logement : 1) Nous ne voulons plus vivre avec le risque quotidien d’être humiliés, emprisonnés ou tués. Les actes de délinquance que certains d’entre nous peuvent commettre pour de multiples raisons ne sont pas si importants qu’on le dit. Nous ne contestons pas à la police et à la justice le droit de poursuivre ces délits, mais nous voulons une police et une justice qui se montrent égales pour tous. Il n’est pas normal que notre camarade Rachid ait déjà fait six mois de prison pour une tentative de vol à l’étalage […] alors que l’assassin d’Ahmed Boutelja [voir chapitre  4] vient d’être libéré après six mois de détention. Il n’est pas juste non plus que […] notre camarade Tunch ait été arrêté et risque de payer pour tout le monde*. Si la Justice veut poursuivre, qu’elle * Il sera finalement condamné à cinq mois de prison dont trois avec sursis 61

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poursuive toutes les personnes qui étaient présentes sur les lieux des incidents. […] [N]ous demandons aussi que soient changés d’affectation les policiers qui ont des contentieux personnels avec plusieurs d’entre nous. […] 2) Depuis plus d’un an et demi, on nous promet la réhabilitation et la rénovation des Minguettes et particulièrement du quartier Monmousseau. Or aucun des plans qui ont été faits n’ont abouti  […]. Nous sommes ici plusieurs centaines de jeunes au chômage, et beaucoup d’entre nous ont des compétences professionnelles. Nous exigeons donc l’ouverture, dans les semaines qui viennent, d’un grand chantier où seront employés les jeunes chômeurs, Français et Immigrés. […] 3) Il faut que soit reconnu le droit de chacun à être logé convenablement, qu’il soit Français ou étranger. L’existence de deux mille cinq cents logements vides aux Minguettes est un scandale, alors que tant de familles sont mal logées35. Ces revendications sont ensuite précisées dans une pétition datée du 31  mars et adressée au Premier ministre, qui demande la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire « sur la réalité des relations police-justice-jeunes dans l’agglomération lyonnaise36 », une pression financière de l’État « pour contraindre les communes qui se refusent à nous accueillir et [pour] construire des logements sociaux », voire de « nationaliser les Offices d’HLM qui sont déjà des organismes semi-publics ». Les revendications sur le logement sont aussi portées par les « mères des grévistes de la faim et les mères du quartier37 » qui s’adressent au directeur de Logirel, Jean-François Rajon, pour que le bailleur rénove les appartements, les tours, le quartier, baisse les loyers et les charges (chauffage et eau), ne démolisse pas les tours, accueille des familles étrangères, etc. La réaction du gouvernement ne se fait pas attendre : deux réunions sont organisées à la préfecture les 2 et 7 avril 198338, la seconde en présence du directeur de cabinet du Premier ministre, Dominique Figeat, qui posent les bases d’un accord justifiant l’arrêt immédiat de la grève de la faim. (Nicolas Beau et Ahmed Boubeker, Chroniques métissées, Paris, Alain Moreau, 1986, p. 71). 62

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En effet, le Premier ministre s’engage auprès des grévistes à créer un « comité communal de prévention* » à Vénissieux, réuni pour la première fois le 27 avril, où doivent siéger des « personnalités susceptibles de jouer un rôle de médiation [avec] la population d’origine immigrée39 ». Aucune commission parlementaire sur les relations police-justice-jeunes n’est mise en place, mais un juge d’instruction est tout de même désigné : « l’enquête se poursuivra, conformément à la commission rogatoire délivrée par le juge d’instruction ». Concernant le droit au travail, le Premier ministre demande au préfet d’intervenir auprès des différentes collectivités locales pour assurer, via une « structure économique collective », la « participation des jeunes » dans les travaux de démolition de trois tours et la réhabilitation d’une tour de Monmousseau**. Quant au droit au logement, le chef du gouvernement ne fait que demander l’application d’un accord de juillet  1982 entre la Communauté urbaine de Lyon, le Conseil régional, la mairie de Vénissieux et la Commission nationale pour le développement social des quartiers dirigée par Hubert Dubedout (1922-1986), qui prévoit « un effort solidaire de l’ensemble des communes de l’agglomération afin d’ouvrir de nouvelles possibilités de logement aux catégories défavorisées ». Dans la mesure où ils sont parvenus à s’imposer comme des interlocuteurs légitimes auprès des autorités politiques nationales et locales***, les grévistes de la faim décident de créer l’association SOS Avenir Minguettes le 27  avril. Les membres officiels du conseil d’administration sont Toumi Djaïdja (président), Farouk Sekkaï (vice-président), Mohamed Khira (secrétaire), Patrick Henry * Le principe d’un comité ou d’une commission locale de prévention fait partie des soixante-quatre propositions faites en décembre 1982 par la commission Bonnemaison sur les problèmes de sécurité. Le 8 juin 1983, le gouvernement décide la création du Conseil national de prévention de la délinquance (Libération, 21 juin 1983). ** La démolition d’une première tour, décidée par les pouvoirs publics à la suite des recommandations de la Commission Dubedout, a lieu le 9 juin 1983 (Claude Régent, « Six minutes de poussière », Le Monde, 11 juin 1983). *** Les membres de l’association sont ainsi reçus à Matignon et à l’Élysée (Patrick Henry et Mohamed Ouzazna) et à la préfecture pour des réunions de travail (Toumi Djaïdja, Djamel Mahamdi, Farouk Sekkaï et Kamel Lazhar) (ADR 1858W02. Liste des grévistes établie par la préfecture, 17 mai 1983). 63

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(secrétaire adjoint), Djamel Mahamdi (trésorier) et Mohamed Ouzazna (vice-trésorier)40, mais il faut au moins ajouter les noms des membres non officiels (Djamel Atallah, Farid Arar, Farid Lazhar, Brahim Rezazgua, etc.). La création de l’association est en quelque sorte l’aboutissement logique de l’action collective des jeunes de Monmousseau : elle leur permet d’institutionnaliser leur prise de parole, d’envisager des actions à long terme et d’entrer de fait dans l’espace des mobilisations considérées comme légitimes. Cependant, l’analyse de la rébellion de 1983 nous confronte à un véritable paradoxe. D’un côté, on pourrait objectivement lui accorder un sens politique dans la mesure où elle s’inscrit dans des relations de pouvoir, qui véhiculent des formes de domination et d’insubordination. Elle trouve effectivement sa source dans la contestation de l’exercice du monopole de la violence légitime par l’État et des pratiques policières perçues comme injustes. Mais, de l’autre, les acteurs de la rébellion ne lui accordent pas forcément de sens politique et ont tendance à rejeter le qualificatif « politique ». En effet, leur définition du politique correspond généralement au sens traditionnel du terme et ne distingue pas la chose politique du champ politique : ils se disent « apolitiques ». Leur rapport au politique reproduit une structure d’opposition caractéristique des classes populaires telle que l’avait identifiée le sociologue britannique Richard Hoggart41 : un « nous » populaire, authentique et sans compromissions qui s’oppose à un « eux » politique, bourgeois, sale, compromis, voire corrompu. Ce paradoxe persiste même lorsque les anciens rebelles utilisent les modes d’action légitimes tels que la grève de la faim ou la manifestation, puisqu’eux-mêmes se déclarent alors « apolitiques » : « Quand je pense à tous ces jeunes qui ont trouvé la mort… j’ai les boules ! Je ne suis pas un politique, je ne demande qu’une chose : qu’on arrête de tirer, qu’« ils » rengainent leurs armes42 ! » Ainsi, le sens de l’action émeutière, mais aussi le sens de l’action collective, ne sont évidents ni pour les acteurs ni pour le chercheur qui peut essayer de comprendre ce paradoxe à défaut de le résoudre. Et un des moyens pour le faire consiste à analyser les logiques sociales de l’engagement des membres de SOS Avenir Minguettes. 64

Émeutes ou rébellions ?

Tout d’abord, on peut se demander ce qui distingue les membres de l’association des autres « jeunes » du quartier en général et des rebelles en particulier, pour qu’ils s’investissent dans l’action politique légitime. La plupart des membres de l’association partagent des caractéristiques et des trajectoires sociales : jeunes garçons nés au début des années 1960, de nationalité algérienne ou française (pour les enfants de parents français ou de « harkis » rapatriés d’Algérie), père ouvrier, mère au foyer, sortie prématurée du système scolaire ; certains ont un CAP ou un BEP de tourneur, carreleur, plombier, miroitier, etc., obtenu parfois dans des établissements spécialisés ; la plupart sont au chômage en 1983. Ils sont le produit du processus de désouvriérisation des classes populaires, en ce sens qu’ils ne sont pas passés par les institutions d’encadrement ouvrier et ne trouvent pas dans leur univers immédiat des lieux de socialisation politique traditionnels (partis, syndicats, etc.). Mais il y a une caractéristique qui semble déterminante dans le processus de légitimation de l’action politique : la position dans la fratrie. En effet, ce n’est pas un hasard si les fondateurs de SOS Avenir Minguettes sont les « petits frères » des « personnalités » du quartier : Amar Djaïdja, grand frère de Toumi, Frédéric Henry, grand frère de Patrick, etc. Si on porte une attention particulière aux trajectoires, on se rend compte de l’importance des interactions pouvant exister entre deux mondes qu’apparemment tout oppose : le « monde des bandes » et l’espace des mobilisations. Il ne s’agit pas de mythifier une improbable vertu politique attribuée aux actes délictueux, ni de criminaliser les mobilisations dans les quartiers populaires, mais de mettre en lumière les formes de transfert d’un espace à un autre*. De ce point de vue, le capital de sympathie et la légitimité sociale dont bénéficient les « grands frères » ont pu être reconvertis au profit des « petits frères » dans l’action politique. Afin de construire une action collective, ceux-ci ont en quelque sorte mobilisé un capital social et * On rejoint ainsi le point de vue de l’historien Eric J. Hobsbawm (Les Bandits, Paris, La Découverte, 1999), qui considère le banditisme comme une potentielle figure « primitive » de la révolte. 65

Chapitre 2

symbolique local, ou « capital d’autochtonie43 », que l’on peut appeler « réputation » ou « autorité respectée », dont la valeur est reconnue uniquement sur le « marché » local des réputations. Ce capital social et symbolique ne s’est pas construit sur la base de la peur ou de la crainte, mais sur la conscience des habitants que ces individus constituent une sorte de « génération sacrifiée », et qu’ils paient en quelque sorte individuellement ce que les habitants subissent collectivement. Autrement dit, les jeunes de SOS Avenir Minguettes se sont sentis investis d’une responsabilité collective et autorisés à agir en prenant appui symboliquement sur ces figures d’autorité.

4.

Du « groupe parlé » au « groupe qui parle »

La question de la politique de SOS Avenir Minguettes se joue aussi dans le discours produit par l’association et le sens qu’elle donne à son action. L’enjeu scientifique est de taille puisque les anciens rebelles prennent rarement la parole dans l’espace public et constituent généralement un « groupe parlé ». Selon Pierre Bourdieu, ceux qui sont les plus démunis de capital culturel, comme les jeunes des cités, forment un « groupe parlé » : on voit leurs actes mais on n’entend pas leur parole, ils sont « parlés » par des individus ou groupes détenant du capital culturel (journalistes, militants, acteurs politiques, etc.), qui peuvent en parler positivement (qualification) ou négativement (disqualification). En effet, le discours visant à donner un sens aux rébellions est généralement produit par des acteurs extérieurs, qui s’engagent dans une lutte de qualification ou de disqualification de la rébellion. Par ailleurs, l’analyse du discours « subalterne » fait face à deux principaux obstacles : l’inexistence et/ou l’accès difficile aux sources archivistiques et les problèmes que pose l’interprétation du « texte public ». Comme le souligne James C. Scott44, les dominés peuvent paraître consentir publiquement à leur domination, alors qu’il existe un usage stratégique du discours public par les dominés, qui vise à déjouer les effets négatifs d’un discours trop radical ou  contestataire. Si l’on s’intéresse seulement au discours produit au moment de la rébellion de 1983, on ne dispose que d’un seul tract ronéotypé qui 66

Émeutes ou rébellions ?

semble avoir été écrit par les jeunes des Minguettes, datant de fin mars 1983 et rédigé sous la forme d’un poème en prose : Monmousseau est un quartier des Minguettes, Où tous les jeunes aiment s’amuser et se rencontrer, Non il n’est pas un repère [sic] de bandits, Mais un quartier parmi d’autres, Où la vie est possible, Un jour pourtant la presse en a fait Son horrible réputation, Sans nous comprendre, sans nous aimer, Et nous ne sommes pas d’accord, Aujourd’hui, nous préparons un nouveau départ, Un nouvel espoir pour tous. Vive Monmousseau. Mohamed, Djamel, Toumi, Patrick, Farouk, Minouche, Rachid, Kamel, Farid et tous les autres qui avez lutté et souffert pour qu’il y ait une meilleure justice et une vie plus humaine sur le quartier. C’est aussi pour vous que vous vous êtes battus. Comme vous, nous ne sommes pas épargnés par le rejet, le racisme et l’injustice. Nous espérons avec vous ; la dignité à laquelle nous avons tous droit. Nous construirons avec vous un quartier indestructible. Vous n’êtes pas des loubards, vous avez prouvé votre désir de vivre comme tout le monde45. Ce tract s’adresse non seulement à l’opinion publique pour dénoncer le discours médiatique stigmatisant le quartier, mais surtout, et c’est le plus intéressant, aux rebelles des Minguettes eux-mêmes. Ceux-ci ne sont pas qualifiés d’émeutiers mais de « combattants » pour la « dignité » et la « justice » et contre le « rejet et le racisme ». Ce discours « de départ » est ensuite reformulé sous l’influence des militants de soutien au travers de la pétition des grévistes de la faim demandant au Premier ministre qu’il agisse « pour que de nouvelles relations s’instaurent entre la police, la justice et les jeunes d’origine immigrée » en mettant sur pied une « commission d’enquête » ; 67

Chapitre 2

qu’il prenne « l’initiative d’un grand chantier de réhabilitation du quartier Monmousseau » ; et qu’il reconnaisse « le droit au logement pour tous » en créant de nouveaux logements sociaux. Les objectifs de l’association SOS Avenir Minguettes, tels qu’ils apparaissent dans les statuts rédigés en collaboration avec plusieurs militants de soutien (dont Mogniss H. Abdallah, le sociologue Alain Battegay, etc.), vont dans le même sens : 1) Favoriser de meilleures relations entre tous les habitants des différents quartiers de la ZUP de VÉNISSIEUX, dans la reconnaissance à part entière des droits des jeunes Immigrés et Français et une juste application des lois civiles et pénales françaises. L’association s’emploiera tout particulièrement à agir pour que les institutions répressives de l’État ne sanctionnent pas sur la base de préjugés sociaux et ethniques. 2) Faire prendre en charge la réhabilitation et le désenclavement des divers quartiers des Minguettes par les habitants eux-mêmes, à commencer par la réhabilitation du quartier Monmousseau, en collaboration avec l’État et les collectivités locales. L’association cherchera : − à faciliter l’insertion sociale et professionnelle des jeunes par la recherche et la création d’emplois à durée limitée ; − à participer activement à tous les projets et à toutes les opérations tendant à développer la vie sociale dans les quartiers et à en transformer l’image de marque, en faisant valoir le savoir-faire, les initiatives et les projets des jeunes et des habitants ; 3) Favoriser la mise en place de structures d’économie sociale sur les Minguettes, pour la participation des jeunes chômeurs, Français et Immigrés, aux chantiers de réhabilitation. On voit qu’entre le tract ronéotypé, la pétition et les statuts de l’association, le discours évolue sensiblement. Le tract est rédigé par les jeunes pour les jeunes après la rébellion, tandis que la pétition et les statuts sont écrits en collaboration avec les militants de soutien respectivement pour le Premier ministre et pour la préfecture. On est donc passé d’un discours d’indignation générale à un discours revendicatif relativement précis ; passage qui s’explique par les contraintes propres 68

Émeutes ou rébellions ?

à l’espace des mobilisations et au champ politique, dont les règles du jeu nécessitent la mobilisation d’un vocabulaire spécifique. Mais ce qui semble le plus intéressant, c’est la grammaire commune à ces différents textes publics, qui s’articule autour des catégories de « justice », de « dignité » et de « reconnaissance ». Bien que le poème donne un sens à de l’« infrapolitique » et que la pétition et les statuts s’inscrivent clairement dans l’espace des mobilisations et du champ politique, il apparaît que, du point de vue des membres de SOS Avenir Minguettes, le sens de l’action émeutière ne semble pas différer radicalement du sens de l’action politique légitime. Ainsi, l’opposition entre l’action émeutière et l’action politique non violente, dont les sens seraient tout à fait différents, est remise en cause par cette continuité discursive. La frontière du politique n’est donc pas aussi étanche parce que, de leur point de vue, il n’y a pas de rupture de sens.

69

3.

La peur de la rébellion

« Les membres des élites qui ne respectent pas le scénario officiel […] représentent de la sorte un danger bien plus grand que leur petit nombre ne pourrait le laisser croire. Les dissensions publiques, bien qu’en apparence anodines, brisent en effet la naturalisation du pouvoir rendue possible par l’imposition d’un front uni. […] C’est la raison pour laquelle la défection d’une partie de l’élite a un impact bien plus grand sur les relations de pouvoir que le même phénomène observé chez les subordonnés. » James C. Scott, La Domination et les arts de la résistance. Fragments du discours subalterne, Paris, Éditions Amsterdam, 2008 [1992], p. 81-82.

Après la grève de la faim (28 mars - 7 avril), la création de SOS Avenir Minguettes (7 avril) et la création d’un comité local de prévention à Vénissieux, les conflits entre les jeunes et la police ne se sont pas pour autant résolus aux Minguettes. Le désarmement symbolique momentané de la police par les jeunes de Monmousseau ne suffit pas à faire disparaître les fortes tensions sociales dont les facteurs sont multiples. L’expérience des violences durant les rébellions urbaines de 1981 et 1983 noircit considérablement la réputation des Minguettes et participe à l’accélération de processus déjà existants : départ d’habitants par centaines, politique de délaissement et de dégradation physique des bâtiments, structuration de bandes de jeunes dont certaines s’approchent du banditisme, interventions policières sporadiques et souvent violentes, etc. Selon un rapport, daté du 25 mai 1983, de Bernard Grasset, préfet de police de Lyon entre juillet  1981 et août  1984, « une certaine tension règne [depuis le 21  avril] à proximité des tours des rues 71

Chapitre 3

Monmousseau et de la Démocratie où l’équilibre de la situation reste fragile. Injures, jets de pierres, lacérations de pneumatiques ponctuent quasi journellement l’intervention des policiers appelés dans ce secteur pour des tâches d’intérêt général1 ». Un peu plus tard, le 4 juin 1983, un des premiers grévistes de la faim, Kamel Lazhar, est arrêté par la police dans le cadre d’une commission rogatoire relative à la rébellion du 21 mars. L’arrestation a lieu dans la cafétéria Casino, un des rares espaces publics que les jeunes occupent en dehors de la rue. Décidés à le ramener au poste, les policiers pénètrent dans l’établissement et font un usage disproportionné de la violence selon plusieurs témoignages, dont celui – recueilli a posteriori – de Djamel Atallah, présent au moment des faits : On était moins d’une dizaine à entrer dans le centre commercial Vénissy. Il y a eu un énième contrôle de police, on a l’habitude, mais la police s’est focalisée sur un gars du groupe […] Kamel, d’origine tunisienne et française […]. [Après le contrôle], ils sont partis et on est parti. Le ton était un peu monté mais sans plus. […] On va à la cafétéria, […] on prend une grande table pour être tous ensemble. […] On n’a même pas eu le temps de commencer à apprécier ce fameux steak qui n’était pas halal, que deux corps de police rentrent dans la cafétéria : la compagnie républicaine de sécurité et la police nationale, les deux corps ayant chacun un chien. […] Ils sont allés directement où on était, il n’y avait pas de discussion, c’était un massacre. Certains ont eu les bras cassés. D’autres avaient des broches qui ont été déplacées. D’autres encore ont eu de la viande du poitrail déchirée à cause des chiens. […] Quand ils commençaient à taper avec les matraques, personne ne pouvait se sauver. J’ai réussi à me cacher sous la table et j’entendais tous les coups. […] Ils nous ont pris comme des sacs de pomme de terre et nous ont emmenés jusqu’au commissariat2. Ce témoignage est corroboré par les observations de Christian Delorme et de Guy Fischer (1er adjoint au maire) qui se rendent dans la soirée au commissariat de Vénissieux : « nous avons pu constater leur état de blessés, nous l’avons déploré. […] Les jeunes ne méritaient pas ce qui leur est arrivé, mais tous les policiers qui sont intervenus ne 72

La peur de la rébellion

sont pas pour autant à accuser. Un maître-chien est manifestement responsable de ce qui s’est passé et le climat psychologique a amené au déchaînement de violences (dans ce climat on ne voit plus les personnes, mais le danger)3 ». Une enquête administrative est lancée au sein des instances de contrôle interne de la police, mais les archives disponibles ne permettent pas d’en connaître le résultat. Ces incidents sont révélateurs des contradictions de la « politique de prévention » et de la difficulté d’obtenir la reconnaissance des déviances policières. Cette difficulté favorise l’idée, largement répandue aux Minguettes, que les policiers bénéficient d’une « impunité » liée à leur statut et qu’ils sont « couverts » par leur hiérarchie. De fait, les documents d’archives permettent d’analyser les enjeux de la reconnaissance des déviances policières aux Minguettes, en mettant en lumière les situations où la hiérarchie revendique secrètement sa volonté de « couvrir » les « petites erreurs ». Ce blocage hiérarchique favorise alors, au sein des autorités policières et municipales, une autre interprétation des conflits entre les jeunes et la police : ceux-ci ne prennent pas leur source dans les multiples formes d’inégalités et de discrimination conjuguées à l’usage déviant de la violence par la police, mais s’expliqueraient par les caractéristiques raciales des jeunes. Dans la mesure où les rébellions sont interprétées comme des phénomènes raciaux symptomatiques du dépassement d’un « seuil de tolérance », voire d’un « racisme anti-Français », ces autorités tendent à occulter la question de la reconnaissance des déviances policières et l’enjeu de la déstructuration des classes populaires. La racialisation des rébellions urbaines, c’est-à-dire la tendance à les interpréter sous le prisme de catégories raciales, participe ainsi à construire un malentendu durable entre les jeunes et les autorités politiques. On observe dès la fin des années  1970 et le début des années  1980 un triple phénomène : « l’occultation des violences entre jeunes issus de l’immigration et police ; la définition sur une base [raciale ou] ethnique et non pas socio-économique des populations « à problèmes » ; et le recadrage de l’action étatique autour des questions de lien social et de mixité sociale [même si le terme n’est pas utilisé à l’époque] plutôt que d’inégalités ou de redistribution4 ». 73

Chapitre 3

1.

Des policiers « couverts » par la hiérarchie ?

La reconnaissance des déviances policières est le principal enjeu de la contestation de l’autorité policière. De ce point de vue, l’attitude du préfet de police Grasset par rapport aux événements des Minguettes est assez particulière. Dans le déroulement de la journée du 21  mars  1983, sa stratégie est déterminante pour contenir la rébellion et éviter l’escalade de la violence alors qu’il a lui-même été blessé au visage par un pavé… Il mène une politique d’apaisement afin de diminuer la tension aux Minguettes, quitte à se mettre à dos la presse régionale et le corps policier, qui lui reprochent d’avoir été « faible » et d’avoir livré le territoire des Minguettes aux « voyous5 ». On peut dès lors souligner le caractère décisif d’un facteur qui peut favoriser ou non, à court terme, l’escalade de la violence physique pouvant se traduire par une extension géographique de la rébellion et la perpétuation de la contestation de l’autorité policière. Ce facteur est la perception, par les habitants, du degré d’union ou de division des différentes composantes de l’État – à savoir les différentes forces de police (municipale, nationale, gendarmerie, CRS, etc.), les différents niveaux d’autorité politique (gouvernement, préfecture, mairie, etc.) et la justice pénale – quant à l’attitude à adopter face aux déviances policières violentes et à la rébellion. Cette attitude renvoie, d’un côté, au degré de « solidarité étatique » entre les représentants de l’État et les policiers mis en cause pour des conduites déviantes violentes et, de l’autre, au mode de règlement du conflit avec les rebelles. L’idée d’une solidarité étatique ou, selon l’expression de l’anthropologue James  C.  Scott, d’un « front uni6 », n’occulte pas le fait que tous les acteurs étatiques mentionnés ne constituent pas un groupe monolithique : il existe bien sûr des tensions et des contradictions au sein et entre la police, la justice et les autorités politiques. Mais la perception de la solidarité étatique est au cœur du sentiment d’injustice des habitants des Minguettes qui dénoncent l’« impunité » des policiers déviants et des individus soupçonnés de crimes racistes. Comme l’analyse rétrospectivement ci-dessous l’un des protagonistes, ce sentiment est partagé par toute une génération d’individus socialisés dans la même communauté d’expérience7. 74

La peur de la rébellion

Cette génération se disait : « mais attends, tu as vécu ma vie, j’ai vécu la tienne ou quoi pour penser comme moi ? » Quand tu parles avec des gens, [tu te rends compte qu’]ils sont dans le même état d’esprit […]. C’était un sentiment partagé [selon lequel] la justice ne s’appliquait pas. Ils tuaient des gens. Je me souviens d’Ahmed Bouteldja tué en 1982. Sa maman était venue me voir et m’avait raconté l’histoire. Je me suis dit : « mais attends, ce n’est pas possible. On ne tue pas les gens comme ça ». Mais c’était normal, la justice couvrait ces crimes… Il y avait une impunité qu’on ne pouvait pas imaginer. On avait des jeunes de banlieue qu’on amenait dos contre le mur […]. On en faisait des voyous. Certains sont peut-être encore en prison. Alors qu’en face, il y avait de la soi-disant « légitime défense » et ils tuaient des gens. Ils étaient libérés le soir même la plupart du temps8. Dans l’agglomération lyonnaise, les procès des meurtriers de Wahid Hachichi et d’Ahmed Bouteldja sont des cas emblématiques des tensions entre police, justice et jeunes de banlieue (ces cas sont médiatisés et connus des jeunes de cité). Hachichi est tué à Lyon le 18 octobre 1982 par le policier Nicolas Bartelli, et Bouteldja le 28 septembre 1982 par un habitant de Bron, Jean-Claude Lopez, de deux balles dans le dos. Bartelli est laissé libre après son inculpation tandis que Lopez ne fait que six mois de détention provisoire. Leur mise en liberté et, après les événements de 1983, la relative clémence des verdicts (sept ans de prison ferme pour Bartelli et quatre pour Lopez) prononcés en 1985 par le juge et le jury de la Cour d’Assises de Lyon, sont perçues par les familles et les amis de quartier, selon les termes d’Abdelmalek Sayad, comme « une manière de complicité objective avec l’assassin qui est leur compatriote, une marque de solidarité plus organique et qui n’a pas besoin de réfléchir pour exister9 ». Dans ces cas de figure, la question de classe s’articule avec la question nationale-raciale : « on connaît l’expression « justice de classe » ; ici, il faudrait parler de « justice de caste », celle-ci venant doubler celle-là10 ». L’enjeu de la solidarité étatique est double : celle-ci est non seulement dénoncée par les habitants des banlieues en raison de la perception d’une « impunité » policière, mais elle est aussi revendiquée par 75

Chapitre 3

certaines composantes de l’État afin d’éviter de « ternir l’institution policière et d’en amenuiser la réputation, d’en altérer la face11 ». La volonté de maintenir les liens de solidarité étatique conduit les individus ou organismes chargés de sanctionner les déviances policières, notamment l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), à faire preuve d’une relative clémence concernant l’usage abusif de la violence physique12. Autrement dit, le principe de solidarité étatique revient à ne pas faire « perdre la face à l’État » lorsque la police faillit, dans la mesure où la reconnaissance étatique des déviances policières violentes est considérée comme une perte de légitimité politique. Selon ce point de vue, la légitimité du monopole de l’usage de la violence physique est fondée sur un « bon » usage et elle s’effrite dès lors que l’État admet publiquement l’idée d’une forme institutionnelle (et non exceptionnelle) d’usages déviants. Ainsi, l’équation « reconnaissance publique des déviances policières violentes = discrédit et perte de légitimité de la police » est inscrite dans les catégories d’entendement des représentants des forces de l’ordre. Cette équation est particulièrement bien révélée par l’analyse des tenants et des aboutissants de l’« affaire Grasset ». Le 21  novembre  1983, en pleine Marche pour l’égalité et contre le racisme (15  octobre - 3  décembre)*, le jeune des Minguettes Abdelhamid Benatir (dix-sept ans) est abattu par une de ses connaissances, M.  Lehouard, d’une balle dans le dos. Ce meurtre a priori accidentel provoque de nouveaux troubles dans le quartier : les voitures des membres de la famille Lehouard sont incendiées et les forces de police établissent un périmètre de sécurité autour du domicile du tireur. Mais une compagnie de CRS sort de ce périmètre sous prétexte de poursuivre des individus « suspects » pénétrant dans le bar « L’Ami Burger » qui est, comme on l’a vu, un des lieux de vie de prédilection des jeunes des Minguettes. Cela donne lieu à une intervention brutale, réalisée par des CRS venus d’ailleurs et ne connaissant pas le quartier, qui bouleversera encore le fragile équilibre des tensions aux Minguettes, d’autant plus * Le décès de Benatir affecte beaucoup les marcheurs : quatre d’entre eux, dont Farid, cousin de Benatir, retournent à Vénissieux (Est-républicain, 23 novembre 1983). 76

La peur de la rébellion

que le contexte de la Marche focalise l’attention gouvernementale sur la situation locale. La brutalité est rapidement dénoncée non seulement par les habitants du quartier et les « marcheurs », mais aussi par le préfet de police Grasset : « [Ils ont pénétré] de leur propre initiative dans ce bistro. [Il s’agissait] de jeunes CRS, jouant les gros bras, [qui] n’étaient pas habitués. Ils finissent par se faire chambrer par les habitués [du bar], s’affolent et se mettent quand même à tirer avec des balles qu’on retrouve à deux mètres de hauteur. Bon alors là-dessus, on rétablit l’ordre difficilement13. » Dans ce contexte tendu, Grasset condamne publiquement, devant les caméras de FR 3, le comportement des CRS : Le commissaire principal de Vénissieux, Daniel Quantin, avait donné des ordres oraux et écrits à une patrouille pour assurer la garde autour du domicile du tireur pendant son interrogatoire à l’hôtel de police. Cette patrouille a élargi sans raison son périmètre. Elle est allée dans un bar du quartier où elle n’avait rien à faire. Elle a transgressé les ordres du commissaire. Ces policiers ont agi de leur propre initiative et c’est regrettable. Leur comportement dans ce bar a été inadmissible pour des fonctionnaires de police qui ne doivent pas se conduire comme les voyous qu’ils ont pourchassés14. Cette inhabituelle déclaration publique provoque un tollé général puisqu’il s’agit d’une rupture de la solidarité étatique de la part d’un préfet de police. Selon les termes de James C. Scott, Grasset devient en quelque sorte un « rebelle de l’élite », qui ne respecte pas le « scénario officiel » et brise la « naturalisation du pouvoir15 ». Autrement dit, il déroge au principe de l’« inversion hiérarchique » selon lequel le rôle de la hiérarchie consiste non seulement à prescrire, mais aussi à justifier ou « rendre compatibles [les choix des « exécutants » du bas] avec les cadres réglementaires et les « politiques » définies par le haut16 ». Il lui est reproché de ne pas « se converti[r] en porte-parole des intérêts corporatifs17 » de son administration. Les syndicats de police considèrent ainsi qu’il est « inadmissible […] qu’un préfet de police puisse se comporter de la sorte » parce que, « préjugeant le résultat des enquêtes administratives et judiciaires en cours, il vient 77

Chapitre 3

de condamner les fonctionnaires dont il est, paraît-il, le chef…18 ». Ils dénoncent un « lâchage éhonté » et l’« irresponsabilité totale d’un haut fonctionnaire qui n’hésite pas, pour préserver sa carrière, à mettre en péril celle de ses subordonnés », ce qui les conduit à « exiger » le départ de ce préfet de police « qu’ils ne reconnaissent plus comme l’un des leurs19 ». La section lyonnaise de Force ouvrière Police condamne « la rapidité d’une telle prise de position [qui] ne peut que discréditer l’ensemble du corps de la police nationale ». Pour Roger Guichard (élu du Rassemblement pour la République), il est « néfaste qu’un chef de la police désavoue ses hommes » et pour Gaston Deferre, ministre de l’Intérieur socialiste, « le gouvernement est derrière sa police ». Yvon Deschamps, secrétaire fédéral du Parti socialiste, est « embarrassé » et affirme que « le préfet a agi en politique plus qu’en haut fonctionnaire. Il a voulu faire tomber la tension aux Minguettes, ce qui était normal, mais peut-être aurait-il dû faire ses déclarations au conditionnel, laissant seulement entendre qu’il désavouerait les policiers si l’enquête concluait qu’il y a eu faute de leur part20 ». Ainsi, les syndicats de police, le ministre de l’Intérieur et les principaux partis politiques condamnent unanimement les propos de Grasset qui s’est désolidarisé de ses troupes. Il n’est plus « l’un des leurs21 ». Le préfet du Rhône, Olivier Philip, ne prend pas position publiquement et seules quelques personnalités, notamment de rares élus régionaux socialistes, le maire de Vénissieux Marcel Houël22 et le député UDF et ancien ministre Raymond Barre, le soutiennent publiquement ou en privé23. Implicitement, le préfet de police avait adopté une stratégie inhabituelle : pour « faire tomber la pression », il ne s’agit pas d’éviter de « perdre la face » et d’élever le niveau de répression, mais de reconnaître, verbalement et publiquement, les déviances policières et l’usage abusif de la force physique. Autrement dit, cette reconnaissance publique n’est plus synonyme de discrédit et de perte d’autorité mais, au contraire, de gain de légitimité et de crédibilité vis-à-vis de la population. Cette inversion de l’équation reconnaissance/légitimité est une revendication explicite des jeunes des Minguettes : C’était à cette époque une culture de la gâchette facile. On tirait très facilement… [Les policiers savaient] qu’ils pouvaient faire 78

La peur de la rébellion

justice eux-mêmes et qu’ils allaient être couverts par la loi. À un tel point que quand l’AFP et les journaux […] ont diffusé l’information [un policier tire sur un jeune des Minguettes], c’était dans l’idée de calmer le jeu [et] de dire : « il faut calmer pour ne pas que la banlieue « s’enflamme ». Mais ce n’est pas ce que la banlieue vous demande. La banlieue vous demande d’être juste, de reconnaître les faits, de dire : « on a fait une bavure »24. Ainsi, « les marques de reproche ou d’hostilité visent moins, à cet égard, la violence comme catégorie générale de l’action policière que certaines de ses formes de violence, ou son intensité25 ». Mais l’éphémère crédibilité retrouvée par la police auprès des habitants des Minguettes suite aux propos de Grasset va de pair avec une perte de légitimité du préfet auprès des agents de police qui se sentent trahis, comme ils s’étaient déjà sentis trahis par la suspension des expulsions des étrangers condamnés par le gouvernement socialiste en 1981. C’est pour « combler la brèche » dans la solidarité étatique et rétablir la confiance des troupes que le préfet du Rhône, Olivier Philip, intervient auprès d’une soixantaine de policiers du commissariat de Vénissieux (document 3.1). Son intervention relève d’un discours privé et n’est pas contraint par les effets de censure propres au discours public. Le préfet révèle ainsi la « doctrine officieuse » de la police en cas de déviances policières : la hiérarchie « a toujours couvert publiquement » la « petite erreur » « quitte à ce qu’une sanction interne à la « maison » intervienne après enquête et sans publicité excessive ». Cependant, en cas de « grosse erreur » relevant surtout de la désobéissance aux ordres, « nous perdrons notre crédibilité si nous n’avons pas le courage de reconnaître les faits et les erreurs » et « si nous mentons ». Autrement dit, la solidarité étatique ne peut plus être maintenue dès lors qu’elle compromet la crédibilité et la légitimité de la police auprès de la population. Grasset, sur la demande du préfet Philip, pouvait d’autant moins « couvrir » ses troupes que la presse et les témoignages d’« Européens » des Minguettes contredisaient la version des CRS (le sous-entendu étant que la « valeur » du témoignage des « Européens » serait supérieure à celle des non-Européens). 79

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Chapitre 3

Document 3.1 : Discours du préfet Olivier Philip devant les policiers du commissariat de Vénissieux, 30 novembre 1983. « Excluant l’hypothèse de la grosse erreur […], votre hiérarchie a toujours couvert publiquement ce qu’on l’on peut appeler la petite erreur. On peut commettre une petite erreur dans le feu de l’action. Vous devez être couverts, quitte à ce qu’une sanction interne à la « maison » intervienne après enquête et sans publicité excessive. L’incident de la semaine dernière est une « grosse erreur » sur deux points : a) erreur en elle-même. Vous savez ce qui s’est passé. Je n’insisterai pas, notamment sur l’attitude verbale adoptée, sur le fait que les locaux ont été saccagés et pas seulement semble-t-il par des clients, sur le fait que l’on a obligé les jeunes à se coucher par terre sous la menace. Une balle a été tirée à hauteur d’homme et la tragédie évitée de justesse. L’Inspection Générale vérifie les détails et en tirera les conclusions qu’elle jugera utile. b) erreur par la désobéissance aux ordres. C’est sans doute l’aspect le plus grave de cette affaire. La mission donnée aux CRS, consignée par écrit par le Commissaire responsable, l’a été dans le cadre d’un contexte qu’il connaissait. […] [L]’ordre a été donné d’intervenir pour protéger la famille française de l’auteur de l’homicide (accidentel ou non), et dont deux voitures venaient d’être incendiées. Telle était la mission. […] Or, 4  CRS sont allés effectuer un contrôle d’identité dans un café situé à 800 mètres du lieu d’intervention. Tout s’est passé à peu près normalement, mais ils y sont retournés peu après. Pour ce faire, ils ont abandonné leur mission. […] Un Chef ne peut pas être désobéi. Le Chef doit supporter les conséquences des ordres qu’il donne et il doit les assumer. Mais vous devez comprendre qu’un responsable n’a pas à supporter, n’a pas à assumer les conséquences d’un acte lorsqu’on lui a désobéi. Les faits étaient évidents, immédiatement connus de la Presse, la désobéissance flagrante. La Télévision régionale étant saisie et plusieurs Européens du quartier y intervenant pour relater les faits, il était indispensable pour le Préfet délégué pour la Police d’intervenir publiquement. C’est ce qu’il a fait à ma demande. Il n’était pas possible d’attendre car il faut réagir immédiatement à l’événement dans ce genre de situation. C’est l’intérêt de la Police. Celle-ci doit être crédible aux yeux de la population. Nous perdrons notre crédibilité si nous n’avons pas le courage de reconnaître les faits et les erreurs. Nous perdrons la confiance de la population si nous mentons. Vous savez bien que la vérité est vite connue dans le quartier. Vous êtes susceptibles d’intervenir à tout moment aux Minguettes pour assurer dans des conditions 80

La peur de la rébellion

difficiles l’ordre public. La population doit avoir confiance en votre impartialité. Nous devons être crédibles, non seulement vis-à-vis de la population mais aussi vis-à-vis du Gouvernement26. »

Document 3.2 : Rapport d’enquête de l’Inspection générale de la police nationale relatif à l’incident du 21 novembre 1983 aux Minguettes. « Le rapport rassemblé par [M. X] apporte un certain nombre d’éléments pouvant donner un éclairage assez complet sur cette affaire dont le déroulement est surtout marqué par l’influence prismatique de son environnement. S’il n’y avait eu auparavant mort vraisemblablement accidentelle d’un jeune homme. S’il n’y avait eu un conflit ouvert entre une communauté maghrébine sensibilisée à l’extrême par son deuil et une famille européenne menacée dans sa sécurité. S’il n’y avait eu le climat particulier propre à la Cité des Minguettes où tout ce qui touche aux relations police-population prend une résonance quasi-nationale. S’il n’y avait eu tout ce contexte passionnel encore plus accusé par les relations des médias, il resterait une banale affaire de drogue pour laquelle on eut sans doute félicité les jeunes fonctionnaires pour leur zèle en les rappelant néanmoins à un peu plus de mesure, y compris vis-à-vis des repris de justice lors de leur interpellation. Une fermeture administrative aurait sanctionné l’établissement fautif d’accueillir des trafiquants de ce pernicieux et alarmant trafic. 81

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Cependant, la condamnation par un préfet de police des déviances policières est particulièrement rare et la distinction entre « petite » et « grosse » erreur n’est pas une donnée évidente. Bien au contraire, il s’agit d’un enjeu de lutte entre les différents acteurs de la solidarité étatique, qui ne sont pas tous d’accord entre eux. Ainsi, l’enquête diligentée par l’IGPN requalifie les déviances policières en question en « petite » erreur, dans la mesure où les CRS incriminés n’auraient pas « dérog[é] exagérément aux pratiques policières en milieu dangereux ou hostile » et ne méritent donc pas de « peu souhaitables sanctions » (document  3.2). La brèche entrouverte en public par Grasset est immédiatement refermée par l’IGPN sans publicité, ce qui permet de faire « retomber la pression » du côté des forces de police.

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Chapitre 3

Mais il s’agit précisément des Minguettes. Alors, il en va différemment. On se renvoie les responsabilités, car on redoute les conséquences de cette intempestive intervention dont la forme a excédé les principes du droit, sans déroger exagérément aux pratiques policières en milieu dangereux ou hostile. […] S’agissant des mesures à prendre, […] il faut rappeler à la hiérarchie des CRS que les contacts avec les services renforcés doivent être permanents […]. En toute hypothèse, peut-on demander, afin d’éviter tout incident, à des fonctionnaires de police de fermer les yeux sur un délit aussi grave que le trafic de drogue alors qu’on les incite, par ailleurs fort pertinemment, à lutter contre ce fléau ? C’est sans doute à cette dernière question qu’il convient de répondre avant de se prononcer sur de peu souhaitables sanctions27. »

Compte tenu de ces informations, on comprend mieux les non-dits des tensions entre jeunes de banlieue et forces de police. Les premiers dénoncent l’« impunité » policière et demandent la reconnaissance des déviances policières dans l’usage de la force physique. La tension est d’autant plus forte que les jeunes perçoivent un degré élevé de solidarité étatique, ce qui participe, au niveau structurel, à la perpétuation du sentiment d’injustice et, au niveau conjoncturel, à la perpétuation et à l’extension géographique de la rébellion. Mais, de manière générale et au sein même des forces de police, s’opposent deux conceptions diamétralement opposées du rapport légitimité/ reconnaissance. D’un côté, la reconnaissance publique des déviances policières violentes est considérée comme un des fondements de la légitimité de la police alors que, de l’autre, cette reconnaissance publique mine la solidarité d’un appareil étatique qui doit se « serrer les coudes » et ne pas « perdre la face ». Or cette épineuse question, qui est au cœur des conflits aux Minguettes, n’est jamais traitée de manière frontale par les autorités préfectorales et municipales.

2.

Racialisation, « seuil de tolérance » et « racisme anti-Français »

À défaut de poser la question de la reconnaissance des déviances policières, les autorités préfectorales et municipales focalisent leur attention sur l’appartenance raciale des rebelles. Alors que la petite 82

La peur de la rébellion

délinquance aux Minguettes n’est pas uniquement le fait des enfants d’immigrés maghrébins, il existe une tendance générale à les pointer du doigt et à expliquer leur comportement par leur origine nationale ou raciale, au détriment d’une analyse socio-économique. En 1979, le commissaire de Vénissieux établit une liste de jeunes du quartier Armstrong qui se livreraient à des « actes de vandalisme ». Les « meneurs » sont identifiés nommément : l’un d’entre eux porte un nom espagnol, deux un nom maghrébin et deux un nom français. Le commissaire considère pourtant que « [d]es jeunes gens, pour la plupart Nord-Africains, se réunissaient en effet dans les parties communes d’immeubles et s’y livraient à des actes de vandalisme : destruction de boîtes aux lettres, dégradation des ascenseurs, excréments, papiers brûlés, jets de pierres contre les appartements des locataires mécontents, etc. 28 ». On observe une constante focalisation non seulement sur les « Nord-Africains », mais aussi sur les enfants originaires des DOM-TOM, comme l’illustre l’analyse préfectorale des rébellions de l’été 1981. Celle-ci montre bien comment les services préfectoraux et la police peuvent sélectionner les faits sociaux et les requalifier sous le prisme d’une grille de lecture raciale*. Entre le 1er  juillet et le 30  septembre  1981, la police interpelle vingt-quatre jeunes de la banlieue-est sous les chefs d’accusation de vol, incendie volontaire et rébellion, dont vingt « Nord-Africains » (dont six enfants de « harkis ») et quatre « Européens ». Sur les vingtquatre, neuf ont la nationalité française. Les autorités préfectorales considèrent que la sur-représentation des enfants de Maghrébins s’explique par des facteurs raciaux, occultant d’une part le fait que la proportion de « Nord-Africains » dans ces quartiers est supérieure à la moyenne régionale, et d’autre part que la police peut avoir * On observe le même phénomène en Grande-Bretagne : « Les effets de la racialisation sont très visibles dans le décalage entre la marginalité économique de cette population « surnuméraire » et sa centralité politique. On se souvient des émeutes de Brixton de 1981 et 1985 comme d’événements raciaux. Sachant qu’une minorité – entre 29 % et 33 % – des personnes arrêtées en  1981 sont « non-blanches », il est essentiel de se demander comment cette mémoire a été construite » (Paul Gilroy, There Ain’t No Black in the Union Jack: The Cultural Politics of Race and Nation, Londres-New York, Routledge, 2002 [1997], p. 26, ma traduction). 83

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tendance à cibler cette catégorie de population. Pour préparer la visite aux Minguettes de Roger Quilliot, ministre de l’Urbanisme et du Logement du gouvernement Mauroy, le 16 octobre 1981, le cabinet du préfet lui communique un rapport sur les événements des Minguettes, intitulé « Analyse de la situation », qui illustre une racialisation de la réalité sociale (document 3.3). Bien que cette analyse de la délinquance évoque les questions du chômage, de la faible scolarisation et des conditions de vie difficiles dans les banlieues, elle insiste avant tout sur les facteurs culturels ou raciaux : « statut traditionnel de la femme maghrébine », « phénomènes socio-culturels et psychologiques liés à la « 2e génération » », « relations entre une mosaïque de populations aux cultures différentes », « bandes multiraciales », « complicité active ou passive de leurs parents », etc. La répétition des « tout naturellement » montre à quel point, au sein du cabinet du préfet, la délinquance est liée à la supposée nature des enfants d’origine maghrébine et antillaise : la politique de répression et de prévention de la délinquance n’aurait ainsi « jamais tenu compte de la spécificité des problèmes posés par l’immigration d’origine maghrébine et ont le plus souvent nié les difficultés d’adaptation en métropole des populations françaises originaires des départements et territoires d’outre-mer ».

