La Guinée peut-elle être changée ?
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Préface du Professeur Bonata Dieng

Sommaire Préface .............................................................................. 9 Remerciements .................................................................. 13 Mise au point ..................................................................... 15 Introduction ..................................................................... 17 Points de repères................................................................ 18 I – Présentation................................................................ 1 - Les différents pays qui portent le nom Guinée ............ 2 - D'où viendrait le nom Guinée ? ................................... 3 - La Guinée française ..................................................... 4 - La résistance................................................................. 5 - La réorganisation du territoire ..................................... 6 – La gestion du territoire ................................................ 7- La prise de conscience des peuples colonisés............... a) La décolonisation................................................. b) La communauté franco-africaine .........................

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II- La marche de la Guinée vers l'indépendance.......... 1 - Les lendemains de la Seconde Guerre mondiale ......... 2 - La Loi-cadre................................................................. 3 - L'avènement au pouvoir du général de Gaulle, et le référendum ........................................................................ ...........a) La tournée africaine du général de Gaulle et l'escale à Conakry ................................................ 4 – Le référendum .............................................................

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III - La Guinée indépendante : Elle vire d'un camp à un autre ......................................................................... 43 A. La Première République ou du défi au dépit.............. 1. L'épopée d'un peuple dans la construction d'une Nation, ou le défi du PDG-RDA ....................................... 2. La dérive vers la dictature d'un homme et d'un parti, ou le dépit de la République populaire révolutionnaire de Guinée ............................................................................... 3. Les complots, la douleur, les morts et les pleurs...........

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4. Témoignages de quelques acteurs ................................. 103 5. Bilans socio-économique et politique ........................... 110 B - Une transition militaire qui prône le redressement par le libéralisme à partir du camp Samory .................... a. Les mesures d'ouverture....................................... b. Les différents gouvernements .............................. c. Des succès indéniables......................................... d . La tâche que représente l'arrestation des dignitaires du régime déchu, et les liquidations après la tentative de coup d'État de juillet 1985....... e. Le bilan général.................................................... C - La Deuxième République, ou trop de vœux pieux restés Lettre morte ........................................................... a. L'avènement de la démocratie.............................. b. Les élections et les gouvernements successifs..... c. La politique économique...................................... d. Les crises ayant marqué la Deuxième République ...............................................................

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IV - Leçons à tirer des cinquante ans d'indépendance 155 V - De quoi demain sera-t-il fait ?.................................. 161 VI - Le changement ........................................................ 175 VII - La Guinée après neuf mois de gestion par le Conseil National pour la Démocratie et le Développement (C.N.D.D.) ............................................. 185 VIII - L'espoir.................................................................. 197 Références ........................................................................ 201

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Préface Après le terrifiant témoignage qu’il a publié sous le titre Camp Boiro Parler ou Périr, j’ai lu comme un conte ce présent ouvrage de Alsény René Gomez. Mais ce n’est pas un conte de grand-père que l’auteur offre à ses concitoyens pour les bercer, pour qu’ils ferment les yeux après l’avoir lu. C’est davantage une chronique faite dans le vif de l’odyssée de cette République que les Guinéens d’hier, d’aujourd’hui et de demain se défient de bâtir. Ainsi se veut La Guinée peut-elle changer que présente cet auteur qui a eu le privilège d’en être un des acteurs, souvent dans la douleur d’une évolution qui malmène ses propres enfants. C’est comme dans un feuilleton moderne qui décrit, telle une tragédie grecque, le scénario d’un Prométhée guinéen, puni pour avoir oser entonner un hymne de liberté. Mais cette fois-ci, Alsény René Gomez détonne plus que Parler ou Périr il nous prescrit de changer pour réussir. Comment ? Par le biais d’une transition dont il ébauche ici des tenants et aboutissants. Avec l’expertise de l’homme d’État qu’il est et le didactisme de l’historien qu’il souhaite être. Sûrement inspiré par le jeune messie de l’Amérique du XXIe siècle, Barrack Obama, Gomez le guinéen nous invite, lui aussi, à écrire : The change, yes we can. Professeur Bonata Dieng Sociologue chercheur en service à l’université de Labé. Ancien Ambassadeur, vice-président du conseil régional de la Société Civile. 9

Je dédie cet ouvrage à mes charmants petits-enfants : Mohamed, Baïdi, Kadidja et Alsény, avec l’espoir qu’ils seront demain des acteurs et fervents artisans pour la réalisation de ce dont grand-père a toujours rêvé, à savoir : la Guinée du changement.

Remerciements Mes remerciements au professeur Bonata Dieng et à son épouse née Zénab Koumanthio Diallo, pour leur contribution dans la correction du manuscrit et surtout pour avoir accepté d’en faire la dédicace. Je tiens aussi à remercier tout particulièrement les ambassadeurs : André Lewin et Rafiou Barry, pour leur intérêt tout particulier pour l’ouvrage et leurs pertinentes remarques. Mes remerciements vont également aux honorables députés : Baniré Diallo, Sékou BK Bangoura et Ahmed tidiane Cissé, ainsi qu’aux anciens ministres Mamadou Lamarana Diallo et Ibrahima Sylla et à mon frère et ami Facely II Mara, ancien journaliste à la RTG et présentement fonctionnaire du Pnud, pour leur contribution toujours souhaitée et appréciée.

Mise au point J'ai débuté la rédaction de cet ouvrage au début de l'année 2008 et sa publication était prévue pour la fin du premier trimestre de l'année 2009. L'objectif visé était double : 1- Permettre à la nouvelle génération guinéenne d'avoir des points de repère sur leur pays, afin d'éviter la réédition des erreurs du passé, mieux comprendre les réalités du présent et se préparer pour un futur voulu et non subi. 2- À partir du constat et de l'analyse du passé et du présent, essayer de faire des prévisions pour le prochain passage de témoin. Le premier jet était prêt fin novembre 2008. Entre-temps, j'ai été rattrapé en cours de route par les événements de décembre 2008, consécutifs au décès du président Lansana Conté le 22 décembre 2008 et à la prise du pouvoir le 23 décembre 2008 par le C.N.D.D. (Conseil National pour le Développement et la Démocratie). Puis, il y a eu les massacres du 28 septembre 2009, et la tentative d’assassinat du président le 3 décembre 2009. Ainsi, nous sommes passés, en l'espace d'une nuit, des prévisions à l'actualité en temps réel. Qu'à cela ne tienne, avec l'avènement de la nouvelle transition, il faudra prendre le recul nécessaire pour laisser le temps au temps, afin de pouvoir apprécier la pertinence des recommandations.

INTRODUCTION La République de Guinée aura cinquante années de souveraineté le 2 octobre 2008. Le peuple de Guinée célébrera ce cinquantenaire en portant un double regard, pour revisiter son passé et scruter son avenir. Toutefois, ce regard sur le passé ne sera pas seulement un moment de rétrospection, mais aussi et surtout, une occasion de projection de la Guinée pour les cinquante prochaines années. Il se trouve que depuis l'annonce des préparatifs pour la commémoration du cinquantenaire de l'indépendance, des voix se sont élevées en Guinée et au sein de la diaspora guinéenne, pour demander au gouvernement de faire du dialogue et de la réconciliation une des priorités, sinon la priorité du programme. S'il est vrai que cinquante années, c'est peu dans la vie d'une nation, il se trouve qu'aujourd'hui, seule une minorité de Guinéens et de Guinéennes se souvient encore du 2 octobre 1958. Alors et les autres, ceux et celles qui représentent la majorité de notre population, ne sont-ils pas en droit de savoir ce qui a pu se passer dans notre pays qui puisse avoir eu à porter préjudice à une frange de notre population, à un certain moment, à certains endroits du pays et pour quelles raisons ? Ce présent ouvrage propose quelques points de repères à la jeune génération pour lui permettre de mieux connaître son passé avec l'espoir qu'elle puisse trouver un début de réponse aux différentes causes qui ont conduit à un présent quasi insupportable et de savoir si le futur peut encore être réellement porteur d'espoir.

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POINTS DE REPÈRES

Le 2 octobre 2008, la Guinée a commémoré son cinquantenaire. Cependant, seule une minorité de Guinéens se souvient du 28 septembre 1958 et du 2 octobre 1958. Ce n’est pourtant pas de l’indifférence, loin s’en faut. Il se trouve que la jeune génération qui constitue la majorité de notre population n’était pas encore née. Il reviendra aux historiens le moment venu la responsabilité d’écrire l’histoire de notre pays. Toutefois, puisque le public, cible du présent ouvrage, est représenté par cette majorité, j’ai pensé qu’il serait utile de faire un rappel de la distance déjà parcourue et des obstacles déjà franchis. Après cinquante années de parcours, on peut affirmer, sans trop de risques de se tromper, que les guinéens sont dans la grande majorité mécontents de leurs conditions de vie. Face à une telle situation, ils ne peuvent penser avec sérénité à un avenir lointain, donc incertain, alors qu’ils vivent un quotidien quasi insoutenable. Tout ce qu’ils souhaitent aujourd’hui, c’est un changement radical et immédiat dans leurs conditions de vie. Mais comme cela est difficile à réaliser dans l’immédiat, les gouvernants du moment font des promesses et ciblent parfois quelques boucs émissaires pour faire diversion. C’est ainsi qu’après l’euphorie vient tout naturellement la déception et parfois la révolte. Alors, nous assistons impuissants à un changement à reculons, avec la destruction de biens publics et privés, et fort malheureusement avec des pertes en vies humaines. J’ai donc voulu faire comprendre aux guinéens et aux guinéennes que nous sommes tous ensemble engagés dans une même et unique course. Mais c’est une course spéciale, qui a la spécificité d’être en même temps, une course de fonds, d’obstacles et de relais. Il faut aussi préciser que non seulement la distance est indéterminée mais aussi et surtout, tout abandon est exclu. Au départ de la course en 1958, l’histoire et le monde entier ont attesté que le 28 septembre, après le référendum, 18

nous avions pris un très bon départ, à tel point qu’après seulement quelques enjambées, nous étions seuls en piste. Le 2 octobre, après la proclamation de l’indépendance, nous avions même accentué notre avance. Avec l’adoption de la constitution le 15 novembre de la même année, nous avons changé de crampons sans nous rendre compte que, dans la précipitation, nous avions chaussé une pointure non adaptée. Puis, d’octobre 1958 au 3 avril 1984, que d’obstacles franchis sur une piste semée d’embûches de toutes sortes, avec comme résultats des dégâts importants sur le terrain et sur les participants. Toutefois, entre-temps, dans les autres couloirs, certains de ceux qui avaient fait un faux départ en 1958 avaient repris la course. Beaucoup d’entre eux nous avaient rattrapés alors que d’autres nous avaient même dépassés. Le 3 avril 1984 ce fut le passage de témoin après un petit temps de pose. À la reprise, après une courte accalmie, d’autres obstacles ont été franchis parfois avec des séquelles (4 juillet 1985 : élections, mutineries, agressions, révoltes). Cependant, cinquante années après le départ de la course, alors que nous sommes avec la troisième génération de compétiteurs, nous constatons que nous avons été non seulement rattrapés, mais que la plus part de ceux qui avaient démarré après nous nous ont dépassés. Alors que devonsnous faire puisque l’abandon est exclu ? Il s’agira de bien préparer le prochain passage de témoin, ce qui n’avait pu être fait jusqu’à présent. Pour y parvenir, il faudrait avant tout veiller aux critères de choix des futurs postulants. Ensuite, après le passage du témoin, se prémunir de moyens légaux devant empêcher toute sortie du couloir tout en veillant à ce que le porteur du relais respecte scrupuleusement les règles de la course. Il ne faudrait surtout pas oublier de prévoir les sanctions à encourir en cas de défaillance ou de faute grave.

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I- PRÉSENTATION 1- Les différents pays qui portent le nom Guinée La communauté internationale compte aujourd'hui quatre États qui font usage de ce nom, ce qui est un fait tout à fait rare et exceptionnel. En Asie, la Papouasie Nouvelle Guinée, située à l'est de l'île de la Nouvelle Guinée, colonisée à la fin du XIXe siècle, une partie par l'Allemagne, une partie par le Royaume-Uni, administrée par l'Australie, depuis 1906 pour la zone anglaise, depuis la fin de la dernière guerre mondiale pour la zone allemande, elle est indépendante depuis 1975. Le nom de Nouvelle-Guinée a probablement été donné à cette île par des navigateurs européens qui connaissaient déjà le golfe de Guinée sur la côte de l'Afrique. C'est sur le pourtour occidental de l'Afrique mais aux extrémités du golfe de Guinée que se trouvent les trois autres États : - La Guinée équatoriale, colonisée par l'Espagne, est indépendante depuis 1968. - La Guinée-Bissau, naguère possession portugaise, est indépendante depuis 1974. - La Guinée, ancienne colonie française au sein de l'A.O.F. (Afrique occidentale française) devenue indépendante le 2 octobre 1958 sous le nom de République de Guinée à la suite du « NON » au référendum du 28 septembre 1958. Pour la distinguer des autres Guinée, certains préfèrent dire « Guinée Conakry » ou « Guinée Sékou Touré » notamment dans les pays arabes, en souvenir de sa contribution au sein de la UMA islamique. 2 - D'où viendrait le nom Guinée ? Selon certains historiens, l'origine précise du terme « Guinée » reste encore incertaine. Quelques-uns le font remonter au mot berbère « aginau », qui signifie « hommes 21

noirs ». « Akal-n-I Guinawen » qui signifie dit-on, « pays des hommes noirs ». D'autres estiment qu'il s'agit d'une déformation du nom du royaume de Ghinea ou Genni, ou Jenne, qui s'étendait sur le haut Niger au VIIe siècle, où de celui du royaume du Ghana, qui couvrait au début de notre millénaire une bonne partie de l'Afrique de l'Ouest. Pour d'autres encore, les premiers européens débarquant sur les côtes, auraient rencontré des Africaines qui, répondant à leurs questions, auraient employé le mot « guiné » qui signifie « femme » dans la langue soussou utilisée sur la côte de la Casamance jusqu'au Liberia. Le nom de Guinée apparaît sur les cartes marines, sans précision, dès la fin du XIVe siècle et englobe toute la côte (depuis la Casamance au sud de la Gambie jusqu'au Gabon, atteint à la fin du XVe siècle) ainsi que le golfe tout entier qui le baigne. Tel est aujourd'hui encore le nom de ce dernier. Pour les descendants des esclaves dont beaucoup venaient du golf de Guinée, ce nom est resté synonyme de terre enchanteresse : c'est ainsi que dans certaines îles des Antilles ou des Caraïbes anglaises, « aller en Guinée » signifie toujours actuellement, aller au paradis (1). Et dire que les Guinéens de Guinée ignorent toujours qu'ils sont au paradis. 3 - La Guinée française C'est sous le nom « Rivières du Sud », si évocateur de la basse côte de Guinée, que ce territoire entre dans l'histoire contemporaine. Il semble que ce soient les navigateurs portugais qui vinrent les premiers reconnaître les estuaires des « Rivières du Sud » vers le milieu du XVe siècle. Plusieurs décennies durant, la côte fut fréquentée par des bateaux autant français qu'anglais ou portugais. C'est ainsi que des comptoirs commerciaux, points de traite et de vente d'esclaves, s'établirent tout particulièrement sur le Nuñez à Wakria et Boké. (2) Les territoires du Golfe de Guinée, qui englobaient en fait toute la côte jusqu'au Gabon, étaient administrés depuis le Sénégal sous le nom de « Rivières du sud ». Le territoire fut détaché une première fois du Sénégal proprement dit en 1845 (dont l'administration s'établit à Saint-Louis) et placé alors sous l'autorité de la marine dont le 22

commandement se trouvait à l'île de Gorée. Il fut rattaché de nouveau au Sénégal de 1859 à 1882, notamment sous les gouverneurs Faidherbe, Pinet Laprade et Brière de L'Isle, tous également militaires, qui montrèrent beaucoup d'intérêts pour la Guinée de l'intérieur. Dotée d'un lieutenant gouverneur par décrets de 1882 puis de 1889, ce dernier relevant encore de l'autorité du gouverneur du Sénégal (ayant en revanche compétence sur le Dahomey et la Côte d'Ivoire), la Guinée française et dépendances est constituée en unité administrative autonome par décret du 17 décembre 1891. Deux ans plus tard, le Dahomey et la Côte d'Ivoire en sont détachés. Le territoire était formé uniquement à cette date de la côte et du protectorat du Fouta-Djalon. Ensuite le territoire s'accroîtra progressivement jusqu'en 1911, par la jonction des autres régions soumises à l'administration militaire après leur pacification. Les limites territoriales de la Guinée française seront définitivement fixées le 1er juillet 1912, par un traité franco-anglais qui précisait ses frontières par rapport à la colonie anglaise de Sierra Leone. (3) 4 - La résistance La plus farouche opposition fut l'œuvre de l'Almamy Samory Touré, chef malinké d'extraction modeste (il était fils d'un tisserand et d'une ménagère). Né en 1830, couronné empereur à Bissandougou en 1875, il fut finalement élu Almamy en 1884. Son ascension, fondée sur des qualités peu communes de meneur d'hommes, de stratège, de négociateur et d'organisateur, le fit entrer vivant dans la légende africaine (4). Son empire couvrait, en 1811, la partie nord de l'actuelle préfecture de Beyla, les préfectures de Kérouané, Kankan, Faranah, Kouroussa, Siguiri, et Odiéné dans le nord de la Côte d'Ivoire. Les premiers heurts avec les Français eurent lieu le 26 février 1882 à Samaya, marquant le début d'une guerre qui dura seize ans. Les troupes de l'Almamy remportèrent de nombreuses victoires contre les armées coloniales, dont les plus célèbres furent le 2 avril 1882, à Woyowayanko (à 3 kilomètres de Bamako) sur BorgnisDesbordes ; en 1885 sur les troupes de Combes, victoire qui permit à l'Almamy de prendre les terres aurifères de Bouré. 23

Les Français, acculés, proposèrent le traité de Kéniébakoura, signé le 28 mars 1886 ; en janvier 1892, sur Humbert qui échoua dans son plan de déstabilisation de l'Empire ; en mars 1895, sur Monteil, dont les troupes furent contraintes de battre en retraite ; en avril 1897 sur les colonnes anglaises mises en déroute à Dokia et à Wa, par la troupe de l'Almamy sous la conduite de Saran Kémory. Finalement, l'Almamy Samory Touré fut arrêté le 29 septembre 1898 à Guélémou et déporté au Gabon où il mourut en exil dans l'île de N'Djolé, le samedi 2 juin 1900. Depuis, cette île porte son nom. Ses cendres furent ramenées en Guinée le 28 septembre 1968 et il repose au mausolée national de Camayenne à Conakry. Après son départ en exil, en 1889, les cercles de la région sud du Soudan, à savoir : Siguiri, Kouroussa, Kankan, Dinguiraye, Kissidougou et Beyla, furent annexés à la Guinée suite au décret du 17 octobre 1890 consacrant la dislocation du Soudan. S'agissant du Fouta Djalon, il faut rappeler que, l'Almamy Bocar Biro, qui assuma par deux fois la fonction de 1890 à 1892 et de 1894 à 1896, fut le dernier grand Almamy de l'ensemble du Fouta. Il se battit avec acharnement contre les Français mais ne put empêcher la prise de Timbo par les troupes du commandant Beeckmann et du capitaine Muller, en novembre 1896. Quelques jours plus tard, ses hommes furent à nouveau défaits à Porédaka, et lui-même fut assassiné peu après. Au cours de la même année, le gouverneur Ballay avait fait occuper Timbo et le 6 février 1897 était signé le traité qui mettait le Fouta Djalon sous le protectorat effectif de la France. Toutefois, Alpha Yaya Diallo qui était devenu chef du Labé depuis 1892, après l'assassinat de son frère Aguibou, continuait à avoir une influence grandissante qui ne cessait d'inquiéter l'administration coloniale française, pour laquelle il devenait de plus en plus gênant. Il fallait donc s'en défaire à tout prix. C'est ainsi qu'il fut révoqué de ses fonctions de chef par arrêté n°858 du 23 septembre 1905 et condamné à l'exil pour cinq ans au Dahomey, actuel Bénin. Il revint d'exil en 24

novembre 1910 mais fut soumis à de sévères mesures restrictives. Malgré tout et en dépit de tout, il reconquit son prestige et sa popularité ainsi que son pouvoir. Redevenu encore une menace pour le pouvoir colonial, ce dernier mit tout en œuvre pour se débarrasser une fois pour toutes, du souverain et de sa suite. Ainsi, le 14 septembre 1911, Oumar Koumba, son Premier ministre, fut embarqué pour la Côte d'Ivoire où il fut interné pendant dix ans. Le mardi 31 octobre 1911, Alpha Yaya et son fils Modi Aguibou furent à leur tour déportés à Port Étienne en Mauritanie. Alpha Yaya est mort en exil le samedi 10 août 1912. Ses restes reposent au mausolée national de Camayenne à Conakry depuis 1968. La résistance fut aussi rude dans les autres parties du territoire comme en Basse Guinée avec Dinah Salifou Camara. En effet, c'est son prestige dans la région et son nationalisme qui déterminèrent les autorités françaises à le combattre. Arrêté le 7 novembre 1890 et exilé à Saint Louis du Sénégal, il mourut le samedi 27 novembre 1897. En pays Coniagui, sous la direction de Alutène, il a fallu attendre l'année 1904 pour parvenir à la « soumission ». C'est au cours de la même année qu'on enregistra la cession des îles de Loos par les Anglais. La Guinée forestière de son côté connut une longue période de résistance sous la direction de Zébela Togba. Ainsi donc il fallut attendre 1912 pour arriver à la « pacification » de la région et mettre fin à une période de conquête et d'organisation qui aura duré plus de cinquante années. 5 - La réorganisation du territoire Dès 1895, la Guinée est incorporée à l'Afrique Occidentale Française (A.O.F.), dont le gouverneur général siège à Dakar. La centralisation imposée à cet ensemble par le décret du 1er octobre 1902, qui soumet les gouverneurs des colonies à l'autorité hiérarchique du gouverneur général, vise évidemment à coordonner et à harmoniser la politique menée dans cet ensemble mais aussi à permettre une certaine péréquation des ressources budgétaires. Ainsi, les colonies les plus riches comme la Guinée, devaient couvrir le déficit 25

des moins biens dotées. En effet, la règle de l'autonomie budgétaire édictée par la loi des finances de 1900 voulait que les colonies subviennent à leurs propres dépenses. En fait, une large autonomie était laissée aux gouverneurs, notamment à celui de la Guinée française, enclavée au milieu de territoires non français, et dont les liaisons avec Dakar étaient malaisées, particulièrement pendant la saison des pluies. L'autonomie relative de la Guinée allait cependant être réduite par l'essor de l'aviation, surtout après 1945, où l'on nota une certaine centralisation au profit de Dakar et des institutions de l'A.O.F. 6 - La gestion du territoire Premier lieutenant gouverneur des « Rivières du Sud » résidant en Guinée, le docteur Bayol s'installa en 1885 à Conakry. C'était alors un petit village sans grande importance mais sans chefferies puissantes et surtout abritant un site portuaire bien localisé, protégé par les îles de Loos et doté rapidement d'un statut de port franc. La ville de Dubréka (ou Dobrika à l'origine), située à une cinquantaine de kilomètres vers l'intérieur, prétendait pourtant au rôle de future capitale de la colonie, d'autant que de nombreuses maisons de commerce s'étaient installées dans ce centre plus important. Le site portuaire influença très certainement le choix en faveur de Conakry. Ainsi des mesures économiques furent prises pour renforcer son importance. À savoir : - Exemption des droits de tonnage et d'ancrage en 1890. - Achèvement en 1892 de la route Conakry-Dubréka (elle-même reliée à l'ensemble de la Basse Guinée et aux autres régions du territoire). - Instauration en 1897 d'une surtaxe frappant toutes les importations qui ne transiteraient pas par Conakry. - Décision prise en 1900, de construire le chemin de fer Conakry-Niger jusqu'à Kankan, long de 666 km. - Décret du 12 décembre 1905 mettant fin à la traite des esclaves.

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Ces mesures contribuèrent à consacrer le rôle de centre portuaire et commercial de Conakry, en particulier par rapport à Freetown et à détourner vers la Guinée française une bonne partie du trafic qui passait auparavant par la Sierra Leone. - Sur le plan administratif, le Gouverneur était assisté d'un conseil dont les membres étaient nommés. À partir de 1925, ils furent élus. Il comprenait deux français élus par les chambres d'agriculture et de commerce et deux africains élus par un collège restreint où ne figuraient que des catégories limitées (fonctionnaires titulaires de certains diplômes, ou africains reconnus comme loyaux vis-à-vis de la France, etc.). Les centres urbains de Conakry, Kankan et Kindia furent transformés en communes en 1920 mais leurs maires, français, étaient nommés. Le reste du pays était divisé en 18 puis 20 cercles administratifs, dont le commandant, doté de larges pouvoirs, relevait directement du gouverneur. Certains cercles importants comprenaient des subdivisions tels que Labé. Les unités administratives plus petites, tels que les cantons et villages, étaient administrées par des Guinéens, relevant des autorités françaises et nommés par elles. Ces postes étaient attribués à des chefs traditionnels qui avaient fait allégeance à la France, ou à d'anciens employés ou interprètes africains, fidèles et expérimentés. Il faut préciser que les tâches principales de ces chefs locaux étaient de collecter des impôts, de fournir le personnel requis pour la corvée des travaux publics et de recruter des hommes pour l'armée, une mission assurément bien ingrate. Liste des gouverneurs de la Guinée Française, depuis la création du territoire jusqu'à l'indépendance : (5) - 1885-1890 : Jean-Marie Bayol, lieutenant-gouverneur - 1890-1900 : Noël-Eugène Ballay, gouverneur - 1900-1904 : Paul-Jean-François Cousturier, gouverneur - 1904-1906 : Antoine Frezoul, gouverneur - 1906-1907 : Richard, par intérim - 1907-1908 : Van Vollenhoven, secrétaire général par intérim 27

- 1908-1910 : Victor Liotard, gouverneur - 1910-1913 : Camille Guy, gouverneur - 1913-1916 : Jean Peuvergne, gouverneur - 1916-1930 : Georges Poiret, gouverneur - 1930-1931 : Antonin, secrétaire général par intérim - 1931 : Robert Guise, gouverneur - 1931-1936 : Joseph Vadier, gouverneur - 1936-1939 : Louis Blacher, gouverneur - 1939-1942 : Antoine Giacobbi, gouverneur - 1942-1944 : Horace Crocicchia, gouverneur - 1944-1946 : Jean Fourneau, administrateur en chef - 1946-1947 : Edouard Terrac, gouverneur - 1948-1951 : Roland Pré, gouverneur - 1951-1953 : Paul-Henri Sirieix, gouverneur - 1953-1955 : Jean-Paul Parisot, gouverneur - 1955-1956 : Charles-Henri Bonfils, gouverneur - 1956-1958 : Jean-Paul Ramadier, gouverneur - 1958 : Jean Mauberna, gouverneur - 02 octobre 1958 : Jean Risterucci Le 26 septembre 1958, sur ordre de Paris, le gouverneur Mauberna quitta Conakry. Le 28 septembre, Jean Risterucci est arrivé le jour même du référendum, pour assurer, dit-on, la continuité de la représentativité française. 7 – La prise de conscience des peuples colonisés a- La décolonisation Elle fut l'aboutissement d'une longue et parfois sanglante bataille, menée dans les hémicycles par les élus et dans les rues par les populations africaines. En effet, avant même la fin de la Deuxième Guerre mondiale, se sont réunis à Brazzaville, du 30 janvier au 8 février 1944, une trentaine de hauts commissaires impériaux et membres de l'Assemblée constitutive d'Alger, sous la présidence du général de Gaulle. Dans ses conclusions, la conférence décidait que : « Les fins de l'œuvre de civilisation accomplie par la France dans les colonies écartent toute possibilité d'évolution hors du bloc français de l'Empire, la constitution éventuelle, même lointaine, de "self gouvernement" est à écarter. » (6) 28

Cependant, au fil du temps, des événements importants sont survenus hors de l'hexagone alors que des nouvelles décisions prises par les autorités françaises allaient favoriser et accélérer le processus de décolonisation : il s'agit entre autres de : - la suppression du régime de l'indigénat par décret n° 45-0137 du 22 décembre 1945 entré en application le 1er février 1946. C'était un système de mesures restrictives de liberté à la discrétion des administrateurs, établi en 1924 par les décrets du 22 décembre 1944 et du 20 février 1946. - puis le 26 décembre 1944, ce fut la création du franc CFA. Moins d'un an après, ce sera la création de l'Organisation des Nations Unies (O.N.U.) le 26 juin 1945 à San Francisco aux États-Unis. Ensuite, plusieurs libertés essentielles à l'exercice de l'action syndicale ou politique sont étendues aux territoires d'Outre-mer telles que : la liberté d'association par décret du 13 mars 1946, la liberté de réunion par décret du 11 avril 1946, la suppression du travail forcé (la corvée) par la loi du 11 avril 1946 votée par l'Assemblée constituante française sur proposition de Félix Houphouët-Boigny, cependant que la loi Lamine Gueye du 7 mai 1946 conférait à tous les habitants des territoires d'Outre-mer la nationalité française, mais pas pour autant la citoyenneté pleine et entière. En effet, elle dispose que « tous les ressortissants des territoires d'outre mer ont la qualité de citoyen au même titre que les nationaux français de la métropole ou des départements d'outre mer ». En résumé, elle donnait la citoyenneté française à tous les sujets de l'ancien Empire, soit une extension théoriquement considérable du suffrage universel. Faut-il rappeler qu'avant cette loi, seuls les habitants des communes de Dakar, Gorée, Rufisque et Saint-Louis avaient le statut de citoyens français. Le territoire était représenté à l'Assemblée nationale française par des députés, au Sénat français par des sénateurs, des conseillers au conseil de l'Union française et au grand conseil de l'A.O.F. Quant à la liberté de la presse, elle sera légalisée par le décret du 27 septembre 1946. - L'année 1946 va aussi marquer une étape importante dans l'évolution de l'Empire colonial français avec d'un côté, 29

la départementalisation (loi du 19 mars 1946), c'est-à-dire l'intégration politique, juridique et administrative à la métropole des plus anciennes colonies de peuplement acquises sous l'Ancien Régime : la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane et de l'autre la création de l'Union française. - L'Union française, créée le 13 octobre 1946, regroupait dans un même ensemble juridique inscrit dans la constitution de la France ce que l'on nommait alors les territoires d'Outremer (T.O.M.), colonies acquises principalement au cours du XIXe siècle en Afrique, en Asie ou en Océanie, parmi lesquels les actuels T.O.M., (Nouvelle Calédonie, Polynésie française, Wallis-et-futuna) et les terres australes et antarctiques françaises auxquelles il faut ajouter les deux collectivités territoriales. Cette union comprenait des institutions et une citoyenneté commune de nature hybride. En effet, elle disposait de sa propre assemblée, incluant une moitié des représentants parlementaires métropolitains, et pour moitié des représentants de l'Outre-mer. Un conseil spécifique, incluant des représentants du gouvernement français et des exécutifs de chaque territoire, institutions qui n'avaient néanmoins qu'un pouvoir consultatif. - Le territoire était représenté à l'Assemblée nationale française par des députés, au Sénat français par des sénateurs, des conseillers au conseil de l'Union française et au grand conseil de l'A.O.F.. - Comme conséquences, il s'en suivit un train de réformes accordant des droits et libertés individuels et collectifs dans les territoires. Ceci a permis la création des associations, des journaux, des syndicats et des partis politiques. De ce fait, du jour au lendemain, la liberté d'expression, le droit de vote, l'égalité entre homme et femme se retrouvaient dans les différents programmes de revendications. - Le rôle important joué par les troupes coloniales notamment les « tirailleurs dits sénégalais », dont de nombreux Guinéens, dans la libération du territoire métropolitain et dans la victoire des alliés sur l'Allemagne d'Adolf Hitler. 30

- L'émergence d'une élite nationaliste que représentent les premiers étudiants africains arrivés en France dès après la fin de la dernière guerre mondiale. - Finalement, on a abouti à une prise de conscience politique en Afrique Occidentale Française (A.O.F.) et en Afrique Équatoriale Française (A.E.F.). Cette prise de conscience débouchera finalement sur la création à Bamako, du R.D.A. (Rassemblement Démocratique Africain) en octobre 1946, et de ses sections dans les différents territoires les années suivantes. Cette organisation permit ainsi la mobilisation de forces présentes autour du mot d'ordre d'émancipation. - L'accession à l'indépendance de certaines possessions britanniques dont le Pakistan le 14 Août 1947 et l'Inde le 15 août 1947. - Les difficultés rencontrées par le gouvernement français pour résoudre les problèmes de l'Indochine, qui se sont terminées par la défaite française de Diên Biên Phu, le 7 mai 1954. - Le début de la guerre d'Algérie le 1er novembre 1954. - L'indépendance du Maroc le 2 mars 1956. - L'indépendance de la Tunisie le 20 mars 1956. - L'évolution des idées et de l'opinion publique, concrétisée par les prises de position de certains hommes politiques français favorables au processus de décolonisation. Puis, à partir de 1957, est entrée en vigueur la loi-cadre qui consacre la semi autonomie des territoires qui disposaient désormais d'un pouvoir exécutif autonome, le conseil de gouvernement, et d'une assemblée territoriale élue au suffrage universel et jouissant de larges pouvoirs, dont celui d'élire et de contrôler le gouvernement. b - La communauté franco-africaine L'année 1958, quant à elle, a été marquée par une série d'événements qui ont accéléré la dynamique de désintégration de l'Union française. En mai 1958, l'insurrection à Alger des généraux qui s'opposent à l'indépendance de l'Algérie, où le F.L.N. mène une dure guerre d'indépendance depuis 1954, entraîne le retour aux 31

affaires du général de Gaulle. Ce dernier ne voulant pas accepter de diriger le pays avec les institutions de la 4ème République qui accorde à son avis très peu de pouvoir à l'éxécutif, décide donc de procéder à une profonde révision de la constitution, qui donne naissance à la 5ème République. Il décide en même temps d'élargir cette révision aux institutions coloniales de l'Afrique sub-saharienne. Ceci implique la proposition et la soumission au vote référendaire, d'une communauté franco-africaine que le général de Gaulle décide de présenter et défendre lui-même en Afrique. C'est ce qui explique sa présence à Conakry le 25 août 1958. Comme conséquences, tout cela a contribué à former le cadre favorable à une intense maturation des esprits dans les colonies africaines et à une prise de conscience très rapide d'un changement possible, dans laquelle la Guinée joua sans conteste un rôle particulier.

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II- LA MARCHE DE LA GUINÉE VERS L'INDÉPENDANCE 1 - Les lendemains de la Seconde Guerre mondiale En 1945, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, il n'existait en Guinée que deux types d'organisations politiques. Les français et les évolués (comme on appelait les africains qui avaient fait des études ou occupaient des postes administratifs) pouvaient militer au sein de partis politiques qui étaient le simple prolongement des partis de la métropole. Ainsi, la Démocratie Socialiste de Guinée (D.S.G.), liée à la S.F.I.O. française, eut un élu en la personne de Yacine Diallo lors des élections législatives de 1946 et 1947. Mais l'élargissement du corps électoral et son manque d'assise populaire diminuèrent progressivement son influence et la mort de Yacine Diallo le 14 avril 1954 précipita l'effacement du parti. Le parti progressiste de Guinée plus radical, restait sans implantation réelle. Il était issu du Groupe d'études communistes, qui avait permis pendant la guerre à de jeunes intellectuels guinéens d'approcher le marxisme. De ce fait, les 2 députés, les 2 sénateurs, les 4 conseillers de l'Union française qui représentaient la Guinée à Paris, les 5 conseillers qui la représentait à Dakar au grand conseil de l'A.O.F. créé en 1947, les membres du Conseil général qui assistait désormais le gouverneur, étaient tous européens ou « évolués ». L'autre type d'organisation politique ouverte aux Guinéens était plus populaire mais fondée sur une structure ethnique et régionale qui ne permettait pas aux aspirations réellement nationales de s'exprimer. L'Union des Métis et l'Union des Toucouleurs par exemple, représentaient les intérêts de leurs membres. Mais quatre groupements jouèrent un rôle plus important. Le Comité de la Basse Guinée pour les Soussous, l'Amicale Gilbert Vieillard pour les Peuhls, l'Union du Mandingue pour les Malinkés, et enfin, l'Union 33

forestière pour les forestiers. Dirigés par une élite locale très francisée, « ces groupes de pression » n'avaient d'ambition que locale, avec une vocation d'entraide mutuelle, sans coloration politique ni tendance revendicative. À cette époque, le problème de l'indépendance n'était pas encore à l'ordre du jour. L'idée de la création d'un parti au niveau régional est venue des députés africains à l'Assemblée nationale française, parmi lesquels Félix Houphouët-Boigny et Yacine Diallo. Ensuite, sur leur initiative, fut organisée du 18 au 21 octobre 1946 à Bamako, la conférence au cours de laquelle, les leaders francophones de l'Afrique de l'Ouest et celle de l'Est créèrent le R.D.A., le « Rassemblement Démocratique Africain ». Toutefois, Yacine Diallo n'assista pas à cette réunion car il avait la conviction que le parti communiste en était le vrai commanditaire. Filidabo Sissoko, qui était d'une autre sensibilité, avait également décidé de ne pas y participer. Toutefois, la réunion devant se tenir dans sa circonscription politique, il fut contraint d'y aller pour prononcer le discours de bienvenue. Cependant, c'est ce même R.D.A. qui aura permis à la Guinée et à Sékou Touré de se doter de l'instrument qui allait permettre d'engager la lutte pour l'émancipation du pays. En effet, quelques mois après Bamako, plus précisément, le 14 mai 1947, fut créé le P.D.G., le « Parti Démocratique de Guinée », section guinéenne du R.D.A. Au début, c'était un simple front de coordination composé entre autres des membres du Parti Progressiste de Guinée (P.P.A.G.), fondé en 1946 par Madeira Keïta. Ce dernier étant lui-même issu du groupe d'Études Communistes. D'un autre côté, de Diallo Saïfoulaye et Diallo Abdourahmane qui ont quitté l'Union mandingue, de Sékou Touré secrétaire général du syndicat du personnel des P.T.T. depuis 1945. Sans cohésion ni doctrine réelle au départ, le P.D.G. sera organisé sous la conduite de son premier secrétaire général, en la personne de Madeira Keïta. Comme le R.D.A., le P.D.G. se voit confronté à l'hostilité de l'administration coloniale dès les premières années de sa fondation. L'un des moyens utilisés par l'administration 34

coloniale pour combattre les revendications nationales sera les mutations, qui visent les principaux responsables qui sont tous des fonctionnaires. C'est ainsi que Madeira Keïta sera l'une des premières victimes de cette mesure par son affectation au Dahomey en 1948. Le 2e congrès du parti a eu lieu à Conakry du 15 au 18 octobre 1950. Décisions importantes prises : Actions auprès des ouvriers et des paysans. Création de la presse du Parti (« Le coup de Bambou » puis « Liberté »), mise en place des sections locales du parti. Après l'enthousiasme des premiers mois, le P.D.G., qui était encore fragile, souffrait déjà de rivalités à la base, de coteries personnelles ou ethniques qui représentaient une sérieuse menace pour la survie du parti. De ce fait, son impact fut très lent à se manifester au niveau des électeurs. Ce qui explique le fait qu'aucun candidat se réclamant du P.D.G. ne réussit à se faire élire en 1951 à l'Assemblée nationale française, ni en 1952 à l'assemblée territoriale qui avait remplacé l'ancien conseil général. Face aux particularismes régionaux et aux ambitions individuelles, sans moyens matériels et financiers, Sékou Touré et un petit groupe de responsables entreprirent patiemment d'asseoir la base idéologique du P.D.G., de l'organiser progressivement, et de l'implanter sur tout le territoire. C'est ainsi que mêlant luttes syndicales et réunions politiques en parcourant le pays, ils réussirent à implanter, à partir de 1952, des sections dans les villages et quartiers et des comités directeurs dans les localités les plus importantes, contribuant ainsi à consolider peu à peu les assises du P.D.G. dans le pays. Sékou Touré deviendra par la suite le troisième secrétaire général du parti en 1952, succédant ainsi à Madeira Keïta qui fut le premier à occuper le poste, et après le désistement d'Amara Soumah qui avait succédé à ce dernier. L'année 1953 marqua le début d'une série de résultats positifs venus couronner les efforts du nouveau secrétaire 35

général, tant dans le domaine syndical que dans le domaine politique. En effet, en 1953, une grève de soixante-treize jours aboutit à un substantiel relèvement des salaires des ouvriers africains, non seulement en Guinée, mais dans l'ensemble de l'A.O.F. Ce qui valut à Sékou Touré et à son parti un grand prestige dans la colonie, et bien au-delà. C'est ainsi que les dockers du port de Conakry se cotisèrent afin de réunir les fonds nécessaires à Sékou Touré pour se présenter aux élections. En juin 1953, à Beyla, localité située en Guinée forestière à près de 1000 km de la capitale, Sékou Touré fut proclamé vainqueur d’une élection partielle à l'Assemblée territoriale après l’intervention personnelle du gouverneur général Cornut Gentil. Ce fut, semble-t-il, la première utilisation du Syli (éléphant) comme symbole sur les bulletins du P.D.G. En réalité, le candidat Sékou Touré, faute de moyens, n'aurait fait que récupérer des anciens bulletins du P.D.C.I.-R.D.A. recyclés, envoyés par le « grand frère Houphouët » pour secourir son frère de combat qui aurait eu à solliciter son aide. Le 14 avril 1954, le décès du député (D.S.G.) Yacine Diallo, provoqua une élection partielle à l'Assemblée nationale française. Le siège fut âprement disputé entre Sékou Touré, Ibrahima Barry dit Barry III, candidat du D.S.G., et Diawadou Barry du B.A.G. Après quelques contestations du candidat du P.D.G., Diawadou Barry fut proclamé élu. À l'occasion des élections partielles de 1956, faisant suite à la dissolution de l'Assemblée nationale française, Sékou Touré et Saïfoulaye Diallo furent élus pour le compte du P.D.G. cependant que Diawadou Barry remportait la troisième place. Les deux députés du P.D.G. faisaient partie à l'Assemblée nationale du groupe parlementaire R.D.A., dont le leader Houphouët-Boigny devint ministre dans le gouvernement constitué par Guy Mollet.

