Introduction a la philosophie de l'histoire de hegel [1ère édition ed.]

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PHILOSOPHIQ!!E

JEAN HYPPOLITE ,\

OUVRAGES DU MEME AUTEUR:

La Phénoménologie de Hegel, traduction française avec notes, préface et index critique, 2 vol., Aubier, 1939-1941. Genese et structure de la «Phénoménologie de l'esprit », 2 vol. Aubier, 1959. Etudes sur Marx et Hegel, Rivière, 2"'· éd., 1965.

Professeur au Collège de France

INTRODUCTION

A LA PHILOSOPHIE DE L/HISTOIRE DE HEGEL

Logique et Existence. Essai sur la logique de Hegel, nouvelle édition, collection "Epiméthée », 1 vol. Presses Universitaires de France, 1962. Sens et Existence dans la philosophie de Maurice Merleau-Ponty, collection «Zaharoff Lectures», Clarendon University Press. INTRODUCTION A LA PHILOSOPHIE DE L'HISTOIRE DE HEGEL

1" édition ............ 1948 Réimpression . . . . . . .. 1968

1968

ÉDITIONS MARCEL RIVIÈRE ET Cie 22, RUE SOUFFLOT - PARIS Ve

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INTHODUCTION

L'IDEALISME HEGELIEN Lucien .JIerr écrivait dans la Grande Encyclopédie (1) : «[.'évolution de Hegel a été autonome et toute personnelle; on se le représente habituellement comme continuant et achevant la pensée de Schelling qui avait continué et développé la doctrine de'Flch-té, continuateur lui-même de la pensée de Kant. Œsë- peut que la conception de la valeur successi~e-(}e ces doctrines ait une valeur schématique; il est certain qu'elle n'est pas vraie d'une vérité historiquel La filiation Kant, Fichte, Schelling, Hegel, est en effét très séduisarite pour l'esprit; elle correspond indubitablement à l'interprétation que Hegel adonnée de lui-même dans son histoire de la philosophie qui est, comme on sait, elle-même une philosophie ; elle semble s'imposer à l'historien quand on sait que Hegel s'est présenté comme le disciple de son ami Schelling - qui fut avec Hôlderlin son camarade d'études à Tübingen (2) -- depuis son arrivée à Iéna en 1801, jusqu'à la publication de la Phénoménologie en 1807. Pendant ces années d'Iéna, Hegel, en dehors de sa dissertation: De orbitis planetarum et de sa première œuvre sur La différence des systèmes de Fichte et de Schelling ne publie que des articles dans le journal phi(1) Lucien HERR, Grande Encyclopédie, art. Hegel. (2) Sur les années d'étude de Hegel à Tübingen et ses relations avec Schelliug et Hiilderlin, cf. Hegels Tü/Jinger Fragment, von G. ASPELIN, Lund 1933. - Pour les travaux de jeunesse de Hegel, cf. notl·c article dans la Revue de métaphysique et de morale, jullle! et octobre 1935, Les trollaU.T de jeunesse de IIegel d'après des ouvrages ,.,'cenls.

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INTRODUCTION ,4 LA PHILOSOPHIE