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Document 3.3 : Cabinet du préfet du Rhône, « Analyse de la situation », octobre 1981. Les événements qui se sont déroulés durant l’été [1981] dans la périphérie lyonnaise ne sont pas nouveaux, mais n’avaient jamais connu toutefois une telle intensité ni une telle durée. Leurs causes profondes sont connues mais sans doute insuffisamment approchées en l’absence d’études objectives globales et de données statistiques adéquates. Les remèdes apportés jusqu’à présent à de semblables faits ont consisté soit en actions répressives soit en actions ponctuelles de prévention, mais n’ont jamais tenu compte de la spécificité des problèmes posés par l’immigration d’origine maghrébine et ont le plus souvent nié les difficultés d’adaptation en métropole des populations françaises originaires des départements et territoires d’outre-mer. À Lyon, comme dans les grandes villes d’Europe Occidentale, la population immigrée s’est traditionnellement fixée, tant pour des raisons 84

économiques que de proximité de lieux de travail, dans les communes situées à l’Est de la ville. Ce phénomène a été accentué, d’une part par la rénovation de quartiers populaires, habités par une forte proportion de travailleurs immigrés et qui ont dû être relogés dans des HLM de la banlieue est (il s’agit de la rénovation du quartier de la Part-Dieu à Lyon, et, dans une moindre mesure, du quartier du Tonkin, à Villeurbanne), et, d’autre part, par la politique des organismes HLM qui ont massivement regroupé les constructions de logements sociaux à Vaulx-en-Velin, Vénissieux, Villeurbanne, Rillieux-la-Pape et Bron. Familles d’immigrés, familles « à problèmes » (et ce sont souvent les mêmes) ont donc été dirigées vers les ZUP de la périphérie lyonnaise (les Minguettes à Vénissieux, la Grappinière à Vaulx-en-Velin, les Buers, les quartiers Saint-Jean et Olivier de Serres – avant sa réhabilitation partielle – à Villeurbanne). Dans le même temps, les 664 logements de la Grappinière construits en 1964, les 6 541 logements des Minguettes construits de 1967 à 1974, les 1 489 logements des Buers construits de 1934 à 1965 avec un programme complémentaire de 90 logements en 1979 ont fait l’objet d’une désaffection progressive de la part de leurs habitants initiaux, dans un premier temps attirés par des programmes d’accession à la propriété, et dans un second temps « importunés » par la présence massive de populations exogènes. Ce phénomène connaît, depuis le début de l’été une progression considérable : aux Minguettes, on dénombrait 1 500 logements vides en juin 1981 ; il y en a aujourd’hui plus de 1 800. Les conditions de vie particulières aux grands ensembles, le chômage qui sévit chez les immigrés aux qualifications professionnelles souvent médiocres, le statut traditionnel de la femme maghrébine, la mauvaise scolarisation des adolescents, les phénomènes socio-culturels et psychologiques liés à la « 2e génération », les relations entre une mosaïque de populations aux cultures différentes, ont tout naturellement secrété l’apparition de bandes d’adolescents pré-délinquants. Ces bandes multiraciales, mais où, tout naturellement les enfants d’origine maghrébine sont les plus nombreux, jouissent de la complicité active ou passive de leurs parents, passent très vite au stade de la pré-délinquance, et suivent un phénomène bien connu, soit, en la personne de leurs meneurs, un vivier idéal pour une délinquance plus inquiétante. C’est, aggravé par des phénomènes raciaux, le schéma classique de la constitution d’un « lumpen prolétariat » avec ses connotations fascisantes et anarchisantes29. 85

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Ainsi, cette vision racialisante de la réalité sociale conduit à questionner les statistiques du peuplement des Minguettes. Selon un rapport du préfet de police de 1979, il est nécessaire d’établir des distinctions parmi les nationaux français dans la mesure où, dans les statistiques officielles, « ne sont pas pris en compte […] les Français de souche maghrébine (harkis) et ceux originaires des DOM-TOM [alors que] leurs difficultés d’adaptation sont souvent similaires à celles rencontrées par les immigrés30 ». La distinction devrait aussi s’opérer au sein de la catégorie « étrangers » parce que « si la population étrangère n’évolue guère [à Vénissieux], par contre sa composition change : aux étrangers de race européenne se substituent des ressortissants d’Afrique du Nord31 ». Le problème de la délinquance relèverait finalement d’un conflit entre, d’un côté, les Français et étrangers de « race européenne » et, de l’autre, les Français et les étrangers « exogènes » (Noirs et Arabes) : « Cette très forte colonie, en majorité nord-africaine, pose de délicats problèmes de cohabitation et d’assimilation. Les difficultés de tous ordres dans lesquelles ces familles doivent se débattre, liées à la crise de l’emploi et à un urbanisme peu adapté à l’homme, sont à l’origine de la criminalité dans ce secteur32. » L’analyse policière de la situation aux Minguettes s’appuie sur une théorie de l’assimilation : les problèmes urbains (délinquance juvénile, rébellions, etc.) s’expliquent par la conjugaison de facteurs socio-économiques et de l’incapacité raciale ou culturelle des minoritaires à s’assimiler au groupe majoritaire « européen ». Or la possibilité d’assimilation d’un groupe minoritaire est, selon cette théorie, inversement proportionnelle à la proportion de minoritaires parmi les majoritaires : plus les minoritaires sont nombreux, plus l’assimilation est censée être « difficile ». C’est ainsi que le thème du « seuil de tolérance » ou du « seuil d’intégration » apparaît dans les discours policiers : « on constate parallèlement à une accélération de la rotation des HLM par les Français, une certaine stabilité des immigrés qui, peu à peu, se voient attribuer la quasi-totalité des appartements. Le seuil d’intégration de 15 % est nettement dépassé 33 ». Les fondements idéologiques de la théorie de l’assimilation remontent à la fin du xixe siècle34. À cette époque, les intellectuels républicains dominants analysent la multiplication des conflits, parfois très 86

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violents, entre travailleurs français et travailleurs étrangers (notamment les Italiens lors de l’affaire des « Vêpres marseillaises » de 1881) comme une conséquence d’une « lutte des races » ou des nationalités, perçue comme un phénomène « naturel » et « inévitable ». L’« intolérance » des Français serait le résultat d’un rapport de force politico-démographique qui, au-delà d’un certain seuil, déboucherait « naturellement » sur des conflits violents. On retrouve cette perspective dans le contexte de l’Algérie coloniale, notamment dans le cadre de la politique d’intégration des musulmans dans l’administration française entre  1955 et  1962 : « Ce fut dans ce contexte intégrationniste de mesure des effets de la discrimination que fit son apparition le concept de « seuil de tolérance » dans le discours officiel. Une enquête sur les limites du nombre de places occupées par des Algériens dans les hôpitaux français, par exemple, demanda aux responsables des établissements d’indiquer le « pourcentage optimum par rapport au total des malades, seuil au-dessus duquel se posent des problèmes de cohabitation »35 ». La décolonisation ne provoque pas de bouleversement majeur à ce sujet. Comme le souligne la sociologue Véronique de Rudder, l’idée de « seuil de tolérance », qui est un véritable mythe sans aucun fondement scientifique, est largement répandue dans les années 1960-1970 chez les classes dominantes françaises, notamment celles qui sont chargés de la politique migratoire et du logement social36. En 1969, un rapport du Conseil économique et social considère que le « seuil de tolérance » est une réalité scientifiquement établie et que « le niveau en varie suivant l’origine ethnique37 » : 20 % pour les étrangers européens, 15 % pour les non-européens. En  1970, le directeur de la Population et des migrations, Michel Massenet, suggère de fixer un seuil d’étrangers à 10-15 % dans les habitations et 20 % dans les  écoles. La circulaire n° 72-60 du 5  octobre  1973 de la direction de la Construction du ministère de l’Équipement et du Logement dispose « d’éviter, autant que possible », une proportion de familles étrangères supérieures à 15 % dans les HLM. Il n’est donc pas étonnant que le préfet de police utilise la notion de « seuil d’intégration », dont « la conclusion logique est qu’il est possible (et que l’on se doit) d’éviter ces difficultés en veillant à maintenir la proportion des étrangers en deçà de cette limite38 ». 87

Chapitre 3

On comprend mieux pourquoi, selon le haut fonctionnaire préfectoral, la solution au « problème » de la délinquance consiste à limiter l’arrivée de nouveaux étrangers : « Au-delà du renforcement des effectifs de police et de leur présence permanente à l’intérieur de ce secteur, il est évident que ce problème, qui dépasse le cadre de la ZUP de Vénissieux, ne peut être résolu que grâce à une politique d’ensemble portant sur la limitation stricte des admissions des familles étrangères, par la fixation d’un quota par nationalité, par bâtiment et établissement scolaire, l’encadrement des jeunes et l’organisation de leurs loisirs, et, enfin la réhabilitation de l’habitat notamment par l’application rigoureuse de la législation sur les baux et des cahiers des charges39. » Ce raisonnement est également partagé par les organismes HLM des Minguettes et la mairie de Vénissieux. Comme on l’a vu plus haut (chapitre 1), la crainte de « dépasser le seuil » est à l’origine de l’augmentation du taux de vacance de logements aux Minguettes : « Pour tenter d’endiguer cette croissance de la population étrangère, les élus de Vénissieux et les directeurs d’organismes régissant les immeubles à HLM ont décidé de ne pas relouer les appartements libérés40. » La politique de non-attribution de logements vacants à des familles maghrébines et le processus de racialisation de la situation des Minguettes doit beaucoup à l’action de Marcel Houël (1921-1985). Maire de Vénissieux de  1962 à  1985, il est une figure locale de la Résistance communiste pendant la Seconde Guerre mondiale et le produit du communisme municipal d’après-guerre qui a débouché sur la formation des « banlieues rouges41 ». Depuis  1972, communistes et socialistes sont unis sur les bases d’un « programme de gouvernement » et la liste d’union de la gauche de Vénissieux, où les communistes sont majoritaires, remportent facilement les élections municipales de 1977. Son prédécesseur, Louis Dupic, maire communiste de 1944 à 1962, s’est vu imposer par l’État gaulliste la construction de la ZUP, via la promulgation en 1959 d’arrêtés des zones à urbaniser en priorité : « ou bien on fait une zone à urbaniser en priorité avec vous, ou bien on la fait sans vous42 ». Houël hérite donc d’une situation inconfortable et consacre une bonne partie de son énergie à faire en sorte que l’État respecte ses engagements en termes d’équipements collectifs, de services publics, de transports en commun, etc., ce qui, comme on l’a vu, est loin d’être le cas. 88

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Compte tenu de son implication dans l’amélioration des conditions de vie aux Minguettes, le maire se retrouve complètement démuni face à la dégradation des relations sociales, aux actes de délinquance et aux rébellions*. Comme le souligne Guy Fischer, premier adjoint du maire élu en 1977, « lorsqu’il s’est trouvé confronté à ces événements [rébellion de l’été 1981], il n’a pas compris. Parce que pour lui, il avait donné à ces populations, qui pour beaucoup vivaient dans des bidonvilles et des conditions très précaires, un habitat collectif 43 ». Autrement dit, « il y avait un décalage dans les mentalités, avec la génération qui avait reconstruit la France, qui a beaucoup bossé et qui ne comprenait pas cette révolte naissante29 ». Ce décalage ou cette incompréhension grandissent à mesure que les Minguettes alimentent la rubrique des faits divers de la presse locale, notamment Le Progrès (propriété du groupe Hersant), qui participe de fait à ternir la réputation de la ville de Vénissieux**. Houël condamne aussi « certains individus bien connus de nous [militants d’extrême gauche vivant aux Minguettes] qui, au lieu de rechercher la modération attisent le feu, incitent à la haine et tentent de dresser contre les élus que nous sommes la communauté maghrébine45 ». Il dénonce en 1980 « ceux qui soutiennent la politique du pouvoir au plan local (les hommes de la majorité et les socialistes à la COURLY), comme [Frédéric] Dugoujon, [Francisque] Collomb et [Charles] Hernu***, [qui] * Lors de la rébellion du 21 mars 1983, Houël « condamne avec la plus grande énergie » les incidents : « Je lance un appel solennel à la jeunesse de ce quartier qu’aujourd’hui encore nous ne voulons pas confondre avec les voleurs, les agresseurs et les vandales. En prêtant main forte à cette faune, les jeunes de ce quartier vont dresser contre eux l’opinion publique » (AMV, sans cote). ** Le conflit conflit entre Houël et le quotidien connaît de nombreuses péripéties. Pendant une séance publique du conseil municipal de juin 1980, Houël affirme : « Maintenant, des bandes de jeunes nord-africains en viennent à voler au pied des ouvriers jardiniers de la ville leurs outils de travail en les insultant et en les frappant à coups de pierres. » Ce discours est rapporté par le journal, qui l’accuse de racisme (Bernard Elie, « Appel au... racisme », Le Progrès, 9 juin 1980 : « Même si les faits étaient démontrés – ce qui ne pourrait pas être le cas – la référence à l’origine raciale des auteurs, serait déplaisante. Et illégale. Ce qui est un comble pour un parlementaire »). Mais il est soutenu par le journal du Parti communiste (Philippe Dibilio, « Acharnement », L’Humanité, 9 juin 1980). *** Dugoujon (1913-2004) est maire de Caluire-et-Cuire (banlieue ouest de Lyon) entre 1965 et 1983 (Union pour la démocratie française) et président de l’Office départemental des HLM (Houël l’accuse souvent d’abuser de cette dernière 89

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« se débarrassent » des étrangers dans leurs villes pour les concentrer dans les municipalités communistes46 ». Ainsi, comme les classes dominantes françaises, le maire tend à focaliser son attention sur les enfants d’origine maghrébine et antillaise (voire asiatique*) pour expliquer les tensions sociales aux Minguettes. Selon lui, le « problème no 1 » des Minguettes est « celui de l’emploi », puis la « faiblesse des équipements », sachant que ce « problème [est] renforcé par la présence d’une trop forte concentration de l’immigration, comportant pas moins de trente-huit ethnies et dont les Maghrébins représentent à l’intérieur le plus gros pourcentage47 ». On  voit que les considérations socio-économiques ne sont pas absentes du cadre d’interprétation, mais leur importance tend à diminuer à mesure qu’un sentiment d’impuissance gagne les rangs des élus de Vénissieux. En effet, la municipalité est impuissante face au chômage massif qui touche les jeunes et au manque d’équipements de la ZUP : la politique économique locale et la politique d’aménagement du territoire ne sont pas de son ressort et dépendent largement de la conjoncture économique et de la volonté des autorités de l’État. Il n’est donc pas étonnant que le maire privilégie une action sur la politique de peuplement des Minguettes : c’est le seul domaine d’action publique où la municipalité peut exercer une véritable influence. C’est en ce sens que l’on peut interpréter la volonté de contrôler le pourcentage d’étrangers non européens dans les immeubles des Minguettes : cette technique serait un moyen privilégié pour prévenir l’avènement de conflits. Devant le Conseil économique et social (CES), Houël établit un lien mécanique entre la perte de contrôle de l’attribution des logements, les conflits entre Français et étrangers et le départ des familles françaises (document 3.4). Selon lui, « à partir du moment où [il a] perdu le droit de contrôle et de regard sur l’attribution des fonction pour ne pas accueillir de familles étrangères dans sa ville). Collomb (1910-2009) est maire de Lyon entre 1976 et 1989 (centre-droit). Charles Hernu est maire de Villeurbanne entre 1977 et 1990 (Parti socialiste). * « La deuxième génération de nationalité française, les français des DOM-TOM, ou les réfugiés du Sud-Est asiatique sont également concernés par ces propositions [sur le logement], car leur mode de vie, leur héritage social et culturel, font que leur trop forte concentration pose des problèmes identiques à ceux de l’immigration » (AMV 226W117. Marcel Houël, rapport au conseil municipal, 27 février 1981). 90

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logements par les offices et les sociétés d’HLM [entre 1970 et 1975], […] [les habitants de Vénissieux ont] vu arriver des familles étrangères et c’est ainsi [qu’ils ont] vu partir des familles françaises ». Pour convaincre ses interlocuteurs, il fait part de son expérience de président de la société d’économie mixte SACOVIV, qui gère 2 000 logements à Vénissieux, dont 280 dans la ZUP : en fixant un seuil d’« à peu près 15 % de familles étrangères », la société « ne rencontr[erait] aucun problème, ni avec les étrangers, ni avec les Français » et ferait « la démonstration qu’on peut fort bien faire cohabiter les familles émigrées avec les familles françaises dans la mesure où une ethnie n’écrase pas l’autre ». C’est parce que les familles étrangères ne seraient pas « majoritaires » (ou une « minorité dominante » selon l’expression du conseiller) que les conflits n’apparaissent pas. Dans le cas contraire, on verrait « naturellement » apparaître un « racisme des Français à l’égard des émigrés et […] un racisme de certains émigrés à l’égard des Français ».

« Ces incidents [de l’été 1981] […] ont malheureusement surtout été le fait des jeunes étrangers et plus singulièrement des jeunes Algériens, de nationalité algérienne ou française. Ces incidents se sont développés sur un fond de violence. Je pense que la cause principale de cette délinquance vient du fait que ces milliers de jeunes étrangers n’ont pas d’emploi : ils sont chômeurs, sans ressources, sans possibilité de trouver un travail, la plupart d’entre eux ayant malheureusement subi un très grave retard scolaire. […] Comme pour la plupart ils font partie de familles nombreuses et pauvres, il n’y a donc pas d’argent et c’est à partir de là que le vol devient un moyen de subsistance […]. Je crois qu’on peut aussi expliquer ce qui s’est passé l’été dernier aux Minguettes par le fait que ces jeunes se sentent rejetés de la société dans laquelle ils vivent. Ils n’y trouvent pas ce dont ils ont besoin, ce à quoi ils aspirent et il y a de leur part un geste de révolte à l’égard de cette société qui – croient-ils – ne les comprend pas. […] Mais je ne serais pas complet si je nous ne disais pas que la délinquance et la violence ne sont finalement le fait que d’une minorité de jeunes. J’ai souvent dit lorsqu’on m’a posé la question qu’il suffirait de mettre à la raison une cinquantaine de « loubards » – employons le terme – pour que la ZUP des Minguettes 91

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Document 3.4 : Audition de Marcel Houël au Conseil économique et social, section du cadre de vie, 17 février 1982.

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retrouve une relative tranquillité. Car il serait injuste de mettre tous les jeunes étrangers et les jeunes Français délinquants dans le même sac : ils sont une minorité par rapport à la grande masse de cette jeunesse qui nous pose pourtant beaucoup de problèmes. […] À partir du moment où j’ai perdu le droit de contrôle et de regard sur l’attribution des logements par les offices et les sociétés d’HLM, il est évident que la tentation était grande pour la ville de Lyon de se débarrasser d’une population dont elle ne voulait pas ou qu’elle avait à reloger à la suite d’opérations d’urbanisme effectuées sur son propre territoire. C’est ainsi que nous avons vu arriver des familles étrangères et c’est ainsi que nous avons vu partir des familles françaises. […] Je considère que les enfants de la deuxième génération ont parfaitement le droit d’avoir un logement correct, comme tout le monde ; mais – de grâce ! – qu’on les répartisse d’une façon juste et équitable sur l’ensemble de l’agglomération lyonnaise. » Question du conseiller Gilbert Trigano : « À quel moment les choses ont-elles commencé à vous inquiéter ? À quel moment les Français de souche française ont-ils commencé à partir ? […] l’assimilation se fait si le dosage de chacune des populations observe une certaine harmonie. Chacun peut garder une partie de ses coutumes et s’assimiler aux autres si on est dans des pourcentages assez déterminés. C’est quand il y a une minorité dominante qu’elle donne la couleur aux autres minorités. Il y a chez vous en pourcentage plus d’Algériens que chez les autres. » Réponse de Houël : « Sans pouvoir vous préciser avec minutie à quel moment la situation a basculé, en gros je répète ce que j’ai dit : elle a basculé à partir du moment où le maire que je suis n’a plus eu la possibilité de contrôler l’attribution des logements. […] [À la SACOVIV,] nous avons des logements au titre du 1 % et je me suis efforcé, en accord avec les employeurs, de ne pas dépasser un certain pourcentage de familles émigrées, maghrébines ou autres. Je ne sais pas ce que nous allez penser de ma position, mais j’ai toujours préconisé de ne pas dépasser 15 %. Dans ce groupe d’immeubles qui appartient à la SACOVIV, nous avons à peu près 15 % de familles étrangères et nous ne rencontrons aucun problème, ni avec les étrangers, ni avec les Français ; il y a une cohabitation parfaite et évidemment une dégradation infiniment moins importante qu’ailleurs. On fait donc ainsi la démonstration qu’on peut fort bien faire cohabiter les familles émigrées avec les familles françaises dans la mesure où une ethnie n’écrase pas l’autre. D’où est venu le phénomène du départ des habitants des tours ? Je vous ai rappelé qu’il y a un peu plus de cinq ans, j’ai obtenu du 92

préfet qu’il soit interdit aux offices de relouer les logements vacants à des familles émigrées, mais jusqu’à cette époque, entre 1970 et 1975, pendant cinq ans, n’ayant plus du tout le contrôle du logement, on a casé dans les logements qui devenaient vacants des familles émigrées ; ces familles, peu à peu, sont devenues majoritaires dans les tours et à partir de ce moment-là, la cohabitation est devenue plus difficile, le racisme se développant de part et d’autre. Car il y a un racisme des Français à l’égard des émigrés et – il faut bien le dire – un racisme de certains émigrés à l’égard des Français48. »

Le dialogue entre le maire de Vénissieux et Gilbert Trigano (19202001), fondateur du Club Med et coresponsable de l’opération « anti-été chaud49 », illustre la convergence de leurs points de vue malgré les différences sociologiques et les divergences politiques entre les deux personnalités. Mais Houël innove dans la mesure où il est l’un des premiers communistes à formuler l’idée de « double racisme* », tout en n’étant pas du tout influencé par la théorisation du « racisme antiFrançais » élaborée en 1978 par l’intellectuel d’extrême droite François Duprat**. De fait, l’usage du concept de « double racisme » escamote et dénature complètement le concept de racisme en lui-même, qui se définit non seulement par le discours de légitimation (idéologie et/ou préjugés) d’une relation de domination matérielle fondée sur le signe de la race (ou de la culture), mais aussi par des pratiques discriminatoires (violences symboliques ou physiques) des majoritaires à l’encontre des minoritaires50. L’usage abusif du terme de racisme pour qualifier des comportements hostiles de minoritaires à l’encontre de majoritaires renvoie à une confusion dans la définition des termes de « majorité » * Cette notion apparaît pour la première fois dans le journal municipal Vénissieux Information (juillet-août  1981, p. 7), qui fait un compte rendu d’un débat organisé par la ville le 16 juillet 1981, peu après la rébellion : « Marcel Houël a toujours souligné : « un double racisme se développe. Racisme de la part des Français à l’égard des immigrés et racisme des immigrés à l’égard des Français. Nous sommes contre toute forme de racisme. Il faut éloigner de la ZUP des Minguettes les délinquants dangereux et récidivistes qu’ils soient immigrés ou Français. Il faudra aller jusqu’à l’expulsion s’il le faut ». » ** Dans le discours de l’extrême droite, « racisme anti-Français » était synonyme de « racisme anti-Blancs » (voir Nicolas Lebourg, François Duprat : l’homme qui inventa le Front national, Paris, Denoël, 2012). 93

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La peur de la rébellion

Chapitre 3

et de « minorité ». Ceux-ci ne désignent pas une réalité quantitative mais une réalité qualitative. Les femmes sont une minorité sociologique bien qu’elles soient la majorité démographique. Dans le contexte de la situation coloniale51, les « indigènes » étaient une minorité sociologique bien qu’ils constituaient l’écrasante majorité de la population. La différence entre la majorité et la minorité sociologiques réside dans la position que l’on occupe dans une relation de pouvoir. Dans cette perspective, les expressions de « double racisme » ou de « minorité dominante » n’ont aucun sens sociologiquement (et politiquement) : une minorité sociologique ne domine pas dans la mesure où elle ne dispose pas des positions de domination lui permettant d’exercer le pouvoir (politique, économique, etc.). L’invention de ces expressions révèle non seulement la méconnaissance des mécanismes du racisme, mais aussi une stratégie de défense des majoritaires pour disqualifier les minoritaires : si les seconds sont aussi racistes, le racisme des premiers est à relativiser. Pour comprendre l’interprétation des tensions sociales par le maire, le commissaire et le préfet de police, il faut aussi noter qu’elle a été alimentée par les dizaines de lettres de doléances envoyées par des habitants des Minguettes. Comme on l’a vu (chapitre 1), le recours à des institutions pour régler des conflits de voisinage est révélateur de la crise de contrôle social de la jeunesse. Les archives municipales et préfectorales conservent de multiples traces de la mobilisation de ces habitants demandant globalement une plus forte présence policière. Bien que ces lettres ne soient pas un bon indicateur de l’état d’esprit de l’ensemble de la population des Minguettes, elles sont néanmoins prises très au sérieux par les autorités municipales, policières voire gouvernementales, par le Premier ministre et le président de la République. Alors que la majorité des ouvriers spécialisés reste silencieuse, les classes moyennes et la fraction la plus aisée de la classe ouvrière, qui occupent une position sociale dominante aux Minguettes, se sentent en quelque sorte « dominées » dans les espaces communs et publics par les jeunes, les immigrés et les plus pauvres. En juillet  1983, un couple français des Pyramides s’adresse ainsi au président de la République : « je peux vous affirmer que j’ai de grosses inquiétudes pour l’avenir car ma femme et moi, nous ne nous 94

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sentons franchement plus du tout en sécurité et que nous sommes menacés par une certaine partie de la population maghrébine qui dévisage les Français de haut en bas et qui nous font sentir leur puissance pour accomplir les méfaits les plus divers52 ». Les lettres de doléances apportent ainsi aux autorités des éléments factuels et des interprétations de ces faits qui vont dans le sens de la théorie du « seuil de tolérance » et du « double racisme ». En effet, elles pointent du doigt les enfants d’origine maghrébine (et non les Antillais et les Asiatiques) et font explicitement référence à la guerre d’Algérie. S’y expriment ainsi des discours ouvertement racistes, dont voici quelques exemples : J’habite depuis le 1/12/1968 à la ZUP des Minguettes […]. Un an après mon arrivée aux Minguettes, il fallait les accepter tels qu’ils étaient. L’excuse était : « les parents travaillent, les enfants restent seuls ». Mais, quinze ans plus tard, l’excuse (toujours elle) [est] « le chômage ». Où sont donc passés les parents pour que des jeunes restent sans surveillance du matin au soir ? Ne sont-ils donc plus responsables de leur progéniture ? Pourquoi n’a-t-on pas le droit de faire des réflexions à des enfants livrés à eux-mêmes et qui ne savent pas ? L’on est tout de suite traité de racistes. Qui sont les vrais racistes ? […] Je me suis laissée dire par plusieurs personnes que les Maghrébins voulaient les Minguettes pour eux. Que veulent-ils en faire ? […] Les Français sont-ils la bête noire de tous ces immigrés qui ne se plaisent pas en France, mais ils se font bien remarquer au détriment des Français. Cependant nous les acceptions tels qu’ils sont puisque nous n’avons pas le droit de dire quoi que ce soit mais de nous taire si l’on ne veut pas de représailles ou voir notre voiture brûlée. Le Racisme existe « oui » mais il est « anti-Français »53. [J]e n’irais pas par quarante chemins, je dirai « les Arabes ». Or les Arabes […] veulent faire la loi non seulement aux Minguettes, mais dans toute la France […]. [L]a France est restée près de cent cinquante ans en Algérie pour leur apprendre à vivre [et] à travailler. Ils sont toujours fénéant [sic], voleurs tueurs, et lache [sic], à dix contre un c’est des gens à qui il faut montrer les dents54. [T]out le monde en a assez de cette racaille qui nous envahit et nous rend la vie impossible. Ces gens sont fainéants, sales ; ils ne 95

Chapitre 3

sont pas civilisés. […] Je crois que cette lettre peut faire office de mise en garde pour votre gouvernement et pour tous ceux qui voudront protéger cette race de dégénérés. Nous sommes au bord d’une guerre civile55. [C]royez-vous que des gens comme moi qui on [sic] fait l’Algérie et qui ont vécu les horreurs perpétrées par ces gens là (Palestro et tant d’autres) vont pouvoir supporter encore longtemps de voir saccager leur pays et par la même occasion la mise à sac de leur portemonnaies [sic] car nous, nous payons des impôts alors qu’eux sont pratiquement exonérés de tout à cause de leur nombreuse famille56. En commentant cette dernière lettre d’un habitant de Monmousseau, le commissaire principal de Vénissieux considère qu’« [i]ncontestablement les termes employés par Monsieur D., qui me les a répétés avec force, sont l’illustration de certains sentiments partagés par une grande partie des riverains57 » et qu’elle « reflète d’ailleurs bien l’état d’esprit de bon nombre d’habitants des Minguettes, lassés de constater les actes de vandalisme commis principalement par des adolescents d’origine Nord-Africaine. Elle explique l’exode des Européens pour des lieux plus pacifiques58 ». On voit comment un véritable consensus s’est progressivement établi pour désigner les enfants d’origine maghrébine comme la source de tous les maux des Minguettes, dont la solution réside pour la mairie en plusieurs actions : « l’expulsion de certaines familles dont les membres auront été reconnus coupables d’actes de violence, de vandalisme, d’agression ; réclamer pour la municipalité, le contrôle de l’attribution des logements de la ZUP ; un renforcement plus important de policiers sur Vénissieux ; la création de conseils d’habitants, qui prennent en charge collectivement leurs problèmes de sécurité en alertant la municipalité et les services de police à chaque situation considérée comme agressive ou source de danger ; la mise en place « d’éducateurs de rue volontaires » à la ZUP pour discuter avec les jeunes maghrébins59 ». Ces mesures constituent les prémisses de la campagne « anti-été chaud » de 1982, visant à éviter que la rébellion de l’été 1981 ne se renouvelle, et de la tentative de cooptation des jeunes de SOS Avenir Minguettes après le succès de leur mobilisation en avril 1983. 96

La peur de la rébellion

3.

L’opération « anti-été chaud » et les contradictions de la cooptation des jeunes

Après la rébellion de l’été 1981, le gouvernement socialiste organise une commission interministérielle sur les problèmes de la banlieueest de Lyon, dirigée par le maire de Grenoble, Hubert Dubedout (1922-1986), et ardemment voulue par les maires de Bron, SaintPriest, Vénissieux, Villeurbanne et Vaulx-en-Velin. Ayant déjà obtenu le gel des attributions de logements aux familles maghrébines, Houël cherche d’abord à obtenir une augmentation des effectifs de police, sachant qu’il avait déjà obtenu en 1980 la création de deux nouveaux îlots à Vénissieux en plus des deux existants (pour des effectifs s’élevant à 346 au commissariat de Saint-Fons/Vénissieux au 1er juillet 198060). À l’issue du Conseil des ministres du 23 décembre 1981, le Premier ministre annonce l’affectation de 290 nouveaux policiers (15 inspecteurs, 25 enquêteurs et 250 gardiens de la paix) pour l’ensemble des communes de la banlieue-est, ainsi que le financement d’actions de formation professionnelle et d’activités d’animation « anti-été chaud61 ». L’opération « anti-été chaud » est inspirée de l’expérience réalisée par la mairie de Vénissieux au début de l’été  1981, comme le souligne Houël devant le CES le 17  février  1982 : « nous avons réalisé une expérience […] où nous avons – excusez-moi le terme – « dégrossi » une douzaine de jeunes pré-délinquants en les faisant travailler avec des moniteurs de centre de formation professionnels et des animateurs bénévoles. Nous les avons dégrossis en leur faisant faire un certain nombre de travaux du métier du bâtiment62 ». « Dégrossir » signifie « donner à quelqu’un des rudiments de formation, de savoirvivre » (Le  Robert, 2000) : l’enjeu consiste donc à « recadrer » ou à « normaliser » ponctuellement les jeunes pour éviter qu’ils n’adoptent un comportement déviant. Cette expérience est généralisée grâce à l’appui financier de l’État, notamment du ministère de la Jeunesse et des Sports, en organisant des ateliers (bois, audiovisuel, terrain d’aventure) dans les centres sociaux et la MJC des Minguettes, des animations sportives (canoë-kayak, voile, sports de combat, parachutisme et moto), dont certaines sont assurées par des policiers et des CRS. Le ministère prévoit 410 000 F (environ 60 000 euros) pour la mise 97

Chapitre 3

en place de camps de vacances « mixtes » (Français et immigrés) en France ou à l’étranger63. De fait, l’opération rencontre un franc succès et parvient à « occuper » durant l’été 1982 une bonne partie des jeunes qui n’ont pas les moyens de partir en vacances64. Cependant, ces mesures conjoncturelles ne transforment pas les inégalités subies par les jeunes des Minguettes et ne réduisent pas les tensions avec les forces de police : la rébellion du 21  mars  1983 en est le signe (voir chapitre  2). La mobilisation qui s’ensuit bouleverse les rapports de force non seulement avec la police, désarmée symboliquement, mais aussi avec la mairie. En effet, les grévistes de la faim « contournent » en quelque sorte la municipalité et obtiennent du Premier ministre l’embauche de plusieurs jeunes dans le chantier de réhabilitation, ainsi que la mise en place, par le conseil municipal de Vénissieux (séance du 14  avril), d’un « comité communal de prévention » qui se réunit pour la première fois le 27 avril. Néanmoins, la première structure institutionnelle de dialogue avec les jeunes est rapidement prise dans des contradictions qui la rendent ineffective. Tout d’abord, le comité est composé d’une « instance délibérante » et d’une « instance consultative » : le pouvoir de décision est donc monopolisé par les élus municipaux* et les prérogatives du comité ne sont pas clairement définies. Ensuite, le comité bute sur le blocage de la municipalité, qui est très réticente à l’idée d’instaurer un dialogue avec des jeunes dont certains ont un passé délinquant. Delorme fait plusieurs fois appel au préfet pour que les jeunes de l’association SOS Avenir Minguettes disposent de représentants65. L’association obtient au bout du compte deux sièges au comité – où on retrouve aussi un représentant de l’association des Algériens en France – et l’emploi de * La composition de l’instance délibérante est la suivante : maire (président), dix membres du conseil municipal (Guy Fischer, Joseph Navarro, André Branchard, Paul Boisseau, Jean Simian, Claude Dilas, Jean-Baptiste Mantel, Claude Cerutti, Lucien Guidoni, Maurice Joannon), des représentants des services extérieurs de l’État désignés par le préfet, un représentant désigné par le préfet, un représentant du Parquet et un représentant de l’Éducation surveillée. L’instance consultative regroupe des associations, syndicats, usagers, services municipaux et représentants des habitants des différents quartiers de la ville, sans que leurs noms soient précisés (ADR 1858W02. Extrait du registre des délibérations du conseil municipal de Vénissieux, séance du 14 avril 1983). 98

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cinq jeunes dans le chantier de réhabilitation66. Cependant, comme le rapporte le préfet au Premier ministre, deux prises de position de Houël lors d’une réunion de travail s’opposent radicalement aux promesses faites par le gouvernement concernant l’accord « intervenu avec des entrepreneurs pour l’emploi de quelques jeunes musulmans [sic] sur les chantiers de réhabilitation ». En effet, « le Maire a cru devoir rappeler qu’il existait à Vénissieux des chômeurs français et que nous ferions tout aussi bien de nous occuper d’eux ». Bien qu’il accepte bon an mal an les travaux de réhabilitation, il dénonce « le gaspillage d’argent que représenterait la poursuite de cette réhabilitation » parce que « nous ne trouverons pas de Français qui accepteront de venir habiter aux Minguettes et lui, Maire, à la tête de la population, empêchera physiquement l’installation de toute famille étrangère67 ». Une des revendications des grévistes, le droit au logement, est ainsi remise en cause par la volonté manifeste de la municipalité de ne pas accueillir de nouvelles familles maghrébines. De plus, la volonté des élus « de faire éclater, d’une manière ou d’une autre, le bloc constitué par les jeunes du quartier de Monmousseau » débouche sur leur dispersion sur l’ensemble des chantiers de la ville. Le directeur départemental du Travail et de l’Emploi conclut que « le montage de [la] structure [économique souple] ne semble pas constituer la priorité immédiate des élus68 ». Enfin, le comité élude complètement la question des rapports entre les jeunes et la police, alors même que les tensions sont très fortes entre avril et juin 1983. Comme on l’a vu, l’arrestation de Lazhar le 4 juin est extrêmement brutale et provoque, selon Delorme, la colère des jeunes : « Les jeunes du quartier, qui ont maintenu depuis deux mois une certaine paix sociale, voulant croire à la réconciliation des hommes et à la réhabilitation des immeubles, sont particulièrement remontés. Ils affirment avoir été trompés une fois de plus69. » La « paix sociale » est loin d’être gagnée et l’on constate de multiples incidents avec les policiers et les commerçants des Minguettes70. La tension atteint son paroxysme dans la nuit du  19 au 20  juin  1983, durant laquelle Toumi Djaïdja est grièvement blessé par balle dans l’abdomen par le policier et maître-chien Patrick Besnard, qui poursuivait jusqu’à Monmousseau une voiture faisant un rodéo. Lorsque le fuyard sort du 99

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véhicule, le policier lâche son chien à sa poursuite et Djaïdja intervient pour le libérer des crocs de la bête. C’est à partir de ce moment que les versions de l’incident divergent. L’équipe de police mise en cause affirme que « le maître-chien aurait dégainé pour se débarrasser d’un animal qui lui mordait le bras et que le coup de feu serait parti accidentellement alors qu’on lui assénait un violent coup sur la tête à l’aide d’un objet contondant71 ». Cette version est reprise par le Syndicat national autonome des policiers en civil pour qui les policiers ont été « agressés par une trentaine de loubards armés de barres de fer72 ». Quant à Besnard, il déclare qu’il aurait agi en situation de « légitime défense » et se serait retrouvé « isolé et entouré par une trentaine de personnes puis pris à partie et frappé à l’aide d’une barre de fer73 » : le  coup serait parti « accidentellement74 ». La version de Djaïdja est différente : après la rupture de son premier jeûne du Ramadan, il sort de la tour n° 10 et voit « un chien qui est en train de « bouffer » un gamin de douze-treize ans ». Le gamin gueule et je me dis : « il faut que je tienne le chien ». Je  commence à tenir le chien et je crie au gamin : « mais vas-y sauve-toi, je tiens le chien ». Je le tiens, bien qu’à plusieurs reprises, il m’échappe parce qu’il avait une force incroyable… […] J’ai cherché à tenir le chien jusqu’à ce que le gamin réussisse à s’enfuir. […] Ce qui me surprend, c’est que le chien ne m’attaque pas. Il n’en voulait qu’au gamin. On peut dire que son dressage avait été bien fait. […] Je me retourne et je vois ce policier, les mains tendues avec son pistolet face à moi, à un mètre. Je dis « non, ce n’est pas possible ». […] J’ai le temps de lui dire « non je vous en prie, ne faites pas ça ». Et il tire. C’est simple, j’ai eu le temps de voir le feu sortir du canon. […] J’ai regardé dans ses yeux [et j’y voyais] la peur… […] Je sentais que c’était inévitable, qu’il devait tirer, que ce qu’il a pensé s’est matérialisé75. Le policier prend la fuite, puis Djaïdja est entouré de membres de sa famille et d’habitants du quartier, et transporté une demi-heure après par les pompiers au pavillon G de l’hôpital Édouard Herriot à Lyon. L’affaire est immédiatement relayée par la presse locale et nationale (notamment l’Agence France Presse, qui reprend la version policière 100

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de l’événement) et suscite alors de nombreuses réactions. Les élus de Vénissieux expriment au cours d’une réunion d’urgence à la mairie « leur solidarité et leur inquiétude à l’égard des victimes, tout en ne cachant pas leur lassitude face à la répétition de tels incidents76 ». La Cimade demande que « la version des jeunes et de leur famille [soit] écoutée avec le même sérieux et le même respect que celle des forces de l’ordre », tandis que Christian Delorme « accuse les policiers d’ivresse et de brutalité gratuite » et affirme que « les syndicats policiers de droite mènent une action à l’encontre du gouvernement à Paris et en province ». La Confédération syndicale des familles et les travailleurs sociaux des Minguettes condamnent la « violence policière », alors que les syndicats de police dénoncent « le laxisme, l’incompétence, le manque de fermeté des pouvoirs publics, responsables de la détérioration de la situation ». L’Union syndicale de la Magistrature va dans le même sens en exprimant « sa vive préoccupation quant à la zone de non droit que constitue désormais les Minguettes » et en « appelant les pouvoirs publics à soutenir les forces de police qui ne font que leur devoir ». Djaïdja survit à sa blessure et sa famille dépose plainte pour tentative d’homicide volontaire et non-assistance à personne en danger ; une instruction est ouverte par le Procureur de la République. L’incident provoque les jours suivants de violentes réactions contre les forces de police, notamment des jets de pierre répétés. Pour éviter une escalade de la violence, le préfet de police Grasset demande aux policiers d’observer « la plus grande prudence77 » et donne au directeur départemental des polices urbaines des consignes visant à réduire et contrôler la présence policière dans la ZUP : suspension des patrouilles de routine habituelles, intervention de la police judiciaire uniquement avec les moyens humains et matériels suffisants, etc. Cette situation explosive est le contexte social et politique où s’inscrit la décision de l’association SOS Avenir Minguettes et de la Cimade d’organiser la Marche pour l’égalité et contre le racisme : c’est sur son lit d’hôpital que Djaïdja propose d’organiser une mobilisation nationale, qui permettrait de sortir de l’impasse de la configuration politique locale.

101

4.

L’improbable construction d’un consensus national « antiraciste »

« La première levée de voile du texte caché met souvent en mouvement une cristallisation de l’action collective. […] Ce n’est que lorsque ce texte caché est déclamé ouvertement que les dominés peuvent reconnaître pleinement dans quelle mesure leurs revendications, leurs rêves et leurs colères sont partagés par d’autres dominés avec lesquels ils n’ont jusqu’alors pas eu de contact direct. » James C. Scott, La Domination et les arts de la résistance. Fragments du discours subalterne, Paris, Éditions Amsterdam, 2008 [1992], p. 239-240.

Que s’est-il donc passé pour que la quasi-totalité du champ politique (à l’exception de l’extrême droite et d’une partie de la droite parlementaire), les représentants de toutes les religions, l’ensemble des syndicats de travailleurs, toutes les associations antiracistes et la quasi-totalité des médias aient soutenu l’initiative d’un groupe particulièrement stigmatisé de jeunes des Minguettes ? Dans le sillon des « années 19681 », la période 1981-1983 est encore celle des alliances improbables entre des individus et groupes très hétérogènes, socialement et politiquement ; dans le cas présent, des jeunes des banlieues, militants associatifs pro-immigrés, responsables gouvernementaux, journalistes critiques, intellectuels, etc. Ce chapitre fait l’hypothèse que le soutien presque unanime à la Marche s’explique par la configuration politique des années 1981-1983 rendant possible une alliance, improbable et non renouvelée dans l’histoire du mouvement antiraciste, entre cinq pôles qui convergent sur la base d’un intérêt commun. Le premier est celui du groupe le plus marginalisé des quartiers populaires : les jeunes des Minguettes. Comme on l’a vu, la stratégie 103

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de l’action non violente est jugée plus « efficace » que l’action émeutière pour lutter contre les violences policières et, compte tenu de la recrudescence de la violence raciste, ils sont convaincus qu’une mobilisation nationale est nécessaire. Le second pôle correspond au mouvement pro-immigrés aux yeux duquel la Marche est un moyen d’action pacifique propice à la réconciliation et à la cohésion nationale. Ce mouvement regroupe à la fois des associations laïques ou religieuses de défense des immigrés, et des associations antiracistes généralistes. Le troisième correspond aux associations de « jeunes immigrés », dont les militant-e-s se mobilisent dès les années 1970, notamment dans les régions parisienne et lyonnaise, et qui participent à la Marche malgré les critiques qu’elles vont émettre. Un quatrième pôle réunit les individus les moins influents de l’appareil gouvernemental, notamment au sein du cabinet de Georgina Dufoix (secrétaire d’État à la Famille et aux Travailleurs immigrés), dont la position sociale évolue considérablement après qu’ils ont réussi à s’imposer comme les « spécialistes » de la question des banlieues et de l’immigration au sein du PS. De leur point de vue, la Marche fait coïncider leurs dispositions à agir à la fois sur la question des banlieues (campagne « anti-été chaud ») et sur le « problème » de l’immigration. Ils parviennent ainsi à convaincre le gouvernement et la présidence de la République de fournir leur appui politique et financier à cette initiative. Le dernier pôle réunit des journalistes de la presse locale et nationale, qui apportent un soutien important à la Marche par le biais d’un traitement médiatique très favorable, notamment en raison de leurs sensibilités politiques et de leurs trajectoires sociales. On peut dire que c’est cette convergence d’intérêts divers, qui n’est pas jouée d’avance, qui constitue la condition de possibilité de succès d’une initiative importante dans l’histoire du mouvement antiraciste.

1.

Recrudescence historique des agressions et crimes racistes

Comme le souligne Toumi Djaïdja, sa blessure, les versions officielles contradictoires concernant l’incident du 20 juin, puis le harcèlement subi par sa famille sont autant de signes d’une injustice qui justifie l’organisation d’une marche nationale : 104

L’improbable construction d’un consensus national antiraciste

Si leur version était officielle, pourquoi y a-t-il eu plusieurs versions qui, les unes après les autres, ne tenaient pas la route ? La justice a fait preuve d’une vision un peu à la dictature : c’est « on protège, vous faites comme vous voulez, c’est comme ça, et on ne reviendra pas sur la question ». Aucune justice ! J’ai pris un avocat aussitôt pour défendre ma situation, défendre la justice et ils m’ont menacé. Je recevais des coups de fil à la maison, chez mes parents : « s’il ne retire pas sa plainte, on va le tuer »… Ce n’est pas possible que ce soit des gens de chez moi qui ont fait ça… C’est bien en face, cette autorité, cette police raciste de cette époque… En réalité, la Marche n’a été que la conséquence de toute cette injustice2. Les membres de l’association SOS Avenir Minguettes et leurs soutiens considèrent qu’une action d’ampleur nationale est nécessaire pour dénoncer ces injustices. Auparavant, deux initiatives locales visent à condamner les déviances policières dans la banlieue lyonnaise et le traitement médiatique des affaires. Une « journée d’action » est d’abord organisée par des travailleurs sociaux de Vénissieux le 22 juin, qui appellent à « développer prioritairement une politique efficace de prévention et d’action sociale » et « déplorent que la pratique journalistique dans sa majorité insiste facilement sur les éléments négatifs », entretenant ainsi « une psychose de peur » chez les habitants de la cité et « un discrédit permanent3 » de l’image de marque du quartier. Un « Forum Justice » est ensuite organisé le 23 juillet à la Maison du Peuple de Vénissieux par trois associations de « jeunes des banlieues lyonnaises », SOS Avenir Minguettes, Les Amis de Wahid Hachichi et Zaâma d’Banlieue, avec le soutien de la Cimade. Le Forum rassemble « environ cent cinquante personnes, européens et maghrébins4 », essentiellement des jeunes de plusieurs quartiers de l’agglomération et des mères de famille dont les fils ont été tués et qui veulent s’organiser comme les « folles de la Place de Mai » en Argentine*. Les organisations diffusent un tract intitulé * Ces mères de victimes de crimes racistes organisent le 21 mars 1984 un premier rassemblement devant le ministère de la Justice, d’où l’appellation « Les Folles de la place Vendôme ». Elles fondent plus tard l’Association nationale des familles de victimes des crimes racistes ou sécuritaires (voir Mogniss H. Abdallah, Rengainez, on arrive !, Paris, Libertalia, 2012, p. 68 et suivantes). 105

Chapitre 4

« Nous accusons ! », qui vise directement les autorités et certains journalistes : Nous accusons le harcèlement policier dont nous sommes constamment l’objet, sous prétexte que, chômeurs ou d’origine immigrée, nous sommes suspects de délinquance. Nous accusons Patrick Besnard, maître-chien de la police, d’avoir tenté de tuer Toumi Djaïdja […]. Nous accusons certains journalistes, chargés des faits divers, de diffamations dangereuses dans un contexte xénophobe et violent qu’ils entretiennent en publiant systématiquement les versions policières des événements. Nous accusons le Parquet de Lyon et certains juges de couvrir à tous les coups la police, même quand celle-ci se met hors-la-loi de manière flagrante. […] Nous accusons les autorités préfectorales d’entretenir l’amalgame jeunesse maghrébine et insécurité, et de donner de fausses informations à l’opinion comme au gouvernement…5 Cette critique de la police, de la justice (notamment du juge Thierry Cretin) et du journalisme fait-diversier fait l’objet d’un consensus entre ces associations, malgré les divergences antérieures avec Zaâma d’banlieue qui avait critiqué l’alliance des jeunes des Minguettes avec les « curés » de la Cimade. Ce rapprochement s’explique sûrement par l’urgence de la situation et par le statut politique spécifique de Toumi Djaïdja : contrairement à de nombreux jeunes des banlieues, il a survécu à ses blessures. Il est donc à la fois victime et survivant d’une déviance policière violente, ce qui lui confère une certaine « aura », d’autant plus qu’il est également président d’une association de jeunes des Minguettes. Il est en effet rare qu’un jeune survive à une balle, sachant que, dans l’histoire des crimes racistes et « sécuritaires », l’année 1983 est particulièrement meurtrière, tant au niveau local qu’au niveau national. On constate une forte augmentation du nombre d’agressions et de crimes racistes contre des Maghrébins à partir de 1981, qui dépasse encore la « flambée » raciste de 1971-1973 (encadré 4.1), faisant de la décennie 1980 la période la plus meurtrière de l’histoire de l’immigration 106

L’improbable construction d’un consensus national antiraciste

Maghrébins blessés Maghrébins tués Autres blessés Autres tués

Figure 4.1: Nombre de blessés et de tués pour motif raciste en France (1980-1995). Source : Ministère de l’Intérieur.

en France. Durant les années 1890, moment de la première grande vague d’immigration européenne (Italiens, Espagnols, etc.), on recense une centaine d’incidents et une quinzaine de morts6. Le « pogrom* » le plus meurtrier en France au xixe siècle est le massacre des Italiens d’Aigues-Mortes en août 1893, qui entraîne la mort de huit Italiens et fait une cinquantaine de blessés7. Après la guerre d’Algérie et l’arrivée massive de travailleurs immigrés maghrébins, la violence raciste atteint une ampleur sans précédent. Ainsi, le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP) recense 104 crimes à caractère raciste entre 1971 et 1979, un chiffre qui dépasse largement celui des années 1890 et concerne essentiellement des Maghrébins8. Mais le niveau de violence des années 1970 est lui-même dépassé par celui de la décennie 1980 : le ministère de l’Intérieur enregistre 225 blessés (dont 187 Maghrébins) et 24 morts (dont 22 Maghrébins), entre 1980 et  1989, sachant que ces chiffres sont sans doute sous-estimés en * Un pogrom est une agression oppressive et meurtrière d’un groupe de personnes contre un groupe minoritaire (juifs, musulmans, étrangers, etc.), tolérée ou soutenue par les pouvoirs publics (Le Robert, 2001). 107

Chapitre 4

raison du système de comptabilisation policier9 (figure  4.1). Selon les informations de la presse généraliste et militante, on comptabiliserait 157 crimes racistes contre des Maghrébins entre 1980 et 1989, et au total, on dénombrerait 203 Maghrébins tués pour motif raciste entre 1971 et 1989.

Presse MinInt

Figure 4.2 : Nombre de Maghrébins tués pour motif raciste en France (1971-1995)

Civils Police Militaire Inconnu

Figure 4.3 : Nombre de Maghrébins tués pour motif raciste selon le type d’auteur (1980-1989). Source : Presse généraliste et militante.

