La génétique en images 9782759819010

Comment la science peut-elle expliquer ce que je suis ? La génétique est une des clés de la vie biologique. Comment se f

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Édition originale : Genetics, © Icon Books Lts, London, 2011. Traduction : Alan Rodney Imprimé en France par Présence Graphique, 37260 Monts Mise en page de l’édition française : studiowakeup.com

ISBN : 978-2-7598-1767-2 Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés, réservés pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article 41, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinés à une utilisation collective », et d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (alinéa 1er de l’article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du code pénal. © EDP Sciences, 2015

2

La génétique ? Une question de différences…

… entre personnes, ou entre tout autre créature, grande ou petite.

Burp

3

C’est aussi une question de ressemblances – entre parents, vivants ou décédés

4

et entre espèces différentes, vivantes ou disparues.

Les gènes forment une histoire biologique. Les cartes génétiques nous renseignent sur leur agencement et nous apprennent beaucoup sur l’évolution de l’Homme, sur nos liens avec les autres espèces et même sur la genèse de la vie elle-même.

Une part importante de la génétique concerne la géographie, à différentes échelles.

Mais la science de la génétique a démarré longtemps après l’exploration du monde… 5

… et même plus tard que n’importe quelle autre science biologique –  car, malheureusement, ce qui était Tu es tellement réputé « évident » s’est révélé transparente que tu as nécessairement tort, comme d’habitude être faux. ma pauvre chérie !

Pendant des milliers d’années, les gens ont cru que des parents se ressemblaient parce qu’ils partageaient le même environnement et que seule l’expérience vécue pouvait changer notre aspect. C’est tout à fait évident !

Et oui, les enfants, sa maman a été bousculée par un éléphant de cirque quand elle était enceinte.

6

Cela doit être vrai – c’est écrit dans la Bible.

Laban dit que je peux garder tous les agneaux tachetés !

7

Mais les enfants, en fait, n’héritent pas de l’expérience de leurs parents.

Nous voilà à la 20 e génération et, bon sang, ces maudits rats ont

toujours des queues !

Eh bien, si cela ne marche pas, peut-être les enfants représentent-ils la moyenne de ce qui les a précédés. Darwin aimait bien l’idée que les enfants résultaient du mélange des sangs de leurs parents. Après tout, sa propre famille était de sang plutôt noble ou, comme on disait, de « sang bleu ».

8

Au début, j’aimais cette idée.

Peu de temps après, il lut un article, court mais virulent, d’un ingénieur écossais, Fleeming Jenkin [1833-1885], qui pointait un défaut majeur du raisonnement de Darwin : si l’hérédité se passait ainsi, chaque facteur « favorable » serait dilué à chaque génération, au point de disparaître à terme. Pour Jenkin, la théorie de l’évolution ne tenait pas debout ! Mais il avait adopté des points de vue typiquement racistes… 9

Imaginez un homme blanc naufragé sur une île habité par des noirs…

ix de La vog Jenkin in m e e l F

OK, les gars, laissezmoi choisir parmi vos femmes ! Après tout, je suis

Britannique…

Il est fou ce garçon blanc.

Maintenant, il me faut des volontaires pour aller chercher mes bagages.

Ainsi, il aurait beaucoup, beaucoup de femmes et des enfants supérieurs à la moyenne… Chérie… c’est ton tour de venir à ma case cette nuit !

Mais qui peut croire que toute la population de l’île deviendra graduellement blanche, voire jaune ?

Si tu insistes, mais tu es quand même un drôle de bonhomme.

Cette nuit-là…

Un homme blanc hautement favorisé ne peut blanchir tout un peuple noir. 10

Rapidement, Francis Galton, cousin de Darwin, s’y intéressa. C’était un homme étrange, détestable même.

Mon cousin, c’est un génie, comme moi !

Comme la plupart des scientifiques de l’époque victorienne, Galton était riche. À la différence de son cousin, il termina des études de médecine (mais n’exerça jamais). Il en profita pour tester sur lui-même tous les médicaments, suivant un ordre alphabétique, mais il dut renoncer après l’huile de croton [Croton eluteria, puissant émétique et laxatif] ! 11

Galton parcourut l’Afrique, pénétrant même dans la case d’un chef à dos de taureau afin de l’effrayer et de le soumettre ; puis il mesura les fesses des femmes du chef avec son sextant. Il s’intéressait à l’hérédité du « génie » et prenait pour exemple, entre autres, des lignées de juges.

On trouvait des juges de père en fils de nombreuses fois dans la même lignée. Peut-être, pensait-il, le « génie judiciaire » se passe-t-il de génération en génération. Mais comment ? Est-ce que cela pouvait réellement être dû au mélange des sangs ? Il essaya de transfuser du sang d’un lapin noir vers un lapin blanc.

Mais les lapereaux descendant du lapin transfusé restaient blancs. Le facteur produisant la noirceur des poils n’était donc pas dans leur sang.

12

Galton est décédé, sans descendance, en 1911. Il a légué sa fortune pour fonder le laboratoire d’Eugénique nationale à l’University College de Londres.

Son projet était

d’améliorer

l’espèce humaine !

Ce qui allait se révéler une tâche difficile, tant qu’on n’avait pas élucidé le mécanisme de l’hérédité.

En 1900, la génétique, comme science, semblait dans l’impasse. À l’époque, parcourir 700 km, c’était déjà aller très loin, surtout si c’était au-delà des frontières de l’Empire britannique. Vers les jardins du monastère

13

Gregor Mendel, qui avait étudié les sciences à l’université de Brno (ville de la République tchèque) mais sans compléter le cursus, s’était intéressé lui aussi à l’hérédité, à peu près en même temps que Galton.

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Mais il avait plus d’intuition que Galton ; il étudia des petits pois, et non des êtres humains. Les petits pois offraient toutes sortes d’avantages, car propres, faciles à conserver et avec un taux de divorce faible ! De plus, chaque pois est à la fois mâle et femelle et peut, par conséquent, s’auto-fertiliser.

Bon, même si en ma qualité de moine je ne peux avoir d’activité sexuelle, au moins mes petits pois, eux, le peuvent !

Ah, c’est donc ÇA qu’on appelle faire l’amour avec quelqu’un que l’on aime vraiment.

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Les agriculteurs ont produit de nombreuses lignées pures de petits pois ; dans chaque filiation, chaque plante était identique aux autres, mais différente de toutes celles d’autres lignées. Mendel s’est rendu compte qu’il avait là exactement ce qu’il lui fallait pour déterminer comment fonctionnait l’hérédité. Il a donc fertilisé les pois d’une lignée de pois lisses avec du pollen d’une autre lignée, de pois ridés. Les pois issus de ce croisement étaient lisses – non pas la moyenne des traits caractéristiques de pois parents, seulement comme l’un des parents. Dommage, je préférais les petits pois ridés !

Ensuite, Mendel a fait pousser ces nouveaux petits pois lisses et les a auto-fertilisés. Pour ce faire, il a placé du pollen sur les ovules de la même plante qui, une fois germée, a grandi pour donner à son tour de nouveaux petits pois. À sa grande surprise, il a trouvé des lisses et des ridés !

De plus, la proportion était toujours la même : trois lisses pour un ridé.

Au moins, je vais trouver quelques-uns de ceux que je préfère !

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Mendel a eu…

Peut-être y a-t-il dans un petit pois plus que son apparence ! Par exemple, des instructions cachées qui ne se révèlent pas au grand jour ; un petit pois lisse peut cacher des instructions pour donner des petits pois ridés.

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Mendel a suggéré que le pollen et l’ovule portaient chacun une particule (appelée gène aujourd’hui) renfermant le code de l’aspect (lisse ou ridé) des descendants.

Bonjour, je me sens lisse, voilà tout.

De nos jours, nous savons que les mêmes règles s’appliquent aux spermatozoïdes et aux ovules chez les animaux. Quand le pollen rencontre l’ovule, les descendants reçoivent deux particules (ou gènes). Parfois, une particule masque les effets de l’autre. Voilà qui explique les proportions observées !

Pour les lignées pures, qu’elles soient lisses ou ridées, chaque plante renferme deux gènes lisses ou deux gènes ridés. Quand un petit pois de lignée lisse est croisé avec un petit pois ridé d’une autre lignée, tous leurs descendants renfermeront un gène « lisse » et un gène « ridé ». L’effet du gène lisse est de masquer celui du gène ridé et tous les petits pois issus de ce croisement auront un aspect lisse. Je trouve qu’ils ont quand même un goût un peu ridé !!

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On dit que le gène lisse est dominant par rapport au gène ridé, appelé récessif.

Pour ce qui est de la génération suivante, tous les petits pois lisses auront deux gènes différents. Ils pourront, par conséquent, fabriquer deux types de pollen ou d’ovule ; la moitié recevra des gènes lisses et l’autre moitié des gènes ridés. Au moment de l’auto-fertilisation, une fois sur quatre, un pollen lisse va fertiliser un ovule lisse ; une autre fois sur quatre, un pollen ridé va fertiliser un ovule ridé, et deux fois sur quatre, un mélange de pollen ou d’ovule lisse et ridé vont donner des petits pois lisses. En faisant l’addition de toute cette progéniture, on trouve bien le ratio magique de trois pois lisses pour un ridé parmi les descendants, CQFD !

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Mendel a répété ses expériences avec des petits pois jaunes et verts, et avec des allongés et des courts. Il obtenait les mêmes résultats à chaque expérience et pour chaque aspect caractéristique qu’il choisissait. De plus, la forme physique du pois importait peu quant aux couleurs héritées des pois parents. Les gènes étaient indépendants. Il semblait donc que la génétique était basée sur des particules passant de parents aux descendants. Tout cela paraissait tellement simple. Hélas, il n’en était rien ! Mendel passa à des plantes autres que les petits pois, qui avaient des schémas d’hérédité compliqués ; résultat, ses lois d’hérédité s’effondrèrent. Et, tout comme Galton et Darwin, Mendel connut des dépressions répétées et se retira de la vie scientifique pour s’occuper de questions plus administratives.

Malheur à chacun de nous !

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L’article de Mendel, intitulé Versuche über Pflanzenhybriden (« Expériences d’hybridation de plantes »), fut publié en 1866 dans une revue peu connue, Transactions de la société d’Histoire naturelle de Brünn. Mendel envoya des copies de son article aux plus illustres biologistes de son époque, mais il fut ignoré.

Ce mendélisme est un pétard mouillé !

NAGELI, professeur de botanique

Versuche über Pflanzenhybriden MENDEL

Les biologistes s’intéressaient à une question bien plus vaste. Nous savons aujourd’hui qu’ils posaient la bonne question mais au mauvais moment. Ils n’avaient aucune chance d’y apporter une réponse – et la question demeure sans réponse encore aujourd’hui. Comment un ovule fertilisé – qui ne possède pas sa propre structure – peut-il se développer en un être humain si incroyablement complexe – ou en un petit pois ?

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C’est du bla-bla, sans aucun intérêt !

s oin ne. ien m b n ien bie ctor stion és. t r ien e vi ue no bla logi ne q nt ig m u e io re Ils s. é s la b … à x fu t t i r e u ve de réd de ns va ou rtes c ’hé ates répo s tra l é ed so de cr e se t r tes . es risto onn ine, n u e m a ab e ur to lets is an aux vé l sa p ats f our pou c é ts ou ur ult té p les s m an tr po rés rédi et Le ress vait ais, s e hé ris a é int del le m 00, s e l’ sou n p d 19 es les Me sim en règl our s , u t l p n s p da le me en ient mê p a Ce liqu oire v p ex tes, n a l p

Bientôt, tout le monde s’y est mis. Prochaine étape – l’être humain.

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Évidemment, on n’obtient pas de croisements d’humains comme on le fait pour des petits pois. Encore que… ? Frédéric le Grand de Prusse a obtenu des gardes de taille impressionnante pour défendre son palais, enfantés par de grands hommes et de grandes femmes.

Mais dans la plupart des cas, la génétique humaine devait obéir aux expérimentations de la Nature. Les gens choisissent eux-mêmes leurs partenaires. J’ai toujours eu un faible pour de grandes femmes.

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Souvent l’histoire d’une famille est inscrite dans un registre appelé « pedigree » (du français « pied de grue », étant donné la façon dont les lignes s’écartent en éventail pour certaines familles anciennes). Ça ne ressemble pas beaucoup à une patte, à mon sens !

Le premier pedigree connu était simple : une famille norvégienne qui avait des doigts courts et déformés (la brachydactylie) en raison d’un gène dominant. Tout enfant qui recevait en héritage ce gène avait les doigts courts. Mais quand ce gène venait à disparaître d’une ligne de la famille, la brachydactylie ne revenait plus jamais.

Les générations se suivent, ci-dessus, ligne par ligne, les grandsparents, suivis des parents et enfin les petits enfants. Les femmes sont représentées par des cercles, les hommes par des carrés (ce qui me paraît injuste !). Les personnes atteintes de brachydactylie ont leur symbole plein (noir). Les maris ou femmes de ces personnes ne sont pas représentés en tant que tels : ils étaient tous normaux. Il suffit de constater que chaque enfant atteint avait lui-même un parent atteint et, en moyenne, la moitié des enfants de ces mêmes parents étaient atteints. 24

Des caractères dominants semblaient assez simples à comprendre. Bientôt, on a vu arriver des caractères contrôlés par des gènes récessifs. Seuls les enfants qui recevaient deux copies du gène, un de chaque parent, révélaient le caractère. Ça alors, Monsieur est exactement comme son grand-oncle Albert.

Certains caractères arrivaient par surprise, sautant des générations. On a ici l’explication d’un vieux problème, l’atavisme, c’est-à-dire le fait qu’un enfant ressemble à un parent éloigné ou à un ancêtre. 25

Le premier cas connu d’hérédité récessive concerne l’albinisme. La plupart des parents d’un enfant albinos étaient eux-mêmes normaux et, si un albinos épousait une personne normale, leurs enfants généralement avaient une peau normale. Le cas le plus ancien avait pour nom Noé. Nous lisons, en effet, dans le Livre d’Énoch que Noé avait « les cheveux blancs et fins comme la neige ». Mais Ham, Shem et même le petit Japhet te ressemblent, totalement.

Comme dans le cas des petits pois, la génétique des êtres humains avait l’air tout à fait simple. On voyait toutes sortes de pedigrees. Les uns étaient frappés au coin du bon sens et résistaient à un examen critique ; d’autres étaient franchement farfelus. On avait prétendument découvert le gène d’un amour pour la mer (thallasophilia) et même un gène pour expliquer de violents accès de colère.

Je ne peux pas m’en empêcher, c’est inscrit dans mes gènes.

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La génétique humaine était envahie par des charlatans, convaincus qu’il était de leur devoir d’éradiquer les gènes responsables de l’idiotie et de la criminalité (gènes bien entendu inexistants). Dans les années 1920, le laboratoire d’Eugénie nationale de Galton à Londres s’est scindé en deux : le laboratoire Galton de l’University College de Londres (spécialisé en recherche biologique), et l’autre qui a pris le nom de Société eugénique et qui, pendant de nombreuses années, a poursuivi sa mission pour améliorer l’espèce humaine. Toutes sortes de personnalités inattendues étaient impliquées. La grande pionnière du planning familial, Marie Stopes (Écossaise et paléobotaniste, membre de la Société eugénique), était animée par le désir d’empêcher les classes inférieures de procréer car elles réduiraient inévitablement la supposée qualité intrinsèque de la nation britannique.

