Klee 9781780426556, 1780426550

An emblematic figure of the early 20th century, Paul Klee participated in the expansive Avant-Garde movements in Germany

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Klee
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Content: CHRONOLOGIE
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Texte : Donald Wigal Traduction : Diane de Cicco Mise en page : Baseline Co Ltd. 127-129A Nguyen Hue Fiditourist 3e étage Hô Chi Minh Ville, Vietnam © Sirrocco, Londres, UK © Confidential Concepts, worldwide, USA © Paul Klee Estate/ Artists Rights Society, New York/ VG BildKunst, Bonn Tous droits réservés Tous droits d’adaptation et de reproduction réservés pour tous pays. Sauf mention contraire, le copyright des œuvres reproduites se trouve chez les photographes qui en sont les auteurs. En dépit de nos recherches, il nous a été impossible d’établir les droits d’auteur dans certains cas. En cas de réclamation, nous vous prions de bien vouloir vous adresser à la maison d’édition. ISBN : 978-1-78042-655-6

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ans un recueil de ses écrits intitulé L’Œil pensant, Paul Klee demande à ses lecteurs de faire un « petit voyage » avec lui au « pays de la Connaissance approfondie ». Il parlait des aspects techniques de l’art, mais on peut tout à fait réitérer cette invitation à l’orée de ce bref portrait de l’artiste. Ce livre propose un court voyage à travers les évènements marquants de la vie fascinante de Klee. Il fera aussi visiter l’art de Klee dans sa globalité et s’arrêtera brièvement sur les soixantecinq œuvres reproduites ici. (On trouvera une liste complète des 8 926 œuvres de Klee dans le Catalogue raisonné Paul Klee.) D’origine suisse, Paul Klee (1879-1940) est un artiste des plus inventifs, imaginatifs et pleins d’esprit. Maître de l’imaginaire, il nous a laissé plusieurs milliers d’œuvres, petites, certes, mais remarquables en ce qu’elles ne cessent de révéler un esprit subtil et une profonde intelligence des choses. Son œuvre est rarement confondue avec celle d’un autre artiste, et pourtant — contrairement à beaucoup d’artistes qui trouvent leur niche pour y revenir encore et encore — chacune de ses peintures a sa propre identité. Il joue adroitement avec les sens du spectateur par l’ambiguïté et la litote, qui sont presque toujours volontairement présentes dans son art. Ayant eu une influence de tout premier plan sur l’évolution de l’art moderne, même lorsque ce dernier était officiellement condamné en Allemagne, Klee n’a jamais complètement adhéré à l’un ou l’autre des nombreux mouvements de son époque. Klee (prononcé « clai ») naît le 18 décembre 1879 à Münchenbuchsee, près de Berne en Suisse. Son père, Hans, était allemand et enseignait la musique à l’institut de formation des professeurs de Berne-Hofwyl. La mère de Paul, Ida Marie, reçut une éducation musicale à Stuttgart. Son arrièregrand-père paternel était organiste dans le Land de Thuringe. Le dessin d’enfance le plus connu, fait à l’âge de 5 ans, s’intitule Avec le Lièvre. Encore tout jeune, il dessinait aussi des « diables » qui, disait-il, « avaient une véritable présence. » Au début de son journal, il se rappelle comment ces représentations diaboliques lui faisaient peur, tant et si bien qu’il courait se réfugier auprès de ses parents. Cependant, les premiers signes révélateurs du tempérament artiste du jeune Paul Klee n’avaient pas tant de rapport aux arts plastiques qu’à la musique. Sa famille soutenait le jeune homme dans ses efforts pour maîtriser la pratique du violon, dont il joua depuis l’âge de sept ans, en 1886, jusqu’en 1935, lorsqu’il dut arrêter pour des raisons de santé. Comme le grand Jean-AugusteDominique Ingres (1780-1867), il jouait du violon pendant une heure avant chaque séance de peinture. Il dessinait également chaque jour, comme le faisaient d’ailleurs Picasso et Matisse. Il jouait du violon dans des groupes de musique de chambre et dans l’orchestre municipal local, et ceci lorsqu’il était encore étudiant. Toutefois, le groupe n’était, il faut le reconnaître, pas très professionnel. Pablo Casals (1886-1973), le grand violoncelliste espagnol, entendit l’orchestre jouer en janvier 1905, après quoi, il aurait dit, en français, qu’il serait « terrible » de jouer avec cet orchestre. Bien que Klee ait bénéficié d’une excellente formation musicale, il décida en 1898, à l’âge de vingt ans, d’entrer aux beaux-arts à l’Académie de Munich plutôt que d’étudier la musique. Néanmoins, la musique demeura un élément essentiel durant toute sa vie. Il était d’ailleurs critique musical pour différentes revues. Dans son journal, Klee notait souvent ses réflexions sur les concerts ou les opéras auxquels il avait assisté pendant ses voyages en Italie, en France, et en Allemagne.

1. Sirènes de bateaux, 1917. Plume et aquarelle sur papier monté sur carton, 24,2 x 15,6 cm. Graphische Sammlung, Staatsgalerie, Stuttgart.

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2. Dans la Carrière, 1913. Aquarelle et papier monté sur carton, 22,3 x 35,2 cm. Zentrum Paul Klee, Bern.

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3. Aux Portes de Kairouan, 1914. Aquarelle sur papier monté sur carton, 20,7 x 31,5 cm. Zentrum Paul Klee, Bern.

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4. Sans titre, 1914. Aquarelle et plume sur papier Ingres, 17 x 15,8 cm. Kupferstichkabinett, Kunstmuseum, Bâle. 5. Dômes rouges et blancs, 1914-1915. Aquarelle sur vélin japonais, 14,6 x 13,7 cm. Kunstsammlung Nordrhein-Westfalen, Düsseldorf. 6. Surgi jadis du gris de la nuit, 1918. Aquarelle sur papier monté sur carton, 22,6 x 15,8 cm. Fondation Klee, Kunstmuseum, Berne.

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Vers 1925, alors qu’il était au Bauhaus de Dessau, Klee fit la connaissance du compositeur Paul Hindemith (1895-1963). L’artiste se prit apparemment d’amitié pour le jeune compositeur dont il appréciait la musique de chambre. Hindemith avait alors déjà composé un concerto pour piano et plusieurs chansons, ainsi que plus de vingt œuvres majeures pour cordes, dont trois de ses six Musique de chambre. L’influence permanente de la musique court de manière évidente à travers toute l’œuvre de Klee, aussi diverse soit-elle. Parmi les œuvres faisant directement référence à la musique, on citera des dessins de la série « Eidola », tel que le dessin d’un pianiste, ou les œuvres sur le thème des joueurs de timbale. Plusieurs de ses titres font référence à la musique, comme par exemple, Jeu de violon héroïque ou Coups d’archet héroïques (1938) (ill. p.78). Des personnages précis des opéras et pièces de théâtre préférés de Klee apparaissent également dans plusieurs de ses œuvres telles que Génies (Personnages de Ballet) (1922) (ill. p.34), et La Chanteuse L. dans le rôle de Fiordiligi (1923). En 1921, Klee peint Conte à la Hoffman (ill. p.34). (D’après l’opéracomique de Jacques Offenbach [1819-80], « Les Contes d’Hoffman », créé de manière posthume en 1881.) Dans ces œuvres et bien d’autres encore, Klee semblait voir ce qu’il entendait et entendre ce qu’il peignait. Les éléments et les caractéristiques de la musique avec lesquels nous sommes familiers (ligne, harmonie, rythme, tempo) sont présents dans toute son œuvre. La relation avec la musique est parfois même évidente dans les titres, comme par exemple, Fugue en rouge (1921), Blanc polyphonique (1930) (ill. p.69), Polyphonie (1932), et Nouvelle Harmonie (1936) (ill. p.64). Au moins deux des œuvres de ses débuts, datant de 1903, restent parmi les plus célèbres : Vierge dans un arbre et Deux Hommes se rencontrent, tous deux persuadés que l’autre est supérieur à lui. Les corps étrangement allongés et émaciés ainsi que les petits points qui suggèrent l’ombre dans le dessin montrent que le jeune artiste est à la recherche d’un style distinctif. Cependant, de petites traces graphiques dans ses œuvres du début préfigurent déjà son style accompli. Déjà à cette époque, Klee utilise d’étranges personnages de manière fantaisiste pour commenter sur la condition humaine, et ce toujours avec une ironie retenue. D’une manière générale, l’œuvre de Klee anticipe les surréalistes, sans toutefois utiliser explicitement de références freudiennes. Son travail garde un caractère innocent mêlé d’une espièglerie charmante et parfois ironique. Cependant, Klee est aussi conscient du concept des archétypes, développé par son contemporain, le fameux psychologue Carl G. Jung (1875-1961). Plus qu’aux mouvements, Klee s’intéresse à certains artistes au plan individuel. En 1900, Klee entre aux beaux-arts à l’Académie de Munich, où il entreprend des études avec le professeur qui l’influença le plus, Franz von Stuck (1863-1928), artiste symboliste allemand, sculpteur et professeur dynamique. Parmi les étudiants de Stuck, on compte Josef Albers (1888-1976), qui fonda l’Op’art, et Wassily Kandinsky (1866-1944), qui deviendra désormais l’ami de Klee. Après avoir terminé ses études à l’Académie, Klee entreprend un voyage d’un an à travers l’Italie. Les mosaïques chrétiennes primitives, l’art gothique florentin, l’art byzantin, ainsi que la faune et la flore de l’aquarium de Naples le fascinent. La mémoire des mosaïques qu’il voit lors de son séjour en Italie resurgira à la suite de son voyage ultérieur en Tunisie.

