Kant et le problème de la philosophie : L'a priori
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BIBLIOTHÈQUE D'HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE\-Fondateur: Henri GOUHIER

Directeur: Jean-François COURTINE

KANT ET LE PROBLEME

DE LA PHILOSOPHIE · L'A PRIORI par JEAN GRONDIN

PARIS LIBRAIRIE PHILOSOPHIQUE 1. VRIN 6, Place de la Sorbonne, Ve

1989

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A mes parents

La loi du Il mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 41, d'une part, que les «copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective» et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, «toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, fait~ sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droits ou ayants cause, est illicite» (Alinéa 1er de l'article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit constituerait donc une contrefaçOb sanctionnée par les Articles 425 et suivants du Code pénal.

© Librairie Philosophique J. VRIN, 1989 Printed in France

ISBN 2-7116-0979-0

AVANT-PROPOS

Sans détour: l'intention de ce livre est de comprendre le sens de la Critique de la raison pure. Il entend montrer jusqu'à quel point et en vertu de quelle rigueur le problème essentiel de la Critique est celui de la possibilité d'un savoir a priori. La question cardinale de Kant est olen-: 'corruÎlent des jugements synthéiiquesa priori sont-ils possibles? Cela n'est que trop connu. Mais la réponse de Kant l'est beaucoup moins. Où Kant répond-il, de manière claire et distincte, à la question de la justification du jugement synthétique a priori et de la métaphysique comme science? Ce qui nous a incité à revenir sur cette question, c'est l'absence presque totale dans la littérature kantienne d'une étude qui réponde adéquatement aux réquisits du problème soulevé par Kant, celui de la crédibilité d'une connaissance a priori. La solution la plus couramment apportée au problème de l'a priori consiste à dire, assez vaguement, que l'a priori i~uJJ .. d~~~_e_x~JJ~i!~objectiv~ quand il ne s'app~i911e gu 'aux d0l!~~~l Q.e .1~~~p§ri._~~~~ ou parce qu'il rend l' exp~rience P9.~~~~ïe.-La difficulté de cette thèse, c'est qu'elÎe explique tout au plus la possibilité de la connaissance scientifique empirique (ou de l "expérience'), laissant entière la question de la viabilité d'une connaissance par raison pure, celle d'un savoir synthétique a priori, que veut être la philosophie. Nous soutiepdrons que le problème de l'objectivité de la connaissance empirique (qu'est censé résoudre l'intervention d'éléments a priori, les catégories, dans l'expérience) n'est pas du tout celui qui préoccupe l'interrogation critique de Kant. Bien au contraire, c'est l'évidence incontestée et jamais problématique du savoir empirique qui rend urgente aux yeux de Kant la question de la place de la philosophie, la question d'une connaissance qui soit rigoureusement synthétiqu'e' et a priori. Voilà le problème de la Critique de la raison pure. En tâchant de découvrir une réponse à cette question dans la Critique, on ne doit jamais oublier que Kant ignorait en 1781 qu'il allait publier quelques années plus tard une Critique de la raison pratique et une Critique du jugement. Cela signifie que dans la

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perspective de 1781, la Critique de la raison pure à elle seule doit être en mesure de répondre de manière satisfaisante et complète au dilemme d'une connaissance a priori. Ce qui doit être possible depuis cette Critique, c'est l'édification d'une métaphysique. Suivant la division qu'on estime essentiellement tripartite de l'œuvre, l'Esthétique doit traiter de la possibilité des mathématiques, l'Analytique de la physique pure et la Dialectique de la métaphysique. Or la Dialectique se présente comme logique de l'illusion. Est-ce à dire que la métaphysique soit condamnée à l'erreur? On sait que telle n'était pas l'intention de Kant, même si ce fut son efficace historique. Mais où se cache alors la solution kantienne au défi de la possibilité de la métaphysique comme science respectable? Peut-être faut-il réapprendre à voir que la division de base de la Critique n'est pas seulement tripartite. Il y a bien une 'quatrième' partie après la Dialectique: la ~_~~~~~~.~()_gie (Discipline, Canon, Architectonique, Histoire de la raison pure), à laquelle Kant avait réservé la dignité d'être la seconde grande section de la Critique, après la Théorie transcendantale des éléments. Ce n'est pas rien. Cette section passe souvent pour un simple appendice à la Critique. Cela vaut dans une large mesure pour l'Architectonique et l'Histoire de la raison pure, chapitres parfaitement schématiques où l'on ne sent pas toujours le pouls d'un questionnement proprement critique (si bien que la tâche première de l'idéalisme postkantien sera de réécrire les deux derniers chapitres de la Critique de la raison pure). Restent la Discipline et le Canon de la raison pure. Le premier chapitre est quant à l'essentiel un rappel de la Dialectique, dont tout l'exercice aura été finalement de discipliner les excès métaphysiques de la raison spéculative. Et si la conclusion de la Critique se trouvait dans le Canon de la raison pure? Un canon se définit comme« l'ensemble des principes a priori du légitime usage de certains pouvoirs de connaître en général ». Le Canon de la raison pure sera donc l'ensemble des principes a priori de l'usage légitime de la raison. Ne s'agit-il pas très exactement des principes a priori que cherche à établir la philosophie critique avant et afin de déployer le système de la métaphysique? Il Y sera en effet question, selon l'intitulé de la première section du Canon, de la fin ultime de l'usage pur de la raison. C'est dans ce cadre que trouveront place, et réponse, les trois célèbres questions de la raison pure: que puis-je savoir? que dois-je faire? que m'est-il permis d'espérer? Autant de questions qui seront suspendues à l'idéal du souverain bien, dont la doctrine, des Grecs

jusqu'à Kant, est la philosophie. Chez Kant, cet idéal sera rendu envisageable en raison d'un intérêt objectif de la raison pure pratique. Il ne faut pas attendre la Critique de 1788 pour connaître la métaphysique des postulats de la raison pratique. Elle forme déjà l'aboutissement de la première Critique, la seule que Kant jugeât indispensable à l'essor de la métaphysique en 1781. Il est donc possible, à partir de la Critique de la raison pure, de répondre au problème de la possibilité de la métaphysique et de ses jugements synthétiques a priori. La compréhension de la philosophie kantienne et de sa postérité en dépend. Notre parcours de la philosophie kantienne se bornera donc ici à la seule Critique de la raison pure, clairement introduite en 1781 comme l'unique propédeutique nécessaire à la construction d'une métaphysique qui soit déploiement d'une connaissance a priori ou par raison pure. Ce pari méthodologique ne signifie pas que doivent être ignorées les deux autres Critiques, mais que leur statut et leur possibilité sont fonction de la révolution métaphysique mise en œuvre dans la première Critique, celle qu'il faut d'abord maîtriser. Ceci apparaîtra tout particulièrement évident pour la Critique de la raison pratique. C'est que la prise en considération de l'usage pratique de la raison pure fait déjà l'objet d'une critique complète de la raison pure, dont Kant n'a jamais dit en 1781 qu'elle se limitât à la raison spéculative (ce qu'il sera conduit à affirmer après avoir conçu une Critique de la raison pratique, mais dont la nécessité n'a jamais été perceptible dans la philosophie kantienne avant 1787). Nous montrerons, au chapitre IV, comment l'idée d'une métaphysique de la raison pratique représentait déjà l'issue, voire la conclusion de la Critique de la raison pure. A ce titre, on pourra soutenir que toute la métaphysique de la seconde Critique est déjà renfermée, en germe, dans la première, tout spécialement dans la Méthodologie de la raison pure, dont F. Marty a raison l d'écrire qu'elle a été trop souvent négligée dans les études kantiennes . C'est dans le projet de la Critique de 1781 qu'il faut commencer par entrer de manière convenable, c'est-à-dire selon sa rigueur propre, si l'on veut élaborer, ce qui ne sera pas encore tenté ici, une juste compréhension de l'ensemble de la pensée critique et métaphysique de

1. Cf. F. Marty, La naissance de la métaphysique chez Kant. Une étude sur la notion kantienne d'analogie, Paris, Beauchesne, 1980, 523.

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Kant. Dans cet esprit, on suivra Gadamer en appliquant à la Critique de la raison pure le mot célèbre prononcé par Goethe lors de la canonnade de Valmy: «d'aujourd'hui et de ce lieu s'élève une nouvelle époque de l'histoire du monde». ***

Au plan typographique, on a tâché de respecter les conventions actuelles. On emploie la majuscule pour des termes comme Déduction ou Dialectique transcendantale quand on fait référence à des textes ou des titres de section, mais la minuscule quand on pense surtout à la chose dont il y est question (la déduction transcendantale des concepts purs de l'entendement n'a donc pas le même sens que la Déduction du mOême nom). Des guillemets «typographiques» ont été employés pour les citations (de passages ou de mots) et des guillemets 'allemands' pour la mise en 'perspective' de certaines formulations. En principe, tous les mots étrangers ont été soulignés, comme le veut l'usage français, sauf pour la bibliographie où les italiques n'ont été utilisés que pour les titres de livres et de revues. Nous tenons à exprimer notre reconnaissance à la Fondation Alexander von Humboldt qui a subventionné nos recherches à l'Université de Bonn, siège du Kant-Archiv.

1. Cf. H.-G. Gadamer, «Kants 'Kritik der reinen Vernunft' nach 200 Jahren. 'Von hier und heute geht eine neue Epoche der Weltgeschichte aus' » (1981), in H.-G. Gadamer, Gesammelte Werke, Bd. 4, Tübingen, J.C.B. Mohr (Paul Siebeck), 1987, 336-348.

INTRODUCTION « C'est donc pour le moins une question qui a encore besoin d'une recherche plus poussée, et que l'on ne peut régler sur la première apparence, que celle de savoir s'il y a une telle connaissance indépendante de l'expérience et même de toutes les impressions des sens. »1

Bien que ses racines plongent dans la philosophie grecque la plus matinale et qu'elle ait été un bastion du rationalisme précritique, la notion d'a priori est immanquablement associée à la pensée de Kant et à ses plus exactes caricatures. L'idée d'une connaissance a priori incarne la pierre de touche de l'édifice du transcendantalisme. Si la méditation kantienne peut se définir comme une philosophie de et pour la raison, la raison dans sa pureté étant la faculté de connaître a priori ou par principes (C.F.J., Ak., V, 167; O., II, 917), il semble que l'ensemble de l'effort philosophique de Kant doive être voué à l'a priori. L'a priori en son universalité la plus stricte impose en effet sa loi aux deux grands versants du kantisme: la philosophie théorique accomplit une révolution copernicienne en fondant la connaissance sur les concepts purs de notre esprit, tandis que la philosophie pratique veut découvrir la norme suprême de l'agir moral dans un commandement a priori, . l'impératif catégorique. La périphérie du kantisme ne résiste pas non plus à l'appel de l'a priori: la troisième Critique s'emploiera à définir a priori les principes du jugement de goût, la Religion défendra la légitimité d'une «reine Religionslehre» et d'un «reiner Religionsg laube» et le concept du droit sera déduit a priori dans la Métaphysique des moeurs. L'Opus postumum tentera certes de jeter un pont entre l'expérience et les principes métaphysiques ou a priori de la nature, mais ce passage de l'a priori à l'empirique devra s'opérer selon

1. I. Kant, Kritik der reinen Vernunft, B 2; tr. fr. Oeuvres philosophiques, Paris, Pléiade, t. I, 1980, 758. Les références à la K.d.r.V. se feront suivant la pagination originale des éditions de 1781 (A) et de 1787 (B). Toutes les autres références aux oeuvres de Kant donneront la pagination de l'édition de l'académie (Ak., tome, page). La traduction citée est le plus souvent celle des Oeuvres philosophiques dans la Bibliothèque de la Pléiade (O., tome, page).

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des principes qui sont eux-mêmes a priori 1. L'a priori paraît bel e~ > bien être la porte d'entrée de tout le système de Kant. l Cependant, deux siècles plus tard, l'a priori représente peut-être aussi l'obstacle qui nous en bloque l'accès. Devant le succès des sciences expérimentales, l'idée d'un savoir a priori apparaît aujourd'hui largement suspecte, sinon insensée. Quoique nous puissions, à la limite, concéder un statut a priori à certains principes de la logique, et peut-être aussi aux mathématiques, force est de reconnaître que nous avons perdu le sens de l'a priori. A quelques exceptions près, la notion d'a priori est tombée en désuétude, ayant cessé d'être une préoccupation majeure de ceux qui s'adonnent à la philosophie. L'oeil de l'âme, dont parlait Platon pour décrire l'organe d'une connaissance purement rationnelle, nous fait défaut. Une cécité métaphysique nous empêche d'intuitionner quelque a priori que ce soit. Invisible, l'a priori est devenu incrédible, donc obsolète. Peut-être sommes-nous plus kantiens que Kant en n'acceptant plus la possibilité d'une intuition intellectuelle a priori ou de l'a priori, scepticisme qui emporte bien sûr l'apriorisme dont Kant se faisait encore le porte-étendard. Notre époque est celle du rejet ou de l'oubli de l'a priori. Ce que cette étude aimerait montrer, c'est que la notion d'a priori! est moins la porte d'entrée que le problème fondamental du kantisme,! celui qui donne naissance au projet inédit d'une critique de la raison pure. L'enquête de la première Critique au sujet de la possibilité de la métaphysique pose en vérité la question de l'a priori, celle de sa crédibilité. Dans l'oeuvre de 1781, l'a priori se trouve d'une façon décisive, et pour la première fois sur le terrain de la métaphysique, reconduit à sa propre problématicité. Avec Kant, l'a priori cherche à prendre la mesure de ses capacités dont il soit possible de rendre raison, situation de crise qui suppose qu'avant Kant la réalité de l'a . 1 priori, et cela signifie la possibilité d'un savoir purement rationnel, ait été radicalement révoquée en doute. Cette étape de la réflexion correspond à l'empirisme, celui de David Hume qui tira Kant d'un «sommeil dogmatique» - qu'il s'agisse du sommeil qu'est le

1. Ak., XXI, 15; XXII, 244,468 et passim; tr. fr. Opus postumum, Paris, P.U.F., coll. Epiméthée, 1986, respectivement 201, 41, 95. On ne se surprendra pas d'y lire que l'existence de l'éther doive être elle-même «reconnue et postulée a priori», «comme une pièce appartenant nécessairement au passage des principes métaphysiques de la science de la nature à la physique» (XXI, 218; tr. fr. 56).

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dogmatisme, selon l'intelligence courante, ou du sommeil 'passager,1 où était tombé le dogmatisme selon Kant et auquel sa philosophie transcendantale aurait pour fonction de remédier - en lui découvrant l'abîme de l'a priori. Depuis Parménide et Platon, la réflexion qu'on appelle philosophie a toujours aspiré à une connaissance a priori, c'est-à-dire à un savoir qui ne dépende pas de l'expérience et qui soit, par conséquent, nécessaire et universel. De Pannép.ide à Wolff, le domaine de l'a priori ' est celui des vérités immuables et éternelles que peut atteincire le YOÜe;, la raison, l'organe divin en flOUS. Le philosophe Kant, comme on sait, a fait ses classes à l'école du rationalisme, dont les vérités essentielles sont entièrement a priori (le principe de contradiction, celui de raison déterminante, d'identité, les preuves de l'existence de Dieu et de l'immortalité de l'âme, etc.). Les controverses internes de la Schulmetaphysik, par exemple la question de savoir si le principe de raison se laisse dériver du principe de contradiction, présuppose comme allant de soi la possibilité d'une connaissance a priori. En termes modernes, ou postmodernes, le paradigme de l'a priori circonscrit l'horizon du rationalisme de Parménide à Wolff, paradigme qui rend impraticable un échange fécond avec la tradition empiriste qui refuse de reconnaître des vérités a priori, même si, tente d'argumenter le rationalisme, l'empirisme doit les présupposer dès qu'il se met à penser, à faire travailler ses idées. Le paradigme de l'a priori est le coussin qui permet au rationalisme de dormir en paix et de ne s'intéresser à l'empirisme que pour le réfuter. Dans l'histoire de la pensée occidentale, Kant est le rationaliste qui dort mal, troublé qu'il est par un cauchemar: et si l'empirisme avait raison? Avant d'aller plus loin en métaphysique, dit-il, tâchons, au nom de l' Aufkliirung que veut être le rationalisme, de tirer au clair les fondements et les possibilités réelles de la connaissance a priori. C'est pour répondre à cette question et relever le défi de Hume que Kant institue une propédeutique à la métaphysique et, comme nous le verrons, à la philosophie transcendantale, la Critique de la raison pure. Son seul et unique propos est de soup~.ser les cliances d'un savoir a priori. Avant de se bercer de connaissances soi-disant métaphysiques, voyons si, où et quand la connaissance a priori est possible, c'est-à-dire légitime et légitimable. 1. Pour cette lecture, cf. M. Clavel, Critique de Kant, Paris, Flammarion, 1980, 39.