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D’autres disciples de Galton avaient des points de vue encore moins attrayants. Hitler fut le plus connu, mais il en a eu bien d’autres.

Si nous voulons un autre type de civilisation, nous devons exterminer ceux et celles qui n’y ont pas leur place »

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La croissance de plus en plus rapide et contre nature des faibles d’esprits et les fous représente un danger national et racial qu’il serait impossible d’exagérer. Je pense que la source même de cette folie doit être éradiquée et scellée d’ici la fin de l’année.

La qualité de notre héritage est 100 fois plus important que de se disputer les mérites ou non entre capitalisme et socialisme

Pendant ce temps, la « variété » génétique progressait dans les coulisses. Beaucoup de questions se posaient alors. D’où viennent, en premier lieu, les variations génétiques ? Nous y sommes tellement habitués aujourd’hui que les cas de similitudes nous perturbent.

Pourquoi y a-t-il des gens aux doigts courts ? et, pendant qu’on y est, pour quelles raisons certains petits pois sont-ils ronds et d’autres ridés ? Quelque chose doit être à l’origine des changements observés. Si l’hérédité était « parfaite », toutes les créatures vivantes seraient identiques. La génétique n’existerait pas et l’évolution non plus. 29

En 1901, le Néerlandais de Vries testa les lois de Mendel sur des primevères du soir (Oenothera biennis). À sa surprise, il vit arriver de temps à autre une couleur inédite, même dans une ligne « pure » – et la nouvelle teinte devenait « héritable ». De Vries a attribué ce phénomène à des changements aléatoires au niveau des gènes.

… mutations

Peut-être que si l’on examinait les mutations –  c’est-à-dire des dommages subis par les mécanismes de l’hérédité –, on pourrait commencer à comprendre le vrai fonctionnement des gènes. 30

Un médecin anglais, Archibald Garrod, a étudié une maladie rare et héritée, l’alcaptonurie.

Les symptômes sont assez effrayants (mais pas dangereux). Après un repas, l’urine devient noirâtre et exhale une odeur peu agréable.

En 1909, il a découvert que la substance malodorante était un composé chimique résultant d’un déficit d’enzyme impliqué dans le métabolisme de la tyrosine présent dans notre nourriture. On savait depuis longtemps que notre métabolisme dépendait des enzymes : des catalyseurs chimiques qui en accélèrent le processus. Toutes les enzymes ici sont des protéines. Les symptômes de l’alcaptonurie étaient peut-être dus au mauvais fonctionnement d’une enzyme. C’est même Garrod qui a suggéré que les gènes fabriquaient des enzymes, voire même que les gènes étaient des enzymes – mais il n’en avait pas de véritable preuve. Si cela nous apprenait, grosso modo, ce que les particules de Mendel faisaient, il restait une question : où précisément étaient-elles logées ? Elles devaient être transmises soit par les spermatozoïdes soit par l’ovule et, justement, il y avait de nombreuses théories sur cette localisation. 31

À peu près en même temps que Garrod, Thomas Hunt Morgan commença à s’intéresser à la génétique. Il était professeur à l’université de Columbia, à New York. Il cherchait en fait un sujet d’étude quand il eut un éclair de génie, ou une chance inouïe – ce qui revient au même, ou presque.

Donc, tout à fait par hasard, il choisit d’étudier la petite drosophile à ventre noir (Drosophila melanogaster), 32

appelée aussi mouche du vinaigre, qui adore le miel. Son nom nous en apprend beaucoup sur son style de vie.

Les drosophiles sont faciles à élever et on peut observer énormément de variations génétiques héritées. Beaucoup de ces variations sont apparues dans les stocks du professeur Morgan et sont imputables à des mutations génétiques. La plupart étaient conformes aux attentes de Mendel, les unes étant dominantes, les autres récessives.

MAIS, il y avait une exception au schéma prévu. Pour certaines variantes génétiques, il se passait quelque chose d’étrange – et la sexualité y était pour beaucoup. Dans l’un de ses bocaux à mouche, il a observé que lorsqu’un mâle aux yeux blancs s’accouplait avec une femelle aux yeux rouges, toute leur progéniture avait des yeux rouges. À l’inverse, quand les mâles aux yeux rouges fertilisaient des femelles aux yeux blancs, le résultat était bien différent – les mâles héritant des yeux blancs et les femelles des yeux rouges. Morgan a découvert ici un indice auquel Mendel ne s’était pas intéressé – la localisation des gènes impliqués.

Choyez l’exception !

33

Morgan savait que les mâles et les femelles diffèreraient en ce sens (tout comme les particules de Mendel) : la transmission d’une génération à la suivante pouvait varier.

Toutes les cellules des êtres vivants contiennent des structures en « filament » appelées chromosomes, découverts cinquante ans auparavant.

Comme dans le cas des particules imaginées par Mendel, les chromosomes se divisaient et se partageaient parmi les « descendants » de la génération suivante, ce qui pouvait indiquer que les chromosomes et les gènes pouvaient avoir quelque chose en commun !

Mâles et femelles étaient quasi identiques, à une différence de taille près. Les femelles étaient porteuses de chromosomes avec deux « X », les mâles avaient un « X » et un « Y ».

34

Les ovules des drosophiles ne comportent que des « X » ; les spermatozoïdes, soit un « X » soit un « Y ».

Puis Morgan s’est aperçu d’un point important. Le schéma d’hérédité pour la couleur des yeux s’alignait sur la caractéristique de l’X. Les fils héritaient leur X (et donc la couleur correspondante) de leur mère et leur Y de leur père. En revanche, les filles recevaient un Y de chaque parent. Il en déduisait que le chromosome Y ne semblait pas porter les gènes de la couleur des yeux, tandis que le gène porté sur le chromosome X avait un effet « colorant ». Les yeux rouges étant dominants (par rapport aux yeux blancs), un père rouge et une mère blanche donnaient des filles rouges et des fils blancs. D’où sa proposition que le gène de la couleur des yeux était lié au chromosome X. On pouvait alors déduire, en toute probabilité, que ce gène était physiquement présent sur le chromosome ! 35

Puis survient la preuve attendue, définitive. Dans un stock de mouches, le chromosome X s’est accidentellement collé à un autre avec pour conséquence immédiate que le schéma d’hérédité du gène des yeux blancs a subitement changé. Donc, les gènes sont effectivement présents sur les chromosomes. Ça y est, les gaillards – c’est à X qu’il faudra creuser !

Les fameuses particules de Mendel avaient donc – apparemment – été trouvées. Les premiers pas hésitants vers une carte génétique avaient été franchis. L’étape suivante était évidente ; essayer de déterminer à peu près où se situent les gènes les uns par rapport aux autres. Une seule façon d’y arriver – entreprendre des expériences de croisement.  

Chouette !

Et maintenant, retournons voir le professeur Morgan et ses drosophiles.

Encore moi ?

Morgan et ses alumni ont vite découvert qu’énormément de gènes – un par exemple pour la longueur d’aile – ou celui pour avoir les yeux blancs se trouvaient sur le chromosome X. Tous ces gènes étaient donc liés au X. Cela impliquait, bien sûr, qu’ils étaient liés entre eux. Dans un groupe dit « de liaison », différents gènes avaient tendance à être transmis ensemble ; dans des groupes différents, ils étaient indépendants. 36

Le nombre de groupes de liaison était le même que le nombre de chromosomes. Il semblait donc clair que chaque chromosome possédait son propre ensemble de gènes liés. Pour certains gènes, donc, Mendel avait tort : les particules héritées ne sont pas nécessairement indépendantes les unes des autres. Puis survint une complication de plus. Les liaisons étaient tout sauf parfaites. Même les gènes autrefois liés pouvaient se séparer au fur et à mesure du passage de générations. Alors, rien n’est donc parfait ici bas ?

Morgan a fait croiser des mouches aux yeux blancs et aux ailes courtes avec d’autres mouches aux yeux rouges et aux ailes de longueur normale. Dans une certaine mesure, les caractères « blanc » et « court » se sont succédés génération par génération, comme d’ailleurs les caractères « rouge » et « normal ». Mais, après un certain temps, force était de constater que ces caractères dérivaient, c’est-à-dire se séparaient.

Chérie, j’ai l’impression qu’on est de plus en plus loin l’un de l’autre !

37

De nombreuses générations plus tard, il y avait plein de mouches aux yeux blancs et des ailes normales, ou avec les yeux rouges et des ailes courtes. C’était un peu comme si l’on mélangeait sans arrêt un jeu de cartes neuf. Chaque fois, on s’éloigne un peu plus de l’ordre initial des cartes (par famille, par couleur).

C’est comme quand on joue au bridge, un bon joueur peut déterminer quel a été l’ordre initial, simplement en comparant l’ordre des cartes chaque fois que le jeu est rebattu.

38

En 1913, un élève de Morgan, A.H. Sturtevant, a écrit un article dont l’intitulé résume bien les visions des généticiens de l’époque sur le gène, et qui sont restées pertinentes encore soixantedix ans, « Dispositions linéaires de six facteurs sexués chez les drosophiles, démontré par leur mode d’association ». Sturtevant a examiné un grand nombre de gènes pour voir s’ils avaient ou non tendance à se transmettre groupés d’une génération à la suivante.

La réponse est « Oui » !

Leurs affinités les uns pour les autres varient selon le gène examiné. Il a été amené à proposer que les gènes qui souvent se transmettaient en groupes se trouvaient proches les uns des autres sur le chromosome ; ceux dont c’était moins vrai étaient davantage séparés et ceux qui se comportaient de façon indépendante se trouvaient en fait sur des chromosomes distincts. Mendel a eu de la chance. Tous les gènes qu’il a analysés se trouvaient sur des chromosomes distincts (ou si éloignés les uns des autres sur le même chromosome qu’il ne l’a pas vu).

39

Lentement mais sûrement, Sturtevant et ses successeurs ont bâti une carte des liaisons basée sur la force de la tendance de gènes différents de se transmettre de génération en génération de manière groupée. Il en est ressorti un schéma clair. Puisque la carte était constituée de petits groupes de gènes bien différents, il devenait évident que sur un seul chromosome tous les gènes étaient placés de façon ordonnée – ils formaient une chaîne d’instruction linéaire.

yeux rugoides petites veinules

poils de javelot

yeux couleur sépia corps poilu ailes moustache moustache yeux dichète écarlates recourbées sans cœur

fil arista

moustache à raz

corps bariolé

moustache yeux rouge sans poil cardinal

veines en delta

corps d’ébène

yeux rugueux

yeux couleur Bordeaux

40

Il en va de même pour tout autre créature, bien que le nombre de chromosomes puisse varier énormément. Il est à noter que le nombre exact pour les êtres humains, 23 contenus dans le spermatozoïde, 23 dans l’ovule, soit 46 pour chaque cellule du corps, ne fut correctement établi qu’en 1956. La cartographie des liaisons fit de grands progrès et, assez rapidement, toutes les variantes possibles dans l’hérédité des drosophiles furent répertoriées. Évidemment, les choses allaient être bien plus complexes pour les humains, en raison de la petite taille des familles d’hommes et des liaisons imprévues. Et, soudain, la politique s’en est mêlée, une fois de plus.

À bas ce mendélismemorganisme des bourgeois !

41

Staline n’aimait pas du tout ces idées-là. Il avait en horreur l’idée que le destin était déterminé par des règles biologiques (même la couleur de l’œil de la drosophile). Marx avait pourtant bien insisté : Si l’on parvient à changer l’environnement, alors

on peut tout faire.

Le mendélisme et le morganisme doivent être, l’un comme l’autre, le fruit d’un complot capitaliste !

Trofim Denissovitch Lyssenko, un commissaire agricole pour Staline et plus tard membre de l'Académie des Sciences de l’URSS, a démarré une campagne haineuse contre le concept même des gènes et des chromosomes. Et ça allait loin : toute l’agriculture soviétique était basée sur la théorie qu’en exposant les « parents » à un nouvel environnement (un printemps froid, par exemple), les enfants hériteraient de la capacité à faire face aux rigueurs d’un climat froid. 42

Cela a amené un désastre bien coûteux pour les fermiers soviétiques – et pour la génétique. Plusieurs généticiens furent emprisonnés. En 1940, un certain Nikolaï Ivanovitch Vavilov, l’un des meilleurs, fut arrêté. Lyssenko prit sa place comme directeur de l’Institut de génétique et de reproduction des végétaux d’Odessa, poste qu’il occupa jusqu’en 1962. Vavilov, quant à lui, a subi 1700 heures d’interrogatoire à l’issue desquelles, lors d’un procès bâclé d’à peine cinq minutes, il fut déclaré coupable et condamné à mort pour « appartenance à une conspiration antisoviétique, espionnage pour le compte de la Grande-Bretagne et sabotage de l’agriculture ». Il mourut en 1943, à la prison de Saratov, de dystrophie (conséquence directe de sa sous-alimentation).

43

Mais, en dépit des craintes de Staline, la carte génétique était encore assez frustre. Un vague contour des continents – les chromosomes – mais à peine visible. Autre grande question de la génétique, pas du tout abordée par la carte elle-même : où, exactement, ces particules se logent-elles ? Une fois de plus, ce sont les drosophiles qui fourniront la réponse. Et, cette fois, c’est un généticien américain, Hermann Joseph Muller, qui entre en jeu. Il est resté un communiste convaincu pendant presque toute sa vie.

Il s’intéressait aux mécanismes de la mutation. Qu’est-ce qui faisait que les gènes pouvaient passer d’une forme à une autre ? S’il trouvait la réponse à cette question, pensait-il, il aurait une meilleure idée de ce que les gènes sont en réalité. Tout comme T.H. Morgan, il a eu recours aux drosophiles, choisissant une mutation simple : celle qui tue les porteurs de tel ou tel gène. 44

Beaucoup de facteurs semblaient augmenter le nombre de mutations létales. Par exemple, une petite augmentation de la température en doublait le nombre. En 1930, il découvrit qu’une exposition à des rayons X avait un effet spectaculaire. Une courte séance ciblant les parents pouvait augmenter le taux de mutation par un facteur 150 ! Les autorités gouvernementales commencèrent à s’y intéresser. Peut-être y avait-il de possibles applications militaires ! Vers la fin des années 1930, Charlotte Auerbach, une réfugiée allemande travaillant à Édimbourg, commença à travailler sur des produits chimiques. Les gaz militaires (dont le gaz moutarde, par exemple) semblaient être un bon point de départ. Ces gaz produisaient des brûlures douloureuses qui nécessitaient des mois de traitement avant d’arriver à une guérison – tout comme une séance courte mais intense de rayons X. Je croyais que les effets des rayons X étaient parfaitement « transparents » !

Mein Gott !

Il n’aurait jamais dû prendre un bain de moutarde pour la fête de Burns* !

*Robert Burns, poète écossais, fêté chaque année le 26 janvier de par le monde.

45

Charlotte Auerbach a découvert que les gaz de combat augmentaient le nombre de mutations – résultat resté secret défense jusqu’à la fin de la guerre. Le gène devenait la cible. En l’exposant aux rayons X, il subissait des dommages à chaque exposition et, plus il y avait de rayons, plus le gène avait de chances d’être touché et modifié. Elle en déduisit que la cible devait avoir une composition chimique.

Mais quelle sorte de produit chimique ?

