Israël-Palestine: que peut le cinéma?

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Israël-Palestine: que peut le cinéma?

Table of contents :
— Avant-propos: Les hirondelles d’un nouveau printemps au Moyen-Orient 3
— Ont collaboré à ce numéro spécial 10
— Préambule: Pour une approche matérialiste (interview de Maxime Rodinson par Yves Thoraval). 12
— CHAPITRE I: UN PRECURSEUR: RAM LOEVY, auteur de «M o i, Ahmed», «Barricades» et «Hirbet Hizza» 21
La tradition libérale et humaniste
L’affaire «Hirbet Hizza»

— CHAPITRE II: POUR LES PALESTINIENS, UNE ISRAELIENNE TEMOIGNE, d'Edna Politi 27
a) Entretien avec Edna Politi: «J’ai lait ce film sans beaucoup d'illusions, mais avec beaucoup d'espoir» (par Guy Hennebelle) 29
b) Trois ans de la vie d’un film, par Edna Politi 32
c) Analyse par Walid Chmayt: «Edna Politi a le tort d’ignorer la nature coloniale de l ’Etat d'Israel, mais elle a su évoquer la vie des Palestiniens 36

— CHAPITRE III: VIVRE EN UBERTE, de Shimon Louvish 40
a) Entretien avec Shimon Louvish: «Créons ensemble un nouvel Etat: «L’Israel-Palestine» (par Guy Hennebelle) 41
b) Note de 1978: La morale de l'histoire: «aventures et mésaventures de mon film» (par Shimon Louvish) 50
Analyse de Mohand Ben Salama: «Des camarades tels que Shimon sont malheureusement encore très rares en Israel» 53

— CHAPITRE IV: DIALOGUE ARABO-ISRAEUEN. de Lionel Rogosïn 55
a) Dialogue entre Amos Kénan et Rachid Hussein. 56
b) Entretien avec Lionel Rogosïn: «Un film vrai sur des émotions vraies», par Han Ziv 63
c) Analyse par Mahmoud Hussein: «Chaque camp doit se méfier de toute tentative de faire partager à l ’autre sa propre vision historique» 65

— CHAPITRE V: NOUS SOMMES DES JUIFS ARABES EN ISRAEL, d’Igaal Niddam 67
a) Entretien avec Igaal Niddam: «Je ne puis lutter pour un Etat palestinien qu'en tant que sioniste et Israélien» (par Guy Hennebelle) 68
b) Entretien avec Monique Nizard-Florack: «Un film d'espoir, une main tendue, un appel» (par Guy Hennebelle) 71
c) Opinions critiques: 75
• Elie el Maleh: «Le film montre une communauté de vie entre Israéliens et Palestiniens» 75
• Amnon Kapeliouk: «Igaal Niddam est prisonnier d'un mythe» 76
• Eglal Errera: «L'immense mérite de Niddam est de dévoiler la richesse culturelle et spirituelle d'une communauté» 78
• Ali Akika:» Non, Igaal, je ne puis accepter ta thèse sur le double nationalisme» 79
• Aly Choubachy: «Que l'on soit ou non d’accord, la démarche de Niddam est intéressante» 83
• Des Juifs arabes: «Niddam rend compte de la personnalité juive-arabe mais ne souffle mot de la transplantation organisée par le sionisme» 86
• Abraham Serfaty, par Mehdi Yakdhan 87

— CHAPITRE VI: LE COMBAT POUR LA TERRE OU LA PALESTINE EN ISRAEL, de Mario Offenberg 88
a) Entretien avec Mario Offenberg: «Spule la lutte commune entre les Arabes et les Juifs permettra de trpuver une issue à la crise» (déclaration à Leipzig et au journal «As Safir») 89
b) Les tâches des films militants dans le conflit palestino-israélien: un dialogue entre qui et qui et sur quoi?, par Mario Offenberg 93
c) L’opinion de l'O.L.P. Un Israélien antisioniste, d’origine juive-allemande reçoit le prix «Hany Jawhariyya» 98

— CHAPITRE VII: SOUVENIRS DU GHETTO, par Han Ziv 100
a) Abraham et Isaac: «Le souvenir de l'holocauste peut-il tout justifier?» 102
b) Sachnine: portrait d'un conflit: «Nous étions venus en Palestine pour fuir les ghettos d'Europe et nous y avons construit le plus grand ghetto de l ’histoire juive» 103
c) Le «Middle East Film Festival», de New-York 108
d) Cinéma et histoire à Valence

— CHAPITRE VIII: ASPECTS DU CINEMA ISRAELIEN 110
a) Panorama succinct 111
b) Filmographie intégrale 112
c) Manifeste: Vers un jeune cinéma israélien? 114
d) Juifs, Arabes et Juifs arabes dans le cinéma israélien, par llan Halévi 115
e) Entretien avec Mdshé Mizrahi: «Je ne vois pas comment l ’on pourrait faire de la Palestine le pays du seul peuple juif: je me définis comme a-sioniste» (par Yves Thoraval) 121
f) «La vie devant soi», vu par «L'Algérien en Europe» 125
g) Filmographie de Moshé Mizrahi 127

— ANNEXES 128
a) Commentaire intégral de «Pour les Palestiniens, une Israélienne témoigne» 129
b) Commentaire intégral de «Vivre en liberté» 139
c] Dialogues intégraux de «Nous sommes des Juifs arabes en Israel» 145
d) Dialogues intégraux de «Le combat pour la terre ou la Palestine en Israel» 159
Bibliographie 164

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ISRAEL PALESTINE

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Que peut le cinéma ?

/

GUY HENNEBELLE ET JANINE EUVRARD

(p Reyue française d'études politiques méditerranéennes m

29 SOCIETE AFRICAINE D ’EDITION

L'AFRIQUE LITTERAIRE ET ARTISTIQUE

REVUE FRANÇAISE D’ETUDES POLITIQUES MEDITERRANEENNES Directeur : Pierre Biarnès

Rédactrice en Chef : Paulette Decraene Deux publications de la Société Africaine d’Editions 32, rue de l'Echiquier - 75010 Paris Téléphone : 523.31.26

Note de l’éditeur aux abonnés : L’AFRIQUE LITTERAIRE ET ARTISTIQUE et LA REVUE FRANÇAISE D ’ETUDES POLITIQUES MEDITERRANEENNES ont uni leurs efforts pour réaliser ce numéro spécial consacré à dix films israéliens dont les auteurs cherchent, chacun à sa façon, une issue progressiste à cette guerre de trente ans. Dans le contexte actuel du Moyen-Orient, leur voix pourra paraître bien faible. Elle a en tout cas le mérite de proposer des chemins qui épargneraient bien du sang et bien des larmes aux deux parties concernées. Notre seule ambition a été ici d’apporter une petite pierre à la construction d’une paix juste pour tous.

Commission paritaire n“ 46.687 et 56.567

ISRAËL-PALESTINE : QUE PEUT LE CINEMA ? SOMMAIRE —

Avant-propos : Les hirondelles d ’un nouveau printemps 3 au Moyen-Orient — O nt collaboré à ce numéro spécial — Préambule : Pour une approche matérialiste (interview de Maxime Rodinson 12 par Yves Thoraval).

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CHAPITRE I : U N P R EC U R SEU R : R A M LOEVY, auteur de « M o i, A h m e d », « Barricades » et « Hirbet Hizza » La tradition libérale et humaniste L’affaire « Hirbet Hizza »■

CHAPITRE II : POUR LES PALESTINIENS, UNE ISRAELIENNE TEM OIGN E, d'Edna Politi a) Entretien avec Edna Politi: « J ’ai lait ce film sans beaucoup d'illusions, mais avec beaucoup d'espoir » (par Guy Hennebelle) ’ b) Trois ans de la vie d ’un film, par Edna Politi c) Analyse par Walid Chmayt : « Edna Politi a le tort d ’ignorer la nature coloniale de l ’Etat d'Israël, mais elle a su évoquer la vie des Pales­ tiniens

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CHAPITRE III : VIVRE EN UBERTE, de Shimon Louvish a) Entretien avec Shimon Louvish: « Créons ensemble un nouvel E ta t: « L’Israël-Palestine » (par Guy Hennebelle) b) Note de 1978: La morale de l'histoire : « aventures et mésaventures de mon film » (par Shimon Louvish] Analyse de Mohand Ben Salama : « D e s camarades tels que Shimon sont malheureusement encore très rares en Israël »

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— CHAPITRE IV : D IA LO G U E AR A BO -ISR AEU EN . de Lionel Rogosïn a) Dialogue entre Amos Kénan et Rachid Hussein. b) Entretien avec Lionel Rogosïn : « Un film vrai sur des émotions vraies », par Han Ziv c) Analyse par Mahmoud Hussein : « Chaque camp doit se méfier de toute tentative de faire partager à l ’autre sa propre vision historique »

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‘ CHAPITRE V : N O U S S O M M ES D ES JU IFS AR A BES EN ISRAEL, d’Igaal Niddam a) Entretien avec Igaal Niddam : « Je ne puis lutter pour un Etat palestinien qu'en tant que sioniste et Israélien » (par G uy Hennebelle) b) Entretien avec Monique Nizard-Florack : « Un film d'espoir, une main tendue, un appel » (par Guy Hennebelle) c) Opinions critiques :

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• Elie el Maleh : « Le film montre une communauté de vie entre Israéliens et Palestiniens » • Amnon Kapeliouk : « Igaal Niddam est prisonnier d'un mythe » • Eglal Errera: « L'immense mérite de Niddam est de dévoiler la richesse culturelle et spirituelle d'une communauté » • Ali Akika : » Non, Igaal, je ne puis accepter ta thèse sur le double nationalisme » • Aly Choubachy : « Que l'on soit ou non d ’accord, la démarche de Niddam est intéressante » • Des Juifs arabes : « Niddam rend compte de la personnalité juive-arabe mais ne souffle mot de la transplantation organisée par le sionisme » • Abraham Serfaty, par Mehdi Yakdhan CHAPITRE VI : LE COMBAT POUR LA TERRE OU LA PALESTINE EN ISRAEL, de Mario Offenberg a) Entretien avec Mario Offenberg : « Spule la lutte commune entre les Arabes et les Juifs permettra de trpuver une issue à la crise » (décla­ ration à Leipzig et au journal « As Safir ») b) Les tâches des films militants dans le conflit palestino-israélien : un dialogue entre qui et qui et sur quoi ?, par Mario Offenberg c) L’opinion de l'O.L.P. Un Israélien antisioniste, d’origine juive-allemande reçoit le prix « Hany Jawhariyya »

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— CHAPITRE V II: SOUVENIRS DU GHETTO, par Han Ziv a) Abraham et Isaac : «Le souvenir de l'holocauste peut-il tout ju s tifie r?» b) Sachnine : portrait d'un conflit : « Nous étions venus en Palestine pour fu ir les ghettos d'Europe et nous y avons construit le plus grand ghetto de l ’histoire juive » c) Le « Middle East Film Festival », de New-York d) Cinéma et histoire à Valence

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— a) b) c) d) e)

CHAPITRE V III: ASPECTS DU CINEMA ISRAELIEN Panorama succinct Filmographie intégrale Manifeste: Vers un jeune cinéma israélien? Juifs, Arabes et Juifs arabes dans le cinémaisraélien, par llan Halévi Entretien avec Mdshé Mizrahi : « Je ne vois pas comment l ’on pourrait faire de la Palestine le pays du seu/ peuple ju if : je me définis comme a-sioniste « (par Yves Thoraval) f) «La vie devant s o i», vu par « L'Algérien en Europe» g) Filmographie de Moshé Mizrahi

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— ANNEXES a) Commentaire intégral de « Pour les Palestiniens, une Israélienne témoigne » ■ ' b) Commentaire intégral de «Vivre en lib e rté » ç] Dialogues intégraux de « Nous sommes des Juifs arabes en Israël » d) Dialogues intégraux de « Le combat pour la terre ou la Palestine en Israël » Bibliographie

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Avant-propos

Les hirondelles d’un nouveau printemps au Moyen-Orient par Guy HENNEBELLE et Janine EUVRARD

Guy HENNEBELLE : Pourquoi ce numéro spécial sur dix films israéliens « pas comme les autres » ? Janine Euvrard explique les raisons qui l'ont pour sa part motivée dans ce travail, qui fut parfois difficile du fait de son hétérogénéité même. Si nos démarches convergent, mon cheminement politique n'a pas été le même, ne serait-ce que parce que je ne suis pas juif (sinon au sens de mai 68 !). Ma prise de position anti-sioniste résulte de trois données : : · le refus de la notion de « peuple élu ». Sur les bancs de l'école (chrétienne), déjà, je refusais d’entériner cette expression exclusiviste qui m'a toujours paru fondamen­ talement raciste, tant dans sa version laudative que dans sâ version retournée : « le peuple maudit * — « Que son sang (du Christ) retombe sur nous et sur nos enfants ». Fadaises que tout cela, me disais-je : comment un Dieu que l'on nous présentait comme suprêmement intelligent pouvait-il avoir imaginé de confier à une catégorie de gens soigneusement délimitée. par un cercle de craie une mission spéciale et des privilèges qui bientôt se retourneraient sous la forme d’une malédiction. Sur­ réaliste au plus haut point m'a paru, dans ces conditions, la récente décision de l'Eglise catholique de «la v e r les Juifs > de l'accusation de déicide puisque ce concept Criminel est par définition aberrant. Nul doute qu'il est responsable des persécutions antisémites qui se sont prolongées pendant deux millénaires et qui ont finalement débouché sur l'holocauste nazi. Malheureusement, la mauvaise conscience aidant (le « Vomito blanco » dont parle Abdelkébir Khattibi), tout ce fatras métaphysique s'èst en bonne partie laïcisé et c ’est une source perma­ nente d'étonnement pour l'athée que je suis (Dieu merci, disait Bunuel) de constater que nombre d’intellectuels de gauche se disant parfois anti-cléricaux, reprennent néan­ moins à leur compte une affabulation d’origine religieuse en psalmodiant le cantique « Terre promise, terre due ». Toutefois, malgré mon refus de cette notion de « peuple élu », j'approuvais, dans un premier temps, la création de l’Etat d'Israël que la propagande occidentale, mais aussi (en 1947) le délégué soviétique à l’O N U, présen­ taient comme un refuge, voire une réparation, pour les rescapés du massacre nazi. Aussi bien, la Palestine n'était-elle pas « une terre sans peuple » ? • « L'ombre chaude de l'Islam » : comme l'écrivain Isabelle Eberhardt (quand rééditera-t-on son livre qui porte ce -titre?) et un certain nombre d'Européens, j'ai sympathisé non avec l'Islam comme religion mais avec le monde qui en est imprégné et j’ai mieux pris cons-

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À droite, Guy Hennebelle discutant avec le cinéaste égyptien Tewfiq Salah, auteur des « Dupes »

cience, dès lors, de l'a u tre crim e : celui qui avait été commis contre le peuple palestinien. Lequel, en tout état de cause n’est en rien responsable de l’antisémitisme chrétien et encore moins du génocide pratiqué par le régime hitlérien. Je me souviendrai longtemps de ce 5 juin 1967 où à Alger j ’entendis tambouriner les radios déchaînées : « Ce matin, Israël, soutenu par l’impéria­ lisme américain, a attaqué la nation arabe ». Intensé émotion et bientôt désespoir accablé de tout un monde que Youssef Chahine a si bien exprimé à la fin de son film « Le Moineau » : « Non, Nasser, tu ne pars pas, tu restes ». • « Israël, ta it colonial ? ». Mais les juifs d'Israël ? Ils avaient droit, eux aussi, à la vie, à l'identité, à la dignité et au bonheur. J’éprouve une vive reconnaissance intel­ lectuelle à cet égard envers Maxime Rodinson car c'est en lisant ses articles, en particulier son fameux » Israël, fait colonial ? » dans le gros dossier pluraliste des «Temps Modernes» en 1967 que j'ai eu le sentiment de comprendre l'essentiel, et le ressort, du problème. Il est clair aujourd'hui que le sionisme, selon l’expression d’Ezzedine Kalak, délégué de l'O.L.P. à Paris, dans la préface du livre collectif sur « La Palestine et le cinéma » que j'ai réalisé avec Khemaïs Khayati, « n’a été qu’une solution illusoire à la question juive ». En effet, seul le cinquième des gens se définissant dans le monde comme Juifs ont'jugé bon de se rendre en Israël où les autres (même ceux, nombreux il est vrai, qui ont des complaisances sionistes) n'ont pas jugé utile d’aller. N'est-ce pas un paradoxe qu'lsraël soit la région du monde où les Juifs sont aujourd'hui le plus en danger ? Il faut méditer l'image du « trou juif » sur laquelle ironisent Emile Ajar et Moshe Mizrahi dans « La vie devant soi »..., « trou » dans lequel Madame Rosa, fatiguée de « s’être défendue » toute sa vie s’en va mourir dans la solitude de son ghetto personnel.

IMAGES DE ROYAN 1975

Khemaïs Chamari, à sa droite, Tahar Ben Jelloun

On me dira : à supposer que vous ayez raison sur ce pourcentage, pourquoi refuser à la minorité de ceux qui considèrent qu'ils font partie d'un « peuple juif », le droit de constituer un Etat sur la base d’un passé historique, d'affinités culturelles et d’aspirations nationales après tout au moins aussi réelles que les fondements sur les­ quels repose maint Etat du tiersr:monde ? Je ne conteste pas la légitimité de cette revendication (même si elle me paraît mythique) mais la légitimité de sa terre d'élection : la Palestine arabe. Imaginons que demain les Tziganes, autre minorité brimée et bafouée par la chrétienté, décident d'occuper la Belgique en y achetant terres sur terres et en invitant pour faire de la place, Hollandais et Français à absorber Flamands et Wallons ?

D anielle Gain, Janine Euvrard, au centre, e t A ly Choubachy

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J'entends mon interlocuteur imaginaire m'objecter que la Palestine n’est pas pour la mémoire juive une contrée comme les autres, et de me renvoyer à la Bible. Deux réponses : d'une part qu'adviendrait-il de notre planète s'il fallait remettre chaque communauté, voire chaque famille, à l’endroit d’où elle présume être originaire voici deux millénaires ? D ’autre part je n’ai jamais com­ pris comment l'on pouvait raisonnablement affirmer que tous les gens qui se réclament aujourd'hui du judaïsme ou de la judéité sont tous des descendants physiques des anciens Hébreux ? Comment expliquer alors les diffé­ rences entre les Sépharades et les Ashkénazes sur le plan morphologique ? Et d’où viendraient les Palestiniens, musulmans et chrétiens? Ne sont-ils pas d'anciens Hébreux convertis au christianisme par le juif JésusChrist et à l’Islam par le prophète arabe Mohammed ? Non vraiment je ne vois pas comment l'o n , pourrait démontrer scientifiquement que tous les Juifs ont davan­ tage de « sang hébreu » (horrible expression à la détes­ table connotation historique !] que les Palestiniens. Et si on le croit, il resterait encore à justifier au nom de quelle morale supérieure les Hébreux avaient été fondés à conquérir la « Falastin » sur les « Philistins » ? On conçoit que l’Etat d’Israël s'évertue à conserver des références théologiques car l'eschatologie sioniste s'écroule une fois que l’on entreprend de l'aborder selon une optique matérialiste. • Restent alors à considérer à ce stade du raison­ nement deux données : — la spécificité juive dans ses diverses expressions socio-culturelles, et sa sensibilité. Comme le souligne dans ce dossier Monique Nizard, elles sont éminemmentrespectables et méritent d'être conservées au même titre que toute culture nationale ou régionale. Mais l’on observe justement que la politique israélienne tend à combattre la culture yiddish et la culture juive-arabe... — le fait accompli de l'existence, en 1978, d'une communauté israélienne qui présente incontestablement des caractéristiques nationales, en particulier une langue et une convergence d'aspirations et de destin. Le mal ayant été commis et les trois millions d'Israéliens ne pouvant être tenus pour responsables du « mauvais tour » qui leur a été joué au détriment des Palestiniens, il faut bien trouver une solution (autre que celle de M. Choukeiri). La mésaventure d'Anouar el Sadate ayant pour le moment démontré, s'il en était besoin, et comme le reconnaissait Amos Kénan dans son entretien avec Rachid Hussein voici plusieurs années, que les dirigeants israéliens ne veulent pas d’une paix qui ne soit de conquête, il reste à espérer, si l’on veut éviter l’apoca­ lypse, que progressistes palestiniens et progressistes

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israéliens trouvent le chemin d'une lutte conjointe pour un avenir inéluctablement commun. Les Européens ne peuvent rester indifférents à ce qui se passe au Moyen-Orient, non seulement parce qu'une guerre finirait par nous embraser, mais surtout parce que l’Europe est doublement responsable de l'aventure sioniste : pour avoir toléré les persécutions antisémites et pour avoir ensuite canalisé dans un sens colonialiste la réaction qui en a découlé. On se souvient que dans son livre « L'Etat juif · , Théodore Herzl écrivait que Israël constituerait pour l'Occident « un rempart contre la barbarie asiatique ». Dans ce volumineux dossier, nous avons voulu attirer l’attention sur di^ films qui n'ont pas eu les moyens ni les honneurs des superproductions mystificatrices de Hol­ lywood, version ancienne (« Exodus ») ou nouvelle (les films sur Entebbe]. Malgré des divergences dans les appréciations du passé et sur les perspectives d'avenir, je me sens fortement solidaire de ces Israéliens coura­ geux qui n’entendent sacrifier ni la fidélité à leur mère ni le respect de la Justice. Ils ne sont pas (même les plus radicaux comme Shimon Louvish et Mario Offenberg, récipiendaire du prix palestinien « Hany Jawhariyya »} d'accord à cent pour cent avec l’O.L.P. car ils se veulent Israéliens et non seulement « j u if s » dans l’Etat mixte de demain mais ils estiment qu'elle est le seul porte-parole d’un peuple ignominieusement chassé de chez lui. Et qu'il faut donc trouver avec elle une issue révolutionnaire à cette guerre de trente ans qui, dans le cas contraire, pourrait devenir une guerre atomique ou une guerre de cent ans. Ils méritent d'être écoutés : après tout les Etats réactionnaires arabes n'ont-ils pas davantage de sang palestinien sur les mains que l’establishment sioniste ? Vérité mathématique que le roi Hussein et le Lion du Liban pourraient difficilement contester. Et n’est-ce pas aussi par des Arabes qu’a été tué Hany Jawhariyya, premier « chahid » du cinéma palestinien ? Ce n’est pas sans raison que Tewfiq Salah a appelé « Les dupes » ( « A I Makhdououn ») son beau-film dédié au peuple pales­ tinien. Cette réalité né peut que conforter, à mes yeux, le cri d’espoir et l’acte de foi lancés à Ι'Ο.Ν.υ. par Yasser Arafat, qui avait dit, s’adressant aux Juifs antisionistes : « Pourquoi ne pourrais-je pas rêver ? Pourquoi ne pourrais-je pas espérer alors que la Révolution consiste à concrétiser les rêves et les espoirs. Agissons ensemble afin que notre rêve devienne réalité». Si ce dossier pouvait être une petite contribution à la concrétisation de ce rêve, nous aurions atteint notre modeste objectif. Il ne nous appartient pas, ici, d’inter-

venir dans le difficile réglement du problème mais du moins pouvons-nous profiter des ressources du cinéma qui se veut justement d’intervention pour faire connaître les positions d’avant-garde des militants les plus progres­ sistes. Puissent ces films être les hirondelles — même fragiles— d'un printemps palestino-israélien au MoyenOrient ! Dziga Vertov, précurseur du cinéma militant, parlait de « films qui engendrent des films ». Nous serions encore plus heureux si ce dossier favorisait la réalisation de l’un ou l'autre de ces films mixtes en deux volets auxquels songent plusieurs de nos amis sous le double titre : « Les Palestiniens parlent aux Israéliens » et « Les Israéliens parlent aux Palestiniens ». Quelle » première » ce serait dans le cinéma mondial ! Dans cette perspective, fasse le ciel que l’idée du collectif new-yorkais « Mabat » d'organiser un colloque « cinéma » trilatéral entre pro­ gressistes israéliens, palestiniens et occidentaux se réalise dans un avenir aussi proche que possible. D'autre part, « être radical, disait Marx, c'est prendre les choses par la racine ». Dès lors souhaitons que voie le jour la vaste fresque matérialiste sur la question juive au sujet de laquelle Yves Thoraval s ’est entretenu avec Maxime Rodinson et à laquelle songe la Libanaise Heiny Srour (qui avait cherché au Dhofar dans son film « L'heure de la libération a sonné » une alternative révo­ lutionnaire aux divers engluements du monde arabe). On aura compris que Janine Euvrard et moi n'avons pas conçu ce numéro spécial comme un document acadé­ mique mais comme un jalon dans une marche sans doute encore très longue...

Adel Riiaat, Bahgat ei Nadi (Mahmoud Hussein)

Janine EUVRARD : Je suis née à Bruxelles le 8 août 1936 d’un père juif allemand et d’une mère juive anglaise, tous deux d'as­ cendance russo-polonaise. M es parents avaient quitté l’Allemagne à l’avènement du nazisme, mais celui-ci les rattrapa en 1942, et je me retrouvai orpheline à six ans, réfugiée en Suisse. C es simples données font de moi, avant même tout choix personnel, le type de la «Juive selon Sartre ». Je ne me sens rattachée à la judéité ni par des liens religieux, ni par des sentiments nationa­ listes. Je ne suis ni sioniste, ni croyante, et cependant je me sens juive, dans la mesure ou les Juifs ont tou­ jours constitué la minorité-type, où et quand que ce soit. Enfant et adolescente, j’ai vécu dans mon être physique et moral la réalité de cette appartenance à une minorité. Je la considère comme une responsabilité et un privi­ lège, et elle a dicté toute ma ligne de vie. Elle pouvait

Edna Politi et Shimon Louvish

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aboutir à un choix d'essence nationaliste, dans ce cas le sionisme. Ou bipn à une solidarité militante avec les minorités du monde : minorités ethniques, sociales, éco­ nomiques. C’est cette dernière voie que j ’ai choisie, démarche cohénpnte pour la femme, la juive, la mar­ xiste que je suis.

Khema'is Khayati

Au micro, Lotfallah Soliman, à sa droite, Kenize Mourad

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Certes, il est utopique d'exiger d'une communauté humaine qu'elle renonce au nationalisme à une époque où celui-ci s’affjrme dans le monde entier avec une violence exacerbée. Mais on peut s'interroger sur le bien-fondé d'une voie nationaliste de l’émancipation socio-économiqu^ d'une telle communauté en butte à l'oppression de l'internationale du grand capital. Ce grand capital demeure essentiellement l’apanage de la race blanche, abstraction faite de ses quelques valets de couleur. Et cette opposition ethnique se retrouve à l ’intérieur même de l’actuel Etat d'Israël, où une majo­ rité de Sephardim d'origine africaine et moyen-orientale est économiquement et politiquement dominée par une minorité d’Ashkenazes d'origine européenne. Or, ces Juifs « orientaux », loin de se solidariser avec leurs frères de classe arabes, adoptent à leur égard la même attitude de défiapce et d’hostilité basée sur la peur que les « petits blancs » du Sud des U.S.A. vis-à-vis des Noirs, et ce pqur de semblables raisons. D’où, dans l'Israël d’aujourdihui, l’existence d’un «consensus» très large à base nationaliste, qui rend très difficiles les acti­ vités des partisans d’une ouverture vers l ’interlocuteur d ’en face. D'autres que moi pourront parler des difficultés désespérément symétriques rencontrées à l’intérieur de l ’autre camp. Le terme même de dialogue a été galvaudé au cours de tant d'expériences décevantes qu'il se trouve bien déprécié aujourd’hui. Peut-être faut-il se rabattre sur une ambition plus modeste, mais non moins indispensable : cplle de la confrontation des thèses, celle du minimum de tolérance nécessaire pour, du moins, voir et entendre le point de vue de l ’autre. C'est ici que le cinéma peut et doit jouer un rôle privilégié. Je ne me sens pas apte à l'action militante armée, d'ailleurs hors de situation dans nos pays. Je crois d'autre part que les minorités du Tiers-Monde (des TiersMondes, car il en existe ici même !) doivent régler entre elles les problèmes de leur coexistence, et ceci s'ap­ plique particulièrement au Moyen-Orient. Mais je crois que le Cinéma a son rôle capital à jouer dans une meilleure connaissance des problèmes grâce à l'informa­ tion qu'il peut dispenser. Et j ’ai trouvé là le terrain sur lequel j'estime être en mesure d'apporter ma pierre à l'édifice de la coexistence pacifique (et peut-être, un jour, fraternelle) des peuples de la Terre. Il y a quel­ ques années, l'occasion m'a été donnée de matérialiser pour la première fois mon rêve d'une confrontation cons-

tructive des peuples du Tiers-Monde par le moyen du cinéma, lorsqu'en 1973 on m’a confié la section Cinéma du Festival d’Art Contemporain de Royan. Pendant mes quatre années d'activité dans cette ville, Royan a été le théâtre du seul Festival européen consacré exclusivement au Cinéma du Tiers-Monde. Et le Festival de 1975, consacré au Moyen-Orient, sujet explosif entre tous, a permis pour la première et jusqu’ici seule fois la ren­ contre, au cours de deux journées, de cinéastes israéliens de gauche, ouverts au problème palestinien, et des Pales­ tiniens de gauche, ouverts au problème israélien. Malgré le scepticisme indéracinable (et hélas à nouveau conforté par l’actuelle disparition d’un pâle soleil de novembre) des tenants de la Realpolitik, je persiste à .croire que seule la poursuite inlassable de pareils contacts nous rapprochera d’une solution de toute façon inéluctable — qu’on l’appelle Israël-Palestine ou Palestine-Israël, peu importe. D'ailleurs, les professionnels de la politique n’ont à ce jour rien de plus positif à opposer à nos ten­ tatives « artisanales », qui ont du moins le méritq de ne pas faire couler le sang et d'aider peut-être à un certain désarmement des esprits... C 'e st dans ce sens, la poursuite de l’effort de confron­ tation et de connaissance entrepris à la plate-forme Moyen-Orient du Festival de Royan 1975, que se présente le travail que voici. Il se veut l'expression d'une attitude d’ouverture et de bonne volonté, préférant les perspec­ tives d'avenir au remâchement stérile d’un passé désormais intangible. Il est permis d’estimer que la création, dans les conditions où elle s'e st effectuée il y a trente ans, de l’Etat d’Israël, a été un cadeau empoi­ sonné . pour les juifs. M ais il n’est plus temps de s ’en affliger .-depuis trente ans, cet Etat existe, et il «faut faire avec i. De même que la conscience nationale du peuple palestinien, cristallisée depuis une quinzaine d’années seulement, et en grande partie grâce à l’affir­ mation parallèle du fait national israélien, est une donnée dont personne ne pourra plus jamais faire abstraction. Sans la présence de l'un et l'autre de ces interlocuteurs (les seuls directement concernés par le problème, à l'exclusion de tous les autres I), tout Travail d'approche et de connaissance est vide de sens. C'est cette double présence qui constitue la substance même

du dossier que voici. Israël et Ismaël ne sont séparés que par la différence d’une seule lettre. A mi-distance se trouve la lettre P, celle du mot Paix. Je pourrais ajouter que durant toutes ces années de travail et de préoccupations au sujet du Moyen-Orient, il m’est apparu qu'à part le cinéma aucune forme d'ex­ pression artistique israélienne parvenue en Europe n'avait vraiment essayé d'établir un dialogue, de susciter une rencontre, avec l'Autre, le Palestinien. C 'est une des raisons qui m’ont poussée à cèrëalisèr ce dossier consacré à de jeunes cinéastes israéliens qui ont eu le courage de prendre des risques. Risques puisque les uns ont vu leur film censuré en Israël et les autres sérieusement compromis leur retour et leur travail là-bas, au moins pour le moment. Les derniers événements ne nous laissènt, hélas, que peu d’espoir sur l’avenir de ce cinéma, et de sa diffusion en Israël. Janine EUVRARD. • Jan in e Euvrard a été à partir de 196 6 scripte et assistante de production, a u ciném a et à la télévision, a u Québec et err France. En particulier avec A rt h u r Lam othe, Je a n -C la u d e Sée, Je an-D an iel Pollet, Barbet Schroeder, Je a n-P ie rre Prévost et M a rtia l Raysse. Entre .1973 et 1976 elle a été responsable des program m es, section cinéma, a u Festival In terna tion a l d 'A r t C on te m p orain dé R oyan (France) où elle a créé un festival du ciném a du tiers-m onde oui a successivem ent traité les thèm es su iv a n ts : Le droit d'exister, l'A m é ­ rique latine, le M o ye n -O rie n t, l'A s ie du S u d -E st (et un hom m age à Joris ivens). D ep uis 1977, elle est responsable à Paris du Festival In terna tion a l d u Film de la C ritiq u e Q uébécoise (M ontréal). • G u y H ennebelie est critique de ciném a depuis 1962.. I] a , t r a ­ vaillé de 1965 à 1968 a ü quotidien algérien, « El M oudjâfiid ». Il collabore actuellem ent à plusieurs journaux et revues dont. « Ecran », « L 'A f r iq u e litté ra ire » et « A fr iq u e -A sie ». Il est l'a u te ü r dés o u ­ v ra g e s : « L e s ciném as a fric a in s en· · .1972.» ..suivi de « L é 'n p u v e a u ciném a algérien » (plaquette tirée à p art du n® 2 9 de « L 'A friq u e littéraire *), « Q u in z e a n s de ciném a m ondial : 1 9 6 0 -1 9 7 5 * (publiée sous le titre « Les ciném as n a tio n a u x contre H ollyw ood » a v e c -u n e préface dé Fernand o Solünas, eh esp a gn ol et en portugais), « Guide des film s a n ti-im p é ria liste s» , « Le ciném a m ilita n t fra n ça is » (pré­ facé par Joris Ivens), « Q u atre jours pour le ciném a m ilitan t » (docum ent réalisé avec R obert Prot et R ené V a u tie r et publié par la M a iso n de la C ultu re dé Rennes)., II a coréalisé avec K h em d ïs K h a ya ti un livre co llectif sur « La Palestine et le ciném a », préfacé par Ezzedine K a la k et M u s ­ ta p h a A b o u Ali, de l'O.L.P., qui a reçu en 1977 le,prix « M a h m o u d H a m cha ri ».

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Ont collaboré à ce numéro Ali Akika : cinéaste et critique algérien, co­ auteur des films *< Attention aux provocateurs » (sur la guerre d'Algérie), « L'Olivier » (sur la Palestine) et « Voyage en capital » (sur l'im­ migration). Membre du comité de rédaction de la revue « CinémArabe ». Mohand Ben Salama : cinéaste et critique algérien, co-auteur du film « A cloche-pied sur les frontières » (l'acculturation des enfants im­ migrés). Collaborateur de « El Moudjahid » et de « France-Pays Arabes ». Ancien collaborateur du « Film Français ». A participé à l’ouvrage col­ lectif sur « La Palestine et le cinéma ». Walid Chmayt : critique et cinéaste libanais, fondateur et secrétaire général de l’Union des critiques Arabes, ancien rédacteur en chef du bulletin trilingue du Centre Interarabe du Cinéma et de la Télévision à Beyrouth, critique au journal « Al Destour » (Londres). A été aussi scénariste et acteur dans plusieurs films. Auteur d’un film sur la guerre du Liban. Aly Choubachy : critique égyptien. A collaboré au Caire aux revues « Al Kawakeb » et « At Talia ». A Paris à « Positif » et « Le Monde Diplo­ matique ». Collabore actuellement à l’Agence France Presse. Membre du comité de rédaction de la revue « CinémArabe ». A participé à l'ouvrage collectif « La Palestine et le cinéma ». Réalisateur du court-métrage « Winter » (qui fut projeté au festival de Royan en 1975). 10

pécial : Eglal Errera : Juive née en Egypte. Arabo­ phone. Etudes de sociologie en arabe et hébreu. Co-auteur avec Doris Bensimon-Donath de « Israël et sqs populations ». Prépare un livre sur « Un village musulman en Israël ». Hairy Halbreich : musicologue apatride, spé­ cialiste de musique contemporaine, ex-directeur du Festival de Royan, où il a collaboré avec Janine Euvrard, passionné de cinéma et de ses rapports avec la musique. Han Halevi : journaliste israélien anti-sioniste, a été pendant plusieurs années correspondant de « Libération » et « Politique Hebdo » à Jéru­ salem. Installé depuis juillet 1976 à Paris, il édite un bulletin mensuel intitulé « Nouvelles de l'intérieur ». Auteur de « Sous Israël, la Pales­ tine » (éd. Sycomore, 1978). Mahmoud Hussein : pseudonyme de deux écrivains égyptiens qui travaillent ensemble depuis vingt ans : Adel Rifaat et Bahgat el Nadi. Auteurs de « La lutte des classes en Egypte » (Maspéro 1969, 71, 74, 75), « Les Arabes au présent » (Seuil, 1974), « Arabes et Israéliens : premier dialogue» (Seuil, 1975). Amnon Kapeliouk : journaliste i s r a é l i e n , licencié d’arabe et d’histoire du Proche-Orient de l’université de Jérusalem, a soutenu une thèse de doctorat en Sorbonne sur les Arabes en Israël. Depuis 1967, collabore au « Monde » et au « Monde Diplomatique ». Correspondant pour les affaires arabes du quotidien « Al

Hamishmar » de Tel-Aviv, membre du comité de rédaction du mensuel « New Outlook >* (rubrique « A la recherche d’une solution juste au conflit du Moyen-Orient »). Auteur de « Israël : la fin d'un mythe » (Albin Michel, 1975).

Khemaïs Khayati : ancien critique du quotidien tunisien « L'Action », co-fondateur de la revue « CinémArabe », collaborateur de « France-Cul­ ture », enseignant à Paris III (Censier) de littérature et de cinéma arabes. Co-auteur de « La Palestine et le cinéma ». Elie el Maleh : Juif marocain venu en France en 1953. Cas vraisemblablement unique : a été assistant à l'université de Tel-Aviv au titre de la coopération française. N'a pu y réaliser ses espoirs politiques. En 1973, a créé la section française des « Panthères noires ». A collaboré à la revue « Minorités ». Est actuellement pro­ fesseur de lycée à Paris. Collabore au « Monde » et au «Monde Diplomatique», ainsi qu’aux « Nouveaux Cahiers ». Maxime Rodinson : sociologue et orientaliste français. Directeur à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes. Auteur de très nombreux essais théo­ riques et de travaux scientifiques. Parmi lesquels « Israël, fait colonial ? » (in « Les Temps Modernes », n° 253 bis, 1967), Auteur de

nombreux livres dont « Mahomet » (Seuil, 1961), « Israël et le refus arabe » (Seuil, 1968), « Islam et capitalisme » (Seuil, 1972). Yves Thoraval : journaliste et critique fran­ çais. Auteur du livre « Regards sur le cinéma égyptien » (C/O L'Harmattan éditions). Collabo­ rateur à «D roit et Liberté», «Revue d’Etudes Méditerranéennes », « Europe », « France-Pays Arabes » et « L’Afrique littéraire et artistique ». Lecteur aux éditions du Seuil. Co-auteur de « Algérie : cultures et révolution » avec Bruno Etienne (Seuil) et traducteur de A. Toynbee « Afrique arabe, Afrique noire » (Sindbad). Prépare un livre sur le Soudan.

Les cinéastes suivants interviennent dans ce dossier : — — — — — — — — —

Ram Lœvy, Shimon Louvish, Moshé Mizrahi, Igaal Niddam, Monique Nizard-Florack, Mario Offenberg, Edna Politi, Lionel Rogosin, Ilan Ziv.