losophique de Schelling (3) ; ces articles, en particulier celui intitulé: Foi et Savoir ont un caractère très personnel, et nous qui connaissons le Hegel postérieur, celui de la Phénoménologie, et le Hegel antérieur, celui des travaux de jeunesse, pouvons découvrir en eux l'originalité de la pensée hégélienne, mais pour les contemporains il ne devait pas en être ainsi ; et Hegel, avant la publication de la Phénoménologie, ne pouvait guère apparaître que comme un disciple de Schelling, disciple assez obscur qui s'efforçait seulement de situer la pensée de Schelling dans l'ensemble de la philosophie d~ son temps et de mieux marquer l'originalité de cette philosophie que ne le faisait son auteur. Peut-être même Schelling dut-il à son disciple et ami Hegel d'avoir mieux pris conscience des différences qui existaient entre sa philosophie de l'Absolu, et les philosophies de la réflexion de Kant et de Fichte. Après cette période où Hegel vit à l'ombre de Schelling, vient enfin la grande œuvre philosophique de Hegel, la Phénoménologie, terminée comme on sait au moment de la bataille d'Iéna et qui est, de la part de Hegel une véritable prise de conscience de son originalité pr-opre~eTiln~iuùtü~ë~~~sez brutale avec Schelling. C'"eslpai:tfcuÜ&rement dans la préface de cette œuvre que Hegel expose avec lucidité et maîtrise son propre point de vue; il fait front contre le romantisme des Jacobi, des Schleiermacher, des Novalis, aussi bien que contre la philosophie de Kant et de Fichte; mais il s'oppose avec non moins de vibrueur à la philosophie de l'Absolu de Schelling, qui est une philosophie de la nature plus qu'une philosophie de l'esprit, une philosophie où l'histoire des peuples le grand drame humain -- n'a pas sa vraie place. Sans doute

(3) Ces diverses œuvres sc trouvent rassemblées dans l'édition Lasson des œuvres de HEGRI•• Ers!e Drllckschriflen, Leipzig, 1928. -~ Une traduction française de l'article sur «Foi et Savoir» (Glauf'en und Wisscu) a été publl,'c chez Vrin en 1952 : Premières publications d., JTeyel, tl'[lIluction M. MElw.

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Schelling lui-même n'est-il pas nommé dans cette préface, mais il a bien su s'y reconnaître (4). A partir de ce moment l'originalité de Hegel n'est plus contestée. En considérant rétrospectivement cet admirable mouvement philosophique que constitue l'idéalisme allemand, Hegel peu t se donner lui-même comme le philosophe qui a dépassé toutes les acquisitions de cet idéalisme philosophique, qui les a conduites à leur term~ logique, et en exprime pour~âinsr dIre le résultat. dialectiq,q~. _Fichte représenterait l'idéalisme subjectif,' l'éternelle opposition du Moi et du Non-Moi, une opposition non résolue, mais qui doit seulement se résoudre, une philosophie de l'action morale (5) ; Schelling, l'idéalisme objectif, l'identité dans l'absolu du Moi et du Non-Moi, une philosophie de la contemplation esthétique; Hegel l'idéalisme absolu conservant au sein même de l'Absolu -la dialectique de la réflexion propre à Fichte, une philo:'iophie de la synthèse concrète (6). On peut donc dire que la vision que Hegel propose de lui-même est déjà une certaine_philosophie de l'llistoire de la Philosoplzie -qu'il a été le premier à créer cette représentation, cependant par trop schématique, des trois formes d'idéalisme, idéalisme subjectif, idéalisme objectif, idéalisme absolu par quoi on a si souvent voulu définir l'hégélianisme.

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La découverte des travaux de jeunesse de Hegel demeurés longtemps inédits, et publiés pour la première fois par Nohl en 1907, a modifié profondément cette (4) La Phénoménologie de l'esprit, première traduction française par chez Aubier, éditions Montaigne, tome I, 1939 ; tome II, 1941. (5) Pour un exposé de la philosophie morale de Ficbte, philosophie de l'action où le Moi et l'Univers se heurtent toujours, cf. La Destina/ion de l'Homme, traduction française chez Aubier, 1942, avec une préface de

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(II) Le meilleur exposé de l'ensemble de cet idéalisme allemand de Kant à Hegel nous parait être l'ouvrnge de KnoNER, Von Kant bis Hegel, Tübingen,