Bien des années auparavant, un biochimiste allemand du nom de Miescher s’était intéressé à une étrange substance découverte dans le noyau des cellules – substance par ailleurs très abondante dans le sperme et dans les ovules. 46

Pour procéder à son identification, Miescher avait besoin de beaucoup de cellules. Le pus de notre chair présentait un excellent terrain car il contient beaucoup de globules blancs (ou leucocytes). Miescher pour sa collecte visita des salles pour patients souffrant de septicémie et il emporta les pansements et bandelettes trempés (imbibés de la précieuse substance).

Vous allez mieux ?… c’est dommage…

La substance que recherchait Miescher contenait quelque chose qui ne se trouvait que dans le noyau de la cellule et qu’il a appelé « acide nucléide ». Le noyau renfermait également beaucoup de protéines. Peut-être, pensait-il, l’un ou l’autre (acide ou protéine) intervenait-il dans le processus d’hérédité, et si cela s’avérait vrai, c’était probablement du côté des protéines. 47

Les protéines sont constituées de blocs de « construction » appelés les aminoacides. Il y en a une vingtaine, très différents les uns des autres dans leur composition chimique. Les protéines étaient donc complexes, tout comme – du moins le supposait-on – les gènes eux-mêmes devaient l’être. L’acide nucléique semblait donc être un candidat moins prometteur. Il n’était composé que de quatre blocs de construction, tous très proches en termes de structure chimique. Cela ne semblait pas du tout suffisant pour pouvoir contenir toute l’information transmise par les gènes ! Au point que, pendant de nombreuses années, on se référait aux acides nucléiques comme des « substances ennuyeuses ».

La vie, c’est sûrement plus qu’une construction de mots à quatre lettres ! 48

Peu de temps après, il y avait une forte indication que les aminoacides étaient vraiment pour quelque chose dans l’hérédité génétique. En 1944, Avery, McLeod et McCarty ont étudié la pneumonie – qui tuait encore des milliers de gens (les soldats en particulier). En faisant se multiplier des souches de la bactérie en laboratoire, ils ont trouvé qu’il en résultait deux sortes de colonies, comme c’était le cas pour les petits pois, lisses ou ridés. Ils ont pu opérer des croisements entre colonies, en injectant les deux à la fois dans des souris et en observant le résultat une fois l’infection installée et déclarée. La forme des bactéries est héritée.

Moi, je suis lisse et jolie… … moi, je suis plissée et endurante… … mais au final, ensemble nous te tuerons !

49

Les bactéries aussi avaient donc des gènes. Puis arrive

Si l’on extrayait un échantillon d’une colonie morte, pour l’ajouter ensuite à une colonie vivante, celle-ci changeait de forme et ce changement était alors transmis à la génération suivante des bactéries ! On venait de découvrir le matériel génétique auquel ses inventeurs ont donné le nom de « principe transformant ». Ce principe, au fond magique, doit contenir les informations qui président à la forme de la colonie qui en hérite.

Et avec cette substance magique, je vais pouvoir

transformer le lisse en plissé et inversement. D’un seul coup de baguette !

On a rapidement déterminé que le principe transformant était en fait un acide nucléique et non une protéine. 50

Des acides nucléiques… il y en avait partout, de deux types principaux, selon le sucre auquel ils étaient associés.

Pour les créatures plus évoluées que les bactéries – qui possèdent un noyau de cellule séparé dont le contenu passe de génération en génération –, l’acide ribonucléique (ARN) se trouve à la fois dans le noyau et dans le cytoplasme ; l’acide désoxyribonucléique (ADN) est présent seulement dans les noyaux. Ce matériel génétique, c‘est peutêtre de l’ADN ?

51

On allait bientôt en avoir la preuve.

Les virus ont une structure

des plus simples ; ils ne vivent qu’à l’intérieur d’autres organismes. Une famille de virus, de type bactériophage (« phage » pour les intimes), s’attaque aux bactéries.

tê tre le

ma

En résumé, les « phages » sont des sacs d’ADN entourés de protéines. En utilisant des marqueurs radioactifs, on a démontré que seul l’ADN est injecté dans la bactérie-hôte, laquelle commence une réplication (des milliers de fois) du phage, à la fois son ADN et ses protéines.

L’AD N

52

i do

énétiqu e. iel g tér

Mais comment une substance, somme toute simple, se réplique-t-elle et comment passe-t-elle de l’information d’une génération à la suivante ? Il y avait un indice. L’ADN compte quatre constituants – Adénine, Guanine, Cytosine et Thymine (en abrégé A, G, C et T). Leur nombre varie d’une espèce à l’autre, mais toujours avec la même proportion entre A et T, et entre G et C.

Dites donc, Carruthers, ce joli code semble avoir ses lettres organisées par pairs. Très ingénieux, n’est-ce pas ?

53

Au début des années 1950, un biologiste américain, James Watson, est venu à Cambridge en Angleterre. On lui a demandé de commencer à étudier la biochimie des acides nucléiques, mais cela ne l’enchantait guère. Il a alors fait la connaissance de Francis Crick, un diplômé en physique, venant de l’ancien établissement de Galton, University College Londres (UCL). Tous deux s’intéressaient à la structure des molécules biologiques et espéraient profiter de méthodes d’analyse développées par les physiciens pour étudier les cristaux. Comme ils l’ont admis plus tard, ils formaient un binôme de dilettantes dans le monde terriblement compétitif de la cristallographie. Ils passaient souvent du temps ensemble dans un bar de Cambridge, The Eagle.

54

En fait, je n’ai jamais connu Jim Watson sous un jour modeste.

On lui a demandé d’étudier un problème biochimique qu’il n’aimait pas. 55

La physique les a aidés. Si on bombardait un cristal avec un faisceau de rayons X, certains rayons traversaient le cristal de part en part, d’autres en étaient déviés. Moyennant un peu de mathématiques assez « sioux », on peut en déduire la structure cristalline, comme quand un joueur de billard tire de façon aléatoire des billes à travers la table. En mesurant les angles de rebond et en comptant celles qui ne reviennent pas, on peut trouver la forme et la position des poches.

Et à Crick le championnat et le prix Nobel !

Rosalind Franklin, cristallographe dévouée, talentueuse et intensément sérieuse au travail, a entrepris beaucoup de mesures de base ; mais elle n’a pas eu de chance, elle n’a pas découvert la structure finale. Mais, après tout, ce n’était qu’une femme ! Et elle est décédée avant que l’histoire complète de l’ADN ne soit révélée. Crick et Watson examinèrent les grilles de diffraction suite au bombardement de l’ADN par les rayons X. Plusieurs autres personnes, y compris le célèbre chimiste américain, Linus Pauling, firent exactement la même chose et souvent avec plus de compétences techniques. Mais ils n’eurent pas l’éclair de compréhension au bon moment. Un jour, en 1953, Crick et Watson ont compris que la meilleure explication des grilles résidait dans une forme en double hélice… un peu comme un escalier en colimaçon. Soudain, tout commençait à se mettre en place. 56

Élémentaire, mon cher Watson !

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Les deux brins de l’hélice « tenaient » parce que ses différentes bases étaient appariées – un peu comme aux dominos : un nombre donné devait former une paire avec le nombre (domino) adjacent. Dans le cas de l’ADN, l’Adénine était apparié avec la Thymine et la Guanine avec la Cytosine. Ma T s’apparie avec votre A.

C’est l’heure, Messieurs, on ferme !

La structure de l’ADN indique la méthode de réplication. Comme Crick et Watson l’ont écrit, avec une fierté non dissimulée, en faisant l’annonce de cette double hélice dans Nature, en 1953 : Il ne nous a pas échappé que l’appairage spécifique que nous avons pris pour postulat suggère un mécanisme de réplication du matériel génétique.

58

Cinq ans plus tard, deux bactériologistes américains, Meselson et Stahl, ont démontré que Crick et Watson avaient vu juste. L’ADN bactérien portait le marqueur d’un produit chimique lourd dans la nourriture.

À partir de ce stade, génération après génération, les microbes reçurent de la nourriture ordinaire, légère.

Leur ADN était pesé en mesurant sa « flottabilité ». À chaque génération, il restait un brin d’ADN « lourd », mais petit à petit, il se trouvait isolé dans une mer de brins plus légers. Le brin primitif continuait, cependant,

à se répliquer et chacun des brins créés faisait de même. Une chaîne d’ADN servait de gabarit pour en construire d’autres. Cette méthode de réplication ne conservait qu’une partie de la structure initiale. 59

À quelques détails près – comme une série d’enzymes spécialisées ou de polymérases qui, nous le savons aujourd’hui, participent du processus –, la question de la réplication était à présent résolue. Restait une question d’importance : comment l’information génétique est-elle encodée sur l’ADN ? Chacun supposait que l’ADN correspondait à la carte des chromosomes, à une bien plus petite échelle – une ligne de lettres ordonnées, contenant les instructions suffisantes et nécessaires pour assembler une drosophile – voire un être humain. Étape suivante – déchiffrer ce code génétique. Galton serait fier de nous deux – de vrais génies de l’hérédité. Là encore, Crick et Watson ont frappé. Ils savaient qu’il était possible de faire muter des gènes, de plusieurs façons – en endommageant la structure de l’ADN. Les rayons, la chaleur et des produits chimiques, tous pouvaient y parvenir. Un peu comme on joue aux fléchettes – un lanceur expert pourrait viser un gène en particulier et taper généralement dans le bon segment de cible.

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Dans ce jeu, seules les cases « triple » comptent.

Mon Dieu, Watson, quand vas-tu me laisser arrêter ces jeux stupides ?

Certaines substances chimiques endommageaient l’ADN de manière étrange – elles s’inséraient carrément dans le message. D’autres en délogeaient une seule A, G, C ou T. Crick et Watson visaient l’ADN de quelques bactériophages avec leurs fléchettes. Avec un seul coup au but, les phages ne pouvaient pas se multiplier. De même avec deux coups au même but. Mais, à partir de trois lettres supplémentaires insérées dans le message, voilà que les phages se mettaient à répliquer presque « normalement ». D’où leur postulat : le code de l’ADN se lit par paquets de trois lettres, d’un bout à l’autre du brin. S’il y avait une ou deux lettres supplémentaires, le message se trouvait brouillé à partir de ce point d’insert. S’il y avait trois lettres en plus, le message reprenait du sens. JIM AVAIT LE GIN MAIS PAS LE RHUM

JIM AVAIT LE BGI NMAI SPA SL ERHU M

JIM AVAIT LE BOG INMA ISP AS LERH UM

JIM AVAIT LE BON GIN MAIS PAS LE RHUM

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L’information génétique était dans une langue simple, avec des mots à trois lettres et un alphabet de seulement quatre lettres distinctes. La majeure partie du travail – qui consistait à faire travailler les protéines – se passait ailleurs dans la cellule. Comment cette information était-elle transmise depuis le poste de commandement à l’atelier d’assemblage (ou, si l’on prend l’exemple du pub Eagle, depuis les clients vers le comptoir) ?

Alors ARNaud, tu veux un peu de gin, quelques glaçons, un peu de tonic et un zest de citron, le tout bien arrangé.

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Qu’il est mauvais, ce jeu de mots.

Un autre acide, ribonucléique (ou ARN) était impliqué. Il pouvait y avoir plusieurs « parfums ». L’un, appelé ARN messager, prend ses instructions de l’ADN dans le noyau et les transfère à la chaîne de production – formée de l’ARN ribosomal. Sur la chaîne, des ouvriers spécialisés, les ARN de transfert, assemblent les composants nécessaires pour fabriquer la protéine désirée et « boulonnent » le tout. Ce processus de lecture d’un message à partir de l’ADN et de transfert via les ARNm s’appelle la transcription ; plus spécifiquement, la fabrication d’une protéine s’appelle une translation. Des antibiotiques tels que la streptomycine et des poisons bactériens tels que la toxine de diphtérie fonctionnent en bloquant le processus de l’un ou de l’autre. Jamais à court de confiance en soi, Watson l’a appelé le « dogme central » de la biologie moléculaire : L’ADN fabrique l’ARN qui fabrique les protéines !

Vingt ans plus tard, Watson admettait qu’il n’avait pas tout à fait compris le sens du terme « dogme » ; et l’idée de base, à savoir que le mécanisme était gravé dans le marbre, devait durer le même laps de temps. 63

Rapidement, quelqu’un eut l’idée de génie de fabriquer de l’ADN artificiel avec les mêmes bases mais dans des proportions différentes, plus d'autres éléments de la machinerie de fabrication des protéines, quelques enzymes et des matières premières. Miracle ! On a réussi à fabriquer une protéine dans un tube à essai.

D’abord les protéines, ensuite ce sera un Frankenstein ! En modifiant les proportions d’A, G, C et T, on a réussi à ajouter de nouveaux aminoacides aux chaînes croissantes des protéines. Le code ADN de chacun était vite déterminé en identifiant la protéine fabriquée quand on mettait en œuvre tel ou tel code d’assemblage.

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Chacun des aminoacides avait son mot code. Avec un mot de trois lettres (choisies parmi l’A, G, C et T) et quatre lettres à la suite, 64 combinaisons étaient possibles. Parfois on y trouvait plusieurs codes triplets pour le même résultat – le code était alors redondant.

T’es viré !

En l’occurrence, on observait que c’était toujours la dernière lettre parmi les trois qui avait changé. Elle était peut-être moins « critique » que les autres puisque l’ARNm s’y attachait moins fortement – ce que Crick a résumé en invoquant une théorie d’« appariement bancal ». 65

Il y avait en plus un mot code à trois lettres pour indiquer à la chaîne de production de commencer la fabrication et trois autres qui donnaient l’ordre de s’arrêter.

Le code génétique était extraordinairement « universel » – presque identique depuis les bactéries jusqu’aux humains. Et cela remonte peut-être jusqu’à l’apparition de la vie sur Terre. L’affaire était ainsi entendue – et c’était plutôt simple. Tout comme Morgan l’avait analysé lors de ses croisements avec les drosophiles, les instructions génétiques héritées étaient disposées sur le brin d’ADN de façon ordonnée, et se lisaient d’un bout à l’autre. Le message était colinéaire avec les gènes se suivant sur le brin ; le message ADN était transmis directement en ARN et c’est bien cela qui déterminait l’ordre des aminoacides dans les protéines. CQFD.

Les mutations elles aussi semblaient simples. Changer une des lettres du code bloquait le gène. Quelquefois, un code pour un certain aminoacide était transformé en un code STOP – et, par conséquent, la croissance de la protéine s’arrêtait net. 66

Il subsistait, bien entendu, quelques détails à régler. Les bactéries sont venues, encore une fois, aider à comprendre. Elles avaient une vie sexuelle étrange et compliquée, avec pas mal de façons d’échanger des gènes. Il y avait même de l’hérédité infectieuse – avec des virus qui portaient et propageaient des gènes de bactéries. Qui sait, les maladies vénériennes existaient peut-être avant les activités sexuelles.

On n’aurait jamais dû commencer par partager le même lit.

Moi je croyais qu’on allait coucher ensemble avant.

Ma chère, nous n’avons pas toutes droit au bonheur…

Une forme d’accouplement bactérien était plutôt « classique » : une bactérie mâle qui transfère une copie de son ADN vers une bactérie femelle. Ce processus – qui démarrait toujours à un endroit spécifique du chromosome – mettait environ une heure pour être terminé. 67

Une expérience que l’on peut qualifier de « cruelle », menée par deux scientifiques français, François Jacob et Jacques Monod, a profité de ce temps « long » d’accouplement pour permettre de dresser une carte de l’ordre des gènes.

