La divination dans la Rome antique: études lexicales 9782343042732, 234304273X

Les Romains vivaient dans un monde peuplé de signes de la volonté des dieux. Savoir lire ces signes, par le biais de la

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La divination dans la Rome antique: études lexicales
 9782343042732, 234304273X

Table of contents :
Sommaire
Introduction
Signum et significare dans le vocabulaire de la divination : du signe au présage
Miraculum : y a-t-il un « miracle » païen ?
Omen, un présage oral ?
Le vocabulaire de l’inspiration dans le De diuinatione
Le vocabulaire de la nécromancie chez Cicéron
Entre le latin et l'étrusque, les nomina Tusca chez Dioscoride. Ont-ils un rapport avec la divination ?
Liste des abréviations
La divination romaine : bibliographie générale

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La divination dans la Rome antique Études lexicales François GUILLAUMONT et Sophie ROESCH (éds.)

Centre Alfred Ernout

LA DIVINATION DANS LA ROME ANTIQUE ÉTUDES LEXICALES François GUILLAUMONT et Sophie ROESCH (éds.)

Collection KUBABA

Série « Grammaire et linguistique » dirigée par Michèle Fruyt et Michel Mazoyer

LA DIVINATION DANS LA ROME ANTIQUE ÉTUDES LEXICALES

François GUILLAUMONT et Sophie ROESCH (éds.)

Centre Alfred ERNOUT (E.A. 4080 de Paris IV) Université de Paris-Sorbonne (Paris IV) 28, rue Serpente, 75006 - Paris

Association KUBABA Université de Paris I – Panthéon-Sorbonne 2, Place du Panthéon 75231 - Paris CEDEX 05

L’Harmattan, Paris

Collection KUBABA Série « Grammaire et linguistique » dirigée par Michèle Fruyt et Michel Mazoyer Couverture : maquette de Jean-Michel LARTIGAUD www.lartigaud.com Illustration : fresque de Pompéi, Maison du bracelet d’or Museo Archeologico Nazionale di Pompei Logo de l’Association Kubaba : Vladimir Tchernychev

Ingénieur informatique Patrick Habersack : [email protected]

Association Kubaba Président : Michel Mazoyer Trésorier : Valérie Faranton Secrétaire : Charles Guittard Comité scientifique de la série « Grammaire et linguistique » : Marie-José Béguelin, Bernard Bortolussi, Jean-Paul Brachet, Michèle Fruyt, Patrick Guelpa, Lambert Isebaert, Maria Jimenez, Michel Mazoyer, Anna Orlandini, Dennis Pardee, Eric Pirart, Paolo Poccetti, André Thibault, Christian Touratier, Sophie Van Laer Ce volume a été imprimé par © Association KUBABA, Paris © L’Harmattan, Paris, 2014 5-7, rue de l’École Polytechnique, 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com [email protected] [email protected] ISBN : 978-2-343-04273-2 EAN : 9782343042732

Bibliothèque Kubaba (sélection) http://kubaba.univ-paris1.fr/ Série Grammaire et linguistique Stéphane DOROTHEE : À l’origine du signe, le latin signum, 2006. Michèle FRUYT & Sophie VAN LAER (éds.) : Adverbes et évolution linguistique en latin, 2008. André THIBAULT (éd.) : Gallicismes et théorie de l’emprunt linguistique, 2009. Léon NADJO : La composition nominale. Etudes de linguistique latine, Textes réunis par F. Guillaumont et D. Roussel, 2010. Léon NADJO : Du latin au français d’Afrique noire, Textes réunis par F. Guillaumont et D. Roussel, 2010. Claude MOUSSY : Synonymie et antonymie en latin, 2010. Olga SPEVAK (éd.) : Le syntagme nominal en latin. Nouvelles contributions, 2010. Sophie ROESCH (éd.) : Prier dans la Rome antique. Etudes lexicales, 2010. Michèle FRUYT Michèle & SPEVAK Olga (éds.) : La quantification en latin, 2010. Jean-Paul BRACHET, Michèle FRUYT & Peggy LECAUDE (éds.) : Les adverbes latins : syntaxe et sémantique, 2012. André THIBAULT (éd.) : Le français dans les Antilles : études linguistiques, 2012. Alain CHRISTOL & Olga SPEVAK (éds.) : Les évolutions du latin, 2012. Michèle BIRAUD (éd.) : (Dis)continuité en linguistique latine et grecque. Hommage à Chantal Kircher-Durand, 2012. André ROUSSEAU : Grammaire explicative du gotique, 2012. Charles GUITTARD & Michel MAZOYER (éds.) : La prière dans les langues indoeuropéennes : linguistique et religion, 2014. Charles GUITTARD & Michel MAZOYER (éds.) : La fondation dans les langues indoeuropéennes : religion, droit et linguistique, 2014. George Bogdan TARA : Les périphrases verbales avec habeo en latin tardif, 2014. Aude MOREL-ALIZON et Jean-François THOMAS (éds.) : La causalité en latin, 2014.

REMERCIEMENTS

Nous tenons à remercier pour leur soutien financier, à l’Université de Tours, l’UFR Lettres et Langues, dirigée par Jean-Michel Fournier, la Filière Lettres, dirigée jusqu’en 2013 par Cécile Bost-Pouderon, ainsi que l’EA 6297 : « Interactions Culturelles et Discursives », dirigée par Mónica Zapata ; à Paris, le Labex RESMED (« Religions et sociétés dans le monde méditerranéen »). Leur concours a permis la tenue de la journée d’études du 11 mai 2012 sur « Le vocabulaire latin de la divination » et la publication du présent volume, qui en est issu. Notre gratitude va aussi à Michèle Fruyt et Michel Mazoyer, pour l’accueil chaleureux qu’ils ont réservé à ce livre dans la collection Kubaba, série « Grammaire et linguistique ».

Sommaire

Introduction

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DOROTHÉE Stéphane : Signum et significare dans le vocabulaire de la divination : du signe au présage.

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CHAMPEAUX Jacqueline : Miraculum : y a-t-il un « miracle » païen ?

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ROESCH Sophie : Omen, un présage oral ?

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GUILLAUMONT François : Le vocabulaire de l’inspiration dans le De diuinatione.

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POULLE Bruno : Le vocabulaire de la nécromancie chez Cicéron.

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BRIQUEL Dominique : Entre le latin et l'étrusque, les nomina Tusca chez Dioscoride. Ont-ils un rapport avec la divination ?

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Liste des abréviations.

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La divination romaine : bibliographie générale.

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Introduction Ce volume regroupe les communications présentées lors de la journée d’études « Le vocabulaire latin de la divination », qui s’est déroulée à l’Université François Rabelais de Tours le 11 mai 2012 et a réuni des linguistes et des spécialistes de la religion romaine, dans la lignée de la précédente journée d’études sur « Le vocabulaire latin de la prière » (22 mai 2007)1. Il s’agit là d’une thématique qui s’insère dans les recherches sur les paradigmes de l’autorité menées à Tours par l’EA 6297 (« Interactions culturelles et discursives »). Le recours à la divination était en effet, pour les magistrats romains, une manière d’asseoir leur autorité, en donnant à leurs choix et à leurs décisions tout le poids que pouvait leur conférer l’accord des dieux. La divination dans l’Antiquité est un sujet qui a déjà donné lieu à de riches publications et à d’importants recueils collectifs2, mais qui a plus rarement été étudié sous l’angle particulier de la sémantique3. Notre projet est de compléter par des études lexicales les travaux déjà existants, afin de permettre, en lien étroit avec les textes antiques, de mieux définir les croyances et les pratiques divinatoires des anciens Romains. Les trois premiers articles portent chacun sur un vocable particulier : signum, miraculum, omen. Stéphane Dorothée s’intéresse à signum, terme qui fut employé comme hyperonyme dans le domaine de la divination et qui a évolué du sens général de « signe » vers l’acception plus restreinte de « présage » ; cette évolution est à mettre en rapport avec les mutations de la divination romaine, qui accorde une place de plus en plus grande à la prédiction. Jacqueline Champeaux traite de miraculum, un des noms latins du prodige, mais un « parent pauvre », beaucoup moins étudié que les dénominations canoniques, telles monstrum ou prodigium ; elle distingue trois niveaux du « miracle » : le phénomène purement humain, mais stupéfiant (ainsi l’exploit d’Horatius Coclès), le prodige douteux ou suspect, et enfin le bon prodige. Ce dernier emploi permet à saint Augustin 1

Voir Prier dans la Rome antique. Etudes lexicales, Sophie Roesch (éd.), collection Kubaba, série « Grammaire et linguistique », Paris, L’Harmattan, 2010. 2 Voir en fin de recueil, dans la Bibliographie générale, le paragraphe « Ouvrages collectifs sur la divination » (p.141). 3 Parmi les études individuelles consacrées au vocabulaire de la divination romaine, nous citerons en particulier P. Catalano (1960), É. Benveniste (1969), G. Dumézil (1969), C. Moussy (1977 et 1990), H. Schäfer (1977), W. Hübner (1990), C. Milani dans M. Sordi (1993), S. Montero Herrero (1997), D. Engels (2007). Pour ces ouvrages et articles, voir la bibliographie générale en fin de volume.

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de qualifier de miracula les miracles chrétiens. Enfin Sophie Roesch tente de décrire le plus finement possible, en diachronie, l’emploi du substantif omen afin d’en préciser la valeur fondamentale : le sens le plus ancien semble être celui de « signe verbal qui annonce l’avenir » ; par la suite, omen servira à renvoyer à tout type de signe, oral ou non. Il faut noter en revanche que la notion de « signe fortuit », souvent présentée comme constitutive de l’omen, n’est pas centrale pour ce mot dans les textes latins. Les deux articles suivants sont consacrés à Cicéron, l’une des sources fondamentales pour notre connaissance de la divination romaine. François Guillaumont montre la richesse du vocabulaire cicéronien de l’inspiration : vocabulaire du mouvement, de la chaleur, du souffle ; le lexique de l’inspiration prophétique repose sur un arrière-plan grec, notamment le Phèdre de Platon, et recoupe dans une large mesure celui de l’inspiration poétique. Bruno Poulle, quant à lui, s’attache à la nécromancie, ensemble de pratiques qui n’appartiennent ni aux traditions romaines, ni, encore moins, à la religion publique de Rome ; pour les désigner, le latin de Cicéron recourt donc à des emprunts au grec ou à des mots qui relèvent d’un lexique détourné de son sens habituel. On connaît les liens étroits qui unissent la divination romaine à la divination étrusque. C’est sur la langue étrusque que porte, pour finir, l’article de Dominique Briquel, plus précisément sur les nomina Tusca transmis par Dioscoride, ces noms de plantes donnés comme étrusques, et sur leurs éventuels rapports avec la littérature sacrée de tradition tyrrhénienne. Ces six études, on l’aura compris, sont très loin de couvrir l’ensemble du domaine et laissent de nombreuses voies ouvertes à la recherche.

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Signum et significare dans le vocabulaire de la divination : du signe au présage Stéphane DOROTHÉE Université de Rennes 2

C. Moussy (1977 : 353), dans son étude de monstrum, R. Bloch (1984) ou J. Champeaux (2005 : 214) s’accordent chacun sur ce point : à Rome, les monstra, ostenta, portenta et omina n’ont pas vocation à préfigurer l’avenir, mais à avertir. La « plus ancienne divination romaine », réaffirme J. Champeaux (2005 : 212), à la suite de Bouché-Leclercq (18791882), « se soucie peu de prédire l’avenir. Une seule préoccupation l’habite : obtenir, pour l’action humaine, l’assentiment, donc la garantie des dieux ». Mais dès la fin de l’époque royale, les haruspices étrusques et les livres Sibyllins grecs « introduisent d’autres modes d’appréhender l’avenir. Avec eux s’installe dans la divination publique la prédiction ». Puis au Ier siècle av. J.-C., en pleine époque républicaine, prédictions et pressentiments « s’introduisent dans le vocabulaire et la théorie de la divination ». Les noms du prodige, tels monstra, ostenta ou portenta, les substantifs désignant les signes que l’on entend ou que l’on observe, tels omina et auspicia, sont désormais susceptibles de dénoter des signes prédictifs. Si le fait est étonnant pour les vocables que nous venons de citer, l’est-il également pour signum, terme qui fut employé comme hyperonyme dans le contexte de la divination ? 1. Signum au sens de « signe » en dehors du contexte de la divination : y a-t-il une tendance du lexème à désigner un signe précurseur ? Dès l’époque archaïque, signum a signifié « signe », mais les occurrences restent ponctuelles. En effet, Plaute ne l’emploie que 3 fois dans ce sens et le lexème n’y dénote jamais un signe précurseur. Dans les trois occurrences, une action est considérée comme un signe que le locuteur interprète sans difficultés. Ainsi, dans l’exemple suivant, les 15

applaudissements sont traditionnellement le signe que les spectateurs sont satisfaits du spectacle : Et si placuimus neque odio fuimus, signum hoc mittite, qui pudicitiae esse uoltis praemium : plausum date. (Plaute, Capt. 1035-1036) « Et si vous le voulez bien et que nous ne vous avons pas ennuyés, envoyez-nous ce signe [il fait le geste d’applaudir], vous qui voulez qu’il y ait une récompense pour la vertu : applaudissez. » On peut dès lors définir le sens de « signe » de cette façon : /Ce qui renvoie/ /à quelque chose d’autre/ /et qui en est caractéristique/. Ce n’est qu’après l’époque archaïque que signum est à même de dénoter un signe annonçant un fait à venir, comme dans cet exemple où Suétone évoque la cruauté de Domitien : Et quo contemptius abuteretur patentia hominum, numquam tristiorem sententiam sine praefatione clementiae pronuntiauit, ut non aliud iam certius atrocis exitus signum esset quam principii lenitas. (Suétone, Dom. 11) « Et pour abuser avec encore plus de mépris de la patience des hommes, il ne prononça jamais une sentence de mort sans un préambule clément, si bien qu’il n’y avait désormais rien de plus certain, comme signe d’une issue atroce, que la douceur du prince. » Ici le comportement un peu trop prévenant de l’empereur envers un de ses sujets était le signe de sa condamnation à mort. Le rapport causeconséquence, tout à fait cruel dans ce contexte, établi entre le signe et l’événement à venir qu’il indique (la mort du sujet), est d’autant plus attendu qu’il est devenu habituel. Mises à part quelques rares occurrences de cette sorte, c’est avant tout dans le contexte technique que signum a dénoté un signe annonciateur. Il faut alors se demander si cette dénotation s’explique par l’apparition d’un nouveau sens (signum dénote un signe annonciateur parce qu’il signifie « signe annonciateur ») ou s’il ne s’agit que d’un emploi spécifique du sens de « signe ».

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1.1. Le vocabulaire médical : les signa morbi en dehors des traités médicaux En dehors des traités médicaux, c’est avant tout dans le contexte agricole qu’il est question de « symptômes », ceux que l’on constate chez les bêtes. Ainsi dans les Géorgiques, Virgile reprend une expression qu’employait déjà Varron (R.R. II, 1) à 4 reprises, où causa et signum sont coordonnés. Morbi (ou morborum) est alors employé comme complément de détermination : Morborum quoque te causas et signa docebo (Virgile, Georg. III, 440), « Je vais également t’enseigner les causes et les symptômes des maladies ». Les symptômes de cette maladie chez la brebis sont décrits un peu plus loin par le poète : « la fièvre desséchante », le fait de « brouter sans entrain la pointe des herbes et de marcher la dernière à la traîne, ou de s’affaisser au milieu de la plaine en paissant. ». Ici, le signum est le signe d’un fait actuel, par exemple la gale, il n’annonce rien. Le lexème signifie toujours « signe », mais dénote un signe spécifique, celui d’une maladie. La traduction par « symptôme » n’est que le reflet d’un emploi d’un terme qui s’est spécialisé dans le vocabulaire médical, comme le souligne le rapprochement contextuel avec morbus et causa. Parce que le symptôme « renvoie » à une maladie et qu’il en est « caractéristique », le substantif peut être défini par le sémème qui formalisait déjà le sens général de « signe » : /Ce qui renvoie/ /à quelque chose d’autre/ et /qui en est caractéristique/. Mais dans des contextes assez similaires à l’exemple précédent, on constate que signum est à même de changer de sens. C’est le cas lorsque les signa morbi deviennent des signa mortis. Dans une occurrence extraite de Lucrèce, les signa décrits par le poète ressemblent fort à des signa morbi et ce d’autant plus qu’il est question de la peste d’Athènes : Multaque praeterea mortis tum signa dabantur : perturbata animi mens in maerore metuque, triste supercilium, furiosus uoltus et acer, sollicitae porro plenaeque sonoribus aures, creber spiritus aut ingens raroque coortus, sudorisque madens per collum splendidus umor, tenuia sputa minuta, croci contacta colore salsaque, per fauces rauca uix edita tussi. (Lucrèce, VI, 1182-1189)

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« Et de nombreux signes annonçant la mort se présentaient alors en plus : un esprit troublé dans le désespoir et la crainte, le sourcil sévère, le visage furieux et acerbe, les oreilles également troublées et remplies de bourdonnements, une respiration précipitée ou longue et se produisant rarement, les gouttes luisantes de la sueur coulant sur le cou, des crachats ténus, minuscules, contaminés du fait de leur couleur safran et salés, extirpés avec peine de la gorge par une toux rauque. » Les symptômes de la peste (« l’esprit troublé, une respiration longue et rare, les gouttes de sueur, le sourcil sévère… ») deviennent des signes d’une mort certaine : les pestiférés n’étant pas encore morts, le syntagme signa mortis ne signifient pas « signes de la mort », c’est-à-dire des signes qui indiquent qu’une personne est morte, mais « signes annonçant la mort ». On trouve un exemple comparable dans un extrait des Géorgiques. Il est cette fois-ci question d’animaux malades. Le génitif adnominal mortis, que l’on trouvait chez Lucrèce, est ici remplacé par le syntagme prépositionnel ante exitium. La précision temporelle apportée par ce complément circonstanciel indique que les signa ne sont pas, encore une fois, simplement les « signes » que le cheval est malade mais plutôt qu’il va mourir : Labitur infelix studiorum atque immemor herbae Victor equos fontisque auertitur et pede terram Crebra ferit ; demissae aures ; incertus ibidem Sudor et ille quidem morituris frigidus ; aret Pellis et ad tactum tractanti dura resistit. Haec ante exitium primis dant signa diebus. (Virgile, Georg. III, 498-503) « Il tombe, malheureux dans ses efforts et oublieux de l’herbe, le cheval victorieux, et il se détourne des sources et frappe fréquemment la terre de son sabot ; les oreilles pendantes ; et, à cet endroit, coule une sueur inquiétante et, qui plus est, celle-ci devient froide pour ceux qui vont mourir ; sa peau est sèche et dure, elle résiste, au toucher, à celui qui la palpe. Tels sont les signes précurseurs qui s’offrent, dès les premiers jours, avant la mort. » Dans ces deux occurrences, les symptômes annoncent donc un événement, ici la mort, et servent de ce fait pour un pronostic et non plus pour un diagnostic, comme c’était le cas pour le premier exemple cité de Virgile. 18

Signum a pris le sens de « signe précurseur ». Aussi une nouvelle définition du sens, un nouveau sémème de signum, s’impose-t-il pour les deux dernières occurrences : /Signe/ / caractéristique / /d’un événement/ /futur/. J.-P. Aygon (2003) a commenté ces deux passages poétiques, ainsi que les vers précédant chacun des deux, dans son article intitulé « Météorologie et épidémie », où il montre de quelle façon les poètes ont lié les épidémies à l’état de l’atmosphère : Lucrèce et Virgile ont tous deux mis en rapport la présence d’un air inhabituel avec l’arrivée imminente d’une épidémie, de la peste, pour le premier, et de l’épizootie du Norique, pour le second. Ce lien entre la météorologie et la médecine perdurera dans la mesure où, comme nous le verrons, le sens de signum, lorsque le lexème désigne un « signe météorologique », signifie à nouveau « signe précurseur ». Dans le contexte médical, signum oscille donc entre les sens de « signe » et de « signe précurseur », constat que l’on peut de nouveau faire pour un traité de médecine à proprement parler comme le De medicina de Celse. 1.2. Signum dans le De medicina de Celse Au premier abord, et si l’on s’en tient aux chapitres 2 à 8 du livre II de Celse, on constate avec I. Mazzini (1999 : 61) que pour l’auteur latin, le signum sert avant tout à établir un pronostic alors que les auteurs hippocratiques employaient sèmeion aussi bien dans le cadre d’un diagnostic que dans celui d’un pronostic : Ac si circa septimum diem tale esse coepit, in proximum est, ut is circa quartum decimum diem decedat, nisi alia signa mitiora peioraue accesserint ; quae quo leuiora grauioraue subsecuta sunt, eo uel seriorem mortem uel maturiorem denuntiant. (Celse, Med. II, 6, 9) « Mais si, environ au septième jour, l’un des deux se présente, il est probable que le patient meure à peu près au quatorzième jour, sauf si d’autres symptômes surviennent, meilleurs ou pires ; et ces signes, qui ont suivi, selon qu’ils ont été plus légers ou plus pénibles, annoncent une mort soit retardée soit imminente ».

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L’exemple fait apparaître le verbe dēnuntiāre qui comporte un sème /futur/ ou /à venir/. Mais ce sont avant tout des épithètes de signum qui montrent que le substantif est employé dans le cadre d’un pronostic, ce que l’on constate à nouveau dans l’exemple suivant : Si mulier a partu uehementes dolores habet, neque alia praeterea signa mala sunt, circa uicensimum diem aut sanguis per nares erumpet, aut in inferioribus partibus aliquid abscedet. (Celse, Med. II, 7, 8) « Si, après l’accouchement, une femme a de violentes douleurs et qu’il n’y a pas, en plus, d’autres mauvais symptômes, le vingtième jour environ, soit le sang jaillira des narines, soit quelque chose se formera en abcès dans les parties inférieures ». Enfin, s’il est vrai que, dans le livre II du De medicina, Celse semble ne s’intéresser qu’au pronostic, nous pouvons toutefois rappeler un exemple du livre V, cité par I. Mazzini (1999 : 61), dans lequel signum désigne un symptôme dans le cadre d’un diagnostic, celui du cancer : Omnis autem cancer non solum id corrumpit, quod occupauit, sed etiam serpit ; deinde aliis aliisque signis discernitur. (Celse, Med. V, 26, 31B) « Or, tout cancer ronge non seulement ce qu’il a d’abord attaqué, mais il se propage aussi ; ensuite, on le décèle par divers symptômes ». Dans ces trois extraits de Celse, signum signifie tour à tour « signe précurseur » et « signe ». Encore une fois, soulignons que seule l’influence du contexte médical nous invite à traduire par « symptôme ». 1.3. Signum dans le vocabulaire météorologique Si dans le contexte médical, signum oscille entre le sens de « signe » et l’acception restreinte de « signe précurseur », il ne semble pas en être de même quand il entre dans le vocabulaire de la météorologie. Commençons par souligner avec J. Soubiran (2003 : 49) que les Anciens comprenaient par météorologie « la prévision du temps » et non « l’étude scientifique des phénomènes atmosphériques ».

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De nombreux passages du De diuinatione de Cicéron donnent des exemples de signes qui ne relèvent pas de la divination, mais de la météorologie. Ainsi, la nature peut elle-même donner des signes du futur, comme les signes de changements de temps : Atqui ne illa quidem diuinantis esse dicebas, uentos aut imbres inpendentes quibusdam praesentire signis (in quo nostra quaedam Aratea memoriter a te pronuntiata sunt), etsi haec ipsa fortuita sunt ; plerumque enim, non semper eueniunt. (Cicéron, Diu. II, 14) « Mais tu disais que prévoir, grâce à certains signes, des vents ou des pluies imminents n’était pas non plus de l’ordre de la divination (et à ce sujet, tu as cité, de mémoire, certains de mes Aratea), même si ces phénomènes mêmes sont le fruit du hasard ; car ils se produisent la plupart du temps. » Le verbe praesentire, dont le complément de moyen est l’ablatif signis, fait clairement apparaître le rôle du « signe » : il annonce, car l’habitude permet de lier tel signe à l’arrivée imminente de tel phénomène atmosphérique. La présence d’exemples de signes météorologiques dans cet ouvrage consacré à la divination n’est guère étonnante dans la mesure où un rapport est constamment établi entre ceux-ci et les signes divinatoires. Ainsi, J. Kany-Turpin (2003 : 367) rappelle les différents éléments qui permettent au frère de Cicéron, Quintus, d’affirmer que les faits météorologiques sont ceux qui se rapprochent le plus des signes de la divination : - la foudre, le tonnerre et les oiseaux sont considérés comme des signes dans les deux domaines ; - repérer les signes et reconnaître leur concordance avec le fait signalé sont rendus possibles par l’habitude ; - il est inutile d’enquêter sur les causes car l’accomplissement du fait annoncé suffit à l’intelligence. En outre, même si Marcus, dans la deuxième partie du traité, s’applique à contredire son frère, il ne conteste pas vraiment ce rapprochement entre les deux arts, mais constate une différence essentielle selon lui : ceux qui pratiquent les prévisions météorologiques sont des experts, dont le champ d’application est défini, contrairement à ceux qui s’adonnent à l’art divinatoire. Les signes météorologiques sont donc des « signes précurseurs » et leur caractère habituel et répétitif permet d’entrevoir le phénomène qui va les suivre, comme ce sera le cas, selon Quintus, pour les signes divinatoires. 21

Par conséquent, dans les exemples précédents, il s’agit de la même acception que l’on trouvait dans le contexte médical lorsque signum faisait partie d’un pronostic. Mais dans le vocabulaire technique de la météorologie, on observe que signum est systématiquement lié à l’idée de futur et de prédiction. Il signifie donc à chaque fois « signe précurseur ». 2. Signum dans le contexte de la divination Signum entre dans le vocabulaire de la divination à partir de l’époque cicéronienne. Aussi, pour plus de simplicité, limitons-nous notre étude aux emplois du De diuinatione de Cicéron. Ce traité met en évidence une influence de la pensée grecque : l’auteur y confronte deux points de vue sur la divination, ceux des personnages représentant son frère Quintus et luimême, Marcus. Le premier puise dans les exemples stoïciens pour prouver que la divination, en tant que « pressentiment et connaissance de l’avenir », existe. Il distingue deux types de divination : la divination « naturelle », celle des oracles et des songes dans lesquels les dieux s’expriment directement, et la divination « artificielle », celle des astrologues et des devins. Seule la première ne peut induire en erreur. Le second locuteur, Marcus, ferme partisan des traditions religieuses romaines, affirme que même la divination « naturelle » n’est pas fiable : Quid ? Quod aliis auibus utuntur, aliis signis, aliter obseruant, alia respondent, non necesse est fateri partim horum errore susceptum esse, partim superstitione, multa fallendo ? (Cicéron, Diu. II, 83) « Eh quoi ? Parce les uns et les autres utilisent des oiseaux différents, des signes différents, qu’ils observent des phénomènes différents, qu’ils donnent des réponses différentes, n’est-il pas nécessaire d’avouer que cela est dû en partie à leur erreur, en partie à la superstition et beaucoup à la tromperie ? » Et si elle n’est pas fiable, c’est qu’elle prétend prévoir l’avenir à partir de signes envoyés par les dieux, ces signes dont parle Quintus dans le passage suivant :

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Idemque mittit et signa nobis eius generis qualia permulta historia tradidit, quale scriptum illud uidemus : si luna paulo ante solis ortum defecisset in signo Leonis, fore ut armis Dareus et Persae ab Alexandro et Macedonibus uincerentur Dareusque moreretur ; […] (Cicéron, Diu. I, 121) « Et le même [dieu] nous envoie aussi des signes du type que l’histoire a rapportés en grand nombre, tel ce texte que nous lisons : si la lune s’éclipsait dans le signe du Lion, peu avant le lever du soleil, il arriverait qu’au combat, Darius et les Perses seraient vaincus par Alexandre et les Macédoniens et que Darius mourrait. » Non seulement Marcus récuse la capacité des signes divins, quels qu’ils soient, à annoncer l’avenir. Mais il va parfois même plus loin en refusant une origine divine à des phénomènes, des événements que son frère considère comme des signes divins et qui comme tels demandent donc une interprétation : Nam quod eodem tempore stellas aureas Castoris et Pollucis Delphis positas decidisse, neque eas usquam repertas esse dixisti, furum id magis factum quam deorum uidetur. Simiae uero Dodonaeae improbitatem historiis Graecis mandatam esse demiror. Quid minus mirum quam illam monstruosissimam bestiam urnam euertisse, sortes dissupauisse ? Et negant historici Lacedaemoniis ullum ostentum hoc tristius accidisse ! (Cicéron, Diu. II, 68-69) « Quant au fait qu’à la même époque, disais-tu, les étoiles d’or de Castor et Pollux, déposées à Delphes, étaient tombées et qu’elles n’ont pu être retrouvées nulle part, il semble que ce soit plus un événement dû à des voleurs qu’aux dieux. Mais que la malice du singe de Dodone ait été consignée par les historiens grecs m’étonne. Quoi de moins étonnant que cette bête absolument monstrueuse ait renversé une urne et qu’elle en ait dispersé les sorts ? Et les historiens disent qu’il n’est pas arrivé de prodige plus funeste aux Lacédémoniens ! » S. William-Rasmussen (2000 : 15) rappelle que la question de savoir si notre auteur croit que les prodiges, comme ceux décrits dans l’exemple précédent, sont des signes divins n’a finalement que très peu d’importance, puisqu’il les respecte de fait en tant qu’institution 23

profondément liée au mos maiorum4. Elle souligne en outre que Cicéron n’avait probablement pas pour but de trancher mais plutôt d’exposer deux doctrines philosophiques différentes, celle des Académiciens et celle des Stoïciens, qu’il veut rendre accessibles aux lecteurs latins. C’est pourquoi que les prodigia soient réellement ou non envoyés par les dieux, et qu’ils soient, comme les auspicia, caractéristiques ou non d’un événement futur, ils doivent être considérés, pour la paix de la République5, comme des signa, c’est-à-dire comme des « signes divins annonçant un événement à venir ». Autrement dit, que le locuteur rejette ou défende le fait que certains phénomènes sont des signa envoyés par les dieux, susceptibles de prédire l’avenir, il le fait en fondant son discours sur un nouveau sens de signum, celui de « présage ». Le substantif signum, en servant d’hyperonyme dans le vocabulaire de la divination, a évolué, par restriction de sens, vers une nouvelle acception : / Signe / / envoyé par les dieux / / caractéristique d’ / / un événement / / futur /. Notons que cette évolution de sens se fait avec d’autant plus de facilité que signum a de toute façon une propension à dénoter, dans d’autres contextes, un signe précurseur, comme nous l’ont montré les exemples de la partie précédente. Du reste, cette tendance du substantif explique probablement certains emplois de significare. 3. Significare J.-P. Brachet (1999) distingue bien les emplois de significare avec sujet animé dont le sens est « indiquer, faire voir », de ceux, avec sujet inanimé, tout en soulignant que la traduction du verbe sera différente : dans le cas d’un sujet inanimé, il n’est guère possible d’envisager une volonté particulière de « faire signe ». C’est pourquoi le verbe sera plutôt traduit par « laisser voir, montrer ». Ajoutons que, sans entrer dans les détails, cette traduction est le reflet d’une nouvelle acception du verbe et non d’un simple 4 Cf. Leg. II, 20. J. Linderski (1995 : 462) rappelle que tout citoyen romain se devait de maintenir la religion d’État et toutes les formes de divination qui en font partie. Le collège des augures était ainsi conservé parce qu’il rendait de grands services à l’État et parce que le peuple était superstitieux. 5 Cf. Diu. II, 70 : « Je crois que Romulus, qui a fondé Rome après avoir pris les auspices, croyait que l’art augural consistait à prévoir l’avenir – les Anciens se trompaient en fait souvent : cet art, nous le constatons, a changé par l’usage, sous l’influence du savoir ou par l’effet de l’évolution. Mais pour les croyances populaires et pour le plus grand bénéfice de la République, on conserve la tradition, le système religieux, l’art et le droit auguraux… ».

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emploi. Avec le sens de « laisser voir », c’est une proposition infinitive que le verbe régit le plus souvent : Nec enim figura corporis nec ratio excellens ingeni humani significat ad unam hanc rem natum hominem, ut frueretur uoluptatibus. (Cicéron, Fin. II, 41) « En effet, ni la forme du corps ni l’excellent état de l’intelligence humaine ne montrent que l’homme est né pour cette unique chose, jouir des plaisirs ». Le sémème de cette acception de significare peut être ainsi défini : /Être signe/ /de quelque chose/. À partir de cette acception générale de « laisser voir » se sont développés divers emplois spécifiques de significare. L’un d’entre eux a probablement fait évoluer le sémème du verbe vers une nouvelle acception. Ainsi, à la suite de J.-P. Brachet (1999 : 34), soulignons que significare est particulièrement attesté dans le contexte de la divination. Le verbe suit en cela l’évolution du substantif signum qui, au cours de son histoire, a signifié « présage ». Comme J.-P. Brachet (1999 : 35) l’a très justement fait remarquer, significare continue à se gloser par « être signum de », mais, dans le contexte de la divination, l’expression peut être précisée par « être présage de ». Mais, contrairement à ce qu’avance J.-P. Brachet (1999 : 32), significare n’est pas le verbe de la divination uniquement dans les textes qui abordent ce thème de manière théorique, comme le De diuinatione. En effet, chez Suétone, par exemple, nous recensons deux occurrences sur dix, dans lesquelles le verbe peut être traduit par « présager » et ce probablement parce qu’il a ici changé de sens, de même que signum était passé du sens de « signe » à celui de « présage » : Nec defuerunt qui interpretarentur significari rerum mutationem successurumque iuueni senem, hoc est ipsum Neroni. (Suétone, Gal. 8) « […] et il n’en manqua pas pour interpréter que cela présageait un changement de régime et qu’un vieillard succéderait à un jeune homme, c’est-à-dire lui-même [Néron] ». Observons que l’emploi du futur dans la proposition infinitive influence la traduction par « présager », laquelle n’est peut-être pas le reflet d’une 25

acception, mais d’un simple emploi spécifique. En revanche, l’exemple suivant semble confirmer l’évolution du verbe vers le sens de « présager » : […] equem natum apud se, cum haruspices imperium orbis terrae significare domino pronuntiassent, magna cura aluit […]. (Suétone, Caes. 61) « […] et, comme les haruspices avaient annoncé que ce cheval né chez lui présageait à son maître l’empire du monde, il le nourrit avec grand soin […] ». César, dans cet extrait, ne possède pas encore « l’empire du monde », c’est pourquoi l’acception de significare doit être manifestement plus précise que celle de « laisser voir, montrer ». Le verbe doit contenir un trait sémique /événements futurs/, comme continue de le confirmer l’exemple poétique suivant, extrait d’Ovide, où Byblis évoque le rêve dans lequel elle s’unit à son frère : Quid mihi significant ergo mea uisa ? Quod autem somnia pondus habent ? an habent et somnia pondus ? (Ovide, Met. IX, 495-496) « Qu’annoncent pour moi ces visions ? Mais quel poids ont les songes ? Est-ce que vraiment les songes ont du poids ? » Ici, la jeune fille sait déjà ce que signifie le rêve puisque, dans les vers précédents, elle souhaitait que Caunus ne fût pas son frère, pour l’aimer librement et sans être criminelle. Si donc elle s’interroge ici, ce n’est pas tant sur le sens du songe que sur ce qu’il préfigure : elle s’interroge sur ce qu’elle ne sait pas encore, sur ce qui n’est pas encore arrivé. 4. Conclusion Médecine, météorologie et divination sont autant de domaines techniques qui demandent un vocabulaire spécialisé et qui n’ont pas hésité à employer signum pour dénoter toutes sortes de signes, dans les contextes les plus spécifiques. Paradoxalement, c’est son sens général de « signe » qui a permis à signum d’intégrer les lexiques les plus spécialisés. Certains d’entre eux, comme le vocabulaire médical et, plus encore, celui de la météorologie nous ont montré la tendance de signum à dénoter un signe précurseur. Aussi, étant donné l’évolution de la conception de la technique divinatoire, n’est-il finalement guère étonnant que le lexème ait trouvé parfaitement sa place 26

dans le vocabulaire d’une discipline qui a fini par privilégier la notion de prédiction. Du sens général de « signe » il a ainsi évolué vers l’acception plus restreinte de « présage », qui a influencé son dérivé-composé significare. Une question reste toutefois en suspens : signum a-t-il originellement une prédisposition à dénoter un signe précurseur (la question se pose d’autant plus que Plaute n’offre aucun exemple du substantif avec le sens de « signe précurseur ») ? Ou est-ce sous l’influence d’une discipline divinatoire, qui a fini par voir en chaque phénomène un signe prédictif, qu’il a pu dénoter un signe précurseur d’abord dans le contexte de la divination, puis dans n’importe quel contexte ?

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MOUSSY, C., « Esquisse d’une histoire de monstrum », REL, 55, 1977, pp. 345369. SOUBIRAN, J., « La météorologie à Rome : thèmes et textes », in La Météorologie dans l’Antiquité, C. Cusset (éd.), Centre Jean Palerne, Saint-Etienne, 2003, pp. 4964. WILLIAM-RASMUSSEN, S., « Cicero’s Stand on Prodigies. A Non-existent Dilemma ? », in Divination and Portents in the Roman World, Actes du colloque de l’Université de Southern (mai 1998), R. Lorsch-Wildfang et J. Isager (éds.), Odense, 2000, pp. 9-24.

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Miraculum : y a-t-il un « miracle » païen ? Jacqueline CHAMPEAUX Université de Paris-Sorbonne (Paris IV)

Miraculum est un des noms latins du prodige, mais un nom mineur, un parent pauvre, en quelque sorte, dans la langue de la divination romaine. Autant les dénominations canoniques du prodige, prodigium, monstrum, portentum, ostentum, ont, de tout temps, été étudiées, autant la place et le sens même de miraculum restent mal définis. C’est le terme générique sous lequel saint Augustin rassemble « l’exubérante forêt des faits merveilleux » qu’on nomme monstra, ostenta, portenta, prodigia, l’ensemble indéterminé des manifestations prodigiales qu’il essaie de distinguer par l’étymologie. De tous, et c’est leur caractère commun, « on dit qu’ils se produisent contre nature » — ce qui est, pour nous encore, la définition même du prodige1. L’habillage stylistique, l’accent mis sur les miracula sont le fait d’Augustin. Varron, sa source probable2, était plus sobre et plus neutre, quand il dénombrait, sur le même plan, les « cinq sortes de prodiges »3. À l’intérieur de cet ensemble, les commentateurs modernes,

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Ciu. 21, 8, p. 507 D : Vnde illorum quoque miraculorum multitudo siluescit, quae monstra ostenta, portenta prodigia nuncupantur… Nobis tamen ista, quae uelut contra naturam fiunt et contra naturam fieri dicuntur… et monstra ostenta, portenta prodigia nuncupantur. Suit une série d’étymologies : Monstra sane dicta perhibent a monstrando… et ostenta ab ostendendo, et portenta a portendendo… et prodigia, quod porro dicant, id est futura praedicant. Les étymologies indiquées par Augustin (cf. n. préc.) ne diffèrent pas de celles de Varron, d’après Isidore (également Servius Dan., infra, n. 3 et 10). Augustin nomme Varron deux fois dans les pages qui précèdent, ciu. 21, 8, p. 504 et 506 D, pour le De gente populi Romani. Isidore, Diff. 1, 397 (459), éd. C. Codoñer, Les Belles Lettres : quinque sunt autem genera prodigiorum, ut Varro dicit, id est, ostentum, portentum, prodigium, miraculum, monstrum = III b Card. Dans les lignes qui précèdent (1, 395-397 Codoñer), seuls, toutefois, sont analysés portentum, monstrum, ostentum, prodigium. Je relève notamment, en 397 : Sed portentum dictum a portendendo, id est porro ostendendo, sicut et prodigium, quod porro

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historiens ou linguistes, qui énumèrent les dénominations du prodige, ne nomment le miraculum qu’épisodiquement, comme un accessoire ou un complément plus ou moins superflu des termes consacrés qui, eux, ont droit de cité4. Cette indifférence est due à deux causes : le statut marginal du miraculum et, aussi, les limites du corpus. Miraculum n’est pas un terme technique de la divination. Le mot n’appartient pas en propre à la langue religieuse, mais fait partie de la langue courante, et ses emplois relèvent du profane aussi bien que du sacré. Ce qui ne veut pas dire que les premiers soient indifférents à notre sujet, tant la frontière est perméable entre le profane et le sacré. Par ailleurs, ce fut l’une de mes surprises quand j’ai commencé à travailler sur cette question5, que de constater l’absence presque totale de miraculum chez des auteurs où l’on s’attendait à le lire. Qu’il n’y en ait aucun exemple dans le théâtre comique, ni chez Plaute, ni chez Térence, passe encore. Mais qu’on n’en lise qu’un seul dans toute l’œuvre de Cicéron6, auteur de deux traités de philosophie religieuse et d’un discours Sur la réponse des haruspices, voilà qui surprend davantage. Ses listes des noms du prodige ne comprennent que les quatre termes reconnus7 : Varron, son contemporain, s’exprime en grammairien ; Cicéron, en praticien de la divination, augure et prêtre public du peuple romain. Chez Virgile aussi, un seul exemple de miraculum8. Le seul corpus étoffé sur lequel j’ai travaillé est donc l’œuvre de Tite-Live, avec ses 39 exemples, dont 25 pour la seule dicat, id est futura de longe praedicat. Monstrum sane a monitu uel a monstrando dictum… Miraculum n’est l’objet d’aucune remarque particulière. 4 Quand miraculum n’est pas simplement signalé, sans autre commentaire, les définitions proposées restent vagues. Bouché-Leclercq (1882 : 77 sequ.) : « Miraculum n’est pas une expression technique : le mot ne qualifie pas l’objet en lui-même, mais exprime l’impression qu’il fait sur l’observateur » ; Benveniste (1969 : 255) ; Bloch (1963 : 84 sequ.) : « Enfin miraculum, issu de mirus, étonnant, merveilleux, évoque seulement l’émerveillement du spectateur en présence du phénomène rare envoyé par les Dieux » ; Guillaumont, dans son « Index du vocabulaire de la divination » (1984 : 186-190, spécialement 189) ; Moussy (2010 : 37) ; Moussy (2011 : 57, 59, 65 n. 35, 75 n. 79) ; Engels (2007 : 57, 197, 200-202, 259-263). 5 À partir du Thesaurus, VIII, col. 1053-1059 (article dû à Bulhart), et des lexiques ou concordances des divers auteurs. 6 Nat. deor. 1, 18 (cf. ci-dessous, p. 39). 7 Nat. deor. 2, 7 : Praedictiones uero et praesensiones rerum futurarum quid aliud declarant nisi hominibus ea quae sint ostendi, monstrari, portendi, praedici, ex quo illa ostenta, monstra, portenta, prodigia dicuntur ; Diu. 1, 93 : Quorum quidem uim, ut tu soles dicere, uerba ipsa prudenter a maioribus posita declarant. Quia enim ostendunt, portendunt, monstrant, praedicunt, ostenta, portenta, monstra, prodigia dicuntur. 8 Georg. 4, 441 : Protée omnia transformat sese in miracula rerum.

