Jean de Saint-Victor : Traité de la division des royaumes 2503512542, 9782503512549

Dans les premières années du XIVe siècle, Jean de Saint-Victor entreprend la rédaction d'une chronique qu'il f

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Jean de Saint-Victor : Traité de la division des royaumes
 2503512542, 9782503512549

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JEAN DE SAINT-VICTOR Traité de la division des royaumes Introduction à une histoire universelle

SOUSIARÈG lE DE SAINT AUGUSTIN collection dirigée par Patrice Sicard et Dominique Poirel

JEAN DE SAINT-VICTOR Traité de la division des royaum es Introduction à une histoire universelle Introduction, édition critique et traduction par I. Guyot-Bachy et D. Poirel

BREPOLS

© 2002 BREPOLS @J PUBLISHERS, Turnhout (Belgium)

Imprimé en Belgique

D/2002/0095/46 ISBN 2-503-51254-2

Ali rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording or otherwise, without the prior permission of the publisher.

Introduction

En 1108, au pied de la montagne Sainte-Geneviève, Guillaume de Champeaux, ancien écolâtre de Notre-Dame, animé par un désir de solitude et de vie contemplative, a rassemblé une petite communauté. Érigée sous le patronage de Saint-Victor de Marseille, elle s'est rapidement développée, assurée de la protection du roi et des évêques de Paris. Très vite aussi des recrues de choix, Hugues (t 1141), Adam (t v. 1146), Achard (t 1171), Richard (t 1173), André (t 1175), Gautier (t 1179), Godefroid (t ap. 1194), lui ont donné une assise intellectuelle et spirituelle: dès la fin du XII° siècle, les chanoines de Saint-Victor assurent la charge pastorale des étudiants parisiens et en 12 3 7 leur école est intégrée dans l'Université. Deux siècles plus tard, alors qu'approche le 200e anniversaire de leur fondation, les victorins ont bien en mémoire ce qui fait leur histoire: une abbaye de fondation royale, un passé intellectuel prestigieux, une autorité morale reconnue, le tout établi sur les bases matérielles d'un temporel restauré à la fin du XIIe siècle et dont Martin Schoebel a bien montré l'importance et la bonne gestion 1 . Néanmoins, Saint-Victor semble connaître un certain essoufflement à partir de la seconde moitié du XIII° siècle2 • Une crise démographique survenue dans le dernier quart de ce siècle paraît avoir fauché un nombre non négligeable 1

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M. SCHOEBEL, Archiv und Besitz der Abtei St. Viktor in Paris, Bonn, 1991. F. BONNARD, Histoire de l'abbaye royale et de l'ordre des chanoines réguliers de Saint-Victor de Paris, 2 vol., Paris, 1904-1908 ;]. CHÂTILLON, «De Guillaume de Champeaux à Thomas Gallus: chronique d'histoire littéraire et doctrinale de !'École de Saint-Victor», dans RMAL 8 (1952), p. 141-162 et 247272; I. GUYOT-BACHY, Le «Memoriale historiarum» de jean de Saint-Victor. Un historien et sa communauté au début du XIV' siècle, Turnhout, 2000 (Bibliotheca Victorina, XII), p. 73-90.