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PRÉAMBULE

Pour une approche matérialiste Maxime Rodinson On ne peut aborder le conflit israélo-palestinien sans renvoyer d'uhefAaçôn; ou d'une autre à la «question Juive» qui, pourtant, est le plus souvent mât pcfsèe:· Dans le but de susciter un film matérialiste sur une histoire aussi originale, nous avons proposé à Maxime Rodinson d'expliquer comment il verrait, lui, ce film. Yves Thoraval l'a rencontré à cette fin. YVES THORAVAL. — Les films hollywoodiens et arabes de circonstance, pour ou contre le sionisme, ont accrédité beaucoup d’idées erronées sur le problème. Nous aime­ rions que cet ouvrage débouche sur des concertations entre réalisateurs palestiniens et israéliens et, peut-être, sur un film qui traite avec justice et impartialité de la question juive. Si vous étiez le conseiller d’un tel film, quels sont tesgpoints d’élucidation qui devraient être pri­ vilégiés ? Faudrait-il, par exemple, dépoussiérer des concepts ambigus comme : >> Je pense que Mohamed a bien exprimé ce que fut l’essence de la tragédie de la Marche du 30 mars. Humiliation, choc, et totale désillusion. Qu’est-il arrivé au juste lors de la Journée de la Terre ? Qui a ouvert le feu ? L’Armée a-t-elle tiré sans provoca­ tion ou pour se défendre ? D ’une enquête que j’ai menée, j’ai déduit que : a) dans aucune manifestation juive, aussi violente fûtelle (incendie de voitures de police, etc.) l’armée n’avait été présente et aucune balle n'avait été tirée ; b) l’armée avait organisé une démonstration de puis­ sance la veille de la grève ;

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c) des tanks et voitures blindées avaient été amenés dans les villages cpmme s ’il s'agissait de combattre une population armée. Leur présence contribua à échauffer l'atmosphère ; d) les comptes-rendus du lieu où les victimes ont été tuées et de la manière dont les blessés ont été traités dans les hôpitaux sont tous horribles ; e) le gouvernement a refusé de nommer une commis­ sion d'enquête publique. Mohamed Abou Raia résume l'impression de tous par ces paroles pittoresques : « Imaginons que les chars de l'armée soient entrps dans le village décorés de pigeons blancs et montés par des soldats qui chantaient des hymnes de fraternité et de solidarité. Supposons même que les jeunes mianifestants arabes aient commencé à jeter des pierres sans raison apparente. Même cette situation absurde g'aurait pas justifié l’assassinat de six civils. » Je rencontre des paysans qui ont visiblement beaucoup souffert des expropriations. La plupart sont illettrés et s'expriment avec difficulté. Je revois Muary : il n'a toujours pas eu son permis. Il n'en a besoin que pour un seul jour. Autrement il perdra sa récolte, qui doit constituer sa seule nourriture pour le reste de l'année. Il passe par des phases de prostration et d’exaltation... La pièce n’est pas belle, respire la pauvreté. L’affirmation selon laquelle les Arabes israéliens ont gagné richesse et biens en vivant en Israël n’est pour le moins pas vraie pour tout le monde. Les perdants sont toujours silen­ cieux. Beaucoup sont comme Muary : des yeux noirs et tristes et dix enfants qui vont les pieds nus et le nez enchifrené. Beaucoup, comme lui, doivent louer quatre acres de terre parce qu'on leur a pris la leur. Ils survivent difficilement. Lundi

Voici mon dernier jour au village. La nuit dernière j’ai enregistré pendant des heures un débat avec un groupe de jeunes. Beaucoup de leurs propos auraient pu être enregistrés aux U.S.A. dans les années 1960 chez les Noirs américains. Ils parlent de la discrimination dans l'éducation, de la suppression de leur identité cultu­ relle, des remarques racistes que contient la littérature israélienne enseignée dans les écoles primaires. Comme le note Mohamed Abou Raia : « Je suis obligé d'ensei­ gner aux enfants de ma classe que le peuple sauvage dont parle le poète, c'est nous, les Arabes ! Pourtant nous avons une culture ancienne et réputée... » Ces faits révèlent clairement le caractère inefficace

et démodé de la politique israélienne qui vise à faire des Arabes de bons Juifs. Le programme d’éducation vise à leur assimilation en luttant contre les tendances nationalistes au sein de la société arabe. Mais cette politique n'a jamais marché, étant donné la discrimina­ tion subtile qui règne sur le marché de l'emploi. Il est difficile pour des Palestiniens de suivre des études de sciences exactes parce que cela relève de la sécurité nationale, alors ils doivent étudier plutôt les arts et les sciences sociales. Un diplômé arabe est rarement employé par une institution israélienne ou une agence gouvernementale. La plupart du temps, il ne peut qu’en­ seigner au sein de sa propre société. Les jeunes Arabes font constamment le rapprochement, avec la lutte des Noirs américains pour les droits civils. On m’a souvent interrogé là-dessus. Malcolm X est une des idoles des militants arabes. Mardi J'ai quitté le village pour un kibboutz situé tout près, comme prévu, pour montrer les bandes à de jeunes Juifs et enregistrer leurs réactions. Cette idée avait fort excité les villageois. Ils étaient impatients de pouvoir regarder ensuite les bandes tournées avec les Israéliens, impatients de voir comment ils réagiraient à leurs doléances. Mon idée en tournant dans un kibboutz était de confronter une communauté agricole israélienne et arabe. Avec l'espoir que les gens du kibboutz compren­ draient mieux l’attachement émotionnel des Arabes à la terre. Jeudi La rencontre au kibboutz a été décevante. Je n'ai trouvé qu’indifférence et cynisme, ainsi qu'une incapa­ cité à percevoir l'essence de la frustration des Arabes. Ils étaient plus sceptiques que moi sur notre aptitude à résoudre le conflit. Pour eux, la question était de savoir qui dominerait la situation' en Palestine : ils avaient choisi leur camp. De retour au village, j ’assistai à un mariage, qui devait durer trois jours. Nous accompagnâmes le fiancé à la maison de sa promise en une longue procession qui prit des heures. Le fiancé était entouré'dé danseuses tandis qu'en face de lui des poètes chantaient à l'aide d ’un haut-parleur installé sur un tracteur derrière lui, Les hommes avançaient en file d'un côté de la route, en chantant et en frappant dans leurs mains sur le rythme des airs des poètes. A mi-chemin, des jeunes commen­ cèrent à entonner des chants nationalistes palestiniens. Lés plus âgés les menacèrent de partir et les poètes de cesser la cérémonie mais rien n’y fit. Les jeunes l’empor­ tèrent, la procession continua et, apparemment unifiée, reprit en chœur les chants palestiniens.

Il y avait quelque chose de fascinant dans cet incident. J’étais le seul Israélien du village et je me suis senti exclu. Mais la détermination et la conviction des jeunes d'un autre côté étaient très émouvantes. Les chants de la propagande arabe nationaliste à la radio constituaient ma grande crainte quand j ’étais enfant. C’était une paranoïa de grandir dans un ghetto entouré d’ennemis qui menaçaient mon existence physique. Adulte, j ’ai appris la complexité du problème mais d’une cer­ taine façon ces peurs enfantines demeurent incrustées dans mon esprit. La procession du mariage qui devenait une manifestation spontanée réactiva ces peurs mais à ceci près que maintenant je me trouvais de l’autre côté où j ’avais la possibilité de nous voir, nous les Juifs, d’un point de vue arabe. J’ai vu comment un rituel traditionnel se muait en une manifestation politique et compris le lien entre les deux pour la première fois. Nous étions venus en Palestine pôur fu ir les ghettos européens, symbole traumatisant de notre passé. Nous étions venus pour préserver notre identité culturelle et nationale. Mais à la place nous avons créé le plus grand ghetto de l’histoire juive, bien fortifié et bien armé, au milieu d'une région hostile que nous ne comprenons pas et dont nous n’apprécions pas la culture. Nous sommes restés enfermés dans nos peurs et nos méfiances, inca­ pables de communiquer. Nous avons utilisé le pouvoir non pour notre défense mais aussi pour réaliser nos fantai­ sies comme si nous étions opprimés. Nous sommes devenus les victimes de nos propres craintes et de nos traumatismes. Nous ne pouvons engager un dialogue, trop occupés que nous sommes à nous écouter nousmêmes. Au mariage, me sentant sans maison et étranger, j'ai vu comment nous étions en train de nous acheminer confusément vers l’autodestruction. Nous sommes tombés dans la trappe de l ’illusion de la puissance à la manière de nos oppresseurs du passé. On dirait maintenant que la violence est devenue le seul moyen de communication dans la région. Le bon sens et la logique ont disparu. Je suis sûr que je n’ai pas réussi dans cet article à donner un point de vue objectif sur le pro­ blème, mais l ’objectivité devient chaque jour plus impos­ sible. L'émotion est la seule vérité personnelle que j'éprouve dans ce chaos. Dans une ère d’aliénation gran­ dissante et de haine nous avons besoin de quelqu’un qui crie aussi fo rt que possible que derrière les slogans et les discours, les arguments et les contre-arguments dont le sionisme se drape, une terrible saga de souffrance se dévoile, qui deviendra pour moi la seule vérité valable dans une rétrospective historique. lian ZIV (New-York, 1976).

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3 - “ Middle East Film Festival de New-York Deux Objectifs : •

Analyser le cinéma existant ;



Produire des films différents.

Nous organisons le « Middle East Film Festival » au « Bleecker Street cinéma » à New-York (7-14 mai 1978) avec un double objectif : examiner comment le cinéma reflète les divers aspects sociaux, politiques et écono­ miques du Moyen-Orient contemporain et favoriser la tenue d’un forum avec la participation des cinéastes du Moyen-Orient dont les films — et les points de vue — ne sont pas pris en considération aux Etats-Unis. A cette fin, nous avons cherché des films disponibles de tout format, tant de fiction que documentaires, courts et longs, commerciaux et non commerciaux; anciens ou récents. Les projections ont été prévues en fonction de certains thèmes tels que les transformations culturelles, la lutte pour la justice sociale, le rôle des femmes et l ’autoreprésentation des Palestiniens et des Israéliens. Les projections du soir doivent être suivies de débats avec des réalisateurs et des critiques sur le style et le contenu des films. Le festival se clôturera par un colloque d’une journée sur le rôle des médias à propos du Moyen-Orient. Le public attendu est celui des gens qui se sentent concernés en général par le Moyen-Orient, mais il com­ prendra aussi deux groupes particuliers : les cinéastes d'une par* et les militants ayant un engagement direct, politique ou culturel, dans le problème d’autre part. Nous espérons que ce festival favorisera la diffusion d'infor­ mations et de points de vue nouveaux. Pour ce qui est des gens de cinéma et des militants, nous espérons qu'il stimulera la communication et la coopération en vue de projets à venir, notamment la production et la distribution de films en provenance ou au sujet du Moyen-Orient. Nous avons sélectionné entre autres, les films suivants : — Dialogue arabo-israélien, de Lionel Rogosin, U.S.A. 1973. Voir le chapitre IV de ce dossier.

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— Un peuple élu : qui est ju if ? de Herb Krosney, 57 minutes, couleur, Canada 1973. Série d'interviews à propos des frictions qu'engendre en Israël le système théocratique : conversions, mariages mixtes. Le fondement du film est anti-religieux. — Un mur à Jérusalem, de Frédéric Rossif, 95 minutes, noir et blanc, France, 1969. La tradition juive et le sionisme. — Derrière le voile, d'Eve Arnold, 37 minutes, couleur, U.S.A., 1977. Un mariage en Arabie Saoudite: le rôle de la femme dans l'Islam. — Islam, 34 minutes, couleur, U.S.A., 1975. Aperçus rapides sur les plans politique, culturel et religieux de la communauté musulmane, du Prophète à nos jours. — Puisse la paix commencer avec moi, 30 minutes, couleur, Israël, 1974. Interviews de. trois membres d ’un kibboutz fortifié au Golan. — Les dupes, de Tewfiq Salah, noir et blanc, Syrie, 1972. Adaptation par un cinéaste égyptien du roman de l'écrivain palestinien Ghassan Kanafani « Des hommes au soleil » : comment le peuple palestinien a_ été trompé, utilisé, manipulé. — Juifs arabes^ de Mark Doljoy, 28 minutes, couleur, Canada, 1976. Les luttes des Juifs dans les pays arabes dans le passé et aujourd'hui, notamment en Syrie et en Irak. Le film évqque aussi le cas des Juifs arabes en Israël à travers yne interview de Panthères noires . — Terres promises, de Susan Sontag, 87 minutes, couleur, U.S.A., 1974. Tourné en Israël après la guerre d’octobre 1973, une réflexion sur une terre « doublement promise ». — Tell el Zaatar, du Groupe du cinéma palestinien, couleur, 1977. La résistance des Palestiniens dans ce ghetto. — Les Arabes en Israël vus par eux-mêmes, 28 minutes, couleur, Israël, 1976. Interviews de quatre Arabes israé­ liens : un juriste, un professeur, une syndicaliste et un

pasteur. Malgré un point de vue nettement pro-ïsraélien, le film contient d’intéressants éléments de débat. — L'heure de la libération a sonné, de Heiny Srour, couleur, 60 minutes, Liban, 1973. La lutte de libération au Dhofar, le rôle des femmes. — La clé, de Ghaleb Chaas, couleur, 28 minutes, Pales­ tine, 1976, Samed Productions, Réalisé pour une confé­ rence des Nations Unies sur l’habitat, ce film montre comment, dépossédés de leurs terres, les Palestiniens comptent toujours y retourner. — Le siège, de Gilberto Tofano, 95 minutes, noir et blanc, Israël, 1970. Une veuve israélienne après la guerre de 1967. — Le péché, de Henri Barakat, 105 minutes, noir et blanc, Egypte, 1965. Une paysanne du Nil étouffe l'enfant né d’un viol. — Le moineau, de Youssef Chahine, 110 minutes, cou­ leur, Egypte, 1973. La guerre de 1967 et ses répercussions sur le peuple égyptien : refusant la défaite, il refuse aussi la démission de Nasser. — Femmes et enfants dans la guerre, 15 minutes, cou­ leur, Israël, 1975. Interviews de mères et d'épouses sur la guerre avec les Arabes. — Le 23’ cessez-le-feu, 60 minutes, couleur, 1976, par Jean-François Dars, Anne Papillaut, Marc Mourani et Marc Kravetz. La guerre du Liban. — La marche des brancards (Paratroopers), de Judd Neeman, 90 minutes, couleur, Israël, 1976. Un soldat de l'armée israélienne (Tsahal) se suicide parce qu'il ne peut supporter le climat qui y règne. — Vivre en liberté, de Shimon Louvish, 60 minutes, couleur, Israël, 1975. Voir notre chapitre III dans ce dossier. Et de nombreux autres titres sur des sujets connexes. • LE PROBLEME JUIF ET LA PALESTINE Dans le cadre du cycle annuel « Cinéma et Histoire » organisé chaque année à Valence (France) par Jacques Grant, aura lieu, entre le 7 et le 14 avril 1978, une mani­ festation sur le thème « Le problème juif et la Palestine ■>. Il nous a paru intéressant de publier la liste des films sélectionnés. — Nous sommes des Juifs arabes en Israël, d'Igaal Niddam, 1977. — La colline 24 ne répond plus, de Thorold Dickjnson, Israël - Grande-Bretagne, 1954. — Il ne suffit pas que Dieu soit avec les pauvres, de ' Borhan Alaouie, Egypte, 1976.

— Scènes d ’occupation à Gaza, de Mustapha Abou Ali, Palestine, 1973. — L’olivier, du Groupe Cinéma de Vincennes, France, 1976. — Le péril juif, de Fritz Hippler, Allemagne, 1940. — Le Juif Süss, de Veit Harlan (Allemagne). — Zarka, film pakistanais. — L ’homme de Berchtesgaden (Adolf et Marlene), de Ulli Lommel, R.F.A., 1976. — Samson et Dalila, de Çecil B. de Mille, U.S.A., 1949. — Les croisades, de Cecil B. de Mille, 1935, U.S.A. — L’ombre d ’un géant, de Melville Shavelson, U.S.A., 1966. — Un mur à Jérusalem, de Frédéric Rossif, France, 1968. — Exodus, d ’Otto Preminger, U .S .A., 1960. — Fortini Cani, de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet, Italie. 1976. — Maître après Dieu, de Louis Daquin, France, 1950. — Kafr Kassem, de Borhan Alaouie, Syrie-Liban, 1974. — Ici et ailleurs, de Jean-Luc Godard, France, 1970-1974. — Lumière du néant, de Nessim Moussak, Israël, 1973. — Sanaoud, de Slim Riadh, Algérie, 1972. — Pour les Palestiniens, une Israélienne témoigne, d’Edna Politi, R.F.A,, 1974. — Το live in freedom, de Shimon Louvish, GrandeBretagne. — Agression sioniste, de Mustapha Abou Ali, Pales­ tine, 1972. — La clé, de Ghaleb Chaas, Palestine, 1976. — Les dix commandements, de Cecil B. de Mille, U.S.A., 1956. — Moïse et Âaron, de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet, R.F.A.-Autriche-ltaiie-France, 1974-1975. — Judith de Béthulie, de D. W . Griffith, U.S.A., 1914. — Révolution jusqu'à la victoire, collectif américain. — Les dupes, de Tewfiq Salah, Syrie, 1972. — Les Palestiniens, de Johan van der Keuken, Pays-Bas, 1975. — Description d'un combat, dé Chris Marker, France, 1961. — Une fille de Palestine, de Mahmoud Zulficar, Egypte. :— Nadia, de Fatin Abdelwahab, Egypte. — Saladin, de Youssef Chahine, Egypte, 1963. — Rosebud, d'Otto Preminger, U.S.A., 1977. — L'un des Entebbé... — Pourquoi Israël, de Claude Lanzmann, France, 1974. — La nef des fous, de Stanley Kramer, U.S.A. — etc.

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CHAPITRE VIII

Aspects du cinéma israélien

Les films israéliens qui font l'objet de ce numéro spécial ne sont pas représentatifs de l’ensemble du cinéma qui se fait en Israël. De celui-ci nous fournissons une filmographie inté­ grale (jusqu'en 1976), introduite par un pano­ rama succinct (repris de sources israéliennes). Nous publions ensuite un Manifeste élaboré récemment par un groupe de cinéphiles qui souhaitent l ’éclosion d’un « jeune cinéma israé­ lien », libéré des entraves commerciales. Ce chapitre — fragm entaire— comprend éga­ lement un article d’Ilan Halévi sur la représen­ tation des Juifs, des Arabes et des Juifs arabes à travers la production de Tel-Aviv, puis un entretien d’Yves Thoraval avec Moshé Mizrahi l’un des cinéastes les plus connus à l’étranger (surtout depuis « La vie devant soi », émouvant appel à la fraternité qui est analysé par un critique de « L'Algérien en Europe »). 110

« La maison de la rue Chlouche », de Moshé Mizrahi.

1 - Panorama succint Malgré la guerre d'octobre 1973, et en dépit d'une situation économique difficile, le cinéma israélien connaît au cours de ces dernières années une période de structuration et d'épanouissement. Issu d’un long pro­ cessus de difficultés et de combats, il s ’est maintenant imposé à la reconnaissance du grand public et des Institutions grâce à des gens qui ont mené dans ce but une lutte incessante et obstinée. Le problème de la distribution, épineux partout ailleurs, devient ici particulièrement critique. Comment établir le budget d'un film, lorsqu’on sait que sur une population de trois millions d’habitants, il y aura au maximum un million d’entrées qui ne pourront couvrir les dépenses de la production ? Pour rentrer dans leurs frais, les films israéliens doivent bénéficier d’une distribution à l’étranger, où ils se heurtent alors au problème de la langue ou à un traitement trop particulier du sujet et des personnages. Pourtant en dépit de ces problèmes, le cinéma israé­ lien continue à se développer. Au cours de ces cinq dernières années, ont été réalisées des œuvres telles que : a) « M ais où est donc Daniel Wax ? », d’Avram Heffner, « Les grands yeux » et « Les voyeurs » de Uri Zohar. « Floch » et « Mo n Michael» de Dan Wolman. « Rosa, je t’aime » et « La maison de la rue Chlouche » de Moshe Mizrahi. « L'escargot » et « Moitiémoitié » de Boaz Davidson. «Le mobile du crime» et « Saint Cohen » de Assaf Dayan. Tous ces films sont profondément implantés dans le folklore israélien mais ils ont aussi un ton très personnel dû au tempérament et à la formation de leurs réalisateurs. b] un autre type s'e st développé à la suite de « Salah Shabati », le fameux film d'Ephraïm Kishon qui en son temps fit connaître Haim Topol. Toute'une série de comé­ dies et de drames traitent des conflits qui opposent Juifs occidentaux et orientaux, ces derniers se regrou­ pant généralement autour d’une figure patriarcale telle que « Salah Shabati » ou bien « Le Sage Gamliel » de Yoel Zilberg ou encore « Salomonico » de Freddy Steinhardt. Ces productions abordent souvent un pro­

blème plus universel : l’affrontement entre la jeune génération libérée de tout préjugé ethnique, et ses aînés. Le problème des ethnies, qui est sans doute le problème intérieur israélien le plus pressant, est posé aussi dans « Katz et Carasso », « Loupo » et « Casablan », tous trois dè Menahem Golan, et dans « Le policier Azoulai » d'Ephraïm Kishon. Dans tous ces films, d'inspiration différente, qu'ils soient des comédies,, des mélodrames ou des policiers, l’environnement social et la caractérisation des personnages sont identiques. cj) le film documentaire, patronné en partie par le Service israélien du Film et de la Télévision, a pris une importance considérable dans l’industrie cinématogra­ phique avec la création de la télévision nationale. David Perlov s ’est taillé une réputation de metteur en scène de premier ordre avec des courts métrages tels que « A Jérusalem » ou « Maison de vieillards » qui sont désormais considérés comme des classiques du film documentaire israélien. Ram Loevy est également un réalisateur de courts métrages venu de la télévision. Avec le développement de cette industrie. s'est éveillé aussi l'intérêt pour les études cinématographiques. Une faculté de cinéma a été créée à l'université de TelAviv afin de former des metteurs en scène, des monteurs, des opérateurs, des critiques et des chercheurs dans le domaine du cinéma. L’école d’Art « Beit Zvi » a égale­ ment créé une section de cinéma et trois cinémathèques se sont ouvertes respectivement à Tel-Aviv, Haïfa et Jérusalem, où sont projetés des classiques du cinéma. L’Institut israélien du Cinéma, créé en 1973, constitue certainement l’une des réalisations les plus importantes de ces dernières années. Cette effervescence contribuera sans doute au progrès du cinéma israélien dans le monde. Cette prise de conscience permettra de surmonter les limites imposées par la géographie et par la langue, entraînera les talents cinématographiques potentiels à se manifester plus fréquemment et avec plus d’acuité et les libérera de leurs problèmes marginaux. C 'est alors que des artistes tels que Heffner, Zohar, Wolman, Miz­ rahi, Perlov pourront acquérir la possibilité de s ’exprimer et la place qu'ils méritent dans le monde du cinéma international. (Source officielle).

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2 - Filmographie du cinéma israélien Nous avons emprunté cette filmographie à la thèse d'Aryeh Agmon sur « le cinéma israélien » (Ecole Pratique des Hautes Etudes ) réalisée sous la direction de Marc Ferro. Les films israéliens de long métrage produits à partir de 1961 et le nombre de spectateurs enregistrés pour chaque film. N”

Date

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25

1961

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1962

1963

1964

1965

1966

T itre du film

Ils étaien t dix I like Mike L ’a u tre côté de la m édaille Joseph le rêveur Sinaïa Quelle drôle de bande Pile ou face Pas u n m o t à M orgenstein Le cachot P o u r u ne lire seulem ent E ldorado La fem m e du héros Le passé de n o tre fu tu r La fam ille S im hon Le b atea u d u rêve Sallah Shabati Dalia et ses m atelots H u it contre un Jam ais le sam edi E ilat, p arad is des filles Rebelles con tre la lum ière Un tro u d an s la lune L’heure de la vérité La cage de v erre M oishe V entilator

N om bre de sp ectateurs (en m illiers)



177 660 17 42 130 391 351 141 16 232 618 110 29 394 76 1.184 599 352 238 148 56 48 14 5 498

26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50

Date

1967

1968

T itre du film

N om bre de spectateu rs (en m illiers)

Deux Kouni Lemel L’en fan t de l’a u tre côté de la rue O pération au Caire Ju d ith F o rtu n a E rvinka Aliza Mizrahi Trois jo u rs e t u n enfant Le m otif du m e u rtre 60 heures p o u r Suez P atrouilleurs Sabine et ses hom m es Une n u it à T ibériade V ariations s u r u n thèm e Il m arch ait à trav ers les cham ps La désirée Chaque b â ta rd est u n roi Tüvya et ses sep t filles N otre q u a rtie r M ission T iran M iracle dans la ville P risonniers de la lib erté Iris Le Dybbouk Le fils prodigue

899 514 234 415 628 555 434 307 165 114 82 21 21 3 324 44 742 615 561 256 232 181 144 96 144



51 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71 72 73 74 75 76 77 78 79 80 81 82 83 84 85 86 , 87 88 89

Date

1969

1970

1971

1972

T itre du film

N om bre de spectateu rs _______________ _________ (en m illiers) L’enfant au cham eau A m our su r le Lac de Galilée Le Canal Blaum ilch Margo m on am o u r à Jéru salem La guerre après la guerre Siège Rêves Cinq jo u rs au S inaï La m o rt d ’un ju if Les jo u rs avant dem ain Le cas d'une fem m e G arçons et filles Les aigles a tta q u e n t Take Off La provocation Le rêveur Lupo Shablul (l’escargot) La vie de D. Ben G ourion De l'a u tre côté Bloomfield La reine de la ru e Le coq A rianna Ces jours-là Je suis né à Jérusalem Le gendarm e Azoulay Fishke s’en va-t-en guerre Les enfants d u b o rd de m e r Gros cam ion et p au v re Claire H assam ba Moitié-moitié K atz e t C arasso Sept fois p a r jo u r N ahtché et le général La pilule R osa je t ’aim e Deux b attem en ts de cœ ur Jérusalem , Jéru salem

.

31 26 493 428 250 496 5 127 119 7,2 38 24 501 30 18 19 872 68 9 0,8 24 672 337 309 5 106 473 457 54 44 199 171 880 39 171 22 278 322 20

N° .

90 91 92 93 94 95 96 97 98 99 100 101 102 103 104 105 106 107 108 109 110 111 112 113 114 115 116 117 118 119 120 121 122 123 124 125 126 127 128

Date

1973

1974

1975

T itre d u film

N om bre de sp ectateurs (en m illiers)

Azit, la chienne des p a ra s 309 La fu ite au soleil 175 675 N ou rith Les call-girls de Tel Aviv 138 684 Salom onico 439 Le g ran d vol d u téléphone Ni la n u it n i le jo u r 16 Les voyageurs 188 T am ar, épouse d e E r 13 7 Flokh La m aison de la rue Chlouch 266 Le divin cadeau 92 51 Crim e la com m ande La m o rt d ’u n é tran g er 35 T ake Two ■ 73 K azablan 1.088 K o sh er N o stra 255 On m ’appelle Shm ill 339 S ch w artz le détective courageux 109 0,2 Le client de la m orte-saison Filles ! Filles ! 87 Ben G oufion se souvient 1 Shalom 1 L um ière surgie d u n é a n t 0,6 M adron 2 M ariage Jew ish Style 147 S arith 162 Mais où e st donc p assé D aniel Waks (*) T rois p lus u n e . M on M ichael Le jo u r d u Jugem ent Le 81e coup Le Père Le 11* C om m andem ent Les diam an ts C harlie et dem i Lé jockey S ain t Cohen Lepke

(*) Les données concernant ces films n ’o n t p as été publiées

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3 - Manifeste pour un jeune einéma israélien L’industrie israélienne du cinéma atteint actuellement une phase nouvelle: la vieille production commerciale qui dominait depuis quinze ans s'essouffle. Le « Golem » — cet automate légendaire— s'est retourné contre ses propres créateurs et le cinéma israélien va sans doute connaître une nouvelle jeunesse. De jeunes pro­ ducteurs, réalisateurs, opérateurs, scénaristes existent. Ils aspirent à créer un cinéma personnel, un cinéma, libre des pressions commerciales destructrices.

toutes les ressources pour stimuler l’industrie cinémato­ graphique israélienne (au lieu qu’elles soient diviséës, comme maintenant, entre le ministère du commerce et de l'industrie, le ministère de l'éducation et de la culture et lé ministère des affaires étrangères). Pour parvenir à ce but, il est important aussi de réformer le système des récompenses et des comités et de répartir- équitablement les. ressources entre les dizaines de producteurs en Israël.

Ces jeunes gens, en accord avec les nombreux jeunes talents qui ont déjà réalisé un grand nombre de courts métrages de valeur durant ces dernières années, unissent leurs compétences pour prouver que le cinéma israélien et la culture israélienne ont Un avenir. Ils pro­ clament aussi que le public israélien dans sa diversité constitue une source d’inspiration pour les créateurs qui rêvent d’un langage cinématographique nouveau, original et vivant. Tous les membres de notre groupe n’ont pas dés inclinations artistiques identiques. Ils n'ont pas non plus de perspectives idéologiques analogues. ; Mais ce que nous avons en commun, c’est la conviction qu’il est pos­ sible de produire des films israéliens, à petits budgets, avec des équipes réduites et des conditions de tournage adaptées à la réalité économique de l'Israël d'aujour­ d’hui. Nous récusons la doctrine des producteurs com­ merciaux qui estiment qu'un investissement de plusieurs millions de livres israéliennes est nécessaire à la pro­ duction d’un long métrage (attitude qui est aussi celle des autorités officielles).

En rapport avec ce paragraphe, les membres du groupe ont l’intention de partager avec tout producteur qui se joindrait à pux les facilités de distribution et de droits en Israël et à l’étranger, par le moyen de réseaux commerciaux ou autres tels que les universités, les maisons de la culture, les cinémathèques, etc.

La condition fondamentale pour produire des films bon marché qui ne compromettent l’avenir ni des producteurs ni des réalisateurs, réside dans un changement de la politique gouvernementale. Le gouvernement devrait unir

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Cette aide mutuelle entré les membres du groupe et les autorités une fois qu’elles auront changé de politique· cinématographique, devrait permettre le tournage par chaque producteur et réalisateur d’au moins un film par an, indépendamment du box office. L’échec de l’un de ces films n’empêcherait ainsi personne de continuer à tourner par la suite. La liberté de créer est une condition fondamentale pour l’existence d ’un art authentique et nous ferons tout pour contribuer à la .création de telles conditions qui seules permettront le développement d’un cinéma libéré des conventions des comités autorisés. Nous croyons que telle est la voie pour créer un nouveau cinéma israélien. « Summer cinéma ». N ote : Puisse, ce jeune problèmes qui se posent sa diversité mais aussi au son pays lui-m êm e. (G .H .

cinéma prendre en compte les véritables nbn seulement au peuple israélien dans peuple palestinien, en étranqe pays dans et J.E .)

4 Juifs, Arabes et Juifs arabes dans le cinéma israélien par llan HALEVI Nous, appelons « israélien » le cinéma où l!on parle hébreu. « Exodus » est un film américain. Un film est is­ raélien s'il s’adresse au public israélien, s'il est destiné à être vu, consommé, par les Israéliens eux-mêmes. C ’est là lé critère décisif; Plus décisif qiie le thème ou je dis­ cours, plus déterminant que la nationalité du réalisateur ou des· acteurs. Mais l’exiguïté structurelle de ce « marché intérieur » qui n’a pas encore trente ans, son « provincialisme » culturel et éconorrtiqüepâr rapport au monde occidental, ont engendré un phénomène particu­ lier : à partir des années soixante, On assisté à l'éclosion d'un genre cinématographique nouveau, qui est la « coproduction » israélo-quelque chose. Avec vedettes occidentales sur fond de couleur locale, Dans ces coproductions israélo - françaises, . israêlo - britanniques, israélo-allemandes, . israélo-américaines et israélo-japo­ naises, acteurs., èt réalisateurs israéliens; font leurs classes. Au Cours de la décade suivante, ils féront leurs films. Mais ces comédies, ces mélodrames, ces films de guerre ou d'espionnage tournés en Israël sont destinés au marché occidental : sans version hébraïque; parlant anglais ou français, ces films ne mettent la société israélienne en scène que comme décor, voire comme icône : jamais comme cadre possible pour le jeu de libertés individuelles. A priori, ces ,films se situent hors du champ dé nôtre propos. Mais leur'nombre, leur fonction de tremplin pour le cinéma des années soixante-dix, leur importance 'dans l’élaboration de la mémoire cinématographique israé­ lienne interdisent de les en .exclure; absolument. Ils en marquent justement la limite. Limite qui découle non seulement, comme on l’a dit, de l'exiguïté du marché (environ trois millions d'Israéliens parlent aujourd’hui l'hébreu), mais aussi de sa nouveauté (il n’y en avait qu’un million et. demi .au lendemain de création de l’Etat d'Israël, et à l’époque plus de la moitié d'entre eux par­ laient à peine l’hébreu).

Le jeune cinéma israélien venait ainsi au monde dans, des conditions particulièrement inconfortables : enfermé dans une langue et une société isolées de leur espace géopolitique naturel, assiégées et dépendantes, son nubile tout entier n’était pas plus grand que celui d'une ville de province. Et les bouleversements démographiques, et sociaux des premières années d’existence de l’Etat d’Is­ raël, comme l'absence d’homogénéité culturelle entre les centaines de milliers de nouveaux immigrants, ren­ daient alors l’émergence d'un cinéma israélien haute­ ment hypothétique. ' Ajoutons à cela que la couche dirigeante de l'époque, pourtant grande consommatrice de littérature, et de presse, et ne dédaignant pas le théâtre, nourrissait alors à l’èhcontré du septième' art,-line méfiance qu| s ’abreu­ vait àüx sources puritaines e t .jnrjiserahîjiStes dé l'idéolo­ gie des kibboutzim et de la bureaücràtie syndicale, et nous comprendrons qu’au cours des années cinquante, l'essentiel du cinéma, cem som m éènIsraël n’ait pas été produit sur place. 1 Le cinéma, cependant, ést un moyen de Contrôle idéo­ logique. L’équivalent sioniste du « réalisme socialiste » devait donc être filmé...· Ce fut là le rôle d u film documentaireï1 instrument dé propagande polyvalent, conçu pour exalter lè -spectateur Occidental autant que pour conforter lé ditoyen de l'Etat 'siOniSte, lè , « film' de l’Agence:Juive « s'est penché, comme une mauvaise' fée, 'sur le bercëau dû cihéma israélien. ' Par ailleurs, -le film de- propagande de l'armée israé­ lienne,, genre, qui. n’a toujours pas disparu, lui faisait pendant. Et le cinéma israélien, encore mineur, ne s ’est que très . partiellement émancipé de ces parrains pesants ; les tabous et les lieux, communs, jes omis­ sions obligatoires et les mensonges patriotiques conti­ nuent d ’en constituer une bonne, partie. A de très rares exceptions près, cet « engagement » t

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du cinéma israélien dans l’effort de propagande national, cette « responsabilité » de l’artiste par rapport à l’Etat ne sé démentent pas. Dominé par l’idée que « le linge sale se lave en famille », ^et que la société israélienne se confond avec une grande tribu à l'intérêt collectif univoque (« Les Juifs »), le public israélien s'e st habitué à se voir représenté au cinéma sous un jour perpétuelle­ ment flatteur, embelli, sublimé. Ce qui n’est évidem­ ment pas fait pour favoriser l’émergence d’un langage authentique. Le « film de l'Agence juive » — le documentaire filmé pour encourager l’immigration — est l’ancêtre du film « social » israélien, comme le documentaire de propa­ gande de l'armée est l’ancêtre du film de guerre, ou film « national » israélien. Chacun de ces deux genres doit, au travers des méandres du commercialisme et des modes, trouver le chemin de la rupture avec ce passé. Et il n’est en définitive pas surprenant que cette rupture ne se soit opérée que sur le mode prétendu « déca­ dent » par les nostalgiques du pionniérisme colonisa­ teur : au gré de l’extension des rapports économiques et sociaux bourgeois — dans la nouvelle société citadine, dans la culture de la consommation et de l'individua­ lisme. C ’est cette évolution, l’incertaine marche vers cette rupture, qui ferait du cinéma israélien le lieu d’une pro­ duction culturelle majeure, que nous allons, dans le cadre forcément schématique d ’une étude aussi rapide, tenter de retracer, en en suivant la trajectoire dans les trois domaines thématiques principaux du cinéma israé­ lien que nous appellerons ici, grossièrement, le national, le social et le psychologique.

Films « nationaux » A tout seigneur tout honneur : dans une société où le Parti fonde l’Etat, et l'Etat la Nation, il était bien normal que le film à la gloire des héros nationaux, le film édi­ fiant et moralisateur, soit le premier à conquérir le droit de cité. Et puisque, telle l’antique et prophétique Judée, c’est « dans le sang et le feu » que la Nation est venue au monde, le film national typé des années cinquante, le film israélien des débuts est un film de guerre. Tout d’abord, il s ’agit de la guerre de 1948. Dans « La colonne de feu », (1953), un village juif orga­ nise sa défense contre les Arabes : ceux-ci sont mieux armés, plus nombreux, et ce sont eux les agresseurs. Dans « La colline 24 ne répond plus » (1955), le thème est lin fait d'armes héroïque. Films manichéens, simplis­ tes, tout en noir et blanc. Lês Arabes sont l'ennemi, ils

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n’ont ni histoire ni visage. Les Juifs se battent pour leur vie, farouchement, mais sans haine. Dans ce « cinéma », pas de doute, pas d'angoisse, ni d'amoiguïté. L e s hom­ mes sont des stéréotypes dont l’humanité réside dans le fait qu’ils aiment leurs femmes, leurs enfants et leurs amis, et qu’ils brandissent cet amour sur le champ de bataille où le destin les a jetés. Avec « Donnez-moi dix hommes désespérés », co­ production israélo-française (1961) l'élément militaire et le romanesque s'intégrent. L’hérome, aimée du hé-os, mourra, fauchée par une mine arabe. Ici, l’ennemi arabe devient pur symbole de mort, anonyme et abstrait comme le Mal, ou le malfieur. Dans « Ils étaient dix » (1961), la guerre est vue en perspective : le film raconte ('histoire de dix colons (neuf hommes, une femme) à la fin du X IX ' siècle, déjà en lutte avec les ^rabes. Ici, c ’est l’idée du refus arabe qui est projetée comme explication du conflit. M ais ce refus — s ’il tend à conférer aux « voisins » quelque humanité — reste abstrait : non pas refus de rapports ou de pratiques, mais hostilité haineuse, dé principe, à l’en­ contre des nouveaqx venus. Et là encore, le conflit avec les Arabes s ’apparente à la fatalité. Il faut tenir le coup : contre les moustiques, la malaria, et les Arabes. Le conflit n’est pas perçu comme une question, mais plutôt commé une épreuve, ou un obstacle. Dans « Une bande comme ça » (1962), c’est le Palmakh, la milice armée des colonies agricoles, à l’époque du Mandat Britannique, qui devient un sujet de folklore — cette fois-ci souriant. Première tentative de fonder une sorte de « comique troupier » israélien : idéalisation de la vie militaire^ idéalisaton du guerrier Bon-enfant. « Sinaïa » (1963) marque une évolution : recueilli par une famille bédouine, un officier israélien perdu dans le désert du Sinaï entre en conflit avec un de ses pairs à cause des rapports qu’il a établis avec cette famille. La notion du « bon Arabe », et surtout du bon Bédouin, fait son apparition. Un schéma semblable sous-tend « Les Rebelles de la Lumière » (1964) : pendant la guerre d’indépendance, un Cheikh qui collabore avec les sionis­ tes aide un soldat blessé par les hommes de son terroriste-de-fils. Les années 1963-1964-1965 sont marquées par une pro­ lifération de films sur le thème du nazisme. Le procès Eichmann, qui constitue le sujet de « La Cage de Verre » (1964) inspire en Israël une vaste campagne « d’explica­ tion », très largement destinée à faire de l’holocauste la mémoire officielle de toute la société israélienne, déjà composée pour l’essentiel d’immigrants et de fils d’im­ migrants « africains et asiatiques », sans rapport per-

«

Tevya et ses sept filles »

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sonnel direct avec l'histoire du nazisme. Dans « L'heure de la vérité », un ancien nazi est démasqué en Israël. Dans « Judith » (1964), c ’est Sophia Loren elle-même qui accrédite la thèse des nazis conseillant les Arabes, tan­ dis que dans « Huit sur les traces d'un seul », Menahem Golan, qui commence une carrière marquée par le sens de la mode et du vent, met en scène les enfants d’un kibboutz, espiègles contre-espions. Dans « Dynamitage à minuit » (1965), co-production franco-israélienne avec Pascale Petit, les Arabes, fidèles à leur image satanique de voleurs d'enfants (le Gitan ou le Nègre, le Juif de l'imagerie médiévale et antisémite) ont enlevé la fille de l'ingénieur français. Dans « Opération Le Caire » (1965) de M. Golan, par contre, c ’est la fille du savant allemand travaillant en Egypte qui se fait enlever par un super-espion israélien. Et il est bien évident que cet admirable exploit n'a rien à voir avec l’odieux forfait décrit dans le film précédent. Dans « Patrouilleurs » de M. Shagrir (1967), cepen­ dant, tourné à la veille de la guerre dite des-six-jours, l’action — l'enlèvement d’un chef terroriste par un commando israélien opérant au-delà des lignes ennemies — est décrite avec sobriété ; le terroriste est courageux, presque sympathique ; les membres du commando sont vulnérables, contradictoires. Si le schéma général du film reste celui du film « national », le ton tranche par le désir d'authenticité, par l'acuité du regard, par l’utilisa­ tion du silence. « Patrouilleurs » constitue, dans une certaine mesure, la première tentative de dégager le récit militaire du poncif et de l'exemplaire. Film « sabra », où la mystique « diasporique » de la bravoure et de la force physique a presque entièrement disparu. La guerre de juin 1967 va fournir au film national un nouvel arsenal de thèmes et d’intrigues. Dans « Soixante heures pour Suez » et « Chaque bâtard est roi » (1967), la guerre elle-même magnifiée et embellie, sert de personnage central. Ainsi en est-il de « Objectif Tiran » (1968) et de « Cinq jours dans le Sinaï » (1969). Dans « La mort d'un juif » (1969), co-production israélo-française, un agent israélien meurt sous les tor­ tures arabes. Tandis que « L’enfant au chameau », qui raconte l'amitié d’une fillette israélienne et d’un enfant bédouin, (1968) est une coproduction israélo-japonaise sur scénario japonais, qui n’a pratiquement pas été pro­ jetée en Israël. « La Grande Evasion » (1970) raconte la fuite de pri­ sonniers israéliens des geôles syriennes, tandis que « Azit, la chienne des parachutistes » (1972), sur un scénario du général Motta Gour, ancien chef d’Etat-

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Major, réalise une attristante synthèse du film de guerre et du film d'ânimaux pour enfants. Dans « La guerre d'apres la guerre » (1969), les méde­ cins tentent de saqver un officier israélien et un terro­ riste arabe : c’est ja supériorité morale d’Israël qui cons­ titue le sujet du film. « Le Dossier Jérusalem » (1971), met en scène un groupe d’étudiants israéliens qui veulent, au lendemain de la guerre de 1967, « discuter » avec les Palestiniens. Sujet radical, mais traité ici comme une simple intrigue policière : coproduction israélo-américaine, le film est en anglais, et sa « neutralité » est la garantie de son extré­ mité. Il n’a donc provoqué en Israël, où il n’a été que très peu projeté1, aucune réaction. De toute cette période, seul « Siège », de l’écrivain Dan Ben-Amotz (1969), — l’étouffement d'une jeune veuve de guerre parmi les amis du disparu, qui montent autour d’elle une garde jalousé — jptte sur la guerre un regard nouveau, où le pacifisme de l’auteur subvertit quelque peu le patriotisme du sujet. Ce qui caractérise tous ces films traitant de la guerre, et plus rarement des Arabes, c ’est précisément que ces derniers en sont absents. A gis par leur nature mauvaise, peut-être mais pas sujets. Dans le meilleur des cas, les Arabes constituent l’objet de dilemnes moraux, des fonc­ tions secondes. On rétorquera que la guerre n’est que rarement pro­ pice à l’humanisation des images de l’ennemi. Il n’en reste pas moins que le cinéma israélien attend encore son A.-B. Yehoshu’a, son Samekh Izhar, son Hanoch Lévine : trois écrivains — deux romanciers, un drama­ turge — qui ont, pour ne citer qu’eux, chacun à sa manière, perçu Iq conflit comme une interpellation, et les Arabes comme des suiets. Mais il est vrai que le cinéma peut porter la subversion là où la littérature ne parvient pas : le scandale déclenché, au début de 1978, par l’adaptation télévisée de la nouvelle de Semekh Izhar « Khirbet Khiza », qui raconte l’expulsion de villa­ geois arabes en 1948, le montre bien. L’interdiction gouvernementale qui a frappé le film dans un premier temps montre bien, pour sa part, à quel point le public israélien semble aux yeux de ses dirigeants, vulnérable à dès représentations moins mensongères...