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7. Mythe de la fleur, 1918. Aquarelle sur toile avec craie écrasée sur journal. Musée Sprengel, Hanovre. 8. Villa R, 1919. Huile sur panneau, 26 x 22 cm. Offentilche Kunstsammlung, Bâle. 12

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Le souvenir de ces observations ressortira dans toute son œuvre, comme dans Flore sur les rochers (1940) et ses noubreux travaux faisant directement référence aux poissons, de “L’Aquarium” de 1926, à Muddle Fish (Confusion de poissons) en 1940. L’œuvre de Klee que le Musée d’Art Moderne de Manhattan achète en 1939 s’intitule Autour du Poisson (1926). Klee passe les années 1902-1906 à Berne, où il continue ses études d’art en expérimentant beaucoup pour découvrir son propre style. Pendant sa vie prolifique, il ne cessera d’expérimenter en peinture sur des surfaces originales, comme des tissus, du papier buvard, des journaux (plusieurs œuvres datant de 1938), voire même du ciment. Parc près de Lu(cerne) (1938) (ill. p.74) par exemple, est exécuté à l’huile sur papier journal sur toile de jute. Plusieurs œuvres de 1939-40 sont exécutées à la craie sur papier. Dans certaines de ses œuvres les plus connues, dont la célèbre Mort et feu (1940) (ill. xx), il utilise des techniques mixtes originales. L’œuvre est en effet exécutée à l’huile avec des couleurs à la colle sur toile de jute, montée ensuite sur une seconde toile de jute enduite de pâte, et enfin sur un châssis spécial à doubles montants et traverses. La dimension des cadres que Klee trouve lors de ses expéditions bi-annuelles dans les marchés aux puces détermine souvent le format de ses œuvres. Il fait souvent en sorte de « faire rentrer le pied dans la chaussure », comme dit le vieux proverbe allemand. Les reproductions incluent parfois leur cadre d’origine, comme c’est d’ailleurs le cas pour plusieurs reproductions dans ce livre. (L’architecte Mies van der Rohe collectionnait les œuvres de Klee et les exposait dans ses propres cadres, qui étaient particulièrement grands.) Pendant sa jeunesse, Klee se rend également au Cabinet des Gravures de Munich, où il a l’occasion de voir des œuvres d’Aubrey Beardsley (1872-98), William Blake (1757-1827), et Francisco de Goya (1746-1828). Klee remarque tout particulièrement la fine intelligence et les thèmes excentriques de Beardsley, le mysticisme de Blake, et les sombres réflexions de la dernière période de l’œuvre de Goya. Cependant, il semble évident que les œuvres de Goya, pour la plupart des gravures et des dessins à la plume, ainsi que les œuvres de James Ensor (1860-1949), sont celles qui influencent le plus la production de Klee à ses débuts. Goya et Ensor partageaient des convictions sur le modernisme et l’expressionnisme. Goya était aussi attaché au post-impressionnisme, alors que l’artiste belge, Ensor, adhérait avec conviction au symbolisme et au primitivisme. Ces deux influences laisseront tout particulièrement leur empreinte sur Klee si bien que les trois artistes contribueront tous trois de manière importante au modernisme. Klee découvre, pour sa part, l’utilisation de la ligne à travers Ensor, un artiste graphique expressionniste. Ceci contraste avec le travail de représentation graphique de Klee. Mais les œuvres des débuts de Klee sont déjà marquées par ses bizarreries distinctives et pleines de fantaisie, cependant exemptes de l’amertume et de cette quête obsessionnelle du mal que l’on retrouve dans le chef-d’œuvre d’Ensor, L’Entrée du Christ à Bruxelles (1889). Durant ces années préparatoires de jeunesse, Klee se rend aussi à Paris en 1905, où il étudie les œuvres d’Odilon Redon (1840-1916). C’est dans les lignes indépendantes de Redon que Klee puise son inspiration, plutôt que dans sa propension à suivre les lignes classiques du romantisme d’Eugène Delacroix (1798-1863) ou le classicisme de Jean-Baptiste-Camille Corot (1796-1875).

9. Automates astraux, 1918. Aquarelle sur papier, 22,5 x 20,3 cm. Galerie Beyeler, Bâle.

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10. Jardin en terrasses, 1920. Kunstmuseum, Berne. 11. Sous une Étoile noire, 1918. Kunstmuseum, Bâle.

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C’est surtout le surréalisme et l’expressionnisme de Redon qui influenceront Marc Chagall (1887-1985), Joan Miró (1893-1983) et enfin Klee. C’est ainsi que Klee aura un impact évident sur l’œuvre de Miró. A l’âge de vint-sept ans, Klee épouse la pianiste classique, Lily Stumpf, fille d’un physicien munichois. Le couple s’installe à Munich, où l’art d’avant-garde est florissant. Pendant les dix premières années de leur mariage, Lily Klee donne des leçons de piano pour payer les frais du foyer. En 1907, les Klee ont un enfant, Félix. En 1909-10, Klee expose pour la première fois. Il montre cinquante-six œuvres, pour la plupart des gravures sur des sujets bizarres. L’artiste admettra plus tard que ces travaux des débuts étaient de nature pessimiste voire même décadente. Entre 1908 et 1911, Klee voit l’exposition de Paul Cézanne (1839-1906), Vincent van Gogh (1853-90), et Henri Matisse (1869-1954) à Munich. Bien que Klee n’ait pas imité ces maîtres, son travail montre sa propre perspicacité à l’endroit de leur travail.

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Il commence à remarquer tout particulièrement le cubisme, dont les racines remontent à 1901 avec les pionniers que furent Pablo Picasso (1881-1973) et Georges Braque (1882-1963). Tous deux étaient redevables de Cézanne pour son utilisation de plusieurs points de vue dans une seule et même peinture. Comme on peut le voir ne serait-ce que dans la sélection restreinte d’œuvres de Klee reproduites dans ce livre, cet aspect du cubisme continuera à l’influencer par la suite. En 1911, Klee expose en solo à Munich. Bien que les œuvres n’aient pas été bien disposées dans les couloirs de la Galerie Thannhauser, Kandinsky et d’autres artistes du Cavalier bleu (Der Blau Reiter) remarquent l’exposition. Klee rencontrera bientôt d’autres artistes de philosophie esthétique voisine de la sienne, dont Jean (également connu sous le nom de Hans) Arp (1886-1966). Mais c’est avec ce dernier qu’il noue une longue amitié et une collaboration durable. S’étant lié d’amitié avec ce dernier et l’artiste August Macke (1887-1914), Klee commence à s’intéresser à l’expressionnisme et rejoint le groupe Der Blaue Reiter (Le Cavalier bleu). Le groupe tient son nom de l’une des œuvres d’une série de toiles de 1911intitulée, Trois chevaux rouges de Franz Marc (1880-1916). La même année que celle de l’exposition en solo de Klee, Franz Marc présente sa fameuse série de chevaux colorés. Dans ses œuvres comme dans d’autres, Marc utilise des couleurs pures complémentaires (rouge-vert, bleu-orange, jaune-violet). Le nom du groupe indique que l’attention est portée sur l’utilisation de la couleur à des fins expressives. Kandinsky, Klee et Macke, prirent tour à tour la tête du groupe. En 1911, Klee crée également les illustrations pour une édition allemande de Candide, le roman classique de Voltaire (1694-1778). Klee transforme les personnages de Voltaire en êtres ressemblant à des insectes mais aux postures et aux expressions bien humaines. Les illustrations semblent être l’œuvre d’un artiste-enfant qui aurait essayé de lire cette œuvre sophistiquée tout en lui préférant sa propre version de l’histoire. Dans le monde fantasque de Klee, le surréalisme est de mise, et garde, même lorsqu’il exprime l’horreur, une sensibilité toute en finesse. Voir par exemple Luftschloss (1922) (ill. p.36), un titre qui signifie Château en Espagne. Dans cette œuvre, Klee construit une structure verticale qui est malgré tout transparente et légère. La profondeur est insinuée, mais la gravité semble inefficace. Comme les mythes et la fantaisie en général, que Klee affectionne tout particulièrement, sa beauté tient en partie au fait qu’il est libre de toute fondation fixe. En 1912, Klee écrit un article pour le journal Die Alpen (Les Alpes) au sujet du mouvement pour réformer l’art. Le passage de l’article si souvent cité est sans doute une hyperbole: « Les œuvres des malades mentaux doivent être prises avec plus de sérieux que toutes les galeries de la terre. » Cependant, comparant l’art des malades mentaux à celui des enfants, il ajoute : « Les enfants ont aussi un talent artistique, et il y a une sagesse dans cette possession. Plus ils sont impuissants, plus ce qu’ils produisent est instructif et doit être préservé sans être corrompu dès le plus jeune âge. » Ailleurs, il remarque, « Regardez ces images religieuses (exécutées par des malades mentaux) : elles ont une profondeur et une force d’expression que je n’atteindrai jamais. Il y a vraiment quelque chose de sublime dans cet art ! » On compte plusieurs grandes influences sur l’art de Klee, dont l’art spontané des enfants, l’art des malades mentaux, l’art primitif (particulièrement la sculpture africaine), le surréalisme et le cubisme.

12. Chameau dans un paysage rythmé d’arbres, 1920. Huile sur gaze enduite de craie, 48 x 42 cm. Kunstsammlung Nordrhein Westfalen, Düsseldorf. 13. Ange servant un petit déjeuner léger, 1920. Lithographie, 19,8 x 14,6 cm. Sprengel Museum, Hanovre. 14. Conte à la Hoffman, 1921. Aquarelle sur papier monté sur bois, 31,1 x 24,1 cm. Metropolitan Museum of Art, New York.

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15. Plan architectural d’un jardin, 1920. Aquarelle et huile sur toile montée sur carton, 36,5 x 42,9 cm. Fondation Klee, Kunstmuseum, Berne.