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première décade — ce qui est déjà un indice9 —, complété, le cas échéant, par quelques exemples historiques empruntés à Valère Maxime et Tacite. On pourra ainsi distinguer, comme par degrés, trois niveaux de « miracle » : le miraculum extraordinaire, purement humain, mais stupéfiant ; puis, dans le miraculum devenu prodige, mais un prodige d’un type spécial, le prodige douteux, suspect ; et, finalement, le bon prodige. Miraculum est dérivé de mirus, mirari : c’est la définition étymologique de Varron, miraculum, quod mirum est10, ce qui ne nous aide guère. Mais c’est un terme fort, qui va bien au-delà du banal mirari et qui, comme dans la langue française classique, comme le θαῦμα grec, exprime ce qui, par son caractère « inouï », provoque l’« étonnement », la stupeur ; il est associé, verbalement — on le verra dans les textes cités ci-dessous —, à stupere, stupor, nouus, nouitas, attonitus, audacia. Il s’accompagne de réactions émotionnelles violentes, cris, panique qui guette. Le français « miracle » de la langue commune, employé au sens figuré, non théologique, est toujours bon : « c’est un vrai miracle » ; « le miracle économique » (fragile par définition). Le miraculum latin, lui, est ambivalent. Il s’emploie en mal comme en bien ; et c’est même à ce sens négatif que ressortissent les premiers emplois attestés11, deux fragments de Caton et de Lucilius, où miraculum est pris en mauvaise part12. C’est aussi ce que disent les grammairiens : le miraculum ancien suscite l’« horreur »13, à l’égal du monstrum. C’est précisément à ce sens que renvoie le féminin miracula, forgé par Plaute pour se moquer des courtisanes, de vraies « horreurs »14. 9

Sur l’attitude complexe de Tite-Live à l’égard des faits prodigieux de toute nature, voir Levene (1993 : en particulier 16-30) ; Davies (2004 : 27-61). 10 Servius (Dan.), Aen. 3, 366 : PRODIGIVM CANIT prodigium, portentum et monstrum modico fine discernuntur, sed confuse pro se plerumque ponuntur. Varro sane haec ita definit : ostentum, quod aliquid hominibus ostendit ; portentum, quod aliquid futurum portendit ; prodigium, quod porro dirigit; miraculum, quod mirum est ; monstrum, quod monet = III b Card. 11 Pour un historique du mot, Serbat (1975 : 139, 187-189, 354). 12 Caton, Orat. frg. 8, 22 Malcovati : quamquam multa noua miracula fecere inimici mei, tamen nequeo desinere mirari eorum audaciam atque confidentiam. Lucilius, frg. 1, 13 Charpin : miracla ciet tylyphantas (mss. elefantas), « le fabricant de coussins fait des prodiges ». Lucilius raille la grécomanie de ses contemporains. 13 Fest. Paul. 110, 4 L : miracula, quae nunc digna admiratione dicimus, antiqui in rebus turpibus utebantur ; Nonius, 839, 27 L : mira et miracula ueteres pro monstris uel horrendis ponebant. 14 Plaute, Cist. 407 : diobolares, schoeniculae, miraculae. Seul exemple littéraire, selon le Thesaurus, VIII, col. 1053. Commenté par Varron, L.L. 7, 64 : in Cistellaria… miraculae a miris, id est monstris ; a quo Accius ait : « personas distortis oribus deformis miriones ».

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Chez Tite-Live, miraculum exprime la diversité des comportements humains hors normes, de l’exploit admirable, édifiant, à la traîtrise. Exploits surhumains des deux héros de la guerre contre Porsenna, Horatius Cocles qui, à lui seul, quand tous ses compagnons ont pris la fuite, défend contre les Étrusques le passage du pont Sublicius et, par le seul « prodige » de son audace, frappe l’ennemi de stupeur15 ; exploit de Mucius Scaevola qui fait brûler sa main droite sur le foyer du sacrifice, sous les yeux stupéfaits de Porsenna qui bondit de son siège pour l’en empêcher16. Exploit plus proche de la mesure humaine de C. Fabius Dorso qui, en plein siège de Rome par les Gaulois, sort du Capitole en tenue sacerdotale, traverse les lignes ennemies, se rend sur le Quirinal pour y célébrer le culte de sa famille et revient sur le Capitole avec la même audace tranquille17. Les hommes ordinaires, ennemis de préférence, Étrusques et Gaulois, sont sidérés par l’héroïsme à la romaine, qui tient du « miracle ». À l’inverse, relève aussi des miracula le comportement des traîtres, étrangers à la fides romaine — est-ce un hasard ? Ainsi, sous Tullus Hostilius, la défection masquée de l’Albain Mettius Fufetius qui « n’a pas plus de courage que de loyauté »18 et qui, sans quitter ouvertement le champ de bataille où s’affrontent les troupes de Rome et de Fidènes, s’en éloigne pour voir de quel côté tournera la chance19 et voler, le moment venu, au secours de la victoire. La première réaction des Romains est la stupeur,

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Tite-Live, 2, 10, 5 : Vadit inde in primum aditum pontis, insignisque inter conspecta cedentium pugnae terga, obuersis comminus ad ineundum proelium armis, ipso miraculo audaciae obstupefecit hostes. Les textes qui suivent sont, sauf indication contraire, empruntés à Tite-Live. 16 2, 12, 13-14 : … dextramque accenso ad sacrificium foculo inicit. Quam cum uelut alienato ab sensu torreret animo, prope attonitus miraculo rex, cum ab sede sua prosiluisset amouerique ab altaribus iuuenem iussisset, « Tu uero abi, inquit, in te magis quam in me hostilia ausus ». 17 5, 46, 1-3 : … ad id tantum intentis Gallis ne quis hostium euadere inter stationes posset, cum repente iuuenis Romanus admiratione in se ciues hostesque conuertit. Sacrificium erat statum in Quirinali colle genti Fabiae. Ad id faciendum C. Fabius Dorsuo gabino cinctu incinctus sacra manibus gerens cum de Capitolio descendisset, per medias hostium stationes egressus nihil ad uocem cuiusquam terroremue motus in Quirinalem collem peruenit ; ibique omnibus sollemniter peractis, eadem reuertens similiter constanti uoltu graduque, satis sperans propitios esse deos quorum cultum ne mortis quidem metu prohibitus deseruisset, in Capitolium ad suos rediit, seu attonitis Gallis miraculo audaciae seu religione etiam motis, cuius haudquaquam neglegens gens est. 18 1, 27, 5 : Albano non plus animi erat quam fidei. 19 1, 27, 6 : Consilium erat, qua fortuna rem daret, ea inclinare uires.

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miraculo esse20. La panique n’est pas loin, et il faut tout le sang-froid et la piété de Tullus Hostilius pour redresser la situation. On sait comment finit Mettius Fufetius : partagé, de cœur, entre Rome et Fidènes, il est de même écartelé entre deux quadriges, châtiment horrible et unique dans les annales de Rome (1, 28, 9-11). Miraculum également que l’usurpation de l’Étrusque Tarquin, qui s’assied sur le trône de Servius devant des sénateurs stupéfiés par ce geste inouï et qui tenait du prodige21. Non moins condamnables sont les aspirations de Sp. Maelius à la royauté, qui conduisent à la création d’un dictateur, situation inouïe, exceptionnelle22, qui se dénouera par la mort du coupable. Ou encore, même s’il reste virtuel, le projet, formé par quelques jeunes nobles, après la bataille de Cannes, d’abandonner l’Italie à Hannibal : désertion qui sidère les assistants et qui est heureusement contrecarrée par Scipion, déjà chef providentiel23. Ces épisodes héroïques ou ces crimes se situent dans l’instant ; ponctuels, ils sont de l’ordre de l’événement. Il advient aussi qu’un individu d’exception soit, par sa personnalité, un vivant prodige. Tel est le cas d’Évandre qui, aux temps mythiques où Hercule vivait encore sur terre, exilé venu d’Arcadie, régnait sur une contrée qu’il subjuguait par sa science de l’écriture, savoir quasi surnaturel pour ces populations illettrées de la protohistoire. Capable de déchiffrer les signes cabalistiques de l’écriture, Évandre devait leur apparaître comme une sorte de roi sorcier, d’autant qu’il était fils de la déesse Carmentis, dont les dons de prophétesse émerveillaient également ces peuples primitifs. Prestige plus qu’humain de la parole inspirée pour la mère, des secrets de l’écrit pour le fils24. En des temps plus évolués, à l’extrême fin du règne des Tarquins, Brutus stupéfie doublement les habitants de Collatie. Celui qui passait jusque-là pour un demeuré, le faible d’esprit de la famille royale, jette le masque. Le héros de la 20

1, 27,7 : Miraculo primo esse Romanis qui proximi steterant, ut nudari latera sua sociorum digressu senserunt. 21 1, 47, 9 : … alii iam ante ad hoc praeparati, alii metu ne non uenisse fraudi esset, nouitate ac miraculo attoniti et iam de Seruio actum rati. 22 4, 14, 1 : Postero die, dispositis praesidiis cum in forum descendisset conuersaque in eum plebs nouitate rei ac miraculo esset… 23 22, 53, 5-7 : Nobiles iuuenes quosdam, quorum principem L. Caecilium Metellum, mare ac naues spectare, ut deserta Italia ad regum aliquem transfugiant. Quod malum, praeterquam atrox, super tot clades etiam nouum, cum stupore ac miraculo torpidos defixisset qui aderant et consilium aduocandum de eo censerent, negat consilii rem esse [Scipio] iuuenis, fatalis dux huiusce belli. 24 1, 7, 8 : Euander tum ea, profugus ex Peloponneso, auctoritate magis quam imperio regebat loca, uenerabilis uir miraculo litterarum, rei nouae inter rudis artium homines, uenerabilior diuinitate credita Carmentae matris, quam fatiloquam ante Sibyllae in Italiam aduentum miratae eae gentes fuerant.

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République naissante se révèle. Il arrache le couteau du sein de Lucrèce, il jure de chasser les rois et associe à son dessein Collatin, Lucretius et Valerius, le mari, le père de la morte et le futur Publicola, stupéfaits du génie extraordinaire qui se manifestait en lui25. Puis tous trois ameutent la foule qui, surexcitée d’indignation et bouleversée par cet événement prodigieux26, prend les armes, en une scène à la David qui se déploie dans le registre héroïque27. 25

1, 59, 2 : Cultrum deinde Conlatino tradit, inde Lucretio ac Valerio, stupentibus miraculo rei, unde nouum in Bruti pectore ingenium. 26 1, 59, 3 : Elatum domo Lucretiae corpus in forum deferunt, concientque miraculo, ut fit, rei nouae atque indignitate homines. 27 Je compléterai ces relevés par les emplois où miraculum, sans valeur religieuse, exprime l’étonnement fort, mais qui n’a rien de prodigieux : 5, 39, 1-2 : étonnement des Gaulois, doublement frappés de stupeur, par la soudaineté de leur victoire, et cloués sur place, Gallos quoque uelut obstupefactos miraculum uictoriae tam repentinae tenuit, et ipsi pauore defixi primum steterunt ; puis, nouveau sujet d’étonnement, par le spectacle de Rome, ville ouverte, vide de défenseurs, ubi cum praegressi equites non portas clausas, non stationem pro portis excubare, non armatos esse in muris rettulissent, aliud priori simile miraculum eos sustinuit ; 6, 12, 2, où intervient le « je » de Tite-Live, stupéfait, à la lecture de ses sources, de la capacité de résistance des Volsques et des Èques, quod mihi percensenti propiores temporibus harum rerum auctores miraculo fuit, unde totiens uictis Volscis et Aequis suffecerint milites ; 7, 39, 15 : histoire « extraordinaire » de T. Quinctius que des soldats révoltés enlèvent pour en faire leur chef, imperator extemplo adueniens appellatus, insigniaque honoris exterrito subitae rei miraculo deferunt ; péripéties stupéfiantes de la guerre en 23, 16, 10, quand Marcellus retient son armée à l’intérieur des portes de Nola, Hannibali sub signis, id quod per aliquot dies fecerat, ad multum diei in acie stanti primo miraculo esse quod nec exercitus Romanus porta egrederetur nec armatus quisquam in muris esset ; 23, 47, 8 : Claudius Asellus qui, à la poursuite de Taurea, entre dans Capoue par une porte et en ressort par l’autre, cum refugientem ad urbem Tauream Claudius sequeretur, patenti hostium portae inuectum per alteram, stupentibus miraculo hostibus, intactum euasisse (mais l’anecdote est-elle crédible ?) ; 25, 8, 7 : complot de deux jeunes nobles qui feignent une partie de chasse, conspecta ea praeda iuuenum est minusque iterum ac saepius id eos audere miraculo fuit ; 25, 9, 14 : ils permettent à Hannibal d’entrer dans Tarente par surprise, inferentes aprum duos iuuenes secutus ipse cum expedito uenatore uigilem incautius miraculo magnitudinis in eos qui ferebant uersum uenabulo traicit ; 25, 36, 8-9 : en Espagne, tentative désespérée de Cn. Scipion, dont les soldats improvisent un retranchement avec ce qu’ils ont sous la main, bâts et bagages, Punici exercitus postquam aduenere, in tumulum quidem perfacile agmen erexere ; munitionis facies noua primo eos uelut miraculo quodam tenuit, cum duces undique uociferarentur quid starent ; 41, 11, 4 : le consul Claudius fait détourner le lit d’un fleuve, ce qui coupe l’eau à la ville qu’il assiège, ea res barbaros miraculo terruit abscisae aquae ; titre de roi qui fascine tous les mortels — sauf Scipion, en 27, 19, 6 : sensere etiam barbari magnitudinem animi, cuius miraculo

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Sans doute, nous sommes dans le monde des hommes, sur terre, non dans celui des signes envoyés par les dieux. Mais le sacré n’est jamais loin : sacré qui auréole le bon Évandre, fils d’une déesse, sacré que Tullus Hostilius met en œuvre pour contrer la basse manœuvre de Mettius Fufetius, quand il voue des temples à Pâleur et Panique, Pauor et Pallor (1, 27, 7). Dans un registre différent, le miraculum, cette fois, confine au prodige, défini comme un phénomène extraordinaire, qui ne peut s’expliquer par les lois communes de la nature. Se situent ainsi aux marges du prodige des faits dont le seul défaut est qu’ils sont douteux, illusions, fantasmes visuels ou auditifs, ou fables que le sens critique peine à accueillir. Prodiges, peut-être, pour la crédulité populaire ; mais on sait combien l’autorité romaine est vigilante sur la fiabilité du prodige. Il ne suffit pas qu’il soit inexplicable, il faut qu’il soit avéré, condition indispensable pour qu’il soit reconnu par l’État et expié par la procuratio annuelle. Des miracula de nature diverse entrent ainsi dans la catégorie du prodige suspect, à des degrés divers également, qui vont du faux manifeste au douteux et à l’incertain. Dans le pire des cas, on a affaire à des uana miracula, « faux » prodiges, simulés de toutes pièces et que la crédulité populaire est toujours prête à accueillir. Tite-Live offre deux exemples de ces subterfuges. En 217, les Romains se laissent prendre à une ruse de guerre : les Carthaginois, qui avaient un troupeau de bœufs, pillés çà et là, attachent à leurs cornes des torches enflammées qui mettent le feu à la montagne. Les Romains qui se croient encerclés abandonnent leur poste. Ils s’imaginent voir des animaux prodigieux qui soufflent du feu28. Jusqu’à ce que se dissipe l’illusion, trop tard pour qu’ils puissent empêcher Hannibal de s’échapper29. Plus nominis alii mortales stuperent id ex tam alto fastigio aspernantis ; 42, 62, 13 : caractère obstiné des Romains, que découvrent avec étonnement Persée et les Macédoniens, haec cum renuntiassent legati, miraculo ignaris moris pertinacia esse, et plerique uetare amplius mentionem pacis facere ; ou « merveille » de la nature en 32, 4, 4-5, sur la plaine basse de Thessalie, si semblable à la mer qu’on discerne à peine la limite entre la terre et les eaux, ce qui lui valut à la ville le nom de Thaumaci, ab eo miraculo Thaumaci appellati. 28 Comme les animaux fantastiques de la mythologie, la Chimère (Lucrèce, 2, 705 : tum flammam taetro spirantis ore Chimaeras) ; ou les chevaux légendaires de l’épopée, ceux de Diomède (Lucrèce, 5, 30 : et Diomedis equi spirantes naribus ignem) ; ou de Latinus (Virgile, Aen. 7, 281 : spirantis naribus ignem). 29 22, 16-17 ; 17, 4-6 : In quosdam boues palatos a suis gregibus inciderunt. Et primo cum procul cernerent, ueluti flammas spirantium miraculo attoniti constiterunt ; deinde ut humana apparuit fraus, tum uero insidias rati esse, cum maiore tumultu concitant se in fugam.

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spectaculaire encore, la panique provoquée chez les Romains en 356, dans la guerre contre les Falisques et les Tarquiniens, par l’irruption inopinée de leurs prêtres sur le champ de bataille : ils brandissaient des torches enflammées et des serpents qui les faisaient ressembler à des Furies. Une fois ramenés à la raison par leurs officiers, plus éclairés, qui se moquent de ces terreurs enfantines, les Romains se ressaisissent et remportent la victoire30. Il s’agit, dans les deux cas, de pures illusions d’une mentalité trop accueillante au « miracle », qui repose sur une erreur d’interprétation et se laisse duper par l’ennemi : il y a ce qu’on voit, et ce qu’on croit voir. On prend des bovins ordinaires pour des créatures prodigieuses. On prend des hommes pour des dieux. Le prétendu « prodige » est intégralement faux. On notera, dans ce dernier cas, la finesse avec laquelle Tite-Live analyse la mentalité prodigiale du Romain. Le simple soldat, plébéien superstitieux, est prêt à tout croire, que le « prodige » soit seulement reçu par lui ou qu’il ait été expressément conçu comme tel, forgé de toutes pièces par un ennemi avisé qui joue sur les peurs religieuses. Le commandement, « consul, légats et tribuns », est plus éclairé : issu des classes supérieures dans lesquelles se recrutent également les prêtres, il sait, lui, qu’il ne faut pas crier au « prodige » en toute circonstance et ne pas se laisser prendre au miraculum. Ce sont là des exemples manifestes de faux prodiges. Moins nettes, certaines manifestations auditives, non confirmées, laissent place au doute. En 509, quand les Étrusques essaient de rétablir Tarquin sur le trône, l’issue de la bataille reste indécise. Alors intervient le merveilleux : une voix sort de la forêt Arsia, qui proclame que les Étrusques ont eu un mort de plus que les Romains, qui sont donc — de peu — les vainqueurs. Cette voix de la forêt fut attribuée au dieu Silvanus31, et il n’en fut plus question par la suite : ce n’est qu’un miraculum. Les Romains se méfient de ces voix mystérieuses qu’on entend dans le silence des bois ou de la nuit : il faudra, en 391-390, la prise de Rome par les Gaulois pour qu’on accorde foi à l’humble plébéien qui avait annoncé aux magistrats qu’une voix « plus qu’humaine » 30

7, 17, 3-5 : Inde terror maximus fuit quod sacerdotes eorum, facibus ardentibus anguibusque praelatis, incessu furiali militem Romanum insueta turbauerunt specie. Et tum quidem, uelut lymphati et attoniti, munimentis suis trepido agmine inciderunt ; deinde, ubi consul legatique ac tribuni puerorum ritu uana miracula pauentes inridebant increpabantque, uertit animos repente pudor et in ea ipsa quae fugerant uelut caeci ruebant. Discusso itaque uano apparatu hostium, cum in ipsos armatos se intulissent, auerterunt totam aciem castrisque etiam eo die potiti praeda ingenti parta uictores reuerterunt, militaribus iocis cum apparatum hostium tum suum increpantes pauorem. 31 2, 7, 2 : Adiciunt miracula huic pugnae : silentio proximae noctis ex silua Arsia ingentem editam uocem ; Siluani uocem eam creditam ; haec dicta : « uno plus Tuscorum cecidisse in acie ; uincere bello Romanum ».

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l’avertissait de l’approche des barbares32. Alors seulement, après la confirmation qu’apportait l’événement, on éleva un sanctuaire au dieu qui avait « parlé », Aius Locutius33. Ainsi passe-t-on du miraculum douteux au prodige avéré. Lors de l’assaut final contre Véies, la voix, elle, bien humaine, de l’haruspice annonçant que celui qui découperait les entrailles de la victime aurait la victoire — et ce fut Camille — n’est, elle non plus, qu’une fabula. Mais le narrateur se garde de trancher entre le vrai et le vraisemblable, de confirmer ou de réfuter l’épisode où le merveilleux contribue à la « mise en scène » de l’histoire34. Fabulae encore que deux des épisodes les plus révérés de l’histoire nationale, qui se rapportent aux deux premiers rois, Romulus et Numa. L’histoire de la louve nourricière des jumeaux ne serait-elle qu’une fabula ? Tite-Live se garde bien d’émettre une opinion aussi sacrilège. C’est, tout au plus, celle des tenants de l’explication rationaliste, d’anonymes sunt qui qui autorisent toutes les allégations : la louve ne serait pas un animal prodigieux, mais une lupa bien humaine, une prostituée, l’épouse de Faustulus, qui traînait cette fâcheuse réputation parmi les bergers35. Tite-Live ne se prononce pas sur l’une des légendes les mieux attestées de la plus ancienne Rome. Mais le seul fait qu’il mentionne cette version alternative est déjà un indice. Autre miraculum, forgé, mais pour la bonne cause, par le pieux Numa. Le saint roi use d’une feinte (simulat) pour mieux implanter la religion dans l’âme de ses sujets : c’est la nymphe Égérie qui lui aurait inspiré sa législation religieuse, les rites (sacra) et les sacerdoces (sacerdotes)36. À Rome, les dieux ne se manifestent pas aux hommes en chair et en os, même dans le secret du bois des Camènes. La religion 32

5, 32, 6-7 : Eodem anno M. Caedicius de plebe nuntiauit tribunis se in Noua uia… uocem noctis silentio audisse clariorem humana, quae magistratibus dici iuberet Gallos aduentare. Id, ut fit, propter auctoris humilitatem spretum et quod longinqua eoque ignotior gens erat. 33 5, 50, 5 : Expiandae etiam uocis nocturnae quae nuntia cladis ante bellum Gallicum audita neglectaque esset mentio inlata, iussumque templum in Noua uia Aio Locutio fieri. 34 5, 21, 8-9 : Inseritur huic loco fabula : immolante rege Veientium, uocem haruspicis dicentis « qui eius hostiae exta prosecuisset, ei uictoriam dari », exauditam in cuniculo, mouisse Romanos milites ut adaperto cuniculo exta raperent et ad dictatorem ferrent. Sed in rebus tam antiquis si quae similia ueri sint pro ueris accipiantur, satis habeam : haec ad ostentationem scenae gaudentis miraculis aptiora quam ad fidem neque adfirmare neque refellere est operae pretium. 35 1, 4, 7 : Sunt qui Larentiam uolgato corpore lupam inter pastores uocatam putent ; inde locum fabulae ac miraculo datum. 36 1, 19, 5 : Qui cum descendere ad animos sine aliquo commento miraculi non posset, simulat sibi cum dea Egeria congressus nocturnos esse ; « eius se monitu quae acceptissima dis essent sacra instituere, sacerdotes suos cuique deorum praeficere ».

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romaine, qui se passe si bien des mythes, est rebelle aux épiphanies, apparitions divines ou voix surnaturelles. De même, Valère Maxime, qui consacre tout un chapitre aux miracula, distincts des prodigia, énumère les apparitions, comme celles des Castores à la bataille du lac Régille, ou les voix mystérieuses, comme celle de la statue de Junon qui, lors de la prise de Véies, accepte de se laisser emmener à Rome37. Miraculum, qui n’est pas un terme canonique de la religion, devient ainsi le nom que les esprits critiques donnent au « prodige », ou plutôt au phénomène qui n’a que les apparences du prodige et qu’ils n’acceptent pas comme tel. Miraculum renvoie à un surnaturel fallacieux qui n’a pas droit de cité dans la religion pragmatique du Romain. Le répertoire procuré par Valère Maxime n’en est que plus intéressant. Non qu’il établisse une distinction claire entre les prodiges et les miracles, rigoureusement définis. Les exemples qu’il donne y pourvoiront. Le moraliste traite, dans trois chapitres successifs du livre I, des prodiges (6), des songes (7), des miracles (8). Tout Romain sait ce qu’est un prodige. Nous savons ce qu’est un rêve. Mais les miracles ? Ce sont des phénomènes énigmatiques, comme des songes éveillés : aussi, puisqu’il est difficile de discerner « d’où ils viennent et de quelle façon ils se produisent, on les appelle à juste titre (je souligne) des miracles »38 — allégation qui laisse pour le moins perplexe. Les prodiges, cités d’après Tite-Live et présentés par une introduction de pure forme, sont d’abord des événements fameux, isolés, uniques, comme la flamme qui entoure la tête de Servius enfant ou la montée des eaux du lac Albain ; et, collectivement, répertoriés en listes de prodigia ou monstra, les bœufs et les bébés qui parlent, un nouveau-né à tête d’éléphant, les pluies de chair ou de pierres, le sang qui suinte sur des boucliers ou des épis de blé, ou qui se répand dans l’eau39, tous expiés par la procuration annuelle. Tite-Live ne parle pas autrement40. Mais Valère Maxime y ajoute une autre « flamme », celle qui en Espagne, pendant la seconde guerre punique, illumine la tête de L. Marcius, et qui laisse l’historien incrédule. Nous aurons à revenir sur ces divers épisodes. Au nombre des miracula (9 occurrences) figurent les épiphanies des Castores41 et la voix de la Junon de Véies (appelée à tort Junon Moneta), déjà citées, 37

1, 8, 1 a et 3. Cf. Mueller (2002 : 39-42 et 200, n. 110). Valère Maxime, 1, 8 pr. : Multa etiam interdiu et uigilantibus acciderunt perinde ac tenebrarum somniique nube inuoluta. Quae quia unde manauerint aut qua ratione constiterint dinoscere arduum est, merito miracula uocentur. 39 Valère Maxime, 1, 6, 1-3 et 5. 40 Cf. Tite-Live, 3, 10, 6 ; 21, 62, 2-5 ; 22, 1, 8-10 ; 27, 11, 5 ; 28, 11, 2-4 ; 35, 21, 4-5. 41 Valère Maxime, 1, 8, 1 a-c. À trois reprises : au lac Régille, au cours de la bataille ; pour annoncer à Rome la victoire de Pydna ; et, toujours à Rome, à la fontaine de Juturne, voisine de leur temple. 38

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mais aussi celles de Fortuna Muliebris, de Silvanus dans la forêt Arsia, la venue à Rome du serpent d’Épidaure, épiphanie d’Esculape, ou les objets sacrés que le feu ne détruit pas, lituus de Romulus gardé dans la curie des Saliens, ou statue du temple de Fortuna (que ce soit celle de Servius Tullius ou de la déesse)42. Catalogue déconcertant : Valère Maxime a raison, on ne connaît ni le pourquoi, ni le comment de ces « miracles ». Même pour un esprit comme le sien, moins critique devant le merveilleux que Tite-Live, le miraculum reste un objet non (ou mal) identifié de la religion romaine. Valère Maxime étudie les prodiges et les miracles dans deux chapitres séparés. Dans les exemples liviens que nous avons examinés jusqu’ici, le miraculum, faux ou seulement douteux (illusions créées par l’ennemi ou fabulae vénérables, mais qu’il vaut mieux ne pas scruter de trop près), exclut également le prodige. Dans quelques cas privilégiés, cependant, le miraculum gagne en dignité et s’élève au statut de prodige authentique, reconnu par l’État ou, pour les plus anciens, par la tradition. De cette assimilation entre le miraculum et le prodige, je vois la preuve dans les textes où se succèdent ou même alternent, dans le même passage et jusque dans la même phrase, où ils sont coordonnés, un des noms du prodige et notre miraculum, dès lors identifiés l’un à l’autre. Dans ce dernier cas, on notera même que miraculum est placé en second, soit comme un élargissement de la notion, une extension du prodige, soit comme un cas particulier du dit prodige, un « prodige » d’un type spécial en tout cas, joint à un portentum, plus intense peut-être que le simple et usuel prodigium. Ainsi dans l’unique exemple cicéronien, tiré du De natura deorum, où l’épicurien Velleius se moque avec l’assurance coutumière à sa secte de ces « prodiges et merveilles » que sont les théories des autres philosophes, gens qui rêvent au lieu de raisonner — tels le dieu architecte de Platon ou la Providence des stoïciens, traitée de « prophétesse sénile »43. Ou dans l’unique — lui aussi — exemple de Lucrèce, qui explique le phénomène de l’écho et le monde enchanté des campagnes, où les habitants croient 42 43

Valère Maxime, 1, 8, 2-5 et 11. Cicéron, Nat. deor. 1, 18 : Tum Velleius, fidenter sane, ut solent isti, nihil tam uerens quam ne dubitare aliqua de re uideretur, tamquam modo ex deorum concilio et ex Epicuri intermundiis descendisset, « Audite », inquit, « non futtilis commenticiasque sententias, non opificem aedificatoremque mundi, Platonis de Timaeo deum, nec anum fatidicam, Stoicorum Pronoeam, quam Latine licet Prouidentiam dicere, neque uero mundum ipsum, animo et sensibus praeditum, rotundum, ardentem, uolubilem deum, portenta et miracula non disserentium philosophorum sed somniantium ». Avec la même valeur, commente Guillaumont (1984 : 189), « monstra ou portenta se disent d’une doctrine philosophique que l’on juge aberrante » (cf. Nat. deor. 1, 28 ; 3, 91 ; Acad. 2, 123 ; Fin. 4, 70 ; Tusc. 4, 54).

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entendre les Satyres, les Nymphes, les Faunes et Pan lui-même qui joue de sa flûte : prodiges (dupliqués en latin, ce que le français ne peut rendre), merveilles qui séduisent le poète, mais que rejette le philosophe44. Mais les épicuriens ne croient pas aux prodiges… Ou dans un discours prêté par TiteLive aux tribuns de la plèbe, qui évoquent avec ironie « ce prodige, cette merveille » que serait l’ascension au consulat d’un plébéien ayant par ailleurs toutes les qualités requises45. Ou encore, et cette fois nous nous approchons du prodige « réel », lors de la montée des eaux du lac Albain. Tite-Live, écrivain, procède en trois temps : cette année-là (en 398), on annonçait beaucoup de prodiges (prodigia), qui ne rencontraient que scepticisme ; un seul retint l’attention, en raison de son caractère « extraordinaire », miraculo ; pour savoir ce qu’annonçait le prodige (prodigio), on envoya une ambassade à Delphes46. C’est alors qu’intervient le vieillard de Véies, qui se révèle être un haruspice et qui décryptera le signe. Miraculum a une double fonction : l’une, dramatique — il noue l’angoisse, après trop de « signes » pris à la légère. L’étonnement est source de l’inquiétude religieuse. L’autre est pour ainsi dire théologique : entre deux mentions des « prodiges », les uns qu’on refuse, le dernier qu’on accepte comme un avertissement du ciel, miraculum a un statut intermédiaire. C’est le prodige en cours d’authentification (comme les « miracles » de l’Église catholique), ce qui prend un certain temps47, le prodige qui n’en est pas encore un, le prodige en devenir, qui n’est pas encore pris en charge par l’État. L’alternance est révélatrice : le miraculum devient prodigium quand on commence à le prendre au sérieux et qu’on fait appel à l’instance supérieure d’Apollon pour y voir plus clair. Dans la suite du récit livien, E. de Saint-Denis, qui a consacré un article de référence aux « énumérations de prodiges dans l’œuvre » de l’historien, a attiré l’attention sur la double liste des signes extraordinaires de 21448. L’ouverture du passage est célèbre : « On annonça, cette année, beaucoup de prodiges. Plus les gens simples et superstitieux y croyaient, 44

Lucrèce, 4, 590-592 : Cetera de genere hoc monstra ac portenta locuntur,/ ne loca deserta ab diuis quoque forte putentur / sola tenere. Ideo iactant miracula dictis… 45 Tite-Live, 4, 35, 9 : Experiundam rem denique in uno aut altero esse, sitne aliqui plebeius ferendo magno honori, an portento simile miraculoque sit fortem ac strenuum uirum aliquem exsistere ortum ex plebe. 46 5, 15, 1-3 : Prodigia interim multa nuntiari, quorum pleraque et quia singuli auctores erant parum credita spretaque… Lacus in Albano nemore, sine ullis caelestibus aquis causaue qua alia quae rem miraculo eximeret, in altitudinem insolitam creuit. Quidnam eo di portenderent prodigio missi sciscitatum oratores ad Delphicum oraculum. 47 Le prodige ne sera reconnu comme tel et expié que l’année suivante, au retour de l’ambassade envoyée à Delphes (5, 16, 8-11 ; 5, 17, 1 : ad prodigii Albani procurationem). 48 Saint-Denis (1942 : 126-142 ; en particulier, sur notre chapitre, 135 sequ.).

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plus on en annonçait »49, avec l’effet d’entraînement que, en temps de crise, provoque la crédulité populaire. L’adhésion aux prodiges se nourrit d’ellemême. Le récit s’organise en trois temps : une première liste de prodigia ; une deuxième liste, cette fois de miracula ; pour conclure, l’expiation globale de tous ces prodiges. Aucune différence ne sépare le contenu des deux listes : les prodigia et les miracula sont de type aussi classique, aussi bien répertoriés les uns que les autres. Corbeaux qui nichent dans le temple de Junon Sospita à Lanuvium, pluies de craie et de sang, foudres à Rome, en Sabine, à Gabies pour les premiers50. Pour les seconds, lance de Mars qui bouge d’elle-même à Préneste, bœuf et fœtus qui parlent, femme devenue homme, fantômes dans le ciel ; à Rome même, essaim d’abeilles, « ce qui est merveilleux, parce que c’est rare », commente l’historien ; et, pour finir, « hallucination collective », note E. de Saint-Denis, de gens qui disent avoir vu sur le Janicule des légions en armes, affabulation démentie par les habitants du lieu51. Les miracula ne sont pas de faux prodiges ; ils ne sont pas plus invraisemblables que les prodiges authentiques de la première liste52 ; les uns et les autres sont pris en charge par l’État et procurés globalement par le sacrifice de victimes adultes et une supplication53 ad omnia puluinaria54. Le passage des prodigia aux miracula n’a d’autre effet que littéraire : il marque un crescendo, alia… miracula, dit l’historien — il s’agit bien de faits du même ordre. Il crée « une psychose de terreur ». 49

24, 10, 6 : Prodigia eo anno multa nuntiata sunt, quae quo magis credebant simplices ac religiosi homines, eo plura nuntiabantur. 50 24, 10, 6-9 : Lanuui in aede intus Sospitae Iunonis coruos nidum fecisse ; in Apulia palmam uiridem arsisse ; Mantuae stagnum effusum Mincio amni cruentum uisum ; et Calibus creta et Romae in foro bouario sanguine pluuisse ; et in uico Insteio fontem sub terra tanta ui aquarum fluxisse ut serias doliaque quae in eo loco erant prouoluta uelut impetu[s] torrentis tulerit ; tacta de caelo atrium publicum in Capitolio, aedem in campo Volcani, arcem in Sabinis publicamque uiam, murum ac portam Gabiis. 51 24, 10, 10-12 : Iam alia uolgata miracula erant : hastam Martis Praeneste sua sponte promotam ; bouem in Sicilia locutum ; infantem utero matris in Marrucinis « Io triumphe » clamasse ; ex muliere Spoleti uirum factum ; Hadriae aram in caelo speciesque hominum circum eam cum candida ueste uisas esse. Quin Romae quoque in ipsa urbe, secundum apum examen in foro uisum — quod mirabile est, quia rarum —, adfirmantes quidam legiones se armatas in Ianiculo uidere concitauerunt ciuitatem ad arma, cum qui in Ianiculo essent negarent quemquam ibi praeter adsuetos collis eius cultores apparuisse. 52 Ils ne sont ni plus graves, ni plus extraordinaires : autres cas de lance qui bouge, de bœuf qui parle, en 21, 62, 4 ; 27, 11, 4 ; 35, 21, 4 ; 41, 21, 13, tous dans des listes de prodigia – de même que les hermaphrodites. 53 24, 10, 13 : Haec prodigia hostiis maioribus procurata sunt ex haruspicum responso et supplicatio omnibus deis quorum puluinaria Romae essent indicta est. 54 Sur le rite de la supplication, voir Février (2009).

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L’appel aux miracula contribue à la dramatisation du récit. Ce que nous allons retrouver ailleurs chez Tite-Live. Plus frappants encore sont, en effet, les quatre passages des livres I et II, les plus légendaires de l’Ab Vrbe condita livienne, où miraculum désigne le « bon » prodige. Ce sont nos exemples privilégiés. Le bon prodige n’a pas de nom en latin : le prodige romain est, par définition, « affreux »55, il est le signe redoutable de la colère des dieux, irrités d’une faute humaine. C’est le prodige étrusque, prédictif de surcroît et décrypté par les haruspices, venus spécialement d’Étrurie, qui a enseigné aux Romains que les dieux pouvaient aussi leur envoyer des signes heureux, gages de leur faveur. Le premier de ces épisodes, non sans paradoxe, est le conflit qui opposa Tarquin l’Ancien, le roi étrusque, et le Romain Attus Navius, second fondateur, après Romulus, de l’art augural à Rome. Les sympathies vont, bien sûr, de son côté. Quand Tarquin se moque de lui en lui enjoignant de faire « ce à quoi il pense », l’augure s’exécute et coupe une pierre en deux avec un simple rasoir. Sa statue, la tête voilée, s’élevait autrefois sur le comitium ; enfouie auprès d’elle, entourée d’un puteal, la pierre coupée perpétuait le souvenir du prodige, que nous connaissons sous le nom de « rasoir de l’augure »56. Deux autres de ces prodiges sont des signes de souveraineté, dont bénéficie Servius Tullius. Enfant, quand, dans son sommeil, sa tête est entourée de flammes : le signe est décrit successivement comme « un prodige merveilleux, tant par sa vue que par ce qui s’ensuivit », puis comme un événement merveilleux, un véritable miraculum57. Du prodigium au miraculum, il y a la même montée en tension dramatique que dans la double liste prodigiale du livre XXIV, qui s’accompagne ici d’une réaction affective et populaire. Le prodigium est mentionné par l’historien, narrateur objectif, qui se borne à le colorer par l’adjectif mirabile. Le miraculum est salué par les cris des serviteurs, qui veulent éteindre la flamme prodigieuse. Tanaquil, elle, qui a compris le signe, reste impavide et en explique à Tarquin le sens bénéfique58. Devenu roi, c’est ce même Servius qui bénéficiera du sacrifice 55

22, 9, 8 : taetra prodigia pour lesquels on consulte les livres Sibyllins ; 40, 19, 1 : prodigia multa foeda et Romae eo anno uisa et nuntiata peregre ; 25, 16, 1 et 44, 37, 9 : triste prodigium. 56 1, 36, 5 : Statua Atti capite uelato, quo in loco res acta est, in comitio in gradibus ipsis ad laeuam curiae fuit ; cotem quoque eodem loco sitam fuisse memorant, ut esset ad posteros miraculi eius monumentum. Cf. Cicéron, Diu. 1, 32-33. 57 1, 39, 1-2 : Eo tempore in regia prodigium uisu euentuque mirabile fuit : puero dormienti, cui Seruio Tullio fuit nomen, caput arsisse ferunt multorum in conspectu. Plurimo igitur clamore inde ad tantae rei miraculum orto excitos reges, et, cum quidam familiarium aquam ad restinguendum ferret, ab regina retentum… 58 1, 39, 3 : Scire licet hunc (i. e. puerum) lumen quondam rebus nostris dubiis futurum praesidiumque regiae adflictae.

