La littérature dans l'enseignement du FLE 9782278076161

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La littérature dans l'enseignement du FLE
 9782278076161

Table of contents :
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Introduction
Chapitre 1. La littérature dans la didactique du français et des langues : histoire et théories
1.1. Évolution de la place de la littérature dans l’enseignement scolaire des langues étrangères et du français (du xixe au milieu du XXe siècle)
1.1.1. Grammaire/traduction et « colinguisme » jusqu’aux années 1880
1.1.2. Méthodologie directe et français scolaire (de 1880 à 1925 environ)
1.1.3. Méthodologie active et explication de texte jusqu’aux années 1960
1.2. Le tournant linguistique des années 1960 : des remises en question à une nouvelle didactique de l’écrit
1.2.1. Double marginalisation de la littérature en FLE dans la méthodologie SGAV
1.2.2. La littérature comme document authentique dans l’approche communicative en FLE
1.2.3. Le bouleversement des études littéraires en FLM : théories du texte et du discours
1.2.4. Les voies d’un renouvellement pour la didactique de la littérature en FLE
1.3. Spécificités du discours et de la communication littéraires
1.3.1. Polysémie et « littérarité » ou subjectivité
1.3.2. Sociologie de la littérature et du fait littéraire
1.3.3. Les éléments formels de la communication littéraire
1.4. La lecture de littérature comme réception authentique
1.4.1. Lecture scolaire et contextualisations
1.4.2. La lecture littéraire, une lecture interactive
1.4.3. Pratiques de lecture et médiation vers la littérature
1.5. L’écriture littéraire, une écriture créative
1.5.1. Jeux littéraires et créativité langagière
1.5.2. L’atelier de lecture-écriture : l’interactivité des apprentissages
1.6. La littérature comme voie d’accès à la culture anthropologique
1.6.1. La littérature comme outil de médiation interculturelle
1.6.2. La littérature comme apprentissage de l’altérité
Chapitre 2. Enjeux de la formation littéraire aujourd’hui
2.1. Convergences des didactiques du français (FLM, FLS et FLE)
2.1.1. Objectifs et démarches de l’approche par compétences
2.1.2. Enjeux formatifs de la culture littéraire
2.1.3. Éducation à la diversité culturelle et linguistique
2.2. Finalités des enseignements de langue comme discipline scolaire : littérature, Bildung et culture humaniste
2.2.1. Les principes de la Bildung
2.2.2. La culture humaniste dans le Socle commun français
2.2.3. Littérature et compétences de lecture-écriture
2.2.4. Littérature et identité culturelle
2.3. Corpus littéraires : élargir la notion de patrimoine commun
2.3.1. La promotion de l’enseignement des littératures européennes
2.3.2. La reconnaissance de la pluralité des littératures en français
2.3.3. Pour une conception ouverte du patrimoine littéraire
2.4. Dimensions interprétatives de la compétence littéraire
2.4.1. La compétence littéraire comme attitude interprétative
2.4.2. Des outils pour développer la lecture interprétative
2.4.3. Interprétation et réflexivité : du carnet de lecture à la « bibliothèque intérieure » de l’apprenant
2.4.4. Débats interprétatifs dans une perspective communicative et interculturelle
Chapitre 3. L’enseignement de la littérature de langue française à l’étranger : lieux, dispositifs et tendances
3.1. Trois espaces d’enseignement et de diffusion de la littérature
3.2. Alliances françaises et instituts français
3.2.1. La réorganisation des structures culturelles : la Fondation Alliance française et l’Institut français (2007-2010)
3.2.2. La place accordée au livre et à la littérature par l’Institut français et la Fondation
3.2.3. Des rituels saisonniers : semaines, journées et prix
3.2.4. La Bibliothèque de l’apprenant
3.2.5. Une médiation vers la littérature : la rencontre avec l’écrivain
3.3. Les départements universitaires de français
3.3.1. L’enseignement de la littérature : une vitalité questionnée, mais pas menacée
3.3.2. Recherche en littérature, littérature enseignée, littérature effectivement lue : des pratiques éclatées
3.3.3. Un renouvellement des approches : de la French theory aux cultural studies
3.3.4. Le cas particulier de l’aire francophone
3.4. Les parcours bilingues dans le secondaire
3.4.1. Historique des sections bilingues
3.4.2. L’enseignement de la littérature en section bilingue : entre FLE et histoire littéraire
3.4.3. Les programmes binationaux : une tentative de didactique intégrée
Chapitre 4. Discours et pratiques d’enseignement du FLE : état des lieux et perspectives
4.1. Les discours institutionnels pour le FLE et le FLS : quels liens entre langue, culture et littérature ?
4.1.1. Le texte littéraire pour le FLE dans le CECRL
4.1.1.1. Des perspectives pédagogiques nouvelles
4.1.1.2. La littérature : un objet réservé aux niveaux avancés ?
4.1.2. Le texte littéraire pour le FLS dans les publications de la DGESCO
4.2. Les méthodes de FLE des éditeurs français
4.2.1. Présence de la littérature
4.2.2. Quel corpus littéraire dans les méthodes aujourd’hui ?
4.2.2.1.Théâtre, poésie, essai : une représentation figée de la littérature ?
4.2.2.2. Le récit : entre pratiques culturelles et valeur documentaire
4.2.3. Quelles activités pour le texte littéraire ?
4.2.3.1. Lectures à voix haute
4.2.3.2. Mises en relation
4.2.3.3. Exploitation grammaticale
4.2.3.4. Compréhensions du texte : sens littéral et subjectivités
4.2.3.5. Productions écrites et orales
4.2.3.6. Existe-t-il une approche actionnelle de la littérature dans les manuels ?
4.3. La littérature pour le FLE : anthologies littéraires et livres de lecture
4.3.1. Les manuels de littérature pour le FLE
4.3.1.1. Le corpus et son organisation
4.3.1.2. Questionnaires et activités : une approche de type scolaire
4.3.2. Les textes en français facile : des collections littéraires spécifiques
4.4. Les lieux de partage des pratiques pédagogiques
4.4.2. Le français dans le monde
4.4.3. Le matériel en ligne
4.5. Perspectives didactiques : pour une approche progressive de la littérature
Chapitre 5. Le rôle de la littérature dans les apprentissages langagiers : de l’écriture créative à la conscience de la langue
5.1. Écriture d’invention, écriture créative : FLM, FLE
5.1.1. Autour de la fiction : des exercices canoniques
5.1.1.1. Médiations nécessaires en FLE
5.1.1.2. Transpositions et traductions
5.1.2. Succès des lectures-écritures ludiques
5.1.2.1. Jeux poétiques élémentaires
5.1.2.2. Formes à contraintes et parodies
5.1.2.3. De l’écriture vers la lecture : la question du sens
5.1.3. Évaluation de l’écriture créative en FLE
5.1.3.1. Du texte produit au processus
5.1.3.2. L’enseignant lecteur/évaluateur
5.1.3.3. Écriture créative et posture scolaire
5.2. Écrivains en classe de FLE : enjeux d’une écriture personnelle
5.2.1. Représentation de soi-même et expression
5.2.1.1. Valoriser l’image de soi en langue étrangère
5.2.1.2. Valoriser les stades provisoires de la langue
5.2.1.3. Aborder des thèmes peu présents dans les manuels
5.2.2. Didactique des traces écrites préparatoires en classe de FLE : l’exemple du carnet d’anecdotes
5.2.2.1. Faire provision d’anecdotes : entre écriture personnelle et écriture scolaire
5.2.2.2. Ni modèles ni points de départ systématiques : des lectures inspirantes
5.2.2.3. Posture littéraire et compétence réflexive en FLE
5.3. Éléments pour une progression autour de la variation
5.3.1. Difficultés du niveau B1 : le besoin de norme
5.3.1.1. Corrections et acceptabilité
5.3.1.2. Grammaire de discours : une première ouverture à la variation
5.3.2. Horizons élargis du niveau B2, seuil des études supérieures
5.3.2.1. Oral, écrit : de nouveaux enjeux
5.3.2.2. Variation historique et savoir-apprendre
5.3.3. Précision et souplesse aux niveaux C : transferts de compétences
5.3.3.1. Combinaison des genres et des types textuels
5.3.3.2. Écarts stylistiques
Chapitre 6. La littérature en acte : voir, entendre, ressentir
6.1. Du jeu des interprétations aux gestes créateurs
6.1.1. Interprétation : créativité et pédagogie de projets
6.1.2. Littérature et cinéma : usages pédagogiques des films pour la lecture
6.2. La lecture expressive : donner sa voix au texte, trouver sa voix par le texte
6.2.1. Oralité et littérature : l’inscription de la voix dans les textes
6.2.2. La lecture expressive : écrit, oralité et auralité
6.2.3. La lecture chorale : une interprétation collective
6.2.4. De la phonétique à la performance orale : la poésie sonore en FLE
6.2.5. L’alexandrin et le théâtre en vers comme support de la prononciation
6.3. Du texte au jeu : littérature et pratiques théâtrales en FLE
6.3.1. Mises en voix et en espace des textes littéraires : explorations et expériences
6.3.1.1. Mise en espace, mise en image
6.3.1.2. Texte et jeu théâtral
6.3.2. Textes dramatiques en FLE
6.3.2.1. Les enfants de Molière
6.3.2.2. Les jeux de l’absurde
6.3.2.3. Théâtres de la parole
6.3.2.4. Textes francophones en zones francophones
Chapitre 7. L’altérité dans la langue : ouverture au plurilinguisme par la littérature
7.1. Littérature et plurilinguisme
7.1.1. L’institution de/par la littérature
7.1.2. Du monolinguisme à une conception plurielle de la langue et de la littérature
7.1.3. Pour une formation des enseignants à la diversité linguistique par la littérature
7.2. Et si nous étions tous des allophones ? La littérature québécoise comme expérience de « français langue étrangère »
7.2.1. Un dispositif antagonique : le face-à-face asymétrique « langue française » / « langue anglaise »
7.2.2. Un dispositif ternaire : mettre en scène une langue à soi ou comment traduire « en québécois »
7.2.3. Un dispositif diffractant : polyphonies des écritures « migrantes » et autochtones
7.3. Représentations du plurilinguisme et de l’apprentissage du français
7.3.1. Opposition ou circulation entre les langues : l’étrangéité de l’écrivain
7.3.2. Parcours d’apprentissage en langue/culture étrangère
7.3.3. Attitude interprétative et déchiffrement de la langue/culture étrangère
Conclusion
Bibliographie
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Ce livre collectif n’aurait pu se faire sans le soutien et la participation de nombreuses personnes. Nous souhaitons tout d’abord remercier Jean-Louis Chiss, Véronique Castellotti et Jean-Claude Beacco pour leur patience et leurs conseils. Nous remercions aussi Emmanuel Fraisse pour sa confiance, ainsi que Francine Cicurel et Corinne Weber pour leurs encouragements. Enfin, nous devons beaucoup à ceux – qu’ils soient experts, acteurs institutionnels, enseignants ou praticiens de la littérature en FLE – qui ont accepté de partager leur savoir et leurs expériences de terrain, en France et à l’étranger : spécialement Fabienne Jacob et Jean Portante qui nous ont ouvert leurs ateliers d’écriture, ainsi que Laurent Attal (Bulgarie), Marie-Laure Basuyaux (lycée Montaigne, Paris), Gérard Enjolras (Tchéquie), Sophia Giero (Allemagne), Sol Inglada (CIEP), Mickaël Lardenois (Espagne), Bruno Laurent (Italie), Gayle Levy (États-Unis), Florent Masse (États-Unis), Emilia Munteanu (Roumanie), Marjorie Nadal (Allemagne), Michel Plat (Laos), Anne-Garance Primel (Fondation AF), Sylvain Tanquerel (EHESS, Paris) et Frédérique Willaume (IF, Paris). Nous les remercions tous chaleureusement pour leurs éclairages et leur disponibilité. Graphisme intérieur et couverture : A.-M. Roederer Mise en pages : Text’oh! (Dole) © Les Éditions Didier, Paris 2015 ISBN : 978-2-278-07616-1 Dépôt légal : 7613 / 01

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INTRODUCTION par Anne Godard Alors que la didactique de la littérature en français langue maternelle a connu de grandes évolutions depuis une dizaine d’années (Daunay, 2007), les travaux en didactique du français langue étrangère, depuis la parution en 2001 du Cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL), ont réservé une place réduite à la littérature, et peu (1) d’ouvrages d’ampleur ont été consacrés à son enseignement . Pourtant, au-delà des descriptions des niveaux de compétences, les lignes de force du CECRL ont renouvelé la réflexion didactique. En effet, l’importance accordée aux dimensions pragmatiques de la communication mettant en jeu non seulement des savoirs linguistiques, mais des savoirfaire et des savoir-être socioculturels ; l’adoption d’une perspective actionnelle permettant d’organiser les apprentissages autour de projets nécessitant l’accomplissement de tâches ; ainsi que la promotion d’approches plurielles en faveur de l’éducation interculturelle et du plurilinguisme peuvent contribuer à transformer les pratiques d’enseignement de la littérature en français langue étrangère. Dans le même temps, plusieurs transformations ont affecté la littérature comme objet et comme discipline. D’une part, de plus en plus la littérature s’appréhende dans un continuum de pratiques culturelles. D’autre part, la reconnaissance des littératures francophones a modifié la notion même de canon littéraire qui avait jusque-là valeur patrimoniale et nationale, changeant aussi, dans le même mouvement, la représentation des relations entre langue et littérature françaises. Dans ce contexte, la valeur formative attribuée à la littérature dans le cadre scolaire met désormais l’accent sur le caractère pluriel des compétences qui se développent au contact des textes littéraires : si elle n’est plus le modèle dominant dans la formation individuelle, scolaire et collective, la littérature reste ainsi un enjeu fort des politiques éducatives françaises et européennes, à l’articulation du linguistique et du culturel, orienté vers l’expérience de l’altérité. Qu’en est-il, cependant, dans l’enseignement du FLE ? La littérature est-elle réservée à certains publics ? À certains niveaux ? Peut-elle être pensée d’emblée dans une progression linguistique ou sa spécificité en classe se situe-t-elle dans un à-côté récréatif ? Comment peut-elle être didactisée tout en ménageant le plaisir comme moyen d’apprentissage ? Comment permet-elle un enrichissement linguistique et culturel et conduit-elle à une modification du regard sur la langue et la culture ? Avant de répondre à ces questions, et pour préciser le rôle spécifique et irremplaçable que la littérature peut jouer dans l’enseignement du français langue étrangère, nous souhaitons indiquer d’emblée qu’à l’encontre d’une tendance à vouloir défendre une didactique de la littérature pour elle-même, nous considérons légitime – spécialement en langue/culture étrangère – d’utiliser la littérature pour « autre chose » qu’elle : à travers elle, en effet, la matière de la langue autant que des formes de la culture sont données à sentir, à goûter et à comprendre, ce qui est, dès les premiers niveaux, non seulement motivant, mais formateur. Qu’elle soit « prétexte » à parler et à écrire n’est pas contraire au rôle qu’elle joue dans les pratiques authentiques, et qu’elle permette ainsi de progresser à la fois dans la maîtrise de la langue et dans la connaissance de la culture, de soi et 4

d’autrui tient justement au fait qu’elle transmet autre chose qu’elle-même. En effet, les mots renvoient à une expérience, qui peut susciter l’émotion, l’imagination ou la réflexion : ce sont toutes ces dimensions qui donnent sens à l’apprentissage. Pour ces raisons mêmes, il importe de ne réduire le texte littéraire ni à servir d’exemplier pour une fiche de grammaire ni à constituer une simple source d’information culturelle comme n’importe quel document fonctionnel : la musique de la langue, l’imaginaire que déploie une fiction, la sensibilité d’une personnalité que l’on perçoit et devine à travers le texte engagent également le lecteur, de manière existentielle. Encore faut-il, dans l’enseignement, parvenir à préserver ces résonances. L’ouvrage est conçu de manière à donner des clés de compréhension de ce que représente la littérature en FLE – historiquement, théoriquement et pratiquement, dans les institutions à l’étranger et dans le matériel pédagogique – ainsi que des pistes de réflexion et des propositions circonstanciées qui répondent aux enjeux linguistiques, communicatifs et éducatifs des enseignements de français langue étrangère. Les chapitres 1 et 2, rédigés par Anne Godard, présentent un cadrage général sur la place de la littérature dans la didactique du français et des langues en cherchant à cerner l’objet « littérature » dans le discours didactique et ses différents enjeux formatifs et éducatifs. Le parti pris historique du chapitre 1 permet de mettre en évidence les nombreuses continuités entre les enseignements de langue maternelle et étrangère, y compris dans les moments de contestation de la place du littéraire dans la formation linguistique. Les spécificités de la réflexion didactique des trente dernières années dans le domaine du FLE font apparaître trois grands axes de renouvellement de l’abord de la littérature en classe de langue autour des compétences de lecture, de la créativité langagière et de l’éducation interculturelle. En relation avec ces trois domaines pour lesquels le rôle de la littérature a été réévalué en FLE, le chapitre 2 analyse au présent les enjeux de la formation littéraire dans l’enseignement scolaire français et européen à travers les positions institutionnelles sur les différentes finalités assignées à la littérature et sur l’ouverture des corpus étudiés. La dimension interprétative de la relation aux textes littéraires constitue une caractéristique cardinale de la compétence littéraire et apparaît comme un enjeu important pour le FLE dans la mesure où elle permet de dépasser l’opposition entre communicatif et culturel. Ainsi, la construction d’une attitude interprétative, bien présente dans la formation scolaire en France, mériterait d’être développée également en FLE, à travers l’adaptation des outils spécifiques qui existent et sont utilisés dans les formations de langue maternelle. Par contraste avec ce cadrage général, qui met en évidence les constantes historiques et les enjeux actuels de la formation littéraire en FLE, les chapitres 3 et 4 s’attachent à analyser la réalité d’une part des situations d’enseignement et de diffusion du français à 5

l’étranger, d’autre part des ressources pédagogiques que constituent, notamment, les méthodes de langue et les manuels de littérature conçus pour le FLE. Le chapitre 3, rédigé par Anne-Marie Havard, avec une contribution de Mathieu Weeger, propose ainsi un panorama des pratiques institutionnelles à l’étranger dans les trois « lieux » de diffusion du français où la littérature joue un rôle notable : le réseau culturel français à l’étranger (instituts français et alliances françaises), les départements universitaires et les filières bilingues du secondaire. Statut du littéraire dans la culture, démarches innovantes et dispositifs d’encouragement aux pratiques littéraires y sont décrits et analysés. Dans un contexte qui est plutôt celui d’un reflux du français comme de la culture littéraire, le parti pris a été de mettre en valeur les points positifs et les initiatives contribuant à rapprocher la littérature de ses lecteurs en langue étrangère. Ensuite, le chapitre 4, rédigé par Donatienne Woerly, repère et évalue les principes qui orientent l’approche didactique de la littérature dans l’enseignement du FLE, principalement dans les discours institutionnels et le matériel pédagogique paru depuis le CECRL. Ses analyses permettent de mettre au jour les conceptions du littéraire qui dominent et les pratiques d’accompagnement que les textes suscitent. Elles mettent en évidence la difficulté d’intégrer, dans les manuels, une véritable progression autour de la littérature qui assure une transition entre les enseignements langagiers et les enjeux interprétatifs, culturels et interculturels de la littérature. Le panorama dressé aux chapitres 1 à 4 met en évidence les éléments suivants : parallélismes entre les didactiques du FLE et du FLM ; spécificités didactiques des enseignements langagiers et de l’éducation interculturelle ; enjeux de la dimension interprétative de la formation littéraire ; hétérogénéité des pratiques et des corpus dans les différents lieux de diffusion du français à l’étranger ; tendances et limites du matériel pédagogique et des conceptions qui sous-tendent leur présentation des textes. Tous ces éléments permettent de dégager les lignes de force d’un renouvellement des pratiques d’enseignement de la littérature en FLE : intégrer une perspective interprétative aux objectifs communicatifs ; créer des synergies avec les initiatives de médiation culturelle ; mettre en place une progression donnant une large place aux dimensions sensorielles et à la matérialité de la langue. Tenant compte de ces lignes directrices, les approches retenues dans les chapitres finaux approfondissent trois dimensions dans lesquelles la littérature peut transformer le rapport à la langue en situation d’enseignement apprentissage : écriture créative et personnelle pour une appropriation progressive des codes dans le chapitre 5 ; interprétation comme mise en acte à travers la pédagogie de projet dans le chapitre 6 ; décentrement et développement d’une attitude réflexive sur l’expérience plurilingue dans le chapitre 7. Plutôt qu’une série de fiches sommaires et déconnectées de tout contexte, nous avons tenu à associer dans ces chapitres réflexions et propositions pédagogiques en nous appuyant sur un corpus diversifié d’œuvres et de genres littéraires. Les démarches proposées peuvent être adaptées à différents publics, tandis que des exemples 6

contextualisés permettent aux enseignants et futurs enseignants de mieux percevoir les différents paramètres qui orientent les choix pédagogiques. Ainsi, le chapitre 5, rédigé par Auréliane Baptiste, avec des contributions de Donatienne Woerly et Olivier Lumbroso, se focalise sur l’articulation entre langue et littérature à partir de l’analyse comparée de situations d’écriture créative en FLM et en FLE, puis de deux ateliers d’écriture en FLE animés par des écrivains. Sont ensuite présentés les principes d’une progression dans l’enseignement de la langue qui s’appuie sur la richesse linguistique et discursive qu’offre la littérature. En effet, il nous a semblé qu’il était d’abord nécessaire de reprendre à neuf la question de ce qu’apporte la littérature dans les enseignements langagiers auxquels elle a été traditionnellement liée. Cela nous semble d’autant plus pertinent que les acquisitions en langue sont aujourd’hui des priorités y compris au niveau universitaire dans nombre de départements de français à l’étranger, confrontés à la baisse de niveau de leurs étudiants. L’atelier d’écriture permet justement de conjoindre le travail linguistique avec la nécessité de promouvoir un autre rapport à la langue – qui laisse place à la créativité et à la subjectivité, y compris lorsque les acquis linguistiques sont encore fragiles. Dans le même esprit, nous avons voulu consacrer un chapitre entier à ce que peut apporter la perspective actionnelle qui permet, avec la pédagogie de projet, de décloisonner les apprentissages et de mettre l’accent sur une relation active à la langue comme à la culture étrangère. Le chapitre 6, rédigé par Ève-Marie Rollinat-Levasseur, avec une contribution de Véronique Kuhn, présente ainsi le parti que l’on peut tirer de la multimodalité, qui fait entrer dans la littérature à travers le cinéma et les arts, mais aussi comment, en considérant l’interprétation comme une performance, on peut développer des compétences communicatives à travers un travail vocal, dramatique et théâtral en classe de langue. Les bénéfices langagiers, culturels et personnels d’une approche « en acte » des textes littéraires sont notamment d’associer étroitement les dimensions corporelles à l’acquisition linguistique et culturelle. Les chapitres 5 et 6 invitent ainsi à un rapport différent à la langue à travers la littérature. C’est aussi le pari du dernier chapitre, rédigé par Anne Godard avec une contribution de Myriam Suchet, qui propose, dans une démarche réflexive et interprétative propre à l’éducation interculturelle, de donner aux enseignants eux-mêmes une occasion de faire l’expérience de « l’étrangéité » de la langue française. C’est d’abord la littérature québécoise qui est envisagée, pour sa mise en jeu exemplaire de l’hétérogénéité linguistique et de ses dimensions identitaires et politiques. Ce sont ensuite des textes autobiographiques ou introspectifs d’écrivains francophones plurilingues qui sont analysés, pour l’entrée qu’ils permettent dans « la fabrique de la langue » (Gauvin, 2004) et dans l’apprentissage du français. L’enjeu, au-delà de leur faire connaître une partie du corpus francophone qui peut renouveler leur représentation de ce qu’est la littérature en français aujourd’hui, est, à travers l’expérience d’un décentrement, d’initier les enseignants et professionnels du FLE aux problématiques plurilingues, essentielles dans ce domaine, et de les sensibiliser à la nécessité d’introduire une dimension interprétative dans leur approche des textes. 7

À travers ce large éventail d’analyses, de propositions pédagogiques et d’exemples situés et contextualisés, notre objectif est de donner aux enseignants, futurs enseignants, formateurs, acteurs de la coopération linguistique et culturelle ou auteurs de manuels, la matière et les outils de réflexion et de conception pour faire de la littérature le levier d’une approche renouvelée de la langue, afin de développer des compétences à la fois communicatives et interprétatives en associant l’apprentissage langagier avec la sensibilité, l’imaginaire et la pensée. Note

(1) On peut signaler, en 2014, la très brève synthèse de Defays et al. publiée par Hachette FLE.

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CHAPITRE 1 La littérature dans la didactique du français et des langues : histoire et théories par Anne Godard Le rôle dévolu à la littérature dans les enseignements de langue – maternelle et étrangère – a connu des évolutions très contrastées au cours du temps. Le propos de ce chapitre est d’en retracer les grandes lignes, en adoptant une double perspective, historique et théorique, qui nous semble la plus à même d’en saisir les ressorts et les enjeux. Tout en ayant comme objet privilégié le français langue étrangère, nous adoptons ici délibérément une perspective plus large : les débats sur les méthodologies e

d’enseignement des langues, de la fin du XIX siècle jusqu’aux approches communicatives actuelles, sont en permanence traversés par la question des relations entre langue et littérature et se trouvent éclairés par la connaissance des évolutions parallèles en langue maternelle. En présentant ces méthodologies, nous espérons mettre au jour les conceptions sous-jacentes et les attitudes face à la langue, à l’apprentissage et à la littérature sur lesquelles elles reposent. Celles-ci, qui comportent de nombreux traits communs en langue maternelle, seconde e et étrangère, donnent jusqu’à la deuxième moitié du XX siècle un rôle central à la littérature – Isabelle Gruca parle de « couronnement » du texte littéraire (1994). Dans les années 1960, au moment où les didactiques du français, langue maternelle et langue étrangère, se constituent comme disciplines en se distinguant les unes des autres, l’étude de la littérature se trouve dissociée de l’apprentissage de la langue et de la culture. Après les années 1980, dans le sillage du renouveau linguistique des études littéraires, se développe de nouveau une didactique de la littérature en classe de langue, dont la spécificité est saisie d’abord en tant que discours, puis dans la perspective de la lecture et de l’écriture littéraires ainsi que dans les approches anthropologiques. Si le terme de méthodologie traditionnelle est souvent utilisé aujourd’hui pour désigner – et quelquefois dénigrer – un type d’enseignement dans lequel un texte sert de base à des questions de vocabulaire, de syntaxe et de compréhension puis à des exercices de réemploi plus ou moins imitatifs, il est en fait hérité de méthodologies qui diffèrent à la fois par leurs méthodes et par leurs objectifs : objectif pratique de communication ; objectif formatif, intellectuel ou moral ; objectif culturel. En cherchant à comprendre pourquoi ces méthodologies se sont succédé et ont été abandonnées au moment où se sont imposées des approches issues de la linguistique appliquée, nous sommes conduits à expliciter les différentes conceptions sur lesquelles elles reposent et les valeurs qui déterminent les finalités des enseignements et de la formation scolaires. Ce faisant, c’est le lien entre langue, littérature et culture qui est précisé, et les raisons qui peuvent justifier, hier et aujourd’hui, que la littérature occupe une place importante dans les enseignements de langue. 1.1. Évolution de la place de la littérature dans l’enseignement scolaire des langues e e étrangères et du français (du XIX au milieu du xx siècle) Selon Christian Puren (1988/2012) et Isabelle Gruca (1993, 1994), les principales 9

e

méthodologies scolaires, qui se sont succédé jusqu’au milieu du XX siècle, sont fondées sur une conception assez proche des relations entre langue, littérature et culture et utilisent le texte littéraire comme support principal des leçons en considérant qu’il est à la fois un réservoir de formes, un modèle de langue et un concentré de culture étrangère. Pourquoi ? D’abord, parce que la littérature est assimilée à la culture, dont elle est considérée comme l’accomplissement artistique dans le domaine langagier et qu’on s’intéresse peu, alors, aux formes anthropologiques de la culture, qui se donnent à voir dans des pratiques sociales. Ensuite, la littérature, en tant qu’art de langage, est placée au sommet d’une hiérarchie établie dans la langue entre d’un côté les formes populaires et le langage courant, jugés moins dignes d’être enseignés, et de l’autre, les formes savantes valorisées par la culture scolaire centrée sur l’écrit. Cependant, les raisons de cette valorisation et le rapport entretenu avec la littérature ne sont pas identiques dans les trois méthodologies successivement adoptées dans l’enseignement scolaire des langues – grammaire/traduction, méthodologie directe et méthodologie active – qui ont, en revanche, de nombreux points communs avec les enseignements de langue maternelle correspondant aux mêmes périodes. 1.1.1. Grammaire/traduction et « colinguisme » jusqu’aux années 1880

La méthodologie dite grammaire/traduction, qui vient des langues anciennes, se développe au moment de la scolarisation de l’enseignement des langues vivantes, dans la e seconde moitié du XIX siècle. Elle ne concerne que les élèves admis dans le cycle long, qui sont également ceux qui faisaient du latin (voire du grec). Elle considère le texte comme la seule réalité linguistique et culturelle. L’apprentissage se fait par la traduction du texte littéraire, c’est un travail minutieux sur les textes comme matériau qu’il faut analyser pas à pas de manière exhaustive et détaillée pour arriver à la traduction la plus précise et la plus fidèle possible. Le contenu culturel est, d’une certaine manière, au second plan ; de même, la langue étrangère n’est pas véritablement l’objet d’une appropriation puisque l’objectif est la traduction dans la langue maternelle. Cette méthodologie se trouvait particulièrement légitime pour le latin – langue « morte », accessible uniquement par l’écrit – qui était considéré comme la « langue mère » du français, par laquelle il semblait nécessaire de passer, de manière indirecte, pour décrire et comprendre à la fois la grammaire et le vocabulaire français. Transposée aux langues vivantes, elle révèle ses limites, à commencer par l’absence d’apprentissage de l’oral. Dans la grammaire/traduction, l’élève travaille de manière silencieuse et solitaire, dans un tête-à-tête avec le texte. L’objectif est celui du transfert : être capable de faire passer le texte étranger dans la langue maternelle dont la maîtrise conditionne la réussite de l’exercice de traduction, et qui est perfectionnée par cet exercice. L’exercice de version apparaît ainsi comme une manière de traquer les contresens plus que comme une exploration de la polysémie dont la traduction chercherait à préserver les potentialités. On est ainsi loin des démarches actuelles, inspirées des recherches en traductologie (Plassard, 2009), qui font de la traduction l’aboutissement d’une lecture interprétative approfondie et peuvent, à travers des exercices de double traduction, amener à une réflexion sur la singularité de toute interprétation. 10

L’enseignement de la littérature en français langue maternelle passe elle aussi, jusqu’à e la fin du XIX siècle, par le détour du latin : la version latine est un exercice de français, et la littérature française étudiée au lycée n’est abordée qu’en parallèle avec la littérature latine. Cette approche de la littérature est comparatiste, rhétorique et « colingue » – c’està-dire, selon la définition donnée par Balibar (1985), que l’enseignement repose sur l’association de deux langues, le français et le latin. Les textes sont considérés avant tout comme des modèles discursifs à imiter, transposer et traduire. L’objectif est de développer, chez le petit nombre d’élèves qui suivent une éducation secondaire, ce qu’on appelle alors « l’art de l’éloquence » : la capacité de composer des discours et de les orner. La notion de littérature ou plutôt de lettres qui domine est héritée de la conception humaniste des litterae humaniores : « Lettres, Lettres humaines et Belles-Lettres désignent la possession d’un savoir critique sur les œuvres léguées par l’Antiquité dont l’ensemble fonde l’Encyclopédie des connaissances humaines » (Fumaroli, 1994 : 7). Les œuvres étudiées sont choisies par genres de discours (où sont inclus la philosophie, l’histoire, les discours politiques, les traités d’art poétique et les sermons, à côté du théâtre et de la poésie) et non par époques historiques. Les œuvres latines, françaises et grecques sont étudiées selon la méthode du parallélisme, comme si elles faisaient partie du même ensemble « universel », sans référence à leur contexte de production. Il n’est pas question de souligner la spécificité nationale du patrimoine français, mais, par le comparatisme, de e e mettre les auteurs français du XVII et du XVIII siècle à l’égal des « grands classiques » latins et grecs (Leroy, 2001). Cette conception de la littérature est en effet dépendante de l’idée d’imitation : les classiques français se sont formés par l’imitation des auteurs latins e et grecs ; les élèves du XIX siècle, à leur tour, peuvent apprendre l’art d’écrire en imitant ces mêmes classiques français, latins et grecs. 1.1.2. Méthodologie directe et français scolaire (de 1880 à 1925 environ) e C’est à la fin du XIX siècle qu’est développée pour l’enseignement des langues une

méthodologie à visée plus directement communicative : la méthodologie directe, qui rejette le modèle grammaire/traduction au profit d’une conception de la langue étrangère comme instrument de communication, nécessaire pour la vie professionnelle. Son essor correspond à l’évolution économique de la société française à l’époque de l’industrialisation et du développement des relations commerciales avec un espace colonial en pleine expansion. Elle doit également son introduction à l’influence des méthodes pédagogiques allemandes, qui sont, depuis 1870, l’objet d’une admiration mêlée de désir de revanche (Puren, 1988/2012 : 72). S’appuyant sur le développement de la psychologie de l’enfant, la méthodologie directe organise les contenus de l’apprentissage, du connu vers l’inconnu, en progressant de manière intuitive. Elle est définie d’abord comme une méthodologie orale, partant du monde familier des élèves pour leur permettre d’acquérir une première capacité à communiquer. Contre le caractère indirect de la traduction, elle suppose que l’on parle uniquement dans la langue étrangère, en utilisant d’abord des imagiers comme supports, puis de petits textes. Le texte sert de réservoir de formes – le vocabulaire et les constructions grammaticales qu’il contient sont 11

l’objet de la leçon et sont donnés à mémoriser –, son exploitation se fonde ensuite non sur la traduction, mais sur le réemploi des formes et sur des questions de compréhension (globale puis détaillée). L’apprenant est ainsi amené à réutiliser des formes qu’il est censé avoir assimilées. Le développement de la méthodologie directe peut être mis en corrélation avec celui des premiers cours de français langue seconde ou de français langue scolaire : lorsque e l’école obligatoire est mise en place à la fin du XIX siècle, la population de nombreuses régions n’est pas de langue maternelle française. Que ce soit en Bretagne ou en Limousin, c’est à l’école que les élèves découvrent le français et l’obligation de ne parler que le français, de même, dans les écoles coloniales qui sont implantées dans tous les territoires qui passent sous le contrôle français. Ainsi, en Afrique de l’Ouest, l’enseignement se fait exclusivement en français, sur le modèle des écoles primaires en France, marquant, dès les années 1880, « l’interdépendance structurelle et idéologique du couple colonisation/scolarisation » (Spaëth, 2001 : 80). L’objectif énoncé dans les instructions officielles est la diffusion du français parlé « comme l’instrument nécessaire au bon fonctionnement du système administratif qui justifie et organise l’exploitation économique de la colonie » (ibid. : 82). La démarche d’enseignement, comme dans la méthodologie directe, s’appuie sur les imagiers des leçons de choses et l’étude lexicale et grammaticale à partir de textes courts proches de la vie des élèves et de la réalité de la classe. Mais si s’ébauche ainsi un enseignement du français de type fonctionnel dès la fin du e XIX siècle, il ne remet pas en cause la représentation de la place de la littérature dans la constitution et la diffusion du patrimoine culturel de la France. En effet, ce français élémentaire – que Renée Balibar (1974) appelle « français fictif », parce qu’il est fabriqué pour la classe et construit de manière linéaire (sujet, verbe, complément) suivant une conception étroitement normée de ce qu’est « bien écrire » – fait référence à une certaine e

image de la langue qui est fixée au XVIII siècle par référence à la littérature du e XVII siècle (autour des termes de clarté, de pureté et de raison). Le « français de la République » qui est ainsi diffusé dans les campagnes comme dans les colonies tient son prestige de son arrière-plan littéraire, qui atteste en quelque sorte à la fois de sa perfection linguistique et de la grandeur des valeurs « universelles » dont il est porteur (Cerquiglini, 2008). 1.1.3. Méthodologie active et explication de texte jusqu’aux années 1960

C’est justement au nom de la finalité culturelle, qui est inséparable des objectifs scolaires, que la méthodologie directe se trouve marginalisée dès la fin de la Première Guerre mondiale et officiellement abandonnée en 1925 au profit d’une méthodologie « mixte », mieux intégrée au modèle éducatif dominant dans la filière générale : c’est la méthodologie active, conjuguant la grammaire/traduction avec la pratique orale de l’explication, qui sera en vigueur pour l’enseignement des langues jusqu’à la fin des années 1960. La méthodologie active se sert du texte comme centre de la leçon et privilégie 12

rapidement les textes littéraires pour pouvoir aborder les contenus culturels propres à la culture étrangère. Comme dans la méthodologie directe, l’approche du texte se fait d’abord par l’explication du vocabulaire inconnu, puis par l’étude des constructions grammaticales nouvelles, avant d’aborder les questions de compréhension et les réemplois par imitation. Si la méthodologie est dite active, c’est parce qu’elle est fondée sur les interactions autour du texte : questions et réponses se font oralement et dans la langue cible. Le recours à la traduction est cependant autorisé pour donner accès à une compréhension affinée de détails linguistiques. À la différence des objectifs affichés par la méthodologie directe, la méthodologie active ne cherche pas tant à former des gens capables de communiquer que des lecteurs qui garderont un contact avec la culture étrangère à travers sa littérature, qui reste considérée comme la quintessence de la culture étrangère. C’est dans le secondaire, là aussi où le poids de la tradition humaniste est le plus manifeste, que le texte littéraire s’impose comme le seul texte permettant d’intégrer dans une même leçon les enseignements linguistique, littéraire et culturel : « la littérature, écrit un pédagogue de l’époque, nous apparaît justement comme l’expression la plus immédiate de cette civilisation “intérieure” qu’il s’agit d’atteindre » (Godart, cité par Puren, 1988/2012 : 120). On comprend d’autant mieux cette assimilation si l’on e considère que, pendant tout le XIX siècle, la critique historique et l’histoire littéraire (de Madame de Staël à Taine, Brunetière et Lanson) affirment les relations qui unissent la littérature à la société, et font des œuvres littéraires l’expression privilégiée du « génie » national qui s’y trouve ainsi comme résumé. Au fur et à mesure de la progression, les contenus culturels prennent une plus grande importance, et les cours de langue étrangère se mettent, dans les derniers niveaux, à se rapprocher des cours de littérature en langue maternelle où, à la même époque, s’impose l’explication de texte. L’enseignement du français langue étrangère suit, selon Puren, l’évolution qui conduit, pour l’ensemble des langues vivantes, de la méthodologie directe à la méthodologie active. Un certain nombre d’auteurs de manuels de français pour étrangers, entre 1920 et 1950, sont des enseignants de langue vivante, anglais ou allemand, qui ont adopté les principes de la méthodologie directe pour concevoir leurs cours, d’abord dans la langue étrangère qu’ils enseignaient, puis en FLE. Ces cours reposent donc sur des leçons de choses et des textes décrivant la vie quotidienne, ils donnent une grande part à la démarche inductive en grammaire et utilisent le même genre d’exercices écrits et oraux. Et suivant les principes de la méthodologie active, les niveaux supérieurs sont plus orientés vers les contenus culturels, à travers les textes littéraires, d’autant plus que le prestige du français en tant que langue « de culture » est fortement ancré dans la représentation que les instances diffusant le français à l’étranger encouragent et véhiculent. Par exemple, une des méthodes les plus connues des années 1950 (et qui continue d’être commercialisée), le Cours de langue et de civilisation françaises de Gaston Mauger (Hachette, 1953) comporte trois volumes allant de débutant à supérieur et propose un quatrième volume de textes littéraires, intitulé « La France et ses écrivains ». Sa préface, signée par le secrétaire général de l’Alliance française, Marc Blancpain, affirme que si « les élites étrangères étudient le français » ce n’est pas pour des finalités 13

pratiques ou touristiques, mais « pour entrer en contact avec une des civilisations les plus riches du monde moderne, cultiver et orner leur esprit par l’étude d’une littérature splendide, et devenir, véritablement, des personnes distinguées » (cité par Puren, 1988/2012 : 178). Un certain nombre de convergences apparaissent avec l’enseignement de langue maternelle. En effet, c’est à partir de 1880 qu’est promue une approche historique et patrimoniale de l’histoire littéraire française qui privilégie le commentaire de texte. La conception de la littérature se spécialise doublement : restreinte à la littérature française, étudiée de manière chronologique, elle n’inclut plus les œuvres de philosophie et des sciences – suivant en cela la spécialisation du mot littérature lui-même (Caron, 1992). Les textes sont choisis non plus en fonction des genres discursifs qu’ils permettent d’exemplifier, mais pour les valeurs morales, spirituelles et patriotiques dont ils sont (1) porteurs . Au lycée, les élèves ne sont plus invités à imiter des façons d’écrire, mais des valeurs et des idéaux, on les pousse à s’identifier au Cid ou à Roland – deux personnages symboles de l’attachement à la Patrie jusqu’à la mort – plutôt qu’à Cicéron ou Virgile qui sont les modèles latins pour la prose et la poésie. En parallèle avec le développement de e l’enseignement de l’histoire, le canon, constitué au cours du XVIII siècle, en commençant par Racine, Fénelon, La Fontaine, La Bruyère et Bossuet (Chervel & Compère, 1997 : 17), est élargi, sous la forme de morceaux choisis, en amont, aux œuvres du Moyen Âge et de la Renaissance qui sont considérées comme fondatrices et patrimoniales : La Chanson de Roland, Tristan et Iseut, les poètes de La Pléiade, Rabelais et Montaigne. e L’élargissement en aval est tout aussi restreint : quelques « historiens » du XVIII siècle, dont Voltaire, et jusqu’à Lamartine ou Hugo, pour leur œuvre poétique uniquement (Mélonio, 1999 : 36). C’est le règne de l’histoire de la littérature, inspirée par les travaux de Gustave Lanson, qui durera jusqu’à la fin des années 1960 (Compagnon, 1983). L’exercice principal devient l’explication de texte, qui comporte une partie grammaticale et une partie thématique et morale. Et bien que les contenus culturels et l’éducation morale qui est faite à travers la littérature priment sur la dimension linguistique, la nécessité de faire une explication grammaticale des textes littéraires français est justifiée par le fait que la littérature classique commence à être perçue comme une langue éloignée de la langue courante, et qu’il faut donc l’expliquer, quasiment comme une langue étrangère. Ainsi, Littré écrit-il, dans la préface de son e Dictionnaire en 1872, que le style du XVII siècle, bien que « consacré par nos classiques […] nous semble appartenir à une langue étrangère, mais avec cette particularité qui n’est pas sans charme, une langue étrangère dont nous comprenons les finesses, les élégances, les beautés » (Chervel & Compère, 1997 : 19). Le cours de littérature devient ainsi monolingue et il s’organise, comme dans la méthodologie active, autour d’un texte à expliquer et commenter. Et puisqu’il faut désormais « expliquer » les textes français en classe, le commentaire va donner à la littérature la place de la « langue morte » (Philippe, 2009 : 19) que tenait jusque-là le latin. La littérature assume doublement ce rôle puisqu’elle est, comme lui, à la fois un patrimoine culturel commun, reçu en héritage, et 14

une « langue étrangère ». L’école en fera aussi ce qu’était auparavant le latin pour tous les lycéens, « un souvenir d’enfance » (Barthes, 1971 : 171). Un dernier élément de parallélisme concerne la progression et le moment où les textes littéraires sont introduits : le français langue maternelle et la langue étrangère sont organisés en deux niveaux hiérarchisés. En langue maternelle, le cycle court est consacré à l’enseignement fonctionnel d’un français scolaire, tandis que, dans les derniers niveaux du cycle long, l’enseignement du français équivaut à celui de sa littérature. De même, en langue étrangère, la littérature est généralement réservée aux niveaux avancés, tandis que les premiers niveaux ont une approche plus élémentaire de la langue. Et dans les deux cas, cette hiérarchie est orientée : acquérir le premier niveau de maîtrise de la langue, maternelle ou étrangère, n’a de sens qu’en fonction du deuxième niveau, même si celui-ci n’est pas atteint : c’est là où le contact peut se faire directement avec la littérature, porteuse des valeurs culturelles et garante de la valeur de la langue elle-même. e Ainsi, jusqu’au milieu du XX siècle, on peut dire que la conception sous-jacente à l’enseignement aussi bien en français langue maternelle qu’étrangère, est que la littérature est la représentation la plus accomplie à la fois de la langue et de la culture. Cette identification entre littérature et culture prend une connotation patrimoniale et patriotique e à la fin du XIX siècle dans la mesure où la littérature française devient le seul objet d’enseignement et, donc, le seul modèle linguistique et moral. 1.2. Le tournant linguistique des années 1960 : des remises en question à une nouvelle didactique de l’écrit La réaction à ces conceptions de la langue et de la culture comme à celles de l’enseignement apparaît au début des années 1960 en FLE comme en FLM. Elle s’explique par plusieurs facteurs, liés au contexte politique et intellectuel dans lequel émergent en FLE les méthodologies audio-orales et audiovisuelles et en FLM les approches textualistes. 1.2.1. Double marginalisation de la littérature en FLE dans la méthodologie SGAV

Les premières méthodologies audio-orales d’enseignement des langues sont développées aux États-Unis dans le contexte de la guerre froide ; initialement créées pour former rapidement des militaires en mission à l’étranger, elles ont une visée uniquement pratique. Sous l’influence de la linguistique structurale et distributionaliste de Bloomfield ainsi que d’une conception behavioriste de l’apprentissage, ces méthodologies utilisent comme support de cours des enregistrements sonores et audiovisuels. La primauté est donnée à l’oral et à une forme d’apprentissage qui repose sur la répétition d’un nombre restreint de structures qui, associées à un vocabulaire de base, permettent à l’apprenant d’acquérir des automatismes. Dans le contexte français, le changement méthodologique coïncide avec la période de décolonisation. Celle-ci est ainsi associée à une volonté politique de développer le soutien à la francophonie dans des pays nouvellement indépendants où le français est adopté comme langue officielle et où les besoins d’enseignement d’une langue de communication courante sont immenses. Les méthodes françaises, qualifiées par leurs initiateurs, Paul Rivenc et Petar Guberina, de méthodes structuro-globales audiovisuelles (SGAV) s’appuient sur la 15

linguistique appliquée et, en référence à la linguistique énonciative de Bally et de Benveniste, considèrent comme première la parole orale en situation de communication (Rivenc, 2003 : 88-89). Le développement de cette méthodologie est soutenu par la création en 1959 de deux organismes visant la diffusion du français à l’étranger, le CREDIF (Centre de recherche et d’étude pour la diffusion du français), lié aux enquêtes sur le français fondamental sous la direction de Georges Gougenheim (1964), et le BELC (Bureau pour l’étude de la langue et de la civilisation françaises à l’étranger). L’un et l’autre sont à l’origine de nombreux manuels conçus selon cette méthodologie et de stages de formation pour les enseignants de français langue étrangère (Puren, 1988/2012 : 208 et suiv.). L’apprentissage linguistique se fait par l’imprégnation auditive et la répétition de structures simples afin d’arriver rapidement à des automatismes permettant de communiquer. Le travail du didacticien est de décrire les formes élémentaires des langues et le vocabulaire de base à partir desquels construire des exercices systématiques d’appropriation. La langue visée par les premiers apprentissages est donc une langue simple, voire simplifiée, perçue comme étant à l’opposé de la langue littéraire. De même, dans un objectif de progressivité, les situations de communication sont volontairement dénuées de traits culturels particularisés qui feraient obstacle à la compréhension. De plus, l’évitement des éléments culturels apparaît comme la meilleure manière de sortir de l’idéologie coloniale : ainsi, Pour parler français, premier manuel audiovisuel pour l’enseignement du français en Afrique, réalisé en 1963, est-il présenté comme un enseignement « décolonisé » d’un français que les Africains peuvent s’approprier (Spaëth, 2001 : 78). Le principe même de l’enseignement d’une langue « débarrassée » de ses composantes culturelles permet d’en imaginer la diffusion, quel que soit le contexte visé. Certes, la littérature ne disparaît pas du jour au lendemain des pratiques de classe. Les textes littéraires ont pu continuer à être utilisés selon la méthodologie traditionnelle, pour des raisons complexes, qui peuvent tenir au maintien du prestige de la littérature française comme symbole de la culture française ainsi qu’aux habitudes d’enseignement ancrées dans les cultures d’origine, et cohérentes avec les traditions scolaires locales. Mais les cours SGAV, adoptés dans les alliances françaises par la volonté du ministère des Affaires étrangères, font délibérément l’impasse sur les textes littéraires et, d’une manière générale, développent peu de propositions sur l’écrit et sur les contenus culturels. La littérature est donc deux fois exclue : comme forme linguistique trop complexe et non représentative de la langue courante et comme contenu culturel trop spécifique, marqué par une image élitiste. Un renouvellement viendra, à travers les travaux pionniers menés au BELC dès la fin des années 1970, par le biais de l’écriture créative à partir de textes à contraintes (voir 1.5.1.). 1.2.2. La littérature comme document authentique dans l’approche communicative en FLE

Cependant, assez rapidement, les limites de la méthodologie SGAV apparaissent aux enseignants qui se trouvent face à des apprenants de niveau intermédiaire ou avancé : les structures de base et le vocabulaire élémentaire étant supposés être acquis, les situations de communication simples étant censées être maîtrisées, il faut bien en arriver à 16

développer une connaissance plus approfondie de la langue, à la fois dans le domaine des discours écrits et dans la confrontation avec la réalité des interactions sociales qui peuvent faire intervenir des compétences complexes – en premier lieu d’ordre culturel. Ce sont justement l’écrit et les dimensions culturelles de l’enseignement-apprentissage des langues qui font partie des objets privilégiés au début des années 1980 par l’approche communicative et l’introduction des documents authentiques (Debyser, 1977). L’approche communicative va ainsi développer la didactique de l’écrit et des documents authentiques, ce qui permettra de renouveler la réflexion sur l’utilisation des textes littéraires en classe de langue. Alors que la méthodologie SGAV se référait surtout à la linguistique structurale et à la grammaire générative, la didactique des documents authentiques s’appuie sur une conception discursive de la langue : il ne s’agit plus d’observer les récurrences d’un système, il s’agit de comprendre que tout document, tout énoncé est situé dans une interaction, et que cette interaction même prend des formes discursives différentes selon les domaines de connaissance, les milieux sociaux ou professionnels et les cultures. L’approche communicative va ainsi partir des situations réelles de communication et donc choisir « l’authentique » plutôt que le « fondamental » (Boyer, Butzbach-Rivera & Pendanx, 1990 : 17-36). Par rapport à la méthodologie SGAV, elle se définit comme une approche, c’est-à-dire qu’il s’agit moins de proposer des manières d’enseigner fixées comme un ensemble théorico-pratique englobant, que de partir des situations de communication que peuvent rencontrer les apprenants pour s’adapter à leurs projets d’apprentissage. Pour cela, il faut à la fois connaître les besoins des apprenants et envisager, dans la langue/culture, ce qu’il est nécessaire de savoir et de savoir-faire pour communiquer dans une situation donnée. L’approche communicative part des besoins spécifiques d’apprenants constituant des « publics » différenciés (touristes, migrants, élèves…), pour lesquels un enseignement fonctionnel du français est organisé par actes de langage et ensembles notionnels correspondant aux situations qu’ils peuvent rencontrer, comme dans le Niveau seuil (Roulet, 1977), inspiré du Threshold Level datant de 1975, et élaboré dans le cadre d’un projet d’apprentissage des langues du Conseil de l’Europe (Boyer, Butzbach-Rivera & Pendanx, 1990 : 36-61). Dans l’objectif de s’adapter aux besoins des apprenants, l’approche communicative développe une pédagogie des compétences où les savoirs déclaratifs deviennent moins importants que les savoir-faire et les savoir-être qui déterminent le bon déroulement des interactions. Ce qu’il est intéressant de noter, c’est l’extrême diversité pédagogique que cette position didactique appelle : en partant des besoins spécifiques des apprenants, on peut faire des cours de français des affaires, du tourisme, de la mode, de la médecine ; on peut aussi se concentrer sur les dimensions les plus pratiques de la vie quotidienne, en apprenant à lire des modes d’emploi, un contrat de location ou un formulaire administratif ; on peut aussi avoir à répondre à des besoins de formation à un français académique, pour des apprenants préparant un séjour universitaire en France ; on peut enfin répondre au désir d’apprenants décidant d’apprendre le français pour approfondir leur goût de la culture littéraire ou artistique de la France et des autres pays 17

francophones. On comprend dès lors que la littérature va occuper une place spécifique : elle n’est plus sollicitée comme support universel, mais peut être choisie délibérément parmi d’autres formes discursives. Se pose alors la question de développer une didactique adaptée à ses spécificités. Les premiers travaux de didactique de l’écrit dans l’approche communicative montrent l’importance, dans la compréhension, du repérage des genres discursifs et de l’adaptation des projets de lecture. C’est ce que fait Gérard Vigner dans Lire : du texte au sens (1979), en s’appuyant sur les recherches sur la lisibilité et sur les caractéristiques de la lecture en langue étrangère. C’est aussi le propos de Sophie Moirand qui considère les documents écrits comme des « situations d’écrit » (1979) dont les paramètres énonciatifs et discursifs permettent la compréhension. L’intérêt que cette didactique de l’écrit pourrait trouver à s’appliquer aux textes littéraires est reconnu à la fin des années 1980, quand s’impose, en FLE comme dans les études littéraires en général, le paradigme de la lecture. Entre-temps, les études littéraires ont connu entre 1960 et 1970, sous l’impulsion du structuralisme, un bouleversement majeur dont les retentissements didactiques et pédagogiques dépassent les frontières du FLM et marquent le renouveau de la didactique des textes littéraires en FLE des années 1980 aux années 2000. 1.2.3. Le bouleversement des études littéraires en FLM : théories du texte et du discours e

Alors que l’histoire littéraire était la discipline dominante depuis la fin du XIX siècle, les théories du texte et du discours littéraire qui surgissent dans les années 1960-1970 constituent un changement complet de paradigme des études littéraires et de l’enseignement de la littérature en classe de français langue maternelle. Ces théories du texte – exposées par la « nouvelle critique » lors d’un colloque fondateur en 1968 sur les relations entre Linguistique et littérature – refusent sa réduction aux intentions explicites de leur auteur ou à une représentation univoque de la réalité et proposent de nouvelles manières de lire, attentives à la polysémie. Le texte, considéré comme un système de signes, n’est plus essentiellement le véhicule d’une morale ou de valeurs nationales, il est le lieu des jeux du signifiant et du signifié que des lectures et des lecteurs différents peuvent actualiser de plusieurs manières (Barthes, Groupe µ). La « nouvelle rhétorique » s’intéresse aux phénomènes d’argumentation dans le discours (Perelman), voire dans la langue (Ducrot), les sémioticiens se penchent sur les schémas actanciels (Greimas) ou sur les jeux des figures et de l’intertextualité (Kristeva, Genette) en articulation avec les discours sociaux à travers le dialogisme (Todorov, qui introduit Bakhtine en français). Un peu plus tard, émerge un champ nouveau, celui des études de la réception (avec les traductions en français des ouvrages de référence de Jauss en 1978 et Iser en 1985) qui se développent dans deux directions différentes : d’une part vers la sociologie de la littérature et du fait littéraire (Escarpit, Dubois), et d’autre part vers les théories de la lecture et les effets du texte (Eco, Picard, Charles). D’autres rencontres s’attachent à remettre en question l’enseignement traditionnel de la littérature qui, selon Roland Barthes, tend « à assimiler la littérature à l’histoire de la littérature » (1971 : 171). Ainsi, à Cerisy-la-Salle, un colloque sur L’Enseignement de la 18

littérature en 1969 (Doubrovsky & Todorov, 1971) aborde la situation de la littérature dans l’enseignement, les relations avec les sciences humaines, la poétique et la pédagogie. La plupart des contributions y font part d’un malaise et d’une contestation du sens même de la littérature et des raisons de l’enseigner. Parmi les causes de cette désaffection sont désignés l’histoire littéraire scolaire et un enseignement oubliant le plaisir ou la découverte au profit de discours tout faits sur les auteurs et les œuvres. Les attaques se concentrent sur les manuels de morceaux choisis – tel l’emblématique Lagarde et Michard – dans lesquels les auteurs et les œuvres sont présentés chronologiquement, classés par siècles, comme dans « des musées, où sont accumulés les toiles et les dessins » (Delhez-Sarlet, 1971 : 275), et s’expliquent l’un par l’autre selon le principe que Compagnon appelle la « vieuvre » (1983 : 15) : c’est parce que Racine était lui-même amoureux qu’il a si bien peint la passion, et c’est la misanthropie de Molière qu’il faut reconnaître sous les traits d’Alceste. Le corpus d’œuvres s’y trouve réduit aux « grands textes », reconnus et choisis par l’institution scolaire sur des critères jugés plus e idéologiques qu’esthétiques. Les œuvres du XVII siècle y sont surreprésentées par rapport à une modernité quasi absente. Ces manuels sont ainsi accusés de classico-centrisme, mais aussi de censures, par le biais du choix des extraits, voire par des coupes dans les textes. Barthes y repère notamment la censure des classes sociales, de la sexualité, du concept même de littérature et enfin des langages – notamment ceux qui s’éloignent de la e e norme classique : le moyen français du XVI siècle, la préciosité au XVII siècle et, bien sûr, le français parlé, ce qui lui fait écrire que notre enseignement promeut la « langue paternelle et non pas la langue maternelle » (Barthes, 1971 : 175). Un autre grief récurrent concerne les exercices traditionnels de l’explication de texte et de la dissertation. Ces exercices, dont l’artificialité est rappelée sans cesse, en 1969, au colloque de Cerisy comme en 1975 à celui de Strasbourg (Mansuy, 1977), creusent l’écart entre le discours sur et la pratique de la littérature, et constituent, selon Tzvetan Todorov « plutôt un apprentissage de la critique que de la littérature » (1971 : 498). La fécondité de cette double remise en question, théorique et pédagogique, apparaît à travers le développement de publications qui cherchent à rendre compte d’expériences innovantes, ainsi de la revue Pratiques qui, depuis 1974, associe chercheurs et praticiens ou Le français aujourd’hui (voir notamment le numéro spécial « Nous enseignons la littérature », 1986). Les savoir-faire en jeu dans les analyses textuelles sont l’objet de transpositions didactiques, dans Linguistique et discours littéraire de Jean-Michel Adam et Jean-Pierre Goldenstein en 1975, ou encore Faire-lire et Savoir-lire de Michel Schmitt et Alain Viala en 1979 et 1982 et les Éléments de linguistique pour le texte littéraire de Dominique Maingueneau en 1986. Mais il faut attendre les programmes officiels de 1987 et 1988 pour que les enseignants disposent en France de quatre approches complémentaires des textes : l’étude de l’œuvre intégrale, le groupement de textes, la question d’ensemble et la lecture méthodique. Cette dernière, qui remplace l’explication de texte, n’attribue pas à l’auteur une intention qu’il s’agirait de retrouver par le commentaire, mais postule que le sens est à construire en adaptant les outils d’analyses 19

aux genres, aux discours et aux types de textes. Parallèlement, le corpus des œuvres étudiées en classe évolue, à partir de la fin des e années 1970, en s’ouvrant d’abord aux romans du XIX siècle, puis, progressivement à la littérature contemporaine, ainsi qu’à la littérature de jeunesse et aux paralittératures – notamment le roman policier qui est un objet privilégié des analyses formelles comme des approches sociologiques de l’institution littéraire – mettant en question les modes traditionnels de légitimation des œuvres. On peut cependant remarquer que persiste une conception patrimoniale de la littérature : si les enseignants sont invités à proposer des rapprochements avec la littérature étrangère, c’est surtout lorsqu’il s’agit d’étudier des mouvements, des thèmes ou des phénomènes littéraires européens. Quant aux littératures francophones non hexagonales, elles ne sont presque pas présentes. Le découpage reste e e e chronologique (Moyen Âge et XVI siècle en seconde, XVII et XVIII siècles en première, e e XIX et XX siècles en terminale), ce qui privilégie une vision historique de la littérature et relègue de fait la littérature contemporaine à un enseignement optionnel, en terminale, puisque l’épreuve anticipée de français du baccalauréat a lieu en fin de première. L’articulation entre une conception plus fonctionnelle de la langue et les questionnements littéraires se fait de manière ténue, à travers l’interrogation sur les niveaux de langage et la représentation littéraire des parlers populaires ou de l’oralité. L’approche thématique et formelle requiert des élèves l’acquisition de savoirs spécifiques à la discipline : identification de traits constants des genres littéraires – roman théâtre, poésie, essai –, reconnaissance de schèmes et de scènes prototypiques – la rencontre amoureuse ou la scène de jalousie –, récurrence de figures de style organisatrices du texte ou mise en évidence de procédés argumentatifs. Toutes ces transformations ont une incidence en FLE, d’abord parce que les théories circulent d’un domaine à l’autre, mais aussi parce que les chercheurs eux-mêmes se situent souvent aux frontières des disciplines. Ainsi, nombre de questionnements apparaissent communs aux didactiques du français langue maternelle et étrangère : quelle est la spécificité du texte littéraire, comment saisir sa littérarité ? Comment s’articule la relation entre langue et littérature ? Comment aborder les textes dans une démarche pédagogique qui préserve l’authenticité du rapport à la lecture ? 1.2.4. Les voies d’un renouvellement pour la didactique de la littérature en FLE

Littérature et classe de langue, ouvrage dirigé par Jean Peytard en 1982, qui est le fruit d’un séminaire de chercheurs du CREDIF et du BELC (Peytard, 1988 : 10), est emblématique de la manière dont les didacticiens de cette époque ont cherché à renouveler l’approche de la littérature en FLE. Avant cet ouvrage, on est passé entre 1965 et 1971 de la problématique de la langue littéraire – qu’Emmanuèle Wagner oppose à l’oral, dans un ouvrage regroupant l’étude de quinze extraits littéraires contemporains (De la langue parlée à la langue littéraire) – à celle du texte – que Michel Benamou aborde par le biais d’analyses stylistiques de l’écart et de la connotation littéraire (Pour une nouvelle pédagogie du texte littéraire). Le passage de la langue au texte dans ces premières publications est tout à fait représentatif d’une évolution des relations entre linguistique et 20

littérature qui privilégie ensuite le discours, et enfin la lecture (Adam, 1994 : 138-158). Littérature et classe de langue se situe entre texte et discours, et s’interroge sur les conditions auxquelles la littérature peut être réintroduite en classe de langue. Selon Daniel Coste et Henri Besse, qui contribuent au volume, s’il est exclu de revenir au texte littéraire comme modèle d’apprentissage, des convergences entre langue et littérature sont rendues possibles par l’approche linguistique des textes littéraires (Coste, 1982 : 71) à condition que « le document littéraire » ne soit pas considéré comme « un lieu d’enseignement de la langue, de la civilisation ou des théories critiques, mais comme un lieu d’apprentissage dans lequel les étudiants peuvent explorer tous les possibles (acoustiques, graphiques, morphosyntaxiques, sémantiques) de la langue étrangère et toutes les virtualités connotatives, pragmatiques et culturelles qui s’inscrivent en elle » (Besse, 1982 : 34). Cette centration sur le texte littéraire comme espace à explorer leur semble permettre d’éviter tout à la fois la banalisation, qui résulte d’une utilisation du texte comme ressource linguistique ou culturelle, et la sacralisation, qui fait de la littérature un « monument » inaccessible. À partir de ces principes généraux, différentes démarches sont proposées, qui se concentrent successivement sur le discours et la communication littéraires, puis sur la lecture littéraire et sur l’écriture créative. 1.3. Spécificités du discours et de la communication littéraires La question de la spécificité du texte littéraire constitue un premier axe de réflexion, présenté par Jean Peytard. Cette spécificité est d’abord saisie de l’intérieur : la littérarité, caractérisée principalement par la polysémie, oppose le discours littéraire aux autres discours et justifie des démarches adaptées. C’est ensuite du dehors que Peytard propose de saisir la spécificité de la littérature, à travers ses modes de légitimation et de circulation sociales. 1.3.1. Polysémie et « littérarité » ou subjectivité

Afin de tenir compte de la polysémie du texte, Jean Peytard propose tout d’abord une « sémio-analyse textuelle » distinguant les « instances » (auteur, scripteur, narrateur, personnage) et cherchant à repérer les « entailles », indices graphiques ou syntaxiques d’une « différence » permettant de déployer des réseaux de signification (1982 : 139150). Dans ce cadre, l’enseignant cherche avec ses apprenants non pas à donner « un » sens au texte, mais à parcourir « les » sens possibles, à partir d’un réseau de mots, de rythmes, de formes qui sont les signes d’un travail du texte et d’une complexité plurielle. Pour quel objectif ? La justification qu’en donne Peytard est, de façon un peu circulaire, d’apprendre à percevoir justement la polysémie du texte littéraire, qui fait sa littérarité. De la sorte, on souligne sa différence par rapport aux discours ordinaires, avec le risque de ne faire que cela, et de remplacer un commentaire tout fait sur le sens moral ou la beauté esthétique d’un texte par un autre, qui insistera sur l’ouverture infinie des significations. Dans cette même perspective, mais plus éclectiques, les propositions pédagogiques du manuel Interlignes (1975), dont Henri Besse rend compte dans sa contribution, illustrent bien le statut ambigu des textes littéraires, quand ils sont introduits au titre des documents authentiques : Interlignes combine en effet les approches critiques « thématique structurale, stylistique de l’écart, analyse énonciative, repérage connotatif, 21

socio-critique » de textes littéraires longs et l’utilisation de textes poétiques courts « comme motivation à une expression orale, souvent très personnelle sur des “sujets” qu’on n’aborde habituellement pas en classe (l’amour physique, la mort, la solitude, etc.) » (Besse, 1982 : 20). La littérature y apparaît d’un côté comme objet de savoir et lieu d’exploration formelle, comme en français langue maternelle ; de l’autre, elle est objet de plaisir, révélatrice d’une subjectivité, sans que ces deux approches du texte littéraire – formelle et thématique – soient articulées ensemble. 1.3.2. Sociologie de la littérature et du fait littéraire

L’approche sociologique, qui oppose aussi la littérature aux autres formes de discours, mais du point de vue des modes socioculturels de légitimation, est également évoquée dès 1982 par Peytard. Celui-ci propose de situer la littérature en tant qu’institution (Dubois, 1978), en montrant qu’elle est le produit d’un certain état de la société et qu’elle fonctionne comme un système de normes et de valeurs hiérarchisées (Escarpit, 1970) à l’intérieur de deux sphères culturelles distinctes (Bourdieu, 1979). Aborder la littérature en considérant que ce ne sont pas des traits formels ou thématiques qui font qu’un texte est littéraire, mais le fait que ce texte est considéré comme littéraire dans une culture donnée, et donc en s’intéressant aux circuits de diffusion (éditeurs, libraires, bibliothèques) et aux instances qui légitiment et hiérarchisent les « productions » culturelles (critiques, prix littéraires, ventes, consécration par l’école), contribue, selon Peytard, à désacraliser la littérature en la réinsérant dans le jeu de la production et de la consommation des biens culturels. Ces connaissances socioculturelles sont pertinentes en FLE selon lui, car elles permettent aux apprenants de prendre conscience de leurs propres pratiques culturelles autant que des valeurs qu’ils attribuent à ce qu’ils lisent. Ces approches sociologiques sont aujourd’hui nuancées par des travaux qui, comme ceux de Bernard Lahire (2004), montrent que les pratiques culturelles individuelles traversent les hiérarchies et que, par exemple, un intellectuel peut apprécier à la fois des romans policiers, le football, l’opéra, la philosophie et les mangas. Mais si un bon lecteur peut aimer à la fois Proust et les romans de Stephen King, il reste vrai que les difficultés de lecture se trouvent souvent amplifiées par le manque de repères culturels. C’est pourquoi des propositions didactiques autour des pratiques de lecture et de l’appropriation des codes socioculturels associés à la circulation et à la légitimation des œuvres ont été faites dans le cadre scolaire, en France où l’étude du fait littéraire a été introduite dans les programmes en 2000, et en Belgique dès les années 1980, avec l’objectif de favoriser l’appropriation culturelle des élèves en difficulté. JeanMaurice Rosier, Didier Dupont et Yves Reuter (2000) présentent des activités autour de la notion de champ littéraire, dans une perspective historique et institutionnelle : système éditorial, modes de diffusion, critique et prix littéraires, publicité et image de l’écrivain aujourd’hui, statut de la littérature à l’école, paralittérature, culture de masse donnent ainsi sur la littérature un regard extérieur qui contribue à une meilleure compréhension de son rôle socioculturel. 1.3.3. Les éléments formels de la communication littéraire

Contrairement à cette approche socioculturelle du fait littéraire, la plupart des 22

didacticiens du FLE privilégient nettement les approches formelles comme si elles seules pouvaient faire l’objet d’une réflexion didactique. Ainsi en est-il dans Littérature et communication en classe de langue. Une initiation à l’analyse du discours littéraire (Bourgain & Papo, 1989) qui se présente comme une « mise à l’épreuve » des concepts de la sémiotique défendue par Peytard dans Littérature et classe de langue. Tout en affirmant que l’acquisition d’un métalangage n’est pas l’objectif principal, les auteurs font de l’appareil théorique le centre de leur ouvrage. Les modules pédagogiques, organisés autour de fonctions inspirées de Jakobson et de la narratologie (fonctions conative, émotive, narrative et de régie, personnage, point de vue, cadre discursif), proposent d’initier les apprenants à la spécificité de la communication littéraire et d’améliorer ainsi leur compétence lectorale. Le point qui mérite d’être souligné est l’émergence de la référence à la compétence de lecture, sur laquelle des travaux commencent à paraître dans ces mêmes années. Jean Verrier, dans une contribution justement intitulée « De l’enseignement de la littérature à l’enseignement de la lecture », identifie, après le rêve d’une « science » de la littérature dans les années 1960, le développement d’une « pédagogie de la réception » attentive aux lectures réelles des élèves et des étudiants (Verrier, 1994 : 159-174). Pour le FLE, ce « tournant » vers une pédagogie de la lecture est marqué, en 1988, par un numéro du Français dans le monde – Recherches et applications intitulé « Littérature et enseignement. La perspective du lecteur », dirigé par Denis Bertrand et Françoise Ploquin. Le volume, centré sur « le contact entre le texte et son lecteur », entend faire converger « pragmatique de la lecture, esthétique de la réception, sémiotique du texte […] pour éclairer et enrichir ensemble les différents aspects du savoir et du plaisir dont la lecture littéraire est l’occasion » (Bertrand & Ploquin, 1988 : 2-3). À côté d’analyses sémiotiques et énonciatives, de témoignages d’éditeurs ou d’enseignants, il comporte quelques propositions d’entrée dans la littérature à partir de pratiques spontanées d’apprenants ou par les activités d’écriture. On ne peut cependant pas dire que les publications de la décennie suivante se situent directement dans la « pédagogie de la réception » qu’évoque Jean Verrier. Entrées en littérature de Jean-Pierre Goldenstein (1990), publié dans une collection de FLE, mais en fait plutôt destiné à un public scolaire, est inspiré des travaux de Genette sur les seuils du texte et visent l’acquisition d’outils d’analyse et de démarches méthodologiques. Sont ainsi étudiés le para- et le péritexte (couvertures, titres, préfaces), l’horizon d’attente, la notion de recueil ou la définition même des limites de la littérature (avec les pages d’annuaire téléphonique intitulées poème par Breton). Dix ans plus tard, c’est une perspective comparable qui guide l’ouvrage de Marie-Claude Albert et Marc Souchon, Les Textes littéraires en classe de langue, paru en 2000. Les auteurs proposent en effet des mises au point théoriques sur le discours et la communication littéraires, et entrent dans les textes à partir de questions telles que la référenciation et la connotation, le discours rapporté et le dialogue théâtral, ou encore les genres, l’intertextualité et les réécritures ainsi que les adaptations filmiques. Seul à se trouver en relatif décalage avec ces orientations, Pour la littérature de Mireille Naturel (1995) propose des entrées thématique et culturelle dans la 23

littérature, par le choix d’œuvres qui permettent d’évoquer la vie littéraire, par exemple L’Écume des jours de Boris Vian pour évoquer Saint-Germain-des-Prés à l’époque de l’existentialisme. Même s’ils cherchent à prendre en compte les attentes et les difficultés des apprenants d’une langue étrangère, ces différents ouvrages appartiennent à une didactique de la littérature ou des textes littéraires – dans leurs dimensions thématiques ou formelles – plus qu’ils ne répondent à la question de l’utilisation de la littérature dans la didactique du français langue étrangère. Le risque est que les savoirs convoqués deviennent eux-mêmes les objectifs de l’enseignement et que les textes soient moins l’occasion d’une expérience personnelle que « les illustrations de leurs moyens d’analyse » selon une expression polémique de Tzvetan Todorov (2007) visant ce qu’il considère comme une dérive formaliste en français langue maternelle. Cela ne veut pas dire que l’acquisition d’un métalangage critique n’est d’aucune utilité, y compris en FLE, mais comme pour la grammaire, il est important de prendre garde à ce que la théorie ne devienne pas un objectif en soi, en faisant perdre ce à quoi elle est censée servir : aider à mieux lire, c’est-à-dire, dans le cas d’une langue étrangère, faciliter la lecture en donnant des moyens de contourner les obstacles linguistiques ou culturels. 1.4. La lecture de littérature comme réception authentique À la différence de ces approches cherchant à définir et à situer le discours littéraire, la réflexion sur la lecture littéraire, lorsqu’elle émerge en FLE dans les années 1980, se concentre sur la lecture individuelle de la littérature, en cherchant à se rapprocher, en classe, d’une « réception authentique ». Mais comment la définir ? Peut-elle être associée à des activités et peut-elle s’exercer sur des extraits ? 1.4.1. Lecture scolaire et contextualisations