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2- La Loi-cadre C'est quelques semaines plus tard (le 23 juin) que fut votée la loi-cadre Defferre, qui allait ouvrir de nouvelles possibilités légales pour les actions politiques des leaders africains. En ce qui concerne la Guinée française, l'on pourrait dire que les institutions nouvelles créées par la loicadre votée en 1956, ont fourni aux responsables du P.D.G. les moyens et l'occasion d'accélérer leur marche vers le pouvoir, avec méthode et parfois avec violence. En effet, la suppression du double collège électoral et l'instauration du suffrage universel au sein d'un seul collège, allaient permettre au P.D.G. de vérifier l'impact de ses campagnes de mobilisation. De même, l'institution du conseil de gouvernement et de l'Assemblée territoriale, donna l'occasion à Sékou Touré d'occuper les postes clés qui permirent au P.D.G., deux années plus tard, de conduire sans transition le nouveau gouvernement de la Guinée après le référendum. Puis, à l'occasion des élections de 1957 à l'Assemblée territoriale, le P.D.G. obtint 57 sièges sur 60, les socialistes 3, et le B.A.G. aucun. C'est ainsi que les douze membres du conseil de gouvernement appartenaient tous au P.D.G. L'une des premières réformes des programmes du P.D.G. mises en œuvre par le conseil de gouvernement, fut la suppression de la chefferie et le remplacement des chefs de canton nommés par le pouvoir colonial, par des conseils municipaux élus. Comme résultats immédiats, lors des élections municipales complémentaires de 1957, le P.D.G. remporta une très large victoire dans la presque totalité des 4 123 communes, ainsi qu'aux conseils de circonscription. - Le 3e congrès du P.D.G. s'est tenu en janvier 1958 à Conakry. On retiendra comme décisions importantes : la réorganisation du parti, les réformes administratives et économiques à adopter sous le régime de la Loi-cadre, la création du B.P.N. (Bureau Politique National) et du Comité National des Femmes. - Le 4e Congrès du P.D.G. a également eu lieu à Conakry du 5 au 7 juin 1958. Décisions importantes : la proclamation de la prééminence du parti sur l'État à tous les échelons de l'organisation administrative, le lancement de 37

l'opération "investissement humain", l'organisation du mouvement des jeunes. Ainsi, à la veille du référendum, le P.D.G. contrôlait tous les rouages de l'administration à travers l'ensemble du pays. Il faut préciser que 1957 fut aussi l'année de l'indépendance du Ghana, ancienne colonie anglaise, sous la direction de Kwamé N'Krumah dont les idées ne laissaient pas indifférent Sékou Touré. Pendant ce temps, l'essentiel des discussions entre leaders du R.D.A. concernait le rôle des mécanismes de l'A.O.F. et de l'A.E.F., en ce sens que, contrairement à Houphouët-Boigny, Sékou Touré et Senghor étaient hostiles à leur éclatement. 3 - L'avènement au pouvoir du général de Gaulle et le Référendum Le retour inattendu au pouvoir en mai 1958 du général de Gaulle, allait donner au débat une autre dimension. En effet, au moment où s'élaborait le projet de constitution prévoyant l'instauration d'une communauté entre la France et ses anciennes possessions, quelques leaders africains parmi lesquels se trouvait Sékou Touré, plaidaient en faveur de l'inclusion dans le projet, du droit à l'indépendance des peuples, « corollaire du droit de chaque homme à la liberté ». Ils souhaitaient aussi la création d'une véritable communauté fédérale multinationale, dotée d'une assemblée et d'un Exécutif regroupant les États autonomes. Il faut préciser à ce sujet que cette proposition comportait plusieurs points de divergence avec le texte ayant reçu l'aval du R.D.A., dans lequel l'indépendance immédiate était exclue et les exécutifs fédéraux n'étaient pas non plus retenus. Cependant, malgré tout ou peut-être à cause de cela, ce fut Sékou Touré qui fut chargé, le 5 août 1958, de présenter au général de Gaulle les remarques et recommandations du R.D.A. Toutefois, les préoccupations du groupe susmentionné ne furent pas prises en compte. En effet, le 8 août, dans une intervention, le général de Gaulle assimilait l'indépendance à la sécession et affirmait que le référendum trancherait le débat. Par la suite, le projet soumis au référendum comportera certes le droit à l'indépendance, mais elle était ouverte seulement aux 38

territoires qui, ayant accepté la constitution et par conséquent l'appartenance à la Communauté, choisiraient ultérieurement de devenir indépendants et cesseraient de ce fait d'appartenir à la Communauté. La divergence était fondamentale par rapport à la thèse défendue par le groupe de Sékou Touré pour lequel l'indépendance était un préalable avant tout abandon de souveraineté au profit d'une Communauté. Finalement, le texte proposé ne prévoyait l'indépendance que par la rupture avec la France ou la Communauté, soit immédiate par le rejet du projet, soit ultérieurement par la sortie de la Communauté. a -La tournée africaine du général de Gaulle et l'escale à Conakry Elle avait commencé par Tananarive, suivie des escales à Brazzaville, Abidjan, Conakry et Dakar. Il semble que l'escale à Conakry fut rajoutée à la dernière minute car déjà, on se méfiait de Sékou Touré dont l'emprise sur sa population était puissante. Cependant, avec un accueil à l'aéroport qualifié d'exceptionnel, et la ferveur d'une population mobilisée, rivalisant d'ardeur le long des rues au rythme des tam-tam, tout semblait présager une visite sans problème. Contre toute attente, le général de Gaulle n'avait pas eu, semble-t-il, connaissance du contenu du discours de Sékou Touré avant de prendre place à l'intérieur de l'Assemblée Territoriale, alors qu'il avait été communiqué au préalable aux autorités locales. Comme le voulait le protocole, après le discours de bienvenue du Président de l'Assemblée Territoriale El Hadj Saïfoulaye Diallo, celui de Sékou Touré précéda l'intervention du général, avec un contenu et un ton inhabituels pour l'hôte de marque. En effet, le discours nationaliste et passionné de Sékou Touré, alors président du Conseil du gouvernement, fut mal reçu par le général de Gaulle. Ainsi, les malentendus et les frustrations nés des échanges entre Sékou Touré et le général de Gaulle n'ont plus laissé de place ni à la convivialité, ni au dialogue De ce fait, ce dernier reçoit ce discours fréquemment interrompu par des hourras des députés et des militants massés à l'extérieur, comme un affront à la France et à sa 39

personne. Le lendemain matin 26 août, il s'envole vers Dakar après un bref « Adieu à la Guinée » en disant à son entourage : « Voilà un individu avec lequel nous ne pourrons jamais nous entendre ». (7) Ainsi s'explique le heurt des deux personnalités lors du passage historique du général de Gaulle à Conakry le 25 août 1958. Pour mémoire revenons sur les moments forts des deux discours. Sékou Touré : Nous ne renonçons pas et nous ne renoncerons jamais, à notre droit légitime et naturel à l'indépendance… Il n'y a pas de dignité sans liberté : nous préférons la liberté dans la pauvreté à la richesse dans l'esclavage. Malgré le ton et l'impact des mots prononcés, Sékou Touré entrouvre cependant une porte en précisant : « Notre cœur, notre raison, en plus de nos intérêts les plus évidents, nous font choisir sans hésitation l'interdépendance et la liberté dans l'union, plutôt que de nous définir sans la France et contre la France ». L'on se demande encore aujourd'hui, si Sékou Touré était réellement décidé pour la rupture au moment de la préparation de ce discours ? En effet, quelques jours avant le passage du général de Gaulle à Conakry, et plus précisément le 20 août 1958, il répondait d'une façon moins péremptoire à des questions posées par les étudiants français André Debione, Marc Coester et Jean Claude Schreder. - Question : Monsieur le Président, le général de Gaulle va passer à Conakry ; que pensez-vous du choix devant lequel il a placé votre pays ? - Réponse : J'ai déjà eu l'occasion de dire dans la presse et au général de Gaulle la brutalité de ce choix. Entre la fédération et la sécession, il peut y avoir des liens plus souples. Nous ne voulons pas l'indépendance mais l'autodétermination ; conduire nous-mêmes nos propres affaires, et prendre de plus en plus de responsabilités, donc nous dégager de plus en plus de la tutelle de la France pour traiter avec elle d'égal à égal. Je ne saurais trop souligner, en ce qui nous concerne, la primauté du politique sur l'économique. L'accession au pouvoir politique doit précéder le développement économique, pour le rendre possible. La 40

primauté du politique, à ce sujet, il faut reconnaître que Sékou Touré a toujours été fidèle à son option, et l'on pourrait peut-être trouver dans ce choix un début de réponse à l'origine du retard de la Guinée dans le domaine du développement économique. Sékou Touré reviendra sur le même sujet, moins d'un mois avant la consultation, en déclarant devant la chambre de commerce : « Nous n'avons pas demandé l'indépendance, pourquoi veut-on nous forcer à sortir ? » (8) Pour revenir à la réponse au discours de Sékou Touré à l'Assemblée Territoriale, le général de Gaulle, tout en acceptant l'idée qu'il peut s'agir d'une « étape et que les peuples africains continueront leur évolution », avait tenu à préciser : Général de Gaulle : On a parlé d'indépendance ; je le dis ici plus haut encore qu'ailleurs, l'indépendance est à la disposition de la Guinée ; elle peut la prendre le 28 septembre en disant « non » à la proposition qui lui est faite et, dans ce cas, je garantis que la métropole n'y fera pas obstacle. Elle en tirera bien sûr des conséquences, mais d'obstacles, elle n'en fera pas, et votre territoire pourra comme il le voudra, et dans les conditions qu'il voudra, suivre la route qu'il voudra. Quelques années plus tard, parlant du discours de Sékou Touré, le général de Gaulle écrira dans ses mémoires : « Sur un ton péremptoire, il m'adresse un discours fait pour sa propagande et coupé par des rafales bien rythmées de hourras et d'applaudissements ». Après le départ du général de Gaulle le 26 août, Sékou Touré et El Hadj Saïfoulaye Diallo se sont rendus à Dakar le 27 août dans l'intention de le rencontrer, mais sans succès. Peut- être voulaient-ils atténuer, à défaut de pouvoir effacer, la déception du général. À leur retour, c'est donc finalement en toute lucidité et en toute responsabilité que les responsables guinéens ont confirmé leur choix. En effet, le 14 septembre 1958, lors de la 3e Conférence nationale du P.D.G. tenue à Conakry, il fut décidé de voter NON au référendum. Ainsi Sékou Touré déclarera : « Nous voterons « non » à une Communauté qui n'est que l'Union française 41

rebaptisée, la vieille marchandise dont on a changé l'étiquette, nous voterons « non » à l'inégalité, nous voterons « non » à l'irresponsabilité ». Évidemment en ce moment, les responsables guinéens ne pouvaient pas imaginer la nature et l'ampleur des réactions de la France à l'endroit du futur État. C'est donc en toute confiance que Sékou Touré informa le gouverneur de son désir d'envoyer à Paris, au lendemain de l'indépendance, une mission pour négocier un accord d'association. La suite à cette requête annonçait déjà la couleur. En effet, le 26 septembre 1958, sur ordre de Paris, le gouverneur Mauberna quittait Conakry. 4 - Le référendum Le 28 septembre Jean Risterucci arrivait, le jour même du référendum, pour assurer « la continuité de la représentation française ». Au même moment, une compagnie de parachutistes était envoyée de Dakar « pour maintenir, dit-on, l'ordre », ce qui fut ressenti comme une intimidation. En fait, le 28 septembre 1958, aucun incident majeur ne se produisit. Le peuple de Guinée a rejeté le projet de constitution par 1 130 292 « non » contre 56 959 « oui ». Ainsi, ce que certains ont qualifié de malheureux concours de circonstances, allait transformer une divergence initiale en une rupture brutale, qui allait peser d'un poids écrasant et durable sur les relations franco-guinéennes et sur la naissance et le devenir du jeune État.

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III- LA GUINÉE INDÉPENDANTE : ELLE VIRE D'UN CAMP À UN AUTRE Le 29 septembre 1958, le gouverneur Jean Risterucci déclare que « l'indépendance de la Guinée est un fait acquis » et remet aux autorités une note constatant qu'elle ne peut plus, de ce fait, « recevoir normalement le concours ni de l'administration de l'État français, ni de crédits d'équipement. Les fonctionnaires en service en Guinée demeureront à leur poste dans l'immédiat, mais un plan de transfert sera mis en application dans un délai de deux mois ». Le lendemain, Sékou Touré exprime l'espoir que la France sera « la première nation à reconnaître la Guinée indépendante » et qu'elle « se chargera de nous faire reconnaître par les autres gouvernements et de nous faire entrer à l'O.N.U. ». Il ajoute : « Je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas nous associer avec la France, dans la mesure où l'on voudra bien de la Guinée. Si la Guinée était rejetée de l'ensemble français dont elle a fait partie jusqu'ici, elle serait amenée à envisager toutes les solutions compatibles avec sa dignité et conformes à ses intérêts. » A - La Première République ou du défi au dépit Le 2 octobre, la Guinée célèbre avec éclat son indépendance ; l'Assemblée Territoriale se transforme en Assemblée Constituante. Le premier gouvernement de la République de Guinée mis en place choisit son drapeau aux couleurs rouge, jaune, vert ; sa devise : travail, justice, solidarité ; son hymne national « Liberté ». Le 10 novembre 1958, la constitution est adoptée et Sékou Touré devient en janvier le premier Chef du nouvel État. Cependant, la France refuse de parrainer la candidature guinéenne aux Nations Unies et, après avoir failli opposer son veto, s'abstient lors du vote au Conseil de Sécurité et à l'Assemblée générale ; la Guinée est néanmoins admise à l'ONU le 12 décembre 1958, avec le parrainage de certains 43

pays dont le Ghana, les États-Unis, le Japon, la Tunisie, la Grande-Bretagne et l'URSS. Diallo Telly, un jeune Guinéen servant dans l'administration française et revenu se mettre au service du pays, est nommé par le Président Sékou Touré, Ambassadeur auprès de l'O.N.U., ainsi qu'à Washington. Proclamée le 2 octobre 1958, l'indépendance était la suite logique du vote historique du 28 septembre 1958. À cet effet, peu de pays ont soulevé au moment de leur indépendance, autant d'espoirs que la Guinée. Dotée d'un potentiel humain et économique exceptionnel, c'était la première colonie africaine de la France, sur les 16, à rompre ses liens avec la métropole. Guidée par un leader au grand prestige, la Guinée fut l'un des premiers pays à embrasser résolument la voie socialiste du développement sur le continent africain, l'un des tous premiers à pratiquer le nonalignement, et l'un des plus engagés pour le soutien aux mouvements de libération sur le continent, et pour la réalisation de l'unité africaine. De ce fait, le nouvel État apparaissait à tous, comme une expérience pilote, et beaucoup parmi les jeunes cadres et intellectuels africains, du tiers monde et d'ailleurs, le considéraient avec sympathie, avec intérêt et même avec enthousiasme. Puis, que de difficultés rencontrées, que d'obstacles à surmonter, que d'oppositions à vaincre, que de déceptions enregistrées, que d'excès commis, qui ont été soulignés avec virulence par ses détracteurs, avec regret par ses partisans, avec honnêteté par bien de ses dirigeants eux-mêmes. Comme il fallait s'y attendre, cela a conduit à l'isolement du pays pendant de longues années, à l'échec économique, au cycle infernal du complot permanent et de la terreur permanente, qui ont conduit tout logiquement aux violations permanentes des droits de l'homme, conséquences inattendues d'une divergence initiale ayant abouti à une rupture brutale.

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1 - L'épopée d’un peuple dans la construction d’une nation, ou le défi du P.D.G.–R.D.A. Année 1958 28 septembre : le NON au référendum. 2 octobre : proclamation de l'indépendance dans la liesse populaire. - 1er novembre : création de l'armée guinéenne - Adoption de la loi constitutionnelle n° 4/AN /58 du 10 novembre, promulguée le 12 novembre 1958. C'était la première Constitution de la République de Guinée. Elle instituait un modèle d'État national unitaire et fortement centralisé inspiré du modèle français dit "modèle jacobin", avec comme principales caractéristiques : - Un exécutif dominé par le Président de la République élu au suffrage universel, avec des pouvoirs étendus et rééligible sans limitation de mandat. Réf. : - Art. 21, le pouvoir du gouvernement de la République est exercé par le Président de la République assisté d'un cabinet. - Art. 22, le Président de la République est élu pour 7 ans au suffrage universel à la majorité absolue au premier tour et à la majorité relative au second tour. Il est rééligible. - Art. 23, le Président de la République assure l'exécution des lois. Il nomme à tous les emplois de l'Administration publique. Il nomme à tous les emplois et fonctions militaires. - Un parlement dont le pouvoir de contrôle était limité par la toute puissance de l'institution présidentielle. - Une administration du territoire placée sous l'autorité directe de l'exécutif, à travers un personnel de commandement nommé par le Président. - Des responsables locaux non élus mais désignés. - Une Institution judiciaire aux ordres, avec des magistrats dont la carrière dépendait du bon vouloir de l'Exécutif. On notera qu'à la fin de l'année 1958, la plupart des cadres français quittent le pays, emportant les archives, l'état civil, les dossiers techniques, une partie du matériel, détrui45

sant même certains équipements. Les projets d'investissements sont stoppés net (à l'exception de l'usine d'alumine de Fria, gérée par la société française Pechiney). Les transactions commerciales se ralentissent très vite, cependant que les marchandises guinéennes sont refoulées dans certains ports français et des cargaisons vers la Guinée déroutées. Les transferts financiers s'interrompent progressivement. La communauté française résidant en Guinée s'inquiète et beaucoup préparent leur départ. Cependant, venus de France ou d'autres pays, notamment des territoires voisins, nombre d'intellectuels progressistes sont venus se mettre avec enthousiasme à la disposition du jeune État. De nombreux étudiants guinéens n'hésitent pas à interrompre leurs études pour rentrer en Guinée. Des adversaires politiques du P.D.G., ayant pris conscience des enjeux, se sont mis à la disposition du nouveau régime. Dénué de ressources et dépourvu de moyens, le gouvernement lance le mot d'ordre « d'investissement humain » et obtient que de nombreux travailleurs volontaires s'emploient gratuitement sur les chantiers les plus urgents. Cette ferveur est manifeste au début. Cependant, elle faiblira à mesure que les difficultés se multiplieront. En effet, au fil du temps, les fournitures manquent et les pièces de rechange font défaut. L'entretien du matériel devient défaillant et les biens de consommation se font plus rares. Au même moment, le départ progressif des Européens entraîne un net ralentissement au niveau de l'emploi, du commerce et de la production. Il se trouve que les nouveaux équipements soviétiques, livrés pour pallier le blocus de la France, sont mal connus et mal adaptés aux besoins du pays. En plus de tout cela, les premiers experts venus des pays de l'Est ont non seulement du mal à se faire comprendre des Guinéens, mais il leur faut aussi du temps pour connaître la Guinée. Pendant ce temps, Sékou Touré ne cesse de s'attaquer à ses anciens compagnons de lutte qu’il apostrophe en les désignant comme « ceux qui préfèrent le pain beurré dans l'enceinte de la prison au plat de manioc cultivé par eux ». À son tour il reçoit comme une condamnation une déclaration du président Félix Houphouët-Boigny : « Si la France 46

donnait une préférence à ceux qui ont fait sécession contre ceux qui ont choisi la communauté, alors la sécession guinéenne ferait tâche d'huile ». Pour Sékou Touré la cause est désormais entendue : il pense que le Président Houphouët fera tout pour le brouiller avec la France et asphyxier la Guinée. Pour échapper au piège, il faut trouver d'autres amis. Un choix stratégique était tout trouvé, et c'est ainsi que Sékou Touré se tourne vers le rival du leader ivoirien en Afrique de l'ouest : le Ghanéen Kwamé Nkrumah. Pour concrétiser ce choix, le Président Sékou Touré se rend en novembre 1958 au Ghana, devenu indépendant en mars 1957, où N'Krumah lui réserve un accueil chaleureux. Les deux hommes partagent le même engagement idéologique et ont la même foi en l'unité africaine et en la dignité et la nécessaire liberté de l'homme africain. Le 23 novembre 1958, Sékou Touré et N'Krumah signent l'Union Ghana- Guinée, qu'ils considèrent comme le point de départ des États Unis de l'Afrique de l'Ouest. Trois ans plus tard, Modibo Keïta,Président du Mali, devenu indépendant en 1960, y associe son pays. À partir de ce moment, l'objectif devient l'unité du continent tout entier. Toutefois, la Guinée est en butte à un obstacle de taille, celui du « blocage » de la France à l'O.N.U. Pour y faire face, le Président Sékou Touré fait venir le 7 décembre 1958 maître Naby Youla, un haut cadre guinéen en service dans l'administration française, membre du cabinet de Modibo Keïta alors Secrétaire d'État dans le gouvernement français. Il reçoit pour mission le déblocage de la situation au niveau du général de Gaulle. Assurément une mission impossible de prime abord. Et pourtant, contre toute attente, la mission est couronnée de succès car, le 12 décembre 1958 la Guinée est admise à l'ONU comme 82ème membre et 8ème pays africain. En janvier 1959 : les premiers protocoles sont conclus avec la France, équivalant à une reconnaissance de fait ; les relations diplomatiques sont établies, des chargés d'affaires puis des ambassadeurs échangés. Juste récompense des choses, maître Naby Youla est nommé le 7 janvier 1959 comme premier Ambassadeur de Guinée à Paris. La Guinée 47

devant rester dans la zone franc, de même une assistance technique et administrative est prévue. Le protocole sur les échanges culturels assure une large place au français, qui demeure la langue officielle. Cependant, les mois qui suivent n'ont pas permis de voir ces protocoles officiellement concrétisés. En effet, Sékou Touré considère les textes comme partiellement inadaptés à la nouvelle situation où la Guinée tient à pratiquer, à l'échelle du monde, la politique de neutralisme positif, qui doit conforter ses relations et sa coopération avec l'Est comme avec l'Ouest. Toujours soucieux de prévenir l'encerclement et se démarquer de la France et de ses « États valets », Sékou Touré se rend en juillet 1959 à Sanniquellé au Liberia. À cette occasion est créée la communauté des États africains indépendants regroupant les deux pays et le Ghana. En plus de l'isolement géographique, il faut aussi éviter la marginalisation diplomatique. C'est dans cette optique qu'il faut situer la convocation à Conakry le 11 avril 1959 de la Conférence de solidarité afro-asiatique présidée par le Président Sékou Touré. Pendant ce temps, le climat continue à se dégrader avec la France. Finalement, l'attitude des autorités financières françaises et les transferts importants effectués par les particuliers et sociétés toujours présents en Guinée, amène Sékou Touré à engager son pays, le 1er mars 1960, à quitter la zone franc et à créer le franc guinéen. Dans l'atmosphère de suspicion qui s'instaure, les accusations de complot profrançais que lance Sékou Touré le 20 avril 1960 n'étonnent pas vraiment. Les services secrets français sont mis en cause, ainsi que le Sénégal et la Côte d'Ivoire, dont les frontières abriteraient des préparatifs militaires. Des arrestations ont lieu, parmi lesquels deux français (Dr Rossignol et le pilote Pierre Bachelard). En avril à Kankan, s'ouvre la deuxième conférence nationale, qui décide le lancement du premier plan de développement (le plan triennal). Ce premier plan triennal essaie de parer au plus pressé, car tout est à faire. La socialisation de l'économie amorcée dès janvier 1959 par la 48

création du Comptoir guinéen du Commerce extérieur (C.G.C.E.) se poursuit par des nationalisations et des confiscations qui touchent souvent des intérêts français. Les banques sont nationalisées en 1960, et d'autres entreprises au fur et à mesure des besoins. Les biens laissés par les Français deviennent «biens vacants». En janvier 1961, les premières élections présidentielles consacrent le choix de Sékou Touré comme Président de la République de Guinée, confirmant sa nomination de janvier 1959 par l'Assemblée nationale. Il faut préciser qu'en France, la classe politique est divisée sur la façon dont les problèmes guinéens sont traités par leur Gouvernement. Pour mieux exprimer leur compréhension, voire leur solidarité avec le régime en place à Conakry, Pierre Mendès-France, François Mitterrand et l'ancien gouverneur Mauberna décident de faire le déplacement à Conakry pour assister à la 4e Conférence nationale qui a lieu en août 1961 à Conakry. C'est à cette occasion que fut décidée la réforme de l'enseignement, la réforme bancaire et la création de sociétés et entreprises d'État. Dans le domaine des relations bilatérales, il faut signaler la nationalisation des Bauxites du Midi, dont les cadres français sont remplacés par des experts venus des pays de l'Est. Au moment où l'Union soviétique se voyait confier une partie de l'exploitation de la mine de bauxite de Kassa, à la fin de 1961 les soviétiques se voient déjà accusés d'avoir joué un rôle dans l'agitation gauchisante des étudiants et des intellectuels (complot des Enseignants). La suite ne se fait pas attendre car, le 26 décembre, L'ambassadeur Solod est invité à quitter la Guinée. Le tout puissant ministre soviétique Mikoyan, dépêché d'urgence à Conakry, a dû repartir sans succès. Coïncidence ou pas, il faut rappeler que quelques mois auparavant, le 17 février 1961, un nouvel Ambassadeur américain avait été nommé à Conakry par le Président Kennedy pour remplacer John Morrow, un universitaire noir nommé par le Président Eisenhower : il s'agit de William Attwood, un journaliste qui se révélera très tôt comme un avocat convaincu de Sékou Touré. Quelques mois plus tard, l'escale de Conakry est refusée aux avions 49

soviétiques pendant la crise des fusées et le blocus de Cuba par les américains. Cependant, les accords économiques et culturels ne sont pas interrompus. Dès 1961, le commerce avec l'Est représente déjà un tiers des échanges de la Guinée. En 1959, un premier prêt de 35 millions de dollars est accordé à la Guinée, suivi de plusieurs autres. De ce fait, en 1967, l'aide totale avoisinait 80 millions de dollars. Parmi les projets réalisés par l'Union soviétique à Conakry, il faut notamment mentionner l'hôtel Camayenne et l'Institut Polytechnique Gamal Abd el Nasser. À cela sont venus s'ajouter des professeurs, des experts, du personnel médical. Il aurait été injuste de passer sous silence ou de minimiser le rôle de cette aide qui avait permis à la Guinée de surmonter une phase difficile, d'éviter l'isolement et de démarrer son développement. Quant aux relations avec la Chine, elles sont bonnes bien que plus modestes. On notera un prêt sans intérêts de 25 millions de dollars en 1960, la construction à Conakry d'une usine de cigarettes et d'allumettes, d'un barrage hydro-électrique à Pita (Kinkon), d'une plantation et d'une usine de thé à Macenta en Guinée forestière, ainsi que la construction du Palais du Peuple dans la capitale. Les rapports continueront de se développer et la Chine deviendra vers 1970, le troisième partenaire commercial de la Guinée, grâce notamment aux fournitures de riz. En 1962 c'est l'indépendance de l'Algérie qui va contribuer à une brève amélioration dans les relations avec la France. Il faut rappeler que le Président guinéen est un avocat passionné de la cause algérienne, dont il défend les thèses dans le « groupe de Casablanca ». La Guinée est alors l'un des rares pays qui reconnaissent le G.P.R.A., le Gouvernement provisoire de la République Algérienne, et qui accueille à Conakry un Ambassadeur algérien jouissant de toutes les prérogatives diplomatiques, malgré les démarches et pressions exercées par la France. Pendant ce temps « l'idylle » continue avec les États-Unis. Reçu en 1962 par John F. Kennedy à Washington, Sékou Touré promet aux entreprises américaines déjà partenaires de la Compagnie des bauxites de Guinée (C.B.G.) que : « Jamais la bauxite ne sera nationalisée ». Les milieux d'affaires n'en demandaient pas 50

davantage. Cette amorce de virage n'est pas passée inaperçue pour toute la classe politique française C'est à cette période que le député André Bettencourt, qui avait créé un groupe parlementaire d'amitié France Guinée, décide de venir assister au 6ème Congrès du P.D.G. En mai 1963, une importante délégation conduite par El Hadj Saïfoulaye Diallo se rend en France pour régler le contentieux franco-guinéen. Il est assisté des ministres Ismaël Touré, Diakité Moussa, et de Diallo Alpha Abdoulaye Porthos alors secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, et des Ambassadeurs Naby Youla et docteur Nanamoudou Keïta. À cette occasion, trois nouveaux accords sont signés dans les domaines financier, commercial et de la coopération technique. Cela venait s'ajouter à la signature en 1962 d'un accord aérien entre les deux pays. Toutefois, l'embellie sera de courte durée. En effet, après le retour de la délégation, si personne ne pouvait nier les résultats très positifs obtenus, il s'est trouvé des collaborateurs dans l'entourage du Président pour lui dire qu'en fin de compte, El Hadj Saïfoulaye Diallo serait le principal bénéficiaire des retombées de cette mission, en termes de popularité. Du 16 au 18 avril 1964, s'est tenue à Guékédou la 2e session du Conseil National de la Révolution (C.N.R.). Ce fut l'occasion de tirer les leçons du premier plan de développement et en même temps procéder au lancement du deuxième plan, appelé plan septennal. Au cours de cette même année 1964, Telli Diallo est élu Secrétaire général de l'O.U.A., le premier dans la fonction. Pendant ce temps, dans le domaine des relations extérieures, on note un début de détérioration du climat des relations avec la France. Il faut préciser que la radicalisation du régime était déjà en cours. En France, au même moment, si certains milieux évaluaient à leur juste valeur les problèmes auxquels la Guinée se trouvait confrontée, et souhaitaient voir la France y apporter son aide, d'autres par contre, multipliaient les contacts avec les opposants guinéens installés principalement en France, au Sénégal et en Côte d'Ivoire. Sur le plan intérieur, pendant ce temps, le régime se 51

radicalise et les difficultés économiques augmentant, les mécontentements enregistrés sont d'office assimilés à des complots. Il s'en suivait : des arrestations, des emprisonnements, des exécutions extrajudiciaires. Pour compléter le scénario, il y avait toujours la mise en cause de services extérieurs (services secrets français, allemands ou américains), ou des pays jugés hostiles à la Guinée (France, Sénégal, Côte d'Ivoire), reconnus comme pays d'accueil de l'opposition guinéenne. Constatant la dégradation de la situation et la retombée de l'enthousiasme du début, le président Sékou Touré promulgue la loi cadre du 8 novembre 1964, qui stigmatise la corruption, l'opportunisme, la bureaucratie entre autres, et plus précisément : la limitation du nombre des commerçants, la peine capitale pour le trafic aux frontières, la suppression des licences d'import-export pour les commerçants privés et le monopole des sociétés d'État, la fin de l'exploitation privée du diamant et la fermeture de la bourse du diamant à Kankan, la réorganisation du Parti à la base, la vérification des biens de tous les responsables administratifs et leur confiscation éventuelle. Après divers incidents, le complot des commerçants fut suivi finalement par la rupture complète des relations avec la France. Auparavant, il faudra noter au cours de la même année la tenue de la 3ème session du C.N.R. du 7 au 11 juin 1965 à N'Zérékoré ; c'est elle qui a institué les normes de production ciblant particulièrement la couche paysanne. Le complot qui s'en est suivi, celui des commerçants, fut baptisé complot Petit Touré, du nom d'un cousin de Sékou Touré, revenu en Guinée après un long séjour en Côte d'Ivoire où il avait fait fortune : motif, dépôt au Ministère de l'Intérieur le 11 septembre 1965 des statuts du PUNG (Parti de l'unité nationale guinéenne). Il faut préciser qu'à l'occasion de ce complot, deux Ministres français ainsi que Jacques Foccart et l'ambassadeur de France, sont mis en cause par le Comité révolutionnaire en charge de l'enquête. Comme conséquence, le 17 novembre 1965, l'Ambassadeur de France est invité à quitter la Guinée. En réponse, le Représentant de la Guinée en France est invité à son tour à 52

quitter Paris. Puis, cinq jours après, Conakry annonce la rupture des relations diplomatiques avec la France. Elles ne seront reprises que dix années après. 1965 : Le renversement par coup d'État de ses amis Ben Bella par Boumediene en 1965 et Kwamé N'Krumah alors qu'il se trouvait en visite officielle à Pékin en février 1966, avait beaucoup marqué Sékou Touré. Après avoir en vain tenté de monter une opération militaire pour ramener ce dernier au pouvoir, Sékou Touré lui offre l'asile en Guinée, et le nomme co-président de la République. De ce fait, les relations avec la Côte d'Ivoire se détériorent, car les rapports entre Houphouët-Boigny et N'Krumah étaient tendus, et Sékou Touré attribuait à Abidjan une part de responsabilité dans le coup d'État. Au cours de la même année, plus précisément le 29 octobre, l'avion de la compagnie américaine Pan Am assurant le transport vers Addis-Abeba d'une délégation officielle guinéenne, conduite par le ministre des Affaires Étrangères Lansana Béavogui, est retenu lors de son escale à Accra par les nouvelles autorités militaires qui avaient renversé huit mois plus tôt le président N'Krumah. L'avion étant immatriculé aux États-Unis, il s'en est suivi une détérioration provisoire des relations avec ce pays. À cette occasion, des manifestations sont organisées devant l'ambassade des États-Unis et le Peace Corps est expulsé. Toutefois, dès l'année suivante, les relations se sont normalisées, confirmées par le voyage du ministre Ismaël Touré aux États-Unis. La chute de ses « amis » va donner l'occasion à Sékou Touré de boycotter les réunions de l'O.U.A. pendant douze années jusqu'en 1978. Il reprochait à ses pairs de l'O.U.A. d'accepter sans réagir même verbalement, l'élimination d'un de leurs collègues fondateurs de l'organisation. Toutefois la Guinée était chaque année représentée par des ministres ou, après 1972, par le Premier Ministre Lansana Béavogui. De plus, Diallo Telli qui avait été élu en 1964 Secrétaire général de l'O.U.A., y faisait preuve de dynamisme et d'intelligence, et sa personnalité brillante lui assurait une autorité et une influence internationale qui le posaient déjà aux yeux de certains en concurrent potentiel de Sékou Touré. Ce sera sans 53

nul doute le prétexte qui lui vaudra son arrestation douze années après, et la mort par diète noire en mars 1977 dans une cellule du camp Boiro. 1967 : On relèvera que le 19 janvier, un chalutier battant pavillon ivoirien, le Kerisper, est arraisonné dans les eaux territoriales guinéennes. Le 26 juin 1967, l'avion ramenant de New York le ministre guinéen des Affaires étrangères, Dr Lansana Béavogui, est dans l'obligation de se poser sur l'aéroport d'Abidjan à cause du mauvais temps. Les Autorités ivoiriennes à leur tour, retiennent en otage les officiels guinéens en représailles pour l'arraisonnement de leur chalutier à Conakry. Ils seront finalement libérés après négociations. Sur le plan intérieur, la chute de ses amis, Ben Bella (1965) et N'Krumah (1966) va être pour Sékou Touré l'occasion de prendre en main l'armée guinéenne, du moins à sa façon. En effet, cela se traduit par la création de la milice populaire et des comités de défense de la révolution, lors de la 9e session du C.N.R. tenue à Labé du 27 au 31 janvier 1967, le renforcement de la garde républicaine et de la gendarmerie nationale, mais surtout par la liquidation programmée des principaux officiers qui faisaient la fierté de notre armée nationale. 1968 : On notera au cours de cette même année, un début de normalisation des relations avec quelques voisins, dont le Sénégal. Ce qui sera confirmé par la signature à Labé en mars 1968, de la charte créant l'Organisation des États riverains du fleuve Sénégal (O.E.R.S.) projet cher au président Léopold Sédar Senghor, et dont le premier Secrétaire exécutif sera le Guinéen Baldé Oumar dit Baldé OERS. À cette occasion, en plus du Président sénégalais, les Présidents Modibo Keïta du Mali, et Moktar Ould Dada de Mauritanie ont fait le déplacement pour Labé. Pendant ce temps, avec la Sierra Leone, les relations s'intensifient lors du retour au pouvoir de Siaka Stevens. C'était un ami de longue date de Sékou Touré et leader de l'opposition. Devenu Premier ministre après les élections de 1967, il fut renversé immédiatement par un coup d'État. Il s'exila en Guinée pendant plusieurs mois jusqu'au retour des civils au pouvoir en 1968, grâce à un autre coup d'État. 54

Comme conséquence, un traité de défense mutuelle est signé en 1971, ainsi lorsque Siaka Stevens se jugera menacé par une faction de l'armée, des troupes militaires guinéennes renforcées par des avions seront envoyées pour le protéger jusqu'en 1974. De même, les relations avec le Liberia auront toujours été excellentes, notamment sous le Président Tolbert dont les options idéologiques étaient pourtant à l'opposé de celles du Président guinéen. Sur le plan international, la Guinée était à l'avant-garde en ce qui concernait le soutien aux mouvements de libération nationale. À cet effet, Sékou Touré n'hésita pas à permettre l'utilisation du territoire guinéen par le PAIGC (Parti Africain pour l'indépendance de la Guinée Bissau et du Cap Vert) d'Amilcar Cabral et ses combattants qui luttaient pour la libération de leurs pays. Il en sera de même pour certains camps militaires dont celui de Kindia, situé à 150 km de Conakry, qui seront chargés de la formation des combattants de l'ANC en lutte contre l'apartheid en Afrique du Sud. D'un autre côté, malgré l'importante aide et les très bonnes relations existant avec Israël à l'époque, la Guinée n'hésita pas à rompre ses relations avec ce pays après la guerre des Six jours en 1967. Ainsi se trouvera facilité l'accueil des palestiniens sur le territoire guinéen. Les 27 et 28 septembre 1968, transfert à Conakry des restes des héros Almamy Samory Touré et Alpha Yaya Diallo, venant respectivement du Gabon et de la Mauritanie. Ce fut l'occasion de grandes mobilisations tout le long du parcours reliant l'aéroport au stade du 28 septembre, lieu retenu pour les cérémonies officielles. Année 1970 : Elle s'annonçait comme celle de la réconciliation avec la France. En effet, avec le départ de l'Élysée du général de Gaulle l'année précédente, et l'avènement du Président Georges Pompidou, les conditions d'un rapprochement semblaient réunies. Pour preuve, l'accueil amical réservé à une mission diplomatique française envoyée en Guinée quelques mois auparavant. D'autre part, le Président Sékou Touré s’est fait représenter par le ministre Lansana Béavogui lors des obsèques du général de Gaulle, 55

décédé le 9 novembre 1970. Mais quelques jours après, eut lieu le débarquement du 22 novembre 1970 (jour anniversaire du général, remarque Sékou Touré, toujours sensible aux signes) qui rendra durablement impossible toute réconciliation et entraînera le régime guinéen dans une période de répression et de radicalisation accrues. Plusieurs milliers de Guinéens seront arrêtés et tués à cette occasion. Concernant ce débarquement il faut rappeler que les portugais avaient à l'origine organisé cette opération pour libérer certains de leurs militaires détenus en Guinée, et plus précisément à Conakry, après avoir été faits prisonniers lors des combats sur la frontière de la Guiné-Bissau. On parlait même de la présence du fils d'une haute personnalité portugaise parmi les prisonniers (le maire de Lisbonne). Ils espéraient faire d'une pierre deux coups, en mettant hors d'état de nuire l'État major du mouvement PAIGC installé dans la banlieue de la capitale sous la direction d'Amilcar Cabral, et libérer leurs prisonniers. Après en avoir informé dit-on les services français et américain, ils associèrent à leur expédition des opposants exilés guinéens, installés en France et dans des pays limitrophes de la Guinée, dont le Sénégal et la Gambie. Ces derniers avaient quant à eux pour objectif la chute du régime de Sékou Touré, même s'ils n'avaient pas réussi jusqu'au dernier moment à se mettre d'accord sur son futur successeur. Le débarquement eut lieu sur plusieurs plages de Conakry dans la nuit du 22 novembre 1970. La surprise fut totale et la réaction initiale confuse, ce qui a fait dire à Sékou Touré qu'il y aurait eu complicité sur place. Les Portugais parviendront à libérer tous leurs prisonniers détenus à Conakry dans les prisons du PAIGC. Ils réussiront également à pénétrer au camp Camayenne devenu depuis 1969 camp Mamadou Boiro, du nom du commissaire de police largué d'un hélicoptère par des parachutistes qu'il convoyait de Labé à Conakry. Il est situé au centre de la capitale Conakry. Ils repartiront au petit matin vers le large, après avoir procédé à la libération de tous les détenus incarcérés au camp Boiro. Dans leur fuite, ils ne se sont pas préoccupés des Guinéens débarqués. De ce fait, certains pensaient que nos compatriotes avaient une autre mission 56

distincte de celle des portugais, à moins qu’ils n’aient été en tant qu’opposants exilés, une monnaie de change préalablement négociée à leur insu et celui du président Cabral par le président Sékou Touré en échange des prisonniers portugais. On notera cependant, qu'à l'exception du camp Boiro et de la centrale électrique de Tumbo qui furent maîtrisés par les assaillants, seul le camp Samory, situé dans la presqu'île fut le théâtre d'une réelle bataille. Par contre, des cibles très importantes et stratégiques furent « ignorées », ou « évitées » telles que : la Présidence de la République, la Radiodiffusion, l'aéroport de Conakry. À la décharge de nos militaires, il faut préciser que si les armes indispensables pour la défense de la capitale se trouvaient dans des locaux situés dans les camps militaires, les clefs étaient détenues par le Président Sékou Touré en personne. C'est l'explication des lourdes pertes enregistrées au camp Samory dans les rangs de nos militaires. La milice populaire rassemblée à la hâte, avait dû livrer de très durs combats pendant toute la durée de la nuit et dans la journée du lendemain. Au cours de la matinée, le Président était intervenu à la Radio pour lancer des appels à la mobilisation populaire. Finalement les assaillants restés dans la capitale seront réduits, laissant derrière eux un lourd bilan évalué par les autorités à plus de 300 morts parmi la population. Cependant, déplorant les pertes, constatant l'inefficacité et la confusion qui ont caractérisé les premières réactions contre l'agression, le Président en déduit qu'il y a eu de nombreuses complicités. Ainsi, Sékou Touré va entraîner le pays dans une intense période de répression qui s'étendra sur plusieurs années. En effet, fort du soutien international, avec l'O.U.A. et l'O.E.R.S. qui avaient fustigé l'opération, et le Conseil de Sécurité qui l'avait condamnée et envoyé une commission d'enquête en Guinée, Sékou Touré accusera l'Allemagne fédérale dont un diplomate avait été tué lors des combats, fera arrêter des ressortissants allemands vivant en Guinée et provoquera la rupture des relations diplomatiques avec ce pays, relations qui n'avaient pourtant cessé de se développer favorablement au cours des années précédentes. La France 57

fut également mise en cause, et plus d'une vingtaine de Français furent arrêtés, ainsi que des Libanais, un Grec, un Tchèque. À noter que l'Amérique fut placée à cette occasion au-dessus de tout soupçon, et cela, malgré l'expulsion du corps de la paix, et les dépositions des membres du gouvernement et hauts cadres de l'État « avouant » être des membres actifs de la C.I.A. Pour ne pas déroger à la règle, cette fois-ci encore, le Sénégal et la Côte d'Ivoire furent la cible de violentes attaques. Quant à la Gambie, le Président Dawda Kaïraba Diawara n'avait pas hésité à livrer à Conakry, par deux vols charters d'Air Guinée, des ressortissants guinéens arrêtés lors de rafles nocturnes dans sa capitale, Banjul. Il pensait ainsi échapper à la vindicte de son bouillant voisin, sans peut-être se douter qu'il les envoyait à l'échafaud car ils furent tous massacrés. À cette occasion, la plupart des rares entreprises privées qui subsistaient encore furent nationalisées, pendant que les propriétaires croupissaient à Boiro. Il s'agit entre autres de : Plastiques de Guinée et Constructions métalliques de Dixinn du groupe Constantin ; Entreprise Ely Hayeck de Labé ; Fruitaguinée de Touré Sékou Sadibou ; Société des Brasseries de Guinée ; Hôtel Gbessia, usine de carreaux de Manéa du groupe suisse de Coficomex. Mais les arrestations concernent surtout les Guinéens toutes ethnies et toutes classes sociales confondues. En effet, on dénombrera au fil des arrestations et des mois de nombreux responsables politiques et administratifs dont : une vingtaine de ministres en exercice, des ambassadeurs, des gouverneurs et préfets, la majorité des officiers supérieurs, l'archevêque de Conakry arrêté le soir de Noël, des hommes en uniforme, des ouvriers, des paysans et mêmes des ménagères. Les Comités révolutionnaires obtenaient par la torture, des aveux et de nouvelles dénonciations. Les dépositions des membres dits de la « cinquième colonne » furent publiées dans un livre blanc de 2 volumes. Le procès tenu en janvier 1971 en l'absence des accusés aboutit à 91 condamnations à mort. À Conakry, quatre personnes furent pendues dans la nuit du dimanche au lundi 25 janvier 1971, au pont du 8 novembre. 58

