La main magique de la chance
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SOPHIA MAX. LYNN ILAUBER

Inspiré d’un scénario de Ethan Lipton

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LA MAIN MAGIQUE

DE LA CHANCE

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du

Québec et Bibliothèque et Archives Canada

Max, Sophia La main magique de la chance (La magie de la vie au quotidien) Traduction de: The magic hand of chance.

ISBN 978-2-89436-399-7 I. Lauber, Lynn. IL. Bellehumeur, Danièle. III. Titre. PS3613.A92M3314 2013 813:6

C2013-940621-2

Nous reconnaissons l'aide financière du gouvernement du Canada par l'entremise du Fonds du livre du Canada (FLC) pour nos activités dédition.

Nous remercions la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC) pour son appui à notre programme de publication.

Gouvernement du Québec - Programme de crédit d'impôt pour l'édition de livres Gestion SODEC - www.sodec.gouv.qc.ca ©2012 par Sophia Max. Publié originalement par Hay House, Inc. sous le titre The Magic Hand of Chance.

la maison

d'édition

Traduction: Danièle Bellehumeur Conception de la couverture: Mario San Miguel — Réalisation: Marjorie Patry Mise en pages: Josée Larrivée Révision linguistique: Amélie Lapierre Correction d'épreuves: Michèle Blais

Éditeur :

Les Éditions Le Dauphin Blanc inc. Complexe Lebourgneuf, bureau 125 825, boulevard Lebourgneuf Québec (Québec) G2J 0B9 CANADA Tél.: 418 845-4045

Téléc.: 418 845-1933

Courriel: [email protected] Site Web: www.dauphinblanc.com ISBN :978-2-89436-399-7

Dépôt légal:

2° trimestre 2013 Bibliothèque nationale du Québec Bibliothèque et Archives Canada

© 2013 Les Éditions Le Dauphin Blanc inc. pour la version française. Tous droits réservés pour tous les territoires nord-américains. Imprimé au Canada Limites de responsabilité

Les auteures et l'éditeur ne revendiquent ni ne garantissent l'exactitude, le caractère applicable et approprié ou l'exhaustivité du contenu de ce programme. Ils déclinent toute responsabilité, expresse ou implicite, quelle qu'elle soit.

Sophia Max et

Lynn Lauber

LA MAIN MAGIQUE

DE LA CHANCE

Collection La Magie de la vie au quotidien

Traduit de l'anglais par Danièle Bellehumeur

Le Dauphin Blanc

Autres titres de la collection La Magie de la vie au quotidien: Des liens quantiques, Gregg Braden et Lynn Lauber Mon plus grand enseignant, Dr Wayne W. Dyer and Lynn Lauber Peindre le futur, Louise L. Hay et Lynn Lauber

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«Mon cerveau est la cléde ma libération.» — HARRY HOUDINI

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Prologue

J'ai monté l'escalier de cette vieille maison victorienne que l'on appelait le «Château magique» et je me suis arrêté un moment pour reprendre mon souffle. Était-ce

un rêve ? Étais-je réellement en ce lieu sacré ?Nul doute que je me trouvais en Californie, entouré de palmiers et de plantes tropicales d’un rouge flamboyant. J'ai rapidement cligné des yeux pour vérifier de nouveau. En les ouvrant, j'ai vu que le bleu du ciel était encore plus convaincant et que la maison me semblait encore plus grande et impressionnante. Je ne rêvais pas, c'était donc vrai. J'étais bel et bien à l'entrée du Château

magique.

Les portes, gigantesques, étaient si lourdes que je ne parvenais pas à les ouvrir d’une seule main. M'aidant d’un coup d'épaule, j'ai tourné la poignée vers la droite, puis vers la gauche, mais rien n'y fit. Après avoir parcouru un

LA MAIN MAGIQUE

DE LA CHANCE

si long chemin, allais-je rester sur le seuil sans entrer dans le Château magique? Pourquoi m'en faire ainsi? Un homme d’une grande élégance, vêtu d’un smoking, s'approcha. «Bonjour, jeune homme. Je présume que vous ignorez tout du hibou. »

Je répondis d’un hochement de tête. Mais de quoi parlait-il? «Eh bien, regardez en haut, sur votre droite», ajouta-t-il. Un hibou empaillé, bien assis et haut perché, semblait me fixer du regard.

« Vous devez lui donner le mot de passe pour pouvoir entrer, me dit-il. — Mais, je ne connais pas le mot de passe», ai-je

répondu. Une sueur froide perlait sur mon front. On m'avait dit qu'en Amérique tout était bien différent. Était-ce la norme pour entrer dans un lieu une première fois ? «Bien, que diriez-vous normalement quelque part? »

pour entrer

Prologue

J'ai réfléchi un moment. Je parlais anglais sommairement, sans plus. « Ouvrez? répondis-je.

— Pas mal. Le mot de passe est Sésame, ouvre-toi.» J'ai fièrement prononcé la formule magique, Sésame, ouvre-toi, et la porte s’est grande ouverte sur un boudoir d'une telle richesse que j'en eus le souffle coupé. Bien malgré moi, j'ai laissé s'échapper un «oh!» admiratif avant de rougir. Des miroirs, des chandeliers en or, un feu crépitant dans le foyer. J'avais le cœur battant. Il y avait tant à voir.

L'homme s'est légèrement penché pour me saluer avant de s'éloigner pour aller accueillir un autre visiteur. Tant pis, j'avais espéré qu'il me ferait visiter les lieux. Depuis ma plus tendre enfance, on m'avait parlé de ce fameux château. Maintenant que j'y étais, je ne savais où donner de la tête. Cependant, il y avait une chose que je voulais voir à tout prix. J'ai jeté un coup d'œil à l'horloge grand-père qui trônait dans le couloir. Je n'avais plus une minute à perdre.

Prenant la droite, j'ai aperçu un minuscule musée de cire où figuraient les plus grands magiciens de ce monde. Je n’ai pas reconnu le personnage moustachu au veston de velours qui se tenait à l'entrée. Par contre, je n'ai pu résister à l'envie de lui toucher la main tant il semblait réel.

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Derrière la porte voisine se trouvait une bibliothèque remplie de livres habillés de cuir et traitant de magie. Même au cours de toute une vie, nul n'aurait le temps de lire autant de livres. Tout au fond du couloir se trouvait une pièce dédiée aux séances de spiritisme avec, au centre, une table pour accueillir les personnes désireuses de communiquer avec les morts. Jetant un rapide coup d'œil à toutes les pièces, j'ai poursuivi mon chemin. L'épais tapis couvrant le sol assourdissait le bruit de mes pas. Allant droit devant, j'ai aperçu ce que je cherchais: le grand escalier en colimaçon. Saisissant la rampe, j'ai amorcé ma montée.

Sur le mur défilait une série de portraits des plus grands magiciens du monde. J'en reconnus plusieurs, car ma mère me racontait leur histoire pour m'endormir. J'ai reconnu Howard Thurston, roi des cartes et instigateur du plus grand spectacle d’illusionnisme présenté en tournée; le magicien américain Harry Blackstone, portant une moustache noire, bien connu pour un tour

de magie que j'affectionne particulièrement — couper une femme en deux avec une scie; et le maître de tous les magiciens, Harry Houdini.

J'ai finalement retrouvé le portrait d’un homme que je connais personnellement — un grand monsieur à la chevelure lisse et noire, tenant entre ses longs doigts fins un masque à l’image de son propre visage. J'ai vu cette photo des centaines de fois. Pourtant, je ne m'en lasse

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Prologue

jamais. Je la regarde fixement dès que je l'aperçois. Pas étonnant puisque ce magicien a littéralement changé le cours de mon existence. Rien de moins.

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Chapitre 1

|Le artistes du monde

du cirque étaient vénérés,

à

Moscou, peu de temps avant l'effondrement de l’Union soviétique.

Le cirque de Moscou était respecté et aimé dans ce pays où le cirque était vu comme un art à part entière, au même titre que le ballet ou l'opéra. Les membres de la troupe étaient formés en différentes disciplines comme l’acrobatie, la jonglerie, l’art clownesque et la contorsion, et ce, aux frais du gouvernement.

À cette époque, le cirque était un outil de propagande soviétique. Plusieurs numéros du spectacle racontaient des histoires, des légendes folkloriques et des proverbes qui avaient pour but de servir la cause soviétique. Cependant, certains comédiens, las du contrôle étatique, désiraient recouvrer leur liberté. Ils espéraient trouver un travail mieux rémunéré en pays

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étranger. La défection était donc chose courante chez ces artistes, car nul ne pouvait imaginer l'effondrement prochain de l’Empire soviétique. Qui eût cru que leur vie en serait changée et qu'ils goûteraient bientôt au plaisir d’une certaine liberté ? Personne, bien entendu, sauf Yevgeni Voronin. Il était convaincu qu'il serait bientôt l’un des plus grands magiciens du monde. Véritable bête de scène, Voronin était le rêveur de la troupe. Il avait un faible pour le faste et le spectacle qu'il nourrissait à coups de livres et de cinéma. Encore devait-il manifester son talent et sa grandeur. Avant le spectacle du soir, lorsqu'il appliquait son fond de teint tout en se regardant dans le miroir, Voronin voyait l'artiste en devenir. Il savait que, bientôt, son talent serait largement reconnu et acclamé. Il devait simplement continuer de répéter ses numéros et de croire en lui. et

sa renommée naîtrait naturellement. On ne pouvait qualifier Voronin de bel homme, mais il aimait croire qu'il avait une certaine élégance et même un port princier sous certains éclairages. À 39 ans, il

se mit à teindre ses cheveux d’un noir de jais, appliqua un soupçon de fond de teint sur son nez aquilin et un peu de rouge sur ses lèvres ténues. Faisant plus d’un mètre quatre-vingt-dix, il était grand et mince, mais ce détail s'éclipsait, car Voronin portait plusieurs manteaux superposés pour se protéger du froid.

Quand les artistes offraient une prestation dans leur région, ils se retrouvaient derrière l’auditorium pour se 14

Chapitre 1

préparer et répéter avant le spectacle. Ils revenaient justement d’une tournée d’un mois qui les avait menés sur tout le territoire de l’Union soviétique. Et voilà qu'ils s’'apprêtaient à entrer sur scène chez eux, dans leur propre ville.

La troupe s’agitait. Un homme musclé jonglait avec des bouteilles. Une brunette aux courbes généreuses s'avançait, une torche allumée à la main, et l’enfonçait au fond de sa gorge. Deux jeunes filles aux cheveux d'or joignaient leurs mains avant de faire un saut arrière. Un clown grillait une cigarette dans un coin, un gigantesque sourire peint sur sa bouche faisant la moue. Un couple vêtu de paillettes marchait sur les mains. Les deux partenaires semblaient bouger avec une certaine lassitude, comme des automates. Dehors, de gros flocons de neige tombaient et formaient un épais rideau blanc devant la fenêtre. —"//9—

Voronin s’est levé pour aller jeter un coup d'œil à la salle. Comme il faisait un froid de canard et qu'il neigeait abondamment,

l'assistance était peu nombreuse.

Les

sièges réservés aux membres de l'orchestre étaient les seuls occupés au maximum de leur capacité et quelques vieillards semblaient être venus se réfugier à l'intérieur pour se réchauffer et, peut-être même, y faire un petit somme.

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«Peu de monde, n'est-ce pas?» s'enquit Oleg, le plus âgé des deux clowns. Cigarette au bec, il affichait un air flagorneur sur son visage rond.

«Un artiste ne joue pas pour la foule, mais pour luimême, répondit Voronin.

— Mais oui, tu as bien raison. » Oleg sourit en passant la main sur le dos de Voronin qui accélérait le pas. Voronin entra en scène et salua le public. Il allait offrir une performance soignée et empreinte de cérémonie. Souriant intérieurement, il se disait que toute personne mérite qu'on lui offre le meilleur de soi. Il aimait imaginer qu'un roi ou une reine assistait au spectacle!

Voronin le savait bien, certains membres de la troupe — en particulier les clowns — se moquaient de cette façon de voir et de faire, mais il n'en avait cure. La magie n'était pas seulement sa vocation, c'était sa passion. Son talent n'avait peut-être pas atteint sa pleine maturité, mais cela ne saurait tarder. Il en était certain. Il commença son spectacle en lançant les cartes dans les airs et en les rattrapant de manière étrange. Le public semblait peu s'intéresser à ce numéro. Voronin passa rapidement à son autre tour, celui du chapeau. Cherchant à tirer la corde rouge enfouie dans son chapeau, Voronin atterrit maladroitement sur la table. Il se redressa avec élégance et retrouva son équilibre. On entendit quelques gloussements dans la salle, mais on n'aurait pu dire s’il 16

Chapitre 1

s'agissait de rires devant tant de maladresse ou de conversations à voix basse entre deux spectateurs. ?

.

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.

En coulisses, le jeune couple d’acrobates observait gravement Voronin en attendant d'entrer sur scène. Celui-ci compléta son dernier numéro avant de saluer son public. Il quitta rapidement les planches pour aller se réfugier dans sa loge. Il se regarda dans le miroir. Bien sûr, il avait entendu les timides applaudissements de l'auditoire à la fin de son numéro, mais rien ne saurait le décourager.

Il ferma les yeux un court moment. Puis, il les ouvrit en fixant une toile suspendue au mur. Elle le suivait toujours partout, en toutes circonstances — il s'agissait d’une petite reproduction de l'œuvre de Jean-François Millet, Les Glaneuses. Sur cette toile, on aperçoit un champ doré croulant sous la chaleur du soleil. C’est une scène de lutte et de survie où de pauvres femmes s'échinent à ramasser les grains à l'heure de la récolte. Voronin était toujours aussi ému devant la fatigue et le dos courbé des paysannes. Ses parents avaient connu cette vie de labeur. Ils avaient trimé dur sur leur ferme sise à l’ouest du pays. Mais, cette vie ne serait pas la sienne.

Voronin se démaquilla et décida de rentrer directement à la maison, sans attendre la fin du spectacle. Avant de partir, il mit presque tous les vêtements qu'il possédait: trois manteaux, deux paires de gants et quatre foulards. Ainsi vêtu, il pouvait à peine bouger les bras. Il luttait de tout son poids pour affronter la bourrasque hivernale 17

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qui entravait la porte de sortie. Il fut accueilli par un grand souffle d'air froid et une bordée de neige qui faillit lui faire perdre pied. Il se retrouva dans une rue presque déserte et tranquille. Il était entouré de grands immeubles à logements — d'immenses structures de béton gris. Dans un décor nu et sans arbres, une cheminée crachait ses interminables volutes de fumée. Voronin baissa la tête et fonça droit devant, contre le vent. On apercevait bien quelques voitures, mais les taxis et les bus passaient sans s'arrêter, illuminant la pénombre, remplis au maximum de leur capacité d'hommes au chapeau noir et de femmes portant foulard. Voronin arpenta quelques rues pour finalement s'engouffrer dans l'entrée défraîchie de l'édifice où il habitait. Il triait le courrier empilé sur une table lorsque la porte s’ouvrit sur une dame d'âge moyen tenant dans ses bras un chat jaune dressant la tête.

«Bonjour, madame demanda Voronin.

Komarov.

Et la névrite?»

La dame avança lourdement, aidée de sa canne, et déposa le chat au sol. Il s’'approcha de Voronin pour s'y coller.

«Au plus mal, vous le savez bien, avec tout ce froid. Léopold reconnaît votre pas. Il voulait vous voir», lui répondit-elle. 18

Chapitre 1

Voronin tira de la pile plusieurs enveloppes et se pencha pour caresser le chat. «Vous

aussi,

vous

avez

besoin

d’un

animal

de

compagnie, dit madame Komarov. Il n’est pas bon, pour un homme, de vivre seul.

— Ah, vous avez sans doute raison, mais je suis trop souvent absent, en voyage. » Voronin jeta un coup d'œil dans l'appartement de “madame Komarov. «Pensez-vous qu'il serait bon que j'entre pour saluer Yvan ? lui dit-il. — Vous en auriez le temps? demanda madame Komarov. Juste un tout petit numéro... Si vous saviez à quel point ça lui fait du bien!» Voronin entra dans la pièce où un jeune ado était assis à une table. En apercevant son dos courbé et son corps penché sur le côté, on devinait que ce garçon était handicapé. « Allo, monsieur Voronin.

— Allo, Yvan. Eh! Quel froid de canard aujourd’hui!

J'ai pensé m'arrêter un moment, le temps de prendre un bon bol de soupe.» Il regarda madame Komarov qui se

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dirigea vers la cuisine pour en revenir avec un bol de soupe et une cuillère. S'asseyant en face d’Yvan, Voronin prit sa cuillère, mais avant de la plonger dans la soupe chaude, il dit: «Ma cuillère semble croche. Voyons si je peux la redresser. » Et mettant une pression sur l’objet, la cuillère sembla se courber en deux. Le garçon riait de bon cœur. « Voyez, mère. Je crois

bien qu'il vient de briser votre bonne cuillère! — Je suis vraiment désolé. Si vous m'en donniez une autre, peut-être que... »

Et madame Komarov allait et venait de la table à la cuisine pour rapporter chaque fois un nouvel ustensile bien droit. C’est ainsi que Voronin «plia» une seconde cuillère, puis un couteau, une fourchette et deux couteaux à beurre. Les couteaux lui donnaient du fil à

retordre, mais Yvan semblait n’y voir que du feu. Quand Voronin se leva pour rentrer chez lui, il nota que les traits d’Yvan s'étaient adoucis et que ses joues avaient pris de la couleur. «Merci, monsieur Voronin, dit madame

Komarov

en l’'accompagnant jusqu’à la porte. Vos visites lui font toujours du bien. »

Ramassant son courrier, Voronin s’élança dans les escaliers, grimpa trois étages, tourna la poignée de la 20

Chapitre 1

porte qui s'ouvrit sur un minuscule appart en coin qu'il habitait depuis plus de vingt ans. Sur les murs, le plâtre craquait; le vent fit valser les stores usés et abaissés couvrant les fenêtres. Dans la pénombre, on n’apercevait qu'un petit lit de camp soigneusement rangé, une table de chevet remplie de flacons et de menus objets, une table de cuisine et ses deux chaises. Voronin tenta d'allumer une lampe, mais la lumière vacilla avant de s’éteindre. Il s'approcha de la fenêtre et remonta les stores. Il enleva ses foulards, ses manteaux et ses gants et lança le tout sur une patère. Il remplit une bouilloire d’eau, la déposa sur

le poêle et fit jaillir une flamme. Il se fit une tasse de thé avant de s'asseoir et d'ouvrir son courrier. Il avait examiné le contenu de plusieurs enveloppes lorsqu'il s'arrêta sur l’une d'elles, aux allures officielles. Il lut à voix haute: «Le ministère de la Culture désire vous rencontrer. Veuillez vous présenter à ses bureaux à neuf heures précises, mercredi matin.»

Voronin bondit de sa chaise et répéta sans cesse: «Le ministère de la Culture désire me rencontrer! Ce sont sûrement de bonnes nouvelles! »

Il tournait en rond dans son appart. Il finit par ouvrir la porte et jeter un coup d'œil autour dans l'espoir de croiser quelqu'un avec qui partager cette fameuse nouvelle. Il

se dirigea vers la fenêtre et l'ouvrit pour laisser entrer un vent de fraîcheur, mais la referma aussitôt. La neige s'engouffrait à l’intérieur. Voronin réalisa que les seules personnes à qui il voulait parler, en réalité, étaient les 21

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membres de la troupe. De toute manière, il les verrait demain matin — au travail.