Dans la démarche communicative qui cherche à s’approcher, dans la situation d’enseignement-apprentissage, des situations réelles de communication, s’est posée la question de savoir quelle « authenticité » de la littérature était à privilégier et préserver. Le sens le plus courant est d’opposer le document authentique au document fabriqué spécialement pour la classe. Dans ce sens, un roman, comme une publicité, est un document authentique, il n’a pas été écrit spécialement pour répondre à une progression linguistique ni pour servir de support d’enseignement de langue/culture. Mais le découpage d’un texte, sa sélection dans un manuel, les activités auxquelles il donne lieu préservent-ils l’authenticité de l’expérience de lecture proposée ? Certes, aucune lecture ne se fait hors d’un contexte, que celui-ci soit scolaire ou non. Au moment même où il paraît, un livre de littérature arrive dans un certain contexte culturel, politique, social, à une époque donnée, au milieu d’autres livres qui lui sont proches ou lointains. Lorsqu’on lit un livre d’une époque antérieure, tout comme lorsqu’on lit un livre d’une culture différente de la nôtre, et dans une langue différente de notre langue maternelle, on se trouve contraints, à des degrés divers, de décontextualiser le livre et de le recontextualiser dans notre présent, notre environnement culturel, social et linguistique. On ne peut pas dire que ces lectures ne sont pas authentiques, car dans la réception d’un livre il y a toujours une interaction avec le contexte du lecteur. En effet, on peut lire en ramenant à soi le contenu de l’œuvre, sans se soucier du contexte initial, on 24

parle alors de lectures actualisantes, comme le sont souvent, par exemple, les interprétations théâtrales, qui « actualisent » une pièce en introduisant dans la mise en scène des allusions au présent immédiat des spectateurs. À l’inverse, le lecteur peut chercher à se rapprocher de l’époque ou de la culture d’origine d’une œuvre pour essayer de mieux saisir les allusions culturelles ou historiques, et l’interpréter non en fonction de soi, mais de ce qu’il peut reconstituer de l’auteur, de l’époque ou du pays d’origine. Là encore, même si l’on fait un travail documentaire important, il y a une part d’interprétation, subjective et personnelle. Ainsi, la question de l’authenticité doit être entièrement distincte de celle d’une supposée vérité historique ou culturelle : la réception littéraire est toujours une affaire de décontextualisation/recontextualisation, et le plaisir pris à la lecture, l’intensité de l’attention portée à l’œuvre ne sont pas moins authentiques selon les deux options, la proximité ou la distance. Cependant, en classe, il est fréquent de lire des extraits plutôt que les œuvres intégrales. Dans ce cas, ce qui est donné au lecteur est déjà une interprétation de cette œuvre, selon différents critères de choix : questions de forme ou de contenu, difficulté supposée de développements jugés « inutiles » à la compréhension, parties qui développent une histoire secondaire, ou sujet « gênant » vis-à-vis d’un certain public… Même si les raisons sont justifiables d’un point de vue pédagogique, elles changent les conditions de l’expérience de lecture. De plus, la matérialité même du support change le rapport à l’« objet » littérature : lire un extrait de roman dans un manuel, accompagné de questions, lire ce même extrait en photocopies, avoir en mains le livre imprimé, lire sur tablette, écouter un « livre audio » ou, dans le cas du théâtre, voir la captation filmée d’une mise en scène ou aller voir la représentation engage des expériences très différentes du même « texte ». Cette diversité, que l’on retrouve dans les pratiques culturelles, peut être un atout pour l’enseignant qui peut utiliser de manière conjointe ou alternée l’écoute, la lecture silencieuse et la lecture à haute voix pour diversifier l’expérience de lecture. Mais dans une approche communicative qui privilégie les documents et les situations authentiques de communication, on comprend que l’on puisse privilégier des textes complets pour ne pas se limiter uniquement aux quelques extraits présents dans des manuels, parmi des documents pédagogiques fabriqués. 1.4.2. La lecture littéraire, une lecture interactive

C’est le choix de lire des œuvres intégrales que défend, Francine Cicurel dans Lectures interactives (1991b) et dans un article paru la même année (1991a), en proposant, pour la lecture de littérature en classe de langue, de s’intéresser spécialement aux formes narratives. Faisant remarquer – comme le développera plus tard Schaeffer dans Pourquoi la fiction ? (1999) – qu’« il existe un besoin chez chacun d’être au contact d’histoires » (Cicurel, 1991a : 13), elle définit « la lecture littéraire comme une expérience dans le sens où elle appelle un type de réaction affective, intellectuelle qui est tout autre chose que les processus cognitifs mis en œuvre pour la réception du texte à caractère informatif » (Cicurel, 1991a : 12). Cette approche de la fiction s’appuie ainsi sur des conceptions plus anthropologiques que formelles des situations et des modèles que la littérature nous permet d’expérimenter, qui seront développées dans les approches 25

interculturelles. D’autre part, Francine Cicurel s’appuie sur les théories de la lecture – en particulier celle de la coopération du lecteur d’Umberto Eco (1985) – pour décrire l’implication du lecteur et les manières dont il participe à la construction du monde qu’il est en train de lire. Selon Eco, le lecteur complète la fiction avec des connaissances extérieures, qui forment « l’encyclopédie du lecteur », et au fur et à mesure de sa lecture, il émet des hypothèses sur le déroulement de l’histoire, hypothèses qui orientent sa lecture, contribuent à la tension, au suspens, à l’envie de continuer à lire. La mise au jour de ces processus de lecture – qui joignent l’interprétation symbolique à la compréhension littérale – permet de proposer à des apprenants des stratégies pour améliorer leur lecture en dépassant leurs difficultés linguistiques ou culturelles. En effet, la lecture d’un roman ou d’une nouvelle met en jeu des compétences non linguistiques qui sont transposables dans la langue étrangère. L’accompagnement pédagogique ne se concentre donc pas sur des questions lexicales ou grammaticales, pas plus qu’il n’attire l’attention sur des points de compréhension locale, mais il vise à rendre actif l’apprenant, en sollicitant son imagination, ses capacités de raisonnement, d’inférence et d’anticipation, en lui faisant expliciter ses hypothèses. Une telle démarche essaie de conserver à la lecture son mouvement « authentique » qu’elle renforce seulement et rend plus conscient pour permettre à l’apprenant de dépasser des obstacles linguistiques qui pourraient le décourager. Le questionnement qui accompagne le texte ne sert donc pas à l’évaluation, contrairement aux questions traditionnelles de compréhension, mais il oriente l’apprenant dans une démarche d’anticipation. Il s’agit de mettre l’accent non sur les difficultés de lecture ou les opacités du texte, mais sur des connaissances d’un autre niveau, qui permettent à l’apprenant d’interpréter des comportements ou de reconnaître des scénarios plus ou moins prévisibles et de faire des inférences à partir de la situation initiale. La technique du « dévoilement progressif », présentée par Jean-Louis Dufays, Louis Gemenne et Dominique Ledur, dans leur ouvrage Pour une lecture littéraire (2005 : 215-230) repose sur le même présupposé qu’il y a des situations et des schémas d’action qui sont récurrents et qui fonctionnent ainsi un peu comme des stéréotypes narratifs ou, comme les appelle Dufays (1994), des stéréotypes rhétoriques. Tout comme les stéréotypes langagiers ou culturels, ces schémas convenus peuvent servir d’outil pour développer la compétence de lecture. L’intérêt de travailler sur des genres populaires qui jouent sur les stéréotypes, comme le roman policier, tient aussi à la possibilité de s’appuyer sur des schémas attendus (Riquois, 2010). Le lecteur peut se tromper en se fiant à un stéréotype situationnel ou narratif, mais du moins il entre dans une dynamique d’anticipation, et par l’analogie avec du connu, il est capable de donner suffisamment de sens à ce qu’il lit pour avancer – et corriger, ce faisant, ce que les premières hypothèses peuvent avoir de sommaire et d’incomplet, ce qui constitue un des plaisirs de la lecture, par exemple de romans de détection ou de nouvelles « à chute », qui sont construits pour surprendre le lecteur. La mise en commun des hypothèses et la confrontation des interprétations, lorsqu’elles 26

sont faites dans une atmosphère bienveillante, constituent un moyen collaboratif de préciser la compréhension et aident les lecteurs novices à renforcer leurs stratégies en explicitant leur interprétation et en écoutant la manière dont les autres sont arrivés à formuler des interprétations similaires ou divergentes. La dimension collective fait donc partie de la méthodologie interactive qui comporte « trois mouvements » : « l’interaction du lecteur vers le texte » à travers les hypothèses de lecture ; « l’interaction du texte sur le lecteur » à travers l’expression par le lecteur de l’effet que le texte a sur lui ; « l’interaction entre les membres du groupe-classe » qui partagent leurs hypothèses et leurs ressentis : « Ainsi, le texte n’est plus seulement un objet étranger, un objet à étudier, difficilement accessible, mais un texte dont on s’empare, dans lequel on s’implique et sur lequel on a le droit de dire quelque chose. » (Cicurel, 1991a : 18) Les principes de la lecture interactive, qui sont confortés par d’autres travaux sur la lecture en langue étrangère (Cornaire, 1999) font écho à l’intérêt des didacticiens du FLM pour la lecture littéraire (Dufays, Gemenne & Ledur, 1996 ; Noël-Gaudrault, 1997 ; Daunay, 2007). Celle-ci est définie non pas seulement comme une lecture de littérature, mais en tant que manière de lire qui unit un mouvement d’adhésion avec un mouvement de distanciation (Dufays, 2002, 2006, 2011). Traditionnellement en France, l’école a survalorisé la distanciation critique à travers l’analyse formelle, tandis que l’on se représente, de manière un peu simplificatrice, la lecture « libre » ou « d’évasion » comme une lecture-adhésion, sans distance ni recul. Des travaux théoriques sur la lecture (Picard, 1986 ; Jouve, 1993) insistent pourtant sur l’alliance entre ces deux modes de lecture, où la sensibilité et l’imagination sont sollicitées autant que la rationalité, et où alternent les mouvements d’identification et d’immersion dans l’imaginaire du texte avec une prise de recul qui évalue esthétiquement ou éthiquement le texte. Il semble donc important, dans le cadre scolaire, de tirer parti de la situation de lecture collective : les moments de discussion en commun permettent de faire prendre conscience de ces deux dimensions de la lecture spontanée. Le « sujet lecteur » (Langlade & Rouxel, 2005) est ainsi reconnu – et aidé à prendre conscience de lui-même, c’est-à-dire à la fois de sa subjectivité qui fait que sa lecture est unique, et de ce qu’il partage avec les autres lecteurs du même texte. 1.4.3. Pratiques de lecture et médiation vers la littérature

Par opposition à la situation en classe qui, trop souvent, « établit une posture de lecture uniforme, toute centrée sur le texte » où le lecteur est « face à un texte accompagné de discours commentatifs, de consignes sur le dire, sur le lire » qu’un enseignant « tierslecteur » interpose entre le texte et lui, Francine Cicurel (2001) propose aussi de mieux prendre en compte la diversité des situations de lecture, en variant les buts de lecture et en restituant la vocalité du texte et la dimension corporelle. Ainsi que l’écrit Daniel Pennac (1992), le professeur qui lit à haute voix peut agir comme un « révélateur photographique » ; il ne s’interpose pas entre le livre et ses élèves comme il le ferait par une explication, mais c’est par sa chimie que l’image du livre se forme et leur devient visible. L’enseignant joue alors pleinement son rôle de médiateur, et il peut encourager également les apprenants à jouer ce rôle : par la lecture à haute voix, par une présentation 27

en quelques mots de ce qui l’a touché ou l’attire dans ce livre, par le dessin même, comme le proposent certaines activités d’accompagnement de la lecture. L’interprétation s’y exprime alors, comme le résultat d’une activité intérieure d’appropriation, mais elle est aussi en même temps partage avec d’autres, à qui l’interprétation est destinée (chapitre 6). D’autres recherches récentes en FLE se sont orientées vers l’étude des pratiques de lecture (Godard, Havard & Rollinat-Levasseur, 2011). S’appuyant sur des enquêtes sur les pratiques de lecture effectives des apprenants (Rollinat-Levasseur, 2011) et sur l’étude des médiations scolaires (Cicurel, 2001, 2007 et 2011 ; Baptiste, 2011 ; Havard, 2011), elles montrent l’intérêt d’intégrer à la didactique de la lecture une meilleure connaissance des pratiques et des valeurs sociales qui précèdent, entourent et favorisent le contact avec les livres. En déplaçant le centre d’intérêt de la lecture vers les lecteurs (Godard, 2011), ces recherches rejoignent la médiation culturelle développée en FLM pour rapprocher de l’écrit les élèves qui viennent de milieux où les livres – et la littérature – sont peu présents (Poulain, 1993). La démarche trouve d’autant plus sa justification en milieu scolaire que l’enseignement fonctionnel du français, qui s’y est développé de l’école au collège et dans les lycées techniques depuis les années 1980, a marginalisé l’étude des textes littéraires, renvoyant à un « hors classe » la lecture pour le plaisir au moment même où elle s’est mise à reculer dans les pratiques spontanées au profit de pratiques culturelles audiovisuelles (Baudelot, Cartier & Detrez, 1999). S’agissant du FLE en France, mieux connaître le rapport à la lecture dans la culture éducative des apprenants permet d’aider les étudiants étrangers suivant un cursus à l’université française à s’adapter aux manières de lire « à la française », c’est-à-dire notamment à la démarche analytique où les éléments formels et énonciatifs ont une place importante. À l’étranger, les aspects méthodologiques sont moins prégnants et il s’agit donc surtout de favoriser un contact avec la littérature à travers des activités diversifiées. De fait, la plupart des activités menées à l’étranger, dans le réseau des instituts français, des alliances françaises ou des librairies françaises, relèvent de l’action et de la médiation culturelle. Conférences ou rencontres d’écrivains, ateliers d’écriture ou clubs de lecture, en synergie avec un cinéma-club ou un atelier de théâtre : autant d’occasions offertes aux francophiles de participer à la vie culturelle en français et de développer une appétence pour la lecture (chapitre 3). Il reste à donner plus de visibilité à ces activités et surtout à développer une articulation avec la classe de langue. L’enjeu d’une telle articulation n’est pas seulement de développer en parallèle des compétences utiles dans la classe, mais de donner sens aux apprentissages, en les ancrant dans des pratiques effectives. 1.5. L’écriture littéraire, une écriture créative Le choix de privilégier une conception de la littérature comme pratique authentique a également encouragé une pédagogie de l’écrit sous forme de jeux littéraires et d’exercices de réécriture associant lecture et écriture. Pratiqués aussi en FLM, les jeux littéraires existent depuis longtemps dans la pédagogie de l’écrit, ils font partie d’une culture d’enseignement rhétorique qui privilégie les exercices d’imitation et sont justifiés aujourd’hui dans une démarche qui favorise la créativité (chapitre 5.1.). 1.5.1. Jeux littéraires et créativité langagière

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Telle a été la démarche d’un groupe de chercheurs du BELC qui a contribué à promouvoir en FLE une approche renouvelée des corpus – privilégiant les textes à contraintes – et des démarches – visant à décloisonner les pratiques langagières. Dans Jeux, langage, créativité : les jeux dans la classe de français paru en 1978, JeanMarc Caré & Francis Debyser présentent en effet le jeu et la créativité langagière comme des pratiques non scolaires, plus propices à éveiller la curiosité et à entretenir le plaisir et le désir d’apprendre. Les auteurs, qui proposent des activités pour la classe, mettent en avant la relation forte entre le développement du langage et le plaisir de la manipulation verbale. S’appuyant sur les travaux du psychologue Jean Piaget et du pédiatre et psychanalyste Donald Winnicott qui montrent la contribution du jeu au développement de la personnalité de l’enfant, à la fois dans son adaptation au réel et dans l’assimilation du réel au moi, les auteurs considèrent que les jeux verbaux ont toute leur place dans la classe de langue étrangère, parce qu’ils développent la créativité et la capacité du sujet à s’approprier le langage et les situations de communication. Les jeux avec les mots, comme les ont pratiqués les surréalistes ou l’Oulipo permettent de percevoir le côté palpable des signes et peuvent servir à l’acquisition de certaines structures linguistiques ; la simulation, les jeux de rôle et la dramatisation peuvent libérer l’expression et développent la conscience des dimensions non verbales de la communication ; les jeux d’interprétation à partir de dessins réalisés par les apprenants sollicitent l’imagination. Enfin, toutes ces pratiques stimulent l’invention plutôt que la répétition d’une norme. Sans présenter leurs travaux comme une réflexion sur la littérature, les auteurs font appel à la littérature à presque tous les niveaux de jeux qu’ils proposent : jeux de mots oulipiens ou surréalistes, dramatisations de saynètes empruntées au corpus littéraire théâtral – en privilégiant les situations cocasses et les malentendus –, jeux de variation sur matrice, par référence à la structure des contes populaires étudiés par Propp. 1.5.2. L’atelier de lecture-écriture : l’interactivité des apprentissages

Les relations entre le développement de la compétence de lecture littéraire et la pratique d’une écriture créative ont été souvent soulignées, en premier lieu parce que l’une sert de motivation à l’autre. Ainsi, de nombreux projets pédagogiques autour de l’écriture d’une pièce ou d’un recueil de poèmes, de nouvelles ou d’un roman collectif, s’appuient sur la lecture d’œuvres ou de textes sollicités à différentes étapes du projet, en tant qu’auxiliaires, pour les réponses qu’ils ont données à des problèmes « techniques », poétiques, dramatiques ou narratifs : comment présenter un personnage, quelle transition trouver entre deux scènes, comment utiliser les dialogues pour faire avancer l’action, comment éviter les formules répétitives pour les tours de parole, etc. L’écriture, en focalisant l’apprenant sur le faire, le rend ainsi attentif à la technique littéraire, et le pousse à une lecture analytique. C’est une bonne manière de l’obliger à quitter le niveau microstructural pour aborder des phénomènes discursifs (voix, aspect). En retour, c’est une meilleure capacité à lire que le projet d’écriture permet de développer, surtout lorsque plusieurs procédés sont comparés en vue de sélectionner celui qui sera le plus adéquat à la situation narrée ou représentée. Enfin, l’atelier d’écriture peut se donner comme 29

objectif explicite de travailler sur les interférences des langues en présence, permettant ainsi aux apprenants de développer, par l’écriture, une pratique où le plurilinguisme est vécu comme un élément de la créativité et non comme un obstacle au « bien écrire » (chapitre 5.2.1.). 1.6. La littérature comme voie d’accès à la culture anthropologique Parallèlement aux apports de la linguistique, les relations entre littérature et culture ont été réexaminées dans les approches communicatives à partir d’une redéfinition de la culture elle-même, abordée dans ses formes anthropologiques. Ainsi, Georges Lüdi, Beat Munch et Claude Gauthier expliquent que « l’enseignement de la civilisation » comme collection de monuments (notamment littéraires) a été remis en question au profit d’une « didactique de la culture », incluant savoirs socioculturels, schématisations discursives et pratiques culturelles (1994 : 105). Dans le cadre d’un « enseignement pluriel de la civilisation » visant « l’élaboration d’une compétence sociale, interculturelle et transnationale » (ibid.), les textes littéraires, « en tant que manifestation de la réalité sociale de la société qui a permis leur création » (ibid. : 106), contribuent parmi d’autres formes discursives, écrites et audiovisuelles, à la formation de la capacité de déchiffrement de cette culture anthropologique. 1.6.1. La littérature comme outil de médiation interculturelle

Certaines approches interculturelles, qui se développent dans les mêmes années, donnent également aux textes littéraires un rôle à jouer dans le développement d’une capacité à la fois de décentrement et de retour critique sur sa propre culture. Ainsi, selon Martine Abdallah-Pretceille, les textes littéraires, en tant qu’ils « véhiculent des images qui renvoient nécessairement à des mythes reconnus et acceptés par le groupe sous peine d’être incompris […] constituent d’excellents supports d’analyse » (1986 : 84). En effet, ils donnent une forme de connaissance du monde, différente de la connaissance scientifique à deux titres : d’abord parce qu’elle passe par une expression singulière, un regard, un point de vue unique sur la réalité, ensuite parce qu’à son tour, le lecteur en fait une lecture singulière, en fonction de la manière dont il s’implique, affectivement et imaginairement, en s’identifiant plus ou moins au point de vue qui lui est présenté. De la sorte, la littérature offre comme deux « filtres » successifs sur la réalité : la singularité d’un regard et la singularité d’une lecture, dans leurs dimensions non pas seulement cognitive, mais affective, imaginaire et symbolique. La littérature ouvre ainsi une médiation, un lieu qui n’est pas la réalité, où les valeurs et les catégories de la perception du temps et de l’espace, de la différence des genres, de la filiation et de la relation entre l’individu et la société se trouvent à la fois disponibles à l’expérience imaginaire, à l’identification ou au rejet, à l’empathie et à la discussion. Du point de vue individuel, lire a donc un enjeu identitaire, c’est un moyen de comprendre et d’explorer des « appartenances multiples » (Maalouf, 1999) ; du point de vue collectif – à commencer par celui du groupe classe –, la littérature permet également de construire une expérience commune de la diversité, en évitant les identifications hâtives des groupes socioculturels ou nationaux auxquels appartiennent les apprenants. Les approches interculturelles ont été introduites en FLS à partir de 1988 en 30

Belgique : il s’agissait d’enseigner « la culture d’origine » à des élèves francophones d’origine marocaine, mais très vite est apparue comme restrictive cette démarche qui isolait une culture et risquait d’en figer les traits (Collès, Dufays & Maeder, 2003 : 139). L’étape suivante, dont rend compte Luc Collès (1994), fut d’étudier, dans des classes culturellement mixtes, des textes littéraires francophones appartenant respectivement à la culture belge (ou française), maghrébine (notamment marocaine) et « beur » (c’est-à-dire la littérature des enfants d’immigrés, partagés entre les deux cultures) tels Le Gone du Chaâba d’Azouz Begag ou Le Thé au harem d’Archi Ahmed de Mehdi Charef. À la différence d’Amor Séoud (1997), qui cherche par l’approche interculturelle à lever les difficultés de compréhension d’ordre culturel des élèves tunisiens qui étudient la littérature française au lycée en Tunisie, Luc Collès veut d’abord offrir aux élèves des deux cultures, belge et marocaine, une occasion de se découvrir mutuellement et de se trouver reconnus par et dans la représentation littéraire. Il entend, dans un second temps, utiliser cette rencontre avec l’altérité pour initier un travail de décentrement par rapport à ce qui paraît, dans sa propre culture, des évidences. Ainsi, il ne s’agit pas seulement de l’intégration d’une population immigrée, mais bel et bien d’une ouverture réciproque, et d’une formation à un regard anthropologique où la culture maternelle fait l’objet d’une distanciation par la confrontation avec le regard de l’autre sur soi. Collès prend cependant le soin d’insister sur le fait que, tout en visant la décentration par rapport à la culture d’origine, il ne prône pas le relativisme culturel, et que sa démarche s’appuie sur des valeurs humanistes – non-violence, respect de l’autre, liberté de pensée, en référence aux Droits de l’Homme – dans un projet éducatif et formatif (1994 : 14 et 2003 : 140) : « un des objectifs du cours de français est justement l’apprentissage de la gestion des conflits par le langage et la maîtrise des affects » (2003 : 140). La démarche de Collès, qu’il qualifie de « contrastive, conceptualisante, interculturelle et interactive » (1994 : 40) est de partir du particulier de la littérature pour aller vers le général du système culturel : des textes d’anthropologues et de sociologues sont également présentés aux élèves pour « relativiser la singularité du regard des écrivains » (2003 : 140) et pour dessiner les contours des sociétés et des cultures mises en présence. À ces conditions, le texte littéraire peut, selon lui, devenir « une voie d’accès à des codes sociaux et à des modèles culturels » (ibid.). Il s’agit, ce faisant, « non seulement de réconcilier l’enseignement de la langue avec celui de la culture littéraire et artistique, mais aussi de souligner le lien étroit que la culture savante noue avec la culture comportementale partagée par l’immense majorité des natifs » (ibid.). Mais on ne peut écarter le risque, en bout de parcours, de fixer des traits culturels opposés de manière statique. Il nous semble, à l’inverse, que la singularité même du point de vue de l’écrivain et de l’expérience de lecture sont à exploiter. Préserver le mouvement subjectif de la lecture, c’est en effet permettre de reconnaître dans l’œuvre non pas seulement des codes sociaux fixes, mais la manière dont les individus, singulièrement, s’en accommodent. 1.6.2. La littérature comme apprentissage de l’altérité

Plus que la lecture anthropologique, qui va chercher « derrière » les représentations littéraires une « réalité » que l’on pourrait cerner, c’est ainsi par une lecture interprétative, 31

qui tient compte de la double subjectivité – celle de l’auteur et celle du lecteur –, que l’on peut former une attitude d’ouverture à ce qui nous échappe. C’est le point de vue que défend Martine Abdallah-Pretceille lorsqu’elle plaide pour la réintroduction de la littérature dans les classes de langue « dans une perspective d’un apprentissage de l’altérité au service d’un humanisme du divers » (2010 : 147). Les atouts de la littérature sont, selon elle, d’une part de permettre une expérience de l’altérité ; d’autre part, de le faire sous une forme qui conjoint l’universel et le singulier, suivant le concept hégélien d’« universel singulier », utilisé par Sartre à propos de Flaubert, mais qu’elle propose d’étendre à la littérature tout entière et, plus généralement, à l’art : « La littérature parle à chacun de nous et en même temps à tout le monde. Elle crée un espace d’authenticité partagée, un imaginaire contradictoire, à la fois commun et singulier. Elle s’adresse au lecteur en particulier comme un individu totalement incomparable et irréductible et à la fois comme être humain en général. » (ibid. : 148) Il est donc important de ne pas réduire la singularité littéraire, en cédant à une « illusion réaliste », ce qui est le défaut des lectures anthropologiques généralisantes ou objectivantes. En effet, et c’est la troisième raison pour laquelle la littérature est, selon elle, irremplaçable, « l’œuvre littéraire est une œuvre ouverte » qui permet – et demande – un « apprentissage de la lecture et de la capacité d’interprétation » (ibid. : 155). Or, c’est cette capacité de déchiffrement qui est justement l’objectif de toute éducation au divers, dans une perspective de développement personnel autant que d’apprentissage du monde. Ainsi, quand la littérature n’est pas simplement utilisée comme corpus ou pour un contenu culturel, mais comme une expérience qui implique une attitude interprétative, les enjeux éthique et culturel se trouvent associés à des enjeux formatif et méthodologique : « Le romancier est un médiateur, un initiateur qui favorise la décentration par le simple fait que son texte suggère des interrogations et des hypothèses. La distance que le texte littéraire entretient avec le lecteur est certes une distance créatrice, mais c’est aussi une distance qui permet au lecteur de voir et de se voir en “oblique” favorisant ainsi une objectivation de soi et du monde. » (ibid.) Le choix des textes est bien évidemment essentiel dans cette optique. Plutôt que des textes prévisibles ou reposant sur des stéréotypes psychologiques ou culturels, on peut favoriser des œuvres qui, tout en engageant les capacités d’imagination et d’empathie des lecteurs, explorent des dimensions moins convenues de notre humanité, tels Geai, Isabelle Bruges ou La Folle Allure de Christian Bobin pour le versant lumineux, ou bien La Classe de neige, L’Emploi du temps ou D’autres vies que la mienne d’Emmanuel Carrère pour le versant sombre. Lorsqu’on aborde des situations de rencontres de cultures, on peut choisir de travailler à partir de représentations plus ou moins fixes ou mobiles. Ainsi, Stupeur et tremblements d’Amélie Nothomb conforte jusqu’à la caricature les stéréotypes culturels sur les Japonais vus par une Occidentale. Les nouvelles du recueil La Préférence nationale ou le roman Inassouvies, nos vies de Fatou Diome interrogent, à travers l’expérience d’une Africaine 32

en France, la possibilité de s’appuyer sur les valeurs communautaires des sociétés traditionnelles contre une certaine déshumanisation des sociétés riches, individualistes et consuméristes. De son côté, Dany Laferrière va déjouer, dans ses nouvelles comme Vers le sud, ou ses récits autobiographiques, tel Chronique de la dérive douce, les clichés sur les blancs et les noirs, les hommes et les femmes, les pauvres et les riches, et jusqu’à son identité d’« écrivain haïtien » qu’il conteste avec humour dans un livre intitulé Je suis un écrivain japonais. Évitant le binarisme des identités que l’on oppose, l’éducation interculturelle rejoint la démarche propre à la lecture littéraire, définie comme un mouvement interprétatif, fait d’aller-retour, entre soi et le livre, à la fois comme texte (lorsqu’on relit ce qui est écrit, littéralement, pour vérifier nos premières impressions), et comme monde (lorsqu’on se replonge, imaginairement, dans ce qui est raconté, en cherchant à réordonner les valeurs et les représentations déployées autour des personnages, de leur destin ou de leur parcours). Dans le modèle de la lecture littéraire, conçue comme expérience esthétique (Jouve, 2005), qui engage une vision du monde et comporte une dimension existentielle, l’apprenant se trouve engagé dans une attitude réceptive et créative particulière, celle de donner du sens à ce qu’il a ressenti, imaginé et interprété. C’est ainsi que le terme d’expérience de lecture prend tout son sens : expérience partagée de la lecture scolaire, expérience que la situation fictionnelle permet de vivre en imagination, mais aussi expérimentation dans laquelle le lecteur est à la fois observateur et observé puisque ce sont ses réactions aux textes qui servent de point de départ à une réflexion sur les effets que ceux-ci ont eus sur lui, en tenant compte des différences culturelles. Nous proposons ainsi, avec Jean-Louis Dumortier (2009), de parler de « formation littéraire » plutôt que d’enseignement, pour insister sur le fait qu’il s’agit moins de connaissances sur la littérature (ce qu’impliqueraient plus les enseignements ou les études littéraires) que d’une formation (de soi et au monde) par/à travers/avec la littérature comme expérience que l’on fait, en lisant, individuellement, à la fois de la langue et d’une existence, vécue ou imaginée, et comme expérience partagée, où l’on est relié aux autres, en participant à la vie culturelle. Si l’on tire un bilan de ces recherches menées depuis les années 1980 en FLE autour de la didactique de la littérature, on peut noter la grande richesse des propositions qui articulent compétences lectorales, créativité langagière et expérience de l’altérité. Le renouvellement des démarches repose, quant à lui, sur le choix de mettre au centre du dispositif interprétatif l’apprenant dans sa singularité. Mais ces dimensions, qui nous semblent constituer le cœur de ce qu’un enseignement de la littérature devrait être – que ce soit en FLM ou en FLE –, sont-elles au centre des politiques éducatives ? Ont-elles transformé les pratiques d’enseignement à l’étranger ? Sont-elles mises au premier plan dans le matériel pédagogique ? Les trois chapitres suivants s’efforcent de répondre à ces questions. Note

(1) « Les écrivains sont aussi les maîtres de morale et de patriotisme » écrit en 1883 le recteur Louis Liard dans ses Lectures morales et littéraires à l’usage de l’enseignement 33

primaire élémentaire et de l’enseignement primaire supérieur (Leroy, 2001). Voir pour le primaire les premières lignes du Tour de la France par deux enfants de Bruno, sous-titré « Devoir et Patrie ».

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CHAPITRE 2 Enjeux de la formation littéraire aujourd’hui par Anne Godard Ainsi qu’on vient de le voir, la littérature se trouve reconnue, dans la didactique du FLE, comme une forme d’expérience singulière à la fois dans sa relation à la pratique de la langue et à la culture anthropologique. Ses enjeux formatifs et éducatifs se trouvent par ailleurs réaffirmés à plusieurs niveaux institutionnels, dans une perspective qui souligne les convergences entre les didactiques des langues maternelles et étrangères. Les problématiques sont-elles les mêmes ? Les corpus, les méthodes et les compétences visées sont-ils partageables ? Et que signifie la notion de compétence dans le domaine littéraire ? 2.1. Convergences des didactiques du français (FLM, FLS et FLE) Si le Conseil de l’Europe peut appeler, dans son projet sur les langues de scolarisation, à « des convergences possibles entre les langues de scolarisation et les langues étrangères dans une approche globale ou holistique » (voir ci-après), c’est bien qu’en dépit des spécificités de chaque domaine, il existe un continuum. Gérard Vigner défend ainsi l’idée d’un « tronc commun » de la didactique du français (2003). Selon lui, même si, par rapport au FLE qui se concentre sur les situations de communication, on peut montrer que le FLM privilégie la transmission et que le FLS est plus préoccupé de questions interculturelles, les différences se situent surtout au niveau des pédagogies qui s’adaptent aux publics visés. Les débats entre les chercheurs sur les degrés de cette intégration des didactiques ne sont pas nouveaux (Chiss, David & Reuter, 2008). Tout récemment, les o intervenants du n 176 du Français aujourd’hui (2012) montraient que, même si les transferts se font plus du FLM vers le FLE, les décloisonnements s’imposent dans nombre de cas, allant, par exemple, des classes d’accueil en France aux contextes créolophones où l’existence d’interlectes oblige à repenser les catégories. C’est aussi le point de vue adopté par Luc Collès, Jean-Louis Dufays et Costantino Maeder dans un ouvrage de synthèse consacré à la notion de compétence dans les quatre pays dans lesquels le français constitue la langue maternelle de la majorité des habitants : la Belgique francophone, la France, la Suisse romande et le Québec. Les auteurs mettent en valeur à la fois le continuum entre langue et culture, et entre les didactiques du FLM, FLS et FLE dans ces quatre pays « confrontés aux défis de la construction européenne, à la position de la romanité face à l’anglais, à la nécessité croissante du plurilinguisme et à l’abondance des flux migratoires ainsi qu’au nouveau rapport aux langues engendré par les nouvelles technologies » (2003 : 8-9). Pour répondre à ces défis, l’enseignement devrait, selon eux, dans tous les cas, « privilégier l’imbrication constante du culturel et du langagier, en soulignant qu’elle concerne les deux dimensions de la culture : la culture au sens restreint (littéraire et artistique) et la culture au sens large (anthropologique) » (ibid. : 138). Ils soulignent, à côté des enjeux formatifs de la transmission littéraire, l’importance de la pratique langagière qu’offre la littérature et l’accès qu’elle permet aux représentations culturelles. Ces trois dimensions – patrimoine commun, exploration langagière et médiation interculturelle – correspondent sans doute à des « accents » 35

privilégiés tour à tour en FLM, en FLE ou en FLS, mais ne peuvent être considérées comme des visées spécifiques et exclusives. Bien au contraire, leur articulation implique que l’on fasse de cette « imbrication du culturel et du langagier » à la fois un objectif et un levier des enseignements de langue. 2.1.1. Objectifs et démarches de l’approche par compétences

De fait, les enseignements de langue, que ce soit la langue maternelle ou étrangère, ont en commun, de plus en plus, de définir leurs objectifs en termes de compétences et d’attitudes tout autant qu’en termes de connaissances. Issue de la linguistique à travers la compétence de communication (Hymes, 1972) et du domaine de la qualification professionnelle, la notion de compétence est à la fois omniprésente et discutée dans le domaine didactique (Coste et al., 2012). En pédagogie, elle est synthétiquement définie comme : « la capacité d’un sujet à mobiliser, de manière intégrée, des ressources internes (savoirs, savoir-faire et attitudes) et externes pour faire face efficacement à une famille de tâches complexes pour lui. » (Beckers, 2002 : 57) Largement diffusée dans l’enseignement des langues depuis la parution du CECRL en 2001, l’approche par compétences s’est également introduite dans les enseignements de langue comme discipline. Ce phénomène est relativement récent en France, qui continue de privilégier au niveau du lycée les savoirs sur les savoir-faire, contrairement aux autres pays où le français est langue maternelle ou première, le Québec, la Belgique, la Suisse (Collès, Dufays & Maeder, 2003). Ces compétences, et notamment la compétence de lecture, sont néanmoins aujourd’hui au centre des préoccupations institutionnelles, d’autant plus qu’elles sont l’objet d’évaluations internationales qui influent sur les politiques linguistiques. Certes, l’Europe communautaire n’intervient pas directement pour une uniformisation des programmes, mais elle incite les États membres et les États associés au processus de Bologne à une harmonisation des cycles d’enseignement notamment avec le découpage des études en licence, master et doctorat pour créer un véritable « Espace européen de l’enseignement supérieur ». Dans l’organisation scolaire, de la maternelle au lycée, les États restent maîtres de leurs programmes et des progressions, cependant, un certain nombre d’indicateurs internationaux, dont les (1) enquêtes PISA (Programme for International Students Assesment ) menées dans les pays de l’OCDE depuis 2000 sur les compétences acquises des élèves à différents niveaux de leur scolarisation, tendent à généraliser, partout en Europe, la définition des objectifs d’enseignement en termes de compétences. Aujourd’hui, la didactique de la lecture et de l’écriture s’appuie, en FLM et FLS comme en FLE, sur l’analyse du discours pour définir les compétences non pas seulement en termes linguistiques, mais plus spécifiquement en termes sociolinguistiques et pragmatiques, notamment avec l’approche par genres discursifs (Beacco, 2013). Les recherches sur l’écrit et la littératie mettent aussi en évidence les nécessaires complémentarités entre les didactiques du français. La convergence dans les objectifs du FLE, du FLS et du FLM se trouve également renforcée par les rapprochements que l’on 36

peut faire des démarches, lorsque l’on cherche à diversifier les pratiques d’écrit (Chiss, 2012). 2.1.2. Enjeux formatifs de la culture littéraire

De manière globale, on peut faire remarquer que les enjeux éducatifs liés à l’évolution des sociétés sont dans une relation d’interdépendance – qu’il s’agisse des effets de la mondialisation sur l’organisation et la conception des systèmes éducatifs nationaux, ou des défis de l’intensification des migrations du point de vue économique et surtout culturel. La tension entre le développement de compétences immédiatement utiles pour l’action professionnelle et l’affirmation de valeurs éthiques, intellectuelles ou culturelles qui fondent les sociétés et nourrissent l’identité personnelle traversent tous les champs de l’enseignement, et spécialement les enseignements de langue, dans la mesure où langue et culture sont indissociables. En la matière, le partage entre français langue maternelle et étrangère se fait principalement sur les enjeux culturels et formatifs de la littérature, considérée comme un moyen de développement personnel et comme l’expression d’une culture à laquelle l’école se donne pour mission de faire participer les élèves. C’est dans la relation au patrimoine littéraire, selon la manière dont on le considère – plus ou moins ouvert ou fermé, national ou élargi, historique ou contemporain – que les différences en termes de choix pédagogiques vont apparaître comme les plus marquées. En effet, alors que la langue maternelle en tant que discipline scolaire fait l’objet en France de programmes nationaux et se trouve accompagnée de prescriptions pour les périodes étudiées, incluant des listes de genres, d’œuvres et d’auteurs que les enseignants doivent respecter, il n’existe aucune obligation pour le français langue étrangère et les enseignants peuvent adapter le choix des textes à leur public et aux objectifs pédagogiques, en privilégiant, par exemple, le corpus francophone ou les pratiques ludiques et créatives. En FLE, en effet, l’objectif de donner une culture littéraire aux apprenants n’est pas prioritaire ; dans certains contextes d’enseignement, néanmoins, comme les cursus bilingues, cet objectif peut prendre une part notable. Dans le cas du FLS en France, enfin, l’objectif central d’adaptation à la culture scolaire, bien qu’il ne se réduise pas à la culture littéraire, implique toutefois une réflexion sur ce qui, de cette culture, contribue à former la culture éducative française. Plutôt que d’opposer FLM, FLE et FLS, il serait ainsi plus judicieux, pour la didactique de la littérature, de distinguer des contextes d’enseignement : contexte scolaire, d’un côté, où la part de la formation culturelle se trouve affirmée (et où la culture littéraire patrimoniale en tant que telle peut devenir un enjeu d’intégration à la culture scolaire) ; contexte professionnel, de l’autre, où les objectifs communicatifs seront plus directement déterminés par les actions et interactions sociales. Mais les différences s’estompent lorsqu’il s’agit de pratiques s’appuyant sur une pédagogie de la créativité : explorer les potentialités de la langue, développer des aptitudes à la lecture de fiction, encourager une relation affective à la langue peuvent être des objectifs en FLE aussi bien qu’en FLM d’autant plus que créativité et efficacité ne s’opposent pas. En effet, donner à tout apprenant les moyens ou du moins l’occasion de 37

développer le plaisir dans l’usage de la langue qu’il cherche à acquérir, même pour des objectifs professionnels, peut être utile pour soutenir sa motivation et accompagner des démarches d’auto-apprentissage hors de la classe. 2.1.3. Éducation à la diversité culturelle et linguistique

Parallèlement aux incitations institutionnelles à donner à la littérature une place importante dans la formation, le caractère multiculturel des sociétés contemporaines conduit à insister sur les ressources pédagogiques qu’offre la littérature en tant qu’outil de médiation et d’éducation à la diversité culturelle et linguistique en FLM autant qu’en FLS ou FLE. Les enjeux d’une telle éducation sont, dans le contexte de l’école, d’intégrer des publics divers par la langue et l’héritage culturel : primo-arrivants, enfants d’immigrés dont la culture familiale se trouve plus ou moins délégitimée, mais aussi « autochtones » dont les attitudes face à la différence culturelle, linguistique ou religieuse peuvent être marquées tout à la fois par l’ignorance et les stéréotypes (Chiss, 2008). L’approche interculturelle développée en FLS a bien souligné l’intérêt de la littérature pour servir à cette médiation, mais la littérature, comme mise en scène et en tension de la diversité des langues, peut être aussi un moyen de développer chez les lecteurs une prise de conscience plurilingue (chapitre 7). 2.2. Finalités des enseignements de langue comme discipline scolaire : littérature, Bildung et culture humaniste Diverses initiatives institutionnelles réaffirment le rôle irremplaçable de la littérature dans la perspective européenne comme nationale, en soulignant ses enjeux formatifs et culturels. Il nous semble utile de les présenter avant de revenir sur la notion même de compétence telle que les enseignants de littérature peuvent l’éclairer. Au niveau européen, le Conseil de l’Europe a entamé un processus de réflexion pour définir ce que pourrait être un « cadre européen pour les langues de l’éducation », sur le modèle du CECRL, en définissant les objectifs d’apprentissage, d’enseignement et d’évaluation communs aux différents systèmes scolaires européens. Ce projet, présenté (2) sur le site de l’Unité des Politiques linguistiques du Conseil de l’Europe , a donné lieu à trois séries de conférences, en 2006, 2007 et 2009, et a abouti à la création d’une Plateforme de ressources et de références pour l’éducation plurilingue et interculturelle où (3) sont disponibles différents travaux préparatoires et synthèses . « Le projet met l’accent sur i) la langue en tant que matière scolaire ; ii) la langue en tant que moyen d’enseignement et d’apprentissage tout au long du programme ; iii) les convergences possibles entre la/les langue(s) d’enseignement et les langues étrangères. La politique linguistique éducative est examinée de manière globale ou holistique et vise la promotion d’une cohérence dans le développement du répertoire plurilingue de (4) l’apprenant. » Dans ce cadre large, la question de la place et des enjeux de la littérature dans la langue en tant que matière a été abordée par plusieurs contributions. Lors de la conférence intergouvernementale qui s’est tenue à Prague en 2007 (Les Langues de scolarisation dans un cadre européen pour les langues de l’éducation : apprendre, enseigner, évaluer), plusieurs aspects ont été présentés, et notamment les enjeux des 38

enseignements littéraires à la fois dans la transmission des cultures patrimoniales et dans la constitution d’une culture européenne ouverte sur la diversité interne, culturelle et linguistique (Pieper, 2007, préparé par un rapport en 2006). La question de la définition des canons littéraires étudiés – plus ou moins patrimoniaux ou contemporains – a fait également l’objet d’une communication (Fleming, 2007), qui trouve un prolongement dans une recommandation du Parlement européen pour « Promouvoir l’enseignement des littératures européennes » (recommandation 1833 publiée en 2008). D’autres textes, disponibles sur la Plateforme de ressources et de références pour l’éducation plurilingue et interculturelle, rappellent les objectifs des enseignements littéraires dans les enseignements de langue maternelle – ou, pour utiliser la terminologie des institutions européennes, dans les enseignements des langues comme disciplines – en relation avec les compétences principales de la langue de scolarisation : lecture et écriture. Ces différents travaux, sans présenter un panorama complet, permettent de percevoir les tendances communes aux différents pays d’Europe sur les enjeux des enseignements littéraires dans les systèmes scolaires, en articulant des objectifs de développement de compétences et de formation culturelle. Ils soulignent la spécificité de la compétence de lecture littéraire, considérée comme une lecture qui associe à des composantes cognitives une dimension affective et imaginative, et l’apport de la littérature à la formation culturelle et personnelle, par la diversité des expériences humaines auxquelles elle donne accès, et qui en fait à la fois un outil de développement personnel et d’initiation aux valeurs culturelles et sociales par rapport auxquelles sont construites les identités. 2.2.1. Les principes de la Bildung

L’étude menée par l’experte allemande Irene Pieper en 2006, et prolongée par une comparaison sur la place de la littérature dans quatre systèmes éducatifs européens (allemand, britannique, norvégien et roumain) en 2007, met en évidence l’importance de la notion de « Bildung » pour justifier l’enseignement littéraire. Ce terme allemand, qui e remonte au XVIII siècle, est particulièrement répandu dans les systèmes scolaires du nord de l’Europe, et correspond en partie à ce que, dans le système scolaire français, on appelle la « culture humaniste » (voir ci-après). Faite à la fois de connaissances, de compétences et de valeurs, cette culture humaniste, ou cette Bildung, est définie comme le développement personnel des potentialités intellectuelles, affectives et éthiques de l’être humain au sein de la collectivité dont il fait partie. C’est donc à la fois un processus et un objectif éducatif, un ensemble d’attitudes et de compétences, articulé à un fonds de connaissances renvoyant à l’humanisme qui, depuis la Renaissance et les Lumières, s’est construit en relation avec les valeurs de la démocratie et du respect de la liberté individuelle. Les différentes dimensions de cette notion organisatrice des enseignements sont évoquées par Irene Pieper dans ses deux études sur la littérature dans les cursus scolaires. e À la fois processus et résultat, la Bildung correspond, au XVIII siècle, à un idéal de formation intellectuelle et culturelle où l’éducation contribue à un épanouissement personnel. Elle « s’est transformée en un objectif scolaire pour l’ensemble des élèves » (Pieper, 2006 : 1) pour désigner « une combinaison de savoirs, de modes de pensée, de 39

manières de comprendre et d’établir des rapports avec les autres, de manières de se comprendre soi-même » qui « implique l’intériorisation de valeurs consacrées par la culture, ce qui signifie, dans le contexte européen, les valeurs personnelles, mais aussi culturelles, en relation aux autres » (Pieper, 2007 : 7-8). La dimension personnelle du développement de soi, la dimension collective de la culture commune et les objectifs langagiers scolaires sont ainsi associés pour définir la Bildung comme un ensemble non pas seulement de connaissances ou de compétences, mais aussi d’attitudes adoptées en référence à une éthique commune. 2.2.2. La culture humaniste dans le Socle commun français

En France, le Socle commun de connaissances et de compétences entré dans la loi en (5) 2005 et établi par un décret en 2006, qui s’applique à l’école et au collège , est présenté dans son préambule comme « un ensemble de valeurs, de savoirs, de langages et de pratiques » définis selon trois références : nationale (il est « le ciment de la Nation ») ; européenne (il s’appuie sur la « recommandation du Parlement européen et du Conseil de l’Union européenne en matière de “compétences-clés pour l’éducation et l’apprentissage tout au long de la vie” ») ; et internationale (il se réfère « aux évaluations internationales, notamment au Programme international pour le suivi des acquis des élèves, PISA, qui propose une mesure comparée des connaissances et des compétences nécessaires tout au long de la vie »). e Comme la Bildung, la « culture humaniste », qui constitue le « 5 pilier » de ce socle, est définie comme un ensemble de connaissances, de compétences et d’attitudes qui contribuent au développement personnel et à la situation individuelle dans une culture déterminée géographiquement et historiquement. Elle se déploie dans l’articulation entre l’interprétation des œuvres littéraires et la participation aux pratiques culturelles : « 5 – La culture humaniste La culture humaniste permet aux élèves d’acquérir tout à la fois le sens de la continuité et de la rupture, de l’identité et de l’altérité. En sachant d’où viennent la France et l’Europe et en sachant les situer dans le monde d’aujourd’hui, les élèves se projetteront plus lucidement dans l’avenir. La culture humaniste contribue à la formation du jugement, du goût et de la sensibilité. Elle enrichit la perception du réel, ouvre l’esprit à la diversité des situations humaines, invite à la réflexion sur ses propres opinions et sentiments et suscite des émotions esthétiques. Elle se fonde sur l’analyse et l’interprétation des textes et des œuvres d’époques ou de genres différents. Elle repose sur la fréquentation des œuvres littéraires (récits, romans, poèmes, pièces de théâtre), qui contribue à la connaissance des idées et à la découverte de soi. Elle se nourrit des apports de l’éducation artistique et culturelle. » (ibid.) À cette fin, les connaissances permettent de donner « des repères communs » et contribuent « à la construction du sentiment d’appartenance à la communauté des citoyens » en même temps qu’elles préparent « chacun à la construction de sa propre culture et conditionne son ouverture au monde ». Les compétences sont notamment la 40

lecture – de textes et d’images – et la capacité à situer les œuvres, historiquement, géographiquement, mais aussi en distinguant œuvres de consommation et œuvres d’art. Enfin, l’école cherche à cultiver des attitudes, sa mission consiste à donner « à chacun l’envie d’avoir une vie culturelle personnelle » à travers la lecture, la fréquentation des musées, des spectacles et « la pratique d’une activité culturelle » ainsi qu’à « cultiver une attitude de curiosité » pour l’art et les autres pays du monde, en développant « la conscience que les expériences humaines ont quelque chose d’universel » (ibid.). Comme le fait remarquer Jeanne-Antyde Huynh dans sa présentation du Français o aujourd’hui consacré à la culture humaniste (n 167, 2009/4), celle-ci est d’abord une « culture de l’écrit », elle a une dimension encyclopédique et se construit par la lecture, qui en est la compétence clé. Elle est aussi liée à la transmission d’un patrimoine national et européen représenté par des textes dits fondateurs. La définition de la culture humaniste fait apparaître une insistance française sur les éléments du patrimoine ainsi que sur la notion d’universel plus que sur la diversité des cultures : « La conception renouvelée de l’humanité s’inscrit dans les grandes données de l’héritage : la dimension européenne, l’universalisme que visent les valeurs fondamentales et l’idéal humain recherché, la problématique de l’Altérité qui continue de poser l’Autre comme essentiel à l’humanité et de l’interroger, mais cette fois en tant qu’il permet de penser l’identité. » (Huynh, 2009 : 4-5) Ces traits français, qui remontent au rationalisme et à l’universalisme des Lumières au e XVIII siècle, sont aujourd’hui discutés, à la fois dans la perspective scolaire de l’intégration et de la reconnaissance des minorités culturelles ou linguistiques en France, mais aussi par rapport à une conception plus européenne que nationale de la citoyenneté, et enfin par rapport à une dimension non territoriale de la notion même de littérature française, incluant la diversité des écrivains de langue française. On y reviendra en évoquant la question du canon – c’est-à-dire des corpus d’œuvres ou d’auteurs recommandés ou, simplement, privilégiés dans le cadre scolaire. D’autre part, la littérature y est envisagée non pas comme objet esthétique, ni d’ailleurs dans sa relation à la langue, mais pour « sa valeur d’usage » (ibid. : 6). Pour éviter que, dans ce glissement de l’esthétique vers l’éthique, elle ne soit réduite à une utilisation idéologique, il convient, rappelle Huynh, de réfléchir aux « modes d’accès et d’appropriation » (ibid. : 5), à commencer par la lecture et l’écriture littéraires, afin de permettre la contextualisation, l’interprétation et la construction d’un rapport personnel aux textes. Ce qui est en question ici est bien la spécificité du littéraire qui, pour participer à la fois de la langue et de la culture, n’est réductible à aucun des deux. La littérature semble pourtant, dans le Socle commun, être purement et simplement partagée entre ces deux « piliers » que sont « la maîtrise de la langue » et « la culture humaniste ». Peut-on, au niveau européen, percevoir ce même partage, entre langue et culture ? Une réflexion apparaît-elle sur ce qui serait la spécificité de l’apport de la littérature à l’un et l’autre domaine ? 2.2.3. Littérature et compétences de lecture-écriture

Par rapport à ce qui était le rôle traditionnel de la littérature, Irene Pieper fait 41

remarquer qu’elle se trouve dans tous les pays beaucoup moins sollicitée qu’autrefois dans son rôle de support pour les apprentissages de la lecture comme pour la maîtrise de l’écrit. En effet, dans la plupart des systèmes scolaires européens, depuis la fin des années 1960, l’apprentissage de la lecture, comme de la langue, ne repose plus uniquement sur un corpus littéraire, mais utilise toutes sortes de documents, écrits ou visuels. La littérature s’est trouvée ainsi considérée comme un discours parmi beaucoup d’autres auxquels l’école doit aussi consacrer des apprentissages pour développer des compétences de type fonctionnel. La compétence littéraire en matière de lecture a été cependant distinguée de la lecture courante, comme on l’a vu précédemment dans l’approche communicative. Sa spécificité est d’être difficile à évaluer et il convient, pour la développer, de réfléchir à des outils et des activités autres que des questions de compréhension type QCM ou « textes à trous » valables pour des textes informatifs. Du point de vue de l’écriture, la littérature est plus encore perçue comme un « surplus » qui n’est pas nécessaire dans la vie de tous les jours, et constitue donc non pas le moyen privilégié de l’apprentissage de l’écrit, mais une des explorations possibles, nettement distinguée des écrits ordinaires. L’écriture créative est également un point d’achoppement des évaluations comparatives des compétences, qui oblige à réfléchir à des outils d’accompagnement plus qu’à des protocoles standardisés impossibles à concevoir – et dénués de sens dans la mesure où ce n’est justement pas une réponse standard qui est attendue. 2.2.4. Littérature et identité culturelle

L’importance irremplaçable de la littérature se trouve réaffirmée pour deux finalités de la formation : le développement personnel et la participation à la vie culturelle. Selon les systèmes éducatifs, et selon les niveaux, les proportions entre ces deux dimensions, et la part entre connaissances, compétences et attitudes peuvent être très variées, mais des constantes se dégagent de la comparaison des différents pays européens. D’après l’étude de Pieper, dans l’ensemble européen, au niveau primaire, la littérature est généralement considérée comme une expérience enrichissante, une « rencontre » avec soi autant qu’avec l’autre, qui permet de développer la sensibilité et l’imagination et de construire l’identité. C’est donc le développement personnel de l’apprenant qui est mis au premier plan. À l’inverse, dans le secondaire, l’accent est traditionnellement plus mis sur la dimension culturelle avec plusieurs manières de la concevoir, selon que l’on privilégie le patrimoine culturel ou la participation à la vie culturelle. Certains pays, comme le Royaume-Uni ou la France, insistent sur les connaissances, dans une perspective de transmission d’un patrimoine culturel historiquement légitimé, plus ou moins fixé dans un canon, devant faire partie du « bagage » culturel de tout membre de la communauté nationale ou linguistique. Il s’agit alors plus d’apprendre « sur » la littérature que d’apprendre « avec » elle, note Pieper, qui souligne le fait que l’enseignement secondaire est généralement moins centré sur l’apprenant que sur la discipline littéraire et la maîtrise des techniques d’analyse spécialisées. Ce partage entre primaire et secondaire est particulièrement prégnant en France où, selon les auteurs du Français aujourd’hui o (n 168, 2010/1) consacré aux continuités et ruptures dans l’enseignement de la 42

littérature, le premier et le second degré ont « longtemps développé deux cultures littéraires dissemblables » (Bishop & Butlen, 2010 : 5) avec un enseignement « qui tend à privilégier les affects au collège, une interprétation plus littéraire et distanciée au lycée et une réflexion plus métatextuelle, plus philosophique à l’université » (ibid. : 6), tandis qu’en Belgique, la coupure apparaît plutôt entre un enseignement fonctionnel de la lecture au primaire et les approches culturelles au lycée qui privilégient le fait littéraire (Collès, Dufays & Maeder, 2003). En Allemagne, la finalité de la lecture, qui est nettement orientée vers la vie plutôt que vers les mots dans le primaire (Von Münchow, 2011), reste également plus tournée vers l’appropriation personnelle y compris au lycée. La littérature est considérée comme une expérience de relation à l’autre : par la lecture, on rencontre différentes conceptions du monde et la littérature peut dès lors servir à développer des attitudes d’ouverture aux différentes valeurs culturelles. Enfin, le contact avec la littérature, en tant que pratique culturelle – que ce soit lire, écrire, aller au théâtre ou à des rencontres ou des lectures publiques d’écrivains – se développe aussi dans la socialisation, ce qui en fait un objectif scolaire, en particulier pour les élèves issus de milieux éloignés de ces formes de participation à la vie culturelle qui contribuent aussi à un sentiment d’appartenance. La littérature est alors un moyen, sinon d’intégration, du moins de rapprochement et d’éducation au respect mutuel, par la lecture de textes « provenant de milieux et de cultures inconnus » permettant « de s’identifier et de comprendre de nouveaux modes de pensée » (Pieper, 2007 : 9). Dans la perspective de la Bildung, la littérature est ainsi mise en relation à la fois avec des attitudes – tolérance et respect – et avec des compétences : bien lire, c’est, entre autres, être capable de se décentrer pour entrer en relation de sympathie avec ce qui est étranger et accueillir la possibilité d’une interprétation différente de la sienne. Cette affirmation des pouvoirs et de la valeur de la littérature apparaît d’autant plus forte qu’elle s’inscrit à contre-courant de tendances qui font peser sur les systèmes scolaires un impératif d’utilité posée en termes de capacités techniques immédiatement exploitables. Le tournant « éthique » dans la manière d’envisager les enjeux de la littérature est sensible aussi en France. Alors que les approches formelles sont encore dominantes dans la formation scolaire (Mitterand, 2005), plusieurs essais, parus entre 2007 et 2013, prennent acte d’une crise de la littérature et de son enseignement, et cherchent à en réaffirmer la valeur. Ces réflexions couvrent un champ extrêmement vaste, allant de la critique de la manière scolaire d’aborder les textes à une défense du rôle de la formation littéraire et des Humanités dans la perspective d’une éducation démocratique. Des intellectuels d’horizons aussi divers que Tzvetan Todorov (2007), Antoine Compagnon (2007), Jacques Bouveresse (2008), Alain Finkielkraut (2009), Vincent Jouve (2010), Jean-Marie Schaeffer (2011) ou Judith Schlanger (2013) soulignent l’importance vitale d’une lecture qui nous affecte « d’une manière personnelle, à travers une relation personnelle » (Schlanger) et peut changer le regard que l’on porte sur soi et les autres. Et puisque la littérature est « essentielle au déchiffrement des énigmes du monde » et que les écrivains « réorganisent notre perception des êtres, des valeurs, du présent ou de l’avenir » (Finkielkraut), puisque « l’objet de la littérature [est] la condition humaine », il s’agit, en 43

lisant, de devenir « un connaisseur de l’être humain » (Todorov). Yves Citton (2010), qui situe son intervention dans le contexte de la mondialisation, considère que les études littéraires ne doivent pas être défendues comme un « supplément d’âme » ou un « luxe » à côté des technologies que requiert la société marchande, mais doivent être cultivées comme une réponse à l’emprise économique sur la pensée et la vie. Défendant l’attitude interprétative comme clé permettant de déjouer les emprises, il rejoint la philosophe (6) américaine Martha Nussbaum qui oppose, dans Les Émotions démocratiques (2011), une éducation « pour le profit » à une éducation « pour la démocratie », dans laquelle la pratique de la littérature serait fondamentale, parce qu’elle développerait la capacité d’empathie qui est, selon elle, l’essence même de l’esprit démocratique. 2.3. Corpus littéraires : élargir la notion de patrimoine commun Dans une perspective de formation qui unit la préoccupation du développement personnel à une éducation à la diversité culturelle et linguistique, la question de la diversification des corpus littéraires étudiés à l’école constitue un enjeu important. Une étude de Mike Fleming pour le Conseil de l’Europe (2007) montre que les pays européens sont tiraillés entre deux conceptions du canon littéraire, selon qu’on en fait une liste fermée, correspondant uniquement aux œuvres patrimoniales, aux « classiques » dûment validés par l’institution scolaire et par l’histoire, ou selon qu’on ouvre la liste à la fois, en termes chronologiques, aux œuvres contemporaines, en termes génériques, aux œuvres n’appartenant pas aux genres consacrés, et en termes géopolitiques, aux œuvres qui sortent des frontières nationales. En France, la question des corpus scolaires a donné lieu à moins de discussions que celle des finalités de l’enseignement littéraire. Des travaux consacrés aux pratiques réelles des enseignants signalent cependant un faible renouvellement des corpus. Ainsi, Gérard Langlade pointe, en 2005, « la littérature restreinte de l’enseignement des lettres », tout comme la plupart des contributeurs du o Français aujourd’hui portant sur les corpus littéraires (n 172, 2011/1) qui soulignent que les choix des enseignants sont assez peu explorateurs et se réfèrent toujours implicitement à une conception canonique ou patrimoniale d’une littérature qui est plus à transmettre qu’à expérimenter, même si l’introduction, en 2008, de l’éducation aux arts a conduit à une plus grande mise en relation des textes littéraires avec les œuvres artistiques. Deux initiatives pour promouvoir une conception « transnationale » de la notion même de patrimoine littéraire méritent qu’on s’y arrête. 2.3.1. La promotion de l’enseignement des littératures européennes

Pour soutenir la construction d’une identité européenne, le Parlement européen a émis en 2008 une recommandation destinée aux États membres pour « Promouvoir l’enseignement des littératures européennes ». Celle-ci affirme l’importance de la transmission de la littérature européenne « dans toute sa richesse et sa diversité […] à tous les niveaux du système éducatif ». Soulignant que « la connaissance d’une langue ne se réduit pas à sa maîtrise en tant qu’instrument de communication » et que « la connaissance de grandes œuvres de la littérature enrichit la réflexion et la vie même », le Parlement affirme que : « 4. L’apprentissage de la langue maternelle et de sa littérature joue un rôle majeur 44

dans la formation des scolaires à une conscience nationale. L’apprentissage d’autres langues et littératures européennes peut contribuer à la formation à la citoyenneté européenne. […] 6. Une conception strictement nationale de l’enseignement de la littérature doit être dépassée, et une approche transversale du patrimoine européen devrait être proposée aux scolaires de tous niveaux, mettant en évidence le lien commun dans le respect de la diversité culturelle. » Recommandation 1833 (2008) : « Promouvoir l’enseignement des littératures européennes » Les États membres sont également encouragés à renforcer la présence de la littérature européenne, dans une perspective transnationale, en faisant « apparaître l’enseignement de la littérature européenne comme partie intégrante de l’éducation à la citoyenneté européenne, prenant en compte la diversité culturelle, conformément à la Convention o européenne des droits de l’homme (STE n 5), et le pluralisme linguistique de notre continent » (ibid.), en soutenant la traduction et en utilisant les possibilités qu’offre Internet pour la mise à disposition de ce patrimoine commun. La lecture, en traduction, des œuvres littéraires d’autres pays est explicitement considérée comme une manière de s’initier à la culture indépendamment de la langue, la référence étant, il faut le noter, non pas la littérature d’un autre pays perçu dans sa différence, mais la littérature des autres pays d’Europe, perçue comme un ensemble dont la diversité est reliée à une identité commune. Par ailleurs, l’Union européenne encourage le développement de filières bilingues qui permettent d’étudier, en langue originale, les œuvres littéraires des deux pays partenaires, en dépassant les clivages entre enseignements de langue maternelle et étrangère (chapitre 3). 2.3.2. La reconnaissance de la pluralité des littératures en français

En ce qui concerne le français, on peut également soutenir l’intérêt de ne pas fermer les frontières, mais de se situer dans une communauté francophone, unissant, au-delà de l’Europe, des pays de la francophonie historique où le français est langue maternelle d’une grande partie des habitants – France, Québec, Belgique et Suisse – avec la grande diversité des pays où le français est langue seconde, langue scolaire ou langue de culture. C’est une perspective déjà adoptée au Québec, en Belgique et en Suisse, où, d’une part, la valorisation des œuvres nationales par rapport à la littérature française hexagonale est plus ou moins affirmée ; et où, d’autre part, le plurilinguisme impose une conception plus linguistique que nationale de la littérature : la littérature en français s’y distingue ainsi des productions des autres communautés linguistiques. En France, l’appel Pour une littérature-monde, lancé en 2007 sous la direction de Michel Le Bris et Jean Rouaud, a donné une soudaine visibilité à une part de la création contemporaine, aujourd’hui assez largement reconnue par les prix littéraires. Cet appel se situait à un autre niveau que la recommandation européenne : il s’agissait de la reconnaissance critique des littératures de langue française en dépassant l’opposition français/francophone, marquée par une ségrégation perçue comme raciste (Ben Jelloun, dans Le Bris & Rouaud, 2007 : 118). Contre une représentation fermée de l’identité 45

culturelle française, ses auteurs défendaient ainsi, en empruntant à l’écrivain antillais Édouard Glissant sa « poétique de la relation », une conception de la création cherchant non pas un universel abstrait, mais faisant vivre en réseau les différences acceptées dans leurs particularités. Il s’agissait aussi, par les termes mêmes de littérature-monde, de revendiquer une littérature qui, loin du formalisme refermant le langage sur lui-même, retrouve « son ambition de dire le monde, de donner un sens à l’existence, d’interroger l’humaine condition, de reconduire chacun au plus secret de lui-même » (Le Bris, 2007 : 41). N’est-ce pas là une belle définition de ce qu’est la littérature – « tout court » ? Le monde de cette littérature est cependant, selon Le Bris, lui-même élargi, c’est celui de la mondialisation, vue non comme l’uniformisation culturelle du mode de vie occidental, mais comme la diversification des expériences, des rencontres et des échanges, dans un « télescopage […] de cultures multiples […] où sur un tronc désormais commun se multiplie les hybridations, dessinant la carte d’un monde polyphonique, sans plus de centre, devenu rond… » (ibid. : 41-42). Cet appel a été prolongé en 2010 par la revendication des mêmes auteurs d’une « identité-monde », pensée « en termes de flux et non plus de structures », suivant l’anthropologue indien, Arjun Appadurai, qui conteste la vision essentialiste des cultures. La publication successive de ces deux ouvrages indique bien les liens qui unissent, pour leurs auteurs, la remise en question d’un canon littéraire national et la contestation d’une identité appréhendée « en termes de catégories du stable, État-nation, territoires, frontières, opposition intérieur-extérieur, familles, communautés, identités, concepts » (Le Bris & Rouaud, 2010 : 25). Sortir de la conception nationale de la littérature – faire entrer, en quelque sorte, la littérature française dans l’ensemble de la littérature francophone (Mabanckou, cité par Le Bris, 2007 : 23) – comporte d’autres enjeux institutionnels et éducatifs. Il s’agit en effet de prendre acte d’une identité culturelle qui n’est plus rabattable sur la Nation, et donc, d’élargir la notion même de patrimoine commun et de permettre à une part importante de la population de se sentir elle aussi reconnue. Pas plus que pour les littératures européennes, il n’est question que ce corpus se substitue aux œuvres patrimoniales. Sur ce point, il n’est d’ailleurs pas sûr que la « patrimonialisation » des littératures postcoloniales, qui sont pour certaines des œuvres de dénonciation et de combat contre la réalité ou l’esprit colonial, se fasse sans risque d’édulcorer leur puissance contestataire (Delas, 2009). Mais l’enjeu d’une telle reconnaissance est évident si l’on considère qu’une éducation à la pluralité culturelle et linguistique doit faire partie des missions de l’école. 2.3.3. Pour une conception ouverte du patrimoine littéraire

Ainsi est mise en avant une définition éthique autant qu’esthétique de la littérature, qui renvoie à une conception de l’humain non plus comme un universel abstrait, mais comme un sujet mouvant, singulier par la diversité de ses appartenances. Cette reconnaissance du divers comporte un enjeu existentiel et philosophique qui ne se réduit pas à une question de corpus, mais engage une nouvelle relation à la littérature. En effet, si l’on peut s’accorder sur la nécessité d’une conception plus ouverte de ce qui constitue un 46

patrimoine collectif partagé, il est important de souligner que ce n’est pas le corpus des œuvres en soi qui suffit à créer ni un sentiment d’appartenance ni une capacité de réflexion sur la communauté linguistique et culturelle ou sur les valeurs humanistes fondatrices ou à construire. Ainsi, au-delà de l’intérêt que les approches anthropologiques et interculturelles manifestent pour les littératures dites migrantes ou postcoloniales, au-delà des appels institutionnels à donner plus de place aux littératures européennes, c’est la capacité de mettre en relation ces divers héritages, national, européen et francophone, qui est à construire, non comme des « identités meurtrières » exclusives les unes des autres, mais comme des « appartenances multiples » (Maalouf, 1999). Pour cela, il importe de ne pas concevoir et opposer les corpus comme des blocs, mais d’adopter des approches croisées, qui sortent les œuvres des catégories où l’histoire littéraire les enferme. La littérature classique elle-même gagnerait infiniment à une approche qui ne la fige pas dans l’histoire littéraire ou l’analyse formelle, mais en redécouvre les potentialités émotives autant qu’esthétiques, en l’actualisant, ainsi que le propose Yves Citton (2007). En détachant les enseignements littéraires des seuls savoirs sur la littérature, l’approche par compétences permet de défendre cette forme d’anachronisme assumé qui arrache la littérature « ancienne » au passé pour lui rendre la capacité de nous toucher, au présent, comme peuvent aussi nous toucher des littératures de l’ailleurs, que ce soit un ailleurs européen ou mondial. Car enfin, et nombre d’écrivains en témoignent, les « affinités électives » entre un lecteur et un livre ne doivent rien ni aux nationalités ni aux époques. 2.4. Dimensions interprétatives de la compétence littéraire L’approche par compétences qui s’est imposée à l’école, avec le Socle commun de connaissances et de compétences établi en 2006, amène les enseignants de littérature à réfléchir aujourd’hui sur la notion de compétence littéraire. Cette dernière, qui vient supplanter la transmission de connaissances longtemps privilégiée, se dégage en effet à la faveur d’autres manières de travailler, qui dépassent le cadre des disciplines avec la pédagogie de projet, et demandent que soient explicités les objectifs pédagogiques en distinguant connaissances, compétences et attitudes. 2.4.1. La compétence littéraire comme attitude interprétative

Ce qui apparaît, lorsque les enseignants de français s’attachent à définir ce qu’est spécifiquement la compétence littéraire, c’est d’abord le fait qu’il s’agit d’une compétence complexe, qui implique un grand nombre de paramètres. François Quet, dans l’introduction d’un débat sur l’approche par compétences en littérature publié en ligne par l’École normale supérieure de Lyon, en propose une définition extensive : « Les compétences des littéraires (de l’homme de lettres, du lettré ? – mais s’agit-il toujours de la même chose ?) se manifestent dans des actions assez complexes qui font converger des techniques, des connaissances ou des marques de sensibilité. L’aisance à circuler dans une bibliothèque, le plaisir pris à la lecture d’une traduction de Virgile et la facilité à mettre des mots sur ce plaisir, le rejet argumenté de la facilité en art, l’aptitude à comparer Stendhal et Balzac, Racine et Corneille ou Sartre et Camus sont les signes probables (parmi d’autres) de compétences littéraires. […] La pensée 47

critique, la curiosité artistique, la capacité à situer les textes les uns par rapport aux autres, par rapport aux autres formes d’expression, par rapport à l’histoire sociale et politique, l’attention aux formes autant qu’aux contenus, l’art de faire parler les textes au-delà de leurs significations explicites participent sans doute de la spécificité du littéraire. » (Quet, 2009 : 1) La compétence littéraire, telle qu’elle est ici définie, semble se confondre avec la Bildung. On peut la décrire, cependant, en disant qu’elle est orientée vers une « famille » de situations liées à la lecture des œuvres : trouver un livre, s’immerger dans la lecture, discuter du contenu ou des formes expressives, réfléchir sur soi ; et en identifiant les capacités et les ressources qu’elle mobilise pour atteindre son but : connaissances sur les auteurs, les genres littéraires ou les principes de classement d’une bibliothèque…, capacités à relier des informations pour comprendre, imaginer, formuler un jugement, argumenter et comparer…, attitudes d’attention aux effets du texte sur sa propre sensibilité afin d’interpréter. À ce titre, la disposition qui résume le mieux l’apport spécifique de la compétence littéraire, sur le plan intellectuel, est sans doute l’attitude interprétative, qui s’exerce à tous les niveaux de la formation, depuis l’école élémentaire jusqu’à l’université (Butlen & Houdart-Mérot, 2009). Adopter une attitude interprétative, c’est considérer que les problèmes les plus intéressants à résoudre ne sont pas des alternatives, mais des situations complexes, ambiguës, qui sont constitutives de l’expérience humaine. Ce qu’on pourrait résumer ainsi, avec Yves Citton, qui oppose le caractère binaire de la communication à l’interprétation : « la compétence littéraire consiste dès lors à savoir compter au-delà de deux » (2009 : 2). Compter au-delà de deux : dépasser la problématique du soi et l’autre pour arriver – à travers le dialogue et la médiation d’autres lecteurs – à se déplacer entre les lignes de démarcation identitaires. Compter au-delà de deux : sortir du jugement, reconnaître l’indécidable, l’ouverture des possibles, la part ininterprétable des comportements humains. Compter au-delà de deux : apprendre que la langue permet de dire et de voiler, de dire en voilant, par l’indirection et la suggestion. La compétence littéraire fait ainsi le lien entre la compétence « technique » de lecture, sa dimension imaginaire, fantasmatique et affective, sa dimension culturelle, sociale, et la capacité à reconnaître la complexité, à dépasser la dualité d’une opposition entre l’identité et l’altérité, en mettant en avant un modèle d’interprétation ouvert, incertain, qui intègre la possibilité de se tromper. Cette « compétence herméneutique » est, selon Yves Citton (2007) indispensable à la vie en société, de sorte que l’activité interprétative propre aux études littéraires peut constituer un modèle de compétence transversale, dont la maîtrise n’est pas utile aux seuls littéraires, mais est indispensable dans un monde professionnel caractérisé par une « intellectualité diffuse » où il faut sans cesse pouvoir faire le tri dans la masse de savoirs et d’informations qui circulent. Cette compétence n’est donc pas à réserver à ceux qui font de la littérature leur objet d’étude au niveau universitaire, mais doit être considérée comme une priorité des formations scolaires. 2.4.2. Des outils pour développer la lecture interprétative