Le matin, le lieu fut envahi par la population dans une atmosphère funèbre de liesse populaire. Il s'agissait de : - Barry Ibrahima dit Barry III, ancien leader du parti D.S.G., ancien ministre. - Magassouba Moriba, ancien ministre - Baldé Ousmane, ancien ministre, gouverneur de la B.C.R.G. - Keïta Kara de Soufiana, ancien commissaire de police. L'épuration se poursuivra pendant plusieurs mois, des milliers de personnes seront interrogées, beaucoup d'entre elles seront incarcérées à Boiro et dans les prisons des régions. Nombre de ces détenus ne reviendront jamais et quelques centaines seulement seront progressivement libérés. Du 24 au 26 Avril 1972, c'est la tenue à Conakry du 9ème Congrès du P.D.G. C'est à cette occasion que fut décidée la Création du poste de Premier Ministre dont le premier et unique occupant jusqu'à la fin du régime sera Docteur Lansana Béavogui, originaire de la Guinée forestière. Le 2 octobre 1972. Ce sera le lancement d'une nouvelle monnaie, le SYLI. L'année 1972 marquera aussi les débuts d'une tentative de normalisation des relations avec la Côte d'Ivoire et le Ghana, après l'avènement d'un gouvernement civil dans ce dernier pays et le décès du Président N'Krumah. C'est ainsi que Sékou Touré qui a invité Félix Houphouët-Boigny à Faranah le 27 juillet 1972, lui propose une réconciliation sous condition : à savoir qu'il lui livre les réfugiés guinéens résidant en Côte d'Ivoire. Cette demande sera bien évidemment rejetée par le président Houphouët Boigny. Senghor en fera de même, suite à la même demande. Par réaction, Conakry reprend ses accusations contre Abidjan et Dakar. Comme conséquence, le 18 septembre 1973, suite à la détérioration des rapports de bon voisinage, le Sénégal décide de rompre les relations diplomatiques avec la Guinée. L'année 1973 commença en janvier par un très grave événement qui va endeuiller la Guinée et nos frères de Guinée-Bissau en pleine lutte de libération contre le colon portugais. C'est l'assassinat à Conakry dans sa villa, du leader du PAIGC Amilcar Cabral, par un soit-disant 59

dissident qui en réalité était au compte des services secrets portugais. Année 1974 : Sur le plan intérieur, le pays commence à se remettre lentement des effets de l'agression et cela apparaît dans ses relations extérieures. En effet, la Guinée va s'engager avec plus d'ardeur dans son soutien aux mouvements de lutte de libération. Elle va de nouveau permettre aux soviétiques et aux cubains d'utiliser l'aéroport de Conakry pour le transit des troupes et du matériel qui aideront le MPLA et Agostinho Neto à libérer l'Angola, et à s'installer à Luanda au début de 1975. Les délégations se succèdent à Conakry parmi lesquelles de hautes personnalités soviétiques, des Présidents Fidel Castro de Cuba, Khadafi de la Libye, Neto de l'Angola, Mengistu d'Éthiopie. Ainsi l'on peut dire qu'à partir de 1974, la Guinée était entrée dans une nouvelle phase, caractérisée par des réconciliations spectaculaires avec l'Allemagne fédérale et la France, puis avec le Sénégal et la Côte d'Ivoire. Les deux premières sont négociées sous l'égide des Nations Unies, à la suite du voyage en Guinée en mars 1974 du Secrétaire général Kurt Waldheim. Les négociations aboutiront à la libération de trois citoyens allemands, et à la normalisation des relations avec l'Allemagne le 22 juillet 1974, grâce à l'action du diplomate onusien André Lewin, de nationalité française mais d'origine allemande. Sur le plan intérieur, la politique ne peut masquer l'échec économique à tel point que l'année 1975 qui est une année de grande famine, va être baptisée année Cheitan (année de Satan). Mais comme toujours, la politique revient au devant de la scène avec la création à Lagos au Nigeria, de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (C.E.D.E.A.O.), le 28 mai 1975, grâce à la contribution déterminante de certains leaders du moment, dont Sékou Touré fait partie. Le 13 juillet de la même année à Bamako au Mali, annonce faite par le Président Sékou Touré de la reprise des relations franco-guinéennes rompues depuis 1965. La médiation concernant la France s'avérera plus complexe, et l'avènement du Président Valéry Giscard d'Estaing favorisera 60

l'initiative de gestes indispensables à la normalisation des relations qui interviendra le 14 juillet 1975, en même temps que la libération des Français détenus au camp Boiro. L'échange d'Ambassadeurs s'en suivra l'année suivante. Année 1977. Elle commence en janvier par la signature avec la France d'un accord réglant le contentieux financier. Puis au mois d'août, c'est la grande surprise avec la révolte des femmes contre les restrictions et humiliations dans les marchés. Il faut rappeler que beaucoup de familles ne survivent que grâce à l'apport des femmes dans le ménage. Désavoué et menacé lors de son discours au palais du peuple, le Président avait du battre en retraite pour échapper à la vindicte populaire. Il sera finalement contraint deux jours après de désavouer publiquement sa police économique lors d'une rencontre avec les femmes au Palais de la Présidence. Pour une fois, on ne parla pas de complot. Cependant, il y eut plusieurs centaines d'arrestations au niveau des responsables politiques et des femmes des marchés de Conakry et de l'intérieur du pays. L'année 1978 : Le 18 mars, c'est la réconciliation avec le Sénégal et la Côte d'Ivoire, à l'occasion du sommet de Monrovia suscité par les démarches du Président William Tolbert du Liberia, sous les auspices d'un Comité de l'Organisation de l'Unité africaine (O.U.A.), comprenant les chefs d'État du Liberia, du Togo et de la Gambie. Par la suite, les frontières se rouvrent, permettant de rétablir un courant d'échange de personnes et de marchandises depuis longtemps interrompu. Une amnistie est décidée par le Président Sékou Touré, et un appel est lancé aux exilés pour qu'ils retournent au pays. Cependant, peu d'entre eux reviendront se fixer. Toutefois, bon nombre d'exilés profiteront du climat de libéralisation pour rendre visite à leur famille restée en Guinée. Par contre, les chefs de file de l'opposition choisiront par prudence de ne pas faire le déplacement. 1978 - Ce sera aussi l'année de la confirmation et de la consolidation des bonnes relations avec la France. On notera la visite en novembre de monsieur Edgar Faure, alors 61

Président de l'Assemblée Nationale, suivie le 21 décembre de la visite du Président français Valéry Giscard d'Estaing. Après la réconciliation avec la France, et suivie plus tard par celle avec les pays voisins, l'étau semble se desserrer favorisant du même coup une réelle détente à l'intérieur du pays. Le régime ne se sentait plus menacé de l'extérieur. En effet, divers gestes très significatifs sont venus conforter le Président Sékou Touré dans son analyse. Pour preuves, l'opposition n'avait plus droit de cité à Paris comme par le passé. Certains journaux et le mouvement Rassemblement des Guinéens de l'Extérieur (R.G.E.) étaient à présent interdits. Le livre « Prison d'Afrique », écrit par Jean-Paul Alata, un rescapé du camp Boiro avait été saisi, interdit d'édition en France mais publié en Belgique. Rassuré par l'attitude française, le régime entame un processus de libéralisation, notamment sur le plan économique. Le commerce privé est de nouveau autorisé, certaines contraintes supprimées, l'initiative privée encouragée. Les devises apportées par la mise en exploitation de la mine de Boké permettent de nouveaux équipements, des chantiers s'ouvrent et des missions d'industriels et de banquiers se font de plus en plus nombreuses. Sur le plan international, l'offensive diplomatique est tout simplement spectaculaire. Le Président multiplie les voyages et les invitations. Il assiste à tous les sommets de l'O.U.A. Il fait partie du comité des sages sur le Tchad, le Sahara occidental, propose sa médiation entre le Mali et la Haute Volta, lance des appels pour sauvegarder l'unité de l'O.U.A., dont il invite le XXe Sommet à se tenir en 1984 à Conakry sous sa présidence. Il prend des initiatives régionales, préside la réunion constitutive de l'Autorité du fleuve Niger, associe la Guinée à l'Organisation de la mise en valeur du fleuve Gambie, contribue à la création de l'Union du fleuve Mano, et à l'admission de la Guinée comme membre de la Umma islamique et assumera par la suite la présidence du Comité Al Quods. L'année 1979 sera aussi celle de la signature de plusieurs accords de coopération, et verra aussi le développement régulier de la coopération et des relations commerciales. Il 62

s'en suivra un accroissement de la communauté des ressortissants français qui va doubler à la faveur des contrats signés par des entreprises françaises. 13 mai 1979 : visite officielle du roi Juan Carlos d'Espagne à l'occasion du 14 mai, fête du Parti. Comme à l'accoutumée, ce fut l'occasion de libération de plusieurs détenus politiques des camps de Boiro et de Kindia dont je faisais partie après huit années de détention. Année 1980. La Guinée amorce de rééquilibrage qui se traduit par une nouvelle offensive diplomatique. Il s'en suit un début de ralentissement des activités avec les pays de l'Est, dont l'aide n'a pas comblé toutes les attentes de la partie guinéenne, sans pour autant oublier leur contribution combien salvatrice au lendemain de l'indépendance. Cependant, s'agissant de la Chine, de la Roumanie et de la Yougoslavie, les relations restaient très bonnes. Il faut croire que les « complots » n'ébranlent plus le pouvoir car, après sa réélection à la Présidence le 14 mai 1982 pour un quatrième mandat, le 16 septembre 1982 le Président Sékou Touré effectue une visite officielle en France. En retour, il était prévu pour l'année 1984 une visite en Guinée du Président français François Mitterrand, pour sceller des retrouvailles qui surprennent les sceptiques, désolent en France ceux qui n'ont pas pardonné le « non » de 1958, et choquent les mouvements de défense des droits de l'homme et les familles des disparus. Du 3 au 4 octobre 1983, ce sera la participation, pour la première fois, du Président Sékou Touré à la Conférence Franco-africaine de Vittel, qui traduisait non seulement un nouvel approfondissement de ses relations avec la France, mais aussi une analyse plus positive du concept de la francophonie. C'était aussi et surtout une façon de préparer le prochain sommet de l'O.U.A. prévu dans sa capitale en 1984. Les 21 et 22 décembre 1983. Tremblement de terre à Koumbia dans la préfecture de Gaoual à plus de 500 km de la capitale. Les anciens dans nos villages avaient interprété ce tremblement du mois de décembre comme le signe de la disparition d'un grand chef, sans en préciser le lieu ou la 63

date. Il faut croire que l'interprétation n'était pas erronée, car l'année qui suivit fut fatale pour le chef de l'État guinéen. Le lundi 26 mars 1984. Ayant multiplié les déplacements au cours des mois qui précédaient le Sommet prévu à Conakry, le Président Ahmed Sékou Touré meurt le lundi 26 mars, au cours d'une opération chirurgicale pratiquée dans un hôpital de Cleveland (États-Unis). L'évacuation faisait suite à un malaise cardiaque, survenu quelques jours auparavant. Ses obsèques qui ont eu lieu le vendredi 30 mars ont connu la participation de nombreux chefs d'État et de Gouvernement. Témoignages a - Pierre Messmer, Haut commissaire de l'A.O.F. en poste à Dakar en 1958. (1992) : « Sous prétexte d'assurer la sécurité des Français le jour du référendum, j'envoie à Conakry… à bord d'un navire de la marine nationale, une compagnie de parachutistes dans laquelle un solide commando a l'ordre écrit et signé de ma main de se faire remettre les milliards de francs et de les transporter aussitôt à bord du navire qui les ramènera à Dakar. J'ai insisté auprès du gouvernement pour retirer très vite notre administration et j'ai étendu le retrait aux fonctionnaires français des services fédéraux : douanes, police des frontières, sécurité maritime et aérienne, etc. Entre temps j'ai détourné et fait affecter à d'autres territoires les fonctionnaires français principalement dirigés vers Conakry à l'issue de leurs congés, et deux bateaux de riz qui devaient débarquer leur cargaison que personne ne pouvait payer ». b - Pierre Messmer, « J'étais et je suis encore certain qu'il était nécessaire en 1958 de traiter la Guinée sévèrement. Seule de tous les territoires à avoir voté « non », elle se trouve sous les projecteurs de l'actualité nationale et internationale. Son cas est devenu exemplaire. Nous devons, je dois, montrer à tous les autres qui ont voté pour la Constitution de la Vème République que les avertissements du général de Gaulle ne sont pas des paroles en l'air. » (1992). 64

c - Jacques Foccart parlant de la visite du général de Gaulle à Conakry. « Sékou Touré n'avait pas tenu compte du discours de Brazzaville, quant au général, il n'avait pas eu connaissance du discours de Sékou Touré… Les deux hommes se sont déjà entretenus et ce discours, écrit avant que le général de Gaulle ait prononcé le sien à Brazzaville, n'est pas du tout à jour. Toujours est-il que le général prend cela comme une agression à laquelle il répond, mais de façon très sobre avec noblesse... Sékou Touré voulait-il absolument l'indépendance ? Peut-être pas. Mais il était entraîné par son verbe, prisonnier de ses formules… Au fil des événements, il y aura une constante étonnante. Alors que Sékou Touré me tiendra pour son adversaire numéro un, occupé à comploter pour le faire assassiner, je le défendais pour préserver l'avenir, si bien que le général commentant les nouvelles de Guinée, me dira souvent «votre Sékou Touré ». d- Interview du général Chevance-Bertin, viceprésident du conseil d'administration de l'association d'amitié France-Guinée (Paris, 17 septembre 1982) Le journaliste : « Alors, mon général, la venue de Monsieur Sékou Touré à Paris, 24 ans après son « Non » historique au général de Gaulle qui devait l'exclure de la communauté française, on peut dire que c'est important pour la France, mais aussi pour la Guinée ? » c'est « Oui, Le général Chevance-Bertin : incontestablement un tournant pour la France et un tournant pour la Guinée. Vous faites très bien de commencer votre questionnaire par cette affaire. Il faut placer d'abord l'origine de cette rupture, sans quoi on ne comprendra rien des affaires de la Guinée, ni dans le passé ni dans le présent : la rupture, elle est la suivante. En 1958, le général de Gaulle vient en Afrique ; il a dans une main l'indépendance, et dans l'autre la communauté française, et il demande aux Africains : « qu'est-ce que vous voulez » ? Et Sékou Touré a dit : « nous voulons l'indépendance ». Vous voulez l'indépendance ? Vous serez punis. Allez, au revoir, terminé. » 65

Le journaliste : « Alors, c'est un peu curieux comme comportement, de la part du général de Gaulle. Il a décolonisé ensuite les autres pays d'Afrique. » Le général Chevance-Bertin : « Mais ce que vous dites est absolument juste. C'était inélégant d'abord, la façon dont nous avions fait. Si nous avions pu emporter les boutons des portes de l'ambassade, nous les aurions emportés. Nous avions laissé ce pays nu et cru. Nous l'avons livré aux risques qui n'attendaient que cela. C'était illogique car l'année d'après, on a accordé à tous les autres États qui ne l'avaient pas demandée l'indépendance. Et comme c'étaient des bons élèves qui n'avaient pas demandé l'indépendance, on la leur a donnée en disant : mais on ne vous donne pas seulement l'indépendance, on va vous donner beaucoup d'argent. Et pendant des années, on a donné à tous ces pays des moyens qu'on a toujours refusés à la Guinée. Et ceci a amené la Guinée à un déséquilibre par rapport aux voisins. Un malaise qui est une chose absolument certaine. A qui la faute ? Ce n'est pas à Sékou Touré. » (9) 2 – La dérive vers la dictature d’un homme et d’un parti ou le dépit de la République populaire et révolutionnaire de Guinée Après la mort de Sékou Touré survenue le 26 mars 1984, il n'aura fallu qu'une semaine pour que s'écroule un régime vieux de 26 ans. Il se trouve qu'avec le temps, l'homme du « NON » au général de Gaulle, si populaire en Afrique et dans le tiers monde au début de son règne, était devenu avant tout, au fil des ans, l'homme du camp Boiro et l'artisan de la décadence économique et politique de son pays. Toutefois, une chose frappe dans l'effondrement du régime de Sékou Touré : c'est la disparition quasi instantanée de ce qui semblait constituer la force de son pouvoir, son parti, le Parti Démocratique de Guinée (P.D.G.). Il y avait eu pourtant un précédent, à savoir la disparition après la chute au Ghana de Kwamé N'Krumah du C.P.P. (Convention People's Party), autre parti unique. Il se trouve que le P.D.G. guinéen, comme le C.P.P. ghanéen, était un parti de masse qui voulait rassembler la totalité de la population. Il faut rappeler que le 66

parti unique était à l'époque l'option privilégiée dans la plupart des nouvelles républiques (Mali - Congo-Kinshasa Togo - Congo-Brazza). Le parti unique se voulait un parti nation, qui pensait par ce biais reléguer à un second plan, avec l'espoir de pouvoir effacer les rivalités régionales et ethniques. Il se trouve qu'en Guinée, le phénomène avait fini par se radicaliser, car on avait dépassé la phase de parti nation pour déboucher à la phase du parti État. En un mot, un État qui prétendait assumer seul toutes les fonctions politiques, économiques et sociales essentielles à l'existence d'un pays. Comment en est-on arrivé là ? En fait, plusieurs événements personnels, familiaux, nationaux, régionaux, continentaux ou internationaux ont ponctué le cours de la vie de Sékou Touré, qui ont sans doute remodelé son environnement familial, influé son comportement, radicalisé ses positions et, par conséquent, ponctué sa carrière politique. Rappelons que Sékou Touré est né le 9 janvier 1922 à Faranah. Il est déjà adolescent lorsque sa maman épouse le père d’Amara Touré, son aîné, et Ismaël Touré, son cadet. Il prend alors le nom de son beau-père, Touré, et sans état d'âme, il saisit l'opportunité pour se proclamer descendant direct de l'Almamy Samory Touré, l'un des plus grands résistants guinéens, mort en déportation au Gabon le 2 juin 1900. En intégrant cette famille, il va au fur et à mesure de son ascension politique, profiter des avantages et en supporter les contraintes, les déviations et les bavures. Ayant intégré le nouveau foyer, sa maman décédera quelque temps après au cours d'un accouchement. Il en rendra responsable, à tort, le directeur de l'établissement. Ensuite, il est bloqué dans son parcours scolaire, ce qui sera pour lui un handicap pour son ascension sociale et une rancœur injustifiée contre son directeur d'école. En effet, n'ayant pu intégrer l'EPS, unique et prestigieuse école primaire supérieure du territoire, il sera orienté vers l'école professionnelle « Georges Poiret », ce qui ne lui permettra pas d'accéder aux postes de responsabilité auxquels il aspire. Il sera renvoyé de cet établissement pour insubordination, après avoir tenté de fomenter en janvier 1938 une grève de la 67

faim chez les écoliers, pour protester contre les corvées diverses auxquelles ils étaient astreints. Par la suite, un arrêté du gouverneur l'exclut définitivement de tous les établissements d'enseignement de la colonie. Il exerce alors en ville divers petits métiers manuels comme apprenti maçon ou aide ajusteur. Incapable de se plier durablement à la discipline scolaire, il n'en ressent pas moins le besoin de lire et de s'instruire. Alors débute pour lui une longue période de boulimie livresque et de culture autodidacte. Parmi ses lectures, des romans ou reportages dans lesquels des auteurs français donnent leur opinion sur l'Afrique, sur les qualités des Noirs, ou les méfaits de la colonisation. Il est impressionné par un livre publié en 1935 sous le titre : L'homme cet inconnu écrit par Alexis Carrel. Plus tard, il lui empruntera consciemment ou inconsciemment nombre de ses idées sur le comportement des êtres humains, le temps fini et infini, l'individu et la société. Il s'en inspirera pour forger sa formule souvent employée : « l'Homme ce connu inconnu et cet inconnu connu » qui sera le thème de beaucoup de ses discours. En 1940, il devient commis aux écritures à la compagnie du Niger français, l'une des plus grandes compagnies coloniales de l'époque. Après un peu plus d'une année de service, il met fin à son séjour à la suite d'un problème privé avec son directeur des achats. Par la suite, il est tenté par l'administration qui lui assurerait permanence de l'emploi et sécurité financière, mais l'effet de la guerre se faisant aussi sentir dans les colonies, les emplois sont devenus rares. Il songe un moment à s'engager dans l'armée, mais l'armistice imposé à la France par les Allemands en a tari le recrutement. Il parvient alors à obtenir un emploi dans les postes. C'est ainsi que, le 14 septembre 1941, la décision 2340/cp le nomme comptable auxiliaire à la station de la radio fédérale de Conakry. L'année suivante, il réussit le concours du cadre local des services financiers des P.T.T. de Guinée. La décision 2917/cp du 24 novembre 1942 l'intègre comme commis de 6ème classe, stagiaire du cadre local des commis des P.T.T. Toutefois, ses tentatives ultérieures pour passer d'autres concours dans cette administration échouent devant l'opposition de son chef de service qui lui reproche un 68

comportement revendicatif. Noté comme fonctionnaire de valeur moyenne, indiscipliné, plus préoccupé de politique et de syndicalisme que de son travail, il restera dans l'administration des postes pendant six ans, jusqu'au 26 avril 1948, date de sa démission à la suite de sa réussite au concours des cadres du Trésor. C'est donc aux P.T.T. qu'il commence son activité de syndicaliste et d'agitateur politique. Sans vraiment hésiter, et sans doute sur le conseil de ses camarades côtoyés par exemple au sein du Groupe d'Études Communistes (G.E.C.), Sékou Touré choisit la C.G.T. (Confédération Générale du Travail) à laquelle il restera fidèle pendant dix ans jusqu'à la naissance de la C.G.T.A. en 1956. Pour parfaire sa formation, il se rend en France à Gif-sur-Yvette pour intégrer une école syndicale. Toutefois, si le leadership syndical peut favoriser la mobilisation et la notoriété au niveau du personnel salarié des grandes villes, il se rend très vite compte que la classe ouvrière ne représente qu'une fraction très faible de la population. En effet, que ce soit à Conakry ou dans les rares centres urbains de l'intérieur, elle ne compte au total que quelques milliers de salariés de l'administration ou du secteur public, et quelques centaines dans les entreprises privées. L'ambitieux et intelligent Sékou Touré évaluant la situation, estimera insuffisante la force de la classe ouvrière, rompant en cela avec la doctrine marxiste classique, pour atteindre d'autres couches plus nombreuses de la population, notamment les agriculteurs, les éleveurs, les femmes et les jeunes. C'est donc ainsi que le syndicaliste instigateur de grève va se transformer en un meneur politique capable de mobiliser les masses populaires. Il sera encouragé en cela par le vote de la loi Lamine Gueye le 26 avril 1946, qui consacre l'extension du suffrage universel et permet par conséquent la création de vrais partis politiques. Les élus africains à l'Assemblée nationale française saisissent l'occasion pour convoquer, en octobre de la même année à Bamako, une conférence qui va entériner la création du parti R.D.A. (Rassemblement Démocratique Africain). Bien entendu, Sékou Touré ne peut manquer un tel forum. L'année suivante, au mois de mai 1947, se tient à 69

Conakry le 1er congrès qui va consacrer la création du P.D.G.-R.D.A. comme section guinéenne du R.D.A., à l'image du P.D.C.I. (Parti Démocratique de Côte d'Ivoire, créé avant le P.D.G. Madeira Keïta en devient le premier Secrétaire général.) En 1948, Sékou Touré est élu secrétaire général de l'U.S.T.G., l'Union Territoriale guinéenne affiliée à la C.G.T. L'année 1949 est le début d'une lutte énergique en Guinée forestière contre les livraisons obligatoires de produits agricoles. Le P.D.G. et le syndicat U.S.T.G. (Union des Syndicats des Travailleurs de Guinée) mènent alors une lutte commune contre l'augmentation des impôts injustes, les lenteurs enregistrées pour le vote du code du travail, la dénonciation de l'arbitraire et les abus des chefs de canton. Sur le plan politique, le parti réclame entre autres : l'élargissement de la représentation parlementaire, l'extension des pouvoirs de l'Assemblée territoriale, la démocratisation des chefferies. Au début de 1950, le P.D.C.I.-R.D.A. est proscrit sur le territoire ivoirien suite à des troubles sanglants. La même année, Sékou Touré est élu secrétaire général du comité de coordination des syndicats C.G.T. pour l'A.O.F. et le Togo. Tout semble indiquer que les communistes et la C.G.T. ont la mainmise sur le R.D.A. Par temps de guerre froide, il n'en fallait pas davantage pour imaginer la main de Moscou derrière toutes les revendications. Il fallait lever l'équivoque, et c'est ainsi qu'en compagnie de Sékou Touré, HouphouëtBoigny se rend en août à Paris chez François Mitterrand, alors ministre de la France d'outre mer. Par la suite, le 17 octobre 1950, le R.D.A. est dissocié du groupe parlementaire communiste. Cela coïncide avec la tenue à Conakry du 2ème congrès du parti P.D.G.-R.D.A. du 15 au 18 octobre 1950. Comme décisions importantes prises : actions auprès des ouvriers et des paysans ; création de la presse du parti (Le Coup de Bambou puis Liberté) ; mise en place des sections locales. La même année en août, il est élu conseiller général de Beyla, au détriment de Douty Camara, après le déplacement par hélicoptère du gouverneur général de l'A.O.F. Bernard Cornut-Gentille et de Houphouët Boigny, 70

président du R.D.A., pour assurer la victoire de leur protégé. Sa joie sera suivie par une grande déception car, le 27 juin 1954, le candidat Sékou Touré est battu par Barry Diawandou, élu député en remplacement de Yacine Diallo, décédé. Nouvelle épreuve, nouveau comportement. À partir de 1954, l'arène politique est caractérisée par le règne de la violence perpétrée par les troupes de choc du P.D.G. contre leurs adversaires, principalement le B.A.G. de Barry Diawandou. Les affrontements les plus sanglants se sont produits entre octobre 1956 et mai 1958. Ils auraient fait au total 1 500 victimes, dont un millier à Conakry. L'âpreté de la lutte politique s’est greffé sur les antagonismes ethniques. Il faut croire que le but avait été atteint, car en 1955 Sékou Touré est élu maire de Conakry. Le 2 janvier 1956, Sékou Touré est élu député en compagnie de son fidèle compagnon Saïfoulaye Diallo. La même année il crée la C.G.T.A.N. (Confédération Générale des Travailleurs d'Afrique Noire), indépendante de la C.G.T. française. C’est aussi l'année de son mariage avec mademoiselle Andrée Keïta qui avait pris elle aussi le nom de son beau-père. Par cette nouvelle union, il consacre ce qui va être le « vivier » et soutien inconditionnel de son régime, « le clan Sékou » formé par les familles Touré et Keïta. En juin 1956, c'est le point de non-retour pour le système colonial avec le vote de la loi-cadre Defferre qui allait ainsi ouvrir de nouvelles possibilités légales pour les actions politiques des leaders africains. En effet, elle implique la création dans chaque territoire d'un conseil de gouvernement. En ce qui concerne la Guinée, l'on pourrait dire que les institutions nouvelles créées par cette loi ont fourni aux responsables du P.D.G. les moyens et l'occasion d'accélérer leur marche vers le pouvoir, avec méthode mais souvent avec violence. On assiste à une accentuation de la lutte entre partis politiques rivaux. Tous les moyens sont bons : bastonnades, incendies de cases et de maisons, provocations et bagarres. Cela va durer pendant près de quatre années. Il faut croire que la méthode a été payante, car les élections à l'Assemblée territoriale du mois de mars 1957 consacrent le triomphe du 71

P.D.G.-R.D.A. qui remporte la quasi-totalité des sièges (56 sur 60). Le premier gouvernement est mis en place avec Sékou Touré comme vice-président, car la présidence est réservée de droit au gouverneur français du territoire, Jean Ramadier. En réalité, Sékou Touré est le véritable chef de gouvernement. Il va désormais utiliser au maximum toutes les possibilités offertes par la loi-cadre, en se servant des leviers du pouvoir que sont l'administration et la police, pour mettre au pas tous ses adversaires. Ainsi, après une conférence des commandants de cercle tenue en juillet de la même année, il fait supprimer les chefferies de canton et réorganiser l'administration du territoire. Les émeutes qui s'ensuivent en 1958 sont l'occasion de neutraliser une fois pour toutes les autres partis politiques. Finalement, l'année 1957 va consacrer le cumul du pouvoir de Sékou Touré car, après le contrôle de l'exécutif, il devient vice président du R.D.A. lors du congrès interterritorial tenu à Bamako du 25 au 30 septembre 1957. Le 3e Congrès du P.D.G.-R.D.A. se tient en janvier 1958 à Conakry. On retiendra entre autres la création à cette occasion : du B.P.N. (Bureau Politique National) et du Comité National des Femmes. C'est la continuation de la mise en place de la pyramide du système après les villages et les districts, mais cette fois par le haut. En France, pendant ce temps, après les graves événements de mai 58, le général de Gaulle arrive au pouvoir. Il prépare une nouvelle Constitution qu'il souhaite faire adopter par référendum dans tous les territoires de l'ancien « Empire français ». En Guinée, le 4e Congrès se réunit du 5 au 7 juin 1958 à Conakry, avec comme principale décision : la proclamation de la prééminence du parti sur l'État à tous les échelons de l'organisation administrative. Avec cette décision, le pas décisif et irréversible est franchi. Les 25 et 26 août 1958, c'est le passage du général de Gaulle en Guinée. Cette escale parmi d'autres est rentrée dans l'histoire à cause du comportement des deux personnages. Celui de Sékou Touré, par le contenu et surtout par le ton de son discours, et celui du général qui reçoit le 72

discours tel un défi, et comme un affront à la France et à sa personne. Cependant, le cumul de l'éxécutif et de la direction du parti ne lui suffit pas. En effet, en janvier 1959, il préside la tenue à Conakry du 2ème Congrès de l'Union générale des travailleurs de Guinée (U.G.T.A.N.). Puis le 26 mars 1959, ce sera la création du mouvement de la Jeunesse du Rassemblement Démocratique Africain de Guinée (J.R.D.A.). Le vocable révolutionnaire n'apparaîtra que plus tard. Du 14 au 17 septembre, est convoqué à Conakry le 5ème Congrès du P.D.G. avec comme décisions importantes : - le renforcement de l'unité nationale ; - le renforcement de l'autorité du parti (prééminence du parti) ; - la refonte des structures ministérielles. Comme on peut le constater, peu à peu l'État se « dilue » dans le parti. Le 1er janvier 1961 c'est la consécration, avec l'élection de Sékou Touré comme premier président de la République de Guinée élu au suffrage universel. En réalité, cette nouvelle promotion est un outil supplémentaire qui lui permet d'asseoir son pouvoir en mettant fin, une fois pour toutes, à toute contestation au sein du parti. À partir de ce moment, pour tous les cadres, la disgrâce politique ou administrative devait être considérée comme un premier pas vers l'antichambre de la liquidation physique. À cet effet, les toutes premières victimes seront des enseignants et des élèves arrêtés en novembre 1961 lors de la grève des élèves et lycéens pour protester contre l'arrestation des membres du syndicat des enseignants. Parmi les victimes, on retiendra les noms de Noumandian Keïta, Bah Ibrahima Kaba, Niane Djibril Tamsir, etc. C'est le début de l'élimination de l'élite intellectuelle dite de gauche. Cela va se confirmer lors du 6ème Congrès qui va être précédé par un séminaire préparatoire tenu à Kindia (Foulaya) en novembre 1962. Finalement, le 6ème congrès s'est tenu à Conakry du 27 au 31 décembre 1962. Au cours de la réunion, il est décidé la 73

convocation à Kankan d'un C.N.R. (Conseil National de la Révolution) en août 1963. Comme autre décision : le choix d'une voie non capitaliste pour le développement de la Guinée. En août 1963, le C.N.R. prévu à Kankan a bien eu lieu, mais il est transformé en congrès extraordinaire et devient de ce fait le 7ème congrès. Comme décisions importantes, l'on retiendra : - la création du Conseil National de la Révolution comme instance suprême entre deux Congrès ; - la création des fédérations dans chaque région ; - la suppression de l'indemnité des députés ; - la réduction du nombre des membres du B.P.N. de 17 à 15 ; - la cooptation des membres du B.P.N. au détriment de l'élection. C'est la continuation de l'édification de la pyramide au niveau des structures intermédiaires, mais c'est aussi et surtout la victoire de Sékou Touré pour le choix au B.P.N., et aussi la confirmation des sanctions : celles de Camara Bangaly et Tounkara Jean Faragué qui sont exclus du B.P.N. Après la sanction politique, c'est la sanction administrative. En effet, le 8 novembre 1963, ils sont démis de leurs fonctions ministérielles. Du 27 au 31 janvier 1967, se tient à Labé de la 9ème session du C.N.R. qui décide de la création de la milice populaire et des comités de défense de la révolution. C'est la mise en place d'une armée parallèle. Du 25 septembre au 2 octobre 1967, se tient à Conakry le 8ème congrès appelé congrès de la vérité et de la fermeté révolutionnaire, qui a confirmé la radicalisation de la révolution et l'option pour le socialisme. Décisions prises : - la création du comité central ; - l’adaptation des structures du Gouvernement à celles du parti (bureau politique de sept membres coiffant chacun un domaine du gouvernement) ; - la création du titre de R.S.R. (Responsable Suprême de la Révolution) ; 74

- la création du C.E.R. (Centre d'Éducation Révolutionnaire). C'est la consécration suprême pour Sékou Touré qui s'identifie à tout, se met au-dessus de tous, et devient finalement le seul à décider de tout. En résumé : un seul parti, un seul État, un seul Homme : Sékou Touré. Du 30 octobre au 3 novembre 1967, se tient à Kankan la 1ère session du comité central avec comme décision la création du Pouvoir Révolutionnaire Local ou P.R.L., qui va marquer l'achèvement de la mise en place du pouvoir populaire. "Le P.R.L., c'est la solution". C'est le slogan du moment, lancé à l'occasion de toutes les réunions, et inscrit sur tous les panneaux installés le long des routes, et au fronton du balcon de la salle des congrès du palais du peuple. D'une certaine manière, c'est vrai car il permet de tout contrôler : chefferies, commerçants, paysans, administration, école, y compris les structures de loisirs. Le P.R.L. est l'intégration absolue et obligatoire de tous les Guinéens dans une structure unique. Une organisation parfaite, du moins sur le papier, de la production à la consommation. En somme, une concrétisation de la vision de Sékou Touré qui veut faire du peuple une sorte de bloc homogène à diriger sans à-coups. Du 29 juillet au 2 août 1967, se tient à Kankan la 3e session du comité central. C'est à cette occasion qu'est lancée la Révolution Culturelle Socialiste. 1968 : du 28 au 31 janvier, se tient à Conakry le premier congrès des femmes. Du 24 au 26 Avril 1972, c'est la tenue à Conakry du 9e congrès du P.D.G. avec comme mot d'ordre : l'homme qu'il faut à la place qu'il faut ; une nouvelle étape pour la radicalisation de la révolution. Les 28 et 29 septembre 1973, se tient à Conakry le 10e congrès du P.D.G. C'est l'occasion du lancement du plan quinquennal et du programme de défense de la révolution. Le 16 février 1975, proclamation par le P.D.G., de la charte de la révolution. C'est la radicalisation de la lutte contre le commerce privé, le bouclage des frontières, la création des Brigades Attelées de Production (B.A.P.) et des 75

Brigades Mécanisées de Production (B.M.P.). À cette occasion, les deux instituts d'enseignement supérieur de Conakry et de Kankan sont fermés et les étudiants envoyés dans les campagnes pour participer à la révolution verte. Ce fut l'université à la campagne. Du 22 au 27 octobre 1976, tenue de la 37e session du Conseil National de la Révolution (C.N.R.), clôturée par le responsable suprême de la révolution qui déclare : « désormais chaque session du C.N.R. doit être un véritable tribunal ». Du 18 au 21 novembre 1978, le 11e congrès du P.D.G. se tient à Conakry. Il est précédé d'un colloque idéologique international. C'est au cours de ce congrès que fut proclamée la phase du parti État. C’est la confirmation de l'offensive diplomatique et de la volonté de coopération avec tous les pays. Sékou Touré est réélu comme secrétaire général ; B.P.N. et comité central sont élus. Le 14 mai 1982, le président Sékou Touré est réélu à la présidence pour un quatrième mandat. C'est aussi l'adoption de la deuxième Constitution, celle de la République populaire révolutionnaire de Guinée, consacrant le parti unique. En effet il est écrit au préambule que : - « c'est le parti qui a fondé l'État, et que cet État ne peut donc que s'identifier au parti qui l'organise, le dirige et le contrôle en assumant réellement toutes les fonctions en tant que parti État, et en oeuvrant à la réalisation du peuple État ; - en Guinée, le pouvoir est exercé par le peuple à travers le parti démocratique de Guinée, unique et exclusive force politique dirigeante qui intègre toutes les couches sociales, en application du centralisme démocratique ; - le parti est la fusion, en une seule entité organique, du parti et de l'État ; - le pouvoir populaire révolutionnaire concrétise la phase du parti-Etat. Du 16 au 21 novembre 1983 se tient à Conakry le 12e congrès du P.D.G. qui marque le début de la première phase du parti État avec l'examen de problèmes idéologiques, l’organisation du parti, le développement économique. 76

Sékou Touré est réélu au poste de secrétaire général du P.D.G. Comme on le voit, pendant près de quatre décennies, l'histoire et l'évolution de la Guinée ont été ponctuées d'événements intérieurs où le syndicat, le parti, l'État et le peuple ont fini par se fondre en une seule et unique entité : LE PEUPLE ÉTAT, sous la direction éclairée d'Ahmed Sékou Touré, responsable suprême de la révolution. Il faut savoir que si l'indépendance a fait l'objet d'un vote référendaire, un choix aussi important que celui du modèle de société n'a fait l'objet d'aucune consultation. Ni le peuple de Guinée ni l'Assemblée nationale n'ont été consultés. Cette absence de concertation et de consensus aurait dû conduire à une relativisation des faits avérés et, ou supposés que l'on a qualifiés de complot ou de traîtrise. Comme si cela n'était pas suffisant, la dérive a continué avec l'édification d'un parti État prélude au peuple État et à l'homme peuple. Ceci consacrait la négation de l'État de droit, de la démocratie et des libertés individuelles. Comme conséquence de la radicalisation du régime, c'est l'exode massif de plus de deux millions de personnes de toutes catégories socioprofessionnelles et la disparition de 50 000 personnes dont des élèves, ménagères, commerçants, agriculteurs ouvriers, agents, cadres, hommes en uniforme et responsables religieux ; tous exécutés, pendus, morts en cellule par inanition ou maladie, ou tout simplement abattus aux frontières lors de tentatives de sortie. De ce fait, Sékou Touré est mort le 26 mars 1984, ne laissant les Guinéens ni riches ni libres. Opinions : Olga Balagun - JA (Jeune Afrique) « En politique, il faut savoir saisir des réalités dissimulées sous des apparences. S'agissant de Sékou Touré, il est probable que, derrière le tribun populiste et le leader révolutionnaire d'un État moderne, se cachait un personnage en partie sorti de la tradition africaine et mû par d'autres ressorts que ceux que laissaient imaginer ses discours. Ainsi, semble-t-il que Sékou Touré ait eu une double personnalité : d'une part, il se voulait (et se croyait sans doute) un chef 77

d'État moderne au parcours inspiré par le socialisme ; c'était d'autre part, une sorte de chef féodal africain issu d'un passé que l'on croyait révolu. Pour preuve, l'Almamy Samory Touré est le modèle dont Sékou Touré aimait se réclamer. Peu importe que soit vraie ou inventée la généalogie que le leader s'est donnée, et qui en fait un descendant de Samory du côté maternel. Ce qui est sûr, c'est que Sékou Touré a été marqué par le souvenir du grand homme. Mais si l'Almamy fut le prototype de résistant anticolonialiste dont l'Afrique peut à juste titre s'enorgueillir, il fut aussi un despote. Si son despotisme éclairé se justifiait aux yeux des siens par l'état de guerre, il est apparu aux peuples victimes des razzias de ses troupes comme un oppresseur sanguinaire. Samory Touré a pu régner en dehors des contrôles habituels qui tendent à limiter le pouvoir des souverains africains, donc en dictateur. Sékou Touré, lui, après avoir donné l'illusion d'être le continuateur inspiré de la résistance anticoloniale incarnée jadis par Samory Touré, versa dans le despotisme. D'autre part, vrai ou faux descendant de l'Almamy Samory Touré, Sékou Touré peut être considéré aussi comme l'héritier spirituel d'un autre souverain africain dont il ne s'est pourtant pas réclamé : Soumangourou Kanté, le roi forgeron, qui fut le premier roi du Mandingue. En effet, outre la trajectoire que mena ce personnage, acclamé en libérateur au début de son règne, pour être finalement haï comme tyran, on peut faire un autre parallèle entre le règne de Soumangourou Kanté et celui de Sékou Touré. Au moment même où, vaincu par Soundiata Keïta, Soumangourou disparaît à jamais dans une grotte de Koulikoro, tous les fétiches et objets magiques dont il tirait sa puissance se pulvérisèrent dans la tour secrète où le souverain féticheur déchu avait emmagasiné sa puissance magique. De même, une fois Sékou Touré mort, les instruments de son pouvoir (parti unique et clan familial) se sont désagrégés et sont tombés en poussière. Autre coïncidence : le corps de Soumangourou ne fut jamais retrouvé, de même que certains prétendent que le corps de Sékou Touré ne se trouverait point dans le cercueil rapatrié des États-Unis et inhumé en grande pompe. » 78

Évidemment, bien des questions sont pour l'instant sans réponse. En effet, l'on est en droit de penser qu'un enfant, même non désiré, a droit après sa naissance à une alimentation adéquate et à une bonne scolarisation, si toutefois l'on veut qu'il ait quelque chance de survie et de réussite dans sa vie. S'il est vrai que Sékou Touré avait des prédispositions naturelles pour faire ce qu'il a fait, l'on pourrait penser que le milieu et les circonstances l'y ont peutêtre aidé. S'il est vrai aussi qu'un skieur pour réussir un bon slalom a besoin d'un parcours dénivelé et semé d'obstacles. Il a aussi et surtout besoin de neige pour se déplacer. Dans le cas de la Guinée, au regard des prises de positions sans équivoque du général de Gaulle et de son ministre en charge des territoires d'outre-mer, l'on pourrait logiquement considérer la France comme l'artisan du dénivelé et des embûches, alors que des pays voisins en seraient les saupoudreurs. Peut-être qu'un jour, les historiens et les sociologues pourront nous édifier sur la part et la responsabilité de la France et des pays voisins dans la dérive de Sékou Touré et de son régime. En définitive, par la puissance de son verbe d'abord, suivie par la personnalisation du parti et la radicalisation du pouvoir, pour terminer par la répression sanglante orchestrée en son nom et avec son accord par son clan familial, Sékou Touré gardera pour longtemps comme une tâche indélébile le sang des victimes innocentes de son régime. 3 – Les complots, la douleur, les morts et les pleurs « Maniées avec une dextérité d'orfèvre, trois armes ont permis à Sékou Touré de régner en maître absolu sur la Guinée pendant vingt-six ans : le verbe, la pénurie des biens de première nécessité, et le complot permanent. Aucune famille guinéenne n'a échappé à la terreur érigée en système de gouvernement. Un père, un époux, une sœur ou un neveu ont péri quelque part, écrasés par l'appareil de destruction le plus efficace que l'Afrique ait connu. Parmi les victimes, les faux conjurés furent bien plus nombreux que les vrais.» Siradiou Diallo (10) 79