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Encadré 4.1 : Les luttes contre les crimes racistes dans les années 1970. Durant les années 1970, la violence raciste cible non seulement des ressortissants algériens, qui sortent de la guerre de libération nationale contre la colonisation française, mais aussi des étrangers marocains et tunisiens. On distingue deux années particulièrement sanglantes : 1971 et 1973. Dans le contexte de la nationalisation du secteur pétrolier par le gouvernement algérien (24 février 1971), la presse généraliste et militante dénombre seize Maghrébins tués pour motif raciste en 1971, dont Djellali Ben Ali10. Ce jeune adolescent de quinze ans et de nationalité algérienne est tué le 27 octobre 1971 d’un coup de fusil de chasse dans la tête par Daniel Pigot, chauffeur-livreur de vingt-neuf ans, au 53, rue de la Goutte d’Or à Paris. Cette affaire est significative des tensions raciales existant dans le quartier de Barbès. Le  climat de racisme anti-Arabes est activement entretenu par des milices d’extrême droite comme Ordre Nouveau ou les Comités de défense de la République (CDR), qui n’hésitent pas à agresser et tuer des travailleurs maghrébins. De plus, s’est créé le Comité d’action pour l’amélioration et le renouveau (CAR) de la Goutte d’Or, dont l’action est principalement dirigée vers la préfecture de police de Paris, avec laquelle il entretient d’excellentes relations. La première revendication de ces habitants bien organisés est la « sécurité ». Ils dénoncent « le climat d’insécurité croissant qui régnait […] à la Goutte d’Or », et demandent une présence plus visible de la police et des patrouilles plus fréquentes, ainsi qu’un « contrôle plus strict des ressortissants étrangers, en particulier des marchands irréguliers et des pseudochômeurs11 ». Peu avant le meurtre de Ben Ali, une pétition, signée par des concierges du quartier, demande une présence policière accrue, un meilleur éclairage public, et une action policière contre la « pègre » que constitueraient à leurs yeux les Arabes. Le crime devient une affaire publique à la faveur d’une mobilisation antiraciste inédite. Les Comités Palestine (CP), composés d’étudiants arabes et français (proches du mouvement maoïste Gauche prolétarienne) et d’ouvriers militants, sont fondés en septembre 1970 pour soutenir le peuple palestinien, mais leurs activités s’orientent de plus en plus vers la question de la condition des travailleurs immigrés12. Parmi les militants des CP qui se mobilisent à la Goutte d’Or, on retrouve, entre autres, « Sélim » Najeh, Saïd et

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Faouzia Bouziri, Mohamed « Mokhtar » Bachiri et Mejid Daboussi, dont certains habitent le quartier. Ainsi les comités, le Secours rouge du 18e arrondissement, des habitants du quartier et des intellectuels engagés (principalement Michel Foucault, Claude Mauriac, Gilles Deleuze, Michèle Manceaux, Jean-Claude Passeron et Jean-Paul Sartre) fondent le « Comité Djellali ». Le soutien des intellectuels, de l’église du quartier et le travail de sensibilisation politique mené par les CP contribuent au grand retentissement médiatique de l’affaire13 et à une importante mobilisation, qui atteint son paroxysme le 7 novembre avec une manifestation d’environ quatre mille personnes dans les rues de Barbès. Le jugement n’est prononcé que le 21 juin 1977 à la cour d’Assises de Paris : Pigot est condamné à cinq ans de prison, dont trois avec sursis14. En juin 1972, les militants des CP fondent le Mouvement des travailleurs arabes15 (MTA), dont les multiples sections locales se mobilisent contre les crimes racistes, notamment pendant l’affaire Mohamed Diab en 1972* et l’été sanglant de 1973. Le Sud de la France connaît en effet une « flambée raciste », d’abord à Grasse puis à Marseille et ses alentours, entre juin et décembre 197316. Dans le contexte de la multiplication des mobilisations des « sans-papiers17 », plusieurs centaines d’ouvriers tunisiens, réunis le 11  juin en assemblée générale dans le centre-ville de Grasse, entament une grève illimitée reconductible pour obtenir la satisfaction de plusieurs revendications (carte de travail, logement décent, augmentation de salaire, etc.). Le lendemain, le maire centriste Hervé de Fontmichel refuse d’accueillir les grévistes et demande aux policiers et aux pompiers de les disperser à la lance à incendie. Les grévistes se regroupent à nouveau puis subissent des charges de la police et des petits commerçants et artisans, dont beaucoup de « pieds noirs » rapatriés d’Algérie, qui les pourchassent dans les rues de la ville, faisant cinq blessés. L’atmosphère est donc particulièrement tendue dans le Sud, où l’on retrouve les plus fervents nostalgiques de l’Algérie française et des anciens de l’Organisation de l’armée secrète (OAS). Le 25 août 1973, un conducteur d’autobus de Marseille, Émile Gerlache, est assassiné

* Le  29  novembre  1972, Mohammed Diab est assassiné dans le commissariat de Versailles, par le sous-brigadier Marquet. Suite à cette affaire, plusieurs organisations, en lien avec le MTA, créent le Comité pour les droits et la vie des travailleurs immigrés (CDVDTI) dont l’objectif est de soutenir toutes les luttes des travailleurs immigrés (contre le racisme, pour la carte de travail, etc.). 110

par un ressortissant algérien déséquilibré, Salah Bougrine*. Ce  fait divers est l’occasion d’un véritable déchaînement de haine antiArabes pendant une semaine, durant laquelle on compte sept morts à Marseille. Le quotidien Le Méridional, dans son édition du 26 août, souffle sur la braise. En clamant « Nous en avons assez ! », en accusant les Algériens de tous les maux, il lance un véritable appel à la haine raciale et se montre compréhensif à l’égard des « citoyens [qui] risquent d’avoir recours à des actes de justice directe ». Dans la nuit du 28 au 29 août, un commando jette un cocktail Molotov dans les bâtiments d’une entreprise de nettoyage des chantiers navals de la Ciotat, tandis que Lhadj Lounès est tué par balle à Marseille. Le 31 août, 1 500 ouvriers des chantiers navals de la Ciotat déclenchent spontanément une grève contre les attentats racistes, malgré les consignes de l’Amicale des Algériens en Europe. Le lendemain, un cortège funèbre à la mémoire de Lhadj Lounès traverse Marseille, du bidonville de la Calade au port de la Joliette. Au terme de la marche, le MTA de Marseille – animé, entre autres, par Mohamed Laribi et Maurice Courbage – lance le mot d’ordre de « grève générale contre le racisme » de vingt-quatre heures, pour le 3 septembre 197318. Le jour dit, près de trente mille ouvriers de la région marseillaise cessent le travail : 100 % des travailleurs des chantiers navals et des employés municipaux de la Ciotat, 60 % des travailleurs de Marseille et 100 % à Aix-enProvence. Grâce à la mobilisation de tous les comités locaux du MTA, les grèves contre le racisme se propagent à travers le pays : le 4 septembre à Toulon (un meeting réunit deux mille personnes le 7), le 14 à Paris, le 17 à Toulouse, le 25 à Mulhouse, etc. Mais les grèves ne suffisent pas à interrompre la série noire, qui se termine par l’attentat du 14 décembre contre le consulat d’Algérie à Marseille, mené par un mystérieux « Club Charles Martel », qui fera quatre morts et vingt blessés. Au total, on dénombre au minimum onze Maghrébins tués entre le 25 août et le 30  décembre 1973 : seules deux enquêtes aboutissent à des inculpations, mais les coupables présumés sont rapidement libérés. Après la dissolution du MTA en 1976, d’anciens membres et des proches de cette mouvance militante investissent le champ culturel (théâtre, musique, etc.) et le champ médiatique, en fondant les premiers médias immigrés, tels que Radio Soleil, Radio Beur (Paris), Radio Gazelle (Marseille), l’hebdomadaire Sans Frontière (1979-1985)19, etc.

encadré

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* Salah Bougrine est psychologiquement déséquilibré au moment des faits en raison d’une rixe en 1969 durant laquelle il a reçu un coup de hache sur la tête. 111

Chapitre 4

Ce bilan terrifiant de la violence raciste en France révèle la spécificité des années 1981-1983, puisque c’est durant cette courte période que l’on observe une explosion du nombre d’agressions et de crimes. Selon le ministère de l’Intérieur, on serait passé de une à trente-trois agressions et de zéro à cinq morts entre  1981 et  1983. Malgré les lacunes de l’enregistrement policier, on observe une nette surreprésentation des Maghrébins parmi les blessés et les tués pour motif raciste durant toute la décennie 1980. Selon la presse généraliste et militante, on serait passé de sept à vingt et un crimes racistes antiMaghrébins entre 1981 et 1983 (figure 4.2). Bien que ces données soient partielles, le croisement des sources officielles et non officielles atteste une recrudescence des crimes racistes dans la France du début des années 1980. La répartition des crimes en fonction du type d’auteur montre la surreprésentation des civils (45 % des auteurs entre  1980 et  1983) et l’implication de policiers et de militaires (respectivement 13 % et 4 % pour la même période) (figure  4.3). Lorsque l’on connaît le mode opératoire du crime, on observe que 30 % des victimes sont tuées par balle entre 1980 et 1983. C’est ce qui arrive à Taoufik Ouanès, neuf ans, dont l’assassinat le 9 juillet 1983 à La Courneuve par le civil René Algueperse suscite une vague d’indignation dans les mouvements antiracistes*. C’est dans ce contexte national particulièrement tendu que l’appel à la Marche rencontre un écho relativement favorable auprès des associations qui se mobilisent depuis des années, dans toute la France, pour dénoncer la multiplication de ces crimes.

2.

Le soutien décisif du mouvement pro-immigrés

Le premier appel à la Marche est diffusé le 1er  août 1983 lors d’un rassemblement pacifiste sur le plateau du Larzac, où dix mille personnes demandent le gel de l’armement nucléaire. Intitulé « La  Marche pour l’égalité » (sans le mot « racisme ») et signé par les militants de SOS Avenir Minguettes (Djaïdja, Djamel Atallah, * Algueperse est condamné le 22 avril 1986 à cinq ans de prison dont deux avec sursis. Voir, en annexe, le tableau récapitulatif des affaires concernant des Maghrébins tués pour motif raciste entre 1980 et 1990. 112

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Dalila Mahamdi et Farouk Sekkaï) et de la Cimade (Christian Delorme, Jean Costil, Jean-Pierre Maurin et Patrick Bonnel), le tract présente le but de la Marche, prévue au départ entre le 1er  octobre et le 30  novembre : « manifester qu’il y a en France un peuple nombreux qui veut que la vie ensemble des communautés d’origines différentes soit possible dans la paix et la justice, pour le bonheur de tous ». Les militants souhaitent aussi « demander au Président François Mitterrand un grand discours historique, clamant haut et fort que ce pays est vraiment celui de tous ceux qui l’habitent, et qu’aucune ségrégation (à l’école, dans le logement, dans le travail, au plan culturel ou religieux, etc.) n’est acceptable à l’encontre de qui que ce soit20 ». La formulation du premier tract montre une volonté de ne pas attaquer directement les autorités (police, justice, politiques) mais, bien au contraire, d’être consensuel et favorable au gouvernement socialiste en appelant à un discours présidentiel contre la ségrégation. Cette perspective s’explique par l’analyse de la situation politique formulée par Delorme et Costil, le 22  août 1983, dans une lettre envoyée aux « amis » de la Cimade qui ont soutenu la grève de la faim de 1981. Selon eux, le « gouvernement à direction socialiste voudrait sûrement arriver à transformer » le sort réservé aux communautés immigrées, mais « des résistances très fortes se manifestent », notamment parce que, comme l’a montré la campagne pour les élections municipales de mars  1983, « la dénonciation d’une prétendue complaisance du pouvoir à l’égard des immigrés au détriment, soi-disant, des Français de souche, est un cheval de bataille qu’enfourche facilement et avec succès l’opposition ». Les militants ont ainsi « la prétention d’offrir un moyen simple et efficace pour reconstituer et manifester un vaste courant de solidarité entre les diverses communautés », qui « peut aider le gouvernement à être plus courageux ». Leur objectif consiste donc à montrer au gouvernement qu’il existe une opinion publique favorable aux immigrés et à contrecarrer l’idée que les électeurs français sont hostiles à une politique favorable à leur égard. Espérant l’avoir convaincu, les militants attendent qu’« à la fin de la marche, le président François Mitterrand vienne à [leur] rencontre au sein d’un 113

Chapitre 4

grand rassemblement, porteur d’une proclamation de l’égalité raciale dans notre pays21 ». La référence au célèbre discours de Martin Luther King, « I have a dream », prononcé à l’arrivée de la « March for Jobs and Freedom » à Washington le 28 août 1963, est évidente, à la différence que les militants français souhaitent que ce soit le président, et non un leader immigré, qui prenne place à la tribune… L’ambiguïté de cet objectif explique sûrement sa disparition du dernier texte d’appel à la « Première Marche pour l’égalité et contre le racisme » diffusé en septembre 1983, qui fournit une justification plus développée de cette nouvelle initiative. Les modifications s’expliquent par l’accueil mitigé du premier texte d’appel par les associations antiracistes et immigrées, révélé lors d’une réunion de préparation de la Marche le 17 septembre à Paris. Comme le souligne l’une des figures du mouvement antiraciste, José Vieira (FASTI), « les objectifs généreux de Christian Delorme ne suffisent pas aux associations présentes, notamment aux associations d’immigrés ». Si tout le monde s’accorde à dire que la Marche est importante, des militants relèvent « certaines ambiguïtés du texte d’appel qui peut apparaître comme un soutien au gouvernement et défendent l’idée d’une marche plus offensive, plus revendicative », en intégrant des revendications plus précises. La proposition qu’un collectif d’associations écrive un autre texte est « rejetée par les initiateurs qui estiment que cela « leur revient de droit » » et qui gardent le « monopole » de la définition des objectifs de la Marche. Cependant, ceux-ci prennent en compte les critiques formulées par les associations qui, malgré le caractère « trop léger » et « pas assez politique » de l’appel, deviennent la colonne vertébrale de la Marche. Pour les Associations de soutien aux travailleurs immigrés (ASTI) par exemple, « l’initiative en elle-même est très importante et elles sont prêtes à s’investir tout en soulignant le peu d’éléments concrets qu’elles ont à si peu de temps du départ de la marche22 ». Ainsi, le nouvel appel change de titre (« Marche pour l’égalité des droits et contre le racisme »). Il est centré sur l’« égalité dans le droit à la vie » et cherche à « rassembler le plus largement possible les habitants de France pour faire naître une volonté de construire une nation plurielle et solidaire ». Il égratigne légèrement le gouvernement qui, certes, « veut l’égalité raciale », mais qui « se montre trop enclin à céder du 114

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terrain à ceux qui dénoncent un déferlement immaîtrisable d’immigrés venus du monde entier », à tel point que certaines personnalités de droite comme Simone Veil et Bernard Stasi « tiennent des discours en matière d’immigration et de racisme bien plus satisfaisants que ceux de certains élus et même ministres de gauche… ». Néanmoins, la Marche « ne peut pas être une action anti-gouvernementale » et les militants souhaitent « compter au contraire sur un accueil positif du Président et du gouvernement de la République23 ». Pour atteindre leur objectif principal, faire pression et changer la politique gouvernementale à l’égard des immigrés, les militants ont donc privilégié la marche comme mode d’action non violent24, en s’inspirant des nombreux exemples de l’histoire française et mondiale qui ont prouvé, selon eux, leur efficacité à transformer les rapports de force politiques : lutte anticoloniale menée par Gandhi en Inde, mouvement des droits civiques pour les Noirs aux États-Unis (1963), mobilisation des Amérindiens états-uniens (marche de San Francisco à Washington en 1978), lutte des paysans du Larzac marchant sur Paris (1978), etc. Ce mode d’action trouve son avantage essentiellement dans son faible coût d’entrée : marcher ne nécessite pas de ressources particulières, à part l’endurance si on fait tout le trajet, et la probabilité d’une répression directe et violente par la police est relativement faible. La marche permet ainsi la participation ponctuelle et limitée de « profanes » de l’action collective, qui peuvent s’engager en fonction de leurs contraintes matérielles ou temporelles, mais elle dépend étroitement de la capacité des organisateurs à susciter, à toutes les étapes, la mobilisation de militants de soutien pouvant les accueillir, les nourrir, les héberger et organiser des événements publics. Ce n’est donc pas un hasard si les militants de la Cimade Lyon et de SOS Avenir Minguettes ont attendu le feedback de leur courrier du 22 août avant de se lancer : ils espèrent certes la création de « dizaines de comité de soutien », mais « le circuit définitif ne pourra être établi que lorsqu[’ils] sauron[t] sur combien de comités d’accueil créés spécialement [ils] pourron[t] compter ». C’est à partir d’une quarantaine de réponses positives reçues courant septembre qu’est fixé l’itinéraire définitif, comprenant autant d’étapes et dessinant une cartographie relativement fidèle des réseaux 115

Chapitre 4

militants mobilisables par la Cimade dans toute la France*. Les associations mettent ensuite en place une structure nationale de coordination composée de plusieurs équipes chargées de la communication, du ravitaillement, du logement et du soutien financier**. Par ailleurs, l’expérience des « parrains » pendant la grève de la faim de mars-avril 1983 aux Minguettes est renouvelée à l’échelle nationale. Afin de faire face au risque réel d’incidents racistes et de « protéger » symboliquement les marcheurs, l’enjeu consiste à prévoir un « parapluie moral25 » en obtenant, en novembre  1983, la signature d’un « Manifeste de soutien à la Marche » par des dizaines de personnalités, parmi lesquelles on retrouve plusieurs intellectuels de la revue Les  Temps modernes et/ou d’éminents universitaires***, dont Pierre Bourdieu, Simone de Beauvoir, Étienne Balibar, Jean Baubérot, Jacques Derrida, Félix Guattari, René Gallissot, Françoise Héritier, Claude Lanzmann, Georges Labica, Élisabeth Roudinesco, Emmanuel Terray, Pierre Vidal-Naquet, etc. Pour les organisateurs, « il importe également que [le mouvement] constitue un « coup médiatique » et que les médias y fassent écho régulièrement et amplement ». Ceci signifie qu’ils souhaitent « des relations bien établies avec la presse nationale et locale, une bonne utilisation du réseau des radios libres (environ mille cinq cent dans le pays !) et le lancement régulier, un peu partout, d’initiatives de soutien à la Marche susceptibles d’intéresser les médias26 ». De  fait, le traitement médiatique favorable est une condition indispensable à la réussite de la Marche dans la mesure où il s’agit, pour le gouvernement socialiste, d’un indicateur privilégié pour mesurer la représentativité et le soutien apporté au discours des marcheurs. Ainsi, toutes les précautions des organisateurs de la Marche montrent qu’ils ne souhaitent pas entrer en confrontation directe avec le pouvoir * Voir en annexe la liste des étapes de la Marche précisant la composition des comités de soutien, les actions mises en place et les personnalités présentes. ** Le secrétariat de la coordination nationale est assuré par Patrick Bonnel, Michel Guillaud et Jean-Pierre Maurin de la Cimade, et un comité de coordination, qui se réunit deux fois par semaine, comprend d’autres militants : Bonnel, Gérard Danière, Jacques Delorme (cousin de Christian), Khedidja Drid, Guillaud, Gérard Legrand, Farid L’Haoua, Toufik Mahamdi (frère de Dalila), Maurin et Pierre Thome (ATD. « Précisions concernant le fonctionnement et les prises de décision »). *** Voir en annexe le manifeste. 116

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exécutif et qu’ils s’adaptent aux contraintes du champ médiatique afin d’obtenir le soutien le plus massif de l’opinion publique (acteurs politiques, syndicaux et associatifs, médias, intellectuels, institutions religieuses, etc.). L’enjeu consiste à ne pas « cliver » l’opinion publique, il s’agit donc de ne pas multiplier les revendications, susceptibles de favoriser des désaccords parmi les éventuels soutiens et des contreattaques parmi les « ennemis » politiques. C’est en ce sens qu’il faut comprendre la volonté de ne « pas être porteurs de multiples revendications qui dénatureraient le sens de la Marche27 ». Les militants proposent donc un « cadrage » politique centré sur le « droit à la vie » et l’interpellation du gouvernement, en minorant volontairement la question des déviances policières violentes, du traitement judiciaire inégalitaire et du droit au logement, bien que celles-ci soient discutées dans le cadre des « Forums justice » organisés dans quelques villes. Comme on l’a vu, l’analyse de la situation politique et la stratégie d’action proposées par la Cimade Lyon essuient de nombreuses critiques de la part de plusieurs associations antiracistes, mais aussi des mouvements de « jeunes immigrés » (encadré 4.2). Mejid Daboussi, ancien militant du Mouvement des travailleurs arabes (MTA) et éditorialiste de l’hebdomadaire Sans Frontière, affirme que « lorsque Christian Delorme, en plein mois d’août s’était efforcé de faire la tournée des dizaines d’associations, d’organisations syndicales et politiques pour leur expliquer l’idée de la marche pour l’égalité qu’il avait concoctée avec Djamel, Toumi et les autres, il y eut quelques ricanements (rares), des haussements d’épaule (plus fréquents) mais pratiquement aucune adhésion et très peu d’encouragements…28 ». Si le journal Sans Frontière « goûte » à l’idée de la Marche, il s’interroge sur le choix de la période automnale et hivernale pour traverser la France à pied… La plupart des organisations sollicitées se montrent donc sceptiques à l’égard de cette initiative. Paradoxalement, l’initiative est même critiquée par le siège national de la Cimade, révélant ainsi une forte rivalité entre le « poste » lyonnais et le « département immigration », dirigé par Pierre Gery. Si ce dernier est d’accord sur les objectifs de l’initiative, son « originalité » et l’« intérêt qu’elle parte d’un poste de province et non de Paris », il dénonce, en interne, « le fait d’avoir été mis devant le fait accompli 117

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sans aucune concertation préalable avec le département immigration, les postes et les correspondants », « la personnalisation, le cléricalisme et l’improvisation de cette opération » et la « non prise en compte par le poste de Lyon » de la question de la responsabilité civile et financière. Malgré ces critiques, la direction de la Cimade décide « d’assumer au minimum et ne pas laisser percer [ses] divergences à l’extérieur29 ». Signe que la Marche pose problème au siège, celui-ci ne l’inclut pas dans le programme d’une « session des équipiers » d’octobre 1983, animée par les cadres nationaux de la Cimade, ce qui provoque l’ire de Costil, dans un courrier envoyé à Roby Bois, secrétaire général de l’organisation : « [je fais] bien sûr d’abord amende honorable sur la concertation absente au départ, début août. […] Mais, le racisme et la lutte contre fait partie intégrante des Statuts de l’Association. Et il semble indéniable que ce soit aujourd’hui une question importante. La réponse gouvernementale est loin d’être pleinement satisfaisante sur les questions liées à l’immigration et au racisme et la Cimade est d’abord « une forme de service que les Églises veulent rendre aux hommes au nom de l’Évangile libérateur ». Le soutien critique d’un gouvernement passe après. Si notre travail a un autre sens que celui d’une assistance sociale de plus, c’est par la liberté que nous trouvons par rapport à tous les pouvoirs. Alors je m’étonne que l’ordre du jour prévu pour ces journées ne comporte aucun point traitant de l’application actuelle de la loi de 81. Rien non plus sur la Marche en tant que telle30 ». Finalement, le siège national met tout en œuvre pour que la Marche obtienne le succès escompté, notamment en participant activement à la manifestation parisienne.

encadré

Encadré 4.2 : Les premiers mouvements de « jeunes immigrés » À la fin des années 1970 et au début des années 1980, de multiples collectifs informels et associations de jeunes immigré-e-s se créent dans plusieurs villes de France, sans forcément se connaître entre elles avant la Marche, qui constitue pour beaucoup de militant-e-s une occasion de créer des liens au niveau national. Bien que leurs types d’actions et leurs orientations politiques soient très variés, elles constituent le noyau à partir duquel se forme ce qu’on appelle le « mouvement beur » après 198331. 118

Les filles d’immigrés algériens sont les premières à s’organiser collectivement, au travers de la musique et du théâtre militant, pour dénoncer les violences racistes et sexistes et affirmer leur aspiration à l’égalité, notamment par la création de la troupe de théâtre La Kahina en 1976 (animée entre autres par Salika Amara). Les pièces de La Kahina (Pour que les larmes de nos mères deviennent une légende et La Famille Bendjelloul, en France depuis 25 ans) mettent en scène la vie quotidienne et les relations familiales au sein des familles de l’immigration algérienne, dans le sillage et avec le soutien de certains membres de la troupe Al Assifa créée par le MTA, et sont interprétées dans le quartier Barbès à Paris (centre Fleury, salle Saint-Bruno) ou en soutien à des mobilisations immigrées (« grève des loyers » dans les foyers Sonacotra32, etc.). En 1981, le vote de la loi autorisant les étrangers à créer une association est l’occasion pour des jeunes immigré-e-s de se structurer, comme par exemple avec l’Association nouvelle génération immigrée (ANGI), créée à Aubervilliers, qui s’engage dans les mobilisations contre les crimes racistes dans la région parisienne, ouvre une structure d’hébergement pour des jeunes filles en fugue ou en rupture, etc. En avril 1980, le premier collectif informel de garçons des banlieues parisiennes, Rock Against Police (RAP), souhaite développer une prise de parole « autonome », à la fois politique et artistique, au travers de concerts rock, de journaux, de tracts et de vidéos. Animé par plusieurs militants parisiens, notamment Samir et Mogniss H. Abdallah, il lance un appel à la « résistance des jeunes immigrés et prolétaires de banlieue » pour dénoncer les « crimes racistes et sécuritaires » et la criminalisation des jeunes de banlieue, qui trouve un écho favorable dans la région lyonnaise puisque des liens sont noués par Zaâma d’Banlieue. Des collectifs locaux s’organisent dans plusieurs villes de la banlieue parisienne, demandant la résorption des cités de transit (association Gutenberg, Nanterre, dont un des fondateurs est Nordine Iznasni), dénonçant la multiplication des crimes racistes (affaires Kader de Vitry en 1980, Abdennbi Guémiah à Nanterre en 1982, etc.)33. Des militants de Gutenberg font partie des fondateurs de l’Agence IM’média, créée fin 1983 lors d’un stage vidéo à la ZUP des Minguettes, qui « se veut la première agence de presse des cités urbaines et de l’immigration34 ». À Lyon, le collectif Zaâma d’Banlieue (1979-1984) rassemble des femmes immigrées, étudiantes ou salariées du social et proches des milieux d’extrême gauche (Djida Tazdaït, Farida Rémila, etc.)35. Elles se mobilisent sur plusieurs fronts : soutien à la grève de la faim des étudiants 119

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Chapitre 4

étrangers contre le décret Imbert du 31 décembre 1979 (restriction de l’accès à l’Université), luttes contre les crimes racistes (affaires Bouteldja, Hachichi, etc.), contre les expulsions de jeunes immigrés, organisation de concerts de rock (d’où émerge le groupe Carte de séjour, créé en 1980 par Rachid Taha, Djamel Dif, Mokhtar et Mohamed Amini et Éric Vaquer), etc. La plupart des militants des premiers mouvements de jeunes immigrés se retrouvent dans les comités de soutien à la Marche, puis organisent les Assises nationales des associations de l’immigration (1984), qui ne parviennent pas à construire un mouvement national des jeunes issus de l’immigration (chapitre 5).

Par ailleurs, certaines associations de jeunes immigrés de la région parisienne critiquent publiquement, dans un tract diffusé lors de la manifestation parisienne du 3 décembre, la « récupération » de la Marche. Si elles ne sont pas contre son « principe », elles dénoncent sa « dénaturation » par « quelques curés se sentant l’âme missionnaire […] à la solde de l’État, de toute la classe politique et syndicale qui […] ne manque pas de se refaire une facile et bienvenue virginité » (document 6.1). Cette position est partagée par les associations lyonnaises, notamment Zaâma d’Banlieue et Wahid Association, bien que cette dernière organise un « Forum justice » à Vaulx-en-Velin lors du passage de la Marche dans l’agglomération (28 novembre). Si les organisations ne participent pas à la Marche collectivement, on y participe en revanche à titre personnel : « Les « Gutenberg » se sont réunis et n’ont pas réussi à se mettre d’accord. Aux dernières nouvelles, ils ne participeront pas « de manière organisée » à la marche, même s’ils s’y rendront tous « individuellement »36 ».

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Document 4.1 : Position des associations Gutenberg (Nanterre), Transit et Chatenay-Malabry sur la Marche, 3 décembre 1983. « Nous, association Gutenberg, association Transit, association Chatenay-Malabry, tenons à affirmer publiquement notre position claire et déterminée par rapport à la marche. Nous n’avons jamais été et nous ne sommes pas contre le principe de celle-ci. Notre raison d’être est justement la lutte contre le racisme sous toutes ses formes (crimes, discriminations, politique de quotas et politique tout court). 120

Il est simple et très facile de parcourir ce pays sous la houlette de quelques curés se sentant l’âme missionnaire. Eux-mêmes à la solde de l’État, de toute la classe politique et syndicale qui, à l’heure de cette marche, ne manque pas de se refaire une facile et bienvenue virginité, oubliant par là même leur politique raciste et les alliances naturelles qu’ils ont faites sur notre dos : bulldozer de Vitry, déclarations de Mauroy aux usines Citroën, Dreux, expulsions transformées en reconductions à la frontière, et surtout leur silence complice face aux attentats et crimes racistes perpétrés contre les jeunes arabes. Nous trouvons révoltant toutes ces récupérations et la dénaturation de cette marche. Nous appelons tous ceux et toutes celles, qu’ils soient en association ou pas, à venir dialoguer et réfléchir sur notre avenir commun, et surtout pour se donner les moyens de résoudre tous les problèmes qui découlent de la politique raciste de ce pays et du refus de la différence. Nous agissons dans ce sens en nous attaquant aux problèmes les plus cruciaux : - Relogement : résorption des cités de transit quasiment acquise - Drogue, délinquance : discussions, sorties, organisation de camps d’été, projet de centre de désintoxication - Sport : création d’un club de foot - Chômage : création d’entreprises (rénovation, déménagement et d’autres en cours de constitution) - Scolarité : rattrapage scolaire sur place pour les plus jeunes, et organisation de stages - Culture : production d’un disque, projections de films, et réalisation d’un film vidéo sur notre mouvement - Initiatives politiques : 1) Marche silencieuse, 2) Journée Portes Ouvertes du 05-02-1982, 3) commémoration à la mémoire d’Abdennbi, le 06-11-83, 4) Investissement du conseil municipal de Rueil, 5) Débat public sur thèmes généraux (droit de vote, politique du pays, débats d’idées, etc.) - Collaboration et pression sur les administrations et organisations concernées (DDASS, FAS, ministères, GECIT, préfecture et mairies). Nous pensons que cela n’est pas suffisant. C’est tous ensemble et par nous-mêmes que nous parviendrons à nous affirmer et à vivre dans le respect et la dignité37. »

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Delorme et Costil reconnaissent  qu’ils exposent « sans doute à la critique de lancer de façon un peu trop solitaire une entreprise d’envergure, sans concertation préalable avec les organisations supposées devoir être intéressées » et que « cela constitue peut-être une erreur de [leur] part », mais ils ont « le sentiment d’avoir ainsi plus de chances d’obtenir rapidement les concours les plus divers38 ». Ils admettent bien l’idée qu’ils « ne saur[aient] prétendre que cette Marche va soulever positivement la France entière, amener le gouvernement à prendre avec courage toutes les mesures nécessaires, et tout régler ». Pour parer à ces critiques, ils choisissent de « parler dorénavant de première Marche pour l’égalité, car d’autres évidemment devront suivre, préparées plus longtemps à l’avance, plus massives, etc.39 ». Cependant, il semble que le scepticisme ou la critique politique n’aient pas concerné les premiers comités de soutien, qui constituent la colonne vertébrale de la Marche et sans lesquels le succès final, très improbable au départ de Marseille, n’aurait pas été possible. Il faut en effet souligner que l’ampleur de la mobilisation n’est pas donnée d’avance, comme le soulignent les rapports de Renseignements généraux (RG). En faisant référence au climat social dans la ZUP des Minguettes, ils établissent un diagnostic pessimiste en septembre  1983 : « même l’imposante « Marche pour l’égalité » […] semble devoir être rangée au rayon des projets chimériques en raison de l’absence totale, jusqu’à présent, de préparatifs à ce sujet (affichage, diffusion de tracts, mots d’ordre…)40 ». Même après le passage de la Marche dans la région lyonnaise, les services de renseignement jugent irréaliste le projet de rassembler cent mille manifestants à Paris : « on peut plus raisonnablement prévoir une présence de cinq mille à dix mille personnes si une campagne de rappel est faite dans les milieux immigrés de la région parisienne41 ». Il est vrai que le départ de Marseille le 15 octobre 1983 ne contredit pas le scepticisme de la plupart des associations et des RG. Le comité de soutien, qui comprend la section locale de la Cimade, le comité « Jeunes Immigrés » (auteurs de la demande d’autorisation à la préfecture) et de Radio Gazelle (ayant fait « le gros du travail d’accueil42 »), ne parvient pas à mobiliser plus d’une trentaine de personnes, dont le secrétaire général de la Cimade (Roby Bois) et les dix-sept premiers 122

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« marcheurs permanents » (encadré 4.3). Lors d’un rassemblement au Centre social de la Cayolle, on scande des slogans tels que « Rengainez, on arrive », « Première, deuxième, troisième génération, nous sommes tous des enfants d’immigrés » et « Antillais, Polonais, Français, Maghrébins, Juifs, tous contre le racisme ». Malgré le faible nombre de participants, on constate une présence symbolique, très importante pour les organisateurs, de représentants du Parti socialiste et du gouvernement, notamment Françoise Gaspard (député PS et ex-maire de Dreux) et Jean Blocquaux (chargé de mission au cabinet de Georgina Dufoix), ainsi que des personnalités de gauche, telle que Claude Servan-Schreiber (rédactrice en chef de F magazine)43. La composition de la manifestation de Marseille montre les caractéristiques décisives du succès de la Marche : le soutien du mouvement pro-immigré local, la mise à disposition de l’infrastructure nationale de la Cimade, le soutien symbolique d’élus de gauche et de membres du gouvernement, et un traitement médiatique assez positif. On retrouve cette combinaison de facteurs favorables pour toutes les étapes suivantes, mais l’ampleur de la mobilisation varie considérablement d’une commune à l’autre, en fonction de la capacité mobilisatrice du mouvement pro-immigrés, de l’implication d’élus locaux (invitation à la mairie, location de salles, etc.) et de la couverture médiatique. Le groupe des « marcheurs » est resté relativement ouvert jusqu’à l’étape de Grenoble (31 octobre), où est adoptée une résolution clarifiant son fonctionnement et le processus de décision. Au départ, les organisateurs pensent constituer un groupe d’une vingtaine de personnes qui devait faire la totalité du parcours et être rejoint par d’autres ponctuellement pour des portions de route. Mais les organisateurs se retrouvent « confrontés à de multiples candidatures de « marcheurs permanents », [ce qui] leur pose de sérieux problèmes ». En effet, le groupe « ne peut s’agrandir indéfiniment […] en raison des capacités matérielles d’accueil des comités de soutien », mais aussi pour que le mouvement puisse conserver « sa cohérence sans risque d’être débord[é] ». Ainsi, le groupe des marcheurs permanents est clos à cette date et tous ceux qui souhaitent les rejoindre temporairement « doivent eux-mêmes prendre en charge leur gîte et leur couvert44 ». 123

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Encadré 4.3 : Qui sont les « marcheurs » ?

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La crainte d’être « débordés » par certains groupes politiques cherchant à infiltrer la Marche, notamment des militants algériens benbellistes, les obligent à constituer un « groupe de décision », qui comprend des membres de SOS Avenir Minguettes (Farid Arar, Djamel Atallah, Toumi Djaïdja, Patrick Henry, Farid Lazhar, Brahim Rezazgua et Farouk Sekkaï), de la Cimade (Jean Costil et Christian Delorme), des militants ou sympathisants du Mouvement pour une alternative non-violente (MAN) – Colette Bodou (Langeac), Élisabeth Danière (Paris), Daniel Deguaugue, Cécile Durand (Chatou), Marie-Laure Mahé (Courbevoie), René Peltier (SaintDizier), Thierry Perrottet (Montélimar) et Didier Platon (communauté de l’Arche) –, et certaines personnes ayant rejoint le groupe en cours de route (Bouzid Kara [Aix] et Farid L’Haoua [Vienne]). À ce groupe de décision, s’ajoutent d’autres personnes pour former un groupe élargi de marcheurs, notamment Nacera Dellal (Valence), Malika Boumediene (Annonay), Abed Touil (Firminy), Fatima Mehallel (Villeurbanne) et Larbi Revdi (Villefranche-sur-Saône). Sur les vingt-cinq marcheurs permanents, on dénombre onze militants de soutien français (dont quatre femmes), treize jeunes d’origine maghrébine (dont trois jeunes femmes) et un jeune Français. Les marcheurs permanents entrent dans le groupe selon une logique de cooptation, qui est fondée sur l’appartenance organisationnelle (tou-te-s les militant-e-s de SOS Avenir Minguettes, de la Cimade, du MAN et de l’Association de soutien aux travailleurs immigrés), sur l’interconnaissance (par exemple Mehallel est la baby-sitter de Jacques Delorme, cousin de Christian et membre de la coordination45) et/ou sur des liens affinitaires noués lors du passage dans certaines villes, comme avec Kara à la ZUP d’Aix, L’Haoua (membre de l’ASTI) à Vienne, etc. Si les membres du groupe de décision sont engagés d’une manière ou d’une autre dans le secteur associatif, les autres sont des « profanes » de l’action collective et se trouvent dans des situations sociales souvent très difficiles : Dellal est une mère célibataire de dix-neuf ans, chômeuse, qui se bat pour obtenir un logement social, Bouzid est un enfant de « harki » et un chômeur de vingt-cinq ans ayant eu des démêlés avec la justice, Mehallel est une chômeuse de vingt et un ans rescapée d’une opération chirurgicale lourde, etc. La Marche constitue pour eux/elles un moyen de lever la tête et, selon l’expression de Kara, une manière de « désamorcer la bombe de rage qui nichait en [eux] et dont la minuterie était d’ailleurs déclenchée46 ». Quant aux marcheurs déjà 124

militants, leurs caractéristiques communes sont leur engagement dans la non-violence – notamment le prêtre Peltier, soixante-cinq ans, membre de l’ASTI et ex-« ardent militant des mouvements autonomistes [bretons], ne répugnant pas à participer à des attentats47 » – et leur localisation dans la région Rhône-Alpes, signe du privilège accordé aux liens d’interconnaissance. Comme tout autre groupe politique ou associatif, il existe une division interne du travail militant selon certaines variables sociologiques (sexe, classe et race) et les dispositions individuelles de chacun-e : les militants de la Cimade se chargent de la coordination (Delorme fait parfois la navette entre le groupe et Paris) ; Mehallel, la première femme maghrébine à entrer dans la Marche, de la « caisse » ; Henry de « Radio savate » (sono installée sur le véhicule qui diffuse beaucoup de reggae) ; Atallah, Arar, Djaïdja, Kara, Sekkaï et d’autres prennent la parole en public, etc. Les discussions publiques commencent généralement par une prise de parole des marcheurs maghrébins, conformément à la volonté explicite des organisateurs français : « notre rôle consiste à servir de marchepied pour leur donner la parole. Après, il faudra qu’ils descendent de leur piédestal. Avant tout, il faut leur donner les moyens de s’assumer48 ». Mais la prise de parole n’est pas évidente pour tout le monde. Ainsi, lors d’un débat au lycée Koeberlé de Sélestat, Dellal ne dit plus un mot et soupire : « Ce n’est pas facile. Je n’y arrive pas, c’est trop impressionnant. Bouzid [Kara], il s’en tire bien. Farid [Arar] aussi49 ». Selon Rezazgua, « c’est dur de parler quand on en a pas l’habitude50 ». La plupart des témoignages soulignent une ambiance joyeuse, amicale, voire enthousiasmante, au sein du groupe, même si certaines tensions apparaissent quelquefois. Comme le souligne Delorme, « nous avons rassemblé des gens qui ne se connaissaient pas toujours, qui viennent d’univers culturels et géographiques différents ! Entre le noyau des huit jeunes des Minguettes puis les autres « Européens » qui viennent, qui de Paris, qui de Lyon, il y a parfois des mondes d’incompréhension, et il faut que ce groupe arrive à découvrir qu’il veut réussir quelque chose ensemble51 ». Mais ces « incompréhensions » paraissent mineures comparées à la réaction désespérée de certains jeunes et au malaise de Peltier suite à la mort de Benatir aux Minguettes (21 novembre), ainsi que le relate Danière, marcheuse et journaliste aux Nouvelles : « « On descend tous à Lyon et tout de suite ! » crie quelqu’un. Les autres approuvent. « Ah, et puis vous, les Français, ne nous dites pas de 125

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nous calmer. On en a marre. On ne veut plus de votre non-violence. C’est des propos de Français ! On marche et pendant ce temps on nous tire dans le dos. Vous ne pouvez pas comprendre ce qu’on ressent. Vous ne pouvez pas comprendre ! Ça suffit ! On va prendre les armes ! » La marche est menacée dans son fondement même. Toumi [Djaïdja] essaie de tenir encore le discours de la non-violence. Mais tout le monde craque de tous les côtés. La souffrance, la révolte qu’ils taisaient depuis des semaines, la voilà qui déborde sans savoir ni à qui ni à quoi s’en prendre. Ce désespoir… […] Et pourtant, ils marchent…52 » Le principe de la non-violence est également soumis à rude épreuve après le lynchage et la défenestration d’Habib Grimzi dans le train Bordeaux-Vintimille par les légionnaires Anselmo ElviroVidal, Marc Béani et Xavier Bondel (14 novembre). Selon L’Haoua, « c’était la douche froide. C’est comme si on t’annonce que quelqu’un est mort dans ta famille53 ».

Dans certaines villes, les comités de soutien sont inexistants ou chétifs, alors que d’autres rassemblent de nombreuses organisations associatives, politiques, syndicales et religieuses, notamment à Lyon, Grenoble, Montbéliard, Mulhouse, Saint-Dizier, Nancy, Amiens et la région parisienne. Les marcheurs sont ainsi accueillis à Salon de Provence, non pas par un comité, mais par un « organisateur néophyte54 » (Michel, étudiant de dix-neuf ans). C’est à Paris que le comité de soutien est le plus étoffé, comprenant deux composantes : la première rassemble les organisations « traditionnelles » (antiracistes, politiques, etc.) qui se réunissent dans un local de la rue Traversière (12e arrondissement), et la seconde correspond au « Collectif Jeunes », qui réunit au Relais Ménilmontant (11e arrondissement, dirigé par Daniel Duchemin) des militants et des journalistes de Radio Beur, l’ANGI, Sans frontière, Vivre Ensemble de Mantes-la-Jolie, etc. Certains d’entre eux organisent, le jour du départ de la Marche, une des premières commémorations publiques du massacre du 17 octobre 1961 lors d’un rassemblement au pont Saint-Michel55. Ce collectif constitue un espace de rencontres inédit et déterminant dans la volonté de construire un mouvement national de jeunes issus de l’immigration (chapitre  5), comme le soulignent les militantes Rachida Azzoug et Kaïssa Titous : 126

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Face à ce déchaînement de « haine raciale », voilà que l’on nous « balance » une marche pacifiste non-violente style « Martin Luther King » des années soixante, version banlieusarde des Minguettes revue et corrigée par le père Delorme. Telle a été notre impression lorsque l’idée de la marche a été lancée cet été. Le temps passait et nous étions face à nos responsabilités… Que faire ? Allionsnous continuer à gémir sur nos morts sans rien faire, à attendre d’attendre de ne plus attendre le jour de la vengeance ? Une dynamique se créait qui allait enfin permettre de réunir les conditions d’une réelle autonomie de la jeunesse issue de l’immigration. Allions-nous – là aussi – laisser passer cette chance ? Non bien entendu. Et c’est la raison même de l’existence du collectif de jeunes immigrés de soutien à la marche. La marche est devenue notre marche56. Ainsi, le comité de soutien parisien et les organisations ne faisant pas partie du comité mais appelant à la manifestation parisienne rassemblent de manière très large. On retrouve des partis politiques (PS, Parti socialiste unifié, Mouvement des radicaux de gauche, Parti communiste français, Ligue communiste révolutionnaire, Centre des démocrates sociaux [seul mouvement de droite, animé par Stasi]), des syndicats (Confédération générale du travail, Confédération française des travailleurs chrétiens, Confédération française démocratique du travail, Fédération de l’éducation nationale, etc.), des associations antiracistes généralistes (MRAP, Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme, etc.), des associations de défense des immigrés (Fédération des associations de soutien aux travailleurs immigrés, Cimade, etc.), des associations d’immigrés ou d’enfants d’immigrés (Collectif Jeunes, Association des travailleurs marocains en France, Union des travailleurs immigrés tunisiens, etc.), des mouvements de jeunesse (Jeunes communistes révolutionnaires, Centre confédéral de la jeunesse CGT, Mouvement de la jeunesse catholique de France, Jeunesse ouvrière chrétienne, Mouvement des jeunes socialistes, etc.) et, enfin, des institutions religieuses (Conseil représentatif des institutions juives de France, section française du Congrès juif mondial, Association des Juifs de gauche, Socialisme et judaïsme, Identité et dialogue, Cercle Bernard 127

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Lazare, Cercle Gaston Crémieux, etc.)*. Les marcheurs sont donc parvenus à obtenir le soutien de l’ensemble des partis de gauche, des syndicats de travailleurs, du mouvement associatif pro-immigré et des institutions religieuses. Toutes ces organisations appellent leurs troupes à participer à la manifestation parisienne et organisent le transport de milliers de personnes par cars depuis certaines villes de province. De fait, ce soutien massif participe à multiplier le nombre de manifestants au niveau national. On dénombre environ deux cent cinquante personnes à Aix-en-Provence57, une vingtaine à Avignon58, une centaine à Valence59, entre cinq cents et mille à Lyon (« dont 70 % de Maghrébins60 »), quatre cents à six cents participants à la manifestation silencieuse de Grenoble61, quatre cents personnes à Chambéry62, environ mille à Mulhouse63, des centaines à Nancy64, mille à Metz65, quatre cent cinquante à Lille66, trois cents à Amiens67, plusieurs centaines dans la région parisienne et, enfin, environ cent mille manifestants à Paris. En ajoutant le nombre de participants aux « marches parallèles » organisées en dehors de l’itinéraire principal (Montpellier, Le Havre, Dreux, etc.), on peut estimer que la Marche mobilise environ 108 500 manifestants dans toute la France entre le 15  octobre et le 3 décembre 1983. À défaut de rendre compte ici de toutes les étapes de la Marche, le lecteur trouvera en annexe la liste de celles-ci précisant la composition des comités de soutien, les actions mises en place, les personnalités présentes et les éventuels incidents évoqués par la presse ou les services de renseignement. Pour une plongée plus intimiste dans le groupe des marcheurs, nous suggérons la lecture du livre de Bouzid Kara, La  Marche 68, qui constitue une sorte de journal de bord très révélateur de l’état d’esprit de l’époque. On doit néanmoins évoquer les principaux incidents signalés pendant la Marche et les limites de la mobilisation des communautés immigrées. En effet, l’unanimisme apparent occulte plusieurs tentatives de sabotage et des accueils défavorables à la Marche. À Loriol, les * Chlin Mohamed Dahaoui (mosquée de Paris), Mgr Decourtray (Conférence des évêques de France), pasteur Maury (Fédération protestante de France), Mgr Meletios (Comité inter-épiscopal orthodoxe) et René-Samuel Sirat (grand rabbin de France) diffusent un communiqué commun de soutien à la Marche (L’Éclair. La liberté du Morbihan, 1er décembre1983). 128

L’improbable construction d’un consensus national antiraciste

marcheurs sont accueillis par une estafette conduite par trois individus (un père et ses deux fils) armés et proférant des menaces et des injures69, tandis qu’à Tournus, des inconnus crèvent les pneus des deux camionnettes contenant les affaires des marcheurs70. En réaction à une distribution de tracts du Front national à Valence, à l’heure et sur la place où sont censés arriver les marcheurs, ceux-ci décident au dernier moment de changer de lieu de rendez-vous71. En raison d’une menace d’attentat à Dreux, où les élections municipales partielles de septembre  1983 ont été remportées par une alliance du FN et de Rassemblement pour la République (RPR), les deux marcheurs délégués (Delorme et Rezazgua) doivent reporter d’un jour leur arrivée72. Une autre menace d’attentat vise la manifestation parisienne* et on dénombre au moins deux alertes à la bombe, l’une visant le comité de soutien aux travailleurs immigrés de Chambéry73 et l’autre ciblant la mairie de Roubaix74, ainsi que plusieurs refus d’accueillir les marcheurs de la part de municipalités de droite, notamment à Poissy75 et à Dijon (qui rejette aussi la location d’une salle)76. Le Groupe union défense (GUD), organisation étudiante d’extrême droite, diffuse enfin un communiqué pour dénoncer l’organisation de la manifestation parisienne : « Les étudiants nationalistes ont appris avec stupéfaction qu’ils vivent, sans le savoir, dans un pays pluri-ethnique et pluri-culturel, comme le prétendent les organisateurs de la marche pour l’égalité et contre le racisme, marche ne suscitant que l’intérêt que le gouvernement lui prodigue. Nous sommes […] étonnés de constater que ceux-ci arrivent à Paris et se trompent de route. Le chemin de Marseille à l’Afrique du Nord passe par la Méditerranée et non par la Seine77. » Par ailleurs, si l’ensemble des associations immigrées finit par la soutenir, la Marche rencontre souvent un accueil réservé de la part des immigrés non organisés ou syndiqués. Comme le souligne Kara, « si nous n’avions pas été nombreux ici [à Lyon], j’arrêtais tout. Le plus dur pour nous, c’est de voir nos frères immigrés nous regarder passer avec des yeux morts sans dire ce qu’ils en pensent78 ». C’est ainsi qu’au * C’est Louis Joinet, conseiller du Premier ministre, qui prévient Delorme du projet d’attentat, probablement fomenté par des réseaux de l’ancienne OAS, pro-Algérie française, du Sud de la France (entretien avec Christian Delorme, Lyon, 2003). 129

Chapitre 4

long du parcours marseillais, les immigrés attablés dans les terrasses de café ou assis sur un banc « restent prudemment à leur place79 », et qu’à Cavaillon, les marcheurs rencontrent « le vide [et doivent] supporter l’indifférence des Français et des immigrés, leur regard terne, leur ignorance80 ». Même dans le quartier emblématique des Minguettes, « il n’y a pas de réelle mobilisation81 ». Si les marcheurs ne sont pas accueillis à la mairie de Vénissieux en raison du refus de Marcel Houël (chapitre 3), ils parviennent à se réunir dans l’église des Minguettes, en présence de Guy Fischer, premier adjoint au maire (ce qui lui vaut d’être désavoué publiquement par Houël et le marginalise politiquement)82. Mais, comme le souligne Delorme, « beaucoup de gens aux Minguettes ne se sentaient pas concernés. Ils disaient : « c’est encore les frimeurs de Monmousseau »… Aux Minguettes, l’accueil a été glacial83 ». Dans la même perspective, la rencontre entre les marcheurs et les travailleurs immigrés de Renault-Flins semble avoir été difficile : les enfants d’immigrés font « face à leurs pères silencieux, nombreux à s’arrêter devant la réunion inattendue, rarissimes à applaudir », sachant qu’il n’y a « [p]as un sur dix travailleurs maghrébins pour affirmer un soutien, lâcher un encouragement84 ». Ce constat doit néanmoins être nuancé parce que des liens se nouent malgré tout au travers, d’une part, de la présence dans la manifestation parisienne d’un cortège d’un millier de travailleurs immigrés CGT de TalbotPoissy et de Renault-Billancourt85 et, d’autre part, du soutien apporté à la grève de Talbot-Poissy par le Collectif Jeunes et certains marcheurs (chapitre  5). La disqualification gouvernementale des grèves ouvrières contraste avec l’accueil relativement favorable de la Marche, même si les socialistes font preuve d’une certaine prudence à l’égard des marcheurs.

3.