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Deux outils d’accompagnement de la lecture interprétative ont été développés pour l’école primaire, où l’interprétation a été intégrée à l’apprentissage de la lecture littéraire précoce. Catherine Tauveron a montré, en effet, que dès le début, « pour comprendre, il faut interpréter » (2009 : 58). La lecture littéraire est envisagée par elle comme une activité essentiellement dialogale : « dialogue intime et extime, soit échange mutuel de questions et de réponses entre le texte et le lecteur, et entre lecteurs, hors de la médiation questionnante d’un tiers (ce qui ne veut pas dire sans son étayage) » (ibid. : 63). C’est pour étayer ce double dialogue qu’ont été proposés d’une part les carnets de lecture, qui accompagnent le dialogue intime avec le texte ; d’autre part, les débats interprétatifs entre élèves, où l’enseignant se garde de faire une explication de texte comme de donner sa propre interprétation. Le carnet de lecture peut être conçu comme une anthologie personnelle, commentée ou illustrée, ou un « journal dialogué » d’appropriation des textes, c’est-à-dire non pas un journal intime, mais un moyen de communiquer entre l’enseignant et les élèves, et entre élèves (Lebrun, 1995 : 272-281). Dans les débats interprétatifs, les élèves résolvent ensemble, de manière coopérative, à la fois des problèmes de compréhension – relevant du débat délibératif, lorsqu’entre deux hypothèses, une seule est validée par le texte – et des problèmes d’interprétation – relevant du débat spéculatif, lorsqu’il s’agit de se demander « ce qui aurait pu être » et non « ce qui est ». L’affectivité – en particulier dans le cas de la lecture romanesque qui joue sur « l’immersion » dans la fiction et sur « l’identification » aux personnages –, au lieu d’être évacuée de la classe, peut ainsi servir à développer des compétences transversales : exprimer une émotion suscitée par le texte, justifier une interprétation en se référant à lui, discuter ou évaluer la validité de plusieurs hypothèses sur le déroulement d’une intrigue ou les mobiles d’une action, développer une attitude autoréflexive à partir d’une situation romanesque. Permettant de développer chez de jeunes enfants les différentes capacités mobilisées lors d’un acte interprétatif, le carnet de lecture et les débats interprétatifs nous semblent pouvoir être utilisés en FLE de manière complémentaire pour conduire les apprenants vers une attitude interprétative, en classe et hors classe, en accompagnant leurs lectures individuelles et collectives. Ils s’accordent en outre avec deux orientations fortes de la didactique du FLE : l’accent mis sur l’autoréflexivité de l’apprenant, qui organise ses apprentissages, et l’importance accordée aux dimensions interculturelles de la communication. 2.4.3. Interprétation et réflexivité : du carnet de lecture à la « bibliothèque intérieure » de l’apprenant

La pertinence de développer chez les apprenants une capacité autoréflexive est soulignée par les différentes initiatives autour du portfolio européen pour les langues. Au niveau européen, une commission s’est réunie pour examiner l’opportunité d’un portfolio adapté aux langues comme disciplines (Aase, Fleming, Pieper & Samihaian, 2007). Il en ressort que les avantages du portfolio sont de mettre en valeur le processus et les stratégies d’apprentissage en se centrant sur le développement personnel de l’apprenant, qui participe au choix du matériel qui sert à l’évaluation, et développe ainsi une capacité d’auto-évaluation et de métacognition. Tel qu’il a été développé pour l’apprentissage des 49

langues étrangères, avec ses trois parties (passeport de langues, biographie langagière et dossier), le modèle du portfolio a toutefois été écarté pour les langues comme disciplines. Étant conçu comme un outil d’évaluation et de bilan de compétences, il n’est en effet pas approprié pour accompagner le processus de développement des capacités de lecture et d’interprétation. Par contraste, le carnet de lecture utilisé à l’école primaire pourrait répondre à cet objectif, dans la mesure où il articule lecture, écriture et mise en relation avec d’autres formes artistiques, sans intégrer de dimension évaluatrice. Adapté pour le FLE, le carnet de lecture/littérature pourrait ainsi conjoindre une partie réflexive sur les stratégies développées pour le projet de lecture, une partie personnelle de choix de textes avec des citations, commentées ou non, et une partie de mises en résonances interculturelles qui cherche à souligner les effets de proximité et de distance avec le parcours linguistique et culturel de l’apprenant. Articulé aux débats interprétatifs ménageant des moments de mise en commun, le carnet de lecture pourrait également servir d’étayage à la lecture cursive, réalisée en dehors de la classe, d’œuvres intégrales que les apprenants auraient choisies dans une liste ou par eux-mêmes. Cela suppose toutefois qu’ils soient capables de s’orienter dans la littérature et donc, qu’on les accompagne dans la conquête de cette autonomie. Ainsi, aider l’apprenant à se repérer parmi les livres et les auteurs constitue légitimement l’un des objectifs de la formation littéraire en FLE. Il ne s’agit pas dans ce cadre d’accumuler des connaissances sur, ou autour d’un livre ou d’un auteur, mais de penser à des prolongements possibles à l’activité de lecture. Cela peut se faire dans une perspective actionnelle sous la forme d’un projet coopératif où les apprenants sont euxmêmes en charge de proposer des rapprochements en « rayonnant » autour d’un livre, à partir de l’auteur, des thèmes, du genre ou de l’époque, afin de constituer un réseau dans lequel le livre et la lecture se trouvent situés. Le lien établi peut être d’ordre culturel, reliant différents arts – par exemple quand un roman est mis en relation avec un film, un tableau, une sculpture –, ou différentes interprétations – du roman au film ou à la bande dessinée, du poème à sa mise en musique, de la pièce à sa représentation scénique. Il peut aussi être plus indirect, ou plus personnel, constituant « l’intertextualité », ou pour mieux dire encore, « l’interculturalité » du lecteur. Le carnet de lecture constitue le support matérialisant ces mises en relation, en gardant trace de différentes étapes du projet. Ce type d’activité est d’autant plus pertinent en langue seconde ou étrangère, que les lectures subjectives des apprenants sont un moyen d’accès, pour l’enseignant, non pas exactement à leur monde intérieur, mais à leur « mémoire lettrée » (Louichon, 2009). Cette « mémoire lettrée » permet à un lecteur de situer les œuvres entre elles, de dessiner des affinités, des ressemblances, qui constituent sa culture, non comme un ensemble objectivé de connaissances, mais plutôt comme un réseau de sensibilités (Louichon & Rouxel, 2010). Une autre dimension de la compétence littéraire tient en effet dans la capacité de l’apprenant à circuler dans sa « bibliothèque intérieure » (Bayard, 2007), par rapport à laquelle chaque nouvelle lecture, collective ou individuelle, se situe et prend sens. L’exploration virtuelle si l’on utilise les moyens d’Internet – blogs de lecteurs ou d’écrivains, bibliothèques et librairies en ligne permettant de feuilleter des pages des 50

ouvrages évoqués, voire d’écouter des lectures par les auteurs, podcasts d’entretiens radiophoniques – peut à cet égard développer des stratégies de recherche documentaire propres à l’usage des technologies de l’information et de la communication, qui constituent de plus en plus le premier moyen d’accès à la culture. On peut d’ailleurs insister sur la disponibilité de ces supports qui permet aujourd’hui un contact avec la culture vivante alors qu’on se trouve géographiquement très éloigné. Ces formes renouvelées de participation à la vie culturelle contribuent ainsi à apprivoiser l’inconnu et à s’approprier des références. Prolongeant hors de la classe le contact avec la culture étrangère, ces pratiques culturelles, dont le carnet de lecture/littérature peut ainsi garder trace sous une forme papier ou électronique, associent la dimension immatérielle de la bibliothèque « universelle » d’Internet avec la constitution personnelle d’une « bibliothèque intérieure » singulière à chaque apprenant. 2.4.4. Débats interprétatifs dans une perspective communicative et interculturelle

Les débats interprétatifs sur les textes littéraires apportent un étayage collectif, favorisant la communication interculturelle et l’aptitude au déchiffrement personnel et interpersonnel en même temps qu’ils peuvent contribuer à développer le goût de partager et d’approfondir ses lectures. À un premier niveau, le débat interprétatif sur les textes littéraires peut contribuer à l’implication personnelle, à la fois affective et réflexive, qui est une des caractéristiques de la lecture authentique. Afin de permettre aux apprenants d’entrer dans la lecture, il importe de choisir des textes à la fois accessibles d’un point de vue linguistique et riches quant aux possibilités d’interprétations, comme le sont certains albums de la littérature de jeunesse, qui permettent en outre de s’appuyer sur l’image. Ceux-ci permettent des lectures à plusieurs niveaux, en fonction de la maturité des lecteurs, de leur maîtrise langagière et conceptuelle, comme le montre une expérience menée par Jean-Pierre Drouar (en 2003) impliquant plus de 250 classes et 5 000 élèves du cycle 1 de la maternelle jusqu’en seconde. Le projet, porté par la remise d’un prix littéraire en Maine-et-Loire, qui associait « promotion du livre de jeunesse et débat autour de valeurs citoyennes » (Drouar et al., 2005 : 85), comportait la lecture transversale de L’Agneau qui ne voulait pas être un mouton de Didier Jean et Zad (Syros Jeunesse, 2004), une œuvre qui offre la possibilité de nombreuses interprétations et incite à la réflexion, dont la thématique peut être rapprochée de Matin brun de Franck Pavloff, ou d’Effroyables Jardins de Michel Quint. À travers le bilan qu’en tire le collectif d’auteurs apparaissent différents niveaux d’entrée dans la lecture : construction du sens centrée sur l’image en maternelle ; dévoilement progressif accompagnant une lecture partagée en primaire ; premières prises de recul par rapport à l’album à l’entrée au collège ; lectures en réseau débouchant sur une réflexion historique à l’entrée du lycée. Le guidage par l’enseignant et les modes d’appropriation (lecture individuelle, collective, mise en voix) varient en fonction du niveau des élèves et des objectifs, en suivant toujours comme fil rouge l’élaboration d’une lecture interprétative. Autant de démarches qui pourraient guider les enseignants de FLE, que ce soit avec des enfants ou des adultes, à condition qu’ils aient la possibilité de proposer des œuvres en lecture intégrale plutôt que de se limiter aux extraits présents dans les 51

méthodes de langue. Outre les albums de jeunesse, les nouvelles – spécialement les nouvelles à chute et les nouvelles policières – offrent matière à développer, dans la lecture cursive, une attitude interprétative. Dans certains textes, l’interprétation peut, ce qui est particulièrement intéressant en FLE, s’exercer sur des genres discursifs appartenant à la vie courante et révélateurs de valeurs socioculturelles contrastées. On en donne ci-dessous deux exemples, où c’est une lettre qui se trouve centrale et permet, à travers le débat interprétatif, de déboucher sur une réflexion interculturelle. Dans « La Boîte aux lettres », une très courte nouvelle d’Agota Kristof (C’est égal, Seuil, 2005), accessible dès un niveau B1, le héros, orphelin, espère chaque jour une lettre de son père ou sa mère, qui lui apprendrait quel a été leur destin et les raisons de son abandon. La démarche associe lecture et écriture en faisant écrire ces lettres avant de donner à lire aux apprenants celles que le héros imagine, puis celle qu’il reçoit effectivement, ce qui permet de confronter leurs hypothèses de lecture avec ce que le texte révèle in fine. À l’image de parents aimants et nécessiteux, justifiant leur abandon par les difficultés de la vie, la lettre reçue par le héros oppose une réalité tout autre, qui crée la surprise. La réaction finale du personnage – qui au lieu de se rendre au rendezvous proposé par le père, s’enfuit au bout du monde, peut paraître incompréhensible à certains et donne lieu à un débat interprétatif permettant d’expliciter les représentations des uns et des autres sur les devoirs respectifs des enfants et des parents. L’écriture, ainsi « articulée au dévoilement progressif d’un texte-piège » (Dufays, Gemenne & Ledur, 2005 : 215) et au débat interprétatif ne se réduit pas à mimer des situations discursives quotidiennes, mais fait entrer dans le processus interprétatif. Inversement, l’interprétation ne s’éloigne pas des objectifs communicatifs, à travers la dimension interculturelle et l’écriture d’un genre fonctionnel exigeant de se représenter les relations et les situations respectives de l’expéditeur et du destinataire. Une autre nouvelle permet d’associer l’interprétation d’une lettre en relation avec des formes de communication marquées comme signes culturels. Il s’agit de la nouvelle intitulée « Le jour où Malika ne s’est pas mariée », première nouvelle du recueil du même titre de l’écrivain marocain Fouad Laroui (Julliard, 2009). La nouvelle met en scène différents regards portés sur une lettre de demande en mariage et sur le prétendant dont elle émane. Selon les positions des personnages : voisin analphabète qui se fait l’intermédiaire de l’instituteur promis à un brillant avenir ; mère de la jeune fille qui craint que le ton cérémonieux de la lettre ne soit guère au goût de celle-ci ; Malika enfin, qui éprouve une violente répulsion pour le prétendant qu’elle considère comme un pervers qui épie les jeunes filles à la plage. Cette nouvelle est plus complexe d’un point de vue narratif, mais aussi linguistique. Elle comporte, en outre, des références à la culture marocaine traditionnelle, et quelques mots d’arabe. Pour ces raisons, elle peut être particulièrement intéressante avec des apprenants arabophones à partir du niveau B2. L’intérêt qu’elle offre, pour l’organisation d’un débat interprétatif, est de croiser plusieurs points de vue, à la fois sur un personnage – le prétendant – et sur la manière dont il a choisi de présenter sa demande en mariage : une lettre formelle apportée par un tiers. 52

Dans une perspective interculturelle, on s’attardera avec les apprenants sur la rhétorique de la lettre. En effet, si elle peut être éclairée par référence à des traditions culturelles, elle constitue aussi un positionnement social et un mode de communication en soi, non par son contenu, mais par son style, révélateur de la posture adoptée par le prétendant. Cependant, et c’est tout l’intérêt de cette nouvelle pour développer, à travers le débat, une approche nuancée des tensions interculturelles, le rejet de la jeune fille ne porte en définitive pas sur l’opposition entre l’attachement aux formes traditionnelles du prétendant et un style de vie moderne, mais sur ce qu’elle a perçu de lui dans les rencontres informelles dans la rue. L’intrication du communicatif, du culturel et des dimensions humaines des relations et des interactions y est donc particulièrement perceptible. Avec des textes plus longs, complexes ou imprévisibles, les différentes formes de débats interprétatifs constituent souvent les meilleurs leviers pour dépasser des difficultés de lecture qui viennent moins de caractéristiques linguistiques ou de références culturelles que d’une posture d’énonciation engageant le lecteur à adopter une certaine attitude réceptive. Un exemple peut nous montrer que passer par l’interprétation permet non pas seulement de dépasser des difficultés de compréhension, mais de commencer par les identifier. Un groupe d’apprenants de niveau B2 d’un cours de langue et littérature que nous avons donné à la Sorbonne Nouvelle-Paris 3 ne parvenait pas à comprendre l’incipit de L’Écume des jours de Boris Vian, roman au ton humoristique, qui joue sur les clichés et la fantaisie pour créer un monde imaginaire. La source de la difficulté tenait d’abord à la posture sérieuse de lecture adoptée par la plupart des apprenants : chacun, face à des détails qui lui semblaient absurdes, comme le fait de se couper les paupières ou de percer un trou dans sa baignoire à la fin de son bain, avait tendance, lors de sa première lecture, à considérer que la difficulté tenait soit au vocabulaire, soit à des habitudes culturelles mal comprises. C’est par un débat délibératif à partir de cette somme d’incompréhensions individuelles qu’est apparue aux apprenants la nécessité, pour donner sens au texte, de postuler une sorte de « monde parallèle ». Le débat a servi à centrer la lecture non pas d’abord sur l’élucidation un à un des détails du texte qui bloquaient la compréhension, mais sur la nécessité de trouver, à un autre niveau, un cadre qui permette ces incohérences, c’est-à-dire d’aller du haut vers le bas plutôt que le contraire. L’entrée dans la lecture a été possible à partir du moment où les apprenants ont pu changer de mode de lecture, pour s’adapter au ton du texte. Le débat a également permis de révéler des difficultés moins immédiatement prévisibles pour l’enseignant, car tenant à la culture éducative et idéologique. En effet, un des apprenants, issu d’un ancien pays communiste, a jugé que c’était « un roman pour bourgeois », car le personnage ne travaillait pas. La grille idéologique qu’il appliquait à ce roman n’a pas agi seulement comme obstacle à son entrée dans la lecture, mais a eu aussi des effets sur sa compréhension de phénomènes locaux. En effet, pour étayer son jugement, il s’est appuyé sur une des images farfelues du début du roman : Colin, qui se peigne dans sa salle de bain, trace dans ses cheveux des lignes pareilles « aux sillons que le gai laboureur trace avec une fourchette dans de la confiture d’abricots » (1947, incipit). Cette image change délibérément d’isotopie : après 53

sillons et laboureur, on attend « dans son champ » et non « dans de la confiture ». Cherchant à donner sens à ce qui n’en avait pas, l’apprenant a considéré que la comparaison était une condamnation de l’oisiveté du héros : celui-ci était comme un laboureur qui perdrait son temps à prendre son petit déjeuner en jouant avec la nourriture au lieu de travailler dans son champ. En l’occurrence, l’apprenant n’a pas buté sur des mots difficiles (fourchette, confiture), mais sur ce qu’appelait idéologiquement l’image même du laboureur, symbole du travail. Ainsi, ce n’est pas d’un point de vue linguistique qu’est venue la difficulté, mais de la nécessité de donner sens, dans un système d’interprétation d’ensemble. L’élucidation ponctuelle, dans ce cas, échoit à l’enseignant, mais c’est seulement parce que l’étudiant a formulé son interprétation générale que la difficulté locale a pu être identifiée, et que s’est fait le retour vers le texte. On le voit à travers ces exemples, la compréhension même passe par l’interprétation, qui met en œuvre des systèmes de pensée et des représentations culturelles. Les énigmes posées par les comportements des personnages ou les logiques déroutantes des textes exercent la capacité à repérer les implicites sur lesquels s’appuient impressions et jugements. Elles sont, pour l’enseignant de FLE, des manières irremplaçables de faire entrer en dialogue les conceptions du monde les plus diverses et de développer chez les apprenants la conscience des valeurs culturelles, humaines, religieuses ou politiques qui orientent leurs réactions et leurs attentes – et peuvent quelquefois faire obstacle à la compréhension non pas seulement des textes, mais d’autrui. Travailler à développer une attitude interprétative à partir des textes littéraires n’est donc pas un détour gratuit, mais nous situe au cœur des objectifs communicatifs : mettre la maîtrise linguistique au service de la capacité à communiquer avec autrui dans un cadre pluriculturel. Ces pratiques ont le mérite de réconcilier les apports de l’analyse littéraire, en réclamant une attention précise au texte, avec une approche communicative où la spontanéité de l’apprenant se trouve prise en compte et acceptée comme point de départ valide de la réception. Alors qu’elles pourraient contribuer à désenclaver la littérature des seuls enseignements de spécialité, au profit d’une conception holistique des enseignements langagiers et culturels telle qu’elle est invoquée dans les discours institutionnels européens, elles sont encore insuffisamment développées en FLE. Le chapitre 3 montre, à travers l’étude de différents dispositifs intéressants, que des initiatives existent, même si de nombreux efforts restent à faire non seulement pour encourager la pratique de la littérature, mais pour développer conjointement des compétences communicatives et interprétatives. De même, l’analyse du matériel pédagogique qui est faite au chapitre 4 révèle la disparité et la relative timidité des propositions qui vont dans ce sens. Les enjeux éducatifs sont suffisamment importants pour que l’on puisse souhaiter que la formation des enseignants de français – en France comme à l’étranger – leur donne une plus large place. Cela impliquerait de nombreux changements de perspective, à commencer par une plus grande ouverture réciproque des études littéraires et de la didactique des langues et des cultures. On peut ainsi appeler à la reconnaissance, par les départements de lettres, de l’importance de former les étudiants aux problématiques 54

interculturelles. Inversement, il serait nécessaire que les formations en didactique des langues et le matériel pédagogique intègrent de manière plus systématique la littérature et les démarches interprétatives développées dans l’analyse des textes à la perspective communicative qui domine actuellement. Notes

(1) OCDE, enquête PISA : www.oecd.org/pisa (2) Unité des Politiques linguistiques du Conseil de l’Europe : http://www.coe.int/t/dg4/linguistic/Schoollang_FR.asp#P71_6756 (3) Plateforme de ressources et de références pour l’éducation plurilingue et interculturelle : http://www.coe.int/t/dg4/linguistic/langeduc/le_platformintro_fr.asp (4) http://www.coe.int/t/dg4/linguistic/Schoollang_FR.asp [consulté le 5 août 2014]. (5) Redéfini en 2013-2014 comme Socle commun de connaissances, de compétences et de culture : http://eduscol.education.fr/cid45625/le-socle-commun-de-connaissances-etde-competences.html (6) Le titre original est, significativement, Not for profit.

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CHAPITRE 3 L’enseignement de la littérature de langue française à l’étranger : lieux, dispositifs et tendances par Anne-Marie Havard, section 3.4. par Mathieu Weeger 3.1. Trois espaces d’enseignement et de diffusion de la littérature Si, dans l’enseignement du FLE, la littérature de langue française s’appréhende toujours comme une littérature étrangère, ce statut est encore renforcé à l’étranger, dans les cadres institutionnels où elle est enseignée : au-delà des frontières, cette littérature se donne comme étrangère par rapport à une littérature nationale, ou à d’autres littératures étrangères – elle se conçoit dans cette différence, qu’elle contribue à établir, en se faisant le vecteur non seulement d’une langue, d’une pensée et d’un imaginaire propres, mais aussi de comparaisons et de représentations culturelles contrastées. Partant de ce présupposé, ce chapitre décrit les lieux et dispositifs dans lesquels s’enseigne actuellement la littérature de langue française à l’étranger, afin de dégager, depuis ce regard décentré, des pistes pédagogiques possibles, issues de pratiques ou d’évolutions récentes. Cet enseignement prend traditionnellement place dans trois espaces distincts, qui sont souvent amenés à se rencontrer. Le premier est constitué par les lieux de défense et de promotion de la langue et de la culture françaises que sont les alliances (1) françaises et instituts français présents sur tout le globe . Le second espace représente un sous-ensemble des études supérieures à l’étranger : dédié à l’enseignement et à la recherche en langue et culture françaises, et fréquemment appelé à former les futurs enseignants locaux de français, il est communément désigné sous l’appellation générale de « départements de français », même s’il prend des formes et des noms variables. Le troisième espace, enfin, renvoie à l’enseignement du français au niveau secondaire, qui n’est pas présent partout dans le monde, mais qui a permis et permet encore de familiariser avec notre langue une large frange de la jeunesse internationale, que cet enseignement s’inscrive dans les apprentissages nationaux ou qu’il se limite à quelques filières d’élite ou expérimentales. En référence à ces trois espaces, notre propos sera ici de faire le point sur la place de la littérature française et francophone dans l’enseignement dispensé, et sur certains dispositifs récents qui ont pu être mis en place pour la faire vivre. Les aspects et évolutions détaillés dans ce chapitre sont à envisager dans un contexte bien particulier. Depuis le début des années 2000, on a vu apparaître une réflexion « interdidactique » de contact entre des langues et des cultures différentes (Puren, 2003), allant à rebours des méthodologies universalistes. Les méthodes communicatives ont peut-être constitué, à ce titre, le dernier avatar de méthodologies cherchant à appliquer un préconstruit depuis le centre (la France) vers les périphéries (le reste du monde), sans tenir compte de la richesse potentielle des didactiques locales. Si les méthodologies du français langue étrangère (dans les écoles de langue) et du français langue maternelle (par l’expatriation d’enseignants diplômés de lettres en France) sont bien représentées à l’étranger, d’autres traditions didactiques et académiques sont à l’œuvre, qui prennent en charge le littéraire 56

autrement et peuvent, de ce fait, enrichir les propositions pour l’enseignement de la littérature en FLE. À cette réflexion interdidactique s’ajoute la reconnaissance d’une perte générale de prestige et de rayonnement de la langue et de la culture françaises (et, singulièrement, de sa littérature classique) : face à cette situation, les espaces d’enseignement de la littérature à l’étranger engagent, de manière plus ou moins organisée, une résistance. Ce chapitre s’intéresse ainsi aux déplacements d’enjeux observables en interrogeant les formes prises par cette résistance, dans les cadres institutionnels envisagés. Quelles propositions didactiques neuves, ou du moins renouvelées, ont-elles fait émerger ? Quelles opportunités, peu exploitées encore, peut-on repérer ? 3.2. Alliances françaises et instituts français Les polémiques récentes autour du déclin possible de la langue et de la culture françaises, aussi fondées qu’elles soient, se heurtent à la force, toujours patente, du rayonnement diplomatique et culturel français. Si ce dernier est sans conteste moins frappant aujourd’hui, et que plusieurs centres culturels ont fermé à travers le monde, la toile d’influence de la France reste dense. Tissée depuis l’Ancien Régime, elle s’est particulièrement organisée au cours des deux siècles derniers, à la faveur de la ramification du réseau des alliances françaises (initié en 1883, avec les premières ouvertures dès l’année suivante à Barcelone, puis au Sénégal, à l’île Maurice et à Mexico) et des efforts parallèles de l’Association française d’expansion et d’échanges artistiques (créée en 1922), qui visaient à promouvoir l’art français à travers le monde en s’appuyant sur un réseau grandissant de centres et instituts culturels français à l’étranger. Portés par cette double structure, les échanges intellectuels et culturels se sont e intensifiés au long du XX siècle, en lien avec une pensée et une vie artistique françaises particulièrement vivantes, stimulantes et influentes, et auxquelles répondit le nombre croissant d’inscriptions à l’alliance française de Paris (ouverte boulevard Raspail en 1919, avec un record atteint en 1979 : 32 000 étudiants). Ces dernières années, l’action linguistico-culturelle de la diplomatie française a connu des évolutions qui, tout en prenant acte d’un écho moindre, témoignent d’une volonté de resserrement et de protection des établissements et des acteurs qui la portent. Voyons, dans cette réorganisation, quelle place est réservée à la littérature et à son enseignement. 3.2.1. La réorganisation des structures culturelles : la Fondation Alliance française et l’Institut français (20072010)

Sous tutelle du ministère des Affaires étrangères, les établissements culturels à l’étranger sont traditionnellement pilotés, sur place, par le SCAC (Service de coopération et d’action culturelle), lui-même rattaché à l’ambassade et dirigé par un conseiller de coopération et d’action culturelle qui coordonne aussi bien les actions culturelles (arts, audiovisuel, livre) que les actions universitaires (en lien avec le service scientifique), éducatives et linguistiques menées à travers le pays. Pour porter ces différents projets, le SCAC s’appuie à la fois sur ses propres agents (attachés et chargés de mission, délégués de l’alliance française) et sur des acteurs locaux (présidents et directeurs d’alliances, en particulier). 57

À la fin des années 2000, les deux réseaux d’établissements culturels ont été fortement repensés, avec la création de deux structures pilotes et mutualisatrices en métropole. Créée en 2007, la Fondation Alliance française a pour vocation de coordonner et d’animer le réseau des alliances françaises, qui présente deux caractéristiques (2) principales : d’abord, une extension et une couverture sans équivalents parmi les réseaux linguistiques et culturels existant dans le monde ; ensuite, un réseau unique dans sa conception, car fondé sur le droit associatif et les forces vives locales. En 2013, la Fondation faisait état de 866 alliances, s’adressant à 492 461 apprenants, réparties dans cinq zones (Afrique : 36 pays, 127 AF ; Amérique du Nord : 2 pays, 120 AF ; Amérique latine & Caraïbes : 34 pays, 228 AF ; Asie : 30 pays, 129 AF ; Europe : 33 pays, 263 AF) et contribuant à la progression du français jusque dans les zones les plus reculées (Ushuaïa, Oulan-Bator, Vladivostok, Île de Pâques, etc.). Pour ce réseau extrêmement dense, la Fondation tient lieu de référence morale et juridique ; elle assure également auprès de lui des missions d’expertise (conseil technique et pédagogique, formation et professionnalisation). Toutefois, le pilotage de chaque établissement est confié à des non-Français (avec l’appui ponctuel d’un directeur ou d’un délégué général mandaté par la France), et la vitalité comme la longévité remarquables des structures tiennent essentiellement à la qualité de l’implantation locale (mécénat, participation citoyenne). À ce réseau s’ajoute celui des centres et instituts culturels français, plus nettement piloté, lui, depuis la France, et désormais rassemblé (depuis 2010) sous le drapeau d’un opérateur unique, l’Institut français. Cet Institut, éponyme de toutes les structures locales qui dépendent de lui à travers le monde, comptait 101 établissements principaux et 125 antennes en 2013, avec pour vocation, sous la double tutelle des ministères de la Culture et des Affaires étrangères, de soutenir l’action culturelle de la France dans le (3) monde . Au nombre de ses dix missions, on compte ainsi celles de « promouvoir les échanges artistiques internationaux », de « partager la création intellectuelle française », d’« encourager la diffusion et l’apprentissage de la langue française », de « développer le dialogue des cultures » et de « favoriser la mobilité internationale des créateurs ». Relayé par les mots de « création intellectuelle », d’« échanges artistiques », de « dialogue des cultures », de « mobilité des créateurs », le livre est bien au cœur de l’action culturelle française : après les objets d’art, mais devant le cinéma, il représente le deuxième bien culturel exporté en France, 25 % des ventes étant réalisées à l’international (Darcos, 2011). Si le « livre » va bien sûr au-delà de la seule littérature, comprenant notamment, et pour une large part, des essais et ouvrages de chercheurs francophones, il l’inclut. Ces chiffres indiquent ainsi une vitalité certaine de la production littéraire française et francophone, qui non seulement contraste avec l’impression de déclin que l’on peut par ailleurs ressentir, mais qui offre surtout des conditions favorables à une action en faveur de l’enseignement littéraire à l’étranger. C’est en effet par une meilleure articulation entre les manifestations culturelles du réseau français à l’étranger et les pratiques concrètes de 58

classe qu’une présence affirmée du texte littéraire, plus vivante et mieux inscrite dans un parcours d’apprentissage, peut s’envisager. 3.2.2. La place accordée au livre et à la littérature par l’Institut français et la Fondation

En regard de l’effort patent de promotion du livre et de la pensée française que conduisent tant l’Institut français que la Fondation Alliance française, les ponts établis entre ces opérations culturelles et les contenus et objectifs conférés aux enseignements dispensés dans les alliances et instituts gagneraient sans doute à être renforcés, via une offre pédagogique explicite. La Fondation se donne pour ambition, en effet, d’accroître l’influence intellectuelle et morale de la France, de même que l’intérêt pour toutes les cultures francophones ; elle entend ainsi jouer un rôle important dans la promotion de la diversité culturelle, en encourageant un dialogue des cultures et des échanges que favorise l’ancrage local des alliances (rencontres entre artistes, résidences). Dans ce projet, pourtant, la littérature n’est jamais explicitement associée à la diffusion de la langue. La présence de personnalités comme le romancier et académicien Erik Orsenna, ou le journaliste et actuel président du Goncourt Bernard Pivot au Conseil d’administration de la Fondation indique bien que la littérature n’est pas reléguée. Nulle part, cependant, il n’est fait précisément référence à elle, alors qu’un fort accent est mis, par exemple, sur les TICE. À propos des bibliothèques, on lit ainsi sur le site de la Fondation qu’elles sont amenées à être supplantées par des « centres de ressources multimédias », proposant des supports plus interactifs pour s’exercer à la langue. Quant aux cours, on insiste sur leur modernisation : pour répondre aux besoins spécifiques des apprenants, on privilégiera, comme dans les instituts, l’objectif de mobilité professionnelle. Dans un souci de clarté et de standardisation, les cours dispensés dans le réseau français se sont ainsi alignés, ces dernières années, sur les orientations du CECRL, perdant en variété culturelle ce qu’ils ont gagné en efficacité communicative : aujourd’hui, des intitulés de cours comme « Le cinéma français des années 1970 », « Traduire Proust » ou « Paris dans la littérature », ont cédé la place à « B1.1 », « B2+ », « Réussir le TCF » ou « Objectif DELF A2 ». Néanmoins, si la littérature est sortie des intitulés de cours, elle n’a pas pour autant quitté les salles de classe. Le temps est révolu, il est vrai, où des agrégés de lettres étaient affectés à l’étranger par le gouvernement français pour faire expressément des cours ou des conférences de littérature. Mais cette mise en retrait n’est pas forcément synonyme d’abandon : si la littérature a perdu de sa vigueur dans les cours proposés par les instituts et alliances, elle n’a pas, de fait, disparu, les enseignants restant libres, en fonction de leurs intérêts propres, d’en introduire s’ils le souhaitent. Dans les initiatives récentes, on observe ainsi que la littérature, même non mise en avant dans l’intitulé général des cours, revient sous d’autres modalités, comme un élément « hors cours », complémentaire, « supplément d’âme » lié au loisir et au culturel – un élément qui, s’il ne paraît plus s’enseigner explicitement, apparaît crucial au moment du renforcement des acquis, et de l’établissement d’un lien plus intime avec la langue. À cet égard, l’existence d’opérations flexibles, mais structurantes, proposées par les services culturels, s’avère déterminante. Se saisir de ces dispositifs ne va pas toujours de 59

soi, ni pour les enseignants des alliances et instituts, ni pour leurs homologues des systèmes scolaires locaux. Il faut en effet pouvoir faire coïncider les contenus, les objectifs et les calendriers. Cette démarche, exigeante pour l’enseignant, est pourtant à même d’inscrire les pratiques culturelles, et notamment littéraires, dans une dynamique de projet favorable à l’apprentissage. La notion de « dispositif » apparaît à ce titre comme une notion clé, qui fait état d’une nécessaire adaptation des pratiques littéraires aux goûts, habitudes et attentes du public. Il semble ainsi qu’il faille, aujourd’hui, offrir des produits ad hoc pour sensibiliser l’apprenant à l’objet littéraire, pour « fabriquer », en quelque sorte, un lecteur qui deviendra ensuite, peut-être, amateur de littérature. Pour que la littérature existe, qu’elle ait une visibilité, une réalité et qu’on la pratique, elle doit être intégrée à des événements, des montages, des mises en scène qui en font quelque chose de désirable, et que l’on cherche à s’approprier. Trois dispositifs distincts peuvent en la matière être analysés : d’abord, pour sa dimension rituelle, celui des prix, journées et semaines dédiés annuellement au français et aux littératures francophones ; ensuite, pour sa valeur concrète et attractive, celui des offres de médiathèques adaptées aux niveaux d’apprentissage ; enfin, pour son jeu avec la notoriété et les dimensions plus humaines de la littérature, celui des tournées et résidences d’auteurs. 3.2.3. Des rituels saisonniers : semaines, journées et prix

Pour répondre à la scission qui peut paraître grandissante, dans l’affichage, entre littérature et enseignement, pédagogique et culturel, la Fondation comme l’Institut invitent leurs équipes à s’emparer localement d’initiatives suffisamment souples pour pouvoir s’intégrer à des propositions et des contextes variés. Dans l’objectif d’une progressive familiarisation des apprenants avec la pratique de la littérature, ces initiatives présentent deux avantages : d’une part, leur ritualité, qui offre la possibilité de construire des rendez-vous récurrents et attendus par le public ; d’autre part, leur ouverture à des formes d’expression variées, qui associent souvent la littérature à la créativité individuelle, qu’elle se manifeste par des mots, des images, des gestes ou du son, sous des formes plastiques ou oralisées. Des expositions tournantes, mises à disposition des établissements à titre gracieux, comme celle proposée par la Fondation dans son offre culturelle de 2013 (« Camus – Itinéraire d’un enfant pauvre d’Alger à Stockholm 1913-1960 ») peuvent devenir le support et l’occasion de cours spécifiques ou ponctuellement enrichis de lectures ou présentations en lien avec la manifestation. Permettant d’ancrer l’enseignement dans une forme de « réel à distance », ces dispositifs invitent à inscrire la littérature dans une pédagogie de projet. S’il n’y a pas de proposition pédagogique suivie ou explicite de la part des structures pilotes, il y a néanmoins incitation, auprès des directeurs et coordonnateurs pédagogiques locaux, à lier enseignement et actions culturelles : cela fait partie des préconisations de la Fondation, et c’est également repérable dans l’action de l’Institut. Le but est double : d’un côté, le public des cours constitue un public privilégié pour les manifestations culturelles ; de l’autre, ces dernières sont vouées, en retour, à donner substance et actualité aux cours, à la discrétion des équipes. 60

Parmi les rendez-vous annuels avec les cultures francophones, la Semaine de la langue française est sans doute l’événement le plus propice à l’introduction de la littérature. Organisée autour de la Journée de la francophonie (20 mars), cette semaine invite les apprenants étrangers à exprimer leur créativité, dans le cadre de divers concours et festivités. Cette manifestation a d’excellentes résonances à l’international, au-delà des seuls territoires francophones, et les alliances et instituts en sont un support privilégié, offrant un cadre idéal de préparation puis d’exposition ou de représentation aux réalisations littéraires et artistiques des apprenants. La réussite de cette semaine repose ainsi souvent, à l’étranger, sur la complémentarité d’institutions travaillant en synergie, et favorisant la mise en valeur des textes étudiés ou produits : une bibliothèque ; une scène de théâtre ; et des structures d’enseignement internes (cours de l’alliance ou de l’institut) ou externes (école locale partenaire, dispensant un enseignement de français). Ce triptyque, particulièrement propice à l’étude, la traduction et la mise en scène des textes, a été le support exemplaire de la francophilie tchèque, qui comptait 72 alliances françaises en 1938 et qui reste aujourd’hui très active dans le domaine du théâtre (Kylousek, 2011). Un atelier mis en place par l’alliance de Plzen a ainsi abouti, au printemps 2013, à la création d’une comédie musicale inspirée de L’Écume des jours de (4) Boris Vian et incluant les « dix mots » de l’année proposés par le ministère de la (5) Culture. Chaque année, le programme « Dis-moi dix mots » fournit des suggestions et des supports ludiques pour que les élèves et apprenants s’emparent d’une liste de mots choisis autour d’un thème spécifique, en France et à l’étranger, selon des canevas littéraires classiques (théâtre, fiction, poésie versifiée, texte à contrainte) ou sur des modes plus ouverts aux cultures populaires et urbaines, comme l’illustre le concours de slam organisé depuis 2011 par l’association napolitaine Francofil, qui accueille des slameurs francophones et fait concourir sur scène des collégiens et lycéens italiens de (6) toute la région . Le principe du concours joue, sans doute, un rôle déterminant dans l’entrain dont témoignent les apprenants au cours de ces manifestations. Les prix et récompenses constituent, notamment pour les jeunes publics, un moteur vertueux, qui peut engager un rapport personnel et valorisant avec la littérature. En Italie, encore, l’Institut français a lancé à l’intention des élèves des sections lycéennes bilingues EsaBac (voir section 3.4.) des initiatives propres à encourager les talents littéraires. Depuis 2010, un concours d’écriture de « fiction historique » est organisé, en lien avec les programmes officiels de ces sections. Les thèmes retenus – « Sur les routes du Moyen Âge », en 2012, ou « Guerre et paix : de Valmy à Vittorio Veneto (1792-1918) » pour l’édition 2014 – invitent les élèves à s’approprier au mieux les lectures proposées en classe, sur le mode du pastiche, de la mise en récit d’événements historiques ou de l’écriture d’invention. D’autres concours s’organisent, comme des jurys de prix littéraires, qui suivent les prix décernés en France à l’automne, en constituant des jurys de lecteurs qui désignent « leur » prix littéraire. C’est le cas par exemple du Goncourt étranger, qui permet une participation directe des apprenants à l’actualité littéraire francophone. D’abord introduit 61

en Pologne (1998), où le jury est constitué d’étudiants issus des départements de français de douze universités, ce prix s’est développé, avec le concours de l’Institut français, en (7) Serbie, en Roumanie, au Liban et en Italie . Conçu sur le modèle du Goncourt des lycéens, le prix « Liste Goncourt – Le choix de l’Orient » est ainsi décerné chaque année depuis 2012 à l’occasion du Salon du livre de Beyrouth, permettant à quinze jurys étudiants de cinq pays du Moyen-Orient de lire les romans de la liste publiée par le jury français du Goncourt, de proposer une notation des ouvrages, assortie de critiques (8) littéraires rédigées, et d’élire leur lauréat, avec remise de prix officielle . Le même principe régit encore des prix impulsés localement, dans le but de sensibiliser le jeune public à la littérature francophone et d’asseoir ses capacités de lecture et de critique des œuvres. Créé en 2001 par le Groupe de recherche sur l’extrême contemporain (GREC) (9) de l’université de Bari , le prix Murat, « Un roman français pour l’Italie », récompense par exemple des auteurs parfois inconnus en France, en déterminant son choix non pas selon le succès éditorial rencontré par les œuvres en France, mais selon leur possible bonne réception en Italie. 3.2.4. La Bibliothèque de l’apprenant

Dans une même perspective à la fois pédagogique et culturelle, un autre dispositif a été récemment mis en place dans les bibliothèques françaises à l’étranger. Par un classement renouvelé des ressources, en fonction non plus des thèmes, des genres ou des auteurs, mais des capacités de lecture des lecteurs, les responsables des médiathèques ont cherché à faire accéder aux rayonnages un lectorat qui ne s’y pensait pas forcément autorisé, ou qui s’en détournait un peu trop rapidement. Ce dispositif, initié à Madrid en 2005, mais proposé ensuite dans le double réseau des alliances et des instituts français, est celui, désormais bien ancré, de la « Bibliothèque de (10) l’apprenant ». Le recours au terme d’« apprenant » suffit à l’indiquer : il est ici question de nouer des liens plus serrés entre apprentissage de la langue et encouragement à la lecture, et de rapprocher le public des cours de celui des médiathèques, par la constitution de collections adaptées et clairement identifiées. Cette opération, largement suivie dans la plupart des médiathèques des alliances et instituts (Autriche, Chine, Maroc, Turquie, États-Unis, etc.), correspond à une ligne budgétaire spécifique du ministère. Les sections concernées des fonds des médiathèques sont régulièrement actualisées : à Madrid, par exemple, 10 % des nouveautés – romans, documentaires, DVD, CD, etc. – vont, à chaque commande, à cette Bibliothèque de l’apprenant. Elle s’intègre par ailleurs au développement actuel de médiathèques numériques (« culturethèque »), qui prévoient (11) une section spécifique . L’objectif – au-delà d’une plus grande fréquentation des médiathèques – est double : d’une part, dédramatiser l’accès à la littérature en prouvant que dès les premiers apprentissages, la lecture est possible ; d’autre part, désacraliser la valeur normée et normative de la littérature, en montrant que celle-ci ne parle pas que de manière soutenue, mais qu’au contraire la variation – de registre, de style, de genre, d’aire dialectale, etc. –, non seulement a droit de cité en littérature, mais lui donne sa chair. Pour 62

répondre à cette ambition, l’activité de lecture est envisagée comme un produit, et le lecteur comme un client : de même que dans une librairie, l’attractivité est étudiée, avec présentoirs et conseils personnalisés, selon une mise en scène « authentique » proche du commerce du livre. Suivant leur compétence de lecture, les apprenants des alliances et instituts participants trouvent ainsi à leur disposition une sélection d’ouvrages, avec une signalisation claire du niveau requis pour chaque document. Dans cette sélection, la littérature n’est pas distinguée des autres supports médias. La littérature canonique se fond, d’abord, avec les autres livres « à lire » (littérature contemporaine non encore canonisée, littérature jeunesse et livres grand public) ; elle se mêle ensuite à ce qui est « lisible » (presse, manuels de langue) ; puis, plus largement, au texte quand il n’est plus autonome (bande dessinée, illustrés et même imagiers pour les tout-petits) ; enfin, elle côtoie les autres supports disponibles en médiathèque : CD, DVD. Cette redéfinition implicite du littéraire comme « tout », ou du moins sa fonte dans ce qui est « lisible », voire « consultable », de même que la mise à plat qu’on observe des « classiques » et des « nouveautés », ne sont pas propres aux médiathèques de l’étranger : on observe les mêmes évolutions dans les bibliothèques françaises. S’ajoutent toutefois dans ce contexte des paramètres spécifiques, liés au niveau de langue des lecteurs. Ainsi, les critères de classement retenus pour la Bibliothèque de l’apprenant sont à la fois éditoriaux (nombre de pages, typographie, présence ou non d’illustrations, ou d’un paratexte attractif, organisation textuelle), culturels (présence ou non de références historiques, degré d’abstraction) et linguistiques (temps verbaux utilisés, syntaxe, vocabulaire). En revanche, la date de parution n’est pas prise en considération, ce qui permet d’inclure les classiques répondant aux critères retenus. À chaque critère correspond un nombre de points : une fois ces points additionnés, l’ouvrage est classé A1, A2, B1 ou B2 ; et, au-delà d’un seuil considéré comme trop élevé de points, correspondant à une accumulation de difficultés, l’ouvrage est écarté. Quelques exemples donnent une idée de ce qui semble approprié, niveau par niveau. Pour les niveaux A1-A2, les ouvrages proposés sont rarement livrés au lecteur sous leur forme originale. Si Le Petit Nicolas apparaît bien inchangé sur les rayonnages des niveaux A, la plupart des livres sélectionnés sont issus des nouvelles gammes de lectures en « français facile » proposées par les éditeurs FLE (chapitre 4). On y trouve aussi bien des ouvrages littéraires adaptés (comme la série des Arsène Lupin, en A1, Les Misérables, en A2, ou la collection « Mondes en VF », chez Didier, qui fournit des lectures adaptées d’auteurs francophones contemporains accompagnées de mp3), que des collections de livres ad hoc, créées en fonction du niveau de lecture des apprenants, sur le modèle de certains pans de la littérature jeunesse (comme la série d’enquêtes journalistiques (12) Alex Leroc, chez Maison des Langues, que l’apprenant peut suivre du A1 au B1 ). La présence de fichiers audio n’est pas étrangère au succès de ces collections : d’après les responsables de médiathèques en poste, les ouvrages destinés à l’apprenant sont d’autant plus empruntés qu’ils sont accompagnés d’un CD – le livre étant d’abord appréhendé sous sa forme sonore, par la musicalité de la langue. Ceci indique que lire, c’est aussi écouter la langue – et que, peut-être, il faut entendre la langue pour pouvoir la 63

lire. Pour les premiers niveaux, la présence d’un support imagé reste également déterminante : plus que les textes littéraires, même en version adaptée, ce sont les bandes dessinées qui rencontrent le plus vif succès auprès des apprenants : Astérix et Tintin, en A1 ; et, par exemple, Jeanine de Matthias Picard, ou Ariol, de Guibert et Boutavant, au niveau A2. L’entrée proprement dite en littérature – avec des ouvrages non simplifiés, plus ambitieux, et plus variés – ne se fait vraiment qu’à partir du niveau B1. À ce niveau, la présence de « compléments » sonores, visuels ou audiovisuels reste encore décisive. Les auteurs phares de cette tranche d’apprentissage sont, de fait, des auteurs appréciés du grand public français, et dont les œuvres ont, souvent, été adaptées à l’écran : Amélie Nothomb (Stupeur et tremblements), Éric-Emmanuel Schmitt (Oscar et la dame en rose), ou Anna Gavalda (Je l’aimais). La bande dessinée reste également très attractive, avec des auteurs comme Jacques Tardi (Adèle Blanc-Sec), Manu Larcenet (Le Retour à la terre) ou Camille Jourdy (Rosalie Blum). Au-delà de ces premiers choix, les bibliothécaires conseillent des lectures comme Dora Bruder, de Patrick Modiano, Le Soleil des Scorta, de Laurent Gaudé, Le Racisme expliqué à ma fille de Tahar Ben Jelloun, voire Bonjour tristesse, de Françoise Sagan, ou encore L’Adversaire, d’Emmanuel Carrère. L’ambition, une fois ces premières étapes franchies – pour lesquelles le livre tient lieu surtout de complément d’apprentissage (mémoire des mots, expressions, familiarisation avec la musique de la langue, etc.) –, est de faire de l’apprenant un lecteur autonome, guidé moins par son niveau linguistique que par ses propres goûts et intérêts. À partir du niveau B2, les apprenants se sentent souvent suffisamment libres pour quitter les rayonnages balisés de la Bibliothèque de l’apprenant et fureter dans les autres secteurs de la médiathèque. Une sélection leur reste néanmoins proposée, avec notamment les ouvrages de Tonino Benacquista (La Maldonne des sleepings), de Fred Vargas (Pars vite et reviens tard), de Jean-Claude Izzo (Total Kheops), ou encore de Mathias Énard (Parlezleur de batailles, de rois et d’éléphants). Le succès rencontré par cette réorganisation des médiathèques à l’étranger conduit à s’interroger sur les attentes réelles des apprenants, et sur les pistes à suivre, non seulement pour les familiariser avec l’activité de lecture, mais aussi, plus spécifiquement, pour les rapprocher de la littérature. D’abord, par son souci de mise en scène et de ciblage du public, la Bibliothèque de l’apprenant sensibilise très tôt un nouveau public aux supports littéraires francophones. Par différence avec les précédentes organisations des bibliothèques des alliances et instituts, qui semblaient réservées aux seuls apprenants de niveau avancé, les enseignants trouvent désormais un dispositif qui les autorise à défendre une lecture effective dès les premiers niveaux. Et de fait, dans des pays pilotes comme l’Espagne et l’Italie, la fréquentation est en hausse ces dernières années pour les niveaux A1 à B1 inclus. Ensuite, par sa capacité à mettre sur le même plan des supports variés, qu’elle « autorise » et désacralise dans le même mouvement, la Bibliothèque de l’apprenant redonne à la littérature une place dans l’apprentissage : s’il n’est plus la voie d’accès privilégiée à la langue, le texte littéraire reste une voie possible, qui bénéficie du réassort régulier des sections et de l’équilibre recherché par la Bibliothèque entre les 64

différents supports. Enfin, l’organisation selon des critères d’apprentissage rétablit le lien parfois distendu entre littérature et cours de langue. Rendu manifeste par les guides et fiches d’accompagnement proposés par les maisons d’édition, ce lien peut être librement créé par les enseignants, dans une démarche actionnelle : réalisation de fiches de lecture, présentation orale des livres, critiques écrites, recommandations, organisation de jurys littéraires, etc. Le principe de la Bibliothèque de l’apprenant, actuellement limité aux établissements culturels, pourrait être avantageusement étendu à toutes les classes de FLE, en France comme à l’étranger. L’établissement de listes nourries des différentes sélections réalisées en médiathèque, mises à disposition en ligne et éventuellement complétées d’extraits, pourrait par ailleurs contribuer au partage de nouvelles pistes pédagogiques étant qu’à terme les apprenants puissent s’en saisir, voire ajoutent leurs avis.

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– l’idéal

3.2.5. Une médiation vers la littérature : la rencontre avec l’écrivain

Le développement de sections spécifiques pour l’apprentissage va de pair, dans les médiathèques, avec la mise en valeur de l’actualité littéraire et un soin plus marqué pour la constitution de vitrines et l’organisation d’événements, qui entre dans un même souci de médiation, aux effets tangibles sur l’attrait de la chose littéraire et la fidélisation des apprenants-lecteurs. Portant l’action de l’Institut, qui entend accompagner et valoriser la diffusion des savoirs francophones et de ses littératures, les Bureaux du livre assurent ainsi plusieurs types de missions dont peut, indirectement, bénéficier l’enseignement de la littérature dans les pays dotés. La première est celle du soutien à l’édition, via la publication de la revue semestrielle Fiction France (anthologie d’extraits de fiction contemporaine en français et traduits), de la revue en ligne culturessud.com (spécialisée dans les littératures francophones) et de la (14) collection « Auteurs » (consacrée à la présentation d’auteurs contemporains ). Dans des pays qui, comme la Russie, entretiennent une relation historique avec l’anthologie, ce travail éditorial est fondamental pour faire connaître les œuvres plus contemporaines (Bountman & Kouznetsova, 2011). Avec 18 000 ouvrages traduits et édités en 20 ans dans 70 pays, un effort de valorisation numérique, et la formation de traducteurs, les Bureaux du livre se donnent comme seconde mission celle d’aider à la traduction, notamment dans les pays qui se sont emparés de ce que l’on appelle « l’extrême contemporain littéraire », pour en faire une spécialité, tant dans le domaine de la recherche que de la traduction. Au Japon, où les travaux du traducteur et du chercheur se superposent et se stimulent, l’attention à cet extrême contemporain (Jean Echenoz, JeanPhilippe Toussaint) est guidée par un goût traditionnel pour la difficulté et le raffinement et se double, comme en Chine, d’une attention nouvelle à la sphère francophone : Patrick Chamoiseau ou Atiq Rahimi au Japon ; Milan Kundera, Andreï Makine ou François Cheng en Chine (Chiba, 2011 ; Jing, 2011). Si cette littérature, contemporaine et mondiale, présente un attrait considérable, c’est aussi qu’elle permet de travailler en lien direct avec l’auteur, et offre l’impression qu’elle se crée au moment où on la découvre. À ce titre, le troisième volet d’action des Bureaux du livre, qui consiste dans l’octroi des missions Stendhal (financement de projets d’écriture 65

d’écrivains francophones à l’étranger) ou l’organisation de manifestations associant auteurs, universitaires et professionnels du livre, est fondamental. Il permet chaque année la circulation d’une soixantaine d’écrivains – dont 20 à 30 au Japon. Les tournées et débats intellectuels, fréquemment montés à la faveur d’une traduction dans la langue du pays ou d’une résidence d’écrivain, sont vus par les enseignants, traducteurs et étudiants locaux comme une opportunité : ils sont l’occasion de conférences et d’interventions auprès des apprenants des alliances et instituts, comme des lycéens et des étudiants, traditionnellement invités à préparer la rencontre avec l’auteur par des lectures en amont. Or, la visibilité qui caractérise ces opérations permet de répondre à un certain goût du public pour les jeux de proximité avec la célébrité. La venue des auteurs dans le pays hôte et leur mise en relation avec un lectorat potentiel par l’exposé, le dialogue ou la rencontre, font entrer la littérature dans un système de notoriété susceptible d’attirer de nouvelles audiences. En ne se limitant pas aux capitales, et en mettant à contribution des partenaires locaux, le Festival de la fiction française italien donne par exemple une visibilité appréciée aux structures de province, et permet de réenchanter une francophilie parfois vieillissante. La programmation témoigne ainsi d’une définition renouvelée de la littérature comme lieu d’accueil et d’expression de la variation : le festival se veut délibérément « éclectique, présentant le tableau le plus complet et le plus divers possible de la littérature française contemporaine, entre expérimentations littéraires et écritures populaires, littérature générale et littérature de genre, littérature pour adultes et littérature (15) pour la jeunesse ». Organisé en partenariat étroit avec les éditeurs italiens d’auteurs récemment traduits, il accueille chaque année depuis 2009, sur deux semaines, de nombreux auteurs français dans le cadre de rencontres hébergées par les établissements culturels, les librairies et les universités sur l’ensemble du territoire, selon le principe d’une « conversation avec l’auteur », suivie d’une lecture assurée par un comédien italien (18 auteurs, 45 rencontres et 16 villes, pour l’édition 2013). Le succès remporté par la manifestation traduit l’importance, pour le public, d’une inscription du littéraire dans un cadre plus vaste – humain, événementiel et poly-artistique. Au-delà du seul réseau culturel français, ce dynamisme ne pourrait toutefois porter ses fruits sans l’appui décisif des structures scolaires et universitaires des pays hôtes. Bien souvent, le succès de ces opérations dépend ainsi de la vitalité de la francophilie des partenaires locaux, et notamment de celle qui anime leurs départements de français. 3.3. Les départements universitaires de français L’étude des institutions supérieures où s’enseignent la langue et la littérature françaises à l’étranger nous intéresse à deux titres. Ces lieux sont d’abord un vivier pour la pérennité du rayonnement francophone : c’est là que se forment non seulement ceux qui porteront avec eux le bagage de la francophilie et de la francophonie, mais aussi, et surtout, ceux qui enseigneront, après les générations actuelles, aux futurs apprenants de français – et potentiels lecteurs. Ces lieux constituent par ailleurs un laboratoire privilégié pour observer les tendances récentes dans la manière dont est abordée et considérée la littérature de langue française : quelle place occupe-t-elle ? Comment, à travers elle, ou plutôt à travers son enseignement, la production intellectuelle contemporaine de langue 66

française est-elle comprise, perçue et appréhendée ? Cette production est-elle foisonnante ou, au contraire, déclinante ? La perception étrangère la lie-t-elle à la seule France ou l’affranchit-elle des frontières (littérature-s francophone-s) ? Cette littérature a-t-elle, par ailleurs, toujours force de modèle ou offre-t-elle un contrepoint à d’autres littératures dominantes ? Quel dialogue, enfin, entretient-elle avec les autres littératures ? 3.3.1. L’enseignement de la littérature : une vitalité questionnée, mais pas menacée

Les départements de langue, littérature et culture sont aujourd’hui confrontés à des défis comparables, d’une région du monde à l’autre. Pour une large part, ces difficultés sont dues à une compétence en langue insuffisante des étudiants à leur entrée en premier cycle universitaire : le fait que, pour la plupart, les étudiants n’aient pas (ou peu) connu d’enseignement préalable de la langue au niveau secondaire, fait d’eux un public débutant (ou faux débutant) peu armé pour suivre de manière approfondie un enseignement littéraire. Dans une certaine mesure, l’existence d’une forte tradition littéraire locale peut (16) sans doute permettre de compenser cet obstacle. En Russie, en Italie ou au Japon , où l’enseignement littéraire est important, la littérature française continue ainsi d’être largement étudiée, en lien, le plus souvent, avec l’enseignement de la langue – mais aussi en traduction. Dans les pays qui, telle la Thaïlande, n’ont pas de tradition propre d’études littéraires, la littérature française est, en revanche, quasiment absente des études de français. Dans ce second cas, l’articulation de la littérature avec l’enseignement du FLE devra être importée, en s’appuyant sur les structures françaises et les dispositifs mentionnés plus haut. Dans le premier cas, à l’inverse, le contexte pourra se révéler propice à un renouvellement des approches dans le domaine du FLE, grâce à une interaction plus forte entre les traditions didactiques et les pratiques pédagogiques en jeu. À cet égard, une évolution importante et apparemment transversale, dans les différentes aires culturelles, est à noter : révélée à la faveur de rencontres organisées (17) récemment par le Centre international d’études pédagogiques (CIEP ), elle indique, en face de la perte de prestige du français et de la provincialisation subséquente des littératures qu’elle produit, un redécoupage des territoires universitaires dont la littérature pourrait, paradoxalement, bénéficier. Du fait des refontes structurelles importantes subies par les universités étrangères, l’autonomie des différentes littératures a en effet été remise en cause, ces dernières se voyant fréquemment rassemblées, voire subsumées dans des unités travaillant plus largement sur les questions culturelles. Or, si ces évolutions génèrent à juste titre des inquiétudes, elles sont aussi une chance de redonner aux études littéraires un certain dynamisme, par effet de contiguïté – les champs auxquels elle est désormais associée (sciences humaines, culture, médias, arts, etc.) jouissant d’une aura plus grande auprès des étudiants. Un état des lieux de l’enseignement et de la recherche en littérature à l’étranger, établi (18) par Dominique Viart pour les années 1998-2008 , montre par ailleurs que, contrairement à l’impression que l’on peut parfois avoir depuis la France, ces domaines ne sont pas partout marqués, loin de là, par l’amertume. En Chine, par exemple, la littérature française, presque absente des universités jusqu’à la fin des années 1970, a 67

connu depuis un remarquable essor : perçue comme un signe de haute culture, elle est enseignée de manière obligatoire dans les nouveaux instituts de langues étrangères, dès un niveau de base en langue acquis (Jing, 2011). À rebours de l’idée de déclin, ou de la peur de la fusion dans des ensembles moins différenciés, les recherches à l’étranger semblent également connaître une réelle vitalité : en témoignent l’existence et l’activité d’un grand nombre de revues, mais aussi l’importance des apports étrangers aux études françaises de lettres, souvent décisifs, et encore la possible inter-fécondation des traditions et innovations de chaque aire linguistique et culturelle, chacune étant porteuse d’une histoire didactique et méthodologique propre (Viart, 2011). 3.3.2. Recherche en littérature, littérature enseignée, littérature effectivement lue : des pratiques éclatées

En dépit de disparités évidentes, d’une région du monde à l’autre, quelques grandes tendances semblent se dégager dans la réception actuelle de la littérature de langue française à l’étranger et son traitement comme matière dans les départements de français, rapprochant des territoires géographiquement et culturellement distants comme l’Australie, le Brésil ou la Scandinavie. La première est celle d’un éloignement important entre la recherche, l’enseignement universitaire et les lectures réelles de la population – l’enseignement dispensé dans les premières années de l’université se plaçant à mi-chemin, dans un compromis entre recherche pointue et attentes des étudiants. S’il fut un temps où les pays qui comptent des sections universitaires de français affectionnaient la littérature française, prestigieuse, inspirante, force est de constater que ce n’est plus le cas : le fossé se creuse entre des chercheurs locaux qui continuent de s’y intéresser vivement, et un lectorat grand public qui va s’amenuisant. Cela conduit un pays comme le Japon, où la littérature française était très traduite et très lue jusque dans les années 1990, à distinguer aujourd’hui, au sein de l’université même, entre la recherche (spécialisée, mais vigoureuse, en termes d’approche comme de production) et l’enseignement (axé de plus en plus sur le linguistique), avec pour corollaire la raréfaction de l’étude de la littérature en licence et sa présence quasi exclusive à partir du master et du doctorat (Chiba, 2011). Quand elle continue d’être enseignée, en plus de la langue, la littérature l’est souvent dans une perspective généraliste. Cette moindre spécialisation n’est pas due qu’à la raréfaction des postes et à la nécessité conséquente, pour chaque enseignant, de couvrir davantage de siècles, ou de genres. Elle s’explique aussi par des traditions d’enseignement différentes. Dans l’espace d’influence de la romanistique – sphère germanique, Scandinavie, Pays-Bas –, il n’est pas possible de se consacrer exclusivement à la littérature française : on enseigne plusieurs langues romanes simultanément, et donc aussi plusieurs littératures, genres et siècles, les chercheurs optant pour des problématiques larges, transhistoriques ou transnationales (Hunkeler, 2011). Si la formation offerte est sans doute moins approfondie, elle est aussi plus panoramique, et certainement moins trouée, que celle dispensée par des enseignants très spécialisés : cette offre d’un bagage plus large assure à l’étudiant étranger une assise plus sûre pour ses lectures futures. e Quant au corpus étudié, il se resserre généralement sur la littérature des XX et e XXI siècles, et fait la part belle au roman, voire à l’essai, aux dépens de la poésie et du 68

théâtre : ce trait, pour partie lié à la diminution des postes, répond également à la demande des étudiants. Le choix des œuvres est souvent déterminé par la critique française, qui constitue le premier filtre, la première grille d’évaluation (Kylousek, 2011), même si l’engouement pour certains auteurs déborde parfois le cadre de réception français. La critique médiatique n’ayant pas l’exigence de l’université, elle permet de conquérir un lectorat ouvert à des approches plus culturelles que poétiques. Le roman n’est plus tant étudié comme espace d’imagination ou de rêverie, que comme lieu d’une pensée sur le monde, en lien avec des concepts et une actualité issus des sciences humaines : le texte littéraire est un discours parmi d’autres, que l’on confronte volontiers à d’autres espaces de pensée et d’autres discours sociaux (Viart, 2011 ; Sheringham, 2011). Ce renouveau des sensibilités se lit également dans la vogue de l’intermédialité, qui rapproche la littérature d’autres arts, et notamment du cinéma, pour étudier l’articulation du texte et de l’image, fixe ou mobile (peinture, photographie, médias, etc.) : la littérature n’est plus perçue comme un vecteur de culture isolé, mais s’associe au visuel. Là encore, elle s’inscrit dans du plus vaste, favorisant le décloisonnement et l’interdisciplinarité. 3.3.3. Un renouvellement des approches : de la French theory aux cultural studies

Ces évolutions de corpus engagent avec elles de grands mouvements dans les approches retenues. Peut-on, parmi les propositions didactiques actuelles de ces départements, isoler des pratiques qui seraient transférables en France, ou dans les structures françaises à l’étranger, et qui favoriseraient une lecture moins « esthétisante », et plus en phase, peut-être, avec la vie et les questionnements concrets des apprenants ? Entre les années 1970, où le but de l’acquisition de la langue française était d’accéder à une compréhension profonde et directe de la culture, et les années 2000, où la langue est devenue un but en soi, au service duquel sont mis les textes culturels, l’évolution suivie dans les départements de français semble jouer en défaveur de la littérature. Il se pourrait cependant que, comme on l’a vu dans les médiathèques des instituts français, ou dans les manifestations liées au fait littéraire, la littérature gagne à ce déplacement. Le paradigme culturel a en effet changé : la littérature n’a plus, aujourd’hui, de valeur axiomatique dans la définition de l’identité française. À cette évolution, les départements de français s’adaptent par une plus grande polyvalence des enseignants et l’inscription de la littérature dans autre chose – du visuel, de la pensée, de l’historique, du politique, etc. (Nettlebeck, 2011). Or, si la littérature en tant que telle peut y paraître noyée, ou marginalisée – n’étant plus prise « pour elle-même », mais vue comme un phénomène ou un document –, il est possible aussi que ce type d’études renouvelle la lecture des grands auteurs (Sheringham, 2011), en favorisant une confrontation avec un contexte historique et culturel qui rend à la littérature sa valeur de témoin et de lieu privilégiés pour la compréhension du monde. Aujourd’hui, la plupart des départements de français à l’étranger se situent dans un cadre postmoderniste, qui assiste à la disparition de la théorie, et notamment du formalisme et des méthodes structurales, au profit d’entrées thématiques (études sur les villes, lieux, espaces), sociologiques (us et coutumes du monde des lettres : ingérence de 69

l’écrivain dans la cité, consécration de l’auteur) ou génériques (littérature de voyage, policier, bande dessinée, chanson, etc.). Les auteurs liés à la French theory (Cusset, 2003), très influents dans les années 1970 et 1980, se voient ainsi relayés par les approches issues des cultural studies. Ces dernières privilégient le point de vue des minorités (politisation/communautarisation), comme on le voit de manière emblématique dans le succès des études postcoloniales, des gender studies, des women studies ou encore des gay studies. Elles portent une attention plus grande au contexte dans lequel l’œuvre s’inscrit et s’écrit, et favorisent la transdisciplinarité. Le préfixe maître dans ce cadre renouvelé est celui de « trans- » (transférence, transculturalité, transmédialité, transdisciplinarité). Aux Pays-Bas, on refuse ainsi les méthodologies exclusives pour explorer plutôt toutes les possibilités d’enchevêtrement des approches analytiques de type anglo-saxon et des lectures heuristiques d’origine française (Houppermans, 2011). Un peu partout dans le monde, des auteurs comme Barthes, Derrida, Lacan, Foucault ou Bourdieu, souvent lus avidement et dans le texte dans les décennies passées, sont considérés aujourd’hui comme des évidences théoriques qui ne font plus l’objet de débats intenses. Les instruments du structuralisme et de la sémiotique forment un substrat culturel commun, que l’on retrouve dans l’outillage de base du chercheur, mais la crise de la théorie littéraire, devenue lieu commun, ne préoccupe plus personne, tandis que le reproche d’éclectisme ne fait plus peur (Prince, 2011 ; Mecke, 2011 ; Rubino, 2011). La saturation théorique des années 1980 a conduit à une renaissance du sujet et de l’auteur, puis, plus récemment, à une ouverture aux études féministes, postcolonialistes, intermédiales, etc. (Gundersen, 2011). Un peu partout – y compris en France –, il semble qu’après une longue période d’approches immanentes, l’histoire soit de retour, comme si l’objet littéraire ne se suffisait plus et qu’il fallait réévaluer le partage entre texte, contexte et hors texte (Hunkeler, 2011). À rebours de l’autonomie du texte des années 1960, les enseignants-chercheurs étrangers observent comment la littérature traite l’histoire, et notamment ses blessures (guerres, colonisation, génocides), avec une attention particulière aux écrits personnels – autobiographies ou correspondances. De ces approches, le FLE peut largement bénéficier, non seulement pour l’apport socioculturel qu’elles contiennent, mais aussi pour les activités créatives et réflexives qu’elles peuvent encourager. La focalisation sur les problèmes de forme avait pu paraître réductrice, voire réactionnaire (Prince, 2011) : en mettant en relief la qualité de révélateur social de la littérature, on en justifie une pertinence immédiate. Libéré de l’analyse littéraire, l’apprenant peut trouver un nouvel attrait au texte, saisi de manière plus immédiate. 3.3.4. Le cas particulier de l’aire francophone

L’exploration des évolutions connues par les pays qui ont le français comme langue première, et dont les universités ont, sinon une culture, du moins une langue en partage, permet d’observer ces tendances de plus près. Pour une part, l’influence du centre sur la périphérie apparaît dans cette sphère comme plus marquée encore que dans les autres régions du monde : les pratiques françaises, telles l’explication de texte ou la dissertation, y sont fréquemment importées, et le conservatisme en la matière peut conduire certains 70

départements à la même désaffection que celle connue par les études littéraires en France. Pour une autre part, néanmoins, le fait que la question du français y soit porteuse d’autres enjeux identitaires conduit l’enseignement de la littérature en langue française à se renouveler, en lien non pas avec les évolutions que cet enseignement connaît en France, mais avec celles connues par son champ local de rattachement. À ce titre, le détour par l’aire francophone offre un effet naturel de mise à distance et peut indiquer d’autres exploitations possibles du texte littéraire, fructueusement transférables vers le FLE. Le premier aspect à retenir est celui de la valorisation récente, par les universités francophones, de leur patrimoine propre. En Wallonie, un canon se met ainsi en place, autour de figures comme Paul Nougé, Henri Michaux, Henry Bauchau ou JeanPhilippe Toussaint (Aron, 2011). En Suisse, l’intérêt plus marqué pour les auteurs nationaux se manifeste par un travail éditorial important sur des écrivains comme Charles-Ferdinand Ramuz, Blaise Cendrars ou Nicolas Bouvier (Hunkeler, 2011). Ces pays ouvrent par ailleurs leur corpus aux « partenaires » de la francophonie postcoloniale. Au Liban, par exemple, la littérature francophone a fait irruption dès la décennie 1990, avec la constitution d’un corpus parti de la littérature libanaise (Georges Schéhadé), mais tôt élargi à d’autres œuvres francophones, à la faveur d’approches thématiques ou (19) interculturelles (Majdalani, 2011 ). Les écrivains du Maghreb (Assia Djebar, Yasmina Khadra), de l’Afrique subsaharienne (Ahmadou Kourouma) et des Caraïbes (Édouard Glissant), ont ainsi fait leur entrée dans un canon renouvelé, à côté des Belges, des Suisses et des Québécois. Poussant cette logique à l’extrême, le Québec valorise, quant à lui, une culture mondiale postcoloniale et une contemporanéité migrante, hybride et métissée (Huglo, 2011 ; voir également chapitre 7.2.). Cette perception vaste, où le littéraire dépasse les frontières et prend un caractère plus universel, s’accompagne d’un double mouvement : d’abord, la constitution, en marge du canon de la littérature française, d’un canon alternatif, décentré, moins érudit et perçu (même si c’est discutable) comme plus aisé à s’approprier ; ensuite, l’importation d’approches nouvelles, liées aux aires d’étude ou d’appartenance de ces textes, et qui mettent l’accent sur les questions d’identité (Schoentjes, 2011). Modifiant le regard sur le patrimoine, et affirmant le décalage entre le français comme langue du monde et le français comme lié à une culture nationale, cette évolution prend le contrepied d’une littérature française encore perçue comme élitiste, pour faire place à une littératuremonde en voie de canonisation, qui résonne davantage avec les intérêts des étudiants d’aujourd’hui, tournés vers le monde plus que vers le texte : « Non pas à travers un engagement politique comme cela avait été le cas dans les années 60, mais […] en s’arrêtant à la question de l’identité, en interrogeant la représentation de la souffrance, de la violence ou de l’environnement. […] Les questions éthiques sont l’objet d’une attention qu’il aurait été difficile d’imaginer il y a seulement dix ans. » (Schoentjes, 2011 : 15) Dans l’aire francophone, cette dimension se conjugue avec celle, déjà relevée, de la 71

force du contemporain. Cet aspect y prend une valeur plus forte encore, dans la mesure où la culture propre du pays participe de cette actualité. Se joue là quelque chose de plus exaltant que l’étude traditionnelle de la littérature : on ne travaille pas sur du passé, mais sur du mouvant, en construction, avec pour corollaire des études qui portent davantage sur l’amont – l’écriture proprement dite, le processus créateur, le « geste rhétorique » – que sur l’aval – l’analyse, l’interprétation de l’œuvre, le « geste herméneutique » (Majdalani, 2011). Cette attention à la variante, si elle stimule particulièrement la créativité des étudiants, par une réflexion sur les possibles, peut également dynamiser la pratique traditionnelle du commentaire, par l’application à un même texte, à titre d’illustration, de différentes approches proposées par les études francophones (sociocritique pour l’angle québécois, analyse de texte à la française, approche sociologique belge, etc.). Dépassant le cadre traditionnel des « études littéraires », l’affichage interdisciplinaire, repérable par exemple dans les universités québécoises (Huglo, 2011), permet enfin d’aborder le texte non plus en vase clos, mais en dialogue avec la culture, les médias, les arts et les discours. Ces réflexions sur le rapprochement de la littérature avec des domaines connexes, sur la constitution de nouveaux canons et sur les apports possibles des approches étrangères à l’enseignement de la littérature trouvent un terrain d’étude privilégié dans les sections bilingues des établissements scolaires étrangers et particulièrement dans la mise en place de baccalauréats conjoints, au cours des années 2000. 3.4. Les parcours bilingues dans le secondaire Si nous prenons le parti, ici, de nous centrer sur les pratiques développées dans les sections dites « bilingues » des établissements secondaires à l’étranger, à l’exclusion des autres, ce n’est pas pour laisser entendre que l’enseignement du français, et de sa littérature, tendrait à disparaître des autres salles de classe : au contraire, après une période où le texte littéraire a, comme en Allemagne, été supprimé dans les années 1970, il a souvent été réintégré aux programmes du secondaire, mais avec une perspective didactique renouvelée, favorisant la multiplicité des approches pédagogiques (Keilhauer, 2014). De fait, l’enseignement actuellement dispensé dans les lycées étrangers est éclaté de sorte qu’une enquête objective peut difficilement y être conduite, tandis que les sections bilingues offrent un cadre plus aisé à cerner. Dans ces sections, par ailleurs, l’enseignement de la littérature dépasse de beaucoup la question de son intégration dans les cours traditionnels de FLE. Le cours de français y est devenu un véritable cours de « langue et littérature », l’une ne pouvant se passer de l’autre. L’idée générale est bien que l’apprentissage d’une langue passe nécessairement par celui de sa culture, et plus spécifiquement de la littérature qui l’incarne : il s’agit de partager des références, d’appréhender les manières de penser et d’argumenter de l’autre, dans une démarche interculturelle (Porcher & Faro-Hanoun, 2000 ; Fraisse, 2012). Ainsi, les élèves suivent un cours où la connaissance des textes et des auteurs étudiés en langue originale prime sur l’apprentissage pur et simple du système linguistique. S’appuyant sur un enseignement ambitieux en termes de contenu, la littérature voit par conséquent sa position confortée, au point qu’on pourrait la considérer comme une « discipline non linguistique » (DNL) à 72

part entière, une appellation généralement réservée à l’histoire ou aux sciences. 3.4.1. Historique des sections bilingues

L’enseignement considéré ici ne concerne pas les 488 lycées français à l’étranger, où l’on suit les programmes en vigueur en France, mais bien l’enseignement bilingue mis en place dans le système scolaire étranger local, souvent en raison d’accords intergouvernementaux, et sous l’autorité des autorités éducatives locales et non de la France. Ces dernières années, ces filières ont connu une augmentation notable, notamment en Europe, comme l’indique la carte interactive du site des sections bilingues (20) francophones dans le monde, « Le fil du bilingue », géré par le CIEP . On estime ainsi qu’il en existe 3 en Finlande, 4 en République tchèque, 5 en Slovaquie, 6 en Serbie, 9 en Turquie (9 000 élèves), 13 au Laos, 20 en Lituanie, 23 en Russie, 28 au Portugal, 29 en Roumanie, 2 193 au Liban (près de 550 000 élèves), 280 en Italie (17 000 élèves)… Le point commun de ces différentes sections est la qualification d’« excellence » qu’on leur attribue généralement : le temps n’est plus où la langue française était très largement étudiée comme première langue étrangère ; l’anglais a désormais acquis ce statut presque partout dans le monde. Les enjeux politiques, culturels et économiques associés à la langue française se résument dorénavant à une diplomatie d’influence. Autrement dit, plutôt que de chercher à toucher toute une population scolaire, il s’agit de viser moins d’élèves, mais de développer chez eux des compétences linguistiques et culturelles de plus haut niveau, en espérant que les futures élites locales soient aussi francophones et francophiles que possible. Dans cette optique, l’enseignement renforcé de littérature française fonctionne comme marqueur d’excellence, dans une « stratégie de distinction » (David, 2013), à côté d’autres DNL véhiculées en langue française. Si l’enseignement bilingue n’est pas nouveau (préceptorat des enfants des cours royales, colonisation, prosélytisme religieux, immigration, etc.), il convient aujourd’hui de distinguer essentiellement deux cas : les pays où le français, en tant que langue étrangère, a été associé à la langue nationale et ceux où il a eu le statut de langue coloniale (Duverger, 2005). Dans le premier cas, on note une première vague de sections très e prestigieuses de type « langue française-langue nationale » dès la fin du XIX siècle : Égypte, Liban, Turquie ; puis une deuxième vague dans les années 1960 en Bulgarie et à partir de 1969 en Allemagne, dans la région du chancelier Adenauer à la suite du traité de l’Élysée (1963) qui scellait la réconciliation entre la France et l’Allemagne. Une troisième vague, plus récente, a concerné de nombreux pays d’Europe centrale et orientale dès la fin des années 1980 et 1990, mais aussi l’Espagne, l’Italie, le Portugal et même la Finlande. Signalons encore le cas de classes en « immersion partielle » en français dans de nombreuses écoles canadiennes anglophones. Dans le second cas d’enseignement bilingue, le français représente la langue des anciennes colonies : quand une langue nationale commune préexiste, des sections bilingues avec le français comme L2 sont mises en place (comme, au début des années 1990, au Vietnam, au Laos et au Cambodge) ; quand de nombreuses langues régionales cohabitent – c’est le cas de l’Afrique occidentale et équatoriale – et que le français a le statut de langue officielle et de langue de scolarisation tout en n’étant que langue seconde, divers projets sont 73

développés, en lien avec la situation linguistique locale (Sénégal, Mali).