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représentation (7). Ces travaux en effet durent surprendre ceux qui ne connaissaient que le Hegel de la Grande Logique ou de l'Encyclopédie, moins peut-être ceux qui avaient été sensibles à la richesse concrète des leçons de Hegel sur la philosophie de l'histoire, sur la philosophie du droit, ou sur l'esthétique et la religion. C'est que l'étude des travaux de jeunesse de Hegel devait révéler deux aspects trop négligés de la pensée hégélienne. D'une part on découvrait que le Hegel qui ne publiait son œuvre maîtresse qu'à 35 ans avait fait précéder son entrée sur la scène philosophique d'une longue initiation, d'un vaste chemin de culture, et qu'il ne donnait dans les œuvres publiées de son vivant que l'édifice nu après en avoir fait disparaître tous les échafaudages. D'autre part on devait s'étonner que la philosophie, au sens technique du terme, tienne si peu de place dans ces notes de jeunesse. Pendant les années "de séminaire de Tübingen, les années de préceptorat de Berne et de Francfort, Hegel se préoccupe plus de problèmes religieux et historiques que de problèmes proprement philosophiques (8). La correspondance même avec Schelling en fait foi. Ce dernier aussitôt son départ de Tübingen a abandonné les études théologiques; la métaphysique est devenue son souci exclusif, et il tente d'approfondir l'idéalisme de Fichte en rejoignant Spinoza. Il publie Le Moi comme principe de la Philosophie, puis les Lettres sur le Dogmatisme et le Criticisme, mais Hegel reste très près du concret; ct Je concret c'est pOUl' lui la vie des peuples, l'esprit du Judaïsme et du Christianisme; il n'utilisë les phUosophes, particulièrement Kant et les philosophes antiques, que pour mieux (7) C'est Dilthey qui a le premier utilisé et interprété ces travaux de jeunesse. Ils ont été publiés ensuite par NORL, lIegels IlleologiSclIe Jagendschriftrn, Tübingen, 1907. En France, le livre de M. J. WAHL, Le mailleur d~ la conscience dans la pllilosophie de Ilegel (Rieder, 1(29), en est une interprétation particulièrement intéressante, qui a renouvelé l'intérêt français pour la philosophie de Hegel. (8) Pour préciser les idées, nous donnons ici la chronologie de cette carrière de jeunesse de Hegel. Tübingen, 1788-1793, Berne 1793-1796, l'l'ancfort 1797-1800, Iéna 1801-1807.

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aborder directement son objet, la vie humaine telle qu'elle se présente à lui dans l'histoire; plus encore les préoccupations de Hegel sont d'ordre pratique. Sous l'influence de la Révolution française - qui l'a un moment enthousiasmé comme ce fut le cas pour presque tous ses contemporains - il songe à des réformes concrètes destinées à redonner la vie à des instltutions vermoulues (9). Dans tous les cas Hegel, comme il l'écrit lui-même à Schelling, est parti des «exigences les plus humbles de la pensée humaine». C'est seulement en arrivant à Iéna qu'il prend conscience de la philosophie comme d'un moyen - peut-être plus propre à notre époque que la religion - d'exprimer le sens de la vie humaine dans son histoire. Mais la vraie philosophie, comme l'a dit Pascal, se moque de la philosophie, et les travaux de jeunesse de Hegel ont le mérite de nous révéler le point de départ original de la spéculation hégélienne. A notre époque et sous l'influence de Husserl, l'école phénoménologique allemande a voulu substituer aux études de seconde main, par exemple à une philosophie de la science qui n'était que la science de la science, des études directes. Le mot d'ordre nouveau a été «retour aux choses ellesmêmes» (10). Mais c'est précisément ce qui caractérise les travaux de jeunesse de Hegel qu'on a nommé peutêtre un peu à tort des travaux théologiques. Hegel s'y préoccupe moins de philosophie technique que d'his-: toire; et encore le mot d'histoire convient-il mal icÎ pour caractériser ce genre de spéculation! Ce qui intéresse notre penseur, c'est de découvrir l'esprit d'une religion, ou l'esprit d'un peuple, c'est de forger des concepts nouveaux aptes à tradUite la vie historique de l'homme, son existence dans un peuple ou dan~ un.e histoire. Sur ce point Hegel est incomparable et les tra(9) Sur Hegel et la Révolution française, cf. notre article dans la Revue philosopllique, numéro spécial de septembre-décembre 1939. (10) Zll dell Sachell selbst.