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On retrouve constamment à travers ses œuvres des allusions ou des réminiscences ramenant aux ornements et aux masques des cultures primitives. Tout en gardant toujours, malgré tout, sa voix propre, Klee fouille et explore activement d’autres artistes appartenant aussi bien à son temps qu’au passé. Les commentaires sur l’œuvre de Klee font souvent état du style à l’aspect clairement et intentionnellement primitif de ses dessins, de l’apparente simplicité, ou de l’interprétation enfantine évidente dans nombre de ses travaux, bien qu’il ait eu une formation exceptionnelle et approfondie en dessin et en peinture. Alors qu’il commence sa carrière artistique, Klee remarque : « Je veux ne jamais avoir à me reprocher de mal dessiner par ignorance. » Il déclare : « La légende selon laquelle mes dessins sont enfantins découle sans doute de mes compositions linéaires, dans lesquelles j’ai essayé de combiner une image concrète… avec la représentation pure de l’élément linéaire, toujours associée aux dimensions subconscientes de l’image. » Klee aime la concision, la simplicité et l’honnêteté émotionnelles de l’art chez les enfants. De la même manière, il voit ces valeurs dans l’art primitif, dans lequel les conventions civilisées n’ont pas de place et la rationalisation reste minime. Il est possible que pour Klee, la maîtrise de la couleur soit venue plus tôt que le contrôle du dessin. Avant 1913, l’artiste se sent à l’aise avec l’aquarelle, comme avec Dans la Carrière (1913) (ill. p.6). L’année suivante, dans une œuvre sans titre (ill. p.8), l’artiste organise des formes colorées irrégulières et floues, servant de fond pour des détails et de petits fragments de dessin. Plusieurs autres œuvres datant de 1914 révèlent un travail de coloriste en pleine maturation, comme dans Aux Portes de Kairouan (1914) (ill. p.7). A la même époque, apparaissent les dômes à l’horizon de ses paysages à l’aquarelle, dans Dômes rouges et blancs (1914-15) (ill. p.9). Dans le Don Giovani bavarois (1919), Klee place un croissant de lune et une étoile de David. Ce dernier, symbolisant la foi juive et utilisé tout particulièrement pendant les persécutions nazies qui commençaient à se manifester dans le monde, apparaît souvent dans l’œuvre de Klee, même dans des œuvres de jeunesse comme Sirènes de bateaux (ill. p.4). Dans Sous une Etoile noire (ill. p.17), le symbole est central à la fois dans le titre et l’œuvre elle-même. Dans cette dernière, une personne semble bouleversée au milieu d’une foule de symboles juifs et chrétiens, tentant de garder un équilibre précaire, à une époque où une profession de foi était, plus que de coutume, une question de vie ou de mort. Le 6 avril 1933, Klee écrit à Lily que leur fils, Félix, « va fournir la preuve qu’il est chrétien ». Il ajoute : « Si cela m’est officiellement demandé, je serai obligé de le faire aussi. Je ne dois pas abandonner volontairement mon point de vue personnel, qui est qu’un juif ou un étranger n’est nullement inférieur à un allemand de souche, car sinon je m’érigerais pour toujours en monument de ridicule. Je préfère affronter l’adversité plutôt que d’être un personnage tragi-comique, quelqu’un qui essaie de gagner les faveurs de ceux qui sont au pouvoir. » (Cf. Felix Klee (ed.) : Paul Klee — Briefe an die Familie. Cologne, 1979.) Lorsque le NationalMuseum de Berlin demande à Lily Klee de fournir des preuves de l’ascendance aryenne de son mari, elle répond, « P. Klee, du côté de son père, descend de la meilleure race qui soit

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16. Iles aux oiseaux, 1921. Aquarelle et huile sur papier monté sur carton, 30,8 x 45,8 cm. Fondation Klee, Kunstmuseum, Berne.

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17. Plan d’un jardin, 1921. Aquarelle et huile sur papier monté sur carton, 30,8 x 45,8 cm. Fondation Klee, Kunstmuseum, Berne.

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de paysans allemands. Du côté de sa mère, il vient d’une vieille famille patricienne de Bâle. » Cependant, originaire de Berne, où il devait plus tard retourner, Klee ne peut être considéré simplement comme un artiste allemand. Durant toute sa vie, Klee garde une certaine appréhension vis-à-vis de la technologie moderne et de la rationalisation dont l’humanité moderne use pour appréhender sa propre civilisation. L’une des œuvres les plus connues de Klee, Machine à gazouiller (1922) (ill. p.33), est un dessin à la plume teinté de douces couleurs à l’aquarelle. Comme les oiseaux mécaniques de son appareil fantaisiste, l’artiste a souvent des réactions, restreintes mais efficaces, à certaines influences. Néanmoins, il s’encourage souvent lui-même afin de provoquer une réponse. Klee mélange aussi le tragique et l’humour. Avec quelques lignes seulement, il arrive à créer un mécanisme pour se moquer de la confiance que l’on prête à l’âge de la machine. Les taches de noir qui remontent de la fosse polluante de rejets industriels pourraient être dues aux réactions d’une nature haletante. L’un des oiseaux semble exhaler la même fumée polluante. Cette œuvre pourrait faire une excellente affiche en faveur de l’environnement et contre le tabagisme. Une œuvre, qui date de la même année et accompagne Machine à gazouiller, s’intitule Analyse de perversités diverses (ill. p.32). Les deux œuvres expriment une préoccupation prophétique et opportune pour l’environnement tel qu’il existait avant 1925. Cette année-là, le curriculum du Bauhaus de Staatliche est remodelé pour mettre plus d’accent sur la résolution de problèmes urbains en Allemagne après la Première Guerre mondiale. Klee participe au planning du curriculum avec Kandinsky et l’Américain Lyonel Feininger (1871-1956). Feininger expose avec le groupe Der Blaue Reiter en 1919. En 1933, les Nazis qualifient son œuvre de « dégénéré », tout comme celle de Klee. En 1912, Klee se rend à Paris pour la deuxième fois. Il y voit des œuvres futuristes telles que celles de Robert Delaunay (1885-1941), dont la création d’une série de toiles intitulées Fenêtres (1912) lui a fait dépasser sa période cubiste. Le poète à la mode, Guillaume Apollinaire, baptise « Orphisme » le style utilisé dans la série. L’orphisme a été décrit comme un « cubisme par la couleur », dans la mesure où l’utilisation de variations chromatiques (donc proches) de couleurs contrastées confère un caractère abstrait. L’orphisme, du moins les peintures de Delaunay, et l’accent placé sur les couleurs intenses, auront dorénavant une influence notable sur l’œuvre de Klee. Certains critiques disent que Klee en fera une véritable passion toute sa vie, même dans les années turbulentes de la fin. Lors de son deuxième voyage à Paris, il visite aussi les galeries d’avant-garde — Picasso, Braque, Rousseau, et Matisse. Néanmoins, il n’aurait fait le voyage que pour rencontrer Delaunay. Pendant son séjour, Klee — à la fois linguiste, musicien, artiste et écrivain — traduit aussi en 1913 le texte théorique de Delaunay sur la lumière et la couleur pour le journal intellectuel, Der Sturm. C’est un sujet pour lequel Klee montre beaucoup d’intérêt. La poésie de Klee capture souvent avec des mots un sentiment de solitude, comme dans Froideur naissante. Mais, il est plus caractéristique de Klee de mettre l’espérance et la lumière au cœur de l’obscurité la plus noire, comme dans Nuit bleue (1937) (ill. p.72), ainsi que Masques au crépuscule et Fleur de nuit (ces deux œuvres datant de 1938). Apporter la lumière dans l’obscurité du monde est un thème récurrent dans l’œuvre de Klee. L’année de sa naissance, 1879, est l’année durant laquelle Thomas A. Edison et ses associés inventent l’éclairage électrique aux Etats-Unis.

18. Nuit de lune, 1920. Collection particulière 19. Lieu mélancolique, 1921. Aquarelle et huile sur papier monté sur carton, 30,8 x 45,8 cm. Fondation Klee, Kunstmuseum, Berne. 20. Panneau mural du temple de la Nostalgie, 1922. Aquarelle, encre d’imprimerie et toile plâtre monté sur bristol, 26,7 x 37,5 cm. The Metropolitan Museum of Art, New York.

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21. Senecio, 1922. Huile sur gaze, 40,5 x 38 cm. Kunstmuseum, Bâle. 22. Analyse de perversités diverses, 1922. Aquarelle et encre de Chine sur papier monté sur carton, 31 x 24 cm. Musée National d’art Moderne, Centre Georges Pompidou, Paris. 23. Machine à gazouiller, 1922. Aquarelle, encre et huile sur paier, monté sur carton, 63,8 x 48,1 cm. The Museum of Modern Art, New York.

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Les deux évènements devaient éclairer le monde de l’art de telle façon qu’il ne serait dorénavant plus jamais le même. La lumière gardera toujours une place centrale dans l’œuvre de Klee alors qu’il développe son esthétique personnelle. « J’essaie à présent d’exprimer la lumière simplement comme une énergie qui se déploie », dit-il. De la même manière, il faudra attendre des années avant que l’œuvre de Klee ne soit perçue sous un jour approprié. Dans l’œuvre de Klee, comme dans la nature, lumière et couleurs sont des éléments essentiels de la vie. D’après son journal, lors de son voyage en Afrique du Nord, Macke l’aide à trouver le rôle vital de la couleur dans son œuvre. Klee dit à cette époque : « La couleur et moi ne faisons qu’un. » (extraits de son journal dans Felix Klee (éd.) : The Diaries of Klee 1898-1918. Berkeley, 1964.) Quant à l’appréciation de Klee pour la nature et son sentiment d’union avec elle, son ami, Henry Kahnweiler, rapporte qu’il trouva l’artiste un jour tout seul en train de contempler la nature pendant leur voyage dans un parc national suisse. Klee lui dit alors : « Je viens d’avoir une longue conversation avec un serpent. » (Des formes de serpents apparaissent dans son œuvre, parfois à peine visibles, comme dans la bordure d’une gravure de jeunesse, Le Comédien (1904).) En 1914, Klee fait un voyage en Tunisie avec ses amis, les artistes August Macke et Louis Moilliet. Macke, appelé à combattre dans la Première Guerre mondiale (1914-1918), mourra la même année. Macke et Franz Marc (d.1916) sont sans doute les seuls artistes et amis proches de Klee qui moururent pendant sa vie. Néanmoins, la douleur est un thème récurrent dans son œuvre depuis le début, comme l’annoncent ces étranges gravures datant de 1909-1910, en particulier Douleur (1934). L’art autochtone tunisien produit une certaine impression sur Klee mais c’est la lumière naturelle de la Méditerranée qui le bouleverse. Dans son journal, il écrit, « La couleur a pris possession de mon être ; je n’ai plus besoin d’aller à sa recherche. Elle m’a conquis une fois pour toutes. Voilà le sens de ce moment béni. La couleur et moi ne faisons qu’un. Je suis peintre. » L’étude que Klee fait un peu plus tôt sur la démarche de Delaunay concernant la couleur et la lumière a sans doute influencé sa manière de percevoir la Tunisie et probablement toute son œuvre ultérieure. Une fois rentré à Munich, se remémorant la Tunisie, l’artiste exécute Hammamet et sa Mosquée (1914). L’œuvre, cadrée pour devenir une surface de travail carrée, constitue probablement le meilleur exemple de l’influence de Delaunay sur l’œuvre de Klee, comme on peut le voir par l’inattention portée par Klee à la profondeur en faveur des surfaces colorées, chacune laissant transparaître la lumière ou le blanc. Cette année-là, il repense à son voyage en Italie, comme on le constate dans l’aquarelle Dômes rouges et blancs (1914) (ill. p.9). En 1916, Klee est recruté dans l’infanterie, puis rattaché à une unité de l’armée de l’air. Il ne peint que quelques œuvres pendant la guerre. Ses œuvres pendant cette période comprennent des compositions de carrés colorés, évocatrices des mosaïques italiennes qu’il avait vues près de quinze ans plus tôt. Il dit en cette année là que son art « manque sans doute d’une certaine humanité passionnée ». En 1918, Klee produit plusieurs œuvres dans lesquelles il change de style et expérimente avec de nouvelles techniques. On citera, par exemple, Mythe de la fleur (ill. p.12), Automates astraux (ill. p.14) et Surgi jadis du gris de la nuit (ill. p.11).