D'un geste rapide, il enleva ses habits de travail. Puis, il remit un à un tous ses manteaux. Il s'étendit sur son lit, tenant la lettre sur sa poitrine. «Ce sont sûrement de bonnes nouvelles », murmura Voronin à voix haute. Quelques minutes plus tard, il dormait à poings fermés. 9

Au petit matin, Voronin prit en vitesse une tasse de

thé et une rôtie au beurre. Il remit ses vêtements de la veille et se précipita devant le miroir pour peigner ses cheveux. Il revêtit tous ses manteaux avant de dévaler l'escalier et de marcher dans les rues enneigées. Cette fois, il avançait d’un pas alerte. Il se retrouva devant l'édifice ornementé, mais décrépit du ministère de la Culture. En pénétrant dans le hall d'entrée glacial, il se retrouva devant tous les autres membres de la troupe du cirque alignés sur le mur.

«Ah bon! Vous êtes également invités?» lança Voronin en s’approchant.

Dmitri souligna : «Oh! tu croyais que le grand patron n'en avait que pour toi?»

LCA

Chapitre 1

. Haussant les épaules, Voronin s'installa sur une chaise, au bout de la file. Il ne l'aurait jamais admis, mais c'était effectivement ce qu'il avait espéré. Il aurait aimé qu'au cours de cette rencontre, on lui rende hommage à lui seul, personnellement. Les membres de la troupe avaient parcouru le pays ensemble et voyagé dans des autobus bondés et des trains glaciaux. Ils s'étaient rendus jusqu’à Vyborg et ses châteaux anciens; à Sotchi et sa mer Noire; à la lointaine Tomsk et ses reliques architecturales en bois. Ils étaient fiers de poursuivre une tradition centenaire ayant vu le jour à l'époque de Catherine la Grande, au temps où le cirque était un divertissement fort prisé dans toutes les couches de la société russe, peu importe l’âge, l'éducation et la classe sociale des spectateurs.

Par contre, ces tournées avaient perdu de leur attrait. Les lacs, les montagnes et les monuments étaient du déjà vu et ne parvenaient plus à faire oublier la dure réalité des tournées marquées par les douches à l'eau froide, les files d'attente interminables et une nourriture fade. La troupe rêvait de nouveaux horizons, et Voronin, plus que tout autre. À ses yeux, une nouvelle vie, riche et stimulante, passait inévitablement par le voyage et il était convaincu que c'était ce qui l’attendait, le jour où il deviendrait un

célèbre magicien.

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LA MAIN MAGIQUE

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Son optimisme proverbial déteignait sur ses camarades qui, de leur côté, comptaient sur lui pour les aider à garder le moral. Voyant la lassitude sur leur visage, Voronin se radoucit un peu. Tous étaient ensemble depuis si longtemps qu'ils étaient devenus comme une grande famille étendue, chacun ayant son rôle et ses alliances. Ils semblaient si déprimés! Voronin se leva et, déambulant au milieu de l'allée, chercha une idée, une façon de leur remonter le moral. Il passa devant Dmitri et Oleg, coincés dans les méandres d'une dispute personnelle. Les membres de la troupe s’agitaient de plus en plus — grillant des cigarettes ou se plaignant à demi-mot. Certains commençaient leurs étirements ou répétaient leurs numéros. Une jeune femme blonde entreprit de faire un double saut arrière qui la fit atterrir littéralement sur Voronin.

«Oh! pardonnez-moi, Voronin! J'ignorais que vous étiez là. — Belle envolée, Katia!» dit Voronin. Elle le salua d'une brève révérence et rejoignit ses deux sœurs, Katerina et Klara, assises et tenant sur leurs genoux un épais volume. Si les sœurs acrobates Ovinko furent les pucelles de la troupe pendant longtemps, on avait du mal à saisir quel était leur statut, maintenant qu'elles étaient dans la vingtaine avancée. Les trois sœurs étaient une variation sur

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Chapitre 1

trois thèmes — une belle intelligence, un cou élancé et de grands yeux. Deux étaient blondes, l’une — l’aînée — était brune.

«Cette attente nous fait perdre nos heures d'étude », se plaignait Katerina à Voronin. Klara était du même

avis. « Avec le travail et les

répétitions, il ne nous reste plus que deux heures à consacrer à nos études.

— Votre père serait fier de vous savoir aussi assidues », répondit Voronin d’une voix grave.

Leur père, Viktor, avait été un ami de Voronin. Il fut acrobate au sein de la troupe. Il avait toujours promis à ses filles qu'elles pourraient poursuivre leurs études lorsqu'il aurait pris sa retraite. Mais, il mourut subitement d’un arrêt cardiaque. Les filles avaient alors fait le pacte d'entreprendre aussitôt leurs études ensemble. Viktor était mort depuis six ans maintenant et les trois sœurs traînaient toujours leurs livres d'études avec

elles, peu importe leur destination. Le soir, après leur répétition et le spectacle, elles se faisaient la lecture, recroquevillées dans le même lit sous d'épaisses couvertures de laine. Les trois sœurs rêvaient toutes d'entrer un jour en médecine: leurs livres d'études traitaient, entre autres, d'immunologie, de physiologie humaine et de l'anatomie de Gray.

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LA MAIN MAGIQUE

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Xavier et Zoe étaient assis près des trois sœurs. Ces

formidables trapézistes formaient le seul couple marié au sein de la troupe. Ils étaient si heureux ensemble qu'après vingt ans d’un mariage idyllique, ils n'avaient d'yeux que pour eux deux et ne se quittaient jamais. À leurs côtés se trouvaient Irena et Lev. Bien assis sur leur chaise, ils avaient pris soin d'enrouler des chandails de laine et de les glisser sous leurs pieds pour les soulever. Irena et Lev partageaient un numéro d’acrobatie et vivaient ensemble depuis des années — depuis leur adolescence. Irena avait gardé la fraîcheur et la gentillesse d’une princesse de conte de fées, avec ses cheveux blonds en cascade et son visage angélique. Lev était aussi d’une grande beauté, avec ses cheveux blonds bouclés et son corps d’athlète. Mais, allez savoir pourquoi, ils n'étaient toujours pas mariés. «Comment vont les amoureux ? demanda Voronin.

— Bien, Voronin», répondit Irena dans un demisourire, mais Lev laissa échapper une sorte de grogne-

ment: «Nous sommes fatigués, comme tout le monde. S'il nous envoie à nouveau en tournée, cette fois, je crois ‘bien que j'abandonne. — Tu ne le feras pas, insista Irena.

— Oui, je le ferai! s'écria Lev. Je suis encore jeune et capable — pourquoi devraient-ils me tenir toujours en laisse? 26

Chapitre 1

— Et votre charmante femme, dit Voronin, ne me dites pas que vous la laisseriez seule derrière vous ? »

Lev la regarda dans les yeux en disant: « Bien sûr, elle peut toujours venir avec moi. »

Roulant les yeux, Irena se tourna vers Svetlana qui faisait une flexion avant. On la voyait rarement dans une position normale, car cette artiste semblait constamment occupée à faire bouger son corps — le grand écart, des flexions ou des contorsions complexes — comme si sa peau était faite en caoutchouc. De dix ans son aînée, Svetlana était devenue la conseillère et la confidente de la jeune Irena. Depuis sa naissance, elle appartenait au cirque. Toutefois, elle avait toujours cru qu’elle en sortirait à temps pour s'offrir une autre carrière ou pour se marier. Il n’en fut rien. Piégée par les voyages et la camaraderie au sein de la troupe, elle s'était profondément attachée aux habitudes de cette vie de troubadour. À quoi bon s'enticher d’un homme charmant rencontré en tournée, sachant qu’au bout d’une semaine, elle plierait bagage et quitterait les lieux avec la troupe pour offrir son

spectacle dans une autre ville? Son attachement, elle le réservait à ses camarades de voyages et collègues de travail avec qui elle avait tissé des liens solides,

indestructibles.

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Certains soirs, alors qu'elle tricotait dans sa chambre un long foulard noir destiné à personne, elle se demandait si un jour elle trouverait l'amour. En l'observant, Voronin ne put s'empêcher de noter combien ses cheveux bruns et soyeux se mariaient magnifiquement à son teint pêche. Il la voyait habituellement vêtue de son costume de scène — affublée d'une lourde perruque rose et d'un maquillage élaboré, ce qui lui donnait des airs de poupée de chiffon que l'on aurait trop ballottée.

«Comment fais-tu? lui dit Voronin, admiratif devant Svetlana qui dépliait élégamment son corps pour retomber sur ses pieds. — Eh bien, moi aussi, j'ignore comment tu arrives à faire ces tours de magie!»

Il se sentit rougir. Il n'avait pas l'habitude de se faire complimenter, en particulier par les dames. Il le savait bien, il n'était pas aussi doué qu'il l'aurait souhaité, mais il le deviendrait un jour à force de travail et de détermination. Et même lorsqu'il faisait des erreurs en présentant ses tours de magie, les membres de la troupe toléraient ses imperfections sur scène tout comme ses éternelles déclarations sur ce brillant avenir qui, disait-il, l'attendait.

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Chapitre 1

«Un peu de répétition, un peu de patience, dit-il à Svetlana. Tout se joue entre nos deux oreilles — le succès comme l'échec. Il faut croire en soi!» Soudain, Voronin se mit à tousser, incommodé par un nuage de fumée. Svetlana tourna la tête et aperçut sa colocataire, Mariska, vêtue d’une robe «justaucorps » dessinant ses courbes, qui grillait passionnément une cigarette.

«Tu n'as pas le droit de fumer ici, lui lança Svetlana d'un ton irrité. — Je suis une cracheuse de feu. Non mais, tu t'attendais

à quoi, au juste? répliqua Mariska de son accent de fille de rue. Je m'exerce, tout comme toi. J'inhale du feu — le concept est le même.

— Je croyais que tu avais abandonné la cigarette et la vodka, lui dit Voronin. — Vraiment? Tu m'en diras tant. Et depuis quand t'intéresses-tu à mes petites habitudes personnelles, Voronin ? » Voronin tourna les talons sans rien dire. Ce ton sarcastique le rendait nerveux. Il ne savait jamais quoi répondre à Mariska lorsqu'elle lui lançait son venin au visage.

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LA MAIN MAGIQUE

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Les autres membres de la troupe étaient en grande conversation. Quatre jeunes hommes

et amis conver-

saient intimement et formaient un cercle fermé. Il y avait Peter Piofsky, maître du cerceau, flamboyant et bien campé, arborant un épais maquillage et des cheveux blonds hérissés ;Sergey, magnifique jongleur et charmant playboy; Rustam, maître du vol acrobatique et grand introverti; et Matvei, jouant le double rôle de clown et d’animateur de foule. Voronin reprit sa place à côté de Dmitri et d'Oleg, qui semblaient sur le point de mettre fin à leur discussion enflammée. Ces deux-là étaient les joueurs de tours par excellence de la troupe. Ils faisaient partie du cirque depuis leur plus tendre enfance. Quel couple étrange! Dmitri était un grand costaud aux cheveux noirs; Oleg était trapu et corpulent. Sans costume ni maquillage, ils n'avaient rien de bien réjouissant. Des poches sous les yeux, des épaules tombantes. Voronin enleva son chapeau laissé sur sa chaise avant de s'asseoir. Il cherchait à se mêler à la discussion.

«Qui sait ?On t'enverra peut-être en Sibérie, dit Oleg. — En Sibérie? Tout ça pour m'être approprié une

boîte de sauce au chocolat ? » répondit Dmitri. Oleg soupira. «J'en ai marre de parler de ça.»

30

Chapitre 1

Par contre, Dmitri n'était pas du même avis. «Tu perds la tête ou quoi? En Sibérie? Non.» Il prit un moment pour réfléchir. «En Mongolie, peut-être, mais sûrement pas en Sibérie. »

Voronin s’aventura. « Vous croyez que l’on nous enverra à nouveau en tournée ? » Oleg rit amèrement. «Oh! que si. De la Sibérie à la Mongolie, et vice-versa. » Voronin répondit :«Eh bien, je n'irai pas. Je pars pour l'Amérique. » Oleg lui donna un coup de coude, tandis que Dmitri lui fit signe de baisser le ton, en disant à voix haute pour que tous l’entendent.

« Toujours

la même

rengaine,

hein? L'Amérique! Ha! Ha! Très drôle!» Se penchant vers Voronin,

il lui glissa à l'oreille: «Fais attention,

voyons, tu sais bien que l'on ne peut pas parler de cela ici — Je ne veux même pas aller en Amérique, dit Oleg. Enfant, on me répétait sans cesse qu’un jour ou l’autre,

l'Amérique détruirait mon pays.» Voronin a feint de ne rien entendre. Il se pencha vers Oleg en murmurant: «J'irai au Château magique, en Californie — c’est la plus prestigieuse société de magiciens au monde. Pour tout magicien, c'est sans contredit l'endroit le plus merveilleux sur terre. Un 31

LA MAIN MAGIQUE

DE LA CHANCE

jour, on y verra ma photo sur le mur, juste à côté de celle du grand Houdini.» Ce vieux rêve, Voronin le caressait depuis fort longtemps, des années. En fait, depuis qu'enfant, il avait dû apprendre à survivre aux coups et à l'intimidation dont il était victime, lui, le fils de la famille la plus pauvre du village. À l'époque, ses souliers percés provoquaient les railleries tout comme son visage émacié qui semblait usé et vieilli avant son temps. Sa figure était semblable à celles représentées sur des statues ornant l'église orthodoxe russe, au dôme doré, où la mère de Voronin amenait toute sa petite famille le dimanche matin. Lui et ses quatre sœurs prenaient place sur un banc bigarré. Entourés d'encens, de dorures et de belles paroles, les enfants profitaient de la chaleur ambiante et se sentaient en sécurité pour au moins une heure ou deux.

Puis, les autres enfants se moquaient

aussi des

parents de Voronin — de son père qui passait une partie

de la journée à inspecter les ordures des voisins, fouillant sans relâche pour trouver de quoi nourrir sa famille; le reste du temps, il buvait pour oublier ce qu'il venait de faire, alors que sa vieille mère, foulard rouge et joues usées, s'échinait dans les champs de blé.

Voyant cela, le jeune Voronin prit consciemment la décision de concentrer ses énergies ailleurs, vers quelque chose de plus grand et de plus lumineux. Il y avait cet oncle, ancien artiste de scène, qui lui enseignait quelques

92

Chapitre 1

tours à chacune

de ses visites. Des foulards sortaient miraculeusement de ses manches et des cartes émer-

geaient de son chapeau. Voronin étudiait les moindres gestes de son oncle, car il voyait bien que chaque fois qu'il faisait un tour de magie, tous les yeux étaient rivés sur lui, même s’il faisait des erreurs et même s’il s'amusait à faire des trucs aussi simples que de faire disparaître une pièce de monnaie déposée au creux de sa main.

«Comment fais-tu cela?» demandaient les garçons qui, auparavant, se moquaient de Voronin.

Non seulement les garçons étaient fascinés par son talent, mais les filles également — ces mêmes filles qui, par le passé, refusaient de lui donner l'heure quand il la demandait, des filles fascinantes dont la chevelure tressée avec complexité laissait Voronin songeur — pas de doute, ces tresses à la couleur de noyer étaient solides comme de la corde. Quand Voronin s'installait dans un coin pour faire ses tours de magie, il détectait une certaine impuissance dans le regard admiratif de ces jeunes qui le regardaient. Si Voronin « devinait » la carte qu'ils venaient de tirer du lot, ils s'écriaient en chœur: «Oh, Voronin!» sur un ton

nouveau, empreint de respect cette fois. «Non mais, t'as vu ça? C'est incroyable!»

33

LA MAIN MAGIQUE

DE LA CHANCE

Bientôt, Voronin commença à travailler au champ, lui aussi, mais qu’à cela ne tienne, jamais il ne cessa d'exercer ses tours de magie.

Il comprit que les gens désiraient croire en la magie, sous une forme ou une autre. Ils avaient le sentiment qu'une autre force agissait sur le monde, une force invisible sur laquelle on n'avait aucun pouvoir et qui, un jour, pourrait leur être profitable. Voronin avait un héros: Houdini. Il aimait croire qu'ils avaient bien des choses en commun tous les deux. Houdini était né à Budapest, une ville glaciale où la vie était difficile. Son père rabbin l'avait emmené en Amérique; ils étaient si pauvres que Houdini se fit cireur de chaussures. Ce fut son lot jusqu'au jour où son père l'emmena voir un magicien troubadour. À partir de cet instant, sa passion pour l’art de la scène fut toujours plus forte que tout. Houdini avait confiance en lui et savait éveiller les passions. Il savait charmer les spectateurs et les garder en haleine — des qualités que Voronin voulait posséder à tout prix.

Enfant, Voronin savait déjà qu'il lui faudrait quitter l'Union soviétique pour réellement réussir. Il voyageait en autobus pour se rendre dans des bibliothèques poussiéreuses où il passait des heures à fureter dans

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Chapitre 1

les livres, à la recherche de photos de lieux exotiques comme les canaux d'Amsterdam, le Louvre, baignant dans une lumière dorée. C'étaient de vieux bouquins. Et puis après?Ces villes et leur splendeur étaient là pour rester. Elles attendraient patiemment son arrivée éventuelle, inévitable. Il suivrait les traces de Houdini et sauterait dans la Seine, à Paris. Menottes aux poings, il s'évaderait de Scotland Yard ou d'une cellule de torture en Chine dans laquelle on l'aurait attaché la tête en bas.

Chaque fois qu'il se décourageait, il se remémorait la vie de Houdini et de toutes ces années où sa carrière semblait battre de l'aile.

Cependant, ce qui frappa avant tout l'imaginaire de Voronin fut la vie prospère et ensoleillée de l'Amérique et surtout de la Californie. C'était le lieu de ses rêves, le plus grand de tous ses rêves. Il avait fait toutes les bibliothèques pour trouver, en photo couleur, la meilleure représentation

qui soit de la vie parfaite, en Amérique. Il se pâmait juste à la regarder. Une famille souriant à belles dents, dans une voiture rouge décapotable filant à toute allure sur une autoroute déserte — avec en arrière-plan les lettres flamboyantes d'Hollywood. Le vent dans les cheveux, juste ce qu’il faut pour soulever les boucles de la mère et de sa fille. sans pour autant déranger les feuilles de palmier ni les cheveux sombres et bien placés du père et du fils. Le soleil brillait à l'horizon, dans un ciel d’un bleu éternel.