Prudence socialiste

Pour comprendre la position gouvernementale, il faut souligner le fait que les socialistes ne sont pas un groupe monolithique, que différentes tendances s’expriment au sein du parti et du conseil des ministres, et que leur positionnement évolue dans le temps. Comme 130

L’improbable construction d’un consensus national antiraciste

on l’a vu (chapitre 2), les grévistes de la faim de mars-avril 1983 ont noué des liens avec les plus éminents membres du gouvernement tout en n’étant pas soutenu par d’autres, notamment le ministre de l’Intérieur, Gaston Deferre, qui préférait une politique « répressive » à une politique « préventive ». Malgré l’opposition de certains ministres, la mobilisation non violente et l’étendue des liens d’interconnaissance de Delorme avec la mouvance socialiste ont permis l’audition de plusieurs jeunes de SOS Avenir Minguettes à l’Élysée et à Matignon. Le recours aux instances gouvernementales permettait aux jeunes des Minguettes de transformer (temporairement) le rapport de force local et de contourner le face-à-face avec la police et la municipalité communiste de Vénissieux. Mais, contrairement à la grève de la faim, la Marche ne « cible » pas directement la police, la justice et la mairie, mais « interpelle » le gouvernement : les marcheurs ne cherchent pas le soutien gouvernemental pour mener une action collective, mais à faire pression sur le président de la République et le gouvernement pour qu’ils mènent une politique favorable aux immigrés. Or cette stratégie d’interpellation rencontre deux obstacles majeurs qui expliquent une certaine prudence, voire une méfiance, du gouvernement. Le premier obstacle est l’effet politique de l’analyse dominante de la montée en puissance du FN. Le succès électoral du parti d’extrême droite en 1983, notamment lors des élections municipales régulières (mars) et partielles (septembre), provoque le début de « la réorganisation des compétitions politiques autour de lui86 ». La défaite de Françoise Gaspard, députée-maire de Dreux, aux élections municipales partielles, face à un Jean-Pierre Stirbois allié à la droite au second tour, produit un choc symbolique et conduit les socialistes à s’interroger sur les raisons du succès du FN. L’analyse électorale dominante, construite notamment par le CEVIPOF (Centre d’études de la vie politique française, aujourd’hui appelé Centre de recherches politiques de Sciences Po), correspond globalement au raisonnement suivant : puisque le « vote FN » serait la traduction électorale de la « xénophobie populaire », les succès électoraux des autres partis dépendraient de leur capacité à séduire l’« électorat frontiste ». Cette analyse a beau être erronée scientifiquement87, elle s’est imposée dans l’espace 131

Chapitre 4

public à partir du début des années 1980 chez les professionnels de la politique, de droite comme de gauche, les directeurs de campagne et les conseillers en communication politique. Cette analyse électorale conduit la gauche de gouvernement à adopter une posture politique plus ambivalente que celle qu’elle avait jusque-là menée en direction des étrangers (suspension des expulsions des double peine et régularisation massive des sans-papiers en 1981). D’un côté, elle semble soutenir les revendications des jeunes de banlieue et des immigrés alors que, de l’autre, elle « donne des gages » aux électeurs du FN en affichant sa lutte contre l’immigration « clandestine ». Suite à la visite surprise de François Mitterrand aux Minguettes*, celui-ci déclare « mieux comprendre les problèmes difficiles88 » de la ZUP et vouloir « [s]’attaquer aux sources d’un malaise et d’un déséquilibre social d’une immense ampleur », tout en affirmant que « l’immigration clandestine doit être tarie » pour « créer des conditions respectables de vie89 » pour les étrangers installés légalement en France. Le président construit donc une opposition entre « bons » étrangers légaux et « mauvais » étrangers « clandestins », sachant que la « bonne » intégration des premiers nécessiterait la restriction de l’entrée des seconds sur le territoire national. Sans forcément reprendre à leur compte cette structure d’opposition, les militants de la Cimade partagent la même analyse politique du succès du FN. Comme on l’a vu, le principal objectif de la Marche est de « prouver » qu’il existe une opinion publique favorable aux immigrés, à laquelle le gouvernement est censé répondre, ce qui les amène à privilégier l’« appel à l’opinion », à « lisser » leur discours et à être fortement dépendants du traitement médiatique de la mobilisation. Ce n’est donc pas un hasard si les grandes personnalités politiques et syndicales s’intéressent à cette mobilisation non violente uniquement lorsqu’elle coïncide avec l’agenda médiatique : l’émotion publique suscitée par * Le 10 août 1983, Mitterrand se rend aux Minguettes après avoir visité la « Muraille de Chine » du quartier Montchauvet à Saint-Étienne, sans que la presse régionale ne soit officiellement informée. Cette technique de communication politique avait été utilisée par l’ex-président Valéry Giscard d’Estaing le 10 août 1974 (visite de la prison Saint-Paul à Lyon). Accompagné de Dufoix, Gilbert Trigano et du préfet Philip, le président est accueilli par SOS Avenir Minguettes et certains habitants de Monmousseau. 132

L’improbable construction d’un consensus national antiraciste

l’assassinat d’Habib Grimzi* constitue ainsi un véritable tournant pour la Marche. Comme le souligne Delorme, « c’est ce qui va provoquer l’arrivée de gens comme Jack Lang, qui vont venir parce qu’à ce moment-là, la Marche intéresse les grands médias et que le pouvoir estime qu’il faut réagir face à ce qui s’est passé90 ». En effet, de nombreuses personnalités s’invitent à la Marche à partir de l’étape de Mulhouse (15 novembre) : Edmond Maire (secrétaire général de la CFDT), Alain Parmentier (secrétaire national de la Commission Immigrés du PS), Georgina Dufoix, Huguette Bouchardeau (ministre de l’Environnement et militante du PSU), Serge Depaquit (secrétaire national du PSU), Jack Lang (ministre de la Culture), Mgr  Lustiger, Claude Cheysson (ministre des Relations extérieures), etc. Les ministres déjà mentionnés sont rejoints, dans les rangs de la manifestation parisienne, par d’autres personnalités politiques (Gisèle Halimi, Bernard Stasi, Olivier Stirn, Marie-Claire Mendès-France, Alain Krivine, Michel de la Fournière [PS], Mireille Bertrand et Guy Pousy [PCF]) et des vedettes (Renaud, Enrico Macias, Fernando Arrabal, Jean-Edern Hallier, etc.). La présence massive des personnalités nationales après l’affaire Grimzi contraste avec la timidité constatée jusqu’alors. Comme le souligne, le 2 novembre, un membre du cabinet de Georgina Dufoix, le « soutien des grandes fédérations politiques syndicales ou humanitaires s’est fait jusqu’à présent à l’échelon départemental » et sur « le plan de la prise en charge de l’accueil des marcheurs aux étapes, ce sont avant tout les églises catholiques et protestantes, ainsi que le PSU, qui se sont mobilisés91 ». Par exemple, la gauche de Chambéry « fait le minimum » le 3 novembre : le PS soutient mais les militants et élus se sont peu déplacés, le PCF « a fait le mort92 » et seul le PSU * Le 14 novembre 1983, Grimzi est lynché et jeté du train Bordeaux-Vintimille par les légionnaires Anselmo Elviro-Vidal, Marc Béani et Xavier Bondel. Le 25  janvier 1986, Anselmo Elviro-Vidal et Marc Béani sont condamnés à perpétuité, et Xavier Blondel, bénéficiant de circonstances atténuantes, à quatorze ans de prison. Béani obtient en 1987 un second procès suite à un vice de forme et voit sa peine réduite à vingt ans de prison par la cour d’assises de HauteGaronne. Cette affaire inspirera le film Train d’enfer de Roger Hanin (1985), le roman Point kilométrique 190 d’Ahmed Kalouaz (1986) et le titre Averrani du chanteur kabyle Lahlou Tighremt. 133

Chapitre 4

et certaines organisations écologistes, pacifistes et d’extrême gauche se sont réellement mobilisées. Du côté de l’Élysée, même si Mitterrand accueille d’un bon œil l’idée de la Marche lors de sa rencontre d’août avec SOS Avenir Minguettes, en leur promettant de les recevoir à l’Élysée en cas de succès, l’agenda présidentiel et gouvernemental n’est pas centré sur le « malaise des banlieues ». La gauche de gouvernement fait face à un chômage massif (dépassement du seuil symbolique des deux millions de chômeurs) et à des grèves dures contre les licenciements, notamment dans l’industrie automobile. L’année 1983 correspond au « tournant de la rigueur », qui signifie un changement radical d’orientation de la politique économique : après les nationalisations de grandes entreprises (banques, sidérurgie, etc.), l’augmentation du SMIC, des allocations familiales et du minimum vieillesse, la retraite à soixante ans, la diminution du temps de travail à trente-neuf heures, la réforme du code du travail, etc., autant de mesures prises en 1981 allant dans le sens des intérêts de la classe ouvrière, la gauche de gouvernement fait le choix de la réduction des déficits publics et d’intégrer le Système monétaire européen (SME), diminuant irrémédiablement ses marges de manœuvre budgétaires. Selon un membre du secrétariat général de l’Élysée, la Marche n’est donc pas la priorité de la présidence93. Cependant, cette attention oblique de l’Élysée à l’égard de la Marche est contrecarrée par la mobilisation de Jean Blocquaux qui semble avoir joué un rôle déterminant dans le maintien de la Marche dans l’agenda gouvernemental, en convaincant Dufoix et les membres de son cabinet, notamment Alain Gillette (directeur) et Christian N’Guyen (directeur adjoint), d’être attentifs à la mobilisation. En effet, « au départ, le cabinet ne veut absolument pas mouiller le ministre [des Affaires sociales, Pierre Bérégovoy] », mais Blocquaux considère qu’« on ne peut pas ne pas aider pour que ça réussisse94 ». Ancien du PSU et syndicaliste à la CFDT, encarté au PS en 1983 et disposant d’une formation d’éducateur spécialisé, Blocquaux a un profil atypique comparé à celui des énarques du cabinet. C’est à la suite des rébellions urbaines de la région lyonnaise en 1981 qu’il est sollicité par Jean-Pierre Rosenczveig, magistrat et membre du 134

L’improbable construction d’un consensus national antiraciste

cabinet de Dufoix, pour concevoir et mettre en œuvre les opérations « anti-été chaud » (chapitre  3). Après l’été 1982, il s’occupe également, aux côtés de N’Guyen, de la résorption des bidonvilles de Nanterre (avec des discussions parfois houleuses avec l’association Gutenberg) et il est chargé, en 1983, du suivi quotidien de la Marche au risque d’être « viré » du cabinet si la mobilisation dérape*. Compte tenu des réticences du cabinet, il ne fait que représenter « discrètement et officieusement95 » le secrétariat d’État au départ de la Marche et devient l’interlocuteur privilégié de la coordination nationale. Considérant son parcours professionnel et politique, il soutient vivement la démarche non violente et informe Dufoix, au jour le jour, de l’état de la mobilisation. L’objectif du secrétariat d’État est de créer les conditions du succès de la Marche sans paraître la soutenir inconditionnellement et être « débordé ». Ainsi, Dufoix envoie dès le 7  octobre une circulaire à tous les préfets concernés leur demandant de « veiller au bon déroulement de cette marche » et de « mettre en œuvre, avec discrétion, les moyens nécessaires pour que tout incident, quelle qu’en soit l’origine, soit évité96 ». Du côté du PS, Michel de la Fournière, secrétaire national aux droits de l’homme, adresse lui aussi une circulaire aux fédérations leur demandant « d’accueillir favorablement cette initiative97 ». Globalement, le gouvernement adopte la position suivante : « ni maternage, ni ignorance » et « réception à l’arrivée selon l’impact affectif 98 ». L’« impact affectif » est mesuré non seulement par la couverture médiatique de la mobilisation**, avec pour point de bascule, comme on l’a dit, l’affaire Grimzi, mais aussi par le nombre de lettres de soutien, de pétitions et de cartes postales confectionnées * La première réunion avec Delorme, Costil et Djaïdja a lieu en septembre 1983. La presse signale la présence de Blocquaux aux étapes de Marseille et de Lyon, et celle de Gillette à Lyon et Pont-à-Mousson. Selon Blocquaux, sa position est « très ambigüe. C’est-à-dire je ne viens pas représenter le ministre. […] Les gens savent parce qu’ils m’ont vu, que je fais partie du cabinet de Georgina. Ça donne une position de retrait. À la limite, on me vire du cabinet si ça dérape » (entretien avec Jean Blocquaux, Plaisir, 15 janvier 2009). ** Le 7 octobre, Dufoix demande aussi aux services préfectoraux une « revue de presse » de la Marche, ce qui permet par la suite au secrétariat d’État d’imprimer et d’envoyer un « press book » aux marcheurs. 135

Chapitre 4

par les organisateurs* et illustrées par la fameuse image d’une personne marchant avec une babouche et une charentaise en direction de la tour Eiffel, adressées à la présidence de la République. On dénombre au total 20 728 cartes (1 635 en octobre, 13 639 en novembre et 5 454 du 1er au 9 décembre), 17 lettres et 8 pétitions99. Tous ces éléments amènent Blocquaux à affirmer que « le phénomène « boule de neige » souhaité par les organisateurs semble se produire100 » et, suite à la décision des organisateurs d’inviter Dufoix à prendre la parole à la fin de la manifestation parisienne**, le secrétariat d’État s’implique directement dans l’organisation pratique. En effet, « à partir du moment où [Dufoix] prendrait la parole », Blocquaux « commence à l’organiser101 » en sollicitant le cabinet du ministère des Affaires sociales et EDF pour respectivement financer et installer le podium et sa sonorisation sur l’esplanade de Montparnasse. Le deuxième obstacle à la stratégie d’interpellation est le stigmate qui colle à la peau des marcheurs. Lors de la première réunion au secrétariat d’État, « tout le monde a peur au cabinet. On sait ce que va donner l’engagement politique si ça dérape, si c’est des bagarres tout le long…102 » Selon un membre du secrétariat général de l’Élysée, la présidence est marquée par un « mélange d’appréhension, d’intérêt et d’espoir » : « si ça pouvait canaliser de manière positive l’énergie de jeunes qui s’exprimaient de manière plutôt violente, c’était plutôt positif » mais, en même temps, « ça pouvait toujours d’une certaine manière dégénérer, être violent » et « il pouvait y avoir des inquiétudes contre des propos qu’ils tenaient, qui pouvaient être maximalistes et que jamais la gauche pourrait assumer ». Autrement dit, * La carte contient le texte suivant : « Monsieur le Président, Par cette carte, je tiens à manifester ma solidarité avec la Marche pour l’égalité partie de Marseille le 15 octobre et qui arrivera à Paris le 3  décembre 1983. Cette marche veut rassembler les habitants de France de toutes les origines pour la constitution d’une société solidaire. » ** Cette décision est prise peu avant l’arrivée à Paris et confirmée lors d’une discussion entre des membres du cabinet et certains marcheurs, dont Delorme, organisée à la brasserie La Tour d’Argent (place de la Bastille) le 3 décembre à 12 h 15 (AJB. Alain Gillette, Note sur la Marche et le programme du samedi 3  décembre, Paris, 2 décembre 1983). On retrouve donc à la tribune un représentant du comité d’accueil parisien (José Vieira), du Collectif Jeunes (Kaïssa Titous), les marcheurs et Dufoix. 136

L’improbable construction d’un consensus national antiraciste

la Marche « pouvait se retourner contre la gauche103 ». Cette appréhension est d’autant plus forte que, d’une part, les services de police transmettent au Premier ministre le casier judiciaire et les affaires pénales en cours de certains marcheurs et, de l’autre, la presse s’est déjà fait l’écho de l’inculpation et du mandat d’amener suspendu à l’encontre de Djaïdja pour une affaire remontant au 13 janvier 1982. Le juge d’instruction Thierry Cretin s’est en effet rendu sur son lit d’hôpital après l’incident du 20  juin et lui a signifié son inculpation pour tentative d’homicide volontaire et coups et blessures sur agent de la force publique104. Le gouvernement socialiste est donc très réticent à afficher une solidarité sans faille à des « délinquants », que l’opposition et la presse ne manqueront pas de dénoncer après le succès de la manifestation parisienne (chapitre 5). Comme on l’a vu, l’usage d’un mode d’action non violent permet de « grandir » les stigmatisés, ce qui est certainement efficace auprès du cabinet de Dufoix, selon lequel « il serait souhaitable de montrer que le langage employé aujourd’hui, non-violence, explication, discussion, est parfaitement perçu et recevable105 ». Mais le stigmate du « délinquant » pèse toujours sur les marcheurs, notamment lorsqu’il s’agit d’organiser la réception à l’Élysée, qui est décidée au dernier moment, c’est-à-dire lorsque le pouvoir exécutif constate qu’aucun incident ne vient ternir la mobilisation et que la Marche ne risque pas de « se retourner » contre lui*. Le cabinet Dufoix avait préparé auparavant des « fiches [sur les] participants à la marche pour sélection chez [Pierre] Bérégovoy106 ». Ainsi, à l’exception de Djaïdja, qui bénéficie d’une attention spéciale en raison de son statut de leader associatif, tous les marcheurs ayant un casier judiciaire ont été écartés et des responsables de l’Élysée s’interrogent même au sujet des militants de la Cimade : « il fallait voir si Delorme était un « excité ». Est-ce qu’on pouvait lui faire confiance ? Je me suis renseigné : est-ce que c’est plutôt un « canalisateur » ? Et qu’est-ce que ça veut dire aussi * L’Élysée décide de retarder au maximum une réunion des chefs d’État de la Communauté économique européenne à Athènes pour que le président puisse recevoir les marcheurs, mais « c’est durant la marche dans Paris [vers 16 h] qu’on [leur] donne le top [et qu’on leur dit que le président] les reçoit. Parce qu’on a toujours peur que la manif dérape » (entretien avec Jean Blocquaux, op. cit.). 137

Chapitre 4

de dire non ? […] Le non était quand même terrible ». Au bout du compte, un membre du secrétariat général « ne [se] souvien[t] pas qu’il y ait eu beaucoup d’hésitation pour que le président les reçoive » et « pense que Delorme a dû se porter garant ». Certes, « il y avait une petite prise de risque, mais ne pas la faire était une fermeture un peu terrible […] parce que quand même, il y avait de l’espoir autour de ça et casser un mouvement qui donne de l’espoir, ce n’était pas le rôle de la gauche dans ces années-là107 ». Le processus de sélection des invités provoque inévitablement des tensions au sein du groupe des marcheurs. Selon Delorme, « c’était une chose qui était difficile à gérer et qui a laissé des traces [et] de l’amertume chez certains marcheurs108 ». Pourtant, certains marcheurs qui n’ont pas de casier judiciaire, comme Farid L’Haoua, ont également été écartés de l’entrevue, sans que l’on sache vraiment pourquoi. Selon lui, son éviction s’explique par sa « tendance à pousser sur des revendications un petit peu plus fortes » et « son discours trop politique109 ». Par ailleurs, certains marcheurs rapportent qu’on aurait demandé aux invités de retirer leur keffieh palestinien pour entrer au palais de l’Élysée : On nous avait interdit de porter le keffieh palestinien, sachant qu’on portait les keffiehs parce qu’il faisait très froid. On avait des écharpes, des gants, et ces écharpes étaient vraiment confortables et puis, en même temps, c’était le look de l’époque. C’était porté par les jeunes et il n’y avait absolument pas de représentation symbolique par rapport à la Palestine. Et ça a été une demande officielle de l’Union des étudiants juifs de France, voire même du CRIF [Conseil représentatif des institutions juives de France], que ce foulard ne soit pas autour du cou de la délégation reçue par François Mitterrand. Il a fallu négocier avec les marcheurs pour qu’on ne le porte pas. Alors quand on nous a posé ça comme problème, on en a reparlé ensemble et là on a commencé à dire « mais pourquoi on nous demande ça ? » [Les motifs étaient :] « Reconnaissance implicite de l’État palestinien », « respect vis-àvis de l’État d’Israël ». [Nous avons alors trouvé une] astuce : dans l’urgence, on nous fait fabriquer des petits foulards, pas aux couleurs de la Palestine mais qui avaient la même texture… 138

L’improbable construction d’un consensus national antiraciste

des keffiehs miniatures, qu’ils ont tous glissés, planqués sous le manteau. En rentrant, ils n’étaient pas visibles et, en sortant, sur la photo, les foulards y étaient…110 Cette anecdote est révélatrice des divisions politiques, notamment au sujet du conflit israélo-palestinien, occultées par l’unanimisme de la Marche, qui réapparaissent plus tard dans le cadre du conflit entre le mouvement « autonome » des jeunes issus de l’immigration et l’association SOS Racisme créée en 1984 (chapitre  5). Le processus de sélection des invités à l’Élysée illustre ainsi le difficile effacement du stigmate porté par les enfants d’immigrés, malgré l’accueil très favorable des médias nationaux vis-à-vis de la Marche.

4.

Un traitement médiatique favorable

Comme on l’a vu, le Forum justice organisé le 23 juillet 1983 par SOS Avenir Minguettes, Zaâma d’Banlieue et Wahid Association accuse « certains journalistes, chargés des faits divers, de diffamations dangereuses dans un contexte xénophobe et violent qu’ils entretiennent en publiant systématiquement les versions policières des événements111 ». Cette critique du journalisme renvoie à une réalité objective : la stigmatisation quotidienne des classes populaires, des jeunes et des étrangers dans la presse régionale ou nationale. On observe ainsi, tant dans les années 1970-1980 que de nos jours, des « logiques d’exclusion médiatique112 » : le traitement médiatique des « banlieues », de la « délinquance étrangère » ou de l’« insécurité » est le produit de multiples contraintes économiques et structurelles propres au champ médiatique, qui favorisent une discrimination, directe ou indirecte, des habitants des banlieues, des jeunes et des étrangers113. Tant pour la presse régionale que pour la presse nationale, la relégation de ces catégories de la population s’explique d’abord par leur marginalisation, voire leur exclusion de l’entre-soi et du monde social des propriétaires de journaux et des journalistes. Les journaux s’inscrivent en effet dans les relations sociales propres aux élites régionales et nationales auxquelles les classes populaires ne sont absolument pas intégrées. Ensuite, leur exclusion est favorisée par les stratégies marketing de promotion et de diffusion de la presse et des médias 139

Chapitre 4

audiovisuels : « Si racisme il y a, il s’avère ainsi « engrammé » dans les typologies du marketing, aussi sociologiquement fantaisistes soientelles, produites par des études demi-savantes mais opérationnelles depuis plusieurs décennies114. » En effet, ces études marketing considèrent que les classes populaires et les immigrés sont « indifférents » à la presse locale et nationale : ils ne sont donc pas une cible, non seulement du fait de leur supposée « indifférence » mais aussi de leur faible pouvoir d’achat. La survie économique des médias écrits et audiovisuels dépendant de la publicité, l’enjeu essentiel consiste à conserver leurs lecteurs, auditeurs et téléspectateurs, dont les caractéristiques sont variables en fonction des médias, et à conquérir un nouveau public solvable, appartenant surtout aux classes moyennes et supérieures. Enfin, si les médias multiplient les articles, les Unes et les couvertures alarmistes sur les banlieues, c’est en raison de la « fait-diversation » de la presse entamée à la fin du xixe siècle115 et poursuivie à la télévision au xxe116. Les banlieues sont en effet l’objet de discours stigmatisants dans les rubriques « faits divers » et « société », qui constitueraient un enjeu de survie économique pour les médias de masse. Les sujets susceptibles de remplir ces rubriques doivent intéresser le public habituel et un éventuel nouveau public : l’insécurité fait ainsi partie des « marronniers », c’est-à-dire des sujets de société marqués par une rentabilité éditoriale relativement forte, mesurée par les chiffres de ventes de journaux et des « parts de marché » des audiences audiovisuelles. La logique de concurrence entre médias pour obtenir une information exclusive, le « scoop », conduit à un besoin constant de faits divers, dont le stock est essentiellement fourni par le gouvernement, les forces de police et la justice. Il existe ainsi une véritable dépendance des journalistes à l’égard des sources officielles, à tel point que se met en place une « forme de co-production de l’information avec les sources officielles117 ». Cette relation de dépendance favorise une faible distanciation des journalistes à l’égard des sources officielles, ce qui permet la circulation et l’utilisation sans critique des catégories policières dans le champ médiatique. Ce phénomène de médiatisation des catégories d’entendement policier est ensuite relayé par la logique de « circulation circulaire de l’information118 » : 140

L’improbable construction d’un consensus national antiraciste

dans la mesure où les journalistes se lisent entre eux et publient les informations que d’autres ont déjà publié, ces catégories se diffusent subrepticement au point de ne plus distinguer « banlieue », « insécurité » et « délinquance ». Ce sont ces divers mécanismes qui sont à l’œuvre à l’époque de la Marche, mais, comme on l’a vu, il importe aux organisateurs d’avoir « des relations bien établies avec la presse nationale et locale » pour que le mouvement « constitue un « coup médiatique » et que les médias y fassent écho régulièrement et amplement119 ». La critique du journalisme ne fait donc pas partie des revendications, sachant que les marcheurs bénéficient de relations privilégiées avec certains journalistes. En effet, il est significatif que l’appel à la Marche soit diffusé dans de nombreux quotidiens nationaux – Le Quotidien de Paris (15 au 16 octobre), Le Monde (16 octobre), Le Matin (8-9 octobre), Libération (15 au 16 octobre) et La Croix (8 octobre) – sans compter les publications proches du mouvement pro-immigré  – Non-violence politique (septembre), La Semaine de l’émigration (n°  53, 22  septembre), Sans frontière (no 79, octobre), Nouvelles cités (novembre) et Tiembo. Le lien réunionnais. Mensuel de la fédération des associations réunionnaises en métropole (aoûtseptembre 1983). Sachant que la marcheuse Elisabeth Danière publie également des chroniques dans Les Nouvelles, il faut souligner les très bonnes relations nouées avec des journalistes non seulement de la presse écrite – Robert Marmoz et Éric Favereau (Libération), Nicolas Beau (Le Monde), etc. –, mais aussi audiovisuelle – Bernard Langlois (producteur et animateur de l’émission Résistances sur Antenne 2), Tewfik Farès (émission Mosaïque sur FR3), etc. Ces journalistes publient des articles et diffusent des reportages très positifs tout au long du parcours de la Marche, en titrant par exemple « 40 apôtres de l’antiracisme » (Le Monde, 23 novembre) ou « Coup de cœur pour les Beurs » (Le Matin de Paris, 5 décembre), participant ainsi à la médiatisation tant recherchée par les organisateurs. Cette médiatisation positive s’explique d’abord par la structure du champ médiatique de l’époque120. Comme le rappelle Langlois, il existait un « plus grand libéralisme121 » après l’arrivée au pouvoir de la gauche en 1981, qui permet le retour de plusieurs journalistes qui 141

Chapitre 4

avaient été écartés de l’Office de radiodiffusion-télévision française (ORTF) en 1972 (Langlois, Pierre Desgros, etc.). Ce changement d’effectifs va de pair avec des journaux télévisés faiblement formatés par la contrainte de l’audimat (les JT durent quarante-cinq minutes sans pression publicitaire), ce qui favorise une certaine indépendance journalistique à l’égard des propriétaires et de la publicité. Ensuite, la médiatisation favorable à la Marche s’explique par les trajectoires sociales et les sensibilités politiques de ces journalistes, plutôt à gauche, qui dérogent généralement à la règle de la stigmatisation des jeunes de banlieue. Cependant, le traitement médiatique de la Marche n’est pas, de manière générale, sans ambivalence dans la mesure où il participe grandement à « culturaliser » les enjeux politiques et à diffuser une catégorie très problématique : « beur » (voir chapitre 5). Aussi favorable qu’elle soit, la médiatisation de la Marche révèle une partie des ambiguïtés de l’apothéose parisienne.

5.

Les ambiguïtés de l’apothéose parisienne

« [L]a situation qu’engendre l’immigration n’est comparable à aucune autre. En effet, alors qu’en d’autres circonstances le stigmate peut donner à la révolte (nationaliste ou régionaliste, par exemple) ses fondements économiques et sociaux, ses arguments politiques et symboliques, ses principes d’unification et ses bases de mobilisation, suffit-il, dans le cas des immigrés, à assurer véritablement leur identité culturelle ? Au risque de contredire les fictions qui animent les politiques qui se targuent de reconnaître et de promouvoir l’« identité culturelle » des immigrés, n’est-on pas en droit de se demander si une identité culturelle peut être fondée totalement sur le stigmate, si elle peut encore se prévaloir et se faire reconnaître en l’absence de toute garantie étatiquement établie ? Par une sorte de revanche ironique de l’histoire, ce sont, précisément, ceux qui ont été et sont encore, à la fois, les premières et les dernières victimes des idéologies nationalistes, celles « de la terre et du sang », qui sont contraints aujourd’hui, pour réaliser leur identité, de s’inventer de toutes pièces la « terre », le « sang », la « langue », l’« ethnie », etc., tous les critères « objectifs » pour la revendication de cette identité. Le comble du paradoxe semble être atteint quand on aboutit à cette sorte de « nationalisme sans nation », de « patriotisme sans patrie », de « territorialité sans territoire », qui peut conduire à la revendication d’un territoire. Abdelmalek Sayad, La Double Absence, Paris, Seuil, 1999, p. 364.

Le succès de la manifestation parisienne, le soutien massif à l’initiative et le traitement médiatique très favorable à la Marche produisent une certaine euphorie chez les mouvements antiracistes 143

Chapitre 5

et les associations des « jeunes issus de l’immigration ». À l’issue de la Marche, la coordination nationale diffuse un appel des marcheurs, intitulé « La Marche… et puis après », qui révèle leur optimisme concernant l’avenir de leurs mobilisations : Il y a deux mois, peu de gens croyaient qu’un mouvement populaire de dimension nationale pouvait se manifester en France pour dire « non ! » aux meurtres racistes et aux glissements xénophobes de la société. Nous avons cependant osé lancer cette première Marche […] et force est de constater que nous avons eu raison. Oui, il était possible de réveiller la France de la solidarité pour qu’elle reprenne l’avant-scène de l’actualité usurpée par des nostalgiques du nazisme et du fascisme ! […] Cette première marche marque un tournant. La vie ne peut plus être à présent tout à fait la même. Les marcheurs « plac[ent leur] espérance dans la capacité des jeunes de familles immigrés à s’organiser et à prendre parole ». C’est ainsi qu’ils ont « l’intention de créer dans cette banlieue lyonnaise [aux Minguettes] un pôle d’initiatives et de coordination pour continuer à entretenir en France le combat pour l’égalité1 ». L’idée que « rien ne devra plus être comme avant2 » est partagée par un grand nombre de militant-e-s. Cependant, l’optimisme de l’après-Marche bute rapidement sur une série d’obstacles et de difficultés d’organisation pour mener le « combat pour l’égalité ». Ce chapitre tente de montrer que l’apothéose parisienne occulte temporairement certaines ambiguïtés révélatrices des tensions sociales de l’époque : les acquis de la Marche, la gêne du mouvement ouvrier face à la Marche et l’immigration post-coloniale ; la « culturalisation » des enjeux et la construction du « problème musulman » ; l’occultation de la question post-coloniale et l’emprisonnement de Toumi Djaïdja. Pour autant, ces ambiguïtés ne doivent pas dissimuler les effets politiques et sociaux de grande ampleur du succès de la Marche, que l’on peut qualifier de « Mai 68 » des enfants d’immigrés postcoloniaux, tant du point de vue du foisonnement de la culture « beur » que de la socialisation politique de milliers d’enfants d’immigrés. 144

Les ambiguïtés de l’apothéose parisienne

1.

Les ambivalences de l’unanimisme antiraciste

Une victoire politique ambiguë : la carte de séjour de dix ans Comment expliquer que la « carte de dix ans » soit le principal acquis de la Marche alors qu’elle ne figurait pas parmi les premières revendications de SOS Avenir Minguettes en avril  1983 (égalité de traitement par la police et la justice, droit au travail et droit au logement) ? Pour répondre à cette question, il faut d’abord rappeler que la question du droit des étrangers était quasiment absente pendant la grève de la faim des Minguettes, parce que les enjeux portaient sur tout autre chose et que l’écrasante majorité des grévistes, Français de parents français et enfants de « harkis », avaient déjà la nationalité française*. Après la suspension des expulsions des double peine, la stabilité des étrangers sur le territoire français n’était pas un enjeu central pour les jeunes de Monmousseau en 1983. On  peut donc faire l’hypothèse que les revendications initiales subissent une série  de cadrages qui, dans le déploiement de la mobilisation nationale, participent à filtrer, transformer et ajuster le discours général des marcheurs en fonction du public visé et de l’influence de certains acteurs associatifs ou politiques3. Ces cadrages ont pour conséquence, d’une part, la focalisation sur le statut des étrangers et, d’autre part, la marginalisation des questions de déviances policières violentes, de « justice de caste », de droit au logement et de droit au travail. * La seule mention des papiers d’identité concerne l’impossibilité pour les « harkis » de voyager en Algérie : « Lancez, Monsieur le Premier ministre, aussi un appel au gouvernement algérien qui rejette aussi nos enfants. Leur pays, c’est la France, mais c’est aussi l’Algérie. Pourquoi le président Chadli n’a parlé récemment que des touristes algériens venant en France ? Nous voulons, nous aussi, rentrer facilement en vacances avec nos enfants en Algérie. Que le président Chadli intervienne auprès de l’administration et de la population algérienne pour que nous y soyons bien accueillis » (ACL. Lettre des mères des grévistes de la faim et les mères du quartier, envoyée au Premier ministre, Vénissieux, 30 mars 1983). 145

Chapitre 5

Le premier cadrage est, comme on l’a vu (chapitre 4), politique et correspond au passage de l’espace local des mobilisations à l’espace public national (champ politique et médias de masse). Dans la mesure où les marcheurs souhaitent rassembler massivement l’opinion publique et éviter d’entrer en confrontation directe avec le gouvernement socialiste, ils privilégient la revendication du « droit à la vie » et de la lutte générale contre le racisme. Le deuxième cadrage est associatif et se produit dans la dynamique de la Marche. Le 1er  juillet 1983, au moment où l’idée de la Marche émerge, le siège national de la Cimade lance une « campagne pour la carte de dix ans », « renouvelable automatiquement, non informatisée, pour tous les immigrés ». L’objectif de l’opération est de « montrer que la France prend acte de la permanence des communautés immigrées sur son territoire et [de] provoquer « un grand débat national » sur cette question4 ». Cette campagne s’accélère en prévision du Conseil des ministres du 31  août 1983 consacré aux questions d’immigration, et Delorme propose au secrétaire général de la Cimade, Roby Bois, de la relier à la mobilisation initiée par les Lyonnais : « Cette piste de la Carte de Dix ans est très certainement une des meilleures qui peut être suivies, mais la difficulté est de la populariser. Or avec SOS Avenir Minguettes, nous formons un projet qui pourrait être, entre autres, le véhicule de cette popularisation, à savoir une Marche pour l’égalité5. » Par ailleurs, les comités d’accueil sont essentiellement constitués d’organisations antiracistes et d’associations de soutien aux travailleurs immigrés. Il n’est donc pas étonnant que les revendications propres aux mouvements immigrés et à leurs soutiens soient affichées dans les conférences de presse, les thèmes de débat, les banderoles, les tracts, etc. Comme le souligne Saïd Bouamama, il y avait en quelque sorte « deux marches dans la Marche6 ». Ce point de vue est partagé par le représentant officieux du gouvernement auprès des marcheurs, Jean Blocquaux, selon lequel il pouvait exister un « décalage » ou une « distorsion entre l’attente des marcheurs jeunes et les revendications portées par les associations de défense des immigrés » (encadré 5.1). Alors que la Cimade met en avant la question du statut des étrangers et de la carte de dix ans, « les jeunes, eux, parlent de leur quotidien dans les cités7 ». 146

Les ambiguïtés de l’apothéose parisienne

L’ordonnance du 2 novembre 1945 prévoit trois types de cartes de séjour : carte de résident temporaire (durée inférieure à un an), carte de résident ordinaire (valable trois ans) et carte de résident privilégié (valable dix ans et renouvelable automatiquement)8. Le statut des étrangers est plus stable à mesure qu’ils prolongent leur séjour. La carte de résident temporaire est remise dès l’arrivée en France, mais sa durée et son renouvellement se fait à la discrétion de la préfecture. Le changement pour une carte de résident ordinaire est possible également sur décision préfectorale, après une enquête de police et en fonction de conditions médicales, de revenu, etc. Le passage à une carte de résident privilégié est envisageable après trois ans de séjour et si l’étranger remplit des conditions selon des objectifs démographiques (entrée avant trente-cinq ans, enfants français, etc.). Même s’il y a trois types de carte, il existe en fait deux principaux statuts : celui des travailleurs temporaires (carte de résident temporaire, contrôle régulier par la préfecture, donc plus précaires et soumis au pouvoir discrétionnaire selon la conjoncture économique, les impératifs démographiques, etc.) ; et celui des travailleurs permanents (cartes de résident ordinaire et privilégié avec renouvellement automatique). Au final, la mise en application du nouveau système de carte de séjour en 1945 est plutôt favorable aux étrangers puisqu’environ 375 000 titres de séjour sont délivrés en 1947 (dont 53 % de cartes de résident privilégié, 20 % de cartes de résident ordinaire et 27 % de cartes de résident temporaire). La majorité des étrangers résidant en France ont un statut de résident permanent et bénéficient d’une protection contre l’expulsion, du renouvellement automatique, de la carte de travail permanente, etc. Cependant, à partir du milieu des années 1960, on observe une remise en cause de la stabilité du statut des ressortissants des États non membres de la Communauté économique européenne (CEE). D’un côté, les étrangers CEE bénéficient, après l’adoption du règlement communautaire du 15 octobre 1968, d’une liberté totale de circulation et d’un droit d’accès au marché du travail égal à celui des nationaux. De l’autre, les étrangers hors CEE voient leur statut se précariser à mesure que l’administration des étrangers, gérée par la Direction population et migration (DPM), se convertit à l’idée de « maîtrise des flux migratoires ». Les pratiques restrictives visent d’abord les Algériens bénéficiant d’un statut dérogatoire suite à la signature 147

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Encadré 5.1 : La longue bataille des étrangers pour la stabilité

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Chapitre 5

des accords d’Évian (1962) et d’accords bilatéraux. Ces  restrictions sont ensuite généralisées aux autres catégories d’étrangers. Les accords d’Évian prévoient en effet la libre circulation des ressortissants des deux pays afin de permettre aux Algériens, aux « Européens » et aux « harkis » de circuler entre la France et l’Algérie. Mais cette facilité profite surtout aux Algériens en raison de l’exode des « pieds noirs » et des « harkis » et du recrutement de travailleurs algériens, favorisé par les problèmes économiques de leur pays et le tarissement des immigrations italienne et espagnole vers la France (qui se dirigent plutôt vers la Suisse et l’Allemagne). Deux autres accords sont alors négociés en 1964 et 1967, le dernier assurant la liberté de circulation aux touristes algériens et une cogestion des flux de travailleurs. Les deux États fixent un contingent annuel de travailleurs algériens autorisés à travailler en France, qui sont sélectionnés par l’ONAMO (Office national algérien de la main-d’œuvre) : une fois entré en France, un Algérien doit trouver un travail au bout de neuf mois pour qu’on lui délivre un « certificat de résidence » valable cinq ou dix ans (équivalent d’un titre de séjour et d’une carte de travail). Ainsi, le statut des Algériens est plus stable que celui des autres étrangers hors CEE (Marocains, Tunisiens, Turcs, etc.), frappés de plein fouet par les circulaires Marcellin-Fontanet (janvier-février 1972). Depuis 1945, les préfectures pouvaient attribuer une carte de séjour avant l’obtention d’une carte de travail, et une grande partie des entrées étaient en fait des régularisations : les patrons faisaient entrer des travailleurs étrangers en dehors des procédures de l’Office national de l’immigration (ONI, créé en 1945) et ceux-ci étaient régularisés par la suite (80 % des entrées en 1968). Mais les ministres de l’Intérieur (Raymond Marcellin) et du Travail (Joseph Fontanet), sous la présidence de Georges Pompidou et le gouvernement de Jacques Chaban-Delmas, veulent désormais empêcher les possibilités de régularisation en dehors de l’ONI. Les circulaires de 1972 instaurent ainsi un « guichet unique » : un seul imprimé est valable pour les titres de séjour et de travail ; l’autorisation de travail est conditionnée par la justification d’un contrat de travail et d’un logement « décent » ; le principe de compensation nationale est appliqué (l’employeur doit faire une offre d’emploi à l’ANPE avant d’embaucher un étranger). Ces nouvelles dispositions réglementaires ont pour conséquence non seulement l’accroissement de la dépendance du travailleur étranger récemment entré en France vis-à-vis de son employeur, mais aussi la fabrique des étrangers « irréguliers ». Des milliers d’étrangers, qui 148

bénéficiaient de la régularisation « permanente », basculent de la légalité à l’illégalité et deviennent des « clandestins » susceptibles de bénéficier d’une « régularisation exceptionnelle ». La politique migratoire restrictive se poursuit sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing et le gouvernement de Jacques Chirac9. Ce dernier décide en juillet 1974, sous l’impulsion de la DPM et du secrétaire d’État chargé des travailleurs immigrés, André PostelVinay, la suspension « provisoire » de l’immigration de travail et du regroupement familial. Cette décision ne s’explique pas, comme on le dit souvent, par la crise économique, mais est motivée par la volonté de lutter contre la « menace démographique » de l’« immigration anarchique », d’éviter un « nouveau Mai 68, soutenu par une masse suffisante de travailleurs étrangers », de produire un « effet spectaculaire » (dissuader les « clandestins ») et de faire des économies budgétaires (notamment pour le logement). Cette politique restrictive est contestée par le mouvement pro-immigrés (Gisti, FASTI, Cimade, etc.). Les circulaires MarcellinFontanet sont dénoncées par le mouvement des « sans-papiers10 », qui mène à partir de décembre 1972 des grèves de la faim, et sont partiellement remises en cause par un arrêt du Conseil d’État (1975). La  même année, un autre arrêt du Conseil d’État annule la circulaire du 9 juillet 1974 suspendant l’immigration familiale et conduit à l’adoption du décret du 29  avril 1976 par le gouvernement de Raymond Barre, qui reconnaît un véritable droit au séjour aux familles de travailleurs étrangers réguliers. Mais le décret du 10 novembre 1977 du gouvernement Chirac suspend à nouveau, pendant trois ans, le droit au regroupement familial, sauf pour les membres de la famille ne demandant pas accès au marché du travail. Cependant, là encore, le décret est annulé le 8 décembre 1978 par le Conseil d’État, qui énonce que : « les étrangers résidant régulièrement en France ont, comme les nationaux, le droit de mener une vie familiale normale ». L’arrivée au pouvoir de la gauche en 1981 conduit à une double stratégie fondée sur la distinction entre « bonne » et « mauvaise » immigration. D’une part, la stabilisation des situations juridiques des étrangers ayant des attaches en France est assurée par l’assouplissement des conditions du regroupement familial, la régularisation massive des étrangers arrivés avant le 1er janvier 1981 et occupant un emploi (130 000 régularisations), l’instauration du droit d’association, du droit d’être représentant syndical, etc. D’autre part, le gouvernement adopte une logique de refoulement des autres catégories d’étrangers, 149

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notamment irréguliers, par le biais d’un renforcement des conditions de séjour (justification de l’objet et des conditions de séjour, certificat d’hébergement visé par la mairie pour les visites familiales, etc.). La loi Dufoix de 1984 adopte la même stratégie en instaurant le passage de trois à deux types de cartes de séjour : carte temporaire délivrée pour un motif précis, valable un an et renouvelable si le motif se poursuit (salarié, étudiant, visiteur, etc.) ; carte de résident, valable dix ans, renouvelable de plein droit pour les étrangers ayant des attaches en France, sans aucune restriction géographique et professionnelle. Les deux nouvelles cartes de séjour consacrent la fusion de la carte de séjour et de la carte de travail en un « titre unique de séjour et de travail » : sauf exceptions, le titulaire est dispensé de détenir un autre document (carte de travail) pour exercer une activité professionnelle. En même temps, la loi rétablit le système d’« aide au retour », qui avait été créé en 1977 par Lionel Stoléru (10 000 F) et supprimé en 1981, même s’il est cette fois basé sur des accords bilatéraux.