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24. Génies ( personnages de ballet), 1922. Aquarelle et crayon, collé sur carton, 25,7 x 17,4 cm. Fondation Klee, Kunstmuseum, Berne. 25. Le Ventriloque, 1923. Aquarelle et encre d’imprimerie sur papier monté sur bristol, 38,7 x 27,9 cm. The Metropolitan Museum of Art, New York. 34

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Surgi jadis du gris de la nuit est unique en ce sens que l’œuvre montre comment l’artiste présente un texte dans un quadrillé de couleur qui illumine l’écrit. Le poème, en allemand, est écrit audessus de l’œuvre elle-même : Surgi jadis du gris de la nuit, Puis lourd et précieux, Fortifié par le feu, Le soir, empreint de Dieu et courbé Maintenant baigné d’un bleu éthéré, Planant au-dessus des glaciers Vers de sages constellations. Il écrit ce poème quelques mois avant son entrée au Bauhaus, où il montre le même intérêt marqué pour développer un expressionnisme graphique. Cette énergie s’intensifie lorsque le fondateur du mouvement hollandais De Stijl, Theo Van Doesburg, rejoint le Bauhaus. Son intérêt croît tout particulièrement quand le constructiviste Moholy-Nagy est engagé comme professeur dans l’atelier de typographie. Au Bauhaus, Klee dessine des constructions très géométriques, contrastant avec la calligraphie individualiste qu’il y dessinait peu de temps auparavant. La lettre R dans Villa R (ill. p.13), exécutée dans la première année d’existence du Bauhaus (1919), indiquerait l’intérêt anticipé du groupe pour la calligraphie. Son grand intérêt pour l’architecture est clairement visible dans la structure géométrique de la villa. On y voit aussi le chemin ascendant de l’artiste à travers cette expérience, comme s’il anticipait que sa participation dans le groupe ne serait que passagère. La notion du temps est traduite par les symboles de la lune et du soleil, qui sont si souvent présents dans les œuvres les plus personnelles de Klee. Automates astraux (ill. p.14) est créé plus de quarante ans avant l’avènement du premier astronaute, Youri A. Gagarine, en 1961. L’œuvre semble entrevoir la possibilité de robots dans l’espace. Mais l’espace ici se réfèrerait à la difficulté dans le monde de l’art de représenter la dimension et la perspective. Ceci pourrait illustrer la rébellion de Klee contre l’ingérence quant à la manière dont un artiste représente l’espace, ce qui le transforme en simple illustrateur de règles géométriques et de limites. C’est faire tomber l’artiste de son piédestal de liberté d’expression, que de lui inculquer des règles (on remarquera le mégaphone collé directement dans l’oreille de l’artiste). Les arches et les colonnes du classicisme sont encore visibles dans Mythe de la fleur (ill. p.12) mais cette œuvre semble démontrer ce que peut faire l’artiste avec le temps et l’espace lorsqu’il n’est pas sous le joug des conventions. Après la Première Guerre mondiale (1914-18), l’artiste Johannes Itten (1888-1967), invite Klee et Kandinsky en tant que « maîtres de la forme » à venir enseigner la théorie au Bauhaus au début des années 1920. Déjà à cette époque, non seulement les œuvres de Klee sont connues d’un certain nombre de personnes influentes dans le monde l’art, mais ses déclarations théoriques les plus importantes sont aussi dans le domaine public, comme par exemple son Credo du créateur de 1920, publié dans Tribüne der Kunst und Zeit.

26. Château en Espagne, 1922. Huile et aquarelle sur gaze plâtée sur carton, 62,6 x 40,7 cm. Fondation Klee, Kunstmuseum, Berne.

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27. Couple costumé, 1923. Huile et gouache sur papier contrecollé sur carton, 51 x 27,8 cm. Galerie Jan Krugier, Genève. 28. Théâtre de marionnettes, 1923. Aquarelle sur papier, collé sur carton, 52 x 37,6 cm. Fondation Paul Klee, Kunstmuseum, Berne.

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29. Vue de la mer du Nord, Baltrum, 1923. Aquarelle sur papier monté sur carton, 24,7 x 31,5 cm. Fondation Klee, Kunstmuseum, Berne.

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Au Bauhaus, Klee enseigne la peinture sur verre et le tissage. C’est une époque où il fait une synthèse visuelle du grand éventail d’influences qui ont eu prise sur lui, les distillant en un langage pictural à la fois concis et précis qui sera typiquement sien. Il développe ensuite ses propres techniques et sa philosophie de l’art. Il garde des notes de ses pensées, lesquelles seront rassemblées de manière posthume et publiées en une œuvre courte intitulée Pädagogisches Skizzenbuch (1925) (traduite en anglais pour la première fois sous le nom de Pedagogical Sketchbook, New York, Nierendorf Gallery, 1944 ; et récemment traduite en français sous le nom de Paul Klee, cours du Bauhaus : contributions à la théorie de la forme picturale, (Paris : F. Hazan, 2004)). Il s’agit des notes de cours de l’artiste, illustrées et agrémentées de commentaires. Dans ces notes, il tente de présenter, d’analyser et de proposer des applications pour les artistes de ce qu’il considère être les éléments visuels primaires. Il n’est pas surprenant que ces théories sur l’art chevauchent abondamment celles de son ami Kandinsky. Ils continueront d’ailleurs à partager leurs idées bien au-delà du temps qu’ils passent ensemble au Bauhaus pendant les années 1920. Pendant que Klee enseigne au Bauhaus, les étudiants et les professeurs organisent plusieurs représentations théâtrales. L’artiste Oskar Schlemmer, est chargé de l’atelier de théâtre. Il dessine et conçoit les costumes. On ne sait pas dans quelle mesure Klee participe à ces réalisations. Il a, cependant, une certaine expérience du design des costumes et des décors, qui vient de l’époque où il montait des spectacles de marionnettes avec son fils, Félix, alors âgé de neuf ans. Félix deviendra plus tard un professionnel du théâtre, en tant que directeur et décorateur. Il éditera aussi plus tard le journal en deux volumes de son père, Paul Klee: Briefe an die Familie, 1893-1940. Trente des nombreuses marionnettes et costumes de marionnettes fabriqués par l’artiste ont survécu, dont Madame la Mort (1916). Klee crée ensuite des marionnettes qui sont utilisées au théâtre chaque année, de 1922 à 1925. Voir Théâtre de marionnettes (1923) (ill. p.39). Parmi les marionnettes de Klee, on compte Autoportrait, Fantôme Electrique et Eskimo aux cheveux blancs. Esprit aux boîtes d’allumettes, fait comme son nom l’indique avec des boîtes d’allumettes, lui donne un caractère comique. A l’époque, l’utilisation d’ « objets trouvés », comme dans le dadaïsme, se transforme avec le surréalisme. La phase de production de marionnettes de Klee correspond justement avec la période active du dadaïsme. La marionnette de 1922 n’est pas son premier « autoportrait », tout comme la gravure Tête menaçante (1905), et la peinture Absorption (1919). Voir ensuite Rayé des listes (1933) comme exemple d’« auto-portraits » non-conventionnels. D’autres œuvres peut-être, telles que Durchhalten! (Ne baisse pas les bras !) (1940) - un dessin exécuté l’année de sa mort - sont aussi des autoportraits. Parmi les œuvres les plus appréciées que Klee ait produites en 1920, on citera les paysages Jardin en terrasses, (ill. p.16), Chameau dans un paysage rythmé d’arbres (ill. p.18), et Plan architectural d’un jardin (ill. p.23). Lorsqu’on les compare avec l’œuvre un peu plus tardive, Enfant dans un paysage (1923), on peut voir que l’artiste a continué d’expérimenter avec ce genre. En 1925, Klee participe à la première exposition parisienne d’artistes surréalistes. Cette année-là, il expose pour la première fois en solo à la Galerie Vavin-Raspail. La même année, il produit une étude de tons rouges dans Masque au petit drapeau (1925) (ill. p.43), beaucoup moins expressif que Senecio (1922) (ill. p.31), qui le précède.

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30. Portrait de Madame P dans le midi, 1924. Peggy Guggenheim Foundation, Venise. 31. Masque au petit drapeau, 1925. Aquarelle sur papier monté sur carton, 65 x 49,5 cm. Staatsgallerie, Munich.