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de la vache de souveraineté, née dans l’étable d’un Sabin : les haruspices l’avaient prédit, elle donnerait la suprématie à la cité dont était originaire celui qui l’immolerait59. Ce que fit le prêtre du temple de Diane sur l’Aventin, après avoir éloigné le légitime possesseur de l’animal, et au mépris de toute bonne foi. Mais que ne ferait-on pas pour assurer l’imperium à Rome et à son roi60 ? La vache était d’une taille et d’une beauté merveilleuses : en témoignaient ses cornes qu’on put longtemps voir fixées à l’entrée du temple pour rappeler (comme la pierre miraculeusement coupée par Attus Navius) le souvenir de ce « miracle » vivant, qu’on tint pour le prodige qu’il était effectivement61. Le miraculum de la tête entourée de flammes, signe d’élection, marque d’un être d’exception, est devenu un topos. Nous le retrouvons chez Tite-Live en 212 : le bénéficiaire supposé en est L. Marcius, qui prit le commandement en Espagne après la mort des deux Scipions et redressa une situation désespérée. Pendant qu’il haranguait les soldats, une flamme, diton, entoura sa tête : légende merveilleuse qui s’ajoute à sa gloire réelle, commente l’historien62. Au temps de Servius, le signe était reçu comme un « prodige » ; au IIIe siècle, ce n’est plus qu’un miraculum sans authenticité63. Mais quand, chez Virgile, le jeune Iule bénéficia du même signe alors que les Troyens fuyaient Troie, c’était bien un « merveilleux prodige »64. L’histoire et l’épopée, le temps de la République et celui de la légende n’ont pas la même perception des événements. Dernier cas de (relativement) bon prodige : le dénouement heureux de l’histoire du pauvre Titus Latinius, qui servit d’aition au renouvellement (instauratio) des jeux. Chargé par Jupiter qui lui était apparu en songe — épiphanie qui suscite toujours la défiance des autorités romaines — d’aller annoncer aux consuls que les jeux avaient été entachés d’une faute et qu’il fallait les recommencer, il ne se résolut à obéir qu’après un double malheur : la mort de son fils, et la paralysie dont il fut lui-même frappé. Entendu par les consuls, puis par le sénat, il provoqua l’« étonnement » général, quand nouveau miracle, il retrouva soudain l’usage de ses jambes et regagna à pied 59

1, 45, 5 : Cecinere uates « cuius ciuitatis eam ciuis Dianae immolasset, ibi fore imperium ». 1, 45, 7 : Id mire gratum regi atque ciuitati fuit. 61 1, 45, 4-5 : Bos in Sabinis nata cuidam patri familiae dicitur miranda magnitudine ac specie ; fixa per multas aetates cornua in uestibulo templi Dianae monumentum ei fuere miraculo. Habita, ut erat, res prodigii loco est. 62 25, 39, 16 : Apud omnes magnum nomen Marcii ducis est ; et uerae gloriae eius etiam miracula addunt, flammam ei contionanti fusam e capite sine ipsius sensu cum magno pauore circumstantium militum. 63 Le même épisode figure en revanche parmi les prodigia de Valère Maxime : 1, 6, 1 Servius enfant ; 1, 6, 2 L. Marcius. 64 Aen. 2, 680 : cum subitum dictuque oritur mirabile monstrum. 60

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sa maison65. Guérison miraculeuse dont nous allons retrouver d’autres exemples ; mais son fils ne lui fut pas rendu pour autant, et un Arnobe, par exemple, stigmatise la cruauté du dieu qui ne rendit la santé au malheureux père que pour le faire souffrir de la perte de son fils66. À ces exemples d’un prodige romain qui perd son sens initial d’avertissement adressé aux hommes pour leur faire prendre conscience de la colère des dieux67, j’ajouterai deux exemples étrangers à la mentalité religieuse de la Rome républicaine. Celui du temple grec de Junon (Héra) au cap Lacinion, siège d’un de ces « miracles » permanents propres aux grands sanctuaires, puisque aucune partie de l’« autel de cendres » qui s’y élevait n’était jamais déplacée par le vent68. Le second évoque la légende de Scipion, constituée dès son vivant, et qu’il se gardait bien de démentir. Il passait, comme Alexandre le Grand, pour être d’origine divine, né du serpent monstrueux qu’on avait vu souvent dans la chambre de sa mère et qui tenait du prodige ; merveilles qu’il ne tourna jamais en dérision, mais qu’il avait l’art d’entretenir et qui provoquaient chez ses contemporains de « l’admiration pour un tel surhomme »69. Ce dernier exemple nous introduit dans un monde idéologique nouveau, celui des imperatores charismatiques qui, au dernier siècle de la République, s’élèveront jusqu’au pouvoir suprême, Sulla, César, et même jusqu’au fondateur de l’Empire, Auguste en personne. On aimerait pouvoir lire les pages que Tite-Live leur avait consacrées, et savoir quel terme il employait pour désigner les « merveilles » dont ils furent l’objet : prodigium ? miraculum ? L’unique témoignage de Tacite qui se réfère à notre sujet n’en a que plus que de prix. À Alexandrie, Vespasien, à peine 65

2, 36, 7-8 : In curiam iussu consulum delatus, eadem illa cum patribus ingenti omnium admiratione enarrasset, ecce aliud miraculum : qui captus omnibus membris delatus in curiam esset, eum functum officio pedibus suis domum redisse traditum memoriae est. 66 Arnobe, 7, 43, 9 : Quod si penitus res pendas, magis illa crudelitas quam beneficium salutis fuit, si quidem hominem miserum et interire post filios cupientem non gaudia seruauit ad uitae sed ut suam solitudinem disceret et orbitatis cruciamenta sentiret. 67 Sens précisément rappelé dans notre passage (corrigé), en 2, 36, 6 : tunc enimuero deorum eum ira admonuit. 68 24, 3, 7 : Ac miracula aliqua adfingunt ut plerumque tam insignibus locis : fama est aram esse in uestibulo templi cuius cinerem nullo unquam moueri uento. 69 26, 19, 7-9 : … famam in Alexandro magno prius uolgatam, et uanitate et fabula parem, anguis immanis concubitu conceptum, et in cubiculo matris eius uisam persaepe prodigii eius speciem interuentuque hominum euolutam repente atque ex oculis elapsam. His miraculis nunquam ab ipso elusa fides est ; quin potius aucta arte quadam nec abnuendi tale quicquam nec palam adfirmandi. Multa alia eiusdem generis, alia uera, alia adsimulata, admirationis humanae in eo iuuene excesserant modum.

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proclamé empereur, fait des miracles70 : il guérit l’aveugle et le paralytique qui font appel à ses pouvoirs de « roi thaumaturge » avant la lettre71. En bon Romain, il reste sceptique sur les pouvoirs qu’en milieu gréco-égyptien on prête au souverain et consulte les médecins sur les infirmités qu’on lui présente72. Mais le pouvoir « miraculeux » opère. Les malades sont guéris et, précise Tacite, il semble bien que la guérison, obtenue par d’autres moyens, bien sûr, que les pouvoirs surnaturels du prince73, ait été réelle : de son temps encore, des témoins la confirmaient, qui n’avaient plus nul intérêt à l’attester74. Mais de quel nom appeler cette intervention surnaturelle ? Ce n’est ni un prodigium, ni un portentum effrayants qui requièrent une expiation. Seul, miraculum convient pour désigner ce « bon prodige ». Les prodiges annuels de l’époque républicaine, rapportés par TiteLive, allaient par liste, regroupés qu’ils étaient dans le « rapport » (relatio) présenté au début de chaque année par les nouveaux consuls devant le sénat. Nos quatre bons prodiges de l’ancienne Rome sont, chacun dans son genre, uniques : il s’agit, chaque fois, d’un miraculum, au singulier. Ceux qu’opère Vespasien sont sans doute pluriels, au moins deux, sans doute plus en réalité (multa, dit l’historien), mais accomplis dans la même ville, à la même époque, ils sont l’effet d’un même pouvoir surnaturel de guérison, propre au souverain. Autant les prodiges de l’époque républicaine étaient répétitifs, 70

Tacite, Hist. 4, 81, 1 : Per eos menses quibus Vespasianus Alexandriae statos aestiuis flatibus dies et certa maris opperiebatur, multa miracula euenere, quis caelestis fauor et quaedam in Vespasianum inclinatio numinum ostenderetur. 71 4, 81, 1 : E plebe Alexandrina quidam oculorum tabe notus genua eius aduoluitur, remedium caecitatis exposcens gemitu, monitu Serapidis dei, quem dedita superstitionibus gens ante alios colit, precabaturque principem ut genas et oculorum orbes dignaretur respergere oris excremento. Alius manum aeger eodem deo auctore, ut pede ac uestigio Caesaris calcaretur orabat. 72 4, 81, 2 : Vespasianus primo inridere, aspernari ; atque illis instantibus modo famam uanitatis metuere, modo obsecratione ipsorum et uocibus adulantium in spem induci ; postremo aestimari a medicis iubet an talis caecitas ac debilitas ope humana superabiles forent. 73 4, 81, 2-3 : Medici uarie disserere : huic non exesam uim luminis et redituram, si pellerentur obstantia ; illi elapsos in prauum artus, si salubris uis adhibeatur, posse integrari ; id fortasse cordi deis et diuino ministerio principem electum ; denique patrati remedii gloriam penes Caesarem, inriti ludibrium penes miseros fore. Igitur Vespasianus cuncta fortunae suae patere ratus nec quicquam ultra incredibile, laeto ipse uoltu, erecta quae adstabat multitudine, iussa exsequitur. Statim conuersa ad usum manus, ac caeco reluxit dies. 74 4, 81, 3 : Vtrumque qui interfuere nunc quoque memorant, postquam nullum mendacio pretium.

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classés par types par les historiens modernes, autant le miraculum est unique : il porte un nom, le rasoir de l’augure, le signe du feu sur Servius enfant, la vache de souveraineté, la guérison de Titus Latinius. Je me risquerai à dire que c’est un « surprodige », comme l’on dit un « surhomme ». La guérison de Titus Latinius, premier miraculum de cette nature, était l’œuvre des dieux, d’un Jupiter apaisé par l’expiation de la faute humaine. Les miracles de Vespasien, accomplis dans un Orient où s’installe la religion nouvelle du Christ, sont d’une tout autre nature ; ils relèvent du charisme monarchique, des pouvoirs d’un empereur qui jouit de la faveur des dieux (caelestis fauor, dit Tacite) et opère en leur nom75. C’est aussi, pour l’historien de la langue et de la religion, le début d’un chapitre nouveau ou, plus justement, d’une ère nouvelle qui s’ouvre dans les annales du prodige romain. Valère Maxime en est témoin, qui affirme que les prodiges peuvent être « ou favorables, ou défavorables »76. Cette histoire se conclura par la victoire du « miracle » sur le « prodige » à l’ancienne, celui de la tradition. On comprend pourquoi les apologistes latins ont d’abord refusé d’appeler les « miracles » de Dieu du nom trop païen de miraculum77. Tertullien ne l’emploie que neuf fois dans toute son œuvre ; encore est-ce pour désigner les faux « miracles », œuvres des magiciens et des démons78. Les vrais miracles sont des « manifestations de la puissance » de Dieu, Dei uirtus, uirtutes (δυνάμεις), ou encore signa (σημεῖα)79. Ce n’est qu’avec 75

Autant Vespasien est sceptique sur son pouvoir de guérison, autant il croit, ensuite, à l’apparition de Basilidès, au nom prédestiné (Tacite, Hist. 4, 82). 76 1, 6 : Prodigiorum quoque quae aut secunda aut aduersa acciderunt debita proposito nostro relatio est. 77 Braun (1977 : 103, 108 et n. 3 sequ.) Voir également André (2007). 78 Par exemple Apol. 23, 1 : multa miracula circulatoriis praestigiis ludunt ; Nat. 2, 1, 7 aduersus exempla, prodigia, miracula, quae omnia adulterinam istam diuinitatem [istam] corroborauerunt. 79 Je donne quelques exemples. Adu. Marc. 4, 18, 3-4 : Quodsi illi quidem creatorem glorificabant, Christus uero et audiens et sciens non corrigebat… aut non alium circumferebat deum quam quem in suis beneficiis atque uirtutibus honorari sustinebat, aut quale est ut illos tam diu errantes sustineret, ad hoc ueniens, ut errori eorum mederetur ? Sed « scandalizatur Iohannes auditis uirtutibus Christi, ut alterius » ; Pudic. 10, 5 : ipse Dominus Sidoniis et Tyriis praesumpsit paenitentiam, si uirtutum documenta uidissent. ; Adu. Prax. 27, 11 : Videmus duplicem statum, non confusum sed coniunctum in una persona, Deum et hominem Iesum… et adeo salua est utriusque proprietas substantiae, ut et Spiritus res suas egerit in illo, id est uirtutes et opera et signa, et caro passiones suas functa sit… Quant à l’Écriture, le Thesaurus, VIII, col. 1056, 7 sequ., donne quelques exemples de la Vulgate, que je complète : Exod. 11, 7 : ut sciatis quanto miraculo diuidat

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Augustin que miraculum désignera véritablement le miracle chrétien. Évolution qui consacre la victoire finale du miraculum sur le prodigium. De nos jours, qui sait encore, à part les historiens de la religion romaine, ce qu’est un vrai prodige : le signe redoutable de la colère des dieux ? Trop de latinistes eux-mêmes confondent les prodiges et les présages. Dans nos langues modernes, le « miracle » reste bien vivant, ne serait-ce qu’au sens figuré. Le « prodige » ne survit plus guère que dans des expressions du type « un enfant prodige » ; ou dans les calques du lexique latin, prodige, monstre, l’anglais portent. Pour le reste, la déroute du prodigium funeste, à l’antique, est consommée. Dans nos esprits, dans notre langage, c’est bien le miraculum, d’abord marginal, païen, puis chrétien, qui s’est imposé pour exprimer un autre type de relation entre l’homme et la divinité — des dieux ou un Dieu, également compatissants et bienfaisants. Il n’y a plus à expier le prodige funeste, selon les rites prescrits par la divination païenne, pontifes romains ou haruspices étrusques. Il n’y a qu’à accueillir avec reconnaissance un miraculum aussi stupéfiant que bénéfique. Raymond Bloch définissait le prodige comme « l’irruption du sacré dans le profane »80. Je dirai que le miraculum est l’irruption du surnaturel dans le quotidien des hommes.

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Dominus Aegyptios et Israhel ; Num. 26, 10-11 : et factum est grande miraculum ut Core pereunte filii illius non perirent ; Is. 29, 14 : ideo ecce ego addam ut admirationem faciam populo huic miraculo grandi et stupendo. Mais je note la remarque qui suit : « in N. T. non legitur ». 80 Bloch (1963 : 2).

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ENGELS, D., Das römische Vorzeichenwesen (753-27 v. Chr.). Quellen, Terminologie, Kommentar, historische Entwicklung, Stuttgart, 2007. FÉVRIER, C., « Supplicare deis ». La supplication expiatoire à Rome, Turnhout, 2009. GUILLAUMONT, F., Philosophe et augure. Recherches sur la théorie cicéronienne de la divination, collection Latomus, 184, Bruxelles, 1984. LEVENE, D. S., Religion in Livy, Leyde-New York-Cologne, 1993. MOUSSY, C., Synonymie et antonymie en latin, Paris, 2010 : « Un problème de synonymie : ostentum et portentum », pp. 37-50 (= RPh, 64, 1990, pp. 47-60). MOUSSY, C., La polysémie en latin, Paris, 2011 : « Esquisse de l’histoire de monstrum », pp. 57-77 (= REL, 55, 1977, pp. 345-369). MUELLER, H.-F., Roman Religion in Valerius Maximus, Londres-New York, 2002. SAINT-DENIS, E. DE, « Les énumérations de prodiges dans l’œuvre de TiteLive », RPh, 16, 1942, pp. 126-142. SERBAT, G., Les dérivés nominaux latins à suffixe médiatif, Paris, 1975. Thesaurus linguae Latinae, s. v. miraculum (par Bulhart), VIII, 1936-1966, col. 1053-1059.

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Omen, un présage oral ? Sophie ROESCH Université François-Rabelais (Tours) EA 6297 : Interactions Culturelles et Discursives

Pour les Anciens, l’origine du mot ōmen était claire : ils y voyaient la notion de parole1, plus précisément celle de « bouche » (os) et expliquaient omen par un plus ancien os2-men3 ; ainsi Varron, en L.L. 6, 764 : Omen (…) quod ex ore primum elatum est, osmen dictum. « L’omen, parce qu’il sort en premier lieu de la bouche, a été appelé “osmen”. » Festus, lui aussi, associe omen à os, en De uerborum significatu 226, et propose une origine oremen : Omen uelut oremen quod fit ore augurium, quod non auibus alioue modo fit.5 « Omen, c’est comme si on disait oremen, parce que c’est un augure que l’on tire de la bouche et non des oiseaux ou d’une autre source. »

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Sauf précision les textes latins seront cités à partir de l’édition Budé, Paris, Les Belles Lettres. Les traductions sont toutes personnelles. 2 Concernant l’étymologie de os (« la bouche »), Mallory et Adams, s.u. « anatomy » (1997 : 18) et s.u. « mouth » (1997 : 387), indiquent une racine *H1/4oH1(e)s, *H4 étant une laryngale qui, comme *H2, change un -e adjacent en -a. 3 Pour les étymologies populaires, voir Maltby s.u. omen (1991 : 428). 4 Voir aussi Varron, L.L. 7, 97 : Quare, quod dixi, scaenum omen est omen turpe ; quod unde id dicitur , osmen, e quo S extritum. « C’est pourquoi, comme je l’ai dit, un omen obscaenum est un omen sinistre ; [la forme ancienne est] osmen d’où le -s- a été éliminé, parce que c’est la bouche (os) par laquelle l’omen est prononcé » (édition de Varron, De lingua latina, par R. G. Kent, The Loeb Classical Library, Cambridge, Harvard University Press, 1977). 5 Édition W. M. Lindsay, Leipzig, Teubner, 1913, p. 213, t. II, §226.

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On peut enfin ajouter le témoignage de Donat, In Andriam Terenti Commentum 2006 : Omen autem est quicquid ore dicitur. « Omen est tout ce qui est dit avec la bouche. » Mais pour A. Ernout et A. Meillet, s.u. ōmen (1967 : 461), cette étymologie antique par *ōs-men, « serait sans exemple et dépourvue de sens ; le suffixe d’instrument –men s’ajoute à des thèmes verbaux (cf. lūmen, mō-men, nū-men, etc.), non à des thèmes nominaux. » Concernant le sens que le suffixe -men confère aux racines auxquelles il se fixe J. Perrot (1961 : 248), explique : « un mot pourvu de ce suffixe [-men] désigne une chose conçue en tant que siège du procès marqué par le radical, une chose qui s’identifie en quelque sorte au procès lui-même, dont tout l’être consiste à être porteuse de ce procès. À la formation en -men correspond en d’autres termes une substantivation de la notion verbale caractérisée par une représentation moyenne ou subjective du procès. »7 Si l’on suit J. Perrot, l’omen serait l’objet dans lequel s’accomplit l’action de ō-, ce qui ō-8. La difficulté est alors de définir la valeur à accorder à cette base *ō-. À ce jour, de nombreuses hypothèses ont été proposées pour expliquer ce radical *ō-, mais aucune ne fait l’unanimité9 ; la variété de ces propositions souligne, hélas, l'incertitude qui est la nôtre quant à l'étymologie du terme et nous ne pourrons donc pas y trouver d'éventuels indices de son sens premier. L'étymologie des Anciens, toute fautive qu’elle soit, présente cependant l'intérêt de nous montrer qu’eux-mêmes percevaient un lien étroit entre la notion de parole et le sens d’omen.

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Édition P. Wessler, Leipzig, Teubner, 1902, p. 92, t. I. Perrot (1967 : 237) analyse par exemple flumen comme id quod fluit ; fulmen comme id quod fulget. 8 Haudry (1971 : 112) propose une analyse légèrement différente des formations en -men. Pour lui, « la fonction commune des dérivés en *-men est d’être la nominalisation d’un syntagme constitué d’un verbe et d’un nom à l’instrumental ». Si l’on suit Haudry, le suffixe -men sur base verbale indique ce au moyen de quoi on mène à bien le processus verbal ; l’on pourrait donc gloser omen par la tournure : « ce au moyen de quoi on ō-. » 9 Voir notre Annexe. 7

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1. L’omen décrit par les spécialistes modernes De fait, l'omen des Latins est traditionnellement décrit par les spécialistes modernes d’histoire des religions comme un présage oral10. A. Bouché-Leclercq dans son Histoire de la divination dans l’Antiquité, dont la première édition date de 188211, présente l’omen dans les termes suivants : « Les présages fournis par le langage humain sous forme d'allusions détournées et involontaires étaient ce que les Romains appelaient proprement omina. » (2003 : 911)12. Mais l’auteur précise aussitôt : « Ce terme est de ceux dont l'usage a le plus démesurément élargi le sens. Le trait caractéristique de l'omen parlé, c'est-à-dire le hasard, la spontanéité imprévue, se retrouvant dans tous les accidents fortuits (σύμβολοι) où la préoccupation du surnaturel faisait découvrir des signes de la volonté divine, l'analogie fit entrer tous ces présages, quels qu'ils fussent, dans la catégorie des omina. En conservant au mot ce sens, déjà étendu mais encore limité, on pourrait classer tous les signes observés par la divination inductive des peuples italiques sous trois chefs principaux : les prodiges ou signes évidents de l'intervention divine, qui ont une valeur propre, indépendante de toute convention artificielle ; les omina ou présages fortuits, dont la cause se dissimule sous le nom vague de hasard et dont la valeur dépend en grande partie de la fantaisie de l'observateur ; et enfin les auspices ou signes convenus, dont le sens est fixé au préalable par un pacte intervenu entre les hommes et les dieux. » (2003 : 911-912). Donc, si l’on suit A. Bouché-Leclercq, il faut poser un sens premier où le terme d’omen désigne un présage oral fortuit ; un sens second où il recouvre tout présage fortuit, oral ou non13. 10

Cf. Bayet (19692 : 53) : « Les omina sont des mots qui portent en eux l’avenir ». Nous citons ici l'ouvrage dans sa réédition de 2003 chez Millon. 12 Dans le DAGR, s.u. diuinatio (t. II, 1, 1892 : 296), Bouché-Leclercq définit aussi omen en ces termes : « omen est une parole (phrase, mot isolé ou exclamation) qui est détournée de son sens et appliquée par celui qui l’entend à une préoccupation intime, ignorée de celui qui parle. » 13 Les omina rentrent donc dans la catégorie des signa oblatiua (qui n'ont pas été sollicités ; cf. Dumézil, 1966 : 127), par opposition aux signa impetratiua ou impetrita, qui ont été sollicités (cf. par exemple le DAGR, s.u. diuinatio, t. II, 1, 1892 : 294). Rappelons que les 11

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Effectivement, comme nous le verrons ci-dessous et comme le dégagent A. Ernout et A. Meillet (s.u. omen, 1967 : 461), il semble que, dans le langage courant, « omen et son dérivé ominosus se disent de toute espèce de présage »14. Cette extension de sens ressort d’ailleurs nettement dans l’article omen de la RE15 qui liste les différents phénomènes pouvant servir d’omen : outre les paroles, on trouve notamment des phénomènes célestes (l’orage, certains astres, la lune) ; des accidents du quotidien (le fait de se chausser du mauvais pied ; cf Suétone, Aug. 92) ; les mouvements de certains animaux… Notre projet ici n'est pas de résoudre l’épineuse question de l’étymologie d’omen, mais, en nous appuyant sur les textes latins, d’essayer de décrire le plus finement possible, en diachronie, l’emploi du terme, pour préciser sa valeur fondamentale16. Ne sommes-nous pas victimes de l’étymologie populaire des Anciens quand, si l’on suit A. Bouché Leclercq, on affirme qu’omen était primitivement associé à la notion de parole avant de subir un élargissement de sens ? Le terme ne peut-il pas, dès les premiers textes, s’appliquer à des présages qui ne soient pas oraux ? Enfin, la notion de hasard, qui est présentée comme caractéristique de l’omen par les spécialistes d’histoire des religions, apparaît-elle dès les plus anciennes occurrences du terme ?

Grecs eux aussi croyaient en l’existence de présages oraux fortuits, qu’ils appelaient du nom de κληδών ou de ϕήμη (cf. Bouché-Leclercq, 2003 : 124-129). Pour citer BouchéLeclercq (2003 : 126) : « toute parole, phrase, mot isolé ou exclamation entendue par un homme préoccupé d’une idée étrangère à celui qui parle, peut devenir, pour celui qui l’entend, une κληδών ; c’est-à-dire qu’il peut y avoir, entre la pensée de celui-ci et une parole qui ne procède pas de cette pensée, un rapprochement imprévu, une consonnance fortuite qui contient l’avertissement providentiel. » 14 Voir aussi Champeaux (1998 : 119) : « L’omen, rattaché à tort à os, la "bouche", est un présage essentiellement, mais pas uniquement, verbal ». Bloch (1984 : 82-83) ; Dumézil (1966 : 126-127 ; 572). 15 Riess, RE, s.u. omen, t. XVIII, 1, 1939 : col. 350-378. 16 Riess dans la RE, s.u. omen, a effectué un travail de référence à ce sujet qu’il ne s’agit absolument pas de remettre en cause ; mais nous souhaitons compléter sa description par une approche sémantique, qui se focalisera particulièrement sur les emplois les plus anciens du terme.

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2. Les emplois du terme chez les Anciens Pour cette étude, le corpus retenu comprend les plus anciennes attestations du terme (œuvres complètes de Plaute et Térence, fragments d’Accius) afin de voir si, dès l’origine, omen peut avoir un sens autre qu’oral ; puis des textes plus récents, comportant à la fois des œuvres de prose (œuvres complètes de Cicéron et Tite-Live) et de poésie (Virgile, l’Énéide)17, qui présentent un grand nombre d’occurrences du mot. Les relevés des occurrences ont été faits à l’aide du logiciel de chez Brepols : Library of Latin Texts (Series A et Series B). Nous commencerons par décrire en détail les emplois archaïques ; puis nous analyserons l’évolution de ces emplois les plus anciens chez nos auteurs des Iers siècles av. et ap. J.-C. 2.1. Les emplois archaïques : Plaute, Térence et Accius 2.1.1. Plaute Chez Plaute, on relève 9 occurrences d’omen pour renvoyer à un présage, c’est-à-dire à un « signe dont l'interprétation permet de prévoir l'avenir, de prédire un événement » (pour reprendre la définition du Trésor de la Langue Française, s.u. « présage »). a) Présage qui repose sur une parole Dans 8 des occurrences plautiniennes, il s’agit d’un signe verbal, annonçant un avenir positif ou négatif. On se trouve à chaque fois dans une situation de dialogue où un personnage qualifie les propos de son interlocuteur du terme d’omen. Ce sont donc les paroles d’autrui qui sont porteuses de cette valeur prédictive. Dans ce cadre, omen est fréquemment accompagné du démonstratif de la deuxième personne istuc qui permet de renvoyer à la parole de l’autre (sans avoir forcément une valeur négative puisque, comme on le verra ci-dessous, il peut ausssi accompagner un omen positif).

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Auquel nous avons ajouté le Commentaire de Servius à l’Énéide (édition G. Thilo et H. Hagen, Seruii Grammatici qui feruntur in Vergilii carmina commentarii, vol. I-II, Leipzig, Teubner, 1881-1884), souvent riche en indications sur le vocabulaire religieux latin.

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α) Parole à portée négative, formule de mauvais augure (3 occurrences) En Most. 463-465, omen caractérise des paroles négatives. Théopropide est de retour chez lui après un long voyage. Mais à peine a-t-il touché la porte de sa maison que son esclave Tranion l’arrête en disant : Tr : Occidisti hercle… Th : Quem mortalem ? Tr : Omnis tuos. Th : Di te deae que omnis axint cum istoc omine…. Tr : Metuo, te atque istos expiare ut possies. « - Par Hercule, tu as tué… - Qui donc ? - Tous tes proches. - Que tous les dieux et les déesses fassent de ton présage… - Je crains que tu ne puisses expier pour toi et les tiens. » Confronté aux paroles inquiétantes de Tranion, Théopropide a donc un réflexe défensif : il se tourne vers les dieux pour leur demander d’invalider ce qui peut être compris comme un mauvais présage. Cet emploi évoque celui d’Amph. 722 : Sosie vient de prononcer des paroles qui peuvent être interprétées comme de mauvais augure pour la future mère qu’est Alcmène, puisqu’elles mettent en doute le bon déroulement de sa grossesse. Celle-ci, fâchée que Sosie profère un tel omen, le traite d’ominator (« celui qui profère des omina, celui qui dit l’avenir »)18. Cet hapax, formé sur le verbe ominari (« prononcer des paroles de bon ou de mauvais augure, faire une prédiction »)19, montre que l’homme a la possibilité d’orienter son avenir en parlant. En Mercator 272-27520 enfin, Lysimaque sort de chez lui tout en donnant des ordres à ses gens. Le vieillard Démiphon, qui est dans les 18

Ob istuc omen, ominator, capies quod te condecet. « Pour ces paroles de mauvais augure, toi qui t’amuses à dire l’avenir, tu recevras ce que tu mérites. » 19 Signalons que ce verbe ominari, dérivé d’omen présente une seule occurrence chez Plaute en Rud. 337, dans l’expression melius ominare (« prononce des paroles de meilleur augure »). Cette expression précise offre en tout cinq occurrences dans la latinité (avec de légères variantes : bene ominare ; meliora ominare) : outre ce passage de Plaute, elle apparaît chez Cicéron en Brut. 328, chez Apulée en Met. 1, 22 ; chez le pseudo-Apulée, en Asclep. 41 et chez Lactance, en Diu. Inst. 6, 25, 11. Dans toutes ces occurrences, il s’agit d’inciter l’interlocuteur qui vient de prononcer des paroles désagréables, impies ou de mauvais augure, à produire un discours plus positif pour ne pas influencer en mal l’avenir. 20 Sur ce passage et les vers qui précèdent, voir Bayet (1949).

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parages, l’entend et voit dans ces propos, qui a priori ne le visent en rien (ce qui est typique de l’omen), un signe négatif de ce qui l’attend. Ly : Profecto ego illunc hircum castrari uolo Ruri qui uobis exhibet negotium. De : Nec omen illud mihi nec auspicium placet : Quasi hircum metuo ne uxor me castret mea. « - Je veux vraiment qu’on châtre ce bouc qui vous donne du travail à la campagne. - Ni ce présage, ni cet auspice ne me plaisent. Je crains que ma femme ne me castre comme ce bouc. » En aparté, Démiphon décrit donc les propos de Lysimaque comme un omen et un auspicium ; on notera une fois de plus dans ce passage la présence d’un démonstratif accompagnant omen (ici, illud, avec une valeur de renvoi à la troisième personne, qui montre bien que ce sont les propos de Lysimaque qui sont visés). Mais quelle est la valeur d’auspicium qui est employé ici en collocation avec omen ? Chez Plaute, auspicium présente 15 occurrences ; dans neuf d’entre elles, le terme a un sens technique, qu’il s’agisse de la prise d’auspices par un général dans un contexte guerrier21, d’une prise d’auspices par un simple esclave, qui cherche des indications sur ce qu’il doit faire22, ou de l’expression liquidum auspicium pour désigner des auspices favorables23. Dans tous ces emplois techniques, Plaute fait fréquemment allusion au vol des oiseaux. Dans les 6 passages restants (Asin. 374, Aul. 44724, Epid. 342, Men. 114925, Stich. 459, et Merc. 274 qui nous 21

Amph. 192, 196, 657, 690 ; Epid. 381 (emploi imagé). Asin. 263 : Quantum ex augurio auspici intellego : « Pour autant que je le comprenne à partir des augures et des auspices ». Auspicium est associé à augurium. Sur la nature des auspices, voir C. Daremberg et E. Saglio s.u. auspicium (t. I, 1877 : 583-585). Strictement, l’auspice est un signe qui a été demandé à la divinité par un prêtre, dans un cadre religieux bien défini, et qui a un sens codifié. R. Bloch (1984 : 83) décrit les auspices en ces termes : « le mot auspices signifie à la lettre les signes donnés par l’observation des oiseaux, de leur vol et de leurs cris, mais comme le mot grec oiōnos, il s’applique à divers présages visuels, éclairs, foudre, appétit de poulets sacrés, signes de rencontre fortuite. » Sur les auspices, voir aussi F. Guillaumont (1984 : 177) ; J. Linderski (1986). 23 Epid. 183 ; Per. 607 ; Pseud. 762. 24 Ne ego edepol ueni huc auspicio malo. « Assurément, je suis venu ici sous une bien mauvaise étoile ». 25 Messénion demande des garanties quant à la liberté qui lui a été promise : Sed meliorest opus auspicio ut liber perpetuo sim (« mais j’ai besoin de meilleurs auspices pour être libre à tout jamais » ). 22

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intéresse ici), auspicium ne désigne plus strictement la consultation de signes divins, mais renvoie à tout signe, positif ou négatif donné par les dieux26. En soi, l’auspicium n’est pas prédictif27. Mais, sans doute parce qu’un auspicium positif indique l’accord des dieux et promet donc une réalisation heureuse de ce que l’on entreprend, tandis qu’un auspicium négatif laisse attendre un échec si l’on s’entête à accomplir ce qui a reçu de mauvais auspices, il nous semble que, dans l’usage, le terme rejoint omen et partage alors avec lui les traits de sens : /signe/ /qui annonce l’avenir/. Dans ce passage de Mercator 274, les deux termes sont, pour nous, redondants. Pour rendre compte de ces occurrences où omen renvoie à un signe oral, nous proposons de décrire le terme à l’aide des traits de sens suivants : /signe/ /verbal/ /qui annonce un avenir/. Dans les passages où il désigne, comme ici, un signe de sinistre portée, il nous semble judicieux d’y adjoindre un dernier sème /négatif/28. β) Parole à portée positive, souhait (4 occurrences) À l’inverse, en Epid. 396-397, omen désigne à deux reprises une formule visant à porter chance, que le locuteur prononce avec la volonté qu’elle ait d’heureuses conséquences sur l’avenir29. Le vieillard Apécide accueille son ami Périphane, qu’il rencontre par hasard, en lui disant : di deaeque te adiuuant. Pe : Qui fit ? Ap : Di deaeque te adiuuant [res propere]. Pe : Omen placet Ap. : Quin omini omnes suppetunt res prosperae. « - Que se passe-t-il ? - Que les dieux et les déesses veillent sur toi ! - Cette formule me plaît. - Assurément, toutes les affaires prospères répondent à cette formule. »

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Deux occurrences avec l’adjectif malum (Asin. 374 ; Aul. 447) ; une avec optimum (Stich. 459) ; une avec melius (Men. 1149) ; le texte d’Epid. 342 est peu sûr. 27 Cf. Dumézil (1966 : 568-572) ; Champeaux (2005). 28 Ce sème est afférent, car lié au contexte. Cf. Rastier (1987 : 44). 29 Dans les autres occurrences (Cas. 410 et Per. 736), omen renvoie à des formules de souhait : pour le passage de Casina, c’est probablement la formule deos quaeso mihi ut sortito eueniat, prononcée par Olympion aux vers 389-390, qui est visée ; pour celui de Persa, les mots ut bene sit tibi du vers 735.

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Omen est alors un /signe/ /verbal/ /qui annonce un avenir/ /positif/. C’est parce que, dans ces occurrences, la précision /positif/ ou /négatif/ repose dans le substantif lui-même (et est impliquée par le contexte), et non dans un adjectif qui lui serait associé, que nous jugeons nécessaire d’en faire un élément du sémème pour les emplois plautiniens30. γ) Cas particulier du présage associé à un nom propre, que nous appellerons un « nom ominal » En Persa 623-625, omen renvoie au fait qu’un nom propre est considéré comme de bon augure. Le leno Dordale envisage d’acheter une esclave. Il lui demande son nom. L’esclave Toxile, qui essaie de convaincre Dordale de faire l’affaire, renchérit, en insistant sur le fait que le nomen de Lucris est un omen positif (puisqu’il évoque lucrum, le « profit »): Do : Quid nomen tibi est To : Nunc metuo ne peccet. Vi : Lucridi nomen in patria fui. To : Nomen atque omen quantiuis iam est preti. Quin tu hanc emis ? « - Quel est ton nom ? - (en aparté) Maintenant, j’ai peur qu’elle ne fasse une erreur. - Dans ma patrie, j’avais le nom de Lucris. - C’est un prénom et un présage d’un grand prix. Pourquoi ne l’achètes-tu pas ? » Omen garde le sens de /signe/ /verbal/ /qui annonce l’avenir/ que nous avons dégagé ci-dessus ; simplement, il renvoie spécifiquement à un nom propre, dans un jeu d’écho omen / nomen qui n’est sûrement pas anodin pour les Romains31. b) Présage reposant sur un signe au sens large et non spécifiquement sur une parole (1 occurrence) En Cas. 510, omen a le sens positif d'« événement de bon augure » ; le terme ne désigne pas spécifiquement une parole. Lysidame 30

Chez les auteurs ultérieurs, cette nuance positive ou négative pourra éventuellement être portée par un adjectif adjoint au nom ; dans ce cas, il suffira de décrire omen comme un /signe/ /verbal/ /qui annonce l’avenir/. 31 Cf. Collart (1954 : 254), qui souligne le goût des Anciens pour les rapprochements de mots dont les signifiants se ressemblent (voir à ce propos le passage de Cicéron, Diu. 1, 45, 102, cité plus bas).

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complote avec Olympion et s’organise pour pouvoir coucher avec Casina. Chalinus, qui a surpris leur conversation, se réjouit d’avoir tout entendu et se prépare à en parler à sa maîtresse : Cha : Nostro omine it dies ; iam uicti uicimus. « Le jour s’achève avec un présage en notre faveur. De vaincus que nous étions, nous voici désormais vainqueurs. » C’est le fait que Chalinus ait surpris les plans de ses ennemis qui est désigné par omen. Le terme renvoie à un événement qui permet d’anticiper l’avenir en bien et l'adjectif possessif noster permet d'en indiquer le bénéficiaire. Dans ce passage, omen est un simple /signe/ /qui annonce un avenir/ /positif/32. 2.1.2. Térence Chez Térence, on ne relève qu’une occurrence d’omen, dans l’Andrienne, au vers 200. Simon se prépare à marier son fils, amoureux d’une autre femme que sa promise. Il insiste auprès de son esclave Dave pour que ce dernier n’aille pas intriguer et perturber ce mariage. Si : Si sensero hodie quicquam in his te nuptiis Fallaciae conari, quo fiant minus, Aut uelle in ea re ostendi, quam sis callidus, Verberibus caesum te in pistrinum, Daue, dedam usque ad necem, Ea lege atque omine, ut, si te inde exemerim, ego pro te molam. (Térence, Andr. 196-200) « Si je m’aperçois aujourd’hui que, concernant ces noces, tu entreprends la moindre fourberie pour empêcher qu’elles n’aient lieu, ou que tu veux montrer à cette occasion à quel point tu es rusé, Dave, je te livrerai à la meule, roué de coups, jusqu’à la mort, avec cet engagement et cette prédiction que, si je t’en retire, ce sera moi qui ferai tourner la meule à ta place. » L’expression ea lege atque omine est développée par un ut explicatif. Pour lex, nous avons retenu le sens d’ « engagement »33 et pour

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Il s’agit donc d’un autre sens puisque le mot a perdu le sème inhérent /verbal/ ; /positif/ reste un sème afférent. 33 Cf. le DELL, s.u. lex (1967 : 353), où les auteurs dégagent que ce qui prime dans le concept de lex est l’idée d’un contrat entre deux hommes.