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LA MAIN MAGIQUE

DE LA CHANCE

Voronin se fit la réflexion qu'il aimerait cette photo plus que toute autre, sa vie durant. Il se rendit aux toilettes et, avec son canif, découpa avec soin la photo — son seul et unique crime. Un jour, cette photo sera peut-

être à son image, elle le représentera, lui et sa vie. Plus tard, Voronin fit une découverte importante — le portrait de Houdini de même qu'une réplique de la pièce qu'il réservait aux séances de spiritisme se trouvaient dans le Château magique de Los Angeles, une magnifique maison victorienne abritant un théâtre réservé aux plus grands magiciens de ce monde. Il avait lu un article sur cette «Shangri-La», publié dans un journal interdit et que le fils d’un cousin fugitif avait secrètement introduit au pays. Dans cet article, on racontait que le Château magique était un club privé où logeait l'Académie des arts de la magie, un organisme voué à l'avancement de cet art ancien. Cette association voulait encourager et

promouvoir la pratique de la magie et alimenter l'intérêt du public tout en préservant l’histoire de la magie — comme forme d'art, divertissement et passe-temps. De ses 150 membres au moment de sa constitution, ce regroupement était devenu un organisme et une fraternité

mondiale comptant près de 5000 membres, pouvait-on lire.

Et bientôt 5001, songea Voronin en parcourant ces lignes.

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Chapitre 2

Sortant de sa rêverie, Voronin ouvrit les yeux et se secoua

un peu. Il devait rester alerte et attentif aux lieux: il était assis sur une chaise droite, dans le corridor du ministère de la Culture. À ses côtés, Dmitri et Oleg se disputaient toujours. Il jeta un coup d'œil à sa montre. Ça faisait bien cinquante minutes qu'ils attendaient d’être reçus par le ministre pour savoir ce qu'il avait tant à leur dire. À cet instant précis, la porte du bureau s’ouvrit enfin. Tous se levèrent d’un bond et restèrent debout, se tenant droits comme des soldats.

«Enfin!» murmura Oleg pendant qu'ils entraient à la queue leu leu dans le bureau du ministre.

Habituellement, une rencontre avec le ministre était porteuse de mauvaises nouvelles. Soit que l’un d'eux ne s'était pas conformé aux règlements, soit on voulait les

LA MAIN MAGIQUE

DE LA CHANCE

mettre en garde, leur dire de faire attention au décorum, à leur façon de se vêtir ou à leur consommation d'alcool. Le ministre, un ancien militaire portant toujours

l'uniforme, adorait relever leurs multiples infractions; les occasions de commettre des erreurs étaient infinies! Son bureau était encore plus sombre et plus glacial que le hall d'entrée. On y retrouvait de vieux meubles en bois et des piles de dossiers en désordre, estampillés du sceau officiel. Les membres de la troupe formaient deux rangées bien serrées, au coude à coude. On pouvait lire sur leurs visages un mélange d'espoir et d'exaspération. Le ministre était un petit homme trapu. Le cheveu

soigneusement placé, il portait de minuscules lunettes qui mettaient en relief ses yeux rougis. Avec la rigidité du militaire, il aimait garder les membres de la troupe au garde-à-vous en leur récitant une litanie de règlements qui s'adressaient à tout ce qu'ils pouvaient désirer entreprendre, naturellement. Ces règles semblaient avoir pour seul objectif de gâcher leur plaisir.

Comme toujours, le ministre s’apprêtait à leur parler avec la même arrogance, le même ton pompeux. Il attendit que tous entrent et s'installent le long du mur, dressant l'oreille pour écouter son message. « Aujourd’hui, j'ai de bonnes nouvelles. Vous avez été choisis, vous partez pour une longue tournée internationale. »

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Chapitre 2

La troupe trépignait de plaisir et de surprise. Tous se regardaient en souriant, excités d'apprendre pareille nouvelle. Voronin prit la main de Dmitri avec excitation, mais ce dernier la retira précipitamment. Le ministre les dévisagea et mit fin à ces élans d'enthousiasme en disant: «Vous souriez? Vous pensez partir en vacances, peut-

être? Détrompez-vous. Vous trimerez dur — pour votre pays. Vous voyagerez dans des contrées hostiles à travers tout le continent. Vous mènerez une vie des plus austères. Vous serez peu payés et, suivez mon conseil, épargnez le peu que vous gagnerez. Vous serez constamment surveillés et supervisés. Vous serez confinés aux limites territoriales du cirque ou encore de l'hôtel et de tout autre lieu, selon ce qu'en décidera le camarade Konstantin Vasilyev. » Konstantin, grand et sinistre monsieur aux cheveux

bruns et aux petits yeux, sortit de l'ombre pour faire un bref salut de la tête avant de retourner dans son coin. «Et si jamais il devait y avoir confusion sur les frontières des lieux en question, le camarade Vladimir Demidov se fera un plaisir de vous les préciser. »

Vladimir se leva. Il avait le front dégarni, le regard sérieux et une carrure intimidante. On aurait dit un garde du corps. Le ministre commença son discours: « Ne vous avisez

jamais d'oublier que l’Union soviétique est le seul pays

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DE LA CHANCE

doté d’une université vouée aux arts du cirque, et ce, depuis 1919! Souvenez-vous que nous sommes les seuls à offrir aux artistes de la scène une formation complète, en gymnastique, pour l'intégrer aux arts du cirque. N'oubliez jamais votre héritage et faites-y honneur! Depuis que le cirque de Moscou fait des tournées, nous avons offert des spectacles impressionnants qui ont contribué à faire évoluer l’art du cirque contemporain à travers le monde. Ces spectacles font la promotion de nos valeurs! Vous appartenez à cette lignée — et nous comptons

sur vous

pour défendre notre réputation. » Ce discours, ils l'avaient entendu maintes et maintes fois. Dmitri était debout devant, le regard contrarié, pendant qu'Oleg étouffait un bâillement. Mais, depuis toujours, Voronin était touché par ces élans oratoires qui lui tiraient presque des larmes, même s’il voulait désespérément fuir le pays. Cette histoire qui était aussi la sienne ne cessait de l'émouvoir, peu importe ce que l'avenir lui réservait.

«Voici les règles, poursuivit le ministre. Pas de sorties nocturnes. Ne vous mêlez pas aux étrangers. Surtout, évitez les Espagnols et les Danois. Il n’y aura pas de beuverie. On ne tolérera aucune manigance. Pas de magouilles, peu importe les circonstances! Vous êtes autorisés à faire une petite fête, comme il se doit, pour souligner un anniversaire ou une bonne nouvelle, mais sans plus! Votre but, c'est de divertir les gens et de faire honneur à votre pays. Veuillez vous y appliquer avec le plus grand soin. »

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Chapitre 2

Martelant le sol d'un pas militaire, le ministre quitta le bureau. Il y eut un long moment de silence, puis une explosion de joie. —10/0/9—

Le lendemain matin, Voronin avait encore une fois mis sur son dos tous ses manteaux. Il portait dans une main une valise et dans l’autre son chapeau. D'un regard inquisiteur, il fit le tour de l'appartement. Les stores étaient baissés, les lumières, éteintes. Tout était clair et net comme si personne n'avait jamais habité les lieux. On lui avait assigné cet appart depuis tant d'années qu'il se souvenait à peine d’avoir vécu ailleurs, avant. Étonné, il réalisa qu'il avait une boule dans la gorge, comme s’il s'apprêtait

à quitter

un

vieux

copain

devenu

trop

ennuyeux.

D'un geste solennel, il referma doucement la porte derrière lui comme pour éviter de réveiller ceux qui auraient pu y dormir encore, de si bonne heure. Il prit le corridor et tourna le coin, mais il revint sur ses pas et entra dans son appartement. Après avoir enlevé trois de ses manteaux, il les accrocha sur la patère. Il sortit de son appartement, vêtu cette fois d’un simple manteau de laine noire, ajusté au corps. Sur le seuil de l'escalier, il resta immobile devant la porte d'entrée de l'appartement d’Yvan. Il hésitait,

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ne savait trop que faire. Avant même qu'il ne fasse un geste, la porte s'ouvrit et madame Komarov le dévisagea longuement en silence. Puis, elle baissa les yeux sur sa valise.

«Vous partez au loin ?» dit-elle dans un murmure.

Il hocha la tête. « Oui, très loin. — Et vous reviendrez, cette fois ? » Il hésita. « J'espère que non. » Elle opina du bonnet.

«Que dois-je faire au sujet d’Yvan?» demanda-t-il. Après un moment de réflexion, elle répondit: «Nous devrions peut-être le laisser dormir. Vous faire ses adieux — non, il serait trop triste aujourd’hui. Je n'en parlerai pas, à moins que ça ne vienne de lui. »

Voronin hésitait toujours. «Ne vous faites pas de souci, lui dit la mère d’Yvan. Vous lui avez apporté tant de joies pendant toutes ces années. Aujourd'hui, il croit à la magie. Je vous demande seulement de vous souvenir de nous. » Voronin avait les larmes aux yeux. «Comment pourrais-je vous oublier?» Il la serra contre lui. Il se dirigeait vers la porte pour affronter un matin enneigé

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Chapitre 2

quand il ajouta: « Dites à Yvan que nous nous reverrons.

J'en fais la promesse. » —10/0/=——

Vingt minutes plus tard, Voronin grimpait dans un immense autocar en compagnie de la troupe. Il prit un siège près d’une fenêtre, posa son chapeau sur ses genoux. Le jour se levait à peine, mais tout le monde

affichait un large sourire, l’excitation se lisait sur tous les visages. Tous allaient enfin s'évader, ne serait-ce que pour une courte période. Derrière eux, on apercevait le convoi de deux autocars remplis de costumes, d'outils de travail et d'équipements sophistiqués nécessaires à la mise en scène d’un tel spectacle. Le convoi attirait les regards avec cette inscription rouge et bleu apparaissant sur les côtés des autobus, «Cirque de Moscou en tournée ». Et que dire de ces peintures aux couleurs vives montrant une femme vêtue de paillettes, un Monsieur muscles, un magicien aux cheveux noirs beaucoup plus beau et plus jeune que Voronin, accompagné de son adjointe aussi blonde que sexy?

On a entendu les moteurs tourner. Les autocars ont démarré et se sont lentement aventurés dans les rues de la ville. Le visage collé à la fenêtre, Voronin a regardé défiler ce morne paysage aux arbres dénudés, aux grands édifices dépersonnalisés. Des chiens d’une maigreur extrême montraient des dents et aboyaient sur leur passage. La fenêtre renvoyait le reflet du visage de Voronin, empreint de désir, de peur et d'émerveillement. 43

LA MAIN MAGIQUE

DE LA CHANCE

Pendant des kilomètres, rien à voir, sinon des immeubles, des statues et des usines défilant sous leurs yeux. Soudain, des champs, des prés et des petits villages dispersés ici et là ont fait leur apparition. Dans un bourg, une vieille femme, la tête recouverte d’un foulard noir et s'appuyant sur son balai devant l'entrée de sa maison, les salua de la main. Voronin fut le seul à lui répondre. Envoyant la main à son tour, il murmurait: « Au revoir. Au revoir, mon vieux pays.»

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Chapitre 3

[is ont mis plus de trente heures pour faire le trajet entre Moscou et leur destination, une petite ville en banlieue de Zurich. Pendant tout le voyage, la plupart des artistes en ont profité pour dormir, à l'exception de Voronin qui a préféré prendre des notes et noircir des pages, couchant sur le papier ses pensées et ses impressions sur ces pays qu'ils traversaient en autocar: Belarus, Pologne

et Allemagne. «Nous avons parcouru près de 2700 kilomètres ou, si vous préférez, 1677 miles!» annonça-t-il fièrement quand le bus finit par faire un arrêt dans une halte routière afin de permettre aux artistes de se dégourdir un peu.

Bien sûr, le conducteur avait consenti quelques courts arrêts, chemin faisant, pour répondre aux besoins naturels des voyageurs, mais la troupe pouvait

LA MAIN MAGIQUE

DE LA CHANCE

réellement goûter le bon air frais et la beauté des paysages alpins pour une première fois. «Une heure d'arrêt!» cria Konstantin aux artistes qui rechignaient et voulaient un peu plus de temps pour explorer les environs. N'ayant jamais franchi les frontières de l’Union soviétique, ils se précipitèrent dans la première boutique de cadeaux rencontrée au passage et rentrèrent à l'hôtel les bras chargés de souvenirs que l'on pourrait qualifier de «clichés ». Le drapeau national de la Suisse, des fromages et du chocolat enveloppés dans du papier doré. Oleg et Dmitri ont tous deux opté pour un chapeau classique des Alpes orné de feuilles vertes. Sergey, pour sa part, s'adonnait au « yodle ».

Voronin fut le dernier rentré à l'hôtel. Il n'avait rien d'autre qu’une carte géographique dans les mains et une expression béate sur le visage. « J'ai pris le tramway et j'ai vu les Alpes, j'ai vu des architectures en acier et beaucoup de banques. L'argent coule à flots ici! Et j'ai mangé une fondue au fromage. »

Il était rouge d’excitation. Konstantin et Vladimir se sont regardés, perplexes. «D'accord. Vous vous êtes bien amusés. Et maintenant,

au travail!» lança Konstantin.

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Chapitre 3

Ils sortirent à la file indienne. Le concierge derrière son comptoir les accueillait un à un avec un large sourire: « Wilkommen'. Wilkommen.» Dans bien des villes, on retrouvait de grands théâtres ou d'immenses halls où la troupe pouvait jouer. Cela dit, le spectacle du cirque était toujours présenté sous un grand chapiteau, peu importe où ils se rendaient en tournée. Des ouvriers qualifiés et formés suivaient le convoi avec les outils nécessaires pour monter la tente. Ce chapiteau était habituellement installé dans un champ ou un terrain vague, comme C'était le cas aujourd’hui.

L'homme de main de la troupe, Valentin, supervisait le travail des ouvriers et s’affairait discrètement dans les allées pour superviser l’équipe technique. « Menuisiers, à vos postes. Eh! toi, attention au système d'éclairage. » Certains clouaient des planches de bois. Des hommes montaient les gigantesques toiles à l’aide de câbles et de cordes avant de les fixer au sol. Ils recouvraient le tout d’une toile faisant 38 mètres de circonférence. Confectionnée en France, cette toile rouge et blanche donnait au chapiteau un style européen qui pouvait abriter jusqu’à 1 500 spectateurs. On décorait l’intérieur du chapiteau d'objets divers: un tapis rouge couvrait le sol, des chandeliers créaient une ambiance, des rideaux

de théâtre cachaient la scène. Il fallait des heures pour peaufiner le tout. 1.

«Bienvenue», en allemand.

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LA MAIN MAGIQUE

DE LA CHANCE

Konstantin observait Valentin lorsque ce dernier ouvrit enfin le rideau, dévoilant la richesse du décor. Les éclairages étaient en place et on avait aussi pris soin d'allumer des chandelles.

Au même instant, Voronin avait pris miroir, dans sa minuscule loge. Chapeau de cartes en mains, il répétait ses tours s'arrêta un moment pour vérifier s’il quelque chose.

._

place devant son sur la tête et jeu lorsque Valentin avait besoin de

Voronin pointa sa table du doigt. «Sur scène, je dépose mes objets sur cette table. Elle a besoin d'être solidifiée. Sinon, elle risque de chavirer. Tu peux t'en occuper ?»

Valentin se pencha pour examiner la table. En passant, Konstantin jeta un coup d'œil à sa montre. «En scène dans cinq minutes!» lança-t-il.

Valentin s'excusa: « Désolé, je n'ai pas le temps. Je le ferai plus tard. »

Valentin s'éloigna en vitesse. Voronin se regarda dans le miroir et prit une grande respiration. Il entendit un roulement de tambour puis la voix de Peter qui accueillait la foule. Il savait qu’au second roulement de tambour, Peter ferait une pirouette et que le spectacle commencerait.

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Chapitre 3

Dmitri et Oleg ont bondi sur scène, se lançant à la poursuite de Peter et faisant retentir la trompette. Ils sont tombés par terre et ont remonté leur pantalon trop grand, sous les rires d’une foule conquise. Ils avaient le visage peint en blanc, portaient un nez aussi rouge que

rond et des souliers usés d’une taille démesurée. Dmitri jouait un personnage nonchalant aux côtés d’un Oleg plutôt maniéré. Les deux «comparses » multipliaient les crocs-en-jambe et faisaient des roues arrière. Leur plus grand plaisir était de pincer l’autre, dès qu'il détournait le regard. Ces artistes semblaient bouger naturellement, un peu comme des enfants. En réalité, ils étaient formés pour la comédie et le théâtre. Tous deux avaient fréquenté le studio d’art clownesque du cirque de Moscou. Ils quittèrent la scène en courant, transportés par un tonnerre d’applaudissements. « Nous faisons rire les gens, nous leur donnons de la joie. Quel autre travail nous

permet d'en faire autant ? » demanda Oleg en sueur et au pas lourd. Matvei présenta les sœurs Ovinko qui firent une entrée fracassante et acrobatique. Vêtues d’un justaucorps blanc agrémenté de lacets et de dentelles, elles avaient tiré leurs cheveux blonds vers l'arrière. Les sœurs Ovinko ont alors entrepris une série de sauts audacieux

au travers des cerceaux en feu. Elles ont ensuite effectué des contorsions sur une corde suspendue haut dans les airs. Les spectateurs penchaient la tête pour regarder ce

numéro qui leur donnait la chair de poule. Quand les

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LA MAIN MAGIQUE

DE LA CHANCE

sœurs sont venues les saluer devant la scène, elles furent

chaudement applaudies. Elles sont sorties en courant, tout sourire.

Puis, Svetlana s'est amenée sur scène, avec sa perruque rose et son épais maquillage, accomplissant de grands écarts qui semblaient irréalisables pour un corps humain. Son dernier numéro — celui d'une poupée contorsionniste dont les bras semblaient se séparer du corps — a littéralement soulevé la foule en délire.

Sergey, monté sur un unicycle, jonglait avec des chapeaux et des cerceaux. Voronin viendrait ensuite. Il se tenait dans les coulisses, attendant nerveusement son tour. Il était étonné d’avoir autant le trac. Il avait toujours cru que le jour où il jouerait dans un pays libre, il verrait éclore tout son talent et offrirait sa meilleure performance de tous les temps.

Il plongea la main dans sa poche et chercha du bout des doigts la photo de la Californie rangée dans une petite pochette de talismans qu'il gardait toujours sur lui. Il ne la trouva pas. Il chercha un autre objet auquel s’accrocher — et tomba sur la photo de Houdini. Quelle était donc cette célèbre citation qu'on lui attribuait au sujet de la peur? Il feuilleta rapidement son petit carnet. Il l'avait notée quelque part, il en était sûr.

«Ah, la voilà : “Ma principale tâche fut de vaincre mes peurs. Le public ne voit que la joie d'accomplir un tour de magie; il ignore tout de l’abominable entraînement 50

Chapitre 3

préliminaire que l’on doit s'imposer pour vaincre la peur... Nul, à part moi, ne peut évaluer la somme de travail que ce métier exige au quotidien, sans me laisser un seul moment de répit” » Voronin la relut deux fois plutôt qu’une, prit une grande respiration. Déjà, Matvei le présentait à la foule.

«Mesdames et messieurs, le magicien que vous vous apprêtez à voir est si talentueux que nous ignorions

qu'il faisait partie du spectacle jusqu'au lever du rideau. Accueillez chaleureusement Yevgeni Petrovich Voronin!» «Bonne chance!» lança Dmitri à Voronin qui entrait en scène.