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Amenée à s'interroger sur les ressources de l'a priori, la philosophie kantienne a, historiquement et, en un sens, contre son gré, contri bué, après Hume, à dévaloriser et destituer l'a priori à titre de qucstion philosophique. En posant ouvertement)a question de la possibilité de connaissances synthétiques a-priori(za question c~~nale dc la philosophie critique) afin d'évaluer les perspectives d'un savoir autre qu'empirique, Kant a comme mis un tenne, bien malgré hli, à la carrière de l'a priori, qui n'a pas su résister à l'irruption de la science purement expérimentale. Il n'est pas douteux que la mise en question de la connaissance a priori s'accompagne déjà chez Kant d'une réhabilitation philosophique de l'expérience comme source de connaissance. C'est pourquoi il peut apparaître étrange de voir une philosophie aussi sympathique aux ressources de l'expérience (rappelons le mot célèbre des Prolégomènes: «ma place est le fertile hathos de l'expérience»; Ak., IV, 373; O., II, 161), s'encombrer de considérations a priori dans à peu près toutes les sphères où elle s'exerce. Kant est-il l'ami ou l'ennemi de l'a priori? Le champion ou la némesis de la connaissance par raison pure et, partant, de la métaphysique? N'est-il que le point de rencontre de deux tendances contradictoires, à la fois partisan et détracteur de l'a priori, un métaphysicien doublé d'un positiviste? Il ne serait pas difficile de réunir des textes confirmant l'une et l'autre de ces orientations fondamentales, platonicienne et humienne. Peut-être n'est-il pas contre-indiqué d'apercevoir dans un autre passage illustre où Kant avoue qu' «on reviendra toujours à la métaphysique comme à la bienaimée avec laquelle on s'était brouillé» 1 une espèce de confession, le témoignage d'une scission (le texte parle~bien d'une «mit uns entzweiten Geliebten») dans la pensée de Kant lui-même. Nos réflexions auront à étudier et à éclairer l'ambiguïté qui subsiste sur cette question, essentielle entre toutes. Mais, demandera-t-on enfin, pourquoi revenir sur cette ambiguïté, surtravaillée sans doute et très certainement inactuelle? La relation d'amour-haine que semble entretenir Kant avec l'a priori, la métaphysique et la raison pure en général ne se situe-t-elle pas à mille lieues des problèmes et du discours de la philosophie contemporaine? 1. A 850 = B 878; O., l, 1397. Cf. aussi le passage des Rêves d'un visionnaire où il est question de «la métaphysique, dont le destin fait que je suis amoureux bien que je puisse rarement me vanter de ses faveurs» (Ak., II,367; O., l, 585). .

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Nous pensons, au contraire, que l'attitude à la fois critique et sympathique de Kant face à l'a priori est et doit encore être la nôtre. C'est que la question de l'a priori, telle qu'elle s'est posée à Kant et telle qu'elle nous a été léguée par Kant, demeure d'un intérêt vital pour toute réflexion philosophique. Si la notion d'a priori est constitutive de l'entreprise philosophique, c'est parce qu'elle en désigne tantôt l'objet, tantôt la méthode ou la source. Quelle que soit la forme qu'elle emprunte, la recherche a priori détennine en son essence l'interrogation philosophique. Il ne sera à coup sûr jamais possible, ni même souhaitable, de trouver une caractérisation du travail philosophique qui satisfasse tous les philosophes et toutes les tendances. Mais si un consensus très général peut être établi, il gravitera sans doute autour de l'idée de la philosophie comprise comme réflexion fondamentale. Pour la pensée classique, cette conception désignait automatiquement l'objet de la recherche philosophique: la philosophie doit porter sur les fondements (du réel, de la connaissance, de l'agir, etc.), les principes, les causes premières, en un mot, l'a priori, ce qui est premier, antérieur et fondateur de tout le reste. Pour nous, cette idée de la philosophie caractérise peut-être moins l'objet que l'élan ou l'accomplissement, existentiellement enraciné, de l'activité philosophante: la philosophie se comprend aujourd'hui comme la discipline des questions fondamentales ou réflexion sur les problèmes fondamentaux (le langage, la vérité, la praxis, l'epistèmè qui nous détennine, etc.). L'approche et le thème de la réflexion varient selon les écoles, mais chaque philosophie élève la prétention d'être une méditation fondamentale. La réflexion sur le langage, l'être social ou l la volonté de puissance , par exemple, devien!-p-hilosophique dès l'instant où elle s'impose comme incontournable\k,'interrogation sur,l l'être social peut paisiblement relever de la sociologie comme celle sur' le langage de la linguistique si ces dimensions ne sont envisagées que comme des aspects de la réalité qui cohabitent avec d'autres, sans se déclarer plus fondamentales. Mais dès que le sociologue entreprend de

1. Même Nietzsche dit posséder, au début de l'un de ses traités les plus systématiques, «s'on 'a priori'» (La généalogie de la morale, préface, § 3). Son 'a priori', il le localise, fort adéquatement, dans sa Bedenklichkeit vis-à-vis de tout ce qui est moral. Mais le concept d'a priori, qu'il déconstruit partout ailleurs, est, non moins rigoureusement, mis entre guillemets. C'est que Nietzsche ne croit plus tout à fait à la réflexion fondamentale, lors même qu'il la pratique. Ce paradoxe est essentiel à sa philosophie, comme à plusieurs autres.

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démontrer que l'homme n'est dans son essence (dôoç, a priori) rien d'autre qu'un rouage de sa classe sociale ou de la lutte des classes l et que cette détermination sociale fonde tout le reste (l'idéologie, l'agir, la connaissance, la religion), il s'aventure sur le terrain de la réflexion philosophique, d'une théorie a priori. Si au vingtième siècle le langage est devenu un objet privilégié de la philosophie, c'est simplement parce qu'il a été perçu comme l'élément fondamental de notre expérience, celui qui ouvre et conditionne tous les autres. La définition minimale de la philosophie comme interrogation fondamentale, bien que son questionnement puisse et doive aujourd'hui s'armer de modestie et d'incertitude, devrait convenir à toute démarche philosophique. C'est ce champ de la réflexion que délimite depuis toujours l'idée de l'a priori. La prétention qu'élève la philosophie - qu'il s'agisse d'une prétention à l'universalité, à l'objectivité, à l'absolu ou au fondamental au sens large - n'est pas une prétention empirique, même si ses souches ne peuvent être qu'empiriques, la philosophie étant pratiquée par des hommes immergés dans l'expérience et qui ne se hissent dans la tour d'ivoire de la réflexion que pour mieux \ comprendre, ou maîtriser, cette expérience à partir de ce qui à travers l elle se fait valoir comme fondamental. La philosophie aspire à une "ëonnaissance qui doit pouvoir se distinguer d'une quelconque manière du savoir particulier qui se déploie dans les sciences spéciales et le monde vécu. Si la philosophie cesse d'entretenir une telle prétention prétention, du reste, que la philosophie a toujours eu à redéfinir depuis Parménide - , elle devient un savoir particulier, comme n'importe quel autre, simple doxa. Mais comment la doxa peut-elle espérer se faire passer pour epistèmè? En vue d'accéder aux 'principes' du savoir, de l'action ou de l'être, la quête philosophique doit, tout en restant consciente de la relativité de ses motivations, revendiquer un statut non relatif, a priori justement. Seulement, les philosophes sont loin de s'entendre sur un tel statut, d'aucuns préférant tout bonnement laisser tomber la question ou n'y voir qu'un problème mal posé. Fort bien, mais s'il en est ainsi, qu'est-ce qui permet à la philosophie de s'affirmer toujours comme philosophie? Si toute connaissance est a posteriori, et l'essor de la science moderne pourrait bien le laisser croire, que reste-t-il à la philosophie? Inutile de redire ici que plusieurs penseurs ont cru pouvoir résister à l'assaut de la science, 1. Cf. K. Marx, Das Kapital, Erster Band, Berlin, Dietz, 1962, 16; tr. fr. Le capital, Livre premier, Paris, éd. sociales, 1975,20.

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naguère synonyme de philosophie (et c'est pourquoi le titre de philosophiae doctor est encore le titre suprême qui soit décerné aux scientifiques), en transformant la philosophie en (méta-)réflexion sur le savoir scientifique. Or la philosophie doit-elle se contenter d'être ancilla scientiae, simple Wissenschaftstheorie? On voit bien qu'une telle métathéorie continue à sa façon d'élever une prétention a priori en ce qu'elle réfléchit sur ce qu'il y a de 'fondamental' ou d'essentiel en science. Est-ce la seule forme d'apriorité qui reste à la disposition de la philosophie? . Le lecteur pourra être agacé de trouver dans cette introduction autant de questions sans réponse immédiate. Le-but de cette paranèse était seulement de reconquérir l'enjeu que recèle la question, d'autant plus pressante qu'ignorée, de ra priori. La question est ouverte et impérieuse depuis Kant. Si notre époque peut se dire postkantienne, c'est dans la mesure où elle demeure toujours confrontée au statut problématique de ra priori, statut qui a depuis peu gagné le domaine des croyances et des certitudes du monde vécu, de plus en plus dédivinisé, donc 'désapriorisé', si on nous passe le barbarisme. La désapriorisation du réel ne fait que se refléter en philosophie. Comment et sous quelles conditions un savoir fondamental, a priori, est-il encore défendable? Il y va de la légitimité et de l'autocompréhension de l'activité philosophique. Il s'agit d'une question que toute philosophie doit affronter, fût-ce pour la déconstruire, mais cela n'est bien sûr possible qu'au nom d'un horizon 'plus fondamental', ce qui nous ramène encore au point de départ. La prétention au fondamental est non seulement devenue problématique, mais aussi plurielle. Les accès qu'offrent les philosophies et les idéologies au fondamental sont aujourd'hui multiples, plus que jamais auparavant. Peut-il encore y avoir une conception du monde plus élémentaire que les autres? Et si une philosophie ou une vision du monde prétend mettre le doigt sur l'a priori par excellence, encore doit-elle nous en convaincre. Comment est-il possible de fonder une prétention a priori, c'est-à-dire un argument philosophique? Une assurance en vaut n'importe quelle autre, soupire Hegel dans la Phénoménologie. Nul ne peut me disputer mon sentiment, écrivait quant à lui Kant dans son pamphlet Sur un ton supérieur nouvellement pris en philosophie. Une théorie de l'a priori doit donc rendre compte de la question d'un accès possible à de l'a priori. S'il existe, l'a priori est-il connaissable et peut-il justifier ses

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propres prétentions? La réponse à cette question doit se trouver, on le montrera, en quelque 'déduction transcendantale', chargée de légitimer l'apriorité effective de l'a priori. Depuis Kant, aucune philosophie n'est pensable sans pareille 'déduction'. Toute philosophie doit pouvoir montrer qu'elle a raison. L'esprit du temps s'est peut-être résigné au scepticisme et à l'indifférence. Toutes les prétentions a priori sont-elles autant d'illusions ou d'idéologies qui se valent? En ce chapitre, l'avertissement de Kant reste actuel: «il est vain, en effet, de vouloir affecter de l'indifférence à l'égard de telles recherches, dont l'objet ne peut être indifférent à la nature humaine» (A X; O., 1, 727). La question de savoir si certaines formes de connaissance et certaines pratiques sont plus justifiables ou plus fondamentales ne peut nous être indifférente. La distinction qui sépare le savoir fiable, disons la science, et le charlatanisme, le juste et l'injuste, nous concerne trop directement pour faire l'objet d'un simple soupir sceptique. Si ce livre se penche sur Kant, c'est avant tout parce qu'il a vraisemblablement été le premier à s'inquiéter de la possibilité de l'a priori dans un contexte qui connaissait déjà l'indifférentisme métaphysique et la résorption du savoir rationnel oU' a priori au profit des savoirs historiques. Kant a donc bien vu ce que la question de l'a priori avait de crucial pour le destin de la philosophie et sa place dans l'univers des savoirs. Comme l'a excellemment noté Michel Foucault, c'est en s'interrogeant sur le droit de l'a priori, ou de la représentation, . que Kant nous a fait franchir le seuil de la modernitt. Kant a mis un point d'arrêt à ce que l'on peut appeler avec Foucault l'Age classique, c'est-à-dire au rationalisme de Descartes à Wolff, en posant la question des limites de notre représentation, donc en demandant à l'a priori de quel droit il prétend pouvoir décliner la matrice intellectuelle d'un réel trop commodément identifié au rationnel. L'événement décisif de la modernité kantienne réside dans la mise à jour des limites de l'a priori, imposées par la découverte de la finitude. De cette découverte dépendent les autres traits de la modernité (dont certains étaient peutêtre apparus avant Kant) et parmi lesquels on se contentera de nommer la mort de Dieu, l'effritement du sens, l'émancipation de l'homme, de sa science et la démocratie. Mais s'il ne se trouve qu'au seuil de la modernité, c'est que Kant n'y est pas tout à fait entré. Il mesure trop l'enjeu de l'a priori pour y renoncer sans autre forme de procès. C'est

bien un procès qu'il instituera afm de tirer au clair la question de l'a priori. Travaillée par cette question fondamentale, la méditation kantienne en viendra à redéfinir les tâches et les horizons essentiels de la philosophie. L'inquiétude de Kant devant les capacités de l'a priori et, ce qui revient au même, de la philosophie devrait nous aider à comprendre la nôtre, le dilemme qu'est aujourd'hui - pour tout le monde, la société, les gouvernements et les philosophes eux-mêmesla pensée philosophique. Elle nous permettra aussi d'en éclairer l'issue.

1. M. Foucault, Les mots et les cJwses, Paris, Gallimard, 1966,255-6.

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L'A PRIORI EN QUESTION « H atte vorher die Frage nach dem a priori den Sinn: wo ist es ? Es muss da sein! so hat sie jetzt vielmehr den resignierenden oder auch den des Sieges gewissen Sinn: zeigt es auf, wenn ihr konnt ! » 1

La philosophie est née de la séparation de deux types de savoir, la et l'ÉntOTTlI.Ln. Ce divorce, que consacrera destinalement le sixième livre de la République, anime déjà les efforts philosophiques de Parménide et d'Héraclite, dont on a trop souvent l'habitude de souligner la disparité, laquelle n'est que de surface. Les deux penseurs s'accordent en effet sur un point essentiel et fondateur 2 : en retrait par rapport. aux opinions de la multitude, la sagesse phIlosophique se tourne, en se fiant aux lumières de la seule raison (vouç), vers une dimension plus fondamentale, mais cachée, du réel, qui s'appellera Àôyoç ou QÀn9Ela. La réflexion du philosophe a affaire au monde de la raison, a priori, dont la validité ne saurait dépendre de l'expérience sensible, a posteriori, où tout est changeant, la soi-disant réalité non moins que les opinions à son sujet. L'opposition de l'a priori et de l'a posteriori, qui commande celles de la science et de l'opinion, de la vérité et de l'apparence, du fondamental et du dérivé, de l'éternel et du temporel, en bref l'opposition que résument le terme et l'idée de métaphysique, prend source dans une hypothèse: il y a un savoir fondamental et non relatif, celui du Àôyoç, de l'être ou de l'idée, connaissance qui n'est cependant pas à la portée de la multitude, hypnotisée par les ombres de la ôô~a, et dont seuls des privilégiés, les sages, les philosophes et les éducateurs potentiels, peuvent bénéficier. L'antagonisme de l'a priori et de l'a posteriori sera plus ou moins marqué au cours de l 'histoire de la pensée: alors que certains, ceux

ôô~a

1. H. Cohen, Kants Theorie der Erfahrung, Berlin, Cassirer, 3. Aufl. 1918,

499. 2. Cf. à ce propos l'article infiniment pénétrant de K. Held, «Heideggers These vom Ende der Philosophie ». in Zeitschrift für philosophische Forschung, 34, 1980,535-560.

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qu'on appelle intellectualistes, à la limite gnostiques, montent en épingle leur incommensurabilité, discréditant tout ce qui relève de l'empirie, d'autres auront plutôt tendance à les réconcilier. Chose certaine, le projet d'un savoir a priori représente l'héritage le plus soutenu et le plus controversé de notre tradition philosophique. Le plus soutenu, car la philosophie ne peut renoncer au fondamental, mais le plus problématique aussi puisque le fondamental doit justifier sa propre prétention sans faire appel à quelque chose de plus fondamental que lui. Nous ne retracerons pas en détail 1'histoire des thèses sur l'a priori. Cela équivaudrait à réécrire l'histoire de la philosophie. Tout dictionnaire de la philosophie signalera qu'a priori vient du grec npoTEpov, ce qui est 'antérieur' ou 'premier', par suite ce qui est 'fondamental'. Le npon:pov est un concept de relation, plus exactement un comparatif (que marque -TEPOV en grec) : il désigne un rapport de plus grande antériorité en regard de ce qui est postérieur, ÜO'TE:pOV, c'est-à-dire a posteriori. Philosophiquement, le npoTEpov, le 'plus antérieur', c'est le rapport du npWTov, du principe, à ce qu'il fonde, à ce qui en dérive. L'origine platonicienne de cette conception est bien établie', mais c'est le disciple le plus analytique de Platon, Aristote, qui l'a transmise à la postérité philosophique. Le chapitre 12 des Catégories et le onzième chapitre du livre Delta de la Métaphysique passeront en revue plusieurs significations du npon:pov. La distinction la plus féconde et la plus intrigante est celle du npon:pov UO'E1., selon la nature, et du npoTEpov npoç nj!Qç, de ce qui est 2 antérieur pour nous • Il y a, note Aristote, opposition entre ces deux modalités du npoTEpov: ce qui est premier pour nous, ce sont les objets les plus rapprochés des sens, donc le particulier. Mais selon l'ordre de la nature, ce qui est premier, ce sont plutôt les objets les plus éloignés de la sensation, c'est-à-dire les causes les plus universelles. Le npon:pov selon la nature sera appelé npon:pov ànAWç (Met., 1018 b 31), l'a priori au sens absolu, le npon:pov proprement dit. Le npon:pov par excellence, c'est ainsi le npoTEpoV selon la nature et l'être (xaTà q,uO"1.V xal oùO"{av, 1019 a 1-2). Ce qui certifie la relation d'antériorité selon l'être, c'est que les choses antérieures «peuvent 1. Cf. H.J. Kramer, Der Ursprung der Geistesmetaphysik, Amsterdam, B.R. Grüner, 1967, 106-108. 2. Cf. Anal. Post., I, 2, 71 b 33 sq.; Met., V, 11, 1018 b 30 sq. En une terminologie kantienne, on pourrait presque parler d'un a priori objectif et d'un a priori subjectif.