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3.4.2. L’enseignement de la littérature en section bilingue : entre FLE et histoire littéraire

La réalité de l’enseignement bilingue est « disparate » (Duverger, 2005 : 9), et le premier écueil serait de la confondre avec une situation de bilinguisme. Dans ce dispositif, il s’agit simplement de permettre aux élèves d’apprendre – et non pas seulement de communiquer – dans deux langues. Le français, devenu langue d’apprentissage, est à la fois l’outil et l’objet de l’apprentissage dans les cours de littérature. Pour mener à bien cet objectif, les enseignants hésitent souvent dans leurs pratiques entre méthodes traditionnelles et innovations didactiques, ou entre liste d’auteurs classiques et volonté d’ouverture à une littérature plus contemporaine. (21) Une enquête en ligne conduite au printemps 2013 montre que, dans la plupart des sections, l’importance faite à l’enseignement de la littérature dépend surtout du poids de la tradition littéraire dans les pays envisagés. Deux grands cas de figure se dessinent : d’un côté, des pays comme le Laos, où les élèves sont sensibilisés à la littérature française à travers leur seul manuel de FLE ; de l’autre, les pays où les élèves bénéficient, comme en Bulgarie ou en République tchèque, d’un véritable enseignement littéraire, selon des modalités plus ou moins traditionnelles ou innovantes. À Vientiane, où les filières bilingues sont intégrées aux établissements d’enseignement général, l’enseignement du français s’effectue au niveau du lycée à raison de six heures hebdomadaires, sur la base d’un programme officiel. Ce parcours réputé d’excellence conduit les élèves au niveau B1 du CECRL et donne lieu à une attestation délivrée par l’Ambassade de France. Dans le manuel utilisé dans ces filières, Amis et compagnie (CLE International), une œuvre littéraire sert bien de « fil rouge » à chaque niveau (Les Trois Mousquetaires au niveau 1, Les Misérables au niveau 2, les Contes et nouvelles de Guy de Maupassant au niveau 3, et des textes de littérature francophone au niveau 4) ; toutefois, ces œuvres sont à chaque fois transposées en bande dessinée. On note ici le souci de rendre ainsi la littérature plus accessible et plus attractive auprès d’un public adolescent peu à l’aise avec la lecture cursive d’œuvres intégrales, même s’il s’agit seulement d’une étape de familiarisation. En Bulgarie, la place réservée à l’enseignement de la littérature est nettement plus importante – jusqu’à 18 heures hebdomadaires. Mais l’approche didactique reste traditionnelle : mettant l’accent sur la qualité de la langue, sur l’écrit et sur les connaissances, elle privilégie un cadre à la fois chronologique (de type histoire littéraire) et générique (théâtre, roman, poésie) et accorde un rôle important au manuel de littérature, sans grande évolution pédagogique globale. Dans les sections de République tchèque et de Slovaquie, pays à très forte tradition littéraire, cet enseignement fait l’objet d’une attention encore plus prononcée. Pour une part, l’approche pédagogique privilégiée s’inscrit dans les pratiques locales : l’histoire littéraire et l’acquisition de connaissances (mouvements littéraires, biographies et bibliographies d’auteurs) y sont déterminantes, dans l’esprit de l’enseignement littéraire dispensé par ailleurs en langue tchèque. Dans ce contexte où l’enseignement de la littérature mondiale est fortement valorisé, tous les élèves lisent des œuvres en traduction (et notamment, pour la France, les philosophes des e Lumières, les grands romanciers et poètes du XIX siècle). Pour une autre part, le cours 75

de littérature en section bilingue propose néanmoins une approche distincte de celle du cours de littérature local. Le programme prévoit en effet une approche par genres de la littérature (séquences sur le conte, le théâtre, la poésie, etc.), et par thèmes (à travers l’analyse approfondie d’œuvres intégrales et d’extraits). De plus, les exercices de français comme la lecture méthodique, l’écriture argumentative et le groupement de textes problématisé, se retrouvent jusque dans les épreuves de fin d’études secondaires, qui sanctionnent un niveau C1 de compétence en langue : une dissertation de culture générale et une épreuve orale inspirée de l’épreuve anticipée du baccalauréat français. Face à ces différents types de pratiques – traitement de la littérature aligné sur les manuels de FLE, exploitation traditionnelle fondée sur la langue et les connaissances, ou didactique « à la française » –, la coopération éducative des ambassades, en charge du pilotage de ces sections, s’efforce, à travers la formation continue des enseignants locaux, de faire émerger une forme de « pédagogie intégrée » (Duverger, 2008), susceptible d’articuler le local et le français, le traditionnel et l’innovant. Des séminaires dédiés sont proposés par l’Institut français, tel celui de 2011 au CIEP, consacré à la conception de ressources spécifiques en ligne. Le numérique est en effet perçu comme un vecteur essentiel de l’harmonisation et de la mutualisation des pratiques. Né des différentes (22) déclinaisons d’un site pilote roumain, le projet Vizavi , développé récemment en Moldavie, en Bulgarie, en Espagne, au Portugal et en Italie, donnera naissance à brève échéance à la plateforme d’échange et de mutualisation interactive et collaborative « IFprof » pilotée par l’Institut français. 3.4.3. Les programmes binationaux : une tentative de didactique intégrée

À côté des parcours bilingues débouchant sur une certification de langue française (DELF-DALF) ou une attestation de l’Ambassade de France, de nouveaux programmes binationaux ont été récemment mis en place, voulus comme exemples d’une didactique intégrée et conduisant à des diplômes de fin d’études conjoints : l’AbiBac (Allemagne), le BachiBac (Espagne) et l’EsaBac (Italie). Ces certifications à double délivrance ouvrent des perspectives didactiques nouvelles. Nés d’une volonté politique bilatérale et mis en œuvre dans le cadre d’accords intergouvernementaux avec l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie, entre 1994 et 2009, ces parcours bilingues et biculturels ont donné lieu à l’élaboration conjointe de programmes officiels de littérature par les inspections des pays concernés. Dans les trois cas, le programme prévoit l’étude des différents siècles, selon les découpages classiques de l’histoire littéraire, et le niveau visé pour l’obtention de la double certification est le niveau B2. Préparé, à la rentrée 2013, dans 69 lycées allemands (et 78 établissements français), (23) l’AbiBac propose, sur trois ans, un enseignement de trois heures de langue et littérature françaises par semaine la première année, puis de cinq heures les deux e e suivantes. Les professeurs doivent étudier une œuvre par siècle (du XVII au XXI siècle) et aborder tous les grands genres littéraires, les auteurs choisis étant généralement les plus canoniques (Racine, Voltaire, Flaubert ou Camus). Préparé depuis 2010 dans (24) 29 établissements espagnols et 65 lycées français, le BachiBac prévoit quant à lui un 76

enseignement approfondi de littérature française qui couvre en deux ans les auteurs du e e XVI au XX siècle, avec la lecture de deux œuvres complètes. En Italie, enfin, 280 lycées ont ouvert à ce jour une section EsaBac (contre 47 lycées français), chacune proposant quatre heures de langue et littérature françaises par semaine pendant les trois dernières (25) années du lycée . Le programme est construit chronologiquement en neuf « thématiques culturelles » qui suivent les grands mouvements littéraires depuis le Moyen Âge jusqu’à la « recherche de nouvelles formes d’expression littéraire et les rapports avec e les autres formes de manifestations artistiques » au XX siècle. Sur la base de ces programmes binationaux, un enseignement « intégré » est en train de se mettre en place. En Espagne, les sections BachiBac font se rencontrer l’approche espagnole de la littérature, qui repose essentiellement sur la mémorisation, la chronologie et l’exhaustivité, et l’approche française, qui favorise davantage l’étude problématisée des contenus, organisée en « séquences ». En Allemagne, l’influence de la tradition didactique se fait surtout sentir dans la place dévolue à la « lecture subjective » des élèves (GeilingHassnaoui, 2012 : 25 ; Von Münchow, 2011 ; Keilhauer, 2014). Le texte, généralement étudié sous sa forme intégrale, est questionné par rapport à sa possible exemplarité, et la prise de position personnelle et l’implication directe des élèves dans le cours sont encouragées. L’objectif est que l’œuvre suscite une discussion, capable de développer l’esprit critique : l’enseignant s’efface pour créer une atmosphère de formation propice à l’initiative des élèves, qui découvrent et discutent d’eux-mêmes les arguments proposés. De son côté, l’enseignant des sections EsaBac, dont la liberté pédagogique est rappelée dans les programmes officiels, est invité à conjuguer l’approche chronologique, essentielle dans la formation intellectuelle italienne, avec une approche plus thématique, à la faveur d’« itinéraires littéraires » construits autour d’extraits. Une des spécificités du programme EsaBac tient peut-être à son effort pour établir des passerelles entre auteurs français et italiens, afin de souligner leurs influences réciproques et de construire ainsi une culture commune. Cette perspective humaniste et l’idée d’un socle culturel européen partagé font directement écho aux préoccupations institutionnelles présentées dans le chapitre 2. En l’occurrence, chaque « thématique culturelle » fait référence dans son intitulé comparatiste comme dans la liste des auteurs suggérés à la fois à la France et à l’Italie, telles les thématiques « Il Rinascimento et la Renaissance », « Le Réalisme et le Naturalisme en France ; il Verismo en Italie », etc. Cet effort d’intégration se retrouve également dans les épreuves proposées au terme des différents parcours. En Allemagne, l’épreuve orale – une explication de texte suivie d’un entretien – se rapproche de l’épreuve anticipée de français du baccalauréat, tandis que l’épreuve écrite est similaire à celle proposée indifféremment à tous les élèves allemands. Constituée de questions de compréhension écrite sur un texte de civilisation, d’un exercice de médiation (traduction et analyse de texte) et d’une production libre, cette épreuve écrite se fonde pour l’AbiBac sur les œuvres contemporaines au programme (après Éric-Emmanuel Schmitt et Amélie Nothomb, Philippe Grimbert et Aïcha Benaïssa (26) ont été retenus pour l’épreuve 2014 ). En Italie, l’intégration est plus forte, dans la 77

mesure où un type spécifique d’exercice a été créé pour les élèves préparant l’EsaBac, dans lequel se rencontrent les deux cultures scolaires, française et italienne, autour de la littérature : l’essai bref, sur la base d’un corpus comprenant trois textes littéraires français, un texte italien (et sa traduction) ainsi qu’un document iconographique. Cette épreuve a généré sa propre méthodologie, à la faveur des formations proposées aux enseignants, empruntant à la fois à celle du saggio breve italien, qui met l’accent sur l’amplitude de la culture, et à celle de la dissertation française, qui insiste sur la rigueur de l’argumentation. Ces différentes expériences montrent l’intérêt d’une réflexion sur les traditions didactiques dans lesquelles l’enseignement prend forme, et la fécondité des rapprochements interculturels qu’elle peut susciter. Le terme de « pédagogie intégrée », s’il est ambitieux et sans doute loin encore de la réalité, propose du moins un cap et offre un cadre à l’enseignant de littérature en FLE : en fonction du public auquel il s’adresse, peut-il déterminer de quoi son propre enseignement est porteur, et sur quel nouveau socle culturel il vient s’inscrire ? Quelle place donner à la subjectivité, à la problématisation, à l’histoire ou à la mémorisation ? L’enseignant est-il en mesure d’établir des liens, entre sa propre tradition didactique et ces traditions autres ? Comment peut-il nourrir le dialogue, et quelles nouvelles approches peut-il tenter pour le faciliter ? À travers ce parcours des trois espaces dédiés, à l’étranger, à l’enseignement de la langue et de la littérature de langue française, quelques grands constats et tendances se dégagent. Notons d’abord que, si elle va moins de soi, l’étude de la littérature en tant que telle n’a pas disparu, loin de là, hors des frontières françaises. Elle est marquée, toutefois, par une quadruple évolution, dont les traits renvoient assez directement aux pratiques observables en France. On note d’abord l’apparente nécessité de l’inscription du littéraire dans une logique événementielle, ou du moins dans des dispositifs novateurs ou attractifs, où la médiation joue un grand rôle. Ensuite, en termes de positionnement culturel : on observe une sorte de fusion de la littérature dans un ensemble plus vaste de médias et de formes artistiques, la littérature semblant gagner, plus que perdre, de cette mise en réseau, qui favorise de nouvelles résonances. Puis, en termes de contenus, une redéfinition du corpus se dessine, marquée par l’abandon des hiérarchies à l’intérieur du champ littéraire, entre littérature d’élite et littérature grand public, entre littérature canonique et paralittérature, et par une extension aux littératures contemporaines et francophones. Enfin, en termes de méthodologie, ou plutôt d’approche, tandis que les questionnements d’ordre éthique ou social prennent le pas sur les analyses esthétiques et formelles, de nouvelles convergences s’organisent autour d’une didactique intégrée, créatrice de ponts entre la France et l’étranger, et qui font écho aux liens noués, en France, entre FLM et FLE. Notes

(1) Nous réservons la majuscule aux structures pilotes (Institut français, Fondation Alliance française) et optons pour la minuscule pour les antennes locales (instituts français, alliances françaises). (2) www.fondation-alliancefr.org 78

(3) www.institutfrancais.com (4) http://reptcheque.caravanedesdixmots.com (5) www.dismoidixmots.culture.fr (6) www.francofil.it (7) www.academie-goncourt.fr (8) http://www.lechoixdelorient.blogspot.fr (9) http://argec.hypotheses.org (10) Pour une présentation de ce projet, voir : http://fr.slideshare.net/bibliofrance/labibliothque-de-lapprenant-10866268 ; www.diplomatie.gouv.fr/fr/IMG/pdf/Article_BA_-_version_pdf.pdf (11) http://www.culturetheque.com/EXPLOITATION/bibliotheque-de-lapprenant.aspx (12) Pour toutes ces références : http://www.emdl.fr/fle/collection/lectures/0/alex-leroc/general/ http://www.editionsdidier.com/collection/atelier-de-lecture http://www.toutesleslangues.com/lire-en-francais-facile-lff-hachette-fle.html http://www.editionsdidier.com/collection/mondes-en-vf (13) Citons à cet égard le travail conduit en 2010 par une étudiante de M2 dans une alliance mexicaine : http://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-00678364 (14) http://www.institutfrancais.com/fr/publications (15) www.facebook.com/festival.narrativa.francese (16) Sur les pays concernés par l’étude de la littérature française, voir les enquêtes des Cahiers de l’Association internationale des études françaises. (17) Citons les récents séminaires de francisants européens, 2008 : http://www.ciep.fr/conferences/evolution-des-departements-etudes-francaises-desuniversites-europeennes/index.php et sud-américains, 2012 : http://www.institutfrancais.com/fr/actualités/rencontre-des-departements-universitairesde-francais-damerique-du-sud (18) L’étude de Viart propose, pour cette décennie, un panorama de l’enseignement de e la littérature du XX siècle française et francophone dans le supérieur étranger. (19) Ni langue unique ni langue seconde imposée, le français est librement choisi par les locuteurs libanais. Dans ce cadre, la littérature française reste très largement enseignée, dès le secondaire. (20) http://lefildubilingue.org/reseau/carte-des-etablissements (21) Enquête mise au point par Mathieu Weeger, attaché de coopération pour le français à Rome, et soumise à différents acteurs de terrain (Michel Plat, conseiller technique auprès de la cellule bilingue du ministère de l’Éducation et des Sports, Laurent Attal, attaché de coopération éducative en Bulgarie, Gérard Enjolras, attaché de coopération pour le français à Prague, Mickaël Lardenois, coordinateur Bachibac de l’IES Eras de Renueva, León). (22) Exemples (chaque pays ayant son site dédié) : www.vizavi-edu.ro ; www.vizaviedu.it (23) http://www.education.gouv.fr/cid4105/la-cooperation-franco-allemande.html 79

(24) http://www.education.gouv.fr/pid25535/bulletin_officiel.html?cid_bo=71030 (25) http://www.education.gouv.fr/pid25535/bulletin_officiel.html?cid_bo=71026 (26) Voir les annales publiées : Abitur-Prüfungsaufgaben Baden-Württemberg, StarkVerlag, 2013.

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CHAPITRE 4 Discours et pratiques d’enseignement du FLE : état des lieux et perspectives par Donatienne Woerly Des discours aux méthodes, du CECRL aux outils, il est important de s’arrêter sur les ressources dont dispose l’enseignant qui voudrait intégrer le texte littéraire dans son cours. Ce chapitre se propose donc de partir des discours institutionnels, essentiellement du CECRL, pour définir le cadre dans lequel les auteurs écrivent les méthodes de FLE, et de faire un état des lieux non exhaustif du matériel pédagogique : il s’agit à la fois d’identifier des pratiques et de porter un regard critique sur les discours qui influencent notre manière d’envisager le texte littéraire en classe de FLE afin de « lire les tendances qui […] entraînent les enseignants et les apprenants à lire le texte littéraire d’un certain regard » (Peytard, 1982 : 9). À l’observation des méthodes et des discours, nous ajouterons un parcours dans les ressources numériques : le premier réflexe de l’enseignant est aujourd’hui, pour nourrir ses cours, de regarder ce qu’Internet met à sa disposition. Si la logique de réseaux, le caractère éphémère de certains sites, et la pluralité des sources (Develotte, 2010 : 461) rendent extrêmement mobile cet espace, on peut cependant dégager des évolutions ainsi que la perpétuation d’une vision traditionnelle du texte littéraire. Ainsi, derrière les discours institutionnels et les choix éditoriaux (manuels, revues) se profile une certaine conception de la place à accorder à la littérature dans l’apprentissage d’une langue/culture. Quels corpus ces choix fabriquent-ils et, par conséquent, quel visage donnent-ils à la littérature en langue française ? À quelles fins les textes sont-ils convoqués ? Avec quel appareillage ? Une réflexion didactique se dégaget-elle des propositions éditoriales ? En 1982, Peytard et al. notaient, à partir d’une étude des propositions didactiques des manuels de FLE, la difficulté des auteurs à penser une pédagogie du texte. Dans le cadre de la méthode de langue, le texte littéraire se trouvait tiré vers son pôle référentiel, « vers la langue comme répertoire de structures, vers l’information qu’il véhicule, vers les dénotations » : le sujet énonciateur n’est pas pris en compte ; énonciation, connotations restent dans l’ensemble des points aveugles de la didactisation du texte. Ce bilan précis de cette invisibilité du littéraire, cette impossibilité à saisir sa spécificité par les catégories classiques de l’enseignement des langues, dans les pratiques didactiques du FLE telles que les incarnent les supports éditoriaux, sont-ils toujours d’actualité ? 4.1. Les discours institutionnels pour le FLE et le FLS : quels liens entre langue, culture et littérature ? 4.1.1. Le texte littéraire pour le FLE dans le CECRL

Ainsi qu’en témoignent les pratiques éditoriales, qui font que tous les ouvrages s’en réclament aujourd’hui, le CECRL est devenu le discours de référence pour le FLE. Quelle place accorde-t-il à la littérature ? En quoi nous invite-t-il à une approche renouvelée ? Le CECRL a au départ pour ambition d’harmoniser l’évaluation des compétences en langues étrangères en Europe afin de faciliter la mobilité des citoyens européens et se refuse à imposer des choix méthodologiques. Pourtant, le concept de perspective actionnelle qu’il promeut s’est imposé comme un nouveau paradigme de l’enseignement81

apprentissage des langues, malgré de nombreuses critiques quant à la validité de son appareillage théorique (Delouis, 2008). Ainsi, ce texte à visée essentiellement politique a catalysé des transformations des approches didactiques touchant aussi la place du texte littéraire. Le lien que les discours institutionnels établissent entre langue et culture est central pour comprendre la place qu’ils accordent à la littérature. L’approche retenue par le CECRL tend à dissocier langues et cultures : « Le Cadre européen commun de référence (…) décrit aussi complètement que possible ce que les apprenants d’une langue doivent apprendre afin de l’utiliser dans le but de communiquer ; il énumère également les connaissances et les habiletés qu’ils doivent acquérir afin d’avoir un comportement langagier efficace. La description englobe aussi le contexte culturel qui soutient la langue. » (CECRL, 2001 : 9) La culture, dans la perspective du CECRL, n’est pas indissociable de la langue, des compétences langagières, mais en constitue le support. D’un côté, la communication, de l’autre, le patrimoine, cette « ressource commune inappréciable qu’il faut protéger et développer » (ibid. : 47). La préoccupation d’une formation à la « citoyenneté européenne », dont le plurilinguisme est l’une des modalités, est certes affirmée dans le préambule comme l’arrière-plan idéologique qui justifie l’outil qu’est le CECRL : il rappelle la nécessité « d’outiller tous les Européens pour les défis de l’intensification de la mobilité internationale », mais aussi d’« entretenir et développer la richesse et la diversité de la vie culturelle en Europe » et de « répondre aux besoins d’une Europe multilingue et multiculturelle » (ibid. : 10). Il y a cependant un implicite dont le CECRL, pour ne pas froisser les susceptibilités nationales, se garde bien de parler : les compétences langagières visent en grande partie un anglais mondialisé, affranchi de son support culturel national, et qui joue un rôle croissant dans la vie professionnelle des Européens (Delouis, 2008 : 22). Le nouvel objectif social européen défini est de travailler ensemble en langue étrangère (Puren, 2002). La perspective actionnelle demande d’envisager l’apprenant comme un acteur social, qui doit réaliser des tâches en s’aidant de ses compétences langagières. La langue est l’une des composantes des actions du locuteur : maîtriser une langue, c’est agir mieux. La littérature, dans cette perspective, fait figure de parent pauvre. Les auteurs du CECRL lui assignent une place ambiguë : « Bien que ce bref traitement de ce qui a traditionnellement été un aspect important, souvent essentiel, des études de langue vivante au secondaire et dans le supérieur puisse paraître un peu cavalier, il n’en est rien. Les littératures nationale et étrangère apportent une contribution majeure au patrimoine culturel européen que le Conseil de l’Europe voit comme “une ressource commune inappréciable qu’il faut protéger et développer”. Les études littéraires ont de nombreuses finalités éducatives, intellectuelles, morales et affectives, linguistiques et culturelles et pas seulement esthétiques. » (CECRL, 2001 : 47) Ils reconnaissent eux-mêmes à demi-mot, comme pour s’en excuser, cette mise en 82

retrait du littéraire, pourtant encore très présent dans la formation de nombreux enseignants de langues vivantes en Europe. C’est ainsi une certaine tradition qui passe au second plan : le texte littéraire a été dans le passé (« traditionnellement ») un aspect important, mais n’est plus quantitativement essentiel dans les pratiques contemporaines d’apprentissage d’une langue. Pourtant, le CECRL insiste en même temps, dans l’extrait cité plus haut, sur la complexité des objectifs que l’on peut assigner à la littérature : ce qui doit être perçu comme une désacralisation déplace simultanément l’attention, dans le cadre de la promotion de la diversité linguistique et culturelle en Europe, sur la multiplicité des « finalités éducatives » qu’intègre le littéraire. Il faut rappeler que le Niveau seuil (1977) ou, pour le domaine anglophone, le Threshold Level (1975) excluaient, eux, totalement le fait littéraire : par rapport aux méthodes inspirées de la linguistique, l’approche est donc très favorable à la littérature. Mais, si celle-ci est reconnue dans sa complexité, elle apparaît rétive à la normalisation que nécessite l’harmonisation des pratiques : les auteurs sous-entendent que la littérature est à intégrer dans l’apprentissage, mais que le CECRL n’est pas le lieu pour définir les modalités de cette intégration. 4.1.1.1. Des perspectives pédagogiques nouvelles

La perspective actionnelle adoptée par le CECRL ouvre cependant des pistes neuves. L’ouvrage distingue plusieurs objectifs de communication, dans les domaines privé, public, professionnel ou éducationnel, où l’utilisation de la langue revêt une dimension fonctionnelle qui s’exprime en termes de tâches et de capacités. Il met également à part deux usages dont la finalité est d’un autre ordre, car ils prennent le langage lui-même comme moyen et matériau : il s’agit d’un usage ludique et de l’utilisation « poétique et esthétique de la langue » (ibid. : 47) que le CECRL associe étroitement, pour son acquisition, à l’étude de la littérature. C’est l’utilisation subjective et créatrice du langage, au cœur du fait littéraire, qui est mise en avant. Le CECRL insiste sur le lien entre production, réception et représentation, entre lire et écrire : il ne s’agit pas d’accueillir des textes canoniques, patrimoniaux, représentant le meilleur de la culture et de la langue que l’on apprend, mais de rêver et d’éprouver du plaisir dans cette langue. Le CECRL fait aussi de la littérature un lieu de pratiques, de création, d’interprétation : on trouve ainsi les termes « représenter », « représentation » (ibid. : 47). Représenter une pièce de théâtre ou un texte littéraire, c’est nécessairement se l’approprier et l’interpréter. La littérature entre en résonance avec l’idée d’un apprenant « acteur », car elle met en jeu d’autres manières d’agir qui ne sont pas exactement les mêmes que celles qu’exige la vie professionnelle ou quotidienne. Le CECRL ouvre indéniablement des horizons renouvelés : le texte littéraire peut tout à fait trouver sa place dans un cadre actionnel, dans un enseignement par tâches ou dans une pédagogie de projet. Même si, à première vue, « le caractère personnel, individuel de la lecture littéraire ne semble pas, de prime abord, facilement conciliable avec cette pédagogie de projet, mettant en valeur l’action commune » (Morel, 2012 : 143), la pédagogie de projet peut remotiver le lecteur en langue étrangère, l’action commune venant étayer une tâche encore difficile si elle demeure individuelle. 83

4.1.1.2. La littérature : un objet réservé aux niveaux avancés ?

Regardons maintenant la place accordée à la littérature dans la description des niveaux de compétence. Le document fait assez peu mention de la littérature pour les niveaux A1 à B1. Elle apparaît cependant, dans le CECRL, dans la description des utilisations de la langue, en lien avec des compétences de production : au niveau A2, l’écriture créative peut consister « en l’écriture de biographies imaginaires et de poèmes courts et simples sur les gens ». Au niveau B1, le CECRL mentionne pour la maîtrise du récit, la capacité à raconter l’intrigue d’un livre ou d’un film. Mais le texte peut être lu en langue maternelle. La littérature en langue cible apparaît donc essentiellement aux niveaux B2, C1 et C2. L’apprenant est capable au niveau B2 de « comprendre un texte littéraire contemporain en prose ». Au niveau C1, il peut « comprendre des textes factuels ou littéraires longs et complexes et en apprécier les différences de style ». Le niveau C2 implique de « lire sans effort tout type de texte, même abstrait ou complexe quant au fond ou à la forme, par exemple un manuel, un article spécialisé ou bien une œuvre littéraire ». Pourtant, alors que les compétences de réception proposent des descripteurs précis pour certains types d’écrits (« lire une instruction », « comprendre une correspondance », ou « lire pour s’informer et discuter »), il n’existe pas de rubrique « comprendre une œuvre de fiction » ou « une œuvre littéraire » : la littérature lue « sans effort » devient une illustration de l’aisance acquise aux niveaux avancés (Baptiste, 2011 : 217). Elle manifeste donc l’acquisition d’une compétence, mais n’appelle pas de descripteurs précis prenant en compte sa spécificité. La réception du texte littéraire est ainsi amalgamée aux compétences globales de lecture. Le CECRL relie la littérature aux niveaux avancés, en distinguant compétences de réception et de production : accéder aux textes littéraires et en maîtriser certaines formes manifeste une compétence avancée. Cependant, l’absence de la littérature pour les niveaux débutants ne signifie pas qu’elle ne doit pas être abordée. Le CECRL n’est pas exhaustif, et les chapitres consacrés aux échelles de niveaux ont une vocation de description, non de prescription. Une lecture erronée de l’ouvrage comme méthode peut donner le sentiment que les auteurs réservent les textes littéraires aux niveaux avancés, mais ils mettent en garde d’emblée contre une telle approche du CECRL. On doit comprendre que si l’apprenant est capable de lire un texte littéraire contemporain au niveau B2, c’est qu’on a préparé cette compétence aux niveaux antérieurs. Avant de parvenir à une lecture sans effort, il faut avoir familiarisé l’apprenant avec la complexité des œuvres littéraires. Ainsi, les auteurs invitent indirectement, pour atteindre les objectifs formulés au niveau B2, à introduire le texte littéraire bien avant ce stade. Par ailleurs, le texte littéraire est toujours traité comme les autres types de textes, et les enseignants ne sont pas invités à réfléchir aux particularités d’une lecture littéraire : le texte littéraire occupe toujours une place inconfortable, non spécifique. C’est aussi le cas dans les manuels de FLE se réclamant du CECRL et de la perspective actionnelle. Il est à noter que l’on retrouve les mêmes difficultés pour l’évaluation de la lecture littéraire dans les enquêtes PISA : on peut émettre l’hypothèse que la complexité des opérations que 84

mettent en œuvre des activités d’interprétation se dérobe pour l’instant à l’élaboration de descripteurs. 4.1.2. Le texte littéraire pour le FLS dans les publications de la DGESCO

La perspective pour le français langue de scolarisation en France est tout autre : dans le cadre de l’enseignement primaire et secondaire français, la littérature apparaît comme un objet central. L’approche de la littérature est proposée dès les premières heures d’apprentissage du français (Faupin & Théron, 2012 : 8). Cette place s’explique par l’influence des programmes en français langue maternelle (FLM), pour lesquels les textes littéraires sont primordiaux. Le français langue seconde est défini par la Direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO) comme : « un domaine pédagogique de transition partant des apprentissages initiaux organisés selon une démarche caractéristique du FLE (Français Langue Étrangère) pour évoluer progressivement vers une approche et un traitement des contenus relevant du FLM (Français Langue Maternelle). L’objectif est en effet de conduire des élèves à intégrer une classe du cursus ordinaire. » (DGESCO, 2000 : 20) C’est donc en lien avec les programmes nationaux que l’enseignant déterminera le travail sur le littéraire avec pour objectif de parvenir à la compétence de réception permettant d’intégrer un cours ordinaire. Parce que l’apprentissage de la langue française obéit aussi à des impératifs culturels, la perspective adoptée est bien différente de celle du CECRL : il s’agit d’un enseignement d’une langue/culture. Force est de constater que la littérature regagne une plus large place dès que la dimension fonctionnelle n’est plus l’objet exclusif de l’apprentissage. Le document-cadre de la DGESCO définit assez précisément les objectifs culturels assignés au texte littéraire, en favorisant la dimension comparative et interculturelle : « La littérature est une des voies d’accès privilégiées à une autre civilisation. Elle permet d’en saisir de l’intérieur les particularités et la singularité. En comparant les œuvres de la littérature française à celles des pays d’origine des élèves, on peut fonder le dialogue interculturel sur des bases plus fermes et mieux distinguer les domaines en présence. » (ibid. : 11) Des exemples précis, concernant les littératures orales française, malinké, peule ou arabe, viennent illustrer la démarche, en insistant sur les genres du conte, de la fable et de l’épopée : « Certaines épopées africaines peuvent ainsi être lues parallèlement à des épopées médiévales européennes, celle de Soundjata par exemple ; fondateur de l’Empire du e Mali au XIII siècle, ou celle de Samba Gueladio Djégui, épopée peule. Une comparaison de leurs héros avec Roland, Perceval ou Lancelot permet de faire ressortir le système de valeurs qui organise les conduites de chacun et leurs ressemblances. Il en est de même des contes, avec notamment Djaha dont les aventures, connues dans tout le monde arabe, peuvent être lues en comparaison avec les contes de Perrault, les fables de La Fontaine ou certaines farces du Moyen Âge. » 85

(ibid. : 12) L’accès à la littérature est aussi un mode d’accès à la littératie, aux connaissances fondamentales de lecture et écriture. Il s’agit d’exploiter les compétences acquises dans ce domaine en langue source ou de les renforcer : pour cela, un passage par la langue première et les livres bilingues est favorisé, dès les débuts de l’apprentissage. L’enseignant met à disposition des ouvrages en langue source ou dans les deux langues. Le passage par la langue source a pour objectif de dépasser les freins linguistiques que peuvent rencontrer les apprenants ; le livre bilingue a fonction d’étayage : « Les livres en édition bilingue permettent d’introduire la connaissance de la littérature française et d’éviter de proposer systématiquement aux élèves des sujets enfantins parce qu’ils sont écrits dans une langue simple. » (ibid. : 11) Ainsi, pour ce qui concerne le FLS, la place de la littérature est déterminée par la nécessaire prise en compte des contenus disciplinaires de l’enseignement primaire et secondaire. Les discours institutionnels qui encadrent l’enseignement du FLE et du FLS en France et en Europe ont donc une approche opposée de la littérature, mentionnée du bout des lèvres dans un cas, revendiquée fermement dans l’autre. On observe que c’est l’étroitesse du lien entre langue et culture qui conditionne cette vision : lorsque la langue est avant tout outil de communication dans une perspective de mobilité professionnelle, la littérature est reléguée. Lorsque la langue est nécessaire pour l’intégration dans la culture d’accueil, la littérature redevient un support privilégié de l’apprentissage, parce qu’elle prend en charge toute la complexité linguistique, sociale, culturelle du français, langue qui demeure territorialisée : le FLS réintègre ainsi très justement une réalité de la langue que le CECRL tend à occulter pour les premiers niveaux. 4.2. Les méthodes de FLE des éditeurs français Les nouvelles méthodes se réclament toutes du CECRL : le discours de l’institution informe-t-il la place qu’elles accordent à la littérature ? Observer les propositions des méthodes et manuels ne permet pas de savoir ce qui se joue réellement dans l’espace de la classe de langue, mais sert à repérer des choix (conscients ou inconscients) qui répondent aux attentes de la communauté éducative : le manuel a « longtemps constitué la base principale, la référence des pratiques quotidiennes des enseignants » (Choppin, 1992 : 198). Il est donc un objet pertinent pour repérer certains consensus didactiques. Pour mettre au jour ces représentations, nous nous appuyons ici sur un corpus de méthodes récentes d’éditeurs français, largement diffusées à l’étranger, la plupart visant un public de grands adolescents et d’adultes, et une petite partie un public d’adolescents, toutes parues entre les années 2000 et 2013. 4.2.1. Présence de la littérature

Sur 55 manuels étudiés, 20 ne font apparaître aucun texte littéraire. La question du niveau est importante puisque cette omission du littéraire concerne 12 manuels de niveaux A. Seules deux méthodes font apparaître la littérature à ces niveaux, constituant ainsi l’exception. La norme est donc de ne pas faire figurer la littérature aux niveaux 86

débutants. Le bagage linguistique est considéré par les auteurs comme insuffisant pour permettre d’accéder au texte littéraire. Cependant, certains manuels introduisent la littérature de matière thématique, ou par le biais des éléments liminaires (titres, incipits, couvertures, illustrations), pour initier à la lecture littéraire dès les premiers niveaux et familiariser l’apprenant avec des genres, des noms d’auteurs. L’accès à la littérature semble correspondre au niveau seuil, au B1. En effet, si 9 méthodes sur 18 font apparaître la littérature dès le niveau A2, elle figure dans tous les manuels à partir du niveau B1. Les éditeurs ne proposent aucun ouvrage excluant totalement le texte littéraire, à l’exception d’Agenda (Hachette, 2011), un cas particulier puisqu’il ne comprend que les niveaux A1 et A2. Cependant, le sentiment de dispersion persiste, une majorité de manuels faisant apparaître moins de 10 textes littéraires. Sur 55, seuls 18 ouvrages dépassent la dizaine d’occurrences, ce qui laisse apparaître un texte (groupements de textes et courts extraits compris) par unité, c’est-à-dire par séquence d’apprentissage. Cette étude du champ éditorial amène une première conclusion : le texte littéraire reste présent dans les pratiques en FLE, notamment pour les niveaux intermédiaires et avancés, mais aucune méthode ne se construit plus aujourd’hui contre le littéraire. 4.2.2. Quel corpus littéraire dans les méthodes aujourd’hui ?

Nous avons recensé 326 textes littéraires dans les 55 volumes consultés. Le genre dominant est de très loin le récit : il constitue plus de la moitié du corpus (178 textes) et est présent à tous les niveaux. Vient ensuite la poésie qui, avec 61 textes, est assez largement représentée dans les niveaux intermédiaires ; ainsi, dans le manuel Écho B1.1 (CLE International, 2010), on en trouve 8 occurrences, alors qu’elle n’apparaît plus ou peu aux niveaux avancés (aucune occurrence dans Écho B1, 3 occurrences dans Écho B2). Même chose pour la méthode Campus (CLE International, 2002) ou encore l’intégralité d’Alter Ego : dans cette dernière méthode, on ne trouve qu’un texte poétique entre le B2 et le C2 – Alter Ego 4 (Hachette, 2007), Alter Ego 5 (Hachette, 2010) –, alors qu’au niveau intermédiaire B1 – Alter Ego 3 (Hachette, 2007) –, 3 textes sont proposés. L’essai est représenté avec 48 textes se concentrant essentiellement au niveau B2 ; le lien avec la dimension argumentative, prescrite par le CECRL, apparaît très clairement. Le théâtre vient en dernier avec 39 textes cités. 4.2.2.1.Théâtre, poésie, essai : une représentation figée de la littérature ?

Pour l’ensemble du corpus, le classique et le contemporain sont présents de manière équilibrée : 141 textes appartiennent au domaine des classiques en tant que textes reconnus par l’institution scolaire française. Cependant, les auteurs classiques se restreignent à une poignée de noms, considérés comme représentatifs de la littérature française, tendant à figer celle-ci autour de quelques figures incontournables. C’est particulièrement le cas pour les genres de la poésie et du théâtre. Ainsi, pour le domaine poétique, quatre noms reviennent à cinq reprises, ceux de Baudelaire, d’Apollinaire, e d’Hugo et de Verlaine. Pour la poésie antérieure au XIX siècle n’apparaissent que deux auteurs, Ronsard et La Fontaine. Plus l’on s’éloigne, plus le corpus se réduit. L’on remarque le même phénomène pour le domaine théâtral, genre également moins 87

représenté : les œuvres classiques sont, plus encore, limitées à quelques noms (RollinatLevasseur, 2014 : 118), voire à un seul, comme s’il s’agissait d’exemplifier l’expression de « langue de Molière ». Auteurs et éditeurs proposent donc une simplification de la littérature classique, qui ne vaut que pour quelques noms célèbres, comme si ces textes avaient pour première valeur d’afficher leur patrimonialité. Les auteurs abordés sont souvent ceux que les apprenants étrangers (adultes) ont identifiés comme classiques au cours de leur apprentissage. Un questionnaire effectué de 2011 à 2014 par des étudiants de didactique de l’université Sorbonne Nouvelle-Paris 3 auprès d’apprenants étrangers de la même université fait apparaître de manière constante ces mêmes noms, avec Hugo en première position. Ces choix éditoriaux classiques correspondent aux représentations de la communauté éducative (enseignants, apprenants) sur ce que sont les Lettres françaises, et sont donc une composante attendue, sans doute incontournable, de la découverte de la littérature française. L’intégration de propositions plus novatrices, qui peuvent être perçues comme moins légitimes par les apprenants, dépend de la curiosité et de la culture des auteurs de manuels et ne représente que la portion congrue. Ainsi, pour le texte poétique apparaissent les noms des poétesses québécoises Nicole Brossard (Écho B2) ou Rita Mestokosho (Version originale 4, Maison des langues, 2012), mais ces propositions font exception. La poésie et le théâtre, tels que les représentent les manuels, donnent ainsi une vision figée de la littérature, où l’extrait, isolé de tout contexte et de toute démarche littéraire, apparaît comme symbole du littéraire. L’essai, pour son versant classique, illustre encore ce symptôme : hors du domaine contemporain, il se réduit simplement à trois noms, Hugo, Voltaire et Rousseau, qui apparaissent chacun à deux reprises. Cependant, les textes classiques ne représentent qu’une minorité de la littérature d’idées, qui revêt une dimension contemporaine évidente. L’essai est intégré aux manuels pour présenter les grands questionnements contemporains, notamment autour du multiculturalisme et des changements de culture. Alors que la place de la francophonie est extrêmement restreinte (à part Écho B2, Entrée en matière, FLS, et Campus 3 et 4, dans lesquels figurent 4 ou 5 textes d’auteurs francophones, aucun manuel ne fait apparaître plus de deux textes d’auteurs francophones), le genre de l’essai fait apparaître Raphaël Confiant, Nancy Huston, Amin Maalouf pour les Identités meurtrières ou encore Tahar Ben Jelloun, dont des textes largement diffusés abordent ces questions d’identité culturelle. 4.2.2.2. Le récit : entre pratiques culturelles et valeur documentaire

Le récit engage une approche plus complexe, qui fait se croiser la littérature comme pratique culturelle, comme témoignage et comme richesse patrimoniale. La variété des textes est sans commune mesure, notamment parce que le contemporain et les genres mineurs sont très largement représentés. Les textes classiques ne constituent plus qu’une minorité du corpus : sur 173 textes narratifs, 118 ne sont pas des classiques ou sont contemporains. Le corpus classique est finalement peu présent pour le récit, relativement à l’approche référentielle, documentaire, de la fiction contemporaine. Il est souvent lié à un travail sur le patrimoine littéraire français : quelques grandes figures d’écrivains sont 88

abordées par le biais du travail sur la biographie (Camus, Colette, Zola, Hugo et Balzac). Les manuels n’hésitent pas à rapprocher des textes faisant l’objet d’un large consensus, comme des extraits du Nobel J.-M. G. Le Clézio, largement entré dans les programmes de l’enseignement secondaire et déjà familier en tant que classique aux nouvelles générations d’enseignants, et des succès commerciaux comme Amélie Nothomb, Bernard Werber, Anna Gavalda ou Marc Levy, peu prisés des institutions littéraires. Il y a là un refus implicite de hiérarchiser les œuvres culturelles, quitte à écraser l’ensemble de la production narrative contemporaine. Le récit est ainsi un genre assez représentatif des tensions et de la vitalité de la littérature actuelle dans les manuels. Le corpus narratif s’articule autour de trois pôles : patrimoine culturel, document-témoin d’une société et loisir. Du côté de la pratique de la lecture, les manuels accordent une place assez large aux genres mineurs, comme le polar. Plusieurs méthodes proposent des doubles pages ou des unités centrées sur le récit policier, comme Tout va bien 4 (CLE International, 2006) ou Écho B2 (pp. 168-171), qui propose un parcours à travers des extraits de romans de Fred Vargas, Gérard Delteil, Jean-Bernard Pouy, et Tonino Benacquista : l’intitulé de l’unité signe la dimension loisirs, puisqu’il s’agit d’« Évasion dans les romans policiers ». On remarque que le prestige des textes choisis ne présume en rien de la qualité de l’exploitation didactique des textes littéraires. Des textes contemporains, à la langue accessible, permettent d’accéder aux formes littéraires bien avant les niveaux B2 ou C1. Une autre approche accorde une large place à l’illusion référentielle propre au genre romanesque : le texte prend une valeur d’illustration. Le mode d’intégration des documents favorise l’utilisation du texte littéraire comme échantillon en lien avec un thème. Les manuels sont en effet structurés autour d’unités longues, juxtaposant documents et compétences autour d’un domaine très général, dans une approche globaliste (Beacco, 2007 : 39). Le choix des extraits se fait par rapport à cet ensemble, et l’insertion est donc la plupart du temps thématique. Ce choix thématique n’est pas anodin quant à la sélection des activités accompagnant la lecture. En effet, comme le texte littéraire s’insère en fonction de ce contexte spécifique et non en fonction de critères littéraires (genre, esthétique…), l’approche des questions de genre ou d’histoire littéraire devient très coûteuse didactiquement, car elle s’éloigne du cadre posé. Les questionnaires guident de ce fait vers un commentaire du thème abordé, reliant le texte au thème, dans une lecture au premier degré. Alter Ego propose ainsi, dans l’unité sur la ville, un texte de Didier Daeninckx, extrait d’À Louer sans commission, suivi de la consigne suivante : « Ce texte pourrait-il illustrer la situation du logement dans une grande ville de votre pays ? » (p. 42). Dans une double page sur la répartition des tâches domestiques selon le genre, un extrait du roman de Jean-Paul Dubois, Une vie française, présente un narrateur devenu père au foyer. On retrouve ce même personnage dans Écho B1.1, où il vient illustrer les « modes de vie des Français », et « le couple en France ». Le récit, surtout contemporain, est alors considéré comme document : il adhère au réel et est chargé, dans les manuels, de le représenter. Cette tentation de l’illusion référentielle est l’une des pistes les plus fréquentées de l’accès à la littérature, et pas seulement dans les manuels, qui ne sont, là 89

encore, que le reflet de pratiques pédagogiques faisant consensus : la fonction représentative l’emporte plus particulièrement pour le cas de la fiction. Cette approche fait partie intégrante de la formation des enseignants en langue étrangère : les plans de formation continue des professeurs étrangers intègrent « des modules dédiés à la “didactisation” des textes littéraires » (Baptiste, 2011 : 221). Ces approches sont proposées à partir du niveau intermédiaire essentiellement, ou à la fin du niveau A2 : le recours au récit est rarement présent pour les niveaux débutants. Une progression par genre et par type d’activité se dessine. 4.2.3. Quelles activités pour le texte littéraire ?

Les textes ne font pas toujours l’objet de propositions d’activités : dans une minorité de cas, ils sont simplement proposés à la lecture. On peut cependant établir une typologie des activités récurrentes, et observer la progression esquissée. 4.2.3.1. Lectures à voix haute

Dès les niveaux débutants, la lecture à voix haute, préparée et partagée, est l’une des activités appliquées au texte littéraire. On observe pour cette pratique une distinction selon les genres : le poème donne parfois lieu à un travail de compréhension, mais dans un peu plus de la moitié des occurrences, il est là pour être lu, ou pour être dit à voix haute. C’est moins flagrant pour les autres genres. Cette approche est tout à fait cohérente avec la spécificité du genre : il est alors envisagé comme matière sonore, notamment dans les rubriques « Plaisir de dire » que propose Écho, ou les doubles pages « À lire à dire », qui figurent dans Ici (dès le niveau A2) ou dans Écho B1. Le texte poétique, parce qu’il peut être accessible simplement (même si la tâche est éminemment complexe) par la mise en voix, est perçu comme convenant aux niveaux moins avancés. Cela permet d’expliquer sa plus grande présence, relativement aux autres genres, dans les niveaux A2 et B1 où il est prépondérant, ce que confirment d’autres études sur des corpus de manuels (Riquois, 2010 : 249). Lire et dire le poème est ainsi souvent le premier contact de l’apprenant avec le texte littéraire français et francophone (chapitre 6). 4.2.3.2. Mises en relation

Les manuels proposent aussi d’aborder les textes en les faisant dialoguer avec d’autres objets : les comprendre devient nécessaire pour accomplir une tâche plus large. Ces propositions pertinentes peuvent être réexploitées avec un corpus différent, choisi selon les connaissances de l’enseignant et les centres d’intérêt des apprenants. Le manuel À propos (PUG, 2005) propose ainsi un travail sur le portrait à la première personne : un dossier réunit neuf extraits de romans (Giraudoux, Duras, Schéhadé, Japrisot…), qui sont tous des portraits de personnages et donnent lieu à un travail de repérage (décrire, caractériser, dire le surnom). La lecture ouvre sur une production écrite. La mise en relation des textes permet de repérer des régularités, sans passer par une analyse littéraire difficilement accessible à ce niveau. Ces pages « Portraits » prennent bien en considération la spécificité du texte littéraire en croisant une notion essentielle du récit et des outils linguistiques précis, articulés à des actes de langage accessibles au niveau B1 voire A2. Les mises en relation peuvent aussi rapprocher des médias différents : Studio plus 90

(Didier, 2004 : 141) invite à rapprocher des extraits de l’œuvre de Marguerite Duras avec des enregistrements audio (chanson, reportage, extrait de film) évoquant ou reprenant l’un ou l’autre de ses textes. Compréhension orale et écrite se croisent pour faciliter ou affiner la lecture des textes. Ces pratiques permettent de motiver doublement la lecture pour l’apprenant : l’exercice de compréhension littérale d’un extrait trouve immédiatement un objectif plus large, les comparaisons possibles font émerger par contraste le sens ou la singularité du texte. Cependant, ces mises en relation peuvent aussi, si on se limite aux consignes proposées, instrumentaliser de manière peu pertinente le texte littéraire : Bravo 3 (Didier, 2001 : 44) demande d’apparier photos de lieux ou de monuments parisiens célèbres et poèmes sur Paris : « Lisez rapidement ces poèmes sur Paris et rendez à chaque poème la photo qui lui correspond ». On voit mal l’intérêt d’une lecture du « Pont Mirabeau » d’Apollinaire dans ce contexte, puisqu’il suffit à l’apprenant d’identifier le mot « pont » dans le titre du poème pour effectuer la tâche demandée. Il en est de même pour le poème de Corinne Albaut intitulé « La tour Eiffel ». Mais la consigne réduite au minimum n’interdit en rien de développer une approche plus poussée de ces textes : elle ne constitue, en soi, qu’une première étape, celle des hypothèses préalables à une lecture du texte. C’est bien à l’enseignant d’amener l’apprenant au-delà de cette introduction aux textes, en proposant une sensibilisation à la versification, aux images, ou au rythme poétique, ou encore en faisant lire ou réciter certains des poèmes : la simple lecture du poème d’Apollinaire permet de travailler l’écart entre le vers et la syntaxe (« coule la Seine et nos amours »), en passant de l’écrit à l’oral. On pourrait aussi, par le détour de la mélodie (Léo Ferré, « Le Pont Mirabeau », Paris Canaille, 1953), mettre en évidence les relations vers-syntaxe sans passer par les outils de la versification. Le texte littéraire, parce qu’il combine des compétences culturelles, linguistiques, et des connaissances spécifiques, s’accommode assez mal des consignes très brèves qu’impose la norme éditoriale : il est fondamental de partir du principe que l’enseignant est, toujours, implicitement invité à déployer d’autres possibilités, en dehors des consignes apparentes. 4.2.3.3. Exploitation grammaticale

Dans les manuels récents étudiés, l’approche linguistique et grammaticale du texte semble être devenue largement minoritaire : issue de la tradition de la grammaire/traduction, développée par la méthodologie active, qui propose une leçon de grammaire à partir de chaque texte abordé, cette approche tend à oublier les significations du texte, qui devient un modèle linguistique. Il s’agit de repérer des formes et de les réemployer à des fins d’appropriation. Le texte est une ressource : il n’est plus là comme document authentique, discours singulier dont on doit saisir le mode de communication, mais comme échantillon langagier dont le contexte d’énonciation et les enjeux importent peu. Si cette approche est désormais rare, on relève pourtant encore quelques pages où le texte est prétexte : Forum (Hachette, 2000 : 85), dans un point sur la question du lieu, propose le traitement suivant pour un extrait d’un roman d’André Chamson, Les Hommes de la route : « Lisez cet extrait d’un texte littéraire et repérez les prépositions de localisation. En groupe, essayez de dessiner le paysage évoqué, puis comparez ». La consigne, dans le cadre d’une page sur l’expression du lieu, stérilise 91

la lecture du texte en imposant d’abord le repérage des mots outils. Rien n’interdit à l’enseignant, là encore, de déployer les autres possibilités du texte. Le texte décrit un village angoissant, empreint d’« une mystérieuse solitude », « bloc vertigineux d’étroitesse et de silence ». Une légère modification de la consigne peut inviter à s’appuyer non seulement sur la dimension spatiale, mais aussi sur l’ensemble des éléments de la description. Le dessin peut devenir alors une manière d’interpréter le texte. 4.2.3.4. Compréhensions du texte : sens littéral et subjectivités

Pour aborder ces textes, le schéma généralement retenu par les manuels observés est celui de l’approche globale, du niveau A2 au niveau B2 : une approche du texte, entrée en matière thématique ou par le genre, puis des lectures-balayages amenant à une compréhension globale. Le questionnaire permet de guider l’apprenant vers une compréhension littérale du texte, mais s’arrête le plus souvent à ce stade. Les enjeux n’en sont pas abordés, ni les divers effets de lecture. Ainsi, à propos d’un texte de Daniel Pennac (Tout va bien 4 : 102), le questionnaire reprend les questions : qui ? quoi ? quand ? comment ? « Quels sont les personnages qui apparaissent dans cet extrait et quelle relation ont-ils entre eux… » – la lecture est purement informative. L’extrait est totalement décontextualisé : figurent seulement le titre, l’auteur, l’éditeur, la couverture, sans date de publication. Un questionnaire portant sur « À une passante » de Baudelaire (Tout va bien 3 : 35) demande de définir le thème, de dire ce qui se passe lors de cette « rencontre », de dire comment le poète transmet son émotion. Ce type de questionnaire a toujours le même défaut : les connotations, les implicites, les points de vue ne sont pas envisagés, mettant le texte à plat comme s’il s’agissait d’un texte informatif pur, sans ironie, parti pris ou polyphonie. Demeure toujours le sentiment d’un manque, sur plusieurs plans. Henri Besse explique ce qui fait défaut dans ce type d’approche : il distingue en effet (1988 : 53-62) trois types de sens au sein du texte littéraire : le sens littéral (ce que le texte dit), le sens signifié (ce qu’a, ou aurait voulu, dire l’auteur) et le sens évoqué (ce que le texte dit au lecteur). La compréhension de texte, abordée par l’outillage didactique du FLE communicatif, s’en tient au sens littéral, à un sens objectif et universel, oubliant les lectures subjectives, qui impliquent de lire l’énonciation de la subjectivité dans le texte, mais aussi l’ajout d’une autre subjectivité, toujours renouvelée, celle du lecteur. Ces questionnaires font comme si la seule fonction du texte littéraire était référentielle. Le décalage entre cette lecture référentielle, littérale, consensuelle, et les dimensions subjectives de la littérature et de la lecture est à l’origine de ce sentiment de rester « à côté » du texte. L’approche globale est certes une entrée efficiente : elle peut être une première entrée dans le texte, aux niveaux A2 ou B1. Mais pour que l’apprenant s’intéresse à un texte complexe, il faut compléter cette approche, soit par une pratique du texte (jeu, mise en voix), soit, à partir du niveau B1, par un questionnaire plus adapté. Les méthodes proposent dès le B1 des questionnaires qui essaient d’ouvrir la lecture au point de vue du lecteur-apprenant, en lui demandant de verbaliser les sentiments, les opinions qu’éveille la lecture. Cette approche est essentielle, si l’on fait de la subjectivité une condition de la lecture littéraire. Mais ces questions, qui prennent la forme de « Que pensez-vous de ? », « Réagissez ! » ne sont que rarement des questions sur la lecture du 92

texte. Souvent, une fois le thème identifié, l’auteur du manuel semble seulement induire un sujet de discussion à partir du texte. Ainsi, deux textes de Baudelaire (Du vin et du haschich, quatre vers de « L’Âme du vin » dans Les Fleurs du Mal) donnent lieu à un questionnaire demandant de citer le texte : « Que dit Baudelaire pour a. faire parler le vin b. comparer le vin à l’homme ? » Une fois ce travail sur la lettre des textes effectué, le manuel ouvre sur des débats comme : « Que pensez-vous de la manière dont les Français dégustent le vin ? » Rien n’est dit ni de Baudelaire, ni des paradis artificiels, ni de l’« âme » conférée au vin, ni encore de l’ambiguïté des lectures possibles : hédonisme ou désespoir ? Toute l’ambivalence du texte littéraire est bannie. Les questionnaires glissent ainsi du sens littéral le plus consensuel à une discussion hors-texte. Les questionnaires évitent parfois avec grand soin de se confronter à la polysémie du texte littéraire : c’est donc à l’enseignant de la prendre en charge. De rares questionnaires prennent en compte ces dimensions, et de manière lisible et efficace sans passer nécessairement par un métalangage littéraire. On peut ainsi relever les questions suivantes, qui témoignent du souci accordé aux jeux énonciatifs, au style du texte ou aux connotations (Alter Ego 4 : 26) : « Faites des hypothèses sur les circonstances dans lesquelles chaque lettre a été écrite » ou encore « Relevez les mots et expressions qui expriment le point de vue du narrateur », « soulignez les traits d’ironie » (ibid. : 33), « relisez la première phrase et la dernière phrase et dites à qui Voltaire s’adresse en réalité dans cet extrait » (Alors ? B1, Didier, 2007), « Dans ce poème, à quelles sensations l’amour est-il associé ? », « cherchez d’autres oppositions dans le texte… » : toutes ces questions permettent de guider l’apprenant vers la lecture de ce qui ne se donne pas littéralement dans le texte. Cette étape est essentielle pour l’accès aux textes, dans le cadre d’un travail de compréhension, dès le niveau B1. Des compétences simples d’analyse littéraire sont convoquées, sans demander aux apprenants d’être des spécialistes ou d’avoir un niveau avancé. De la même manière, Alors ? B1 propose à plusieurs reprises des échanges intéressants à partir des littératures d’origine des apprenants. Cela suppose des compétences littéraires minimales en langue source, mais permet de construire la lecture des textes francophones, non pas ex nihilo, mais à partir de la culture littéraire des apprenants. Ainsi, une promenade de Rousseau (p. 59) amène à cette conclusion : « Lisez le texte à voix haute. Quel effet produit-il sur vous ? Connaissez-vous des textes de vos littératures qui ont le même ton ? » Les débats proposés s’appuient tous sur le texte et impliquent de préciser sa propre lecture : ils n’en font pas un simple prétexte. 4.2.3.5. Productions écrites et orales

Comme le développe plus loin le chapitre 5, le lien entre lecture et écriture est aujourd’hui bien établi. La lecture des textes aboutit souvent à des propositions de productions écrites à partir du texte : écrire la suite, imiter. Ces activités demandent une compréhension du texte, qui sert de point de départ ou de modèle linguistique (au sens de réservoir de formes et de styles). Par exemple, Tout va bien 3 (p. 123) propose de prolonger, en suivant une suggestion, une nouvelle de Marie Darrieussecq, Toi et moi en 2030, « Voici une suite possible : “…” Continuez… » L’imitation apparaît dans la 93

consigne suivante (Forum 3 : 159) : « À la manière de Vladimir Volkoff, rédigez un texte dans lequel vous expliquerez pourquoi avoir appris le français a été pour vous une chance ou une erreur. » Un autre type de production apparaît fréquemment, à partir du texte, mais sans interaction avec celui-ci. Des productions orales en groupe-classe sont souvent intégrées au questionnaire, comme s’il s’agissait d’une étape dans la compréhension du texte, même si l’activité est à peine apparentée au texte support. Ainsi, à partir d’Un Pedigree de Patrick Modiano, Alter Ego 4 propose la production orale suivante : « Et vous ? Connaissez-vous vos origines ? Y attachez-vous beaucoup d’importance ? Choisissez parmi les éléments suivants, les deux qui vous aident le plus à vous identifier : parents et grands-parents, groupe, région, pays, langue, culture ». Or, le texte de Modiano évoque surtout la religion, comme source de discrimination, et les classes sociales, et insiste sur l’incertitude de l’identité. La production proposée n’interagit donc pas avec le texte. Ce sont les activités de production qui impliquent une interaction lecture-écriture et appellent une relecture du texte qui sont le plus pertinentes. 4.2.3.6. Existe-t-il une approche actionnelle de la littérature dans les manuels ?