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de jeunes recrues, freinant par conséquent le renouvellement des générations. Par ailleurs, la cohésion interne de la communauté paraît ébranlée: la discipline canoniale est négligée et surtout point une nette tendance à la dissidence qui, de 1298 et 1339, entraîne peu à peu le relâchement puis la rupture des liens entre l'abbaye-mère et ses filles. Il n'est pas non plus impossible que les victorins aient souffert d'une moindre faveur de la part de Louis IX et de ses successeurs, dont les dévotions se tournent vers d'autres ordres, nouvellement créés. Rien certes ne permet de rendre les ordres mendiants directement responsables du déclin victorin 3 . Mais on ne peut s'empêcher de penser, en dépit du silence des sources, que la similitude de statut (règle de saint Augustin) et de genre de vie mixte existant entre la communauté canoniale et l'ordre dominicain naissant, a pu troubler et faire hésiter plus d'un aspirant à la vie religieuse. Dans cette course au recrutement, le refus victorin de la pauvreté collective, l'intégration a minima à l'Université et le peu d'attirance pour les nouveaux exercices intellectuels qui s'y pratiquaient (quaestiones, commentaires des Sentences puis d'Aristote ... ) ont sans doute rapidement levé l'ambiguïté et finalement desservi les chanoines. Toujours est-il que si les archives victorines livrent deux noms de maîtres ayant sans doute enseigné sous l' abbatiat de Pierre de Ferrières (1275-1288)4, entre Thomas Gallus, qui quitte Saint-Victor en 1218, et Gérard de Saint-Victor, 3 D. POIREL, «Dominicains et victorins à Paris dans la première moitié du Xlll' siècle», dans S. LUSIGNAN et M. PAULMIER-FOUCART (dir.), «Lector et compilator». Vincent de Beauvais, frère prêcheur, un intellectuel et son monde au xm' siècle, Nancy-Royaumont, 1996, p. 169-187. 4 Il s'agit de Pierre de Reims et d'Arnulphe Le Besoche, cf. F. BONNARD, op. àt., p. 335 n. 3 et p. 347 n. 1, cité par M. CHAZAN, L'Empire et l'histoire universelle de Sigebert de Gembloux à jean de Saint-Victor (xu'-XIV' siècle), Paris, 1999 (Études d'histoire médiévale, 3), p. 388 n. 364.

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maître en théologie bien repéré entre 1304 et 131 7, on constate une réelle lacune historiographique. Et, dans l'esprit de bien des historiens modernes, voire chez certains spécialistes de Saint-Victor fascinés par «l'âge d'or» du premier siècle, cette rupture du milieu du XIIIe siècle marque le début d'un véritable dark age victorin qui selon les uns est définitif, ou selon d'autres dure jusqu'au priorat et à l'abbatiat de Jean Lamasse (1422-1458) qui, parallèlement à la réfection de la couverture de l'église et de ses vitraux 5 , s' engagea dans une entreprise d'enrichissement et de réorganisation de la bibliothèque6. Or une telle lecture de l'histoire victorine ignore le Memoriale historiarum, une œuvre produite à Saint-Victor dans la première moitié du XIVe siècle. Par l'ampleur de son projet (couvrir l'histoire de la création aux tempora moderna et offrir en même temps, velut in summa, une synthèse de tout le savoir historique accessible), par son ampleur matérielle aussi (6 5 6 folios si l'on considère l'ensemble formé par les manuscrits BnF lat., 15010 et 15011), par la complexité de la réalisation et la profondeur intellectuelle, la simple existence de cette chronique universelle conduit à s'interroger sur le contexte de son élaboration et à remettre en cause l'idée de l'absence victorine de la scène intellectuelle et universitaire au début du XIVe siècle.

5 J.-P. WILLESME, «L'abbaye Saint-Victor de Paris: l'église et les bâtiments, des origines à la Révolution», dans]. LüNGÈRE (dir.), L'abbaye parisienne de Saint-Victor au Moyen Âge. Communications présentées au XIII' colloque d'Humanisme médiéval de Paris (1986-1988), Paris-Turnhout, 1991 (Bibliotheca Victorina, 1), p. 97-115. 6 G. ÜUY, Les manuscrits de l'abbaye de Saint-Victor. Catalogue établi sur la base du répertoire de Claude de Grandrue ( 1514), 2 vol., Turnhout, 1999 (Bibliotheca Victorina, X), p. 27 et 43: Jean Lamasse acquit une bonne centaine de livres.