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vaux de jeunesse nous livrent son effort direct et encore naïf pour penser la vie humaine. « Penser la vie, voilà la tâche» (11), écrit-il; seulement par ce mot «vie» il Be faut pas entendre la vie biologique, mais la vie de l'e~­ prit qui est inséparable de l'histoire. Encore faut-il ajouter que Hegel cherche en même temps la signification de ce terme «histoire» pour l'esprit humain. Avant donc de comprendre Hegel comme le successeur de Fichte et de Schelling et de définir dialectiquement sa position philosophique, il peut être intéressant de rechercher quel fut le point de départ de sa pensée, ct remontant aux travaux de jeunesse, dé déèouvriren eux le caractère fondamental de l'idéalisme hégélien. On peut dire que, depuis Dilthey, cette étude des travaux de jeunesse a été poussée très loin, elle a renouvelé l'interprétation de l'hégélianisme, jusqu'à faire négliger peutêtre un peu trop le système achevé. Il semble même qu'il y ait parfois une sorte d'opposition entre les interprètes de Hegel qui s'attachent à son système, celui de l'Encyclopédie, et ceux qui restent fidèles aux premières démarches de la pensée hégélienne. Tandis que Kroner ou Hartmann dans leurs ouvrages sur l'idéalisme allemand négligent les travaux de jeunesse de Hegel et s'efforcent de comprendre notre philosophe en le situant dans le grand courant philosophique de son temps, un Haering en Allemagne, un J. 'Vahl en France s'intéressent plus particulièrement à la gcnôse phénoménologique du système, à ces études si vivantes et encore si peu dogmatiques sur l'esprit d'un peuple ou sur le christianisme par exemple (12). (11) NOHL, lIegels Iheologische Jugendschriflen, p. 429. Hegel ajoute: «La conscience de la vie pure serait la conscience de ce que l'homme est.» Ces prelniers travaux de Hegel font souvent penser il ce qu'on nOnl111C aujourd'hui, depuis Kierkegaard la philosophie existentielle. Sur Hegel et Kierkegaard, cf. L'élude de J. Wal!I dans les rapporls du Ill' Congrès héyélien de nome, J.C.B. NOIlR, Tübingen 1934. (12) Cf. l'œuvre essentielle de Haering : T. HAERlNG, 11egel, sein Wollen und sein Werk, Teubner, Leipzig 1929. Le second tome, qui étudie l'évolution de Hegel depuis son arrivée à Iéna jusqu'à ln publication de la Phénoménologie, a paru en 1938.