Dès que les bactéries commençaient à s’accoupler, on les faisait tourner rapidement dans un mixeur, ce qui avait pour effet de stopper la relation – seule une partie de l’ADN était insérée dans le chromosome du partenaire. En choisissant le moment précis des arrêts de la centrifugeuse, on observait les différentes longueurs d’ADN transférées. Ainsi le nombre croissant de gènes « mâles » transmis indiquait l’ordre dans lequel ces gènes étaient disposés sur le chromosome de départ – c’était donc une nouvelle façon de dresser la carte de l’ADN. 68

Nous avons subi un coitus bacterriuptus !

La carte d’ADN obtenue par cette expérience ressemblait beaucoup à celle des drosophiles (basée sur des croisements) – les gènes étaient bien alignés l’un à côte de l’autre.

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Bonne . . tentative… . . mais c’est pas . tout à fait ça…

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Un autre facteur allait rapidement devenir évident – pour les bactéries, les gènes qui commandaient la même fonctionnalité ou caractéristique se trouvaient proches l’un de l’autre sur le chromosome. Chaque groupe de gènes, appelé « opéron », fabrique un seul ARN messager, codé pour un certain ensemble de protéines. Là aussi, tout semblait bien linéaire, bien ordonné.

L’OPÉRON Lac (LACTOSE) Lac

gène i

promoteur opérateur

promoteur

i

gène régulateur

opéron

gène z

gène y

gène a

CES TROIS GÈNES RENFERMENT LES CODES DE TROIS PROTÉINES SPÉCIALISÉES – DES ENZYMES – QUI AIDENT LES BACTÉRIES À RÉDUIRE LES MOLÉCULES DU SUCRE LACTOSE 70

Mais les microbes réservaient une surprise.

Les gènes des bactéries n’étaient pas linéaires – leur chromosome avait une forme circulaire ! Les gènes étaient disposés en anneau. Et des chromosomes circulaires, on a commencé à en trouver un peu partout. De nombreuses cellules possèdent de l’ADN en dehors du noyau et la plupart sont logées dans les mitochondries, de tous petits éléments qui génèrent de l’énergie à partir de substances nutritives. Les plantes quant à elles en possèdent encore plus dans leurs chloroplastes, qui servent à capturer l’énergie du soleil – et qui donnent, par ailleurs, la coloration verte aux plantes. 71

Des expérimentations de croisement partant de mutations mitochondriales et chloroblastiques ont démontré que ces gènes aussi avaient de drôles de schémas d’héritage. Comme pour les drosophiles étudiées par Sturtevant, ces gènes semblaient avoir un semblant d’ordre. Mais en dresser la carte s’est révélée beaucoup plus difficile que prévu – la disposition des gènes semblait différente d’une expérience à l’autre.

72

C’est en 1954 que Ruth Sager eut une intuition soudaine. En coupant les cercles des gènes à différents endroits, l’organisation même des gènes s’en est trouvée modifiée. Maintenant j’ai compris !

Le génome du chloroblaste est un cercle !

À quelques détails près, la génétique devenait facile – la vie était linéaire (même si une ligne pouvait former une boucle) et tout comme un manuel de conduite d’une voiture, les instructions y étaient écrites de façon simple. Les gènes – comme le manuel – se lisaient d’un bout à l’autre et différents chapitres donnaient les précisions pour effectuer telle ou telle chose. Il devait donc y avoir, semblait-il, beaucoup de gènes (ou chaque gène devait être très grand). Chaque être humain possède 3 milliards de lettres d’ADN dans son manuel – chacune de ses cellules renferme presque 2 mètres d’ADN ! Une simple bactérie en renferme 1,3 mm. Pour s’accommoder de tout ce matériel génétique, l’ADN doit être enroulé en

Tu veux bien me rappeler ce qu’est la génétique avant que je m’entortille pour de bon ?

bou cles fort serrées.

73

Nous interrompons le récit pour vous faire un résumé de la biologie jusqu’ici ! La plupart des êtres vivants sur Terre sont composés de structures hautement organisées appelées cellules ; il en existe deux types principaux : Paroi cellulaire formée de sucres complexes

Membrane cellulaire Ribosomes

Simple filament d’ADN dans un anneau

Cytoplasme (liquide visqueux composé d’eau et d’autres molécules complexes)

La cellule d’un procaryote (ex. chez la bactérie) est petite et simple, n’a pas de noyau et se reproduit principalement par une equi-division du matériau génétique.

Mille fois plus grande (en volume), la cellule type d’un eucaryote (ex. d’êtres complexes comme chez un animal) possède un noyau et une structure bien plus complexe.

nucléole

vacuole chromatine (ADN + protéine)

mitochondrie (qui fournit de l’énergie à la cellule et porte son propre ADN)

réticule endoplasmique qui se replie dans la membrane de la cellule

noyau

ribosomes (les usines qui fabriquent les protéines)

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appareil de Golgi (qui empaquète les nouvelles membrane protéines nucléaire prêtes à les exporter hors de la cellule)

Presque toutes les cellules d’un organisme portent une copie exacte de l’ADN de l’organisme – mais il y a des exceptions… … les cellules sexuelles femelle

chacune porte un demiensemble des chromosomes…

En deux mots comme en cent !

On va se fabriquer un être humain !

(ovule) et mâle (spermatozoide)

Les cellules sexuelles fusionnent leurs chromosomes pour constituer un ensemble complet de 46 ce qui marque le tout début d’un individu nouveau

Les cellules se différentient en formes et fonctions spécialisées dans l'organisme

Toutes ces cellules contiennent une copie de l'ensemble original des chromosomes

L’original et la copie restent unies

Puis elles s’épaississent et se raccourcissent prenant des formes de tiges (visibles sous le microscope).

L’ovule fécondé se divise…

puis elle se re-divise… et assez rapidement ces nombreuses cellules forment ensemble d’abord l’embryon qui devient le fœtus humain…

Si on revient un instant à la cellule type d’un homme, son noyau renferme le noyau composé des 46 chaines invisibles de l'ADN (les chromosomes).

Quand une cellule se prépare à une division (appelée mitose), les chromosomes se répliquent (font une copie).

La membrane autour du noyau se dissout…

… et un axe se forme autour duquel les chromosomes et les copies s’alignent.

(Pour rester simple, seuls 4 chromosomes figurent ici)

Puis l’originale et la copie sont séparées par les fibres qui dessinent l’axe.

Mais quid es des cellul ? sexuelles

Les chromosomes se regroupent aux deux extrémités de l’axe qui se disloque.

Des membranes se forment autour des 2 noyaux, les chromosomes s’étalent et la cellule asexuée est ainsi divisée.

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Les 46 chromosomes de l’homme peuvent être groupés en 23 paires homologues (sous la même forme physique) – voici un ensemble femelle type… On voit bien que c‘est un ensemble femelle dans la mesure où la paire finale porte 2 chromosomes X. Pour avoir un ensemble mâle, il faut remplacer l’un des X par un Y. C’est le Y qui confère les futurs attributs mâles. Les 22 autres paires (femelle ou mâle) dont identiques. Question – qu’est ce qui fait qu’un bébé devienne garçon ou fille, aura des yeux bruns ou bleus, des cheveux foncés ou longs ? Réponse – les cellules sexuelles, tout simplement. Il y a une sorte de double division quand il s’agit de fabriquer des cellules sexuelles.

Avant la division, de chromosomes homologues se regroupent par paires (ici 3 paires seulement),

Aléatoirement, quelques segments de chromosomes passent d’une paire à l’autre.

Les groupes de 4 s’alignement sur l’axe (comme précédemment).

D’abord les paires sont séparées et, quand elles atteignent les extrémité de la cellule ...

… l’axe se disloque et 2 nouveaux axes se forment, cette fois à angle droit par rapport à l’ancien.

4 cellules chacune ayant la moitié des chromosomes de la cellule d’origine.

Les 2 ensembles de chromosomes s’alignent par rapport à chaque nouvel axe.

Il s’ensuit que le sexe de l’enfant à naître est également aléatoire ; le spermatozoïde porte soit un Y soit un X, tandis que l’ovule ne porte que 2 X. Quand ils se rencontrent, il y environ une chance sur deux d’avoir un garçon ou une fille.

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Puis ils se séparent, avec la formation de 4 nouveaux noyaux, créant ainsi…

La copie qui finit dans telle ou telle cellule aléatoirement l’assortiment est un processus totalement indépendant Et pendant ce tempslà, à l’intérieur du noyau …

L’ADN est merveilleux dans ce sens qu’il a la capacité non seulement de contrôler et de réguler les processus à l’intérieur des cellules, mais aussi celle de pouvoir bâtir t oute la machinerie et les matières premières !

Le chromosome est un long « fil » d’ADN enroulé de façon serrée avec tous les gènes répartis sur toute sa longueur, où chaque gène stocke les informations nécessaire à la production d’un produit ayant pour finalité une fonction donnée. Une double spirale constituée de phosphatés de sucres

L’information génétique est codée dans le langage de base à 4 lettres

Le code d’un segment donné du brin est transcrit par un enzyme, ce qui donne lieu à la création d’une molécule complémentaire.

traversée, en passant par l’axe central, par paires-bases complémentaires (A à T et C à G)

L'ARNm se déplace vers un ribosome – formé d’une double pelote de protéines et d’ARN pour en transcrire son information codée…

Chaque triplet de bases sur le RNAm fait appel à un triplet complémentaire sur ce qu’on appelle la tête de transfert d’ARN (ARNt)

… pour fabriquer une protéine

Chaque ARNt porte l’un des 20 acidesaminés vers le ribosome qui se détache du tARN et se combine

L'ARNm se déplace vers d’autres ribosomes et les autres ingrédients se dispersent en attendant d’être à nouveau sollicités

La chaîne croissant d’acide-aminés se replie et forme la protéine (beaucoup de protéines sont des enzymes)

lorsque l’enzyme s’apprête à catalyser des réactions biochimiques cruciales au sein des cellules

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La tâche suivante devenait évidente. Pour comprendre comment fonctionnait le corps, les biologistes devaient lire le manuel d’ADN du début jusqu’à la fin. Chacun s’attendait à ce que les cartes physiques – basées sur l’ordre précis des bases d’ADN – ressemblent aux anciennes cartes de liaison, basées elles sur les expériences de croisement. On allait trouver encore bien plus de gènes, sans doute. La carte physique des humains serait particulièrement intéressante puisqu’on avait si peu de connaissances sur les cartes de liaison. Construire la nouvelle carte allait demander l’apport de nouvelles technologies – et, incidemment, beaucoup d’investissements. La génétique ne pouvait plus être une science bon marché.

C’est tragique, avant c’était un scientifique bon marché.

78

Beaucoup de ces nouvelles techniques profitaient des avancées de connaissances sur la sexualité bactérienne.

Je vais sûrement trouver des indices utiles ici !

Les bactéries s’y prennent de bien des manières. Parfois, elles se servent de virus pour les aider à transférer des gènes – après tout, la sexualité, c‘est bien de cela qu’il s’agit. 79

Il se trouve que cette étrange pratique des bactéries allait s’avérer très importante dans la génétique moléculaire. Quand les bactéries sont infectées avec de l’ADN viral, elles peuvent l’extirper au moyen de ciseaux moléculaires appelés aussi enzymes de restriction.

Je suis là pour tes gènes.

[Les textes dans les dessins relatifs au manuel d'instructions automobiles n'ont pas été traduits volontairement]

Les enzymes de restriction coupent les brins d’ADN à des endroits bien spécifiques, chacune trouvant un ensemble particulier de lettres d’ADN. Il y a beaucoup d’enzymes de restriction, chacune intervenant à un endroit particulier. 80

Ces enzymes peuvent également couper de l’ADN humain. De plus, certains virus – ou petits morceaux d’ADN bactérien appelés plasmides – peuvent ramasser les bouts coupés. Elles les déplacent vers la bactérie qui traite l’ADN étranger comme si c’était le sien.

Le gène humain a été cloné ; et nous savons fabriquer de l’ADN recombinant. Cette fois, il s’agit d’une autre forme de recombinaison – une sorte d’activité sexuelle entre les humains et les bactéries ; un échange de gènes entre espèces totalement différentes. Étonnant, non ? ! 81

Si vous cultivez un seau plein de bactéries, vous aurez des millions de copies de gènes, prêts à être étudiés – ou qui pourraient servir à fabriquer autre chose. On peut également se servir de cellules de levure. Celles-ci peuvent apprendre à ramasser des brins encore plus longs d’ADN humain. On appelle ces éléments des CAL (chromosomes artificiels de levure).

Ce procédé permet d’obtenir de nombreuses copies pures de segments d’ADN humain – et cela est très utile pour en dresser la carte génétique.

Me voilà bien embobinée !

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Une façon encore plus simple de multiplier les gènes et de faire l’impasse sur l’activité sexuelle. Oh, là, là!

Pour copier l’ADN lors d’une division naturelle de cellule (mitose) avec une reproduction sexuelle, il faut une enzyme particulière, la polymérase. Celle-ci commence par multiplier la molécule dès lors qu’on lui donne l’instruction du lieu au moyen d’un fragment d’ADN apparié appelé primeur. Et voici un « truc » qui fait des merveilles. Une polymérase extraite d’une bactérie vit dans des sources chaudes. Elle continue de « fonctionner » même à des températures élevées. En chauffant et en refroidissant une séquence d’ADN en présence de la polymérase et en nourrissant ce mélange avec les quatre bases d’ADN (A, G, C et T), on voit se déclencher une réaction en chaîne – produisant des millions de copie exacte de la séquence originale d’ADN. On appelle cela la réaction en chaîne par polymérase (ACP). Ajoutes-y une poignée de base G.

Super ! Maintenant mettons le mélange dans le frigo.

Mon professeur de sport me dit que ce n’est pas mieux que le sexe, mais bien plus rapide.

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Une fois obtenues ces grandes quantités d’ADN pur, soit par clonage, soit par amplification dite ACP, on peut lire l’ordre des lettre d’ADN. Mais ici encore, on a besoin d’une nouvelle technologie. Et on commence par couper les brins d’ADN au moyen d’enzymes de restriction qui découpent des lettres particulières. Ces longueurs sont isolées par électrophorèse – c’est-à-dire qu’en y appliquant un courant électrique, on les fait passer au travers d’un labyrinthe moléculaire. Par analogie, on pourrait imaginer le premier jour des soldes – les plus petits et les plus agiles des acheteurs se faufilent plus facilement dans les allées du magasin que les gros, plus lents. Une photo prise juste après l’ouverture des portes révèle combien de personnes des différentes tailles se pressent dans les allées. De plus, on peut séparer ces acheteurs – ou éléments d’ADN – en se basant sur la taille.

PRIX DISCOUNT !

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DES AFFAIRES, ENCORE DES AFFAIRES !

Nous avons à présent de nombreux segments courts d’ADN, que l’on peut lire, lentement mais péniblement. Vous prenez un segment et vous en faites des copies, en commençant par un bout, en allongeant ce segment, lettre par lettre. Le fait d’arrêter le processus chaque fois qu’on y insère une lettre signifie que la nouvelle copie est un peu plus longue que la précédente. Elles peuvent donc être isolées par électrophorèse.