Il commença par son célèbre tour de magie: lancer des cartes dans les airs et les rattraper de manière étrange. Il scrutait les spectateurs. Il aimait repérer dans la salle une personne sympathique sur qui fixer son regard pendant son numéro. Cependant, l'éclairage était si faible qu'il ne pouvait distinguer les visages. Tout ce qu’il voyait était un mince nuage doré qui semblait flotter sur l'assistance. Il réalisa que c'était l'effet inattendu des nombreuses têtes blondes de la gent féminine, en Suisse. Il fit apparaître un bouquet de fleurs qui semblait sortir étrangement de son dos; ce truc suscita de timides applaudissements. Voronin déposa les fleurs dans un vase placé sur la table, qui valsa et bascula, comme il le redoutait. D'un geste rapide, il redressa la table avant de 51

LA MAIN MAGIQUE

DE LA CHANCE

passer au numéro suivant. Des coulisses, Svetlana, Lev et Irena l’observaient.

Voronin plaça son chapeau sur la table et commença à tirer doucement sur une corde qui semblait en sortir. On aurait dit un charmeur de serpent. La corde se mit à s'enrouler vers l’intérieur du chapeau plutôt que d'en sortir. Le magicien tentait de la retenir et plongea la main sous le chapeau pour tirer à nouveau sur la corde. Alors, la manche de son veston se coinça sous le chapeau. Quand il parvint à tirer à nouveau sur la corde, sa manche se déchira bruyamment. Une vague de consternation emplit la salle, mêlée à des rires embarrassés et à de furtifs applaudissements. Ne sachant trop que faire, Voronin fixa la foule d’un regard vide. La troupe lui fit signe de sortir de scène. Comme il s'approchait des coulisses, Irena poussa légèrement Svetlana vers l'avant pour qu'elle soit la première personne que Voronin croiserait. Elle lui serra doucement le bras lorsqu'il sortit en courant. Lev et Irena bondirent sur scène, marchant sur les mains.

Réfugié dans sa loge, Voronin examina la manche déchirée de sa veste et s’assit un moment. Se regardant droit dans les yeux, dans le miroir, il dit à voix haute: «Ça va. Je dois répéter davantage. C’est tout. Je ne dois pas me décourager. »

Il plaça son chapeau devant lui et reprit ses exercices.

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Chapitre 3

À la toute fin du spectacle, il y eut un tonnerre d'applaudissements. La tête de Lev surgit dans l'encadrement de sa porte. « Voronin, tu peux sortir maintenant,

c'est fini. » Fronçant les sourcils, Voronin était concentré à faire entrer et sortir la corde de son chapeau. « Non, non, je dois m'exercer. Continuez sans moi. »

En coulisses, les membres de la troupe se faisaient l’accolade et trépignaient de joie. Comme toujours, Konstantin les observait froidement. Les applaudissements s'étiraient et s’amplifiaient. « Encore », lança Peter.

Toute la troupe courut à nouveau jusqu’au milieu de la scène, La foule en voulait encore.

De retour en coulisses, Konstantin les attendait, le regard sévère, «Ça suffit, maintenant. Bien joué, tout le monde. Vous avez quinze minutes pour tout remballer. » Konstantin tourna les talons. Les artistes, débités, se

sont dispersés et ont plié bagage. pe

Arrivés à l'hôtel, ils se sont engagés dans un étroit corridor où se trouvaient leurs chambres. Konstantin et Vlad surveillaient leurs allées et venues. Les artistes ont

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LA MAIN MAGIQUE

DE LA CHANCE

lentement gagné leur chambre en chantant en chœur un air traditionnel russe. «Chut!» fit Konstantin. Ils baissèrent la voix, mais continuèrent de chanter doucement la mélodie jusqu'au moment de fermer la porte de leur chambre. On l'entendait toujours, même derrière des portes closes.

Konstantin s'époumona pour se faire entendre de tous les chambreurs: «Quelqu'un peut me prêter 25 roubles ?» Soudain, le silence.

Regardant Vladimir d’un air entendu, Konstantin ajouta: «C'est bien ce que je pensais. » Il se rendit jusqu'au hall et se dirigea droit vers sa chambre. ——_—0/9=—

Svetlana quitta sa chambre pour se rendre aux cabinets. Irena la suivit furtivement. «Nous devons discuter. Je t'en prie. Je suis désespérée. Lev et moi sommes fiancés, en principe, mais il me traite comme sa sœur. Tu dois me conseiller. Je suis sérieuse, moi, mais comment l'en convaincre ? »

Svetlana regarda son amie, l'air songeur.

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Chapitre 3

«Sois plus directe, exprime-lui clairement tes sentiments. Sois plus chaleureuse, plus aimante lorsque tu lui parles. Montre-lui que tu l’aimes. Qui sait, il ignore peut-être que tu l’aimes profondément. — Mais bien sûr qu'il le sait! Comment pourrait-il en être autrement? Pourquoi serais-je demeurée à ses côtés, pendant toutes ces années, sans jamais fréquenter

un autre homme ? —

Vous êtes partenaires.

Ça ne veut pas néces-

sairement dire que tu l’aimes encore. Les hommes sont vraiment stupides, tu sais.»

Irena lui jeta un regard calme. « D'accord, je vais essayer.» Songeuse, elle dit: «Et toi, Svetlana? Tu es encore jeune. Toi aussi, tu devrais avoir un amoureux. — Ne t'en fais pas pour moi. Concentrons-nous sur

toi pour le moment. »

Irena la serra dans ses bras et allait s'éloigner quand Svetlana lui dit: «Attends. Il me vient une idée. Tiens, donne cela à Lev.» Elle tira de son sac à main ce fameux foulard noir qu'elle tricotait depuis des mois sans trop savoir à qui elle le destinait. Elle le remit à Irena. Le foulard était si long qu'il frôlait le sol. « Dis-lui que tu l'as tricoté pour lui. Les hommes adorent ce genre de choses. Tu auras l'air d’une femme au foyer, mais pas trop, tout de même.

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LA MAIN MAGIQUE

DE LA CHANCE

— Oh, je ne peux l’accepter. Tu as mis des heures à tricoter ce foulard. Et puis, Lev ne m'a jamais vue avec des aiguilles à tricoter. — Dis-lui que tu tricotais la nuit, pendant qu'il dormait. Il n'y verra que du feu. Crois-moi, les hommes sont stupides, on peut facilement les mener en bateau. » Souriante, Irena lui fit à nouveau l’accolade. « Alors,

dis-moi, qu'avons-nous à tant les désirer ? »

Svetlana haussa les épaules. «C'est ainsi!» Après le départ de Svetlana, Irena brossa longuement ses cheveux devant le miroir, déboutonna sa chemise de nuit pour se donner un air sexy. Elle revint à sa chambre. Calé dans le divan, Lev regardait à la télé une émission de cuisine — un chef suisse confectionnait une sauce au fromage de son cru. Irena venait d'entrer, mais Lev n'avait même bronché.

pas

«C'est quoi, ce genre d'émission ?» dit-il avec exaspération. Il voulait changer de poste, mais il n’y en avait pas d'autre. Irena vint s'asseoir sur le lit, près de lui, dans une pose qui se voulait aguichante. «Lev? dit-elle.

— Quoi? répondit-il, les yeux rivés sur l'écran. 56

Chapitre 3

— C'est merveilleux de voyager ainsi, tous les deux, de visiter différents pays, tu ne trouves pas ? » Il maugréa quelque chose qui voulait dire oui sans quitter la télé des yeux.

« Lev, j'ai quelque chose pour toi. — De quoi s'agit-il?» Elle exhiba fièrement le foulard, long de 1 mètre et demi. «Qu'est-ce que c'est ? Une couverture? — Non, un foulard — tricoté juste pour toi. — Par qui? — Mais par moi, voyons. Qui veux-tu que ce soit?

Allez, mets-le. »

Il l'enroula autour de son cou à maintes reprises. On aurait dit qu'il hésitait. «Eh bien, c'est chaud. — Tu l’aimes?

— Bien sûr. Merci.» Lev était peu impressionné semblait l’'étrangler.

1

par ce foulard qui

LA MAIN MAGIQUE

DE LA CHANCE

«Qu'aimerais-tu faire, maintenant?» lança Irena en

adoptant une autre pose sexy, pendant que Lev enlevait son foulard.

Il resta songeur un moment «Parlons, tu veux bien?

avant de répondre:

— Oui? Je veux dire, oui! Bien sûr, mon amour, tu as raison. Parlons!» dit-elle avec enthousiasme.

Lev semblait vouloir aborder un sujet délicat, mais, de toute évidence, il hésitait. honnêtement ?

«Pouvons-nous

discuter

— Mais oui! répondit Irena tout en s'approchant. Nous devons être honnêtes ! »

Il hésitait encore. «Oui, mon amour ? De quoi s'agit-il?s'enquit Irena. — Est-ce que je deviens chauve ? lança-t-il précipitamment. Regarde ici, ajouta Lev en tournant la tête. Vois-tu quelque chose ? » Irena était atterrée, mais elle se pencha pour examiner la tête de Lev. Au-dessus de son crâne trônait un grand rond chauve d'une peau rose et brillante. «Non, Lev, je ne vois rien. Tu n'es pas chauve, pas le moins du monde. — Tu en es sûre?

58

Chapitre 3

— Oui, mon amour.

— Ouf! Je commençais à me faire du souci. Bien. C'est parfait. » Il lui fit un large sourire avant de tourner le regard vers le téléviseur. Le chef faisait toujours la cuisine.

«Qu'est-ce qu'il fabrique cette fois ? » dit Lev. y

ÿy—

Au fond du corridor, Voronin partageait une chambre avec l’acrobate aérien Rustam. Ce dernier ronflait à qui mieux mieux pendant que le magicien, chapeau et corde

en main, exerçait le numéro qu'il venait de rater pendant son spectacle. Le chapeau supérieur, fait de matière rigide, roula par terre. Réveillé par le bruit, Rustam grommelait. « Tu ne t'arrêtes donc jamais, Voronin?»

Étonné, le magicien rétorqua: « Bien sûr que non! Et Galilée, il s’arrêtait, tu crois ? Et Michel-Ange, il s'arrêtait, peut-être ? Et Houdini ?Qu'est-ce que tu crois ? M'arrêter ? Je n’y songe même pas. — Bon, bon. J'ai compris. Ça va!» Il secoua la tête,

donna un coup de poing dans son oreiller et ferma les yeux. —"/9——

59

LA MAIN MAGIQUE

DE LA CHANCE

Mariska et Svetlana partageaient également une chambre. La première mettait son vernis à ongles pendant que l’autre brossait sa perruque rose. « Tu as une cigarette ?demanda Mariska. — Non, tu sais bien que j'ai cessé de fumer.

— Moi aussi, mais il m'arrive d'en griller une de temps à autre.» La tête penchée, elle semblait concentrée sur sa tâche, mais jeta un coup d'œil furtif à Svetlana. « Qui sait, Ernest m'en donnera peut-être une plus tard. — Ernest? Qui c'est, celui-là?

— Un nouveau copain, dit-elle, avec un haussement d'épaules. Un banquier. Il est vieux et riche. J'ai fait sa connaissance dans le hall d'entrée. Nous dînons ensemble ce soir. — Marié?

— Allez savoir. »

Mariska était sans scrupules. Svetlana ne sut réprimer un rictus de désapprobation que l’on pouvait lire sur son visage. On avait décidé de les faire cohabiter simplement parce qu'elles avaient deux choses en commun: elles étaient célibataires et dans la trentaine avancée, mais pour le reste, elles étaient fort différentes.

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Chapitre 3

Deux fois mariée et divorcée, Mariska avait une vision dépassée des hommes. À ses yeux, ils n'étaient rien de plus que des partenaires sexuels et des pourvoyeurs à exploiter au maximum. Avec sa silhouette mince, ses longs cheveux teints d’un rouge cuivré, ses ongles sculptés et ses manières délurées, elle attirait surtout de vieux hommes d’affaires corpulents qui lui offraient des breloques dorées, des chapeaux de fourrure et des bottes de cuir. «Je ne veux plus rien d'autre maintenant, répétait Mariska. L'amour ne m'intéresse plus.

— Eh bien, tu n’as pas perdu de temps, rétorqua Svetlana. Mais nous sommes en pays étranger et d’après

moi, Konstantin déclarerait que tu t'apprêtes à trop fraterniser.. »

D'un grand éclat de rire, Mariska lui coupa la parole. «Konstantin! Il se fraterniserait lui-même s’il le pouvait. » Elle se leva en ébouriffant ses cheveux. « Pourquoi vivre comme une bonne sœur ? La vie est bien trop courte.»

Elle se dirigea vers la salle de bain. Svetlana cessa de brosser sa perruque rose. Levant les yeux, elle vit sa coloc fermer la porte. A

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LA MAIN MAGIQUE

DE LA CHANCE

La bouteille de vodka allait et venait entre les mains

de Dmitri et d'Oleg qui discutaient à voix basse, toutes lumières éteintes.

Dmitri s'enflammait. «C'est insensé. Nous trimons dur, nous devrions avoir le droit de célébrer. Nous ne

sommes pas des bêtes, nous sommes des artistes! Les occasions de fêter sont si rares. À quand la prochaine ? » Oleg soupira. «Combien de fois dois-je encore te le répéter ? Aux anniversaires et quand on apprend une bonne nouvelle.

— Aux anniversaires nouvelle ! C'est ridicule!

et en apprenant

une bonne

— Mon père faisait partie de l'orchestre et c'était ainsi.

— À quand le prochain anniversaire? — Svetlana, je crois. En avril. — En avril! Oleg, jamais je ne tiendrai le coup jusque-là. Si je ne fais pas la fête bientôt, je ferai de l’urticaire. — Que faire alors ?»

Et Dmitri répondit: «Il faut que l’un de nous reçoive une bonne nouvelle. ou que l'on en invente une de toutes pièces. »

62

Chapitre 3

Oleg n'a pas tardé à réagir. « Moi, je ne veux pas recevoir une bonne nouvelle. — Pour quelle raison?

— Parce que le porteur de la bonne nouvelle doit défrayer les coûts de la fête. C'est la tradition. Et moi, je paie encore mon unicycle.

— Alors, la bonne nouvelle doit échouer sur quelqu'un d'autre. — Oui, mais qui? demanda Oleg. — Nous trouverons.»

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Chapitre 4

Fe lendemain matin, Voronin prit place dans l’autobus aux côtés de Sergey qui somnolait. L'occasion était belle d'exercer son tour de magie avec une pièce de monnaie. En principe, la pièce devait disparaître pour aller se loger dans le creux de sa main, mais elle atterrissait toujours — bien visible — sur ses genoux avant de tomber par terre. Voronin

recommençait,

encore

et encore.

Soudain, il

leva les yeux vers Svetlana qui avait entrepris un nouveau tricot, cette fois avec des aiguilles rondes et une laine bleu clair. Fait à noter, elle s'était rapprochée d’une rangée tout en demeurant de l’autre côté de l'allée.

Svetlana s’aperçut que Voronin l'observait. « Voronin, je peux te poser une question? — Bien sûr, dit-il en souriant. \

LA MAIN MAGIQUE

DE LA CHANCE

— Tu sais de quelle taille est ton chapeau?» Il allongea le bras jusque sous le siège avant et en sortit son chapeau de scène qu'il étendit à sa pleine grandeur. Il le souleva dans les airs pour que Svetlana puisse bien le voir. «C'est le seul que j'ai, mais j'ignore quelle taille il fait. — Je peux le voir?» Il le lui tendit. Svetlana l'examina sous tous ses angles puis le déposa sur sa tête. Elle était drôlement jolie ainsi et Voronin éclata d’un grand rire. Elle lui rendit son chapeau.

«Pourquoi cette question ?demanda Voronin.

— Pour rien», dit-elle d’un ton mystérieux. Et elle reprit son tricot.

Un peu dérouté, Voronin se laissa glisser contre le dossier. Il jeta un coup d'œil vers Sergey qui commençait à s'agiter. Soudainement pris d'angoisse, il sentit le besoin pressant de parler à quelqu'un, n'importe qui. «Sergey, je t'ai déjà dit que le Château magique est un club si privé que seul un magicien ou un ami des magiciens peut y entrer? — Mmm.

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Chapitre 4

— Et tu dois connaître le code secret pour ouvrir certaines portes.» Il ne pouvait se maîtriser, il devait poursuivre. « Au moment de sa construction, c'était la plus grande demeure d'Hollywood — je t'ai dit que c'est un club privé où seuls les meilleurs y sont admis?»

Sergey fit entendre une sorte de grognement. «En arrivant — tu dois d’abord prendre le bus pour Hollywood -, si on te laisse entrer au Château magique, si on te reconnaît comme l’un des leurs, on te confie la clé d’une chambre secrète. Cette clé, tu es seul à la posséder. C’est ta chambre secrète, sise dans le Château magique, et toi seul peux l'ouvrir avec ta clé secrète personnelle. »

Juste devant le siège de Voronin se trouvaient Oleg et Dmitri, profondément calés dans leurs bancs, si bien que l’on n’apercevait plus que leurs yeux. Oleg écoutait les propos de Voronin et, poussant Dmitri du coude, ils eurent ce sourire narquois. Voilà une bonne raison de célébrer: il suffisait d'annoncer à Voronin une bonne nouvelle qu'il n’attendait pas, mais pas le moins du monde. 0



Quand la troupe arriva à l'hôtel de Florence où ils logeraient, tous les artistes voulurent visiter le quartier.

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LA MAIN MAGIQUE

DE LA CHANCE

«Florence! Le berceau de la Renaissance! Ufhzi, Duomo! s’exclama Voronin. Six cent quarante-trois kilomètres ou quatre cents miles!»

Dmitri et Oleg ont fait un premier arrêt dans une boutique de cadeaux. En sortant, ils avaient des verres fumés sur le nez et une cigarette italienne au bec. Lev, pour sa part, tenait sous le bras un David en miniature. «Ici, pas de vodka», disait Oleg en traînant ses bagages à l’intérieur. Vino! même au déjeuner. Tout le monde au vino, même les bébés! » Konstantin mit les pendules à l'heure. «Pas le temps de jouer aux touristes. Au travail! — Mais nous sommes à Florence! dit Voronin. — Ici, vous risquez de perdre votre portefeuille ou votre cœur, l’un ou l’autre, dit Konstantin. Ce n'est pas un endroit pour des paysans comme vous. Vous devez rester sur place — pas de batifolage!»

Le drapeau italien tapissait le mur de la réception où le concierge accueillait chaleureusement la troupe. «Benvenuti. Benvenuti. Ciao. Hallo?.»

«Ce soir, nous goûterons au moins aux spaghetti,

macaroni, pepperoni et tutti frutti», annonça Oleg. Mais 2.

«Bienvenue. Bienvenue. Salut. Allo», en italien.

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Chapitre 4

Konstantin le poussa jusqu’à la porte de sa chambre. «Prépare-toi à entrer en scène», dit-il froidement. —/ÿ—

Voronin était dans sa chambre, avec Rustam. Assis près de la fenêtre, il songeait à tout ce qu'il avait appris sur cette ancienne cité, source d'inspiration pour MichelAnge et Dante et empreinte des œuvres de Leonardo de Vinci. Maintenant qu'il se trouvait à Florence, comment pouvait-il vivre comme s’il était toujours en Union soviétique? Il devait sortir, ne serait-ce que pour

quelques heures. Rustam dormait déjà à poings fermés, aidé par la consommation d’une petite bouteille de vin offerte par la maison. Il ronflait bruyamment. Voronin se dit que tout le monde était épuisé par le voyage. Il lui serait donc facile de s’éclipser. Il avait raison. En fait, s’éclipser était un bien grand mot. Il avait simplement mis son manteau, était

sorti de sa chambre et avait emprunté une porte de sortie donnant sur la cour arrière de l'hôtel. Il faisait doux et chaud. Voronin prit le premier autobus qui passait pour en redescendre quelques minutes plus tard, au milieu d’un grand boulevard. Il arpentait les rues d’une Florence qui s'éveillait. Les marchands livraient leurs produits, les gens pressaient le pas pour se rendre au boulot, les chats furetaient ici et là. Les commerçants lavaient le trottoir à grande eau.