Les manuels proposent fréquemment, nous l’avons vu, un travail de compréhension des textes littéraires s’appuyant sur les propositions de l’approche globale, qui réalise une approche tabulaire et progressive du texte dans laquelle ce dernier n’est généralement pas envisagé dans sa spécificité (Albert & Souchon, 2000). Cependant, des propositions existent qui s’efforcent d’aborder la littérature en tant qu’elle est le support d’une action sociale (Puren, 2006 : 6). Il est important de remarquer que les manuels ne font encore que s’inspirer des pratiques récurrentes d’un grand nombre d’enseignants pour favoriser l’accès à la lecture, que ce soit en FLM, FLS ou FLE : la préparation de représentations théâtrales, de recueils de textes, la mise en place de clubs de lecture ou de lectures littéraires publiques sont des activités largement partagées. Les manuels qui choisissent de s’en inspirer n’innovent pas réellement, mais mutualisent et diffusent des pratiques souvent fécondes. Il en va ainsi du manuel Écho qui fait le choix d’un traitement spécifique du texte littéraire en l’abordant séparément, précisément en raison de son inscription dans le cadre théorique de la perspective actionnelle. Les textes ne sont plus abordés pour leur contenu thématique, mais en lien avec un projet lié à la pratique de la littérature, à travers ses différents genres, dans le cadre de quatre dossiers qui scandent les quatre parties du manuel. Le dossier 1, qui vient clore une suite de trois unités thématiques, est intitulé « Évasion au théâtre » et construit, à partir de trois extraits, un projet de mise en scène, portant le titre « Cérémonie des Molière » donnant lieu à une représentation : il s’agit in fine de jouer les scènes et d’élire la meilleure représentation. Le corpus mélange les époques en associant Molière (Le Bourgeois gentilhomme) et des pièces contemporaines (Fenwick, Les Palmes de M. Schutz ; Loleh Bellon, L’Éloignement). Les autres dossiers se centrent sur le roman réaliste, le récital poétique, et enfin le roman policier. On observe dans ce cadre une orientation résolument contemporaine et francophone dans le choix des textes, qui fait aussi la part belle aux écrivaines. Ce n’est pas la 94

dimension patrimoniale du littéraire qui importe ici, mais une pratique vivante et sans complexes de textes qui peuvent aussi bien relever du pur loisir (romans policiers) que d’un plaisir esthétique et intellectuel exigeant (Nicole Brossard). Les auteurs québécois (Brossard), antillais (Césaire), sénégalais (Diome) et marocains (Ben Jelloun) sont ici représentés, ouvrant immédiatement sur un espace littéraire international. Les questionnaires se détachent du modèle de l’explication de texte pour associer étroitement la compréhension et la pratique du texte, dans le cadre du projet énoncé. Cependant, ils s’efforcent de toujours prendre en compte la réception du texte par les apprenants. L’effet produit par le texte est au cœur de l’approche du littéraire, de sorte qu’il se distingue très nettement des autres supports proposés. Il s’agit alors de sortir d’habitudes d’analyse et de lecture renforcées, chez le formateur, par l’approche scolaire et académique du texte littéraire et, chez l’apprenant, par le cadre des évaluations en compréhension écrite type DELF, TCF… L’approche du poème de Nicole Brossard « Matin froid de novembre lumineux » est emblématique de ce parti pris du manuel, qui privilégie un rapport personnel, esthétique, et souvent ludique, à la littérature : « Les étudiants ferment les yeux. Le professeur (ou un étudiant) lit le poème de Nicole Brossard en s’arrêtant à chaque vers. Les étudiants décrivent les images qu’ils voient ». Il s’agit pour l’étudiant de trouver les mots pour décrire l’émotion esthétique provoquée par le texte. 4.3. La littérature pour le FLE : anthologies littéraires et livres de lecture Nous avons vu que les manuels témoignent d’un retour du littéraire dans le champ du FLE accompagné à la fois de la reprise de corpus et d’activités traditionnelles, et d’activités plus novatrices, en lien avec la perspective actionnelle, et à la faveur desquelles le corpus se renouvelle. Deux autres phénomènes éditoriaux signent cet intérêt renaissant pour la littérature : les anthologies littéraires pour le FLE et les livres de lecture en français facile. 4.3.1. Les manuels de littérature pour le FLE

Au cours des années 2000 sont publiées plusieurs anthologies littéraires pour le FLE : Littérature progressive du français (CLE International), déclinée en trois niveaux et un volume consacré aux auteurs francophones, Livres ouverts (PUG, 2008) ou Lectures d’auteurs (PUG, 2009). À cela s’ajoute un ouvrage à mi-chemin entre l’anthologie littéraire et les ouvrages en français facile : Littérature en dialogues (CLE International, 2005) qui accompagne de questions des extraits réécrits sous forme de dialogues et enregistrés sur CD. 4.3.1.1. Le corpus et son organisation

L’étude des six ouvrages spécialisés qui proposent une sélection d’extraits authentiques pour la classe de FLE montre un éventail un peu plus large d’auteurs : Molière n’est plus le seul représentant du théâtre. Corneille, Racine, pour son siècle, ou Marivaux, Pagnol, Anouilh, Beaumarchais, Musset, Ionesco, Beckett et Tremblay apparaissent. Ce genre demeure cependant le moins représenté. Les poètes choisis sont eux aussi bien plus variés, qu’il s’agisse d’auteurs classiques (Saint-Amant, Christine de Pisan, Clément Marot, Marceline Desbordes-Valmore) ou contemporains (Olivier Cadiot, Nicolas Bouvier) : ces ouvrages suggèrent aux enseignants des auteurs qu’ils ont sans 95

doute déjà croisés, mais pour lesquels ils n’ont pas encore découvert de propositions didactiques permettant de les intégrer aisément à leur cours. À part l’ouvrage Lecture d’auteurs, qui propose un choix presque exclusivement hexagonal, et mêlant auteurs classiques et textes très mineurs (biographies journalistiques…), tous les ouvrages font une large place aux francophonies : un tiers des textes pour la Littérature en dialogues et Livres ouverts, 15 % des textes pour la série de Littérature progressive, sans compter le volume entièrement consacré à ces auteurs, qui propose 66 textes issus de toutes les littératures francophones, entendues comme œuvres d’auteurs nés hors de la France hexagonale. Enfin, ces ouvrages n’éludent pas la littérature médiévale et celle de la Renaissance, qui ne figurent jamais dans les méthodes. Tristan et Iseult, Chrétien de Troyes ou François Villon sont par exemple abordés. Pourtant, la didactisation éloigne parfois tant le texte de son origine que l’on se demande ce qui est réellement étudié : la Littérature en dialogues offre ainsi d’étudier Perceval ou le Conte du Graal de Chrétien de Troyes, mais dans l’adaptation romancée contemporaine de Xavier de Langlais, ellemême transposée en dialogue pour le format de l’ouvrage. Autant dire que le texte original n’est plus qu’un palimpseste. Livres ouverts ou Littérature progressive de la francophonie proposent du moins dans le choix du corpus et la présentation des textes, une approche plus personnelle de la littérature que les ouvrages précédents. L’anthologie Livres ouverts propose ainsi des groupements de textes autour de thématiques volontairement accessibles : elle se risque à clore le parcours sur un thème aussi peu valorisé par l’institution que le football, avec des textes de Camus ou un calligramme de Jean-Noël Blanc. Les thèmes, cependant assez vagues, rendent difficile la mise en relation des textes choisis. On y retrouve l’arbitraire un peu léger, la superficialité sans risques des unités thématiques de l’approche globaliste structurant les méthodes FLE actuelles, mise en évidence par Beacco (2007 : 39). Ainsi, un groupement autour du corps féminin ne met jamais en question le thème : on ne trouve nulle problématisation. C’est l’universalité et le caractère consensuel qui prévalent dans le choix des thèmes. La Littérature progressive de la francophonie, par la pertinence des groupements, la problématisation qu’elle sous-tend, ouvre au contraire sur une approche dynamique des textes comme questionnement, autour de catégories non pas littéraires, mais qui vont de l’intime à l’historique (et l’histoire, dite par la littérature, relève alors de l’intime). Ainsi, le groupement 2 confronte cinq textes autour du thème « s’exiler/passer la frontière » : de Christine Arnothy, J’ai quinze ans et je ne veux pas mourir à Andrée Chedid, L’enfant multiple, Labidi Zineb, Un jour il a fallu partir, l’apprenant découvre des textes mettant en jeu le déracinement, la migration, ou le devenir autre. Le groupement « Silences de l’histoire » revient sur la colonisation et l’esclavage à travers des textes de René Maran, d’Aimé Césaire ou de Raphaël Confiant. Si les questionnaires demeurent traditionnels, la mise en relation des textes permet une appropriation progressive des thèmes et des nuances qu’exprime chaque auteur. Le choix des thèmes, pour la littérature francophone, n’est pas innovant, mais la problématisation qu’ils mettent en œuvre invite à une approche dynamique de la lecture : les extraits ne sont plus isolés, la diversité des points de vue permet la diversité des lectures. 96

4.3.1.2. Questionnaires et activités : une approche de type scolaire

Si le corpus abordé est une source riche pour renouveler l’offre littéraire encore restreinte des manuels, les activités proposées sont assez scolaires, car les manuels s’inscrivent dans la tradition des anthologies de littérature pour le FLM. Le découpage par siècle proposé par la Littérature progressive du français s’accompagne de présentations du contexte historique et culturel qui ne dépareraient pas dans un manuel FLM de lycée : elles donnent, sous forme de discours didactiques, les courants et genres littéraires en vogue pour chaque siècle. On observe que les questionnaires, très denses, se structurent autour de trois moments, qui prennent en compte sens littéral (compréhension) et sens littéraire (analyse), avant de déboucher sur une production écrite. Les auteures, sans doute conscientes de la contrainte de codes didactiques et éditoriaux hérités du FLM, s’efforcent cependant de créer dans ces questionnaires des espaces où peut s’inscrire une lecture personnelle. Ainsi, les questions de découverte accordent fréquemment une place aux impressions de lecture : « Quelles sont vos premières impressions ? » (p. 103), « Lisez le texte, quelle est votre réaction ? Lisez le poème. Qui parle ? Que comprenez-vous ? » (p. 110), « Que ressentez-vous ? » (p. 113). Au sein même des questionnaires, existe parfois la possibilité d’une lecture prenant sens par l’investissement du sujet : ainsi, pour le poème de Léopold Sédar Senghor « Départ » (pp. 112-113), le questionnaire demande d’expliciter les connotations que le lecteur amène par sa lecture même : « Qu’évoque pour vous l’expression “d’étranges voyages” ? » La lourdeur de l’appareillage didactique, même pour le niveau débutant (les questionnaires sont la plupart du temps plus longs que le texte), montre qu’un étayage important est nécessaire, car la tâche (arriver à la bonne lecture du texte) est sinon hors de portée. Les moyens linguistiques présupposés, dont les corrigés donnent un aperçu, sont bien au-delà des niveaux débutants de sorte que l’approche ne devient pertinente qu’à partir du B1. Il semble, comme si le corpus classique inhibait les auteurs de méthodes, ou imposait certains réflexes didactiques, qu’il faille s’éloigner des textes canoniques de la littérature française pour que les méthodologues comme les enseignants s’autorisent à s’écarter d’une analyse scolaire qui ne rencontre que rarement les attentes des apprenants. Pourtant les textes classiques ne se prêtent pas moins à des approches renouvelées que les textes contemporains. 4.3.2. Les textes en français facile : des collections littéraires spécifiques

Outre les anthologies littéraires, les principaux éditeurs de FLE proposent aussi des collections spécialisées, qui s’efforcent de mettre la littérature à la portée des allophones. Celles-ci, qui rencontrent un succès important, offrent soit des adaptations, dans une langue simplifiée, de grands classiques de la littérature française, soit des œuvres originales d’auteurs écrivant spécifiquement pour un public FLE. Les premiers textes en français simplifié datent de 1969 et s’inspirent des recherches sur le français fondamental (Collès, 2002 : 402-409) afin d’adapter des romans français pour les allophones, en réécrivant la version originale du texte selon certains critères : suppression du lexique n’entrant pas dans le français fondamental, suppression des 97

changements de registres de langue, des emplois connotés du lexique (par exemple, dans l’Affaire Saint-Fiacre de Georges Simenon : « Combien étaient-ils dans cette réunion fantomatique de gens mal réveillés ? » devient « Combien étaient-ils sur les bancs de bois de la vieille église ? »), simplification syntaxique ou encore disparition d’éléments d’ordre culturel (le jour des Morts devient le 2 novembre). Aujourd’hui, deux collections de textes en français simplifié sont publiées en France : « Lecture facile » chez Hachette et « Lectures en français facile » chez CLE International. Elles proposent trois ou quatre niveaux de difficulté, en fonction du nombre de mots que comportent les textes, de 400 à plus de 1 700 mots. Les titres proposés visent à faire découvrir de grands classiques de la littérature française : Madame Bovary de Gustave Flaubert, Le Comte de Monte-Cristo d’Alexandre Dumas, Le Tartuffe de Molière, ou Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand. Anne-Rosine Delbart (1994 : 133) souligne « le danger de confiner l’apprenant à des contextes limités et des expressions de base qu’il maîtrise sans l’amener à une confrontation avec la polysémie des termes », et critique également l’élimination des références culturelles dans ces versions expurgées. Luc Collès juge, quant à lui, que ces textes peuvent trouver leur place dans la découverte de la littérature d’expression française, notamment pour les débutants, tout en soulignant que « plus l’apprenant sera loin dans son apprentissage de la langue cible, plus le choix devra être orienté vers des textes littéraires authentiques » (2002 : 409), car la lecture de ces versions simplifiées n’a que bien peu à voir avec la lecture du texte original. Des textes originaux figurent dans la collection des éditions Didier « Mondes en VF » qui propose depuis 2013 des ouvrages de commande, notamment pour les niveaux A2. Il s’agit de nouvelles courtes ou textes plus longs publiés intégralement. Chez Hachette, la collection « Lire en français facile » propose également des inédits dès le niveau A1, et de nombreux ouvrages s’adressent aux enfants ou aux adolescents. Ces œuvres de commandes ont un statut ambigu, à mi-chemin entre l’œuvre authentique et le texte fabriqué, et ne sont jamais destinées à un public francophone. 4.4. Les lieux de partage des pratiques pédagogiques En complément de ces ressources éditoriales, nous avons choisi d’observer deux outils qui sont, chacun à leur manière, des lieux où les enseignants peuvent trouver matière à enrichir ou à faire évoluer leurs pratiques : la revue Le français dans le monde, et les ressources en ligne. Comme les méthodes, ces espaces donnent un aperçu des attentes et des représentations des professionnels concernant la place de la littérature dans l’enseignement du FLE. 4.4.2. Le français dans le monde

Émanation de la Fédération internationale des professeurs de français, soutenue par le ministère français des Affaires étrangères et l’Organisation internationale de la francophonie, Le français dans le monde s’adresse à la communauté des professeurs de FLE. La revue mensuelle constitue un outil professionnel diffusé dans une grande partie du réseau culturel français. Elle met à disposition des ressources pédagogiques avec leurs pistes d’exploitation (désormais essentiellement sur Internet), des articles d’information sur la culture française, mais aussi sur le métier et la pédagogie, constituant ainsi un outil 98

d’autoformation. Quelle est la place de la littérature dans cette institution du FLE ? Depuis 1986, on peut distinguer deux périodes, avec une nette évolution depuis 2000, et plus encore depuis la nouvelle formule mise en place en 2010. Jusqu’en 2005 environ, on note la place prépondérante accordée aux dossiers consacrés à la littérature (Gardies, 2009 : 238). On relève ainsi des intitulés de dossiers qui convoquent des auteurs classiques : « 1802-2002 : Victor Hugo, l’homme qui vit… », « Dumas… Alexandre le Grand ! » Ce n’est plus le cas par la suite : les dossiers littéraires se font plus rares et s’intéressent à des auteurs contemporains établis (Le Clézio) ou à découvrir (Némirovsky). Les grands auteurs classiques ne font plus figure de produit d’appel, en une de la revue. Les approches sociologique, contemporaine et populaire de la littérature, déjà présentes avec la large place accordée au roman policier (« Lisez Simenon ! », « Destination polar ») ou des questionnements sur les pratiques littéraires (« Les prix littéraires : une tradition française ») prennent très progressivement l’avantage sur une conception traditionnelle attachée à la figure de l’auteur. La littérature n’a pas disparu, mais elle ne prend plus le visage des grandes figures auctoriales, encore très présentes entre 1986 et 2000. Si la revue évoque Flaubert ou Zola, c’est en lien avec la sortie d’adaptations cinématographiques. Les pages d’entretiens montrent cependant que la place accordée à une culture savante demeure importante : la langue française est l’espace d’expression d’intellectuels, d’écrivains, d’artistes. Sur les trois dernières années, à partir de 2010 et de la nouvelle formule proposée depuis le numéro 268, la focalisation sur l’actualité littéraire et les pratiques de loisir s’accentue encore. Les références à la littérature classique qui apparaissaient encore dans les dossiers s’effacent. Les dossiers sont désormais essentiellement thématiques, et peuvent intégrer des références à la littérature (« Lire numérique » dans le dossier « De la page à l’écran, l’édition numérique » de septembre-octobre 2010). La variété des auteurs et des genres présentés s’accroît encore. La part accordée à la francophonie, déjà conséquente, est bien plus importante que ce que nous avons pu observer dans les manuels édités en France : elle occupe la moitié des références, avec une rubrique « Livres de Poche » entièrement consacrée à la francophonie, rédigée par un spécialiste des littératures francophones, Jean-Louis Joubert. La revue fait également le choix de faire figurer des textes entiers, majoritairement contemporains, dans des pages intitulées « Interludes », divisées en trois rubriques : « poésie », « nouvelle » et « BD ». La bande dessinée traditionnelle et le roman graphique, encore peu pris en compte par l’institution littéraire, sont ainsi mis sur le même plan que des genres mieux reconnus. Dans les rubriques « nouvelle » et « poésie », depuis 2010, sur 34 textes, n’apparaissent que cinq classiques : deux poèmes de Victor Hugo, un de Rimbaud, et des nouvelles de Maupassant et de Kessel. La rubrique « poésie » propose ainsi des textes de Jacques Réda, Sony Labou Tansi, Amina Saïd et intègre des usages poétiques de la langue qui n’appartiennent pas nécessairement au genre poétique comme le slam (Grand Corps Malade) ou la chanson (Vincent Delerm). La revue adopte donc le parti pris d’un renouvellement du corpus littéraire abordé : il ne s’agit pas d’intégrer çà et là quelques noms nouveaux, mais de changer radicalement d’approche. La rubrique « Littérature », 99

qui présentait des parutions récentes, disparaît pour devenir « mémo/à lire », et intègre désormais deux encarts consacrés au roman policier et à la science-fiction : le choix éditorial de supprimer le terme prestigieux de « littérature » va dans le sens d’une dilution de la culture savante au profit de pratiques de loisirs, qui correspondent mieux aux pratiques réelles et donc aux attentes supposées des lecteurs. Ainsi, le corpus de la littérature classique de France, qui constitue, nous l’avons vu, la majorité du corpus des anthologies pour le FLE proposant une approche scolaire des textes, est ici réduit à la portion congrue. Disparition de l’auteur, dilution des hiérarchies évaluatives, ouverture des frontières : le FDLM semble vouloir s’aligner sur les pratiques de lecture réelles de son lectorat, en rompant d’une certaine manière avec la coloration élitiste encore attachée à l’enseignement du français à travers la littérature classique et en modernisant les représentations culturelles associées à cette langue. 4.4.3. Le matériel en ligne

Un inventaire empirique des ressources numériques pour l’enseignement du FLE révèle l’équilibre précaire de ce domaine : l’espace consacré à la littérature pour le FLE semble pour l’instant presque vacant, de manière paradoxale puisque les ressources pour la littérature et le Web du FLM sont tous les deux bien développés, avec des sites institutionnels, associatifs ou commerciaux de grande qualité, des réseaux sociaux actifs, et des espaces collaboratifs bien investis. Ainsi, pour l’enseignement des lettres dans le secondaire, Weblettres, à caractère associatif, est à la fois un portail et un site collaboratif proposant la mise en ligne et la consultation de ressources très riches, élaborées par les professeurs membres. Les sites institutionnels comme Eduscol ou les sites du CNDP et des divers CRDP (réseau SCÉRÉN, désormais CANOPE) sont aussi très présents pour le FLM. Rien de tel pour la littérature en FLE : la réflexion sur l’exploitation de la littérature et la mise à disposition d’activités, d’outils ou de scénarios sont rares, d’un grand conservatisme pédagogique, ou directement importés du FLM, sans didactisation. Les ressources littéraires sont donc extrêmement riches, mais les pistes d’exploitation assez peu développées : l’enseignant aguerri de FLE y trouvera un vaste domaine, pourvu qu’il dispose de méthodes et de connaissances pour les exploiter. L’enseignant débutant, s’il n’a pas acquis au cours de sa formation de solides bases en littérature et didactique de la littérature, peut se sentir submergé par la masse des données littéraires. Dans ce cadre peu structuré, trois objectifs peuvent être définis en fonction du type de données et d’activités mises à disposition : trouver des ressources, proposer des pistes ou des activités pour la classe, se former à l’usage du texte en classe de FLE. Les sites institutionnels comme Franc-parler, site de l’OIF, ou les portails FLE (Le point du FLE) proposent essentiellement des sitographies renvoyant à des sites de littérature non spécialisés pour le FLE. Franc-parler offre quatre sitographies pertinentes pour l’enseignant : « La littérature d’Outre-Mer », « Suivre l’actualité littéraire », « Découvrir la littérature d’expression française », « Trouver des textes littéraires sur (1) Internet ». Toutes visent à aider l’enseignant à s’orienter sur le Web pour choisir des textes. Il sera ainsi orienté vers des bibliothèques virtuelles ou banques de textes littéraires du type Gallica, la bibliothèque électronique du Québec, Wikimedias Commons 100

ou vers des sites-anthologies comme Poésie française. On reconnaît l’extrême utilité de ces espaces pour des enseignants ne disposant pas d’accès à une bibliothèque francophone suffisamment fournie. Le numérique met à disposition de tous une infinité de textes littéraires à même d’enrichir un cours de FLE. Il propose aussi de varier la modalité de découverte du texte : les sitographies renvoient vers des documents audio exploitables en classe, par exemple sur le site Bonnes nouvelles. Le travail de préparation et la réflexion sur la didactisation possible des textes repérés restent alors entiers. Alors qu’Internet fournit une abondance de documents pour la grammaire, le lexique, la vie quotidienne ou l’argumentation, les espaces collaboratifs ne fournissent que peu d’éléments exploitables pour le texte littéraire. Ainsi, sur les 1 500 fiches FLE du site de partage ISLcollective, où les enseignants peuvent publier le matériel pédagogique qu’ils ont élaboré, on ne trouve que 15 fiches sur la littérature, soit 1 % seulement. Certains sites, créés par des enseignants, dans le cadre d’une institution ou individuellement, fournissent toutefois des éléments de didactisation du texte littéraire. Le premier niveau de réflexion didactique est la sélection de textes appropriés pour certains niveaux : ainsi, (2) le wiki Littérature-fle est-il un choix d’extraits à aborder en cours (chapitre 3.2.4). Le département FLE de l’université du León en Espagne propose quant à lui un choix de textes assortis de leur lecture en fichier audio, dans une anthologie sonore pour le FLE. Ces deux exemples de sélections ne sont assortis d’aucune proposition didactique. Quelques fiches ou dossiers pédagogiques complets vont plus loin, en détaillant des activités proposées en classe. Le Cavilam (Plaisir d’apprendre) est l’un des rares espaces à proposer des ensembles complets autour d’œuvres… mais le choix est assez limité, puisqu’il ne concerne que deux ouvrages, L’Histoire de Leuk le Lièvre de Léopold Sédar Senghor et les Fables de la Fontaine. D’autres ne proposent qu’une exploitation grammaticale sans aucune perspective : on trouve, par exemple, des textes à trous, comme ce « Liberté » d’Éluard où les articles ont été supprimés et sont à compléter en (3)

ligne . Enfin, au contraire, nombre de propositions manifestent une véritable créativité pédagogique, une réflexion sur les pratiques de classe s’appuyant sur l’expérience de l’enseignant, et des parcours riches et stimulants dans les univers d’auteurs ou les pratiques littéraires. On trouvera par exemple, sur le site du CNDP Langues en lignes, pour le FLES un parcours documentaire portant sur la scène française contemporaine, et associant textes littéraires, représentations filmées et documents vidéo autour de mises en scène. Des blogs d’enseignants permettent également de suivre des pratiques de classe. (4) Ainsi, le blog de Marie-Hélène Estéoule-Exel , auteur du manuel de littérature pour le FLE Livres ouverts, expose l’atelier d’écriture qu’elle propose à ses étudiants : textes déclencheurs, consignes, réalisations, le site devient la trace d’une pratique vivante de la littérature en classe de langue. Mais tous ces exemples forment une sorte de galaxie impressionniste des usages du littéraire en FLE : ils ne permettent pas de valoriser l’approche souvent innovante (car multimodale, ou par projets) qu’ils contribuent pourtant à faire vivre. Sur les sites de 101

FLM, les outils didactiques sont ceux de l’analyse littéraire, et de l’enseignement de la littérature selon les programmes du secondaire, avec une approche en termes de genres, registres et mouvements. Le manque de visibilité des propositions didactiques pertinentes pour le FLE laisse ainsi une large place à des approches qui ne répondent pas nécessairement aux besoins des enseignants ou des apprenants. Dans le domaine de la didactique du FLE, Internet reste donc un espace à investir. 4.5. Perspectives didactiques : pour une approche progressive de la littérature À travers ce parcours dans les discours officiels, les pratiques éditoriales et les lieux d’autoformation et d’échanges de pratiques, un état des lieux se dessine, qui montre la complexité de l’approche littéraire, constamment tiraillée entre des orientations parfois opposées. Le primat du communicatif valorise en effet une lecture fonctionnelle, strictement référentielle, du texte ; d’autre part persistent des exploitations grammaticales qui font du texte un prétexte, tandis que l’analyse littéraire des anthologies de littérature à destination des apprenants de FLE ne répond pas à leurs besoins, spécialement aux premiers niveaux. De fait, la principale exigence de la didactique de la littérature en langue étrangère n’est pas tant la définition d’objectifs ciblés, de compétences critériées (même si les objectifs sont nécessaires pour que l’apprenant puisse s’approprier son apprentissage) que la nécessité de construire des dispositifs qui instaurent un temps long de l’apprentissage. Plutôt que de répondre uniquement à la question « Quelle œuvre pour quel niveau ? », il faut mettre en place le principe d’une progression qui permette à l’apprenant d’accéder peu à peu, dans la durée, aux différentes strates du texte littéraire. L’enseignant est amené alors à se demander : quel type d’exploitation littéraire/d’activité littéraire peut-on proposer à ce niveau, et comment pourra-t-on la prolonger dans la suite de l’apprentissage ? Comment introduire dès les premiers temps l’usage souple de la langue qui mènera à l’aisance que le CECRL identifie dans la lecture littéraire ? À partir de certaines régularités que nous avons mises au jour, nous proposons des éléments d’une progression systématique sur lesquels pourraient s’appuyer les enseignants. Le croisement des activités pédagogiques et des genres littéraires permet en effet de définir des profils d’activités littéraires s’inscrivant dans la progression linguistique, afin de rendre la littérature présente à tous les niveaux. Les premières approches ne sont pas analytiques, mais bien pratiques : la langue est alors, avant d’être objet de réflexion, essentiellement matière, à dire, à manipuler, ce qu’encourage la pédagogie de projet promue dans la perspective actionnelle dont rend compte l’ensemble du chapitre 6. Dès le niveau A1, l’introduction de textes poétiques brefs invite à des activités de diction, de mémorisation, de manipulation, ou d’écriture à partir d’unités lexicales. L’approche de la littérature est alors assimilable à un atelier. Il peut s’agir de reconstituer un poème simple, dont on a mélangé les vers, ou supprimé certaines rimes, de créer un poème à partir des mots d’un autre poème : ainsi, de la e forme du haïku, ou de poètes du XX siècle comme Desnos, Tardieu, Guillevic ou Prévert. Le texte théâtral, dont la compréhension est éventuellement étayée par les éléments non verbaux de la représentation, intervient dès le niveau A2 essentiellement pour être joué. Le roman aussi est introduit comme « matière » : couverture, illustrations, 102

quatrième de couverture, c’est d’abord l’objet livre qui apparaît aux niveaux débutants. Ainsi que le montre en détail les analyses du chapitre 5, ces ateliers littéraires introduisent une langue plus souple, à l’extension plus vaste que ce que proposent les manuels, tout en donnant une relation différente à la langue. Ils peuvent, de plus, s’inscrire dans une véritable progression linguistique. Le niveau intermédiaire est celui de l’accès au récit, et in fine au texte long que constitue le roman. Si les manuels proposent pour le début du niveau B1 des questionnaires de compréhension, le CECRL note comme descripteur du B2 la lecture de textes littéraires longs, écrits dans une langue contemporaine : la progression à ce niveau doit permettre de faire parvenir de ce point de départ à ce point d’arrivée. Au niveau B1, afin de préparer l’acquisition de cette compétence, sont à favoriser toutes les activités permettant une lecture éthique et impliquant un jugement du lecteur sur les personnages, les motifs de l’action. Ce peut être, dans les questionnaires de compréhension, des questions prenant en compte la réception des textes, mais aussi des groupes de discussion sur la compréhension d’une nouvelle, des lectures suivies. Les débats interprétatifs et l’usage du carnet de lecture présentés plus haut (chapitre 2.4.) sont des outils adaptables pour développer, dès les premières lectures en autonomie, une attitude interprétative et réflexive. Les méthodes accordent également une large place à l’essai et à l’argumentation au niveau B2. La construction d’une approche analytique est plus spécifique aux niveaux avancés (dès le niveau B2) et aux publics du français sur objectifs universitaires. La littérature permet aussi d’aborder la description de la langue et de développer le sens métalinguistique (chapitre 5.3.). Dans des contextes d’enseignement fortement contraints (cours extensifs de quelques heures par semaine), l’instauration de rituels de lecture autour d’un genre, ou l’élaboration de lieux, carnets de lecture, blogs, où l’apprenant pourra manifester son implication dans la lecture, sont des moyens de contourner les contraintes temporelles. La construction d’une progression a ainsi pour objectif de mettre en place cette temporalité propre à la littérature, que la réitération d’exercices trop restreints (commentaire d’extraits, lecture de textes illustratifs, compréhension de textes isolés) ne permet pas de construire. La littérature doit être « engrangé[e] dans la mémoire » (Cicurel, 1991b : 127) : elle demande une approche répétée pour pouvoir, d’une certaine manière, sédimenter, et nourrir la construction d’un rapport intime à la langue étrangère. Notes

(1) http://www.francparler-oif.org/pour-la-classe/sitographie-commentee.html (2) http://litterature-fle.wikispaces.com (3) http://platea.pntic.mec.es/~cvera/hotpot/liberte.htm (4) http://nassvet.blog.lemonde.fr

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CHAPITRE 5 Le rôle de la littérature dans les apprentissages langagiers : de l’écriture créative à la conscience de la langue par Auréliane Baptiste, section 5.2.1. par Donatienne Woerly, section 5.2.2. par Olivier Lumbroso Alors que l’approche actionnelle promue par le CECRL ouvre des horizons renouvelés pour promouvoir en classe des activités autour de la littérature qui se rapprochent le plus possible d’une lecture réelle et subjective, on peut se demander ce qui fait désormais obstacle à un appui plus systématique de l’enseignement de la langue sur la littérature. La sous-utilisation de la littérature est souvent justifiée par la trop grande richesse de la langue littéraire, qui la rendrait difficile à appréhender. Mais si la langue littéraire paraît trop riche, c’est en comparaison d’une langue enseignée trop restreinte, même dans une perspective communicative. Il faut donc changer de regard à la fois sur la langue objet d’enseignement et sur la langue « de la littérature » pour faire se rencontrer les objectifs. C’est ce que se propose de faire ce chapitre, en précisant le rapport entre la littérature et les objectifs d’apprentissage linguistiques et discursifs. Sont tout d’abord explorées et confrontées différentes pratiques d’écriture à partir de textes littéraires ou dans une posture littéraire, ainsi que les modalités possibles d’évaluation correspondantes, en français langue maternelle et en français langue étrangère. L’analyse de deux ateliers d’écriture menés en classe de FLE s’attache ensuite à montrer que l’écriture créative permet de s’approprier la langue et d’apprendre à écrire en acceptant son « interlangue ». Enfin, la conscience de la langue, que la littérature peut aider à développer, est soulignée : les principes de progression à retenir et les apports possibles diffèrent à la fois selon les niveaux (débutant à avancé) et selon les activités langagières (écriture ou lecture), avec une importance croissante accordée aux variations par rapport à la norme. 5.1. Écriture d’invention, écriture créative : FLM, FLE Le lien entre les compétences de lecture et d’écriture est un principe aujourd’hui commun aux didactiques du français langue maternelle et du français langue étrangère (Houdart-Mérot, 2004 : 5). En français langue maternelle, la lecture de textes littéraires est introduite, enrichie ou prolongée par une écriture créative dite « d’invention », depuis l’adoption de nouveaux programmes de Lettres au lycée entre 1999 et 2001 (en classe de seconde d’abord, puis en classe de première). Claudette Oriol-Boyer, qui a défendu le décloisonnement entre écriture et lecture dès les années 1990, rappelle lors d’une conférence dans un établissement de l’académie de Versailles le chemin parcouru dans la e discipline Lettres/Français depuis la fin du XIX siècle avec « le remplacement des pratiques d’écriture d’imitation pratiquée dans les classes de Rhétorique par la dissertation d’histoire littéraire (sous l’influence de Lanson) », pour situer l’origine de ses travaux : « Je me suis vite aperçue que mon savoir-lire reposait pour beaucoup sur ce que m’avait appris ma pratique d’écriture : ainsi par exemple pouvais-je voir que tel ou tel 104

écrivain réussissait sur des points où j’avais achoppé. J’ai ainsi fait l’hypothèse que pour (1) faire progresser les étudiants en lecture, il fallait les faire écrire . » (2000) Même si le réinvestissement de la lecture interprétative dans l’écriture n’est pas automatique (Lumbroso, 2009), la relative nouveauté de cet enseignement d’une écriture d’invention au niveau du lycée a bousculé les « représentations d’un clivage radical entre écrivains et non-écrivains (experts et non-experts) et [affirmé] la légitimité des élèves à s’inscrire dans une démarche littéraire » (Penloup, 2005). Or, la ressemblance entre certains travaux d’écriture créative de manuels de littérature pour le FLE récents et l’approche qui s’est imposée pendant les vingt dernières années dans le secondaire en classe de français conduit à s’interroger sur les points communs ou les échanges possibles. L’écriture de textes de genres non littéraires et non scolaires comme la lettre ouverte est, par exemple, présente à la fois dans les pratiques de FLE – tâches classiques de production écrite des examens DELF ou DALF – et de FLM – en lien, cette fois, avec les textes littéraires. Les prétextes à l’écriture ne sont pas du même ordre (article de presse, texte littéraire, préface…) et le souci du style n’est évidemment pas le même dans les deux contextes : le correcteur du DELF ou du DALF ne prête qu’une attention très relative à certaines caractéristiques formelles qui sont de la première importance pour le correcteur de l’épreuve de français du baccalauréat, mais il existe bien des zones de perméabilité qui incitent à explorer de plus près les possibilités de transfert d’un champ à l’autre. L’objectif premier reste, certes, en FLM, fort éloigné de la préoccupation d’un enseignement de la langue comme langue étrangère, puisqu’il s’agit, à travers ce renouvellement de l’approche de la littérature, de faire mieux lire plus que de faire écrire de façon créative : vérifier la bonne appropriation de connaissances d’histoire littéraire sur les genres, les registres et les mouvements littéraires à travers des exercices d’imitation ou de transformation. Telle est du moins la lecture critique qui a été faite de ces nouveaux programmes par un certain nombre d’écrivains, de chercheurs, de formateurs ou d’enseignants, à l’occasion des très vifs débats du début des années 2000, au fil de la parution des programmes et de leurs accompagnements, échelonnée sur plusieurs rentrées scolaires (Jarrety, 2000 ; Reuter, 2005 ; Le Goff, 2005 ; Daunay & Denizot, 2003 ; Daunay, 2005). Néanmoins, le bilan de ces nouvelles pratiques de la littérature en français langue maternelle peut servir d’horizon de réflexion aux enseignants de FLE qui voudraient se lancer dans des exercices d’écriture impliquant le scripteur, à partir de lectures de textes littéraires, tant il est important de commencer par se demander quels objectifs dominent : former ? Évaluer ? Des connaissances ? Lesquelles ? Des compétences ? Lesquelles ? L’écriture créative, en FLE, peut être pratiquée à tout niveau, mais pas avec le même type de consignes ni avec le même type d’objectifs. Près de trente ans après la parution de Jeu, langage et créativité de JeanMarc Caré et Francis Debyser (chapitre 1.5.), deux grands types d’approches nous semblent dominer aujourd’hui le paysage pédagogique (qu’il soit de l’ordre des recommandations, ou effectif), autour d’une partition entre la fiction et la poésie. 5.1.1. Autour de la fiction : des exercices canoniques

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La littérature de fiction, lorsqu’elle est choisie en FLE pour servir de point de départ à une écriture créative, est exploitée, comme en FLM, à des fins de transformation (changement de point de vue), d’imitation (du pastiche à la parodie) ou d’amplification. Mais en FLE, les consignes d’écriture, très proches de celles des lycées français, font rarement l’objet d’une didactisation. En FLM, cet exercice implique que les textes, avant d’être traités comme de possibles hypotextes, fassent d’abord l’objet d’un travail d’analyse approfondie auquel un enseignant de FLE ne peut en aucun cas se livrer. Autrement dit, il y a une grande différence entre un support envisagé comme simple déclencheur thématique de production écrite (FLE) et un hypotexte requérant d’être dominé dans sa forme-sens avant de pouvoir déboucher sur une activité d’écriture visant elle-même à démontrer la justesse de la lecture initiale (FLM). Avant de s’interroger sur le niveau de compétence requis en expression écrite pour répondre à une consigne d’écriture hypertextuelle, il est donc nécessaire de s’assurer de la possibilité d’une lecture efficace du texte proposé. Le lien entre lecture et écriture exige en effet une réflexion sur les objectifs, les moyens pédagogiques à mettre en œuvre et le niveau de langue à acquérir au préalable. 5.1.1.1. Médiations nécessaires en FLE

L’exemple le plus emblématique, peut-être, de ce délicat transfert de démarches du FLM au FLE, dans des manuels ou fiches pédagogiques récents, est le travail sur le point de vue narratif. Réécrire un texte littéraire en en changeant le point de vue, en FLM, est au lycée une activité qui vient couronner l’étude approfondie d’un procédé narratologique au service de la lecture des œuvres – procédé qui est effectivement d’une grande utilité lorsqu’il ne devient pas une fin savante en soi. Pouvoir dire « qui parle » et « qui voit » est une étape incontournable à un moment ou à un autre de l’étude d’une œuvre intégrale e (roman réaliste ou naturaliste du XIX siècle, singulièrement) qui aura retenu l’attention d’une classe pendant au moins trois semaines, à raison de trois ou quatre heures hebdomadaires. C’est dans ces conditions que sont proposés, en seconde ou en première, les exercices d’écriture portant sur une modification du point de vue. Or, on trouve dans nombre de méthodes de FLE, en guise d’activité de production écrite prolongeant la lecture d’un extrait, des consignes étonnamment proches dans leur formulation, sans que soit suggérée la manière dont pourraient procéder les apprenants pour mener à bien avec succès une tâche aussi exigeante que la transposition d’une description en substituant le point de vue du narrateur ou d’un personnage à un autre. De tels exercices « pour aller plus loin » figurent en effet souvent en marge de questionnaires de compréhension à dominante lexicale ou éthique, en guise de prolongement d’une lecture orientée différemment, et sans explicitation des prérequis. Un tel manque d’appareillage pédagogique (dans le livre du professeur) laisse supposer que l’enseignant de FLE sait comment s’y prendre pour guider ses étudiants. Refuser de limiter la liberté de l’enseignant est compréhensible – mais c’est le livrer à lui-même et le plonger dans la plus grande perplexité, si sa formation initiale ne l’a pas familiarisé avec ce type d’analyse des textes, ce qui est possible compte tenu de la grande diversité des parcours universitaires menant à l’enseignement du FLE, au niveau national 106

et à l’étranger. Une fiche pédagogique disponible sur le site dédié à la collection de livres de poche « Mondes en VF » semble faciliter à l’enseignant la planification de la séance de travail prolongeant la lecture d’une nouvelle de Vassilis Alexakis par des apprenants de niveau B1. Elle suggère de commencer par faire le point sur la notion d’omniscience en fournissant un mémo notionnel aux apprenants (qui auront pris soin de se déplacer dans la salle de classe pour changer physiquement de point de vue), avant de laisser 15 minutes pour écrire ; pourtant, la perception directe du point de vue visuel n’est pas la même chose que la maîtrise de son équivalent discursif. Des étayages seraient sans doute bienvenus : par exemple, le passage par un extrait filmique ou un premier travail mené quelques séances en amont autour de deux portraits dissonants entre eux d’un même personnage, ou de deux descriptions d’une même scène (la bataille de Waterloo racontée dans La Chartreuse de Parme de Stendhal et dans Les Misérables de Victor Hugo). Un tel travail d’écriture, potentiellement très riche d’échanges entre petits groupes confrontant leurs choix (y compris grammaticaux : restriction, modalisation, etc.), est envisageable à partir du niveau B2. Le même type d’interrogation peut être formulé à propos des suggestions d’écriture de pastiches. Marie-Claude Albert et Marc Souchon (2000 : 166-167) retiennent l’idée de faire décrire un lieu fermé comme le fait Alain Robbe-Grillet dans La Jalousie : mais comment y venir (du côté de l’enseignant) ? Et comment y parvenir (du côté de l’apprenant) ? Cette fois, c’est peut-être plutôt le passage par une étape de croquis qui pourrait venir s’insérer, pour des apprenants de niveau C1, entre la lecture et l’écriture : dessiner ce qu’on lit pour comprendre que la description, en apparence réaliste, est trop méticuleuse pour pouvoir renvoyer à une vision « réelle », et mettre en relation cette déformation avec un observateur singulier. Parmi les nombreuses variantes de l’écriture à partir d’un hypotexte littéraire, la formule de l’amplification, qui rencontre un grand succès dans l’enseignement du français au lycée, s’impose-t-elle plus immédiatement en FLE ? La présence en est, en tout cas, bien attestée dans les manuels qui tentent de renouveler l’intégration de la littérature dans l’enseignement de la langue en gardant le cap de la priorité communicative. Les propositions d’écriture d’amplification se situent dans un traitement des textes au premier degré. Écrire le dialogue d’une entrevue entre des personnages dont un romancier a choisi de ne pas donner la teneur, voire d’une entrevue qui n’a pas eu lieu, mais qui aurait pu être narrée, autrement dit combler les blancs d’un récit (ou d’une pièce de théâtre) présente un intérêt en termes de motivation et d’entraînement à la production écrite. L’équilibre n’est pas facile à trouver, pour que cela ne se fasse pas au détriment d’une réflexion sur les effets (sinon les intentions) de structure, de construction des personnages de fiction ou de référentialité. Supprimer les ellipses déplace d’une certaine manière l’intérêt des lecteurs de la narration à l’histoire narrée. Mais l’entrée dans les œuvres s’en trouve, de fait, grandement facilitée. En FLE, les consignes de production écrite usuelles, dès les premiers niveaux, invitent le scripteur à jouer un rôle et à adopter une énonciation fictive, notamment pour répondre à un destinataire imaginaire (avec un canevas d’actes de parole à respecter, en 107

fonction d’un message initial ou simplement en suivant les spécifications de la consigne) : « Vous avez reçu cette lettre. Vous répondez à X pour lui déconseiller de… » Aussi peutil sembler naturel de passer de la fausse correspondance personnelle à la correspondance fictionnelle pour prolonger la lecture d’une œuvre littéraire : certains enseignants justifient l’intégration de la littérature dans leurs cours par une sorte de ressemblance entre les écrits communicatifs pratiqués d’habitude et les occasions d’écriture à partir d’une œuvre. Cela peut prendre sens dans des cas particuliers où l’écriture est étroitement intégrée à la lecture, comme dans l’exemple de « La Boîte aux lettres » d’Agota Kristof présenté chapitre 2.4. Enfin, outre la question des connaissances littéraires (nécessaires ou non) et du niveau de langue requis par tel ou tel exercice, il semble nécessaire d’aborder les travaux de réécriture en FLE sans omettre le cadre interculturel. Si le pastiche relève plutôt de l’hommage et peut être vu comme un geste d’admiration, le traitement parodique des textes littéraires ne va pas de soi pour nombre de cultures non occidentales où l’irrévérence publique est impensable. Il en va tout autrement, aujourd’hui, des élèves du secondaire français qui, dès les albums présents dans les classes de l’école maternelle, ont le plus souvent été habitués à voir détournés les classiques de la littérature enfantine ; ils ont également baigné, comme spectateurs, dans la veine burlesque qui parcourt toute une partie de la production cinématographique américaine (mais qui n’a pas la même audience partout dans le monde). Il convient donc d’en mesurer les points de résistance potentiels, avant d’adopter ce type d’approche des travaux d’écriture en classe de FLE. Sensibiliser les apprenants à une forme culturellement très vigoureuse dans la création contemporaine et les médias peut alors devenir l’un des objectifs de l’activité d’écriture. Quelles autres propositions d’écriture peut-on indiquer, dans cette perspective, pour le cours de FLE ? 5.1.1.2. Transpositions et traductions

Si la rencontre de personnages que l’auteur n’avait pas fait se rencontrer, ajoutée en post-scriptum à une œuvre, peut relever de l’artifice, il faut toutefois nuancer : ce genre d’hypothèse créative, replacé dans le double contexte des théories littéraires tournées vers les lecteurs et d’un engouement accru de publics divers pour la « transfictionnalité », peut justifier qu’on s’y arrête en FLE. Richard Saint-Gelais, dans la lignée des travaux de Gérard Genette autour de l’intertextualité, a récemment montré la tendance actuelle à une « transgression de la clôture de l’œuvre » (2012), qu’on peut certes faire remonter au Moyen Âge et à ses grands cycles romanesques, voire à l’Antiquité, mais que la multimodalité revivifie et amène à toucher de plus en plus de récepteurs. L’expansion et, parfois, la contradiction délibérée des œuvres dans de nouveaux textes correspondent ainsi à une tendance dont le succès n’est pas uniquement commercial. Saint-Gelais évoque par exemple les nombreuses expansions qu’a connues Madame Bovary à partir des années 1980. Plus généralement, le principe de faire adopter en classe des démarches qui fassent écho à des préoccupations artistiques très contemporaines pourrait être une manière aussi légitime que motivante de donner une place à la littérature en FLE. L’apprenant « acteur 108

social » peut trouver du sens à une pratique d’écriture littéraire « authentique » au sens où elle s’inspire d’une tendance de la littérature vivante. La transposition dans un autre lieu ou à une autre époque, envisageable à partir des niveaux intermédiaires et intéressante jusqu’aux niveaux avancés, a toute sa place dans un enseignement de langue/culture puisqu’elle permet, au fil de la recherche d’équivalents culturels, de cerner de façon progressive et collective ce qui pourrait être délicat à appréhender. Fabienne Jacob, dont l’atelier d’écriture est analysé un peu plus loin dans le présent chapitre, propose ainsi à ses étudiants de réécrire pour 2013 la description du personnage d’Arielle dans la nouvelle du même nom de Béatrix Beck, parue en 1996. A fortiori, lorsque l’homogénéité linguistique d’un groupe d’apprenants (et de son enseignant) le permet, la traduction, à partir du niveau B2, peut être une approche de la littérature fructueuse en FLE, si on l’envisage comme une forme de réécriture. Comme le rappelle en effet Houdart-Mérot, « techniquement, la traduction mobilise les mêmes opérations que la réécriture (substitution, ajouts, suppressions, déplacements, etc.) » (2004 : 78). Dans le cas d’un groupe d’apprenants sans autre langue commune que le français, on peut imaginer que la traduction soit un levier pour entrer dans la relecture commune d’un passage, et notamment d’une description difficile à appréhender seul, sans étayage, quitte à ce que chacun en vienne assez rapidement à prendre connaissance d’une traduction éditée dans sa langue (lorsque c’est possible) pour pouvoir confronter ses impressions sur le texte en français à celles des autres lecteurs. Dans tous les cas, il est probable qu’en proposant des exercices de réécriture aux apprenants, adolescents ou adultes non spécialisés dans des études littéraires, l’enseignant de FLE fasse appel à des attitudes de lecteur-scripteur encore jamais (ou presque) mobilisées dans la langue maternelle, et qu’il s’agira donc de développer directement dans la langue cible. 5.1.2. Succès des lectures-écritures ludiques

Un autre type d’approche, rattaché à d’autres types de corpus, est depuis quelques années devenu un classique de l’écriture créative en FLE. Il s’agit de s’adonner, sans arrière-pensée, au plaisir ludique de l’imitation de textes poétiques courts dans lesquels domine la dimension de jeu avec la langue ou avec les codes de certains genres discursifs. Moins représentées dans les manuels de Lettres pour les lycées français, du fait des mouvements littéraires ou périodes aux programmes et de l’orientation argumentative de l’écriture d’invention, ces propositions liant consigne et corpus croisent néanmoins le FLM, même s’il s’agit cette fois du terrain des ateliers d’écriture et non de la didactique. C’est que l’émergence même des ateliers d’écriture, en France, a historiquement à voir avec certaines expérimentations de poètes et de confréries poétiques (Massol, 2008 : 12). 5.1.2.1. Jeux poétiques élémentaires

Presque tous compris entre 1915 et 1970, ces poèmes pris comme hypotextes sont, dans les ouvrages de FLE, ramenés à Prévert et Queneau quasi exclusivement. Ou plutôt, à un tout petit nombre de textes de Prévert et de Queneau, avec une récurrence marquée de certains en particulier (« Cortège », « Inventaire », avec leurs fameuses énumérations, « Art poétique »), dont la simplicité linguistique (lexicale, syntaxique et/ou verbale) 109

semble les indiquer tout naturellement à une approche de la littérature dès le niveau A1, c’est-à-dire à un niveau où il n’est pas envisageable de planifier de lectures longues ni de réécritures plus ambitieuses que la reprise de structures, puisque la familiarisation avec la langue étrangère commence par la mémorisation, et la production quasiment à l’identique, d’un petit nombre d’énoncés minimaux. L’« Inventaire » est d’ailleurs volontiers limité à ses tout premiers mots : « Une pierre deux maisons trois ruines quatre fossoyeurs un jardin des fleurs un raton laveur […] » Si le caractère élémentaire de la forme n’est pas forcément le signe d’une évidence et d’une accessibilité immédiate du sens, on comprend néanmoins que ces textes à dominante nominale séduisent, car ils sont effectivement adaptés, du point de vue syntaxique, aux débutants : présent de l’indicatif, phrases canoniques sujet-verbecomplément unique ou anaphores, avec parfois une structure cyclique. À la simplicité s’ajoute en effet, pour le niveau A2, l’attrait de la répétition de syntagmes susceptibles d’ancrer dans la mémoire des formes de base. Un poème comme « Déjeuner du matin » de Prévert, avec sa haute teneur en verbes au passé composé, sa répétition de prépositions à la même place, d’articles définis, etc., a pu susciter des (2) exercices de complétion grammaticale (chapitre 4.5.2.). De la même façon, « Cortège », qui figure dans la Petite Fabrique de littérature, favorite des bibliographies FLM et FLE, est vu en FLM, à l’école primaire ou au collège, comme une aubaine pour (3) la révision des compléments de nom (SCÉRÉN-CNDP, 2001 ). 5.1.2.2. Formes à contraintes et parodies

Les formes à contraintes (acrostiches, calligrammes…) sont elles aussi volontiers convoquées en FLE, jusqu’au niveau B1, pour des exercices d’imitation, car l’immédiateté du procédé, qui ne demande pas de passer par une analyse complexe, est un argument lorsque les ressources linguistiques manquent aux apprenants pour parler des textes. Dans ce cadre, la lecture initiale s’en tient à la surface des textes ; l’accent est mis sur l’écriture. C’est également le cas avec le sous-corpus ludique des parodies de genres fonctionnels, très prisé en FLE, mais cette fois le texte déclencheur devient souvent point d’arrivée, par un détournement du principe didactique qui veut qu’on aille du connu vers le moins connu, du familier vers le déconcertant. Un premier choix de textes porte sur des poèmes qui se construisent sur des schémas stéréotypés aisément reconnaissables, appartenant à des codes socioculturels habituellement étrangers à la poésie comme l’explique Nathalie Hannecart : « Dès l’abord, ces textes invitent le lecteur à mobiliser dans sa mémoire les schémas qui structurent certaines de ses expériences du monde, du quotidien […] : les recettes de cuisine et les petites annonces, […] la correspondance commerciale, […] 110

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l’inventaire, […] la publicité ou encore […] les jeux de cartes . » Dans le manuel Livres ouverts, ce type de sélection figure dans un groupement thématique autour de « la table ». Les corpus s’y élargissent un peu – au poète Norge par exemple (Les Oignons sont en fleur, 1979) ou à un Michel Butor un peu moins connu du public que celui des années 1950, mais présent dans les propositions pédagogiques que l’on peut trouver pour l’école primaire, en FLM : « Petites annonces 1) Recherche ange voyageur pour liaison stable 2) Propose incendies calibrés 3) Offre métamorphose en toute espèce animale, retour à l’humain garanti 4) Vend mèches toutes nuances 5) Achète ruines ébauches et soupirs 6) Loue temps perdu […] » (Butor, « Petites annonces », dans Chantier, 1985) Cette grande convergence entre FLE et FLM se retrouve par exemple dans cette suggestion, à propos de Queneau (« Pour un art poétique »), pour des élèves de l’école élémentaire, de commencer par faire « écrire une recette de cuisine, puis [de] la transformer en gardant la structure et en remplaçant les ingrédients par des éléments de la langue (phrases, verbes, ponctuation…) » : la consigne se rapproche nettement, en effet, des tâches créatives proposées en FLE. Dans un deuxième temps, « les élèves […] (5) échangent leur production puis on leur donne à lire le texte de Raymond Queneau ». Outre la prise de conscience de certaines contraintes génériques, la démarche permet la discussion entre pairs sur les écarts entre les textes de départ (créés) et le texte « d’arrivée » (celui de Queneau). Ce faisant, on supprime la surprise de la lecture : ces corpus ludiques, au niveau élémentaire en FLM comme dans les premiers niveaux, en FLE, peuvent conduire, pour une activité donnée, à faire un choix entre plaisir de l’écriture et plaisir de la lecture. 5.1.2.3. De l’écriture vers la lecture : la question du sens

Ces propositions, « machines à écrire » (Goldenstein, 1980 : 32) ou « fabriques » (Duchesne & Leguay, 1984), quel que soit leur intérêt pour favoriser l’écriture, sont, de fait, marquées par une prise en compte souvent partielle du sens que l’on peut prêter aux textes. Une telle absence est peut-être regrettable et l’on pourrait le plus souvent la combler sans ajouter de difficulté supplémentaire. En FLM en effet, ce genre de réécriture n’est pas envisagé de manière isolée, mais au sein d’un groupement de textes visant, par exemple, à explorer et comparer différentes affirmations de la modernité. Cette approche pourrait être reprise en FLE. La confrontation (de fausses recettes, de petites annonces détournées, etc.) est féconde si elle maintient la singularité de chaque voix, si l’histoire littéraire, voire l’histoire des arts, n’est pas complètement évacuée. Exploiter « Pour faire un poème dadaïste » de Tristan Tzara sans le contextualiser pose, à notre sens, un problème de légitimité de la lecture-écriture : l’écriture créative pratiquée en classe autorise-t-elle que les hypotextes soient présentés complètement en dehors de l’œuvre dont ils sont tirés, de leur époque, de leur histoire ? Certes, il est commode de 111

réunir sous l’étiquette commune de « ludique » des textes qui peuvent sembler relever d’un même esprit (textes poétiques, mais aussi non poétiques, si l’on pense au devenir pédagogique de certains textes de Georges Perec) ; et il est nécessaire d’aborder le rapport que la littérature entretient avec les genres sociaux, comme le suggéraient déjà Albert et Souchon en indiquant l’intérêt des travaux de Mikhaïl Bakhtine pour le FLE (2000 : 22). Mais comme en FLE, contrairement à la discipline français en FLM, les textes littéraires sont de fait, dans les manuels, mis sur le même plan que les autres documents, supports et discours authentiques, l’on risque davantage d’aboutir à un double nivellement du littéraire (entre auteurs, entre littéraire et non littéraire). Donner la priorité aux mots ne doit pas conduire à exclure le sens – des textes et de l’activité – ce que les corpus ludiques, plus que d’autres, peuvent induire. Moins que de dérive formaliste (Albert & Souchon, 2000 : 61 ; Houdart-Mérot, 2004 : 21), il faut peutêtre parler d’un possible manque à gagner didactique dans la focalisation sur les jeux oulipiens, tant le rôle de l’enseignant reste important pour que l’écriture ne cesse pas à peine après avoir été déclenchée. C’est une dimension encore peu présente dans les méthodes, pourtant conçues pour être utilisées pendant un ou deux semestres de formation linguistique. La question du réinvestissement d’un travail ponctuel n’est pas vraiment abordée dans ces ouvrages. Revenir à la lecture après le moment d’écriture, faire écho à ces exercices, à distance, par d’autres moments d’écriture ou de lecture (à travers des comparaisons, des relectures ou des variantes du premier écrit proposé), alterner des activités de type « gammes en vue de l’appropriation de la langue » (Mangenot, 1997) et des consignes d’écriture orientées vers le destinataire pourraient être des moyens très simples d’établir une progression dans la durée. Ainsi, pour inscrire l’activité dans une logique de réinvestissement pédagogique ultérieur, il ne s’agit pas tant de conduire l’apprenant de plus en plus loin dans la difficulté d’une contrainte formelle, que de lui permettre de relier les textes et les différents apprentissages, dans une dynamique raisonnée. L’idée de contrainte, qui a déjà une place dans la didactique de l’écrit en FLE, gagnerait ainsi à être davantage explorée dans un continuum d’écrits, plus ou moins créatifs. Les apprenants se voient souvent proposer d’écrire des textes dont on leur donne, pour les guider, la phrase-amorce ou la conclusion, ou encore une phrase intermédiaire (rupture narrative ou étape dans un raisonnement argumentatif). Travailler à partir de textes de Raymond Roussel (Impressions d’Afrique, 1910), ou en suivant une des procédures qu’il a plaisamment décrites – terminer un récit en reprenant la phrase initiale, mais avec un mot paronyme, ce qui en change totalement le sens – peut ainsi être l’équivalent créatif de l’entraînement à la production écrite fonctionnelle. Consigne de production à contrainte et procédé d’écriture à contrainte peuvent donc s’éclairer mutuellement, en renforçant la cohérence de l’enseignement, notamment aux yeux des apprenants peu familiers des pratiques de jeu en classe et possiblement rétifs. D’autres pratiques d’ateliers d’écriture en FLM, telles que le détournement de citations (citations volontairement trahies en changeant leur contexte), peuvent aussi être très formatrices en FLE dans la mesure où elles prévoient l’orientation du sens et obligent à planifier. Il suffirait en fin de compte d’expliciter les points de 112

rencontre didactique pour que ce travail soit intégré à un enseignement concerté. Certains jeux oulipiens se prêtent, mieux que d’autres, au FLE. Ainsi, avec un groupe d’apprenants de même langue maternelle, l’exercice de fausse traduction ou traduction homophonique (Houdart-Mérot, 2004 : 81), ou, dans le cas de langues maternelles diverses, l’aller-retour entre l’original d’une phrase d’auteur que l’on fait traduire par chacun dans sa langue avant de la faire retraduire en français. Avec les plus jeunes, on peut s’inspirer des récits d’une certaine ampleur (album) intégrant une suite de calembours cohérents, sur des mots usuels, comme le fait avec bonheur l’auteur des aventures du Prince de Motordu (ibid. : 143) : le lien entre lecture et écriture est ici évident, la démarche est motivante et la réalisation accessible. C’est bien le décloisonnement des activités de lecture et d’écriture dans la perspective de la séquence en français langue maternelle qui peut inspirer l’approche de l’écriture créative en FLE, avec sans doute une dimension de plaisir et de liberté plus présente, du fait qu’en FLE, la littérature n’est pas l’objet principal de l’enseignement premier. Ainsi prise dans une démarche didactique, l’écriture créative est rattachable à une progression, c’est-à-dire à des objectifs programmés (de lecture, d’écriture, de lecture à voix haute…) qui appellent, au moins pour une partie d’entre eux, une évaluation. 5.1.3. Évaluation de l’écriture créative en FLE

L’évaluation (qui n’est pas la notation) est bien incontournable parce qu’elle oblige à placer l’écriture créative dans une logique d’apprentissage et non seulement de libération ponctuelle de l’expression. Mais que convient-il d’évaluer et à quel moment ? 5.1.3.1. Du texte produit au processus

La didactique du FLE ne dispose pas encore d’analyses d’expériences détaillées à ce sujet, et nous nous bornons ici à dessiner les grandes lignes de la question, en la confrontant, lorsque cela semble pertinent, à ce qui se fait en FLM ou à ce qui se fait en FLE dans le domaine de la production écrite en général. La didactique du FLM a opéré depuis déjà plus de vingt ans, au niveau de l’école élémentaire en tout cas, un déplacement du regard de l’évaluateur du texte produit au processus même qui y conduit. En effet, si l’on n’accorde de valeur qu’au texte, on est amené à se prononcer sur l’originalité qu’il manifeste, autrement dit sur son caractère proprement créatif ; la subjectivité du jugement de valeur semble alors inévitable. L’approche par compétences, ayant eu pour corollaire la généralisation de grilles d’évaluation critériée, en FLE comme en FLM, pour les écrits autres qu’imaginatifs d’abord, a pu donner l’impression de résoudre tous les problèmes (Chabanne & Bucheton, 2002). Ainsi, il suffirait d’identifier un certain nombre de critères objectivables : ceux-ci s’apparentent alors à des critères de réalisation, comme pour les tâches de production écrite usuelle, pouvant se limiter à la vérification du respect de la consigne, ou de contraintes, dans le cas d’une écriture créative sous contrainte – reprise d’une formule, d’une structure, voire d’un temps verbal, etc. L’intérêt de ce type de grilles (6) est également de se prêter facilement à un autocontrôle par l’apprenant lui-même , ou à une correction entre apprenants. Mais en dépit de l’intérêt de ce type de grilles, l’enregistrement simple d’une liste de points vérifiés peut avoir des effets pervers en 113

vidant de son sens l’activité même de l’écriture, et en finissant par mettre sur le même plan des réalisations fort différentes, mais respectant toutes formellement quelques « critères » (ibid., 2002). C’est pour contourner la difficulté que l’on en est venu, dans la didactique du FLM, à préconiser l’attention au processus de l’écriture créative plutôt qu’à son résultat, en même temps qu’une évaluation formative – et non sommative comme on pouvait la pratiquer systématiquement au collège, jusque dans les années 1980, et aujourd’hui à l’épreuve anticipée de français du baccalauréat (Fabé, Vlieghe & Inisan, 2005). Autrement dit, il est clair pour les didacticiens du FLM que la reprise d’un texte d’invention n’est pas un mouvement linéaire allant dans le sens d’une amélioration progressive, à chaque étape, mais une aventure laissant place à des variations significatives (sinon « meilleures ») par les différences qu’elles sont susceptibles de faire surgir (ibid. : 27). Ce glissement n’a pour l’instant pas d’équivalent dans la didactique du FLE, où le paysage est dominé par des évaluations sommatives standardisées qui servent d’horizon à l’enseignement de la production écrite, quel que soit le niveau de maîtrise visé, et même dans le cadre de cours intensifs semestriels ou annuels, qui pourraient intégrer avec souplesse, et donc avec bonheur, cette démarche. En effet, comme en FLM, il peut être intéressant en FLE de lutter contre deux des dogmes partagés, selon François Le Goff, par les lycéens français : « un dogme cognitivo-scriptural qui entérine l’idée que la pensée précède l’écriture et que l’écriture n’est qu’une opération de mise en mots d’un déjà-là, préconçu intellectuellement » et « un dogme téléologique qui valorise le produit achevé et moins le processus de génération de l’écriture » (2008 : 30). Ainsi pourrait-on revaloriser le processus même d’écriture en tant qu’activité créatrice et réflexive (5.2.2.). Mais peut-on envisager facilement de faire écrire beaucoup (ce qui est en soi un défi, avant le niveau B2), tout en posant en principe directeur que les états successifs du texte n’aillent pas forcément en s’améliorant, alors que pour les apprenants, ce qui compte le plus souvent, c’est la mise au propre de corrections linguistiques ponctuelles de surface, plus ou moins indépendantes les unes des autres ? 5.1.3.2. L’enseignant lecteur/évaluateur

C’est l’attente principale vis-à-vis de l’enseignant qui se verrait ainsi profondément bousculée, puisque le changement de regard sur l’écriture a pour corollaire le changement de posture du maître : non pas (ou non plus seulement) correcteur d’erreurs formelles, mais lecteur pouvant réagir différemment aux effets d’un texte – anticipés ou non par le scripteur – selon ses états successifs. La question du geste correcteur est centrale en FLE : beaucoup pensent la démarche créative en classe vouée à l’échec si le texte doit revenir couvert de mots soulignés en rouge, et s’interdisent donc explicitement toute correction. Les plus modérés optent pour un signalement des seules erreurs grammaticales ayant un impact sur la compréhension. Les formules sont encore largement à inventer, mais plutôt en essayant de faire coexister le rôle de correcteur et celui de lecteur authentique. Par ailleurs, les lectures complémentaires par les pairs sont aisées à mettre en place en FLE, où l’on favorise les interactions horizontales et les réactions des apprenants aux productions des autres. L’épreuve de la lecture peut alors 114

être vue comme une évaluation authentique. 5.1.3.3. Écriture créative et posture scolaire

Une telle posture de lecteur-évaluateur, pour être efficace tout en gagnant en légitimité, doit à notre sens s’appuyer sur une progression, faute de quoi l’on ne pourrait parler que de moments récréatifs d’écriture créative en classe de FLE, et non d’enseignement à proprement parler. En FLM, la croyance en « l’éducabilité de l’écriture » (Tauveron, 1996 : 192) s’accompagne ainsi de programmes et d’objectifs balisés. Au-delà des jeux à contraintes, si l’on veut amener les apprenants de FLE à écrire des récits, par exemple, il faut le leur enseigner, car cela n’a rien de spontané. Se faire conteur et rapporter une expérience en décrivant éventuellement un lieu ou des personnages (comme il peut être demandé dans l’épreuve du DELF B1) sont deux mises en œuvre tout à fait différentes d’actes de parole en apparence ressemblants. La sensibilisation patiente aux types narratif et descriptif dans un contexte d’écrits faussement personnels ou faussement imaginatifs et foncièrement scolaires n’est pas immédiatement utile lorsque l’on passe à une écriture à intention littéraire. Une certaine forme d’introduction, bienvenue au DELF, deviendra contre-productive (de même qu’en FLM, la référence scolaire qu’est la dissertation n’est d’aucun secours pour passer, dans l’écriture d’invention, à une posture d’écrivain). La coexistence dans l’enseignement de l’écriture de deux régimes de progression est donc un paramètre à prendre en compte, car elle suppose un effort d’explicitation de l’enseignant. Or, c’est la manière même de concevoir la progression qui doit sans doute, pour atteindre le but recherché, être distinguée dans les deux cas. En effet, la décomposition en objectifs intermédiaires allant du simple au complexe (phrase, paragraphe, enchaînements, emploi de certains temps du passé, etc.), qui donne des résultats satisfaisants jusqu’au niveau B2 pour un grand nombre de types d’écrits, paraît moins pertinente lorsqu’il s’agit de narrer dans une intention littéraire. En premier lieu, parce qu’il y a un risque de ne jamais avoir le temps de parvenir au stade du tout (le récit complet), après avoir passé en revue successivement toutes les parties intermédiaires à maîtriser (Fabé, Vlieghe & Inisan, 2005 : 86) ; et ensuite parce qu’en matière de narration littéraire, le tout n’est pas égal à la somme des parties (narration, description de lieu, portrait, dialogue…). Plus réaliste et plus motivante est alors dans ce régime-ci la démarche inverse, partant « d’un apprentissage complexe (écrire d’abord un récit complet), quitte à l’étayer par des gammes d’écriture et des exercices d’amélioration » (ibid. : 87). Par ailleurs, l’enseignement des types textuels, incontournable pour la lecture comme pour l’écriture de genres variés, ne s’avère qu’en partie rentable lorsque l’on passe à l’écriture créative, qui ne se réduit pas à l’application de recettes d’organisation immuables. On touche là au cœur du paradoxe de l’écriture littéraire en contexte scolaire, qu’il soit celui du FLE ou du FLM. Peut-être la difficulté est-elle moins grande, toutefois, en FLE, où l’apprenant n’est pas autant conditionné par un mode de lecture insistant sur les constantes structurelles des récits, comme c’est le cas au niveau du collège en particulier. L’injonction scolaire de la complétude et de la « coopération maximale avec le 115

lecteur » (Tauveron, 2002), qui conduit à survaloriser la cohérence et la cohésion dans les copies, peut aussi finir par aller à l’encontre de la démarche créative. Mais la réflexion sur la possibilité de concilier conformité à une consigne et écart maîtrisé, et de trouver un accord sur des critères et des indicateurs d’originalité et de beauté faciliterait la généralisation de la pratique littéraire dans la didactique de l’écriture (id., 1996 : 197) ; peut-être cela demande-t-il que l’enseignant puisse s’appuyer autant sur les lectures des apprenants que sur leur pratique d’écriture individuelle ou collective. Enfin, de même que, dans les pratiques réelles, l’on ne lit pas la littérature en se donnant seulement pour objectif de mieux lire, mais aussi pour les émotions qu’elle suscite en nous et pour ce qu’elle nous apporte, de même en classe de FLE, au-delà d’un mieux-écrire et d’un mieux-lire, on peut penser l’écriture créative en redonnant sa place au sujet caché, et parfois nié, dans tout « apprenant »-écrivant. C’est une des lignes directrices des ateliers d’écriture que nous présentons ci-dessous, animés par deux écrivains d’approches différentes, mais réunis par la conviction que l’horizon littéraire permet de laisser au sujet un espace pour s’affirmer dans la langue étrangère, tout en contribuant à la prise de conscience nécessaire à l’apprentissage linguistique lui-même. 5.2. Écrivains en classe de FLE : enjeux d’une écriture personnelle Depuis 2009, le diplôme universitaire de langue française (DULF) du département de didactique du FLE de la Sorbonne Nouvelle propose aux groupes d’étudiants intermédiaires et avancés des ateliers d’écriture animés par deux écrivains. Il s’agit, en donnant une large place dans l’offre de formation à une approche créative de la langue, de permettre à certains étudiants de dépasser des blocages qui peuvent être à l’origine de grands découragements : après un certain temps en France, arrivés à un niveau seuil qui leur permet de communiquer efficacement dans la plupart des contextes, ils peuvent éprouver des difficultés à aller au-delà d’un usage fonctionnel de la langue et à trouver une intimité avec cette langue que l’enseignement risque de réduire à un outil de communication. Deux écrivains ont accepté de collaborer avec l’équipe des enseignants du DULF. Fabienne Jacob est l’auteure de nouvelles et de romans, dont L’Averse (Gallimard, 2012) et Mon Âge (Gallimard, 2014). Elle animait depuis plusieurs années des ateliers d’écriture auprès de publics francophones variés. Le poète luxembourgeois Jean Portante (Mrs Haroy ou la Mémoire de la baleine, Éd. Phi, 1993 ; Après le tremblement, Le Castor Astral, 2013) est intervenu auparavant auprès de publics divers, essentiellement francophones, et en particulier auprès d’adolescents déscolarisés ayant des difficultés linguistiques. Au cours de ces ateliers, le statut des auteurs est double : ils sont à la fois praticiens de la littérature et formateurs en langue, non spécialistes de la didactique, mais appelés à observer avec vigilance, parfois à corriger la pratique de la langue ou du discours en français. Aussi, faire un bilan de leurs démarches et de leurs analyses permet-il d’aborder les rôles que la littérature peut jouer dans l’enseignement-acquisition d’une langue. Donatienne Woerly présente, dans la section 5.2.1., leurs ateliers d’écriture et ce qui s’y joue, à partir d’entretiens menés en juin 2013. Olivier Lumbroso s’attache quant à lui, 116

dans la section 5.2.2., à l’atelier de Fabienne Jacob, auquel il a pu assister, pour en analyser certaines potentialités didactiques. L’approche de l’atelier est profondément liée au rapport de chacun des deux écrivains à la langue et se différencie du fait même de leur personnalité, mais leur pratique se rejoint sur plusieurs plans. En particulier, tous deux insistent sur l’importance du rapport à la culture dans l’appropriation de la langue : la littérature est pour eux une manière d’en faire l’expérience. 5.2.1. Représentation de soi-même et expression 5.2.1.1. Valoriser l’image de soi en langue étrangère (7)

« Ils se font eux-mêmes plus petits qu’ils ne sont » : Jean Portante décrit en ces termes le sentiment d’infériorité qu’il perçoit chez les étudiants en langue étrangère, comme si l’abandon de la langue maternelle engendrait une minoration du sujet parlant. Historiquement, en France (contrairement aux États-Unis), les ateliers d’écriture en FLM ont très vite été, dans une approche psychosociale, une réponse au manque de confiance en soi ou même d’estime de soi éprouvé par certains publics, dans certains contextes, et singulièrement en milieu carcéral. Les deux écrivains soulignent cette vertu émancipatrice : l’atelier d’écriture est extraordinairement valorisant pour un apprenant de FLE, parce qu’il ouvre des possibilités insoupçonnées dans un domaine encore bien souvent sacralisé, la littérature, auquel les étudiants n’osent pas se confronter. Si le plus inaccessible peut devenir terrain de jeu, espace familier, source de plaisir, alors n’en va-t-il pas de même pour le reste de la langue ? Bien sûr, il ne s’agit pas de faire d’eux des écrivains : si Portante (lui-même enfant d’immigrés italiens, scolarisé en français dans le Grand-Duché de Luxembourg) leur parle longuement des exemples d’Adamov, de Beckett et d’Ionesco, qui ont transformé le paysage théâtral français alors qu’ils venaient d’une autre langue, il est tout à fait conscient que l’atelier n’a pas pour but de former des écrivains, mais bien des locuteurs du français. De la même manière, cette pratique ne suffit pas à l’acquisition de la langue et doit s’appuyer sur d’autres approches. Mais l’enrichissement culturel, personnel et la confiance en soi que donnent les ateliers viennent apporter une autre dimension à la maîtrise de la langue : elle n’est plus seulement un outil, mais devient aussi pour les apprenants un espace de liberté, de créativité, qui fait partie d’eux-mêmes. Lire un texte littéraire implique de s’approprier des codes culturels, comme la vie à l’étranger est faite d’une succession de micro-apprentissages, au gré des interactions quotidiennes. Si Jean Portante accorde dans son atelier une large place au théâtre, sous la forme d’un travail au long cours et non de séances isolées, c’est que les conventions de l’écriture théâtrale, connues pour un certain nombre d’étudiants qui ont ou ont eu accès à une culture théâtrale occidentale, ne le sont pas de tous, notamment des étudiants asiatiques. Le rôle de l’enseignant est, en cette situation, de nommer ce qui a été observé ou mis en pratique par l’étudiant. Avec des étudiants de niveau B2-C1, Jean Portante imagine un travail sur l’acte I d’une pièce de théâtre : il leur fait lire le début du Malentendu d’Albert Camus (1944), et les invite à imiter le style de la première scène pour introduire un travail de longue haleine sur une pièce autour du secret. Cela suppose de penser à la mise en scène afin de ne pas omettre les indications scéniques : le nom des 117

personnages, la typographie et les didascalies sont donc intégrés par les aller-retour entre lecture et écriture. Comme tous les textes écrits dans le cadre de ces séances, le texte théâtral est rendu public, au moins partiellement, par une lecture à voix haute : il faut alors que l’étudiant assume son texte et que les autres participants jouent pleinement le rôle du public. Jean Portante insiste sur la qualité des conditions : l’étudiant doit s’efforcer d’avoir une certaine « présence scénique », d’investir ce temps de lecture. Il s’agit d’en faire une « performance », même si cela peut sembler une épreuve. Il y a là, dès la première lecture, une nécessité pour la suite du travail d’atelier : la publication est à la fois garante de l’exigence du travail de l’apprenant, qui aura alors à cœur de parfaire son texte, et de la reconnaissance de son travail. Chez Fabienne Jacob aussi, le travail sur la confiance suppose la réalisation de quelque chose de tangible : cela passe non seulement par le discours, mais par la création d’un objet personnel, un carnet de séjour où l’étudiant conçoit peu à peu un espace d’expression en langue française. Il s’agit d’abord de rapporter des anecdotes qui rendent compte d’expériences vécues en France et qui soient dites en français. Fabienne Jacob insiste sur la possibilité d’illustrer ce carnet, sur la dimension esthétique de l’objet à créer : dessins, collages, photos, d’autres supports viennent accompagner le récit. L’intérêt didactique de cet outil, notamment dans sa matérialité même, est analysé en détail dans la section suivante. Pour laisser les apprenants « s’approprier » cet espace, Fabienne Jacob a renoncé à la correction linguistique à laquelle ceux-ci sont habitués et l’a remplacée par des analyses d’erreur ponctuelles, car voir son texte constellé de fautes signalées en rouge risquerait d’interdire la proximité avec la langue apprise, d’en exhiber le caractère étranger, délégitimant le recours à cette langue pour dire l’intime. 5.2.1.2. Valoriser les stades provisoires de la langue

La convocation d’un lexique déjà-là, systématiquement pratiquée par les enseignants de langue comme étape préalable à toute activité de compréhension écrite et, surtout, orale, parce qu’elle permet de partir de ce qui est familier pour permettre d’aller vers du nouveau, joue dans ces ateliers un rôle important, car chaque étudiant a son propre bagage lexical, mais ces mots cohabitent en lui avec les mots de sa langue maternelle et, éventuellement, des autres langues qu’il connaît ou a commencé à apprendre. Fabienne Jacob laisse aux étudiants un temps pour constituer un ou plusieurs champs lexicaux avant de passer à l’écriture : ce travail se fait soit individuellement, soit, plus fréquemment, en interaction. Ainsi, pour une description métaphorique de camarades de classe, ils doivent chercher tous les mots associés à un animal. Jean Portante tient, lui, à entraîner les étudiants loin de leur pratique ordinaire de la langue enseignée et reprend souvent l’image de Lautréamont pour définir sa manière d’envisager l’atelier : « Dès qu’ils ont un stock de mots et qu’on les oriente vers un stock qui est le plus loin possible de ce qu’ils veulent dire (parler de “couteaux”, de “fourchettes” et de “ciseaux” dans un poème d’amour c’est autre chose que de parler de “cœur de miel”), après ils se rendent compte qu’ils disent beaucoup plus avec cela. C’est une des règles : garder le parapluie et la machine à écrire. » Il ne s’agit donc pas d’enrichissement lexical classique par 118

élargissement systématique de l’étendue des mots disponibles, mais bien d’une exploration, à partir du connu, des effets suscités par les déplacements sémantiques, dans une logique qui se trouve à l’opposé de l’approche pragmatique de l’enseignement du lexique en classe de langue. Jean Portante, de par son itinéraire personnel, fait du contact des langues l’un des fondements de son intervention, de manière à transformer la représentation de la langue étrangère des apprenants et de la maîtrise qu’ils en ont. Tout d’abord, le passage à l’écriture est, en soi, le passage à une langue étrangère. Cette difficulté peut être très sérieuse y compris dans la langue maternelle. « La langue maternelle, c’est la langue maternelle de maman, parlée », ce n’est pas la langue écrite qui est le fruit de la scolarisation, et donc apprise en dehors du contexte familial, à la manière d’une langue étrangère. Les deux codes sont très différents et la langue parlée reste toujours hors de portée de l’écriture littéraire, souligne-t-il. « On peut s’en rapprocher comme l’a fait Céline, comme Queneau, qui essaie de faire de la langue parlée, mais c’est de l’écrit. » Surtout, un autre élément sur lequel Jean Portante insiste est l’infinie variété des idiolectes, et la part de subjectivité (au sens informé, modelé par le sujet) qu’il existe dans chaque discours. La langue n’est pas commune, chacun a la sienne, dit Portante, en s’inspirant du concept lacanien de « lalangue », chaque idiolecte vu comme une « malangue ». « Si un étudiant se met à écrire quelque chose d’incompréhensible, c’est sa malangue. Donc il a sa langue », dit-il. L’écrivain rejoint ainsi intuitivement, de ce point de vue, le concept d’interlangue, qui permet d’étudier, à partir des réalisations d’un apprenant, la langue temporaire qui se crée à partir des interférences ou des calques entre langue source et langue cible. Stade entre deux réalisations de la langue apprise, l’interlangue est aussi une réalisation individuelle, absolument propre à chaque apprenant. L’« incompréhensible » – ce qui relève de l’erreur – n’est plus à bannir, mais à intégrer, comme étape de l’apprentissage, comme moteur de l’acquisition. Jean Portante se sert de son propre parcours pour inciter les étudiants à mêler les univers de représentations de leurs langues, à faire de leur français « une langue baleine », métaphore qui apparaît dans son récit autobiographique Mrs Haroy ou la Mémoire de la baleine. Extérieurement, formellement, la langue employée est du français, ou ressemble au français comme la baleine au poisson, mais à l’intérieur, ce sont d’autres langues, d’autres imaginaires qui respirent, comme les poumons du mammifère-baleine, comme l’italien dans l’écriture de Portante. Si la forme est française, le jeu des connotations, du rythme, des métaphores intègre un autre univers linguistique et culturel. Désacraliser, choisir des chemins de traverse, accepter le nomadisme des mots, le passage d’un milieu à un autre : par le discours sur la langue et ses représentations, Jean Portante s’efforce de vaincre ce « complexe d’infériorité a priori » qui habite les apprenants en en montrant le potentiel créatif et non le manque ou le mal réalisé. 5.2.1.3. Aborder des thèmes peu présents dans les manuels

De quel moi parle-t-on en classe de langue ? De quels êtres ? De quels aspects de la vie ? Si les approches communicatives ont semblé faire entrer la vie dans la classe de langue, c’est parfois de manière artificielle. L’atelier d’écriture permet de réintégrer tout 119

un pan de l’individu et de la réalité sociale dans laquelle il est pris. Au cœur de l’œuvre de Fabienne Jacob, il y a le travail sur le corps et l’intime : ses ateliers guident les étudiants, si ce n’est vers l’écriture de soi, vers l’ouverture d’espaces intimes en langue française. Progressivement, certains étudiants glissent vers des choses très personnelles, « qui vont du côté du journal intime » : mal du pays, déception amoureuse… Les expériences que l’on dit spontanément en langue maternelle s’expriment pour la première fois dans la langue apprise. Mais sans chercher à susciter la confidence, Fabienne Jacob, en partant de sa propre manière d’écrire et en privilégiant certains auteurs (Béatrix Beck, Annie Ernaux) crée les conditions pour que le discours puisse s’autorise à s’arrêter sur des objets habituellement non dits en classe : le corps, la pudeur, la maladie, la honte sociale, la pauvreté, etc. La lecture permet d’aborder les manières d’être (corps, vêtement, parole) selon les époques, les milieux ou les genres. Ainsi choisit-elle d’illustrer son travail sur les milieux sociaux français à partir de textes qui évoquent l’aisance et la honte sociales. Elle confronte un extrait de La Place d’Annie Ernaux (1983) et le début de la nouvelle « Arielle » de Béatrix Beck tirée du recueil Prénoms (1996), afin de mettre face à face deux codes sociaux, milieu populaire et milieu bourgeois, à travers la description des habitus des personnages. Elle demande aux étudiants de réécrire les textes pour le contexte actuel, en repérant les codes et leur évolution, à partir de ce qu’ils connaissent de la société française. L’écriture créative constitue donc la deuxième étape de cet apprentissage du regard. Sans accorder autant d’importance aux aspects de « civilisation » dans le choix des textes littéraires qu’il propose, Jean Portante y voit toutefois lui aussi un enjeu fondamental, qu’il rapproche de la « sensure », la privation de sens que définissait le poète Bernard Noël en 1975 dans L’Outrage aux mots (rééd. 2011 : 20) : le travail sur une langue fonctionnelle fait qu’on tend à la réduire à une enveloppe vide, dans laquelle il n’y a « plus de sens, plus de passé, plus de culture, seulement une coquille vide ». Il s’agit de redonner à la langue « sa dimension pleine » : de la même manière qu’il est important d’aider l’apprenant à exprimer sa singularité dans la langue étrangère, il doit aussi avoir accès à une langue nourrie de subjectivités, de points de vue pluriels. Les textes permettent, par leur style et la qualité du regard des auteurs choisis, de percevoir des tensions, des rapports de pouvoir quasi tabous qui ne s’enseignent que rarement dans le cadre du cours de langue, et qui sont pourtant portés par les mots, leurs connotations. Une expression personnelle peut donc advenir via le carnet, conçu « vraiment pour eux », non pas tant par l’intimité des révélations que par l’authenticité du regard posé sur le monde (en l’occurrence, la société parisienne contemporaine) et exprimé dans la langue en cours d’apprentissage. Comment lier ce carnet avec une didactique du processus d’écriture ? Les pages qui suivent en étudient en détail les modalités et les potentialités. 5.2.2. Didactique des traces écrites préparatoires en classe de FLE : l’exemple du carnet d’anecdotes

À l’heure où la classe de langue intègre de plus en plus souvent le support du blog (blog collectif d’un groupe ou blogs individuels) comme moyen privilégié de communication écrite régulière et authentique, ou même d’écriture créative, le choix du carnet, dont la matérialité même évoque de prime abord l’image de l’écolier ou celle de 120

l’écrivain d’une autre époque, peut surprendre. Pour Fabienne Jacob, il garantit la spontanéité de l’écriture et de la discussion qui s’ensuit ; observateur de son atelier, nous souhaitons en montrer l’exploitation possible dans le sens d’un travail de prévision de l’écriture, dont il recèle la possibilité pédagogique, au-delà de l’objectif premier de « déblocage ». 5.2.2.1. Faire provision d’anecdotes : entre écriture personnelle et écriture scolaire

Le domaine des « écrits personnels », comme le journal et le carnet, déclinables en journal d’écriture ou de bord, en carnet de voyage ou de souvenirs, déborde souvent les murs de la classe, contaminés qu’ils sont par la vie de tous les jours qui nourrit aussi le journal intime, en même temps qu’ils s’affirment le plus souvent dans leur inachèvement thématique et formel. Ce sont moins des œuvres closes, fruit de l’imagination, qu’un ensemble de traces à la première personne, parfois spontanées et peu retouchées, qui préservent la fraîcheur de l’instant vécu et notre capacité d’étonnement face à l’expérience du réel brut. L’écrit personnel, rattaché le plus souvent à l’adolescence en tant que réponse à une « effervescence pulsionnelle » (Chiantaretto, 1996 : 85), à un besoin d’épanchement du trop-plein expressif, mérite aussi d’être étendu au contexte FLE, tout en réclamant une réflexion didactique qui l’envisage à la fois comme une aire d’écriture libératrice, un point de contact réflexif avec les expériences sociales, mais encore comme le point de départ d’un travail scriptural plus concerté pouvant déboucher sur une écriture à visée doublement esthétique et interculturelle. L’hypothèse est celle d’un continuum entre les pratiques d’une écriture « ordinaire » et le cadre scolaire des écritures « littéraires », entre les pratiques « spontanées » et les pratiques « réflexives », au moyen du support privilégié que représente le « carnet » (Bishop & Doquet-Lacoste, 2007), considéré comme une ressource polymorphe et multifonctionnelle, adaptable à des contextes monolingue ou plurilingue. C’est ce type de support souple, centré sur le sujet scripteur et alimenté par les événements du quotidien, que Fabienne Jacob a proposé pendant un semestre à des apprenants du DULF de niveau B2 : le projet d’écriture a consisté à tenir régulièrement un « carnet d’anecdotes ». Traditionnellement, l’anecdote correspond au récit court d’un petit fait curieux, autonome et détachable, propice à la réflexion, susceptible de mettre en appétit le lecteur de la petite presse : l’anecdote circule et fait parler, se transforme, devient rumeur et légende. Elle sollicite la complicité ludique de l’anecdotier et du lecteur amusé (Montandon, 1990). Dans la classe de FLE conduite par Fabienne Jacob, l’anecdote fait sourire et interroge. En dépit d’un cadre urbain parisien relativement partagé, la vingtaine de carnets produits par les étudiants internationaux tournent massivement autour de la mise en scène de la vie citadine au jour le jour avec son lot de rencontres insolites et de tableaux de la vie des rues, des transports et des commerces d’autant plus surprenants qu’ils révèlent les écarts culturels les plus flagrants dans le domaine des mœurs, des manières de vivre et de parler. Le petit fait vrai, issu de l’immersion sociale de l’étudiant dans un milieu neuf, se charge de significations ethno-anthropologiques qui invitent à une réflexion de type interculturel, traitée parfois sous l’angle humoristique, parfois avec un certain 121

détachement, parfois aussi avec empathie, identification et épanchement, car, comme le souligne Michel de Certeau, « le quotidien, c’est ce qui nous est donné chaque jour (ou nous vient en partage), ce qui nous presse chaque jour, et même nous opprime, car il y a une oppression du présent » (1980 : 7). Les variations culturelles autour de l’expression du Moi et de l’intime peuvent expliquer aussi ces traitements variables des faits sociaux. L’intérêt majeur réside dans le fait qu’ils soient « intériorisés », c’est-à-dire qu’ils révèlent une subjectivité à l’œuvre, entre expérience et discours. Fréquemment, un croquis vient illustrer le fait narré, l’étayer en tant que chose vue et vécue : le « vieil homme » qui fait la planche dans une piscine tellement longtemps qu’on le croit mort, la « mère éplorée » qui fait la mendicité dans le métro en tenant dans ses bras un nourrisson qui s’avère être une poupée déguisée (voir illustration), la coïncidence improbable de rencontrer le même jour, à deux moments différents, l’ex-président de la République, Jacques Chirac, entrant et sortant d’un restaurant. Autant de petits mémos qui s’adjoignent les preuves, indices et autres traces que représentent le ticket de métro, l’addition du restaurateur, le ticket de cinéma : le carnet de ces chroniques est aussi un carnet de voyage, dans la ville, dans l’écriture et dans un espace émotionnel matérialisé par des traces.