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Nous ne voulons pas choisir ici absolument l'une de ces deux voies. C'est la Phénoménologie de Hegel qui nous a particulièrement intéressé dans nos travaux hégéliens et cette œuvre se. situe précisément entre les travaux de jeunesse qu'elle repense et le système futur qu'elle annonce. On trouve en elle tout le «chemin de culture» de Hegel, celui qu'il a suivi lui-même avant de parvenir à la philosophie, et l'effort prodigieux du logicien pour faire rentrer cette expérience vivante dans le cadre d'une réflexion stricte. Il ne nous appartient pas de savoir si la logique a sclérosé cette vie ou si au contraire, comme l'a voulu Hegel, cette vie n'a pas pénétré la logique elle-même. Nous aurons d'ailleurs à ce sujet l'occasion de comparer ce que Glockner nomme le pantragisme hégélien avec son panlogisme, son intuition de l'histoire avec sa théorie de la contradiction (13). * ** Quoi qu'il en soit nous partirons des travaux de jeunesse de Hegel pour mieux comprendre la signification du système hégélien; nous n'opposerons pas les premiers au second, mais essayerons de montrer que ce qui fait l'originalité de Hegel -- parmi les philosophes de l'idéalisme allemand -~ se trouve déjà en germe dans les travaux de Tübingen, de Berne et de Francfort. Une rapide comparaison entre Schelling et Hegel fera mieux comprendre notre pensée. Schelling, comme Schiller l'avait déjà fait à l'égard de Kant, oppose à l'idéalisme fichtéen, qui est un idéalisme moral, un idéalisme de c:aractèreësthétlque. L'intuition intellectuelle pour Fichte, du moins pour le premier Fichte, est celle de l'action morale, par quoi le (13) Dans les deux volumes qu'il a consacrés à la philosophie hégélienne (Fr. Frommans Verlag, tome I, 1929; tome II, 1940), Glockncr oppose la vision tragique du monde qui est primitive chez Hegel à son panlogisme qui en constitue le «destin philosophique». Dans la suite de notre article nous nous sommes inspirés de cette distinctlon en partant d'abord de la vision tragique du monde.

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sujet libre" s'élève à la plus" haute c()nscience de luimêmé, et, tout en s'opposant au~mon

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même le théoricien qui tire de l'expérience sociale des faits positifs et les rassemble plus ou moins arbitrairement sans les identifier au sujet pensant et voulant. Ces faits ou ces déterminations paraissent toujours extérieurs au moi de sorte qu'on ne parvient ainsi qu'à une nécessité empirique et non à une philosophie de la \ Liberté. Au contraire «le grand côté de la philosophie kantienne et fichtéenne est d'avoir pris comme point de départ le principe selon lequel t'essence du droit et du devoir et l'essence du sujet pensant et voulant sont absolument identiques» (27). Par là même ces philosophies sont des philosophies de la Liberté. Le droit naturel signifie alors le droit rationnel, et c'est à,-j~e titre que ces philosophies peuvent être dites idéàl(~lueS; ~11~1' cherchent à déduire les lois du droit el célles du devoir de l'essence du sujet absolument libre. L'autonomie . chez Kant, le .lPoipratique chez Fiç1.I.te exprjlli~rit "]e moment le plus" dcs.é.de ces docirlDcs. Toutefois Hegel critique cet id6alisme, comme ir'critiquait l'empirisme antéricur ; H n'y voit qu'unc philosophie de la réflexion qui n'a pas été capable de dépasser l'opposition propre à la réflexion, et qui par conséquent ne parvient qu'à une identité formelle ou à une conception négative de la liberté. On pourrait souvent croire en lisant Hegel qu'il n'est qu'un philosophe abstrait qui joue avec des concepts et jongle avec des mots. Il n'en est rien pourtant et nous en voulons pour preuve la signification de ce concept de réflexion par lequel il caractérise les philosophies dont nous venons de parier. Pour le bien comprendre il nous semble qu'il faut partir du sens vulgaire du mot réflexion. La réflexion est une sorte d'interruption de la vie dans sa spontanéité; Hamlet réfléchit au lieu d'agir, et l'action lui devient presque impossible. Dans la i réflexion nous séparons par une sorte de retour du sujet en soi-même ce qui dans le devenir vital est uni, ce qui