Films « sociaux » : le paternalisme Les films israéliens que nous avons nommés, pour les besoins de cette cause, « films sociaux », appartiennent à plusieurs catégories. Tout d’abord, ceux qui se situent dans la tradition de ce que l’on pourrait appeler le

« paternalisme social ». La misère, la prison, les basfonds, la police, le cercle vicieux de la délinquance (« Eidorado » - 1963), l'enfance humiliée et malheureuse (« L’enfant de l'autre côté de la rue » - 1965), (■< Arianna » - 1971) constituent ici le prétexte à des mélodrames naïfs. Sur la toile de fond de ce qui peut sembler une dénonciation de l'injustice sociale, s ’étale le culte du dur labeur, et le respect de la propriété. C'est également le cas de la version élaborée de Menahem Golan, dans « La reine de la route », où l’excellente actrice Gila Almagor incarne une prostituée « typique » dans l'Israël des années soixante-dix. Film dur, dégagé de la naïveté de ses précurseurs, et délibérément pessimiste : la fille de joie, qui a tenté de s'en sortir, retourne à son triste métier. Fin. M ais l’échelle des valeurs, tout au long du film, reste celle, intériorisée par l'héroïne, de la famille petite-bourgeoise (en l’occurence kibboutzique), c’est-àdire celle du héros, son client. Ensuite, il y a la tradition que nous appellerons du « paternalisme raciste », dont le prototype de base reste le grand succès « Salah Shabbati » (1964), basé sur un scénario du journaliste et écrivain d'extrême-droite Ephraïm Kishon. Menahem Golan devait à son tour s ’engager dans cette voie en 1966, avec » Fortuna », une coproduction franco-israélienne avec Pierre Brasseur. « Salah Shabbati » est une comédie, ou plutôt une farce, sur un personnage de Juif oriental indéterminé, mais ressemblant comme deux gouttes d’eau à un vieux yéménite. Toutes les occasions de rire des situations cocas­ ses que provoque la naïveté ou l’ignorance de Shabbati sont exploitées, ainsi que sa drôlerie, ici consciente, et là involontaire. Bon sauvage qui a l'a'.antage d ’être un Juif très pratiquant, Shabbati-l’arriéré fait beaucoup rire le hongrois Kishon, qui écrit périodiquement dans le quo­ tidien « M a ’ariv » des obscénités racistes à l’encontre des Africains et des non-Blancs en général. « Fortuna », pour sa part, raconte les amours interdites d’une jeune fille nord-africaine et d ’un technicien français : dénoncia­ tion virulente et haineuse de la famille orientale carica­ turée (présentée, au mépris de toute logique sociologi­ que, comme Algérienne, pour ne pas vexer la nombreuse communauté marocaine, susceptible de se sentir visée) : Pierre Brasseur, en djellabah, incarne "le despote patriar­ cal, gardien chauvin et sanguinaire de l’honneur de la famille, tandis que le frère de Fortuna, qui aspire comme elle à la « liberté », montre la voie de la libéra­ tion : le reniement de l’héritage et l’adoption des normes européennes. « Kazablan » (1973), reprise cinématographique d’une opérette de 1966, intègre ces deux thématiques (les basfonds et la délinquance, plus l’écart culturel entre orientaux et occidentaux) en leur ajoutant une autre

dimension — la musique : c’ëst le début, au cinéma, d’une mode qui se répand au théâtre, à la télévision et sur le disque : le folklore néo-oriental. Répondant à une vieille tradition de folklore juif européen, toujours très largement présent dans la musique et la littérature israélienne, le folklore néo-oriental apparaît tardivement. C ’est que la « culture arabe » des immigrants orientaux, décrétée barbarie et anti-culture, a été systématique­ ment brdyée par la société israélienne. (On sait que la grande chanteuse marocaine Zohar El Fassiyya vit aujourd’hui dans la misère d ’un grand ensemble à Ashkelon.) Sommés de rejeter leur passé culturel afin de « progresser », les juifs des pays arabes ne conser­ vent leurs traditions culturelles que pour autant ,que ces dernières soient religieuses, et par conséquent intoucha­ bles. M ais pour tout ce qui est laïc et vivant, les modè­ les viennent d’en haut, c ’est-à-dire des juifs européens qui se proclament porteurs de la civilisation occidentale. Une telle table rase explique le vide artistique chez les m asses populaires juives orientales en Israël, et ce n’est donc pas par hasard que la musique orientale n’est rentrée à nouveau dans le monde du spectacle israélien que par le truchement de Juifs espagnols du « vieux peuplement » (c’est-à-dire de Juifs palestiniens), aux­ quels l’ancienneté confère un prestige qui les apparente à une aristocratie (ne s ’appellent-ils pas des « SamekhTeth », Ou purs sépharades ?). Jouissant d’une situation sociale stable depuis l’époque ottomane, ces orientaux sont représentés, ici et là, jusque dans les hautes sphè­ res de l’appareil d’Etat. Et c ’est le député Yitzhak Navon, qui fut le candidat de Dayan à la présidence de l’Etat en 1974, Sépharade natif de la vieille ville de Jérusalem, qui écrivit pour la scène le « Bosquet Espagnol » — spectacle d’évocation du folklore juif palestinien du début du siècle. Le Folklore, avec une dose non négligeable de pater­ nalisme social, constitue l’ingrédient principal de “ Salomonico » (1972). Salomonico est un débardeur du port de Tel Aviv, originaire du Salonique : truculent, comique, et « bon bougre ». Le succès du film en amène, en 1975, une « reprise », avec « Ça ira, Salomonico », C ’est aussi le folklore qui constitue le tissu de « Rosa, je t’aime » de M. Mizrahi. M ais là, plus de farce ni de falsification. Le ton est juste, l’image précise. Sur un récit d’amour dans la Jérusalem d’avant le sionisme, Mizrahi a^ reconstitué avec dévotion une enfance de l’esprit d'où le mensonge est absent. Folklore sans doute, mais au meilleur de son expression, avec une dimension qui manque à l’essentiel du cinéma israélien : un authentique monde intéréur un rapport simple au lieu, au décor. M ais avec Mizrahi, c’est de toute façon un autre cinéma qui s'annonce. Sa · Maison de la rue

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Chilouche » (1972), autobiographique, va certes plus loin dans l’analyse des rapports sociaux (exploitation, racis­ me des juifs européens à l'encontre des juifs orientaux, écart culturel entre l’enfant-Mizrahi et son amie de quel­ ques jours) que dans celle de la guerre d’indépendance de 1948, qui clôt le récit à la façon d’un destin aveugle. M ais le souci de ne pas travestir, si rare en ce domaine, reste dominant. Folklore aussi, mais moins réussi, « Le père aux filles » (Abu-I Banat) (1973) en dépit de Shaï K. Ophir, comédien irrésistible, pêche par ambiguïté : ni farce ni allégorie, cette fable sur le patriarcalisme est soit trop timide, soit outrancière. Folklore encore, mais traversé par une intrigue sentimentale crédible, « Le Sage Gamliel » (1973) met en scène le grand acteur Yossi Banaï, lui aussi rejeton d’une vieille famille de Jérusalem. « Lumière du Néant » (1972) est une description implacable de la misère matérielle et morale d’un quar­ tier des environs de Tel Aviv. Misère vue de près, sans concessions. C ’est le « film social » réalisé de l’inté­ rieur, par un cinéaste que la bonne conscience n'aveugle pas. Mais là encore, la démarche est inachevée, et la morale traditionnelle reste la seule alternative opposé® à la dérive. Dans l’ensemble, si la problématique sociale constitue le sujet de nombreux films israéliens, le cinéma « social » n’exprime pas ce que le théâtre, la presse, la télévision véhiculent quotidiennement : ni comme infor­ mation, ni comme contestation, ni comme réflexion. Comme pour la guerre, le cinéma reste un moyen d'ex­ pression mineur, en deçà de ce qui se dit ailleurs, en deçà de ce qui pourrait être dit. On n’y entend pas l’écho'

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de ce qui se fait et se dit dans la rue, dans les entre-, prises, dans les têtes des gens qui travaillent et des jeunes.

Films psychologiques C'est donc surtout dans la troisième catégorie de films, appelés par commodité « psychologique », et qui justement n'ont la prétention d’explieiter ni la guerre ni l'injustice sociale, mais seulement des relations indivi­ duelles, que l’on trouve les œuvres où s ’exprime la plus grande liberté par rapport aux lieux communs bienpensants de l"|déologie dominante. .C'est là que s ’amorce une réflexion sur l’amour et sur l'enfance (« Trois jours et un enfant » - 1967) sur la sexualité (« Les gros yeux ») et sur la solitude. Dans « Mon Michaël », de D. Wolmann (1975), le récit d’Am os Oz est visualisé avec upe grande sensibilité. Les phantasmes sexuels et affectifs de l'héroïne y sont clairement asso­ ciés à ses deux compagnons de jeu arabes, perdus en 1948, qui symbolisent en toute transparence le monde perdu-oublié et interdit de la sensualité, de cette folie dont elle a soif. Une place particulière revient ici au film d’Assi. Dayan, « Une fête pour les yeux » (1974) : film comique et bril­ lant, satire incisiye de la société israélienne. Le fils du général N'a-qu'up-œil se permet même de tourner l’armée en dérision. Film méconnu, retiré des écrans israéliens une semaine après sa sortie, mais qui — jus­ tement — indiquait bien, à la façon d’un jalon, tout le chemin parcouru. Man HALEVI.

5 - Entretien avec Moshe Mizrahi « Je ne vois pas com m ent l’on pourrait faire de la Pales­ tine le pays du seul peuple juif : je me définis com m e A SIONISTE. »

Yves Thoraval : Pouvez-vous me donner quelques élé­ ments de votre « biographie » ? Moshé Mizrahi : Je suis né à Alexandrie en 1932, d'une famille sépharade originaire, du côté maternel, de Jérusalem depuis des générations. A l’âge de 14 ans, en 1946, nous partons pour la Palestine. Y. T. : Etait-ce une « aliyah » ? Μ. M. : Non, ce n’était pas par choix politique « sio­ niste », mais parce que c ’était de là qu'était venue la famille maternelle, après la première guerre mondiale, en 1917, et que c'était pour nous l’endroit « naturel » où retourner. Y. T. : D’ailleurs, il n'y avait, alors, pas de frontière, et, si je me souviens bien, on prenait le train de Jaffa à la Gare de Palestine, à Alexandrie. M. M. : En effet, en terre de Canaan ce que ma famille père à Alexandrie, de celui-ci.

et selon la tradition la famille établie « descendait » en Egypte. C 'est donc a fait, et ma mère a rencontré mon d’où nous sommes partis à la mort '

Y. T. : Etes-vous originaire d’une famille bourgeoise ? Μ. M. : Non, d'une famille - lumpen » plutôt. Mon père ne possédait pas de métier et, assez cultivé et scolarisé, il avait une passion du jeu sous toutes ses formes (cour­ ses, etc.) : nos revenus suivaient les fluctuations de ses bonnes fortunes ! Nous étions pauvres mais avec des aspirations petites-bourgeoises, parce que, chez nous, les Juifs ne sont jamais considérés comme des prolé­ taires de la terre ou de l’usine. Au demeurant, mon père était un brave type, qui est mort à 30 ans, laissant ma mère veuve à 28 ans, avec quatre enfants dont j'étais l'aîné. En Palestine, mon grand-père a repris son travail

de menuisier-artisan, métier hérité de son père et de son grand-père, et qu’il pratiquait déjà à Alexandrie, près du port. Après des études dans des écoles françaises, j'ai dû, à 14 ans, commencer à travailler, dans des usines, ce qui n'était pas une déchéance dans la communauté palestinienne. M a mère s ’est remariée et j’ai été plu* indépendant. A ce moment-là, j'ai été dans un kibboutz du Neguev, où j’ai fait la guerre d’indépendance. Puis, après la guerre, nous avons fondé notre propre kibboutz, près de la bande de Gaza. Y. T. : Vous l’avez fondé sur des bases idéologiques et politiques ? Μ. M. : Oui, c'était un kibboutz des Hachomer Hatzair (« garde socialiste sioniste ») mouvement auquel j’appar­ tenais déjà à Alexandrie. Y. T. : C'était un mouvement d’Ashkénazïm surtout, je cro is? Μ. M. : En effet, j’y faisais un peu figure d’exception, mais on y appréciait mon expérience de Sépharade ayant travajllé en usine, et j'ai été envoyé m ’occuper des jeunes Séphardim du mouvement. Puis j'ai eu des m issions au Maghreb, en Tunisie surtout, puis en France. Gela a été la grande chance de ma vie d’y venir à 18 ans, en 1950. Paris a été une découverte, surtout question cinéma : je voyais parfois quatre ou cinq films par jour. Depuis mon adolescence, j'avais eu une passion « passive » de spectateur de films, mais là encore je ne me sentais pas de vocation artistique particulière. En 1952, je suis retourné au kibboutz, que j’ai quitté pour des raisons politiques car je me situais plus à gauche à ce moment-là. Et cela sur des questions qui m ’ont toujours tenu à cœur : venant moi-même d’un pays arabe, avec une culture arabe que je parlais et écrivais, les théories sionistes me frustraient, car je ne voyais

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pas, et ne vois toujours pas comment on peut faire de la Palestine le pays d’un seul peuplé, le peuple juif.

C'est quelque chose que je ressentais, et je n'ai pas « fait de politique » dans ce sens-là : ce que je sais, sur le plan personnel, c'est que je ne me vois pas vivre dans un pays qui serait anti-arabe, ni d'ailleurs vivre dans un pays arabe qui serait anti-juif. Je me sens

très profondément juif, mais juif oriental, avec de dou­ bles racines culturelles, dont la base est la culture française qui a déteint sur le Moyen-Orient et la Médi­ terranée. Je ne me suis jamais senti à l'aise sur la base théorique du Sionisme qui prétend bâtir un Etat pure­ ment juif qui doit résoudre les problèmes des mino­ rités juives du monde entier. J’ai toujours pensé ainsi, sans dénier aux Juifs le droit d’avoir un Etat à eux en Palestine. Je n’ai pas franchi le pas de certains de mes amis qui sont devenus totalement anti-sionistes. Moi, je dis que je suis a-sioniste. Y. T. ; Cela se comprend, surtout en 1978. D ’ailleurs, lorsque l’on demande à un jeune Israélien : « Es-tu sio­ niste ? », il ouvre de grands yeux car, pour lui « sio­ niste » renvoie aux « pères fondateurs » : HerzI, Ben Gourion, etc. Μ. M. : Sûrement ! Et si la thèse de base du Sionisme (un pays uniquement juif, pour tous les Juifs du mon­ de) demeure pour certains une base absolue, el'e est irréalisable. On peut la comprendre à la lumière de l'holocauste nazi, mais cet Etat n’est viable que s ’il est intégré à la région. Et pour cela il faut qu’il ne soit pas exclusivement ni à 100 % juif. Car, alors, les pires théories expansionnistes seraient logiques, mais cette logique je ne puis, personnellement l’accepter.. Y. T. : M a is vous, les Séphardim, n’avez-vous pas un rôle à jouer pour réunir les deux peuples ? Μ. M. : Justement, cela est un peu théorique. On a

toujours pensé que les Juifs originaires des pays arabes seraient un pont naturel entre les deux peuples. En réalité, c’est presque le contraire. Les Séphardim font partie des classes les plus défavorisées. Ils sont beau­ coup plus nationalistes que les Ashkénazim (plus éduqués en général). Ces Séphardim sont donc les électeurs de Begin, et je croîs que peu d’entre eux vous parleraient comme moi. Y. T. : Eh bien, dans le film d’Igaal Niddam « Nous sommes des Juifs arabes en Israël » (même si c’est une petite minorité des Séphardim qui est concernée), il est frappant de constater un grand désir d’être les artisans d’un dialogue chez les interlocuteurs de l’auteur.

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M. M. : Je n’ai pas vu ce film. M ais je crois que la réa­ lité israélienne est loin de ce genre de « consensus ». Sociologiquement, le poids des Séphardim en Israël serait plutôt à droite, au moins sur le plan des rapports avec les Palestiniens ej: les Arabes, et favorable aux théories les plus nationalistes, guerrières et anti-arabes.

En gros, c ’est cpmme cela et vous trouverez davantage d’éléments non sépharades dans les mouvements pacifi­ ques israéliens. Ce qui n’exclut pas que des éléments sépharades luttant pour la coexistence avec les Arabes aient un poids d’qutant plus grand qu’ils ont de profonds points communs avec nos voisins. Y. T. : Oui, majs ne croyez-vous pas que ce sont eux qui sont en train de « levantiniser » Israël ? c ’est très évident actuellement dans la vie quotidienne (expres­ sions de langage, habitudes culinaires, C'utumières, folklorio"es, musique, etc.). Leur mentalité s'oppose aux modèles culturels européocentristes que les « pères » du Sionisme officiel voulaient imposer à Israël. Μ. M. : Cette levantinisation » est très superficielle, car elle advient surtout au mauvais sens du terme, pour de petites choses, alors que la grande culture profondé­ ment méditerranéenne et moyen-orientale qu’ils ont amenée, est en train de mourir : les Séphardim sont dépossédés de leur profonde culture originelle. Y. T. : Il est vrai qu’il y a, dans le pays une évidente américanisation et un attrait certain pour le « way of life » occidental... Μ. M. : Absolument, et la levantinisation me semble seulement très superficielle, Y. T. ; Revenons à votre biographie. Μ. M. : Je me suis mis à travailler de nouveau en Israël, écrivant mes premières critiques cinématogra­ phiques, et participant à un éphémère ciné-club. Le cinéma a commencé à m'intéresser et j'ai travaillé comme soustitreur. En 1958, je me suis décidé à apprendre le cinéma et je suis venu m'installer à Paris où j'ai vécu depuis lors. Je n'ai pu entrer à l’I.D.H.E.C., car je n'avais pas le bac : j’ai été stagiaire, assistant, puis j'ai eu divers emplois, dont quatre années dans une société de feuilletons co­ produits avec l'Q.R.T.F., où je m'occupais de supervision artistique sur des scénarios, etc. J'ai réalisé moi-même un feuilleton en 1967 et c ’est en 1969 que j'ai tourné mon premier film. Y. T. : Pouvez-vous parler de chacun des films que vous avez réalisés ?

Moshé Mizrahi (« La vie devant soi *)

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Μ . Μ. : Le premier a été * Le client de la morte sai­ son », coproduit avec Israël. Le sujet en était un peu abstrait et, finalement un peu dément aussi : un thriller psychologique sur la culpabilité. Un ex-Nazi se fait passer pour Juif, s’installe dans une auberge près d'Eilat et vit dans la considération de tous. Mais il ne peut fuir sa propre histoire, son propre passé. Là fin de l’histoire est un peu en » queue de poisson ». Joué par Claude Rich et une comédienne israélienne, il a été sélectionné pour le Festival de Berlin 1970. Puis, de retour en France, j'ai fait « Les Stances à Sophie », d’après le roman de Christiane Rochefort, qui a connu une belle carrière et un grand succès d’estime en France. Alors j ’ai commencé mon cycle de films israéliens. Au départ, ayant relativement peu vécu en Israël, je ne pensais vraiment pas y faire des films, me considérant plutôt, non comme un Israélien d’aujourd’hui, mais plutôt comme Juif ayant des racines profondes en Palestine et dont la propre autobiographie pouvait nourrir des films « israéliens ». Par ailleurs, nia culture française me per­ mettait aussi de réaliser des films enracinés ici. Quand j'ai voulu tourner « Rosa, je t’aime », inspiré de l’expé­ rience de ma propre famille, je suis retourné là-bas pour le réaliser, et, paradoxalement, c’est le film qui m'a le plus fait connaître à l’étranger. Y . T . : Vous en avez écrit vous-même le scénario ? Μ. M. : C'est l’histoire de mon arrière-grand-mère, que j’ai enracinée dans mes origines judéo-espagnoles que je tiens comme les seules sûres dans ma personnalité. La langue a été celle de ma mère. Y . T . : Votre généalogie remonte-t-elle, par exemple, jusqu’à la Reconquête catholique de l’Espagne en 1492? M. M. : Non, pas si loin, mais je sais qu'au XVIII’ siècle j'avais de la famille à Jérusalem, où des ancêtres étaient très vraisemblablement là depuis le XVIe. Je suis vraiment Palestinien par ma mère. Y . T . : La matière de « Rosa » vous vient des récits de vos aïeules ou d’un témoignage écrit ? Μ . M. : C ’est mon arrière-grand-mère qui a vécu jusqu'à l’âge de 107 ans qui m ’a raconté la saga familiale, que j ’ai utilisée dans « Rosa » et que je compte utiliser dans d’autres films. Y . T. : Voulez-vous rappeler le thème de « Rosa » ?

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Μ. M . : Apparemment original, le sujet était fréquent dans le judaïsme cje l’époque. Devenue veuve, une femme de 20 ans sans enfant devait, selon une loi lévitique juive, que l’on retrouve d’ailleurs en Islam, épouser son beaufrère pour perpétuer le nom du défunt. Dans le cas précis de mon aïeule, le beau-frère avait 11 ans. Or, elle ne pouvait se remarier avant que ce gosse arrive à l'âge d'homme pour pouvoir soit l’épouser, soit refuser de le faire. Et cette femme, ne pouvant plus vivre sa vie, était en état « d’ancrage « (agouna), comme on dit en hébreu. Car elle ne peut épouser personne. Elle accueille donc cet enfant, l’elève, l'éduque et une histoire d’amour se développe entre eux. Le jeune homme finalement l'épouse (il n’a que dix ans de moins qu'elle), et ils ont douze enfant^. C ’est l’histoire véridique de mon arrière-grand-mère. Y . T. : Ce film a été fait sous pavillon israélien et a représenté Israël à Cannes en 1972. Μ. M. : Ouï, entièrement en hébreu avec des comé­ diens et une équipe israéliens. Après Cannes, il a eu une carrière brillante dans le monde entier, dont six mois à Paris. Apres, j'ai réalisé » La Maison de la rue Chilouche « , directement autobiographique, qui raconte l'histoire d'un garçon de 14 ans qui arrive en Palestine avec sa mère veuve qui a quatre enfants. L'action se déroule dans les années 46-48, dans un des plus vieux quartiers de Tel-Aviv, à la limite de Jaffa. C ’est l'histoire sans apprêt d’une grande famille sépharade avec ses pro­ blèmes. Le film a connu un grand succès en Israël, mais les gens y ont surtout vu un documentaire sur la Pales­ tine mandataire de l’époque, alors que je n’avais aucun but socio-politique, quoique l’arrière-plan historique tienne dans ce film une place importante. Tourné en*1972, il a été projeté en 1973. Immédiatement après, j'ai tourné « Abou-IBanat » (■ Le Père aux Filles »), qui est passé à la télé­ vision française en janvier 1978, sous le titre inexact de « Filles à Papa ». Je voulais réussir une sorte de comédie italienne non autobiographique, racontant l'his­ toire d'un sépharade d’aujourd'hui, appartenant à l’an­ cienne bourgeoisie d’affaires qui existe depuis toujours en Palestine. Il n’a que des filles èt souffre dans son orgueil de « macho » méditerranéen. Son rêve est, bien sûr, d’avoir un fils. Le tout est traité dans le style d'une comédie de mœurs et de caractère, avec des exagérations. Ce film a représenté Israël à Cannes. Y . T. : Même en Egypte, d'ailleurs, où l’habitais à l’époque, des gens mis au courant de votre film y ont trouvé des ingrédients « levantins » communs à leur pro­ pre cinéma. Μ . M . : Surtout que le titre original est en arabe : je n’ai même pas eu à traduire en hébreu, car tout le

« La vie devant soi » yu par " L'Algérien en Europe " Mohamed, Moïse, Moïse, M oham ed : deux p e r­ sonnages du -film « La vie devant soi », dotés de nom s aux accents religieux et respectables que leurs pères, épaves hum aines et reb u ts d ’u n e société im pitoyable, leu r ont attrib u é s com m e u ltim e h éri­ tage avant de disparaître. Avant de so m b rer dans le néant de l’hôpital p sy ch iatriq u e o u d e la prison. M oham ed et M oïse sont égalem ent des nom s symboles. Sym boles de l’attach em en t désespéré à une culture broyée p a r la cu ltu re dom inante en m êm e tem ps que de rn ie r su rsa u t de pères inves­ tissant to u t, c’est-à-dire la c h air de leu r chair, dans l’espoir prophétique. Mais quand on s ’appelle M oham ed à Paris, c ’est dur. Q uand on vit dans le quartier-g h etto de Belleville, c'est plus dur, e t q u an d on arrive à so u h aiter acquérir « la place du frè re q u ’on n ’a pas eu », c’est plus désespéran t encore. Momo, Moïse et quelques au tres, tous enfants d’ailleurs, o n t été abandonnés à la naissance, qui p a r leurs m ères « obligées de se défendre su r le tro tto ir p o u r gagner le u r vie », qui p a r leurs pères, ou encore recueillis p a r l’A ssistance publique. Toute cette volière, v éritab le m osaïque hum aine, est en treten u e p a r M adam e Rosa, une ancienne p ro stitu ée qui veille à la c u ltu re p ro p re de chacun des p etits enfants, à elle confiés, et qui m ène leu r éducation et la vit com m e u n véritable ap o sto lat : « Il fa u t q u ’il voie du noir, ce p etit, sinon il v a être com plètem ent p erd u » d it M adam e Rosa en dem an­ d ant à M om o d ’aller p ro m en er le p e tit A fricain • auprès de ses com patriotes. Momo est le préféré de M adam e Rosa. Préférence secrète c ar M adam e R osa a de l’am o u r p o u r tous les enfants. Mais elle considère M om o comm e son « am our à elle », le fils, o u l’hom m e q uand Momo sera plus grand, q u ’elle n ’a pas eu. Aussi est-ce une réaction instinctive de m ère veillant s u r « son fils » qu'elle a lorsque le p ère — « psychiatrique » — de Momo vient, dix ans après, réclam er son fils. P o u r to u te justification, il présente un p ap ier jauni, abîm é, le « re ç u de d é p ô t» d'u n enfant rép o n d an t au prén o m de Mohamed. Feignant la surprise, l'indignation, et m e tta n t M ohamed e t Moïse dans le coup, elle p réten d au père q u ’il y a eu confusion et que M oham ed a été élevé en Moïse e t inversem ent. 1 Scène poignante, atro ce p o u r tous les acteurs d u dram e. P o u r M om o q u e la vue de son père, réd u it à l’é tat de déchet hum ain p a r l’asile, effraie. P our Madame R osa craignant de p erd re son « en fan t ». Enfin et su rto u t p o u r le père, incarné p a r M oham ed

Zinet, ad m irab le d ’au th en ticité e t de sincérité, dont les rêves n o u rris a u fo n d d e la cellule s ’écroulent b ru talem en t. « Quoi, crie-t-il, je vous ai donné u n fils islam ique et vous m e ren d ez u n fils ju if. » Nulle tra c e de racism e dans ces pro p o s, e t d ’ail­ leurs le racism e n ’a p as de p lace dans le m onde clos de M adam e Rosa. M ais d ésespoir p o ig n an t d ’u n p ère qui c o n state q u e le d e rn ie r fil té n u q u i le reliait à la vie v ient d 'ê tre ro m p u . Il s'écroule, foudroyé p a r u n e crise card iaq u e e t m e u rt. Vie écourtée, vie d ’e n fer vécue p a r les im m igrés aux m ille e t u n m étiers. Il y a « le c rach eu r de feu » qui p ro p u lse dans les a irs ses flam m es com m e il a évacué depuis longtem ps ses illusions perdues. Il y a A m édée le p roxénète a u g ran d cœ u r qui « règne su r vingt m ètres carrés de tro tto ir à Pigalle» et qui fait cro ire à ses p a re n ts en Afrique q u ’il est en tra in d ’é tu d ie r p o u r co n stru ire p lus ta rd des p o n ts e t des ro u tes dans son pays. Il y a Kamil ré c ita n t éternellem ent le C oran et le confondant quelquefois avec les écrits de V icto r Hugo. T oute ce tte m isère hum ain e est a ttén u ée p a r la so lid arité de classe q u i existe e n tre tous ces d éra­ cinés, ces exclus, ces m arginaux: A ussi q u an d M om o fa it u n e p ercée dans le m onde « no rm al », aseptisé, de l’a u tre cô té de Belleville, c’est u n e v éritab le révélation. M om o découvre une fam ille, des en fan ts p ro p res, sains, sû rs d ’eux. On l’écoute. Il p arle, il se confie in term inablem ent. Le so ir venu, il doit re to u rn e r d a n s l’a n tre de Ma­ dam e R osa d o n t il est le d e rn ie r « e n fa n t ». P rogres­ sivem ent tous les au tre s p e tits pensionnaires o n t été retiré s p a r leurs p ères ou leurs m ères. Peut-on rev en ir en a rriè re , peut-on ren aître, rep ren d re u n nouveau d ép art, re to u rn e r au v entre sécu risan t de la m èrè et p re n d re une a u tre issue vers la v ie ? C’est ce q u e se dem ande Momo en voyant rev en ir en arriè re , à trè s grande vitesse, des personnages d ’u n film dans u n stu d io de m on­ tage. « La vie devant soi » e st adm irable de vérité. Ce film qui d écrit la vie am ère e t m isérable des im m i­ grés et des m arginaux, la lu tte p o u r la survie d ’êtres m arqués et handicapés au d é p a rt de la vie, je tte u n pavé dans la b o n n e conscience de ceux qu i vivent si près, e t p o u rta n t si loin, de cet univers. Im aginaire, exagéré; « La vie dev an t soi » ? Ceux qui le croient devraient faire u n to u r d u côté de Belleville ou de B arbés, p o u r co n fro n te r la réalité avec le film. B. MADANI, (« L’Algérien en E u ro p e », n° 268).

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monde eri Israël comprend ce qualificatif de « Père aux filles » qui est donné aux hommes assez malchanceux pour ne pas avoir de garçon et confrontés au problème de marier leur progéniture. Je pense que les spectateurs arabes, et d’autres Médi­ terranéens d’ailleurs, peuvent comprendre ce film au pre­ mier degré, sans problème. Mon quatrième film israélien a été complètement diffé­ rent : il a été tourné en anglais pour un producteur britan­ nique, et tiré de l'histoire de Rachel et de Jacob : « L'Homme de Rachel » (« Rachel's Man » ) . Il date de 1974-75. Inédit en France, ce film tourné dans le contexte pré-biblique et religieux du judaïsme, à la fois lyrique (« Cantique des Cantiques ») et mythologique, a beaucoup dérouté les Israéliens. Y figuraient l'actrice israélienne Mikha Batdam et aussi Mickey Rooney et Rita Tushingham ! Y . T. rait-on A mon positif.

: « La Vie devant soi · vous y rapprochez, pour­ dire, les juifs et les Arabes un peu par force. avis, le contenu anti-raciste de votre film est très Y voyez-vous un « film de dialogue » ?

Μ . M. : A vrai dire, ce qui m ’a préoccupé n'a pas du tout été de faire un film politique de dialogue judéoarabe. Je suis politisé, mais en tant qu’individu-citoyen. « La Vie... « est beaucoup plus pour moi l'histoire de Rosa et de l’enfant Momo. Pour moi, après avoir vécu dans une Alexandrie où toutes les races et religions se côtoyaient en bonne intelligence, cela va de soi que Juifs et Arabes cohabitent et s’entr’aident, que ce soit par une solidarité dans la misère ou par des points communs de civilisation. Remarquez que je ne suis pas dupe sur Belleville : les communautés restent très imperméables les unes aux autres et le dialogue judéo-arabe n'y existe pas. Y . T. : Préparez-vous un film actuellement ? M. M . : Oui, quelque chose qui n'a aucun rapport avec le reste. Je voudrais adapter « Prends garde à la douceur des choses », de Raphaëlle Billetoux. Ce sera une variation sur les bizarreries des voies de l'amour. Thème que j’évoquais déjà dans « Rosa », « Stances à Sophie », « Rachel ». « La Vie devant soi ». Y . T . : Vous considérez-vous comme un cinéaste pure­ ment israélien ou un créateur cosmopolite? M. M . : Je ne sais vraiment pas très bien comment mesurer les composantes diverses de ma personnalité. Comme je vous le disais, sépharade judéo-espagnol très empreint de culture arabe et française, je me sens terri­ blement attaché à Israël et mes « paysages » intérieurs tournent inexorablement autour de Jérusalem, des mon­ tagnes de Judée, du Neguev.

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Y. T. : Comment voyez-vous le cinéma israélien ? Où en est-il ? Μ. M . : Il faut djre tout d'abord qu’il subit un handicap de taille : c'est même miracle qu'il existe ! En effet, avec un peuple de trois millions d'individus, pour qu'un film soit commerciallement rentable (même si les films du pays n'ont un tiudget moyen que de 80 millions envi­ ron] il doit avoir 400.000 spectateurs. C ’est déjà rarissime et vous voyez quelle proportion de la population cela représente ! Si l’on peut dire qu’un cinéma d’auteur est né dans le pays au début des années 1960, on peut dire aussi qu’il y a actuellement des tempéraments de talent qui se dégagent. Cela me gêne un peu de parler de mes confrè­ res... Je crois que des gens comme Dan Wolman, qui a adapté le merveilleux « Mon Michael » (1) d'Amos Oz, Uri Zoar qui a fait « Trois Jours et un enfant », Avraham Heffner sont des gens qui sont quelque chose pour le Septième A rt israélien. Mais il est, peut-être, encore trop tôt pour essayer de dégager les caractéristiques d’un cinéma « national » israélien, sinon pour dire qu'il est, paradoxalement, étonnant que ce peuple politisé et con­ fronté à la guerre depuis trente ans (2) ait produit peu d’oeuvres de grand Dub'ic autres que celles traitant de la vie la plus quotidienne. Y , T . : Vous intéressez-vous au cinéma arabe, égyptien en particulier? M. M. : Chaque fois, qu'un film égyptien passe à Paris, je cours le voir. J ’apprécie en particulier Youssef Chahine et, à mon avis ses films « Le Moineau » et « Le Retour de l’Enfant prodigue », surtout le premier, ont des regis­ tres d'émotion semblables à ceux des Israéliens. Par exem­ ple, dans l'attente de la guerre en 1973, « Le Moineau » aurait pu être projeté en Israël, tant il était au diapason des émotions israéliennes d'alors. Une chose aussi me semble commune aux cinémas israélien et égyptien, pour peu que je connaisse ce dernier: il est rarissime que - l’ennemi » (de part et d’autre) soit représenté sous des aspects racistes et définitivement négatifs (je parle dès grands films commer­ ciaux). Je. sais que, par ailleurs, en Syrie, en Irak, au Liban des films violemment anti-sionistes sont produits mais je ne les connais pas. Y , T. : Si vous décidiez de faire un film de dialogue israélo-arabe, comment le traiteriez-vous? (1) Traduit, ainsi que les autres œuvres d'Amos Oz, aux éditions Calmann-Lévy, Paris. (2) Je faisais la même remarque à propos du cinéma carote dans mon livre . « Regards sur le Cinéma égyptien » , page 115 (Ed. L’Har­ mattan, Paris). Note Y . T.

Μ. Μ .: J'avoue que j’ai déjà eu des dizaines de pro­ positions dans ce sens. Comme je vous l’ai dit, je me sens mal à l'aise avec les films « politiques », d’autant que je ressens la coexistence comme évidente. M ais c'est plus senti que réfléchi. Pour faire un film réellement populaire, il faut qu'il y ait des « bons » et des « méchants ». Or, je ne puis faire un film qui privilégie­ rait un nationalisme [l’arabe ou l’israélien] contre l'autre. Le cinéma et son pouvoir cathartique ne me semblent pas le moyen rêvé pour rapprocher les gens. Mon opinion est que les Palestiniens ont raison de demander leur reconnaissance par les Israéliens. M ais comment ces derniers peuvent-ils accepter les thèses de l'O.L.P. qui

prévoient la destruction de leur E ta t? Comment montrer cela dans un film populaire ? Par contre, si, par le biais de films sur mon enfance, montrant la splendide co-existence judéo-arabe en Egypte d'alors, je pouvais rapprocher nos peuples, alors oui. M ais dans le conflit israélo-arabe, il n’y a ni « bons », ni « méchants ». Si le judaïsme a été d'un profond humanisme dans l'Exil il faut qu’lsraël se » rejudaïse » pour dialoguer avec l’Islam. Pour cela, je crois qu'il faut avant tout combattre le fanatisme, comme celui de Menahem Bégin et autres « Goush Emounim » (3). ________ Propos recueillis par Yves THORAVAL. (3) « Bloc de la foi », spécialiste en installation de colonies juives en .territoires arabes.