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LA MAIN MAGIQUE

DE LA CHANCE

Il marcha droit devant sur plusieurs artères en jetant un coup d'œil dans les vitrines et les cafés où les Italiens sirotaient un espresso tout en lisant les journaux du matin. Ils faisaient le plein d'énergie avant de commencer la journée. Voronin entra dans un café, commanda un espresso et une brioche. Il contemplait les lieux avec plaisir. La ville semblait si vivante. Des parfums de café, d'eau de Cologne et de pain sorti du four embaumaient. Et que dire de ce soleil doré qui n'avait rien en commun avec le disque blanc que l’on retrouvait dans le ciel de Moscou. Il jeta un coup d'œil à sa montre — il voulait voir les reflets dorés dansant sur le pont Vecchio, plonger son regard dans les eaux du fleuve Arno. Mais, le temps filait à vive

allure, il devait y renoncer et rentrer vite à l'hôtel, sans quoi il risquait d'avoir des ennuis. Il ferma les yeux un court moment, le temps d’imaginer ce que serait son existence s’il vivait à la manière des Florentins — sous le soleil et en liberté — sans les contraintes et les règlements constants, écrasants. Il s'imaginait vivant en Amérique; il sentait la chaleur du soleil sur sa nuque. Il se voyait montant les marches du Château magique et entrant dans cette somptueuse demeure. Il murmurait cette citation de son héros, Houdini: «Mon cerveau est la clé de ma libération.» Puis, il rouvrit

les yeux. M

/9—

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Chapitre 4

En Italie, le spectacle eut lieu dans un immense auditorium où l’on monta, sans peine, le grand chapiteau.

On commença le spectacle avec les trapézistes, Xavier et Zoe, qui semblaient voler comme des oiseaux, sous des applaudissements nourris. On aurait dit qu'ils avaient un cou d'acier et un corps élastique lorsqu'ils virevoltaient ainsi dans les airs. Tous furent éblouis par la complexité

de leur performance livrée avec tant de grâce. «Après toutes ces années, je suis toujours aussi nerveux pendant ce numéro», dit Oleg. Lui et Dmitri,

vêtus en clochards, regardaient évoluer les trapézistes par une petite ouverture dans le rideau. Tout à coup, Dmitri s'éclaircit la voix et poussa Oleg du coude; ils venaient d’apercevoir Vlad et Konstantin devant la maison. «Je monte la garde», dit Oleg à Dmitri, qui reprit le chemin des loges.

Il entra furtivement dans la loge de Mariska qui se maquillait. Elle traçait une ligne charbon autour de ses yeux. «Allo, Mariska. Pas mal, le spectacle de ce soir, non?» dit Dmitri.

Mariska le regarda avec méfiance sans s'interrompre. «Comme tu peux le constater, je n'ai pas vu le spectacle. Que veux-tu, exactement, Dmitri ?

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LA MAIN MAGIQUE

DE LA CHANCE

— Qu'est-ce qui te fait croire que je veux quelque chose?

= Qu'est-ce qui incite l'oiseau à voyager vers le nord, au printemps ? »

Cette réplique décrocha un sourire sur le visage de Dmitri. «Bon, d'accord. Tu es trop intelligente, je ne fais pas le poids. Je suis venue te voir parce que l'on m'a dit que tu étais très douée pour la calligraphie. — C'est sans doute un malentendu. Je suis douée pour certaines choses, mais certainement pas pour la

calligraphie. » Dmitri sortit de sa poche un paquet de cigarettes qu'il déposa sur la table. «Je peux en avoir d’autres, si tu veux. » En apercevant

le paquet de cigarettes, Mariska

simmobilisa. De toute évidence, elle mourait d'envie de fumer.

«Elles sont très rares, dit Mariska. — Je sais.»

Elle regarda à nouveau Dmitri en haussant les épaules. «Je ne sais rien de la calligraphie, mais je connais peutêtre quelqu'un qui en fait. Reviens me voir au sortir du spectacle. » —M/9—

T2

Chapitre 4

En coulisses, Lev fait des étirements avant d’entrer en

scène. Irena mange un plat de veau et de nouilles trop cuites. Soudain, Dmitri se trouve à ses côtés.

«Allo, Dmitri. Ça va? — Ça va. Ettoi?»

Irena soupire d’un air mélancolique. «Oh, je ne sais trop.»

Dmitri dépose sur la table, devant elle, une boîte de sauce au chocolat — un article de grande valeur. «Ça pourrait aller mieux. » Irena prend la boîte de sauce au chocolat dans ses mains et, incrédule, dit: «Pour moi? Mais pour quelle raison?

— Et pourquoi faudrait-il une raison ? répondit-il, mi-figue mi-raisin. Je sais que Lev en raffole. — Mais la sauce au chocolat coûte cher. Tu le sais, au moins ?

— Bon, d'accord. J'ai peut-être une petite faveur à te demander. — C'est sûrement une grande faveur», dit-elle en le fixant de ses grands yeux. M9

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LA MAIN MAGIQUE

DE LA CHANCE

Le spectacle était à peine terminé que Vlad demandait aux artistes de se précipiter dans l’autocar. Ils étaient en retard, disait-il. « Allez. Nous devons rentrer à l'hôtel. »

Ils ont vite tout remballé et sont sortis à la file indienne. Oleg se trouvait juste derrière Voronin et cherchait Irena des yeux sans la trouver. Elle était toujours en coulisses. Penchée sur un bout de papier, elle mettait la dernière main à une lettre calligraphiée qu'elle venait d'écrire. Elle cherchait à lui donner l'allure d’une lettre officielle. Konstantin s'époumonait: « Le car doit partir !Tout le monde à bord!»

D'un geste sûr et rapide, Irena plia la lettre et la glissa dans une

enveloppe

verte, attrapa son

sac à main

et

courut jusqu'à l’autocar. Elle se dirigea vers son siège, tout à côté de Mariska.

«On se croirait dans un film d'espionnage », lui dit Mariska en étouffant un rire, au moment de prendre l'enveloppe verte des mains d’Irena. —"A/9—

L'autocar s'est garé devant l'hôtel et Konstantin a surveillé de près tous les comédiens, s’assurant que tout un chacun se rendait dans sa chambre respective.

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Chapitre 4

Mariska tira un livre de son grand fourre-tout pour l'offrir à Dmitri. « Tiens, c'est le suspense que tu cherchais, Dmitri. C'est une histoire d’horreur — j'espère qu’elle ne te tiendra pas éveillé toute la nuit.

— Oh, formidable. Merci!» Dmitri s’éloigna rapidement, livre à la main. Mariska souriait. Elle alluma une cigarette et inhala voluptueusement. «Un instant», dit Konstantin d’un ton méfiant. Il s'approcha, prit le livre de Dmitri, l’examina, le feuilleta page par page, mais ne trouva rien de suspect. «Vous cherchez de la lecture? demanda innocemment

Dmitri. Je vous en prie, vous pouvez le lire en premier si vous voulez. — Non merci», dit-il d’un ton froid et l'œil mauvais.

Pendant cet échange, Irena en profita pour glisser l'enveloppe verte dans les mains d'Oleg. La troupe se trouvait au milieu du corridor. Bâillant à fendre l'âme, Konstantin se tourna vers Vlad en consultant sa montre: «Je peux prendre la relève pour un certain temps», dit Vlad. Konstantin acquiesça d'un hochement de tête, se rendit au bout du corridor et disparut, laissant Vlad s'occuper du reste.

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LA MAIN MAGIQUE

DE LA CHANCE

En fin de soirée, Dmitri et Oleg se tenaient silencieusement derrière la porte de leur chambre, à l'écoute du moindre bruit. Après un certain temps, une porte s'ouvrit puis se referma aussitôt. On entendait les sœurs Ovinko discutant calmement.

Oleg osa jeter un coup d'œil dans le corridor. Vlad suivait les sœurs du regard — c'est bien ce qu'Oleg avait souhaité. Les sœurs Ovinko se dirigeaient vers la salle de bain vêtues de leurs chemises de nuit. elles étaient bien trop jolies pour que l’on puisse résister à les regarder déambuler. Oleg profita de ce moment d’inattention, de la part de Vlad, pour quitter sa chambre sur la pointe des pieds. Il se dirigea vers le hall d'entrée et disparut du champ de vision de Vlad juste à temps. Oleg s’approcha du concierge de l'hôtel. « Buona sera. — Buona sera.» Oleg lui montra l'enveloppe verte. «Monsieur, pourriez-vous poster cette lettre dans les plus brefs délais, s’il vous plaît ?» Il lui offrit une poupée matriochka pour l'inciter à lui rendre ce service.

«Certamente*», dit le concierge qui semblait ravi. Il prit et la lettre et la poupée en ajoutant: «Ma fille sera enchantée. » 3. «Bonsoir», en italien. 4. «Assurément », en italien.

76

Chapitre 4

Oleg tourna les talons et, déjà, le concierge brassait la poupée russe et l’ouvrait pour découvrir une autre poupée, plus petite celle-là, nichée à l’intérieur. Génial! Les sœurs Ovinko sortaient de la salle de bain, toujours en pleine discussion. Vlad tourna la tête, le regard fixé sur elles.

Dmitri fit signe à Oleg d'entrer vite dans la chambre pendant que Vlad se rinçait l'œil. —0//9=—

Tout au fond du corridor, Lev était nonchalamment

étendu sur le lit. Fronçant les sourcils, il regardait une autre émission de cuisine menée, cette fois, par un chef

italien moustachu délectation.

qui goûtait une sauce rouge avec

«Les émissions de cuisine sont bien plus intéressantes en Italie qu'en Suisse. Je ne comprends rien à son charabia. Pourtant, ce chef italien réussit à m'ouvrir l'appétit. » Irena semblait invisible. De la cuisinette, on entendit

le bruit d’une canette que l'on ouvre. «Tu ne crois pas? Irena ?»

Irena s’approchait, vêtue d’un négligé orné de lacets avec décolleté plongeant et ouvertures sur les côtés. Elle

F4

LA MAIN MAGIQUE

DE LA CHANCE

tenait un petit cabaret sur lequel était déposée une boîte de sauce au chocolat — ouverte.

«Une petite gâterie, mon chéri? dit-elle en approchant le cabaret pour qu'il puisse en voir le contenu. — Une sauce au chocolat!» L'œil brillant, il semblait

tout à coup affamé. Assise devant lui, Irena lui lança cette invitation. «Ouvre, s’il te plaît!»

Lev s'étendit de tout son long, d’un geste princier, et ferma les yeux. Irena glissa dans sa bouche une pleine cuillère de sauce au chocolat en prenant soin de lui essuyer le coin des lèvres. «Oh, mon Dieu! C'est prodigieux!» Lev gémissait de plaisir. «Je suis heureuse, mon chéri. Tu sais bien que je ne désire qu'une chose, te faire plaisir. —

Encore, encore», répétait Lev. Lumineuse, Irena

lui offrit une seconde bouchée.

Valentin entra avec ses outils dans la loge de Voronin, en après-midi, et solidifia la table sur laquelle l'artiste déposait ses accessoires sur scène. 78

Chapitre 4

« Voilà qui est fait, dit-il en se redressant. J'ai ajouté une pièce d'aluminium. Elle devrait être solide, maintenant. » Voronin déposa un vase sur la table pour en vérifier la solidité. Elle resta bien en place. «Merci, mon ami. C'est parfait ainsi. » Au même moment, Oleg et Dmitri se dirigeaient vers l'entrée quand un messager se présenta avec, en main, une enveloppe verte. Il la remit à Konstantin. « Ciao. Ho una lettera per Yevgeni Voronin. — Grazie’.» Le messager étant parti, Konstantin ouvrit la lettre à l’aide d’un coupe-papier qu'il gardait dans sa poche de manteau en prévision de situations semblables. La surprise se lisait de plus en plus sur son visage à mesure qu'il prenait connaissance du contenu de cette lettre. Les clowns observaient Konstantin et espéraient

l'entendre réagir, mais il plia la lettre et la rangea dans sa poche. Konstantin attendit la fin du spectacle pour se rendre à la loge de Voronin. Le magicien était seul et se démaquillait devant son miroir.

5. _«Bonjour. J’ai une lettre pour Yevgeni Voronin. — Merci», en italien.

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LA MAIN MAGIQUE

DE LA CHANCE

«Une lettre pour toi, dit Konstantin en lui tendant l'enveloppe, l'œil méfiant. — Pour moi?» dit Voronin. Il prit l'enveloppe et en tira la lettre avec excitation, dévorant les mots qu'elle contenait.

Un peu plus tard, Voronin demanda à tous les membres de la troupe de se réunir dans l’auditorium. Ils formaient un cercle autour de lui. « Écoutez bien ceci! dit Voronin. “Cher Yevgeni Voronin, nous vous avons observé et nous sommes fort impressionnés. Vous

maîtrisez l’art de la magie de façon admirable et, sans le moindre doute, comme nul autre pareil. Par conséquent,

c'est avec grande fierté et humilité que la section italienne de la Société universelle des magiciens désire vous donner le titre de Grand magicien honoraire d'Italie !” » Les membres de la troupe applaudirent poliment tout en se lançant des regards perplexes et au comble de l'étonnement. Irena baissait les yeux, très occupée à étudier les particularités du plancher pendant que Voronin parlait. Les clowns applaudissaient avec plus d'enthousiasme que les autres. Voronin plia la lettre tout en poursuivant dignement son discours. «Mes amis, c’est incroyable. Quelle magnifique journée! On dirait un lever de soleil sur l'océan un jour d'été. Les vagues ne sont ni trop fortes ni trop faibles. L'air est chaud, mais non suffocant. On sent 80

Chapitre 4

une légère brise, mais pas de grands vents... Cette lettre, c'est comme une double portion de crème glacée à la fraise qui fond lentement, très lentement. Et vous êtes ici, à mes côtés! Que faire? Je ne sais trop comment réagir!»

Gagné par l'émotion, il resta un moment sans voix, mais

retrouva

bientôt ses esprits. «Je sais. Avec la

permission de Konstantin Vasilyev, j'aimerais vous offrir une petite fête, chers amis.» Toute la troupe trépignait de joie et se tourna vers Konstantin qui était resté à l'écart, l'air renfrogné.

«Ce sont de bonnes nouvelles!» lança Dmitri. Konstantin jeta un coup d'œil à sa montre et se décida enfin: « Vous avez une heure!» Il y eut un moment de silence suivi d'une explosion de joie. On entendit résonner une cloche, comme avant un combat de boxe. Quelqu'un se mit à l'accordéon et toute la troupe, suivie d'Oleg et de Dmitri, se dirigea vers les loges. Les clowns sortirent des bouteilles de vodka qui semblaient avoir été préparées. On se les partageait gaiement. La fête prit son envol — musique, danse, chant.

L'alcool coulait à flots, on buvait à même le goulot. Oleg était étendu sur le sol pendant que Dmitri, lui, versait de la vodka dans sa bouche. On vit un petit attroupement se faire autour de Rustam, de son côté, qui versait de la vodka dans son oreille pour la faire ressortir par sa bouche.

81

LA MAIN MAGIQUE

DE LA CHANCE

Svetlana, portant encore sa perruque rose, s'approcha de Voronin. « Toutes mes félicitations!

— Merci, merci! dit Voronin en la saluant d'un signe de tête. Tu veux voir la lettre? — Mais oui, bien sûr. »

Il la lui tendit et Svetlana la parcourut en entier. Puis, elle s’y attarda un peu, la tournant de tous les côtés et l’examinant devant une source lumineuse.

«Quelque chose ne va pas? demanda Voronin. — Mais non. C'est merveilleux, ce qui t'arrive. Nous sommes tous très fiers de toi.» Elle souriait. Voronin ne vit pas l'ombre qui assombrissait ce sourire amical.

Irena entraîna Lev sur le plancher de danse, mais il n'y resta qu'un moment. Il retourna rapidement joindre les hommes plongés dans des jeux de beuverie. Les sœurs Ovinko dansaient entre elles, se tenant par la main et formant un cercle. Mariska se tenait seule, à l'écart, un verre dans une main et une cigarette dans l'autre.

Konstantin veillait sur la troupe, de loin. Le regard neutre, il vérifiait constamment l'heure. On entendit à nouveau la cloche sonner. D'une voix forte, Konstantin cria:« La fête est terminée! » 82

Chapitre 4

Les fêtards sont sortis en trébuchant, jambes molles, ivres, heureux et épuisés. Voronin fut le dernier à partir. Tout sourire, il tenait à la main une ficelle et son ballon rouge, flottant dans les airs.

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Chapitre 5

Le lendemain, tout le monde était sur le carreau. Dans le car, tous reposaient bouche ouverte, bras pendants. Les

corps de Dmitri et d'Oleg avaient échoué l’un sur l’autre et tous deux ronflaient. Il en allait de même de Lev et d’Irena — cette dernière avait discrètement glissé son bras sur la poitrine de Lev. Voronin, quant à lui, resplendissait. Bien éveillé et doublement confiant, il exerçait de nouveaux tours de magie. À ses côtés, Svetlana était aussi alerte et s'occupait les mains en tricotant un chapeau bleu. À mi-chemin, toutefois, ils finirent par somnoler comme les autres, bouches ouvertes et corps penchés l’un vers l’autre. Soudain, Voronin se réveilla quelques minutes avant d'arriver à Madrid, leur prochain arrêt. Il plongea les yeux

dans le visage de Svetlana. On aurait dit qu'elle avait une

LA MAIN MAGIQUE

DE LA CHANCE

peau de porcelaine; elle exhumait un parfum naturel, doux comme une pâtisserie. Par le passé, ses rêves tournaient essentiellement autour de sa carrière de magicien. Des rêves triomphants. Il se voyait devant des milliers de spectateurs, avec le geste sûr et un talent époustouflant. Et quand des personnes commencèrent à peupler ses rêves, il s'agissait toujours de fantômes d'anciens magiciens qui se tenaient dans les coulisses et l’applaudissaient ou le conseillaient. Mais, depuis un certain temps, ses rêves prenaient

une autre tournure, plus romantique celle-là. Il se voyait entouré d’une foule pour l’applaudir, mais aussi d'amour — une femme était présente, lointaine et sans visage, elle se tenait discrètement dans les coulisses à l’attendre. Il voyait aussi des petits à sa ressemblance, un garçon et

une fille entourés par les bras aimants d'une femme — ils étaient beaux et attachants.

D'où lui venaient ces images? Il aurait bientôt quarante ans et le bonheur au foyer semblait réservé à d'autres que lui. Il vivait seul depuis toujours. Jamais il n'aurait songé à pouvoir réaliser, tout à la fois, ses rêves de magicien et d'amoureux. C'était trop demander. Ces rêves l'effrayaient un peu — n’aurait-il pas à en sacrifier un pour réaliser l’autre? Comment ai-je pu vivre seul pendant toutes ces années ? se demandait Voronin. Au même moment, Svetlana se réveilla en sursaut.