Comme on va le constater, la monopolisation du pouvoir par la direction du P.D.G. est un facteur dont les effets se manifestent bien avant l'indépendance. Comme conséquences, nous assistons à l'instauration d'un régime qui, tout en utilisant un langage révolutionnaire, va réussir à se maintenir au pouvoir pendant un quart de siècle, grâce à la terreur permanente instaurée sous le prétexte du « complot permanent ». En réalité, chaque complot correspond à une conjoncture politique, économique ou sociale particulièrement difficile pour le régime. De ce fait, le complot sert de dérivatif, de manœuvre de diversion, d'exutoire aux difficultés économiques et politiques. À cet effet, le dîner programmé au palais de la présidence avec Diallo Telli, deux heures avant son arrestation, nous donne l'occasion de découvrir l'une des clefs du comportement de Sékou Touré : prendre toujours les devants pour ne pas se laisser surprendre. C'est en tout cas le sens que l'on pourrait donner à sa phrase quand, s'adressant à Diallo Telly au cours de leur dernier dîner, il lui dit : « Il y a une qualité que tu dois m'accorder, c'est que jamais je ne me laisse surprendre. » (11) L'année 1959 sera celle du début des exécutions, même si l'on ne parle pas pour l'instant de complot. En effet, elle est l'année de la première exécution publique faite dans la cour de l'école de Sandervalia à Conakry, moins d'un an après la venue au pouvoir de Sékou Touré. La victime est un jeune homme du nom de Camara Chérif, accusé de vol. Puis, au cours de la même année, on assiste à l'exécution à Guékédou en Guinée forestière, de deux personnes avec comme motif : accusation de pratique rituelle. Ces exécutions étaient déjà les prémisses, sans qu'on le sache, d'une suite d'autres événements à venir, qui allaient donner l'occasion au régime de continuer à torturer, pendre, fusiller et liquider des Guinéens, avec la caution de tribunaux populaires et dans l'indifférence de la communauté internationale, le tout étant emballé sous étiquette de complot permanent. Ainsi, la Guinée sera pendant un quart de siècle, le théâtre d'une série de « complots » qui seront périodiquement dénoncés tout le 80

long de la durée du régime du P.D.G. sous la direction du président Sékou Touré. Cela commence en 1959-1960, par le premier complot baptisé complot des forces réactionnaires, féodales et décadentes, intitulé également « complot des agents du colonialisme français et des intellectuels tarés. » Le principal accusé étant Ibrahima Diallo, magistrat, ancien responsable de la F.E.A.N.F. (Fédération des Étudiants d'Afrique Noire en France), revenu en Guinée tout juste après l'indépendance. Comme motif : la rédaction d'un manifeste pour la création d'un parti dénommé P.P.G. (Parti Progressiste de Guinée). Parmi les personnes arrêtées figurent les noms de : - Diallo Ibrahima, magistrat ; - Diallo Yaya, ingenieur ancien étudiant en France rentré en 1959 ; - Touré Fodé dit le Gros, pharmacien, ancien étudiant rentré en 1959 ; - El Hadj Kaba Lamine, Imam de la mosquée de Coronthie à Conakry ; - Docteur Rossignol, un pharmacien français ; - Bachelard Pierre, un pilote français ; - Bakêlê Sankhonyi, notable de Morya et pionnier du R.D.A. Nombre total de détenus au camp Camayenne : 44. Tous ont été torturés et la plupart exécutés. Après quelques mois passés à Conakry, les détenus survivants ont été transférés dans les prisons de l'intérieur du pays pour libérer les places pour la « promotion » suivante. Les rares rescapés sont morts peu de temps après leur libération des suites de mauvais traitements, dont Diallo yaya et Touré Fodé-le-gros. Pendant ce temps, les autorités guinéennes, qui n'avaient en général pas souhaité la rupture de si tôt avec la France, en viennent à attribuer aux Français les difficultés quotidiennes qu'elles rencontrent. Alors immédiatement, on se met à parler de sabotage, d'autres vont jusqu'à attribuer à la France des intentions de reconquête. Les services secrets français sont mis en cause, ainsi que le Sénégal et la Côte-d'Ivoire, 81

dont les frontières abriteraient des préparatifs militaires. Deux Français sont condamnés, l'un à mort (mais il est en fuite), l'autre aux travaux forcés. Malheureusement pour les citoyens guinéens, la fuite n'est pas possible. C'est ainsi que le 17 mai 1960, onze personnes sont exécutées à Conakry au pied du mont Kakoulima. Ce sont : - Diallo Ibrahima, magistrat ; - Facinet Kombo ; - Abou Kipé ; - El Hadj Mohamed Lamine Kaba, imam ; - Najib Chaoul ; - Bakélé Sankhon ; - Barry Amadou dit Téla ; - N'Padigou Bernard ; - Bangoura Ibrahima de Coyah ; - Mamadou Dian dit Brosse ; - Altary Adolphe. Auparavant, en janvier 1960, à Guékedou en Guinée forestière, dans le canton de Guelo, 37 personnes sont tuées par balles au cours d'une expédition punitive. Dans les rangs, des anciens combattants libérés de l'armée française, pour le motif d'avoir eu à réclamer des sommes d'argent dues mais non reçues. Parmi les victimes on retiendra : - Demba Yombouno, conseiller de l'ex-chef de canton ; - Kamano Saba ; - Faya Kaba Tounba ; Quant à l'ex-chef de canton de Guelo, N'Faly Yombouno, il est arrêté, jugé et condamné à 30 ans d'emprisonnement. Il est finalement mort en prison trois mois seulement après son incarcération, empoisonné, dit-on. Néanmoins, l'autorité administrative fait mettre une chaîne sur sa tombe, pour bien signifier qu'il devait purger sa peine, même mort. En novembre 1961, c'est l'annonce d'un nouveau complot, le deuxième, baptisé complot des enseignants, avec pour motif la rédaction d'un mémoire par le syndicat des enseignants au sujet de la revalorisation des salaires. Les 12 membres du bureau du syndicat sont tous traduits devant la Haute Cour de justice car, à l'époque, le système ne s'étant 82

pas encore radicalisé, on y mettait la forme. Finalement, cinq condamnations à des peines d'emprisonnement furent prononcées : - Keîta Koumandian (10 ans) ; - Ray Autra (10 ans) ; - Bah Ibrahima Kaba (5 ans) ; - Seck Bahi (5 ans) ; - Niane Tamsir (5 ans) ; Ces arrestations déclenchent des mouvements de protestation des enseignants à travers tout le pays, suivis de grèves. Des éléments considérés comme des meneurs sont aussi arrêtés à l'intérieur du pays. Ci-dessous les noms de quelques victimes : - Diallo Kolon à Labé ; - Sidi Diarra à Kankan ; - Baldé Mountaga ; - Baldé Hassimiou ; - Fofana Ibrahima. Parmi les étudiants arrêtés on retiendra les noms de : - Lamine Camara, dit Kapi, président des élèves de l'École normale ; - Cellou Diallo, dit noble ; - Djiba Camara, surveillant général ; - Goureissi Thiam, maître d'internat ; Des arrestations sont également opérées dans les lycées, les principaux responsables étant : - Diané Fanta Oumar ; - Diallo Nabica ; - Kerfalla Yansané ; - Béavogui Famoi, élève décédé au camp Camayenne, le 16 novembre 1962. En 1964, Sékou Touré promulgue une « loi cadre » portant abolition du commerce privé. C'était déjà une indication pour la partition qui devait suivre. En effet, quelques mois après, il dénonce un complot téléguidé par la France, la Côte- d'Ivoire et le Sénégal. C'est le troisième complot, dit complot des commerçants qui est baptisé « complot Petit Touré. » Ce dernier est descendant de Kémé Bourama, frère cadet de l'Almamy Samory Touré. Motif : 83

dépôt au ministère de l'Intérieur le 11 septembre 1965, des statuts du P.U.N.G. (Parti de l'Unité Nationale Guinéenne). Les principaux accusés sont : - Touré Mamadou, dit petit Touré, commerçant ; - Touré Moussa, frère de petit Touré ; - Touré Kèlètigui, frère de petit Touré ; - Touré (Mme), née Keïta Alandia, épouse de petit Touré ; - Tounkara Jean Faragué, ancien ministre ; - Keïta Mamoudou, commandant ; - Bayo Souleymane, adjudant-chef, ex-chef de poste au camp. - Touré (Mme), née Diallo Kadiata, épouse de Touré Kèlètigui ; - Touré, bébé de 20 mois, fils de Diallo Kadiata ; - Kaba Sory, ancien ambassadeur ; - Camara Bangaly, ancien ministre ; - Koulibaly Waféré, ancien étudiant rentré en 1959 ; - Kamano Vincent ; - Yansané Sékou Mouké, professeur ; - un enfant Touré, né en prison car sa maman (Alandia) était en grossesse au moment de son arrestation. Au total, 96 personnes sont incarcérées au camp. Il faut préciser que Touré Mamadou dit petit Touré est décédé le 31 octobre 1965, et Touré Kèlètigui le 2 novembre 1965. Tous deux avaient été mis à la diète noire (DN) quelques jours seulement après leur arrestation, en tout cas avant même la sentence du tribunal révolutionnaire. Quant aux deux militaires du groupe, à savoir le commandant Keïta Mamoudou et l'adjudant-chef Bayo Souleymane, ils sont exécutés à Conakry au pied du mont Kakoulima, avant la fin de l'année en cours. Il faut préciser qu'à l'occasion de ce complot, deux ministres français, ainsi que Jacques Foccart et l'ambassadeur de France, sont mis en cause par le comité révolutionnaire en charge de l'enquête. Au cours de l'année 1968, on enregistre l'arrestation de citoyens qui, croyant faire une bonne lecture de la Constitution, avaient pris la décision de se porter candidat pour les présidentielles. En effet, il était dit dans la 84

Constitution que : « tout citoyen majeur est électeur et éligible. » Parmi les personnes arrêtées il y avait entre autres : - Fofana Boubacar, candidat ; - Kaba Diafodé, candidat ; - Millimono Faya ; - Diallo Koumbi ; Pour mieux comprendre ce qui va se passer l'année suivante, l'on se souviendra qu'après l'élimination par coup d'État de ses amis Kwamé N'Krumah du Ghana, Modibo Keïta du Mali et Ben Bella d'Algérie, Sékou Touré avait déclaré lors d'un meeting : « Je peux vous assurer qu'il n'y aura jamais de coup d'État en Guinée. » Comme les coups d'État sont perpétrés par des militaires, la résolution de l'équation était toute simple : décapiter l'armée pour la ramener à jouer un simple rôle de figuration. Le coup d'envoi va être donné au mois de mars 1969. En effet, des revendications survenues dans le camp des parachutistes à Labé ont servi de prétexte, avec la complicité d'Émile Cissé, à l'époque directeur de l'école de Kalédou, pour annoncer la découverte d'un quatrième complot baptisé : « complot Kaman-Fodéba », complot dit des « officiers félons ». Le premier était colonel dans l'armée, et le second connu comme fondateur des ballets africains et ancien ministre en charge de la sécurité. Tous deux étaient membres du gouvernement au moment de leur arrestation. Au total, 87 personnes seront arrêtées et détenues au camp. Parmi les personnes détenues, deux seront éliminées par diète noire quelques jours seulement après leur arrestation. Il s'agit de : - l'adjudant-chef Diallo Mouctar ; - l'adjudant-chef Keïta Namory. Les deux avaient été interpellés à Labé et avaient pris part au largage du commissaire Mamadou Boiro lors de leur transfert par hélicoptère de Labé à Conakry. Parmi les autres, il y eut des condamnés à la peine capitale le 11 mai 1969. Ce fut un jugement fait comme d'habitude en l'absence des accusés, et par conséquent sans avocats défenseurs. Toute possibilité de recours étant exclue, 85

la grâce présidentielle n'était pas à l'ordre du jour. Les exécutions eurent lieu au cours du même mois à Conakry, au pied du mont Kakoulima. Ci-dessous les noms de quelques victimes : - Diaby Kaman, colonel ; - Keïta Cheik Mohamed, commandant ; - Diallo Thierno Ibrahima, capitaine ; - Kouyaté Sangban, capitaine ; - Coumbassa Ali, Lieutenant ; - Camara Boubacar, dit N'Bengue, soldat, transporté en civière sur le lieu d'exécution ; - Keïta Fodéba, ministre ; - Fofana Karim, ministre ; - Barry Diawadou, ministre, transporté en civière sur le lieu d'exécution ; - Diarra N'Bemba, commissaire de police. Il y eut deux condamnations à mort par contumace : - Bah Mamadou, fonctionnaire international ; - Naby Youla, diplomate. Le 24 juillet 1969, tentative d'assassinat par agression en voiture du président Sékou Touré par Tidiane Keïta, à l'occasion de la visite d'État en Guinée du président Kenneth Kaunda de Zambie. Septembre 1969, arrestation de Almamy David Sylla, ancien chef coutumier de Tondon en Basse Guinée, en compagnie de son fils Almamy Dédé Sylla. Ils sont accusés d'assassinat sur la personne d'une femme en grossesse, du nom de M'Balia Camara, décédée en 1957. Cette dernière sera plus tard élevée au rang d'héroïne nationale par le P.D.G. Agression du 22 novembre 1970. Il reste bien entendu que le débarquement est une réalité pour tous ceux qui ont vécu les faits. Toutefois, avec le recul, force est de constater que bien des points mériteraient des investigations poussées et une analyse plus objective et critique. En effet, bien des questions restent encore sans réponse satisfaisante. C'est vrai qu'il est plus facile d'arrêter des innocents et de leur faire avouer les crimes les plus abominables, en passant sous silence que les aveux sont faits sous la torture. Ce qui est 86

certain, c'est que le jour viendra où il faudra trouver des réponses satisfaisantes à certaines questions telles que : 1- L'agression qui avait été maintes fois annoncée dans plusieurs discours du Président Sékou Touré, et ceci plusieurs mois avant le jour du 22 novembre 1970, a semblé avoir surpris tous les responsables à commencer par le premier des Guinéens, pourquoi ? 2 - Des points d'appuis militaires (PA) avaient été installés tout autour de la capitale (presqu'île de Kaloum) dont l'un se trouvait tout juste en face de l'actuel hôtel Riviera, non loin de la centrale électrique de Tumbo. Pour des raisons que l'on ignore, ces points d'appuis avaient été enlevés quelque temps avant l'agression : pourquoi ? 3 - Malgré l'annonce de l'agression faite par le président lui-même, les clefs des armureries étaient toujours détenues par le président Sékou Touré. Pourquoi ? 4 - Les prisonniers du PAIGC, principal motif de l'opération, et qui étaient réclamés par le Portugal, étaient en détention dans une prison de Mamou, ville située à 300 km de la capitale. Ces derniers avaient été transférés dans la banlieue de Conakry, quelques temps seulement avant l'agression. Pourquoi ? 5 - Les officiers supérieurs dont le général Noumandian Keïta, chef d'état-major des armées, qui se sont présentés les premiers à la présidence pour récupérer les clefs des armureries, et qui avaient été des témoins involontaires de la défaillance du président Sékou Touré, furent tous arrêtés moins de trois mois après, et tous furent fusillés. Pourquoi ? 6 - Deux membres du gouvernement ayant contribué dès les premiers coups de feu à : - concevoir et mettre en place, à la présidence, l'embryon de ce qui allait devenir le haut commandement (Diop Alhassane) ; - convaincre le président d'accepter d'être exfiltré, et lui trouver un point de chute dans les quartiers (Diallo Alpha et Abdoulaye Porthos). Tous les deux furent finalement arrêtés et incarcérés à Boiro pendant près de dix ans. Pourquoi ? 7 - Le refus du groupe d'assaillants portugais de donner l'assaut à l'aéroport et ses installations, puis de se rendre le 87

lendemain avec armes et munitions aux responsables locaux du quartier. Pourquoi ? 8 - Comment croire que ceux qui avaient pour mission d'attaquer la radiodiffusion et la présidence, auraient été mal renseignés au point d'épargner leurs cibles ? 9 - Malgré les suppliques du ministre de la Défense nationale Sagno Mamady, les experts soviétiques avaient été retirés de l'armée quand l'ambassadeur de l'URSS avait fourni à Sékou Touré des renseignements précis sur les préparatifs de l'agression. Pourquoi ? Dans tous les cas, si complicités il y a eu, il faudra en fournir des preuves irréfutables qui ne soient pas celles confectionnées par les différents comités révolutionnaires, et prendre aussi en compte l’hypothèse du marchandage entre Sékou Touré et le président portugais Salazar. En attendant, jusqu'à preuve du contraire, les dizaines de milliers de victimes des camps de la mort doivent être considérées comme innocentes. Dans ce cas, l'identification des charniers et de leurs contenus, la délivrance de certificats de décès et la réhabilitation des disparus et des rescapés sont des actions indispensables pour la réussite du dialogue et de la réconciliation. D'ici là, le 22 novembre 1970 restera une date terrible et historique pour tous les Guinéens. 1971 : Ce fut l'année de la terreur. Le pouvoir lance une gigantesque chasse aux sorcières. Sékou Touré fait arrêter pêle-mêle des milliers d'hommes et de femmes accusés d'appartenir à des réseaux d'espionnage américain (C.I.A.), allemand (SS nazi), français de Jacques Foccart. Par centaines, ministres, gouverneurs de région, ambassadeurs, préfets, membres des instances du parti, cadres et intellectuels, hommes en uniforme, et de simples citoyens et citoyennes toutes ethnies confondues, sont arrêtés et emprisonnés au camp Boiro et dans les différentes prisons du pays. En effet, après les pendaisons programmées en janvier dans toutes les grandes villes du pays, les arrestations se sont poursuivies tout au long de l'année, ponctuées par trois vagues successives d'exécutions : Le 3 janvier 1971. À Kindia, au pied du mont Gangan, furent exécutés des détenus condamnés le 11 mai 1969, 88

certains à perpétuité, d'autres aux travaux forcés ou à des peines à temps limité. Arrêtés à l'occasion du « complot dit Kaman-Fodéba », ils furent libérés par les assaillants le 22 novembre 1970. Sur la demande des autorités, ils s'étaient rendus et furent transférés fin novembre à la prison de Kindia. Pour justifier leur exécution, l'on avait dit : complicité avec l'agresseur de novembre 1970, alors qu'ils étaient déjà en détention depuis plus de 17 mois. Ci-dessous la liste de quelques victimes : - Baldé Abdoulaye, capitaine ; - Bah Amadou, lieutenant ; - Kourouma Mamady, sergent-chef ; - Sow Mamadou Alpha, caporal ; - Dramé Mohamed, caporal ; - Gueye Baïdi, industriel ; - Maréga Bocar, docteur ; - Bah Thierno Sabitou, vétérinaire ; - Diarra M'Bemba, directeur ; - Bangoura Bassirou dit Bachir, sergent ; - Camara Ibrahima, caporal ; - Gbamou Niankoye, capora ;l - Oularé Tamba Séwa, caporal ; - Soumaoro Karamoko, caporal ; - Koïvogui Siba, caporal ; - Bah Tély Oury, caporal ; - Béavogui Pévé, caporal ; - Barry Abdoulaye, capitaine ; - Diop Tidiane, administrateur à Fria ; - Deen Jean Baptiste, ambassadeur ; - Diallo Alpha Mamadou ; - Barry Aguibou, architecte ; - Dramé Hamidou, architecte ; - Diallo Mamadou Baïlo, capitaine ; - Sow Mamadou Alpha, soldat ; - Camara Balla, ministre ; - Achkar Marof, directeur de cabinet, ex-ambassadeur à l'ONU ; - Tall Habib, gouverneur ; - Koundou Oumar ; 89

- Soumah Karamoko, caporal ; - Sow Oumar, parachutiste ; 18 janvier 1971 : l'Assemblée nationale populaire est érigée en Tribunal révolutionnaire suprême par la loi n° 001/71 pour prononcer ses sentences. Il faut préciser que ses décisions étaient sans appel et sans recours. Nuit du 24 au 25 janvier au pont du 8 novembre, une nuit inoubliable pour tous les habitants de la capitale. En effet, le lundi 25 janvier 1971, ils se sont trouvés face à un spectacle macabre inédit pour les Guinéens. Quatre corps inanimés se balançaient au fronton du pont du 8 novembre. Il s'agissait de : - Barry Ibrahima dit Barry III, ministre ; - Baldé Ousmane, gouverneur de la B.C.R.G. ; - Magassouba Moriba, ministre ; - Keïta Kara de Soufiana, commissaire de police. Le lendemain, les corps furent ensevelis dans une fosse commune dans la banlieue de Conakry où se trouvait à l'époque un champ de tir (Kissössö). Ensuite, madame Camara Loffo, transférée de Kindia en même temps que les quatre pendus, qui après avoir été épargnée pour la potence, sera fusillée au bord de la fosse pour aller retrouver ses anciens compagnons. Les exécutions de la nuit du 30 au 31 juillet 1971 à Conakry, au pied du mont Kakoulima. Ci-dessous la liste de quelques victimes : - Keïta Noumandian, général ; - Diallo Mamadou, colonel ; - Barry Mamadou Siradio, commandant ; - Bavogui Kékoura, commandant ; - Camara Diouma, commandant ; - Zoumanigui Kékoura, commandant ; - Condé Mamadou, capitaine : - Doumbouya Kémoko, capitaine ; - Fofana Boubacar, lieutenant ; - Barry Baba, directeur (Soguirep) ; - Soumah Théodore, directeur de banque ; - Baldé Abdourahmane, directeur du tourisme ; - Fofana Almamy, ingénieur ; 90

- Sow, docteur vétérinaire ; - Baldé Mamadou Saliou, chauffeur ; Les exécutions de la nuit du 30 au 31 juillet 1971 à Kankan. Ci-dessous la liste de quelques victimes : - Barry Samba Safé, gouverneur de Kankan ; - Baldé, commandant de la gendarmerie de Kankan ; - Sidimé Mamady, secrétaire fédéral de Kankan (premier responsable du parti) ; - Diané Louis, directeur école de Bordo. Les exécutions de la nuit du 30 au 31 juillet 1971 à Kindia, au pied du mont Gangan. Ci-dessous la liste de quelques victimes : - Barry Bademba, lieutenant ; - Soumah Karamoko, frère du capitaine Soumah (évadé le 22 novembre 1970) - Tounkara Tibou, ministre ; - Bah Mamadou, lieutenant, garde du corps de Sékou Touré ; - Bah Thierno Ibrahima, gouverneur ; - Bah Bademba, jeune frère du gouverneur Bah Thierno Ibrahima ; - Diallo Oumar Kounda, gouverneur ; - Thiam Baba Hady, directeur de banque ; - Baldé Ibrahima Bodié, directeur des douanes ; - Dramé, militaire ; - Aribot Soda, homme d'affaires ; - Diallo Oury Missikoun, inspecteur des finances ; - Bah Amadou, commerçant à Dixinn-gare ; - Pilimily Ibrahima ; - Diallo Abdoulaye, docteur à Kankan. Exécutions du 18 octobre 1971 à Conakry. Ci-dessous la liste de quelques victimes : - Condé Émile, ministre, arrêté en juillet 1971 ; - Bama Marcel Mato, ministre, arrêté le 3 août 1971 ; - Savané Moricandian, ministre, arrêté en juillet 1971 ; - Sagno Mamady, ministre, arrêté en juillet 1971 ; - Keïta Fadiala, ambassadeur ; - N'Baye Cheick Oumar, ambassadeur, arrêté le 6 août 1971 ; 91

- Diallo Souleymane Yala, directeur, arrêté en 1971 ; - Ghussein Fadel, chef de cabinet, arrêté en 1971 ; - Sassone André, directeur Alimag, arrêté en 1971 ; - Sylla Fodé Saliou, magistrat, arrêté en 1971 ; - Coumbassa Abdoulaye, commissaire, arrêté en 1971. Exécutions du 18 octobre 1971 à Kankan. Ci-dessous la liste de quelques victimes : - Barry Sory, ministre, arrêté en 1971 ; - Camara Doussoumory, financier, arrêté en 1971 ; - Keïta Kémoko, procureur, arrêté en 1971 ; - Sow Aliou, fonctionnaire aux contributions diverses, arrêté en 1971 ; - Camara Ali, inspecteur, arrêté en 1971 ; - Camara Fama, douanier, arrêté en 1971 ; - Habas Paul, commissaire de police, arrêté en 1971 ; - Camara Filoi, contrôleur du travail, arrêté en 1971 ; - Camara Bakary, président de Tribunal, arrêté en 1971 ; - Kaba Mamady, notable (Société Sogonikoun), arrêté en 1971 ; - Diallo Abdoulaye, docteur en chirurgie, arrêté en 1971. Exécutions du 18 octobre 1971 à Kindia. Ci-dessous la liste de quelques victimes : - Sow Mamadou, ministre, arrêté en 1971 ; - Diallo Alpha Amadou, ministre, arrêté en 1971 ; - Diallo Alpha Taran, ministre, arrêté en 1971 ; - Baldé Oumar, secrétaire éxécutif de l'OERS, arrêté en 1971 ; - Camara Baba, gouverneur, arrêté en 1971 ; - Gnan Félix Matos, directeur de banque, arrêté en 1971 ; - Koïvogui Massa, secrétaire fédéral de Macenta, arrêté en 1971 ; - Touré Sékou Sadibou, industriel, arrêté en 1971 ; - Barry Mody Oury, fils de l'Almamy de Mamou, arrêté en 1971. Année 1973 : on notera l'affaire Wanda OULARE Lors du renouvellement des organismes du Parti à Faranah, le sieur Wanda Oularé avait fait acte de candidature pour le poste de secrétaire fédéral contre monsieur Amara Touré, grand frère du président Sékou Touré. Pour ce 92

dernier, ce poste lui revenait de droit. Les tractations qui ont suivi n'ayant pas réussi à amener le concurrent au désistement, Wanda fut arrêté et transféré à Conakry en compagnie de ses principaux collaborateurs. Année 1974 : dans les cellules de Boiro, c'est l'élimination en mars par diète noire de : - Kamissoko Mamadou, lieutenant, décédé le 14 mars 1974 ; - Koundouno Sâa Paul, lieutenant, décédé le 14 mars 1974 ; - Cissé Émile, gouverneur de région, décédé le 23 mars 1974. En 1975 : A l'intérieur du pays, on enregistre l'exécution de six personnes dans la préfecture de Forécariah, souspréfecture de Kakossa, P.R.L. de Kaïté, à la suite d'une révolte contre le payement de l'impôt en nature (Norme). Mois de février 1976 : c'est l'annonce du cinquième complot baptisé par Sékou Touré : « Complot Peuhl. » Le chef de file supposé est bien connu : Diallo Telli, qui fut le premier secrétaire général de l'Organisation de l'unité africaine (O.U.A.), puis ministre de la Justice. En réalité l'opération visait avant tout à liquider Diallo Telli dont la notoriété internationale indisposait depuis fort longtemps le chef de l'État guinéen. C'était donc une arrestation programmée de longue date. Telli aurait bien pu rester et vivre à l'extérieur après le non-renouvellement de son mandat en juin 1972 au Sommet de Rabat. Mais lorsque l’on a rien à se reprocher, on revient au pays sans hésitation. C'est ce que Telli fit, et il vécut dans sa Guinée natale en homme libre d'abord, puis harcelé jusqu'à l'heure du dernier dîner pris en compagnie de Sékou Touré à la présidence pour terminer la soirée au camp Boiro où d'autres l'ont rejoint les jours qui ont suivi pour ne plus jamais revenir. Mis à la diète noire dans les cellules du camp Boiro, ils moururent par inanition. Ce sont successivement : 1 - Barry Alpha Oumar, ministre, diète le 12 février 1977, décédé le 26 février 1977 ; 2 - Diallo Alhassane, lieutenant, diète le 12 février 1977, décédé le 28 février 1977 ; 93

3 - Kouyaté Lamine, capitaine, diète le 12 février 1977, décédé le 28 février 1977 ; 4 - Dramé Alioune, ministre, diète le 15 février 1977, décédé le 1er mars 1977. 5 - Diallo Telli, ministre, diète le 12 février 1977, décédé le 1er mars 1977. S'il faut regretter la dénomination du complot à savoir : « complot peuhl », il faut condamner la fameuse phrase « racisme égale racisme » qui avait eu pour conséquence de sceller le destin de tous les jeunes étudiants peuhls. En effet, ils furent privés de bourses dans les pays où ils étudiaient, et ceux qui devaient bénéficier d'une bourse d'études pour l'étranger furent réorientés dans les écoles guinéennes. Mois de mars 1977, liquidation par inanition au camp Boiro d'un groupe de personnes arrêtées à des moments différents, de conditions sociales différentes, et sans appartenance à un complot déclaré. Ce sont : 1 - Boiro Demba Botje, lutteur traditionnel, diète le 13 mars 1977, décédé le 23 mars 1977 ; 2 - Boiro Yéro Goullel, cultivateur, diète le 13 mars 1977, décédé le 30 mars 1977 ; 3 - Boiro Moussa, mécanicien, diète le 13 mars 1977, décédé le 30 mars 1977 ; 4 - Boiro Yaya, Sotto, ancien combattant, diète le 13 mars 1977, décédé le 30 mars 1977 ; 5 - Sylla Ibrahima, commandant, ancien chef d’étatmajor de l'armée de l'air, diète le 13 mars 1977, décédé le 31 mars 1977. Encore cinq liquidations en coulisses, en moins d'un mois d'intervalle. Le 27 août 1977, ce sera le « séisme » qui va surprendre et ébranler le régime. C'est la révolte des femmes, principalement à Conakry et dans certaines villes comme Kindia, pour marquer leur rasle-bol contre les abus de la police économique. Ce fut un désaveu pour le régime dont les femmes représentent la force principale, et aussi le premier revers politique et personnel du président Sékou Touré. En effet, suite aux différentes 94

perturbations de son discours par les femmes présentes au palais du peuple, il fut rapidement exfiltré par ses agents pour rejoindre le palais présidentiel. Le surlendemain, lorsqu'il reçut les manifestantes au palais de la présidence, il fut contraint de déclarer du haut de son balcon, l'arrêt de mort de la police économique en lançant : « À bas la police économique ». Par la suite, il fera payer cher cette « humiliation », et les femmes payeront le prix fort. En effet, il fut enregistré à cette occasion l'arrestation et l'incarcération à Boiro de près de 600 personnes, dont la majorité était composée de femmes des marchés de Conakry et de Kindia. Plusieurs dizaines de personnes trouvèrent la mort en détention. Au cours du mois d'août 1979, c'est l'annonce de « l'affaire Bah Mahmoud », du nom d'un expatrié guinéen originaire de Labé et vivant en France. Ayant décidé de venir rendre visite à sa famille, il avait fait escale à Dakar pour quelques jours, avant de prendre la route pour regagner la Guinée. Il sera intercepté avant d'arriver à Boké, arrêté avec tous les autres passagers du véhicule le 21 août 1979, et transféré directement au camp Boiro. Finalement, contre toute logique, tous les passagers seront éliminés par diète noire, à l'exception de Bah Mahmoud lui-même, sans explication aucune. - Diallo Saliou, paysan, décédé le 10 septembre 1979 dans la cellule 59 ; - Camara Ousmane, paysan, décédé le 11 septembre 1979 dans la cellule 51 ; - Bah Hady, paysan, décédé le 12 septembre 1979 dans la cellule 53 ; - Diakité Sékou, paysan, décédé le 12 septembre 1979 dans la cellule 54 ; - Manga Moussa, président de comité du parti, décédé le 12 septembre 1979 dans la cellule 57 ; - Diallo Mallal, paysan, décédé le 13 septembre 1979 dans la cellule 55 ; - Keïta Mamadou, paysan, décédé le 13 septembre 1979 dans la cellule 58 ; 95

- Diallo Karamoko, compagnon de Bah Mahmoud, décédé le 14 septembre 1979 dans la cellule 62. - La grenade du palais du peuple Comme les années précédentes, le mois de mai, qui est le mois anniversaire de la création du P.D.G., connaîtra une cérémonie de commémoration plutôt mouvementée. En effet, une grenade est lancée dans la salle du palais du peuple au cours d'une soirée artistique présidée par le président Sékou Touré. Certains témoignages parlent de deux grenades. Si la première visant le Président n'explosa pas, une deuxième aurait explosé et fait des blessés, dont une fille de N'Famara Keïta, membre du bureau politique national du P.D.G. Par la suite 152 personnes seront arrêtées et incarcérées à Boiro. - La grenade de l'aéroport Année 1981. Le 22 février, une grenade explosa à l'aéroport de Conakry au moment du retour du président d'un voyage à l'étranger. Les enquêtes qui ont suivi aboutiront à un nombre de 224 personnes arrêtées et incarcérées à Boiro. Année 1982. Une année au cours de laquelle des événements très importants vont se succéder tout au long de l'année. Dès le mois de janvier, on annonce ce qui va être appelé « affaire de Pita. » En réalité un problème de rêve qui, en d'autres lieux, n'aurait même pas mérité d'être évoqué. Mais à l'époque, si l'on ne pouvait pas empêcher les militants de rêver (et pour cause ?), il était par contre risqué de rêver de se voir dans le fauteuil du Président et surtout de le raconter. C'est ainsi que le rêveur et ses auditeurs se sont retrouvés à Boiro. En avril 1982, c'est l'assassinat d'un agent de sécurité tout particulier, car il s'agissait d'une sentinelle au cours de son service à la présidence de la République. Une occasion pour toutes les supputations possibles et inimaginables. Au cours de ce même mois de mai 1982, sera annoncé l'échec de ce qui a été dénommé « complot des élèves gendarmes », soit le sixième. On a parlé d'une tentative de déstabilisation du régime par de jeunes gendarmes après leur formation à l'école de gendarmerie de Conakry. Plusieurs personnes seront arrêtées. 96

Toujours au cours de l'année, un autre complot est, diton, tué dans l'œuf. Il sera dénommé « complot des jeunes libyens »; le septième. Tout serait parti d'une lettre anonyme informant les autorités que de jeunes soldats de retour de formation en Libye se prépareraient à faire un coup d'État. Parmi les accusés, des noms connus comme celui de Abraham Kabassan Keïta, commandant et ancien ministre. Année 1983. Mois de septembre. Côté Boiro, il faut signaler, comme suite à l'assassinat de la sentinelle l'année précédente, l'arrestation d'un chauffeur de la compagnie des bauxites de Guinée (C.B.G.), du nom de Barry Alsény, qui sera éliminé par diète noire avant la fin de l'année en cours. Ensuite, on retiendra l'annonce de la découverte des préparatifs d'une tentative de sabotage du Sommet de l'O.U.A. prévu à Conakry en 1984. Ce sera le huitième complot. En définitive, quatre-vingt-et-une personnes seront incarcérées au camp Boiro. Janvier 1984. Révolte des populations de Samou dans la préfecture de Forécariah, pour protester contre le taux élevé de l'impôt en nature que l'on appelait « la Norme. » Bilan : une personne exécutée, une personne morte et plusieurs arrestations. Février 1984. Révolte des femmes de Sinko dans la préfecture de Beyla, pour les mêmes motifs qu'à Samou. Trois femmes sont tuées. Mars 1984. Affaire dite Karifa Doumbouya. Il s'agissait d'après les autorités de la préparation d'un complot antiguinéen visant à déstabiliser le régime. Le neuvième et le dernier au tableau, les supposés meneurs étant : - Karifa Doumbouya, un magistrat nouvellement rentré en Guinée, qui avait été présenté comme l'âme du complot ; - Tounkara Jean Faragué, ancien ministre, qui avait déjà effectué trois séjours à Boiro ; - Sy Savané Souleymane, magistrat, déjà arrêté en 1971, mis à la diète noire le 12 février 1977, le même jour que le groupe de Telli Diallo. Pour des raisons que nous ignorons (en fait, paraît-il, une intervention de l'ambassadeur de France, mandaté par son épouse, au nom de ses deux enfants 97

malvoyants), il fut extrait de sa cellule deux jours après, mais fut remplacé par Dramé Alioune qui succombera le 1er mars 1971. - le 21 mars 1984 à Mamou. Des troubles ayant éclaté dans la ville suite à une descente de police, plusieurs personnes sont arrêtées. Finalement, quatre personnes seront fusillées en public au stade de la ville. Il n'est pas inutile de préciser qu'avant l'exécution de la sentence, l'un des condamnés, en l'occurrence un handicapé muezzin, avait été autorisé à faire une prière. A la fin de sa prière il aurait déclaré : « Nous allons bientôt mourir, mais je peux vous assurer que nous serons les toutes dernières victimes du régime du président Sékou Touré. » Effectivement, Sékou Touré est mort cinq jours après, d'une mort naturelle aux États-Unis, et avec lui le complot permanent et son tristement célèbre symbole : le camp Boiro. En guise de conclusion : « Comme on le voit, au total, l'arme du complot aura été d'une extrême utilité entre les mains de Sékou Touré. Elle était dissuasive dans la mesure où elle décourageait les candidats à la subversion, et répressive puisqu'elle permettait d'éliminer tous les adversaires réels ou potentiels du régime. Tous les complots n'ont sûrement pas été de faux complots. Mais à force d'en évoquer le spectre tout le temps et à tout propos, Sékou Touré dont l'un des traits dominants aura été le manque de retenue et l'excès en toutes choses avait fini par perdre sa crédibilité. Plus personne en Guinée ne le croyait les dernières années lorsqu'il prononçait le mot « complot ». D'autant que les rescapés de Boiro, malgré les pressions et les mises en garde du commandant Siaka Touré et de ses agents, avaient fini par délier leur langue. Ainsi ils ont pu expliquer la technique des « aveux » maquillés en « dépositions. » Aussi le roi était-il nu devant son peuple. La grosse ficelle du « complot permanent » s'étant usée, Sékou Touré était dans l'obligation de trouver une autre technique moins éculée pour tenir son peuple. Sans doute y songeait-il, lui, ainsi que les membres du clan familial. Mais le temps leur a manqué. Sékou est mort. Et, avec lui s'est effondrée 98

toute la politique bâtie depuis la fondation du parti démocratique de Guinée depuis 1947. » Siradiou Diallo (12). Témoignages - Jacques Foccart. « Des complots sans grande importance ont été organisés avec d'anciens militaires guinéens rentrés chez eux. Le reste était imaginaire, en particulier l'incrimination de Jean-Paul Alata, un français qui s'était mis au service de Sékou Touré, qui a avoué sous la torture être mon « agent », et qui a passé des années au camp Boiro. Je n'avais eu aucun contact avec lui… Il y a eu, effectivement, quelques tentatives de déstabilisation, mais infiniment moins que ce qui a été dénoncé par Sékou Touré… En avril 1960 des armes ont été découvertes à la frontière au Sénégal et en Côte d'Ivoire. Ces complots n'ont pas abouti et Sékou Touré en a fait une exploitation disproportionnée. A de multiples occasions Sékou Touré lance des accusations contre la France et des diatribes contre moi. C'est tellement rituel que cela devient prévisible. Je me rappelle avoir prédit au président Pompidou en septembre 1972, que dans les 15 jours je serais accusé par Sékou Touré de fomenter un complot contre lui. “Comment ?” s'est-il exclamé. “Dans quelle affaire vous êtes-vous embarqué ?” Il n'y a absolument rien, l'ai-je rassuré. Seulement Sékou s'est engagé auprès de Mobutu à aller visiter le Zaïre, il n'ira pas car il a trop peur, et peut-être à juste titre, de ne pas retrouver sa place en rentrant. Il aura besoin de prétexte, et il découvrira un complot. Derrière le complot il y aura Foccart. Cela n'a pas manqué. Il arrivait que de malheureux Guinéens soient arrêtés dans le seul but d'accréditer un prétendu complot. » - André Lewin : « L'entourage a certainement joué un rôle, en particulier l'entourage familial, même si d'autres proches, je pense en particulier à la première dame, madame Andrée Touré, ont cherché à exercer une influence modératrice. Mais, que ce soit par ambition personnelle, par antagonisme jaloux, par esprit de vengeance, par bouillonnement idéologique ou par opportunisme, d'autres proches, membres de la famille du président ou de la 99

première dame, ont à mon avis toujours poussé dans le sens de la rigueur et de la répression. Je me souviens en particulier de la démarche qu'a fait effectuer auprès de moi le redoutable demi-frère de Sékou Touré, Ismaël Touré, alors qu'il avait fait l'objet d'une brève disgrâce, m'assurant, par un intermédiaire, que si la France lui fournissait sur ma recommandation de l'argent et des armes pour conquérir le pouvoir, Paris n'aurait pas à le regretter. Et à la question directe : "Qu'êtes-vous prêt à faire pour Ismaël Touré ?", j'ai répondu que ce que je pouvais faire de mieux pour lui, c'était de ne pas parler de sa proposition à Sékou Touré, auprès de qui j'avais été nommé personnellement par le président français, et que je n'avais pas l'intention de trahir leur confiance. Ce n'est qu'un peu plus tard que j'ai pensé qu'en plus il pouvait s'agir d'une provocation. » (13) « Et puis il y a l'action de certains hommes politiques africains, comme Félix Houphouët-Boigny, qui avait misé pendant des années sur celui qu'il considérait et traitait comme son jeune frère guinéen, et dont il a estimé en septembre 1958 qu'il l'avait trahi; l'influence que le président ivoirien avait à Paris et dans maintes capitales africaines s'est au moins pendant une quinzaine d'années exercée au détriment de Sékou Touré. Son argument était que l'on ne pouvait traiter de la même manière la colonie qui avait voté NON et les colonies qui avaient voté OUI. Il fallait mettre la Guinée au coin. » (14) « Sans tomber dans la hantise du “complot permanent” qui était sans nul doute excessive et qui a servi à tenter de justifier l'injustifiable, il n'y a dans mon esprit aucun doute qu'il y a eu de multiples contacts et de multiples ébauches le plus souvent éventées parce que mal préparées, ou dénoncées par des participants qui jouaient un double jeu. Il existe des témoignages précis, mais dont certains tiennent à rester pour le moment secrets. » Les pendaisons du pont du 8 novembre - Le 25 novembre 1971, au pont du 8 novembre : « La Guinée est l'un des rares pays au monde où le peuple, sous la houlette du parti au pouvoir, applaudissait et fêtait les pendaisons publiques organisées comme autant de grands100

messes, sur toute l'étendue du territoire, par une poignée de ses enfants détenant le pouvoir, contre l'autre partie majoritaire de ses enfants. Je me rappelle en 1971, nous étions élèves de terminale au centre d'enseignement révolutionnaire de Donka (C.E.R. 2 août) à Conakry. Quand nous arrivâmes le matin à l'école, notre proviseur, feu Sékou Camara dit « Philo », nous réunit dans la cour et nous informe dans un ton grave : « Cette nuit la révolution a pendu des Guinéens considérés comme des ennemis. Vous êtes invités à aller les voir au pont du 8 novembre. Pour cela, les cours sont suspendus. » Ce fut l'occasion d'une véritable déferlante, tant par la curiosité pour cette tragédie qu'on ne peut réaliser que quand on lui fait face, que par la peur de se faire cataloguer comme quelqu'un qui est seulement contrarié. C'était la première fois de ma vie que je voyais un mort, qui plus est, un pendu. Dans cette ambiance de tragédie, un tonnerre de rires s'éleva étrangement de la foule sans qu'on s'y attende. À ce sujet, je refuse par pudeur et par respect de dire la raison de ce raffut. Parmi nous il y avait naturellement les enfants des pendus. » Sow Loppè (15) Agression du 22 novembre 1970 Pour le professeur Charles Diané, opposant guinéen, exilé au Liberia et plusieurs fois condamné par contumace, décédé en août 2009, il n'y a aucun doute. Pour preuve son interview dans un journal local en 1998. À la question de savoir si le président Sékou Touré était informé de l'agression du 22 novembre 1970. Réponse : « Parfaitement ; monsieur Sékou Touré était au courant de l'agression. J'étais au Liberia, les Américains m'ont appelé pour me dire : “Diané, vos amis vont organiser quelque chose en Guinée, nous sommes au courant. Si vous pouvez faire quelque chose il faut les dissuader”. J'ai pris l'avion le 15 novembre 1970 et j'ai débarqué à Paris. Nous avons fait une réunion et je leur ai dit : “Écoutez, les Américains sont au courant de ce que vous allez faire. Moi je ne suis pas au courant mais je vous dissuade de le faire.” C'était trop tard parce que les Portugais étaient tellement intéressés par le fait de libérer leurs prisonniers détenus en Guinée qu'ils n'ont pas laissé les Guinéens faire. Donc ils ont 101

fait leur débarquement, ils sont venus pour libérer leurs prisonniers. Ils étaient venus avec des Guinéens qui avaient été recrutés à Dakar et ailleurs. Donc, nous avons été manipulés par les Portugais pour ce débarquement là. » (16) Le mot de la fin : Sékou Touré avait finalement demandé et reçu à Conakry, sa « bête noire » Jacques Foccart, le présumé cerveau des complots, quelques mois avant son décès. À cette occasion, il lui demanda d'accepter qu'ils enterrent le passé sans qu'ils eussent trop à s'expliquer et d'être son conseiller personnel quand il serait à la tête de l'O.U.A. après le sommet prévu à Conakry en 1984. D'autre part, l'on se souviendra aussi d'un des plus célèbres slogans de la Révolution, régulièrement repris par la foule, au début et à la fin de chaque discours du responsable suprême de la Révolution, à savoir : « L'impérialisme trouvera son tombeau en Guinée. » Pour couronner le tout, et si la démarche d'assistance militaire faite auprès de l'ambassadeur de France André Lewin, au nom de monsieur Ismaël Touré, frère cadet du président Sékou Touré, président du comité révolutionnaire, n'était pas une provocation ? Alors, avec un Foccart pressenti comme futur conseiller, et un Responsable Suprême qui accepte d'être évacué dans le pays qui symbolisait alors l'impérialisme, et le FouquierTinville guinéen, Ismaël Touré, l'accusateur public en disgrâce, devenu comploteur, l'on est en droit de se demander : 1 - Si le complot permanent contre le peuple de Guinée était une réalité, ou tout simplement un prétexte pour justifier l'injustifiable ? 2 - Avec les accusations et liquidations, programmées par le tout-puissant président du Comité révolutionnaire, Ismaël Touré ne serait-il pas le principal et vrai comploteur contre le régime de son grand frère ? En tout cas, l'opinion de monsieur Sidiki Kobélé Keïta, qui est connu pour être l'un des farouches défenseurs du régime du président Sékou Touré, est sans équivoque, s'agissant du jeune frère : « l'influence d'Ismaël et de ses partisans aura été l'un des 102

facteurs négatifs les plus forts dans l'évolution du régime guinéen. » 3 - Si l'option socialiste et la diabolisation de l'impérialisme n'étaient qu'une simple tactique ? 4 - Témoignages de quelques acteurs a - Visite du général de Gaulle le 25 août 1958 : Jacques Foccart garde encore aujourd'hui de ce passage un goût d'amertume : « L'accrochage est survenu une heure et demie après notre arrivée, lors de la réunion de l'Assemblée territoriale, où Sékou Touré a prononcé sur le ton qui est le sien, c'est-à-dire sec, brutal, un discours dur qui ne se justifiait guère, car le général avait déjà pris position sur la possibilité pour les États d'accéder à l'indépendance. Cette attitude cassante a été encore accentuée par le fait que la salle était composée, hormis les quelques personnes qui accompagnaient le général, des cadres du parti, qui approuvaient avec une violence extraordinaire les propos de Sékou Touré. De Gaulle est choqué. Il ne pardonnera jamais à Sékou Touré cet affront. Désormais à travers les services secrets, ce sera la guerre avec, pour première bataille, celle du référendum sur l'indépendance. » (17) b - Un autre acteur témoigne : « Le général, en terminant son discours, dit : “Si je ne devais pas vous revoir, sachez que le souvenir que j'emporte de la Guinée, je ne l'oublierai pas. Vive la Guinée, vive la France.” Sa voix était alors comme brisée. Les jeux étaient faits. Le lendemain, il a dit à Sékou Touré qui était venu le saluer à l'aérodrome : “Bonne chance la Guinée”. Comme nous, le général s'était senti humilié. Mais pour lui, bien sûr, c'était avant tout la France qui avait été humiliée par ce jeune leader africain, et il allait lui en faire payer cher le prix. » Jean Mauriac, journaliste. (18) Ainsi est né le complot permanent qui a été mis à profit pour donner naissance à la terreur permanente.