Peut-on cependant parler de carnet intime, écrit pour soi ? Du moins, jusqu’à sa lecture collective en classe qui inaugure un nouveau corps à corps avec les mots de la langue orale : celle de la mise en voix, de la diffusion au groupe, des débats interactifs entre les 122

pairs, à la fois immergés dans un même espace urbain, mais l’expérimentant de façon toute personnelle, selon une histoire et une culture distinctes. L’anecdote spontanément oralisée quitte alors son statut de témoignage écrit pour devenir un outil de travail, dont Fabienne Jacob va orchestrer la plasticité, le rôle génératif et l’intérêt culturel. En somme, l’anecdote devient un objet didactique. Un jeu de ping-pong s’organise, qui aborde le texte lu sous des éclairages multiples et complémentaires permettant à tous de s’approprier le texte de chacun : ainsi de la Saint-Valentin qui s’éclaire dans sa version japonaise, sudaméricaine, espagnole. De l’anecdotique, on passe sans doute à l’essentiel : le dialogue, de nature anthropologique, entre des visions de l’homme et du monde ancrées dans des cultures en synergie. L’enjeu n’est pas de corriger seulement la diction, l’orthographe, la forme générale, selon les normes de l’expression française, mais plutôt de construire progressivement la maîtrise des discours au fil des interactions qui recourent à des formes complémentaires de savoirs et savoir-faire : la connaissance de la langue sous l’angle morphosyntaxique et sémantique, les connaissances culturelles objectivant des pratiques, des mœurs et des évaluations distinctes pour une même situation concrète, les connaissances artistiques impliquant des formes sensibles de réceptivité. Le propre, le sale, le beau et le laid, le prescrit et le proscrit circulent dans les positionnements de chaque étudiant, révélant ainsi la pluralité des systèmes de valeurs qui cohabitent dans le cours. 5.2.2.2. Ni modèles ni points de départ systématiques : des lectures inspirantes

La place du texte lu, dans l’atelier de Fabienne Jacob, est assez éloignée de l’idée que l’on pourrait se faire de séances inévitablement conçues selon le modèle de la lecture préalable à l’écriture. Si, de fait, une séance type commence en général par une lecture, Fabienne Jacob ne fait que rarement écrire un texte qui imiterait directement, transformerait ou prendrait pour point de départ la lecture du jour. Le cours de Fabienne Jacob implique un ensemble d’outils qu’il est possible d’examiner de façon un peu plus théorique et qui s’avèrent transférables à d’autres situations d’écriture. Notamment, la pratique du « carnet » en tant que genre. Elle mériterait d’être sans doute plus exploitée dans les classes, dans la mesure où elle développe des situations d’écriture et des compétences qui tendent à être réduites dans les séances plus classiques de pratique langagière : rendre plus libre le pilotage des contenus par le scripteur, au sein d’une énonciation subjective et modalisée qui l’aide à franchir l’angoisse de la page blanche, un statut d’écrit du quotidien ordinaire et discontinu, qui tend à désacraliser l’entrée dans l’univers des signes, conçue parfois sur le modèle classique des « grands » écrivains dont il faudrait imiter le style, enfin un support d’écriture provisionnel, dont la plasticité peut en faire un objet didactique stimulant, inscrit dans les interactions de la compréhension et de la production écrites et orales. En effet, le carnet peut déboucher sur des formes diverses de projets d’écriture : le carnet d’anecdotes – et plus largement le carnet des choses lues, vues, sues et vécues – peut constituer un élément de la genèse prérédactionnelle d’un autre texte, comme une nouvelle ou un conte littéraires, à l’instar des écrivains naturalistes, Daudet ou Maupassant, ou peut encore dériver de façon plus descriptive vers les petits riens de la 123

vie que mettent en scène les « plaisirs minuscules » d’un Philippe Delerm (Gallimard, 1997) ou « l’autobiographie des objets » d’un François Bon (Le Seuil, 2012), nous livrant l’un et l’autre leur « parti-pris des choses ». Un détail, un fait divers, une anecdote peuvent former le point d’origine d’un texte plus élaboré, réaliste, fantastique, policier, étayé par la lecture des récits de références littéraires (Zola, Buzzati, Poe, Daeninckx…), moins considérés comme des modèles que comme « des tremplins au désir d’écrire » (HoudartMérot, 2006 : 28). De nombreux manuels de FLE font rédiger, sous la forme d’un jet unique, des « faits divers », des « anecdotes » et des « brèves » à valeur strictement informative, dans le cadre de la presse quotidienne et des expériences vécues à l’étranger par les apprenants : par exemple l’unité « C’est pas moi » du manuel Rond-Point 2 (PUG, 2004), ou le module 4 du manuel Alors ? niveau A2 (Didier, 2007), consacré aux « Récits ». Il est possible d’orienter ces activités vers une approche littéraire de l’écriture transformatrice, supposant de développer une séquence articulant la lecture de nouvelles, d’aborder la construction du récit court à partir du fait brut, de s’interroger sur l’intérêt du traitement esthétique de l’anecdote, d’intégrer avec souplesse les typologies des textes et des discours. Aux niveaux B1-B2 du CECRL, une nouvelle comme « En mer », de Maupassant, où le fait divers palpitant devient le repoussoir du drame plus cruel et secret d’une trahison fraternelle froide, pourrait bénéficier de ce type d’exploitation qui insiste sur les processus dynamiques de la réécriture amplificatrice. Dans tous les cas, il faudrait montrer comment l’événement, initialement consigné dans le carnet, parce qu’il sera à la fois amplifié par le récit et valorisé par l’expression, peut toucher au légendaire et à l’universel, à l’ironique et au tragique, faire comprendre, par la pratique, l’art de l’écrivain à tirer profit d’un potentiel d’instantanés qui évoluent vers un imaginaire anthropologique et social de l’opinion publique ou vers l’inquiétante étrangeté, voire le fantastique latent de la vie quotidienne. Autant de perspectives que l’apprenant peut s’approprier lors d’activités d’écriture qui expérimentent le fragment et le récit pointilliste de l’anecdote récoltée au fil des jours, car celle-ci recèle en son cœur un potentiel symbolique à faire germer, au sein d’un projet qui met en avant l’action scripturale autonomisée par le carnet qui recueille pour mieux se faire cueillir. En effet, c’est tout l’enjeu des interactions orales encadrées par Fabienne Jacob que de rejouer l’anecdote sur la scène des imaginaires, des fantasmes et des mythes collectifs, avec un sens aigu de leur diversité culturelle. En libérant la parole de l’écriture, grâce à la circulation verbale entre les apprenants, mais encore grâce aux expressions diverses du visage, des gestes et du corps, grâce aux intonations, scansions et inflexions de la voix qui font chanter les langues, l’anecdote, passant du scénario au spectacle, se fait l’attracteur d’autres anecdotes, venues de tous les continents. Ce sont des réseaux d’histoires vécues qui s’élaborent et, finalement, fabriquent un roman polyphonique, une source pluriculturelle où chacun vient boire et se nourrir. 5.2.2.3. Posture littéraire et compétence réflexive en FLE

Outil d’une écriture provisionnelle, le carnet peut être aussi l’outil d’un matériau prévisionnel, d’un vouloir-écrire, qui anticipe sur un projet à venir : les carnets d’écrivains, comme ceux d’un Flaubert ou d’un Henry James, révèlent ces bribes de scénarios et ces 124

esquisses de personnages, ces fragments de lectures et ces notes d’intention qui peuvent fleurir ou rester à l’état natif. Le carnet se fait alors davantage réflexif et prospectif. Et cette réflexivité peut affleurer déjà naturellement dans les planifications des apprenants. Dans les carnets d’anecdotes des étudiants étrangers de Fabienne Jacob, elle prend la forme d’autocommentaires spontanés, évaluatifs et prescriptifs : « Je voudrais noter de bons exemples pour savoir les différences entre les deux pays, comme cela », note cette étudiante japonaise dans son carnet qui liste ensuite quelques possibilités. Et cette autre s’adresse à elle-même des autoconsignes d’écriture : « soit objective, soit subjective. Écrire l’air de la classe ». Pourquoi ne pas tirer profit de la coprésence dynamique de ces deux formes textuelles, dont les carnets des apprenants ont fourni des exemples : le texte primitif d’un matériau (anecdote, fait divers, conte, nouvelle…) puis le métadiscours prescriptif et évaluatif de ce même élève relatif à son premier texte (autoconsignes, autocommentaires qui planifient une envie d’écrire) ? Le carnet se fait alors écrit de travail ou « écrit intermédiaire » servant à résoudre de façon transitoire des problèmes d’écriture, au sens où l’entendent Dominique Bucheton et Jean-Charles Chabanne (2002), pouvant même évoluer vers des formes didactisées du « carnet d’écrivain ». Proposons aux apprenants de développer cette double compétence qui consiste à écrire et à commenter, quand ils le souhaitent, leur projet d’écriture, afin de verbaliser explicitement un ensemble de problèmes qu’un scripteur apprenant est susceptible de rencontrer au cours de son apprentissage, des contenus à l’expression, du déchiffrage à l’interprétation, du fait de langue au fait de culture. Car, chez l’élève, rares sont les traces, écrites ou orales, de ce qu’il sait faire et ne sait pas faire, peut ou ne peut pas faire : peu de témoignages singuliers sur les envies et les difficultés à écrire un projet à l’état natif, notamment en contexte multiculturel. Dans le contexte du FLE, c’est précisément à cet endroit que le recours au répertoire linguistique et culturel de la langue première pourrait servir à formuler des problèmes d’écriture rencontrés dans la langue cible. La pratique plurilingue, et les activités d’auto/inter-traduction et d’auto/inter-réécriture deviendraient une stratégie de détour du projet, au moyen de la langue première ou d’une autre langue mieux maîtrisée, afin de réinvestir la conscience et la compétence scripturales de l’apprenant, élaborées par ses expériences langagières antérieures. En la matière, celui-ci ne part pas de rien. Les traces laissées par ce métadiscours réflexif constituent un indicateur pour l’enseignant, qui voit ainsi s’extérioriser la parole intérieure de l’apprenant qui raisonne – en croisant éventuellement les langues – sur les formes linguistiques, textuelles et discursives qu’il manipule lorsqu’il écrit. On pourrait dès lors penser que le carnet d’anecdotes (ou de portraits, ou de proverbes réels et inventés, etc.) évolue vers un carnet d’écriture (mono/plurilingue) de ces mêmes textes, insistant moins sur la matière des anecdotes que sur la manière de les raconter. Les postures réflexives du scripteur développeraient ainsi des interrogations sur le modus operandi de l’écriture, propédeutique à une approche problématisée des visées, des intentions, des formes du texte produit, inscrit parfois dans des processus hypertextuels (modèle, parodie, pastiche) et métatextuels (commentaire, critique, invention 125

d’intentions). En somme, une entrée progressive dans l’espace d’une écriture « littéraire », développant ce que Catherine Tauveron et Pierre Sève ont nommé une « posture d’auteur » dans le titre même de leur ouvrage (2005). Cela étant dit, l’entrée dans une écriture littéraire n’engage pas forcément une programmation préalable, à l’instar de certains écrivains, comme Zola, qui, avant de rédiger leur brouillon, planifient leur projet au moyen d’écrits divers (ébauche, plan, dessin, liste…). Ainsi, il existe dans les carnets des étudiants internationaux des îlots d’écriture littéraire qui mettent l’instantanéité du quotidien à distance en l’esthétisant « spontanément » au moyen de la métaphore filée : « Mon pays, c’est comme un sarcophage, il est couché et il est très bien fermé, comme cela, aucune mauvaise idée ne pourra y entrer. […] À l’intérieur, il y a un cadavre, très bien habillé et à la dernière mode, tous les bijoux sont là, l’or à l’état naturel. Mais il est mort depuis longtemps. Là-bas, seulement, habitent les gens qui survivent comme les vers de Tutankamon, ils sont nés, ils ont mangé et finalement ils sont morts. » En somme, l’usage du carnet comme outil d’écriture apparaît judicieux à condition de construire didactiquement ses ressources et ses usages, ses exploitations et ses prolongements, sans tomber dans les excès de l’expressionnisme subjectiviste et libre, sans non plus entrer dans un cycle long de réécritures supposant une maîtrise du brouillon parfois délicate pour les apprenants. C’est tout l’intérêt du cours de Fabienne Jacob de l’inscrire dans la construction des compétences linguistiques, littéraires et culturelles des étudiants, avec ce souci d’élaborer une représentation féconde de l’écrit qui aide au dépassement de la page blanche, notamment dans le contexte d’apprentissage d’une langue étrangère. En résumé, le sujet affectif qui transcrit ses sensations et ses émotions urbaines au jour le jour reste indissociable d’un sujet épistémique qui se construit une connaissance réflexive sur l’écriture, d’un sujet social en immersion dans un pays inconnu dont il interroge les manières et les croyances, enfin d’un sujet cognitif qui raisonne et tâtonne dans la pratique d’une langue et d’une culture nouvelles. Le carnet d’écriture s’inscrit ainsi dans l’ensemble des productions réflexives aidant l’élève à conscientiser ses propres démarches d’écriture (cf. portfolio), à enrichir le clavier de ses tactiques et stratégies de production, des visées en phase avec les orientations du CECRL : faire en sorte que les apprenants « deviennent de plus en plus conscients de leur manière d’apprendre, des choix qui leur sont offerts et de ceux qui leur conviennent le mieux » (2001 : 110). Impliquer toutes les facettes de ce sujet-scripteur, dont l’identité n’est pas un état fixe et reste en construction, suppose de valoriser à la fois le polymorphisme du carnet (du texte rédigé et des listes, des glossaires, des schémas, des appréciations, des notations au vol, etc.), sa multimodalité (donner aux anecdotes une fonction tantôt génétique, poétique, esthétique, polémique, etc.), sa socialisation interculturelle (le partage des expériences et des comportements sociaux qui font du carnet un « manuel » de savoir-vivre), et son potentiel réflexif (l’apprenant objective ses stratégies d’écriture). L’intérêt d’une telle pratique en FLE, et en contexte plurilingue, réside aussi dans la façon plurielle d’aborder les questions centrales de l’altérité (ethnographique, sociologique 126

autant que symbolique), de l’identité du sujet, de ses langues et de ses cultures (comparatisme, analogie, opposition) à travers des énoncés de formes, de statuts et de significations diversifiés, qui ont tous pour point commun de nourrir ce carnet du quotidien, ce carnet de travail qui fait de la « culture de l’ordinaire » sa matière première (Certeau, 1978 : 3-26). 5.3. Éléments pour une progression autour de la variation Faire intervenir des professionnels de l’écriture dans un cours de langue intensif et multiculturel permet de donner toute sa place à une lecture authentique, subjective, ouverte et relativement spontanée, en dehors d’un cadre didactique ou évaluatif trop contraignant. Une démarche plus formalisée, consciente des enjeux didactiques en lecture et en écriture (voire en production orale), peut tout autant se justifier : l’enseignant responsable d’un groupe d’apprenants, qui se fait « animateur » d’atelier d’écriture, a d’autres atouts, car il peut planifier les activités en résonance avec les différents apprentissages communicatifs, mais aussi à travers des supports matériels mi-littéraires mi-scolaires comme le carnet, mettre l’accent sur les aller-retour entre intention et effet, autrement dit la négociation entre le pensé et le formulé, qui est au cœur de l’apprentissage d’une langue étrangère. En donnant une place à l’écriture créative, on met ainsi l’apprenant en situation de percevoir de manière directe, sous la forme de problèmes à résoudre, cette variation inscrite dans la langue que l’enseignement communicatif aurait plutôt tendance à aplanir. Or, l’efficacité communicative ne devrait pas se traduire par une réduction de la langue objet d’enseignement. Si les énoncés mémorisés caractérisent la maîtrise élémentaire d’une langue étrangère, justifiant pleinement le recours à la littérature comme mécanisme de mémorisation (chapitre 6), à partir du niveau B1, ce sont l’étendue et la capacité à combiner adéquatement les formes familières et nouvelles qui priment. Comment concilier variation et progression méthodique des apprentissages langagiers ? Et cette progression peut-elle être parallèle en écriture et en lecture littéraires ? L’intégration de la littérature en classe, que ce soit à travers l’écriture ou la lecture, conduit à relativiser l’importance encore souvent accordée à la norme, ou du moins à l’envisager comme un facteur qui peut être limitant, aussi bien pour l’écriture créative, pour la lecture des textes littéraires que pour l’écriture fonctionnelle, voire universitaire. Or, pour pouvoir communiquer de façon de plus en plus adéquate et de plus en plus fine, il est nécessaire de maîtriser différents types de variations – ce que le texte littéraire met opportunément en scène. 5.3.1. Difficultés du niveau B1 : le besoin de norme 5.3.1.1. Corrections et acceptabilité

Bien que les connaissances et les compétences élémentaires soient acquises au niveau B1, l’apprenant a encore besoin prioritairement, à ce stade, de repères stables avant d’être cognitivement ouvert à une variation généralisée (lexicale, phonétique, syntaxique). Quelles précautions peut-on imaginer pour que cette priorité de consolidation de bases grammaticales soit compatible avec la créativité (dans l’écriture) et la lecture ? Quel discours tenir face à des textes fictivement autobiographiques dans 127

lesquels des apprenants (dont l’enseignant connaîtrait par ailleurs les difficultés avec les déterminants ou la fonction attribut) affirmeraient, comme les étudiants de Jean Portante : « Je suis une Lune » ou « Je suis maintenant » ? Une possibilité serait d’imaginer une progression à deux, voire trois, vitesses : celle de la lecture, qui autoriserait déjà, à côté de documents fonctionnels en langue standard, des textes plus variés ; celle de la production écrite fonctionnelle, qui s’en tiendrait à la systématisation des structures encore en cours d’acquisition et à l’acquisition de nouvelles structures usuelles ; et celle, bien distincte, de l’écriture créative. Celle-ci, en effet, pour être intégrée à la progression didactique à ce niveau de compétence intermédiaire sans aller à l’encontre du but recherché, pourrait servir de lieu d’évaluation intermédiaire. Laisser écrire des syntagmes tels que ceux cités sans les commenter ne rendrait pas service à l’apprenant ; les lui interdire au nom de la norme, non plus, puisque l’on a vu tout l’intérêt de l’écriture créative pour l’appropriation de la langue et la confiance en soi à développer en langue étrangère. Si l’on ne dit pas à l’apprenant à quelles conditions (discursives) il peut s’autoriser telle ou telle phrase, on limite aussi, et durablement, sa compétence à lire des textes littéraires, mais aussi à recevoir toutes sortes de discours fonctionnels ponctuellement déviants par rapport au français standard des méthodes et des examens de FLE (publicité, commentaire sportif, etc.). Reste à envisager une annotation codée minimale qui signale, d’une manière pragmatique et non stigmatisante, que telle association de mots serait, en français standard, considérée comme agrammaticale et non acceptable, mais qu’elle peut être source d’effet poétique et porteuse d’une force émotionnelle la justifiant en contexte littéraire. Le lien entre interlangue et créativité (5.2.1.2.), interlangue et écrit préparatoire (5.2.2.3.) est donc à considérer, aussi, sous l’angle de l’apprentissage raisonné et progressif de la langue, afin de concilier le besoin de créativité langagière (nécessaire pour avancer dans la maîtrise de la langue) et le besoin tout aussi légitime d’explicitation et de rappel des fondamentaux. L’exposition aux textes littéraires, en parallèle, autorise par ailleurs un enseignement de la langue qui ne s’arrête pas aux « règles » reconnaissables dans les interactions spontanées, mais qui soit également attentif à d’autres schémas de phrase, avec lesquels la familiarisation est relativement lente et a plus de chances de se manifester au niveau B2 si l’enseignement jusqu’au niveau B1 ne s’en est pas tenu à l’ordre des mots exposé dans les grammaires des premiers temps. 5.3.1.2. Grammaire de discours : une première ouverture à la variation

La langue communicative, à enseigner, telle qu’elle apparaît dans les méthodes et les grammaires pour allophones, se pense coupée de la langue de la littérature, ce qui conduit à des représentations restreintes. Le passé simple, par exemple, a perdu de sa légitimité comme objet d’enseignement au point de devenir le symbole du récit littéraire, donc inutile, alors qu’il serait intéressant d’expliciter les emplois actuels du passé simple dans des textes non littéraires allant du récit historique à la chanson, pour avoir une vision plus juste de la langue. 128

On enseigne en effet une grammaire de production plutôt que de réception, laissant peu de place à la variation avant les niveaux de perfectionnement, même au niveau de la grammaire de phrase : apposition, thématisation à l’écrit, omission du sujet, inversion du sujet, place des adverbes devraient être rendus plus visibles pour détacher les apprenants de l’ordre des mots et d’un petit nombre de formes de phrases en réalité déjà familières depuis longtemps. Certains textes peuvent, dans la continuité des niveaux élémentaires, se prêter à une lecture qui s’attache à des formes locales, si celles-ci sont la clé de l’effet de lecture (par exemple, des jeux sur la dérivation dans un poème), mais hormis certains cas très particuliers, la grammaire de phrase est plus profitablement amenée à travers des documents fonctionnels, tandis que la littérature offre une entrée privilégiée dans la grammaire de discours. D’autres phénomènes linguistiques que les aspects des temps verbaux nécessitent d’être abordés plus systématiquement dans leur variété discursive, et la littérature, lue en commun, en classe, permet plus facilement ce type d’observation : la phrase nominale, la coordination, etc., en interrelation avec d’autres structures qui s’avèrent déterminantes pour décider ensuite, en situation de production, des emplois « appropriés » – plutôt que seulement « corrects », selon la distinction préconisée par le Conseil de l’Europe (Fleming, 2006). Le choix de textes littéraires adaptés à un niveau tel que le niveau B1, guidé par la plus ou moins grande ressemblance de leur échantillon de langue au français standard contemporain, se conçoit donc davantage pour la lecture autonome (chapitre 3.2.4.) que pour des lectures en classe, où l’enseignant peut donner accès à une vision plus juste de la langue, en acceptant de s’écarter, de temps à autre, des parcours balisés qui ne sont pas conçus pour être suivis trop scrupuleusement. Les cours de niveau B1 aux adultes étant souvent très hétérogènes tant en termes de niveaux (par compétence) que de motivations, ils se prêtent assez naturellement à ces digressions didactiques. Il s’agit en somme, à la fin du niveau B1, d’être prêt à développer une conscience de la langue (notamment par différence avec la langue maternelle) qui devient primordiale au niveau B2. 5.3.2. Horizons élargis du niveau B2, seuil des études supérieures

C’est dans le vaste empan du niveau B2, tantôt présenté comme « intermédiaire », tantôt considéré comme déjà « avancé », en tout cas seuil objectif pour l’accès à un premier cycle universitaire en France, qu’achève de se développer une conscience de la langue qui va permettre le contrôle suivi des formes (ou l’autocorrection) par l’apprenant. Or, pour aller vers l’étendue et la précision linguistiques qu’implique la réussite d’un projet d’études, la complémentarité de la littérature avec les documents fonctionnels utilisés par ailleurs nous semble à souligner. La littérature conduit en effet à ne pas restreindre la langue qui est enseignée, et à considérer ses variations sous des angles de plus en plus nombreux. Pourtant, les études consacrées au français « sur objectifs universitaires » ou « FOU » (Mangiante & Parpette, 2011) ne se sont pas, jusqu’ici, intéressées au rôle que peut jouer la littérature dans le succès d’un parcours qui, indépendamment des spécialités, passera par la lecture de textes longs et/ou difficiles. Comprendre les attentes d’exercices 129

académiques, se repérer dans le cheminement d’un cours magistral sont des compétences indispensables, mais le perfectionnement linguistique à mener de concert nécessite tout autant d’être pensé dans sa spécificité, qui n’est pas seulement de revoir les « bases », d’enrichir un répertoire de connecteurs logiques ou d’acquérir une langue universitaire. Le passage par la littérature facilite par ailleurs, sans aucun doute, l’insertion sociale par le savoir partagé (Séoud, 1997), mais il est d’abord l’occasion d’un approfondissement de la maîtrise de la langue. La variété et la souplesse de l’expression requises à partir du niveau C1 (niveau critique pour l’admission en master dans une majorité de disciplines) ont besoin du contact avec la littérature, qui favorise la réflexion métalinguistique, aide à appréhender des modes d’organisation textuelle variés, et invite à une lecture sans naïveté de textes en apparence plus immédiats. Aux niveaux B2 à C2 en effet, l’importance accordée à l’objectif interprétatif est le garant à la fois, du côté de l’enseignant, d’une bonne instrumentalisation des textes, et, du côté de l’apprenant, d’une meilleure compréhension du fonctionnement de la langue : pour un texte donné, plutôt que de susciter des relevés d’éléments qui ne seraient pas déterminants pour les effets de sens (morphologie, orthographe lexicale), on opère une sélection des faits de langue significatifs en fonction d’un projet de lecture. Cela n’empêche pas de proposer des exercices de reprise plus systématique, à distance. La démarche est proche d’une activité de compréhension écrite classique (qui part du sens et y revient après un cheminement linguistique non exhaustif et guidé par un nombre limité d’« entrées » spécifiques), à ceci près que, pour un article de presse ou toute forme d’écrit fonctionnel, la relation entre la forme et le sens n’est pas aussi nécessaire, et que l’intention du scripteur peut y être dégagée de façon relativement univoque. 5.3.2.1. Oral, écrit : de nouveaux enjeux

La notion d’emploi « approprié » mise en avant par le Conseil de l’Europe est essentiellement prise en compte, en classe de FLE, pour sensibiliser à la différence entre l’oral et l’écrit. La distinction, si importante pour qui souhaite entreprendre un cursus universitaire en français, reste peu abordée par les ouvrages disponibles pour les cours de ce niveau, sans que soient prises en compte les spécificités syntaxiques de l’oral, ou en confondant souvent oral et registre familier, ou en présentant l’écrit comme une sorte de e refus de l’oral. Or, la littérature du XX siècle s’est saisie de ces problèmes de langue, en ouvrant de diverses façons la porte à l’oral, dans un mouvement qui, à chaque fois, a renouvelé l’écriture romanesque, mais aussi modifié notre perception de la langue même et de ses codes. Ces expérimentations langagières, dans leur diversité même – Céline et Queneau n’ont que peu en commun – sont un terrain privilégié de réflexion sur la langue pour un apprenant. Pour ne s’en tenir qu’à ces deux auteurs, convoqués par Jean Portante dans son atelier d’écriture, leur travail respectif sur la langue fait si étroitement corps avec leurs imaginaires personnels et des tonalités spécifiques que le sens de la lecture est ici indissociable de la compréhension des formes. À cet égard, la littérature très contemporaine a peut-être davantage sa place aux niveaux déjà avancés qu’au niveau B1, car elle présente, chez beaucoup d’auteurs, une forme de fausse transparence linguistique intéressante à mettre au jour dans le cadre plus 130

large d’une formation critique. Julien Piat (2012) a montré à quel point l’une des tendances de la fiction actuelle en français (Beigbeder, Nothomb) était de faire, dans une lignée littéraire déjà bien identifiée, de l’écrit une « fiction d’oral », avec des « marqueurs stéréotypiques de l’oral » (lexique commun, syntaxe simple, parataxe, brièveté, phrases averbales, discours rapporté, incises, thématisation). Suggérer ce qu’il y a de construit dans ces simulations de discours oral est particulièrement intéressant avec des étudiants qui doivent intégrer dans leur pratique écrite des signes extérieurs de formalisme tout en découvrant que l’oral académique n’est pas non plus, à l’inverse, la simple mise en voix d’un écrit formel. Autre type de variation intéressante à introduire dans un enseignement de niveau avancé et dont la littérature est le terrain d’observation principal : la variation historique. 5.3.2.2. Variation historique et savoir-apprendre

Tout d’abord, il y a une vertu à l’étonnement que suscite la découverte d’un autre mode de fonctionnement de la langue, en particulier à propos de phénomènes enseignés au niveau débutant et considérés par l’apprenant comme familiers depuis longtemps. On pensait savoir que tutoiement et vouvoiement étaient deux régimes d’énonciation exclusifs e l’un de l’autre et, en lisant des lettres d’amour du XIX siècle, authentiques et romanesques, l’on est frappé de voir coexister « tu » et « vous », non seulement dans une même séquence, mais parfois dans une même phrase. Ce jeu avec les pronoms, sous la plume réelle d’écrivains, musiciens ou princes célèbres, ou dans la bouche d’une héroïne de Dumas fils, interroge forcément : que nous apprend-il de l’intimité à la période romantique, des manières de dire, des sentiments par là avoués, tus ou au contraire renforcés ? Et que signifie l’interdiction du mélange dans le français d’aujourd’hui ? On peut penser que ce type de choc cognitif, pour l’apprenant, est de nature à favoriser une plus grande attention aux effets produits par les mots, au-delà de cet exemple d’énonciation épistolaire. Il s’agit donc de renforcer la réflexivité sur l’apprentissage et la prise de conscience de l’instabilité constitutive de la langue, liée à l’usage : un enseignement communicatif, en passant par l’histoire de la langue que reflète la littérature, est plus satisfaisant pour l’apprenant s’il lui permet, même à un niveau avancé, de ne pas être dérouté face aux contradictions qu’il perçoit parfois d’une grammaire à l’autre, en raison de la perception variable qui s’y trouve reflétée et de la plus ou moins grande prise en compte, d’un ouvrage à l’autre, de l’usage par rapport à la norme. En effet, les apprenants qui se perfectionnent sont nombreux à être tentés, face à la variation en synchronie, de conclure à l’excentricité inhérente à la langue française, au lieu de prendre conscience de l’instabilité, relative, de la langue, et de gagner en autonomie dans leur apprentissage. Si l’on a effectivement besoin pendant les premiers temps de l’apprentissage de réponses « définitives », demeurer trop longtemps dans l’illusion de la fixité de la langue peut finir par être source de blocage. La pluralité des « solutions » linguistiques, si déroutante en synchronie, serait peut-être plus sereinement admise si l’évolution de la langue n’était pas écartée devant l’urgence d’enseigner « le » français d’aujourd’hui. Il s’agit donc de développer un savoir-apprendre à propos de la langue et de permettre, 131

grâce à la fréquentation des classiques, de faire mesurer l’histoire de la langue pour faire accepter le fait que cette histoire est encore en cours. Face à la diversité des explications grammaticales, des positions des enseignants et des énoncés entendus dans la rue, à la télévision, les apprenants, notamment en immersion, ont besoin qu’on leur dise qu’un usage encore inapproprié dans tel contexte il y a vingt ans est devenu l’usage dominant d’une majorité de locuteurs et que s’il n’est pas encore approprié dans tous les contextes, il pourrait finir par l’emporter. 5.3.3. Précision et souplesse aux niveaux C : transferts de compétences 5.3.3.1. Combinaison des genres et des types textuels

Parmi les difficultés que peuvent rencontrer les étudiants étrangers qui vont entreprendre un cursus en France, ou sont déjà engagés dans un échange et ne bénéficient que de très peu d’heures de cours de langue, le français sur objectifs universitaires accorde avec raison une large place à la diversité des genres descriptifs, explicatifs et argumentatifs à maîtriser à l’écrit. À côté des modèles répondant à un mode d’exposition immuable (introduction, annonce de plan, phrases de synthèse et de transition…), dont la connaissance et l’imitation sont effectivement indispensables, on peut souligner l’intérêt du recours aux textes littéraires pour améliorer la maîtrise de types et de genres nombreux. L’omniprésence de la composition, quelle qu’elle soit, est frappante par e exemple dans les descriptions ou les scènes narratives de grands romans du XIX siècle qui théâtralisent de façon quasi didactique ces articulations (Hugo, Balzac) ; confronter les étudiants à des extraits modernes organisés autour de progressions thématiques très différentes peut être une activité complémentaire. Il ne s’agit pas de faire calquer ces schémas, mais de les faire identifier pour, en retour, faire mieux lire des ouvrages de spécialité variés pouvant répondre à des logiques de structuration du discours fort différentes, d’une discipline à l’autre ou d’un auteur à l’autre, puisque les types (descriptif, explicatif, narratif) ne peuvent pas être séparés des genres. La littérature « d’idées » est une des modalités envisageables, bien sûr, dans cette perspective. Dans le Supplément au Voyage de Bougainville, Diderot fait parler, au sein d’un premier dialogue entre deux lecteurs, différents protagonistes attachés à l’expédition de l’explorateur français (vieux sage, jeune chef tahitien, aumônier jésuite) et échafaude un enchâssement de discours qui demande une analyse critique du dispositif polyphonique tout en faisant se succéder des genres argumentatifs stylistiquement marqués : harangue du vieillard tahitien comportant à la fois un éloge de la vie sauvage, une accusation et un plaidoyer, commentaires auto-justificatifs du jeune jésuite, etc. La problématique du bon sauvage, (inter)culturellement intéressante à présenter au niveau universitaire, ne laisse pas indifférent et encourage par ailleurs à entrer dans une langue lisible aujourd’hui malgré son éloignement. Selon le temps disponible, on peut prévoir une lecture suivie organisée autour de quelques séances qui permettront à la fois d’analyser certains passages et le dispositif d’enchâssement, en s’interrogeant sur l’importance de la dénomination de « conte moral », ou seulement l’étude ponctuelle d’un ou deux extraits rapidement contextualisés à partir de documents iconographiques. 5.3.3.2. Écarts stylistiques

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Pour des étudiants de sciences humaines, mais aussi pour des adultes dont l’activité professionnelle implique une maîtrise plus fine de la syntaxe, de la ponctuation ou des connotations parce qu’ils sont amenés à rédiger des discours ou des articles, ou encore à traduire, une approche de la variation par la littérature aux niveaux C1-C2 passe également par la sensibilisation aux écarts proprement stylistiques. Qu’on nomme caprice, licence ou entorse la distance prise par les écrivains par rapport à un usage jamais définitivement figé, ou encore, comme André Gide, « fautes conscientes et volontaires », cette recherche permanente sur la langue fait aussi partie de la langue tout court puisqu’elle en explore les limites, et l’approche de la littérature sous cet angle, déjà nettement distinguée des autres par Jean Peytard (1982), garde aujourd’hui tout son intérêt. La bizarrerie des imparfaits de Flaubert a fasciné les lecteurs avant de donner lieu à des études de spécialistes. Chez certains écrivains, le sentiment d’étrangeté syntaxique est parfois dû à la reprise toute personnelle de tournures du latin ou du grec ancien qui ont imprégné leur culture scolaire, tant les situations de contacts de langues se trouvent au cœur de la littérature. Il s’agit là de permettre à des apprenants ayant déjà une très bonne maîtrise du français quotidien, en réception comme en production, de prendre conscience des phénomènes d’appropriation subjective de la langue et des interrogations que chacun peut avoir sur ce qu’il est possible ou non d’exprimer, et avec quel effet, dans les structures profondes d’une langue. L’enseignement de la langue par la littérature signifie l’ouverture des contenus enseignés à la diversité qui fait la langue même. Car ce n’est pas seulement l’effet de style qui fait la variété de la langue, mais bien le potentiel de la langue que la littérature rend tangible par l’écriture et visible par la lecture : de l’imitation littérale à la variation de l’écart, un parcours progressif et étayé peut être défini, comme pour tous les objets d’enseignement qui composent un cours de langue, avec une attention toute particulière au niveau décisif, mais encore fragile, que constitue le niveau B1. L’approche actionnelle de la littérature suscite le travail sur la langue, à travers diverses compétences, si l’on imagine des activités variées autour de la lecture. Mais il serait paradoxal de ne pas intégrer la langue comme matière même des textes dans l’apprentissage. L’un n’exclut pas l’autre, de même que les moments requérant une médiation plus importante de l’enseignant peuvent alterner avec l’espace à la fois distancié et subjectif de l’écriture créative ou personnelle. Une hésitation de ponctuation à l’occasion d’un travail personnel peut susciter l’observation d’un brouillon d’écrivain trahissant plusieurs options non équivalentes, mais toutes signifiantes. Par ailleurs, les interactions dans une classe de langue multiculturelle en immersion facilitent la prise de conscience de la subjectivité de l’observation de la société, et ce qui peut servir d’appui à une approche non référentielle de la littérature, et de tous les discours sociaux qu’elle reconstruit, dans la langue. Ainsi, il est possible d’envisager une forte synergie entre lecture, écriture et réflexion sur la langue/culture, tout en donnant sa place au sujet, en valorisant à ses propres yeux son « interlangue », qui peut devenir une interlangue de travail, et en dépassant l’opposition, récurrente en FLM, entre expression de soi et écriture pour l’autre. Plus 133

peut-être que la maîtrise, est recherchée une manière d’« habiter » la langue étrangère (Paveau, 2011). « Elle parle comme quelqu’un qui vient d’apprendre le français », disait Duras de l’actrice Delphine Seyrig lisant ses textes (citée par Adam, 2011), pour évoquer le plaisir physique à le parler. Notes

(1) Claudette Oriol-Boyer, lors d’une conférence sur « Les écritures d’invention » le 13/12/2000 dans un collège de l’académie de Versailles (à Neuilly). http://www.lettres.acversailles.fr/IMG/pdf/Conference_de_Claudette_Oriol.pdf (2) http://fleneso.blogspot.fr/2010/02/dejeuner-du-matin-de-jacques-prevert.html (3) Dossier thématique : http://www2.cndp.fr/actualites/question/poesie/poesie_enclasse-Imp.htm e (4) Communication de N. Hannecart au XV Congrès brésilien des professeurs de français, Belo Horizonte, 2005 : « L’articulation lecture-écriture, à partir de la notion de stéréotype, pour aborder la poésie en classe de FLE ». (5) http://www2.cndp.fr/actualites/question/poesie/poesie_enclasse-Imp.htm (6) http://www.mondesenvf.fr/ressources/Atelier1/02_Fiche_pedagogique_Creer_un_personnage_d%27enq (7) Les citations en italiques renvoient aux entretiens réalisés par Donatienne Woerly avec Jean Portante et Fabienne Jacob en 2013.

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CHAPITRE 6 La littérature en acte : voir, entendre, ressentir par Ève-Marie Rollinat-Levasseur, section 6.2.4. avec la contribution de Véronique Kuhn La notion d’interprétation met en valeur l’action du lecteur dans l’acte de lecture : voilà ce qui nous semble rencontrer la perspective des approches actionnelles qui, dans le cadre de l’enseignement d’une langue/culture, conçoivent l’apprenant comme un acteur, et l’apprentissage comme une action. Nous développerons ici quels usages l’enseignementapprentissage du FLE ou du FLS peut faire de l’interprétation d’une œuvre littéraire et ce qu’ils impliquent du point de vue didactique : nous analyserons quelles conceptions des apprenants et de l’apprentissage ils supposent, quel rôle ils attribuent à l’enseignant et quelles représentations de la littérature sont véhiculées par ces pratiques pédagogiques. La polysémie du mot interprétation – qui va de l’incarnation à l’adaptation, la traduction ou la transposition – nous permet d’envisager la question à deux degrés : celui des interprétations que les apprenants font eux-mêmes d’une œuvre littéraire ; celui de l’usage pédagogique d’œuvres, par exemple filmiques, qui sont des interprétations ou des adaptations de textes littéraires. Dans les deux cas, la notion d’interprétation place notre approche de la littérature dans le champ de l’expérience, de l’expérimentation et de la médiation. Dans une telle perspective, la lecture n’est pas seulement considérée comme le déchiffrage d’une suite de mots et de phrases, mais comme un processus engageant le corps : la lecture oralisée comme la mise en voix et en espace ou la représentation scénique d’une œuvre littéraire sont des modes de lecture par lesquels le texte devient parole incarnée ; voir et entendre les interprétations que font eux-mêmes les apprenants et qu’ils produisent les uns devant les autres, tout comme voir une adaptation filmique d’une œuvre, écouter une transposition musicale d’un texte, cela fait appel aux sens, à la perception du sujet et peut susciter ses émotions. La lecture peut aussi mettre en branle l’imaginaire : les activités pédagogiques que nous évoquons cherchent à renforcer cet éveil de l’imaginaire, ainsi que la créativité qui y est associée. En outre, si l’acte de lecture relie le lecteur au monde qu’il découvre dans une œuvre littéraire, les activités pédagogiques de lecture en classe permettent aux apprenants d’échanger entre eux sur leur lecture, d’élaborer ensemble une interprétation de l’œuvre, de partager leurs émotions et leurs sensations à la lecture. Au-delà du seul aspect de l’expression linguistique impliquée, capital dans le cas de l’enseignement d’une langue, les interactions mettent alors en relation les sujets dans leurs échanges sociaux à travers une action commune, les faisant entrer dans une démarche d’empathie, c’est-à-dire de capacité à comprendre autrui en tant qu’autrui : la lecture sort l’apprentissage d’une simple approche fonctionnelle et mécaniste de la langue pour l’ancrer dans l’expérience humaine ainsi que dans la relation aux autres et au monde, ce qui relève d’une conception enactive du langage (Aden, 2013). Enfin, une telle conception de la lecture associe étroitement l’apprentissage de la langue à l’éducation artistique et culturelle, l’intégrant à la fois comme connaissance et comme pratique, dans une perspective transversale : de ce point de vue, c’est aussi participer, par 135

l’apprentissage d’une langue – le français – à l’éducation artistique, compétence que, e depuis le début du XXI siècle, l’UNESCO définit comme étant un objectif à atteindre « pour accroître la capacité créatrice et novatrice de la société », propice à « relever les (1) grands défis mondiaux, de la paix au développement durable ». Toutes les activités pédagogiques à partir de la lecture littéraire en classe de FLE ou de FLS ne mettent pas en œuvre de la même façon la corporéité, l’imaginaire, la créativité ou la relation aux autres. Il s’agit dans ce chapitre d’étudier quelques pratiques attestées de la lecture comme interprétation et d’analyser dans quelle mesure la pédagogie de projet, la lecture orale et la pratique théâtrale inscrivent l’enseignement-apprentissage du français dans une telle conception de la langue. 6.1. Du jeu des interprétations aux gestes créateurs L’adaptation, c’est-à-dire l’interprétation d’un texte source, est un des usages de la littérature sous différentes formes et supports. Les pratiques de réécritures sont en effet attestées dès l’Antiquité et l’imitation des Anciens est un des fondements de la création artistique. Les arts plastiques et la musique ont illustré de nombreuses œuvres. Le théâtre, genre spectaculaire, porte à la scène des textes dramatiques conçus spécifiquement à cet effet, mais propose aussi des adaptations-réécritures d’autres genres littéraires, tels que contes, romans, essais… Le cinéma, quant à lui, s’est nourri, dès l’invention du genre, de la littérature, principalement des romans et du théâtre. Et depuis quelques années en France, on assiste à un véritable essor d’adaptations de textes littéraires en bandes dessinées. Parfois même, la réception de la littérature passe principalement par ces adaptations : si la littérature a toujours assuré au cinéma une audience, à l’inverse, une partie de l’accès à la littérature se fait par le cinéma, notamment pour les grandes œuvres romanesques. Voilà qui légitime d’autant plus des approches pédagogiques de la littérature et de la lecture en relation avec d’autres pratiques artistiques. De tels usages ont néanmoins suscité des débats théoriques portant principalement sur la valeur esthétique des œuvres adaptées, d’une part, et sur la fidélité des adaptations visà-vis de leur œuvre source, d’autre part. En effet, les adaptations sont parfois suspectées d’être des vols, des copies ou des plagiats, qui dénaturent les œuvres littéraires qu’elles transposent : créant une relation entre deux œuvres, elles induisent un rapport de valeur à plusieurs niveaux, entre la source et l’adaptation, entre les supports artistiques choisis, les genres, mais aussi les publics visés par les créateurs. Ainsi, les adaptations de textes littéraires au cinéma ont nourri la discussion autour de la question de savoir si le cinéma est un art à part entière au même titre que la littérature : le cinéma, qui est un art visuel, est jugé plus immédiatement accessible par un plus vaste public que la littérature et, par conséquent, est déconsidéré par certains quand d’autres au contraire voient dans cette spécificité ce qui le fonde comme art. S’il y a cependant une hiérarchie des valeurs esthétiques, nous ne la situerons pas ici entre les arts, mais au niveau de la qualité de chaque réalisation, en fonction de ce qu’apporte le regard singulier du ou des créateurs, de la façon dont ils s’adressent au public, de la force de l’imaginaire porté par l’œuvre créée. Toute adaptation entraîne de fait une altération de l’œuvre source. Mais les processus 136

de création, de recréation, de transformation et de transposition font entrer la lecture dans un jeu d’interprétation : participer à ce mode de lecture, même dans le simple cadre de l’apprentissage du FLE, c’est entrer dans le jeu de la lecture tout en apprenant à chercher du sens et des relations entre des œuvres et leurs supports. Ainsi, voir ou écouter des adaptations d’une œuvre, ou en produire, constituent des espaces d’accès à la littérature : la multiplicité des modes d’approches de la littérature offre des possibilités d’expériences déclenchant des émotions ou des sensations, qui, par leurs détours, éveillent l’envie de lire. Dans le cas de l’apprentissage d’une langue étrangère, comme le FLE, les adaptations permettent en outre d’introduire un jeu de variations et de répétitions dans la langue/culture cible, ce qui est propice à son acquisition. 6.1.1. Interprétation : créativité et pédagogie de projets

Si la créativité est un concept complexe encore marqué par un flou terminologique du fait de l’usage et des représentations courantes véhiculées par le terme, c’est aussi un concept actuellement au cœur des recherches théoriques dans le cadre de l’éducation et de l’enseignement-apprentissage des langues (Aden & Piccardo, 2009), notamment avec la réflexion sur l’approche multivariée ainsi que les études sur les capacités transversales. Fruit de la rencontre entre des capacités cognitives, des émotions et des facteurs environnementaux, la créativité est, du point de vue de la psychologie différentielle cognitive, « la capacité à réaliser une production qui soit à la fois nouvelle et adaptée au contexte dans lequel elle se manifeste » (Lubart, 2003 : 10). Aussi peut-elle s’exercer dans plusieurs domaines à partir de la lecture d’un texte littéraire et être suscitée par différents types d’activités proposées par l’enseignant comme celles que nous allons évoquer plus bas. Dans le cadre de l’enseignement du FLE, l’objectif est que ces activités motivent la pratique de la langue (à l’oral comme à l’écrit) tout en conduisant l’apprenant à agir : ce que l’apprenant crée importe, et la verbalisation de son action est essentielle pour ses progrès dans la langue. Les activités de créativité sont donc à concevoir en fonction du niveau de langue des apprenants, sachant qu’une telle approche invite d’emblée à comparer le texte lu et la production proposée et à expliciter son projet : pour acquérir le niveau B1, les apprenants doivent pouvoir raconter et décrire ce qu’ils auront lu ou voulu présenter à partir de leur lecture d’un texte, parler de leur expérience et des émotions ou impressions qu’elle aura éveillées, mais aussi expliquer et justifier leur projet, même sommairement. Pour le niveau B2, ce sont ces mêmes compétences qui sont attendues, mais plus développées, avec un maniement de la langue plus précis et nuancé avec l’emploi de phrases complexes… Ainsi, une telle approche peut-elle être mise en œuvre à plusieurs niveaux de l’apprentissage. Nous en présentons trois exemples qui sont autant d’étapes dans l’approfondissement du rapport au texte littéraire. La conception d’un appareil éditorial par les apprenants des textes qu’ils lisent est souvent proposée en classe. C’est ainsi un exercice créatif qui peut s’appliquer à une œuvre complète, mais aussi s’adapter à un extrait ou à un ensemble de textes. La fonction de la couverture d’un ouvrage est à la fois de donner une image de ce qu’il contient et de donner envie de le lire : il faut choisir ou élaborer une illustration adaptée, trouver une police de caractères appropriée, mais aussi, pour la quatrième de couverture, écrire un 137

résumé de l’œuvre ou en choisir un extrait, présenter brièvement l’auteur, en sélectionner un portrait. Pour l’illustration, l’apprenant qui a une intelligence visuelle et spatiale va transposer ce qu’il aura lu à travers une image qu’il créera et où il pourra s’exprimer à travers sa lecture de l’œuvre. Mais un apprenant, qui n’a pas les moyens artistiques pour proposer lui-même une illustration aboutie pour une couverture, peut aussi en présenter un projet et justifier ses choix : que retient-il du texte ? Une image qui symbolise le passage qu’il juge le plus important ou une image qui synthétise différents aspects du texte ? Une image concrète ou abstraite ? Quelles couleurs, quelles formes lui semblentelles convenir pour le texte considéré ? Si la recherche d’images pour illustrer une œuvre conduit parfois les apprenants à choisir des clichés qui sont réducteurs parce qu’ils évoquent davantage le monde qui les entoure et qu’ils connaissent que le texte, cet exercice reste néanmoins une action qui implique personnellement l’apprenant. Le rôle de l’enseignant est de le conduire à sortir peu à peu des stéréotypes. Le travail de groupe est ainsi efficace dans un deuxième temps, car il implique que les apprenants comparent les productions de chacun, ce qui les conduit à discuter de leurs différentes représentations pour les dépasser par l’élaboration d’un projet commun. L’enseignant peut aussi ouvrir le répertoire visuel des apprenants en leur proposant différentes illustrations possibles à partir desquelles ils vont élaborer leur couverture. Si la classe est équipée de tablettes numériques, cette activité est adaptable à des formes interactives de lecture avec l’insertion de liens hypermédia à des endroits clés du texte, renvoyant par exemple à des images, des vidéos ou des musiques. Une séquence de cours peut également inviter les apprenants à élaborer un projet spécifique à partir de leur lecture d’un texte en fonction de leurs compétences ou talents personnels : une production musicale, un projet de film, une chorégraphie, une peinture, un poème, un film, une création vestimentaire… Il ne s’agit pas d’évaluer du point de vue esthétique les productions proposées par les apprenants, mais de faire entrer la lecture littéraire dans l’élaboration d’un projet : une note d’intention accompagnée de différents documents convient autant qu’une production artistique achevée dans le cadre de l’enseignement du français. Un tel exercice suppose en effet d’approfondir la lecture du texte source pour mieux le comprendre et pour élaborer en regard un projet ou un objet. Ici, l’acte créateur n’est pas forcément réduit à une adaptation qui aurait à se distinguer par sa fidélité à l’œuvre, mais peut être conçu comme nourri par la lecture – et c’est aux apprenants d’expliciter comment leur projet s’articule au texte qu’ils ont lu. Ils entrent ainsi dans la dynamique de la création, les lectures inspirant de nombreux artistes, quel que soit leur médium. Sur le plan didactique, le rôle de l’enseignant n’est pas de dispenser un savoir sur l’œuvre comme préalable à tout geste créateur, mais plutôt de répondre aux questions que l’activité de création suscite sur les textes lus, sur leur contexte, conduisant ainsi les apprenants à être les propres acteurs de leur apprentissage. Un partenariat avec un événement culturel peut aussi servir de fondement à une approche transdisciplinaire de la littérature dans le cadre de son enseignement en FLE : un festival de musique ou de films, une exposition artistique, par exemple, offrent autant d’occasions de tisser des liens entre la lecture de textes littéraires et d’autres approches 138

artistiques. Le geste créateur supposé par une telle démarche s’apparente alors à une activité de médiation, ce qui témoigne en retour de ce que la médiation est un exercice créatif. Ainsi, à l’automne 2014, à l’université du Missouri-Kansas City, les étudiants de quatrième année de français ont élaboré des présentations d’œuvres artistiques à partir de textes littéraires que leur professeur, Gayle Levy, avait choisis pour qu’ils réfléchissent au e rapport entre « le paysage et le nationalisme français au XIX siècle ». L’occasion en était une exposition intitulée « La France impressionniste : représentations de la Nation de Le Gray à Monet » au musée des Beaux-Arts de Kansas City. Au terme du cours, après avoir rédigé plusieurs étapes de leur projet et une bibliographie annotée des ouvrages qu’ils avaient lus pour accompagner leur recherche, chaque étudiant a proposé en français une mise en regard du passage d’une œuvre et d’un tableau. Une étudiante, par exemple, a analysé un extrait de La Bête humaine de Zola à partir d’une lecture d’un tableau de Monet, Le Pont de chemin de fer à Argenteuil, montrant comment le peintre a inspiré le romancier alors même que celui-ci offre une représentation beaucoup plus noire du progrès technique apporté par le monde du chemin de fer. Mais surtout, le cours s’est achevé au musée où chacun des étudiants a fait une présentation en anglais de sa lecture croisée d’une œuvre littéraire et d’une œuvre artistique lors d’une soirée événementielle ouverte au public de la ville. Ainsi, les lectures en français ont trouvé sens dans la réalisation d’une médiation artistique effective sur place. Si ces approches de la lecture des textes littéraires s’inscrivent dans la pédagogie de projet, elles permettent de fonder l’apprentissage linguistique dans l’exercice de la comparaison, avec la recherche de différences et de similitudes : la démarche pédagogique qui consiste à aborder le texte littéraire en le mettant en relation avec d’autres pratiques artistiques part du principe que la multimodalité favorise l’entrée dans l’œuvre et qu’au-delà, le travail transgénérique ne conduit pas à un nivellement des genres, mais à une meilleure connaissance de chacun d’eux et à une capacité à savoir faire dialoguer les arts. 6.1.2. Littérature et cinéma : usages pédagogiques des films pour la lecture

Parmi toutes les adaptations de la littérature, les enseignants ont le plus volontiers recours aux arts visuels, avec les peintures, les photographies et plus encore avec les films : l’immédiate visibilité des images est perçue comme propice à la vulgarisation des savoirs, ce qui conduit à leur usage fréquent comme support pédagogique. L’immédiateté de l’image est cependant fallacieuse : voir s’apprend, et il faut décrypter les images pour ne pas en être dupe. Aussi, apprendre le FLE par la lecture conjointe de textes et d’images peut servir indirectement l’apprentissage de la littérature et des arts visuels, notamment du cinéma. Une image fixe placée en regard d’un texte qu’on essaie de déchiffrer peut servir de déclencheur pour l’imaginaire et aider à interpréter le texte sans se substituer à lui : c’est le plus souvent la fonction que les manuels accordent aux illustrations qu’ils placent à côté d’un texte littéraire, avec l’idée implicite que l’image, signe matériel, est immédiatement plus accessible qu’une suite de mots et peut, par le plaisir qu’elle suscite, stimuler l’effort de lecture (Renonciat, 2011). Les images filmiques comme les 139

représentations scéniques se caractérisent, elles, par une forme de continuité et font entrer, très souvent, dans la narration. Si les films ou interprétations scéniques laissent en réalité de nombreuses zones d’indétermination que le spectateur doit combler, la conjonction des images et du son donne l’impression de montrer tout ce que le texte n’explicite pas par les décors, l’incarnation physique que donnent les acteurs, les effets sonores et musicaux… Le moment où l’enseignant fait découvrir une adaptation filmique du livre qu’il fait lire est donc crucial, tout comme les activités pédagogiques qu’il propose en lien avec la lecture : il n’y a pas une manière de procéder, mais autant de stratégies à élaborer en fonction du groupe d’apprenants considéré, de leur niveau de langue dans les différentes compétences, mais aussi des objectifs du cours. La mise en regard d’un film et d’un texte peut ainsi s’envisager comme une activité ponctuelle dans le cadre d’un cours de FLE avec un travail sur un extrait ou à une échelle plus large, avec une séquence consacrée à la lecture d’une œuvre complète. Ou encore le visionnage d’une adaptation filmique en alternance avec la lecture de certains extraits – importants ou accessibles – est un moyen de donner accès à une œuvre dans son intégralité à des apprenants qui n’ont pas encore l’aisance pour lire un livre entier. Certes, montrer un extrait d’une adaptation avant la lecture du passage à lire fait courir le risque que les apprenants considèrent avoir lu le texte, l’ayant vu, ou ne voient dans le texte que ce qu’ils ont aperçu à l’écran. Mais pour des apprenants de FLE qui ne connaissent pas une partie du lexique du texte ni son ancrage socioculturel, commencer par voir des images qui illustrent le texte offre une entrée économe et efficace dans le monde représenté dans l’œuvre : comment en effet imaginer ce qu’on ne connaît pas du e tout ? Comment se représenter une scène dans un cercle mondain du XVIII siècle, par exemple, si l’on est d’un pays hors de la zone européenne ? Ce n’est pas qu’il soit impossible d’y parvenir par la seule lecture ni que les erreurs de lecture soient invalidantes (Vanoosthuyse, 2011). Mais, dans un premier temps, le jeu de l’illusion référentielle donne des repères à l’apprenant par le film et lui permet d’imaginer le contexte de l’extrait ou de l’œuvre qu’il lit. Telle est la fonction évocatrice des reconstitutions fictives offertes par les films, ce en dépit des écarts qu’elles peuvent entretenir avec la vérité historique : il appartient précisément à l’enseignant de relever les éventuels anachronismes et d’inviter les apprenants à formuler des hypothèses sur leur fonction dans le film. Passer par le détour d’un film dont l’action se situe dans un contexte similaire à celui de l’œuvre lue, par exemple, voir un passage de Ridicule de Patrice Leconte (1996) quand on aborde un texte dont l’action se passe dans les salons français de l’époque des Lumières, comme Les Lettres persanes, permet ainsi de tisser un réseau référentiel pour pouvoir imaginer ce qu’on lit. Voir l’adaptation filmique d’un texte, telle celle que Marion Lainé a donnée de la nouvelle de Flaubert, Un cœur simple (2008), joue le même rôle et accompagne l’apprenant dans sa compréhension de l’action de la nouvelle de Flaubert. À partir de là, en fonction du temps accordé à une séquence, c’est à l’enseignant de mettre en place des activités pédagogiques pertinentes par rapport à ses objectifs et en 140

fonction du temps dont il dispose. Commencer par demander aux apprenants de se représenter une scène avant de la leur donner à lire et à voir, par exemple imaginer une bataille de boules de neige dans Paris avant de découvrir Les Enfants terribles de Cocteau, est un exercice pour les impliquer par l’imagination dans la découverte du texte et de son adaptation, en introduisant une dimension comparative entre le sujet d’un texte et les adaptations ou transpositions que l’on peut en faire. Mais débuter par le visionnage du film ou d’un extrait peut servir de résumé contextualisant et permettre d’entrer plus vite dans le détail du texte. À un premier degré, un travail d’identification entre un extrait de l’œuvre littéraire et de son adaptation permet, par la description, d’associer des images aux mots, d’élaborer ainsi une sorte d’imagier du texte, ce qui sert l’apprentissage linguistique par la contextualisation du vocabulaire dans un contexte qui fait sens, tout en aidant la lecture. Inversement, la lecture du texte apporte à l’apprenant les mots pour décrire et exprimer ce qu’il voit dans le film, ce qui enrichit ainsi son répertoire linguistique et culturel. Mais au-delà de l’exercice de description, la recherche des différences entre le texte et le film conduit aussi l’apprenant à percevoir en quoi une adaptation propose des choix interprétatifs du texte, à affiner son regard sur les œuvres considérées, ainsi qu’à mieux définir sa propre lecture du texte. Analyser et comparer les dialogues écrits et filmés pour une même scène permet de relier le travail de compréhension orale et écrite : on peut demander aux apprenants de transcrire les dialogues du film et de les comparer ensuite à ceux du texte, ou s’aider de leur lecture préalable pour guider la compréhension orale du film, étant donné qu’en général, les scénaristes amplifient les dialogues des œuvres qu’ils adaptent, ou transposent en échanges verbaux des passages narratifs. Analyser la façon dont sont rendus des descriptions ou des passages de récits permet d’entrer dans l’étude des points de vue. Attendre la fin d’une séquence pour montrer une adaptation filmique peut laisser le temps à l’imaginaire de l’apprenant-lecteur de se développer, mais fait courir le risque d’apparaître comme la traduction en image du texte alors qu’elle n’en est qu’une lecture possible à travers l’actualisation et la contextualisation donnée par le film. C’est pourquoi le visionnage de différentes adaptations ou transpositions, quand elles existent, sert à maintenir présent que toute lecture est une interprétation d’un texte. Certains romans, comme La Princesse de Clèves, Les Liaisons dangereuses, Madame Bovary, Le Diable au corps, ou L’Écume des jours ont aussi fait l’objet de différentes adaptations ou transpositions, françaises ou internationales, à plusieurs décennies d’écart. Pour le théâtre, différentes mises en scène sont souvent accessibles en DVD ou sur les sites Internet et rendent cet exercice aisé. La comparaison de plusieurs interprétations du Jeu de l’amour et du hasard, par exemple de la scène 9 de l’acte II qui permet de réfléchir sur les usages du tutoiement et du vouvoiement en français, montre que, pour le même dialogue, le jeu des acteurs peut mettre en valeur : la fraîcheur de la naissance de l’amour que les jeunes gens veulent ignorer et que souligne le rose du costume de Silvia (Bluwal, ORTF, 1976) ; au contraire la violence du sentiment de supériorité sociale mise en valeur par les tons bleu argent de la mise en scène de Jean-Paul Roussillon (Comédie-Française, 1976) ; l’importance de la rouerie humaine à travers les singeries sociales exhibées par 141

les masques simiesques créés par Alfredo Arias pour des personnages habillés de e costumes du XVIII siècle (Théâtre de la Commune, 1987) ; ou encore le rôle de cet espace intermédiaire du jeu comme seul lieu de parole véritable et libre que découvrent les héros extravagants dans la mise en scène de Galin Stoev qui juxtapose hypermodernité et hyperclassicisme (Comédie-Française, 2012). Entre les adaptations, simples décalques figuratifs de l’œuvre littéraire, les adaptations libres qui peuvent trahir leur source, ou encore les transpositions, c’est-à-dire les formes de représentations qui proposent des équivalences de l’œuvre littéraire dans un autre contexte, s’ouvre en effet un espace pédagogique pour faire passer de la compréhension littérale et référentielle d’un texte à la recherche du sens et de l’esprit de la lettre. 6.2. La lecture expressive : donner sa voix au texte, trouver sa voix par le texte Si, offrant des textes à lire, la littérature apparaît logiquement comme un répertoire de supports de compréhension écrite pour l’enseignement du FLE, les textes littéraires peuvent aussi servir de support pour le travail d’expression orale. Une telle pratique s’inscrit dans l’histoire même de la littérature marquée par une longue tradition orale de ses usages sociaux. Surtout, elle met au premier plan le rôle de la voix, et par conséquent celui du corps, dans l’acte de lecture, la compréhension d’un texte n’étant pas un préalable à sa mise en voix mais pouvant s’élaborer au fur et à mesure de la recherche expérimentale de sa déclamation. Cette approche peut sembler paradoxale et lacunaire puisqu’elle aborde l’expression orale à partir d’un texte déjà produit, c’est-à-dire sans que l’apprenant s’exprime lui-même en produisant des phrases dans la langue-cible. Elle est, en fait, transversale et permet de lier étroitement plusieurs compétences tout en associant l’apprentissage de la langue à l’implication corporelle et sensorielle de l’apprenant. Elle permet à l’apprenant de se concentrer sur la part expressive de l’oral en lui ôtant le souci d’avoir dans le même temps à produire des énoncés. Elle suppose néanmoins que la répétition orale des textes conduit l’apprenant à enrichir son répertoire linguistique et culturel, en s’imprégnant des phrases à prononcer, et par là, en mémorisant des tournures lexicales et syntaxiques en contexte, associées à une représentation sémantique, c’est-àdire à une idée, à du sens. La force stylistique du texte littéraire, qui frappe le lecteur à la fois par sa forme mais aussi par ce qu’elle signifie ou ce qu’elle figure, peut être en effet un appui pour cette mémorisation : la lecture oralisée conduit à mi-chemin entre l’acquisition d’un vocabulaire passif (à laquelle mènent les activités de compréhension) et celle d’un vocabulaire actif (cas où l’apprenant peut de lui-même réemployer les expressions qu’il a mémorisées dans des énoncés qu’il produit). Ainsi, la lecture expressive est-elle une véritable activité du fait de sa complexité sur le plan cognitif (elle articule plusieurs composantes) et de sa créativité. Cette activité peut être pratiquée à tous les niveaux d’apprentissage. Ici, c’est le choix des textes littéraires qui est déterminant pour qu’ils soient des supports appropriés à chaque niveau et à chaque contexte d’enseignement-apprentissage de la langue. Ainsi, un texte bref, avec peu de vocabulaire, des structures de phrases simples, un poème, par exemple, convient dès le niveau débutant. Ce sont les mêmes critères qui président au choix d’un texte littéraire que pour tout document déclencheur ou support d’une activité 142

pédagogique : il faut qu’il soit adapté au public visé et que son contenu linguistique et socioculturel présente une pertinence dans la progression de l’apprentissage. Mais ce qui est spécifique au texte littéraire par rapport à d’autres documents fabriqués ou authentiques, c’est qu’il n’est pas réductible à une simple fonctionnalité ni à des objectifs pédagogiques ainsi qu’à leur éventuelle systématisation : la forme littéraire donne à l’activité de lecture expressive une ouverture sur le sens, et par là sur la pensée, et une vision du monde. 6.2.1. Oralité et littérature : l’inscription de la voix dans les textes