Filmographie de Moshé Mizrahi — 1970 : « Le client de la morte-saison ». Titre hébreu : « Oreach beona hametah ». 90 minutes. Cou­ leur. Nationalité française. Coproduction IsraëlFrance, Israfilm Ltd et Les films de la Licorne. Réalisation : Moshé Mizrahi. Images : E. Szabo. Musique: Georges Moustaki. Scénario : R. Fabian et Moshé Mizrahi. Interprétation : Hans Christian Blech, Claude Rich et Henia Suchar. Thème : l’impossibilité de se libérer du sentiment de culpabilité quand on a commis un crime collectif. Le personnage central est un ancien officier alle­ mand de la Gestapo qui a travaillé contre la résis­ tance française. Il tente de se cacher en Israël en se faisant passer pour juif. —■1971 : « Stances à Sophie ». 88 minutes. Couleur. Coproduction franco-canadienne. Production : Les films de la Licorne et Saron Films. Réalisation : Moshé Mizrahi, d’après le roman de Christiane Rochefort. Images : Jean-Marc Ripert. Musique : Art Ensemble de Chicago. Interprétation : Bernadette Lafont, Michel Duchaussoy, Bulle Ogier, Virgine Thévenet, Serge Marquand. Thème : le roman de Christiane Rochefort, vigou-, reusement antimachiste et pro-féministe. — 1972 : « Rosa, je t’aime ». Titre hébreu : « Ani ohev otakh, Rosa ». 100 minutes. 35 mm. Couleur. Production : Noah Films Ltd, Menahem Golan. Scénario et réalisation : Moshé Mizrahi. Images : A. Granberg. Musique : D. Zeltzer. Interprétation : Michal Bat-Adam, Gabi Otèrman, Yossef Shiloah, Avner Hizkiyahu, Levana Finkelstein. Thème : Rosa a recueilli dans sa maison le jeune frère de son mari, encore enfant, qu’elle devra selon la tradition juive, épouser plus tard... — 1973 : « L a maison de la rue Chilouche ». Production : Noah Films Ltd. Réalisation et scé­ nario : Moshé Mizrahi. Images : Adam Granberg.

Interprètes : Guila Almagor, Yosseph Shiloah, Ofer Shalhim, Shai K. Ophir. — 1973 : « Filles, filles ! ». Titre israélien : « Abou el Banat », incorrectement traduit en français pour son passage à la télévision (février 1978) par « Les filles à papa»). 100 minutes. 35 mm. Couleur. Pro­ duction : Noah Film Ltd, Y. Globus. Scénario : Moshé Mizrahi et Sh. K. Ophir. Réalisation : Moshé Mizrahi. Images : A. Granberg. Musique : S. Seltzer. Interprétation : Shai K. Ophir, Yossef Shiloah, Mi­ chal Bat Adam. . Thème : comédie qui tourne en dérision le souci des Israéliens sépharades d’avoir une descendance mâle. — 1975 : « L’homme de Radie! ». Production : Michaël Klinger. Réalisation : Moshé Mizrahi. Scé­ nario : Moshé Mizrahi et Rachel Fabien. Images : Ausama Rawi. Musique : Georges Moustaki. Interprétation : Mikha Bat-Adam, Mickey Rooney et Rita Tushingham. Thème : adaptation à l’écran de l’histoire de Rachel et Jacob. — 1977 : « La vie devant sol ». 120 minutes. Cou­ leur. Production française : Raymond Danon, Roland Girard, Jean Bolvary. Réalisation et scénario : Moshé Mizrahi, d’après le roman homonyme de Emile Ajar. Images : Nestor Almendros. Décors : Bernard Evein. Interprétation : Simone Signoret, Samy Ben Youb, Claude Dauphin, Gabriel Jabbour, Mohammed Zinet, Bernard Lajarrige. Thème: adaptation du roman d’Emile Ajar. Une ancienne prostituée survit en élevant les enfants que lui confient ses collègues encore en activité. Située dans le milieu de Bàrbës-Belleville le film, comme le livre, évoque dans un style haut en cou­ leur le cosmopolitisme anti-raciste de tout Un sousprolétariat.

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ANNEXE DOCUMENTS

1 - Pour les Palestiniens, une Israélienne tém oigne Commentaire intégral Inscris Je suis Arabe C arte d 'id en tité nu m éro 50 000 J ’ai h u it enfants Le neuvièm e est p o u r l’été es-tu furieux ? Inscris Je suis A rabe Je casse les pierres et les rochers P o u r avoir du pain P o u r avoir u n livre P o u r m es h u it enfants Mais je ne m endie pas à ta p o rte E t je ne m e plie pas sous to n joug E s-tu furieux ? Inscris Je suis un A rabe Un hom m e sans titre s S table su r u n sol tre m b la n t Mes racines vont loin Ju sq u ’à la fin d u tem ps Ju sq u ’à la fin des tem ps Je suis le fils de la ch arru e Mes p aren ts sont de sim ples paysans Je vis dans u ne cabane De te rre et de roseaux Mes cheveux : couleur d u charbon Mes yeux : couleu r d u café I E t m a kaffia su r m a tê te Eloigne ceux qui s’app ro ch en t tro p E t je préfère Un b o u t de p ain trem p é dans l ’huile E t le thym E t su rto u t inscris cela : Je ne hais personne Je ne vole person n e ' Mais q uand je suis affamé Je m ange la ch a ir de m es assassins Prends garde P rends garde A m a faim P rends garde A m a colère COMMENTAIRE II y a environ dix ans que le poète palestinien M ahoud D arwish écrivait ce poèm e qui devint de plus en plus une

carte de visite d u peuple palestin ien : la m oitié de ce peuple v it dans des cam ps de réfugiés, et la seconde sous l’occu­ pation. C'est la vie de ce peuple que j ’essaie de m o n trer ici de plus près, et je le fais en ta n t q u ’israélien n e parce que je suis Israélienne. C ar tan d is que nous, les Isra é ­ liens, avons p u réalise r n o tre n atio n alité sous form e d ’u n E tat, le peuple palestinien est resté, ju s q u ’à a u jo u rd ’hui, sans u n E ta t à lui ; l ’existence m êm e d 'u n e n atio n pales­ tinienne est souvent m ise en q uestion p a r les Israéliens, de m êm e que l’existence d ’une n atio n israélienne est souvent niée p a r les Palestiniens. Mais u n avenir autre, p rogressiste au M oyen-Orient n ’est possible q u ’à travers la réalisatio n des d ro its natio n au x des P alestiniens e t ’des Israéliens. C’est-à-dire q u an d les Israéliens et les Palesti­ niens se sero n t récip ro q u em en t acceptés com m e deux nations ayant leu r p a trie su r la m êm e terre. P o u r y arriv er, les efforts de to u tes les personnes et de toutes les forces p olitiques qüi, dans les deux peuples, sont p rê ts à m arc h e r dans cette direction, sont néces­ saires. Des actes de te rro rism e b lo q u en t ce chem in : m eu r­ tres p erp étrés su r des fe m m e s/d e s. hom m es, des enfants, com m e à K yriat Shm oné, à M aalot, des actes qui se situ en t en dehors de la lu tte légitim é d ’u n peuple vivant sous l’occupation, et aussi m e u rtre s p erp é tré s su r des hom m es, des fem m es, des en fan ts, dans les bom b ard em en ts de cam ps de réfugiés, p a r l’arm ée israélienne. J ’espère que ce film sera com pris com m e u n pas su r ce chem in, Si ce film est m o n tré aussi en E urope, c ’est que les inform a­ tions su r les P alestiniens y sont souvent insuffisantes ou bien fausses. Le fa it que la m oitié d u peuple p alesti­ nien vit a u jo u rd ’hui sous l’occupation israélienne explique p o u rq u o i; dans ce film, je ne tra ite pas de to u t le conflit israélo-palestinien, m ais seulem ent des Palesti­ niens : il fa u t que l ’in ju stice qui a été faite au peuple palestinien p ren n e fin. COMMENTAIRE E n 1947 vivaient en Palestine 1 m illion 400 000 Palesti­ niens et 600 000 Juifs. Les Juifs vin ren t en Palestine p o u r y fonder un E ta t à eux, expression concrète de leur conscience natio n alè et refuge co n tre l’antisém itism e. La deuxièm e guerre m ondiale co nduit des m illiers de réfu ­ giés ju ifs d 'E u ro p e vers la Palestine et les renforce dans la conviction que seul u n E ta t à eux p o u rra les p rotéger des persécutions. Mais . l’im m igration juive en Palestine se h e u rte dès le d éb u t à la résistan ce des Palestiniens. En 1947, l'O.N.U. décide de p a rta g e r la Palestine en deux E ta ts : u n E ta t ju if et u n E ta t palestinien. P our les Juifs en Palestine cela signifiait une énorm e

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victoire : cinquante ans plus tô t ils n'avaient rien, m ain­ ten an t la m oitié de la Palestine leur était prom ise. P ar contre, le plan de partage signifiait, po u r les Palestiniens, une grosse défaite. Us ne pouvaient pas com prendre p o u r quelles raisons ils devraient accepter la construction d ’u n E ta t étranger su r leurs terres. Le plan de partage ne fu t jam ais réalisé. E n 1948, l’E ta t d ’Israël est proclam é. La guerre qui s'ensuit tourne, po u r les Palestiniens, à la catastrophe : le territo ire qui a u rait dû a p p arten ir à l’E ta t palestinien est partagé en tre trois E tats. Une p artie est annexée p a r Israël : en 1949, cent cinquante m ille Palestiniens environ passent sous dom i­ nation israélienne. Us vivent principalem ent en Galilée et dans le territo ire appelé « le triangle ». La plus grande p artie du territo ire palestinien est annexée p a r le royaum e de Jordanie et le re ste ra ju s­ q u ’en ju in 1967 : c ’est le territo ire connu sous le nom de rive ouest du Jourdain. Une troisièm e partie, la bande de Gaza, sera là aussi, ju sq u 'en ju in 1967, occupée p a r l’Egypte.

PHOTOS - MONTAGES L orsque les com bats sont tro p proches, les paysans, sans arm es, q u itten t leur village avec leu r fam ille p o u r trouver refuge dans la m ontagne ou dans u n village voisin. A la fin des com bats, les autorités israéliennes em pê­ chent les h ab itan ts de reto u rn er chez eux : ils ne veillent ni renoncer aux territo ires conquis, ni accepter u n tro p grand nom bre de citoyens palestiniens dans u n E ta t, Israël, qui doit être un E ta t juif. Deux cent cinquante villages au m oins seront ainsi gardés vides p a r les auto­ rités israéliennes. C’est ainsi que la m oitié du peuple palestinien devient réfugiée. La p lu p art d ’en tre eux se retrouvent dans des cam ps dans les pays arabes voisins. Ce qu'ils ne savent pas, c’est que vingt-six ans plus·' ta rd ils devront vivre encore dans ces camps, avec le m êm e espoir de re to u r au pays. D’au tres Palestiniens trouvèrent refuge dans des villages tom bés sous dom ination israélienne et devinrent des réfu­ giés à l’in térieu r d ’Israël. Us reçurent la citoyenneté israélienne, m ais ne p u ren t pas reto u rn er dans leurs villages.

PALESTINIENS EN ISRAEL : EXILES DANS LEUR PATRIE INTERVIEW — Je suis de M a’aloul.

— Où se trouve Ma’aloul ? — Ici.

— Où ? — C’est détru it. Us ont d étru it et planté des arb res dessus.

— Combien de personnes vivaient ici ?

—· E nviron 2 000.

— Et où sont-elles aujourd’hui ? — Quelques-unes sont à N azareth, d ’autres à Jaffa, elles attendent.

— Combien de temps déjà ? — Depuis 1948.

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—, Pourquoi ont-elles dû quitter le village ? — N o tre village a été conquis p a r les Israéliens. Us étaient la-haut s u r là m ontagne et les A rabes en bas. Us se sont b a ttu s, les Israéliens étaien t les p lus forts.

— Et après pourquoi n’êtes-vous pas retournés ici ?

—* N ous avons essayé, m ais on ne nous a p as laissés. Q uelques .vieux d u village, comm e moi, sont venus, m ais les m ilitaires nous ont renvoyés. Nous ne pouvions pas rester. C’éta it défendu... Plus ta rd , ils o n t voulu nous d onner de l'arg en t p o u r nos cham ps. Mais nous avons refusé. N ous avons d it : ou b ien vous nous laissez revenir, ou bien vous ne nous laissez pas. Mais alors nous ne voulons p as d ’argent.

— Qu’est-ce que vous faisiez ici, avant ?

— Je plan tais des céréales, du blé, de l’avoine, du sésame.

— Et après 1948 ?

— J ’ai travaillé dans le b âtim en t, à Haïfa.

— Et votre terre ?

— Les Israéliens l’ont prise.

— Et vous ne pouvez pas retourner sur votre terre ? Vous êtes ici, en Israël, et vous ne pouvez pas y retourner ?

— Avant il y avait u n village palestinien, Q uikat.

— Où sont les gens de Quikat aujourd’hui ?

— Ils se sont enfuis vers le Liban, vers des pays ennem is.

- - Qu’est-ce qu’ils font là-bas ?

— C 'est in terd it. Il m ’est in te rd it de p én étrer su r la te rre de m on village.

— On d it que l ’u n d ’e n tre eux é ta it p a rm i les te rro ­ ristes à M unich.

COMMENTAIRE

— Je ne sais pas. — C ertains h a b ita n ts se so n t enfuis vers les villages arab es des environs : A bou-snan et K far-yassif ; d ’a u tres vers les pays arabes.

Il y avait un village vivant. A u jo u rd ’hui, une jeu n e forêt y pousse. Une fo rêt qui d o it recouvrir les ruines du village et avec elles la réalité de l’expulsion et de la des­ truction. L ’église seule a été laissée debout. La loi, et ceux qui la font, ont plus de respect p o u r les édifices religieux que pour les m aisons où des hom m es vivaient et tr a ­ vaillaient. Ces jeunes arb res ont été offerts p a r des gens de bonne volonté, m ais souvent m al inform és. Us o n t donné de l ’argent p o u r que Israël verdisse dans le désert. Des plaques com m ém oratives rapp ellen t leu r geste. Mais les arbres, ici, poussent non pas su r le désert, m ais su r une te rre rendue désertique. En arabe, on appelle ces cactus « sabrés ». Ils p ro té ­ geaient les villages palestiniens. Les Israéliens appellent leurs enfants S ab ra : p iq u a n t du dehors, m ais doux à l'intérieur... S abra, ou l’occupation naïve d ’u n m ot. Mais résistan ts à tous les déracinem ents, les cactus res­ tent, tém oins de la vie qu'il y eut ici. S ur cette place se tro u v ait le village de B iroué, où le poète M ahm oud D arw ish est né. Lui non p lus n 'e u t p as le droit d ’y reto u rn e r après 1948. En 1963, il y fit une visite secrète. Il raconte : « Je cherchais n o tre m aison dans les épines. Il n ’y avait pas de m aison. Je ne trouvais rien. » De to u t le village il ne re sta it que l'église ; j ’y tro u ­ vais une vache et de la m erde. » De ce que j'a i vu là-bas, de ce que j ’ai ressenti, vous com prendrez que ceci fu t m a p rem ière et dernière visite. » J ’y rencontrai un berger israélien qui éta it venu du Yémen en Israël. Il h ab ite a u jo u rd 'h u i à Ahihud, le m oshav israélien qui fu t c o n stru it su r nos terres. Je lui dis : " Nous som m es les enfants du m êm e village... " Il ne m e com prit pas et je n'avais pas envie de lui en dire davantage. » Trois cent cinquante kibboutzim et m oshavim israéliens fu ren t établis en tre 1948 et 1953 su r les terres de villages palestiniens. B eth-H aém eq p a r exemple est u n kibboutz qui fu t fondé ju ste après la guerre· de 1948. E n tre les m aisons israéliennes de b éton avec leurs tourniquets, quelques m aisons typiquem ent palestiniennes, en pierre taillée, nous p arle n t de ceux qui vécurent ici, il y a vingt-cinq ans. E n arriv an t avec la cam éra à Beth-H aém eq, aux enfants curieux qui nous en to u rèren t nous avons dem andé depuis quand existe le kibboutz.

INTERVIEW — Vingt-cinq ans.

Et qu’est-ce qu’il y avait ici, avant ?

— Et que font les autres qui vivaient ici avant ?

— Et qu’est-ce qu’on voit encore du village ?

— Les m aisons de p ierre. Celle-là, c ’est a u jo u rd ’hui n o tre cordonnerie, c ’é ta it une m aison arab e. E t celle-ci aussi. E t là d errière, il y a encore une grande m aison.

— Qu’est-ce qui se passerait si un jour les gens de Quikat revenaient ici, pour habiter ? — Ils ne peuvent pas !

— Pourquoi ?

— Parce que c ’est à nous. N ous ne les laisserons pas. Une fois, une fem m e est venue. Elle v it m ain ten an t au Liban et ça faisait vingt-six ans q u ’elle n 'av ait pas été à Q uikat. Elle éta it venue, c a r elle p en sait que son vil­ lage éta it encore là.

— Et qu’est-ce qu’elle a vu ?

— P robablem ent elle a vu sa m aison.

— Et qu’a-t-elle ressenti ? — Je ne sais pas.

— Comment c’est en fait : est-ce que vous sentez que vous vivez dans un endroit où, auparavant, d’autres gens ont vécu ? — Non... sauf q u an d on découvre des choses. Ici il y avait déjà u n village au tem ps des Perses et on a décou­ v ert des tom bes. E t là-bas, où la nouvelle ro u te est cons­ tru ite , on a m êm e tro u v é des squelettes de l ’A ntiquité. E t plus loin, il y avait u n to m b eau avec des cruches en or.

— Mais ces tombes et le village de Quikat, est-ce que c’était dans le même temps ?

— Non, Q uikat c ’é ta it beaucoup plus ta rd . Un peu plus loin, il y a le village b ib liq u e de B eth-H aém eq, A ujour­ d ’hui ça s ’appelle Tel-Mimas.

COMMENTAIRE Ces en fan ts p a rle n t com m e on le le u r a ap p ris : les restes de la vie p alestinienne so n t m is su r le m êm e p lan que les an tiq u ités rom aines ou perses. Cette éd ucation a u n b u t : la réalité de la présence juive en Palestine il y a deux m ille ans doit être plus fo rte m e n t ressentie que la présence p alestinienne ici, il y a vingt-cinq ans. Ces cartes o n t é té im prim ées p a r les Anglais avant 1947 et rem ises à jo u r dans les années cin q u an te p a r les Israéliens avec des correctio n s : e n tre p aren th èses, le m ot h éb reu « d é tru it » sous le nom des villages palestiniens m ain ten u s vides ou b ien d é tru its. E n m êm e tem ps, p resq u e to u jo u rs dans les environs d ’u n village p alestinien d é tru it, de nouvelles colonies israéliennes fu re n t établies su r les te rre s de gens auxquels on in te rd isa it le reto u r.

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Mais m êm e là où les Palestiniens p u ren t re ste r dans leu r village, leurs terres furent le plus souvent confisquées.

PALESTINIENS EN ISRAEL : SANS TERRE ET SANS LIBERTES DANS LEUR PATRIE INTERVIEW — N otre village avait environ 3 600 ha. Les autorités israéliennes en ont confisqué 2 800. N otre terre s'étendait alors ju sq u 'au M ont Carmel, tout ce que vous voyez là. A ujourd’hui on y trouve des colonies israéliennes et des terrain s de m anœ uvres. E t là où se trouve le kibboutz B ark a’i, c'était n o tre m eilleure terre po u r les plantes sub­ tropicales. T out cela a été confisqué, soit en 1948, soit plus tard, à l'aide de nouvelles lois. — Quelles méthodes a-t-on employées pour les confis­ cations ? — En 1948, ils vinrent ici et tracèren t une ligne au to u r du village et nous, dirent : « Ce qui est en dehors de la ligne ne vous ap p artien t plus. Les terres qui sont, à l’in­ térieu r de la ligne, vous pouvez les garder. » E t c’était légal ! Les Israéliens n'avaient q u ’à appliquer les lois d ’urgence du tem ps des Anglais, pous nous in terd ire de p én étrer su r nos terres. Plus tard , ils ont so rti une nouvelle loi selon laquelle une personne qui n ’a pas tr a ­ vaillé sa terre pendant trois ans perd ses droits su r cette terre. Moi, p a r exemple, j ’ai travaillé comm e ouvrier agricole dans un kibboutz, su r des terres qui ap p artien ­ n ent en fait à m on grand-père. Comme ouvrier, ils me laissaient travailler sur des cham ps où m on grand-père, comm e propriétaire, ne pouvait pas pénétrer. E t ainsi, bien que j ’y aie travaillé des années durant, ils pouvaient dire à m on grand-père : « Tu n ’as pas travaillé ta te rre pendant trois ans, m aintenant elle nous ap p artien t. » C’est ainsi q u ’ils nous p rire n t nos terres. COMMENTAIRE Aux h abitants du village, il ne resta que les terres lim i­ trophes aux habitations. Pour les hom m es, le village ne devint plus guère q u ’un dortoir. Car, à la suite des confis­ cations, ils fu ren t obligés d'aller quotidiennem ent en ville p o u r y travailler. COMMENTAIRE E n Galilée, les autorités israéliennes étab liren t en 1965 une nouvelle ville : K armiel. Elle avait p o u r b u t de ren ­ forcer la présence juive dans cette région où la popula­ tion était en m ajo rité palestinienne. Les terrain s de constructions fu ren t to u t sim plem ent pris aux villages palestiniens de N ahef et Dir-el-Assad. Une cam pagne de p ro testatio n israélo-palestinienne ne parv in t pas à faire revenir le gouvernem ent israélien su r sa décision. Dans ces villages, le sam edi, on travaille les p etites parcelles entre les m aisons, le sam edi seulem ent. C’est le jo u r où les paysans sans terre ne vont pas travailler dans les usines de K armiel.

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RESTRICTION DE CIRCULATION En vertu des pouvoirs qui m e so n t conférés et confor­ m ém ent aux p arag rap h es 6 et 109 des lois d'urgences de 1945, et é ta n t1 donné que j ’estim e que cela est requis p o u r la sécurité de l ’E ta t d ’Israël, j ’ordonne que Jahsi Joseph Shavita ne p e u t résider en aucun lieu de l’E ta t d ’Israël, sauf dans le d istric t de Sharon, à m oins d 'ê tre m uni d ’u n laissez-passer spécial dont il p o u rra faire la dem ande au poste de police je plus proche. Donné le 25 m ai 1974 (Signé) ; Rehav’am Zé’evi, général. COMMENTAIRE De tels décrets ne sont p ris en Israël q u ’à l’encontre de citoyens palestiniens. A ujourd’hui, seules certaines p e r­ sonnes en sont yictim es, m ais ju sq u ’en 1965 les h a b itan ts palestiniens de régions entières devaient, p o u r chaque voyage, o b te n ir un laissez-passer d u gouverneur m ilitaire. Ces m esures sont prises en v ertu des lois d ’urgence qui donnent aux a u to rités u n pouvoir absolu e t leu r p erm et­ te n t de faire pression su r les personnes politiquem ent indésirables po u r le gouvernem ent m ilitaire.

QUELQUES PARAGRAPHES DES LOIS D’URGENCES Paragraphe 109 Le gouvernem ent m ilitaire est au to risé à p ren d re u n décret à l ’encontre de to u te personne, p o u r les fins suivantes ou p artie de celles-ci, à savoir : à) P our lui in terd ire de p én étrer dans certain s d istricts ; b) P our exiger de la personne la déclaration de tous ses m ouvem ents. Paragraphe 110 Le gouvernem ent m ilitaire est auto risé à placer to u te personne sous surveillance de la police, de telle sorte que : 1 a) Cette personne sera assignée à résidence dans une région de l ’E ta t d ’Israël désignée p a r le com m andant m ilitaire ; b) Elle ne p o u rra changer de domicile sans au to risa­ tion de la police ; c) O bligation p o u rra lui être faite de se p résen ter au poste dè police le p lus proche, à certaines h eu res de la jo urnée ; d) Obligation p o u rra lu i ê tre faite de re s te r dans sa m aison à p a rtir d'une h eure après le coucher d u soleil et ju sq u ’au lever du soleil. Paragraphe 111 Le com m andant m ilitaire est autorisé à o rd o n n er p a r décret la détention de to u te personne. (Le m an d at d ’a rrê t n ’a pas à ê tre ju stifié ; u n procès n ’est pas nécessaire. Le m an d at d ’a rrê t est valable p o u r tro is mois et p eut être renouvelé à volonté.)

COMMENTAIRE Le poète palestinien Samih el Kassem exprime ici les sentiments des Palestiniens : METAMORPHOSE J'apparais dans la pluie dans le tonnerre bleu Dans le vent léger Et dans la tempête J’apparais dans la blessure Que des coups de fusil Ont ouvert dans une muraille J’apparais Dans la soif des puits Dans les ruines qui résistent au vent Dans les amandiers qui résistent face au feu J'apparais dans la signature du commandant Sous une autorisation de circuler, J’apparais dans l’ombre des matraques des policiers Dans un mouchoir Qui ne connaît que les larmes Dans l ’herbe maigre de la terre volée Dans la colère de lèvres brûlantes J'apparais sous les pas d'une manifestation spontanée Dans l’éclat de pierre et de verre jetés à la face du vent sauvage J’apparais dans la colère d’un camarade dont je suis sûre dans le besoin Dans ta chair, j ’apparais Dans ton angoisse, j ’apparais Crois-tu pouvoir encore, en quelque endroit, en quelque lieu, trouver refuge ? COMMENTAIRE A l’extérieur d'Israël vivent un million et demi de Pales­ tiniens, dont 600 000 dans des camps de réfugiés, proches de la frontière. A Gaza, en Jordanie, en Syrie et au Liban. En 1965, les Palestiniens commencent à organiser leur résistance. Leur combat mène à des tensions croissantes entre Israël d'un côté, la Syrie et l ’Egypte de l’autre. Juin 1967. La troisième guerre israélo-arabe.. Israël occupe le reste de la Palestiné, ainsi que la pres­ qu’île du Sinaï et les hauteurs du Golan.

LES PALESTINIENS DANS LES TERRITOIRES OCCUPES DE LA RIVE OUEST Ici vivent 650 000 Palestiniens, le tiers de la population dans les petites villes, mais la grande majorité à la campagne. La vie est encore déterminée par les données naturelles de la géographie, du climat et du sol.

COMMENTAIRE Presque partout, le terrain est montagneux et difficile à travailler. Il faut peiner pour cultiver ce sol aride et sans rivières, où le paysan est dépendant de la pluie car l ’eau de puits est réservée aux hommes et aux animaux. Les villages se trouvent le plus souvent sur les hau­ teurs. Sur les pentes ne poussent que les oliviers, et c’est seulement dans les vallées étroites qu’on peut cultiver les légumes. Les champs des paysans sont souvent dispersés. Ce paysan doit marcher dix kilomètres pour arriver à son champ. Lui et ses ancêtres, par leur travail acharné, ont conquis la terre sur la montagne. Ce champ a huit mètres de large sur quinze mètres de longueur. Un autre est encore plus petit.

PAYSANS PALESTINIENS ET FEODAUX PALESTINIENS COMMENTAIRE Mais il y a aussi de meilleures terres, plus riches, sur­ tout dans la vallée du Jourdain. Là se trouvent de grands champs, au terrain fertile, et de l’eau à volonté. Jusqu'à l’occupation israélienne en juin 1967, ce territoire était aux mains de grands propriétaires palestiniens. Ils exploi­ tèrent la misère de leurs compatriotes : les réfugiés de 1948, paysans sans terre, étaient pour eux de la maind’œuvre à bon marché. Un grand propriétaire palestinien de Naplouse raconte : « Jusqu’à la guerre de 1967, j ’avais 50 ha. Maintenant, je n’en ai plus que 20. Avant, j ’avais 50 familles sur ma terre, maintenant je n’en ai plus que 6. » COMMENTAIRE Un des ouvriers, poussé par le chômage, se rendit en Allemagne Fédérale en 1965. Pendant deux ans, il y tra­ vailla illégalement. Aujourd’hui, il est métayer et doit remettre la moitié de sa moisson au grand propriétaire. IN TE R VIE W — Où habitez-vous ? — Ici, à côté, mon village est là. — Est-ce que c’est votre terrain à vous, ici ? — Non, ce n’est pas le nôtre. — A qui appartient-il ? — C’est à des gens riches. Nous, nous travaillons seu­ lement, nous faisons des légumes. — N ’avez-vous pas de terrain à vous ? — Non, il n’y en a pas. Avant, il y en avait, mais main­ tenant il n’y en a plus. — Où est votre terrain ? — En Israël. Tous les gens ici ce sont des réfugiés... — Et d’où venez-vous ? — De Haïfa. — Et lui ? — Lui aussi. — Tous de Haïfa ?

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— — Oui. Que faisiez-vous à Haïfa? — Paysan. — Et là vous aviez votre terre à vous ? — Oui. — Avez-vous revu votre terre ? — Oui, je l’ai déjà revue. — Qu'est-ce qu’il y a là maintenant ? — Tout est plein d’arbres, en Israël. Tous les arbres sont en Israël. — Voudriez-vous y retourner ? — Oui, bien sûr, pourquoi pas ? Mais on ne peut rien faire. C’est comme ça. L’Amérique et la Russie ne veulent pas. Mais Israël veut ceci, et les Arabes veulent cela, mais l’Amérique et la Russie et l’Angleterre et la France ne veulent pas. Ils veulent faire des affaires. Faire des armes et puis les vendre, et tous se tirent dessus et meurent... COMMENTAIRE Cette femme aussi travaille ici comme métayère depuis des années. En 1967, au début de la guerre, elle a fui avec 350 000 Palestiniens vers la rive est du Jourdain. C’est une des rares Palestiniennes à avoir pu retourner dans les territoires occupés. INTERVIEW — Pourquoi êtes-vous revenue ? — C’est mieux de vivre en Palestine. — Pourquoi ?

les autorités d’occupation. Us ont dit : pour des raisons de sécurité. Mais maintenant ils en utilisent une partie pour leurs nouvelles colonies. COMMENTAIRE

Les autorités israéliennes ont confisqué les deux tiers de son domaine. Mais le travail des métayers sur le reste des terres garantit quand même au grand propriétaire une existence féodale. Les autorités israéliennes ménagent les grands proprié­ taires, soutien d’un système social traditionnel à l’aide duquel ils peuvent plus facilement rester les maîtres. Mais les petits paysank, avec les confiscations, perdent le plus souvent toute lejur terre. Ils doivent alors chercher de nouveaux moyens d’existence. INTERVIEW

— Us nous ont tout pris. Nous n’avons plus rien. Je travaille maintenant chez El-Masri. J’ai loué du terrain chez lui, 2 ha. Avec cela, je dois nourrir ma famille, nous sommes 15 personnes. — Qu’est-ce que vous avez gagné l’année dernière? — 5 000 livres israéliennes. Oui, pour toute l’année. COMMENTAIRE

Cela fait à peu près 600 F par mois. Pour 15 personnes. Ainsi, à l’oppression israélienne s’ajoute l’exploitation par la bourgeoisie palestinienne. Que la récolte soit bonne non, le grand propriétaire s’en attribue la moitié. — C’est mieux, mieux de mourir en Palestine, et pas ouContre l’armée1israélienne, il est difficile de lutter. Mais en dehors. contre cette exploitation ? Quand nous leur demandons : — Où êtes-vous née ? « Pourquoi ne vous rebellez-vous pas contre le grand pro­ — A Beerscheba. priétaire », ils nous répondent qu’ils y ont pensé. — Ne voulez-vous pas y retourner ? — Cela dépend de ma chance. Si j’en ai, je pourrai y INTERVIEW retourner, sinon je ne pourrai pas. — Nous sommes plus de 100 travailleurs ici. Mais si — De quoi vivez-vous ? nous essayions >de faire pression sur lui, et que nous — De l’agriculture ! De quoi d’autre ? lui disions : « Monsieur, ça ne va pas dans ces conditions, — Est-ce que cela suffit ? partons », alors il nous dirait tout simplement : — Comme ci, comme ça. Il y a des ans où ça suffit, nous « Je vous en prie, partez ! » Et alors, au lieu de planter et d’autres non. — Est-ce que vous préféreriez avoir votre terre à vous ? des légumes, il ferait pousser du blé et n’aurait besoin Une terre qui n’appartienne pas au grand propriétaire ? que de deux ou trois ouvriers, il a des tracteurs, il a tout. — Comment cela ? De la terre à moi ? Bien sûr, si le COMMENTAIRE gouvernement nous en donnait, nous serions d’accord. — Combien avez-vous gagné ce mois-ci ? La terre est vaste et riche, mais les hommes vivent à et dans lé besoin. Car la richesse qui est produite — Ce mois-ci ? Nous devons attendre. Attendre six mois. l’étroit Planter sans voir une seule pièce d’argent, jusqu’à ce aue ici ne profite pas à ceux qui y vivent et y travaillent. Elle nous cueillions des tomates. S’il pleut, nous gagnerons ne sert qu’à augmenter le luxe de quelques-uns de leurs quelque chose. Sinon, nous y perdrons. riches compatriotes des villes. COMMENTAIRE

Les territoires au long du Jourdain avaient, pour le LA VIE DANS UN VILLAGE PALESTINIEN gouvernement israélien, une importance stratégique. Il y DES TERRITOIRES OCCUPES a donc établi douze colonies agricoles. Pour cela, des terres palestiniennes ont été confisquées. COMMENTAIRE INTERVIEW Le village palestinien a en moyenne 1000 à 2 000 habi­ — Que se passa-t-il avec le reste de votre domaine ? tants. Trois ou même quatre personnes partagent la même — Comme je vous l’ai dit, 30 ha ont été confisqués par chambre. 134

Souvent l’eau doit être tirée des puits. Un sixième des maisons seulement ont l’eau courante. Le pain est cuit près de la maison, dans un four de pierre, le taboun. La « grande famille » traditionnelle est, au village, une nécessité économique : les vieillards conservent un rôle important. Les enfants sont considérés comme une béné­ diction : là où les moyens techniques manquent, ils peu­ vent se rendre utiles de mille façons. Les écoles palesti­ niennes comptent parmi les meilleures dans le monde arabe. Ce haut niveau d'éducation fait des Palestiniens des forces de travail et de direction recherchées dans tout le monde arabe, surtout en Arabie Séoudite et au Koweït. De là-bas, les fils envoient des mandats à leurs parents au village, ou dans les camps de réfugiés. Dans chaque village il y a une école primaire avec au moins quatre classes. Celui çui veut poursuivre des études doit se rendre au gros village ou à la ville la plus proche, à pied, en bus ou à dos d’âne. Entre l’école et les devoirs de classe, les enfants aident leurs parents dans les travaux quotidiens. Le soir, après le travail avec les parents, les devoirs d’école sont fait à la lumière d’une lampe à pétrole. Un quart des familles palestiniennes seulement ont l’élec­ tricité. Cet homme profite de son jour de congé pour faire la cueillette. Le rendement de l’agriculture est très faible. La récolte d’olives, par exemple, n’est bonne en moyenne qu’un an sur trois. Ceci a poussé depuis longtemps les hommes des villages à chercher du travail dans les villes. Dans les villes, il y a une multitude de travaux d’occa­ sion. Mais, en dehors des périodes touristiques comme Noël et Pâques, on gagne juste de quoi survivre. L’industrie offre, elle aussi, peu d’emplois : le régime jordanien, déjà, avait pratiqué une politique de discrimi­ nation envers les Palestiniens. Il veilla à ce que la plu­ part des capitaux soient investis à l’est du Jourdain. C’est ainsi que, disposant d’une grande réserve de pay­ sans sous-employés et de réfugiés, les industriels palesti­ niens n’eurent aucun intérêt à moderniser leurs fabri­ ques. Cette fabrique de savons, à Naplouse, en est un exemple.

OUVRIERS PALESTINIENS ET PATRONS PALESTINIENS COMMENTAIRE Le procédé est très ancien. Pendant six jours, on fait cuire de l’huile d’olive avec de la soude. La savon liquide est alors versé sur le sol, pour qu’il se solidifie. Ensuite, les ouvriers égalisent la masse de savon sec. Les restes ne sont pas jetés : ils seront utilisés pour la prochaine cuisson. Sur la surface égalisée, les ouvriers, à l'aide d’une corde imprégnée de cire rouge marquent les lignes suivant lesquelles le savon sera découpé. Chaque : morceau de chameau. savon doit porter l’emblème du fabricant ici c’est un Pendant ce temps, d’autres ouvriers commencent à découper avec précision la masse de savon (pour pouvoir

pénétrer assez profondément, ils s’attachent le couteau aux hanches et y appuient de tout le poids de leur corps). Les morceaux de savon sont ensuite empilés et entre­ posés jusqu’à ce qu’ils soient tout à fait secs. Le salaire journalier d’un ouvrier varie ici entre 15 et 20 livres israéliennes, c’est-à-dire de 18 à 25 F. La semaine de travail dure six jours, seuls les jours de fêtes reli­ gieuses sont fériés. Congés payés ou assurances maladie dépendent du bon gré du patron. Il n'y a pas de grève, car pour chaque emploi il y a toujours plusieurs candidats. Les syndicats palestiniens ne peuvent poursuivre leurs activités que dans les conditions difficiles de l'illégalité. Autrefois, forts et bien organisés, ils furent interdits par le régime jordanien, interdiction maintenue sous l’occu­ pation israélienne. Dans ces conditions, où pour les industriels palesti­ niens le coût du personnel ne dépasse pas 100 livres israé­ liennes par jour, de gros investissements en machines ne sont pas rentables : ils peuvent acheter la main-d’œuvre humaine à meilleur marché. Cet ouvrier reçoit 4 livres israéliennes pour 1 000 pièces, c'est-à-dire 60 centimes pour 100 pièces. Pour pouvoir gagner quelque chose, il doit travailler à cette vitesse.

ISRAEL ET LES TERRITOIRES OCCUPES Territoires Israël palestiniens Population ........................... *. 3 millions 1 million Produit social brut ............... 7.670 I.L. Consommation privée par per­ sonne et par an .................. 4.450 I.L. Salaire mensuel d’un ouvrier ou d'un employeur ........... 665 I.L.

1.020 IL. 870 IL. 240 IL.

COMMENTAIRE Après la guerre de 1967, lorsque les frontières entre Israël et les territoires qu’ils venaient occuper furent supprimées, les deux économies commencèrent à s’in­ fluencer fortement. L’économie israélienne, comparée à l’économie palestinienne, est hautement développée et industrialisée. De plus, un grand afflux de capitaux étran­ gers y permet de gros investissements. La production israélienne est six à huit fois plus élevée que la produc­ tion palestinienne. il y avait aussi dans les: territoires occupés D’autre un grandpart,réservoir de main-d’œuvre les camps de réfugiés. Bientôt s'ajoutèrent d’autres Pales-

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tiniens en quête de travail : les paysans dont les terres avaient été confisquées par les autorités d'occupation pour raisons militaires ou pour y établir des colonies israéliennes. Tous cherchaient un travail sur le marché israélien. En même temps, à la suite de la guerre de 1967, régnait, dans l’économie israélienne, une conjonc­ ture favorable.

OUVRIERS PALESTINIENS ET PATRONS ISRAELIENS Cela commença sur une base individuelle : certaines rues dans les villes occupées devinrent des lieux de ren­ contre entre des Palestiniens en quête de travail, et des Israéliens en quête de travailleurs. Le plus souvent pour le bâtiment. Ces entreprises en bâtiment poussent en Israël comme des champignons après la pluie. Les ouvriers en bâtiment sont en majorité palestiniens. En accord avec la politique israélienne d’occupation, qui eut toujours pour but d’établir des faits accomplis dans les territoires occupés, de nombreux complexes d’habitations furent bâtis par les Palestiniens, mais des­ tinés seulement aux Israéliens. La partie arabe de Jérusalem est ainsi encerclée de hauts bâtiments. On essaye ainsi de rendre impossible la restitution de cette partie de la ville à l’Etat jorda­ nien ou à un Etat palestinien. COMMENTAIRE

A Jérusalem, toutes les façades doivent être de pierre taillée, afin que, comme on dit, le caractère esthétique de la ville soit préservé. Dans les villages proches des carrières les pierres sont taillées selon les normes. Ainsi, même la main-d’œuvre dans les villages éloignés peut être utilisée. Le salaire journalier de cet ouvrier spécialisé est rela­ tivement haut pour les Palestiniens : environ 40 F. Mais il est encore trop bas pour qu’un ouvrier israélien accepte ce travail. INTERVIEW

— Nous sommes allés travailler en Israël comme ou­ vriers ici, dans la région de Jérusalem ; plus loin, ça ne vaut pas la peine d’y aller. — Vous avez travaillé comme quoi ?

— Dans le bâtiment, comme ouvrier dans les carrières comme casseur de pierre, ou bien dans le béton. — Combien avez-vous gagné ?