À regarder ce schéma des longueurs différentes d’ADN, on dirait un arbre de Noël. En relevant les lettres qui se trouvent en bout de branche, le message complet peut alors être lu, d’un bout à l’autre. Des astuces comme celle-ci (et il y en a beaucoup) signifient que le message ADN de n’importe quel gène peut être à présent déchiffré. 85

Dans les années 1970, les cartographes moléculaires se sont mis à l’œuvre. Bientôt, espéraient les biologistes, la génétique serait plus ou moins totalement révélée – car l’ordre de tous les gènes serait identifié. Il serait alors temps d’aborder une question bien plus intéressante, soulevée déjà au temps de Mendel… Comment un message simple et hérité peut-il donner lieu à une chose aussi complexe qu’un être humain (ou à un petit pois). C‘est en 1982 que survint une série de chocs pénibles. L’hérédité chez les petits pois, les drosophiles voire chez les humains SEMBLAIT être relativement simple quand on analysait des croisements ou des pedigrees ; mais, sous cette apparente simplicité, se cachait un CHAOS au niveau de l’ADN.

Les généticiens pouvaient enfin respirer. Dieu merci ! Il se passera un long moment avant qu’on nous mette au chômage !

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Les premiers gènes examinés furent ceux qui fabriquent le pigment rouge du sang. Dans cette perspective, ils étaient idéaux – formés de grandes quantités d’une protéine pure, l’hémoglobine. Cette protéine est formée de deux chaînes distinctes d’aminoacides. L’embryon a une forme un peu différente, avec une protéine associée – la myoglobine – qui se trouve dans les muscles. De plus, de nombreuses maladies étaient alors connues pour être dues à des défauts de ce pigment rouge du sang. L’anémie à cellules falciformes (ou drépanocytose), la maladie génétique la plus connue dans le monde, était due à une modification de l’un des blocs constitutifs de la protéine.

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Bientôt, tout le monde se mit à étudier les cellules rouges du sang.

Et, presque immédiatement, il y a eu des résultats intéressants. Parmi ces résultats, certains donnaient du sens aux études. Les gènes qui formaient les deux parties de la molécule de l’hémoglobine se trouvaient à des endroits différents. Chacun était membre d’une famille de gènes similaires placés les uns proches des autres et qui coopéraient pour assembler des entités ayant des facteurs en commun – et ils étaient disposés dans l’ordre nécessaire pendant le développement de l’organisme, d’abord pour fabriquer l’hémoglobine de l’embryon, puis celle de l’adulte, avec la myoglobine pas trop éloignée. 88

Il y eut aussi quelques découvertes inattendues, quoique pas particulièrement effrayantes. Par exemple, quelques membres d’une famille ressemblaient un peu aux autres, mais en soi cela n’était pas très utile. Il y a longtemps, une mutation avait transformé l’un de leurs mots codes en un message STOP. Le gène en question était décrépit et plein de mutations – devant ce que l’on appelait Les enfants, ne dites un pseudo-gène, véritable fossile rien de la génétique vivant. décrépitude de votre sœur.

Les différentes maladies des cellules rouges du sang avaient leur origine dans les mutations. Certains désordres, comme l’anémie à cellules falciformes, étaient simples – ils n’étaient dus qu’au changement d’une seule lettre dans le message génétique. D’autres étaient dus à la perte de paragraphes entiers et, dans certains cas, l’ADN de gènes voisins s’était agglutiné pour former des protéines hybrides. Tout cela correspondait bien à l’idée que les gènes et les protéines étaient des constructions proches, mais à des échelles différentes. 89

Puis survint la première des surprises de taille. Beaucoup d’éléments relatifs à la structure de l’hémoglobine et d’autres gènes n’avaient, tout d’un coup, plus de sens. Mendel aurait détesté la situation ! La lecture complète du message d’ADN montrait qu’il y avait bien plus d’ADN dans chaque gène que nécessaire pour fabriquer les protéines. Et la façon dont fonctionnait le gène était encore plus étrange. La totalité de l’ADN de la chaîne bêta était transposée à un long ARN messager mais alors – et c’est étonnant – des segments entiers du message étaient découpés et éliminés. C’est une version éditée du message qui quitte le noyau. Comme si le texte du manuel de la voiture (une Anglaise, cela va de soi) était entrecoupé de phrases en japonais, qui devaient, par conséquent, être élaguées avant que les instructions puissent être lues convenablement.

[Non traduit volontairement]

90

Une partie seulement – et parfois une toute petite partie – de l’ADN d’un gène d’un animal dit « supérieur » est effectivement codée pour fabriquer une protéine. Quelquefois le gène est subdivisé en plusieurs dizaines d’exons, par l’arrivée d’introns, ici les phonèmes japonais.

B’en ça alors ! La majeure partie de l’adn dans ce gène n’a aucune fonction !

Mais les choses allaient encore empirer.

Non seulement les gènes humains étaient pleins de segments qui ne rimaient à rien, quand bien même ils avaient été lus et transmis vers la première partie de la machinerie de réplication de protéines, mais de plus, il se trouvait d’immenses zones placées entre les gènes – chacune avec des millions de bases – qui semblaient « coder pour rien ». Elles ne fabriquaient pas du tout d’ADN messager. 91

Chez les animaux et les plantes, à la différence des bactéries, la majorité de l’ADN se concentrait dans quelque oasis de sens dans un océan de non-sens. Le message génétique des crapauds et des salamandres, en particulier, était très largement du « grand n’importe quoi ». Et même dans le cas des humains, on trouvait énormément d’ADN porteur d’aucun sens.

Qu’est-ce que tu veux dire par grand n’importe quoi ?

Sapristi, il doit y avoir du sens quelque part !

92

[Non traduit

ent] volontairem

De larges secteurs de ce désert moléculaire – comme le Sahara – étaient monotones et très répétitifs. Parfois, on voyait un même message, court, répété des milliers de fois. Et, fréquemment, l’ordre des lettres d’ADN formait des palindromes – se lisant aussi bien de gauche à droite que de droite à gauche.

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Quelques-unes de ces répétitions en duos étaient éparpillées le long de l’ADN. Des humains différents avaient un nombre différent du « mot » répété, et à des endroits différents. Et, quel que soit l’emplacement de cette combinaison de lettres, si on coupait le brin à ces endroits, on trouvait un mélange unique de longueurs de lettres d’ADN – formant ce que nous appelons l’« empreinte génétique ».

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Alors d’où venait tout cet ADN supplémentaire qui, par ailleurs, ne semblait pas avoir beaucoup de fonctionnalités ? Il y avait un indice extraordinaire au niveau des génomes circulaires des bactéries et des mitochondries. De grands segments de notre ADN pouvaient peut-être, il y a longtemps, être considérés comme parasites. Les mitochondries et les bactéries se ressemblent aussi d’une autre manière – un poison qui tuerait des bactéries en ferait autant pour les mitochondries, tout en laissant le reste de la cellule intact.

Alors, hypothèse : les mitochondries au départ étaient peutêtre des bactéries ! Il y a longtemps, elles ont envahi les cellules et y vivaient comme des parasites, jusqu’à ce qu’on leur trouve une fonction utile. Dans ce cas, une grande partie de l’ADN des organismes dits supérieurs se comportait de façon à défendre ses propres intérêts plutôt que ceux de la cellulehôte !

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Même les gènes nucléaires peuvent se comporter de façon égoïste. Certaines souris sauvages portent une mutation qui leur raccourcit la queue. Deux mutations de la sorte leur seraient fatales, mais en dépit de ce désavantage, le gène de la « courte queue » est assez courant. Quand la souris mâle, portant une copie de la mutation, fabrique du sperme, la moitié des spermatozoïdes qui portent le gène « muté » triche et fertilise plus de la moitié des ovules, de sorte que le gène « défectueux » passe à la génération suivante. Les femelles n’aiment pas cela du tout et font tout ce qu’elles peuvent pour ne pas s’accoupler avec des mâles à queue courte. En se comportant de cette façon « injuste », le gène de la courte queue se propage à travers toute la population de souris, même si cela « endommage » nombre des descendants.

Coupez-leur la queue au couteau à viande !

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Bientôt, on en est même arrivé à soupçonner que beaucoup de notre ADN agissait de la même manière et n’apportait pas que du bien à ses porteurs, sans que l’on puisse parler de réels dommages. Les gènes commençaient à être moins purs et moins simples que ne l’avaient imaginé Crick et Watson. D’une part, il y avait bien plus d’ADN que nécessaire ; d’autre part, des créatures différentes en possédaient des quantités différentes et d’une façon qui ne rimait pas à grand-chose. Les hommes, il est vrai, possèdent environ mille fois plus d’ADN qu’une bactérie ; mais nous autres salamandres en avons environ vingt fois plus que les humains !

Cela suggère-t-il que nous sommes vingt fois plus compliquées que les hommes ?

Quelqu’un peut m’expliquer ce qui se passe ?

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Les crapauds et les salamandres apportent un indice. Presque tout l’excédent d’ADN est composé de répétitions du même message. Presque tout notre excédent d’ADN est composé de répétitions du même message !

Tu peux le redire. Presque tout notre excédent d’ADN est composé de répétitions du même message !

Quelquefois, deux espèces assez proches (génétiquement parlant) possèdent des millions de copies d’une séquence d’ADN différente. Tout en se ressemblant, la plupart de leur ADN respectif est complètement différent ! Peut-être évolue-t-il dans un sens dicté par le souci de préserver ses propres intérêts, et pas ceux des porteurs, et se serait simplement propagé dans chaque espèce issue d’une séparation évolutionnaire. 98

Toutes ces créatures aux ADN riches ont évolué lentement, avec très peu de modifications au cours de millions d’années. Le plus lent à évoluer est le dipneuste (poisson pulmoné) – véritable fossile vivant, qui ressemblait beaucoup aux premiers vertébrés qui marchaient sur la terre ferme. Aujourd’hui leurs cellules sont « bourrées » d’ADN. Mais leurs fossiles nous apprennent qu’il y a longtemps – quand ils ont évolué rapidement pour sortir de l’eau et se déplacer sur les rivages – leurs cellules et leur contenu en ADN étaient de taille « normale ». Peut-être que l’introduction d’ADN supplémentaire a en fait ralenti leur évolution.

Se pourrait-il que la majeure partie de l’ADN, y compris l’ADN des humains, se comporte de manière égoïste, préservant ses propres intérêts, et que, s’il en a avait l’opportunité, il prenne littéralement le contrôle de la cellule hôte ? 99

Les gènes des hommes (mais pas ceux des femmes) apportent un indice supplémentaire. Un seul chromosome chez les humains a une seule fonction – fabriquer des mâles. Seuls les hommes portent ce chromosome Y, et il n’a qu’un gène important. Cela signifie que le reste de ce chromosome est ouvert aux attaques des gènes parasites, et ils semblent avoir gagné la partie. Presque tout le chromosome Y est rempli de millions de messages répétés – peut-être de petites séquences d’ADN qui ont pu évoluer dans leurs propres intérêts, à la condition expresse de ne pas interférer avec le seul gène fonctionnel de ce chromosome Y.

Si cela est vrai, alors les hommes sont plus égoïstes que les femmes !

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L’ADN parasite pouvait aussi engendrer des mutations. Il y a longtemps, ces mutations semblaient simples et cohérentes – comme autant de fléchettes qui arriveraient en plein sur la cible. Même il y a quarante ans, on avait un fort soupçon que les choses n’étaient peut-être pas aussi simples. Dans les années 1950, Barbara McClintock étudiait les mutations génétiques du maïs. Les changements génétiques au moment où les graines du maïs se développent peuvent s’avérer utiles ; ils modifient la couleur d’une partie des cellules, qui passent de jaune à noir.

Quelques mutations du gène couleur arrivaient de temps à autre, comme on pouvait s’y attendre d’ailleurs. Mais si un autre gène était introduit par croisement dans le maïs, le taux de mutation de jaune à noir montait en flèche. Un gène semblait être la cause de la mutation d’autre gène. Plus troublant encore, des expériences de croisement ont montré que l’emplacement sur l’ADN du gène mutateur changeait lui aussi de génération en génération ! 101

On pouvait en déduire qu’il était capable de se déplacer et de créer des dommages là où il se fixait. C’était en fait un fragment d’ADN mobile qui, de temps à autre, changeait son lieu d’installation. Ordinairement, cela n’amenait aucun ennui si ce n’est que parfois le choix de l’emplacement créait un dommage à la cellule hôte.

À présent, toutes sortes de mutations observées chez diverses créatures semblent être dues à la même cause. Beaucoup des mutations visibles utilisées pour comprendre la génétique des drosophiles ont pour cause l’insertion d’un fragment d’ADN migratoire dans les gènes fonctionnels. 102

Une maladie humaine, la neurofibromatose, a pour cause l’insertion d’un « supplément » d’ADN dans un gène fonctionnel. Les symptômes sont souvent légers et à peine perceptibles, mais parfois les dommages induits peuvent être sévères. On pense que Joseph Merrick, mieux connu sous son sobriquet Elephant Man, avait hérité de cette anomalie génétique dans sa forme la plus sévère et la plus visible.

103

Les parasites moléculaires se multipliaient rapidement, s’ils en trouvaient l’opportunité. Un type de parasites observé aujourd’hui – comprenant un fragment d’environ 3 000 lettres d’ADN – a envahi les drosophiles qu’étudiait Morgan. Les stocks sur lesquels il a travaillé avec ses étudiants il y a cinquante ans étaient exempts de ces « éléments-P »…

Pas de « P » chez moi

Moi, j’en ai plein ! 

… les mouches modernes issues du même endroit peuvent enfermer des dizaines de copies de ce court fragment d’ADN insérées dans leurs gènes – et beaucoup d’entre elles créent des mutations (si l’opportunité se présente) ! Ces gènes intrants semblent être arrivés chez les drosophiles de laboratoire en provenance d’une espèce non parente qui vit dans les jungles d’Amérique du Sud. 104

Même les humains ne sont pas à l’abri d’un tripatouillage permanent de leur ADN. Les fragments d’ADN qui constituent l’empreinte génétique se déplacent dans le génome assez souvent, mais sans causer de dommage. Pour certaines maladies héritées, il y a avait des nouvelles moins gaies. La cause la plus répandue de déficience mentale de naissance s’appelle le syndrome de l’X fragile (FXS), maladie génétique rare associée à un déficit intellectuel, allant de léger à sévère. La cause est l’insertion d’un fragment d’ADN mobile dans le chromosome X. Si l’on compare des parents et des enfants, on découvre que le nombre de copies va croissant et que cette maladie empire avec le passage des générations. Je me sens de plus en plus fragile.

Les particules qu’avait imaginées Mendel commencent à prendre un air presque « fluide » à côté. 105

Mais en fin de compte, les analyses de base étaient justes. Les gènes ressemblaient quand même un peu à des instructions dans un manuel. Bien que beaucoup de bêtises aient été dites à ce propos, les gènes se trouvent bel et bien dans un ordre et donc on peut théoriquement les lire d’un bout à l’autre du brin d’ADN. Dans les années 1990, de nouvelles horreurs commençaient à faire surface.

Dans les virus au moins, les gènes peuvent se chevaucher : le dernier segment d’un gène peut servir de premier segment du gène suivant et, pour ne rien simplifier, certains gènes fabriquent une substance quand il est « lu » de gauche à droite, et une autre substance quand il est lu de droite à gauche. Chez les humains, il y a même des gènes dans les gènes, c’est-à-dire qu’un petit gène peut se cacher à l’intérie ur d’u n pl

106

us g ran

d.

Même le grand dogme central de Watson n’était pas à l’abri ! Certains virus – celui par exemple qui donne la grippe – utilise l’ARN et non l’ADN comme matériel génétique. C’est bien l’ARN qui contient ici la « machinerie » de fabrication de protéines.