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omen son sens de « prédiction »34 qui se rencontrait chez Plaute. La spécificité de cette occurrence vient du fait que c’est le locuteur qui profère de lui-même l’omen, au lieu de le saisir au vol et, ce faisant, contraint l’avenir. Par ailleurs, le terme omen ne sert plus à caractériser des mots qui viennent d’être proférés, mais à annoncer une parole qui va l’être. 2.1.3. Accius Les fragments d’Accius présentent trois occurrences35 d’omen. L’une d’entre elles renvoie clairement à une parole annonçant l’avenir : il s’agit d’Astyanax XI Dangel (= Ribbeck 171) : Nunc Calchas fines religionum fac [ac] desiste exercitum morari nec me ab domuitione arce ex tuo obsceno omine. « Maintenant, Calchas, mets un terme à tes scrupules religieux, cesse de retarder l’armée et ne m’empêche pas de retourner chez moi suivant ta prédiction sinistre. » Dans ce passage, l’omen est rattaché au personage du devin Calchas, - personne qui parle par excellence ; il est probable que le terme renvoie à une parole prophétique émise précédemment par le devin, bien que l’aspect fragmentaire du texte ne nous permette pas d’en être certaine. En Phéniciennes I Dangel (= Ribbeck 581), il est manifeste, cette fois, que l’omen n’est pas une parole : Sol qui micantem candido curru atque equis Flammam citatis feruido ardore explicas, Quianam tam aduerso augurio et inimico omine Thebis radiatum lumen ostentas [tuum] ? « Soleil, toi qui, sur un char éclatant et avec des chevaux rapides, déploies ta flamme éblouissante, avec une bouillante ardeur, pourquoi donc, avec un augure si opposé et un présage si hostile présentes-tu à Thèbes ta lumière rayonnante ? »

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Cf. le dictionnaire Gaffiot, s.u. omen, qui attribue à omen pour ce passage le sens de « prédiction formelle ». 35 Ces occurrences sont citées à partir de l’édition des fragments d’Accius par J. Dangel aux Belles Lettres (Paris, 2002) : Accius. Œuvres – Fragments.

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L’omen est ici constitué par la chaleur étouffante des rayons du soleil. Augurium et omen font paire, sans qu’il soit possible d’établir de nette distinction entre les deux mots36. 2.1.4. Conclusion : les emplois archaïques À l’époque archaïque, omen s’emploie donc avant tout pour caractériser le fait qu’une parole, un nom propre, voire un événement quelconque, ont une portée prédictive. De par cette valeur de renvoi, le terme est fréquemment associé à un démonstratif et, suivant la nature des paroles ou des faits qu’il caractérise, peut présenter une valeur positive ou négative qui ne lui appartient pas en propre. Cette souplesse d’emploi se voit aussi dans le fait qu’omen peut renvoyer indifféremment à une parole prédictive présentée du point de vue de celui qui l’entend (cf. Plaute Merc. 274) ou de celui qui l’émet (cf. par exemple le passage de Térence étudié cidessus ou celui de Plaute Amph. 722). Du fait de la plus grande fréquence des occurrences où omen renvoie à un présage verbal, nous avons été amenée à poser pour le terme le sens premier de /signe/ /verbal/ /qui annonce l’avenir/, avec l’idée que le terme s’appliquait sans doute de manière originelle à des paroles37, avant de s’utiliser pour tout type de signe. En cela, nous suivons l’étymologie des Anciens. Nous trouvons un indice concordant avec cette hypothèse dans le sens du verbe dénominatif ominari, qui renvoie au fait de proférer une parole prédictive. Quand omen renvoie à tout type de signe38, il y aurait une extension de sens39 qui ferait du mot l’équivalent d’auspicium (employé au sens large de signe indiquant la volonté divine et non dans son sens 36

De même, dans le dernier fragment d’Accius (Oenomaus VIII Dangel = Ribbeck 508) il est question d’obtenir de bons présages (fausta omina) au sens large de « signes qui annoncent l’avenir » : Vos ite actutum atque opere magno edicite/ Per urbem, ut omnes, qui arcem Alpheumque accolunt, / Ciues ominibus faustis augustam adhibeant / Fauentiam, ore obscena dicta segregent « Vous, partez aussitôt et donnez-vous du mal pour faire savoir, à travers la ville, que tous ceux qui habitent la citadelle et les rives de l’Alphée adoptent un silence sacré afin d’avoir de bons présages et qu’ils chassent de leur bouche des paroles néfastes. » On retrouve dans ce passage une allusion à l’expression fauete linguis, qui renvoie à la nécessité pour le public de se taire lors d’une cérémonie sacrée, afin de ne pas la perturber en proférant par erreur des paroles de mauvais augure (Cf. Sénèque, De uita beata, 26, 7) ; voir à ce propos Porte (1989 : 31). 37 Voir sur ce point Moussy (1977) qui définit omen comme une « parole annonciatrice ». 38 Il est à noter que ce sens est très ancien puisqu’il apparaît dès l’œuvre de Plaute. 39 Cf. Martin (1983 : 79).

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technique précis d’observation du vol des oiseaux). Le point de contact entre les deux termes se fait sans doute par le postulat que l’avenir dépend de la volonté des dieux ; si l’omen se veut une annonce de l’avenir, ce dernier répond à la volonté divine. C’est cette volonté qui se manifeste dans les auspices, en réponse à la demande du prêtre, si bien que suivre de bons auspices, c’est se garantir un avenir réussi, tout comme négliger des auspices négatifs est dangereux. Une différence entre les deux notions reste cependant, à notre avis, que cette notion de volonté divine est toujours impliquée par auspicium, pas du tout par omen, puisqu’il s’agit en général de signes donnés par les hommes. L’idée que l’omen serait un signe saisi par hasard, dont les chercheurs contemporains nous disent qu’elle est constitutive de l’omen, ne nous semble pas spécialement marquée dans les occurrences que nous avons étudiées. Au contraire, le fait que les personnages puissent d’eux-mêmes choisir de proférer des omina afin d’influencer l’avenir nous semble indiquer que ceux-ci peuvent être intentionnels. 2.2. Les emplois ultérieurs d’omen : Cicéron, Virgile, Tite-Live Pour déterminer si les sens que nous avons dégagés pour omen à l’époque archaïque se maintiennent chez les auteurs ultérieurs ou subissent une évolution, nous nous pencherons sur les emplois du terme dans les œuvres de Cicéron, de Virgile et de Tite-Live, dans lesquelles les occurrences du mot abondent et qui nous permettent de confronter des genres littéraires variés. 2.2.1. Cicéron Cicéron, de par son statut d’augure, s’est particulièrement intéressé à la divination et, à ce titre, constitue pour nous une source précieuse. Son œuvre présente 46 emplois d’omen. Les emplois cicéroniens du terme ont déjà été finement décrits par F. Guillaumont (1984 : 190-193). Nous ne retiendrons ici que les exemples qui nous semblent les plus éclairants en regard des emplois archaïques. a)

Parole annonciatrice de l’avenir

Chez Cicéron, pour F. Guillaumont (1984 : 190-191), le terme omen s’emploie « presque toujours [pour] un présage fourni par la parole humaine ». De fait, dans le De diuinatione, 1 102, Cicéron définit l’omen 61

comme verbal, en insistant sur le poids des paroles lors des cérémonies religieuses et en établissant un lien entre les omina et les uoces, ainsi que les nomina : Neque solum uoces Pythagorei obseruitauerunt, sed etiam hominum quae uocant omina. Quae maiores nostri quia ualere censebant, idcirco omnibus rebus agendis « quod bonum, faustum, felix fortunatumque esset » praefabantur, rebusque diuinis quae publice fierent ut « fauerent linguis » imperabatur, inque feriis imperandis ut « litibus et iurgiis se abstinerent. » Itemque in lustranda colonia ab eo qui eam deduceret et cum imperator exercitum, censor populum lustraret, bonis nominibus qui hostias ducerent eligebantur. Quod idem in dilectu consules obseruant, ut primus miles fiat bono nomine. (Cicéron, Diu. 1, 102). « Et les Pythagoriciens n’ont pas seulement prêté attention aux paroles des dieux, mais aussi à celles des hommes qu’ils appellent omina (“présages”). Nos ancêtres, parce qu’ils estimaient que celles-ci avaient de la valeur, avant de faire toute chose précisaient : “puisse cela être bon, heureux, fortuné et prospère” ; dans les cultes qui étaient célébrés en public, on ordonnait qu’“ils fassent silence” et quand il fallait décréter des fêtes, qu’“ils s’abstiennent de conflits et de querelles”. De même, quand celui qui avait fondé une colonie devait en faire la lustration, ou un général pour son armée, ou un censeur pour le peuple, ils choisissaient pour conduire les victimes des hommes avec des noms de bon augure. Les consuls observent la même coutume quand ils lèvent une armée, de sorte que le premier soldat recruté porte un nom de bon augure. » En de diuinatione 2, 149 encore, il est manifeste que Cicéron fait allusion à un présage oral, l’omen étant du côté de l’audition40 : Instat enim et urget et quo te cumque uerteris, persequitur siue tu auem siue tu omen audieris, siue immolaris siue auem adspexeris (…). « La superstition menace, te presse et te poursuit où que tu te tournes, suivant que tu aies entendu un devin ou un présage, suivant que tu aies immolé ou vu un oiseau (…). »

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Pour d’autres occurrences où omen désigne clairement un présage oral, voir par exemple Catil. I, 33 ou Phil. 9, 9.

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Comme chez Plaute, le mot peut s’appliquer aussi bien à des paroles de mauvais augure qu’à des souhaits appelant un avenir positif. On le voit bien en Contre Pison, 31, où Cicéron oppose les bona et les tristissima omina. Itaque credo si minus frequentia sua uestrum egressum ornando atque celebrando, at ominibus saltem bonis ut consules, non tristissimis ut hostes aut proditores prosequebantur. « C’est pourquoi à mon avis, si les hommes, en honorant et célébrant votre départ, vous ont accompagnés en moins grand nombre, du moins ils vous ont accompagnés, comme des consuls, de souhaits heureux, non, comme des ennemis ou des traîtres, de malédictions. » Dans ce cas, omen est un terme neutre et c’est l’adjectif qui permet de comprendre la teneur de cette parole qui engage l’avenir41. Mais la valeur positive ou négative du terme peut aussi être induite par le contexte sans qu’il soit besoin de préciser omen par un adjectif. α) Avec un sens négatif : formule de mauvais augure Le corpus cicéronien est ainsi marqué par la fréquence de la formule quod di omen auertant et ses variantes, dans lesquelles, omen désigne un présage négatif, dont on demande aux dieux d’empêcher la réalisation. Ce type d’emploi n’est pas propre à Cicéron, mais apparaissait déjà chez Plaute, notamment en Most. 464 étudié ci-dessus, où les personnages s’empressent de conjurer un omen inquiétant en faisant appel aux dieux. Chez Cicéron42, cette formule propitiatoire renvoie toujours à des paroles qui viennent d’être prononcées ou vont l’être. Elle présente 7 occurrences dans les Philippiques, avec de légères variantes : quod di omen 41

On notera qu’ici l’omen est proféré volontairement par le locuteur. De la même manière en Pro Sestio 71, le terme est associé à execratio, ainsi qu’à l’adjectif malus : Cicéron évoque le départ de Rome de Gabinius et de Pison, qui partent malis ominibus atque execrationibus. 42 Cette formule est particulièrement chère à Cicéron ; dans tout le reste de la littérature latine, elle se rencontre uniquement deux fois chez Tite-Live (23, 13, 4 et 28, 41, 13), et une fois chez Virgile, en Aen. 2, 190, (voir ci-dessous pour ces occurrences de Tite-Live et Virgile). Il faut y ajouter un passage d’Ovide, Héroides, 13, 49, où les dieux sont appelés au secours du locuteur pour annuler un omen, mais avec une formule différente : di, precor, a nobis omen remouete sinistrum (« dieux, je vous en prie, éloignez de nous ce sinistre présage »).

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auertant en Phil. 3, 35 et 13, 41 ; di immortales omen (+ génitif) auertant en Phil. 14, 26 ; quod di omen auerterint en Phil. 12, 14 ; quod omen auertat Iuppiter en Phil. 13, 7 ; hoc quidem detestabile omen auertat Iuppiter en Phil. 11, 11 ; o di immortales auertite et detestamini, quaeso, hoc omen en Phil. 4, 9. Dans le reste du corpus cicéronien, on en relève 6 autres occurrences : quod Iuppiter omen auertat en Pro Murena 88 et Ad Brut. 1, 12, 1 ; quod di omen obruant en Har. resp. 42 ; quod di omen auertant en Ad Brut. 1, 10, 543 ; Ad Fam. 12, 6 ; quod di immortales omen auertant en Pro L. Flacco, 104. Fondamentalement, cette formule répond à la conviction des Latins que la parole est agissante44 et qu’il convient donc de ne pas dire n’importe quoi, - et, en cas de faux pas, de rattraper au plus vite l’erreur commise par une formule de rectification45. Cela rappelle la volonté des personnages de Plaute d’avoir le dernier mot, puisque celui qui prononcera le dernier une formule de bon augure verra la chance lui échoir (cf. Cas. 402 sequ.). Dans la bouche de Cicéron, comme le fait remarquer F. Guillaumont (1984 : 192), cette expression n’est en rien révélatrice d’une quelconque foi de notre auteur en l’omen. Mais il s’agit d’une formule figée, du type « à Dieu ne plaise » en français, qui vise à renforcer le propos en le dramatisant. Pour toucher son auditoire, Cicéron fait surgir, par ses propos, une image effrayante, qu’il conjure aussitôt en demandant aux dieux de ne pas faire advenir cette situation, au cas où ses paroles pourraient être perçues comme un omen prémonitoire. On comprend ainsi la prédominance de l’expression dans les Philippiques, où Cicéron veut attirer l’attention de l’auditoire sur le danger qu’Antoine fait peser sur l’État. Notre auteur n’hésite alors pas à évoquer à plusieurs reprises le drame que serait la chute de la République46. Dans cette expression, on retrouve, suivant les cas, la valeur anaphorique ou cataphorique d’omen : le terme renvoie à tout propos 43

Dans cette lettre à Brutus, Cicéron évoque l’éventuelle chute de la république : uelim deinceps meliora sint ; sin aliter fuerit (quod di omen avertant!), rei publicae uicem dolebo, quae immortalis esse debeat. (« Je voudrais que la situation soit meilleure ; s’il en allait autrement, - les dieux nous en préservent -, je pleurerais à mon tour la république qui aurait dû être immortelle. ») 44 Sur cette question, voir Champeaux (1997 et 2005) ou Bloch (1964 : 95). 45 Cf. Porte (1989 : 30). 46 Par exemple en Phil. 3, 35 : Quod si iam - quod di omen auertant! - fatum extremum rei publicae uenit ! (« Et si, les dieux nous en préservent, le pire advient à la république ! »). Dans ses autres discours, la formule surgit souvent quand Cicéron vient d’évoquer les échecs, voire la mort de son client. Ainsi en Pro Murena 88 : si - quod Iuppiter omen auertat! - hunc uestris sententiis adflixeritis, quo se miser uertet ? (« si, puisse Jupiter éviter cela, vous le condamnez, ou le malheureux se tournera-t-il ? »). En Flacc. 104, Cicéron conjure avec cette formule l’idée que L. Flaccus puisse subir des blessures.

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négatif qui vient d’être prononcé, ou va l’être incessamment, d’où le fréquent relatif de liaison quod ou le démonstratif hoc. Il faut rattacher à ce type d’emploi l’expression ne ominis quidem causa (« pour ne pas même causer de mauvais présage ») où le locuteur s’interdit de prononcer des paroles négatives qui pourraient ensuite appeler un avenir néfaste. Là encore, omen a une valeur négative47 : Sin has caedes et rapinas et hos tantos tamque profusos sumptus aut facient aut approbabunt - nolo in eos grauius quicquam ne ominis quidem causa dicere-, unum hoc dico : nostri isti nobiles nisi uigilantes et boni et fortes et misericordes erunt, iis hominibus, in quibus haec erunt, ornamenta sua concedant necesse est (Pro Sex. Roscio Amerino, 139). « Mais si [les gens qui se plaignent] approuvent ces meurtres, ces vols, ces dépenses si grandes et excessives, - je ne veux rien dire à leur encontre de plus grave, pour ne pas même causer de mauvais présage -, je ne dirai qu’une chose : si les nobles ne sont pas vigilants, honnêtes, courageux et compatissants, qu’ils cèdent leurs honneurs aux hommes en qui ces vertus se rencontrent. » De ces emplois ressort l’idée que le locuteur peut lui-même, de par ses propos, créer un omen négatif48, mais aussi bien le conjurer. β) Avec un sens positif : formule de souhait Dans le corpus cicéronien, omen peut, suivant le contexte, prendre aussi le sens de « souhait », qu’il présentait déjà chez Plaute : il s’agit d’une parole proférée volontairement par un individu pour avoir de l’effet sur l’avenir, ce qui n’est pas le cas de l’omen non intentionnel, interprété a posteriori. En Pro Plancio 26, le contexte montre ainsi qu’il s’agit d’un souhait positivement orienté ; d’ailleurs, le terme est associé à uota. Cicéron fait un parallèle entre les services que lui a rendus Plancius et ceux que les habitants de Minturnes ont rendus à Marius :

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Voir aussi Ad Fam. 4, 4. Pour un exemple où le locuteur prononce de lui-même des paroles de mauvais augure, voir aussi Pro Cluentio 14, Cicéron évoque la perfidie de Sassia, matrone, qui a intrigué pour séparer sa propre fille de son gendre, afin d’épouser elle-même l’homme en question : Nubit genero socrus nullis auspicibus, nullis auctoribus, funestis ominibus omnium. (« Une bellemère se marie avec son gendre, sans témoin, sans aucun garant, avec les malédictions de tous »).

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An Minturnenses coloni, quod C. Marium e ciuili ferro atque ex impiis manibus eripuerunt, quod tecto receperunt, (…) quod eum linquentem terram eam, quam seruarat, uotis ominibus lacrimisque prosecuti sunt, aeterna in laude uersantur ? « Eh quoi ? Les habitants de la colonie de Minturnes reçoivent une louange éternelle parce qu’ils ont arraché Marius à la guerre civile et à des mains criminelles, parce qu’ils l’ont accueilli sous leur toit (…), parce que, quand il a quitté la terre qu’il avait autrefois sauvée, ils l’ont accompagné de leur vœux, de leurs souhaits, de leurs larmes ? » γ) Cas particulier de la parole qui repose sur un nom propre : Cette parole ominale peut être constituée d’un simple nom propre, comme c’était déjà le cas chez Plaute. Cicéron emploie à deux reprises l’expression omen nominis (« omen constitué par un nom ») en Phil. 7, 11, à propos du nom de Brutus, et en Pro Scauro 30 à propos du nom de Valerius49. Dans le corpus cicéronien, comme nous venons de le voir, omen est majoritairement utilisé pour désigner une parole annonçant l’avenir50. Mais il peut aussi servir à renvoyer à tout signe annonçant l’avenir, sans spécificité orale. b) Signe non verbal annonciateur de l’avenir Certains passages du De diuinatione tendent en effet à montrer qu’à l’époque de Cicéron omen peut être considéré comme un équivalent de

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Pour une analyse de ces deux passages voir Guillaumont (1984 : 192). Ces emplois sont à différencier des deux occurrences d’omen en Verr II, 2, 18 et 19. Le terme y présente son sens habituel de « parole qui annonce l’avenir », et il renvoie à des prédictions faites à partir du nom de Verrès, les gens déduisant de son nom qu’il va euerrere, « balayer, nettoyer » sa province ; mais omen renvoie ici au contenu des propos tenus par les gens, non au nomen de Verrès lui-même. Ainsi peut-on lire en Verr. II, 2, 19 par exemple Quo die Siciliam tetigit uidete satis ne paratus ex illo omine urbano ad euerrendam prouinciam uenerit -, statim Messana litteras Halaesam mitti. (« Le jour où il arriva en Sicile, - voyez s’il n’est pas venu suffisamment préparé à nettoyer (=euerrere) la province, suivant la prédiction qui circulait en ville - aussitôt, il envoya une lettre de Messine à Halèse ») . 50 38 occurrences, parmi lesquelles nous avons détaillé ici celles qui nous semblaient les plus éclairantes.

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augurium ou auspicium51. Ainsi, en Diu. 1, 104, il est question de capere omen, expression qui marque une intentionnalité dans la recherche du présage évoquant celle de la prise d’auspices52 : L. Flaccum, flaminem Martialem, ego audiui, cum diceret Caeciliam Metelli, cum uellet sororis suae filiam in matrimonium conlocare, exisse in quoddam sacellum ominis capiendi causa, quod fieri more ueterum solebat. « Moi, j’ai entendu le flamine de Mars L. Flaccus raconter que Caecilia, fille de Metellus, comme elle voulait marier la fille de sa sœur, s’était rendue dans un sanctuaire pour obtenir un présage, comme cela se faisait suivant la coutume de nos ancêtres. »53 Ou encore en Diu. 1, 106, l’omen consiste dans les agissements d’un oiseau54 : il s’agit d’un aigle terrassant un serpent. Marius en voyant ce présage l’interprète comme le signe de son retour prochain, ce qui lui est confirmé par un grondement de tonnerre : Sic aquilae clarum firmauit Iuppiter omen. « Ainsi Jupiter confirma l’illustre présage de l’aigle. » Signalons enfin le cas particulier du vote de la première centurie lors des comices, la centuria praerogatiua évoquée en Pro Murena 3855, qui 51

C’est ce que confirme Guillaumont (1984 : 179) qui décrit auspicium comme pouvant signifier « signe divinatoire au sens large » chez Cicéron. 52 Cf. l’expression augurium capere chez Tite-Live en 10, 7, 10 ou Suétone en Aug. 95, 2. Voir aussi pour ce type d’emplois d’omen les passages de Phil. 12, 19 et Ad. Fam 3, 12 où omen est cette fois associé à l’adjectif optimus, dans l’expression optimis ominibus (« avec d’excellents présages, avec des signes d’excellent augure »). 53 Dans ce passage, Cicéron ne précise pas initalement si le présage attendu par Caecilia est de nature orale ou non ; cependant, il écrit un peu plus loin, pour indiquer que le présage se fait attendre : cum … neque diu ulla uoca exstitisset (« et puisqu’aucune voix ne s’était manifestée pendant tout ce temps »), ce qui laisse entendre que la voix est prépondérante pour un omen. 54 Pour d’autres occurrences où omen désigne un présage reposant dans des faits, voir aussi De lege agraria, 2, 92 ; De domo sua 140 ; ou Verr. II, 1, 99 (pour une analyse de ce dernier passage, voir Guillaumont, 1984 : 193). 55 Etenim si tanta illis comitiis religio est ut adhuc semper omen ualuerit praerogatiuum, quid mirum est in hoc felicitatis famam sermonemque ualuisse? (« Et en effet, si les comices ont un tel respect de la religion que le présage tiré du vote de la centurie prérogative a toujours eu de la valeur, qu’y a-t-il d’étonnant à ce que, sur ce point, sa réputation de bonne fortune et les propos [des hommes] aient eu du poids ? »).

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fournit ce que Cicéron appelle un omen praerogatiuum : c’est son vote qui a valeur de signe. Ces emplois ne présentant que 8 occurrences dans le corpus cicéronien, contre 38 pour omen appliqué à une parole, cela semble confirmer que, comme chez Plaute, la notion de signe verbal est au cœur du sens d’omen. 2.2.2. Virgile Cependant, l’Énéide de Virgile56 va présenter un tableau inverse. En effet, sur 22 occurrences d’omen, seules deux d’entre elles renvoient à une parole, en l’occurrence de mauvais augure. a) Parole annonçant l’avenir Par exemple, en Aen. 12, 72-7457, la reine Amata pleure et vient d’expliquer à Turnus qu’il peut mourir s’il va combattre Énée. Turnus s’oppose alors à ce que soient prononcées des paroles de si mauvais augure pour lui : Ne, quaeso, ne me lacrimis neue omine tanto Prosequere in duri certamina Martis euntem, O mater (…). « Je t’en prie, alors que je pars pour un dur combat à la guerre, ne m’accompagne pas de tes larmes ou de paroles de si mauvais présage, ô mère. » b) Signe non-verbal annonçant l’avenir Ce type d’emploi d’omen présente 20 occurrences dans l’Énéide. Par exemple, en Aen. 12, 853-854, Jupiter envoie une Furie à Juturne pour l’obliger à quitter son frère Turnus, afin que le combat entre Énée et Turnus puisse avoir lieu. C’est l’envoi même de la Furie qui doit servir d’omen : 56

Si nous avons retenu cette œuvre de Virgile pour notre étude, c’est qu’elle est intéressante à double titre : elle comporte de très nombreux renvois à la religion romaine et elle a été commentée par Servius, ce qui nous donne des indications sur la façon dont les Latins euxmêmes comprenaient le vocabulaire virgilien. 57 Ou encore en Aen. 2, 190, omen renvoie à des paroles de mauvais augure qui auraient été prononcées par Calchas, que Sinon tente de conjurer par la formule quod di prius omen in ipsum / conuertant, qui rappelle des formules similaires que nous avions relevées dans l’œuvre de Cicéron.

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Harum unam celerem demisit ab aethere summo Iuppiter inque omen Iuturnae occurrere iussit. « Parmi elles [=les Furies], Jupiter en choisit une rapide et il lui ordonne d’aller trouver Juturne, depuis le haut de l’éther, pour servir de présage. » Des phénomènes naturels variés peuvent avoir valeur d’omen chez Virgile. Les flammes sont ainsi un présage récurrent58. En Aen. 2, 685, une couronne de flammes embrase la tête d’Iule. Anchise s’adresse alors à Jupiter : (…) et si pietate meremur, Da deinde auxilium, pater, atque haec omina firma. (Aen. 2, 690691) « Si notre piété le mérite, Père, donne nous ton aide et confirme ces présages. »59 Au sujet de ce passage, Servius, dans son Commentaire à l’Énéide, fait une équivalence omen / augurium et reprend aussi omen par uisa (« les choses vues ») : Secundum Romanum morem petit ut uisa firmentur, non enim unum augurium uidisse sufficit, nisi confirmetur ex simili. « Suivant la coutume romaine, il demande que ce qui a été vu soit confirmé. En effet, il ne suffit pas d’avoir vu un seul augure s’il n’est pas confirmé par un second qui lui soit semblable ». Chez Virgile, ces signes sont par ailleurs souvent des signes célestes , et en cela, ils font penser aux auspicia. Ainsi, en Aen. 9, 21, Iris 60

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Voir par exemple aussi Aen. 4, 661-662, à propos des flammes du bûcher de Didon dont celle-ci veut qu’elles soient, pour Énée, des omina mortis (« signes de notre mort »). Ou encore, au livre 5 de l’Énéide, Virgile raconte comment, lors de jeux pour célébrer la mort d’Anchise, se produit un omen : Aceste lance une flèche qui prend feu en vol. Comme cela lui est permis, Énée choisit d’accepter ce présage (Aen. 5, 530-531) : (…) nec maximus omen / abnuit Aeneas (« Le grand Énée ne refuse pas le présage »). Là encore, Servius commente cet omen en employant le terme uisa : nam nostri arbitrii est uisa omnia uel inprobare, uel recipere (« car il relève de notre libre arbitre de refuser ou d’accepter tout ce que nous voyons. »). 59 La confirmation du présage ne se fait d’ailleurs pas attendre, car Jupiter fait retentir le tonnerre et envoie une étoile filante (Aen. 2, 692-698).

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vient de parler à Énée et, en s’en allant, laisse derrière elle un arc-en-ciel ; le ciel s’ouvre en outre sous les yeux d’Énée. C’est à ces phénomènes célestes que renvoie le terme d’omina61 : (…) Sequor omina tanta, Quisquis in arma uocas. (…) « J’obéis à de si grands présages, qui que tu sois qui nous appelles aux armes. » Le présage peut encore être constitué par un animal (le plus souvent un oiseau), ce qui est un indice supplémentaire de l’équivalence entre omen et auspicium chez Virgile62. En Aen. 3, 359-364, Énée implore Hélénus de lui prédire son avenir et de lui dire les périls qu’il risque de rencontrer sur sa route63. Troiugena, interpres diuom, qui numina Phoebi, Qui tripodas, Clarii laurus, qui sidera sentis Et uolucrum linguas et praepetis omina pinnae, Fare age (…). « Fils de Troie, interprète des dieux, qui comprends la volonté de Phébus, les trépieds, les lauriers d’Apollon, les astres, la langue des oiseaux, et les présages de leurs ailes rapides, parle-moi donc (…). » Cette équivalence omen / auspicium est encore manifeste dans l’expression omina repetere (« rechercher les auspices »), qui apparaît en 60

Ainsi, en Aen. 7, 146, l’expression magnum omen renvoie au fait que Jupiter a tonné trois fois et a éclairé le ciel de rayons lumineux en réponse aux prières d’Énée. 61 À propos de ce passage, Servius, dans son commentaire, souligne qu’omen est l’équivalent de tout autre terme désignant un phénomène qui annonce l’avenir : omina tanta : scilicet caelestia. Et haec omina pro signis uel auspiciis posuit (« de si grands présages : assurément, il parle de signes célestes et a employé ici omina à la place de signa ou d’auspicia »). 62 Ainsi, en Aen. 537-538, les Troyens en s’approchant des côtes italiennes voient des chevaux qui sont considérés comme des présages de guerre : Quattuor hic, primum omen, equos in gramine uidi / Tondentis campum late, candore niuali. (« Je vis, premier présage, quatre chevaux blancs comme la neige, paissant dans l’herbe, sur une vaste plaine »). Sur la valeur guerrière de l’omen porté par un cheval, voir Bayet (1941). Sur la question du présage animal en général, voir aussi Février (2003 : 50 sequ.). 63 Servius glose ainsi ce passage : et praepetis omina pinnae : praepetes sunt quae secundo auspicio ante eum uolant qui auspicatur. (…) (« les [oiseaux] praepetes sont ceux qui, dans le cas d’un présage favorable, volent devant celui qui prend les auspices »).

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Aen. 2, 178, quand Calchas parle de prendre les auspices, et qui rappelle auspicia repetere. La notion même de recherche volontaire qu’implique le verbe repetere fait bien davantage penser aux auspices qu’aux omina64. C’est l’assimilation des deux termes qui permet, en Aen. 1, 345346, un emploi original du terme : à partir d’un sens premier d’« auspices que l’on prend avant le mariage»65, omen en vient, par métonymie, à désigner le mariage lui-même. Il est question de Didon et Sychée : Cui pater intactam dederat primisque iugarat Ominibus (…). « [Sychée] à qui son père l’[=Didon] avait donnée vierge, et unie en un premier mariage (…). » L’omen non-verbal partage l’ambivalence de l’omen oral et peut, chez Virgile, caractériser indifféremment de bons ou de mauvais présages. C’est le contexte qui permet de faire la différence. α) Signe non-verbal à portée posititive Par exemple, en Aen. 10, 310-31166, c’est le fait qu’Énée engage le combat qui est un omen positif : (…) primus turmas inuasit agrestis Aeneas, omen pugnae, strauitque Latinos.

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Voir aussi Aen. 3, 407, où omen désigne les auspices que l’on prend au moment du sacrifice, ou Aen. 11, 589, où l’expression infausto omine est équivalente à infausto auspicio : Tristis ubi infausto committitur omine pugna (« Là où un combat sinistre s’engage sous de mauvais auspices »). 65 Dans leur édition des œuvres de Virgile, F. Plessis et P. Lejay (Paris, Hachette, 1913) indiquent à ce propos p. 262 : « Le rite initial du mariage romain est une prise d’auspices qui se faisait primitivement par l’observation des oiseaux, le plus souvent par l’inspection des entrailles d’une victime. » Pour Servius, dans ce passage, ominibus équivaut à auguriis : Ominibus : auguriis. Et secundum Romanos locutus est qui nihil nisi captis faciebant auguriis, et praecipue nuptias (« Et il parle suivant l’habitude des Romains qui ne faisaient rien sans avoir pris les augures, en particulier pour des noces »). 66 Voir encore en Aen. 7, 173-174 : c’est le fait pour les rois latins de recevoir leur sceptre dans le palais de Picus qui est de bon présage : Hic sceptra accipere et primos attollere fasces / Regibus omen erat (…). (« Recevoir ici le sceptre et y prendre les premiers faisceaux était pour les rois un bon présage (…)»). Ou Aen. 10, 249-250.

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« Le premier, Énée attaque les bataillons des paysans, bon présage pour le combat, et il abat les Latins. » β) Signe non-verbal à portée négative Mais omen peut aussi s’appliquer à un présage inquiétant. Ainsi, en Aen. 3, 36, le terme renvoie au fait que, en coupant des branches, Énée remarque que les arbres dégouttent d’un sang noir. Inquiet, il fait alors une prière : Multa mouens animo Nymphas uenerabar agrestis Grauidomque patrem, Geticis qui praesidet aruis, Rite secundarent uisus omenque leuarent. (Aen. 3, 34-36) « En ressassant tout cela, j’implorais les Nymphes des champs et le grand Gravidus, qui règne sur les champs des Gètes, de bien vouloir me rendre favorable ce que j’avais vu et d’adoucir le présage. » Toutes ces occurrences montrent clairement que, pour Virgile, l’omen ne présente pas de spécificité orale. Cette extension de sens s’explique peut-être par l’érosion simultanée des termes auspicium et augurium, qui perdent la valeur technique qui était la leur dans la Rome archaïque67. Tous ces termes deviennent alors équivalents pour désigner des signa qui peuvent servir d’indicateurs de l’avenir, que ceux-ci soient verbaux ou non, positifs ou négatifs. 2.2.3. Tite-Live Nous terminerons rapidement en évoquant les occurrences d’omen dans l’œuvre de Tite-Live, auteur friand de prodiges et de signes divers68. On relève 29 occurrences du terme dans son œuvre. Comme chez les auteurs précédemment étudiés, l’omen livien peut reposer sur un signe verbal (13 occurrences69) ou tout autre type de signe (15 occurrences) ; on relèvera cependant un emploi original, propre à notre auteur, où le terme désigne un pressentiment.

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Pour les emplois de ces deux termes chez Virgile, voir notamment Gasparotto (1989 : 142146). 68 Cf. Guittard (2007). 69 Avec une préférence pour le cas particulier du nom ominal (6 occurrences).

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a) Parole annonçant l’avenir En 5, 55, 270, il s’agit de faire référence à des paroles entendues, sur la place des comices de la bouche d’un centurion (signifer, statue signum ; hic manebimus optime), qui sont comprises comme un présage par les Romains qui hésitaient à quitter leur ville, détruite par les flammes : Qua uoce audita et senatus accipere se omen ex curia egressus conclamauit et plebs circumfusus adprobauit. « À peine cette parole entendue, le sénat dit qu’il acceptait le présage et la foule, répandue tout autour de la curie, l’approuva. » En 38, 18, 10, omen renvoie à des propos prophétiques en soi, puisqu’il s’agit des vaticinations des prêtres de la Grande Déesse : Transgressis ponte perfecto flumen praeter ripam euntibus Galli Matris Magnae a Pessinunte occurrere cum insignibus suis, uaticinantes fanatico carmine deam Romanis uiam belli et uictoriam dare imperiumque eius regionis. Accipere se omen cum dixisset consul, castra eo ipso loco posuit. « Les Galles, prêtres de la Grande déesse, parés des insignes de leur fonction, vinrent à la rencontre des soldats qui avaient traversé le fleuve, une fois le pont achevé, et qui s’avançaient le long de la rive, prophétisant en un chant inspiré que la déesse offrait aux Romains une route vers la guerre et qu’elle leur donnait la victoire, ainsi que la domination de ce pays. Le consul ayant affirmé qu’il acceptait cette prédiction, il installa son camp à cet endroit même. » Ou encore, à la fin de sa préface, au paragraphe 13, l’auteur conclut : Cum bonis potius ominibus uotisque et precationibus deorum dearumque, si, ut poetis, nobis quoque mos esset, libentius inciperemus, ut orsis tantum operis successus prosperos darent. (praefatio, 13) « Si, comme les poètes, nous en avions l’habitude, nous commencerions bien volontiers avec de bons présages, des souhaits et des prières aux dieux et aux déesses pour qu’ils donnent le succès au grand travail que nous entreprenons. »

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Voir aussi 1, 7, 11 ; 9, 14, 8.

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On notera ici l’association avec le substantif uota que nous avions déjà relevée chez Cicéron (Pro Plancio 23). Les omina sont qualifiés de bona, ce qui leur confère une orientation positive. Le terme peut par ailleurs renvoyer à un présage négatif, au sein de la formule conjuratoire id omen di auertant, qui rappelle celles que nous avons relevées dans l’œuvre de Cicéron. Cette expression se rencontre à deux reprises chez Tite-Live, en 23, 13, 4 et 28, 41, 13. À titre d’exemple, nous citerons le second passage, dans lequel Quintus Fabius Maximus débat avec Scipion qui veut porter la guerre en Afrique : Quid si - quod omnes di omen auertant et dicere etiam reformidat animus, sed quae acciderunt accidere possunt - uictor Hannibal ire ad urbem perget, tum demum te consulem ex Africa, sicut Q. Fuluium a Capua, arcessemus. « Et si, - tous les dieux nous en préservent et mon cœur frémit même en le disant, mais, ce qui est déjà arrivé peut se reproduire -, Hannibal, vainqueur, s’avance jusqu’à Rome, alors, seulement, nous te rappellerons d’Afrique, toi le consul, comme nous l’avons fait pour Quintus Fulvius depuis Capoue. » Noms ominaux L’œuvre de Tite-Live nous offre enfin de multiples exemples de noms ominaux, c’est-à-dire que c’est un nom propre qui fait office de signe, comme en 29, 27, 1271 : Scipio quod esset proximum promunturium percontatus, cum Pulchri promunturium id uocari audisset, 'Placet omen;' inquit 'hoc dirigite naues' « Alors que Scipion avait demandé quel était le promontoire le plus proche et qu’on lui avait dit qu’il était appelé Pulchrum, il déclara : « Le présage me convient ; tournez les navires dans cette direction. » Ce nom positif peut être incarné par un objet qui, de par son nom, peut jouer sur le cours des événements. C’est le cas en 22, 37, 5 et 22, 37,11. Lors de la guerre contre Hannibal, le roi Hiéron envoie aux Romains qui ont

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Voir aussi 5, 34, 9 ; 7, 25, 10-11 ; 32, 25, 2.

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subi une défaite, une statue de la Victoire à titre de bon présage ; c’est le nom de la statue qui fait omen, par son signifié, non par son signifiant72 : Iam omnium primum ominis causa Victoriam auream pondo ducentum ac viginti adferre sese : acciperent eam tenerentque et haberent propriam et perpetuam. « Déjà, ils disaient que, pour servir de bon présage, ils apportaient une statue en or de la Victoire, pesant deux cent vingt livres. Qu’ils [= les Sénateurs] la gardent, la conservent et la possèdent en propre à tout jamais. » b) Signe annonçant l’avenir Les passages de l’œuvre de Tite-Live où l’omen renvoie à un signe non-verbal sont à peu près aussi nombreux (15 occurrences). L’événement73 qui prend valeur d’omen peut, par exemple, être une chute74, comme celle du consul Titus Manlius en 10, 11, 2 : Quo uelut omine belli accepto, deos pro se commisisse bellum memorantes Etrusci sustulere animos. « Cela ayant été accepté comme un présage pour la guerre, les Étrusques affirmant que les dieux avaient engagé le combat en leur faveur, reprirent courage. » Cette expression omen belli (« un présage concernant la guerre ») se rencontre aussi en 21, 29, 4 où la défaite d’Hannibal dans une escarmouche est perçue comme un bon présage pour la guerre du point de vue des Romains75. 72

Le roi Hiéron suscite l’omen en envoyant cette statue. Les Romains acceptent ce présage puisque le senat répond que : [populum Romanum] Victoriam omenque accipere sedemque ei se diuae dare dicare Capitolium, templum Iouis optimi maximi (22, 37, 11) : « Le peuple romain accepte cette Victoire et le présage [qu’elle constitue] et il donne et consacre à cette déesse comme séjour le Capitole, le temple de Jupiter très bon et très grand. » 73 Pour d’autres occurrences de ce type, voir par exemple 6, 39, 8 ; 9, 38, 15 ; 21, 63, 14 ; 22, 39, 6 ; 30, 12, 12 ; 31, 45, 15. En 29, 10, 8, omina est associé à fata et oracula ; les trois termes sont sur le même plan et présentés comme concourant à annoncer une victoire. 74 L’omen est encore une chute en 5, 21, 16 ; 22, 3, 12 (où cette chute est caractérisée de foedum omen incipiendae rei). 75 À l’inverse, en 5, 18, 2, Tite-Live construit omen avec le génitif concordiae à propos d’élections qui se passent bien, pour désigner « un présage de paix », un événement qui annonce la paix ; ou en 5, 34, 8, on peut lire l’expression omen fortunae suae : « un présage de leur destinée ».