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était coïncidence immédiate. Notons-le d'ailleurs, l'action n'est possible que si nous supposons réalisée à un moment ou à un autre cette coïncidence de soi avec soi. n y a, dit Hegel, dans toute action morale véritable une 'certaine immédiateté nécessaire. Dans les travaux de jeunesse de Hegel nous avons analysé la réflexion d'Abraham qui était une séparation de l'atmosphère de sa vie première (28) . Mais dans les philosophies de ln réflexion, dans l'idéalisme critique d'un Kant ou dans l'idéalisme -i'noral d'un Fichte, la même opération es! effectuée d'une façon systématique, et l'opposition propre à la réflexion ne peut plus être surmontée. Au lieu d'être un moment dont Hegel ne conteste pas et surtout ne contestera pas la nécessité, elle devient le point de vue essentiel. C'est ainsi que la liberté dont ces philosophes 1 ont eu raison de partir n'est dans leur système qu'un : idéal, et n'existe pas en fait; ou encore elle n'est qu'une négation de la détermination finie, de la positivité qu'elle laisse toujours en dehors d'elle comme étant à nier. Mais cet «en dehors », cette extériorité sont précise-' ment contradictoires de la Liberté pour laquelle :il n'y Il pas d'extériorité absolue. 1 Disons encore d'une façon plus simple que ces phil losophes de la réflexion ont séparé l'infini du fini et ont , .... î rendu inconcevable leur unité. Si l'empirisme dogmati. \ que en restait au «rizi:rte» mélangeant une réflexion \ inachevée et un empirisme incomplet les systèmes idéalistes que nous considérons maintenant sont des qua~js­ 'I.}\ mes; mais ces dualismes n'opposent pas une détermina" \V tion à une autre, une conception de la propriété à une conception de la communauté de bien par exemple, ils V opposent l'impUl' au pur, la détermination a l'absolument

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(27) Ed. Lasson, VII, p. 361.

(28) Nous avons précisément iudiqué à propos de la conscience malhen-

\ '.~ reuse, du destin du peuple juif, la signification existentielle que Hegel prête '\ à cette réflexion par le moyen de laquelle l'homme renonce à l'unité immé(liate de la vic. Les philosophies de la réflexion, Kant, Fichte, Jacobi, que " 1 Hegel étudie comme telles dans l'article de Iéna, snr Foi et Savoir, ne sont ," que la philosophie de cette séparation.

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indéterminé, à l'infini abstrait; c'est pourquoi ils ont une telle importance, selon Hegel, dans l'histoire de la culture. C'est en réfléchissant sur une telle réflexion qu'on peut seulement dépasser la réflexion, prendre conscience du caractère abstrait et purement négatif de cette libert(~ infinie, et en revenir à une unité dialectique qui soit la vie même, la présence de l'infini dans le fini, sans être le mixte arbitraire de l'empirisme. Dans la vie commune on constate souvent une opposition entre la sensibilité et la raison; c'est cette opposition que les philosophies idéalistes de Kant et de Fichte ont élevée à l'absolu en en fixant pour ainsi dire les deux termes. D'un côté il y a la nature, notre nature qui est faite de tendances et d'aspirations diverses que nous trouvons en nous parce que nous sommes un être du monde; d'un autre côté il y a la raison pure, le moment de l'unité infinie, et la liberté consisterait à limiter et à dominer' en nous la nature. Mais si la constatation empirique ainsi fai te correspond à une expérience réelle, elle ne saurait exprimer le tout de l'éthique: «Il ne saurait être ici question, dit Hegel, de nier ce point de vue, il correspond à une identité relative (c'està-dire à une différence), de l'être de l'infini dans le fini (29).» Seulement il importe de montrer que ce point de vue n'est que partiel et qu'à côté de l'identité relative (ou de la différence) des deux moments, on trouve aussi leur nnité réalisée. et c'est cette unité que doit présenter le système de l'éthique. En d'autres termes les philosophes de la réflexion en restent pour ainsi dire au moment de l'immoralité, de là le caractère négatif de leur Liberté qui exprime l'exigence de dépasser ce moment, mais une exigence condamnée à rester sans réalité; or Hegel yeut au contraire en pensant le tout de ('291 Ed. Lasson, VII, p. 351. «L'expression populaire de cette représentation de la nature éthique ('omme identité relative est l'opposition du réel eonçu comme sensibilité, faculté de désirer (moment de la pluralité) avec la raison (moment de l'unité). L'identité relative est alors leur non-coincidenC