Le dernier cadrage est gouvernemental et correspond au travail de sélection des revendications « audibles » et jugées « faisables » par les membres du cabinet de Georgina Dufoix et la présidence de la République. Ainsi, Blocquaux suggère à la secrétaire d’État Dufoix, le 2 novembre 1983, une prise de parole gouvernementale articulée autour de deux dimensions : une « condamnation de toutes les formes de racisme » et une « réponse aux revendications qui ont été développées pendant la Marche », en l’occurrence « l’égalité des droits » par l’« application stricte de la loi de 1972 contre le racisme », la « carte unique de séjour », l’« ouverture plus large de l’école et des médias sur les cultures d’origine » et, « si possible, une réponse sur le droit de vote11 ». Un peu plus tard, le 25 novembre, le directeur adjoint du cabinet de Dufoix, Christian Nguyen, considère que les « jeunes expriment en particulier le désir de voir la décision du Conseil des Ministres du 31 août sur la mise à l’étude de titres uniques se concrétiser rapidement » et « interpellent le Gouvernement sur la proposition du Président concernant le droit de vote des étrangers aux élections locales ». Mais, selon lui, « leur inquiétude essentielle concerne les crimes racistes et ils souhaitent que le Gouvernement et la justice soient plus actifs ». Même si « [t]oute annonce serait 150

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cependant prématurée sur ce point », le cabinet met « à l’étude avec la Chancellerie la création de circonstances aggravantes pour les délits à caractère raciste (au-delà de la loi du 1er juillet 1972) et l’élargissement de la possibilité pour les associations de lutte contre le racisme de se constituer partie civile12 ». On voit que les revendications « sélectionnées » par les membres du cabinet Dufoix correspondent à celles du mouvement pro-immigrés et à celle – la carte de dix ans – qui est déjà « dans les tuyaux » du Conseil des ministres. Or, comme on l’a vu, le gouvernement fait preuve d’une grande prudence à l’égard des marcheurs et construit une opposition entre « bons » étrangers légaux et « mauvais » étrangers « clandestins ». D’un côté, il attend de voir si la Marche ne risque pas de jouer contre lui et, de l’autre, il cherche à « donner des gages » à tous les acteurs politiques qui l’accusent d’être « laxiste » en matière de politique d’immigration. Le gouvernement se retrouve donc à la fin de la Marche devant une contradiction : la mobilisation ne risque plus d’aller en sa défaveur, mais accepter toutes les revendications des marcheurs pourrait aussi lui porter préjudice politiquement. Cette contradiction apparaît au sujet des étrangers en situation irrégulière lors du processus de rédaction de la déclaration gouvernementale, co-rédigée par Dufoix et les membres de son cabinet, qui clôt la manifestation du 3 décembre. Dans la première version du discours, Dufoix aurait affirmé : « [I]l y a par ailleurs des personnes qui ne sont pas en situation régulière : je rappelle que cela n’est plus possible. » Blocquaux ajoute une note manuscrite, « Je pense qu’il faudrait l’éviter13 », montrant ainsi sa volonté d’aller contre la tendance à « donner des gages » à une politique migratoire restrictive. Malgré ces efforts, la version finale évoque quand même la question des sans-papiers, bien que de manière euphémisée (document 5.1) : « Le respect de nos lois et de nos règlements s’impose à tous, [que l’on] soit immigré ou français. Il y a en France des travailleurs qui ne sont pas en situation régulière : je rappelle que cela n’est plus possible. » La contradiction gouvernementale est tellement forte que Dufoix n’est pas autorisée à annoncer l’instauration du titre unique de séjour de dix ans sur l’esplanade de Montparnasse, bien que celle-ci soit déjà à l’étude et que Blocquaux ait insisté pour qu’elle en parle. 151

Chapitre 5

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Document 5.1 : Discours de Georgina Dufoix à la manifestation parisienne de la Marche, 3 décembre 1983 « Je m’adresse aujourd’hui, au nom du Gouvernement de la France, à ceux qui au terme de mille trois cents kilomètres de marche, sont ici rassemblés. Je m’adresse à ceux qui les ont accompagnés à travers nos villes et nos villages, à vous tous qui êtes ce soir à leurs côtés, et au pays tout entier qui a été si formidablement interpellé. Au long de ce chemin, vous avez témoigné de la lutte contre le racisme, pour l’égalité pour tous. Vous avez reçu le témoignage de ceux qui, venus de tous horizons, sont allés à votre rencontre. Vous êtes, aujourd’hui, les porteurs d’un message de ferme détermination et d’immense espoir. Votre force est d’autant plus grande, que ce sont des jeunes qui ont créé cet élan, cette mobilisation sans précédent, des jeunes qui ont lancé ce message de paix, de non-violence. Le Gouvernement de la France les salue. En son nom, je vous dis : votre message, c’est aussi le mien, c’est celui de tous les hommes, de toutes les femmes, épris de liberté. « L’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’homme sont les causes de bien des malheurs » : c’est le message que depuis deux siècles la France adresse au monde. Mais l’injustice, la violence, sont des menaces toujours présentes. Le racisme gagne du terrain. Il y a des paroles, il y a des actes, il y a des lâchetés individuelles ou collectives, qui sont indignes de la patrie des droits de l’homme. Le racisme au quotidien conduit à la violence et au crime. Cela est inacceptable. Et là, votre marche est un formidable témoignage ! Témoignage donné à ceux qui détournent les yeux, qui tolèrent, qui banalisent la montée de l’intolérance et du monstre xénophobe. Témoignage donné à tous les provocateurs qui cherchent à exploiter l’inquiétude, comme aux époques les plus sombres de l’histoire. Témoignage donné aussi à ceux qui tombent dans le piège de la provocation, dans la spirale de la violence. Et je dis avec vous : non à toutes les intolérances, non à tous les racismes ! Il ne suffit pas de dénoncer le racisme. Il faut lutter. Que fait le Gouvernement ? Que pouvons-nous faire ensemble ? Le Gouvernement sera sans faiblesse. Il a donné des instructions d’extrême fermeté face au racisme. Le Ministre de la justice proposera 152

prochainement que les violences à caractère raciste deviennent des infractions, des infractions pénales spécifiques, aux sanctions plus lourdes. De ce fait, les organisations luttant contre le racisme pourront se porter partie civile. Vous attendiez cette mesure. Voilà  notre réponse. Que pouvons-nous faire ensemble ? Hier, un jeune marcheur me disait : « Chaque gamin a un espoir en son cœur, faisons tomber les barrières en face d’eux. » Oui, à l’école, au travail, dans nos rues et à nos guichets, en nous-mêmes parfois, nous devons jour après jour lutter, contre ce fléau raciste, sans trêve et sans merci. C’est une nouvelle page de l’histoire de ce pays qu’il nous appartient d’écrire. La société de demain se construit aujourd’hui, et tous, français, immigrés, nous en sommes les acteurs. Tous sont appelés à y contribuer, qu’ils soient « beurs », parisiens, provinciaux, pour que la France de demain soit toujours plus riche des cultures qui la composent. Français, immigrés, égalité des droits : oui. Cela dans le respect de l’identité de chacun. Égalité des devoirs, aussi. Le respect de nos lois et de nos règlements s’impose à tous, [que l’on] soit immigré ou français. Il y a en France des travailleurs qui ne sont pas en situation régulière : je rappelle que cela n’est plus possible. Mais ce problèmelà n’est pas l’essentiel. L’essentiel, c’est plus que jamais de garantir les conditions de séjour, de logement, de formation, d’emploi. L’essentiel c’est le travail, l’insertion, la justice, la sécurité, la stabilité du séjour. Stabilité : de nouvelles garanties sont et seront apportées pour les titres de séjour et de travail. Sur ma proposition les restrictions de validité géographique ou professionnelle des cartes de travail seront effectivement levées dès janvier. Et bientôt, l’examen d’autres progrès sera achevé. Alors, à vous, Djamel, Christian, Malika, Jean, Toumi, Cécile, Farid, à tous les marcheurs, à vous tous qui à travers la France les avez rejoints, je dis : votre marche pour l’égalité et [« contre » oublié ?] le racisme ne se termine pas ce soir. Votre message de paix, de non-violence résonne à travers la France. Et c’est avec la plus extrême énergie que je lance, à tous, un appel à l’action. Oui, vivons égaux, avec nos différences : oui, vivons dans la liberté, l’égalité, la fraternité14. »

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Certes, son discours fait des promesses au sujet des crimes racistes (fermeté de la justice et constitution des associations en partie civile) et annonce une modification du droit des étrangers (levée des restrictions géographiques et professionnelles de la carte de travail). Mais il ne contient pas d’annonce politique à la hauteur des attentes suscitées par la Marche, ce qui explique en partie les sifflets qu’elle essuie, provenant notamment des membres du Collectif Jeunes et de toutes celles et ceux qui attendaient un discours plus « offensif ». Ceux-ci sont donc très étonnés de l’annonce de l’instauration de la carte dix  ans à l’issue de l’entrevue avec le président de la République*. Comme le souligne Christian Delorme, la satisfaction finale de cette revendication est le résultat d’un quiproquo avec le chef de l’État et de l’action de Yannick Moreau, chargée de mission à l’Élysée et membre du Gisti, qui « tenait beaucoup à ce que Mitterrand s’engage pour la carte de dix ans » : Dans la conversation, on est venu à la charge à deux ou trois reprises sur la carte de dix ans et Mitterrand, à un moment donné, a lâché : « Mais j’ai déjà dit oui à la carte de dix ans. Il y a quelques semaines, il y avait M. Chadli qui était en visite officielle en France et je lui ai dit que j’étais pour la carte de dix ans, donc il n’y a pas de problème. » On n’avait pas trop commenté ce que Mitterrand avait dit puisque c’était une erreur de parler de la carte de dix ans pour les Algériens parce qu’ils avaient déjà la carte de dix ans. Mais on se dit : « il a dit oui à la carte de dix ans » et c’est Yannick Moreau qui, à la sortie du bureau présidentiel, nous a dit : « dites bien à la presse qu’il a dit oui à la carte de dix ans ». Donc on a annoncé ça et les médias ont repris15. Les cadrages successifs font que les marcheurs invités reprennent à leur compte, en « revenant à la charge » plusieurs fois, la revendication de la carte de dix ans. Mitterrand répond qu’il avait déjà donné son accord au président Chadli Bendjedid à l’occasion du sommet * À son arrivée dans l’espace Balard, où est organisée la soirée de clôture de la Marche, Dufoix est même applaudie par une partie du public, qui loue sa modestie et sa volonté de ne pas s’attribuer le mérite de l’annonce de la carte de dix ans… (entretien avec Farid L’Haoua, Lyon, 2003). 154

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franco-algérien qui s’était tenu du 7 au 10  novembre à Paris, et semble ignorer que les Algériens ont un régime juridique dérogatoire et bénéficient déjà d’un « certificat de résidence », l’équivalent d’une carte de dix ans… Mais les marcheurs se saisissent de l’occasion pour annoncer devant les caméras que « le Président a dit oui à la carte de dix ans ». L’anecdote est révélatrice non seulement de la difficulté pour les marcheurs d’obtenir satisfaction de leurs revendications, mais aussi de la manière dont le gouvernement envisage la Marche, circonscrite à l’amélioration de la condition juridique des étrangers. Ce décalage entre les attentes des jeunes des Minguettes et les mesures voulues par le pouvoir politique socialiste fait écho aux rapports conflictuels avec le parti communiste et les syndicats de travailleurs. La gêne du mouvement ouvrier Dans les années 1968, les principales centrales syndicales françaises ont souvent été désemparées face aux revendications, à la fois spécifiques et universelles, des travailleurs immigrés dans les usines et les foyers Sonacotra16. À l’exception notable de certaines mobilisations et unions locales (essentiellement CFDT et parfois CGT), qui ont soutenu les luttes d’indépendance au Maghreb et les grèves de travailleurs immigrés, cette nouvelle figure de la classe ouvrière est difficilement saisissable à l’aide de catégories d’entendement syndicales et politiques marquées par le clivage national/étranger17. En effet, malgré l’existence de « commissions immigrés », de « secteur immigration » et de représentants immigrés au sein des organisations syndicales, les rapports qu’entretiennent les responsables nationaux avec les travailleurs immigrés relèvent souvent de relations internationales, c’est-à-dire de leur contact avec les États indépendants et les unions syndicales des pays d’origine membres de la IIIe Internationale socialiste18. Si les rapports peuvent être très bons dans certaines unions locales, il n’en reste pas moins que cette situation favorise l’apparition de tensions entre les appareils syndicaux et les travailleurs immigrés, qui se traduisent par la rhétorique de la « préférence nationale » et les difficultés rencontrées par les ouvriers immigrés pendant 155

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la vague de licenciements massifs dans la sidérurgie et l’automobile des années 1981-198419. Dans ce contexte historique, les syndicats ne sont pas les mieux placés pour comprendre l’apparition des premiers mouvements de « jeunes immigrés », qui sont aussi des enfants d’ouvriers. De  fait, la politique néolibérale menée sous Valéry Giscard d’Estaing, la déstructuration des espaces de socialisation ouvriers et l’apparition d’un chômage massif chez les jeunes de banlieues populaires participent à l’écroulement de la référence à la classe ouvrière et à la tradition syndicale20, voire à son absence dans les revendications de la Marche de 1983. Ainsi, cette dernière n’est pas soutenue par le maire communiste, Marcel Houël, ni par la CGT de Vénissieux, bien que ceux-ci aient été parmi les premiers responsables politiques et syndicaux à devoir faire face aux rébellions urbaines (avec les maires de Villeurbanne et de Vaulx-en-Velin). De leur point de vue, les « jeunes » font partie du sous-prolétariat urbain qui ne constitue pas une véritable « clientèle » politique et syndicale. Les jeunes des Minguettes n’étaient-ils pas un vivier de recrutement pour les Jeunes communistes (JC) ? Selon Guy Fischer, le premier adjoint au maire, « pas du tout. À l’heure actuelle, parmi les jeunes qui sont au parti, il n’y a pratiquement pas de jeunes d’origine immigrée. […] À la CGT, ça commence, il y en a un peu plus. […] Il y a toujours eu cette incapacité du PC à apparaître comme l’interlocuteur normal21 ». Si  les JC et l’Union des étudiants communistes (UEC) ont bel et bien accueilli des enfants d’ouvriers immigrés, notamment dans la région parisienne*, cette situation est loin d’être généralisable. Ce n’est pas un hasard si les relations entre les jeunes des Minguettes et les communistes ont été très tendues, notamment lors de la rébellion du 21  mars 1983, qui est l’occasion d’un conflit entre deux successeurs potentiels au fauteuil du maire, André Gérin (conseiller municipal) et Fischer (premier adjoint). Signe du faible « rendement » politique de la sympathie envers les jeunes, le soutien affiché de Guy Fischer à ceux-ci lui aurait « coûté » le poste de maire après le décès * Par exemple, certaines figures du mouvement « beur », telles que Kaïssa Titous ou Farida Belghoul, étaient proches du mouvement communiste. 156

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de Houël en 1985*. Parmi les communistes, ceux qui sont favorables aux revendications des jeunes sont ainsi relativement marginalisés au niveau municipal**. [C’est] une période assez vive qui a été à la source de beaucoup d’abus de l’équipe municipale, plus particulièrement du maire de l’époque. Puisqu’en fait, j’ai été discrédité dans la position que j’avais prise, qui était un soutien au mouvement des jeunes. […] Il y avait notamment par rapport à la grève de la faim, une position de la municipalité que je ne trouvais pas juste. […] Il y avait une sorte de cécité par rapport aux exigences, qui d’ailleurs sont toujours réelles, de répondre à la deuxième génération et aux jeunes, plus particulièrement d’origine maghrébine, notamment sur tous les grands problèmes de société22. Par ailleurs, la CGT et le PCF voient d’un mauvais œil une Marche soutenue par le PS, avec lequel ils sont en concurrence, tant au niveau local que national. Les mobilisations de SOS Avenir Minguettes constituent ainsi une source de tensions entre le PS et le PCF. Du point de vue de Houël, le fait que Mitterrand soutienne l’initiative lors de sa visite surprise aux Minguettes le 10 août 1983 montre que « le président de la République délégitimait ou n’approuvait pas l’analyse que pouvait avoir la municipalité sur les événements et la manière dont elle conduisait les rapports avec les jeunes23 ». Les marches suivantes, notamment Convergence 84 (voir infra), provoquent encore plus de méfiance. Par exemple, bien qu’elle ait été mise au courant de l’initiative, une des unions locales de la CGT ne s’est pas investie, tout à fait volontairement24. La méfiance à l’égard des « gauchistes » et le déficit organisationnel de la seconde marche expliquent en grande partie leur réticence à s’engager dans le mouvement. Ainsi, la configuration sociale et politique des années 1981-1983 ne favorise pas le rapprochement entre les syndicats, le PCF et les marcheurs * Gérin est maire de Vénissieux de 1985 à 2009 et député du Rhône de 1993 à 2012. ** Mais pas forcément au niveau départemental et national, puisque Fischer devient conseiller général et régional, puis sénateur du Rhône (1995-) et même vice-président du Sénat. 157

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Encadré 5.2 : Le PCF et l’immigration post-coloniale Alors que le PCF avait accueilli et politisé plusieurs générations de travailleurs immigrés européens, avec des variations de ligne politique et d’organisation selon les moments historiques, ses relations avec les immigrés post-coloniaux et leurs enfants s’avèrent être beaucoup plus tendues. Durant la période coloniale, l’orientation internationaliste du PCF dépendait en grande partie de la stratégie géopolitique de l’Union soviétique, d’où les revirements et les ambiguïtés du mouvement ouvrier français dans le soutien politique des indépendantistes et de leurs velléités d’autonomie. La question coloniale divise profondément la gauche française, incapable de s’opposer frontalement à la logique coloniale. S’il faut se garder de toute généralisation hâtive concernant les positions des communistes vis-à-vis des immigrés post-coloniaux, force est de constater que les ambiguïtés persistent après les indépendances, notamment lorsque certains élus communistes protestent contre la concentration des immigrés maghrébins et subsahariens dans leurs villes (lors du tournant nationaliste du PCF en 1979). Comme on l’a vu (chapitre 3), la politique de logement discriminatoire du maire de Vénissieux s’explique par la volonté de ne pas dépasser un prétendu « seuil de tolérance » et par la mobilisation d’habitants/électeurs des classes populaires stables contre les enfants d’ouvriers spécialisés immigrés. Les protestations contre la « concentration » des immigrés se multiplient dans d’autres banlieues rouges. Par exemple, Paul Mercieca, maire communiste de Vitry-surSeine (commune accueillant 13,9 % d’immigrés), donne l’ordre en janvier 1981 de démolir au bulldozer un foyer de travailleurs maliens. Le maire d’Amiens, René Lamp, dénonce « la concentration d’immigrés dans quatre quartiers de la ville qui ne relève pas en premier de variables financières ». Des élus de Gennevilliers considèrent que « c’est un logement d’exclusion qui remplit une fonction dissuasive » vis-à-vis des ménages ouvriers français. Robert Hue, maire de Montigny-lèsCormeilles, « dénonce à la vindicte populaire une famille marocaine, accusée d’être trafiquante de drogues ». Ces discours et décisions provoquent des tensions dans les rangs communistes (le philosophe Étienne Balibar est exclu du PCF après avoir dénoncé ces affaires dans Le Nouvel Observateur du 9 mars 1981), mais aussi des conflits avec les associations immigrées et le mouvement de soutien aux travailleurs immigrés.

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pour l’égalité. Au-delà de la signature d’appels de soutien, les déclarations publiques nationales ne doivent pas occulter les profondes ruptures sur le terrain des banlieues rouges (encadré 5.2). Culturalisation des enjeux et construction du « problème musulman » La « culturalisation » du débat public est la source d’une autre ambiguïté : la popularisation du terme « beur ». À l’origine, « beur » signifie « arabe » en verlan et est utilisé par les enfants d’immigrés maghrébins de la région parisienne pour s’auto-désigner. Ce mot est popularisé vers la fin des années 1970 par les militants et journalistes de Radio Beur, de Sans Frontière et les représentants de la « littérature beur »29. La première occurrence du terme dans le quotidien Le Monde apparaît le 14 mars 1983 dans un article portant sur l’usage du verlan par les jeunes30, mais c’est la couverture médiatique de la Marche qui consacre le mot dans le débat public. Dès le début de la mobilisation, il est utilisé par les journalistes parisiens (Nicolas Beau du Monde, Éric Favereau et Robert Marmoz de Libération, Chantal de Rudder du Nouvel Observateur, etc.) avant de se diffuser vers l’ensemble de la presse nationale via une dépêche de l’AFP datée du 2 décembre 198331. Alors que son usage était jusque-là réservé aux cercles médiatiques parisiens, la dépêche AFP participe à le généraliser dans la presse régionale, qui n’utilisait quasiment pas le terme – même les jeunes marcheurs ne le connaissaient pas en partant de Marseille. Au départ, les militants investissent le mot comme une manière de trouver une place symbolique dans l’espace public. Il existe indéniablement une certaine fierté à se dire « beur ». Mais les usages médiatiques et politiques du terme font que sa signification va rapidement échapper à ses inventeurs32. Il devient une forme d’assignation identitaire dans la mesure où les « beurs » ne sont pas des enfants d’ouvriers et ne sont plus des Arabes : ils ne sont ni des Français à part entière, ni tout à fait immigrés, et les « bons beurs » se distinguent des « mauvais travailleurs immigrés ». Le terme « beur » scelle ainsi la séparation symbolique d’avec la génération des parents immigrés. Au moment même où les « jeunes immigrés » font leur entrée symbolique dans 159

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l’espace public, les travailleurs immigrés sont disqualifiés symboliquement lors des grèves de l’automobile. Ce basculement est fondamental dans l’histoire de l’immigration parce qu’il correspond à la construction de l’opposition entre les « beurs assimilables » et les « immigrés inassimilables ». Cette distinction symbolique est illustrée par les discours publics dominants concernant les grèves ouvrières contre les licenciements, qui marquent le début de la construction du « problème musulman » après la guerre d’Algérie33. Au départ, les grèves de Citroën-Aulnay (avril  1982) et Talbot-Poissy (mai  1982) sont déclenchées selon le registre classique du mouvement ouvrier : les revendications portent essentiellement sur l’organisation du travail, les salaires, les libertés individuelles et syndicales, etc. Mais les licenciements sont confirmés et les ouvriers immigrés occupent les usines et mènent un conflit dur, plus ou moins suivis par les syndicats. C’est dans ce contexte que la question musulmane fait irruption dans le débat public : le conflit religieux se substitue à la lutte des classes, sachant que le début du déclin de la référence à la classe dans l’espace public remonte au moins à la période post-Mai 68, avec l’hégémonie du discours néolibéral qui s’instaure sous la présidence de Giscard d’Estaing. Depuis le début des années 1970, les syndicats ont répondu favorablement aux revendications religieuses des ouvriers musulmans au nom de la liberté de culte34 (la première mosquée de RenaultBillancourt est inaugurée en octobre 1976) ; d’où la présence, parmi l’ensemble des revendications de 1982, de celle d’un lieu de prière. L’existence de cette revendication, les images d’ouvriers faisant la prière à l’usine et l’utilisation, par les leaders syndicaux maghrébins, de la langue arabe et de références religieuses pour mobiliser les ouvriers*, sont les faits tangibles sur lesquels s’appuient les adversaires des grèves pour les dénoncer et les stigmatiser35. La focalisation du débat sur l’islam est le produit de l’action de trois pôles d’acteurs : patronal, médiatique et politique. * Les leaders syndicalistes maghrébins utilisent des références religieuses telles que « Dieu est avec nous », « Nous gagnerons la grève avec l’aide de Dieu », etc., ce qui révèle la volonté de construire un combat syndical en s’arrimant à un vocabulaire déjà connu des ouvriers et non la propagation d’un discours intégriste musulman. 160

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C’est d’abord la direction de Peugeot qui analyse les conflits sociaux comme une manipulation des ouvriers musulmans par la CGT (idée reprise par certains experts36). Selon une note interne de Peugeot de mai-juin 1982, la « caractéristique originale du mouvement [à CitroënAulnay et Talbot-Poissy] est qu’il apparaît, sans aucun doute possible, que l’un des principaux buts de la CGT est la mainmise sur l’élément musulman, en majorité marocaine, du personnel37 ». Il existerait ainsi un « risque non négligeable de voir des mouvements intégristes, soit spontanés, soit venus du Proche-Orient, s’efforcer de tirer bénéfice de cette agitation […] [sachant que] certains leaders marocains, en particulier chez Talbot, sont connus pour leurs liens avec les mouvements intégristes de leurs pays d’origine38 ». La peur du « rouge » s’articulant avec la peur du « vert », il existerait selon la direction de Peugeot un « problème musulman » qui justifierait non seulement l’intervention des forces de police*, mais aussi l’expulsion des ouvriers immigrés hors du territoire français. Le pôle médiatique traite ensuite des grèves à l’aune de l’actualité internationale, en particulier celle de la révolution iranienne de 197939. Certains journaux multiplient les photos d’ouvriers spécialisés maghrébins et subsahariens en train de faire la prière à la mosquée, et publient des caricatures qui recouvrent les voitures d’un voile islamique… Cette forme de racialisation religieuse est d’autant plus efficace que cette distorsion de la réalité sociale est légitimée par le pôle politique, tant de la part de la droite** que des ministres de la gauche de gouvernement. En janvier  1983, le ministre de l’Intérieur, Gaston Defferre, dénonce « des grèves saintes, d’intégristes, de musulmans, de chiites40 ». En  février, le Premier ministre, Pierre Mauroy, dénonce les travailleurs immigrés qui sont « agités par des groupes religieux et politiques qui se détermin[ent] en fonction de critères ayant peu * C’est ce qui arrive aux ouvriers immigrés occupant l’usine de Talbot-Poissy qui, en janvier 1984, sont l’objet d’agressions de la part du syndicat CSL soutenu par la direction, et expulsés manu militari par les CRS, qu’applaudissent les ouvriers non grévistes qui entonnent des slogans racistes : « les Arabes au four ! », « les Noirs à la mer ! ». Voir « Les douze heures de la violence », Libération, 6 janvier 1984. ** Entre les deux tours des élections municipales de mars 1983, la liste RPR d’Aulnay-sous-Bois diffuse un tract intitulé « La faucille et le Coran ». 161

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à voir avec les réalités sociales françaises41 ». Dans le même sens, le ministre du Travail, Jean Auroux, affirme : « Il y a, à l’évidence, une donnée religieuse et intégriste dans les conflits que nous avons rencontrés, ce qui leur donne une tournure qui n’est pas exclusivement syndicale. Cela étant dit, nous sommes dans un État laïc et nous entendons bien que les choses restent ainsi… Je m’opposerai à l’institutionnalisation d’une religion quelle qu’elle soit à l’intérieur du lieu du travail. Je suis contre la religion dans l’entreprise comme je suis contre la politique dans l’entreprise42. » Ces déclarations publiques s’appuient sûrement sur une note d’information rédigée par un conseiller ministériel du ministère du Travail – selon lequel il existerait « une pénétration des thèses de l’intégrisme islamique dans certaines sociétés françaises à population ouvrière musulmane43 » – et des informations des services de renseignement. Dès lors que le patronat souhaite stigmatiser les ouvriers grévistes en les désignant comme intégristes, que le champ médiatique diffuse les images de prière collective pour faire de l’audience et que le gouvernement socialiste se désolidarise des grévistes et change de politique économique en adoptant le tournant de la rigueur44, le combat intransigeant des travailleurs immigrés pour conserver leur emploi est expliquée non par des facteurs sociaux (la continuation de la lutte des classes), mais par des facteurs religieux (l’intégrisme musulman). C’est une toute autre vision du monde social qui se déploie, où l’appartenance religieuse est censée déterminer le comportement individuel et collectif. Parmi les rares soutiens des grévistes de Talbot-Poissy, on retrouve le Collectif Jeunes parisien et certains marcheurs qui participent à une manifestation et à un meeting dans l’usine, autour du slogan « Nous sommes tous des immigrés de Talbot », comme le rappelle Kaïssa Titous : « les travailleurs étaient heureux, ils nous racontaient comment ils étaient embauchés. Ils sont venus ensuite à Radio Beur, ils sont venus dans le Collectif Jeune. Les travailleurs, leurs enfants : on pensait que politiquement on arriverait à faire la liaison. Pour moi, ça reste le geste symbolique le plus fort de cette période45 ». La construction du « problème musulman » s’explique donc moins par l’action et le discours des ouvriers eux-mêmes, qui portaient 162

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avant tout des revendications salariales, que par la convergence idéologique entre « élites » patronales, politiques et médiatiques. Mais le « problème musulman » ne concerne alors que les travailleurs immigrés, dont la présence est considérée comme temporaire, et non leurs enfants, qui font irruption dans l’espace public à l’occasion de la Marche. En effet, la question musulmane est quasiment absente du discours des marcheurs et du traitement médiatique de leur mobilisation antiraciste, sauf à deux occasions. La première est une discussion entre Farouk Sekkaï, membre de SOS Avenir Minguettes, et Jack Lang, ministre de la Culture, le 29 novembre 1983 dans un cortège à proximité de Creil* : Sekkaï : Est-ce que vous avez un pouvoir par rapport aux mosquées ? Parce que vous ne savez pas ce qu’on dit ? On dit souvent qu’on donne [trop] souvent des mosquées. Il y en a quelques-unes en France, mais est-ce que vous avez là-dessus un pouvoir ? Parce qu’il se passe qu’on ne fait pas une différence entre une mosquée et un local. Il y en a quelques-unes… Il se passe que celle de Romans** a sauté… Lang : À Romans ? Sekkaï : À Romans, près de Valence. Moi je pense que la mosquée est un truc vachement important pour les pères de famille parce que bon… ils ont vécu toute leur vie. Il faut qu’il se passe quelque chose pour eux. Il ne faut pas qu’on les abandonne comme ça. On nous dit souvent « vous en avez déjà une mosquée, c’est un local qu’on vous a donné dans une tour ». Il ne faut pas déconner ! Une mosquée, c’est une mosquée. Ça a droit à du respect comme une église ou une synagogue. Lang : Vous avez raison…46 * Ironie de l’histoire : c’est d’un collège de cette ville que des filles portant le hijab sont exclues en 1989 (première « affaire du voile »). ** Le 6 mai 1982, la mosquée de Romans est la cible d’un attentat revendiqué par le Club Charles Martel, organisation d’extrême droite à l’origine de l’explosion dans le consulat d’Algérie à Marseille le 14 décembre 1973. Une mobilisation est déclenchée par les responsables de la mosquée afin de récolter des fonds pour la reconstruction, avec le soutien de la Cimade, des églises de la région, etc. 163

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Ce dialogue montre la méconnaissance du ministre de l’actualité des attentats antimusulmans et la volonté, pour une partie des jeunes immigrés, d’améliorer les conditions d’exercice du culte musulman. Mais même s’il existait déjà des associations musulmanes, les revendications cultuelles – lieux de culte, carrés musulmans, amélioration des conditions d’abattage rituel, etc. – ne sont donc pas encore à l’ordre du jour pour les mouvements de « jeunes issus de l’immigration »47. La seconde occasion d’évoquer l’islam est une sorte d’injonction de Delorme, pendant les Assises de l’été 1984 (voir infra), à avoir un « positionnement par rapport à l’Islam » : « Nous sommes en effet dans un contexte mondial où un Islam fondamentaliste et guerrier se manifeste avec force contre l’Occident, parfois pour des raisons tout à fait légitimes. Or, par votre tradition familiale au moins, mais souvent aussi par adhésion personnelle, vous appartenez à la Communauté Musulmane. Et par votre présence en Europe, vous appartenez aussi à l’Occident. Quels choix respectant ces deux appartenances ferez-vous ? La société française, laïque dans ses institutions mais de culture majoritairement chrétienne, a le droit de vous interroger48. » Les débats des Assises ne semblent pas avoir répondu à cette interrogation, mais ce discours venant d’un homme d’Église anticipe les futures controverses sur la « compatibilité » et le « choix d’allégeance » entre l’« islam » et la « République », la confusion entre l’« islam » et le « fondamentalisme musulman » (le terme « islamisme » apparaît quelques années après), la définition de la « laïcité », etc.49 En tout cas, la valorisation de la « culture beur laïque » et la disqualification des ouvriers immigrés « intégristes » montrent la puissance des catégories de perception de l’immigration élaborée par les classes dominantes françaises. Cependant, tous les beurs ne sont pas logés à la même enseigne, comme l’illustre la disqualification du leader de la Marche (voir infra). Cette manière de traiter la question musulmane n’est pas sans rappeler celle de la période coloniale, période qui a d’ailleurs globalement été occultée pendant la Marche.

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Illustration 5.1. Collectif Jeunes, Tract d’appel à la commémoration du 17 octobre 1961.

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Occultation de l’histoire coloniale La première chose qui étonne lorsqu’on dépouille les archives des rébellions des Minguettes et de la Marche, c’est le contraste entre le « texte public » et le « texte caché50 », entre le dicible et l’indicible, entre ce qui est dit et écrit dans l’espace public (radio, télévision, journaux, etc.) et ce qui n’est jamais dit et reste dans le domaine de l’espace privé (courriers des habitants, pétitions, rapports préfectoraux, etc.). Cette réalité vaut pour tous les protagonistes : les pouvoirs publics (préfet, maire, police), les habitants hostiles ou favorables aux marcheurs, les soutiens à la Marche et les jeunes eux-mêmes. Chacun est touché d’une manière ou d’une autre par l’histoire coloniale. Par exemple, l’ironie de l’histoire fait que les trajectoires des invités à l’Élysée le 3  décembre 1983 sont marquées par l’histoire coloniale, puisqu’ont été réunis Mitterrand (ancien ministre de l’Intérieur de la IVe  République entre 1954 et 1958 ayant appliqué les pouvoirs spéciaux, et président ayant fait voter en 1982 l’amnistie des généraux putschistes pro-Algérie française51), un homme d’Église « en communion52 » avec les Algériens malmenés dans le quartier de la Guillotière à Lyon (Delorme), un fils de « harkis » (Djaïdja), etc. Cependant, l’histoire coloniale ressurgit dans l’espace public par fragments, par l’intermédiaire du discours des enfants d’immigrés post-coloniaux et par quelques rares allusions journalistiques. C’est notamment le cas de la commémoration, le 15 octobre 1983 à Paris, du massacre du 17 octobre 1961 par les membres du Collectif Jeunes, qui dénoncent l’occultation de cet événement historique et demandent l’inculpation des responsables de la préfecture de police de Paris (l’appel à la manifestation est diffusé sur Radio Beur). Ce rassemblement préfigure les futures mobilisations contre l’oubli et pour la reconnaissance de ce crime d’État53. La journalistemarcheuse Élisabeth Danière est l’une des seules plumes à rendre compte de cet événement. Elle accompagne le groupe et rapporte les propos d’un marcheur occasionnel, Benali, dix-sept ans, détenteur d’un CAP de fraiseur-tourneur. Il fait l’école buissonnière pour faire la Marche pendant quelques jours jusqu’à Lyon, avec la bénédiction de sa mère qui lui dit : « Mon garçon, moi je me suis battue pendant 166

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la guerre d’Algérie pour notre indépendance. Aujourd’hui, c’est à toi de prendre la relève. Bats-toi pour notre dignité54. » Danière cite aussi un des marcheurs permanents, Farid Arar, qui avait vécu comme elle dans le quartier de la Guillotière à Lyon avant que lui n’emménage aux Minguettes et qu’elle ne s’installe à Caluire : « Farid s’étonne [en voyant les monuments aux morts] : « Je n’ai pas encore vu un seul Bouana ni un Benali. Où c’est qu’on les a mis, les Sénégalais et les Algériens qui sont morts pour la France ? »55 ». Par ailleurs, certains journalistes qui connaissent l’histoire personnelle des marcheurs, notamment Nicolas Beau du Monde et Robert Marmoz de Libération, ajoutent parfois la mention « fils de harki » à la suite du prénom de certains d’entre eux, mais ils n’approfondissent jamais cet aspect de leur histoire personnelle. Quant à Paul Oriol, membre de la commission immigration du PSU, il fait une comparaison, sans vraiment la développer, entre le racisme contemporain et le racisme colonial : « De plus en plus, la société française est envahie par des sentiments xénophobes ou racistes, bien au-delà des couches traditionnellement influencées par quelques nostalgiques de l’Algérie française56. » Mis à part ces quelques fragments, la couverture médiatique de la Marche a pratiquement occulté la question coloniale. Si les considérations sur l’histoire coloniale sont occultées par les marcheurs, ce n’est pas forcément en raison de leur faible niveau d’études ou de leur supposée « naïveté » politique. Il semble qu’il faut plutôt interroger les effets de censure dans le discours public, et en particulier l’anticipation, consciente ou inconsciente, de la réception du discours sur l’histoire coloniale. En effet, pour certains marcheurs, notamment les enfants de « harkis », on comprend bien ce que la simple évocation de l’histoire coloniale aurait pu avoir de douloureux pour eux et leur famille. En ce sens, la mise en lumière médiatique de leur histoire personnelle aurait rouvert des plaies non encore cicatrisées. Selon Marwan Abi Samra, « certains fils de harkis ont une conscience plus aiguë de leur situation. C’est en tant qu’arabes, maghrébins ou fils d’immigrés qu’ils se sont présentés. Ils avaient des difficultés à assumer cette identité de harkis « fils de traître » qui leur collait à la peau depuis leur jeune âge. Cette difficulté d’assumer une telle histoire est aussi le fait de leurs parents. 167

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Beaucoup ont réussi à échapper aux camps et se sont installés dans les banlieues en cachant leur identité57 ». Par ailleurs, pour les marcheurs comme pour les soutiens gouvernementaux, religieux et d’extrême gauche, dont certains ont soutenu activement la lutte d’indépendance des peuples colonisés, l’évocation de l’histoire coloniale pouvait être vue comme une manière d’attiser la tension sociale. Or, comme leur objectif était la fin de la violence faite aux enfants d’immigrés, ils ont pu faire le choix stratégique, conscient ou inconscient, de ne pas porter la question coloniale dans l’espace public. Toumi Djaïdja en prison Il faut enfin noter une dernière ambiguïté dans l’unanimisme antiraciste, qui renvoie aux tentatives de disqualification du leader de la Marche. On a vu que le juge d’instruction Thierry Cretin avait signifié à Toumi Djaïdja, sur son lit d’hôpital, son inculpation pour tentative d’homicide volontaire et coups et blessures sur agent de la force publique. Quelques jours après la fin de la Marche, cette affaire remontant au 13 janvier 1982 refait surface : France Soir publie le 13 décembre 1983 le mandat d’amener portant la mention « Malgré le mandat d’amener, les ordres venus d’en haut sont formels : n’arrêtez pas Toumi Djaïdja. » La « fuite » de ce document judiciaire participe à renvoyer le leader de la Marche au statut de délinquant et, avant même qu’il soit jugé, à « annuler » le renversement symbolique (« nous ne sommes pas des délinquants ») opéré grâce à la grève de la faim et à la Marche. Elle permet aussi à la presse de droite et d’extrême droite (Minute le publie également), relativement discrète pendant la mobilisation antiraciste, de dénoncer le gouvernement socialiste qui « couvrirait » un délinquant en refusant d’exécuter le mandat d’amener. La reproduction de ce mandat d’amener est vivement dénoncée par les soutiens de SOS Avenir Minguettes, notamment le Collectif Jeunes parisien, qui manifeste devant les bureaux de France Soir et publie un communiqué accusateur : « D’où vient ce mandat qui fait partie du secret de l’instruction ? Quel est ce travail journalistique qui consiste à mettre en avant non pas l’objectivité des faits, mais la subjectivité 168

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qu’on peut en tirer dans son aspect le plus répugnant ? Doit-on penser que le message porté par la Marche vous a gêné […] ? Nous voyons dans votre texte une provocation à notre égard et une incitation à la haine et au meurtre. […] [N]ous […] exigeons le respect et la dignité qui nous sont dus et vous tenons pour responsable vous et votre confrère Minute de toute atteinte physique ou morale pouvant concerner Toumi Djaïdja et notre communauté58. » Après le succès de la Marche, Djaïdja suit une formation d’éducateur mais doit faire face à la justice pénale. Le 16 octobre 1984, il est jugé par le tribunal correctionnel de Saint-Étienne pour d’autres affaires, en compagnie de son frère Amar, Frédéric Henry, Antonio Manunta, Nasserdine Khelfa et Djamel Mahamdi. Ces jeunes de Monmousseau sont « accusés d’avoir participé à des degrés divers de responsabilité à huit affaires remontant à 1982 », des « vols avec violence » mais sans arme dans des supermarchés de la région. Toumi Djaïdja écope de quinze mois de prison ferme*, bien qu’il ait toujours clamé son innocence : « Je suis un militant, et je voudrais parler en tant que militant, pas en tant que vedette et pas non plus en tant que délinquant. D’abord je ne suis pas un voleur, je ne me sens pas un voleur. Je suis innocent. Mais même si je suis reconnu coupable, ça n’a pas d’importance. Ce que je ne veux pas, c’est que mon image soit récupérée, comme elle l’a déjà trop souvent été. Et quoi qu’il en soit, il ne faut pas mélanger ce que je fais et ce que j’ai fait. Ce que je veux moi, c’est le respect et la protection de l’individu. Nous, Maghrébins, ne voulons pas un statut spécial, mais nous voulons être traités comme les autres59. » Sa condamnation est confirmée par la cour d’appel de Lyon le 29 novembre 1984, ce qui provoque la colère de tous les soutiens de la Marche et des participants de la deuxième marche, Convergence 84, sur le point de se terminer. Le « comité de soutien à Toumi », composé d’associations et de partis lyonnais**, lance une campagne nationale * Amar Djaïdja est condamné à six ans de prison ferme, Henry à cinq ans, Manunta à quatre (dont un avec sursis), tandis que Khelfa et Mahamdi sont relaxés au bénéfice du doute. ** MAN, Cimade, ASTI de Lyon, CLAP, Coordination lycéenne, JCR, Au pied du Mur, PSU, Collectif Rhône-Alpes des jeunes issus de l’immigration, Les Verts, 169

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de demande de grâce au président de la République, notamment au travers de l’envoi d’une carte postale « Libérez Toumi ». L’Élysée reçoit ainsi un nombre important (mais indéterminé) de cartes et de lettres provenant d’anonymes ou de personnalités, dont celle de Delorme et Costil : « Quelle que soit l’appréciation que nous portons sur cette condamnation répétée, il n’est pas de notre propos de nous en prendre à l’autorité nécessaire de la Justice. Mais à cause de tout ce que Toumi représente au plan de la fraternité entre les diverses communautés qui font la France ; en raison aussi des garanties de sérieux que représente notre ami […], nous croyons qu’une mesure de grâce présidentielle peut vous être demandée60. » Bien que cette campagne s’avère fructueuse, puisque le président accorde la grâce à l’occasion du nouvel an 1985, la victoire a un goût amer pour Djaïdja et ses soutiens : seules les bonnes relations avec le chef de l’État ont permis la remise en cause d’une condamnation perçue comme de l’acharnement judiciaire et policier contre le « symbole » de la Marche. L’immense espoir provoqué par le surprenant succès de la manifestation finale de la Marche est vite remplacé par une exacerbation des tensions sociales dans les banlieues et la désillusion des marcheurs et des jeunes de SOS Avenir Minguettes. S’il est important de mettre en lumière les ambivalences de l’unanimisme antiraciste, il ne faut pas oublier que la Marche favorise un foisonnement culturel « beur » et constitue un véritable vecteur de socialisation politique pour toute une génération de militants des quartiers populaires.

2.

Un « Mai 68 » des enfants d’immigrés post-coloniaux

Il serait abusif de comparer la Marche à Mai 68 stricto sensu puisque l’ampleur des deux mobilisations, leur contexte historique, le profil des acteurs concernés, leur rapport avec le pouvoir politique, etc., sont très différents ou sans commune mesure. Si une comparaison peut être faite, c’est uniquement du point de vue des alliances improbables entre des acteurs hétérogènes et de la prise de Courant Alternatif, Ligue des droits de l’homme, Zaâma d’Banlieue, JCR, LCR, LO, Libertaires contre le racisme (ACL). 170

Les ambiguïtés de l’apothéose parisienne

parole généralisée. En ce sens, la Marche se situe dans le sillage des années 1968, où s’expérimentent des collaborations et des confrontations entre habitants des quartiers populaires, militants immigrés, mouvements antiracistes et intellectuels engagés. C’était par exemple le cas du temps de l’affaire Djellali Ben Ali (crime raciste de 1971), durant laquelle s’allièrent des habitants du quartier de la Goutte d’Or à Paris, les militants arabes des comités Palestine puis du Mouvement des travailleurs arabes (MTA), des militants d’extrême gauche et des intellectuels. Comme on l’a vu, la configuration politique et sociale du temps de la Marche permet aussi une alliance entre des jeunes de quartier, des militants antiracistes, des membres du gouvernement et des journalistes. Cette alliance conjoncturelle est d’autant plus extraordinaire qu’elle ne s’est pas reproduite depuis, notamment lors des rébellions urbaines et des mobilisations des quartiers populaires durant les années 1990 et 2000. Prise de parole et foisonnement culturel Par ailleurs, Michel de Certeau a démontré qu’une des dimensions centrales de Mai 68 est la prise de parole : « En mai dernier, on a pris la parole comme on a pris la Bastille en 1789. La place forte qui a été occupée, c’est un savoir détenu par les dispensateurs de la culture et destiné à maintenir l’intégration ou l’enfermement des travailleurs étudiants et ouvriers dans un système qui leur fixe un fonctionnement. De la prise de la Bastille à la prise de la Sorbonne, entre ces deux symboles, une différence essentielle caractérise l’événement du 13  mai 1968 : aujourd’hui, c’est la parole prisonnière qui a été libérée61. » On peut affirmer que la Marche correspond à la libération de la parole des enfants d’immigrés post-coloniaux, inaudibles jusqu’ici et dont la légitimité était déniée dans l’espace public. L’action collective a produit des effets politiques et sociaux qui donnent une forte légitimité publique à leurs discours et mobilisations. La Marche participe effectivement à légitimer ce qu’on commence à appeler la « culture beur62 ». La mobilisation antiraciste est souvent accompagnée d’articles, de dessins et de musiques produits par des enfants d’immigrés, essentiellement maghrébins, tels que le groupe 171

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Carte de séjour, le dessinateur Farid Boudjellal, les écrivains Mehdi Charef, Leïla Sebbar, etc. Immédiatement après la Marche, la culture « beur » rencontre un accueil très favorable auprès du ministère de la Culture et du secrétariat d’État chargé de l’immigration, qui organisent dès le 7  janvier 1984 une réunion avec plusieurs acteurs associatifs et culturels immigrés*. Le champ culturel français, jusqu’ici réticent à faire une place aux immigrés post-coloniaux et leurs enfants, commence à les accepter. Le succès du livre de Mehdi Charef, Le Thé au harem d’Archi Ahmed (1983) – vingt-cinq mille exemplaires vendus en deux ans – inaugure une longue liste de romans, d’autobiographies, de bandes dessinées et de films mettant en scène la vie privée et publique de la « génération beur », selon l’expression du dernier numéro de Sans Frontière63 : Le Sourire de Brahim du président de Radio Beur Nacer Kettane (1985), Georgette ! de Farida Belghoul (1986), Le Gône du Chaâba d’Azouz Begag (1986), etc. La reconnaissance institutionnelle inédite de cette prise de parole passe notamment par le financement des associations culturelles par le Fonds d’action sociale, le ministère de la Culture, etc., et elle atteint son paroxysme lors de l’exposition Les Enfants de l’immigration au Centre Georges Pompidou qui, du 18 janvier au 23 avril 1984, parvient à réunir 395 000 visiteurs64. Même l’agence IM’média, très critique à l’égard de la politique culturelle et des médias, dispose d’un espace dans l’exposition. Intitulé « Révoltes positives », celui-ci « se voulait à contre-courant de la « mode beur » et des velléités institutionnelles de créer une nouvelle élite culturelle et médiatique déconnectée des révoltes sociales, ce que nous avons appelé la « beurgeoisie »65 ». Cette perspective montre que la reconnaissance institutionnelle de la culture « beur » n’est pas sans produire de vives tensions, qui s’accentueront au fil des années, mais le succès politique * Y sont invités des marcheurs de 1983 (Toumi Djaïdja, Abed Touil, Bouzid Kara), l’agence IM’média (Mogniss H. Abdallah, Paul Moreira), l’association Gutenberg, la FASTI (José Vieira, Maria de Ceu), l’ANGI (Salika Amara, Nacer Kettane), Sans Frontière (Magid Daboussi, Farid Aïchoune, Fatima Belhedi), Radio Beur (Kaïssa Titous), Média Soleil (Driss El Yazami) (AJB. Liste des invités à la rencontre avec le ministre de la Culture et Mme le secrétaire d’État chargé de la famille, de la population et des travailleurs immigrés, 7 janvier 1984). 172

Les ambiguïtés de l’apothéose parisienne

et médiatique de la Marche permet globalement aux associations existantes, en région parisienne et ailleurs, de bénéficier d’un appui institutionnel leur permettant d’améliorer leurs conditions de travail militant et de construire de nouveaux projets. Or, comme le souligne Paul A. Silverstein, « le militantisme politique beur et la littérature sont imbriqués ». La « littérature beur constitue en elle-même un acte politique » dans la mesure où « elle se réapproprie narrativement l’histoire et la situation sociale des beurs66 » et conteste le monopole des universitaires, journalistes, professionnels de la politique et militants antiracistes qui avaient jusqu’alors parlé à leur place. Il est donc nécessaire de penser ensemble action culturelle et action politique, d’autant plus que la Marche permet la découverte de la politique à des milliers d’enfants d’immigrés post-coloniaux. La Marche comme vecteur de socialisation politique C’était comme un peu les années 68… Cette jeunesse qui s’opposait au pouvoir… Je me situais dans cet esprit de rébellion, de dire « non, il n’en est pas question ». Pourquoi faire le service militaire ? Pourquoi donner du temps à cette société qui me néglige ? D’ailleurs, à cette période, tous les gens qu’on connaissait avaient maille à partir avec l’autorité… Ce sentiment était partagé par pas mal de monde : « non… tu ne me donnes pas de respect, de crédit, comment tu veux que je te respecte dans tes institutions ? » […] Il est certain que mon père avait fait le choix de la France et, à mon tour, on me disait de faire le même choix par le biais du service militaire… J’ai considéré qu’il n’avait pas été respecté, qu’il avait même été trahi, voire abandonné, et qu’on me demandait de faire à nouveau cette forme d’allégeance. Non, ce n’était pas possible67. Le discours a posteriori de Toumi Djaïdja révèle non seulement la position particulière des enfants de « harkis », qui devaient faire le service militaire alors même que l’État avait « trahi » leurs familles, mais aussi la condition sociale des jeunes des quartiers populaires en général, dont les enfants d’immigrés post-coloniaux. Comme on 173

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l’a vu, les rébellions urbaines des Minguettes et les mobilisations ultérieures relèvent d’une « crise du consentement » et d’une « rupture d’allégeance68 » à la domination exercée par les autorités de l’État en général, et les forces de police en particulier. Cette crise d’allégeance est au cœur des multiples formes de socialisation politique au travers de la Marche et de ses suites. En effet, comme le souligne Saïd Bouamama, la Marche donne un écho national à des réalités locales69. Dans la plupart des grandes villes françaises, des collectifs informels et associations de jeunes des quartiers populaires et/ou d’enfants d’immigrés post-coloniaux mènent des actions culturelles et/ou politiques. Le constat fait pour les régions lyonnaise* et parisienne (chapitre 4) vaut pour d’autres régions de France. À Toulouse par exemple, l’association Vitécri est officiellement créée en 1982 dans le quartier des Izards par des jeunes, dont Salah Amokrane et certains futurs membres du groupe Zebda : « On travaillait surtout sur des projets de petits films autour d’un questionnement identitaire, ou de la question de notre statut dans la société française. On était complètement admiratif des Noirs américains car on se voyait un peu dans le même positionnement symbolique. En 1983, on a entendu parler de la marche pour l’égalité par le biais des médias. C’était une révélation : d’autres partageaient notre questionnement70. » L’organisation de la Marche et sa médiatisation permettent une certaine prise de conscience et le partage d’une expérience commune, ainsi que la rencontre de (futurs) militants qui forment l’essentiel des « cadres » des mouvements de l’immigration post-coloniale après 1983. De ce point de vue, le Collectif Jeunes parisien constitue une sorte de « pépinière » de militants puisqu’il cristallise, temporairement, la rencontre de trois générations de militant-e-s de l’immigration : celle des travailleurs immigrés des années 1970 (Driss El Yazami, Mejid Daboussi, Saïd Bouziri, etc., du MTA et de Sans Frontière) ; celle des mouvements de jeunes immigrés apparus dans les années 1970 (Radio Beur, ANGI, Salika Amara71, Rachida Azzoug, Kaïssa Titous, Farid * Sur les mobilisations de la région lyonnaise après 1983, en particulier la création des Jeunes Arabes de Lyon et sa banlieue, voir la thèse de science politique de Foued Nasri, Les Générations associatives des jeunes issus de l’immigration maghrébine : le cas de l’agglomération lyonnaise, Sciences Po, 2013. 174

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Aïchoune, Mogniss H. Abdallah, etc.) ; celle des mobilisations lancées au début des années 1980 (Noredine Iznasni, Farid Taalba, etc.). Si la Marche constitue la première action collective suivie pour les nouveaux venus, la plupart des membres du Collectif Jeunes, surtout les femmes, sont déjà socialisé-e-s politiquement via des organisations de jeunesse maghrébines, berbères et/ou de gauche. Comme le souligne un des membres du collectif, Tarik Kawtari, « il s’était passé déjà beaucoup de choses avant la Marche. Mais c’est tout de même cet événement sans précédent qui nous a permis d’affirmer « On est chez nous en France ! » […] J’ai connu des gens de Nanterre, d’Aulnay, de Mantes, de Marseille ou de la région lyonnaise. On galérait pareil et on avait les mêmes préoccupations. On était jeunes et sans une thune et on se retrouvait soudain au-devant de la scène, à devoir parler au nom de la banlieue72 ». En cristallisant les expériences militantes antérieures, la Marche permet l’émergence de nouveaux porte-parole parmi les enfants d’immigrés post-coloniaux, l’accueil de nouvelles recrues et potentiellement une structuration au niveau national. Ces militant-e-s se retrouvent immédiatement après la Marche à soutenir les travailleurs immigrés de Talbot-Poissy le 14 janvier 1984 à Paris, ainsi qu’à dénoncer la présence de Jean-Marie Le Pen le même jour dans un congrès du Front national à Lyon. Ces mobilisations ponctuelles et importantes symboliquement sont suivies de l’organisation des « Assises nationales des associations de jeunes issus de l’immigration » les 9, 10 et 11 juin 1984 à Vaulx-en-Velin et Villeurbanne. Ces Assises, dont l’histoire reste à écrire en détail73, sont initiées par le Collectif des associations autonomes des jeunes issus de l’immigration de la région Rhône-Alpes*, qui s’est constitué le 14 janvier * Le collectif Rhône-Alpes regroupe plusieurs associations – Zaâma d’Banlieue, Multicolor (Vénissieux Minguettes), Lignes parallèles (Vaulx-en-Velin), Grain magique (Saint-Étienne), Ouverture (Saint-Chamond), Association des étudiants issus de l’immigration (Lyon 2e), Expression jeunes immigrés (Lyon  1er), Association culturelle de jeunes issus du Maghreb (Vienne), Zed el Youm (Lyon 8e Mermoz), Au pied du mur (Lyon 8e Montplaisir) – « auxquelles d’autres associations se joignent occasionnellement » – SOS Avenir Minguettes, Association Jeunes immigrés de Rillieux, La Passerelle (Vénissieux), Wahid Association (Vaulx-en-Velin), ASFIR (Roanne), Miroir 175

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lors de la mobilisation contre Le Pen. Les militantes de Zaâma d’Banlieue font partie des éléments « moteurs » de ce collectif ; les marcheurs de SOS Avenir Minguettes y sont en revanche faiblement impliqués. En effet, contrairement au souhait des marcheurs de faire des Minguettes « un pôle d’initiatives et de coordination pour continuer à entretenir en France le combat pour l’égalité74 », l’association à l’origine de la Marche est, selon Costil et Delorme, « encore très petite et fragile, et sa huitaine de membres est d’abord préoccupée par des soucis dus au chômage, aux situations familiales des uns et des autres, etc. […] ils ont d’abord leur propre vie à faire ». Tout en étant très sollicités, les membres de SOS Avenir Minguettes ont « bien du mal à exister réellement comme association œuvrant concrètement sur le terrain de la ZUP des Minguettes de Vénissieux75 ». Le 12  mars 1984, le collectif Rhône-Alpes invite par un courrier toutes les associations de « jeunes issus de l’immigration » qu’il connaît : après deux réunions de préparation à Paris et à Dreux, environ cent cinquante jeunes et cinquante-deux associations venant d’une trentaine de villes de France répondent à l’appel76. Les Assises ont plusieurs objectifs : « créer une meilleure coordination des mouvements de jeunes en France par des actions à l’échelle nationale », « s’organiser pour constituer une force véritable qui, face au pouvoir public, puisse définir son projet d’insertion », proposer « une alternative face aux décisions gouvernementales que trop souvent nous rejetons sans pour cela proposer autre chose » et « prévoir des objectifs communs que nous nous efforcerons d’atteindre tous ensemble77 ». Pour ce faire, les Assises organisent une discussion générale, puis mettent en place trois commissions – « association », « égalité des droits » et « police justice » –, qui formulent une analyse de la situation et des « propositions concrètes ». Globalement, le collectif Rhône-Alpes affirme la nécessité de l’« autonomie » des Assises, tant vis-à-vis de la presse que des partis politiques et des associations antiracistes. Conformément à l’analyse critique du rôle des médias dans la stigmatisation des immigrés aux cultures (Rive-de-Gier), etc. (ACL. Communique de presse du collectif Rhône-Alpes, s. d.). 176