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Nous avons enfin été frappée par le fait que, comme Virgile avant lui, Tite-Live ne semble pas clairement différencier les termes omen, auspicium et augurium, tous renvoyant de manière analogue à des signes divins, porteurs d’indications sur l’avenir. Par exemple, en 1, 55, 3-476, TiteLive évoque la contruction du Capitole par Tarquin ; celui-ci, pour libérer de l’expace, fait détruire les autels des dieux, sauf celui du dieu Terme que les auspices ne permettent pas de démolir. Cette interdiction faite par les dieux est qualifiée d’omen auguriumque et est comprise comme préfigurant la solidité de l’empire romain. Nam cum omnium sacellorum exaugurationes admitterent aues, in Termini fano non addixere ; idque omen auguriumque ita acceptum est, non motam Termini sedem unumque eum deorum non euocatum sacratis sibi finibus firma stabiliaque cuncta portendere. « Car, alors que les auspices permettaient la désacralisation de tous les autels, ils ne le permirent pas dans le temple de Terme. Et voici comment l’on interpréta ce présage et cet augure : le fait de ne pas modifier la place de Terme et, seul des dieux, de ne pas le chasser du lieu qui lui était consacré, annonçait que tout l’empire serait solide et stable. » L’expression omen auguriumque reprend ici le terme auis (« auspice ») et est reprise elle-même au paragraphe suivant par auspicium77. c) Sentiment du futur, pressentiment : un emploi propre à TiteLive Nous terminerons par une occurrence atypique de Tite-Live où omen désigne un pressentiment, induit par l’attente de l’avenir, et non un présage. Il s’agit du passage de 45, 1, 4. Des rumeurs de victoire des Romains sur le roi Persée sont arrivées à Rome ; les magistrats aimeraient savoir d’où vient ce bruit :

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Voir aussi 41, 18, 14 où l’on relève une association entre les termes omen et auspicium : super tam euidentem tristis ominis euentum etiam ex pullario auditum est uitium in auspicio fuisse (…) (« suite à l’issue si manifeste d’un présage funeste, on entendit le gardien des poulets sacrés dire qu’il y avait eu un vice dans la prise d’auspices »). 77 On peut en effet lire en 1, 55, 5 : Hoc perpetuitatis auspicio accepto secutum aliud magnitudinem imperii portendens prodigium est (…) (« Cet auspice de longévité ayant été accepté, un autre prodige annonçant la grandeur de l’empire suivit »).

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Mirari magistratus et quaerere auctores repentinae laetitiae ; qui postquam nullus erat, euanuit quidem tamquam certae rei gaudium. Omen tamen laetum insidebat animis. Quod postquam ueris nuntiis Fabi Lentulique et Metelli aduentu firmatum est, cum uictoria ipsa tum augurio animorum suorum laetabantur. « Les magistrats s’étonnèrent et demandèrent les responsables de cette joie soudaine. Ils ne le trouvèrent pas ; la joie se dissipa comme si elle avait été suscitée par un événement certain. Cependant, un pressentiment joyeux demeurait dans les cœurs. Une fois que celui-ci eut été confirmé par les nouvelles de Fabius et Lentulus et l’arrivée de Metellus, les gens se réjouissaient de la victoire elle-même, mais aussi du pressentiment de leur âme. » Ce qui repose dans l’âme des Romains n’est pas un omen proprement dit, mais une attente positive de l’avenir. On passe du présage au sentiment qu’il induit concernant un futur à venir. Dans la phrase suivante, omen est repris par augurium qui adopte à son tour le même sens de « pressentiment ». Cet emploi est sans doute à mettre en lien avec le développement des emplois du verbe ominari chez Tite-Live qui, de son sens originel de « prononcer des paroles de bon ou de mauvais augure », en vient à signifier « prédire que » (avec un COD ou une proposition infinitive), puis « imaginer en avance que, avoir le pressentiment que ». Dans notre corpus, comme nous l’avons indiqué ci-dessus, ce verbe, qui ne présente qu’une attestation chez Plaute en Rud. 337 et trois chez Cicéron (Brut. 328 ; Phil. 11, 12 ; Off. 2, 7478), signifie tout d’abord « faire une prédiction, prononcer un omen » (/dire/ /une parole/ /qui annonce le futur/), avec une valeur de verbe de parole79. Chez Tite-Live, on relève en tout 11 occurrences du verbe. Dans 7 d’entre elles80, ominari reste un verbe de parole81, mais comme il présente 78

Sin quae necessitas huius muneris alicui rei publicae obuenerit , - malo enim quam nostrae ominari neque tamen de nostra sed de omni re publica disputo- (…). « Mais si la nécessité de cet expédient [le recours à l’impôt] s’impose à un État, - je préfère en effet faire cette prédiction pour un autre État que le nôtre ; du reste, je ne parle pas seulement du nôtre, mais aussi de tous les autres -, (…) ». 79 Pour ce verbe, Flobert (1975 : 80) signale le sens de « prononcer une parole prémonitoire », avec un emploi transitif ou absolu. 80 Tite-Live 3, 61, 5 ; 7, 30, 23 ; 23, 43, 14 ; 26, 18, 8 ; 41, 18, 10. 81 Signalons que dans deux occurrences de Tite-Live (30, 32, 9 et 42, 30, 8), le verbe ominari est toujours un verbe de parole transitif, mais qu’il présente un sens technique plus précis : « annoncer d’après les auspices que » ; il acquiert ici un sens qui est celui du verbe augurari.

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une construction transitive (il peut être suivi d’un COD ou d’une infinitive), il convient alors de le traduire par « prédire » (c’est-à-dire : /dire/ /en annonçant le futur/). C’est donc la modification de la construction du verbe qui entraîne celle de son sens. Par exemple, en 26, 18, 8, on peut lire : In quem postquam omnium ora conuersa sunt, clamore ac fauore ominati extemplo sunt felix faustumque imperium : « Après que tous les visages se sont tournés vers lui, les hommes, par leurs cris favorables, lui ont prédit aussitôt un commandement heureux et chanceux. » Ou en 41, 18, 10, on rencontre le même verbe suivi d’une infinitive : Ibi adhortantem eum pro contione milites, immemorem ambiguitatis uerbi, ominatum ferunt se eo die Letum capturum esse. « On raconte que là, pendant qu’il haranguait ses soldats devant l’assemblée, sans se rendre compte qu’il tenait des propos ambigus, il prédit qu’il occuperait le Letus le jour même82. » Puis, de ces passages où le verbe introduit un contenu de parole, on glisse vers un usage où il annonce un contenu de pensée83. Ainsi, en 9, 34, 19, Tite-Live évoque un avenir négatif potentiel qu’il dit avoir peur d’imaginer pour éviter de le faire advenir. Le fait que le sujet d’ominari soit animus, contribue à nous pousser à comprendre ominari comme signifiant « imaginer quelque chose en avance, pressentir » 84 : Gens antiquior originibus urbis huius, hospitio deorum immortalium sancta, propter te ac tuam censuram, intra annum ab stirpe exstincta est, nisi uniuersam rem publicam eo nefario obstrinxeris, quod ominari etiam reformidat animus. 82

L’omen repose ici dans l’expression ambiguë Letum capere, qui peut signifier « occuper le Letus » ou, littéralement, « embrasser le trépas», c’est-à-dire « mourir ». Inconsciemment, le consul Petilius prédit sa propre mort. 83 Sans doute le fait que ces deux types de verbes partagent le même type de construction avec une proposition infinitive n’est-il pas étranger à cette évolution. Le verbe augurari présente la même ambiguïté puisque, d’après Gaffiot, s.u. auguror, il peut signifier soit « prédire d’après les augures », soit « prédire, annoncer », soit enfin « conjecturer ». 84 Voir aussi 44, 22, 17 et 44, 55, 4, pour des emplois similaires d’ominari avec le sens d’ «imaginer ». Dans ces deux occurrences, ominari est employé en collocation respectivement avec l’expression certa spe et avec le verbe sperare.

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« Une famille, plus ancienne que les origines de cette ville, sanctifiée par l’accueil des dieux immortels, a été entièrement anéantie durant l’année, par ta faute et celle de ta censure, sans parler du fait que tu as impliqué tout l’État dans ce crime abominable, ce que mon esprit redoute de simplement envisager. » De même en 29, 35, 1 : Eodem forte quo haec gesta sunt die, naues quae praedam in Siciliam uexerant, cum commeatu rediere, uelut ominatae ad praedam alteram repetendam sese uenisse. « Le jour même où cela se produisit, le hasard fit que les navires qui avaient transporté le butin en Sicile, revinrent avec des vivres, comme s’ils avaient pressenti qu’ils venaient rechercher un second butin. » C’est probablement suite à cette évolution du sens du verbe qu’omen en vient à désigner non plus une parole qui annonce l’avenir, mais une idée que l’on se fait du futur et le sentiment d’attente ressenti à ce moment-là. 2.2.4. Conclusion : les emplois des Iers siècles av. et ap. J.-C. Si l’on fait le bilan des emplois d’omen chez Cicéron, Virgile et Tite-Live, ce qui frappe est le développement des emplois où le terme renvoie à un signe non-verbal. Cette évolution est un peu moins marquée chez Cicéron, peut-être parce que celui-ci, comme il l’affirme dans le De diuinatione, perçoit l’omen avant tout comme un signe oral. À cela, il faut ajouter des cas particuliers, propres aux idiolectes de chacun des auteurs (goût de Cicéron pour les formules propitiatoires du type : hoc omen di auertant ; emploi métonymique d’omen pour désigner un mariage chez Virgile ; ou apparition du sens nouveau de « pressentiment » chez Tite-Live, sans doute sous l’influence d’ominari). Le terme, nous l’avons dit, devient un équivalent d’auspicium ou d’augurium, puisqu’il peut renvoyer à des signes souvent vus plutôt qu’entendus, qui se laissent notamment repérer dans le ciel (vol des oiseaux, arc-en-ciel, etc…), et qui dans certains cas ont été sollicités.

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3. Conclusion À l’issue de cette étude, nous pouvons conclure que, pour nous, le trait de sens fondamental de l’omen est son aptitude à annoncer l’avenir. Tout phénomène n’est pas omen en soi ; pour le devenir, il faut qu’il soit interprété comme tel par celui que l’on pourrait appeler le « déchiffreur d’omen » et qui est le premier venu. Pas besoin d’être un spécialiste pour interpréter un omen, - à la différence des auspices qui demandent un prêtre ou un magistrat habilité à le faire. Dans les emplois les plus anciens, l’omen est fourni par l’action des hommes ; c’est peut-être pour cela que, dans les occurrences étudiées, ne ressort pas l’idée que l’omen serait un signe envoyé par les dieux. Peut-être aussi cela s’explique-t-il parce que ce n’est pas un signe destiné aux spécialistes de l’interaction hommes / dieux que sont les prêtres qui, en tant que tels, maîtrisent les codes permettant de comprendre la volonté divine. Une autre spécificité de l’omen est que tout événement, acte ou parole85, peut servir d’omen pour quelqu’un. Ce fonctionnement, purement référentiel, explique que le substantif soit fréquemment accompagné d’un démonstratif, puisqu’il s’agit de renvoyer à tel ou tel événement du monde que l’on qualifie du titre d’omen. C’est cette faculté de renvoi qui permet au terme d’endosser éventuellement un sens positif (souhait, bénédiction) ou négatif (malédiction), ce qui est surprenant pour un même mot ; on voit bien ici la place déterminante du contexte. Sur la spécificité orale de l’omen qui ressort de l’analyse que les Anciens font du terme, nous avons montré que les emplois de ce genre sont majoritaires à l’époque archaïque (même si, dès l’époque de Plaute, le terme peut être appliqué à un signe non-verbal). C’est pourquoi nous avons choisi de suivre l’intuition des Anciens et de poser que le sens /signe/ /verbal/ /qui annonce l’avenir/ est le plus ancien pour ce mot, avec un effacement du sème /verbal/ quand l’omen désigne un événement du monde. De fait, plus on avance dans le temps, plus omen sert à renvoyer à tout type de signe, comme on le voit bien chez Virgile et Tite-Live : à l’époque impériale, omen sert à décrire des paroles, mais aussi des phénomènes célestes, le comportement des animaux, des accidents du quotidien (par exemple le fait de trébucher ou de tomber). Quand il ne s’agit pas de paroles, la plupart des omina sont des phénomènes perçus par la vue, 85

Ou même nom propre. Au-delà d’une éventuelle spécificité orale de l’omen, il nous semble que ce type d’emploi, où les Latins lisent un omen dans un nom propre, s’explique sans doute davantage par leur propension à expliquer le monde par l’étymologie. Les ressemblances phonétiques entre omen et nomen n’y sont sans doute pas non plus étrangères (cf. Lateiner, 2005).

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ce qui contribue à la confusion du terme avec augurium et auspicium dont nous avons montré qu’elle est en germe dès l’époque de Cicéron, bien attestée chez Virgile et Tite-Live. Enfin, il nous faut aussi revenir sur l’idée fréquemment avancée par les chercheurs modernes, selon laquelle l’omen serait un phénomène fortuit. Certes, on voit dans les emplois les plus anciens que les omina sont interprétés par l’homme quand ils se présentent, sans avoir été spécifiquement sollicités86. Mais il ne nous semble pas que cette notion soit centrale, puisque les hommes peuvent aussi produire volontairement des omina, pour influencer leur futur. D’ailleurs, la confusion qui existe parfois entre les omina et les auspicia87 montre bien que ce trait de sens /hasard/ n’est pas fondamental. Cette grande amplitude de sens peut surprendre pour un terme du vocabulaire de la divination, qui implique que les dieux font signe à l’homme pour l’informer de ce qui l’attend. Elle s’explique probablement par le fait qu’omen ne rentre pas dans le vocabulaire sacerdotal88. Strictement, ce n’est pas un terme technique et, nous l’avons dit, l’analyse des omina ne nécessite pas la compétence d’un spécialiste. Le rapport des Latins aux omina se fait d’ailleurs sous le signe d’une grande liberté, puisqu’ils ont le droit de refuser ceux qui ne leur plaisent pas89.

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Encore que, comme nous l’avons vu dans le De diuinatione, 1, 104, Cicéron, que l’on ne peut soupçonner d’incompétence en ce qui concerne la religion de son temps, raconte comment Caecilia a été au temple dans le but de recevoir des omina. 87 Qui, eux, sont des signes qui ont été demandés. 88 Sur ce point, cf. Champeaux (2005 : 212) : « les omina (…) ne relèvent d’aucun sacerdoce et sont laissés au libre champ de la divination individuelle. » 89 Cf. Bloch (1964).

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Le vocabulaire de l’inspiration dans le De diuinatione François GUILLAUMONT Université François-Rabelais (Tours) EA 6297 : Interactions Culturelles et Discursives

Dans son traité De diuinatione, Cicéron oppose deux sortes de divination : la divination artificielle et la divination naturelle1. La première comprend l’haruspicine, elle-même divisée en extispicine, étude des foudres et étude des prodiges, les auspices, les omina ou présages verbaux, les sorts et l’astrologie. La seconde regroupe les oracles, les prophéties, comme celles de Cassandre ou de la Sibylle, et les songes prémonitoires. Ce qui distingue ces deux formes de divination, c’est la présence ou l’absence de ce qu’on appelle en latin une ars, en grec une τέχνη, c’est-àdire un savoir-faire qui implique des connaissances spécialisées et qui est susceptible d’enseignement2. Pour prendre les auspices ou déchiffrer les entrailles des victimes, il est indispensable d’avoir appris la valeur des signes et en outre d’avoir une certaine pratique de la discipline. En revanche, le premier venu peut bénéficier d’un rêve divinatoire : il n’est pas nécessaire, pour cela, d’avoir reçu une formation spéciale. Plutarque, de son côté, souligne l’ignorance et l’inexpérience de la Pythie, qui s’approche du dieu sans aucune parcelle d’art, avec une âme véritablement vierge3. 1

Diu. I, 11-12 ; I, 34 ; II, 26 ; etc. Voir Guillaumont (2006 : 88-95). Voir Heinimann (1961) ; Gavoille (2000). 3 Pyth. orac. 22, 405 C (éd. et trad. R. Flacelière, CUF, Paris, 1974) : τραφεῖσα δ’ἐν οἰκίᾳ γεωργῶν πενήτων, οὔτ’ἀπὸ τέχνης οὐδὲν οὔτ’ἀπ’ἄλλης τινὸς ἐμπειρίας καὶ δυνάμεως ἐπιφερομένη κάτεισιν εἰς τὸ χρηστήριον, ἀλλ’ὥσπερ ὁ Χενοφῶν οἴεται δεῖν ἐλάχιστα τὴν νύμφην ἰδοῦσαν, ἐλάχιστα δ’ἀκούσασαν εἰς ἀνδρὸς βαδίζειν, οὕτως ἄπειρος καὶ ἀδαὴς ὀλίγου δεῖν ἁπάντων καὶ παρθένος ὡς ἀληθῶς τὴν ψυχὴν τῷ θεῷ σύνεστιν (« élevée dans la maison de pauvres paysans, elle n’apporte avec elle, en descendant dans le lieu prophétique, aucune parcelle d’art ou de quelque autre connaissance ou talent ; comme la jeune épouse, selon Xénophon, doit n’avoir presque rien vu, rien entendu lorsqu’elle entre chez son mari, de même l’inexpérience et l’ignorance de la Pythie sont à peu près totales, et c’est vraiment avec une âme vierge qu’elle s’approche du dieu »). La référence est à Xénophon, Économique, VII, 5. 2

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Cicéron qualifie de « naturelle » cette divination qui ne fait pas appel à la technique. À son propos, les savants modernes parlent volontiers de « divination inspirée » : ainsi Martin Nilsson et Robert Flacelière traitant de la Grèce, ou Jean Bottéro traitant de la Mésopotamie4. On peut considérer en effet que cette forme de divination repose non pas sur la technique, mais sur l’inspiration. Qu’est-ce donc que l’inspiration ? Le Petit Robert la définit comme une « sorte de souffle émanant d’un être surnaturel, qui apporterait aux hommes des conseils, des révélations »5. On parle d’inspiration à propos du prophète, mais également à propos du poète. Le terme est d’origine latine. Signalons tout de suite que Cicéron n’emploie ni le verbe inspirare, qui est classique, mais non cicéronien6, ni le substantif inspiratio, qui, selon les relevés du Thesaurus linguae Latinae, n’apparaît qu’avec Tertullien et la Vetus Latina7. Dans un premier temps, nous nous intéresserons à la subdivision de la divination naturelle et aux problèmes lexicaux qu’elle pose. Dans un second temps, nous montrerons que, lorsqu’il parle de l’inspiration prophétique, Cicéron privilégie le vocabulaire du mouvement. Il est à noter cependant que le vocabulaire du souffle n’est pas absent du De diuinatione : ce sera l’objet de notre troisième partie. Cicéron a emprunté aux Stoïciens la distinction des deux sortes de divination : c’est ce que montre un texte du De Homero (appelé aussi De uita et poesi Homeri), petit traité attribué à Plutarque. « À l’intérieur de celle-ci (la mantique), les Stoïciens distinguent le genre technique, par exemple la hiéroscopie, les auspices, les avertissements, les présages verbaux et les signes fortuits, bref ce que nous appelons la voix , et un genre qui n’est susceptible ni de technique ni d’enseignement, c’est-à-dire les songes et l’enthousiasme. »8 4

Nilsson (1967 : I, 164) ; Flacelière (19723 : 33-48 = Chapitre II, « Divination inspirée ») ; Bottéro (1974 : 88-89). 5 Le Petit Robert. Dictionnaire de la langue française, nouvelle édition, Paris, 1992, s. u. « Inspiration ». 6 Inspirare, qui signifie au sens propre « souffler dans », est employé par Lucrèce (IV, 1109) et Virgile (Georg. IV, 237 ; Aen. I, 688 ; VI, 12 ; VII, 351). 7 Th. L. L. 71, I-INTERVULSUS, col. 1958 (Tertullien, Apol. 27, 4 ; Pat. I, 2). 8 De Homero, II, 112 (édition J.F. Kindstrand, Bibl. Teubner, Leipzig, 1990) : Ταύτης (= τῆς μαντικῆς) μέντοι τὸ μὲν τεχνικόν φασιν εἶναι οἱ Στωικοί, οἷον ἱεροσκοπίαν καὶ οἰωνοὺς καὶ τὸ περὶ φήμας καὶ κληδόνας καὶ σύμβολα, ἅπερ συλλήβδην ὄτταν καλοῦμεν, τὸ δὲ ἄτεχνον καὶ ἀδίδακτον, τουτέστιν ἐνύπνια καὶ ἐνθουσιασμούς.

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Selon ce texte, la divination « naturelle » comprend deux parties : les songes et l’enthousiasme9. Formé sur l’adjectif ἔνθεος, qui signifie, d’après Liddell-Scott, « rempli par le dieu, inspiré, possédé », le terme ἐνθουσιασμός désigne le fait d’être inspiré ou possédé par la divinité10. Il n’a pas d’équivalent exact en latin11. Cicéron le rencontrait probablement dans ses sources stoïciennes et se trouvait donc confronté à une difficulté de traduction. Pour désigner la divination enthousiaste, nous le voyons recourir, dans le De diuinatione, à différents termes latins12. Dans certains passages, Cicéron utilise le substantif furor ou le verbe furere. Voici ce que nous lisons au début du traité, dans le préambule d’auteur : Et cum duobus modis animi sine ratione et scientia motu ipsi suo soluto et libero incitarentur, uno furente, altero somniante, furoris diuinationem Sibyllinis maxime uersibus contineri arbitrati, eorum decem interpretes delectos e ciuitate esse uoluerunt. « De plus, comme de deux manières différentes les âmes, sans faire appel à la raison ni à la science, sont d’elles-mêmes emportées dans un mouvement dégagé et libre, d’une part lorsqu’elles délirent, d’autre part lorsqu’elles rêvent, estimant que la divination due au délire s’exprime surtout dans les vers sibyllins, ils voulurent que ceux-ci eussent dix interprètes choisis parmi les citoyens. »13 Les paragraphes suivants contiennent une doxographie, où Cicéron rapporte notamment l’opinion d’un disciple d’Aristote, Dicéarque :

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On remarquera que l’auteur grec ne parle pas de divination « naturelle », mais définit cette sorte de divination négativement, comme celle qui ne relève pas de l’art, ni de l’enseignement. 10 Liddell-Scott-Jones, A Greek-English Lexicon, s. u. ἔνθεος : « full of the god, inspired, possessed ». Pour Dodds (1965 : 93, n. 41), ἔνθεος « signifie toujours que le corps a un dieu en lui, tout comme ἔμψυχος signifie qu’il est habité de la ψυχή ». Cette interprétation « locative » a été critiquée par Briand (2000 : 115-120), qui montre que souvent ἔνθεος ne peut pas être rendu par « plein du dieu », « qui a un dieu en lui ». Pour lui, sa valeur est proche de celle de θεῖος. Il faut noter cependant que, chez les Tragiques, Platon et Xénophon, ἔνθεος est toujours employé dans un contexte évoquant soit la divination, soit différentes formes d’inspiration ou de possession. Celles-ci, il est vrai, ne sont pas nécessairement à concevoir comme la présence du dieu dans le corps humain. 11 Dans la lettre ad Quint. fr. III, 4, 4, Cicéron emploie ἐνθουσιασμός, en grec, à propos de l’inspiration poétique. 12 Voir sur ce point Guillaumont (2006 : 94). 13 Diu. I, 4.

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Dicaearchus Peripateticus cetera diuinationis genera sustulit, somniorum et furoris reliquit. « Le Péripatéticien Dicéarque a supprimé tous les autres genres de divination et n’a gardé que les songes et le délire prophétique. »14 Plus loin, Quintus Cicéron, partisan de la mantique, conclut ainsi un développement sur la divination naturelle : Exposui quam breuissime potui somnii et furoris oracla, quae carere arte dixeram. « J’ai présenté le plus brièvement possible les oracles obtenus en rêve et dans le délire, dont j’ai dit qu’ils ne relevaient pas de l’art. »15 Dans ces textes comme dans quelques autres, furor et furere désignent une partie de la divination naturelle16. Il apparaît au début du De diuinatione que furor est l’équivalent du grec μανία17. Cicéron se réfère au Phèdre de Platon, au passage où Socrate distingue quatre formes de délire envoyé par les dieux, parmi lesquelles le délire prophétique18. Pour Platon, ces quatre formes de délire sont également des formes d’enthousiasme. Le mot employé par Platon n’est pas ἐνθουσιασμός, mais un synonyme, ἐνθουσίασις19. Quoi qu’il en soit, le latin furor, équivalent du grec μανία, peut donc servir à désigner la divination enthousiaste20.

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Diu. I, 5. Sur Dicéarque, voir Pseudo-Plutarque, Résumé des opinions des philosophes, V, 1, 904 E (éd. et trad. G. Lachenaud, CUF, Paris, 1993) : Ἀριστοτέλης καὶ Δικαίαρχος τὸ κατ’ἐνθουσιασμὸν μόνον παρεισάγουσι καὶ τοὺς ὀνείρους (« Aristote et Dicéarque admettent seulement la divination qui résulte de la possession divine et des songes »). Ce texte confirme l’emploi du mot ἐνθουσιασμός pour désigner l’une des deux parties de la divination naturelle. 15 Diu. I, 70. 16 Voir aussi Diu. I, 85 ; I, 118 ; I, 126 ; II, 100 ; II, 101. 17 Diu. I, 1 : Itaque ut alia nos melius multa quam Graeci, sic huic praestantissimae rei nomen nostri a diuis, Graeci, ut Plato interpretatur, a furore duxerunt (« C’est pourquoi, de même que sur bien d’autres points nous avons fait mieux que les Grecs, de même nos ancêtres ont tiré le nom de cette chose remarquable du mot "dieux", alors que les Grecs, selon l’interprétation de Platon, l’ont tiré du mot "délire" »). Platon, Phèdre, 244 bc, fait dériver μαντική de μανία. 18 Phèdre, 244 a-245 c ; 249 d-250 a. Voir sur ces textes Brisson (1974 : 223-230). 19 Voir Phèdre, 249 e. 20 Furor désigne le délire prophétique chez Virgile, Aen. VI, 102 ; Ovide, Met. II, 640 ; Lucain, V, 150 ; Tacite, Ann. XIV, 32, 1.

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Autre terme utilisé : uates, ou ses dérivés uaticinatio, uaticinari. Au début de son discours, Quintus présente les deux genres de divination de la façon suivante : Duo sunt enim diuinandi genera, quorum alterum artis est, alterum naturae. Quae est autem gens aut quae ciuitas quae non aut extispicum aut monstra aut fulgora interpretantium aut augurum aut astrologorum aut sortium (ea enim fere artis sunt) aut somniorum aut uaticinationum (haec enim duo naturalia putantur) praedictione moueatur ? « Il y a, en effet, deux sortes de divination, dont l’une relève de l’art, l’autre de la nature. Quelle est la nation ou la cité qui soit indifférente aux prédictions des haruspices, des interprètes des prodiges ou des foudres, des augures, des astrologues ou des sorts ‒ voilà, à peu de chose près, les variétés qui relèvent de l’art ‒ ou aux avertissements des songes et des vaticinations, catégories qui passent pour naturelles ? »21 Plus loin Quintus rend compte ainsi de la divination naturelle : Nec uero umquam animus hominis naturaliter diuinat, nisi cum ita solutus est et uacuus ut ei plane nihil sit cum corpore ; quod aut uatibus contingit aut dormientibus. « En vérité l’âme humaine ne parvient à la divination naturelle qu’à la condition d’être dégagée et libre au point de n’avoir aucun contact avec le corps, ce qui arrive soit dans les vaticinations, soit dans le sommeil. »22 Le uates est soit un devin, un prophète, soit un poète inspiré. Certes dans les textes conservés d’époque républicaine, uates signifie toujours « devin » et le sens de « poète » n’apparaît pour nous qu’avec la poésie augustéenne23. Un passage de Varron, dans le De lingua Latina,

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Diu. I, 12. Diu. I, 113. 23 Voir Plaute, Mil. 911 ; Ennius, Ann. 214 et 380 Vahlen = 207 et 374 Skutsch (le premier passage concerne Naevius, mais celui-ci est assimilé, de manière polémique, aux « Faunes » et aux « devins ») ; cf. Télamon, 319 Vahlen ; Caton, Ad filium, 1 Jordan ; Lucrèce, I, 102 ; Salluste, Histoires, I, 77, 3 Maurenbrecher. Sur les emplois de uates chez Cicéron, voir Guillaumont (1984 : 197-198). Pour uates au sens de poète, voir par exemple, Virgile, Buc. IX, 34 ; Horace, Carm. I, 1, 35 ; Properce, II, 10, 19 ; Ovide, Met. XI, 2. Sur ces textes, voir Newman (1967). 22

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atteste cependant que les anciens poètes étaient qualifiés de uates24. Selon Julius Pokorny, le latin uates repose sur une racine indo-européenne *uāt-, qui signifie « avoir l’esprit transporté » (geistig angeregt sein) et que l’on retrouve notamment dans l’allemand Wut, la « fureur »25. Dans les textes que nous avons cités, uates et ses dérivés qualifient l’ensemble de la divination enthousiaste, y compris les oracles26. Mais parfois Cicéron emploie uaticinationes au sens étroit du terme, pour désigner les prophéties rendues non pas dans le cadre d’une institution oraculaire, mais par un individu isolé, comme Cassandre ou la Sibylle. La divination naturelle est alors divisée en trois parties : les songes, les oracles et les vaticinations, somnia, oracula, uaticinationes27. Comme équivalent du grec ἐνθουσιασμός, Cicéron emploie enfin l’expression concitatio mentis. Au début du second livre, il résume ainsi l’exposé de Quintus : « Quant à la divination naturelle, elle se produit, te semblait-il, et pour ainsi dire elle se répand grâce à une certaine excitation de l’esprit (concitatione mentis), ou bien ses prévisions ont lieu quand, dans le sommeil, l’âme est libérée des sens et exempte de soucis28. » Concitatio mentis recouvre ici l’ensemble de la divination enthousiaste. Dans le De diuinatione, Cicéron utilise trois fois concitatio et quatre fois le verbe concitare, deux fois incitatio et sept fois le verbe incitare29. Excitare n’apparaît pas en ce sens dans le De diuinatione, mais il

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L.L. VII, 36 : Antiquos poetas uates appellabant a uersibus uiendis, ut ˂de˃ poematis cum scribam ostendam (« On appelait les anciens poètes uates, de uiere, "tresser" des vers, comme je le montrerai quand j’écrirai sur les poèmes »). Cf. Isidore de Séville, Etym. VIII, 7, 3. Selon Dahlmann (1948), Varron aurait été le premier à donner à uates le sens de « poète » en interprétant de façon erronée Ennius, Ann. 214 Vahlen. Mais voir contra Bickel (1951). 25 Pokorny (1959 : 1113). 26 Voir aussi I, 71 ; I, 115 ; I, 117 ; II, 13 ; II, 85 ; II, 100 ; II, 108. 27 Voir notamment Diu. I, 116 : Item igitur somniis, uaticinationibus, oraclis, quod erant multa obscura, multa ambigua, explanationes adhibitae sunt interpretum (« De même donc, aux songes, aux vaticinations et aux oracles, parce que beaucoup étaient obscurs et beaucoup ambigus, on a appliqué les explications des interprètes »). Voir aussi I, 34 ; II, 16. Cf. Cicéron, Lucullus, 107 ; Apulée, Socr. 150. 28 Diu. II, 27 : illud autem naturale aut concitatione mentis edi et quasi fundi uidebatur aut animo per somnum sensibus et curis uacuo prouideri. Voir aussi I, 34 : concitatione quadam animi aut soluto liberoque motu ; I, 128 : aut concitata mens aut soluta somno. Cf. I, 129 : aut dormientibus aut mente permotis. 29 Concitatio : I, 34 ; I, 80 ; II, 27 ; concitare : I, 38 ; I, 66 ; I, 128 ; II, 127 ; incitatio : I, 89 ; II, 111 ; incitare : I, 4 ; I, 79 ; I, 114 (deux fois) ; I, 129 ; II, 100 ; II, 117 (en II, 5, le sens du verbe est différent).

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est employé dans le Pro Archia, 18, à propos de l’enthousiasme poétique. Excitatio, quant à lui, n’est pas cicéronien30. Incitare, concitare et les substantifs correspondants s’appliquent normalement à la divination enthousiaste. Cependant en I, 4, incitare s’applique aux deux formes de la divination naturelle, donc aux rêves aussi bien qu’au délire prophétique. Incitare et concitare relèvent du vocabulaire du mouvement. Ce sont des composés de citare, qui lui-même est le fréquentatif de cieo, es, ere (ou cio, is, ire) « mettre en mouvement », verbe apparenté au grec κινεῖν31. Le vocabulaire du mouvement prédomine dans les passages du De diuinatione concernant la divination inspirée. Cicéron emploie le verbe mouere, par exemple en II, 100 : « Je trouvais plus convaincante l’explication des Péripatéticiens, celle de Dicéarque, un ancien, et de Cratippe, qui se distingue aujourd’hui ; ils pensent qu’il y a dans l’esprit des hommes une sorte de faculté oraculaire en vertu de laquelle ils pressentent l’avenir, si l’âme, excitée par un délire divin ou relâchée par le sommeil, se meut (moueatur) de manière dégagée et libre. »32 À mouere correspond le substantif motus33. On trouve aussi des composés de mouere : permouere, avec le substantif permotio, qui apparaît notamment dans une phrase concernant Cassandre34 ; commouere35. Dans un

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Pro Archia, 18, cité plus loin n. 52. Excitatio apparaît chez Pline l’Ancien, N.H. XXXVII, 203, au sens d’« énergie, vigueur ». 31Voir Ernout-Meillet (1967 : 120). Platon utilise le verbe κινεῖν à propos de l’inspiration : Ion, 533 d ; Phèdre, 245 b. Voir aussi Plutarque, De Pythiae oraculis, 21, 404 E. 32 Diu. II, 100 : haec me Peripateticorum ratio magis mouebat et ueteris Dicaearchi et eius qui nunc floret, Cratippi, qui censent esse in mentibus hominum tamquam oraclum aliquod ex quo futura praesentiant, si aut furore diuino incitatus animus aut somno relaxatus solute moueatur ac libere. Voir aussi I, 129 ; II, 117 ; II, 120 ; II, 126 ; II, 140. Les trois derniers emplois concernent les mouvements de l’âme dans le rêve. 33 Motus : voir I, 4 (cité n. 13) ; I, 34 ; I, 109 ; II, 111 : II, 128 ; II, 139 (les deux derniers emplois concernent les mouvements de l’âme dans le rêve). Voir aussi I, 111 : diuini impetus. 34 Diu. I, 89 : Quid ? Asiae rex Priamus nonne et Helenum filium et Cassandram filiam diuinantes habebat, alterum auguriis, alteram mentis incitatione et permotione diuina ? (« Et le roi d’Asie Priam, n’avait-il pas un fils, Hélénus, et une fille, Cassandre, capables de divination, l’un par les augures, l’autre par une excitation et un transport divins de son esprit ? »). Permouere : I, 129 (deux fois). Permotio : I, 89 ; II, 9.

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passage au moins, le préverbe com- présente sa pleine valeur d’accompagnement : « comme l’univers est tout rempli et pénétré d’une intelligence éternelle et d’un esprit divin, il est nécessaire que les âmes humaines soient mises en mouvement (commoueri) par leur parenté avec les âmes divines36. » Le mouvement peut s’exprimer aussi par le verbe pello : Fit etiam saepe specie quadam, saepe uocum grauitate et cantibus, ut pellantur animi uehementius, saepe etiam cura et timore. « Souvent aussi une certaine vision, souvent le caractère prenant des voix et de la musique remuent violemment les âmes, souvent aussi le souci et la crainte. »37 Au verbe pello correspondent les substantifs adpulsus et impulsus. En I, 64, Quintus parle de deorum adpulsus, en I, 109, d’impulsus deorum38. L’inspiration divine est une impulsion, qui met l’âme en mouvement et la rend capable de prophétiser. On trouve aussi, à trois reprises, le mot instinctus, toujours qualifié de diuinus (I, 12 ; I, 34 ; I, 66). Instinctus, apparenté à stimulus, au grec στίζω, est un terme imagé : il désigne le fait de piquer, d’aiguillonner39. Dans les Tusculanes, il est question de caelestis instinctus à propos de l’inspiration poétique et, chez Tite-Live, le vieillard de Véies est diuino spiritu instinctus, « aiguillonné par un souffle divin »40. Comment expliquer la prédominance du vocabulaire du mouvement au premier livre du De diuinatione ? Dans le discours de Quintus coexistent plusieurs théories de l’inspiration prophétique. Dans son grand livre Les Grecs et l’irrationnel, Eric Robertson Dodds a distingué deux façons de concevoir la démence prophétique (par exemple celle de la Pythie) : la doctrine de la possession et ce qu’il appelle la doctrine « chamaniste ». Selon la doctrine de la possession, le dieu entre dans le corps 35

Commouere : I, 80 (deux fois, dont une fois dans une citation de Pacuvius) ; I, 110 ; I, 114 ; II, 126. Dans la lettre ad Quint. fr. III, 5, 4, commoueri apparaît à propos de l’inspiration poétique. 36 Diu. I, 110 : cumque omnia completa et referta sint aeterno sensu et mente diuina, necesse est cognatione diuinorum animorum animos humanos commoueri. Cf. l’emploi de συγκινεῖν par Philon d’Alexandrie, De somniis, II, 2. 37 Diu. I, 80. 38 Voir aussi II, 63 : Iouis… pulsu ; II, 121 : Veneris… impulsu (mais dans ces passages il ne s’agit pas de divination inspirée). 39 Voir Ernout-Meillet (1967 : 649). 40 Tusc. I, 64 ; Tite-Live, V, 15, 10. Sur les emplois de instinctus (substantif et participe) en rapport avec l’inspiration, voir Hall (1998 : 657-663).

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du prophète et se sert de ses organes vocaux comme s’ils étaient les siens. C’est pourquoi, dans les oracles delphiques, Apollon s’exprime toujours à la première personne. En revanche la conception « chamaniste » explique la divination naturelle par une faculté propre à l’âme humaine que celle-ci peut exercer quand elle est libérée, par le sommeil ou la transe, des interférences corporelles41. Cette conception était traditionnelle en Grèce pour rendre compte de l’oniromancie. À l’époque de Cicéron, des auteurs comme Posidonius ou Cratippe l’appliquent également à la divination enthousiaste. Au 1er livre du De diuinatione, la divination naturelle est donc expliquée à la fois par la possession divine, ou du moins par une intervention divine, un diuinus instinctus, et à la fois par les ressources propres de l’âme humaine42. C’était déjà le cas, semble-t-il, dans le Περὶ μαντικῆς de Posidonius, le maître stoïcien de Cicéron43. Il faut comprendre que dans certaines occasions les dieux interviennent, dans d’autres tout repose sur les facultés propres de l’âme. C’est la raison pour laquelle Cicéron préfère le vocabulaire du mouvement. Les verbes de mouvement, souvent employés au passif, décrivent un mouvement, un transport de l’âme qui peut provenir d’une impulsion divine, mais tout aussi bien avoir son origine dans l’âme elle-même. En revanche, le vocabulaire de l’inspiration suppose l’intervention d’une divinité, qui est là pour fournir son souffle.

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Dodds (1965 : 77-78). Voir Guillaumont (2006 : 154-155). Le passage qui évoque le plus nettement l’idée de possession divine est I, 67 : Deus inclusus corpore humano iam, non Cassandra loquitur (« C’est un dieu enfermé dans un corps humain, ce n’est plus Cassandre qui parle »). Sur la présence du dieu dans le corps humain, voir Euripide, Bacchantes, 300 (les Bacchantes) ; Platon, Cratyle, 428 c (Socrate habité par la Muse) ; Plutarque, Pyth. orac. 8, 398 A (la Pythie) ; Horace, Carm. II, 19, 6 (plenoque Bacchi pectore, à propos du poète) ; Ovide, Met. II, 641 (la prophétesse Ocyrhoé, fille du centaure Chiron) ; Fast. VI, 538 (Carmentis) ; A.A. III, 548-549 ; Fast. VI, 5 (Est deus in nobis…) ; Pont. III, 4, 93-94 (ces trois derniers textes concernent le poète) ; Lucain, IX, 564 (deo plenus : Caton) ; Stace, Theb. X, 624 (plenum Phoebo uatem : Tirésias). Sur l’expression plena deo que Sénèque le Père (Suasoire III) attribue à Virgile, voir Della Corte (1971). 43Voir Diu. I, 64 : Sed tribus modis censet (sc. Posidonius) deorum adpulsu homines somniare : uno, quod prouideat animus ipse per sese, quippe qui deorum cognatione teneatur ; altero, quod plenus aer sit immortalium animorum, in quibus tamquam insignitae notae ueritatis appareant ; tertio, quod ipsi di cum dormientibus conloquantur (« Mais, selon Posidonius, les hommes rêvent sous impulsion divine de trois manières différentes : en premier lieu l’âme prévoit par elle-même, du fait de sa parenté avec les dieux ; ensuite l’air est rempli d’esprits immortels, dans lesquels apparaissent comme de clairs indices de la vérité ; enfin les dieux eux-mêmes s’entretiennent avec les dormeurs »). Voir aussi I, 129, à rapprocher de I, 125. 42

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Le vocabulaire du souffle n’est cependant pas absent du De diuinatione. Avant d’en venir à lui, nous devons dire un mot du vocabulaire de la chaleur. Dans une lettre à Louise Colet du 27 février 1853, Flaubert parle de « cette espèce d’échauffement qu’on appelle l’inspiration ». Cette métaphore de l’échauffement apparaît dans le De diuinatione, notamment en I, 114 : Ergo et ii quorum animi spretis corporibus euolant atque excurrunt foras, ardore aliquo inflammati atque incitati, cernunt illa profecto quae uaticinantes pronuntiant, multisque rebus inflammantur tales animi qui corporibus non inhaerent, ut ii qui sono quodam uocum et Phrygiis cantibus incitantur. « Ainsi donc, ceux dont les âmes, méprisant le corps, s’envolent et s’élancent au dehors, enflammées et excitées par une sorte d’ardeur, voient assurément ce qu’ils annoncent dans leurs vaticinations ; et bien des circonstances enflamment de telles âmes, qui cessent d’adhérer au corps : ainsi certains sont excités par telle sonorité des voix ou par la musique phrygienne. »44 Signalons que l’expression inflammatio animorum apparaît dans le De oratore à propos de l’inspiration poétique45. Nous en venons aux passages où l’inspiration prophétique est décrite en termes de souffle. Ceux-ci sont au nombre de cinq. En I, 12, il est question de la divination naturelle qui a lieu aliquo instinctu inflatuque diuino (« sous l’effet d’une instigation et d’un souffle divins »). En I, 34, ce sont les oracles qui se répandent instinctu diuino adflatuque. En I, 38, Quintus cherche à expliquer le déclin de l’oracle de Delphes : Potest autem uis illa terrae, quae mentem Pythiae diuino adflatu concitabat, euanuisse uetustate, ut quosdam euanuisse et exaruisse amnes aut in alium cursum contortos et deflexos uidemus.