Mais les généticiens n’ont pas trouvé cela trop effrayant. Bon nombre d’entre eux ont même pensé que l’ARN était le matériel génétique qui présidait aux origines de la vie, il y a trois milliards d’années. Tout comme l’ADN, l’ARN renferme de l’information sous la forme d’un codage de mots à quatre lettres et, à la différence de l’ADN, l’ARN peut se répliquer sans l’aide d’enzymes. Les virus seraient peut-être des accidents « gelés » venant d’un passé évolutionnaire lointain. 107

Bien plus intriguant encore, on a découvert que certains très petits virus semblent ne pas posséder du tout des acides nucléiques : leur information génétique peut être codée directement pour faire des protéines. Parmi eux, le virus qui donne une maladie du cerveau des moutons, appelée la tremblante est une autre maladie humaine similaire – transmise autrefois en Papouasie Nouvelle-Guinée au cours d’actes cannibales.

Ces nouvelles particules ont reçu le nom de prions (en abrégé pour protéines-virions). 108

Cette appellation a donné lieu à une étrange incompréhension.

Les prions (ou pétrels) sont des oiseaux de l’Antarctique, « cousins » des albatros.

Le magazine Nature a publié la lettre d’un ornithologue, peu de temps après la découverte des prions, demandant aux scientifiques si ces grands oiseaux de mer pouvaient être la source d’une maladie infectieuse. Il était troublé par cette perspective. 109

Les généticiens étaient également surpris de découvrir que parfois le sens de transfert de l’information génétique pouvait s’inverser. L’ARN pouvait fabriquer de l’ADN – c’est-à-dire le dogme central, mais à l’envers. Les virus basés sur l’ARN (appelés rétrovirus) portent une enzyme spéciale, la transcriptase inverse, qui copie son propre message vers un fragment d’ADN, pour être ensuite insérée dans l’ADN de la cellule hôte, conduisant à une multiplication des copies des rétrovirus d’ARN.

J’ai arrêté de prendre mes pilules.

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Les rétrovirus sont importants dans la mesure où certains déclenchent des cancers (parfois en sélectionnant et en modifiant des gènes humains et en les réinsérant, modifiés, dans l’ADN). Le sida résulte d’une infection par un rétrovirus qui porte le nom de virus de l’immunodéficience humaine (VIH) ; ce rétrovirus attaque les globules blancs et supprime les défenses immunitaires menant au syndrome d'immunodéficience acquise (sida), un état affaibli du système immunitaire le rendant vulnérable à de multiples infections opportunistes. Ainsi, les petits pois de Mendel ressemblent à présent davantage à une soupe de petits pois.

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En dépit d’une nouvelle confusion en génétique, il devient clair, comme lors des premières explorations en Amérique du Sud, qu’il y a de nouveaux faits relatifs aux gènes cachés dans la carte génétique et qui nous renseignent sur des maladies ou sur l’évolution en général. Maintenant nous disposons d’un schéma : une Magna Carta génétique de l’Homme, se traduisant par une liste de trois mille millions de lettres dans notre ADN. Le programme de décryptage va coûter très cher mais, comme pour un bon nombre de cartes, cela sera la première étape pour l'exploration de « nouvelles frontières » qu'elle révèle.

Bon, même si vous n’arrivez pas jusqu’en Inde, vous pourrez peutêtre découvrir Disneyland !

À tout à l’heure, mes Seigneurs !

Ce sera assurément – à défaut Mon Dieu, il faut d’autres superlatifs – le plus que je lise grand atlas jamais publié. tout ça !

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La carte contient toute l’information relative à nos gènes. La taille d’un seul gène dans un brin d’ADN peut être comparée à celle d’une fourmi égarée sur les flancs du Mont Everest ; et la trouver ne sera pas plus aisé.

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La meilleure façon de démarrer est de rechercher un gène défaillant. Il y en a beaucoup – et ils deviennent importants au fur et à mesure que les maladies infectieuses trouvent leur remède.

Toussez crachez

La plupart des enfants hospitalisés aujourd’hui souffrent de maladies de naissance. Si l’on y ajoute toutes les maladies (maladies cardiaques et les cancers) pour lesquelles il y a une composante héritée, alors on peut dire que la majorité des gens mourront pour des raisons génétiques. 114

Bien qu’il y ait beaucoup de maladies de naissance, les maladies individuelles où intervient un simple schéma d’héritage sont rares. On en connaît six mille et, parmi elles, certaines sont excessivement rares.

Et dire que nous sommes la dernière génération à mourir d’infection plutôt que d’une maladie héritée. Certaines maladies héritées « rares » dans certains endroits sont monnaie courante ailleurs – peut-être parce qu’il y a une concentration de personnes qui descendent d’un seul ancêtre porteur du gène déficient. Par exemple, le gène de la maladie neurologique appelée Tay-Sachs (déficit intellectuel et cécité), appelée aussi idiotie amaurotique familiale, est courant chez les Juifs ashkénazes. 115

Les Afrikaners connaissent certaines maladies héritées très rares ailleurs, tous étant les descendants des quelques fondateurs de leur État et certains, par malchance, portaient ces gènes défectueux. Dans la sousrégion de l’Afrique de l’Ouest, les cellules falciformes et autres « erreurs » d’hémoglobine sont courantes pour la simple raison que les porteurs d’une copie de ces gènes sont, en fait, protégés du paludisme.

Que peuvent faire les sciences et les thérapies génétiques s’agissant de maladies héritées ? Pour l’instant, pas grand-chose – mais de grands espoirs existent quant à l’avenir de telles thérapies… 116

En Occident, le désordre génétique le plus courant est la fibrose kystique (FK = mucoviscidose). Elle a été « localisée » en 1990, ce qui représente un temps de recherche étonnamment court. On s’attend à d’autres réussites pour d’autres maladies génétiques et cela démontre l’utilité de la carte génétique humaine.

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Le premier indice de la localisation est venu d’études de familles. Le gène FK passe de génération en génération en dehors des chromosomes sexuels. Bientôt, on allait découvrir le lien avec un changement d’une séquence d’ADN localisée sur le chromosome N° 7. Ce segment a été retiré puis inséré dans les cellules de souris de laboratoire. Lentement, on a réussi à lire des milliers de lettres. La majeure partie du message n’avait aucun sens, en termes de mots à trois lettres du code génétique.

Je pense que cela commence à être clair…

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De temps en temps, on avait un début de message clair. Des segments d’ADN semblaient montrer qu’ils étaient capables de fabriquer des protéines. Mais quant au reste (les autres segments)… mystère total ! Toutefois, un segment d’ADN semblait pouvoir fabriquer une protéine semblable à celles que l’on trouve dans les membranes d’autres organismes vivants. Dans les familles où il y a des cas de mucoviscidose, c’est ce segment d’ADN qui est hérité.

Nous l’avons trouvé,

le gène FK !

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Il était à présent possible de modéliser ce à quoi ressemblait cette protéine, en examinant la séquence d’ADN. On appelle cela la génétique inverse – l’art de décrire la forme d’une protéine, son fonctionnement et ses désordres possibles à partir de l’ordre des lettres, plutôt que de partir d’une protéine endommagée pour en déduire les changements intervenus au niveau de l’ADN.

C’est un ver de mer géant !

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Non, ce sont les plis complexes d’une protéine reconstruite, celle associée à la maladie de la mucoviscidose (FK).

Une fois l’ordre exact des aminoacides dans les enzymes établi à partir de l’ordre des lettres d’ADN, on peut en déduire sa forme. D’ailleurs, cela pourrait être un premier pas vers la conception d’un médicament pour corriger les dommages causés. Des dizaines de gènes – y compris ceux qui interviennent dans la plupart des maladies héritées sévères – ont été pistées de cette manière. Les Français bénéficient d’un programme d’appels aux dons qui marche très bien (le Généthon, abrégé de marathon génétique).

Et maintenant, bienvenue à la Chasse au(x) Gène(s) !

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Il existe toutes sortes de méthodes pour cartographier les gènes et il en arrive des nouveaux tout le temps. L’une des méthodes les plus astucieuses consiste à utiliser la capacité qu’a l’ADN pour « coller » des copies de lui-même. Afin de localiser le site exact d’une protéine donnée, on lit une à une les lettres de ses aminoacides. De là, on peut construire un ensemble des lettres d’ADN basé sur le code à trois lettres. On colorie cet ensemble au moyen d’une teinture fluorescente et on le verse sur des cellules vivantes. Il colle aux chromosomes, à l’endroit précis où se trouve l’ADN approprié. C’est un processus appelé (en anglais) FISHing (hybridation in situ fluorescente).

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Il reste encore environ cent mille gènes à identifier avant même de poser les jalons et repères principaux sur la carte génétique. Mais pour la majorité de ces gènes, il n’y a pas, heureusement, de maladies héritées à y être associées. Il y a également des milliards de lettres d’ADN qui apparemment n’ont aucune fonction – elles ne sont même pas transférées. La bataille fait rage quant aux étapes suivantes à entreprendre. Est-ce que vraiment ça vaut la peine de pénétrer dans cette jungle dénuée de sens (ce qui semble être le cas de la majeure partie de l’ADN), ou devrions-nous plutôt nous concentrer sur les « villages » et les « villes » où l’on fabrique effectivement quelque chose ?

Tu as raison. Une façon . d’atteindre les gènes effectifs est de rechercher leur ARN messager – ce qui apportera la preuve qu’on y fabrique quelque chose –

et de remonter vers la séquence d’ADN correspondante.

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Le cerveau semble être un endroit propice pour ces recherches, tout en étant un lieu complexe, avec trente mille gènes en fonction simultanément. D’autres cellules (celles du sang, par exemple) en comptent beaucoup moins. Cinq mille gènes du cerveau ont été identifiés d’ores et déjà et la lecture de leurs messages d’ADN est en cours et progresse bien.

Je pense donc je suis aminoacide !

124

Cependant, certains biologistes estiment valable la chasse aux trésors aux fins fonds de la forêt moléculaire – après tout, personne n’a idée de ce qui s’y cache.

ent] [Non traduit volontairem

L’approche qu’ils préconisent consiste à oublier ce que l’ADN fait, puis à dresser une carte à grande échelle, assez rudimentaire, avec de grandes plages de chromosomes dont la constitution exacte pourra être précisée ultérieurement. C’est comme si on lisait quelques mots, pris au hasard dans notre manuel, pour faire la pagination en observant les endroits où les paragraphes se chevauchent.

125

Nous disposons déjà de plusieurs cartes comme celle-ci pour les chromosomes humains.

126

C’est amusant la cartographie.

Et une bonne excuse pour dépenser de l’argent…

Mais, dans la pratique, ça sert à quoi au juste ?

L’espoir un jour de pouvoir soigner des maladies héritées.

127

La médecine s’est toujours révélée meilleure en prévention qu’en guérison. La victoire sur les infections a été due bien plus à la mise en place des égouts dans nos villes qu’à l’arrivée des antibiotiques. Les traitements médicaux sont venus bien plus tard.

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Les maladies génétiques ne font pas exception. Pour la plupart d’entre elles, le mieux qu’on puisse offrir aux patients (ou futurs parents) est le diagnostic d’un embryon affecté. C’est qui que tu traites d’« affecté » ?

Souvent les futurs parents choisissent d’interrompre une grossesse dès lors qu’ils sont informés que l’enfant à venir naîtra avec une grave maladie. Pour les maladies les plus sévères, neuf couples sur dix acceptent des conseils d’ordre génétique ; et déjà le nombre d’enfants qui naissent avec un désordre hérité est en train de diminuer rapidement.

La prévention c’est bien mieux que l’incurie ; et ici on est servi !

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Mais la génétique peut faire plus que prévenir des maladies héritées. Pour les maladies récessives (où deux copies du gène défectueux sont nécessaires pour causer un dommage), on arrive à identifier les porteurs, chacun pouvant avoir une copie. Si deux porteurs se marient, il y a un risque qu’ils aient un enfant atteint de la maladie.

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Quelquefois, cette information est utile. Dans les sociétés orthodoxes juives, les « marieurs » ont encore leur importance pour arranger des mariages entre familles. On leur dit si deux partenaires potentiels portent chacun une copie du gène récessif pour la maladie de Tay-Sachs (TSD). Cela peut les convaincre qu’ils ne sont pas faits l’un pour l’autre.

Vous allez bien ensemble, mais vous ne devriez pas vous marier !

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Mais tout n’est pas toujours aussi simple. Prenons le cas de la fibrose kystique (FK). Parmi les Britanniques et les Américains à la peau claire, un enfant sur deux mille cinq cents naît avec la maladie ; mais un sur vingt-cinq est porteur du gène défectueux.

Pratiquement aucune des personnes parmi les millions concernées ne savent quoi que ce soit et le gène qu’elles portent ne leur cause aucun dommage. Dans neuf sur dix des familles porteuses, on n’a jamais enregistré de cas de FK. 132

Le test pour savoir si quelqu’un est ou non porteur du gène incriminé est très simple – un prélèvement par coton-tige de la bouche suffit. Cela coûte le prix d’un bon repas au restaurant. Trois personnes sur quatre à qui on a proposé le test ont accepté. crachez dans le bol.

Pour les femmes enceintes, le chiffre est de neuf sur dix.

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Mais est-ce que cela vaut la peine de dépister des milliers de personnes en bonne santé puis de leur dire la vérité ? Il est certain que les parents qui ont un enfant atteint de mucoviscidose pensent que « oui » : neuf sur dix pensent qu’un criblage universel devrait exister afin que d’autres familles n’aient pas à subir leurs expériences. Beaucoup des parents d’un enfant atteint de mucoviscidose renoncent à en avoir d’autres.

Et moi qui croyais que le plus difficile était derrière nous…

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De plus, la chasse aux porteurs est bien plus difficile que ce que l’on espérait. Au niveau moléculaire, plus de deux cent cinquante changements différents peuvent endommager le gène à l’origine de la fibrose kystique. Même le meilleur des tests peut ne pas identifier certains porteurs. Bien pire, il y a des variantes selon les pays. Le test britannique, par exemple, ne reconnaîtrait pas la majorité des porteurs turcs.

Transportez-vous de la fibrose kystique ou quoi que ce soit qui puisse causer des dommages ?

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Le dépistage de populations entières, à la recherche d’une gamme étendue de maladies héritées, peut ne jamais être réalisé. Mais la génétique apporte des aspects plus positifs ; la construction de la carte génétique humaine pourra se révéler être un premier pas vers le traitement, voire même vers la guérison, de ces maladies.

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Bien sûr, si une maladie est héritée, cela ne veut pas dire qu’elle ne peut recevoir de traitement. Bien avant qu’on identifie le gène à l’origine du désordre, des traitements (par exemple en ramollissant et en fluidifiant le mucus des poumons) pour la fibrose kystique ont permis aux enfants atteints de (sur)vivre bien mieux qu’avant. Et maintenant que la protéine en cause a été identifiée, il y a l’espoir de trouver un médicament, un remède.

Si vous ne les punissez pas, vous gâterez vos enfants.

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Un remède, bien plus drastique, est de procéder à une transplantation cœur-poumons d’un donneur décédé mais normal, vers un receveur atteint de mucoviscidose.

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À présent, il y a la perspective de traitements moins drastiques pour traiter la FK et d’autres maladies héritées. Les gènes peuvent être déplacés d’un endroit à un autre dans le monde du vivant.

Nous voici arrivés à une nouvelle science, le génie génétique, qui ouvre la voie à des possibilités de traitement pour les maladies génétiques. 139

Les ingénieurs disposent de nombreuses méthodes pour « intervenir » au niveau des gènes.