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(chapitre  4), il s’agit de « maîtriser le discours médiatique qui sera tenu sur l’initiative » et de « ne pas reproduire les « récupérations » de la Marche78 ». Aussi les deux premières journées qui ont lieu au Foyer Lapie à Vaulx-en-Velin sont-elles organisées à huis clos*, tandis que la troisième, qui se tient au Palais des sports de Villeurbanne, est ouverte à la presse, au public et aux invités. De plus, les Assises se situent « clairement en dehors du clivage politique gauche-droite et aussi en dehors du discours des courants humanistes qui ne retraduisent pas obligatoirement nos besoins et nos aspirations79 ». Elles portent la critique du « paternalisme » des mouvements antiracistes, sachant que ceux-ci peuvent en avoir conscience, comme l’illustre la position de la Cimade de Lyon en février 1984 : Nous sommes plusieurs, aujourd’hui, à ressentir la nécessité d’un tel outil de communication et de proposition entre nous [secrétariat de coordination des initiatives pour l’égalité]. Mais, en même temps, nous devons veiller à ne pas « court-circuiter » les efforts que déploient un certain nombre d’associations autonomes de jeunes issus de l’immigration, tant pour lancer des initiatives que pour se donner elles-mêmes une coordination. Ce qui veut dire : être attentifs à ce qu’elles font et, éventuellement, nous proposent de faire avec elles ; les soutenir sans paternalisme mais à titre de partenaires lorsqu’elles le souhaitent… […] Pour les militants français, l’évolution de ces associations de jeunes n’est pas toujours facile à suivre. […] L’avenir des jeunes issus de l’immigration passe certainement par cette diversité et dépend tout d’abord d’eux-mêmes. Il faut souhaiter et savoir favoriser le développement de ces groupes… ce qui ne nous dispense pas de prendre et de proposer aussi nos propres initiatives80 ! Il est difficile de faire la sociologie des controverses ayant secoué les Assises et d’analyser ce que la plupart des acteurs de l’époque s’accordent * La règle du huit clos est respectée par les médias de l’immigration présents (Sans frontière, Agence IM’média, Radio Beur, etc.), mais est enfreinte par Mohamed Nemmiche, représentant de l’association Vivre ensemble et « envoyé spécial » caché pour Le Matin (« Les premières assises des Beurs ont lieu à Villeurbanne », Le Matin, 12 juin 1984). Cette entorse à la règle est dénoncée par Kaïssa Titous, Mogniss H. Abdallah et Farid Aïchoune (Sans frontière, novembre 1984). 177

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à dire : elles débouchent sur un « échec ». Certains participants attribuent la « responsabilité » de l’« échec » à d’autres participants, au manque de « maturité » du « mouvement » ou encore au « manque d’autonomie ». Pour le président de séance des Assises, Saïd Idir (Saint-Étienne), elles ont été « un échec sur leur contenu » à cause des « généraux sans troupes », qui étaient « en rupture totale ou partielle avec la communauté [et] qui venaient chercher une légitimité » : le « mouvement n’était pas assez mûr et solide pour entreprendre à l’échelon national81 ». Selon Libération, le « mouvement beur piétine82 » (Robert Marmoz) ou est « en crise83 » (Éric Favereau) à cause du conflit entre une « stratégie de lobby communautaire » et celle d’un « rassemblement antiraciste ». Bouamama, venu de Roubaix, revient dix ans après sur son expérience de « l’impasse des Assises », qu’il explique par l’opposition stratégique entre, d’un côté, ceux qui s’adressent « à la société civile afin d’éviter l’isolement et de mettre en évidence les intérêts sociaux communs » et, de l’autre, ceux s’adressant « aux populations issues de l’immigration et agissant avec [les premiers] afin d’éviter l’oubli des revendications spécifiques concrètes84 ». Pour Adil Jazouli, les « comptes rendus des travaux de ces commissions sont relativement pauvres et vagues », « il n’y a pas eu de véritable débat et les monologues des uns et des autres aboutissent […] soit à des positions minimales, soit à des listes de revendications « fourre-tout »85 ». Quoi qu’il en soit, les militant-e-s sortent des Assises divisé-e-s et, même si de nouvelles Assises sont organisées en septembre 1984 à Saint-Étienne, « le Collectif parisien éclate, celui de Lyon voit le départ d’une partie de ses fondateurs, et les projets d’autres collectifs régionaux capotent avant même d’avoir vu le jour86 ». On constate un phénomène de désengagement individuel, d’éclatement et de repli à l’échelle locale, dans la mesure où les espoirs suscités par le « souffle » de la Marche n’ont pas trouvé d’issue politique convenant à tous les protagonistes du « mouvement beur ». C’est dans ce contexte qu’est lancée une deuxième marche, Convergence 84, à l’initiative de la cinéaste Farida Belghoul. Sans revenir sur l’histoire de cette mobilisation en mobylettes87, il faut rappeler qu’elle est portée par les partisans de l’« ouverture » et du « mélange » (et non du « repli ») qui, au départ, mettent en avant le symbole du « couple mixte ». Convergence 84 se 178

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termine le 1er  décembre par une manifestation d’environ cinquante mille personnes, grâce au soutien des associations antiracistes ayant déjà favorisé le succès de la Marche de 1983. Ainsi, le discours final prononcé par Belghoul, « Lettre aux gens convaincus », « tombe comme un couperet, surprenant tout le monde, y compris de nombreux « rouleurs » : « Le problème c’est que lorsqu’on se mobilise au nom d’une cause, on se sent sûrement solidaire de ces pauvres bougres qui subissent des injustices intolérables, mais que l’on ne se sent pas vraiment concerné. On tend la main, tout au plus parce que l’on se sent à une distance sûre de cette souffrance88. » Ce discours de rupture avec les principaux alliés des immigrés et de leurs enfants illustre les tensions existant au sein de l’espace des mobilisations antiracistes, qui produisent un contexte favorable à l’émergence d’une nouvelle association, SOS Racisme. À la fin de l’année 1984, « il n’y a pas d’organisation nationale ou de porte-parole qui puisse revendiquer représenter l’ensemble des « jeunes issus de l’immigration ». Lorsque SOS Racisme apparaît les journalistes peuvent, sans risque d’être démentis, faire de l’association l’héritière des « marches » et la représentante naturelle des « beurs », catégorie dont l’usage s’est répandu à la suite de l’action des marcheurs89 ». Hégémonie de SOS Racisme Comme l’a démontré la thèse de Philippe Juhem, SOS Racisme est le produit de la reconversion d’anciens militants trotskystes et de luttes internes au PS. La création de l’association résulte, « d’une part, de la nécessité d’acquérir – pour une génération particulière de cadres politiques étudiants entrés en politique durant l’après-68 et dépassant les trente ans en 1983 – des positions professionnelles correspondant à leur statut militant, et, d’autre part, des opportunités de promotions et de reclassements ouverts par l’arrivée de la gauche au pouvoir en 198190 ». Plusieurs anciens membres de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR – courant de Gérard Filoche) et d’une tendance de l’Union nationale des étudiants de France (UNEF-ID) sont exclus de la Ligue parce qu’ils refusent la stratégie de l’« établissement » qui 179

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consiste, pour les militants bourgeois ou de la classe moyenne, à rejoindre les rangs de la classe ouvrière et à renoncer à leur propre statut social pour propager l’idéal révolutionnaire dans les usines91. Un groupe de militants rejette ce déclassement social et choisit d’intégrer une autre tendance de l’UNEF-ID, le Mouvement des jeunes socialistes (MJS) et le PS, sachant que SOS Racisme est très proche de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF). Arrivés après la victoire socialiste en 1981, ils se retrouvent alors dans une position minoritaire dans les instances du Parti socialiste. C’est ainsi que « la fondation de SOS-Racisme a constitué pour le groupe de militants réunis autour de Julien Dray un moyen d’éviter la divergence de leurs trajectoires militantes et professionnelles en leur permettant d’acquérir des positions partisanes au sein du PS et d’accumuler des ressources politiques92 ». Ils parviennent à gagner en légitimité partisane dans la mesure où l’association est une réponse à la montée en puissance du Front national. D’un point de vue strictement partisan, l’association est « utile » non seulement dans la lutte contre le FN, mais aussi pour recruter de nouveaux militants parmi la jeunesse française, surtout dans les lycées, qui est sensibilisée à la cause antiraciste depuis le succès de la Marche. Comme d’autres organisations (telles que l’UNEF-ID, la Fédération indépendante et démocratique lycéenne créée en 1987, etc.), SOS Racisme constitue une sorte de « courroie de transmission » entre la « société civile » et le PS*. En quelques mois, les fondateurs de SOS Racisme parviennent à devenir l’organisation la plus médiatisée de l’espace des mobilisations antiracistes, grâce au succès du badge « Touche pas à mon pote » (diffusé pour la première fois lors de la manifestation finale de Convergence 84) et des concerts gratuits rassemblant des centaines de milliers de personnes place de la Concorde à Paris. L’ampleur de la couverture médiatique s’explique par « l’adéquation entre la mise en forme « juvénile » et « apolitique » de SOS-Racisme et les besoins d’information spécifiques des journalistes93 ». De manière générale, « l’affichage de « l’apolitisme » du mouvement est la condition de sa * De nombreux militants de SOS Racisme feront carrière au PS (Julien Dray, Harlem Désir, Malek Boutih, etc.). 180

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réussite, à la fois à l’égard de journalistes qui se réjouissent de la « fin des idéologies » et vis-à-vis de jeunes qui sont proportionnellement plus nombreux qu’auparavant à être indifférents à l’égard de « la politique »94 ». Le succès de SOS Racisme s’explique également par le soutien politique, financier et/ou symbolique de multiples acteurs, qui y trouvent chacun leur intérêt : gouvernement socialiste, militants fortunés (Pierre Bergé), artistes (Coluche, etc.) et intellectuels médiatiques (Bernard-Henri Lévy, Marek Halter, Philippe Sollers, Ivan Levaï, André Glucksmann, etc.). L’hégémonie de SOS Racisme va de pair avec la marginalisation des mouvements « autonomes » de « jeunes issus de l’immigration » qui n’ont pas réussi à se fédérer durant l’été 1984. Certains d’entre eux ont été approchés par les fondateurs de SOS Racisme, qui leur proposent de rejoindre leurs rangs, mais presque aucun leader n’accepte de le faire*. On observe ainsi une logique de concurrence dans la représentation des « jeunes issus de l’immigration » et dans la cause antiraciste, fondée sur un rapport de force très inégal et qui se concrétise notamment par l’organisation de deux marches pendant l’automne 1985 : celle de SOS Racisme et celle de France Plus, « Divergence 8595 ». La réaction d’anciens marcheurs de Convergence 84, réunis au sein d’un Collectif Jeunes pour l’égalité des droits et contre le racisme de la région parisienne, porte sur la légitimité politique de la nouvelle association : « le succès de SOS Racisme ayant tourné à la tête de son état-major, ils prétendent lancer une marche sans même consulter les premiers concernés […]. La direction […] se prendrait-elle pour le porte-parole de toutes les organisations pour l’égalité des droits et contre le racisme, [revendication] porté[e] avant tout par les jeunes et les associations d’immigrés depuis des années96 ? » * Entretien avec Farid L’Haoua, Lyon, 2003. Après le succès du concert de la Concorde (15 juin 1985), Kaïssa Titous, figure du Collectif Jeunes, rejoint l’association : « Je suis rentrée à SOS Racisme sur une déception, je voulais continuer à me battre sur les questions de police et de justice, sur le droit de vote, mais je sentais tellement qu’il ne restait plus rien… ». Elle tente de créer un « groupe de jeunes arabes », majoritaire lors du congrès de 1986, mais s’en va pour des raisons politiques (« J’ai claqué la porte de SOS Racisme », in Ahmed Boubeker et Mogniss H. Abdallah, Douce France. La saga du mouvement beur, Édition IM’média-Quo Vadis, 1993, p. 46). 181

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Signe du bouleversement des rapports de forces dans l’espace des mobilisations antiracistes, même Delorme apporte son soutien au nouveau venu : « « Neufs » dans la résistance organisée au racisme, les initiateurs de SOS Racisme témoignent d’un dynamisme plein de promesses et dans lequel on ne peut que se laisser entraîner97. » Le ralliement de Delorme est important symboliquement, dans la mesure où il est un des organisateurs de la Marche de 1983. Cette alliance avec des opposants aux mouvements « autonomes » de l’immigration s’explique non seulement par la capacité mobilisatrice de SOS Racisme, mais aussi par les relations conflictuelles qu’il entretient avec ces mouvements, comme l’illustre son intervention lors des Assises de l’été 1984 : Je dois vous avouer que je ne me sens personnellement pas très « au clair » quant à la revendication forte « d’autonomie » […] et du même coup, je ne me sens pas très à l’aise pour définir les modalités de ma propre solidarité avec vous. Que faut-il entendre, en effet, par « autonomie » ? […] [J]’ai lu d’abord un légitime souci de vous imposer comme des acteurs libres, égaux aux autres, responsables, adultes, refusant […] d’être manipulés, utilisés… Mais j’y ai vu également un terrible risque d’isolement, de marginalisation et donc d’échec. […] [P]our être franc et mettre toutes les cartes sur la table, il y a un problème particulier entre vous et moi. […] [B]eaucoup parmi vous ont le sentiment qu’avec [la grève de la faim contre les expulsions de 1981 et la Marche de 1983], je vous ai volé le droit d’initiative, voire volé, d’une certaine manière, la parole. En vérité, là n’était pas mon intention, et je ne peux pas regretter ce qui s’est passé car j’ai conscience que ces événements ont permis des avancées importantes. Toutefois, je ne peux qu’entendre la plainte que certains formulent, et l’entendre avec respect. Elle est pour moi le signe qu’il est besoin de mieux communiquer entre nous, avec modestie les uns par rapport aux autres, si, bien entendu, votre conception de l’autonomie vous permet d’accepter des compagnons de route et des alliés98 ! Compte tenu de la démobilisation de SOS Avenir Minguettes et de la fronde des militant-e-s « autonomes » contre la « manipulation » 182

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de la Marche, il n’est pas étonnant que Delorme ait vu d’un bon œil l’arrivée de SOS Racisme. De manière générale, les « jeunes issus de l’immigration » se retrouvent dans une position analogue à celles des associations d’immigrés dans les années 1970 : ils font à leur tour l’expérience du problème du double isolement social et politique. L’isolement social renvoie à la question de la relation entre ces militant-e-s et les populations qu’ils/elles souhaitent représenter. Comme le souligne Pierre Bourdieu, la représentation n’est pas le « fidèle reflet » de la volonté du peuple et des groupes sociaux composant la société99. Le processus est dialectique : c’est l’exercice du pouvoir de représentation qui permet de faire exister pleinement ce qui existait déjà à l’état pratique ou implicite. Le mécanisme de représentation produit un effet performatif, c’est-à-dire qu’il permet le passage du latent au patent, de l’implicite à l’explicite. Ce sont le travail de représentation et son institutionnalisation qui font « exister » les groupes sociaux et les frontières entre les groupes*. Ainsi, le lien entre représentant et représenté n’est pas évident ou naturel. Comme on l’a vu, l’accueil réservé à la Marche par les populations des quartiers populaires et de l’immigration est mitigé, même dans la ZUP des Minguettes. Les marcheurs sont loin de représenter les « jeunes issus de l’immigration ». De manière générale, ce lien doit être entretenu par une mobilisation constante, qui passe par deux opérations. La première renvoie à l’élaboration d’une représentation du monde social qui légitime l’union entre représentant et représenté**. La seconde correspond à l’imposition de cette représentation afin d’obtenir l’adhésion du plus grand nombre de représentés, au travers d’un travail de mobilisation pouvant prendre des formes variées (partis politiques, syndicats, journaux, associations, etc.). Pour les associations immigrées des années 1970 comme pour les associations de « jeunes issus de l’immigration » du début des * Par exemple, la « nation » est inventée par la représentation nationale (1789) et instaure le principe de séparation nationaux / étrangers ; la « classe ouvrière » est construite par la représentation du Parti communiste, etc. ** Par exemple, le discours nationaliste favorise l’homogénéisation nationale et l’occultation des clivages sociaux ; le discours communiste favorise l’homogénéisation des classes populaires, etc. 183

Chapitre 5

années 1980, les deux mécanismes de la représentation peinent à fonctionner. Dans les deux cas, les militant-e-s rencontrent de grandes difficultés à élaborer leur propre représentation du monde et leur à définir leur identité sociale et politique : doivent-ils représenter les enfants d’ouvriers immigrés, les « beurs », les Arabes, les Berbères, la « beurgeoisie », les « Franco-Maghrébins », les femmes immigrées, les Français musulmans, etc. ? La catégorie « jeunes issus de l’immigration » peut-elle surmonter l’hétérogénéité et les divisions internes au groupe, fondées sur la nationalité, le statut social, le sexe, la religion, etc. ? Lorsque l’on parle de « communauté », de qui s’agit-il ? Inclut-elle les « communautés » noires (antillaises et subsahariennes) ? Le débat entre le « repli » et l’« ouverture » des « jeunes issus de l’immigration » par rapport à la société française révèle la difficulté à trancher et à imposer une définition du monde social en dehors des catégories de pensée dominantes, surtout nationales : les notions de « repli » et d’« ouverture » renvoient à la problématique de la « fidélité » et de la « trahison » de la « communauté » vis-à-vis de « la France ». Ce n’est pas un hasard si les enjeux des mariages « mixtes » et de l’acquisition de la nationalité française ont pu être des sources de tensions dans l’espace militant : ils symbolisent le dilemme imposé par les frontières nationales. Ce qui se joue est la question de l’allégeance à la France et à la « communauté » du pays d’origine, alors même que l’immigration post-coloniale est un phénomène diasporique qui révèle l’arbitraire en même temps qu’elle relativise la pertinence des frontières nationales. Ainsi, les militant-e-s du début des années 1980 alternent l’identification aux « jeunes issus de l’immigration », à la « nation arabe », à la « umma musulmane », etc. Par ailleurs, les militant-e-s rencontrent des difficultés à mettre en œuvre le second mécanisme de la représentation. Le travail de mobilisation visant à alimenter la relation entre les « généraux » et les « troupes », pour reprendre la métaphore utilisée pendant les Assises de 1984, nécessite des ressources financières, organisationnelles et militantes dont les associations de « jeunes issus de l’immigration » sont faiblement dotées. Ce déficit de ressources s’explique non seulement par les trajectoires et le statut social des militant-e-s, mais aussi par leur dépendance à l’égard des pouvoirs publics et des 184

Les ambiguïtés de l’apothéose parisienne

soutiens « français ». En effet, ils/elles s’inscrivent majoritairement dans un espace des mobilisations faiblement autonome vis-à-vis du champ politique et du champ administratif, puisque l’essentiel de leurs ressources proviennent des subventions publiques. Or celles-ci peuvent être octroyées sur des critères politiques pouvant porter préjudice aux associations « autonomes » et « radicales ». Par ailleurs, l’organisation des trois marches pour l’égalité révèle le caractère décisif des associations de soutien aux immigrés, qui mettent à disposition des « jeunes issus de l’immigration » leurs ressources financières et organisationnelles. Du coup, leur stratégie de rupture vis-à-vis des soutiens participe à les isoler et à rendre d’autant plus difficile cet isolement qu’il n’est pas compensé par l’adhésion du plus grand nombre de représentés, malgré l’existence de radios et d’associations locales – Sans Frontière, le seul « journal des immigrés, pour les immigrés » à audience nationale, disparaît en 1985, mais le magazine IM’média, moins diffusé, continue de paraître. Les lacunes des mécanismes de la représentation font que la prise de parole « beur » ne parvient pas au début des années 1980 à s’institutionnaliser pour « faire exister » socialement et politiquement les « jeunes issus de l’immigration ».

185

Conclusion En quête d’égalité

« [Le] ressentiment surgit quand un groupe marginal socialement inférieur, méprisé et stigmatisé, est sur le point d’exiger l’égalité non seulement légale, mais aussi sociale, quand ses membres commencent à occuper dans la société des positions qui leur étaient autrefois inaccessibles, c’est-à-dire quand ils commencent à entrer directement en concurrence avec les membres de la majorité en tant qu’individus socialement égaux, et peut-être même quand ils occupent des positions qui confèrent aux groupes méprisés un statut plus élevé et plus de possibilités de pouvoir qu’aux groupes établis dont le statut social est inférieur et qui ne se sentent pas en sécurité. On tolère un groupe marginal méprisé, stigmatisé et relativement impuissant tant que ses membres se contentent du rang inférieur qui, selon la conception des groupes établis, revient à leur groupe et tant qu’ils se comportent, conformément à leur statut inférieur, en êtres subordonnés et soumis. » Norbert Élias, « Notes sur les juifs en tant que participant à une relation établis-marginaux », in Norbert Élias par lui-même, Paris, Fayard, 1991, p. 152.

Trente ans après la Marche pour l’égalité et contre le Racisme, les aspirations exprimées par l’association SOS Avenir Minguettes et les associations de « jeunes issus de l’immigration » sont toujours d’actualité : l’égalité de traitement par la police et la justice, le droit au travail, au logement, à la citoyenneté et au séjour sont au cœur des nombreuses actions collectives qui se sont succédé après 1983. La quête d’égalité réelle et de justice sociale prend de multiples formes, qu’elles soient violentes ou non violentes, comme on a pu l’observer lors des rébellions urbaines de 2005. Celles-ci sont 187

Conclusion

révélatrices de l’accroissement des tensions entre les classes sociales en France, conséquence d’une dégradation des conditions d’existence des classes populaires. Il est indéniable que la situation économique et sociale des quartiers d’habitat social s’est lourdement aggravée avec la crise du capitalisme industriel et financier, l’accroissement des inégalités, l’avènement du « précariat », l’affaiblissement de l’État social, le développement de l’économie de la drogue, etc. Force est de constater que les classes dominantes françaises, malgré leur hétérogénéité et leurs divisions, ont répondu défavorablement à la quête d’égalité et de justice. L’appel de la Marche n’a pas été entendu. Au lieu d’ouvrir des brèches dans les structures de domination économique, politique, nationale et culturelle, l’exigence d’égalité portée par les enfants d’immigrés post-coloniaux a provoqué une crainte et un ressentiment de la part des « élites ». Les désillusions des marcheurs s’expliquent par un processus bien connu de la sociologie des relations entre établis et marginaux : les tensions entre les groupes dominants et les groupes stigmatisés ne peuvent que s’accroître quand la quête d’égalité suppose la fin des privilèges, qu’ils soient économiques, raciaux ou de genre. Tant que les immigrés restent ouvriers spécialisés corvéables à merci et que leurs enfants restent à leur place de bons « beurs », la tension reste à un niveau relativement bas. Mais ce « niveau monte quand les membres d’un groupe marginal aspirent à s’élever socialement ou quand le groupe marginal tout entier vise une égalité légale et sociale avec les groupes établis qui lui sont supérieurs1 ». En contexte migratoire, le refus de l’égalité se traduit par la remise en cause de la légitimité « présentielle » de l’immigration postcoloniale (elle n’est pas « chez elle »). Initiée dès les années 1960 pour endiguer l’immigration algérienne, la politique de « maîtrise des flux migratoires » s’est élargie à d’autres nationalités et poursuivie jusqu’à violer les droits humains les plus élémentaires des étrangers non communautaires : droits à la vie de famille, au travail, à la santé, etc. La succession des lois sur l’immigration et la nationalité, avec son lot de durcissements des conditions de séjour et d’expulsions massives, n’est pas une réponse « démocratique » et « responsable » à la montée d’une « xénophobie populaire » et du Front national : elle révèle la 188

En quête d’égalité

croyance persistante des « élites », de droite comme de « gauche », en l’existence d’un « problème immigré ». C’est ainsi que les frontières de la nation française se sont peu à peu refermées aux étrangers non communautaires, au point que le nombre d’expulsions atteint de nos jours des sommets inégalés (environ trente mille par an), que l’attribution de titres de séjour se fait au compte-gouttes et que le nombre de naturalisations a brutalement chuté au début des années 2010, pour la première fois depuis le régime de Vichy. Si les étrangers sont les premières cibles de cette « délégitimation présentielle », les enfants d’étrangers nés en France de parents étrangers, qui deviennent automatiquement français à leur majorité grâce au principe du droit du sol, sont aussi l’objet d’une attention particulière. Dès le retour de la droite au pouvoir en 1986, le gouvernement de Jacques Chirac propose d’introduire le principe de « manifestation de volonté » aux enfants bénéficiaires du droit du sol, remettant en cause leur loyauté vis-à-vis de la République française. Bien qu’ils soient nés et élevés en France, ils ne sont pas considérés comme des Français à part entière et doivent montrer leur « volonté » d’être français. Cette proposition provoque un tollé général dans l’opinion publique*, ce qui amène le gouvernement à créer la Commission sur la nationalité, présidée par Marceau Long, dont les conclusions peuvent se résumer ainsi : l’immigration pose problème, mais l’intégration est en marche. L’idée dominante est qu’il faut « croire » dans la « capacité d’intégration » des institutions françaises, en particulier l’école publique, et que le processus d’« extinction » culturelle et religieuse est inexorable. Les classes dominantes se sont donc senties « trahies » lorsque des enfants d’immigrés post-coloniaux, en particulier les jeunes filles, se sont mis à pratiquer la religion musulmane, à porter le hijab et à fréquenter la mosquée. De leur point de vue, la religiosité musulmane remet en cause la conception dominante de la nation française, fondée sur le principe de l’homogénéité nationale. C’est ainsi que le « problème immigré » s’articule avec le « problème musulman ». Dès lors que des immigrés post-coloniaux refusent de * Le principe de « manifestation de volonté » est tout de même voté en 1993 et aboli en 1998. 189

Conclusion

rester à leur place, subalterne et invisible, la tension s’élève d’un cran. La véritable hystérie politique des « élites », observée durant les « affaires du voile » (1989, 1994, 2003-2004, 2010, etc.), favorise l’imprégnation de l’islamophobie dans toutes les couches de la population. La violence politique au nom de l’islam, telle qu’elle a été exercée par une extrême minorité de Français musulmans, n’est pas analysée comme n’importe quelle autre violence politique (régionaliste, anticapitaliste, etc.). Il y aurait un islam violent par essence et tous les chemins de la religion musulmane mèneraient aux camps d’Al Qaïda en Afghanistan. Dans cette perspective, la vision islamophobe2 n’est pas sans rappeler l’analyse raciale des rébellions urbaines de la région lyonnaise (chapitre 3). Toutes les deux proposent une grille de lecture des conflits au travers de catégories raciales ou racialo-religieuses, en décalage avec les dynamiques sociales. Elles opèrent comme des filtres empêchant de se rendre compte que la religiosité n’est pas un « problème » en soi et que le stigmate de l’immigré à vie est insupportable. Elles sont le symptôme d’un déni de la condition de l’immigration postcoloniale puisqu’en l’homogénéisant et en la disqualifiant, elles ne perçoivent pas la diversité des trajectoires, des statuts sociaux, des nationalités, etc. On observe en effet une forte différenciation sociale parmi les familles immigrées venues des ex-colonies : si l’écrasante majorité fait partie des classes populaires, souvent les plus précaires, une minorité connaît un processus d’ascension sociale. Ces classes moyennes et supérieures de l’immigration post-coloniale occupent des positions jusque-là inaccessibles à la génération de leurs parents, que ce soit dans le monde du spectacle, de l’entreprise ou des services publics. Malgré l’accroissement des inégalités, ce groupe stigmatisé et marginal entre directement en concurrence avec les établis. La condition de l’immigration post-coloniale est donc marquée par un double processus d’ascension sociale des plus favorisés et de déclassement des plus faibles, qui forme un clivage de classe interne et explique en partie les tensions entre établis et marginaux au sein de la « communauté », plus imaginée que réelle. En effet, il n’existe pas de « communauté » organisée comme il n’existe pas de ghettos en France, si on définit sociologiquement le ghetto comme un espace 190

En quête d’égalité

social stigmatisé, contraint, homogène « racialement » et structuré par des institutions autonomes. Si certaines cités sont majoritairement composées d’immigrés post-coloniaux, on est loin d’atteindre le niveau de ségrégation des Noirs états-uniens dans les années 1920-1960 qui favorise, paradoxalement, la construction d’institutions scolaires, sportives, religieuses et politiques et l’émergence d’une prise de parole noire. Le ghetto est certes stigmatisant mais il protège aussi de la violence raciste : le réseau des églises noires et les structures collectives des ghettos constituaient la colonne vertébrale du mouvement des droits civiques. Tel n’est pas le cas de l’immigration post-coloniale en France, dont la prise de parole et l’organisation rencontrent des obstacles difficiles à surmonter (chapitre 5). Si les quartiers populaires ne sont pas des « déserts politiques », force est de constater la faible articulation entre les rébellions urbaines violentes et les mobilisations collectives organisées. Mais l’histoire nous enseigne que « chacune des formes de résistance déguisée, des formes d’infrapolitique, est le partenaire silencieux d’une forme bruyante de résistance publique ». Les « obstacles à la résistance, qui sont nombreux, ne peuvent être attribués à l’incapacité des groupes subalternes à imaginer un ordre social alternatif 3 ».

191

Notes

Notes de l’introduction 1. Philippe Bernard, « Vingt ans après, Matignon invite des beurs symboles de réussite », Le Monde, 3 décembre 2003. 2. Sur ce renversement, voir Abdellali Hajjat, Les Frontières de l’« identité nationale ». L’injonction à l’assimilation en France métropolitaine et coloniale, Paris, La Découverte, 2012. 3. Ahmed Boubeker et Abdellali Hajjat (dir.), Histoire politique des immigrations (post)coloniales, Paris, Éditions Amsterdam, 2008, p. 12. 4. Marie-Pierre Subtil, « Dominique Sopo. Le pote affranchi », Le Monde, 10 octobre 2006. 5. Le Monde, 13 octobre 2006. 6. « Fodé Sylla cède la présidence de SOS Racisme à Malek Bouthi », Libération, 22 février 1999 ; Luc Le Vaillant, « Malek Boutih, 35 ans, président de SOS-Racisme, affiche sa réussite et sa foi en la République », Libération, 19 février 2000. 7. Fadela Amara (avec la collaboration de Sylvia Zappi), Ni putes ni soumises, Paris, La Découverte, 2003, p. 26. 8. Charlotte Rotman, « Soumission impossible », Libération, 26  février 2003 ; Cécilia Gabizon, « La rage au ventre », Le Figaro, 5 février 2003 ; « Fadela Amara, fille d’immigrés, contre le machisme des cités-ghettos de France (DOSSIER - PORTRAIT) », Agence France Presse, 7 mars 2004 ; Judith Waintraub, « Amara, la carte des banlieues », Le Figaro, 20 juin 2007 ; « Fadela Amara, de la cité à la politique de la Ville (PORTRAIT) », Agence France Presse, 19 juin 2007. 9. Cécile Amar, Fadela Amara. Le destin d’une femme, Paris, Hachette, 2009. 10. Mogniss H. Abdallah, « 20 ans après la Marche pour l’égalité et contre le racisme », Altérités, 2 décembre 2003, disponible à l’adresse : www.1libertaire. free.fr/Mogniss11.html (dernière consultation : 5 août 2013). 193

Notes de l’introduction

11. Ahmed Boubeker, « Beurs et acteurs de l’histoire », Libération, 14 octobre 2003. 12. Réalisé en 2003 par l’auteur. 13. Zaïr Kedadouche, « L’intégration, nouveau défi républicain », Le Figaro, 23 mai 2002 ; Azouz Begag, « L’intégration ? De qui ? », Le Figaro, 6 juin 2003. 14. Pierre Bourdieu, Sur la télévision, Paris, Raisons d’agir, 1996, p. 22. 15. « Malek Boutih, proche de Julien Dray, nouveau membre du conseil national du PS (BIO-EXPRESS) », Agence France Presse, 17 mai 2003 ; Martine Veron, « SOS-Racisme installe sa nouvelle équipe dirigeante, sur fond de scission (AVANT-PAPIER) », Agence France Presse, 26 juin 2003. 16. Philippe Bernard, « À Vaulx-en-Velin, les nouveaux banlieusards de l’islam », Le Monde, 9 octobre 1995. 17. Frédéric Chambon, « Enquête sur le vivier lyonnais de l’islamisme radical », Le Monde, 12 février 2003. Voir leurs témoignages : Mourad Benchellali (avec la collaboration d’Antoine Audouard), Voyage vers l’enfer, Paris, Robert Laffont, 2006 ; Nizar Sassi (avec la collaboration de Guy Benhamou), Prisonnier 325, camp Delta : de Vénissieux à Guantanamo, Paris, Denoël, 2006. 18. Nora Barsali, François-Xavier Freland et Anne-Marie Vincent, Générations Beurs. Français à part entière, Paris, Autrement, 2003 ; Philippe Bernard, La Crème des Beurs. De l’immigration à l’intégration, Paris, Seuil, 2004. 19. « Djida [Tazadaït], une fougue sans voile », Lyon Capitale, 26 février 2003. 20. Cécilia Gabizon et Thierry Portes, « Les musulmans laïques veulent faire entendre leur voix », Le Figaro, 15 mai 2003. 21. Philippe Bernard, « La gauche n’a pas osé mettre en avant les enfants d’immigrés », entretien avec Christian Delorme, Le Monde, 3 décembre 2003. 22. Azouz Begag, « L’intégration enterrée », Le Monde, 3 décembre 2003. 23. « Banlieues : des jeunes, sans visages, refusant le modèle social français (sociologues) (PAPIER D’ANGLE) », Agence France Presse, 8 novembre 2005. 24. « Vingt ans après la marche pour l’égalité », propos de Brahim Zenaf de l’association Le Grain (Saint-Étienne), Le Progrès, 8 décembre 2003. 25. Mina Kaci, « Du formidable espoir à la désillusion », L’Humanité, 3 décembre 2003. 26. Voir Abdellali Hajjat et Marwan Mohammed, Islamophobie, Paris, La Découverte, 2013. 27. Abdelmalek Sayad, La Double Absence, Paris, Seuil, 1999. 194

Notes du chapitre 1

28. Nacira Guénif, Des « Beurettes» aux descendantes d’immigrants nord-africains, Paris, Grasset, 2000 ; Linda Guerry, Le Genre de l’immigration et de la naturalisation. L’exemple de Marseille (1918-1940), Lyon, ENS Éditions, 2013. 29. Nicolas Beau et Ahmed Boubeker, Chroniques métissées, Paris, Alain Moreau, 1986 ; Michelle Zancarini-Fournel, « Généalogie des rébellions urbaines en temps de crise (1971-1981) », Vingtième siècle. Revue d’histoire, no 84, 2004, p. 119-127 ; Sophie Béroud, Boris Gobille, Abdellali Hajjat et Michelle Zancarini-Fournel (dir.), Engagements, rébellions et genre dans les quartiers populaires en Europe (1968-2005), Paris, Éditions des archives contemporaines, 2011. 30. Alain Battegay et Ahmed Boubeker, (1993), Les Images publiques de l’immigration : médias, actualité, immigration dans la France des années 80, Paris, L’Harmattan, 1993. 31. Notamment Adil Jazouli, L’Action collective des jeunes Maghrébins de France, Paris, L’Harmattan, 1986 ; Nicolas Beau et Ahmed Boubeker, Chroniques…, op. cit. ; Saïd Bouamama, Dix ans de marche des Beurs. Chronique d’un mouvement avorté, Paris, Desclée de Brouwer, 1994 ; Ahmed Boubeker, Les Mondes de l’ethnicité. La communauté d’expérience des héritiers de l’immigration maghrébine, Paris, Balland, 2003 ; Stéphane Beaud et Olivier Masclet, « Des « marcheurs » de 1983 aux « émeutiers » de 2005. Deux générations sociales d’enfants d’immigrés », Annales. Histoire, Sciences Sociales, no 4, 2006, p. 809-843 ; Mogniss H. Abdallah, Rengainez, on arrive !, Paris, Libertalia, 2012. 32. Voir Geneviève Dreyfus-Armand, Robert Frank, Marie-France Lévy et Michelle Zancarini-Fournel (dir.), Les Années 68. Le temps de la contestation, Bruxelles, Complexe/IHTP, 2000 ; Boris Gobille, Mai 68, Paris, La Découverte, 2008.

Notes du chapitre 1 1. Christian Legrand, Le Logement populaire et social en Lyonnais, 1848-2000, Lyon, Aux Arts, 2002. 2. Groupe de sociologie urbaine, Étude démographique de la ZUP des Minguettes à Vénissieux. Populations et nationalités, rapport pour le Service d’équipement de la région de Lyon, 1974. Sur l’évolution du peuplement aux Minguettes, voir aussi Marie-Paule Ambrogelly et Marie-Hélène Farrouch, « Vénissieux : les Minguettes, qui habite la ZUP ? », INSEE. Points d’appui pour l’économie Rhône-Alpes, no 25, octobre 1983, p. 7-16. 195

Notes du chapitre 1

3. Les données proviennent de Groupe de sociologie urbaine (Andrée Chazalette), Étude sociologique et démographique de la ZUP des Minguettes à Vénissieux. Enquête auprès des ménages ayant quitté leur logement dans le 2e  semestre 1975, rapport pour le Service d’équipement de la région de Lyon, 1976 ; et du recensement de la population de l’INSEE en 1982 (AMV 226W162). Les données du recensement disponibles sont moins fines que celles des années précédentes. Pour l’année 1982, la catégorie « ouvriers qualifiés » comprend aussi les ouvriers spécialisés et la catégorie « ProfLib/ CadSup » comprend aussi les « cadres moyens ». 4. ADR2496W02. Dossier « Vénissieux 1981 » : rapports de la mairie pour le comité interministériel ; INSEE, Recensement de la population, 1982. 5. Groupe de sociologie urbaine, Étude démographique de la ZUP des Minguettes à Vénissieux. Populations et nationalités, op. cit. 6 . Voir Patrick Weil, La France et ses étrangers, Paris, Gallimard, 1995, p. 135-137. 7 .  ADR 248W278. « État des logements attribués aux étrangers (réservation Fonds d’action sociale) à la ZUP des Minguettes, Vénissieux », établi par Logirel, 15 octobre 1969. 8. Voir Olivier Masclet, La Gauche et les cités, Paris, La Dispute, 2003. 9. Groupe de sociologie urbaine, Étude démographique de la ZUP des Minguettes à Vénissieux. Analyse statistique rétrospective de la mobilité résidentielle de 1969 à 1974, rapport pour le SERL, 1974. 10. Ibid., p. 17. 11. AMV 226W172. Vénissieux Info, mai 1976, p. 6. 12. Groupe de sociologie urbaine (Andrée Chazalette), Étude sociologique et démographique de la ZUP des Minguettes à Vénissieux. Analyse statistique rétrospective..., op. cit. Ce rapport se fonde sur une enquête par questionnaire auprès des trois cent un ménages ayant déposé leur dédite entre juin et décembre 1975. 13. Ibid. 14. Ibid., p. 12. 15. ADR 2230W09. Lettre du préfet délégué pour la police au préfet, directeur central des polices urbaines, 4 juillet 1979. 16. ADR 2230W09. Rapport du commissaire principal de Vénissieux, Vénissieux, 24 novembre 1978. 17. AMV 226W120. Audition de Marcel Houël au Conseil économique et social, section du cadre de vie, 17 février 1982. 18. AMV 226W105. Lettre du directeur adjoint de l’Agence d’urbanisme 196

Notes du chapitre 1

de la Communauté urbaine de Lyon au préfet du Rhône, Lyon, 21 avril 1980. 19. Groupe de sociologie urbaine (M. Chevallier), Étude des stratégies résidentielles des ménages dans la ZUP des Minguettes, rapport ARCADES pour la ville de Vénissieux, septembre 1985. 20. ADR 248W278. Lettre du Service de liaison et de promotion des migrants (SLPM) au directeur de Logirel, Lyon, 5 juin 1970 : « Les concours financiers accordés dans le but de réserver des logements H.L.M. aux familles françaises musulmanes sont supprimés depuis 1968 ». Mais de nouvelles familles dont le père était « harki » sont accueillies jusqu’en 1971. 21. Selon l’historien algérien Mohammed Harbi, l’Algérie de 1954 est une « nation en formation, [qui] n’autorise pas une lecture de l’histoire en termes de nationalisme et de collaboration ». La cohésion nationale de la société algérienne est d’après lui très relative au début de la guerre parce qu’il n’existe pas encore de conscience universelle d’appartenance à une nation algérienne, surtout dans les milieux ruraux (majorité de la population) et sauf dans les milieux lettrés, urbains et immigrés. L’identification à la nation algérienne, qui se construit durant la guerre révolutionnaire menée contre l’État colonial français, peut ainsi être concurrencée par la conscience d’appartenir à une tribu, un clan, une famille ou une région. Dès lors, on comprend mieux que « partout où les chefs de l’ALN ont bafoué les notables locaux, ont porté atteinte à l’honneur d’un clan ou mis en œuvre des pratiques attentatoires à celui d’un village ou d’un groupe familial, des sociétés entières ont fait bloc derrière leurs chefs locaux et des milliers de personnes se sont mises hors de portée de l’ALN ». L’armée française s’est ainsi appuyée sur les divisions réelles entre les « Français musulmans » pour mener une guerre de contre-insurrection, en recrutant et en encadrant, au sein des « harkas » (groupes mobiles), les Algériens hostiles au FLN (Mohammed Harbi, « L’Algérie en 1954, une nation en formation », in Fatima Besnaci-Lancou, Benoit Falaize et Gilles Manceron  (dir.), Les  Harkis. Histoire, mémoire et transmission, Ivry-sur-Seine, Éditions de l’Atelier, 2010, p. 20). 22. ADR 248W179. « Note de l’administrateur des SCA », Lyon, 29 août 1962. 23. ADR 248W179. « Note du préfet au délégué régional du Secrétariat d’État aux Rapatriés », Lyon, 25 juin 1962 24. ADR 248W179. « Note du cabinet du préfet au service des Affaires musulmanes » [dont dépendent les Services d’assistance technique], Lyon, 13 juin 1962. 197

Notes du chapitre 1

25. ADR 248W181. « Enquête sur les Français Musulmans », courrier du préfet du Rhône (chargé de mission) au ministère de l’Intérieur (Service de l’accueil et de Reclassement des Français d’Indochine et des Français musulmans), Lyon, 8 janvier 1966. 26. Voir Françoise de Barros, « Des « Français musulmans d’Algérie » aux « immigrés » : importation de savoir-faire algériens en métropole et catégorisation des étrangers dans les politiques du logement (1950-1970) », Actes de la recherche en sciences sociales, no 159, 2005, p. 26-45 ; Pierre Gilbert et Charlotte Vorms, « L’empreinte de la guerre d’Algérie sur les villes françaises », Métropolitiques, 15 décembre 2012, disponible à l’adresse : www.metropolitiques.eu/L-empreinte-de-la-guerre-d-Algerie.html (dernière consultation : août 2013). 27. ADR, 248W181. « Enquête sur les Français Musulmans », op. cit. 28. Abderahmen Moumen et Fatima Besnaci-Lancou, Les Harkis, Paris, Le Cavalier bleu, 2008, p. 40. 29. ADR 248W275. Lettre du chargé de mission au Service de Liaison et de Promotion des Migrants, au directeur de Logirel, Lyon, 10 décembre 1970 (contenant le dossier de la famille Kiar). 30. ADR 248W275. Liste des « harkis » logés dans la « cité des Minguettes 22 » par Logirel, s. d. [juillet 1971]. 31. Entretien avec Toumi Djaïdja, Lyon, 11 décembre 2009. 32. Ibid. 33. Saïd Djaïdja, père de Toumi, cité dans A. Corsetti, « Je fais confiance à la justice », Lyon Matin, 22 juin 1983. 34. Entretien avec Djamel Atallah, Vénissieux, 18 décembre 2008. 35. Groupe de sociologie urbaine (M. Chevallier), Pré-dossier…, op. cit., p. iii. 36. Marcel Houël, « Des promesses du pouvoir… aux réalités » (discours au conseil municipal extraordinaire du 29 octobre 1976), Vénissieux Info, mai 1976. 37. Groupe de sociologie urbaine, Étude démographique de la ZUP des Minguettes à Vénissieux. Populations et nationalités, rapport pour le Service d’équipement de la région de Lyon, 1974. 38. Selon M. Duvillard (conseiller municipal), Vénissieux Infos, mai 1976, p. 3. 39. Voir Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, La Reproduction. Éléments pour une théorie du système d’enseignement, Paris, Éditions de Minuit, 1987 ; Stéphane Beaud, « 80 % au bac » et après ? Les enfants de la démocratisation, Paris, La Découverte, 2002. 198

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40. ADR 2496W02. Dossier « Vénissieux 1981 » : rapports de la mairie pour le comité interministériel, chemise « Dossier scolaire. Secondaire et formation professionnelle ». 41. ADR 2496W02. Statistiques des établissements scolaires en 1er et 2e cycle de Vénissieux, année 1981-1982 (données de la mairie de Vénissieux). 42. Groupe de sociologie urbaine (M. Chevallier), Pré-dossier HVS des Minguettes à Vénissieux, rapport pour l’Agence d’urbanisme de la Communauté urbaine de Lyon, juin 1980, p. ix. 43. Groupe de sociologie urbaine (M. Chevallier et B. Voisin), Premier diagnostic de l’animation organisée aux Minguettes, rapport pour le SERL, novembre 1979, p. 32. 44. Ibid., p. 36. 45. Ce phénomène existe dans d’autres grands ensembles. Voir Michel Pinçon, « Habitat et modes de vie. La cohabitation des groupes sociaux dans un ensemble HLM », Revue française de sociologie, vol. 22, no 4, 1981, p. 523-547. 46. Groupe de sociologie urbaine (M. Chevallier et B. Voisin), Premier…, op. cit., p. 33. 47. ADR 2230W09. Note d’information du service opérationnel de Renseignements (Direction départementale des polices urbaines du Rhône) pour le préfet délégué à la police, 27 février 1981. 48. Groupe de sociologie urbaine (M. Chevallier et B. Voisin), Premier…, op. cit., p. 41. 49. Ibid., p. 42. 50. Ibid., p. 70. 51. Luis Fernandez, Le Ballon rouge. Des Minguettes au Parc des Princes, Paris, Carrere, 1986, p. 81. 52. Groupe de sociologie urbaine (M. Chevallier et B. Voisin), Premier…, op. cit., p. 72. 53. Ibid., p. 71. 54. AMV 226W172. Vénissieux Infos, mai 1976, p. 3. 55. ADR2496W02. Dossier « Vénissieux 1981 » : rapports de la mairie pour le comité interministériel. Réunion de travail avec Marcel Rigout, ministre de la Formation professionnelle, mairie de Vénissieux, 30 septembre 1981. 56. Sur ce point, voir Marwan Mohammed, La Formation des bandes. Entre la famille, l’école et la rue, Paris, PUF, 2011. 57. Afin de pouvoir réaliser des comparaisons géographique et temporelle, nous nous fondons sur la distinction policière opérée entre « grande 199

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criminalité », « criminalité moyenne » et « délinquance », qui sont des catégories regroupant de multiples délits classés selon leur « degré de gravité ». Celles-ci sont évidemment les produits de luttes de définition de la réalité sociale et devraient être discutées, mais nous ne disposons pas d’éléments empiriques sur la construction de ces catégories pour pouvoir le faire. 58. La comparaison entre les cinq circonscriptions ne peut se faire qu’entre 1976 et 1981 parce que la distinction entre « grande criminalité », « criminalité moyenne » et « délinquance » n’apparaît qu’en 1976 pour la ville de Lyon et, à partir de 1982, la nomenclature des crimes et délits change au profit des deux catégories centrales d’« atteintes aux personnes » et d’« atteintes aux biens ». Les données statistiques de la circonscription « Est-lyonnais » n’apparaissent pas en tant que telles dans les rapports de la police judiciaire : elles sont donc déduites par soustraction des données disponibles pour l’ensemble du département et pour les quatre autres circonscriptions. 59. AMV 226W172. Vénissieux Infos, mai 1976, p. 8. 60. ADR 2230W09. Liste des « délinquants habituels » de Vénissieux dressée par le commissaire de Vénissieux/Saint-Fons pour le commissaire central agglomération lyonnaise, 8 septembre 1980. 61. Voir Michelle Zancarini-Fournel, « Généalogie des rébellions urbaines en temps de crise (1971-1981) », Vingtième siècle. Revue d’histoire, no 84, 2004, p. 119-127. 62. Ibid. 63. Groupe de sociologie urbaine (M. Chevallier), Pré-dossier…, op. cit., p. x. Cette enquête a été réalisée dans le cadre du programme national « HVS » et pour le compte de l’Agence d’urbanisme de la Communauté urbaine de Lyon. 64. Ibid. 65. Ibid. 66. Ibid. 67. Ibid. 68. Ibid., p. 11. 69. Stéphane Béaud et Michel Pialoux, Retour sur la condition ouvrière. Enquête aux usines Peugeot de Sochaux-Montbéliard, Paris, Fayard, 1999, p. 385. 70. Groupe de sociologie urbaine (M. Chevallier), Pré-dossier…, op. cit., p. 11. 71. Ibid., p. 12. 200

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72. ADR 2230W09. Pétition de onze propriétaires adressée au maire de Vénissieux, 24 octobre 1980. 73. Groupe de sociologie urbaine (M. Chevallier), Pré-dossier…, op. cit., p. 136. 74. Ibid. 75. ADR, 2230W09. Rapport des Renseignements généraux du Rhône, « Création d’un groupe d’auto-défense à Vénissieux », 11 septembre 1979. 76. Voir Alain Battegay et Ahmed Boubeker, Les Images publiques de l’immigration. Média, actualité, immigration dans la France des années 80, Paris, L’Harmattan-CIEMI, 1993.