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Diu. I, 114. Voir aussi I, 66. Voir aussi Ovide, Met. II, 641 : incaluitque deo quem clausum pectore habebat (« elle s’enflamma sous l’action du dieu qu’elle tenait enfermé dans sa poitrine » ; il s’agit de la prophétesse Ocyrhoé, fille du centaure Chiron) ; Fast. VI, 5 : Est deus in nobis, agitante calescimus illo (« Il y a un dieu en nous, animés par lui, nous nous enflammons » ; il s’agit des poètes). Cf. Fast. I, 473, où l’expression aetherios ignes (« le feu céleste ») désigne l’inspiration reçue par Carmentis. 45 De orat. II, 194, cité plus loin n. 54.

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« Cette fameuse force issue de la terre, qui excitait l’esprit de la Pythie sous l’effet d’un souffle divin, a pu s’évanouir du fait de l’ancienneté, de même que nous voyons certains fleuves s’évanouir et tarir, ou bien se détourner et s’infléchir dans une autre direction. » En I, 115, il revient sur ces exhalaisons terrestres qui sont à l’origine des oracles : Credo etiam anhelitus quosdam fuisse terrarum, quibus inflatae mentes oracla funderent (« Je crois qu’il y eut aussi certaines exhalaisons de la terre dont le souffle pénétrait les esprits et leur faisait répandre des oracles »). Au livre II, § 117, c’est Marcus qui évoque à son tour la question du déclin des oracles : Quid tam diuinum autem quam adflatus e terra mentem ita mouens ut eam prouidam rerum futurarum efficiat ? (« Qu’y a-t-il de plus divin qu’un souffle issu de la terre et animant l’esprit de façon à lui faire prévoir l’avenir ? »). Nous avons donc trois fois adflatus, une fois inflatus et une fois le verbe inflare. Le verbe simple flare signifie « souffler » ; il ne semble pas qu’il y ait de véritable différence avec spirare. Selon Ernout et Meillet, les deux verbes signifient « souffler » et s’emploient de façon transitive ou absolue46. On l’aura noté, trois de nos textes concernent le pneuma delphique, cette exhalaison qui émanait du χάσμα γῆς, ouverture située dans le sol de l’adyton du temple, et qui était censée favoriser le délire de la Pythie47. Cette question est très délicate et controversée. Le pneuma est, semble-t-il, à concevoir non pas comme une émanation gazeuse, une réalité relevant de la physique ou de la géologie, mais comme un influx d’essence spirituelle ou surnaturelle48. Faut-il y voir, avec Dodds et certains spécialistes de l’oracle,

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Ernout-Meillet (1967 : 240 et 642). L’expression χάσμα γῆς se trouve chez Diodore, XVI, 26. Selon Strabon, IX, 3, 5, le trépied, sur lequel la Pythie s’asseyait pour rendre ses oracles, était placé au-dessus de cette ouverture. 48 Dodds (1965 : 80) écrivait : « Les fouilles françaises ont révélé qu’il n’y a pas d’émanations aujourd’hui, ni de "faille" par laquelle, autrefois, les émanations auraient pu s’échapper. » Voir aussi Roux (1976 : 93 et 154) ; Fontenrose (1978 : 202-203). Mais depuis quelques années certains scientifiques sont de nouveau à la recherche d’un pneuma de nature matérielle : voir Hale et alii (2003), pour qui le délire de la Pythie serait dû à des émanations d’éthylène. Cependant, comme le note Burkert (2011 : 166, n. 604a), cette explication pose plus de problèmes qu’elle n’en résout : on peut notamment se demander pourquoi les émanations agissaient sur la Pythie, mais n’avaient pas d’effet sur les autres personnes présentes. Sur les difficultés qu’entraîne une conception matérielle du pneuma, voir aussi Roux (1976 : 155-156). 47

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une « invention hellénistique49 » ? Ce n’est pas l’avis de Georges Roux : pour lui, le pneuma est bien, dès l’origine, un des facteurs qui produisent l’inspiration de la Pythie50. La preuve en est, à ses yeux, la singulière position du trépied au-dessus du χάσμα γῆς. Ce dernier serait non pas une faille ou une crevasse dans le rocher, mais une construction artificielle, une sorte de puits bâti de main d’homme51. Quoi qu’il en soit, c’est le plus souvent en rapport avec le pneuma delphique que Cicéron utilise, dans le De diuinatione, le vocabulaire du souffle. En II, 117, adflatus désigne d’ailleurs non pas l’inspiration divine, mais le souffle issu du sol. Dès lors une question se pose : n’est-ce pas cette notion de pneuma mantique qui a entraîné l’emploi par Cicéron des termes adflatus, inflatus, et du verbe inflare ? À cette question, nous croyons pouvoir répondre par la négative. En effet, dans d’autres œuvres de Cicéron, le substantif adflatus et le verbe inflare sont utilisés à propos de l’inspiration poétique. Dès 62, le Pro Archia évoque en ces termes l’inspiration du poète : Atque sic a summis hominibus eruditissimisque accepimus, ceterarum rerum studia et doctrina et praeceptis et arte constare, poetam natura ipsa ualere et mentis uiribus excitari et quasi diuino quodam spiritu inflari. « Voici ce que nous avons appris des hommes les plus éminents et les plus savants : toutes les autres études reposent sur un enseignement, des préceptes, un art, mais le poète vaut par sa nature propre, il est animé par les forces de son esprit et inspiré comme par un souffle divin. »52 Outre la présence du verbe inflare, on notera celle du mot spiritus, qui n’apparaît jamais dans le De diuinatione pour désigner le souffle divin, mais que l’on retrouvera plus tard chez Horace pour qualifier l’inspiration poétique53. Dans le De oratore, l’orateur Antoine fait allusion aux théories de Démocrite et de Platon sur l’enthousiasme poétique :

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Dodds (1965 : 80). Voir dans le même sens Fontenrose (1978 : 197-203) ; Burkert (2011 : 166). 50 Roux (1976 : 154-157). 51 Roux (1976 : 110-117). 52 Pro Archia, 18 (éd. F. Gaffiot, CUF, Paris, 1938). Sur la notion d’inspiration poétique chez Cicéron, voir Cousin (1945 : 64-71) ; Chalkomatas (2007 : 255-264). 53 Horace, Carm. II, 16, 38 ; IV, 6, 29 ; cf. l’emploi de spirare : Carm. IV, 3, 24 ; Epist. 2, 1, 166. Voir aussi Ovide, A.A. III, 550.

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Saepe enim audiui poetam bonum neminem, – id quod a Democrito et Platone in scriptis relictum esse dicunt –, sine inflammatione animorum existere posse et sine quodam adflatu quasi furoris. « En effet, j’ai souvent entendu dire, – c’est ce que Démocrite et Platon nous ont, dit-on, transmis dans leurs écrits –, que personne ne peut se révéler un bon poète sans un échauffement de l’esprit et sans un certain souffle tenant presque du délire. »54 Dans le De natura deorum, II, 167, il n’est plus question seulement du poète, mais plus généralement des grands hommes qui bénéficient de l’inspiration divine : Nemo igitur uir magnus sine aliquo adflatu diuino umquam fuit (« Personne donc ne fut jamais un grand homme sans quelque inspiration divine55 »). Il apparaît donc que Cicéron utilise à propos de l’inspiration ce vocabulaire du souffle indépendamment de la question du pneuma mantique. D’autre part Cicéron connaissait des textes grecs où l’inspiration est décrite en termes de souffle56. Dans le Phèdre de Platon, les quatre formes de délire sont des formes d’enthousiasme, nous l’avons vu, mais ce sont aussi des formes d’inspiration. Socrate résume ainsi ce qu’il a dit sur le délire divin : « Quant au délire divin, nous l’avons divisé en quatre sections qui relèvent de quatre dieux, rapportant à Apollon l’inspiration divinatoire, à Dionysos l’inspiration mystique, aux Muses l’inspiration poétique, la quatrième enfin à Aphrodite et à l’Amour ; nous avons alors proclamé l’excellence supérieure de l’amoureux délire57. » Le terme grec est ἐπίπνοια, qui désigne exactement l’inspiration ; le verbe grec πνέω veut dire « souffler ». L’idée qu’une divinité peut agir sur un mortel par l’intermédiaire de son souffle est déjà présente dans les poèmes homériques. Au chant XV de l’Iliade, Apollon insuffle à Hector un grand μένος, une grande vigueur, 54

De orat. II, 194 (éd. E. Courbaud, CUF, Paris, 1928). Démocrite et Platon sont également rapprochés pour leur conception de l’enthousiasme poétique dans le De diuinatione, I, 80, et chez Clément d’Alexandrie, Stromates, VI, 168, p. 518 Stählin. 55 Nat. deor. II, 167 (éd. W. Ax, Bibl. Teubner, Leipzig, 1933). 56 Une connaissance directe du Phèdre par Cicéron ne nous paraît pas douteuse : outre Diu. I, 1 et I, 80, voir De orat. I, 28 ; Orat. 15, 39 et 41 ; Rep. VI, 27-28 ; Leg. II, 6 ; Fin. II, 4 ; II, 52 ; Tusc. I, 53-54 ; Cato 78 ; Off. I, 15. 57 Platon, Phèdre, 265 b (éd. et trad. L. Robin, CUF, Paris, 1933) : Τῆς δὲ θείας (μανίας) τεττάρων θεῶν τέτταρα μέρη διελόμενοι, μαντικὴν μὲν ἐπίπνοιαν Ἀπόλλωνος θέντες, Διονύσου δὲ τελεστικήν, Μουσῶν δ’αὖ ποητικήν, τετάρτην δὲ Ἀφροδίτης καὶ Ἔρωτος, ἐρωτικὴν μανίαν ἐφήσαμέν τε ἀρίστην εἶναι. Sur l’inspiration conçue comme un souffle, voir Ménon, 99 d ; Banquet, 181 c ; République, VI, 499 b ; Lois, V, 738 c ; VII, 811 c (Platon emploie ἐπίπνοια ou bien l’adjectif ἐπίπνους). En revanche, l’image du souffle inspirateur est absente de l’Ion, où prédomine celle de la chaîne aimantée.

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une grande fougue (« À ces mots, il insuffla une grand fougue au pasteur d’hommes »). Au chant XX, c’est Énée qui, à son tour, reçoit le même don de la part d’Apollon58. Chez Homère, ce qui est transmis ainsi, c’est le μένος, parfois l’audace (θάρσος), mais ce n’est jamais la faculté poétique, ni la faculté divinatoire. En revanche, dans le prologue de la Théogonie, Hésiode affirme que les Muses lui ont « insufflé » une voix divine ; il décrit l’influence des Muses comme un souffle inspirateur59. Jacqueline Assaël note cependant que, dans la représentation du transport poétique, les poètes grecs utilisent peu l’image du souffle. Selon elle, la notion d’inspiration s’est plutôt imposée, dans la pensée grecque, grâce au développement des théories élaborées par Démocrite ou Platon60. Virgile, dans l’Énéide, s’est souvenu des emplois homériques du verbe ἐμπνέω. Au premier chant, Vénus s’adresse à Cupidon ; elle lui demande de prendre l’apparence d’Ascagne afin d’insuffler, d’inspirer à Didon un amour secret pour Énée61. Au début du chant VI, Énée arrive à Cumes et se dirige vers l’antre de la Sibylle, « à qui le prophète de Délos insuffle, inspire ses vastes pensées, son esprit et découvre l’avenir »62. Ce 58

Homère, Iliade, XV, 262 (= ΧΧ, 110) : ῝Ως εἰπὼν ἔμπνευσε μένος μέγα ποιμένι λαῶν. Voir Iliade, X, 482 ; XV, 60 ; XVII, 456 ; Odyssée, IX, 381 ; XIX, 138 ; XXIV, 520. Platon se réfère à ces passages dans le Banquet, 179 b. Sur ces textes, voir Assaël (2006 : 108-109). 59 Hésiode, Théogonie, 31-32 (éd. M.L. West, Oxford, 1966) : ἐνέπνευσαν δέ μοι αὐδὴν / θέσπιν. Voir sur ce passage Assaël (2006 : 103-105). 60 Assaël (2006 : 104). Sur les conceptions de l’inspiration poétique antérieures à Platon, voir aussi Murray (1981). 61 Virgile, Aen. I, 683-688 (éd. et trad. J. Perret, CUF, Paris, 19812) : Tu faciem illius noctem non amplius unam / falle dolo et notos pueri puer indue uoltus, / ut, cum te gremio accipiet laetissima Dido / regalis inter mensas laticemque Lyaeum, / cum dabit amplexus atque oscula dulcia figet,/ occultum inspires ignem fallasque ueneno. « Toi, pour une nuit seulement, prends adroitement son apparence ; enfant, revêts les traits ‒ ils te sont bien connus ‒ de cet enfant. Ainsi, lorsque Didon toute joyeuse te recevra dans ses bras au milieu des tables royales et des libations de Lyaeus, quand elle t’embrassera et te donnera de tendres baisers, pourras-tu lui inspirer secrètement un feu, l’égarer de ton poison. » Sur l’inspiration de l’amour, voir Tibulle, II, 1, 80 ; II, 3, 71 ; II, 4, 57 (Tibulle emploie adflare ou aspirare). Dans l’Énéide, I, 589-591, c’est l’apparence extérieure d’Énée que Vénus modifie par son souffle (adflarat). 62 Virgile, Aen. VI, 9-12 (éd. et trad. J. Perret, 19822) : At pius Aeneas arces quibus altus Apollo / praesidet horrendaeque procul secreta Sibyllae, / antrum immane, petit, magnam cui mentem animumque / Delius inspirat uates aperitque futura. « Mais le pieux Énée fait route vers les sommets où Apollon règne dans les hauteurs, et plus loin vers les retraites, l’antre démesuré de l’effrayante Sibylle à qui le prophète de Délos communique ses vastes pensées, ses desseins et dévoile l’avenir. » Voir aussi Aen. VII, 349-351 ; Quinte-Curce, IV, 13, 12.

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passage est d’un grand intérêt, car, à notre connaissance, c’est la première fois que le verbe inspirare est mis en relation avec l’inspiration prophétique. Le complément d’objet du verbe n’est pas la Sibylle, mais les pensées qu’Apollon communique par son souffle à celle-ci63. Nous avons mesuré la richesse du vocabulaire cicéronien de l’inspiration : vocabulaire du mouvement, vocabulaire de la chaleur, vocabulaire du souffle. Nous avons reconnu l’importance de l’arrière-plan grec, et notamment du Phèdre de Platon. Nous avons constaté aussi que le vocabulaire de l’inspiration prophétique recoupe dans une large mesure celui de l’inspiration poétique. Il serait intéressant d’étudier la postérité de ce vocabulaire à l’époque impériale, et, au-delà, dans les langues romanes. Par exemple, on a mis en rapport avec l’expression cicéronienne instinctu diuino l’expression instinctu diuinitatis qui apparaît sur l’arc de Constantin64. On constaterait cependant que les termes qui se sont imposés sont des termes non cicéroniens : inspirare, inspiratio. Le succès de ces vocables s’explique sans doute par leur parenté avec le mot spiritus et l’importance prise par ce dernier dans la théologie chrétienne.

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Apulée (Socr. 134) écrit en revanche, à propos du rôle des démons : uatibus inspirandis (« en inspirant les devins »). 64 L’inscription gravée sur l’arc affirme que Constantin a remporté sa victoire sur Maxence instinctu diuinitatis. Selon Hall (1998), cette expression, acceptable pour les païens comme pour les chrétiens, relève, en dernier ressort, de l’influence du De diuinatione. Curtius (1956 : II, 282) rappelle que sur une fresque de Raphaël, dans la Camera della Segnatura, au Vatican, la Poésie est représentée avec la suscription : numine afflatur.

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BURKERT, W., La religion grecque à l’époque archaïque et classique, traduction et mise à jour bibliographique par P. Bonnechère, Paris, 2011. CHALKOMATAS, D., Ciceros Dichtungstheorie. Ein Beitrag zur Geschichte der antiken Literaturästhetik, Berlin, 2007. COUSIN, J., Études sur la poésie latine. Nature et mission du poète, Paris, 1945. CURTIUS, E.R., La littérature européenne et le Moyen Âge latin, traduction française par J. Bréjoux, Paris, 1956 (t. II, pp. 281-283 : « la folie divine du poète »). DAHLMANN, H., « Vates », Philologus, 97, 1948, pp. 337-353. DELLA CORTE, F., « Plena deo », Maia, 23, 1971, pp. 102-106. DODDS, E.R., The Greeks and the Irrational, University of California Press, Berkeley, 1959 ; traduction française par M. Gibson : Les Grecs et l’irrationnel, Paris, 1965. ERNOUT, A. et MEILLET, A., Dictionnaire étymologique de la langue latine. Histoire des mots, Paris, 19674. FLACELIÈRE, R., Devins et oracles grecs, Paris, 19723. FONTENROSE, J., The Delphic Oracle, Berkeley-Los Angeles-Londres, 1978. GAVOILLE, É., Ars. Étude sémantique de Plaute à Cicéron, Louvain-Paris, 2000. GUILLAUMONT, F., Philosophe et augure. Recherches sur la théorie cicéronienne de la divination, collection Latomus, 184, Bruxelles, 1984. GUILLAUMONT, F., Le De diuinatione de Cicéron et les théories antiques de la divination, Bruxelles, 2006. HALE, J., DE BOER, J., CHANTON, J. & SPILLER, H., « Les secrets de la Pythie », Pour la science, 311, septembre 2003, pp. 70-75. HALL, L.J., « Cicero’s instinctu diuino and Constantine’s instinctu diuinitatis : the evidence of the arch of Constantine for the senatorial view of the “vision” of Constantine », Journal of Early Christian Studies, 6, 1998, pp. 647-671. HEINIMANN, F., « Eine vorplatonische Theorie der τέχνη », MH, 18, 1961, pp. 105-130. MURRAY, P., « Poetic inspiration in early Greece », JHS, 101, 1981, pp. 87-100. NEWMAN, J.K., The Concept of uates in Augustan Poetry, Bruxelles, 1967. POKORNY, J., Indogermanisches etymologisches Wörterbuch, Berne-Munich, 1959. ROUX, G., Delphes, son oracle et ses dieux, Paris, 1976. THRAEDE, K., « Inspiration », RAC, t. 18, Stuttgart, 1998, col. 329-365. VERNANT, J.-P. (éd.), Divination et rationalité, Paris, 1974.

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Le vocabulaire de la nécromancie chez Cicéron Bruno POULLE Université de Franche-Comté

La pratique divinatoire de faire parler les morts qu’est la nécromancie n’appartient assurément ni aux traditions romaines, ni, encore moins, à la religion publique des Romains : elle relève, à Rome, de ces activités superstitieuses (on dirait plutôt magiques) d’origine étrangère et suspecte. Il en résulte que la langue latine, pour la désigner, n’a pas de mots spécifiques, mais plutôt des emprunts ou des mots qui relèvent d’un lexique détourné de son sens habituel. La nécromancie, venue semble-t-il d’Orient1, est une pratique un peu générale dans l’Antiquité, qui est attestée en Perse, en Babylonie, en Palestine ou en Égypte2 : c’est une des nombreuses capacités des fameux mages plus ou moins hellénisés3. Mais la νέκυια homérique ainsi que les pratiques attribuées aux redoutables sorcières thessaliennes attestent aussi que le monde grec l’avait adoptée. En outre, le pythagorisme a conféré à cette espèce de magie noire la noblesse de la philosophie. La visite d’Ulysse chez Circé, comme d’autres récits homériques, est tout à fait passible d’une interprétation pythagoricienne : le mythe exprimerait le cycle des réincarnations humaines. De même que Pythagore était descendu aux Enfers où il avait vu Hésiode et Homère4, de même, pour les Pythagoriciens, n’importe quel mort pouvait révéler la vérité cachée. La nécromancie n’est pas un dévoiement de l’orthodoxie pythagoricienne, mais elle s’inscrit au contraire dans la logique des croyances de la secte. Bref, la nécromancie peut s’autoriser de trois traditions différentes : les pratiques magiques notablement constantes, la caution poétique d’Homère et l’autorité philosophique du Maître de Crotone. Or les rituels nécromantiques ne sont pas unifiés ; comment, d’ailleurs, pourraient-ils l’être, en l’absence d’autorité centralisatrice ? Dans

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Pline, N.H. 30, 1, 6. Cumont (1949 : 99). Hopfner (1935) ; Bouché-Leclercq (1879 : 330-343 = 2003 : 247-255). 3 Bidez et Cumont (1938) ; Bernand (1991 : 260-266). 4 Diogène Laërce, VIII, 3. Sur la nécromancie pythagoricienne, voir Ogden (2001 : 116-127). 2

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le rituel décrit par Homère5, Ulysse, instruit par Circé6, creuse une fosse avec son glaive, puis verse une libation de lait au miel, de vin et d’eau, répand de la farine et immole enfin, en invoquant les dieux infernaux, une brebis et un agneau (forcément) noirs, dont le sang coule dans le trou. Mais il ne fait pas parler un cadavre, à la différence des rites transmis par d’autres sources : c’est pourquoi F. Cumont (1938) estimait que la νέκυια homérique relevait plus du culte des morts que de la magie. Selon ces autres sources7, il faut utiliser un cadavre mort de mort violente (βιαιοθάνατος) ou avant l’âge (ἄωρος8). À défaut, un morceau de cadavre, même tout petit (ongle ou cheveu) fera l’affaire. La nécromancie homérique n’est donc pas celle de la magie, même si l’aboutissement est le même : c’est le mort qui révèle l’avenir (ou le passé). Je me propose donc d’étudier le témoignage de Cicéron sur la nécromancie pratiquée par ses contemporains, en étudiant le vocabulaire qu’il emploie : de fait, les allusions qu’il fait à cette pratique divinatoire ont la particularité de ne rien devoir à la tradition poétique et de ne pas appartenir à la fiction. Néanmoins, il ne s’agit que d’allusions, et c’est là une autre différence avec les descriptions et récits assez longs qu’ont composés les poètes. À deux reprises, dans les Tusculanes et dans le De diuinatione9, Cicéron évoque les pratiques de son collègue et ami Ap. Claudius Pulcher (cos 54)10. Il est révélateur que les mots qu’il utilise sont des mots grecs : νεκυομαντεῖα (dans les Tusculanes) et psychomantia (dans le De diuinatione). Bien que l’orateur prenne la précaution de signaler, à chaque fois, qu’Appius Claudius est son ami, il reste assez méprisant pour sa pratique divinatoire. Dans le De diuinatione, il met la « psychomancie » dans le même sac que la cléromancie, l’haruspicine de carrefour, l’astrologie, et autres techniques divinatoires propres à berner les naïfs, qui ne méritent même pas que Quintus, qui défend pourtant l’opinion 5

Odyssée, X, 517-534. La localisation traditionnelle du repaire de la magicienne au sud du Latium, au Monte Circeo, a pu inciter des esprits romains à considérer cette technique comme d’origine latine. 7 Analyse du rituel par Graf (1994 : 219-220). Les scènes de nécromancie sont devenues un passage obligé dans l’épopée : outre la célèbre nécromancie chez Lucain, on mentionnera celles que font Scipion, chez Silius Italicus, XIII, 395-434, Tirésias chez Stace, Theb., IV, 443-516, et la mère de Jason chez Valérius Flaccus, Arg., I, 730-751. 8 Tertullien, Anim. 55, 4, traduit ce mot par immaturus. 9 Tusc. I, 37 : inde ea quae meus amicus Appius νεκυομαντεῖα faciebat ; et Diu. I, 132 : Nunc illa testabor, non me sortilegos neque eos, qui quaestus causa hariolentur, ne psychomantia quidem, quibus Appius, amicus tuus, uti solebat, agnoscere. Dans les deux cas, les mots grecs sont transposés sous la forme de pluriels neutres. 10 Sur ce personnage, voir Constans (1921) ; RE III, col. 2847-53, Claudius n° 298 (Münzer) ; Wiseman (1970). 6

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déterministe, s’y attarde. Mais Cicéron ne précise pas ce qu’il entend par psychomantia ; on peut douter qu’il s’agisse de faire parler un cadavre. On pense plutôt à une opération d’hypnose du genre de celle qu’avait pratiquée Nigidius Figulus, qui fit retrouver par des enfants endormis cinq cents deniers perdus11. De la même façon, dans les Tusculanes, Cicéron n’est pas moins dépréciatif de la nécromancie d’Ap. Claudius. En effet, son propos général est que, si l’âme est immortelle, on n’a pas besoin de lui prêter de la matérialité12 ; par conséquent, selon le raisonnement de Cicéron, les fantômes, n’ayant pas de corps, ne peuvent parler. Que peut-on en conclure à propos de la nekyomanteia d’Appius ? On a le soupçon qu’il invoquait les esprits et faisait parler les morts, mais à la manière homérique, c’est-à-dire sans faire intervenir un cadavre. En tout cas, le refus de traduire νεκυομαντεῖα par quelque équivalent latin est volontaire : la nécromancie est une pratique étrangère, que Cicéron abandonne à la théologie des poètes (ou, à la rigueur, à celle des philosophes) ; il cite en effet les vers de deux tragédies et mentionne la νέκυια d’Homère. En somme, pour reprendre le calembour de Cicéron, la nécromancie est du domaine de l’appietas d’Appius, la crédulité congénitale des Appii Claudii, qui croient que la divination a un fondement objectif13. Ap. Claudius passait pour être membre d’un sodalicium pythagoricien dirigé par Nigidius Figulus, et auquel appartenait aussi P. Vatinius14. Les choses ne se présentent pas de la même façon pour les pratiques de ce dernier. Le discours In Vatinium est un interrogatoire violent où il s’agit de discréditer la conscience et les pratiques religieuses de ce témoin à charge dans l’affaire Sestius. En effet, P. Vatinius a passé outre aux interdictions auspiciales, alors même (Cicéron souligne la contradiction) qu’il affiche en matière de divination une crédulité qui est analogue à celle

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Apulée, Apol. 42 : memini… Fabium, cum quingentos denarios perdidisset, ad Nigidium consultum uenisse, ab eo pueros carmine instinctos indicauisse ubi locorum defossa esset crumena. 12 Tusc. I, 37 : Nihil enim animo uidere poterant, ad oculos omnia referebant : « on ne pouvait rien voir par l’esprit, on rapportait tout à la vue ». 13 Appietas : Ad Fam. III, 7, 5. Pour le point de vue d’Ap. Claudius sur la science augurale et la divination, Leg. II, 32. Il semble bien que Cicéron se moque de la pratique d’évocation des morts lorsqu’il ressuscite rhétoriquement Ap. Claudius Caecus pour lui faire condamner l’inceste supposé entre Clodius et Clodia, frère et sœur de l’augure nécromant (Cael. 3436). Pour un autre calembour de Cicéron sur le même thème, voir note 15. 14 Son appartenance à ce sodalicium repose sur une scholie à Vatin. 14, qui identifie l’homo doctissimus dont parle Cicéron à Nigidius Figulus. Cf. Ferrero (1955 : 308) ; Carcopino (1927 : 204, n. 2).

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d’Ap. Claudius15. L’attaque est donc habile : Vatinius méprise le rite officiel, mais pratique des rituels inouïs et impies, inaudita ac nefaria sacra. Cette fois-ci, Cicéron ne parle plus grec, mais utilise un vocabulaire religieux latin : Volo, ut mihi respondeas tu, qui te Pythagoreum soles dicere, et hominis doctissimi nomen tuis immanibus et barbaris moribus praetendere, quae te tanta prauitas mentis tenuerit, qui tantus furor ut, cum inaudita ac nefaria sacra susceperis, cum inferorum animas elicere, cum puerorum extis deos manes mactare soleas, auspicia…contempseris ? « Je veux que tu me répondes : toi, qui as coutume de te dire pythagoricien et de mettre le nom d’un très grand savant sur tes pratiques ignobles et barbares, quelle perversion mentale, quel délire t’ont conduit à mépriser les auspices, alors que tu t’es adonné à des rites inouïs et impies, que tu as l’habitude d’évoquer les âmes des enfers, d’honorer les dieux mânes avec des entrailles d’enfants ? »16. La formule puerorum extis deos manes mactare a donné lieu à des controverses sur les activités de Vatinius : pratiquait-il des sacrifices d’enfants ? J. Carcopino17 pensait que c’était invraisemblable et que Cicéron calomniait un rite secret ; son scepticisme a été partagé par d’autres, comme M. Le Glay18. Mais l’argument d’invraisemblance, qui prête aux Romains un trop grand respect de la vie, se heurte à la réalité des faits. A.-M. Tupet19 argumente au contraire que les sacrifices d’enfants sont bien attestés. De fait, chez Lucain20, la sorcière Erichtô n’a pas peur d’assassiner des hommes ou d’extraire des fœtus par césarienne ; chez Horace21, Canidie entreprend de tuer un enfant. D’autres sources22, qui ne sont ni fiction ni poésie, confirment le fait. Mais dans le cas de Vatinius, ce tribun, futur consul, n’est pas une 15

Cicéron ne se prive pas de moquer par un calembour (uaticinari – Vatinius) les prétentions de son adversaire à connaître l’avenir (Vatin. 6) : memento… omnia ea (il s’agit du consulat) me pudenter uiuendo consecutum esse quae tu inpudenter uaticinando sperare te saepe dixisti. 16 Vatin. 14. 17 Carcopino (1927 : 204). 18 Le Glay (1987 : 245-8) ; Le Glay (1976 : 525-555 ; p. 544 sur Vatinius). 19 Tupet (1976 : 207-208). 20 Phars. VI, 554-561. 21 Epod. V. 22 Aussi diverses que l’épigraphie (CIL VI, 19747), Servius (Ad Aen. VI, 107 : sine hominis occisione non fiebant) ou les textes juridiques (Paulus, Sententiae, V, 23, 16).

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sorcière de l’Esquilin ou de Thessalie ; et le pythagorisme traditionnel rejette les sacrifices sanglants. Surtout, un sénatus-consulte de 94 av. J.-C., selon Pline23, interdisait d’immoler un homme. Cela prouve certes a contrario qu’on pratiquait en privé ce genre de sacrifice ; mais on peut alors, avec F. Graf24, s’étonner que Cicéron n’ait pas davantage insisté sur l’illégalité et la monstruosité de la magie à laquelle s’adonnait son adversaire. Pour trancher le débat, il convient de revenir aux termes exacts de Cicéron. Le verbe qu’il emploie, mactare, a deux constructions et deux sens : mactare aliquem aliqua re, signifie « honorer, gratifier quelqu’un par quelque offrande », et mactare aliquid alicui, « sacrifier quelque chose à quelqu’un »25. Or Cicéron a indiscutablement choisi la première construction (d’où la traduction ci-dessus, « honorer les dieux mânes avec des entrailles d’enfants ») ; il n’est donc nullement question de tuer des enfants. Du reste, le verbe mactare, étymologiquement, n’implique pas l’idée de tuer. Malgré les controverses qu’il a pu y avoir26, ce verbe viendrait, par l’intermédiaire de l’adjectif mactus, dont la forme la plus courante est macte, de la racine *mag- de magis ; il impliquerait l’accroissement de son objet : on « accroît » quelqu’un d’une offrande, ou bien on « accroît » une offrande pour quelqu’un. Le sens de « tuer »27, qui semble avoir aussi existé dès l’époque de Cicéron, dériverait seulement de l’emploi religieux, où l’on « gratifie » de la mort non plus la divinité, mais la victime, selon une évolution semblable à celle qui a permis le passage de la première construction (qui nous semble la plus courante anciennement) à la seconde28. Ce passage de Cicéron ne dit 23

N H. 30, 12 : DCLVII demum anno urbis Cn. Cornelio Lentulo P. Licinio Crasso cos. senatusconsultum factum est, ne homo immolaretur, palamque fit, in tempus illud sacra prodigiosa celebrata. 24 Graf (1994 : 50-51). 25 Je suis l’analyse de Moussy (1994). Donnons quelques exemples de ces emplois. Mactare aliquem aliqua re : Ennius, Ann. 9, 299 : Liuius magno mactatus triumpho ; Plaute, Amph. 1034 : te cruce et cruciatu mactabo ; voir aussi Aul. 535, Poen. 517, Bacch. 886, Curc. 538. Accius, fgt 8, v. 2 : patera Nestorem mactauit aurea. Mactare aliquem alicui : Caton, Agr. 134, 2 et 4 : fertum Ioui mactato ; Iano struem mactato. Cicéron, Flacc. 95 : Lentulo uictimam ; Lucrèce, VI, 759 : manibus diuis mactata ; Virgile, Aen. IV, 57 : Cereri bidentes. 26 Voir la mise au point de Skutsch & Rose (1938 : 220-223) ; Gonda (1959 : 137-138 = 1975 : 493) ; Moussy (1994). 27 Attesté depuis Accius, Trag. 52 : Quód utinam me suís arquitenes télis mactassét dea ! Cf Virgile, Aen. 10, 413, dans un sens qui n’est plus religieux. Le mot a abouti, par exemple, à l’esp. matar. 28 Moussy (1994 : 335) rapproche l’évolution de mactare de celle de donare , circumdare ou litare.

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donc assurément pas que Vatinius tuait des enfants ; mais on doit reconnaître aussi que le verbe employé est fortement connoté. Il reste que Vatinius a dû, malgré tout, se procurer des cadavres d’enfants pour en offrir les exta ; il ne s’agissait pas de nouveau-nés, puisque Cicéron les appelle des pueri. On pourrait effectivement supposer un meurtre rituel. Mais la nécromancie n’est pas de ces satanismes où l’on accomplit les actes les plus transgressifs29 ; le meurtre n’y est pas indispensable. Ainsi, chez Lucain, la sorcière Erichtô ne tue pas le mort qu’elle fait parler, même si le poète nous dit qu’elle en aurait été capable30 ; de même, l’Égyptien Zatchlas, chez Apulée, n’a pas tué celui qu’il fait parler31. Il est certain qu’il y a eu des magiciens dans l’Antiquité pour accomplir des meurtres rituels ; mais il est loin d’être sûr que Vatinius l’ait fait. Malgré l’invective de Cicéron, on croirait plutôt que le tribun récupérait des cadavres d’enfants abandonnés sans sépulture pour des expériences de divination plus « scientifiques » que magiques. En effet, cette offrande d’exta puerorum aux Mânes semble différencier la nécromancie de Vatinius de celle des sorcières. Chez Lucain, Erichtô ouvre le corps et y infuse un philtre destiné à lui redonner une part de vie32, mais ne sacrifie pas les entrailles. J. Volpilhac33 a rapproché ces gestes de ceux qu’effectuent rituellement les embaumeurs égyptiens. De même, Ovide imagine le rajeunissement d’Eson par Médée sous la forme d’un rite de nécromancie34 comportant, en plus du trou dans le sol, du sacrifice d’une brebis noire et d’une libation de vin et de lait, l’injection d’un philtre de jouvence fabriqué par la magicienne ; même si le but n’est pas de faire parler Eson, on devine que cette opération sur ses entrailles visait à lui rendre artificiellement une jeunesse. La pratique du baiser sur la bouche du cadavre, chez Lucain35, pour lui redonner un souffle vivant, va dans le même sens. En somme, les sorcières n’offrent pas en sacrifice les cadavres qu’elles 29

L’analogie qu’invoque Tupet (1976) avec la sorcellerie du XVIIe siècle et des faits divers contemporains n’est pas probante. 30 Phars. VI, 624-9. 31 Met. II, 28. 32 Phars. VI, 667-8. 33 Volpilhac (1978 : 272-288). La magie de l’époque néronienne a pu intégrer des croyances égyptiennes ancestrales ; on sait, en particulier que le grammairien Apion d’Alexandrie, auteur d’un livre sur les Mages, a évoqué les ombres pour interroger Homère (Pline, N.H. 30, 18). 34 Met. VII, 158-286. 35 Phars. VI, 565. Je propose de rapprocher cette pratique du fameux supplice de Mézence (Aen. VIII, 485-8), attacher un mort avec un vivant (componens manibusque manus atque oribus ora, « ajustant les mains aux mains, la bouche à la bouche »), supplice pratiqué par les pirates tyrrhéniens.

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font parler ; à l’inverse, Vatinius rend une corporéité36 et une jeunesse provisoires aux Mânes en leur offrant des entrailles d’enfants : il leur fournit ainsi les moyens d’une réincarnation temporaire, le temps qu’ils puissent parler. Il est vrai que, chez Horace37, Canidie, avec ses complices, veut aussi prélever la moelle et le foie de l’enfant qu’elle essaie de tuer : mais cette sorcière souhaite seulement, à cette occasion, fabriquer un philtre d’amour en prélevant la jeunesse de sa victime, et non pas pratiquer la divination. Au total, donc, la manière, toute malveillante qu’elle soit, dont Cicéron parle de la nécromancie de Vatinius ne permet pas de conclure que celui-ci accomplissait un meurtre rituel, mais seulement qu’il avait adapté le rite homérique en s’inspirant de la magie. La seconde formule utilisée par Cicéron, inferorum animas elicere, confirme en effet qu’il s’agit bien de nécromancie et non d’un simple sacrifice. De fait, le verbe elicere fait quasiment figure de terme technique ; ainsi, Tibulle38 emploie ce même verbe, lorsqu’il dit qu’une sorcière, en chantant (cantu), fait venir (elicit) les Mânes. De la même façon, dans les Satires d’Horace, les mêmes sorcières qui voulaient tuer un enfant dans les Épodes viennent sur l’Esquilin « pour attirer de là les Mânes, ombres qui donneront des réponses »39, responsa dare désignant effectivement une pratique divinatoire. Le verbe elicere, composé de ex et de lacio, contient l’idée de « fraude » et de « piège » (lax) que l’on retrouve dans laqueus, pellicere et pellax. La nécromancie est donc bien une forme de chasse ; le pouvoir efficient des invocations et des actes « capture » des âmes, selon une technique qui se sait frauduleuse, puisque les mots de la racine *lac- ont une nuance péjorative assez marquée. C’est du verbe elicere, rappelons-le, qu’Ovide et Tite-Live font venir l’épiclèse Elicius de Jupiter40 : Numa vole les secrets divins de Jupiter concernant la procuration des foudres ou les moyens d’apaiser les Mânes. Si donc la nécromancie est une technique, se pose la question de ses moyens pour faire parler les morts. La méthode des sorcières décrite par les poètes implique des ululements, qui constituent une sorte de dialogue de 36

Cette forme de « réincarnation » provoquée irait dans le sens de l’argument de Cicéron (Tusc. I, 37), qu’une âme sans corps ne peut pas parler. Elle représente une évolution par rapport aux libations homériques de lait, miel, vin, eau et sang, dont le but était aussi de donner corps aux âmes. 37 Épode V. 38 I, 2, 45-6 : haec cantu finditque solum manesque sepulcris / elicit et tepido deuocat ossa rogo, « celle-ci, tout en chantant, fend le sol, attire les Mânes des tombeaux et fait venir les ossements du bûcher encore tiède ». 39 Sat. I, 8, 29 : ut inde / manes elicerent umbras responsa daturas. 40 Fast. III, 285-392, en part. 328 ; Tite-Live, I, 20, 7.