86

Chapitre 5

«Oh! pardon, dit-elle en rougissant et en se redressant. (Elle passa une main dans ses cheveux.) Je suis désolée, je me suis assoupie sur toi.

— Mais non, voyons. Ça va. Tu m'as gardé au chaud, il fait si froid dans cet autocar. » Encore rougissante, elle ramena son chandail sur sa poitrine.

Il s'occupa l'esprit en se concentrant sur les panneaux routiers avant de plonger dans l’atlas, pendant que l’autocar poursuivait sa route jusqu'à l'hôtel.

«Mille six cent quatre-vingt-quatre kilomètres ou mille quarante-six miles, annonça Voronin. — Seize heures d’autocar! Oh, mes pauvres os, se lamentait Oleg. — Ouais, tu n'es pas le seul à souffrir», répondit Dmitri.

Voronin était en extase lorsqu'il tendit la main à Svetlana pour l'aider à descendre du car. «Espagne, foyer des grands explorateurs! Cortés, Ponce de Léon! Conquistadors. Toréadors! — Tu oublies l’Inquisition !» lui rappela Oleg.

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LA MAIN MAGIQUE

DE LA CHANCE

Avant de prendre possession de leur chambre, les deux clowns ont marché dans la ville jusqu'à la première boutique de cadeaux; ils ont fait leur entrée, dans le hall, munis de chapeau matador et parlant un espagnol rudimentaire. À la réception, un drapeau espagnol couvrait le mur. La troupe fut accueillie avec tous les égards. Le concierge souriait aux artistes à belles dents pendant que ces derniers tiraient leurs bagages. « Bienvenida. Bienvenida®.» 9

Le lendemain, Voronin fut le dernier de la troupe à faire son numéro pendant le spectacle du soir. Plus confiant, il s'exprimait avec verve et commit peu d'erreurs. Il présenta son tour de magie avec une pièce de monnaie et modifia les couleurs d’une serviette de table.

En coulisses, Valentin courut jusqu’à Lev et Irena qui observaient le magicien en pleine action. « Voronin a oublié d'apporter son vase sur scène. Je viens de le trouver. »

Irena prit le vase. Au même moment, Voronin prenait

conscience de son erreur. Il tint sa cape grande ouverte pour tenter de cacher l'entrée, sur la pointe des pieds, 6. «Bienvenue», en espagnol.

88

Chapitre 5

d'Irena qui vint déposer le vase sur la table. Mais, trop tard, les spectateurs avaient vu le subterfuge et certains riaient de bon cœur de cette évidente erreur. La qualité de ces rires étonna Voronin. Il poursuivit son numéro. Ces rires ne traduisaient aucunement la gêne, ils étaient vrais et profonds. À sa grande surprise,

il entendit de grands éclats de rire lorsque son chapeau roula au sol. La foule rigolait toujours davantage lorsqu’en brassant les cartes, il ne réussit qu’à en sortir une — à maintes reprises —, toujours la même.

À la fin de son numéro, les spectateurs l'ont applaudi à tout rompre. Voronin a rejoint ses collègues en coulisses et ils se sont réjouis ensemble de leur succès. «Encore!» lança Peter pour répondre aux applaudissements nourris de la foule.

La troupe se rua au milieu de la scène et la foule en remit. Tous retournèrent à nouveau en coulisses. Konstantin

les attendait de pied ferme, l'œil rivé sur sa montre. Dmitri

« Un dernier salut. Allez,

osa demander:

dites oui ? »

Konstantin fit non de la tête, «Ça suffit. Vous avez dix minutes pour tout remballer. » 89



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Chapitre 6

(Se soir-là, à l'hôtel, Lev regardait une émission de cuisine espagnole. Étendue sur le lit, les pieds en appui contre le dos de Lev, Irena fixait le plafond avec ennui et frustration. Roulant sur elle-même, elle le regarda. «Lev.

— Quoi? — Tu veux faire l'amour? »

Les yeux rivés sur le petit écran, avait-il seulement compris? «C'est quoi, une paella?» dit-il. Irena se précipita dans la salle de bain et en ressortit, quelques minutes plus tard, vêtue d’un simple voile. Fredonnant une rengaine, elle se lança frénétiquement dans une danse du ventre, claquant des doigts et tournant sur elle-même.

LA MAIN MAGIQUE

DE LA CHANCE

Lev leva les yeux sans la voir. «Je pense que c'est un plat au riz. Avec du poisson, peut-être. Il faudra vérifier. » Il la regarda enfin. L'espoir la regagnait. Mais en vain. «Cesse ce boucan, je n'entends même plus ce que l'on raconte à la télé. »

Irena mit fin à sa danse. On frappait à la porte. Elle regarda par le hublot et reconnut Svetlana, dans le corridor.

«Oh! je suis désolée, fit-elle en apercevant Irena en petite tenue. J'espère que je ne vous dérange pas.»

Ouvrant la porte à sa pleine grandeur, Irena lui montra Lev agglutiné devant l'écran du téléviseur. «Malheureusement, tu ne nous déranges pas du tout! Allez, viens. — On peut discuter — ailleurs ? » Le visage d'Irena s’assombrit. « Bien sûr. Je reviens. »

Elle revêtit une robe pour ensuite rejoindre Svetlana qui l’attendait dans le corridor.

«Allons dans ma chambre. Mariska s'est absentée pour la soirée. C’est notre coup de chance. — Absente ?

92

Chapitre 6

— Elle est sortie avec l’un de ses nombreux prétendants, dit Svetlana.

— Elle sort en douce? — Constamment.

— Elle ne s’est jamais fait prendre? — Ça n'a rien de bien sorcier. » ,

.

.

.

Arrivées dans la chambre de Svetlana, elles se sont assises au bord du lit.

« Quelque chose ne va pas? s’enquit Irena.

— En effet. C'est au sujet de la lettre que Voronin a reçue. Je me méfie. À mon avis, elle n’a rien d'officiel. Je pense qu'elle a été rédigée par quelqu'un d'autre, un membre de la troupe. — Tu as des raisons de le croire?

— La main d'écriture, je la connais, je crois, c'est celle d'une femme. Puis, dans le texte, on utilise certains mots qui sont nettement russes. »

Plus Svetlana se confiait, plus Irena pâlissait. « Mais comment as-tu mis la main sur cette lettre?

93

LA MAIN MAGIQUE

DE LA CHANCE

— Voronin me l’a montrée.

— Pourquoi aurait-il fait une chose pareille? Vous êtes ensemble, tous les deux ? » Svetlana sourit en baissant les yeux. «Nous sommes des amis. — Donc, tu es convaincue que cette lettre est fausse?

— J'irais plus loin. Je crois que Mariska l’a écrite. — Mais dans quel but?

— Pour faire la fête. C'est la seule bonne nouvelle que nous ayons eue au sein de la troupe.» Tout à coup, Svetlana lut un certain malaise sur le visage d'Irena. « À moins, bien sûr, que toi et Lev ayez une bonne nouvelle dont nous n'ayons eu vent, pour le moment ? » Irena sembla confuse, puis rougit. «J'ai tout essayé. En vain. C'est peine perdue — il ne voit en moi qu’une sœur

ou une cousine. »

Svetlana hocha la tête. il finira par comprendre.

«N'abandonne pas. Tu verras,

— Je sais que tu y crois, mais pourquoi ?

94

Chapitre 6

— Je n'en sais trop rien — les hommes sont ainsi faits. Parfois, ils ne voient pas ce qui leur pend au bout du nez... Puis, quelque chose arrive et leur ouvre les yeux. » Irena la fixa droit dans les yeux. «Est-ce que je me trompe ou tu parles aussi de toi?»

Rougissant, Svetlana détourna le regard. «Je te prodigue mes conseils parce que je suis plus âgée et donc plus expérimentée, tout simplement. »

Songeuse, Irena se leva. « Bon, je dois y aller maintenant.» Avant de franchir le seuil de la porte, elle ajouta: «Si tu découvres quoi que ce soit, tiens-moi au courant.

D'accord? — Entendu. Bonne chance, ce soir, avec Lev.

— Ha! Avec lui, il me faudra bien plus qu'un peu de chance.» —"/0/09=—

Irena allait retrouver Lev. Chemin faisant, elle passa devant la chambre de Voronin et de Rustam. Curieuse, elle colla l'oreille contre leur porte et entendit Voronin qui discourait sans relâche avec, pour fond sonore, les ronflements de Rustam.

95

LA MAIN MAGIQUE

Il disait:

DE LA CHANCE

«Au Château magique, chaque magicien a

une équipe à son service. On y trouve le premier assistant, le second assistant et l'assistant de remplacement. » Les

ronflements

s'intensifiaient,

mais

Voronin

poursuivait.

«Si l'assistant de remplacement est malade — hum, que se passe-t-il dans un cas semblable ?»

Perplexe, Irena se dirigea vers sa chambre. M

ÿ9—

Voisins de Voronin, Dmitri et Oleg se passaient mutuellement la bouteille de vodka. «S'il n’y a plus de fête, disait Dmitri, je m'évade. Je ne tiendrai pas le coup. — Tu ne t'évaderas pas. Tu inventeras d’autres bonnes nouvelles. Voilà tout. Viens ici et prépare-toi. »

Dmitri prit une gorgée de vodka. Il fixait une enveloppe rouge qui se trouvait sur le bureau, près de la porte. :, «Bon, j'y vais.»

Quelques minutes plus tard, Dmitri s'approchait du concierge, à la réception de l'hôtel. Il tenait à la main une poupée matriochka et une enveloppe rouge.

96

Chapitre 6

«Auriez-vous

l’amabilité

de

faire

livrer

cette

enveloppe ? » Le concierge lui sourit. «Si, si. » =

0//0—

Le lendemain, un messager se présenta au cirque. Konstantin intercepta l'enveloppe et, la mine sombre, l'ouvrit et la parcourut.

Voronin se maquillait lorsque Konstantin entra dans sa loge. Il lui tendit l'enveloppe. «Pour moi? Encore ?

— Oui. Que tu es populaire tout à coup!» Ce soir-là, Voronin réunit à nouveau toute la troupe pour lui faire la lecture de cette seconde lettre, en y

mettant beaucoup d'insistance.

«La section espagnole de la Société universelle des magiciens. » Il fit une pause pour ajouter: «La section espagnole est parmi les plus importantes au monde. L'année dernière, elle était au troisième rang, je crois. Bon, où en étais-je avec cette lettre. Section espagnole. blablabla. vous décerne un diplôme de grande

distinction. » Voronin exhiba le diplôme joint à la lettre. 97

LA MAIN MAGIQUE

DE LA CHANCE

Dmitri et Oleg regardaient Irena avec satisfaction. Voronin poursuivait son baratin. « Blablabla.… et vous

attribue le plus grand de tous les honneurs, soit le titre de Docteur mondial en arts de la magie!» Konstantin regardait Vladimir puis la troupe avec un scepticisme évident. « Très bien. Parfait. » Mais, Voronin n'allait pas se laisser faire ainsi.

«Mes

amis! Mon cœur bat si fort dans ma poitrine. Si je pouvais le couper en tous petits morceaux, je vous en donnerais tous une part pour vous remercier. Merci d'avoir fait de

moi l’homme que je suis devenu, aujourd’hui. Comme mon cœur doit rester en un seul morceau, j'aimerais

vous inviter à faire la fête! Si Konstantin m'y autorise, bien sûr!» Toute

la troupe

exprima

sa joie. Konstantin

se

raclait la voix, signe qu'il allait prendre la parole. Il lança à contrecœur :« Deux heures. »

Tous trépignaient en entendant résonner la cloche. La fête fut aussi exubérante, mais moins frénétique que la précédente. Encore une fois, l’alcool coulait à flots, mais les gens prenaient le temps de respirer un peu, de discuter entre eux, de danser et de chanter.

Rustam et les ouvriers apportèrent des caisses de vodka et de nourriture pendant que Konstantin rédigeait 98

Chapitre 6

la liste de tous les produits qu'ils consommaient. Voronin s’'approcha pour jeter un coup d'œil à la liste. « Tu sais que tu devras régler la note? — Oui, je sais. N'oubliez pas d'inscrire les biscuits. » Les sœurs Ovinko étaient venues à la fête, livres d'études sous les bras. Elles avaient le nez dans leurs

bouquins tout en sirotant de la vodka.

Lev dansait le tango avec Irena. Il lâcha accidentellement sa main, mais, heureusement, Voronin l’attrapa au vol et la fit virevolter en direction de Lev.

Bientôt, toute la troupe avait envahi la piste de danse improvisée et formait un grand cercle. Oleg avait même persuadé les sœurs Ovinko de délaisser leurs livres et de se joindre à eux. y

Mariska a rapidement quitté la fête. Svetlana l'a finalement retrouvée. Elle fumait voluptueusement une cigarette dans sa chambre et se préparait à partir en douce pour le reste de la soirée. Du revers de la main, Svetlana repoussa la fumée ambiante. «N’avions-nous pas convenu que tu ne fumerais pas dans la chambre?»

99

LA MAIN MAGIQUE

DE LA CHANCE

Tirant sur sa cigarette, elle haussa les épaules. «J'ai reçu de formidables cigarettes en cadeau. Impossible d'y résister. Je t'en offre une ? »

Elle fit non de la tête. «Si j'en prends une, je serai accro à nouveau. Tu le sais bien. »

Mariska la toisa du regard. « Tu te comportes étrangement depuis quelque temps. Quelque chose ne va pas? — Eh bien, puisque tu en parles. Quelque chose m'inquiète en effet — des lettres rédigées par un membre de la troupe et qui sont adressées à un certain magicien. » Ouvrant son sac, elle en tira une lettre. Mariska avait pâli. «Eh bien, tu ne crois tout de même pas que j'en suis l'auteure. » Grimaçant, Svetlana répondit: «Si ce n'est pas toi, alors qui est-ce? — Et comment je le saurais? Puis, ça ne te regarde

pas. Tu fais la fête, non? Ces lettres font le bonheur de Voronin. Quel mal y a-t-il?

— Pas le moindre. Si la manipulation affective d’un ami est sans importance.

— Il survivra, ne t'en fais pas. Il s'est construit tout un ego depuis un certain temps. »

100

Chapitre 6

Svetlana bouillonnait intérieurement. Elle dit avec fougue: «Il est simplement rempli de gratitude devant ces marques de reconnaissance qui soulignent des années d'efforts. Quand il comprendra que tout cela n’est que de la frime, comment réagira-t-il, selon toi ? » Désabusée, préoccupe

Mariska

lui répondit:

«Son

à ce point? Et puis, comment

sort te

pourrait-il

l’apprendre.…. à moins que tu le lui dises ? »

Svetlana la fusilla du regard, prit ses aiguilles de tricot au passage et retourna à la fête. —"MN/9=——

La fête tirait à sa fin. Voronin découvrit Svetlana, seule à une table, tricotant d’un air pensif. «Ah! Te voilà enfin! Levons nos verres! dit Voronin.

— Bien sûr! Mais à quoi buvons-nous ? demanda Svetlana dans un sourire. — Buvons à toi, à celle que tu es. — D'accord. (Le choc entre les verres laissa s'échapper un peu de vodka.) — Oh! Pardon.»

à

Elle rigolait. « Pas de souci.» 101

LA MAIN MAGIQUE

DE LA CHANCE

Voronin la regarda et sentit son cœur s'ouvrir. «Tu veux voir mon diplôme?» En prononçant ces mots, il réalisa qu'il parlait comme un gamin.

Svetlana prit le document pour l'examiner de près. «Il provient de la section espagnole de...

— Je vois, répondit Svetlana. — Un jour, je me rendrai au Château d'Hollywood, en Californie.

magique

— Oui, c'est ce que l'on dit.»

Svetlana examinait toujours le fameux «D'après toi, comment t'ont-ils découvert ? —

diplôme.

Je ne sais trop. Je suis peut-être devenu

très

populaire. »

Elle lui rendit le document, l'air impénétrable. « Peutêtre», répondit Svetlana. Après un moment, Voronin lui demanda « Aimes-tu la magie ?

— C'est pas mal. — Juste pas mal?»

102

Chapitre 6

Elle fit signe que oui. «Qu'est-ce que tu aimes?» Elle sourit. «J'aime rire.

— C'est vrai? Je peux être drôle, tu sais. » Elle le fixa tendrement du regard. «Je sais que tu en es capable, Voronin.»

Il prit le temps de bien la regarder. Il souriait de contentement. Mais que lui arrivait-il? Il n'avait pas ressenti autant de chaleur envers une femme depuis des années. Il se trompait peut-être, mais elle semblait partager les mêmes sentiments. —A/09—

Konstantin surveillait la troupe, mais il buvait aussi de la vodka, frappait du pied et s’amusait pour la première fois. Tout comme Vlad d’ailleurs. «Je crois que c'est la plus réussie des fêtes! Tout le monde s'amuse!» dit Vlad. L'œil vif, Konstantin hocha la tête à deux reprises — la première fois, pour lui donner son accord... la seconde,

pour le mettre en garde. —"/0/9——

103

LA MAIN MAGIQUE

DE LA CHANCE

Le lendemain matin, dans l’autocar qui les menait de l'hôtel au grand chapiteau, Vlad et Konstantin portaient des verres fumés pour se protéger du soleil. Ils somnolaient comme tous les autres, bouche ouverte et bras pendants, se plaignant d’une migraine et de maux d'estomac. Voronin et Svetlana étaient les seuls encore alertes et heureux d'être sur la route. Lui, portait un chapeau bleu en laine, elle, amorçait un nouveau tricot. Ils étaient assis côte à côte, épaule contre épaule. Tous deux rayonnaient. Voronin se tourna vers elle. « Tu crois vraiment que je suis drôle? — Oui. — Tu aimerais que je te fasse rire maintenant?

— Non. Tu n'as pas à jouer un rôle avec moi. Tu n'as qu'à être toi-même, tout simplement. » En tournant la tête, il vit son reflet dans la fenêtre et sourit en ajustant son nouveau chapeau.

Et si c'était ça, l'amour ? se demandait Voronin en apercevant son reflet portant ce nouveau chapeau. Il avait un peu la nausée. Pourtant, il était sur la terre ferme. Il avait envie de rigoler, mais sans raison. Il voyait mieux et plus clairement les choses, comme s’il portait des lunettes; et il entendait mieux également. Étrange. D'un côté, il avait 104

Chapitre 6

le sentiment d'être malade et de l’autre, l'impression d'être alerte comme jamais auparavant. Après tout, je suis peut-être malade, songea Voronin

en fermant les yeux. —— M ÿy9—

Ce soir-là, devant une foule conquise, Voronin offrit un numéro empreint d’intuition et de légèreté. Pendant son tour de magie avec des pièces de monnaie, il laissa tomber les pièces en cascade de sa main jusqu’au sol. Quand il fit sortir un bouquet de fleurs pour les déposer dans le vase, il se retrouva avec des tiges sans fleurs dans les mains. Le public rigolait. Il tourna la situation à son avantage. En bougeant les tiges avec les doigts, les fleurs semblaient

éclore comme

par magie. Les spectateurs

s'éclataient.