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exister indépendamment d'autres choses, tandis que les autres choses ne peuvent exister sans elles» (1019 a 3-4), suivant un critère qu'Aristote dit emprunter à Platon. l L'analyse aristotélicienne renferme deux éléments qui resteront déterminants tout au long de 1'histoire de l'a priori. Elle affirme tout d'abord la souveraineté absolue de l'a priori (ànÀwç, aVEU aÀÀwv, 1019 a 3), l'autosuffisance de l'a priori qui le rend en un sens inexplicable, c'est-à-dire indémontrable en d'autres termes que les siens. Elle souligne d'autre part la dépendance de l'a posteriori en regard de l'a priori, celui-ci étant la cause de celui-là. La quête du npon:pov a partie liée avec la recherche des causes, des éléments ou des principes qui définit la 'philosophie première' (pléonasme si tant est que la philosophie n'a d'autre visée que le npoTEpoV). Le npoTEpoV signifie au sens propre la priorité irréversible de la cause sur ses effets (Categ., 14 a 35 sq.), ce dont la consécution dans l'être n'admet aucune inversion. On trouve donc en germe chez Aristote l'idée que la connaissance a priori part des causes pour expliquer les effets et que la 2 connaissance a posteriori doit remonter des effets aux causes. L'assimilation de l'a priori et de l'a posteriori à deux types d'arguments philosophiques ne s'élaborera cependant que dans l'aristotélisme médiéval. Chez Thomas d'Aquin, par exemple, l'a priori et l'a posteriori désigneront les deux voies de la démonstration des causes. «Duplex est demonstratio. Una quae est per causam, et dicitur propter quid, et haec est per priora simpliciter. Alia per effectum, et dicitur demonstratio quia: et haec es per ea quae sunt priora quoad nos, cum enim effectus aliquis nobis est manifestior quam sua causa, per effectum procedimus ad cognitionem causae» (Summa theol., I, q. 2, art. 2, Respondeo). La preuve a priori procède des causes, du npoTEpoV UO'E1., à ses effets, tandis que la démarche a posteriori retourne des effets, le npoTEpoV npoç nj!Qç, à leurs causes.

1. Puisqu'on ne retrouve dans les dialogues platoniciens que des allusions à cette distinction, il n'est guère douteux qu'Aristote se réfère ici, comme le plus souvent dans la Métaphysique, à l'enseignement oral de Platon, dont la relation proteron-usteron était l'une des pièces maîtresses. Cf. H.J. Kramer, ibid., 106-108 et surtout l'étude, indispensable pour l'intelligence de la genèse de la pensée du Stagirite, «Aristoteles und die akademische Eidoslehre. Zur Geschichte des Universalienproblems im Platonismus », in Archiv für Geschichte der Philosophie,

55,1973,119-190.

2. Cf. l'article «a priori» in Historisches Worterbuch der Philosophie, hrsg. von J. Ritter, Basel/Stuttgart, Schwabe,'Bd. I, 1971,463.

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\ ~, . . Sous la loupe de Kant, Hume est essentiellement celui qui a mis en l t", "".{: ~I 'cause l'idée même d'une connaissance a priori et par conséquent la ':.. . \ 1 f) ~ ~ philosophie au sens traditionnel, parménidien, du terme. De Hume, ~ ,) «on peut dire qu'il commença véritablement toutes les attaques contre les droits d'une raison pure, attaques qui rendaient nécessaire un examen complet de ceux-ci» (C.R.Prat., Ak., V, 50; O., II, 669). «Depuis les essais de Locke et de Leibniz, ou plutôt depuis l'origine de la métaphysique, aussi loin que remonte son histoire, il ne s'est produit aucun événement qui ait pu être plus décisif à l'égard du destin de cette science que l'attaque portée contre elle par David Hume» (Prol., Ak., IV, 257; O., II, 19-20). Hume représente ni plus ni moins que l'assaut le plus dévastateur qu'ait eu à subir la métaphysique, «aussi loin que remonte son histoire», c'est-à-dire jusqu'à Aristote, Platon et Parménide. Le, scepticisme humien se ramène à la thèse suivante, bien qu'elle ne se trouve nulle part chez Hume lui-même: il n'y a pas de connaissance a priori. Selon ce scepticisme, grossi dans la perspective '1

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1. M. Malherbe (Kant ou Hume ou la raison et le sensible, Paris, Vrin, 1980, 20) a donc raison d'écrire que «quelle que soit sa dette historique envers la philosophie humienne, il est certain que c'est à travers la figure du philosophe écossais que Kant tente de fixer sa relation à l'histoire de la philosophie».

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de Kant, mais afin de radicaliser Hume, «toutes les prétendues connaissances a priori de la raison ne sont que des expériences communes faussement estampillées, ce qui s'énonce tout aussi bien ainsi: il n'y a point du tout de métaphysique et il ne saurait non plus y en avoir» (Prol., Ak., 258; O., II, 20). Pas de métaphysique, donc pas de savoir fondamental et pas de science qui dépasse le champ restreint des faits particuliers et contingents, lesquels ne sauraient satisfaire la disposition naturelle qu'est en notre esprit le besoin métaphysique. Kant admet devoir généraliser le défi que pose Hume afin de faire apparaître en toute son aporie l'embarras de la métaphysique. Selon Kant, Hume s'était surtout penché sur la question, capitale, mais limitée, de l'origine du concept de causalité. Cette notion transcende l'expérience proprement dite puisqu'elle renferme l'idée d'une liaison nécessaire entre la cause et l'effet, nécessité que l'expérience, le rationalisme l'a toujours su, ne peut jamais attester. Méfiant vis-à-vis des capacités de la raison pure, Hume fit dériver la notion ae causalité de la simple habitude dans des analyses d'une grande finesse dont il n'est peut-être pas inutile de récapituler ici le mouvement général. Hume constate pour commencer que la notion de causalité en est une qui nous fait quitter le cadre de l'observation immédiate. Lorsque nous prétendons qu'il y a relation de cause à effet entre un objet A et un autre B, nous avons beau retourner A et B dans tous les sens et analyser toutes 1 leurs propriétés, nous n'y rencontrerons jamais l'idée de causalité • Cette notion ne peut être induite que de la relation entre les deux objets ou événements observés. On remarque que les objets dits en relation de cause à effet sont contigus et qu'il yale plus souvent priorité de la cause sur l'effet. A-:t-on bieI!cel11é la relation de causalité à l'aide des notions de contiguïté et de succession? Nullement, car «an object may be contiguous and prior to another, without being consider' d as its cause» (ibid., 77). La relation de causalité dit plus: elle soutient qu'il y a connexion nécessaire entre la cause et l'effet. Cette idée n'étant pas directement rencontrée dans l'expérience, il y a lieu de s'interroger sur son origine, étant donné qu'il est «impossible perfectly to understand any idea, without tracing it up to its origin, and [c'est-à-dire :] examining that primary impression, from which it arises»; «the examination of the impression bestows a clearness on the idea» (7475). Pour un empiriste, expliquer une idée, c'est rendre compte de l'impression originaire, sensible, qui lui a donné naissance. A moins de 1. D. Hume, A Treatise of Human Nature, ed. by L.A. Selby-Bigge, second edition, Oxford, Clarendon Press, 1978, 75.

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supposer, comme le fera Kant, que le concept de causalité n'ait pas sa source dans une impression? Hume rejette cette hypothèse: «Shal! the despair of success make me assert, that 1 am here possest of an idea, which is not preceded by any similar impression? This wou' d be too strong a proof of levity and inconstancy : sin ce the contrary principle has been already so firmly establish' d, as to admit no farther doubt »(77). Ce principe, l' a priori, pourrait-on dire, du système empirique, stipule que «al! our ideas are copy' d from our impressions» (72). La causalité ne saurait faire exception. L'impression dont aura été distillée l'idée de causalité est celle de la conjonction constante, extrapolée en conjonction nécessaire. La simple observation de deux objets, quelle que soit leur relation, ne nous fournira jamais l'idée d'une connexion nécessaire entre eux. C'est seulement la répétition d'une succession d'événements qui se ressemblent, sans être identiques, qui nous suggère l'idée d'une conjonction nécessaire ..A-pr.oprement parler, et Kant sera toujours d'accord avec Hume sur ce point essentie..l, l'idée de connexion nécessaire n'existe que dans l'esprit. De lai conjonction constante de deux objets, nous inférons que l'un est la 'cause' de l'autre, inférence qui ne repose, estime Hume, sur rien d'autre que l'habitude. La nécessité que veut exprimer la causalité est le fruit d'un sentiment subjectif, dépourvu de réalité objective, car rien: ne nous assure que les événements qui étaient en relation constante dans le passé le seront aussi à l'avenir. Il en résulte que les jugements de causalité, comme tous les jugements de connaissance, ne sont toujours" que probables: «ail knowledge resolves itself into probability ».1 Aux yeux de Hume, le fait que la causalité soit le résultat d'une habitude de notre esprit, ne produisant aucune certitude, ne peut être que fatal pour la métaphysique et son objet. Non seulement la connaissance doit-elle toujours se fonder sur une impression sensible, 'physique', mais la recherche des causes ultimes, qui caractérise la métaphysique et l'esprit humain en général, apparaît soudain sans objet véritable. Il est absurde de rechercher les causes dernières des phénomènes, car la notion de cause n'est rien d'autre qu'une détermination particulière de notre esprit. Donnons encore une fois la parole à Hume: «Nothing is more curiously enquir' d after by the mind of man, than the causes of every phaenomenon ... And how must we be disappointed, when we learn, that this connexion, tie or energy lies merely in ourselves, and is nothing but that determination of the mind, 1. Ibid., 181. Selon Hume, cela est également vrai des mathématiques (ibid.), thèse que viendra bien sûr corriger l' Inquiry en 1748.

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which is acquir' d by custom, and causes us to make a transition from an object to its usual attendant, and from the impression of one to the lively idea of the other? Such a discovery not only cuts off ail hope of ever attaining satisfaction, but even prevents our very wishes; since it appears, that when we say we desire to know the ultimate and operating principle, as something, which resides in the external object, we either contradict ourselves, or talk without a meaning» (266-7). La métaphysique ou la recherche des causes, de ce qui est fondamental et de ce qui pourrait prétendre au titre d'a priori, proviendrait d'un malentendu de la raison avec elle-même. On croirait lire le Tractatus de Wittgenstein: la recherche d'une vérité ultime ou a priori est non seulement inassouvissable, mais sans objet. L'a priori, et la philosophie, s'en trouve pulvérisé. Fin de la métaphysique. Selon Kant, cen'est pas parce qu'elle n'a pas d'obj~!gu,~!a!11éta­ physique est en péril, mais parce qu'ell~ n'a: paspns"le soin de définir les conditions depossibilité d;"une connaiss~èë"de'son-obIèt: iëq~ëCêst non seulemeIltr~el, ilU sens de" ce qui est rechercli~~i!iàiriièç~~saire, si tant est qu'il relèv~"d'une" construction d.en(;t~e esprit: com~e le montrera la Dialectique transcendantale. Cen'est pas·parce que l'idée d'une cause dernière des phénomènes est une production de notre esprit, ce que Kant accorde volontiers à Hume, qu' elle est de ce fait privée de réalité objective. La question que le métaphysicien doit se. : poser est seulement celle de savoir comment il est possible de fonder la. // légitimité d'une connaissance a priori, sans assises expérimentales. La boîte de Pandore qu'ouvre Kant découvre le problème de la validité des notions et des jugements que ne saurait valider aucune observation empirique. Le scepticisme humien fait non seulement vaciller l'objectivité de la relation de causalité, il peut être aisément élargi à tout le domaine de la raison pure, celui que revendique la métaphysique: «je tentai donc d'abord de voir si l'objection de Hume ne se laissait pas représenter sous une forme générale, et je trouvai bientôt que le concept de l'enchaînement de la cause et de l'effet était loin d'être le seul grâce auquel l'entendement conçoit a priori des connexions entre les choses, bien plus, que la métaphysique en était tout entière constituée» (Prol., Ak., IV, 260; O., II, 23). Secoué par Hume, Kant s'avise que la métaphysique dans son ensemble se résume à des prétentions (synthétiques) a priori, dont les fondements n'ont, jamais été assurés. Sur quoi reposent les propositions métaphysiques 1 et, plus globalement, la connaissance a priori? Sur un 'lumen 1

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naturale'? Une intercession divine? Ou sur du sable? Avec cette question, c'est toute la tradition philosophiqué de Parménide à Leibniz qui se trouve mise en question, sommée de comparaître devant le «tribunal de la raison» 1 afin de justifier une fois pour toutes ses ambitions. La réponse au point d'interrogation qu'est devenu l'a priori sera la Critique de la raison pure. Elle tentera de répondre à la question de la légitimité de l'a priori, que Hume jugeait sans doute insoluble parce que sans objet. Il faut dire que Hume s'était très peu soucié de la question de l'a priori comme 2 telle • Il ne perd pas beaucoup de temps à étayer son incrédulité devant 3 les idées innées des rationalistes et il n'accorde en général aucune 4 créance aux çé!Jlaci~~s c.~it~.,de la raison laissée à elle-même • C'est que, dans la perspectiVe-de Hume, l'impossibilité d'un savoir a priori n'a rien de tragique, la disgrâce de l'a priori ayant été plus que compensée par l'essor de la science expérimentale depuis Bacon. L'expérience vient à la fois démentir et remplacer l'a priori 5. Le Treatise n'a d'ailleurs d'autre but, comme l'annonce son sous-titre (éduction.

1. On se reportera encore à M. Foucault, op. cit., 254-6.

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transcendantale en général », commun, pour l'essentiel, aux deux éditions. Kant relève tout d'abord la particularité de son propos en se réclamant de l'acception. du terme 'déduction' dans la pratique juridique. La déduction se préoccupe d'une question de droit, celle de la légitimité du savoir a priori. Ce type de preuve, réactualisé depuis Strawson sous le titre d"argument transcendantal', ne connaît pas d'antécédents avant Kant. Il est donc difficile d'en circonscrire la nature et les réquisits. Négativement, un argument transcendantal en est un qui ne repose pas sur l'expérience (A 95 = B 126; O., l, 849). Cela va de soi, la connaissance a priori ne pouvant être fondée sur l'expérience (c'est plutôt l'a priori, selon le nerf de l'argumentation kantienne, qui rend l'expérience possible). Pour la tradition philosophique, un argument qui ne se base pas sur l'expérience est un argument par raison pure, un raisonnement ou un syllogisme purement conceptuels. L'argument transcendantal de Kant se confondil avec une preuve strictement rationnelle? On pourrait penser que oui, d'autant que Kant, professeur de logique et de métaphysique, use abondamment du syllogisme dans le corps de la Déduction de même que dans les preuves des principes de l'expérience qui composeront l'Analytique des principes (et dont la possibilité, comme nous l'indiquerons, dépend directement de la déduction). Le problème, c'est que Kant, tout au long de son oeuvre critique, semble avoir précisément discrédité les preuves purement conceptuelles, dépourvues d'assises intuitives. Le philosophe qui nous a appris à nous méfier des châteaux de cartes conceptuels de la métaphysique retombe-t-il dans le travers qu'il condamne dans le chapitre qu'il sait être le plus essentiel (A XVI; O., I, 730) de sa Critique? Le recours au contexte juridique de l'interrogation quid juris révèle que Kant choisit plutôt d'emprunter une voie mitoyenne. Selon 1 R. Bubner , que nous suivons ici, si Kant se réclame de la pratique juridique, c'est justement pour introduire une nouvelle forme de preuve en philosophie qui n'est pas celle du syllogisme purement logique. C'est pourquoi nous avons bien affaire à une 'déduction' et non à une 'démonstration'. Son but est d'établir le 1:~oit - la légitimité, la justification - d'une connaissance a priori des phénomènes. 1. «L' autoréférence comme structure des arguments transcendantaux» in Les Etudes philosophiques, 1981, 385-397. Pour la version originale allemande, augmentée, de ce texte cf. «Selbstbezüglichkeit aIs Struktur transzendentaler Argumente», in Kommunikation und Reflexion, hrsg. von W. Kuhlmann und D. Bohler, Frankfurt a. M., Suhrkamp, 1982,304-332.

lA DÉDUCTION TRANSCENDANTALE

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Cette déduction ne procédera pas de manière démonstrative, mais en faisant appel à l'auto-compréhension des sujets connaissants (un peu comme un avocat peut tenter de défendre l'inculpé en faisant valoir que tous auraient agi de la même manière dans sa situation). La déduction transcendantale en appelle donc à chacun d'entre nous en nous mettant en demeure d'expliquer autrement (que par le recours à l'a priori préconisé par Kant) la possibilité de l'expérience. C'est ce que Bubner nomme l'autoréférence essentielle à l'argumentation transcendantale. C'est un type de preuve que K.-O. Apel a vigoureusement remis en vogue dans sa pragmatique transcendantale et qui consiste à identifier les conditions rationnelles du discours qu'un interlocuteur ne peut nier sans entrer en contradiction avec lui-même CApel parle dans ce cas d'une «auto-contradiction pragmatique» 1). Par sa déduction, Kant nous convie à une argumentation originale, dont la spécificité et la cohérence sont par conséquent difficiles à déterminer. La réflexion contemporaine, aussi bien dans les traditions herméneutique qu'analytique, est encore en train de soupeser la nouveauté et la faisabilité d'arguments à caractère transcendantal. A travers cette problématique, c'est toute la question de la légitimité du savoir qui est sur le tapis. Comment rendre compte rationnellement de l'objectivité du savoir? Qu'est-ce qui nous autorise à soutenir, par exemple, que le savoir scientifique est plus objectif que celui du mythe ou que la physique est plus rigoureuse que l'astrologie? Pour répondre à ces questions, il faut s'aventurer dans l'univers d'une argumentation qui s'interroge sur les présupposés de la science et du savoir. Cette réflexion sur les pré-supposés, sur l'a priori, relève en propre de la philosophie. On pourrait même avancer que la philosophie n'est rien d'autre que le déploiement d'une telle argumentation transcendantale, si tant est qu'elle aspire à dire quelque chose de fondamental à propos du réel et de notre discours sur lui. Quels seront les critères d'une argumentation qui roule sur les fondements? La question demeure béante pour la philosophie contemporaine. Kant, quant à lui, exprime très clairement le principe sur lequel doit se fonder une déduction de l'a priori : «la déduction transcendantale de tous les concepts a priori a donc un principe sur lequel doit se régler toute la recherche, c'est celui-ci: ils doivent être reconnus 1. Cf. K.-o. Apel, «Das Problem einer philosophischen Theorie der Rationalitiitstypen», in Rationalitiit, hrsg. von H. Schnadelbach, Frankfurt a. M., Suhrkamp, 1984,23.