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cris inarticulés où le mort est censé répondre à celle qui l’interroge41. Un rapprochement avec les papyrus magiques indique en effet que les sorcières prétendent parler le langage des morts, en imitant le stridor42 qu’ils émettent. En ce qui concerne les nécromants pythagorisants et Vatinius en particulier, on ne sait pas comment ils procédaient : on croira difficilement qu’ils ululaient ainsi. Comme Sextus Pompée chez Lucain, ils pouvaient employer les services d’une sorcière ; ou bien, comme Nigidius Figulus retrouvant les cinq cents deniers perdus, ils pouvaient passer par le truchement d’enfants hypnotisés43. Sur ce point, le témoignage de Cicéron est trop incomplet et on ne peut en inférer que Vatinius ait eu recours à un médium. Le sacrifice d’entrailles qu’il pratiquait suggérerait même (mais il ne s’agit là que d’une hypothèse) quelque hépatoscopie associée au culte des morts. Au total, il n’est pas étonnant que les pratiques de Vatinius aient suscité des débats chez les commentateurs modernes. En effet, non seulement l’attaque de Cicéron n’est qu’allusive, mais elle est volontairement ambiguë : l’expression employée donne à croire que Vatinius accomplissait des meurtres rituels d’enfants et de la magie, alors même qu’elle ne le dit pas explicitement. Pour cette raison, on ne peut mettre ce témoignage sur la nécromancie à la fin de la République sur le même plan que ceux des poètes : la pratique divinatoire de Vatinius, fondée sur la croyance pythagoricienne en la réincarnation, ne relève pas du même environnement social et intellectuel que celle des sorcières, malgré la perfidie de Cicéron.

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Horace, Sat. I, 8, v. 40-41 : (quid memorem) quo pacto alterna loquentes / umbrae cum Sagana resonarent triste et acutum. Lucain, Phars. VI, 685-7 : Tum uox (Lethaeos cunctis pollentior herbis) / excantare deos confundit murmura primum / dissona et humanae multum discordia linguae, « alors sa voix (plus puissante que toutes les herbes pour évoquer les dieux du Léthé) murmure d’abord des sons discordants et bien différents du langage humain : elle a l’aboiement (latratus) des chiens et le hurlement (gemitus) des loups, la plainte du hibou tremblant (quod bubo quod strix queruntur) ou du strix nocturne, le grincement et le ululement des bêtes sauvages, le sifflement du serpent (quod strident ululantque ferae, quod sibilat anguis) ». 42 Cf Tibulle, I, 2, 47-8 : iam tenet infernas magico stridore cateruas / iam iubet aspersas lacte referre pedem. Volpilhac (1978) ; Tupet (1976 : 306). 43 Apulée, Apol. 52.

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Entre le latin et l'étrusque, les nomina Tusca chez Dioscoride. Ont-ils un rapport avec la divination ? Dominique BRIQUEL Université de Paris-Sorbonne (Paris IV) UMR 8546 Archéologies d’Orient et d’Occident

Notre information sur la langue étrusque peut se fonder non seulement sur l’épigraphie, mais aussi sur ce qu’on appelle les gloses, c’està-dire les renseignements qu’on a pu glaner dans la littérature grecque ou latine et qui donnent le correspondant en grec ou en latin d’un mot étrusque. Ces gloses sont peu nombreuses : M. Pallottino, qui les avait répertoriées dans son petit recueil des TLE (Testimonia Linguae Etruscae, Florence, 1954, 2e éd. complétée, 1968), en avait compté 581. Et le choix des mots dont elles nous fournissent le sens semble tenir au hasard. Ainsi, si Suétone nous explique que le nom des dieux était aesar, c’est à la suite d’un incident qu’il relate dans la Vie d’Auguste, 97, 3 : la foudre était tombée sur une inscription où figurait le nom de César, faisant disparaître la première lettre. Les haruspices, consultés comme il était de règle pour un tel prodige fulguratoire, y virent l’annonce du prochain trépas du prince, qui allait rejoindre les dieux, puisque le mot aesar qu’on lisait dès lors correspondait au nom des dieux en étrusque2. Il est exceptionnel que ces gloses aient un 1

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Cette liste peut être complétée : voir Briquel (2009). Pour les noms de plantes qui nous occuperont ici, il faut signaler que le Pseudo-Apulée, dans son Herbarium, attribue aux Tusci beaucoup de mots non répertoriés dans les TLE : si on se reporte à la version du manuscrit de Vienne, dans Zotter (1986 : 55-199), on relève douze mots, alors que les TLE n’en citent que deux, qui seront signalés n. 16 : plantago : Tusci dicunt probation ; pentafillos : Tusci aesofi ; leontupodion : Tusci plantafium uocant ; botracion : Tusci nilion ; gentiana : Tusci uocant aloitis ; cyclaminos : Tusci mahalpa ; chamemelum : Tusci dicunt abiana ; camelleam : Tusci salpo ; agrimonia : Tusci dicunt rucilia ; aspodilos : Tusci ampullatia ; personatie : Tusci bacion uocant ; senetion : Tusci odia dicunt ; ces références demanderaient une étude systématique, qui ne peut être entreprise ici. Mais le chiffre donné par M. Pallottino reste valable comme ordre de grandeur. Suétone, Aug. 97, 3 : Sub idem tempus ictu fulminis ex inscriptione statuae eius prima nominis littera effluxit ; responsum est, centum solos dies posthac uicturum, quem numerum

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caractère systématique et nous donnent des indications cohérentes sur un champ lexical. On ne rencontre cette situation que dans deux cas, connus par des textes tardifs : d’une part la série des noms des mois, de mars à octobre, que nous connaissons par une source du VIIIe siècle, le Liber Glossarum3, d’autre part des noms de plantes, connus principalement par la tradition du De materia medica de Dioscoride, qui au total présente seize mots comme étant des noms de plantes étrusques. Aucune des gloses tirées de Dioscoride ne se réfère à la divination et on pourrait se demander en quoi elles peuvent entrer dans la thématique d’une rencontre consacrée au vocabulaire latin de la divination. Déjà, elles ne regardent en principe pas le latin, mais l’étrusque et par ailleurs ne paraissent pas concerner la divination. Cependant nous verrons que le caractère étrusque des mots rangés dans la catégorie des nomina Tusca est presque toujours contestable et qu’on peut plutôt les rapporter au latin. Quant à leur lien avec la divination (qui, il est vrai, nous apparaîtra lui aussi contestable), il est généralement admis pour ces gloses concernant des noms de plante, comme pour celles de l’autre catégorie, donnant des noms de mois, depuis qu’un article de Mario Torelli, paru en 19764, a relevé que les champs sémantiques qu’elles recouvraient correspondaient à des domaines dans lesquels s’exerçait l’activité des haruspices5. La science religieuse à laquelle ils se référaient, l’Etrusca disciplina, et qui était exposée dans les libri auxquels ils se référaient pour leurs consultations, regardait par exemple les rites, auxquels une des trois catégories de livres sacrés distingués par Cicéron au sein de la discipline, celle des libri rituales, était spécifiquement consacrée6. Or le calendrier (et donc les mois) est un point central du rituel et on peut rappeler que les deux plus longues inscriptions étrusques qui nous sont parvenues, le livre de lin de Zagreb et la tuile de C littera notaret, futurumque ut inter deos referretur, quod aesar, id est reliqua pars e Caesaris nomine, Etrusca lingua deus uocaretur. 3 Voir Mommsen (1861), Keil (1899 : VI, 691-692). Ces noms, à l’exception de celui du mois d’avril, sont repris dans l’Elementarium de Papias, qui date du XIe siècle. 4 Voir Torelli (1976 : 1002-1005). L’idée est reprise, pour citer des travaux récents, dans Johnston (2006) (« the original lexicographer drew upon a corpus of Etruscan texts concerning the ritual practice known collectively as the Etrusca disciplina »), HarrisonBartels (2006), avec une formulation plus prudente (« plants… which may have been used in a ritual and magical way »). 5 Sur les haruspices et leur rôle dans le monde romain, on verra Mc Bain (1982), Montero Herrero (1991), Ramelli (2003), Haack (2003, 2006). 6 Sur la discipline étrusque, la synthèse fondamentale reste celle Thulin (1905-1909). Sur les trois catégories de livres étrusques (libri haruspicini, fulgurales, rituales), Cicéron, Diu. 2, 42.

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Capoue, sont des calendriers religieux, avec indication des cérémonies qu’il fallait accomplir à différents jours de l’année7. Quant aux plantes, elles pouvaient être porteuses de signes que les haruspices se faisaient fort d’interpréter : un passage de Macrobe (Saturnales, 3, 20, 3) nous apprend que Tarquitius Priscus qui, au Ier siècle av. J.-C., avait été un des principaux auteurs qui avaient fait connaître à Rome les principes de la science religieuse étrusque, avait rédigé un Ostentarium arborarium, ouvrage où il avait traité des prodiges, des ostenta, liés à les arbres. On peut donc envisager que ces renseignements linguistiques soient issus d’un traité d’Etrusca disciplina, comme ceux qu’évoquait Pline dans son Histoire naturelle quand il citait, outre l’ouvrage de Tarquitius Priscus, ceux de Julius Aquila et d’Umbricius Melior dans la liste des sources de ses livres 10 et 11 (Iulio Aquila qui de Etrusca disciplina scripsit, Tarquitio qui idem, Vmbricio Meliore qui idem). Cette hypothèse, si on l’admet, nous permettrait donc de retrouver des éléments du vocabulaire de l’Etrusca disciplina, et cela dans sa langue originale, l’étrusque. Sur ce dernier point, il n’y a rien à redire en ce qui concerne la liste des mois que nous livre le Liber Glossarum. Ce sont bien des noms de mois étrusques – quand bien même ils ont été parfois déformés au cours de leur transmission – et la preuve en a été administrée par le fait que certains d’entre eux se retrouvent dans les documents indiscutablement tyrrhéniens que sont le livre de lin de Zagreb et la tuile de Capoue. Ces deux textes étrusques sont, nous l’avons rappelé, des calendriers religieux et leur plan suit l’ordre de l’année, avec indication de dates pour lesquelles est donné le chiffre du jour dans le mois et le nom du mois. Or, dans le liber linteus, on observe une succession de trois mots qu’on peut interpréter comme des noms de mois : acale, θucte, celi8. Parmi ces noms, acale répond à Aclus, qui est donné par les gloses comme le nom étrusque de juin, celi à Celius, donné comme celui de septembre, et ces deux noms apparaissent dans les prescriptions du livre de lin selon l’ordre attendu par la séquence du liber glossarum, acale précédant celi. Ce sont donc visiblement les mêmes noms. Sans doute l’autre nom de mois, θucte, est-il différent des noms donnés par les gloses pour les deux mois intermédiaires9, juillet et août, qui sont Traneus et Hermius. Mais on peut expliquer cette distorsion soit par une erreur qui se serait glissée dans la longue chaîne de transmission des noms 7

Sur ces textes, on pourra se reporter aux synthèses récentes de Cristofani (1995) et Belfiore (2010), où on trouvera la bibliographie antérieure. 8 Données dans Pallottino (1937) = Pallottino (1979 : I, 574-578). En particulier : « Il contenuto : rituale in forma di un calendario religioso » (p. 210-217 = p. 554-561). 9 La présence des noms de juin et de septembre, mais d’un seul nom de mois intermédiaire, implique que tous les mois ne soient pas représentés sur la liste des cérémonies indiquées par ce calendrier. Cela n’a rien d’impossible.

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étrusques, soit par le fait qu’il n’existait pas un calendrier panétrusque, mais des variétés régionales. Quant à la tuile de Capoue, on y repère également une succession de trois noms de mois, apirase, anpilie, acalve10. Le troisième, acalve, est identifiable à l’acale du texte de Zagreb, et donc à Acalus qui est juin ; anpilie répond sans difficulté à l’Ampiles des gloses, qui est mai. En revanche apirase diffère de Cabreas, donné comme nom étrusque du mois d’avril dans la liste médiévale. Mais on peut envisager l’adjonction indue d’un C initial, ce qui donnerait un *Abreas relativement proche d’apirase. Quoi qu’il en soit de ce point, les convergences sont suffisantes pour qu’on soit en droit d’estimer que la liste des gloses a pour origine une authentique liste de mois étrusques11. Cependant, s’ensuit-il pour autant qu’il faille adopter l’hypothèse d’une source qui aurait été un traité d’Etrusca disciplina ? Cela nous paraît beaucoup plus douteux. Un ouvrage de ce genre n’est pas le seul susceptible d’avoir traité de l’année étrusque et de ses mois. Cela ne nous paraît même pas avoir été la source la plus probable. La question du calendrier, et donc des mois, avait donné lieu à Rome à une littérature spécialisée, les Fastes, dont le poème homonyme d’Ovide reste pour nous l’éclatant témoignage. Or de tels ouvrages étaient susceptibles de s’intéresser non seulement à l’année romaine, mais également à celles en usage dans d’autres régions de l’Italie. Censorinus, Sur le jour anniversaire, 20, 2, fait une allusion rapide au fait que l’année était différente à Ferentinum, Lavinium, Albe et Rome, tout en 10 11

Voir Olzscha (1955), Rix (1990), Cristofani (1995), p. 60-61. Cette liste ne comporte que huit mois, allant de mars à décembre. Or mars était le premier mois de l’année dans l’ancien système des Romains, encore reflété aujourd’hui par ce qui subsiste de la séquence des noms de mois numériques, septembre, octobre, novembre, décembre, après le remplacement de quintilis par juillet, sextilis par août. Le fait que le premier des noms de mois dans la liste du Liber Glossarum soit mars peut être l’indice de ce que l’année commençait également au 1er mars chez les Étrusques. Mais, étant limitée à ce qui serait seulement les huit premiers mois de l’année, cette liste ne permet pas de décider s’il convient d’attribuer à l’année étrusque une articulation sur dix ou sur douze mois. On connaît la tradition voulant que l’année primitive des Romains n’ait comporté que dix mois. Il a pu en aller là aussi de même chez les Étrusques. L’idée d’une année de dix mois est certes très discutée et loin d’être unanimement acceptée : voir Samuel (1972 : 167168), qui l’admet, Radke (1990 : 35-37), beaucoup plus réservé, Brind’amour (1983 : 225227), qui la refuse. S’agissant des Étrusques, M. Cristofani, dans Cristofani (1995 : 60-61), a fait remarquer que le texte de la tuile de Capoue est subdivisé en dix parties, distinguées par des traits. Ce pourrait être l’indice de l’existence, en milieu étrusque, d’une telle année de dix mois. Mais les gloses ne nous donnant le nom que de huit mois, et donc fournissant une liste certainement amputée, ne permettent pas de trancher sur la question du nombre total des mois qu’aurait comportés l’année à laquelle ces noms se rapportent.

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disant qu’il lui serait trop long de traiter des années non romaines. Un peu plus loin, en 22, 9-10, il donne quelques indications sur la durée de plusieurs mois dans les calendriers d’Albe, Tusculum, Aricie (auxquels il donne leurs noms romains de mars, mai, quintilis, sextilis, septembre, octobre), durée qui était différente de celle qu’ils avaient à Rome. Les exemples cités renvoient plutôt à des villes latines. Il en va de même lorsqu’Ovide, dans les Fastes, en 6, 59-63, évoquait l’existence d’un mois appelé Iunonius, mois de Junon, dans des calendriers non romains : il ne citait que des villes latines, Aricie, Lavinium, Lanuvium, Tibur, Préneste. Mais il serait étonnant qu’on ne se soit pas penché aussi sur l’année étrusque. Il est même très probable que Verrius Flaccus, dont le De Fastis a servi de base documentaire pour Ovide, ait abordé la question de l’année étrusque. Celui qu’on a appelé le Varron augustéen s’était occupé spécifiquement du monde tyrrhénien : il avait écrit un ouvrage sur les res Etruscae que nous connaissons par deux fragments12. Il serait évidemment risqué d’affirmer que cette liste remonte en dernier ressort à Verrius Flaccus. Bien d’autres auteurs, à commencer par Varron dans ses Antiquités divines, avaient traité des fastes et donc étaient susceptibles de fournir une liste des mois étrusques. Pour la dresser d’ailleurs, ils avaient pu se reporter à ce qui en était dit dans un ouvrage sur la discipline étrusque. Mais l’hypothèse qu’un tel traité ait pu servir de source directe à ce que nous lisons dans le Liber Glossarum nous paraît exclue : celui-ci doit procéder d’une source déjà synthétique sur les questions de calendrier. Les noms des dix mois étrusques ne sont qu’un cas parmi les nombreux exemples de noms de mois qu’on trouve dans le Liber Glossarum13. Il en existe en effet 116 exemples, relevant de onze calendriers différents : outre celui des Étrusques (dont le nom est écrit parfois Tucorum, Tuquorum, voire Turcorum), ceux des Hébreux (Hebraeorum), Égyptiens (Aegyptorum), Syriens (Syrorum), Cappadociens (Cappadocum, cette liste étant la seule complète), Athéniens (dont le nom est écrit Thenorum, avec omission du A initial), Macédoniens (Macedonum), Bithyniens (Bithiniensium), Périnthiens (Perinthiorum), Byzantins (Bizantinorum), Grecs (Hellenorum). C’est de cette source, qui combinait les informations sur le calendrier étrusque avec bien d’autres, que dépend le glossateur, et certainement pas d’une consultation directe d’un ouvrage sur l’Etrusca disciplina.

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Voir scholies de Vérone à Virgile, Aen. 10, 183 (à propos de Caeré), 10, 200 (à propos de Mantoue). 13 Sur la question, voir Mountford (1923).

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Nous arriverons à une conclusion analogue en ce qui concerne les noms de plantes transmis par Dioscoride14. Celui-ci cite en effet un total de seize phytonymes qu’il rapporte aux Étrusques. Dans sa liste des gloses étrusques, M. Pallottino en signalait quatorze : ἄπιουμ ῥανίνουμ (TLE 809), καυτάμ (823), κικένδα et κομιτιάλις (825), φαβουλῶνιαμ (830), γαρουλέου (833), γιγάρουμ (834), λάππα μίνορ (842), μασύτιπος (84515), μούτουκα (846), ῥαδία (849), σπίνα ἄλβα (850), σούκινουμ (852), τάντουμ (853)16. Mais on peut en compter seize, puisqu’à ces noms donnés comme étrusques chez Dioscoride qui ont été repris dans les TLE, il convient d’en ajouter deux autres, qui figurent dans les listes de noms de plantes comme variantes d’un autre nom étrusque – συμφωνίακαμ à côté de φαβουλῶνιαμ en IV, 68 (830), νάρδουμ ῥούστικουμ à côté de σούκινουμ en I, 10 (852). Ces termes sont 14

Dans cette série de noms, spina alba, comitialis, cicenda, fabulonia sont des noms latins selon Bertoldi (1936 : 297-298), spina alba, cicenda, comitialis, apium raninum, sucinum, fabuloniam, sans doute garouleou, lappa minor, tantum selon Torelli (1976 : 1003), apium, cicenda, lappa, nardus, spina, sucinum, sans doute fabuloniam selon Brayer (1993 : resp. 133 et 237-238). 15 Les TLE donnent, avec référence pour la glose à IV, 58 (cf. TLE 833), la forme masuripos ; nous préférons conserver la lecture de l’édition de base, celle de Wellmann (1907-1914), ici I, p. 247, le T apparaissant toujours dans les variantes de la tradition manuscrite. 16 Comme nous nous concentrons ici sur le De materia medica de Dioscoride, nous ne tenons pas compte, dans la série des gloses donnant des noms de plantes étrusques répertoriées par M. Pallottino, de celles provenant d’autres sources, comme l’Herbarium du Pseudo-Apulée pour TLE 808 : herba quae a Graecis diciture chamoemelon : … Tusci apianam, tiré de p. 41, n. XXIV ; TLE 826 : nomen herbae batrachii ; a Graecis dicitur batrachion, Tusci carofis (cherifis, clorisis, clopoplis) [= χλωρόπιον ?], Siculi selinon agrion, Romani apiurisum ; l’information figure aussi dans CGL, III, 633, 2-8 ; cf. CGL, III, 557, 56, 621, 59 ; cette notice est à rapprocher de celle de Dioscoride II, 175 (= TLE 809), où on retrouve les noms, en grec, de βατράκιον, et de σέλινον, soit qualifié par l’adjectif ἄγριον, soit dans les composés ὑοσέλινον, ἱπποσέλινον, et où le nom donné comme étrusque serait, en transcription latine, apium raninum, ache de grenouille, qui a un sens comparable à celui de βατράκιον. Il convient en outre de tenir à part la glose TLE 813, tirée d’Hésychius, qui est une source d’un autre ordre, ne se limitant pas aux noms de plantes médicinales et dont les informations sur la langue étrusque – qu’elles soient fondées ou non – regardent bien d’autres domaines ; voir Torelli (1976 : 1003-1006), classant ses 14 gloses étrusques en six concernant les animaux, deux l’atmosphère, deux la religion, une les institutions politiques, une la vie humaine, une les outils, seule la glose TLE 813, ἀταίσον, donnant le nom d’une plante ; en outre la plante désignée par le nom présenté comme étrusque par le lexicographe byzantin appartient à une autre catégorie que les herbes médicinales évoquées par Dioscoride et le Pseudo-Apulée : le mot désignerait en étrusque la vigne montant aux arbres, selon une vieille technique viticole en usage dans cette région ; voir Sereni (1961 : 36), Sereni (2006).

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introduits immédiatement après la forme rapportée aux Θοῦσκοι par la formule οἱ δε. Celle-ci sert à donner des variantes de la dénomination d’une plante chez un peuple donné et, si elle est surtout utilisée pour les différentes appellations existant chez les Grecs, elle l’est aussi pour les noms donnés par d’autres groupes. Ainsi, dans les passages qui nous concernent, en II, 175 (TLE 809) on trouve trois noms rapportés aux Romains, en III, 138 (TLE 823) deux rapportés aux Romains, en IV, 68 (TLE 830) trois aux Romains, deux aux prophètes, en II, 167 (TLE 834) deux aux Égyptiens, en II, 178 (TLE 845) quatre aux Romains, en IV, 142 (TLE 849) deux aux Égyptiens, deux aux Romains, en I, 10 (TLE 852) deux aux Romains, en II, 178 (TLE 853) deux aux prophètes, deux aux Romains. Il n’y a donc aucune raison de ne pas ranger dans la catégorie des nomina Tusca de Dioscoride les deux formes alternatives rapportées aux Étrusques par rapport aux premières qui sont citées dans les mêmes lemmes. Elles étaient données comme étrusques dans ces listes de noms tout autant que celles retenues dans les TLE et c’est bien, conformément à ce qui était indiqué dans l’index de l’édition de Max Wellmann (III, p. 358), de seize noms qu’il convient de partir. On comprend pourquoi M. Pallottino n’a pas retenu ces deux noms dans la liste des gloses étrusques. Ces noms n’ont rien d’étrusque. Le premier est purement latin, cette plante, la valériane, dont l’effet tranquillisant est reconnu, étant dénommée « nard rustique » par transposition en latin de l’appellation grecque de νάρδος ἀγρία, qui est un des noms qu’elle portait en grec et qui figure au début de la liste des noms de la notice du De re medica à côté de celui d’ἄσαρον. L’adjectif rusticus n’est bien évidemment pas étrusque et nardum relève du latin où le mot d’origine sémitique νάρδος ou νάρδον, désignant en grec aussi bien la valériane que l’huile qui en était tirée, a été introduit sous les deux formes parallèles nardus et nardum, l’une masculine et l’autre neutre, et s’appliquant aussi bien au végétal qu’au produit qui en était issu17. Nous sommes ici en face d’une appellation purement latine. Quant au second de ces mots, symphoniacam, il n’est pas davantage à rapporter au lexique tyrrhénien et d’ailleurs, comme le relevait M. Wellmann dans son édition, dans la notice correspondante du Pseudo-Apulée, la dénomination est rapportée au latin, non à l’étrusque (Romani symphoniacam). Il s’agit cette fois de la jusquiame (en grec ὑοσκύαμος, fève de porc, dont la dénomination courante en latin, faba suilla, est la traduction), aux pouvoirs analgésiques et narcotiques connus – c’est des effets dangereux de cette plante que périssent Roméo et 17

Voir André (1956 : 217), André (1985 : 170), distinguant dans la désignation latine le nardum agrion (Pline, N.H. 12, 45) ou agreste (Dioscoride latin, I, 9), identifiable à la grande valériane, aussi appelée nardum Creticum chez Pline, et le nardum rusticum (Pline, N.H. 12, 45, 47, 21, 29-30), appelé aussi nardum siluestre (Pline, N.H. 12, 47), identifiable à l’asaret, racine à odeur de valériane.

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Juliette. Ce nom n’est bien sûr pas un mot latin, mais la transposition du grec συμφωνίακος, qui apparaît sous cette forme chez plusieurs auteurs latins, à partir de Pelagonius, Ars ueterinaria, 97, et Végèce, Mulomedicina, 2, 13218. On ne peut même pas dire que le choix des TLE repose sur un principe strict d’exclusion des variantes adjointes à un premier nom qualifié d’étrusque et dont le caractère latin est patent. Pour le n° 825 (III, 3), l’ouvrage a conservé la mention de κομιτιάλις à côté de κικένδα et κομιτιάλις, dénomination qui elle aussi était introduite par un οἱ δέ. Ce terme est bien évidemment le latin comitialis et cette appellation est appropriée pour une plante, la gentiane, dont V. Bertoldi rappelait l’usage contre l’épilepsie19, le morbus comitialis ainsi dénommé du fait qu’à Rome, lorsqu’une crise d’épilepsie survenait lors d’une réunion du peuple, cet événement, interprété comme un signe négatif, provoquait la suspension immédiate des comices. Dans son Lexique des termes de botanique en latin, J. André – qui ne mentionnait même pas le caractère étrusque attribué à cette dénomination dans le texte de Dioscoride – explicitait le terme en traduisant « qui guérit le mal comitial, c’est-à-dire l’épilepsie »20. Mais le caractère latin des noms attribués aux Étrusques ne regarde pas seulement les formes alternatives, posées après une première dénomination renvoyant à ce peuple. Pour II 175 (TLE 809), III, 143 (TLE 842), III, 19 (TLE 850), où une seule appellation référée aux Θοῦσκοι est donnée, on se trouve en présence d’un cas exactement superposable à celui de nardum rusticum en I, 10, puisque la plante est désignée par une dénomination double, où un substantif est complété par un adjectif et où les deux éléments sont purement latins : on a respectivement apium raninum, lappa minor, spina alba. La première dénomination part du terme apium, qui a servi à désigner une série de plantes différentes, le céleri, l’ache qui en est la variété sauvage, mais également le persil et l’athamante, ainsi que, selon l’expression de J. André, des « renoncules en général »21. C’est dans cette dernière catégorie que se range l’apium raninum : alors que le terme de départ, apium, tiré de apis, a le sens d’herbe aux abeilles22, l’adjectif définit 18

André (1985 : 253), traduisant le nom par « la chanteuse », et surtout André (1956 : 308), expliquant cette dénomination, qu’il traduisait alors par « la musicienne » par le fait que c’est une plante « qui provoque des vents ». 19 Voir Bertoldi (1936 : 297). 20 La plante correspond à la grande gentiane et à la gentiane pourpre. Voir André (1956 : 98), André (1985 : 173), avec renvoi, outre au passage de Dioscoride, au Pseudo-Apulée, 16, 8, CGL 3, 357, 66, 6, 22, 20. 21 André (1956 : 35), André (1985 : 20). Pour rana, ranuncula, ranaria, Ernout-Meillet (1959 : 564). 22 Ernout-Meillet (1959 : 39).

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cette plante comme ache de grenouille, par l’adjonction d’un dérivé du nom de la grenouille, rana, non attesté par ailleurs mais parfaitement correct dans la langue. Cette dénomination est justifiée pour une herbe pour laquelle on trouve en grec le nom βατράκιον, cité par Dioscoride, et dont on a en latin les correspondants ranuncula, diminutif de rana, et ranaria, formé avec un autre type de suffixe. On reste en tout cas à l’intérieur du latin et le terme apium apparaît régulièrement rapporté aux Ῥωμαῖοι dans les listes de Dioscoride (II, 175, III, 64, 65, IV, 109), où il peut être accompagné d’autres adjectifs, eux aussi purement latins (ce qu’on peut transcrire par hirsutum en II, 175, rusticum en III, 64, 114, flauum en II, 175). La notice qui nous concerne associe à ce nom, donné comme étrusque, ceux d’apium isolément et d’apium hirsutum attribués aux Romains. Il en va de même pour le deuxième de ces noms doubles, lappa minor. Ce nom de la garance, présenté comme étrusque, la définit comme une lappa, selon un terme latin qu’on rencontre, isolé, pour la bardane chez Virgile (Géorgiques, 1, 153, 3, 385) et Pline (18, 153, 21, 104) et que Dioscoride emploie en IV, 106. Le terme, qui évoque lippus, chassieux, paraît formé sur une racine indo-européenne *lep-, signifiant coller, et par conséquent s’applique à des « plantes accrochantes par leurs feuilles ou fruits »23. En l’occurrence la garance est qualifiée de minor, par opposition à la bardane elle-même, pour laquelle Marcellus Empiricus, 17, 35, use du qualificatif maior. La troisième dénomination enfin, spina alba, épine blanche, ne nous fait pas davantage sortir du latin24 et est, dans notre cas, une transposition du nom grec de la plante qui apparaît au début de la notice, λευκάκανθα25. La même dénomination spina alba se retrouve, mais cette fois attribuée aux Ῥωμαῖοι, chez Dioscoride en I, 90 et III, 12. Quant au terme de base, spina, il est fréquent dans le texte du De materia medica, et toujours rapporté au latin, soit isolé (III, 13, 16), soit avec des adjectifs (agrestis en III, 17, herbalis en I, 90, mollis en IV, 118, regia en III, 12). Si nous passons maintenant aux noms réduits à un seul élément (καυτάμ, κικένδα, φαβουλῶνιαμ, γαρουλέου, γιγάρουμ, μασύτιπος, μούτουκα, ῥαδία, σούκινουμ, τάντουμ), l’attribution d’un certain nombre d’entre eux à l’étrusque suscite des difficultés analogues. C’est le cas de gigarum, qui désigne le gouet ou pied-de-veau. Le même terme est considéré 23

André (1956 : 201), Ernout-Meillet (1959 : 341), André (1985 : 179). L’appellation spina alba a été utilisée pour une série de plantes différentes : l’aubépine (dont le nom prolonge cette dénomination latine), l’épine-vinette, la bourgue-épine, une première espèce de chardon, une autre espèce de chardon à racine tubéreuse (qui est le végétal qui nous concerne ici), le butome ou jonc-fleur. Voir André (1956 : 300), André (1985 : 245-246). 25 Pour spina, Ernout-Meillet (1959 : 642). 24

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comme gaulois dans le De medicamentis de Marcellus Empiricus, médecin né probablement à Bordeaux et qui exerça son art auprès de l’empereur Honorius et de son successeur Arcadius avant d’être exilé de la cour par suite des intrigues de l’eunuque Eutrope. Cet auteur affirmait : herba Proserpinalis, quae Graece draconteum, Gallice gigarus appellatur (10, 58). Les modernes ont préféré suivre l’avis de Marcellus Empiricus, originaire de Gaule et donc à même de connaître les noms de plantes en usage dans sa région26. Le mot fabuloniam, nom de la jusquiame, paraît latin, même si l’isolement dans le vocabulaire botanique de sa finale a fait que la tradition manuscrite du Pseudo-Apulée l’a rendue par l’adjectif longa (Herbarium, 5 : Graeci hyoscyamos…, Tusci fabulongam)27. On a affaire à un dérivé du nom de la fève, faba, utilisé comme élément de base pour désigner cette plante en latin comme en grec (c’est le sens du mot grec κύαμος qui sert à la définir comme fève du porc, ὑοσκύαμος, dont le latin faba suilia est la transposition). Des dérivés de faba avec un suffixe en –l existent : fabulus, ou fabiolum, dans fabiolum marinum donné dans Dioscoride, IV, 65 comme correspondant du grec κερατῖτις. Le mot a donc été considéré comme latin par les commentateurs modernes28. Pour cicenda, V. Bertoldi a proposé une analyse latine29. On connaît dans cette langue un nom du ver luisant, cidendula/cicendela, qui en est le diminutif : ces formes seraient construites sur la base du verbe candeo, associée à l’idée de feu brillant, qui a donné le nom de la chandelle candela. Les mots cicenda et cicendela/cidendula seraient des formes à redoublement expressif. En tout cas, l’emploi de cicenda pour la gentiane désignerait cette plante comme une petite lampe, ce pour quoi le savant italien évoquait les parallèles λαμπάς, λυχνίς, φλάμμουλα, ὑοσκύαμος chez Dioscoride en III, 101, 100 et IV, 26

Voir Bertoldi (1936 : 298-299), expliquant la présence dans les dialectes modernes de Toscane de formes dérivées de ce nom par une influence gauloise ancienne. Dans le sens d’une origine gauloise, Torelli (1976 : 1003). Voir aussi André (1956 : 148), André (1985 : 110). 27 Voir Bertoldi (1936 : 297, n. 2). 28 Bertoldi (1936 : 297-298), André (1956 : 133), Ernout-Meillet (1959 : 208), Torelli (1976 : 1003), André (1985 : 101), Brayer (1993 : 237-238). V. Bertoldi évoquait la possibilité (jugée peu probable par G. Brayer) que la terminaison –oniam repose sur une finale étrusque en –un (évoquant les poléonymes Vetulonia, Populonia). Mais en étrusque la finale –unia est d’origine italique (elle est utilisée à Pérouse, par influence ombrienne, pour former des féminins de gentilices en –u, sous la forme –unia rendue dans les formes en écriture latine par –onia ; voir Rix (1963 : 173-178). Néanmoins, G. Alessio, dans Alessio (1946), estimait fondée la mise en rapport avec l’étrusque. 29 Voir Bertoldi (1936 : 297). Pour cidendula/cicendela, Ernout-Meillet (1959 : 119), notant que le nom du ver luisant est attribué par Pline, N.H. 18, 250, aux rustici. L’attribution au latin est admise dans Torelli (1976 : 1003), Brayer (1993 : 133).

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13330. Le mot σούκινουμ (pour l’asaret, que les Toscans auraient également désignée comme « nard rustique ») a également été attribué au latin par M. Torelli et G. Brayer31. Plutôt qu’au nom de l’ambre sucinum, on songera à un dérivé de suc(c)us, signifiant jus, qui définit cette plante comme donnant du jus (l’adjectif sucidus est attesté en ce sens). En tout cas, le suffixe –inum est latin et non étrusque32. Un nom comme γαρουλέου (qui désigne le chrysanthème des jardins) a des chances, comme le suggérait J. André dans son ouvrage de 1956, d’être formé sur le nom d’un peuple ligure établi au sud de l’Apennin, les Garuli, dont Tite-Live rapportait la soumission par le consul P. Mucius en 175 av. J.-C. (41, 19, 1-2). Ce serait un ethnique, la plante étant référée à ce peuple, et on notera que sa formation ne répond pas à celle des ethniques en étrusque, qui sont formés avec un suffixe –te/θe33. Quant aux autres mots donnés comme étrusques dans ces listes, comme masutipos, mutuca, radia, tantum, s’appliquant respectivement au mouron rouge, à la sarriette, la salsepareille, au mouron bleu, ils sont évidemment beaucoup moins clairs34. Leur structure ne paraît pas

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J. André, dans André (1956 : 89), citant la proposition de V. Bertoldi, faisait intervenir un rapport direct avec le nom du ver luisant, traduisant le terme comme « l’herbe aux vers luisants » et évoquant le nom grec ἀγλαοφώς (à la lumière brillante) donné dans Dioscoride III, 140, et Aelien, De la nature des animaux, 14, 24. En revanche, dans André (1956 : 65), il estimait que « la raison (de cette appellation) n’apparaît pas clairement ». 31 Torelli (1976 : 1003), Brayer (1993 : 133). Sur sucinum et suc(c)us en latin, Ernout-Meillet (1959 : 119). V. Bertoldi, dans Bertoldi (1936 : 299, n. 1), corrigeait σούκινουμ en σούσινουμ, en s’appuyant sur le fait que l’appellation αἶμα Ἄρεως, rapportée aux prophètes, donnée en I, 10 pour σούκινουμ, l’était en III, 102 pour σούσινον. Cette plante locale odoriférante qu’est l’asaret, qualifié de nard dans l’expression nardum rusticum, aurait été identifiée avec une autre plante odoriférante, le lis, désigné ici sous son nom d’origine orientale susinum (hébreu shushan). 32 Sur le nom de l’ambre, Ernout-Meillet (1959 : 267). Ce nom donné comme étrusque par Dioscoride est mentionné, sans remarque particulière, dans André (1956 : 307), mais non cité dans André (1985). 33 Comme il s’agit d’une plante, on pensera difficilement à un apparentement avec garrulus, bavard, qui gazouille, une telle qualification pouvant se comprendre pour des animaux, à la rigueur une eau courante (Ovide, Fast. 2, 316, l’emploie pour riuus, par référence au clapotis de l’eau), mais guère pour un végétal. 34 Le mot mutuca est signalé, sans remarque particulière, à partir de Dioscoride, dans André (1956 : 214), André (1985 : 166), et de la même manière le mot radia dans André (1956 : 268), André (1985 : 214).

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analysable35, mais on peut au moins dire qu’ils n’appellent aucun parallèle dans ce que nous savons de l’étrusque – et on ne peut plus suivre aujourd’hui les constructions hasardeuses de V. Bertoldi, aux beaux temps de la « linguistique méditerranéenne », qui construisait des bases communes entre les langues qui auraient été parlées avant l’établissement des parlers indoeuropéens dans la zone, à l’aide de noms propres et en admettant de larges variations phonétiques. C’est ainsi que pour radia, il n’hésitait pas à faire appel tout à la fois au nom du Crétois Rhadamanthe, frère de Minos, et à celui de l’aurige véien Ratumena, qui avait laissé son nom à une porte de Rome36, pour ranger ce terme dans les noms qui pouvaient être réellement étrusques37. L’explication proposée pour mutuca était tout aussi scabreuse : étaient évoqués tant les termes latins mutulus (désignant une saillie en architecture), Mutunus (nom du dieu lié au phallus auquel les femmes sacrifiaient lors de leur mariage selon Paul-Festus, 143 L), conciliables avec l’idée de protubérance, que des formes étrusques comme Mutu, Muθana qui sont des noms propres et un substantif mutna qui paraît être une désignation du sarcophage, et jusqu’au nom de Mytilène et d’autres toponymes égéens ou anatoliens38. Rien de solide ne permet donc de rapporter ce nom à l’étrusque, pas plus qu’aucun des autres que nous venons de citer. Nous avons laissé à part un nom pour lequel la référence à l’étrusque, avancée par V. Bertoldi39, peut paraître plus admissible : il s’agit en III, 138 (TLE 823) du nom de la grande camomille, καυτάμ. Dans cette notice, un des deux noms attribués aux Ῥωμαῖοι est σῶλις ὄ κουλουμ, renvoyant à un nominatif solis oculus, et on trouve en III, 136, l’appellation comparable σωλάστρουμ, sol astrum, renvoyant au soleil. Or il existe une divinité étrusque dont le nom apparaît sous les formes Caθ(a), Cavθa, Cavaθa, Cavuθa, ou avec graphie K, conformément à l’usage de l’Étrurie du Nord, Kavθa40. Il faut préciser que cette divinité est non de sexe masculin 35

Il paraîtrait gratuit de vouloir dégager dans l’obscur (et peu sûr dans la tradition manuscrite) masutipos, donné comme nom étrusque du mouron rouge, qui était utilisé dans le traitement de l’hypocondrie (ce qui explique le nom grec d’ἀναγαλλίς, qui le définit comme faisant rire), un élément masu- analogue à ce qu’on trouve dans masucius, posé par Paul-Festus (113 L) comme un équivalent d’edax et qui serait formé sur un désidératif en –s de mando, mâcher (masucius étant expliqué à partir d’un ma(n)suco) ; voir Ernout-Meillet (1959 : 362). 36 On verra les références dans notre article Briquel (2011). 37 Bertoldi (1936 : 316-319). 38 Bertoldi (1936 : 309-316). 39 Bertoldi (1936 : 305-309). 40 Pour les attestations, voir Thesaurus Linguae Etruscae, I, Indice lessicale, Pise-Rome, 2009.