Il sentait la connivence du public. Voronin agita ses doigts en direction des spectateurs et leur envoya une

tonne de confettis. La foule trépignait de joie. Dans les coulisses, Svetlana suivait le numéro de Voronin et s'émerveillait. « N'est-il pas merveilleux ?» dit-elle à Dmitri. Incrédule, le clown se tourna vers Oleg en fronçant les sourcils.

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Chapitre 7

Prochaine destination, Paris! Plus à parcourir en autocar. Plus excité resta éveillé et comptait les minutes l'Amérique, Paris était son second l'objet de ses rêves les plus fous.

de 1 200 kilomètres que jamais, Voronin et les heures. Après lieu de prédilection,

Tout au long du parcours, il fut intarissable. Il raconta à Svetlana tout ce qu'il savait de Paris, en passant par la littérature, les arts de la scène et le cinéma: Balzac, Zola,

Les Misérables, Le Fantôme de l'Opéra. Et quand Svetlana tomba dans les bras de Morphée, il se tourna vers quiconque ne dormait pas encore.

Il fut le premier à fouler le sol de Paris, suivi juste derrière par Svetlana. «Ah! Paris! Ville des lumières et des crêpes Suzette! s'exclama Voronin.

LA MAIN MAGIQUE

DE LA CHANCE

— Et n'oublie pas le cancan et Toulouse-Lautrec! ajouta Svetlana.

— Pas de temps à perdre avec toutes ces âneries, dit Konstantin. Je vous accorde une heure, pas une minute de plus!» —"1N/Np——

À l'exception de Dmitri et d'Oleg, tous les membres de la troupe s'engouffrèrent dans un restaurant, à quelques pas de là. Irena les avait convaincus de s'offrir, à tout le moins, un bon repas parisien. «

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Svetlana vint s'asseoir tout près de Voronin. Alors qu'ils consultaient le menu ensemble, il glissa son bras autour de ses épaules.

«Je ne connais aucun de ces plats, mais je propose que l'on goûte à un peu de tout, dit Svetlana.

— Excellente idée! Et je me charge de la note», répondit Voronin. Ils ont entamé un bon vin rouge et fait circuler un plateau offrant une variété de plats — un véritable délice — qu'ils goûtaient pour la première fois. Fèves au four avec jambon et saucisson; pizza couverte d’un œuf; croissant avec jambon et sauce béchamel. Huîtres fraîches, soupe à l'oignon. Svetlana et Voronin furent les seuls à savourer les escargots dans le beurre à l'ail. Munis d’une 108

Chapitre 7

minuscule fourchette argentée, ils s’offraient mutuellement de petites bouchées. Voronin se sentait ivre. Ivre de bon vin, ivre de ces parfums de table, ivre de cette intimité avec Svetlana. Il avait le cœur si grand, maintenant, qu'il allait bientôt exploser. Le resto, très peu pour Dmitri et Oleg. Ils préféraient marcher et flâner dans un parc, tout près.

Oleg prit les devants. «Bien, que comptes-tu faire cette fois ?On ne peut tout de même pas écrire une autre lettre. Il faut trouver autre chose. — J'ai une idée. Viens, suis-moi », répondit Dmitri. Dans le parc, nos deux comparses avaient déniché un grand bouleau dont quelques branches pendaient. «Soulève-moi », demanda Dmitri. Il brisa une branche et, tirant de toutes ses forces, la décrocha de l'arbre.

Oleg entra à l'hôtel, branche de bouleau sous le bras. Dmitri portait le béret français, Sergey jouait des airs français sur son accordéon, Voronin et Svetlana partageaient un éclair au chocolat et s’en léchaient les doigts. Le drapeau français bien en vue sur le mur derrière la réception les accueillait. De même que le concierge. «Messieurs dames. Bienvenue, bienvenue. » M

9——

109

LA MAIN MAGIQUE

DE LA CHANCE

Dans le corridor de l'hôtel, Svetlana prit Irena à part et lui chuchota: « Fais la sieste, repose-toi. Toi et moi, nous sortons ce soir...

— Nous sortons ? Tu n’y penses pas? C'est interdit! — Mariska est sortie tous les soirs, dans toutes les villes que nous avons visitées, et elle ne s’est jamais fait pincer. Pas une seule fois ! » répliqua Svetlana.

Et elle ajouta: «Je ne partirai pas d'ici sans avoir vu le Moulin Rouge. Nous attendrons le bon moment, lorsque Konstantin se sera endormi. Viens avec moi! — Mais je ne peux pas. Lev...

— Il le saura plus tard. Il peut toujours aller boire avec les copains. Voilà ce qui ne va pas chez toi, avec Lev — tu en fais trop. Tu tournes autour de lui. Tu cherches constamment à lui plaire et à lui faire des yeux de velours. Ce soir, il saura ce que c'est que de ne. pas t'avoir près de lui, toujours à sa disposition. — Mais Svet…

— N'as-tu pas confiance en moi?»

Cette question toucha Irena. Baissant les yeux et d’un air grave, elle hocha la tête. « Mais oui, voyons.

110

Chapitre 7

— Bien. On se retrouve dans le hall d'entrée à vingt et une heures. Je sais ce que je fais.» 1/0

ÿ—

«Alors, qui est l’heureux élu ce soir? demanda Svetlana.

(Elle s’adressait

à Mariska,

concentrée

à

appliquer un épais maquillage.) — J'ai rendez-vous avec un comte, si tu tiens vraiment à tout savoir. — Un comte! » Svetlana riait sans retenue. « Tu m'en

diras tant!

— Épargne-moi ton sarcasme, dit Mariska en la regardant froidement, dans son miroir. Tu seras une petite vieille qui ironise, mais qui est seule, soir après soir, seule avec son ridicule tricot.

— C'est ce que l’on verra », répondit Svetlana. Mariska

observait

Svetlana

brosser

ses cheveux,

mettre des boucles d'oreilles et fouiller dans sa valise

pour en tirer des talons aiguilles. Les voici! songea Svetlana. Des chaussures noires et poussiéreuses, parfaitement démodées. Mais elle les enfila quand même.

ii

LA MAIN MAGIQUE

DE LA CHANCE

«Eh bien, eh bien. Je ne suis peut-être pas la seule à sortir en douce le soir... » lança Mariska. — Je ne te moucharderai pas, promis », dit Svetlana en lui décochant un clin d'œil. Elle attrapa son sac à main et sortit. 1/0



En quittant l’hôtel, Svetlana et Irena se sont ruées dans un taxi. Nerveuse, mais excitée, Irena cherchait des yeux la fenêtre de sa chambre — était-ce allumé? Mais Svetlana n’a pas tardé à réagir. «Oublie Lev pendant quelques heures — qui sait, nous ne reviendrons peut-être jamais à Paris!

— Le Moulin Rouge», dit Svetlana au chauffeur de taxi. Les yeux

dans le rétroviseur,

il les observait.

«Mesdames, vous êtes russes, n'est-ce pas?

— Oui! Et c'est notre première nuit à Paris — ça se voit, je crois.

— Veuillez pardonner mon indiscrétion, mais, vous savez, le Moulin Rouge est un piège pour touristes. Ce n'est pas un endroit que je recommanderais à deux dames comme vous. Ce n'est plus ce que c'était. »

112

Chapitre 7

Svetlana sentit le rouge lui monter aux joues. « Nous cherchons un endroit pour danser et nous amuser un peu. C'est le seul nom que je connaisse. — Je connais un endroit mieux approprié, je crois —

c'est toujours dans le même quartier, Montmartre. Si vous voulez, je peux vous faire visiter les environs, chemin faisant. Cela vous conviendrait-il? — Oh! je vous en prie!» dit Irena, qui semblait entrer dans le jeu.

Le chauffeur changea de direction et traversa le cœur de Paris — les deux amies avaient le visage collé à la fenêtre, de chaque côté de la voiture, buvant des yeux le paysage parisien. Le chauffeur citait les principaux attraits de la ville: «Les Tuileries, les Champs-Elysées, l'arc de triomphe, le Louvre.» Les deux amies rayonnaient de bonheur. «Et puis, il y a Les Deux Magots, célèbre café où tous les grands écrivains et intellectuels se rencontraient.

Vous aimeriez sans doute vous y arrêter un moment ?

— Vous êtes allé dans ce café, déjà ?demanda Irena. — Évidemment.»

Svetlana rayonnait. « Et qu’avez-vous commandé ? »

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LA MAIN MAGIQUE

DE LA CHANCE

Il haussa les épaules. «Je ne m'en souviens pas. Un simple goûter. Peut-être une soupe à l'oignon et un verre de vin.»

Svetlana interrogea Irena du regard et dit: «Pourriez-vous venir nous chercher, dans une heure, si nous entrons dans ce café pour y prendre un léger goûter? Voyez-vous, mon amie et moi n'avons pas encore

déjeuné. — Mieux, je viens avec vous», dit le chauffeur. Il rangea la voiture dans une halte routière.

« Venez, je me charge de nous trouver une bonne table », dit-il. Les deux amies, bras dessus bras dessous, l'ont suivi avec bonheur.

Au sortir du resto, le chauffeur a conduit les deux femmes dans cette fameuse boîte de nuit. Il les accompagna jusqu'à la porte d'entrée en disant: «Ici, vous entendrez toutes les musiques, d'ici et d’ailleurs.» Un immense ballon disco surmontait la piste de danse où les gens se déhanchaient au rythme d’une musique française. Des gens de tous âges s'amusaient sur la piste de danse. Quand Svetlana et Irena eurent obtenu une table et commandé une bouteille de champagne, elles se

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Chapitre 7

rendirent ensemble sur la piste. Mais elles n'ont pas tardé à danser... en bonne compagnie. «Pardon, mesdemoiselles, dit un homme avec un bel accent français. Mon ami et moi pensons que deux

jolies dames comme vous ne devraient pas danser ensemble. Vous permettez ? » Les deux amies ont toisé les deux hommes, des Français d'âge moyen. Vêtements luxueux, chaussures en cuir verni. Le plus âgé portait lunettes et moustache; l’autre était vêtu d'une chemise au col ouvert sur la poitrine, son sourire laissait voir des dents d’une blancheur étonnante.

«Mais oui, pourquoi pas ? » répondit Svetlana. Elle partit dans une direction avec le plus âgé, laissant Irena dans les bras du second.

Ce furent les premiers, mais non les derniers prétendants de la soirée qui se termina vers minuit. Svetlana avait les pieds si enflés qu’elle enleva ses chaussures et marcha pieds nus jusqu’à la sortie de la boîte de nuit.

«C'est incroyable! Je n'avais jamais rencontré autant d'hommes de toute ma vie, dit Svetlana. — Je sais. J'ignore ce que la plupart d'entre eux racontaient, mais nous avons dansé et je me suis bien amusée.

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LA MAIN MAGIQUE

DE LA CHANCE

— Ah! Nous le méritons bien! répondit Svetlana tout en hélant un taxi pour rentrer à l'hôtel. C'est bon de voir comment vivent les gens d’ailleurs, ne crois-tu pas?» —10/00—

Le lendemain matin, Svetlana et Irena ont pris le petit déjeuner ensemble. Un peu à l'écart, elles discutaient et rigolaient quand Voronin fit son entrée. Il se dirigea vers elles. «Bonjour, mesdames. Qu'est-ce qui vous fait rire ainsi?»

Dans un soupir, Svetlana répondit: «Tu ne dois surtout pas le dire à Konstantin, mais, hier soir, deux bonnes amies ont passé une soirée formidable et se sont bien amusées dans une boîte de nuit de Paris. Elles ont

dansé et bu du champagne tout au long de la soirée. — Svetlana!»

Lev venait d'entrer et il était manifestement en colère. «Où l’as-tuamenéehier soir ? Peux-tu m'expliquer pourquoi elle se comporte de cette façon ce matin — elle est bizarre et elle rigole tout le temps ? »

D'une voix posée, Svetlana répondit: «Je n'en sais rien. C'est à elle qu'il faut le demander.

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Chapitre 7

— Mais, je l'ai fait. Elle dit être sortie avec toi. Elle refuse d'en dire davantage. Elle est rentrée à une heure du matin et, son haleine l’a trahie, elle avait bu du champagne.

— Et ce n'est pas tout. Elle était la reine de la soirée — tous les hommes voulaient danser avec elle! »

Irena rougit. « Mais, avec toi aussi, Svetlana! »

Lev devenait cramoisi. « Irena, tu n’as pas osé!

— Quoi? demanda-t-elle avec aplomb. Oui, j'ai dansé. Et je me suis follement amusée, comme le raconte Svetlana. J'ai eu de nombreux et beaux prétendants qui m'ont invitée sur la piste de danse. — Mais, c'est interdit. Et puis, tu es ma. — Je suis ta quoi ?Ta petite amie ? Ta fiancée? Après dix ans à tes côtés, je ne sais plus trop bien ce que je suis pour toi. Nous ne sommes pas mariés et aussi longtemps

qu'il en sera ainsi, ce que je fais — eh bien, pour être honnête, ça me regarde. » Lev semblait abasourdi. Les deux amies sirotaient à nouveau leur café en souriant.

Voronin semblait vivre des émotions un peu plus complexes. On pouvait lire sur son visage de l'amusement, de l'admiration et un petit quelque chose de plus qui 117

LA MAIN MAGIQUE

DE LA CHANCE

n'échappait pas au fin regard de Svetlana. Mais, elle n'aurait su dire, exactement, ce qu'il en était. "01/0

Ce matin-là, tout au fond du chapiteau, Oleg balayait le bran de scie pendant que Dmitri faisait le guet. Sergey souffla pour enlever les derniers résidus sur la baguette qu'il venait de sculpter dans une branche. Il la remit à Rustam qui tenait à la main une brosse et une canette de peinture or.

Rustam semblait inquiet. «En es-tu bien certain, tu crois que ça peut fonctionner? — Mais bien sûr, voyons! répondit Oleg. Allez, tu dois la peindre — pronto!»

Dmitri vit passer Vlad qui regardait les sœurs Ovinko en pleine répétition. Il monta sur une chaise pour retirer un cristal ornant un chandelier. Au même

instant, Voronin

était dans sa loge et

discutait avec Valentin de sa table pour accessoires. «Maintenant, j'aimerais que tu enlèves les vis et la pièce en aluminium. Je veux qu'elle redevienne comme avant. » Valentin était perplexe. «Je ne comprends pas. La table sera moins solide. Elle basculera. C’est vraiment ce

que tu veux ?

118

Chapitre 7

— Oui, oui. Tu verras. On s’amusera bien. »

Konstantin entra dans la loge. «Pardonnez-moi, Yevgeni Voronin. — Oui?

— C'est pour toi.» Konstantin s'adressait à lui avec tant de déférence en

lui remettant le colis que Voronin en fut surpris. Hésitant, Konstantin ajouta avant de sortir: «J'ai

commandé précaution.

des bouteilles de vodka. Par mesure

de

— Merci. »

Il sortit en hochant la tête. MY

y—

Ce soir-là, Voronin éprouvait une grande fierté, debout, devant la troupe réunie. Il regardait ces visages, un à un, et songeait à toutes ces années passées en leur compagnie. Il les connaissait depuis si longtemps, certains depuis leur tendre enfance. Lev, par exemple, était un garçon d’à peine treize ans lorsqu'il travailla avec lui la première fois. Il en allait de même d'Irena. Ces gens étaient devenus sa famille, ses confidents. Il avait mis du

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LA MAIN MAGIQUE

DE LA CHANCE

temps à trouver sa place au sein du groupe et, aujourd’hui, il la chérissait.

«Mes amis, comme vous pouvez le constater, j'ai de nouveau reçu les plus grands honneurs, la Baguette d'or de la France. » Il exhiba la baguette sculptée par Rustam, montée d’un cristal et accompagnée d’une brève missive. L'objet était visiblement fait à la main, de manière artisanale, mais nul n’en toucha mot. «J'aimerais vous dire ce que je ressens, mais je reste

sans mot. Voyez-vous, mon âme déborde et ma bouche, je crois, s'inquiète de l'état et mes lèvres — mes lèvres remuent sans l'émotion, quelle est-elle et où est-elle ?Qui Au Château magique, on dit que.»

de gratitude de mon âme cesse. Mais peut le dire?

Voronin neut pas le temps de terminer son discours

décousu. On entendit la cloche sonner, annonçant le début des festivités. Puis, l'accordéon entamait déjà la mélodie de belles chansons françaises. On dansait comme jamais. Voronin et Svetlana tournoyaient, faisant le tour de la salle avec une aisance et une grâce, comme s'ils

avaient dansé ainsi toute leur vie. Sergey fit un numéro de claquettes. L'atmosphère était à la joie et à l'abandon. Les sœurs Ovinko avaient enlevé leurs chaussures et improvisaient un french cancan, laissant voir leurs jambes efhilées.

120

Chapitre 7

«Regarde Konstantin, il semble réellement s'amuser», dit Voronin à Svetlana.

Rustam, Vlad, Dmitri et Oleg ont soulevé un Konstantin ivre et nonchalant pour le parader dans toute la pièce, au grand plaisir de la troupe. Mais, la plus grande surprise venait de Lev et d’Irena. Lev gardait constamment le bras autour des épaules d’Irena et dansait langoureusement avec elle. Irena fit «merci » du bout des lèvres lorsque Svetlana passa près d’elle en valsant avec Voronin.

Lev croisa le regard de Svetlana. « Grandes nouvelles! lança-t-il. Nous nous marions dès que je reçois les documents officiels. » Elle interrogea Irena du regard. C'était bien vrai.

«Eh bien, je vous félicite tous les deux. — Oui, il était temps, tu ne crois pas? dit Lev en faisant tournoyer Irena pour ensuite l'emmener dans une autre direction.

Une danse en ligne, de type conga, venait de se former près de la sortie. Toute la troupe s’y mit. La cloche sonna la fin des festivités — et la troupe poursuivit sa danse en ligne jusqu’à la réception et dans le hall | d'entrée de l'hôtel.

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Chapitre 8

less lendemain matin, tout le monde somnolait dans l’autocar, sauf Voronin et Svetlana. Tous deux étaient bien réveillés. Voronin portait toujours son nouveau couvre-

chef et il rayonnait de plaisir. La tête de Svetlana reposait sur son épaule, sa main sur la sienne. Sur le siège arrière de l’autocar, Irena était à rédiger une toute dernière lettre. Il était tard lorsqu'ils arrivèrent enfin à l'hôtel portugais où on les attendait, près de Lisbonne. Cette fois, pas de course aux souvenirs. Épuisés et un peu nauséeux, les artistes traînaient leurs bagages au sol. Le

concierge les accueillit avec gentillesse : «Bem-vindos’.» C'est à peine s’ils répondirent à ses salutations. Le lendemain, Svetlana fit équipe avec Voronin et l’aida à coudre une chemise avec col amovible. Ensuite, il

7.

«Bienvenue», en portugais.

LA MAIN MAGIQUE

DE LA CHANCE

se remit à exercer son numéro — celui du chapeau muni d'une corde rouge. «Oui, oui, c’est excellent! l'encourager.

disait Svetlana

pour

— Tu le penses réellement?

— Oui, surtout si tu prends cette position... (Elle lui montra ce qu'elle entendait par là.) — Nous formons une équipe maintenant. peut-être ? » dit Voronin.