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On arrivait à convaincre les cellules d’accepter de l’ADN étranger en leur appliquant un courant électrique, ce qui a pour effet d’ouvrir des pores dans la membrane cellulaire.

En joue… feu ! Parfois, si on tire de minuscules balles en or chargées d’ADN étranger, les cellules visées peuvent être persuadées de les intégrer. Tu crois qu’on peut s’offrir ces balles en or, Kimosabe ? Ne t’en fais donc pas, Tonto ; elles ne pèsent que 0, 000 001 g !

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La meilleure façon de déplacer des gènes est de se servir des virus pour établir la liaison. Plusieurs gènes humains ont été insérés dans des bactéries et celles-ci servent alors d’usines pour fabriquer le produit spécifique à tel ou tel gène. De cette manière, on fabrique de l’insuline et la protéine défectueuse qui mène à l’hémophilie. Vendez les caillots – achetez de l’insuline !

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On peut aussi introduire des gènes chez les animaux. Des moutons transgéniques peuvent produire l’hormone de croissance humaine dans leur lait et il y a même l’espoir de modifier génétiquement des pommes de terre pour produire des protéines humaines, utilisables directement en traitement médicaux.

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Des copies efficaces du gène défectueux qui déclenche la mucoviscidose peuvent être insérées dans des cellules vivantes et administrées telles quelles directement sous forme de spray dans les poumons des patients. Ce traitement aide à soulager les symptômes de la maladie.

Mes jeans, où sont mes jeans ?

La vraie réussite viendra quand on pourra faire de la thérapie génique au profit de ceux qui portent un gène défectueux, en le remplaçant par un gène normal. On sait le faire aujourd’hui pour nombre d’organes, alors pourquoi pas pour nos gènes ?

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Peut-être pourra-t-on extraire les cellules du patient, les traiter pour y insérer de nouvelles copies de gènes, puis les réinjecter au patient. Avec un peu de chance, des symptômes comme ceux de la fibrose kystique pourraient être guéris. La thérapie génique présente un grand champ d’espoir. Déjà, on commence à traiter quelques maladies très rares, et on envisage de faire en sorte que des cellules cancéreuses puissent être « altérées », dans le sens qu’on leur enlèverait la faculté de se diviser et d’engendrer plus de dommages au patient.

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Une des idées que l’on explore actuellement consiste à insérer des gènes qui rendent la cellule plus réceptive aux médicaments, par exemple les cellules cancéreuses. Puisque les cellules cancéreuses se divisent si rapidement, elles vont absorber le gène « réceptif » plus que ne le feraient des cellules normales. À partir de là, le médicament ne tuera que des cellules défectueuses, c’est-à-dire cancéreuses.

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Les cellules cancéreuses présentent d’autres changements caractéristiques permettant d’autres voies d’attaque avec des armes issues de l’industrie génétique. Par exemple, des indices sur leur surface renseignent sur des changements menant la cellule au stade cancéreux. Copier ces indices, puis lier ceux-ci au médicament permettrait de cibler directement et exclusivement les cellules cancéreuses (ou sur le point de le devenir). Cible en vue, identifiée et verrouillée, capitaine.

Tonnerre de Dieu, numéro un ! Ces bombes intelligentes sont bougrement efficaces ! Génial

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Pour des souris, on note énormément de progrès dans le domaine du génie génétique. On a introduit des gènes dans des ovules de sorte que l’ADN ainsi modifié passe de génération en génération. Les souris transgéniques servent de modèles pour des maladies héritées humaines (y compris la mucoviscidose) et ensuite de terrains d’expérimentation pour de nouveaux médicaments.

N’est-ce pas une autre allusion feutrée à la double hélice ?

On ne s’ennuie jamais avec la génétique !

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Autre astuce intelligente : moduler l’identité d’une espèce utile et donc modifier les gènes qui commandent ces indices chimiques à la surface des cellules. Les antigènes, comme on les appelle, font qu’il n’est pas facile de transplanter des organes d’un individu à l’autre – et encore moins entre espèces. On a récemment introduit des antigènes humains dans des ovules de truies et ils ont été transmis en héritage aux générations suivantes. Peutêtre sera-t-on capable bientôt de transplanter des organes de cochon vers des receveurs humains.

Quatre pattes c’est bien – mais deux c’est bien mieux !

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Mais la thérapie germinale, c’est son nom, est trop proche des pratiques dignes de Frankenstein pour la majorité des généticiens. Il n’y a pas de projets d’utilisation sur des cas humains.

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Comme dans la majeure partie des secteurs de la médecine, les découvertes génétiques sont source de problèmes éthiques ; et la thérapie germinale ne fait pas exception. Poser le diagnostic d’une maladie héritée avant la naissance implique, inévitablement, que le seul conseil que le corps médical puisse donner est d’avorter. Mais, dans beaucoup d’endroits sur Terre, cela pose problème. Aux États-Unis, le lobby anti-IVG est si puissant que beaucoup d’œuvres caritatives n’osent pas faire campagne ouvertement en faveur de tests diagnostiques pour des maladies héritées.

J’ai pris mes décisions en matière de descendance – et je vais prendre les vôtres aussi !

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Les aspects éthiques de l’avortement sont différents de ceux du reste de la médecine ; la décision est prise pour le compte d’une autre personne – l’enfant à naître, qui n’a pas son mot à dire. Certains se sentent concernés par la possibilité de voir s’exercer une pression – des autorités gouvernementales ou des assureurs en matière de santé – pour mettre fin à la vie d’un fœtus génétiquement endommagé, afin d’économiser les coûts d’un traitement. Il est important de pouvoir respecter le secret médical quant aux résultats des tests. 

Secret médical, tu parles d’un secret… où ça ?

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La loi s’en est mêlée – aux États-Unis, des procès ont eu lieu pour « naissance par erreur », introduits par des parents qui estimaient avoir donné naissance à des enfants génétiquement défectueux, invoquant le fait que le fœtus n’avait pas été diagnostiqué correctement. Et les enfants euxmêmes ont fait des procès, pour obtenir l’argent nécessaire à leur traitement et à leur suivi. Pour une maladie comme la mucoviscidose, là où même les meilleurs tests n’arrivent pas à identifier positivement tous les porteurs, cela représente un réel problème. Je prétends, Monsieur le Président, que je n’aurais jamais dû naître.

Je suis plutôt d’accord avec vous.

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Les sciences génétiques font face maintenant à un autre problème, assez inattendu : celui de soulever trop d’espoirs, de donner trop d’informations. Beaucoup de personnes pensent qu’elles sont capables de bien plus que leur capacité réelle – et semblent heureuses d’accepter des traitements auxquels la majorité des généticiens s’opposeraient. Le point de vue public de ce qui est « juste » diffère de celui qui prévaut chez le corps médical. Aux États-Unis, il est parfois difficile d’accéder à une IVG. Mais trois Américains sur quatre seraient d’accord si on leur proposait une thérapie germinale. Des parents américains ont même demandé des protocoles pour leurs propres enfants afin d’y insérer des gènes de l’hormone de croissance, dans l’espoir de voir ces enfants devenir grands, physiquement. Il ne deviendra jamais un joueur de basket acceptable.

Mais il apporte toute une nouvelle connotation au « dribble ».

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D’autres accepteraient l’idée d’acquérir des gènes qui augmenteraient l’intelligence – quatre Américains sur dix pensent que ce serait une bonne idée. Mais ce protocole n’est même pas faisable dans nos rêves, et sans doute pas réalisable.

Allez-y, injectezlui les gènes ; il deviendra célèbre un jour !

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D’autres – tout comme Galton – croient que… Un mauvais comportement est dû aux gènes et nous devrions nous en préoccuper ! Certes, il y a un gène partagé par la plupart des criminels – et sa séquence complète d’ADN est connue.

Watson ! On cherche un fragment d’ADN avec la séquence GAT AGA GTG AAG CGA, arborant une moustache et traînant une patte.

Il s’agit d’un petit gène, attaché au chromosome Y, celui qui fait que ses porteurs deviennent des mâles. La plupart des criminels étant des hommes, nous avons donc identifié le gène de la criminalité ! Il va de soi que personne ne demande leur avis aux généticiens ni même qu’il y a un quelconque lien entre les gènes et les crimes. 156

S’agissant des femmes, les choses sont différentes. Il est facile de distinguer le sexe d’un fœtus – il suffit d’analyser ses chromosomes. Au Royaume-Uni, les futurs parents n’ont pas de préférence particulière entre garçons et filles.

En Inde, nous avons une préférence pour les garçons et il existe des cliniques qui acceptent, moyennant paiement, de pratiquer une IVG des fœtus féminins.

Ce qui effraie les généticiens… C’est affreux, on se sert de notre discipline pour aggraver le préjudice envers les femmes !

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Mais il existe des préjugés envers les porteurs de gènes de maladies héritées. Beaucoup de Noirs américains possèdent une copie de l’anémie des cellules falciformes (SCD). Beaucoup l’ignorent et n’en ont aucun symptôme. Un programme de dépistage épidémiologique dans les années 1970 a provoqué des cas de discrimination à l’emploi et à pas mal de misères parfaitement inutiles pour les personnes identifiées comme porteuses de ces gènes défectueux.

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Mais, en moyenne, tout le monde est porteur de copies simples de deux gènes différents qui – comme les cellules porteuses de SCD – pourraient tuer les porteurs si deux copies étaient insérées en même temps. En règle générale, personne ne s’en soucie. Le fiasco des cellules porteuses de SCD n’était dû qu’à une mauvaise programmation. Au Canada, on fait les tests pour les porteurs de gènes de mucoviscidose dans les cours de SVT au collège !

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Mais parfois l’information est de nature à nous inquiéter. Quelques gènes défectueux sont dominants – ils tuent avec la présence d’une seule copie – soit à la naissance, soit à l’âge mûr des porteurs. Il existe aujourd’hui un test pour le gène de la maladie de Huntington – qui se manifeste par une dégénérescence du système nerveux. Parmi les personnes à qui l’on a validé et intimé la présence de ce gène, certaines ont sérieusement envisagé le suicide. À vrai dire, la plupart des personnes à risque (pour une maladie de Huntington) ont préféré ne pas se soumettre au test. Elles préfèrent l’incertitude plutôt que la connaissance de leur état.

Moi, je peux vous dire la date de votre mort.

Rien ne va plus

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La maladie de Huntington, parfois appelée (chorée de Huntington), est plutôt rare, heureusement. Mais d’autres conditions dominantes sont plus fréquentes. Prenons l’exemple de la maladie polykystique des reins (MPR), où l’on dénombre environ 50 000 Britanniques « à risque ». À tout moment, ils peuvent souffrir d’une insuffisance, voire d’un blocage des reins, et on ne peut pas y faire grand-chose aujourd’hui. Il existe un test génétique pour ce désordre, mais est-ce que les porteurs potentiels voudront connaître les résultats et donc leur destin ?

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Être conscients de son destin constitue un problème auquel sont confrontés plus tôt qu’ils ne le souhaiteraient pas mal de gens. Beaucoup meurent d’un cancer ayant pour cause les gènes qu’ils portent. Si une femme est atteinte d’un cancer du sein, ses sœurs et ses filles sont statistiquement plus exposées, puisqu’elles peuvent être porteuses du même gène. Bientôt, il y aura des tests génétiques permettant d’évaluer avec précision le niveau de risque – mais là encore, ces femmes à risque voudrontelles connaître les résultats ?

Vaut mieux le savoir – si nous ne pouvons pas l’empêcher d’arriver.

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Pour certains cancers, comme le cancer colorectal, les médecins suggèrent que les porteurs

du gène devraient se faire enlever les intestins grêles avant même l’apparition des symptômes !

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Connaître son risque génétique peut aider –

Dans le cas d’un cancer colorectal, un changement de régime alimentaire… … ou même la prise de certains médicaments.

Alors, à qui doit-on annoncer ce risque ?

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Voilà qui est déjà difficile en soi, mais que dire de nos polices d’assurance ? Aux États-Unis, il y des personnes à qui la couverture sociale est carrément refusée en raison de la présence de gènes qui pourraient les affecter plus tard ! Afin d’engranger des profits, les compagnies d’assurance préfèrent n’accepter que des risques minimes, laissant ceux qui portent des gènes défectueux à la merci ô combien bienveillante de l’État.

Vérifiez son pouls. Vérifiez ses gènes. Vérifiez sa police d’assurance.

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Et vos gènes, au fait, ils appartiennent à qui ? Il semblerait que ce ne soit pas vous-mêmes. De nos jours, il est assez courant de breveter de nouveaux fragments d’ADN humain, au fur et à mesure qu’on les découvre et qu’on les identifie. Certains peuvent valoir des millions de dollars : peut-être ceux qui serviraient à dépister des maladies héritées ou des cancers précoces. Mais les donneurs de ces gènes, voire ceux qui ont développé les maladies en question, n’en bénéficieront pas. Ce sont, au contraire, les sociétés pharmaceutiques qui vont en profiter.

C’est mon gène que vous prenez !

Ça m’est égal, j’ai déposé le brevet.

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La génétique s’est toujours avérée plus complexe que ce qu’il paraissait raisonnable d’imaginer. La biologie, ce n’est pas comme la physique.

Plus nos connaissances progressent, moins il semble qu’il y ait UNE solution finale à la question posée.

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Et il est bon de se rappeler que la génétique a fait beaucoup moins pour améliorer la santé que ne le pensent beaucoup de personnes. Il y a vingt ans, les étudiants en médecine n’apprenaient presque rien en génétique – cette science leur semblait non pertinente pour traiter des maladies. … mais les étudiants maintenant ont droit à des dizaines de cours magistraux sur le sujet. On en sait davantage à propos des gènes qui donnent le pigment rouge au sang (hématies), mais cela n’a apporté aucune solution pour améliorer le traitement de l’anémie à cellules falciformes.

Aujourd’hui elle est encore non pertinente pour la plupart de nos maladies

Voilà ce qu’il nous faut : plus de cours d’anatomie.

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On y apprend l’humilité, à défaut d’autres qualités. D’abord – et en dépit de ce qu’a pu penser Galton – la vie n’est pas simple. 

Les chances de voir utiliser la génétique pour « améliorer » l’espèce humaine reculent en fait à chaque découverte.

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En second lieu, personne n’est parfait. Chacun de nous, ou presque, est porteur d’un gène potentiellement dommageable et la plupart des gens meurent tout simplement à cause de leurs propres imperfections.

Même un génie héréditaire comme moi peut se tromper.