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Histoire d'un texte En fait, à ceux qui fréquente nt les sources historiog raphiques du XIVe siècle, Jean de Saint-Vic tor n'est pas inconnu, il jouit même d'une bonne réputatio n et son texte pour les règnes des derniers Capétiens directs a été constamm ent exploité par les historiens modernes . C'est justemen t cette bonne réputatio n dont bénéficie depuis longtemp s la dernière partie de la chroniqu e qui a porté un lourd préjudice à l'ensembl e de l'œuvre: le récit antérieur aux années 1280, une fois posé le jugemen t définitif qu'il ne s'agissait que d'une vile compilat ion, a été complète ment dédaigné et son auteur, reconnu certes comme un témoin de son époque, n'a jamais été considéré comme un historien. Jean de SaintVictor a dû attendre 1981 et l'extrême fin de la vie de Charles Samaran pour faire l'objet d'un article dans !'Histoire littéraire de la France qui s'intéress ât à la fois à sa biographi e et à la globalité de son texte 7 . Embryon de reconnaissance et point de départ pour l'étude, cet article souffrait d'incontestables limites, en particulie r celle de trop se concentre r sur la recherche passionné e de l'identité de l'auteur en écartant sciemme nt l'examen du texte et des méthodes de travail qui avaient sous-tend u sa rédaction . La tradition manuscr ite Compren dre l' œuvre au plus près du projet de son auteur impose donc dans le cas présent de commenc er l'enquête par l'examen des traces matérielle s que sa réalisatio n puis sa diffusion ont laissées. Les listes de manuscri ts établies en leur temps par Guillaum e Mollat (pour les Vitae paparum

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Ch. SAMARAN,jean de Saint-Victor, chroniqueur, dans HLF, 41(1981), p. 123.

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Avenionensium), Charles Samaran et plus récemment Patrick Gautier Dalché, ont pu être complétées et l'on connaît à ce jour dix-neuf témoins, dont treize produits avant le XVIe siècle 8 . La relative modestie des chiffres indique d'emblée un succès qui, sans être négligeable, est resté limité. Les manuscrits médiévaux appellent quelques commentaires. Parmi eux, figure tout d'abord un exemplaire perdu, autrefois possédé par l'abbaye parisienne de Saint-Magloire, et dont se servirent les chanoines de Notre-Dame de Paris au début du XVe siècle pour soutenir leurs droits dans le conflit qui les opposait aux moines sandionysiens à propos du chef de saint Denis. Les pièces justificatives jointes à son article par Henri-François Delaborde permettent de l'identifier et même d'avoir une idée assez précise de son état matériel 9 • Des douze manuscrits médiévaux restants, certains présentent des caractéristiques ou se démarquent par une importance particulière 10 • - Il s'agit d'abord du BnF, lat. 15011, quel' on peut dater du XIVe siècle (avant 1335), qui a toujours été considéré à Saint-Victor comme un manuscrit de référence, très proche de la rédaction. L'examen des folios 4 à 35v, qui correspondent dans ce manuscrit au texte que nous publions ici, semble confirmer cette tradition. En effet, les corrections, toutes portées d'une même main, s'apparentent moins à des erreurs de copiste qu'à des «repentirs» d'auteur, ce qui plaide 8 I. GUYOT-BACHY, Le « Memoriale historiarum » de jean de Saint-Victor, p. 22-

39. 9 H.-Fr. DELABORDE, «Le procès du chef de saint Denis en 1410», dans MSHPIF, 11 (1884), p. 297-409 et I. GUYOT-BACHY, Le« Memoriale historiarum» de jean de Saint-Victor, p. 35-36. Les chanoines de Notre-Dame s'appuyaient en fait sur deux exemplaires du même texte. 10 Pour une vue d'ensemble, se reporter au stemma codicum dans I. GUYOTBACHY, Le «Memoriale historiarum» de jean de Saint-Victor, p. 40-47.

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en faveur sinon d'un manuscrit autographe , du moins d'un manuscrit d' auteur 11 . - Vient ensuite le BnF, lat. 15010, également de la première moitié du XIVe siècle, qui comprend selon les termes mêmes du titre le premier livre de la première partie du Memoriale, dont une longue descriptio orbis terrarum est l' objet principal. Ces deux manuscrits , rangés l'un à côté de l'autre par Claude de Grandrue au début du xvl" siècle en tête du second banc consacré à l'histoire (BBB), n'ont jamais quitté Saint-Victo r avant la Révolution . - C'est également le cas du BnF, lat. 14626, placé lui aussi à une place stratégique par Claude de Grandrue, en clôture du premier banc consacré à l'histoire (AAA) et donc à proximité des deux manuscrits précédents. Cet exemplaire fut réalisé après 1335, puisqu'il mentionne expliciteme nt la translation dont fut l'objet cette année-là la dépouille de Hugues de Saint-Victo r, du cloître, près de l'entrée de l'église, à l'intérieur de celle-ci, en face du maître-aute l. Il constitue une sorte de mise au propre du texte et donne quelques indications précieuses pour comprendr e la conception qu'en eut la première génération qui succéda à l'auteur. Autre intérêt de ce manuscrit: il donne la version originale du récit fait par Jean de la mort de Philippe V, tout à la fin de la chronique, passage qui a subi une mutilation et un raboutage dans le BnF, lat. 15011 où l'on trouve un texte complété beaucoup plus tard et qui offre une version assez différente. - Le manuscrit conservé au Vatican, sous la cote Reg. lat. 595, est lui aussi une mise au propre, établie à partir du 11