Enfin,

Elle sourit. «Oui, peut-être.» ——02/—

Le soir venu, Oleg s'éclipsa en douce de l'hôtel, une enveloppe brune sous le bras. Un peu plus tard, Voronin était debout dans les coulisses devant toute la troupe. «Et maintenant, mes amis, permettez-moi de vous

présenter un ami très cher, venu droit de chez nous. »

Peter avança une table sur laquelle reposait un grand bol. «Caviar!»

124

Chapitre 8

On apporta ensuite un immense gâteau couvert d’un glaçage au beurre.

Et que la fête commence! «Avez-vous déjà entendu parler de si grands et nombreux honneurs ? demanda un ouvrier.

— Avez-vous déjà assisté à autant de festivités ?» répondit quelqu'un. Konstantin se servait généreusement de la vodka et rigolait en compagnie de Sergey et de Peter. Les hommes dansaient sans retenue et sans chemise et riaient à belles dents.

Il était plus de minuit lorsque la troupe se mit à table, comme une belle et grande famille. Au menu, des homards frais, des crevettes, du champagne et des pâtisseries. C'était leur dernier repas ensemble, lors de cette tournée, mais ils n'en savaient rien. —/9——

Le soir suivant, toute la troupe se trouvait dans les coulisses pour suivre les faits et gestes de Voronin qui offrait son numéro sur scène. Son spectacle avait quelque chose de particulier, d’inhabituel. La salle croulait sous les rires, et les applaudissements fusaient de partout, constamment.

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LA MAIN MAGIQUE

DE LA CHANCE

Voronin s’apprêtait à déposer les fleurs dans le vase quand, tout à coup, la table s'écroula — comme il l'avait voulu. Il haussa les épaules et semblait perplexe; les spectateurs riaient de plus belle, tout comme la troupe d’ailleurs. Dmitri s’approcha d’Oleg en disant: comment il s'y prend, mais il est hilarant. »

«J'ignore

Voronin tira sur la corde rouge pour la faire sortir de son chapeau magique. Vite, la corde retourna se cacher sous le chapeau; il essaya en vain de la rattraper. Sa chemise resta accrochée par un je-ne-sais-quoi dans le chapeau — puis, c'est toute la chemise qui y passa et s'engouffra sous le chapeau. La salle trépignait de joie. Avec fausse modestie, Voronin couvrit sa poitrine nue. Il alla se cacher derrière un rideau pendant un court moment, mais le rideau tomba et Voronin réapparut tout habillé. Svetlana et la troupe criaient de joie. Voronin était transporté par cette vague de rires qui secouait la salle. Il regardait les spectateurs et goûtait le plaisir de les faire rire. Toute sa vie, il avait désiré vivre cette expérience — cette adoration, cette affection. Il avait l'impression que

des vrilles d'énergie flottaient dans la salle et pénétraient son corps. Jamais il ne s'était senti aussi vivant.

Il se tourna vers Svetlana qui lui décrocha le plus merveilleux des sourires, à lui transpercer le cœur. Ce sentiment nouveau qui l'habitat, il le devait en grande

126

Chapitre 8

partie àSvetlana — elle l'avait aidé à croire en son talent inné, elle l'avait encouragé à miser sur ses forces et à se manifester. Le reste de son numéro allait de soi, tout coulait de source, sans effort, un mouvement en entraînant

un autre. Il devint simplement lui-même, authentique et bougrement comique. Il échappait des pièces de monnaie,

tirait les mauvaises

cartes.

Il tournait

ses

erreurs en blagues et la foule applaudissait et riait de bon cœur.

Lorsqu'il sortit de scène et gagna les coulisses, il fut accueilli par un tonnerre d’applaudissements et d'amicales tapes dans le dos.

À la vue de tous ses amis et de Svetlana, qui rougissait de plaisir, il se sentit parfaitement heureux. Et quand on entendait le public crier «encore! », Konstantin jouait le jeu, claquant dans ses mains et invitant les artistes à retourner sur scène pour saluer à nouveau la foule. —M}y—

Après le spectacle, Konstantin demanda à la troupe de se réunir. Il devait lui transmettre un message important.

«Aujourd’hui, on m'a informé que notre voyage en Grèce est annulé. »

127

LA MAIN MAGIQUE

DE LA CHANCE

Tous semblaient confus, déconcertés. «Alors, où irons-nous ? demanda Voronin.

— Nous rentrons chez nous. Nous partons en autocar

à huit heures demain matin. Ne soyez pas en retard. — Mais pour quelle raison ?demanda Dmitri. — Parce que la tournée est terminée», répondit Konstantin. De toute évidence, il n'en dirait pas davantage. Silences. Regards attristés. Nul ne savait comment réagir. Certains se dirigeaient vers la sortie.

«Attendez, dit Konstantin. Il y a autre chose. J'ai ici une lettre en provenance d'Hollywood, Californie. Je crois que c'est pour toi, Voronin. »

Abasourdi, Voronin s’avança et prit la lettre. Après avoir obtenu la Baguette d'or, il ne s'attendait plus à recevoir de nouveaux honneurs. Il lut la lettre en silence. Il la relut. Il avait les larmes aux yeux et comme un serrement de gorge. Il avait peur de parler, du moins jusqu’à ce qu'il croise les yeux de Svetlana qui lui fit signe de la tête, comme pour dire: «Ne t'en fais pas, ça va. » D'une voix douce, il dit: «La lettre vient du Château

magique. »

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Chapitre 8

Irena et Mariska ont regardé Dmitri et Oleg qui feignaient de tout ignorer. Et

— Elle vient du Château magique! —

Oui, Voronin, on a compris. Mais n'as-tu rien

d'autre à ajouter ? » Il était au bord des larmes.

«Simplement hommes. »

ceci: je suis le plus chanceux des

129

Chapitre 9

De retour à Moscou, la troupe se tenait devant le ministre de la Culture qui serra la main à chacun et à chacune. «Merci, vous avez bien travaillé. Merci!»

Après avoir remercié personnellement chaque artiste, il s'adressa à la troupe entière. «Excellent travail. Vous avez tous fait honneur à votre pays. Pour vous exprimer notre reconnaissance, vous avez tous droit à un congé sabbatique de quatre mois. »

On sentit de l'excitation au sein du groupe. «Sans solde, évidemment. »

Soupirs et déception.

LA MAIN MAGIQUE

DE LA CHANCE

«Pendant ces quatre mois, vous aurez tout le loisir de vous reposer, de soigner vos blessures, de visiter vos proches, votre famille et vos amis. J'ai la certitude que

vous avez gagné suffisamment d'argent et que vous avez eu la sagesse d'épargner pour être en mesure de subvenir à vos besoins pendant cette période de repos. Bienvenue chez vous. » Les membres de la troupe quittaient lentement la pièce, un à un, l'air débité. «Monsieur le ministre, m'accorderiez-vous deux minutes de votre temps, en privé, je vous prie ? » demanda Voronin. Etonné par l'audace de cette requête, le ministre semblait également intrigué. Se tournant vers les autres artistes, il dit: « Veuillez nous excuser. »

Oleg, Dmitri et Svetlana se sont retournés avant de sortir et, à leur grande surprise, ont vu Voronin qui sortait

les enveloppes de son sac pour les montrer au ministre. Konstantin referma la porte, laissant Voronin seul dans le bureau du ministre.

«Il s'en va à l'échafaud, dit Oleg à Dmitri.

— Et nous aussi », répondit-il en fronçant les sourcils.

132

Chapitre 9

Voronin étala sur le bureau du ministre les lettres, le diplôme et la baguette. Il avait en sa possession d’autres lettres et d’autres objets qu'il n'avait encore jamais montrés à qui que ce soit, y compris Svetlana. Avant cette tournée, il n'aurait jamais osé approcher ainsi le ministre, mais il avait gagné une confiance profonde et l'estime de soi. «Je vous en prie, monsieur le ministre, jetez un coup

d'œil. Italie, Suisse, Espagne. Tous ces pays ont rendu hommage à mes talents et à mon travail d'artiste. » Le ministre lut les lettres et examina la baguette.

«Il s’agit de la Baguette d'or de France. » 10/09/09

Dmitri et Oleg se faisaient du mauvais sang. Assis sur un banc, près de la porte du bureau du ministre, ils attendaient anxieusement la sortie de Voronin en tapant

du pied. «La Sibérie. C’est ce qui nous attend, lâcha Dmitri. — Je l'espère, dit Oleg. — Tu l'espères?

— Il y aurait pire.» A

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LA MAIN MAGIQUE

DE LA CHANCE

Svetlana discutait plus loin avec Irena, qui l'avait invitée à s'asseoir. «Notre sortie parisienne a tout changé. Lev était si jaloux qu'il devait toujours avoir l'œil sur moi. Depuis, il m'a dit à trois reprises qu'il m'aime. Il semble qu'il me réserve toute une surprise, ce soir!»

Svetlana la prit dans ses bras. «Je savais bien qu'il finirait par voir clair, dit Irena. Je suis si heureuse. » Irena avait un air grave. «C'était la bonne nouvelle que je désirais t’annoncer. Mais, Svetlana, je dois te dire autre chose et ce n'est pas facile. C'est moi qui...»

Svetlana prit sa main dans la sienne. « Non, ne dis rien de plus. — Mais, tu es mon amie. Et Voronin aussi. Je me sens

si coupable.

— Je t'en prie, dit Svetlana. Après notre discussion, j'ai compris que c'était sans doute toi. Mais j'ai décidé que ces lettres ne faisaient aucun mal. En fait, elles ont soutenu Voronin. Elles lui ont permis de croire en lui. — Pendant tout ce temps, tu le savais ?Mais pourquoi ne lui avoir rien dit?

— Je ne voulais pas tout gâcher. Il aurait été démoli s’il avait su que ces lettres étaient fausses. Il y a une citation 134

Chapitre 9

de Houdini que Voronin affectionne particulièrement : “Ce que l'œil voit, ce que l'oreille entend, l'esprit y croit? » y

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Dans le bureau, Voronin tira sa dernière carte du jeu avant de mettre fin à sa rencontre avec le ministre. Il exhiba sa lettre en provenance du Château magique. «Et, finalement, la plus importante d’entre toutes, la lettre provenant du Château magique d'Hollywood, en Californie, l'endroit le plus merveilleux du monde. » Le ministre en fit la lecture.

« Voilà, monsieur le ministre, pour quelle raison je ne peux prendre congé. Ce n'est pas une question d'argent — vous pouvez prendre tout ce que je possède et je continuerai à faire du spectacle — , mais par amour de la magie. Vous comprenez? Prenons votre exemple, vous occupez un poste important, mais, un jour, vous prendrez votre retraite et vous quitterez le ministère.

Et c'est bien ainsi! Mais moi, jamais je ne prendrai ma retraite. Jamais. Ce n’est pas un simple travail. Je suis

magicien. Je sais rendre l'impossible possible. Je sais rendre l'ordinaire extraordinaire. Grâce à la magie, je fais rire les gens. Grâce à la véritable magie, je peux ouvrir les cœurs. »

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LA MAIN MAGIQUE

DE LA CHANCE

Le ministre réfléchissait. « Connaissez-vous les peines que je pourrais vous imposer pour avoir communiqué

avec les gens de l'Ouest ? »

Voronin garda le silence. «Le savez-vous ?

— Oui, monsieur le ministre. Évidemment, je suis au courant.» —A/9—

Oleg regarda sa montre. «Mais qu'est-ce qu'ils font? — Ils le laisseront peut-être partir avec un simple avertissement, lança Dmitri. — Et ensuite? Il rentrera à la maison sans un rond ? »

dit Oleg. Svetlana se prit la tête entre les mains. Soudain, on entendit une exclamation de joie venant du bureau du ministre. La porte s'ouvrit d’un coup et Voronin en sortit, les bras grands ouverts. «Le ministre organise une fête en mon honneur!»

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Chapitre 9

Oleg etDmitri se regardaient, incrédules. ne

_Svetlana bondit de sa chaise pour aller se jeter dans les bras de Voronin.

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Chapitre 10

Au ministère de la Culture, l’auditorium était décoré de crêpe rouge pour l'occasion. Au fond de la salle, une dame d'âge moyen surveillait un grand bol de punch. Elle avait profité d'un moment d’inattention de ses patrons pour y ajouter discrètement une pleine bouteille de vodka. Tous les membres de la troupe étaient présents, mais

aussi des voisins du quartier venus les voir en spectacle, par le passé, en partie pour se protéger du froid. Voronin, vêtu de son plus beau veston noir, avait pris place sur l’estrade parmi divers officiels portant l'uniforme militaire et des bannières. D'un air sérieux, le ministre de la Culture s’approcha de Voronin avec, en main, une grande médaille montée sur chaîne en or. Il la glissa autour du cou de Voronin avant de s'adresser à la foule. « En plus de vous offrir cette

LA MAIN MAGIQUE

DE LA CHANCE

médaille honorant vos réalisations et votre gratitude, Voronin, nous vous fournissons votre cirque ambulant personnel. Félicitations!» Dans la salle, la troupe bondit de joie, soutenue par un tonnerre d’applaudissements. On vit les flashs crépiter ici et là.

Voronin s’inclinait, posait, saluait de la main et finit par descendre de l'estrade pour marcher, bras dessus bras dessous avec Svetlana, au milieu de centaines de personnes voulant lui serrer la main. «Eh! Voronin, cria Dmitri, tu as peut-être besoin de quelques bons clowns pour jouer dans ton nouveau spectacle?

— Téléphone-moi!»

dit Voronin tout en poursuivant

son chemin au bras de Svetlana.

Passant près d’Irena et de Lev, Svetlana décocha un clin d'œil à son amie qui lui fit l'accolade. Irena souleva sa main... ornée d'une bague de fiançailles.

Voyant que Svetlana admirait la bague de fiançailles de son amie, Voronin la conduisit dans une pièce en retrait, prit ses deux mains et la regarda droit dans les yeux. «J'ignore si j'aurai besoin de bons clowns à mes côtés, mais je sais que j'ai besoin d’une seule personne.

Sais-tu de qui il s'agit ?»

140

Chapitre 10

Svetlana baissa les yeux en rougissant. «Je crois que oui. — Je pense être amoureux de toi, Svetlana. Veux-tu te

joindre à mes rêves?» Elle leva sur lui des yeux remplis d'amour. « C'est déjà fait, Voronin. » Il l’attira vers lui et ils échangèrent un long baiser passionné. Les autres membres de la troupe, qui les observaient discrètement, étaient tout simplement ravis.

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Épilogue

«Allez, Max. Bouge-toi!» Ma sœur venait de me tirer de ma rêverie en entrant dans le corridor par une autre porte. Combien de temps suis-je demeuré ainsi à regarder les photos des plus grands magiciens et illusionnistes de ce monde? Allez savoir. J'avais le sentiment

de m'être arrêté quelques instants, mais, à voir la tête qu'elle faisait, j'avais sans doute tort.

«Papa est prêt à commencer. prendre nos places!»

Nous devons aller

Tout à coup, j'ai entendu une salve d’applaudissements et de rires. Ma mère affirme qu'ici, au Château retrouve trois grandes salles de spectacle: la prestidigitation, qui permet de recréer du parloir à l’ancienne; la galerie de la

magique, on le parloir de l'expérience micromagie,

LA MAIN MAGIQUE

DE LA CHANCE

qui rassemble tous les maîtres de la micromagie; et le palais de mystères — la salle où nous nous rendons.

Un vieil ami de la famille, Oleg, est sorti de la salle pour retirer l'affiche annonçant le spectacle de Jorge, l'illusionniste, et la remplacer par une autre. On peut y lire en grosses lettres: « Directement des quatre coins de la Terre: Voronin, le Magnifique —- Magicien extraordinaire!» «Svetlana, fais entrer les enfants. Allez, vite, dit Oleg. — Max! (Ma mère m'appelait.) — Une petite seconde!» Par la fenêtre, j'ai vu arriver deux personnes aussi enthousiastes que moi à l'idée d'assister à ce spectacle. Heureusement, la porte était entrouverte. Il m'a suffi de pousser pour l'ouvrir complètement. Et ils sont entrés. Lui, un homme émacié, marchant à l’aide de deux cannes, et elle, une belle et vieille dame. L'homme portait un nœud papillon et un veston brillant qui avait connu de meilleurs jours. Les cheveux fins et peignés vers l'arrière, il était rayonnant. Malgré le temps doux, : la dame portait un chapeau de fourrure et, dans le cou, un collier de diamants. « Vous avez réussi! me suis-je exclamé.

144

Épilogue

— Nous n’aurions manqué cela pour rien au monde, dit madame Komarov. N'est-ce pas, Yvan? — Jamais, répondit Yvan avec un grand sourire. Même si nous avions eu à payer nos billets! — Eh! Max. Tu viens ? demanda ma sœur.

— Votre papa est en scène», dit ma mère en me faisant signe de m'approcher. Elle n'avait pas besoin d’insister — après avoir salué mes amis de la main, je me suis précipité vers elle, impatient d'entrer dans la salle: je m’apprêtais à vivre le moment le plus extraordinaire de ma vie. J'allais voir

mon père réaliser le plus grand rêve de sa vie: offrir son spectacle au sein du Château magique, lieu sacré et

réservé aux plus grands magiciens de ce monde.

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À propos des auteures

Sophia Max vit à Austin, au Texas. Elle rédige des ouvrages traitant d'escalade, d'arts martiaux et de spiritualité.

Lynn Lauber est enseignante, auteure de livres de fiction et de non-fiction et collaboratrice en édition. Elle a publié trois ouvrages chez W.W. Norton & Co. sans parler de ses nombreuses collaborations avec divers auteurs. Elle se spécialise en fiction, récits et développement personnel. Ses articles ont été publiés dans le New York Times. Elle a collaboré à la création de livres audio pour différents auteurs, dont John Updike, Oliver Sacks, Oprah Winfrey et Gore Vidal.

Visitez son site au www.lynnlauber.com.

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MARQUIS Québec,

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RECYCLÉ Papier fait à partir de matériaux recyclés

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fnspirée des enseignements des auteurs de best-sellers, Louise L. Hay et Wayne W. Dyer, La main magique de la chance est basée sur une histoire vraie qui explore le monde fascinant des croyances et la notion qu’un changement de pensées entraine une transformation de la vie. Désespérément maladroit, Voronin rêve de devenir le plus grand magicien au monde. Pour l'instant, il doit se contenter de faire partie d’un cirque russe qui parcourt l'Europe. La vie de Voronin va être chamboulée lorsque deux clowns du cirque lui font croire qu'il a reçu la plus grande distinction de la Société des magiciens de l'Amérique, société fictive inventée par les deux clowns. Motivé par cette fausse nouvelle et parce qu'il commence à croire en lui-même, Voronin développe son art et devient ultimement un grand magicien. Ce roman d'inspiration met en lumière l'importance de-croire en soi et en ses rêves, même

dans le doute et la négativité.Hl

démontre qu'il est possible de devenir qui nous voulons-être;, peu importe notre condition de départ.

Sophia Max vit au Texas. Elle rédige des ouvrages traitant d'escalade, d'arts martiaux et de spiritualité. Lynn Lauber est une auteure de fiction et de livres pratiques. Elle a publié trois ouvrages sous son nom et a collaboré à plusieurs autres. Elle se spécialise dans les domaines du développement personnel et de la fiction.

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ISBN : 978-2-8 $ 14 e 95

Blanc

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