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comme conditions a priori de la possibilité des expériences (soit de l'intuition qui s'y trouve, soit de la pensée)>> (A 94 = B 126; O., l, 849), ou de l'expérience, suivant le singulier d'ordinaire utilisé par Kant (c'est pourquoi Erdmann propose de laisser Erfahrung au singulier dans ce texte). Le problème de la déduction, celui de la valeur objective des catégories, donc celui de la légitimation de l'a priori (c'est-à-dire, pour Kant, du jugement synthétique a priori), ne pourra être résolu que si l'on pose comme fondement le principe de la possibilité de l'expérience. La compréhension de la déduction dépend du sens qu'il convient de prêter à l'expression «possibilité de l'expérience» ou à ce que Kant appelle aussi «l'expérience possible». Ces formules résument l'équivoque de la thèse kantienne sur l'a priori: alors même qu'il est question, enfin, des lettres de créance de l'a priori, voici que Kant choisit de faire appel à l'expérience! L'a priori, source de l'universalité et de la nécessité, et l'expérience, dont l'universalité ne peut être que relative, disait l'Introduction, s'engagent en une mystérieuse symbiose qui risque de les rendre méconnaissables. Le recours à l'expérience possible dans le but de justifier l'a priori ne pouvait manquer d'induire bien des commentateurs en erreur. La plupart y ont vu, conformément à l'option empiriste de la Critique, un renvoi à l'expérience actuelle comme pierre de touche de la validité des concepts purs: les catégories auraient une valeur objective parce qu'elles sont confirmées par l'expérience ou, thèse que certains passages de Kant paraissent accréditer, quand elles s'appliquent à des données de l'expérience. Ces conceptions vont manifestement à l'encontre de l'inspiration et des principes de la déduction définis par Kant. Une preuve empirique des concepts purs - lesquels élèvent une prétention d'universalité et de nécessité strictes qu'aucune expérience ne saurait satisfaire - est foncièrement contradictoire, car leur usage, explique Kant, «doit être complètement indépendant (ganzlich unabhangig) de l'expérience» (A 86 = B 119; O., I, 844). Comment entendre alors le principe de la possibilité de l'expérience? Il faut tout d'abord comprendre que l'expérience possible et la possibilité de l'expérience ne signifient pas des renvois à l'expérience actuelle, mais qu'ils désignent une unité conceptuelle, une 'construction' a priori de l'entendement l • Aucun terme n'est bien sûr

1. L'Opus postumum (Ak., XXII, 336; tr. citée, 78) le dira bien: «Un tel système de l'empirique n'est pas lui-même empirique, mais à son fondement il y a a

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LA DÉDUCfION TRANSCENDANTALE

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plus embarrassant chez Kant que celui d'expérience. On s'accorde à reconnaître que cette expression, dans son acception proprement kantienne, ne désigne pas le plus souvent l'expérience au sens empiriste, où elle n'est qu'un synonyme de termes comme perception, impression ou observation l • Chez Kant, l'expérience fonctionne plutôt comme un synonyme de connaissance et parfois de la «connaissance empirique », surtout dans la seconde édition\ où Kant apparaît soucieux de mettre en valeur la portée empiriste de sa pensée afin d'atténuer l'impression idéaliste qu'avait laissée la première édition auprès des critiques. L'expérience n'en est pas moins régulièrement présentée comme une production de l'entendement (> (A 839 = B 867; O., I, 1389). Et «la plus haute philosophie, par rapport aux fins essentielles de la nature humaine, ne peut pas conduire plus loin que ne le fait la direction qu'elle a remise à l'entendement commun» (A 831 = B 859; O., I, 1384). Prolongeant l'impulsion qu'il a reçue de Rousseau, Kant incite la philosophie à délaisser les subtilités scolaires qui n'intéressent personne afin de défendre les intérêts les plus vitaux de la raison, aussi bien contre sa réduction empiriste que contre son détournement rationaliste.

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La doctrine kantienne de l'a priori aboutit donc à une redéfinition de la philosophie et à une accentuation pratique de la métaphysique. Les postulats métaphysiques de l'existence de Dieu et de l'immortalité ne sont légitimes que parce qu'ils s'inscrivent dans la logique du seul a priori positif de la raison, la loi morale. Seul l'a priori moral rend praticable un dépassement de l'expérience et l'hypothèse de deux principes transcendants. Mais ce résultat de la réflexion kantienne sur les a priori de notre raison est-il compatible avec la leçon de la Déduction transcendantale, qui limitait sans équivoque le champ du savoir a priori à celui de l'expérience possible, selon le texte de B 166 que Kant n'avait pas manqué de souligner: «il n 'y a de connaissance a priori possible pour nous que celle d'objets d'expérience possible»? Cette thèse dit bien qu'aucun savoir a priori ne peut outrepasser l'horizon de l'expérience possible. C'est se tirer d'affaire à trop bon compte que de déclamer que les postulats relèvent du 'pratique' et non du théorique, car les propositions «il y a un Dieu, il y a une vie future» nous livrent bien un enseignement, une 'doctrine', qui est nécessairement d'ordre théorique (la preuve c'est qu'une métaphysique en sera possible), même si sa pierre de touche réside bel et bien dans un commandement pratique. Comment concilier le 'résultat' de la Déduction et celui de la Méthodologie, qui prête une réalité objective aux postulats métaphysiques, donc a priori, de l'immortalité et de l'existence de Dieu? Les dernières pages de la Critique ont-elles choisi d'ignorer le message de la Déduction, pièce maîtresse de la logique de la vérité? Il nous semble que non et que Kant était bien plutôt tout à fait conscient de la compatibilité de ses 'deux' thèses sur l'a priori. C'est pour souligner la cohérence de son entreprise critique qu'il prend la peine d'écrire, presque stratégiquement, dans le Canon de la raison pure - en conformité avec le libellé de B 166 - que les principes tirés de la raison pratique sont «des principes de la possibilité de l'expérience» CA 807 = B 835; O., l, 1367). A l'instar de la métaphysique théorique de la nature, celle de l'Analytique, la métaphysique pratique a pour fonction d'épeler les conditions de l'expérience possible, expérience qui n'est pas uniquement celle de la science physique newtonienne, comme on le proclame souvent, mais qui est aussi, et primordialement, celle de la praxis. Et pour Kant, cette 'expérience pratique' est celle de la liberté. Présentée parfois comme la troisième grande idée de la raison avec Dieu et l'immortalité, la liberté

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al' avantage, dit Kant, d'être la seule des idées qui soit directement démontrée par l'expérience (A 802 = B 830; O., l, 1363). La liberté pratique avait été définie, dans l'Antinomie, comme l'indépendance de la volonté par rapport à la contrainte des pulsions de la sensibilité (A 534 = B 562; O., l, 1168). Le simple fait qu'il nous arrive de délibérer de ce qui est désirable, bon ou raisonnable, suffit pour établir l'existence de la liberté pratique. L'expérience possible qui intéresse la métaphysique du pratique est donc celle de la liberté. La méditation sur les a priori de la liberté n'aura qu'à montrer que la loi morale en incarne le principe et le souverain bien le telos. Les postulats du souverain bien ne sont par conséquent que des conditions de l'exercice de la liberté. Leur usage, estime Kant, reste donc tout à fait immanent1• Ce n'est pas la pénétration théorique, mais l'accomplissement de la liberté que vise à satisfaire la métaphysique des postulats de la raison pratique. Selon la première Critique, les postulats peuvent même servir de mobiles à notre liberté. Sur ce point, les propos de 1781 divergent de la doctrine officielle de la Critique de la raison pratique qui ne connaîtra plus d'autre mobile que celui du respect pour la loi morale. La Méthodologie de la Critique de la raison pure est moins rigoriste et plus proche de la morale classique: «Sans un Dieu et sans un monde qui n'est pas maintenant visible pour nous, mais que nous espérons, les magnifiques idées de la moralité peuvent donc bien être des objets d'approbation et d'admiration, mais ce ne sont pas des mQbiles (Triebfedern) de l'intention et de l'exécution, parce qu'elles n'accomplissent pas la fin entière qui est assignée a priori précisément par cette même raison pure et qui est nécessaire» 2 • Tout en signifiant des conséquences du principe déterminant de l'agir, la loi morale, les deux articles de foi de la Critique n'en sont pas moins indispensables en tant que mobiles potentiels de la liberté. Ils font partie du «système de la liberté» (A 815 = B 843; O., l, 1373) qui définit les conditions de possibilité de l'expérience pratique.

1. A 819 = B 847; O., I, 1375: «La théologie morale n'a donc qu'un usage immanent, celui qui fait que nous accomplissons notre destination ici dans le monde, en nous adaptant au système de toutes les fins». 2. A 813 = B 841; O., I, 1371. L'éthique de la première Critique se réclame donc expressément d'un «système de la moralité qui se récompense ellemême» (A 809 = B 837; O., I, 1368), estimant que la supposition d'un sage gouverneur du monde est une «nécessité pratique» afin «de donner [aux lois morales] leur effet» (A 818 = B 1375; O., I, 1375).

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que Kant comptait s'attaquer après avoir complété son entreprise propédeutique, la critique transcendantale, qui devait déblayer le terrain en vue de l'édification d'une philosophie transcendantale, c'està-dire d'une métaphysique de la nature et des mœurs. Dans la préface de 1781, Kant promettait la parution, prochaine puisqu'il en déterminait déjà la longueur, d'un «système de la raison pure (spéculative) sous le titre de Métaphysique de la nature, système qui, sans avoir même la moitié de l'étendue de la Critique, doit avoir cependant un contenu incomparablement plus riche que celle-ci» (A XXII; O., I, 733). Cette métaphysique de la nature, dont on aperçoit des traces dans l'Opus postumum, n'a jamais vu le jour. Elle ne se trouve pas dans les Premiers principes métaphysiques de la science de la nature de 1786,1 puisque Kant promet encore une métaphysique de la nature en 1790 • C'est donc la métaphysique des mœurs qui a accaparé la réflexion kantienne dans la foulée de la critique transcendantale de 1781. La seule métaphysique publiée par Kant en aura été une des mœurs, celle de 1797, mais dont les fondements essentiels avaient été exposés dans la Grundlegung, les Critiques de 1788 et 1790 et la Religion. Si Kant a finalement choisi de privilégier l'éthique, c'est sans doute parce qu'il s'est lui-même peu à peu convaincu de l'insuffisance d'une métaphysique purement théorique, qui avait certainement dominé la première Critique, mais pour en sortir profondément humiliée. Sous l'influence de Rousseau et peut-être aussi des événements de la Révolution française, Kant s'est de plus en plus tourné vers les possibilités proprement pratiques de l'a priori. C'est que la rationalité pratique est la seule dont l'humanité ait un urgent besoin. On a vu la raison théorique échouer dans sa tentative d'atteindre l'Inconditionné par la seule spéculation. Mais les Inconditionnés qui comptent vraiment sont ceux qui proviennent de l'ordre éthique. C'est ici, dans l'univers de la liberté, que réside le véritable et unique impératif de la raison, le principe de l'universalité qui doit conduire au «bonheur universel», la «fin capitale» (A 851 = B 879; O., I, 1398). Nous restons kantiens quand nous reconnaissons les limites, sinon la vanité, de la spéculation théorique et quand nous misons plutôt sur les ressources d'une rationalité pratique qui concerne la réalisation concrète de la liberté et du bonheur humains.

La thèse kantienne sur l'a priori se maintient donc selon sa rigueur propre dans les deux volets de sa métaphysique, de la nature et des mœurs. Dans les deux cas, l'a priori qui intéresse la raison ne se dit pas transcendant, mais immanent: ce qu'il vise, c'est d'abord la rationalisation de l'univers de la science et de l'univers de la liberté suivant des principes, des a priori ou des intérêts propres à chacun de ces domaines. La question philosophique de l'a priori en ressort transformée. Depuis Kant, l'a priori n'a plus trait à un monde idéel et transcendant, coupé de nos intérêts, mais aux conditions de rationalité de la science et de l'agir. La philosophie contemporaine peut toujours s'inscrire dans cette réorientation de l'a priori pratiquée par Kant. S'interroger sur l'a priori de la science aujourd'hui, c'est s'enquérir des paramètres d'objectivité qui permettent de distinguer, à des fins critiques, le savoir scientifique de l'opinion ou du mythe. Et se pencher sur l'a priori de l'agir, c'est tenter d'élucider les critères et les orientations de l'action, les normes susceptibles de fonder aussi bien notre jugement que nos décisions éthiques et politiques. Quel être humain voudrait renoncer à l'idée d'un savoir scientifique et à celle d'un agir éclairé, donc responsable? Selon la logique des trois Critiques, l'activité humaine qui ne relève ni de la théorie ni de l'agir moral est celle qui pourra appartenir à 1'horizon esthétique. Ses a priori peuvent être circonscrits une fois qu'a été cernée la rationalité du pratique et du cognitif. La sphère esthétique, que Kant n'a fait qu'ouvrir, et c'est déjà grand, ressortit à une autre forme de rationalité, probablement à une l sphère où le terme de rationalité trouve sa limite • Voilà sans doute pourquoi Kant a finalement renoncé au projet, qu'il paraît avoir 2 entretenu avant 1790 , d'une métaphysique doctrinale qui aurait correspondu à la troisième Critique. Soupçonnant que l'esthétique présage un autre ordre, qu'il incombera .1UX deux siècles postkantiens de parcourir, Kant a préféré restreindre sa réflexion proprement métaphysique aux principes constitutifs de la science et de l'agir. C'est à cette double métaphysique 1. Sur la découverte de l'espace esthétiqc.e au dix-huitième siècle comme façon de se soustraire à l'oppressante exigence de rationalité dans les domaines de la science et de l'agir, cf. O. Marquard, «Der angeklagte und der entlastete Mensch in der Philosophie des 18. Jahrhunderts», in O. Marquard, Abschied yom Prinzipiellen, Stuttgart, Reclam, 1981,39-66; tr. «L'homme accusé et l'homme disculpé dans la philosophie du xvme siècle», in Critique, 413, octobre 1981, 1015-1037. 2. Cf. l'Introduction d'A. Philonenko à sa traduction de la Critique de la faculté de juger, Paris, Vrin, 1974, 7 s.

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1. C.F.J., Ak., V, 170; O., II, 921. Cf. H.J. De Vleeschauwer, op. cit., t. III, 563 et F. Marty, op. cit., 523.

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Kant n'a jamais renié les a priori de la science; mais ces a priori ne sont des a priori que pour l'entendement qui doit se contenter d'épeler les phénomènes, précieuse entreprise, mais qui ne satisfera pas notre raison, dont les intérêts, pratiques, doivent se faire entendre en philosophie. La raison n'est législatrice que dans l'univers pratique, insistera la troisième Critique. Dans l'esprit de Kant, cette vocation pratique de l'a priori rationnel permet aussi de répondre aux aspirations proprement métaphysiques et, ultimement, théologiques de la raison. La voie de la raison pratique représente la seule issue qui soit encore à la disposition de la métaphysique. Dans des passages qui rappellent les textes où la révolution copernicienne s'était offerte comme la dernière chance de l'a priori théorique, Kant déclare que l'orientation pratique demeure le seul tremplin qui puisse encore nous mener à la transcendance: «Il ne reste donc à la raison qu'une seule manière de procéder pour parvenir à cette connaissance [celle de l'existence de Dieu], c'est de déterminer son objet en partant comme raison pure du principe suprême de son usage pratique pur» 1. La dernière carte de l'a priori rationnel, celui de l'éthique, permet aussi de clarifier son enjeu et sa direction. A la suite de la critique kantienne de la pure raison, It'champ de l'a priori s'est rétréci, mais pour se préciser et prendre une mesure proprement finie. Dorénavant, l'a priori se trouve au service des intérêts élémentaires de l'humanité, qui sont aussi ceux du sens commun: il vient fonder le caractère inviolable ou inconditionné des colonnes du savoir scientifique et de l'éthique, les postulats nécessaires, donc a priori, de l'agir et du connaître. L'a priori, qui paraissait hors de portée pour un être fini et soumis à la contingence de l'expérience (c'était le meilleur argument contre lui), finit par se définir en fonction de la finitude humaine. C'est tout le sens d'une métaphysique des intérêts de la raison. Non seulement le champ de la métaphysique se voit-il réduit aux questions qui intéressent au premier chef la raison (Dieu, l'âme et la liberté), l'idée même d'une science fondée sur l'intérêt témoigne de la part qui revient à la finitude dans la constitution d'une métaphysique à visage humain. La notion d'intérêt, définie comme «un mobile de la volonté, pour autant qu'il est représenté par la raison» , ne peut« s'appliquer qu'à des êtres finis» (C.R.Prat., Ak., V, 79; O., II, 704-5). Ce n'est qu'à

travers la médiation d'une intention a priori, entendons d'un intérêt objectif de l'humanité, intérêt moral, que la philosophie, doctrine du souverain bien, peut élargir l'horizon de ses connaissances synthétiques par raison pure. La finitude est devenue la condition de possibilité de la métaphysique, le nerf de l'a priori.