— Au début, ils payaient 12 livres israéliennes par jour, à peu près 16 F ; puis, peu à peu, ils nous ont augmentés. Mais en même temps tout est devenu plus cher. Si vous allez à Ramallah pour y acheter quelque chose, vous trouverez que les choses augmentent deux fois plus vite que les salaires. C’est-à-dire que lorsque l’ouvrier reçoit un salaire pareil et que les choses deviennent tellement chères, alors l’ouvrier est poussé dans le besoin.

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L’OCCUPATION ISRAELIENNE EST AUSSI ECONOMIQUE COMMENTAIRE

D'autres ouvriers palestiniens trouvèrent place dans l'in­ dustrie israélienne. Celle-ci alla à leur rencontre : de nou­ velles industries furent établies dans les endroits où les Palestiniens pouvaient facilement se rendre. Comme ici, par exemple, dans une fabrique de radiateurs, au nord de Jérusalem. Us sont employés comme ouvriers non qua­ lifiés. D’abord, les Palestiniens furent attirés vers l’indus­ trie israélienne par les salaires plus élevés. Mais le ratta­ chement à l’économie israélienne inflationniste eut pour conséquence d’apporter l’inflation dans l’économie pales­ tinienne, jusque-là arriérée mais stable. Les prix des pro­ duits alimentaires, surtout, qui étaient Jusqu’en 1967 par­ ticulièrement bas augmentèrent énormément. De 1968 à 1972, les prix des produits courants augmentèrent d’envi­ ron 50 % et même, pour les légumes et les fruits, de 75 %. Travailler en Israël devint donc, pour les Palestiniens, une nécessité vitale pour pouvoir subsister malgré la hausse constante des prix. Les ouvriers palestiniens sont embauchés par l’intermé­ diaire des autorités militaires d’occupation. Bien que les prix en Israël et dans les territoires occupés soient pres­ que au même niveau, le salaire d'un Palestinien est resté en moyenne la moitié de celui d’un Israélien : ce salaire n’est pas conventionné au terme de négociations entre ouvriers palestiniens et patrons israéliens, mais fixé par l’administration militaire. Le capital étranger aussi flaira de bonnes affaires. Il a réussi ici, au sud de Jérusalem, à exploiter un nouveau réservoir de main-d'œuvre : des femmes palestiniennes qui jusque-là n’avaient jamais travaillé à l’extérieur de la maison. Le personnel entièrement féminin et presque entière­ ment palestinien de cette fabrique est quotidiennement ramassé dans plusieurs villages ou camps de réfugiés proches de Jérusalem. L’usine-mère, en Allemagne Fédérale, fournit les tissus qui sont ici transformés en sous-vêtements. Les produits finis sont alors vendus en Occident. Les bas salaires ici garantissent de hauts profits. Les gagnants : le capital étranger et l’Etat d’Israël qui peut ainsi agrandir ses réserves de devises. Jusqu’à la guerre d’octobre 1973, un tiers de la popu­ lation active des territoires occupés était employé dans l’économie israélienne. Le résultat est clair : l’économie des territoires occupés est sous la dépendance complète de l’économie israélienne. Les Palestiniens, non qualifiés et étrangers, sont les premiers à perdre leur travail en temps de crise économique ou politique. Ainsi, en octo­ bre 1973, 6 000 personnes se retrouvèrent sans moyens d’existence du jour au lendemain. L’économie israélienne s’est prémunie contre les conséquences de cette situation et, pour ne pas subir des dommages essentiels, elle s’efforce d'employer les Palestiniens dans des secteurs non vitaux.

Cinq heures et demie du matin, dans la gare d’autobus centrale de la partie arabe de Jérusalem. Les patrouilles de l’armée israélienne font leur dernière ronde... Venant des villages et des villes occupés, arrive une foule de travailleurs qui aujourd’hui, à Jérusalem, vont vendre à bas prix leur force de travail. Des enfants qui travaillent, on en voit ici partout. Car lorsque le père ne peut gagner en une journée plus de 20 F, les gens les plus modestes sont les bienvenus. Mais tout cela se passe à l’ombre de l'occupation.

LA REPRESSION POLITIQUE DANS LES TERRITOIRES PALESTINIENS OCCUPES COMMENTAIRE

Sur les routes d’Israël, les véhicules des territoires occupés sont contrôlés. Ils ont des numéros d”immatriculation spéciaux qui les différencient nettement des véhicules israéliens. Aux barrages, seuls les Palestiniens doivent s’arrêter. Aujourd’hui, patrouilles, contrôles d’identité et barrages routiers suffisent à établir un calme relatif dans les terri­ toires occupés. Dans les premiers temps après l’occupa­ tion c’était différent : les Palestiniens résistaient... Les autorités israéliennes réagirent avec une main de fer : punitions collectives, emprisonnement, dynamitage de maisons. Un général israélien a dit : « Nous avons fait régner l’ordre ici, comme les Américains au Vietnam n’ont pas réussi à le faire. » INTERVIEW — Maître Félicia Langer, pouvez-vous nous dire com­ bien de prisonniers palestiniens se trouvent, pour le moment, dans les prisons israéliennes ?

— Je regrette, mais je ne parle pas bien allemand ; je vous répondrai donc en hébreu. A ma connaissance, il y a aujourd’hui à peu près 3 000 prisonniers palestiniens. Us sont tous originaires des territoires occupés.

— Pouvez-vous nous dire comment la justice israélienne considère ces prisonniers, comment sont-ils traités ?

— Malheureusement, ils sont tous traités comme des criminels de droit commun, sans prendre en considération le fait qu'ils sont des prisonniers politiques. C’est-à-dire que ces prisonniers n’ont aucun des .droits qui, dans le monde entier, sont accordés aux prisonniers politiques. — Quels sont les faits pour lesquels ces personnes sont citées en justice ?

— Les délits sont variés. Je m’occupe principalement de la résistance politique. D’après la loi qui a cours dans les territoires occupés, il n’existe aucune forme de résis­ tance qui soit légale. Toute résistance est illégale : distri­ bution de tracts, manifestations, grèves, appels à la grève, inscriptions politiques sur les murs. J'ai comme mandants de jeunes garçons qui ont distribué des tracts ou bien écrit sur les murs, comme par exemple l’un d'entre eux qui avait écrit que le peuple doit prendre

son propre sort en main, et, pour cela, il doit rester plusieurs mois en prison. Ou bien des écoliers qui, pour protester contre l’occupation israélienne, voulaient se met­ tre en grève... Lorsque quelqu'un donne un verre d'eau à une personne qui est soupçonnée d’être un fidaï, que ce soit son frère, sa sœur ou sa mère, il n ’y a pas de diffé­ rence dans la sanction. Il y en a qui ont participé à une manifestation pacifique, d’autres qui ont essayé de s'or­ ganiser contre l’occupation (parmi eux, des associations tout à fait non violentes d’étudiants), et puis il y a aussi ceux qui sont pris les armes à la main et qui, avec ces armes, ont combattu contre les occupants... Dans ma pra­ tique, je n’ai rencontré aucun cas d’aventurisme extrême, comme les détournements d’avions ou des actions compa­ rables.

— Pouvez-vous me dire, d’après votre expérience, pour­ quoi ces personnes entreprennent-elles ces actions ? Com­ ment se fait-il qu’elles prennent un si grand risque ?

— C’est, en fait, une motivation nationale qui les fait agir. Et ceci est le dénominateur commun de tous les mandants. Us ont un sentiment national très fort, et ils sont prêts à mourir pour pouvoir vivre libres dans leur patrie, en Palestine... Et le Palestinien qui, temporaire­ ment, vit au Koweït, ou bien étudie au Caire, ressent ce lien étroit qui le lie à sa patrie, à la Palestine. Ce lien est tellement fort qu’on peut le comparer avec le lien qui lie le peuple juif à sa patrie et à sa nationalité... Je voudrais ajouter qu’une grande partie de mes mandants viennent de familles de réfugiés : des gens qui, en 1948, durent quitter des villes comme Jaffa, Ratifié, Lod ou bien d’autres qui, en 1967, devinrent réfugiés... Je pense que c’est seulement lorsque les droits nationaux des Pales­ tiniens seront pris en considération et respectés, que nous pourrons arriver à une coexistence pacifique et une paix juste entre les peuples israélien et palestinien.

PERSPECTIVES COMMENTAIRE

Malgré l’occupation, bien que toute activité ou organi­ sation soient interdites, et bien que les Palestiniens qui ne plaisent pas aux autorités d’occupation soient refoulés vers la Jordanie, il y a cependant des essais d’organisa­ tion sur le plan social. Ainsi, dans quelques villages, les paysans se sont organisés en coopérative, maigre la désapprobation du commandant militaire. En ville, les citoyens essaient aussi de s’organiser. Ici, par exemple, un groupe d’élèves et d’instituteurs s’entraîne au travail collectif. Us construisent une route pendant leur temps libre et apprennent ainsi à s'engager pour la poursuite d’un but inconnu et à le réaliser grâce à un dur travail collectif. Un élève de ce groupe raconte : INTERVIEW

— Nous voulons que l'élève prenne part à ce travail collectif, afin qu’il ressente ; comment on peut participer au travail social, c'est-à-dire à la construction de sa ville.

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de sa p atrie. Car la ville est une p artie de sa vie, il doit app ren d re à com prendre ceci, p o u r être capable de m ener à bien l’activité civique dans le pays. Ceci est le point le plus im portant.

COMMENTAIRE Le m aire Abdel-Jawad Saleh est l ’une des personnes à l’origine de ces p ro iets, et il y p ren d une p a rt active.

INTERVIEW — Quelle signification donnez-vous à cette action ?

— E h bien, re stitu e r le caractère traditionnel de n o tre peuple. E t nous voulons que nos jeunes p ra tiq u e n t le don. C’est donc une sorte d ’entraînem ent p o u r eux.

— Est-ce que vous donnez à cette action une significa­ tion particulière sous l’occupation? — Celui qui donne de cette façon, p o u rra aussi d onner sa vie dem ain.

— Y a-t-il d’autres actions que vous pouvez comparer à celle-ci, du point de vue de leur signification ? — Je crois que la résistance à l'occupation est une action com parable.

— Et dans la vie civile ?

— Ceci est de la résistance dans le secteu r civil.

— Avez-vous eu des difficultés avec les autorités mili­ taires, à cause de ces activités ? — Oui. Il y a q u atre mois, j ’ai reçu u n avertissem ent des au to rités m ilitaires, à cause de ce p ro je t ici, m ais aussi à cause de m on travail dans les coopératives de villages. Ils m ’ont conseillé de cesser ces travaux.

— Qu’avez-vous fait alors ?

— J ’ai m is cet avertissem ent dans le tiro ir où se tro u ­ vent d ’au tres avertissem ents que j ’ai reçus depuis le d ébut de l ’occupation.

COMMENTAIRE Peu de tem ps après, les auto rités m ilitaires refoulèrent M. Saleh vers la Jordanie.

LE SEPTEMBRE NOIR - JORDANIE 1970

INTERVIEW — Ali éta it u n hom m e bon et affectueux p o u r ses frères et sœ urs et p o u r to u te la fam ille. Il vécut to u te sa vie à Jérusalem . Il é ta it in terp rè te. Il s’occupa de ses frères et les envoya à l’Université. Plus ta rd , il p a rtit à B eyrouth e t il vivait là-bas. N ous ne l’avions pas Vu depuis q u a tre ans, avant que cette chose n ’arrive.

— Pouvez-vous nous dire quel était, d’après vous, le but d’Ali et des autres ?

— Ils o n t agi p o u r leu r cause, p o u r leurs d ro its, car ce peuple est dispersé et privé de ses droits... Ils n ’o n t pas agi com m e des m e u rtriers, comm e on les d écrit, des terro riste s assoiffés de sang. Non... c’est p o u r leu r cause... parce que c ’est u n peuple qui v eu t sa dignité, qui v eut vivre dans sa p a trie . C 'est tou t. IN TERV IEW — Je suis un être hum ain com m e to u t le m onde... T out le m onde est satisfait, m oi je ne le suis pas. Prem ière­ m ent, m a m aison s ’en va, ensuite je n ’ai pas de travail, et puis, to u t le tem ps, il y a l’angoisse : a u jo u rd ’h u i la guerre, dem ain la guerre... Depuis vingt-six ans, je vis dans l’angoisse... et ça ne finit pas... Je voudrais être libre, m ais com m ent e t avec qui, s ’il vous p la ît ? IN TERV IEW — K am al N asser éta it u n dirigeant des organisations palestiniennes, et il fu t assassiné p en d an t l’a tta q u e israé­ lienne à B eyrouth, en avril 1973. Dans ce poèm e, K am al s ’adresse aux révolutionnaires palestiniens et aux révolu­ tionnaires dans le m onde entier. Il d it : « N ous devons cesser de nous plain d re c a r le tem ps des p leurs est passé. Il est inutile de se lam en ter ; lorsque l’hom m e p ren d le chem in de la lu tte, il ne do it pas crain d re la m o rt, car la m o rt p e u t arriv e r à chaque m o­ m ent... » Ici, en Palestine, n o tre am i a m is ce poèm e en m usique, et beaucoup de Palestiniens l’o n t rep ris et chanté. N ous allons le c h an te r p o u r vous.

COMMENTAIRE Aux poursuites israéliennes vint s ’a jo u te r l ’h o stilité du ro i H ussein de Jordanie. E n septem bre 1970, le ro i H ussein se sen tit m enacé p a r les organisations palestiniennes de résistance. Son arm ée a ttaq u a les bases de la résis­ tance palestinienne. 25 000 Palestiniens périren t, en grande p a rtie des fem mes e t des enfants. L’im puissance, le sentim ent d ’être com battus e t trah is de tous les côtés, poussa certains Palestiniens à des actes de d ésesp o ir: ils espéraient, p a r des actions spectacu­ laires, a ttire r l’atten tio n de l’opinion m ondiale su r leur destin. Il s'ensuivit un accroissem ent d u terro rism e et son extension dans le m onde entier. L a sœ ur d ’u n Pales­ tinien qui p érit en p articip an t à u n détournem ent d ’avion raconte :

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CITATIONS Tirées d u livre « Les déshérités », de Faw az T urki, écri­ vain palestinien) réfugié à H aïfa : « Seulem ent lorsque nous eûm es engagé le co m b at arm é, ils cessèrent d e1 p a rle r des réfugiés arabes. Ils com m en­ cèren t à nous reco n n aître com m e Palestiniens. » « N ous devrions, m ain ten an t, p ren d re en considération une solution q u i signifie m oins que la réalisatio n de tous nos d ro its : l’établissem ent d ’u n E ta t palestinien séparé su r la rive ouest et à Gaza. » « La nouvelle n atio n palestinienne ne sera p a s recons­ tru ite au p rofit des grands p ro p riéta ires e t des riches hom m es d'affaires, m ais p o u r les m asses des trav ailleu rs et des paysans. »

2 - Vivre en liberté Commentaire intégral Le 6 octobre 1973, les arm ées syrienne et égyptienne envahissaient les te rrito ire s occupés p a r Israël lo rs de la guerre de 1967. C 'était la q u atrièm e guerre e n tre Israël e t les E ta ts arabes depuis la créatio n d 'Isra ë l en 1948. Q uelques m ois plus tô t, les Israéliens avaient célébré le 25” anniversaire de le u r indépendance. P our la p lu p a rt dès Israéliens, l ’E ta t d ’Israël é ta it la réalisation d 'u n rêve.

Cimetière militaire, Israël, octobre 1973. (hébreu) chant Ici au pays de nos pères tous nos espoirs seront comblés ici nous vivons et créerons une vie de liberté l’Esprit de Dieu sera parmi nous et la langue biblique fleurira... P our la p lu p a rt des Palestiniens, c’éta it le d éb u t d ’u n cauchem ar.

Camp de réfugiés à Gaza. (arabe) chant Il y a longtemps nous avions un beau verger un village ombragé, avril sommeillait dans son ombre notre village s’appelait Bisan, ramenez-moi à Bisan... A la fin du x ix e siècle, les Juifs d ’E u ro p e se trouvaient dans une situ atio n de plus en p lu s p récaire, p a r suite du développem ent d u capitalism e et de la naissance des E tats nationaux. L’antisém itism e et l ’op pression des Juifs dans les ghettos d ’E urope orientale d o n n èren t naissance au sio­ nism e politique. P our les sionistes, la solution d u p ro ­ blèm e ju if é ta it l’ém igration vers la Palestine, source biblique du judaïsm e, dan s le b u t d ’y fo n d er u n E ta t national juif. , Les sionistes voyaient en la P alestine u n pays vierge — une te rre sans peuple p o u r u n peuple sans terre. Mais la Palestine avait d éjà u n e p o p u latio n arab e qui aspirait à faire p a rtie d ’u n e n atio n arab e affranchie de toute dom ination étrangère. Les sionistes p résen taien t a u peuple ju if la colonisation de la Palestine com m e une e n trep rise h au tem en t m orale — celle de la renaissance d 'u n peuple opprim é. . P ourtant, l’unique m oyen d ’a tte in d re ce b u t — la créa­ tion d 'u n E ta t n atio n al ju if en Palestine — é ta it d ’e n tre r en conflit avec les A rabes palestiniens, au m épris de leurs aspirations. . A la suite de la prem ière g u erre m ondiale, la Palestine, jusque-là sous dom ination tu rq u e, devint possession b ri­ tannique. Les Anglais appu y èren t le m ouvem ent sioniste. Le conflit e n tre A rabes e t Juifs, ré s u lta t de cette attitu d e,

fav o risait la po litiq u e anglaise de « d iv ise r p o u r ré g n er» et consolidait la do m in atio n b ritan n iq u e. Au cours de la seconde g u erre m ondiale, la m ajeu re p a rtie de la p o p u latio n ju iv e d ’E u ro p e fu t exterm inée p a r les nazis. L’am p leu r trag iq u e de cet h olocauste allait ren fo rcer la cause sioniste e t exalter l’ém ig ratio n vers la Palestine. L orsque les Anglais te n tè re n t de lim iter l ’im m igration en Palestine, ils déclenchèrent u n e rév o lte juive. C ependant que d éclinait la pu issan ce de l’E m p ire b ri­ tan n iq u e, les E tats-U nis e t la R ussie soviétique atten d aien t leu r to u r d an s les coulisses. L’in té rê t q u 'ils avaient en com m un à ch asser les Anglais de P alestine a b o u tit, en 1947, à la réso lu tio n des N atio n s Unies d em an d a n t le p a r­ tage de la Palestine en deux E ta ts, l’u n arabe, l ’a u tre juif.

(voix du président de l’Assemblée des Nations Unies) « Union Soviétique - Oui » « Royaume-Uni - Abstention » « Etats-Unis - Oui ». C’est ainsi que, m algré l ’o p p o sitio n b rita n n iq u e e t l’in­ vasion de la Palestine p a r les arm ées des E ta ts arabes voisins aux o rd re s des Anglais, fu t créé l’E ta t ju if d ’Israël. Les forces juives p ro fitè re n t de la situ a tio n p o u r étendre les fro n tières de le u r E ta t au-delà des lignes d e partage. De ce fait, 380 villages p alestin ien s fu re n t d é tru its e t p lus de 700 000 A rabes palestin ien s s’en fu ire n t o u fu re n t expul­ sés de leu r foyer ; ils re m p lire n t les cam ps de réfugiés dans la b an d e d e Gaza, en Jo rd an ie, a u L iban e t en Syrie. Ce q u i re s ta it de la P alestin e fu t annexé p a r le ro i Abdullah de T ransjo rd an ie. L 'E ta t d 'Isra ë l s'e st consolidé, a ttira n t des centaines de m illiers d 'im m ig ran ts ju ifs. La loi d u re to u r g a ran tissait la citoyenneté à to u t ju if v en an t en Israël, m ais ne recon­ n a issait p as le d ro it aux P alestiniens dépossédés de rev en ir chez eux. Au d éb u t des années cin q u an te, les E ta ts arab es voisins se lib érèren t d u colonialism e. C ependant, les régim es natio n alistes n a issa n ts fu re n t incapables de réso u d re les im m enses p roblèm es sociaux d u m onde arab e. Les Pales­ tiniens d evinrent u n sym bole p ra tiq u é e t Isra ë l u n b ouc ém issaire p ratiq u e. L a m enace ara b e de « re je te r les Juifs à la m e r» fu t utilisée p a r Isra ë l p o u r ju stifier son p ro p re nationalism e. L’é ta t de dem i-guerre q u i en ré su lta fu t u tile au gouvernem ent des deux côtés. Cela a d istra it l'a tte n tio n des peuples des p roblèm es internes. Les deux guerres, celles d e 1956 e t de 1967, n e firent rien p o u r réso u d re les problèm es. L a g u erre de 1967, que l'E gypte p rovoqua dan s l’espoir de gagner d u prestige,

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permit à Israël d’élargir une fois de plus ses frontières. Le prix à payer : 5 000 prisonniers de guerre arabes, 15 000 morts arabes, un millier de morts israéliens. Deux cent cinquante mille Palestiniens traversèrent le Jourdain, fuyant l’occupant israélien de la rive ouest, certains d’entre eux étaient des exilés pour la deuxième fois en vingt ans. Israël, avec une population de trois millions de Juifs, gouverne maintenant directement un million cinq cent mille Arabes palestiniens. Dans les territoires occupés, l’administration arabe continue d’expédier les affaires locales, mais le pouvoir de fait appartient aux officiers de l'armée israélienne. Ils appliquent le règlement de l’état d’urgence, qui permet d’arrêter, de déporter et d'emprisonner sans juge­ ment. Ces mêmes dispositions ont servi à l’administration coloniale britannique à opprimer Arabes et Juifs dans la Palestine sous mandat. Les autorités israéliennes s’efforcent malgré tout de maintenir une apparence de vie normale. En mai 1971, elles ont permis l’organisation d’élections municipales conformes aux lois jordaniennes — qui n’accordent le droit de vote qu’aux propriétaires fonciers mâles. 10 % seulement de l’électorat potentiel a été admis à voter et les chefs et les maires traditionnels ont été maintenus dans leurs fonctions. Ces soi-disants notables de la rive occidentale ont récolté les bienfaits de la domination israélienne et sauvegardé leurs privilèges. Vallée du Jourdain. Rive droite occupée (arabe). Toutes les religions parlent de l’honnête homme et aussi, à Dieu ne plaise, du méchant. Non, le monde n’est pas un asile de ious. Nous nous accommodons de l'armée israélienne. Nous avons l’habitude d’être gouvernés: La Turquie nous a gouvernés. L’Angleterre nous a gouvernés. Hus­ sein nous a gouvernés. Nous, les Palestiniens. Mais ce n’était pas comme maintenant. C’était une domi­ nation coloniale, pas une occupation. Oui, nous pos­ sédons des terres et du bétail. Nous ne pouvons vivre que de ce que nous possédons légalement. Dans ma maison, il y a vingt, vingt-cinq enfants, mes trois ^épouses. Sans mes moyens de subsistance je ne peux pas vivre. Ici, nous n’avons ni olives, ni oranges. Un village aux terres irriguées produit de meilleures récoltes. Mais notre terre est dure, comment vivre ? Un homme vit de ses moutons, il sème du. blé, du sunisum, du mais, et sur ce point nous n’avons pas les mains libres. Une partie des terres appartenant à Akrabeh furent expropriées en 1972 pour faire place à un nouvel établis­ sement de pionniers israéliens. Plus de cinquante colonies agricoles israéliennes ont été créées dans les territoires occupés. Dans ces territoires, il est interdit aux anciens proprié­ taires de cultiver la terre. A Akrabeh, les villageois l’ont fait quand même, et l’armée a arrosé leurs récoltes de poison. Paysans d’Akrabeh (arabe). L'armée nous a presque chassés. Elle nous a pris nos terres, elle nous

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empêche de labourer. Elle a empoisonné les récoltes lorsqu’elles fitaient lourdes de pain. Une famille de vingt-cinq personnes comme la mienne, comment les faire viyre sinon de ma terre et de mes mou­ tons, lorsque les enfants conduisent _les moutons au pâturage, l’armée les conduit à Jéricho ef leur inflige une amende de 200, 300, 500 livres. A Jéricho ils les condamnent puis viennent ici chercher l’ar­ gent. L’Angleterre nous a dominés, Hussein nous a dominés, 1et Abdullah avant lui. J’ai vu passer quatre régimes mais je n’ai rien vu de semblable. Passe encore s’ils ne touchent pas à nos moyens d’existence, mais cette misère peut provoquer une explosion. Hauteurs syriennes occupées. Au nord, sur lep hauteurs syriennes occupées, la ville de Kuneitra, abandonnée pendant la guerre de 1967, a été partiellement démolie pour faire place aux colonies israéliennes. Dans une autre; région, entre Jérusalem et Tel-Aviv, trois villages — Y alu, Imwas et Beit-Nuba — ont été détruits après la guerre de 1967. Le ministère du Loge­ ment y construit un complexe d’immeubles destinés aux nouveaux immigrants juifs, à côté des ruines. La plupart des terres des territoires occupés n’ont cependant pas été expropriées. Dans ce village — Beit-UrE-Tahta — les paysans sont initiés à un nouveau type de culture. Les cours sont donnés par des fonctionnaires locaux et un fonctionnaire civil des forces israéliennes. Bien que les autorités israéliennes permettent aux pay­ sans de Cisjordanie de continuer à commercer avec la Jordanie, la nouvelle culture dont il est question ici ne pourra être vendue que par un intermédiaire israélien. Les paysans dépendent donc de plus en plus de l’écono­ mie israélienne. Leur salaire est payé directement par l’agent commercial israélien. Ils acceptent ces conditions, du moment que le moyen de production — la terre — reste en leur possession. (arabe) Nous sommes des gens qui ne cherchons pas à commander ou à occuper des postes, ni du temps d'Hussein, ni du temps des Anglais, pas plus sous les Israéliens. Un homme possède une terre et des moutons pour vivre, lui et sa famille ; ils sont heureux. Sous les Anglais. Sous les Turcs. Sous Israël, notre travail reste le même. Israël nous occupe — d’accord. Hussein nous occupe — d'ac­ cord. Peu importe l'occupant, pourvu qu'on mange et boive, que la famille soit contente, on ne cherche pas autre chose. Depuis 1965 (sic) le gou­ vernement nous occupe, il va et vient à travers le pays. Nous ne nous opposons pas au gouverne­ ment. Jamais. Nous sommes un peuple autochtone, nous sommes un peuple pacifique. Nous sommes un peuple. Voici la région de Rafah, au sud de Gaza, habitée par 6 000 Arabes avant 1972. Ils ont été expulsés pour faire place à de nouvelles colonies israéliennes. Yisrael Galili,

ministre israélien, a déclaré que ces colonies avaient pour but de fermer la bande de Gaza et d’empêcher toute autodétermination. Toute cette région doit devenir israélienne. Il est ques­ tion d’y créer une ville et un centre de tourisme. On retrouve partout la mentalité de l'assiégé. Les trac­ teurs sont protégés par des panneaux d'acier contre les mines et presque toutes les maisons sont flanquées d’un abri. Les colons israéliens travaillent la terre eux-mêmes, mais ils emploient également des Arabes — ces mêmes Arabes qui naguère encore, en étaient les propriétaires. Paysans de Rafah (arabe). Nos ancêtres ont vécu sur cette terre pendant des siècles, cultivant des amandes, des pastèques, des prunes et des légumes, Le gouvernement israélien est venu, ïl nous a expulsés et emmenés dans une autre région. Com­ ment avez-vous été expulsés ? Avec des insultes et des coups. Nous avons demandé : pourquoi nous expulser ? Nous sommes un peuple ! Ils ont dit : Non, vous devez partir. Ils ont amené des camions. Ils ont amené l’armée. Ils ont détruit ce qui était notre vie. Pendant quinze jours, les gens ont erré, portant leurs biens sur la tête. — Quelle est la situation maintenant ? — L’un travaille ici, l’autre là, en Israël. — Comment voyez-vous l’avenir ? — L’avenir ? L’avenir c’est de la merde et c’est tout. Regardez cette terre. Elle était pleine d'orge, de prunes et d'amandes. Tout est détruit, ils ont tout détruit. Regardez ces oliviers. — Qui lés a rarra­ chés ? — Le gouvernement israélien, les Israéliens. Les gouvernements lèvent des impôts : un dixième sur les pastèques, un dixième sur les semences, un dixième sur tout, pas ce gouvemement-là. L’armée a détruit toutes les maisons ici et nous a dit : Yalldh, partez, fichez le camp. Ils ont amené des bulldozers et maintenant la terre est vide. CHANT. Le gouvernement israélien a déporté la population de Rafah Sous prétexte qu’elle représentait un danger pour la sécurité, qu’elle constituait un foyer de guérilla. Il pourrait difficilement en dire autant de celle d’Ikrit et de Bir’am, deux villages Situés sur la frontière avec le Liban. Les chrétiens palestiniens d’Ikrit et de Bir’am avaient soutenu les forces israéliennes pendant la guerre le 1948. Ce qui n’a pas empêché, au cours de cette même guerre, les Israéliens d’en évacuer la population afin, disaient-ils, d’assurer sa protection. Pourtant, les villageois n’ont jamais pu rentrer chez eux. Cinq ans plus tard, toutes leurs maisons, sauf l'église, ont été démolies par l’armée israélienne. Depuis vingt ans, les villageois d’Ikrit et de Bir’am luttent pour obtenir du gouvernement israélien qu’il leur rende leurs maisons et leurs terres. Ils ont d’ailleurs gagné à leur cause un grand nombre de Juifs israéliens. Manifestation commune arabo-juive. Jérusalem, août 1972 (cri d'un homme) « amitié entre Juifs et Arabes ». (homme de Bir’am)

Nous nous refusons à toute indemnisation... Nous avons dit au peuple d’Israël tout entier que nous sommes prêts à ;accepter la perte de la terre destinée au kibboutz — environ les dèux tiers. Le tiers qui reste et qui depuis vingt-cinq ans est en friche, nous le demandons pour y construire nos maisons. Nous n’avons jamais accepté, nous n ’accepterons jamais d’indemnisation. Tout ce dont nous avons besoin, c’est d’une maison sur la terre de nos pères. Les protestations non violentes en faveur d’Ikrit et de Bir’am n’ont pas modifié l’attitude du gouvernement. Pour lui, que les gens d’Ikrit ou de Bir’am soient musul­ mans ou chrétiens, qu’ils aient soutenu ou combattu la création d’Israël est sans importance. Il s’agit d’Arabes palestiniens, et le principe veut qu'on ne rende jamais la terre qu’on lui a prise. Fawzi-el-Asmar, poète-écrivain palestinien. En tant qu’Arabe vivant en Israël, j ’ai l’impression d’être citoyen de seconde classe, je suis victime de discri­ mination, je pourrais dire de discrimination ra­ ciale; la censure sévit sur la littérature arabe bien qu’on parle de l’abolir. Mon premier livre, « La Terre Promise », a été censuré, des poèmes entiers, des lignes, parfois un seul mot, ont été supprimés. L’union des écrivains hébreux n ’accepte pas d'Ara­ bes, même s’ils écrivent en hébreu. C’est aussi la discrimination dans l’éducation. On nous enseigne dans les cours de religion que ce pays est celui des Juifs, alors que nous, Arabes, nous sentons bien que c'est aussi notre patrie, qu’ils ne peuvent nous la voler, même s’ils réduisent les gens au silence, ils ne peuvent arracher de leur cœur les sentiments qu’ils éprouvent pour leur pays. Plus de 400 000 Arabes palestiniens sont restés en Israël après 1948. Bien que la plupart d’entre eux soient devenus citoyens israéliens, cette citoyenneté ne leur donne pas le droit de récupérer les terres qui leur ont été prises. Ahmed Massrawa, étudiant palestinien (hébreu). Toutes les terres que nous voyez appartenaient à ce petit village. En 1948, on a commencé à expro­ prier et les villageois ont dû trouver d'autres moyens d’existence dans les villes juives, Haïfa, Tel-Aviv... Tous les jours, les ouvriers partent dé bonne heure au travail. Ils rentrent tard dans la soirée, après plus de douze heures. La vie des ouvriers arabes en Israël, nous voyons comment cela a débuté en observant ce qui se passe dans les territoires occupés. Le sort de ces ouvriers est celui que connaissent les Arabes d'Israël de­ puis 1948. Chaque matin, c’est l’exode des ouvriers des territoires occupés. Voici le point de contrôle où passent ceux de Gaza en route pour les villes israéliennes ; ce contremaître israélien travaille pour un patron. Il rassemble les ou­ vriers et les mène sur des chantiers. Le tiers des ouvriers arabes des territoires occupés travaillent en Israël où ils

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représentent 5 % de la main-d'œuvre totale d’Israël. Ils occupent surtout les emplois mal payés et travaillent beaucoup dans le bâtiment. Théoriquement, leurs salaires sont les mêmes que ceux des Israéliens. Dans la pratique, il en va autrement. Ils n’ont pas droit aux primes et indemnités substantielles que perçoit l’ouvrier israélien. Il leur est interdit de former des syndicats et ils n'ont pas de droits politiques. Ce coin de rue de Jérusalem est en quelque sorte une bourse de travail. Des intermédiaires y rôdent, à la recherche d’ouvriers prêts à exécuter de menus travaux pour les employeurs israéliens. Souvent, ces derniers viennent eux-mêmes négocier les conditions d’embauche. Ici, dans une rue de Jaffa, la police est chargée de faire cesser ce trafic illégal. Sans inquiéter les employeurs, les policiers distribuent des amendes de 10 livres israé­ liennes pour « stationnement dans la rue sans raison valable ». Jadis, l’idéal sioniste était celui de l'ouvrier juif gagnant sa vie à la sueur de son front et ne dépendant de per­ sonne. Les sionistes n’avaient pas l'intention d’exploiter l’Arabe, mais de se substituer totalement à lui. Aujourd’hui, le chauffeur de ce tracteur est Arabe, au service du propriétaire de ce verger ; il habite sur place. Les premiers rêves du socialisme sioniste attirèrent bon nombre de Juifs européens. Ces émigrants de la première heure étaient souvent séduits par le fondement idéolo­ gique du sionisme : la colonie communautaire, le kibboutz. Le kibboutz Hanita a été créé en 1939 sur une terre achetée en majeure partie à des propriétaires arabes absentéistes. Comme les paysans palestiniens y vivant refusaient de s’en aller, des unités juives para-militaires furent envoyées sur place avec mission de prendre la terre de force. Les colons suivirent. (hébreu) Membre fondateur du kibboutz. Nous sommes venus à Hanita en 1939. A l’étranger, j ’étais membre du mouvement ouvrier sioniste. Comme pionnier, je rêvais de construire un foyer avec 200 ou 300 amis, des amis gui auraient vécu et souffert ensemble pendant des années, et notre suprême idéal était la vie communautaire. CHANT Dans le kibboutz, exception faite des effets personnels, tout appartient à la communauté. Le travail est organisé sur une base collective. Les enfants sont élevés et édu­ qués ensemble par groupe d’âge. Le kibboutz Hanita a acquis avec les autres une cer­ taine aisance, d’une part grâce aux efforts de ses mem­ bres, d’autre part grâce aux subsides de l’Etat, mais aussi parce qu'il possède une usine employant plus de 80 ou­ vriers, pour la plupart des Juifs orientaux, habitant les villes et villages voisins.

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(hébreu) Membre fondateur du kibboutz. On nous a appris à ne dépendre que de nous-mêmes, nous n’avons jamais voulu exploiter autrui. Nous ne le voulons toujours pas, et nous cherchons des solutions, le suis persuadé que nous en trouverons. — Fils du membre fondateur. Vous avez parlé d’aisance, du kibboutz qui devient riche. Il n’y a pas de mal à cela, il esi normal que son aisance s'accroisse lorsque ses bénéfices augmentent. Ce qui Vest moins, c’est qu’il s'embourgeoise, qu’il vire au capitalisme. On parle de renvoyer la main-d’œuvre salariée, mais je vois mal le kibboutz abandonnant une source de profit dans laquelle il a investi pen­ dant dix à vingt ans. CHANT Les habitants des kibboutz ne forment que 3 % de la population d'Israël. Après la création de l’Etat, 1948, l’éco­ nomie israélienne s’est essentiellement développée sur le modèle capitaliste. La main-d'œuvre nécessaire était surtout fournie par les émigrations massives de Juifs en provenance des pays arabes, entre 1950 et 1960. Ces premiers émigrants, dits « orientaux », en prove­ nance des pays d’Asie et d'Afrique, forment aujourd’hui l’immense majorité de la classe ouvrière. On constate une assez nette hiérarchie sociale. Les Juifs européens en occupent généralement le sommet, comme administrateurs, patrons et dirigeants politiques, les Juifs orientaux forment la masse des ouvriers et les Arabes palestiniens dépossédés se trouvent tout au bas de l’échelle. En voici un exemple : dans le port d’Ashdod, presque tous les ouvriers sont des Juifs orientaux. (hébreu) . Ouvrier du port d’Ashdod. A Ashdod, les premiers émigrants sont venus d'Afrique du Nord et d’Egypte. Nous étions tous de nouveaux émigrants. Nous nous sommes intégrés au fil des années et avons comrpencé à voir les choses comme l’Israé­ lien moyen. Il y a parfois des tensions sur le plan communautaire lorsque viennent de nouveaux émi­ grants, mais peu à peu ils s’intégrent à leur tour, et nous vivons en bonne intelligence. Les nouveaux émigrants orientaux ont à faire face à tous les problèmes de la classe ouvrière : démêlés avec les patrons, concurrence de la couche laborieuse infé­ rieure, emplois saisonniers. Ces nouveaux émigrants viennent de Géorgie soviétique. Premier Géorgien : Il n’y a pas de boulot ici. Second Géorgien : Il y a un port ici, ils ont besoin d’ouvriers. Mors j ’y vais et on me dit : « Toi tu es Géorgien, les Géorgiens organisent des grèves ; je ne veux pas de Géorgiens chez moi. » A l'usine Argaman, le patron ne veut pas de Juifs, seule­ ment des Arabes. 90 % d’Arabes, 10 de Juifs...