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Les circonstances du « NON » du 28 septembre 1958 c - Interview du professeur Charles Diané ancien responsable de la F.E.A.N.F. (fédération des Étudiants d'Afrique Noire en France) « La F.E.A.N.F. avait décidé de voter “non” et de faire voter “non” dans tous les pays d'Afrique sous domination française. La décision avait été prise à son Congrès du mois de juillet 1958. A cet effet nous avons fait deux meetings au cinéma Vox de Conakry. On a souvent lié le “NON” à Sékou Touré, c'est historiquement une erreur, car dès juillet 1958, j'avais commencé la campagne du “non” en me rendant à Youkounkoun, Koundara, Labé, Mamou, Kankan, N'Zérékoré. Le P.D.G. a pris la décision de faire voter “non” seulement après leur congrès du 14 septembre 1958 à Conakry. C'est après ce congrès que j'ai rencontré Sékou Touré à Kankan alors qu'il était en route pour le congrès du R.D.A. à Bamako. Il me dit que maintenant, eux aussi étaient d'accord de voter “non”.» Question : à quoi sont dues toutes ces morts d'hommes, toutes ces pendaisons publiques qui vous ont amené à vous exiler ? Réponse : le président Sékou Touré a voulu imposer son parti unique. Ce qui n'était pas évident, et il a fini par voir que dans le tas, il y avait des cadres, des intellectuels qu'il fallait éliminer. Question : pensez-vous que Sékou Touré avait le complexe des intellectuels parce qu'il n'avait pas poussé ses études ? Réponse : Sékou Touré avait en épouvante les intellectuels, il avait un complexe d'infériorité en face des intellectuels et des cadres. d - Autres témoignages - Questions et réponses de deux cadres guinéens ayant occupé d'importantes fonctions dans l'administration et dans le parti, pendant la première République, et d'autres importants témoins.(19)

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- Questions et réponses de Kaba Sékou dit Alvarez Question : le régime du P.D.G. n'a pas pu répondre aux espoirs du peuple, plus particulièrement dans le domaine du développement économique. Réponse : il faut situer la situation particulière de la Guinée dans l'Histoire : I - La phase de libération II - La phase de construction d'une nation. La phase n° 1 fut très longue, au cours de laquelle les questions économiques ont été presque mises de côté. Cette phase s'est prolongée plus que prévu à cause de l'environnement international. Les pays de l'Est reprochaient à la Guinée son refus de s'aligner. De l'autre côté, les Occidentaux n'avaient pas confiance à cause de la position du pays vis-à-vis des pays de l'Est. Finalement, l'effort de construction de la nation et sa consolidation ont primé sur toutes les autres considérations. Tout ce que le P.D.G. a pu faire dans ce domaine, c'est de protéger les ressources du pays. Question : paranoïa du complot permanent et Camp Boiro. Réponse : Se référant au livre La piscine, l'on peut dire que le complot permanent n'était pas une invention. Il faut savoir que dans des conditions particulières, un régime en état de siège a toujours tendance à se radicaliser et à violer ses propres lois ; il s'ensuit de ce fait le début d'un cycle de répressions. Les détentions et les exécutions n'ont été que les conséquences de ce complot permanent. Mais je ne justifie pas les détentions et les exécutions. En effet, quelle que soit la certitude que l'on a de la participation des individus à un complot, il faut qu'on évite de les torturer. Le fait que ces principes élémentaires n'ont pas été respectés a été une bavure d'une extrême gravité. Mais cette bavure était due aussi à l'existence de certains cadres qui semblaient trouver un malin plaisir à retarder le pays. Question : bilan positif et bilan négatif du P.D.G. ? Réponse : pour le bilan positif, inutile de revenir sur les acquis indéniables (indépendance, construction d'une nation) etc. Pour le bilan négatif, il faut savoir que tout système 105

fondé sur un parti unique est négatif ou devient négatif à la longue. Si au départ son rôle a été la libération de la Guinée et de l'Afrique, envisagé sur le plan des activités à l'intérieur, le P.D.G. en tant que parti unique ne pouvait pas être viable. La raison en est que les opinions n'étaient pas diversifiées et que l'opposition ne se manifestait qu'à l'intérieur du même parti. (19) - Questions et réponses de Galema Guilavogui Question : après l'engouement suscité par les conditions d'accès à l'indépendance, n'y a-t-il pas eu un désenchantement ? Réponse : je crois qu'il est incontestable que les attentes n'ont pas été toutes satisfaites. L'agriculture, pour ne prendre que cet exemple, n'a pas eu le développement qu'on attendait. Par conséquent, l'industrie aussi, qui doit se baser sur une agriculture florissante, a connu un déclin continu. Pourquoi cet échec ? Je pense qu'il y a eu des fautes de structures et de conceptions. On a pensé que les structures collectivistes qui étaient en rapport avec la doctrine politique (le peuple, toujours le peuple supérieur à l'individu) étaient la solution, c'est-à-dire que ce ne sont pas des individus qui vont produire et que l'État va aider, mais des collectivités. Or quand on voit l'histoire de tous les peuples aujourd'hui, on comprend que l'homme est essentiellement égoïste. Il s'intéresse davantage à ce qui lui appartient en propre qu'à ce qui appartient à plusieurs individus. Pour les mêmes raisons, l'échec des B.A.P. (Brigade Attelées de Production) et des B.M.P. (Brigades Mécanisées de Production) est dû au fait que les tracteurs et leurs équipements ont été confiés à des collectivités, à savoir les Pouvoirs Révolutionnaires Locaux (P.R.L.) ou collectivités villageoises. Les faits sont là patents, il ne sert à rien de vouloir les cacher. Il y a eu un échec, et c'était dû à un défaut des structures. Je pense qu'on aurait mieux fait de soutenir les familles parce que, finalement, partout où on a réussi dans l'agriculture, ce n'est jamais sous la forme collectiviste.

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Question : pourquoi la direction nationale du P.D.G. qui élaborait de belles théories n'a pas eu le réalisme nécessaire pour changer de méthode lorsqu'il le fallait ? Réponse : il n'y avait pas d'évaluations à mi-parcours. De sorte que chaque fois que l'on tirait les leçons, la responsabilité des échecs était attribuée aux hommes plutôt qu'au parti. On disait toujours que c'étaient des hommes qui n'avaient pas correctement appliqué les instructions du parti, soit parce qu'ils étaient incompétents, soit parce qu'il y avait eu sabotage quelque part. Mais à aucun moment, on a estimé que le parti pourrait avoir mal cerné le problème. Et puisqu'on tirait toujours les leçons en réunions plénières politiques (Conseil national de la révolution, Conférence économique nationale, Congrès national), les hommes promettaient toujours de s'amender ou alors on mettait de nouveaux hommes. Mais à aucun moment le parti n'était remis en cause dans son approche des problèmes. On n'a jamais poussé les choses au point de dire que le parti avait tort, que le parti avait mal vu. J'ai été membre de la direction nationale du P.D.G., j'en suis fier, mais ce n'est pas pour autant que je vais dire que tout était beau, tout était bon, tout était juste, tout était parfait. En effet, si tout avait été parfait, on ne serait pas à ce niveau. Il faut donc reconnaître qu'on n'avait pas toujours le courage politique de se remettre en cause en tant que parti. C'est pourquoi les erreurs se répétaient. Question : comment expliquez-vous ce manque de courage politique ? Réponse : On se réunissait et on faisait la critique et l'autocritique des hommes. On passait en revue un programme et on concluait que son échec ne pouvait être imputable qu'aux hommes. Question : pourquoi pas de critiques et d'autocritiques du parti ? Réponse : parce qu'on considérait que le parti avait atteint un niveau de perfection qui le rendait infaillible. Les critiques du parti venaient du secrétaire général du parti. Ce n'est que quand lui-même prenait sur lui de critiquer le parti dans ses méthodes, qu'on le faisait. 107

Il faut aussi préciser qu'après le 8e congrès (25 septembre-2 octobre 1967) qui conféra au président Sékou Touré le titre de responsable suprême de la révolution, un fossé s’était désormais creusé entre lui et les autres du bureau politique. Il était au-dessus d'eux et le parti s'identifiait à lui. Ainsi donc, critiquer le parti, c'était critiquer Sékou Touré. Jacques Vignes, journaliste français et ami de Sékou Touré. « En 1960, j'écrivis à Sékou Touré pour lui demander de me recevoir en Guinée. Il me reçut trois jours après mon arrivée. Il était encore vêtu à l'européenne à l'époque. Je lui fis part de mes inquiétudes : le peu que j'avais pu voir depuis mon arrivée n'incitait pas à l'optimisme. Il m'interrompit : “Écoute, il faut que tu comprennes la situation. Lorsque nous avons dit non au référendum, j'étais persuadé que nous allions tous être obligés de reprendre la daba et, pour survivre, d'aller cultiver la terre. Et nous étions décidés à le faire, à repartir vraiment à zéro. C'est un miracle que nous n'en soyons pas là. Cela dit, c'est vrai que nous avons commis des erreurs. D'abord nous avons vu trop grand. Nous avons surestimé nos forces. Ensuite, nous avons mené une mauvaise politique agricole. Pour faciliter la vie des citadins, nous avons fixé le prix du riz trop bas, plus bas que ce qu'on peut en obtenir au Liberia et en Côte-d'Ivoire. Résultat : nos paysans sont allés vendre leurs récoltes là-bas. Mais nous allons redresser la barre. Quand tu reviendras, tu verras la différence.” Un an après éclatait l'affaire dite “complot des enseignants”. Lorsque, peu après, je revis Sékou, je fus frappé par le changement qui, en si peu de temps, s'était opéré en lui : il était devenu méfiant, inquiet et, surtout, il avait acquis une extraordinaire suffisance. Plus question pour lui de dire : “nous nous sommes trompés”. Il ne pouvait pas se tromper. Il faut, je crois, chercher par là, dans ce trait dominant de son caractère, la raison principale de l'attitude qui a prévalu chez lui par la suite : “Je ne peux pas me tromper. Le guide suprême de la révolution a toujours raison. Si donc une de ses décisions ne débouche pas sur les résultats escomptés, c'est qu'il existe quelque part un ou plusieurs traîtres qui ont fait capoter l'entreprise”. 108

D'où la hantise du complot qui va conduire peu à peu aux pires excès… Mais à force de découvrir des ennemis, on finit par suspecter tout le monde. Je me souviens d'un jour, c'était en 1975, où nous déjeunions ensemble, Sékou et moi. Je m'étais permis au cours du repas de critiquer assez sévèrement certains aspects de son régime. Je me souviens de la réflexion qu'il me fit : “Tu ne vas pas me trahir toi aussi.” » (20) Jacques Foccart : « J'ai revu Sékou Touré en juin 1983, neuf mois avant sa mort. Tout de suite après m'avoir accueilli, Sékou Touré m'a dit : “je ne vous ai pas prié de venir pour parler du passé, et de tout ce qui nous a divisés, c'est pour parler de l'avenir.” Alors j'ai répondu : “Monsieur le président, ce n'est pas possible. Nous avons eu tellement de différends, vous m'avez tellement attaqué, que nous devons nous en expliquer avant de parler de l'avenir.” Notre conversation a duré plus de cinq heures. Pour clore la revue des différents problèmes évoqués, Sékou Touré m'a dit : je vous ai rappelé ces choses, a-t-il conclu, parce que vous l'avez demandé, mais cela n'a plus d'importance. J'ai peut-être été mal informé. De toute façon, c'est du passé. Concernant l'avenir, vous savez, m'a-t-il dit, je vais sans doute devenir Président de l'O.U.A. J'ai besoin d'un conseiller qui connaisse bien les hommes et les choses de notre continent. Personne ne répond autant que vous à ce profil. Vous êtes disponible maintenant. Accepteriez-vous, je ne dis pas de vous installer à Conakry, mais de venir me voir périodiquement pour m'aider. Proposition poliment rejetée pour ne pas me sentir coupable envers la mémoire du général. Ainsi se sont achevées mes relations avec Sékou Touré comme elles avaient commencé. J'ai dans mes archives une lettre chaleureuse de 1957 de celui qui était alors maire de Conakry, contenant cette exclamation : “Ah si tous les Français avec qui j'ai à faire étaient comme vous.” » (21) André Lewin : « “mis au coin” par la France pour son attitude face au général de Gaulle et à l'ancienne métropole, le président Ahmed Sékou Touré a entraîné son pays et son peuple dans la vindicte dont il était l'objet. Cependant, 109

l'avenir seul pourra dire quelle place l'Histoire réservera à Sékou Touré en Guinée et en Afrique. Pour l'instant, on porte à juste titre à son passif les manifestations totalitaires de son pouvoir, la répression qu'il inspirait et qu'il approuvait, les prévarications de son entourage qu'il connaissait et qu'il tolérait, les déviations d'un système éducatif axé sur l'idéologie plus que sur les connaissances, les échecs d'une économie fondée sur l'étatisme et le collectivisme, la paralysie d'une administration sclérosée par les directives tatillonnes et la recherche de trafics profitables… Mais si le peuple de Guinée est prompt à s'emporter et à réagir, il est également porté à la réflexion sage et au jugement équilibré : il saura un jour avec le recul du temps mettre celui qui l'a si fortement marqué, dans ses bons comme dans ses mauvais jours, à la place qui doit être la sienne dans l'histoire de son pays. » (22) 5 – Bilan socio-économique et politique Après le 2 octobre 1958 1 - Qu'a-t-on fait de la liberté conquise et de la dignité recouvrée ? La réponse est dans les cellules de Boiro et aux barrages urbains et aux tracasseries aux frontières. 2- A-t-on préservé les acquis de la colonisation, soit : a - en améliorant le rendement de notre agriculture pour assurer la sécurité alimentaire de notre population ? b- en augmentant la production industrielle, pour créer davantage de valeur ajoutée, accroître la richesse nationale, et créer suffisamment d'emplois ? c - en développant l'élevage qui est l'une des principales activités de nos populations dans les quatre régions naturelles du pays ? Un début de réponse d’abord par le président Sékou Touré lui-même, lors de son entretien avec le journaliste français Jacques Vignes en 1960, puis par le professeur Galema Guilavogui. 3 - A-t-on suffisamment investi dans les infrastructures économiques et sociales ? 110

La réponse est non car, très peu de routes goudronnées et aucun grand ouvrage de franchissement réalisé, et un seul grand hôpital en construction dans la capital et qui n’était pas achevé le 2 octobre 1958. Finalement, l'échec dans les domaines économique et social, et les risques de violation des droits humains étaient prévisibles dès 1958. Pour preuve : le 20 août 1958, lors d'une interview Sékou Touré dira : « Je ne saurais trop souligner, en ce qui nous concerne, la primauté du politique sur l'économique. L'accession au pouvoir politique doit précéder le développement économique, pour le rendre possible. » Puis, le 25 août 1958 lors de son discours : « Nous préférons la liberté dans la pauvreté à la richesse dans l'esclavage. » Ensuite, en avril 1959, soit six mois seulement après l'indépendance, lors d'un premier bilan : « La liberté et la démocratie ne sont pas compatibles avec l'indépendance, pour la bonne raison que tout ce qui se fait en faveur de l'individu se fait au détriment de la société, et inversement ». L'on comprendra alors pourquoi la Révolution s'est acharnée sur l'individu, pour l'exposer à la vindicte populaire par l'intermédiaire des organismes du Parti, avant de le faire disparaître dans les geôles. 4 - Le choix d'une option socialiste était-il obligatoire ? La réponse est aussi non, car grâce au dialogue et à la concertation, d'autres alternatives pouvaient être envisagées. De ce fait, l'on peut valablement penser que les conditions de ce choix par le Parti au pouvoir ont pu être à l'origine de la principale source de divergence entre les élites guinéennes. Ainsi, face à un leader qui n'acceptait pas la contradiction, l'interprétation de ces divergences a sans doute pu être à l'origine de ce qui a été de vraies ou de fausses tentatives de déstabilisation du régime et présentées comme des complots. Malgré tout, il faut mettre à son actif : Sur le plan industriel : l'implantation des premières sociétés minières à Fria, Kamsar-Sangarédi (C.B.G.), Bauxites de Kindia (O.B.K.). Ceci a contribué à diversifier et 111

accroître nos exportations, augmenter nos recettes en devises et créer des milliers d'emplois dans le pays. A part cela, il faut rappeler la création d'une série de petites et moyennes industries qui ont largement contribué à la satisfaction de la consommation locale telles que : les usines de tôles, de cigarettes, de pneus, de carreaux, de jus de fruits et de conserves. Sur le plan de la sécurité : la sécurité de la vie et les biens des citoyens étaient garanties, de même que leurs déplacements à l'intérieur du pays. Sur le plan culturel : on retiendra la revalorisation et la diffusion hors de nos frontières de notre culture (Ballets africains, Troupe Djoliba, les orchestres Bembeya, Balla, et Kélétigui, le théâtre et le folklore) pour ne citer que ceux-là. Sur le plan social : initiation de programmes pour la promotion de la femme et des jeunes, la démocratisation du système de l'éducation et de la santé avec l'accès facile et à des prix abordables au niveau des écoles et des centres de santé. Sur le plan économique : la défense de la monnaie et la préservation de nos richesses minières. Sur le plan politique : la lutte contre le colonialisme et le néocolonialisme, pour l'émancipation et l'indépendance des peuples du tiers-monde, d'une part, d'autre part, le combat pour la réalisation de l'Unité africaine, et l'assistance aux mouvements de libération. Tout cela avait contribué à faire connaître et à faire respecter la Guinée. En résumé, la Première République a fait de la Guinée le premier pays francophone indépendant, et qui par cet acte historique avait contribué à réveiller la conscience des Africains et avait montré la voie à suivre à leurs dirigeants. Elle était porteuse de tant d'espoirs que son premier chef, Sékou Touré, avait été considéré comme un héros. Par souci de l'unité nationale et de la nécessité de joindre les forces pour la construction d'un État moderne et prospère, les dirigeants des autres partis qui avaient contribué à l'indépendance avaient tous, tour à tour, rejoint le P.D.G. Malheureusement, au fil du temps, Sékou Touré a institué le culte de sa personnalité, érigé son parti en parti-État et 112

décrété que tous les Guinéens en étaient membres de la naissance à la mort. Il n'a pas hésité à sacrifier sur l'autel « de la défense de la révolution » plusieurs dizaines de milliers de filles et fils du pays. Son régime a fortement endommagé les structures et liens de solidarité traditionnels qui soustendaient notre société, soumis et affaibli les ordres socioprofessionnels et essayé de mettre dans son giron les mosquées et les églises. La société guinéenne avait de ce fait perdu tous les repères qui sous-tendaient sa cohésion morale et interne. Elle était de fait en proie à toutes les déviations et violations de ses croyances et valeurs. En effet, l'enfant pouvait sans risque s'affranchir de la tutelle parentale alors que l'épouse était encouragée à dénoncer son mari. On en était venu à trouver normal que des femmes viennent danser le « morba yassa », ou danse populaire de réjouissance, sous les potences au pont du 8 novembre, et que les militants se rendent sur l'esplanade du palais du peuple pour voir, tels des objets de curiosité, des pères de famille présumés coupables de détournement, exposés nus toute une journée, sous le chaud soleil des tropiques. De ce fait, toute organisation sociale ou individu de loyauté douteuse à l'égard du parti se voyait inquiété ou éliminé. Finalement la Première République a connu deux Constitutions, avec un régime à parti unique et une option dite socialiste. Un dirigisme dans la gestion de l'État qui a tué la libre expression avec, finalement, un bilan économique nettement insuffisant. Dans le domaine des droits humains, vingt cinq complots ou purges politiques en vingt-six années de pouvoir. Dix-huit séries d'exécutions. Huit séries d'éliminations par inanition. Des prisons à travers tout le pays qui étaient en réalité de véritables camps de la mort, dont le tristement célèbre camp Boiro était le symbole. Tout cela avait contribué à la liquidation sans procès de plusieurs milliers de Guinéennes et de Guinéens, et à la fuite de plusieurs centaines de milliers d'autres ainsi contraints à l'exil. Pour tous les survivants, ce fut une longue et pénible traversée du désert. Finalement, si les Guinéens ont bien connu la pauvreté pendant la Première République, ils n'ont malheureusement pas connu non plus la liberté espérée. 113

Interview du colonel Lansana Conté, chef de l'État et président du C.M.R.N., faite le 5 juillet 1984 par Irving Shelton, envoyé spécial du journal L'homme nouveau. Question : accepteriez-vous d'évoquer le bilan des 26 années ? Réponse : on ne peut établir ce bilan que par rapport à l'objectif qu'un gouvernement doit atteindre. De ce point de vue, je dois vous dire que le gouvernement sous lequel nous avons vécu pendant 26 années a été négatif. Question : en quoi ? Réponse : dans le domaine de l'agriculture, la population a été astreinte à des redevances exagérées, selon les normes qu'on appelait normes de production. Pour l'élevage, elle devait subir des prélèvements obligatoires de bétail. On appelait cela « commercialisation du bétail ». Ces pratiques ont incité la majeure partie de nos populations frontalières et même aussi une part des populations du centre du pays à quitter la Guinée et à s'installer ailleurs. Or notre peuple, après une soixantaine d'années de colonisation, avait toujours produit assez de biens pour sa consommation locale. Il avait même, parfois, pu exporter dans certains pays limitrophes. Mais au cours des 26 dernières années la production s'est effondrée du fait des taxes normatives et des prélèvements obligatoires de bétail. Notre agriculture florissante avant l'indépendance et aussi notre élevage n'ont pas cessé de se dégrader. Dans le domaine de l'industrie, nous avons eu des partenaires qui nous ont aidés à implanter des unités industrielles. Je vous dirai qu'à part le secteur minier qui a répondu à peu près aux vœux de la population, tous les autres secteurs ont été incapables même de rembourser les crédits qui ont été accordés pour leurs installations, parce que toutes ces industries ont fonctionné à moins de 20 % de leurs capacités. Du point de vue financier, et du fait que nous étions déficitaires dans le domaine de l'agriculture et de l'industrie, la valeur de notre monnaie s'est amenuisée. Le gouvernement n'en finissait pas de gonfler la masse monétaire, pour maintenir en état de fonctionnement des entreprises déficitaires, d'où l'inflation. Je dis donc que pour 114

les 26 années de fonctionnement, le bilan a été négatif, il n'a rien apporté au développement de notre pays et n'a eu aucun impact sur le bonheur du peuple. En définitive, nous retiendrons donc que le peuple de Guinée en votant « NON » le 28 septembre 1958 a permis à notre pays d'accéder à l'indépendance sans effusion de sang. Que le P.D.G. et ses dirigeants ont largement contribué à la création de notre État. Qu'ils s'étaient attelés à la création de la nation, une historique, noble et gigantesque tâche. Qu'elle fut malheureusement compromise dès le départ, par une option non voulue mais subie par les populations, qui a entraîné l'élimination de cerveaux et de bras nécessaires et indispensables pour toute construction pérenne d'une nation. B - Une transition militaire qui prône le redressement par le libéralisme à partir du camp Samory À la mort du président Sékou Touré, tous les mythes sur le pouvoir du peuple, et sur l'unité nationale se sont écroulés. La nature népotique et patrimoniale de son régime, fondé sur le pouvoir personnel, ne tarda pas à montrer ses tares et ses limites. Malgré les dispositions constitutionnelles, le B.P.N. fut le théâtre d'empoignades pour la succession. Pour ne pas être en reste, le clan familial lui-même était divisé. A ce stade du processus, le pire pouvait difficilement être évité. L'intervention de l'armée, sans effusion de sang et sans désordre, est venue fort heureusement mettre fin à la récréation qui n'avait que trop duré, engageant le pays dans une transition militaire. a - Les mesures d'ouverture La première et non des moindres fut l'ouverture des portes des prisons et la libération de tous les détenus politiques encore vivants. Puis ce sera la suppression des barrages routiers, favorisant ainsi la libre circulation des personnes et des biens, et l'ouverture des frontières. La suspension du parti entraîna de facto celle de toutes les contraintes personnelles ou collectives comme : les réunions hebdomadaires du parti, le payement en nature des normes de production pour les paysans. Quant à la liberté 115

d'expression, elle se manifesta moins d'une semaine après par la création de l'amicale des anciens détenus de Boiro, suivie quelques semaines après, par une marche pacifique des anciens détenus et familles des disparus, au camp Samory, alors siège du C.M.R.N., organe central du pouvoir militaire. b - Les différents gouvernements Pour la formation du premier gouvernement, le C.M.R.N. avait fait le choix de maintenir la même structure que le dernier gouvernement du P.D.G. - 5 avril 1984, formation du premier gouvernement, placé sous la haute autorité du C.M.R.N. (Comité Militaire de Redressement National), avec un président, un Premier ministre, 30 ministères et 2 secrétariats d'État. - Il n'y avait qu'une seule femme dans l'équipe (Dr Mariama Djélo Barry), ministre des Affaires sociales ; - 2 paramilitaires, M. Hervé Vincent Bangoura, ministre de l'Intérieur et de la Sécurité, précédemment directeur des services de police, et M. Keïta Kémoko, ministre des Finances, précédemment directeur national des services des douanes ; - 5 civils : 1 - M. Richard Haba, Ministre des Affaires économiques ; 2 - M. Abou Camara, ministre de l'Enseignement pré universitaire ; 3 - M. Zaïnoul Abidine Sanoussi, ministre de l'Enseignement technique moyen et de la Formation professionnelle ; 4 - Dr Mamadou Kaba Bah, ministre de la Santé publique ; 5 - El Hadj Thierno Abdourahmane Bah, ministre des Affaires islamiques ; Tous les autres postes étaient occupés par des militaires. - 18 décembre 1984 : formation du deuxième gouvernement, moins de 9 mois après le premier (ordonnance n° 329 du 18 décembre 1984). À retenir : la suppression du poste de Premier ministre, alors occupé par le 116

colonel Diarra Traoré. Ce dernier se voit confier le ministère de l'Éducation nationale, avec rang de ministre d'État. D'autres militaires sont limogés tels que : le capitaine Baourou Condé, précédemment ministre du Plan et des Statistiques, le capitaine Yousouf Diallo, précédemment ministre des Travaux Publics, le capitaine Ahmadou Kouyaté, précédemment ministre des P.T.T. Un autre civil fait son entrée dans le gouvernement, à savoir : Jean-Claude Diallo, qui est nommé secrétaire d'État chargé des Guinéens de l'extérieur, poste nouvellement créé. - 22 décembre 1985 : le président de la République prononce un important discours programme, suivi de la formation du troisième Gouvernement (ordonnance n° 321 du 22 décembre 1985). À cette occasion, plusieurs membres du C.M.R.N. sont mutés à l'intérieur du pays comme ministres résidents ou gouverneurs de région : le commandant Ousmane Sow, ancien secrétaire d'État à la Défense, devient gouverneur à Faranah ; le commandant Mamadou Baldé, muté à Kankan comme ministre résident, le commandant Facinet Touré, muté à N'Zérékoré comme ministre résident, le commandant Pathé Barry, muté gouverneur à Boké, le lieutenant Abdourahmane Diallo, muté gouverneur à Dubréka, le commandant Jean Kolipet Lama quitte le ministère de la Justice pour celui des Affaires sociales, il est remplacé par un civil en la personne de Bassirou Barry, le commandant Traoré, anciennement ministre de l'Information, est muté à l'ONU comme représentant permanent, il est remplacé par un autre civil en la personne de Jean-Claude Diallo. Il faut préciser la démission du gouvernement de Jean-Claude Diallo en février 1986, à la faveur d'une mission à l'extérieur, pour retourner en Allemagne. Il est remplacé à son poste par Zaïnoul Abidine Sanoussi. - 18 janvier 1988 : c'est le quatrième remaniement ministériel qui se traduit par le rappel de quelques gradés militaires précédemment mutés à l'intérieur du pays. C'est le cas du commandant Facinet Touré qui revient au ministère des Transports, du commandant Ousmane Sow au ministère du Commerce et de l’Industrie, du commandant Pathé Barry 117

au secrétariat d'État à l'Énergie, alors que le commandant Mamadou Baldé quitte Kankan pour N'Zérékoré, remplacé à Kankan par le commandant Kerfalla Camara. À signaler deux nouvelles entrées : celle du commandant Henry Tofany comme ministre de l'Intérieur, et celle de Alsény René Gomez, qui quitte l'ambassade de Guinée à Monrovia pour occuper le poste de secrétaire général à la présidence en remplacement du commandant Henry Foulah. - 30 juin 1989 : formation du cinquième gouvernement. A retenir : mutation à N’Zérékoré du commandant Alhousseyni Fofana comme ministre résident, remplacé au ministère de l'Agriculture par le capitaine Abdourahmane Diallo. Le commandant Mamadou Baldé revient de N'Zérékoré pour le ministère de l'Intérieur. Le capitaine Pathé Barry, le commandant Ousmane Sow, le professeur Zaïnoul Abidine Sanoussy et le docteur Pathé Diallo quittent le gouvernement. Les nouveaux venus sont : le docteur Madigbè Fofana au ministère de la Santé et madame Aïcha Bah au ministère de l'Enseignement pré-universitaire. c - Des succès indéniables 23 mai 1984 : changement d'appellation, la République populaire révolutionnaire de Guinée redevient la République de Guinée. - Mars 1985 : suppression de la milice populaire et son intégration à l'armée et aux corps paramilitaires. - 25 mars 1985 : libéralisation de l'économie et amorce du désengagement de l'État des secteurs productifs. - Juin 1985 : publication du plan intérimaire de redressement national portant sur 2 ans. - 22 décembre 1985 : Le président de la République prononce un discours programme, marqué par la volonté de rupture fondamentale avec l'option socialiste. Des décisions importantes sont prises, relatives à la fermeture des banques d'État, des entreprises publiques, et la réforme de la fonction publique. - 6 janvier 1986 : réforme monétaire avec la création du Franc guinéen. 118

- 1er octobre 1988 : annonce par le président Lansana Conté de la création d'une commission chargée de rédiger la loi fondamentale. d - La tâche que représente l'arrestation des dignitaires du régime déchu, des hauts gradés de l'armée et les liquidations après la tentative de coup d'État de juillet 1985 Après la prise du pouvoir le 3 avril 1984, les membres du gouvernement déchu et les principaux membres de la famille du défunt président (épouse, enfants, frères, sœurs, cousins) furent arrêtés et conduits au camp Alpha Yaya dans un premier temps, puis transférés au camp de Kindia situé à 150 km de la capitale. Plusieurs raisons furent invoquées à l'époque : une supposée tentative de sortie illégale de la famille, en essayant de s'embarquer à bord de l'avion marocain qui avait transporté les Ulémas pour les funérailles. Des supposées tentatives de coup d'État par certains membres du gouvernement appartenant au clan familial dont Ismaël Touré, jeune frère du défunt président, Siaka Touré, son neveu, Diakité Moussa, du clan familial. À Kindia, les anciens dignitaires ont retrouvé les mêmes locaux, le même personnel carcéral, et surtout les mêmes méthodes en vigueur jadis, du temps des comités révolutionnaires. Ce qui était appliqué aux autres pouvait difficilement changer en si peu de temps. Et c'est malheureusement ce qui arriva. D'abord, par suite des conditions inhumaines de détention, puis par les exécutions extrajudiciaires. C'est ainsi que, dès le 18 août 1984, on enregistra le décès en détention à Kindia de l'ancien Premier ministre Lansana Béavogui. Puis, le 4 juillet 1985, moins de six mois après la suppression du poste de Premier ministre, une déclaration est faite à la radio nationale par le colonel Diarra Traoré, annonçant la destitution du président alors que ce dernier était en mission à Lomé. Considérée par les uns comme une tentative de coup d'État, et par les autres comme une manipulation orchestrée pour éliminer l'auteur, cette opération avortée aura des conséquences plus que regrettables. On retiendra l'arrestation de 72 officiers et sousofficiers dans la période du 4 au 7 juillet 1985, tous originaires de la même région naturelle, la Haute-Guinée. 119

Puis ce sera le discours prononcé le 6 Juillet 1985, par le chef de l'État, à l'occasion d'un meeting sur l'esplanade du Palais du peuple, le lendemain même de son retour du sommet de Lomé, pour dénoncer la tentative de coup d'État. Ce fut un discours improvisé devant une marée humaine déjà surchauffée. Dans la tribune, plusieurs invités furent surpris par les propos tenus à la fin du discours, parce qu'ils semblaient en déphasage avec non seulement la personnalité de l'orateur, mais aussi et surtout, avec la tension qui était encore perceptible dans certains quartiers de la capitale. Peut-être que ses proches, qui avaient eu à gérer les événements sur place, n'avaient pas eu le temps au cours de leur briefing, d’attirer son attention sur les implications sociales et politiques de la situation. C'est le lieu et le moment de regretter : d'une part, le « WO FATARA » (vous avez bien fait) lancé par le président Lansana Conté du haut de la tribune, après le rappel des actes de pillage et de vandalisme ciblés, perpétrés contre des ressortissants de la région d'origine de Diarra Traoré. D'autre part, la mise en garde qui s'en est suivie ; citation : « Que tous ceux qui veulent intercéder en faveur des personnes arrêtées, notamment les organisations de défense des droits de l'homme, se dépêchent car demain il sera trop tard. » – fin de citation. Comme conséquences, ce fut la réédition des procédures et pratiques du défunt régime, avec des exécutions sans procès et sans jugement. En effet, le 7 juillet 1985 ce fut l'exécution extrajudiciaire des militaires arrêtés, en compagnie de plusieurs dizaines de civils, parmi lesquels des anciens dignitaires et membres de la famille du défunt président. Pour certains, ces liquidations seraient motivées par la soif de vengeance de certains responsables du nouveau régime, alors que d'autres pensaient peut-être faire taire à jamais des témoins gênants du sinistre camp Boiro. Il reste évident que si tous ces présumés coupables avaient pu à cette occasion, bénéficier d'un procès juste et équitable, le dialogue et la réconciliation ne seraient plus d'actualité. Le 1er janvier 1988, ce fut la libération de Mme Andrée Touré et de Mohamed Touré, respectivement épouse et fils du défunt président Sékou Touré. Certains de leurs 120

compagnons ont heureusement survécu. Aujourd'hui en liberté, ils attendent toujours que justice soit faite. e - Le bilan général Il aurait pu être globalement positif, n'eût été le sang versé et l’écart de langage du palais du peuple. Mais souvenons-nous aussi que les nouveaux maîtres du 3 avril étaient pour la plupart des produits du P.D.G., et formés à l'école de Sékou Touré. Peut-être que ceci pourrait expliquer cela. Appartenant à un peuple croyant et pratiquant, le Guinéen avait subi un niveau d'endoctrinement tel qu'il avait fini par perdre tous ses repères, au point d’accepter, sans réagir, des pratiques que le Coran et la Bible réprouvent, à savoir : les atteintes au droit à la vie, au respect des personnes et de leurs biens, au droit à la justice pour tous. C - La Deuxième République, ou trop de vœux pieux restés lettre morte a - L'avènement de la démocratie Après l'annonce faite le 1er octobre 1988 par le président Lansana Conté de la création d'une commission chargée de rédiger le projet de loi fondamentale, il faudra attendre le 23 décembre 1990 pour l'organisation du référendum pour l'adoption d'une nouvelle constitution, appelée loi fondamentale, qui consacre le changement de régime avec l'instauration du multipartisme. En effet, on relèvera entre autres les articles suivants: Art. 3. Option pour le multipartisme. Art. 24. La durée du mandat présidentiel est de cinq ans, renouvelable une seule fois. Art. 26. Tout candidat à la présidence de la République doit être âgé de quarante ans au moins et de soixante-dix ans au plus. C'était sans conteste une importante étape vers la démocratie après plus d'un quart de siècle de parti unique. Toutefois, onze ans après, les Guinéens sont de nouveau invités aux urnes pour le 11 novembre 2001 : il s'agit d'un nouveau référendum pour l'adoption d'une nouvelle constitution modifiant la première. Puis, le 15 mai 2002, c'est 121

la promulgation de la loi constitutionnelle par décret D/2002/PRG/SGG. À retenir entre autres : Art. 24. La durée du mandat présidentiel est de sept ans, renouvelable. Art. 26. Tout candidat à la Présidence doit être âgé de quarante ans au moins. En conclusion, plus de limitation de mandat et plus de limitation d'âge maximum. Ce fut à vrai dire un pas en arrière par rapport à la constitution précédente, et une porte ouverte pour le mandat à vie. b - Les élections et les gouvernements successifs L'adoption de la nouvelle constitution fut suivie le 6 février 1991 par la formation du sixième gouvernement, suivie de la dissolution du C.M.R.N., et de la création du C.T.R.N. sous la direction du colonel Sory Doumbouya. Le C.T.R.N. était une structure constituée de cadres civils, militaires et paramilitaires jouissant d'une grande expérience. Il avait pour mission de servir d'organe législatif transitoire. Quatre militaires quittent le gouvernement au moment où deux civils font leur entrée, à savoir : Mamady Diawara au ministère de l'Enseignement supérieur et Aboubacar Koly Kourouma au ministère de l'Agriculture, alors que Alhassane Condé précédemment secrétaire d'État à la Décentralisation bénéficie d'une promotion et devient ministre de l'Intérieur. Le 2 juin 1991 sont organisées les élections des conseils de quartiers dans les 5 communes de la ville de Conakry. Ces élections enregistrèrent des irrégularités et dérapages qui ne permirent pas de procéder à la désignation des responsables dans plus de la moitié des quartiers de Conakry. Le 9 Juin 1991. Ce sera l'organisation des élections communales sur toute l'étendue du territoire. Il faut préciser que c'étaient les premières élections libres en Guinée depuis l'indépendance. À noter, malheureusement, de graves incidents à caractère communautaire dans les préfectures de Kissidougou, Guékédou et Fria, avec morts d’hommes à N’Zerekore. Le 6 février 1992, c'est la formation du septième gouvernement. À noter la nomination du colonel 122

Abdourahmane Diallo au ministère de la Défense nationale, et celle de Alsény René Gomez qui quitte le secrétariat général de la présidence pour le ministère de l'Intérieur auquel la Sécurité a été rattachée. Cette période correspond aussi au début de la guerre du Liberia. Pour être en phase avec la nouvelle constitution, le 3 avril 1992, date anniversaire de la prise du pouvoir, est retenue pour la légalisation des 46 premiers Partis politiques Le 20 mai 1992, c'est la première rencontre du ministre de l'Intérieur avec les partis politiques pour préparer le recensement national en vue des futures élections. Décembre 1993 : première élection présidentielle avec candidatures multiples. Pas d'incidents notables pendant le scrutin. À relever, toutefois, pendant la campagne, de graves incidents survenus à N'Zérékoré, ayant occasionné des pertes en vies humaines. Les votes des préfectures de Siguiri et Kankan seront annulés par la Cour suprême pour violation délibérée du code électoral sur le secret du vote (Art. 2, loi fondamentale). 4 janvier 1994 : proclamation des résultats des élections présidentielles avec 50,9 % des suffrages pour le candidat Lansana Conté. Les résultats seront contestés sans succès par certains partis d'opposition. 23 août 1994 : formation du huitième gouvernement, qui enregistre de nouvelles nominations aux mines, aux T.P., à l'urbanisme et habitat, aux finances, au plan, à la santé. Le ministère de l'Équipement éclate en deux : urbanisme et habitat, et travaux publics. Dimanche 11 juin 1995 : premières élections législatives. Lundi 19 juin 1995 : proclamation des résultats avec l'élection de 114 députés représentant neuf sensibilités. Les deux principaux partis étant le P.U.P. avec 71 députés, et le R.P.G. avec 19 députés ; avec un taux de participation supérieur à 60 %. Mardi 20 juin 1995 : communication des dossiers à la Cour Suprême. Jeudi 29 juin 1995 : élections communales. 2 et 3 février 1996 : mutinerie de l'armée au camp Alpha Yaya de Conakry, ayant entraîné la destruction du palais 123

présidentiel, et le déplacement du président le lendemain pour rencontrer les mutins à leur base. 9 juillet 1996 : création à nouveau d'un poste de Premier ministre, confié à Sydia Touré, un Guinéen vivant en Côte d'Ivoire et ayant fait ses preuves dans des cabinets ministériels du pays hôte. À l'image de son prédécesseur qui avait profité de l'agression du 22 novembre 1970 pour entreprendre un grand « nettoyage » de son gouvernement pour masquer son échec, le président Lansana Conté va à son tour profiter de la mutinerie pour « nettoyer » son gouvernement et se fabriquer des « boucs émissaires ». Fort heureusement, à la différence de son prédécesseur, les limogeages n'eurent pas de suite fatale. Mercredi 10 juillet 1996 : important remaniement ministériel avec la formation du neuvième gouvernement. À noter le départ de toute l'équipe gouvernementale à l'exception des titulaires de trois ministères (Mines, T.P., Santé). La liste des nouveaux membres du gouvernement est publiée les 10 et 11 juillet. Deux ministères délégués sont créés et placés sous l'autorité directe du Premier ministre, à savoir : Économie et plan, Budget et restructuration des entreprises publiques. De ce gouvernement se dégagent certaines caractéristiques. Les récipiendaires sont en majorité des membres actifs du Comité de coordination économique et financière (CCEF), en charge du suivi du programme des réformes économiques initiées depuis le 22 décembre 1985 conjointement par le gouvernement et les institutions de Bretton Woods. Autre caractéristique, les nouveaux ministres sont des fonctionnaires de la même génération. Ils bénéficient de l'avantage de se connaître, de maîtriser techniquement les dossiers économiques, et ils sont censés pouvoir diagnostiquer le mal dont souffre l'économie guinéenne. À cette occasion, Dorank Djassény Assifat remplace Alsény René Gomez à la tête du Ministère de l'Intérieur, séparé de la Sécurité dont la gestion est confiée à un magistrat en la personne de Moussa Sampil. 14 février 1997 : seulement sept mois après l'installation d'une équipe gouvernementale qui avait suscité beaucoup d'espoirs, les premiers signes de conflits et de luttes 124

d'influence apparaissent et entraînent un réaménagement technique qui aboutit à la suppression des ministères délégués. Le Premier ministre chargé du dossier essentiellement économique devient un simple Premier ministre de coordination. Ibrahima Kassory Fofana devient le tout puissant ministre de l'Économie et des finances, et Ousmane Kaba est en charge du Ministère du Plan et de la coopération. Juin 1997 : création du Conseil Économique et Social, dont les membres sont nommés le 19 juin. Le premier Président sera Michel Kamano, prématurément déchu de son portefeuille de ministre en charge de l'information quelques jours auparavant. 27 octobre 1997 : formation du onzième gouvernement qui aboutit au départ des personnes considérées proches du Premier ministre notamment : Moussa Sampil de la Sécurité et Ousmane Kaba du Plan et de la coopération. Le ministère des Travaux publics fusionne avec celui des Transports sous la direction de Cellou Dalein Diallo. Goureissy Condé fait son entrée dans le gouvernement à la place de Moussa Sampil, et Zaïnoul Abidine Sanoussi remplace Assifat au ministère de l'Intérieur. Quant à Fodé Bangoura, ancien chef du protocole à la présidence, il bénéficie d'une promotion pour devenir Secrétaire général à la présidence. 14 décembre 1998 : élections présidentielles. Les consultations électorales se sont déroulées sans incidents majeurs. À noter l'arrestation à Pinet à la frontière guinéoivoirienne du candidat de l’opposition Alpha Condé, accusé de tentative de sortie illégale avant même la proclamation des résultats. À la proclamation, on enregistra la victoire du candidat du parti P.U.P., le général Lansana Conté. Nuit du 16 au 17 décembre 1998 : publication des résultats. Vendredi 9 janvier 1999 : prestation de serment du président de la République. Lundi 8 mars : publication du décret de nomination de maître Lamine Sidimé au poste de Premier ministre. 12 mars 1999 : formation du douzième gouvernement. Monsieur Sidya Touré est remplacé à la primature par 125