1. C.R.Prat., Ak., V, 139; O., II, 777. Cf. déjà A 796 = B 824; O., J, 1358-9 : «on peut espérer pour elle [la raison] un plus heureux succès sur la seule voie qui lui reste encore, celle de l'usage pratique».

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Le récit du destin de l'a priori depuis Kant n'a pas encore été écrit. Comme cette histoire est aussi celle de la philosophie postkantienne c'est sa plus rigoureuse définition - , elle nous est sans doute beaucoup trop contemporaine pour pouvoir déjà relever de l 'historiographie. La contemporanéité de cette question, et de cette histoire, témoigne de son ouverture. Le propos de ce dernier chapitre, dont la dernière ambition est de clore quoi que ce soit, sera de déblayer un chemin - sur la voie hegélienne ou heideggérienne d'un rappel (Wiederholung) de l'histoire - jusqu'à cette ouverture. Pensant avec l'herméneutique contemporaine que la Wirkungsgeschichte ou la postérité d'une question fait en un sens encore partie de l'œuvre qui l'a suscitée, nous tenterons de présenter ici, dans ses axes le plus souvent souterrains, une récapitulation représentative des modes de réception qui ont été réservés à la théorie kantienne de l'a priori et qui constituent autant de réponses au problème de la possibilité de la philosophie après Kant. A ce titre, cette postérité s'inscrit d'elle-même dans le programme annoncé par le titre 'Kant et le problème de la philosophie: l'a priori'. La nécessité de laisser transparaître la continuité secrète d'une problématique, souvent étouffée aujourd'hui, justifie à nos yeux la gageure d'une présentation forcément sommaire des thèses postkantiennes sur l'a priori. L'urgence de la question qui sera poursuivie ici rend impérieuse l'institution d'un dialogue direct entre Kant et ses successeurs sur le thème de l'a priori, compensant peut-être en partie l'injustice qui pourra être faite ici ou là à la lettre et très certainement au détail de ces pensées postkantiennes, c'est-à-dire contemporaines. Nous avons vu la thèse kantienne sur l'a priori déboucher sur une prise en compte radicale de la finitude, visible dans la réduction de l'a

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priori théorique à l'horizon limité et presque suffocant de l'expérience possible et dans l'assignation de l'a priori pratique, qui devient pour la première fois perceptible et assumable comme tel, aux intérêts de l'humanité. L'a priori n'est désormais pensable qu'en fonction de notre finitude, laquelle est devenue, pour ainsi dire, l'a priori par excellence, l'insurpassable horizon de notre expérience. La finitude, dont la mise hors jeu avait donné lieu à la méta-physique classique, revendique ses titres métaphysiques à la suite d'une critique de la raison pure qui a fait valoir la légitimité des a priori qui sont à la portée de l 'homme. Thèse qui ouvre à la philosophie l'espace de la question désormais fondamentale, «qu'est-ce que l'homme?», où l'on a bien vu la modernité et l'aboutissement du kantisme. La tâche de la philosophie future était relativement claire du point de vue de la Critique de la raison pure. La philosophie immédiatement postkantienne a choisi de ne pas poursuivre directement cette question de la finitude. La pensée de l'idéalisme allemand, comme on sait, a préféré développer, sur des bases qui se sont dites kantiennes, une philosophie de l'absolu, rien de moins. Ce renversement a quelque chose d'épique. La radicalisation kantienne de la finitude semble avoir ouvert la voie à une surenchère de l'absolu et d'une métaphysique d'autant plus euphorique, donc tragique, qu'elle sait en être à ses derniers épanchements. La censure de la métaphysique - et rien n'est plus logique - a déclenché la métaphysique la plus ambitieuse de toute l 'histoire de la pensée. Alors que Kant avait affronté la métaphysique sous l'angle de ses conditions de possibilité, de manière 'prolégoménatique' - qui en reste au parvis du temple, soupirera l'idéalisme - , la métaphysique postkantienne, magistrale et nécessaire en son ordre, se développera sans jamais se soucier de ses propres conditions de possibilité. Rarement 1'histoire de la philosophie, de l'a priori, aura-t-elle connu un rebondissement aussi radical. Ce qui complique et obnubile l'intelligence de ce retour en force de la métaphysique, c'est que la notion d'a priori, centrale chez Kant _ elle résume, en effet, l'enjeu de sa philosophie - , aura tendance à s'éclipser dans l'élaboration de la philosophie idéaliste. La philosophie cessera, ouvertement à tout le moins, d'être rivée à l'a priori. Pour une raison bien simple: la notion d'a priori est devenue embarrassante pour une philosophie moniste de l'absolu qui soit en même temps totalisante. La notion d'a priori est enchâssée dans une perspective dualiste qui apparaîtra insupportable à la philosophie de l'idéalisme

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complet. L'a priori renvoie en effet à un a posteriori, dualisme qui paraît interdire la saisie du réel dans sa totalité, foncièrement unitaire. «Seul le tout est le vrai », objectera génialement Hegel. On passe donc à côté du réel si on l'envisage à partir d'un a priori qui n'embrasse pas la totalité de notre expérience. Seulement, la pensée idéaliste - et c'est le fond commun que recouvre l'incessante polémique contre Kant ou, par déférence, contre les 'kantiens' - élève toujours une prétention au fondamental, à l'absolu justement. Donc à ce que la tradition a visé sous le nom d'a priori. L'a priori n'est pas tant l'horizon formaliste que l'idéalisme allemand aurait une fois pour toutes liquidé, mais son impensé, son non-problématisé fondamental et peut-être fatal, puisque c'est bien faute d'avoir rendu compte de ses propres conditions d'intelligibilité que le discours de l'idéalisme sur 1'.absolu a finalement été contraint de se dissoudre. Tentons d'en esquisser l'archéologie. Nous partirons de ce que la Critique de la raison pure a signifié pour ses contemporains. Pour les lecteurs des années 1780, rationalistes et éclectiques, Kant ce fut surtout celui qui détrôna ou voulut détrôner la métaphysique traditionnelle. Mendelssohn résume bien la situation intellectuelle de son temps lorsqu'il voit en Kant un «Alleszermalmer» \ celui qui broie tout. De fait, la critique de la raison a priori posait un défi de taille à la métaphysique, celui de sa crédibilité. Kant somme les métaphysiciens d'interrompre leurs spéculations et de s'attaquer de toute urgence au problème de la possibilité de la métaphysique comme science: «par suite, tous les métaphysiciens», déclare Kant, conscient d'avoir posé la question du destin de la métaphysique, «sont solennellement et légitimement suspendus de leurs fonctions jusqu'à ce qu'ils aient répondu de façon satisfaisante à la question: comment des connaissances synthétiques a priori sont-elles possibles?» (Prol., Ak., IV, 278; O., II, 45). Question cruciale pour la philosophie puisqu'elle s'enquiert des fondements qui nous autorisent à étendre notre savoir au-delà de la simple empirie, donc a priori. Les sciences s'occupent de l'expérience, la philosophie ou la métaphysique de l'a priori. Peut-on atteindre quelque chose de tel? On peut dire que la métaphysique traditionnelle ne s'est jamais vraiment remise de l'attaque que Kant lui a portée. Cette métaphysique, qui n'existe plus aujourd'hui à cause de Kant, dominait 1. M. Mendelssohn, Morgenstunden (1785), in Schriften zur Philosophie, Aesthetik und Apologetik, Nachdr. : Hildesheim, Georg Olms, 1968,299 .

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encore à son époque. Après avoir tenté d'ignorer la Critique pendant quelques années, les métaphysiciens de l'époque, provoqués, ont fini par réagir à l'affront critique. Mais au lieu de répondre à l'interrogation de la Critique de la raison pure, dont l'intention était finalement plus constructive que destructrice\ les collègues de Kant s'en sont directement pris à la philosophie critique. Plutôt que de méditer sur les fondements de la métaphysique, ils se sont interrogés sur les bases du kantisme. L'édifice de la 'philosophie transcendantale' , et pour cause, leur paraissait aussi obscur que vulnérable, d'autant que Kant ne justifiait pas toujours le sens de ses propres concepts et de ses distinctions épistémologiques. De quel droit, par exemple, Kant sépare-t-il de façon aussi nette les phénomènes et les choses en soi, la sensibilité et l'entendement, la forme et la matière de la connaissance? Ces interrogations, issues de l'orthodoxie leibnizienne, ont dominé la première réception de l'œuvre de Kant. Cette situation est un peu ironique: alors que la Critique voulait tout bonnement inaugurer un débat éclairé, toujours non résolu, sur les principes de la métaphysique, la discussion qu'elle a suscitée a surtout roulé sur les assises de la 'nouvelle métaphysique' proposée par Kant. Ce n'était pas tant l'ancienne métaphysique que celle de Kant qui apparaissait suspecte. Le débat sur l'a priori, souhaité par Kant, est devenu un débat sur le kantisme. Comme s'il suffisait pour sauver la métaphysique de dénoncer les incohérences de la philosophie qui semblait vouloir la ruiner.

fois le nom de Kant, se consacreront expressément au grand 'bouleversement', à l'Erschütterung scepticiste que doivent traverser les sciences du dix-huitième siècle. La signature de notre temps, s'exclame Reinhold, c'est l'ébranlement des systèmes et des théories tenues jusqu'ici pour vraies\ l'épicentre de cette secousse tellurique se trouvant en métaphysique. La métaphysique s'est vue détrônée par l'expérience, comme les sciences a priori l'ont été par l"histoire', entendons, en sens bien kantien, la connaissance a posteriori, sans point d'Archimède. Le résultat en est une désorientation générale et presque existentielle, dirait-on aujourd'hui. Il est, en effet, parfaitement chimérique de chercher le salut dans le savoir historique puisque les sciences a posteriori ont elles-mêmes nécessairement besoin de principes pour gouverner leurs recherches. Or la masse des connaissances historiques a rendu ces principes imperceptibles, ce qui a conduit à une mise en cause du fondement de toutes les sciences classiques. Seule la raison est en mesure d'établir de tels principes. C'est donc à un examen critique de la raison qu'il échoit de découvrir les fondements de la métaphysique, de la religion, de la théologie, du droit naturel, de la morale, de l'esthétique et de l'histoire. L'insistance répétée de Reinhold sur l'ébranlement qui affecte la religion et le droit naturel souligne la profondeur de la crise des sciences européennes. Le désarroi ne touche pas seulement les écoles et les savants, il se fait aussi sentir dans l'ordre social et politique. La mise en question du savoir rationnel et de la métaphysique, écrit Reinhold trois ans avant la Révolution française, ne peut qu'avoir des répercussions dramatiques dans toutes les sphères de la société. La crise des sciences et du principiel se résume à une crise de l'a priori et de la raison. Dans l'esprit de Reinhold, le grand sauveur de cette crise de la raison pure, que la raison historique tente de surclasser, c'est Kant. Reinhold ira jusqu'à parler de «l'évangile de la raison pure» (Briefe, 104), dont le sens a bien sûr été méconnu par tous les dogmatiques. Kant est donc tout le contraire d'un Alleszermalmer (le mot de Mendelssohn reviendra souvent sous la plume de Reinhold 2). Il ne veut pas détruire, mais construire sur des bases inébranlables une science de la raison pure fondée sur un principe

*** Un vent plus favorable au kantisme ne s'est mis à souffler qu'avec la publication des Lettres sur la philosophie kantienne de Karl Leonard Reinhold en 1786. Le plus grand mérite de ces 'lettres', composées en un style populaire, infiniment plus léger que celui de la Critique, aura été de laver le kantisme de son soupçon d'iconoclasme. Voir en Kant un nihiliste métaphysique, c'est aux yeux de Reinhold méconnaître, mais totalement, sa philosophie, dont la mission historique était précisément de s'opposer au scepticisme de son temps. Les cent premières pages des Briefe, alors que ne sera pas mentionné une seule 1. M. Mendelssohn le sentait encore, lors même qu'il qualifie Kant d'Alles-

zerma/mer, puisqu'il disait espérer que Kant puisse construire son système de manière aussi grandiose qu'il a su détruire tous les autres (op. cit., 301).

1. K.L. Reinhold, Briefe über die Kantische Philosophie, Leipzig, G.J. Goschen, 1790, 12. 2. B riefe, 142, 170; Versuch einer neuen Theorie des menschlichen Vorstellungsvermogens, Jena, I.M. Mauke, 1789, 13.

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universel. Cette science en est une de notre «pouvoir de représentation ». La représentation étant au fondement de toutes nos activités cognitives et pratiques, on pourra trouver les principes de tous les savoirs et de l'agir si l'on découvre le principe fondamental de toute représentation, celui qu'aurait voulu établir la Critique de la raison pure. Selon Reinhold, toute la Critique kantienne peut être ramenée à un tel principe fondamental, duquel se laisse déduire en son entier le système de la métaphysique (Briefe, 106 s., 170 s.). Mais y a-t-il un tel principe fondamental chez Kant? Kant avait certes avancé dans la préface de 1781, dont s'inspire sans doute Reinhold, que «ce que la raison produit entièrement à partir d'ellemême ne peut se cacher, mais doit être porté à la lumière par la raison même, aussitôt qu'on en a découvert seulement le principe commun» (A XX; O., l, 732), mais il n'a jamais cru nécessaire d'indiquer en quoi consistait exactement ce 'principe'l. Kant a bien réfléchi sur les principes a priori de la science et de l'agir, mais il n'a jamais prétendu qu'il était possible de découvrir, encore moins de formuler un principe ultime qui serait comme le point d'Archimède de la philosophie. Il suffit pour le propos d'une critique kantienne de la raison d'indiquer qu'une philosophie doit s'inspirer des intérêts supérieurs de la raison, du souverain bien ou du bonheur universel, mais aucun de ces intérêts ne se laisse coincer dans un principe fondamental et autosuffisant à partir duquel il serait possible de déduire toutes les propositions d'un système philosophique définitif. L'idée d'un «principe commun» (gemeinschaftliche Prinzip) reste particulièrement vague dans la première préface, où Kant veut peut-être seulement dire que ce que la raison produit d'elle-même ne peut lui rester caché. Si Kant n'approfondit pas, et cela est plus instructif que tout le reste, c'est qu'il n'y voit aucun problème. La recherche d'un premier principe absolu incarnerait à ses yeux une relique de la conception scolastique, wolffienne, de la philosophie qu'il vient de dépasser en défendant une conception plus «cosmique» du travail philosophique, c'est-à-dire une métaphysique des intérêts de la raison, chargée de veiller aux fins ultimes, et pratiques, de l'humanité. Kant s'est toujours montré défiant à l'égard de l'idée scolastique d'un premier principe absolu en philosophie, ne reniant jamais la mise en garde critique de sa Nova Diluci-

datio de 1755 : «Il n'existe pas pour toutes les vérités un principe unique, absolument premier, universel» 1. Ce serait une litote que d'affirmer que Reinhold ne voit pas les choses de cette façon. Selon lui, si la philosophie doit être une science rigoureuse, toutes ses propositions devront se déduire d'un premier principe. Croyant défendre la cohérence de la pensée kantienne, Reinhold s'efforcera de mettre à jour le principe des principes du kantisme. Son intention est éminemment positive, voire apologétique: il s'agit de montrer que si la philosophie kantienne a suscité autant d'adversité, c'est parce que ses détracteurs n'en ont pas compris le 'principe', la clef de voûte qui lui permet de critiquer toutes les métaphysiques qui l'ont précédé et de fonder une métaphysique nouvelle. Au nom de la rigueur de la démarche kantienne, Reinhold revient ainsi à une conception plus traditionnelle, plus déductive, de la philosophie, celle qui avait fait dire, par exemple, à Descartes dans la préface à ses Principes de la philosophie qu'il est nécessaire que la connaissance parfaite de toutes choses, la sagesse «soit déduite des premières causes, en sorte que, pour estudier à l'acquerir, ce qui se nomme proprement philosopher, il faut commencer par la recherche des premières causes, c'est à dire des Principes; & que ces principes doiuent auoir deux conditions : l 'vne, qu'ils soient si clairs & si éuidents que l'esprit humain ne puisse douter de leur verité, lorsqu'il s'applique auec attention à les considerer; l'autre, que ce soit d'eux que depende la connoissance des autres choses, en sorte ~u 'ils puissent estre connus sans elles, mais non pas reciproquement elles sans eux » (A-T, IX, 2). Toute l'entreprise de Reinhold sera de montrer qu'on peut trouver chez Kant un principe qui réponde à ces réquisits. Sauver Kant, c'est mettre en évidence le principe qui guide toute sa révolution philosophique, celui qui permettra à la métaphysique de devenir une science. C'est dans son Versuch einer neuen Theorie des menschlichen Vorstellungsvermogens de 1789 que Reinhold s'efforcera pour la

1. Cf. M. Clavel, op. cit., 46: «Mais quel est diable ce principe commun de la Raison pure? ... li ne nous le dira jamais; d'autre part, et pourtant, il semble aller de soi!»