Pourquoi prend-il des Arabes et pas de Juifs ? Pourquoi ? Parce qu’il donne deux livres de moins aux Arabes. Ils épargnent deux livres par Juif qu’ils n’engagent pas. I l veut des Arabes pour le travail. L'angoisse du lendemain qu’éprouvent les Géorgiens se justifie si l ’on considère la situation des milieux les plus pauvres de l ’émigration orientale. Ce bidonville, situé près d’une grande artère de TelAviv, est connu sous le nom de « district des harasses ». Trois cents familles juives orientales y vivent dans des conditions qui ont fini par les pousser à manifester devant la mairie de Tel-Aviv. Gens des bidonvilles. N otre vie est dure, nous n’avons pas d’argent. Douze personnes dans une famille et seul le père travaille. Nous nous som­ mes organisés pour demander des logements. Nous vivons avec les cafards et les rats, les gosses jouent dans la poussière. On veut bien que les gosses grandissent pour en faire des soldats, mais pour le reste, on ne nous aide en rien ( haut-parleur). Qu’adviendra-t-il de nos enfants ? Nous ne deman­ dons rien pour nous-mêmes, seulement pour nos enfants ! Ils veulent vivre, ils veulent s’élever. Que le maire vienne passer une nuit avec nous (voix fluette) il mourra ou il deviendra fo u ! Le maire n’est pas descendu du huitième, je me suis pour­ tant égosillé à l’appeler. Nous avons quitté notre pays pour venir dans celui-ci. Le gouvernement doit nous aider. Je demande au Premier ministre, au maire et aux fonctionnaires en col blanc qui Vivent comme des rois : ne sommes-nous pas citoyens d’Israël ? Ne servons-nous pas dans l'ar­ mée ? Ne payons-nous pas d’impôts ? Pourquoi devons-nous vivre comme des animaux ? Les Arabes vivent mieux que nous! Que Golda M eir vienne elle-même voir si ce n ’est pas vrai, ils s’en fichent, ils mangent, dorment dans leurs villas et se fichent de nous et de nos enfants... Ne sommes-nous pas citoyens d’Israël ? Je voudrais qu’on me réponde. Quartier de Katamon. La première contestation organisée des gens des bidon­ villes a été celle des Panthères Noires, mouvement encore faible, mais qui se développe. Il s’oppose à la discrimi­ nation dont sont victimes les Juifs orientaux dans la société israélienne. Comment les enfants grandissent-ils à Katamon ? (Hébreu). Eh bien, un gosse va à l'école; au bout d’un mois il est dans les derniers, il se sauve, se met à voler, on l’envoie dans un centre de redres­ sement, alors il est fini, il devient un vrai criminel. Ce sont des gens de la rue, ils n’ont pas d’argent, ils ne travaillent pas; le soir, ils traînent dans les rues puis reviennent ici se battre à coups de bou­ teilles. Que nous reste-t-il ici ? C'est comme au T exas ! (hébreu)

Réunion des Panthères Noires (haut-parleur)... La loi et l ’ordre. Qu’est-ce que la loi et l'ordre ? Pen­ dant vingt-trois ans, c’était huit gosses par cham­ bre, deux gosses par lit et pas d’éducation. Des coups, la prison, voilà notre loi et notre ord re! Etat p o licie r! Etat p o licie r! Chanson des prisons militaires israéliennes ; Un officier supérieur m ’a condamné à trente-cinq jours dans la prison Six pour avoir saboté la corvée, ils nous ont fouillés, ils nous ont donné des tenues de prisonniers et nous ont mis en cel­ lule. Le lendemain, on m ’a conduit chez le médecin. I l m ’a demandé : « Qu'est-ce qui ne va pas ? » J’ai répondu : « J’ai mal partout. — L ’infirm ier te don­ nera des pilules et des pommades. — Oh non, doc­ teur, j ’ai une grande douleur en m oi ! » Cérémonie des parachutistes : R E - POS ! Jérusalem, M ur des Lamentations, juillet 1972. Les dirigeants israéliens estiment que l ’armée est le creuset de la nation. Le sentiment suprême du nationalisme transcende les différences de classe, les dissensions internes et la rébel­ lion. Officier (hébreu) : Soldats ! En prêtant serment aux forces armées israéliennes, vous entrez dans la vaste et glorieuse famille du corps des parachutistes qui porte, écrits sur son drapeau, en lettres de feu et de sang, les noms des batailles et des glorieuses victoires : les raids de représailles, la guerre de 1956 et celle des Six Jours, la guerre d’usure et enfin la lutte d’au­ jourd’hui contre lés saboteurs. En recevant ici, au M ur des Lamentations libéré par les paras au cours des Six Jours, la Bible et le fusil, vous consacrez notre droit de demeurer en ce lieu qui pendant des générations a symbolisé pour le peuple d’Israël le salut et la terre à recouvrer. CHANT DES SOLDATS. V IV R E E N L IB E R T E SUR LA T E R R E D E S IO N E T D E JERUSALEM. (hébreu) FAWZI-EL-ASMAR, poète et écrivain palestinien. Comment vois-je l ’avenir ? Que dirais-je aux Israé­ liens ? Pour moi, c'est un problème de classe bien plus qu’un problème de nationalité. Qu’Hussein et Faisal soient des Arabes ne change rien à mon pro­ blème. En fait, je crois qu'ils feront plus de mal que de bien. Quelle est la différence entre Hussein et Dayan ?_ Ils appartiennent à la . même classe, ils ont les mêmes intérêts. Prenez la dernière guerre, celle de 1973, a-t-elle résolu des problèmes? A-t-elle résolu le grand problème, celui des Palestiniens ? ΙΙΛy a eu plus de morts, plus de blessés des deux côtés. La guerre n’a pas résolu les problèmes sociaux des Arabes. Quant aux dirigeants arabes, ils ne font pas grand-chose pour leurs peuples, mais je crois qu’ils font beaucoup pour conserver

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les Arabes mais aussi envers les Juifs orientaux leur position. .Et les dirigeants israéliens, ils n'ont et les Juifs russes. Voyez la Loi du Retour. Pour pas fait un seul pas vers la paix depuis six ans, moi, Arabe, c’est une loi raciste. Si vous êtes Juif, depuis la guerre de 1967. Au contraire : destructions vous pouvez immigrer en Israël, mais moi, dont de maisons, arrestations. Qui sont les perdants six les ancêtres ont vécu ici pendant dix-huit, dix-neuf ans après? le s gens ordinaires sont les perdants, générations, j’ai moins de droits qu’un Juif amé­ les dirigeants sont toujours en place. Maintenant ricain. Ceux d’entre mon peuple qui vivent sous tout le monde parle de paix. Golda Meir, Dayan, des tentes n’ont aucun droit parce qu’ils ne sont Sharon veulent la paix. Sadate, Fayçal, Hussein pas Juifs. Les Israéliens doivent y réfléchir aussi. veulent ta paix. Mais quelle sorte de paix ? Chacun pose ses conditions. On parle d’un Etat palestinien si la majorité des Palestiniens l’acceptent et si le CHANSON EN YIDDISH régime sioniste est d'accord ce sera peut-être fait. Ce sera peut-être un pas positif. Mais je ne pense UN FILM DE SHIMON LOUVISH pas que cela résoudra le problème essentiel. Il ne KOSTAS CHRONOPOULOS s’agît pas d’un problème de frontières. Ce pays ANTONIA' CACCIA appartient à deux peuples, au peuple juif israélien JORGE TSOUCAROSSA et au peuple arabe palestinien, ils ont la même patrie et doivent vivre ensemble, mais je pense ANNA ROZEN aussi, et ceci n’engage que moi, que la solution URI DAVIS consiste à créer un Etat socialiste et laïque appar­ RAKHETLA TSHELANA tenant à tous ses habitants, tous les Juifs actuel­ lement en Israël, tous les réfugiés palestiniens. Je Nous remercions tous les Israéliens et les Palesti­ m ’oppose à un Etat national, qu’il soit arabe ou juif. Tant- qu'il y aura un Etat juif ou sioniste, il niens d’Israël-Palestine et d’ailleurs dont l’aide nous y aura de la discrimination, non seulement envers a permis dé réaliser ce film.

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3 - Nous sommes des Juifs arabes en Israël Dialogues intégraux Les Juifs originaires des pays arabes ont émigré en Israël entre 1948 et 1960. Actuellement, 65 % de la popula­ tion en Israël est juive orientale. DES JUIFS MAROCAINS (Banlieue de Jérusalem) — Elle est très belle cette musique ? D’où vient-elle ? — Du Maroc. — Du Maroc ? — C'est une musique orientale andalouse. — Et vous jouez souvent comme ça ensemble ? — Pas souvent. C'est-à-dire après notre travail. On se rencontre une fois, deux fois par mois, et moi et le camarade on s’amuse pour nous, pour notre plaisir. — Ça vous rappelle beaucoup de choses? — Eh oui, parce qu’on a beaucoup fréquenté la musique au Maroc, beaucoup même. On était presque avec les musiciens. — Vous étiez heureux au Maroc ? — Très. — Vous êtes venu quand en Israël ? — Ça fait quatorze ans déjà. — Vous êtes bien ici ? — Ça va très bien. — Pourquoi avez-vous quitté le Maroc ? — Malheureusement, on était très bien au Maroc, mais à la fin, ça a commencé les histoires, les menaces et des lettres de menace, beaucoup de choses, ça n’allait pas bien. — De la part de qui, ces lettres de menace ? — C’est-à-dire, il y avait des terroristes et ils ne vou­ laient pas des Français. Ils voulaient rester seuls, neu­ tres, c’est-à-dire avoir l'indépendance. — Vous êtes partis en même ternes que les Français ? — Non, après. Après quand on était embêtés, vraiment ça n'allait pas bien. Moi, j’avais un magasin de coiffeur, et chaque fois on me cassait la vitre. Ils voulaient me faire beaucoup de misères. Ma fille passait des fois dans la rue, on l’embêtait, plusieurs choses... malheureusèment. Ça n’était pas comme ça au début. Mais ça allait mal à la fin, on était obligés de venir, on avait l’idée de trouver ici la paix complète. Malheureusement, ça n’a pas été non plus. Nous aimerions avoir la paix, vivre tranquille­ ment, que chacun mange un bout de pain tranquille, mais nos voisins ne sont pas encore d’accord, je ne sais pas au juste pourquoi.

— Vous avez bien connu les Arabes lorsque vous étiez au Maroc ?

— Oui, je connais même la famille royale. J’étais coif­ feur. Je peux même vous dire tous les noms des chérifs. — Et ici, en Israël, vous connaissez des Arabes ? — Non; on n’est pas dans le quartier, mais on est voisins, on va dans la vieille ville de Jérusalem. On fait commerce entre nous, on est bien. — Vous travaillez avec des Arabes, des Palestiniens ? — On est bien d’accord. — Vous les invitez chez vous ? — Des fois. Des amis, quand il y a un baptême, un mariage... — Vous invitez des Palestiniens ?

— Oui, ceux qui sont parmi nous. Hors de chez nous on ne les connaît même pas. — Et votre camarade parle surtout l’arabe ? — Il parle un peu français, un peu l'arabe, un peu tout. — En quelle langue lui parlez-vous le plus souvent ? — Quand on est ensemble, souvent on parle l’arabe. Ça lui fait plaisir et pour ne pas oublier non plus, parce qu’on en a bien besoin. — Mais en Israël, la langue officielle c’est l’hébreu ? — C’est l’hébreu qui compte actuellement. Mais c’est international. Il y en a qui parlent français, il y en a qui parlent espagnol, il y en a qui parlent arabe, il y en a qui parlent anglais, chacun parle sa langue. — Vous travaillez tous les jours avec des Palestiniens ? — Oui, il y en a qui font les nettoyages, on leur apprend àdocteurs. tout faire. Il ytrès en bien. a même qui travaillent avec les Ils sont avec lesouPalestiniens parlezEthébreu arabe ? qui travaillent en Israël, vous On parle hébreu, on parle arabe, presque tous com­ prennent l'arabe, l’hébreu. Il y en a qui sont très calés, y , e a decomprennent moyens, ça tout. dépend. Il y en a qui ont été à 1école,n ils — Pour vous, ce sont des ennemis ?

Non, non... Ceux qui sont hors de chez nous peut-être, parce que jusqu’à présent on n’est pas d’accord avec eux. Ma foi, pourvu que nous ayons la paix, ce serait beaucoup mieux, on ne souhaite que ça. Et d’ailleurs, on est venu ici pour être frères. Chacun mange un bout de pain tranquillement, sans tuer les enfants et sans tuer les femmes. On n'est pas satisfaits à ce point de vue.

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Autrement, on est très bien. Il ne nous manque rien du tout. On est retraité après 65 ans, on ne paye même pas le loyer quand on est âgé. A ce point de vue on n'a rien à dire. — Vous n ’avez jam ais pensé retourner un jour Maroc ?

au

— Comme touriste, peut-être. Je ne demande pas mieux d’aller voir les copains, parce que moi, dans mon métier, je n’avais que des musulmans comme clientèle. Oh, je n’ai manqué de rien. J’ai élevé huit gosses là-bas. — Vos enfants sont en Israël aussi ?

— Oui, je suis venu, j'ai amené la famille, c’est normal et c’est comme ça. On demande à Dieu d’avoir la paix, la tranquillité, c’est ce qu’il faut, parce qu’on ne veut pas mourir comme ça, brusquement, avec une bombe, avec quelque chose, non. On demande à Dieu la paix jusqu’à la fin de la vie et on meurt, parce que chacun doit passer par là. Mais passer au souk, et puis tout à coup une bombe... Vous voyez les blessés, un sans pieds, un sans bras, vraiment c’est pas intéressant. — Vous avez peur parfois ?

— On n’a pas confiance. Vous parlez avec quelqu’un au souk. C’est un ennemi, vous ne le connaissez pas. Il vous parle l’hébreu, il vous parle l’anglais, bien habillé, comment voulez-vous le reconnaître avec quelque chose à la main ? A la fin, une bombe éclate tout de suite. C'est vraiment « peureux », c’est pas de la rigolade. — E t lorsque vous jouez cette musique marocaine ?

— On oublie tout, on fait un peu la joie.

TEMOIGNAGE Juive yéménite, 87 ans On est sorti du Yemen à 6 heures. On est arrivé à El Djanan à 5 heures. On a marché nuit et jour dans le désert. Il y avait des Arabes qui tournaient autour de nous. Ils voulaient prendre nos femmes pour eux. On avait deux guides arabes qui nous protégeaient. Les hommes veillaient et les femmes dormaient jusqu’à 6 heures du matin. Le deuxième jour, on est arrivé dans une ville, toujours dans le désert. On a rencontré là aussi des Arabes et des soldats. Ils ont voulu prendre nos guides arabes pour nous forcer à retourner au Yémen. C'était très dur. Ils les ont même battus avec brutalité. Après, ils les ont fait jeter en prison. Mon fils et mon beau-fils sont retournés à la prison de cette ville. Ils ont dû payer pour les faire sortir. On est resté dans le désert. Après, ils nous ont embarqués en camions et des soldats nous ont fait payer 30 grouches yéménites. Nous avons pris l’avion à 11 heures et nous sommes arrivés à Lod à 5 heures. Après, on nous a accompagnés jusqu’à un village. Après, on est resté là-bas cinq mois, puis on nous a transportés ici, dans ce village. Là, il n'y avait pas d’eau, pas de maisons, rien. On est resté des nuits à dormir sur les chardons. Le deuxième jour, ils nous ont fait monter des tentes et ils ont commencé à faire des che­ mins. Ça a marché, et depuis... (...)

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TEMOIN Ils voulaient faire, de la récolte. Et c ’étaient des smalas entières de familles : le grand-père, le père, les fils et les petits-fUs, et ils ne se séparaient jamais. Même à bord, ils s'asseyaient tou? ensemble. Ces gens arrivaient vrai­ ment du désert. Pour moi, c’étaient des bédouins au début, quoi. Je me demandais même si c’étaient des Juifs ou pas qui arrivaient, qui montaient à bord. Eux, ils s’imaginaient d’après la Bible qu’on venait les cher­ cher sur les ailes d’un aigle. Quand ils ont vu cet avion, ils se sont dit : « C’est un drôle d’oiseau quand même... » Dans l’avion, ils étaient plutôt calmés, mais ils ne réali­ saient pas ce qui se passait avec eux, à tel point que, des fois, le commandant m’a dit de retourner à la cabine pour voir ce qui se1passait, voir si quelqu’un avait besoin de moi. J’en ai trouvé quelques-uns qui s’étaient pré­ paré un feu de bqis dans le passage. Je ne sais pas si c ’était pour faire μη café ou pour se réchauffer, mais c ’était quelque chose d’extraordinaire de voir ces gens-là continuer sur leur lancée du désert, n’est-ce pas, en avion, la caravane qui continue, l’arrêt, pousse-café... C'étaient des gens très intelligents mais qui sont venus en quelques heures à une civilisation ultra-moderne. Beaucoup d'entre eux ont été dans lfagriculture, mais je me demande s’ils faisaient de l’agriculture au Yémen. Je crois qu’ils étaient en majeure partie fies artisans, des gens qui s’occupaient de petites finances, c ’est tout. Aujourd’hui, en Israël, dans la rue, on reconnaît encore les Yéménites. Oui, ils sont typiques. D’ailleurs, même beaucoup du folklore israélien est tiré dp folklore yéménite. Des rondes yémé­ nites, etc... On les reconnaît tout de suite. Ils sont basa­ nés. La race yéménite juive est une des plus belles races. Quand ils sont beaux, ils sont très beaux. Ils ont des yeux extraordinaires, des yeux de jais. Ils sont tous très maigres, sveltes, des travailleurs. On peut compter sur les travailleurs yéménites. Moi, je considère ça comme une des meilleurejS émigrations qu’on ait eues, parce qu’ils sont venus du désert et ils se sont développés, mais tout en gardant énormément leurs habitudes, quoi...

André Chouraki, Juif algérien, historien, ancien vice-maire de Jérusalem Les Juifs ne viennent pas du ciel dans ce pays, ils viennent de pays réels. D’une manière très curieuse et sans së donner le mot. L'événement (dont je vous ai parlé) d’un village qui s'ébranle du jour au lendemain en coupant des racines deux fois millénaires, s’est répété des côtes asiatiques de l’Inde jusqu’aux côtes occiden­ tales du Maroc, partout, comme s’il y avait eu un incendie qui chassait ces Juifs et les ramenait vers leur pays ancestral. Malgré les obstacles, l’événement a eu lieu, et on a assisté à une sortie non d’une Egypte, mais de toutes les Egyptes du monde. Il ne s’agissait pas — pour la plupart de ces Juifs vivant en terre d'Islam — de considérer qu’il y avait là un événement politique. Avant tout, il s’agissait là d’une réalité spirituelle, religieuse, mystique. Ces Juifs étaient établis là depuis des millé­ naires, Ils conservaient la culture hébraïque, dans l’espoir de sa renaissance^

Fez, Maroc Ces Juifs, qui n’ont jamais été coupés de leur source biblique israélienne, étaient mûrs au moment où l’Etat d’Israël a été proclamé, où il s’est fait, étaient mûrs pour revenir dans ce pays dont ils n’avaient cessé de rêver pendant deux millénaires. Il faut ajouter à cela les conséquences du réveil national des pays arabes : les pays arabes retrouvant leur autonomie, leur indépen­ dance, faisaient, par le jeu des lois sociologiques, dont ce n’est pas le lieu de parler ici, un sort difficile à leur minorité. Pratiquement, toutes les minorités qui ne sont pas protégées dans le cadre d’une majorité pauvre, sont condamnées à disparaître. David Ben Gourion disait que, seins les Juifs originaires des pays musulmans, l’Etat d’Israël serait un cadre vide. C’est eux qui, avec un admi­ rable dévouement, avec une foi qui, physiquement, dépla­ çait les montagnes, se sont mis à peupler l’Etat d’Israël, à lui donner des enfants, à défricher des zones entières en Galilée, dans le Neguev, à garder les frontières, à donner leurs enfants pour la défense de ce pays. A faire toutes les fonctions qui étaient attendues d’eux, par un Etat où ils étaient venus s’établir, en sortant d’un exil deux fois millénaire. Il y a eu là un spectacle souvent bouleversant de générosité et d’amour envers ce peuple et cette terre. En ce sens, Israël est exemplaire, parce qu’il a transposé dans sa démographie même le grand problème de notre siècle, c'est-à-dire la coexistence, la la cohabitation des pays riches et des pays pauvres. On a à résoudre un problème qui n’a trouvé nulle part sa solution. Les solutions ont été avancées en Israël. Elles sont à peu près toutes pionnières dans un domaine où tout reste à faire ici et ailleurs. Maintenant, en ce qui concerne les problèmes qui se sont posés, ils sont très graves et, malgré tout ce qu’il y a de positif dans les solutions que l’Etat d’Israël a été amené à proposer pour intégrer et fondre cés communautés d’origines si diverses, fl y a encore des ombres.

Famille ouvrière juive marocaine — Vous connaissez ce monsieur ? — Oui, c'est mon père. — Il joue bien de la musique?

La mère — Très bien. Ce qui me rend folle, c’est de mettre la maison tous les soirs en dortoir et de la ranger le matin pour avoir de Tordre. Ça fait douze ans déjà qu’on est dans cette maison de deux pièces et un salon et tous les jours on est obligé de tirer les lits, d’arranger le salon pour les deux grandes et le reste pour les petits. Enfin, il faut recommencer tous les matins à remettre tout en place pour pouvoir tourner, pour pouvoir mener une vie qu’il faut tous les jours. A part ça, il y a la question des études, des devoirs qui sont très... C’est très ennuyeux parce qu’il n’y a pas assez de place, nous sommes huit. Quand les grands veulent faire leurs devoirs, les petits veulent dormir, et puis il y a la lumière, il y a le bruit,

et puis... Je sais plus... Le matin, c’est toute une histoire de rentrer dans les toilettes, il faut attendre... C'est un problème... Et là plupart des fois, ils se chamaillent entre eux et nous sommes obligés de les calmer, de leur dire : « Attendez, parce qu’il y a quelqu'un qui est là-bas. Tu ne peux pas rentrer, attends une minute. » C’est tou­ jours la même histoire qui se répète tous les matins. Mais le problème c’est surtout pour les devoirs...

Dîna, 17 ans Moi, je suis en pleine préparation du baccalauréat, et à la maison c’est difficile. Il y a beaucoup trop de bruit et pas un coin pour travailler seule sans qu'on rentre et qu’on sorte à chaque instant, sans qu’on me pose mille questions. Ce n’est pas possible. La seule possibilité pour moi, c’est d'aller chez une copine. Elle est fille unique, avec une chambre pour elle toute seule. C’est comme ça que j ’arrive à étudier. Malgré tout, c’est une perte de temps terrible. Toute la journée je dois courir d’un endroit à un autre, prendre des bus pour aller chez ma copine ou à la bibliothèque. Ça me fatigue terriblement, mais si j ’avais vraiment une chambre à moi, avec un peu moins de bruit, ça serait beaucoup mieux.

Hanna, 18 ans Moi, je viens de commencer l ’armée, ce problème est momentanément résolu: j'a i enfin une chambre, une armoire pour moi toute seule. Je n’avais jamais su ce que c’était. Maintenant je pense à mon avenir: comment poursuivre mes études à l ’Université par exemple. Est-ce que j ’aurai, à la maison, un coin à moi toute seule ? Il me reste une seule solution : quitter la maison, louer une chambre pour que je puisse faire mes études. D'autres solutions, je n'en vois pas. Etudier à la maison, ça je ne le pourrais plus.

La mère — La seule chose qui change avec les enfants actuels, c'est qu'ils se sentent assimilés à la vie israélienne, et par conséquent ça diffère un peu de la vie qu'on a eue. Us n’ont pas les mêmes conceptions. C’est tout un chan­ gement et on suit leur chemin, ça veut dire : on est là, on les voit, on les voit faire et on dit : c’est une vie israélienne, c’est comme ça qu’elle doit être, par leurs habitudes, par leur façon de parler, comment ils se conduisent, tout ça, ça fait partie de notre vie. — Ils vous échappent un peu ? — Ils nous échappent... je dirais ma foi... sur certaines choses. Je pose toujours la même question : « Ma fille, veux-tu aller à l ’armée ? » Je lui dis : « Pourquoi ? Moi, je n’aimerais pas que tu y ailles, mais si tu veux y aller dis-moi la raison. » Elle me dit : « Je veux servir, comme tout le monde, et je veux être comme tout le monde. » Elle veut être totalement intégrée à la vie israélienne.

Voix Il faut reconnaître que depuis vingt-huit ans cette communauté s’intégre lentement dans la vie quotidienne

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d’Israël. Dans l ’armée, par exemple, les Juifs d’Orient forment la grande majorité de tous les rangs, sauf les rangs supérieurs que très lentement, très très lentement ils pénètrent. Mais des officiers il y en a encore très peu. Mais, à la base, l ’armée israélienne, par exemple, est déjà aujourd’hui (on peut le dire) dans sa majorité formée des Juifs d'Orient. Sur le plan politique, est-ce que cette majorité peut aussi influencer l ’avenir d’Israël, notamment à l ’égard des pays arabes ?

nous connaissons l’histoire arabe, la langue, les us et coutumes.

Elle Eîiashar, Juif libanais, président du Conseil israélien pour la paix avec les Palestiniens

Etudiants juifs inarocams, Université de Jérusalem

— Vous avez touché à une plaie très profonde, très grave. Cette majorité est ce qu’on appelle en anglais « inarticulate ». Donc elle n’a pas de voix au chapitre à tout ce qui se passe aujourd’hui, en tant que représen­ tation auprès du gouvernement, auprès de la Knesseth (Parlement israélien), auprès des autorités locales, muni­ cipalités et autres. Il y a naturellement un progrès depuis vingt-huit ans, mais, considérant la situation glo­ bale, je peux, avec beaucoup de témérité, beaucoup de courage, de conviction surtout, je peux déclarer que cette moitié de la population ou plus de la moitié, n’a pas de voix au chapitre politique en aucune façon. — Pourquoi ?

— Si vous me permettez, je vais vous donner quelques détails : parce que le système des élections et les moyens financiers provenant du judaïsme occidental, européen, américain, donc en grande majorité ashkénaze, eux détiennent en leur pouvoir tous les moyens pour déve­ lopper Israël. Tandis que les Orientaux, les Sépharades, ne sont représentés dans tous ces cercles d’autorité (le Parlement, le Gouvernement, etc...) que dans la mesure où les partis politiques — pour donner l’illusion que cette communauté est aussi représentée — nomment de temps en temps un membre qui, naturellement, doit allé­ geance au parti politique qui le nomme à la Knesseth ou à la municipalité. Indépendamment, nous n’avons aucune voix au chapitre. Nous sommes plus de la moitié de la population juive en Israël, alors cette moitié de la popu­ lation aurait dû avoir un nombre égal de sièges à la Knesseth (qui est composée de 120 membres), même chose dans le cabinet. Sur un cabinet composé d’environ dix-huit ministres, nous avons à peine trois ministres, un demi-ministre, c’est-à-dire un vice-ministre, un assis­ tant ministre, c'est tout. — Est-ce que ces Juifs orientaux peuvent trouver d’au­ tres mots pour parler avec les Arabes parce que, juste­ ment, ils les ont connus pendant des siècles ?

— Absolument. C'est là, à mon avis, le péché originel de l'organisation sioniste et ensuite de l’agence juive et, après, de l’Etat d’Israël indépendant, qui n’ont pas pris en considération le fait qu’ils avaient un pont pour pou­ voir , discuter, traiter avec compréhension entre Arabes non juifs et Juifs-arabes qui étaient devenus israéliens. C’est là le péché que j'ai dit : on n’a pas donné l'impor­ tance (qui, aujourd’hui, commence à être perceptible) à ce moyen de communication naturelle. Des pays arabes

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— Pourquoi dites-vous «Juifs arabes» et non pas «J uifs orientaux»?

— C'est la même chose. Mais, si j ’insiste sur le mot « Juif arabe », c’est qu’à l’origine, dans les pays d’où ils sont venus en Israël, ils étaient reconnus comme des Juifs arabes, des Jt'iifs égyptiens, des Juifs irakiens, des Juifs syriens, ils étaient des Juifs de ces pays arabes.

— Vous êtes d ’origine marocaine tous les deux. On entend souvent dire en Israël que les Marocains, les Sépharades, étaient illettrés, analphabètes. Vous êtes d’accord avec ce jugement ?

— De toute façon, ça ne peut être qu’un jugement porté par un Occidental. Selon les critères occidentaux, c’est vrai. Mais mqi, je ne le pense pas du tout... Nous sommes du Maroc. Les Juifs que j ’ai pu côtoyer, qu’on a pu envoyer en Israël — puisqu’on nous le rabâche tellement —, c’étaient des gens qui étaient imbus de culture juive, de bible, qui ont étudié parfois même la mystique juive, le Zohar. Je prends l’exemple de mon grand-père... — Il savait lire ?

— Absolument. Il savait lire, écrire. Je suis persuadé que beaucoup d’Israéliens aujourd'hui ne seraient pas capables d’écrire avec des lettres telles que celles de Rachi, par exemple. Us ignorent même cette écriture, alors que mon grand-père, lui, écrivait ces lettres, parfois même le judéo-arabe, retransmis... — Les Juifs au Maroc — et je crois que c’est général pour les communautés orientales — savaient lire l ’hébreu, le comprendre, même le parler. Quand on parle du judéoarabe, on parle de l ’arabe mélangé avec l ’hébreu, ce qui faisait partie de la culture, cette culture qui était essen­ tiellement juive. Est-ce qu’il y a des valeurs de cette culture que vous île trouvez pas en Israël?

— Ce sont malheureusement des valeurs que les Occi­ dentaux vivant en Israël actuellement n’admettent pas. Ce sont des valeurs simples : l'honneur, le respect. Nos parents, lorsqu’ils sortaient le soir, ou même au moment de la prière, on les rencontrait — « Bonsoir, Monsieur » — , les gens vous connaissaient, il y avait un contact humain qui n’existe plus aujourd’hui, ni en Israël, ni en aucun pays occidental. Ce sont des choses qui disparaissent. C’est un des plus grands reproches des Nord-Africains en Israël. C’est le plus grand tort de la civilisation occi­ dentale. Les Européens se sont basés, je crois, sur des valeurs de la ciyilisation moderne occidentale et ont rejeté les valeurs proprement juives qui existaient aussi bien peut-être dans les communautés juives européennes du début du siècle que dans les communautés juives orientales... — Vous êtes Marocaine. Vous avez parfois de la peine à vivre .en Israël ?

— Oui, c’est assez difficile pour moi, comme, je crois, pour quiconque viendrait vivre dans une société qui n’est

pas la sienne, et je le regrette: j'aurais voulu voir Israël se développer dans le sens d’une culture juive, d’un judaïsme plus fort, qui se traduirait aussi, du point de vue culturel, dans une vie plus spirituelle. Ce qui se passe, c’est le contraire : nous vivons dans une société de consommation comme partout ailleurs, complètement matérielle. — Pourquoi vivre ici et non pas ailleurs ? Quelle est la raison d’être Juif ?

— Là, c’est vraiment remettre tout en question. Je pense que les Nord-Africains ou les Orientaux en général avaient un bagage juif très important, qui s’est perdu bêtement, parce que nous sommes tournés, comme tou­ jours, vers des valeurs et des notions qui n’étaient pas les nôtres. Mais on assiste à un renouveau, et je pense que la culture juive essentiellement sépharade renaîtra en Israël. 80 % des Juifs arabes habitent dans des villes de développement. A mon avis, une ville de développe­ ment est une ville qui aurait déjà dû se développer : depuis vingt-cinq ans qu’elles ont été créées, comme Yerouham par exemple ! Je voudrais soulever des pro­ blèmes. Dans les journaux du vendredi soir et du samedi, chacun peut lire : « Venez à Yerouham, habitez Yerouham. Vous aurez un appartement et un travail sûr. » Les gens du nord arrivent ici : on leur donne les meilleures conditions, celles auxquelles nous, les travail; leurs déshérités, n'avons jamais eu droit, et c’est ce qui me fait le plus mal. Voyez le secteur de l’Education : à midi déjà, les enfants jettent leur cartable et traînent dans les rues. Il y a bien des instituteurs qui arrivent ici, mais ils enseignent quelques semaines puis repartent. Il nous manque ce que j ’appelle de bonnes conditions de vie pour une ville. Au diable tous les avantages finan­ ciers, même si on ne nous fait pas payer d’impôts par exemple ! Croyez-moi, j'aurais préféré que ce soit un kibboutz ici : si c’était un kibboutz, au moins les gens auraient pu avoir une meilleure éducation et surtout un idéal.

Educatrices bénévoles dans la banlieue de Jérusalem — C’est un quartier populaire, peuplé en majorité, de personnes d'origine sépharade, ce qui implique des familles très nombreuses, des appartements surpeuplés, des enfants qui tournent dans les rues, qui n’ont pas tellement un cadre pour rester ou faire leurs devoirs. — Les appartements sont de trois, pièces ?

— En général, oui.

— Et on vit à combien dans trois pièces ?

— Ça peut aller jusqu’à des familles de neuf enfants, quelquefois plus. A part ça, il y a des problèmes de délinquance, de jeunes qui tournent dans les rues et ne rentrent pratiquement pas à la maison, ils se retrouvent dans les rues et vivent ici à leur manière. — Quel est votre travail ici ?

~ C'est un ancien abri, ce qui implique aussi quelque chose de très lourd, de très pesant, mais on a voulu en faire un endroit beau où les enfants pourraient venir et s y sentir bien. On a voulu aussi en faire un endroit extra­

scolaire, où les enfants pourraient meubler leurs loisirs, où ils pourraient apprendre un certain nombre de règles, à s’asseoir tout simplement, à rester un moment assis, ce qui est difficile pour eux, à cause de l’agressivité, d’un certain vandalisme... C’est un travail très long, mais... Moi, c’est évident que je ne suis pas l’étrangère qui vient apporter quelque chose, je suis comme eux, je suis parmi eux. — Vous êtes toutes les quatre originaires d’Afrique du N ord, de Tunisie, du M aroc. Pourquoi êtes-vous venues en Israël ?

— Parce qu’on se reconnaît dans ce contexte, parce qu’on est justement de la même origine, parce qu’il y a un problème sépharade et parce que nous, qui avons une culture française, nous sommes fortes de ce bagage « occidental » et nous appartenons en même temps à un milieu sépharade, on peut faire ce pont entre l’Orient et l'Occident, entre Sépharades et Ashkénazes.

A un conseiller — Comme conseiller du Premier m inistre des Affaires sociales, que faites-vous pour compenser le fossé entre les deux communautés juive orientale et juive euro­ péenne ?

— D’abord, définissons ce fossé : c ’est la différence entre la misère et l’abondance. Dans le monde entier, il existe un fossé entre les couches pauvres de la société et les couches riches. Mais, en Israël, ce sont surtout les Juifs orientaux qui souffrent de cette disparité. Le rapport du Premier ministre sur la misère qui touche les enfants et les jeunes a montré qu'en Israël, c’est près du quart de la population jeune qui souffre de ce fossé. Il y a la misère matérielle et la misère morale ; en Israël, la misère morale a plus d’importance que la misère matérielle. A cause de ce fossé, les gens sentent qu’ils ne sont pàs des citoyens de première classe en Israël, et ça leur fait mal. Bien qu’Israël ne pratique pas de discrimination, on ne peut ignorer ce sentiment chez les Juifs orientaux. Il faut que l’Etat d’Israël lutte par tous les moyens pour que ce fossé disparaisse, mais actuellement, il existe. — Le but du gouvernement est de créer un nouvel homme israélien. Sera-t-il plutôt occidental ou oriental ?

— Avant tout, il sera juif, car nous construisons ici une société juive.

(M entalisation. Jérusalem, 5 heures du matin. Etudiante aux Beaux-Arts de Jérusalem, «B eth Tsalel » — Tout d’abord, je suis née à Jérusalem, j'y habite et j ’aime cette ville. Chacun peut y trouver quelque chose qu’il aime et voir cette ville à sa façon. Ce que je fais correspond à la réalité que, je vois, moi, à Jérusalem. Jérusalem m’appartient comme elle appartient à tous ceux qui y habitent. Mon art n'a aucun but, c'est simplement pour moi-même, pour communiquer mes sentiments envers Jérusalem, juste pour apprendre aux gens à mieux

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regarder quand ils marchent dans la rue : les maisons, leurs détails, car c’est d’abord ce qui nous frappe et nous touche. Quand je marche, même dans la plus petite des rues étroites, tout le temps je regarde les très vieilles maisons, marquées par les siècles passés sur Jérusalem, auxquelles on a ajouté un mur de pierres, de briques, des fenêtres... Ce qui est bizarre, c’est qu’après avoir commencé à travailler, j'ai marché dans la rue. Soudain, j ’y ai retrouvé ce que j ’avais fait, des choses qui étaient probablement dans ma mémoire, mais incons­ ciemment : une fenêtre dans un toit, un escalier bizarre... Oui, bien sûr, c’est une influence, c’est une partie de moi-même, ce n’est pas comme une influence extérieure, c’est habiter ici, vivre ici, être sensible à chaque maison, à chaque pierre de cette ville. Les architectes essaient de préserver son caractère ancien, de ne pas le détruire : ce n’est pas toujours réussi. Mais, de façon générale, on se conduit bien envers Jérusalem. Tous ceux qui y habitent sont sensibles à sa beauté.

EMe Moyal, Juif marocain, vice-ministre des Télécommunications — Vous êtes venu en Israël à la fin de la deuxième guerre mondiale. Etait-il difficile pour vous d’accéder à ce poste ?

— Ce n’est pas facile. Pas pour moi seulement, mais pour tous ceux qui veulent se lancer dans la carrière politique. Ce n’est pas comme en Amérique. Vous avez Carter, il était inconnu hier, il s’est lancé dans l’élection à la présidence de la République des Etats-Unis. Chez nous, il faut travailler. On ne fait pas confiance aux arrivistes. — Monsieur le Ministre, on a l ’impression qu’Israël s’orientalise aujourd’hui. Est-ce vrai ?

— Essayons de définir le mot « s'orientalise ». Pour moi, l ’orientalisation c’est quelque chose de positif, c'est quelque chose de culturel, parce que je conçois que l’Orient a une très vaste culture. Ce que vous avez vu en une semaine, c’est une orientalisation superficielle : si vous parlez de la cuisine, des restaurants, si vous parlez des chants que vous avez écoutés à la radio, eh bien, c’est une orientalisation extérieure... En ce qui me concerne, quand je parle d’orientalisation, je parle d’une des cultures que le monde juif oriental avait : ce sont les valeurs éternelles du judaïsme. Je crois que le judaïsme oriental est possesseur de ces valeurs. Eh bien, ces valeurs, il n’est pas encore arrivé à les faire valoir. Nous sommes trois millions. Nous sommes entourés de 130 millions d’Arabes, que nous le voulions ou pas. Et ce monde arabe pénètre en Israël. Quand vous ouvrez votre poste de T.S.F., vous tombez de suite sur une station arabe, vous écoutez la radio arabe, les interprètes arabes, ce qui fait que nous ne pouvons pas créer un ghetto chez nous. Je crois que le judaïsme oriental doit remplir un rôle très important. Le problème fondamental qui se pose chez nous, c'est de constituer un trait d’union entre les valeurs occidentales et la culture orientale. Les Orientaux peuvent véritablement constituer une syn­

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thèse qui réalisera cette fusion de culture. On ne peut pas créer un Etat occidental dans un monde oriental.

A un Israélien — Vous ne pensez pas que si le représentant d’Israël à TO.N.U. était un Juif oriental, il pourrait trouver d ’au­ tres mots et peut-être un autre dialogue avec les Etats arabes ?

— Je suis de cet avis, je le dis aussi, c’est ma concep­ tion. Je crois que ce Messie n’est pas encore né.

Réunion d’amis juifs arabes — Obliger les gens à apprendre l’hébreu, mais aussi l’arabe. Leur expliquer petit à petit que nous sommes en Israël, nous sommes entourés d'Arabes et que nous vivons avec des Arabes depuis des années. Il vaut mieux qu’on sache communiquer avec eux. Vous savez ce que c’est pour un élève qui écrit hébreu... d’affronter une langue latine, c’est beaucouP plus terrible que d'affronter une langue arabe. Quand on dit à un gosse de 10 ans : « Now you must Write », « I am a man », quel rapport il a avec la langue anglaise ? Tout le monde parle anglais, on ne peut vivre dans aucun pays sans parler l ’anglais. Même les Arabes le parlent. Nous devrions nous rappeler jour et nuit que nous sommes dans une zone qui appar­ tient au Moyen-Orient. Il était peut-être inévitable que ceux qui ont créé l’Etat avec ses structures politiques, qui étaient Européens, lui impriment une certaine forme, un certain style, mais je crois qu’ils auraient dû et qu’ils devraient encore prendre beaucoup plus en considération le fait que nous appartenons à une zone qui est l'Orient, l’Orient arabe, je dirai plus : l’Orient sémite. Et cela devrait nous inciter à prendre en considération les mœurs environnantes, la culture, la langue, parce que c’est le seul moyen que nous avons de communiquer avec nos voisins, de rompre un écran de méfiance et de haine. Le problème : ceux qui parlent l’arabe en général, en Israël, sont d’une certaine couche de la société, la couche basse. Aussi, ça provoque une certaine gêne de parler cette langue. Tout le monde est « tcharchahim », comme oïl dit chez nous. — Qu’est-ce que ça veut dire ?

— Les gens les plus voyous, eux, ils parlent arabe. A quoi on est arrivé ? On leur a fait honte parce qu’ils écoutaient Oum Kalsoum, maintenant ils écoutent Trifonas. Qui est-ce ? Trifonas, la musique grecque la plus vulgaire qui puisse être, voilà, c’est à ça qu’on est arrivé. — Quel arabe ?