Comme la lecture partagée est restée un mode important de réception pendant de longs siècles, et que lire, même silencieusement, suppose d’entendre – c’est-à-dire comprendre – ce qu’on lit, l’écriture a dû se rendre audible : ainsi, les écrivains donnentils aux phrases qu’ils composent une structure, un rythme, des sonorités que le lecteur entend quand il les lit silencieusement comme si elles étaient dites par une voix. Cela ne signifie pas que la littérature reproduise le langage ordinaire ni la langue parlée – quand elle le fait, c’est de façon stylisée, dans un geste esthétique –, mais l’écriture littéraire expérimente le rythme de la parole, et porte la matrice de sa vocalisation. Le théâtre, dont l’écriture est destinée à l’interprétation spectaculaire et qui met en scène la parole et des échanges verbaux, est le genre littéraire dont l’oralité peut sembler la plus immédiate. Mais la poésie et les romans, les récits, se donnent aussi à entendre. En témoigne la vogue des enregistrements audio des textes littéraires lus par des comédiens : même les œuvres les plus vastes, comme À la Recherche du temps perdu de Marcel Proust, célèbre pour la longueur de ses phrases, peuvent faire les délices de leurs auditeurs. Comment la suite des mots imprimés véhicule-t-elle sa vocalité ? Comment le lecteur peut-il y trouver la mise en voix du texte ? C’est avant tout par l’organisation interne du texte, par l’ordre des mots, le rythme des périodes, la syntaxe des phrases. La mise en page matérielle du texte et la ponctuation indiquent aussi au lecteur quand passer à une nouvelle idée, quand faire une pause, quand s’interroger ou s’exclamer : ces marques servent à éviter les ambiguïtés qui gêneraient le déchiffrement, la prononciation et la compréhension du texte (Catach, 1994). C’est ainsi l’articulation de la langue que ces signes portent dans la représentation matérielle du texte écrit. L’histoire de la mise en page des textes littéraires nous invite toutefois à garder une distance critique vis-à-vis de l’usage de la ponctuation : celui-ci suit des modes et a évolué au cours du temps. Cela explique les différences que l’on peut repérer d’une édition à l’autre pour les textes anciens : les imprimeurs et les éditeurs font parfois disparaître certaines virgules, transforment des points d’interrogation en points d’exclamation, et leur effort pour rendre lisibles les textes qu’ils offrent aux lecteurs viennent s’ajouter à la voix de l’auteur. Les signes de ponctuation sont donc des repères pour la lecture : sans être d’authentiques traces de la voix de l’auteur, sans être toujours rigoureusement le reflet des usages en la matière, ils servent d’appui possible pour une mise en voix du texte que le lecteur découvre. Qu’en est-il des textes littéraires sans ponctuation, usage qui s’est répandu dans la e littérature depuis le début du XX siècle ? Faut-il considérer que la littérature a rompu 143

avec l’oralité et que, par conséquent, il ne serait pas pertinent de prendre de tels textes comme supports d’activité de lecture orale ? En fait, les auteurs laissent alors leurs lecteurs maîtres de leur compréhension, les engageant à trancher quand il y a des ambiguïtés de sens. De nombreuses œuvres littéraires, à commencer par celle d’Apollinaire pour la poésie, mais aussi, pour le théâtre, les pièces de Michel Vinaver, sont composées sans ponctuation et destinées à être interprétées sur scène. De tels textes obligent les apprenants à réfléchir à la structure syntaxique du texte qu’ils lisent et à être attentifs à sa prononciation, car l’entendre peut aider à le comprendre (RollinatLevasseur, 2009 : 174). Ainsi, l’absence de ponctuation exige que le lecteur soit particulièrement actif dans sa découverte du texte et même cherche, par l’imagination, comment donner sens au texte. L’exercice de lecture orale de textes de ce type peut donc être une activité appropriée en classe de FLE parce que, a contrario, les difficultés qu’il soulève montrent aux apprenants la nécessité du respect des normes de la ponctuation. 6.2.2. La lecture expressive : écrit, oralité et auralité

Dans le cadre de l’enseignement-apprentissage d’une langue étrangère, la lecture orale est une activité qui permet de mettre en relation étroite l’écrit et l’oral, c’est-à-dire à la fois le rapport entre la graphie et la phonie (la façon dont les mots se prononcent) ainsi que la relation inverse (la façon dont s’orthographient les mots que l’on dit) : elle participe ainsi à la familiarisation avec la littératie. Surtout, cet exercice, s’il est conçu comme la recherche d’une lecture expressive, est toujours à la fois une expérience et une expérimentation dans la langue-cible : de ce fait, il donne un ancrage corporel à son apprentissage. La lecture est un exercice qui demande de se concentrer principalement sur la voix. Cela engage physiquement le lecteur, mais cette activité est immédiatement plus accessible que la pratique théâtrale que redoutent certains enseignants et qui peut inhiber des apprenants déjà gênés de parler dans une langue étrangère et peu enclins à se lancer dans une activité leur demandant de s’exposer (Ladouceur, 2013). De fait, la lecture orale permet de travailler progressivement la performance orale et de s’y impliquer peu à peu corporellement, la voix entraînant la posture, voire le geste. L’écart entre la graphie des mots et leur prononciation reste néanmoins une difficulté majeure pour la lecture. De lui-même, l’apprenant ne peut pas deviner comment lire les mots qu’il déchiffre. Il lui faut donc trouver une méthode de prononciation : ce peut être l’apprentissage des différentes graphies possibles pour le même son en association avec l’écoute de la prononciation en usage pour pouvoir l’imiter intuitivement, selon la méthodologie directe et les méthodes dites naturelles qui en dérivent (Lauret, 2007 : 8388). La lecture orale met en œuvre une telle méthode si l’enseignant de FLE lit lui-même le texte que les apprenants déchiffrent et répètent après lui ou qu’ils disent en même temps que lui, se modelant sur sa lecture. Cela ne signifie pas que la lecture orale remplace strictement le travail de phonétique que l’on peut faire en laboratoire de langue : si on peut y avoir accès, celui-ci peut venir utilement accompagner l’activité de lecture orale, permettant à chaque apprenant de faire des exercices ciblant ses difficultés spécifiques (Suter, 2013 ; Dumontet & Pellois : 2013). Mais la lecture expressive apporte 144

le fait de chercher à mettre en voix des textes qui font sens : cette activité suppose donc que l’apprenant cherche les réseaux de signification du texte pour en donner vocalement une interprétation, le texte servant de partition. Comme dans l’éducation musicale, ce qui se joue à travers la lecture orale, c’est la relation oralité-auralité et son implication de médiation sur le plan social et affectif : c’est pourquoi les travaux en didactique de la musique éclairent cette pratique pédagogique. Si, en effet, l’oralité se situe du côté de la production vocale, le néologisme auralité élaboré à partir du mot latin, auris signifiant oreille, sert à qualifier le travail d’écoute active du musicien, conçu comme un « outil correcteur » qui lui permet de « contrôler, vérifier, corriger par et grâce à l’oreille, en s’appuyant sur l’écoute, le discernement, la discrimination et le repérage des éléments constitutifs du monde sonore » (Terrien, 2012 : 35-49). Lorsque l’apprenant lit à haute voix, il s’entend et s’autoévalue, de la même façon que le fait un chanteur : l’oralité, ici le fait de lire oralement, est ainsi le premier stade de prise de conscience de la production orale dans la langue cible, ce qui permet, au moment du déchiffrage de la suite du texte et de sa relecture, de s’appuyer sur cette perception pour se corriger et améliorer sa performance vocale. C’est donc une activité qui dépasse le seul objectif de dire à haute voix un texte pour construire, en même temps, une éducation de l’écoute, c’est-à-dire pour apprendre à contrôler et discriminer par l’ouïe : ainsi conçue, dans le cadre de l’apprentissage d’une langue, la lecture orale fait indirectement travailler la compréhension de l’oral. Si les apprenants peuvent pratiquer la lecture orale seuls ou tour à tour dans le cadre de la classe, mettre en œuvre cette pratique de façon chorale est un moyen de partager ce travail d’écoute et d’expression orale, c’est-à-dire d’inscrire cette recherche vocale dans le jeu des relations interpersonnelles, d’expérimenter collectivement la recherche des significations que des voix peuvent révéler d’un texte. 6.2.3. La lecture chorale : une interprétation collective

De même que l’injonction « chante ! » inhibe souvent l’élève et conduit à une aporie (Jaccard, 2012 : 109-122), le fait de demander à des apprenants de lire à haute voix conduit fréquemment à des blocages, psychologiques et physiologiques, le stress d’avoir à dire un texte devant la classe affectant immédiatement la voix et, de ce fait, l’identité même du lecteur, sa face sociale et son rapport aux autres. C’est pourquoi, faire aborder les activités de lecture orale en classe entière ou par groupes d’apprenants de façon chorale permet de contourner ces facteurs d’inhibition : ils entrent dans la lecture par l’expérimentation sans prendre de risque personnellement, le groupe protégeant chacun, en permettant de faire travailler tous les apprenants ensemble et de façon égale. La voix collective établit la relation entre l’émission vocale et la perception sonore, entre l’oralité et l’auralité : la lecture orale du groupe conduit à atténuer les difficultés et les défauts de prononciation de chacun, les apprenants se réglant les uns sur les autres. Dans le cas de groupes où les langues d’origine des apprenants sont multiples, la lecture chorale en français assourdit les caractéristiques phonologiques et phonétiques de ces langues. Le rôle de l’enseignant est alors proche de celui du chef de chœur : debout, comme les apprenants-lecteurs, il peut donner une lecture orale du texte à déchiffrer, paragraphe par 145

paragraphe, phrase par phrase, ou période par période. Mais il faut distinguer deux types de lecture chez l’enseignant : celle qui se propose comme une interprétation du texte et qui se présente comme une mise en voix possible de celui-ci ; celle que l’enseignant donne comme modèle à reproduire par les apprenants, où il choisit de mettre en valeur ce qu’ils doivent entendre et mémoriser pour pouvoir à leur tour améliorer leur lecture du texte. C’est le jeu d’interaction, entre les lectures de l’enseignant et celles des apprenants, qui mène la classe à ne pas se tenir à une imitation servile de la lecture de l’enseignant, mais à créer une lecture collective pour pouvoir entendre pleinement le texte, c’est-à-dire le comprendre. En ce sens, la pratique de la lecture chorale s’inscrit dans une autre représentation didactique reposant sur une pédagogie sociale qui, par l’effet choral, conduit chacun à trouver sa place dans le groupe, image réduite de la société. La lecture chorale peut se mettre en œuvre de façon ludique sous différentes formes de façon à ce que les apprenants puissent s’écouter et s’écouter les uns les autres : la classe dans son entier peut lire en même temps le texte avec l’enseignant et jouer des variations sonores, entre chuchotement et voix projetée ; la lecture en canon, la classe étant partagée en plusieurs groupes oblige à se concentrer sur son texte ; la lecture à tour de rôle, en alternance entre deux groupes d’apprenants, par exemple phrase par phrase ou vers par vers conduit les apprenants à affiner le travail d’écoute, chacun ayant à s’accorder à son propre groupe mais aussi à entrer en empathie avec l’autre groupe pour pouvoir prendre la suite de la lecture ; des lectures orales par jeu de relais, chacun lisant une période et passant la parole à l’autre, peuvent assurer une transition entre lecture chorale et lecture individuelle, en permettant à l’apprenant de s’habituer peu à peu à lire seul à haute voix… Aidant à construire une relation sociale entre les apprenants, de tels exercices contribuent à inscrire l’apprentissage de la langue dans un contexte relationnel, ainsi que dans un ancrage sensoriel (Trocmé-Fabre, 2003 : 38). À la fois recherches et expérimentations, les mises en voix des textes lus font entrer la lecture dans la musicalité, et par là dans l’expérience esthétique. La poésie est un répertoire très riche pour ce type d’activité en classe de FLE. Notamment, pour les niveaux A1, A2 et B1, les poésies de Prévert, Tardieu, Roy, Queneau, Desnos dont le lexique est simple et qui jouent avec des expressions figées et des structures syntaxiques récurrentes sont accessibles et ludiques pour les enfants comme pour les adultes. Mais pour montrer la diversité de textes littéraires qu’il est possible d’aborder en FLE, nous développerons maintenant deux études de cas de mises en voix par des apprenants, l’une sur de la poésie contemporaine, l’autre à partir d’œuvres du répertoire de théâtre classique composées en alexandrins. Ces deux expériences, qui abordent des textes peu faciles d’accès et éloignés de l’usage standard de la langue, révèlent comment des ateliers de lecture orale permettent à des apprenants de faire des progrès notables dans la prononciation en renouvelant leurs pratiques de la lecture. 6.2.4. De la phonétique à la performance orale : la poésie sonore en FLE

C’est dans le cadre d’un atelier intitulé « la mise en voix des textes » et dispensé au (2) sein d’une association spécialisée dans l’accueil d’étudiants migrants chinois à Paris que Véronique Kuhn a pu donner à lire « Passionnément », un poème sonore de Gherasim 146

Luca (1913-1994), à une douzaine d’apprenants de niveaux intermédiaire et avancé se destinant à faire des études en France. L’objectif de cet atelier optionnel était d’introduire une perspective ludique et expérimentale, créative et littéraire, et d’amener les apprenants à s’interroger sur la relation entre l’écrit et l’oral en français. Malgré de nombreuses heures de formation en langue française, ces étudiants souffraient encore de difficultés à l’oral avec une absence de prise de parole spontanée, des problèmes de diction qui se caractérisaient par une prononciation erronée, une segmentation systématique de la chaîne parlée – problèmes de rythme, d’intonation et d’accentuation, ainsi qu’une absence d’exécution des phénomènes phonétiques à l’oral tels que les liaisons ou les enchaînements. Comme c’est encore le cas majoritairement en Asie, pour ces étudiants, la littérature française gardait le statut d’objet sacralisé destiné à des personnes bien formées en langue française, ce à quoi ils ne s’identifiaient pas encore. De surcroît, ce type de e public privilégie plutôt les romans du XIX siècle, considérant que la littérature contemporaine est originale mais qu’elle « manque de logique » (Pernet-Liu, 2009 : 31). La mise en voix d’un poème contemporain qui joue sur la matérialité sonore, transfigure la langue écrite en faisant tomber les barrières de l’orthographe ainsi que des usages de la langue, et qui ne correspond à aucune forme fixe de la poésie allait donc à l’encontre de leurs habitudes d’apprentissage de la langue, de la littérature et de la culture française. Dans « Passionnément », poème issu du recueil Le Chant de la Carpe (1986), le signifiant est la composante essentielle de la création. Ainsi, le « consonantisme » fonde le poème sur l’occlusive sourde bilabiale et explosive [p] : « pas pas paspaspas pas pasppas ppas pas paspas le pas pas le faux pas le pas paspaspas le pas le mau le mauve le mauvais pas paspas pas le pas le papa le mauvais papa le mauve le pas » Le sens du poème ne s’établit pas selon un déroulement syntagmatique logique mais il s’acquiert par l’écoute de la réalisation phonétique d’un « bégaiement dans la langue » (Deleuze & Guatari, 1975 : 29) où les mots – voire les bribes de mots – se font écho par paronymie ou par homonymie/phonie. Le poème ressemble ainsi à la transcription d’une prise de parole avec ses hésitations, ses interruptions, ses reprises, ses silences… C’est ce qui rend toute lecture muette très inconfortable et suggère donc de procéder à sa lecture orale, ce que Gherasim Luca faisait lui-même sur scène. L’enseignante a organisé une séquence progressive et a d’abord familiarisé les étudiants avec des comptines, courtes et simples pour jouer sur le son et le sens des mots et approcher les questions de la synonymie, de l’homonymie/phonie, de la paronymie et de la morphologie lexicale. Ils ont ensuite abordé « Passionnément » en repérant le lexique, puis les réseaux et les glissements lexico-morphologiques. Elle a alors introduit des éléments d’échauffement vocal, comme ils peuvent être pratiqués en chorale, avec des exercices sur le souffle, l’articulation des consonnes puis des voyelles, pour que les 147

étudiants prennent conscience de leur appareil phonatoire et de la diversité des lectures possibles par la théâtralisation. De tels exercices, comme toute mise en voix, supposent d’être debout : pour ces apprenants, habitués à rester assis et à noter le cours dispensé par un professeur, se lever même pour faire des exercices servant à améliorer leur prononciation les gênait et risquait même de les conduire à se raidir ou à abandonner l’activité. C’est pourquoi la lecture orale du poème de Luca n’a pu être abordée avec succès qu’en laissant les apprenants se réfugier dans la position assise : c’est la lecture du texte, le jeu sur le souffle que le poème exige, qui les a menés, par leur geste vocal, à s’impliquer avec leur corps dans la lecture orale du poème. La lecture orale a été facilitée par un découpage du texte en différentes unités et une répartition de celles-ci entre les étudiants, avec quelques passages que certains d’entre eux pouvaient avoir à dire en même temps : ce procédé visait à éviter que les étudiants ne s’essoufflent mais aussi à les obliger à s’écouter les uns les autres, à devenir attentifs aux façons de dire. Enfin, une lecture orale collective du poème a été enregistrée sur un logiciel libre d’enregistrement et de montage audio, Audacity, pour que les étudiants puissent en garder une trace pérenne et s’investissent dans un projet commun autour du français et de la littérature. Compte tenu de l’écriture singulière de Gherasim Luca, les pratiques de mise en voix ont servi la compréhension du texte. Convoquant une dimension émotionnelle forte, la lecture orale a fait surgir, pour ces apprenants, une forme de plaisir du texte, à travers son émission et sa réception. Cette activité de lecture orale a eu des prolongements : parallèlement, les apprenants ont composé à l’écrit un poème sonore à la manière de e Gherasim Luca, l’ont présenté à un concours de poésie organisé par le 8 Festival de poésie du Printemps des poètes à Paris et, tirés au sort, ils ont pu donner une lecture publique de leur production dans la bibliothèque municipale du deuxième arrondissement lors d’une des rencontres organisées pour cet événement. Ainsi, cette lecture a pu jeter un pont entre les dimensions communicative et littéraire en classe de FLE, mais elle a aussi montré que le savoir-lire des textes littéraires à l’oral relève d’un savoir-faire social et fait gagner en fluidité en expression orale. 6.2.5. L’alexandrin et le théâtre en vers comme support de la prononciation

La lecture oralisée d’alexandrins dans le cadre de l’apprentissage du FLE repose sur des présupposés didactiques semblables à ceux qui président à des exercices de prononciation par la lecture de poésies sonores. La poésie en alexandrins et le théâtre en vers sont en effet éloignés des usages du français contemporain : le poème, composé selon des principes rythmiques et mélodiques, admet une syntaxe plus libre que celle de la langue ordinaire, avec notamment des antépositions de mots ou de groupes nominaux ou des dislocations d’éléments verbaux ; le lexique est le plus souvent soutenu, parfois archaïque ou rare. Cela rend parfois difficile son déchiffrage pour un lecteur contemporain, a fortiori pour qui apprend le français. Prendre pour support un poème en vers, c’est donc considérer que cette difficulté de lecture peut être formatrice et qu’elle permet d’apprendre la langue avec la conscience de ses variations. Dans le cas que nous allons étudier ici, c’est le principe syllabique de l’alexandrin qui fait des poèmes et du théâtre en vers un support de lecture orale pouvant guider 148

l’apprenant pour trouver une fluidité prosodique en français, à travers le rythme, le débit articulatoire, l’accentuation et l’intonation, c’est-à-dire pour s’entraîner à prononcer le français (Lauret, 2007 : 5-41). Il ne s’agit pas de poser le rythme de l’alexandrin comme norme de la prosodie française et de son apprentissage, alors qu’on sait que les usages attestés du français parlé se caractérisent par une très grande variabilité, ce que l’enseignement du FLE a à prendre en compte (Detey & Racine, 2012 : 81-96). Mais c’est travailler à partir d’une représentation de la langue française. En effet, comme l’a souligné le poète contemporain Jacques Roubaud, la structure prosodique de l’alexandrin a été considérée comme « l’étalon de mesure de toute expression en [français], prose ou vers, pendant au moins trois siècles » (1978 : 9). Une grande partie du répertoire théâtral e

français a donc été composé en alexandrins : au XVII siècle, l’abbé d’Aubignac, champion de la doctrine classique, pouvait même expliquer que ce vers était « comme de la prose » et que « chacun en fait sans peine et sans préméditation dans le discours ordinaire » (1967 [1657] : 262-263). Si aujourd’hui, l’alexandrin peut sembler loin de notre usage de la langue, il n’en reste pas moins que le défilement des douze syllabes pleinement prononcées de ce vers correspond au rythme de la langue française, qui se caractérise par une certaine incompressibilité des syllabes, y compris des syllabes atones, ainsi que par son caractère lié. La quasi-isochronie et le caractère tendu du français le distinguent des langues de type détendu, comme l’anglais, des langues tonales ainsi que des langues accentuelles. C’est l’expérience de lecture orale de tragédies de Racine, Andromaque, Iphigénie et Phèdre par des étudiants de niveau C1 dans le cadre d’un cours sur la mythologie à l’âge classique donné à l’université de Duke (EU) qui a attiré notre attention sur les progrès qu’ils faisaient à l’oral (Rollinat-Levasseur, 2003). Ces jeunes gens, qui revenaient d’un semestre d’étude à Paris, s’exprimaient en français avec spontanéité et fluidité. Mais c’est la lecture de ces textes dramatiques qui les a conduits à perfectionner leur diction en les obligeant à surarticuler les syllabes qu’ils avaient tendance à avaler à cause des caractéristiques de leur langue d’origine. La règle de l’élision qui détermine quand il convient de prononcer le /ə/ ou non est pour les anglophones une aide cruciale et, dans le cas de ces étudiants, leur a permis de s’appuyer sur la découverte visuelle des textes pour apprendre à repérer quand prononcer le /ə/, autrement dit quand ce phonème est suivi par une consonne. L’application à dire toutes les syllabes des alexandrins a donné à leur diction la régularité qu’ils n’étaient pas parvenus à lui donner jusqu’alors. La surdité phonologique est en effet un frein à l’autocorrection : les règles prosodiques de l’alexandrin donnent un cadre et l’hypercorrection de la prononciation qu’elles impliquent permet à l’apprenant de structurer l’apprentissage de la prononciation parce qu’elles agissent comme un miroir grossissant des caractéristiques de la langue française et lui offrent un modèle qui favorise l’intelligibilité. Nous retrouvons ici le principe de l’approche structuro-globale audiovisuelle (SGAV) quand elle a élaboré le système verbotonal, considérant que « rendre plus saillantes les informations mal perçues ou non perçues » est une réponse à la surdité phonologique (Lauret, 2007 : 108) et que « l’apprentissage de la parole [est] une activité structurante placée sous le signe d’une 149

assimilation progressive de l’activité langagière par approximations successives » (Renard, 2002 : 12). Ainsi, la lecture orale en tant qu’activité centrée sur la diction est une étape dans l’apprentissage de la prononciation : la surarticulation attendue dans cet exercice a des répercussions dans l’expression orale, donnant une impulsion à l’apprenant, l’obligeant à sortir de ses habitudes articulatoires, ce qui, par effet ressort, améliore sa prononciation dans la langue-cible et lui permet de mieux se faire comprendre. Cette activité de lecture orale à partir de textes en alexandrins peut être pratiquée de façon chorale avec des apprenants hétéroglottes dès un niveau B1 avec le même objectif de correction phonétique, comme en témoigne l’expérience que nous avons menée auprès d’étudiants en FLE à l’université Sorbonne Nouvelle-Paris 3 (Rollinat-Levasseur, 2002). Cela suppose néanmoins que cette activité soit insérée dans un dispositif didactique qui mette en valeur ce travail de prononciation et qui aide les apprenants à déchiffrer et comprendre les textes qu’ils lisent, de façon à ce que cet exercice prenne sens et inscrive l’apprentissage de la langue dans celui de sa culture et de sa littérature. Des exercices d’échauffement vocal adaptés aux difficultés spécifiques des apprenants concernés, accompagnés de gestes qui favorisent leur émission préparent de façon ludique à l’exercice de lecture. Par exemple, pour aider les apprenants à entrer dans le rythme et la mélodie de l’alexandrin, il nous a paru utile de proposer un support visuel, comme le ferait un chef de chœur, avec un geste de la main, de gauche à droite, de hauteur égale pour mimer le défilement des syllabes du vers. Un tel geste est en réalité arbitraire : mais il vaut en tant que tel pour que les apprenants puissent donner un ancrage corporel à leur travail phonétique et phonologique. Si une lecture chorale de ce type peut mener ponctuellement les apprenants à expérimenter une façon de dire le français, seule sa répétition les conduit à trouver une aisance dans la diction. Une telle activité agit donc comme des exercices de phonétique et de phonologie. Elle s’en distingue parce qu’elle fait associer le travail de prononciation à celui de compréhension à partir de textes porteurs de sens. Cet exercice n’exige cependant pas que l’apprenant comprenne tous les mots qu’il prononce ni toutes les nuances du texte qu’il déchiffre. L’enseignant peut reformuler les expressions difficiles, donner des synonymes utiles, résumer un passage, voire inviter les apprenants à lire les textes dans leur langue d’origine si certains en ont besoin – pour le théâtre classique, les textes sont accessibles en traduction dans de très nombreuses langues. Mais cette activité gagne un prolongement dans l’élaboration d’un jeu scénique : la performance physique exigée par la prononciation des textes, initiée par la performance vocale, trouve alors véritablement un ancrage corporel. 6.3. Du texte au jeu : littérature et pratiques théâtrales en FLE La pratique théâtrale dans le cadre de l’apprentissage d’une langue étrangère est e attestée depuis longtemps : les jésuites y ont eu recours dès la fin du XVI siècle, de façon notable, pour que leurs élèves gagnent de l’aisance dans leur connaissance du latin, et ils en faisaient une des activités d’expression orale dans cette langue. Dire les textes dans la langue cible, les mémoriser et les jouer : voilà avant tout ce qui aide à apprendre une langue, selon les pédagogues qui soulignent aussi, siècle après siècle, combien la pratique 150

théâtrale est une activité collective et ludique, qui permet d’apprendre ensemble par le jeu, en rompant avec les traditions de l’enseignement magistral. Aussi, le drama (ou jeu dramatique) ainsi que le théâtre, et par conséquent le théâtre en FLE, sont avant tout pratiqués dans les cultures éducatives qui privilégient des approches actives dans leur enseignement et qui encouragent les élèves à se réaliser à travers des projets, comme c’est souvent le cas dans les pays anglo-saxons. Dans les pays où la culture théâtrale et littéraire reste forte comme dans l’est de l’Europe, des cours de français par le théâtre sont également proposés aux apprenants. Le plus souvent, néanmoins, la pratique théâtrale demeure reléguée hors des cursus, sous forme d’ateliers offerts aux amateurs volontaires (Alix, Lagorgette & Rollinat-Levasseur, 2013 : 10-11), les institutions redoutant encore souvent une telle pratique artistique jugée volontiers dangereuse : d’une part, le théâtre engage les apprenants tout à la fois physiquement et intellectuellement ; d’autre part, de même que la littérature peut être considérée comme séditieuse, car incitant à penser et à questionner le rapport au monde, le théâtre peut être redouté pour ses pouvoirs de subversion sociale et politique, pouvoirs d’autant plus grands que l’interprétation spectaculaire les donne à voir et à entendre. Ainsi, la pratique dramatique et théâtrale n’est pas systématiquement associée à l’apprentissage des langues. Elle peut pourtant être intégrée de diverses façons : la mise en voix et en espace d’un texte littéraire peut constituer ponctuellement un contrepoint ludique dans l’organisation d’un cours, par exemple à l’occasion de la lecture d’un texte ; elle peut aussi constituer un exercice régulier qui s’intègre parmi les activités proposées dans le cadre de l’enseignement-apprentissage du français ; elle peut enfin faire l’objet de projets pédagogiques allant jusqu’à une mise en scène et à des représentations. Dans tous les cas, même lorsque la mise en voix et en espace n’est qu’embryonnaire, l’exercice transforme le rapport au texte et à l’apprentissage de la langue. Nous analyserons tout d’abord quels usages de la pratique théâtrale peut faire l’enseignement du FLE, puis nous proposerons une analyse des répertoires de textes dramatiques qui sont abordés en FLE, en étudiant quelle représentation de l’acteur-apprenant ils supposent. 6.3.1. Mises en voix et en espace des textes littéraires : explorations et expériences

Les pratiques expérimentales qui se sont développées depuis les années 1960 dans les arts scéniques ainsi que la remise en question de l’unité du personnage (Ryngaert & Sermon, 2006) ont contribué à ouvrir des perspectives dans la pratique théâtrale dans les cadres amateur et éducatif. En effet, le nombre de participants dans un atelier ou dans une classe ne coïncide pas nécessairement avec une distribution traditionnelle de rôles, avec un acteur par personnage, laquelle risque souvent de déséquilibrer les rapports au sein d’un groupe. Les pratiques théâtrales collectives qui conduisent à faire collaborer les participants avec différents procédés, jouant de leur implication dans les rôles, rencontrent ainsi les objectifs d’une pédagogie soucieuse de faire travailler chacun, à sa mesure, dans le groupe. D’autre part, bien que la création théâtrale contemporaine se soit nettement tournée vers la performance (Danan, 2013), la vitalité de la littérature et des textes dramatiques reste notable : les textes du passé sont sans cesse revisités par de nouvelles mises en 151

scène et ces dernières décennies ont vu s’épanouir de nombreuses écritures dramatiques françaises et francophones, y compris à destination de la jeunesse, avec des auteurs comme Jean-Luc Lagarce, Philippe Minyana, Catherine Anne, Daniel Danis, Matéi Visniec, José Pliya, Fabrice Melquiot, Wajdi Mouawad, Marie Ndiaye (Bernanoce, 2006 et 2012). Les textes littéraires et dramatiques restent ainsi une matrice bien présente dans les usages de la scène contemporaine. 6.3.1.1. Mise en espace, mise en image

Une mise en espace ou une mise en image d’un texte apportent un ancrage corporel et visuel à l’apprentissage d’une langue : alors que l’expression orale est souvent limitée à la prise de parole, le travail sur l’espace permet d’associer la production orale ou l’écoute et la compréhension écrite ou orale d’un texte à des gestes, des postures et des déplacements dans l’espace qui, touchant les sens, servent à la mémoire sensorielle (nécessaire à la mémoire à court terme) et, par leur répétition ou les jeux de variation, sont propices pour développer une mémoire procédurale. Nous envisagerons quelques exemples d’exercices que l’on peut aborder avec une classe et qui permettent, à partir d’un texte littéraire, d’en donner des interprétations visuelles et sonores. Le théâtre-image est ainsi une technique qui, appliquée à la lecture d’un texte, permet en très peu de temps de donner à voir ce qui a été lu : les apprenants, par groupes, de quatre à huit, cherchent à donner une représentation synthétique de ce qu’ils ont lu en modelant, à partir d’eux-mêmes, de leurs corps, comme une statue collective. Un tel exercice de dramatisation conduit à mettre en évidence le sens du texte, sa signification essentielle, mais aussi ses enjeux à travers les images créées (Page, 1998, 2006). L’activité, consistant à faire regarder ce que l’on ne voit pas, peut avoir un impact esthétique dans l’imaginaire des apprenants, leur faisant voir ce qu’ils lisent. Mais surtout, comme dans tout jeu dramatique, elle importe en classe de langue en ce qu’elle fait verbaliser les participants à partir de leur lecture d’un texte : au moment où ils élaborent leur image-statue, les participants communiquent entre eux sur leur interprétation ; puis au moment où les groupes présentent les uns aux autres leur image, ceux qui regardent les participants-acteurs-statue décrivent ce qu’ils voient, leur posent des questions sur les choix retenus et inversement. Un tel exercice peut être mis en œuvre dès le niveau A2 avec des textes simples et courts, des poèmes, ou des passages de romans, par exemple avec l’incipit de Lily et Braine de Christian Gailly (2009), qui décrit à l’imparfait des retrouvailles familiales après une longue hospitalisation : « Lily était venue l’attendre à la gare. Elle n’était pas venue seule. Deux autres vivants lui tenaient compagnie. Un enfant et un chien. Un petit garçon de trois ans et un chien du même âge. Le fils de Braine s’appelait Louis. La chienne de Lily s’appelait Lucie. » À des niveaux plus avancés, la verbalisation peut aller jusqu’à l’analyse des propositions d’images produites et à leur comparaison avec le texte lu : voilà qui offre une alternative aux formes traditionnelles d’explication de texte par un mode de commentaire textuel expérimental. Une telle activité permet aussi à chaque apprenant de participer : si un apprenant refuse de participer en personne à l’élaboration de l’image, il peut jouer le rôle de metteur en scène ou lire le texte à haute voix pendant la mise en espace de l’image 152

(éventuellement avec le soutien d’une lecture partagée avec l’enseignant). Les mises en espace de textes littéraires, textes dramatiques ou non, permettent ainsi à des enseignants et à des apprenants qui n’ont jamais fait de théâtre d’aborder des textes littéraires par une pratique théâtrale qui mêle lecture expressive et chorale avec une exploration physique de l’espace : il suffit de dégager un peu d’espace vide dans la salle de cours, en repoussant les chaises et les tables, pour que des groupes d’apprenants disent le texte avec une alternance de voix individuelles et collectives, tout en jouant de différentes positions et postures dans un espace donné. Faire un pas en avant, reculer, s’accroupir, s’asseoir, se tourner, se mettre dos à dos, face à face, faire un geste ample du bras… voilà autant de gestes très simples qui construisent une chorégraphie, aussi élémentaire soit-elle. Si la gestuelle et les déplacements des participants n’illustrent pas strictement le texte et peuvent être choisis arbitrairement, la décision de produire tel ou tel geste à tel moment du texte n’en reste pas moins signifiante : le mouvement peut ainsi épouser la syntaxe des phrases, suivre la ponctuation, mais il peut aussi seulement mettre en valeur des mots du texte qui semblent importants. Associant la pratique de la langue à la mémoire sensori-motrice et kinesthésique, la chorégraphie conduit à incorporer la langue que le texte littéraire véhicule grâce à la pratique créative que constitue cet exercice, mais aussi grâce à sa répétition qui contribue à la mémorisation du texte. Par exemple, le poème « Monsieur » de Norge (1990) est remarquable par la répétition de la tournure syntaxique « je vous dis de » suivie de différents infinitif : « Je vous dis de m’aider, Monsieur est lourd. Je vous dis de crier, Monsieur est sourd. Je vous dis d’expliquer, Monsieur est bête. […] » Sa mise en espace peut consister à rythmer la lecture en répartissant des apprenants par deux sur plusieurs points de la salle, en répartissant les distiques par sous-groupe et en demandant à chacun de faire un mouvement qu’il aura déterminé au moment où il dit un vers ; pendant qu’un apprenant dit son vers, les autres peuvent aussi effectuer un autre geste qu’ils auront choisi ; d’autres mises en espace sont bien sûr imaginables en fonction de ce que les apprenants veulent mettre en valeur : ce peut être le lien entre les vers de chaque distique ou bien l’organisation syntaxique de chaque vers-phrase avec les termes répétés et les éléments de variation. Sur le plan linguistique, et pour que les apprenants puissent réemployer ce qu’ils auront acquis à travers un tel exercice, le guidage de l’enseignant est essentiel : c’est à lui d’articuler l’activité avec le point lexical ou grammatical auquel le texte sélectionné peut rendre sensible, c’est-à-dire de justifier le choix du texte en fonction de l’objectif linguistique visé, mais aussi de faire en sorte que ces points soient réactivés en production orale et écrite dans la suite du cours. Cette activité dépasse toutefois ce seul objectif fonctionnel par la dimension émotionnelle et esthétique que produit l’effet de la mise en voix et en espace du texte (Pierra, 2001, 153

2006). La salle de classe suffit à tracer les contours d’une scène, mais l’exploration dramaturgique peut aussi conduire à sortir des lieux traditionnels d’enseignement, à transformer d’autres lieux en espaces scéniques, voire à tracer une déambulation spectaculaire (Parisse, 2013) et donc à se mettre en mouvement, c’est-à-dire dans une dynamique qui peut représenter le passage d’une langue/culture à une autre. Enfin, participant à une énonciation collective du texte littéraire, elle ancre la pratique de la langue dans une dimension interactionnelle, « socle de la reliance » (Aden, 2008/2010) : la mise en espace suppose de construire à plusieurs la représentation du texte, de faire attention à l’autre, c’est-à-dire à ceux avec qui on joue, mais aussi à ceux devant qui on va jouer. 6.3.1.2. Texte et jeu théâtral

Si la mise en espace permet de travailler de façon décalée sur la gestuelle et la posture dans l’espace, un jeu qui illustre ce que le texte dit a aussi une grande efficacité dans le cadre du théâtre en classe de langue. Cette approche du jeu théâtral, plus traditionnelle, consiste à associer étroitement la mimique, le geste et la parole : elle suppose ainsi que l’apprenant intériorise son rôle et la situation dramatique jouée, ce qui contribue à créer un rapport affectif avec la langue-cible. Diverses conceptions du jeu de l’acteur peuvent néanmoins être mises en œuvre, entre la méthode de Stanislavski (1938), qui demande au comédien de chercher en lui dans sa « mémoire affective » la façon d’interpréter sur scène le personnage qu’il joue, la représentation que Diderot a de l’acteur, qui doit user de sa raison pour imiter le plus exactement ce qu’il joue, ou même des formes plus distancées, comme celles que la réception du théâtre de Brecht a contribué à développer. Dans les ateliers de FLE par le théâtre, l’enseignant-animateur met parfois en œuvre la méthode de jeu dramatique qu’il connaît. Mais le cadre d’une classe de langue, n’a pas pour objectif principal de former des acteurs et permet surtout de faire découvrir une approche du jeu dramatique dans le but que les apprenants gagnent en aisance dans leur production orale. Ainsi, la pratique théâtrale en classe de langue part avant tout des représentations que les apprenants ont de ce qu’est jouer – et, avec le cinéma ou la télévision, chacun aujourd’hui a une idée de ce qu’est le jeu d’un acteur, même sans jamais avoir été au théâtre (Schautz, 2013). Deux difficultés se présentent néanmoins souvent quand un enseignant demande à sa classe de jouer un texte : le risque que les apprenants adoptent un jeu outré, allant parfois jusqu’au cabotinage, ce qui peut faire écran au texte à interpréter ; le risque que l’apprenant ne parvienne pas à entrer dans son rôle, par inhibition. Certaines techniques théâtrales peuvent faciliter l’entrée dans le jeu, même des étudiants les plus réticents a priori. L’usage de masques sert à protéger la face de l’apprenant, en dissimulant son visage, et de simples photocopies de photos de portraits que les apprenants peuvent tenir devant leur visage suffisent, tout en créant un effet visuel qui fait entrer dans une dimension esthétique. Surtout, le masque gêne celui qui le porte et l’oblige à faire un effort supplémentaire pour se faire comprendre. Comme l’ont montré Fabienne Dumontet et Anne Pellois (2003), dans l’analyse du travail de mise en scène qu’elles ont fait de la pièce Un Radical barbu de Boris Vian lors d’un atelier avec des 154

apprenants de niveau A2 à C1 : moustaches postiches, gifles de théâtre, simulations de chutes, port d’objets très lourds…, cristallisent le stress ainsi que l’attention des apprenants, et ont un effet libératoire sur le jeu et sur la prononciation. D’autres procédés, comme le dédoublement des rôles ou même celui de doublure viennent atténuer l’exposition des apprenants en les faisant aborder le travail en étroite collaboration : être deux acteurs pour le même personnage avec un découpage des répliques ou reprendre à l’identique la réplique que vient de prononcer un apprenant-acteur exige d’accorder très précisément son jeu et sa voix avec son partenaire. Du point de vue de l’apprentissage de la langue, la co-construction des personnages joue le rôle du procédé d’objectivation de sa voix que l’on recherche en laboratoire de langue et conduit à des progrès notables en correction phonétique (Dumontet & Pellois, 2013 : 229). Sur le plan esthétique, c’est expérimenter et comprendre par l’exercice le travail scénique que mènent parfois des metteurs en scène contemporains, comme l’a fait Antoine Vitez dès 1971 avec Andromaque de Racine. Enfin, même des rôles muets peuvent agir sur l’apprentissage de la langue-cible : pour jouer ces rôles, comme pour jouer un personnage qui parle, il faut inventer une « langue silencieuse, une forme de négociation avec soi-même pendant le jeu, notamment lors de la construction du personnage » qui favorise une intériorisation de la langue, devenue « outil de communication intime » (Pellois, 2009 : 98). Certains apprenants abordent, à l’inverse, le jeu théâtral en surjouant. Or, un jeu forcé véhicule une représentation figée et traditionnelle du théâtre tout en menant parfois l’apprenant à fossiliser des erreurs de prononciation et d’intonation par le fait de vouloir être expressif. Mais ces défauts sont compensés par l’assurance que l’apprenant gagne dans son expression orale dans la langue-cible. Le rôle de l’enseignant-metteur en scène est alors de conduire l’apprenant à nuancer son jeu en lui suggérant différentes façons d’exprimer son rôle, par exemple en lui donnant des indications d’interprétations inattendues : prendre un air grave alors qu’il dit des propos badins ou inversement, chuchoter au lieu de parler, prendre un air détaché alors que le dialogue est sérieux. L’approche de chaque rôle s’élabore ainsi progressivement au fur et à mesure du cours par sa construction, sa déconstruction et sa reconstruction. De telles variations sur un même texte entraînent l’apprenant à explorer différentes façons de dire un même énoncé, à devenir sensible à sa façon de ressentir et d’exprimer des sentiments et des sensations, mais aussi à devenir attentif au contexte d’énonciation d’un énoncé : comprendre une langue, ce n’est pas comprendre une suite de mots, c’est décoder ce que des énoncés peuvent signifier dans un contexte d’énonciation spécifique ; parler une langue étrangère, ce n’est pas seulement produire des phrases, c’est prendre la parole dans des situations spécifiques. Indirectement, de tels exercices construisent une lecture du texte, donnant des éclairages différents sur les interprétations possibles qu’on peut en faire. La pratique théâtrale offre ainsi des situations qui permettent aux apprenants de sortir d’eux-mêmes et de découvrir qu’ils peuvent parler en français autrement qu’ils ne l’ont fait jusqu’à cette expérience, comme le montrent ces deux exemples observés à la Sorbonne Nouvelle avec des étudiants de niveau B1 et B2. En 2010, le simple fait de mettre des chaussures à talons pour interpréter Bélise dans L’École des femmes, vieille 155

fille ridicule persuadée que tous les hommes sont amoureux d’elle, a permis à une étudiante chinoise d’aller chercher une voix haut perchée, qu’elle identifiait comme « la voix des Françaises » et pour laquelle elle éprouvait jusqu’alors un mélange de fascination et de rejet : à partir de là, elle a pu rendre sa voix plus sonore quand elle parlait en français. En 2012, l’interprétation par deux étudiants du personnage de Dutôt dans Pardessus bord de Michel Vinaver a enrichi la compréhension de la pièce et de ses enjeux. Dans cette pièce qui retrace la façon dont une entreprise familiale de papier toilette affronte les effets de la mondialisation, Dutôt est un jeune loup, insolent avec des collègues qu’il estime dépassés. Une étudiante colombienne, mince et vêtue d’un tailleur pantalon sobre, disait par exemple avec un débit rapide et beaucoup d’assurance et presque de grossièreté : « Rien d’étonnant le produit est plus doux il suffit de ne pas avoir un cul d’éléphant » (2003 : 254) Elle rendait ainsi clair l’aplomb de Dutôt qui s’adresse à ce moment-là à sa supérieure hiérarchique. Mais le même passage interprété à contre-emploi par un étudiant coréen, discret et bégayant toujours avant de commencer à parler en français, a pris une autre couleur, rendant tout à coup sensible l’énormité de cette réplique du fait même de ses hésitations à la prononcer. Cette interprétation a modifié la perception que l’étudiant coréen avait de lui-même et lui a montré qu’il pouvait se faire entendre malgré sa timidité. Mais surtout ces deux façons de jouer le même personnage ont permis de superposer des lectures du texte et d’enrichir sa compréhension : elles ont donné à percevoir le choc entre deux générations tout en montrant qu’innover face aux pesanteurs administratives demande un effort inouï. Comment évaluer la pratique théâtrale en français ? Les ateliers de théâtre font souvent intervenir trois niveaux pour faire progresser les acteurs : l’auto-évaluation, l’évaluation par l’enseignant et l’évaluation par le groupe. Dans un tel dispositif, le rôle de l’enseignant n’est pas de valider ni de sanctionner la production de l’apprenant, mais de participer au travail de réflexivité de l’apprenant sur sa pratique du théâtre et du français. C’est le principe retenu par un établissement du secondaire, la Leibnitz Schule de Berlin (3) qui a élaboré avec son association partenaire, La Ménagerie , une grille d’autoévaluation à remplir par ses élèves après chaque cours avec six critères : respect des consignes, écoute et concentration ; implication dans le groupe, moteur du projet, énergie donnée ; être expressif avec son corps : mouvement, gestes, mimiques ; être expressif avec sa voix : intonation et prononciation ; comprendre et apprendre son texte au fur et à mesure ; interaction en français avec l’intervenant. Les textes littéraires sont ainsi mis au service des objectifs pédagogiques, ce qui ne signifie pas pour autant que leur découverte y soit asservie : l’interprétation n’est pas ici considérée comme le devoir de respect à la lettre des textes, mais comme un lieu d’expression. 6.3.2. Textes dramatiques en FLE

Les textes dramatiques, textes littéraires destinés à être interprétés sur scène, c’est-àdire à être énoncés comme s’ils l’étaient réellement, ne sont que des représentations de 156

situations de communication (Larthomas, 1972 : 175-366 ; Mounin, 1970 : 87-94) : la langue que l’on trouve dans un dialogue théâtral est une langue écrite et stylisée qui imite la langue orale et en véhicule des représentations, mais ce n’est aucunement du français parlé (Weber, 2013). Cependant, interpréter un dialogue théâtral est une activité pertinente pour l’apprentissage du FLE, car le théâtre donne à voir les lois de la conversation tout en rendant sensibles les dimensions non linguistiques de l’échange verbal : jouant du fonctionnement, mais aussi des dysfonctionnements des situations de communication, les échanges de la fiction théâtrale entraînent les apprenants à prendre conscience du jeu des interactions verbales et des pratiques langagières dans leurs usages réels (Godard & Rollinat-Levasseur, 2005). Les témoignages attestent une grande variété du répertoire interprété dans le cadre de l’enseignement-apprentissage du FLE : le choix des textes et des œuvres retenues reposent sur des critères linguistiques, mais c’est avant tout le goût, la culture et le désir personnels de l’enseignant qui expliquent la variété des pièces explorées et qui manifestent l’inventivité et la capacité de renouvellement de certains spécialistes de la pratique théâtrale en FLE. Cependant, on peut identifer trois types de répertoires, lesquels sont révélateurs de la conception de la pratique théâtrale en FLE, mais aussi de l’enseignement-apprentissage du FLE à travers une telle activité : les grandes œuvres du théâtre français, le théâtre de l’absurde, le théâtre de paroles. Nous évoquerons enfin le rôle que peut avoir le répertoire francophone pour la compréhension des usages de l’oral dans leur écart avec le français standard. 6.3.2.1. Les enfants de Molière

L’intérêt pour les textes de grands auteurs se justifie par leur importance dans la culture, mais aussi par leur force stylistique et dramaturgique même si la langue employée présente parfois des tournures archaïques et qu’elle s’écarte de l’usage standard. Les comédies de Molière offrent ainsi des morceaux de choix, d’autant plus qu’on y trouve des scènes et des passages avec des répliques brèves, qui permettent à des apprenants de s’amuser du comique de situation ou de répétition, d’un quiproquo : elles font toujours rire enfants, adolescents et adultes. La fameuse scène du Bourgeois gentilhomme où le Maître de philosophie enseigne à Monsieur Jourdain comment articuler les voyelles (acte II, scène 4) séduit souvent les enseignants, comme en témoigne sa présence dans plusieurs manuels de FLE : le dialogue semble servir d’appui au cours de phonétique. D’autres scènes, très simples, peuvent être jouées dès les niveaux débutants. Ainsi, avec la scène où Arnolphe frappe à la porte chez lui et où ses valets se battent pour ne pas ouvrir dans L’École des femmes (I, 2), le jeu des répliques fait pratiquer des formes simples de l’interrogation, de l’impératif, du futur et de la négation et sert à ancrer ces expressions dans la mémoire des apprenants du fait de leur brièveté, de leur répétition et de leur association à une situation concrète et incarnée, ce d’autant plus quand ces paroles sont associées à des gestes et des mouvements clairs : « ALAIN Qui va là ? ARNOLPHE 157

Moi. ALAIN Georgette ! GEORGETTE Hé bien ? ALAIN Ouvre là-bas. GEORGETTE Vas-y, toi. ALAIN Vas-y, toi. GEORGETTE Ma foi, je n’irai pas. ALAIN Je n’irai pas aussi. ARNOLPHE Belle cérémonie Pour me laisser dehors ! Hola, ho, je vous prie. » Une telle activité allie d’emblée à la pratique de l’expression orale une dimension culturelle et patrimoniale, l’enseignant ayant à donner quelques indications sur l’auteur, la pièce et ses enjeux au moment où il donne le texte à jouer. Avec le théâtre de Molière s’ajoute un gain symbolique spécifique, celui d’enseigner le français en faisant pratiquer littéralement « la langue de Molière ». C’est pourquoi la troupe des étudiants de philologie française de l’université d’État de Moldavie, fondée en 2009, a-t-elle pu choisir de se consacrer à ses comédies et de prendre pour nom « Les Enfants de Molière ». La virtuosité à acquérir pour interpréter le répertoire classique semble donc formatrice pour l’apprentissage de la langue française, mais aussi et plus largement, pour l’aisance à l’oral. En témoignent les étudiants inscrits au cours de théâtre français de l’université de (4) Princeton aux États-Unis : ils travaillent les grandes scènes ou les œuvres du répertoire classique, en prose ou en vers, sur le modèle des textes à préparer pour l’entrée au Conservatoire en France, alors qu’ils n’ont pas tous le français pour spécialité. Néanmoins, face aux difficultés présentées par ces grands textes du répertoire, les troupes mettent souvent en place des stratégies de contournement (Zucchiatti, 2009). Des personnages de chœur sont ainsi souvent créés par les apprenants de FLE pour raconter, résumer, expliquer l’action de certaines scènes, en français contemporain ou parfois même dans la langue d’origine. Le recours au surtitrage, facilité désormais par l’accessibilité des vidéoprojecteurs, joue un rôle similaire, permettant de traduire ou de résumer des passages, en français ou dans la langue locale. Sur le plan linguistique, ces procédés font ajouter à l’interprétation du texte dramatique des exercices de production écrite et orale en français, ou même des exercices de traduction. Mais surtout, ils viennent aider les apprenants à se faire comprendre de leurs spectateurs quand ils donnent une représentation publique au terme de leur travail : voilà qui les libère du seul 158

souci d’avoir une prononciation intelligible et qui leur permet de se concentrer sur leur expressiviaté, sur le jeu théâtral, d’en explorer toutes les possibilités, y compris, celles des formes esthétiques qui ne sont pas purement illustratives ou encore celles d’un contre-jeu, c’est-à-dire d’une gestuelle qui montre l’inverse de ce qui est dit. 6.3.2.2. Les jeux de l’absurde

Les textes du théâtre de l’absurde, comme du théâtre de paroles, ne demandent pas de mise en espace avec des effets spectaculaires difficiles à créer ni un jeu physique ni une bonne maîtrise des techniques théâtrales : aussi se prêtent-ils facilement à une exploration de leur interprétation, même dans le cadre contraint de l’espace d’une classe. Le théâtre de l’absurde ou de la dérision constitue un corpus vers lequel les enseignants de FLE se tournent volontiers avec notamment des pièces ou saynètes de Ionesco, Tardieu, Dubillard, Visniec ou Ribes. Ces textes sont relativement brefs, ce qui permet de les faire travailler dans leur intégralité. Les dialogues rattachés à l’absurde ne peuvent pas être pris comme des modèles de communication qu’il faudrait répéter pour pouvoir les imiter puisque par excellence ils jouent de l’absurde, des dérèglements de la langue et de la vacuité des échanges conversationnels. Dans l’anti-pièce qu’est La Cantatrice chauve, l’absurde touche le lien entre les répliques, l’articulation entre les phrases et le sens même de certaines phrases. Dans Un mot pour un autre, pièce la plus jouée de Tardieu, les mots attendus ont été remplacés systématiquement par d’autres sans rapport avec le contexte référentiel, avec par exemple « Comment êtes-vous bardé ? » au lieu de « Comment êtesvous entré ? » Si ces pièces restent pourtant souvent jouées par des apprenants de français langue étrangère, c’est parce qu’aux yeux des enseignants praticiens, le travail sur l’intonation, la prosodie ainsi que sur la gestuelle importe plus que la seule mémorisation des phrases. La distance ironique qu’implique le texte dans son interprétation paraît ainsi correspondre à la distance que l’apprenant doit avoir vis-à-vis de la langue cible pour acquérir une forme de dextérité dans son usage. Le comique des textes est associé à un pouvoir désinhibant et est supposé servir à créer une atmosphère ludique et chaleureuse, propice à la mise en confiance des apprenants. Plus encore, le comique lié à l’absurde impose aux apprenants une distance avec les personnages qu’ils jouent, les protégeant ainsi du piège d’une éventuelle identification psychologique qui pourrait les fragiliser par un surinvestissement personnel dans le cadre d’une classe ou d’un atelier. Enfin, dans ces œuvres, l’écart avec l’usage standard de la langue rend les apprenants sensibles au travail de l’écriture littéraire et les incite, par mimétisme, à entretenir une relation créative avec la langue qu’ils sont en train d’apprendre. 6.3.2.3. Théâtres de la parole

Le Nouveau Théâtre avec Nathalie Sarraute fait aussi partie des textes de référence dans l’apprentissage du français langue étrangère pour des raisons inverses de celles du théâtre de l’absurde : focalisées sur le surgissement de la parole, ces pièces contraignent le lecteur-acteur à écouter à la fois le silence et le verbiage, à entendre les hésitations du jeu des interactions (Carlo, 2013 : 264-267). C’est parce que ces textes révèlent les dessous de la conversation, ce que Nathalie Sarraute elle-même appelait « la sous159

conversation », c’est-à-dire l’ensemble des phénomènes sensibles et indécis qui accompagnent les interactions verbales, qu’ils offrent à l’apprenant un support pour observer le rôle des expressions figées et pour se les approprier, à condition d’explorer le sens que l’intonation vocale donne à toute prise de parole : c’est ainsi se familiariser avec les idées à demi conscientes et souvent refoulées, mais qui affleurent dans les interstices des mots prononcés. Une partie de la création contemporaine a continué à explorer cette voie, se détournant de l’action pour faire des situations d’énonciation la matière même des dialogues (Ryngaert, 2013 : 236). Ces textes ne sont pas toujours aisés à déchiffrer, car ils jouent des brouillages énonciatifs et c’est au lecteur de chercher qui parle à qui. Mais, comme l’ont montré les linguistes qui ont analysé le théâtre de Jean-Luc Lagarce, lequel fait surgir les tâtonnements des interactions verbales (Richard & Doquet, 2013 : 157-158), ces représentations de l’oral rendent saillante « la discontinuité du flux de paroles spontanées ». Ainsi, la première scène de Juste la fin du monde de Lagarce (1999) permet-elle d’aborder le jeu des salutations : « SUZANNE. – C’est Catherine. Elle est Catherine. Catherine, c’est Louis. Voilà Louis. Catherine. ANTOINE. – Suzanne, s’il te plaît, tu le laisses avancer, laisse-le avancer. CATHERINE. – Elle est contente. ANTOINE. – On dirait un épagneul. LA MÈRE. – Ne me dis pas ça, ce que je viens d’entendre, c’est vrai, j’oubliais, ne me dites pas ça, ils ne se connaissent pas. Louis, tu ne connais pas Catherine ? Tu ne dis pas ça, nous ne vous connaissez pas, jamais rencontrés, jamais ? » Chercher à donner une énonciation réelle à ces paroles par le jeu théâtral conduit l’apprenant à travailler à la fois sur le surgissement de la parole dans la langue-cible et sur l’écoute fine des conversations. Cela lui permet aussi de comprendre des pratiques de l’oral qu’il ne parvenait pas encore à entendre (Rollinat-Levasseur, 2014). 6.3.2.4. Textes francophones en zones francophones

Si les textes dramatiques qui ont cherché à donner à entendre la langue française comme elle est parlée dans certains pays francophones ne se rattachent pas strictement au théâtre de la conversation, leur mise en voix et en espace dans le cadre de l’apprentissage du FLE relève du même souci pédagogique de tisser un lien entre la compréhension des usages oraux, leur transcription et leur rapport à la langue enseignée. Pour des apprenants qui n’iront pas en France, mais pratiqueront le français au Québec, interpréter des extraits ou une pièce de Michel Tremblay écrits en joual permet d’identifier des formes orales que l’on y entend grâce à leur transcription littérale et, à partir de là, de mesurer l’écart entre la langue parlée et la langue standard pour apprendre conjointement ces deux usages : « moè » ou « que c’est ça » transcrits littéralement offrent à l’apprenant une 160

forme intermédiaire entre la prononciation orale qu’il doit apprendre à comprendre, qu’il emploie peut-être déjà lui-même spontanément par imitation s’il se trouve au Québec, pour pouvoir faire le lien avec « moi » ou « qu’est-ce que c’est que ça ? » attendus en français standard. Représentation de l’oral, l’écriture théâtrale joue alors le rôle d’une interface entre les usages de l’oral et ceux de l’écrit et la pratique théâtrale de ces textes inscrit l’apprentissage du français dans la dynamique de cette interaction (RollinatLevasseur, 2014). Les formes théâtrales qui ont une étroite proximité avec le français et la culture que l’apprenant en FLE découvre sont des œuvres qui peuvent jouer un rôle capital en FLE. Jean Small a ainsi souligné que la « littérature “dramatisée” » caribéenne francophone expose ses étudiants de Caraïbe anglophone « à un français parlé par les Noirs de la Caraïbe » – dans les faits, l’écart linguistique avec la norme des auteurs évoqués, Aimé Césaire, Ina Césaire, Simone Schwartz-Bart, est moins grand que pour le joual. Mais surtout Jean Small insiste sur le fait que ces textes leur offrent un « environnement culturel auquel les jeunes pouvaient s’identifier » de façon plus efficace qu’avec le français présent dans les manuels écrits à destination d’étudiants de Grande-Bretagne (2003 : 203). Cependant, la pièce que José Pliya a dédicacée à « tous les étudiants du niveau 300 de Middlebury College, session d’été 2007 » invite à ne pas se restreindre aux seuls critères de proximité linguistique ou culturelle dans le choix d’un répertoire adapté à l’apprentissage du FLE. Ce dramaturge contemporain, né au Bénin, a en effet vécu dans différents pays, passé le CAPES de Lettres, dirigé plusieurs alliances françaises et est actuellement le directeur de la scène nationale de Guadeloupe. La pièce qu’il a donné à jouer à ces étudiants américains, Miserere, met en scène une famille qui a pour principe de protéger toute personne en fuite, quitte à accueillir le mal absolu. L’action n’est pas située dans un contexte précis, mais le fait qu’elle soit publiée dans le même volume qu’une Une Famille ordinaire, pièce située très précisément dans l’Allemagne nazie, construit un effet de continuité. En tout cas, cette pièce n’entre pas explicitement dans le jeu des questions identitaires ni postcoloniales qui pourraient être attendues d’un auteur avec un tel parcours et dans le contexte universitaire américain, sans non plus traiter d’un sujet spécifiquement conçu à l’attention de jeunes gens. Cette œuvre, dont la première scène peut être jouée dès le niveau A1, montre ainsi que la pratique théâtrale donne matière à penser et à imaginer au-delà du seul univers où l’on se trouve en même temps qu’on apprend une langue. Notes

(1) Voir L’Agenda de Séoul : objectifs pour le développement artistique (2010). http://www.unesco.org/new/fileadmin/MULTIMEDIA/HQ/CLT/CLT/pdf/Seoul_Agenda_FR.pdf. Au niveau européen, voir L’Éducation artistique et culturelle (2009). http://eacea.ec.europa.eu/education/eurydice/documents/thematic_reports/113fr.pdf (2) Cet atelier décyclé (d’où l’hétérogénéité des niveaux de langue des apprenants) a été donné, en 2011 à l’association d’assistance scolaire linguistique et culturelle, à raison de quatre heures par semaine pendant deux mois. 161

(3) http://www.lamenagerie.org/fr (4) https://www.princeton.edu/fit/resources

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CHAPITRE 7 L’altérité dans la langue : ouverture au plurilinguisme par la littérature par Anne Godard, section 7.2. par Myriam Suchet Depuis le développement des approches interculturelles, les œuvres d’expression française écrites par des auteurs étrangers ou d’origine étrangère – postcoloniaux, migrants ou faisant partie de la francophonie historique – sont sollicitées pour aborder en classe la diversité des imaginaires culturels et favoriser une réflexion introspective à partir de leur lecture (Condei, Dufays & Teodorescu, 2009). Relation au temps et à l’espace, représentation de la communauté socioculturelle, de la famille ou des rapports entre hommes et femmes, autant de modes d’être au monde dont on peut, à travers ces textes, découvrir les expressions, les contraintes et les rencontres (Collès, 1994 ; Collès & Lebrun, 2007). Ces littératures que, par raccourci, nous appellerons francophones, permettent aussi, de manière privilégiée, d’aborder des représentations linguistiques. Les relations aux langues et entre les langues sont en effet thématisées et mises en scène dans nombre d’œuvres de fiction, de poésie ou encore à caractère autobiographique ou introspectif : qu’il s’agisse, pour des migrants, des relations entre la ou les langues familiales et la langue du pays d’adoption, du processus d’apprentissage et de l’expérience de la construction d’une nouvelle « identité linguistique », ou qu’il s’agisse d’auteurs immergés dans un environnement plurilingue, lorsque cohabitent une ou plusieurs langues officielles avec des langues d’emploi restreint à la famille ou aux échanges informels. Audelà des représentations des langues qu’elles cristallisent, les littératures francophones constituent également des témoignages de la variation interne à la langue française. Elles peuvent contribuer à déconstruire le « mythe » d’un français un et indivisible, et éduquer à la diversité linguistique en donnant accès à une représentation du français pluralisé, où la relation langue/culture n’est plus celle d’une adéquation totale formant une unité homogène, fixe et normative. Pour ces raisons, nous avons souhaité terminer ce livre par une ouverture sur les potentialités de ces littératures « en français étrangé » dans une perspective de formation initiale et continue des enseignants de français : nous souhaitons ainsi les inviter à renouveler leur regard sur la/les langues qu’ils pratiquent et enseignent – ou se destinent à enseigner, mais aussi leur faire sentir combien la compréhension est indissociable de l’interprétation, et fait appel à des dimensions anthropologiques et interculturelles autant que linguistiques. 7.1. Littérature et plurilinguisme 7.1.1. L’institution de/par la littérature

La littérature, qui fait partie selon Dominique Maingueneau des discours constituants dont « le privilège dangereux [est] de se légitimer en réfléchissant dans leur fonctionnement même leur propre “constitution” » (2004 : 48), ne peut pas « être considérée comme le superflu d’une langue déjà là, identifiée et autosuffisante, mais comme une dimension constitutive de son identité » (ibid. : 153) : « Les œuvres ne font pas que passer par le canal de la langue, mais chaque acte 163

d’énonciation littéraire, si dérisoire qu’il puisse sembler, vient conforter cette langue dans son rôle de langue digne de littérature et, au-delà, de langue tout court. Loin de prendre acte d’une hiérarchie intangible, la littérature contribue à la constituer, à la renforcer ou à l’affaiblir. » (ibid. : 153) La littérature institue comme langue – et non plus comme parler – ce qui n’avait pas de reconnaissance sociale. Par-là, elle est non seulement un accès à l’imaginaire des langues, mais de plus elle agit, modifie, institue en déplaçant des frontières internes entre des variétés reconnues ou dévalorisées d’une même langue, ou en transformant les rapports diglossiques entre des langues parentes. Pour ces raisons, la littérature est moins un détour qu’une manière de se situer d’emblée au cœur de la problématique linguistique, dans ce lieu tiers que Roland Barthes appelait l’écriture, résultant d’un choix, d’une position décidée de l’écrivain, à l’articulation du style et de la langue, du singulier et du communautaire (Barthes, 1953). Cette position tierce, particulière à la littérature, que Maingueneau appelle paratopie (2004 : 69 et suiv.) nous semble également, en tant que telle, un outil de décentrement qui permet de dépasser les oppositions trop vives des prises de position idéologiques ou identitaires qui apparaissent dans les débats sur la langue, aussi bien en France, réticente face au plurilinguisme, que dans des pays où la diglossie et les contacts de langues créent des tensions récurrentes. Considérant ainsi que l’expérience littéraire de la langue est une dimension essentielle des liens qui unissent langue et culture, et que la littérature est un des lieux de « fabrique de la langue » (Gauvin, 2004), il nous semble important que de futurs enseignants soient sensibilisés, à travers la littérature, aux représentations et aux pratiques linguistiques dans une perspective plurilingue et pluriculturelle. En nous fondant sur différents corpus francophones, nous proposons donc d’explorer à travers la littérature les relations complexes que langue, culture et écriture entretiennent, avec comme perspective commune aux didactiques du français langue maternelle, seconde ou étrangère, le développement d’une attitude réflexive sur la diversité linguistique, interne et externe au français, et une aptitude au décentrement critique face aux fausses évidences de l’unité langue/culture. 7.1.2. Du monolinguisme à une conception plurielle de la langue et de la littérature

Dans une perspective de formation initiale et continue des enseignants de français, le travail sur les représentations linguistiques à travers la littérature prend sens d’abord par rapport à ce qu’on pourrait appeler l’idéologie scolaire du monolinguisme, dominante depuis les origines de l’école républicaine, en France et dans les colonies, où le plurilinguisme a été combattu pour les mêmes raisons idéologiques qui valorisaient dans l’Hexagone le français comme instrument d’unité politique (Spaëth, 2001, 2010). Le français, très tôt constitué comme « forme commune échappant, pour des raisons politiques ou esthétiques, à l’échange local et quotidien » (Cerquiglini, 1991 : 124), est enseigné, dans le cadre scolaire, à partir d’un corpus littéraire restreint, dont les variations dialectales ou sociolectales tendent à disparaître (Balibar, 2011). Dès lors, l’enseignement d’une langue normée et homogène constitue ce « français national » (Balibar, 1974) 164

comme élément d’un mythe fondateur de la République associant langue, littérature et Nation. Cette trinité commence à perdre de sa cohésion avec le début de la décolonisation puis avec la massification scolaire. Elle est aujourd’hui en décalage avec la réalité d’une francophonie plurielle – à la fois en France et hors de France – dont on peut identifier quelques dimensions linguistiques et littéraires : – existence d’un plurilinguisme interne à la France : langues régionales et langues minoritaires non territoriales, reconnues comme « patrimoine immatériel, vivant et créatif », soit plus de soixante-quinze langues valorisées en tant que « langues de France » depuis la création de la Délégation à la langue française et aux langues de France (DGLFLF) en 2001 « pour marquer la reconnaissance par l’État de la diversité (1)

linguistique de notre pays » ; – pluralisation de la norme linguistique : en France, où le français scolaire n’est plus le principe unificateur, mais est reconnu comme sociolecte (la langue de l’école), bien que l’école tarde à reconnaître le plurilinguisme de ses élèves (Martinez, Moore & Spaëth, 2008) ; et hors de France, par la reconnaissance d’autres variétés du français : français de Belgique, de Suisse, des Antilles, du Québec ou d’Afrique, réglés par des « normes endogènes » (Bavoux, Prudent & Wharton, 2008 ; voir aussi Quel français enseigner ?, Bertrand & Schaffner, 2010) ; – reconnaissance des littératures francophones « déterritorialisées », écrites (et pour partie publiées) hors de France, dans les pays francophones historiques et postcoloniaux et dans ceux où le français, sans être langue officielle, est resté langue de culture, comme au Maghreb ou au Liban ; mais aussi littérature « migrante », écrite par des immigrés ou des enfants d’immigrés, en France ou dans les trois pays francophones, Belgique, Suisse et Québec (Collès & Lebrun, 2007). En France, la résistance à l’abandon de ce « mythe » unitaire – linguistique et littéraire – est cependant plus forte que dans ces trois pays qui ont toujours eu à se situer par rapport à d’autres pays et d’autres langues (la France, perçue à distance, les pays limitrophes et les autres langues en contact, de manière plus ou moins conflictuelle). Elle tient aussi à l’influence de la primauté philosophique du sujet comme unité (Gadet & Varro, 2006 : 21). Certes, le développement d’une compétence plurilingue et pluriculturelle est un objectif affiché au niveau européen pour l’enseignement des langues étrangères. Elle est définie dans le CECRL comme : « la compétence à communiquer langagièrement et à interagir culturellement d’un acteur social qui possède, à des degrés divers, la maîtrise de plusieurs langues et l’expérience de plusieurs cultures » en considérant qu’il n’y a pas « superposition ou juxtaposition de compétences distinctes, mais bien existence d’une compétence complexe, voire composite, dans laquelle l’utilisateur peut puiser » (2001 : 126). Cette compétence plurielle « dans laquelle les langues sont en corrélation et interagissent » (ibid. : 12) mobilise l’ensemble du répertoire langagier de chacun. Dans une visée englobant le FLS, le Cadre de référence pour les (2) approches plurielles des langues et des cultures (CARAP, Candelier, 2007, version revue en 2011), propose à la fois un référentiel et des ressources pour développer des 165

activités didactiques impliquant plusieurs langues et cultures selon quatre axes : l’approche interculturelle ; la didactique intégrée des langues apprises ; l’éveil aux langues ; l’intercompréhension entre les langues parentes. Mais on a plus de mal à reconnaître que le FLM se trouve aussi impliqué par la notion de compétence plurilingue, alors même qu’il est traversé par la question des langues en contact et par celle de la variation interne. S’il est ainsi un point de convergence entre les trois didactiques du FLM, FLS et FLE, il se situe dans la réflexion sur l’objet « langue » lui-même (Cadet & Guérin, 2012) dont les travaux de sociolinguistique ont contribué à montrer que la variation en est constitutive (Gadet & Varro, 2006). 7.1.3. Pour une formation des enseignants à la diversité linguistique par la littérature

Or, de cette diversité linguistique, la littérature rend compte de multiples façons, des formes les plus évidentes de la mise en scène de l’hétérogénéité linguistique à l’évocation la plus ténue de nuances de style qui distinguent la situation respective de deux locuteurs ou marquent une relation dissemblable à la norme. Il nous semble donc important, à côté d’actions spécifiques en faveur d’une reconnaissance du plurilinguisme des élèves ou d’une éducation précoce aux langues (Chiss, 2008), de former les enseignants au plurilinguisme à travers l’expérience littéraire, en particulier à travers la manière dont les écrivains plurilingues témoignent de leur expérience et font jouer, à l’intérieur même de leur écriture, la pluralité des identités linguistiques. Et ce d’autant plus, aujourd’hui, que l’enseignement fonctionnel du français, qui tend à être entièrement déconnecté de la littérature, en FLM comme en FLE, donne de la langue une représentation restreinte, d’où la profondeur historique et les variations internes et externes sont quasiment absentes. Au rebours d’une tendance qui appauvrit l’expérience que nous pouvons faire de la langue, nous considérons dans ce chapitre – comme dans l’ensemble du livre – que la littérature est formatrice et que l’expérience littéraire de la langue enrichit non seulement notre connaissance et notre pratique de la langue, mais aussi notre capacité de penser la/les langues et notre relation à elles. Cela, qui nous semble essentiel dans la formation d’un enseignant de langue, reste encore présent dans la formation initiale des professeurs de lettres en France, mais les formations de FLE, ouvertes à des étudiants de langue ou de linguistique, sont assez peu nombreuses à intégrer un enseignement de littérature. Nous proposons donc ici deux exemples de ce qu’entrer dans une réflexion sur le plurilinguisme par le biais de la littérature peut apporter à de futurs enseignants. Ces deux volets abordent de manière complémentaire l’expérience de la langue, à travers des œuvres qui en font jouer la diversité et à travers le regard que les écrivains portent sur leur propre plurilinguisme et sur l’apprentissage linguistique. Ce sont ainsi deux entrées dans l’imaginaire des langues et dans la complexité des identités linguistiques qui peuvent inspirer la démarche réflexive de futurs enseignants de français, langue maternelle, seconde ou étrangère amenés à faire l’expérience d’un décentrement linguistique par et dans la littérature. Pour première entrée dans l’hétérogénéité intrinsèque de « la langue », présentée par Myriam Suchet, nous avons choisi de partir de la littérature québécoise en raison de la 166

visibilité qu’y trouvent les problématiques plurilingues : qu’elles mettent en tension le français et l’anglais, les deux langues impériales et officielles du Canada, ou qu’elles opposent un français normatif perçu comme étranger – le français de France – et le « québécois » ou d’autres langues encore. À travers l’analyse d’œuvres emblématiques, on percevra que la construction d’un « imaginaire hétérolingue » (Suchet, 2014) ne se contente pas de rendre compte de la pluralité linguistique propre au Québec : il agit pour la reconnaissance de la différence constitutive de toute identité, toujours stratifiée par l’histoire vivante des migrations et des contacts de langue et, de ce fait, travaillée du de/dans – la barre oblique dissipant l’illusion d’une totalité en parfaite coïncidence avec elle-même. 7.2. Et si nous étions tous des allophones ? La littérature québécoise comme expérience de « français langue étrangère » L’expérience proposée ici repose sur un postulat qui peut s’énoncer d’emblée : « la langue » existe moins comme une entité réelle que comme une idée régulatrice dont les enjeux sont fondamentalement politiques et identitaires. Pourtant, nous avons souvent tendance à croire aux contours de notre langue comme s’ils existaient vraiment, et à théoriser en présupposant une norme monolingue en dépit du polyglottisme effectif d’une large majorité de locuteurs (Lüdi, 2004). De fait, nous habitons le plus souvent notre soidisant « langue maternelle » comme le poisson rouge occupe son bocal : persuadé de vivre dans un monde aussi naturel que familier (Veyne, 2008 : 24, 44 ; Jenny, 2005). Il est cependant possible de reprendre conscience des parois du bocal – et, corollairement, d’interroger l’identité supposément stable du poisson qui l’habite. La littérature constitue l’une des plus formidables occasions de faire l’expérience de sa propre langue comme d’une langue étrangère. Proust n’écrivait-il pas, dans une citation souvent reprise et tronquée, que « les beaux livres sont écrits dans une sorte de langue étrangère » (1971 : 305) ? Toutes les littératures n’ont pas, cependant, la même virtuosité pour jouer avec l’étrangeté constitutive de « la langue ». Certaines œuvres du répertoire québécois nous semblent particulièrement propices pour faire l’expérience d’un français étrangé (ou étrangéifié) et questionner les lignes de partage entre communautés linguistiques. Sans doute n’est-ce pas un hasard si c’est à partir de la littérature québécoise que Rainier Grutman a forgé le néologisme « hétérolinguisme » pour désigner « la présence dans un texte d’idiomes étrangers, sous quelque forme que ce soit, aussi bien que de variétés (sociales, régionales ou chronologiques) de la langue principale » (1997 : 37). Rainier Grutman insiste sur la différenciation interne à chaque langue, car selon lui : « il n’y a pas de Langue saussurienne une et indivisible, il n’y a que des variétés diatopiques (les dialectes), diastratiques (les sociolectes), diaphasiques (les registres) et diachroniques (les états de langue) » (1990 : 199). Observée de plus près, « la présence dans un texte d’idiomes étrangers » s’avère être le produit d’une construction, le résultat d’une mise en scène. C’est le texte, en effet, qui affecte tel ou tel de ses segments d’un coefficient d’étrangeté plus ou moins grand, produisant un effet de langue étrangère y compris là où le dictionnaire ne tracerait pas la moindre ligne de partage. Nous proposons donc de redéfinir l’hétérolinguisme comme la mise en scène d’une langue comme plus ou moins 167

étrangère le long d’un continuum d’altérité construit dans et par un discours (ou un texte) donné (Suchet, 2014). Ainsi redéfini, l’hétérolinguisme constitue bien davantage qu’une caractéristique textuelle : il propose une alternative à la logique monolingue, qui repose sur l’équation (une langue une et indivisible) = (un sujet parlant stable et homogène) = (un État-Nation). Cette logique, naturalisée au point de devenir imperceptible, fonctionne à la manière d’un logiciel de pensée qui paramètre nos manières de poser les problèmes – d’où l’extrême importance d’un autre imaginaire, rendu possible par la littérature, pour pouvoir aussi penser autrement. Les trois textes analysés ci-dessous ont marqué, respectivement, l’histoire de la poésie, du théâtre et du roman québécois. Chacun d’eux offre l’occasion d’expérimenter et d’analyser un dispositif hétérolingue différent : l’effet d’étrangement de « la langue » française s’avère ainsi spécifique à chaque texte et fonction d’un continuum. 7.2.1. Un dispositif antagonique : le face-à-face asymétrique « langue française » / « langue anglaise »

L’appellation « littérature québécoise » est relativement récente. L’expression est utilisée pour la première fois en 1965 dans un numéro de la revue Parti pris au titre programmatique : Pour une littérature québécoise. Avant les années 1960, on ne parlait pas de « littérature québécoise », mais de littérature « canadienne-française ». C’est à peine douze ans plus tard, en 1977, qu’est ratifiée la Charte de la langue française (« loi 101 »), qui reconnaît le français comme seule et unique langue officielle au Québec. La loi stipule en outre que les enfants d’immigrants allophones doivent obligatoirement fréquenter l’école française à moins que l’un des deux parents ait été scolarisé en langue anglaise. La période de la Révolution tranquille voit donc émerger simultanément la « littérature québécoise » en tant que telle, la revendication nationaliste pour un Québec indépendant et la Charte de la langue française. Loin d’être anecdotique, cette conjonction témoigne de la fonction instituante de la littérature, qui participe pleinement de la « deffence et illustration de la langue québécquoyse » (Lalonde, 1979). C’est à l’occasion de la Nuit de la poésie de 1970 que la poétesse Michèle Lalonde déclame un texte fondateur à valeur de manifeste : Speak White. Mieux que le texte (3) imprimé, l’enregistrement de la lecture de Michèle Lalonde disponible en ligne donne à entendre un français accentué par une voix vibrante de colère – on peut aussi consulter le court métrage réalisé par Pierre Falardeau et Julien Poulin sur le site de l’Office national (4) du film . Michèle Lalonde, Speak White (1970) « il est si beau de vous entendre parler de Paradise Lost ou du profil gracieux et anonyme qui tremble dans les sonnets de Shakespeare nous sommes un peuple inculte et bègue, mais ne sommes pas sourds au génie d’une langue parlez avec l’accent de Milton et Byron et Shelley et Keats speak white et pardonnez-nous de n’avoir pour réponse que les chants rauques de nos ancêtres 168

et le chagrin de Nelligan […] » Dans ce texte qui est à la fois un poème, un pamphlet et un manifeste, Lalonde dénonce la domination culturelle, linguistique et politique des anglophones sur la communauté francophone. L’expression raciste speak white (« parlez blanc ») était utilisée par les anglophones du Canada pour enjoindre les Canadiens français à parler anglais. Cette injonction résonne avec l’identification postcoloniale des Québécois comme des Nègres blancs d’Amérique, titre de l’autobiographie du militant indépendantiste Pierre Vallières (1968). Dans le poème de Lalonde, cette blancheur imposée scande le poème à la manière d’un refrain ou d’un leitmotiv qui entre en série avec d’autres couleurs, ce qui rappelle combien la question de « la langue » nationale est indissociable des enjeux politiques et des luttes à l’échelle du monde entier : « (v. 73) parlez un français pur et atrocement blanc comme au Viêt-Nam au Congo parlez un allemand impeccable une étoile jaune entre les dents parlez russe parlez rappel à l’ordre parlez répression (v. 85) nous savons que liberté est un mot noir comme la misère est nègre et comme le sang se mêle à la poussière des rues d’Alger ou de Little Rock » Outre l’opposition anglais dominant/français décrié, la blancheur connote la pureté de « la langue » selon l’idéologie puriste du « français normatif ». Par contraste, les vers 6466 revendiquent une langue sale, une langue de travail : « notre parlure pas très propre/tachée de cambouis et d’huile ». La domination anglophone n’est pas seulement thématisée dans ce texte : le poème se présente à la manière d’un territoire occupé dont des pans entiers seraient passés à l’ennemi. L’anglais est systématiquement employé dans les expressions relatives à la culture majoritaire (Shakespeare vs Nelligan, au tout début du texte) ainsi qu’à l’argent : « (v. 23), mais quand vous really speak white quand vous get down to brass tacks pour parler du gracious living […] haussez vos voix de contremaîtres nous sommes un peu durs d’oreille nous vivons trop près des machines et n’entendons que notre souffle au-dessus des outils » Les deux langues, anglaise et française, se font donc face sans jamais dialoguer. L’opposition anglo/francophone du poème de Lalonde est d’autant plus frontale que les deux groupes linguistiques sont désignés par les pronoms « nous » et « vous » comme deux communautés radicalement étanches. Cette configuration du rapport de force ne laisse aucune place pour la reconnaissance des autres langues parlées au Québec, que l’on pense aux dix Nations amérindiennes ou aux populations migrantes. Loin d’être isolée, 169

cette situation rappelle que l’opposition binaire entre deux langues (ou entre un standard et une seule variante) tend volontiers à masquer l’existence d’une multitude d’autres pratiques de discours (le berbère est ainsi escamoté dans le débat arabe/français, etc.). Au Québec, il faudra attendre les années 1980 pour qu’émergent les langues rendues invisibles par la polémique anglo-francophone : c’est en 1989 que paraît le Speak What du dramaturge d’origine italienne Marco Micone, qui pastiche Speak White en revendiquant les langues de « cent peuples venus de loin ». On remarque en outre que le face-à-face binaire efface les différences constitutives pour mieux projeter l’étrangeté sur l’autre langue, « la langue » étrangère. Il n’y a ainsi aucune distinction, dans le poème de Lalonde, entre « l’anglais des Américains » et « l’anglais des Anglais » – qui seront au contraire opposés par Jenny Salgado dans son rap « Spit white » en 2010. Plus récemment encore, les étudiant(e)s en grève contre la hausse des frais de scolarité ont orchestré un Speak Red qui réconcilie « la langue douce de Molière, mais avec l’accent de Miron », jouant du hiatus entre français de France et français du Québec, ici symbolisé par la figure du grand barde québécois Gaston Miron (Côté-Ostiguy, 2012). Le dispositif dominant Speak White est donc celui de la frontière, qui détermine un front de lutte et préserve la distinction des langues – sans pourtant reconduire l’idéologie de leur pureté intrinsèque. Pour des oreilles accoutumées à un français normatif, c’est l’occasion de reprendre conscience du caractère socio-économiquement situé et de l’enjeu politique de « la langue » lorsque ses frontières ne coïncident pas avec celles d’un ÉtatNation. Dans ces circonstances, présenter le français comme « une sorte de langue étrangère » ne constitue pas seulement une métaphore pour désigner l’écriture littéraire : c’est tout le rapport familier que l’on entretient avec elle qui se trouve engagé. 7.2.2. Un dispositif ternaire : mettre en scène une langue à soi ou comment traduire « en québécois »

Au moment même où le poème-manifeste de Lalonde mettait en scène la dichotomie anglo/francophone, d’autres auteur(e)s s’interrogeaient sur le rapport douloureux entre deux langues françaises : celle du standard parisien et celle parlée au Québec. En 1968, Les Belles-Sœurs de Michel Tremblay font scandale en mettant en scène le joual, ce parler populaire et stigmatisant de la classe ouvrière francophone du Québec. Dans la pièce de Tremblay, le joual est stylisé pour devenir une langue rythmique et théâtrale : Les Belles-Sœurs s’imposeront par la suite comme l’une des pièces les plus célèbres du répertoire québécois. Le travail identitaire sur « la langue » théâtrale au Québec se poursuit encore après l’adoption de la loi 101. En 1978, l’École nationale de théâtre du Canada commande une traduction de Macbeth de Shakespeare au poète Michel Garneau. La première de couverture du livre précise que la pièce est traduite « en québécois » au lieu de la mention attendue : pièce traduite « de l’anglais » ou encore « en français ». Le tableau suivant met en regard un extrait d’une réplique de Malcom (IV, 3) dans la version originale de Shakespeare, la version française de François-Victor Hugo, et celle – québécoise – de Michel Garneau : Macbeth, texte de Shakespeare cinca 1606 :

Traduction par François-Victor Hugo, dans Œuvres complètes de Shakespeare, Paris, Pagnerre, 1866, p. 371 :

Macbeth, tradaptation en québécois par Michel Garneau, Montréal, VLB, 1978, p. 117 :

I think our country [sinks beneath the yoke; It weeps, it bleeds; and [each new day a gash

Je crois que notre patrie s’affaisse sous le joug ; – elle pleure, elle saigne, et chaque jour

J’pense moé-ssi qu’not pauv’pays s’trouve pogné dans un carcan terribe.