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Parmi les œuvres de cette année-là, on citera Poissons (ill. p.44) et Poisson doré (ill. p.49). Dans la première, il représente le mouvement gracieux de plusieurs espèces de poisons tropicaux et une plante aquatique, alors que dans la deuxième, il admire les couleurs et la tranquillité de quelques poissons et le foisonnement de plantes imaginaires. C’est vers la même époque que les images de Joan Miró, qui suggèrent également la faune et la flore, commencent à s’animer par leur fine intelligence alliée de fantaisie. L’infinie variété de couleurs de ces formes en amibe semble inviter le spectateur à jouer et faire la fête avec elles. Klee partage cette légèreté, et même certains éléments quasiment identiques, comme dans Le Vase (1936). Pourtant, les mêmes éléments entre les mains des deux artistes acquièrent la personnalité de chacun d’eux. Après les années passées au Bauhaus, la quête de Klee pour trouver un style unique s’accélère. Concernant cette période de transition, les historiens d’art ont dit qu’au lieu de chercher une réalité transcendante, Klee voulait trouver et illuminer une réalité plus profonde, surgie de son imagination. Mais, pour Klee, sa vision personnelle est précisément cette réalité transcendante. A l’intérieur de ces phénomènes imaginaires, la réalité est finalement pour lui une énigme. Il dit : « La relation entre l’art et la création est symbolique. L’art est un exemple, tout comme le terrestre est un exemple du cosmique. » Ailleurs, il dit : « L’art joue à son insu avec idées et concepts, et parvient pourtant à les exprimer ! » La majeure partie de son œuvre est caractérisée par la présence de petits motifs thématiques, tels que des symboles de poissons ou des chiffres géométriques répétés. Globalement, son œuvre présente des motifs abstraits associés à un contenu apparemment naïf, aux combinaisons de couleurs souvent exotiques et exprimant quelquefois un humour étrange et enfantin. Ceux qui regardent son œuvre pour la première fois ont souvent une réaction émotionnelle mitigée. L’œuvre de Klee allait être systématiquement moderniste, comme le fut la majorité de l’œuvre de Macke et de Kandinsky. Ces derniers partagent également des principes expressionnistes, et Macke était aussi dans la mouvance fauve et impressionniste, à la différence de Kandinsky, le symboliste et surréaliste. Si ces trois artistes ont en commun des éléments de tous ces mouvements, chacun développera un style bien distinctif. C’est au sein du groupe Der Blaue Reiter qu’ils commencent à se découvrir entre eux au fur et à mesure qu’ils développent chacun leur style personnel. En tant que groupe expressionniste, comme individuellement, ils contribueront de manière significative à l’évolution de l’art moderne et à l’abstraction en particulier. Dans son Dictionary of Art (Dictionnaire de l’art), Eleanor S. Greenhill remarque : « Klee percevait l’acte de création comme l’engendrement, la renaissance d’images émanant de lui-même, qui, après avoir été longuement enfouies et transformées, cherchaient à se libérer, comme la création du cosmos. » Elle explique : « Sa méthode consistait à commencer une peinture sans idée préconçue du sujet, en laissant sa plume enregistrer son état d’esprit comme le ferait un séismographe. » Elle cite un commentaire dans son journal en 1918, selon lequel Klee déclare : « Ma main est véritablement l’instrument d’une sphère distante. » L’« écriture automatique » deviendrait une démarche à la mode dans les années 1940 auprès des artistes expressionnistes. Historiquement, elle relève de l’action painting de Pollock, bien que ses œuvres soient de dimensions généralement bien plus grandes que celles de Klee, et beaucoup plus abstraites.

32. Poissons, 1925. Huile, aquarelle et dessin à la plume sur fond de gypse monté sur carton, 62 x 41 cm. Collection Rosengart, Lucerne.

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33. Dix-sept, 1923. Aquarelle et encre de Chine sur papier monté sur carton, 22,5 x 28,5 cm. Öffentliche Kunstsammlung Bâle, Kunstmuseum, Bâle.

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34. Nature morte aux accessoires, 1924. Huile sur mousseline montée sur carton, 48,5 x 47,1 cm. Fondation Klee, Kunstmuseum, Berne.

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35. Le Poisson doré, 1925. Huile et aquarelle sur papier monté sur carton, 49,6 x 69,2 cm. Kunsthalle, Hamburg

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Un témoin de Klee au travail, Herbert Bayer, travaillait dans un atelier en dessous du sien au Bauhaus de Dessau. Il rapporte avoir vu Klee travaillant avec énergie sur plusieurs pièces simultanément. L’artiste était tellement absorbé dans son travail qu’il n’avait apparemment pas remarqué la visite de Bayer. L’amour de l’artiste pour les animaux se voit dans plusieurs de ses œuvres. Une œuvre de 1925 capture le monde ludique et animé de chiens sauvages dans Elle hurle, nous jouons (ill. p.56). Une utilisation semblable de ce genre de transparence cubiste se remarque dans Iles aux oiseaux (1921) (ill. p.24). Il est évident que Klee est fasciné par la « vie intérieure » de ses sujets. On le voit à sa façon de représenter le chat pensant à un oiseau dans Chat et oiseau (ill. p.57), à sa manière d’exprimer le cœur aimant de Madame P (ill. p.42), ou encore de représenter symboliquement cette vie intérieure par les voix d’oiseaux à l’intérieur du Ventriloque (ill. p.35). Dans Chat et oiseau, une des œuvres de Klee immédiatement reconnaissable, le nez en forme de cœur et la langue rouge pendue s’alignent avec le regard concentré et figé du chat qui imagine un oiseau. Comme Picasso, Klee était sans aucun doute un amoureux des chats. Le chat est d’ailleurs un thème récurrent dans beaucoup de leurs œuvres. Lorsque son fils Félix avait neuf ans, l’artiste avait un chat tigré du nom de Racaille. Bimbo était un gros chat blanc qu’il eut à la fin de sa vie, et que l’on voit sur des photos datant de 1935. Klee étudiait avec passion la littérature grecque, qu’il lisait dans la langue d’origine ainsi qu’en traduction allemande, comme, par exemple, Oedipus Rex de Sophocle et la trilogie Oresteia d’Aeschyle. Il lut trois éditions différentes à peine six mois avant sa mort. Il disait lire chaque mot en « pensant trouver la vérité entre les lignes. » (Il avait dans sa bibliothèque quatre éditions d’Oresteia.) Ce classique est une œuvre qui enseigne, comme le font d’ailleurs beaucoup de religions, qu’apprendre par la douleur est la voie qui mène à la sagesse. Les motifs tragiques que l’on trouve dans les classiques grecs se retrouvent également dans toute l’œuvre de Klee. Klee connaissait, par exemple, la mythologie d’Apollon, Diane, et leur arme, la flèche. La flèche a pour signification la lumière de leur pouvoir suprême tant dans l’art de Klee que dans l’art hellène. La flèche représente également les rayons du soleil. Klee utilise aussi la flèche comme symbole phallique par rapport aux symboles de féminité tels que le cœur. Les flèches sont présentes à travers l’ensemble de l’œuvre de Klee. On le voit dans Ange servant un petit déjeuner (1920) (ill. p.20), Panneau mural du temple de la Nostalgie (1922) (ill. p.29), Couple costumé (1923) (ill. p.38), Théâtre de marionnettes (1923) (ill. p.39), Portrait de Madame P dans le Midi (1924) (ill. p.42), Chat et oiseau (1928) (ill. p.57), et Dame Démon (1935) (ill. p.70). Dans certaines des œuvres où l’on retrouve des flèches, le symbole communique l’action, l’enthousiasme, ou une émotion positive, alors que dans d’autres œuvres, il semble n’être qu’un élément décoratif. Dans Panneau mural, les flèches paraissent manquer d’urgence et indiquer plutôt des directions sans destination finale. Les flèches sont particulièrement évidentes pendant les années passées au Bauhaus, comme dans Panneau mural du temple de la Nostalgie, Séparation le soir, et Scène de calamité (toutes trois datant de 1922). Dans ses écrits réunis sous le titre de Pädagogisches Skizzenbuch (Cours du Bauhaus), il note que les flèches peuvent exprimer des idées correspondant à des interrogations. Il souligne : « le père de la flèche est l’être pensant. »

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Par la suite, la flèche apparaît souvent comme une exception incongrue par rapport au flux du reste de l’œuvre de Klee, comme avec les flèches isolées de Masque d’effroi (1932), Jardins du Sud (1936), ou Ville Sinistrée (1936). Deux de ces flèches sont des éléments centraux dans Eros (1923). La flèche dans l’œuvre de Klee se termine rarement par une plume à l’autre extrémité, comme celles qu’utilisaient les Indiens d’Amérique. Voir Analyse de perversités diverses (1922), où la flèche ornée de plume, et donc complète, se distingue de l’ensemble des flèches purement directionnelles (sans plume). On voit également la flèche complète dans Diane (1931) mais elle est associée à une icône oeil-soleil-lune. De temps en temps, des représentations proches de la flèche auront plutôt tendance à être des arbres dans un paysage comme dans Paysage près de E. (Bavière), Plan de jardin (ill. p.25), et Lieu mélancolique (ill. p.28), qui datent de 1921. Klee incorpore souvent des chiffres et des lettres dans ses œuvres, comme par exemple dans Surgi jadis du gris de la nuit (1917-18) (ill. p.11) et dans Villa R, où figure la lettre R (1919) (ill. p.13). Son langage existentiel et personnel de symboles et de signes est complexe, car selon lui, c’est quelque chose qui vient de l’inconscient, voire même de l’inconscient collectif universel, qui peut donc former dans ses œuvres un amalgame poétique du réel et du fantasque.

36. Villas florentines, 1926. Huile sur toile, 49,5 x 36,5 cm. Musée National d’Art Moderne, Paris. 37. Environs de Taormina (Sirocco), 1924. Aquarelle et encre de Chine sur papier monté sur carton., 15,1 x 23,5 cm. Fondation Klee, Kunstmuseum, Berne.

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38. Navires en partance, 1927. Huile sur toile, 50 x 60 cm. Collection particulière, Suisse. 52

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39. Bateaux à voile, 1927. Aquarelle sur papier monté sur carton, 22,8 x 30,2 cm. Fondation Klee, Kunstmuseum, Berne. 53

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40. Portrait d’un acrobate, 1927. Huile et collage sur carton monté sur bois, 63,2 x 40 cm. Museum of Modern Art, New York.