1. Ak., I, 388; O., I, 113. Il s'agit de la «première proposition» de la nouvelle explication des premiers principes de la connaissance métaphysique. La différence entre le projet kantien d'une «critique de la raison» et celui (reinholdien) d'une fondation ultime de la raison a été bien vue par O. Hoffe, Ç av, CtEt av, être éternel et sans devenir. Cette conception de ce qui doit être appelé proprement étant, l'être éternel, et de ce qui doit à ce titre retenir toute l'attention du philosophe, détermine toute l'histoire de la métaphysique de Platon jusqu'à Husserl, en passant bien sûr par Kant. Ce que Heidegger a très clairement mis en évidence, c'est que cette conception prétendument non temporelle de l'être, et bien entendu de l'a priori, se fonde sur une occultation ou un oubli de la temporalité finie du Dasein. L'oubli de l'être, qui caractérise la métaphysique, est donc pour Heidegger un ,,-ubli du temps et des assises silencieusement temporelles de l'être. 'Etre et temps' était une antithèse pour la métaphysique, l'être véritable étant nécessairement en dehors du temps. 'Détruire' la métaphysique, ce sera pour Heidegger faire la genèse de cette conception inauthentique de l'être depuis le sol de la fInitude\ c'est-àdire del'exister authentique. Pour notre propos immédiat, ceci veut dire que l'a priori métaphysique est un a priori rigoureusement inauthentique en ce qu'il prend racine dans une rature de la temporalité authentique possible du Dasein, celle du souci voué au devancement lucide et résolu de l'êtrepour-la-mort. La contre-proposition philosophique de Heidegger consiste à élaborer une conception de l'a priori qui retourne «aux choses elles-mêmes », aux choses fondamentales, notamment à la possibilité pour le Dasein de se comprendre en fonction du temps et de la mort, et non selon les schèmes aliénants de l'ordre métaphysique. On sait que cette élaboration en est restée à l'état de projet chez Heidegger.

Un 'tournan~' s'est produit sur le chemin de pensée de Heidegger qui semble en avoir compromis la réalisation. l Nous avons proposé ailleurs une interprétation de ce tournant dont nous ne reprendrons ici que les résultats. Nous avons tenté d'y montrer que l'expérience du tournant repose sur une radicalisation de la fi llitude qui s'est manifestée très tôt après la parution de Sein und Zeit, au point d'empêcher la publication de la troisième section de la première partie et de toute la seconde partie de l' œuvre. Il est raisonnable de penser que leur composition et leur publication auraient dû s'accomplir peu de temps après la parution des deux premières sections. Si cela ne s'est pas produit, c'est nécessairement, et Heidegger l'a lui-même reconnu, parce qu'il s'est trouvé confronté à des apories insurmontables lors de leur élaboration, et tout particulièrement lors du travail à la troisième section de la première partie, «Temps et être ». Le but avoué de cette section était de remplir la première promesse de l'ontologie fondamentale, c'est-à-dire de montrer comment et à quel titre le temps représente l'horizon transcendantal et a priori de toute compréhension de l'être, établir une fois pour toutes l'apriorité du temps sur l'être. Ce projet bute contre au moins deux difficultés, toutes deux reliées au récif de la finitude. D'une part, ce nouvet"a priori paraît être investi de la dignité quasi-atemporelle que la métaphysique a toujours reconnue à la dimension du fondamental. La question critique, celle de Kant, doit alors immédiatement se poser: qui nous dit que ce fondement a bel et bien été décelé? Où se trouve sa déduction transcendantale? Par quel chemin connaître, en général, l'a priori, dont Heidegger avait déjà dit dans un cours de 1925, alors qu'il était encore assez près de l'essentialisme husserlien, qu'il est «en lui-même directement saisissable»2? L'idée même d'un Dasein situé dans le temps et des projets de compréhension historiquement constitués paraît exclure pareille connaissance absolutiste de l'a priori. Autrement dit, la thèse heideggérienne de l'enracinement temporel et 'souciai' du Dasein semble mettre en péril l'ambition malgré tout transcendantale et métaphysique de Sein und Zeit. Que Heidegger ait été bien conscient de ces embûches est suffisamment attesté - en plus des cours de cette époque, des écrits plus tardifs et de l'interprétation rétrospective de

1. Pour tout ceci, cf. notre étude «Le sens du titre Etre et temps », in Dialogue, 25,1986, 7œ-725.

1. Le tournant dans la pensée de Martin Heidegger, Paris, P.U.F., coll. Epiméthée, 1987. 2. GA 20, 102 : «Das Apriori ist an ihm selbst vielmehr direkt erfassbar ».

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Heidegger (au sujet de l'incompatibilité de son projet philosophique et du langage métaphysique qu'il empruntait encore en 1927) - par la pléthore d'interrogations critiques et autocritiques qui surprennent le lecteur à la toute dernière (!) page d'Etre et temps. D'autre part, la nouvelle conception heideggérienne de l'a priori est indissociablement liée au projet d'une existence authentique du Dasein, celle qui assume elle-même son propre être en vertu d'une compréhension originaire de ses assises temporelles et mortelles. Le Dasein qui existe ainsi de manière authentique est rigoureusement, et terminologiquement, appelé par Heidegger le Dasein «fini» (SZ, 329). La finitude du Dasein est fonction d'une prise de conscience de la temporalité authentique du Dasein. Le Dasein d'Etre et temps est donc conçu comme le maître possible de ses projets d'existence et de sa compréhension de l'être. Mais cette fmitude du Dasein est-elle alors entendue de façon assez radicale? N'y a-t-il pas une finitude plus originaire du Dasein qui vient mettre en échec cette utopie de maîtrise et l'idée d'un devancement résolu de sa propre mort? Sein und Zeit avait indubitablement touché à cette dimension lorsqu'il avait traité de la « déchéance» et surtout de la Geworfenheit essentielles du Dasein, mais sans y voir une finitude plus radicale que celle qu'aspire à réaliser l'existence résolue et, surtout, sans tirer toutes les conséquences de cette Geworfenheit pour une théorie philosophique de l'a priori. Le thème de la finitude s'est alors imposé dans toute sa radicalité à la méditation de Heidegger. Il retiendra toute sa réflexion dans Kant et le problème de la métaphysique et se manifestera dans tous les opuscules de cette époque comme l'instance de non-vérité qui accompagne tout surgissement de la vérité (cf. Yom Wesen der Wahrheit). On en connaît les suites. L'idée d'une maîtrise du sens de l'être et de l'existence s'éclipsera de plus en plus de 1'horizon de la méditation heideggérienne. Extraordinairement conséque~t, Heidegger se mettra plutôt à thématiser pour elles-mêmes, ce que Sein und Zeit n'avait pas tout à fait accompli, les notions de 'fondement', de 'vérité absolue', et \, de 'maîtrise' de l'étant. De plus en plus, ces notions, encore opératoires en 1927, deviendront des symptômes de l'empire de la métaphysique qu'il s'agira maintenant de mettre à distance. Le projet d'une maîtrise de l'étant, que prolongeait Etre et temps pour ce qui est de la saisie du sens de l'être sous la clarté lumineuse du concept (SZ, 6) et de la prise en charge par le Dasein de sa propre existence, fera désormais système avec toute l'entreprise de la métaphysique (qui est oubli du temps et de

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la finitude), responsable de la disponibilisation générale de l'étant, c'est-à-dire de l'essence de la technique et de ses séquelles assez bien connues. Dans ce contexte, la notion d'a priori deviendra un syndrome plus que privilégié de l'arraisonnement métaphysique. La recherche de l'a priori se veut essentiellement recherche des «conditions de possibilité de l'étant». C'est dire qu'il s'agit de déterminer au préalable, depuis l'idée (Platon) ou la subjectivité (Descartes, Kant, Fichte, Hegel, Husserl), les conditions de l'étane. Ce qui est visé par là, c'est rien de moins que la domination universelle de l'étant qui sera ultimement, on parle des Temps modernes, subjugué à la volonté de puissance de la subjectivité. L'a priori kantien, salué dans les années vingt parce qu'il aurait entrevu la filiation de l'être et du temps, ne sera plus qu'une manifestation de la frénésie métaphysique qui vise à assujettir tout étant à son principe de raison, celui de la subjectivité qui détermine au préalable l'être de tout ce qui est: «Hinter der Formel 'Bedingungen der Moglichkeit a priori' verbirgt sich die Zustellung des zureichenden Grundes, der ratio sufficiens, die ais ratio die reine Vernunft ist. Nach Kant liisst sich nur im Rückbezug au! die Vernunft (ratio) etwas in dem bestimmen, was es ist und wie es für das vernünftige Lebewesen 'Mensch' ein Seiendes ist»2. Aussi bien dire que l'a priori est devenu le symptôme le plus clair du projet métaphysique dans son ensemble3 • L'a priori est métaphysique en ce qu'il devance l'étant en vue de le soumettre aux diktats de la volonté de pouvoir du sujet. L'étant est transcendé a priori en direction de la subjectivité absolue. Il va de soi que cette volonté métaphysique caractérisait encore quelques aspects dominants de Sei.n und Zeit. L'être y était pensé (et pourchassé) comme l'antérieur de l'étant et le Dasein comme celui qui va toujours au-devant de l'étant par son souci, capable aussi d'aller au-devant de son être le plus propre, l'être-pour-Ia-mort. Ce qui vicie toute cette volonté 1. Cf. M. Heidegger, Nietzsche, Pfullingen, Neske, 1961, t. I, 219 s.; tr. Nietzsche, Paris, Gallimard, 1971, 174 s. (il s'agit du chapitre «Das Sein aIs Apriori»). 2. Der Satz vom Grund, Pfullingen, Neske, 1957, 126; te. Le principe de raison, Paris, Gallimard-Tel, 1983, 169: «Derrière la formule 'conditions de possibilité a priori' se cache l'indication de la raison suffisante qui, en tant que ratio, est la Raison pure. D'après Kant, c'est seulement reconduite et rapportée à la raison (ratio) qu'une chose peut être déterminée touchant ce qu'elle est et touchant la façon dont elle est un étant pour l'être vivant raisonnable, pour l'homme». 3. Cf. Nietzsche, II, 220; tr. Nietzsche, II, 175.

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métaphysique, c'est qu'elle repose sur un oubli de l'être, n'apercevant pas que l'être comme tel, l'insaisissable, se montre rebelle à un tel projet de domination. L'être, auquel nous sommes exposés (le nôtre et celui de l'étant en général), est très précisément ce qui échappe à cette volonté de maîtrise, donc ce qui vient mettre en échec l'ambition métaphysique de décréter a priori ce qu'il en est de l'étant dans son être. Plus a priori, pour ainsi dire, que tous les vains a priori de la métaphysique, l'être est ainsi le rappel de notre finitude, venant marquer les limites de notre volonté de maîtrise absolue pour nous convier à une méditation plus originaire de notre habiter temporel et fini dans l'être. Une «autre» pensée, un autre exister, non métaphysiques, para~ssent envisageables au soir de la métaphysique, et grâce à ce crépuscule. Il procédera d'une méditation autour du «retrait» fondamental de l'être (de l'oubli de l'être comme trait et signe de l'être lui-même) et d'une nouvelle prise en considération du plus essentiel de tous les a priori, la finitude de notre être dans le temps. L'être se donnera désormais à entendre sous la forme de l'Ereignis, c'est-à-dire, si l'on porte encore attention à sa signification la plus banale, mais primordiale, comme 'événement'. C'est donner à entendre, on ne peut plus plastiquement, que l'être ne se laisse aucunement arraisonner ou aménager. Il se produit, tout simplement. Mais l'Ereignis est aussi un «Er-augen », un événement qui nous regarde, qui nous concerne. Il est l'invitation à séjourner au sein du don gratuit de l'être, en renonçant à la reddition de comptes de la métaphysique. L'existence authentique (l'eigen de l'Ereignis) se résume cette fois à l'accueil du don, de l'être qui ne s'offre qu'en se retirant, se soustrayant à notre prise et notre appétit de domination, par où la volonté cherche à réprimer sa désemparante finitude face à l l'être. Mais cette pensée de la finitude et de l'accueil, ne nous y trompons pas, reste liée à un intérêt essentiel du Dasein. Il y va toujours d'une mise à distance de la métaphysique et de sa conception inauthentique parce qu'aliénante de l'homme. Cette nouvelle pensée de la finitude, qui reste une 'métaphysique' des intérêts du Dasein, ne s'est naturellement plus présentée, ouver1. C'est sur la pensée de cette «nouvelle notion de la finitude», depuis l'Ereignis, que s'est achevé le séminaire sur «Temps et être» (Questions N, Paris, Gallimard, 1976,93). Il est donc logique d'y voir le point d'achèvement de tout le chemin de pensée de Heidegger.

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tement, comme nouvelle théorie de l'a priori qui élève une prétention philosophique à l'universalité. En donnant congé à la I:létaphysique, Heidegger croyait aussi pouvoir se dispenser de la philosophie comme telle et de ses prétentions à un savoir a priori. En même temps que la métaphysique, la philosophie et l'a priori avaient, à ses yeux, épuisé toutes leurs possibilités Il demeure que la méditation de la finitude reste, de facto et de jure, une pensée de l'a priori et à ce titre une théorie philosophique. Ne l'accomplissant qu'en partie, mais d'une manière qu'aucune autre philosophie n'a égalée depuis, Heidegger a légué, après Kant et Hegel, à la postérité philosophique la tâche de penser ensemble l'a priori et le temps, la prétention de la philosophie à l'universalité et la finitude, la recherche de vérité et l'historicité. C'est encore le pro-blème de la philosophie contemporaine, de la méditation souterraine de notre temps sur l'a priori.

*** Ce défi a d'abord été relevé par la philosophie herméneutique contemporaine, dont le plus grand représentant est Hans-Georg Gadamer. L'a priori de son herméneutique sera très clairement celui de la finitude ou de l 'historicité. La partie centrale de son œuvre maîtresse, Vérité et méthode, se tient sous le mot d'ordre d'une «élévation (Erhebung) de l'historicité de la compréhension au rang de principe herméneutique» 1. L'historicité récolte ainsi la dignité du np6n:pov, le sceau de l'a priori. Par historicité, il faut entendre que toute compréhension, qu'elle en soit consciente ou pas, estconstitutivement déterminée par son contexte historique et culturel, détermination dont le langage est le véhicule principal. «Historicité», affirme explicitement Gadamer, fonctionne dès lors comme un «concept transcendantal» Z. comme «condition de possibilité» de la compréhension. La prise en compte de l'historicité, fût-elle généralisée, ne vient pas ruiner l'idée d'a priori (même si elle apparaît hérétique en regard de ce que la tradition métaphysique entendait par a priori), elle la réalise. Seulement, l'a priori s'est radicalement temporalisé ou historicisé. Gadamer suit ainsi l'inspiration de Heidegger qui avait tant insisté sur la filiation essentielle, mais impensée en métaphysique, de

1. Wahrheit und Methode, 250 = Ges. Werke, l, 270; tr. 103. 2. «Hermeneutik und Historismus», Ges. Werke, Il, 412; tr. L'art de comprendre, l, Paris, Aubier, 1982,71.

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l'a priori, prius, et du temps. L'intuition heideggérienne se trouve aussi concrétisée: l'a priori de la compréhension, ce ne sera pas le 'temps' en général, mais l'histoire. L'antériorité de l'histoire se manifeste tout particulièrement dans les pré-jugés qui gouvernent le comprendre. L'a priori, indéfiniment variable selon les situations, émigre dans le 'pré' des préjugés. La réhabilitation des préjugés et de la tradition chez Gadamer ne veut pas légitimer tous nos préjugés et tout ce qui vient de la tradition, mais seulement attirer l'attention sur une composante fondamentale, a priori, de la finitude. Finie et en quête d'orientation dans un monde dont le sens ne lui est jamais transparent, la compréhension doit s'appuyer, consciemment ou pas, sur des préconceptions, venues d'ailleurs, du passé, du présent, d'autrui. Nous apparaissons nécessairement à un moment particulier de l 'histoire de l 'humanité, dont nous héritons les préjugés et les jugements de valeur. Il nous est impossible de repartir à zéro et de fonder tout le savoir que nous mettons en pratique sur des axiomes clairs et distincts. Dans les termes de Paul Ricoeur: «nous ne sommes jamais en position absolue d'innovateurs, mais toujours d'abord en situation relative d'héritiers» 1. Encore ici, l'herméneutique ne fait que matérialiser l'idée heideggérienne de Geworfenheit: nous sommes comme 'projetés' dans des horizons historiques, ou langagiers, qui restent déterminants dans ce que nous sommes disposés à tenir pour vrai ou faux, juste ou injuste, beau ou moins beau. Nous parlons ici d'horizons historiques au pluriel. C'est que le travail de l 'histoire ne forme pas un tout monolithique, mais en formation constante. Sinon tous seraient toujours d'accord à n'importe quel moment de l'histoire sur toutes les questions! On n'a pas affaire ici à un déterminisme radical ou à quelque fatalisme. L'a priori herméneutique est celui de la détermination selon des horizons historiques. en général, ce n'est pas celui d'une détermination historique particulière qui serait commune à tout le monde. Il n'y a rien de tel. A tout moment de l'histoire, l'individu se trouve, en principe, en présence de plusieurs traditions, concurrentes parfois, d'un certain nombre d'intérêts et d'options parmi lesquels il lui appartient de faire un choix. Même si la finitude, l'impossibilité que nous sommes de découvrir un fondement absolu, nous engage à être réceptifs vis-à-vis de la tradition, nous ne sommes jamais des êtres

entièrement passifs dans ce processus historique de réception. Toute réception est transmission, donc tranformation. La compréhension s'alimente non moins fondamentalement des intérêts du présent que de l'héritage du passé. C'est à cette dimension de la finitude queBadamer et Ricoeur font justice en signalant que la compréhensio~t toujours 'application'. Comprendre quelque chose, c'est se laisser interpeller par son sens, donc l'appliquer à notre monde, l'accueillir en fonction de nos intérêts. Négativement: ne rien comprendre à quelque chose (ce qui nous arrive souvent), signifie être incapable d'appliquer ce qui est dit à notre situation, se trouver dans l'impossiblité de le rattacher à notre monde, à ce que nous savons déjà. Notre dépendance en regard de l'a priori de la tradition n'est pas une fatalité, car elle répond à un besoin parfaitement humain d'orientation. Projetés dans un univers dont nous ne possédons pas la clef, nous devons nous en remettre, en les métamorphosant sans cesse, aux idées reçues, aux perspectives critiques 'lui ont fait leurs preuves afin, le plus simplement du monde, de se tirer d'affaire dans l'existence, 'to cope', comme le dit le pragmatisme américain. L'historicisation de l'a priori, son incarnation dans «les préjugés (Vorurteile) qui constituent beaucoup plus intimement notre être que nos jugements (Urteile)>> \ exclut l'idée d'une clef de voûte absolue, d'un point de repère non temporel qui nous permettrait de considérer la vérité sub specie aeternitatis. L'herméneutique veut être une théorie sublunaire t de l'a priori. Son a priori, ce sera justement l'absence d'un d'Archimède. Eriger la finitude historique en principe a priori, universel parce qu'indépassable, n'est-ce pas se condamner au relativisme? Pour l'herméneutique, l'accusation de relativisme n'a de sens que si l'on présuppose la possibilité d'une vérité absolue2 • Seul celui qui revendique un étalon absolutiste peut agiter le spectre du relativisme. Il n'y a de relativisme qu'en regard d'une vérité absolue. Or cette vérité, elle se démontre comment? On ne l'a jamais indiqué à la satisfaction universelle. La prétention à une vérité absolue est inconciliable, à défaut de preuve contraire, avec l'expérience de la finitude humaine, l'a priori de l 'herméneutique et de la pensée postmétaphysique. L'absolutisme a, en effet, partie liée avec la métaphysique. On a vu que

1. Temps et récit, III, 320.

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1. Wahrheit und Methode, 261 = Ges. Werke, l, 281; tr. 115. 2. Cf. pour ce qui suit notre essai « Herméneutique et relativisme », in Communio, 12, 1987, nO 5, 101-120.