Cf. par exemple 1. 87 3 dans la seconde version: les mots summi sacerdotis ont été grattés et remplacés par genere suo (il s'agit de Ptolomée, gendre du grand-prêtre Simon rué par ses soins, cf. I Macc., 16, 11-24). Plusieurs dates ont également fait l'objet de telles corrections.

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lat. 15011, mais sans doute avant 1335 et avant le raboutage, puisque les passages concernés y ont été laissés en blanc. Dépourvu d'ex-libris victorin, on connaît très mal son histoire si ce n'est qu'il appartenait au début du XVI° siècle à Paul Petau, grand «écumeur» de la bibliothèque de SaintVictor12. - Dans la catégorie des manuscrits qui permettent de comprendre les premières étapes de la transmission du texte, on peut encore noter l'exemplaire conservé au Corpus Christi College à Cambridge, sous la cote 60 (CCC 60). Daté de la fin du XIVe ou des premières années du XVe siècle, il comporte un texte qui s'ouvre, cas unique, sur les chapitres 1 à 31 du premier livre de la première partie (cf. BnF, lat. 15010) avant de reprendre le texte de la chronique allant de César à 1322. Portant certains traits d'une facture victorine et des notes de lectures intéressant l'histoire de SaintVictor, il pose aussi la question de la diffusion de l'œuvre. - Il faut enfin évoquer le manuscrit Paris, Bibl. Arsenal 111 7, daté du premier tiers du XIVe siècle et qui est une des pièces maîtresses de l'histoire de l' œuvre. Ce témoin, recensé pour la première fois par Charles Samaran, n'avait jamais été sollicité en vue d'écrire l'histoire des derniers Capétiens directs. Et pour cause, puisqu'en raison de la perte des derniers cahiers, sans doute dès le XIVe siècle, son texte s'interrompt brutalement en 1008. Ce manuscrit se distingue en outre des autres par sa mise en page: le texte est encadré par un système de datation externe très structuré sous forme de colonnes tracées à l'encre noire ou rouge. Le début du texte présente un prologue différent, plus court que dans les autres manuscrits, et une présentation des dif-

12 G.

ÜUY,

Les manuscrits de l'abbaye de Saint-Victor, p. 32.

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férents royaumes singulièr ement moins étoffée, représent ant environ un quart de la version la plus courante. Pour finir, le manuscri t a fait l'objet d'un certain nombre de corrections, d'ajouts marginau x ou interlinéa ires, toutes interventions intégrées au texte des autres exemplai res 13 • Cette dernière remarque est sans doute la plus décisive pour écarter l'hypothè se d'une version résumée ou abrégée. Ce manuscrit est donc l'unique représent ant d'une première version de l'œuvre, sans doute abandonn ée par l'auteur, sans que l'on sache à quel stade de réalisatio n il était parvenu. Les victorins n'ont pas souhaité la diffuser. Cet exemplai re a cependant circulé puisqu'on le trouve en 1400 dans la bibliothèq ue de Jean Golein, provincia l des Carmes qui réalisa plusieurs traductio ns pour le roi Charles V 14 • Le Memoriale historiarum se présente donc sous deux versions dont la seconde se caractérise par ces traits principau x: le récit va jusqu'à 1322, il est précédé d'un prologue long et le développ ement portant sur les royaumes , placé en tête de la chroniqu e qui s'ouvre avec César, est bien plus étoffé (trente folios dans le BnF, lat. 15011). On y relève surtout la présence d'une source nouvelle, le Speculum historiale du dominicain Vincent de Beauvais. Cette œuvre, véritable «réservoir» de sources, permet d'enrichi r le récit et sert de relais pour des textes auxquels Jean n'avait pas accès (comme la chronique universelle d'Hélinan d de Froidmon t) ou qu'il avait très peu exploités dans la première version. Il l'aide aussi à réfléchir sur la mise en forme de son travail et on peut attribuer à la