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Son utilisation des chiffres et des lettres peut en ce sens être considérée comme surréaliste, bien que le mouvement baptisé « surréalisme » n’ait vu le jour qu’en 1924. Pour Klee, les signes n’ont pas seulement une signification, comme par exemple une flèche pointant dans un sens donné. Il veut que chaque signe soit perçu par rapport à sa forme intrinsèque. Dans ses écrits théoriques, il indique que pour lui, l’art est au final un langage de signes, tout comme les gestes, qui font partie du langage corporel, communiquent une certaine idée. Mais pour poursuivre l’analogie avec le langage du corps, certains signes sont universels, tel le hochement de la tête, sans avoir pour autant une seule signification universelle. Les œuvres que Klee crée lorsqu’il enseigne au Bauhaus de Weimar, Portrait de Madame P dans le Midi (ill. p.42), Nature morte aux accessoires (ill. p.47), et Environs de Taormina (ill. p.51) datent de 1924. Chacune de ces œuvres, correspondant à une transition majeure chez l’artiste, semble venir d’un état d’esprit bien particulier. Portrait possède la fantaisie si caractéristique de Klee, alors que Nature morte aux accessoires sonde les possibilités de tons chromatiques, avec un avant-plan qui rappelle le modernisme métallique et le cubisme « synthétique » de Fernand Léger (1881-1955) avant qu’il n’adopte son style décoratif. L’arrière-plan de Klee dans Nature morte aux accessoires reflète le modernisme des natures mortes de Picasso datant de la même décennie. En 1926, Klee s’installe à Dessau avec sa famille pour enseigner au Bauhaus. Le groupe est en fait une expérience appliquée de l’esprit du mouvement anglais pour l’art et l’artisanat au dixneuvième siècle. Comme ce mouvement influent, le Bauhaus cherche aussi à exploiter les matériaux modernes fabriqués par l’homme (acier, ciment, pigments de chrome, verre) ainsi que les techniques industrielles, et particulièrement celles dont l’utilisation est quotidienne. Le Bauhaus comprenait une école, mais n’était pas une école ou une institution officielle au sens habituel du terme. Il s’agissait plutôt d’un groupe d’artistes allemands, qui furent actifs entre les deux guerres mondiales, et qui s’intéressaient à la rencontre entre l’art et l’artisanat, afin de développer un art intégré permettant d’associer la vie de l’individu à celle de la collectivité. Le Bauhaus, qui était à l’origine basé à Weimar, s’implante à Dessau en 1925. Il influencera certains artistes, mais marquera surtout de façon pérenne les architectes, les sculpteurs et les artisans. Le Bauhaus de Weimar, aura été en Allemagne l’école d’art la plus avancée de son époque. Le plus connu du groupe est Walter Gropius (1883-1969), un américain d’origine allemande qui fonda et dirigea le groupe. Gropius et son mouvement eurent de nombreux adeptes connus, parmi lesquels on compte Max Beckman (1884-1950). Cependant, Beckman ne figure pas dans cette extraordinaire photo de groupe de la faculté du Bauhaus, qui montre certains des plus grands artistes de l’histoire de l’art : Josef Albers, Hinnerk Scheper, George Muche, Lascslo Moholy-Nagy, Herbert Bayer, Joost Schmidt, Walter Gropius (situé très à propos au centre du groupe), Marcel Breuer, Wassily Kandinsky, Paul Klee, Lyonel Feininger, Gunta Stolzl (la seule femme dans la photo), et Oskar Schlemmer. Ils sont tous debout, parfaitement sérieux, en costumes sombres, avec cravate ou nœud papillon pour la plupart. C’est un groupe bien sombre et distingué, qui ne reflète pas une seule minute l’art coloré et souvent joyeux caractéristique de la majorité de leurs œuvres. En 1927, Klee aborde un thème maritime, qu’il reprendra plus tard en 1937, avec Bateaux à voile (ill. p.53) et Navires en partance (ill. p.55). Ni l’une ni l’autre des deux œuvres n’a de ligne d’horizon séparant le ciel de la mer.

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41. Elle hurle, nous jouons, 1928. Huile sur toile, 43,5 x 56,5 cm. Fondation Klee, Kunstmuseum, Berne.

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42. Chat et oiseau, 1928. Huile et encre sur toile montée sur bois, 38,1 x 53,2 cm. Museum of Modern Art, New York.

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Le soleil/la lune dans Bateaux à voile ne sont pas inattendus. En revanche, la flèche de Navires en partance l’est plus. Les bateaux dans Bateau à vapeur et voiliers vers le soir sont moins énigmatiques (1931). Portrait d’un acrobate (1927) (ill. p.55) saisit au vol la concentration d’un athlète sur l’équilibre et le style, si bien que l’artiste devient cet équilibre. Deux ans plus tard, les étudiants de Kandinsky (y compris Eugen Batz en 1929) au Bauhaus, produiront des œuvres semblables, réduisant la forme à ses parties essentielles, essayant ce faisant de saisir la Gestalt (l’unité indivisible) du sujet. Durant l’hiver de 1928-1929, Klee fait un voyage en Egypte, pendant et après lequel il crée plusieurs œuvres qui partagent son expérience avec le spectateur, bien que son utilisation de symboles ressemblant à des hiéroglyphes égyptiens précède ce voyage. De plus, ces signes ne semblent pas changer de manière significative après son voyage. L’intérêt que porte Klee à l’art ethnographique s’apparente visiblement plus à l’art spontané des enfants qu’au symbolisme égyptien. Cependant, ce voyage aura sans doute poussé l’artiste vers un ordre plus évident, voir même franchement géométrique. Pendant les dix dernières années de sa vie, Klee fait chaque année un inventaire de ses œuvres, écrit de sa main. En 1930, on citera, parmi les œuvres de Klee, Ad Marginem, Quel est son problème ?, Blanc polyphonique (ill. p.69) et Planche de couleurs (sur gris majeur) (ill. p.65). En regardant ces œuvres, le spectateur sera peut-être amené à penser à Albers et sa série Hommage à un carré, produite deux décennies plus tard, même si Klee, lui, n’a pas développé d’obsession pour les subtiles combinaisons de couleurs. Au début des années 30, Klee expérimente avec la « division chromatique » de la couleur en utilisant un foisonnement de points colorés. Contrairement au pointillisme ou divisionnisme de Seurat, basé sur la théorie, Klee place ses plus gros points en rangées colorées bien alignées. Néanmoins, la période de 1931-1932, - ou période de Düsseldorf - de la vie de Klee est parfois appelée sa période « pointilliste ». Les Klee passent septembre et octobre 1931 en Sicile, puis partent pour Berlin au mois de novembre pour l’exposition intitulée « Paul Klee : Nouvelles peintures et aquarelles » à la Galerie Alfred Flechtheim. Klee voit la rétrospective Picasso à Zurich en 1932, mais ce n’est pas son premier contact avec le maître. Klee a peint son Hommage à Picasso (1914) dix-huit ans auparavant. Le parti National Socialiste prend le pouvoir au printemps de 1933. Son journal, Die Rote Erde, se réfère avec sarcasme au « grand Klee, ce fameux professeur du Bauhaus de Dessau qui peint d’une manière de plus en plus folle, bluffe et abasourdit une bande d’étudiants ébahis et perplexes. Un nouvel art, jusqu’ici inconnu, est né dans les pays du Rhin. » Le Stadtisches Kunstsammlungen à Chemnitz comprenait une œuvre de Klee dans son exposition intitulée « Art qui ne vient pas de l’âme. » Il continue à enseigner à Düsseldorf jusqu’en 1933 quand les Nazis, qualifiant son art de « dégénéré », le renvoient. Ils confisquent trois paniers entiers de dossiers trouvés dans la maison des Klee. La montée de Hitler en 1933 fait émigrer plusieurs membres du Bauhaus en Angleterre et en Amérique.

43. Dispute, 1929. Huile sur toile, 67 x 67 cm. Fondation Klee, Kunstmuseum, Berne. 44. Feu dans le noir, 1929. Huile sur carton, 33,8 x 33,4 cm. Museum of Modern Art, New York. 45. En Fleurs, 1934. Huile sur toile, 81 x 80 cm. Kunstmuseum, Winterthur.

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46. Chemin principal et chemins secondaires , 1929. Huile sur toile, 83,7 x 67,5 cm. Walraf-Richard Museum und Ludwig Museum, Cologne. 47. Monument sur une terre fertile, 1929. Aquarelle sur papier monté sur carton, 45,7 x 30,8 cm. Fondation Klee, Kunstmuseum, Berne.

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Quelques jours après la confiscation des dossiers, Klee quitte l’Allemagne et s’exile en retournant à Berne, où il tente de reprendre sa citoyenneté suisse. Cependant, lorsqu’on lui demande son curriculum vitae, il n’obtempère qu’avec réticence et fait allusion dans le brouillon qu’il en fait à ce curriculum vitae complètement stupide. » A Berne, Klee et sa famille vivent avec son père et sa sœur célibataire dans la maison de ses parents. Peut-être Klee avait-il en tête son désir de commencer une nouvelle vie à Berne quand, en 1934, il peint Créateur (ill. p.66). Dans cette œuvre, le sujet auquel fait allusion le titre flotte dans les airs, comme dans la conception de Dieu le Père par Michel-Ange, au centre du plafond de la Chapelle Sixtine. Mais les similitudes s’arrêtent là entre le Créateur de Michel-Ange et celui de Klee. Le chefd’œuvre du XVIe siècle vise à cerner le don de la vie à une entité extérieure, le premier homme, par un Dieu d’une imposante majesté. L’image de Klee, en revanche, semble s’intéresser plutôt à la vie animale avec une force joyeuse intimement mêlée à l’acte de création. Cependant, les mains et les pieds d’apparence humaine émanant du centre du champ énergétique pourraient bien appartenir au premier être humain, plutôt qu’à la force créatrice, voire même aux deux. Quoiqu’il en soit, Créateur est peut-être apparenté sur le plan métaphysique à une autre œuvre de Klee très connue et datant de la même année, Blühendes, (ill. p.61). Ce titre, qui veut dire En Fleurs, prête aux rectangles plus petits et plus clairs de l’œuvre une dynamique qui rappelle la lente ouverture de pétales de fleurs. Dans Créateur comme dans En Fleurs, le thème semble être la lumière et la vie. En 1934 également, Klee expose pour la première fois en Angleterre, à la Mayor Gallery à Londres. Il commence à être reconnu au plan international. Mais, en 1935, il attrape une bronchite, qui se complique en double pneumonie. L’automne de la même année, on lui diagnostique une rougeole, si bien qu’il reste alité tout l’hiver. Après quoi, sa santé se détériorera rapidement. En 1938, on lui diagnostique une névrose vasomotrice. On diagnostiquera aussi à titre posthume qu’il souffrait de sclérodermie progressive. Cependant, on ne trouve aucune mention de névrose vasomotrice dans sa correspondance. En 1935, est organisée une rétrospective à Berne et à Bâle. Il produit aussi au moins 148 œuvres, dont Paysage aux deux fruits II et Indiscrétion. Il n’y a peut-être aucune relation entre son travail cette année-là et sa maladie, mais deux de ses œuvres s’intitulent Homme marqué, et Dame Démon (ill. p.70). Mais, la dame aristocratique aux lèvres en forme de cœur et aux jambes d’aigrette semble pleine de fantaisie et loin d’être le redouté messager de la mort. De la même manière, Masque d’effroi de l’année précédente, n’est pas effrayant ; mais il est possible que l’œuvre, comme le masque, cache une anxiété bien dissimulée. Dans Dame Démon, on aperçoit un soupçon de cœur anatomique à droite, chevauchant le symbole traditionnel du cœur à gauche, peut-être le reflet de la lutte entre la réalité et l’imaginaire. Le chapeau de Dame Démon est en forme d’oiseau, et ses maigres jambes sont celles d’un oiseau. A la fin de sa vie, Klee produit des œuvres de plus grande taille. (Voir Révolte du viaduc (1937) et Rich Harbour (1938)) L’énergie enfantine et l’humeur joueuse de l’ensemble de son œuvre jusqu’ici, diminuent. Les titres vont en reflétant une croissante introspection, sinon aussi une forme de sarcasme et de pessimisme. De gros traits noirs dominent de plus en plus son œuvre. Il utilise peu les couleurs qui faisaient autrefois partie de ses peintures. Sa mélancolie augmente et se reflète dans son travail, qui exprime sa désillusion.