— En général. Tu crois qu’un ashkénaze peut faire une différence entre l ’arabe marocain ou l'arabe palestinien ? Pour lui* c’est de l'arabe. On avait peur de ce mot « orien­ talisation », parce que Ton entendait par là « levantinisation ». En fait, les deux notions sont différentes, mais dans l’opinion publique il y avait une confusion. La levantinisation est — pour employer un terme gastrono­ mique — ' une mauvaise digestion d’une civilisation par une autre, c’est l'adoption, dans notre cas précis, de la

civilisation occidentale par une civilisation orientale. Mais l'adoption de manières extérieures (sans profondeur) et les résultats que cela donne, voilà ce qu’est pour les Israéliens moyens la « levantinisation ». Un pays levantin, c’est un pays où il y a de la corruption, où les gens ne travaillent pas, où la parole n’est pas respectée. Cette nonchalance, cette paresse dans l ’opinion publique quali­ fient l'Orient : danger. Mais ça, personne n’en veut. La civilisation israélienne est à faire et chacun doit y par­ ticiper. Quand on a compris cela, il n’y a plus aucune raison d’avoir honte de ses propres origines, de vouloir les cacher, mais il s'agit au contraire de vouloir les donner à cette civilisation qui est en formation. Les Arabes, il faut savoir dialoguer avec eux. Il faut savoir le faire d’après leurs manières, non pas d’après des manières importées de l’extérieur. J’ai cité Kissinger : lui, c’est un homme qui (bien que venu d’Europe en passant par les Etats-Unis) a été obligé de faire attention à la sensibilité arabe, à la susceptibilité, etc... Seulement, de cette manière, il a pu réussir un certain dialogue. Le problème en Israël, c’est que les gens chargés de nos relations diplomatiques sont en général des gens très peu ferrés dans ce domaine. Et ils basent trop leur dialogue sur des théories, sur un rationalisme excessif, etc. C'est un des manques de réussite dans nos dialogues,.. Si Abba Eban a pu, hier soir, à la radio, citer des dizaines de moments où Israéliens et Arabes se sont trouvés en à ce dialogue. On s’est trop assis là où le protocole nous face sans réussir à dialoguer, moi je trouve que c’est parce qu’on n'a pas trouvé l ’astuce orientale pour arriver a dit. On nous a dit de nous asseoir à gauche, on s’est assis à gauche. On nous a dit de serrer la main, on a serré la main. On n ’a pas pu provoquer une relation humaine, chaleureuse, qui aurait pu faire « défrigérer » ces gens. A mon avis, c’est un de nos problèmes. Je vous donne un exemple : la manière dont Rabin peut parler au peuple n’est pas la manière dont un Sabra peut parler au peuple. Ça c’est important : la confiance dans l ’individu. Si la bureaucratie israélienne est arrivée à ce niveau horrible de paperasses, c’est parce qu’on ne fait presque pas confiance en l ’individu. On ne le. « res­ ponsabilise » pas. Et si vous voyez les plus grandes affaires qu’ont faites les Juifs avec les Arabes, ça s'est terminé par une poignée de main, et ça suffisait. On ne signait presque pas de papiers. Ça n’a pas toujours sa place, mais il y a ce manque. Le roi Hassan II a invité les Juifs à rentrer au Maroc. — Vous êtes prêts à le faire ?

— Je ne crois pas. Je n’ai pas quitté le Maroc sur un coup de tête. J’ai quitté le Maroc en connaissant très bien la situation. Je crois que cette invitation n’a aucun sens. Si quelqu’un vraiment n'a pas pu s’intégrer en Israël, qu’on lui offre une possibilité de retour, c’est peut-être humain. Je crois que c’est une des déclarations les plus intelligentes des derniers temps. Parce que c’est une astuce, il faut suivre le raisonnement. Vous savez que les Juifs se sont organisés dernièrement (en France, en particulier), ont créé un comité mondial des ressor­

tissants des pays arabes pour essayer de demander aux Arabes ce que les Arabes nous demandent pour les Pales­ tiniens. Et alors, en réponse à ça, les Arabes ont été très intelligents à mon avis, plus que les Israéliens. Encore une fois, c’est le problème des relations. Ils ont simplement proposé aux Juifs : « Revenez ». Les Israé­ liens, de leur côté, ne peuvent dire cela aux Arabes. Voilà encore une fois une guerre perdue, perdue d’avance, et ça, c’est l ’erreur d’Israël. C’est le manque d’idées de la nation israélienne. Comme l ’a dit Jojo, c’est sûr que ça ne peut pas résoudre le problème des Juifs marocains en Israël. — Est-ce que vous êtes prête à rentrer en E gypte?

— Non, pas dü tout, jamais. — Pourquoi ?

— Je n'aime pas ce pays, je ne me sens bien nulle part ailleurs qu’en Israël. Si je suis venue en Israël, c’est pour y rester. — Qu'est-ce que ça signifie pour vous, être Israélienne?

— Ça signifie justement ne pas être différent des autres. Je ne suis pas venue par sionisme, particulièrement, je suis venue parce que j ’en avais marre d’être juive, tou­ jours être juive, c’est-à-dire différente des autres. Alors j ’ai décidé que je voulais être dans un pays quelqu’un comme tout le monde. C’est pour ça que je suis venue. Peintre mystique « Hassid » — Moi, je peins une vue au cœur d’Hébron. J’aime dessiner cette vue. Il y a ici le calme, la sérénité d’une ville qui est en même temps un village : végétation et maisons forment un assemblage qu’on ne trouve qu’ici. Mon inspiration vient de deux sources : ou bien j ’ouvre les Livres Saints, la Thora, un Midrash, une Hagada, l’inspiration vient alors du ciel... Pour le paysage que je peins maintenant, mon inspiration vient de la terre. Je ne sais pas s’il y a une influence arabe dans ma pein­ ture. Mais on y retrouve les couleurs vives qu’on voit ici. Il y a dans mon travail beaucoup d’influence orien­ tale, mais pas spécialement arabe. — La musique, en particulier la musique arabe, est-elle importante pour votre création ?

— Si c’est de la bonne musique qui vient du cœur, elle me touche : je préfère la chanteuse égyptienne Oum Kalsoum à bq musique pop. La musique pop fait un trou dans ma tête ! Pour moi, si la musique n’est pas mono­ tone, si elle exprime un sentiment lyrique, elle peut venir d’Orient, d’Occident, de chez les Indiens, ça m’est égal.

Les relations entre les Juifs arabes et les Palestiniens. Journaliste palestinienne en territoire occupé : Raimonda Tawill. — Dans les contacts que vous avez en tant que Pales­ tinienne, voyez-vous une différence entre un Israélien d’origine arabe et un Israélien d’origine européenne ?

— Les Palestiniens de Cisjordanie S’entendent beaucoup plus avec les Israéliens qui viennent des pays arabes.

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Ils ont beaucoup de choses en commun, par exemple la culture, les habitudes, les traditions, ils ont beaucoup de choses en commun. — Vous-même, vous avez des amis parmi les Israéliens d’origine arabe ?

— Oui, c’est sûr, les Israéliens égyptiens, de l’Irak, les Israéliens des pays de la Palestine. Il y a beaucoup de contacts, il n’y a pas de haine, on s’entend assez bien, mais c’est la guerre. Tandis qu’il y a une différence entre les Juifs d’Irak et les Juifs qui sont, par exemple, de l ’Afrique du Nord. Les Juifs d’Irak, de l’Egypte, du Liban, sont des intellectuels, ce sont des gens très bien, bien éduqués, mais les Juifs du Yémen, de l’Afrique du Nord, on ne s’entend pas avec eux, ce sont les plus extrémistes. Par exemple, quand il y a une manifesta­ tion, quand il y a quelque chose qui se passe à Jéru­ salem, ce sont les seuls qui viennent pour attaquer les Arabes, ce sont les Juifs de l’Afrique du Nord, ainsi que les Marocains. C’est parce que le niveau n’est pas aussi bien que celui des Juifs qui viennent de l’Irak ou bien de l’Egypte. Les Juifs qui ont vécu en Israël, en Egypte, aussi au Liban, c’était l’élite des pays arabes, et ils avaient les meilleurs postes. — Est-ce que le gouvernement israélien n ’utiiise pas ces Juifs venant des pays arabes pour administrer les terri­ toires sous occupation depuis 1967 ?

— Oui, ils sont en train de les employer, parce que ce sont eux qui savent la langue arabe, alors ce sont eux qui sont en train d'administrer. Mais vraiment on peut dire que ces Juifs-là sont en conflit : parce qu’on sent qu’ils sont près des Palestiniens et des Arabes, ils comprennent notre mentalité et, en même temps, ce sont eux qui emploient la main de fer : les investigateurs dans les prisons parlent arabe, les gens qui sont en train d’arrêter, d’emprisonner, les militaires, tous sont en train d’apprendre l ’arabe, partout. Ce n’est pas toujours la langue qui est un obstacle : par exemple, Dayan qui a vécu avec les Palestiniens dans cette région, comprend bien la mentalité des Palestiniens, il comprend bien ce qu'est un Palestinien, mais on ne peut pas dire que Dayan n’a pas employé la main de fer : pour détruire les mai­ sons, pour expulser les gens, pour arrêter, pour torturer, pour emprisonner. Ce n’est pas toujours la langue qui est un obstacle.

M. Gour Arié, conseiller du Premier ministre pour les Affaires arabes — M. Gour Arié, vous êtes d’origine irakienne. Lorsque vous traitez un problème arabe, est-ce que votre connais­ sance du monde arabe, de sa langue, de ses mentalités, joue un rôle prépondérant ?

— Je crois que vous avez raison en disant cela. veut dire que mon origine, mon savoir, le langage culture m ’aident dans mon travail, certainement. aussi je dois dire que ce n’est pas la seule chose laquelle on peut faire le travail que je fais. Ce

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Cela et la Mais avec n’est

pas parce que je suis Irakien ou parce que je connais la langue arabe, c’est aussi parce que j ’ai eü une éduca­ tion à l ’Université, sur les sciences orientales dans tout ce domaine. — Aujourd’hui, en Israël, on enseigne l ’arabe dans les écoles secondaires. On n’aurait pas dû le faire plus tôt ?

— On a essayé de le faire plus tôt, mais il y a aussi la question d’avoir assez de professeurs connaissant suf­ fisamment la langue arabe pour pouvoir l ’enseigner dans toutes les écoles. Mais nous avons déjà plus de 105 écoles secondaires qui enseignent l ’arabe parlé et nous avons un programme pour augmenter le nombre des écoles jusqu’à ce que toutes en Israël enseignent l’arabe parlé. Je pense que c’est important, il faut apprendre l ’arabe. — Pour quoi faire ?

— Je vis dans un pays où il y a beaucoup d’Arabes. Si on veut arriver à la paix avec eux, il faut connaître leur langue.

A un élève — Ce n ’est pas difficile d’apprendre l ’arabe avec toutes les matières que vous avez déjà ?

— C’est difficile mais c'est au programme, et si on veut vraiment l'apprendre, ce n’est pas tellement com­ pliqué.

A un autre — C’est facile, l ’arabe ?

— Non ! pas tellement. — Ça ne ressemble pas à l ’hébreu ?

— Si, mais il y a trop de choses qui ne ressemblent pas. Non, je n’apprends pas l ’arabe pour me débrouiller avec les gens, seulement pour faire de la politique plus tard. — Tes parents parlent l ’arabe ?

— Non. — De quelle origine sont-ils ?

— Mon père est d’origine polonaise, ma d’origine allemande.

mère

est

— Aujourd’hui, quotidiennement, environ 70 000 Pales­ tiniens viennent travailler en Israël. Il y a des familles aussi qui viennent se faire soigner dans les hôpitaux israéliens. Pensez-vous que cette coexistence est un fac­ teur positif pour l ’avenir, ou bien est-ce qu’elle vous pose des problèmes ?

— C’est une question un peu compliquée à laquelle je veux essayer de vous donner une réponse. Les Arabes d’Israël ont un dilemme. C’est le dilemme de la double loyauté qui existe dans la population arabe. C’est qu'ils appartiennent aux nations arabes mais vivent en Israël, et il y a un état de guerre entre la nation arabe et Israël. « Où sommes-nous ? », disent les Arabes d’Israël. Le Gouvernement israélien a décidé qu’un Arabe israélien ne doit pas s’identifier avec tous les buts sionistes de l ’Etat juif.

U sin e à H é b r o n , e n te r r ito ir e s o c c u p é s — Bonjour, depuis combien de tem ps travaillez-vous ici ?

— Depuis deux ans. — Où étiez-vous avant ?

— Au Koweït. — Que faites-vous ici ?

— Je suis venu ici parce qu’ici c’est mon peuple, mon pays, ma famille : Ils sont tous ici. — Vous êtes amis avec les Juifs ?

— Nous avons seulement des relations de travail, nous n’allons pas chez eux, ils ne viennent pas chez nous. Nous avons notre travail et ils ont leur travail. — En quelle langue parlez-vous entre vous ?

— En arabe, naturellement. Tous les Juifs ici parlent l’arabe. — Quelle idée vous faisiez-vous des Juifs avant de les connaître ?

— Nous, nous n’avions pas d’idée sur eux, ni eux sur nous, et nous ne savions pas quel genre de relations nous aurions. C’étaient des étrangers pour nous. — Pensez-vous que cette usine restera israélienne ? Un jour sera-t-elle palestinienne, par exemple ?

— Par Allah ! Nous ne faisons pas de politique. Poseznous des questions sur le travail, nous vous répondrons... — Moi, je vendais des cartes postales aux touristes. — Moi, je bricolais. — Et vous, que faites-vous ? Vous parlez l’arabe ?

— Oui, je parle aussi l’arabe. — Vous êtes Juif ?

— Oui. — Pourquoi êtes-vous venu travailler ici ?

— Je cherchais un peu de variété dans le travail, et je suis arrivé ici. Je me suis dit : essayons ! — Comment c’est le travail avec les Arabes ?

— Us sont très gentils, je me débrouille bien avec eux. Je les connais, ça va, il n’y a pas de problème politique entre nous. Us font leur travail et moi le mien. — Vous êtes amis ou bien vous travaillez seulementensemble ?

— Si quelqu’un a un ami, ce n’est pas seulement pour le travail. Lui, je le vois dix heures par jo u r; à la maison, je vois mon frère deux heures par, jo u r; alors lui, je le vois plus que mon frère. — Vous l’invitez à la m aison ?

— Pourquoi pas? Qu’il soit le bienvenu! Nous l’invi­ tons. Je l’ai invité, voilà ! — Que pensiez-vous des Juifs avant de les connaître ?

— Moi, avant, les Juifs, je ne savais pas ce que c ’était. Mais mes grands-parents, eux, ils savaient. Nous, nous sommes la nouvelle génération, les Juifs nous ne les connaissions pas. F a tih a , in stitu tr ic e p a le stin ie n n e , H é b r o n — Fatiha, avant l’usine, qu’est-ce qu’il y avait ici ?

— Avant l’usine, il y avait ici une terre, vaste, toute plantée de vignes, de figuiers, de grenadiers, c’était une terre de légumes et de fruits. — E t après ?

— Après, on a eu ici le colonialisme israélien. Israël a fait ici ce qu’il a voulu, il a pris les terres, arraché les arbres. — Israël a pris les terres ou les a achetées ?

— Je ne sais pas... ça, c ’est le gouvernement. U y a des gens qui disent qu’on leur a pris la terre malgré eux. — Où sont ces gens ?

— Ces gens sont là, à l’usine, à Hébron. Les autres ont quitté leur terre et ils sont allés vivre ailleurs, comme des pauvres. — Maintenant qu’il y a l ’usine, comment ça se passe ?

— Maintenant, il y a beaucoup d’usines, des usines de dalles, de verre, de fer, de vêtements, des usines de tous les genres... L e p a tr o n d e Eltsine, J u if ira k ie n — Quand avez-vous construit cette usine ?

— En 1970. — 1970 ? Après la guerre de 1967 ?

— C'est exact. — Vous avez beaucoup investi vous-même ?

— Qu’est-ce que ça veut dire ? — Investi vos propres capitaux ?

— 1500 000 livres israéliennes. — Pourquoi avez-vous construit ici, près d’Hébron ?

— Le Gouvernement nous a donné des facilités et aussi du travail pour les Arabes et pour les Juifs dans ce quartier, pour Hébron et pour Keristh Arba. — E t si un jour le gouvernement rend ces territoires à la Jordanie ou à un Etat palestinien?

— Ce sera très dommage pour moi. — Vous n ’avez pas peur de l ’avenir ?

— Non, je crois que nous allons vivre avec les Arabes et les Arabes vivront aussi avec nous. — Mais dans un Etat israélien ?

— Ça dépend. Ça c’est de la politique. Je ne sais pas. Mais je voudrais que ce soit un Etat israélien. — Vous n ’êtes pas partisan d’un Etat palestinien vousmême ?

— Non, non. — Si un jour un Etat palestinien est créé ici, vous serez d’accord pour poursuivre l’activité de votre usine, sous administration palestinienne ?

— S’il y a la paix, oui. Mais sans la paix, rien du tout. Et pour les Arabes, c'est aussi bon, vous savez. Us vivent avec nous, ils gagnent bien. Vous voyez ici les maisons, c ’est toujours nouveau. Ils n'avaient pas d’argent avant. Maintenant, ils travaillent chez moi et ils gagnent chez moi. — E t si le gouvernement israélien doit rendre un jour les territoires, est-ce que vous serez indemnisés ?

— C’est sûr que nous aurons dès dommages, mais il y a l’assurance, l'assurance politique. Le gouvernement nous rendra de l’argent, les sommes que nous avons investies ici.

Une Palestinienne — Dites-nous, qu’allez-vous faire maintenant ?

— J’ai étudié pendant douze ans l'anglais, l’histoire, les mathématiques... J’ai décidé, maintenant que je suis fiancée, de me marier. Quand je serai mariée, je resterai ici, je fonderai une famille heureuse et je veux vivre dans ma patrie, toute ma vie, quoi qu’il arrive, je res­ terai ici, dans ma patrie. — Même avec les Israéliens ?

— Qu’ils soient là ou pas, nous allons rester, car c'est ce que Dieu a écrit pour nous. — Ça vous est égal que vos enfants grandissent ici avec les Juifs ?

— Nos enfants, de toutes façons, ils resteront Arabes toute leur vie : des Arabes fidèles à leur terre, car la terre est plus chère que l ’âme.

C H A N T IE R P R E S D E JERUSALEM U n ouvrier arabe — Nous construisons cet ensemble depuis plus de cinq ans : il devrait contenir jusqu'à 20 000 familles. On l’ap­ pelle « Har Guilo », avant on l ’appelait « Slaieb » en arabe, aujourd’hui c’est une petite ville juive... Guilo, je crois que c’est seulement pour les Juifs.

sommes obligés. Mais, lorsque nous parlons avec le gou­ verneur militaire, nous avons besoin d’un interprète. II parle en hébreu, nous en arabe, et son assistant, Arabejuif-irakien, sert d'interprète. Nous parlons toujours en arabe avec les Arabes juifs. Es parlent l ’arabe mieux que nous. Aussi, nous leur disons toujours : vous êtes des Arabes et vous devriez être du côté des droits palesti­ niens. Nous pouyons vivre mieux avec vous, les Arabes juifs, que vous ne le faites avec les Juifs. — Voici un hélicoptère plein de soldats, contre les manifestations, ici à Ramallah. Aujourd’hui, c’est l ’an­ niversaire du soulèvement du 5 juin, et il y a des grèves dans les territoires occupés. Mais pour répondre à votre question, nous parlons en arabe même avec les Arabes juifs de l ’armée israélienne et de l ’administration mili­ taire. Souvent, c;,omme maire de Ramallah, je leur dis : vous êtes des Arabes, pas des Israéliens, pas des sio­ nistes, nous sommes mieux pour vous qu’un Juif venant de Russie ou d’Europe ou d’Amérique. — E t que répondent-ils ?

— Certains sont convaincus et sourient, et certains disent : non, nous sommes des sionistes.

H A V A E S T J U IV E E T JU SËF EÎST A R A B E

Contremaître ju if

Lui

— Les Juifs qui travaillent ici sont contremaîtres ou ouvriers ?

— Nous sommes nés en Israël et nous avons grandi ici. Je l ’ai connue il y a quatre ans, comme ça, sur une place, et nous avons fait connaissance. Après un certain temps, nous avcjns pensé au mariage. C’était difficile car nous n’appartenons pas à la même religion. Alors, nous avons commencé à nous informer où ce serait possible de nous marier, car il n’y a pas de mariage civil en Israël. Alors, nous nous sommes mariés à Chypre.

— Il y en a qui sont contremaîtres... d’autres qui tra­ vaillent. — Et toi, par exemple ?

— Moi, je ne travaille pas, je suis responsable, plus ou moins. Je travaille depuis plus de huit ans avec les Arabes. Je parle avec eux en arabe. Avec ceux qui ont appris l ’hébreu, je parle hébreu.

U n ouvrier palestinien e.

— Tu es content de construire des maisons pour Israël ?

— Ça, c’est une question délicate.

D ’autres — Parle, parle, parle !

— En vérité, nous on a du travail, on vit ici, mais on ne peut pas dire qu’on est content de bâtir des maisons pour Israël. Pas sur ces terrains-là. Non, car cette terre...

U n autre — Je suis Hamed er Maadi, du village de Zbné. J’envoie mes salutations à mon frère, c’est tout !

RAM ALLAH, T E R R IT O IR E OCCUPE — Comme maire de Ramallah, avez-vous des relations avec les Juifs arabes ?

— Comme maire de Ramallah, nous avons des relations officielles avec le Gouvernement militaire ici, nous y

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Elle — Moi, j ’habitais dans une communauté agricole, avec mes parents, mes douze frères et sœurs. Ils y habitent toujours. Oui, c’est vrai, je l ’ai connu à Haïfa. Et dès le premier jour' il m ’a dit qu’il était Arabe chrétien. Si jamais il était sorti avec moi sans me le dire, ç’aurait été autre chose ! Mois, ça m’est égal, je continue à l ’aimer. Mes parents sont très contents, ils viennent chez nous, on va chez eux. Eux aussi, ça leur est parfaite­ ment égal.

Les parents de Hava, Juifs tunisiens — Pour moi, si c’est un chrétien ou si c’est un Arabe, pour moi ce sont des musulmans... — C’est quelqu’un qui est différent d’un Juif ? Qui a Un autre sang ?

— Il y a une différence entre un Arabe et un Juif. — Quelle est la différence ?

— Il y a une grande différence entre un Juif et un Arabe. Je souffre trop. Où je vais, on dit : ta fille s’est mariée avec un chrétien. Les gens me regardent de travers.

— Vous avez eu de la peine à accepter ?

— Bien sûr, j ’ai de la peine, et à la fin c’était trop tard pour moi. Elle s'est mariée avec lui. Je suis contente maintenant. Elle est heureuse avec lui, je n’ai rien à dire. Elle a un enfant, oui, elle a fait le baptême avec lui. Il a un enfant, on a fait la circoncision, et maintenant, malgré tout, il vient à la maison, on l’accepte chez nous, nous sommes ensemble, tout ça, mais c'est pas pareil comme un Juif.

A l’épouse

Télévision israélienne, rédacteur en chef des émissions en arabe Juif égyptien — La loi israélienne oblige à émettre en hébreu et en arabe. Les deux langues obligatoires, que ce soit à la radio, que ce soit à la télévision. Bien sûr, la radio émet en plusieurs langues, en français, en anglais, etc... Mais la loi israélienne oblige à émettre en arabe et en hébreu. — E t à qui sont destinées ces émissions ?

— Si Jusef avait été musulman au lieu d’Arabe catho­ lique, tu l’aurais épousé ?

— En général, elles sont destinées à tous les téléspecta­ teurs qui parlent la langue arabe, c ’est-à-dire nos télé­ spectateurs arabes, ceux qui vivent en Israël, et ceux qui vivent en dehors des frontières d’Israël, en Jordanie, en Syrie, au Liban, mais ça va spécialement aux Palestiniens en Transjordanie, en Cisjordanie, etc...

A l’époux

— Est-ce qu’elles sont écoutées aussi par les Juifs origi­ naires des pays arabes qui, parfois, comprennent mal l’hébreu ?

— Qu’il soit Arabe chrétien ou musulman, du moment que je l’aime, je me serais mariée avec lui.

— Et toi, qu’en penses-tu ?

— Nous pensons pareil tous les deux : c'est l’amour, c ’est la vie. Si une femme te plaît, que tu l'aimes êt qu'elle t'aime, il n’y a plus de problème de religion. Ici, en Galilée, les villages arabes et juifs se touchent, même dans les petites villes les populations arabes et juives vivent ensemble. C’est pour ça que beaucoup de jeunes Arabes ont connu des jeunes filles juives et vice versa. Je peux t’affirmer que 10 % des couples, en Galilée, sont mixtes, et beaucoup de couples vivent ensemble offi­ cieusement. Pour se marier officiellement, il faut du courage, car ce n’est pas facile ici. Je sais qu’il y a 400 ou 500 couples dans cette situation. Je connais beaucoup de mes copines qui fréquentent des Arabes, la majorité sont d’origine tunisienne, roumaine, surtout d’origine orientale. — Sincèrement, êtes-vous heureux ?

— Parfaitement heureux ; nous n’avons pas de pro­ blèmes, j ’ai une bonne épouse, disciplinée, « je lui fais son honneur », « elle me fait son honneur ». — Vous avez des enfants ?

— Un garçon, neuf mois. — Quel a été votre sentiment pendant la guerre du Kippour ?

— On venait à peine de faire connaissance, on n’a pas du tout pensé à la guerre, ça s’est passé très vite. Moi, je ne fais pas l’armée, ma femme non plus. Nous, on subit la guerre, comme chaque citoyen israélien. On ne pense pas à la guerre, on pense à l’amour, depuis le premier jour. — Comment te considères-tu, Israélien ou Palestinien?

— Moi, je me sens Israélien, je suis né ici, j ’ai grandi ici, je me sens tout à fait citoyen israélien. — Et si demain il y avait un Etat palestinien, que feriez-vous ?

— J'irais là où c’est le mieux pour moi. Si je suis heureux ici, je resterai ici, si c ’est mieux là-bas, eh bien, j ’irai vivre là-bas. — Et toi ?

— Moi aussi, ça m’est égal.

— Oui, en général, elles sont assez populaires parmi la population juive aussi, ce sont les Juifs qui parlent ou qui comprennent l’arabe, ils sont assez nombreux. On atteint certains jours plus de 30 % des téléspectateurs qui écoutent nos programmes, qui écrivent, alors, on reçoit un tas de lettres, que ce soit de téléspectateurs juifs ou arabes.

Famille juive orientale informations TV en arabe — Au Maroc, nous gagnions notre vie en travaillant et vivions avec honneur. Il ne nous est jamais venu à l’idée de renverser le régime arabe et de jeter les Arabes à la mer, comme eux voudraient le faire pour nous ici. Par exemple, à Nazareth, les citoyens arabes organisent des manifestations contre le pouvoir. Ça n’a jamais eu lieu, ni au Maroc, ni au Caire, ni en Irak. Les Juifs ne jetaient pas de pierres sur les soldats arabes et sur la police comme ici. Et moi je pense que c ’est très mauvais que les Arabes soient si nombreux en Israël. — Vous n ’êtes pas content qu’il y ait plus d’un m illion d’Arabes en Israël ?

— Je ne suis pas d’accord pour qu’il y en ait mille. Mais s’ils étaient prêts à vivre en paix avec nous, ils pourraient être dix millions.

Au rédacteur en chef des émissions en arabe — Ces émissions sont destinées notam m ent, vous l’avez dit, aux Palestiniens. Est-ce que les responsables poli­ tiques, notamment de Cisjordanie, ont le droit à là parole dans vos émissions ?

— Bien sûr, nous avons des programmes spécialisés. Nous avons des parties qui sont surtout spéciales pour la Cisjordanie, pour le territoire de Gaza qui passent à plusieurs reprises par semaine. Il y a des tables rondes où ils participent. Parfois, les discussions sont faites

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avec traduction simultanée, avec des ministres israéliens. — Une inform ation donc critique et controversée ?

RAM ALLAH, T E R R IT O IR E OCCUPE Discussion — Par Allah, nous regardons les informations TV à cause de ce qui se passe en ce moment. A la T V jorda­ nienne et la TV israélienne, les informations sont les mêmes : ils ne nous montrent que ce qu’ils veulent. Si quelque chose nuit à la cause palestinienne, ils la mon­ trent. Si c’est bon pour la cause, ils ne montrent rien. Laissez parler l’ancien ! Nous sommes des Arabes et la Palestine, sa population, ce sont des Arabes, et lorsque les Arabes sortent de Palestine, pourquoi vous, vous ne les autorisez pas à revenir ? Je dis cela pour qui ? Pour ceux qui ont quitté la Palestine et dont les enfants sont morts. Pardon ! La T V jordanienne et la TV israélienne disent que la guerre est arrêtée au Liban, mais la guerre conti­ nue : nous le savons par les informations des organisa­ tions palestiniennes. Il y a chez nous 70 % des jeunes qui parlent l’hébreu. — Comment l ’avez-vous appris ?

— Nous l'avons appris, car nous sommes obligés de connaître l'hébreu pour gagner notre vie. Nous aimons apprendre l'hébreu parce que ça nous est utile. Mais nous n’aimons pas Israël, pas une seule seconde. Quant à la politique israélienne, bonne ou mauvaise, nous n’aimons pas vivre sous sa dépendance. Tous les Palestiniens qui disent aimer vivre avec Israël sont des flatteurs, des trompeurs. C'est pour de l ’argent qu’ils disent ça, ou parce qu’ils ont peur de dire leur vraie pensée. J’aime­ rais dire aussi quelque chose : la plupart d'entre nous ici, sur la rive ouest, nous émigrons en Amérique du Sud pour notre gagne-pain. Mais nous sommes nés ici, nos parents, nos aïeux sont nés ici. Lorsque nous avons fait un peu d'argent et que nous voulons retourner dans notre pays pour aider notre famille, Israël nous interdit de revenir : « Vous avez quitté le pays, il vous est interdit de retourner ici. » Ça c’est injuste. Si nous voulons vivre ensemble, il faut qu’Israël se conduise envers les Arabes qui y vivent exactement comme envers les Juifs.

M. Eliashar — Quelle solution ? M . Eliashar, depuis cinquante ans vous prêchez pour la paix dans cette région du monde. Vous êtes le président d’honneur d ’un comité pour la paix entre Israéliens et Palestiniens. Comment voyez-vous cette paix?

— Tout d’abord, permettez-moi de vous dire que mon premier article, je l'ai écrit sur les relations judéo-arabes en 1921. J’avais alors 22 ans. Pour moi, c’est mon credo. Mon credo à moi, c’est qu’Israël, sa survie, son existence dépendent d’une entente entre Israéliens et Palestiniens, qu'ils se trouvent sur la rive droite, gauche, ou qu'ils soient réfugiés dans des pays voisins. C'est tout d’abord

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l ’entente entre ces deux éléments. Je tiens à établir cpie le sionisme a toujours bien pris en considération qu’il y avait des Arabes en Palestine, à telle enseigne que notre premier président, le professeur Weizmann, a fait une déclaration dans Un article publié dans le « Palestine Post » en 1936, dans lequel il reconnaissait qu’il y avait ici deux peuples, le peuplé arabe et le peuple juif, qui étaient chez eux. Donc la Palestine était leur patrie. Et en résultat de ces déclarations ét de ces discussions auprès de la commis­ sion Lord Peel, dès 1936-1937, il y a eu le partage proposé par Lord Peel entre deux pays, un pays israélien et un pays arabe. Aujourd’hui, nous ne pouvons plus admettre que nous devenions des colonisateurs quand tout le monde est pour la décolonisation en général. Il est temps que le Gouvernement israélien et toutes les autorités sionistes et juives comprennent bien que la survie d’Israël dépend absolument de ce fait que s’il y a le droit d’une autodé­ termination pour Israël, il y a la nécessité absolue que les Arabes de Palestine aient aussi le droit à l’autodéter­ mination pour établir un Etat là où ils le veulent, comme ils le veulent, pourvu que la sécurité, l’existence d’Israël soient garanties par tous les moyens possibles, inclus les moyens de notre propre défense. — Selon vous, la solution idéale, c'est la form ation d ’un Etat palestinien qui coexisterait à côté de l’Etat israélien ?

— Absolument. Il faudrait reconnaître qu’aujourd’hui il y a sous le contrôle de l’Etat d’Israël (entre Gaza et la rive droite, d'une part, et si l'on compte, d’autre part, les Palestiniens qui vivent avec nous depuis vingt-huit ans) environ 1 600 000 à 1700 000 Arabes : donc, c’est déjà une majorité d'éléments non juifs qui mettent en danger la judéité d’Israël. Or, la raison d’être d’Israël, c’est d’être un pays où les Juifs peuvent développer leur culture, leur passé, leur avenir. On ne peut pas permettre aujourd’hui qu’il y ait tant de non-Juifs qui ne sont pas des citoyens reconnus et qui, eux-mêmes, ne veulent pas être des Israé­ liens. On ne peut pas admettre que nous les contrôlions à notre guise quand le monde tout entier va à la décolo­ nisation. — Croyez-vous que si des Juifs orientaux participaient aux négociations, le dialogue avec les Arabes serait plus fructueux ?

— Certainement, puisque les Juifs arabes comprennent les Arabes. Ils les connaissent, ils connaissent leurs mœurs, ils savent ce qu’ils veulent, même s'ils ne le disent pas. Ce serait beaucoup plus facile de se mettre d’accord entre parties se connaissant de part et d'autre. Dans mon expé­ rience personnelle, pendant toute ma vie, en négociant et traitant des questions politiques, des questions commer­ ciales, dans les pays voisins arabes, j ’ai toujours réussi beaucoup mieux que tous les autres qui sont venus négo­ cier avec eux dans les mêmes conditions. Je fais tout mon possible pour me faire comprendre et j'ai réussi, parce que, eux, ils savaient que moi aussi je les comprenais. J’ai toujours réclamé, depuis l'existence d’Israël, que les Sépharades soient représentés dans les délégations à TO.N.U. Parce que les Arabes à 1O.N.U. pourraient com­ prendre beaucoup mieux un Juif arabe qui est aujour­ d'hui Israélien. Dans des négociations pareilles, je me

suis toujours rappelé le proverbe extraordinaire des Arabes : « Reçois-moi bien et ne me donne pas de repas. »

Un patron israélien sépharade — Moi, je suis indépendant. J’ai une usine, vous l ’avez visitée, on travaille entre Juifs et Arabes. Je suis membre actif de la Communauté juive orientale (Sépharade), du Conseil Sépharade de Jérusalem et membre actif de la Fédération Mondiale Sépharade. Je suis consterné par la situation : nous n’avons aucune représentation politique. Moi, je ne me sens l’objet d’aucune discrimination, mais la population juive orientale n’a pas de représentation, ni au gouvernement, ni dans l’organisation sioniste, ni dans aucune administration gouvernementale. Sur cent vingt membres à la Knesseth, il y a à peine vingt et un membres sépharades, moi je demande pourquoi ? Est-ce que vraiment, dans la population sépharade, on ne peut pas trouver des jeunes actifs/ cultivés, capables de prendre des responsabilités ? Il en existe, mais on ne leur donne pas la parole. Est-ce que nous ne pouvons pas avoir, dans le gouvernement, un plus grand nombre de ministres? Je crois qu’on va être obligé de lutter pour conquérir nos droits. Le temps joue pour nous. Cette situation dure déjà depuis vingt-cinq, trente ans. Le moment est arrivé pour nous de tout changer. Il faut que le système électoral change radicalement en Israël et qu'on passe à des élec­ tions régionales. Il faudra une révolution en Israël pour obtenir une juste représentation par des élections regio­ nales.

RAIM ONDA TAW ILL — Vous avez dit : « Nous voulons un Etat progressiste. » Mais c’est Israël qui vous a donné, en tant que femme, pour la prem ière fois, le droit de voté ici, en Palestine.

— Regardez... moi je n’accepte pas qu’Israël me donne le droit, parce que, vous voyez,' Israël c’est une occupation. C’est quelqu’un qui est venu, qui a pris ma patrie, et je n'accepte rien des Israéliens, de ce qu’ils me donnent. Les Israéliens ont cru qu’en donnant aux femmes le droit, ils allaient faire échouer le nationalisme dans cette région. Mais, au contraire, les femmes palestiniennes sont très progressistes. 80 % des Palestiniens ont donné leurs voix aux nationalistes. Nous, les nationalistes, nous avons gagné. Les nouveaux maires, dans toute la Cisjordanie, sont pour I’O.L.P. Nous avons employé le droit qu’on nous a donné pour notre but. Nous sommes favorables à deux Etats, comme le veut maintenant l ’O.L.P. Même Yasser Arafat veut deux Etats, un Etât palestinien et un Etat israélien qui puissent vivre à côté, et l’affaire des frontières sera discutée plus tard. — M aïs si cet Etat palestinien arabe un jou r est créé en Cisjordanie, est-ce qu’il ressem blera plutôt à la démo­ cratie israélienne ou aux structures de parti unique qu’on voit dans les pays arabes ?

— Je ne sais pas que vous dire. Je ne crois pas qu’il y a une démocratie israélienne. C’est une démocratie aux yeux de l’étranger. C’est de la propagande, parce que ce qui se passe dans les territoires occupés, ce n’est pas de la

démocratie. Et quand nous aurons notre Etat, les jeunes Palestiniens y viendront du monde entier. Ce sera un Etat démocratique. Il ne doit pas suivre le modèle des pays arabes. Je crois qüe les Palestiniens sont la crème de la crème des pays arabes. Alors ils seront un Etat qui sera unique...

M. ABBA E B A N A propos du problème des Palestiniens et des territoires administrés depuis 1967 — Qu’est-ce que le gouvernement, selon vous, doit faire aujourd’hui ?

— Il faut une prise de conscience des deux côtés. D’abord du côté arabe, la nécessité inexorable de reconnaître la souveraineté légitime de l’Etat d’Israël, en qualité d’Etat juif. Un monde qui accepte une vingtaine d’Etats arabes doit accepter l’existence d’un Etat juif. D’ailleurs, cette conception d’un « Etat ju if » a une signification, non seu­ lement ethnique et culturelle, mais aussi morale. Pour être juif, il faut que notre Etat soit aussi démocratique. Je crois qu’il faut mettre en lumière le fait que notre présence dans certains de ces territoires n ’est que la conséquence de l’agression arabe en 1967 et que la conti­ nuation de notré présence là découle de l’absence de la paix. Mais avec la paix, nous n’avons aucun intérêt à imposer notre juridiction à presque un million d’Arabes qui ne sont pas citoyens, qui ne partagent ni nos souve­ nirs ni nos rêves, qui ne respectent pas notre drapeau, dont tous les sentiments de loyauté se trouvent en dehors d’Israël. Ils s’orientent vers les pays voisins. A mon avis, il ne faut pas que nous souhaitions imposer notre gou­ vernement, car ils ne le veulent pas. Il ne faut pas les laisser éternellement sans citoyenneté, donc il ne reste qu’une solution : qu’ils soient nos voisins dans un Etat jordano-palestinien arabe.

Au maire de Ramallah — Comme m aire de Ram allah, homme politique et membre de I’O.L J*., reconnaissez-vous l’Etat - d’Israël aujourd’hui?

— En tant que maire de Ramallah, nous reconnaissons l'O L P , comme pouvoir de direction, nous aimons les Juifs, mais Israël devrait reconnaître 1O.L.P. et les droits des Palestiniens. Israël devrait nous reconnaître.

IGAAL YAD IN , général et archéologue — Igaal Yadin, vous êtes bien connu en Israël comme général et archéologue, beaucoup de gens vous reconnais­ sent comme un homme sage, peut-être serez-vous, l ’année prochaine, prem ier ministre ?

— Je ne sais pas si je serai premier ministre, mais je suis sûr que la majorité est d’accord avec mes idées. Je veux à nouveau examiner la situation de plus près, je veux aller voir les gens, pas les politiciens, les gens, je veux leur poser des questions, suggérer des solutions.

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savoir ce qu’ils en pensent : à la condition qu’il y ait une paix réelle et une frontière de sécurité sur le Jour­ dain, je dirai que la majorité du peuple israélien serait d’accord avec moi, j ’en suis certain. — Vous avez dit qu’Israël doit rendre les territoires occupés depuis 1965. Pourquoi ?

— Je n'ai pas dit exactement ça. J’ai dit qu’Israël doit être un Etat démocratique. Or, si nous contrôlons un million et demi d’Arabes de façon non démocratique, ce ne sera pas une démocratie. Si nous les contrôlons de façon démocratique, ça ne sera pas un Etat juif. C’est pourquoi je dis que, lorsqu’il y aura la paix, et seule­ ment à cette condition, il nous faudra rendre les régions à majorité arabe, mais pas tous les territoires. — Pensez-vous Arafat ?

qu’Israël

doive

discuter

avec

Yasser

— Pour moi, le problème n’est pas Yasser Arafat, Habache ou Hussein, pour moi c'est : qui aura le pouvoir à Amman ? Qui sera reconnu par les Palestiniens comme leur représentant ? Si Yasser Arafat devient premier ministre à Amman, nous parlerons avec Yasser Arafat. Il n’y a pas de sens à discuter avec Yasser Arafat dès lors qu’il ne représente pas toute la Jordanie, ni avec la Jordanie si elle ne représente pas les Palestiniens. La solution viendra lorsque la rive est sera gouvernée par quelqu’un que les Palestiniens considéreront comme leur chef. A ce moment-là, je crois qu’il y aura une chance pour un dialogue.