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la métaphysique se définissait, essentiellement et étymologiquement, par une transcendance du temporel, vers l'atemporel. Et sur quoi, doit-on demander, repose cette transcendance? A défaut d'une présence réelle et positive de l'infini dans l'horizon de notre expérience, on peut raisonnablement supputer qu'elle procède d'un refus, sinon d'un refoulement du temporel, partant, de la finitude. Elle est exigence de la finitude qui cherche à se nier soi-même. Il saute aux yeux que cette vérité absolue reste encore négativement définie (donc conditionnée) en regard de la temporalité et de la finitude, confirmant de ce fait son statut de 'principe', souterrain en métaphysique, mais élevé à la conscience en herméneutique. Renoncer à un point de vue absolutiste ou métaphysique équivaut à reconnaître le faillibilisme de nos opinions. Or la faille, ou la défaillance, de mes convictions doit souvent m'être indiquée par autrui. Se sachant finie et historiquement située, la conscience herméneutique est appelée à s'ouvrir au dialogue et à la critique. En l'absence d'une vérité métaphysique, nous devons nous en remettre à ce qui nous reste, c'est-à-dire à nos intérêts et à la possibilité que nous avons d'en discuter, horizontalement (l'accès vertical à un absolu s'étant volatilisé), avec autrui. L'ouverture herméneutique de l'horizon du dialogue est la conséquence directe de la perte de crédibilité de la verticalité métaphysique. C'est ainsi que, pour reprendre les mots de Rémi Brague l , nous nous tournons «les uns vers les autres pour nous emprunter des certitudes sans autorité, sans autre force que celle que leur confère l'accord des interlocuteurs ». Le dialogue nous permet de rejeter certaines de nos convictions si on parvient à nous démontrer leur incohérence ou leur insuffisance. Mais il ne s'ensuit pas que les vérités qui viennent les remplacer soient assurées de manière définitive. Nous adoptons ces nouvelles perspectives parce qu'elles nous éclairent davantage, mais rien n'exclut qu'elles s'avèrent à leur tour indéfendables plus tard. La communication constitue un allié vital de la recherche de la vérité, mais elle ne nous pourvoit pas d'un point d'Archimède absolu qui nous permettrait d'échapper à notre finitude. L'intersubjectivité dialogique n'est qu'une subjectivité agrandie. Ce qui est déjà beaucoup, car c'~st cet accroissement de la subjectivité individuelle qui habilite la communication à fonctionner comme l'arène critique où des arguments peuvent être avancés en faveur d~

certaines de nos convictions. Ces arguments ne sont cependant jamais exempts de rhétorique et détachés des intérêts humains. Ce qu'un individu est disposé à accepter à titre d'argument valide dans le cadre d'une communication reste profondément, mais aussi productivemnt ancré dans l'univers herméneutique des pratiques sociales d'une communauté langagière et historique. Pour l'herméneutique, d'inspiration heideggérienne, dépasser l'absolutisme métaphysique, c'est, d'un seul tenant, laisser derrière soi le problème du relativisme. L'ombre du relativisme cesse d'être obsédante, voire pertinente, dès lors que la philosophie a pris pied sur le sol, indépassable mais fertile, de la finitude, lieu d'une riguéur renouvelée, encore à venir, de la pensée. Si l'idée de relativisme conserve quelquefundamentum in re, c'est uniquement dans la mesure où il rappelle que toute vérité est nécessairement située, entretenant une relation essentielle avec celui qui en fait l'expérience. La vérité prend toutjours, pour nous, l'allure d'un dévoilement (aletheia) qui vient lever une obscurité, répondre à une question. La lumière que projette la vérité, selon la métaphore platonicienne, n'a de sens que sur fond d'obscurité La vérité se manifeste immanquablement comme réponse à une qyestion, toujours intéressée, même quand elle vient bouleverser ses attentes et métamorphoser ses horizons. Il va de soi que cette réponse demeure 'relative' à ma situation, fût-ce pour l'excéder, mais sans être 'aléatoire', comme le voudrait l'acception traditionnelle du 'relativisme'. Elle n'a rien d'arbitraire puisqu'elle vient justement répondre à un besoin d'orientation, au souci que nous sommes et ne cessons jamais d'être. Le 'relativisme' - mais le terme, prête à tellement de confusions qu'il a été le plus souvent évité par les théoriciens de l'herméneutique - viendrait simplement énoncer un truisme, un a priori de l'aletheia, savoir que la vérité ne peut être reconnue telle que parce qu'elle nous éclaire, qu'elle illumine notre situation. Il n'existe point de vérité en soi, non relative, si l'on entend par là une vérité indépendante des questions et des attentes de l'être humain, indépendante en un mot de l'a priori de notre finitude.

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1. «Le récit du commencement. Une aporie de la raison grecque», in La

naissance de la raison en Grèce, éd. par J.-F. Mattéi, Paris, P.U.F., 1989.

*** La mise en cause de l'a priori infini de la métaphysique au nom de l'a priori, plus originaire, de la finitude délimite encore l'horizon spéculatif de la philosophie contemporaine. Il a conduit quelques

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prospecteurs du courant herméneutique à un renrs total de toute rationalité non pragmatique et à un scepticisme généralisé vis-à-vis de toute forme de fondamentalisme et d'universalisme (position chapeautée par R. Rorty aux Etats-Unis, O. Marquard et plusieurs autres en Allemagne et à laquelle se laisse rattacher une large part des philosophies françaises de la 'différence', rebelles à toute rationalité unitaire ou totalisante). Evolution assurément conséquente, mais qui court le danger de renoncer à l'idée de rationalité, laquelle a toujours été plus qu'étroitement liée au destin de l'a priori. Kant nous avait bien prévenu dans sa Critique de la raison pratique: vouloir montrer qu'il n'y a pas d'a priori, ce serait comme vouloir prouver par la raison qu'il n'y a pas de raison (Ak, V, 12; O., II, 618). Si la rationalité n'existe pas, doit-on traduire aujourd'hui, la philosophie perd sa raison d'être, entendons sa fonction critique. Et ce danger existe bel et bien dans un contexte philosophique voué à l'antifondationalisme qu'on pourrait aisément confondre (l'étymologie de ratio le suggère) avec un antirationalisme. Le philosophe qui a le plus milité en faveur du maintien du concept de raison, mais sans renier les acquis de la théorie herméneutique d'un a priori temporalisé, donc intéressé, aura été et reste Jürgen Habermas. L'herméneutisation de l'a priori conduirait selon lui à des conséquences désastreuses si elle entraînait la dilution de toute perspective critique ou normative. Il ne s'agit pas de contester que les expériences cognitives et normatives s'ordonnent selon les préjugés d'une époque et d'une culture données, mais de mettre en évidence l'instance critique susceptible de s'opposer aux préjugés quand l'ordre dominant est perverti, disons contraire aux intérêts d'émancipation d'une communauté. A cette fin, Habermas se mettra à la recherche d'un a priori normatif, capable, à tout le moins, de dénoncer les aberrations de l'ordre dominant et de comprendre ses «pathologies». Cet a priori, Habermas l'a d'abord dépisté dans l'intérêt de l'humanité à l'émancipation. Sur ce point, il se rattache expressément à l'idée kantienne d'une métaphysique des intérêts de la raison!. L'intérêt à l'émancipation se trouverait à la base de tout effort de connaissance et pourrait lui-même être «intuitionné à priori» : «Das Interesse an

werden »1. Les assises kantiennes et herméneutiques de cette évidence a priori sont assez bien établies: l'a priori qui doit préoccuper la

Mündigkeit schwebt nicht bloss vor, es kann a priori eingesehen

1. J. Habermas, Erkenntnis wzd Interesse, Frankfurt a. M., Suhrkamp, mit einem neuen Nachwort, 1973,234 ss.

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philosophie n'est pas une entité métaphysique, mais un intérêt qui concerne directement l'humanité, son intérêt à la liberté, a priori nécessairement situé et historique. La sphère de l'a priori, pourrait-on dire, se ramène à celle de l'intérêt chez Habermas, tout intérêt étant un intérêt d'émancipation, dût-il se montrer régressif à l'occasion. La finitude, ou son intérêt, continue donc de déterminer 1'horizon spéculatif de la théorie habermassienne de l'a priori, celui d'une raison intéressée. Mais, objectera-t-on, assimiler l'a priori à un intérêt d'émancipation, n ' est-ce pas donner dans une nouvelle régionalisation de l'a priori, le limiter à une constellation d'intérêts historiques? En toute logique, l'a priori devrait alors laisser tomber sa prétention à l'universalité. Habermas n'entend pas y renoncer puisque cela priverait, estime-t-il, sa théorie de la société d'un étalon critique incontestable et non régional. Il s'efforcera donc d'asseoir sa théorie de l'a priori sur un fondement plus large. Il le trouvera dans le langage. Habermas se rallie cette fois au 'linguistic turn' de la philosophie analytique et herméneutique du vingtième siècle qui voit dans le langage l'a priori par excellence de la condition humaine, donc l'objet privilégié de la réflexion philosophique. Mais l'apriorité générique du langage ne constitue pas en elle-même un fondement normatif spécifique. Il ya donc lieu de s'interroger sur les a priori du langage lui-même, sur les conditions de possibilité et de validité de l'usage linguistique, de ce qu'on appellera la «pragmatique» du langage. Une «pragmatique universelle» (Habermas) ou «transcendantale» (Apel) aura à identifier les normes rationnelles qui sont présupposées en tout jeu de langage et qu'un interlocuteur ne peut mettre en doute sans entrer en contradiction avec lui-même. Habermas partira d'une intuition wittgensteinienne: «je suis, comme Wittgenstein, d'avis que 'langage' et 'entente' (Verstandigung) sont des concepts co-:originaires (gleichursprüngliche) qui s'éclairent réciproquement» 2. C'est soutenir que l'usage linguistique vise toujours 1. J. Habermas, Technik und Wissenschaft aIs 'Ideologie', Frankfurt a. M., Suhrkamp, 1969, 163; tr. La technique et la science comme 'idéologie', Paris, Gallimard, 1973, 156: «l'intérêt qui pousse à l'émancipation n'est pas seulement une vague idée, c'est quelque chose de clair a priori». 2. Vorstudien und Ergiinzungen zur Theorie des kommwzikativen Handelns, Frankfurt a. M., Suhrkamp, 1984,497.

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et seulement l'entente, le consensus. Quiconque adresse la parole à un autre le fait afin d'arriver à un accord avec lui, accord fondé sur les arguments qui auront été avancés en toute transparence dans le cadre de la communication. L'expérience du désaccord ou de l'absence de consensus n'est pas vue comme une réfutation, mais comme la preuve négative du fait que le te/os a priori du langage est l'entente, la Verstandigung. L'a priori de l'entente, s'il est bien établi, comporte certainement des implications pour une théorie de la rationalité, mieux: il est l'incarnation par excellence de la raison. Voilà ce qui permet à Habermas d'affIrmer lapidairement que «la raison est assise dans le langage» 1. Loin d'être une vague abstraction métaphysique, l'a priori serait directement saisissable dans le langage. L'entente communicationnelle pourra donc jouer chez Habermas le rôle de pierre de touche a priori et universelle d'une théorie critique de la société et d'une théorie morale, la Diskursethik, fondée sur rexigence d'une légitimation strictement communicationnelle des normes pratiques 2 • Par légitimation strictement communicationnelle, il faut entendre une justification qui ne repose pas sur les intérêts « stratégiques» non avoués des participants au «discours », mais purement sur les arguments avancés dans une communication où, au nom de la plus grande rationalité, tout doit être transparent. Depuis l'a priori de l'entente communicationnelle, nouveau point d'Archimède, il devient possible, croit Habermas, de condamner de manière efficace toute manipulation idéologique de ropinion publique au nom d'intérêts stratégiques et technocratiques qui n'ont pas fait l'objet d'une discussion démocratique et éclairée. Derrière une terminologie souvent très complexe, rintention de Habermas est claire: rimpératif a priori en est un de communication ou de communicabilité qui répond à l'intérêt éthique d'une justice universelle ou d'une intersubjectivité réconciliée et sans déchirure3 • Le projet œune éthique de la communication, où doivent être défmies ou légitimées des normes à prétention

univcrselle, veut ici prolonger l'éthique universaliste de Kant et, plus spécifiquement, sa métaphysique des intérêts de la raison. Mais il y a un point noir dans l'apriorisme de la communication. Quand une norme, ou une connaissance, peut-elle passer pour rationnellement ou communicationnellement valide? Lorsqu'elle aura fait l'objct d'ull consensus ou d'un débat démocratique, répondra-t-on. Mais qu'cst-ce qui nous dit que le consensus empirique (on n'en connaît pas d'autre) n'est pas le résultat d'intérêts proprement stratégiques, ceux que l'on avait exclus de l'entente communicationnelle? Le consensus réellement existant pourrait bien être dicté par des manipulateurs d'opinion, au service des intérêts peu ou prou cachés d'une classe particulière. Le critère de la rationalité chez Habermas est celui d'une légitimation purement communicationnelle, mais le problème, c'est qu'on ne dispose d'aucun critère pour vérifier si un consensus repose effectivement sur les arguments avancés dans l'horizon déstratégisé de la communication. Le grand problème, c'est qu'une telle communication n'existe pas ou, plutôt, que nous savons qu'il est impossible de savoir si une telle communication existe. La communication et l'unanimité empiriques ne sont pas en soi des garants de rationalité. Habermas en est évidemment conscient. Il ne dit jamais que l'entente purement communicationnelle existe vraiment ou qu'on puisse en établir la réalité à l'aide de critères absolus. En termes wébériens, l'entente communicationnelle, à jamais invérifiable, n'est qu'un «idéal-type », un horizon irréalisable, dont on 'assure', mais sans le démontrer, qu'il est présupposé en toute communication, voire en tout acte de langage 1 • Afin de n'être contaminé par rien d'empirique, l'a priori devra prendre la forme d'un postulat idéal et

1. Philosophisch-politische Profile, Frankfurt a. M., Suhrkamp, erw. Ausg. 1981, 288. 2. Cf. J. Habermas, Moralbewusstsein und kommunikatives Handeln, Frankfurt a. M., Suhrkamp, 1983. Cf. déjà K.-O. Apel, «Das Apriori der Kommunikationsgemeinschaft und die Grundlagen der Ethik», in K.-O. Apel, Transformation der Philosophie, Frankfurt a. M., Suhrkamp, 1973, t. II, 358-43~. 3. Cf. J. Habermas, Die Neue Unübersichtlichkeit, Frankfurt a. M., Suhrkamp, 1985, 202, où Habermas reconnaît qu'il s'agit de l'intuition fondamentale de sa pensée et qui remonte à des origines religieuses et mystiques.

1. Cf., à titre d'exemple seulement, K.-O. Apel, Transformation der philosophie, t. II, 225: «die unabdingbar normative und ideale Voraussetzung ...mit jedem menschlichen Wort postuliert...»; 423: «injedem Sprachspiel...implizit vorausgesetzt wird»; J. Habermas, Vorstudien und Ergiinzungen, 181 : «Es gehOrt zur Struktur mOglicher Rede, dass wir im Vollzug der Sprechakte kontrafaktisch so tun, ais sei die ideale Sprechsituation nicht b/oss fiktiv, sondern wirklich» (nous citons ici la version originale, de 1973, de l'essai «Wahrheitstheorien»; lorsque ce texte a été repris dans les Vorstudien, Habermas a atténué le sens de son texte en écrivant: « es gehort zu den Argumentationsvoraussetzungen, dass wir im Volzug ... »); Philosophischpolitische Profile, 176: «Die Idee der Wahrheit, die im ersten gesprochenen Satz schon impliziert war, lasst sich niimlich allein am Vorbild der idealisierten, in herrschaftsfreier Kommunikation erzielten Übereinstimmung bilden»; et passim.