Me Lamine Sidimé précédemment premier président de la Cour suprême. Moussa Solano gouverneur à Labé revient comme ministre de l'Intérieur. Vendredi 9 avril 1999 : prestation de serment des ministres. Une innovation restée sans suite. Mardi 25 janvier 2000 : formation du treizième gouvernement. Avec le départ de Kassory Fofana remplacé par Cheik Amadou Camara au ministère des Finances, et le remplacement de Facinet Fofana au ministère des Mines par son ancien conseiller Ibrahima Soumah. 01 juin 2002 : formation du quatorzième gouvernement suite à un remaniement partiel qui enregistre le départ des ministres Goureissy Condé de la Sécurité, Alpha Ousmane Diallo de l'Urbanisme et habitat, et Madikaba Camara du Commerce, industrie et PME. 17 décembre 2002 : formation du quinzième gouvernement avec quelques réaménagements entre autres : retour de Moussa Sampil à la Sécurité en remplacement de Amadou Camara qui est remercié. Ibrahima Soumah est remplacé au ministère des Mines par Alpha Mady Soumah, précédemment directeur du cabinet particulier du président de la République. 13 septembre 2003 : fin de la convention du parti P.U.P. avec le choix du général Lansana Conté comme candidat pour les présidentielles. 21 octobre 2003 : diffusion du décret fixant la date des élections présidentielles au 21 décembre 2003. 5 novembre 2003 : communication des partis d'opposition confirmant leur non-participation aux présidentielles du 21 décembre 2003. 11 novembre 2003 : publication par la Cour Suprême de la liste des deux candidats retenus pour les présidentielles, à savoir : Messieurs Lansana Conté et Mamadou Boye Barry. 21 décembre 2003 : élections présidentielles avec la victoire du candidat du parti P.U.P., en l'occurrence le président sortant le général Lansana Conté. 19 janvier 2004 : prestation de serment du président élu. 23 février 2004 : formation du seizième gouvernement : à noter le départ de Me Lamine Sidimé de la primature 126

remplacé par François Lounceny Fall comme quatrième Premier ministre. Les titulaires des ministères des Finances, de l'Intérieur, du Plan, de la Pêche, de l'Hydraulique et de l'Énergie, du Commerce et de la Justice sont tous remerciés et remplacés par de nouveaux arrivants. Retour dans le Gouvernement de Bana Sidibé comme Ministre chargé des T.P., tandis que Kiridi Bangoura remplace Moussa Solano au Ministère de l'Intérieur. 9 décembre 2004 : un peu plus de sept mois après le départ de François Lounsény Fall démissionnaire le 30 avril 2004, nomination du cinquième Premier ministre de la deuxième République en la personne de M. Cellou Dalein Diallo, précédemment ministre de la Pêche. 13 décembre 2004 : à l'occasion de la cérémonie de prise de fonction, le nouveau Premier ministre a eu l'occasion de préciser les priorités du gouvernement pour le court terme, à savoir : - la restauration de l'équilibre macroéconomique afin de mieux maîtriser l'inflation et le taux de change ; - l'amélioration des réseaux de télécommunications et de transport urbain ; - le renforcement de la sécurité des citoyens et de leurs biens. - le renforcement de la bonne gouvernance. 8 mars 2005 : le nouveau Premier ministre après trois mois de fonction, obtient du président de la République le feu vert pour la constitution du dix-septième gouvernement. Le remaniement qui a eu lieu par décret le 4 avril 2006, se traduit par le départ de trois ministres, à savoir : Soumah Alpha Mahdi des Mines, Moussa Sampil de la Sécurité, et Mamadi Condé des Affaires étrangères 5 avril 2006 : publication d'un autre décret annulant le décret du 4 avril, et destituant en même temps le Premier ministre Cellou Dalein Diallo pour faute lourde, moins de seize mois après sa nomination. 26 mai 2006 : formation du dix-huitième gouvernement, sous la direction de Fodé Bangoura élevé au rang de ministre d'État aux Affaires présidentielles chargé de la coordination 127

de l'action gouvernementale, en compagnie de quatre autres ministres. 31 janvier 2007 : signature du décret N° D 007/004/PRG/SGG portant attributions du Premier ministre Chef du gouvernement, suite à la grève consécutive aux mouvements de revendication. 9 février 2007 : le ministre Eugène Camara sera le premier bénéficiaire de ce Décret en devenant le sixième Premier ministre de la deuxième République. Cette nomination fut suivie de manifestations pour protester contre le choix d'un ancien membre du gouvernement LE GOUVERNEMENT DIT DE CONSENSUS

Lundi 26 Février 2007 : nomination de monsieur Lansana Kouyaté au poste de Premier ministre chef de gouvernement, le septième, en remplacement d'Eugène Camara, avec une lettre de mission et une feuille de route. Mardi 27 février 2007 : arrivée de Lansana Kouyaté en provenance d'Abidjan. 1er mars : installation du nouveau Premier ministre. 28 Mars 2007 : formation du dix-neuvième gouvernement comprenant 22 membres. 11 avril 2007 : premier conseil des ministres. 12 mai 2007 : pose de la première pierre du nouveau stade de Nongo par le Premier ministre, suivie le même soir de la nomination du général Baïlo Diallo au poste de ministre de la Défense nationale en remplacement du général Arafan Camara. Par la même occasion, le général Diarra Camara est promu au poste de chef d'état-major général des armées en remplacement du général Kerfalla Camara. 23 mai 2007 : le gouvernement est convié à Bel Air pour une retraite. Janvier 2008 : décès du général Arafan Camara, ancien ministre de la Défense. 20 mai 2008 : lors du journal télévisé, annonce de la nomination d'Ahmed Tidiane Souaré au poste de Premier ministre, le huitième, en remplacement de Lansana Kouyaté.

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23 mai 2008 : installation du nouveau Premier ministre, avec le refus du sortant de se présenter à la cérémonie de passation de service. 19 juin 2008 : nomination des membres du vingtième gouvernement. Il compte 36 membres, soit 33 départements ministériels et 3 secrétariats généraux. Il est qualifié de gouvernement d'ouverture à cause de la présence dans l'équipe de représentants de partis politiques de l'opposition (U.P.R.-U.P.G.). À noter la nomination d'un civil au poste de ministre de la Défense nationale en la personne d'Almamy Kabèlè Camara. 7 juillet 2008 : alerte de la société civile à l'endroit du nouveau gouvernement pour lui communiquer ses priorités pour les mois à venir : - la poursuite et l'intensification du processus devant mener à la tenue dans les délais impartis, d'élections législatives libres, transparentes et acceptées par tous ; - la lutte contre l'impunité, notamment à travers le démarrage effectif des activités de la commission d'enquête indépendante sur les exactions de juin 2006 et janvier-février 2007. À cela s'ajoutent les dernières tueries de mai et juin 2008 perpétrées par les forces de défense et de sécurité ; - le redressement économique du pays, en mettant l'accent sur l'atteinte du point d'achèvement de l'initiative PPTE, une meilleure gouvernance et la publication des résultats des audits. 29 juillet 2008 : session extraordinaire du conseil des ministres avec une communication du ministre de l'Économie et des Finances définissant les priorités du gouvernement dans le cadre de son programme minimum d'urgence qui s'étendra sur une période de 12 mois, allant d'août 2008 à décembre 2008, de janvier 2009 à mars 2009, d'avril 2009 à juillet 2009. À cette occasion, le Premier ministre précisa qu'il souhaitait inscrire l'action et les initiatives du gouvernement dans le réalisme et le pragmatisme afin que très rapidement les populations, lasses des fausses promesses, ressentent, dans leur quotidien, les effets du changement d'équipe gouvernementale. En définitive, il a proposé cinq axes d'intervention : 129

1 - la sécurité des personnes et des biens ; 2 - l'amélioration de la desserte d'eau et d'électricité ; 3 - la réduction des prix des denrées de première nécessité ; 4 - l'emploi des jeunes ; 5 - le lancement des travaux de réhabilitation des infrastructures détruites. 28 août au 26 octobre 2008 : période retenue pour les opérations d'enregistrement des électeurs pour les législatives. 14 octobre 2008 : remaniement ministériel partiel : Monsieur Karamokoba Camara, économiste précédemment secrétaire général du ministère de l'Économie et des Finances, est nommé ministre des Finances, en remplacement de Monsieur Ousmane Doré, tandis que El Hadj Madifing Diané, précédemment inspecteur général de la police, est nommé ministre de la Sécurité en remplacement de Monsieur Damba. Dans un deuxième décret publié le même jour, le gouverneur de Conakry Monsieur Malick Sankhon est remplacé par Monsieur Soriba Sorel Camara secrétaire général de la jeunesse du P.U.P. et précédemment conseiller politique à la présidence, tandis que Monsieur Nawa Damey, précédemment conseiller au ministère de la Décentralisation, était nommé gouverneur de Boké en remplacement de monsieur Siafa Béavogui, démis de ses fonctions pour faute lourde (complicité de trafic de drogue). 6 septembre : conférence de presse du président de la C.E.N.I., pour confirmer le report de la date des législatives pour probablement la fin du premier trimestre de l'année 2009. LE MOT DE LA FIN

En conclusion, du mois d'avril 1984 au mois de juin 2008, le président Lansana Conté a géré le pays pendant 24 ans avec une vingtaine d'équipes gouvernementales. Soit une moyenne de durée de vie gouvernementale de 14 mois. À ce sujet, un journaliste d'un hebdomadaire de la place a écrit : « D'autre part on relèvera que les structures du gouvernement 130

sont souvent fonction de la confiance placée en l'occupant du moment. Pour exemples : la Sécurité est soit couplée à l'Intérieur, soit érigée en ministère. La Coopération et le Plan sont en perpétuel mouvement pendulaire de mariage, divorce, d'absorption entre Affaires Étrangères, Économie et Finances. Le ministère de la Communication et le ministère de l'Information connaissent le même sort. La Culture, les Eaux et forêts, l'Artisanat, l'Élevage sont de véritables structures en migration permanente. L'Environnement vagabonde entre l'Agriculture, les T.P., les Ressources naturelles. Quant au ministère des Transports, il est souvent fusionné aux T.P., parfois à la Communication et au Tourisme, parfois au Commerce et l'Industrie, ou redevient à certains moments un ministère plein. D'autre part, l'on constate qu'aucun ministre de l'Intérieur chargé des élections (loi fondamentale, présidentielles, législatives) n'aura survécu au remaniement suivant, malgré les résultats obtenus. Quant au mouvement pendulaire des militaires dans le gouvernement, il s'est interrompu en 1991. À partir de ce moment, le général Lansana Conté était devenu le maître absolu, incontesté et incontestable du jeu. De ce fait, il détenait seul les rênes du pouvoir. À partir de ce moment, nominations et révocations sont fonction de critères qui échappent à la compréhension du citoyen, y compris les récipiendaires et les remerciés. On a souvent l'impression que la subjectivité prime sur l'objectivité et la rationalité. Que les préoccupations de certains membres de la famille, des conseillers occultes, des puissants lobbies formels et informels, sont privilégiées par rapport à l'efficacité et au souci de la bonne gouvernance. Le président de la République demeure l'unique décideur de l'avenir de la Guinée et des Guinéens depuis la dissolution du C.M.R. en 1991. La durée d'un poste ministériel dépasse rarement deux ans. Or il est important de comprendre que, quelles que soient son intelligence et son ardeur au travail, un fonctionnaire promu à un poste de responsabilité a besoin au moins de deux ans pour être opérationnel et acquérir une parfaite maîtrise des multiples contours de son poste. Maîtrise technique des dossiers, maîtrise de l'environnement 131

interne, externe et international, et surtout la connaissance des hommes. D'où un perpétuel recommencement avec un arrière-goût d'inachevé, avec des projets et des programmes abandonnés à mi-parcours. L'instabilité des membres du gouvernement et de la structure gouvernementale est source d'interminables conflits entre les administrations, les membres des gouvernements, les hauts fonctionnaires des ministères. De ce fait, le gaspillage des ressources financières, matérielles et humaines est devenu une pratique courante. Chaque ministre muté ou démis part avec ses hommes, ses projets et sa stratégie, et le nouveau venu en fait autant. Par conséquent, le mode de gestion gouvernementale ne met personne à l'abri de l'instabilité et de la peur du lendemain. Cette instabilité conforte la mauvaise gouvernance avec sa cohorte de gabegies financières.» (23) c - La politique économique Le 22 décembre 1985, le président de la République a fait une importante adresse à la nation. C'est à cette occasion qu'il a dévoilé le programme du nouveau régime pour le développement de la Guinée. Pour sa réalisation, il a invité tous les Guinéens à la mobilisation, à la solidarité et à l'organisation rationnelle du travail. En renonçant au socialisme comme mode de gestion des affaires de l'État guinéen, les nouvelles autorités ont opté pour une économie libérale. Une page est donc tournée au moment où une nouvelle page s'ouvre avec comme conséquences la remise en cause de toutes les données du pays en vue de leur adaptation aux nouvelles règles de gestion. À l'instar des autres pays en voie de développement, des secteurs tels que l'agriculture, l'élevage et la pêche devaient constituer les poumons et la pierre angulaire de notre économie parce que mobilisant près de 70 à 80 % de notre population active. Malheureusement, leurs efforts en termes de produits vivriers ou de subsistance, et d'exportation (industrielle) se sont soldés par un déficit de plus en plus important. En effet, jamais ils n'ont couvert les besoins vitaux de la population, du fait simplement des difficultés de 132

tout genre auxquelles le monde rural se trouve confronté, qui se caractérisent entre autres par : - le manque d'équipement ; - le manque d'engrais ; - l'absence de crédits et l’insuffisance de subventions ; - l'analphabétisme ; - l'exode rural ; - la persistance des pratiques traditionnelles au niveau des secteurs de l'agriculture, de l'élevage et de la pêche. Quant au secteur de l'industrie, il est confronté à l'important déficit d'énergie qui, au lieu de s'améliorer, s'aggrave de jour en jour. Comme si cela n'était pas suffisant, le secteur doit aussi faire face à : - une insuffisance de ressources humaines qualifiées ; - des structures de financement de crédits absentes dans un premier temps, et peu incitatives une fois mises en place ; - par conséquent, peu de PME et de PMI ont pu émerger et s'installer dans la durée compte tenu du manque d'énergie et de crédits. Le secteur tertiaire hypertrophié reste et demeure mal organisé alors qu'il occupe plus de la moitié de la population. Finalement, en Guinée, tout le monde est vendeur ou revendeur au détriment de la production. D'autre part, les communications terrestres, aériennes, maritimes et ferroviaires, ajoutées aux nouvelles technologies de l'information sont dérisoires voire même parfois inexistantes (chemins de fer), malgré leur importance stratégique dans le développement économique national. Il se trouve que les échanges et la gestion rationnelle du temps sont des facteurs indispensables pour attirer les investisseurs. Compte tenu de tout cela et de bien d'autres constats, l'on peut penser que les nouvelles autorités du « redressement » ont finalement fait un saut dans l'inconnu, ce qui les oblige à naviguer à vue. Au lieu d'être graduelle, l'option libérale a connu une certaine précipitation. De ce fait, l'initiative n'a pas connu une application correcte conformément au contenu du discours programme du 22 décembre. Si les causes de l'échec sont multiples, elles sont en grande partie imputables aux cadres et aux responsables. En effet, s'il est vrai que le 133

régime avait changé, force est de reconnaître qu'il était obligé d'utiliser les mêmes cadres administratifs sortis tout droit du moule du P.D.G. De ce fait, il n'était donc pas surprenant de retrouver les vieilles habitudes héritées du pouvoir central. Comme résultat, le nouveau système s'est retrouvé très vite bloqué par ces cadres qui se sont retrouvés du jour au lendemain aux postes de commande, donc de décision. L'État va être caractérisé par la persistance des séquelles du dirigisme étatique. Le chef de l'État, avec la complicité de son entourage, va, au fil du temps, se positionner pour devenir incontournable pour la gestion des problèmes économiques, où il reste omnipotent et omniprésent, ce qui est en contradiction avec les règles de l'option libérale. Ainsi va naître et se développer un secteur privé vivant aux dépens de l'État. Finalement, la corruption aidant, l'État lui-même commença à s'embourgeoiser en alliance avec des opérateurs économiques de la place, dont la presque totalité venait de l'extérieur, avec un savoir-faire du système libéral mieux maîtrisé que par les commerçants locaux. Pour mieux s'implanter et avoir accès aux marchés de l'État, ces mêmes opérateurs ont commencé par corrompre les agents de l'État au niveau des circuits intermédiaires et des responsables nationaux. Finalement, n'ayant pu maîtriser et contrôler les paramètres du système libéral ambitionné, le pays s'est retrouvé dans un système sans règles et sans contrôle, dominé par une brochette d'opérateurs économiques, sous le parrainage d'un éxécutif qui ne pouvait plus être juge car devenu partie prenante. Référence à sa toute dernière rencontre avec des opérateurs économiques assis sur des tapis par terre dans la salle de réunion : «Vous me devez tout ». Finalement, l'option libérale qui aurait dû contribuer à faire renaître et relancer une économie jadis florissante dans le domaine de l'exportation des produits agricoles du temps colonial, a été un échec dans le domaine agricole. Aujourd'hui, la Guinée importe presque tout, et n'exporte presque rien en dehors du secteur minier. De ce fait, le Guinéen est passé de la rareté et du rationnement à l'abondance des produits importés dans les boutiques, sans 134

pouvoir y accéder, à cause de son faible revenu. Après plus de 20 années de pratique du libéralisme, le Guinéen moyen a toujours du mal à satisfaire les besoins de sa famille dans le domaine de l'alimentation, alors que son pays est le château d'eau de l'Afrique de l'Ouest, et que plus des trois quarts de la superficie de son territoire sont propices pour la culture. Difficile donc de parler de bilan positif sur le plan économique. d) Les crises ayant marqué la IIe République Plus que la Première République, et pour une durée presque égale, la Deuxième République a été confrontée à des crises multiples et diverses, dont certaines ont mis le pouvoir à rude épreuve. Ce furent de fréquents mouvements à caractère social et corporatif, et ceci d'une façon répétitive. Les mutineries furent aussi répétitives dans les casernes de même que les agressions à nos frontières. Le choix pour le multipartisme et l'apprentissage de la démocratie, occasionna très souvent des bras de fer entre l'exécutif et l'opposition qui, fort malheureusement, aboutirent parfois à des interpellations. Puis, à partir de 2005, des « crises dites de palais » consécutives à l'aggravation de la maladie du président, et consacrant la déliquescence de l'État. L'on ne saurait terminer sans parler de la crise latente et rampante, dont les conséquences pourraient faire plus de victimes et de dégâts que les agressions : il s'agit du trafic de drogue. L'adoption par référendum de la loi fondamentale le 23 décembre 1990 fut une vraie « révolution » pour le citoyen guinéen, avec des droits nouveaux comme le multipartisme, le droit d'association, le droit de manifestation et de grève, la liberté d'expression, entres autres. I - La toute première crise inhérente à la nouvelle option eut lieu en mai 1991 : c'était la grève des enseignants, suivie d'une marche pacifique de protestation soutenue par la population. Partis du quartier Madina dans la banlieue de Conakry, les manifestants furent reçus, après près de cinq kilomètres de marche, au palais des nations par le chef de l'État. En réponse, les salaires de tous les fonctionnaires bénéficièrent d'une augmentation de 100%. 135

II - La deuxième crise, l'une des plus graves, était quant à elle prévisible depuis fort longtemps. Elle avait peut-être surpris les habitants de la capitale, mais la grogne était perceptible dans les casernes depuis quelque temps, et connue de tous les responsables militaires car elle était manifeste même autour du mât lors des rassemblements. Plusieurs responsables militaires et civils avaient eu l'occasion de faire part à l'autorité de leurs inquiétudes. Ce dernier, toujours égal à lui-même, minimisait comme toujours les signaux et semblait maîtriser la situation. Finalement, ce fut les 2 et 3 février 1996, la mutinerie du camp Alpha Yaya de Conakry. Partis du camp du même nom et situé en haute banlieue, les militaires armés se sont dirigés vers la ville, avec pour objectif sans doute, de se rendre à la présidence. Les civils furent globalement épargnés, à l'exception de deux obus tirés depuis le camp Alpha Yaya vers un objectif encore ignoré, mais qui ont atterri sur des maisons d'habitation à Koronthie, un quartier de Kaloum, faisant quelques morts et plusieurs blessés. Dans la nuit du 2 au 3 février, le palais des Nations, siège de la présidence fut attaqué à l'arme lourde, alors que le chef de l'État s'y trouvait. Une bonne partie du bâtiment fut endommagée. Le lendemain matin, il fut contraint par les mutins de se rendre au camp Alpha Yaya, où se trouvait déjà en détention le ministre de la Défense nationale, le colonel Abdourahmane Diallo. Fort heureusement, entre-temps, la situation avait évolué dans le camp, et les mutins avaient été mis en minorité. Peu de temps après, il put regagner son domicile après avoir pris des engagements pour satisfaire les points de revendications. Plusieurs officiers et sous-officiers seront arrêtés, traduits en justice et condamnés à des peines d'emprisonnement au cours d'un procès qui débuta le 12 février 1998. À noter la fuite du lieutenant Gbago Zoumanigui considéré comme l'un des principaux meneurs. Les points de revendications faisaient référence, en partie, aux primes accordées par l'ONU aux soldats déployés au Liberia et en Sierra Leone au compte de l'ECOMOG. Ces primes, versées aux États, devaient être rétrocédées aux 136

soldats en fin de mission. Retard ou détournement, dans tous les cas, les destinataires n'avaient pas reçu leur dû. III - La troisième crise à caractère social était surtout symptomatique et symbolique de la mauvaise gouvernance. En effet, des citoyens de la capitale se sont retrouvés doublement victimes : d'une part des fonctionnaires corrompus de l'État qui leur ont délivré des vrais faux documents, et d'autre part, de l'État lui-même qui les a déguerpis sans ménagement et sans dédommagement ou relogement. C'est ainsi que démarra le 23 mars 1998, l'opération de déguerpissement de certains quartiers dans la haute banlieue de Conakry, baptisée « opération Kaporo Rail » du nom du quartier concerné. L'opération a consisté en l'expulsion des occupants et la démolition de leurs maisons sous le prétexte d'occupations illégales. Toutefois, si occupation illégale il y a eu, l'administration ou les agents agissant en son nom ont été complices pour à la fois avoir laissé faire les constructions, avoir délivré de vraies fausses autorisations de construire, et avoir fourni les services publics (eau - électricité - téléphone). Le nombre de personnes victimes de cette opération est estimé à 10 morts et plusieurs dizaines de blessés. Des arrestations eurent lieu, au nombre desquelles figuraient un imam et des responsables religieux, le maire et un de ses conseillers, tous deux députés à l'Assemblée nationale, élus pour le compte du parti d'opposition U.N.R. et qui seront libérés après quelques jours de détention. Comme il fallait s'y attendre, l'opposition était montée en première ligne, surtout que la zone était considérée comme l’un de ses fiefs. Comme conséquences, ce fut l'arrestation le dimanche 29 mars, de Bah Mamadou, député à l'Assemblée nationale, président du parti U.N.R., interpellé à son domicile à 14h15 par la police judiciaire. Elle fut suivie le vendredi 3 avril 1998 par l'arrestation de plusieurs responsables du parti d'opposition R.P.G., dont 2 députés à l'Assemblée nationale. Ils seront tous libérés après quelques jours de détention. La zone fut aussi libérée, mais les victimes non satisfaites, car aucun droit ne leur fut reconnu. 137

IV - Comme il fallait s'y attendre, après plusieurs années de combats chez les voisins, la rébellion avait finalement traversé la frontière. Cela commença le vendredi 10 septembre 1999, par des attaques dans la préfecture de Macenta en Guinée forestière, faisant frontière avec le Liberia et la Sierra Leone. Ces premières incursions furent repoussées. Le mardi 14 septembre 1999, une deuxième incursion est repoussée dans la même préfecture de Macenta. À l'époque, Charles Taylor était le chef incontesté de la rébellion au Liberia. Comme conséquence, le jeudi 2 mars 2000, le président Lansana Conté, effectua une visite de travail à Bamako sur invitation du Président malien pour une tentative de médiation avec Charles Taylor. Ce fut sans succès. V- Le mercredi 12 avril 2000 : début du procès du leader Alpha Condé, président du parti d'opposition R.P.G. Candidat aux présidentielles de 1998, il avait été interpellé en Guinée forestière à la frontière de Pinet. Il faut rappeler que l'arrestation d'Alpha Condé, qui était candidat aux élections présidentielles de 1998, a eu lieu avant la fin du dépouillement et la publication des résultats du scrutin. Il y eut plusieurs mois entre l'interpellation et le jugement. Pendant toute la durée du procès, les militants du R.P.G. marches pacifiques de organisaient d'importantes protestation le long des artères menant au palais de justice de Kaloum à Conakry. VI - En septembre 2000, nouvelles agressions des rebelles à nos frontières sud et sud-ouest. Elles furent repoussées après quelques semaines. Elles ont entraîné plusieurs pertes en vies humaines au sein des populations et des forces de défense, sans compter les blessés, les personnes déplacées et les dégâts matériels de tous genres. Des noms de localités comme Ouendé Milimo, Madina Ouala, Pamalap, resteront pendant longtemps comme les symboles de la détermination et de la résistance de notre armée nationale. Toutefois, des interrogations subsistent encore sur les conditions de la mort du colonel Sama Panival Bangoura, commandant de zone militaire, mort au front à Madina Ouala. 138

VII - Le 9 février 2001, pour des raisons inconnues du public, une explosion a eu lieu à la poudrière du camp Alpha Yaya. On ignore s'il y a eu des pertes en vie humaines, mais des dégâts matériels très sûrement. VIII - Le 13 novembre 2003 : arrestation de Jean-Marie Doré, leader du parti d'opposition U.P.G., pour outrage au chef de l'État lors d'une interview à la radio RFI. Il fut libéré le lendemain dans la nuit. IX - Le 14 mars 2004 : décès à Paris de Siradiou Diallo, président du parti d'opposition P.R.P. devenu U.P.R. par la fusion avec l'U.N.R. de Bah Mamadou, et du parti de Aliou V Diallo. Loin d'être considéré comme une crise, l'événement fut ressenti comme un choc par l'ensemble de la classe politique, toutes sensibilités confondues, et par l'ensemble de la population. L'émotion était à la hauteur de la surprise, car l'intéressé avait quitté la Guinée quelques jours auparavant, apparemment en bonne santé. Ses obsèques eurent lieu le vendredi 26 mars 2004 à Labé, sa ville natale. X - Le 30 avril 2004 : démission de François Lounsény Fall de son poste de Premier ministre, transmise au chef de l'État par correspondance postée depuis Paris. C'était une première en Guinée pour ce poste, et la deuxième d'un membre du gouvernement après celle de Jean Claude Diallo en février 1986. XI - Le 19 janvier 2005 : attentat contre le cortège présidentiel à Enco 5, quartier situé dans la haute banlieue de Conakry. En effet, le cortège présidentiel a été attaqué alors qu'il revenait du village natal du chef de l'État. Il y aurait eu des blessés et des victimes parmi les habitants en bordure de l'autoroute. XII - Le 28 février 2006 : début du mouvement de grève lancé par les syndicats pour demander une amélioration des conditions de vie des travailleurs. Des négociations entamées avec le gouvernement ont abouti à un accord le 3 mars 2006, après engagement de ce dernier à satisfaire les points de revendication. XIII - En juin 2006 : nouveaux mouvements de grève, suivis de manifestations de rue dans la capitale et dans 139

certains centres comme Labé et N'Zérékoré. Résultat : une demi-douzaine de morts et plusieurs dizaines de blessés. XIV - Janvier-février 2007 : considérant que les engagements pris par le gouvernement n'ont pas été tenus, les syndicats appellent à une grève générale suivie d'importantes manifestations de rue dans tout le pays, mettant le gouvernement dans l'obligation de décréter l'état de siège. Le bilan est très lourd : près de 200 victimes et plus de 1500 blessés. Cette grève était la suite logique de l'avis de grève générale publié le 2 janvier 2007 et signé par Hadja Rabiatou Sera Diallo, secrétaire générale de la C.N.T.G. et El Hadj Ibrahima Fofana, secrétaire général de l'U.S.T.G. Cidessous une copie intégrale de l'avis de grève. « AVIS DE GRÈVE GÉNÉRALE

L'Intercentrale C.N.T.G.-U.S.T.G. constate avec amertume, depuis un certain temps, la violation répétée au plus haut sommet de l'État des Lois républicaines. L'Intercentrale C.N.T.G.-U.S.T.G. Considérant l'ingérence du chef de l'État, chef de l'éxécutif, dans le judiciaire par la libération illégale de citoyens en conflit avec la loi, poursuivis pour complicité de détournement de deniers publics et d'émissions de chèques sans provision. Considérant que les réserves de la banque centrale de la République de Guinée ne sont plus à même de répondre à la demande des banques primaires de la place suite à l'endettement excessif du Trésor public vis-à-vis de la B.C.R.G., aggravant ainsi la vie déjà si chère. Considérant l'incapacité prouvée du gouvernement à arrêter la dépréciation continue du franc guinéen qui aggrave l'inflation et la chute drastique du pouvoir d'achat des populations en général et des travailleurs en particulier. Considérant la violation flagrante de l'article 18 de la loi fondamentale et des conventions n° 87 et 98 de l'O.I.T. qui garantissent l'indépendance des organisations syndicales, d'employeurs et de travailleurs vis-à-vis de l'État. Considérant l'incapacité avérée du premier magistrat de la République d'assumer correctement la mission à lui 140

confiée par le peuple de Guinée conformément à la loi fondamentale. Vu l'indifférence notoire des institutions républicaines (Cour Suprême, Assemblée nationale, Conseil économique et social) face à cette situation calamiteuse. Considérant que la vaillante armée guinéenne continuera de jouer son rôle républicain et de défendre le laborieux peuple de Guinée en détresse. Considérant que la dernière grève de juin 2006 n'est que suspendue. L'Intercentrale C.N.T.G.-U.S.T.G. n'ayant plus d'interlocuteurs crédibles tant du coté du gouvernement que de celui du patronat, pour l'application correcte et intégrale des accords tripartites passés le 3 mars et le 16 juin 2006 entre le gouvernement, le patronat et le syndicat. Décide du déclenchement d'une grève générale et illimitée, sur toute l'étendue du territoire national, à compter du mercredi 10 janvier 2007 jusqu'au rétablissement de l'ordre républicain. L'Intercentrale, dont la mission fondamentale est la défense des intérêts matériels et moraux des travailleurs de tous les secteurs, public, mixte, privé, informel et retraités de Guinée, lance un appel aux laborieux travailleurs de Guinée pour observer ce mot d'ordre de grève jusqu'à la victoire finale. Ensemble mobilisons-nous pour la victoire. Conakry le 2 janvier 2007» Mercredi 10 janvier : début de la grève. Mardi 16 janvier : lecture dans la salle du Conseil des ministres par le président de l’Assemblée nationale, d'une communication faite au nom du chef de l'éxécutif, devant des membres du gouvernement surpris autant par le contenu que par le mandataire. En effet, cette communication faisait suite à l'audience accordée la veille par le chef de l'État aux syndicalistes, qui estimaient qu'il était leur seul interlocuteur. Par ce geste, l'on pouvait déjà prévoir que le processus de sortie de crise était mal engagé, par le fait que le dernier 141

recours était devenu le premier interlocuteur. Au sortir de l'audience, les syndicalistes étaient insatisfaits avec même une certaine inquiétude chez certains d'entre eux. À ce sujet Hadja Rabiatou dira en privé concernant le chef de l'État : « il m'a donné l'impression d'un homme las, dépassé par les événements ». 17 janvier 2008 : sur invitation du général Kerfalla Camara, chef d'État-major général des armées, les responsables syndicaux se sont rendus au camp Alpha Yaya. Ils s'attendaient à rencontrer de nouveau le chef de l'État, mais ils se sont finalement rendus compte après une longue attente, que ce dernier n'était pas informé de leur présence. Alerté par un de ses fidèles courtisans, le président Conté serait arrivé finalement sur les lieux en compagnie du ministre d'État à la présidence Fodé Bangoura et de madame Chantal Colle, directrice d'une société de téléphonie mobile, une autre fidèle de l'entourage présidentiel. Il était dit-on dans tous ses états lorsqu'il déclara, s'adressant au général Kerfalla et ses collaborateurs présents : « Vous êtes en train de comploter contre moi, je vais vous faire arrêter tous ». L'intensité de sa colère était telle qu'elle déclencha une grave crise. La situation étant devenue dramatique voire même inquiétante, les syndicalistes se seraient finalement retirés sans prendre congé. En effet, l'inquiétude, l'embarras et la peur étaient visibles au niveau de la hiérarchie militaire, cependant que madame Chantal Colle et Fodé Bangoura étaient occupés à porter les premiers secours au président. Quant à l'analyse de cet avis de grève, il soulève un certain nombre de questions à savoir : 1 - L'article 18 de la loi fondamentale dont il est fait référence, dit bien à son alinéa n°1 : « Le droit au travail est reconnu à tous ; l'État crée les conditions nécessaires à l'exercice de ce droit. » Mais il est aussi précisé à l'alinéa n°4 : « Le droit de grève est reconnu. Il s'exerce dans le cadre des lois qui le régissent. Il ne peut en aucun cas porter atteinte à la liberté du travail. » Le code du travail n'est pas en reste car il précise : 142

2 - Article 334 : « Même en période de grève, il est interdit à toute personne de s'opposer, par la force ou sous la menace, au libre exercice de l'activité professionnelle des salariés. » Cet article a été violé par les syndicats en janvier et février 2007, car plusieurs travailleurs de l'administration, du secteur privé (CBG-OBK), et de l'informel ont été empêchés de se rendre sur leur lieu de travail, suite à des intimidations ou au blocage des voies ferrées. C'est aussi le moment de rappeler que madame Pierrette Tolno, la ministre de la Fonction publique et du Travail, issue des rangs du syndicat, avait enregistré un refus catégorique des syndicalistes de répondre à son invitation après la diffusion de l'avis de grève. Il semble que ses anciens camarades lui reprocheraient d'avoir trahi leur cause, une fois dans le fauteuil ministériel. Par la suite, sans consultation des autres membres du gouvernement, elle avait pris sur elle l'initiative de se déplacer pour aller à la Bourse du travail, pour rencontrer les syndicats « ses anciens camarades ». On la fit attendre près de deux heures dans un salon, avant de lui demander de bien vouloir regagner son département, car sa sécurité ne pouvait être garantie à la Bourse du travail. 6 - En relisant le code du travail qui est le bréviaire du syndicaliste, nous relevons : 7 - Article 331 - Dès que le préavis de grève est notifié à l'autorité compétente, celle-ci doit prendre l'initiative d'une négociation avec les organisations syndicales représentatives sous l'égide de l'inspecteur du travail dans le ressort duquel le conflit a pris naissance, ou de l'inspecteur général du travail lorsque le conflit déborde le cadre d'une inspection du travail. 8 - Les parties au conflit sont tenues de se rendre à toutes les convocations et réunions de concertation et de conciliation organisées par l'autorité compétente. 9 - Au dernier jour de préavis, l'inspecteur du travail ou l'inspecteur général du travail constate l'échec des négociations. 143

10 - Article 333 : pendant tout le déroulement de la grève, les parties ont l'obligation de poursuivre les négociations sous l'autorité d'un représentant ad hoc désigné par le ministre chargé du Travail. Ce représentant peut procéder à toutes les investigations utiles en vue du règlement du conflit collectif. Les parties sont tenues de se rendre, sous peine de sanctions arrêtées par le ministre chargé du Travail, à toutes ses convocations. 11 - Ces articles aussi ont été violés en janvier et février 2007 par les syndicalistes qui voulaient sans doute sanctionner leur ancienne camarade, en refusant systématiquement d'envoyer des représentants pour participer aux réunions prévues au département. Plus grave encore, de l'analyse des différents considérants et de la décision finale, on se demande : - si le syndicat est la structure habilitée par les textes fondamentaux pour faire le constat de l'incapacité du premier magistrat de la République à assumer correctement la mission à lui confiée par le peuple de Guinée conformément à la loi fondamentale ? - S’il faut remettre en cause les institutions républicaines ? - S’il faut faire appel, même s'il s'agit d'un appel explicite du pied, à l'armée ? - Et pour couronner le tout, s’il faut faire du rétablissement de l'ordre républicain l'objectif d'une lutte syndicale. Finalement, la réponse à toutes ces interrogations sera donnée quelques mois seulement plus tard, lorsque, invité sur le plateau de la R.T.G. en avril 2008, au cours de l'émission l'Invité du jeudi, El hadj Ibrahima Fofana, secrétaire général de l'U.S.T.G. déclara : « L'avis de grève de janvier 2007 était politique ». Comme résultat, ce fut la signature le 27 janvier 2007 d'un procès verbal de négociation sous la contrainte de la rue et parfois même sous la menace (Réf : tentatives de destruction des domiciles du président de l'Assemblée nationale et de la ministre de la Fonction publique et du Travail, importants dommages au domicile du ministre de 144

l'Enseignement pré-universitaire, alors que d'autres ministres étaient obligés de déménager avec leur famille dans des endroits plus sécurisés.) L'on comprendra donc aisément les dérapages et autres amalgames contenus dans les décisions, et les blocages intervenus dans la mise en application du contenu de ce document, comme par exemple : Point n° I. De la mise en place d'un gouvernement de large consensus, dirigé par un Premier ministre chef du gouvernement. Il est dit : « Le président de la République a accepté de nommer un Premier ministre chef de gouvernement en vertu des dispositions que lui confère l'article 39 de la loi fondamentale. Le projet de décret portant attributions du Premier ministre ainsi que sa lettre de mission ont reçu l'approbation du chef de l'État. Ce Premier ministre, dont la nomination interviendra dans les prochains jours, doit être un haut cadre civil, compétent, intègre et qui n'a été ni de près ni de loin impliqué dans des malversations. » Pour ce choix, faute d'audits préalables, et à défaut de preuves avérées de détournements, l'on se demande qui est réellement habilité à porter un tel jugement et suivant quels critères ? C'est le lieu et le moment de faire état d'une interview de Jean-Marie Doré, leader d'un parti d'opposition (U.P.G.), faite en août 2008 au journal L'Indépendant. « Dans un État de droit, tant qu'un homme n'a pas été invalidé par une condamnation pénale, il ne peut pas être invalidé pour l'exercice d'une fonction publique.» Par la suite, le chef de l'État s'est trouvé contraint de démissionner tout son gouvernement, y compris ceux de ses membres qui n'étaient en poste que depuis trois mois, et cela pour la toute première fois. décret du signature 31 janvier 2007 : n°D 007/004/PRG/SGG Portant attributions du Premier ministre chef du gouvernement. À noter, article 6 : il nomme à tous les emplois civils et dirige l'Administration. Dans ce cas précis, on se demande si réellement les différents signataires avaient conscience des problèmes liés à l'application d'une telle décision ? 145

En effet, dans la loi fondamentale il est dit, article 40 : le président de la République nomme à tous les emplois civils. Il dirige l'Administration. Par conséquent, il faut savoir que même si le président de l'Assemblée nationale avait effectivement eu à présider les réunions ayant abouti à la signature de ces accords, ce texte ne pouvait en aucun cas rendre caduque la Constitution sans consultation et décision de l'Assemblée nationale. 9 février 2007 : le ministre Eugène Camara sera le premier bénéficiaire de ce décret en devenant le sixième Premier ministre de la Deuxième République. 12 février 2007 : compte tenu du désordre et des très importants dégâts aussi bien en vies humaines que matériels, le chef de l'État, après plusieurs hésitations, s'est trouvé dans l'obligation de signer le Décret N° D/2007/011/PRG/SGG du 12 février portant proclamation de l'état de siège, allant du lundi 12 février 2007 au vendredi 23 février 2007. 21 février 2007 : première lettre N°/001/CABPM/SP du nouveau Premier ministre Eugène Camara, adressée au président de l'Assemblée nationale au nom du président et par ordre, sollicitant la prorogation de l'état de siège en application de l'article n° 74 - alinéa 3 de la loi fondamentale. Suite au vote négatif de la majorité des députés, l'état de siège devait donc prendre fin à la date prévue du 23 février 2007. Le parti présidentiel P.U.P. détenant à lui seul la majorité, l'on peut imaginer que ce « vote sanction » reflétait plus la prise en compte d'une grave dégradation du vécu des populations qu'une volonté de désavouer l'exécutif. Avec la levée de l'état de siège, la vie reprend petit à petit son cours normal, permettant une sortie de crise avec la nomination le 26 février 2007, sur proposition des syndicats, d'un nouveau Premier ministre en la personne de Lansana Kouyaté. La nomination est accompagnée d'une lettre de mission et d'une feuille de route (doc. n°12 du 26 février 2007). XV - Le 2 mai 2007 : début des mutineries dans les camps de Conakry, et N'Zérékoré.