Voir la démonstrati on dans I. GUYOT-BAC HY, Le «Memoriale historiarum» de jean de Saint-Victor, p. 39-41. 14 ]. NEPOTE,jea n Golein (1325-1403 ): étude du milieu social et biographie, précédées d'une contribution à l'étude de l'évolution du recrutement de la faculté de théologie de Paris dans la seconde moitié du XIV' siècle. Thèse de 3' cycle dacty13

lographiée, Université Paris IV, 1976.

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lecture du Speculum l'apparition dans le Memoriale d'une organisation en parties, livres et chapitres, clairement annoncée dans la seconde version, partiellement réalisée dans le premier livre de la première partie. Ce dernier élément présent dans sa totalité dans le BnF, lat. 15010, partiellement repris dans le CCC 60, est propre à la seconde version. Il est constitué de 170 chapitres calibrés et titrés, comme dans le Speculum historiale; il comporte des indications régulières des sources, compilées ici textuellement, ces deux traits rapprochant encore cette première partie de la méthode adoptée par Vincent. Tout bien pesé, l'apport décisif de l'œuvre du dominicain à celle du victorin paraît plus du côté des choix méthodologiques que de celui de la documentation. Pour reconstituer la genèse de l' œuvre Peut-on à l'aide des données de ces différents manuscrits reconstituer la genèse du texte? Le postulat de départ pourrait être le suivant: dans chacun des prologues l'auteur annonce son attention de conduire le récit jusqu'aux tempora moderna ou tempora nostra. On observe par ailleurs que dans le récit des premières années du XIVe siècle, vers 1302-1304, les événements sont enregistrés avec davantage de précision, comme faisant l'objet d'une prise de notes destinées à construire ce récit contemporain 15 • On peut donc supposer que le projet prend forme à ce moment-là avec, d'une part, cette prise de notes et, d'autre part, le rassemblement de la documentation et le lancement de la première version (Arsenal 1117). Celle-ci est antérieure à 1317 car, à l'année 863, où il est question de la translation des reliques de saint Exupère, contrairement à tous les autres manuscrits, elle

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I. GUYOT-BACHY, Le «Memoriale historiarum» de jean de Saint-Victor, p. 227-

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JNTRODUCTION

ne mentionne pas les miracles dont elles furent l'occasion en 1317, 1318, 1319. L'examen de la seconde version permet de dire qu'elle n'a pas été mise en chantier avant 1307-1309. En effet, Mireille Chazan avait remarqué à la lecture du Tractatus de divisione regnorum dans cette seconde version que tous les repères chronologiques donnés dans ces quelques feuillets l'étaient à l'intérieur de cette fourchette 16 . Ce texte aux limites bien définies a pu fournir le premier élément de la révision de l'ensemble de l'œuvre. Il semble également que les années 1302-1307 de la chronique n'ont pu être rédigées avant 1313 car, pour prendre un seul exemple, rapportant en 1305 la mort de Jeanne de Navarre, Jean raconte les accusations lancées contre Guichard de Troyes, son procès et son transfert à un autre siège épiscopal: ce transfert ne fut décidé qu'en 1313. En revanche, le récit de l'arrestation de ce même Guichard, placé à l'année 1308 et indépendant du précédent épisode, pourrait avoir été rédigé cette année-là, presque sur le vif, car l'auteur ne dit rien alors des suites qui furent données. Enfin, dans le premier livre de la première partie (BnF, lat. 15010), au ch. 99, l'auteur place les débuts de l'histoire de la Bretagne mineure en 385 et affirme que 926 ans se sont écoulés depuis, ce qui permet de situer la rédaction de ce passage en 1311. À cette date donc, il travaille à cette descriptio orbis terrarum, élément du Memoriale auquel on chercherait en vain une quelconque référence dans la première version, alors que son lien avec la chronique est clairement mis en évidence dans la seconde

16 M. SCHMIDT-CHAZAN, «L'idée