Notes du chapitre 2 1. Voir, entre autres, Christian Bachmann et Nicole Le Guennec, Violences urbaines. Ascension et chute des classes moyennes à travers cinquante ans de politique de la ville, Paris, Hachette Littératures, 2002 (1996), p. 331 et suivantes. Plus récemment : Fabien Jobard, « An Overview of French Riots, 1981-2004 », in David Waddington, Fabien Jobard et Mike King, Rioting in the UK and France: A Comparative Analysis, Cullompton-Portland,Willan Publishing, 2009, p. 27-38. 2. Ahmed Boubeker, Les Mondes de l’ethnicité. La communauté d’expérience des héritiers de l’immigration maghrébine, Paris, Balland, 2003 ; Stéphane Beaud et Olivier Masclet, « Des « marcheurs » de 1983 aux « émeutiers » de 2005. Deux générations sociales d’enfants d’immigrés », Annales. Histoire, Sciences Sociales, no 4, 2006, p. 809-843. 3. Voir notamment François Dubet, La Galère. Jeunes en survie, Paris, Fayard, 1987 ; François Dubet et Didier Lapeyronnie, Quartiers d’exil, Paris, Seuil, 1992 ; Stéphane Beaud et Michel Pialoux, Violences urbaines, violence sociale. Genèse des nouvelles classes dangereuses, Paris, Fayard, 2003 ; Laurent Mucchielli et Véronique Le Goaziou (dir.), Quand les banlieues brûlent… Retour sur les émeutes de novembre 2005, Paris, La Découverte, 2006 ; Michel Kokoreff, Sociologie des émeutes, Paris, Payot, 2008. 4. Voir Foued Nasri, « Zaâma d’Banlieue (1979-1984) : les pérégrinations d’un collectif féminin au sein des luttes de l’immigration », in Sophie Béroud, Boris Gobille, Abdellali Hajjat et Michelle Zancarini-Fournel (dir.), Engagements, rébellions et genre dans les quartiers populaires en Europe (19682005), Paris, Éditions des archives contemporaines, 2011, p. 65-78. 5. Marwan Mohammed et Laurent Mucchielli (dir.), Les Bandes de jeunes, des « Blousons noirs » à nos jours, Paris, La Découverte, 2007. 201

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6. Eric J. Hobsbawm, Les Bandits, Paris, La Découverte/Zones, 2008 [1969], p. 28-42. 7. Entretien avec Djamel Atallah, membre de SOS Avenir Minguettes, Vénissieux, 18  novembre 2008. Ce point de vue est corroboré par de multiples articles du Progrès de Lyon de 1981-1983, qui participe à la création du mythe du « Prince des Minguettes ». 8. Sur le principe de la double peine, voir Abdelmalek Sayad, « Immigration et « pensée d’État » », Actes de la recherche en sciences sociales, no 129, 1999, p. 5-14. 9. Lilian Mathieu, La Double Peine. Histoire d’une lutte inachevée, Paris, La Dispute, 2006, p. 83-117. 10. ADR 2230W09. Compte rendu de l’audience accordée par Jean Chevanche, préfet délégué pour la police, à Marcel Houël, maire de Vénissieux, le 1er juillet 1981. 11. René Raffin, « Un malfaiteur s’échappe à la faveur d’un début d’émeute », Le Progrès, 1er décembre 1981. 12. ADR 2230W10. Rapport du DDPU du Rhône au préfet de police de Lyon, 9 décembre 1981. 13. Ibid. 14. Entretien avec Toumi Djaïdja, Lyon, 11 décembre 2009. 15. Voir Michelle Zancarini-Fournel, « Généalogie des rébellions urbaines en temps de crise (1971-1981) », Vingtième siècle. Revue d’histoire, no 84, 2004, p. 119-127. 16. Christian Bachmann et Nicole Le Guennec, Violences…, op. cit., p. 361. 17. ADR 1858W01. Renseignements généraux (RG), « Agitation parmi les jeunes immigrés dans l’est lyonnais et perspectives », 2 mai 1983, p. 1. 5 390 faits ont été constatés au premier trimestre 1982 dans l’Est lyonnais et 5 388 au premier trimestre 1983, sachant que la délinquance dans l’Est lyonnais représente environ 35 % de la délinquance globale enregistrée dans l’agglomération lyonnaise. Les incendies de voitures suite à un « rodéo », nombreux durant la rébellion de juillet 1981, accusent une baisse de 39 %. 18. Ibid., p. 2. 19. ADR 2519W18. Télégramme de la Direction départementale de la police urbaine (DDPU), « Affrontements entre forces de police et habitants de la ZUP des Minguettes à Vénissieux », 21 mars 1983. 20. ADR 2519W18. Service de prévention de l’Association départementale du Rhône pour la sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence, « À propos 202

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des incidents des Minguettes du lundi 21 mars 1983 : témoignage des éducateurs de prévention de la sauvegarde de l’enfance du Rhône présents sur les lieux », Bron, s. d. [avril 1983], p. 1. 21. Entretien avec Bernard Grasset, préfet de police de Lyon entre le 16 juillet 1981 et le 17  juillet 1984, Rochefort, 22 février 2009. 22. Entretien avec Djamel Atallah, op. cit. 23. ADR 2519W18. Télégramme de la DDPU, « Affrontements… », op. cit. 24. ADR 1858W01. RG, « Agitation… », op. cit. 25. AMG, sans cote. Affiche du comité de soutien aux grévistes de la faim : « Grève de faim des Minguettes. Rassemblement populaire citoyen », avril 1983. 26. ADR 1858W02. Comité des grévistes de la faim, « Lettre à M. Pierre Mauroy », Lyon, 31 mars 1983. 27. ADR 1858W01. RG, « Agitation… », op. cit., p. 2. 28. Sur ces deux affaires, voir Mogniss H. Abdallah, « Le face-à-face jeunespolice et justice. Une histoire mouvementée », Agence IM’média, supplément no 1, automne 1984, p. 2-5 ; Foued Nasri, Les Générations associatives des jeunes issus de l’immigration maghrébine : le cas de l’agglomération lyonnaise, thèse en cours de science politique, sous la direction de Catherine Withol de Wenden, Sciences Po Paris. 29. Elles déclarent : « Nous, les Mamans, nous vous appelons au secours pour nos enfants qui font la grève de la faim. […] Il faut trouver des solutions pour que ce ne soit plus la guerre entre la police et les jeunes. Il faut leur donner du travail, il faut s’occuper d’eux sérieusement. Pourquoi sont-ils rejetés de l’école à quinze ans ? » (ACL. Lettre des mères des grévistes de la faim et les mères du quartier, envoyée au Premier ministre, Vénissieux, 30 mars 1983). En plus des mères de grévistes, il s’agit de Mmes Messaoudi, Chougui, Fellahi, Ammar, Kedad, Chabani, Benslama, Elbidi, Mahamdi, Bandoui, Hamache, Chedad, Kalifa, Daoui, Garbi, Lafi, Hakak, Kaldoum, Mehentel, Billet, Picard, Ganozzi et Benaicha. 30. Johanna Siméant, La Grève de la faim, Paris, Presses de Science Po, 2009, p. 19-23. 31. Entretien avec Toumi Djaïdja, op. cit. 32. Ibid. 33. AMG, sans cote. Comité des grévistes de la faim, « Onze jeunes des Minguettes en grève de la faim illimitée », Vénissieux, 28 mars 1983. 34. Entretien avec Jean Blocquaux, Plaisir, 15 janvier 2009. 203

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35. AMG, sans cote. Comité des grévistes de la faim, « Onze jeunes… », op. cit. 36. ADR 1858W02. Comité des grévistes de la faim, « Lettre à Monsieur Pierre Mauroy », Lyon, 31 mars 1983. 37. AMG, sans cote. Lettre ouverte des mères des grévistes de la faim et des mères du quartier, Vénissieux, 4 avril 1983. 38. À la réunion du 2 avril, sont présents des représentants de la mairie de Vénissieux (le premier adjoint Guy Fischer, les adjoints Marc Vallier, Jean-Baptiste Mantel, André Cranuvaro, Joseph Navarro, le responsable du service municipal Jeunes Marcel Notar) et des grévistes de la faim (Farid  Lazhar, Mourad Keraima, Lakhdar Daoui, L. Marif, Christian Delorme, François Cordier, Paul Bouchet et Marie-Josèphe Sublet). La réunion du 7 avril est la plus déterminante et rassemble là encore des représentants de la mairie (le maire Marcel Houël, Fischer, Vallier, Navarro, Mantel, Notar, l’adjoint Claude Dilas), des responsables de Logirel (Jean Grane, Jean Rhidon), des représentants des grévistes (Toumi Djaïdja, Djamel Mahamdi, Farouk Sekkaï, Mohamed Khira, Rahmouni, Costil, Sublet, Bouchet, Cordier), ainsi que des éducateurs spécialisés (Annie Campos, Agop Boyadian et Jean Royer, de l’Association départementale de sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence). 39. ADR 2519W18. Pierre Mauroy, « Situation dans le quartier des Minguettes à Vénissieux », télex au préfet du Rhône, s. d. [8 avril 1983]. Les citations qui suivent sont extraites du même document. 40. ATD, sans cote. Statuts de l’association « SOS Avenir Minguettes », Vénissieux, 27 avril 1983. 41. Richard Hoggart, La Culture du pauvre. Étude sur le style de vie des classes populaires en Angleterre, Paris, Éditions de Minuit, 1970. 42 .Toumi Djaïdja, cité dans Libération, 28 novembre 1983. 43. Jean-Noël Retière, « Autour de l’autochtonie. Réflexions sur la notion de capital social populaire », Politix, vol. 16, no 63, 2003, p. 121-143. 44. James C. Scott, La Domination et les arts de la résistance. Fragments du discours subalterne, Paris, Éditions Amsterdam, 2008 [1992]. 45. AMG, sans cote. Tract ronéotypé, s. d. [mars 1983].

Notes du chapitre 3 1. ADR 1858W01. Préfet délégué pour la police à Lyon (Bernard Grasset), « Situation à Vénissieux – ZUP des Minguettes », rapport au cabinet du secrétaire d’État chargé de la sécurité publique, Lyon, 25 mai 1983. 204

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2. Entretien avec Djamel Atallah, Vénissieux, 18 novembre 2008. 3. ADR 2230W10. Lettre de Christian Delorme au syndicat des policiers en tenue affilié à la Fédération autonome des syndicats de police (FASP), Lyon, 8 juin 1983. 4. Sylvie Tissot, L’État et les quartiers. Genèse d’une catégorie de l’action publique, Paris, Seuil, 2007, p. 19. 5. Voir Le Progrès, 22 mars 1983. 6. James C. Scott, La Domination et les arts de la résistance. Fragments du discours subalterne, Paris, Éditions Amsterdam, 2009 [1992], p. 82. 7. Ahmed Boubeker, Les Mondes de l’ethnicité. La communauté d’expérience des héritiers de l’immigration maghrébine, Paris, Balland, 2003. 8. Entretien avec Toumi Djaïdja, Lyon, 11 décembre 2009. 9. Abdelmalek Sayad, « Exister, c’est exister politiquement. IIe partie : Les  droits civiques pour une plus grande justice », Presse et Immigrés en France, no 136, décembre 1985, p. 12. C’est moi qui souligne. 10. Ibid. 11. Cédric Moreau de Bellaing, « Violences illégitimes et publicité de l’action policière », Politix, vol. 3, no 87, 2009, p. 140. 12. Sur ce point, voir ibid. 13. Entretien avec Bernard Grasset, Rochefort, 22 février 2009. 14. Cité par Yves Leridon, « Les Minguettes : les incroyables propos du préfet », Le Figaro, 25 novembre 1983. 15. James C. Scott, La Domination…, op. cit., p. 81-82. 16. Dominique Montjardet, Ce que fait la police, Paris, La  Découverte, 1996, p. 89. 17. Dominique Monjardet, « L’insécurité politique : police et sécurité dans l’arène électorale », Sociologie du travail, vol. 44, no 4, 2002, p. 1. 18. Communiqué de l’intersyndicale Syndicat des corps en civil de la police nationale CGC, Syndicat des commandants et officiers de la police nationale CGC, Syndicat des gradés de la police nationale CGSC et Syndicat indépendant de la police nationale, publié dans Le Progrès, 25 novembre 1983. Les citations qui suivent sont extraites du même numéro de journal. 19. C’est moi qui souligne. 20. C’est moi qui souligne. 21. Ibid. 22. Le Progrès, 26 novembre 1983. 23. Entretien avec Bernard Grasset, Rochefort, 22 février 2009. 24. Entretien avec Toumi Djaïdja, Lyon, 25 décembre 2009. 205

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25. Fabien Jobard, Bavures policières ? La force publique et ses usages, Paris, La Découverte, 2002, p. 66. 26. ADR 1858W01. Discours du préfet du Rhône Olivier Philip devant une soixantaine de policiers dépendant du commissariat de Vénissieux, 30 novembre 1983. C’est moi qui souligne. 27. Archives de l’IGPN, sans cote. « Enquête sur les circonstances d’un incident survenu le 21 novembre 1983 lors d’une intervention de police dans la Cité des Minguettes », 7 décembre 1983. C’est moi qui souligne. 28. ADR 2230W09. Lettre du commissaire principal de Vénissieux/SaintFons au contrôleur général, directeur départemental des polices urbaines du Rhône, 20 juin 1979. C’est moi qui souligne. 29. ADR 2230W09. Cabinet du préfet délégué pour la police, « Analyse de la situation », dossier préparé pour la visite de M. Quilliot, ministre de l’Urbanisme et du Logement, aux Minguettes le 16 octobre  1981. C’est moi qui souligne. 30. ADR 2230W09. Préfet délégué pour la police, « Insécurité et population étrangère à Vénissieux », lettre au préfet, directeur central des polices urbaines, 4 juillet 1979. C’est moi qui souligne. 31. Ibid. 32. Ibid. C’est moi qui souligne. 33. ADR 2230W09. Préfet délégué pour la police, « Insécurité… », op.cit. C’est moi qui souligne. 34. Voir Abdellali Hajjat, Les Frontières de l’« identité nationale ». L’injonction à l’assimilation en France métropolitaine et coloniale, Paris, La Découverte, 2012, p. 84-88. 35. Todd Shepard, « Comment et pourquoi éviter le racisme : causes, effets, culture, « seuil de tolérance » ou résistances ? Le débat français entre 1954 et  1976 », séminaire Arts & Sociétés, Centre d’histoire de Sciences po, 1er février 2012, disponible à l’adresse : www.artsetsocietes.org/f/f-shepard. html (dernière consultation : août 2013) 36. Véronique de Rudder, « « Seuil de tolérance » et cohabitation pluriethnique », in Pierre-André Taguieff (dir.), Face au racisme, vol. ii, Paris, La Découverte,  1991, p. 154-166. Voir aussi Michel Marié, « Quelques réflexions sur le concept de seuil de tolérance », Sociologie du Sud-Est, no 5-6, 1975, p. 39-50 ; Alain Morice, « Du seuil de tolérance au racisme banal, ou les avatars de l’opinion fabriquée », Journal des anthropologues, no 110-111, 2007, disponible à l’adresse : http://jda.revues.org/2509 (dernière consultation : août 2013). 206

Notes du chapitre 3

37. Conseil économique et social, Le Problème des travailleurs étrangers, Paris, CES, 1969. Cité in ibid., p. 154. 38. Véronique de Rudder, « « Seuil de tolérance »… », op. cit., p. 154. 39. ADR 2230W09. Préfet délégué pour la police, « Insécurité… », op .cit. 40. Ibid. 41. Voir Annie Fourcaut, Bobigny, banlieue rouge, Paris, Éditions ouvrières-Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1986 ; Tyler Stovall, The Rise of the Paris Red Belt, Berkeley, University of California press, 1990. 42. Selon l’expression de Marcel Houël (AMV 226W120. Audition de Marcel Houël au Conseil économique et social, section du cadre de vie, 17 février 1982). 43. Entretien avec Guy Fischer, Vénissieux, 20 mars 2009. 44. Ibid. 45. AMV, sans cote. Déclaration de Marcel Houël à la suite des incidents survenus aux Minguettes le 21 mars 1983. 46. AMV 226W105. Conférence de presse « Le PCF et les grands ensembles » (sur l’opération Habitat et vie sociale), 27 mai 1980. 47. Ibid. 48. AMV 226W120. Audition de Marcel Houël…, op. cit. 49. Christian Bachmann et Nicole Le Guennec, Violences urbaines. Ascension et chute des classes moyennes à travers cinquante ans de politique de la ville, Paris, Hachette Littératures, 2002 (1996), p. 363. 50. Colette Guillaumin, L’Idéologie raciste. Genèse et langage actuel, Paris, Gallimard, 2002 (1972). 51. Georges Balandier, « La situation coloniale : approche théorique », Cahiers internationaux de sociologie, vol. 11, 1951, p. 44-79. 52. ADR 2230W10. Lettre de M. et Mme B. pour le président de la République, Vénissieux, 22 juillet 1983. 53. ADR 2230W10. Lettre de doléances de Mme A. pour le président de la République, Vénissieux, 26 juillet 1983. C’est moi qui souligne. 54. ADR 2230W10. Lettre de doléances d’un habitant anonyme pour le préfet de police, Vénissieux, 28 juin 1983. 55. ADR 2230W10. Lettre de doléances d’un habitant anonyme pour le préfet de police, Vénissieux, 7 juillet 1983. 56. ADR 2230W09. Lettre de doléances de M. D. pour le préfet de police, Vénissieux, 16 juin 1981. 57. ADR, 2230W09. Lettre du commissaire principal de Vénissieux 207

Notes du chapitre 3

au commissaire divisionnaire - commissaire central de l’agglomération lyonnaise, 7 juillet 1981. C’est moi qui souligne. 58. ADR, 2230W09. Lettre du commissaire principal du 3e secteur de police urbaine au commissaire central, 10 juillet 1981. C’est moi qui souligne. 59. CAC  19850087 art. 155. Conférence de presse de Marcel Houël, Lyon, 12 juin 1980. 60. ADR 2230W09. Commandant de la 3e  compagnie territoriale, « Création de deux îlots supplémentaires (en plus de deux existants) et effectifs du commissariat de Vénissieux », lettre au commissaire principal, chef du 3e secteur (Vénissieux), 19 juin 1980. Parmi les 346 policiers, on retrouve 1 « OPP », 1 « OP », 13 « B/C », 34 brigadiers et 297 gardiens de la paix. 61. ADR 2496W01. « Communication de Monsieur le Premier ministre au conseil des ministres du 23 décembre 1981 ». 62. AMV 226W120. Audition de Marcel Houël…, op. cit. 63. La liste des activités est reproduite dans l’annexe à la « Communication de Monsieur le Premier ministre... » (op. cit.). 64. Voir Christian Bachmann et Nicole Le Guennec, Violences…, op. cit., p. 362-367 ; Les Jeunes d’origine étrangère. Des incidents de la banlieue lyonnaise de l’été 81 à l’opération « anti-été chaud » 1982, Paris, CIEMM, 1982. 65. ADR 1858 W02. Lettres de Christian Delorme, Lyon, 17 et 16 avril 1983. 66. ADR 1858W01. Lettre du préfet pour Christian Delorme, Lyon, 29 avril 1983. 67. ADR 1858W01. Note du préfet pour le Premier ministre, Lyon, 19 avril 1983. 68. ADR 1858W02. Directeur départemental du Travail et de l’Emploi, « Situation des jeunes du quartier de Monmousseau », lettre au préfet, Villeurbanne, 11 mai 1983. 69. AC, sans cote. Témoignage de Christian Delorme sur les incidents du 4 juin 1983, Lyon, 5 juin 1983. 70. ADR 1858W01. Préfet délégué pour la police, « Situation… », op. cit. 71. ADR 2519W18. Renseignements généraux (RG), « Réactions à la suite des événements survenus à la ZUP des Minguettes à Vénissieux, dans la nuit du 19 au 20 juin 1983 », Lyon, 1er juillet 1983, p. 1. 72. Cité dans Libération, 21 juin 1983. 73. ADR 2519W18. RG, « Réactions », op. cit. 74. Version officielle de la préfecture citée par Robert Marmoz, « Une troisième version pour le coup de la cité des Minguettes », Libération, 23 juin 1983. 208

Notes du chapitre 4

75. Entretien avec Toumi Djaïdja, Lyon, 25 décembre 2009. Voir aussi son témoignage dans Jean-Louis Remillieux, « Les Minguettes : un policier lui a tiré dans le ventre, il raconte », Le Quotidien de Paris, 27 juillet 1983 ; Robert Marmoz, « Un jeune grièvement blessé par un policier aux Minguettes », Libération, 21 juin 1983. 76. ADR 2519W18. RG, « Réactions… », op. cit. Les citations suivantes sont extraites de la même source. 77. ADR 1858W01. Préfet de police (Bernard Grasset), « Situation aux Minguettes du 21 au 30 juin 1983 », rapport pour le ministère de l’Intérieur et la direction générale de la police nationale, Lyon, 1er juillet 1983.

Notes du chapitre 4 1. Voir Geneviève Dreyfus-Armand, Robert Frank, Marie-France Lévy et Michelle Zancarini-Fournel (dir.), Les Années 68. Le temps de la contestation, Bruxelles, Complexe/IHTP, 2000 ; Boris Gobille, Mai 68, Paris, La Découverte, 2008. 2. Entretien avec Toumi Djaïdja, Lyon, 25 décembre 2009. 3. ACL. Tract « Journée d’action des travailleurs sociaux », Vénissieux, 22 juin 1983. 4. ADR 2519W18. Renseignements généraux (RG) du Rhône, Note sur le « Grand Forum Justice » à Vénissieux (23 juillet), Lyon, 25 juillet 1983. 5. ACL. SOS Avenir Minguettes, Les Amis de Wahib Hachichi et Zaâma d’Banlieue, « Jeunes des banlieues lyonnaises… Nous accusons ! », Vénissieux, 23 juillet 1983. 6. Laurent Dornel, La France hostile. Socio-histoire de la xénophobie, 1870-1914, Paris, Hachette, 2004. 7. Gérard Noiriel, Le Massacre des Italiens, Aigues-Mortes, 17 août 1893, Paris, Fayard, 2010. 8. MRAP, « Lutte contre le racisme », disponible à l’adresse : mrap.juridique. free.fr/wiki/index.php/Lutte_contre_le_racisme (dernière consultation : août 2013). 9. Les données des figures 4.1, 4.2 et 4.3 proviennent de deux sources : les rapports du Commission consultative des droits de l’homme (CNCDH), reproduisant les données du ministère de l’Intérieur, qui démarre la comptabilisation en 1980 ; les livres de Fausto Giudice (Arabicides. Une  chronique française 1970-1991, Paris, La Découverte, 1992) et de Omar Abdelkhalek (Maghrébins victimes du racisme en France (1980-1989), Aïn Temouchent, Éditions Fennec, 1993), qui se basent essentiellement sur 209

Notes du chapitre 4

la presse (généraliste et militante) et des dossiers suivis par des associations antiracistes. Ces chiffres sont donnés à titre indicatif car leur production pose des problèmes méthodologiques. En effet, un crime est qualifié de « raciste » en fonction, d’un côté, de la qualification juridique par la police au moment de la plainte et, de l’autre, de la qualification par des journalistes qui soupçonnent une motivation raciste. La première source tend à sous-évaluer le nombre de crimes racistes alors que la seconde tend à la surévaluer. Pour limiter l’éventuelle surévaluation par la presse, les crimes racistes n’ont été comptabilisés qu’à la condition que les victimes soient clairement identifiées (par leur nom et la date du crime). 10. Pour plus de détails sur cette affaire, voir Abdellali Hajjat, « Alliances inattendues à la Goutte d’Or », in Philippe Artières et Michelle ZancariniFournel (dir.), 68. Une histoire collective, Paris, La Découverte, 2008, p. 521-527. 11. Comité d’Action pour l’Amélioration et le Renouveau de la Goutte d’Or, « Voici notre action », Les cahiers de Paris - Demain, no 2, février 1972. 12. Voir Abdellali Hajjat, « Les Comités Palestine (1970-1972). Aux origines du soutien de la cause palestinienne en France », Revue d’études palestiniennes, no 98, hiver 2006, p. 74-92. 13. Voir la tribune de Jean-Paul Sartre, Michel Foucault, Gilles Deleuze, Jean Genet et Michel Drach dans Le Monde du 17 novembre 1971. 14. Le Monde, 23 juin 1977. 15. Voir Abdellali Hajjat, « Des Comités Palestine au Mouvement des travailleurs arabes (1970-1976) », in Ahmed Boubeker et Abdellali Hajjat  (dir.), Histoire politique des immigrations (post)coloniales. France 1920-2008, Paris, Éditions Amsterdam, 2008, p. 145-156. 16. Pour plus de détails, voir François Noël Bernardi, Jean Dissler, Alain Dugrand et Alex Panzani, Les Dossiers noirs du racisme dans le Midi de la France, Paris, Seuil, 1976 ; Yvan Gastaut, « La flambée raciste de 1973 », Revue européenne des migrations internationales, vol. 9, no 2, 1993, p. 61-75 ; Rachida Brahim, « Les « crimes racistes » de 1973, le complexe de l’événement-anodin », Telemme-Migrations, 29 avril 2013, disponible à l’adresse : www.telemmig.hypotheses.org/175 (dernière consultation : août 2013) ; Mogniss H. Abdallah, « Souvenir de Grasse, un certain 12  juin 1973 », Med’in Marseille, 2 mai 2013, disponible à l’adresse : www.med-in-marseille.info/spip.php?article2091 (dernière consultation : août 2013). Voir aussi deux documentaires d’enquêtes : Morad Aït Habbouche, Marseille 73, la ratonnade oubliée (prod. LPBV !, 2006) et 210

Notes du chapitre 4

Yann Le Masson, Antoine Bonfanti et Jean-Jacques Béryl, Souvenir de Grasse (1973). 17. Voir Johanna Siméant, La Cause des sans-papiers, Paris, Presses de Sciences po, 1998. 18. Pour plus détails, voir Abdellali Hajjat, « Le MTA et la « grève générale » contre le racisme de 1973 », Plein droit, no 67, 2005, p. 36-40. 19. Voir Catherine Polac, « Quand les immigrés prennent la parole », in Pascal Perrineau (dir.), L’Engagement politique. Déclin ou mutation, Paris, Presses de Sciences Po, 1994, p. 369-386. 20. ACL. Premier tract « Marche pour l’égalité », diffusé au rassemblement du Larzac, 1er août 1983. 21. ACL. Lettre de Jean Costil et Christian Delorme, Lyon, 22 août 1983. 22. José Vieira, « Marche pour l’égalité des droits et contre le racisme », Expression Immigrés Français, no 15, octobre 1983, p. 22-23. 23. ACL. Appel « Première Marche pour l’égalité et contre le racisme », septembre 1983. 24. Michel Pigenet et Danièle Tartakowsky D. (dir.), dossier « Marches », Mouvement social, no 202, 2003. 25. ACL. Appel « Première… », op. cit. 26. Ibid. 27. Ibid. 28. Mejid Daboussi, « La Marche a marché ! », Sans Frontière, hors-série, décembre 1983, p. 5. 29. BDIC, F delta 2149/1142. Lettre manuscrite de Pierre Gery à l’équipe de direction de la Cimade, 27 septembre 1983 (en préparation de la réunion de direction de la Cimade du 29 septembre 1983). 30. BDIC, F delta 2149/1142. Jean Costil, Lettre à Roby Bois, Lyon, 11 octobre 1983. 31. Pour plus de détails, voir Ahmed Boubeker, « Une « petite histoire » d’une génération d’expérience. Du mouvement beur aux banlieues de l’islam », in Ahmed Boubeker et Abdellali Hajjat (dir.), Histoire politique…, op. cit., p. 179-192 ; Mogniss H. Abdallah, Jeunes immigrés hors les murs, Paris, EDI, 1982 ; J’y suis, j’y reste ! Les luttes de l’immigration en France depuis les années 1960, Paris, Éditions Reflex, 2000 ; Rengainez, on arrive ! Chroniques des luttes contre les crimes racistes ou sécuritaires, contre la hagra policière et judiciaire des années 1970 à aujourd’hui, Paris, Libertalia, 2012. 32. Sur cette mobilisation, voir Choukri Hmed, « Contester une institution dans le cas d’une mobilisation improbable. La « grève des loyers » dans les 211

Notes du chapitre 4

foyers Sonacotra dans les années 1970 », Sociétés contemporaines, no 65, 2007, p. 55-81 ; « Les grèves de loyers dans les foyers Sonacotra : premier mouvement immigré ? », in Philippe Artières et Michelle ZancariniFournel, 68. Une histoire collective, Paris, La Découverte, 2008, p. 725-728 ; « « Sonacotra cédera ! » La construction collective d’une identité collective à l’occasion de la grève des loyers dans les foyers de travailleurs migrants (1973-1981) », Agone. Histoire, politique et sociologie, no 40, p. 81-94. 33. Voir Catherine Polac et Fatiha Dazi-Heni, « Chroniques de « la vraie base ». La constitution et les transformations du réseau associatif immigré à Nanterre », Politix, vol. 3, no 12, 1990, p. 54-69. 34. Ahmed Boubeker, « Une « petite histoire »… », op. cit., p. 183. Pour une histoire de l’agence, voir Mogniss H. Abdallah, « L’agence IM’Média met les pieds dans le paysage de l’immigration en Europe », in Claire Frachon et Marion Vargaftig (dir.), Télévisions d’Europe et immigration, Paris, INA-La Documentation française, 1993, p. 81-93. 35. Voir Foued Nasri, « Zaâma d’banlieue (1979-1984). Les pérégrinations d’un collectif féminin au sein des luttes de l’immigration », in Sophie Béroud, Boris Gobille, Abdellali Hajjat et Michelle Zancarini-Fournel (dir.), Engagements, rébellions et genre dans les quartiers populaires en Europe (19682005), Paris, Éditions des archives contemporaines, 2011, p. 65-78. 36. Gilles Millet, Libération, 3-4 décembre 1983. 37. ASA. Tract des associations Gutenberg (Nanterre), Transit et ChatenayMalabry, diffusé pendant la Marche, 3 décembre 1983. 38. ACL. Lettre de Jean Costil et Christian Delorme, Lyon, 22 août 1983. 39. ACL. Appel « Première… », op. cit. 40. ADR 2519W18. Renseignements généraux (RG) du Rhône, « Climat social relatif au quartier des Minguettes à Vénissieux (Rhône) », Lyon, 29 septembre 1983. 41. ADR 2519W18. RG du Rhône, « Rappel des événements survenus du 22 octobre au 3 novembre, lors du passage dans la région Rhône-Alpes de la « Marche pour l’égalité et contre le racisme » », Lyon, 15 novembre 1983. 42. Selon Driss El Yazami Khammar, Sans frontière, no 80, novembre 1983, p. 26. 43. La Vie, 20-26 octobre 1983 ; Sans frontière, no 80, novembre 1983. 44. ATD. « Précisions concernant le fonctionnement et les prises de décision ». 45. Entretien avec Fatima Mehallel, Lyon, 26 décembre 2008. 46. Bouzid Kara, La Marche, op. cit., p. 15. 212

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47. Numéro spécial de Sans frontière, 1984, p. 40. 48. Sans frontière, no 81, hors-série « Spécial Marche », décembre 1983, p. 11. 49. Alexandre Boussageon, Témoignage chrétien, 28 novembre - 4 décembre 1983. 50. La République du Centre, 1er décembre 1983. 51. Christian Delorme, 20 octobre 1983, lettre parue dans Sans frontière, no 80, novembre 1983. 52. Elisabeth D., « Minguettes : et pourtant, ils marchent... », Les Nouvelles, 1er-7 décembre 1983. 53. Entretien avec Farid L’Haoua, Lyon, 2003. 54. Le Provençal, 20 novembre 1983. 55. Sur l’histoire de ce massacre d’État, voir Jean-Luc Einaudi, Octobre 1961, un massacre à Paris, Paris, Pluriel, 2011 ; Emmanuel Blanchard, La  Police parisienne et les Algériens, 1945-1962, Paris, Nouveau monde, 2011. 56. Rachida Azzoug et Kaïssa Titous du Collectif Jeunes issus de l’immigration en soutien à la Marche, « Rien ne devra plus être comme avant », Sans frontière, no 81, hors-série « Spécial Marche », p. 19. 57. Sans frontière, no 80, novembre 1983. 58. AJB. Télex du préfet du Vaucluse, Avignon, 19 octobre 1983. 59. ADR 2519W18. RG du Rhône, « Rappel… », op. cit. 60. Ibid. ; Le Progrès, 30 novembre 1983. 61. ADR 2519W18. RG du Rhône, « Rappel… », op. cit. ; Dauphiné Libéré, 2 novembre 1983. 62. Philippe Révil, Vie nouvelle, 11 novembre 1983. 63. Alsace, 15 novembre 1983. 64. Républicain lorrain, 22 novembre 1983. 65. Agence France Presse, 23 novembre 1983. 66. AJB. Télex du préfet du Nord, 2 décembre 1983. 67. AJB. Télex du préfet de région Picardie, 26 novembre 1983. 68. Bouzid Kara, La Marche. Traversée de la France profonde, Paris, Sindbad, 1984. 69. Le Progrès, 30 novembre 1983. 70. Alsace, 15 novembre 1983. 71. AJB. Note de Jean Blocquaux, non datée. 72. République du Centre, 1er décembre 1983. 73. Vie nouvelle, 11 novembre 1983. 74. AJB. Télex du préfet du Nord, 2 décembre 1983. 75. Présent, 30 novembre 1983. 213

Notes du chapitre 4

76. La Bourgogne républicaine, 10 novembre 1983. 77. Cité par Le Monde, 3 décembre 1983. 78. Libération, 31 octobre 1983. 79. Marie-Christine Jeanniot, La Vie, 20-26 octobre 1983. 80. Driss El Yazami Khammar, Sans frontière, no 80, novembre 1983, p. 27. 81. Robert Marmoz, Libération, 3-4 décembre 1983. 82. Le Progrès, 3 décembre 1983. 83. Entretien avec Christian Delorme, Lyon, 2003. 84. Nicolas Beau, Le Monde, 3 décembre 1983. 85. Sorj Chalandon et Éric Favereau, Libération, 5 décembre 1983. 86. Annie Collovald, Le « populisme du FN ». Un dangereux contresens, Bellecombe-en-Bauges, Éditions du Croquant, 2004, p. 154. 87. Pour une analyse sociologique des électeurs du Front national, voir ibid. 88. ACL. François Mitterrand, lettre à Christian Delorme, Paris, 23 septembre 1983. 89. Cité par Pierrick Eberhard, « François Mitterrand aux Minguettes », Le Progrès, 11 août 1983. 90. Entretien avec Christian Delorme, Lyon, 2003. 91. AJB. Jean Blocquaux, « Note sur la marche pour l’égalité et contre le racisme », 2 novembre 1983. 92. Philippe Révil, Vie nouvelle, 11 novembre 1983. 93. Entretien avec un membre du secrétariat de l’Élysée, Paris, 16 janvier 2009. 94. Entretien avec Jean Blocquaux, Plaisir, 15 janvier 2009. 95. AJB. Alain Gillette, « Marche pour l’égalité et contre le racisme », télex au préfet de la région Provence Alpes Côte d’Azur, 13 octobre 1983. 96. AJB. Georgina Dufoix, secrétaire d’État chargé de la Famille, de la population et des travailleurs immigrés (ministère des Affaires sociales et de la Solidarité nationale), circulaire envoyées aux préfets - commissaires de la République des départements traversés par la Marche, Paris, 7 octobre 1983. 97. Le Soir (Marseille), 14 octobre 1983. 98. AJB. Georgina Dufoix, Note à l’attention de Yannick Moreau (conseiller technique de l’Élysée), Paris, 10 octobre 1983. 99. AJB. Note du chef du service du courrier de la présidence de la République à Yannick Moreau, conseiller technique, Paris, 9 décembre 1983. 100. AJB. Jean Blocquaux, « Note sur la marche pour l’égalité et contre le racisme », 2 novembre 1983. 214

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101. Entretien avec Jean Blocquaux, op. cit. 102. Ibid. 103. Entretien avec un membre du secrétariat de l’Élysée, Paris, 16  janvier 2009. 104. Lyon Matin, 2 juillet 1983. 105. AJB. Jean Blocquaux, « Note sur la marche pour l’égalité et contre le racisme », 2 novembre 1983. 106. AJB. Note manuscrite de Jean Blocquaux, non datée (peu avant le 3 décembre 1983). 107. Entretien avec un membre du secrétariat de l’Élysée, Paris, 16 janvier 2009. 108. Entretien avec Christian Delorme, Lyon, 2003. 109. Entretien avec Farid L’Haoua, Lyon, 2003. 110. Ibid. 111. ACL. SOS Avenir Minguettes, Les Amis de Wahib Hachichi et Zaâma d’Banlieue, « Jeunes des banlieues lyonnaises… Nous accusons ! », Vénissieux, 23 juillet 1983. 112. Jérôme Berthaut, Éric Darras et Sylvain Laurens, « Pourquoi les faits divers stigmatisent-ils ? L’hypothèse de la discrimination indirecte », Réseaux, no 157-158, 2009, p. 90-124. 113. Voir Julie Sedel, Les Médias et la banlieue, Latresne, Le Bord de l’eau, 2009 ; Laurent Mucchielli, Violences et insécurité. Fantasmes et réalités dans le débat français, Paris, La Découverte, 2001. 114. Jérôme Berthaut, Éric Darras et Sylvain Laurens, « Pourquoi… », art. cit., p. 99. 115. Voir Gérard Noiriel, Immigration, racisme et antisémitisme, XIXe-XXe siècle : discours publics, humiliations privées, Paris, Fayard, 2007. 116. Voir Pierre Bourdieu, Sur la télévision, Paris, Liber, 1996. 117. Jérôme Berthaut, Éric Darras et Sylvain Laurens, « Pourquoi… », art. cit., p. 106. 118. Selon l’expression de Pierre Bourdieu, Sur la télévision, op. cit. 119. ACL. Appel « Première… », op. cit. 120. Voir Julie Sedel, Les Médias et la banlieue, op. cit. 121. Bernard Langlois, intervention à la conférence « Marche des beurs, marche pour l’Égalité : le poids des médias » organisée par Presse & Cité et Génériques, Paris, 31 mai 2013.

215

Notes du chapitre 5

Notes du chapitre 5 1. BDIC, F delta 2149/1142. « Appel des marcheurs – La Marche… et puis après », s. d. [décembre 1983]. 2. Rachida Azzoug et Kaïssa Titous, « Rien ne devra plus être comme avant », Sans Frontière, hors-série spécial « Marche », décembre 1983, p. 19. 3. Pour une présentation de la notion de « cadrage », voir Lilian Mathieu, Comment lutter ? Sociologie et mouvements sociaux, Paris, Textuel, 2004, p. 63-70. 4. Témoignage chrétien, 1er juillet 1983. 5. BDIC, F delta 2149/1142. Christian Delorme, Lettre à Roby Bois, Lyon, 22 août 1983. 6. Saïd Bouamama, Dix ans de marche des Beurs. Chronique d’un mouvement avorté, Paris, Desclée de Brouwer, 1994, p. 57-61. 7. Entretien avec Jean Blocquaux, Plaisir, 15 janvier 2009. 8. Voir Alexis Spire, Étrangers à la carte, Paris, Grasset, 2005. 9. Voir Sylvain Laurens, Une politisation feutrée, Paris, Belin, 2009. Les citations de ce paragraphe sont extraites de ce livre. 10. Voir Johanna Siméant, La Cause des sans-papiers, Paris, Presses de Sciences Po, 1998. 11. AJB. Jean Blocquaux, « Note sur la marche pour l’égalité et contre le racisme », dactylographiée, 2 novembre 1983. 12. AJB. Note dactylographiée de Christian Nguyen, adjoint du directeur de cabinet de Georgina Dufoix, à Monique Vignal (cabinet de Claude Cheysson, ministre des relations extérieures), Paris, 25 novembre 1983, demandant au ministre de rencontrer les marcheurs à Pontoise le 30 novembre. 13. AJB. Discours de Georgina Dufoix à la manifestation parisienne de la Marche, brouillon, décembre 1983. 14. ATD. Allocution de Georgina Dufoix à la manifestation parisienne de la Marche, version définitive, 3 décembre 1983. 15. Entretien avec Christian Delorme, Lyon, 2003. 16. Laure Pitti, « Travailleurs de France, voilà notre nom ! Les mobilisations des ouvriers étrangers dans les usines et les foyers dans les années 1970 », in Ahmed Boubeker et Abdellali Hajjat (dir.), Histoire politique des immigrations (post)coloniales, Paris, Éditions Amsterdam, 2008, p. 95-111. 17. René Galissot (entretien avec Marie Poinsot), « Le mouvement ouvrier face aux travailleurs immigrés », Hommes & Migrations, no 1263, septembreoctobre 2006, p. 100-101. 18. Marius Apostolo, Traces de luttes 1924-2007 : mon engagement entre utopie et réalité, Paris, Autrement, 2007. 216

Notes du chapitre 5

19. Nicolas Hatzfeld et Jean-Louis Loubet, « Les conflits Talbot, du printemps syndical au tournant de la rigueur », Vingtième siècle. Revue d’histoire, no 84, octobre-décembre 2004, p.151-160. 20. Stéphane Beaud et Michel Pialoux, Retour sur la condition ouvrière, Paris, Fayard, 1999. 21. Entretien avec Guy Fischer, sénateur du Rhône et vice-président du Sénat, Vénissieux, 20 mars 2009. 22. Ibid. 23. Ibid. 24. Archives de l’Institut d’histoire sociale de la CGT, Bobigny, carton « MOI », sans cote. Lettre de l’UD-CGT Saint-Brieuc au secrétariat de la Main d’œuvre immigrée, 20 novembre 1984. 25. Voir Gérard Noiriel, Immigrés et prolétaires 1880-1980, Paris, PUF, 1984. 26. Voir Alain Ruscio, La Question coloniale dans « L’Humanité », 1904-2004, Paris, La Dispute, 2005. 27. Voir Christian Bachmann et Nicole Le Guennec, Violences urbaines, Paris, Hachette, 2002 (1996), p. 407-409. 28. Ibid., p. 408. 29. Sylvie Durmelat, « Petite histoire du mot beur : ou comment prendre la parole quand on vous la prête », French Cultural Studies, no 9, 1998, p. 191-207. 30. Albert Doillon, « Verlan au sécateur », Le Monde, 14 mars 1983 : « Le verlan fait fureur actuellement dans certains milieux de jeunes, et on pourrait citer de nombreux exemples de mots – même d’une syllabe – « verlanisés », comme KEUF = flic, BEUR = arabe, MEUF = femme, FOMB = bouffon, etc. » 31. Dépêche AFP, « La longue marche des « beurs » », 2 décembre 1983. 32. Voir Alain Battegay et Ahmed Boubeker, Les Images publiques de l’immigration : médias, actualité, immigration dans la France des années 80, Paris, L’Harmattan, 1993. 33. Les paragraphes qui suivent reprennent des éléments de Abdellali Hajjat et Marwan Mohammed, Islamophobie, Paris, La Découverte, 2013. 34. Catherine Withol de Wenden et René Mouriaux, « Syndicalisme français et islam », Revue française de science politique, vol. 37, no 6, 1987, p. 804. 35. Vincent Gay, De la dignité à l’invisibilité. Les OS immigrés dans les grèves de Citroën et Talbot 1982-1984, mémoire de master 2 de sociologie sous la direction de Stéphane Beaud, EHESS, 2011, p. 147-151 ; « Ouvriers ou 217

Notes du chapitre 5

musulmans ? L’altérisation des ouvriers immigrés dans les grèves du début des années 1980 », communication au séminaire Islamophobie : la construction du « problème musulman », EHESS, 21 décembre 2012. Disponible à l’adresse : islamophobie.hypotheses.org/269 (dernière consultation : août 2013). 36. Claude Harmel, La CGT à la conquête du pouvoir, Paris, Bibliothèque d’histoire sociale, 1983 ; Gilles Kepel, Les Banlieues de l’islam, Paris, Seuil, 1987. 37. Note interne PSA, « Le problème musulman dans les événements Citroën et Talbot de mai-juin 1982 », citée par Vincent Gay, De la dignité…, op. cit., p. 224. 38. Ibid. 39. Thomas Deltombe, L’Islam imaginaire. La construction médiatique de l’islamophobie en France, 1975-2005, Paris, La Découverte, 2005, p. 49-52. 40. Europe 1, 26 janvier 1983. 41. Le Monde, 11 février 1983. 42. Ibid. 43. Vincent Gay, « Ouvriers ou musulmans ?... », op. cit. 44. Serge Halimi, Quand la gauche essayait : les leçons de l’exercice du pouvoir, 1924, 1936, 1944, 1981, Paris, Arléa, 2000. 45. Kaïssa Titous, « J’ai claqué la porte de SOS Racisme », in Ahmed Boubeker et Mogniss H. Abdallah, Douce France. La saga du mouvement beur, Édition IM’média-Quo Vadis, 1993, p. 45. 46. Source : Institut national de l’audiovisuel. 47. Voir Farhad Khosrokhavar, L’Islam des jeunes, Paris, Flammarion, 1997 ; Jocelyne Césari, Musulmans et républicains. Les jeunes, l’islam et la France, Paris, Complexe, 1998 ; « Aux origines du mouvement des jeunes musulmans : l’Union des jeunes musulmans. Entretien avec Yamin Makri », in Ahmed Boubeker et Abdellali Hajjat (dir.), Histoire politique…, op. cit., p. 217-224. 48. ACL. Christian Delorme, « Nous avons beaucoup à faire ensemble ! Intervention aux Assises nationales des associations des jeunes issus de l’immigration », Lyon, 11 juin 1984. 49. Voir Abdellali Hajjat et Marwan Mohammed, Islamophobie, op. cit. 50. Sur la distinction entre « texte public » et « texte caché », voir James C. Scott, La Domination et les arts de la résistance. Fragments du discours subalterne, Paris, Éditions Amsterdam, 2009 [1992]. 51. Voir Benjamin Stora, La Gangrène et l’oubli. La mémoire de la guerre d’Algérie, Paris, La Découverte, 1991. 218

Notes du chapitre 5

52. Christian Delorme, « La longue marche du curé des beurs », in Ahmed Boubeker et Mogniss H. Abdallah, Douce France…, op. cit., p. 52. 53. Voir Emmanuel Blanchard, La Police parisienne et les Algériens : 1945-1962, Paris, Nouveau monde, 2011. 54. Elizabeth D., « Minguettes : et pourtant ils marchent... », Les Nouvelles, 2-8 novembre 1983. 55. Elizabeth D., « Minguettes : et pourtant ils marchent... », Les Nouvelles, 17-23 novembre 1983. 56. Paul Oriol, La Croix, 3 décembre 1983. 57. Marwan Abi Samra, « Fidèles à la France et à l’Islam : les harkis », in Ahmed Boubeker et Mogniss H. Abdallah, Douce France…, op. cit., p. 106. 58. ASA. Communiqué du Collectif Jeunes Paris et région parisienne, s. d. [14-15 décembre 1983]. 59. Christine Navarro, « Quinze mois ferme pour Toumi Djaïdja, marcheur contre le racisme », Le Progrès, 17 octobre 1984. 60. ATD. Christian Delorme et Jean Costil, « Demande de grâce pour Toumi Djaïdja », Lyon, 30 novembre 1983. 61. Michel de Certeau, La Prise de parole, Paris, Seuil, 1968, p. 40. 62. Voir Alec G. Hargreaves, Immigration and Identity in Beur Fiction: Voices from the North African Community in France, New York, Berg, 1997 (2e éd.). 63. « La « Beur » génération », Sans frontière, no 92-93, avril-mai 1985. 64. Centre Georges Pompidou – Relations extérieures, Dossier de presse 10e anniversaire, 1987, p. 28. 65. « IM’média, l’immigration par elle-même. Entretien avec Mogniss H. Abdallah », Vacarme, no 17, automne 2001, disponible à l’adresse : www. vacarme.org/article204.html (dernière consultation : août 2013). Voir « Les enfants de l’immigration. Le new deal culturel à Beaubourg », Agence IM’média, printemps 1984. 66. Paul A. Silverstein, Algeria in France: Transpolitics, Race and Nation, Bloomington, Indiana University Press, 2004, p.187, ma traduction. 67. Entretien avec Toumi Djaïdja, Lyon, 18 décembre 2009. 68. Boris Gobille, « Mai 68, crise du consentement et rupture d’allégeance », in Dominique Damamme, Boris Gobille, Frédérique Matonti et Bernard Pudal (dir.), Mai Juin 68, Paris, Éditions de l’Atelier, 2008, p. 15-31. 69. Saïd Bouamama, Dix ans…, op. cit. 70. « Les expériences électorale des militants de l’immigration : le cas des Motivé-e-s. Entretien avec Salah Amokrane », in Ahmed Boubeker et Abdellali Hajjat (dir.), Histoire politique…, op. cit., p. 267. 219

Notes du chapitre 5

71. Voir Salih Mara, L’Impasse de la République, récit d’enfance (19561962), Paris, L’Harmattan, 2006. 72. « Du comité national contre la double peine au Mouvement de l’immigration et des banlieues. Entretien avec Tarik Kawtari », in Ahmed Boubeker et Abdellali Hajjat (dir.), Histoire politique…, op. cit., p. 207-208. 73. Ce qu’on ne fera pas ici. Voir Saïd Bouamama, Dix ans…, op. cit., p. 89-97 ; Adil Jazouli, L’Action collective des jeunes Maghrébins de France, Paris, L’Harmattan, 1986, p. 142-148 ; Farid Aïchoune, « Une coordination pour quoi faire ? », Sans frontière, no 87, juin 1984 ; Sans frontière, no 92, novembre 1984 ; Saïd Idir, « La bataille des généraux sans troupe ! », Sans frontière, dossier « La « Beur » génération », no 92-93, avril-mai 1985, p. 35-38. 74. BDIC, F delta 2149/1142. « Appel des marcheurs », op. cit. 75. ACL. Jean Costil et Christian Delorme, « Après la Marche ? » (courrier envoyé aux soutiens de la Marche), Lyon, 12 février 1984. 76. Chiffres données par Pierrick Eberhard, « Réunis en « assises nationales », cent cinquante jeunes « issus de l’immigration » présentent leurs revendications », Le Progrès, 12 juin 1984. 77. AFT. Collectif des associations des jeunes issus de l’immigration, Lyon, 12 mars 1984. 78. Saïd Bouamama, Dix ans…, op. cit., p. 93-94. 79. ACL. Programme des Assises nationales des associations de jeunes issus de l’immigration, s. d. 80. ACL. Jean Costil et Christian Delorme, « Après la Marche ? », op. cit. 81. Saïd Idir, « La bataille des généraux sans troupe ! », art. cit., p. 37-38. 82. Robert Marmoz, « Six mois après la marche, le mouvement Beur piétine », Libération, 14 juin 1984. 83. Éric Favereau, « Farida, Rachida, Bouzid… et la crise du mouvement « beur » », Libération, 5 juillet 1984. 84. Saïd Bouamama, Dix ans…, op. cit., p. 96-97. 85. Adil Jazouli, L’Action collective…, op. cit., p. 143. 86. Ibid., p. 148. 87. Voir le dossier « Convergence 84. Nous nous sommes tant aimés », IM’média magazine, no 2, printemps 1985, notamment Farida Belghoul, « La  gifle » ; Saïd Bouamama, Dix ans…, op. cit., p. 98-107 ; Ahmed Boubeker, « Une « petite histoire » d’une génération d’expérience. Du mouvement beur aux banlieues de l’islam », in Ahmed Boubeker et Abdellali Hajjat (dir.), Histoire politique…, op. cit., p. 179-192. 220

Notes de la conclusion

88. Farid Belghoul et Ahmed Boubeker, Discours final de Convergence 84, 4 décembre 1984, cité par Saïd Bouamama, Dix ans…, op. cit., p. 107. 89. Philippe Juhem, SOS-Racisme, histoire d’une mobilisation « apolitique ». Contribution à une analyse des transformations des représentations politiques après 1981, thèse de science politique, université Paris X-Nanterre, 1998, p. 11. 90. Philippe Juhem, « Entreprendre en politique. Les carrières militantes des fondateurs de SOS-Racisme », Revue française de science politique, vol. 51, no 1-2, p. 131-132. 91. Au sujet de l’établissement, voir Marnix Dressen, De l’amphi à l’établi... Les étudiants maoïstes à l’usine (1967-1989), Paris, Belin, 2000. 92 Philippe Juhem, SOS-Racisme…, op. cit., p. 5. 93. Ibid., p. 3. 94. Ibid., p. 4. 95. Pour plus de détails, voir Saïd Bouamama, Dix ans…, op. cit., p. 113 et suivantes. 96. ATD. Tract du collectif Jeunes pour l’égalité des droits et contre le racisme (région parisienne), « SOS Racisme : businessmen de l’antiracisme », s. d. [septembre-octobre 1985]. 97. ATD. Lettre de Christian Delorme, s. d. [janvier 1985]. 98. ACL. Christian Delorme, « Nous avons beaucoup à faire ensemble », op. cit. 99. Pierre Bourdieu, « La représentation politique », Actes de la recherche en sciences sociales, no 36-37, 1981, p. 3-24.