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comme on l’avait longtemps cru41 – bien que dans la dédicace Po 3.1 son nom fût accompagné d’une épithète sous forme féminine, aχuia, et que le suffixe –θa avec lequel il est formé servît en étrusque à former des noms féminins (p. ex. lautniθa, l’affranchie, par opposition au masculin lautni) –, mais de sexe féminin42. La forme cauta (au nominatif) donnée dans le De re medica peut donc correspondre au Cavaθa, évoluant en Cavθa/Cauθa puis Caθa connu par l’épigraphie étrusque, d’autant plus que, depuis C. O. Thulin, ce Caθa, figurant sur une des cases du foie de Plaisance, était identifié à Celeritas Solis filia de la demeure VI de la liste des dieux de Martianus Capella43. Mais cette interprétation traditionnelle de Caθa comme une divinité solaire repose en grande partie sur notre glose. À prendre au pied de la lettre l’équivalence entre Celeritas Solis filia et Caθa, cela ferait de ce nom le correspondant de Celeritas, non du soleil (qui par ailleurs est représenté dans l’iconographie par une figure masculine, Usil, correspondant au grec Hélios). D’autre part, comme l’a souligné G. Colonna, la présentation comme « la fille » de Cavθa la met en parallèle avec Perséphone, fille de Déméter44, et on peut rappeler qu’elle est voisine de 41

Cauθa était encore considéré comme un dieu par Pfiffig (1975 : 241-244), Maggiani-Simon (1984 : 162) ; mais c’est une déesse pour Jannot (1998 : 167), Steinbauer (1999 : 405), Thompson de Grummond (2006 : 193-195). 42 La preuve en a été administrée par l’association à ce nom du nom de la fille, sec, dans l’inscription sur un skyphos attique trouvé à Orvieto et conservé au musée de Copenhague cavuθas seχis, publiée par H. Rix dans Rivista d’Epigrafia Etrusca, n° 50, Studi Etruschi, 56, 1989-1990 (1991), p. 339-340. Il convient en effet de comprendre avec Cristofani (1992) = Cristofani (2001 : 311-315), et Colonna (1994 : 372) = Colonna (2005 : 2352), cette construction au génitif comme signifiant « de Cavuθa, la fille », faisant donc de seχis un attribut de ce nom, et non pas comme signifiant « de la fille de Cavuθa », comme le faisait H. Rix. Ce caractère féminin a été confirmé par les trouvailles de l’aire sacrée de la zone sud de Pyrgi, où cette divinité est associée à Śuris. Les fouilles ont en effet livré de nombreuses dédicaces à Cavθa, avec des offrandes qui ont un caractère féminin affirmé (statuettes de déesses trônant, vases à parfum, bijoux) et peuvent être considérées comme des offrandes nuptiales ; voir Colonna (1997 : 179). 43 Dans ce sens déjà Thulin (1906 : 59-60), se fondant sur l’interprétation de la didascalie caθesan accompagnant la représentation d’un dieu (masculin) montant sur un char aux chevaux ailés du miroir d’Orbetello AV S.6 comme une combinaison du nom du soleil (caθa) et de l’aurore (θesan) et non comme le démonstratif ca suivi du nom de l’aurore θesan. 44 G. Colonna, dans Colonna (1994 : 372, n. 59) = Colonna (2005 : 2352, n. 59), considère que le nom de la mère de Cauθa est Espi, à partir de la séquence espial atial cauθas, comprise comme se rapportant à « Espi mère de Cauθa », de l’inscription publiée par L. Bonfante, Rivista d’Epigrafia Etrusca, n° 26, Studi Etruschi, 69, 1993 (1994), p. 269-270 (mais voir M. Cristofani, ibid., p. 270-271, avec une interprétation différente).

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Fufluns sur le foie de Plaisance, associée dans le texte du sarcophage de Laris Pulenas (CIE 5430 = ET, Ta 1.17) et par la charge de maru revêtue par Larθ Statlanes de Tuscania (CIE 5720 = AT 1.32) à Bacchus (Paχa), et liée dans la zone sud de Pyrgi à un Śuris aux caractères chtoniens nets, ce qui n’oriente guère vers une interprétation de cette figure du panthéon étrusque comme une divinité féminine du soleil. Finalement, cette définition a comme appui essentiel le texte de Dioscoride – dont nous avons vu, sur d’autres points, combien ses affirmations étaient suspectes. Certes, dans le cas de Cavaθa/Cavθa/Caθa, un certain rapport au soleil serait exprimé par sa mise en relation avec la Celeritas Solis filia de Martianus Capella, si on l’admet, et le mot semble s’être prolongé en Toscane par les termes dialectaux cota et gota relevés par V. Bertoldi ; mais faire de ce mot le nom purement étrusque du soleil (avec la conséquence que l’astre aurait été conçu par les anciens Toscans comme de sexe féminin45) reste hypothétique. Et en tout cas, même si on admet que le mot donné par Dioscoride est authentiquement étrusque et en relation avec le nom de cette figure divine, il faut noter que la forme sous laquelle il apparaît suppose un accusatif de première déclinaison en –am, cautam, et donc que le mot ait été connu par l’intermédiaire du latin et non sous sa forme étrusque originelle, qui n’aurait pu être, dans une graphie latine faisant disparaître l’aspiration de la dentale, que cauta. Ainsi, même dans ce dernier cas pour lequel on a pu penser que la glose nous fournissait un véritable mot étrusque, le point de départ de l’information aurait été un texte rédigé en latin et ce mot aurait été transmis à partir de son utilisation dans cette langue, et non plus en étrusque. Cela rejoint l’impression que donne l’ensemble de ces noms. Beaucoup se fondent uniquement sur le latin et, même dans les cas pour lesquels une mise en relation avec le latin n’est pas démontrable (comme masutipos, mutuca, radia, tantum), on ne peut pas prouver l’existence d’un lien avec l’étrusque. Il n’est donc pas du tout sûr que les termes fournis par le De re medica se fondent sur autre chose que sur une information latine. En fait, une origine latine peut vraisemblablement être admise pour l’ensemble de ces gloses. Le mot utilisé pour désigner les Étrusques qui auraient employé ces mots n’est pas Τυρρηνοί, qu’on attendrait en grec, mais Θοῦσκοι, c’est-à-dire une désignation latine de ce peuple. En outre, la quasi-totalité des appellations attribuées aux Étrusques offre des formes qui suivent les déclinaisons latines – seuls les termes garouleou et masutipos (s’il faut les admettre comme tels) faisant exception. On a trois termes en – am (dont fabuloniam, symphonicam sont certainement latins, seul kautam pouvant avoir été formé sur une base étrusque) : une telle finale est 45

Cette difficulté a poussé N. Thompson de Grummond à considérer que cette déesse était liée à la lune, non au soleil. Voir Thompson de Grummond (2004, 2008).

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impossible en grec et quasiment inexistante en étrusque (en dehors de formes de type pronominal en –tnam) et correspond à des accusatifs de thèmes en –a du latin. Cinq des seize appellations sont en –um, dont apium raninum, nardum rusticum, sans doute aussi sucinum et, à travers un emprunt au gaulois, gigarum, sont latins, seul tantum étant indéterminable : une telle terminaison, exclue en grec, est certes possible en étrusque (on peut citer les noms de vases46 qutum, pruχum, leχtum, ou meθlum, désignation du territoire47), mais on y verra ici des accusatifs (ou des nominatifs/accusatifs neutres) de noms thématiques du latin, conformes à la forme classique avec passage de la finale –om à –um. Le nom comitialis est un mot latin, avec un thème en –i ici au nominatif. Quant aux cinq dénominations en –a, une telle terminaison est certes envisageable en grec (surtout en dehors de l’ionienattique) ou en étrusque, mais là encore c’est à des formes du latin, nominatifs de thèmes en –a, qu’il convient de penser – lappa (minor), spina alba, sans doute cicenda devant être attribués au latin et une telle attribution étant possible pour radia et mutuca. Ce sont donc, autant qu’on puisse en juger, des formes lexicalement et morphologiquement latines que ces notices attribuent aux Θοῦσκοι. Un contact réel avec la langue étrusque paraît presque toujours exclu et les informateurs, présentés comme des Étrusques, auxquels se réfère en dernier ressort le De materia medica semblent s’être exprimés en latin, avoir donné des noms qu’ils employaient, mais qui n’étaient plus formulés dans une langue qu’on peut définir comme étrusque. Dans ces conditions, l’hypothèse d’une information tirée d’un traité sur l’Etrusca disciplina nous semble douteuse : il est probable que, si les auteurs de tels ouvrages avaient donné des noms étrusques de plantes, ils auraient fourni d’authentiques termes tyrrhéniens et non ces mots qui, pour ceux dont nous pouvons faire l’analyse, sont à rapporter au latin. Mais ce n’est pas la seule difficulté de l’hypothèse. La littérature sacrée étrusque s’était sans doute intéressée aux végétaux, l’Ostentarium arborarium de Tarquitius Pricus est là pour le prouver48. Cependant, ce livre traitait d’arbres, ou au moins de plantes d’assez grandes dimensions, non du type de plantes dont il est question dans les gloses de Dioscoride, qui entrent dans la catégorie des herbes. Le fragment qui a été conservé par Macrobe traitait de la question des arbores felices et des arbores infelices et citait, 46

Sur les noms de vases, secteur bien documenté du lexique étrusque, voir Colonna (19731974) = Colonna (2005 : 1773-1785), Colonna (1990) = Colonna (2005 : 1891-1898), Martelli (1984), Bagnasco Gianni (1996), Belelli-Benelli (2008). 47 Sur ce mot, Colonna (1988) = Colonna (2005 : 1871-1890). 48 Données dans Thulin (1905-1909 : III, 94-98, « Baumzeichen »). Sur le classement des arbres, André (1964), Guittard (1990) et Guittard (2007 : 305-319).

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pour la seconde catégorie, l’alaterne, le cornouiller sanguin, la fougère, le figuier noir, le houx, le poirier sauvage, le fragon, les ronces49. Il s’agissait au moins de plantes capables d’alimenter un feu (puisqu’il était prescrit de brûler avec eux les monstres qu’il fallait détruire). La liste analogue qui apparaît chez Pline en 16, 108, énumère le tamaris, le peuplier, l’aune, l’orme, l’alaterne50. L’Etrusca disciplina visiblement s’intéressait surtout aux arbres et d’ailleurs, lorsque les textes nous montrent des haruspices interprétant des prodiges liés à des végétaux, il s’agit d’arbres : les signes qui nous sont rapportés concernaient des lauriers ou cyprès qui s’étaient mis à croître subitement (lauriers chez Pline, 17, 244, pour la victoire de PaulÉmile sur Persée en 168 av. J.-C. et celle de César dans la guerre civile, et dans Histoire Auguste, Vie d’Alexandre Sévère, 13, 7 ; cyprès chez Tacite, Histoires, 2, 78, à propos de Vespasien). Or dans les chapitres du De materia medica où il est question d’arbres, comme par exemple le peuplier (I, 81, 83), le noisetier (I, 129), le laurier (I, 78), le figuier (I, 126, 128), jamais il n’est avancé de dénomination étrusque : cette absence de toute terminologie étrusque pour des arbres, quand bien même ces arbres sont cités par nos sources à propos de la science religieuse toscane (le peuplier apparaît dans la liste de Pline, le figuier dans celle de Tarquitius Priscus), est peu en accord avec l’idée que les végétaux dont le nom étrusque (ou présenté comme tel) est donné dans le traité de Dioscoride l’aient été parce qu’ils étaient pris en considération dans un ouvrage sur la science religieuse étrusque. On s’attendrait alors à ce que des arbres proprement dits figurent dans ces nomina Tusca, et non des herbes dont on peut douter qu’elles aient eu une importance divinatoire ou rituelle telle qu’elles fussent citées dans des traités religieux. On s’attendrait également à ce que davantage de noms étrusques figurent dans ces notices, puisque le côté systématique, fondé sur une observation minutieuse des phénomènes, qui était caractéristique de la science religieuse tyrrhénienne, aboutissait à des listes dont celle de la série des arbores infelices nous donne une idée, alors que les références aux nomina Tusca sont plutôt parcimonieuses dans le De materia medica.

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Macrobe, Sat. III, 20, 3 : Tarquitius autem Priscus in Ostentario arborario sic ait : arbores quae inferum deorum auertentiumque in tutela sunt, eas infelices nominant : alternum, sanguinem, filicem, ficum atram, quaeque bacam nigram nigrosque fructus ferunt, itemque acrifolium, pirum siluaticum, pruscum rubum sentesque quibus portenta prodigiaque mala comburi iubere oportet. 50 Pline, N.H. 16, 108 : fructum arborum solae nullum ferunt, hoc est ne semen quidem, tamarix scopis tantum nascens, populus, alnus, ulmus Atinia, alaternus, cui folia inter ilicem et oliuam. Infelices autem existimantur damnataeque religione, que neque seruntur umquam neque fructum ferunt. Sur la place des arbres dans les procédures divinatoires étrusques, voir Thulin (1905-1909 : III, 94-98, « Baumzeichen »).

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C’est pourquoi il nous semble que la présence de ces noms donnés comme étrusques chez Dioscoride doive s’interpréter plutôt d’une autre manière. Mais il nous faut préalablement, ce que nous n’avons pas fait jusqu’à présent, préciser dans quel contexte ces dénominations apparaissent dans l’œuvre. Nous avons parlé de Dioscoride et de son traité De materia medica. Mais en réalité, alors que l’œuvre elle-même remonte au Ier siècle, son auteur ayant vécu de 40 environ à 90 environ, les noms référés aux Θοῦσκοι qui nous occupent n’existaient pas dans la forme originelle du traité, qui nous a été conservée par une partie de la tradition manuscrite. Ils y furent introduits par l’introduction secondaire, au début des chapitres, après le nom de la plante qui était traitée dans chacun d’entre eux, d’une liste des différents noms attribués à cette plante non seulement en grec – les variantes, souvent très nombreuses, existant en grec étant signalées en tête –, mais aussi dans d’autres langues. On admet aujourd’hui que ces listes de noms correspondent à une interpolation et c’est pourquoi l’édition Wellmann, qui fait actuellement autorité, fait figurer ces listes à part, après le texte qu’on peut considérer comme originel et remontant vraiment à Dioscoride51. Cette interpolation est ancienne. Elle est déjà présente dans le Dioscoride de Vienne (Codex Vindobonensis Mediceus Graecus 1), splendide manuscrit de 491 folios de vélin, décoré de plus de quatre cents peintures d’animaux et de plantes, qui fut réalisé sans doute à Constantinople aux environs de 515 pour Anicia Juliana, fille de l’empereur Olybrius, et paraît être liée à la réorganisation de l’œuvre de Dioscoride en fonction d’un classement alphabétique (« Dioscoride alphabétique »), qui se manifeste déjà dans les livres XI -XIII de la Collection médicale (ou Συναγωγαί) d’Oribase (325-403), compilation de 70 livres rédigée à la demande de l’empereur Julien52. Max Wellmann, qui avait étudié cette question avec les méthodes de la Quellenforschung de son temps, était enclin à attribuer cette adjonction à des notes complémentaires, qui auraient été tirées de l’œuvre d’un lexicographe alexandrin de la fin du 1er siècle, Pamphilos, à qui était attribué un traité des plantes, Περὶ τῶν βατανῶν, classé alphabétiquement53. On le connaît par Galien, qui le critiqua vigoureusement en 11, 793, dans les 51

Sur l’œuvre de Dioscoride et son orientation, on pourra consulter Riddle (1985), où on trouvera la bibliographie antérieure. 52 On pourra consulter l’exposé sur la question de Barbaud (1994). 53 Voir Wellmann (1898, 1916). En réalité, il conviendrait de distinguer de l’œuvre du véritable Pamphilos celle d’un continuateur qui aurait écrit sous Trajan et auquel serait à rapporter le traité sur les plantes. C’est de ce continuateur que procéderaient les listes de noms recueillies dans le De materia medica (où figurent par exemple des noms daces, difficilement envisageables pour une époque antérieure) ; voir Wellmann (1898 : 369-370, avec n. 1), Wellmann (1916 : 57-59).

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termes suivants : « Il est clair que Pamphile, qui a composé un traité sur les plantes, était, d’après ce qu’il écrit, un grammairien, qu’il n’a pas vu les plantes sur lesquelles il disserte et n’a pas expérimenté leurs capacités, mais s’est fié sans vérifier à tous ceux qui avaient écrit avant lui. Il écrivit six livres en donnant, inutilement, une foule de noms pour chacune des plantes ». La dernière phrase fait penser à un souci lexical analogue à celui dont témoignent ces notices qui se sont ajoutées à la forme initiale du traité de Dioscoride et où apparaissent nos nomina Tusca. Quoi qu’il en soit de l’histoire compliquée de la tradition manuscrite et des formes sous lesquelles l’œuvre de Dioscoride nous est parvenue54, les renseignements qu’elle offre sur la langue étrusque entrent dans le cadre spécifique des notices lexicographiques qui furent adjointes au texte primitif. C’est en tant que parties de cet ensemble qu’il convient de les étudier. Or, dans ces notices lexicales, l’étrusque n’est qu’une des nombreuses langues qui sont citées. On en compte 24 en dehors du grec et, outre les Étrusques, on trouve des mots rapportés aux Égyptiens, Éthiopiens, Africains, Arméniens, Besses, Béotiens, Cappadociens, Daces, Dardanes, Gaulois, Hispaniens, Istriens, Lucaniens, Marses, Romains, Sicules, Syriens, également à des groupes comme les médecins d’Andros et les prophètes, ou à des personnages précis comme Démocrite, Osthanès, Pythagore, Zoroastre. Par ailleurs, la place laissée aux Étrusques n’est pas très importante55. Alors que l’ouvrage traitait de 813 plantes, 101animaux, 102 minéraux, nous avons vu que seulement seize nomina Tusca étaient donnés. Cela situe l’étrusque à la septième place en nombre de références, sans commune mesure avec ce qu’on peut trouver pour le latin, langue dans laquelle les appellations sont données de manière quasiment systématique (476 noms), ou l’égyptien (150 noms), surtout si on ajoute aux références aux Égyptiens celles aux prophètes, terme utilisé par les Grecs pour désigner certains prêtres égyptiens56, qui sont le troisième groupe par le nombre de références et correspondent à 93 noms – ce qui fait un total de 243 noms pour l’Égypte, ce qui est en accord avec l’hypothèse d’une origine alexandrine, avec Pamphilos, de ces informations. Les noms étrusques sont également bien moins nombreux que ceux attribués aux Africains (73), et même aux Daces (39) et aux Gaulois (26)57. La présence de ces nomina Tusca reste donc assez 54

Sur l’histoire de la tradition, on pourra bientôt disposer de l’étude de Marie Cronier, Recherches sur l’histoire de la tradition du De materia medica de Dioscoride, thèse soutenue à Paris, EPHE, 2007. 55 Justes remarques dans ce sens dans Scarborough (2006). 56 Voir Ritner (1995). 57 Le classement des noms par fréquence s’établit ainsi : 1) Romains (476), 2) Égyptiens (150), 3) prophètes (93), 4) Africains (73), 5) Daces (39), 6) Gaulois (26), 7) Étrusques

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épisodique, ce qui ne plaide nullement en faveur du recours à un ouvrage qui aurait procédé à un classement systématique comme l’aurait fait un traité de Etrusca disciplina. Ce que dit Galien de l’ouvrage sur les plantes qu’aurait composé Pamphilos montre qu’en dehors de sa partie lexicale, qui aurait comporté des séries de noms analogues à celles que nous lisons dans ces notices adjointes au De materia medica, ce livre aurait fait état de tous les renseignements possibles, glanés à la lecture des ouvrages traitant de la question. S’agissant de plantes médicinales, ce n’est pas un traité religieux qui était le plus à même de donner de tels renseignements, mais un livre qui avait à s’occuper de cette question en elle-même. Sans doute paraît-il difficile de penser à un traité d’ordre médical, consacré spécifiquement aux plantes médicinales : il ne semble pas qu’un ouvrage de ce genre ait existé à cette époque en latin (et, pour notre cas, nous l’avons vu, il faut penser à une source d’information latine et non grecque). En revanche il a pu fort bien être abordé dans un type d’ouvrage bien représenté à Rome : les traités d’agronomie, genre qui a fleuri à Rome depuis le De agricultura de Caton et la traduction en latin du traité de l’agronome carthaginois Magon58. Ces traités donnaient volontiers, à côté des renseignements sur les plantes cultivées et la manière de les cultiver, des informations que nous rangerions dans la catégorie des usages médicinaux – pour ne pas dire que, souvent, ils proposaient ce que nous appellerions des recettes de bonne femme –, où les vertus attribuées aux plantes avaient toute leur place. Un bon exemple de ce qui nous apparaîtrait aujourd’hui comme un mélange des genres était offert par le traité des Saserna59, publié entre l’époque de Caton et la période 59/57 av. J.-C. – au cours de laquelle est placé le dialogue fictif des Res rusticae de Varron60. Déjà les Romains du Ier siècle av. J.-C. s’en moquaient pour cette raison : les recettes absurdes qu’il fournissait donnent lieu à un échange de plaisanteries de la part des participants au dialogue de l’érudit réatin, dont chacun s’amusait à citer la (16), 8) Osthanès (12), 9) Syriens (10), 10) Pythagore (8), 11) Zoroastre (7), 12) Hispaniens (6), 13) Démocrite (3), 14 ex-aequo) Lucaniens, Sicules, Dardanes, médecins d’Andros (2), 15 ex-aequo) Éthiopiens, Arméniens, Besses, Béotiens, Cappadociens, Istriens, Marses (1). 58 Sur cette littérature, on pourra se reporter à Martin (1971). J. Heurgon a étudié la question de l’œuvre de Magon et sa traduction en latin dans Heurgon (1976) = Heurgon (1986 : 139155). 59 Sur les Saserna, père et fils, qui étaient des propriétaires terriens d’origine étrusque dont le domaine était situé en Gaule Cisalpine, voir Martin (1971 : 81-85), Kolendo (1973), White (1973 : 459-460), Speranza (1974 : I, 33-35). 60 Sur cet ouvrage, on pourra se reporter à l’édition de Heurgon (1978a), p. XIX-XXVI pour la chronologie du dialogue et celle de la rédaction de l’œuvre.

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prescription la plus ridicule qu’il avait pu trouver dans leur ouvrage. Si certaines faisaient appel à des formules magiques (ainsi pour guérir d’une attaque de goutte, en 11, 2, 27) ou à des ingrédients relevant du genre animal (destruction des punaises par un mélange de fiel de bœuf et de vinaigre en 1, 2, 25, épilation obtenue par l’onction du corps avec un bouillon obtenu en faisant bouillir une rainette jaunâtre en 1, 2, 26), l’action des plantes n’était pas négligée : un autre procédé contre les punaises consistait à faire confire un concombre serpentaire dans l’eau (1, 2, 25). Un ouvrage de ce genre était susceptible de fournir des indications sur l’usage médical d’herbes du genre de celles qu’on rencontre dans le recueil de Dioscoride. Et que des noms locaux de telle ou telle plante y aient figuré est parfaitement admissible. Une recette pouvait être rapportée à telle ou telle origine et on conçoit que, dans la liste des « langues » représentées dans les adjonctions à Dioscoride qui nous concernent, figurent des références à des auteurs comme Pythagore, Démocrite, voire Zoroastre ou le mage Osthanès, parce que, dans les écrits qui leur étaient attribués, on avait trouvé un exemple d’utilisation de plante médicinale. Ces listes ne reposent, en dehors bien sûr des différents noms grecs, des noms latins et, dans une certaine mesure, de ceux qu’on peut rapporter à l’Égypte, sur aucune enquête systématique : il est remarquable que, sur les 25 parlers ou autres types de références représentés, sept ne soient cités qu’une fois, quatre deux fois, un trois fois. Les allusions à l’étrusque, avec leurs 16 occurrences, ne témoignent pas d’une attention particulière – et en tout cas nettement moins que pour le dace, avec ses 39 exemples. Dans un tel contexte, l’inanité linguistique de l’information, puisqu’un grand nombre des ces noms donnés comme étrusques s’expliquent à coup sûr par le latin et non par l’étrusque, se comprend aisément. Plus qu’à une référence à la langue étrusque en tant que telle, on peut penser que ces noms aient été référés, conformément à la formulation qui est utilisée, à des Θοῦσκοι dans la mesure où la notice où on les a trouvés avait fait état de l’utilisation des herbes considérées par des Tusci, sans que ces Tusci aient encore parlé étrusque. Autrement dit la référence aux Étrusques (et on peut étendre cette hypothèse aux autres peuples de l’Italie, comme les Lucaniens ou Marses61) aurait eu une valeur géographique plus que linguistique. On aurait attribué les termes à la langue de ce peuple quand bien même ils auraient été exprimés dans d’autres parlers, et pour ces Tusci en latin. Ainsi, plutôt qu’à un ouvrage sur la discipline étrusque et aux listes de plantes qu’il aurait pu contenir, nous penserions, comme source ultime des nomina Tusca qui figurent dans les adjonctions au texte primitif du De 61

Les deux termes rapportés aux Sicules sont grecs (IV, 69 : κρυστάλλιον et κυνοιδής) et peuvent correspondre à des termes rapportés aux Grecs de Sicile.

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materia medica de Dioscoride et qui ont peut-être été puisés, selon l’hypothèse de M. Wellmann, dans un ouvrage lexicographique sur les végétaux attribué au grammairien alexandrin Pamphilos, à des informations recueillies dans la littérature agronomique de langue latine. S’agissant de références aux Étrusques, le nom des Saserna vient bien évidemment à l’esprit. Ils portaient un nom étrusque62 et, dans son ouvrage sur l’agriculture, Varron les mettait en relation avec un Tarquenna (qui aurait fourni à Licinius Stolon, un des personnages du dialogue, des informations sur leur œuvre), lequel n’est apparemment autre que Tarquitius Priscus, un des maîtres de la science religieuse étrusque63. Ils sont assurément susceptibles d’avoir fourni des informations sur l’utilisation de plantes par des Tusci. Mais on doit reconnaître que rien, dans ce qui nous est parvenu de leur œuvre, n’est référé spécifiquement aux Étrusques et que, si leurs ancêtres étaient venus de Toscane, ils étaient établis dans ce qui était devenu la Gaule Cisalpine. D’autres auteurs d’ouvrages sur l’agriculture ou les plantes ont pu être à l’origine de ces nomina Tusca. Quoi qu’il en soit de cette question d’origine, destinée à rester insoluble, c’est vraisemblablement à ce type de littérature plus qu’à la littérature sacrée de tradition tyrrhénienne qu’il convient de faire remonter les termes rapportés aux Θοῦσκοι dans la version complétée du traité de Dioscoride.

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Le lien entre les Saserna et ce qu’on peut savoir de l’économie agricole étrusque a été souligné dans Heurgon (1961 : 242-245). 63 Voir Heurgon (1978b) = Heurgon (1986 : 419-424).

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Noms des mois étrusques selon le Liber Glossarum TLE 856 : Velcitanus Tuscorum lingua Martius mensis dicitur. TLE 818 : Cabreas Tuscorum lingua Aprilis mensis dicitur. TLE 805 : Ampiles Tuscorum lingua Maius mensis dicitur. TLE 801 : Aclus Tuscorum lingua Iunius mensis dicitur. TLE 854 : Traneus Tuscorum lingua Iulius mensis dicitur. TLE 836 : (H)ermius Tuscorum lingua Augustus mensis dicitur. TLE 824 : Celius Tuscorum lingua September mensis dicitur. TLE 856 : Xosfer Tuscorum lingua December mensis dicitur. TLE 856 : Velcitanus Tuscorum lingua Martius mensis dicitur. TLE 856 : Velcitanus Tuscorum lingua Martius mensis dicitur. Noms de plantes chez Dioscoride II, 175 = TLE 809 : σέλινον ἄγριον · οἱ δὲ βατράκιον, οἱ δὲ γελωποιός, οἱ δὲ μεθύουσα, οἱ δὲ Σαρδόνιον, οἱ δὲ ἀμέθυστον, οἱ δὲ ὑοσέλινον, οἱ δὲ ἱπποσέλινον, Αἰγύπτιοι μεθυού, Ῥωμαῖοι ἄπιουμ, οἱ δὲ αὐριμετέλλουμ, Θοῦσκοι ἄπιουμ ῥανίνουμ. III, 138 = TLE 823 : ἀμάκαρον · οἱ δὲ ἀνθεμίς, οἱ δὲ λευκάνθημον, οἱ δὲ παρθένιον, οἱ δὲ χαμαίμηλον, οἱ δὲ χρυσοκαλλίας, οἱ δὲ μαλάβαθρον, οἱ δὲ ἄνθος πεδινόν, Ῥωμαῖοι σῶλις ὄκουλουμ, οἱ δὲ μιλλεφόλιουμ, Θοῦσκοι καυτάμ, Ἄφροι θαμάκθ, Γάλλοι οὔιγνητα, Δάκοι δουώδηλα. III, 3 = TLE 825 : γεντιανή · οἱ δὲ κενταύρειος ῥίζα, οἱ δὲ ἀλόη Γαλλική, οἱ δὲ νάρκη, οἱ δὲ Χειρώνιον, Δάρδανοι ἀλοῖτις, Ῥωμαῖοι γεντιάνα, Θοῦσκοι κικένδα, οἱ δὲ κομιτιάλις. IV, 68 = TLE 830 (en partie) : ὑοσκύαμος · οἱ δὲ Διὸς κύαμος, οἱ δὲ Πυθώνιον, οἱ δὲ ἀδάμας, οἱ δὲ ἀδαμάντινον, οἱ δὲ ὑπνωτικόν, οἱ δὲ ἐμμανές, οἱ δὲ ἀταῖος, οἱ δὲ ..., Δημόκριτος θριάμβιον, Πυθαγόρας προφήτης, Ὀσθάνης ζελέων, Zωροάστρης Tυφώνιον, Ῥ ̔ ωμαῖοι ἰνσάνα, οἱ δὲ δεντάρια, οἱ δὲ Ἀπολλινάρις, προφῆται ῥᾶ Ποντική, οἱ δὲ λύπημα, Αἰγύπτιοι σαφθώ, Θοῦσκοι φαβουλῶνιαμ, οἱ δὲ συμφωνίακαμ, Γάλλοι βελενούντιαμ, Δάκοι διέλλειναν. IV, 58 = TLE 833 : χρυσάνθεμον ἡ χάλκας · οἱ δὲ χρυσανθεμίδα, οἱ δὲ χαλκῖτιν, οἱ δὲ χάλκανθον, οἱ δὲ χαλκάνθεμον, οἱ δὲ βούφθαλμον, ̔Ῥωμαῖοι κάλθα, Θοῦσκοι γαρουλέου, Ἄφροι χουρζητά. II, 167 = TLE 834 : δρακοντία μικρὰ · οἱ δὲ ἄρον, οἱ δὲ ἀρίς, οἱ δὲ ἐπάρσις, οἱ δὲ παρνοπόγονον, οἱ δὲ κυνόζολον, οἱ δὲ φοινίκεον, οἱ δὲ ὀνοκεφάλιον, οἱ δὲ ἐφιάλτον, Αἰγύπτιοι ἐβρών, οἱ δὲ ἐρυθμόν, Ῥωμαῖοι βῆτα λεπορίνα, Θοῦσκοι γιγάρουμ, ̓Ιστριανοὶ λάγμα, Δάκοι κουριοννηκούμ, Ἄφροι ἀτειρνοιχλάμ, Σύροι λοῦφαν.

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III, 143 = TLE 842 : ἐρυθρόδανον · οἱ δὲ ἐρευθέδανος ῥίζα, οἱ δὲ τεύθριον, οἱ δὲ δάρκανος, οἱ δὲ κιννάβαρις, Ῥωμαῖοι ῥούβια σατίβα, Θοῦσκοι λάππα μίνορ, Αἰγύπτιοι σωφοβί. II, 178 = TLE 845 (voir aussi TLE 853) : ἀναγαλλίς ἡ φοινικὴ · οἱ δὲ ἀερῖτις, οἱ δὲ αὐγῖτις, οἱ δὲ σαυρῖτις, προφῆται αἷμα ὀφθαλμοῦ, οἱ δὲ χελιδόνιον, Ῥωμαῖοι μάκια, οἱ δὲ ἀντούρα, οἱ δὲ τούρα, οἱ δὲ τουραδουπάγω, Θοῦσκοι μασύτιπος, Γάλλοι σαπάνα, Δάκοι κερκέρ, Ἄφροι ατιρσισοεί. III, 36 = TLE 846 : θύμος · οἱ δὲ θύμον, οἱ δὲ θύμος λευκός, οἱ δὲ κεφαλωτός, οἱ δὲ ἐπιθυμίς, οἱ δὲ θύρσιον, ̔Ρωμαῖοι θούμουμ, Αἰγύπτιοι στέφανοι, Δάκοι μίζηλα, Θοῦσκοι μούτουκα. IV, 142 = TLE 849 : σμῖλαξ τραχεῖα · οἱ δὲ ἡπατῖτις, οἱ δὲ καλυκάνθεμον, οἱ δὲ κυνόσβατον, οἱ δὲ ἀνίκητον, οἱ δὲ ἡλιόφυτον, οἱ δὲ ἀνατολικόν, οἱ δὲ ́ δυτικόν, οἱ δὲ ἐλξίνη, οἱ δὲ κλύμενον, Αἰγύπτιοι λυιαθή, οἱ δὲ κόνυσσον, ̔Ρωμαῖοι μεργίνα, οἱ δὲ βούλουκρουμ λέντουμ, Θοῦσκοι ῥαδία. III, 19 = TLE 850 : λευκάκανθα · οἱ δὲ πολυγόνατον, οἱ δὲ φύλλον, οἱ δὲ ἰσχιάδα καλοῦσιν, ̔Ρωμαῖοι γενικουλάτα κάρδους, Θοῦσκοι σπίνα ἄλβα. I, 10 = TLE 852 (en partie) : ἄσαρον · οἱ δὲ νάρδος ἀγρία, προφῆται αἶμα ̓Ἄρεως, Ὀσθάνης θέσαν, Αἰγύπτιοι κερέερα, ̔Ρωμαῖοι περπρέσσαμ, οἱ δὲ βάκχαρ, Θοῦσκοι σούκινουμ, οἱ δὲ νάρδουμ ῥούστικουμ, Γάλλοι βάκαρ. II, 178 = TLE 853 (voir aussi TLE 845) : ἀναγαλλίς ἡ κυανή · οἱ δὲ κόρχορον, οἱ δὲ ἀλικάκκαβον, οἱ δὲ αἴλουρον, οἱ δὲ αἰλούρου ὀφθαλμόν, οἱ δὲ ζειλίαυρος, προπφῆται νυκτερῖτις, οἱ δὲ πελαργῖτις, Ὀσθάνης χελιδόνιον, Αἰγύπτιοι μικιεί, Ῥωμαῖοι μεκιατούρα, οἱ δὲ ἀντούρα, Θοῦσκοι τάντουμ, Ἄφροι ἀσιρρισοεί.

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Liste des abréviations Œuvres antiques Accius Trag. = Tragédies Apulée Apol. = Apologie Met. = Métamorphoses Socr. = De deo Socratis Ps.-Apulée Asclep. = Asclepius Augustin Ciu. = De ciuitate Dei Caton Agr. = De agri cultura Orat. = Orationes Celse Med. = De medicina Cicéron Acad. = Academica Ad Brut. = Epistulae ad Brutum Ad Fam. = Epistulae ad Familiares Ad Quint. fr. = Epistulae ad Quintum fratrem Brut. = Brutus Cael. = Pro Caelio Catil. = In Catilinam Cato = Cato Maior, De senectute De orat. = De oratore Fin. = De finibus Flacc. = Pro Flacco Har. resp. = De haruspicum responsis Leg. = De legibus Nat. deor. = De natura deorum Off. = De officiis Orat. = Orator Phil. = Philippicae Rep. = De republica Tusc. = Tusculanae disputationes Vatin. = In Vatinium Verr. = In Verrem

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Ennius Ann. = Annales Horace Carm. = Carmina (Odes) Epist. = Epistulae Epod. = Epodon liber Sat. = Satirae Isidore de Séville Diff. = Differentiarum libri Etym. = Etymologiae Lactance Diu. Inst. = Diuinae institutiones Lucain Phars. = Pharsalia (Bellum ciuile) Macrobe Sat. = Saturnalia Ovide A.A. = Art d’aimer Fast. = Fastes Met. = Métamorphoses Pont. = Pontiques Plaute Amph. = Amphitruo Asin. = Asinaria Aul. = Aulularia Bacch. = Bacchides Capt. = Captiui Cas. = Casina Cist. = Cistellaria Curc. = Curculio Epid. = Epidicus Men. = Menaechmi Merc. = Mercator Mil. = Miles gloriosus Most. = Mostellaria Per. = Persa Poen. = Poenulus Pseud. = Pseudolus Rud. = Rudens Stich. = Stichus Pline l’Ancien N.H. = Naturalis historia

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Plutarque Pyth. orac. = De Pythiae oraculis Stace Theb. = Thebais Suétone Caes. = Caesar (Diuus Iulius) Dom. = Domitianus Gal. = Galba Tacite Ann. = Annales Hist. = Historiae Térence Andr. = Andria Tertullien Adu. Marc. = Aduersus Marcionem Adu. Prax. = Aduersus Praxean Anim. = De anima Apol. = Apologeticum Nat. = Ad nationes Pat. = De patientia Pudic. = De pudicitia Valérius Flaccus Arg. = Argonautica Varron L.L. = De lingua Latina R.R. = Res rusticae Virgile Aen. = Énéide Buc. = Bucoliques Georg. = Géorgiques Vulgate Exod. = Exode Is. = Isaïe Num. = Nombres Revues et ouvrages de référence modernes AAWM = Abhandlungen der Akademie der Wissenschaften und der Literatur (Mainz) AC = L’Antiquité classique ABG = Archiv für Begriffsgeschichte AJA = American Journal of Archaeology 139

ANRW = Aufstieg und Niedergang der römischen Welt BSL = Bulletin de la Société de Linguistique de Paris CPh = Classical Philology CQ = The Classical Quarterly CRAI = Comptes rendus de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres CUF = Collection des Universités de France DAGR = Dictionnaire des Antiquités grecques et romaines (DarembergSaglio) DELL : Dictionnaire Etymologique de la Langue Latine GRBS = Greek, Roman and Byzantine Studies HSPh = Harvard Studies in Classical Philology IF = Indogermanische Forschungen JHS = Journal of Hellenic Studies JRS = Journal of Roman Studies LEC = Les Études classiques MEFRA = Mélanges de l‘École française de Rome (Antiquité) MH = Museum Helveticum RAC = Reallexikon für Antike und Christentum RE = Real-Encyclopädie der classischen Altertumswissenschaft (PaulyWissowa) REL = Revue des Études latines RFIC = Rivista di Filologia e Istruzione classica RhM = Rheinisches Museum RHR = Revue de l’Histoire des Religions RPh = Revue de Philologie SE = Studi Etruschi SMSR = Studi e Materiali di Storia delle Religioni TLE = Testimonia linguae Etruscae TLL = Thesaurus linguae Latinae ZVS = Zeitschrift für vergleichende Sprachforschung

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La divination romaine : bibliographie générale Éditions et traductions du De diuinatione de Cicéron M. Tulli Ciceronis de diuinatione libri duo, edited by Arthur Stanley PEASE, University of Illinois Press, Urbana, 1920-1923. Cicero, De senectute, De amicitia, De diuinatione, with an English translation by W.A. FALCONER, coll. Loeb, Cambridge (Mass.)-Londres, 1923. M. Tulli Ciceronis scripta quae manserunt omnia, Fasc. 46, De diuinatione, De fato, Timaeus, edidit W. AX, Bibl. Teubner, Leipzig, 1938. M. Tulli Ciceronis scripta quae manserunt omnia, Fasc. 46, De diuinatione, De fato, Timaeus, edidit R. GIOMINI, Bibl. Teubner, Leipzig, 1975. Cicerone, Della divinazione, con testo a fronte, a cura di S. TIMPANARO, Milan, 1988. M. Tullius Cicero, Über die Wahrsagung, lateinisch-deutsch, herausgegeben, übersetzt und erläutert von C. SCHÄUBLIN, Munich, 1991. Cicéron, De la divination, traduit et commenté par G. FREYBURGER et J. SCHEID, préface d’A. MAALOUF, Paris, 1992. Cicerón, Sobre la adivinación, Sobre el destino, Timeo, introducción, traducción y notas de Á. ESCOBAR, Madrid, 1999. Cicéron, De la divination, De diuinatione, introduction, traduction et notes par J. KANY-TURPIN, Paris, 2004. Cicero, On divination, Book I, translated with introduction and historical commentary by D. WARDLE, Oxford, 2006.

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La divination dans la Rome antique Études lexicales

Les Romains vivaient dans un monde peuplé de signes de la volonté des dieux. Savoir lire ces signes, par le biais de la divination, permettait aux hommes de s’assurer le succès de leurs entreprises. L’objet de ce recueil est de compléter par une approche lexicale les nombreuses publications déjà consacrées à ce domaine de la religion antique, afin de mieux définir les croyances et les pratiques divinatoires des Romains. Les contributions recueillies ici portent aussi bien sur des lexèmes isolés que sur des champs lexicaux. Sont ainsi étudiés trois noms latins du signe : signum, « le présage » au sens large (S. Dorothée), miraculum, « l’événement prodigieux » (J. Champeaux), omen, « le présage », oral ou visuel (S. Roesch). F. Guillaumont consacre une étude au vocabulaire de l’inspiration divine chez Cicéron. B. Poulle aborde, parmi les pratiques divinatoires, les termes utilisés pour la nécromancie. Enfin, D. Briquel analyse les noms de plantes étrusques dont la liste fut transmise par Dioscoride et s’interroge sur leur éventuel rapport avec la science des haruspices. François GUILLAUMONT, Professeur à l’Université François Rabelais de Tours, est spécialiste de religion et de philosophie romaines. Il a notamment publié : Le De diuinatione de Cicéron et les théories antiques de la divination (Collection Latomus, Bruxelles, 2006). Sophie ROESCH, Maître de conférences dans la même université, est spécialiste de linguistique latine (sémantique, pragmatique et analyse des interactions verbales). Elle a publié un précédent volume dans la collection Kubaba : Prier dans la Rome antique. Études lexicales (L’Harmattan, Paris, 2010).

Couverture : maquette de Jean-Michel Lartigaud. Illustration de couverture : Fresque de Pompéi, Maison du bracelet d’or. Museo Archeologico Nazionale di Pompei

ISBN : 978-2-343-04273-2

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