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15 mai 2007 : rencontre des mutins avec le président de la République au camp Samory Touré pour examen de leurs revendications. XVI - Le 5 décembre 2007 : c'est la suite du « feuilleton de la présidence » commencé en avril 2006 avec le décret de restructuration proposé par le Premier ministre Cellou Dalein Diallo. Par la signature du décret D/2007/041/PRG/SGG portant attributions et organisation des départements et secrétariats généraux, le Premier ministre se trouvait dépouillé de toutes ses prérogatives au profit du secrétaire général de la présidence. Ainsi, lors du limogeage le 03 janvier 2008 de monsieur Justin Morel Junior, ministre de la Communication et des Nouvelles Technologies, le Premier ministre s'est trouvé mis devant le fait accompli, sans aucune possibilité de réaction, si ce n'est de proposer la démission de son gouvernement, ce qui n'était pas évident. Peut-être que ce fut une occasion ratée. Par la suite, le 15 janvier 2008, on annonce la publication de l'arrêté n°309 PM/cab, du Premier ministre, qui dit agir par délégation du président de la République et qui attribue les hôtels Kaloum et Niger à une société libyenne. Les prémices de la disgrâce du gouvernement apparaissent déjà avec la polémique autour de l'arrêté d'expulsion en date du 19 mars 2008, de madame Chantal Cole, bénéficiant de la double nationalité. Cela est confirmé le vendredi 4 avril 2008, par la signature du Décret annulant les arrêtés d'attribution Le 20 mai 2008 : inauguration par le Premier ministre dans la journée d'une statue au rond-point du carrefour Nafaya. Puis le soir, c'est l'acte final lors du journal télévisé, annonçant la nomination d'Ahmed Tidiane Souaré au poste de Premier ministre, le huitième, en remplacement de Lansana Kouyaté. Le 23 mai 2008 : installation du nouveau Premier Ministre, après le refus du sortant de se présenter à la cérémonie de passation de service. Baisser de rideau pour cet épisode du feuilleton. XVI - Le 26 Mai 2008, c'est le « remake » (répétition) avec de nouvelles fusillades et des remous dans plusieurs garnisons du pays avec, dans la capitale, des attaques de 147

magasins par des hommes en uniforme. Dans un premier temps, les points de revendication concernaient : 1- Le paiement des arriérés évalués à 5 millions par soldat, 2 - La libération des soldats arrêtés lors des mutineries de mai 2007, 3 - Le limogeage du ministre de la Défense, 4 - La non-poursuite des mutins de mai 2008 ; 5 - La révision à la baisse du prix du sac de riz dans les garnisons. Comme conséquence, le 27 mai : le général Baïlo est démis de ses fonctions de Ministre de la Défense nationale. Comme pour dire que cela était insuffisant, le 28 mai : on a assisté à l'attaque et au pillage des domiciles des Généraux Daffé, chef d'État-major de la Marine, et à Dubréka de celui du général Baïlo Diallo, ancien ministre de la Défense nationale. 29 mai : nouvelle exigence des mutins, à savoir la révocation de tous les généraux en activité, soit une dizaine. 30 mai 2008 : paiement aux militaires de la première tranche des arriérés soit un million de francs guinéens par soldat. XVII - Le 1er août 2008, nouvel épisode du feuilleton avec la publication du décret nommant monsieur Alpha Ibrahima Keira au poste de ministre secrétaire général de la présidence, en remplacement de monsieur Sam Mamady Soumah, qui est nommé directeur général de la Caisse Nationale de la Sécurité Sociale (CNSS). 3 août 2008 : nouveau décret promulgué un dimanche, élevant monsieur Mamady Sam Soumah au rang de ministre d'État en charge des activités présidentielles, soit deux ministres au niveau de la présidence de la République. C'est assurément une première dans les annales du gouvernement dont le nombre atteint le chiffre de 37, ce qui est aussi une première depuis l'avènement de la République. 4 août 2008 : décret destituant monsieur Idrissa Thiam directeur du protocole d'État pour « faute lourde », et qui annonce la mise à la disposition de la Fonction publique de monsieur Sam Mamady Soumah pour abandon de poste, avant même qu'il n'ait eu le temps de prendre son service. XVIII - Pour maintenir la pression, et aussi en réponse aux avantages consentis par le pouvoir aux hommes en uniforme, le 7 juillet 2008 : est communiquée une alerte de la 148

Société civile à l'endroit du nouveau gouvernement pour lui communiquer ses priorités pour les mois à venir. « La poursuite et l'intensification du processus devant mener à la tenue, dans les délais impartis, d'élections législatives libres, transparentes et acceptées par tous. La lutte contre l'impunité, notamment à travers le démarrage effectif des activités de la commission d'enquête indépendante sur les exactions de juin 2006 et janvier-février 2007. À cela s'ajoutent les dernières tueries de mai et juin 2008 perpétrées par les forces de défense et de sécurité. Le redressement économique du pays, en mettant l'accent sur l'atteinte du point d'achèvement de la dette, une meilleure gouvernance et la publication des résultats des audits. » XIX - 12 août 2008 : l'ouverture des journées du dialogue et d'initiatives est mise à profit par le syndicat pour accentuer la pression à travers l'intervention de hadja Rabiatou Séra Diallo : « Elle a demandé que la maladie du général Lansana Conté et ses conséquences sur la marche du pays soient débattues clairement pendant les assises afin de permettre le constat de la vacance du pouvoir ». Quant au général Latyr Sylla, qui intervenait au nom de l'Armée, il a dit : « Dans l'exercice de ses fonctions, la hiérarchie militaire a des problèmes. Depuis plus d'une décennie, la crise profonde qui ronge notre armée s'affirme avec une fréquence et une violence qui interpellent la conscience nationale et internationale. Vous comprendrez alors combien cette armée, votre armée, est choquée puisque humiliée et déshonorée. Elle regrette et condamne énergiquement ces actes qu'elle ne saurait cautionner. C'est pourquoi elle tient à présenter au commandant en chef des forces armées et au peuple de Guinée ses sincères excuses pour les fautes commises par ses éléments. » 27 août 2008 : les « fautes » continuent cependant, car ce jour, cinq militaires ont fait irruption au cybercafé Mouna Internet situé sur la plus grande avenue de la capitale et la plus fréquentée. À la grande surprise de l'assistance et malgré l'intervention d'un capitaine, les militaires ont tenté d'arracher une fille de 7 ans des mains de sa maman, soit149

disant que c'était une enfant volée. Finalement, la maman a réussi à conserver sa fille grâce à la mobilisation des passants. La fillette serait née d'un couple mixte divorcé, d'un père italien et d'une mère guinéenne. XX - Le 4 septembre 2008 : longtemps après les dénonciations des médias et celles de simples citoyens, le nouveau gouvernement décide de monter au créneau pour s'attaquer au réseau de la drogue. C'est ce qui justifie le report du conseil des ministres suite à l'arrestation des différents responsables de la région de Boké (le gouverneur, le maire, le commandant du camp militaire et celui de la gendarmerie, le commissaire de police). Ils seraient accusés d'avoir autorisé l'atterrissage, le 1er septembre à 4 heures du matin, d'un aéronef transportant de la drogue. XXI - le 8 septembre 2008 : début de la grève du personnel de santé. 18 septembre 2008 : suspension de la grève. Il faut regretter cependant que le service minimum ait été ignoré dans plusieurs établissements, y compris dans la capitale. XXII - Le 31 octobre : violentes manifestations dans la ville de Boké en zone minière, avec blocage des trains minéraliers, suivies d'attaques et de pillages du domicile de l'homme d'affaires Mamadou Sylla et de celui du président de l'Assemblée nationale Aboubacar Somparé, tous deux natifs de la région. Le chef de l'État a été obligé d'effectuer une visite éclair sur les lieux pour calmer les gens. Le bilan général La Deuxième République, née d'une prise de pouvoir par une armée marginalisée, dont la hiérarchie avait eu à payer un lourd tribut à la Révolution, a bénéficié d'un accueil triomphal et plein de reconnaissance par la population. Ses initiatives avaient favorisé le retour d'un grand nombre d'exilés parmi lesquels des artisans, des commerçants, des entrepreneurs et des intellectuels qui avaient décidé de revenir pour mettre en valeur les potentialités du pays. A son actif, il y a eu des acquis majeurs que l'on ne peut passer sous silence. En premier lieu il s'agit de la paix dans le pays. En effet, c'est grâce à la paix que la Guinée a pu être, au plus 150

fort temps des conflits armés, une terre de refuge pour nos frères libériens, sierra-léonais, ivoiriens et bissau-guinéens. D'un autre côté, l'instauration du multipartisme a définitivement mis fin au système de parti unique et posé les fondements de la démocratie. Avec le rejet du socialisme et l'option pour la libre entreprise, le nouveau régime a aussi réussi à créer les conditions d'une compétition libre, entre toutes les initiatives intérieures et extérieures à l'exclusion de toute distinction ethnique, sociale ou de genre. Les libertés d'expression et de mouvement jusqu'alors inconnues en Guinée sont aussi à mettre à son actif. Quant au bilan économique, il reste insuffisant malgré des efforts louables dans le domaine des infrastructures routières telles que : l'inauguration en février 2004 du pont de Djélibakörö et en juin 2004 des ponts sur la Fatala. Grâce au libéralisme et au développement du commerce privé, la pénurie alimentaire n'était plus qu'un lointain souvenir pour nos populations. Grâce aux activités syndicales et au droit de grève, les travailleurs ont pu régulièrement se faire entendre pour défendre leurs intérêts. Par contre, elle a aussi connu deux constitutions dont la dernière a légalisé la « présidence à vie ». La non-maîtrise du choix libéral a conduit à un libéralisme sauvage, dont les premières actions ont malheureusement contribué à brader et à détruire les quelques rares établissements industriels réalisés par la première République. Elle a aussi favorisé le dépérissement de l'État par la mort lente des services publics, avec une aggravation de la corruption et de l'impunité. En définitive, elle a contribué à l'émergence d'un Guinéen de type nouveau, qui pense et agit comme si les lois et les règlements étaient faits pour les autres. Sur le plan politique, faute d'avoir réussi à faire admettre le bipartisme, l'instauration du multipartisme intégral a contribué à l'émiettement du paysage politique sur fond de clientélisme ethnique, et à une forme de résurgence de parti unique sous les attributs d'un parti à majorité absolue. D'autre part, elle pourra difficilement justifier son indifférence face au démantèlement de la voie ferrée Conakry Niger, vendue sous forme de ferraille, au moment où la bataille pour le 151

développement du rail est à l'ordre du jour dans d'autres pays. Sur le plan social, l'échec dans l'application du libéralisme n'a pas permis le développement de secteurs comme l'industrie et l'agriculture. Comme conséquences : une incapacité avérée à apporter des solutions idoines aux difficultés existentielles qui assaillent la population à savoir : les bas revenus, le chômage, l'insuffisance des services publics disponibles (eau, électricité, santé, transports) etc. Aux difficultés qui précèdent, s'ajoutent désormais la déliquescence des mœurs, l'insécurité et le développement du narcotrafic dont il faut redouter les conséquences humaines sociales et économiques. Elle a surtout manqué l'occasion de doter notre pays d'une armée républicaine et moderne, symbole de discipline et respectueuse de l'ordre, et qui soit à l'abri de tous les problèmes d'intendance. En effet, pour le peuple, dont la défense est sa mission principale, elle devrait envers et contre tout, demeurer la garante de l'État de droit. En plus de tout cela, il y a face à l'histoire des promesses non tenues, concernant le livre blanc qui devait sanctionner la gestion du premier régime, favoriser le dialogue et la recherche de la vérité, situer les responsabilités afin de déboucher sur une réconciliation nationale. Cela aurait permis la réhabilitation des victimes innocentes, l'identification des charniers et la restitution des biens saisis aux héritiers légitimes. Cet échec n'est pas simplement celui d'un homme, mais celui d'un régime, donc celui aussi du parti au pouvoir. En effet, le P.U.P., parti très largement majoritaire à l'Assemblée nationale, devrait devant l'histoire assumer une part de responsabilité dans l'échec de la deuxième République. En tout cas, c'est l'opinion de certains responsables de ce parti comme monsieur Sow Loppé, membre fondateur du P.U.P. en France : « Je suis profondément persuadé que si l'État guinéen continue à connaître une déliquescence, c'est que le parti politique qui le soutient, en l'occurrence le P.U.P., ne joue pas pleinement son rôle. » Toutefois, pour ceux qui ont toujours été sur le terrain, et qui ont bénéficié de la confiance des militants à la base et de la responsabilité au niveau national, l'avis est tout différent, comme en témoigne l'honorable député Baniré 152

Diallo, un des responsables du P.U.P. : « Il serait difficile de définir ou de déterminer la part de responsabilité dans l'échec de la deuxième République à assumer par le parti de l'Unité et du Progrès, qui a été le plus souvent réduit à sa simple dimension de machine électorale qui a conduit trois fois de suite à la magistrature suprême le général Lansana Conté, deux fois de suite à une large majorité à l'Assemblée nationale, et à la prise en charge deux fois de suite de la quasi-totalité des communes et des CRD. Le P.U.P. a conduit au pouvoir sans pour autant être au pouvoir. » En définitive, avec le recul, le jugement de l'histoire viendra en son temps

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IV - LES LEÇONS À TIRER DES 50 ANS D'INDÉPENDANCE Un premier constat, à savoir : Deux présidents, Ahmed Sékou Touré 26 ans de pouvoir et Lansana Conté 24 ans. - Une première constitution préparée à la hâte (novembre 1958) ; - plusieurs amendements au cours des deux Républiques, pour réajustement et parfois pour favoriser l'éxécutif en place (1982-1990-2001) ; - des choix de société sans consultation nationale ; - un coup d'État réussi sans effusion de sang (1984) ; - deux coups d'État manqués (juillet 1984-février 1996) ; - trois tentatives d'assassinat, dont deux contre le président Sékou Touré (Tidiane Keïta en 1968 - grenade au palais du Peuple en mai 1980) et une contre le président Lansana Conté (en janvier 2005 à Enco 5) ; - quatre agressions extérieures repoussées (par mer en novembre 1970 Conakry – et aux frontières terrestres les 10 et 14 septembre 1999 Macenta - septembre 2000 Madina Oula et Forécarya) ; - une mutinerie inventée par Émile Cissé à Labé en 1969, réprimée dans le sang par des exécutions sommaires sous la Première République ; - trois mutineries réelles sous la Deuxième République : février 1996, mai 2007, mai 2008. La première ayant fait l'objet d'un jugement avec des condamnations à de lourdes peines, alors que les deux autres n'ont fait l'objet d'aucune poursuite judiciaire ; - plusieurs mouvements de révolte au niveau des femmes (27 août 1977), de la jeunesse, et de la population (juin 2006, janvier février 2007). En définitive, au cours du premier cinquantenaire, il faut déplorer que pendant les premières décennies, des milliers de Guinéens et Guinéennes aient été contraints à l'exil, privant 155

ainsi le pays de plus de deux millions de cerveaux et de bras valides, qui auraient pu contribuer au développement du pays. Toujours pendant la même période, d'autres ont perdu leur vie en détention, et pour la majorité, ont été pendus ou exécutés sans jugement. Un vrai handicap pour une République et une nation alors en gestation, car la majorité des victimes étaient des cadres civils ou en uniforme qui auraient pu contribuer à la mise en place des fondements de notre État. Pendant ce temps, dans nos campagnes, c'était le dépeuplement par l'exode rural, la réduction des surfaces cultivables par la déforestation et les feux de brousse. Au même moment, nos cités quant à elles connaissaient une extension hors normes, due à un développement et un surpeuplement sans limite. De ce fait les besoins de première nécessité (nourriture, santé, scolarité, eau et électricité entre autres) sont et seront pour longtemps supérieurs aux prévisions et moyens de l'État. Nos ressources minières mal gérées et notre incapacité à développer notre agriculture nous ont conduits à nous maintenir au bas du tableau des pays les plus pauvres et à dépendre de l'aide extérieure pour survivre. Comme conséquences, c'est le chômage des jeunes, le désœuvrement qui favorise la délinquance et la drogue, pour déboucher sur les violences, viols, et vols à main armée. Le château d'eau de l'Afrique de l'Ouest, qui aurait dû être le grenier de la sous région, dépense aujourd'hui ses maigres devises pour importer du riz pour la population. Et pourtant : cinquante ans après, les Guinéens qui, hier, passaient leur temps à scruter le large « en attendant le bateau » qui devait amener le riz, sont malheureusement les mêmes qui aujourd'hui, passent tous les jours devant les magasins pleins de riz, sans pouvoir se le procurer, faute d'argent. Par contre, au même moment, dans nos cités, des immeubles poussent comme des champignons, des véhicules de luxe encombrent les chaussées, et des marchandises débordent sur les trottoirs. En un mot, en cinquante ans, et surtout grâce à la deuxième République, certains citoyens ont connu un enrichissement exponentiel au milieu d'une population dont la majorité ne cessait de s'appauvrir. En résumé : pas de travail, pas de 156

justice et peu de solidarité. Qu'avons-nous donc fait de notre devise nationale, « Travail, Justice, Solidarité » ? En dépit de tout cela, par la grâce de Dieu, la maison Guinée a souvent été ébranlée, parfois fissurée, mais sans jamais s'écrouler. Alors, nous revient en mémoire une phrase qui se retrouve comme un leitmotiv dans le préambule des différentes constitutions : « Gouvernement du Peuple par le Peuple pour le Peuple. » À ce stade de notre réflexion, la question qui se pose est la suivante : au terme de cinquante années de séjour, les occupants de la maison Guinée, que l'on disait fatalistes et résignés, sont-ils plus ou moins satisfaits, à défaut d'y être heureux ? La réponse s'inscrit en lettres de sang dans les rues, et à travers les ruines des symboles de l'État dans la capitale, les préfectures et sous-préfectures de notre pays, suite aux événements de janvier et février 2007. Les remous enregistrés dans les casernes trois mois après, et repris après un an, sont venus confirmer l'ampleur du malaise. Il faut avoir l'honnêteté et le courage de le reconnaître, cinq décennies d'indépendance n'ont pas apporté une amélioration significative dans les conditions de vie des populations guinéennes. En effet, quel que soit le critère choisi pour comparer les performances économiques, la gouvernance, la lutte contre la corruption et l'amélioration des conditions de vie des différents pays, la Guinée figure toujours en queue de liste. Pour preuve, en prenant en compte le revenu par habitant, la Banque mondiale classait la Guinée à la 186ème place sur 206 économies prises en considération en 2006. La Guinée vient ainsi après le Mali, le Burkina, le Tchad, le Bénin la Mauritanie, le Sénégal, le Nigeria, qui ont tous accédé à l'indépendance plus tard (réf. World Bank 14 septembre 2007). Si nous regardons derrière, nous ne voyons que des pays sinistrés par de longues périodes de guerre, d'instabilité politique, ou par le SIDA. Puis, trois mois après, survient la déclaration du président du conseil économique et social lors de la clôture de la deuxième session annuelle du 17 décembre 2007, « Nous enregistrons en Guinée une 157

progression de la pauvreté qui est passée de 43 % en 2002 à 54 % des Guinéens qui sont au dessous du seuil de pauvreté en 2007. » En guise de baisser de rideau, le rapport 2008 de Transparency International sur la corruption dans le monde publié en septembre 2008, qui classe la Guinée au 173ème rang sur 180 États évalués, avec toujours derrière l'Irak, la Birmanie et la Somalie, sans commentaires. Assurément ce n’est pas une performance honorable pour les citoyens du pays considéré comme le château d’eau de l’Afrique de l’Ouest et comme un scandale géologique. Et pourtant, tout cela n'est pas dû à la fatalité. Le moment est alors venu de marquer un temps d'arrêt, afin de revoir la copie car, de 1958 à l'an 2008, cinquante années se sont écoulées. Le monde a beaucoup changé, et la Guinée aussi. En effet, la jeunesse représente aujourd'hui près des trois quarts de la population. A présent, elle a nécessairement besoin de poser ses marques dans une Guinée qui soit à sa dimension. En effet, ne se considérant nullement responsable de la gestion du passé d'une part, et très peu impliquée dans la gestion présente d'autre part, chômage oblige, elle note avec amertume et inquiétude qu'aucune lueur d'espoir n'apparaît à l'horizon par manque de vision et de volonté dans la gestion du pays. Par contre, elle constate que les mois et les années se succèdent, avec des faits et des options qui ne sont que source de préoccupations. Elle a la conviction que depuis des années, les actions entreprises par les gouvernements successifs conduisent inévitablement vers des hypothèques très graves pour l'avenir du pays, donc pour le devenir de la jeunesse. Il s'agit entre autres : - d'une mauvaise gestion du potentiel minier ; - du manque de vision et de résultats dans la politique agricole et halieutique ; - d'absence de solution pour le chômage des jeunes ; - d'absence de dialogue ; - de l'accroissement constant du fardeau de la dette ; - de la non-résolution des problèmes dans les casernes ; - de la persistance de la mauvaise gouvernance et de l'impunité ; - de la résurgence de l'ethnocentrisme ; 158

- de l'incapacité à assurer aux populations la fourniture d'eau et d'électricité, ainsi que de l’incapacité, depuis 50 ans, à assurer l’autosuffisance alimentaire malgré des atouts naturels indéniables, qui font que la situation du pays est devenue un réel sujet de préoccupation qui non seulement mérite réflexion, mais exige surtout des solutions.

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V- DE QUOI DEMAIN SERA-T-IL FAIT ? Prenant en compte les réalités du moment, l'on se demande vers quel futur nous allons ? Quel avenir souhaitons-nous pour les générations futures ? Quelle démarche et quelles décisions devons-nous prendre aujourd'hui pour préparer un avenir souhaité et non subi ? Ces questions nous indiquent clairement que, dans l’approche des problèmes d'ensemble de la Guinée, la référence à l'histoire et au passé est nécessaire même si elle n'est pas suffisante. En effet, l'exploration du futur repose sur des données du passé et sur celles du présent. Celles du passé nous permettent de bénéficier des avantages de l'expérience et des leçons antérieures. Quant à celles du présent, elles nous permettent de mesurer la situation actuelle, ses tendances émergentes et les conséquences possibles à court, moyen et long terme. Alors, quelles solutions pour la Guinée et les Guinéens du centenaire ? 1 - Brûler la maison ? Certainement pas, car ceux qui, dans d'autres pays comme le Liberia et la Sierra Leone, s'y sont aventurés en sont encore traumatisés après une décennie de massacres, de mutilations, de viols collectifs, et de destructions systématiques. C'est ainsi que certains d'entre eux n'ont pas encore pu réintégrer leur patrie plusieurs années après la fin des hostilités. D'autres ayant en définitive décidé de rester sur place et opté pour la nationalité du pays d'accueil, faute de survivants dans leur famille restée sur place. 2 - Rénover la maison ? Certainement pas non plus. En effet, face à l'absence d'État, l'explosion de l'exode rural, l'insécurité généralisée, la persistance de la corruption et de la mauvaise gouvernance sur le plan national, d'une part, et d’autre part, face à la 161

détérioration des conditions économiques et sociales des populations, aux continuels mouvements sociaux et aux guerres civiles dans la sous-région, le message des populations est clair : il s'agit de changer l'ancien ordre des choses, car tout cela conjugué ou pris séparément nous mène inévitablement vers le chaos et la catastrophe. Si l’on veut que l'avenir du pays soit davantage souhaité que subi, alors il faut faire montre d'imagination et de volonté, afin de peser sur le futur en créant les conditions nécessaires pour sa mise en œuvre. 3 - Alors il faut rebâtir la maison, en prenant soin des fondations dont les socles auront pour matériaux : A - le dialogue, la vérité, la justice et la réconciliation ; B - la révision des textes : la loi fondamentale et le code électoral ; C - la réévaluation des potentialités et des priorités ; D - la réforme de l'armée et la sécurité ; E - l'organisation d'élections libres, transparentes et justes. À ce stade de réflexion, rappelons une note du premier président du conseil du gouvernement de la Guinée française, instauré par la Loi-cadre : La Guinée Française : « Il est des pays comme il est des êtres, qui ne se laissent pas volontiers enfermer en de ces formules lapidaires et brillantes, dont se satisfont une certaine paresse d'esprit et le goût superficiel du définitif : et sans doute sont-ils pour cela trop riches de vie, trop complexés, trop chargés d'apparences contradictoires… Ainsi la Guinée, d'une variété si étonnante, échappe-telle à ces définitions à l'emporte-pièce chères aux esprits catégoriques en mal d'ethnographie touristique. Mais que l'on y prenne garde. Le divers n'est pas le disparate, et ce pays n'est pas comme l'ont cru trop de voyageurs sans âme, une « collection » d'hommes, de paysages, et de coutumes : sa complexité n'exclut pas son unité, lentement forgée au cours de son histoire et qui continue de s'accomplir en ce moment même avec les profondes et nouvelles transformations institutionnelles, et 162

qui, sur un autre plan, devra s'accomplir encore avec l'industrialisation du territoire. Et je souhaiterais que tous ceux qui veulent parler de la Guinée ou “la donner à voir” choisissent précisément ces deux phénomènes, la politique et l'économique, comme thèmes majeurs de leurs analyses ou de leurs illustrations pour tenter de dégager les grandes lignes du devenir de ce pays “réel.”» Jean Ramadier (24) a - Du dialogue Il n'est un secret pour personne que les Guinéens sont aujourd'hui divisés, mais que chacun veut sauver les apparences. Le temps est venu de se dire la vérité avant d'aborder un nouveau cinquantenaire. D'abord pour d’une part instruire la jeunesse sur son passé, et réconcilier les anciens d'autre part, car ils sont les symboles de nos valeurs et dépositaires de nos coutumes et traditions. En effet, il est clair que les Guinéens ont un contentieux avec leur passé. Or l'on ne peut bâtir l'avenir sur un passé mal connu, non accepté, et rempli de non-dits. En effet, la première République à travers ses complots, a légué un pays traumatisé avec une économie à l’agonie, des milliers de morts sans jugement, et une importante diaspora classée au rang des apatrides. Ceci a engendré un lot de frustrations, de rancœurs et de haines inassouvies sur lesquelles nous avons jeté un voile pudibond, car en 1984 nous avons tourné la page sans explication aucune, avec un vague pardon mal formulé. La Deuxième République à son tour est passée à côté de l'Histoire, en procédant à des exécutions extrajudiciaires pour les dignitaires de l'ancien régime et pour les présumés coupables du 4 juillet 1985. D'autre part, l'option libérale non maîtrisée a favorisé la corruption, les détournements et l'impunité, contribuant ainsi à créer une minorité de nouveaux riches implantés dans les quartiers à forte concentration de jeunes chômeurs, marchands ambulants, et autres laissés-pour-compte. Ainsi, notre capitale est transformée en poudrière qui peut éclater à l'occasion du moindre mouvement de protestation ou de revendication. Comme si cela n'était pas suffisant, il y a eu 163

les chaudes journées de janvier et février 2007 qui ont eu pour conséquences des centaines de morts et plus d'un millier de blessés. Puis en mai 2007 et en mai 2008 des mutineries dans les principales garnisons du pays (Conakry, N'Zérékoré). Il faut toutefois souligner que quelle que soit la justesse de ces revendications, elles auraient dû se localiser dans le périmètre des garnisons. Malheureusement, elles ont eu pour conséquences la prise en otage des chefs militaires dans les casernes, et des violences dans les cités, ce qui a contribué à créer un contentieux et un fossé entre le peuple et les hommes en uniforme. Le temps est venu, et la période de la transition est une opportunité pour dire tout ce que nous avons tu jusqu'alors, car il n'y a pas de réconciliation sans dialogue. Ce sera aussi l'occasion de briser la glace entre les Guinéens de l'extérieur et le pays, et leur permettre d'accroître leur contribution dans le développement de la Guinée. Pour y parvenir, il faut créer les conditions d'un dialogue devant aider à extirper la haine des cœurs. Cela est à présent possible, et l'histoire nous condamnerait si nous nous y dérobions pour quelque motif que ce soit. Cependant, une fois cette réconciliation parachevée, quel message fort, en un mot quels héritages et quels outils allons-nous léguer à nos enfants, les futurs acteurs et leaders de demain ? Que faire pour les aider à éviter les erreurs et les fautes du passé ? Quels instruments allons-nous mettre à leur disposition pour leur permettre de gérer le pays d'une façon plus juste, transparente et réellement démocratique dans l'intérêt exclusif d'une population qui est déjà au bord du désespoir ? Le 28 septembre 1958, c'est une Guinée unie et apaisée qui avait réussi à relever le défi de tout un continent. Il faut que ce soit une Guinée réconciliée, unie et apaisée qui passe le flambeau à l'aube du centenaire. Pour y réussir, il faudra doter le pays de nouvelles institutions qui soient le reflet des nouvelles réalités de la Guinée et du monde dans lequel nous vivons. Face à l'histoire et quels que soient nos convictions, notre âge ou nos responsabilités, nous devons, par des actes concrets, prouver que nous sommes capables de consentir les efforts nécessaires non seulement pour changer un présent 164

peu enviable, mais aussi et surtout pour tracer les voies vers un avenir que nous voulons souhaité et non plus subi. Il se trouve que seuls des citoyens capables de se parler, de s'interroger et d'agir ensemble, sont capables de résoudre les problèmes qu'ils affrontent. b - La révision des textes (Loi fondamentale et le code électoral) «À la proclamation de l'indépendance le 2 octobre 1958, les responsables guinéens pressés par les événements ne disposaient pas de suffisamment de temps de réflexion pour se demander et répondre à la question : quel État convenait-il d'adopter pour la Guinée indépendante et souveraine, qui puisse encadrer harmonieusement et faire coexister politiquement, pacifiquement et durablement les unités sociales anthropologiquement et culturellement différentes que sont les ethnies vivant sur son territoire ? Ils ne disposaient pas de ce temps, mais même si ce temps ne leur était pas compté et que les circonstances le leur permettaient, l'attrait d'un modèle qu'ils avaient sous les yeux, le modèle français, pouvait les distraire. Il les avait effectivement distraits de la recherche et de l'adoption du meilleur État postcolonial possible. Or le modèle français a une longue histoire intimement liée à l'histoire de la formation de la nation française, qu'on ne saurait comparer à l'histoire de l'État guinéen qui venait à peine de commencer. S'agissant de la France, il faut savoir qu'au moment où, avant Thermidor, les jacobins triomphaient des fédéralistes, le processus de formation de la nation française était achevé, avec le triomphe de la révolution démocratique bourgeoise de 1789. La bourgeoisie française avait besoin d'unifier le territoire français jusque-là morcelé par le régime féodal, afin de mettre en place un marché national unique, indispensable à l'expansion de son industrie et de son commerce. Avec l'abolition du régime féodal, cette bourgeoisie avait réussi à obtenir des révolutionnaires français la suppression de toutes les barrières douanières et autres droits instaurés par la féodalité. Il fallait donc un État unitaire centralisé qui coïncidât avec les limites du territoire national français. 165

Ainsi, cela justifiait la nécessité et l'urgence d'un État unitaire et fortement centralisé, et d'un Gouvernement central fort, s'appuyant autant que nécessaire sur la Terreur. Il fallait gagner coûte que coûte la guerre contre les ennemis intérieurs et extérieurs de la Révolution française. C'est pourquoi la bourgeoisie a soutenu l'entreprise jacobine d'unification du pays par la terreur, et l'instauration d'un État national unitaire fortement centralisé. C'est pourquoi la convention a dû proclamer la République une et indivisible. C'est donc ce modèle d'État national unitaire et fortement centralisé que les constituants guinéens de 1958 ont adopté. Ce faisant, les responsables du moment avaient simplement ignoré l'essentiel, à savoir que l'ancienne métropole n'était pas seulement une vitrine, et que ses outils de travail et de référence étaient le fruit d'une culture, d'une histoire vécue, d'un type de société, en un mot et avant tout, un choix de société. » (25) À titre de rappel : notre première constitution fut promulguée le 10 novembre 1958. Elle s'était inspirée du modèle français avec comme caractéristique un État unitaire fortement centralisé. La deuxième constitution fut adoptée par référendum le 14 mai 1982, cumulativement avec la réélection du président Sékou Touré pour un quatrième mandat consécutif. Elle consacrait aussi la naissance de la République populaire révolutionnaire de Guinée. La troisième constitution adoptée par référendum le 23 décembre 1990 fut appelée Loi fondamentale avec l'instauration du multipartisme, la limitation de l'âge maximum des candidats à la présidentielle, et la limitation du nombre de mandats à 2. La quatrième constitution fut elle aussi adoptée par référendum le 11 novembre 2001. Elle modifiait la durée du mandat de 5 à 7 ans, et supprimait en même temps la limitation du nombre de mandats et celle de l'âge maximum du candidat. En conclusion, si la première constitution fut celle de l'ancien colon dont on avait changé l'emballage, celles qui 166

ont suivie (1982-2001) furent « taillées » sur mesure pour l'éxécutif en place. Cinquante années après, il faudrait revoir la copie car le monde a changé, et la Guinée et les Guinéens aussi. Après un demi-siècle d'exercice de souveraineté, il faut reconnaître que le modèle de structure choisi par les dirigeants s'est révélé inapte pour l'Afrique en général, et notre pays en particulier. « Sur le plan institutionnel, nous avons sciemment, en Afrique et en règle générale, privilégié durant les trois premières décennies de l'indépendance un pouvoir exécutif fort, centralisé et autoritaire, incarné par un parti unique. Ce choix délibéré des dirigeants africains, dont le but avoué était d'accélérer le processus du développement et d'éviter de nous embourber dans des débats parlementaires stériles, n'a pas donné les résultats escomptés, beaucoup s'en faut. La consolidation de l'indépendance par les institutions n'a pas eu lieu ; le développement n'a pas été accéléré pour autant ; et faute d'institutions susceptibles d'organiser la société civile dans l'usage de ses prérogatives, on a de plus en plus eu recours à des coups d'État pour changer les régimes en place. C'est ainsi que beaucoup d'armées africaines occupèrent pendant plusieurs décennies leur propre pays. Au nom de cette conception de la construction nationale, des armées s'ingénient encore à justifier leur maintien au pouvoir. Nous savons aujourd'hui que les impératifs de la construction nationale, en tout état de cause, passent par des institutions susceptibles d'arbitrer nos différends socioéconomiques, interethniques ou entre civils et militaires. » (26) La preuve est là, qui nous démontre après l'extrême que cinquante années d'indépendance, concentration du pouvoir entre les mains du chef de l'Exécutif est d'autant plus dangereuse pour la liberté et l'État de droit que, faute d'une véritable culture démocratique, les contre-pouvoirs institutionnels deviennent de simples figurants. Compte tenu de tout cela, ce serait commettre une grave erreur, voire même une faute impardonnable, de croire que la réalité pourrait changer du jour au lendemain par le simple fait de changer l'homme placé au sommet de l'État. 167

Alors que l'on ne s'y trompe pas. Tout autre citoyen civil ou militaire, qui viendrait au pouvoir en Guinée, sans que l'État n'ait subi une double mutation dans sa nature et dans sa forme, aurait toutes les chances de se livrer lui aussi à des pratiques patrimoniales et autocratiques, au risque d'exposer le pays à des tensions, voire à des violences extrêmes incontrôlées. Ceci en dépit de la pertinence de son programme politique et de son projet de société, et quels que soient son patriotisme, son engagement et sa compétence. À ce stade de retard dans le démarrage d'un dialogue national, de dégradation du tissu social, de progression continue de la pauvreté, en un mot de dépérissement de l'État, le dialogue est devenu de ce fait indispensable. À cet effet, il faudrait que l'on donne l'occasion aux Guinéens et aux Guinéennes, hommes en uniforme, civils toutes sensibilités et confessions confondues et, plus particulièrement aux jeunes de la nation, de se retrouver non pas pour faire des récriminations, dénonciations ou condamnations, mais plutôt pour une autocritique et l'état des lieux. Il reste entendu que cela devrait se faire sans complaisance mais aussi sans exagération. L'objectif serait de faire une réévaluation de nos institutions et redéfinir de nouveaux objectifs et de nouvelles priorités pour notre pays. Il faudra surtout revoir la répartition harmonieuse du pouvoir, à concevoir de telle sorte que chaque institution puisse pleinement jouer son rôle. Nous devons définir et arrêter en commun un nouveau projet de société. Ceci pour arriver à concevoir et bâtir l'unité dans la diversité, la tolérance et la solidarité. Solidarité intergénérations qui fasse de nous « les héritiers de ceux qui sont morts, les associés de ceux qui vivent, la providence de ceux qui naîtront », selon la formule saisissante de Gabriel Comparé. Ce projet devrait promouvoir tout ce qui représente un facteur d'unité. Pour cela il sera nécessaire qu'il s'attache à offrir des solutions à des problèmes concrets et réels. En un mot, il faudra envisager une nouvelle constitution, qui puisse prendre en compte toutes formes d'alternatives positives possibles au régime présidentiel instauré depuis 1958. Au cours de cette réflexion commune, il ne faudra surtout jamais perdre de vue qu'à la différence de 168

beaucoup de pays, la Guinée est la composante de quatre régions naturelles ayant chacune ses spécificités. Il faudra surtout retenir que cette diversité ne devrait à aucun moment être perçue comme un facteur de division, mais comme un facteur de complémentarité féconde, étant donné que ces spécificités sont le fait de la seule volonté divine. Il faudrait savoir que c'est en assemblant ces quatre régions et en les développant d'une manière équitable, que l’on pourra bâtir la Guinée de demain, c'est-à-dire celle des générations futures. La réussite d'une telle opération jugée primordiale et incontournable ne pourra se réaliser sans la contribution de la hiérarchie militaire, mais aussi des autres institutions et organisations civiles, non seulement pour la prise de décisions, mais surtout pour leur application. c - La réévaluation des potentialités économiques et humaines et des priorités En effet, le moment est venu non seulement de faire connaître aux Guinéens l'étendue de leur richesse, mais aussi et surtout, de leur faire savoir comment valoriser ces immenses potentialités dans l'intérêt supérieur de la nation tout entière. À ce sujet, je ne peux m'empêcher une fois encore de citer un « Guinéen d'adoption » en la personne de l'Ambassadeur André Lewin : « Le formidable potentiel économique de la Guinée est comme une "Belle au bois dormant", qu'il s'agisse : - des mines ; - de l'agriculture ; - de l'élevage ; - de la forêt ; - de la pêche ; - des ressources hydrauliques ; - du tourisme. Le tout complété par un exceptionnel potentiel humain et une culture traditionnelle d'une remarquable richesse. Il rappelle à l'appui un écrit du gouverneur Roland Pré qui écrivait en 1950 : « Si aucun fait extérieur ne vient troubler l'évolution qui se dessine, la Guinée peut être certaine que 169

ses magnifiques perspectives deviendront un jour prochain une réalité tangible. » « Hélas », continue André Lewin, « certes il y a eu des “faits extérieurs” auxquels l'ancienne puissance coloniale n'a pas toujours été étrangère. Mais les responsabilités sont aussi et sans doute surtout à rechercher à l'intérieur. Que d'occasions manquées au cours de la première comme de la Seconde République. Que d'orientations absurdes, que de décisions aberrantes, que de consortiums fumeux, que de projets mal fondés ou mort-nés, que d'argent gaspillé en études redondantes ou coûteuses en prébendes. Si l'on a pu dire de la Guinée qu'elle constitue un scandale géologique, le vrai scandale est que 50 ans après l'indépendance, seuls trois gisements de bauxite sont exploités (tous mis en œuvre entre 1960 et 1975) alors que le pays renferme les secondes réserves mondiales de ce minerai, et qu'aucun des riches gisements de fer ne soit en exploitation alors que les premiers permis d'exploitation ont été délivrés dans les années cinquante.» Retenons aussi que la vente d'or et de diamants extraits alimente plus des trafics illicites que les caisses de l'État ; que la production agricole, animale et halieutique qui pourrait largement être exportée suffit à peine à nourrir la population du pays ; le vrai scandale c'est enfin, qu'au pays des Rivières du sud et du château d'eau de l'Afrique, après cinquante années d'indépendance, la principale revendication de la population soit la nourriture, l'eau et l'électricité. Bien entendu des initiatives et des efforts ont été souvent entrepris, mais à chaque fois l'espoir ne s'est pas concrétisé. La raison ? Elle n'est pas bien cachée car on la retrouve parfois sous l'effet de vieilles pratiques de corruption ou de népotisme, de blocages décisionnels ou de détournements financiers. D'autres fois, elle est la résultante de querelles de clans ou de personnes, d’ interférences politiques, militaires ou personnelles, des combines partisanes, des manœuvres nationales ou internationales, ou des concussions des structures. Tout cela doit cesser. Pour y parvenir, la seule volonté politique ne suffira pas, il faudra nécessairement des garde-fous et des sanctions. 170

d - La réforme de l'armée S'il est vrai que l'armée est la première garante de toute démocratie, il faut aussi préciser qu'il s'agit d'une institution organisée, disciplinée, et respectueuse de l'ordre et de la hiérarchie. Elle veille aussi au respect de l'intégrité territoriale, de la Loi, et des droits des citoyens et de leurs biens. Dans le cas de la Guinée, il faut savoir que l'armée guinéenne a été créée le 1er novembre 1958, soit un mois après la proclamation de l'indépendance. Au départ, elle était constituée par des éléments qui ont servi dans l'ancienne armée coloniale française. Elle était privilégiée car la formation idéologique du régime en place faisait de la défense de la Révolution une priorité. Mais très tôt, le président Sékou Touré prit peur, après les premiers coups d'État perpétrés dans la sous-région, et dont ses « frères idéologiques » furent les toutes premières victimes (Lumumba au Congo ex-belge, Kwamé N'krumah au Ghana, Modibo Keïta au Mali, Ahmed Ben Bella en Algérie). Craignant sans doute la contagion, il décida de prendre les devants en réduisant l'armée à sa plus simple expression. En effet, il réussit à faire de l'armée guinéenne une armée de parade malgré, et peut-être à cause de ses brillants états de service en Angola et au Congo Léopoldville devenu depuis Kinshasa. Après l'introduction du parti dans les casernes par l'intermédiaire des C.U.M. (comités d'unité militaire), ce sera la liquidation programmée de toute la hiérarchie militaire à l'occasion de complots régulièrement annoncés (1964 complot petit Touré ; 1969 complot Kaman-Fodéba ; 1970 agression portugaise). Puis ce fut le 3 avril 1984, la prise du pouvoir par l'armée. C'était une occasion ultime pour redonner à l'armée nationale la place qu'elle n'aurait jamais dû quitter. Cet espoir était d'autant plus légitime et fondé, que le premier magistrat de la nation était non seulement issu de ses rangs, mais surtout, il passait pour être un homme de terrain et d'expérience. Effectivement, les premières initiatives s'inscrivent dans cette option, avec le début des travaux de réhabilitation du camp Samory par les Philippins. 171

Malheureusement, ce projet n'était toujours pas achevé deux décennies après ses débuts. De ce fait, les autres casernes étaient totalement ignorées, à l'exception du camp de Kindia où quelques « villas témoins », en nombre très limité, furent construites par l'O.B.K. (Office des Bauxites de Kindia). Avec l'avènement du multipartisme en 1990, la politique est revenue de nouveau dans les camps par la petite porte, avec l'embrigadement des épouses des militaires dans les casernes. Finalement, un fossé s'est créé entre les soldats et leurs officiers accusés d'être corrompus. A présent, la preuve est faite après cinquante années d'échec économique, de retard social et d'apprentissage politique, qu'on ne peut bâtir un réel État démocratique sans une armée bien formée, disciplinée et apolitique, qui sache à tout moment que sa place est et demeure toujours au-dessus de la mêlée. Bien entendu ceci nécessite du temps et des moyens. Mais sans volonté politique et sans programme, on risque de toujours rester à la case départ, d'où l'urgence et la nécessité de la réforme de l'armée qui est une des conditions indispensables pour le retour de la sécurité et la garantie pour tout régime démocratique. e - Organisation des élections Sans vouloir chercher des circonstances atténuantes, il faut savoir que les Guinéens reviennent de loin en matière de processus électoral. Faut-il rappeler que de 1958 à 1984, le Guinéen était habitué à voter à main levée ou à s'aligner derrière le candidat officiel lors des renouvellements des organismes du Parti État. Puis vint le C.M.R.N. (comité militaire de redressement national) en 1984, avec une nouvelle constitution et l'avènement du multipartisme. L'on comprendra ainsi pourquoi les premières élections communales de mai 1993 et communautaires de juin 1993 ont connu des irrégularités et des dérapages. Quant aux présidentielles de décembre 1993, c'était la toute première consultation à l'échelon national avec candidatures multiples. C'est à cette occasion que fut créée la première commission électorale. Mais face à la résistance de l'Exécutif et à la mise en place tardive de la structure, la 172

commission électorale non indépendante fut finalement réduite au rôle de figurant. Pour les élections qui suivirent, le refus persistant de conférer l'indépendance à la commission et sa marginalisation ouvrirent ainsi la porte à toutes les spéculations autour des élections et de leurs résultats. Finalement, il faut se réjouir que le vieux général qui disait toujours à qui voulait l'entendre « qu'il n'avait jamais perdu une bataille » ait compris et accepté même tardivement la création d'une véritable C.E.N.I. (commission électorale nationale indépendante). C'est donc le moment et l'occasion pour les décideurs de veiller à ce que les futures consultations électorales à organiser se déroulent dans les meilleures conditions possibles. Le plus dur étant fait avec la création et la mise en place de la C.E.N.I., le reste est une question de volonté politique, et surtout de moyens financiers.