RAN COHEN, Juif irakien, membre d’un kibboutz — L’erreur des Israéliens et aussi des Palestiniens, c ’est de ne pas comprendre que ce n’est pas un hasard si l’idée sioniste n’est pas venue du Moyen-Orient, d’Irak par exemple, où je suis né. L’idée sioniste est née en Eu­ rope de l’Est, parce que c'est de là-bas qu’est venue toute l’idée nationale. En apportant cette idée aux Juifs orien­ taux, les sionistes d'Europe l’ont aussi apportée aux Arabes du Moyen-Orient. Cette idée, une fois adoptée,

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a aidé à la montée de la conscience palestinienne. Aujour­ d’hui, les Juifs la refusent, ils ne veulent pas la recon­ naître : c ’est vraiment impossible. Nous voulons vivre ici à la seule condition que les Palestiniens aient droit à leur autodétermination. Mais les Palestiniens ne com­ prennent pas que cette idée est un des éléments qui les ont aidés à se définir comme nation. Donc, ils doivent, eux aussi, reconnaître le mouvement sioniste ou au moins vivre à côté du mouvement sioniste. A mon avis, la solu­ tion dépend de ces deux éléments. Les Juifs, par exemple, ne 'comprennent pas que la colonisation dans les terri­ toires occupés est une catastrophe. Pour moi, c’est clair : si l'Etat d’Israël continue cette politique de constructions en Cisjordanie, à Rafiah, à Gaza, ça finira par une catas­ trophe. En effet, s'il ne reste pas un seul territoire où fonder un Etat palestinien, ça voudra dire que le conflit israélo-palestinien n’aura aucune autre solution que la perpétuation de la guerre. La colonisation pose un pro­ blème de plus en plus difficile pour les Palestiniens aussi : il faut qu'ils se décident vite, sinon il y aura des faits accomplis dans les territoires occupés qui ne permettront plus de solution. Ce n’est pas seulement notre problème, c’est aussi celui des Palestiniens.

A Kyriat Arba, ville nouvelle — Chez nous, on devrait comprendre aussi que tout cela n’encourage pas les forces modérées chez les Pales­ tiniens, mais renforce seulement les positions ' extré­ mistes. Les deux côtés devraient être rationnels. Moi, je suis membre d’un kibboutz et je suis né en Irak. C’est difficile pour moi, cette sensation de vivre ici dans un Etat situé en Orient mais qui, au point de vue des men­ talités, se situe en fait en Occident. Nous ne sommes pas sensibles à la sensibilité des Arabes. C’est vrai aussi que les Arabes ne sont pas sensibles à nos sensibilités. Mais, comme c ’est nous qui avons l’initiative, nous sommes obligés de sentir ce qui est pour eux le plus important, ce qui les blesse le moins. Il faut enfin commencer à vivre en Orient, bon gré mal gré, si on veut que l’Etat d’Israël continue à exister à partir de maintenant jusqu’à la fin des générations, ici et nulle part ailleurs.

4 - Le combat pour la terre, ou la palestine en ISRAEL Dialogues intégraux CARTE Une carte publiée p a r le m inistère israélien de l’In fo r­ m ation. A d ro ite de la carte, sous le titre : « La Galilée dans le passé », so n t m o n trés to u s les lieux de la région à l’époque de la Bible. Sous le titre : « La Galilée au jo u r­ d ’hui et dem ain », u ne deuxièm e p a rtie de la carte m o n tre les colonies existantes dans la région ainsi que celles qui devraient y être im plantées, dans le cadre de la poli­ tique foncière O FFICIELLE israélienne de « Ju d aïsatio n de la Galilée ». Mais cette carte passe sous silence u n g ran d n om bre de faits : p a r exemple, que des centaines de villages arabes ont été victim es de la colonisation israélienne de la Pales­ tine ; que le gouvernem ent de Tel-Aviv continue inlassa­ blem ent à exproprier des terres arabes. Elle o m et aussi de signaler que m ain ts villages et villes ju ifs co n stru its dans le cadre de la colonisation sioniste l’o n t été su r des terres qui, jusque to u t récem m ent, étaien t habitées et cultivées p a r des A rabes palestiniens ju sq u ’à ce que l’on les en chasse. TROIS EXEM PLES SafEurîya : u n village d é tru it en 1948. A rara : u n village m enacé a u jo u rd ’hui. Tel-Aviv : une ville israélienne en pleine expansion. Trois histoires de ce pays et de son peuple. L’EXEM PLE DE SAFFURIYA Une carte de Saffuriya : im ages de Saffuriya et photos d ’archives de 1948-1949 (son : arab e). Ali; — Je suis né au d éb u t de 1948, dans ce village, Saffuriya. A ujourd'hui, j'a i une carte d ’id en tité israélienne et je suis, pourrait-on dire, u n citoyen israélien. Ju sq u ’à la m i-juillet 1948, je vivais ici avec m a famille. M ustapha. — Mon nom est M ultapha Salim Al M u’ad, ex-habitant de Saffuriya. A u jo u rd ’hui, je vis dans cet endroit triste où il n ’y a m êm e pas d ’eau, à l’exception d ’un abri à peine décent p o u r u n être hum ain. Les gens de m on village et moi-même possédons p lus de 3 500 dunam s de te rre à Saffuriya. On m ’in te rd it, le gouverne­ m ent m ’in te rd it de co n stru ire une m aison. Présentem ent, je suis, com m e vous le voyez, en re ta rd d ’u n siècle: pas d ’eau, pas d ’électricité, p as de routes. J ’ai en vain essayé d’intéresser les au to rité s com pétentes et j ’en ai aussi appelé à des personnalités connues, dans l’espoir q u ’elles m ’aideraient à recouvrer la p ro p riété qui, légalem ent, m ’appartient. Mais je m e suis h e u rté à des oreilles qui ne voulaient pas entendre. Abd E l M adjid. — A utant que je puisse m ’en souvenir, ils ont occupé n o tre village le 16 ju illet 1948. Q uand un avion s’est m is à b o m b a rd e r le village, les gens o n t eu

trè s p e u r et certain s se so n t enfuis d an s le m onastère, d ’a u tre s dans des cavernes. Ali. — Im m éd iatem en t ap rès avoir occupé le village, l’u n des p lus gran d s p a rm i les villages arab es de Galilée, ou d u m oins de Basse-Galilée, on a obligé les gens à s'en aller. Mais m on p è re est resté, avec quelques dizaines d ’au tre s fam illes. Q uand les forces sionistes atta q u è re n t le village, eux au ssi se so n t enfuis dans une grande caverne de la m ontagne. Q uelques jo u rs p lus tard , ils o n t q u itté ce refuge e t se so n t ren d u s aux chefs des forces sionistes. P uis les ag resseu rs o n t com m encé leurs actes de violence. Abd E l M adjid. ■ — Un p e u après, le m a tin suivant, nous eûm es à acq u é rir des cartes d ’id e n tité p o u r avoir le d ro it de circu ler lib rem en t. Tous les m em bres de la fam ille fu re n t enregistrés s u r ces so rtes de p ap iers q u ’il nous fallait, à chaque dem ande, m o n tre r aux soldats d ’occupation. Puis on n ous a u to risa à trav ailler, c'est-àd ire q u ’o n n ous d o n n a ju s q u ’à 9 h eu res d u so ir p o u r accom plir les actes les p lu s nécessaires. On se p ro cu ra du savon et des figues. Le couvre-feu in terv en ait à l’heure d ite : de cette façon, n ous étions ten u s prisonniers. Per­ sonne n ’osait plus s o rtir ap rès c a r ils tira ie n t im m édia­ tem en t su r quiconque s ’y risq u a it. Voilà la situation qui régna ju s q u ’à la récolte des olives. Celle-ci fu t affer­ mée au cheikh Saleh et à E lias Aiser. M ais, ces derniers engagèrent des gens é tran g ers au village p o u r la récolte, des bédouins e t des gens de K afr M anda. Q uant à nous, les 525 h a b ita n ts d u village, nous n ’avons p as é té au to ­ risés à y p articip er, e t ainsi ju s q u 'à la saison des pluies. C’est le 7 jan v ie r que F a rid a re n co n tré u n soldat qui lui a d it : « C 'est le couvre-feu, réu n is im m édiatem ent to u t le m onde a u p u its. » Ils nous o n t divisés, nous les hom m es, en p e tits groupes, n ous in tim a n t de « lever les m ains ». On s'e st exécuté. Puis, ils n ous o n t fouillé e t vidé les poches, d isa n t devant to u s les a u tre s : « Aucun d ’en tre vous ne do it re s te r ici, vous devez to u s aller à Eloot. Si Vous restez, vous serez tués. » N ous avons ré to rq u é que nous n ’avions pas assez de tem p s p o u r cela. Au d ébut, ils n ous o n t donné seulem ent q uarante-huit heures, et q u an d nous rép étâm es que le lap s de tem ps éta it tro p co u rt, ils o n t ra jo u té trente-six heures. Cette période écoulée, nous n ous som m es m is en ro u te, p o u r E loot. Les soldats nous o n t d it : « Si certain s v o n t à Naza­ reth , nous ne les pren o n s p lus en charge : nous ne nous occuperons que de ceux qui vont à E loot. » Mais les gens sont allés à des en d ro its différents ; q u a n t à nous, nous avons continué s u r E loot. A près deux ou tro is an s là-bas, on nous a d it : «V ous devez p ay er u n loyer.» Un tra ­ vailleur social nous a conseillé de « p ay er au m oins u n loyer sym bolique d ’une p ia s tre ou deux p a r m ois ». Nous avons refusé car, p o u r nous, c’é ta it d u chantage et de la contrainte. Q uand ils nous o n t évacués de Saffuriya,

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ils nous avaient dit qu’ils nous laisseraient revenir une semaine après. Mais plus tard, le gouverneur militaire ju if est venu nous dire : « Plantez des figuiers à Eloot, ils vous nourriront ; en clair, vous resterez ici toute votre vie. > Il a eu raison, nous y sommes encore. Mustapha. — Ils ont exigé que moi et d’autres du village acceptions un échange de terres. Quand j ’ai accepté, eux, au contraire, ont refusé. Les Israéliens ont dit : « Vous n'avez pas besoin de terres, seul l’argent peut vous nourrir. » C’est exactement le contraire qui est vrai : je suis paysan, fils de paysans ; pendant des siècles et des siècles, nous avons été des paysans et toute mon existence découle de la terre. Ce qui a été fait ici est injuste, car nos droits ne sont pas égaux à ceux des Juifs, et nous subis­ sons une discrimination à tous les niveaux. Abd E l Madjid. — Je possède 500 dounams de terres fer­ tiles à Saffutiya. Je ne tire pas un sou de ce qu’elles ren­ dent et c’est ainsi depuis trente ans. En plein dans le village, je possède 12 dounams dont je ne tire aucun rapport non plus. Ils veulent que je vende ce que je possède, mais je ne veux pas. Et maintenant, il me faut vivre ainsi. Mustapha. — Je revendique que tous, Juifs et Arabes, vivions ensemble en paix, avec des droits égaux. Bien que moi-même je possède 100 dounams à Salfuriya, je vis dans ce désert, ici, alors que l ’on ne me rend pas ma terre. Quelqu’un qui vit en Egypte peut posséder des terres en Amérique, ou l’inverse, ou au Brésil, ou n’importe où ailleurs dans le monde. Mais nous, nous ne le pouvons pas, ici nous n'avons aucun droit du tout. Pourquoi ? Je n’en sais rien. Qui devons-nous blâmer, «le s gros bon­ nets » ou les « petits » qui exécutent ? Nous exigeons l’éga­ lité et la justice, car la paix signifie la vie... AB. — Quelque chose de terrible s'est passé ici, il y a quelques instants à peine... D'ici, je peux voir les deux pièces, la petite maison que mon père avait bâtie dans les années 1940 et où nous avons vécu jusqu’à la guerre de 1948. A notre arrivée ici, aujourd’hui, les colons juifs se sont empressés de rechercher ce que nous venions faire et nous ont dit : « Que voulez-vous ? Venez-vous faire de la propagande pro-palestinienne et anti-israélienne ? » J’ai répondu: «U n instant! Où êtes-vous nés? Voici ma carte d’identité qui dit que je suis né dans ce village, dans cette maison. Et vous, d'où venez-vous ? En réalité, je ne suis venu que pour prendre des photos de la maison où je suis né. » Mon interlocuteur n'était pas d’accord, puis d’autres personnes sont venues nous entourer. Voici ce que je leur ai dit : « Ecoutez-moi ! Ici je suis né et ici je serais heureux de rester avec vous. J’aimerais utiliser cette bonne terre avec vous et les autres camarades. » Ils ont exprimé leur refus et ont exigé que nous partions immé­ diatement, puis ils m’ont donné une gifle. Je ne crois pas qu’elle m’était destinée personnellement ; c’était plutôt une gifle historique, sioniste, contre les droits de l’homme et contre les droits nationaux du peuple arabe de Palestine. On nous a alors forcés à quitter le village sur-le-champ. Nous sommes allés à la colline où se dressait une partie

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de Saffuriya, il y a trente ans ; là, derrière nous, c’est la vieille forteresse qui abritait l ’école avant la fuite des habitants. J’aimerais faire la proposition suivante à ces jeunes sionistes fanatiques qui se sont installés sur les terres des Palestiniens : « Nous aimerions vivre avec vous, ainsi que les autres réfugiés qui ont été forcés de quitter le pays. » C’est là mon opinion personnelle sur ce problème terriblement compliqué. Depuis longtemps, une politique sioniste raciste s’est exercée ici, depuis le début du siècle : la politique est la même, qu’il s’agisse des territoires pris en 1948 ou en 1967. Parlons sans détour : deux peuples existent de nos jours, les Arabes palestiniens et les Juifs israéliens. Ce dernier ne pouvait acquérir son existence nationale qu’en bafouant celle de la population arabe. Saffuriya ne fait pas exception et n’est qu’un exemple, sur des centaines, de la façon dont les sionistes ont chassé brutalement la population arabe pour faire place à la création de kibboutzim et de colonies. RAPPORT DE LA LIGUE (commentaire en allemand) Bien que « la vérité sur le peuplement arabe d’avant 1948 soit l'un des secrets les mieux gardés d’Israël », un rapport établi par là Ligue israélienne des Droits de l’Homme montre que 385 villages arabes ont été victimes de la colonisation de Tel-Aviv. Ce rapport contient une liste exacte de ces villages détruits ou rayés de la carte, cités par subdivisions administratives. CARTE 1967-1976 Ceci est la carte officielle d’Israël montrant les colonies et établissements militaires des dix premières années d’occupation. D’autres sont prévues. CARTE D’ARARA Un autre exemple, Arara. Avec Ahmad Massarwa (bande en hébreu). Ahmad à Arara. — Nous sommes maintenant dans le village d’Arara, dans le Wadi Arara. Là-bas, on peut voir les villages d’Ara et de Karia, et, autour de nous, les terres de notre village s’étendent jusqu’au Mont Carmel. Avant 1948, le village vivait de la seule agriculture. Le centre du village, que nous Voyons ici, était auparavant Taire de battage (du blé). Selon l’armistice de 1948, nous devions être inclus dans le royaume de Jordanie. Mais un autre accord, conclu entre l ’émir Abdallah, Ben Gourion et Golda Meir a, alors, décrété que tout le triangle au nord et aù sud d'ici, serait donné en cadeau à Israël. Après-1948, la plupart des paysans du village ont été dépossédés par les autorités, sous le prétexte qu’ils étaient, après tout, sur le territoire d’un autre E tat; mais nous, nous n’avons pas bougé de notre terre et de nos maisons. En dépit de tout, sur la base des lois d’urgence, la plupart des terres du village ont été confisquées: des 40000 dounams sur lesquels, primitivement, le village s’étendait, 35 000 à 36 000 dounams ont été confisqués, y compris presque toute la terre arable. Ce qui. fut laissé : quelques parcelles de

collines et, en bas, com m e vous pouvez le voir, u n m orceau m inuscule de bonne terre. Le village n ’a pas évolué, c'est-à-dire q u ’il est resté sousdéveloppé, sans planification ni in d u stries. Ainsi, les tr a ­ vailleurs ont dû, p e tit à p etit, q u itte r le village et cher­ cher leur moyen de subsistance dans les grandes villes, su rto u t à Tel-Aviv, où ils trav aillen t principalem ent dans le bâtim ent. P our les h a b ita n ts, le village est devenu u n hôtel où p asser la nuit. Ce n ’est que depuis environ u n an que nous avons l’électricité et quelques rues. N ous nous som m es occupés de l ’approvisionnem ent en eau nous-mêmes, en créan t une coopérative. A propos, c’est l ’une des seules qui n ’ap p artien n e pas à l’Office N ational des Eaux et qui a it été fondée p a r les villageois eux-mêmes. Ju sq u ’à a u jo u rd ’hui, il n ’y a pas d ’in d u strie dans le village. P our le travail, nous dépendons des villes et, en période de chôm age, c’est nous qui en souffrons les p re­ m iers. Dans ces cas-là, plus de travail, c a r à l’exception du b âtim en t on ne tro u v e rien d ’a u tre : ce qui signifie p o u r nous l’insécurité perm anente. Cet exemple ne concerne p as seulem ent les villages d ’ici et des alentours : il v au t p o u r to u s les villages arabes en Israël. COMMENTAIRE Qu’est-ce qui explique la disto rsio n e n tre la légende et la réalité ? ODED A LA MAISON (com m entaire en hébreu) E n plus de l’aspect politique et économ ique dm p ro ­ blèm e, il y a un côté m o ral e t politique au conflit israéloarabe. Je veux p arle r de la ten tativ e actuelle d ’u n peuple de se b â tir un fu tu r su r les ruines d ’un a u tre peuple. On parle beaucoup dans ce pays de scandales financiers, de corruption dans l’appareil d ’E ta t et celui des syndicats. La question e st : com m ent quelque chose de ju s te et d ’hon­ nête peut-il être co n stru it su r la spoliation d u peuple arabe de Palestine ? Au fond, les com bats divers qui se livrent au sein de la société israélienne so n t destinés à p a rta g e r le butin gagné dans cette spoliation : ces com bats, to u t comme l'en trep rise qui les anim e, sont basés su r la cor­ ruption. Il est très difficile de c o n stru ire une société stable, intègre, si la base d e to u t est le vol des terres des Pales­ tiniens, la m ise en exil d ’une grande p a rtie d ’e n tre eux et l’interdiction qui leur est faite de revenir chez eux. Les kibboutzim . — Dans cè contexte, il e st nécessaire de faire quelques com m entaires su r le m ouvem ent kibboutznik, généralem ent rep résen té com m e l'exem ple d 'une société ju ste et égalitaire que, à l ’étran g er, la-grosse a rtil­ lerie de la propagande célèbre com m e le signe rem arq u ab le d ’une société égalitaire. O ccupation de terres. — Très peu de gens savent que presque tous les kibboutzim trav aillen t des terres qui ont ap p arten u à des Arabes palestiniens. Une telle base économ ique est le péché originel de to u t ce secteur de la société israélienne. Dans u n tel contexte, il est im pos­ sible de p arle r d ’une société socialiste.

Saffuriya. — De m êm e, q u an d ceux q u i o n t été dé­ pouillés n ’o n t m êm e pas le d ro it de cultiver, en aucune m anière, ce q u i a é té le u rs terres. Le «Jour de la Terre» (1977). — C’est là la question la plus im p o rtan te, d ’u n p o in t de vue m o ral p lus que poli­ tique, m ais je crois que la solution, quelle q u ’elle soit, du conflit israélo-palestinien, q u i n e p a rle p as de la re stau ra­ tion des d ro its des P alestiniens, sans p o u r cela q u ’il soit questio n de ch asser ceux q u i les o n t dépouillés, est condam née à l’échec.

LE CAS DE TEL-AVIV CARTE DE TEL-AVIV N ous som m es au n o rd de Tel-Aviv. Au coin, là est la m aison que j ’h ab ite. N ous n ’avons pas choisi d ’endroit p articu lier, n ’im p o rte où ailleurs dans c e tte ville a u ra it au ssi bien convenu à n o tre propos. La m aison p rès de la m ienne est là depuis bien plus longtem ps q u ’elle. A vant 1948, les gens q u i vivaient dans ce q u a rtie r trav aillaien t dan s les orangeraies ou étaien t trav ailleu rs jo u rn a lie rs dans la région. La m aison devant n ous est l ’une des ra re s b â tisses de ce tem p s encore debout. Que s ’est-il passé en réalité ? Tel-Aviv est appelée « la prem ière ville h éb raïq u e des tem ps m odernes ». Sa co n stru ctio n faisait p a rtie des plans de colonisation sio­ n iste d u pays destinée à être, selon leu rs dires, une « ville p u rem en t juive », q u i s ’est étendue. Celui qui, de noS jo u rs, reg ard e ces co n stru ctio n s sans en co n n aître leu r h isto ire ne p eu t co m p ren d re le u r im portance. Mais qui­ conque creuse u n p eu le p ro b lèm e re n co n tre rapidem ent la vraie ré p o n s e : LA QUESTION DE LA PALESTINE. P renons cette m aiso n com m e sym bole de n o tre dém ons­ tratio n . Ehud-Ein-Gil (en h éb reu ). — Q uand la propagande sioniste recherche u n exem ple d ’étab lissem en t qui ne serait p as situé s u r des te rre s arabes, elle so rt alors la carte de Tel-Aviv, « c o n stru ite su r des dunes de sable », selon cette propagande. LA « TOUR SHALOM » Les balcons ehud. — E n 1909, quelques douzaines de colons ju ifs se so n t réu n is p rès de cette colline Sablon­ neuse p o u r diviser les te rre s su r lesquelles les prem ières m aisons de « A husat B ayit » d ev raien t être construites, p rem ière zone de Tel-Aviv à n aître. Carte postale. — M ais c e tte colline sablonneuse avait u n nom : « K arm D jabali » (« L a Colline des V ignes», N .d.T.), et il est encore p ossible de reco n n aître des traces d u 'v ig n o b le d ’autrefois. Celui-ci é ja it négligé et recouvert de sable, et to u t le d istric t é ta it possédé p a r une p etite trib u arabe, les M antoufis, p as p rê ts d u to u t à céder ses d ro its de p ro p riété . A près la c o n stru ctio n dès prem ières m aisons en question, les M antoufis o n t p lan té leurs ten tes dans les vignes de « K arm D jabali », su r la colline m êm e choisie p o u r a b rite r l’école secondaire d ’Herzlia. A ujourd'hui, c’est le gratte-ciël appelé « T o u r Shalom » qui occupe la colline.

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Archives. — La p lu p a rt des colons ju ifs d ’alors sont venus de R ussie, d ’Allemagne, d ’Autriche, de France, de G rande-B retagne, e t ils étaien t protégés p a r les consulats de le u r pays d ’origine. La collaboration e n tre les colons sionistes e t les puissances im périalistes a p o rté ses fru its : jo u r ap rès jo u r, les soldats ottom ans venaient p o u r déloger les Mantoufis, m ais ceux-ci ne voulaient pas bouger, déclarant q u ’ils étaien t les pro p riétaires de ces te rre s depuis des générations. E n fin de com pte, en échange d ’une grosse som m e, ils se sont déclarés p rê ts à q u itte r ces parages. S u r la colline sablonneuse où les te rre s avaient été divisées se tie n t a u jo u rd ’hui la « B eth H atan n ah », la « M aison de la Bible ». A une époque, M eir Dizengoff, le prem ier m aire de Tel-Aviv, a h ab ité là, e t c'est là aussi qu'en 1948 le p rem ier gouvernem ent provisoire a proclam é la naissance de l ’E ta t d ’Israël. PANORAMA DE TEL-AVIV TAUDIS DE TELAVIV RESTÉS ARABES M ais l ’h isto ire de «A husat Bayit » n ’a p a s été une exception : elle s’est répétée dans d ’au tres p artie s de Tel-Aviv, à l ’in térieu r des lim ites de la ville, o u on p eu t tro u v er d e nos jo u rs beaucoup de restes de co n stru c­ tions e t de ru es d’anciens villages arabes. Après que leurs h a b itan ts en aient été chassés en 1948, ces q u artiers so n t devenus des taudis, habités principalem ent p a r des im m igrants ju ifs des pays arabes. JAFFA-MANSHIA Le q u a rtie r de M anshia, sévèrem ent touché p a r les attaq u es des clandestins sionistes de l’Irgoun, en 1948, voit a u jo u rd ’hui, sous le couvert de « développem ent », la dém olition de m aisons arabes p o u r laisser la place à l’extension de Tel-Aviv. Bien que négligée depuis des années, là m osquée « H assan Befc » est encore d ebout et son m in aret rappelle aux p assants q u ’ici, avant le q u a rtie r des affaires dé Tel-Aviv, s ’élevait u n q u a rtie r arabe. Archives. — Il y a des q u artiers m oins connus dont les nom s arab es ont été rem placés p a r des nom s hébraï­ ques, p o u r en cam oufler le passé, m ais leu r apparence en révèle l’histoire réelle. La gare des autobus. — Là où Tel-Aviv est a u jo u rd ’hui construite, il y avait des orangeraies, des m agasins et des m aisons de fellahs. Même m ain ten an t on p eu t en voir les ruines, dans les parages de la « G are des au to ­ bus », e n tre Akko-Lane et la ru e « d u bataillon hébreu ». D ans le passé, ces lieux ne p o rtaien t pas le nom de « K afr », « village », mais ils rep résen taien t une form e d ’h a b ita t largem ent répandue dans ce pays. Maison. — Dans M asgar Street, en face de la fabrique A m kor et de l’école « Shewah », il existe to u jo u rs une m aison arabe, seule rescapée de to u te une rangée située le long d u Wadi M usrara. Saknat-Danaitah. — Au carrefo u r de H erzl Street e t de Shalm a-Road (appelée « Salam eh » en a rab e), se trouve, caché derrière une rangée de boutiques, u n ancien q u a r­ tie r arab e : « Saknat-D anaitah ». Les m u rs originels des

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m aisons arabes o n t é té modifiés quelque peu p a r les n o u ­ veaux arriv an ts, et les ateliers d ’artisan s, à l ’in térieu r, sont a u jo u rd ’h u i ppssédés p a r des h a b itan ts juifs. Saknat-Hamad. — Vers le sud, au c arrefo u r HerzlR abeinu-H ananel, on trouve encore des co n stru ctio n s de S aknat-H am ad, u n a u tre q u a rtie r arabe. Abou-Kébir. — CJ'était u n vaste village arabe, d o n t une p a rtie est encore debout de nos jo u rs, e n tre les ru es H erzl, K ibboutz G alouyoth et Ben Tsevi. La p lu p a rt des m aisons de ce village o n t été démolies dans les années 1950 et des a rb res o n t été p lantés à leu r place. Tel-Arish. — Ju ste en tre Tel-Aviv e t Holon, près de Iru s Street, on p e u t encore voir des co n stru ctio n s qui ont, fait p a rtie d u village arab e de Tel Arish. Un cimetière. — A l’in térieu r des lim ites de Tel-Aviv, le village le plus étendu éta it K afr Salam eh, a u jo u rd ’hui K afr Shalom , avec 7 600 h ab itan ts. A ctuellem ènt, ceux qui vivent là so n t des Juifs orientaux pauvres qui se b a tte n t co n tre des tentatives de les déloger p o u r cons­ tru ire des im m eubles de rap p o rt. Rue Tel G iborim , les h a b ita n ts de Jaffa u tilisen t encore u n cim etière. Une mosquée. — L’une des m osquées de ce village a été convertie p a r la m unicipalité en une aire de jeux p o u r les enfants, et sa co u r intérieure se rt de te rra in de basket. Givat-Amal. — Les villages arabes ne se situ aien t pas uniquem ent à la périphérie sud de Tel-Aviv, A u jo u rd ’hui, Givat-Amal, l’ex-Jam ussin arabe, se situe au m ilieu d 'u n q u a rtie r de village^ près de Bawli, dans le p érim ètre form é p a r les ru es Pinkas, H aïfa, W eitzmann et Jabotinsky... La «rue dù Sionisme ». — ...Et la ru e qui sépare les villas e t les restes du village arabe s ’appelle « ru e du Sionism e »! La Histadrouth. — Au m ilieu d ’u n a u tre q u a rtie r de villas de Tel-Aviv, se trouve u n a u tre village, Sumeil, su r les te rre s duquel on a co n stru it le-sièg e de 4a centrale syndicale H istadrouth... Shekem. — ...Et la succursale principale du su p er­ m arché de l'arm ée « Shekem ». 'Même de nos jo u rs, les dernières m aisons du village sont visibles en tre les rues Ibn-Gabirol, Jabotinsky, Ben-Saruck et Arlozoroff. Une tombe. — Les paysans de Sum eil en te rra ie n t leurs m o rts dans u n cim etière de la plage de Tel-Aviv, su r une p a rtie duquel s ’élève l’h ôtel H ilton. La tom be de Cheikh Abd E l N àbi se trouve dans ce site. Sumeil. ;— Voici ce que raconte l ’h istoire officielle de Tel-Aviv : «L es villages de Jam ussin et Sumeil, qui étaien t plus p etits que Shesh-Munis, n ’avaient que quelques centaines d ’h ab ita n ts et ne m anquaient de rien. E n d épit de cela, la paix éta it im possible e n tre eux et n o tre ville car, sans a rrê t, ils tro u v aien t de nouveaux p rétextes p o u r se qu ereller avec nous et se plaindre bruyam m ent. Dès que les terres de ces deux villages o n t été incorporées dans la m unicipalité de Tel-Aviv, les au to rités du village ont

déclaré que c ’était une c ata stro p h e nationale et se sont plaints de discrim ination lorsque l ’a d m in istratio n est venue leur réclam er des im pôts. » Shesh-Munis. — Au no rd de Wadi-Uja, le Y arkon en hébreu, on p eut encore voir les m aisons de ce village, avec, le long.de la rue principale, des rangées de co n stru c­ tions à deux ou trois étages, tém oignant d ’un g ran d degré .. de développem ent rarem en t a tte in t dans aucun· village arabe d ’Israël, m êm e d 'au jo u rd 'h u i. Ramat-Aviv. — S ur les terres d ’u n village arabe, l’Uni­ versité de Tel-Aviv et le q u a rtie r élégant de Ramat-Aviv ont été bâtis. Djarishah. — Les traces de ce village o n t été trouvées à la lim ite entre Tel-Aviv et Ramat-Gan. Kafr-Salameh. — Q u’est-il donc arriv é aux h ab itan ts arabes de ces villages ? Archives. — Même avant le 15 m ai 1948, jo u r de la fon­ dation de l'E ta t d ’Israël, ils étaien t d éjà tous devenus des réfugiés. C ertains avaient q u itté leurs m aisons à cause des opérations m ilitaires, d ’au tres ont été forcés de fuir, cependant que d ’au tres enfin étaien t expulsés « m anu m ilitari ». Voici quelques exemples de ce que la phraséologie officielle sioniste nom m e « le grand m iracle », « m iracle» qui a fait de la région de Tel-Aviv u n e ville « purem ent hébraïque ». Le C om m andem ent p o u r Tel-Aviv de la H aganah, l’arm ée sioniste, a publié u n livre d 'histoire, « Des ém eutes à la guerre », ou l ’on p eu t lire, en ce qui concerne les événem ents du 5 décem bre 1947 : « E n m êm e tem ps que cette opération-ci, le m êm e jo u r, à la m êm e heure, une opération fu t m enée p a r une a u tre u n ité basée à TelH aim, dont la tâche était d ’expulser les Arabes qui h ab i­ taient des m aisonnettes de te rre et des tentes^ près de K afr-Salam eh. « Nos hom m es se sont ’ approchés des tentes, ont ouvert le feu et o n t chassé devant eux les quel­ ques h ab itan ts présents. » Cette tâche .sans am biguïté fu t ainsi définie: « expulsion» . , Archives. — Le jo u rn a l « D avar » rap p o rte, le 28 m ars 1948 : « Tous les villages arabes' lé long d u Y arkon, au sud de Petah-Tikvah, qui s ’étendaient su r plus de 40 000 dounamS et habités p a r plus de 6 000 A rabes, sont su r le point d ’être désertés dans les jo u rs qui viennent. L’exode a com m encé avant-hier. Les villageois o n t eu des relations norm ales avec les localités juives. Mais, ces dernières sem aines, ils ont eu à su b ir des intrusions de plus ën plus fréquentes de gens dev l ’extérieur, qui les' ont harcelés, volant des voitures et p re n a n t des otages. Us ont aussi eu à su b ir des pressions de gens, venus du " triangle " du n o rd : c’est p o u rq u o i ils o n t décidé de q u itter la région. Us o n t d it " au revoir ", pacifiquem ent à leurs relations juives, a jo u ta n t q u ’ils reviendraient si u n E ta t ju if éta it créé. » C’é ta it une citatio n du « D avar », jo u rn al de la H istadrouth . Archives. — E t, de fait, l ’E ta t ju if créé fu t u n E ta t sioniste et les réfugiés de 1948 sont encore loin de leurs foyers. Balcon ehud. — L’énum ératio n de ces faits ne vient

pas du refus de l'u rb a n isa tio n a u x , dépens· du: village : une telle p o sitio n serait, réactio n n aire et. stupide.. Non, le processus p a r lequel Tel-Aviv est né ne p e u t être sim ple­ m ent d écrit p a r le m o t « u rb an isa tio n ». Celle-ci a plu tô t été u n processus de créatio n d ’une ville p u rem en t juive au d étrim en t des A rabes vivant ici et ainsi tran sfo rm és en réfugiés, Donc, u n développem ent de la ville, oui, mais seulem ent q u an d le d ro it de la p o p u latio n àrab e à y p a r­ ticip er à égalité sera égalem ent reconnu. P our cela, il fa u t que les réfugiés arab es aient le d ro it de revenir dans le u r .patrie. . ODED SUR LE BALCON (en hébreu) La question de fo n d est la suivante : C om m ent cela va-t-il évoluer ? E ncore a u jo u rd ’hui, la p lu p a rt des Israé­ liens so n t convaincus ’ que la seule m anière de g a ran tir leu r sécurité et le u r avenir est de co n tin u er la mêm e politique, c ’est-à-dire: d ’une p a rt, po u rsu iv re une « poli­ tiq u e vers le m onde extérieur, en fonction, des Juifs de l ’étranger, d o n t ils cro ien t que le salu t réside dans leur ém igration V ers Israël ; d ’a u tre p a rt, de faire en sorte q u ’Israël soit u n E ta t « p u re m e n t ju if », avec le m oins d ’Arabes possible à l’in té rie u r de ses fro n tières. Voici u n peu l’im age q u ’ils o n t d u fu tu r. Question. — Les gens disent q u ’ici c 'e st u n havre de refuge p o u r les Juifs. A quoi ressem ble, ce refuge ? Oded. — Voici com m ent il fa u t vo ir les choses : depuis le d ébut, et encore m ain ten an t, le sionism e proclam e que le seul e n d ro it s û r p o u r les Juifs, c ’est Israël. U dit que les Juifs so n t en danger dans le m onde entier, q u ’ils doivent crain d re p o u r leu r vie e t p o u r leu r subsistance et donc q u ’Israël rep résen te la sû re té p o u r eux. E n fait, c’est to u t le c o n traire, c a r il n ’y a aucün en d ro it au m onde où les Juifs soient con fro n tés à de si graves problèm es de sécurité, où le u r E X ISTEN C E PHYSIQUE m êm e soit ju ste m e n t dans u n tel p éril q ü ’en Israël. Cela sau te aux yeux et s’exprim e, p a r exemple, p a r le fait q u ’a u jo u rd ’hui, la grosse a rtillerie de la propagande offi­ cielle israélienne n ’est p lus : « Venez en Isra ë l p o u r vous sauver VOUS-MEMES», m a is : «V enez en Israël po u r SAUVER ISRAEL ». Cela signifie que ce qui est décrit com m e u n refuge est, en réalité, une fo rteresse assiégée et que l ’on appelle les Juifs p o u r la sauver. Sous cet angle, on p eu t co m p ren d re to u t le problèm e israélien et il n ’est p as difficile de vo ir que la voie suivie actuelle­ m en t ne m ène à rien. Balcon. — La vraie solution est u n com bat com m un des Juifs et des A rabes q u i souffrent d u régim e actuel p o u r u n avenir com m un ju déo-arabe digne d ’êtres hum ains. E t cela ici, su r ce te rrito ire en p a rtie h abité p a r des Israéliens et en p a rtie h ab ité p a r des Arabès palestiniens occupés p a r Israël. Juifs et Arabes. — La seule solution souhaitable est celle qui re n d ra possible la c o n stru ctio n d ’uiie vie en com m un p o u r ceux qui o n t é té expropriés et chassés avec ceux qui les o n t spoliés et expulsés, ou avec leurs enfants. (Traduit de l’anglais par Yves THORAVAL.)

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B ibliographie de base Quelques directions de lectures « classiques » sur le conflit israélo-palestinien (en français) Avnery U ri : Israël B aron X av ier : Les m o re, 1977). B aubérot Jean: Le

sans sionisme (éd. d u Seuil, 1972). Palestiniens, un peuple (éd. Le Syco­

tort d’exister (des Juifs aux Palesti­ niens) (éd. Ducros, 1970, à Saint-Médard-en-Jalles, 33). B ensimon -E rrera : Israël et ses populations (éd. ComplexeP.U.F., 1977).

B erque Ja c q u e s : Les Arabes (éd. S in d b ad , 1973). B erque, C ouland, R odinson et alii : Les Palestiniens

crise israélo-arabe (Ed. Sociales, 1974). Textes de la Révolution pales­ tinienne (éd. Sindbad, 1975) (copieuse bibliographie).

— L'idéologie palestinienne de résistance (éd. A. Colin, 1972; — Le mouvement national palestinien (éd. Gallimard, 1977). C hagnolleaud Jean-Paul : Maghreb et Palestine (éd. Sind­ bad, 1977). C houraqui A. : Théodore Herzl (éd. du Seuil, 1960). Colloque des juristes arabes sur la Palestine (éd. S.N.E.D., Alger, 1967). D a rin D rabkin : Le Kibboutz, société différente (éd. du Seuil, 1970). E lon A. : Les Israéliens, portrait d'un peuple (éd. Stock, 1972). F riedlander S. : Réflexions sur l’avenir d’Israël (éd. d u Seuil, 1969). F riedlander Saül et H ussein Mahmoud : Arabes et Israé­ liens, un premier dialogue (éd. du Seuil, 1974). G eries Sabri : Les Arabes en Israël (éd. Maspéro, 1969). G oichon A.-M. : Jordanie réelle (éd. Brouwer et Maison­ neuve, 1967 et 1976). G oldman N. : Où va Israël ? (Ed. Calmann-Lévy, 1975.)

164

palestiniennes) (ed. Sindbad, 1978).

K apeliouk A. :

1975).

Israël, la fin des mythes (éd. Albin Michel,

Vomito blanco (sur la « mauvaise cons­ cience » européenne) (Ed. 10/18, 1974). L aqueur Walter : Histoire du sionisme (éd. Calmann-Lévy, 1975). L aabi A. : Poésie palestinienne de combat (éd. Oswald, 1969). L eon Abraham : La Conception matérialiste de la question juive (éd. E.D.I.,1 1968). M arienstras Richard : Etre un peuple en diaspora (éd. Maspéro, 1975). M erhav P. : La gquche israélienne (éd. Anthropos, 1973). Oz Amos : Cinq romans israéliens traduits (éd. CalmannLévy, 1971 à 1978). R achline Michel: Un Juif libre (éd. G. Authier, 1976). R odinson Maxime : — Israël, fait colonial ? (Les Temps Modernes, dossier n° 253 bis, 1967) ; — Israël et le refus arabe (éd. du Seuil, 1968) ; — Marxisme et monde musulman (éd. du Seuil, 1972). R ouleau, H eld, L acouture : Israël et les Arabes (éd. du Seuil, 1967). S erfaty Abraham : Lutte antisioniste et révolution arabe (éd. Quatre Vents, 1977). W einstock Nathan : Le sionisme contre Israël (éd. Mas­ péro, 1969, avec une im portante bibliographie). K hatibi A. :

et la

B ichara et N aim K hader : C arre Olivier :

G uillebaud J.-C. : Les jours terribles d'Israël (éd. d u Seuil, 1974). H erzl T h.: L’Etat juif (Ed. de l’Herne, 1969). K anafani Ghassan i Des hommes dans le soleil (nouvelles

(Bibliographie établie par Yves T horaval.)

LA PALESTINE ET LE CINEMA Ouvrage collectif sous la direction de Guy Hennebelle et Khemaïs Khayati Préfaces de Ezzedine Kalak e t Mustapha A hou A li

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I. Un précurseur (Ram Loevy). IL Pour les Palestiniens... (Edna Politi). III. Vivre en liberté (Shimon Louvish). IV. Dialogue arabo-israélien (Lionel Rogosin). V. Nous sommes des Juifs arabes... (Igaal Niddam). VI. Le combat pour la terre... (Mario OiFenberg). VII. Souvenirs du ghetto (Ilan Ziy). VIII. Aspects du cinéma israélien.

P R IX 2 5 F .

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IMP. FANLAC · PÉRIGUEUX

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