170

Is added to her [wounds. I think, [withal, There would be hands [uplifted in my right; And here, from [gracious England, [have I offer Of goodly thousands

de plus ajoute – une plaie à ses blessures. Je crois aussi – que bien des bras se lèveraient pour ma cause ; – et ici même le gracieux roi d’Angleterre m’en a offert – des meilleurs, par milliers.

C’t’un pays qui pleure, qui geint, qui grince ; c’t’un pays Qui sent son mal, qui saigne, chaque jour, y’a une plaie neuve Dans ses blessures : j’pense que ben des bras sont parés à se l’ver Pour défendre nos droéts, y’a du bon monde icitte en Angleterre Qui s’offrent par milliers […]

Un simple coup d’œil suffit pour mesurer l’écart qui sépare la version française du fils Hugo de celle du poète québécois. Le contraste tient à la fois au lexique, à la syntaxe et au registre, beaucoup plus familier dans la version de Garneau qui multiplie les élisions et les autres marqueurs d’oralité. La différence entre les deux versions laisse imaginer la (5)

possibilité de « traduire du français au français ». Les frontières du français entrent en crise : le québécois est-il à l’intérieur ou à l’extérieur de leur tracé ? Faut-il considérer qu’il s’agit d’une autre langue, d’un dialecte ou d’une variante ? Ou bien faut-il changer de référentiel, c’est-à-dire abandonner la représentation naturalisante de « la langue » pour considérer qu’il s’agit d’une variation inhérente à un français dont le noyau même serait une constellation en diffraction permanente (Labov, 1976) ? La question se complique encore lorsqu’on observe que le québécois du Macbeth de Garneau ne correspond à aucune variété de langue existante. Le traducteur revendique d’ailleurs l’invention d’une langue : « ce n’est pas un travail réaliste, c’est littéraire, c’est composé » (Garneau, 1978). Puisant dans le Glossaire du parler français au Canada établi par la Société du Bon Parler français entre 1900 et 1930 ainsi que dans les vieilles complaintes de Gaspésie, Garneau forge une langue idéale et anachronique (Brisset, 1990 : 289). L’enjeu est de produire un texte destiné à être joué, porté à la scène, mais aussi de forger une identité par « la langue ». Cette double importance de la « jouabilité » et de la dimension politique explique le néologisme inventé par Garneau pour désigner son travail de « tradaptation » (Hellot, 2009). Le dispositif de tradaptation, qui n’est pas sans évoquer l’anthropophagie culturelle au Brésil, permet d’ingérer un texte étranger, mais particulièrement signifiant en contexte (ici le drame royal de Shakespeare) pour l’intégrer à la fabrique d’une identité en voie de constitution (Simon, 1993). Le théâtre permet de rendre cette identification effective en la partageant du plateau à la salle. La théâtralisation du joual (ou du québécois) élabore donc conjointement une langue et une identité. On peut qualifier l’une et l’autre d’imaginaires en ce sens qu’elles sont projetées et programmatiques. Leurs effets n’en sont pas moins réels : les pièces de Tremblay et les tradaptations de Garneau participent à la constitution d’une communauté qui fonde sa distinction sur une fabrique de « la langue ». Imposer la norme unique d’un français standard à l’exclusion de toutes les autres manières de parler revient donc à nier ou à empêcher d’advenir d’autres façons de parler, mais aussi d’être autrement (Canut, 2001). À l’inverse, concevoir « la langue » comme une multitude ouverte de possibilités en discours invite à imaginer la communauté à l’aune de ses potentialités et non en fonction de lignes de fracture et d’exclusion. 7.2.3. Un dispositif diffractant : polyphonies des écritures « migrantes » et autochtones

Les années 1980 voient émerger le courant des écritures dites « migrantes », appellation lancée en 1987 par Robert Berrouët-Oriol dans la revue Vice-Versa pour 171

dénoncer la piètre réception que l’institution littéraire québécoise réservait aux écrivains venus d’ailleurs. La Québécoite de Régine Robin, qui paraît en 1983, s’inscrit dans ce courant. Ce texte, qui refuse la dénomination générique de « roman », esquisse trois trajectoires possibles d’une jeune femme récemment arrivée à Montréal. Qu’elle s’installe à Snowdown, à Outremont ou encore sur le boulevard Saint-Laurent à la hauteur de la rue Jean-Talon, elle est sans cesse exposée à une polyphonie polyglotte. Le texte est hétérolingue de manière spectaculaire, plusieurs insertions en yiddish, notamment, modifient l’alphabet et jusqu’au sens de lecture (p. 140) :

D’autres occurrences sont moins remarquables, mais tout aussi perturbantes, comme ce passage dont une lecture à vue et à haute voix permet d’éprouver l’étrangeté : « Je ne comprenais pas le pourquoi des ventes sales, sinon qu’elles n’étaient pas le contraire des ventes propres. De simples mots ne cachant pas leur polysémie, à désespérer de tout. Je ne suis pas d’ici. On ne devient pas québécois. Prendre la parole, rendre la parole aux immigrants, à leur solitude. Give me a smoked meet – une rencontre fumée comme il y a des rencontres rassies et des rencontres bleues – c’était un pays bleu. » (ibid. : 54) Plus le texte avance et plus « la langue » se trouble : difficile de déterminer où commence l’anglais, où finit l’allemand, l’hébreu ou le français. Finalement, ce dernier s’étoile de l’intérieur et l’illusion d’une langue « une et indivisible » cède la place à une autre langue en devenir : « En exil dans ta propre langue. Le leurre de la langue. Ni la même, ni une autre. L’AUTRE dans le MÊME. L’inquiétante étrangeté d’ici. » (ibid. : 183) Tandis que le Speak White de Lalonde exacerbe la frontière qui divise francophones et anglophones et que la tradaptation de Macbeth par Garneau invente un troisième terme « québécois », l’hétérolinguisme de La Québécoite déjoue radicalement les frontières linguistiques. La littérature québécoise s’ouvre alors largement par-delà la dichotomie anglais/français. Elle met en valeur le potentiel de création que réserve la mise en contact métamorphique de « toutes les langues du monde » (Glissant, 1992 : 12), au lieu de reconduire la posture de repli qui a pu caractériser la politique linguistique québécoise des années 1970. Il serait intéressant, pour parachever ce parcours où chaque langue se met à résonner « en présence de toutes les langues du monde » (Glissant) et à « défaire les identités fétiches » (Robin, 1994), de placer en regard les écritures dites « migrantes » et les œuvres où se donnent à entendre les langues amérindiennes autochtones (Gatti, 172

2004, 2006). Dans l’optique d’une telle comparaison, c’est moins vers le roman que vers la poésie ou le théâtre qu’il faut se tourner. Rita Mestokosho, née dans la communauté d’Ekuanitshit (Mingan) en 1966, est la première poète innue à avoir publié un recueil au Québec : Eshi uapataman Nukum. Comment je perçois la vie, Grand-Mère (paru chez Piekuakami à Québec en 1995 et réédité en Suède par Beijbom Books). Le recueil se compose de huit poèmes écrits en innu-aimun et en français (aucune des versions n’est présentée comme une « traduction ») et de douze poèmes en français, dont plusieurs portent un titre en innu. Dans la postface, elle raconte : « Le français n’est pas la langue de ma mère. Mais le destin l’a mis sur ma route, et nous nous sommes apprivoisées. Nous nous sommes tellement apprivoisées que j’ai choisi de l’adopter » (Mestokosho, 1995). Contrairement à la notion d’appropriation, qui envisage « la langue » comme un bien, une propriété (Joubert, 2006 : 67), l’apprivoisement ne présuppose pas une identité fermée sur ellemême ni une essentialisation des pratiques linguistiques. Le français, dès lors, n’est plus seulement « la langue » de l’Autre : c’est une langue travaillée du/dedans par sa longue fréquentation avec les autres langues. L’altérité s’avère à la fois intérieure et réciproque. Rappelons que le nom « Canada » vient du wendat « kanata », qui signifie « population », « village » et que « Québec » vient de l’algonquin « kebec », qui désigne le rétrécissement du fleuve près de Québec (Vézina, 2009). La liste serait longue de tous les termes empruntés aux langues amérindiennes, qui rappellent la dimension diachronique et fondamentalement hétérogène de toute langue. Les écritures migrantes et autochtones, lorsqu’elles travaillent de manière hétérolingue, soulignent l’hétérogénéité constitutive d’une langue française dont les frontières ne sont plus des lignes de fractures, mais des zones d’indistinction. Dans un contexte de crise qui interroge les institutions scolaires et universitaires ainsi que la formation qu’elles dispensent, la littérature permet de mettre en pratique les injonctions à la critique et au décentrement que théorisent les penseurs contemporains. Les œuvres littéraires hétérolingues du Québec (et d’ailleurs) offrent aux formateurs de français langue étrangère l’occasion d’expériences de défamiliarisation qui rappellent en acte l’hétérogénéité constitutive de « la langue » ainsi que ses dimensions indissociablement politiques, poétiques et éthiques. À rebours de l’instrumentalisation et de l’essentialisation de « la langue », celle-ci redevient plus visiblement ce qu’elle n’a jamais cessé d’être : une pratique en variation continue, exercée par et pour les locuteurs. L’imaginaire hétérolingue, qui se forge à la lecture des textes littéraires et non des traités philosophiques ou linguistiques, est une perpétuelle expérience de défamiliarisation qui affecte non seulement « la langue », mais aussi le sujet parlant : privé de son socle, il devient libre de se projeter dans des identités fluctuantes. Pour l’apprenant, ce rappel de la complexité inhérente à « la langue » comme au sujet invite à l’hospitalité davantage qu’au conflit : ses pratiques linguistiques sont susceptibles de s’épauler dès lors que l’étrangeté de l’autre langue s’éprouve aussi au sein de l’idiome le plus familier. Formateurs et apprenants peuvent ainsi éprouver en acte les formulations paradoxales de Derrida : « on ne parle jamais qu’une seule langue » et pourtant « on ne parle jamais une 173

seule langue » (1996 : 10). L’inconfort et le déséquilibre d’une telle conception constituent aussi la condition de possibilité d’un véritable dialogue. En redevenant les apprenants d’une langue jamais totalement familière, nous pouvons inventer d’autres manières de l’enseigner et de la parler, ensemble. 7.3. Représentations du plurilinguisme et de l’apprentissage du français Si l’immersion dans les textes littéraires hétérolingues – tels ceux qu’on vient d’évoquer plus haut – nous fait éprouver la coprésence des langues et la diversité même du français, que peuvent nous apprendre les écrivains eux-mêmes sur leur expérience ? Et comment rendent-ils compte de la manière dont leur plurilinguisme modifie leur relation avec leur/s langue/s d’écriture ? e

La question ne naît pas au XX siècle. Dès les origines, la littérature en français se situe par rapport à d’autres langues – le latin, les dialectes, d’autres langues européennes ayant accédé plus tôt que le français au statut de langue littéraire, tel l’italien à la Renaissance – et les écrivains ont aussi dès l’origine tenu à justifier leurs choix : ainsi, le clerc Benoît de Sainte-Maure explique pourquoi il a « mis en roman » les œuvres antiques, c’est-à-dire les e a traduites du latin en français pour ses contemporains du XIII siècle ; le poète Clément Marot note en 1532 qu’en quittant le Quercy pour la cour du roi de France, il a dû oublier sa « langue maternelle » pour apprendre « la paternelle » (L’Enfer, vers 301302) ; François Rabelais met en garde en 1532 ceux qui, comme l’écolier limousin que rencontre Pantagruel, dédaignent « l’usance commun de parler » et pour « contrefaire la langue des Parisians » ne font qu’« escorcher le latin » (1994 : 235) ; Joachim Du Bellay appelle en 1549 ses confrères à renoncer au latin, au nom de la Deffense et illustration de la langue françoyse, écrite dans l’émulation avec l’italien ; et René Descartes trouve encore nécessaire, en ouverture du Discours de la méthode, de se justifier d’avoir choisi le français plutôt que le latin afin d’en rendre la lecture possible à tout « honnête homme ». e e Aux XVII et XVIII siècles, c’est la comparaison entre les langues européennes qui devient e un topos des écrits sur la langue, tandis que les problématiques de style dominent le XIX e et le début du XX siècle. Mais la question du choix de la langue d’écriture resurgit de e manière flagrante dans la deuxième moitié du XX siècle, chez les écrivains issus des pays ayant été sous influence française, spécialement à travers la colonisation, et chez ceux qui, pour des raisons diverses, ont adopté la France ou, pour mieux dire, le français comme pays d’accueil. Ces écrivains plurilingues d’origine non hexagonale – qu’on les appelle écrivains « venus d’ailleurs » comme le fait Anne-Rosine Delbart (2005) ou qu’on parle de « littérature “invitée” » telle Véronique Porra (2011) – sont nombreux à témoigner de (6) leurs « liaisons » avec une langue qu’ils ont choisie ou acceptée pour langue d’écriture, dans des textes personnels, à mi-chemin entre l’autobiographie et l’essai, ou à travers des romans d’inspiration autobiographique permettant de mettre en scène, et non seulement d’analyser, leur expérience linguistique. L’intérêt de leurs œuvres est reconnu depuis déjà quelques années en FLE, où, sur le modèle du Portfolio européen, sont encouragées les démarches autoréflexives, à la fois 174

dans une perspective interculturelle et langagière. Ainsi, Delbart souligne les homologies entre les difficultés rencontrées par les apprenants d’une langue/culture étrangère avec les défis linguistiques et culturels d’écrivains qui ont adopté le français en quittant leur pays d’origine pour s’installer en France (2006 : 144). Selon elle, la lecture de ces « autoscopies linguistiques » traversées par « les mêmes crises identitaires et les mêmes affres langagières » peut permettre aux apprenants d’entamer « leur propre introspection linguistique » autour des « difficultés rencontrées dans l’abandon de la langue natale et l’acquisition de la nouvelle », mais aussi à partir de la possibilité que « le français [soit] aussi attractif parce qu’étranger. Étranger aux asservissements de tous types qu’ils ont pu connaître dans leur langue maternelle : politiques, sociaux, moraux, sentimentaux, et même littéraires » (ibid. : 145). Mais nous ne parlerons pas, avec elle, d’« auteurs FLE » (ibid., voir aussi dans Defays et al., 2014 : 75-89), car ces auteurs ne se réduisent ni à leur biographie ni aux œuvres où ils rapportent leur parcours linguistique, pas plus qu’il ne nous semblerait pertinent de les cantonner à un public « homologique ». De même, il nous semble important de ne pas limiter les lectures proposées à des apprenants étrangers aux quelques œuvres qui seraient des « miroirs » de leur propre parcours. La découverte de la littérature française classique, y compris comme élément constitutif de la culture nationale, reste une expérience clé, dans sa dimension linguistique, culturelle et identitaire, dont témoignent justement nombre de textes présentés ci-dessous. L’enseignant sensibilisé à la diversité linguistique du français peut faire dialoguer les œuvres, en mettant en avant la « puissance de résonance polyphonique » (Suchet & Kassab, 2014 : §2) de la littérature classique aussi bien que celle de la littérature francophone contemporaine. Le choix d’étudier ces textes ne doit donc pas venir, de manière automatique, d’une caractéristique « FLE » des auteurs en question, mais bien de ce qu’apportent, pour un projet précis, les écrits qu’ils ont pu consacrer à leur pratique langagière. C’est ce que nous proposons de faire ici, dans le cadre d’une réflexion sur le (7) plurilinguisme menée avec de futurs enseignants et professionnels du FLE . Le corpus lui-même est divers et abondant. On y trouve des entretiens et des témoignages plus ou moins circonstanciels rassemblés dans des recueils collectifs comme L’Écrivain francophone à la croisée des langues (Gauvin, 1997), L’Aventure du bilinguisme (Kroh, 2000), La Langue française vue d’ailleurs (Martin & Drevet, 2001), Pour une littérature-monde (Le Bris & Rouaud, 2007), Défense et illustration de la langue française aujourd’hui (Cheng, Roubaud et al., 2013). On trouve aussi des essais personnels, parmi lesquels Le Langage et son double de Julien Green (1985), Lettres parisiennes. Autopsie de l’exil de Leïla Sebbar & Nancy Huston (1986), Le Partage des mots de Claude Esteban (1990), Écrire en pays dominé de Patrick Chamoiseau (1997), Nord Perdu de Nancy Huston (1999), Ces voix qui m’assiègent… en marge de ma francophonie d’Assia Djebar (1999), Je ne parle pas la langue de mon père de Leïla Sebbar (2003), Le Dialogue, une passion pour la langue française de François Cheng (2008), Une langue venue d’ailleurs d’Akira Mizubayashi (2011), Penser entre les langues de Heinz Wizmann (2012). Des récits autobiographies peuvent inclure des chapitres sur le passage d’une langue à l’autre ou l’apprentissage d’une langue seconde, ainsi Amkoullel, l’enfant peul de 175

Amadou Hampaté Bâ (1992), Chemin d’école de Patrick Chamoiseau (1994), Adieu vive clarté… de Jorge Semprun (1998) ou L’Analphabète d’Agota Kristof (2004) ; de même, des romans – eux aussi souvent autobiographiques – peuvent prendre comme sujet le bilinguisme et les situations d’apprentissage scolaire ou non, tels Le Gone du Chaâba d’Azouz Begag (1986), Aliocha d’Henri Troyat (1991), Le Testament français d’Andreï Makine (1995), Paris-Athènes (1989), La Langue maternelle (1995) et Les Mots étrangers (2002) de Vassilis Alexakis, Le Ventre de l’Atlantique de Fatou Diome (2003) et (8) Comment peut-on être français ? de Chahdortt Djavann (2006) . À la différence de textes programmatiques à portée collective – tel l’Éloge de la créolité de Jean Bernabé, Patrick Chamoiseau et Rafael Confiant (1989) –, tous ces textes, qu’ils aient une dimension narrative ou réflexive plus ou moins marquée, permettent d’aborder la relation aux langues et à l’apprentissage sous un angle personnel, à partir d’une situation singulière qui est souvent explicitée. Leur confrontation permet, à travers les portraits croisés qu’ils font du français et de leurs langues d’origine, de découvrir plusieurs « visages » du français, et ainsi d’en relativiser certaines représentations prégnantes telles sa supposée clarté ou son « universalité ». Ils constituent ainsi un premier instrument pour la sensibilisation de futurs enseignants à la perception du français « vu d’ailleurs », mais ils nous semblent également intéressants, dans une perspective formative, parce qu’ils permettent de s’interroger sur la manière dont se construit l’identité bilingue ou plurilingue en abordant toutes les dimensions – individuelle, collective, psychologique, historique et sociale – de l’expérience. De fait, ces textes sont quelquefois pour de futurs enseignants le premier « contact » qu’ils peuvent avoir avec des situations d’apprentissage évoquées, en France, dans le cadre scolaire ou associatif, ou hors de France, dans les pays où le français est langue seconde et, plus généralement, face à des apprenants migrants. Et parce qu’ils ne se contentent pas de nous installer à l’intérieur de différents imaginaires des langues, mais qu’ils inscrivent le rapport aux langues dans la biographie des écrivains, ils permettent aussi d’identifier des manières de percevoir le bilinguisme ou le plurilinguisme qui peuvent être des obstacles ou au contraire des adjuvants à l’apprentissage. Enfin, par leur réflexivité, ces œuvres constituent également, pour de futurs professionnels de la langue que sont les enseignants, des modèles de ce que peut être une attitude réflexive sur soi et sa pratique. Faute de pouvoir tout aborder, nous proposons ci-dessous quelques réflexions sur les relations entre les langues et les parcours d’apprentissage. 7.3.1. Opposition ou circulation entre les langues : l’étrangéité de l’écrivain

L’enseignant de langue peut être confronté, en classe, à des apprenants ayant des attitudes ambivalentes par rapport à l’apprentissage, ou qui ont des difficultés à circuler d’une langue à l’autre. Il est délicat d’interroger directement les apprenants sur ces difficultés, d’autant plus quand leur maîtrise du français est insuffisante pour leur permettre d’exprimer avec nuance ce qu’ils éprouvent de manière conflictuelle. Les témoignages des écrivains, amenés par métier pourrait-on dire à réfléchir sur leur outil d’expression et sur les nécessaires négociations entre leurs différentes appartenances linguistiques et culturelles, permettent de trouver des mots pour décrire ces situations, et 176

les stratégies qu’ils ont pu mettre en œuvre pour arriver à trouver un lieu à partir duquel une expression est devenue possible. En effet, pour l’écrivain plus que pour n’importe qui d’autre, trouver une issue au conflit linguistique est vital : s’il ne le résout pas, il est condamné au silence. Dans une situation de bilinguisme, où deux langues ont été apprises à peu près simultanément, le sentiment d’opposition entre deux faces de l’identité est potentiellement conflictuel. On peut ainsi repérer chez Julien Green et Claude Esteban, deux écrivains qui, en plus d’être bilingues depuis l’enfance, ont tous deux une pratique d’écriture en deux langues (français et anglais pour Green, français et espagnol pour Esteban), une même représentation du français marqué par l’héritage classique et l’importance donnée à la hiérarchie des registres et des styles. Pour eux deux, également, les langues renvoient à deux identités clairement distinctes, comme les deux faces d’une pièce de monnaie : « en anglais, j’étais devenu quelqu’un d’autre », écrit Green (1985 : 197) ; il s’agit, pour Esteban, d’un partage de la conscience entre « deux territoires mentaux qui s’excluent » (1990 : 108). Mais cette représentation polaire de l’identité, qui renvoie à une perception des langues elles-mêmes comme des identités fixées, voire figées, ne produit pas le même effet sur chacun d’eux : si Green semble pouvoir glisser d’une langue à l’autre selon le public pour lequel il écrit, Esteban raconte avoir été longtemps prisonnier d’une sorte de « schizophrénie » qu’il n’a dépassée que par une réappropriation de sa langue paternelle. C’est en effet par l’étude approfondie de la langue espagnole et par la traduction littéraire qu’il a pu reconstruire une identité linguistique en retrouvant accès à cette part refoulée – l’espagnol renvoyant à l’identité de réfugié politique de son père et à la perception de sa langue comme un stigmate. À l’inverse, lorsque la Canadienne anglophone, Nancy Huston, venue en France à l’âge adulte pour faire une thèse sous la direction de Barthes, analyse son « passage » au français, c’est comme une fuite de son anglais trop « maternel » : la métaphore qui oppose le français à l’anglais comme le clavecin au violon est moins éclairante comme image des langues en elles-mêmes que révélatrice de ce qu’elles représentent pour elle : « L’anglais et le piano : instruments maternels, émotifs, romantiques, manipulatifs, sentimentaux, grossiers […]. Ce que je fuyais en fuyant l’anglais me semble clair. » (1999 : 65) Les difficultés linguistiques ou identitaires renvoient à la manière dont le bilinguisme s’inscrit dans l’histoire de l’individu, et au-delà, dans son histoire familiale et dans l’histoire collective – guerres, exil, colonisation – que l’écrivain plurilingue peut se donner pour tâche d’explorer. C’est la démarche de Leïla Sebbar, dont la langue maternelle, le français, était aussi la langue scolaire, mais cette langue se trouvait comme hantée par l’arabe, langue de l’Algérie où elle vivait, et langue que son père algérien, lui-même professeur de français, avait choisi de ne pas lui transmettre. Dans Les Mots étrangers, l’écrivain grec Vassilis Alexakis confronte de manière exemplaire la manière dont le français est chargé de valeurs opposées selon l’histoire linguistique des interlocuteurs. Alors qu’il est en République Centrafricaine, son double romanesque, Nicolaïdes, est pris à parti par un étudiant qui rejette le français dans lequel il a été scolarisé : « Je ne peux 177

pas aimer une langue qui m’impose le silence » (2002 : 236) s’exclame l’étudiant, en rappelant qu’à l’école, il lui était interdit de parler le sango, sa langue maternelle. Pour Nicolaïdes-Alexakis, au contraire, qui s’est exilé en France dans les années 1970 quand la Grèce a été soumise à une dictature militaire, le français permettait de retrouver sa liberté d’expression et « ne [lui] rappelait aucun mauvais souvenir » (ibid.). À distance du déni vécu comme une violence, de nombreux écrivains maghrébins, tels Mohammed Dib, Driss Chraïbi, Abdelkébir Khatibi, Tahar Ben Jelloun, Assia Djebar, vivant dans un contexte plurilingue depuis l’enfance entre berbère, arabe dialectal, arabe littéraire et français, peuvent témoigner d’une relation non pas polaire, mais multidimensionnelle aux langues qui cohabitent en eux. L’image de la maison hospitalière vient ainsi naturellement à Tahar Ben Jelloun : « Pourquoi la cave de ma mémoire où habitent deux langues ne se plaint-elle jamais ? Les mots y circulent en toute liberté et il leur arrive de se faire remplacer ou supplanter par d’autres mots sans que cela fasse un drame. C’est que ma langue maternelle cultive l’hospitalité et entretient la cohabitation avec intelligence et humour. » (2007 : 113) Assia Djebar témoigne du même mouvement d’hospitalité, mais cette fois du français, « maison d’accueil », dont, écrit-elle : « j’ai fait le geste augural de franchir moi-même le seuil, moi librement et non plus subissant une situation de colonisation » (1999 : 43) ; et si le partage se fait entre la parole et l’écriture, c’est l’image du voile qui vient rendre compte de ce que le français lui a rendu possible, en tant que femme, dans le monde musulman, de prendre la parole dans l’espace public masculin : « J’ai utilisé jusque-là la langue française comme voile. Voile sur ma personne individuelle, voile sur mon corps de femme ; je pourrais presque dire, voile sur ma (9) propre voix . » (ibid.) La langue héritée de l’histoire coloniale a aussi été une langue libérant la parole d’une femme sur son propre destin, de femme et d’Algérienne, témoignant, en français, de l’histoire collective autant que de la liberté conquise. C’est aussi une langue qu’Assia Djebar appelle « paternelle », car c’est son père qui, prenant la décision de la scolariser à l’école française, l’a soustraite à la claustration des filles nubiles. Ailleurs, définissant sa pratique d’écriture en français, elle insiste sur la création d’une sorte d’entre-deux où, remodelant le français, pour raconter son histoire et celle de son peuple, réussissant à retrouver une intériorité dans cette « langue des autres », elle en vient à se désigner comme « étrangère de l’intérieur » (2010 : 18-19). Elle fait écho à une expression de l’écrivain marocain Abdelkébir Khatibi, qui appelle « étranger professionnel » cette « unicité solidaire » (1997 : 126) qui est celle de l’écrivain tissant son œuvre entre les langues. Une telle position « entre » les langues conduit, selon le philosophe d’origine allemande Heinz Wismann, à une double altérité, « puisque l’origine devient autre elle aussi », de sorte que : 178

« Dans cette position intermédiaire, de passeur, il ne s’agit pas tellement des contenus qui sont transposés d’un côté de la frontière à l’autre comme des marchandises qu’on échange. La chose intéressante, c’est que le milieu compris comme ce qu’il y a “entre” est le milieu de la réflexivité, pas de l’identification. » (2012 : 39) C’est aussi le cas de l’essayiste Akira Mizubayashi qui revendique son « étrangéité » : « Je ne cesse finalement de me rendre étranger à moi-même dans les deux langues, en allant et en revenant de l’une à l’autre, pour me sentir toujours décalé, hors de place, à côté de ce qu’exige de moi toute la liturgie sociale de l’une et de l’autre langue. Mais, justement, c’est de ce lieu écarté que j’accède à la parole ; c’est de ce lieu ou plutôt de ce non-lieu que j’exprime tout mon amour du français, tout mon attachement au japonais. » (2011 : 262) La réflexivité est également associée à la reconnaissance du caractère arbitraire de chacune des langues : avec le bilinguisme « plus rien ne vous appartient d’origine, de droit et d’évidence » écrit Nancy Huston (1999 : 43). Or, cette « surconscience linguistique » qui caractérise, selon Lise Gauvin, l’écrivain francophone (1997 : 6) nous semble aussi dans une certaine mesure être celle de l’enseignant, s’il veut pouvoir jouer son rôle de passeur linguistique et culturel. Qu’il soit Français natif, devant adopter sur sa propre langue le regard d’un étranger pour arriver à en expliquer les règles de fonctionnement, ou qu’il soit étranger faisant l’expérience d’une mise à distance de sa langue maternelle, l’enseignant doit sans cesse se situer dans ce lieu tiers, d’où il peut accompagner le passage d’une langue à l’autre et faciliter les aller-retour linguistiques et culturels. 7.3.2. Parcours d’apprentissage en langue/culture étrangère

Pour développer sa compétence professionnelle, l’enseignant dispose, outre la formation théorique, de sa propre expérience d’apprentissage de langues étrangères, à partir de laquelle il peut réfléchir à la fois aux méthodes d’enseignement et aux dimensions personnelles de l’apprentissage. Mais celle-ci est cependant limitée à une ou deux langues, et l’introspection comporte aussi ses points aveugles, qui peuvent tenir à des limites intimes, mais aussi aux fausses évidences qui, dans chaque culture d’enseignement-apprentissage donnée, font prendre pour naturelles des habitudes qui sont en réalité le résultat de constructions successives. Passer par les récits d’apprentissage linguistique permet de se confronter à une grande diversité de situations d’enseignement-apprentissage du français comme langue étrangère ou seconde : apprentissage d’une langue seconde dans un cadre scolaire aux Antilles (Chamoiseau) ou en Afrique (Hampaté Bâ, Diome) ; scolarisation en France d’un enfant d’exilés russes (Troyat) ou espagnols (Semprun) et d’immigrés algériens (Begag) ; apprentissage commencé dans le pays d’origine et poursuivi en France pour des études supérieures choisies et prestigieuses (Huston, Mizubayashi, Wismann) ; apprentissage rendu nécessaire par l’exil à l’âge adulte d’une Hongroise en Suisse romande (Kristof) et d’une Iranienne en France (Djavann), ramenées brutalement au statut d’« analphabète ». 179

Avant même de s’arrêter aux aspects spécifiquement linguistiques de ces situations, un futur enseignant peut, à travers ces textes, se représenter des apprenants, spécialement en cas de migration, non comme de seuls élèves, voire des « acteurs sociaux », mais comme des personnes de chair et d’os dont les trajectoires personnelles sont ancrées dans l’histoire politique et sociale, dont la vie s’organise autour de difficultés matérielles ou psychologiques, dont les aspirations enfin donnent à l’apprentissage linguistique une importance existentielle, voire vitale, qui dépasse le désir de connaître une autre langue ou l’obligation scolaire d’en apprendre une. Ce qui frappe d’abord en effet, c’est le poids de l’histoire dans ces récits : exil politique d’une famille de Russes blancs dans les années 1920 (Troyat), de républicains espagnols en 1939 (Semprun) ou d’une intellectuelle hongroise au moment de la reprise en main du régime communiste par l’URSS en 1956 (Kristof) ; organisation néocoloniale de l’école française juste après la départementalisation qui rattache la Martinique à la France (Chamoiseau) ; installation des immigrés maghrébins dans les bidonvilles de Lyon dans les années 1960 (Begag) ; prestige intellectuel du français dans les années de contestations de mai 68 (Huston et Mizubayashi) ; oppression des femmes par le régime islamiste en Iran (Djavann). Ensuite, ces textes font sentir le poids des difficultés sociales autant que linguistiques : l’usine (Kristof), les petits boulots (Djavann), la pauvreté et les débrouillardises quotidiennes (Begag), les inquiétudes matérielles et les préoccupations politiques (Troyat, Semprun). On peut y lire les ambitions et les aspirations partagées : volonté de maîtrise scolaire comme un défi à l’égard de camarades français (Semprun, Troyat, Begag), ascèse personnelle (Mizubayashi, Kristof, Djavann), phantasme d’une renaissance (Huston, Mizubayashi, Djavann), désir effréné d’apprendre (Diome), mais aussi désir d’assimilation qui se heurte à une identification stigmatisante de l’accent renvoyant à la nationalité d’origine ou au statut d’immigré (Semprun, Begag, Djavann). On peut aussi identifier les sentiments que le passage d’une langue à une autre suscite : ressentiment face à la perte de la langue maternelle (Kristof) ou à l’inverse bonheur des aller-retour comme entre deux femmes aimées (Alexakis). Enfin, de nombreuses réflexions sur l’apprentissage linguistique peuvent également retenir l’attention d’un futur enseignant : l’importance des figures médiatrices – familiales, amicales ou scolaires – vers la langue étrangère (Makine, Mizubayashi, Troyat, Begag, Diome) ; le rôle du dictionnaire, des carnets de vocabulaire ou de citations, la copie et la récitation, ou encore l’identification de points de butée de la progression et des stratégies spontanées pour les contourner (Djavann, Mizubayashi). Le rôle de la littérature y est souligné, comme un outil d’apprentissage, mais aussi et surtout de développement personnel : exploration à la fois de la culture et de soi-même (Semprun avec Baudelaire, Mizubayashi avec Rousseau) ou échappée imaginaire libératrice (Chamoiseau, Diome, Djavann). Ainsi peut-on reconnaître le bonheur d’Agota Kristof quand, après cinq ans pendant lesquels elle se demande « comment [elle a] pu vivre sans lecture », elle retrouve accès à la littérature : « Je sais lire, je sais de nouveau lire. Je peux lire Victor Hugo, Rousseau, Voltaire, Sartre, Camus, Michaux, Francis Ponge, Sade, tout ce que je veux lire en français, et 180

aussi les auteurs non français, mais traduits, Faulkner, Steinbeck, Hemingway. C’est plein de livres, de livres compréhensibles, enfin, pour moi aussi. » (2004 : 54) Certains de ces textes comportent aussi des éclairages sur les relations complexes des dimensions linguistiques et socioculturelles qui déterminent non seulement les compétences communicatives, mais aussi le sentiment d’appartenance ou d’étrangeté – y compris quand l’altérité est culturelle autant que linguistique. Ils nous permettent d’appréhender l’extrême intrication des problématiques de l’altérité et l’expérience qui en est faite par un locuteur plurilingue. 7.3.3. Attitude interprétative et déchiffrement de la langue/culture étrangère

Une langue venue d’ailleurs d’Akira Mizubayashi (2011) est à la fois un essai et un récit construit de manière chronologique. Il permet de suivre les étapes d’une « liaison » passionnée avec le français, langue à laquelle l’auteur est conduit par ce qu’il appelle ses « maux de langue », dus au sentiment d’exil intérieur que lui donne la langue politisée de sa jeunesse au Japon, mais aussi par l’amour qu’il a de la musique de Mozart et du e XVIII siècle. Il raconte qu’encouragé par son père, il apprend le français d’abord comme une musique, par l’oreille – écoutant sans relâche des émissions, dialogues et textes enregistrés. Les analyses qu’il fait de ce qui lui échappe encore dans la maîtrise du français sont intéressantes pour un futur enseignant qui peut ainsi saisir concrètement l’importance, dans la communication, non de la maîtrise linguistique en tant que telle, mais de la capacité à déchiffrer les codes socioculturels qui régissent les pratiques de discours. En effet, Mizubayashi remarque qu’il est incapable d’utiliser spontanément des mots d’argot, mais aussi des « expressions appellatives » telles « ma chérie » ou « ma puce », dont sa femme française se sert pour s’adresser à leur fille. Cette inscription dialogique de l’autre dans le discours, il l’observe aussi dans l’espace public, où il est fréquent en France de saluer des inconnus, ce qui, note-t-il, est inconcevable en japonais. L’usage de mots comme « bonjour » et « merci », loin de relever « d’un vocabulaire universel », est, écritil : « d’un maniement subtil pour ceux qui sont venus d’ailleurs, en ce sens qu’il est profondément lié à la manière particulière d’être avec autrui qu’implique la langue française [et qui diffère entièrement de] l’être ensemble japonais. » (2011 : 168) Qu’en est-il justement lorsque les difficultés ne viennent pas de la langue elle-même, mais de l’étrangeté des réalités qu’elle décrit ? Un dernier texte, emprunté à un auteur antillais – français donc, de langue comme de droit, mais dont la culture s’ancre dans une autre réalité – va nous permettre de réfléchir à la position respective de l’apprenant et de l’enseignant, et de mettre en évidence la relation entre le déchiffrement d’une langue/culture étrangère et la lecture interprétative qui apparaît comme une composante essentielle de la compétence littéraire comme de la compétence interculturelle (voir chapitres 1.6. et 2.4.). Chemin d’école de Patrick Chamoiseau est un récit autobiographique centré sur l’école 181

néocoloniale de la Martinique des années 1950. Le statut respectif du français et du créole y est largement mis en scène, toutefois ce n’est pas ce qui nous retient ici, mais l’opposition entre compréhension et interprétation. Dans ce court extrait, les élèves apprennent à lire à travers des textes évoquant une campagne française de carte postale : « Les textes de lecture parlaient de fermes, d’oies, de violons d’automne, de sabots, de lièvres, de cheminées, d’écureuils… Les revenus-de-France faisaient mine de savoir ; mais les autres petites-personnes découvraient ces étrangetés du fond d’un ravissement perplexe. » (1994 : 152) Pour les élèves martiniquais, la réalité conventionnelle que décrit le livre de lecture est opaque, exotique et mystérieuse : automne ou cheminée ne peuvent rien dire dans une région du monde où les arbres ne perdent pas leurs feuilles et où les maisons ne sont pas conçues pour être chauffées l’hiver. La médiation de l’enseignant obscurcit encore les choses lorsqu’il tente « de confronter la lecture à [leur] réalité » en interrogeant un élève : « – Alors, nous avons vu que Petit-Pierre, les soirs d’hiver à la ferme, aime bien se glisser entre les draps chauds de son lit douillet. Est-ce le cas pour vous mon ami ? Avez-vous souvenir d’une circonstance qui vous rendit votre lit agréable ? » (ibid. : 154) Mais le lit n’est pas la même chose d’un endroit à l’autre, et l’idée de se glisser entre des draps chauds, dans un pays tropical, n’évoque aucun agrément. L’élève interrogé dort sur « une paillasse d’herbes sèches » sans « draps, car la chaleur pesait : parfois, quand le serein de décembre menaçait les poitrines, il se couvrait d’un carreau de madras » (ibid.). De sorte que, pour l’élève interrogé et ses camarades : « le Petit-Pierre des lectures faisait figure d’extraterrestre. Mais pour lui, comme pour la plupart d’entre nous, à mesure des lectures sacralisées, c’est Petit-Pierre qui devenait normal » (ibid. : 155) La difficulté de compréhension du texte n’est pas linguistique, il ne s’agit pas même de choses ou de données géoclimatiques – on peut y remédier par des explications ou des images, qui représentent l’habitat, les animaux ou les plantes –, mais de catégories de la perception. Or, ces couples d’opposition froid/chaud ou dehors/dedans orientent nos interprétations de la réalité et nos réactions, selon une polarisation entre bon/mauvais, agréable/déplaisant qui est généralement inconsciente. Si donc les élèves de Chemin d’école comprennent que dans le monde de Petit-Pierre, avoir un lit chaud est agréable, c’est dans un monde fictionnel qui paraît contrefactuel, au même titre que celui d’un roman de science-fiction. Dès lors, la possibilité d’émettre des hypothèses selon ce qui est vraisemblable dans l’expérience commune n’est pas opérante. Et contrairement au roman de science-fiction qui se doit d’expliciter les règles de son monde imaginaire, dans le cas d’une lecture en langue – et ici en culture – étrangère, c’est au lecteur de trouver par luimême les règles de l’univers qu’il veut pénétrer. Il s’agit donc beaucoup plus d’interpréter que de comprendre. Interpréter, c’est-à-dire construire les règles selon lesquelles, en fonction du cadre de référence dans lequel on se situe, un bon lit peut-être 182

alternativement chaud ou frais. L’exemple de Chemin d’école nous fait découvrir les livres français avec le regard des enfants créoles ; mais adoptons maintenant la position d’un lecteur métropolitain pour lire cet extrait : ce récit le conduit également à faire une expérience de décentrement, cette fois à partir d’« étrangetés » linguistiques. Certes, avant d’utiliser des outils spécialisés, le lecteur peut sans doute deviner que les « revenus-de-France » désignent les Antillais ayant vécu en France, tandis que les « petites-personnes » par opposition aux « grandes personnes » sont les enfants, même s’il ignore que c’est effectivement la traduction du terme créole qui les désigne. Mais pour continuer la réflexion, imaginons que cette situation de lecture est celle d’un enseignant, confronté en classe à l’étrangeté culturelle ou linguistique d’un texte littéraire. Il est possible qu’il se sente dans une position inconfortable : il craint de ne pas avoir toutes les clés, risque de mal interpréter des expressions, des images, des allusions. Peut-il tirer parti de cette « insécurité », qui le fait douter de sa capacité et de celle de ses élèves à « expliquer complètement » le texte dont il ne maîtrise pas toutes les références ? La question importe, puisque certains enseignants de FLE, réticents à utiliser des textes littéraires – que ce soit de la littérature classique ou contemporaine et francophone –, invoquent leur manque de familiarité avec eux. Or, il nous semble qu’au lieu d’obstacles, ces doutes peuvent constituer des atouts si l’on adopte une posture interprétative. La situation de décentrement retire en effet à l’enseignant le privilège d’être le seul à pouvoir interpréter « correctement » le texte à partir d’une expertise linguistique et culturelle. Elle a ainsi la vertu de lui faire partager ce qu’est l’expérience de lecture pour ses apprenants. Partir de là l’oblige donc à reconnaître le dénivelé interprétatif comme n’étant plus « une faute » à sanctionner, mais une donnée première de la réception d’un texte, à partir de quoi il faut élaborer, par la recherche individuelle et par la collaboration avec les autres lecteurs, une communauté interprétative, espace de partage des hypothèses et des interrogations. Ce faisant, ce que l’enseignant transmet, ce n’est pas un savoir extérieur, surplombant, mais une démarche herméneutique fondée sur un travail collectif. L’obligation d’expliciter les hypothèses dans un cadre culturel donné conduit à prendre conscience de la complexité des phénomènes de référence, d’inférence et de compréhension. La lecture interprétative est précisément celle qui intègre à son processus la conscience des filtres culturels et personnels : elle rend compte non du tout du texte, mais de la relation à lui d’un lecteur singulier dont le bagage linguistique et culturel est, d’une certaine manière, reconnu dans ce processus. C’est ce qu’échoue à faire l’enseignant de Chemin d’école qui, à force de « lectures sacralisées », finit par inculquer à ses élèves une norme exogène. Ainsi, le tort de l’école néocoloniale n’est pas de donner à lire des œuvres éloignées de leur mode de vie aux enfants – qui découvrent leurs « étrangetés du fond d’un ravissement perplexe » –, mais d’imposer la normalité des références métropolitaines en exotisant le regard que les enfants créoles ont sur leur propre mode de vie. Ce dernier exemple, qui voit l’interférence permanente entre l’expérience plurilingue et 183

l’expérience de l’altérité, permet de mettre en évidence les bénéfices de cultiver une attitude réflexive. Que ce soit dans des contextes diglossiques où le français est envisagé dans l’opposition, voire dans l’affrontement avec la langue maternelle des habitants, en raison notamment d’enjeux de reconnaissance culturelle, ou que ce soit dans un cadre majoritairement « monolingue », c’est en effet par une réflexion menée à partir de la dimension subjective de la réception que l’on peut construire, au-delà des stéréotypes, une représentation à la fois nuancée et dynamique de la pluralité linguistique et culturelle. Cela implique, notamment pour les enseignants, de porter attention au rapport personnel que chacun entretient à ses différentes langues/cultures et de réfléchir à la manière dont se construisent des identités plurilingues et celles de passeurs de langues. La médiation de la littérature, à la fois comme regard sur la langue et travail dans la langue, permet de déployer cette attention à la fois au texte et à soi qui fait de la réception une interprétation. Notes

(1) http://www.dglf.culture.gouv.fr/ [consulté le 15 avril 2014] (2) http://carap.ecml.at/ (3) http://youtu.be/sCBCy8OXp7I (4) http://www.onf.ca/film/speak_white (5) Voir le drolatique dictionnaire franco-québécois disponible en ligne : http://www.dufrancaisaufrancais.com/ (6) Le terme est de l’essayiste Akira Mizubayashi (2011). (7) Certaines des pistes de réflexion présentées ici ont été développées au cours d’un séminaire de master 1 de Didactique du français et des langues de la Sorbonne NouvelleParis 3 portant sur le regard des écrivains sur leur(s) langue(s) d’écriture. Que les étudiants qui y ont contribué depuis 2006 en soient ici remerciés. (8) Voir également l’œuvre de Jean Portante, écrivain présenté section 5.2.1. (9) Les italiques sont de l’auteure.

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CONCLUSION par Auréliane Baptiste, Anne Godard, Anne-Marie Havard et Ève-Marie RollinatLevasseur Tout au long de cet ouvrage, nous avons vu combien la littérature enrichissait l’expérience que l’on peut faire d’une langue/culture étrangère et en favorisait l’apprentissage, ce qui justifie sa présence régulière à tous les niveaux. Certes, l’évaluation sommative à laquelle le CECRL a trop souvent été réduit, dans un contexte sociétal où la performance doit pouvoir être mesurée dans tous les domaines, a restreint les pratiques de classe, dans un grand nombre de pays, à l’entraînement intensif à des exercices calibrés, donnant par ricochet de la communication, de la langue et de la culture une vision appauvrie. Mais il est temps de faire valoir l’occasion qu’il offre, à travers la perspective actionnelle, d’un enseignement motivant, dans lequel la littérature s’intègre à des projets où les compétences langagières interagissent de diverses manières. Même si certains manuels ont timidement commencé à le faire, cela reste encore largement à affirmer et à développer. Si la littérature se distingue en effet des supports fonctionnels employés pour l’enseignement du FLE, c’est qu’au-delà des objectifs linguistiques visés, les textes littéraires impliquent une relation sensible et sensorielle à la matérialité de la langue et à la signification des mots. Aussi, l’enjeu de leur intégration au corpus de supports d’enseignement du FLE va au-delà d’un divertissement introduit comme pause ludique dans l’apprentissage ou même d’un supplément d’âme. Même à l’échelle la plus modeste, il importe que cet apprentissage s’insère dans le champ de l’art et de la culture (Bordeaux & Deschamps, 2013). C’est par trois modes que cette intégration peut être réalisable : l’expérience esthétique de la lecture, en tant que contact direct avec l’œuvre, qui est à la fois de l’ordre de l’émotion, de la sensibilité et de la cognition ; l’expérience artistique par la pratique personnelle ; et l’expérience symbolique, c’est-à-dire l’action interprétative, qui tisse des liens entre différentes formes culturelles, instaure l’analyse critique, à travers les discussions que les textes suscitent. Lire, faire (écrire, mettre en voix et en espace, créer un projet…), interpréter : voilà comment nous concevons l’enseignement du FLE par la littérature ainsi que l’enseignement de la littérature par le FLE. De ce fait, si la littérature joue un rôle modélisant dans l’apprentissage de la langue par la force de l’effet stylistique, c’est aussi le jeu que l’écriture littéraire entretient avec la variation et l’écart par rapport à la norme langagière qui lui donne un rôle spécifique dans l’apprentissage de la langue : lire apprend à devenir attentif au choix des mots mêmes, c’est-à-dire non seulement à ce que signifient et suggèrent les mots, mais à ce que « signifient » leur assemblage et la préférence d’un mot à un autre. L’introduction de la littérature dans l’apprentissage du FLE porte ainsi ce premier enjeu de conduire l’apprenant à sortir d’une vision fonctionnelle de la langue et à être stimulé à rester attentif aux manières de dire, pour toujours mieux chercher à comprendre ce que parler veut dire. Mais ce rapport spécifique à la langue créée par la littérature peut aussi aider l’apprenant à tirer parti de sa maîtrise encore approximative de la langue : la façon dont il s’exprime n’est pas à considérer comme seulement correcte ou fautive, mais comme 185

signifiante, y compris dans les écarts ou les variations inattendues par rapport à l’usage standard de la langue. La définition de ce qu’est la littérature s’en trouve élargie à plusieurs niveaux. Elle n’est plus alors circonscrite à l’espace clos d’œuvres publiées et sacralisées : à travers l’écriture, la lecture partagée ou l’interprétation théâtrale, la littérature s’ouvre à des pratiques sociales, vivantes et créatives. Cette ouverture va de pair avec l’élargissement du corpus littéraire, notamment à toutes les écritures contemporaines, françaises, francophones et plurilingues. Et c’est parce qu’elle n’est pas figée que la littérature nous forme et nous transforme, sur le plan langagier, culturel et personnel, et qu’elle permet de développer le goût de la langue, en révélant sa diversité, et d’éprouver d’autres manières d’être au monde. L’élargissement de la définition de ce qu’est la littérature permet encore de concilier deux conceptions, souvent opposées, de l’enseignement de la littérature, à savoir un enseignement de spécialité et une pédagogie transversale, un enseignement réservé à une élite cultivée et un enseignement où la littérature a une place intégrée dans le cours de langue : ces deux représentations de l’enseignement de la littérature en FLE peuvent avoir leur pertinence, dans des contextes différents, mais gagnent à s’ouvrir l’une à l’autre, pour se vivifier mutuellement. Pour le spécialiste, le contact avec les pratiques culturelles de son temps permet de mieux mettre en perspective ses lectures de l’héritage culturel. Inversement le non-spécialiste ne peut que profiter d’une diversification de son répertoire littéraire et méthodologique et être incité à partager ses découvertes avec ses apprenants. Le questionnement même sur l’utilité de la littérature dans l’enseignement du FLE conduit à cet égard l’enseignant, qu’il soit spécialiste ou non, à un décentrement salutaire : pour les apprenants, en effet, cette littérature en langue étrangère n’est pas avant tout patrimoniale, et les manières de l’aborder ne sont pas réductibles à l’analyse littéraire ; la fraîcheur de leur regard et de leur perception permet ainsi d’envisager le texte littéraire sur un mode empathique et existentiel, comme un réservoir de savoirs et de formes de vie permettant, au même titre que les autres « sciences de la vie », d’aider chacun à trouver les voies et modèles individuels et collectifs qui l’aideront à comprendre les sociétés dans lesquelles il s’insère. Cette approche de la littérature comme « science de la vie » ou « Lebenswissenchaft » selon Ottmar Ette (Keilhauer, 2014) non seulement offre de nouvelles pistes pour la recherche en littérature, mais encourage également en FLE une pratique pédagogique envisageant le texte littéraire comme un matériau expérimental qui, parce qu’il met en œuvre les potentialités et virtualités de l’existence, peut aider non seulement à vivre, mais à survivre, c’est-à-dire à surmonter les difficultés – linguistiques ou existentielles – auxquelles tout apprenant est confronté. Ainsi définie, la littérature n’est pas seulement ce que l’enseignant a lui-même appris lors de sa formation initiale. C’est aussi comme une formation continue qu’il peut se donner tout au long de la vie, à travers ses lectures personnelles et les incitations venues de l’actualité littéraire. Si les événements culturels et littéraires peuvent susciter des formats commerciaux, ils sont aussi à considérer comme autant d’amorces possibles pour 186

renouveler les pratiques pédagogiques, tant du point de vue des textes à intégrer que des activités à proposer. En outre, le numérique apporte désormais un accès non seulement aux œuvres, grâce aux bibliothèques virtuelles, mais aussi un contact avec les écrivains, à travers leurs blogs, et un accès aux événements culturels, au partage d’échanges critiques, d’idées et de matériel pédagogiques. Il permet, dans le cas de l’écriture en temps réel sur Internet, de suivre la manière dont se créent des formes littéraires contemporaines. Voilà qui offre à l’enseignant une formidable opportunité d’autoformation à la littérature au fur et à mesure de sa carrière et de l’évolution des publics d’apprenants. Il n’y a en effet pas une manière d’enseigner le FLE par la littérature ni un corpus de textes littéraires spécifique à cet enseignement : c’est la prise de risque qu’ose l’enseignant à travers les activités qu’il conçoit pour aborder conjointement le français et la littérature qui peut faire de la lecture littéraire un moment extraordinaire dans la vie de la classe, pour les apprenants, comme pour lui. Le champ d’action de l’enseignant, ou en tout cas son espace de discours, est donc potentiellement très large, et sa médiation est particulièrement précieuse pour s’aventurer avec les apprenants dans la découverte de textes littéraires, même inattendus. Enfin, la littérature peut être pleinement, en contexte pédagogique, quelque chose qui se partage, dans les moments de discussions autour des œuvres, sources inépuisables d’interrogations – et parfois d’incompréhensions, qui peuvent, paradoxalement, déboucher sur une meilleure compréhension des textes, mais aussi de soi-même. Tout en organisant son cours de manière à assurer une progression des apprentissages en s’adaptant aux besoins de ses apprenants, l’enseignant a ainsi un rôle essentiel dans la manière dont il va faire passer une certaine image de la langue et de la culture à travers sa sensibilité, et son écoute ; être attentif à ce que lisent les apprenants est pour lui une matière à exploiter, car d’autres échanges se font entre pairs qui, pour certains, peuvent être le point de départ de nouvelles mises en résonance. Car ce n’est pas seulement la littérature en langue française qui s’échange dans le cours de FLE : ce sont aussi les œuvres écrites en d’autres langues, faisant partie d’un canon international, et que les apprenants naviguant entre leurs blogs découvrent avec surprise, traduites et méconnaissables dans leurs alphabets différents ; ce sont encore les lectures spontanées des étudiants en immersion, en France, qui peuvent étonner l’enseignant. Il a ainsi beaucoup à apprendre de ses apprenants : de ce qui leur parle dans un texte ou un livre, fût-ce à travers la manière dont celui-ci se tait et les écoute, non seulement parce que « dans une langue étrangère aucun lieu n’est jamais commun » (Huston, 1999 : 48), mais aussi, à l’inverse, parce que le sentiment de reconnaissance d’une étrange familiarité peut venir d’une littérature des antipodes, ainsi qu’en témoigne Dany Laferrière, qui, dans ses lectures d’adolescence en Haïti, se sentait de plain-pied avec tous les écrivains qu’il lisait en français, sans se soucier de leurs origines : « Pour moi, Mishima était mon voisin. Je rapatriais, sans y prendre garde, tous les écrivains que je lisais à l’époque. Tous. Flaubert, Goethe, Whitman, Shakespeare, Lope de Vega, Cervantès, Kipling, Senghor, Césaire, Roumain, Amado, Diderot, tous vivaient dans le même village que moi. Sinon, que faisaient-ils dans ma chambre ? » 187

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Table of Contents Titre Copyright Introduction Chapitre 1. La littérature dans la didactique du français et des langues : histoire et théories 1.1. Évolution de la place de la littérature dans l’enseignement scolaire des langues étrangères et du français (du xixe au milieu du XXe siècle) 1.1.1. Grammaire/traduction et « colinguisme » jusqu’aux années 1880 1.1.2. Méthodologie directe et français scolaire (de 1880 à 1925 environ) 1.1.3. Méthodologie active et explication de texte jusqu’aux années 1960 1.2. Le tournant linguistique des années 1960 : des remises en question à une nouvelle didactique de l’écrit 1.2.1. Double marginalisation de la littérature en FLE dans la méthodologie SGAV 1.2.2. La littérature comme document authentique dans l’approche communicative en FLE 1.2.3. Le bouleversement des études littéraires en FLM : théories du texte et du discours 1.2.4. Les voies d’un renouvellement pour la didactique de la littérature en FLE 1.3. Spécificités du discours et de la communication littéraires 1.3.1. Polysémie et « littérarité » ou subjectivité 1.3.2. Sociologie de la littérature et du fait littéraire 1.3.3. Les éléments formels de la communication littéraire 1.4. La lecture de littérature comme réception authentique 1.4.1. Lecture scolaire et contextualisations 1.4.2. La lecture littéraire, une lecture interactive 1.4.3. Pratiques de lecture et médiation vers la littérature 1.5. L’écriture littéraire, une écriture créative 1.5.1. Jeux littéraires et créativité langagière 1.5.2. L’atelier de lecture-écriture : l’interactivité des apprentissages 1.6. La littérature comme voie d’accès à la culture anthropologique 1.6.1. La littérature comme outil de médiation interculturelle 1.6.2. La littérature comme apprentissage de l’altérité

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Chapitre 2. Enjeux de la formation littéraire aujourd’hui

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2.1. Convergences des didactiques du français (FLM, FLS et FLE)

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2.1.1. Objectifs et démarches de l’approche par compétences 2.1.2. Enjeux formatifs de la culture littéraire 2.1.3. Éducation à la diversité culturelle et linguistique 2.2. Finalités des enseignements de langue comme discipline scolaire : littérature, Bildung et culture humaniste 2.2.1. Les principes de la Bildung 2.2.2. La culture humaniste dans le Socle commun français 2.2.3. Littérature et compétences de lecture-écriture 2.2.4. Littérature et identité culturelle 2.3. Corpus littéraires : élargir la notion de patrimoine commun 2.3.1. La promotion de l’enseignement des littératures européennes 2.3.2. La reconnaissance de la pluralité des littératures en français 2.3.3. Pour une conception ouverte du patrimoine littéraire 2.4. Dimensions interprétatives de la compétence littéraire 2.4.1. La compétence littéraire comme attitude interprétative 2.4.2. Des outils pour développer la lecture interprétative 2.4.3. Interprétation et réflexivité : du carnet de lecture à la « bibliothèque intérieure » de l’apprenant 2.4.4. Débats interprétatifs dans une perspective communicative et interculturelle

Chapitre 3. L’enseignement de la littérature de langue française à l’étranger : lieux, dispositifs et tendances 3.1. Trois espaces d’enseignement et de diffusion de la littérature 3.2. Alliances françaises et instituts français 3.2.1. La réorganisation des structures culturelles : la Fondation Alliance française et l’Institut français (2007-2010) 3.2.2. La place accordée au livre et à la littérature par l’Institut français et la Fondation 3.2.3. Des rituels saisonniers : semaines, journées et prix 3.2.4. La Bibliothèque de l’apprenant 3.2.5. Une médiation vers la littérature : la rencontre avec l’écrivain 3.3. Les départements universitaires de français 3.3.1. L’enseignement de la littérature : une vitalité questionnée, mais pas menacée 3.3.2. Recherche en littérature, littérature enseignée, littérature effectivement lue : des pratiques éclatées 3.3.3. Un renouvellement des approches : de la French theory aux cultural studies 3.3.4. Le cas particulier de l’aire francophone 3.4. Les parcours bilingues dans le secondaire 209

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3.4.1. Historique des sections bilingues 3.4.2. L’enseignement de la littérature en section bilingue : entre FLE et histoire littéraire 3.4.3. Les programmes binationaux : une tentative de didactique intégrée

Chapitre 4. Discours et pratiques d’enseignement du FLE : état des lieux et perspectives

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4.1. Les discours institutionnels pour le FLE et le FLS : quels liens entre 81 langue, culture et littérature ? 4.1.1. Le texte littéraire pour le FLE dans le CECRL 81 4.1.1.1. Des perspectives pédagogiques nouvelles 83 4.1.1.2. La littérature : un objet réservé aux niveaux avancés ? 84 4.1.2. Le texte littéraire pour le FLS dans les publications de la DGESCO 85 4.2. Les méthodes de FLE des éditeurs français 86 4.2.1. Présence de la littérature 86 4.2.2. Quel corpus littéraire dans les méthodes aujourd’hui ? 87 4.2.2.1.Théâtre, poésie, essai : une représentation figée de la littérature 87 ? 4.2.2.2. Le récit : entre pratiques culturelles et valeur documentaire 88 4.2.3. Quelles activités pour le texte littéraire ? 90 4.2.3.1. Lectures à voix haute 90 4.2.3.2. Mises en relation 90 4.2.3.3. Exploitation grammaticale 91 4.2.3.4. Compréhensions du texte : sens littéral et subjectivités 92 4.2.3.5. Productions écrites et orales 93 4.2.3.6. Existe-t-il une approche actionnelle de la littérature dans les 94 manuels ? 4.3. La littérature pour le FLE : anthologies littéraires et livres de lecture 95 4.3.1. Les manuels de littérature pour le FLE 95 4.3.1.1. Le corpus et son organisation 95 4.3.1.2. Questionnaires et activités : une approche de type scolaire 97 4.3.2. Les textes en français facile : des collections littéraires spécifiques 97 4.4. Les lieux de partage des pratiques pédagogiques 98 4.4.2. Le français dans le monde 98 4.4.3. Le matériel en ligne 100 4.5. Perspectives didactiques : pour une approche progressive de la littérature 102

Chapitre 5. Le rôle de la littérature dans les apprentissages langagiers : de l’écriture créative à la conscience de la langue 5.1. Écriture d’invention, écriture créative : FLM, FLE 5.1.1. Autour de la fiction : des exercices canoniques 210

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5.1.1.1. Médiations nécessaires en FLE 5.1.1.2. Transpositions et traductions 5.1.2. Succès des lectures-écritures ludiques 5.1.2.1. Jeux poétiques élémentaires 5.1.2.2. Formes à contraintes et parodies 5.1.2.3. De l’écriture vers la lecture : la question du sens 5.1.3. Évaluation de l’écriture créative en FLE 5.1.3.1. Du texte produit au processus 5.1.3.2. L’enseignant lecteur/évaluateur 5.1.3.3. Écriture créative et posture scolaire 5.2. Écrivains en classe de FLE : enjeux d’une écriture personnelle 5.2.1. Représentation de soi-même et expression 5.2.1.1. Valoriser l’image de soi en langue étrangère 5.2.1.2. Valoriser les stades provisoires de la langue 5.2.1.3. Aborder des thèmes peu présents dans les manuels 5.2.2. Didactique des traces écrites préparatoires en classe de FLE : l’exemple du carnet d’anecdotes 5.2.2.1. Faire provision d’anecdotes : entre écriture personnelle et écriture scolaire 5.2.2.2. Ni modèles ni points de départ systématiques : des lectures inspirantes 5.2.2.3. Posture littéraire et compétence réflexive en FLE 5.3. Éléments pour une progression autour de la variation 5.3.1. Difficultés du niveau B1 : le besoin de norme 5.3.1.1. Corrections et acceptabilité 5.3.1.2. Grammaire de discours : une première ouverture à la variation 5.3.2. Horizons élargis du niveau B2, seuil des études supérieures 5.3.2.1. Oral, écrit : de nouveaux enjeux 5.3.2.2. Variation historique et savoir-apprendre 5.3.3. Précision et souplesse aux niveaux C : transferts de compétences 5.3.3.1. Combinaison des genres et des types textuels 5.3.3.2. Écarts stylistiques

Chapitre 6. La littérature en acte : voir, entendre, ressentir 6.1. Du jeu des interprétations aux gestes créateurs 6.1.1. Interprétation : créativité et pédagogie de projets 6.1.2. Littérature et cinéma : usages pédagogiques des films pour la lecture 6.2. La lecture expressive : donner sa voix au texte, trouver sa voix par le texte 6.2.1. Oralité et littérature : l’inscription de la voix dans les textes 211

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6.2.2. La lecture expressive : écrit, oralité et auralité 6.2.3. La lecture chorale : une interprétation collective 6.2.4. De la phonétique à la performance orale : la poésie sonore en FLE 6.2.5. L’alexandrin et le théâtre en vers comme support de la prononciation 6.3. Du texte au jeu : littérature et pratiques théâtrales en FLE 6.3.1. Mises en voix et en espace des textes littéraires : explorations et expériences 6.3.1.1. Mise en espace, mise en image 6.3.1.2. Texte et jeu théâtral 6.3.2. Textes dramatiques en FLE 6.3.2.1. Les enfants de Molière 6.3.2.2. Les jeux de l’absurde 6.3.2.3. Théâtres de la parole 6.3.2.4. Textes francophones en zones francophones

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Chapitre 7. L’altérité dans la langue : ouverture au plurilinguisme 163 par la littérature 7.1. Littérature et plurilinguisme 7.1.1. L’institution de/par la littérature 7.1.2. Du monolinguisme à une conception plurielle de la langue et de la littérature 7.1.3. Pour une formation des enseignants à la diversité linguistique par la littérature 7.2. Et si nous étions tous des allophones ? La littérature québécoise comme expérience de « français langue étrangère » 7.2.1. Un dispositif antagonique : le face-à-face asymétrique « langue française » / « langue anglaise » 7.2.2. Un dispositif ternaire : mettre en scène une langue à soi ou comment traduire « en québécois » 7.2.3. Un dispositif diffractant : polyphonies des écritures « migrantes » et autochtones 7.3. Représentations du plurilinguisme et de l’apprentissage du français 7.3.1. Opposition ou circulation entre les langues : l’étrangéité de l’écrivain 7.3.2. Parcours d’apprentissage en langue/culture étrangère 7.3.3. Attitude interprétative et déchiffrement de la langue/culture étrangère

Conclusion Bibliographie

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