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En définitive, la génétique unit l’espèce humaine – d’abord à elle-même, ensuite avec le reste du monde vivant. La génétique humaine, au départ, a été une science corrompue dont on a largement abusé. On peut dire aujourd’hui, en la voyant entrée en adolescence, qu’elle se débarrasse des problèmes initiaux et, qui sait, qu’elle deviendra bientôt une composante ordinaire de la médecine. Mais – n’oublions jamais le passé ! 171

PERSONNES CITÉES DANS L’OUVRAGE 172

Darwin, Charles Robert, 1809-1882. Fleeming Jenkin, Henry, 1833-1885. Galton, Sir Francis, 1822-1911 Mendel, Gregor Johann, 1822-1884 Merrick Joseph, dit l’Homme éléphant, 1860-1890. Frédéric II de Prusse, dit Frédéric le Grand, 1712-1786. Stopes, Marie Charlotte Carmichael, 1880-1958. Shaw, George Bernard, 1856-1950. Churchill, Sir Winston Leonard Spencer, 1874-1965 Hiltler, Adolf, 1889-1945 de Vries, Hugo Marie, 1848-1935 Garrod, Archibald E, 1857-1936 Morgan, Thomas Hunt, 1866-1945 Watson, James Dewey, 1928Crick, Francis Harry Compton, 1916Sturtevant, Alfred Henry, 1891-1970 Staline, Joseph, 1879-1953 Lyssenko, Trofim Denissovitch, 1898-1976 Vavilov, Nicolaï Ivanovitch, 1887-1943 Muller, Hermann Joseph, 1890-1967 Auerbach, Charlotte, 1899-1994 Miescher, Johann Friedrich, 1844-1895 Nägeli Carl, 1817-1891 Avery, Oswald Théodore, 1877-1955 McCleod, Colin Munro, 1909-1972 McCarty, Maclyn, 1911-2005 Franklin, Rosalind, 1920-1958 Pauling, Linus Carl, 1901-1994 Meselson, Matthew Stanley, 1930Stahl, Ernest Henry, 1929Jacob, François, 1920-2013 Monod, Jacques Lucien, 1910-1976 Sager, Ruth, 1918-1997 McClintock, Barbara, 1902-1992 Lénine, Vladimir Ilitch (Oulianov), 1870-1924.

Note de fin À ses débuts, la génétique a été ignorée. De nos jours, c’est tout le contraire. Mendel avait été écarté puisque son travail avait été considéré comme sans importance, mais aujourd’hui les gènes sont « partout » avec un public fasciné par les promesses qu’on lui prête et perturbé par les menaces supposées. Les scientifiques ont vite fait de souligner les deux aspects. Ce n’est pas pour rien que les quatre lettres du code génétique sont devenues H, Y, P et E. La dernière décennie en particulier s’est révélée étonnante en termes de découvertes génétiques. Nous disposons à présent de la séquence complète (génotype) des lettres d’ADN (environ 60 000 gènes) nécessaire à l’assemblage d’un être humain et bientôt nous aurons décrypté ce que nous appelons l’ADN poubelle (et ceci pourrait se révéler plus riche que son nom l’indique). 10 000 maladies ont une composante héritée et, du moins en principe, nous savons qu’il y a des gènes responsables de ces désordres. Cela soulève à la fois des craintes et des espoirs. Pour les maladies qui ne dépendent que d’un seul gène, telles que l’anémie à cellules falciformes ou la fibrose polykystique, il devient plus facile désormais de détecter les porteurs et les fœtus à risque. Un gène pouvant être endommagé de multiples façons – par exemple, il y a plus de 1 000 mutations connues pour la maladie de la fibrose polykystique – ces dépistages ne sont pas si faciles que ça à mettre en œuvre et, dans bien des cas, le mieux serait de pouvoir dire à des gens qu’ils sont effectivement porteurs du gène défectueux, plutôt que de leur dire le contraire, à savoir que leurs gènes sont normaux. La décision de devenir enceinte ou non, ou de laisser se poursuivre une grossesse sera plus facile à prendre puisque les tests deviennent plus sûrs. Il existe des dépistages commercialement disponibles pour détecter des gènes qui prédisposeraient à la fibrose polykystique ou au cancer du sein et on voit se développer des « micro-chips » détecteurs d’ADN (des nano-laboratoires sur puce électronique) et qui pourront cribler de nombreux gènes à la fois ; ces « micro-chips » seront bientôt commercialisés. La médecine aura à faire face de plus en plus à des gens qui auront – à tort ou à raison – effectué un auto-dépistage pour se trouver dans la catégorie « à risque ». Nous sommes conscients maintenant que la plupart des personnes mourront d’une maladie génétique, ou du moins d’une maladie ayant une composante génétique. Pour nombre d’entre elles, il sera bientôt possible de leur annoncer par avance leur « destin », mais au fond, pourquoi ? Dans certains cas, cette information se révèlera utile. Ceux, par exemple, qui héritent d’une prédisposition au cancer du côlon pourront subir une intervention chirurgicale bien avant l’apparition de symptômes de la maladie elle-même. S’agissant d’autres maladies, les personnes à risque peuvent recevoir un avertissement quant aux milieux et aux environnements à éviter. Fumer, on le sait, est dangereux, mais certains fumeurs échappent aux maladies associées. Mais une personne qui porterait une forme altérée de l’enzyme qui intervient dans le nettoyage du mucus des poumons se noierait à coup sûr dans ses crachats – cela, peut-être, suffira à la dissuader de commencer à fumer. Mais cette connaissance peut se révéler néfaste aussi, surtout quand les assureurs en sont informés et s’en servent, pour établir (ou non) des polices. La meilleure médecine, dit-on, consiste à prévenir plutôt qu’à guérir. C’est pareil pour la génétique et l’espoir de réparer de l’ADN endommagé n’est pas loin, et ce, depuis une dizaine d’années.

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La chirurgie génétique – c’est-à-dire la possibilité de retirer des fragments d’ADN pour les réinsérer ailleurs dans les brins – a fait des bonds en avant, sans toutefois arriver, pour l’instant (ou si peu), à guérir des maladies. Mais ce progrès en génie génétique pourrait empêcher les populations de mourir de faim, si nous écoutons les enthousiastes des denrées alimentaires génétiquement modifiées. Et ils ont peut-être raison. La possibilité de déplacer les gènes des plantes s’est avérée relativement facile. Nous avons à présent des cultures qui résistent aux parasites et aux désherbants artificiels (ce qui veut dire que le champ peut être traité avec des désherbants qui n’attaquent pas et n’endommagent pas la culture en question). Cet optimisme commercial – en Europe du moins mais pas encore aux ÉtatsUnis – a soulevé en parallèle des craintes qu’il y ait des risques sanitaires à consommer des produits « GM ». Les scientifiques s’étonnent qu’à côté de l’infime risque que les aliments GM puissent être dangereux, les gens sont parfaitement à l’aise quand ils ingurgitent des cheeseburgers qui, eux, sont réellement dangereux pour la santé. Mais la science, c’est bien connu, est moins importante que ce que les consommateurs sont prêts à consommer ! À moins de voir un changement d’attitude, l’espoir d’introduire des gènes bénéfiques dans les aliments de base du tiers-monde ne se réalisera pas de sitôt. Interférer (ou bidouiller) avec les gènes de plantes génère des soucis pour la Société, mais en faire autant avec des animaux enrage certains, et qui le font savoir, bruyamment. En fait, nous ne savons pas encore grand-chose sur le processus qui permet à un ovule de devenir un jour un être adulte, avec des centaines de types de tissu, chacun portant rigoureusement le même message génétique mais exprimant des fonctionnalités différentes, par exemple faire du cerveau, fabriquer de l’os… Voilà longtemps que nous savons comment faire pousser des plantes jusqu’au stade adulte (voire même des grenouilles !) à partir d’une seule cellule, mais l’idée de pouvoir en faire autant avec des mammifères semblait relever du fantasme – jusqu’au clonage du mouton Dolly en 1997 en Écosse. L’astuce consistait à insérer le noyau d’une cellule adulte dans un ovule préalablement vidé de sa substance génétique et de l’implanter dans l’utérus d’une mère-porteuse, créant ainsi un mouton sans acte sexuel : Dolly a été clonée. Des moutons ou des vaches clonés peuvent être importants pour l’élevage, en faisant de multiples copies conformes d’animaux dans lesquels on insérerait des gènes humains, pour fabriquer les protéines telles que l’hormone de croissance (processus utilisé déjà dans le ‘pharming’, à savoir la production de médicament précieux dans du lait). La publicité qui a suivi l’annonce du clonage de Dolly a suscité une protestation contre l’idée de cloner un jour des hommes, sans réflexions véritables sur les raisons qui feraient que ce clonage donnerait nécessairement des horreurs. Après tout, nous avons pris l’habitude de voir de vrais jumeaux (qui sont des clones l’un de l’autre), d’où la question : pourquoi des clones artificiels seraient-ils si horribles ? Encore une fois, c’est l’opinion du public qui détermine ce que la science peut faire, et donc la perspective de voir se créer des clones humains paraît assez lointaine, pour l’instant. Et pourquoi, on se le demande, voudrait-on faire ça ? Les idées de bâtir une armée de Saddam Hussein clonés frisent le ridicule comme d’autres, par exemple de cloner l’enfant disparu trop tôt. Toutefois ces techniques peuvent être prometteuses en

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médecine. Les cellules souches de l’embryon – qui ont le potentiel de se développer en tissus différents – peuvent être cultivées, voire clonées en laboratoire, y compris avec l’ajout de gènes étrangers. Ce faisant, on pourra produire de la peau neuve, ou du sang nouveau et plus tard sans doute, des organes entiers. Et dans la mesure où ce processus implique un recours à des embryons en surnombre pris à un stade précoce, créés in vitro par fertilisations artificielles en laboratoire, et jugés non nécessaires en vue d’une implantation dans un utérus de mère, cela a soulevé tout un débat, qui se confond d’ailleurs avec celui sur l’IVG. Aux États-Unis, le lobby « Pro-Life » a réussi à empêcher l’attribution de fonds gouvernementaux pour aider de telles recherches. On a toujours connu un mélange des genres, entre génétique et politique. La génétique a servi à la fois à blâmer ou à excuser certains comportements humains. La revendication (finalement non confirmé) d’un gène « gay » a donné lieu à deux types de réponse de la communauté homosexuelle. Certains craignaient que l’existence d’un tel gène puisse leur être opposée pour les stigmatiser, mais la plupart aimaient l’idée qu’un comportement homosexuel était codé dans leur ADN, avec l’implication qu’on ne pourrait pas, par conséquent, les accuser de corrompre ceux qui n’étaient pas encore « à risque ». De tels points de vue, à l’opposé l’un de l’autre, s’appliquent tout autant dans les suppositions d’existence de gènes de criminalité – arguant du fait que les criminels ne peuvent être « réformés » et qu’il conviendrait de les enfermer pour de bon et à perpétuité, ou, qui pourrait servir d’excuse a contrario dans le sens qu’un criminel qui passe à l’acte ne dispose pas de son libre arbitre. La science ne sait pas répondre à de telles questions et la leçon la plus surprenante de la nouvelle génétique sera peut-être qu’elle nous révèle bien peu sur nous-mêmes.

Lectures recommandées par l’auteur Il y a de nombreux ouvrages excellents sur la génétique, l’un des meilleurs étant An Introduction to Genetic Analysis d’Antony Griffiths et al. (Freeman, 1998). Le livre de Matt Ridley, Genome: Autobiography of a Species in 23 Chapters » (Fourth Estate, 1999) offre une excellente introduction au sujet. Enfin, pour bénéficier de la vision d’un homme sur la génétique humaine et son évolution, il y a deux livres de Steve Jones The Language of the Genes (HarperCollins, 1993) et In the Blood (HarperCollins, 1997).

L’auteur Steve Jones est professeur de génétique à l’University College de Londres. Son premier diplôme universitaire et son doctorat ont été obtenus à l’université d’Édimbourg. Il a été nommé à différents postes universitaires en Grande-Bretagne, aux États-Unis, en Afrique et en Australie. Il a été choisi pour donner la conférence radiophonique, la « Reith Lecture », à la BBC, en 1991, sur le thème « Le langage des Gènes » et il a publié son livre sous le même titre en 1993.

L’illustrateur Borin Van Loon a illustré sept autres titres de cette série : Introducing Mathematics, Sociology, Cultural Studies, Media Studies, Buddha, Eastern Philosophy et Darwin and Evolution. C’est un artiste qui s’est spécialisé dans les œuvres surréalistes, depuis ses tableaux à l’huile et jusqu’à un livre de découpage sur l’ADN.

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Index Accouplement bactérien 67-71, 79-82 Acides nucléiques 47-51 ADN 55 et suiv. ADN artificiel 64 ADN cartographie 78-113 ADN codes 53-65, 77 ADN conception 75 ADN hérédité 76-7 ADN longueur 74 ADN migratoire 101-5 Albinisme 26 Aliments modifiés « GM » 174 Aminoacides 48, 64-5 Anémie à cellules falciformes 158 Animaux, génie génétique 143 Antigènes 149 ARN 51, 63 ARN voir aussi ARNm, ARNt ARNm 63, 77 ARNt 77 Assurance (santé) 165, 173 Atavisme 25 Auerbacher, Charlotte 45 Avortement 151-3 Cancer 146-7, 1632-3 Cartes génétiques 122, 125-7, 136 Cartographie d’ADN 78-113 Cartographie des gènes 122 Cellules 74-5, 87-9 Cellules sexuelles 75, 76 Cellules souches 174-5 Chromosomes 34-44, 100 Chromosomes, définition 77 Chromosomes, gènes bactériens 67-71 Chromosomes, voir aussi ADN et YACs Churchill, Winston 28 Clonage 81, 174-5 Codes 77 Conception 75 Couleur des yeux 33-38 Crick, Francis 54-63

Darwin, Charles 8-9 Dépistage/ciblage 133-6, 158-9 Drosophiles, études de 32-9

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Drosophiles, mutations 44-46 Électrophorèse 84 Enzymes 31, 99 Enzymes, de restriction 80 Enzymes, voir Polymérase

McClintock, Barbara 101 Mendel, Gregor 14-23 Miescher, J.F. 46-7 Morgan, Thomas Hunt 32-8 Mutations 30, 44-6, 60, 66, 101-5

Faim dans le monde 174 Fibrose, dépistage 132-5 Fibrose, polykystique 161, 173 Fibrose, traitement 137-9, 144 Franklin, Rosalind 56

Opérons 70 Ovule, humain 75

Galton, Francis 11-13, 156 Garrod, Archibald 31 Gènes, carte de liaison 40-41, 78 Gènes, définition 5 Gènes, déplacements 166 Gènes, dominants 19, 33 Gènes, dominant/récessif 19 Gènes, du cerveau 124 Gènes, récessifs 19, 25, 26, 33 Gènes, remplacements 144-5 Génie génétique 139-65 Globules sanguins, rouges 87-9 Hélice double 56-9 Hémoglobine 87-8 Hérédité 76 Hérédité humaine 23 Hitler, Adolph 28 Insuffisance sévère rénale 161 Intelligence 155 Jenkin, Fleeming 9-10 Laboratoire Galton 27 Laboratory for National Eugenics 13, 27 Lysenko, T.D. 42-3 Maladie, de Huntingdon 160 Maladie, prédiction, voir Dépistage Maladies génétiques, traitements 11 Maladies héritées 114-23, 128-53, 158, 173-174

Pauling, Linus 56 PCR 83 Pedigrees 24, 26 Petits pois 15-21 Phages 52, 61 Plasmides 81 Pneumonie 4941, 174-5 Polymérases 60, 83 Prédisposition criminelle 156 Principe de transformation 50 Prions 108-9 Protéines 47-8, 77 Rayons X, 45-6 Rayons X et ADN 56 Rétrovirus 110-11 Sager, Ruth 73 Sexe féminin (préjudice) 157 Shaw, G.B. 28 Société d’eugénique 27 Souris transgéniques 148 Staline, Joseph 42 Stopes, Marie 27 Sturtevant, A.H 39-40 Tay-Sachs (maladie) 115, 131 Théorie du « Wobble » 65 Thérapie germinale 159-1, 154 Transcription 63 Translation 63 Variations génétiques 29 VIH (humain) 111 Virus 52, 80-81, 106-9 Vries, Hugo de 30 Watson, James 54-63 YACs (chromosomes de levure artificielle) 82