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VI - LE CHANGEMENT En Guinée, chacun le souhaite et tout le monde en parle. Mais au fait, de quel CHANGEMENT s'agit-il et comment le réaliser ? L'expérience et les performances du Gouvernement de Consensus sous la direction de Lansana Kouyaté démontrent à suffisance, après plus de quatorze mois d'exercice, que le changement ne peut se faire par le simple remplacement des hommes dans un Gouvernement, fut-il de Consensus. La preuve est faite, à savoir que la seule gestion de l'urgence et du quotidien ne pourra apporter de solution satisfaisante pour l'attente et l'espoir des Guinéens. Toutefois, s'il est vrai que notre peuple a payé un lourd tribut lors des manifestations de janvier et février 2007, il faut aussi noter que les résultats obtenus furent sans précédent. En effet, pour la première fois, nous avons connu en Guinée une amorce d'alternance par la procédure de désignation d'un Premier ministre, suivie de la formation d'un Gouvernement dont le choix et les critères étaient tout à fait contraires aux procédures et critères habituels. Face à la division et à la défaillance de la classe politique, la société civile, montée en première ligne, était devenue l'unique interlocuteur du gouvernement et des institutions. Les Guinéens savent à présent que des futurs sont possibles à partir d'actes posés dans le présent. Il faut se rendre à l'évidence, notre société est en panne et certains diraient même en régression. Cela est dû au fait que les outils d'hier ne sont plus performants. Il en faut d'autres. Il faut donc cesser de faire croire que le départ d'un seul homme ou d'un groupe d'hommes serait la solution. Le changement est une nécessité qui n'est pas momentanée mais permanente. Ainsi, il devrait engendrer des démarches qui, à leur tour, devraient produire des évolutions de comportement au niveau de tous les citoyens. Le changement est devenu une nécessité non seulement pour la Guinée mais aussi pour 175

les autres pays de notre continent. Si nous le voulons, nous pouvons, comme hier, être à l'avant-garde. La science nous enseigne que l'eau que nous utilisons à longueur de journée peut changer d'état après une période transitoire, pour devenir de la glace ou de la vapeur, à condition qu'elle soit soumise à un facteur intermédiaire qui est le froid ou le feu. Par conséquent, nous devons savoir que le CHANGEMENT souhaité et attendu en Guinée est bien réalisable, avec un préalable qui a pour nom : la TRANSITION. Le DESTIN de la Guinée se trouve entre les mains des Guinéens. De ce fait, la TRANSITION sera celle qu'ils voudront, qu'elle soit : A chaud ? Ou à froid ? La réponse au temps et à l'histoire ! CONCLUSION

L'Afrique en général, et la Guinée en particulier, ne peuvent pas se résigner à vivre et subir les humeurs et les manipulations du « gouvernement de quelques-uns ». Elle ne doit pas se résigner à subir la dictature de l'immédiat et à vivre au jour le jour. Elle doit se projeter dans l'avenir et dépasser le règne du « chacun pour soi » pour aspirer à un minimum d'égalité et de justice. A ce sujet, Jérôme Bindé disait : « Ce n'est pas l'urgence qui empêche l'élaboration de projets à long terme, mais l'absence de projet qui nous soumet à la tyrannie de l'urgence ». Après plus de deux décennies d'apprentissage de la démocratie, malgré les insuffisances ou les dérapages, force est de reconnaître que la démocratie reste et demeure le meilleur outil de gestion pour nos problèmes institutionnels, politiques, socioéconomiques et culturels. Même si le processus peut, dans 176

sa lenteur, parfois exaspérer, même si elle évolue dans un contexte dominé par une conjoncture économique particulièrement difficile, où la transition se heurte à la culture de l'impatience et à la gestion de l'urgence, la démocratie doit être défendue, maintenue et consolidée. Est-il nécessaire de rappeler que le chemin vers la démocratie est toujours long et pénible. S'agissant de la France qui nous avait servi de modèle en 1958, la pratique démocratique a mis près d'un siècle à s'établir. Nous devons savoir que la démocratie ne se décrète pas. Elle ne se décerne pas non plus tel un diplôme. C'est une conquête dont le plus grand mérite est sa capacité à se remettre en cause quand cela s'avère nécessaire » (27) C'est aussi le moment de rappeler à tous les Guinéens que la guerre civile est dans tous les cas la pire des options.. Le mot de la fin Un remerciement pour l'incomparable griot guinéen, feu Sory Kandia Kouyaté, qui avait dédié dans les années 1970 une chanson destinée « au CHEF » et intitulée, Sakodougou. Nous étions alors sous le régime du Président Sékou Touré. Celle-ci lui avait valu en France le grand prix du disque d'or en 1970. Il disait : « Dans la vie il n'y a que trois hommes. – Celui qui a égalé son père, sous-entendu celui qui a été capable de répéter l'œuvre de son père. – Celui qui n'a pas atteint son père, donc qui n'a même pas été capable de réaliser l'œuvre de son père. – Celui qui a dépassé son père, donc qui a fait plus ou mieux que son père. Mais "faire plus que son père" est différent de « faire mieux que son père ». Fama (chef), dit-il, ne dépasse pas ton père, dans le sens de "ne détruis pas ce que ton père, tes ancêtres n'ont pas osé détruire, malgré leur incontestable autorité." » (40) En un mot, sous entendu : Ahmed Sékou Touré, ne touche pas à l’identité, à la dignité et à la cohésion de ton peuple. Nos chansons traditionnelles ont quelque chose de spécifique et de particulier, par le fait qu'elles véhiculent un message qui reste d'actualité à travers le temps et l'espace. C'est vrai que Ahmed Sékou Touré et Kouyaté Sory Kandia ne sont plus de ce monde, mais il est vrai aussi que la Guinée 177

et les Guinéens sont toujours là, et ce message est donc le leur, et plus particulièrement pour les jeunes acteurs et dirigeants de demain. En effet, ils doivent savoir que la Guinée est un pays de paix, de tolérance et de cohabitation. Quand dans le passé nous avons dû nous battre, c'était toujours sous la conduite de chefs de guerre pour défendre nos empires ou s'opposer à des envahisseurs. Après la loicadre, si nous avons connu des confrontations ethniques, ce fut sous l'instigation de certains partis politiques, et fort heureusement pendant une courte période et dans des périmètres limités et très localisés. Si pendant la Première République nous n'avons pas connu de perturbations graves au niveau de la population, cela était dû à la nature du régime caractérisé par un parti unique qui consacrait la négation de l'État de droit, de la démocratie et des libertés individuelles. Toutefois, la fin du régime fut marquée par des manifestations populaires contre le régime (27 août 1997). La période transitoire quant à elle fut sans perturbation, et il faudra attendre les consultations à candidatures multiples, pour voir réapparaître des manifestations urbaines contre le pouvoir. La Guinée revivra la vraie violence avec mort d'hommes et destruction de biens publics et privés à partir des 2 et 3 février 1996, date de la première vraie mutinerie dans notre pays. Les victimes innocentes du quartier de Coronthie à Conakry et les ruines du palais des nations en sont des témoignages inoubliables. Puis, au fil des ans et des gouvernements, les violences ont réapparu, à partir des casernes et des quartiers de nos agglomérations, avec des cibles personnelles, publiques ou d'intérêt communautaire historique ou culturel. Fort malheureusement, la disproportion va se retrouver de tous les cotés, à savoir de celui des manifestants et des services de maintien de l’ordre. Finalement, la Guinée continue d'une part à compromettre son devenir en sacrifiant sa jeunesse qui est son patrimoine humain et sa force productive, et d'autre part à détériorer ses services et unités industrielles, mais aussi et surtout à détruire le patrimoine culturel et administratif que représentent ses archives et les résidences et autres réalisations coloniales, symboles de son passé. Il faut 178

accepter l'évidence, à savoir que l'on ne pourra rien laisser comme héritage aux générations à venir si nous continuons à détruire tout ce qui a déjà été bâti, surtout lorsqu'on manque de moyens pour reconstruire. Aujourd'hui le constat est amer car le bilan est peu élogieux. C'est vrai qu'hier la Guinée était une référence en Afrique, un symbole de dignité, de courage et de responsabilité. Ainsi, pendant près d'un quart de siècle, le Guinéen, fier et nationaliste, pensait qu'il était sans pareil, à tel point qu'il avait fini par croire qu'il était le nombril de l'Afrique. Pour parvenir à un tel résultat, on avait privilégié l'idéologie au niveau de l'éducation, et déployé de grands efforts dans les domaines du sport, des arts et de la culture. Toutefois, au même moment, pour le citoyen, la liberté de circulation et de sortie hors des frontières du pays était soumise à de fortes restrictions, et l'accès aux médias et autres livres étrangers interdit. Finalement, sa seule source d'information se limitait aux réunions hebdomadaires du Parti dans tout le pays, avec un journal et une télévision tous deux appartenant à l'État. Le parti unique avait fini par devenir le Parti État. Pendant ce temps, l'enseignement dominé par l'idéologie formait des jeunes dont les diplômés étaient automatiquement engagés dans une fonction publique aux effectifs pléthoriques. Pendant que dans les campagnes les paysans étaient contraints de payer la « norme » ou impôt en nature, les citadins recevaient des denrées de première nécessité sous forme de ravitaillement, tout « en attendant le bateau ». Puis, après un peu plus d'un quart de siècle, les frontières furent ouvertes et les prisons aussi. Après l'euphorie, avec la liberté de circulation et d'information grâce aux nouvelles technologies, le Guinéen s'est retrouvé face à la vraie réalité et en pleine mondialisation. Que d'illusions perdues ! Alors, il a réalisé : que sa monnaie était sans grande valeur et que son diplôme ne lui garantissait aucun emploi. Que sa liberté et ses biens étaient sous la menace permanente due à l'insécurité, et que comme ses aînés quelques années auparavant, son seul salut était l'exode rural ou l'immigration par tous les moyens, y compris dans la cage du train d'atterrissage d'un avion. Mais aujourd'hui, le 179

Guinéen doit savoir qu'à ce stade de dépérissement de l'État et de dégradation de la situation économique et sociale, il n'y a pas de solution miracle ou d'homme providentiel. Les problèmes de la Guinée sont une réalité du présent dont les causes trouvent leurs racines en partie dans notre passé. Les solutions, quant à elles, doivent être envisagées dans un avenir dont la proximité dépendra non seulement de notre volonté et de notre capacité, mais aussi et surtout, de notre patience, de notre objectivité et de notre patriotisme. Ainsi, nous parviendrons à poser les vrais diagnostics avant de nous engager ensemble pour trouver les solutions les plus appropriées, et cela dans la paix, l'unité, l'entente, la tolérance. C'est aussi le moment de rappeler que nous avons tous, anciens et jeunes, gouvernants et gouvernés, une dette aussi bien envers ceux qui nous ont précédés qu’envers ceux qui vont nous succéder. Nous devons savoir qu'il n'y aura jamais un vrai changement dans notre pays sans un sursaut national. Si la bonne gouvernance implique l'éradication des détournements et la fin de l'impunité, elle devra aussi prendre en compte la revalorisation de la rémunération des travailleurs. En un mot, le citoyen guinéen devra faire l'effort nécessaire pour connaître non seulement ses droits, mais aussi et surtout ses devoirs, tels que le respect du droit de travailler pour les non- grévistes, et surtout, en période de grève, celui du service minimum dans les structures sanitaires. Il devra, entre autres, apprendre à respecter les biens publics et privés tout en mettant définitivement fin à une pratique devenue malheureusement courante, à savoir la dégradation et la destruction volontaires de notre patrimoine. Que dire de la valse quasi journalière des prix dans les boutiques, du rançonnement dans les hôpitaux, sur les routes et les carrefours. Il faudra également instaurer le payement à temps et dans les caisses appropriées, des factures et taxes dues. Et pour terminer un appel tout particulier aux cadres administratifs et politiques pour plus de responsabilité et de patriotisme.

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Septembre et octobre 2008 : Décidément deux mois pas comme les autres pour la vieille génération qui a encore en mémoire les dates du 28 septembre 1958 pour le NON au référendum, et du 2 octobre 1958 pour la proclamation de l'indépendance. Et pour les Guinéens du cinquantenaire qui se souviennent : - Qu'en ce mois de septembre 2008, le monde entier a vu le Premier ministre israélien, accusé de corruption, contraint à la démission pour se mettre à la disposition de la justice de son pays. - Qu'en ce mois de septembre 2008, le monde entier a vu le président sud Africain contraint à la démission par son propre parti, car accusé d'entrave à la justice. - Puis qu’en ces mois de septembre et octobre 2008, le monde entier a vu les premiers responsables des principales puissances économiques du monde se mobiliser pour essayer de défendre et sauvegarder les intérêts de leur population, victime d'un « tsunami » financier. Pour y faire face, ils n'ont pas hésité un seul instant à envisager un éventuel retour à des pratiques jusqu'alors considérées par eux comme révolues, comme la nationalisation des banques et assurances, mais aussi à envisager la remise en cause d'un système librement choisi et considéré jusqu'alors comme le meilleur pour l'humanité. Que devraient donc faire l'Afrique et les Africains, déjà déstabilisés par les crises alimentaire et énergétique, tout en sachant qu'ils seront frappés de plein fouet par les conséquences de la récession qui a déjà rattrapé leurs principaux bailleurs de fonds ? Pour les Guinéens, la nouvelle réorientation de la transition pourrait donc être mise à profit pour une remise en cause afin de repartir sur de nouvelles bases. A cet effet, l’on pourrait mettre en place d'une structure de concertation nationale à laquelle seraient associés nos compatriotes expatriés et qui serait chargée de définir les nouveaux objectifs de notre pays pour les prochaines décennies. Elle aurait aussi pour mission de faire le bilan objectif et critique des cinq décennies écoulées. Ce faisant, elle se rendrait compte que le positif comme le négatif qu'il ne s'agit pas 181

pour autant d'oublier, font désormais partie de notre patrimoine historique. En définitive, la meilleure solution serait de tout enterrer après un dialogue inclusif, à savoir : les partis pris, discrédits, malentendus, amalgames, calomnies, les rancœurs et les querelles de toutes sortes. Alors l’on pourrait demander aux Guinéens de regarder vers l'avenir et de s'atteler enfin main dans la main à la réalisation effective de la seule œuvre qui vaille, à savoir : adopter un nouveau projet de société avec des objectifs bien définis, des étapes successives avec évaluation, et des moyens appropriés devant permettre de développer d'urgence le pays pour assurer un meilleur avenir pour le peuple de Guinée au cours des prochaines décennies. Est-il nécessaire de rappeler que le NON du 28 septembre 1958 fut le résultat d'un choix libre et d'un acte de volonté commune, dans une situation plus difficile, car aux lendemains incertains et imprévisibles. C'est donc à juste titre, que le chef de l'État, le général Lansana Conté, a dit dans son discours à la nation à l'occasion de la célébration du cinquantenaire : « L'histoire de l'indépendance de notre pays a démontré à suffisance que lorsque nous sommes unis, nous surmontons toujours tous les obstacles. » Alors souvenons-nous que le 2 octobre 1958, nous avons connu un premier changement dans l'allégresse et qui était porteur de tous les espoirs d'un peuple. Cependant, n'oublions pas aussi que si l'indépendance fut le résultat d'un vote référendaire, un choix aussi important que celui du modèle d’une société libérale qui s'en est suivi n'avait fait l'objet d'aucune consultation nationale. Mais souvenons-nous aussi que le 3 avril 1984, nous avons connu un deuxième changement qui a lui aussi reçu en son temps un accueil triomphal et plein de reconnaissance par le peuple. Toutefois, une nouvelle fois, le changement de cap décidé pour nous engager dans un nouveau modèle de société n'avait pas non plus fait l'objet d'une consultation nationale. Le peuple de Guinée, quant à lui, nous a donc démontré que non seulement il est favorable au 182

changement dans l'unité, mais que cette fois-ci, il le réclamait. Nous ne devons donc pas le décevoir. Pour cela, il devra être consulté. Et ce d’autant plus qu'aujourd'hui, cinquante années après le premier changement et vingt-cinq années après le second, nous avons non seulement l'expérience, mais aussi un potentiel humain de haut niveau dans le pays et à l'étranger, et en plus un potentiel économique mieux connu. Si nous le voulons, nous pouvons dire aujourd'hui : OUI à la liberté sans la pauvreté, et NON à l'opulence d'une minorité, mais OUI à l'égalité des chances et au partage des richesses.

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VII - LA GUINÉE, APRÈS NEUF MOIS DE GESTION PAR LE CONSEIL NATIONAL POUR LA DÉMOCRATIE ET LE DÉVELOPPEMENT (C.N.D.D.) Le présent ouvrage dont la première mouture était déjà prête en novembre 2008 devait paraître après corrections au cours du premier trimestre de l'année 2009. Le temps en ayant décidé autrement, j'ai jugé nécessaire d'y ajouter un dernier chapitre faisant à chaud le point de la nouvelle situation politique, à la faveur du décès du président Lansana Conté le 22 décembre 2008. La transition a débuté le 23 décembre 2008 par suite d’une circonstance naturelle, à savoir le décès du Président Lansana Conté. A la grande satisfaction de tous et de toutes, elle est survenue sans effusion de sang. Cinq facteurs majeurs ont dû favoriser l'amorce de cette transition pacifique : 1 - La prise du pouvoir par une équipe de jeunes militaires ayant sans nul doute bénéficié de la confiance et du support de la majorité des troupes basées dans la capitale ; 2 - La surprenante rapidité de l'intervention des putschistes, qui a eu pour conséquences de prendre de court la hiérarchie militaire qui, comme en 1984, attendait très certainement la fin des obsèques pour la mise en application de son propre projet ; 3 - L'arrestation immédiate de toute la haute hiérarchie militaire considérée comme hostile, à l'exception du général Mamadouba Toto Camara, chef d'état-major de l'armée de terre ; 4 - Les engagements formulés à la prise du pouvoir devant le peuple de Guinée et l’opinion africaine et internationale, à savoir : non-confiscation du pouvoir, inéligibilité des membres du C.N.D.D. et du gouvernement ; 5 - En réussissant à éviter le bain de sang, ceci a permis dans un premier temps de passer sous silence les arrestations opérées au niveau des forces de défense et de sécurité ; 185

6 - Les dérives du système en place, aggravées par le dépérissement de l'Etat, consécutif à la maladie du chef de l'État pendant la deuxième décennie de son pouvoir. De ce fait, le changement de régime et d'homme était désespérément désiré par la majorité des Guinéens. Après neuf mois de gestion du pays, qu’avons-nous retenu? A - Que l'équipe qui avait pris le pouvoir avait fait le choix de la transition militaire et, comme l’on pouvait s’attendre, qu’elle s'était donc trouvée engagée dans une vraie course d'obstacles. - Que le système avait été quelque temps opérationnel, et que non seulement il avait évité des règlements de compte par effusion de sang, mais aussi et surtout, il avait bénéficié dès les premières heures de l'appui sans réserve de certains chefs d'État de la sous-région (Sénégal-Lybie). Constat : Comme il fallait s'y attendre, la suspension de la Constitution, suivie de celle des institutions, des partis politiques et des organisations de la société civile, a été effective dès après l'annonce de la prise du pouvoir. Force était donc de constater que nous étions en réalité dans un régime d'exception. Par la suite, grâce au dialogue et à la concertation, des aménagements ont eu lieu et des engagements ont été pris devant l'opinion nationale et les institutions africaines et internationales B - Au titre des décisions importantes à retenir : L'on pourrait entre autres citer : - La mise en place d'un Secrétariat permanent du C.N.D.D. en lieu et place de l'ancien bureau de l'Assemblée nationale, afin de servir de liaison entre le C.N.D.D. et les formations politiques et syndicales ; - La reprise des activités des partis politiques et des syndicats, avec toutefois des restrictions pour leur déploiement sur le terrain ; 186

- La nomination et l'installation d'un nouveau président de la Cour suprême ; - La levée de la suspension du Conseil Économique et Social et la reconduction et l'installation de son ancien Président dans ses fonctions ; - La reprise des activités de la C.E.N.I. (commission électorale nationale indépendante) et le déblocage d'une importante partie de la contribution de l'État pour son fonctionnement. - L'adoption d'un premier chronogramme pour les élections législatives et présidentielles respectivement pour octobre et décembre 2009. - La publication de l'ordonnance créant le C.N.T. (Conseil National Transitoire) le 13 août 2009 ; - La mise en place d'un comité ad hoc pour l'évaluation de l'état d'avancement du chronogramme. - La proposition de nouvelles dates par ledit comité ad hoc à savoir janvier 2010 pour les présidentielles et mars 2010 pour les législatives ; - La diffusion de la déclaration n° 3 des Forces vives qui marque un changement de ton et d'attitude des signataires, et dans laquelle on relèvera entre autres : « S'oppose fermement à toute candidature des membres du C.N.D.D. et de son président ainsi que des membres du gouvernement à la prochaine élection présidentielle ; Appelle à la mobilisation générale de tout le peuple de Guinée pour s'opposer énergiquement à toute velléité de confiscation du pouvoir par le C.N.D.D. et son président. » - La convocation au palais du peuple le lundi 31 août 2009 de l'ensemble des élus (CRD – communautés rurale de développement – et mairies) et du personnel de commandement (gouverneurs, préfets et commandants d'arrondissement), avec, pour résultat, la lecture d'une motion pour réclamer la candidature du président Dadis pour les prochaines élections présidentielles. A noter que cette réunion avait été boycottée par les forces vives. - La visite des membres du groupe international de contact sur la Guinée (GCIG) moins d'une semaine après la 187

rencontre du Palais, avec, comme pour les forces vives, un changement de ton et d'attitude confirmé par le départ précipité et prématuré du président de ladite commission. Ce changement était perceptible dans le ton et le contenu du discours introductif de son président : « L'ami des moments difficiles est vraiment celui qui compte. A ce titre, seuls les vrais amis ont le courage de se regarder en face pour se dire la vérité. » Ou encore parlant du président du C.N.D.D. : « Il est et demeure le père de la nation, pour autant qu'il reste l'arbitre. Il perd toute crédibilité s'il devient un des acteurs et descend dans l'arène politique. » Sur le terrain : - De bonnes initiatives qui ont parfois pêché par précipitation, et dont les actions, très tôt interrompues, non seulement ont un goût d'inachevé, mais aussi et surtout avaient présenté les premiers mis en cause comme des victimes de règlements de comptes, suite à des audits dont on n'a jamais déterminé à l'avance la période concernée ; - Le déclenchement de la lutte contre les narcotrafiquants avec des résultats qui ont abouti à l'arrestation de plusieurs présumés coupables, malgré la fuite des principaux responsables ; - La découverte de matériels et d'installations supposés servir pour la production locale de la drogue, dont l'expertise par des structures et institutions spécialisées n’a jamais été publiée ; - Un début de remboursement des détournements de deniers publics ; - Un gouvernement sans moyens, faute de budget, avec une administration publique bloquée ; - Des réunions périodiques du groupe de contact international (GCI) en charge de veiller sur l'application effective du chronogramme. L'on se demandait d'ailleurs s'il ne s'agissait pas d'un chronogramme de dupes, car il était prévisible dès le départ que des consultations électorales étaient irréalisables en 2009 pour des raisons multiples, aussi bien matérielles que de gestion (fichier électoral incomplet, 188

décaissement tardif de la contribution de l'Etat, suspension et non-remplacement de l'ancienne Constitution, lenteurs au niveau du C.N.D.D.). Toutefois, tout cela se réalisait sous l'égide d'un régime d'exception. Avec comme conséquences : des entraves à la liberté d'expression, des atteintes à la sécurité des citoyens, et très souvent même, des abus dans le domaine des droits humains. - Contre toute attente pour un régime militaire, des actes d'indiscipline et même d'agression de la part d'hommes en uniforme étaient devenus presque quotidiens. Un anniversaire pas comme les autres A la grande stupéfaction des Guinéens et du monde entier, les tueries du 28 septembre 2009 dans l'enceinte du stade de même nom sont venues transformer l'inquiétude en cauchemar. Il faut rappeler qu'en sortant dans les rues de la capitale en janvier et février 2007 pour demander le changement, puis le 28 septembre 2009 pour marquer leur opposition à une future candidature du capitaine Moussa Dadis Camara, le peuple de Guinée avait résolument confirmé son choix pour la rupture. Par ce lourd sacrifice, il exige une nouvelle gestion du pays qui soit totalement différente de celle des cinquante premières années de notre accession à la souveraineté nationale. Toutefois, il est bon de rappeler que pour bâtir une nouvelle maison, il faut nécéssairement commencer par le soubassement, quelle que soit l’impatience du propriétaire ou des futurs locataires. Dans le cas qui nous concerne, ce soubassement devrait être constitué par ces éléments : - Le peuple - La Constitution - L’armée comme garante

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Du Peuple L’on ne peut bâtir un avenir commun pour une population sur un passé controversé et un présent fait de douleurs et de révolte. Pour le cas précis de la Guinée, nous nous retrouvons donc avec des veuves qui attendent toujours pour faire leur deuil, de pouvoir s’incliner sur la tombe de leurs conjoints disparus, et de parents qui continuent à rechercher des cadavres subtilisés et de femmes violées non retrouvées. Dès lors, le changement tant souhaité devrait nécéssairement passer par un dialogue inclusif dans le respect et la confiance entre les différentes couches de la société d’une part,et entre le peuple et ses dirigeants d’autre part. Pour le cadre de concertation, qu’importe sa dénomination, pourvu qu’il offre aux Guinéens l’occasion de debattre de l’ensemble des problèmes soulévés par le changement et qui ne peuvent trouver de reponse dans de simples consultations électorales. Ce sera pour eux le lieu privilègié pour poser ensemble le diagnostic de leur vécu en toute franchise et responsabilité, et proposer des solutions qui seront soumises au peuple par voie référendaire. Ainsi leur adoption offrirait aux futurs dirigeants du pays, quels qu'ils soient, un cadre de référence et d'action. En effet, l'édification d'une société démocratique définissant les droits et obligations est l'affaire de tous, et non pas seulement des autorités. Pour changer une société il faut des contrats sociaux, parce que c’est la voie la mieux indiquée pour conjuguer la volonté de l’Etat avec celle de la société, afin d’éviter au peuple la survivance ou la recidive des pratiques dégradantes du passé. De la Constitution La dernière, celle de 1990, comportait des avancées considerables, de par son inspiration libérale et son attachement au multipartisme et à la charte africaine des droits de l’homme. Toutefois, on pouvait déja constater qu’elle renfermait des insuffisances qui presentaient des risques pour l’exercice de la démocratie. C’est ce qui était finalement arrivé, concrétisé par la revision constitutionnelle de 2001 qui instaurait en fait la présidence à vie. Il est donc 190

plus que nécéssaire de concevoir une nouvelle constitution, plus conforme aux souhaits de nos populations et mieux adaptée aux réalités du pays. De l’armée D’une façon générale, dans sa conception et son fonctionnement, elle a pour mission première la défense de l’intégrité du territoire, la garantie de la Constitution, la défense de la vie et des droits des citoyens. Cependant,de nos jours, les tares,insuffisances et dysfonctionnement de notre armée sont connus de tous, et même au-delà de nos frontières. Les traitements brutaux et dégradants infligés en juillet et août 2009 à un général en activité, premier viceprésident du CNDD, et à un diplomate africain en poste à Conakry. Puis l'inqualifiable tuerie du stade du 28 septembre, attestent, s’il en était besoin, de l’aggravation de la situation et de l’urgence de recherche de solutions appropriées. En effet, pour esperer bâtir un Etat démocratique en Guinée, il faudrait nécéssairement engager et réussir une reforme complète de l’armée. A cet effet,il faut convenir que la gestion des problèmes de l’armée est une affaire nationale. Il serait donc souhaitable d’impliquer les institutions et les forces vives, afin d’engager un débat national devant déboucher sur des solutions applicables et acceptables pour tous et par tous, militaires et civils. A cet effet, les conditions à créer pour les hommes en uniforme devraient être à la mésure de la mission qui leur est assignée, en pensant en priorité aux questions liées : - aux critères de recrutement ; -à la formation ; -aux infrastructures ; -à l'équipement, entre autres. Sinon, à quoi servirait-il d’organiser des élections le lundi,si c’est pour faire un coup d’Etat le mardi ? Dixit le sécrétaire permanant du CNDD, le capitaine Moussa Keïta. De ce qui précède l’on pourrait penser que l’équité, ,la transparence et la crédibilité d’une consultation électorale actuellement en Guinée seraient sans nul doute de nature à 191

légitimer tout civil qui viendrait au pouvoir. Toutefois, sans reforme et restructuration de l’armée, ceux qui ont osé toucher aux galons d’un général ou s’attaquer à un chef de mission diplomatique, avant de perpétrer les massacres du 28 septembre 2009, n’auront aucun état d’âme pour faire du fauteuil présidentiel un siège éjectable dès l’installation de son occupant. En attendant, le peuple de Guinée aimerait savoir au bout de quelle transition, nil va pouvoir librement s’acheminer vers la Troisième République. Cela permettrait ainsi au CNDD de réellement engager le pays sur le chemin de la démocratie et du développement, nous ramenant ainsi du camp Alpha Yaya au Palais du Peuple. Toutefois, l’on constate très souvent que dans la gestion au sommet de l’Etat, c’est plutôt le moment et la manière de quitter le pouvoir qui déterminent l’opinion finale de la population. En ce qui concerne le CNDD, il est à présent à la croisée des chemins. Les prochaines décisions et actes qu'il aura à prendre ou à poser seront déterminants pour l'avenir du pays. A ce stade du processus, il serait souhaitable d'avoir toujours présent à l'esprit le jugement de l'histoire. Proposition de solution pour une sortie de crise et pour la gestion de la fin de la transition Constats I- Avant même la confirmation de son implication, ou les preuves de son innocence, il se trouve que les forces vives et certaines grandes puissances occidentales avaient décidé de ne plus dialoguer avec le capitaine Moussa Dadis Camara, prolongeant de ce fait le blocage de la transition. II- Le fossé qui existait déjà entre l'armée et la population depuis les mutineries de mai 2007 et mai 2008 s'est approfondi et élargi depuis le 28 septembre 2009. III- La transition était compromise et par conséquent les dates des élections remises en cause. 192

IV- De l'avis des témoins : journalistes, hommes en uniforme, et manifestants rescapés, des éléments d’anciens mouvements de rebelles seraient fortement impliqués dans les actes de tueries et de viols publics perpétrés au stade du 28 septembre. V- Il est à remarquer que depuis l'avènement du multipartisme en avril 1992, plusieurs manifestations non autorisées avaient déjà eu lieu et avaient été gérées sans intervention de l’armée. VI- L'armée en tant qu'Institution est l'une des composantes essentielles de notre Etat. De ce fait, elle doit apporter sa contribution dans la mise en place des structures en charge de la gestion du pays. VII- Malgré tout ce qui s'est passé, et quels que soient la révolte, douleur, et le temps que cela prendra, il faudra nécessairement se retrouver un jour autour de "l'arbre à palabre" pour décider ensemble du futur de notre nation. Le processus de décrispation : La sécurité devrait être la priorité de toutes les priorités. Pour y parvenir, des préalables sont recommandés tels que : A- La réconciliation de l’armée avec elle-même, et avec les services de sécurité En effet, après les mutineries de mai 2007 et mai 2008, il y a eu des attaques meurtrières de l'armée en mai 2008 à la base de la CMIS (compagnie mobile d'intervention et de sécurité) de la police sise à Conakry au quartier Cameroun. Puis des arrestations et séquestrations d'hommes en uniformes à l'occasion de la prise du pouvoir le 23 décembre 2008. Le tout aggravé par l'inqualifiable tuerie du 28 septembre 2009. Compte tenu de tout cela, l'on ne peut nier qu'il y a malaise au sein de l'armée d'une part, et entre l'armée et les services de police d'autre part. A ce stade de dégradation de la situation, il serait recommandé 193

d'entreprendre certaines mesures d'apaisement. Comme par exemple : - Relaxer ou juger toutes les personnes arrêtées depuis le 23 décembre 2008 ; - Faire la lumière sur la présence ou non au sein des forces armées d'anciens éléments du mouvement de rebelles dit ULIMO, ou de toute autre ancienne organisation de rebelles ; - Si cela est confirmé, les identifier, et situer les responsabilités quant à leur recrutement, et les livrer à la justice ; - Redonner à la police la place qui a toujours été la sienne dans un Etat démocratique, et dont elle a été dépossédée après la prise du pouvoir. Il s'agit par exemple du contrôle de l'immigration aux frontières et du maintien de l’ordre. B- La réconciliation de l’armée avec la population A cet effet, l’armée devrait mettre tout en œuvre pour entre autres : - Aider à retrouver les cadavres manquants du 28 septembre 2009 ; - Aider à retrouver les femmes violées et enlevées dans les centres de santé par des militaires ; - Libérer toutes les personnes arrêtées lors de cette manifestation du 28 septembre 2009 ; - Prendre en charge toutes les victimes ; - Ordonner le désarmement de tous les militaires qui ne sont pas en opération, avec interdiction totale du port d'arme en ville ; - Faire en sorte que l'armée reconnaisse sa responsabilité en tant qu'Institution pour les massacres du pont du 8 novembre 2007 et du stade du 28 septembre 2009 ; - Que l'armée, de ce fait, demande pardon à la population ; - Prévoir éventuellement une cérémonie symbolique de destruction publique d'armes de guerre en présence de responsables militaires et civils en signe de réconciliation avec la population. 194

C- Réconcilier les Guinéens et relancer la transition Pour sa réalisation, l'on se félicite de la mise en place du CNT (conseil national de transition) au mois de février 2010. Toutefois, compte tenu des exigences de temps et de résultats, les critères de choix des membres du CNT devraient tenir compte de la compétence et de l’expérience. Recommandations pour la feuille de route 1-Pour l’organisation des élections, une solution serait de lever la suspension de la constitution, puis d’y apporter certaines modifications pour permettre l’organisation des consultations. Il s’agirait de revenir à la limitation des mandats à 2 et de ramener la durée à 5 ans comme initialement prévu. Quant à la modification de la constitution, elle serait confiée à la future Assemblée nationale. 2-Proposer le cumul du premier tour des présidentielles avec les législatives. Une telle option aurait un triple avantage a- Gagner du temps pour les législatives ; b- Economiser de l’argent pour les consultations ; c- Et plus important, éviter toute interférence de l’Exécutif élu, dans l’organisation des législatives. 3-Superviser la reforme des forces de défense et de sécurité. 4-Aider le gouvernement à négocier une trêve sociale avec les structures concernées. 5-Fixer l’ordre et les dates des consultations. 6-Convoquer un forum ou conférence nationale pour amener les Guinéens à une réconciliation nationale. La mission de ladite commission pouvant se prolonger même après la transition si cela s’avérait nécessaire. 195

7-Revoir et renforcer les textes concernant la liberté de la presse et d’opinion en consultation avec le CNC. 8-Revoir les dispositions réglementaires concernant la commission électorale indépendante (CENI).

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IX-L’ESPOIR Le changement, en ce qui me concerne, j’y crois fermement. J’y crois, parce que dès les années cinquante, j’étais déjà membre de la FEANF (Fédération des étudiants d’Afrique noire en France) lorsqu’elle lançait ses mots d’ordre d’indépendance pour les colonies françaises d’Afrique noire, au moment où Vietnamiens et Algériens se battaient pour leur souveraineté. J’y crois, parce que j’ai été témoin, devant l’Assemblée territoriale à Conakry, des discours historiques du Président Sékou Touré et du général de Gaulle le 25 août 1958. J’y crois, parce que j’ai connu des moments inoubliables de joie et de fierté, ceux d’avoir vécu les 28 septembre et le 2 octobre 1958, au 69 bd Poniatowski, à la maison des étudiants d’Afrique noire à Paris, parmi mes camarades étudiants originaires des autres colonies qui, elles, avaient voté OUI. J’y crois, parce que j’ai vécu la douleur et l’affliction du peuple de Guinée le 26 mars 1984, puis sa brusque métamorphose et sa joie le 3 avril 1984. J’y crois enfin, parce que j’ai vécu le sursaut du peuple de Guinée dans les rues de la capitale et dans nos cités en janvier et février 2007, et que compte tenu de tout ce qui précède, je suis persuadé de l’inéluctabilité du processus. NON, le peuple de Guinée ne peut pas, car il ne doit pas accepter la démission. Il sait qu’il est investi d’une mission qui dépasse ses frontières et qu’il doit mener à bonne fin. C’est l’espoir né du NON du 28 septembre 1958 auquel il faut à présent associer le souvenir des exécutions et liquidations de la Première République et les viols et massacres du stade du 28 septembre 2009. C’est bien ce message que les successeurs des illustres acteurs de l’année 1958 ont tenu à livrer au peuple du 28 septembre 2008 à l’occasion du cinquantenaire. 197

Le message du Président français Nicolas Sarkozy : « Je souhaite qu’à l’occasion du 50ème anniversaire de son indépendance, votre pays retrouve l’audace qui l’a animé en 1958. » Le Président de Côte d’Ivoire Laurent Gbagbo : « Le NON de la Guinée a été un séisme pour les colonies. » Le Président du Sénégal Abdoulaye Wade : « Guinéens, vous avez mérité de l’Afrique, vous avez donné le ton ». Une fois encore, l'Afrique et le monde entier observent la Guinée et attendent sa réaction, après avoir suivi l'inqualifiable tuerie du stade du 28 septembre. La réponse du peuple de Guinée devrait être à la mesure de l'événement. Et pour terminer, comme pour davantage confirmer ma conviction, j’ai vécu une nuit historique, celle du 4 au 5 novembre 2008. En effet, à cette occasion, j’ai pu voir tout un peuple en larmes, mobilisé comme un seul homme, dans la discipline et la patience, fermement décidé à tourner une page de son histoire écrite depuis quatre siècles. Par ce geste devenu historique, les Américains ont traduit dans les faits un slogan devenu à présent mondialement connu à savoir : THE CHANGE, YES WE CAN. (Le changement, Oui nous pouvons le faire). Le CHANGEMENT, ils y ont cru, et tous ensemble, ils ont réussi à ouvrir la porte pour les générations présentes et à venir. En guise de conclusion, je pense que les mois et les années qui vont suivre seront décisifs pour notre pays. Il est donc de la responsabilité de tous les Guinéens de relever les défis car l’héritage est un bien commun, et comme en 1958, nous devons faire en sorte que la porte du changement s’ouvre de l’intérieur sans violence et sans précipitation, dans l’entente et la paix. Toutefois, nous retiendrons que nous avons déjà connu dans le passé une première période transitoire apaisée, au moment où la constitution était suspendue. Elle avait permis la préparation et l’adoption par référendum en décembre 198

1990 d’une nouvelle constitution appelée LOI FONDAMENTALE qui consacrait ainsi le changement de régime sans confrontations et sans effusion de sang. A présent, face à l’histoire et avec la suspension de la constitution et la réorientation de la transition, il est de la responsabilité des décideurs de prendre à temps l’initiative historique et nécessaire devant permettre la réconciliation des Guinéens avec leur armée, et entre eux, afin de parvenir à mettre en place les nouvelles structures d’une nouvelle démocratie. Ce faisant, il y a de bonnes raisons de penser que si le processus est bien géré, il aboutira à un résultat qui serait soumis à l’approbation de tous les Guinéens quel que soit leur lieu de résidence. Je ne saurais terminer sans citer une fois encore le général Chevance Bertin. La Guinée se trouve dans une situation qui est celle d’un Monsieur qui aurait un coffrefort plein, archi plein (scandale géologique) et qui en a perdu la clef, et dont il ne peut pas se servir. La clef, c’est une relance économique. » (28) Même si cette déclaration date de 1982, il faut reconnaître qu’elle est toujours d’actualité. Toutefois, 28 ans après, compte tenu de tout ce qui s’est passé au cours des deux Républiques et pendant la gestion du pays par le CNDD, nous dirons que la relance économique de nos jours, passe nécessairement par le dialogue, la réconciliation, la reforme de l’armée, l’entente et la paix dans le pays. Si nous parvenons à réaliser ce défi, nous aurons réussi à mener la transition à son terme, et à relancer le processus démocratique permettant aux Guinéens de lever en douceur le verrou pour ouvrir la porte du changement.

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Références I- André Lewin, président de l’association d’amitié FranceGuinée, ancien représentant du Secrétaire général de L’ONU en Guinée et ancien ambassadeur de France en Guinée. Ouvrages :1-La Guinée, collection Que Sais-je ? Presses universitaires de France, septembre 1984-(1)-(2)-(3)-(4)-(5)(22) -2- Ahmed Sékou Touré (1922-1984) Président de la Guinée, tomes I à VI, L’Harmattan –(13)-(14) -3- Diallo Telly. La tragique destin d’un grand Africain Jeune Afrique Livres –(11) II- Mohamed Saliou Camara, professeur d’histoire et d’études internationales à Embry-Riddle Aéronautical University, Floride, USA. Ancien journaliste à la Radio Télévision guinéenne, ancien rédacteur au bureau de presse de la Présidence sous Sékou Touré. Ouvrage : Le pouvoir politique en Guinée sous Sékou Touré, L’Harmattan 2007 (19) III- André Lewin, Sennen Andriamirado, Siradiou Diallo Ouvrage : SEKOU TOURE : Ce qu’il fut, Ce qu’il a fait, Ce qu’il faut défaire –(10)-(12)-(20) Edition : Jeune Afrique- Collection Plus IV- Ahmed Sékou Touré Ouvrage : Evolution des Rapports franco-guinéens-(9)-(28) Edition : Bureau de Presse de la Présidence de la République Populaire Révolutionnaire de Guinée. V- Auteur : SITG, sous le patronage du Service de l’Information en AOF Ouvrage : La Guinée française, Supplément à AOF Magazine, édition spéciale, novembre 1957-(24).

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VI- Document : Hebdomadaire guinéen Le Lynx n° 704 du 19-09-2005-(23)-n 856 du 8-09-2008-1998 (16)-(8). VII- Issa Ben Yacine Diallo Ouvrage : Le Nouvel Espace Africain et ses Fondements, édition : Bruylant-Bruxelles- L.G.D.J-Paris (2005)-(26)-(27). VIII - Claude Wautier Ouvrage : Quatre Présidents et l’Afrique –(7), Le Seuil IX- Auteur : Philippe Gaillard-(6) Ouvrage : Foccart Parle- Entretiens avec Philippe Gaillard, Fayard/Jeune Afrique (21)-(17)-(18) X- Ibrahima Fofana, avocat, ancien ministre. Ouvrage : Lettres a Sidiki Kobele Keita, historien, à propos des complots contre la Guinée de Sékou Touré (1958-1984)février 2003-(25). XI- Sow Loppe Ouvrage : La Guinée de Sékou Touré à Lansana Conté : continuité ou rupture (15) Témoignages :-1-Kaba Sékou, dit Alvarez : Professeur de philosophie et sociologie, trois fois recteur à Conakry et à Kankan, ambassadeur, Secrétaire général de la Présidence, Secrétaire général du Gouvernement, ministre de l'Information. Arrêté en avril 1984, libéré en mars 1985. Président du Conseil national de la communication (C.N.C.) pendant la Deuxième République. -2-Galema Guilavogui, Diplômé de l'Institut polytechnique de Conakry, option histoire sociologie. A occupé plusieurs postes pendant le régime du P.D.G. (inspecteur général de l'enseignement au ministère de l'Éducation (1971-1973), ministre de l'Enseignement pré universitaire et de l'alphabétisation (1973-1984). Il fut membre du comité central du P.D.G. (1978-1983). Au douzième congrès de 1983, il fut élu au B.P.N. Arrêté en avril 1984, il fut libéré en 202

1985. Il sera de nouveau nommé ministre de l'Enseignement pré universitaire pendant la Deuxième République. XII- Jan Ramadier, chef du territoire, Président du Conseil de Gouvernement de la Guinée (1956-1958). Auteur de la lettre extraite du livre : La Guinée Française. Édition du Syndicat d'Initiative et du Tourisme de la Guinée française.

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