Notes de la conclusion 1. Norbert Élias, « Notes sur les juifs en tant que participant à une relation établis-marginaux », in Norbert Élias par lui-même, Paris, Fayard, 1991, p. 152. 2. Voir Abdellali Hajjat et Marwan Mohammed, Islamophobie, Paris, La Découverte, 2013. 3. James C. Scott, La Domination et les arts de la résistance. Fragments du discours subalterne, Paris, Éditions Amsterdam, 2008 [1992], p. 216 et 96.

221

Annexes

Annexe 1 (p. 224) : Tableau récapitulatif des affaires concernant des Maghrébins tués pour motifs racistes entre 1980 et 1990. Annexe 2 (p. 244) : Liste des étapes de la Marche, 15 octobre - 3 décembre 1983. Annexe 3 (p. 262) : « Oui à la France de l’égalité et de la fraternité. Manifeste de soutien à la Marche Marseille-Paris. »

223

Annexes

Annexe 1 Tableau récapitulatif des affaires concernant des Maghrébins tués pour motif raciste entre 1980 et 1990 Source : presse généraliste et militante*. Date crime

Lieu

Nom de la victime

Âge

Nationalité

Profession

1980

 

 

 

 

 

07/01/1980

Troyes

KEDIDEH Saci

44

 

 

07/01/1980

Troyes

FEKHAR Rezki

50

 

 

16/01/1980

Vitry

LARECHE Abdelkader

16

ALG

 

30/01/1980

Bischeim

NAÏLI Yazid

19

ALG

 

01/02/1980

 

GRIB Abdelkader

16

ALG

 

11/07/1980

Saint-Étienne

ZEGUILI Mustapha

19

ALG

 

18/10/1980

Marseille

BEN MOHAMMED Houari

20

FR MAR

 

09/12/1980

Lille

BOUSBIA

46

ALG

Ouvrier

11/12/1980

Paris 20e

BOUMHAOUS Mohamed

29

MAR

Épicier

31/12/1980

Banl. Paris

BENSAÏD Mouâlem

 

 

 

31/12/1980

Caluire

MAÂMAR Kaddour

 

 

 

1981

 

 

 

 

 

24/02/1981

Marseille

BOUDJELLAL Zaïr

17

 

 

15/06/1981

Bollène

MOHIEDDINE Nasser

25

MAR

 

17/07/1981

Vaulx-en-Velin

ZENOUDA Daniel

19

 

 

03/08/1981

Paris

ATTIAS Ziane

 

MAR

 

* Précisions : le principe de sélection des affaires est présenté au chapitre 4 ; nous avons utilisé la forme de date « 31/12/XXXX » quand le jour et le mois ne sont pas disponibles. 224

Annexes

Auteur

Circonstances

Prison

Date jugement

Dont sursis

 

 

 

 

 

 

Balle

 

 

 

 

Balle

 

 

 

Gardien Michel Bellet

Balle

 

 

 

Policier

Mains nues

 

 

 

 

Balle

 

 

 

 

 

 

 

 

CRS Taillefer

Balle

10 mois

4 mois

 

Civil Victor Dubuche

Balle

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Michel Lebrun

 

5 ans

2 ans

 

Policier

 

 

 

 

Civil Pierre Normand

Couteau

 

 

 

 

Balle

 

 

 

225

Annexes

Date crime

Lieu

Nom de la victime

Âge

Nationalité

Profession

31/12/1981

Paris

SABAT HATRI

58

 

 

31/12/1981

Avignon

AMRI Ahmed

26

 

 

31/12/1981

Nîmes

AININE Abdellah

40

ALG

 

1982

 

 

 

 

 

07/02/1982

 

CHELIH Mohamed

 

FR

 

21/05/1982

Tours

LARBI Mohamed

19

 

 

24/05/1982

Ajaccio

ARAI Omar

 

 

 

24/05/1982

Ajaccio

FERCHICHI Messaoud

 

 

 

01/06/1982

 

MEDJELLAK Farid

17

 

 

16/07/1982

Strasbourg

BOUFENCHOUCHE Mohamed

53

ALG

 

17/08/1982

Meyzieu

HAMADOU Messaoud

11

 

 

28/09/1982

Bron

BOUTELDJA Ahmed

23

 

 

07/10/1982

Campo-Quercio ETTAHARI Mohamed

 

 

 

15/10/1982

Gonesse

GHOURI Yazid

23

 

 

23/10/1982

Nanterre

GUEMIAH Abdenbi

19

MAR

 

27/10/1982

Livry-Gargan

MAOUCHE Abdelkrim

21

 

 

28/10/1982

Villeurbanne

HACHICHI Wahid

18

 

 

31/12/1982

Vichy

MEDJIR Ahmed

 

 

Ouvrier

31/12/1982

Fleury-Mérogis

KERROUCH Azzeddine 18

 

 

226

Annexes

Auteur

Circonstances

Prison

Date jugement

Dont sursis

 

Planche

 

 

 

 

Couteau

 

 

 

Militaires

Accident train

 

 

 

 

 

 

 

 

Videur Roger Ploquin

Balle

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Balle

 

 

 

 

Balle

 

 

 

Groupe

Mains nues

 

 

 

Groupe

 

 

 

 

Civil Michel de Conceicao

Étranglement

 

 

 

Civil Jean-Claude Lopez

 

5 ans

2 ans

05/12/1985

 

 

 

 

 

Civil C. Bernard, asso « Légitime défense »

 

Acquité

 

 

Civil Depitout

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Civil Nicolas Bardelli

 

5 ans

2 ans

13/02/1986

Groupe

 

 

 

 

 

 

 

 

 

227

Annexes

Date crime

Lieu

Nom de la victime

Âge

Nationalité

Profession

31/12/1982

Dunkerque

SEKSAF Larbi

36

 

 

31/12/1982

 

ABIDOU Mohamed

41

 

 

1983

 

 

 

 

 

23/01/1983

Ajaccio

ABARRAN Mimoun

20

 

 

20/02/1983

Doubs

HAKKAR Abdellah

 

FR ALG

 

01/04/1983

Laval

RABBIH Kamel

27

 

 

17/06/1983

Livry-Gargan

MEZZOGH Moussa

19

ALG

 

25/06/1983

Rieux

MECHTA Saïd

44

 

 

07/07/1983

Draguignan

MEDJARI Hadj

20

 

 

09/07/1983

La Courneuve

OUANÈS Taoufik

9

 

 

17/07/1983

Paris

BENLARBI Abdelkader

23

 

 

20/07/1983

Grenoble

BENKHELIL Ahmed

17

 

 

27/07/1983

Cergy-Pontoise

AMOURI Abdelkrim

29

 

 

30/07/1983

Lyon

THAMIN M’Hamed

40

 

 

09/08/1983

Montreuil

ITIM Djamel

19

 

 

09/08/1983

Montreuil

KHERKHOUR Djamel

23

 

 

10/08/1983

Aix-en-Provence GRINE Salim

18

ALG

 

18/08/1983

Bastia

EL HACHMI Bouneb

55

 

 

20/08/1983

Gimont

SEBAÂ Ghalem

70

 

 

228

Annexes

Auteur

Circonstances

Prison

Date jugement

Dont sursis

Civil

 

4 ans

 

 

Policier Bernard Taffine

 

Non-lieu

 

 

 

 

 

 

 

 

Balle

 

 

 

Civil William Naccache

 

Condamnation

 

01/05/1984

 

Couteau

 

 

 

Vigile Claude Brizet

 

5 ans

3 ans

 

Propriétaire logement

 

 

 

 

Gendarmes

 

 

 

 

Civil René Algueperse

Balle

5 ans

2 ans

22/04/1986

Policiers

 

 

 

 

Civil Armando Rodriguez

 

5 ans

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Civil Marc Dukat

Balle

 

 

 

Civil Marc Dukat

Balle

 

 

 

Civil Eric Alboreo

Balle

10 ans

 

 

Civil Bertolucci

Barre de fer

 

 

 

Civil enfant

Balle

 

 

 

229

Annexes

Date crime

Lieu

Nom de la victime

Âge

Nationalité

Profession

26/08/1983

Paris

MOHAMED Abdellali

21

 

 

14/11/1983

Vintimille

GRIMZI Habib

26

ALG

 

19/11/1983

Marseille

LAKHDAR Laid

21

 

 

21/11/1983

Vénissieux

BENABI Abdelhamid

17

 

 

31/12/1983

Saint-Martinde-Valgagues

BEN KARACH Ahmed

22

 

 

1984

 

 

 

 

 

23/01/1984

CorbeilEssonne

NESSAH Seghir

58

ALG

Retraité

27/01/1984

Toulouse

BEN-AMEUR Abdelkader

26

ALG

 

22/05/1984

Saint-Étienne

MAKHLOUF Abdel

19

 

 

24/05/1984

ChatenayMalabry

AMELLOU Omer

 

 

 

03/06/1984

Meteren

GASMI Abdelwahab

36

ALG

 

15/08/1984

Jaeuf

AOUDACHE Ouardia

47

 

 

20/08/1984

Lille

BENHAMIDA Karim

22

 

 

230

Annexes

Auteur

 

Circonstances

Prison

Date jugement

Dont sursis

 

 

 

 

Légionnaires : Anselmo ElviroVidal, Marc Béani et Xavier Bondel

Lynchage

Perpétuité (Vidal et Béani), 14 ans (Blondel) ; puis Béani 20 ans (1987)

 

25/01/1986

Brigadier Jean Aubert

Balle

5 ans

Sursis non précisé

 

Civil Jean-Pascal Lelouar

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Civil Augusto Soares et Rémy Schevenement

Balle

15 ans (Soares), 4 ans (Schevenement)

1 an 13/05/1986 (Schevenement)

 

Chute immeuble après poursuite police

 

 

 

 

Balle

 

 

 

Police

 

 

 

 

Beaux-frères Jean-Marc, Patrick Bailleul, Hubert Bels et Claude Tholler

Tabassé

 

 

 

Police

Coups

 

 

 

 

 

 

Civil Daniel   Cliquebois (fasciste)

231

Annexes

Date crime

Lieu

Nom de la victime

Âge

Nationalité

Profession

26/08/1984

Marseille

CHOUTER Farid

19

ALG

 

16/10/1984

Paris

MAZARI Salim

27

ALG

 

10/11/1984

 

LALAOUI Abderrahmane

22

 

 

23/12/1984

Perreux

TOUIL Habib

 

 

 

31/12/1984

Boulogne

BENSI Belkacem

50

 

 

31/12/1984

Colombes

FLICI Nacer

18

 

 

31/12/1984

Fleury-Mérogis

KLEMKAR Akim

 

 

 

31/12/1984

Fleury-Mérogis

KAROU Ahmed

 

 

 

31/12/1984

Illizach

BRAHIMI Nadir

22

 

 

31/12/1984

Jarville

ZEGHINE Zine

24

 

 

31/12/1984

Marseille

FILALI Abdelhamid

23

 

 

31/12/1984

Paris

TOUAIBI Mohamed

 

 

 

31/12/1984

Paris

TOUMI Ahmed

4

 

 

31/12/1984

Roubaix

BOUFATAS Bouraga

22

 

 

31/12/1984

 

TURKI

 

 

 

31/12/1984

 

TOUALBA

 

 

 

31/12/1984

 

ZOUAOUI

41

 

 

31/12/1984

 

BENMABROUK Zouaoui

23

 

 

31/12/1984

 

SELMI Hocine

27

 

 

232

Annexes

Auteur

Circonstances

Prison

Date jugement

Dont sursis

 

Déchiqueté voie   ferrée

 

 

Policier Thierry Barrot

 

 

 

 

Civil André Legendre

 

 

 

 

 

Balle

 

 

 

 

Couteau

 

 

 

Police

 

 

 

 

 

suicidé

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Couteau

 

 

 

policier Garnier

 

 

 

 

 

Coups

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Enlèvement puis mort

 

 

 

Police

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Policier Holtz

Balle

 

 

 

Police

 

 

 

 

233

Annexes

Date crime

Lieu

Nom de la victime

Âge

Nationalité

Profession

1985

 

 

 

 

 

12/01/1985

Montpellier

SAÂDI Rabah

35

 

 

08/03/1985

Vaulx-en-Velin

BARKA Barded

16

ALG

 

20/03/1985

Paris

BENSALAH Adel

25

TUN

 

21/03/1985

Couéron

FARHANE Redouane

22

 

 

21/03/1985

Menton

MADAK Aziz

 

MAR

 

30/03/1985

Marseille

DAOUADJI Noureddine Hassane

18

ALG

 

18/05/1985

Avignon

CHAGOUFI Abderrahmane

32

 

 

14/08/1985

Marseille

LAID Meghit

30

 

 

18/09/1985

Pourvières

MOKHTARI Abdellah

23

 

 

29/09/1985

Lyon

MECHTA Nour-eddine

23

ALG

 

10/11/1985

Sarcelles

TERCHOUNE Malik

16

 

 

26/12/1985

Puy en Velay

ACHAOUI Ali

37

 

 

26/12/1985

Puy en Velay

BENYAACOUB Ali

58

 

 

31/12/1985

Draguignan

KIROUCHE Mabrouk

 

 

 

31/12/1985

Nîmes

GAISSI Aissa

 

 

 

31/12/1985

Perpignan

CHOUAIBI Ahmed

60

 

 

234

Annexes

Auteur

Circonstances

Prison

Date jugement

Dont sursis

 

 

 

 

 

Civil Louis Ducrocq

 

5 ans

3 ans

 

Police

Chute moto poursuite

Non-lieu

 

 

 

Balle

 

 

 

Gendarme

 

 

 

 

Civil Francis Piovano et Yves Podolski

Balle

15 ans

 

 

Civil Juan Forte Hernandez

 

 

 

 

Civil Serge Flaud

Balle

5 ans

3 ans

 

 

Balle

 

 

 

Policier Emile Bonnal (FN)

 

 

 

 

Videurs Bruno et Serge Leroch, Fabrice Serour

Couteau boîte nuit

12 ans (Bruno), 6 ans (Serge), 5 ans (Fabrice)

3,5 ans (Fabrice)

11/05/1988

 

Balle

 

 

 

Civil Charles Mandon

Balle

 

 

 

Civil Charles Mandon

Balle

 

 

 

Civil Gérard Berlin

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

235

Annexes

Date crime

Lieu

Nom de la victime

Âge

Nationalité

Profession

31/12/1985

 

SLIMANE Aid

24

 

 

1986

 

 

 

 

 

02/01/1986

Ajaccio

SDIRI Hassan

34

TUN

Ouvrier

02/01/1986

Ajaccio

SGATNI Mohamed Sala

30

TUN

Ouvrier

06/03/1986

Villeurbanne

KACIR Mustapha

22

ALG

 

21/03/1986

Colbey

GUECHI Saïd

38

 

 

09/04/1986

Fleury-Mérogis

AISSAOUI Farid

32

 

 

30/06/1986

Saint-Nom-laBretèche

BOUZOU

 

 

Ouvrier

23/08/1986

Mios

FELCHOU Mohamed

52

MAR

 

30/08/1986

Alençon

AOUCHER Pierre

22

 

 

22/09/1986

Lyon

KACIR Bouzid

44

 

 

05/12/1986

Pantin

BENYAHIA Abdelwahab

20

ALG

 

06/12/1986

Paris

OUSSEKINE Malik

22

ALG

Étudiant

31/12/1986

Aubervilliers

KARCHEOUI Halim

22

 

 

31/12/1986

Brignoles

BELGHIT Safedine

 

 

 

31/12/1986

Chambéry

MOKRANE Djahida

25

 

 

31/12/1986

Choisy-le-roi

ABDELHADI Abdelkader

22

 

Étudiant

31/12/1986

Denain

BOUFERKAS Rabah

16

 

 

31/12/1986

Épinal

MESSAOUDI Bachir

 

 

 

236

Annexes

Auteur

Circonstances

Prison

Date jugement

Dont sursis

Civil Villentain

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ex-FLNC

 

 

 

 

Ex-FLNC

 

 

 

 

Deux gendarmes

 

Non-lieu

 

10/11/1987

Civil Yves Mathieu Balle

20 ans

 

 

 

Suicidé

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Balle

 

 

 

Civil André Bauvais

Balle

 

 

 

 

 

 

 

 

Policier Patrick Savry

Bagarre

7 ans

 

25/11/1988

Policier Christophe Garcia et Jean Schmitt

Matraque

2 ans (Garcia), 5 ans (Schmitt)

2 ans (Garcia), 5 ans (Schmitt)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Militaires

Étranglement

 

 

 

 

Couteau

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

237

Annexes

Date crime

Lieu

Nom de la victime

31/12/1986

Hirtsbach

REBOUH Abdelwahab

39

 

 

31/12/1986

La Rochelle

EL OKABI Farid

21

 

 

31/12/1986

Melun

LAROUBI Mahfoud

45

 

 

31/12/1986

Montreuil

ARRAB Bennacer

 

 

 

1987

 

 

 

 

 

15/02/1987

Hagondange

BENAOUDA Hamida

33

ALG

 

06/06/1987

Caen

MOUSSAOUI Abdelkader

57

ALG

 

06/06/1987

Caen

RAHMANI Abdelsala

 

TUN

 

22/06/1987

Nice

ABIDI Amar

42

 

 

18/11/1987

Castres

BOUCHIBA Snoussi

32

ALG

 

31/12/1987

Levallois-Perret

ZAZOU Ali

29

 

 

31/12/1987

Lilas

HAMMOUDI Nacer

 

 

 

31/12/1987

Mions

BOUGUESSA Aziz

21

 

 

31/12/1987

Nanterre

DJILLALI Amar

29

 

 

31/12/1987

Paris

BAKHTI Hamid

 

 

 

31/12/1987

 

ABONIS Adel

18

 

 

31/12/1987

 

KHIER Mohamed

32

ALG

 

238

Âge

Nationalité

Profession

Annexes

Auteur

Circonstances

Prison

Date jugement

Dont sursis

 

 

 

 

 

Police

 

 

 

 

Civil Lagalle

 

 

 

 

Voisins

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Civil

Balle

 

 

 

Civil Christophe Arcini

Balle

 

 

 

Civil Christophe Arcini

Balle

 

 

 

Civil Patrick Borneat (skin), complices

 

15 ans (Borneat), 10 ans autres

 

08/02/1990

Militaires Alain Santucci, Yannick Guguen et Jean-Claude Schoult

 

10 ans (Santucci), 6 mois 20 mois (Schoult) (Schoult)

 

 

 

 

 

 

Police

 

 

 

 

Non-lieu

 

 

Police  

 

 

 

 

Police

 

 

 

 

Civil Claude Darnet

Balle

 

 

 

Police

Balle

 

 

 

239

Annexes

Date crime

Lieu

Nom de la victime

Âge

Nationalité

Profession

31/12/1987

 

ZEMMOURI Ahmed

 

 

 

1988

 

 

 

 

 

08/01/1988

 

BOUGHERRA Fethi

 

 

 

20/04/1988

Le Havre

LATRECHE Mohamed

27

ALG

 

30/06/1988

Paris

BOUCHAMA Mahfoud  

 

 

12/07/1988

 

MAHFOUFI Ali

19

ALG

 

17/08/1988

 

MESSAOUDI Olivier

21

FR

 

08/10/1988

Noisy-le-sec

MOULAÏ Malika

 

 

 

11/12/1988

Arendon

MERABET Mabrouk

27

ALG

 

1989

 

 

 

 

 

21/01/1989

Villeurbanne

OMRANI Farid

19

 

 

28/01/1989

Montataire

BOUSSENA Farid

 

ALG

 

12/02/1989

Reims

RAFA Ali

23

FR

 

01/03/1989

Montfermeil

AIT MANSOUR Saâd

23

 

 

31/03/1989

Rouen

OUDINA Charef

21

ALG

 

12/05/1989

Nice

BELHADJ Amor

 

TUN

 

26/05/1989

Paris

MEDITI Ali

52

ALG

 

240

Annexes

Auteur

Circonstances

Prison

Date jugement

Dont sursis

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Civil Claude Perronnier

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Balle

 

 

 

Police

Accident moto barrage

 

 

 

Civil Guy Porta

Balle

 

 

 

Policier Lafarge

Balle

 

 

 

Civil Auguste Cuzin (FN)

 

Non-lieu

 

 

 

 

 

 

 

Civil Marc Mongenot

Balle

 

 

 

Civils Philippe Mennessie, Daniel Lacourte et Pascal Michaux

 

 

 

 

Civil Marie-Joëlle Garnier

Balle

Acquitté

 

13/11/1992

 

Noyade

 

 

 

Civil Yves Pinot

Balle

 

 

 

Civil J.B. Ghico

 

 

 

 

Civil Dominique Fouchet (vigile)

Balle

 

 

 

241

Annexes

Date crime

Lieu

Nom de la victime

Âge

Nationalité

Profession

13/06/1989

Gournay-surMarne

BENNAI Ahmed

47

MAR

 

13/07/1989

Thiez

BRAIKIA Youcef

23

TUN

 

14/07/1989

Dijon

BENZARI Abdelmajid

21

MAR

 

14/07/1989

Saint-Laurentdes-Arbres

BADAINE Aissa

22

FR

 

25/08/1989

Villeurbanne

AFFRI Loucif

37

 

 

25/08/1989

Villeurbanne

AFFRI Abdelmajid

51

 

 

25/08/1989

Villeurbanne

AFFRI Aziz

13

 

 

21/11/1989

Mureaux

TADRIST Kamel

 

 

 

31/12/1989

Lyon

BOUAFFIA Abdellah

42

ALG

 

31/12/1989

 

BOUNOUARA Kamel

17

 

 

1990

 

 

 

 

 

25/01/1990

Vénissieux

BARRI Lahcen

59

ALG

 

01/03/1990

Roanne

LEBDAOUI Madjid

17

MAR

 

05/03/1990

Marseille

SAOUDI Saâd

 

ALG

 

12/03/1990

Saint-Florentin

MADHANI Saïd

 

 

 

10/04/1990

 

HIMMI Karim

 

 

 

242

Annexes

Auteur

Circonstances

Prison

Date jugement

Dont sursis

 

Couteau

 

 

 

Civil Renato Tripodi

Couteau

 

 

 

Civil Eugène Volpato

 

 

 

 

 

Balle

 

 

 

 

Incendie

 

 

 

 

Incendie

 

 

 

 

Incendie

 

 

 

 

Pendaison

 

 

 

Civils Guy Gallego, Éric Flury, Alain Pierrin, Éric Bertrand (vigiles)

 

 

 

 

Gendarme

Balle

 

 

 

 

 

 

 

 

Civil Yves Ferri

Balle

 

 

 

Civil Yves Buteau

Traîné, écrasé voiture

 

 

 

Policier Jean-Claude Martin

Balle

 

 

 

Civil Jacky Bara

Saint-Florentin

 

 

 

Civil René Marie

 

 

 

 

243

Annexes

Annexe 2 Liste des étapes de la Marche, 15 octobre - 3 décembre 1983.

Date

Lieu

15/10/1983 Marseille

Comité de soutien Comité de soutien : Cimade, CIDM, comité « Jeunes Immigrés » (auteurs de la demande d’autorisation à la préfecture) et Radio Gazelle (qui a fait « le gros du travail d’accueil » selon Driss El Yazami Khammar).

16/10/1983 Aix-enProvence

17/10/1983 Salon-deProvence

Aucun comité. Un sympathisant « organisateur néophyte » : Michel, 19 ans, étudiant.

18/10/1983 Cavaillon

Rien (selon Djamel Attalah).

19/10/1983 Tarascon

Comité d’accueil

20/10/1983 Avignon

Comité d’accueil : UD-CFDT, élu liste Avignon Alternative, MRAP.

244

Annexes

Actions

Commentaires

Rassemblement au Centre social de la Cayolle. Conférence de presse à l’Hôtel de ville. Slogans : « Rengainez, on arrive », « Première, deuxième, troisième génération, nous sommes tous des enfants d’immigrés », « Antillais, Polonais, Français, Maghrébins, Juifs, tous contre le racisme ».

Michel de la Fournière, secrétaire national du PS aux droits de l’homme, a envoyé une lettre circulaire aux fédérations leur demandant « d’accueillir favorablement cette initiative ». Présence de Françoise Gaspard (ex-maire de Dreux, député PS), de Jean Blocquaux (chargé de mission au cabinet de Georgina Dufoix), de Roby Bois (secrétaire général de la Cimade), Claude Servan-Schreiber (rédactrice en chef de F magazine), Prunetta (conseiller municipal PS), Daniel Carrière (secrétaire général d’Échanges méditerranée).

Environ 250 personnes.

La marche s’est confondue à une manifestation de l’Amicale de Algériens en Europe, l’Union nationale de la jeunesse algérienne, l’Amicale des femmes algériennes, soutenue par le PS, la SCF, l’UEC, la FEN, l’UNEF, le MRAP et l’ASTI, contre l’« expédition punitive » dans le quartier Jas-de-Bouffan tuant un jeune Algérien. Entrée de Bouzid Kara dans le groupe. Un groupe de marcheurs (Farid, Farouk, Tewfik et Brahim) rencontrent le père de Sélim Grine, jeune de la ZAC du Jas de Bouffan à Aix, tué le 11/09/1983.

Rassemblement devant la gare d’Avignon, puis défilé jusqu’à Hôtel de ville. Une vingtaine de personnes.

245

Annexes

Date

Lieu

Comité de soutien

21/10/1983 Orange 22/10/1983 Pierrelatte 23/10/1983 Montélimar 24/10/1983 Loriol

25/10/1983 Valence

26/10/1983 Saint-Vallier 27/10/1983 Péage de Roussillon

Pas de comité. Aréopage de responsables associatifs, syndicaux et d’élus communistes et socialistes.

28/10/1983 Vienne

Comité organisé par l’Association Culturelle des Jeunes Maghrébins et l’ASTI (Farid L’Haoua).

28/10/1983 Vaulx-enVelin 29Lyon 30/10/1983

Comité de soutien : CFI Croix-Rousse, Comité de défense des prisonniers d’Amérique latine, ATD quart-monde, Solidarité Tiersmonde, PSU, LCR, CCA, JCR. Lettre de soutien de la Fédération du Rhône du PS, de Paul Bouchet (ancien bâtonnier de Lyon), du Conseil presbytérien de l’Église réformée, des municipalités de Vénissieux, Givors, Feyzin, Villeurbanne et Saint-Fons.

246

Annexes Actions

Commentaires

Accueilli à l’entrée de la ville par trois individus (un père et ses deux fils) armés à bord d’une estafette proférant menaces et injures. Dépôt de plainte. Une centaine de personnes d’origine maghrébine ont participé en soirée à un spectacle de danse.

Le PFN (Front national) organise une distribution de tracts à l’heure et sur la place où doit arriver la marche. Pour éviter les incidents, les organisateurs changent le lieu de rendez-vous au dernier moment.

Halte au foyer municipal en présence du député René Bourget (PS) et de Daniel Rigaud (PC), adjoint au maire de Roussillon.

Forum Justice, salle Amphis.

Organisé par Wahid Association créée suite au meurtre de Wahid Hachichi. « Maigre assistance », prise de parole de marcheurs et des mères de familles dont les enfants ont été tués.

Plusieurs groupes convergeant sur Lyon, depuis Bron, Rilleux, Meyzieu, Pierre-Bénite et Givors (passage par Grigny, Vernaison, Feyzin, Saint-Fons et Vénissieux, environ 200 personnes). Rassemblement place Bellecour. Environ 1000 personnes (500 selon la police). Conférence de presse (avec Blocquaux). Soirée au CCO de Villeurbanne.

Présence de Jean Blocquaux. Accueil à Feyzin par le députémaire PS Marie-Joseph Sublet, Franck Serusclat, Alain Gillette (directeur de cabinet de Dufoix). Pas d’accueil à la mairie de Vénissieux, mais à l’église des Minguettes, en présence de Guy Ficher, premier adjoint au maire (ce qui lui a valu d’être désavoué publiquement par Marcel Houël).

247

Annexes

Date

Lieu

31/10/1983 Grenoble

Comité de soutien Comité de soutien : Amis du livre, Artisans du monde, Association centre culturel Chorier-Berriat, Association dauphinoise de coopération franco-algérienne, Association des travailleurs turcs, Association des Tunisiens de France, Association de solidarité avec les travailleurs immigrés de Voiron, Association franco-portugaise, Chrétiens non-violents, Confédération syndicale du cadre de vie, CFDT communaux, Collectif Tiers monde, Centre théologique de Meylan, Centre catholique universitaire, Centre d’information inter-peuples, Comité Larzac, Confederazione generale italiana del lavoro, CGIL (enseignants italiens de Grenoble), Culture et Liberté, Comité Quart-Monde, Dioconat protestant de Grenoble, Esperenza, Federazione italiana lavoratori emigrati in Francia, Groupe chrétiens immigrés et français, Groupe français d’Éducation nouvelle, Grenoble autonomie-autogestion, Église réformée de Voiron, Frère des Hommes, LCR, Ligue socialiste des travailleurs, MAN, Mouvement chrétien pour la paix (Grenoble), MJC Allobroges, Office dauphinois des travailleurs immigrés, Parfum de la terre (association de femmes immigrées et françaises), Parti communiste marxiste-léniniste, PS, PSU, Relais  14, CFDT des centres de santé de Grenoble, CFDT départemental « santé sociaux de l’Isère », Confédération syndicale des familles, Union nationale de la jeunesse algérienne, UD-CFDT, Vérité Rhône-Alpes.

01/11/1983 Voiron

02/11/1983 Les Échelles Comité de soutien.

03/11/1983 Chambéry

Comité de soutien : quarantaine d’associations, syndicats et partis chambériens. Mais la gauche « fait le minimum ». Le PS soutient mais militants et élus se sont peu déplacés. Le PCF « a fait le mort ». Seul le PSU et certains organisations écologistes et pacifistes et d’extrêmegauche se sont réellement mobilisées.

248

Annexes Actions Marche de 250 vers Voiron. Soirée-spectacle à l’Espace 600 à la Villeneuve (2000 participants).

Commentaires Minute de silence à la place Ernest Arnaud, cité Très-Cloître, en hommage à Ahmed Benkhellil, tué trois mois plus tôt par un Portugais.

Salle des fêtes. 150 participants. Hébergement au Château de Broyes. « Excellent accueil » de la mairie d’Echelles (Hubert Gros, conseiller municipal et ancien maire et le nouveau, Jean-Pierre Vial). Cortège de 400. Quelques Alerte à la bombe sur le comité de soutien aux travailleurs élus du conseil général (Louis immigrés de Chambéry. Besson, Colette Bonfils, Roger Rinchet). Accueil d’une délégation à l’hôtel de ville par André Gervason (droite) mais dans le local de la minorité (ancienne loge de concierge) et seuls des élus de la minorité de gauche (Françoise Charmatz et Maurice Meunier) étaient présents aux rassemblements. Soirée à la salle J.-B. Carron au Biollay, prise de parole de Ridha Ferjani, président du CSTIS.

249

Annexes

Date

Lieu

Comité de soutien

04/11/1983 Mâcon 05/11/1983 Tournus 06/11/1983 Chalon-surSaône

07/11/1983 Beaune, Nuit-SaintGeorges 08/11/1983 Chenôve, Dijon

09/11/1983 Besançon

10/11/1983 Baume-LesDames 11/11/1983 L’Isle-sur-leDoubs

12/11/1983 Montbéliard Comité de soutien : Cimade, MRAP, MAN, CFDT, Pastorale immigrée, PSU, PS, UTIT, ATTEME, LCR, ATMF, CDTA, TDH, CSF, JOC, JOCF.

250

Annexes Actions

Rencontre-débat au Madeleine Palace.

Commentaires

Les deux camionnettes contenant les affaires des marcheurs ont leur pneus crevés.

Meeting à la Maison des Syndicats, projection d’un film et débat sur « les problèmes locaux entre autochtones et immigrés ». 20 marcheurs.

À Chenôve, accueil à l’Université populaire, inauguration d’une exposition sur l’immigration, débat à la Bourse du Travail, soirée au centre social des Grésilles. 150 personnes.

Salle Devosge refusée par la mairie de Dijon. Jean-Baptiste Viallon, conseiller municipal PS s’en plaint au conseil le 07/11. Réponse du maire : « je marche pour l’égalité depuis 12 ans, et il n’est pas nécessaire de marcher pour être convaincu de l’égalité ». Présence à la Bourse du travail de M. Vouillot, député de la Côte-d’Or. Message de soutien de M. Billardon, président du groupe socialiste du Conseil régional de Bourgogne, et de la Pastorale des Migrants.

Accueil au quartier de l’Escale. Rencontre avec Mgr Dalloz, archevêque de Besançon. Gala le soir. Cortège de 40 marcheurs au centre-ville. Accueil à l’hôtel de ville et à la salle des fêtes communale par le prêtre de la ville, Michel Crevoisier. Marché de la ZUP de Montbéliard : centaine de personnes. Soirée à la salle de l’Arc-en-Ciel.

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Annexes

Date

Lieu

Comité de soutien

13/11/1983 Belfort

15/11/1983 Mulhouse

Comité de soutien : Cimade, CFDT, ASTI, JOC, associations d’immigrés.

16/11/1983 Colmar. Étape Guebwiller supprimée.

Comité d’accueil.

18/11/1983 Orschwiller, Sélestat

19/11/1983 Saint-Dizier Comité d’accueil : Association bragarde pour l’alphabétisation et la promotion sociale des étrangers, MAN, CCFD, association culturelle turque, action catholique des enfants, CFDT. 20/11/1983 Strasbourg

21/11/1983 Nancy

Comité d’accueil : PS section Nancy, association de solidarité francoarabe, UD-CFDT Meurthe-et-Moselle, SGEN-CFDT.

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Annexes Actions

Commentaires

Cortège d’environ 200 personnes dont des militants CGT, PSF, PS, PSU et M. Butzbach, adjoint au maire de Belfort, conférence de presse à la Maison du Peuple. Marche de Morschwiller et de la ZUP vers centre-ville. Environ 100 personnes. Rassemblement place de la Réunion. Débat le soir au cinéma Pax (Bourtzwiller) sur le thème « que faisonsnous contre le racisme ? ». Hébergement au foyer Cotrami.

Présence d’Edmond Maire (secrétaire général de la CFDT), Albert Mercier (secrétaire confédéral), Denis Jacquot, René Reinauer (responsables UD-CFDT), Jean-Paul Wurth (marie de Morschwiller), Jean-Marie Bockel (député PS de Mulhouse), Roger Winterhalter (maire PSU de Lutterbach). Vive émotion des marcheurs suite au meurtre d’Habib Grimzi la veille (14/11/1983).

Rassemblement stade des Cheminots. Débat public au foyer Hoffet : « Paix et justice pour le bonheur de tous: utopie ou réalité ? ».

Présence d’Alain Parmentier, secrétaire national de la Commission Immigrés du PS dans le bassin Potassique d’Alsace.

Vingtaine de personnes. Marcheurs reçus à la mairie et à la sous-préfecture de Sélestat. Accueil au foyer Martin Bucer. Conférence à la salle municipale Sainte-Barbe. Manifestation de 300 à 400 Discours de Jean Wenpouille (représentant de la LDH), personnes. Accueil à la mairie. Mme Marchand, M. Cartier (maire). Messe à l’église Sainte-Thérèse du Vert-Bois. Manifestation passant par les cité de Neuhof. Meeting salle paroissiale protestante de la rue du Commandant-François.

Présence de Georgina Dufoix (secrétaire d’Etat à la Famille et aux Travailleurs immigrés), Jean Oehler (député), élus et responsables du PS. Étape au Conseil de l’Europe : accueil de M. Leuprecht, directeur des droits de l’homme.

Accueil place Thiers, des centaines de sympathisants. Délégation reçue à l’hôtel de ville.

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Annexes

Date

Lieu

Comité de soutien

22/11/1983 Pont-àMousson

23/11/1983 Metz

Comité de soutien.

24/11/1983 Lille

Comité d’accueil.

25/11/1983 Tourcoing, Roubaix

26/11/1983 Amiens

Comité d’accueil : vingtaine d’associations.

26/11/1983 Montpellier Marche parallèle.

26/11/1983 Le Havre

Marche parallèle à l’initiative de : MRAP, Association pour la promotion, l’alphabétisation et l’animation des migrants, Association des musulmans et Arabes du Havre, Amicale des Algériens, Accueil des migrants, Vie nouvelle, JOC, Mouvement de la paix, Codene, Planning familial, MAN, Confédération syndicale des familles, syndicats FEN, SNI, CGT, CFDT, ANPE, CFDT-PTT et partis PS, PSU, LCR.

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Annexes Actions Accueil à Blenod-les-Pontà-Mousson par le maire M. Bertelle et Alain Gillette (directeur de cabinet de Georgina Dufoix). À Pont-àMousson, accueil par la CFDT, hébergement à l’abbaye des prémontres.

Commentaires Dans la nuit du 21 au 22/11, incidents aux Minguettes (mort d’Abdelhamid Benatir). Apprenant cela, René Peltier fait un malaise cardiaque à Belleville et se remet au CHU de Brabois. Quatre marcheurs, dont Farid, cousin de Benatir, retournent à Vénissieux.

Rassemblement sur l’Esplanade, manifestation et fête salle Marc-Sagnier à Montigny-lès-Metz. Environ 1000. 450 participants à Lille. Manifestation du quartier du Pont Rompu (150) jusqu’à Roubaix (250). Soirée-débat Maison pour Tous Roubaix.

Alerte à la bombe à la mairie de Roubaix.

Conférence de presse. Manifestation de 300 personnes. Accueil à la mairie par le maire René Lamps. Repas à la cantine municipale Adrien Fauga. Meeting au cinéma Le Régent (200 personnes). Nuit dans le dortoir de la colonie de la ville d’Amiens.

Présence à la marche de Huguette Bouchardeau (ministre de l’Environnement et militante du PSU) et de Serge Depaquit (secrétaire national du PSU). Présence au meeting de Bernard Delmotte, conseiller municipal, président de la commission extra-municipale « immigrés ».

Manifestation d’un millier de personnes du Peyrou à la Paillade. Fête à la Maison pour tous Léo-Lagrange de la Paillade.

Présence de conseillers municipaux (Jean-Claude Biau, Yves Larbiou) et personnalités telles que le père Jean Cardonel, Pierre Antonini, des responsables CGT, CFDT et du MRAP.

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Annexes

Date

Lieu

Comité de soutien

26/11/1983 Arras

27/11/1983 Breteuil

28/11/1983 Beauvais

29/11/1983 Creil 29/11/1983 Dreux

Comité d’accueil (dont LCR, Cimade, CCFD).

30/11/1983 PontoiseAuvers

30/11/1983 Région parisienne

Membres du collectif Jeunes : Radio Beur, ANGI, Sans frontière, Vivre Ensemble de Mantes-la-Jolie, etc.

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Annexes Actions Rassemblement : plusieurs centaines de personnes. Accueil à la salle des fêtes par Marcel Roger, adjoint au maire.

Commentaires Présence de Mgr Gérard Huyghe, évêque d’Arras, MM. Charbonnel, Moilet, Cailleretz, et autre conseillers municipaux, Bernard Quandalle, maire de Dainville, Régis Wintrebert, son adjoint, M. Kemmel, représentant du PS, M. Baland, représentant du PCF.

Salle des fêtes. 150 participants. Hébergement au Château de Broyes. Accueil à l’hôtel de ville. Hébergement au centre de loisirs et d’éducation populaire Aux Marais. 40 marcheurs. Hébergement au foyer des cadres sportifs.

Présence de Jack Lang, ministre de la Culture, à Mouy.

Manifestation de 200. Débat au Centre laïque.

Incident : en raison d’une menace d’attentat, les deux marcheurs (Delorme et Brahim) arrivent le mardi 29/11 et non le 30/11, comme prévu. Cette décision s’est prise en secret par la Cimade. Pour le comité, c’est « une rencontre au rabais ». Débat sous le signe de l’œcuménisme religieux, présence de la femme du maire, Mme Hieaux. Marche en présence de Françoise Gaspard (député), Marcel Piquet (ancien maire, conseiller municipal), Jean Thénaisy (conseiller municipal), abbé Pierre Toulat (commissaire de la conférence épiscopale française « Justice et paix », mandaté par son président Mgr Méninger), abbé Michel Serrain (secrétaire national des relations avec l’Islam, chargé de la Pastorale des migrants), Pierre Demeret (délégué de la région parisienne de la Cimade).

Villes de passage : Creil, Persan-Beaumont, Valmondole, Pontoise, Cergy. Marche Auvers-ValhermeilCergy-Pontoise. Environ 200. Salle des fêtes de Cergy (concert). Hébergement chez l’habitant et au Centre sportif de Saint-Ouen-l’Aumône.

Présence de Mgr Lustiger et Claude Cheysson, ministre des relations extérieures, à Pontoise.

Conférence de presse dans les Communiqué commun de Chlin Mohamed Dahaoui (mosquée locaux parisiens de la Cimade. de Paris), Mgr Decourtray (Conférence des évêques de France), pasteur Maury (Fédération protestante de France), Mgr Meletios (Comité inter-épiscopal orthodoxe) et René-Samuel Sirat (grand rabbin de France).

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Annexes

Date

Lieu

Comité de soutien

01/12/1983 Région parisienne

02/12/1983 Région parisienne

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Commentaires

Un groupe reste à Chanteloup-les-Vignes, le reste se rend à Flins (usine Renault), accueilli par le Collectif des Mureaux, Poissy (salle polyvalente Beauregard). Hébergement au presbytère et chez des sympathisants. Délégation reçue par Pierre Bérégovoy, ministre des Affaires sociales et de la solidarité nationale. Trois groupes direction de Corbeil, Saint-Denis et Levallois-Perret (Forum Justic) à la MJC avec le Syndicat de la magistrature et la Fédération autonome des syndicats de police. Villes de passage : Colombes (manifestation et débat), Bois-Colombes, Asnières, Courbevoie, ChatenayMalabry, Massy, Corbeil, Gennevilliers, Saint-Denis, Cité des 4000 où une gerbe est déposée à l’endroit où est mort Toufik Ouanès. Mini-marche du collectif Saint-Denis entre cité des Francs Moisins (où Salah Djemmane a été blessé par balle le 28/07/1983) et cité des 4000 (où Toufik Ouanès a été tué par balle le 09/07/1983). Réunion à Bezons organisée par l’UL-CFDT d’Argenteuil, ainsi qu’à Fresnes (représentants de l’Amicale des Algériens en France).

Au Forum Justice de Levallois, présence de la mère de Toufik Ouanès. À l’hôtel de ville de Saint-Denis, présence de Pierre Zarka (député de Saint-Denis, secrétaire du MJCF), François Asensi (député d’Aulnay), Maurice Noland (maire adjoint). À la Courneuve, accueil de James Marson (sénateur-maire) et Muguette Jacquaint (député).

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Annexes

Date

Lieu

03/12/1983 Paris

Comité de soutien Comité de soutien parisien : Accueil et promotion, Artisans du Monde, Artisans de paix, Association Beur ici et maintenant (ABIM), Association démocratique des travailleurs turcs (ADIT), Association des Juifs de France, Association de la nouvelle génération immigrés (ANGI), Association des Marocains en France (AMF), Association de regroupement des travailleurs maliens en France (ARTMF), Association des travailleurs algériens (ATAF), Association pour l’expression des jeunes immigrés (ASEJI), Association de solidarité franco-arabe (ASFA), Association des Tunisiens en France (ATF), Association des travailleurs de Turquie (ATT), Association des travailleurs marocains en France (ATMF), Association Radio Beur, Bwana Magazine, Centre d’études anti-impérialistes (CEDETIM), Centre d’information et d’études sur les migrants (CIEM), Centre de promotion des nationaux de couleur / Cercle Gaston Crémieux (CNPNC), Comité de liaison sur l’alphabétisation et la promotion (CLAP), Cimade, Comité des travailleurs algériens (CTA), Collectif Droits de l’homme de Saint Merri, Collectif Jeunes, Collectif 18e, Collectif pour le développement des droits civiques, Collectif La crise n’a pas de couleur, Collectif d’Issy les Moulineaux, Combat pour la diaspora, Comité de soutien à l’action d’Ahmed Ben Bella, Comité Étrangers Fonda, Commission Justice et paix, Chrétiens pour le socialisme, Confédération syndicale des familles, Délégation nationale des missions italiennes, Fédération des associations de soutien aux travailleurs immigrés (FASTI), Fédération de France des clubs Unesco, Frères des hommes, Information pour les droits du soldat (IDS), Jeunes Ce journal est à nous, Jeunesses communistes révolutionnaires (JCR), Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC), Les Amis de la lettre, Ligue communiste révolutionnaire, Ligue ouvrière révolutionnaire, Ligue socialiste des travailleurs, Mouvement pour une alternative non violente (MAN), Mouvement des jeunes socialistes (MJS), Mission populaire de Grenelle, Mission des campagnes, Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP), Pastorale des migrants, Peuples solidaires, Parti communiste marxiste-léniniste (PCML), Parti socialiste unifié (PSU, Parti socialiste (PS), Sans Frontière, Service inter-diocésain des travailleurs immigrés (SITI), Syndicat de la magistrature (SM), Union pacifiste de France (UPF), Union des travailleurs immigrés tunisiens (UTIT), Confédération française démocratique du travail (CFDT), Les Verts pour Paris, Vie nouvelle, Relais 59. Avec le soutien : Fédération de l’éducation nationale (FEN), Confédération générale du travail (CGT), Parti communiste française Paris. Lettres de soutien de plus de 700 personnalités.

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Annexes Actions

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Départ Bastille, boulevard Henri IV, pont Sully, rue des Fossés-Saint-Bernard, rue Monde, avenue des Gobelins, boulevard Port Royal, boulevard de Montparnasse, place du 18-Juin-1940. Service d’ordre assuré par syndicats, mouvements politiques et associations de soutien. Minute de silence devant l’hôpital militaire du Val-de-Grâce en hommage à Habib Grimzi. Slogans : « Nos morts ne resterons pas impunis », « Justice pour nos morts », « Halte au racisme », « Français-immigrés, égalité des droits », « Rengainez, on arrive. La chasse est fermée ». Soirée : « spectacle pluriculturel » à l’espace Balard.

Présence de ministres : Georgina Dufoix, Huguette Bouchardeau, Claude Cheysson, Jack Lang ; personnalités politiques : Edmond Maire, Gisèle Halimi, Bernard Stasi, Olivier Stirn et Bernard Stasi (CDS), la veuve de Pierre Mendès-France, Alain Krivine, Michel de la Fournière (PS), Mireille Bertrand et Guy Pousy (PCF), Serge Depaquit (PSU) ; vedettes : Renaud, Enrico Macias, Fernando Arrabal, Jean-Edern Hallier ; ouvriers de Talbot-Poissy et de Renault Billancourt. Incident à Vénissieux dans la nuit du 02 au 03/12 : « quatre Maghrébins âgés d’une vingtaine d’années » ont tenté d’incendier un véhicule dans le garage du commissariat ; un policier les surprend et est blessé à la main par un couteau.

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Annexes

Annexe 3 « Oui à la France de l’égalité et de la fraternité. Manifeste de soutien à la Marche Marseille-Paris » Sans frontière, hors-série, décembre 1983, p. 50. Le lynchage et le meurtre du jeune Habib Grimzi par quatre futurs soldats français, sans que les assistants semblent s’y être opposés, a fait horreur à une partie de l’opinion. Mais c’est depuis des mois que se multiplient les agressions contre les travailleurs immigrés et leurs familles, sans parler des « bavures » policières. On tire sur des enfants. Les campagnes électorales, ville après ville, dégagent un relent d’intolérance et de ratonnade. Tandis que reculent les espoirs de fraternité nés en 1981, le racisme monte et son exploitation politique s’étend. Il faut un sursaut démocratique. La Première Marche pour l’Égalité et contre le Racisme, partie de Marseille le 15 octobre dernier, et qui aura traversé la moitié de la France avant d’arriver à Paris, peut le susciter. Rassemblant des volontaires immigrés et français, elle est née à l’initiative du collectif « SOS Avenir Minguettes » à Vénissieux, après que son président ait été lui aussi blessé en juin dernier. Elle a brisé le mur de silence. Nous saluons cette initiative courageuse et digne, dont le sens civique est évident. Nous soutenons cette action pacifique pour la sécurité de toutes les communautés qui vivent et travaillent aujourd’hui en France, et pour la reconnaissance effective de leurs droits. Nos concitoyens doivent entendre l’exigence fondamentale qu’elle exprime. Nous les appelons à se joindre à nous pour accueillir les marcheurs à Paris, le 3 décembre, dans une grande manifestation de solidarité.

Cet ouvrage a été achevé d’imprimer pour le compte d’Éditions Amsterdam par l’imprimerie Euroteh à Brezje (Slovénie) en septembre 2013. Dépot légal : octobre 2013.