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48. Nouvelle Harmonie, 1936. Huile sur toile, 94 x 66 cm. Soloman R.Guggenheim Museum, New York. 49. Planche de couleurs (sur gris majeur), 1930. Pastel sur carton, 37,7 x 30,4 cm. Fondation Klee, Kunstmuseum, Berne.

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Cette humeur est parfaitement saisie dans l’œuvre connue, intitulée Mort et feu (1940), qui montre bien son état d’esprit dans les dernières années de sa vie. Si l’on compare cela, par exemple, à Magie de poissons (1925), qui est tellement ludique et plein d’énergie, on pourra mesurer le changement dramatique qui s’est opéré dans sa perception du monde. L’utilisation que Klee fait du noir pour représenter l’énergie contraste du tout au tout avec la notion classique du clair-obscur, c’est-à-dire la manière de peindre donnant l’illusion de la lumière et de l’ombre sur une forme en trois dimensions. En 1936, Klee ne produit que vingt-cinq œuvres, dont Jardins du sud. Au centre géométrique de cette œuvre, on observe un point noir et un demi-cercle de lumière, comme pour mettre l’opposition entre l’ombre et la lumière au cœur de son épiphanie en Tunisie cette année-là. Ces formes géométriques centrales sont parfois appelées « petit soleil noir » et « grande demi-lune ». La couleur, la forme et la position des représentations du soleil et de la lune font que ces derniers sont souvent mis en rapport l’un avec l’autre dans l’œuvre de Klee. La communauté artistique internationale apprend peu à peu que la santé de Klee décline. En novembre, 1937, Braque (à l’âge de cinquante-cinq ans) vient à Berne pour rendre visite à Klee (cinquante-huit ans). Il reviendra deux fois en 1939 et passera plusieurs heures avec Klee lors de chaque visite. Max Ernst (1891-1976) a également rendu visite à Klee pendant l’été de 1935. Kandinsky lui rend visite pour la dernière fois en 1937. Picasso détestait voyager mais il se déplace malgré tout pour voir Klee en 1937. Il n’est pas surprenant d’apprendre que ces deux hommes au fort tempérament ont apparemment un désaccord à cette occasion. Plus tard la même année, il est possible que Picasso se soit souvenu de leur rencontre en peignant son chef-d’œuvre, Guernica. On peut observer dans cette œuvre de dimension importante, la flèche, l’un des symboles préférés de Klee, en arrière-plan, entre les jambes postérieures du cheval. Certains pensent qu’il s’agit là d’un hommage à Klee. Après la visite de Picasso, Klee peint Scepticisme par rapport au taureau (1938), apparemment une référence à son désaccord avec Picasso, puisqu’elle montre un taureau espagnol plein de force à côté d’un pauvre visage torturé qui représenterait Klee. En 1937, la Putzel Gallery à Los Angeles présente trente-neuf œuvres de Klee dans une exposition intitulée Œuvres récentes de Paul Klee. Le fondateur de la galerie, Howard Putzel, était conseiller de Peggy Guggenheim pour les acquisitions et devint un enthousiaste de Jackson Pollock, qu’il expose également. Les expressionnistes abstraits connaissaient bien l’œuvre de Klee. En 1937 également, Klee produit au moins 264 œuvres, dont certaines de ses peintures les plus appréciées. Il crée aussi plus d’œuvres sur le thème de l’eau qu’à son habitude, dont Le Rhin à Duisburg, Révolte du viaduc, Jardin voluptueux près de la mer, Bateaux inondés, Port et voiliers, et Légende du Nil (ill. p.73). Dans Canot qui marche sur la terre, il semble se moquer de son propre désir de voyager. Klee produit 489 œuvres en 1938, dont Fruit d’azur, Jeu de violon héroïque et Coups d’archet héroïques (ill. p.78), Parc près de Lu(cerne) (ill. xx), et M. H. Mel. Il continue de peindre des motifs marins avec Rich Harbour et Amour de marin. Il y avait déjà quelques œuvres isolées sur un thème nautique dans l’œuvre de Klee, comme par exemple Sirènes de bateaux (1917) (ill. xx) et Vue de la mer du Nord, Baltrum (1923) (ill. p.41). Ce paysage marin annonce peut-être de futurs artistes abstraits tels que Richard Diebenkorn (1922-93) avec sa série Ocean Park dans les années 1970.

50. Créateur, 1934. Huile sur toile, 42 x 53,5 cm. Fondation Klee, Kunstmuseum, Berne. 51. Planter selon les règles, 1935. Aquarelle sur papier montée sur carton, 25,8 x 36,9 cm. Fondation Hermann et Margrit Rupf. Kunstmuseum, Berne. 52. Blanc polyphonique, 1930. Aquarelle et encre de Chine sur papier monté sur carton, 33,3 x 24,5 cm. Fondation Klee, Kunstmuseum, Berne.

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Lorsque la Deuxième Guerre mondiale éclate à la fin du mois d’octobre 1939, Klee, frappé de désillusion, devient encore plus pessimiste, comme Miró. Il n’y aurait désormais plus d’œuvres espiègles et colorées par l’un ou l’autre de ces deux artistes épris de paix. Au moment où la guerre éclate, Klee fait un séjour de deux mois à Faoug, sur le lac de Murten. Il y crée au moins 150 des 1253 œuvres produites dans un élan créatif sans parallèle et c’est de loin son année la plus productive, bien que sa santé continue de se détériorer. Il remarque que sa « productivité s’accélère et que son registre s’élargit de plus en plus. » Parlant des ses œuvres comme de sa progéniture, il ajoute : « Je n’arrive plus tout à fait à suivre toute cette progéniture. Mes enfants m’échappent. » Ailleurs, il ajoute : « Je n’ai jamais autant dessiné, ni avec autant d’intensité. » Paradoxalement, sa maladie et la conscience qu’il a de l’approche de la mort lui donne l’énergie de faire évoluer profondément son art. Son admirable et ultime transformation n’est pas sans rappeler celles de Matisse et de Picasso dans leur dernière phase créative. Monet aussi continua de travailler à profusion à la fin de sa vie, bien qu’il ait sans doute perdu contact avec le monde extérieur. Klee ne continue pas seulement à travailler, et ceci avec une énergie étonnante, mais il se met aussi à développer un nouveau style, comme le fera Matisse dans les derniers mois de sa vie. Plusieurs des œuvres des tout derniers mois portent sur le thème des anges. En 1920, il a déjà peint le fantaisiste Ange servant un petit déjeuner (ill. p.20) dans lequel le personnage féminin central a en effet des ailes ; mais il s’agit d’un ange transparent avec un cœur humain aimant et des talons hauts. L’heureux bénéficiaire de cet amour est Klee en personne, comme l’indique son nom en dessous du plateau que porte l’ange. En 1939, ses anges semblent beaucoup plus authentiquement spirituels. Il peint Ange, Femme immobile, Le Rocher de l’ange, Comme un Ange, Angelus Militans, Mis(S) Angel, et Pauvre Ange. Il montre un intérêt semblable cette même année dans Esprit de feu et Hosanna. On voit ici deux autres œuvres datant de cette année étonnante : La Belle Jardinière (ill. p.77), et Pomone trop mûre, légèrement penchée (ill. p.76). Le titre Pomone trop mûre laisse imaginer que cette peinture représente une femme enceinte. Le jour de son soixantième anniversaire, à la fin de 1939, plusieurs journaux suisses félicitent Klee et lui rendent hommage en tant que pionnier reconnu de l’art moderne. Ils parlent également de lui comme d’un artiste suisse, bien qu’il soit de nationalité allemande. Le jour suivant, le département de police de la Confédération helvétique approuve la naturalisation de Klee. Cependant, la ville de Berne abandonnera l’étude de la demande de naturalisation quelques jours après sa mort. Néanmoins, le Zentrum Paul Klee, récemment ouvert à Berne, abrite 4000 des œuvres les plus importantes de l’artiste, ainsi qu’une documentation biographique extrêmement riche. Klee avait une grande affection pour les morts. Il écrit : « Je suis armé, je ne suis pas ici, Je suis dans les profondeurs, Je suis très loin... Je brille parmi les morts. » L’attitude mystique de Klee explique sans doute sa fascination pour les civilisations passées, qui nourrissent en retour le thème memento mori dans son œuvre. Dans les dernières années de sa vie, ses recherches sur les idéogrammes, les hiéroglyphes, les signes, et les empreintes laissées sur les murs des cavernes préhistoriques deviennent quasiment obsessionnelles.

53. Dame Démon, 1935. Huile et aquarelle sur toile de jute plâtrée montée sur carton, 150,5 x 100 cm. Fondation Klee, Kunstmuseum, Berne.

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54. Nuit bleue, 1937. Gouache sur toile de coton montée sur toile de jute, 50,3 x 76,4 cm. Öffentliche Kunstsammlung, Bâle. 55. Légende du Nil, 1937. Pastel sur toile de coton montée sur toile de jute, 69 x 61 cm. Kunstmuseum, Berne, Fondation Hermann et Margrit Rupf.

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On retrouve un exemple d’idéogramme dans l’espace en forme de crâne au milieu de Mort et feu (1940), exécutée dans les dernières semaines de sa vie. L’espace blanc au centre, en forme de lettre D, comprend deux cercles suggérant deux orbites. Une ligne verticale descend le long d’un des orbites, là où se placerait la cavité nasale. Deux autres lignes suggèrent la bouche, complétant ainsi l’idéogramme d’un crâne. Certains proposent une interprétation selon laquelle, lorsqu’on regarde les cercles et les lignes à l’intérieur de l’espace blanc de côté, on peut lire à l’envers le mot allemand Tod : la mort. Toutefois, si l’on regarde les choses dans le contexte des autres œuvres de la fin de la vie de Klee, l’œil-cercle peut aussi suggérer un œil bien vivant, comme dans Expression d’un visage I (1939). Une association étrange d’yeux et d’orbites semble donner vie à une déesse de la lune dans Lune des barbares (1939). Les couleurs bizarres et l’atmosphère primitive de l’œuvre lui donnent un caractère spirituel, tout comme elles confèrent des pouvoirs magiques aux totems. Ce type d’œuvre a incité certains critiques à parler de Klee comme d’un « magicien des images ».