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contrafactuel, donc contraire à ce qui existe. L'a priori est redevenu une chimère métaphysique. Cette situation signifie un recul, pour au moins deux raisons. D'une part, on a omis de fournir quelque déduction transcendantale que ce soit de cet a priori idéal. On dit s'inspirer, quitte à le purifier de ses imperfections métaphysiques, de l'apriorisme universaliste de Kant, mais on a négligé de remplir le premier réquisit que Kant exige d'une prétention a priori, à savoir de fonder l'objectivité réelle de cet a priori en déterminant son «rapport à des objets». La simple assurance qu'une situation de communication idéale est «présupposée» en tout acte de langage tiendra lieu de déduction transcendantale. Ce n'est pas très convaincant, d'autant que le contraire paraît plus vraisemblable: c'est justement parce qu'il n'y a pas de situation idéale que nous communiquons avec autrui, que nous tâchons de régler nos différends par des compromis, où tous les intérêts sont admis. Dans un contexte idéal, on n'aurait évidemment pas besoin de communication. D'autre part, et surtout, l'a priori de la communication idéale n'affirme son universalité qu'au prix de son irréalité ou de son irréalisabilité. La régression philosophique est considérable. En effet, si le thème de la communication s'est imposé avec autant de force aux philosophes du vingtième siècle, c'est parce qu'on y a salué une manière 'horizontale' de faire avancer l'intelligence de la vérité. En l'absence d'une vérité métaphysique ou verticale, il paraît tout à fait raisonnable de viser l'entente ou la discussion intersubjective afin d'éclairer certaines questions. C'est parce qu'il n'y a pas de point de repère absolu que la communication peut opérer comme forum de vérité où la finitude peut chercher à élargir l'horizon limité de sa subjectivité. C'était un progrès. Or chez Habermas, la communication se trouve projetée dans une nouvelle verticalité, hors de portée de la finitude. L'a priori est redevenu un point d'Archimède non temporel, qui ne tient plus compte des conditions nécessairement fmies de la communication. Réduite au mieux à la fonction d'idée régulatrice ou d'utopie future, la communication idéalisée, que ne souille rien d'empirique, n'est plus rattachée aux intérêts d'une raison incarnée dans le temps. On a voulu introduire une dimension plus critique et plus rationnelle dans l'horizon de l'a priori herméneutique, mais pour aboutir à une nouvelle nouménalisation de l'a priori. Il n'est pas difficile d'expliquer par des raisons elles-mêmes historiques la réapparition d'un tel a priori détemporalisé. Sa raison

d'être primordiale, louable en théorie, fut de résister à ce qui a été perçu comme le relativisme indomptable de l'a priori historicisé (donc voué à la commuoication). Compte tenu des aberrations qui peuvent affliger les communautés humaines - et le nazisme qu'ont connu Habermas et Apel en aura été l'incarnation la plus pétrifiante - , il paraît immensément problématique de reconnaître au contexte historique une fonction légitimante, dont on craint qu'elle n'échappe à un contrôle rationnel. On a de cette façon utilement rappelé que l' herméneu tisation de l'a priori ne saurait conduire à l'abandon de l'idée de raison. Mais a-t-on nécessairement besoin d'un étalon atemporel pour s'opposer aux errances du temps? Ce n'est pas sûr. Au lieu de retourner à une conception métaphysique de la raison, dont la réalité et l'efficacité sont invérifiables, n'est-il pas plus à propos de se confier à une conception plus temporelle de l'a priori de la rationalité qui rende justice aux conditions immanquablement historiques et intéressées de l'exercice de la raison? La fmitude de notre condition n'est pas un argument contre la rationalité, mais l'instance qui la rend éminemment souhaitable. On peut dire que l'idée d'une rationalité incarnée dans le temps est celle de la démocratie. Contrairement à ce que paraît supposer Habermas, l'idée de démocratie ne s'accomplit pas dans l'anticipation d'un consensus parfait, mais dans son absence. Parler de consensus intégral, c'est passer à côté de la réalité de la démocratie. La démocratie est l'art de vivre avec les désaccords en évitant la guerre\ c'est-à-dire en permettant à toutes les voix de se faire entendre et en accceptant comme légitime la position qui s'est acquis la faveur de la majorité. Il n'est pas interdit de penser que la majorité puisse être parfois incapable, en raison d'un conditionnement idéologique, d'apercevoir où résident ses propres intérêts. C'est pourquoi la majorité peut elle-même être critiquée, mais rien ne surpasse sa rationalité dans l'ordre de la légitimité. Manque-t-on ici d'un étalon critique? Non, puisqu'il s'incarne déjà, c'est le pari de la démocratie, dans la raison de chacun. C'est que la critique des ignominies, à petite ou grande échelle, ne s'effectue pas au nom d'un a priori désincarné, mais d'abord et toujours au nom de la souffrance vécue qu'elles ont 1. On pensera ici aux premières lignes du maître livre d'Emmanuel Levinas, Totalité et infini, La Haye, Nijhoff, 1961, quatrième édition, 1971, IX: «On conviendra aisément qu'il importe au plus haut point de savoir si l'on n'est pas le dupe de la morale. La lucidité - ouverture de l'esprit sur le vrai - ne consiste-t-elle pas à entrevoir la possibilité permanente de la guerre?»

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causée. La résistance n'est pas le fait d'une activité métaphysique, mais une réaction au malheur subi, on ne peut plus empiriquement. La norme de la critique, qui n'a pas la netteté d'un algorithme, chère au théoricien, n'émane pas d'un a priori invisible, mais de l'expérience du malheur essuyé et du désir de justice qu'il a fait naître. L'expérience de la critique et de la résistance en est cependant une qui ne s'articule qu'à l'intérieur de l'histoire en fonction d'horizons obligatoirement historiques puisqu'il y va de la justice et de son avancement. Pourquoi recourir ici à des principes atemporels pour illuminer la critique? Comme si la raison incarnée dans le temps n'était pas de ce fait nécessairement critique.

CONCLUSION

I,e prohlème que la méditation critique de Kant a été la première à affronter de manière systématique fut celui de la viabilité d'une connaissance a priori, qui est essentiellement celui de la possibilité d'un savoir fondamental ou philosophique. Toute la modernité de Kant, et par modernité il convient d'abord d'entendre une rupture à l'égard de l'ancien, tient en cette question. L'attitude de Kant au sujet de l'a priori n'est pas toujours facile à saisir puisqu'elle se veut extraordinairement prudente et nuancée . . Contre Hume, Kant a voulu rappeler ce que l'a priori avait d'indispensable, contre le rationalisme ce qu'il avait de problématique. Il a surtout vu que l'a priori est trop problématique pour qu'une déduction transcendantale ne soit pas exigée à chaque fois qu'il est question de son usage et de son extension. Héritier de l' A ufkliirung , Kant a donc eu à censurer la possibilité d'une connaissance directe de l'a priori transcendant, entretenue par tous les métaphysiciens avant lui, jugeant qu'une telle connaissance n'était de toute manière d'aucun intérêt pour la conduite de notre vie et la pénétration scientifique du réel. La connaissance a priori légitime, parce que légitimable, devra se borner à élucider les conditions d'intelligibilité de notre expérience, cognitive, morale et esthétique. L'a priori ne sera plus que l'a priori de l'expérience, au sens d'un génitif subjectif, entendons un a priori pour notre expérience, un prius voué à un a posteriori. L'idée d'une connaissance a priori de l'expérience reste elle-même quelque peu ambiguë chez Kant. Elle se manifeste de facto sous deux formes différentes, sinon inconciliables. Par «connaissance a priori» on peut comprendre un 'savoir' a priori qui se déploie dans des propositions (synthétiques) a priori, dont la possibilité intéresse le projet rigoureux d'une critique de la raison pure. Mais on peut aussi comprendre qu'il y a des 'éléments' a priori dans la connaissance empirique, la seule que Kant tiendrait pour légitime, qui assurent son universalité et sa nécessité, les critères de l'a priori se trouvant pour ainsi dire 'prêtés' à l'a posteriori. Cette dernière solution au problème de l'a priori est celle que la plupart des commentateurs et des

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CONCLUSION

épistémologues ont retenue puisqu'elle vient répondre au besoin bel et bien réel de distinguer les jugements d'expérience, objectifs, des jugements de perception, seulement subjectifs. Or cette question, qui pointe dans les Prolégomènes et la seconde rédaction de la Déduction, est absente des formulations initiales du problème d'une critique de la raison pure et d'une déduction transcendantale. De fait, elle ne résout, mais en rien, le problème essentiel de Kant, celui de la possibilité de la métaphysique comme science. Elle vient, de plus, contredire les nombreux textes où Kant affirme que la connaissance par expérience ne saurait aspirer à la stricte universalité, réservée aux propositions synthétiques a priori que l'on peut connaître indépendamment de l'expérience et fonder par l'intermédiaire d'une déduction transcendantale. L'ambiguïté gît déjà dans l'emploi kantien du terme Erkenntnis qui désigne tantôt un savoir, déposé en des jugements, tantôt des notions ou des éléments qui interviennent dans la connaissance. La cohérence du projet kantien nous a incité à privilégier la première acception. L'Introduction de 1781 est trop limpide sur cette qûestion : le problème véritable qui embarrasse Kant est celui de la possibilité d'une science a priori et tout particulièrement celui de la métaphysique. Contrairement à ce que l'on croit depuis le néokantisme, le problème de l'objectivité des sciences empiriques de la nature n'est pas celui dont la légitimité préoccupe Kant au premier chef. Il est second par rapport au problème, fondamental à plus d'un titre, d'un savoir a priori, c'est-à-dire philosophique. Mais dans un cas comme dans l'autre, l'avertissement critique de Kant demeure le même: la connaissance a priori ne saurait dépasser l'horizon de l'expérience possible. La métaphysique ne peut plus être ce qu'elle voulait être, à savoir la connaissance d'un absolu transcendant. La fonction de l'a priori cognitif apparaît donc surtout négative chez Kant. La Dialectique transcendantale le reconnaîtra expressément. Ceci explique le «ne ... que», donc le caractère restrictif de la thèse kantienne sur l'a priori cognitif: «il n 'y a de connaissance a priori possible pour nous que celle d'objets d'expérience possible» (B 166). La Critique doit donc proscrire l'extension de nos concepts a priori dans un domaine où une déduction transcendantale reste à jamais impossible. Mais après la Dialectique vient une Méthodologie de la raison pure. Après avoir réitéré la nécessité de soumettre la raison à une «Discipline », elle nous fournira un «Canon» de l'usage a priori

légitime de la raison. Cet usage, dira Kant, n'est d'abord que pratique: à la conscience de tout être raisonnable ~~imposela nécessité d'agir scIon des maximes dignes d'être universelles. Attestant ainsi notre indépendance en regard de l'empirique, donc notre vocation suprasensible, l'a priori de la moralité (ou de la raison pratique) permet d'apporter une réponse à l'intérêt suprême de notre raison, l'espérance d'un bonheur souverain, divinement dispensé à la faveur d'unc vic future en proportion de la moralité des maximes de notre action. L'agir moral, voilà son souhait secret, n'est pas vain, car il nous rend dignes du bonheur et de l'espoir en une vie éternelle. Nous avons vu que la Critique de la raison pure, dont nous n'avons pas voulu sortir dans cette étude, voyait encore dans l'espoir du souverain bien un mobile parfaitement légitime de l'agir humain. L'objectivité immédiate et impérative de la loi morale conjuguée à l'intérêt de notre raison se porte garant de cet espoir, tenant lieu de déduction transcendantale dans la sphère pratique. On peut ainsi apercevoir, et dès 1781, dans les postulats de l'existence de Dieu et de l'immortalité de l'âme l'authentique conclusion de l'interrogation de Kant sur les ressources de la raison pure. Ce sera aussi la conclusion des deux autres Critiques. En reconnaissant une importance systématique de premier ordre à l'idée d'intérêt, Kant oriente toute son entreprise philosophique et celle de sa postérité sur la voie d'une métaphysique des intérêts de la raison humaine, fondée sur la finitude qui deviendra de plus en plus l'a priori par excellence de la philosophie, son ressort essentiel. Même s'il a toujours pensé que la raison et l'a priori échappaient au temps (A 551 = B 579; A 555-6 = B 583-4), Kant a permis, en vertu de sa métaphysique des intérêts de l 'humanité qui a dévalorisé le saut théorique dans l'atemporel, à la philosophie qu'il a inaugurée, la nôtre, de découvrir la vocation temporelle et par conséquent critique de la raison. Sa métaphysique de la finitude a de jure ramené l'univers des, problèmes métaphysîques aux seules questions qui intéressent directement notre raison. Avant Kant, les manuels de la Schulmetaphysik débordaient de preuves strictement rationnelles sur à peu près toutes les questions du savoir, dont l'infinité du monde et le nombre des planètes. La critique kantienne a eu pour résultat de libérer l'atmosphère de ce qui se pouvait discuter en métaphysique. La métaphysique n'aura plus à disserter sur toutes les questions, mais à se concentrer sur trois thèmes fondamentaux, qui concernent notre

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CONCLUSION

r~alité humaine: l'âme, la liberté et Dieu. On est en présence d'une métaphysique à visage humain qui veut répondre aux interrogations d'une raison immergée dans le temps. Pour sûr, les problèmes et les solutions de la métaphysique kantienne des intérêts de la raison restent encore délimités par l 'horizon de la métaphysique à laquelle il a historiquement donné congé. S'il a ouvert une nouvelle ère à la philosophie, il n'a pas jugé humainement pensable de renoncer aux grandes questions de la tradition métaphysique. Trouvera-t-on le moyen aujourd'hui de redéfinir de façon moins métaphysique, et plus temporelle, les défis et les réponses d'une philosophie des intérêts de la raison? Cela reste à voir. C'est, en tout cas, la question que Kant a léguée à la modernité, c'est-à-dire à la prise de conscience de la finitude. L'idéalisme allemand a été le premier à ne pas s'en tenir à la solution kantienne au problème de la raison, justement parce qu'elle restait tributaire d'un dualisme métaphysique qui paraissait encore situer l'a priori dans un monde transcendant, coupé du nôtre. Pour Fichte, Schelling et Hegel, si l'a priori doit être a priori, c'est-à-dire fondamental, universel et essentiel, il doit le prouver en pénétrant l'ensemble du réel. L'a priori -la raison ou l'absolu - devra donc se confondre avec la totalité du réel. C'est qu'un principe non totalisant ne serait pas un principe absolu et universel. L'opposition de l'a priori à un a posteriori qui ne serait pas (ou pas encore) du ressort de la raison devra s'estomper. Si la notion d'a priori devient caduque, c'est seulement pour s'accomplir. La pensée du fondamental ne peut être maintenue que si l'absolu se déploie de manière vraiment fondatrice, c'est-à-dire comme totalité, donc sans dichotomie du pur et de l'empirique. Afin de se réaliser, l'a priori ne peut que disparaître. Le positivisme a été obligé de rejeter l'a priori idéaliste comme pure construction chimérique qui n'a rien à voir avec le concret de l'expérience et le sérieux du travail scientifique. C'est maintenant dans les sciences exactes que la philosophie tentera de trouver ses a priori et sa raison d'être. Chez Cohen, toutes les lois et les méthodes qui apparaîtront essentielles aux sciences de l'expérience deviendront a priori. Plutôt que de devenir désuet, l'a priori se laissera déduire de l'expérience, de ce qui est fécond en science. La philosophie, naguère science fondamentale, se mettra à la remorque des autres sciences à la fin du dix-neuvième siècle, lequel n'est donc pas fini.

Ilusserl ouvrira la possibilité d'un vingtième siècle en invitant la philosophie à se montrer plus ambitieuse. La philosophie peut redevenir, de son plein droit, une théorie des phénomènes fondamentaux. une science originairement a priori. Comment? En se fondant sur le sol absolu de la subjectivité transcendantale qui lui permettra de porter son regard vers les «lois d'essence », intuitionnables a priori. Heidegger diagnostiquera en cette reprise de l'a priori métaphysique un oubli de la finitude et du temps. La finitude, moteur secret mais étouffé de l'a priori métaphysique, est appelée à devenir le nouvel a priori de la philosophie. Sein und Zeit en est la première mise en marche, mais il prolonge la métaphysique dans sa volonté de s'emparer de l'être sous la clarté du concept et dans son projet d'une existence authentique où le Dasein pourrait comme devancer, 'a priori', sa propre mort. Deux ambitions métaphysiques qui ne résisteront pas à la radicalisation de la finitude que sera l'ultime philosophie de Heidegger. Mais cette finitude sera alors pensée de façon si radicale qu'elle n'osera plus s'afficher comme théorie philosophique de l'a priori. L'herméneutique ne reculera pas devant cette conséquence, qui avait été le point d'achèvement de la Critique de la raison pure et d'Etre et temps. L'a priori herméneutique sera celui de la finitude ou de l 'historicité transcendantale de toute compréhension. Aussi bien dire qu'il n'y a pas d'a priori métaphysique, à notre portée en tout cas. Cette issue n'est pas démobilisatrice. Habermas est de ceux qui peuvent nous enseigner que le dépassement herméneutique de la métaphysique n'entraîne pas l'abandon du projet de la raison, mais permet, bien au contraire, de définir le canon de son exercice véritable. C'est parce qu'un a priori vertical n'est plus manifeste ou recherché qu'il est possible d'oeuvrer avec autrui à la rationalisation du monde et de l'action, en fonction de nos aspirations. La rationalité horizontale qui nous reste est celle de nos intérêts et de la capacité que nous avons d'en discuter, démocratiquement, avec autrui. Elle nous fait accéder à notre maturité et à notre liberté. Confiés à nous-mêmes et au dialogue que nous aimerions pouvoir continuer d'être, nous sommes en mesure de devenir, enfin, des êtres responsables.

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