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De janvier à mai 1940, Klee produit au moins 366 œuvres, dont la série « Eidola » qui comporte des dessins d’une simplicité trompeuse. Ceux-ci sont des observations fines et perspicaces de personnes, telles une actrice, un général, un philosophe, un pianiste, un moissonneur, un danseur folklorique et, toujours dans le même style, une femme en costume traditionnel. Des œuvres plus développées sont des observations d’autres personnages tels un serrurier, un mannequin, et un joueur de cymbales. Cependant, à côté de ces thèmes concrets, il peint aussi sur des thèmes comme D’où ? Où ? Vers quoi ? et Au-delà, en deçà. Klee meurt le 29 juin 1940 d’une paralysie du muscle cardiaque. Il est incinéré et ses cendres sont enterrées au cimetière de Schlosshalden à Berne. Des chroniques nécrologiques apparaissent dans plusieurs journaux suisses. L’une d’elles conclut, « Sa mort enlève à l’art moderne celui qui a été, avec Picasso, l’un de ses plus grands représentants… Cet artiste, actif parmi nous pendant des années, était pour nous tous un symbole et un garant de l’existence du grand art, même à notre époque. » (Basel National-Zeitung) La même année, le Zurich Kunsthaus organise une grande exposition de 213 œuvres de Klee. C’est la première de nombreuses expositions de ses œuvres, qui montrent une vie dynamique et prolifique pleine de créativité inventive et innovante. Comme le furent les œuvres de Cézanne et Monet, l’œuvre de Klee sera finalement couramment acceptée de son vivant après avoir été longtemps un sujet de controverse. Klee est introduit en Amérique par la Société Anonyme, créée par Katherine Dreier, une riche artiste et une collectionneuse, sur les conseils de Marcel Duchamp (1887-1968) et Man Ray (18901976). Cette société expose des œuvres abstraites et d’avant-garde dans les années 1930. On trouve aujourd’hui des œuvres de Klee dans plus de vingt musées et galeries américaines. Un grand nombre de ses œuvres des dix dernières années ont été incluses dans l’exposition Die Erfüllung Im Spätwerk (L’accomplissement dans l’œuvre tardive) (d’août à novembre 2003) à la Fondation Beyeler à Bâle ainsi qu’à l’exposition Paul Klee : Tod und Feuer (Mort et feu) (du 23 novembre 2003 au 15 février 2004) au Sprengel Museum de Hanovre. Le livre accompagnant ces deux expositions, Paul Klee. Tod und Feüer: Die Erfüllung Im Spätwerk (Paul Klee : Mort et feu : Accomplissement dans l’œuvre tardive) (2003) contient des informations bibliographiques détaillées. Sa chronologie fait autorité et a été utilisée dans le présent ouvrage. Klee démontre par sa vie prolifique que l’artiste dans le monde moderne peut découvrir pour lui-même, puis communiquer aux autres, sa vision personnelle du monde, apportant ainsi Beauté et Vérité dans sa propre vie et celle d’autrui. Il écrit : « Nous représentions autrefois les choses visibles sur la terre… Nous révélons aujourd’hui la réalité du visible, exprimant ainsi que la réalité visible n’est qu’un phénomène isolé destiné à être dépassé en nombre par d’autres réalités. Les choses acquièrent ainsi une dimension plus vaste et plus variée, souvent en apparente contradiction avec l’expérience rationnelle d’hier… Au final, un cosmos sera créé à partir d’éléments formels purement abstraits, indépendamment de leur configuration en tant que projets, êtres vivants ou abstractions telles que les lettres ou les chiffres. »

56. Parc près de Lu[cerne], 1938. Huile sur papier journal monté sur toile de jute, 100 x 70 cm. Fondation Klee, Kunstmuseum, Berne. 57. Pomone trop mûre (légèrement penchée), 1938. Huile sur papier journal monté sur carton, 68 x 50 cm. Fondation Klee, Kunstmuseum, Berne. 58. La Belle Jardinière, 1939. Huile et tempera sur toile de jute, 95 x 70 cm. Fondation Klee, Kunstmuseum, Berne.

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CHRONOLOGIE 1879:

Paul Klee naît le 18 décembre près de Berne en Suisse.

1886:

Klee entre à l’école primaire à Berne.

1898:

Klee s’installe à Munich pour entrer aux beaux-arts.

1900:

Klee étudie à l’Académie de Munich dans la classe de Franz von Stuck.

1901:

Klee voyage en Italie.

1902:

Klee revient à Munich.

1905:

Klee fait un voyage à Paris où il voit les œuvres d’artistes majeurs.

1906:

Klee épouse Lily Stumpf. Klee expose à Munich.

1907:

Naissance du fils unique du couple, Felix.

1909-1910: Klee expose à Berne, Zurich, Winterthur et Bâle. 1911:

Klee rencontre Kandinsky, Marc et Macke. Il rejoint le groupe Der Blaue Reiter et se voit influencé par le cubisme.

1912:

Klee fait un nouveau voyage à Paris. Il rencontre Delaunay et est influencé par les œuvres de Picasso, Braque, Rousseau et Matisse.

1913:

La traduction par Klee de l’essai de Delaunay La lumière est publiée.

1914:

Klee voyage en Tunisie.

1916:

Klee est recruté dans l’armée. Il peint très peu.

1920:

Rétrospective majeure de son œuvre à Munich. Il est invité à enseigner au Bauhaus, qui se trouve alors à Weimar.

1922:

Klee expose à Berlin et à Wiesbaden.

1924:

Première exposition d’œuvres de Klee en Amérique.

1926:

Klee s’installe à Dessau pour enseigner au Bauhaus de Dessau.

1929:

Klee expose à Paris, Dresde et Berlin.

1931:

Klee démissionne du Bauhaus, puis enseigne à l’Académie des Beaux-Arts de Düsseldorf.

1933:

L’œuvre de Klee est jugée « dégénéré » par les Nazis. Il est renvoyé de l’Académie. Klee retourne à Berne avec sa famille et s’installe dans la maison de ses parents.

1934:

Œuvres de Klee exposées à Londres, une première en Angleterre.

1935:

Rétrospective des œuvres de Klee à Berne et à Bâle. Klee tombe gravement malade. Il sera plus tard diagnostiqué qu’il souffrait de sclérodermie. Son style de peinture change. Il a maintenant recours à de gros traits noirs.

1937:

Dix-sept œuvres de Klee confisquées par les Nazis sont exhibées parmi d’autres œuvres d’art « dégénéré ».

1940:

Grande exposition des œuvres de Klee à Zurich. Klee meurt le 29 juin à Muralto-Locarno en Suisse. Des expositions commémoratives sont organisées à Berne, New York et Bâle.

59. Coups d’archet héroïques, 1938. Couleurs à la colle sur papier journal monté sur toile, 73 x 52,7 cm. Museum of Modern Art, New York.

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LIST OF ILLUSTRATIONS 1.

Sirènes de bateaux, 1917.

p.4

31. Masque au petit drapeau, 1925.

p.43

2.

Dans la Carrière, 1913.

p.6

32. Poissons, 1925.

p.44

3.

Aux Portes de Kairouan, 1914.

p.7

33. Dix-sept, 1923.

p.46

4.

Sans titre, 1914.

p.8

34. Nature morte aux accessoires, 1924.

p.47

5.

Dômes rouges et blancs, 1914-1915.

p.9

35. Le Poisson doré, 1925.

p.49

6.

Surgi jadis du gris de la nuit, 1918.

p.11

36. Villas florentines, 1926.

p.50

7.

Mythe de la fleur, 1918.

p.12

37. Environs de Taormina (Sirocco), 1924.

p.51

8.

Villa R, 1919.

p.13

38. Navires en partance, 1927.

p.52

9.

Automates astraux, 1918.

p.14

39. Bateaux à voile, 1927.

p.53

10. Jardin en terrasses, 1920.

p.16

40. Portrait d’un acrobate, 1927.

p.55

11. Sous une Étoile noire, 1918.

p.17

41. Elle hurle, nous jouons, 1928.

p.56

42. Chat et oiseau, 1928.

p.57

43. Dispute, 1929.

p.58

13. Ange servant un petit déjeuner léger, 1920. p.20

44. Feu dans le noir, 1929.

p.60

14. Conte à la Hoffman, 1921.

p.21

45. En Fleurs, 1934.

p.61

15. Plan architectural d’un jardin, 1920.

p.23

46. Chemin principal et

16. Iles aux oiseaux, 1921.

p.24

17. Plan d’un jardin, 1921.

p.25

47. Monument sur une terre fertile, 1929.

p.63

18. Nuit de lune, 1920.

p.26

48. Nouvelle Harmonie, 1936.

p.64

19. Lieu mélancolique, 1921.

p.28

49. Planche de couleurs

12. Chameau dans un paysage rythmé d’arbres, 1920.

p.18

20. Panneau mural du temple de la Nostalgie , 1922.

80

chemins secondaires , 1929.

(sur gris majeur), 1930.

p.62

p.65

p.29

50. Créateur, 1934.

p.66

21. Senecio, 1922.

p.31

51. Planter selon les règles, 1935.

p.68

22. Analyse de perversités diverses, 1922.

p.32

52. Blanc polyphonique, 1930.

p.69

23. Machine à gazouiller, 1922.

p.33

53. Dame Démon, 1935.

p.70

24. Génies ( personnages de ballet), 1922.

p.34

54. Nuit bleue, 1937.

p.72

25. Le Ventriloque, 1923.

p.35

55. Légende du Nil, 1937.

p.73

26. Château en Espagne , 1922.

p.36

56. Parc près de Lu[cerne], 1938.

p.74

27. Couple costumé, 1923.

p.38

57. Pomone trop mûre

28. Théâtre de marionnettes, 1923.

p.39

29. Vue de la mer du Nord, Baltrum, 1923.

p.41

58. La Belle Jardinière, 1939.

p.77

30. Portrait de Madame P dans le midi, 1924.

p.42

59. Coups d’archet héroïques, 1938.

p.78

(légèrement penchée), 1938.

p.76